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L'affirmation de l'Etat moderne dans le royaume de France (XVI et XVIII ème siècles)

I. La naissance de l'Etat moderne : une affirmation contestée à l'épreuve des conflits religieux

1. Un roi qui aspire à l'exercice du pouvoir autoritaire dans un cadre encore largement féodal
a. un pouvoir encore limité par :
- les grands lignages qu'il essaie de mettre au pas (arrestation du Connétable de Bourbon et confiscation
de ses fiefs) mais puissance d'une aristocratie avec laquelle il doit composer
- des enclaves territoriales nombreuses qui échappent à la couronne (ex vicomté de Turenne en Limousin
– des particularismes locaux incarnés par 23 langues parlées dans le royaume

b. Mais une administration qui s'organise et s'étoffe  :
-au sommet de l'état un Conseil des affaires présidé par un Chancelier en l'absence du roi, qui scelle les
actes
-un contrôleur général des finances chargé de la collecte des impôts dans le cadre de 16 généralités en
1542 et un trésor de l'Epargne en 1523 qui centralise les revenus de la monarchie constitués :
- des impôts directs (taille avec exemption des deux ordres privilégiés) et indirects (Gabelles et Aides),
- des contributions des villes qui prélèvent leurs impôts par l'octroi
- la vente des offices pour accroître et mieux accroître les revenus. L'état n'a pas de fonctionnaires mais
seulement 4000 officiers propriétaires de leur charge (ils seront 46 000 sous Louis XIV)

c. la modernisation du système judiciaire  : les ordonnances de Villers Cotterêts en 1539(p.162) qui


imposent la langue vernaculaire d'île de France pour remplacer le latin, naissance de l'état civil dont les registres
sont tenus dans chaque paroisse par les prêtres, : ambivalence de sa lecture : elle ne met pas fin aux patois mais sa
postérité en fait l'ordonnance la plus ancienne toujours en vigueur aujourd'hui.
→ Une monarchie encore tempérée ( cf. p.172 claude de Seyssel) par le rôle des Parlements (12 crées en
province pour constituer la justice d'appel du roi mais sont en charge aussi d'enregistrer les édits royaux), de la
Police (dans le sens d'une bonne administration), par la foi qui ne va pas manquer de mettre à l'épreuve son
pouvoir

2. Une guerre civile religieuse de 36 ans qui affaiblit l'Etat et la royauté :


a. Faiblesse dans la succession dynastique  :
Mort accidentelle de Henri II en tournoi en 1559→ une régente avec 4 fils sans descendance (cf.
chronologie)→ pb de succession dynastique des Valois aux Bourbons.
Cette faiblesse à la tête de l'état est renforcée par les divisions entre familles aristocratiques en matière
religieuse : les Bourbon-Condé choisissent le Protestantisme tandis que les Guise défendent le Catholicisme.
b. Une régente et des rois ont du mal à se positionner et ont une politique fluctuante  :
-Un contexte où les protestants sont pourchassés déjà par la Chambre ardente et qui critiquent les dérives
absolutistes du pouvoir royal.
-une régence qui hésite entre concorde et manière forte : 8 guerres et 8 édits de pacification (cf. tableau)
-un Tiers-parti royal qui vole en éclat avec la pression des extrémistes catholiques qui crient à la trahison
dès que les édits de pacification sont trop tolérants avec la minorité protestante du royaume (15 à 20% de la
noblesse, 10% de sa population)
-La Saint-Barthélémy en est un criant résumé :
●dans un premier temps le 18 août 1872 un mariage entre le prince de Bourbon protestant (qui abjure
pour se marier avec la fille de Henri II) doit sceller la concorde
●mais le parti des Guise en profite pour massacrer dès le 22 août les 4000 protestants venus au mariage,
●un prince protestant prisonnier 3 ans à la cour, un roi qui assume devant le Parlement et qui sera taxé de
tyrannie par les protestants
c. Un parti parallèle ouvertement concurrent du pouvoir royal, la Ligue soutenue par les Guise, avec
une base populaire parisienne et soutenue par la monarchie espagnole humilie le roi en le chassant par la force de
la capitale le 12 mai 1588 ( journée des barricades)
→ nouvel engrenage de violence qui menace l'autorité du roi : Henri III fait assassiner Guise, s'allie avec
le parti protestant pour faire le siège de Paris en 1590 mais le roi est assassiné par un religieux qui légitime son
action par le Tyrannicide / Revendication du pouvoir absolutiste en 1576 par J. Bodin (p. 172)
d. «  Paris vaut bien une messe » : l'abjuration pour rétablir le pouvoir royal.
Pour se faire reconnaître,Henri de Navarre, le successeur de la nouvelle dynastie Bourbon, doit abjurer
une nouvelle fois en 1593, se fait sacrer à Chartres le 27 février 1594 et reconnaître roi par les parisiens le 22 mars
1594. Il soumet les derniers résistants à son pouvoir en Bretagne, signe la paix avec les espagnols et impose
l'enregistrement de l'Edit de Nantes aussi bien vis à vis des Parlements restés ligueurs que vis à vis des protestants
qui refusent en Béarn son application dans la même année 1598. Etude de l'Edit de Nantes (p. 154):
→ modernité de la notion à comparer avec la solution allemande et anglaise : notion de religion
dominante, de reconnaissance et de garantie de la religion minoritaire, de la neutralité du religieux dans la
direction des affaires publiques.
→En pacifiant le royaume Henri IV renforce le pouvoir royal même s'il est assassiné par un nostalgique
de la Ligue en 1610.

