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- Collection "ThéâTre à Vif" -

- 383 -

A Hyppolite Banfiti Kombiagou,


pour avoir brûlé ta vie à l'orée d'un Togo
plus juste et libre
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L'auteur, Gustave Adjigninou Akakpo


Gustave A. Akakpo est né en 1974 au Togo. ecrivain, comédien, conteur,
illustrateur, plasticien, il est membre des collectifs escale d'écritures, A
mots découverts, ecrivains Associés de Théâtre, Scènes d'enfance-Assitej
france, LAB007, et artiste associé au TArMAC, scène internationale
francophone. il a participé à plusieurs résidences et chantiers d'écriture,
organisés notamment par ecritures Vagabondes sous la direction de
Monique Blin, au Togo, en france, en Belgique, en Tunisie, en Syrie. il
anime de son côté des ateliers d'écriture en Afrique, dans la Caraïbe et en
france avec, notamment, une forte implication en milieu carcéral. il
donne des cours de dramaturgie et expression orale à l'école française de
l'Université de Middlebury (USA). il a été souvent primé : prix junior
Plumes togolaises, prix SACD de la dramaturgie francophone, prix
d'écriture théâtrale de Guérande, prix Sorcières pour son roman pour
préadolescents Le petit monde merveilleux, prix du festival Primeur à
Sarrebruck (Allemagne) en 2008 pour Habbat Alep et en 2011 pour A
petites pierres.
Ses pièces sont traduites en allemand, arabe, tchèque, portugais, moré,
anglais...
Son théâtre publié :
- La mère trop tôt. Lansman, 2004 (avec ecritures vagabondes)
- Tac-tic à la rue des pingouins in 4 petites comédies pour une
Comédie. Lansman, 2004 (avec la Comédie de Saint-etienne)
- Catharsis. Lansman, 2006
- Habbat Alep. Lansman, 2006 (avec ecritures vagabondes)
- A petites pierres. Lansman, 2007
- Tulle, le jour d'après. Lansman, 2011
- Chiche l'Afrique. Lansman, 2011
- Arrêt sur image in Ecritures d'Afrique. Culturesfrance, 2007 puis
Lansman, 2016
- Retour sur terre in En haut ! Lansman, 2014
- Même les chevaliers tombent dans l'oubli. Actes Sud-Papiers, 2014
- La véridique histoire du petit chaperon rouge. Actes Sud-Papiers,
2015
- Transit in Enfouir ses rêves dans un sac. Lansman, 2016
- MST / A la Bouletterie / Où est passé le temps ? in Arrêt sur image et
autres textes. Lansman, 2016
- Si tu sors, je sors ! (avec Marc Agbédjidji). Lansman, 2016
- Je reviendrai de nuit te parler dans les herbes (avec Marc-Antoine
Cyr). Lansman, 2016
- Bolando. Lansman, 2018.

Gustave Akakpo publie également des ouvrages pour la jeunesse.

Tous droits de traduction, reproduction, adaptation et représentation


réservés pour tous pays. © Lansman (editeur) et l'auteur.
D/2018/5438/1176 iSBN : 978-2-8071-0175-3
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Bolando,
roi des Gitans

Gustave Akakpo

We try, we fail, we fix !

- Lansman editeur -
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La pièce Bolando sera créée en janvier 2018 par la Compagnie


d'Acétés dans une mise en scène de Cédric Brossard.
Avec Olivier ho hio hen, Mbembo, Pierre-Jean rigal, Paola
Secret et Kader Lassina Touré.
Scénographie et décor : Patrick Janvier. Costumes : Lila Janvier.
régie : etienne Morel.
Premières représentations à Saint-Céré, Gindou, figeac et Cahors.
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Tout ce qui existe est fragile, incertain, jouet


du hasard et de la nécessité.
Pierre Bertrand, Eloge de la fragilité

Plus grand est votre talent plus certaine sera


la chute, nous ne pouvons donc nous
permettre de construire une société hautement
talentueuse, mais une société à la mesure de
l'Homme, une société moyenne, médiocre, où
quelques génies nous élèveront et quitteront
la scène avant leur chute, s'ils ont la décence
de le faire.
Saint Bolando, Eloge de la médiocrité

A Alima, le grand Z, la famille Hien,


Gabrielle Somda, Mr Traoré, Sada Dao,
Gwimdéwa Atakpama
Cette fiction est nourrie de nos rencontres
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Les personnages :
- Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc
- La famille de Jeanne d'Arc
- J-C, époux de Jeanne d'Arc ; au début de la pièce, il paraît enceint de
trois mois
- Les policiers
- Le roi des Gitans, grand patron de La Blue buckle, compagnie
ferroviaire, filiale du groupe français Bolando
- Benvengusto, bras droit du roi des gitans
- incarnation, fils du roi des gitans
- Conception, fille du roi des gitans
- Dorade, grand patron de La Ligne jaune, projet ferroviaire
- Président Béni, président du Pays des hommes princes
- Benfolo, concepteur de La Boucle, ancêtre de La Blue buckle
- Le ministre rococo, président du conseil de surveillance de la
Boucle
- Un cheminot
- Thomas Sankara
- Le fils
- Le père
- L'homme ou la femme médecine
- Le slameur
- Le conducteur de train, les voyageurs, les voyageuses
- Jean Michel, journaliste
- Le ministre des transports
- La ministre des affaires étrangères
- Le fou en diamant amniotique
- La metteur en scène
- Le nouveau syndicaliste
- Le syndicaliste ancien
- Un citoyen ou une citoyenne du pays des porteurs de couilles
- Des comédiens

A la création, tous les rôles seront interprétés par quatre comédiens.

Répondant à une commande de la compagnie d'Acétés, ce texte a


bénéficié d'une bourse d'écriture du CNL.
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Troisième mois
1. Contact
Une gare ferroviaire au Pays des hommes intègres.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Sur le quai,
la toile mouvante et bruyante des jours d'arrivée du train
qui entre en gare. De la toile, un homme à l'allure hirsute
se distingue, dégaine plus vite que son ombre son
Samsung. il enregistre le son. Appelons-le J-C. Un
policier en poste à la gare flambante restaurée de La
Blue buckle l'interpelle.
Le policier : encore vous ? On vous a déjà dit de ne pas
filmer. Vous croyez pouvoir tomber chez les gens et n'en
faire qu'à votre caboche ! Vous cherchez des problèmes,
y a pas de problème, le problème vous a trouvé.
Présentez vos condoléances à votre appareil et donnez-
le-moi.
J-C : Monsieur...
Le policier : N'aggravez pas votre sommation, donnez.
J-C : Y a pas de problème, c'est juste que...
Le policier : Vous me prenez pour un macaron ? Je vais
foutre une pagaille monstre dans vos testicules si vous
continuez à me chercher le fion.
J-C : N'allez pas si vite dans mes parties intimes, on se
connaît à peine.
Le policier : Allez fourguer votre humour au talk-show
de je ne sais quelle émission à la con, nous ne sommes
pas au théâtre ici, nous besognons. Vous avez une
chance de cocu, vous savez. Vous auriez débarqué trois
mois plus tôt que je vous aurais rôti la colonne
vertébrale en spaghetti. Avec la révolution nous nous
devons d'être démocratiques, tout démocratiquement
donc, je vous prie de ne pas troubler l'ordre public. Votre
appareil et suivez-moi. Venez.
J-C : Un instant. regardez, vous la reconnaissez ?

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(J-C lui montre une photo de Jeanne d'Arc sur son


téléphone)
Le policier : foutrement ravissante, mais c'est
dommage, avec la démocratie nous n'acceptons plus les
dessous de table, en espèces comme en nature.
J-C : C'est ma femme. Vous ne la connaissez pas ?
Jeanne d'Arc. Presque tout le monde la connaît. elle
prenait souvent le train pour son petit commerce. elle a
disparu. elle est enceinte. ecoutez.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc (sur un bruit
d'intérieur de vieux train qui roule et quelques sons
extérieurs des lieux traversés) : ecoute-moi bien.
J-C : Ce n'est pas le bon endroit, je vais…
Le policier : Laissez. J'écoute.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc (sur un bruit
d'intérieur de vieux train qui roule et quelques sons
extérieurs des lieux traversés) : Toi là, tu veux que je me
fâche. Donc moi, je t'offre un joli pagne, un pagne que
j'adore, avec lequel je me suis fait une robe pour qu'on
soit homonymes toi et moi, et tu me dis que tu serais
ridicule dedans ? Si tu ne te fais pas coudre illico presto
ta chemise, ne t'avise plus jamais à me faire de cadeaux.
Non, mais parce que moi…
J-C : Ça vous intéresse vraiment, nos histoires de
couple ?
Le policier : Ok, ok, avancez.
(Il avance la bande)
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc (sur un bruit
d'intérieur de vieux train qui roule et quelques sons
extérieurs des lieux traversés) : Tu vois, elle autre, elle
voulait prendre la première classe, mais il n'y avait plus
de place mais elle devait aller au Pays des hommes
intègres pour le mariage de son frère. elle venait du Pays
des hommes flambeurs. Dans le train, arrivée à
Dembokro, son bébé est malade. Quand on a dépassé
Dembokro, le temps d'arriver à Bouaké, ça s'est aggravé.

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Le bébé était devenu rose, il était brûlant. La mère lui


donnait des médicaments mais ça n'arrivait pas à faire
baisser la fièvre. Moi, j'ai eu peur… Quoi ?… Je suis au
téléphone !… Je vais raccrocher pourquoi ?… Non, je
ne descends pas, tu es malade ou quoi ?...
J-C : Ça s'est coupé là. J'essaie de retrouver l'endroit où
ça s'est passé, par rapport aux sons qu'on entend, les sons
extérieurs au train. Vous avez entendu ? Ça vous dit
quelque chose ? Vous prenez souvent le train, vous aussi,
non, pour la sécurité ? Vous voulez réécouter ?
Le policier : Oh oh oh, mais on est où là ? C'est qui qui
pose les questions ici ? Vous vous prenez pour la
TrUMP TOWer à venir me déballer les magouilles de
votre âme ?! Ne m'exhibez pas votre femme et vos
histoires mal cousues sous le nez, remballez votre bidon
d'excuses, suivez-nous, montrez-nous ce que vous avez
filmé.
Un autre policier : Venez, nous allons vous enseigner
l'art de l'interrogatoire. ici vous vous croyez tout permis,
hein. Nous allons vous mouiller le slip. Dans votre pays
vous pouvez vous permettre de fouiner comme ça un
représentant de la force publique ? Moi, quand je vais
dans votre pays...
J-C : Mon pays c'est ici.
L'autre policier : Mon collègue vous a déjà dit que
nous n'avons aucun sens de l'humour pendant le service.
J-C : C'est pas une blague, voici mon certificat de
nationalité. ils sont en train de me faire ma carte
d'identité, en attendant ils m'ont dit que je peux bouger
avec le certificat et ma carte consulaire que voici.
Le policier : Vous êtes un rigolo, vous. Vous rirez moins
si les terroristes vous kidnappent. A votre avis, qui
payera la rançon : notre pays ou la france ?
J-C : Au moins, avec votre, notre pays, ils ne peuvent
pas demander gros.
Le policier : et ils peuvent toujours attendre.

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J-C : Ça c'est de la discrimination. regardez, je me suis


intégré à vous, j'ai épousé votre soeur. Je viens d'ailleurs,
maintenant je suis d'ici. J'ai vu votre collègue téléphoner
pour vérifier le numéro de ma nationalité, elle est
authentique, vous le savez, elle m'a été délivrée par...
L'autre policier : Nous, on s'en fout d'où ça vient ! Peu
importe la marque sur le carton, ta couleur parle pour
toi, point barre.

2. La bête, le bénit et le cocu


Flashback. Au Pays des hommes princes.
Dorade : roi des Gitans, mon cul ! Au Pays des
hommes princes, des princes et des rois, nous en avons
à revendre, et les rois d'ici sont de mon côté, moi, parti
de rien, aujourd'hui homme d'affaires de classe
internationale, moi, Dorade, je serai l'épine dans ton
pied, Bolando, je ne te lâcherai pas d'une grappe, le
chemin de fer c'est mon affaire, j'ai gagné l'appel d'offres
haut les mains, paperasses, giga octets de mails et
signatures des etats à l'appui, bien des années avant ton
projet de mes couilles, la ligne, elle sera jaune or,
couleur du Pays des hommes princes, bordel de chien,
dans quelle bouillabaisse tu crois qu'on circule ? Me
faire précipitamment quitter Genève, me faire prendre
l'avion, me faire voyager toute la nuit pour me tendre au
petit matin un stylo :
(Président Béni lui tend un stylo)
Président Béni : Tiens, signe là.
Dorade : Qu'est-ce que c'est ?
Président Béni : L'Albatros, le holding, le contrat par
lequel nous reconnaissons tous à M. Bolando le droit de
réhabiliter le chemin de fer existant et de construire la
nouvelle ligne.
Dorade : Quel chemin de fer ?
Président Béni : Comment ça, quel chemin de fer ?
Nous n'allons pas nous payer le luxe d'en avoir deux.

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Le roi des Gitans : en contrepartie de votre


reconnaissance, je vous offre une participation au capital
de La Blue buckle.
Dorade : La quoi ?
Président Béni : La Blue buckle. La Boucle bleue.
Dorade : La Boucle quoi ?
Président Béni : La Boucle, c'est le projet qui chapeaute
la ligne, ton domaine à toi, c'est la ligne, M. Bolando,
lui, gère des boucles.
Dorade : Boucle ou ligne, elle sera elle est et restera
jaune.
Président Béni : Plus maintenant, mais la couleur est un
moindre souci, l'important c'est que nous nous
accordions sur la suite des travaux, il faut avancer. Lis.
(Dorade parcourt rapidement le contrat)
Dorade : Qu'est-ce que c'est ?
Président Béni : L'offre de participation.
Dorade : Une crotte de chien. Avec tout le respect que
je t'octroie, tu me fais courir de bon matin au palais pour
une sacrée crotte de chien. Monsieur le Président, je ne
voudrais pas te faire l'injure de te rappeler à quelle
hauteur de chiffres j'ai arrosé ta campagne
présidentielle.
Président Béni : On a quitté les couleurs, nous voilà
dans les chiffres. Tu me joues la corde sensible de
l'intérêt ? T'as pourtant déclaré aux journalistes que ce
n'était pas par intérêt que tu m'as donné un coup de
main.
Dorade : Je croyais en la politique que tu menais à
l'époque, elle semblait à hauteur des enjeux de notre
continent, à hauteur du monde.
Président Béni : Je me fiche de tes chiffres, couleurs,
hauteurs, ou je ne sais quelle unité de mesure…

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Dorade : Laisse-moi finir, je t'en prie : ton micmac


d'aujourd'hui parachève ma déception à l'égard de ta
politique d'antan.
Président Béni : Dorade, t'es dépassé, mon vieux.
Bolando, lui, a les moyens de ne pas tergiverser sur
l'avancement des travaux et nous te proposons d'entrer
dans le bal ou de quitter la piste de danse.
Dorade : revenons au point de départ, vous renversez
honteusement la vapeur, c'est à moi de proposer qui peut
entrer ou non dans la danse. M. Bolando, nous sommes
tous deux des hommes d'affaires et que valent les
affaires sans le respect de l'écrit, regardez, l'appel
d'offres remporté légalement par ma société, corroboré
par les signatures de deux chefs d'etat, lui et le Président
du Pays des hommes brûlés.
Le roi des Gitans : M. Dorade, je vous connais assez
bien, j'aime connaître assez bien les gens, et j'aime ce
que vous faites. Mais nous ne sommes pas dans une
relation Bolando-Dorade, nous sommes dans une
relation Bolando avec des etats souverains, qui doivent
se débrouiller pour voir s'il y a des tiers qui ont déjà des
droits prioritaires, ou pas, et nous garantir que ce n'est
pas le cas. Donc ces papiers ne nous regardent pas.
J'observe simplement que les seuls qui sont capables de
faire le chemin de fer, c'est nous. en plus, notre capital
est ouvert à ceux qui veulent nous rejoindre. Donc, il n'y
a pas de sujet.
Dorade : M. Bolando, j'ai toujours vu en vous un ami de
l'Afrique. Alors, comportez-vous comme tel, ne nous
rappelez pas de mauvais souvenirs ! Je suis un homme
d'affaires paisible mais je peux sortir les crocs quand on
me prend pour un chien. il ne faut pas nous humilier !
L'esclavage, c'est fini ! Je suis diplômé des plus hautes
écoles de france, j'ai eu pour profs les plus prestigieux.
C'est quoi ton problème, Bolando, t'es trop puissant pour
parler à un nègre qui ne soit pas chef d'etat ? Voilà des
années que je bosse sur la Ligne jaune, avec plus d'une
dizaine de cabinets d'experts, je multiplie les audits et

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les études, l'étude d'impact environnemental, j'attendais


de l'etat la liste des propriétaires des terrains à
indemniser. et d'un coup un reliquat des temps
coloniaux viendrait me dicter sa loi ? Tu t'es trompé
d'époque, Bolando, nous sommes ici dans un pays de
droit, je porte l'affaire en justice, oui, parce que,
Bolando, il y a une justice chez nous et toi, Président
Béni, oui oui, nous ne sommes plus dans une de ces
républiques bananières où les présidents perdurent à vie,
bientôt les élections t'emporteront, je mettrai tout mon
poids en faveur de l'opposition et, que Dieu nous prête
vie, la vie… la Ligne sera jaune.
Un cheminot : Jaune ou bleue, rien à foutre, je suis
cheminot et que veut un cheminot ? Comme tout le
monde, gagner ma vie, faire vivre ma famille, pouvoir
dire au seuil de la tombe que la vie fut belle. M. Dorade
peut parler, il a eu la concession de la Ligne avant M.
Bolando. Avec M. Dorade nous n'avions pas aperçu
l'ombre d'un maïs, tandis qu'avec M. Bolando, on a tout
de suite vu la couleur du blé, deux années d'arriérés
soldées d'un trait. Avant même de signer le contrat, il a
lancé les travaux, multiplié par zéro les dettes de
l'entreprise, divisé par deux les prix de rénovation et de
construction. Dorade a beau tempester, moi je vote
Bolando !
Le roi des Gitans : Je vote aussi Bolando ! excellent
choix, le meilleur, mon ami, vous avez saisi la marche
du monde, vous êtes un génie de l'observation. Terreur et
pitié sont obsolètes. Dorade appartient à une époque
révolue, il croit en la force du contrat, de la propriété, de
la mainmise. Non, le nouveau visage du monde est
stratégie, réseau, bataille perpétuelle et non conquête,
fonctionnement et non appropriation, le pouvoir
s'exerce, il ne se possède pas, il se moque des frontières
de classes, d'idéaux, d'ethnies, il investit le monde,
prend appui même sur ceux qui le combattent tout
comme eux-mêmes prennent appui sur les prises qu'il
exerce sur eux. Les Chinois l'ont compris, c'est pour ça
qu'ils me font chier. Je chie jaune ces temps-ci et j'en ai

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ras le cul. ils proposent combien pour le port et la ligne


Dakar-Bamako ? Benvengusto, je veux leur putain de
réponse à l'appel d'offres, je la veux avant demain.
Benvengusto : La voici, c'est déjà fait.
Le roi des Gitans : Mon génie de l'anticipation, viens
que je t'embrasse.

