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mars-août 2009 la revue d’
Inter-réseaux
Développement rural

Enjeux et défis des agrocarburants


au Burkina Faso

Des conventions locales pour gérer


les ressources naturelles ?

Tourisme rural,
entre rêves et réalités

Répondre aux évolutions alimentaires,


un défi majeur pour l’élevage africain
Inter-réseaux
Les opinions exprimées ne reflètent
pas nécessairement celles d’Inter-ré-
seaux, mais celles des auteurs. Les pho-
tos, quand elles ne sont pas créditées,

Idrissa Moumouni, Plate-forme Paysanne du Niger


sont de la rédaction, de même que les
articles non signés.
Photo de couverture : © Bureau Issala
Tous les articles sont libres de droit. En
cas de rediffusion, merci de faire figurer
la mention « © Grain de sel » et de nous
envoyer une copie de la publication.

Grain de sel est imprimé sur du papier cou-


ché entièrement recyclé (Cyclus Print).

Inter-réseaux
développement
rural
I nter-réseaux développement rural a
été créé en 1996, à l’initiative de per-
sonnes engagées dans le développement
pays francophones ;
– accompagner les acteurs du Sud (en
priorité ceux d’Afrique francophone)
propre pratique professionnelle face à
des enjeux nationaux et internationaux
complexes. Le travail en réseau, par une
rural, et des pouvoirs publics français. dans leurs efforts pour promouvoir leurs réflexion partagée et une large circulation
Ses objectifs sont les suivants : agricultures paysannes familiales dans de l’information, permet de construire
– permettre la participation des acteurs le contexte de la mondialisation. et de proposer des pratiques et des po-
du Sud à la construction des politiques Des convictions : Inter-réseaux est litiques de développement prenant en
agricoles nationales et sous-régionales, convaincu que faire connaître, compa- compte l’intérêt de ceux qu’elles concer-
en disposant de moyens de s’informer rer et discuter librement d’expériences nent le plus directement.
et d’échanger en réseau sur les enjeux multiples, rassembler à ce propos des per- Une particularité : Inter-réseaux réunit
du développement rural ; sonnes issues d’environnements profes- plus de 3 000 membres issus d’organisa-
– animer et renforcer un réseau de sionnels, géographiques et disciplinaires tions paysannes, d’ONG, de services pu-
réflexions, d’échanges, de débats et variés — mais ayant pour centre d’intérêt blics, du Sud et du Nord. Les activités d’In-
d’expériences entre acteurs du déve- commun le développement rural du Sud ter-réseaux s’appuient sur le dynamisme
loppement rural et agricole dans les — permettent à chacun d’améliorer sa et la participation de ses membres.

Actualité de planification des activités qui seront


réalisées au niveau régional et dans les
renforcée par Nathalie Boquien, ingénieur
agronome, qui travaillera sur l’animation

d’Inter-réseaux plates-formes membres. Il s’agira entre


autres de renforcer les capacités des OP
et de préparer des positionnements con-
du réseau tout en s’investissant sur plu-
sieurs dossiers techniques spécifiques. Son
expérience en lien avec les organisations
cernant les politiques agricoles, alimen- paysannes en particulier à Madagascar
Conseil d’administration d’Inter-réseaux taires et rurales dans les pays et dans sera très utile. Septembre verra aussi le
Il s’est réuni le 16 juin 2009. Le débat les institutions régionales de l’Afrique retour de la rédactrice en chef de Grain
a principalement porté sur la question de l’Ouest. Cette composante du projet de sel, Anne Perrin, qui réintègre l’équipe
suivante : « Comment améliorer les outils pilotée par le Roppa débutera par un après la naissance de son deuxième en-
d’Inter-réseaux (site internet, Grain de sel, atelier de « socialisation » qui réunira fant. Estelle Deniel qui la remplaçait de-
bulletins de veille électroniques, groupes l’ensemble des plates-formes pour pré- puis plusieurs mois va donc nous quitter.
de travail) et leur synergie pour augmenter ciser l’orchestration des actions qui sont Après plusieurs contrats à Inter-réseaux,
leurs diffusions et leurs impacts ? ». Des au programme dans chaque pays et au Estelle est en partance pour le Burundi
tentatives intéressantes de liens entre niveau régional. pour plusieurs années. Nous la remer-
ces supports ont été notées : un bulle- cions chaleureusement pour le travail
tin de veille sur la mécanisation agricole Politiques agricoles effectué et toute l’énergie qu’elle a dé-
commence un processus qui trouvera un Inter-réseaux vient d’obtenir une sub- ployée en particulier pour Grain de sel !
relais dans le dossier du prochain Grain vention de la Fondation de France et du Nous espérons garder le contact et lui
de sel, mise en valeur sur le site Internet Comité français pour la solidarité interna- souhaitons bon vent !
des bulletins de veille et des numéros de tionale (CFSI) sur le thème : « Informons
Grain de sel, etc. Mais pour augmenter les organisations paysannes du Sud sur
la qualité des produits il est important les politiques agricoles et rurales ». Cette
que de nombreux membres du réseau opportunité de financement permettra
soient mobilisés dans l’élaboration des sur les 12 prochains mois de diffuser plus
À Paris, le Secrétariat exécutif d’Inter-ré-
productions. C’est pour cela en particulier d’informations sur les politiques agrico-
seaux Développement rural est composé
qu’une programmation pour Grain de sel les et rurales en particulier par l’intermé-
de : Nathalie Boquien, chargée de mis-
a été prévue sur plus d’un an. diaire de numéros spéciaux du bulletin
sion ; Estelle Deniel rédactrice en chef de
de veille et par la mise en ligne de notes
ce numéro de Grain de sel en l’absence
Réseau Paar de synthèses à réaliser avec les organi-
d’Anne Perrin ; Christophe Jacqmin, direc-
Sur ce projet, les deux accords de rétro- sations du Sud.
teur ; Sylvie Lopy, secrétaire ; Joël Teyssier,
cessions de subvention avec Agricord et
chargé de mission. L’équipe est renforcée
avec le Roppa ont été finalisés. L’équipe Secrétariat exécutif
par Djibril Fofana, stagiaire.
du Roppa a fait un travail très important Depuis le 1¨¬ septembre, l’équipe est

2 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Sommaire Éditorial

Vers une réhabilitation


de l’élevage?
L
Gros sel L’invitée de Grain de sel : 4    semblent
revenir au goût du jour dans les dé-
Edwige Botoni bats. Est-ce dû à la crise alimentaire, aux
statistiques alarmistes de la FAO sur la faim
Forum Agrocarburant Enjeux et défis de 5 et la malnutrition ? Peu importe, on revient
aux solutions simples, aux valeurs sûres et on
l’introduction des ne peut que s’en réjouir. Car il est temps de
agrocarburants au reconnaître que l’élevage peut jouer un rôle
Burkina Faso central pour relever les grands défis auxquels
sont confrontés les pays du Sud : l’insécurité
alimentaire d’un milliard de personnes, la
Commercialisation Le commerce des produits 7 faible productivité de l’agriculture dans un
agricoles à Nouna : au- contexte de pénurie des ressources et l’explo-
sion des besoins urbains en produits d’ori-
delà des prix gine animale.
Alors qu’en Occident, l’élevage industriel ne
Ressources Des conventions locales 9 cesse de défrayer la chronique par ses effets né-
gatifs (pollutions, crises sanitaires…), on parle
naturelles pour gérer ensemble les beaucoup moins de l’élevage en milieu paysan.
Gouvernance ressources naturelles ? Son importance dans la survie de plus de la
locale moitié de l’humanité reste centrale. Selon les
données disponibles, pas toujours précises et
vérifiables, l’élevage contribuerait, dans les pays
Le dossier Répondre aux évolutions 11 du Sud, pour  à   du PIB agricole. Malgré
alimentaires, un défi cela, il ne bénéficierait en retour que de  à  
du budget agricole des États.
majeur pour l’élevage Comment expliquer que les politiques publi-
africain ques négligent à ce point l’élevage ? Sans doute
n’est-il pas assez visible pour les décideurs, par-
fois assimilé à un facteur de production de l’ex-
Initiatives Agrotourisme Développement du tourisme 35 ploitation agricole, souvent marginalisé (élevage
rural, entre rêves et « contemplatif ») ou bien réduit aux risques qu’il
réalités représente (conflits, crises sanitaires). Or, les
quelques études disponibles laissent à penser
que son poids économique et social est majeur
Boîte à outils Repères : La définition du 37 et que son potentiel de développement est con-
Tarif extérieur commun sidérable. On sait notamment que dans les pays
en développement, la demande en produits ani-
de la Cedeao : le pari du maux sera multipliée par  en  ans. Il est donc
moyen terme urgent d’aider les paysanneries les plus pauvres
à se positionner sur ces marchés. Un effort sans
précédent est nécessaire pour accompagner le
Kiosque 39 développement des productions animales lo-
cales afin de répondre à la demande des con-
Vie du réseau Vers une plateforme 40 sommateurs en termes de prix, de quantité et
de qualité. En somme, de vraies politiques de
panafricaine des développement de l’élevage incitatives et pro-
organisations paysannes tectrices sont nécessaires.
À défaut de quoi on prend le risque d’accen-
tuer la dépendance des pays les moins avancés
L’Afrique subsaharienne 41 vis-à-vis de protéines animales importées, de
arrivera-t-elle à nourrir privilégier au Sud les formes d’élevage contes-
ses habitants? tées au Nord et finalement d’accroître la fracture
entre nantis et laissés pour compte.
Les expériences qui jalonnent ce numéro
Entre nous 43 peuvent heureusement nous inciter à un cer-
tain optimisme.

Dr Ludovic Larbodière, Agronomes et vétérinaires


sans frontières_______________________________

Grain de sel 3
nº 46-47 — mars – août 2009
Gros
Forumsel

L’invitée de Grain de sel :


Edwige Botoni
„ Edwige Botoni Grain de sel : Vous venez de publier un positifs. Grâce aux techniques mises de nombreuses techniques endogènes.
est experte en rapport intitulé « La transformation si- en œuvre par les populations, les ren- Des méthodes (demi-lunes, zaï, cordons
gestion des lencieuse de l’environnement et des sys- dements agricoles ont augmenté de  pierreux, etc.) permettant de réduire
ressources tèmes de production au Sahel ». Quel est à  . La sécurité alimentaire a été la vitesse de ruissellement de l’eau, et
naturelles, son objectif ? améliorée, et les ménages ruraux sont donc d’améliorer son infiltration dans
chargée du suivi Edwige Botoni : Le Cilss avait déjà, moins vulnérables. le sol, leur permettent d’optimiser des
des conventions en , co-publié avec la GTZ un On observe également un rever- quantités d’eau même minimes, et de
environnemen- document intitulé « Le Sahel en lutte dissement à travers tout le Sahel, no- produire, même en année déficitaire.
tales au Comité contre la désertification : leçons d’ex- tamment au Niger où plus de  mil- Pour s’adapter à la réduction de la sai-
permanent inter- périence », mais rien n’était paru de- lions d’hectares de terres ont pu être son des pluies, les paysans ont égale-
États de lutte puis. La Communauté Internationale, récupérés. Dans certaines parties du ment délaissé les variétés tardives pour
contre la qui avait beaucoup soutenu le Sahel Sahel, il y a aujourd’hui  fois plus des variétés à cycle court.
sécheresse dans le dans la lutte contre la désertification d’arbres qu’il y a trente ans ! Mais ils ont besoin d’être soutenus
Sahel (Cilss, dans les années /, s’y intéresse de Les taux de rentabilité des investis- dans ces actions, notamment à travers
www.cilss.bf). moins en moins, persuadée que la dé- sements dans la gestion des ressour- un renforcement des capacités. Il faut
En , le Cilss a gradation continue malgré les inves- ces naturelles sont par ailleurs très les aider à démultiplier leurs actions :
publié un rapport tissements réalisés. Les États-Unis se élevés ( à   selon la technique c’est là l’un des défis du Cilss.
intitulé « la sont d’ailleurs retirés il y a deux ans utilisée).
transformation de la gestion des ressources naturelles Ces résultats contredisent l’image GDS : Quel programme à venir pour
silencieuse de dans leur programme d’aide régional véhiculée dans l’opinion, selon laquelle le Cilss, concernant la gestion des res-
l’environnement en Afrique de l’Ouest. le Sahel se dégrade malgré des inves- sources naturelles ?
et des systèmes de Le Cilss a donc voulu communiquer tissements colossaux : il faut en fait EB : Dans les semaines à venir, l’équipe
production au sur les expériences réussies en matière distinguer l’échelle régionale, où le phé- du Cilss va se rendre à la Conférence
Sahel : Impacts de lutte contre la désertification, pour nomène de la dégradation se poursuit des Parties sur la désertification, à une
des éclairer l’opinion publique et convaincre malheureusement, du niveau local, où grande manifestation de plaidoyer or-
investissements les partenaires de continuer à soutenir la tendance s’est inversée partout où ganisée par Oxfam aux États-Unis, et à
publics et privés la gestion des ressources naturelles et il y a eu des investissements dans la la Conférence des Parties sur les chan-
dans la gestion le secteur rural. lutte contre la désertification. gements climatiques, où elle pourra
des ressources expliquer les actions mises en œuvre
naturelles » : GDS : Quels sont les résultats de ce GDS : Les agriculteurs du Sahel se au Sahel pour s’adapter au changement
www.cilss.bf/ rapport ? sont-il déjà adaptés au changement climatique et convaincre que la pour-
spip.php?article58 EB : Il ressort que tous les investisse- climatique ? suite de ces actions passe obligatoire-
ments dans la lutte contre la désertifi- EB : Face à la variabilité climatique du ment par l’appui à la gestion durable
cation ont eu des effets agronomiques Sahel, les agriculteurs ont développé des terres. §

sans
commentaire… Une image Une parole Un chiffre

« Le fait de négliger l’agriculture aura


des conséquences très néfastes sur
l’économie, bien pires que celles d’une
2,8 millions
guerre… » d’hectares cédés à la Chine par la
RDC pour la réalisation de la plus
Ahmad Al Faour, Président de la Jor- grande exploitation mondiale d’hui-
dan Farmer’s Union (FJU), lors de le de palme.
la réunion mondiale du Forum pay- Source : Spore nº , août .
san tenue en marge de la  session
du Conseil des gouverneurs du
FIDA, février .
© abcBurkina

4 Grain de sel
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Forum

Enjeux et défis de l’introduction des


„ Agrocarburant agrocarburants au Burkina Faso
Joël Blin (joel.blin@cirad.fr), Marie-Hélène
Dabat (marie-helene.dabat@cirad.fr), Garan-
ce Faugère (garancefaugere@yahoo.fr), Elodie
A u Burkina Faso, les ressources énergétiques sont rares,
et l’énergie importée coûte cher du fait de l’enclavement
du pays. Dans ce contexte, le développement de la culture
Hanff (elodie.hanff@2ie-edu.org), Nathalie
Weisman (nathalie.weisman@2ie-edu.org)_____ d’agrocarburants ne pourrait-elle pas être un levier pour le
développement du pays et de son agriculture ?

L
„ Joël Blin est bio   de l’énergie fossile en- Une rencontre entre innovation technique et po-
énergéticien et chimiste traîne, pour les populations du Sud, une perte tentialités agronomiques. Différents types d’agro-
des procédés au Cirad de compétitivité ainsi qu’une augmentation du carburants peuvent être produits au Burkina Faso.
(unité Biomasse-énergie) coût de la vie. Soucieux de sa dépendance énergéti- Néanmoins, la production d’huiles végétales brutes
en poste à l’Institut que et de l’augmentation de sa facture pétrolière, le (HVB) à partir de plantes oléagineuses présente de
international d’ingénierie Burkina Faso s’intéresse aux agrocarburants comme nombreux avantages (technologie simple, accessible
de l’eau et de source renouvelable d’énergie susceptible de rempla- à toutes les échelles). Il est actuellement plus diffi-
l’environnement (IE) et cer les dérivés du pétrole. Mais les controverses sont cile d’y produire du biodiesel (procédé industriel
responsable du laboratoire nombreuses et méritent réflexion pour ne pas céder à non mature pour une estérification éthanolique) ou
Biomasse énergie et la polémique qu’inspire le manque de connaissances du bioéthanol (besoin en eau des cultures, procédé
biocarburant (LBEB) au sur le sujet : elles concernent les impacts écologiques, industriel énergivore, compétition foncière, risque
Burkina Faso. les effets sur la sécurité alimentaire via l’usage des d’exportation, etc.).
sols et le prix des produits alimentaires, les politiques Dans ce pays, les terres agricoles annuellement
„ Marie-Hélène Dabat est publiques d’accompagnement, et l’identité des béné- emblavées ne représentent que   du potentiel
économiste des filières ficiaires de l’essor de ces énergies alternatives. cultivable, laissant de grandes superficies disponi-
agro-alimentaires au Cirad Une étude réalisée en  par le Centre de co- bles pour de nouvelles productions. Cependant, la
(unité Politiques et opération internationale en recherche agronomique situation foncière est très variable selon les régions
marchés), accueillie à pour le développement (Cirad), l’Institut international et, notamment dans le Sud-Ouest, on peut trouver
l’UFR Sciences d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (IE) et le des situations de saturation des terres où la concur-
économiques et gestion bureau d’études Initiatives conseil international (ICI), rence foncière est réelle. Les plantes énergétiques
(SEG) de l’Université de en aide à la décision du gouvernement burkinabè, sur sont parfois cultivées à la place du tabac ou du coton
Ouaga II au Burkina Faso. financement de la GTZ/KFW, a montré que les avan- car les paysans cherchent à diversifier leurs matiè-
tages et les risques que représentent les agrocarburants res premières. Au nord du pays, les haies vives sont
„ Garance Faugère est doivent être examinés au cas par cas. Ils dépendent également encouragées par des associations, comme
ingénieur agronome au notamment du type de matière première, du schéma clôtures, ou parfois pour régénérer les sols et lutter
bureau d’études Initiatives d’organisation des filières, du mode d’utilisation de contre l’érosion.
conseil international (ICI) l’énergie produite et des marchés ciblés. Compte tenu du contexte pédoclimatique, les
au Burkina Faso. plantes oléagineuses potentiellement intéressantes
Le pétrole, une source d’énergie coûteuse. Le pour la production d’HVB sont le jatropha, le coton,
„ Élodie Hanff est Burkina Faso se caractérise par une forte carence le tournesol, l’arachide et le soja.
économico- en ressources énergétiques : ni pétrole ni charbon, L’étude pragmatique des potentialités techniques
environnementaliste pour des potentialités réduites en hydroélectricité, des des agrocarburants montre qu’il est pertinent de pri-
le Cirad et enseignante au ressources solaires peu exploitées et un potentiel vilégier deux scénarios de développement : l’un vise
IE au Burkina Faso. en combustibles ligneux endommagé. La consom- la production de force motrice et le développement de
mation annuelle moyenne par habitant, correspon- l’électrification rurale; l’autre propose de substituer
„ Nathalie Weisman est dant à , stères de bois ou  litres de super, met l’HVB aux hydrocarbures importés pour la production
écologue pour le Cirad et le en exergue la pauvreté du pays en énergie, dont le d’électricité dans les centrales thermiques alimentant
IE/LBEB au Burkina Faso. coût est prohibitif pour le développement industriel le réseau national et/ou décentralisé.
au niveau national et local. Les prix à la pompe ont Chacun de ces scénarios est évaluable selon plu-
„ Bibliographie : augmenté de plus de   en  ans, et le coût moyen sieurs critères tels que les terres arables à mobiliser,
Opportunités de de production de l’électricité de plus de   en les possibilités d’organisation de filières en aval de la
développement des  ans. Ceci rend l’énergie inabordable pour une production agricole, les capacités des acteurs, la ra-
biocarburants au Burkina majorité de la population. En outre, les produits pidité de mise en œuvre des opérations, la flexibilité
Faso. Cirad, IE, ICI. pétroliers à l’entrée au Burkina Faso subissent un permise par les techniques et les marchés.
Rapport pour la KFW/ surcoût d’environ   (transport et stockage), lié
GTZ, Ouagadougou, à l’enclavement du pays. État des lieux et perspectives locales. Dans un
décembre ,  p. Cette situation rend la perspective d’utiliser des contexte de flambée des prix des denrées de base,
www.cirad.bf/fr/anx/ agrocarburants attractive pour alléger la facture éner- les projets en cours au Burkina Faso se concentrent
bioenergie-kfw.php gétique nationale, baisser les coûts de production qui surtout sur le jatropha, dont l’huile n’est pas comes-
limitent le développement économique du pays, et tible. Il y a une assez bonne acceptation de la part des
développer des sources d’énergie en milieu rural. paysans, qui voient dans le développement de cette
filière une source potentielle de revenus addition- Ü

Grain de sel 5
nº 46-47 — mars – août 2009
Forum

Û nels dans un contexte de crise du coton, principale terres arables en culture de plein champ et parfois
culture de rente. Au Burkina Faso,  à  ans après sa en association avec des cultures vivrières.
plantation, le jatropha donne un rendement entre  et Ces projets pourraient correspondre au deuxième
, kg de graine par pied. Il peut être vendu entre  scénario qui consiste à développer une filière HVB
et  FCFA/kg. Il faut environ  kg de graine pour afin de produire de l’électricité. Cette option permet,
extraire un litre d’huile. avec une surface dédiée de  à   des terres arables
Quelques projets concernent la mise en place de selon la plante cultivée, et des technologies simples,
filières courtes pour la production locale d’HVB des- de substituer   des hydrocarbures utilisés pour
tinée à alimenter des équipements villageois géné- la production électrique. Elle permet de réduire la
rateurs de force motrice et/ou d’électricité, confor- facture énergétique à hauteur de   des hydrocar-
mément au premier scénario. On recense six projets bures importés et ainsi le coût de l’électricité tout
de ce type à dimension villageoise ou associative. en rémunérant les paysans burkinabè plutôt que les
Une faible mobilisation de surface est nécessaire au multinationales pétrolières.
développement de ce scénario : entre  et  ha de Au total, l’ensemble des projets représente plus
jatropha peuvent subvenir aux besoins énergétiques de   ha en plein champ à travers le pays, plus
d’une commune rurale. Ces initiatives peuvent éga- particulièrement dans le Sud où le climat et les ren-
lement viser la reforestation, la régénération de sols dements en graine sont les meilleurs, et parfois au
dégradés et la lutte anti-érosive. Nord lorsque les associations l’encouragent.
Plusieurs projets concernent la mise en place
d’une filière de production d’HVB, et à terme pour Les agrocarburants pour améliorer les conditions
certains de biodiesel, principalement à partir de ja- de vie des populations. Malgré le risque de concur-
tropha. Si certains d’entre eux visaient le marché à rence entre productions énergétique et alimentaire,
l’export, tous maintenant se concentrent sur le mar- faut-il promouvoir la production d’agrocarburants
ché national, voire régional, du fait de l’interdiction dans l’intérêt des populations pauvres des pays du
européenne d’importer des agrocarburants. Ils sont Sud ? La réponse est souvent donnée de façon uni-
conçus à partir d’un approvisionnement paysan car voque : étant donné que le pays n’a pas atteint son
le gouvernement reste réticent à octroyer de larges autosuffisance alimentaire et continue d’importer
superficies à la production d’agrocarburants, cons- des produits agricoles, et qu’une grande partie de la
cient des risques sur la sécurité alimentaire et de la population reste sous-alimentée, il est impensable
concurrence sur les ressources foncières. Sept projets d’allouer des ressources agricoles à la production éner-
à dimension industrielle ont démarré, permettant aux gétique. Mais ne peut-on pas retourner l’argument :
paysans de diversifier leur production en consacrant si le Burkina Faso n’est pas autosuffisant sur le plan
chacun environ  ha de leur champ au jatropha. Les alimentaire, c’est peut-être que les déterminants sont
cultures sont localisées dans le sud du pays, sur des davantage liés aux mécanismes économiques et à la
qualité des politiques agricoles qu’aux disponibilités
physiques et aux effets de substitution entre usages
des produits, puisque la production d’agrocarburants
est actuellement à un stade embryonnaire. En favo-
risant l’accès à l’énergie en zone rurale, ne pourrait-
on pas envisager des processus d’augmentation de la
production agricole à la fois à usage alimentaire et
énergétique ? Cette stratégie pourrait permettre de
mécaniser les exploitations, d’améliorer les rende-
ments, d’attirer des investissements, d’ajouter de la
valeur à la production agricole par la transformation
des produits et de générer des revenus à la fois di-
rects (production de biomasse et transformation en
énergie) et indirects (utilisation de l’énergie). Ainsi,
pour constituer un vrai défi plutôt qu’un faux es-
poir pour le développement, une stratégie d’essor
des agrocarburants à l’échelle d’un pays comme le
Burkina Faso doit nécessairement s’affilier et non
s’opposer à la politique nationale de développement
agricole. §

6 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Forum

Le commerce des produits agricoles


„ Commercialisation à Nouna : au-delà des prix
Quentin Stoeffler (qstoeffler@gmail.com)___
L a région de Nouna au Burkina Faso connaît ces dernières
années d’importants changements dans les conditions de
commercialisation des produits agricoles. Culture embléma-
tique de ces évolutions, le sésame en dit long sur les blocages
de la zone ainsi que sur les décisions et attentes des produc-
teurs.

