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La chanson de Roland
À retenir : La Chanson de Roland a été écrite en anglo-normand, dialecte de langue d'oïl. Son
auteur n'est pas connu.
La Chanson de Roland est un poème épique qui raconte, en près de 4 000 vers décasyllabes
assonancés1, un épisode de la légende de Charlemagne. La trahison de Ganelon, un
seigneur franc, aboutit à la destruction de l'arrière-garde de l'armée franque, qui revenait de
sept années d'expédition militaire dans l'Espagne musulmane.
Cette arrière-garde est commandée par Roland, neveu de Charlemagne, qui trouve une mort
glorieuse dans les combats. Charlemagne venge les morts de son armée en détruisant
l'armée musulmane, puis il punit Ganelon qui s'est révélé être un félon. Ce texte, qui raconte
une aventure se passant au VIIIe siècle, décrit en réalité la vie et les coutumes des chevaliers
des XIe et XIIe siècles. La piété des combattants francs et les combats acharnés contre les
musulmans indiquent l'ambiance de l'époque des premières croisades en Palestine.
Le poète use de scènes violemment contrastées et dépeintes avec des détails pittoresques
qui s’opposent2. Par exemple : Au silence angoissé qui pèse sur la cour de Saragosse (O v. 22),
au roi Marsile étendu à l’orientale sur un banc de marbre bleu à l’ombre d’un arbre (O vv. 11-12),
s’opposent l’allégresse bruyante du camp français (O vv. 110 ss.), Charlemagne, l’empereur qui
trône fièrement dans son fauteuil d’or pur (O vv. 115 ss.) et rayonne de majesté (O vv. 119 ss.). Au
conseil de Marsile où seul Blancandrin prend la parole (O vv. 27 ss.) répond le conseil de
Charlemagne où les opinions les plus opposées s’affrontent avec âpreté (O vv. 220 ss.).
Les grandes phases du combat offrent une progression3 méditée qui les oppose les unes aux
autres : dans la première, les Français ont l’initiative et la victoire (O vv. 1188 ss.) ; dans la seconde,
ils subissent leurs premiers échecs importants, mais les pertes sont victorieusement vengées (O vv.
1449 ss.) ; dans la troisième, ils ne sont plus qu’une poignée, qui luttent avec l’héroïsme des
désespérés et des sacrifiés (O vv. 1913 ss.).
Les morts des trois héros principaux se succèdent en une gradation nettement marquée.
La mort d’Olivier est brutale. La mort d’Olivier est humaine et toute discrète, sans mise en
scène et sans apprêt : Olivier meurt humblement, en faisant les derniers gestes du chrétien ;
il meurt, séparé du monde par la déficience de ses sens, mais il en fait encore partie par le
sentiment.
La mort de Turpin présente plus d’ampleur. Toute une mise en scène ne peut en être
séparée : l’alignement et la bénédiction des morts de Roncevaux aux genoux de
l’archevêque. Turpin meurt en accomplissant son ministère sacré ; c’est plus un prêtre qui
meurt qu’un guerrier.
Roland meurt en solitaire. Le poète lui compose l’attitude la plus inoubliable et la met en
scène dans le décor le plus inoubliable. Roland meurt sur le piédestal d’un tertre, à
l’ombre de deux beaux arbres, près de quatre perrons éclatants, au milieu d’un cirque
de hautes montagnes. Mort théâtrale, avec des gestes suprêmes et de nobles paroles. Le
poète ne veut pas pour son héros d’une mort silencieuse, il veut une mort oratoire et
triomphante, impressionnante et exemplaire.
Les trois scènes constituent une progression continue vers plus d’effet, plus d’intensité.
1
De l'espagnol asonancia, asonar (verbe) est une figure de style qui consiste à la répétition d'un même
son vocalique (phonème) dans plusieurs mots proches.
2
Figure de style: l’oppsition.
3
Figure de style: progression ou gradation.
2
Ils suivent les droits et devoirs créés par les liens entre le vassal à son suzerain. Ils mettent en
avant la fidélité à leur suzerain pour qui ils combattent. La faute la plus grave est la félonie.
Il y a des querelles familiales entre Roland et Ganelon le second époux de sa mère. Les amis et
parents tante, et oncle de Ganelon sont entraînés dans sa chute et paient de leur vie leur
appartenance au même lignage.
Ces hommes brutaux se placent constamment sous la protection de Dieu; ils attendent que celui-ci
les seconde dans leurs combats, car ils combattent pour le triomphe du christianisme face à l'islam.
Celui-ci d'ailleurs est assez mal connu (les musulmans apparaissent comme polythéistes puisqu'ils
adorent aussi Apollon). Le récit se ressent de l'époque de son élaboration, c'est l'esprit des
Croisades en « Terre sainte » qui obsède une grande partie des guerriers de l'ouest européen à
l'époque.