3. La bataille du rail
Flashback. Au Pays des hommes intègres, une voix
clame : "Le camarade président capitaine Thomas
Sankara !"
Thomas Sankara : L'Organisation de l'Union Africaine
ne peut pas être au service de l'Afrique tant qu'elle ne
combat pas l'impérialisme, le colonialisme et même le
sionisme de ses forces d'arrière-garde, ses monarchies et
autres qui, aujourd'hui, prennent des couleurs de ce
modernisme mais d'un modernisme qui ne trompe
personne. L'OUA ne peut pas fermer les yeux sur la
Namibie, sur ce qui se passe en Afrique du Sud. il n'y a
pas d'OUA sans combat contre l'apartheid, combat réel,
résolu. S'il faut que chaque etat donne une compagnie,
un bataillon ou un régiment pour aller en Afrique du
Sud, le Pays des hommes et femmes intègres sera prêt à
envoyer ses troupes.
il ne peut y avoir d'Organisation de l'Union Africaine
tant que nous ne disons pas la vérité sur la crise
tchadienne. Comment admettre qu'aujourd'hui, en 1984,
des avions de chasse, tout arsenal de guerre, de
désolation et de tristesse aille s'installer à N'Djamena ?
Nous ne pouvons pas accepter que le Tchad soit à la
merci de ceux qui croient à la force et rien qu'à la force.
il y a des Africains arriérés, en retard, qui font croire que
seule la force peut régler la situation du Tchad. il y a un
proverbe chinois qui dit : "C'est quand le moustique se
pose sur tes testicules que tu comprends que tu ne peux
pas tout régler avec la force." Nous disons non, ce n'est
pas la force. Donnez seulement le droit au peuple
tchadien de dire ce qu'il pense et il le dira.

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Nous apprécions l'attitude de la france qui nous a


demandé qu'au Conseil de sécurité des Nations Unies
nous soutenions sa position, position qui vise à retirer
les forces françaises du Liban. Mais nous disons à la
france que cela doit se poursuivre et qu'elle doit
continuer de retirer ses forces partout où elles sont.
C'est-à-dire au Tchad aussi. il nous faut l'indépendance
totale, c'est bel et bien le refus de récupérer qui que ce
soit.
Nous avons condamné et nous condamnerons toujours
l'agression de l'île de Grenade par les troupes yankees.
L'assassinat de Maurice Bishop est un crime contre la
liberté des peuples. C'est pourquoi nous avons à l'époque
convoqué l'ambassadeur des etats-Unis pour lui dire
ceci. Nous lui avons dit de transmettre à son président
ronald reagan ce message : "il faut qu'il retire ses
troupes de l'île de Grenade, sinon nous prendrons nos
responsabilités, sinon le Pays des hommes et femmes
intègres condamnera." Les troupes n'ont pas été retirées
et nous avons condamné. et les Américains nous ont fait
des pressions diverses. Nous avons dit qu'à cela ne
tienne, nous n'accepterons pas le chantage. Si l'aide
américaine doit être subordonnée à ces pressions, que
l'on ne nous apporte pas d'aide ; nous sommes prêts à
mourir de faim, mais à mourir de dignité. et nous disons
également que le refus du chantage américain n'est pas
une acceptation servile et inconditionnelle du chantage
d'où qu'il vienne. C'est pourquoi nous avons dit à
l'ambassadeur soviétique que nous refusons les 500
tonnes de riz qu'il promettait de nous apporter. Nous
refusons cette aide parce qu'elle est infâme et dérisoire,
humiliante parce qu'une telle quantité ne peut pas sauver
le peuple de la famine dans laquelle il est tombé. Nous
encourageons l'aide qui nous aide à nous passer de
l'aide.
il faut dépasser Yalta, cette ville dans laquelle il y a eu
le partage du monde, la répartition des parcelles
d'exploitation et de domination. Nous sommes contre
Yalta. Aujourd'hui c'est la liberté et l'heure des peuples.

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Notre pays revit son indépendance d'une manière


intégrale et sans condition pour qui que ce soit.
Contrairement à l'interprétation restrictive et simpliste
que l'impérialisme veut nous imposer comme définition
du non-alignement, celui-ci n'a rien à voir avec un
équilibrisme ridicule des traumatisés entre les deux
blocs qui dominent le monde. Le non-alignement doit
être compris d'abord comme notre autonomie
permanente de décision et pour la non-ingérence dans
les affaires intérieures des etats, mais ne confondons pas
le non-alignement avec la complicité de la passivité
devant les crimes de l'impérialisme contre
l'indépendance et la liberté des peuples, ni la non-
ingérence avec l'aveuglement devant les crimes des
forces réactionnaires contre la liberté de leur peuple et le
respect de leurs droits. Vous, le peuple, n'aurez jamais
d'excuses pour nous, de pardon, si jamais nous, en qui
vous faites confiance, un seul jour, nous commençons à
flancher par peur de dire la vérité devant qui que ce soit.
Nous savons que les ennemis du peuple, les ennemis de
la révolution ont enterré des boucs noirs, des boeufs
rouges, des chameaux, mais il reste aussi à enterrer des
crocodiles pour que la boucle soit bouclée. Pitié, pitié
pour le cheptel. Cessez de maltraiter, de massacrer les
moutons, les chèvres, les chiens, les chacals et les
boeufs de toutes couleurs. Parce que ces flots de sang
n'arriveront jamais à bout du Comité National
révolutionnaire, parce que si le gri-gri, les "wacks"
existent, il existe le "contre-wack", le contre gri-gri. et
le contre gri-gri, c'est le peuple mobilisé.
Nous avons pris des mesures, des mesures draconiennes
certes, mais des mesures justes qui visent
essentiellement à nous soustraire de la mendicité. Pour
les grandes opérations que nous allons entreprendre,
nous demandons à chacun un sacrifice. Nous avons le
choix. Ou bien faire un sacrifice nous-mêmes sur nos
salaires, nos avantages, nos privilèges ou alors nous
prostituer et demander à telle ou telle puissance de venir
nous aider. et nous disons aussi qu'il n'est pas normal
que les salaires varient d'un extrême à un autre. Pendant

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que certains sont obligés de rechercher péniblement leur


pain, il y en a qui sont à l'heure du pain beurré, même
des croissants beurrés. C'est de cette différence que nous
ne voulons plus. Les mesures restrictives indiquent pour
chacun de nous qu'il ne suffit pas de se proclamer
révolutionnaire pour être révolutionnaire. en effet, il y a
depuis le 4 août beaucoup de personnes qui crient "Vive
la révolution, la patrie ou la mort, nous vaincrons". Mais
lorsque la révolution commence à s'approcher de leurs
portefeuilles, ils deviennent réactionnaires. La
révolution est dans l'esprit, dans les faits et dans les
portefeuilles. Celui qui n'a pas encore introduit la
révolution dans son portefeuille n'est qu'un vulgaire
opportuniste, équilibriste, un caméléon.
Nous avons choisi cette ville, Kaya, pour mener la
bataille du rail parce que Kaya est au carrefour de
plusieurs routes. Les éleveurs de la région du Gourma,
le manganèse de Tambao, le calcaire de Tin-hrassan, les
commerçants, les voyageurs ont besoin de transports
sûrs. Le chemin de fer n'est pas un luxe, c'est une
nécessité, une urgence. Nous avons décidé de faire Kaya
et nous avons présenté un projet solide et sérieux aux
bailleurs de fonds, en particulier la Banque Mondiale.
elle était favorable au projet mais elle a rapidement
changé d'avis. elle est désormais contre le fait qu'on
emprunte de l'argent pour aménager le chemin de fer. La
banque mondiale et les sources de financement nous
refusent l'argent, simplement parce qu'elles savent très
bien qu'à ce rythme nos productions concurrenceront
bientôt leurs propres productions, tout comme elles ont
refusé de financer notre projet agricole dans la vallée de
Sourou. Ce sera autant de moins du point de vue des
importations venant de leurs pays, eux qui nous vendent
du blé après nous avoir convaincus qu'il faut manger le
pain, et qu'il n'y a que le pain qu'il faut manger. Qu'à cela
ne tienne, nous ferons le chemin de fer avec ou sans ces
bailleurs de fonds. et pour cela, nous vous convions au
sacrifice : ce sacrifice, c'est d'abord des retenues sur nos
salaires, nos indemnités, c'est normal. C'est encore la
main-d'oeuvre que chacun d'entre nous représente,
hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres,

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civils et militaires ; chacun de nous représente une force


de travail. ensemble, nous irons faire ce chemin Ouaga-
Kaya, nous porterons, nous poserons les traverses. Nous
creuserons. Les jeunes de toutes les provinces feront eux
aussi le déplacement à tour de rôle. Les ministres, les
présidents des institutions iront tous passer chacun des
jours sur le chantier, ils porteront les rails. Je porterai
avec vous et tous les ministres aussi. Je souhaite qu'on
garde de moi l'image d'un homme qui a mené une vie
utile pour tous. Ainsi donc, l'appel est lancé et que
chacun se tienne prêt. De par nos actes concrets, le
monde verra que la pauvreté n'est pas une fatalité en
Afrique. Seule la lutte libère !
Camarades, nous avons beaucoup à dire.
(Coup de feu. Assassinat de Thomas Sankara)

4. Quelle image gardera-t-on de toi ?


Au Pays des hommes chiens et chats.
Le fils : Comment fait-on pour tenir, quand il semble
que le monde autour s'emploie à vous broyer l'échine ?
"Mon père, ce vaillant homme…" aurais-je voulu dire
comme ce poème, cette récitation apprise dans je ne sais
plus quelle classe de primaire, je ne sais plus si ce sont
ces mots-là, peu importe, ce qui résonne pour moi dans
le souvenir, c'est la fierté du fils à l'image du père et cette
image, je l'ai eue dans ma prime enfance, mon père Chef
de gare, la fourmilière, l'incessant ballet des gens, des
marchandises, des machines, les départs, les arrivées et
notre maison était dans la gare, au centre de ce monde et
mon père en était le Chef.
Le père : J'ai fait tous les échelons, commencé
cheminot, c'était pas évident, fallait le diplôme, sans
diplôme, l'homme n'est pas grand-chose et moi j'avais
que mon certificat d'études primaires. Au concours
d'entrée dans les chemins de fer, tous les candidats
avaient des bagages universitaires ou au moins le bac, et
moi je les ai coiffés au poteau, c'est que j'ai toujours
aimé ça, apprendre.

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Le fils : Mon père parlait peu, nous parlait peu, mais le


peu de ce qu'il disait et tout ce qu'il faisait, tout ce que je
le voyais faire suffisait à nourrir mon rêve de lui
ressembler. Puis il s'est mis à boire. et ça, comment lui
pardonner, comment peut-on faire ça à un enfant, briser
ses rêves, je ne parle pas de l'argent qui manque qui file
dans le trou de la bouteille, je ne parle pas de la honte
d'être avec mes frères et soeurs renvoyés de l'école parce
que l'écolage encore une fois traîne des semaines de
retard, parce que nos mères n'en peuvent plus de
supporter seules les charges du ménage car le père boit
au goulot le peu de sang qui nous reste, je parle du rêve,
de tenir la main au futur pour qu'il ne tremble pas, qu'il
sourie, mon père a assassiné mes rêves, comment peut-
on faire ça, lorsqu'on est papa ?
Le père : De cheminot, je suis passé chef de train, puis
chef de gare. A ma première gare, mes chefs m'ont dit :
"Tu verras, le chemin de fer, ça rapporte pas, si tu fais
des déficits, ne t'inquiète pas, c'est comme ça." J'ai pas
pu faire autrement, je me suis inquiété. Je voyais tout ce
trafic et je ne comprenais pas que cela puisse générer du
déficit. J'ai regardé de près, j'ai tenu les livres de
comptes, j'ai vu l'argent qui circulait, qui s'amassait dans
mon bureau, parfois mes femmes me disaient : "Ce
mois-ci c'est difficile à la maison, et tout cet argent qui
dort dans ton bureau, c'est pas logique, de l'argent qui
dort jusqu'à ce que tu l'envoies en haut lieu où, tout le
monde le sait, il ira nourrir les ventres rondement
administratifs des chefs qui n'en ont pas besoin, sauf à
vouloir faire éclater leur ventre, leur construire d'autres
villas, acheter d'autres voitures et aller dévaliser les
Champs-elysées, tandis que nous, tes femmes et tes
enfants, tout ce qu'on demande, c'est du pain". eh bien
non, mesdames, je ne confonds pas argent public et
argent de poche. en haut lieu, on s'étonne de la
rentabilité retrouvée, on me félicite et on me nomme
chef de la gare centrale et le ministre m'a
dit "franchement, ici t'as rien à faire, sois chef et laisse
faire, les chemins de fer, ça rapporte pas, tu verras". On
a vu, ça a rapporté, alors on m'a nommé inspecteur
général des chemins de fer et mes collègues m'ont dit

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"Tu verras, y a rien à inspecter d'autre que les dîners


ministériels et autres protocoles, le boulot ne demande
pas beaucoup, ça laisse vachement du temps pour ses
propres affaires", j'ai vite vu au contraire qu'il y avait
plein d'affaires à inspecter, alors on a augmenté mon
salaire, on m'a nommé contrôleur général interne des
chemins de fer, et on nous a casés, mes femmes, mes
enfants et moi, dans une gare abandonnée. Là, j'avais
beau me démener, y avait plus rien à faire.
Le fils : Du jour au lendemain, mon père s'est mis à
boire comme un trou, nos mères ont fini par partir avec
les plus petits et moi, l'aîné, j'ai tenu le temps de n'avoir
plus d'espoir, le temps de tuer le rêve et je suis parti.
Le père : On dit que la gare abandonnée est désormais
hantée.
Le fils : L'histoire de mon père, je ne l'ai apprise
qu'après sa mort. Comment fait-on pour tenir, quand il
semble que le monde autour s'emploie à vous broyer
l'échine ?
Le père : On dit que je la hante, ce sont des ragots. Je
suis ce qu'il y a ici de plus vivant. Touchez, de la chair
sur des os, rien d'un fantôme. Le seul fantôme ici, c'est
la gare. Des années que je règle une gare morte.
Contrôleur général interne des chemins de fer,
contrôleur général interné oui. Je n'étais pas dupe, je n'ai
jamais été dupe.
Le fils : Des années plus tard, j'ai appris que les
ministres des transports avaient tout intérêt à tuer le
chemin de fer, ils avaient tous investi dans les transports
routiers. "Quoi que l'être humain fasse, il ne peut être
qu'en défaut, qu'en manque, qu'en faute, qu'en dette face
à un idéal qui ne peut en aucune façon s'incarner."
Maintenant je sais combien mon engagement au monde,
à ma société, tient à ce fil : mon père. Alors mon combat
pour le Pays des hommes chiens et chats, pour une réelle
démocratie, est nourri de la plus tumultueuse des fêlures,
une fêlure d'enfance et…
(Coup de feu sur Le fils, Le père arrête la balle)

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5. J'accuse.
Un tribunal, en Europe, au Pays des hommes cocorico.
Benfolo : ignatio Benfolo. Je jure de dire la vérité, rien
que la vérité, toute la vérité. Madame la présidente,
Messieurs et Dames les jurés, Mesdames et Messieurs, il
y a plus d'un siècle a germé un projet de boucle
ferroviaire entre cinq pays du Vieux Sud-ouest. Mais au
lendemain du soleil des indépendances, la boucle s'est
arrêtée pour des raisons que je n'exhumerai pas ici, je
vous épargne cette digression. Je suis français, certes,
mais en vieux baroudeur, le Sud-ouest africain, je le
connais comme s'il m'avait fait. et quand je suis tombé
sur ce vieux projet de l'épopée coloniale, j'ai ressenti le
frisson du fils qui pose ses premiers pas dans le rêve
inachevé du père. Cela fait maintenant vingt ans que j'ai
ressuscité ce projet que j'ai baptisé La Boucle. Trop
titanesque pour être porté par mes seuls reins. Je me suis
tourné vers un ami, à l'époque président de la
commission de la coopération et du développement au
Parlement européen, le ministre rococo qui a tout de
suite été fasciné.
Le ministre Rococo : C'est un putain de projet de mes
couilles, c'est tellement bandant que j'aurais pu l'avoir,
cette idée, c'est la clé absolue de la restructuration et du
développement de ces etats, 3 000 km de rail, à près de
1 000 km des côtes, l'enjeu est énorme, quasi
civilisationnel !
Benfolo : Quasi civilisationnel, je ne suis pas peu fier. Je
suis le premier à avoir signé un protocole d'accord avec
quatre pays sur les cinq que compte La Boucle, le Pays
des hommes princes, le Pays des hommes intègres, le
Pays des hommes brûlés, le Pays des hommes chiens et
chats, ne restait que le Pays des hommes flambeurs,
mais cela n'aurait su tarder, j'avais la quasi-totalité des
accords, j'avais tout, ne manquait que l'essentiel :
l'argent. Le ministre rococo m'a ouvert son carnet
d'adresses et dans ce carnet est apparu M. Bolando.
Devant mon projet, il émet des "craintes sur le plan de
financement", il pense qu'il n'y aura pas assez de trafic

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pour rentabiliser l'ensemble, or le ministre rococo


l'avait dit :
Le ministre Rococo : On sait que là, il y a le gisement
de fer de Say-Kolo en plus du manganèse de Tambao, du
phosphate, du gaz, du pétrole, de l'uranium, de l'or ! Le
gisement de Say-Kolo renferme près de la moitié de la
plus grande réserve de fer non exploitée au monde et le
gisement reculé de Simandou ! Tout le projet de boucle
ferroviaire peut reposer sur cette mine.
Benfolo : Alléchant projet, mais j'ai beau sonner aux
portes, européennes, africaines, je n'ai eu d'autre écho
que ma propre détermination et celle de quelques amis
un peu trop désargentés pour se lancer dans la course. Je
ne m'explique pas pourquoi, alors que j'ai sillonné du
plancher au plafond les couloirs de la république, aucun
ministre français n'a apporté son entrain à un projet aussi
stratégique, jusqu'à ce que la Chine ne rentre dans la
danse, via le fils du président Oudmama, attaché
commercial de l'ambassade du Pays des hommes brûlés
à Pékin et étroitement surveillé par les services de
renseignement français. Alors là, avec la Chine
l'attention se réveille, parce que tout de suite, à l'horizon,
c'est une menace qui se profile sur notre soleil,
l'uranium. Le président Oudmama est balayé d'un coup
d'etat. De ce côté-ci de la Méditerranée, les ministres
prennent enfin le train, érigent un comité de pilotage
stratégique ferroviaire et minier, un consortium de
bailleurs et d'investisseurs présidé par le ministre
rococo puis, de nouveau, le souffle tombe, le projet
stagne, quand d'un coup, le nouveau ministre du
redressement productif s'enthousiasme, relance la
machine, insiste pour que les locomotives et les
traverses soient "made in france" et enfin prend
l'initiative d'écrire aux chefs d'etat concernés pour
apporter le soutien de la france à Bolando, Bolando qui
dix ans plus tôt déclarait :
Le roi des Gitans : C'est sans avenir, le projet ne
décollera pas.