N
„ La rédaction de l’article ,  . Les récoltes vien- der dans la facilité que les agriculteurs ont à le ven-
est fondée sur un travail de nent de s’achever dans les villages entou- dre. Les circuits de commercialisation sont en effet
recherche mené dans le rant cette petite ville enclavée à l’Ouest du très différents pour le mil et le sésame. Alors que le
cadre d’un mémoire de fin Burkina Faso. Les agriculteurs engrangent leur mil mil passe d’intermédiaire en intermédiaire, du petit
d’étude d’un master et leur sorgho, ainsi que les nombreuses autres cultu- ramasseur vers le grossiste, en charrette, le sésame
d’Économie du res d’hivernage, qui ont bien donné après des pluies lui, est très vite chargé dans les camions et expédié
développement (Sciences- satisfaisantes. L’heure est déjà à la préparation des à Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso, avant d’être
Po). Il repose sur un travail fêtes ; pour cela, il faut se dépêcher de vendre, et ven- exporté. Et contrairement au riz, acheté par des
de terrain mené de dre à bon prix. C’est pourquoi on ne parle que d’une femmes qui le vendent sur les marchés de Nouna,
septembre  à février chose : le prix du sésame. boîte par boîte, tine par tine — avec la peur de ne
 au Burkina Faso, pas réussir à tout vendre, et donc la nécessité de le
pendant lequel une étude a Le mythe du sésame ? Le sésame est le petit dernier brader à bas prix — le sésame est certain de trouver
été réalisée auprès de de la longue famille des cultures pratiquées dans la un acheteur.
producteurs et de région. Mil et sorgho constituent la base alimentaire C’est que les commerçants sont de plus en plus
commerçants à Nouna et que produisent tous les agriculteurs ; riz et maïs sont nombreux à venir dans la province justement dans
dans  villages voisins. Les des cultures vivrières plus intensives ; arachide, ha- le but d’acquérir du sésame. Tirés par une demande
chiffres proviennent de ricot, fonio, oseille et pastèque, des cultures de di- largement insatisfaite, et par la concurrence entre
l’enquête quantitative versification secondaires ; et enfin, coton et sésame, commerçants (ceux-ci font monter les prix pour en-
conduite auprès de  les principales cultures de rente. lever de grandes quantités et répondre à leurs com-
ménages interrogés sur ces Le sésame connaît à l’heure actuelle une très grande mandes), les prix montent. Ce qui provoque une si-
trois dernières années. Le popularité et se développe avec une rapidité impres- tuation qui semble tout à fait paradoxale d’un point
mémoire est disponible sur sionnante. « Le sésame se vend bien, et permet de de vue économique : plus l’offre de sésame augmente
demande : résoudre nos problèmes facilement » est le crédo des et plus les prix augmentent !
qstoeffler@gmail.com agriculteurs. Ils citent son prix incroyable : «   On a en réalité affaire à un phénomène en chaîne
FCFA la tine ¹ il y a quelques années,   il y a deux dû à la situation particulière des villages proches de
ans,  l’an dernier, et ça atteint   FCFA la tine Nouna, où les infrastructures sont très mauvaises,
cette année [après la récolte de ] ! ». Soit près de et les moyens de transports peu développés. Plus les
 FCFA le kg, ce qui dépasse largement le prix des quantités (ou la valeur de la production) vendues
autres cultures, et explique la place que le sésame sont importantes, moins le commerçant a de coûts
a acquise ces dernières années : des superficies qui en termes de transport, mais aussi de temps passé à
ont gagné   entre  et  et sont deux fois l’achat : en somme, il fait des économies d’échelle.
supérieures à celles du riz ou du maïs. Quant à elle, Lorsqu’il est sûr de charger un camion entier rapide-
la production a augmenté de près de  . La Direc- ment et de l’envoyer à Ouagadougou, un commerçant
tion départementale de l’agriculture (DPA), l’Ocades peut augmenter le prix proposé. Et acheter à nouveau
(ONG catholique), et les commerçants eux-mêmes rapidement, pour vendre de la même façon. Ainsi,
reconnaissent le succès de la culture du sésame. L’un plus le sésame est produit dans la région, et plus il
de ces derniers se gausse : « pour les agriculteurs, permet aux commerçants de réduire leurs coûts, tout
sésame = grosse moto ». en augmentant la rémunération des producteurs.
Pourtant, sa culture n’est pas en soi démesurément
rémunératrice. Ses rendements moyens sont bien in- Et les autres cultures ? Ces questions de commer-
férieurs à ceux du riz :  kg à l’hectare et  kg à cialisation touchent en réalité chaque culture de la
la journée de travail pour le sésame, contre   kg zone. Parmi elles, quelques exemples révélateurs : le
et  kg pour le riz. En  et , le sésame se riz, le coton et la pastèque.
vendant à peu près deux fois plus cher que le riz, Le coton est semblable au sésame, en ce qu’il at-
sa valeur ajoutée était par conséquent plus faible… tire les producteurs par la facilité avec laquelle il est
Il n’avait donc rien d’une culture miracle. Dès lors, vendu : il est ainsi une source de « cash » essentielle
comment expliquer un tel succès ? pour les producteurs. La Sofitex, la société coton-
nière œuvrant dans la région, enlève l’ensemble de
La commercialisation particulière du sésame. la production chaque année. Pourtant, cette culture
L’avantage principal du sésame semble en fait rési- demande un temps de travail très important, et a donc
une valeur ajoutée par jour de travail assez peu inté-
. Unité de mesure locale d’environ  litres. ressante ; sa valeur ajoutée par hectare est également Ü

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nº 46-47 — mars – août 2009
Forum

© Quentin Stoeffler

Û faible, étant donné le coût de la main d’œuvre et des gros, à un prix garanti et à un commerçant défini, a
intrants nécessaires. Si les producteurs commencent boosté la production de riz dans la zone : la moitié
à la délaisser (production en baisse de   entre  des agriculteurs, s’ils parviennent à dépasser cer-
et ), c’est à cause du prix, qui diminue. tains autres blocages — notamment agronomiques
D’autres cultures sont à l’inverse bloquées par des et fonciers — désirent se lancer dans la culture du
conditions de commercialisation trop difficiles, com- riz l’an prochain.
me le maïs, difficile à écouler, ou la pastèque. Celle-ci
est pourtant de loin la culture la plus rémunératrice Les leçons possibles de cet épisode récent. Sésa-
pour les producteurs. Mais, ils sont extrêmement peu me, coton, riz, pastèque, mil, maïs : tant de cultures,
nombreux à en produire, hormis les plus aisés : ceux- mais un point commun, l’importance des conditions
ci peuvent en effet lui allouer une surface importante de commercialisation. La « success story » du sésame
et avoir des contacts avec un commerçant, qui en- est un phénomène largement endogène, sans inter-
lèvera immédiatement l’ensemble de la production. vention d’un quelconque projet. Pourtant, il semble
Car sinon, la pastèque pourrit… Un village proche de que l’on puisse en tirer certaines conclusions sur les
Nouna s’est spécialisé dans la pastèque : car, comme façons d’accompagner cette commercialisation.
pour le sésame, c’est le fait d’en produire beaucoup qui Une garantie d’achat de l’ensemble de la produc-
permet d’avoir des commerçants présents et rapides. tion par l’État (comme pour le coton, et récemment
On appelle cela une économie d’agglomération : la pour le riz à Nouna) est certes prisée par les produc-
concentration, en permettant une commercialisation teurs, mais conduit aussi souvent à un prix d’achat
efficace, entraîne ces gains. peu intéressant. Des initiatives plus locales sont aussi
Le cas le plus intéressant est peut-être celui du riz, envisageables. Des organisations de producteurs peu-
tout d’abord parce qu’il a les meilleurs rendements, vent vendre la production en gros, et permettre aux
parmi toutes les cultures de la zone. Ensuite, parce commerçants d’effectuer des économies d’échelle,
qu’il reste très faiblement développé (moins de   et donc de proposer de meilleurs prix. Des crédits
des superficies) en raison des difficultés de vente. En- — éventuellement ciblés sur certains produits — peu-
fin, parce qu’il connaît des bouleversements récents, vent être alloués aux commerçants, qui rencontrent
avec l’initiative de l’État de fixer un prix plancher ( eux aussi des contraintes. Ils pourraient ainsi aug-
FCFA par kg). Ce prix a été jugé très insuffisant par menter les volumes achetés, et donc les prix. Enfin,
les producteurs des grandes plaines rizicoles ¹. Mais des mécanismes de rencontre entre agriculteurs et
à Nouna, les agriculteurs étaient satisfaits d’avoir un commerçants peuvent être élaborés, toujours dans
prix plancher d’une part, et des acheteurs définis, le même but ; ils permettraient aussi d’améliorer le
prêts à acheter en gros, d’autre part. Même si les avis climat de confiance dont le mauvais état actuel nuit
divergent : « on a fait nos calculs, et on pense pou- aux uns comme aux autres.
voir vendre à un meilleur prix, ailleurs », déclare un Quelle que soit l’action envisagée, il est primordial
agriculteur. Quant au groupement d’un autre village, de redonner toute leur place aux questions de com-
il a découvert que son acheteur revendait en fait à mercialisation. Cela a été partiellement fait dans le
un autre marchand, à Nouna même, à un prix bien projet « riz », et explique son succès, au moins autant
supérieur… et s’est empressé de vendre à ce prix- que l’appui technique et la fourniture d’intrants mis
ci. Quoiqu’il en soit, cette possibilité de vendre en en œuvre. Les problèmes touchant le marché des
produits constituent l’une des insécurités les plus
. Voir l’article d’Armel Guenguéré et Patrick Delmas, pénalisantes pour les agriculteurs. Mais comme le
« L’État au secours de la production rizicole au Burkina montrent ces exemples récents, les choses peuvent
Faso ? », Grain de Sel nº . évoluer très rapidement… §

8 Grain de sel
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Forum

Des conventions locales pour gérer


„

„
Ressources naturelles
Gouvernance locale ensemble les ressources naturelles?
Philippe Lavigne Delville (lavignedelville
@gret.org)___________________________
C omment gérer durablement des ressources naturelles
soumises à des pressions croissantes ? Avec des règles
partagées, légitimes et appuyées par des instances locales et
par l’État. Les « conventions locales » peuvent être des outils
pour cela, permettant de concilier règles coutumières et rè-
gles de l’État. À certaines conditions…

L
„ Philippe Lavigne Delville    sur l’espace et les de l’État, lorsqu’il surimpose des règles différentes
est anthropologue. Il est ressources naturelles, les carences des dispositifs et court-circuite les autorités locales. Elles sont de
actuellement chercheur de régulation, provoquent une surexploitation plus fondées sur un principe « d’autochtonie » qui
Gret/IRD (UMR ), des ressources ainsi que des conflits : les réserves fo- peut être problématique aujourd’hui, au sens où il
affecté au Laboratoire restières sont défrichées, les pâturages surexploités, exclut des acteurs installés légitimement de longue
d’études et de recherche les stocks de poissons s’épuisent, les conflits entre date dans l’espace local.
sur les dynamiques sociales agriculteurs et éleveurs s’accroissent dès lors que les La gestion des ressources naturelles pose ainsi des
et le développement local pistes à bétail sont mises en culture. questions de gouvernance locale, au sens de coordi-
(Lasdel) au Niger. Historiquement, l’intervention de l’État n’a pas nation entre pouvoirs hétérogènes à l’échelle locale,
permis de réguler l’usage de ces ressources. Fondée de définition et mise en œuvre négociées de régula-
„ Bibliographie : sur une « rationalité technique » un peu étroite et des tions, de définition de la citoyenneté locale.
Bertrand A., , logiques de contrôle de rente par les États, les inter-
« Gestion étatique ou ventions publiques ont très fréquemment fragilisé, Les conventions locales de gestion des ressources
gouvernance locale ? », in voire détruit les régulations existantes, contribuant naturelles renouvelables, un outil de gouvernan-
Lavigne Delville (ed). ainsi à accroître la compétition et les conflits. ce locale ? Face à ces enjeux, de nombreux projets
Quelles politiques Face à ces constats, le principe d’une gestion et ONG ont tenté depuis le milieu des années  de
foncières en Afrique locale et décentralisée est de plus en plus mis en promouvoir une gestion locale des ressources natu-
rurale? Réconcilier avant, mais il ne va pas de soi, et les conditions relles renouvelables, sous le terme de « conventions
pratiques, légitimité et pour qu’une gestion locale soit possible sont rare- locales », en Afrique de l’Ouest et en particulier au
légalité. Ministère de la ment explicitées. Mali. Il s’agit là d’une gestion « décentralisée » au
Coopération/Karthala, sens où ce sont les populations qui ont la responsa-
Paris. La gestion durable des ressources « communes » : bilité de définir les règles qui leur semblent légitimes
Djiré M. et Dicko A. K., une question d’institutions. Les ressources natu- et pertinentes. Des démarches et des savoir-faire se
, Les conventions relles « communes » sont celles exploitées par un sont progressivement constitués. Le principe vise,
locales face aux enjeux de ensemble d’acteurs : ressources ligneuses d’une
la décentralisation au brousse, mare et ses poissons, pâturages, etc. Pour
Mali, Paris, Karthala, une gestion durable de ces ressources, il faut que les « Le processus est censé aboutir
 p. prélèvements (la quantité de bois coupé, de poissons
Lavigne Delville Ph., , pêchés, d’herbe pâturée) soient inférieurs au croît à un ensemble de règles faisant
« Conditions pour une naturel. Pour cela sont mises en place des règles de
gestion décentralisée des contrôle de l’exploitation de ces ressources. Une ges- sens pour les acteurs »
ressources naturelles. tion durable des ressources communes est possible,
Entre “community à un certain nombre de conditions : la légitimité du
failures”, “market caractère « commun » de la ressource, des « ayants avec l’aval des autorités communales, à favoriser la
failures” et “state droit » (ceux qui ont le droit de l’exploiter) définis, négociation entre acteurs locaux, sur un territoire
failures”, construire de des règles d’exploitation définies et des autorités ou autour d’une ressource donnée. Il s’agit parfois
nouveaux “communs” », capables d’en assurer le respect. De telles règles ont d’actualiser des modes de gestion existants, le plus
in Bertrand A., Karsenty historiquement existé dans les sociétés rurales : en souvent d’en définir de nouveaux, répondant aux
A. et Montagne R. eds. Afrique de l’Ouest, le puits sahélien est la propriété enjeux actuels. Plus ou moins long, le processus est
L’État et la gestion locale du lignage de pasteurs qui l’a creusé, celui-ci accep- censé aboutir à un ensemble de règles faisant sens
durable des forêts en te toujours un troupeau de passage, mais définit le pour les acteurs. Une fois finalisée et acceptée par
Afrique francophone et à nombre de jours qu’il peut rester selon l’état de la les services techniques, la convention, signée par les
Madagascar, Cirad/ ressource dans les pâturages accessibles à partir du représentants des villages concernés, est transmise
L’Harmattan, pp. -. puits ; dans les mares, la pêche est souvent réservée à au Conseil communal. Celui-ci prend alors un ar-
la consommation personnelle, en dehors des grandes rêté, donnant force de « loi locale » à ces règles, et les
pêches d’étiage organisées par les maîtres des eaux ; rendant opposables aux tiers. De telles conventions
la cueillette d’un certain nombre de fruits est régulée. peuvent porter par exemple sur la gestion d’un forage,
Cependant, ces institutions peuvent être fragilisées d’une forêt communautaire, ou encore sur la pêche,
par les évolutions sociales, l’arrivée de nouveaux ac- ou la date de la vaine pâture. Elles sont complétées
teurs ne respectant pas ces règles, la pression sur par des aménagements de ces espaces, par une ma-
les ressources, le fait qu’elles soient de plus en plus térialisation de pistes à bétail, etc.
objet de commerce, mais aussi par l’intervention Ainsi conçues, les conventions locales peuvent po- Ü

Grain de sel 9
nº 46-47 — mars – août 2009
Forum

Û tentiellement construire une gouvernance locale de plus souvent les règles locales de la négociation et les
la gestion des ressources naturelles, répondant aux conditions dans lesquelles des autorités coutumières
problèmes des contradictions entre règles « coutu- peuvent s’y engager, et sous-estiment les inégalités
mières » et règles de l’État, et de l’articulation entre d’accès aux ressources naturelles (hommes/femmes,
espace de vie des populations et espace communal. autochtones/migrants). L’accent est trop souvent mis
Elles peuvent contribuer à construire la légitimité sur la signature de l’accord plus que sur son effectivité.
des communes, à travers des réponses concrètes aux En pratique, cette effectivité est très variable, et beau-
problèmes de ses citoyens. coup de beaux écrits demeurent lettre morte.
Le principe des « conventions locales » est pourtant
À quelles conditions les conventions locales sont- tout à fait pertinent. Mais un processus d’élaboration
elles effectives ? La simple signature d’une convention de convention locale n’a de sens que : (i) s’il porte
ne garantit pas son effectivité. De nombreux facteurs sur des ressources stratégiques aux yeux de certains
rendent la tâche beaucoup plus complexe : groupes d’acteurs qui ont un intérêt objectif à une
– la volonté de l’État de permettre une gestion dé- régulation, (ii) si le besoin d’une régulation nouvelle
centralisée reste en suspens, et les marges de né- est clairement perçu au-delà de ces acteurs, (iii) si le
gociation avec les services techniques dépendent processus est suffisamment « autonome » et porté par
de l’ouverture de leurs responsables locaux ; des acteurs locaux, (iv) si la réflexion des acteurs lo-
– les responsabilités communales en la matière res- caux porte d’abord sur les enjeux : pourquoi réguler
tent floues, et n’incitent pas à ce type de démarche, telle ressource, tel espace ? Sur quels principes mo-
qui découle d’abord de la bonne volonté des élus : raux et pratiques organiser la coexistence de différents
ils peuvent au contraire jouer la compétition entre usages par différents groupes d’acteurs (agriculteurs,
instances d’arbitrage, la définition autoritaire de rè- éleveurs, pêcheurs, etc.), pour que les règles soient
gles, l’instrumentalisation politique des conflits ; suffisamment légitimes et au maximum équitables et
– selon l’enjeu économique de la ressource, et le de- consensuelles ? Comment dépasser les appartenances
gré de conflictualité, la négociation de consensus socio-ethniques dans l’accès aux ressources et éviter
n’est pas toujours possible. qu’une gestion locale n’exclue les « étrangers » de l’es-
Porteurs d’une vision « communautaire », les in- pace local ? Quels sont les acteurs légitimes pour dé-
tervenants externes sous-estiment fréquemment les finir des règles et en assurer la mise en œuvre réelle ?
enjeux socio-économiques et socio-politiques du Comment gérer la confrontation entre normes locales
contrôle des ressources naturelles, ainsi que les di- et droit écrit dans la convention ? Qu’est-ce qui assure
vergences d’intérêt entre acteurs. Ils négligent le fait que les acteurs chargés de veiller au respect des règles
que la gestion des ressources naturelles s’inscrit dans auront la légitimité et l’autorité nécessaire ?
des rapports de hiérarchie entre groupes sociaux. Ils Bref, des conventions locales effectives sont celles
tendent à supposer que les acteurs ruraux ont à la qui s’ancrent vraiment dans les espaces sociopolitiques,
fois intérêt et capacité à gérer eux-mêmes leurs res- et sont basées sur la (re) négociation des principes du
sources et à dépasser les compétitions et divergences « vivre ensemble », au-delà des compétitions et des
d’intérêt, ce qui n’est pas toujours vrai. Ils ignorent le clivages sociaux. §

10 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
46
-
47
Inter-réseaux
Développement rural

L
’ joue un rôle central
dans les économies ouest africaines :
il contribue à près de la moitié du PIB
agricole (en incluant la traction animale et la fumure organique)
et constitue une source importante d’emplois et de revenus. Cette ré-
gion se caractérise aussi par un faible apport dans l’alimentation humaine
des produits d’origine animale.
Avec une croissance annuelle estimée à  , la demande de produits d’origine
animale est appelée à augmenter en Afrique subsaharienne, et notamment en Afri-
que de l’Ouest, de   d’ici  ; face à cela, l’offre en produits animaux continuera
à prendre du retard si son taux de croissance, estimé à   actuellement, n’augmente pas
aussi vite. Répondre aux mutations et aux évolutions alimentaires constitue un défi majeur
pour l’élevage africain.
Le thème de l’élevage nous a paru suffisamment important pour que nous fassions le choix
de construire un dossier de  pages au sein d’un numéro double. Après un aperçu des grands
enjeux, de l’évolution et de la diversité des types d’élevage en Afrique de l’Ouest, ce dossier
présente quelques filières animales incontournables. Pour finir, des acteurs s’expriment
sur le pastoralisme et son avenir.
Ce vaste sujet est loin d’être épuisé : vos contributions sont donc les bienvenues !
Ce dossier a été réalisé grâce à un comité de rédaction élargi. Nous tenons à re-
mercier pour leurs contributions, tous les auteurs, et en particulier Cécile
Broutin, Guillaume Duteurtre, Ludovic Larbodière, Papa Nouhine
Dieye et Philippe Lhoste qui se sont fortement mobilisés pour sa
préparation.
Dossier coordonné par Estelle Deniel, avec l’appui
de l’équipe d’Inter-réseaux.

Évolution du secteur de
l’élevage ouest africain 12

Des systèmes de production,


des enjeux, des défis… 18

Le dossier : Des regards croisés sur


l’élevage pastoral… 30

Répondre aux évolutions alimentaires,


un défi majeur pour l’élevage africain
LeForum
dossier Évolution du secteur de l’élevage ouest africain

Afrique de l’Ouest : la révolution de l’élevage


aura-t-elle lieu?
Guillaume Duteurtre (duteurtre@cirad.fr), avec
la contribution de Roger Blein______________ L e secteur de l’élevage en Afrique de l’Ouest est à un
tournant. Diversification des systèmes alimentaires et
croissance de la population se joignent pour doper la de-
mande en produits animaux. Des mutations qui questionnent
la capacité des systèmes d’élevage locaux et des filières à
s’adapter à une demande exigeante.

D
„ Guillaume   , l’essor des villes Face à ces questions, plusieurs ap- spécifiques et ses faibles coûts de pro-
Duteurtre est africaines a induit une trans- proches sont défendues par les acteurs duction. Enfin, pour les partisans du
chercheur au formation profonde du modèle du développement et les experts. Se- libéralisme, l’approvisionnement des
Cirad. Il était en alimentaire. Comme dans les autres lon la vision moderniste, la réponse à consommateurs urbains, au pouvoir
poste à l’Institut pays en développement, le secteur de la demande urbaine ne peut se faire d’achat limité, passe par un recours
sénégalais de l’élevage a été particulièrement touché qu’à travers une transformation ra- croissant aux importations de produits
recherches par ces recompositions : les viandes et dicale des systèmes de production et de base bon marché (viande congelée,
agricoles (Isra) à les produits laitiers sont en effet parmi des filières, sur le modèle de la révo- poudre de lait), quitte à ce que les pays
Dakar, de  à les produits alimentaires dont la con- lution de l’élevage. Pour d’autres, au augmentent leur dépendance vis-à-vis
septembre . sommation augmente le plus rapide- contraire, l’élevage extensif est sus- du marché international.
Depuis, il travaille ment avec le niveau de vie. Le déve- ceptible de répondre à des « signaux
au Rural loppement urbain a ainsi induit une de marchés », et d’améliorer sa con- Les trois facettes du développement
Development demande nouvelle en produits laitiers tribution à l’approvisionnement des des marchés animaux en Afrique de
Center (Rudec) à et carnés. Les commerces des grandes villes, tout en valorisant ses ressources l’Ouest. Au-delà de ces débats, il sem-
Hanoi (Vietnam). villes présentent aujourd’hui une mul-
titude de nouveaux produits comme les
sachets de poudre de lait, les yaourts,
les laits fermentés, les fromages, ou les
découpes de volaille, générant d’im-
portants débouchés pour l’élevage et
l’industrie agro-alimentaire. Dans la
restauration hors foyer, ces mutations
s’illustrent par l’essor des bars laitiers,
des dibiteries, des restaurants ou des
cantines.

L’essor des villes africaines et la


création de nouveaux débouchés.
Cependant, il subsiste aujourd’hui
de nombreuses interrogations sur la
capacité de l’élevage africain à répon-
dre à l’explosion de la demande locale.
L’élevage familial extensif majoritaire
en Afrique, enchâssé dans des sociétés
traditionnelles et dans des territoires
enclavés, serait-il resté à l’écart de la
« révolution de l’élevage » observée en
Amérique du Sud et en Asie ? Le dé-
veloppement agro-industriel basé sur
l’intensification des filières d’élevage,
que l’on observe dans de nombreux
pays du Sud, aurait-il laissé l’Afri-
que « en rade » de cette importante
transformation ? Quelles stratégies
convient-il d’adopter pour encoura-
ger la participation des producteurs
locaux aux échanges marchands ?
Comment faire de la croissance de la
demande un « levier », tant pour le dé-
© Inter-réseaux

veloppement des territoires pastoraux


que pour l’amélioration des revenus
des éleveurs ?

