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Dépasser le réalisme : l’art à l’épreuve du réel dans Les

Lettres françaises. 1960-1972


Julie Sissia

« Fondées en 1942 par Jacques Decour (fusillé par les nazis). Directeur : Aragon. » Comme le
rappelle l’en-tête de chaque numéro, jusqu’au dernier, qui paraît le 11 octobre 1972, l’histoire des
Lettres françaises prend sa source dans la Résistance communiste1. Dans l’immédiat après-guerre,
la défense des valeurs nationales et l’engagement sont au cœur de l’identité de l’hebdomadaire
culturel, dévolu depuis sa fondation à la littérature, au théâtre, à l’histoire et à la philosophie, ainsi
qu’aux arts plastiques 2 . Les Lettres françaises soutiennent alors des positions communistes et
reflètent celles des intellectuels français parmi les plus influents 3 . Mais elles ne sont pas pour
autant, à la différence de L’Humanité, l’organe de presse officiel du Parti communiste français
(PCF), qui n’en prend le contrôle financier qu’en 1947 4. Sous la houlette de Louis Aragon 5, le
journal reflète néanmoins par la suite le durcissement idéologique du parti entre 1947-1948 et la
mort de Staline en 1953, au cœur de la guerre froide.

Du point de vue de la ligne éditoriale générale comme de la rubrique des arts, ce durcissement
correspond avec la nomination en 1948 de Pierre Daix en tant que rédacteur en chef. Ancien
résistant, ami du « camarade » Pablo Picasso, écrivain et critique d’art, son importance est capitale
dans les partis pris esthétiques et politiques des Lettres françaises. En dépit des témoignages sur les
pratiques totalitaires en Union soviétique, Daix et Aragon continuent de défendre le stalinisme.
Leur difficulté sera de trouver une position artistique qui puisse être jugée conforme aux principes
énoncés par Jdanov pour définir le réalisme socialiste au milieu des années 1930, et qui soit
néanmoins applicable à la situation artistique dans la France de l’après-guerre 6 . En 1953,
l’« affaire » du portrait de Staline par Picasso marque cependant une première brèche dans cet
alignement. L’épisode est resté de loin le plus célèbre de l’histoire de la publication : commandée
par Aragon à la mort du « petit père des peuples », cette esquisse jugée irrévérencieuse par le
secrétariat du PCF7, finalement désavouée par le journal sous la pression du parti, n’est cependant
pas encore un signe d’ouverture de la revue à la problématique des « avant-gardes ». Le tournant à
cet égard n’a lieu qu’à partir de 1958, et par le biais de la littérature – nous y reviendrons. L’épisode
témoigne néanmoins déjà des ambiguïtés de la rédaction à l’égard de la doctrine soviétique en
matière artistique. Accompagnant l’indépendance de plus en plus marquée des Lettres françaises à
l’égard de l’URSS et du PCF 8 , les colonnes dédiées aux arts plastiques et à la théorie de l’art
connaissent dans les années 1960 et jusqu’en 1972 une diversification sans précédent. De nouvelles
générations de critiques y font leurs armes, les sciences humaines viennent nourrir la réflexion sur

1
l’art, et peu à peu, le débat s’ouvre à d’autres questions que celles de la peinture, qui demeure le
médium le plus discuté.

Les notions de réel et de réalité, par la récurrence et la diversité de leur emploi durant cette période,
témoignent de la volonté de dépasser la conception jdanovienne du réalisme socialiste. Les Lettres
françaises se tournent en effet dès la fin des années 1950 vers des critiques d’art non communistes.
On remarque d’une part que les notions de « réel » et de « réalité » tendent à se substituer à la
notion de « réalisme », et d’autre part que ces différentes notions considérées dans leur unité font
l’objet de définitions différentes de celles qu’en avait forgées l’URSS. L’abstraction est à cet égard
un enjeu central : elle devient « réalisme sans rivages » en 1965 sous la plume de Roger Garaudy,
l’idéologue et le théoricien de l’art officiel du PCF. Mais cette rhétorique n’épuise pas pour autant
la réflexion sur la notion de réalité, qui intègre désormais les pratiques conceptuelles, en particulier
celle de Daniel Buren.

Dans ce contexte spécifiquement français, quelle place est réservée aux scènes internationales ? La
conviction internationaliste des Lettres françaises, en accord avec l’idéologie marxiste, comprend
une dimension universaliste, et l’abstraction est peu à peu admise puis valorisée comme un modèle
universel de modernité, selon une définition assez proche de celle d’André Malraux 9. Dans quelle
mesure la défense de l’école dite « de Paris » illustre-t-elle la continuité des options idéologiques
fondamentales de la publication, entre tradition nationale et ouverture internationale ? Les relations
tissées par les critiques des Lettres françaises avec deux pays socialistes aux politiques artistiques
très différentes, l’Allemagne de l’Est et la Pologne, sont particulièrement éclairantes pour saisir les
ressorts théoriques et idéologiques de la revue, mais aussi celles qui se nouent avec l’Allemagne de
l’Ouest, s’affirmant alors comme nouvelle puissance économique et artistique, grâce à une politique
de reconstruction culturelle largement orchestrée par les États-Unis.

« L’avant-garde et le réalisme socialiste ». Pierre Daix versus Georg


Lukács10
C’est par le biais d’une critique de l’esthétique marxiste de l’auteur de la Théorie du roman 11,
Georg Lukács, que Pierre Daix affirme à plusieurs reprises l’indépendance des Lettres françaises à
l’égard de la doctrine du réalisme socialiste au début des années 1960. Le choix d’un tel biais peut
sembler paradoxal, étant donné que Lukács soutient des thèses anti-jdanoviennes. Mais comme le
rappelle Pierre Daix en citant Lukács, ce dernier souhaite à terme l’avènement d’un autre réalisme
socialiste, qui aurait dépassé de manière dialectique le jdanovisme et le réalisme critique qu’il
défend lui-même12. Cette position témoigne de la malléabilité de la notion de réalisme socialiste.
Pierre Daix considère pour sa part l’esthétique de Lukács – en particulier la notion de « réalisme

2
critique » développée dans l’essai de 1957, traduit en 1960 en France13 – comme une allégeance à
des conceptions plus proches de la doctrine stalinienne que ses éditeurs français ne le laisseraient
penser. Ce faisant, il aborde Lukács à l’aune d’une réception française qui a considéré ses écrits
contemporains comme un reniement de ses premiers écrits des années 1920, et qui tend à interpréter
Histoire et conscience de classe récemment traduit comme une pensée dirigée contre l’orthodoxie
soviétique, comme le « livre maudit du marxisme14 ». Le positionnement de Pierre Daix par rapport
au théoricien hongrois traduit en fait surtout le souci d’indépendance des Lettres françaises à
l’égard de l’URSS. Au moment où il écrit cette critique, il apparaît nécessaire de définir une voie
esthétique singulièrement française. Celle-ci se joue autour de la définition du rapport entre l’art –
entendu au sens le plus large – et la réalité, pour trouver une issue aux apories idéologiques où
conduit la notion de réalisme.

La critique adressée à Georg Lukács par Pierre Daix repose précisément sur l’idée selon laquelle le
théoricien procéderait à des « distorsions par rapport à l’expérience française », en particulier celle
des « avant-gardes ». La première déformation consiste à ne pas tenir compte de la littérature
française. Rappelons que le dépassement du « réalisme socialiste » a lieu dans Les Lettres
françaises via l’ouverture aux avant-gardes littéraires à la fin des années 195015 et en particulier aux
théories du Nouveau Roman 16 . Ses principaux représentants, Nathalie Sarraute ou encore Alain
e
Robbe-Grillet, remettent alors en cause les fondements du roman dit « réaliste » du XIX siècle et
déconstruisent la narration linéaire comme vecteur d’une représentation illusoire de la réalité
sociale17. La deuxième distorsion, selon Pierre Daix, tient dans sa définition de l’avant-garde, qui se
limite à des auteurs principalement germanophones, « comme si Apollinaire, Dada, le surréalisme
n’avaient point existé ».

Selon lui, les oppositions autour de la notion de « réalisme » et d’« antiréalisme », telles qu’elles
sont formulées par Lukács, ne correspondent pas à l’expérience menée, « dans un pays comme la
France », par les avant-gardes, du surréalisme au Nouveau Roman. Dans ce contexte, Les Lettres
françaises et le PCF se dotent, avec l’aide de l’idéologue Roger Garaudy, d’une autre conception du
« réalisme », considérée comme plus apte à situer en son cœur « l’expérience française » du
socialisme.

D’un réalisme sans rivages, ou l’affirmation d’une esthétique spécifique


du PCF
La théorie du « réalisme sans rivages », développée par Roger Garaudy dans un essai préfacé par
Louis Aragon18, définit à partir de 1963 la ligne esthétique des Lettres françaises au sein du PCF et
du communisme international.

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Roger Garaudy est un idéologue plus qu’un philosophe. Au moment où il écrit cet essai, il se trouve
à l’apogée de sa carrière au sein du parti, dont il sera exclu soudainement en 1970 19 . C’est à
l’occasion du colloque sur Kafka, qui se tient en mai 1963 non loin de Prague, qu’il formule la
définition de la nouvelle ligne esthétique du PCF. Roger Garaudy, à son retour de la conférence,
livre pour Les Lettres françaises un compte rendu enthousiaste de la rencontre qui a réuni « à peu
près tous les spécialistes marxistes de Kafka, une centaine environ, venus des pays socialistes, et
des partis communistes d’Autriche et de France20 ». Il insiste sur la réception favorable de Kafka en
Tchécoslovaquie, quand bien même ce dernier n’a jamais été marxiste ; il souligne également
l’ouverture d’esprit de l’un des participants polonais, le « professeur Roman Karst de l’université de
Varsovie ». Il évoque enfin la présence d’une délégation est-allemande composée notamment
d’Anna Seghers et du « professeur Richter, qui a consacré de belles études à Kafka ». Plutôt qu’une
confrontation Est-Ouest, Garaudy voit dans ce colloque la possibilité d’un dialogue autour d’une
conception élargie du réalisme, « les premières hirondelles annonciatrices d’un nouveau
printemps ».

Peu de temps après, Les Lettres françaises donnent à Roger Garaudy une tribune pour présenter sa
redéfinition du réalisme. À l’occasion de la parution en octobre 1963 de l’essai mentionné plus
haut, consacré non seulement à Kafka, mais aussi à Saint-John Perse et à Picasso, la préface
d’Aragon figure à la une des Lettres françaises 21 . Le directeur de la publication y répond aux
critiques accusant Garaudy de révisionnisme dans les rangs communistes français, mais aussi en
URSS et en RDA 22 : « Il ne s’agit pas d’une révision du marxisme, mais au contraire de sa
restitution. Et d’en finir avec la pratique dogmatique, dans l’histoire, dans la science, dans la
critique littéraire, l’argument d’autorité, la référence aux livres sacrés qui ferme la bouche et rend la
discussion impossible 23 . » L’ambiguïté du discours d’Aragon sur le « réalisme socialiste »
s’exprime dans sa préface : en premier lieu, Aragon précise que « les mots réalisme, réaliste, prêtent
à confusion ». Il définit « le réaliste » au sens « abstrait », comme celui qui « joue une partie, où
l’enjeu n’est pas que lui-même, mais dans laquelle il est lui-même en jeu » ; autrement dit, la notion
désigne une attitude ouverte au monde, ancrée dans l’histoire, plutôt que le repli sur soi et
l’individualisme, coupés de la réalité du temps présent. Le réalisme est bien une attitude, non une
forme artistique : Aragon évoque ainsi, Matisse, qu’il range du côté des « réalistes », pour rappeler
que de grands artistes ont ce terme « en horreur, qui pourtant ne subsisteront que par cela qu’ils ont
en eux de réaliste ». En conclusion, Aragon ne récuse pas pour autant la notion de « réalisme
socialiste », après l’avoir néanmoins entièrement remaniée : « C’est comme réaliste, et ne vous y
trompez pas, comme réaliste socialiste, que je salue sa tranquille audace, et que je me plais à penser
que les hommes jeunes […] y verront le commencement d’une méditation active où l’art contribue
à la transformation du monde. »

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La thèse centrale de Garaudy est énoncée peu après dans un article intitulé « Réflexions sur le
réalisme et sur ses rivages », où il oppose la science, fondée sur l’objectivité, et l’art, fondé non pas
sur la subjectivité mais sur l’« humanité24 ». L’enjeu de cette distinction est de définir un art aux
prises avec le monde extérieur. La nuance entre « subjectivité » et « humanité » est fondamentale,
car un art subjectiviste serait une position individualiste, nécessairement coupée du réel, du
collectif, de l’histoire universelle : « La réalité scientifique exige l’absence de l’homme. La réalité
artistique exige, au contraire, sa présence. » Comme Aragon, il se livre à une redéfinition du
réalisme socialiste : « Seul peut être un réaliste contemporain, et à plus forte raison, un réaliste
socialiste […] celui qui […] ayant intégré ce riche héritage des formes d’expression et de création
élaborées par le travail des hommes de tous les siècles et de tous les peuples […] saura découvrir,
au-delà, le langage propre à l’expression et à la création des réalités et des valeurs de notre temps. »

Pierre Daix considère cette théorie comme un « événement considérable […] dont l’importance
dépasse les frontières, qu’il s’agisse de celles de la France ou de celles du marxisme25 ». Cette
position donne l’occasion d’un dialogue entre Les Lettres françaises et le théoricien autrichien Ernst
Fischer.

« Qu’est-ce que la réalité en art ? » L’hommage des Lettres françaises à


Ernst Fischer
Ernst Fischer (1899-1972), théoricien marxiste de la littérature, représentait la voix de l’Autriche au
colloque de Liblice en 1963. À la suite de cette rencontre et à l’occasion de son soixante-cinquième
anniversaire en 1964, Roger Garaudy lui rend un long hommage dans Les Lettres françaises, qui
publient un extrait de son ouvrage La Nécessité de l’art. Pour Garaudy, cet ouvrage pose de manière
exemplaire la question de « la réalité en art 26 ». Contre Lukács, qu’il expédie du côté du
jdanovisme27, Garaudy rapproche Ernst Fischer de Brecht et d’Aragon, qui ont selon lui affranchi
l’art de sa définition mimétique. À l’idée de « reflet d’une réalité objective, d’une réalité donnée,
toute faite », ces trois auteurs auraient substitué celle de « travail », d’« action », où « l’accent est
mis sur l’art comme création et non pas d’abord comme imitation de la nature ».

La pensée d’Ernst Fischer entre en résonance avec la réflexion sur l’avant-garde développée depuis
1958 dans la revue, car elle intègre la littérature française contemporaine, en particulier le Nouveau
Roman. Ernst Fischer n’en prend pas moins ses distances avec le rapport au réel qu’implique ce
type de littérature :

« La méthode de l’anti-roman ne reconquiert pas la réalité perdue. Au lieu des phrases vides
et des associations préfabriquées conventionnelles, elle met en avant des détails lavés de toute
signification et des impressions sensorielles entièrement isolées de tout contexte. En rejetant
les pseudo-faits des titres de journaux, cette littérature a écarté entièrement les faits. Tout le
5
concret s’y dissout : les personnes errent à tâtons dans un brouillard chaotique du fond des
âges et il n’y a pour eux ni avenir ni passé, mais seulement une “existence” hors du temps et
sans but. Le monde illusoire officiel a été remplacé par un monde privé, mais non moins
fantomatique. […] “Mais l’être en soi n’est pas encore réel, écrivait Hegel, seulement ce qui a
été compris est réel.” Et Marx : “Seul le monde compris en tant que tel est réalité.” Aussi une
littérature qui délibérément rejette la compréhension manque-t-elle de ce qui est décisif dans
la réalité. L’irréalité de son contenu peut bien venir d’une protestation contre le monde
standardisé des illusions, cela ne l’empêche pas de n’être que l’ombre de ce monde28. »

Pour Ernst Fischer, ces écrivains réinventent néanmoins en l’actualisant la réalité moderne, et
expriment de manière singulière la nécessité vitale de s’émanciper du « catalogue des clichés
disponibles ». Peu importe qu’ils soient ou non socialistes, puisqu’ils formulent une proposition
« capable d’élaborer de nouvelles images, puissantes, originales ». C’est en effet vers la
présentation d’une « réalité sans préjugés » que doit tendre l’art.

L’émancipation à l’égard du réalisme socialiste « jdanovien » s’élabore ainsi en grande partie via la
notion de « réalité ». Au début des années 1960, ce passage s’opère surtout par le biais de la
littérature. Mais progressivement, jusqu’en 1972, le discours sur les arts plastiques dans
l’hebdomadaire trouve sa place dans cette réflexion, au sein de laquelle il ne se cantonne pas à une
simple fonction d’illustration des débats littéraires.

« La quête de la réalité » : peinture et engagement


Le discours sur l’art dans Les Lettres françaises porte principalement sur la peinture. Les rubriques
dédiées à l’actualité des galeries parisiennes s’intitulent de manière symptomatique « Peinture
fraîche29 » ou encore « Sept jours avec la peinture30 ». De plus, la peinture fait l’objet des comptes
rendus d’expositions les plus nombreux : qu’il s’agisse du Salon des réalités nouvelles ou de la
Biennale de Paris, l’accent est mis sur les potentialités que représente encore la peinture dans les
années 1960 31 . Au moment où les pratiques qui remettent en question ce support traditionnel
deviennent de plus en plus courantes, tout se passe comme si l’enjeu consistait pour Les Lettres
françaises à garantir la pérennité de la peinture, voire sa supériorité parmi la profusion de nouveaux
médiums. Il s’agit dès lors de défendre la peinture comme support privilégié d’un art aux prises
avec la réalité.

Picasso représente la figure tutélaire du peintre dans Les Lettres françaises, sous l’égide de Pierre
Daix, ami de l’artiste et spécialiste de son œuvre32. Depuis Guernica, et a fortiori après l’« affaire »
du portrait de Staline, Picasso incarne le modèle du peintre d’avant-garde engagé sans être asservi
aux discours politiques. Communiste depuis 1944, il demeure critique à l’égard du parti 33. C’est
surtout dans l’attitude sans concession de Picasso à l’égard des conventions de la représentation de
la figure que Pierre Daix trouve le modèle esthétique et moral du peintre « résistant » du XXe siècle.

