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Lettres et sciences humaines
circonstances qui ont permis le congrès et dans lequel celui-ci s’est réalisé
modifient d’abord l’idée que l’on s’était faite de cet événement, une idée
plutôt réductrice : une parade oratoire de “grands discours humanistes”, pour
Furet ; un des éléments du dispositif de propagande dont l’Internationale
communiste se servait à merveille selon les nécessités et les intérêts de l’Etat
soviétique, pour Winock ; un événement au fond secondaire pour Hobsbawm,
à qui cependant l’on doit de remarquables analyses de l’antifascisme des
intellectuels. Confrontés à la dimension de l’événement et à la qualité des
participants, ces jugements et ces réticences ont sollicité chez moi le désir
d’aller voir de plus près ce qui s’était passé à la Mutualité en juin 1935 ; d’où
la longue recherche qui s’est croisée avec celle de Wolfgang Klein et qui a
abouti à une édition autant que possible complète : 665 pages, où nous avons
reproduit les 126 discours et messages dans l’ordre où ils ont été prononcés et
dans la version la plus proche de l’oral, ainsi que les documents préparatoires,
les résolutions finales, et d’autres textes complémentaires, dans le but de faire
ressortir la trame thématique et la dynamique de ces assises. Il est
maintenant possible de constater la pluralité des voix qui s’y sont exprimées,
l’ampleur des questions qui y ont été abordées, les inquiétudes qui poussèrent
autant d’écrivains à se « salir les mains » avec la politique. Le travail de
reconstruction de sa genèse permet d’évaluer l’écart entre les programmes et
intentions des organisateurs et l’événement réel, entre le programme officiel
et le déroulement effectif des séances. La modification, en cours de route, des
relations avec l’U.R.S.S., depuis l’ébauche d’une idée en marge du Congrès
des écrivains soviétiques de 1934 jusqu’aux interventions de Gide et Malraux
auprès de l’ambassade soviétique avant et après le Congrès ; le rôle joué par
ces deux écrivains, mais aussi par Benda, Heinrich Mann, Musil, Huxley,
Salvemini, Jean Cassou, les surréalistes, Magdeleine Paz et tant d’autres :
tout cela parvint finalement à assurer au Congrès des écrivains une
autonomie foncière qui n’était pas donnée au départ.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
WK : C’était une recherche en plusieurs étapes – avec toutes les joies du
puzzle. Les débuts remontent aux années 1970. Alors jeune chercheur en
République Démocratique Allemande, j’ai trouvé des références au Congrès
au cours d’une recherche sur les écrivains français regroupés autour de la
revue Commune. J’ai alors eu affaire à une première légende concernant ce
congrès, propre à l’Allemagne de l’Est : l’idée que c’étaient les écrivains
antifascistes allemands en exil qui l’avaient organisé. Or, le rôle au moins
public des Français de gauche, et de quelques soviétiques, comme Ilya
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
Ehrenbourg, sautait aux yeux. Les archives que je pouvais consulter au début
de mon travail étaient littéraires – à Berlin : les fonds des écrivains allemands,
de Johannes R. Becher avant tout, à l’Académie des Beaux-Arts ; à Moscou,
les documents rassemblés à l’Institut de la littérature mondiale à Moscou par
Ivan Luppol, juste après le Congrès, en vue des actes qu’il publia en russe, en
1936 ; à Paris, le Département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale
avec, avant tout, les papiers de Jean-Richard Bloch, et le Fonds Doucet, avec
tout un dossier du Congrès. Tout cela était important pour reconstituer les
discours tenus, évidemment ; mais on pouvait aussi, à partir des
correspondances avant tout, mieux comprendre le caractère franco-soviético-
allemand de l’arrière-plan qui vous intéresse – jusque dans les détails des
relations entre ces écrivains. Tout cela formait la base pour une première
tentative de documenter le Congrès, qui donna lieu à une publication en
allemand en 1982.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
AL: Quel est pour vous l'apport spécifique de cet ouvrage à l'histoire des
attitudes des intellectuels face au fascisme? Cette question doit probablement
être accompagnée d'une autre: quel a été sur le moment l'apport spécifique de
cette réunion, étant donné qu'à l'époque de nombreuses assemblées se
réunissaient pour débattre de la question du fascisme?