12 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Évolution du secteur de l’élevage ouest africain LeForum
dossier

Le bétail, facteur d’intégration


des échanges régionaux

ble bien que les trois phénomènes aient


coïncidé au cours des  dernières an-
nées en Afrique de l’Ouest : l’appari-
aux marchés de viande rouge de rester
très majoritairement approvisionnés
par les systèmes pastoraux et agro-
L ’  A  ’O et du Centre est
typiquement un secteur dont l’économie repose sur
l’intégration des marchés. Les produits de l’élevage cons-
tion de filières agro-industrielles, le pastoraux. Les complémentarités ré- tituent le premier poste des échanges intracommunautai-
développement des surplus commer- gionales ont joué favorablement pour res, devant les céréales.
ciaux issus des systèmes extensifs, et approvisionner les villes en bétail sur Les échanges régionaux relient les bassins de produc-
l’essor des importations de produits pied. Dans le domaine du lait, l’aug- tion dans les pays sahéliens excédentaires et les bassins de
animaux. mentation des volumes commercia- consommation des pays côtiers déficitaires.
Le développement agro-industriel a lisés s’est faite essentiellement grâce On estime le cheptel bovin de l’Afrique de l’Ouest à
constitué certainement le côté le plus à l’amélioration des circuits de col-  millions d’animaux et le cheptel de petits ruminants à
spectaculaire de ces transformations. lecte, plutôt que par l’augmentation  millions. Les trois grands pays sahéliens enclavés — le
Suite aux Plans d’ajustement structurel de la productivité des fermes. Ainsi, Burkina Faso, le Mali et le Niger — exploitent plus du tiers
initiés dans les années , la privatisa- les stratégies des ménages et l’éco- du cheptel bovin régional ( millions). Les exportations
tion des grandes laiteries, des fermes nomie domestique ont tiré parti de d’animaux sur pied de ces trois pays sont estimées à  
d’État ou des abattoirs a constitué l’émergence du commerce du lait sous têtes par an. Les exportations de petits ruminants concer-
une rupture qui a dans un premier  formes principales : le développement neraient environ , millions de têtes.
temps freiné l’essor d’une industrie des ventes directes en périphérie des Les observateurs décrivent plusieurs circuits commer-
de l’élevage, mais qui a ensuite laissé grandes villes, l’essor des réseaux de ciaux : les circuits verticaux qui représentent les échanges
le champ libre au développement de collecte de lait caillé et de beurre en historiques entre les pays enclavés sahéliens et les marchés
nouvelles entreprises privées. Dans le zone sahélienne et la mise en place de côtiers autour d’axes Nord-Sud. L’Afrique de l’Ouest est
secteur laitier, on assiste depuis  ans systèmes de collecte du lait cru. De la ainsi structurée autour de  grandes zones commerciales :
au développement massif des petites même manière, on a assisté au déve- le circuit occidental part du Mali et alimente la Mauritanie,
unités de transformation rurales, et loppement de l’aviculture villageoise le Sénégal, la Guinée, la Gambie, la Sierra Leone et le Li-
à la participation croissante des éle- engagée dans la production d’œufs ou beria ; le circuit du couloir central relie les zones d’élevage
vages périurbains dans l’approvision- de poulets pour le marché. du Mali et du Burkina Faso au Ghana, à la Côte d’Ivoire
nement des consommateurs urbains Enfin, de nombreux pays ont fait le et au Togo ; enfin, le circuit central oriental relie le Niger
et des grandes industries laitières. Au choix de recourir à des importations aux marchés du Nord du Nigeria, qui représente le plus
Mali, au Burkina Faso, ou au Sénégal, croissantes de produits animaux. Des important importateur de la région.
on compte aujourd’hui des dizaines années  jusqu’aux années , la pé- Plus récemment se sont ajoutés des circuits transversaux
de mini-laiteries rurales collectant nétration des produits européens sur destinés à alimenter le Nigeria principalement avec du bé-
du lait frais. Plusieurs industries se les marchés ouest africains a été encou- tail burkinabè transitant par le Bénin.
sont récemment ré-engagées dans la ragée par les baisses de la production Enfin, les marchés ouest et centre africains sont reliés
collecte de lait local. Des fermes mo- du cheptel sahélien liées aux sécheres- entre eux. Le bétail du Niger approvisionne, avec les ani-
dernes se sont installées en périphéries ses, par l’existence d’excédents mas- maux du Tchad, de Centrafrique et du Nord Cameroun,
des grandes capitales, en moins grand sifs de production de lait et de viande les besoins de consommation du sud Cameroun, du Nige-
nombre cependant que dans les zones en Europe et aux États-Unis, et par ria, du Gabon, de la République démocratique du Congo
d’altitude d’Afrique de l’Est. Dans le les crises économiques qui ont tou- et du Congo Brazzaville. De la même façon, des flux de
secteur avicole, de nombreux pays ont ché les populations urbaines les plus bétail existent et relient l’Afrique de l’Ouest et du Centre
connu un développement massif des pauvres, créant ainsi une demande aux pays arabes.
unités semi-industrielles périurbaines pour des produits très bon marché.
de production d’œufs et de viande de Plus récemment, ce phénomène a été
volaille. Le secteur porcin a lui aussi amplifié par la libéralisation des im- ger » l’élevage local. Le déferlement des
fait l’objet d’investissements impor- portations (abaissement des droits de importations de produits animaux sur
tants. douane) consécutive à la constitution les marchés ouest-africains a modifié
Parallèlement, on a assisté à l’aug- du marché commun ouest africain et durablement les habitudes alimentaires
mentation des surplus commerciaux aux négociations commerciales inter- des populations. De nouveaux usages
issus des systèmes extensifs ou semi- nationales. Tous les pays se sont dotés sont apparus, de nouveaux marchés
intensifs. Après les sécheresses succes- à la faveur de ce contexte d’industries se sont créés, notamment autour de
sives de  et de -, les éleveurs laitières orientées vers la reconstitu- la poudre de lait, mais aussi du lait
sahéliens ont fortement reconstitué leur tion du lait en poudre importé. Entre UHT, par exemple. Par ailleurs, de
cheptel. Dans le même temps, la pro- - et -, les importations nombreuses industries laitières ont
duction de ruminants s’est étendue aux laitières en Afrique de l’Ouest ont pu se développer sur la base de la
zones agricoles situées plus au Sud, et plus que doublé. Et les importations poudre de lait importée. Ces évolu-
a constitué un facteur d’intensification de viande ont été multipliées par qua- tions ont réduit les possibilités pour
des systèmes de production dans les tre. Dans certains pays côtiers, comme les gouvernements de mettre en place
zones soudaniennes. Ces régions plus au Sénégal, au Cameroun, au Bénin ou des limitations à l’importation.
humides ont aussi constitué des zones en Côte d’Ivoire, les importations de
de développement de l’embouche bo- viande avicole ont connu une véritable Approvisionnement des villes et
vine et ovine. La croissance de l’offre envolée entre  et , avant que avenir de l’élevage. Devant ces re-
et l’efficacité de systèmes commerciaux des barrières sanitaires ou tarifaires compositions profondes des marchés,
relativement anciens ont ainsi permis ne soient mises en place pour « proté- plusieurs enjeux relatifs à l’avenir de Ü

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nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Évolution du secteur de l’élevage ouest africain

Û l’élevage en Afrique apparaissent en- moyens d’améliorer la qualité des pro-


Les produits animaux dans la core mal pris en compte par les orga- duits locaux. L’élaboration de guides
nisations de producteurs, les décideurs de bonnes pratiques semble être une
sécurité alimentaire publics et la société civile. Il s’agit des voie privilégiée. De nombreux acteurs
débats sur le modèle alimentaire, des réclament aussi un meilleur contrôle
discussions relatives aux règles com- des conditions sanitaires du commerce

L   des produits animaux est mal con-


nue en Afrique de l’Ouest en raison d’une forte part
de l’autoconsommation (lait et ses dérivés, œufs, viandes),
merciales, et enfin des priorités des
politiques publiques vis-à-vis des po-
pulations vulnérables.
des produits animaux, notamment pour
les viandes congelées importées. Mais le
principal débat concerne les discussions
et en raison d’une connaissance très approximative des La question du modèle alimentaire relatives aux tarifs douaniers. Dans
échanges commerciaux et de l’importance des circuits est récemment apparue dans le débat le cadre de l’Uemoa et de la Cedeao,
d’approvisionnement informels (échanges de proximité). public sous l’effet de plusieurs éléments l’Afrique de l’Ouest est engagée dans
Seul le niveau des importations est assez bien connu. Selon conjugués : l’émergence d’associations un processus d’harmonisation de ses
les calculs rapportés dans l’étude CSAO/OCDE-Cedeao, de consommateurs, d’étudiants ou de règles commerciales et en particulier
sur la base des données de la FAO, la consommation tou- militants revendiquant un modèle de du Tarif extérieur commun (Tec) qui
tes viandes confondues s’élèverait à , kg par habitant. consommation plus « durable » et se met en place aux frontières de la
On attribue généralement les faibles taux de malnutrition « sain » ; le développement de nou- région. Aujourd’hui taxée dans l’es-
en milieu pastoral à des régimes alimentaires qui incor- velles exigences des consommateurs pace Uemoa à hauteur de   seule-
porent nettement plus de lait qu’en milieu agricole ou ur- sur les liens entre alimentation et santé ; ment car considérée comme un intrant
bain. D’une façon générale la consommation de produits la montée de revendications nouvel- pour l’industrie, la poudre de lait est
laitiers et carnés reste faible, comparée aux standards de les sur la « souveraineté alimentaire » l’objet d’intenses discussions dans les
consommation dans les pays riches. portées par les organisations profes- arbitrages sur le Tec Cedeao. Ce cas
Les liens entre l’élevage et la sécurité alimentaire dé- sionnelles agricoles et les organisations illustre particulièrement bien la diffi-
passent de loin cet aspect. Par exemple, il existe une très de la société civile, et insistant sur le culté pour les décideurs de réconcilier
forte relation entre prix des céréales et prix du bétail. Il recours aux aliments « locaux ». Plus les intérêts des différents acteurs, et les
s’agit d’un indicateur majeur de l’accessibilité des produits récemment, ce débat sur le modèle intérêts à court et long terme. À court
alimentaires en zone pastorale. En cas de sécheresse par alimentaire a été relancé par la crise terme, l’importation permet d’assurer
exemple, les prix des animaux, en mauvais état, chutent alimentaire de , et les manifesta- un approvisionnement régulier de l’in-
sur les marchés. Cette chute est d’autant plus forte que les tions contre la « vie chère ». Ces posi- dustrie de transformation, alors que
céréales sont chères et que les éleveurs ont besoin de com- tions constituent à n’en pas douter un les filières locales peinent à alimenter
mercialiser plus d’animaux pour acheter des céréales. élément déterminant pour l’avenir du les collecteurs, notamment en saison
La demande en aliments du bétail est un autre facteur positionnement des produits animaux sèche lorsque les animaux sont en fin
qui influence l’équilibre des marchés alimentaires et locaux sur les marchés domestiques. de lactation, et les fourrages peu dis-
donc l’accessibilité des céréales pour les consommateurs. L’écho particulièrement favorable de ponibles et très coûteux. Mais à long
La forte demande de l’industrie des aliments de bétail sol- la société civile sur l’exposition « Mon terme, de nombreux pays souhaitent
licitée par le fort développement de l’élevage de volailles lait, je l’aime local » présentée à Dakar voir ces filières locales se structurer
au Nigeria modifie en profondeur l’équilibre du marché et à Ouagadougou en  illustre les et approvisionner le marché. Or, cette
céréalier dans tout l’Est de l’Afrique de l’Ouest et pèse évolutions possibles sur ce sujet. stratégie nécessite de réduire la pression
fortement sur la sécurité alimentaire des populations du Le deuxième enjeu majeur concerne exercée par les importations. Il en va
Niger, par exemple. les discussions relatives aux règles com- de même au niveau des acteurs. Si les
merciales. Dans le domaine des régle- consommateurs relativement aisés peu-
mentations sanitaires, de nombreuses vent privilégier les produits locaux de
initiatives ont permis d’avancer sur les qualité, l’accès des pauvres aux produits
© Bureau Issala

14 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Évolution du secteur de l’élevage ouest africain LeForum
dossier

fortement l’équilibre nutritionnel, les


Les importations de options sont complexes. L’ampleur des Quelques « fausses idées »
problèmes nutritionnels, notamment
viandes et de lait en chez les femmes enceintes et les jeu- reçues sur l’élevage
nes enfants, milite fortement pour la
Afrique de l’Ouest diversification des systèmes alimen-
taires et pour une plus grande utilisa- « L’élevage ferait compétition à l’accès hu-
tion des produits animaux à bas prix. main aux calories végétales ». Les pro-

L   de produits
animaux représentent   des
importations agroalimentaires des
Ces produits sont parmi les premiers
dont la consommation est réduite en
cas de difficulté économique au sein
duits animaux représentent un tiers des
protéines consommées dans le monde et
apportent des nutriments indispensables
 pays de la Cedeao. Selon les don- des ménages. Longtemps, l’importa- (acides aminés essentiels, minéraux, vita-
nées commerciales de la FAO, les tion a été considérée comme moins mine A). Le petit élevage est fondamental
importations de produits laitiers et coûteuse que la production locale. La pour la sécurité alimentaire des familles
œufs sont passées de  millions de crise des prix alimentaires a cependant paysannes (autoconsommation, revenus
dollars par an sur la période - montré la vulnérabilité induite par ce permettant l’achat de céréales) et son ali-
 à  millions de dollars sur la choix et les problèmes posés par l’ins- mentation permet de valoriser les restes
période -. Les importations tabilité des prix mondiaux. Or, cette ménagers et résidus de récolte. Enfin, ¹⁄
de viandes ont été multipliées par  instabilité est appelée à croître avec des terres mondiales sont trop pauvres
sur la même période en passant de la libéralisation des politiques laitiè- pour des productions végétales mais leur
 millions à plus de  millions de res dans les grands pays et ensembles exploitation par l’élevage permet la survie
dollars. La viande bovine et les vo- régionaux producteurs et le recul des de populations démunies.
lailles représentent l’essentiel de ces mesures de régulation de ces marchés « L’élevage de ruminants serait la princi-
importations. qui jouent un rôle leader sur les prix pale source d’émissions de gaz à effet de
mondiaux. serre ». L’élevage se situe en troisième po-
Les choix en matière de modèle de sition après l’industrie et les transports,
laitiers est renchéri par la taxation des production sont tout aussi difficiles à avec une production de   de ces gaz,
importations. Dans le même temps, les faire. Faut-il privilégier le renforcement essentiellement dans les élevages inten-
organisations de professionnels laitiers des systèmes de collecte de lait en zone sifs des pays développés et émergents. Par
militent et font pression pour mettre rurale, ou encourager le développement ailleurs, l’élevage permet de réduire l’uti-
en place un niveau de taxation suffi- des exploitations laitières intensives lisation d’engrais chimiques et constitue,
sant pour protéger les investissements en zones périurbaines ? pour les plus pauvres, une alternative du-
dans la filière locale et la rémunéra- rable à une mécanisation motorisée con-
tion des producteurs. Dans le cadre Une histoire de l’élevage et du marché sommatrice d’énergies fossiles.
de la négociation de l’APE, la région a qui reste à écrire. Finalement, l’his- « L’élevage de ruminants serait responsable
placé le lait dans les produits sensibles toire de l’élevage en Afrique de l’Ouest de surpâturage ». La concentration des
non libéralisés dans les échanges avec reste encore à écrire. Les phénomènes animaux dans les lieux de regroupement
l’Union européenne. Mais le débat reste de développement des marchés urbains peut générer localement un surpâturage,
entier sur la classification finale de ces sont relativement récents. Et la plupart mais l’élevage mobile constitue le mode
produits dans le nouveau Tec Cedeao des ajustements politiques sont encore de gestion le plus durable de parcours à
en cours de négociation. en négociation. La capacité de l’élevage faible capacité de charge. La transhumance
On touche ici la question des priori- africain à participer aux échanges mar- est même bénéfique pour les écosystèmes
tés politiques, qui constituent le troi- chands dépendra en grande partie de variés qu’elle fertilise et dont elle dissémine
sième point de débat. Dans le cadre des la faculté des acteurs et des décideurs les graines ; elle permet des transferts sai-
stratégies nationales de réduction de la à s’accorder sur des objectifs de déve- sonniers de charge.
pauvreté, les gouvernements d’Afrique loppement communs, sur des modè- « L’élevage pastoral sahélien serait un éle-
de l’Ouest et les partenaires au dévelop- les de développement respectueux des vage de contemplation ou à l’inverse un
pement ont affiché des priorités d’in- réalités locales. Les gouvernements en mode de capitalisation au bénéfice d’une
tervention et de régulation en faveur place devront rechercher une meilleure minorité ». Le cheptel sahélien constitue
des populations les plus vulnérables. cohérence entre politiques commercia- certes une forme de capitalisation, mais
Or, les arbitrages en matière commer- les et politiques sectorielles afin qu’elles la majeure partie du cheptel fait vivre les
ciale sont souvent difficiles : doit-on se complètent, plutôt que de s’oppo- populations pastorales. Il répond largement
ouvrir les marchés pour favoriser l’ap- ser. L’avenir de l’élevage en Afrique de à la demande locale et sous-régionale en
provisionnement des consommateurs l’Ouest dépendra aussi de la capacité viande, de manière compétitive.
urbains les plus pauvres en produits de la région à faire jouer les avantages
de base ? Ou bien faut-il protéger les comparatifs entre les zones et à exploi- Dr Ludovic Larbodiere et Isabelle Tourette-AVSF____
filières domestiques pour offrir des op- ter les complémentarités entre bassins
portunités de croissance aux secteurs de production et bassins de consom-
agricoles et agro-industriels locaux ? mation transnationaux. En Afrique de de processus globaux indéniables, sem-
Dans le cas du lait, et plus largement l’Ouest, les discours sur la révolution blent finalement bien loin des réalités
des produits animaux, qui influencent de l’élevage, bien que rendant compte de terrain. §

Grain de sel 15
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Évolution du secteur de l’élevage ouest africain

Consommation urbaine de viandes en


Afrique de l’Ouest : l’exemple de Dakar
Adrien Mankor (amankor@refer.sn)_______
E n Afrique de l’Ouest, les habitudes alimentaires des po-
pulations sont en pleine mutation, surtout en zone urbaine.
Dans la mégalopole de Dakar où le marché de la viande est
en pleine explosion, on assiste depuis quelques années à un
changement dans les modes de consommation des produits
d’origine animale.

S
„ Adrien  ’  de l’ur- vis-à-vis des viandes importées (« va- lation étant à   musulmane, c’est
Mankor est banisation, de la croissance des che folle », poulet à la dioxine) : en la consommation de volaille qui pro-
enseignant- revenus et des nouvelles atten- ,   de la viande achetée au Sé- gresse.
chercheur au tes socioculturelles des populations, négal était importée, contre ,  en Le porc et le poulet sont aussi les
service on assiste, dans les pays du Sud, à . À partir de , avec l’arrivée viandes les moins chères suivies du
d’Économie l’émergence d’une demande crois- du régime libéral au pouvoir, les im- bœuf, le mouton étant la viande la
rurale et gestion sante en produits d’origine animale, portations de viande ont repris et leur plus chère. Ainsi, en juin , le
de l’École inter- concentrée surtout dans les villes. part dans la consommation totale n’a prix moyen du kilogramme de pou-
États des sciences Celle-ci se caractérise à la fois par un cessé de croître, jusqu’à l’apparition let est de   FCFA, celui de bœuf
et médecine accroissement des quantités commer- de la grippe aviaire qui a contraint le de   FCFA et celui de mouton de
vétérinaires cialisées et par de nouvelles exigences gouvernement sénégalais à interdire les   FCFA.
(EISMV) de des acheteurs en termes de qualité. Le importations des viandes de volailles
Dakar, depuis lait et la viande sont particulièrement dès novembre . Aujourd’hui, l’es- Les déterminants de la consomma-
janvier . Il touchés par ces évolutions, du fait de sentiel de la viande est produite loca- tion de viande. La consommation de
occupait leur statut alimentaire (la viande est lement (Sénégal et pays de la sous-ré- viande à Dakar varie suivant des fac-
auparavant un un produit de luxe et le lait est ancré gion), les importations représentant teurs économiques (prix et revenus).
poste de chargé dans les habitudes alimentaires), et de moins de   de l’offre totale. En effet, la viande est un produit de
de recherches à leur importante fragilité (périssabilité, D’autres produits ont pourtant luxe dont la consommation augmente
l’Institut sensibilité à la chaleur). L’analyse des échappé à cette concurrence : c’est le avec le revenu des ménages.
sénégalais de comportements alimentaires dans les cas des œufs, de la viande rouge, du Le prix relatif des différents types
recherches villes d’Afrique de l’Ouest a montré poulet villageois, du lait caillé et du de viande est un critère de choix im-
agricoles (Isra) une évolution de la consommation, beurre fermier, pour lesquels la pro- portant, mais il n’explique pas tout.
de  à . Il caractérisée par la diversification duction locale est au premier plan pour D’autres facteurs sont en effet suscep-
est spécialisé des produits. La diversité ethnique et l’approvisionnement des villes. tibles de faire basculer le choix des
dans l’étude culturelle de la population urbaine, ménages. Par exemple, les viandes qui
socioéconomique souvent d’origine rurale, est en effet Le poulet gagne du terrain dans une ont peu de pertes à la cuisson et qui
des filières de propice aux changements d’habitudes offre dominée par la viande de ru- peuvent être facilement partagées par
productions alimentaires, rendus possibles par de minants. L’offre de protéines animales un grand nombre de convives sont les
animales, avec plus grandes disponibilité et variété à Dakar est dominée par les produits plus appréciées. C’est ce qui fait que le
un accent de produits sur les marchés. halieutiques. La consommation moyen- bœuf est plus consommé actuellement
particulier sur Pour un certain nombre de pro- ne annuelle de poisson y est de  kg que le poulet, malgré un rapport de
l’aval des filières duits, cette explosion de la demande par habitant, contre  kg au niveau prix défavorable. La viande de bœuf
(comportements a, par le passé, profité plus directement national, soit plus de trois fois la con- est donc celle qui convient le mieux à
des aux importations. Dans les années , sommation en viande toutes espèces l’alimentation ordinaire des grandes
consommateurs certains auteurs dénonçaient la con- confondues (estimée à  kg). familles dakaroises.
et des vendeurs). currence déloyale des importations de Au Sénégal, les activités de la filière Quant au poulet, il est souvent perçu
Il est titulaire viande de basse qualité, subventionnée viande sont principalement tournées par les acheteurs comme étant plus
d’une thèse en et vendue à des prix de dumping dans vers l’approvisionnement de Dakar, où cher, car il est vendu entier, et non
agroéconomie : les villes côtières d’Afrique de l’Ouest. se situe le plus grand centre d’abattage au détail comme le bœuf. La viande
« Étude des Les importations de viande ont en effet du pays. En , l’offre de viande à de mouton, par contre, bien qu’étant
déterminants de connu une nette progression depuis Dakar était constituée pour près de perçue comme la plus savoureuse et la
la consommation le début des années  jusqu’en , 2⁄3 de viande de ruminants :   de plus tendre, est celle qui fait le plus de
urbaine en où elles ont été marquées par une bœuf,   de petits ruminants,   pertes à la cuisson, et donc difficile à
viandes en très forte hausse liée à la libéralisa- de poulet et   de porc. Ces dernières utiliser pour la nourriture ordinaire.
Afrique de tion. Sur le marché ouest africain, la années, la consommation de poulet Cependant, dans des situations par-
l’Ouest : part des produits carnés importés est augmente régulièrement, passant de ticulières telles que la réception d’hô-
l’exemple de ainsi passée de   en , à   en ,  à   entre  et , au tes, les fêtes, ou le week-end, le poulet
Dakar ».  puis à   en . Les impor- détriment de la viande de bœuf dont et le mouton sont souvent préférés au
tations ont ensuite progressivement la part est passée de   en  à bœuf.
chuté suite à l’application de taxes vi-   en . Comme dans la plupart Les principales attentes des consom-
sant la protection des filières locales, des pays, la part des viandes blanches mateurs sont d’ordre qualitatif et sani-
et à la méfiance des consommateurs est en hausse, et au Sénégal, la popu- taire. Ils souhaitent en effet avoir une