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Benfolo : Dix ans après ce pessimisme de façade, M.


Bolando mène le projet seul, fait table rase de ma
paternité. Le chemin de fer, mon idée, il la rebaptise La
Blue buckle, La Boucle bleue.
Le roi des Gitans : J'aurais pu trouver un autre nom,
c'est vrai, mais en attendant je n'ai pas trouvé mieux.
Cependant, les deux projets ne sont pas les mêmes, pour
s'en assurer il suffit d'éplucher la tonne de dossiers que
je laisse à la disposition de qui veut. il faut avoir du
temps devant soi, mais une âme à la recherche de la
vérité ne saurait se laisser distraire par le temps.
Benfolo : Madame la présidente, j'accuse la france. J'ai
à mon actif des années de sueurs, un travail harassant,
des doutes et des sacrifices, la paternité du projet, je
veux qu'on me reconnaisse mes droits. J'accuse la
france !... Allô ? Allô ? One two one two ! Qui a coupé
mon micro ?
(Le tribunal se transforme en garden-party)
Le roi des gitans : Presque trente ans après l'assassinat
de Thomas Sankara, trente ans après le lancement de la
bataille du rail, je suis fier d'apporter ma non modeste
contribution à l'achèvement du rêve de ce grand
visionnaire de l'Afrique et je vous invite à porter un toast
à la résurrection du chemin de fer.

6. La résurrection des morts


Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Pendant que
la foule lève les bras pour porter le toast, le roi des
Gitans tire, tire, tire à bride abattue sur la foule, puis, tel
un dieu thaumaturge, Bolando étend ses bras longs, très
longs, merveilleusement longs sur elle et les morts, ô
merveille, reviennent à la vie. Très prévenant, Bolando
prend chacun dans ses bras, susurrant à chaque oreille
des mots qui illuminent le visage. C'est beau comme un
divin ralenti. Mais...
Le roi des Gitans : Qu'est-ce que c'est ? Un corps
encore au sol étendu !

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Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Bolando se


pose près du corps et lui parle avec un amour capable de
soulever une montagne, de réunir deux continents.
Le roi des Gitans : Cher ami, lève-toi et marche et va
témoigner que tout pouvoir m'a été donné, que je suis
venu dans ce siècle vacillant apporter la vie, la guérison
et la vision.
(Le corps demeure sourd à l'appel)
Qu'est-ce donc que ça, un mort prématuré qui refuse la
résurrection ! Oh le babouin, c'est quoi cette farce que tu
nous grimaces ? La foule attend, le temps n'est plus au
piétinement, qu'est-ce que tu veux ? J'ai de l'argent, de
l'or, des chemins de fer, des bateaux, des avions, des
containers, des hommes politiques, des hommes
poétiques, des hommes médiatiques, des hommes de
l'ombre, des hommes de lumière, des centres culturels,
informatiques, industriels, des centres de recherches, des
incubateurs, j'ai la pluie et le beau temps mais tout cela
ne pèse pas plus lourd qu'un pet d'asticot au regard de la
vie, au nom de Bolando, sors de ton silence.
(Le corps ne dit rien)
M'enfin de mon vivant ça ne s'est jamais vu ça : refuser
la vie alors qu'on fourmille de pléthores de rêves, ça se
voit à votre gueule, vous avez une tête de rêveur. Dans
ma jeunesse, je passais aussi pour un doux rêveur.
Pourquoi refuses-tu la vie ? Dans ce beau monde de
ressuscités, il suffit d'un mort pour nous faire un trou. Ta
mort nous fourgue un grand vide et tout le monde le sait,
la nature a horreur du vide.
(Le corps s'anime. On reconnaît Le fils)
Le fils : Ce n'est pas la nature qui a horreur du vide, mais
la raison. La nature est riche du vide, c'est la condition
même de la nouveauté. fiche le camp d'ici et tu verras
comment je me lèverai, beau comme un continent qui se
prend en main.
(Il remeurt. Le roi des Gitans prend son pouls)

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Le roi des Gitans : Macaque, si tout le monde s'amusait


à clamser comme ça, ce serait la fin de l'humanité, et que
vaut l'univers sans l'humanité, parce qu'on a beau dire,
ce ne sont pas les oiseaux qui ont envoyé des fusées dans
la galaxie ! Toute prédatrice qu'elle est, l'humanité
survivra, c'est le bel avantage que nous avons sur nos
cousins les dinosaures, j'y travaille et toi tu te fiches de
la vie, lève-toi, Tartempion, ou je te colle un procès pour
non-assistance à soi-même en danger et crime contre
l'humanité.
(Rien n'y fait)
Crétin, quel manque de savoir-vivre ! C'est la fin de
toute morale. Mes amis, la crise n'est pas financière, elle
est morale. Une prime de 3 millions de francs à qui
trouvera comment accommoder ce mort-vivant difficile
à cuire. ennemi public numéro 1 ! Wanted ! La chasse
est ouverte, taïaut !
(Rien toujours n'y fait, le mort est mort.
Le service d'ordre et les conseillers de Bolando lui font
rapidement une myriade de propositions pour cuisiner
ce mort-vivant difficile à cuire. Le roi des Gitans les
décline les unes après les autres, fait mine de partir, Le
fils fait mine de revenir des morts, Bolando revient pour
le tuer afin de le ressusciter, mais rien n'y fait, il remeurt
avant coup. Puis un temps très bref pendant lequel le
service d'ordre et les conseillers de Bolando lui font une
nouvelle myriade de propositions qu'il décline avant de
tenter une nouvelle fausse sortie suivie d'un faux retour
lorsque Le fils crânement se ressuscite. Les deux parties
n'ayant aucunement l'intention de lâcher le morceau, ce
tango entre vie et mort pourrait durer indéfiniment, tant
que L'homme ou la femme-médecine ne se ramène pas
pour haranguer la foule)

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7. J-C est de retour


Au Pays des hommes intègres, dans la rue.
L'homme ou la femme-médecine : Today is today !
Jour de joie, sautez de bonheur ! A la Golden
international New Life, présentez-vous au siège
ambulant de la multinationale américaine, moi-même
votre serviteur, en forme et en gabarit ! Suivez-moi et
retrouvez votre énergie ! Tous avec moi, répétez :
Product sharing !
Power of believe !
empower yourself !
Your personal 100 PV !
Voici le moment que vous attendez, le bonheur ne tient
qu'à un pas : osez ! Vous croyez que c'est des salades ?
C'est normal, regardez-vous, vous n'avez pas bonne
mine, des têtes de zombie, un teint de poulet aviaire,
c'est tout à fait normal, chaque jour que le bon Dieu fait,
vous bouffez de la merde. "en vérité en vérité je vous le
dis, nous mourons de ce que nous mangeons !" a dit le
prophète Carter : y a de l'ebola dans l'agouti, du formol
dans le poulet, de la ferraille dans la farine, de la Javel
dans la salade, de la maltraitance dans le boeuf, du
plastique dans le riz, du pesticide dans le biscuit, du
cancer dans la sauce, de la poisse dans nos prénoms !
evacuez ces merdes, achetez mes gélules ! Tre-eN-
eN, trois le matin, trois le soir. 18 000 la boîte de 100.
regardez-moi ces beautés, elles nous arrivent toutes
fraîches de la Californie, de la haute nutrition cellulaire
pleine d'énergie et de vitalité, une merveille de la
chimie-bio. Un conseil. exigez les distributeurs
authentiques de la Golden international New Life !
Méfiez-vous des faux produits, y a beaucoup de chinois
sur le marché, le Seigneur l'a dit, ce sont les signes de la
fin des temps. Armez-vous pour survivre à l'apocalypse,
prenez la gamme complète de 372 produits. renouvelez
vos cellules ! Je l'ai testé, admirez le résultat, tant de
grâce et de beauté, c'est confondant, avouez !
Oh là, vous, vous avez l'air drôlement secoué.

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J-C : Salauds !
L'homme ou la femme-médecine : Qui ça ?
J-C : imbéciles congénitaux !
L'homme ou la femme-médecine : Du calme. Moi c'est
Loulou et vous ?
J-C : J-C.
L'homme ou la femme-médecine : J-C, ah ! mais quels
sales envoyés de Satan vous ont mis dans cet état ?
J-C : Les flics.
L'homme ou la femme-médecine : Qui ça ?!
J-C : flicaille de merde !
L'homme ou la femme-médecine : Oh merde, baissez
votre gueule d'un cran.
J-C : Connards !
L'homme ou la femme-médecine : La démocratie est
toute neuve par ici, si vous carburez à 1000 à l'heure,
elle ne pourra pas vous défendre.
J-C : Andouilles ! ecervelés !
L'homme ou la femme-médecine : Temporisez-vous.
Vous êtes dans tous vos états, c'est tout à fait normal.
Mais ne perdez pas votre énergie en incisives, ça ne
servira qu'à légitimer le déversement de la force
publique sur votre dos. Allez vous ressourcer et revenez
porter plainte en bonne et due forme devant qui de droit.
Tenez, prenez.
J-C : C'est quoi ça ?
L'homme ou la femme-médecine : Le miracle de la
vie, les gélules du docteur Ben, ça vous nettoie les
chakras, vous remet les idées en place, vous remplit de
vitalité. Obama en prenait pendant son mandat, Trump
lui n'en prend pas, vous voyez la différence ? 18 000 la
boîte de 100.

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J-C : Vous gagnez combien avec cette merde ? Avec vos


produits.
L'homme ou la femme-médecine : Ça dépend de nos
PV.
J-C : Vos quoi ?
L'homme ou la femme-médecine : Nos points valeur.
il y a quinze échelons. Manager, top manager, jusqu'à
"cinq diamants", le top du top. Je participe au
programme depuis six mois, je suis au deuxième
échelon. Je gagne 20 000 par mois.
J-C : en gros, vous n'avez même pas de quoi acheter vos
propres gélules.
L'homme ou la femme-médecine : heu... bah... si. Si,
si, j'en prends tous les jours, pour que mes cellules soient
réceptives. Bon, vous prenez combien de boîtes ?
(Il lui montre la photo de Jeanne d'Arc)
J-C : Vous la connaissez ? elle s'appelle Jeanne d'Arc.
L'homme ou la femme-médecine : Vous tombez de
quelle planète ? C'est un gros village où tout le monde se
connaît ?

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Cinquième mois
8. Papa, raconte-moi une histoire (1)
Flashback.
Le roi des Gitans : Allez, incarnation, il est temps, là,
t'entends ? Oui, fiston, au dodo, c'est ton lit qui t'appelle,
oui oui je viens, non non pas la même fable qu'hier, moi
aussi, j'adore La fontaine, mais cette nuit nous boirons
à d'autres sources, je me sens inspiré.
il était une fois une banque, si vieille qu'elle porte bien
son nom : Les toiles d'araignée. Les toiles, ça te fait
penser à quoi ? ecoute bien. Oui, l'étoile ! L'étoile
d'araignée était en fait le nom que l'Araignée avait donné
à sa banque, parce qu'elle était coquette oui, mais tout le
monde disait "les toiles d'araignée" tant la tranquillité de
la banque était inviolable. Juridiquement, elle n'existait
pas, faite d'entrelacs inextricables, ses dividendes
circulent d'une toile à l'autre, reviennent, se perdent,
illisibles, et pour dissuader les curieux, elle publiait ses
rapports annuels dans une monnaie obscure, le vatu, la
monnaie locale du Vanuatu. Mais l'Araignée connaissait
du beau monde, le général de Gaulle régulièrement
invité à ses somptueuses parties de chasse, Valéry
Giscard d'estaing, Georges Pompidou, Alain Juppé...
Dans l'antre de l'Araignée, aux milliards de pièces, aux
couloirs labyrinthiques, enfermée à sextuples tours,
vivait une princesse nommée Paradis. Je t'ai dit
comment elle s'appelait l'Araignée ? Le comte félix
Poupon. Certains disent que la princesse était sa fille,
d'autres que c'était sa femme, on ne sait pas très bien,
elle était sans âge, mais surtout Paradis avait des atouts
et des atours à rendre dingue n'importe qui, hectares de
bananes, de café, de thé, de tabac - oui oui le tabac c'est
pas bon pour la santé, t'as raison, je vendrai l'activité
tabac, ça se fait pas de gagner de l'argent sur la santé des
gens oui - hectares de tabac, d'hévéas, de palmiers à
huile, d'ananas de Malaisie, de Côte d'ivoire, de
Madagascar, du Kenya, du Cameroun, des plantations de
terres rouges, noires, bleues, vertes, blanches, ocres,

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jaunes, violettes, roses… des entreprises de pointe, des


participations cotées aisément cessibles, des tirelires aux
quatre coins du monde, 300 000 m² de bureaux entre
Paris, Bruxelles, New York, la compagnie aérienne Air
Liberté, le monument historique cinématographique
Pathé !
La princesse Paradis était drôlement convoitée. On dit
que tout requin de la Bourse qui entend parler d'elle
devient fou, dévoré par l'appétit de la posséder. Pour la
soustraire de cette voracité, le comte, dans sa tanière, la
changeait de chambre, plusieurs fois par jour, suivant un
système d'algorithmes si sophistiqués que les meilleurs
requins s'y sont cassé les dents, brûlé les yeux, râpé le
nez.
Un jour, hussard Levoyou, surnommé "le don Juan", se
présente à la banque, il entre sans frapper, il dit "entrer
avant de frapper ménage l'effet de surprise" et il n'a pas
tort. Comment a-t-il fait pour franchir les portes,
dribbler le temps ? Parfait caméléon, il avait le don de
faire croire n'importe quoi à n'importe qui et n'importe
qui, cette fois-ci, ce fut le comte. en fait, le vieux et
puissant comte avait, dans le passé, épaulé le jeune et
brillant don Juan dans des moments difficiles, et de son
côté, hussard Levoyou a été pour l'Araignée, pendant
des années, un fils spirituel très exemplaire, courtois,
attentionné, lui passait la pommade, pendant dix ans, il
déjeune une fois par semaine avec lui et de badinerie en
badinerie, il a cerné la nébuleuse, découvert dans l'antre
deux bombes à retardement.
et comme tout jeune patron, le don Juan aspire à grossir,
ses dents poussent, poussent, oui fiston, il faut grossir,
l'homme a succédé aux dinosaures, après l'homme est
venue l'ère des consortiums et le coeur du consortium,
c'est son poids. Dans le cercle des grands patrons, on
mange bien et on se mange aussi très bien, dans ce
milieu, grossir c'est se rendre indigeste.
A Paris, la première bombe éclate : la banque est
perquisitionnée. Le fisc a franchi ses paliers, tourné à
droite, bifurqué à gauche, inconscient de circuler de

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Padang à Kali, de Terres rouges à Artois, impossible de


se repérer dans ce dédale d'interminables boyaux, où un
pas suffit pour passer d'un monde à l'autre. A défaut
d'avoir le plan, le fisc a choisi l'invasion. L'opération
commando mobilise une centaine de policiers et agents
des impôts. Du jamais vu. La banque est soupçonnée de
fraude à la TVA et à l'impôt sur les sociétés, de
blanchiment d'argent, de transferts illégaux de capitaux
vers la Suisse, de rémunération occulte des dirigeants du
groupe. Pour le comte félix Poupon, c'est le déshonneur,
le fruit est pourri ; pour le don Juan, il est mûr. Au
prochain conseil d'administration, il lâche la deuxième
bombe : "Air Liberté engloutit des sommes énormes à la
vitesse de la lumière, à ce rythme la banque va bientôt
couler et les administrateurs seront poursuivis sur leurs
fortunes personnelles !" Silence de mort. Les
administrateurs sont médusés. Littéralement. Livides,
transparents, il leur pousse des tentacules le long des
joues, de la tête aux pieds. Les parapluies sortent, puis
les couteaux. Personne ne les avait prévenus !
Directement mis en cause, le comte, au bord des larmes,
capitule. Le don Juan prend les commandes, trouve un
repreneur à Air Liberté, fait venir son nettoyeur qui
exhume les cadavres. "Plus la banque sera déshonorée,
plus le putsch sera légitime !" en bon citoyen
irréprochable, hussard Levoyou apporte au juge
d'instruction des dossiers explosifs sans même se faire
accompagner d'un avocat. il suffit de peu pour que le
comte atterrisse en prison. La presse se délecte des
arrière-cuisines. Mais, très vite, la banque est mise en
cause comme personne morale et même son nouveau
dirigeant, le don Juan, est susceptible d'être poursuivi.
On ne rigole plus. et c'est là qu'il sort sa baguette
magique : six semaine plus tard, la chambre d'accusation
annule la mise en examen, la justice est sommée de
retourner les dossiers explosifs à la banque, le dossier
est magistralement enterré et le juge d'instruction rejoint
le groupe du don Juan comme directeur des services
juridiques. Le comte félix Poupon est réduit à ouvrir et
fermer les conseils d'administration.

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Le don Juan aménage pour la princesse Paradis une


nouvelle banque, toute propre en apparence, qu'il
nomme Caramba. L'ancienne banque, L'étoile
d'araignée, conserve les sales affaires vérolées, elle est
jetée en pâture aux requins.
Aux yeux du monde, le don Juan n'apparaît pas comme
un sale violeur de putschiste mais comme le rédempteur
d'un capitalisme vérolé.
Brave petit, pauvre petit, il s'est endormi. Bonne nuit,
inca.

