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Cahiers du monde russe et

soviétique

Entre l'histoire et le mythe : E. D. Polivanov, 1891-1938


Catherine Genty

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Genty Catherine. Entre l'histoire et le mythe : E. D. Polivanov, 1891-1938. In: Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 18,
n°3, Juillet-septembre 1977. pp. 275-303;

doi : https://doi.org/10.3406/cmr.1977.1295

https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1977_num_18_3_1295

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Abstract
Catherine Genty, Between History and Myth : E. D. Polivanov, 1891-1938.
This article endeavours to present the whole life and activity of E. D. Polivanov (1891-1938), a rare
example of fusion between theoretical research and action. Polyglot and linguist of great value,
Polivanov rallied October and then engaged himself in the "battle of alphabets". He especially
protested at a very early date and with great strength against the Marrist imposture. Attached to
Russian formalism, he brings an important contribution to the development of works of modern ars
poetica. He makes such a strong impression upon his contemporaries that, a myth whilst still alive, he
reaches the status of a "literary character" as a hero of two novels.

Résumé
Catherine Genty, Entre l'histoire et le mythe : E. D. Polivanov, 1891-1938.
Cet article essaie de présenter dans leur ensemble la vie et l'activité d'E. D. Polivanov (1891-1938),
rare exemple de fusion entre la recherche théorique et l'action. Polyglotte et linguiste d'une rare valeur,
Polivanov rallie Octobre, puis s'engage dans la « bataille des alphabets » et surtout s'élève très tôt et
avec une sévère véhémence contre l'imposture marriste. Lié au Formalisme russe, il apporte une
contribution non négligeable à l'essor des travaux de poétique moderne. Enfin il impressionne tant ses
contemporains que, mythe de son vivant même, il atteint sous les traits de deux héros de roman le
statut de « personnage littéraire ».
CATHERINE GENTY

ENTRE L'HISTOIRE ET LE MYTHE:

E. D. POLIVANOV

1891-1938

Le nom du linguiste russe Evgenij Dmitrievič Polivanov est


aujourd'hui assez largement connu dans le monde scientifique soviétique et
occidental. A partir de l'article de V. V. Ivanov1, les recherches et les
travaux se sont multipliés, surtout depuis qu'est survenue en 1963 sa
réhabilitation.
Une partie de ses écrits a été rééditée en URSS en 19682 ; la nouvelle
édition de la Grande encyclopédie soviétique lui consacre un article ; on
trouve aussi son nom dans un ouvrage paru à Taškent en 1974 et
consacré aux linguistes orientalistes qui ont, depuis 1917, joué un rôle
dans l'étude des langues de l'Asie Centrale3.
Tous ces ouvrages mettent l'accent, à juste titre, sur l'exceptionnelle
dimension scientifique de son œuvre. Polivanov possédait, en effet, la
connaissance parfaite de plus de trente langues : chinois, japonais, langues
malaises, arabe, tatar, ouzbek, turkmène, tadjik, géorgien, kazakh...
sans compter le français, l'allemand, l'anglais, l'espagnol, le polonais, le
serbe, le latin, le grec ancien... De plus, il parlait les langues vivantes
à la perfection et manifestait dans leur acquisition des qualités rares de
rapidité et d'exactitude.
Mais surtout, il n'a pas seulement laissé des études particulières sur
les langues : il a su mener à bien des recherches en linguistique générale
d'une portée mondiale.
On comprend donc aisément pourquoi cet aspect de son activité a
en premier retenu l'attention ; il constitue en outre le terrain le plus
neutre de sa vie.
Cependant Polivanov était plus qu'un linguiste de génie : sa destinée
est étroitement liée au développement politique et culturel de l'Union
Soviétique. Il joua un rôle dans la diplomatie soviétique de 1917 à 1921,
participa à la « Bataille des alphabets » de 1922 à 1929 et combattit le
« marrisme » dès 1927. Ce dernier « engagement » devait signifier pour lui
l'exil forcé en Asie Centrale (1929), l'expurgation de ses œuvres (1930-
31) et la mort (1938). Parallèlement Polivanov marquait l'histoire de la
littérature : un des premiers « formalistes », il était à la fois poète et
théoricien de la poésie.

Cahiers du Monde russe et soviétique, XVIII (3), juil.-sept. igyy, pp. 275-303.
276 CATHERINE GENTY

Sa vie enfin qu'on ne peut imaginer plus romanesque frappa si


fortement l'imagination de l'écrivain, tout jeune alors, V. Kaverin4 qu'il
en fit le héros de deux récits « Le grand jeu » (Bol'saja igra) et « Le faiseur
de scandales » (Skandalist)5.
Aussi avons-nous cherché ici à donner une image plus complète de
Polivanov en mettant l'accent sur tout ce qui pouvait sembler « hors de
la science linguistique » proprement dite. Nous avons voulu tracer un
portrait de cette personnalité exemplaire qui réalise la si rare fusion d'un
politique, d'un savant et d'un poète.

Mais Dragomanov se moquait de lui sans la


moindre pitié [...] lui faisait croire qu'il avait
à un moment secondé Trotski au commissariat
du peuple aux Affaires étrangères...
V. Kaverin, Le faiseur de scandales, Paris, Éd.
Champ libre, 1974, P- 4^-

S'il faut croire V. B. Šklovskij6, Polivanov aurait été jusqu'à la


révolution d'Octobre un conservateur. Cependant il semble qu'une évolution
se soit dessinée un peu plus tôt.
Dans une lettre des années 307, il évoque l'influence de son professeur
Baudouin de Courtenay dont les convictions politiques étaient celles
d'un « radical-internationaliste ». Étant donné la date de cette lettre,
il peut s'agir simplement pour Polivanov de se protéger contre
d'éventuelles diffamations, mais il est certain par ailleurs qu'il fit de la prison
(une semaine) pendant la Première Guerre mondiale pour écrit
antimilitariste et sans doute doit-on considérer comme authentiques ces phrases :
« Quand la guerre commença, mes sentiments internationalistes devinrent
clairs [...] Je fus d'abord pacifiste, ensuite je vins à l'Internationalisme. »8
II accueille Février comme la « révolution du travail, du travail adoré »,
collabore au Cabinet de presse militaire près le Soviet panrusse des
députés paysans dont la tâche principale était l'édition de manuels pour
les soldats et de brochures, d'articles sur des questions d'instruction.
Il travaille aussi au journal de M. Gor'kij Novaja îizri qui paraît
d'avril 1917 à juillet 1918. La direction rassemblait des
sociaux-démocrates internationalistes dont N. N. Suhanov. Gor'kij y publia ses
« Pensées intempestives » (Nesvoevremennye mysli)9. Novaja žizn' se
voulait ouvert à tous, mais tentait plus exactement de jeter un pont entre
Mencheviks et Bolcheviks. Polivanov donne trois articles : « Une ' chambre
des Seigneurs ' est-elle nécessaire à la Russie révolutionnaire ? » (Nužna
li ' palata gospod ' revoljucionnoj Rossii ?), 13/30 mai 1917 ; « Le Japon
et la paix sans annexion » (Japonija i mir bez annekcii), 28 mai/10 juin
1917 ; « De l'opportunité de la réforme orthographique » (Svoevremenna
li reforma orfografii ?), 9/22 juin 1917.
Son choix politique semble s'infléchir vers septembre-octobre 1917 '.
il soutient résolument Octobre.
Voici toutefois en quels termes il définissait ses conceptions politiques :
E. D. POLIVANOV 277

« A dire vrai, ma psychologie n'est pas prolétarienne, elle est


plus exactement lumpen-prolétarienne. Ceux qui me connaissent
bien seront d'accord. J'ai une attirance bien connue pour
l'idéologie anarchiste. J'en ai toujours eu conscience, mais cela ne me
fait pas perdre la tête ; je vois bien que le programme anarchiste
est impraticable et qu'en cette période de transition, la domination
des ouvriers est impossible sans un État ; cela, je le comprends
très bien, néanmoins je dois dire que ma logique est lumpen-
prolétarienne, cela est vrai. »
II n'hésite pourtant pas à entrer dès les premiers jours d'Octobre
à « l'ancien » ministère des Affaires étrangères.
Le commissaire politique I. Zalkind se souvient :
« Trotski me proposa la charge de ' plénipotentiaire à l'admission
au ministère ' et me donna l'adresse du camarade Polivanov, un
menchevik internationaliste qui lui avait envoyé une lettre dans
laquelle il lui proposait ses services en tant que sujet ayant jadis
servi au département de l'Asie. Je cherchai Polivanov et
commençai avec lui à aller chez tous les diplomates importants du
ministère et exigeai d'eux, qu'engageant leur responsabilité
personnelle, ils soient présents le lendemain au ministère pour des
'négociations décisives'. »10
Polivanov combat donc les tentatives de sabotage des anciens
fonctionnaires tsaristes. Il publie dans la Pravda du 4/17 novembre 1917 une
note intitulée « Le jeu criminel des bureaucrates-diplomates » (Prestup-
naja igra činovnikov-diplomatov).
Le journal constitutionnel-démocrate, la très hostile Naša reé'
(traduite habituellement par Le Discours), confirme ces informations :
« Au ministère des Affaires étrangères, après la déclaration de Trotski-
Bronštein, tout le personnel a interrompu son activité. Au ministère
fait le maître en permanence le seul citoyen Polivanov, invité par Trotski
au poste de spécialiste du déchiffrement des accords secrets et en tant
que secrétaire du commissaire du peuple Zalkind. »n
C'est précisément dans la recherche, le déchiffrage et la publication
des accords secrets signés entre le tsar et l'Entente que le travail de
Polivanov fut essentiel12, même si par la suite le mérite de la publication
de ces accords fut attribué au révolutionnaire N. G. Markin13.
En raison de sa parfaite connaissance du chinois et du japonais14,
Polivanov est ensuite affecté au département des Questions d'Orient.
On en trouve une confirmation dans le travail d'agitation politique
qu'il entreprend, à partir de février 1918, au sein de la colonie chinoise
de Petrograd.
Dès 1915, un besoin de main-d'œuvre massive et bon marché s'était
fait sentir dans tous les pays engagés dans la guerre ; ils firent tout
naturellement appel au réservoir humain chinois.
On estime à 200 000 environ le nombre des travailleurs chinois amenés
en Russie pendant la Première Guerre mondiale15. A ce chiffre il convient
d'ajouter plusieurs milliers de Chinois, venus se réfugier en Russie pour
fuir la Mésopotamie où ils avaient été envoyés au terme d'accords signés
278 CATHERINE GENTY

