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Analyse linéaire/ Parcours « 

Rire et savoir  »
Texte 1, Rabelais, Gargantua, Chapitre 17, Les Cloches de Notre-Dame, p81 et 82 du livre.

Mouvement : Rabelais est connu pour être, avec Montaigne, l’un des grands humanistes du XVIème
siècle. Ce mouvement se caractérise par la foi en l’homme qui est placé au centre de l’univers, par
l’intérêt pour toutes les formes de la connaissance et par la redécouverte de la littérature de
l’Antiquité. Les humanistes comme Rabelais retrouvent donc la foi en l’homme et son corollaire, un
appétit de savoir.
Auteur : Rabelais est le meilleur exemple de cette soif de savoir : Rabelais est un clerc tout au long de
sa vie. Après avoir été moine, il défroque pour devenir prêtre séculier et après avoir étudié le droit et
les langues anciennes, il se tourne vers la médecine en 1530 tout en restant prêtre. Il est d’ailleurs
nommé médecin la même année que la parution de Pantagruel en 1532, le premier récit publié par
Rabelais sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier, l’anagramme de François Rabelais.
Œuvre : Ce moine savant et auteur humaniste a donc écrit, dans un premier temps, Pantagruel en
1532, puis Gargantua, en 1534. Mais l’écriture ne suit pas la chronologie de la famille car Gargantua
est le père de Pantagruel. Dans ces deux œuvres, Rabelais part d’un fondement traditionnel en
littérature (le roman de chevalerie et son registre épique), et va lui adjoindre des éléments originaux
qui vont les affranchir de la tradition, le gigantisme, par exemple, très à la mode à l’époque.
Gargantua : Ainsi, Gargantua, le héros éponyme, n’est pas un chevalier mais un géant et nous
suivons ses aventures dans un roman qui obéit cependant au plan des romans de chevalerie. On y
trouve ainsi trois parties : l’enfance de Gargantua (1-24), les prouesses de Gargantua (25-51), et enfin
le moniage de Gargantua (52-58). 
Texte : L’extrait soumis à notre étude est tiré du chapitre 17, dans la partie qui décrit l’enfance de
Rabelais. Cependant, ce chapitre rompt avec la tradition en exploitant le thème du gigantisme cher à
Rabelais. Après l’échec de l’éducation menée par ses précepteurs sophistes, Gargantua part avec un
nouveau précepteur, Ponocrates, qui représente les idéaux humanistes de Rabelais. Mais, arrivé à
Paris, Gargantua est confronté à un véritable harcèlement de la part des habitants de Paris, décrit
dans l’extrait soumis à notre étude. Il se réfugie alors sur les tours de Notre-Dame. Notre extrait est
une sorte de parenthèse, un passage de pure comédie que Rabelais emprunte à ses Grandes et
Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua publiées anonymement en 1532 en y
ajoutant une connotation satirique, liée à ses idées proches de l’évangélisme.
Parcours : Notre extrait peut facilement être relié au parcours « Rire et savoir » puisque le lecteur,
averti dès le prologue sait qu’il doit, dans cet extrait de pure comédie, chercher à « rompre l’os »
pour « sucer la substantifique moelle ».
Problématique : C’est pourquoi notre problématique consistera à analyser en quoi cet épisode
héroïcomique met en scène un combat carnavalesque entre le géant évangélique et le géant
sorbonnien.
Plan de l’extrait étudié : Pour cela, nous étudierons de façon linéaire, notre extrait qui s’articule en 3
mouvements :
- Tout d’abord, avec les deux 1ers paragraphes, nous étudierons l’introduction de la farce du
géant comprenant les premiers indices de la satire.
- Puis, nous verrons, du 3ème paragraphe jusqu’à, dans le 4ème paragraphe « baignez par ris », le
gigantisme et l’héroïcomique de ce géant.
- Et nous finirons par la revendication d’une étymologie fantaisiste, dans les 4ème et 5ème
paragraphes de « Voilà pourquoi la ville fut nommée Paris » à « hardis en paroles ».