Les chrétiens
Les poètes ont une manière bien caractéristique de présenter le christianisme, qui est un trait propre
à la convention. Le christianisme apparaît parfois nettement plus proche de l'islam que tout ce que
les poètes auraient pu imaginer de leurs Sarrasins.
Il faut remarquer d'abord que deux sortes de fois sont étroitement mêlées : la foi chrétienne bien
sûr, mais aussi la foi donnée au roi. L'une ne va pas sans l'autre. La religion et la politique sont
imbriquées. En devenant chrétien, le Sarrasin devient vassal de Charlemagne.
Le but de la guerre contre les païens est d'imposer une suzeraineté politique et religieuse. Le
prétexte est d'éradiquer le paganisme et les moyens sont simples : soit exterminer le mécréant, soit
le convertir.
Il est notoire que toute nation originaire des régions de l’Orient est desséchée par la grande chaleur
du soleil, et que les habitants, tout en ayant plus de bon sens, ont moins de sang dans leurs veines,
et que c’est pour cette raison qu’ils s’enfuient si volontiers du combat.
Dieu, et c'est l'axiome de base, est du côté des Francs. Ceux-ci l'invoquent fréquemment par des
prières et des demandes d'intercession à la victoire. Roland prie au moment de sa mort, Il tend à
Dieu son gant comme Charlemagne lorsqu'il engage la bataille contre Baligant.
Exemples dans les laisses (vers) : 3096 L'empereur descend de son destrier, 3097 sur l'herbe
verte il s'est couché face contre terre, 3098 et vers l'orient il tourne son visage, 3099 de tout son
cœur il invoque Dieu : 3100 « Père véritable, aujourd'hui défends-moi, 3101 toi qui sauvas Jonas,
c'est la vérité, 3102 de la baleine qui l'avait avalé, 3103 qui épargnas le roi de Ninive, 3104 qui
préservas Daniel d'un terrible supplice , 3105 quand il était dans la fosse aux lions, 3106 et les
trois enfants jetés dans une fournaise, 3107 que ton amour m'accompagne aujourd'hui ! 3108 Par
ta bonté, accorde-moi de pouvoir, 3109 je t'en supplie, venger mon neveu Roland. »[1]
Les reliques sont une manière de rendre concrète la puissance de Dieu. Les guerriers sentent que
la relique va protéger son possesseur des puissances du mal.
3
La pointe de Sainte Lance qui perça le flanc du Christ est enchâssé dans le pommeau de Joyeuse,
l'épée de Charlemagne. Durendal, l'épée de Roland n'en possède pas moins que quatre : une des
dents de saint Pierre, du sang de saint Basile, des cheveux de saint Denis et un morceau du
vêtement de la Vierge.
La réponse de Dieu : Quelles que soient leurs raisons, les chrétiens se battaient contre des non
chrétiens et par là même Dieu se battait pour eux.[2] Dieu répond donc à ces prières en assurant la
victoire aux combattants francs. De manière parfois spectaculaire, en arrêtant le soleil :
Charlemagne vengera les morts avec l'aide de Dieu ou en envoyant des signes annonciateurs :
La Chanson nous parle plus particulièrement de trois anges, saint Gabriel, saint Michel du Péril de
la Mer (qui nous suggère évidemment l'abbaye du Mont-Saint-Michel) et plus curieusement
Chérubin et non Raphaël, l'acolyte traditionnel des deux premiers anges. Les chérubins étant un
rang du chœur des anges situés derrière les séraphins, on peut imaginer que le poète a préféré la
rime à la théologie.
Roland bénéficie d'un traitement de faveur puisqu'il est escorté au paradis par trois anges :
« Roland sent que son temps est fini. Il est couché sur un tertre escarpé, le visage tourné vers
l’Espagne. De l’une de ses mains il frappe sa poitrine : "Dieu, par ta grâce, mea culpa, pour mes
péchés, les grands et les menus, que j’ai faits depuis l’heure où je naquis jusqu’à ce jour où me voici
abattu." Il a tendu vers Dieu son gant droit. Les anges du ciel descendent à lui.
« Le comte Roland est couché sous un pin. Vers l’Espagne il a tourné son visage. De maintes
choses il lui vient souvenance : de tant de terres qu’il a conquises, le vaillant, de Douce France, des
hommes de son lignage, de Charlemagne, son seigneur, qui l’a nourri. Il en pleure et soupire, il ne
peut s’en empêcher. Mais il ne veut pas se mettre lui-même en oubli ; il bat sa coulpe et demande à
Dieu merci : "Vrai Père, qui jamais ne mentis, toi qui rappelas saint Lazare d’entre les morts, qui
sauvas Daniel des lions, sauve mon âme de tous périls, pour les péchés que j’ai faits dans ma vie !".