9. Paroles et paroles et paroles hoba hoba


Au Pays des hommes princes.
Benvengusto : Bolando s'excuse, il aurait aimé être là
pour cette fête, l'inauguration de la salle de spectacle
Olympio appelée à devenir un des hauts lieux de la
culture dans votre pays. en l'absence du roi, l'honneur
me revient de présider cet après-midi, bien sûr sous la
haute autorité de son excellence le président Béni. Sans
tarder, je cède la parole à la créativité. Allez, fiston.
(Un slameur se présente au micro pour livrer sa
créativité à la foule)
Le slameur : Test, test, test-ticule
BolandoBolandoBolando
c'est déjà nous, dès ce soir, à nous de le vouloir,
tu vas, tu vas et tu viens entre mes reins, je la ferme,
tu me paies,
j'ouvre la bouche, pisse, t'as cumulé assez d'argent
pour éjaculer où bon te semble, raconter les salades
qui bon te chantent à qui bon te chante,
tu nous paies,
nous fermons nos gueules, modérons nos pulsions,
sourions, tu nous paies,
ne t'en va pas, nous t'aimons, donne-nous encore une
chance,
fais pleuvoir sur nous ta maille,
rentre ton gun dans mon étui,

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la thune lubrifie bien les rapports de violence,


tout en la niant, le riche l'exerce, tout en s'y pliant, le
pauvre la refoule !
Tu es l'as des as qui pique nos coeurs, nos fers, nos ors,
nos orpailleurs !
Putain, que l'argent est bon,
putain, que l'argent rend con,
d'autant que personne n'osera vous le dire,
t'es riche, je suis pauvre, quand tu me traites d'une
manière
tout à fait familiardaire,
j'aime.
Propagande propagande !
Ouvrez les yeux, ouvrez les yeux !
Les fantômes sont là !
Via l'économie ils déterminent nos destinées !
Titulaires officieux du pouvoir, sans pouvoir formel,
sociétés-écrans, hommes de main, capitaux offshore,
muets, cryptés, virtuels,
d'un point de vue légal, ils n'existent pas,
sans voix, sans nom, sans domicile fixe dans la cité,
où nos vies sont en jeu, nous jouons le jeu, eux se jouent
de la loi,
ils sont fantômes.
Benvengusto : ils sont fantômes… Bravo, quel talent !
Quel artiste ! Nous-mêmes, ce projet de boucle
ferroviaire, nous l'avons commencé, je dirais, comme
des artistes sans filet, sur la seule base d'un serrage de
main entre deux chefs d'etat et Bolando. Quel artiste, on
l'applaudit encore une fois ! ecrivez-nous d'autres textes
dans la même veine, nous les éditerons en beaux recueils
mis à disposition des usagers de nos centres culturels,
nous encouragerons leur enseignement dans nos
universités partenaires. Pour qu'aucun art ne soit de
reste, La Blue buckle lance un concours d'art plastique
sur le thème "L'insolence", envoyez-nous vos oeuvres,
les meilleures seront exposées dans nos galeries et hôtels
partenaires.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, "Tout
pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime

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qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres
de l'espèce humaine" dixit Adam Smith. Bolando, lui, ne
mange pas de ce pain. Je sais ce que certains disent de
lui : beau salaud, menteur invétéré, voyou. Beau, sans
doute, salaud - les goûts et les couleurs… pour le diable
Dieu est un salaud - menteur, disons qu'il prend des
libertés avec la vérité pour mieux la retrouver, voyou
alors là il n'en est rien, les voyous ce sont ceux de la
finance qui spéculent sur la tête des gens, s'en mettent
plein les poches, avec leurs obligations-pourries-
vérolées chèrement vendues et qui s'en vont, avec
l'argent frauduleusement gagné, sans remords, désosser
les entreprises pour les liquider en belles parts sur la
table de Wall Street et compagnie. Ces voyous
alchimistes douteux transforment la sueur, le travail et
l'investissement en argent facile, en dettes que les
gouvernements, autrement dit le peuple, se doivent de
rembourser ! Bolando fait tout le contraire. il investit,
innove, crée de l'emploi et même de la culture,
aujourd'hui nous inaugurons une nouvelle salle
Olympio, écologique, entièrement autonome, alimentée
par l'énergie solaire thermodynamique, conçue sur le
même modèle que les autres, salles de répétitions, de
spectacles, cinéma, concerts gracieusement offerts par le
groupe Bolando, alors il ne me reste qu'à vous souhaiter
bon film. Nous sommes très heureux de soutenir la jeune
création de ce vaste continent où le jeune réalisateur Dao
Bossalino avec son film "De bière et de poussière" fait
figure d'étoile montante, créateur d'un nouveau genre
que les critiques nomment "Western Awooyo", "Western
Brakina", "Western Castel", suivant les pays, y a toutes
les déclinaisons possibles.

10. L'histoire s'arrête


Flashback. Dans le train.
Le conducteur de train, les voyageurs, les voyageuses :
Alors elle m'a dit qu'il lui faut du temps, qu'elle n'arrive
pas à choisir. J'ai attendu pendant sept mois et puis je lui
ai dit : c'est lui ou moi. elle a pleuré, puis elle est partie.

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Maintenant ils habitent ensemble. Mais quand je suis sur


facebook elle m'envoie des bonjours, elle like mes
photos, elle ne commente pas, elle like seulement, et
quand il y a une fille avec moi, elle m'envoie des
messages de jalousie, c'est normal ça ?
Toutes les cinq secondes, appuyer sur cette fichue pédale
sinon l'alerte se déclenche et c'est l'arrêt automatique du
train, réduire la vitesse à l'approche des courbes. C'est
lent, long, des heures et des heures, il faut tuer le temps.
Ah chaleur-là va nous tuer !
C'est pas la chaleur, c'est la misère. Si t'as l'argent, en
première, y a la clim.
Tu me vois dans le wagon des surgelés, endimanché au
Sahel comme un esquimau, tu me vois en fourrure et
manteau sous le cagnard de Ouaga ? La tête calfeutrée
pendant 36 heures dans les séries télé nollywood, sans le
moindre paysage pour échappatoire ? interdit de toucher
aux rideaux, le moindre rayon de soleil fait l'effet d'une
épée de lumière dans une chapelle de vampires. Non
merci, je préfère mourir de chaud.
Alléluia mes soeurs, mes frères, crevons de chaud sur
ces sièges en béton si bien armé que même les plus
grosses fesses du train en ont ras le cul.
Avant, il y avait des campements dans des endroits nulle
part, loin de tout. et après les fortes pluies, les
tourbillons, les chaleurs grimpantes, les agents sortaient
de ces campements pour vérifier l'état des rails. Après
l'indépendance, plus de campements. Les rails ne sont
plus entretenus. Depuis je fais des cauchemars de rails
qui flottent et de trains qui s'envolent et tombent. Tu vois
non, quand le colon est parti, ils ont supprimé les
campements. C'est dans le sang. Le Noir, il faut le
surveiller, le battre pour qu'il travaille.
Les Chinois là, ça va être beau, leur train, ça va être
beau, j'ai vu la vidéo. Le Dragon de soie ! Quand ils
auront fini, je ne prendrai plus La Blue buckle.

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Chine france Afrique CfA Comment faire Avec Ce


faux Ami Cette farce Africaine Cette france à fric Ce
faux Air Contrebande frelatée d'Amitiés Contrefaites
faucilles de l'Autonomie
Bolando se fout de nous ! regardez l'état du train ! Y a
que le transport de minerai qui l'intéresse ! Une fois, on
a attendu quatre heures, on devait laisser la priorité à un
transport de je ne sais quel putain de minerai de mes
couilles.
et alors c'est normal, sur le marché, tes couilles, c'est de
la crotte de bique, ça vaut même pas un milligramme de
minerai.
Chaque marchandise a son moyen de transport. Moi, je
suis chauffeur de poids lourd, actuellement, les camions
sont trop chargés, ça tue les routes, y a les accidents et y
a pas moyen de dire au patron de moins charger, tu dis
ça, t'es renvoyé chez toi, ce ne sont pas les chauffeurs
qui manquent.
Moi, je le crie haut et fort que Bolando nous encule, à
force ça fera baisser le taux d'homophobie dans ce pays.
C'est dur l'ennui, ça dorlote, mais c'est pas bon, on ne
sait jamais ce qui peut arriver, il faut avoir l'oeil vif,
même si l'esprit est prompt à la rêverie, les paysages
défilent, ici c'est la ville, ici c'est la verdure, ici c'est le
désert, ici c'est le terrible pont, ici c'est le fameux
croisement…
imagine que tu vas chez tanti Kayi. Bah, tanti Kayi, la
vendeuse d'ignames frites, avec les seins qui tombent.
Bon, imagine qu'elle t'insulte que t'as les dents qui
partent côté côté, tu continueras à lui acheter des
ignames ? Non. Donc Bolando ne va pas passer sur sa
chaîne des reportages qui insultent ses clients, c'est
normal. C'est pas de la censure, c'est du bon sens.
Le bon sens, c'est la chose la plus bêtement partagée au
monde, c'est avec le bon sens qu'on a enculé nos
ancêtres.
A propos, qui a gagné le procès ? Dorade ou Bolando ?

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Dorade.
Ah, quand même, il y a une justice !
résultat : les travaux sont arrêtés et les cheminots au
chômage. Je ne sais pas ce qui est le mieux.
ici c'est la zone d'exclusion. Depuis que l'humanité a
compris et accepté que l'égalité pour tous est un leurre,
que le progrès ne peut se faire sans sacrifice, nous nous
portons mieux. Au lieu d'épouvanter les exclus de la
croissance à vouloir suivre un rythme pour lequel ils ne
sont pas ou plus faits, nous leur avons aménagé cette
zone. Chaque nouvel arrivant bénéficie d'un programme
adapté.
Moi, je dis que le drame de l'Afrique est complètement
animalier. Nous sommes des lions dirigés par des
moutons.
faut pas chercher plus loin : ce sont ces femmes qui ont
ruiné le chemin de fer, les racketteuses, elles ne payent
pas de ticket, elles donnent un peu d'argent aux
contrôleurs et ils fourrent les marchandises non
déclarées dans le plafond sans tenir compte des fils
électriques, or marchandises et étincelles ne font pas bon
ménage, quatre trains ont pris feu. Bolando a vu ça, il a
dit : plus de plafond. On a mis le fer à nu, tout à vue et
depuis il fait chaud comme dans la chatte du Sahara en
pleine copulation.
D'abord, entièrement pris en charge, chaque exclu est
conduit, de manière progressive et dégressive, à une
disparition dignement programmée. en phase terminale,
sevrés de nourriture et d'eau, ils mettent généralement
peu de temps à nous quitter. Mais l'être humain est
compliqué. Dernièrement certains exclus ont développé
la faculté de se nourrir de lumière. et si on les enfermait
dans le noir, deviendraient-ils obscurophiles ?
Alors, tu vois, je ne sais pas si je dois l'enlever de mes
amis facebook. Tu en penses quoi, toi ?
ecoute, c'est pas parce que ta femme t'a abandonné que
c'est la fin du monde.

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Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc (au téléphone,


elle laisse un message sur le répondeur de J-C) : Dans
les étagères, les allées, les couloirs entre les carrés de
siège, les dessous de siège, jusque dans les toilettes,
pour pisser et chier, il faut attendre le prochain petit arrêt
en gare. Les gens payent cher leur place mais ils
voyagent avec leurs affaires sur les genoux. Si vous
voulez que je vous dénonce, je vais vous dénoncer, mais
la meilleure des solutions, tu n'as qu'à chercher place
pour sa valise. Tu l'effrayes, elle, elle connaît pas, c'est
la première fois qu'elle prend le train, tu l'effrayes
pourquoi ? il a compris que c'était gâté. Du coup, ils ont
enlevé les attiéké, les peaux de boeufs, les tissus… et ils
ont placé la valise de la dame. Tu vois, elle autre, elle
voulait prendre la première classe, mais il n'y avait plus
de place mais elle devait aller au Pays des hommes
intègres pour le mariage de son frère. elle venait du Pays
des hommes flambeurs. Dans le train, arrivée à
Dembokro, son bébé est malade. Quand on a dépassé
Dembokro, le temps d'arriver à Bouaké, ça s'est aggravé.
Le bébé était devenu rose, il était brûlant. La mère lui
donnait des médicaments mais ça n'arrivait pas à faire
baisser la fièvre. Moi, j'ai eu peur.
(Quelqu'un l'interrompt)
… Quoi ?… Je suis au téléphone !… Je vais raccrocher
pourquoi ?… Non, je ne descends pas, tu es malade ou
quoi ?…
Le conducteur du train, les voyageurs, les voyageuses :
Toi aussi tu es bête. Comment tu veux qu'on mette un
train électrique dans un pays où on coupe le courant tout
le temps ?
regardez, le gars est trop fort. Avec un moteur d'essuie-
glace, il a inventé une machine solaire à piler du foutou.
et c'est pour ça qu'il faut faire cocorico sur facebook ?
Toutes les entreprises protègent leurs savoir-faire mais
nous, pour chaque réalisation, on alerte l'univers. faut
arrêter de vouloir prouver qu'on est capables. Le seul
espace qu'on a laissé aux Noirs, c'est le tam-tam,
l'entertainment, le monde du sport, du théâtre, du

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cinéma, de l'écriture, de la musique, la danse, tu es là


avec une souffrance que tu essaies d'enlever, on te donne
un espace, on te dit le théâtre, il est là, montre ta
frustration et tu vas gagner quelque chose. Dans le
monde de la décision politique et intellectuelle, nous ne
valons rien.
Les matières premières chargées par des camions
Bolando, transportées par des wagons Bolando,
entreposées au port par des grues Bolando, sur des
navires Bolando. Les produits importés font le parcours
inverse, toujours aux bons soins de Bolando. Bientôt, à
côté des plantations Bolando, des mines Bolando. Cette
situation de monopole absolu est inacceptable.
J'en ai assez de ce pays ! J'irai m'installer en Chine.
Plus rien ne sera comme avant, plus rien ne sera mieux
qu'avant, parole de syndicaliste.
il faut être impoli avec la vie sinon elle ne va pas te
respecter.
Oh là là, je ne savais pas que c'était aussi bon, la viande
de chien.
C'est pas bien de manger son animal de compagnie.
On dit animal domestique, ici la compagnie, pas besoin
de la chercher chez les animaux, on l'a sous le nez.
C'est quoi cette odeur ?
Mon Dieu !
Doux Jésus !
Putain !
Qu'est-ce qui se passe ?

11. Papa, raconte-moi une histoire (2)


Flashback.
Le roi des Gitans : il était une fois un médecin,
bourlingueur des mers. Un jour, en Chine, des pêcheurs
lui transmettent le secret de la fabrication du papier fin.
De retour chez lui, il fonde une papeterie sur les rives de

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l'Odet. il était une fois un Quimpérois de mère


sénégalaise. Lors du siège de Constantine en 1837, il
reçut une balle dans sa pipe, pour fumer son tabac il dut
- oui oui le tabac c'est pas bon pour la santé, t'as raison
fiston, je vendrai l'activité tabac, ça se fait pas de gagner
de l'argent sur la santé des gens oui - pour fumer son
tabac il dut le rouler dans le papier d'emballage de la
poudre à canon. De retour chez lui, il demande à la
papeterie de lui confectionner un papier spécial. fiston,
voilà comment on devient numéro un mondial de la
cigarette. Brave petit, il s'est endormi. Bonne nuit,
incarnation.

12. L'annonce
Le ministre des transports, Jean Michel.
Le ministre des transports : J'ai pas de commentaires à
faire sur une décision judiciaire concernant un pays
frère. Je trouve simplement dommage que le projet de
boucle ferroviaire, pourtant capital pour nos économies,
soit bloqué par des intérêts privés. Notre pays ne pense
pas pouvoir continuer avec M. Benfolo. Les Pays des
hommes princes, des hommes intègres, des hommes
brûlés et des hommes chiens et chats ont approuvé,
depuis 2002, les statuts constitutifs de la société La
Boucle dont nous sommes actionnaires. Nous avons
même versé des subventions de fonctionnement aux
dirigeants de la société. Cependant nous avons constaté
que, depuis sa date de création, cette société ne s'est pas
attelée à son objet social qui était de mobiliser les
financements, de construire la boucle ferroviaire et de
l'exploiter en concession de service public. Dans ces
conditions, notre pays ne pense pas pouvoir continuer
avec M. Benfolo. Quant au litige avec M. Dorade, je
pense que le président Achille, nouvellement élu au Pays
des hommes princes, saura prendre en compte tous les
tenants et aboutissants pour concilier les différents
acteurs. Pour nous, M. Bolando reste le seul en mesure
de mener à bien ce projet.

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Jean Michel : Monsieur le ministre, nous interrompons


notre programme pour communiquer une triste
nouvelle : aujourd'hui, aux environs de 17h, entre
ekossa et Wouahigou, le train a déraillé. il y aurait
apparemment des dizaines de morts. Chers auditeurs,
nous vous tiendrons informés de l'évolution de la
situation, restez à l'écoute de La patrie ou la mort, votre
chaîne d'information numéro 1.

13. A l'écoute
Jean Michel : Concluant son discours à la Nation, le
chef de l'etat a appelé la population à la ferveur
patriotique et à l'union des coeurs. il a par ailleurs
décrété sept jours de deuil sur toute l'étendue du
territoire national. De son côté Archange Benvengusto,
directeur régional du groupe Bolando, a adressé ses
condoléances aux familles éprouvées et à la nation tout
entière. Jean Michel, La patrie ou la mort !
Pour répondre à un afflux massif de voyageurs provoqué
par l'effondrement d'un pont sur le trajet routier, la
direction de la compagnie ferroviaire avait ajouté huit
wagons à ce train, qui n'en comporte que neuf
habituellement. Jean Michel, La patrie ou la mort !
Le bilan officiel fait état de 113 morts et 665 blessés,
alors que de sources officieuses on parle de centaines de
morts et plus de 1 000 blessés. Une semaine après le
déraillement, l'etat et La Blue buckle se renvoient la
responsabilité du drame. Alors que les autorités mettent
en cause la gestion de l'afflux des passagers, la
compagnie, elle, pointe "une défaillance ou un défaut de
conception" de certains wagons achetés par le ministère
des transports. Archange Benvengusto a par ailleurs
précisé que la décision de doubler le nombre de wagons
du convoi pour faire face à la forte demande avait été
autorisée par les autorités gouvernementales et que le
nombre de passagers supplémentaires était conforme à
la capacité des voitures. Le chef de l'etat a annoncé
l'ouverture d'une enquête indépendante. Jean Michel, La
patrie ou la mort !