3. Le renforcement du pouvoir royal à l'aune de la reprise en main du religieux :


a. Richelieu, avec l'Edit d'Alès de 1529, réduit la puissance d'un pouvoir autonome protestant dans le
territoire du royaume après la prise de la place de sûreté protestante de La Rochelle en 1528.

b. Le Cardinal fait rentrer la France dans la guerre contre l'Espagne en 1635 et impose la notion de
raison d'état qui légitime la violence de l'état pour réduire les oppositions au nom de la sûreté du royaume : les
duels sont interdits, les châteaux des seigneurs trop remuants détruits ainsi que les places fortes protestantes.
Parallèlement il impose un « tour de vis fiscal » et envoie des Intendants dans les provinces pour lever les
impôts afin de face aux besoins de la guerre soulevant une période de rebellions urbaines comme paysannes.
→ les éléments du puzzle absolutiste se mettent en place.

c. En 1685, l'Edit de Fontainebleau (p. 155) qui remet en cause celui de Nantes, peut être alors lu
comme l'aboutissement de l'absolutisme royal en matière de religion même si ses conséquences sur le long terme
s'avèreront désastreuses (¼ des 800000 protestants migrent ou se révoltent dans la guerre des Camisards +
mémoire de Vauban de déc. 1689)
→ Le pouvoir royal se sent suffisamment puissant dans son royaume pour l'imposer par la force (cf. les
dragonnades)

II. L'absolutisme triomphant du XVIIème

1. La mise en place de l'absolutisme :


a. Reprise en main après la Fronde, prise du pouvoir par Louis XIV en 1661
-gouverner seul dès 1661 et arrêter les personnages trop puissants (N. Fouquet) ; mettre en concurrence de
deux grandes familles qui se partagent les ministères (clan des Louvois/ clan des Colbert)
-le principe absolutiste de droit divin (texte de Bossuet)
-décider sans le consentements des corps intermédiaires : s'imposer face aux Parlements en Lit de justice,
-exclure les élites urbaines et l'aristocratie de la prise de décision

b. une monarchie administrative :


-Louis XIV roi bureaucrate préside ses différents conseils réunis selon un rythme régulier et immuable
-une administration centralisée prépare les dossiers, la correspondance
-le relais des décisions est assuré par les intendants dans les provinces :
→la compétence et l'expertise prennent le pas sur la naissance et les privilèges
→ une meilleure connaissance du royaume : de sa mesure, de ses richesses imposables.