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Par la suite, Roger Garaudy, dans ses théories sur un « réalisme sans rivages », prend appui sur les
figures de Kafka, Saint-John Perse et Picasso pour défendre une esthétique libérée du dogme
réaliste socialiste. Picasso demeure dans les années 1960 le type idéal de l’artiste qui place l’humain
au cœur de son propos, et ne perd à cet égard jamais de vue la réalité dans un pur jeu de forme.
Ernst Fischer, dans l’extrait de La Nécessité de l’art reproduit dans la revue, situe de manière
représentative la place de Picasso dans l’esthétique marxiste libérée du dogme :

« Picasso se servant de ses moyens de peintre a montré un monde disloqué en mille


morceaux, pas en tant qu’expression d’un destin anonyme ou d’un événement cosmique, mais
en tant que Guernica, en tant qu’existence humaine menacée par la dictature fasciste. Cette
magnifique toile ne représente pas seulement la réalité dans sa forme la plus concentrée : elle
fait cause commune avec l’humanité torturée, elle porte ses accusations en pleine lumière.
[…] Aucun antifasciste ne peut demander : “Qu’est-ce qu’il y a à comprendre dans cette
toile ?” Cette question est laissée aux fascistes qui détournent les yeux avec gêne34. »

D’autres peintres sont emblématiques de la compréhension de la peinture comme support par


excellence de l’engagement de l’artiste dans « la réalité ». Que la peinture soit figurative ou non,
que les peintres soient encartés ou non, la notion de réalité se substitue à celle de réalisme. Édouard
Pignon, ancien ouvrier, peintre autodidacte entré au parti communiste en 1933, marqué par sa
rencontre avec Picasso en 1936, publie en 1966 La Quête de la réalité 35, qui est salué dans le
chapeau introduisant l’extrait publié comme « un événement de grande importance36 ». En juin, peu
avant l’inauguration de sa rétrospective au musée national d’Art moderne 37, un extrait de l’ouvrage
est publié dans Les Lettres françaises38. L’artiste y décrit son cheminement artistique comme une
« espèce de fusion forcenée avec la réalité », un « chemin de découverte » vers « une plus grande
vérité ». Pour lui, s’il y a bien une idée qui préside à l’exécution de la toile, c’est donc seulement
dans un « combat âpre et ardu » avec le support pictural que naît la réalité spécifique de la peinture.
Celle-ci se confond avec la « vérité », définie comme un travail au corps de la peinture, un
mouvement, action violente, exaltation – un engagement de toute la personne dans le monde39.

Cependant, la conception de la réalité picturale prônée dans Les Lettres françaises est suffisamment
ouverte pour que la peinture abstraite puisse y participer, jusqu’à en devenir l’emblème. L’œuvre de
James Pichette, peintre encarté au parti communiste, à qui Roger Garaudy consacre plusieurs
articles et une monographie, incarne la « réalité » de la peinture abstraite gestuelle. La figure de
référence de cette pratique demeure Hans Hartung, qui fait l’objet de plusieurs articles et de
nombreuses références 40. De jeunes critiques d’art, parmi lesquels Raoul-Jean Moulin41, puisent
dans cette rhétorique où la notion de réalité devient synonyme d’un art moderne qui serait politique
sans être nécessairement militant. Ce terme devient plus largement le critère d’évaluation de
l’authenticité des valeurs artistiques 42 . Il est étroitement lié au discours sur la grandeur et
l’universalité de l’École de Paris issu de l’après-guerre43.

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Renouvellement du discours sur l’art dans la deuxième moitié des
années 1960
À partir du milieu des années 1960, de nouveaux contributeurs insufflent un changement dans la
rubrique art des Lettres françaises. Peu à peu, aux critiques de l’ancienne garde, assimilés à l’École
de Paris – tels Charles Estienne, qui s’éteint en 1966, ou Waldemar-George, qui décède en 1970 –,
succède une jeune génération de critiques qui ne tardent pas à devenir des acteurs incontournables
de l’art contemporain en France. L’impulsion de ce renouveau est donnée par Georges Boudaille.
Né en 1925, il est représentatif des critiques d’art formés auprès de l’École de Paris d’après la
Libération. Il entre en 1958 aux Lettres françaises, où il témoigne d’un intérêt croissant pour le
regard des jeunes critiques et artistes sur l’art contemporain. Catherine Millet, qui fondera Art press
au moment où Les Lettres françaises disparaîtront44, Jean Clair, qui contribue au même moment
aux Chroniques de l’art vivant fondées en 1968 45 , mais aussi Jean-Marc Poinsot, auteur d’un
ouvrage pionnier sur le mail art 46 et enfin Michel Claura, alors proche de la galerie Templon,
signent leurs premiers articles autour de 1967 47 . Leurs liens avec Georges Boudaille se tissent
également à la Biennale de Paris, où il est élu délégué général en 1970. Cette année marque
d’ailleurs le début de la participation de ces jeunes critiques à la manifestation parisienne48.

Au même moment, Les Lettres françaises ouvrent leurs colonnes aux sciences humaines, en
particulier à des historiens de l’art, des philosophes et des esthéticiens qui ne sont pas
nécessairement membres du parti communiste. Ainsi, Marcelin Pleynet, qui collabore au même
moment à la revue Tel Quel, est invité à présenter sa conception de la peinture, nourrie des théories
américaines sur l’art moderne qu’il contribue alors à faire découvrir en France49. Par ailleurs, un
jeune critique littéraire, Raymond Bellour 50 , mène en 1967 une série d’entretiens avec Michel
Foucault, qui présente notamment ses conceptions de l’histoire51. La même année, il s’entretient
avec Pierre Francastel à l’occasion de la parution de son ouvrage La Figure et le Lieu 52 . Cet
échange s’inscrit dans la continuité de la culture picturale des Lettres françaises tout en intégrant
des conceptions nouvelles, proches du structuralisme et de la sociologie. Pierre Francastel, qui a
publié en 1965 La Réalité figurative, voit dans la figure une manière de se pencher sur « l’intérêt
passionnant, comme l’extrême difficulté de “la lecture” de l’œuvre d’art ». Si l’ouvrage porte sur le
quattrocento italien, il est né cependant, explique Francastel, d’une interrogation sur les différences
entre « l’expérience de l’art contemporain et celle de l’art du passé ». Dépassant la conception de la
figure comme le contraire de l’abstraction, Francastel définit les éléments figuratifs du tableau
comme des « éléments plus ou moins stables de repérage, toujours tacitement élaborés quoique
renvoyant aux réalités immédiates de leur entourage » ; il s’intéresse à « la manière dont ces
éléments entrent en combinaison entre eux. Faisant apparaître une logique commune aux artistes et

8
à leur entourage53 ». À cet égard, Pierre Francastel s’inscrit dans l’horizon d’attente des Lettres
françaises, où la peinture est comprise comme la manifestation par excellence de la pensée humaine
en lien avec le monde environnant plutôt que comme pure projection subjective de l’individu.
Cependant, l’opposition entre abstraction et figuration ici dépassée demeure structurelle pour
Georges Boudaille qui s’inquiète des propos tenus par André Malraux dans un entretien donné aux
Lettres françaises. Le ministre des Affaires culturelles, après avoir vu en l’abstraction la forme
universelle d’une époque, prédit alors sa fin en ces termes : « L’abstraction a représenté la plus
grande liberté possible pour le peintre. Mais c’est une école. Elle cessera comme toutes les
écoles54. »

De l’abstraction à L’Art du réel


Cette remarque est à l’origine de l’« Enquête sur l’abstraction », menée de 1967 à 1968 55 par
Georges Boudaille, qui publie en dix épisodes les réponses d’artistes, de critiques d’art mais aussi
de lecteurs des Lettres françaises à trois questions. 1o : « Considérez-vous que l’abstraction soit –
ou soit devenue – une école ? » ; 2o : « Quel a été par le passé, quel est aujourd’hui l’apport de
l’abstraction à l’art du XXe siècle ? » ; 3o : « Comment envisagez-vous sa fin ou ses développements
éventuels ? Et existe-t-il à vos yeux une forme d’art susceptible de succéder à l’abstraction ou de la
remplacer56 ? »

Parmi les nombreuses réponses, celle du peintre Marc Devade, parue en janvier 1968, retient
l’attention car elle est le fait d’une voix nouvelle, contestataire, dans les colonnes du journal 57.
Peintre et écrivain, Devade est alors proche de la revue Tel Quel, où ses poèmes ont été publiés en
1964, et où il côtoie Marcelin Pleynet, qui l’initie à la peinture abstraite américaine. Sa réponse au
questionnaire de Georges Boudaille constitue son premier texte théorique 58 . Au moment de sa
contribution aux Lettres françaises, ses recherches plastiques mêlent peinture et calligraphie. Il se
rapproche alors du groupe d’artistes qui deviendra Supports/Surfaces59. Dans un contexte marqué
par la contestation, sa réflexion s’ancre dans un discours marxiste révolutionnaire et structuraliste,
nourri de ses lectures d’Althusser60. Il prône dans cet article une pratique de la peinture comme
« science et […] technique de pointe » agent de la « lutte pour une révolution scientifique et sociale,
[…] pour l’inscription de l’art dans l’économie réelle, scientifique de la société ». Plus « réelle »
que l’abstraction subjectiviste de l’après-guerre, la nouvelle abstraction inspirée du minimalisme
que prône Devade doit devenir le vecteur de la transformation sociale qu’il appelle de ses vœux.

Au moment où Devade écrit ce texte, l’exposition L’Art du réel vient de se tenir à Paris. Celle-ci se
distingue dans le paysage parisien par la place importante qu’y tient l’art minimal61. L’impact de
cette actualité est manifeste dans le discours de Devade, qui attribue à l’art américain une place

9
centrale dans la redéfinition nécessaire du rapport de l’art au « réel ». Cette exposition, consacrée
aux années 1948-1968, porte en effet sur ce que Devade désigne dans son texte comme le « réel
pictural ». Le propos de l’exposition s’ancre dans la filiation des théories de Greenberg sur la
peinture abstraite, formulées à la fin des années 1940. Pour le critique américain, un tableau est
avant tout une surface plane, disposée sur un châssis, sur lequel est appliquée de la peinture. La
réalité matérielle du tableau impliquerait dès lors pour l’artiste comme pour le théoricien une
démarche inspirée de la critique kantienne, où la réflexion porterait sur les caractéristiques propres à
ce support, plutôt que sur des considérations extérieures à cet espace bi-dimensionnel spécifique62.
Lors de cette exposition, Devade a également vu les œuvres de Donald Judd, artiste et théoricien
comme lui, chef de file du minimal art, pour qui il est essentiel de considérer l’art sans projections
subjectives et en décortiquant les paramètres qui circonscrivent les œuvres nouvelles, qui ne se
définissent plus comme peintures ou comme sculptures, mais comme des « objets spécifiques63 ».

Devade souhaite donc élargir la conception américaine de l’art comme pratique critique de lui-
même à l’action révolutionnaire collective, dans une logique d’engagement politique absente du
propos américain. Il passe outre la revendication de neutralité politique de Greenberg ou de Judd, et
se réapproprie l’idée d’un « réel pictural » qui serait irréductiblement révolutionnaire. Car, pour lui,
« seul le matérialisme dialectique permettra de théoriser la peinture sans positivisme, de ne prendre
les effets pour des causes (mécanisme de l’illusion idéologique), de dialectiser sa fonction, d’en
faire réellement une fonction théorique, une fonction transformatrice de la peinture et, en fin de
compte, de l’économique et du social64 ».

L’exposition L’Art du réel trouve également un écho sous la plume de Michel Claura65. Le critique
avait déjà consacré un article à l’art minimal, dans lequel il faisait le point sur les récentes
expositions dans les galeries et les musées parisiens66. En dépit de l’intérêt qu’il porte à ces artistes,
Michel Claura juge dans cet article que les minimalistes américains véhiculent des valeurs
dérangeantes et spécifiquement américaines : recherchant la neutralité émotionnelle, les artistes
coupent selon lui la possibilité d’une relation entre le spectateur et l’œuvre, qui devient agression, à
l’image de « l’Amérique dans ses buildings, dans sa monstruosité aseptisée, dans son gigantisme ».
Outre leur caractère aliénant, les œuvres minimales comportent selon lui, à l’instar du pop art, une
dimension de pur constat, voire une « admiration » étonnante de la réalité américaine. Ces œuvres
seraient ainsi une représentation de « l’Amérique, de manière d’autant plus séduisante qu’elle est
troublante ». Claura exprime également de nombreuses réserves à l’égard de l’exposition L’Art du
réel, en commençant par souligner la vacuité de la notion de « réel » choisie comme fil directeur du
propos. Il en commente ainsi le titre : « Le réel étant de ces notions résurgentes que l’on utilise dans
le discours sur l’art, il apparaît qu’à l’heure actuelle, à moins que l’assemblage de ces trois mots ne

10
soit déposé, quiconque pourra organiser une exposition pop’, cinétique, minimale ou toute (sic)
autre en l’intitulant : “L’art du réel”. Pour la bonne raison que cela ne veut rien dire67. »

Cette réserve n’empêche pas Michel Claura d’interroger le rapport des artistes américains avec la
notion de réalité, qui comporte selon lui une contradiction fondamentale. Il conçoit en effet que les
minimalistes puissent se mettre en quête de la « réalité » de l’œuvre d’art, d’une « peinture réelle »
telle que Greenberg l’appelait de ses vœux. Mais c’est dans le rapport qu’ils établissent entre cette
immédiateté de la peinture et l’histoire que ces artistes se contrediraient – ou plus précisément, dans
le rapport qu’ils instaurent entre leur art et l’écriture de l’histoire de l’art. En effet, le minimalisme
ne justifierait son existence que par rapport à l’histoire des avant-gardes. Or cette conception de
l’histoire de l’art pèche précisément selon Michel Claura par son caractère « illusoire », puisqu’elle
postule une « “logique” universelle de l’histoire ». En 1968, au moment où Michel Claura écrit ce
texte, les théories structuralistes sur l’histoire de Michel Foucault trouvent, comme nous
l’évoquions précédemment, un écho dans Les Lettres françaises, où le philosophe évoque
précisément la remise en question nécessaire de la causalité de l’histoire 68. Les interventions de
Marc Devade et de Michel Claura participent d’une tendance plus générale que l’on observe
pendant la deuxième moitié des années 1960 dans Les Lettres françaises. Le journal donne
désormais régulièrement la parole à des personnalités contestataires qui remettent en cause
radicalement une histoire de l’art linéaire dont la conséquence serait de pétrifier le passé pour figer
l’ordre des choses dans le présent. Georges Boudaille accorde dans ce contexte une place
importante à la démarche de Daniel Buren.

« L’objet – Le Réel, l’Illusion ? » Le « cas » Buren69


L’intérêt porté à Marc Devade et aux minimalistes américains comme à Daniel Buren apparaît
comme le pendant des réserves que suscitaient dans les années 1960 le recours à l’objet des
Nouveaux Réalisteset plus largement les mouvements « pop70 », et en particulier l’art figuratif et
militant dominant au Salon de la jeune peinture 71 . Le fait que ces recherches s’inscrivent
plastiquement et théoriquement dans une réflexion sur la peinture abstraite joue un rôle fondamental
dans l’attention que leur prêtent Les Lettres françaises. Le propos contestataire de Daniel Buren
retient l’attention de Georges Boudaille : « Je ne cacherai pas la sympathie que j’éprouve pour
Buren, pour son comportement, pour sa façon de développer son raisonnement, même si je ne peux
le suivre dans certaines de ses implications, même si je suis un peu gêné de ne pas comprendre 72. »
Malgré, ou en raison de ce décalage, la pensée de l’artiste paraît au critique « digne d’être débattue
publiquement [parce] qu’elle remet en question les différentes formes d’art, qu’elle nous contraint à

11
réfléchir sur la conception même de certaines esthétiques, qu’elle tente de nous contraindre à réviser
des idées toutes faites et des valeurs acceptées73 ».

Le premier article conséquent prend la forme d’un entretien entre Daniel Buren et Georges
Boudaille74. L’échange s’ouvre par une référence aux réflexions récentes du critique d’art américain
Harold Rosenberg sur l’éventualité de la fin de l’histoire de l’art, qui ont retenu l’attention des
Lettres françaises et de Daniel Buren75. Cette fin serait la conséquence d’une « dé-définition » de
l’art, conditionnée par le fait que désormais, tout objet placé dans un musée devient légitimement
une œuvre d’art76. Devant ce constat, Daniel Buren souhaite déconstruire toutes les « illusions » sur
lesquelles repose la notion d’art – « art de célébration de la société de consommation. Art
rassurant ». Ce sont aussi bien la figure de l’artiste que la relation entre l’œuvre et le spectateur qui
doivent faire l’objet d’une « Mise au point. (Mise en garde)77 ». La notion de « réel » est à nouveau
l’enjeu principal de cette critique radicale. Buren s’explique : « Il faut éliminer l’illusion quelle
qu’elle soit, de même l’esthétique, la sensibilité, l’expression individuelle, ce qui ne veut pas dire
qu’il faille travailler en groupe, bien sûr, mais que l’œuvre devienne le réel, pensée brute et, par
conséquent, anonyme78. » Par la suite, Buren est invité à publier un long texte désormais considéré
comme central dans son œuvre théorique, « Mise au point », où il reformule son ambition de
repenser intégralement le rapport possible de l’art au réel. Le premier point de son « Analyse »
s’intitule « L’objet – le Réel, l’Illusion ? » et confronte l’art aux illusions sur lesquelles repose sa
définition :

« Tout art tente de décrypter le monde, de visualiser une émotion, la nature, le


subconscient, etc. Peut-on poser une question au lieu de répondre toujours à ses propres
fantasmes ? Cette question serait : peut-on créer une chose réelle/non-illusion ? Donc, ne pas
créer un objet d’art. On peut répondre – cela est tentant pour un artiste – d’une façon
immédiate et primaire à cette question et tomber immédiatement dans l’un des pièges de l’art
dit conceptuel par exemple, et croire le problème résolu parce que soulevé et ne présenter
aucun objet, mais un concept (sic). C’est aller vite en besogne, c’est prendre un désir pour une
réalité, c’est être un artiste79. »

La réflexion de Buren résonne comme une réponse à deux questions que se posent alors Les Lettres
françaises : premièrement, à quel avenir l’abstraction est-elle promise ? – question centrale pour
Georges Boudaille. Autour des pratiques de Buren, mais aussi de Devade, l’abstraction picturale
redéfinit le paradigme d’un art contemporain authentiquement engagé, c’est-à-dire qui ne se
réapproprie pas une doctrine politique mais pose la question du « réel » dans une démarche critique
et par les moyens qui lui sont propres. Deuxièmement, quelle place peut être celle de l’art
contemporain en France face à l’art abstrait américain, sur lequel il n’est désormais plus question de
faire l’impasse ? La réponse des Lettres françaises consiste à valoriser les discours engagés contre
une tendance américaine à l’acceptation pure de la réalité. Ce discours est déterminé par la montée

12
de la contestation en France, où chacun est sommé par ses pairs de définir sa position esthétique et
politique. Il dépend aussi d’enjeux anti-impérialistes liés à la guerre froide dans un journal
communiste prônant la grandeur française. Cependant, ces deux exemples ainsi que l’intérêt
accordé à Harold Rosenberg témoignent d’une position ouverte, qui ne se borne pas à un anti-
américanisme sommaire. Le moment où Les Lettres françaises s’intéressent plus largement à de
nouvelles formes d’abstraction picturale coïncide enfin avec plusieurs manifestations européennes
où Daniel Buren connaît un succès important. Son intervention lors de l’exposition Quand les
attitudes deviennent forme à Berne 80 puis sa participation à Prospect 68 et à Prospect 69 à
Düsseldorf81 sont relayées dans Les Lettres françaises82. Quel regard porte alors la publication sur
la scène artistique de RFA, alors en pleine expansion économique et artistique ?