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anticipant par là une question que Sartre allait mettre à l’ordre du jour dans
l’immédiat après-guerre.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
alors que lui est anonyme. Seul l’appareil communiste était capable de rendre
cela possible.
ST : Le Congrès fut pour les surréalistes l’occasion d’une rupture avec le
P.C.F. et le régime soviétique. Leur participation constitue déjà un cas. La
lettre d’adhésion, signée par Breton, Eluard, Péret, Hugnet, déclare
l’impossibilité d’être « pour la défense de la culture » tout court, celle-ci étant
la culture dont s’est dotée la bourgeoisie. Puis Ehrenbourg, correspondant
des Izvestia à Paris, demanda leur exclusion à la suite de l’histoire des gifles
que lui avait assénées Breton en plein boulevard Montparnasse comme
réponse à un texte injurieux à l’égard du mouvement. Le nom de Breton fut
retiré du programme, et biffé sur les ébauches, où il figurait dans la première
séance. Le suicide de Crevel amena enfin à un compromis : la lecture du
discours de Breton faite par Eluard.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
Dans son compte rendu pour Esprit, Emmanuel Mounier a pu parler d’un
« duel de deux humanismes » pour connoter un débat, d’ailleurs prévu, entre
l’auteur de La Trahison des clercs et celui des Chiens de garde. Julien Benda
aborda la question d’emblée, presque en ouverture de la première séance.
Tout en prétendant vérifier au préalable l’existence des conditions pour le
dialogue avec les communistes, c’est-à-dire un accord sur la nature de cette
culture que l’on entendait défendre, en réalité il postulait l’existence de deux
conceptions de la culture, l’une fondée sur l’autonomie du spirituel, l’autre
sur la continuité entre les domaines économique et littéraire ; et donc,
l’existence de deux humanismes. Ce qu’il demandait aux communistes c’était
de reconnaître ces identités différentes, sans fondement scientifique ni l’une
ni l’autre, mais relevant de l’ordre du passionnel, de « l’acte de foi ».
Guéhenno fut le premier à lui riposter, avec un discours improvisé, où il
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Le dialogue entre Gide et Malraux n’est pas moins intéressant, l’un essayant
de concilier individualisme, différence et communion, l’autre faisant appel à
une volonté humaniste, à une prise de conscience réelle de l’homme, au
partage des mêmes fins. Par ailleurs, le questionnement sur la notion de
culture n’est qu’ébauché. Dans son allocution d’ouverture, Gide suggéra
d’assumer comme point de départ que la culture est faite de la somme des
cultures particulières de chaque pays, qu’elle est un bien commun, commun à
tous et international. Puis, dans son discours, il indiqua dans la littérature le
lieu privilégié où la réalisation du général dans le particulier, de l'humain
dans l'individuel, s’effectue le plus pleinement; mais ce qui l’intéressait c’était
surtout de défendre l’autonomie de la littérature, de revendiquer à chaque
situation sa littérature et prôner le maximum de tolérance et de liberté. Musil
essaya, à son tour, d’énumérer les attributs d’une idée de culture et d’établir
les conditions faute desquelles il n’y aurait pas de culture – liberté, franchise,
courage, incorruptibilité, sentiment de la responsabilité, esprit critique,
amour de la vérité – mais c’est sa foi dans un fondement ontologique de la
culture qui lui fit proposer « l’autodéfense » de la culture par rapport à la
politique, dans la conviction, partagée avec l’auteur de La Trahison des clercs,
que le vrai danger consiste dans la tendance de la politique à asservir la
culture ou du moins à la séduire. Jean Cassou, prenant la parole tout de suite
après lui, contesta une vision de la culture qui la réduit à « un objet défini et
fixé, qui se transmet à la manière des biens d’argent et des possessions ». Il
défendait, dans la culture, l’invention perpétuelle, la subversion, l’acte vital ;
et contre toute sollicitation ou tentation de se mettre « au service de la
révolution », il indiquait le lien intrinsèque entre culture et esprit
révolutionnaire dans une commune tension vers un nouvel humanisme. Cette
idée de culture, qui est le propre des rares représentants des avant-gardes,
était exprimée en abordant la question par le biais du rapport à la tradition et
à l’héritage culturel, et en passant de la définition de l’objet à défendre à la
réflexion sur la nature de l’œuvre d’art. C’est ce qu’explicita Malraux, en
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
AL: Si on trouve un certain accord sur le fait que les écrivains doivent
s'engager (et cela malgré la polémique déclenchée par l'intervention de Julien
Benda), des discussions surgissent à propos de l'esthétique à adopter. Les
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ST : J’ai parlé d’une « offensive » portée par la délégation soviétique sur le
terrain de l’esthétique. Les journées de la Mutualité représentaient une
formidable occasion de propagande. Un réalisme socialiste s’enracinant dans
la grande tradition réaliste et humaniste occidentale pouvait représenter un
terrain favorable sur lequel fonder l’alliance antifasciste. Mais les choses se
passèrent autrement, et les délégués soviétiques finirent par se retrouver
assez isolés. La plupart des écrivains indépendants ou « compagnons de
route » réagirent poliment mais avec fermeté et les écrivains communistes
eux-mêmes se montrèrent assez réticents.