Lecture linéaire :
Première partie : l’introduction de la farce du géant et les premiers indices de la satire (deux
premiers paragraphes)
1. Première idée de cette partie : c’est le narrateur, Alcofribas Nasier qui parle (L1).
● Rappelons tout d’abord que le narrateur de ce livre est Alcofribas Nasier, l’alter ego de
Rabelais. C’est donc lui qui raconte l’histoire du géant. Son œuvre a en effet été publiée sous
ce pseudonyme, qui est une anagramme de François Rabelais. Gérard Defaux affirme
que « Alcofribas est le masque comique dont Rabelais s’affuble pour démasquer le mal et
l’exposer au ridicule. » Il s’agit bien, tout à la fois de « Rire et savoir ».
● En effet, dès la première phrase, Alcofribas Nasier nous fait sourire en introduisant le motif
du gigantisme : Gargantua aiguise la curiosité des Parisiens par son allure de géant L1 « tout
le monde l’admira ».
● Nous avons tout d’abord une présentation succincte du contexte insistant sur la dimension
humaine des voyageurs : comme n’importe quels voyageurs, ils reprennent des forces L1
« Après qu’ils se furent reposés quelques jours » avant de visiter la ville « il visita la ville ».
2. Deuxième idée : Alcofribas Nasier fait la satire du peuple de Paris (paragraphe 1).
● Mais la suite de la phrase singularise le héros grâce à l’hyperbole L1 « et tout le monde
l’admira ». Le géant attire les regards de tous en raison de son apparence singulière, ce qui
autorise dès lors le conteur à entamer une réflexion, encore discrète, sur l’ambivalence de
l’être et du paraître. C’est le tout début de la satire du peuple de Paris qui ne juge que sur
les apparences.
Pour mémoire : satire = attaque des vices de ses contemporains, dénonciation par le rire.
● Le récit laisse alors place au commentaire du narrateur fait grâce à :
⮚ La gradation rythmique L2 « si sot, si badaud, et si inepte de nature » qui ouvre
pleinement la satire,
⮚ Les trois adjectifs dépréciatifs « sot », « badaud » et « inepte » qui décrivent le
peuple dans une énumération humoristique :
▪ Ils sont redondants et mettent donc en exergue le caractère inné du peuple
de Paris, sa bêtise.
▪ Ils sont mis en valeur par l’intensif « si » répété trois fois.
● Pour dénoncer la sottise des Parisiens, le narrateur use du lexique du spectacle et de la fête,
mettant en scène L2 « un bateleur », L3 « un mulet avec ses cymbales » et L3 « un joueur de
vielle » dans une énumération provoquant le sourire du lecteur.
● Mais ils côtoient également L2 « un porteur de reliques », c’est-à-dire un religieux d’un ordre
mendiant, portant des reliques ou des indulgences. Ces indulgences permettaient la
rémission des péchés en échange d’un acte de piété qui s’est transformé en un commerce
lucratif pour l’église, à l’époque de Rabelais. Les humanistes reprochaient à l’Eglise
d’exploiter la ferveur populaire et de favoriser le commerce des reliques et des indulgences.
C’est bien sûr une satire de l’église qui profite de la crédulité des Parisiens.
3. Troisième idée : le narrateur fait la satire de l’église (1er paragraphe)
● Tous ces personnages appartenant à l’univers de la foire ou de la superstition religieuse
s’opposent au L4 « bon prêcheur évangélique ». Derrière la farce se masque la virulente
critique rabelaisienne à l’encontre de la bêtise populaire qui consiste à accorder plus de
crédit aux indulgences qu’aux prédications évangéliques. Le peuple parisien, pour
reprendre les mots de Rabelais est « si sot » qu’il reste sourd au « bon prêcheur
évangélique ».
Pour mémoire : évangélisme = mouvement qui prône la lecture directe des textes bibliques, la
prière personnelle et la méditation et qui repose sur l’enseignement de Saint Paul.
● Au-delà de cette critique, Rabelais révèle le conflit entre deux conceptions religieuses :
⮚ L’une représentée par L2 « un porteur de reliques », c’est une référence à la
Sorbonne et aux superstitions religieuses,
⮚ L’autre représentée par L4 « un bon prêcheur évangélique » : Rabelais revendique ici
l’évangélisme, attitude spirituelle qui constitue une sorte de christianisme
intériorisé. Toute la réflexion humaniste est marquée par cette influence du courant
évangélique qui prône la lecture directe des textes bibliques, la prière personnelle
et la méditation et repose sur l’enseignement de Saint Paul.