entre la Grande-Bretagne et le Gouvernement de Pékin. Une partie de


ces travailleurs fut en particulier affectée à la construction de la voie
ferrée de Murmansk qui devait assurer le ravitaillement de la Russie
par le nord.
Nul doute que cette masse de travailleurs exploités au dernier degré
ait constitué pour les Bolcheviks un enjeu important. Polivanov est
en quelque sorte chargé d'organiser des « soviets de travailleurs chinois ».
Il semble y parvenir puisqu'il est l'un des principaux fondateurs de
l'Union des Travailleurs chinois, à la fin de 1918.
N. A. Popov précise que l'Union aurait été créée « officiellement »
peu de temps avant un grand meeting qui se serait tenu à Petrograd le
19 décembre 1918 : « Peu de temps avant ce meeting, avait été fondée
à Petrograd l'Union des Travailleurs chinois. L'Union avait des statuts
juridiquement établis. A sa tête se tenait Lieo Xiu Zhao. Le 24 décembre
1918, appliquant les directives de l'Union, on occupa les locaux du
Consulat de Chine [...] à Petrograd et pour assurer la défense des intérêts
des Chinois fut formé le Comité central exécutif de l'Union. La
direction en avertit le commissariat du peuple aux Affaires étrangères de la
RSFSR. »ie Polivanov fait partie du Comité central de l'Union ; il est
aussi le rédacteur du journal de l'Union Le Travailleur chinois (Zhongguo
gongren) qui paraît ensuite sous le titre La Grande Égalité (Datong bao).
Le journal était rédigé en chinois et l'imprimerie se trouvait dans l'île
Vasil'evskij à Petrograd17.
Nous ne disposons pas de renseignements plus précis sur l'activité de
Polivanov au sein des travailleurs chinois mais il est certain qu'il
jouissait parmi eux d'une immense popularité.
M. Kardašev affirme qu'il suffisait dans les années 20 de se
recommander de Polivanov à un Chinois pour qu'aussitôt s'établissent
d'amicales relations18. Polivanov était aussi lié aux combattants chinois
volontaires de l'Armée Rouge. En 1932, il confia au professeur N. Arhan-
gel'skij un cahier contenant vingt-quatre poèmes dédiés à des combattants
chinois et exaltant leurs exploits. Un des poèmes porte en particulier la
mention Ščerbakov 1918 ; or selon Arhangel'skij, c'est le nom d'un village
sur les bords de la mer d'Azov où ont combattu des détachements
chinois précisément en I9i819.
Cependant ce travail au sein des Chinois allait se révéler dangereux
pour Polivanov. L'Union se transforma vite (au début des années 20)
en une organisation de bandits et de trafiquants de drogue, que le pouvoir
soviétique neutralisa rapidement par des arrestations massives.
Polivanov dut « s'expliquer » au moment de cette affaire et réussit, semble-t-il,
à faire taire les diffamations (les Chinois, du reste, lui dénient tout lien
avec le « deuxième » Comité central de l'Union), mais il ne fait pas de
doute que tout cela lui fut rappelé en 193720.
En 1919, Polivanov devient membre du parti communiste russe
bolchevik. En 1921, il travaille comme adjoint au directeur de la section
d'Extrême-Orient du Komintern et est détaché à Taškent avec ordre
de mission du Komintern.
C'est là tout ce qu'on peut savoir, dans l'état actuel des recherches,
sur son activité strictement politique.
Qu'en fut-il ensuite ? Il semble qu'à partir de 1921 Polivanov ait
E. D. POLIVANOV 279

plutôt été chargé de tâches d'organisation et de développement, relevant


de la politique culturelle. On le trouve alors à la tête de nombreuses
organisations de recherche scientifique ; il déploie aussi une grande activité
pédagogique et surtout son destin se lie à celui de l'Asie Centrale où il va
désormais passer l'essentiel de sa vie, à l'exception de son séjour à Moscou
(1926-1929).

II -A

L'Asie Centrale place une fois de plus Polivanov au cœur de l'actualité.


Dans le cadre de sa politique des nationalités, le pouvoir soviétique juge
urgent, dès le début des années 20, de donner une écriture à ceux des
peuples non slaves de l'Union qui n'en possèdent pas encore ou utilisent
un système d'écriture inadéquat. Sans entrer dans le détail d'une question
extrêmement complexe et souvent controversée, nous donnerons quelques
indications concernant plus précisément les langues turkes21 de l'Union.
En Asie Centrale les langues nationales appartiennent pour la plupart à la
famille des langues turkes ; aussi c'est surtout vers elles que se portèrent
les recherches de Polivanov.
Avant la révolution, comptaient essentiellement trois langues turkes
littéraires : le tatar de Kazan', l'azéri, et au Turkestan, le tchagatai ou
djagathai22. On considère en général que ces langues présentaient le grand
inconvénient d'utiliser les caractères arabes, qui conviennent mal à la
notation des langues turkes (l'utilisation de l'alphabet arabe s'explique
par l'appartenance à l'Islam des populations turkes).
Après la révolution fut engagée dans un premier temps une réforme
de l'alphabet arabe pour la majorité des langues turkes.
Cependant dès 1922, lors du deuxième Congrès des travailleurs
ouzbeks de la culture et de l'instruction, avait été envisagée une réforme
plus radicale : le passage à un autre alphabet, sur une base phonétique
plus exacte et utilisant les caractères latins. C'est dans ce sens que le
problème avait été résolu juste avant la révolution d'Octobre, pour les
Yakoutes. Un élève de Baudouin de Courtenay, S. Novgorodov, lui-même
yakoute, avait en effet réalisé un nouvel alphabet yakoute en caractères
latins23.
Polivanov est partisan de la latinisation ; étant donné de plus le
nombre et l'importance des langues turkes dans l'Union, il insiste sur la
nécessité d'un système unifié de transcription24.
Un premier pas dans la voie de la latinisation semble être accompli
en février 1926 lors du premier Congrès de turcologie de Bakou. Le
principe du remplacement de l'alphabet arabe, même « réformé », est admis ;
à la suite du congrès, est créé un Comité central fédéral pour le nouvel
alphabet turk qui doit coordonner tous les projets25 (première session du
plénum de ce comité à Bakou en juin 1927). Polivanov participe aux
plénums du comité (1927-1928) dont il devient membre en 19282*. Aussi
de 1922 à 1929, il consacre à cette question plus de vingt travaux : outre
les rapports prononcés lors des différents congrès, il rédige : « La nouvelle
orthographe kazakhe-kirghize » (Novaja kazah-kirgizskaja orfografija),
1924 ; « Projet d'alphabet latin pour l'ouzbek écrit » (Proekt latinskogo
28O CATHERINE GENTY

šrifta uzbekskoj pis'mennosti), 1924; « Projets de latinisation pour les


langues turkes écrites de l'URSS » (Proekty latinizacii tureckih pis'men-
nostej SSSR), 1926 ; « Les fondements de la révolution de l'écriture pour
les langues turkes écrites de l'URSS » (Osnovnye formy grafičeskoj
revoljucii v tureckih pis'mennostjah SSSR), 1928. ..27
Effectivement, entre 1927 et 1928, on voit les langues turkes passer
progressivement à la latinisation28.
Dans ce mouvement, les Azéris ont fait figure de précurseurs en
adoptant dès 1922 l'alphabet latin, sans doute parce qu'ils n'avaient pas
entrepris alors de réforme de l'alphabet arabe.
Les Kazakhs-Kirghizs qui avaient déjà appliqué une réforme de
l'alphabet arabe, étaient eux, en revanche, moins enclins à latiniser29.
Cependant la fin des années 30 allait voir une autre réforme : le
passage, entre 1938 et 1940, à la cyrillisation30.
Ce changement d'orientation, outre sa signification politique manifeste,
marqua de plus une régression sur le plan scientifique. Tous les projets de
latinisation s'inspiraient en effet des récentes découvertes de la phonologie.
Il s'agissait de créer des alphabets qui rendent compte le plus exactement
possible des oppositions phonologiques propres à une langue. Cette
nécessité était apparue devant l'inadéquation des systèmes existants
(le russe, par exemple, utilise la même lettre pour transcrire un phonème
consonantique dur et le phonème consonantique mou correspondant). Or,
lors du passage à la cyrillisation, le principe phonématique ne fut plus
retenu31.
L'attachement de Polivanov à la latinisation a pu aussi être retenu
contre lui dans les années 30. V. Aptekar', un partisan de Marr qui dès
le début des années 30 est en position de force dans la sous-section de
linguistique matérialiste de l'Académie communiste à Moscou, écrit dans
son ouvrage sur N. Ja. Marr en 1934 :
« Le désir formaliste de la latinisation pour la latinisation a été
utilisé par des éléments nationalistes pour tenter d'entraver la
croissance de la culture socialiste et pour élever des barrières à la
communication fraternelle de ces peuples avec la population russe.
A cela est liée la lutte féroce menée contre l'alphabet russe qui de
façon purement gratuite était présenté en tout cas et en toute
circonstance comme une arme du chauvinisme de grande puissance.
Faisant de la latinisation un but en soi et ignorant son
caractère de classe comme moyen de renforcer la croissance du
socialisme, de nombreux collaborateurs de la construction des alphabets
ont consciemment ou inconsciemment apporté de l'eau au moulin
de l'ennemi de classe. »32
II convient de signaler ici le divorce entre les idées de Marr et celle
de ses « successeurs ». Marr en effet avait son propre système de
transcription, utilisant les caractères latins™.
Ceci confirme parfaitement le témoignage de l'académicien
I. A. Orbeli :
« Savez-vous que toutes ces constructions absurdes qui sont
devenues objets de culte ne venaient pas de Marr mais étaient le
E. D. POLIVANOV 28l

résultat de circonstances qu'avaient créées autour de lui... des


flagorneurs ?» ; et il concluait : «... une des tâches sacrées de nos
orientalistes, de nos philologues, de nos linguistes serait de
distinguer entre le Marr qui se tenait à un très haut niveau de recherche
linguistique et le Marr dont certains, pour lesquels cela était plus
facile que d'apprendre les langues, ont fait leur étendard. »84
Sans prétendre résoudre cette question trop vaste, nous pensons
devoir nous arrêter sur le problème de Marr et du marrisme, dans la
mesure même où Polivanov, s'il ne fut pas le seul, fut du moins le plus
farouche opposant à ce qui allait vite devenir « la nouvelle doctrine sur le
langage » (novoe učenie o jazyke)3b.

П-в

N. Ja. Marr (1864-1934)* s'était acquis une première réputation de


spécialiste de l'arménien et des langues du Caucase (1891-1911). Cette
étude devait l'amener à formuler son hypothèse « révolutionnaire » sur
l'existence de liens entre le géorgien et l'arabe (et l'ensemble des langues
sémitiques). Il donna suite à cette intuition dans la préface de sa
Grammaire du vieux géorgien (1908) et proposa un premier exposé complet de
sa thèse dans Le Caucase japhétique et le troisième élément ethnique dans
la formation de la culture méditerranéenne (Jafetičeskij Kavkaz i tretij
kul'
etničeskij element v sozidanii sredizemnomorskoj tury), 1920, ouvrage
qui d'ailleurs sort déjà des cadres de la grammaire comparée.
Pour Marr, les langues caucasiennes (habituellement classées « à
part ») manifestent une parenté de type particulier avec les langues
sémitiques. Il attribua à ce groupe de langues le terme linguistiquement
vacant de « japhétique », de Japhet, troisième fils de Noé (les noms des
deux autres fils de Noé, Sem et Cham, ayant été déjà choisis pour
caractériser les langues dites « sémitiques » et « chamitiques »).
Il crut bientôt leur déceler un domaine cohérent qui autrefois se serait
étendu « d'un bout à l'autre du bassin méditerranéen et dans la région
attenante à l'est, comprise entre les mêmes parallèles : à l'extrême-ouest,
l'ancien ibère et le moderne basque, au centre l'étrusque, dans la région
orientale les langues non sémitiques, anciennement écrites en cunéiforme :
ourartéen du sud de la région arménienne, élamite de Susiane et sumérien
de la basse Mésopotamie et d'autres langues encore en Asie. »37
A partir de 1920, les études « japhétiques », bien qu'elles ne rencontrent
encore que peu d'adeptes, connaissent leur plein épanouissement. A
l'automne 1921, Marr organise l'Institut japhétique de l'Académie des
Sciences, qui édite à partir de 1922 un Recueil japhétique.
Bien plus, il élargit peu à peu son domaine d'investigation scientifique
et étend le nombre des langues pour lui japhétiques. Rapidement il fait
entrer dans leur liste les langues turkes et finno-ougriennes pour lesquelles
il croit même déceler une parenté par l'intermédiaire du tchouvache,
langue traditionnellement classée comme turke et parlée dans la région
de la Volga centrale. Cette thèse est exposée dans sa brochure de 1926,
ČuvaŠi-Jafetidy na Volge ( Tchouv aches- Japhètes sur la Volga). Dans
čuvaši... (p. 7), il affirme encore : « Les langues indo-européennes ne sont
282 CATHERINE GENTY