Après le nazisme : l’Allemagne, les Allemagnes


Le discours sur l’art des Lettres françaises est ancré dans la défense d’une tradition nationale. En
témoignent les prises de position sur la permanence de l’art français du critique Waldemar-George83
ou encore la valorisation d’une tradition nationale exprimée par le sculpteur Marcel Gimond 84 –
positions qui prolongent les discours communistes de l’entre-deux-guerres et des années 1950 sur
l’art de « tradition française85 ». Ces discours sont également les symptômes de la perte de vitesse
de la scène artistique française dans la deuxième moitié des années 1960 et de la reconnaissance
tardive et désormais incontestable de la scène américaine. Les Lettres françaises demeurent à cet
égard une tribune de promotion de l’art français dans la tradition critique de la seconde École de
Paris, développée depuis 194586. Ce parti pris est par ailleurs indissociable de la culture résistante
d’une publication qui souligne à chaque numéro qu’elle s’ancre dans l’histoire de la lutte contre le
nazisme. Dans quelle mesure cette culture détermine-t-elle le regard sur les deux Allemagnes ?

Depuis le début des années 1960, Les Lettres françaises se distinguent par la place qu’y occupent
les échanges artistiques. En premier lieu, d’importants critiques d’art allemands y ont trouvé une
tribune, en particulier Will Grohmann, ancien collaborateur des Cahiers d’art dès les années 1930
et acteur majeur des échanges artistiques entre la France et l’Allemagne après 1945, à qui un vibrant
hommage est rendu lorsqu’il décède en 1968 87 , ou encore la critique d’art Herta Wescher,
collaboratrice de la revue Cimaises, à qui est également consacrée une nécrologie en 197188. De
nombreux critiques des Lettres françaises, en particulier Georges Boudaille, Jacques Lassaigne et
Raoul-Jean Moulin, sont membres de l’Association internationale des critiques d’art (AICA) 89 .
L’AICA organise régulièrement des manifestations en Europe, des deux côtés du rideau de fer. Les
voyages de critiques français réalisés dans ce cadre, ou encore dans celui de l’ICOM – équivalent
de l’AICA pour les institutions muséales –, donnent lieu à d’importants comptes rendus. Que la

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parole soit donnée à des Allemands, tel le conservateur de musée Werner Schmalenbach, fondateur
des nouvelles collections d’art moderne de Düsseldorf90 – ou à des critiques français91, c’est l’image
d’une RFA en pleine reconstruction qui est donnée, mettant l’accent sur la constitution de
collections d’art moderne pour rattraper le retard pris durant le nazisme, mais aussi sur la
revalorisation de son patrimoine muséal plus ancien92.

Au moment où la RFA s’affirme comme l’une des scènes les plus singulières d’Europe, les articles
de fond des Lettres françaises portent surtout sur l’histoire des avant-gardes allemandes.
L’expressionnisme allemand et le Bauhaus font régulièrement l’objet de tels articles, témoignant de
la volonté d’intégrer l’histoire de l’art allemand à celle de la modernité et des avant-gardes
internationales, pour dépasser l’image d’une Allemagne nationaliste – ambition réconciliatrice
partagée par les critiques français et allemands. Ce propos s’inscrit dans la filiation directe des
partis pris de Will Grohmann, qui a été l’un des principaux défenseurs en France de
l’expressionnisme et du Bauhaus. La place centrale de Paul Klee dans l’hebdomadaire s’inscrit
également dans la continuité des textes de Grohmann, auteur de la première monographie sur
l’artiste93. Non sans recourir fréquemment à des stéréotypes anciens sur l’irrationalité allemande
opposée au rationalisme français, l’expressionnisme est présenté par les critiques français comme
un pan essentiel de l’histoire internationale de l’art et comme l’égal du fauvisme94. Le Bauhaus est
également l’un des sujets favoris sur l’art en Allemagne 95 . Parmi de nombreux articles, le
témoignage du peintre Jacques Germain sur ses années au Bauhaus n’est pas seulement une source
précieuse sur les échanges franco-allemands dans cette école, mais aussi un texte représentatif de la
tonalité générale de l’internationalisme des Lettres françaises. En effet, le peintre conclut son texte
en soulignant son attachement à la « peinture française et [à] la tradition96 ». On notera enfin que la
revue accorde une place importante à des artistes allemands dont la vie est liée, parfois
tragiquement, à la France, tels Max Ernst ou encore Otto Freundlich 97. Cependant la revue, qui
s’intéresse peu aux idées « anti-art » de Dada 98 , laisse de côté la figure de Raoul Hausmann,
pourtant installé à Limoges depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : seule une brève notice lui
est consacrée à sa mort, en 197199. C’est via l’ARC, sous l’impulsion de Pierre Gaudibert et en lien
avec les institutions est-allemandes, que Dada Berlin trouvera un écho en France dans ces mêmes
années100.

La filiation avec la pensée de Will Grohmann, fervent acteur dans l’immédiat après-guerre de la
réintégration « à l’Ouest » de la RFA 101 , exclut a priori la rhétorique est-allemande sur ces
mouvements historiques qui avaient fait l’objet d’une vive concurrence entre les deux Allemagnes.
Cela ne signifie pas pour autant que la RDA soit absente des Lettres françaises, qui se distinguent
comme l’une des rares publications à mentionner des expositions d’artistes est-allemands à Paris,

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voire, en des occasions encore plus rares, à publier des critiques d’expositions en RDA. N’oublions
pas que la RDA contribuait, dans une mesure certes modeste, au financement des Lettres françaises,
et que la publication y était accessible. Pourtant, si la RDA est élue membre de l’AICA à partir de
1965 – presque quinze ans après la RFA, représentée depuis 1951 –, l’assemblée générale qui se
tient en 1974 à Berlin-Est et à Dresde n’est pas évoquée – et c’est dans L’Humanité que paraît
l’article de Raoul-Jean Moulin consacré à cette manifestation102.

Dès 1960, les premières expositions d’artistes est-allemands font l’objet de comptes rendus : un
article porte sur l’exposition des sculpteurs allemands contemporains de RDA. Le texte de la
préface du catalogue, dont l’auteur n’est autre que Marcel Gimond, est publié dans Les Lettres
françaises 103 . Son propos est exemplaire de la difficulté des critiques et des artistes français à
regarder l’art de la RDA comme un art du présent : il s’agit pour le sculpteur d’un art ancestral, qui
ne connaîtrait ni les aléas de l’actualité, ni le déclin du savoir-faire artistique, autrement dit d’un art
qui, à l’instar des sociétés égyptiennes ou médiévales prises en exemple, se caractériserait par
l’effort collectif d’artistes anonymes au service d’un but commun. Marcel Gimond, issu de l’art dit
de « tradition française » de l’entre-deux-guerres, formule un discours sur l’art est-allemand qui
s’inscrit dans la filiation des discours des années 1920-1930 sur le retour à l’ordre. Il prône un art
relevant du beau métier et exaltant les valeurs nationales. La voix des contributeurs est-allemands
n’est quant à elle pas publiée : Les Lettres françaises n’estiment pas nécessaire d’insister sur
l’ambition de légitimation diplomatique de la RDA manifeste dans la contribution est-allemande au
catalogue. Celle-ci insiste sur le caractère national de l’art d’Allemagne de l’Est et valorise le
caractère « antifasciste » des œuvres exposées, dont une grande partie consiste en des maquettes de
mémoriaux à la gloire des communistes pendant le nazisme104. Par la suite, Les Lettres françaises
publient le compte rendu du voyage effectué en 1965 par une délégation française en RDA, dans le
but d’inaugurer une exposition dédiée à L’École de Paris105. Même si la situation de l’Allemagne a
changé depuis 1960, avec en particulier la construction du Mur de Berlin, l’idée d’une prééminence
de l’art français, modèle universel qui rayonnerait jusqu’aux confins des pays socialistes, structure
encore le discours en 1965. L’auteur du second article, Raoul-Jean Moulin, joue un rôle dans la
visibilité, certes réduite, de la RDA, puisqu’à partir de son premier voyage, en septembre 1965, il se
rend régulièrement en RDA106. Une œuvre postale adressée au critique par l’artiste est-allemand
Robert Rehfeldt, sur laquelle figure l’inscription : « Vive Les Lettres françaises ! » témoigne du
rôle de la revue dans les échanges. Raoul-Jean Moulin rédige notamment les comptes rendus d’une
exposition de graveurs présentée à la galerie du Passeur à Paris en 1964107 et de l’exposition du
ferronnier d’art Fritz Kühn au musée des Arts décoratifs en 1969 108. À cette occasion, il insiste sur
le caractère moderne, abstrait des compositions, pour valoriser une œuvre qui peut être envisagée,
grâce à son statut d’art appliqué, hors des discours orthodoxes sur la peinture réaliste socialiste 109.

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De même, dans la continuité de l’ouvrage de Louis Aragon et Jean Cocteau sur les collections du
musée des Beaux-Arts de Dresde paru en 1957, qui ne se référait en rien à la division allemande ni à
la RDA110, la réouverture de l’institution est évoquée sans faire référence à la politique culturelle du
pays111.

Enfin, alors que la RDA prône un discours fondé sur la notion d’antifascisme qui pourrait à
première vue s’accorder avec la culture résistante des Lettres françaises, l’exposition Max Lingner
présentée à la galerie du Passeur en 1970 ne suscite qu’un intérêt modéré dans le journal 112 .
Pourtant Max Lingner avait trouvé refuge en France en 1928 et, encarté au PCF à partir de 1934,
s’était fait un nom grâce à ses dessins de presse pour Le Monde – dirigé par Henri Barbusse – et
pour L’Humanité. Entre-temps, l’image de la RDA s’était en effet ternie dans Les Lettres
françaises, et Roger Garaudy n’y était pas pour rien. Son intervention sur Kafka lors du colloque de
Liblice en 1963 avait été reçue avec méfiance par la RDA, dont les positions esthétiques
demeuraient fidèles à la doctrine marxiste-léniniste. Mais c’est surtout la dénonciation très vive par
Garaudy de la répression du printemps de Prague, à laquelle la RDA avait contribué, qui avait gelé
les relations. Par la suite, à l’instar de l’URSS, la RDA suspend ses financements à la revue,
contribuant à précipiter la fin de la publication des Lettres françaises 113 – déjà fragilisées par
l’attitude oppositionnelle de la rédaction à l’égard du PCF et de l’URSS. Ainsi, Les Lettres
françaises ne reconduisent pas le discours dominant de la RDA sur l’internationale antifasciste, qui
a pourtant été l’une des premières passerelles jetées après 1945 entre les communistes de France et
l’« autre » Allemagne114. Si une sympathie communiste de principe rapproche à l’originela revue de
la RDA, sa ligne de plus en plus critique envers l’URSS ne peut que l’éloigner d’un pays qui
soutient en 1968 la répression du printemps de Prague.

Quelques articles sur l’Allemagne contemporaine permettent de situer le discours sur l’art allemand
– aussi bien de RFA que de RDA – dans la perception plus générale de l’Allemagne, marquée par le
souvenir indélébile du nazisme. La littérature de RDA est surtout assimilée à la figure de Bertolt
Brecht dont les thèses sont admises par le journal qui suit l’actualité de son répertoire jusqu’en
RDA115. Le sujet de la division allemande est abordé par le biais de la littérature, à l’occasion de la
parution en 1968 de la traduction française du roman Deux points de vue d’Uwe Johnson 116 ,
transfuge de la RDA, qui avait déjà accordé un entretien aux Lettres françaises en 1964 117. La
division allemande peine cependant à être abordée du point de vue historique. En 1962, Gilbert
Badia publie une Histoire de l’Allemagne contemporaine qui se distingue par la mise en perspective
des deux pays concurrents118. Le compte rendu salue le travail entrepris en déplorant cependant que
l’auteur n’ait pas choisi de consacrer tout le deuxième tome au nazisme plutôt qu’à l’Allemagne
divisée119 . Cette remarque témoigne de la difficulté pour appréhender en France la question de

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l’identité d’un pays divisé dans les années 1960, celle-ci ne commençant à faire l’objet d’une
attention plus soutenue en France que dans les années 1980120. Les sujets d’histoire contemporaine
qui retiennent l’attention sont surtout liés à l’histoire du nazisme : outre le pillage des collections
françaises pendant l’Occupation 121 , le procès Eichmann fait l’objet d’un article – ce qui mérite
d’être souligné, étant donné la couverture médiatique très faible de cet événement au regard de son
importance historique 122 . Rédigé alors que le procès n’est pas encore terminé, l’article retrace
surtout l’arrestation d’Adolf Eichmann, en s’appuyant sur le récit de Moshe Pearlman, dont la
traduction en français, La Longue Chasse, était parue en 1961123.

Enfin, Les Lettres françaises, quand bien même ce n’est pas là leur position principale, se font
parfois le relais paradoxal de querelles nationalistes héritées d’un autre âge. En effet, l’article
« Histoire de l’art et propagande politique » de Marcel Cornu 124 , chargé de la rubrique
d’architecture et d’urbanisme des Lettres françaises de 1951 à 1972, s’inscrit directement dans le
débat sur l’invention de l’art gothique, indissociable de la naissance de l’histoire de l’art en tant que
discipline125. L’article consiste en une critique des thèses pro-germaniques et nationales qui sous-
tendent l’ouvrage d’architecture de l’auteur allemand Bodo Cichy, traduit en français en 1961126.
Marcel Cornu démontre que cette publication, sous un vernis de « bon esprit européen », reconduit
en fait une « mystique de la race » germanique. Contre cette histoire de l’art nationaliste, il défend
une position internationaliste, qui se veut émancipée de tout chauvinisme. Et pourtant, la conclusion
de son article s’articule autour de la référence à l’ouvrage publié par Pierre Francastel en 1945,
L’Histoire de l’art, instrument de la propagande germanique, et souligne que « les Allemands ont
toujours donné une place de premier ordre à l’histoire de l’art dans leur propagande politique ». Or
cet ouvrage n’est autre que le principal essai de propagande anti-germanique paru dans la France
d’après-guerre127. Ainsi, tout en prônant l’internationalisme de la France contre le nationalisme de
l’historien allemand, il n’en recourt pas moins, paradoxalement, à une rhétorique empruntée au
discours anti-germanique français, reconduisant d’anciennes oppositions nationales.

L’actualité de l’art en RFA : vue de France, vue des États-Unis


Malgré l’intérêt des Lettres françaises pour l’actualité muséale en RFA, ce sont surtout les artistes
contemporains de RFA représentés par des institutions ou des galeries françaises qui font l’objet de
mentions dans la revue. Catherine Millet consacre quelques lignes à Peter Klasen (actif en France
depuis 1959) à l’occasion de sa rétrospective à l’ARC128, ou encore à Günter Uecker, qui a participé
plusieurs fois avec les artistes du groupe Zero à la Biennale de Paris129. Les artistes qui ont élu
domicile en France sont les plus fréquemment cités. L’un des articles les plus développés porte sur
l’architecte Hans Walter Müller, inventeur d’architectures gonflables, que l’auteur de l’article

17
rencontre dans son minuscule studio parisien130. Il faut attendre 1972 pour que le nom de Gerhard
Richter figure dans Les Lettres françaises, au moment où ses œuvres sont présentées à la Biennale
de Venise et dans plusieurs expositions parisiennes dédiées à l’hyperréalisme 131 . Un nombre
important d’artistes moins connus aujourd’hui sont évoqués, notamment Rainer Küchenmeister,
également présent à la Biennale de Paris132, ou encore Bernard Schulze133, ainsi que de nombreux
artistes mentionnés souvent une seule fois, à l’occasion de la présentation de l’actualité des
galeries134.

Le renouvellement des générations de critiques d’art dans Les Lettres françaises s’accompagne d’un
intérêt pour les manifestations récentes de la scène internationale, en particulier en RFA, où les
nouvelles galeries, les expositions pionnières comme Prospect à Düsseldorf à partir de 1968 ou la
Foire de Cologne, dont la première édition a lieu en 1967, suscitent l’intérêt de Catherine Millet135,
de Michel Claura136 et de René Denizot137. La RFA apparaît à travers l’exemple de Buren comme
un lieu où les artistes mal acceptés en France trouvent le succès, selon l’idée qu’un succès à
l’étranger peut favoriser la reconnaissance, en différé, des artistes d’avant-garde en France.
L’Allemagne de l’Ouest apparaît alors aussi comme un lieu important d’information sur l’art
américain, en particulier la galerie Konrad Fischer. Daniel Buren y expose lors de Prospect 69138.