● C’est un combat entre l’évangélisme et la Sorbonne que Rabelais a dû mener lui-même : alors
qu’il est moine franciscain, on lui supprime tous ses ouvrages en grec afin qu’il n’ait pas accès
aux textes originaux, comme le recommande la Sorbonne.
4. Quatrième idée : le narrateur introduit la réponse de Gargantua aux Parisiens sous
forme de farce (2ème paragraphe)
● Après cette rapide critique de l’église, le narrateur reprend son récit avec justement le verbe L5
« poursuivirent ».
● Il explique la réaction de Gargantua qui s’est réfugié sur les tours de Notre-Dame L5/6 « se
reposer sur les tours de l’église Notre-Dame » et en explique la cause, le véritable harcèlement
des Parisiens :
⮚ Grâce au verbe L5 « poursuivirent »,
⮚ Grâce à l’adjectif péjoratif L5 « importune » qui est accentué par l’adverbe d’intensité
« si »,
⮚ Grâce à la forme passive L5 « il fut contraint » qui montre qu’il est acculé,
⮚ Grâce au CC de cause L6 « voyant tant de gens autour de lui ».
● Par représailles, Gargantua prépare donc une farce, pour punir les curieux qui s’agglutinent
autour de lui :
⮚ il l’explique grâce à l’ironie L7/8 « donner un pourboire »
⮚ Et le justifie par le rire L8 « Mais ce sera par ris. »
● Le narrateur singularise le héros, seul contre tous, par l’opposition du singulier L6 « lui » et du
pluriel L6 « tant de gens ».
● Il le fait même parler au discours direct L6 à 8, dynamisant le récit et lui donnant la possibilité de
justifier sa farce : Gargantua se venge de la grossièreté des Parisiens qu’il traite L6 de
« maroufles ». Le mauvais accueil et l’humiliation entraînent donc la vengeance du géant.
● Cet extrait mêle bien « Rire et savoir » car Gargantua semble se ranger du côté de la raison avec
l’expression impersonnelle L7 « C’est juste. » mais la dernière phrase introduit la farce avec la
mention faite au rire L8 « par ris ».
Pour mémoire : farce = plaisanterie bouffonne, voire grossière, que l'on dit ou fait pour divertir les
autres mais, plus souvent, pour s'amuser à leurs dépens.
● L’image de Gargantua sur les tours doit être comprise de deux manières métaphoriques :
⮚ Soit le haut des tours fait référence au haut des tours de l’Université de la Sorbonne et,
dans ce cas, il s’agit d’un combat carnavalesque entre le géant évangélique et le géant
sorbonnien.
⮚ Soit le haut des tours est le lieu qui permet à Gargantua de s’élever au niveau du divin et
nous avons alors l’image burlesque du Dieu qui juge et punit son peuple qui ne suit pas
l’évangélisme. Le lexique religieux « reliques, prêcheur évangélique, l’église Notre-
Dame » est d’ailleurs très présent depuis le début du texte.
Pour mémoire : burlesque = comique extravagant qui prête aux personnages héroïques des
sentiments et un langage vulgaire.
Transition : Les premières lignes inscrivent donc l’extrait dans le genre farcesque tout en amorçant la
réflexion grâce à la satire. Le deuxième mouvement que nous étudions à présent se concentre sur le
châtiment de Gargantua jouant le rôle de justicier. Pour cela, nous étudierons le gigantisme et
l’héroïcomique de Gargantua.
Deuxième partie : le gigantisme et l’héroïcomique de ce géant (du 3ème paragraphe jusqu’à, dans
le 4ème paragraphe « baignez par ris »)
1. Première idée de cette partie : le narrateur met en place la parodie d’un épisode
épique sur le mode héroïcomique (3 mots-clés à retenir : parodie/épique/héroïcomique):
Pour mémoire : parodie = imitation d’un ouvrage sérieux, respectable dont on transpose
comiquement le sujet ou les procédés d'expression.