16 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Évolution du secteur de l’élevage ouest africain LeForum
dossier

viande fraîche, tendre, savoureuse avec


beaucoup de chair et peu de graisse,
d’origine locale (volonté de « soute-
nir les producteurs locaux », méfiance
vis-à-vis des viandes importées), de
préférence abattue selon le rite musul-
man, et surtout comportant le tampon
du vétérinaire attestant de sa bonne
qualité sanitaire. Cependant, il existe
un décalage entre l’offre de détail et
les attentes des consommateurs : les
conditions d’hygiène dans les marchés
traditionnels restent précaires et les
prix pratiqués très peu différenciés
(les prix des différentes viandes sont
très semblables). Or, une différencia-
tion par l’hygiène et par la pratique
© Olivier Ninot (CNRS-PRODIG)

de la découpe moderne est possible :


une partie des consommateurs semble
disposée à payer plus cher une viande
de qualité. Ce décalage entre les atten-
tes des acheteurs et l’offre de détail
semble lié au manque de qualification
professionnelle des détaillants, et au
faible pouvoir d’achat de la plupart des
ménages. En effet, pour que l’inves-
tissement dans l’hygiène et la qualité
soit rentable, il faut un débouché as- ner Dakar en troupeaux sahéliens et plutôt que l’immobilisation des trou-
suré, et donc un nombre important de ainsi renforcer le niveau de l’offre sur peaux.
consommateurs prêts à payer plus cher le marché.
pour une viande de qualité. L’amélioration de la production na- Satisfaire une demande croissante :
tionale devrait quant à elle porter en un défi majeur pour l’Afrique de
Quelques éléments de dynamique de priorité sur les espèces à cycle court l’Ouest. Dans les pays en dévelop-
la consommation de viande à Dakar. (poulet, mouton) qui semblent mieux pement, la tendance à la hausse de la
Le niveau de consommation de viande correspondre aux attentes des consom- demande en produits d’élevage, déter-
à Dakar est encore très bas avec à peine mateurs. À plus long terme, une poli- minée par une urbanisation croissante
 kg/habitant/an contre une moyenne tique de modernisation de l’élevage, et par les changements alimentaires qui
mondiale de  kg. Ce marché semble tant au niveau des pratiques que des y sont associés, devrait se poursuivre
cependant être dans une bonne dyna- espèces exploitées, devrait être envi- au cours des prochaines décennies. Au
mique si l’on considère l’accroissement sagée : amélioration génétique, nu- vu des prévisions démographiques de
continu de la population, qui devrait trition, embouche, lutte contre les la FAO et des évaluations disponibles
entraîner, ne serait-ce que de façon maladies. sur l’évolution de la production, il fau-
mécanique, un accroissement du ni- Des systèmes de commercialisa- drait déjà une augmentation de plus
veau de la demande. tion plus efficaces pourraient aussi d’un tiers de la production sur les 
Le rôle primordial des facteurs permettre une baisse du prix au prochaines années pour satisfaire la
économiques dans les choix des con- consommateur. Cela passe par une demande à son niveau actuel.
sommateurs laisse penser que l’amé- meilleure organisation des marchés, En Afrique de l’Ouest, le défi ma-
lioration de la situation économique et la mise à disposition d’informations jeur reste de réussir à nourrir conve-
du pays (avec le relèvement des salaires sur les marchés, pour permettre aux nablement, en produits d’élevage, une
des fonctionnaires, du secteur privé et producteurs de mieux défendre leurs population de plus en plus nombreu-
de l’informel) devrait favoriser la con- intérêts. se, fortement urbanisée, mais relati-
sommation de viande. La hausse du Aujourd’hui, la fonction d’épargne vement pauvre. Mettre en adéquation
pouvoir d’achat des ménages pourrait est encore souvent assurée par l’im- l’offre et la demande, tout en tenant
ainsi permettre le développement de mobilisation des troupeaux — ceux- compte des nouvelles exigences des
boucheries et de pratiques de découpe ci sont alors consommateurs d’unités consommateurs, impose d’accroître
modernes. fourragères, mais peu productifs. La la productivité et la production des
mise en place de marchés financiers ressources animales, de moderniser
Quelques suggestions pour une aug- et de systèmes de financement (cré- les filières nationales, et d’intensifier
mentation de l’offre. Une intégration dit, épargne, assurance) fonctionnels le commerce sous-régional du bétail
sous-régionale en Afrique de l’Ouest et accessibles à tous pourrait permet- et des produits animaux. §
serait souhaitable pour approvision- tre d’encourager l’épargne monétaire,

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nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

Les systèmes de collecte du lait en Afrique de


l’Ouest : échec ou espoir?
Djiby Dia (djibydia@gmail.com), Cécile Brou-
tin (broutin@gret.org), Guillaume Duteur-
tre (duteurtre@cirad.fr)________________
A près l’échec de l’industrialisation laitière en Afrique
de l’Ouest, de nombreuses mini laiteries se sont déve-
loppées avec plus ou moins de réussite et ont permis une
meilleure valorisation de la production locale. Mais celles-
ci ont besoin d’améliorer leurs dispositifs de collecte et de
distribution pour être plus performantes.

D
„ Djiby Dia et    , les fi- le Programme alimentaire mondial pour mettre sur pied le Projet de dé-
Guillaume lières laitières sont une des des Nations Unies, la Banque mon- veloppement de la production laitière
Duteurtre sont priorités des programmes de diale, l’Unicef, la FAO, a connu un dans les Niayes, il n’a pas pu résister
chercheurs au développement de l’élevage en Afrique bilan très mitigé, notamment entre à la concurrence du lait en poudre
Bureau de l’Ouest. Pourtant, les grands projets  et . importé et aux difficultés d’alimen-
d’analyses industriels des années  et  avaient tation du troupeau.
macro- connu bien des échecs. L’émergence ré- … avec les échecs de nombreuses L’Office du lait du Niger (Olani)
économiques de cente de nombreux systèmes artisanaux tentatives d’industrialisation laitière. a été également créé en  par le
l’Institut ou semi-industriels de collecte du lait L’intensification laitière dans les pays gouvernement du Niger avec l’aide
sénégalais de de brousse constitue un espoir pour ouest africains a été promue dans le des bailleurs de fonds pour amélio-
recherches l’élevage local. Malgré les importations cadre de grands projets de dévelop- rer la santé et l’état nutritionnel des
agricoles (Isra- de poudre (plus de la moitié de la de- pement industriel. La présence d’une populations (femmes enceintes et
Bame). mande du Sénégal en lait), la partici- industrie de collecte était censée offrir enfants) à travers la consommation
Cécile Broutin pation de l’élevage laitier africain aux un cadre structurant à ce modèle in- de produits laitiers de bonne qualité
est responsable échanges marchands repose en grande tensif. On peut citer l’Office du lait du vendus à des prix accessibles. La fai-
du pôle partie sur un tissu de petites entrepri- Niger (Olani), l’Union laitière de Ba- ble performance de cette entreprise a
alimentation et ses de collecte et de transformation qui mako (ULB), l’Union des coopérations conduit, dans le cadre du programme
agriculture dynamisent le secteur. laitières du Sénégal (Ucolait). Cepen- de privatisation initié par l’État du Ni-
durables du dant, ces projets destinés à stimuler la ger, à sa cession à un groupe de privés
Gret. Un modèle de production intensif production laitière locale ont presque nigériens en , puis à sa transfor-
aux débuts difficiles… Dans le do- tous connu d’importantes difficultés mation en société anonyme.
Un guide de maine de la production laitière, le de fonctionnement. L’Union laitière de Bamako (ULB),
bonnes pratiques modèle intensif promu dès les an- Au Sénégal, par exemple, l’Union créée en  à Bamako avec le con-
d’hygiène pour nées  a reposé sur l’augmentation des coopérations laitières (Ucolait) a cours de l’Unicef, avait pour objectif
la de la productivité des races locales par été créée en  suite aux travaux du de fournir du lait à la population de
transformation l’amélioration génétique et les cultures Centre de recherche zootechnique Bamako et à sa banlieue à un prix ac-
artisanale du lait fourragères. La faible productivité lai- (CRZ) de Dahra visant à intensifier cessible, de contribuer à la promotion
a été élaboré de tière des races locales était vue comme la production par des croisements de la production du lait local. De 
façon concertée le principal facteur expliquant les bas entre une race locale, Gobra, et des à , elle a obtenu une assistance
au Sénégal et au niveaux de production du troupeau races exotiques (zébus indo-pakista- du Pam, lui permettant ainsi de ren-
Burkina Faso : africain. Ces programmes, s’appuyant nais). Le projet, appuyé par la FAO, le forcer son approvisionnement en lait
Broutin C., sur le modèle européen du « ménage Pam et l’Unicef, s’est arrêté en , local par une amélioration génétique
Diedhiou Y. exploitant », souffraient du manque de du fait de la sécheresse, de la baisse de des races bovines locales. Cependant,
Dieng M., . connaissances des structures de pro- production laitière consécutive à des l’arrêt du financement en  a en-
Maîtrise de la duction en Afrique et de leur fonc- difficultés d’alimentation du bétail, et traîné une baisse progressive de l’ac-
qualité dans la tionnement, aussi bien à l’échelon de de problèmes de gestion. tivité, et en  l’ULB est privatisée,
transformation l’exploitation agricole qu’à celui des Durant les premières années d’ex- devenant Mali-Lait.
laitière : guide de collectivités, du village. De ce fait, le ploitation, la collecte annuelle a atteint Les tentatives d’intensification, ba-
bonnes pratiques modèle de ferme laitière intensive n’a un volume de   litres, inférieur sées sur l’amélioration des races loca-
d’hygiène. pu être mis en œuvre par des inves- au seuil de rentabilité de l’usine et aux les et la transformation industrielle,
Dakar, Sénégal, tisseurs périurbains ou dans le cadre objectifs de production, fixés à   ont été fortement compromises par
ministère de de fermes d’État. litres par jour. L’usine s’est réorientée les crises climatiques, les problèmes
l’Élevage, Les années , coïncidant avec l’ac- dans la transformation de la poudre de gestion financière et comptable et
Fenafils, Dinfel, cession à l’indépendance de plusieurs de lait. la concurrence des importations de
Uppral,  p. nations ouest africaines, ont été mar- Le GIE Coplait au Sénégal est un poudre de lait.
www.gret.org/ quées par la poursuite des politiques autre exemple d’échec du modèle in-
ressource/pdf/ d’intensification de la production lai- tensif. Créé plus tard après le déplace- Un système de collecte performant
07686.pdf tière avec pour objectif de fournir aux ment des bovins d’origine pakistanaise au service des mini laiteries. Pendant
populations urbaines du lait de « bonne de Dahra vers la ferme expérimentale les années , plusieurs systèmes de
qualité sanitaire ». Cette politique pro- de l’Institut sénégalais de recherches collecte se sont développés pour appro-
mue par les États et appuyée par des agricoles (Isra) de Sangalkam, où visionner les mini laiteries artisanales
organismes internationaux comme des Montbéliardes ont été importées créées dans plusieurs pays (Sénégal,

18 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

Mali, Burkina Faso, etc.) sous forme miques de développement, marquées l’oignon au Sénégal. La mise en place
de petites entreprises privées ou de co- par l’émergence en Afrique de l’Ouest de bonnes pratiques d’hygiène tout
opératives d’éleveurs. La collecte peut d’un réseau d’unités de transformation au long de la filière est également un
être groupée (souvent en lien avec des laitière basées sur la pasteurisation du enjeu important pour accroître les
associations d’éleveurs) ou individuelle, lait cru (plus de  au Sénégal, collec- revenus des producteurs et transfor-
assurée par des collecteurs équipés de tant le lait des élevages situés dans un mateurs en limitant les pertes, pour
matériel plus ou moins rudimentaire rayon de  km). améliorer la durée de conservation
(bidon en plastique) et qui utilisent la En dépit de la forte concurrence et les possibilités de distribution des
bicyclette, la mobylette ou la charrette des importations de poudre de lait, le produits et pour assurer la santé des
asine ou équine comme moyens de contexte d’évolution des mini laiteries consommateurs.
transport du lait des zones de produc- semble favorable du fait notamment Par ailleurs, l’implication des in-
tion vers les unités de transformation. de l’accroissement de la demande en dustriels dans la collecte du lait local
Ces unités collectent  à  litres par produits laitiers. En effet, les mini lai- demeure un prélude à la croissance
jour. Elles fabriquent essentiellement teries constituent des moyens de con- de la production laitière. Les expé-
du lait fermenté et du lait pasteurisé, nexion entre les zones de production riences à la Laiterie du Berger au Sé-
commercialisés en sachets thermo- laitière et les marchés urbains. Elles négal, où la collecte s’organise autour
soudés de  à  ml. Cependant, demeurent cependant limitées par leur de campements villageois structurés
certaines laiteries utilisent la poudre capacité à collecter des volumes plus en différents points que des pick-up
de lait pour faire face au déficit d’ap- importants (notamment pendant la rallient deux fois par jour, reflètent
provisionnement en lait frais, notam- période hivernale) et à les distribuer l’intégration des élevages du Nord du
ment en saison sèche. dans des circuits plus longs. L’amélio- Sénégal dans des circuits de commer- Collecte
D’autres systèmes de collecte repo- ration des dispositifs de collecte et la cialisation ; elles contribuent ainsi à la du lait en
sant sur la connexion entre un centre contractualisation avec des groupe- formation de débouchés pour les petits pick-up
de collecte de zone périurbaine ou ru- ments d’éleveurs bénéficiant d’appui producteurs, particulièrement pour les appartenant
rale, et une unité industrielle de zone à la production (notamment amélio- femmes peules qui jouent un rôle dé- à la Laiterie
urbaine ont pu se développer. C’est le ration de l’alimentation des animaux) terminant dans la commercialisation du Berger
cas de l’usine Mali-Lait, approvision- permettront d’augmenter les volumes du lait dans cette partie du Sénégal. La dans les
née en partie par la laiterie de Kasséla transformés et de limiter les impor- nouvelle dynamique basé sur la collecte campements
dans la périphérie de Bamako, qui lui tations massives par des niveaux de du lait, produit identitaire, est source de Richard-
fournit environ   litres de lait frais, protection temporaire à l’image de de développement territorial. § Toll
soit près de la moitié de sa collecte
hebdomadaire.
À cela, s’ajoutent des systèmes de
collecte basés sur le ramassage du lait
en pick-up (le lait est contenu dans
des seaux en plastique à l’image de la
Laiterie du Berger à Richard-Toll au
Nord-Est du Sénégal ou dans des bidons
en aluminium) ou sur des centres de
collecte équipés de tanks à lait réfri-
gérés ; le produit de la collecte est alors
transféré vers l’usine par des camions
citerne réfrigérés (exemple de l’ancien
rayon de collecte créé par Nestlé en
zone sylvopastorale sénégalaise).
On trouve aussi d’autre types de
dispositifs, comme des fromageries
utilisant du lait de vache ou du lait
de chèvre.
Au total, on constate un dynamis-
me remarquable de la collecte du lait
local. Ce qui permet à la production
locale d’être en mesure de répondre
à la demande croissante en produits
© G. Duteurtre, octobre 

laitiers, sans bouleverser les pratiques


et les niveaux de production.

Quel bilan ? Les expériences de collecte


du lait en Afrique de l’Ouest, en dépit
d’un grand nombre « d’échecs », ont
permis d’initier de nouvelles dyna-

Grain de sel 19
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

Nord Cameroun : pour une utilisation concertée


des ressources entre pasteurs sédentarisés
et agroéleveurs
Aimé Landry Dongmo (dongmonal@yahoo.fr) et
Philippe Lhoste (lhosteph@orange.fr)_______ A u Nord Cameroun, la sédentarisation des pasteurs et
l’introduction de l’élevage chez les agriculteurs ont en-
traîné des conflits sur la gestion des ressources et des espa-
ces agropastoraux. Pour y remédier, l’accompagnement des
producteurs avec des instruments innovants de gestion et de
valorisation de la biomasse s’avère nécessaire.

C
„ Aimé Landry  dans diverses régions groupes d’agriculteurs qui en faisaient mances, menées de façon périodique
Dongmo est d’Afrique subsaharienne, la po- un usage sacrificiel et culturel (embou- en dehors de la zone de sédentarisa-
chargé de pulation va doubler au Nord che du taureau abattu lors de la fête tion de la famille. Or, ces ressources
recherche à Cameroun dans les  prochaines du Maray chez les Kirdi, moyen de fourragères, de même que les espaces
l’Institut de années. Accroître la production est paiement de la dot chez les Toupouri, qui les supportent, sont très disputées.
recherche désormais urgent pour répondre à la les Massa et les Moundang). Il s’est
agricole du demande croissante en produits vi- étendu à d’autres groupes d’agricul- Une gestion conflictuelle des terri-
Cameroun vriers et éviter l’accentuation des crises teurs suite à l’adoption de la culture toires et des ressources.
(Irad). Il a alimentaires qui ont récemment secoué attelée bovine dans les années , ou
travaillé sur les les pays africains. Or, les terres conti- au contact d’éleveurs sédentarisés à La raréfaction des ressources attise les
systèmes nuent à être cultivées, sans restitution proximité de leurs villages. Au-delà tensions entre éleveurs et agriculteurs.
d’élevage bovins de la matière organique ni entretien des synergies qui se sont créées entre Les agriculteurs développent des stra-
et l’intégration de leur fertilité, ce qui conduit géné- éleveurs et agriculteurs (commerce tégies pour bénéficier au mieux, voire
agriculture- ralement à une baisse drastique du po- et échanges de biens et de services), pour garder l’exclusivité de l’usage des
élevage. Son tentiel productif des sols. De plus, la des problèmes de gestion partagée et résidus de cultures de leurs champs.
sujet de thèse : restriction ou la dégradation des aires durable des ressources se sont posés. À l’opposé, les éleveurs font valoir le
« Territoires, de pâturages et l’absence de cultures En effet, dès qu’ils se sont séden- droit traditionnel de vaine pâture de
troupeaux et fourragères limitent la production ex- tarisés, les pasteurs Peuls ont adopté ces champs et des résidus de récoltes,
biomasses : tensive de ruminants. La quasi-totalité progressivement l’agriculture pour qu’ils considèrent comme une forme de
enjeux de de l’espace étant aujourd’hui utilisée, marquer le territoire, s’approprier compensation pour le fourrage qu’ils
gestion pour un il n’y a pas d’autre alternative qu’une les espaces pastoraux vitaux pour ont perdu suite aux défrichements des
usage durable intensification raisonnée des systèmes leur cheptel et s’adapter au nouveau espaces par les agriculteurs. Les éle-
des ressources de production. genre de vie sédentaire ; leur activité veurs ont également orienté le « par-
au Nord agricole couvre ainsi tout ou partie cage » de leur bétail sur leurs propres
Cameroun ». L’émergence de systèmes agroéle- de leurs besoins vivriers. Dans la parcelles, au détriment de celles des
veurs. Au Nord Cameroun, l’élevage région, environ   des unités de agriculteurs, remettant en cause les
„ Philippe bovin était avant tout l’affaire des so- production (UP) d’agriculteurs ont, traditionnels « contrats de fumure » ;
Lhoste est ciétés pastorales, détentrices de la ma- de leur côté, adopté l’élevage à travers rappelons que le transfert de fertilité
ingénieur jorité du cheptel bovin, et de certains la traction animale notamment, afin par les troupeaux sur les parcelles cul-
agronome, d’étendre leurs cultures, de mieux se tivées se fait essentiellement à travers
zootechnicien nourrir et d’épargner les revenus des cette technique de « parcage ». Ils pro-
tropicaliste. Il a surplus agricoles, ce qui leur a con- cèdent même parfois au broutage vo-
fait sa carrière à Définitions féré le statut d’UP d’agroéleveurs. lontaire de certaines cultures, pour
l’Orstom (ex- Ces agroéleveurs et les pasteurs dissuader les agriculteurs qui tentent
IRD) puis au sédentarisés pratiquent un système d’installer de nouvelles parcelles culti-
Cirad, où il a
développé les
approches
L    est un droit
d’usage qui permet aux éle-
veurs de faire paître gratuitement
d’élevage semi-extensif, en dehors
des éleveurs laitiers et des embou-
cheurs qui émergent en zone périur-
vées sur les espaces d’élevage implici-
tement reconnus par tous. Les conflits
sur l’usage de ces ressources fourra-
systémiques des leur bétail dans des champs ne leur baine en développant un système gères et de l’espace sont réguliers et
élevages appartenant pas, après la récolte (va- intensif utilisant des sous-produits les solutions apportées par l’autorité
tropicaux, et a lorisation des résidus de cultures) ou tels que tourteaux, coques de coton locale ne sont que palliatives.
œuvré pour une lors d’une jachère. et sons de céréales. Les agroéleveurs
meilleure Les résidus de culture corres- entretiennent des troupeaux collec- Une délimitation des espaces de plus
association entre pondent à ce qui est laissé dans les tifs de  à  têtes/UP. Le troupeau des en plus confuse. En outre, les diffé-
agriculture et champs après la récolte (ex : pailles pasteurs est individualisé au niveau rents acteurs ne s’entendent pas sur
élevage. Il dirige pour les céréales). familial ( à  têtes) et est constitué les limites du territoire d’élevage. En
la collection La biomasse désigne l’ensemble des bovins des différents membres de effet, la sédentarisation des pasteurs ne
technique : de la matière organique présente la famille. Les pasteurs sédentarisés s’est pas traduite par une stabulation du
« Agricultures en un endroit donné (ici, c’est donc combinent à la fois une valorisation cheptel des éleveurs mais par un sys-
tropicales en la quantité de maïs ou de sorgho des résidus de récolte de leurs cultu- tème de production extensif basé sur
Poche ». produite). res et une valorisation des résidus de l’exploitation des ressources naturelles
cultures sur le terroir des transhu- (fourrage, espace). De ce fait, le terri-

20 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

Rendements comparés des Type de biomasse Maïs Sorgho


biomasses produites chez les
agriculteurs et les éleveurs (kg/ par type de culture agriculteurs éleveurs agriculteurs éleveurs
ha)
Grain 2 787 3 755 1 070 2 391
Au Nord Cameroun, les éleveurs fertilisent
mieux leurs parcelles grâce à l’importance
Paille 2 655 3 830 — —
toire d’élevage reste un espace confus de leur cheptel et obtiennent logiquement
Tiges (ou cannes) — — 1 517 3 395
et flou pour différents utilisateurs, mais de meilleurs rendements.
aussi pour les techniciens. Il correspond Source : Dongmo, . Feuilles — — 888 1 890
aujourd’hui à un assemblage de territoi-
res complémentaires, gérés par l’éleveur Rafles 584 755 213 407
pour alimenter son bétail au cours de
l’année. Ces territoires évoluent au fil
du temps en fonction de la disponibi- leurs propres parcelles cultivées et transport, le recyclage de ces ressources
lité des ressources végétales, des règles si possible dans les parcours collec- peut se faire à la ferme comme fourrage
d’accès, de la date d’arrivée des pluies et tifs. et comme ingrédient pour la fumure
de l’avancée des parcelles agricoles. Les – Contractualiser les échanges ou organique. On peut également valoriser
éleveurs y ont des droits d’usage plus ventes de ressources fourragères ces biomasses résiduelles en les concen-
ou moins reconnus qui leur permettent ou de fumure animale (contrats de trant sur une partie de la surface cul-
de valoriser les résidus de cultures plu- pâture ou de parcage) avec les agri- tivée dans la pratique des systèmes de
viales dès la fin des récoltes. Ce droit culteurs. culture sur couverture végétale (SCV).
de vaine pâture, déjà contesté, pourrait Chez les agriculteurs qui possè- À l’échelle du terroir, l’accompagne-
être complètement remis en question dent des animaux de trait, une solu- ment de ces innovations implique de
par les agriculteurs s’ils trouvent les tion consisterait à recycler l’ensemble mettre en place de nouvelles règles con-
appuis politiques suffisants. Dans des résidus de cultures produits dans tractuelles entre les différents acteurs.
ce cas, ils pourront contrôler la plus leur exploitation, en les valorisant dans Ces règles doivent sécuriser et garan-
grande partie des résidus de cultures l’alimentation de leur bétail et par la tir d’une part l’accès et la valorisation
pour alimenter leurs propres animaux, fumure organique (étable fumière, des biomasses supplémentaires produi-
produire plus de fumure organique, ou compost). Sa faisabilité n’est possible tes délibérément par les agriculteurs
développer les systèmes de culture sur que si la vaine pâture est remise en et d’autre part l’usufruit des parcelles
couverture végétale (SCV). question par de nouvelles règles, confé- fertilisées par les locataires, dans l’opti-
rant aux agriculteurs un droit exclusif que de freiner leur dégradation et de les
Les conventions locales, une solution à d’utilisation des résidus de cultures rendre plus productives. Les échanges
l’échelle du terroir. Aujourd’hui, dans produits sur leurs propres parcelles. doivent aussi être encouragés entre les
ces zones agropastorales, la gestion des De même, l’appui au pastoralisme éleveurs et les agriculteurs d’un même
territoires d’élevage ne peut pas être passe par des incitations à une inten- terroir, car ces deux types d’acteurs dé-
déconnectée de celle des territoires ru- sification partielle et progressive des tiennent respectivement l’essentiel du
raux des autres acteurs. Les différents systèmes d’élevage : association de cheptel et des déjections animales, et
responsables coutumiers ne parvien- cultures répondant aux besoins et la majorité des champs et des résidus
nent plus à régler seuls les problèmes aux exigences des éleveurs et de leur de cultures du terroir. §
qui se posent sur ces espaces. Les pro- cheptel (maïs-Mucuna ; maïs-Brachia-
cessus actuels de décentralisation de la ria ; etc.), aménagement de pâturages
gestion du territoire doivent aboutir à (mise en défens, restauration). Pour
l’élaboration de conventions locales et cela il faut apporter des solutions
de règles de gestion consensuelles des techniques robustes (choix de plantes
ressources naturelles. Leur succès n’est fourragères et d’itinéraires techniques
possible que si les différents groupes adaptés), et une logistique adéquate
d’usagers et d’intervenants sont suffi- (formation et information, disponi-
samment formés et impliqués dans la bilité en intrants) pour accompagner
négociation des règles puis dans cette les éleveurs qui acceptent d’investir
gestion des ressources. dans ce nouveau modèle productif.