Dans ce corpus relativement restreint, on notera la place singulière du récit de voyage du critique
d’art et photographe Marc Albert-Levin, proche de la galerie Daniel Templon. Il publie en
juillet 1966 un long témoignage sur la semaine qu’il a passée à New York, qui paraît dans la
rubrique « Littérature » de la revue 139 . L’auteur désigne prudemment, entre guillemets, le
« Happening », qu’il considère davantage comme un spectacle que comme une forme nouvelle
d’œuvre d’art. Cette pratique ne consiste-t-elle pas avant tout à « s’écouter vivre » plutôt qu’à
intervenir sur le réel ? La première de couverture du numéro reproduit en grand format l’invitation
au happening de Wolf Vostell Dogs and Chinese not allowed, que l’artiste allemand est alors en
train de concevoir au mythique Chelsea Hotel. Marc Albert-Levin connaît l’artiste grâce à la revue
Décollage qu’il a créée en 1962 : « Wolf Vostel (sic), coupable d’un certain nombre de
“Happenings” et de cette revue Décollage publiée à Cologne, si pleine de trucs à déplier dans tous
les sens » Le critique français livre un témoignage sur le vif : « Bien qu’articulant l’anglais avec un
accent épouvantable, il est comme les Américains très “business-like” et ses murs étalent un emploi
du temps qui court sur plusieurs mois à l’avance dans diverses capitales mais pas à Paris. » Dans
cette conversation à bâtons rompus, Vostell présente ses projets éditoriaux :

« Il est là pour la préparation d’un livre qui comportera, entre autres choses […] des
photographies d’œuvres originales pliées en quatre. Les originaux étant tous vendus ou dans
des collections, il travaille à refaire des originaux d’après les photographies, mais il ne peut
s’empêcher de les modifier un peu, du moins est-ce ce que j’ai cru comprendre. Il me montre

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également un livre dont il est le co-auteur, un livre sur les “Happenings”, de plusieurs kilos,
auprès duquel me dit-il, celui du jeune Parisien Jean-Jacques Lebel n’est qu’un travail bâclé,
on ne peut vraiment pas comparer. Le sien comporte des manifestes, des chronologies, toutes
les opinions autorisées, etc. »

Wolf Vostell se présente avant tout à Marc Albert-Levin comme un Allemand. À la question :
« Est-ce qu’il a l’intention de s’installer à New York ? », il répond :

« Certainement pas. Ça marche très bien pour lui en Europe. Il a des collectionneurs. Pas
nombreux, mais efficaces, vraiment chauds. Des gens qui tiennent leur maison ouverte aux
artistes, qui leur écrivent régulièrement toutes les deux semaines et auxquels ils peuvent
emprunter de l’argent à minuit si c’est vraiment nécessaire. Il ne voit rien de pareil à NY. À
Cologne, bien sûr, vous avez des ennemis, mais lorsque vous êtes reconnu, vous avez un
statut, vous êtes artiste. Il se pourrait pourtant qu’il quitte Cologne pour Berlin. Berlin, il
l’avoue à sa grande honte, pendant des années, comme la plupart des artistes allemands, il n’y
a pas mis les pieds. Mais cela va changer. Une nouvelle galerie va s’ouvrir dont il attend
beaucoup. Et puis vous savez, ce mur, au milieu de la ville, ces gens que la police arrête à tout
moment, c’est déjà tellement un “Happening”, c’est déjà tellement théâtral, n’est-ce pas ? »

Marc Albert-Levin présente pour sa part Vostell comme un Allemand caricatural, qui boit de la
bière (« Il nous offre de la bière (parce qu’il est Allemand) mais dans la boîte, sans verre, parce
qu’on est à New York »), et surtout, dont la dénonciation du racisme, objet de son happening en
préparation, Dogs and Chinese not allowed, demeure ambivalente, étant donné le passé des
Allemands :

« “Chinois et chiens non admis.” Mais comment va-t-il reconnaître les Chinois des Japonais
qui sont légion à New York ? Et que va-t-il faire des métis, leur faire payer demi-tarif ? J’ai
l’impression, mais peut-être n’est-ce qu’une impression, qu’il est gêné, comme tout Allemand
après tout à sa place pourrait l’être. Il ne me répond pas “après tout c’est aussi ça la vie” (et à
New York moins qu’ailleurs on ne pourrait le contredire). Voilà pourquoi il est si dangereux
de lire cette affiche superficiellement, il faut chercher derrière les mots leur sens profond, lire
jusqu’au bout. Et en bas, en effet, beaucoup plus bas, en tout petits caractères on peut lire :
“Le droit d’entrée est de cinq dollars, sauf pour les chiens et les Chinois auxquels nous
sommes heureux d’offrir l’entrée gratuite.” Les deux revers du racisme en somme, celui qui
exclut et celui qui favorise. Je ne sais pas si Wolf Vostell aime beaucoup mon interprétation.
N’importe, voilà un “happening” qui ne manquera pas d’émouvoir, au moins, les Chinois. »

Alors que, comme le rappelle l’auteur, Vostell loge dans le même hôtel qu’Arman et Christo,
proches du Nouveau Réalisme de Pierre Restany auquel l’Allemand avait tenté de s’intégrer
quelques années auparavant, les liens entre Vostell et la scène française ne sont pas mentionnés. Cet
article témoigne de l’éloignement de l’artiste à l’égard de la scène parisienne dans les années 1960,
ainsi que d’une rivalité autour de l’écriture de l’histoire du happening en Europe, dont Vostell, on
l’a vu, revendique face à Jean-Jacques Lebel la paternité140.

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« Aucun art n’est réaliste » : la « leçon » de la documenta 5
L’intérêt pour l’actualité artistique en RFA n’est cependant pas le seul fait des « jeunes », puisque
Georges Boudaille consacre en 1972 un article important à la documenta 5, déplorant le peu de
portée en France de cette manifestation d’envergure mondiale – lacune qu’il compense en lui
consacrant pas moins de trois articles141. Tout se passe comme si la documenta 5 donnait à Georges
Boudaille l’occasion de mettre un point final à la discussion qui a animé les Lettres françaises
depuis les années 1950 autour de la notion de « réalisme » tout en réaffirmant les valeurs
fondatrices de la publication.

Georges Boudaille considère d’emblée la documenta comme un événement majeur à l’échelle


internationale. À la différence de Pierre Restany qui rédige au même moment son compte rendu de
l’exposition quadriennale142, Georges Boudaille n’a pas d’artistes ni de mouvement à défendre. Il
perçoit la documenta en tant que commissaire de la Biennale de Paris, préoccupé de comprendre la
diversité de l’art actuel et d’en donner une image cohérente à un public non averti. Il voit en Harald
Szeemann un confrère qui a su se démarquer du modèle parisien143. Georges Boudaille constate
sans amertume ni réflexe nationaliste que cette exposition permet de prendre la mesure d’un
changement dans les pratiques artistiques et les discours sur l’art :

« J’ai longuement passé en revue dans le numéro précédent ces collections d’objets-souvenirs,
ces inventaires égoïstes qui sont le sujet et la matière de tant d’artistes aujourd’hui et qui ont
été classés à Kassel sous la dénomination de “Mythologies individuelles”. […] Je crois y voir
un refus de la société actuelle, une fuite devant notre civilisation qui font de l’art un refuge
plus qu’une protestation144. »

Ou encore :

« Curieusement, notre civilisation industrialisée et de consommation est totalement absente du


panorama de Kassel. L’art serait-il aujourd’hui un refuge, le syndrome d’une attitude
systématique de refus de tout ce qui nous entoure en 1972145 ? »

Le critique prend acte du fait que la documenta d’Harald Szeemann rompt profondément avec les
discours contestataires des années 1960 et s’inscrit en porte-à-faux avec la culture de
l’« engagement » chère aux Lettres françaises. Son article problématise la notion de « réalité », en
écho avec le titre de la documenta 5 (Befragung der Realität – Bildwelten heute [Interroger la
réalité – Imageries d’aujourd’hui]), mais aussi avec l’œuvre de Buren discutée dans les numéros
précédents. Même si Les Lettres françaises s’ouvrent alors au structuralisme, Georges Boudaille ne
mentionne pas que le concept central de l’exposition qui confronte « réalité de l’image » et « réalité
de l’imagé » est calqué sur l’opposition saussurienne entre signifiant et signifié. Il choisit de laisser
de côté cet aspect, car selon lui la distinction entre image et imagé est plus pertinente en allemand
qu’en français. Son analyse de la notion de réalité porte en revanche sur les pratiques hyperréalistes
20
qui occupent une place importante dans l’exposition. Il effectue un rapprochement entre les
peintures « super-réalistes » et la salle où sont exposées les maquettes des premières de couverture
de l’hebdomadaire Der Spiegel. À propos de ces dernières, il souligne que les organisateurs
parviennent à démontrer « comment une image formée d’éléments réalistes à l’origine peut illustrer,
et même engendrer, des mystères collectifs146 ». À cet égard, la documenta 5 vient apporter un point
final aux débats sur le réalisme qui ont traversé les années 1960 dans Les Lettres françaises.
Autrement dit, elle congédie, dans l’après-Mai 68, une notion désormais admise comme politique
avant tout, et sans consistance d’un point de vue formel ou esthétique :

« La leçon de Documenta, cette enquête à l’échelle mondiale sur la réalité, est qu’aucun art
n’est réaliste. En passant à travers les mains et l’esprit de l’homme, le sens des images
change. La seule réalité qui demeure est la réalité de l’art. Une réalité solide et tangible – je ne
parle pas ici de la cote des œuvres – parce que tous les hommes en ont besoin147. »

Ce changement d’époque qui s’opère sous les yeux de Georges Boudaille se caractérise par la fin
d’un discours sur l’art qui a marqué l’après-1945 en France, et dont Les Lettres françaises
continuent à véhiculer les valeurs. Ce bilan de la documenta reflète à cet égard la crise morale que
traverse alors la publication, quelques mois avant qu’elle ne cesse de paraître. Sans condamner ce
changement, tout se passe comme si Georges Boudaille admettait n’avoir plus les outils pour
évaluer l’art et les discours dirigés précisément contre l’injonction de l’« engagement ». Pourtant,
enthousiaste devant cette manifestation, il ne sombre pas dans le pessimisme, mais se réapproprie le
propos de la documenta, qu’il interprète comme un exemple d’exposition fidèle à son credo en la
fonction sociale et collective de l’art : « Le slogan qu’il fallait graver au fronton de Documenta, ce
n’était pas, comme l’a écrit Ben, L’art est superflu, mais L’art est indispensable à l’homme, et sans
politiser l’exposition, on aurait pu ajouter : Nous souhaitons l’art gratuit pour tous148. »

Les Lettres françaises et la Pologne : une amitié féconde


Si l’Allemagne de l’Est ne suscite que peu l’intérêt des Lettres françaises, la Pologne compte, avec
la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, parmi les pays socialistes dont les formes artistiques
contemporaines retiennent leur attention. La scène artistique polonaise est en effet largement plus
émancipée que celle de la RDA à l’égard du dogme du réalisme socialiste depuis la déstalinisation.

Les œuvres présentées dans des manifestations parisiennes, des expositions muséales aux
manifestations plus modestes dans les galeries, trouvent un écho dans le journal. Les Lettres
françaises documentent en particulier les grandes manifestations diplomatiques qui retracent
l’ensemble de l’histoire de l’art en Pologne depuis « mille ans 149 ». L’hebdomadaire suit donc
l’actualité des expositions en France, dont les critiques livrent néanmoins une interprétation
spécifique. Aussi bien à propos de l’histoire de l’art que de l’art actuel, la question de la singularité
21
de l’art polonais est récurrente. Le discours à la fois internationaliste et attaché à la tradition
nationale des Lettres françaises a tendance à présenter l’art polonais comme l’exemple d’une
création ancrée dans un héritage national tout en participant à la modernité universelle – universalité
dont la définition demeure déterminée par les enjeux politiques de la guerre froide et dans la lutte
pour la suprématie artistique de Paris.

Rares sont les articles sur l’art polonais où la question du réalisme est problématisée. Lorsqu’elle
l’est, c’est sans faire mention du réalisme socialiste. En 1960, le terme de « réalisme » est présent
dans un article rédigé à l’occasion du VIIe Congrès de l’AICA par le critique d’art Juliusz
Starzyński – nous reviendrons sur cet événement150. Pour lui, « l’inventaire mondial de la peinture
ou de la sculpture de tous les temps et de toutes les cultures » permet de distinguer deux attitudes
face à l’art, l’une « imaginative », l’autre « réaliste151 ». L’opposition qu’il dessine entre l’art conçu
comme recherche de l’intériorité et l’art comme recherche de la connaissance des choses extérieures
est proche des discours de Roger Garaudy dans les années 1960. Le critique polonais la résout en
dépassant lui aussi l’opposition entre abstraction et figuration, selon une rhétorique assez similaire à
celle de l’idéologue français. Seule compterait au final la préoccupation commune des deux
attitudes face à l’art, celle de contribuer à l’édification de la société socialiste en annonçant ce que
sera la « vérité » de demain : « quant aux artistes, à eux seuls appartient la décision sous quelle
forme – abstraite ou figurative, symbolique ou réaliste – ils veulent répondre à l’appel de notre
époque152. »

Les artistes contemporains auxquels s’intéressent Les Lettres françaises s’inscrivent bien souvent
dans une pratique picturale abstraite. Certains critiques soulignent l’importance des œuvres
informelles de Tadeusz Kantor, dont les peintures des années 1950 sont encore une référence
majeure pour appréhender la peinture polonaise contemporaine 153 . En témoigne la participation
polonaise à la première Biennale de Paris en 1959, qui s’inscrit dans une veine matiériste et
informelle héritière de son travail154. Cette section est élogieusement citée par le critique Raoul-Jean
Moulin dans les pages du journal155 et son point de vue s’accorde avec le goût du jury, qui décerne à
Jan Lebenstein un prix réservé aux artistes étrangers 156 . Les articles sont souvent des bilans
d’expositions collectives qui s’attachent à énumérer les participants – contribuant à donner parfois à
l’art contemporain un caractère « confus » qui témoigne de la difficulté des critiques à s’orienter
dans la création actuelle en général, et a fortiori en Pologne157. Peu d’articles proposent une analyse
approfondie des œuvres. À l’instar de Kantor, dont les peintures abstraites ont été montrées à Paris
dans les années 1950, les artistes les plus remarqués sont ceux qui ont exposé en France ou dont le
parcours se distingue par des liens avec Paris. Jan Lebenstein, lauréat du prix de la Biennale de
Paris, ou encore Roman Opałka, qui reçoit celui de la Biennale de la gravure de Cracovie, sont

22
mieux les connus des critiques des Lettres françaises 158 . Parmi les artistes d’origine polonaise
travaillant en France dans les années 1960, Roman Cieślewicz159 et Alina Szapocznikow suscitent
l’attention160. On notera aussi la place accordée à Maryan161, même s’il n’est pas nécessairement
abordé comme un peintre polonais, mais plutôt comme un artiste parisien. Enfin, l’exposition
d’artistes polonais présentée en 1961 en marge d’une manifestation de plus grande ampleur intitulée
École de Paris à la galerie Charpentier162 témoigne de la place faite à cette scène étrangère : comme
le souligne Juliusz Starzyński, les peintres polonais ne sont pas seulement présentés à part, en une
exposition séparée, mais aussi avec une certaine dissymétrie – les artistes retenus sont globalement
plus âgés, les œuvres choisies sont plus anciennes et la sélection ne représente pas selon lui la
diversité des démarches. De sorte que cette petite exposition ne confronte pas à égalité les artistes
contemporains des deux pays, mais ambitionne plutôt d’asseoir l’idée d’une supériorité de la France
au moment où le marché de l’art parisien vacille 163 . On notera que dans la section dédiée aux
spectacles, le théâtre Cricot 2 de Tadeusz Kantor trouve dans les années 1970 un écho important et
parfois précurseur dans Les Lettres françaises qui publient parfois des extraits de ses textes164.

L’art polonais du XXe siècle jusqu’aux années 1960 est quant à lui présenté selon un schéma linéaire
intégrant chaque mouvement polonais à l’histoire des avant-gardes internationales. À l’occasion de
l’exposition Peinture moderne polonaise. Sources et recherches, présentée en 1969 au palais
Galliera 165 , en guise de pendant contemporain à l’exposition diplomatique Mille ans d’art en
Pologne visible au même moment au Petit Palais, Georges Boudaille retrace les principales avant-
gardes polonaises et situe chacune d’entre elles au sein des mouvements internationaux : il évoque
le formisme de Stanisław Ignacy Witkiewicz, inspiré par l’expressionnisme, le cubisme et le
futurisme, le groupe Bloc, proche du cubisme, puis la figure de Władisław Strzemiński, en lien avec
le constructivisme, pour s’en tenir ici au début de l’énumération des mouvements présentés. Ce
panorama s’achève, après une mention des recherches menées par Tadeusz Kantor autour du
Cricot 2 en 1954-1955, sur deux expositions de sculpture monumentale données en 1965 et 1966 en
partenariat avec « de grands centres industriels et avec l’aide d’entreprises métallurgiques et
chimiques166 ». Il faut attendre 1971 pour que mention soit faite de la galerie Foksal, bien que celle-
ci soit précisément le dernier exemple cité par l’auteur polonais de l’essai contenu dans le catalogue
de 1969, Mieczysław Porębski167. La galerie de Varsovie est évoquée dans un article détaillé par
l’un de ses membres fondateurs, la critique d’art polonaise Hanna Ptaszkowska, qui s’installe en
1969 à Paris – nous y reviendrons168. De 1960 à 1972, le lecteur des Lettres françaises peut certes
se faire une idée des principaux mouvements de l’histoire de l’art en Pologne depuis le Moyen Âge
jusqu’à la création actuelle, au fil des expositions françaises et internationales. Les informations
s’avèrent relativement superficielles, et en retard par rapport à la situation artistique réelle en
Pologne, qu’il était de toute façon difficile de connaître.