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"La cause principale du renversement des voitures du


train est une vitesse excessive, 96 km/h, dans une
portion de voie où la vitesse est fortement limitée à
40 km/h", selon le communiqué conjoint de la
présidence de la république et du groupe Bolando. Le
chauffeur du train, dont le déraillement a ôté la vie à près
de 117 personnes et fait plus de 600 blessés, est aux
mains des gendarmes. il est poursuivi pour homicide
involontaire. Jean Michel, La patrie ou la mort !
Le groupe Bolando a décidé d'accorder 1,5 million de
fCfA (2 300 euros) par victime pour les frais funéraires.
Cependant, alors que certaines familles ont pu rentrer en
possession de ces indemnités, d'autres, comme
robinson qui a perdu sa petite soeur, ont dû prendre
elles-mêmes en charge les frais des obsèques. D'autre
part, les blessés eux ne perçoivent pour l'instant aucun
remboursement. Le collectif des familles de victimes
dénonce le manque de transparence dans la gestion des
indemnisations. "1,5 million de francs CfA pour ceux
qui sont décédés, c'est très peu. Le groupe Bolando ne
fait pas de cas-par-cas et ne tient pas compte des
différents paramètres spécifiques à chaque famille. ils
sont dans une logique forfaitaire où les morts ont un prix
fixe. S'il le faut, nous irons au procès, nous allons porter
plainte" précise le porte-parole du collectif. Jean Michel,
La patrie ou la mort !
Le chef de l'etat a ordonné l'érection d'une stèle à la
mémoire des victimes. Jean Michel, La patrie ou la
mort !
Au sein de la population, plusieurs voix s'élèvent pour
incriminer la gestion calamiteuse de la catastrophe par
les autorités publiques. On déplore que le chef de l'etat
ne se soit pas rendu sur le lieu de l'accident. Les secours
ont mis plusieurs heures avant d'arriver sur place et ils
étaient en manque de sang et de médicaments. Aucun
hélicoptère n'a été envoyé. Les hôpitaux ont par ailleurs
été vite démunis, des témoignages rapportent que de
simples compresses manquaient et des photos montrent
des victimes "traitées" à même le sol. Pourquoi sommes-

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nous incapables d'avoir une compagnie nationale de


chemins de fer digne de ce nom ? Pourquoi notre axe
routier est-il l'un des plus meurtriers au monde ? Des
accidents s'y produisent littéralement chaque semaine et
il n'a pas été rénové depuis trente ans. Jean Michel, La
patrie ou la mort !
L'enquête indépendante établit la responsabilité de La
Blue buckle. Les enquêteurs ont noté "une surcharge du
convoi et un rallongement inapproprié de la rame". ils
ont aussi estimé que le conducteur du train avait, à
plusieurs reprises, alerté, en vain, que certaines voitures
de voyageurs présentaient de graves problèmes de
freinage : "La compagnie a fait l'acquisition de
nouvelles voitures, celles qu'on appelle "voitures
chinoises". Leur système de freinage n'est pas
compatible avec celui que nous avons dans nos
locomotives en service. Lorsqu'on s'est rendu compte
que les voitures chinoises mises entre elles
exclusivement connaissaient des problèmes de freinage,
on a trouvé la technique d'associer les anciennes voitures
françaises dans les rames pour assurer un meilleur
freinage." Joint par notre correspondant, le président de
la centrale syndicale de La Blue buckle confirme : "Tout
le monde le savait, la hiérarchie, le gouvernement, tout
le monde ! et n'oublions pas qu'à l'époque des
programmes d'ajustement structurel, Bolando avait reçu
de solides financements des bailleurs de fonds (la
Banque mondiale, la Banque européenne
d'investissement, l'Agence française de développement,
en plus de trois banques locales), mais il a
essentiellement privilégié les activités de fret, les plus
rentables. résultat, pour les usagers, la privatisation s'est
surtout traduite par l'augmentation des tarifs et la
diminution du nombre de gares desservies. Un tiers des
salariés ont été déflatés, tout ça pour augmenter son
putain de profit ! Bolando a viré beaucoup de
syndicalistes, qui étaient aussi des techniciens
d'entretien. ils n'ont jamais été remplacés ! et ces dix
années ne furent pas de tout repos pour les leaders
syndicaux ! On a subi des infiltrations patronales, des

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mutations forcées, des licenciements punitifs et même,


pour certains, des mois d'emprisonnement !" Jean
Michel, La patrie ou la mort !
hier nuit, trois personnes ont été fauchées par un train
affecté aux travaux de renouvellement de la voie ferrée.
Deux d'entre elles sont mortes sur le coup, la troisième a
rendu l'âme à l'hôpital. Jean Michel, La patrie ou la
mort !
La série noire continue pour La Blue buckle. Cinq mois
après le déraillement qui a fait des centaines de morts et
près d'un millier de blessés, et le malheureux accident
qui a causé la mort de trois personnes le mois dernier, un
train transportant de l'essence et du gasoil a déraillé,
déversant, selon les sources, près de 100 à 300 000 litres
de carburant. Peut-on dire plus de peur que de mal ? On
déplore un seul blessé dans un état critique, il s'agit d'un
des agents de sécurité du train. Jean Michel, La patrie ou
la mort !

14. Jeter de l'huile


Benvengusto : Nous attendons les résultats d'une
enquête internationale et si notre responsabilité est
entamée, pardon, établie, nous l'assumerons
entièrement. Je regrette que d'aucuns profitent de la
situation pour nous faire porter tous les chapeaux. Le
groupe Bolando n'a pas vocation à devenir ni un fort des
halles, ni un bouc émissaire. Je pense qu'il faut revenir à
des sentiments plus justes. en europe et partout ailleurs
dans le monde, il arrive aussi des accidents et ce qui s'est
passé ici n'est qu'un malheureux accident.
Jean Michel : "113 morts et 665 blessés, ce n'est pas
qu'un malheureux accident !" peut-on lire sur certaines
pancartes de la foule descendue en masse pour
manifester sa colère et son indignation contre les
ignominieux propos du numéro 2 du groupe Bolando.
Jean Michel, La patrie ou la mort !

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Le ministre des transports : C'est clair, pendant des


décennies, la route a été privilégiée sur le continent
africain mais aujourd'hui, le rail est convoité. et il ne
peut plus servir, principalement, à exporter des matières
premières dans le cadre d'une économie rentière qui a
longtemps caractérisé l'Afrique. Mais, depuis le début,
Bolando se fout de notre gueule. D'abord, il s'engage à
réhabiliter la ligne à hauteur de 262 milliards, 400
millions d'euros, sur cinq ans. A la veille de la signature
de cette nouvelle concession, il a posé de nouvelles
conditions. Vu l'importance géostratégique de la ligne
pour l'économie nationale et l'intégration socioculturelle
de nos peuples, nous faisons au mieux pour lever ces
obstacles. Au moment de signer, voilà qu'il nous propose
maintenant d'investir 40 millions d'euros la première
année de mise en oeuvre du programme
d'investissement au lieu des 130 millions d'euros
initialement prévus, et le reliquat à étaler sur la durée
résiduelle de la convention de concession révisée soit 29
ans, plutôt que sur la période totale de 5 ans sur laquelle
nous nous étions mis d'accord. C'est criminel, il nous
manipule le couteau sur la gorge ! Le temps presse ! Nos
gouvernements ont pris des engagements envers
les populations pour réaliser ce projet ferroviaire dans
les meilleurs délais. Je pense qu'il faut profiter de ces
catastrophes ferroviaires pour acculer Bolando à revenir
à de meilleurs sentiments. Ou, si ça continue comme ça,
nous ferons appel aux Chinois.

15. Requiem
Les familles et les proches : Je souffre d'insomnie Je
n'ai pas pu m'empêcher de voir et revoir les images Les
corps les wagons en charpie ces images horribles me
hantent Depuis la mort de ma mère mon horizon bat de
l'aile Notre vie a changé du tout au tout Je ne m'en
remettrai jamais J'attends qu'il vienne me dire que c'est
fini il ne suffisait pas de nous aimer Plus personne n'est
là pour m'épauler J'ai souvent souhaité qu'il meure mais
pas de cette façon elle était si jeune C'est son premier
voyage en Afrique maintenant le dernier J'y pense tout le

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temps elle venait d'avoir son bac J'aurais voulu me


réconcilier avec mon père avant qu'il ne parte Ce n'était
encore qu'un bébé elle je ne regrette pas sa mort mais
tous les autres Les secours ont tardé je ne sais pas si mon
frère est mort sur le coup ou sur le chemin de l'hôpital
c'est insoutenable de ne pas savoir Je ne sais pas
comment je fais pour continuer à vivre Si je ne l'avais
pas mis à la porte il serait encore là Nous allions nous
marier Si j'ouvre la bouche je vais blasphémer ô Dieu
aide-moi identifier le corps identifier dans la masse
identifier grâce aux bijoux Je n'ai pas réussi à l'avoir au
téléphone avant son départ elle était bourrée de talent
J'aimais faire affaire avec elle C'est triste je pense à sa
famille J'ai dû arrêter mes études pour me prendre en
charge ils venaient de prendre leur retraite ils allaient
enfin profiter de la vie Pourquoi J'ai perdu ma mère ma
confidente J'ai perdu mon frère J'ai perdu mon cousin
J'ai perdu ma cousine J'ai perdu mon neveu J'ai perdu
mon père La vie continue J'ai perdu ma meilleure amie
J'ai perdu un grand ami J'ai perdu une jambe J'ai perdu
ma petite-fille J'ai perdu ma soeur J'ai perdu la foi J'ai
perdu mon idole Vivre malgré tout J'ai perdu ma mère
J'ai perdu ma confidente J'ai perdu mon frère J'ai perdu
mon cousin J'ai perdu ma cousine J'ai perdu mon neveu
J'ai perdu mon père J'ai perdu mes clés La vie continue
J'ai perdu ma meilleure amie J'ai perdu un grand ami J'ai
perdu un bras J'ai perdu ma petite-fille J'ai perdu ma
soeur J'ai perdu la foi J'ai perdu mon idole J'ai perdu le
fil Vivre malgré tout J'ai perdu ma mère J'ai perdu ma
confidente J'ai perdu mon frère J'ai perdu mon cousin
J'ai perdu ma cousine J'ai perdu mon neveu J'ai perdu
mon père J'ai perdu l'horizon La vie continue J'ai perdu
ma meilleure amie J'ai perdu un grand ami J'ai perdu une
jambe J'ai perdu ma petite-fille J'ai perdu ma soeur J'ai
perdu la foi J'ai perdu mon idole Je suis perdu Vivre
malgré tout J'ai perdu
(Tant la douleur est grande, le requiem pourrait durer
indéfiniment, tant que Le fou en diamant amniotique ne
se ramène pas, flanqué de La metteur en scène)

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Huitième mois
16. La rencontre
Au Pays des hommes intègres, au détour d'une rue, Le
fou en diamant amniotique accoste J-C qui paraît
maintenant enceint de huit mois.
Le fou en diamant amniotique (à J-C) : T'imagines, si
les hommes accouchaient, ça changerait tout.
J-C : Comment ?
Le fou en diamant amniotique : Par l'anus, le nez, ça
marche pas, trop petit. enchanté. Appelle-moi Le fou en
diamant amniotique, un fou qui vaut du diamant, frais et
brut, comme le derrière d'un bébé droit descendu du
placenta, comme dit mon double "Bien foutu qui se dit
fou", oui j'ai un double qui se croit moins fou que moi,
une histoire de fous, tu sais le diamant, c'est du pipeau,
ça vaut pas un clou, c'est qu'un gros mensonge bâti sur
quatre étages d'entourloupes :
1) Que le diamant est rare : faux. Les diamants ne sont
pas rares du tout, y a juste la famille De Beers qui a posé
son gros cul sur toutes les mines de cette foutue planète.
2) Que le diamant est indispensable à la demande en
mariage.
3) Que la bague doit vous coûter un bras.
4) Que le diamant est un petit bijou qui se transmet de
génération en génération.
Que de la pub de bas étage, du matraquage encéphalique
financé par De Beers et compagnie. Tu sais comment je
suis devenu fou ? Un jour, comme par un truchement
d'ébahissements, j'ai perdu la boule, un pasteur s'est mis
en tête de me délivrer, et depuis je parle chinois pour
italiens, vietnamien pour Ouzbeks, babylonien pour
Lobi, des histoires de fous, je ne te raconte pas, je
déborde d'esprits, avec tous les pasteurs en manque de
corps à exorciser j'en ai dégusté des délivrances, c'est
simple, tout esprit expulsé se ramène avec sept acolytes
plus costauds pour reprendre possession, je ne te dis pas,

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je suis possédé de partout comme une star de gang bang.


C'est pour ça que les terroristes m'ont ciblé, t'imagines,
avec moi, d'une pierre tu fais trois milliards de coups !
C'est le jackpot ! Alors je protège mes arrières. Ouvre
l'oeil, y a personne qui nous surveille ? Ça me fout les
jetons, j'ai un oeil dans le dos, je dors plus depuis cette
histoire de dingue, une histoire quotidienne, six morts,
six gamins fauchés par un de ces putains de gros
camions, dans le lot y avait deux artistes, un qui me
faisait pisser de rire comme un fou. Y a trop de morts
bêtes sur nos routes, alors le train, c'est une bonne chose,
mais si le train déraille aussi, on n'est pas sortis de la
merde ! La vie c'est la merde ! La vie c'est la merde,
mais rien ne vaut la vie, "Parce que tout le monde doit
chier !" oui, t'as raison, Norbert. Norbert Zongo, tu
connais ? Un gros problème, le gars, il me file des
insomnies à cogiter le monde avec mon ventre, y a du
monde qui m'envoie t'ouvrir les yeux, J-C…
J-C : Tu connais mon nom ?
Le fou en diamant amniotique : Les esprits, avec les
esprits, j'en sais des choses ! Saloperies de pasteurs, ils
m'ont refilé tous les esprits qui traînent dans le coin,
avec leur délivrance à la noix de coco, comme dit Mao
Zedong, ouais ils me l'ont refilé aussi, bon j'en étais où ?
Norbert Zongo, tu connais ? Tu ne connais rien toi, t'es
vierge de tout, par les temps qui courent, savoir rend fou,
t'as fait le bon choix.
J-C : Je peux vous montrer une photo ? (Il lui montre la
photo de Jeanne d'Arc)
Le fou en diamant amniotique : Connais pas. Oh, je
sais pas tout non plus, hein, oh ! Bon, allez, suis-moi.
J-C : hein ? Quoi ? Où ?
Le fou en diamant amniotique : La plaine des
orpailleurs, le royaume des hommes sauvages ! Un
cauchemar à ciel ouvert ! Des gamins suffoquent des
heures dans l'obscurité d'un trou, illuminés par une seule
idée fixe : l'or ! ici, on te cause tout le temps de coton,
mais l'or y a pas âme qui en parle, le pays en chie

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pourtant plus que du coton, mais l'or, y a de gros bonnets


qui ont posé leurs fesses dessus, je dirais pas non, moi,
poser mes fesses sur de l'or, ça doit vous aérer le cul
d'une manière toute romanesque, que veux-tu, tout le
monde n'a pas l'âme intègre de Thomas Sankara, lui j'ai
failli l'avoir, il est surprenant, il cherche à rien posséder,
le mec, du coup il chemine parfois avec moi, eh j'y
renonce pas, je t'aurai un jour, Thomas. Tu veux lui
parler ? Thomas, t'entends ? J-C veut te causer : dis-lui,
Thomas est tout ouïe. Parlez-vous, je vais moi négocier
un bus pour la plaine. et puis je vais casser la croûte,
parler ça creuse. file-moi la thune, j'ai des milliards à
nourrir en moi.
J-C : C'est lui Thomas ?
Le fou en diamant amniotique : Non, elle c'est mon
ombre. C'est la metteur en scène. fais pas gaffe à son
accoutrement, elle se grime parfois en homme, c'est pour
son spectacle, elle m'a remué de la tête au coeur pour
que je l'amène à Al Qaïda, la plaine des orpailleurs, Al
Qaïda c'est le foutu nom qu'ils lui ont trouvé, ses
habitants, foutu coin, j'avais juré de ne plus y mettre les
pieds que coupés et expédiés à l'insu de mon plein gré,
elle y va pour son spectacle, spectacle, spectacle, elle n'a
que ce mot à la bouche, fait chier ! elle fait un spectacle
sur moi.
La metteur en scène : Pas exactement.
Le fou en diamant amniotique : Allez, file-moi la
thune. Je vous laisse. faites connaissance. Allons
manger, mes trois milliards d'esprits.
The moon is light
The weather is dark
The yellow is blue
Turn your light on
Welcome to Sexville
Where light groes
in every corner
Welcome to New South
Where everyone is full
Of nothing but himself

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Or herself or itself
Yes things and animals
Are overwelcome too
When love is lost
When tears grown up
When heart breath too tight
When the night is everlasting
And moon is no more
Come oh you come to me
Come on tell me
What you need to hear

17. Où il est question du spectacle


La metteur en scène : Sacré personnage, hein ?
J-C : Tu fais un spectacle sur ?
La metteur en scène : Bolando.
J-C : il est au courant ?
La metteur en scène : Sais pas. Mais je vais le
contacter.
J-C : Si tu chopes un rencard, mets-moi dans le convoi.
La metteur en scène : et qu'est-ce que tu feras ? Salut
Bolando, moi c'est J-C et voilà mon poing dans la
gueule ?
J-C : A peu près ça, à mon avis il connaît mon nom.
La metteur en scène : Pourquoi tant de violence ?
J-C : Ma femme a disparu à bord de son train et y a pas
moyen de chercher le comment du pourquoi, peut-être
que c'est pas lui directement, c'est même certainement
pas lui, lui rien à foutre d'une larve parmi tant d'autres
qui casse les couilles à chercher sa chérie dans une botte
de foin, mais ses sbires me lâchent pas d'un iota et avec
ces attentats y a des consignes de sécurité à la con.
Pourquoi tu fais un spectacle sur lui ? C'est un bon sujet,
c'est ça ?

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La metteur en scène : On peut dire ça. il m'intrigue.


J-C : et quel est le rapport…
La metteur en scène : Avec la plaine des orpailleurs ?
Les chemins de fer vont se déployer dans toute cette
région. faut bien les transporter, ces minerais ! Y a
essentiellement des mines artisanales, mais aussi des
mines industrielles qui se mettent en place… C'est là où
il est fort, Bolando, il n'attend pas que les mines existent
pour faire le chemin de fer, il construit le chemin de fer
en prévoyant que la ligne permettra aux projets miniers
de se développer. et y a pas que l'or dans la région, y a
le manganèse, du nickel, du plomb et plein d'autres
trucs. et après les transports, c'est pas exclu que Bolando
s'intéresse au secteur minier. C'est son prochain coup.
Avoir le monopole du transport le met en bonne position
pour prendre le contrôle des biens à transporter. On peut
dire ce qu'on veut, c'est sa force, il le dit lui-même, sa
méthode, c'est plutôt commando que armée régulière : il
essaie, il rate, il répare. et il a l'appétit gros comme un
train qui roule sans frein. Le seul truc, c'est que la région
n'est pas très sûre, avec les attaques djihadistes. Tu viens
avec nous ?
J-C : Non. J'ai d'autres barbes à fouetter.