en aucune façon des langues d'une race particulière, ce sont à l'origine


des langues japhétiques, à partir desquelles elles ont évolué vers un type
particulier à la suite d'une transformation économique et sociale radicale,
liée à la découverte des métaux et plus particulièrement à leur introduction
massive dans la vie économique. »
Nous tenons ici la pierre angulaire qui va marquer le développement
d'une japhétologie « deuxième manière ». Marr ne se contente plus
seulement d'étudier ses langues « japhétiques » ; il expose désormais sa
théorie (japhétique) du langage.
Son hypothèse sur l'origine des langues indo-européennes remet en
question les idées jusque-là admises sur l'existence de familles de langues,
indépendantes et particularisées.
Le corrélat méthodologique, le comparatisme, devient lui-même
inopérant. Marr lui substitue sa « paléontologie » ou « analyse paléonto-
logique ». Rejetant le comparatisme phonétique et morphologique, il
préfère s'adresser au vocabulaire, sur lequel il pratique, en fait, un
découpage purement arbitraire.
Il prétend même alors avoir retrouvé les quatre éléments
fondamentaux à partir desquels se seraient développées toutes les langues du
monde : sal, ber, yon, roch (respectivement la main, l'eau, le ciel, la
femme) qu'il désignera ensuite par les quatre lettres A, B, C, D.
Par ailleurs, on voit aussi dans l'extrait cité que Marr se fait fort
d'expliquer les problèmes du langage par des raisons économiques et
sociales. C'est le troisième tournant qui, amorcé dès 1926, trouvera son
accomplissement vers 1930 : les thèses de Marr prétendent au statut de
science marxiste du langage et bénéficiant d'un large soutien officiel
deviennent, avec des nuances, la seule théorie linguistique admise en
URSS pendant une vingtaine d'années. Cette dernière évolution
s'accompagne d'un dernier changement de terminologie et de contenu : la « théorie
japhétique » devient la « nouvelle doctrine sur le langage » et se vide peu à
peu des études initiales sur les langues pour devenir essentiellement
théorie du langage et de son évolution, se réclamant du matérialisme
dialectique. Ce tournant correspond aux dernières années de la vie de
Marr, alors déjà malade (il meurt en 1934), et s'accomplit véritablement
après sa mort. Aussi de la « nouvelle doctrine » comme corps de thèses
constituées, comme nouveau dogme linguistique, nous pouvons juger
essentiellement sur des versions rédigées par les disciples et successeurs
de Marr. On voit intervenir principalement deux modifications :
l'effacement progressif de la « japhétologie » première manière, sans doute
parce que trop proche du comparatisme et l'abandon de la thèse des
quatre éléments, sans doute parce que l'aspect le moins défendable de la
doctrine38.

Essayons cependant de montrer ce qu'a été cette « nouvelle doctrine »


pour la période 1930-1950.
Son premier objectif est la lutte contre l'indo-européanisme, accusé
de « formalisme ». Les langues indo-européennes ne sont qu'un stade
particulier dans le développement du langage. Toutes les langues passent
par les mêmes stades d'évolution.
Toujours en complet désaccord avec les comparatistes est l'impor-
E. D. POLIVANOV 283

tance donnée au problème de l'origine du langage (pour les comparatistes


en effet, pour une simple question de distance chronologique, c'est un
problème non pertinent). Il est proposé de fait une théorie sur l'origine
du langage qui est considéré comme un phénomène de classe. Les sorciers
primitifs ont inventé le premier langage parlé conventionnel (Marr croyait
voir en ses quatre éléments les premiers « sons » du langage humain),
pour asservir leurs frères, restés au stade du langage par gestes (langage
linéaire) compréhensible par tous. Toute langue a donc dès l'origine un
caractère de classe et les différents types de structure (agglutinante,
flexionnelle...) correspondent à des stades particuliers de développement
économique. La langue n'évolue que par révolution, accompagnant les
révolutions de l'infrastructure économico-politico-sociale.
Elle est assimilée à une superstructure. Le nouvel enseignement
insisterait aussi sur la nécessité d'études ethnographiques dans l'étude
des langues.
On sait quel fut le destin de la « nouvelle doctrine » : régnant en maître
absolu de 1930 à la fin des années 40 (avec un petit retour des
comparatistes juste avant la Seconde Guerre mondiale et une « libéralisation »
après 1945), Staline signa son arrêt de mort par son intervention en 1950
dans les colonnes de la Pravda, éditée ensuite en une brochure Le marxisme
et les questions de linguistique (Marksizm i voprosy jazykoznanija)39.
Tl dénonçait comme contraires au marxisme les thèses : (1) la langue
est une superstructure ; (2) la langue a toujours un caractère de classe ;
(3) la langue n'évolue que par « explosion » ; et enfin il réclamait la
destruction du régime de terreur imposé par les marristes en linguistique
(c'est dans cette partie que Marr est personnellement mis en cause).
Voici donc, dans ses phases essentielles au moins, l'histoire du mar-
risme jusqu'en 195040. Ceci posé, on ne peut que s'interroger sur les causes
profondes qui firent de Marr le théoricien incontesté de la linguistique
marxiste, de même que restent incertaines les raisons qui provoquèrent
la condamnation du marrisme. Pour ce qui est de la première question,
qui nous intéresse plus précisément, on ne peut que proposer quelques
hypothèses ; mais auparavant j'aimerais préciser quelques étapes
chronologiques jusque-là assez mal définies et qui aident à comprendre, à mon
avis, le mécanisme de la montée de Marr.
a) La date à laquelle Marr est considéré comme définitivement rallié
au marxisme : elle varie selon les auteurs ; Aptekar' en 1934 donne 1925 ;
Mihankova en 1948 propose 1927. Quant à Marr lui-même il indique dans
son autobiographie qu'il y eut en 192b un schisme au sein de ses partisans,
dû à son rapprochement avec le marxisme. De toute façon, qu'on retienne
1925, 1926 ou 1927, Marr avait plus de cinquante ans lorsque, selon les
termes mêmes de V. Mihankova41, « il se plongea dans l'étude des
classiques du marxisme, Marx, Engels, Lénine, Staline... ».
b) A l'autre bout de la chaîne, on doit considérer que l'élimination
des linguistes « comparatistes » est nette à partir de 1931, comme en
témoigne la brochure de V. B. Aptekar' et S. N. Bykovskij parue en
1931, La situation présente sur le front de la linguistique et les tâches
immédiates des linguistes marxistes (Sovremennoe poloienie na lingvisti-
českom fronte i očerednye zadali marksistov jazykovedov)*2. On note aussi
284 CATHERINE GENTY

en 1932 la « réorganisation » de l'Institut japhétique qui désigne d'une


manière voilée une épuration.
Enfin Marr connaît son couronnement honorifique à partir de 1930.
Il reste maintenant à « expliquer » en quoi le marrisme répondait à
cette date à une « nécessité » en URSS.
De façon évidente, la montée du marrisme se rattache à la conjoncture
idéologique du « bond en avant ». Il s'agit, dans la période de luttes de
classes renforcées du premier plan quinquennal, d'en finir avec toutes les
« survivances du passé » dont le comparatisme n'est qu'un exemple parmi
d'autres, et, face aux pays capitalistes en crise, de créer une science
nouvelle, socialiste, et propre à l'URSS. De plus, dans la perspective du
communisme, cette théorie de l'origine du langage annonce le
cheminement vers une langue unique et la résorption des particularismes
nationaux. Cela au moment même où Staline, tout en protestant contre le
chauvinisme grand-russe, attaque le particularisme local. Enfin le
comparatisme, assimilé en fait à la philologie allemande, est accusé de
nourrir la thèse de la supériorité des Aryens ; les thèses de Marr s'inscrivent
ainsi dans la lutte contre le nazisme : « En même temps », écrit V. Aptekar'
dans son livre sur Marr de 193443, « les théoriciens de la grammaire
historique comparée démontrèrent et démontrent que les ' Aryens ' ' blonds
aux yeux bleus ', ' grande race nordique ', la plus accomplie des races
humaines, sont appelés en vertu de leur noblesse innée hors du commun,
à diriger et à conduire derrière eux toute l'Humanité. » Ceci, il est vrai,
a surtout joué après 1937 et a très certainement permis aux marristes
de se maintenir en place dans les années 40.
Mais le « tableau » du marrisme ne serait pas complet si n'était évoquée
l'opposition farouche de Polivanov à l'implantation du nouvel
enseignement.

И- с

II suffisait de prononcer le nom de Marr pour


que le visage d'E. D. s'altère en une grimace
douloureuse ; il disait alors « De grâce ! » et se
couvrait le visage de la paume de la main.
Lettre de M. S. Kardašev, fin 1963.

Polivanov et Marr n'avaient pas été des adversaires dès le début44.


Ils se connaissaient bien pour avoir été ensemble à la Faculté des Langues
orientales où Polivanov suivait le cours de géorgien de Marr. Après le
départ de Polivanov de Petrograd en 1921, ils échangèrent des lettres.
Une lettre de Marr à Polivanov du 18 octobre 1924 donne une idée des
rapports des deux savants et des sentiments de Marr sur ses propres
constructions :
« En ce qui concerne la linguistique japhétique, je serai très content
si ma théorie encore naissante vous trouve et vous précisément
au nombre de ses partisans, car depuis longtemps déjà elle
commence à me tomber des mains, tout comme je me sens moi aussi
E. D. POLIVANOV 285

condamné à être précipité de la vie dans le Tartare, ce que je mérite


pour la plus grande tranquillité de tous.
Je ne sais si je vous ai dit que j'avais dû introduire les langues
turkes et finno-ougriennes dans la liste des matières relevant d'une
étude japhétique : le pont est tendu et a été tendu par le tchou-
vache. Ici il y a quelque chose d'incroyable. Je comprends très
bien qu'avec mes propositions incroyables, je suis comme un chien
dans un jeu de quilles. »45

Polivanov avait suivi avec intérêt les premières tentatives de Marr


pour écrire une grammaire comparée des langues du Sud-Caucase. Kar-
dašev affirme même : « E. D. appréciait hautement les premiers travaux
de Marr ; quant à sa théorie japhétique, il la considérait comme tout
simplement géniale. » Sans doute faut-il comprendre ici par « théorie
japhétique », l'hypothèse d'un lien du géorgien avec l'arabe, seule
proposition admise par Polivanov48.
C'est la publication de Čuvaši... que Polivanov caractérisait comme
« l'exemple et le premier pas nettement marqué dans l'erreur », qui
entraîna la rupture définitive des deux linguistes.
De 1927 à 1929, Polivanov, qui occupait alors à Moscou
d'importantes fonctions47, prononça plusieurs discours contre Marr et dénonça
plus particulièrement la thèse des quatre éléments. L'arène de cet
affrontement était la sous-section de linguistique matérialiste de l'Académie
communiste à Moscou, où régnaient déjà en maîtres absolus les disciples
de Marr dont le célèbre Aptekar'. Dans l'intention d'éliminer cet
adversaire redoutable qu'était Evgenij Dmitrievič, on organisa un débat qui
reçut plus tard le nom de « débat polivanovien » !
Les séances commencent le 27 décembre 1928 par un discours de
Marr, précédé d'une intervention de l'académicien V. M. FriČe (alors
directeur du ranion ; voir n. 47) qui donne le ton : « A l'heure actuelle,
la théorie japhétique telle qu'elle s'est définie est loin de mériter
précisément ce nom-là [...] Nous avons devant nous les bases mêmes de la
linguistique marxiste... » II était clair qu'après cela toute discussion était
inutile. Polivanov a malgré tout la parole, le 4 février 1929, et
prononce l'exposé « Les problèmes de la linguistique marxiste et la théorie
japhétique » (Problémy marksistskogo jazykoznanija i jafetičeskaja
teorija)48.
Après avoir insisté sur le fait que de nombreux éléments de la théorie
japhétique faisaient de Marr un grand savant, Polivanov indiquait que
le noyau sain de la théorie était l'étude comparée des langues du Sud-
Caucase. Mais, plus loin, poursuivait-il, Marr avait perdu pied et avait
sollicité les faits pour justifier une théorie toute faite. Il montrait aussi
que Marr et ses disciples ne connaissaient pas assez bien leur matériau
linguistique et que nombre d'affirmations avaient un aspect mécanique
et comportaient, en outre, de nombreux anachronismes. Polivanov
exposait enfin sa propre conception du langage et de son évolution.
Mais la lutte était bien inégale, car sur dix-sept orateurs inscrits,
dont Frice avait la liste, un seul, G. A. Il'inskij49, défendit les positions
de Polivanov. En conclusion, Frice reprit la parole : « Nous devons lutter
contre toutes les tentatives qui par des moyens douteux veulent défendre
286 CATHERINE GENTY