23
Tous ces articles témoignent cependant d’échanges réguliers avec les critiques et les historiens de
l’art polonais. Les principaux critiques de la revue sont en effet impliqués dans l’Association
internationale des critiques d’art. La décennie 1960 s’ouvre ainsi sur le compte rendu du
VIIe Congrès de l’AICA169, qui joue un rôle décisif dans la perception de l’art polonais dans la
revue. Cet événement, qui s’est tenu à Varsovie en 1960, a donné lieu à de nombreuses rencontres :
parmi les critiques français, Pierre Restany, Waldemar-George et Jean-Clarence Lambert étaient
présents 170 . Dans un souci de mettre en valeur la richesse du dialogue international de la
manifestation où s’étaient réunis des critiques d’art des pays socialistes et capitalistes, Les Lettres
françaises publient un bilan du congrès par son initiateur Juliusz Starzyński, historien de l’art
polonais, membre de l’AICA et membre du jury de la Biennale de Paris 171 . Quant au critique
français Jean Rollin, il s’attache à citer les interventions les plus représentatives de la diversité des
points de vue lors de cette manifestation172. Il souligne que les débats ont été animés, même entre
ceux qui « reconnaissent en Hegel un père spirituel173 ».

La rencontre de l’AICA en 1960 à Varsovie participe plus largement aux réseaux franco-polonais
qui se développent lors de manifestations artistiques internationales : les Biennales de Venise et de
São Paulo, comme la toute jeune Biennale de Paris, dont la première édition a lieu en 1959, sont des
événements incontournables ; à leur retour de voyage, les critiques soulignent la qualité de la
participation polonaise174. On notera aussi l’attention portée à la Biennale de la gravure, qui se tient
à Cracovie 175, ainsi que diverses biennales, notamment celle de la tapisserie à Lausanne où les
artistes polonais sont de nouveau remarqués 176 . La Biennale de Paris demeure la manifestation
privilégiée pour découvrir et évaluer l’art contemporain polonais 177. Après la première édition de
1959, où la critique salue unanimement la participation polonaise, la seconde ne satisfait pas les
attentes de deux jeunes critiques d’art des Lettres françaises, Raoul-Jean Moulin et Marie-Thérèse
Maugis. Le dialogue s’engage alors avec Juliusz Starzyński, qui donne son interprétation critique
des choix effectués par les commissaires polonais en 1961 178. Ces entretiens sont l’occasion d’un
échange autour de la perception française de l’art polonais. Ainsi, le critique d’art et professeur à
l’université de Varsovie, Juliusz Starzyński, déplore lors d’un entretien avec Georges Boudaille la
persistance de stéréotypes dans sa réception française de l’art polonais :

« Dans l’ordre de valeur, surtout lorsqu’il s’agit de l’art de nations moins connues, il est
difficile parfois d’abolir certaines opinions qui étaient formulées arbitrairement sans une
connaissance suffisante du sujet même et des prémices historiques. Par exemple, la majorité
des critiques français formulent sur l’art polonais des opinions de deux points de vue
opposés : d’une part, ils cherchent en lui surtout des analogies et des signes de dépendance
vis-à-vis de l’art français, d’autre part, ils veulent voir seulement le pur primitivisme,
folklorique et exotique179. »

24
Cette remarque est fondée, car à plusieurs reprises les critiques français insistent dans leurs comptes
rendus sur les œuvres qui s’inspirent de l’art populaire et de l’art « naïf » : c’est le cas de l’œuvre de
Tadé Makowski, ou encore de Marian Kruczek, qui font l’objet d’articles relativement
approfondis 180 . De plus, comme le souligne Starzyński, l’art polonais est présenté comme
étroitement dépendant des recherches menées en France. Non sans clichés, les propos du peintre
Marcel Gromaire sur son ami Makowski sont révélateurs de ce lien entre les deux pays : « Il avait
apporté de la Pologne tout un langage de poésie populaire, naïve et profonde ; il avait pris à l’Île-de-
France la subtilité de son ciel, et à la France même, un certain goût de l’ordre 181. » Si l’œuvre de
Makowski est célébrée, c’est non seulement parce que les critiques membres de l’AICA ont pu
visiter une importante exposition de ses œuvres à Cracovie en 1960, mais aussi parce que son
parcours est considéré comme exemplaire de l’apport de la France à l’art de la nation polonaise.
Ainsi Jacques Lassaigne évoque-t-il l’impact de l’œuvre de Makowski sur des générations d’artistes
polonais, dont les raisons sont à chercher aussi bien dans son expérience française que dans son
caractère « populaire » spécifiquement polonais : « De grands poètes s’en sont inspirés. Parce
qu’elle retrouve une très secrète et très profonde veine populaire dans une forme neuve et
vigoureuse. Mais il se trouve que cette transformation s’est faite dans le climat de la France, au
contact d’expériences françaises et participant à celle-ci182. » Or l’idée de l’apport essentiel de la
France dans l’expression d’une singularité polonaise n’est pas seulement présente dans les discours
français, mais aussi chez les Polonais : un encart rédigé par Juliusz Starzyński sur Makowski
précise que son « art […] doit tant aux expériences de la peinture française et […] reste cependant
tellement polonais dans son essence183 ». De même, il affirme que « Le caractère de l’œuvre d’un
artiste polonais est plus émotionnel qu’intellectuel et en même temps montre l’amour de la matière
qui, dans un sens, oriente son besoin d’expression ». Pour le critique, qui représente de manière
dominante la voix de l’art contemporain en Pologne pour Les Lettres françaises, Paris demeure le
grand modèle auquel les artistes polonais viennent se confronter avec modestie : « La grandeur de
Paris – à mon humble avis – réside précisément dans le fait que la force du génie de l’art français,
concentrée merveilleusement dans cette ville, aide les gens de talent qui y sont venus à dégager leur
propre valeur dans une confrontation impitoyable avec ce qui est le plus grand dans le monde
entier184. »

Un stéréotype bien ancré dans le discours des Lettres françaises est celui d’une « âme » des nations
où la Pologne, ni tout à fait slave ni tout à fait germanique, demeure cependant un pays de
l’expression, de l’imaginaire irrationnel et de l’émotion, par opposition à France où les artistes
seraient plus cartésiens. Henry Galy-Carles loue dans un article intitulé « L’univers dramatique des
peintres polonais » les artistes polonais présents à la IIIe Biennale de la gravure de Cracovie pour
leur « force expressive », leur « profondeur » et leur « densité humaine185 » ; de même, dans un

25
article sur le peintre Marian Kruczek, le critique considère que « Parce que l’œuvre de Kruczek est
profondément sincère et viscérale, elle dépasse la simple attitude esthétique – devient émouvante,
attachante, et fait éclater ses propres frontières186. »

Cette dimension émotionnelle n’est pas projetée seulement sur les œuvres contemporaines, mais
aussi sur l’histoire de l’art en Pologne, qui est présentée dans Les Lettres françaises avant tout
comme un pays ayant gagné son indépendance face aux pays slaves et germaniques (il est peu
question de son statut de satellite de l’URSS et elle est rarement décrite comme un pays « de
l’Est187 »). Ce discours s’inscrit dans la question plus large de l’identité du peuple polonais et de ses
manifestations artistiques. En 1960, le sujet choisi par les organisateurs polonais du VIIe Congrès de
l’AICA de 1960 témoigne de la place de cette problématique dans la réflexion sur l’art du pays :
« Le caractère international de l’art contemporain et le rôle des différents milieux nationaux dans la
formation de cet art188. » Ce questionnement va perdurer jusqu’en 1972. Pour résumer les termes du
débat de 1960, les critiques français Jacques Lassaigne, Henry Galy-Carles mais aussi le critique
polonais Juliusz Starzyński s’accordent à penser qu’il est essentiel de dépasser l’attitude
nationaliste, sans pour autant renoncer à toute spécificité nationale. C’est de plus sous le signe de
l’empathie avec un peuple malmené par l’histoire et lié historiquement à la France qu’est présenté
l’art polonais, aussi bien celui du XXe siècle que l’art plus ancien. L’article qui retrace l’histoire des
tapisseries du château du Wawel au fil des événements politiques depuis le XVIIIe siècle s’intitule de
manière symptomatique « L’émouvante histoire des tapisseries du trésor polonais189 ». Les critiques
d’expositions d’art polonais présentées à Bordeaux puis au Petit Palais à Paris insistent ainsi sur la
spécificité de l’art polonais depuis le Moyen Âge, précisant cependant qu’il est plus juste de parler
d’art « en Pologne » plutôt que d’art « polonais » au sens strict, étant donné l’histoire mouvementée
d’une nation qui a connu de multiples invasions au cours de son histoire 190 . C’est encore la
singularité d’un art polonais qui est en jeu lorsque le critique Juliusz Starzyński rappelle que le nom
de l’artiste Wit Stwosz devrait s’orthographier à la polonaise et non à l’allemande (Veit Stoß) 191 ;
les critiques français relaient ce discours, prônant l’indépendance de l’art polonais contre
l’hégémonie d’une historiographie germanique qui réduirait la peinture polonaise à un satellite de la
peinture allemande et autrichienne, et soulignant la place des artistes français en Pologne depuis le
e
XVIII siècle192.

Le dernier article de fond des Lettres françaises sur l’actualité artistique en Pologne témoigne
cependant d’un changement de discours. Ce tournant est lié aux nouvelles orientations que prend la
revue autour de 1967, lorsqu’elle commence à s’intéresser à la contestation des institutions
artistiques et à l’art conceptuel193. Cet article est signé en janvier 1971 par la galeriste et critique
d’art Anka Ptaszkowska, qui publie par ailleurs régulièrement dans les revues françaises 194. Son

26
texte retrace l’histoire de ce lieu hors norme, qui s’est fixé pour objectif de remettre en cause le
statut traditionnel de la galerie en repensant l’espace d’exposition comme le support même de
l’œuvre d’art. Elle rappelle qu’après plusieurs installations, les animateurs de ce lieu – théoriciens,
critiques d’art, artistes – ont initié des manifestations éphémères, échappant à la forme traditionnelle
de la galerie, comme le Happening panoramique maritime : le concert de la mer de Tadeusz Kantor
en 1967. Anka Ptaszkowska décrit enfin comment, face aux contradictions liées à l’exercice d’une
activité demeurant selon eux trop ancrée dans le système institutionnel, les initiateurs de la galerie
décidèrent en 1969 de transformer le lieu en « bureau d’information ». À cet égard, il convient de
rappeler le rôle central des Lettres françaises dans l’information sur l’art contemporain à l’Est du
rideau de fer et tout particulièrement en Pologne, comme le faisait récemment l’un des fondateurs
de la galerie, Wiesław Borowski, dans un entretien avec l’historienne de l’art Aneta Panek195. Les
Lettres françaises participent en effet à l’histoire de la galerie Foksal, tout comme elles ont
accompagné le parcours individuel et l’affirmation du discours d’Hanna Ptaszkowska au début des
années 1970. Nous avons montré que Les Lettres françaises accordent à partir de 1968 une place
prépondérante aux théories de Buren. Or celles-ci font écho aux problématiques développées par la
galerie Foksal sur le lien entre art et institution. L’approche très conceptuelle des animateurs de la
galerie de Varsovie, signataires d’une « théorie du lieu 196 », ainsi que l’évolution du discours
remettant de plus en plus radicalement en cause la possibilité même de l’existence d’une galerie
d’art, entrent très fortement en résonance avec le propos contestataire de Buren au même moment.
Étant donné la différence de contexte politique et artistique entre la France et la Pologne à ce
moment-là, il ne s’agit nullement ici de valider l’idée d’une « influence » de Buren sur la galerie
Foksal via Les Lettres françaises, mais plutôt de noter que de part et d’autre du rideau de fer, des
démarches se rejoignent, donnant lieu à des rencontres d’abord par le biais de la lecture, puis lors de
collaborations artistiques. En effet, au moment où elle écrit cet article, Anka Ptaszkowska tisse des
liens avec le critique d’art Michel Claura et avec Daniel Buren. Un an plus tard, et en étroite
collaboration avec ces derniers, elle ouvre à Paris une galerie qui porte le numéro de l’exposition
organisée, de 1 à 37 jusqu’en 2004197.

Conclusion
Les notions de réel et de réalité jouent bel et bien un rôle déterminant dans le discours sur l’art des
Lettres françaises. Après avoir récusé la version soviétique du réalisme socialiste, ces notions
aident Roger Garaudy à définir son « réalisme sans rivages », bientôt abandonné cependant puisque
Les Lettres françaises, s’éloignant de plus en plus de l’URSS, ne se sentent plus obligées de se
justifier face à la doctrine marxiste-léniniste. Dans un discours émancipé de la stricte ligne
idéologique du PCF, la parole est donnée à des artistes qui ont leur carte du parti, mais aussi à des

27
personnalités extérieures à celui-ci. La notion de réalité/réel persiste alors comme une référence
omniprésente. Elle ne devient pas un mot fourre-tout, mais une valeur cardinale exprimant le
rapport d’engagement de l’artiste contemporain face au monde qui l’entoure. Le propos, qui
demeure largement pictural – le choix d’un artiste comme Buren en témoigne encore au début des
années 1970 –, intègre à la question de la réalité les apports de la pensée structuraliste, notamment
sur l’histoire. Si la notion est moins présente dans les articles dédiés aux arts polonais et allemands
de l’Est comme de l’Ouest, elle éclaire aussi la place qui leur est attribuée dans la revue. Placées
sous l’égide du modèle universaliste de l’École de Paris, Les Lettres françaises n’en jouent pas
moins un rôle singulier grâce à leurs échanges avec les scènes artistiques allemandes et polonaise :
rare exemple d’une revue française diffusée de l’autre côté du rideau de fer, elles ont été non
seulement le témoin, mais aussi le support d’un dialogue intellectuel et de rencontres fécondes, non
seulement dans le domaine de la critique d’art, mais aussi, fait bien plus rare pour une revue, au sein
même de la création artistique.

1
La formule connaît certes quelques variations au cours de l’histoire de la publication.
2
Les Lettres françaises deviennent un mensuel en 1944, puis un hebdomadaire tirant à
190 000 exemplaires après la Libération. Pour une brève histoire de la publication, voir Gisèle
Sapiro, « Lettres françaises (Les) », dans Michel Winock et al., Dictionnaire des intellectuels
français, Paris, Seuil, 1996, p. 704-706. Voir aussi l’histoire de la publication par son rédacteur en
chef Pierre Daix, Les Lettres françaises. Jalons pour l’histoire d’un journal, 1941-1972, Paris,
Tallandier, 2004. Je renvoie enfin à l’excellent article de Luc Vigier, « Les Lettres françaises en
1955 », dans Itinéraires [En ligne], 2011-4, 2011, URL : http://itineraires.revues.org/1388 (consulté
le 3 avril 2017) ; DOI : 10.4000/itineraires.1388.
3
« Mauriac, Duhamel, Maritain, Sartre, Paulhan, Vercors, Benda, Cassou, Martin-Chauffier, autant
de collaborateurs de renom qui se joignent aux chroniqueurs réguliers (L. Parrot, G. Sadoul,
G. Besson, G. Pillement, H. Malherbe », Gisèle Sapiro, dans Winock et al., 1996 (note 2), p. 705.
4
Gisèle Sapiro, dans Winock et al., 1996 (note 2), p. 705.
5
Pour une synthèse sur l’engagement d’Aragon au PCF, voir Nicole Racine, « Aragon (Louis),
1897-1982 », dans Winock et al., 1996 (note 2), p. 83-86.
6
Comme le note Nicole Racine, ibid., p. 86 : « Il faut attendre les lendemains du XXe Congrès du
PCUS pour qu’Aragon fasse état, dans les poèmes du Roman inachevé (1956), de ses déchirements
face à la terreur stalinienne. Mais, à l’automne 1956, il empêche que l’on blâme au CNE
l’intervention soviétique en Hongrie. » À propos de la position de Pierre Daix, Stéphane Courtois
précise que « le XXe Congrès du PCUS est un véritable choc qui ébranle définitivement ses
convictions, mais son évolution sera lente vers une opposition d’abord sourde, puis de plus en plus
ouverte à la direction thorézienne », Stéphane Courtois, « Daix (Pierre) », dans Winock et al., 1996
(note 2), p. 388-389.
7
Composé d’Auguste Lecœur, François Billoux et Étienne Fajon. Maurice Thorez, président du
secrétariat du parti, est alors en URSS et ne prend pas part à la décision, comme le rappelle Annette
Wieviorka dans « Picasso plus fort que Staline », L’Histoire, no 335, 2008, p. 72.
8
Voir supra, note 6.
9
André Malraux cité par Georges Boudaille, « Notre enquête sur l’art abstrait (III) », dans Les
Lettres françaises, no 1215, 3-9 janvier 1968, p. 31-32.
28
10
Pierre Daix, « Georges Lukacs, l’avant-garde et le réalisme socialiste », dans Les Lettres
françaises, no 825, 19-25 mai 1960, p. 1 et 9 ; id., « Lukacs et nous », dans Les Lettres françaises,
no 1224, 6-12 mars 1968, p. 7 et 9.
11
En 1963 paraît une traduction en français de la Théorie du roman, publiée initialement en 1916
puis en 1920 en allemand.
12
« […] à mesure que s’instaure plus parfaitement le socialisme, le réalisme critique dépérit peu à
peu dans son domaine propre, en tant que style littéraire particulier… Il faut entendre ici
dépérissement au sens littéral du mot. Il est inévitable, en effet, qu’on aboutisse à l’instauration d’un
État social que seul le réalisme socialiste soit en mesure de représenter adéquatement. Il s’agit sans
doute d’un long processus – beaucoup plus long que les sectaires ne le souhaitent et le proclament –
mais le résultat final est inéluctable », Georg Lukács cité par Daix, « Georges Lukacs, l’avant-garde
et le réalisme socialiste », 1960 (note 10), p. 1.
13
Georg Lukács, La Signification présente du réalisme critique, Paris, 1960. Comme le rappelle
Vincent Charbonnier, il s’agit en fait du premier intitulé de l’ouvrage abandonné par Lukács au
profit de Wider den mißverstandenen Realismus [Contre le réalisme mal compris]. Aucune
explication pour cette licence de traduction n’a été fournie par l’éditeur français. Voir Vincent
Charbonnier, « De Lukács à Lukács. Itinéraire d’un remembrement », dans Romanesques, 2016 :
dossier « Lukács 2016 : cent ans de Théorie du roman », en ligne sur hal : <hal-01126652v3>
(consulté le 3 avril 2017), p. 177-186.
14
Préface de La Signification présente du réalisme critique, citée dans Charbonnier, 2016 (note 13),
p. 1.
15
C’est Gisèle Sapiro qui le précise, dans Winock et al., 1996 (note 2), p. 850.
16
En 1968, Pierre Daix s’appuie explicitement sur le Nouveau Roman et sa condamnation du roman
« réaliste », considéré comme inapte à traduire une quelconque réalité objective, pour critiquer les
positions de Lukács. À l’occasion de la publication d’une monographie sur son œuvre, il dénonce
son « repli philosophique », son « repli esthétique vers le réalisme critique balsacien ou tolstoïen »,
Daix, « Lukacs et nous », 1968 (note 10), p. 7.
17
En 1956, Nathalie Sarraute publie L’Ère du soupçon, rassemblant des essais dans lesquels elle
refuse tout engagement autre qu’artistique, rejetant l’illusionnisme du réalisme et affirmant la
nécessité de nouvelles formes littéraires. Ce titre devient l’emblème de toute une génération
d’écrivains et pose les fondements du Nouveau Roman. Voir Valérie Minogue, « Sarraute
(Nathalie) », dans Winock et al., 1996 (note 2), p. 1251-1252.
18
Roger Garaudy, D’un réalisme sans rivages. Picasso, Saint-John Perse, Kafka, Paris, Plon, 1963.
19
Député de Paris en 1956, vice-président de l’Assemblée nationale, membre suppléant du bureau
politique, Roger Garaudy (1913-2012) dirige alors aussi les Cahiers du communisme, revue
théorique du parti, puis le Centre d’études et de recherches marxistes (CERM). La disparition de
Maurice Thorez, dont il a suivi les choix parfois aveuglément, marque son déclin. Il est exclu du
PCF en 1970 suite à ses positions sur les mouvements étudiants de Mai 68 et sur la répression du
printemps de Prague. Voir Stéphane Courtois, « Garaudy (Roger) », dans Winock et al., 1996
(note 2), p. 621-622.
20
Roger Garaudy, « Kafka et le printemps de Prague », dans Les Lettres françaises, no 981, 6-
11 juin 1963, p. 1 et 6. Les citations du paragraphe sont tirées du même article.
21
Louis Aragon, « “D’un réalisme sans rivages”. Préface à Roger Garaudy », dans Les Lettres
françaises, no 997, 3-9 octobre 1963, p. 1 et 5.
22
Sur cette question, voir Ulrich Pfeil, Die „anderen“ deutsch-französischen Beziehungen. Die
DDR und Frankreich, 1949-1990, Köln, Böhlau, 2004, p. 262-266.
23
Aragon, 1963 (note 21). Les citations du paragraphe sont issues de cet article.