Pour des systèmes de production Une nécessaire refonte des règles


plus adaptés. Avec un nombre de contractuelles pour une meilleure
bovins/ha cultivé compris entre  gestion commune des ressources
et , les éleveurs sont souvent en si- En zone agropastorale d’Afrique, les
tuation de « surfumure » organique ( tensions fortes et croissantes, souvent
à  t de dépôts/ha/an), mais ils dépen- conflictuelles, sur les ressources végé-
dent toujours des résidus de cultures tales (résidus de cultures et pailles de
des agriculteurs pour l’alimentation brousse) justifient d’accompagner les
de leur bétail en saison sèche. Afin initiatives des producteurs. L’associa-
de pallier une éventuelle suppression tion des cultures ou le choix de certai-
ou modification de la vaine pâture, les nes cultures (sorgho, maïs, fourrages,
éleveurs peuvent s’orienter vers deux etc.) peut permettre de produire da-
© Inter-réseaux

voies complémentaires : vantage de biomasse végétale.


– Accroître la production de ressour- Pour les agriculteurs disposant de
ces fourragères pour leur bétail sur bovins et ayant accès aux moyens de

Grain de sel 21
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

La fête du mouton, des moutons pour la fête.


Enjeux économiques de la Tabaski au Sénégal
Olivier Ninot (olivier.ninot@univ-paris1.fr)___
L a Tabaski ou fête du mouton donne lieu à une grande ef-
fervescence sur le marché ovin au Sénégal. Durant cette
période, où la consommation de viande de mouton atteint
des pics exceptionnels, on assiste au développement d’une
véritable « économie de la Tabaski », à laquelle les autorités
étatiques portent une attention particulière.

L
„ Olivier Ninot ’A E K, appelé Tabaski consommation. Devant l’importance grands et plus lourds que ceux élevés
est géographe, en Afrique de l’Ouest, est un de la demande, un élevage périurbain au Sénégal, dont le cheptel est surtout
ingénieur de événement majeur au Sénégal s’est développé sur le marché spécifi- constitué par la race de petits mou-
recherche au et dans les autres pays sahéliens. La que de moutons de Tabaski « haut de tons peul-peul.
CNRS, au sein de « grande » fête du calendrier musul- gamme ». Ces bergeries périurbaines
l’Unité mixte de man commémore le sacrifice d’un bé- élèvent des moutons de grande taille Des opérations Tabaski mobilisant
recherche lier par Abraham (ou Ibrahim) en lieu issus de races sélectionnées (bali-bali, de nombreux acteurs… L’une des
PRODIG à Paris et place de son propre fils. Aujourd’hui touabir ou ladoum) pour une clientèle particularités fortes de l’événement
(www.cnrs. encore, la « fête du mouton » est, dans urbaine. Enfin, l’élevage rural reste le est le « gonflement » de la filière par
prodig.fr). les familles musulmanes, centrée gé- principal fournisseur de moutons de l’arrivée d’une multitude d’acteurs
néralement autour du sacrifice d’un Tabaski et cet élevage évolue lentement profitant de la large fenêtre com-
Le présent bélier. en réponse au marché. La Tabaski est merciale offerte par la fête. De nom-
article est tiré Chaque année, plusieurs centaines un moment de déstockage important breux sénégalais s’improvisent ainsi
d’une étude de milliers de moutons sont ainsi sacri- qui représente une part importante chaque année éleveurs ou marchands
réalisée en  fiés au Sénégal, le matin de la Tabaski. des ventes annuelles pour la plupart de bétail (les célèbres dioula) dans
en partenariat En , les services vétérinaires ont des éleveurs. Néanmoins, les pratiques le cadre « d’opérations Tabaski ».
avec le Cirad et dénombré   abattages, dont permettant de répondre qualitative- Il n’existe pas un type d’opération
l’Isra. Voir : Ninot   dans la région de Dakar. La ment à la demande spécifique de mou- Tabaski mais une multitude. Cette
O., Dia N., Tabaski correspond donc à un pic de tons de Tabaski (sélection d’animaux, économie de « coups » est orientée
Gassama T.; Seye la consommation de mouton et est à ce embouche plusieurs mois à l’avance) selon les cas vers l’élevage, l’embou-
E.H.M. (). La titre considérée comme le moment clé ne sont pas encore majoritairement che, l’achat ou la vente. Le jeu com-
fête du mouton, de la filière. La date de la Tabaski, qui adoptées. Les béliers commercialisés mun, c’est celui de la spéculation, à
des moutons pour change chaque année en fonction du sont essentiellement de race peul-peul l’image des opérations réalisées sur
la fête. Rapport de calendrier lunaire musulman, consti- et waralé. Le poids et la race sont les le mil, le maïs ou l’arachide achetés
recherche sur la tue ainsi un objectif stratégique pour principaux déterminants des prix des à bas prix juste après les récoltes et
Tabaski  au les éleveurs, les marchands et de plus animaux. Ainsi l’on peut trouver sur revendus beaucoup plus cher en pé-
Sénégal. en plus pour tout un ensemble d’ac- les marchés dakarois des moutons de riode de soudure et de semis. Mais la
Document de teurs économiques qui se déploie dans race ladoum à des prix supérieurs à réussite des opérations Tabaski n’est
travail Icare. l’élevage, le commerce des animaux et   francs CFA, mais les prix pas toujours celle espérée au départ,
Cirad, dans une multitude d’activités conne- les plus fréquents observés en  car il faut bien connaître l’élevage du
Montpellier,  p. xes. Au total, une véritable « économie à Dakar étaient toutefois compris entre mouton et son commerce pour réussir
de la Tabaski » se met en place quel-   à   francs CFA pour des une telle opération. Ainsi, la fête bé-
ques semaines avant la fête. animaux d’environ  kg. Les prix néficie sans doute d’abord à ceux qui
observés sont sensiblement plus éle- maîtrisent la filière du mouton, dans
Des circuits d’approvisionnement vés qu’en période normale (souvent sa partie amont aux producteurs, et
diversifiés et structurés. Les types de plus de  ) mais sont caractérisés dans sa partie aval aux grands com-
moutons sacrifiés sont très variables. par de fortes variations au cours des merçants qui « (dé)tiennent » les
Ils dépendent du budget de chaque chef derniers jours précédant la fête. En marchés urbains. Les téfankés sont
de ménage, mais aussi des habitudes plus de la production locale, les im- par exemple des personnages clefs du
familiales et des préférences pour tel portations du Mali et de la Mauri- commerce de bétail. À la fois com-
ou tel attribut : âge, couleur de la robe, tanie (  têtes en  ; environ merçants, intermédiaires, courtiers,
conformation, race, chanfrein, cornes, un tiers des animaux commercialisés hôtes ou garants, ils sont attachés à
etc. À un marché de consommation à Dakar au cours des années ) un marché où ils jouent le rôle d’in-
de moutons de Tabaski fortement jouent un rôle important dans la régu- termédiaires. Leur compétence tient
différencié et segmenté, répondent lation des stocks et des prix. De plus, à leur connaissance du marché et des
plusieurs systèmes productifs et dif- les animaux élevés au Mali répondent multiples acteurs des lieux ; leur pou-
férentes stratégies des éleveurs. Les aux critères de qualité de la deman- voir est basé sur leur réputation.
élevages urbains fournissent proba- de urbaine à laquelle la production L’agglomération de Dakar compte
blement plus de   des moutons de locale peine à répondre. La race de quelques , millions d’habitants, soit
Tabaski dans la région de Dakar. Il moutons bali-bali qui constitue l’es-   de la population sénégalaise, mais
s’agit surtout d’un élevage de maison, sentiel du cheptel malien produit en selon les statistiques du ministère de
de cour ou de rue, destiné à l’auto- effet des animaux généralement plus l’Élevage, environ un tiers des abat-

22 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

tages de l’Aïd ont lieu dans la capi-


tale. L’approvisionnement de Dakar
est donc un enjeu important pour les
différents services de l’État qui sont
mis chaque année à contribution
pour créer les conditions favorables
à la vente et à l’achat de moutons. De
nombreuses mesures d’accompagne-
ment sont décidées : suspension des
taxes et prélèvements sur le commerce
de moutons au niveau des frontières et
des marchés ; tolérances en matière de
transport ; aménagement de points de
vente à Dakar ; subvention d’aliment
de bétail ; crédit d’appui aux « opéra-
tions Tabaski », etc. « Une famille, un
mouton ! », tel était le solgan du Gou-
vernement du Sénégal pour la Tabaski
, témoignant des enjeux politiques
de cet évènement. Mais l’impact de ces
mesures reste difficile à évaluer tant
l’(in)organisation des flux de mou-
© O. Ninot, novembre 

tons convergeant sur Dakar semble


répondre à une force d’attraction ir-
résistible de la capitale. Finalement, le
système qui se met en place est assez
bien résumé par un téfanké de Dakar :
« plus ça vient, mieux c’est ! ». Ce sys-
tème s’appuie sur un dispositif spatial
dans lequel de grands marchés ruraux
(Birkelane près de Kaolack, à  km transports sont plus chers, les mou- durable ? La conjonction du calendrier Mouton de
de Dakar ; Khombole et Touba-Toul tons remplissent les trains venant du musulman et du calendrier cultural race ladoum.
entre iès et Djourbel, à  km de Mali, les marchés ruraux et les villes entrera bientôt à nouveau dans un
Dakar environ) font office de lieux se transforment en immenses foires cycle qui ne sera plus favorable, et Âgé de  à  ans,
de rassemblement des troupeaux à bestiaux et bergeries, on assiste rendra difficile la cohabitation entre son prix sur le
à relative proximité de la capitale, aux plus grands embouteillages de agriculture et élevage dans les sites principal marché
durant plusieurs semaines. Mais si l’année. Enfin, au-delà de la filière d’attente des troupeaux de moutons à bétail (Pikine-
ce système de stockage des animaux ovine, l’impact de la fête est tangi- de Tabaski en zone agropastorale. On Sotiba) était
hors de la ville permet de contourner ble sur nombre d’autres activités qui voit ainsi se dessiner le besoin d’une estimé à  
les problèmes d’espace et d’alimenta- se développent à ce moment ou sont filière de production spécifique, par francs CFA.
tion, il est fortement dépendant de dynamisées par l’événement. La vente exemple urbaine ou périurbaine. De
la disponibilité de pâturages dans les d’accessoires (cordes, couteaux, etc.), fait, il existe déjà à Dakar plusieurs
campagnes concernées sur lesquels il le commerce d’aliments de bétail, le bergeries spécialisées dans la produc-
exerce en outre une pression qui n’est transport, mais aussi la couture et le tion de moutons de Tabaski, mais leur
pas toujours bien acceptée. commerce de tissus, ou la coiffure, contribution à l’approvisionnement
connaissent pendant la Tabaski une de la ville reste très minoritaire et
… pour faire face à l’effervescence réelle effervescence, la fête étant l’oc- l’hypothèse de leur développement
que connaissent les systèmes de casion d’importantes dépenses pour pose la question de la viabilité d’une
production ovins durant cette pé- les ménages. filière de production dont les ventes
riode. Dans le système mis en place Cette « économie de la Tabaski » se concentrent sur un seul moment de
pour approvisionner la capitale, les montre la très grande popularité de l’année. De plus, il ne faut pas négliger
importations, qui sont les instruments l’élevage ovin et sa capacité à offrir la diversité des aspects culturels de
garantissant l’abondance et les inven- des opportunités de revenus com- cette consommation. Car dans l’ef-
dus (estimés à   des effectifs en plémentaires à une large catégorie fervescence qui l’entoure, la fête du
moyenne), font figure de variable de populations urbaines et rurales. mouton est aussi la célébration des
d’ajustement. Sur le plan logistique, Mais elle révèle en même temps les liens organiques qui relient les villes
le véritable défi de la Tabaski tient à limites des systèmes de production à la campagne. C’est ainsi l’un des
l’ampleur et la multitude des mouve- actuels et les prémices de leurs évo- évènements qui contribue à rappeler
ments produits dans un laps de temps lutions. Le système marchand qui a ses origines et ses attaches rurales à
court. L’économie de la Tabaski se parfaitement répondu aux attentes des une société sénégalaise aujourd’hui
substitue au système habituel : les populations ces dernières années est-il fortement urbanisée. §

Grain de sel 23
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dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

Contraintes et défis de l’aviculture


en Afrique de l’Ouest : Cas du Bénin
Lionel Guezodje (guezolionel@yahoo.fr)__
L ’aviculture est un secteur en plein essor en Afrique de
l’Ouest. Au Bénin, grâce à l’accompagnement des auto-
rités, on assiste au développement de cette filière, qui fait
toutefois face à de nombreuses contraintes, liées notamment
aux conditions d’accès au crédit, à la concurrence des impor-
tations et aux enjeux fonciers.

L
„ Lionel ’ en Afrique de plémentaires, tant sur le plan écono- taller des Vaccinateurs villageois de
Guezodje est l’Ouest est une activité com- mique que socioculturel et géographi- volaille (VVV) à travers tout le pays.
aviculteur dans plexe dont l’importance varie que. Ainsi, si le système traditionnel est Enfin un renforcement des capacités
la commune de d’un pays à l’autre. Au Bénin, pays de entièrement rural, l’élevage moderne des agroéleveurs a également été ef-
Zogbodomey au plus de  millions d’habitants, deux est périurbain. Cette répartition per- fectué suivant l’approche Farm Field
Bénin, secrétaire grands types d’aviculture sont prati- met de réduire les coûts de production School (FFS).
général de quées : l’aviculture villageoise, basée liés au transport. Mais on constate de
l’Association sur l’élevage de races locales suivant nos jours une forte délocalisation des … mais en proie à des difficultés. Á
nationale des un système extensif, et l’aviculture unités de production, du fait de l’ur- l’instar de tout le secteur agricole,
aviculteurs du « moderne », basée sur l’élevage de banisation. l’aviculture béninoise fait face à des
Bénin (Anab) et races importées. Il convient également de préciser la contraintes de financement. Les pe-
secrétaire L’aviculture villageoise se pratique contribution du secteur avicole (surtout tits producteurs, majoritaires, sont
général de la en milieu rural. Elle joue des fonctions moderne) à l’agriculture périurbaine particulièrement vulnérables du fait
Fédération des économique (viande de volaille pour et à l’arboriculture au Bénin. En effet, notamment de l’émergence et de la
unions de la consommation, œufs de table), de les litières et les déjections sont utili- persistance des épizooties. Cela leur
producteurs du cohésion sociale (activité génératrice sées comme fertilisants organiques par rend difficile l’accès aux crédits auprès
Bénin (Fupro). de revenus pour les femmes, prestige les maraîchers situés à proximité des des banques. Ils se rabattent alors sur
social) et culturelle (utilisation des grands centres urbains. Cette pratique les institutions de microfinance, dont
poulets de race locale et des œufs à favorise une agriculture durable. les conditions ne sont pas toujours
coquille blanche lors des cérémonies appropriées : taux d’intérêt élevé (de
traditionnelles et en ethnopharma- Une filière en plein essor bénéficiant  à   par an), remboursement
cologie). Les maquis de tout le pays du soutien des autorités… La politique des investissements sur une courte
sont approvisionnés par ces élevages gouvernementale actuelle a retenu l’avi- période ( ans au lieu de  ans par
villageois, dont la qualité de viande culture parmi les  filières prioritaires. exemple), exigence de garanties im-
est recherchée. Le cheptel national de À ce titre, des actions sont en cours en portantes. Selon une étude effectuée
race locale serait estimé à  millions appui direct à la production, comme en  par la Direction de l’élevage,
d’oiseaux (FAO, ). Les domaines le financement de plus d’une dizaine sur  aviculteurs enquêtés, seuls 
de l’habitat, l’alimentation, la santé de microprojets avicoles par le Fonds avaient été financés, dont  par des
et la génétique sont en cours d’amé- national de la promotion de l’emploi banques.
lioration. jeune, ou l’élaboration de référentiels Le foncier est un autre facteur li-
L’aviculture moderne est une activité technico-économiques. En , le mi- mitant le développement de la filière
purement économique. Autrefois l’une nistère de l’Agriculture et de la Pêche avicole, surtout en zone périurbaine :
des principales sources de viande du a subventionné à   l’acquisition de l’inexistence de plans d’aménagement
Bénin, elle est actuellement réduite à la poussins d’un jour, mais malheureu- du territoire pose des problèmes aux
production d’œufs de table. Le nombre sement cette action n’a concerné que producteurs situés à la périphérie des
de poules pondeuses s’élèverait à plus   poussins (soit moins de   villes. Contraints de se déplacer régu-
de   oiseaux répartis sur plus du cheptel national) et sa reproduc- lièrement, ces « aviculteurs itinérants »
de  unités de production (contre tibilité n’est pas certaine. sont dans l’obligation de réinvestir sans
 en ), employant directement En ce qui concerne l’élevage des cesse dans leur activité, avant même
environ   personnes, dont   poulets de race locale, des actions que leurs derniers investissements ne
de femmes. Ce sous-secteur fournirait d’amélioration de la production et soient rentabilisés.
près de  millions d’œufs par an, ce de la productivité sont en cours, L’aviculture béninoise rencontre
qui rapporté à la population béninoise avec notamment « l’opération coq » également des problèmes en termes
équivaut à environ  œufs par habi- qui consiste à introduire des coqs de de compétences techniques. Les em-
tant et par an (soit   des recom- races importées dans les élevages lo- ployés sur les exploitations sont peu
mandations de la FAO). Une partie de caux. Ainsi, entre  et , plus nombreux ( ouvriers pour   poules
ces élevages de volaille (poulet, pin- de   coqs ont été introduits par pondeuses) et très souvent déscolari-
tade, dinde, caille, oie) est toutefois différents programmes et projets. De sés et recrutés sans aucune formation
consacrée à la production de viande, même, des opérations de vaccination préalable. Les rares personnes ayant
de façon saisonnière, en vue des fêtes de masse ont été réalisées contre la suivi une formation dans le domaine
de fin d’année. maladie de New Castle. Cette opé- préfèrent créer leur propre élevage
Ces deux sous secteurs sont com- ration a permis de former et d’ins- ou travailler dans le secteur public.

24 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

Entretien avec Idrissa Kama

I  K est vice président


de l’Union des organisations de
la filière avicole de l’Uemoa (Uofa/
GDS : Vous avez mis en place une orga-
nisation régionale des filières avicoles.
Pouvez vous nous la présenter ?
Uemoa) et président de l’Union des IK : L’Union des organisations de la
acteurs de la filière avicole du Séné- filière avicole des États membres de
gal (Unafa). l’Uemoa (Uofa/Uemoa) a été créée
en octobre , à Bamako, lors d’un
atelier regroupant les organisations
Grain de sel : Quelle est la situa- professionnelles des filières avicoles
tion actuelle du secteur avicole ouest des  États de l’Uemoa. Son siège se
africain ? trouve à Ouagadougou.
Idrissa Kama : Aujourd’hui, il existe C’est un cadre de concertation, de
deux grands types de filières avico- réflexion et d’action, dont les objec-
les en Afrique de l’Ouest : la filière tifs sont de sauvegarder nos intérêts,
« industrielle » et la filière « tradi- d’améliorer notre compétitivité, de
© Nathalie Boquien

tionnelle ». Aujourd’hui, l’avicultu- structurer les filières avicoles, et de


re traditionnelle domine en Afrique promouvoir les investissements dans
de l’Ouest. Mais nous ne pouvons l’aviculture.
prétendre être compétitifs en déve- Nous encourageons la concerta-
loppant uniquement une aviculture tion avec les pouvoirs publics, les
paysanne : l’aviculture industrielle bailleurs de fonds, les organisations
doit également jouer un rôle. professionnelles, le secteur privé et la
L’administration publique manque La filière « industrielle » est assez société civile. Cela passe par la forma-
elle aussi de personnel qualifié pour jeune et très dynamique, avec un taux tion, l’information de nos membres,
conseiller et assister les producteurs et de croissance autour de   par an. l’organisation de séminaires, le dia-
à l’heure actuelle, l’assistance techni- Au niveau Uemoa, le Sénégal et la logue continu entre professionnels et
que est uniquement proposée par des Côte d’Ivoire sont les pays les plus la recherche de synergies. À ce titre,
opérateurs privés. avancés : on y rencontre des élevages nous souhaitons publier un journal
La signature des différents accords aux effectifs importants, utilisant des destiné aux professionnels de la sous
économiques internationaux a con- systèmes de production modernes. Ce région.
duit certains opérateurs économiques type d’aviculture se développe égale- En plus des activités de lobbying,
à s’adonner aux importations massives ment au Mali, au Bénin et au Togo. nous souhaitons améliorer les com-
de viandes de volailles et d’œufs de ta- Au niveau des échanges sous régio- pétences techniques des profession-
ble. Si les importations d’œufs de table naux, le Sénégal exporte  à   de nels. Pour cela, nous organisons des
ont été stoppées, grâce à une lutte des sa production. La Côte d’Ivoire ex- débats autour de journées techniques
aviculteurs locaux, les importations de porte des poulets issus des élevages avicoles : les premières (Abidjan, juin
poulets par contre continuent d’envahir industriels, mais importe également ) avaient pour thème les mala-
le pays au détriment de la production des volailles traditionnelles du Mali dies aviaires (maladie de New Castle,
locale. Ces accords économiques, loin et du Burkina Faso. grippe aviaire) ; les deuxièmes (Dakar,
de promouvoir un quelconque déve- La récente crise alimentaire a eu des ), l’accessibilité des produits avi-
loppement, ont plutôt désorganisé la conséquences assez dramatiques sur coles au plus grand nombre de con-
filière locale naissante. Les impor- les filières avicoles : fin , alors que sommateurs.
tations, soutenues par les décideurs nous avions réussi à limiter les impor-
politiques dans le but de favoriser tations de viande congelée et que la GDS : Quelle est la situation actuelle
l’accès aux protéines à moindre coût, filière locale s’en retrouvait dynami- du secteur avicole au Sénégal ?
ne sont qu’une simple fuite de respon- sée, les intrants importés pour l’ali- IK : Au Sénégal, pendant  ans, la
sabilité. Les décideurs devraient plutôt mentation du bétail se faisaient rare : production a varié entre  et  millions
œuvrer à promouvoir la production les poussins arrivés à terme n’avaient de poussins de chair par an. Fin ,
locale à moindre coût. Les récentes plus d’aliments… La diminution du l’État a pris la décision de bloquer les
crises mondiales économiques et fi- pouvoir d’achat des consommateurs a importations de viande de poulet con-
nancières, couplées à l’apparition de réduit la demande en produits avicoles. gelée et la production est passée à 
nouvelles épizooties, devraient faire En , nous avons eu des périodes millions de poussins en , puis à
prendre conscience aux politiques de de méventes : certains accouveurs, en  millions de poussins en . Cette
la nécessité de maîtriser les sources ali- raison des invendus, ont dû étouffer progression montre que le potentiel
mentaires. Les politiques et décideurs des poussins et arrêter ou réduire est énorme. Aujourd’hui, la capacité
béninois devraient comprendre qu’en leur activité. de production est de  millions de
favorisant l’importation de viande en poussins par an. Mais cet élan a été
provenance d’autres pays, ils favorisent freiné par la crise de .
l’emploi des aviculteurs de ces pays
exportateurs et en font perdre à leur
propre pays. §

Grain de sel 25
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

Enjeux et contraintes des filières porcines


en Afrique de l’Ouest
Vincent Porphyre (vincent.porphyre@cirad.fr)__
E n Afrique de l’Ouest, les cheptels porcins connaissent
des croissances de l’ordre de 5 à 10 %. Bien que pratiqués
majoritairement de façon extensive, on assiste toutefois à
une certaine intensification des systèmes de production, se
heurtant à des contraintes d’ordres économique, environne-
mental et sanitaire.