les positions de la vieille linguistique et par là assombrir les perspectives


qui s'ouvrent pour la linguistique grâce à la théorie japhétique. »50
Dans son livre de 1934 sur Marr, Aptckar' qualifie l'intervention de
Polivanov de « cris délirants d'un épigone de l'école subjectiviste et
idéaliste de Baudouin de Courtenay » ; dès 1929, était paru un article
calomniateur sur Polivanov, traité entre autres de « réactionnaire » et de
« cent-noir »61. Polivanov rédigea une lettre de protestation dont on ne
sait si elle fut publiée62.
Qu'importe en fait : dès 1929, il était démis de toutes ses fonctions
et quittait la capitale pour Samarkand. Malgré le veto qui pèse désonnais
sur ses œuvres, Polivanov réussit à faire paraître en 1931 Pour une
linguistique marxiste (Za marksistskoe jazykoznanie). Ce livre, aussitôt
condamné, réunissait une série d'articles, exposant ses conceptions
linguistiques et démontrant une fois de plus, si cela était encore nécessaire,
le caractère inacceptable des thèses marristes53.

Le premier article « La linguistique historique et la politique en


linguistique » démontre la validité de la grammaire comparée
et défend la thèse de l'indo-européen commun. Dans le second,
« Où se trouvent les causes de l'évolution de la langue », Polivanov
s'attaque au problème de l'évolution linguistique et réfute la thèse
de l'évolution par révolution. Pour lui des changements dans la
langue ont lieu à chaque génération mais d'une façon telle qu'ils
n'entraînent pas la non-compréhension des deux générations
successives. Ces changements doivent être mis sur le compte de
la paresse.
Dans « La langue russe comme élément de description
grammaticale », l'auteur polémique toujours avec l'école de Marr. Il refuse
d'assimiler la langue à un phénomène de classe. Si l'on s'arrête
à la proposition : toute langue est langue de classe, et que l'on
conclue : les créations artistiques reflètent l'idéologie de cette
classe et sont incompréhensibles pour les autres classes, alors
toute description linguistique est impossible, trouve-t-on écrit
en substance. Polivanov ne nie pas que la classe dominante influe
profondément sur la langue « littéraire » de l'époque qui
correspond à sa période de domination, mais cette influence ne crée en
aucune façon une langue nouvelle, tout au plus un dialecte.
Dans le quatrième article est posé le problème de
l'enseignement du vocabulaire technico-scientifique dont les termes sont
pour l'essentiel d'origine grecque ou latine (« La terminologie
étrangère comme matière d'enseignement de la langue russe »).
On trouve ensuite deux articles consacrés plus précisément aux
problèmes des langues nationales : « La révolution et les langues
écrites de l'URSS » (la première partie concerne la langue russe)
et « Les étapes essentielles de la révolution orthographique pour
les langues turkes écrites de l'URSS ».
Avec l'article « Au sujet des caractéristiques phonétiques des
dialectes des groupes sociaux et en particulier de la langue russe
standard », Polivanov revient sur la distinction langue/dialecte.
Il poursuit ensuite par une étude des « particularités de la phoné-
E. D. POLIVANOV 287

tique de l'intelligentsia » et deux essais sur la langue des truands.


Le recueil s'achève par « Les mathématiques peuvent, elles
aussi, être utiles », qui répond aux attaques des marristes contre
une « certaine linguistique » devenue, pour les non-initiés, aussi
abstruse que les mathématiques. Polivanov montre en particulier
l'importance primordiale de la théorie des probabilités, qui,
remarque-t-il perfidement, si on l'appliquait aux démonstrations
étymologiques de Marr, les détruirait complètement !
Dans cet ouvrage, la polémique avec les marristes est, on le voit,
assez nette ; Polivanov cependant s'en tient toujours au terrain de la
science. Il veut faire connaître ses positions au nom même d'une véritable
linguistique marxiste, mais semble bien avoir renoncé à toute discussion
personnelle avec les marristes et en avoir compris toute l'inutilité.
Voici ce qu'il écrit fort sagement dans son introduction au recueil :
« Pour la science, la polémique avec la japhétologie est absolument
inutile. Tout homme quelque peu au courant des faits linguistiques
sait ce qu'il doit penser du marrisme et sa position ne nécessite
pas de commentaires. Il fut un temps, c'est vrai, où (non dans
l'intérêt de la science, mais pour les non-spécialistes à qui l'on
l'on pouvait pardonner de ne pas y voir clair) j'ai senti nécessaire
de rendre publique mon opinion à l'égard du marrisme : ce devoir,
je l'ai accompli. Mais ce fut une dépense d'énergie inutile que de
répondre à mes adversaires qui n'étaient pas des linguistes et
avec lesquels discuter de linguistique était aussi sans espoir que
d'expliquer la théorie d'Einstein à quelqu'un qui ne connaîtrait
pas sa table de multiplication. »
La parution de Pour une linguistique marxiste ne pouvait qu'indisposer
au plus haut point les adversaires de Polivanov.
Dans le 65e tome de la Grande encyclopédie soviétique (1931), à l'article
« Théorie japhétique », on trouve : « ... On remarque des attaques
vraiment hostiles, menées sous le signe de l'apologie de la science bourgeoise
et de la politique impérialiste du capitalisme (Pour une linguistique
marxiste). »
Dans le numéro de 1931 du Recueil japhétique, le compte rendu du
livre de Polivanov, signé St. В., c'est-à-dire Bykovskij, est
particulièrement virulent. Enfin dans la brochure déjà citée d'Aptekar' et Bykovskij
(193т), on propose carrément « d'épurer tout le personnel scientifique et
technique du réseau de recherche scientifique linguistique, en appliquant
la ligne de l'élimination des indo-européanistes et des éléments à double
face qui se cachent derrière la phraséologie marxiste et en assurant les
postes de direction aux linguistes marxistes ».
Dans la liste des « linguistes indo-européanistes bourgeois » se
trouvaient aussi Bogorodickij, Bubrih, Bulahovskij, Durnovo, Karskij,
Peterson, Peškovskij, Ušakov, Ščerba.
Après 1931, la situation d'E. D. Polivanov ne fera que s'aggraver.
Il ne publiera plus rien de son vivant en URSS, excepté quelques
brochures et articles dans des revues locales d'Asie Centrale64. Grâce au
soutient à l'étranger de M. Vasmer, et surtout de Roman Jakobson, dont
288 CATHERINE GENTY

l'aide sera même matérielle, il réussira à faire paraître des articles dans les
Travaux du cercle linguistique de Prague.
Il aura de plus en plus de mal à trouver du travail et se verra chassé
de partout. Sa dernière intervention publique, qui date de 1933, montre
qu'il lui fallait avant tout se défendre et se justifier devant ses collègues,
ses élèves56. La dernière période de sa vie, celle de Frunze (1934-1937),
fut particulièrement pénible. Il est arrêté à Frunze en mars 1937 et
disparaît neuf mois plus tard. Les circonstances précises de son arrestation
et les chefs d'accusation, s'il y en eut, sont encore ignorés. Celui qu'on
soupçonne d'être un peu responsable de cette arrestation, I. Batmanov,
refuse bien évidemment d'apporter son témoignage.

III

Polivanov devait sans doute à Baudouin de Courtenay son intérêt


pour les questions poétiques. D'après V. B. Šklovskij, Baudouin était
très intéressé par les expériences de zaum' et espérait en obtenir des
renseignements sur la vitalité de certains affixes. C'est ainsi, toujours selon
Šklovskij, qu'il lui aurait présenté un de ses élèves, L. P. Jakubinskij ;
de cette rencontre naissait le premier noyau de l'Opojaz, abréviation
couramment utilisée pour « Obščestvo izučenija poetičeskogo jazyka »
(Société d'étude de la langue poétique)6*.
Bientôt le cercle groupé autour des Sborniki po teorii poetičeskogo
jazyka s'élargit : les deux initiateurs sont rejoints par B. Ejhenbaum,
E. D. Polivanov, S. Bernštejn et plus tard (1919 ou 1920) par Ju. N. Tyn-
janov67. L'appartement des Brik à Pétersbourg servait de lieu de
rencontres : « Venaient nous voir aussi Jakubinskij et Polivanov [...]
Polivanov était professeur à l'Université de Saint-Pétersbourg. Personne ne
savait où il avait perdu sa main. Il avait longtemps vécu en Chine et
possédait à merveille le japonais et le chinois. Dans les premiers jours
d'Octobre, il entra au parti communiste et organisa les Chinois de Moscou
et de Petrograd. »68
Dans le premier recueil de l'Opojaz, Polivanov publie « A propos des
' gestes sonores ' de la langue japonaise » (Po povodu ' zvukovyh žestov'
japonskogo jazyka)69. Il aurait dû participer également à un recueil
préparé en 1922 par les formalistes, « La révolution et la langue » (Revo-
ljucija i jazyk) ; ce numéro, annoncé sur la couverture du livre de
B. Ejhenbaum, La mélodie du vers lyrique russe (Melodika russkogo
liričeskogo stiha)M, n'a, hélas, pas vu le jour!
Dans les années qui suivent, Polivanov même s'il s'éloigne géogra-
phiquement de ses amis formalistes, continue à manifester un grand
intérêt pour la poétique. Selon Šklovskij qui l'a confié à V. V. Ivanov,
il aurait voulu écrire un « Corpus poeticarum » dans lequel il se proposait
de mener une étude comparée des langues et de leurs systèmes poétiques.
On trouve un écho de ce projet dans un texte de 1930, « Le principe
phonétique général de toute technique poétique » (Obščij fonetičeskij
princip vsjakoj poetičeskoj tehniki), publié pour la première fois en
1963, grâce à S. Bernštejn qui avait pu sauver le manuscrit81.
Dans cet article, Polivanov montre la caducité des définitions de la
E. D. POLIVANOV 289

poésie comme sensation d'un principe d'organisation du matériau verbal :