29
24
Roger Garaudy, « Réflexions sur le réalisme et sur ses rivages », dans Les Lettres françaises,
o
n 1014, 30 janvier – 5 février 1964, p. 1 et 13. Les citations de ce paragraphe sont issues de cet
article.
25
Pierre Daix, « Une esthétique délivrée du dogme », dans Les Lettres françaises, no 1000, 24-
30 octobre 1963, p. 3.
26
Roger Garaudy, « Pour les 65 ans d’Ernst Fischer. Ernst Fischer et le débat sur l’esthétique
marxiste », dans Les Lettres françaises, no 1039, 23-29 juillet 1964, p. 1 et 7.
27
« Les théoriciens de l’esthétique marxiste se situent par référence à deux conceptions limites. La
première a été définie sous l’influence des conceptions de Staline. Elle s’est exprimée notamment
dans les interventions de Jdanov. Cette conception a été exposée sous la forme la plus systématique
par Georg Lukacs qui, de la très hégélienne “Théorie du roman” de sa jeunesse à sa récente
“Esthétique”, a développé ses thèses fondamentales (à mon avis fondamentalement erronées) en les
appuyant sur une très riche et très vaste culture », ibid.
28
Ernst Fischer, « Qu’est-ce que la réalité en art ? », dans Les Lettres françaises, no 1039, 23-
29 juillet 1964, p. 1 et 8. Les citations du paragraphe suivant sont également tirées de cet article.
29
La rubrique « Peinture fraîche » rassemble de brefs comptes rendus d’expositions en cours, signés
par plusieurs critiques dont Raoul-Jean Moulin, Marie-Thérèse Maugis et Henri Adam.
30
La rubrique « Sept jours avec la peinture » est tenue par Jean Bouret.
31
Marc Albert-Levin, « La mort de la peinture en un grand nombre de tableaux », dans Les Lettres
françaises, no 1185, 1er-7 juin 1967, p. 35 et 38 ; Marcelin Pleynet, « II. – De la peinture aux États-
Unis », dans Les Lettres françaises, no 1176, 30 mars – 5 avril 1967, p. 27-28 ; id., « I. – De la
peinture », dans Les Lettres françaises, no 1175, 23-29 mars 1967, p. 30-31.
32
Voir Philippe Dagen, « Pierre Daix, l’ami de Pablo Picasso », dans Le Monde, 4 novembre 2015,
en ligne : www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/11/04/l-ami-de-picasso_4518021_3382.html
(consulté le 3 avril 2017).
33
Comme le souligne Laurence Bertrand Dorléac, il signe en 1956 une pétition concernant les
silences du parti à propos des événements de Pologne et de Hongrie, qui réclame la convocation
d’un congrès extraordinaire. Voir Laurence Bertrand Dorléac, « Picasso (Pablo) », dans Winock et
al., 1996 (note 2), p. 1090-1091.
34
Fischer, 1964 (note 28), p. 3.
35
Édouard Pignon, La Quête de la réalité. La réflexion d’un peintre sur le sens actuel de la
création artistique, Paris, Gonthier, 1966.
36
Édouard Pignon, « La quête de la réalité », dans Les Lettres françaises, no 1135, 9-15 juin 1966,
p. 1 et 29-31.
37
L’exposition s’est tenue du 8 juillet au 2 octobre 1966 : voir Édouard Pignon, cat. exp. Paris,
musée national d’Art moderne, 1966.
38
Pignon, « La quête de la réalité », 1966 (note 36).
39
On notera la parenté que peut sembler revêtir à première vue cette conception de la peinture
comme action avec les théories sur l’action painting qu’Harold Rosenberg, issu lui aussi du
marxisme, développe dans les années 1950 aux États-Unis. Bien que l’on trouve dans Les Lettres
françaises un texte de Rosenberg dès 1968, ses textes principaux seront traduits plus tard en France
(voir ci-dessous, note 76). Mais à la différence du critique américain, pour Pignon, la quête de la
vérité dans la seule « réalité du tableau » ne se manifeste pas nécessairement dans une forme
abstraite, puisqu’à l’instar de son mentor Picasso, Pignon ne renonce pas à la figure. De plus,
Rosenberg définit l’action comme une démarche fondamentalement subjective, un combat
existentiel avec soi-même, qui n’a pas besoin de s’inscrire dans une réalité sociale. Cependant, bien
qu’il ait été attaqué très violemment par la critique marxiste américaine dans la revue October dans

30
les années 1970, Christa Noël Robbins a montré récemment que ses positions sur l’art dans les
années 1970 ne sont pas si éloignées de ses positions marxistes initiales en tant que théoricien de la
littérature : voir Christa Noël Robbins, « Harold Rosenberg on the Character of Action », dans
Oxford Art Journal, vol. 35, no 2, 2012, p. 195-214.
40
Roger Garaudy, « La peinture abstraite et l’œuvre de James Pichette », dans Les Lettres
françaises, no 1120, 24 février – 2 mars 1966, p. 28.
41
Raoul-Jean Moulin, « À propos d’un film. Pignon et la réalité », dans Les Lettres françaises,
o
n 1152, 13-19 octobre 1966, p. 34 ; id., « Des peintres et la réalité », dans Les Lettres françaises,
no 1159, 1er-7 décembre 1966, p. 32 ; id., « À l’ARC. Trois peintres du “monde réel” », dans Les
Lettres françaises, no 1413, 8-14 décembre 1971, p. 26-27.
42
Voir Julie Sissia, « Réel, réalité et réalisme sous la plume de Raoul-Jean Moulin », dans Claire
Leroux et Jean-Marc Poinsot (dir.), Entre élection et sélection. Le critique face à ses choix, Dijon,
Presses du réel, 2017, p. 122-144.
43
Voir Natalie Adamson, Painting, Politics and the Struggle for the École de Paris, 1944-1964,
Aldershot, Ashgate, 2009.
44
Pour une présentation de la place des notions de réel et de réalité mise en perspective avec les
discours sur la Pologne et les deux Allemagnes dans la revue Art press voir Julie Sissia et Clément
Layet, « Art press », sur le site du projet OwnReality, éd. par Mathilde Arnoux et Clément Layet,
2017, URL : https://dfk-paris.org/fr/node/1357#/resolve/magazines/23565. Pour une étude du
discours sur l’art allemand dans la revue, voir Julie Sissia, Regards sur les deux Allemagnes. La
place de la RFA et de la RDA dans les discours sur l’art contemporain en France. 1959-1989,
chap. IX : « La RFA au miroir d’Art press : entre émulation et méfiance », thèse de doctorat, IEP de
Paris, 2015, p. 329-369.
45
Sur la place des notions de réel et de réalité dans le discours sur la Pologne et les deux
Allemagnes dans la revue Chroniques de l’art vivant voir Julie Sissia et Clément Layet,
« Chroniques de l’art vivant », sur le site du projet OwnReality, éd. par Mathilde Arnoux et Clément
Layet, 2017, URL : https://dfk-paris.org/fr/node/1357#/resolve/magazines/23568. Pour une étude
sur l’art allemand dans cette revue, voir Sissia, 2015 (note 44), chap. VII : « L’Allemagne dans les
Chroniques de l’art vivant », p. 247-287.
46
Jean-Marc Poinsot, Mail art, communication à distance, concept, Nanterre, CEDIC, 1971.
47
Voir notamment Catherine Millet, « Le clou de Uecker », dans Les Lettres françaises, no 1266,
15-21 janvier 1969, p. 29 ; id., « Buren est-il encore justifiable ? », dans Les Lettres françaises,
no 1339, 17-23 juin 1970, p. 27-29 ; id., « Cologne, la foire de l’art », dans Les Lettres françaises,
no 1357, 28 octobre – 2 novembre 1970, p. 30 ; id., « Raynaud, Flavin : deux processus
d’objectivation », dans Les Lettres françaises, no 1361, 26 novembre – 2 décembre 1970, p. 27-28.
Jean Clair, « Pour une politique des expositions », dans Les Lettres françaises, no 1153, 20-
26 octobre 1966, p. 29 ; id., « Dada à New York », dans Les Lettres françaises, no 1236, 12-18 juin
1968, p. 22-23. Jean-Marc Poinsot, « L’envoi postal considéré comme une manifestation
artistique », dans Les Lettres françaises, no 1401, 15-21 septembre 1971, p. 22-23. Michel Claura,
« Structures primaires et art minimal », dans Les Lettres françaises, no 1222, 21-26 février 1968,
p. 29-30 ; id., « Londres. The obsessive image », dans Les Lettres françaises, no 1230, 18-24 avril
1968, p. 29-30 ; id., « Prospect 68 à Düsseldorf », dans Les Lettres françaises, no 1251, 2-8 octobre
1968, p. 30-31 ; id., « L’Art du réel au Grand Palais », dans Les Lettres françaises, no 1260, 3-
10 décembre 1968, p. 30-31 ; id. « Extrémisme et rupture (I). Mouvement de l’art contemporain
autour d’un concept », dans Les Lettres françaises, no 1301, 24-30 septembre 1969, p. 26-27, id.,
« Extrémisme et rupture (II). Mouvement de l’art contemporain autour d’un concept », dans Les
Lettres françaises, no 1302, 1er-7 octobre 1969, p. 26-27.

31
48
En particulier lors de la septième édition de 1971 : Jean-Marc Poinsot, Catherine Millet et Jean
Clair sont responsables des sections « Art postal », « Concept » et « Hyperréalisme ». Voir
VIIe Biennale de Paris, cat. exp. Vincennes, Parc floral, 1971.
49
Pleynet, « I. – De la peinture » et « II. – De la peinture aux États-Unis », 1967 (note 31).
50
Raymond Bellour (né en 1939) est un écrivain, critique et théoricien français. Après des études de
lettres, il entre au CNRS en 1964 ; il se spécialise ensuite dans le cinéma et fonde notamment la
revue Trafic avec Serge Daney en 1991. Par la suite, il est directeur de recherche à EHESS. Ses
essais sur le cinéma sont rassemblés dans Lionel Bovier (éd.), Raymond Bellour, Between-The-
Images, Dijon, Presses du réel, 2012.
51
Raymond Bellour, « Deuxième entretien avec Michel Foucault. Sur les façons d’écrire
l’histoire », dans Les Lettres françaises, no 1187, 15-21 juin 1967, p. 1 et 6-9.
52
Raymond Bellour, « Entretien avec Pierre Francastel. Interprétation de la peinture et
structuralisme », dans Les Lettres françaises, no 1181, 4-10 mai 1967, p. 30-31 et 34.
53
Ibid., p. 30.
54
André Malraux cité par Boudaille, 1968 (note 9).
55
Boudaille, « Notre enquête sur l’art abstrait (III) », 1968 (note 9) ; id., « Notre enquête sur l’art
abstrait (IV) », dans Les Lettres françaises, no 1216, 10-16 janvier 1968, p. 30-32 ; id., « Notre
enquête sur l’art abstrait (V) », dans Les Lettres françaises, no 1217, 17-23 janvier 1968, p. 30-32 ;
id., « Notre enquête sur l’art abstrait (VI) », dans Les Lettres françaises, no 1218, 24-30 janvier
1968, p. 31-32 ; id., « Notre enquête sur l’art abstrait (VII) », dans Les Lettres françaises, no 1219,
1er-7 février 1968 ; id., « Notre enquête sur l’art abstrait (VIII) », dans Les Lettres françaises,
no 1220, 7-13 février 1968, p. 31-32 ; id., « Notre enquête sur l’art abstrait (fin). Réponse à la
question no III », dans Les Lettres françaises, no 1221, 14-20 février 1968, p. 29-30.
56
Voir par exemple Boudaille, 1968 (note 9).
57
Voir ibid., p. 31-32.
58
Ce texte figure dans Marc Devade, Écrits théoriques, Paris, Lettres modernes, 1989, t. I, p. 19-30.
59
Le groupe d’artistes Supports/Surfaces se constitue dans l’après-Mai 68. Si les événements de
Mai ont joué un rôle de catalyseur pour Vincent Bioulès, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Patrick
Saytour, André Valensi et Claude Viallat, qui exposent sous cette appellation en 1970 (musée d’Art
moderne de la Ville de Paris, 23 septembre – 15 octobre 1970), Supports/Surfaces n’est pas pour
autant une pure conséquence picturale d’événements sociaux. La peinture américaine
contemporaine est un modèle central pour les artistes français, et en particulier pour Devade, dont
les premiers tableaux s’inspirent de Pollock. En 1971, Devade fonde avec Vincent Bioulès et Louis
Cane la revue Peinture. Cahiers théoriques, dont le ton de propagande maoïste ne suffit pas à
occulter la préoccupation fondamentale de repenser l’art en dehors des critères subjectivistes de
l’abstraction française des années 1950.
60
Marc Devade cite ainsi Althusser : « Une “théorie” qui ne remet pas en question la fin dont elle
est le sous-produit reste prisonnière de cette fin et des “réalités” qui l’ont imposée comme fin
(Althusser). » Devade, dans Boudaille, 1968 (note 9), p. 32.
61
L’exposition L’Art du réel. USA 1948-1968 est présentée aux galeries nationales du Grand Palais
à Paris, du 14 novembre au 23 décembre 1968.
62
Voir par exemple l’ouvrage rassemblant les textes écrits entre 1939 et 1960 : Clement Greenberg,
Art et Culture. Essais critiques (1961), trad. par Ann Hindry, Paris, Macula, 1988.
63
Donald Judd, « De quelques objets spécifiques » (1965), dans Donald Judd, Écrits, 1963-1990,
trad. par Annie Pérez, Paris, D. Lelong, 1991, p. 9-20.
64
Devade cité dans Boudaille, 1968 (note 9), p. 32.
65
Claura, « L’Art du réel au Grand Palais », 1968 (note 47).
32
66
Claura, « Structures primaires et art minimal », 1968 (note 47). Il mentionnait les expositions à
Paris de « Robert Morris (que l’on doit voir à la galerie Sonnabend), Tony Smith (présenté galerie
Yvon Lambert), Dan Flavin (dont on a vu un néon en 1966, galerie Sonnabend), John McCracken
(que l’on a vu à la récente Biennale, à la galerie Stadler en 1967, que l’on reverra galerie
Sonnabend), Robert Smithson, Ronald Bladen, Carl Andre, Sol LeWitt, Robert Grosvenor, Larry
Bell, etc. Nous ne parlerons ici que des Américains » (p. 29).
67
Claura, « L’Art du réel au Grand Palais », 1968 (note 47), p. 30.
68
Michel Foucault, qui se définit comme historien, invoque les travaux de Lévi-Strauss, Lacan,
Braudel, Furet, Denis Richet, Leroy-Ladurie, ainsi que « les recherches de l’école historique de
Cambridge, de l’école soviétique ». Selon lui, leur réflexion, dont il se réclame, se caractérise ainsi :
« 1o Ces historiens posent le très délicat problème de la périodisation. On s’est aperçu que la
périodisation manifeste scandée par les révolutions politiques n’était pas toujours
méthodologiquement la meilleure forme de découpe possible. 2o Chaque périodisation découpe
dans l’histoire un certain niveau d’événements, et inversement, chaque couche d’événements
apporte sa propre périodisation. C’est là un ensemble de problèmes délicats, puisque, selon le
niveau qu’on choisit, on devra délimiter des périodisations différentes, et que selon la périodisation
que l’on se donne on atteindra des niveaux différents. On accède ainsi à la méthodologie complexe
de la discontinuité. […] 4o On introduit dans l’analyse historique des types de rapports et des modes
de liaison beaucoup plus nombreux que l’universelle relation de causalité par laquelle on avait
voulu définir la méthode historique. Ainsi, pour la première fois peut-être a-t-on la possibilité
d’analyser comme objet un ensemble de matériaux qui ont été déposés au cours des temps sous
forme de signes, de traces, d’institutions, de pratiques, d’œuvres, etc. » Bellour, « Deuxième
entretien avec Michel Foucault », 1967 (note 51), p. 6.
69
Georges Boudaille, « Entretien avec Daniel Buren. L’art n’est plus justifiable ou les points sur les
“i” », dans Les Lettres françaises, no 1225, 13-19 mars 1968, p. 28-29 ; id., « Buren : le Scopitone
contestataire », dans Les Lettres françaises, no 1282, 7-13 mai 1969, p. 28 ; id., « Le cas Buren »,
dans Les Lettres françaises, no 1339, 17-23 juin 1970, p. 1 et 26-29. Daniel Buren, « Mise au point.
(Mise en garde no 4) », dans Les Lettres françaises, no 1339, 17-23 juin 1970, p. 26-29. Catherine
Millet, « Buren est-il encore justifiable ? », dans Les Lettres françaises, no 1339, 17-23 juin 1970,
p. 27-29.
70
Georges Boudaille, « Au musée d’Art moderne, “pop” français et classique new-yorkais », dans
Les Lettres françaises, no 1038, 16-22 juillet 1964, p. 10 ; Marc Albert-Levin, « De Bouguereau à
Spoerri. Qu’est-ce qu’un académisme ? », dans Les Lettres françaises, no 1112, 30 décembre 1965 –
5 janvier 1966, p. 24-25 et 28.
71
Alain Jouffroy, « Au Salon de la jeune peinture. La mort des seize mineurs de Fouquières-lez-
Lens, l’album d’une veuve, le réalisme militant et l’individualisme révolutionnaire », dans Les
Lettres françaises, no 1414, 15-21 décembre 1971, p. 28.
72
Boudaille, « Buren, le Scopitone contestataire », 1969 (note 69), p. 28.
73
Ibid.
74
Boudaille, « Entretien avec Daniel Buren », 1968 (note 69).
75
Dossier « Le colloque Baudelaire. Avec des textes de Pierre Schneider, André Masson, Gilles
Henault, Harold Rosenberg, Gaëtan Picon », dans Les Lettres françaises, no 1220, 7-13 février
1968, p. 30. Georges Boudaille introduit ainsi l’entretien avec Buren : « Harold Rosenberg défend
deux formules qui ne sont pas de simples paradoxes, mais contiennent une part de vérité. Vérité qui
fait sursauter. Les extraits de sa communication au colloque Baudelaire que nous avons publiés
“L’histoire de l’art touche à sa fin” ont soulevé de vives réactions chez certains de nos lecteurs,
surtout chez les artistes. Daniel Buren est de ces jeunes qui depuis deux ans, ont adopté une position
extrême, et il est aussi apte à se défendre. »