● La première parodie est celle d’un épisode épique. Le narrateur imite un ouvrage sérieux qui
raconte un épisode épique, c’est-à-dire une action héroïque digne de figurer dans une épopée et
le transpose de façon comique. En effet, nous sourions devant le flot d’urine qui remplace le
flot de sang propre au combat épique des chevaliers du Moyen-Âge L9 « les compissa si
énergiquement ».
Pour mémoire : épique = qui raconte une action héroïque, qui est digne de figurer dans une
épopée.
● Il utilise pour cela la figure principale du registre épique qui, est l’hyperbole avec :
⮚ L’adverbe d’intensité « si »,
⮚ Qui complète l’adverbe « énergiquement » qui rappelle le gigantisme du géant
Gargantua,
⮚ Et le chiffre « 260 418 » quelque peu exagéré !
● Nous sommes bien dans la parodie d’un récit épique car Gargantua est à la fois associé à un
chevalier qui se libère du joug des oppresseurs mais le narrateur le fait par le rire L9 « en
souriant » : à la violence du harcèlement des Parisiens curieux s’oppose le sourire du géant.
● Et ce sourire se traduit par l’humour grivois et scatologique de Rabelais (mot-clé à ajouter) :
Pour mémoire : scatologie = genre de plaisanterie en rapport avec les excréments et les obscénités.
grivoiserie = plaisanterie qui est à la limite de l’obscénité, image qui représente brutalement des
manifestations d’ordre sexuel.
⮚ Avec l’hyperbole L9 « sa belle braguette »,
⮚ Avec l’image très évocatrice du géant brandissant son sexe L9 « tirant son membre en
l’air »,
⮚ Avec le vocabulaire de l’urine L6 « compissa » et L11 « pisse ».
● C’est pourquoi le récit, dans ce troisième paragraphe, tombe dans l’héroïcomique.
Pour mémoire : héroïcomique = traitement d’un sujet bas dans un registre noble.
● En effet, cette parodie de récit épique est en fait la description d’un géant arrosant de son urine
les Parisiens : nous avons bien là « un sujet bas » pour reprendre la définition de
l’héroïcomique !
2. Deuxième idée de cette partie : Le narrateur met en place la parodie d’un épisode
biblique (mot-clé à ajouter : gigantisme) :
● A cette image relevant de l’héroïcomique, se superpose une deuxième parodie, celle d’un
épisode biblique : le Déluge, cette punition divine qui arrache les hommes, du mal, dans la Bible,
L10 « il en noya 260 418 ».
● L’hyperbole que nous avons déjà vue rappelle le gigantisme de notre personnage et participe de
l’héroïcomique : un géant urinant (sujet bas) est associé à un épisode de la Bible (celui du
déluge).
● L’intertextualité biblique est d’ailleurs explicite avec la reprise d’une expression récurrente dans
la Bible L10 « Sans compter les femmes et les enfants. ».
● Après avoir insisté sur les noyés, le narrateur, Alcofribas Nasier s’attarde sur les rescapés L11
« Un certain nombre d’entre eux échappèrent à cette cascade de pisse ». Il oppose le nombre
des victimes L1O « 260 418 » à celui des rescapés L11 « Un certain nombre ». Ils sont peu et se
distinguent par leur lâcheté comme le met en valeur la métaphore ironique L11 « grâce à la
légèreté de leurs pieds ».
● La parodie est à son paroxysme : la scène biblique du déluge devient un groupe de fuyards
lâches tentant d’échapper au flot d’urine de Gargantua.

3. Troisième idée de cette partie : le narrateur met en place la satire des « Sorbonnagres »
Pour mémoire : satire = attaque des vices de ses contemporains, dénonciation par le rire.
● La scène se passant au sein du quartier latin, fief de la faculté de Théologie, les fuyards se
réfugient à la Sorbonne L12 « au plus haut de la montagne de l’université » pour échapper
L11 « à cette cascade de pisse ».