les techniques de base de toute poésie sont en effet en lien étroit avec le
système phonétique de la langue correspondante ; aussi tel principe
phonétique pertinent dans un cas sera inopérant dans un autre. Il propose
alors comme définition, comme point de départ, le principe de la répétition
des représentations phonétiques qu'il rend concret sur la base de plusieurs
exemples (métrique grecque, système syllabique, système tonique). En
outre les exemples en vers donnés dans cet article sont selon toute
vraisemblance de la main même de Polivanov et confirment qu'il composait62.
Il nous a laissé encore bien d'autres études sur la poésie : « Les types
formels de devinettes japonaises » (Formal'nye tipy japonskih zagadok)63,
« Sur le caractère métrique de la versification chinoise » (O metričeskom
haraktere kitajskogo stihosloženija)64, les articles «Abréviation» (Abbre-
viatura), « Littérature abkhaze » (Abhazskaja literatura), «
Accentuation » (Akcent uacij a), « Langue albanaise » (Albanskij jazyk), «
Allitération » (Alliteracija) et un passage de l'article « Littérature arménienne »
(Armjanskaja literatura), pour le tome I (1930) de Y Encyclopédie littéraire
publiée sous la direction de Frice. Enfin tout récemment est paru un
inédit de Polivanov « Le procédé de l'allitération dans la poésie kirghize
'etnationalités
ses liens avec
de laГ Altai
technique
' » (Opoétique
prieme et
alliteracii
les faits v
de kirgizskoj
langage des
poezii
autres
v
svjazi s poetičeskoj tehnikoj i jazykovými faktami drugih 'al taj skin
narodnostej')66.
Les formalistes le tenaient en grande estime ; il était plus
particulièrement lié à Tynjanov, Šklovskij, Jakobson. Quand en 1928-1929 ceux-ci
songent à ressusciter l'Opojaz autour d'une plate-forme révisée6*, ils
pensent en premier à Polivanov :
— 27 novembre 1928, V. Sklovskij à Ju. Tynjanov : « II faut
'travailler
théoricité ensemble,
' maximaleilet faut
d'uneensemble
quantité maximale
éditer un derecueil
propositions
d'une
générales. On trouvera des articles chez toi, chez Roman, chez moi
et p[eut]-ê[tre] chez Polivanov. »
— 5 décembre 1928, V. Šklovskij à Ju. Tynjanov : « Tu reviens,
nous nous réunissons dans l'Opojaz ou dans une société d'un
nouveau nom. Composition de la société : moi, toi, Boris (son livre
sur Tolstoj ne me plaît pas), Roman Jakobson, Jakubinskij,
S. Bernštejn, les restes de Polivanov, ce serait bien qu'il y ait aussi
Tomaševskij et la jeune génération, non invitée pour l'instant. »
[Souligné par nous. C. G.]
Début 1929, Šklovskij écrit à Polivanov pour l'informer de leur
projet ; dans la correspondance Sklovskij -Tynjanov le nom de Polivanov
apparaît ensuite plusieurs fois. Tynjanov se fait une idée de Marr d'après
ce qu'en dit Polivanov et réclame l'un de ses « exposés » (il s'agit
certainement de « Problèmes de la linguistique marxiste et la théorie japhé-
tique », cf. p. 285 ; lettre du 5 mars 1929). Le sténogramme de cette
intervention lui est envoyé (10 avril 1929). Il lit un ouvrage de Polivanov
qui est certainement Pour une linguistique marxiste (2 juin 1931). En 1935,
Sklovskij écrit à Tynjanov, espérant le décider à venir le rejoindre à
Moscou : « Nous resterions assis, nous discuterions, nous évoquerions
2Ç0 CATHERINE GENTY

Pu skin, Tred'jakovskij, Roman Jakobson, Polivanov, et de nouveau


Alexandre Sergeevič. »
Enfin dans une lettre du 28 mars 1937, Šklovskij écrit à Tynjanov :
« Evgenij Dmitrievič m'a envoyé une lettre très sage et pleine de talent. »•'
L'étonnante mention des « restes de Polivanov » tout comme la phrase
« Polivanov est sombre et malade » (10 avril 1929) (V. Šklovskij à Ju.
Tynjanov) font allusion à l'aspect le plus énigmatique de la personnalité de
Polivanov. Il n'avait pas en effet seulement la mentalité du Lumpen-
proletariat, il en avait aussi l'existence ; aussi avec l'évolution « puritaine »
du régime soviétique dès la fin des années 20, nul doute qu'il devait
trancher sur nombre d'universitaires.
Il était, de façon générale, très réservé sur tout ce qui concernait sa vie
privée, il avait pourtant la réputation de se droguer68.
A la conférence de Samarkand en 1964, un de ses anciens élèves a
assuré qu'il était parfois hors d'état d'assurer ses cours. Voici comment
Kardašev, lui, décrit un cours de Polivanov (Taškent, début des
années 20) :
« ... Un grand amphi noir de monde à l'Institut des Langues
orientales de Taškent. On attend avec impatience, presque avec
exultation. Il y a quelques sceptiques et même des esprits
méprisants. On murmure :
— Un narcomane, dit-on... Et on garde un homme pareil ?
Ceux-là sont ici pour la première fois.
La cloche sonne et sur l'estrade apparaît une figure plus
qu'étrange : de taille moyenne, maigre, presque malingre, avec
une large tête et des cheveux châtains, le visage rond et de grands
yeux bleu clair. Il porte une robe de chambre ouzbeke sale et
largement ouverte, et sur la tête un calot ; de sa poche dépasse le
goulot d'une bouteille.
— De la vodka, disent en ricanant les nouveaux.
— Non, de l'eau bouillie.
— Et pour quoi faire ?
— Tu vas voir.
Quelques instants plus tard, sa voix de baryton assez haute,
quelque peu nasillarde a conquis entièrement l'auditoire.
— Dieu du ciel ! Faire un cours de phonétique pareil, ne
peuvent se retenir certains ! En vérité, un prof pareil, on ne
risque pas d'en trouver un de sitôt.
Tout d'un coup le cours s'interrompt de façon inattendue.
— Je vous prie de m'excuser, dit le professeur. Deux minutes
d'interruption : je dois me faire une injection de morphine. Et il
sort en saisissant au passage une boîte contenant des seringues.
— T'as compris à quoi sert la bouteille ? Il a de la morphine
en poudre et il doit absolument la délayer avec de l'eau bouillie.
— Oui, dit un des chuchoteurs, l'air désemparé. Peu importe
la morphine quand il s'agit d'un homme de cette envergure, à un
professeur pareil, on peut tout pardonner !
[...] L'heure du cours est terminée. E. D. Polivanov échappe aux
E. D. POLIVANOV 2O,I

ovations en prenant la sortie de secours où nous l'attendons déjà,


Brigitte, Ljulli et moi. ■••
Polivanov avait placé sa vie sous le signe du non-conformisme dès
l'enfance. Selon Šklovskij, il aurait perdu sa main à la suite d'un pari
passé avec ses camarades :
« Dans sa jeunesse, il croyait que tout lui était possible. Une fois,
il mit la main sur les rails à l'approche d'un train : son but était
de surpasser Kolja Krasotkin des Frères Karamazov, ce garçon
n'avait fait que se coucher entre les rails. Evgenij Dmitrievič ne
retira pas sa main, les roues la sectionnèrent, les garçons s'enfuirent
de tous côtés. Polivanov se leva, prit la main coupée et partit en
la tenant. Il me raconta comment les cochers, saisis d'épouvanté
à sa vue, se hâtaient de fouetter leurs chevaux. »70

Ses séjours au Japon et en Chine (au début du XXe siècle) lui donnèrent
le goût des manières orientales. Il savait, d'après Kaverin, préparer des
plats exotiques. C'est à cette époque-là qu'il inaugura sa mc'thode
favorite de recherche : se mêler complètement à la foule indigène et pour cela
ne pas hésiter à revêtir le costume local, à mendier à l'entrée des temples,
à pénétrer dans les fumeries et les bars louches. L'habit ouzbek, qui était
le sien lors du cours décrit par Kardašev, n'avait pas d'autre signification.
Pendant ses « expéditions » scientifiques, Polivanov travaillait sans papier
aucun (ceci avant tout pour ne pas provoquer de suspicion chez ses
interlocuteurs) : c'était là une autre constante de son caractère, une incroyable
capacité de travail, de mémorisation et une oreille parfaite. On possède
le témoignage de V. V. Gruza qui raconte que Polivanov rédigea en quatre
heures devant lui un travail de grande valeur pour obtenir de lui une
avance financière71.
Le personnage était encore rehaussé par deux « étranges »
caractéristiques : une existence bohème (il couchait par terre, vivait pratiquement
sans meuble ni vestiaire, mangeait ce qui lui tombait sous la main), qu'il
faut peut-être attribuer à un certain « harpagonisme » (le terme est de
Kardašev), et surtout des facultés étonnantes de persuasion à distance,
qu'il n'hésitait pas à utiliser pour gagner quelques sous. Mais voyons
plutôt ce que dit Kardašev.
« A Taškent, on venait d'unifier le tarif des billets de tramway.
Pour une station, comme pour toutes, il fallait payer 15 kopeks.
Pour les invalides de guerre, c'était gratuit. Un jour, Polivanov
et moi-même attendons le tramway. Je finis d'user mon uniforme,
Polivanov lui est en civil. Nous n'avons que deux stations à
parcourir. E. D. fronce les sourcils, plisse le front et dit :
— C'est tout simplement injuste ! Seulement deux stations
et 15 kopeks à payer. Et ceux qui viennent de la vieille ville et
qui auront parcouru près de dix stations ne paieront aussi que
15 kopeks... Je ne paierai pas... Je vais essayer de voyager sans me
faire voir du contrôleur... Et toi ?
— La loi me donne le droit de voyager gratuitement. Je n'ai
qu'à montrer mon carnet d'invalide. [...]
CATHERINE GENTY

— Alors, dit Polivanov s'animant, je me ferai passer pour un


invalide.
Je vous rappelle qu'il lui manquait la main gauche. Quant à
moi, il me manquait trois doigts à la main gauche, arrachés par
un éclat de grenade. Nous montons par l'avant. Le wagon est
bondé [...] Mais le contrôleur est là, rien à faire ; la première
variante tombe à l'eau.
— Citoyens, prenez des billets !
Je montre en silence mon moignon. Le contrôleur voit : une
main abîmée, une capote, un calot à l'étoile... C'est clair : un
invalide. Il opine de la tête et se tourne vers E. D. :
— Et vous ?
— Je suis aussi invalide, dit Polivanov en montrant son bras
sans main. Mais il est en civil...
— Je vous prie de me montrer votre carnet d'invalide !
E. D. regarde fixement le contrôleur dans les yeux, sort de sa
poche un bloc-notes vierge et le tend au contrôleur. Les passagers
et moi-même attendons gaiement le scandale. Mais le contrôleur
ayant pris poliment le carnet entre ses mains le retourne et le rend
toujours aussi poliment à son propriétaire.
— Je vous remercie. Et il continue son chemin. Une minute
plus tard, bien que le tramway soit bondé, c'est le vide autour de
nous. Les gens nous fixent avec des regards apeurés.
Une fois descendu, je demandai stupéfait à Polivanov :
— Comment comprendre ? Tous ont bien vu un bloc-notes.
— Mais le contrôleur a vu un carnet d'invalide, me répondit-il.
Et c'est tout ce que je pus tirer de lui. [...]
Quelques mois plus tard, je fus témoin d'un événement
semblable à Moscou. J'arrive chez les Polivanov...
Brigitte hors d'elle se tenait à la table de travail et disait en
colère :
— Je n'écrirai pas, c'est inutile !
E. D., dans un fauteuil, le journal sur les genoux, répétait
imperturbable :
— Mais écris donc !
— Non, c'est pour le sténographe...
— Écris !
— Mais c'est stupide à la fin !
Immédiatement je comprends de quoi il retourne. Brigitte mettait
presque toujours au propre les brouillons de Polivanov, mais son
orthographe était presque entièrement restée celle d'avant la
révolution. [...] Étant donné que le ' propre ' était d'abord tapé
à la machine, le mal n'était pas bien grand ; la machine rétablissait
l'orthographe moderne. Mais cette fois, il s'agit du sténographe
qui reproduira forcément l'orthographe de Brigitte. Elle a tout
à fait raison. Pourquoi Polivanov exige-t-il d'elle un travail
inutile ? A la fin Brigitte éclate :
— Bon, j'écris... Mais tout sera à recommencer !
E. D. POLIVANOV 2Ç3

Furieuse, elle prend un porte-plume et se met à écrire. Polivanov


soulève le journal et fait semblant de se plonger dans sa lecture.
Mais dans le journal, à la hauteur des yeux, il y a comme un trou.
Quelques minutes plus tard, la plume tombe sur la table. Se tenant
des deux mains à la table et ne quittant pas des yeux le manuscrit,
Brigitte se lève lentement. Elle est blanche comme un suaire.
— Genia,... Je... Je...
Sa voix s'étrangle dans sa gorge.
— J 'écris avec la nouvelle orthographe !
— Je t'avais bien dit d'écrire. Désormais, il en sera toujours
ainsi. Ce qui fut vrai [...]
Ni moi, ni Brigitte ne pûmes jamais rien éclaircir. Un jour
Polivanov me confia : ' C'est beaucoup plus simple que tu ne le
penses. ' »7a