18. Changement de cap


J-C est seul, épuisé, il somnole. Dans une chambre
d'hôtel peut-être, ou ailleurs. Peu importe, il est seul.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc lui apparaît.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Va avec eux.
J-C : Jeanne !
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Chut. Tu sais
comme j'aime t'entendre parler, raisonner, voir ton
regard sur les choses, les êtres, mais là, je n'ai pas le
temps, juste l'instant de quelques phrases et je
disparaîtrai, alors laisse-moi parler, ce que j'ai à dire, il
faut que tu l'entendes, je peux parler ?

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J-C : Mais Jeanne, je…


Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : ecoute, va
avec eux. Arrivé à Al Qaïda, prends par là, tu verras, tu
comprendras vite que par là, tu t'enfonces plus que tu ne
marches au coeur des ténèbres et pendant longtemps tu
t'enfonceras et quand il te semblera être arrivé au bout de
tout, que le moindre pas de plus est un effort
incommensurable au-delà de toute équivoque, sonde les
ombres autour de toi, tu apercevras le maquis LSC, chez
DJ el hadj Boum Boom, derrière rail, ne traîne pas,
entre - tout le monde ici sait que quiconque voit le
maquis et n'en franchit pas aussitôt la porte disparaît,
sans laisser trace, si ce n'est dans le fracas des vents
obscurs qui sentent le chanvre et la plainte des disparus
- entre et va au comptoir, ne commande rien, Mortelle
Chonchon, la patronne, n'y sert depuis la nuit des temps
que le même breuvage, le fameux sodabi - tu connais ?
sinon, va revoir tes classiques, Tutuola et Dongala ont
pondu une sacrée littérature sur les vertus du sodabi -
mais du pur, la patronne n'en verse qu'aux esprits des
ancêtres sous prétexte qu'il faut avoir les pieds sous terre
pour en supporter la teneur d'alcool, tu verras qu'au
comptoir t'attendent un verre et une bouteille de sodabi
arrangé au gingembre ou à l'ananas, ou à la papaye, noix
de coco, fonio, mil, noix de cola, piment, crapaud,
criquet, anis, mangue, bois bandé, bissap, corossol,
bougainvillier, tamarin, combava, ochata, éfio, afiti,
soumbala, arrangé aux condoléances du verre et de la
bouteille que tu ne toucheras pas - sous peine que la
foule bagarrante du maquis ne t'embrase un collier de
pneu au cou - tant que la patronne occupée ailleurs ne
vienne elle-même au bout d'un temps qui te paraîtra
inépuisable te lancer la formule consacrée à tout buveur
de sodabi "Tue-toi toi-même", alors seulement tu
pourras te servir et finir la bouteille cul sec après cul sec
sans y laisser la moindre goutte, quelqu'un passera
essorer verre et bouteille et toute trace résiduelle d'alcool
vaut au buveur une mise en vente en pièces détachées de
ses organes au marché noir. Dans la foule des habitué-es
- bandes de loubards aux muscles OGM, brochettes de
fillettes sevrées au sperme de clients de toute engeance,

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repris de justice à vie, friperie d'humanité dernière main,


fumeurs de tout poil, coupeurs de gorges, de routes, de
clitoris, trafiquants sans frontières, commissaires des
expositions vaginales, prophètes des épîtres aux cons,
barbouzes de la troisième guerre, chérubins déchus,
fabricants de couleuvres, commissionnaires d'etat en
mission top secrètes, djihadistes aux barbes déguisées en
chapelet alcoolique, pasteurs en mal de mauvais esprits,
phacochères à têtes d'agoutis, homos sapiens moisis - y
en aura qui essayeront de se faire passer pour la
patronne, quelle que soit l'étendue de ton impatience, ne
tombe pas dans le piège, sinon t'es cramé.
J'ai fini. Maintenant je vais disparaître.
J-C : Attends.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Je n'arrive
pas à disparaître.
J-C : Mais t'as déjà disparu, le train a déraillé, ça a fait
des morts, des blessés, mais toi, t'as disparu avant le
déraillement, c'est ça, oui ? Ça fait des mois que… Mais
à qui est-ce que je parle ? Je délire, c'est ça ?
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : J'ai disparu ?
Alors c'est pour ça que je ne peux plus disparaître ?? Je
comprends mieux. Au revoir. (Elle s'en va)

19. En route !
A la gare routière.
Le fou en diamant amniotique : Alors, t'as changé
d'avis ?
J-C : Ça te dit quelque chose, DJ el hadj Boum Boom,
Mortelle Chonchon, le maquis LSC…
Le fou en diamant amniotique : Le Sans Caleçon ?
Putain, t'es cochon toi ! Comment tu connais ça, t'en sais
des choses finalement, oh le cochon, dis-moi.
J-C : C'est confus, Jeanne, ma femme…

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Le fou en diamant amniotique : Jeanne d'Arc est là-


bas ? C'est cramé, mec, oh là là purée ! Le Sans Caleçon.
Dans le coin le plus sinistrement reculé, quatre planches,
un toit, du sodabi, des bières, un bar quoi, mais les
serveuses aux culs à damner Jésus servent les clients
complètement à poil, se frottent à eux si bien qu'elles ont
siphonné toute la clientèle de Verre cassé, l'ancien et
unique bar. Au Sans Caleçon, l'alcool est plus cher, on y
met le prix. Qu'elle y bosse ou qu'elle y boive, ta femme
est cramée.
J-C : elle est enceinte…
Le fou en diamant amniotique : …de huit mois.
J-C : Comment tu le sais ? Les esprits t'ont…
Le fou en diamant amniotique : Y a qu'à voir ton
ventre. Mais c'est peut-être que la bière. en route !

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Neuvième mois
20. La fin de l'histoire
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Donc tu vois,
les fers en haut, là où on doit placer les bagages, le chef
de train et la sécurité vendent ça aux commerçantes pour
leurs marchandises. Du coup les passagers qui ont payé
leur transport, qui doivent être libres, qui doivent être
heureux, parce que si tu payes quelque chose, c'est pour
être heureux ! On ne peut pas dépenser et puis être
malheureux, c'est pas possible. en bas aussi les
commerçantes foutent leurs marchandises, leur attièké,
du coup tu es suspendu comme ça. Donc y avait une
femme qui avait un bébé, elle ne savait pas où mettre son
sac, elle l'a jeté dans l'allée centrale, parce qu'elle était
fatiguée, elle a un bébé qui crie, il fait chaud, alors que
la place coûte 25 000, elle n'a pas ramassé, tu penses, 25
000 c'est quelque chose. Donc l'agent de sécurité vient :
"eh madame, prends ta valise !" La femme dit : "Mais
où je mets ? Nous sommes cernés en haut, en bas,
partout. Je sais pas où mettre, donc débrouille-toi
comme tu veux." Du coup, lui, insolent qu'il est, il dit
qu'elle lui a mal parlé. Donc il part appeler le chef de
train. Le chef de train aussi qui est bête, excuse-moi, oui
très bête, il vient : "Madame, si vous ne prenez pas votre
valise, je vais la jeter !" Là, j'ai piqué une crise, je ne te
mens même pas, je me suis levée, j'ai dit : On n'a qu'à se
respecter. Les étagères sont faites pour les passagers.
Nous les commerçantes, on a le wagon collecteur. Les
êtres humains sont faits pour s'asseoir, mais vous avez
vendu les places aux commerçantes, la dame, son bébé
pleure parce que c'est un bébé, lui ne comprend pas, il a
chaud, il pleure. Qu'est-ce que tu veux qu'elle fasse ? il
est là bêtement, il me dit : "Tu sais comment le train
fonctionne ?" Je dis : Depuis que je suis dans le train, je
vous regarde faire, mais vous êtes malhonnêtes. Les
marchandises, clandestinement embarquées au vu et au
su de tout le monde, dans les étagères, les allées, les
couloirs, entre les carrés de siège, les dessous de siège,
jusque dans les toilettes, pour pisser ou chier, il faut
attendre le prochain petit arrêt en gare. Les gens payent

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cher leur place mais ils voyagent avec leurs affaires sur
les genoux. Si vous voulez que je vous dénonce, je vais
vous dénoncer, mais la meilleure des solutions, tu n'as
qu'à chercher place pour sa valise. Tu l'effrayes, elle, elle
connaît pas, c'est la première fois qu'elle prend le train,
tu l'effrayes pourquoi ? il a compris que c'était gâté. Du
coup, ils ont enlevé les attiéké, les peaux de boeufs, les
tissus… et ils ont placé la valise de la dame. Tu vois, elle
autre, elle voulait prendre la première classe, mais il n'y
avait plus de place mais elle devait aller au Pays des
hommes intègres pour le mariage de son frère. elle
venait du Pays des hommes flambeurs. Dans le train,
arrivée à Dembokro, son bébé est malade. Quand on a
dépassé Dembokro, le temps d'arriver à Bouaké, ça s'est
aggravé. Le bébé était devenu rose, il était brûlant. La
mère lui donnait des médicaments mais ça n'arrivait pas
à faire baisser la fièvre. Moi, j'ai eu peur.
… Quoi ?… Je suis au téléphone !… Je vais raccrocher
pourquoi ?… Non, je ne descends pas, tu es malade ou
quoi ?…
Donc, j'ai mouillé ma serviette, on a emballé l'enfant, le
temps d'arriver à Bouaké, on en avait pour quatre heures.
Les commerçantes à côté de moi me disaient : "Non, ne
t'occupe pas d'elle, tu ne la connais pas." Ça m'a
choquée.  Je leur ai dit : imaginez-vous, si l'enfant
meurt, vous pensez que moi je vais pouvoir vivre avec,
en sachant que je pouvais faire quelque chose et je n'ai
pas fait ? Donc arrivée à Bouaké, j'ai vu le chef de gare,
je lui ai dit : Tu sais, moi j'ai mes marchandises dans le
train, mais j'ai ma voisine qui a son enfant malade, donc
nous on part à la pharmacie ou bien à l'hôpital. Le chef
de gare m'a dit : "Bon, si vous ne revenez pas à temps,
le train part sans vous." J'ai dit : Y a pas de problème,
c'est normal, c'est pas pour deux personnes que le train
va attendre. A la pharmacie, il y avait un médecin qui a
soigné l'enfant. J'étais heureuse. franchement, modestie
mise à part, je suis fière de moi. Je me dis que j'ai sauvé
une vie. De retour à la gare, c'était bien, le train avait
cinq minutes de retard.

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21. Al Qaïda
Après un mois de séjour à Al Qaïda, J-C semble en proie
à une grande agitation.
J-C : Al Qaïda, au Sans Caleçon, les serveuses ont entre
13 et 14 ans, la fenêtre de tir est étroite, à la période de
pluie, les éboulements déciment des équipes entières, les
morts se comptent par dizaines, le décompte macabre
n'arrête pas la cadence, il faut continuer, descendre dans
les crevasses, creuser, concasser, libérer l'or, il y a plus
de cailloux que d'or, 14 ans, l'âge requis pour descendre
dans la mine, cent mètres de profondeur, il fait chaud,
c'est l'enfer, vous creusez, vous sentez la chose au bout,
vous creusez, seule la mort vous arrête,
momentanément, vous pleurez vos morts, les morts
déclarés, les morts dissimulés, accidents camouflés
"faut pas que les gendarmes s'en mêlent." Vous priez,
mais Dieu n'entend pas vos bruissements, perso je ne
crois pas en lui mais vos actes sont encore plus
mécréants que moi, vous désolez l'espace, votre
quotidien est dantesque, vous vous empiffrez de
mercure, d'acides, de cyanure, vous vous abasourdissez
comme étrangers à votre sort, vous n'épargnez ni vos
organes vitaux, ni vos poumons
Le fou en diamant amniotique : Tu peux parler, toi, t'as
vu tout ce que tu fumes ?
J-C : …ni votre système nerveux, ni vos filles, vos
enfants, vous les livrez à la poussière, à la tuberculose,
aux bronchites, aux pneumopathies, à la cocaïne,
cannabis, amphétamine, anti-douleur, anti-fatigue, anti-
désertion, anti-palu, missile, booster, Tramadol 120
Le fou en diamant amniotique : Arrête de gueuler
comme une hyène, ça attire les mauvais esprits, crois-
moi, c'est pas une mince affaire d'être possédé !
J-C : …vous avez délaissé vos terres, vos cultures
mangées par le réchauffement climatique, vous avez fui
la misère, mais sur cette terre vous apportez plus de
misère, vous la contaminez, les nappes d'eaux vives, les
dons de la vie, vous les réduisez en abomination, vous

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avez oublié le combat de Thomas Sankara, vous avez


troqué sa gloire pour le futile, vous prenez pour
inévitable l'inacceptable, et nécessaire ce qui est
révoltant, vous dévastez les bois, confectionnez des
hangars, des galeries, colonnes efflanquées de mines
moyenâgeuses, sous vos mains avides la terre est tohu-
bohu et les ciels sans lumière, les plaines se convulsent,
les sols s'effondrent, l'humain est mort, les charognards
errent à l'affût du reste, vous êtes la charogne, vous êtes
la nourriture des vautours, pénétrez ce que vous avez
fait, la mer a le sable pour limite, ses flots vacillent, ses
vagues se bouleversent, mais elle ne la transgresse pas,
mais vous, votre misère, vos élans criminels, vos espoirs
écervelés n'ont aucune frontière, vous vous piégez
comme de vulgaires poulets bons à braiser avec de l'ail
frais, telle une cage pleine de volatiles, vos maisons sont
pleines de duperie, vos jugements ne triomphent pas
pour l'orphelin, ni l'étranger, le démuni, le petit
travailleur, la petite prostituée, blêmissez-vous devant
cette abomination ?
La metteur en scène (à J-C) : Je comprends que ça te
révulse, un jour ici ça retourne, alors un mois… Tes
photos sur instagram, pour alerter la toile, pour
témoigner, je comprends, mais c'est vraiment pas le
moment de se mettre à dos les gens, parce qu'à force, ils
ont peur que les gendarmes ne débarquent, ne saisissent
leurs matériels, ne rasent tout, ne foutent un gros coup
de pied dans cette anarchie au bénéfice des mines
industrielles, et ce sera encore les géants, les Bolando et
autres qui vont en profiter tandis que ces gens, sans
diplômes, ils peuvent toujours aller se faire tourner les
pouces ailleurs ! Tu peux comprendre ça ? Des milliers
de kilomètres pour venir ici, ils ne peuvent plus reculer
et puis tout n'est pas si noir, l'orpaillage fait venir du
monde dans ce coin démuni, bientôt, peut-être, une ville
ici, oui, avec biens et sévices, heu, services, regarde, y a
des gens qui arrivent même à transformer ces horribles
sacs plastiques en beaux sacs à main…
J-C : …non ! même de blêmissement vous ne blêmissez
pas, l'opprobre, vous ne connaissez pas, tout est triche,

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tout frère triche, tout compagnon calomnie, la vérité,


vous la fuyez, vous avez enseigné à vos langues le
mensonge, elles s'épuisent en contorsions, et dans la
duperie vous vous aveuglez, du petit jusqu'au grand,
tous, vous exploitez, vous exploitez, bagarres,
règlements de compte, vous avez rempli ce lieu du sang
des innocents, sur quoi vous vous grandissez et vous
vous enrichissez, aussi vous tomberez avec ceux qui
tombent, la voix de l'exultation, la voix de la joie, la voix
de l'époux, la voix de l'épouse, la voix des meules et la
lumière de la lampe, vous la perdrez, qu'avez-vous fait
de Jeanne ?
Le fou en diamant amniotique : Je te le redis, elle n'est
pas venue ici, personne ne l'a vue, ceux qui prétendent le
contraire sont des menteurs, ils jouent du pipeau pour te
faire cracher tes sous !
J-C : …pour quelques grammes d'or, des quatre coins du
globe, venez, profitez de l'incontrôlable ruée ! vous
puez, combien de jours n'ont pas vu l'eau sur vos corps ?
taisez-vous, soldats d'or, soldats sauvages, face à la
brûlure de l'harmattan, face à la brûlure de la narine, le
mercure, volatile, abandonne l'or, comme un lionceau
son hallier, abandonne la terre à la désolation, cette terre,
cette désolation, ce désert asservi à De Beers, Monsanto,
Bolando et à tous les samaritains du grand capital, cette
ruine, je fais venir contre elle toutes mes paroles, tout
l'écrit de cet acte, de cette coupe du vin de fièvre, cette
coupe de l'injustice, abreuvez-vous, buvez, titubez,
délirez vos faces face à l'épée, prenez la coupe, asservis
des samaritains, abreuvez-vous
La metteur en scène : Laisse tomber, viens boire un
coup. C'est des malades ! Putain, ils ne se sont pas farcis
pour trouver des noms à leurs bières locales : Guest-à-
pot, Bacmil. Moi, ma préférée : Colo haram. Santé ?
J-C : …malheur à celui qui bâtit sa maison sur
l'injustice, et ses chambres sur l'iniquité, qui fait
travailler son prochain sans le payer, qui dit "Je me
bâtirai une maison vaste, et des chambres spacieuses !"
et qui s'y fait percer des fenêtres, la lambrisse de l'ébène,

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la peint de couleur rouge, sur cette terre dévouée à


l'interdit, objet de désolation et de moquerie, que chacun
se tienne en garde contre son ami ! et qu'on ne se fie à
aucun de ses frères ! car tout frère cherche à tromper, et
tout ami répand des calomnies ! buvez, enivrez-vous et
vomissez, tombez et ne vous relevez pas, face à l'épée
envoyée parmi vous, buvez, buvez, oui, voici, la terre
sur laquelle mon nom est crié, moi-même je commence
à méfaire, et vous, seriez-vous innocentés, innocentés ?
vous ne serez pas innocentés, oui, je convoque l'épée
contre tous les habitants de cette terre, je rugis, du logis
de mon sanctuaire je donne de ma voix, je rugis, je rugis
contre cet oasis : "hourra !" oui, c'est ma dispute contre
les nations, je juge moi-même toute chair : coupables, je
les donne à l'épée, harangue de Adonaï, ainsi parle le
Seigneur !
Le fou en diamant amniotique (à La metteur en
scène) : Je te l'avais dit : pourquoi tu l'as amené voir ce
pasteur ? (A J-C) et toi, je t'avais prévenu : garde-toi de
boire le sodabi de cette empoisonneuse de Mortelle
Chonchon, ça fout un délire de palu ! C'est bon, tu t'es
calmé la gâchette ?
J-C : …le malheur sort de nation en nation
Le fou en diamant amniotique : Ta gueule !
J-C : …la grande tempête, en ce jour, s'éveille des confins
de la terre, en ce jour, les victimes seront des confins de la
terre aux confins de la terre, elles ne seront pas lamentées,
elles ne seront pas réunies, elles ne seront pas ensevelies,
elles seront du fumier sur les faces de l'argile, pas un
homme ne regrette sa malfaisance pour dire "Qu'ai-je
fait ?" Pourquoi la route des criminels triomphe-t-elle ?
elle s'enracine et porte même des fruits !
Le fou en diamant amniotique (aux gens) : Pas de bile,
c'est pas contre vous, il répète un spectacle, oui, c'est un
acteur, un grand acteur et elle, lui, c'est le metteur en
scène. ils sont connus. Ce sont des stars. (Bas à J-C et
La metteur en scène) Déguerpissons ! Marchez comme
des stars.