● On retrouve tout le gigantisme de cette œuvre qu’Alcofribas Nasier avait annoncé en
exergue de son livre « plein de pantagruélisme » : c’est un géant, en haut des tours de L6
« Notre-Dame » qui crée L11 une « cascade de pisse » qui pousse les survivants L12 « au plus
haut de la montagne de l’université ».
● La description des fuyards L12/13 « suant, toussant, crachant et hors d’haleine » d’Alcofribas
Nasier est une caricature d’hommes vieux et gros. Cette accumulation de participes
présents entretient bien sûr la satire des « Sorbonnagres » que Rabelais déteste car, alors
qu’il était chez les Franciscains, ils l’avaient empêché d’étudier les textes grecs originaux.
Ces hommes font également penser aux premiers précepteurs de Gargantua, qualifiés de
« vieux tousseux » au chapitre 14 (p76 maître Thubal Holopherne et maître Jobelin Bridé).
● La toux et les crachats de ces hommes ont une portée symbolique : non seulement ces
théologiens ne profèrent que des parole inintelligibles « hors d’haleine » ou calomnieuses
« crachant », mais ils sont surtout de grands malades « suant, toussant », leur pensée et leur
état d’esprit s’apparentant à un mal dont il convient de se débarrasser.
● Leurs paroles ne sont que des blasphèmes et des jurons. Il est d’ailleurs intéressant de noter
que dans la première édition, les fuyards proféraient une litanie de jurons, Rabelais faisant
entendre ainsi de façon ironique, le mal dans la bouche de ses adversaires religieux.
● A l’instar des soldats de Picrochole, au chapitre 27, les rescapés implorent des saints
inconnus, telle L14 « sainte Mamie » ou profèrent des formules magiques chassant les
démons L14 « Carimari Carimara » et cela ressemble davantage à de la superstition
moyenâgeuse qu’à la prière intériorisée des Evangélistes. Rabelais fait là une satire claire
des « Sorbonnagres » qui ont condamné Pantagruel pour obscénité !
● Les « Sorbonnagres » eux-mêmes ressemblent à cette satire qui nous fait à la fois rire et qui
dénonce les théologiens de la Sorbonne. En effet, ils jurent L13/14 « de colère » et « par
ris ».
● On a l’impression que L11 « cette cascade de pisse » permet à Alcofribas Nasier, grâce à la
métaphore du baptême au discours direct L14 « vous nous baignez par ris. » de plonger les
Parisiens et peut-être ses lecteurs, dans le récit d’un combat carnavalesque entre le géant
évangélique et le géant sorbonnien.

Transition : les deux premières parties de notre extrait s’appuyaient donc sur la satire grâce au
comique de situation (Gargantua en haut des tours) et au comique de caractère (la lâcheté des
Parisiens rescapés). Le dernier mouvement exploite, quant à lui, le comique de mots, le narrateur
revendiquant une étymologie fantaisiste participant à la satire du peuple parisien.

Troisième partie : la revendication d’une étymologie fantaisiste (4ème et 5ème paragraphes de « Voilà
pourquoi la ville fut nommée Paris » à « hardis en paroles ».)
1. Première idée de cette partie : l’écriture rabelaisienne est une écriture bachique (qui a rapport à
Bacchus, au vin et à l’ivresse) s’adonnant au délire verbal :
⮚ Elle s’appuie pour cela tout d’abord sur un calembour grotesque :
● A nouveau, le récit laisse place au commentaire : le narrateur parsème son explication de
références farfelues. Ainsi, selon lui, le toponyme L15 « Paris » viendrait de la parole des
fuyards L14 « baignés par ris ». Ce calembour, évidemment grotesque, laisse transparaître la
jouissance verbale de l’écrivain, renvoyant aux « Propos des bien ivres » du chapitre 5 qui
multipliaient les jeux de mots. L’écriture rabelaisienne est une écriture bachique s’adonnant
au délire verbal grâce à ce calembour grotesque qui crée cette étymologie fantaisiste.
⮚ Cette écriture bachique va ensuite verser dans l’héroïcomique :
● Adoptant un ton très sérieux qui s’appuie sur un argument d’autorité, la référence à un
géographe grec L15 « Strabon », le narrateur veut nous donner l’impression que son
étymologie est vraisemblable. Le nom de la ville de Paris viendrait de l’adjectif grec leukos
qui signifie blanc.