WK : Quand on compare ce qui est dit à Paris avec les discours tenus aux
congrès des écrivains révolutionnaires de Moscou, en 1934, ou de Kharkov, en
1930, on constate un changement important. Là, l’enjeu avait clairement été
de définir des esthétiques qui correspondraient à des politiques et leurs
idéologies : celle de « la révolution mondiale » demandant une « littérature
prolétarienne et révolutionnaire », celle du « socialisme dans un seul pays »
illustrée par le « réalisme socialiste ». Cela allait, en 1930 plus encore qu’en
1934 (et cela devait changer radicalement un peu plus tard), jusqu’à des
règles assez strictes imposées aux écrivains pour produire leurs livres. Pour le
Congrès de Paris, la convocation prévoyait encore, dans cet esprit, comme
avant-dernier point donc (j’interprète), comme conclusion à tirer des
discussions sur l’état de la société et de la culture, un débat sur « La création
littéraire ». Finalement, le Congrès discutera « Les problèmes de la création
et la dignité de la pensée ». C’était faire comprendre que les écrivains étaient
venus à la Mutualité en intellectuels et non pas en spécialistes de l’esthétique,
et que, dans leur engagement, ils voulaient et savaient garder l’autonomie de
leur travail professionnel.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
Il reste que Fedor Panferov donna, dans son discours, l’explication d’office du
réalisme socialiste que les chefs de sa délégation avaient cru nécessaire – mais
il faut voir même là les deux axes de sa réflexion : le réalisme socialiste est une
chose que nous faisons « chez nous, en Union soviétique », et en le faisant
« nous suivons les préceptes des grands artistes du passé ». Ce n’était pas la
déclaration d’une esthétique à adopter universellement. Il y avait des idées sur
le roman historique. Il y avait l’effort d’Aragon pour faire voir la part que la
réalité, la réalité sociale, jouait dans le romantisme, dans le naturalisme, dans
la poésie de la modernité, dans les avant-gardes, pour esquisser un
« Romantisme révolutionnaire ». Il y avait le discours remarquable dans lequel
Egon Erwin Kisch défendait le reportage comme forme de lutte et d’art en
même temps. Mais l’enjeu du Congrès, ce n’était pas la définition d’une
nouvelle esthétique (celle du Front populaire, peut-être ?). On se limitait,
mais c’était déjà beaucoup, à un constat double : ce n’est plus le temps où il ne
faudrait proclamer que l’autonomie de l’art, mais il ne faut pas pour autant
mettre l’art au service d’un mouvement politique. C’est entre ces deux
extrêmes que le Congrès s’efforce de se situer, avec toutes les séductions dans
les deux sens que cela implique. Je reviens à Jean Cassou que Sandra Teroni a
déjà cité et qui me semble avoir trouvé le mot représentatif de ce moment :
« C’est notre art tout entier, sous son aspect le plus vivace, c’est notre
conception vivante de la culture et de la tradition qui nous entraînent vers la
révolution. » Friedrich Schiller a utilisé le terme de « hé-autonomie » pour
cette union contradictoire. Les esthétiques qu’on peut adopter dans une telle
situation ne peuvent être que multiples et diverses.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
pour avoir exagéré cette critique), avec, nous disent tous les témoins, une
grande émotion et une force oratoire qui arrive à faire entonner
l’Internationale dans la salle. La situation avait fait comprendre à Regler que
les problèmes spécifiques de la création littéraire n’étaient pas ce qui devait
intéresser ce Congrès. Immédiatement avant Feuchtwanger, Heinrich Mann
avait parlé – six jours précisément après avoir fini son grand roman historique
sur La Jeunesse du roi Henri Quatre. Mais comme thème, il avait choisi « La
dignité de l’esprit », et son texte ne fait pas allusion à son travail de romancier
si récent. Ce Congrès a réuni des écrivains – mais non pas pour parler
littérature dans le sens plutôt technique qui intéressait Feuchtwanger.