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J-C : …j'examine mon coeur avec moi "Maudit soit le


jour où je fus enfanté ! honni soit le médecin qui délivra
ma mère de ses douleurs, lui qui ne m'a pas mis à mort
dès la matrice, ou que ma mère soit mon sépulcre, et sa
matrice grosse en pérennité ! Pourquoi suis-je sorti de
son ventre ? Pour voir le labeur, l'affliction, où mes jours
s'achèvent dans le blêmissement." Désolez-vous, ciels,
sur ceci, soyez horrifiés, desséchez-vous fort, me voici
en vos mains, traitez-moi comme bon vous semble, mais
sachez-le, si vous me mettez à mort, vous chargez un
sang innocent sur vous, sur cette terre et ses habitants, je
vous parle de bouche à bouche et d'yeux à yeux, malheur
à...
Le fou en diamant amniotique (aux gens) : On
l'applaudit ! Bravo ! Bravo ! (Bas à J-C et La metteur en
scène) faut quitter ça tout de suite !

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Quatorzième, quinzième, etc. mois


22. Conciliabules
J-C : "il fallait prévoir que les Arabes déverseraient leur
trop plein de pétrodollars en Occident plutôt que d'aider
l'Afrique à sortir de sa misère. ils oublient que tout le
monde doit chier." il a vraiment dit cela, Norbert
Zongo ?
La famille de Jeanne d'Arc : Ce n'est pas bien ce que
tu racontes.
J-C : Quoi ?
La famille de Jeanne d'Arc : Ce n'est pas bien.
J-C : Que les Arabes…
La famille de Jeanne d'Arc : Qu'elle a disparu avant
l'accident.
Ce n'est pas bien.
On ne cherche pas l'argent.
On ne cherche pas.
On comprend ta douleur.
On comprend.
Tu en as la preuve ?
J-C : La preuve, vous l'avez, vous avez écouté
l'enregistrement.
La famille de Jeanne d'Arc : il se coupe on ne sait où
sur la ligne Ouaga-Abidjan, une année déjà que tu la
parcours, t'as connu la prison, la rue, la faim, tu erres
comme un chien galeux en compagnie d'un fou qui parle
tout le temps et t'as pris cette sale manie. Tu connais
l'histoire de ton fou ? Un ancien mécanicien, ajusteur
réparateur licencié par ajustement structurel. il avait
donné toute sa vie au chemin de fer et du jour au
lendemain, compressé, il en a été ébahi et tant
d'ébahissement soudain l'a rendu dingue. D'autres dans
son cas ont préféré se donner la mort, et nombre de ceux
qui ont choisi de vivre malgré tout se retrouvent au
dolorie, de beuverie en beuverie, pour noyer le destin
dans les calebasses bon marché. Vu l'état de

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croupissement de certains ajustés, on se demande qui


des vivants ou des morts ont fait le bon choix. C'est avec
ce chien qui, tout le monde le sait, chie dans les gares,
est-ce pour protester contre son ajustement, un dernier
geste lucide qui lui resterait, ou est-ce de la folie de chier
en pleine gare, va savoir. Toi, ce qui te porte à dérailler,
on le sait, c'est l'espoir de la retrouver, au début tu ne
voulais pas de cet enfant, Jeanne nous a raconté, tu
disais à quoi bon faire un enfant dans un monde si
moche, avec tous les mioches qui traînent déjà ci et là, à
quoi bon quand l'avenir paraît si infertile qu'on ne sait
comment outiller sa descendance, tu te posais mille
questions, tu cherches ta route, on sait que le fou t'a
amené voir un charlatan, on sait ce qu'il t'a dit : "Ta
grossesse arrivera à terme quand tu auras retrouvé ton
enfant." On sait, c'est horrible d'admettre la vérité,
l'espoir te tient, mais l'espoir est une arme de soumission
massive, qu'il se trouve entre les mains des puissants ou
au coeur des gens. repose-toi, ton corps te le demande,
quinze mois déjà que t'es enceint, repose-toi, laisse-nous
prendre soin de toi, en mémoire de notre soeur, notre
fille, notre tante, notre cousine, notre mère. On sait que
t'as été du côté des mines, tu furètes à l'affût de tout. Des
gens haut placés te soupçonnent d'espionnage pour le
compte des Chinois. Ton histoire de metteur en scène
qui ferait un spectacle sur Bolando comme tu le dis, ou
sur un fou comme le dit le fou, ça ne tient pas. et toi,
qu'est-ce que tu veux dire sur M. Bolando ? M. Bolando
fait de bonnes choses par ici, et pour l'accident, il a
présenté des excuses, il a licencié son fidèle
Benvengusto. il l'a licencié, qui l'aurait cru ? M.
Bolando est puissant, ne lui cherche pas des poux, il
pourrait te casser les reins et nous, nous devons faire le
deuil, organiser les funérailles, sinon les morts restent
hanter les vivants, laisse Jeanne d'Arc aller dans la
grande nuit, laisse-la se reposer. Le juge est prêt à nous
accorder le certificat de décès. Nous sommes venus te
supplier, demander encore une fois ton accord, le juge le
demande, il l'exige, il nous faut déclarer la mort de la
mère et de l'enfant. Donne-nous ton accord, laisse-nous
nous occuper de tout, ta mémoire est une passoire, tu

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passes et repasses aux mêmes endroits, tu revois les


mêmes gens, tu questionnes et requestionnes, tu soûles
tout le monde, tu vomis, tu enfles, t'as mal au ventre…
rentre te reposer, tu deviens fou.

23. Pendant ce temps, dans la rue


Le nouveau syndicaliste : L'international syndical est
mort ! entreprises de notre pays, unissons-nous ! Les
ouvriers étrangers sont nos concurrents, ils tirent les
salaires vers le bas, ils acceptent l'inacceptable,
truandent les conditions de travail, pondent des produits
honteusement concurrentiels ! faisons front avec nos
patrons, nos réels partenaires ! Ouate aux étrangers !
entre la grande politique et la petite gestion, la vastitude
du monde nous embrouille ! Pour toute question posée,
la réponse nous roule dans la farine. Dans cette paix à
fragmentation, même s'il arrive que nos patrons soient
aussi patrons des ouvriers étrangers dans leur pays, dans
notre pays ils défendent nos intérêts, tâchons de leur
faire comprendre que nous les comprenons ! Tous pour
un, un pour un ! Voici la nouvelle grammaire du pouvoir
à l'intention du monde : Article numéro 1 : vous avez des
droits que le pouvoir vous rappelle ! Article numéro 2 :
sachez les menaces qui planent sur vos velléités de
contestation ! Nous ne sommes comptables devant rien
si ce n'est notre ventre, et surtout pas devant l'histoire,
qu'on arrête de nous bassiner avec l'histoire, notre passé
est bref et sans gloire, nous ignorons notre avenir alors
précipitons-nous, les pieds dans le présent, la tête dans
l'espoir, la peur nous entrave car nous ne savons pas ce
qui nous effraie, alors avançons, nous verrons bien.
Tentons plus bien que mal de faire des pas dans la bonne
direction. On chemine doucement vers la catastrophe !
Le syndicaliste ancien : ils sont venus nous vendre la
bonne gouvernance ! Gouvernance, mon cul, un autre
mot pour dire démocratie corrompue !
Le nouveau syndicaliste : Voici la grammaire du
pouvoir : Article numéro 1 : vous avez des droits que
nous vous rappelons ! Article numéro 2 : sachez les

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menaces qui planent sur vos velléités de contestation !


et interrogez-vous sur l'image que vous donnez du pays.
ekon l'a dit : "A Los Angeles il y a plus de morts qu'en
irak, mais vous ne verrez cette information nulle part,
deux attaques terroristes au Kenya, la nouvelle se
répand, reprise, commentée, elle véhicule une image
négative et les gens ont peur d'aller au Kenya ou même
dans toute l'Afrique, aux etats-Unis, il y a eu plus de 250
000 attaques, mais nous ne sommes au courant que de
quatre ou cinq et l'Amérique demeure le meilleur endroit
où il fait bon vivre, la statue de la liberté où les rêves
prennent vie : "i have a dream !" Cherchez l'erreur,
camarades nouveaux !

24. Papa, raconte-moi une histoire (3)


Flashback.
Le roi des Gitans : Oui, Conception, ton frère dort,
qu'est-ce que tu veux ? Toi aussi une histoire ? Mais tu
les connais toutes, même celles que j'improvise. Ok, ok,
ok, il était une fois un géant qui pesait lourd sur le
marché du travail, pardon du capital. Avec 15 % des
actions, Le géant contrôlait 51 % de son groupe. Quel
était son secret ? Oui, ma chérie, Le géant utilisait le
système du Maître des gigognes, un système de poupées
russes que nous appelons, nous, système de pouliches
bretonnes, exact, chacune s'emboîte à moitié dans
l'autre, au sommet la plus fine, à la base la plus grosse
évidemment. Dans la classe du Maître des gigognes, le
meilleur élève, hussard Levoyou, avait poussé le
système à son rendement exponentiel. A la Bourse, dans
cette mare aux crocodiles, il était un requin redoutable.
Avec seulement 3 % des actions, il captive la majorité
absolue. hussard Levoyou avait un ami : Superman. Un
jour, il appelle Superman et lui dit : "Je n'ai plus de
dettes et j'ai du cash, il faut qu'on se voie." Superman
revendait sous cape des idées d'affaires qui rapportent
gros. Superman lui dit : "J'ai sondé les reins du géant. il
y a des failles exploitables, il craquera à la première
secousse." il faut la supervue de Superman pour y

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croire : le géant est trois fois plus grand que hussard


Levoyou qui, de son côté, avait déjà activé cinq sociétés
écrans, cinq petits chevaux de Troie, qui ont grignoté Le
géant dans la plus grande discrétion. il l'a vu, Le géant,
ses actions ont grimpé d'un coup, pas de quoi fouetter un
chat, il était sous-évalué et les investisseurs ont repris
confiance, c'est tout. La preuve, les actions sont passées
par cinq mains différentes. hussard Levoyou, lui, s'en
frotte les mains. Un jour, il appelle, et Le géant à
l'emploi du temps très chargé essaie de le botter en
touche, mais quand il lui dit : "C'est à propos de ton
capital", un créneau se libère tout de suite. héritier
Leplouc descend de sa tour de contrôle du géant et
accueille hussard Levoyou à ses pieds : "T'as pris
combien ? - 9 % de ton capital, prends-le comme une
participation amicale, j'adore Le géant, c'est mon groupe
mythique préféré."
héritier Leplouc fulmine, appelle ses amis, demande
conseil, se calme, appelle hussard Levoyou et lui dit
qu'il est ravi de l'accueillir avec un siège et pas plus au
conseil d'administration. Mais le lendemain de sa visite
au géant, hussard Levoyou reçoit deux coups de fil. Le
premier vient de Picsou, banque d'affaires américaine, le
second de Poulpe, groupement d'investisseurs européen.
ils lui proposent chacun la même chose : une association
pour faire un raid hostile sur Le géant. hussard Levoyou
réfléchit, s'il s'associe avec l'un ou l'autre de ces géants,
il n'aura que des miettes du festin, alors il avertit héritier
Leplouc et les choses s'accélèrent : face aux crocodiles
rôdant, héritier et hussard concluent un pacte pour
verrouiller le capital du géant et hussard Levoyou gagne
trois sièges au conseil d'administration. il ne peut rêver
mieux : le pacte met Le géant à sa portée. et Le géant est
propriétaire de la chaîne télévisée Première, grand
faiseur d'opinion, et ça, ça l'intéresse. Mais, pour ravir la
majorité, il lui faudrait encore quelques soutiens
sonnants et trébuchants. en attendant, hussard Levoyou
se mêle de tout, demande des comptes pour le moindre
truc à la con, assomme héritier Leplouc de courriers,
conteste les comptes d'activité, mène une OPA
psychologique. La guerre est déclarée. Chaque camp fait

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feu de toutes boules puantes sur son adversaire, le


torchon brûle sur tous les continents. en Afrique héritier
Leplouc et hussard Levoyou pourraient siéger au
conseil des ministres de certains pays ou même prendre
la tête des gouvernements, une bonne part de l'économie
est dans leurs mains. Mais la guerre éclair s'enlise en une
guerre de tranchées. héritier Leplouc est moins plouc
qu'il n'y paraît, et le tandem hussard-Superman commet
maladresse sur maladresse, se met très vite la place
financière à dos : leur sans-gêne déplaît, leur audace
effraie. "Le vaudeville doit cesser !", tonne
l'establishment financier qui suggère à hussard Levoyou
une somptueuse porte de sortie : revendre ses actions,
empocher une grosse plus-value, et...
Un milliard et demi en poche, blessé dans son amour-
propre, hussard Levoyou sait maintenant comment s'y
prendre pour captiver un fief dans l'audiovisuel. Sa
prochaine revanche sera éclatante. Oui, ma chérie, la
meilleure école c'est l'échec et la réussite peut rendre
sacrément con.
Bonne nuit, Conception, bonne nuit, incarnation, brave
petit, il dort déjà, dors tranquille, inca, mes enfants
dormez, prenez des forces, dans quarante ans, je serai à
la retraite, l'empire vous reviendra, n'ayez crainte,
entièrement. Je ne ferai pas de vous des génériques
pilotés par moi, les génériques ont de beaux jours en
pharmacie, mais pour ce qui est des personnalités
publiques, on voit ce que ça donne : Nicolas hulot-eva
Joly, DSK-hollande, Bush-Sarko, Sarko-Valls, Jean-
Marie-Marine, Marchais-Mélenchon, Paul Biya-Paul
Biya… Mes enfants, mes petits trésors, vous serez
d'autant plus libres que je vous transmettrai un empire
hissé à son plus haut cran. Dors, inca, papa et maman
t'ont épargné la plus grande peur des héritiers : le déluge
familial dans la course au pouvoir. Au Pays des hommes
intègres, Blaise Compaoré a dû rectifier son frère
Thomas Sankara, j'ai eu beaucoup de chagrin à me
séparer de votre oncle, t'auras pas ce problème, inca, t'as
une soeur, papa et maman ont bien travaillé. Ceptio
veille sur ton frère, vaille que vaille, et si en veillant tu

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pèches, t'en fais pas, y a la confesse. Sois à genou devant


Dieu et debout devant les hommes. Mon temps est
compté. Non, je ne suis pas malade. Vois-tu, l'histoire est
un assemblage où chaque maillon joue sa part et se
retire. Vaut mieux quitter la scène avant que la rouille ne
corrompe, si grande soit la tentation de perdurer. La
famille est une belle chaîne, elle évite les pertes dans les
courroies de transmission. Les temps à venir seront
rudes. et le monde continuera à être beau et pourri, sale
et limpide, tout passe, seule demeure la famille.

25. Retour au studio


Au Pays des hommes flambeurs.
Jean Michel : La nouvelle fait grand bruit : invités aux
prochains jeux de la francophonie qui se déroulent à
Abidjan, six artistes français n'ont pu obtenir leur visa.
Dans quelques villes africaines des scènes de liesse
populaire ont suivi l'annonce. Je suis avec madame la
ministre des affaires étrangères du Pays des hommes
flambeurs. Bonjour Madame la ministre.
La ministre des affaires étrangères : Bonjour.
Jean Michel : est-ce qu'on peut parler d'une politique
de réciprocité ?
La ministre des affaires étrangères : Pas du tout, il ne
s'agit pas de rendre la monnaie de je ne sais quelle pièce.
Nous suivons une logique que le Pays des hommes
cocorico a eu la présence d'esprit d'appliquer depuis
belle lurette. Les artistes qui n'ont pas eu leur visa
présentent des profils à risque. Notre service consulaire
a estimé qu'ils n'ont pas fourni la preuve qu'ils
retourneront dans leur pays une fois les jeux terminés.
Jean Michel : Selon des rumeurs persistantes, M.
Bolando qui, comme tout le monde le sait, est un gros
partenaire de cette édition des jeux de la francophonie,
s'apprêterait, par mesure de représailles, à retirer ses
billes.

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La ministre des affaires étrangères : ecoutez, je ne


m'occupe pas des rumeurs. Le consulat d'un pays
souverain a pris une décision, je ne vois pas pourquoi
vous voulez faire jouer à M. Bolando un rôle de
gendarme dans cette affaire.
Jean Michel : Parmi les artistes, il y a ce cas étonnant
d'une équipe où certains membres ont eu leur visa alors
que d'autres, non, c'est absurde !
La ministre des affaires étrangères : Là encore, je ne
vois rien de nouveau sous le soleil.
Jean Michel : Je vous remercie, Madame la ministre.
La ministre des affaires étrangères : C'est moi qui
vous remercie.
Jean Michel : en banlieue parisienne, du côté du quai
de Dion-Bouton, aucun commentaire n'a encore filtré,
même si les réunions de crise s'enchaînent au groupe
Bolando. incarnation Bolando serait en liaison directe
avec le management de La Blue buckle. Prudence de
sioux donc du côté de Bolando, l'on préfère laisser la
filiale du groupe en première ligne. Les Spins Doctors
qui avaient orchestré une communication millimétrée au
printemps dernier lors de l'adoubement de incarnation
estiment donc qu'il est urgent d'attendre. Avant de
nommer son fils à la tête de cette activité, Bolando avait
dû se séparer de Archange Benvengusto, ex-
commissaire, ex-préfet, ex-patron de la section d'élite de
la police, ex-haut responsable des services secrets, ex-
chef de cabinet, ex-ministre de la coopération, ex-
conseiller de différents groupes, ex-conseiller de
différents présidents de la république, âgé de 147 ans
dont plusieurs décennies passées au service du groupe.
incarnation Bolando doit donc faire la démonstration de
la justesse du choix de son père, et s'affranchir à la
faveur de cette crise de l'étiquette d'héritier qui lui colle
inévitablement à la peau. Toutefois, il doit d'abord faire
face à un paradoxe : bien que réputé talentueux, il ne
dispose pas de la proximité dont jouit son père avec les
principaux donneurs d'ordre sur le terrain, et notamment

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la présidence. Or, s'il venait à lui demander d'intervenir,


il se fragiliserait aussitôt auprès de ses troupes. Jean
Michel, La patrie ou la mort !