● Mais Alcofribas Nasier nous plonge en plein héroïcomique car nous avons une collision entre
la référence à une autorité reconnue et l’interprétation fantaisiste qu’en fait le narrateur.
Strabon a véritablement existé mais n’a jamais fait dériver le nom L15 « Lutèce » de L16
« Blanchette, à cause des blanches cuisses des dames du lieu. » ! Un sujet bas, les cuisses
des parisiennes, devient l’étymologie de la grande ville qu’est Paris : Rabelais joue avec
l’héroïcomique. Nous sommes en plein délire verbal rabelaisien…
⮚ Cette écriture bachique va aussi s’appuyer sur la grivoiserie :
Pour mémoire : grivoiserie = plaisanterie qui est à la limite de l’obscénité, image qui représente
brutalement des manifestations d’ordre sexuel.
● L’imagination et la fantaisie de l’écrivain culminent en fin de phrase avec l’explication des
L16 « blanches cuisses des dames du lieu ». Rabelais inscrit la grivoiserie au cœur de sa
prose, annonçant déjà l’explication de Frère Jean au sujet de son nez au chapitre 40. C’est
une écriture bachique qui s’appuie sur la fantaisie et la farce grivoise.
2. Deuxième idée de cette partie : l’étymologie va servir la satire des Parisiens.
● Ce passage fait rire le lecteur, pourtant, derrière chaque rire, se cache une critique : il faut
« rompre l’os et sucer la substantifique moelle » comme le dit Rabelais dans son prologue
(p21).
● Même si elles nous font rire, les étymologies d’Alcofribas Nasier se rangent davantage du
côté de la satire des Parisiens. En effet, les Parisiens sont présentés comme impies L17/18
« jurèrent chacun les saints de leur paroisse » et orgueilleux L15 « quelque peu vaniteux ».
● La paronomase finit de faire la satire de ces Parisiens car elle tend à confondre deux univers,
celui du blasphème L19 « bons jureurs » et celui du droit L19 « bons juristes ».
● Les Parisiens sont au milieu de ces étymologies fantaisistes L17 « lors de cette nouvelle
imposition de nom » qui parachèvent le délire verbal rabelaisien.
● La dernière étymologie de Paris se veut tout aussi fantaisiste que les précédentes : selon
Alcofribas Nasier, le nom Parisien tirerait son origine du grec « Parrhesiens » qui signifie L21
« hardis en paroles. ». Les Parisiens parleraient trop et diraient n’importe quoi ! Le narrateur
suggère cette critique grâce à la répétition de la conjonction de coordination « et » dans
l’expression L19 «  et bons jureurs et bons juristes, et quelque peu vaniteux. » qui finit par un
euphémisme ironique « quelque peu vaniteux. »
● Le narrateur érudit convoque une autorité, comme auparavant L15 « Strabon », il s’agit cette
fois de L19/20 « Joanimus de Barranco » mais le livre cité et son auteur sont imaginaires.
Rabelais est un moine érudit, qui joue sur ses connaissances et se plaît à mêler le vrai et le
faux. C’est le délire bachique, le délire verbal de Rabelais qui plaît tant au lecteur.
Conclusion
Ce passage est donc emblématique de la prose rabelaisienne, dans laquelle le rire est un prétexte
permettant à l’écrivain d’exprimer ses critiques. Ainsi, cet épisode héroïcomique révèle une
structure à deux niveaux : tout d’abord le sens littéral qui renvoie à une histoire de géant dont
l’objectif est de faire rire le lecteur, puis un sens plus profond qui permet de saisir la satire des
Parisiens. Rabelais met en scène, avec humour, un combat carnavalesque entre le géant
évangélique et le géant sorbonnien. Derrière la farce et la légèreté propres au gigantisme se cache
donc une satire virulente des Parisiens incultes, superstitieux et vaniteux. Cette satire culmine, peu
après notre extrait avec la harangue de Janotus de Bragmardo, véritable parodie de la rhétorique
sophiste, au chapitre 19 (p85 à 87).

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