33
76
« Étant donné les similitudes entre les œuvres d’art et celles des media, que sera le caractère
distinctif de l’art ? Qu’est-ce qui fera d’un ouvrage une œuvre d’art et d’un autre simplement un
objet de divertissement ou d’information destiné à la consommation quotidienne ? La question de
dimension mise à part, qu’est-ce qui différencie vraiment une bande dessinée Mickey Mouse d’un
Mickey Mouse peint par Lichtenstein ? La réponse est : l’histoire de l’art. […] Le pouvoir de définir
l’art est dévolu à l’histoire de l’art, laquelle s’incarne dans le musée. Malraux concevait le musée
comme l’aboutissement suprême de l’art – être admis dans un musée comme ultime ambition de
tous les artistes modernes. Ce qui est de l’art va au musée ; ce qui va au musée est de l’art.
L’étiquette d’une soupe ou la réclame d’un pneu, bien qu’étant l’œuvre d’un professionnel
spécialisé et bien que destinée à attirer et émouvoir le spectateur grâce à la forme et à la couleur
n’est pas de l’art, parce qu’elle est sans rapport avec l’histoire de l’art, et parce qu’elle est éloignée
du musée », Harold Rosenberg, « L’histoire de l’art touche à sa fin », dans Les Lettres françaises,
no 1220, 7-13 février 1968, p. 30, dans le dossier « Le colloque Baudelaire », 1968 (note 75).
Harold Rosenberg publie une synthèse de ses réflexions en 1972 dans The De-definition of art. Une
traduction française de Christian Bounay paraît tardivement en 1992 aux éditions Jacqueline
Chambon, sous le titre La Dé-définition de l’art. Il est frappant de noter combien les propos de
Buren résonnent comme une réponse au constat formulé ainsi par Harold Rosenberg dans
l’introduction de l’ouvrage précédemment cité : « Par contraste avec la pauvreté de l’art, l’artiste
voit son importance démesurément grandie. Il est décrit comme quelqu’un pourvu d’une sensibilité
exacerbée, d’une imagination développée, d’une capacité d’expression et d’une profonde
pénétration des réalités contemporaines. L’artiste est devenu pour ainsi dire trop grand pour
l’art […]. Cette façon de magnifier l’artiste ou, pour lui, de s’auto-magnifier, semble, en surface,
témoigner d’une confiance accrue dans les pouvoirs de l’artiste contemporain. Par l’art, on peut tout
faire, et tout ce que fait l’artiste est une œuvre d’art. […] En fait, l’artiste qui a laissé l’art derrière
lui ou qui – et cela revient au même – considère tout ce qu’il fait comme de l’art, ne fait
qu’exprimer la crise profonde qui a gagné les arts à notre époque. […] L’artiste de l’après-art (post-
art) pousse la dé-définition de l’art jusqu’au point où il ne subsiste plus rien de l’art, sinon la fiction
de l’artiste », p. 9-11.
77
Buren, « Mise au point. (Mise en garde no 4) », 1970 (note 69), repris dans ses Les écrits, textes
réunis et présentés par Jean-Marc Poinsot, 3 vol., Bordeaux, CAPC, 1991, également présenté et
reproduit dans Charles Harrison et Paul Wood (éd.), Art en théorie, 1900-1990. Une anthologie,
Paris, Hazan, 1997, p. 929-936.
78
Boudaille, « Entretien avec Daniel Buren », 1968 (note 69), p. 28.
79
Buren, « Mise au point. (Mise en garde no 4) », 1970 (note 69), p. 26.
80
Conçue par Harald Szeemann, l’exposition Live in your Head. When Attitudes Become Form:
Works, Concepts, Processes, Situations, Information fut présentée à la Kunsthalle de Berne du
22 mars au 27 avril 1969. La « participation » de Buren est restée célèbre : n’ayant pas été invité à
la manifestation, il investit alors le mobilier urbain (panneaux publicitaires, toilettes publiques) de
la ville suisse pour y pratiquer l’affichage sauvage de ses papiers rayés de bandes verticales.
81
Les expositions Prospect 68 et Prospect 69, conçues et organisées par les galeristes Konrad
Fischer (Düsseldorf) et Hans Strelow (New York), se tiennent respectivement du 20 au
29 septembre 1968 et du 30 septembre au 12 octobre 1969 à la Kunsthalle de Düsseldorf. Le musée
accueille les galeries internationales d’avant-garde, invitées à présenter leurs artistes. Daniel Buren
y participe en tant qu’artiste de la galerie Yvon Lambert qui le représente à Paris et Milan. En 1969,
il présente également son travail à la galerie Konrad Fischer.
82
Claura, « Prospect 68 Düsseldorf », 1968 (note 47). René Denizot décrit l’année suivante la
participation de Buren lors de Prospect 69 : « Buren présentait au musée la même proposition cette
année que l’année dernière, au même lieu. Cependant, les bandes colorées étaient vertes en 68 et
bleues en 69. Ainsi la proposition est bien formellement la même, tant par son format, que par sa

34
structure interne, et pourtant elle est différente, et ceci par rapport à un point de vue, un même lieu.
C’est-à-dire que de façon essentielle, dans un même lieu, la même chose en tant que telle se montre
comme ce qu’elle est et à la fois se dérobe. Chez Fischer, Buren poursuit sa démonstration. Il donne
à voir dans la galerie les mêmes bandes bleues et blanches qu’au musée, mais sous un format
différent. Là, il multiplie encore les points de vue, en affichant des bandes bleues et blanches sur
différents murs de Düsseldorf. Il s’agit, en quelque sorte, de la contre-épreuve du musée, son
complément nécessaire », René Denizot, « “Prospect 69” à Düsseldorf. Arrière et avant-garde
d’aujourd’hui », dans Les Lettres françaises, no 1306, 29 octobre – 4 novembre 1969, p. 26-27.
83
Waldemar-George, « Devenir et permanence de la peinture française », dans Les Lettres
françaises, no 993, 5-11 septembre 1963, p. 12.
84
Marcel Gimond, « Conseils aux jeunes », dans Les Lettres françaises, no 816, 17-23 mars 1960,
p. 1 et 11 ; Georges Besson, « Gimond, ce camisard », dans Les Lettres françaises, no 939, 9-
22 août 1962, p. 12.
85
La défense d’un art de tradition nationale n’est pas l’apanage de la « droite ». Cette valeur, tout
en ayant été l’un des socles de l’idéologie de la droite conservatrice, se trouvait aussi au cœur des
discours communistes sur l’art dans les années 1930. Ces discours trouvent un prolongement dans
les années 1950, lorsque le PCF estime nécessaire de se doter d’un art « profondément français ».
Le conservatisme et la défense d’un art national teintent fortement les relations artistiques entre la
France et la RDA. En 1960, il n’est certes plus question de défendre un art communiste et français
par le biais du réalisme tel que l’incarnait encore André Fougeron, mais cette exposition draine
néanmoins des artistes qui se situent hors des discours avant-gardistes et sont attachés à une certaine
idée de la tradition française héritée de l’entre-deux-guerres. Au moment où les positions officielles
du PCF et du Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED) sur les doctrines à suivre sont
différentes, les artistes français qui revendiquent un savoir-faire sont les plus à même d’occuper une
position de médiateurs entre les deux pays. À propos de l’art de tradition nationale dans les rangs
communistes, voir Laurence Bertrand Dorléac, « Tradition française », dans L’Art en guerre, éd.
par Laurence Bertrand Dorléac et Jacqueline Munck, cat. exp. Paris, musée d’Art moderne de la
Ville de Paris, 2012, p. 438, et Marc Lazar, « Communistes », ibid., p. 31 ; voir aussi le paragraphe
« Réalisme socialiste et réalité nationale », dans Dominique Berthet, Le PCF, la culture et l’art,
Paris, La Table ronde, 1990, p. 123-126, et Serge Fauchereau, La Querelle du réalisme, Paris,
Cercle d’art, 1987.
86
Roger Garaudy, « L’École de Paris et l’humanisme de notre temps », dans Les Lettres françaises,
no 1064, 21-27 janvier 1965, p. 1 et 9.
87
René Berger, « Hommage à Will Grohmann », dans Les Lettres françaises, no 1250,
25 septembre – 1er octobre 1968, p. 26.
88
Claude-Hélène Sibert, « Notre amie Herta Wescher », dans Les Lettres françaises, no 1376, 10-
16 mars 1971, p. 29.
89
L’Association internationale des critiques d’art (AICA), organe de diplomatie culturelle créé dans
le cadre de l’UNESCO en 1949, est créée en 1949, à l’initiative du président du syndicat de la
Presse artistique française, Raymond Cogniat, en réponse à une sollicitation de l’UNESCO, la toute
récente Organisation des Nations unies pour l’éducation, les sciences et la culture, basée elle-même
à Paris. Sur l’histoire de l’AICA, voir Hélène Lassalle, Historique de l’AICA France. 1949-1990,
2011, en ligne :
http://www.archivesdelacritiquedart.org/uploads/isadg_complement/fichier/442/AICA-France-
1949-1990-texte_H.LASS.pdf (consulté le 4 avril 2017). Voir aussi Ramon Tio-Bellido (dir.),
Histoires de 50 ans de l’Association internationale des critiques d’art, Paris, AICA Press, 2002.
90
Werner Schmalenbach, « L’exemple de Düsseldorf, un musée créé ex nihîlo », dans Les Lettres
françaises, no 1123, 17-23 mars 1966, p. 33.

35
91
Pierre Descargues, « Un voyage en Rhénanie », dans Les Lettres françaises, no 1279, 9-15 avril
1969, p. 28-29 ; Olga Fradisse, « Le congrès international des musées en 1968. Allemagne-
Tchécoslovaquie », no 1248, 11-18 septembre 1968, p. 30.
92
Catherine Valogne, « À la nouvelle Pinacothèque de Munich, ce que l’art moderne doit aux autres
cultures », dans Les Lettres françaises, no 1450 ; 6-12 septembre 1972, p. 21.
93
Pierre Descargues, « Journal de Klee », dans Les Lettres françaises, no 816, 17-23 mars 1960,
p. 12 ; Pierre Descargues, « Paul Klee : nos très riches heures », dans Les Lettres françaises, no 830,
23-29 juin 1960, p. 10 ; Gérard Guillot, « Paul Klee au musée de Grenoble », dans Les Lettres
françaises, no 834, 21-27 juillet 1960, p. 10 ; Georges Boudaille, « Paul Klee. “Un peu plus près du
cœur de la création” », no 1311, 3-9 décembre 1969, p. 25-26 ; Henry Galy-Carles, « Trois
précurseurs : Kandinsky, Klee, Albers », dans Les Lettres françaises, no 1445, 19-25 juillet 1972,
p. 20-21.
94
Anonyme, « Lorsque Will Grohmann parle de Kandinsky », dans Les Lettres françaises, no 806,
7-13 janvier 1960, p. 11 ; Jean Bouret, « Les sources du xxe siècle au musée d’Art moderne.
L’expressionnisme allemand », dans Les Lettres françaises, no 858, 12-18 janvier 1961, p. 11 ; Jean
Bouret, « Munich 1911. Quand le “cavalier bleu” galopait vers la gloire », dans Les Lettres
françaises, numéro inconnu, novembre ou décembre 1962, p. 12 ; Hélène Cingria,
« L’expressionnisme allemand au musée de Marseille », dans Les Lettres françaises, no 1083, 3-
9 juin 1965, p. 13 ; François-Joachim Beer, « Visite à Oskar Kokoschka », dans Les Lettres
françaises, no 1150, 29 septembre – 5 octobre 1966, p. 30-31 ; Pierre Daix, « L’expressionnisme,
l’Europe et la peinture », dans Les Lettres françaises, no 1337, 3-9 juin 1970, p. 1 et 22 ; anonyme,
« Le Blaue Reiter à Turin. Son rayonnement, son influence », dans Les Lettres françaises, no 1379,
31 mars – 6 avril 1971, p. 25-26 ; Pierre Descargues, « La vraie histoire de l’expressionnisme »,
dans Les Lettres françaises, no 1395, 21-16 juillet 1971, p. 26.
95
Georges Boudaille, « Le Bauhaus : histoire d’une école qui donna naissance à un style », dans Les
Lettres françaises, no 1278, 9-15 avril 1969, p. 23.
96
« À mon retour de captivité en 1943, j’abandonne les arts graphiques pour la peinture et retrouve
mes premières œuvres abstraites, antérieures au Bauhaus de 31-32. Je subis alors l’influence passée
d’Albers et d’un certain constructivisme bauhausien. Quelque chose est cependant bien acquis pour
moi : le principe de la non-figuration ; le Bauhaus m’a fortifié et convaincu de la vérité de cette
voie, abordée d’abord instinctivement. Peu à peu, je ressens le besoin d’une base strictement
picturale dont ma peinture d’alors ne se préoccupe guère. Je me souviens d’un autre Bauhaus : pas
celui des théories, mais plutôt celui de la picturalité présente dans les œuvres de Klee et Kandinsky.
Je retrouve à travers elles la peinture française et la tradition qui, seule pour moi, désormais, est en
révolution permanente », Jacques Germain, « Souvenirs d’un Français au Bauhaus », dans Les
Lettres françaises, no 1278, 9-15 avril 1969, p. 24-25.
97
Georges Boudaille, « Max Ernst parle de ses dernières sculptures », dans Les Lettres françaises,
no 1219, 31 janvier – 6 février 1968, p. 33-34 ; Denys Chevalier, « Otto Freundlich : un visionnaire.
Kosnick-Kloss : une leçon de fidélité », dans Les Lettres françaises, no 1217, 17-23 janvier 1968,
p. 33 ; Georges Boudaille, « Otto Freundlich a son musée à Pontoise », dans Les Lettres françaises,
no 1286, 4-10 juin 1969, p. 261.
98
Voir cependant Georges Besson, « Mon ami Georg Grosz », dans Les Lettres françaises, no 1119,
17-23 février 1966, p. 16 ; Jean Clair, « Dada à New York », dans Les Lettres françaises, no 1236,
12-18 juin 1968, p. 22-23.
99
Anonyme, « [Mort de] Raoul Hausmann », dans Les Lettres françaises, no 1372, 10-16 février
1971, p. 2.
100
Sur la contribution de l’ARC à la redécouverte de Dada Berlin, voir Sissia, 2015 (note 44),
p. 190-205.