26. Loch Ness


Dans le Loch Ness, la demeure familiale des Bolando.
Le roi des Gitans : il faisait beau, hier, ça rend les gens
gais, dès qu'il fait chaud, ils réalisent que c'est l'été,
parce que le reste du temps, quel été, mon Dieu ! en soi,
la guillotine n'est pas une mauvaise chose. On coupe la
tête, tout le reste est préservé, prêt pour un nouveau
départ, pourvu que la nouvelle tête apporte des idées, du
frais, de quoi faire un grand pas, devraient comprendre
ça, les journalistes ! Moi, je ne suis pas un prix Nobel,
mais je sais faire du business ! Vu ce qu'on a déjà casqué
pour la purge du bébé, 100 millions ! La rentrée
s'annonce, ils reviennent m'emmerder, bronzés comme
des cacas, comme dirait Cyranou, voilà un animateur
fidèle et quel génie de la télé, lui, quel artiste sublime !
Les journalistes, avec leurs grèves à foison, me coûtent
cher en liberté d'expression. il me faudrait des mimes
pour les remplacer. Penser à demander à la metteur en
scène qui fait un spectacle sur moi.
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : Un saint au sein des seins : Qui suis-je ? Jésus.
et un sein au sein des saints ? Je ne sais pas si ça marche,
ma blague, en ces temps de disette, rire à tout prix est le
nouvel opium du peuple, faudrait que je me rode.
Le roi des Gitans : Pardon ? Mais qui êtes-vous ?
Comment êtes-vous rentré-e ici, chez moi ?
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : Votre appétit est gros, c'est peut-être chez
vous, mais avant tout, nous sommes sur scène et la
scène, comme le monde, est à tout le monde et moi je
viens du pays des Porteurs de couilles où chaque
habitant porte des couilles d'éléphant entre les jambes.
Le roi des Gitans : Ça ne se voit pas.

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Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de


couilles : C'est tout notre art, dissimuler des couilles
d'éléphant.
Le roi des Gitans : et à part ça, vous faites quoi ?
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : rien, ça prend du temps tout ça.
Le roi des Gitans : Vous pourriez peut-être m'aider.
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : A quoi ?
Le roi des Gitans : A dissimuler mes dettes et quelques
morts.
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : Nous traitons des couilles et non des dettes ou
des morts. Adressez-vous à la SPA.
Le roi des Gitans : La SPA s'occupe plutôt des animaux,
non ?
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : C'est tout à fait ce que je dis.
Le roi des Gitans : Comment osez-vous ?
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : Avec des couilles d'éléphant.
Le roi des Gitans : Vous maniez un humour caustique,
imparfait ou non, c'est une arme en devenir, or le temps
est au désarmement, je faisais justement mon nègre, je
m'écrivais un discours pour appeler tout le monde à
oeuvrer pour la paix, en gros qu'il faut nous désarmer, et
puisqu'il faut bien qu'il y en ait un qui siffle la partie, je
veux bien garder le sifflet, que serait un western sans
shérif ? Je serai un bon shérif, j'en suis certain, avant
l'Afrique, je ne m'étais jamais sali les mains. On peut me
reprocher bien des choses, quelques poignards dans le
dos, après tout c'est le b.a-ba des affaires. en Afrique,
c'est tellement sans foi ni loi, les démons qui tenaillent
tout être humain y trouvent un tel boulevard qu'il y est
difficile même aux hommes de bonne volonté de ne pas

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se salir les mains. Je voudrais dire que je regrette


profondément notre gestion du déraillement, mais j'ai
tellement menti que ma parole, comme celle d'un roi
interdit d'adresse publique, a besoin d'un porte-parole
pour être entendue. C'est le ciel qui vous envoie avec
vos couilles d'éléphant, voulez-vous être ma nouvelle
voix ?

27. Dernier retour au studio


Jean Michel : revenons à la vidéo qui circule
actuellement sur les réseaux sociaux, la question que
tout le monde se pose : s'il s'agit bien de lui sur la vidéo,
où le fils Bolando a-t-il été enlevé ? Selon toute
configuration, la seule thèse que retiennent les experts,
ce serait au voisinage de la partie chinoise du chemin de
fer. Que chercherait-il là-bas ? il est évident qu'à l'heure
actuelle, M. Bolando déploie ses puissants moyens
logistiques pour retrouver son fils, même si certains lui
reprochent de consacrer encore la majeure partie de son
temps à la gestion de ses affaires. en attendant, la
disparition d'incarnation a entraîné la mise en avant de
sa soeur, Conception Bolando. Chères auditrices, chers
auditeurs, cette nuit vous retrouverez, vous, Charlotte
Ludvic pour la lecture en direct de Mein Kampf, bien sûr
je plaisante, la belle Charlotte nous lira plutôt Les
Misérables. Quoi ?… Pardon ?… On me signale que je
suis renvoyé, ma blague serait de trop. Mesdames et
Messieurs, c'était Jean Michel, La patrie ou la mort, je
rends l'antenne. Si M. Bolando pouvait m'entendre, sur
quelles actions me conseillerait-il d'investir ?
Le roi des Gitans : Oh, il y a une affaire épatante,
dirigée par un type qui s'appelle Bolando, c'est le
meilleur investissement possible. Plus sérieusement,
écoutez... bon !... Que dire ? Quel sens donner à tout ça ?
hier, j'étais un père heureux, aujourd'hui, je suis... La
définition de ce que nous sommes est mouvement, pas
de côté, retour en arrière, marche avant accélérée,
dégagement, surplace, envolée, chute. C'est pourquoi
nous aimons ce que nous n'aimions pas, ou nous

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n'aimons plus ce que nous avons aimé, pourquoi nous


allons dans une direction pour aller dans une autre,
pourquoi nous nous retournons pour voir autre chose
que ce que nous avions vu, pourquoi nous nous haussons
sur la pointe des pieds pour ne rien voir du futur,
pourquoi tout compte fait nous sommes des bouffons
entrant toujours en scène au mauvais moment. et quand
il advient par exception que nous entrions au moment
adéquat, on peut être sûrs que le hasard y a mis du sien
en nous donnant le coup de pouce nécessaire. Mais tout
cela n'est pas triste, sinistre ou lugubre. Tragique oui,
comique oui, ou les deux à la fois, mais pas dépressif.
Sur fond de disparition individuelle et sur fond de
disparition collective, nous cherchons à vivre quand
même, à exister, dans une recherche d'adéquation à un
"soi-même" toujours en mouvement et toujours en
interaction avec le cours du monde.
Le "vivre quand même" est la colonne vertébrale de mon
théâtre. Je n'ai pas de goût pour l'annonce des
catastrophes et moins encore de la catastrophe finale.
elle est inévitable peut-être, en tout cas, au plan
personnel, c'est sûr. Le "vivre quand même" m'importe
plus que la proclamation du silence qui vient et je le
préfère aussi à la relance de la déploration fataliste sur
les illusions de la vie. Je ne suis pas sur un nuage occupé
à pseudo-philosopher sur la vanité de l'existence. Je ne
fais commerce ni du pessimisme ni de l'optimisme,
j'essaie juste de mettre en jeu le désir d'exister malgré
tout. Oui, malgré tout.
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : C'est tiré de L'écriture comme théâtre de Jean-
Marie Piemme.
Le roi des Gitans : Jean-Marie Piemme, oui j'allais le
dire.
Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de
couilles : Lansman editeur.
Le roi des Gitans : Claude Lanzmann.

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Un citoyen ou une citoyenne du Pays des porteurs de


couilles : Non, emile Lansman. Vous confondez avec le
cinéaste.
Le roi des Gitans : Ah, je ne connaissais pas alors, vous
m'en voyez ravi, je m'enrichis d'apprendre encore
quelque chose à mon âge.

28. Avant la prise de la parole (1)


Conception Bolando : Dans ce théâtre, je suis le dernier
personnage à avoir son moment. rassurez-vous, il sera
court. Je suis Conception Bolando, il ne reste qu'à
ajouter l'immaculée, pour que le tableau soit vierge de
toute souillure et prêt à accueillir en toute discrétion les
sauveurs du genre humain, l'homme. Je suis celle qu'on
n'attendait pas et qui apparaît comme un magicien tout
droit sorti d'un chapeau de lapin. et ma mère, n'en
parlons pas. Ça lui va bien, elle a toujours souhaité rester
discrète. La mort de inca aux mains des terroristes a fait
de moi le nouveau numéro 2 du groupe. Je me sens
comme cet héritier dans le film Inception, à qui des
pirates implantent l'idée de détruire l'empire hérité de
son père. Paradoxalement, ça me réconforte. Au fait, ma
mère s'appelle rosalinde.

29. Avant la prise de la parole (2)


Un-e comédien-ne : Cher public, avant de vous laisser
à vous-même, bientôt, nous voulons faire un petit
coucou à M. Bolando qui nous a gracieusement assistés
tout le long de cette création, sans lui notre drame
comico-tragique antisocial et bourgeois n'aurait vu le
jour, oui oui c'est comme ça que nous lui avons vendu le
projet, je ne doute pas qu'à la lecture du texte, oui ce
monsieur lit tout, pas une lettre ne lui échappe, il est
procédurier comme un pou, il a saisi toute l'ironie de
notre propos et il nous a manifesté son soutien,
(s'adressant à quelqu'un dans le public) vous nous avez
accueillis, M. Bolando, dans cette nouvelle salle
Olympio fraîchement inaugurée par La Blue buckle,

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Mesdames et Messieurs, merci, c'était notre première


aujourd'hui, "Bolando, roi des Gitans" aura-t-il une
suite, cette première est pour nous un test, M. Bolando,
nous sommes suspendus à vos lèvres : autorisez-vous la
diffusion de notre western électro-africain au sein de
votre réseau culturel ?
Un-e comédien-ne : Moi, je trouve quand même le
spectacle un peu long, faudrait faire des coupes, non ?
Un-e comédien-ne : La metteur en scène préfère laisser
chacun faire son montage.
Un-e comédien-ne : C'est pas un peu mégalo ?
Un-e comédien-ne : La fréquentation assidue de
Bolando, ça laisse des traces.
Un-e comédien-ne : Je me demande ce qu'elle en a tiré
au final.
Un-e comédien-ne : Un spectacle. fréquentation
assidue, c'est pour la diction ?
Un-e comédien-ne : hein ?

30. La prise de la parole


Au bout de x mois, J-C accouche enfin, et les autres
autour, comme des rois mages, sont venus apporter
chacun son présent.
Le fou : Je n'ai ni père ni mère ni fils ni fille ni frère ni
soeur ni amis ni famille, je suis seul au monde. Je chie
dans les gares, j'ai besoin du monde pour traîner dans un
monde qui n'a nul besoin de moi, si ce n'est pour se
conforter dans son statut de monde. et puis je te
rencontre, J-C, et le monde revit en moi, devient plus
que le moyen de ne pas crever, se fait chemin. Y a rien
qui a compté pour moi depuis grande lurette, maintenant
je voudrais être le parrain de ton enfant, un mage
déglingué au-dessus de son berceau, mon cadeau, la
folie pour repousser l'implacable rigueur de la raison
dans les limites de l'irrationnel.

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Le roi des Gitans : J'ai beaucoup parlé, je me suis


galvanisé de mots pour occuper le temps à ma tâche,
parce que je le crois, depuis Nabuchodonosor, Dieu n'a
rien fabriqué de plus beau que moi et voilà que la perte
de inca me contraint au silence. J'apporte à ton enfant les
yeux du silence, prélude à tout enseignement.
Dorade : Je tiens à le dire, encore une fois, je passe
après lui, c'est aberrant, nous sommes ici chez moi, sur
mon continent, ma terre, et lui, ici, c'est un étranger.
C'est vrai que nos valeurs traditionnelles mettent un
point d'honneur à l'accueil de l'étranger, mais nous le
savons, c'est avec cette règle que nos ancêtres se sont
fait posséder et déposséder quand les étrangers sont
arrivés, un visage dans une main, un autre dans l'autre,
alors je voudrais qu'on arrête cette aliénation. Je suis
venu apporter à ton enfant le degré zéro de l'humanité.
L'humanité n'est rien puisqu'elle a tout à portée. Je viens
d'une terre où l'on apprend à perdre sans avoir tort, à
reconnaître le pouvoir de celui qui gagne sans raison,
dont la raison est si forte et le ventre si gros que le
monde lui appartient, quand il est chez toi, t'es l'étranger,
quand t'es chez lui, t'es l'étranger, nous avons inauguré
l'ère mondiale de l'aliénation où l'on append à travailler
à sa propre perte. Je suis pétri de vieilles rancoeurs que
le moindre soupçon réveille. Ma parole est confuse car
elle été conçue dans la confusion de siècles bâtardisés.
Je veux un nouveau droit à la parole, que mes frères et
soeurs les vainqueurs, à force de méconnaissance,
repoussent toujours à demain. enfant de nous tous, c'est
ce que je suis venu t'apporter : demain. Dans demain il
y a tous les hier, peu importe le cas qu'on en fait.
Le président Béni : Je suis arrivé gros comme une
promesse d'indépendance et j'ai fini comme une
bassesse échouée sur la morsure du temps. Je suis un
purin de mensonges habillé en cardinal col blanc. J'ai les
mains gantées parce que Pilate et son histoire de se laver
les mains me file un remords pas possible. Je suis écolo,
mes gants sont lavables, j'ai des serviteurs qui s'en
occupent, ça crée de l'emploi, mais c'est pas pour parler
de moi que je suis là. Venons-en au fait : Où est l'enfant ?

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A-t-on retrouvé la mère ? Où n'a-t-on pas regardé ? Quel


coin, quel bar, quel buisson, quels gens ? La question a-
t-elle été bien formulée ? Petit ou petite, je suis venu
t'apporter des questions. Le pouvoir m'a dépouillé de
mes convictions et, depuis ma chute, je préfère dire
chute plutôt que retraite, c'est le seul mot lucide qui me
reste, depuis que loin des fastes publics j'erre dans ma
villa à me noyer d'alcool et de questions. J'aurais voulu
avoir plus tôt le sens des questions au lieu de cette
arrogance où le trône m'a pris en défaut. Petit ou petite,
engrosse-toi de questions pour ne pas avoir à porter la
morsure du regret.
Le fils : Tu viendras au monde, chaque jour autrement
que la veille, le sommeil nous rappelle que nous venons
sans cesse au monde. Pendant des années, je n'ai pas
dormi, c'est dur de s'abandonner quand le rêve n'est plus,
sans repères, quand le père n'est plus qu'un fagot mort,
quatre planches qui t'entourent comme un cercueil.
Depuis que je l'ai retrouvé, je dors comme un bébé.
Même quand il pleut du plomb, je dors, quand dans la
rue je sens le souffle nécrophage des sbires du pouvoir,
quand pour je ne sais quelle énième fois la mort
commanditée me rase de près, mais une fois chez moi,
je dors, je frémis pour les miens, ma femme sans qui je
ne serais pas, mes enfants qui écriront la suite de nos
histoires, je frémis, mais quand vient le sommeil, je
dors. Je t'offre le sommeil, petite mort qui conjure la
grande. Pendant des années, le silence de mon père m'a
obscurci. ici on nous apprend que la pudeur est vertu,
elle est catastrophe quand les mots manquent à l'appel.
Parle, ouvre ton ventre, la parole tue fait de l'aigreur à
l'estomac et ça aussi c'est emmerdant pour le sommeil.
Benfolo : Moi ignatio Benfolo, je connais le poids de
l'injustice, le voici.
Thomas Sankara : il y a des événements, des occasions
qui constituent une rencontre, un rendez-vous avec le
peuple. il faut les rechercher très loin dans le passé, dans
le background de chacun. On ne décide pas de devenir
un chef d'etat, on décide d'en finir avec telle ou telle

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forme de brimades, de vexations, tel type d'exploitation,


de domination. C'est tout. enfant, j'ai accompagné mon
père infirmier-gendarme auxiliaire, tirailleur, au gré de
ses affectations. J'ai vu la misère et les humiliations qui
l'accompagnent, des pères envoyés en prison parce que
leur fils avait osé emprunter une bicyclette, véhicule
réservé aux enfants des colons, ou parce que leur fille
avait eu l'audace de cueillir des fruits, ce qui était
interdit aux enfants africains. Au soir de ma vie, je me
retrouve un peu comme un cycliste qui grimpe une pente
raide et qui a, à gauche et à droite, deux précipices. Pour
rester moi-même, pour me sentir moi-même, je suis
obligé de continuer dans cette lancée, ce n'est pas à moi
de trahir l'amitié.
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Ça fait
maintenant dix heures que J-C souffle, pousse, s'arrête,
reprend, détends-toi, reste pas immobile, faut bouger,
bouge le bassin, marche, oui voilà, ah ça y est, ça
commence, pousse ! pousse ! tu pousses ! tu cries ! tu
grognes !
ASSeZ !
Plus de voix plaintive,
plus de larmes dans les yeux !
Ton labeur reçoit sa récompense.
Ton avenir est plein d'assurance,
Oracle, nous l'appellerons Oracle.
J-C : Jeanne d'Arc, tu me tends le bébé. C'est une fille.
Qu'est-ce que tu lui chuchotes à l'oreille ?
Jeanne d'Arc mais est-ce Jeanne d'Arc : Je t'aime.
J-C : Mais bien sûr, le plus grand de tous, l'amour. "Je
pense donc je suis", c'est de la poudre aux yeux. Je suis
aimé donc je suis, voici le seul tandem qui vaille
l'anéantissement des siècles. Peut-on être sans aimer ?

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31. Oracle
Mixée par DJ El Hadj Boum Boom, Oracle chante This
is an man world.

Noir

Paris, 25 septembre 2017

Bibliographie
Vincent Bolloré. Enquête sur un capitaliste au-dessus de tout soupçon,
Nathalie raulin et renaud Lecadre. Denoël
L'écriture comme théâtre, Jean-Marie Piemme. Lansman éditeur
La médiocratie, Alain Deneault. Lux éditeur
La Bible, version Chouraqui

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LANSMAN eDiTeUr
eMiLe&Cie asbl
63-65, rue royale B-7141 Carnières-Morlanwelz (Belgique)
Téléphone (32-64) 23 78 40 - fax/Télécopie (32-64) 23 78 49
info.lansman@gmail.com - www.lansman.org

LANSMAN eDiTeUr / eMiLe&Cie asbl


bénéficie du soutien
de la fédération Wallonie-Bruxelles
(Direction du Livre et des Lettres)

Bolando
est le 1176e ouvrage
publié chez Lansman editeur
et le 383e
de la collection "ThéâTre à Vif"

Composé par eMiLe&Cie


imprimé en Belgique par Pr-Print s.a.
http://www.prprint.com/
Dépôt légal : janvier 2017

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