Il me semble aussi que le roman historique était un sujet important avant tout
pour les Allemands exilés, où un très grand nombre d’auteurs a produit un
très grand nombre de textes, souvent de valeur – du cycle sur le Joseph de la
Bible de Thomas Mann jusqu’au Jules César inachevé de Bertolt Brecht, pour
ne citer que deux autres exemples. Mais l’histoire, gardait-elle le même
intérêt pour tous les autres ? Il me semble plutôt que non. Souvent, c’est
l’approche thématique du fascisme, comme vous le dites, qui intéresse (pensez
au Temps du mépris, du Malraux de 35, ou au Chemin du février d’Anna
Seghers, allemande parlant des luttes à Vienne en 34 dans son roman de 35),
ou ce sont les luttes sociales en France (Le Cheval de Troie, de Paul Nizan,
est aussi contemporain au Congrès). Et encore autre chose est le réalisme
socialiste qui n’est pas lié au fond, je crois, aux besoins d’une littérature anti-
fasciste, mais s’explique, dans ce qu’il a d’attachant pour les écrivains de
l’Ouest avant sa pétrification stalinienne, par les perspectives d’une
participation des écrivains à la création d’une nouvelle société.
AL: Parmi les discours les plus célèbres du Congrès, il faut citer celui de
Bertolt Brecht, dont l'originalité est évidente, notamment lorsqu'il souligne la
position qui consiste à s'opposer au fascisme sous prétexte que ce régime est
l'auteur de "cruautés inutiles", et qu'il signale les concepts auxquels ceux qui
condamnent le nazisme devraient renoncer afin de pouvoir percevoir le
phénomène dans sa spécificité et d'agir contre lui. On connaît, par le biais des
lettres qu'il adresse à Ernst Bloch, à George Grosz et à Alfred Döblin après le
Congrès, son désaccord avec la position de la plupart des participants, et du
Congrès en général. Quelle réaction son intervention a-t-elle suscitée? A-t-
elle été perçue dans sa dimension critique et spécifique?
WK : Oui, je crois que cette dimension a été perçue – mais cela s’est exprimé
d’une façon paradoxale : immédiatement après le Congrès, personne (ou
presque) n’a parlé de ce discours. Aucune revue française ou anglaise ne s’est
intéressée à son texte, et dans les articles des contemporains allemands, on ne
trouve guère cité le nom de Brecht, et jamais une discussion sur ce qu’il avait
dit. La célébrité de ce discours ne date que des années 1960/70. Pour le dire
avec Louis Althusser, Brecht avait voulu expliquer aux congressistes que le
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AL: Étant donné le fait que plusieurs intervenants proposent une réflexion
sur le rapport entre les intellectuels et le public, il semble naturel de se
demander quelle répercussion le Congrès des Écrivains pour la Défense de la
Culture a eu auprès du public et de quelle façon celle-ci s'est manifestée.
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
WK : C’est difficile à dire. On sait par les photos et par les témoignages que la
salle, la grande salle, de la Mutualité était pleine, que le public, plutôt
intellectuel mais aussi ouvrier ou populaire, suivait attentivement les
discours, et qu’il a eu un écho non négligeable dans la presse, de gauche avant
tout mais pas exclusivement, et en URSS plus encore qu’en France. Mais il est
clair aussi que les rapports entre les intellectuels et le public (voire entre
écrivains et lecteurs) ne changent pas par un seul congrès, même s’il a
l’ampleur de celui de 35. Il se peut que, de nos jours, les nouvelles vieillissent
encore plus vite que du temps du Congrès, mais le journal suivant couvre
depuis toujours l’actuel. Je serais donc plutôt réservé pour ce qui concerne
une répercussion immédiate du Congrès.