On comprend donc aisément que Polivanov ait été de son vivant


même un mythe. Son mutisme coutumier, son goût pour la mystification,
ses habitudes étranges73 ne pouvaient que renforcer l'atmosphère de
mystère dont sa personne était constamment entourée.
Aussi aujourd'hui est-il parfois difficile de distinguer la légende de
la réalité. La confusion est d'autant plus aisée que Polivanov « existe »
désormais en tant que « personnage littéraire ».
L'écrivain Kaverin sensible à la stature peu ordinaire du linguiste
l'a pris en effet pour modèle à deux reprises : le professeur Panaev du
« Grand jeu » et le professeur Dragomanov du « Faiseur de scandales »
sont, à des degrés différents, des incarnations d'Evgenij Dmitrievič.
Le « Grand jeu » est construit comme une histoire policière. Un agent
secret anglais Steven Bud doit s'approprier un document éthiopien que
détient le professeur Panaev. Certains traits attribués à Panaev
permettent l'identification certaine du prototype : Panaev est professeur de
langues orientales à l'Université de Petrograd, il lui manque la main
gauche, il est lié au monde diplomatique, il fréquente les tripots, les
fumeries d'opium tenues par les Chinois74.
Kaverin pour donner encore plus de « piquant » à l'aventure a doté
Panaev d'une prothèse à la main gauche si bien que le détective doit
d'abord s'assurer que la main est morte en la piquant avec une grosse
épingle ! Après les péripéties d'usage pour retrouver Panaev, puis pour
lui substituer son document, le détective le rencontre en un. dernier
affrontement aux cartes76.
C'est l'épisode le plus intéressant pour la biographie de Polivanov car
il confirme les récits de Kardašev sur les dons parapsychologiques du
linguiste.
Bud qui croit pouvoir gagner en vertu de dispositions particulières
pour le jeu a la surprise de voir sur la table des cartes tout autres que
celles qu'il croit y déposer76.
Dans « Le grand jeu », Kaverin avait surtout été frappé par l'exotisme
de son modèle ; dans « Le faiseur de scandales », estompant le caractère
Lumpen-prolétarien, il insiste davantage sur la dimension universitaire77.
Il est presque impossible de présenter un résumé de ce livre dont la
trame fantaisiste ne peut donner qu'une piètre idée. « Le faiseur de
294 CATHERINE GENTY

scandales » vaut essentiellement par son témoignage sur l'intelligentsia de


Leningrad et plus précisément sur les formalistes à la fin des années 20.
Dragomanov est professeur de linguistique à l'Université, il vit
misérablement dans une chambre lugubre et ne croit guère plus à ce qu'il
enseigne. Il a la réputation d'être « narcomane » et d'aimer « faire du
scandale ». Il met fin à sa carrière par un exposé mystificateur qui est
par son contenu une parodie des thèses marristes sur le caractère social du
langage. Bien plus, le cours de Dragomanov décrit dans le livre reproduit
exactement les thèses de Marr et cite ses propres termes :
« II en arrivait à ses conclusions. Et ces conclusions, c'était dans
la linguistique le bouleversement, le chambardement total. Il
affirmait qu'il n'avait pas existé à l'aube de l'Humanité de langue
unique et que la famille indo-européenne n'était au contraire
qu'une étape dans la voie qui, d'une multitude originelle, devait
conduire à cette langue unique [...] Puis il expliqua que, partant
de la large base qui contenait en germes une multitude de langues,
le discours humain tendait, en passant par toute une série de
transformations typologiques, vers la langue unique. Il représenta
à côté la théorie indo-européenne avec sa langue source unique
sous la forme d'une pyramide reposant sur le sommet avec la base
en l'air. »78
La métaphore de la pyramide se trouve chez Marr lui-même79 et sans
doute doit-on voir dans ce bouleversement des faits réels une intention
comique.
Mais bien évidemment Kaverin, tant pour Panaev que pour
Dragomanov, a fait aussi largement appel à son imagination.
Il n'a d'ailleurs pu rencontrer Polivanov qu'en 1920-1921 lorsqu'il
habitait l'appartement de Ju. Tynjanov à Petrograd que fréquentait de
temps en temps Polivanov.
Kaverin se contentait d'écouter les conversations des deux « aînés »M.
Aussi rien d'étonnant s'il attribue, et pas seulement dans ses romans,
des traits imaginaires à Polivanov. Lui seul prétend qu'il boitait (Panaev
et Dragomanov boitent) et lui seul donne à Polivanov (et à Dragomanov)
une voix de basse, ce qui est démenti par de nombreux autres témoignages81.
Aussi, par rapport à la biographie de Polivanov, on ne peut retenir
comme dignes de foi dans « Le faiseur de scandales» que le jugement du
cercle académique sur Dragomanov (« Un homme de génie mais... »),
le goût pour la mystification (attitude de Dragomanov à l'égard de
l'édition, de l'Université) et la description de la chambre.
Il convient d'ajouter que cette chambre ne pouvait convenir qu'à
un Polivanov célibataire ; or, il avait épousé au début des années 20
Brigitte Nirk. Il avait obtenu pour lui et Brigitte l'attribution d'une
vaste chambre, tout à fait différente de celle que décrit Kaverin82.
Tout ceci confirme le statut légendaire de Polivanov, conséquence
normale de sa vie un peu « exceptionnelle », et sans doute eût-il préféré
à une biographie scientifique, la nécrologie romancée du pauvre Léman :
« Armé d'un zèle au travail incomparable et connaissant à la
perfection les langues étrangères, le défunt avait collaboré avec
E. D. POLIVANOV 295

le célèbre Trotski. Envoyé en Syrie par l'Université, il s'était


penché deux ans sur l'ethnographie du pays [...] Le travail plein
d'abnégation du défunt professeur dans le cirque Hagengek... »83

Nous nous sommes limitée ici à retracer, avec encore bien des
imperfections, quelques fragments de la « vie passionnée » d'E. D. Polivanov.
Nous avons voulu avant tout insister sur l'ampleur de ses activités et
présenter deux aspects méconnus de son existence : l'homme public et
le personnage de roman. Néanmoins l'essentiel reste bien son travail
scientifique, directement lié d'ailleurs à sa vie politique, et que nous
avons choisi d'évoquer à travers l'épisode du marasme.
Mais ce n'est qu'au terme d'études sur la linguistique soviétique des
années 20 et 30 qu'il sera possible de restituer le travail de Polivanov dans
son véritable cadre et peut-être de comprendre l'énigme du triomphe
du marrisme.
Paris, juin 1977.

ANNEXE I

Evgenij Dmitrievič Polivanov (1891-1938) :


Repères biographiques*

1891 (28 févr.) Naissance d'E. Polivanov à Smolensk, d'Ekaterina Jakovlevna


(1849-1913) et de Dmitrij Mihajlovič (1840-1918).
Famille d'intellectuels, surtout par la mère, proche en particulier
du pédagogue russe V. P. Vahterov (1853-1924).

I. Saint-Pétersbourg (Petrograd) : 1908-1921


1908 Termine ses études secondaires à Riga et s'inscrit à l'Université
de Saint-Pétersbourg (Faculté des Lettres, département slavo-
russe).

1909 S'inscrit de surcroît au département de japonais de l'Académie


pratique orientale.
A Saint-Pétersbourg, il est l'élève des linguistes J. A. Baudoin
de Courtenay et L. V. Ščerba (cf. A. Leont'ev, « I. A. Boduen de
Kurtene i peterburgskaja škola russkoj lingvistiki» / J. Baudoin
de Courtenay et l'école de linguistique russe de Saint-Pétersbourg,
Voprosy jazykoznanija, 4, 1961, pp. 116-124).

* D'après A. Leont'ev, L. Rojzenzon, A. Hajutin, « Žizn' i dejatel'nost'


E. D. Polivanova » (Vie et œuvre d'E. D. Polivanov), article introductif à E. D.
Polivanov, Stať i po obščemu jazykoznaniju (Articles de linguistique générale), Moscou,
1968.
296 CATHERINE GENTY
1912 Termine ses études supérieures et sur proposition de Baudoin de
Courtenay est attaché à la chaire de grammaire comparée de
l'Université de Saint-Pétersbourg. Travaille ensuite à sa thèse
et passe ses examens magistraux.

1914 Privat-docent à la chaire de japonais de la Faculté des langues


orientales. Spécialiste des langues chinoise et japonaise. Publie
à partir de 191 4 ses premiers travaux dans ces disciplines. Voyage
au Japon avec N. Konrád et F. Rozenberg.
1915-1916 On le trouve au Consulat russe à Tokyo, qu'il doit vite quitter
dans des circonstances obscures. Avait profité de ce séjour pour
parfaire sa connaissance du japonais.
191 6 Se rapproche du cercle de O. Brik et participe à la création de
l'Opojaz (Société d'Étude de la langue poétique).

191 7 Accueille favorablement les révolutions de Février et d'Octobre.


Collabore au journal de M. Gor'kij, Novaja žizri , puis entre en
novembre à Г « ancien » ministère des Affaires étrangères.

191 8 (févr.) Agitation politique au sein de la colonie chinoise de Petrograd.

1919 Devient la même année membre du parti communiste russe


bolchevik et professeur à la Faculté des Sciences sociales de
l'Université de Petrograd.
Post 1917- .a „ . ... XT. ,
ÉP°use BnSltte Nirk-
-ante 1921
1921 Quitte Petrograd pour Moscou où il travaille comme adjoint au
directeur de la section d'Extrême-Orient du Komintern, enseigne
à la Faculté communiste des Travailleurs de l'Orient.
Reçoit du Komintern un ordre de mission pour Taškent où il
restera plusieurs années en raison, dira-t-ii lui-même, de la
maladie de sa femme.

II. Taškent : 192 1 -1926


Adjoint au directeur du conseil scientifique du commissariat du
peuple à l'Instruction de la République du Turkestan.
Se familiarise aussitôt avec les langues des peuples de l'Asie
centrale et, très vite, les pratique à la perfection y compris leurs
dialectes. Grande activité aussi bien pratique que théorique. Se
penche en particulier sur les problèmes de la création de nouveaux
alphabets pour les peuples non slaves de l'Union.
III. Moscou : 1926-1929
1926 Revient à Moscou sur invitation de V. M. FriČe, alors directeur
du RANION (Association russe des Instituts de recherche en
sciences sociales). Grande activité au sein de nombreuses
organisations scientifiques de recherche. Se rend régulièrement en Asie
centrale.
1927-1929 Années de lutte et de polémique contre l'académicien N. Ja. Marr.
E. D. POLIVANOV 297
IV. Asie centrale : 1929-1938

1929 Est démis de toutes ses fonctions à cause de son opposition


farouche à la « Nouvelle doctrine sur le langage ».
Se réfugie à Samarkand où l'a invité le commissariat du peuple
à l'Instruction de l'Ouzbékistan. Travaille comme professeur à
l'Institut de recherche scientifique de l'Ouzbékistan.

1931 Réussit à publier Pour une linguistique marxiste (Za marksistskoe


jazykoznanie) .
Le secteur dans lequel il travaille à Samarkand va s'installer
à Taškent. C'est la période des grands travaux sur la langue
ouzbeke.

19ЗЗ (26 mars) Date de sa dernière intervention publique.

1934 Doit fuir Taškent où sa situation est devenue intolérable et


s'installe à Frunze.

1934-1937 Travaille à l'Institut kirghiz de « Construction » culturelle. Grande


activité pédagogique. Sa situation, tant matérielle que sociale,
ne cesse de se détériorer.

1937 (mars) Arrestation de Polivanov.

(25 janv.) Décès de Polivanov.