L
„ Vincent ’  est en pleine système d’élevage extensif a su pren- l’intensification des systèmes artisa-
Porphyre est expansion en Afrique de l’Ouest, dre de l’importance en constituant la naux par l’amélioration de la généti-
vétérinaire et avec selon les pays des croissan- base des filières d’approvisionnement que et de l’alimentation, la maîtrise
chercheur au ces des cheptels de l’ordre de  à   en viande de porc des villes du sud du des techniques d’élevage et le contrôle
Cirad dans (FAO, ). La production de viande Cameroun. La divagation pose cepen- des maladies.
l’unité de de porc en Afrique subsaharienne est dant de nombreux problèmes notam- Sur le plan génétique, des croise-
recherche d’environ   tonnes, soit   de ment au niveau du contrôle des patho- ments assez performants entre races
Systèmes la production mondiale. Le Burkina logies animales, de la transmission de porcines européennes (Large White,
d’élevage et Faso, le Nigeria et le Cameroun sont maladies dangereuses pour l’homme, Landrace) et porcs locaux permettent
produits les principaux pays producteurs. Seul le de la destruction des cultures ou des d’améliorer les performances de crois-
animaux. Il Ghana montre une légère décroissance accidents que les animaux peuvent sance et de prolificité, et de bénéficier
s’intéresse aux des effectifs. La viande de porc, qu’elle occasionner. de la souplesse alimentaire des porcs
changements des soit cuite au four comme au Burkina L’élevage paysan en système clos per- locaux (bonne tolérance aux aliments
systèmes de Faso ou à la braise comme au Came- met de mieux maîtriser les conditions volumineux et pauvres). Des animaux
production roun, est très appréciée des popula- d’élevage et de sécuriser les revenus. reproducteurs améliorés et de la se-
porcine des pays tions non musulmanes, et de nombreux Cet élevage semi intensif fournit envi- mence congelée sont ainsi importés à
du Sud. Après de restaurants spécialisés se développent ron   de la production totale. Les grands frais, mais le réel défi consiste à
précédents dans les centres urbains. porcs, qui permettent de valoriser les proposer (et à financer) une politique
travaux sur déchets ménagers (eaux grasses), les nationale cohérente, accessible aux pe-
Madagascar, le Des systèmes de production variés. résidus de cultures (sons de riz, fruits) tits producteurs dans la durée.
Vietnam, le Laos, L’élevage porcin représente une source et les sous-produits des activités de Les performances des animaux sont
le Cambodge, il de protéines animales de qualité pour transformation agroalimentaire (drè- en partie liées aux modes d’élevage et
est actuellement les foyers africains et surtout de reve- ches, tourteaux) sont intégralement d’alimentation auxquels ils sont sou-
en poste à la nus pour les paysans. La plupart des dépendants de leur propriétaire, en mis. L’amélioration de l’alimentation
Réunion. Il est élevages porcins sont assurés par des majorité des femmes, qui les nour- avec des apports protéiques et énergé-
également petites unités familiales, selon des mo- rissent et les maintiennent dans des tiques adaptés aux besoins physiolo-
éditeur des de production très diversifiés allant porcheries rustiques, construites à giques des animaux doit permettre à
scientifique du de l’élevage extensif jusqu’au mode de l’aide de matériaux locaux (banco). terme d’aboutir à une croissance plus
site internet production industriel hors-sol. Les manipulations des animaux et les rapide des animaux et à l’amélioration
pigtrop.cirad.fr L’élevage extensif où les porcs sont soins (vaccination, traitements) s’en de la qualité des carcasses. Des efforts
dédié à la laissés en divagation dans les villages trouvent facilités. Ces animaux, élevés sont faits de la part du secteur de la
recherche sur représente une activité de subsistance. parfois pour les besoins de la famille, recherche pour identifier et valoriser
l’élevage porcin Ces animaux jouent le rôle de compte sont surtout destinés à la vente. des matières premières bon marché et
en régions d’épargne ou de police d’assurance en Les élevages porcins de type hors- disponibles localement, mais souvent
chaudes. cas de besoins d’argent (par exemple sol industriels demeurent relativement mal connues.
pour acheter des semences ou des ferti- rares en Afrique de l’Ouest. Ces sys- Dans ce processus d’intensifica-
lisants, rembourser des soins médicaux, tèmes se développent en ville ou à tion, les techniques d’élevage (dépa-
payer les frais de scolarité des enfants, leur périphérie pour bénéficier de la rasitage des animaux, vaccinations,
faire face à une mauvaise récolte, ou proximité des centres urbains. Mais etc.) évoluent et conduisent à mieux
lors des fêtes coutumières). Ce mode à cause du faible pouvoir d’achat des valoriser le potentiel des animaux et à
d’élevage requiert un minimum d’in- populations urbaines, la taille du mar- garantir la pérennité de l’élevage par
trants et de travail, et très peu d’argent ché reste faible. Ils fournissent à peine une bonne gestion financière et une
est investi dans l’alimentation ou les   de la viande produite. bonne maîtrise de l’état sanitaire des
vaccins ; la productivité apparaît donc troupeaux. Il s’accompagne ainsi d’une
faible mais en contrepartie le risque Vers une intensification de l’élevage augmentation de la production, d’une
financier l’est également. On estime à porcin… Avec une demande en hausse rentabilisation de l’emploi d’intrants
  t, soit   de la production en viande porcine, on assiste à un re- plus coûteux, d’une professionnalisa-
totale de l’Afrique subsaharienne, la gain d’intérêt pour le développement tion des éleveurs et de l’émergence de
production de viande de porc issue de de la production porcine en Afrique. groupements de producteurs ; ceux-ci,
ce mode d’élevage. Au sud du Tchad Les programmes pour la sécurisation outre l’intérêt d’acheter en commun
et au Nord Cameroun, zones préser- alimentaire, comme on a pu le voir et donc moins cher les matières pre-
vées de la peste porcine africaine, ce au Burkina Faso, cherchent à soutenir mières alimentaires, sont une force de

26 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

négociation face aux autres acteurs de de vulgarisation compétents dans le viande de porc reste à renforcer alors
la filière (abatteurs, commerçants) et conseil et l’appui à l’élevage porcin que les toxi-infections alimentaires ou
aux services publics ; ces groupements restent encore rares. la cysticercose sont fréquemment ob-
coopératifs et interprofessions exis- Dans les zones périurbaines, même servées dans les populations africaines,
tent par exemple au Burkina Faso, au si elles demeurent loin des situations notamment chez les enfants.
Cameroun ou à Madagascar, avec des extrêmes que l’on peut rencontrer par À moyen terme, on peut douter que
résultats très variables. exemple en Asie avec   habitants de forts investissements et de nouvelles
par km² dans les deltas, le manque de installations de porcheries industriel-
… faisant face à de multiples défis. place et la croissance démographique les viennent modifier radicalement le
De nombreuses contraintes pèsent sur pénalisent le développement ou la mo- secteur porcin en Afrique de l’Ouest.
ce processus d’intensification, notam- dernisation des bâtiments d’élevage. Il apparaît plus vraisemblable que son
ment les problèmes de pollution par les La présence de ces élevages porcins développement sera progressif et se
effluents d’élevage, les ruptures d’ap- est déjà remise en question du fait des basera sur la professionnalisation des
provisionnement et les problèmes de nuisances et des problèmes sanitaires petits producteurs ainsi que sur l’émer-
qualité des intrants, les pathologies, dus à la concentration anarchique des gence d’organisations coopératives et
mais aussi les fluctuations des prix élevages, des insuffisances en terme interprofessionnelles. En dehors de ces
des intrants et la forte concurrence de biosécurité et de santé animale, voies classiques de renforcement des
des viandes importées. Les capacités d’autant que les pays d’Afrique de filières d’élevage, des initiatives existent
d’investissement sont encore faibles l’Ouest se trouvent confrontés à la en Afrique et en Asie pour réfléchir à
et l’organisation des filières se heurte perspective d’une réapparition de la un accompagnement de la transition
aux difficultés économiques et socia- peste porcine africaine. Au cours des des éleveurs porcins au travers d’une
les de pays largement affectés par la dernières années, cette pathologie a été valorisation alternative face aux pro-
crise mondiale. observée au Bénin, au Burkina Faso, au duits importés de qualité standardisée.
Face à ce constat et pour que ces fi- Cameroun, au Togo, en Côte d’Ivoire, Sans négliger l’importance de proposer
lières en voie d’intensification puissent au Ghana, au Nigeria ou encore au Sé- un produit sûr pour le consommateur,
perdurer, il faut qu’elles soient perfor- négal où elle a décimé   du cheptel des expériences proposent de baser le
mantes, protégées ou que les coûts de en . Avec une mortalité de près développement des filières sur l’amé-
production soient faibles. La question de   dans les troupeaux, l’impact lioration de la qualité des produits et
est alors de savoir comment faire, en économique pour les éleveurs et l’en- la mise en place de guides de bonnes
Afrique de l’Ouest, pour soutenir les semble du secteur de l’élevage porcin pratiques reconnaissant le savoir-faire
éleveurs de porcs quand on importe la a été dramatique. Le renforcement des des producteurs africains, ou encore
génétique, une bonne partie des ma- mesures de biosécurité dans les éleva- par une meilleure considération de ces
tières premières, le matériel d’élevage, ges s’avère donc essentiel. systèmes localisés, souvent économes
les médicaments vétérinaires et que En aval de la filière, les structures en intrants et en énergie. Voilà autant
l’agriculture n’est pas subventionnée. d’abattage, de contrôle sanitaire et de d’initiatives qui constituent des pistes
Favoriser la création d’entreprises transformation de la viande demeurent originales pour sécuriser ces filières
(provenderie, fabricant de matériels) insuffisantes. La qualité des viandes porcines encore fragiles mais pourtant
et l’installation de services à l’élevage ainsi que l’hygiène à l’abattage sont bien actives en Afrique de l’Ouest. §
(techniciens d’élevage, vétérinaires) encore faibles. La confiance des con-
s’avère essentiel, alors que les services sommateurs africains vis-à-vis de la

Productions
nationales de
viande porcine en
Afrique de l’Ouest
en 2007, en tonnes

Source : FAO, .


kids.fao.org/glipha/

Grain de sel 27
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

Développer la pisciculture en Afrique tropicale


humide pour renforcer la sécurité alimentaire
Isabelle Hanquiez (contact.apdraf@free.fr) et
Marc Oswald (m.oswald@istom.net)_________ L a pisciculture est un secteur important de l’économie
rurale en Afrique tropicale humide. Nécessitant peu de
moyens de production, elle pourrait contribuer considéra-
blement à l’alimentation des populations.

A
„ Isabelle     en séchée, fumée ou congelée, toutes des- zones humides rendent difficile la
Hanquiez, produits animaux ne cesse tinées à la consommation humaine. conduite des élevages « convention-
chargée de d’augmenter au niveau mon- L’Association pisciculture et déve- nels » (bovins, poulets). Un des enjeux
communication dial, en Afrique une stagnation voire loppement rural en Afrique (Apdra) du développement agricole et de la sé-
à l’Association une diminution de la consommation a conduit plusieurs études approfon- curité alimentaire de ces régions est
pisciculture et de protéines d’origine animale par ha- dies sur la consommation de poisson alors de développer une pisciculture
développement bitant est un cas fréquent : dans maints dans les campagnes en Côte d’Ivoire, paysanne capable de satisfaire la forte
rural en Afrique endroits, les faibles niveaux de con- en Guinée et au Cameroun. La der- demande locale.
(Apdra) a sommation engendrent des carences nière de ces études a été réalisée au
travaillé plus de nutritionnelles sévères. Cameroun, sur la base d’un échan- Une pisciculture extensive pour
deux ans sur une Selon la FAO, en Afrique la contri- tillon représentatif de familles rura- développer l’économie rurale. En
action de bution moyenne du poisson dans l’ap- les:  foyers de  villages, soit   Afrique tropicale humide, l’existence
développement port total de protéines animales était de individus, ont été suivis durant une de nombreux bas-fonds aménageables
en Équateur. l’ordre de   en . Des disparités année. Pour cet échantillon, le poisson et la forte disponibilité en main d’œu-
existent entre les pays : pour ceux dis- est présent dans plus de la moitié des vre sont des atouts pour les activités
„ Marc Oswald, posant d’une ouverture sur l’Atlanti- repas et représente   des apports piscicoles. En outre, les paysans de ces
responsable du que, ce taux oscille entre   et   protéiques animaux, avec une prépon- régions ont un niveau de trésorerie as-
département faisant du poisson la première source dérance de poissons d’origine marine sez bas et peuvent difficilement utiliser
Sciences du de protéines animales. (plus de  ). La situation est simi- des intrants, aux coûts trop élevés. La
vivant à l’Istom laire en Guinée et en Côte d’Ivoire. pisciculture extensive leur offre la pos-
et président de Les enjeux de la consommation de Mais malgré le rôle crucial du poisson sibilité de produire de façon rentable
l’Apdra a été chef poisson en Afrique tropicale humi- dans l’alimentation des populations un poisson pas cher, qu’ils pourront
du Projet de de. En Afrique tropicale humide, le rurales, sa consommation décroît au facilement vendre ou consommer.
pisciculture en poisson est un aliment de base. Mais moment de la soudure ; l’alimentation La pisciculture extensive consiste à
Guinée forestière les ressources halieutiques issues de la déjà insuffisante en protéines devient utiliser la productivité naturelle pour
(PPGF) et pêche étant largement exploitées (voire alors extrêmement carencée. Dans ces produire du poisson. Il n’est pas né-
assistant surexploitées), l’approvisionnement en régions, la pisciculture pourrait donc cessaire de nourrir les poissons, con-
technique poisson devient de plus en plus difficile. participer au renforcement de la sé- trairement aux systèmes en cages ou
pisciculture en Ainsi, depuis longtemps, les pays du curité alimentaire. circuits fermés, mais il faut entretenir
Côte d’Ivoire golfe de Guinée importent de façon Dans les zones forestières éloignées l’étang, le surveiller, bien l’empoisson-
pendant plus de massive du poisson. La surexploita- des côtes, l’approvisionnement en pois- ner et le récolter. L’élevage simultané
 ans. tion des stocks (notamment ceux de son est difficile à cause des temps de de plusieurs espèces aux régimes ali-
petits pélagiques ¹ des eaux côtières) transport importants dus à la mau- mentaires complémentaires permet de
Depuis , ne permet plus de satisfaire à bas coût vaise qualité des pistes, des véhicules mieux valoriser la productivité natu-
l’Apdra la demande. En outre, la mondialisa- et de la chaîne du froid. Le poisson relle des étangs : on associe ainsi le
accompagne les tion a entraîné le détournement des frais est ainsi quasi inexistant sur les tilapia sexé (Oreochromis niloticus) à
agriculteurs et poissons vers des marchés plus ré- marchés ruraux : l’étude réalisée au un petit prédateur (Hemichromis fas-
les organisations munérateurs et ce sont désormais les Cameroun montre que la majorité des ciatus) auquel sont ajoutés l’Heterotis
professionnelles rebuts de chalut qui se retrouvent sur poissons consommés sont congelés ou niloticus et un silure. Les rendements
du Sud dans la les marchés africains. Face à cela, la fumés (, ). oscillent entre , et  t/ha/an. Les ale-
mise en place contribution de l’aquaculture est en- En Afrique subsaharienne, la pis- vins sont autoproduits dans un étang
d’une core faible et certains pays comme ciculture occupe encore une position de service complémentaire, souvent
pisciculture la Côte d’Ivoire importent même de marginale dans les économies natio- un étang de barrage.
paysanne Chine plus d’une dizaine de milliers nales (moins de   du poisson produit La conduite de cette pisciculture of-
durable et de tonnes de tilapia, poisson pourtant provient de la pisciculture, d’après la fre d’importantes économies d’échelle,
rentable. Elle d’origine africaine. FAO). Pourtant, face à une consom- le travail requis pour la surveillance
intervient Dans le golfe de Guinée, le poisson mation toujours croissante, à la cherté et la gestion de l’eau d’un petit étang
actuellement participe de façon majeure au repas, du poisson congelé et à la mauvaise de moins de  ares n’étant pas très
dans  pays en particulier dans les campagnes. Sur qualité du poisson fumé, le poisson différent de celui pour un barrage
d’Afrique. les marchés, il est présent sous forme frais est une alternative de qualité d’un hectare.
www.apdra.org pour les populations. En outre, les L’investissement pour la construc-
. Poissons vivant en pleine eau. risques parasitaires élevés dans les tion de la digue de l’étang de barrage

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nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

demande environ  à  mois de travail


pour un homme seul et une dépense
incompressible pour les ouvrages de
vidange en béton ( paquets de ciment
pour chaque étang).
En milieu rural, le poisson est vendu
en circuit court, la demande dans les
villages étant très forte. Son prix sur
les marchés est légèrement au dessus de
 /kg en Côte d’Ivoire et peut atteindre
, /kg au Cameroun. Des entretiens
avec des pisciculteurs ont montré que
leur consommation de poisson avait
plus que doublé depuis qu’ils s’étaient
mis à la pisciculture, la part autocon-
sommée représentant souvent un tiers
du poisson récolté.
Les paysans, lorsqu’ils disposent
© Apdra

d’un aménagement piscicole de taille


convenable et bien aménagé, trouvent
l’activité très rentable et certains ont
même délaissé le cacao ou le café pour
celle-ci. Ce mode de pisciculture n’utili- et de leur satisfaction vis-à-vis de cet valeur du potentiel hydro-agricole des
sant pas ou peu d’intrants, le besoin en investissement. zones humides.
trésorerie est minime et comparable à De façon curieuse, la mise en place L’Apdra privilégie l’utilisation de la
celui des cultures vivrières. L’effet d’en- d’une pisciculture extensive paysanne force de travail de l’exploitant, gage
traînement est fort et si les pionniers s’est révélée un bon outil d’intensifica- de son implication et de sa capacité
se jettent souvent dans l’inconnu, les tion, de diversification et de mise en à pérenniser l’activité face à des évè-
suiveurs sont en général nombreux, à valeur des bas-fonds : la valeur ajoutée nements inattendus (ex. : casse de di-
condition qu’ils disposent de conseils dégagée à l’hectare par la pisciculture gues par une crue exceptionnelle). Elle
adéquats. et les autres cultures bénéficiant de promeut aussi l’autonomie des pisci-
Plusieurs projets locaux de pisci- cet aménagement est bien supérieure culteurs : ils reproduisent eux-mêmes
culture extensive ont été développés à celle du riz « intensif ». les poissons ou échangent des alevins
— certains par l’Apdra — et ont permis Les barrages piscicoles sont devenus avec des voisins, et développent des
la mise en place de réseaux denses de d’authentiques champs de riz inondé ² services de proximité (gestion collec-
professionnels autour de cette activité, en Guinée où le riz cohabite parfaite- tive des filets, construction d’ouvrages
en particulier le Projet piscicole du cen- ment avec les poissons élevés. En Côte piscicoles). Elle favorise l’émergence
tre-ouest de la Côte d’Ivoire (PPCO), d’Ivoire, des parcelles maraîchères ont de groupes de pisciculteurs dans les
le Projet piscicole de Guinée forestière fait leur apparition à la périphérie des villages, constituant ainsi des noyaux
(PPGF) et le Projet de développement barrages. de professionnels.
de la pisciculture villageoise au centre La pisciculture a permis de motiver En Afrique tropicale humide, le
et à l’ouest du Cameroun (PVCOC). les paysans à réaliser des ouvrages de poisson tient une place prépondérante
Aujourd’hui, en Guinée forestière et gestion hydraulique bien plus consé- dans l’alimentation des populations
en Côte d’Ivoire plus de   piscicul- quents que ceux de riziculture irriguée et la pisciculture extensive se révèle
teurs produisent de façon autonome et (le déplacement de terre est bien plus un atout pour les petites exploitations
régulière du poisson de qualité, malgré important pour les étangs de barrage agricoles. Nécessitant peu de trésorerie,
les crises qui ont traversé récemment que pour les diguettes des casiers de elle permet de valoriser les facteurs de
ces pays. riz) et constitue un outil de mise en production, diminue les dépenses liées
Grâce à cette rentabilité, les paysans à l’alimentation et améliore l’équilibre
ont les moyens de mettre en valeur les . Le riz inondé est un riz cultivé sous de la ration alimentaire. Le dévelop-
zones humides. De nombreux paysans, une lame d’eau importante (pouvant pement de la pisciculture paysanne
une fois l’activité maîtrisée, se sont en aller jusqu’à plusieurs mètres mais le représente un enjeu majeur pour la
effet lancés dans une deuxième réali- plus souvent de , m à , m) dans sécurité alimentaire et la lutte contre
sation, si leur terrain le leur permet- les plaines de décrue ou comme ici la pauvreté dans cette région. Elle dis-
tait. L’investissement s’est alors fait en dans les barrages, avec des variétés pose d’un potentiel de développement
mobilisant davantage la trésorerie de spécifiques. Le repiquage se fait lors de encore non exploité, qui nécessite la
leur exploitation, en embauchant de la la vidange, puis le remplissage s’ajuste mise en place de nouvelles opérations
main d’œuvre extérieure pour réaliser à la capacité de croissance de la tige pilotes et d’un cadre organisationnel
des ouvrages plus importants. Cette du riz qui développe des flotteurs lui pour appuyer les réseaux de profes-
stratégie témoigne de la confiance que permettant de s’adapter parfaitement à sionnels naissants. §
les paysans accordent à la pisciculture, cet environnement aquatique.

Grain de sel 29
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des regards croisés sur l’élevage pastoral…

Quel avenir pour le pastoralisme?


Des acteurs s’expriment…
Entretiens avec Dodo Boureima (goroubanda
@yahoo.fr), Tamini Josué (taminij@yahoo.fr)
et Issoufou Daré (idare@uemoa.int)_______
L e pastoralisme est le système d’élevage dominant en
Afrique de l’Ouest et au Sahel. Quand on envisage son
avenir et sa capacité à répondre à une demande en viande
en hausse constante, les avis divergent… Trois interviews,
trois points de vue, illustrant la complexité de cette problé-
matique.

lequel elles ont plus d’informations


Entretien avec
„ Dodo
Boureima est et font plus d’investissements. Cela
crée des frustrations et donne une
Dodo Boureima
secrétaire
exécutif image négative du pastoralisme aux
permanent du agriculteurs.
réseau Bilital Grain de sel : Qu’est ce que le pas- Pourtant aujourd’hui, dans un con-
Maroobé. toralisme ? texte de changement climatique, il est
Dodo Boureima : Le pastoralisme est nécessaire que les politiques reconsi-
„ Tamini Josué un système de production basé sur la dèrent le pastoralisme.
est ingénieur mobilité des éleveurs et de leurs trou- ment les forages) sont extrêmement Notre défi est donc d’informer les
d’élevage. Il a peaux, qui leur permet de s’adapter à coûteuses, et les charges (alimentation, politiques sur les apports multiples du
occupé d’impor- leur environnement et d’exploiter du- services) sont très élevées. Alors que pastoralisme pour la société, afin qu’ils
tantes fonctions rablement les ressources naturelles. Les l’élevage transhumant est quant à lui puissent prendre des mesures appro-
dans des projets éleveurs pasteurs ont un certain nom- très rentable. priées. Dès qu’il y aura cette jonction
de développe- bre de stratégies pour se prémunir des entre une reconnaissance politique du
ment rural au aléas climatiques et gérer leur capital GDS : Pourtant, on observe une ten- pastoralisme, une reconnaissance des
Burkina Faso. bétail. Leurs déplacements ne sont pas dance à la sédentarisation des pasteurs. territoires pastoraux et une gestion con-
Depuis novem- uniquement motivés par une simple Pourquoi ? certée mêlant gouvernance pastorale
bre , il est le logique commerciale, mais plutôt par DB : Cette tendance à la sédentarisa- et gouvernance locale, on pourra vé-
secrétaire la recherche de ressources pastorales tion est selon moi le résultat de politi- ritablement faire du pastoralisme une
général du pour nourrir leurs animaux. ques menées depuis des années pour activité durable et rentable.
ministère des réduire la mobilité des éleveurs : le
Ressources GDS : Le système pastoral peut-il ré- pastoralisme est depuis longtemps GDS : Dans ce contexte, quelles sont
animales du pondre à la demande croissante en présenté comme une activité archaï- les actions menées par les organisa-
Burkina Faso. produits d’origine animale ? que et les éleveurs sont encouragés à tions de pasteurs ?
DB : Dans le contexte sahélien, le se sédentariser. DB : Les organisations de pasteurs
„ Docteur pastoralisme apparaît comme la Les politiques ne prennent pas de ne restent pas inactives devant cette
Issoufou Daré seule forme appropriée de mise en mesures pour sécuriser l’élevage pas- situation. Nous menons des activités
est directeur des valeur des espaces naturels. Il y a toral ; de plus en plus de terres et de pour sensibiliser et informer les politi-
Ressources quelques années encore, le système parcours pastoraux sont privatisés, ce ques et nous sommes actifs au sein des
animales et pastoral, qui est pourtant le système qui oblige les pasteurs à se sédentariser. plateformes paysannes pour qu’agri-
halieutiques au d’élevage dominant en Afrique, était Sans oublier que les infrastructures culteurs, éleveurs et pasteurs puissent
département du ignoré et mal vu. Mais aujourd’hui, font défaut en zones pastorales. être de véritables acteurs informés et
Développement avec le changement climatique et la Tous ces éléments conjugués font travaillant en synergie. C’est un long
rural, des raréfaction des ressources naturelles, que les éleveurs changent leurs prati- processus mais qui portera ses fruits.
Ressources les valeurs du pastoralisme sont davan- ques : ils se sédentarisent ou changent Ainsi, avec le réseau Bilital Maroobé ¹,
naturelles et de tage reconnues. Il est de plus en plus d’activités ou bien allient l’agriculture nous travaillons pour que la percep-
l’Environnement perçu comme le système de production à l’élevage. tion du pastoralisme évolue.
à la commission le plus durable en matière de gestion À cet effet, nous avons déjà organisé
de l’Union des terres fragiles et de conservation GDS : À quelles difficultés le pastora- une première rencontre au Bénin avec
Économique et des écosystèmes du Sahel. Au Niger lisme fait-il face aujourd’hui ? le ministre de l’Intérieur, les organisa-
Monétaire Ouest par exemple, dans les zones où l’on a DB : Le handicap majeur pour le dé-
Africaine tenté de sédentariser les éleveurs, la veloppement du pastoralisme se situe . Le réseau « Billital Maroobé », qui signifie
(Uemoa), à dégradation des terres est plus forte selon moi au niveau des politiques : en fulfuldé (langue peule) « la promotion de
Ouagadougou que dans les zones de transhumance. ces dernières ne voient dans ce sys- l’élevage », a été créé en . C’est un cadre
(Burkina Faso). On retrouve aussi dans les zones de tème que l’aspect économique (vente régional de référence des éleveurs et pasteurs,
Consultez les pâturage des plantes qui ne poussent de bétail, de viande, etc.), alors qu’elles qui œuvre pour la défense des intérêts de
versions longues nulle part ailleurs dans le pays. De devraient prendre en compte son ap- ses membres aux plans économique, social
de ces plus, je pense que le système intensif port considérable sur l’environnement et culturel. Ses zones d’intervention sont le
interviews : des élevages bovins « modernes » n’est et les écosystèmes pastoraux. Mali, le Niger et le Burkina Faso, auxquels
www.inter- pour l’instant pas viable à long terme Les politiques s’intéressent moins à sont venus s’ajouter le Bénin, le Nigeria, la
reseaux.org au Sahel car les installations (notam- l’élevage qu’au secteur agricole, pour Mauritanie et le Sénégal.