2. L'absolutisme en action :
a. le rôle fondamental de la guerre : cf la durée des campagnes militaires
-des effectifs en hausse pour une armée devenue permanente
-du roi guerrier au roi stratège de cabinet il s'agit d'affirmer à la fois la suprématie politique et militaire
-pression fiscale pour financer la guerre : la guerre passe de 55 à 75% du budget de l'état (on emprunte en
temps de guerre et rembourse en temps de paix), hausse des impôts directs (taille) ou indirects (gabelles), création
des impôts nouveaux (capitation crée en 1695 payée jusqu'en 1791, Vingtième) et ferme générale (perception
indirecte par le système de sociétés privées),
-l'encadrement militaire : casernement et discipline, guerre de siège par les ingénieurs militaires, arsenaux
et enrôlement des célibataires tirés au sort des populations littorales avec nouveaux ports
-la sécurisation des frontières par le « pré carré » de Vauban et le lissage des frontières

b. le colbertisme et le dirigisme économique


-fondements théoriques du mercantilisme et dirigisme économique avec développement des
manufactures, aménagements du territoire, exclusif colonial pour compagnies de commerce privilégiées avec
économie de plantation pour le 1er empire colonial
3. La mise en scène du pouvoir absolu à Versailles :
Ayant été invité au château et parc de Vaulx-le-Vicomte ou le surintendant des finances, N. Fouquet
donna une grande fête, Louis XIV le fait arrêter, récupère ses architectes et artistes pour se construire Versailles.
a. inventer une nouvelle représentation royale :
Dans le château :
-mythologie de l'axe solaire Est-Ouest du château au jardin entre chambre du roi à l'est et galerie des glaces à
l'ouest)
-le plafond de la galerie des glaces par Lebrun : symétrie du roi de guerre et de paix organisé autour de la guerre
de Hollande
Dans les jardins :
-prolongement de la mythologie solaire : bassin de Latone, char d'Apollon, grotte de Thétys + dimension
Sud/Nord : pièce d'eau du midi / bassin de Neptune
-la dimension apollinienne : le roi dispense arts et fêtes (cf en 1664 les plaisirs de l'île enchantée + doc. 5 p. 165)
Plus globalement :
-les jardins et le parc, métaphore de la maitrise de la nature : (orangerie et potager du roi pour faire pousser arbres
et plantes exotiques) + la maitrise de l'eau avec le grand canal, la machine de Marly et les jeu d'eau des bassins.

b. domestiquer la Cour  :
-en la sédentarisant (2000 personnes) dans un château englobant puis dans une ville construite à cet effet
(10000 personnes pour servir).
-en la disciplinant par une étiquette exigeante (le regard du roi cf. doc. 2 p. 164 fait de la cour une prison
dorée) et prenante où le temps d'une journée est saturée par le rituel de cour (lever,manger, coucher, promenade du
roi) et par toutes ses rumeurs qui occupent des courtisans qui cherchent inlassablement à se distinguer pour avoir
le privilège d'être invités à Marly en fin de semaine par le roi.

c. domestication des arts  : le prince des arts assure sa propagande royale par un mécénat royal organisé
par l'intermédiaire des Académies qui centralisent, contrôlent toute la production artistique en investissant toutes
les formes : théâtre, peinture, musique, danse, sculpture, art paysager. Ces arts sont tous réunis lors des fêtes
somptueuses qui les mettent en scène.

III. Les limites et contestations de la monarchie absolue

1. les limites institutionnelles


a. les lois fondamentales : s'il n'y a pas de constitution écrite le roi se doit néanmoins de respecter
certaines lois coutumes plus ou moins rédigées : l'hérédité avec règle de la primogéniture, la règle de la majorité
qui intervient à 13 ans et qui impose une régence s'il est mineur, la loi salique théorisée au XIVème siècle pour
exclure les femmes de la succession et éviter que loi couronne soit aliénée aux anglais, les biens personnels du roi
(ceux de son domaine) sont distinct des biens de la couronne la loi de Catholicité ajoutée par Henri IV pour
devenir roi en 1593. l'autorité de l'église catholique sur Louis XIV devenu bigot sous l'influence de Mme de
Maintenon ne fait que se renforcer au cours de son long règne.

b. Plus globalement  il doit respecter quelques principes généraux :


- il doit le bien de ses sujets en maintenant la paix et la justice en son royaume, la lettre de Fénelon
(adressée à Louis XIV et qu'il n'a jamais reçu), qui fut un précepteur du Dauphin, le lui rappelle vertement en
1694 (cf. doc.2 p. 167). Vauban et Boisguilbert dénoncent les inégalités fiscales et à la raison d'état ils
commencent à opposer le bonheur du peuple.
-il doit s'assurer du consentement de ses sujets en dialoguant pour lever des impôts extraordinaires : il le
fait avec les Etats généraux mais ceux-ci se montrent sourcilleux → le roi évitera de les réunir entre 1614 et 1788
mais il doit au moins le faire pour les provinces qualifiées d'états (Bourgogne, Languedoc, Provence, Bretagne) les
plus tardivement rattachées à la couronne de France.