Sa femme et la sœur de celle-ci, Ljulli, sont, à ce jour, disparues.

1957 Le grand linguiste et sémiologue Vjačeslav Vsevolodovič Ivanov


publie un article consacré à l'œuvre d'E. D. Polivanov et intitulé
« Les conceptions linguistiques d'E. D. Polivanov » (Lingvis-
tičeskie vzgljady E. D. Polivanova), Voprosy jazykoznanija, 3,
J957. PP- 55-76.

1963 (mars) Polivanov est réhabilité.

1964 (sept.) A Samarkand se tient une conférence qui lui est consacrée :
« Les questions actuelles de la linguistique moderne et l'héritage
linguistique d'E. D. Polivanov » (Aktual'nye voprosy sovre-
mennogo jazykoznanija i lingvističeskoe nasledie E. D.
Polivanova) .
A partir de ce moment-là se rompt la « conspiration du silence »
dont Polivanov avait été entouré depuis trente ans.

1968 Première édition moderne d'une partie de son œuvre, fruit des
travaux des linguistes A. Leonťev, L. Rojzenzon, A. Hajutin et
V. Ivanov.
Ce livre intitulé Articles de linguistique générale (Stať i po obščemu
jazykoznaniju) contient, outre l'article introductif déjà cité, une
bibliographie complète des écrits de Polivanov, qui donne
également une description des archives Polivanov.
298 CATHERINE GENTY

ANNEXE II

Nikolaj Jakovlevič Marr (25 dec. 1864/7 janv. 1865 - 1934)*

1864 Naissance en Géorgie où il passe son enfance et son adolescence.


1884 Se rend à Saint-Pétersbourg où il s'inscrit à la Faculté des Langues
orientales. Suit les cours de l'arabisant V. R. Rozen et grâce à eux
aurait eu la « révélation » des liens unissant arabe et géorgien
(cf. Autobiographie).
1891 Privat-docent à la chaire d'arménien.

1902 Thèse de doctorat ; « professeur ordinaire » à la chaire d'études


arméniennes et géorgiennes.

1903 Grammaire du vieil arménien.


1908 Grammaire du vieux-géorgien, avec préface exposant la théorie
des liens du géorgien et de l'arabe.

1909 Membre de l'Académie des Sciences.


191 1 Doyen de la Faculté des Langues orientales de Saint-Pétersbourg.

1918-1919 Prend une part active à la « réorganisation » de l'Université de


Petrograd ; sans doute lié à la création de l'Académie d'Histoire
de la culture matérielle (en russe GA1MK) dont il devient le
président en 1920.

1920 Date de son exposé Le Caucase japhétique et le troisième élément


ethnique dans la formation de la culture méditerranéenne (Jafeti-
českij Kavkaz i tretij etničeskij element v sozidanii sredizemnomor-
skoj kul' tury).
1921 Organise l'Institut japhétique.

1922-1926 Années de maturation de la japhétologie.

1926 Tchouv aches- Japhètes sur la Volga (Čuvaši-Jafetidy na Volge)


et Étapes du développement de la théorie japhétique (Etapy razvi-
tija jafetiČeskoj teorii) (pour l'essentiel réédition groupée d'oeuvres
antérieures).

1925 — A commencé à avoir une grande activité au sein d'organisations


« militantes » officielles.

♦ Renseignements extraits pour l'essentiel de V. B. Aptekar', N. Ja. Marr i


novoe učenie o jazyke (N. Ja. Marr et la nouvelle doctrine sur le langage), Moscou,
1934, 185 p. Pour une liste complète des travaux de N. Ja. Marr, on pourra se
reporter au premier tome de ses Izbrannye raboty (Œuvres choisies), Moscou, 1933,
pp. xi-xxvi.
E. D. POLIVANOV 299
1928 Prix Lénine.
1929 Membre de l'Académie communiste.
1930 Membre du parti communiste.
193 1 Membre du Comité exécutif central.
1934 Emporté par la maladie au fatte même de sa carrière et de sa
gloire.