30 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des regards croisés sur l’élevage pastoral… LeForum
dossier

tions d’éleveurs et les populations des stratégies en cours de finalisation : la


zones d’accueil. Même si elle n’a pas Entretien avec stratégie nationale d’amélioration géné-
permis la suspension des mesures allant tique, la stratégie nationale de sécurité
contre la transhumance transfronta- Tamini Josué alimentaire du cheptel, la stratégie na-
lière au Bénin, elle a abouti à plus de tionale de sécurisation, de valorisation et
tolérance de la part de tous, y compris Grain de sel : À quelles conditions d’aménagements des espaces pastoraux,
du gouvernement de ce pays. les élevages ouest africains pourront- sans oublier la politique de sécurisation
Une autre rencontre, réunissant ils répondre à la demande croissante foncière en milieu rural (ndlr : adop-
d’autres pays côtiers et sahéliens, sera en produits animaux ? tée en juin ) qui couvre les trois
organisée fin septembre  au Bénin, Tamini Josué : Pour pouvoir répondre départements du développement rural
pour harmoniser de façon concertée à la hausse croissante de la demande (agriculture, élevage, environnement).
les textes et positions, et parvenir à un en produits animaux, il faut augmen- Tout cela sera mis en œuvre de façon
apaisement de la mobilité transfron- ter la productivité des élevages à tra- concrète à travers notre plan d’action,
talière. C’est un début et l’objectif est vers l’amélioration génétique et une le Plan d’actions et programme d’in-
d’arriver à étendre les concertations meilleure disponibilité de l’alimenta- vestissements du secteur de l’élevage
au niveau de la Cedeao. tion du bétail, en quantité et qualité. (Papise), datant de , mais que nous
Nous menons aussi des actions au Aujourd’hui nos races locales ne sont mettons en cohérence avec la nouvelle
niveau commercial. Trop souvent, les pas assez compétitives, il faut abso- politique que nous venons d’adopter.
commerçants viennent acheter à bas lument y remédier. La transhumance
prix des animaux au Sahel pour les demeure le système d’élevage domi- GDS : Lors de récentes déclarations, vo-
revendre cher dans les pays côtiers, nant, mais il faut tendre à sédentari- tre ministère a choisi de mettre l’accent
et les éleveurs ne bénéficient pas des ser les élevages et mettre l’accent sur sur le développement du commerce de
fruits de leurs efforts. Face à cela, les l’intensification. viande crue. Pourquoi ce choix ?
organisations tentent de plus en plus TJ : Nous tentons peu à peu de pro-
de prendre en charge la commerciali- GDS : Comment comptez-vous séden- mouvoir et développer le commerce de
sation du bétail de leurs membres. tariser les pasteurs ? viande crue. Rappelez-vous que dans
L’Association pour la redynami- TJ : Actuellement, à cause de la dégra- un passé récent, quand l’Office national
sation de l’élevage au Niger (Aren) a dation de l’environnement, les éleveurs d’exploitation des ressources animales
par exemple entamé un processus de de la zone sahélienne descendent de (Onera) existait, nous étions alors un
regroupement des éleveurs en Grou- plus en plus vers le sud du Burkina grand exportateur de viande vers les
pements d’intérêt économique pour Faso, où les ressources sont plus abon- pays côtiers. C’est à la suite de la dis-
la commercialisation du bétail. Elle a dantes. Ces mouvements saisonniers parition de cet outil que nous avons
noué des partenariats avec des orga- ne sont pas les plus problématiques et commencé à avoir des problèmes au
nisations du Nigeria afin de faciliter restent maîtrisables. Ce sont surtout niveau de l’exportation de viande du
l’accès à des marchés porteurs aux les transhumances transfrontalières Burkina Faso. Nous avons aujourd’hui
éleveurs nigériens. qui engendrent des difficultés. Ces de fortes demandes en viande de pays
Nous assurons par ailleurs un grandes transhumances sont dues côtiers comme le Ghana et le Togo. De
lobbying pour que les mesures ad- à un manque d’eau et de ressources plus, les viandes sahéliennes entrent
ministratives draconiennes et les fourragères. Si l’on parvenait à délimi- peu à peu dans les habitudes alimen-
prélèvements illicites aux frontières ter et à aménager les zones pastorales, taires de certaines classes sociales hors
soient réduits. à mettre à disposition des troupeaux d’Afrique. Grâce à l’appui de la Banque
Au Niger, les organisations d’éle- de l’eau en permanence et surtout à mondiale et de partenaires tels que la
veurs ont participé à l’élaboration du sécuriser et à stabiliser les éleveurs, Banque islamique de développement,
code pastoral — ce processus a été l’un je pense qu’il y aurait moins de mou- nous allons mettre aux normes inter-
des plus participatifs de tous ceux aux- vements et que l’on parviendrait ainsi nationales notre abattoir et former les
quels j’ai pu prendre part. L’essentiel à une meilleure valorisation des res- acteurs du secteur. La Banque mon-
des revendications des organisations sources animales. diale souhaite que nous confiions la
pastorales a été intégré dans l’avant gestion de cet abattoir à un privé. Par
projet de loi, mais nous restons mobi- GDS : Quels sont aujourd’hui les princi- ailleurs, nous envisageons la mise en
lisés pour que ce projet soit voté, puis paux axes et priorités de la politique du place de systèmes de ranching avec
appliqué sur le terrain. § Burkina Faso en matière d’élevage ? abattoirs modernes en zones périur-
TJ : Nous venons de tenir un atelier de baines et pastorales, pour satisfaire des
validation de la politique nationale de demandes précises en viande.
développement de l’élevage, qui est le
document de référence en la matière GDS : La Communauté économique des
au Burkina Faso. Cette politique a été États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao)
élaborée de façon participative : les éle- vient d’adopter une cinquième bande
veurs, les partenaires techniques, les du Tarif extérieur commun (Tec) à  .
acteurs au niveau régional et central Quels sont, pour le Burkina Faso, les
ont été associés à son élaboration et à produits animaux qu’il est prioritaire
sa validation. De plus, nous avons des d’y intégrer ? Ü

Grain de sel 31
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des regards croisés sur l’élevage pastoral…

Û TJ : Au niveau des intérêts politico- populations de façon régulière car, si en mande locale. Dans ce sens, il faudra
économiques du Burkina Faso, ce hivernage on a beaucoup de lait, en sai- aussi que les taxes soient plus fortes
sont les viandes crues, bovine, ovine son sèche c’est difficile. C’est pourquoi pour limiter les importations et favo-
et caprine qui sont prioritaires à plus nous sommes en train de mettre en place riser le développement de la filière lait
long terme. deux grandes laiteries à Ouagadougou locale, surtout qu’avec la hausse des prix
Concernant le lait, notre préoccupa- et à Bobo-Dioulasso pour permettre mondiaux des produits alimentaires,
tion est de développer la filière locale aux acteurs périurbains d’augmenter nos productions locales sont devenues
pour pouvoir satisfaire les besoins des leur production et de satisfaire la de- beaucoup plus compétitives. §

sur les marchés) ; et un système d’aide mentent la transhumance transfron-


Entretien avec à la décision et de suivi des évolutions talière datent des années -, à un
des filières nationales. moment où l’occupation de l’espace
Issoufou Daré ne posait pas autant de difficultés. Ces
GDS : L’élevage pastoral est l’objet de textes sont aujourd’hui dépassés. Le
GDS : Quelles sont les actions de l’Uemoa nombreuses controverses. Quelle est la contexte a totalement changé. Ce sont
pour répondre au défi de la croissance de vision de l’Uemoa sur cette question ? les États qui doivent prévoir dans leurs
la demande en produits animaux ? ID : Les systèmes extensifs et transhu- budgets les ressources financières pour
Issoufou Daré : Il faut savoir tout mants sont les plus importants dans la la confection et la distribution de ces
d’abord qu’en vertu du principe de région. Mais ils sont très rigides et ne CIT dans les postes transfrontaliers.
subsidiarité, un certain nombre de s’adaptent pas très facilement à l’évolu- La Cedeao, l’Uemoa, le Club du Sahel
politiques, notamment sur la question tion du contexte des marchés régionaux et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO), le
de l’alimentation des troupeaux, sont et internationaux. Le pastoralisme pose Comité permanent inter-États de lutte
du ressort des États. Mais l’Uemoa a, à aussi d’énormes difficultés interétati- contre la sécheresse au Sahel (Cilss) et
son niveau, mis en chantier plusieurs ques d’accès aux ressources partagées, les organisations professionnelles du
programmes qui permettront à terme en constante réduction. secteur de l’élevage ont engagé une
d’accroître la production animale. Le Au niveau régional, les animaux qui étude de fond pour réactualiser les
premier objectif est de réduire la mor- quittent les pays sahéliens en direction données sur la transhumance trans-
talité et la morbidité des troupeaux. des pays côtiers posent le plus de diffi- frontalière et mettre en œuvre les re-
C’est ainsi que nous avons engagé une cultés. En effet, il y a également dans ces commandations issues du Forum sur
réforme en profondeur de la législation pays une sédentarisation progressive l’élevage organisé à Niamey début .
sur les médicaments vétérinaires des de certains pasteurs. Il en ressort une La problématique de la transhumance
pays de l’Uemoa. Nous venons égale- concurrence sur les espaces fourragers est une question très difficile à résou-
ment d’adopter un texte réglementaire entre les troupeaux transhumants et les dre, combinant à la fois des enjeux dé-
communautaire sur la sécurité sanitaire troupeaux des pasteurs sédentarisés. mographiques, fonciers, politiques et
des animaux. Il est aussi nécessaire Ceci est renforcé par le fait qu’on as- sociaux très complexes.
d’améliorer le potentiel génétique des siste de plus en plus à une extension des
troupeaux, en rabaissant notamment cultures dans ces zones. Il se pose donc GDS : Quelles sont les mesures concrè-
l’âge de la première mise bas. un véritable problème de cohabitation tes prises par l’Uemoa pour mettre fin
Pour rendre ces réformes effectives, entre les populations sédentaires dont aux tracasseries douanières et admi-
il est impératif d’impliquer étroitement l’accroissement de la production passe nistratives entre les pays ?
les producteurs et les autres opérateurs par l’augmentation des surfaces culti- ID : Normalement, au regard des textes
du secteur de l’élevage. Au niveau na- vées, les animaux des pasteurs qui s’ins- en vigueur, le problème ne se pose pas
tional il y a des esquisses d’organisation tallent et les animaux transhumants. puisqu’il n’y a pas de droits de doua-
d’éleveurs. Il faut qu’elles se regrou- Il en résulte très souvent des conflits nes pour les produits animaux et vé-
pent au niveau régional en créant des sanglants qui amènent certains pays, gétaux. Mais il faut reconnaître que les
réseaux avec lesquels nous pourrons côtiers notamment, à prendre de for- tracasseries sont une réalité. L’Uemoa a
échanger pour construire et mettre en tes mesures restrictives à l’encontre mis en place un Observatoire des pra-
œuvre ensemble des politiques adap- de la transhumance transfrontalière, tiques anormales qui scrute tout ce qui
tées. L’Uemoa a appuyé dans ce sens cela en violation du principe de la libre se passe sur nos routes transétatiques ;
la mise en place de la Confédération circulation des biens et des personnes les informations collectées sont analy-
des fédérations nationales de la filière en vigueur dans les espaces Uemoa et sées et diffusées à travers les médias.
bétail et viande des pays membres de Cedeao. L’Uemoa a également installé des postes
l’Uemoa (Cofenabvi) et de l’Union des de contrôle juxtaposés qui permettent
organisations des filières avicoles de GDS : Malgré les solutions apportées, de faciliter le transit entre les différents
l’Uemoa (Uofa). notamment par l’Uemoa dans sa poli- pays. Par ailleurs, des séminaires d’in-
Pour compléter ces éléments, l’Uemoa tique agricole et la Cedeao avec le Cer- formation des leaders d’opinion sont
a mis en place plusieurs instruments : tificat international de transhumance organisés dans les États afin d’informer
un fonds régional de développement (CIT), les conflits entre agriculteurs et les populations, notamment les opé-
agricole ; un système d’information agri- éleveurs perdurent. Pourquoi ? rateurs économiques, sur les textes en
cole régional (dispositif d’information ID : Les textes de la Cedeao qui régle- vigueur. §

32 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des regards croisés sur l’élevage pastoral… LeForum
dossier

L’élevage africain, source possible


d’une révolution alimentaire attendue?
Philippe Lhoste (lhosteph@orange.fr)________
L ’élevage ouest africain parviendra-t-il à nourrir une
population en constante hausse ? Le chemin à parcou-
rir est encore long, mais les initiatives sont nombreuses et
encourageantes pour permettre aux éleveurs de répondre
à ce défi.

L
„ Philippe   internationales des systèmes de production. Si elle n’est par les instances régionales (Uemoa
Lhoste est attiraient fortement notre atten- pas trop concurrencée par les impor- et Cedeao) en faveur de ces systèmes
ingénieur tion, à la fin du  siècle, sur les tations, la production avicole (œufs et d’élevage visent surtout à améliorer
agronome, évolutions très rapides de la consom- poulets notamment) peut aussi contri- les conditions de production (santé
zootechnicien mation et de la production animales, buer fortement, grâce à des systèmes animale, intrants…) et à stimuler la
tropicaliste. Il a avec une étude prospective qui a fait de production diversifiés, à l’offre de commercialisation des produits ani-
fait sa carrière à date : « L’élevage d’ici  : la pro- protéines animales ; l’aviculture fami- maux. Les progrès à en attendre sont
l’Orstom (ex- chaine révolution alimentaire » (Ifpri, liale, en particulier, qui permet d’as- réels mais ils ne peuvent être très ra-
IRD) puis au FAO, ILRI, ). Les auteurs y insis- surer une meilleure alimentation des pides…
Cirad, où il a taient sur une prochaine « révolution » campagnes, participe à la lutte contre Dans les systèmes agropastoraux où
développé les de l’élevage, à l’instar de la révolution la pauvreté rurale. les productions animales sont intégrées
approches verte des années  pour l’agricultu- La pisciculture représente, elle aussi, à l’agriculture, les perspectives d’évo-
systémiques des re. Ils prévoyaient notamment, pour une belle opportunité et une produc- lution sont plus importantes, mais les
élevages faire face à ces enjeux dans les pays en tion d’avenir qui pourra participer à la mutations en cours sont parfois sources
tropicaux, et a développement, « une ère de progrès sécurité alimentaire des zones humides de conflits autour de la divagation du
œuvré pour une technologiques rapides, notamment où les élevages « conventionnels » sont bétail, des vols d’animaux, des dégâts
meilleure pour l’élevage industriel ». confrontés à des contraintes sanitaires dans les cultures provoqués par les
association entre L’Afrique de l’Ouest a subi les fortes fortes. Là encore, l’Asie a montré la troupeaux et de la concurrence ac-
agriculture et mutations évoquées dans cette étude : voie et l’Afrique possède aussi un réel crue entre troupeaux d’agriculteurs
élevage. Il dirige accroissement démographique élevé, potentiel encore peu exploité. et d’éleveurs pour les pâturages. Ces
la collection exode rural et forte urbanisation, évo- changements permettent néanmoins
technique : lution des modèles de consommation Mais qu’en est-il des systèmes d’éle- une diversification des productions
« Agricultures alimentaire en ville. Elles ont provoqué vage des ruminants, dont la viande et animales et végétales et une intensi-
tropicales en une rapide évolution de la demande le lait restent des produits privilégiés fication raisonnée et autonome de ces
Poche ». alimentaire, en quantité et qualité, no- pour les consommateurs africains ? La « systèmes mixtes ». L’évolution de ces
tamment dans le domaine des produits situation des élevages de ruminants systèmes, bien amorcée dans certaines
animaux. Bien que cette demande soit (bovins, caprins et ovins), herbivores régions d’Afrique subsaharienne, pose
très explicite, les réponses à y apporter valorisant de vastes pâturages natu- des questions d’ordre législatif et ré-
semblent relever d’une combinaison rels subsahariens, est particulière car glementaire d’une part et d’ordre tech-
complexe de décisions politiques, de elle s’inscrit dans des systèmes pas- nique et organisationnel d’autre part.
stratégies commerciales et de dyna- toraux et agropastoraux très impor- Innovations techniques et organisa-
misation du secteur de production. tants aux plans socio-économique et tionnelles doivent donc aller de pair.
Force est de constater, comme le sou- écologique. L’accompagnement des innovations
lignent plusieurs auteurs de ce dossier, Les systèmes pastoraux représentent implique de mettre en place entre les
que la modernisation du secteur éle- d’abord un mode de vie essentiel pour différents acteurs de nouvelles règles
vage en Afrique de l’Ouest tarde à se les sociétés concernées ; ils permettent contractuelles de gestion consensuelle
généraliser. aussi de valoriser de vastes espaces en des ressources naturelles ; en effet, la
Comme dans le reste du monde, zones sèches, dans lesquels il existe peu gestion par les éleveurs des territoires
ce sont les espèces à cycle court qui d’alternatives économiques à cet éle- d’élevage des ruminants ne peut être
devraient permettre de répondre ra- vage extensif naisseur ; ils participent dissociée de la gestion des territoires
pidement et plus efficacement à cette aussi largement, grâce à ce système, à des autres acteurs ruraux. Des conven-
demande croissante — c’est le cas la fourniture d’animaux pour les zones tions locales entre tous les acteurs et
des volailles et du porc, à l’exemple agricoles et pour la consommation des utilisateurs des territoires concernés
de l’Asie. L’élevage porcin a apporté villes. Le cadre législatif foncier de la peuvent répondre à ces nouvelles exi-
des réponses dans nombre de pays et gestion des ressources et des espaces gences, mais il faudra du temps pour
le porc reste la première viande con- pastoraux doit encore faire l’objet de que les droits d’usage des pâturages et
sommée au monde. Malgré de sérieu- mises au point avec les acteurs du pas- des points d’eau se stabilisent.
ses contraintes pathologiques (peste toralisme et les organisations pastora- Ces systèmes mixtes agriculture-
porcine africaine et plus récemment les. Les besoins sociaux des pasteurs élevage prennent de plus en plus de
le virus HN), l’élevage porcin est en (santé, éducation, échanges) doivent poids, en Afrique subsaharienne, pour
expansion en Afrique de l’Ouest et on aussi être considérés, en tenant compte les productions animales et végétales,
observe une intensification progressive de leur mobilité. Les mesures prises vivrières et commercialisables. Le re- Ü

Grain de sel 33
nº 46-47 — mars – août 2009
LeForum
dossier Des regards croisés sur l’élevage pastoral…

Û cyclage plus efficace des nutriments, la augmenter sa part dans la fourniture


Des éleveurs à la base contribution de l’énergie animale (cul- laitière nécessaire à la consommation
ture attelée et transport), l’amélioration des villes : cela se fera dans le cadre d’un
de marchés autogérés de l’alimentation des animaux grâce développement intégré qui comprend
aux apports des cultures font partie l’amélioration des infrastructures et
au Bénin… des synergies agriculture élevage qui l’adoption de règles de concurrence
améliorent durablement la producti- loyales et respectueuses de la qualité
vité de ces systèmes mixtes. des produits locaux.

L   à bétail autogérés


(MBA) au Bénin, développés dans
les années  à Gogounou, ont été
La production laitière s’inscrit parfois
dans ces systèmes mixtes, mais elle est
aussi souvent associée à des dynamiques
Les initiatives sont nombreuses et
encourageantes pour permettre aux
éleveurs africains de répondre à la de-
initiés par des éleveurs pour amélio- périurbaines. Le lait, produit identitaire, mande en produits animaux locaux
rer la gestion et le fonctionnement est non seulement un aliment noble, dans leurs pays respectifs… Mais le
des marchés à bétail traditionnels. caractéristique des sociétés pastorales, chemin à parcourir est encore long.
Dans les MBA, les intermédiaires mais aussi un aliment symbolique de Les différents types d’éleveurs et de
ont pris la place de témoin « See- la tradition africaine, très prisé dans systèmes d’élevage doivent y jouer des
dêjo » pour faciliter et authentifier les villes du Sahel. Une nouvelle dyna- rôles complémentaires, selon leurs si-
les transactions directes entre éle- mique intégrative, au plan territorial tuations écologiques et socio-écono-
veurs et acheteurs. Une taxe (ex : en- et au plan des acteurs de la filière, est miques respectives. Enfin, comme cela
viron   FCA/bovin) sur chaque observée dans certaines régions : elle a été martelé par les interlocuteurs
transaction est prélevée permettant est fondée sur la production et la col- plus institutionnels de ce dossier, ces
ainsi le développement du marché et lecte du lait qui structure le territoire progrès ne pourront être à la hauteur
la réalisation d’actions annexes. Ces et intègre les éleveurs dans les circuits des enjeux régionaux que s’ils sont
marchés s’inscrivent dans un cadre de transformation et de commerciali- épaulés par des politiques incitatives
légal et disposent de documents de sation ; l’élevage africain doit encore adaptées. §
gestions et d’outils de marché (tickets
de transaction…). Des comités de
gestion regroupant tous les acteurs
concernés (éleveurs, agroéleveurs,
commerçants, chargeurs) assurent
leur gestion régulière. L’Udoper*, En complément de ce dossier :
organisation d’éleveurs, contri-
bue également à l’amélioration un bulletin de veille spécial élevage
des marchés en favorisant la vente
d’animaux sains, l’augmentation
du cheptel, etc. Les MBA ont ainsi
permis d’augmenter le revenu des
producteurs, d’apporter une trans-
L     (BDV)
nº  d’Inter-réseaux est consacré
au pastoralisme, à l’agropastoralisme
tion pour le bétail est devenu pour
les éleveurs un épineux problème et
constitue, aux dires des principaux
parence dans les transactions et de et à l’alimentation du bétail. acteurs du secteur, le grand défi qui
fournir des services d’élevage. Enfin, Dans les zones sahéliennes, le pas- se posera dans les années à venir
les MBA au nombre d’une vingtai- toralisme est un système d’élevage aux élevages des zones sahéliennes
ne aujourd’hui au Bénin, illustrent dominant, mais on observe égale- (partie ).
qu’une stratégie « gagnant-gagnant » ment un développement des systè- En ce sens, il apparaît nécessaire et
entre producteurs et commerçants/ mes agropastoraux, résultant de pas- urgent de mettre en œuvre des straté-
intermédiaires est possible ! teurs nomades qui se sédentarisent et gies et instruments appropriés pour
d’agriculteurs qui associent l’élevage une meilleure gestion des ressources
* Union départementale des organisations à leurs activités. naturelles afin de préserver les ressour-
professionnelles d’éleveurs de ruminants, Ces systèmes connaissent aujour- ces indispensables pour l’alimentation
créée en  ; elle s’est structurée au d’hui de nombreuses difficultés (ac- du bétail (partie ).
niveau national en février  par la cès aux ressources fourragères et aux Ce bulletin de veille traite égale-
création de l’Association nationale des aliments pour le bétail, non délimita- ment de la question de la santé ani-
organisations professionnelles d’éleveurs tion des zones de pâturages, conflits male. En effet, il est nécessaire d’avoir
de ruminants (Anoper). fonciers, etc.) dues pour l’essentiel à la une bonne prise en charge sanitaire
raréfaction croissante des ressources en vue de proposer sur le marché
naturelles, mais aussi à la faible prise régional des produits compétitifs et
en charge du pastoralisme par les pou- sains (partie ).
voirs publics (partie  du BDV).
Dans ce contexte, l’accès aux res- www.inter-reseaux.org/bulletin-de-veille/
sources fourragères et à l’alimenta- article/bulletin-de-veille-no149

34 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Initiatives

Développement du tourisme rural,


„ Agrotourisme entre rêves et réalités
Mascha Middelbeek (middelbeek@agriterra.org)_
D epuis quelques années, le tourisme rural semble représen-
ter une réelle opportunité de diversification des revenus en
milieu rural. Comment les paysans peuvent-ils s’intégrer dans le
développement de ce tourisme ? Comment les accompagner dans
cette démarche ? Un point de vue de l’organisation Agriterra.