Il a offert à Dieu son gant droit : saint Gabriel l’a pris de sa main. Sur son bras il a laissé
retomber sa tête : il est allé, les mains jointes, à sa fin. Dieu lui envoie son ange Chérubin et
saint Michel du Péril ; avec eux y vient saint Gabriel. Ils portent l’âme du comte en
paradis… »
Charlemagne est l'interlocuteur privilégié de Dieu qui lui envoie des songes prémonitoires par
l'intermédiaire de saint Gabriel :
Il songea qu'il était aux plus hauts cols (a) de Cize (1) :
Ce rêve annonce la guerre contre Baligant (le lion) et son armée (les monstres).
Les songes de Charlemagne, merveilleux et surnaturels, sont une sorte de mise en abîme du récit.
6
Les Sarrasins
En quelques lignes magistrales, Jean Dufournet décrit les Sarrasins de la Chanson de Roland :
Les Sarrasins sont à l’ordinaire des personnages caricaturaux, dont la chevelure peut traîner jusqu’à
terre, noirs de peau, gigantesques, poussant des cris d’animaux, couverts de soies comme les
porcs, venant de noirs pays sans soleil ni pluie, sans rosée ni blé -- d’un ailleurs, d’une contre-
nature qui serait l’envers du paysage de référence chrétien et occidental pris comme repère de la
normalité. De ces personnages l’auteur reprend inlassablement le portrait chargé, dont la félonie est
le trait le plus marquant pour qualifier les individus ou la collectivité (...) Cruels, pleins de jactance,
lâches de surcroît (...) Ennemis déterminés de la religion chrétienne qu’ils cherchent à détruire par
tous les moyens, adeptes d’une religion inefficace, coupables de sorcellerie, ces continuateurs du
paganisme sont idolâtres et polythéistes, ils adorent de faux dieux, une Trinité du Mal (...) Pourquoi
d’ailleurs l’islam monothéiste, hostile à toute représentation du divin, est-il devenu idolâtre, et par
suite exclu, aux yeux de l’Occident chrétien, des auteurs de geste et des chroniqueurs ? (...)
Pourquoi une telle déformation ? L’ignorance, l’indifférence envers l’islam réel, la répulsion
instinctive y ont sans doute une part ; mais aussi la projection inconsciente des tares de l’Occident
chrétien, de sa sauvagerie, de sa propension à l’idolâtrie révélée par le culte [de la Vierge], des
saints et des reliques : le Sarrasin n’est-il pas l’Autre au miroir, le support des fantasmes, des
désirs, des tentations et des vices du monde chrétien ? N’est-ce pas aussi une manière de se
déculpabiliser quant s’intensifie la guerre sainte et qu’on rejette l’Autre, par un souci d’unité, voire
d’unicité, qui ne tolère pas la différence ? Les Sarrasins, non-chrétiens et envahisseurs,
représentent l’étrangeté absolue, le mal radical, une différence métaphysique qui ne doit pas avoir
de place dans le monde. [1]
L'idéologie de la Chanson de Roland est la même que celle des chroniques des croisades dont elle
est à peu près contemporaine. Le poète est cependant plus libre de dépeindre les valeureux
exploits de l'armée chrétienne. L'Amiraill de Babylone conduit une armée recrutée dans tout le
monde non chrétien, de l'Europe orientale païenne à la Perse et à l'Afrique, sous l'étendard de leur
triade de dieux païens. Les soldats portent des noms qui expriment leur méchanceté ou leur
difformité, ou encore qui les associent aux ennemis de Dieu dans la Bible.
L'objectif du poète est ici le même que celui d'un cinéaste mettant en scène la quintessence du sale
type : permettre à son public de savourer la violence, de se délecter du sang et du carnage, sans
remords. Ce n'est possible qu'en déshumanisant l'adversaire, qu'en le rendant suffisamment "autre".
Mais il ne saurait exagérer dans ce sens, car il n'y a rien de valeureux à massacrer de simples
bêtes. D'où la nature mélangée, paradoxale, de l'armée sarrasine dans Roland : aux côtés des
créatures monstrueuses se trouvent de vertueux chevaliers, qui semblent être des images
spéculaires de leurs adversaires chrétiens [2] :
Dans la Chanson de Roland, le Sarrasin n'est pas toujours un arabe, encore moins un musulman,
c'est "l'étranger", mais un étranger curieusement familier car sa différence se borne à l'antonymie.
Le plus souvent lâche, fourbe et laid, il s'oppose au preux et loyal chevalier "au clair vis".
-http://lachansonderoland.d-t-x.com/pages/FRpagenotes02.html
-https://books.openedition.org/pulg/1325?lang=fr