Mais, d’un autre côté, il se passait plus que la présentation de quelques idées
dont la postérité seulement pourrait découvrir le sens. Il y eut en 35, en
France, ce grand mouvement, vraiment de masse, qui devait aboutir aux
élections parlementaires d’avril/mai 36, avec la victoire du Front populaire et
les espoirs du grand bouleversement social qui s’en trouvaient vivifiés et qui
débordaient largement le mouvement antifasciste. Le Congrès des écrivains
et l’Association fondée par lui s’inséraient dans ce mouvement comme sa
partie plus spécifiquement intellectuelle. Je viens de retrouver une lettre
écrite par Heinrich Mann à sa femme, le matin du 21 juin, premier jour du
Congrès. Elle donne un peu l’atmosphère : « Hier soir, je suis allé à une fête
Victor Hugo, mon nom était inscrit en grand sur l’affiche. La soirée, avec les
chœurs parlés des ouvriers et des acteurs enflammés, me rappelait beaucoup
l’ancien Berlin. » Et enfin, ou peut-être avant tout : il ne faut pas oublier que
la partie française de l’Association internationale pour la défense de la culture
était formée par l’organisation des Maisons de la culture, qui, entre 35 et 39,
créa, un peu partout en France et avec un succès considérable, des lieux de
rencontre entre intellectuels, écrivains, artistes et leur public populaire (et
qui ont eu un renouveau, sans l’esprit militant, sous Malraux, ministre de la
culture après avoir été un des agents des Maisons des années trente). En ces
sens, il faut voir, je crois, que le Congrès ne se résumait pas à l’antifascisme,
qu’il avait une dimension directement militante : de lutte pour un
bouleversement fondamental dans les pays qui étaient « démocratiques » sur
le plan politique mais non pas sur celui des réalités sociales.
AL: Nous avons évoqué les présents mais vous évoquez aussi certains absents
(de Simone Weil à Georges Bataille, Leiris, Caillois mais aussi Lukács). Que
disent ces absences sur le Congrès?
WK : Pour ce qui concerne Lukács, je crois qu’on ne peut pas le compter dans
cette série des Français de la gauche indépendante. D’abord, il vivait à
Moscou, et son absence n’était pas tout à fait dans sa décision personnelle, car
il dépendait du fait d’avoir les visas nécessaires pour se rendre à Paris : étant
communiste, son parti aurait dû le déléguer, et il n’a nommé dans son groupe
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du Congrès que des écrivains. Mais avant tout : après le Congrès, Lukács a
co-signé, avec le groupe des écrivains allemands vivant à Moscou, une critique
de l’ouverture vers un humanisme entreprise par le Congrès, autrement
lourde que celle de Brecht. Dans le plus pur esprit stalinien, les camarades
dénonçaient ces « abstractions philosophiques » et demandaient à « remplir
[...] les rapports et résolutions du VIIe Congrès mondial » du Komintern.
Lukács n’était pas l’auteur de ce rappel aux « positions de classe » dont nous
citons de larges extraits dans le livre. Mais je ne peux que difficilement
l’imaginer à la tribune de la Mutualité, avec de telles idées (onze ans plus tard,
à un Congrès sur « L’Esprit européen » tenu à Genève, devenu plus sage, il
devait lui-même proclamer l’union de Roosevelt et de Staline, comme la
fusion de la démocratie et du socialisme – mais c’est une autre histoire).
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AL: À propos des rapports entre l'Association des Écrivains pour la Défense
de la Culture et le PEN-Club vous parlez d'une "division du travail".
Comment celle-ci s'est mise en place et en quoi consistait-elle? Je pensais
qu'à certains congrès du PEN-Club de l'époque (comme celui de Buenos
Aires en 1936) des représentants de pays fascistes sont présents et profitent
de l'occasion pour militer pour la cause fasciste (notamment Marinetti,
critiqué aussi sur le Congrès de Paris). Quels étaient les rapports entre ces
deux associations?
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15/10/2020 Sandra Teroni et Wolfgang Klein : Pour la défense de la culture
définies. Cela arrive, il faut le souligner peut-être, deux mois avant le premier
procès de Moscou qui devait causer tant d’autres ruptures.
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