1. V. V. Ivanov « Lingvističeskie vzgljady E. D. Polivanova » (Les conceptions


linguistiques d'E. D. Polivanov), Voprosy jazykoznanija, 3, 1957, PP- 55"7°-
2. E. D. Polivanov, Staťi f>o obščemu jazykoznaniju (Articles de linguistique
générale), Moscou, 1968, 375 p., avec article introductif de A. Leont'ev, L. Rojzen-
zon, A. Hajutin, « Žizn' i dejatel'nost' E. D. Polivanova » (Vie et œuvre d'E. D.
Polivanov), pp. 7-30. Par la suite, il sera fait référence à cet ouvrage ainsi qu'à l'article
introductif par la seule mention Staťi...
3. Istoriografija obščestvennyh nauk v Uzbekistáne (Historiographie des sciences
sociales en Ouzbékistan), Taškent, 1974, PP- 287-295.
4. Venjamin Aleksandrovič Kaverin (pseud. de Zil'ber), né en 1902 : écrivain
soviétique, membre du groupe littéraire des années 20 0 Les frères de Sérapion ».
Commence par écrire de courts récits d'un fantastique bien particulier, puis vient
progressivement à la forme romanesque. Ont été traduits en français : Peintre
inconnu, Gallimard, 1964 ; Devant le miroir, Laffont, 1973 ; « Le tonneau », in La
Russie fantastique de Pouchkine à Platonov, coll. « Marabout ■ ; Le faiseur de
scandales, Champ libre, 1974.
Sur son œuvre de prosateur, voir D. Piper, A Soviet writer's response to the
problem of commitment, Duquesne University Press, 1970, 180 p., et H. Oulanoff,
The prose fiction of V. Kaverin, Ann Arbor, Slavica Publishers, 1976, 203 p.
5. V. Kaverin, « Bol'saja igra », in Literaturnaja mysl', III, Leningrad, 1925.
« Skandalist, ili večera na Vasil'evskom ostrove », Zvezda, 2-7, 1928.
6. V. В. šklovskij, « Žili-byli » (II était une fois), in Sobranie sočinenij v trek
tomah (Œuvres en trois tomes), Moscou, 1973, I, p. 136.
7. Archives de l'Institut de linguistique de l'Académie des Sciences de l'URSS,
document cité dans Staťi..., p. 8.
8. Archives personnelles de L. Rojzenzon, on utilisera l'abréviation AR,
cf. Staťi..., p. 11.
9. Trad. fr. : M. Gor'kij, Pensées intempestives 1Ç17-IQ18, Lausanne, L'Age
d'Homme, 1975.
10. Meždunarodnaja žizn', 10, 1927, pp. 12-13.
11. Naša red', 16/29 nov. 1917.
12. Cf. témoignage du professeur N. I. Konrád, Staťi..., p. 12.
13. Comme par exemple dans le livre de S. Fedjukin, Velikij Oktjabr' i intelli-
gencija (Le grand Octobre et l'intelligentsia), Moscou, 1972, p. 58.
14. Signalons à ce propos le séjour de Polivanov en 1915-1916 à l'ambassade
de Russie à Tokyo qu'il dut quitter dans des circonstances obscures. Il aurait
peut-être dû cette nomination à son oncle le général A. A. Polivanov, haut
personnage militaire et ministre de la Guerre de juin 1915 à mars 1916 (d'après une lettre
de M. S. Kardašev, fin 1962). Polivanov était de toute façon un familier du Japon
où il s'était rendu avant 1914, accompagné des linguistes N. I. Konrád (1891-1970)
et F. A. Rozenberg (1867- 1934).
15. Chiffre donné par G. Novogrudskij et A. Dunaevskij dans Po sledam Pau
(Sur les traces de Pau), Moscou, 1963, p. 21. D'après l'historien N. A. Popov
(Voprosy isiorii, 10, 1957), leur nombre se serait élevé à 300 000 pour tout le
territoire de la Russie en 191 7.
300 CATHERINE GENTY
16. N. A. Popov, art. cit.
17. Il était d'ailleurs aidé du professeur N. I. Konrád, cf. n. 12 et 14. D'une façon
générale, sur la question des Chinois et de la révolution d'Octobre, cf. Po sledam
Pau, op. cit., et sur Polivanov, cf. pp. 75-78, 233-234.
18. Lettre de M. S. Kardašev, fin 1963. M. S. Kardašev, dont il a déjà été
question (cf. n. 14), était un ami très proche d'E. Polivanov qu'il a surtout connu
pendant la « période de Taškent » (1921-1926). Sa mort prématurée en 1965 a brisé
le dernier lien qui aurait pu permettre de reconstituer la biographie de Polivanov
avec plus de précision.
19. Stat'i..., p. 13.
20. Lettre de M. S. Kardašev, fin 1963.
21. En Asie centrale (terme pris, pour commodité, dans son acception
géographique) sont turks : le kazakh, le kirghiz, le turkmène, l'ouzbek et l'ouïgour. Sans
entrer dans le détail des parlers turks des « arrondissements nationaux », sont turks
également dans l'Union : le tchouvache, le tatar, l'azéri, le bach kir et le yakoute.
22. V. Monteil, Les Musulmans soviétiques, Paris, 1957, P- &7-
23. Le premier abécédaire sur la base de cet alphabet paraît en 1917. Polivanov
racontait l'avoir tenu entre ses mains quelques jours après la révolution d'Octobre.
Cet alphabet prenait la place d'un alphabet en cyrillique établi par des
missionnaires russes.
24. Cf. E. Polivanov, Problema latinskogo Srifta v tureckih pis'mennostjah
(Problèmes de l'alphabet latin dans l'écriture des langues turkes), Moscou, 1923, 20 p.
25. Cf. N. A. Baskakov, « О sovremennom sostojanii i dal'nejsem soveršenstvo-
vanii alfavita dlja tjurskih jazykov narodov SSSR » (État actuel et
perfectionnement futur de l'alphabet des langues turkes de l'URSS), Voprosy jazykoznanija, 5,
1967. P- 33-
26. Pour le détail des rapports du comité, voir les brochures Kul' tura i pis'men-
nosť Vostoka (Culture et écriture de l'Orient), s. 1 , 1928- 1929.
27. Pour le détail, se reporter à Stat'i..., pp. 31-45. Cf. aussi « О treh principah
postroenija ortografii » (Les trois principes de constitution d'une écriture), in Stat'i...,
pp. 254-262.
28. Cf. R. S. Giljarevskij et V. S. Grivnin, OpredeliteV jazykov mira po pis'men-
nostjam (Classification des langues du monde d'après leur écriture), Moscou, 1964,
375 P-
29. Cf. E. Polivanov, « Revoljucija i literaturnye jazyki Sojuza SSR » (La
révolution et les langues littéraires de l'URSS), in Stat'i..., p. 198.
30. Cf. R. S. Giljarevskij et V. S. Grivnin, op. cit. Le caractère progressif de
l'application de la cyrillisation explique que les dates données diffèrent selon les
auteurs. Ainsi K. Bolla, E. Pali et F. Papp (dans leur Kurs sovremennogo russkogo
jazyka I Cours de langue russe contemporaine, Budapest, 1970, p. 167) donnent 1937.
V. Monteil {pp. cit., p. 91) donne 1939. Enfin A. Bennigsen et Ch. Lemercier-
Quelquejay (L'Islam en Union Soviétique, Paris, 1968, p. 140, note) indiquent :
« Les langues turques d'Asie Centrale commencèrent à se diversifier surtout à partir
de 1928-1929 et encore davantage à partir de 1940 avec l'introduction des alphabets
latin et cyrillique. »
31. Cf. K. Bolla, E. Pali, F. Papp, op. cit., p. 167.
32. V. B. Aptekar', N. Ja. Marr i novoe učenie o jazyke (N. Ja. Mart et la nouvelle
doctrine sur le langage), Moscou, 1934, P- J5#-
33. Son projet pour un alphabet analytique de l'abkhaz (1926) avait d'ailleurs
été critiqué par Polivanov.
34. Stat'i..., p. 2i.
35. Nous préférons traduire učenie par « doctrine » plutôt que par « théorie »,
traduction généralement retenue, pour souligner le caractère de simplification
pédagogique que prennent les theses de Marr au fur et à mesure qu'elles
se répandent.
36. Voir détails de sa biographie en Annexe II.
37. Je reprends ici la définition parfaitement claire donnée par M. Cohen dans
« Une leçon de marxisme », La Pensée, 33, 1950, p. 90. Sur la question du marrisme,
outre cet article, on pourra consulter : A. Sauvageot, « Linguistique et marxisme »,
in A la lumière du marxisme, Paris, 1935 '• K- L'Hermitte, « La linguistique en
URSS », Langages, 15, 1969, pp. 3-13 ; J.-B. Marcellesi et B. Gardin, Introduction à la
sociolinguistique, Paris, Larousse, 1974 > Marxisme et linguistique, textes de Marx,
E. D. POLIVANOV 301
Engels, Lafargue, Staline, préface de L.-J. Calvet, Paris, Payot, 1977, et « Langage
et classes sociales. Le marrisme », Langages, 46, 1977.
38. Ceci est dû avant tout au successeur de Marr, I. I. Meščaninov (1883- 1967).
On en trouve confirmation dans l'ouvrage de V. Mihankova, N. Ja. Marr, Moscou,
I948-
Sur I. Meščaninov, on peut consulter l'article de V. M. Zirmunskij, « Pamjati
akademika I. I. MešČaninova » (Hommage à l'académicien 1. I. Meščaninov),
Voprosy jazykoznanija, 3, 1967, pp. 18-27.
39. Sur cette intervention qui venait clore un débat relancé par les marristes
contre les comparatistes en 1948, cf. M. Cohen, art. cit., et R. L'Hermitte, art. cit.
40. Pour la suite de l'histoire de la linguistique soviétique et la question du
néo-marrisme, cf. ibid. De R. L'Hermitte cf. aussi « S. K. Šaumjan et la linguistique
soviétique », Langages, 33, 1974, ainsi que ses comptes rendus des Izvestija akademii
nauk, ot. lit. i jazyka et de la revue Voprosy jazykoznanija dans le Bulletin de la
Société de Linguistique de Paris depuis 195 1.
41. V. Mihankova, op. cit., p. 345.
42. Cf. infra, p. 287.
43. V. B. Aptekar', op. cit., p. 54.
44. Pour toute cette partie, exception faite de l'analyse de Za marksistskoe
jazykoznanie (Pour une linguistique marxiste), je me suis largement inspirée de
l'article introductif de A. Leont'ev, L. Rojzenzon, A. Hajutin, « Žizn' i dejatel'-
nosť... », art. cit., in Stat'i..., pp. 20-26. L. Robel a donné une traduction intégrale
des pages 23-26 dans le n° 3 de la revue Change.
45. Stat'i..., p. 20.
46. E. D. Polivanov, « К voprosu o rodstvennyh otnošenijah korejskogo i
' altajskih ' jazykov » (Question des liens de parenté entre le coréen et les langues
'de l'Altai '), 1927, p. и 96, remarque 1.
47. Membre actif de la section de linguistique de l'Institut du Langage et de
la Pensée, professeur de l'Institut orientaliste, directeur de la section des langues
nationales, membre actif de l'Institut des Peuples d'Orient, membre du bureau du
département de linguistique de l'Institut de Langue et de Littérature et président
de la section de linguistique du RANION (Association russe des Instituts de
recherche en sciences sociales).
48. Les thèses du discours sont imprimées dans Stat'i..., pp. 176-177.
49. G. A. Il'inskij (1 876-1937) : grand spécialiste de grammaire comparée des
langues slaves et du slave commun. Il sera lui aussi arrêté et mourra. Sur ses
travaux, cf. O. N. Trubačov « Etimologičeskij slovar' G. A. H'inskogo » (Le
dictionnaire étymologique de G. A. Il'inskij), Voprosy jazykoznanija, 6, 1957.
50. V. B. Aptekar' et S. N. Bykovskij, op. cit., p. 33.
51. VeČernjaja Moskva, I, mars 1929.
52. Conservée dans les archives de l'Institut de Linguistique de l'Académie
des Sciences de l'URSS.
53. Composition de Pour une linguistique marxiste: « Vmesto predislovija »,
PP- 3-9 > « Istoričeskoe jazykoznanie i jazykovaja politika », pp. 10-35 ; « Gde ležat
pričiny jazykovoj evoljucii », pp. 36-53 ; « Russkij jazyk как předmět grammati-
ceskogo opisanija », pp. 54-66 ; ■ Inostrannaja terminologija как element prepo-
davanija russkogo jazyka », pp. 67-72 ; « Revoljucija i literaturnye jazyki SSSR »,
pp. 73-94 ; « Osnovnye formy grafičeskoj revoljucii v tjureckih pis'mennostjah »,
pp. 0.5-116 ; « O fonetičeskih priznakah social'no-gruppovyh dialektov i v častnosti
russkogo standartnogo jazyka», pp. 1 17-138; «Fonetika intelligentskogo jazyka»,
pp. 1 39-151 ; « Stuk po blátu », pp. 152-160; « O blatnom jazyke učaščihsja i o
' slavjanskom jazyke ' revoljucii », pp. 161 -172 ; « I matematika možet byť polez-
noj... », pp. 173-181.
54. Liste complete in Stat'i..., pp. 40-42.
55. Cf. Staťi..., p. 28.
56. Cf. commentaires de E. Toddes, A. Cudakov et M. Cudakova in Ju. N. Tyn-
ianov. Poetika. Istorija literatury. Kino (Poétique. Histoire de la littérature. Cinéma),
Moscou, 10.77. p. 505. Il est rapporté également (p. 504) la version de R. Jakobson
selon lequel la décision de fonder l'Opojaz aurait été prise en février 191 7 chez les
Brik. Outre lui-même et O. Brik, auraient été présents V. šklovskij, L. Jakubinskij,
B. Ej hen bail m.
57. Pour tous renseignements sur l'Opojar et l'École formaliste russe, cf. V. Erlich,
302 CATHERINE GENTY
Russian formalism, La Haye, Mouton, 3e éd. rey. et согг., 1969, 311 p. On pourra
également se reporter aux commentaires de l'édition de 1977 des écrits de Ju. Tyn-
janov, op. cit.
58. L. Ju. Brik, « Iz vospominanij » (Souvenirs), in Al'manah s Majakovskim
(Almanach Majakovskij), Moscou, 1934, P- 79- Polivanov connaissait bien
Majakovskij ; un de ses poèmes est dédié à Vladimir Vladimirovič (Majakovskij).
59. Pétersbourg, 1916 ; rééd. in Poetika, Petrograd, 1919, et réimpr. in Stat'i...,
PP- 295-305.
60. Edition de l'Opojaz, Petrograd, 1922, 200 p.
61. Voprosy jazykoznaniia, 1, 1963, pp. 99-112.
62. Cf. le cahier de poèmes confié au professeur N. P. Arhangel'skij et une
allusion de Kardašev à des poèmes « vrai nirvana par le contenu » et « petits
joyaux formels ».
63. In Sborník Muzeja antropologii i etnografii, Petrograd, 1918, V, 1, pp. 371-
374 ; réimpr. in Stat'i..., pp. 306-309.
64. Doklady AN SSSR, oct.-déc. 1924, pp. 156-158 ; réimpr. in Stat'i..., pp. 310-
34-
65. In Problémy vostočnogo stihosloženija (Questions de métrique orientale),
Moscou, 1973.
66. Les thèses devaient être à peu de chose près celles de « Problémy izučenija
literatury i jazyka » (Problèmes des études littéraires et linguistiques), Novyj Lef, 12,
1928, fruit de la collaboration Ty nj ano v- Jakobson à Prague en 1928.
67. Commentaires in Ju. Tynjanov, op. cit., pp. 529-532.
68. Il ne s'agit bien évidemment pas de condamner ou d'encenser mais
simplement de mentionner un fait qui a pu jouer un rôle dans les accusations portées contre
lui.
69. Brigitte Nirk était la femme de Polivanov, Ljulli, la soeur de Brigitte.
70. V. Sklovskij, « Žili-byli », in op. cit., pp. 136-137. Ceci n'est peut-être
d'ailleurs qu'une invention de sklovskij ou de Polivanov. N. Ocup, dans Sovre-
menniki (Contemporains, Paris, 1961, p. 79), donne une autre version des faits.
71. Cf. Stat'i..., p. 18.
72. Lettre de Kardašev, fin 1963. Brigitte, d'ailleurs, aurait possédé elle aussi
des dons « para-psychologiques ».
73. Un épisode amusant de l'existence de Polivanov est rapporté par Vjačeslav
Vsevolodovič Ivanov dans le recueil consacré à son père, Vsevolod Ivanov. Pisatel'
i čelovek (V. Ivanov. L'écrivain et l'homme), Moscou, 2e éd. 1975, enrichie, p. 347.
74. H. Oulanoff (op. cit., n. 4) affirme que le prototype de Panaev est O. Senkov-
skij en vertu du simple fait que c'était aussi un orientaliste. Cette interprétation
est contredite par la chronologie : « Le grand jeu » a été commencé dès 1923 bien
avant que Kaverin ne s'intéresse à O. Senkovskij. (Sa première étude sur ce
personnage paraît en 1926 et sa monographie seulement en 1929 sous le titre Baron Bram-
beus.) Enfin, dans son dernier livre de souvenirs, Petrogradskij student (L'étudiant
de Petrograd, Moscou, 1976, p. 64), Kaverin reconnaît formellement avoir pris pour
modèle Polivanov.
75. Dans cette scène finale, Panaev n'est plus le seul personnage « réel ». Kaverin
écrit à L. Lune (lettre du 14 janv. 1924) : a Dans le dernier chapitre, j'ai assis
autour d'une table d'un club toi, ainsi que Fedin, Tihonov, Sklovskij et Edwin
Bud. » (Lettre citée dans la thèse de 3e cycle de R. Aboulker, INLCO.) On reconnaît
bien Sklovskij dans « l'homme chauve au nez à la Socrate » !
76. « Bol'saja igra » (Le grand jeu), in V. Kaverin, Sobranie sočinenij v šesti
tomah (Œuvres en six tomes), Moscou, 1963, I, pp. 62-101.
77. Dragomanov emprunte aussi des traits à Ju. N. Tynjanov et àO. Senkovskij,
mais Polivanov reste le modèle principal : V. Sklovskij (in Ju. Tynjanov. Pisatel' i
učenyj I Ju. Tynjanov. Écrivain et savant, Moscou, 1966, p. 55) écrit : « Polivanov,
Kaverin l'a représenté sous le nom de Dragomanov » ; V. Kaverin le reconnaît aussi
(cf. sa préface à la réédition de Skandalist, Moscou, 1973, P- 4 et Petrogradskij
student, op. cit., p. 64). H. Oulanoff (op. cit., n. 11, p. 174) n'admet qu'une
ressemblance avec O. Senkovskij, sans doute par absence de renseignements sur Polivanov.
78. V. Kaverin, Le faiseur de scandales, op. cit., p. 51. Passage supprimé dans
les éditions de 1963 et 1973.
79. Cf. N. Ja. Marr, Izbrannye raboty (Œuvres choisies), Moscou, 1933, 1» P- 2I3-
80. Voir les souvenirs de V. Kaverin sur Polivanov, « Neotkrytye dorogi »
E. D. POLIVANOV 303
(Voies inexplorées), in Sobranie sočinenij..., op. cit., VI, et Petrogradskij student,
op. cit., pp. 19-21, 58-64.
81. Voir la discussion à ce sujet lors de la Conférence de Samarkand en 1964.
82. D'après une lettre de M. S. Kardašev, fin 1963.
83. V. Kaverin, Le faiseur de scandales, op. cit., p. 46.

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