c. législativement il doit faire enregistrer ses édits devants les parlements, originellement chambres de
justice d'appel mais qui se considèrent de plus en plus comme les représentants de la nation, qui peuvent
demander des modifications grâce à leur droit de remontrances. On sait que Louis XIV a essayé l'expédiant du
« lit de justice » pour faire passer en force ses lois mais ses successeurs n'auront pas la même autorité et tenteront
dans ce cas de renvoyer les parlementaires ; cela ne durera pas et les rois devront les réunir de nouveau.
→Aussi cette opposition va faire de ces parlementaires les défenseurs des libertés contre le « despotisme ».
2. La monarchie contestée
-Résistance et régicide sont théorisés dans le cadre des guerres de religion d'une par les
monarchomaques (théoriciens protestants appelant à résister à un monarque devenu tyrannique) d'autre part par
ceux qui revendiquent le régicide qui interviendra contre Henri III en 1589 puis contre Henri IV en 1610.
A l'inverse la royauté défendra la dimension sacré du roi et fera de toute atteinte physique à la personne
du roi un crime de lèse-majesté punit de l'écartèlement (cf. cas de Ravaillac en 1610 et de Damien en 1757).
-la fronde relaiera ensuite les critiques en dénonçant l'arbitraire de l'arrestation des lettres de cachet mais
aussi à travers la forme de violents pamphlets appelés « mazarinades » qui contraindront Mazarin à l'exil. Sous
Louis XIV la presse clandestine protestante publiée en Hollande principalement dénonce son despotisme et moque
ses défaites tandis qu'à l'intérieur les rebelles protestants, les Camisards, prennent les armes dès 1703 pour
réclamer leur liberté de culte.
Au XVIIIème siècle les libelles et pamphlets qui s'appuient sur les modèles anglais fleuriront au point de
mobiliser la Police pour mieux connaître l'état d'esprit des populations et prennent une dimension sexuée
désacralisante.

3. Une emprise incomplète sur le royaume et une monarchie pas si absolue


a. un pouvoir central qui doit respecter les nombreux privilèges que ce soit les privilèges d'exemption
devant l'impôt des villes, des provinces et des deux premiers ordres. Or le roi peut difficilement remettre en cause
ces exemptions sans ébranler la société d'ordres d'autant que les nobles après s'être révoltés contre la royauté
durant la Fronde au XVIIè vont trouver un relai à leur refus de payer l'impôt dans le discours sur la défense des
libertés par les parlements lorsque ceux-ci sont renvoyés par le roi Louis XV.

b. les impasses de la monarchie :


Avec la défense des libertés c'est en fait la réalité de la défense des privilèges d'exemption → la royauté se
trouve alors dans une impasse. Pour moderniser l'Etat, elle a besoin d'impôts qu'elle ne peut prélever que sur la
paysannerie au risque de sa révolte et ne peut s'appuyer financièrement sur son soutien social, la noblesse.
Elle cherche des expédients dans la vente des offices achetées comme des charges exercées à vie et
transmissibles qui permettent souvent d'accéder à la noblesse et ainsi d'échapper à l'impôt. Il reste alors au roi à
sous-traiter le prélèvement de l'impôt aux financiers de la Ferme générale, seuls en mesure d'avancer l'impôt mais
qui se payent de leur service au roi par un prélèvement accru et rendent l'Etat, toujours au bord de la banqueroute
et la royauté dépendante de ses liens avec les riches privilégiés.

c. le discours absolutiste entre apparence et réalité


Le terme absolutisme a été forgé sous la Révolution française pour dénoncer la monarchie comme un
régime despotique ; cette monarchie absolutiste existe moins dans la réalité que dans le discours à la gloire du roi
qui se multiplient à l'initiative de ses ministres. On parlera plutôt d'une monarchie administrative et des failles du
contrôle étatique : elle ne dispose que de 40 000 officiers pour le servir dans des provinces aux communications
mal reliées à Paris et où langues, coutumes et privilèges poussent les intendants du roi à moins imposer et plus
tenter de trouver des compromis avec les élites locales.

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