36
101
Voir à ce propos Konstanze Rudert (éd.), Will Grohmann und die Rezeption der Moderne in
Deutschland und Europa 1918-1968, Dresde, Sandstein, 2013 ; voir aussi Antje Kramer, « Un art
pour l’homme – continuité et mythification de la modernité dans les écrits allemands des années
cinquante », dans 20/21 siècles, no 5-6 : Histoire et historiographie. L’art du second XXe siècle,
Paris, Centre Pierre Francastel / Paris X Nanterre, 2007, p. 49-57.
102
Raoul-Jean Moulin, « L’activité artistique en RDA. Renouvellement et promesses », dans
L’Humanité, 17 septembre 1974 (non paginé : coupure de presse conservée aux archives Raoul-Jean
Moulin, Vitry-sur-Seine, Mac/Val).
103
« Les sculpteurs allemands contemporains (de la RDA) à la maison de la pensée française.
Marcel Gimond précise sa conception de la sculpture », dans Les Lettres françaises, no 809,
28 janvier – 3 février 1960, p. 12.
104
Pour une présentation plus complète de cette exposition, voir Sissia, 2015 (note 44), p. 102-119.
105
Raoul-Jean Moulin, « L’École de Paris à Berlin », dans Les Lettres françaises, no 1106, 18-
24 novembre 1965, p. 25-26.
106
Pour un bilan sur les activités en RDA de Raoul-Jean Moulin, voir Julie Sissia, « Donner à voir
l’art de RDA. Le critique d’art Raoul-Jean Moulin », dans Ulrich Pfeil et Anne Kwaschik (dir.), Die
DDR in den deutsch-französischen Beziehungen, Berne, Peter Lang Verlag, 2013, DOI :
http://dx.doi.org/10.3726/978-3-0352-6335-0, p. 327-346.
107
Raoul-Jean Moulin, « Artistes de la RDA », dans Les Lettres françaises, no 1051, 22-28 octobre
1964, p. 13.
108
Raoul-Jean Moulin, « Fritz Kühn, peintre et sculpteur de métal », dans Les Lettres françaises,
o
n 1280, 23-29 avril 1969, p. 27.
109
Pour une analyse de cette exposition, voir Sissia, 2015 (note 44), p. 210-220.
110
Louis Aragon et Jean Cocteau, Entretiens sur le musée de Dresde, Paris, Cercle d’art, 1957.
111
Pierre Descargues, « Le musée de Dresde », dans Les Lettres françaises, no 958, 27 décembre
1962 – 2 janvier 1963, p. 11 ; anonyme, « Un nouveau musée à Dresde », dans Les Lettres
françaises, no 1107, 25 novembre – 1er décembre 1965, p. 31.
112
Anonyme, « Max Lingner (Galerie du Passeur) », dans Les Lettres françaises, no 1326, 18-
24 mars 1970, p. 30.
113
À propos de la réaction de la RDA aux propos de Garaudy dans Les Lettres françaises, voir
Pfeil, 2004 (note 22).
114
Sur la place de l’antifascisme dans les relations entre le PCF et la RDA, voir ibid., chap. II, sous-
partie « Geschichten von Antifaschismen und Kommunismen », p. 174-268.
115
Agnès Hufner, « Une semaine brechtienne à Berlin-Est », dans Les Lettres françaises, no 1163,
29 décembre 1966 – 4 janvier 1967, p. 18-19.
116
Jean Tailleur, « Uwe Johnson », dans Les Lettres françaises, no 1265, 8-14 janvier 1969, p. 4.
117
Entretien avec Uwe Johnson, dans Les Lettres françaises, no 1048, 1er-7 octobre 1964. Référence
citée dans Tailleur, 1969 (note 116).
118
Gilbert Badia, Histoire de l’Allemagne contemporaine, Paris, Éditions sociales, 1962.
119
Maurice Marc, « Histoire de l’Allemagne contemporaine », dans Les Lettres françaises, no 957,
20-26 décembre 1962, p. 2.
120
Voir par exemple le dossier « Interrogations allemandes », dans la revue d’histoire Le Débat,
no 45, 1987, en particulier l’article de Rudolf von Thadden, « Peut-on penser l’identité allemande
sans l’Est de l’Allemagne ? », p. 174-183.
121
Pierre Descargues, « …et le récit des tristes exploits des pillards nazis », dans Les Lettres
françaises, no 870, 6-12 avril 1961, p. 13.

37
122
Lucien Var, « Accusé Eichmann, levez-vous », dans Les Lettres françaises, no 871, 13-19 avril
1961, p. 5.
123
Moshe Pearlman, La Longue Chasse, trad. de l’anglais par Lucien-J. Hess, Paris, France-Empire,
1961.
124
Marcel Cornu, « Histoire de l’art et propagande politique », dans Les Lettres françaises, no 935,
12-18 juillet 1962, p. 12.
125
Sur l’histoire et les enjeux nationaux de ce débat, voir Michela Passini, La Fabrique de l’art
national. Le nationalisme et les origines de l’histoire de l’art en France et en Allemagne, 1870-
1933, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2012.
126
Bodo Cichy, Art et secrets des bâtisseurs. Les âges de l’architecture, trad. de l’allemand par
Gisèle Berthelot et Jean Balédent, Paris, Pont-Royal, 1961.
127
Pierre Francastel, L’Histoire de l’art, instrument de la propagande germanique, Paris, Médicis,
1945.
128
Catherine Millet, « Peinture fraîche », dans Les Lettres françaises, no 1260, 3-10 décembre 1968,
p. 32.
129
Catherine Millet, « Le clou de Uecker », dans Les Lettres françaises, no 1266, 15-21 janvier
1969, p. 29.
130
Denys Chevalier, « Hans-Walter Muller », dans Les Lettres françaises, no 1318, 21-27 janvier
1970, p. 27-28.
131
Daniel Abadie, « Gerhard Richter ou le saisissement du réel », dans Les Lettres françaises,
o
n 1448, 23-29 août 1972, p. 28-29.
132
Georges Boudaille, « Rainer Küchenmeister », dans Les Lettres françaises, no 1107,
25 novembre – 1er décembre 1965, p. 29 ; Paule Gauthier, « Les monstres d’Appel et de
Küchenmeister », dans Les Lettres françaises, no 1282, 7-13 mai 1969, p. 29
133
Henry Galy-Carles, « L’“Univers Migof” de Bernard Schulze », dans Les Lettres françaises,
o
n 1372, 10-16 février 1971, p. 27-28.
134
Voir par exemple Georges Boudaille, « Deux romantiques modernes : Dmitrienko et Brüning »,
dans Les Lettres françaises, no 863, 16-22 février 1961, p. 10 ; Catherine Millet, « Klingbeil, un
minimal complexe », dans Les Lettres françaises, no 1279, 9-15 avril 1969, p. 30 ; Paule Gauthier,
« Otto Nebel (Galerie Simone Heller) », dans Les Lettres françaises, no 1330, 15-21 avril 1970,
p. 22 ; Denys Chevalier, « Marta Kuhn Weber », dans Les Lettres françaises, no 1332, 29 avril –
5 mai 1970, p. 27 ; Claude Bouyeure, « Wolfgang Gäfgen ou le procès de la cruauté », dans Les
Lettres françaises, no 1437, 24-30 mai 1972, p. 28
135
Catherine Millet, « Cologne, la foire de l’art », dans Les Lettres françaises, no 1357, 28 octobre –
2 novembre 1970, p. 30.
136
Claura, « Prospect 68 à Düsseldorf », 1968 (note 47) ; id., « Extrémisme et rupture (I) », 1969
(note 47) ; id., « Extrémisme et rupture (II) », 1969 (note 47).
137
Denizot, « “Prospect 69” à Düsseldorf », 1969 (note 82).
138
Ibid.
139
Marc Albert-Levin, « Cinq “Happenings” dans le métro new yorkais », dans Les Lettres
françaises, no 1142, 28 juillet – 3 août 1966, p. 13-14. Le compte rendu de ce voyage s’inscrit dans
une série d’articles de Marc Albert-Levin sur la scène new-yorkaise, publiée dans plusieurs
numéros des Lettres françaises. Celle-ci paraît ensuite dans un recueil, avec des reproductions des
coupures de presse du journal : Marc Albert-Levin, Un printemps à New York, Paris, Pauvert, 1969.
Les citations des paragraphes suivants sont issues de l’article des Lettres françaises.

38
140
À propos des relations entre ces deux artistes, voir le témoignage de Jean-Jacques Lebel, dans
Julie Sissia, « Entretien avec Jean-Jacques Lebel », sur le site du projet OwnReality, éd. par
Mathilde Arnoux et Clément Layet, 2017, URL : https://dfk-
paris.org/fr/node/1359#/resolve/interviews/23580.
141
Georges Boudaille, « En juillet à Kassel, Documenta 5, une enquête sur la réalité », dans Les
Lettres françaises, no 1427, 15-21 mars 1972, p. 26 ; id., « Kassel, “Documenta 5”. Un panorama
des nouvelles tendances (I) », dans Les Lettres françaises, no 1444, 12-19 juillet 1972, p. 21-23 ; id.,
« Kassel, “Documenta 5”. Réalité et irréalité de l’art (II) », dans Les Lettres françaises, no 1445, 19-
25 juillet 1972, p. 22-23.
142
Voir le chapitre « Historiographies allemandes de Pierre Restany », dans Sissia, 2015 (note 44),
p. 73-100.
143
« Il semble que les organisateurs aient limité au minimum le nombre des célébrités pour
conserver à leur exposition sa jeunesse et son dynamisme. Dans ce sens, on peut dire sans vanité
que Documenta tire les leçons de la dernière biennale de Paris, qu’elle en est un de ses
développements possibles bénéficiant de la logique helvétique et de l’organisation allemande. »,
Boudaille, « Kassel, “Documenta 5”. Un panorama des nouvelles tendances (I) », 1972 (note 141).
144
Boudaille, « Kassel, “Documenta 5”. Réalité et irréalité de l’art (II) », 1972 (note 141).
145
Boudaille, « Kassel, “Documenta 5”. Un panorama des nouvelles tendances (I) », 1972
(note 141).
146
Boudaille, « Kassel, “Documenta 5”. Réalité et irréalité de l’art (II) », 1972 (note 141).
147
Ibid.
148
Ibid.
149
Georges Boudaille, « Mille ans d’art en Pologne », dans Les Lettres françaises, no 1281, 30 avril
– 6 mai 1969, p. 27-28.
150
Juliusz Starzyński, « Force créatrice et patrimoine artistique », dans Les Lettres françaises,
o
n 843, 29 septembre – 5 octobre 1960, p. 11.
151
Ibid.
152
Ibid.
153
Jacques Lassaigne, « Vitalité de l’école polonaise », dans Les Lettres françaises, no 846, 20-
26 octobre 1960, p. 12.
154
Lors de la première Biennale de Paris, les artistes de la section polonaise étaient répartis par
médiums. En « peinture et dessin » : Stefan Gierowski, Bronisław Kierzkowski, Jan Lebensztejn,
Teresa Pągowska, Jan Tarasin, Rajmund Ziemski ; en « sculpture » : Alina Szapocznikow,
Magdalena Więcek ; et en « gravure » : Halina Chrostowska-Piotrowicz, Jozef Gielniak. Le
commissaire général était Stanislas Teisseyre, recteur de l’école supérieure des Beaux-Arts de
Gdańsk. Voir Première Biennale de Paris, manifestation biennale et internationale des jeunes
artistes, cat. exp. Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1959.
155
Raoul-Jean Moulin, « La Biennale des jeunes artistes. Salle par salle, les sections étrangères »,
dans Les Lettres françaises, semaine du 8 octobre 1959, p. 11-12.
156
Jan Lebenstein reçoit l’un des prix de peinture attribués à des artistes étrangers, ainsi que le prix
de la Ville de Paris. Parmi les membres du jury international figure Julius Starzyński. Voir Biennale
de Paris. Une anthologie : 1959-1967, cat. exp. Paris, Fondation nationale des arts graphiques,
1977.
157
Georges Boudaille, « La peinture moderne polonaise », dans Les Lettres françaises, no 1282, 7-
13 mai 1969, p. 27.

39
158
Voir Henry Galy-Carles, « L’univers dramatique des graveurs polonais », dans Les Lettres
françaises, no 1387, 26 mai – 1er juin 1971, p. 28.
159
Raoul-Jean Moulin, « L’affiche polonaise entre au musée », dans Les Lettres françaises, no 963,
31 janvier – 6 février 1963, p. 10 ; id., « Cieslewicz et Picelj, deux formes de communication
visuelle », dans Les Lettres françaises, no 1428, 22-28 mars 1972, p. 25.
160
Réponse d’Alina Szapocznikow dans Georges Boudaille, « Le début de notre enquête sur l’art
abstrait », dans Les Lettres françaises, no 1213, 20-26 décembre 1967, p. 29.
161
Georges Boudaille, « La ménagerie humaine de Maryan », dans Les Lettres françaises, no 919,
22-28 mars 1962, p. 10 ; Georges Boudaille et al., « Sept peintres en liberté autour d’un micro »,
dans Les Lettres françaises, no 916, 1er-7 mars 1962, p. 10 et 12.
162
Georges Boudaille et Juliusz Starzyński, « L’art moderne polonais sur la scène internationale.
Les questions qui se posent », dans Les Lettres françaises, no 897, 18-24 octobre 1961, p. 12.
163
Voir Julie Verlaine, Les Galeries d’art contemporain à Paris de la Libération à la fin des
années 1960. Une histoire culturelle du marché de l’art, 1944-1970, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2013.
164
Claude Olivier, « Une magistrale provocation », dans Les Lettres françaises, 19-25 mai 1971 ;
id., « Faut-il brûler Kantor ? », dans Les Lettres françaises, no 1435, 10-16 mai 1972 ; Raoul-Jean
Moulin, « À Malakoff, Tadeusz Kantor et les artistes de “Cricot 2” », dans Les Lettres françaises,
no 1439, 8-14 juin 1972, p. 28 ; Tadeusz Kantor, « Les Cordonniers de Witkiewicz à Malakoff »,
dans Les Lettres françaises, no 1435, 10-16 mai 1972 ; id., « Le théâtre impossible », dans Les
Lettres françaises, no 1444, 12-18 juillet 1972, p. 14-16.
165
Peinture moderne polonaise, sources et recherches, cat. exp. Paris, palais Galliera, 1969, avec
un essai de Mieczysław Porębski, « La jeune Pologne », n. p.
166
Ibid., n. p.
167
Le catalogue reproduit notamment une photographie d’un vernissage à la galerie Foksal.
168
Hanna Ptaszkowska, « L’expérience de la galerie Foksal de Varsovie », dans Les Lettres
françaises, no 1370, 27 janvier – 2 février 1971, p. 27-29.
169
Dossier « À Varsovie : les critiques et le destin de l’art », dans Les Lettres françaises, no 843,
29 septembre – 5 octobre 1960, p. 10-11, composé de deux articles : Jean Rollin, « Un tableau en
quête d’auteur », p. 10, et Juliusz Starzyński, « Force créatrice du patrimoine artistique », p. 11.
170
Rollin, « Un tableau en quête d’auteur », 1960 (note 169).
171
Starzyński, « Force créatrice du patrimoine artistique », 1960 (note 169).
172
Ibid.
173
Rollin, « Un tableau en quête d’auteur », 1960 (note 169).
174
Jacques Lassaigne, « Vitalité de l’école polonaise », 1960 (note 153).
175
Henry Galy-Carles, « À Cracovie. La IIIe Biennale internationale de la gravure », dans Les
Lettres françaises, no 1352, 23-29 septembre 1970, p. 32-37.
176
Georges Boudaille, « IIIe Biennale de la tapisserie », dans Les Lettres françaises, no 1187, 15-
21 juin 1967, p. 31-32.
177
Michel Troche, « La IIIe Biennale de Paris », dans Les Lettres françaises, no 997, 3-9 octobre
1963, p. 12 et 13 ; Georges Boudaille, « La Biennale de Paris », dans Les Lettres françaises,
no 1100, 7-14 octobre 1965, p. 22 et 24.
178
Boudaille et Starzyński, « L’art moderne polonais sur la scène internationale », 1961 (note 162).
179
Ibid.

40
180
Jacques Lassaigne, « Présence de Makowski », dans Les Lettres françaises, no 846, 20-
26 octobre 1960, p. 12 ; Henry Galy-Carles, « Marian Kruczek, un étrange univers », dans Les
Lettres françaises, no 1366, 30 décembre 1970 – 5 janvier 1971, p. 26.
181
Propos de Marcel Gromaire cités dans Lassaigne, « Présence de Makowski », 1960 (note 180).
182
Lassaigne, « Présence de Makowski », 1960 (note 180).
183
Propos de Juliusz Starzyński cités ibid.
184
Starzyński, « Force créatrice et patrimoine artistique », 1960 (note 169).
185
Henry Galy-Carles, « L’univers dramatique des graveurs polonais », no 1387, 26 mai – 1er juin
1971, p. 28.
186
Galy-Carles, « Marian Kruczek, un étrange univers », 1971 (note 180).
187
Jacques Lassaigne, « La sculpture dans les pays de l’Est », no 1187, 15-21 juin 1967, p. 32.
188
Rollin, « Un tableau en quête d’auteur », 1960 (note 169).
189
Pierre Descargues, « L’émouvante histoire des tapisseries du trésor polonais », no 870, 6-12 avril
1961, p. 12 (voir aussi note 121).
190
Pierre Descargues, « Bordeaux. Chefs-d’œuvre des musées de Pologne », no 876, 18-24 mai
1961, p. 9.
191
Juliusz Starzyński, « Wit Stwosz et l’expressionnisme polonais », no 1070, 4-10 mars 1965,
p. 12-13.
192
Descargues, « Bordeaux », 1961 (note 190).
193
Voir ci-dessus, paragraphe « Renouvellement du discours sur l’art dans la deuxième moitié des
années 1960 » et suiv.
194
Mariusz Tchorek, Anka Ptaszkowska et Wiesław Borowski, « La galerie Foksal de Varsovie :
une génération nouvelle », no 6, avril 1968, p. 31-35. Sur la place de la Pologne dans la revue Opus
international, voir Julie Sissia, « Opus international », sur le site du projet OwnReality, éd. par
Mathilde Arnoux et Clément Layet, 2017, URL : https://dfk-
paris.org/fr/node/1357#/resolve/magazines/23566.
195
Voir Aneta Panek, « Entretien avec Wiesław Borowski », sur le site du projet OwnReality, éd.
par Mathilde Arnoux et Clément Layet, 2017, URL : https://dfk-
paris.org/fr/node/1359#/resolve/interviews/23260. Voir aussi l’introduction au catalogue.
196
Voir Wiesław Borowski, Hanna Ptaszkowska et Mariusz Tchorek, « An Introduction to a
General Theory of Place » (1966), dans Laura Hoptman et Tomáš Pospiszyl (éd.), Primary
Documents. A Sourcebook for Eastern and Central European Art Since the 1950s, New York,
Museum of Modern Art, 2002, p. 88-91.
197
Voir les comptes rendus de l’exposition Galerie 7 (« Galerie 7 », dans Opus international, no 44-
45, juin 1973, p. 112-113) et Galerie 16, à l’occasion de l’exposition des œuvres de Henryk
Stażewski (« Henryk Stazewski (galerie 16) », dans Opus international, no 51, juin-juillet 1974,
p. 59).

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