L
„ Mascha Middelbeek est   , les bailleurs de la coopération internationale et les acteurs du tou-
chargée du tourisme rural de fonds et les gouvernements des pays en risme ne considèrent pas ces organisations comme
et coordinatrice pour développement s’intéressent de plus en plus des partenaires possibles. L’isolement géographique
l’Afrique de l’Est au sein à la diversification des moyens de subsistance dans des producteurs et leur faible pouvoir de négociation
d’Agriterra. les zones rurales. En effet, plusieurs enquêtes au ni- sont aussi des facteurs explicatifs.
Agriterra est une agri- veau mondial montrent que  à   des revenus Pourtant, lorsque les producteurs se structurent
agence fondée par des moyens des ménages ruraux proviennent d’activités en organisation, leur poids politique ou commercial
organisations de non agricoles locales. Dans les pays du Sud comme est renforcé et ils sont plus à même de s’engager vers
producteurs agricoles dans les pays du Nord, le tourisme constitue souvent de nouveaux secteurs.
néerlandais pour venir en une part importante de ces revenus non agricoles,
appui à des organisations contribuant non seulement au développement éco- Les organisations de producteurs : des acteurs clés
de producteurs dans les nomique mais aussi à une meilleure connaissance du développement du tourisme. La reconnaissance
pays en développement ; des richesses du milieu rural. du rôle des OP dans le développement du tourisme
elle vise à encourager, rural va néanmoins grandissante depuis une dizaine
appuyer et financer la Lier agriculture et tourisme. L’engagement des pay- d’années et elles sont quant à elles de plus en plus
coopération internationale sans dans le tourisme peut se faire de différentes ma- conscientes des opportunités qu’offre le tourisme
entre des organisations nières. Un producteur peut, en plus de ses activités rural. Diverses organisations de développement des
rurales des Pays-Bas et des agricoles, proposer un logement ou des excursions : Pays-Bas, comme l’agence de développement néerlan-
pays en développement. il se transforme alors en entrepreneur du tourisme daise SNV, Icco, Agriterra et Solidaridad, facilitent,
Site internet : rural. Une autre option est de vendre ses produits chacune selon ses propres stratégies et pratiques, la
www.agriterra.org (fruits, légumes, produits artisanaux, etc.) au secteur création de liens entre OP et tourisme.
www.viaterra.org touristique : les producteurs deviennent alors fournis- Le développement du tourisme, outre qu’il peut
seurs de marchandises pour le tourisme, une activité être une source d’emplois et de revenus supplémen-
„ Bibliographie : bien plus proche de leur métier d’origine. taires, peut également améliorer les conditions de
Ashley, C. et Maxwell, S., Une des spécificités du tourisme rural est de pro- vie dans les zones rurales, en incitant, par exemple,
(b). Rethinking Rural poser aux visiteurs une expérience personnalisée, l’installation d’infrastructures, de sanitaires ou de
Development. un aperçu culturel et humain de l’environnement réseaux d’électricité.
Development Policy rural et, autant que possible, de leur permettre de Bien que la participation des OP dans le dévelop-
Review. Vol. , nº . participer aux activités, modes de vie et traditions pement du tourisme reste un défi, plusieurs signes
Séminaire de l’OMC Rural des communautés locales. encourageants plaident pour leur intégration. À tra-
Tourism in Europe: vers les réseaux qu’elles ont déjà dans leurs régions,
Experiences and Une faible participation des organisations de pro- ces organisations rendent les zones rurales plus ac-
Perspectives. Belgrade, ducteurs : plusieurs facteurs en jeu. Le passage à des cessibles au tourisme, facilitent la découverte de lieux
. Présentation de secteurs non agricoles s’accompagne souvent d’obs- intéressants et l’identification d’entrepreneurs ruraux ;
Luigi Cabrini. tacles et d’inégalités, et dans de nombreux pays en ce que ne peuvent pas faire les tour opérateurs, qui
Verma, S.K. Cooperatives développement, le rôle des organisations rurales dans n’ont pas de tels réseaux. Travailler avec les OP devrait
and Tourism: An Asian le tourisme est encore peu reconnu. permettre de faire profiter l’ensemble de la commu-
Perspective. Publication La faible participation des organisations paysan- nauté, plutôt que quelques producteurs individuels,
of National Cooperative nes (OP : organisations de producteurs ou de femmes des retombées positives du tourisme. En outre, cela
Union of India, . en zones rurales, coopératives) s’explique en partie permettrait d’assurer aux OP une meilleure stabilité
Torres, R. and Momsen, par le fait qu’elles n’ont pas conscience des bénéfices financière. Enfin, les producteurs peuvent offrir aux
J.H., (). Challenges que peut leur apporter le tourisme rural. De plus, le touristes de plus en plus attirés par des expériences
and potential for linking manque de ressources, d’expérience et de connais- authentiques et insolites la découverte de leurs modes
tourism and agriculture sance les empêche d’accéder à l’industrie du tourisme de vie, de leur campagne, et de leurs produits.
to achieve pro-poor et il existe peu de capitalisation d’expériences et de
tourism objectives. documents sur des exemples réussis de coopératives Agriterra et le tourisme : le point de vue d’une
Progress in Development touristiques. Ceci limite les OP et ceux qui les sou- agri-agence en appui aux OP. Agriterra intervient
Studies. Vol. , Number . tiennent dans leurs efforts de diversification. dans le tourisme rural depuis , convaincue que
Mais la faible participation des OP dans le tou- cette activité peut participer à la diversification des
„ Traduit de l’anglais par risme rural n’est pas simplement due aux OP elles- sources de revenus, à la réduction de la pauvreté et
Julia Schwarz. La version mêmes. D’une manière générale, l’appui direct aux au maintien des savoir-faire et héritages culturels
originale est en ligne. OP a longtemps été, et est encore, un aspect négligé locaux. Ü

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Initiatives

© Mascha Middelbeek (Agriterra)

Û Dix organisations partenaires (en Amérique la- doit faire preuve d’un réel intérêt pour le tourisme et
tine, Asie et Afrique) ont actuellement développé avoir les capacités suffisantes pour le faire.
des projets d’agrotourisme, avec par exemple des
hébergements chez l’habitant, ou encore des excur- Des activités touristiques qui génèrent des reve-
sions dans les plantations de café ou de thé. Certaines nus pour les agriculteurs. Même si le tourisme peut
accueillent déjà des touristes, d’autres sont en cours contribuer au développement économique des zones
de mise en œuvre. rurales, il n’est pas non plus la solution miracle à la
Pour l’instant, Agriterra accompagne surtout les OP réduction de la pauvreté. Le tourisme rural semble
dans le développement des produits touristiques mais avoir un certain potentiel de développement, mais
peu dans leur intégration en amont dans le secteur la réussite des initiatives dépend de nombreux as-
touristique (fourniture de marchandises aux hôtels pects, tels que la qualité des produits, les compéten-
et restaurants). Les besoins en termes d’investisse- ces des organisations, le marketing et la localisation
ments, de formation et d’éducation sont en effet bien géographique.
moins importants, même si la mise en place de ce En outre, l’industrie du tourisme est de nature
type de liens est complexe. opportuniste, imprévisible et saisonnière ; le tou-
Le programme d’Agriterra se démarque par l’at- risme rural doit donc être appréhendé comme une
tention particulière qu’il porte aux organisations activité complémentaire des activités agricoles pour
paysannes et par son approche « entrepreneuriale », les producteurs. Pour devenir compétitives, les OP
que l’on retrouve à plusieurs niveaux. Premièrement, doivent relever le défi de développer des produits
avec l’intégration, dés le départ, des acteurs du tou- commercialement viables, appropriés et respectant
risme. Les tour-opérateurs peuvent ainsi participer les standards occidentaux. Elles ont pour cela be-
à l’identification d’un site ou encore au développe- soin d’accompagnement technique de la part de pro-
ment d’un produit. Ensuite, en mettant l’accent sur fessionnels du tourisme. De plus, la formation des
le plan d’action. Troisièmement, en insistant sur le personnes impliquées (guides, cuisiniers, gérants de
marketing, qui apparaît comme l’un des principaux chambres d’hôtes, etc.) sur les aspects de gestion et
défis. Enfin, lorsqu’un projet semble prometteur, les d’accueil est cruciale, mais fait bien souvent défaut,
paysans concernés doivent s’y investir et adopter une tout comme le marketing et la promotion des initia-
attitude « entrepreneuriale », c’est-à-dire prendre en tives touristiques.
compte les conditions économiques et profession-
nelles pour développer des activités pertinentes et Un autre défi est d’obtenir des informations sur le
peu risquées. retour sur investissements, car peu d’études « coûts
Une institution de microfinance, une banque ou bénéfices » ont été faites dans ce secteur. Comme les
une agence de crédit est de préférence impliquée. OP sont des acteurs relativement nouveaux dans le
Le tourisme étant en général méconnu par les pay- tourisme rural, il y a encore peu de connaissances sur
sans, des précautions importantes sont nécessaires le sujet. L’objectif d’Agriterra est donc de contribuer
en matière d’appui et de conseil, afin de prémunir les à capitaliser les expériences réussies de coopération
producteurs contre toute mauvaise expérience. Selon dans le tourisme par l’intégration des OP. §
Agriterra, pour se lancer dans un tel projet, une OP

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Boîte à outils

Repères
La définition du Tarif extérieur commun
l’Uemoa et iii) la définition d’outils com-
plémentaires de protection, en tirant les

de la Cedeao : le pari du moyen terme


leçons du dispositif mis en œuvre pour
accompagner le Tec Uemoa.

Colmater les brèches avec la recatégorisa-


tion de certains produits ? Dès l’adoption
du Tec Cedeao, une marge de manœuvre

L
a été ménagée pour les États de la Ce-
„ Anne Wagner a décision d’étendre le Tarif Exté- niveaux de droits de douane s’échelon- deao non membres de l’Uemoa, en leur
(amjwagner rieur Commun (Tec) de l’Union éco- nant de 0 à 20 %, sont reprises, de même laissant la possibilité de demander des
@gmail.com) nomique monétaire ouest africain que les deux critères principaux utilisés changements de catégorie et donc de
(Uemoa) aux États membres de la Com- pour ventiler les différents produits dans droits de douane, pour un certain nom-
Anne munauté économique des États de l’Afri- ces quatre catégories (cf. encadré n¿ 1). bre de produits.
Wagner suit les que de l’Ouest (Cedeao B) a été prise par Et pourtant, après presque dix ans de L’idée était de permettre aux États de
négociations les Chefs d’États et de Gouvernements mise en œuvre du Tec de l’Uemoa, cette la Cedeao, qui appliquaient des taux de
commerciales de la Cedeao le 12 janvier 2006. logique a montré ses limites et le besoin droits de douane sensiblement différents
multilatérales La définition d’une protection tari- s’est fait sentir de revoir la protection de ceux prévus par le Tec de l’Uemoa, de
(OMC) et faire commune aux frontières de l’es- de certains secteurs stratégiques pour le mettre en place, pour leurs produits stra-
régionales pace Cedeao est une étape importante développement régional, en articulation tégiques, une politique tarifaire davan-
(APE, Tec de l’approfondissement du processus avec les politiques sectorielles telles que tage conforme à leurs réalités et priorités
Uemoa/Cedeao) d’intégration régionale en Afrique de l’Ecowap. Quelles sont donc les marges socio-économiques. Deux listes d’excep-
depuis plusieurs l’Ouest. La région dispose du potentiel de manœuvre ? tions ont été établies. Les exceptions de
années. Elle est de production lui permettant de nourrir Dans cette perspective, trois principaux « type A » concernaient des produits pour
actuellement sa population actuelle et d’assurer la sé- chantiers sont en cours: i) le changement lesquels les pays s’engageaient — à l’is-
conseiller curité d’approvisionnement d’une popu- de catégorie de certains produits, ii) l’ajout sue d’une période de transition de deux
technique au lation estimée à plus de 400 millions de d’une catégorie supérieure, ou 5¨ bande, ans C — à appliquer le tarif commun. Les
ministère du personnes en 2020. C’est le pari qu’elle a aux quatre catégories reprises du Tec de exceptions de « type B » concernaient les
Commerce du fait en adoptant en 2005 une politique produits qui feraient l’objet d’une négo-
Sénégal. agricole commune, l’Ecowap. ciation ultérieure sur le niveau des droits
Les analyses Pour atteindre cet objectif, le Tec doit Encadré n¿ 1 : de douane. Cette catégorie incluait des
développées ne contribuer à la création d’un environ- demandes de reclassement au sein des
représentent nement suffisamment stable et por- Les fondements du Tec quatre bandes tarifaires et des demandes
en aucun cas teur qui garantisse la rentabilité des de création d’un niveau de tarif supérieur
le point de investissements, notamment dans les de l’Uemoa au plafond de 20 %.
vue officiel secteurs agricoles et agro-alimentaires, Le riz et les produits de l’élevage per-
du ministère via des droits de douane suffisants, liés mettent d’illustrer la complexité et la dif-
du Commerce
du Sénégal ;
l’auteure
aux spécificités des différents produits
et à leur compétitivité. L’enjeu est de li-
miter les importations extrarégionales
L e Tec Uemoa, entré en vigueur en
2000, comporte quatre bandes, dont
les taux de droit de douane correspon-
ficulté de ces négociations. Aujourd’hui
taxé à 10 % (qu’il soit entier ou sous forme
de brisures), le riz continue de diviser :
en est seule de produits agroalimentaires, qui repré- dant sont de 0 %, 5 %, 10 % et 20 %. certains États, davantage sensibles aux
responsable. sentent encore aujourd’hui 85 à 90 % des Deux critères fondamentaux ont été enjeux de moyen terme de promotion de
importations de la région de ces mêmes utilisés pour le classement dans les dif- leur filière, demandent un réarmement
produits, et de développer les échanges férentes bandes : le niveau de transfor- tarifaire ; d’autres, plus réticents car da-
intra régionaux. mation et la nature sociale des diffé- vantage dépendants des importations ou
rents produits. En taxant davantage les sensibles aux intérêts à court terme de
Du Tec de l’Uemoa au Tec de la Cedeao. produits transformés, l’Uemoa souhaite leurs consommateurs urbains, plaident
Lors de son adoption, le Tec de la Cedeao encourager et protéger les activités de pour le statu quo ou demandent un dé-
était basé sur le Tec de l’Uemoa. Les mê- transformation et de création de valeur sarmement tarifaire pour un bien qu’ils
mes quatre « bandes » ou catégories de ajoutée dans l’espace communautaire. considèrent social par excellence. Parmi
produits, auxquelles correspondent des Par contre, si le produit est un bien social les produits de l’élevage, le reclassement
(médicaments, livres, etc.), il est exempt à la hausse de la poudre de lait, demandé
1. Les 15 États membres de la Cedeao sont : de droits de douanes. De même, les biens par certaines organisations profession-
le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la de première nécessité sont faiblement nelles d’éleveurs (OPE) continue de faire
Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la taxés, à l’image des matières premiè- débat (cf. encadré n¿ 2). Ü
Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, res de base qui servent d’intrants aux
le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra industries régionales, des biens d’équi-
Leone et le Togo. Parmi ces pays, 7 ne sont pement ou des produits de grande con-
pas membres de l’Uemoa, à savoir le Cap- sommation comme le lait en poudre ou
Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le les céréales (mil, sorgho, maïs). 2. Ces délais sont devenus caducs avec le
Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone. retard pris dans la négociation.

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Boîte à outils

Encadré n¿ 2 : La révision de la taxation


de la poudre de lait : la question de la
Û La « 5¨ bande » : avoir le courage d’envisa- les, comme la filière avicole (cf. encadré
poule ou de l’œuf… ger le moyen terme. La décision de créer n¿ 3). Il s’agira notamment de réguler
une cinquième bande au taux de 35 % les prix d’importation pour permette à
est intervenue début 2009, soit trois ans la région de réagir rapidement aux évo-

L ’augmentation de la taxation de la poudre de lait


(droit de douane de 5 % actuellement), demandée
par certaines organisations d’éleveurs, est une question
après la décision portant adoption du Tec
Cedeao. Cette 5¨ bande offre la possibilité
de revenir sur le niveau de protection de
lutions, à la baisse comme à la hausse,
des cours mondiaux des denrées de base
et éviter des impacts négatifs pour les
épineuse qui continue de faire débat. Elle constituerait certains produits pour lesquels le Tec de producteurs, les transformateurs ou les
un signal politique fort en faveur des investissements l’Uemoa s’est avéré insuffisant. consommateurs.
dans la filière lait local. Mais son effet sur le développe- C’est le Nigeria qui a proposé de créer
ment de la production et de la transformation du lait une 5¨ bande à 50 % car il souhaite proté- Les perspectives. La prochaine étape clé
local, et donc sur les revenus des producteurs pauvres, ger son tissu agro-industriel et industriel, du processus est bien la définition de
est conditionné par la levée des contraintes en amont mais il a finalement accepté de transiger la liste régionale de produits à inclure
de la filière, notamment au niveau de la collecte. Par pour une 5¨ bande à 35 %, après d’âpres dans la 5¨ bande et la reclassification
ailleurs, l’impact sur la création de valeur ajoutée serait discussions avec certains autres États de de certains produits au sein des autres
mitigé puisqu’une partie non négligeable de la création la Cedeao. En février 2009, l’Uemoa et bandes.
de valeur se fait aujourd’hui via la transformation de la la Cedeao ont tenté de préciser les con- À ce titre, la définition d’un référentiel
poudre de lait importée, y compris parfois pour les peti- tours et le contenu de cette 5¨ bande. commun pour l’élaboration de la liste de
tes unités de transformation en milieu rural. Mais sur- L’objectif de protection des produits à produits éligibles à la 5¨ bande est une
tout, l’effet sur le pouvoir d’achat des consommateurs fort potentiel de production locale a été étape fondamentale pour asseoir une
urbains serait négatif, au moins à court terme, le temps retenu pour guider le choix des produits concertation fondée sur l’intérêt régio-
que la filière locale gagne en compétitivité. à inclure dans la cinquième bande du Tec nal, avec les différents acteurs concernés.
Cedeao. Aussi, cinq critères d’éligibilité S’inspirer de l’approche développée pour
ont été proposés : i) la vulnérabilité du déterminer la liste régionale de produits
produit ; ii) la diversification économique ; sensibles dans le cadre de l’APE en discus-
iii) l’intégration régionale ; iv) la promo- sion avec l’UE, permettrait de renforcer la
Encadré n¿ 3 : Quelles mesures pour con- tion du secteur et v) le fort potentiel de cohérence entre ces deux négociations
production. menées en parallèle.
solider les progrès de la filière avicole Sur cette base, une première ébau- Mais au-delà des enjeux liés à la dé-
che de liste régionale a été établie et un finition d’une approche commune, la 5¨
régionale ? consensus provisoire a été trouvé. À ce bande place les États de la sous région
stade, le besoin s’est fait sentir d’établir face à des choix politiques forts. En mo-
un cadre de référence régional pour le difiant le droit de douane sur certains

L es produits de la filière avicole sont très vulnérables


à la concurrence des importations. L’ensemble des
produits de la filière viande de volaille sont taxés à 20 %
choix des produits éligibles à la 5¨ bande
et pour guider les arbitrages nationaux
et régionaux.
produits, c’est le curseur entre les intérêts
du monde rural et ceux des consomma-
teurs urbains qu’il s’agit de reposition-
dans le cadre du Tec Uemoa. Tous les produits de la fi- ner, dans un contexte politique délicat.
lière viande de volaille figurent dans la liste régionale Le dispositif complémentaire de protec- Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest
de produits sensibles APE. tion. Le 3¨ chantier renvoie à la mise en retrouvent un peu de répit suite à la cri-
La filière avicole locale a récemment bénéficié d’une place d’outils complémentaires aux droits se récente des prix des denrées alimen-
protection sanitaire avec un embargo mis en place sur de douane. L’enjeu est de pallier, au ni- taires de base, qui a fortement éprouvé
les volailles importées, dans la plupart des pays membres veau de la Cedeao, les limites des outils les populations, notamment urbaines.
du l’Uemoa, suite à la crise de la grippe aviaire. Cet em- complémentaires de protection définis Cette crise, qu’on n’ose pas encore pen-
bargo est encore en vigueur aujourd’hui au Sénégal. La au niveau de l’Uemoa (taxe conjonctu- ser durablement derrière soi, laisse une
filière nationale a ainsi pu se relever, après avoir connu relle à l’importation, taxe dégressive de situation quelque peu paradoxale. Elle a
une crise aiguë au début de la décennie face à la con- protection, valeurs de référence). certes provoqué une prise de conscience
currence des importations de l’Union européenne (bas Le Comité conjoint de gestion du Tec chez les dirigeants politiques d’Afrique
morceaux vendus en dumping) et du Brésil. La taxation Cedeao précise qu’il s’agit « d’explorer de l’Ouest de l’enjeu de reconquérir leur
appliquée dans le cadre du Tec Uemoa s’était alors ré- les voies et moyens pour la mise en place souveraineté alimentaire. Mais lorsqu’il
vélée insuffisante pour protéger la filière. d’instruments plus adaptés aux réalités s’agit de revoir à la hausse les niveaux de
Compte tenu du faible prix des importations des dé- de la région (…) », en proposant des outils droits de douane pour certains produits
coupes de volaille et soucieux de ne pas brusquement complémentaires aux droits de douane pour mettre en cohérence la politique
déprotéger la filière avec la levée des embargos sanitai- ad valorem, qui se sont avérés inefficaces commerciale avec les politiques secto-
res, certains pays de la sous région ont choisi d’appliquer pour protéger certaines filières régiona- rielles, on hésite à franchir le pas. §
une taxe fixe de 1 000 FCFA/kg, bien que non conforme
à leurs engagements au titre de l’OMC. La généralisation
de cette mesure à l’ensemble des pays de l’Uemoa est
actuellement à l’étude.

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Boîte à outils

Kiosque
Nourrir le monde, vaincre la faim Exclusion des liens financiers. Microfinance pour
Sylvie Brunel l’agriculture des pays du Sud
Solène Morvant-Roux (sous la direction de)
Dans un livre destiné d’abord aux futurs profes-
seurs, l’auteure, géographe, aborde sans tabous Cet ouvrage fait suite à un colloque international
ni idées reçues les problèmes de l’alimentation « Quelle microfinance pour l’agriculture des pays
et de la population croissante de notre planète. en voie de développement », organisé en décem-
Elle rappelle que ce n’est que lorsque le monde bre 2007 à Paris par la fondation FARM. Grâce à
craint de manquer de nourriture qu’il se préoc- un très bon travail éditorial et à une sélection
cupe de l’agriculture vivrière. Dans les situations rigoureuse, les contributions ont été mises en
de paix, rares sont ceux qui se préoccupent des cohérence en trois parties, avec des introductions
malnutris. Pire, la légitime vague des préoccupa- stimulantes et 23 articles.
tions écologiques risque d’ancrer l’idée que les La première partie montre l’importance du
ressources sont trop limitées pour une planète financement de l’agriculture, sa spécificité, ses
surpeuplée alors qu’il est possible de nourrir risques et, souvent, l’inadéquation des produits
tout le monde. financiers offerts. Sont également fournies des
Au sommaire, des chapitres au titre évocateur indications sur les solutions apportées, avec des
comme « l’utilité politique des famines », « al- exemples indiens et maliens.
lons-nous mourir de faim ?», « peut-on vaincre La deuxième partie analyse certaines innova-
la faim en Afrique ? », etc. En conclusion, un livre tions (crédit, warrantage, assurance) et les im-
pédagogique et courageux, bien illustré. pacts de la microfinance agricole. Les résultats
Édition Larousse observés dépendent de la qualité des services et
285 pages, 25 euros du contexte socio-économique et politique.
ISBN : 978-2-03-584597-9 La dernière partie insiste sur la diversité des
acteurs impliqués et sur l’évolution des moda-
lités de leurs relations aux politiques publiques.
Après l’échec du tout État et du tout marché, il est
maintenant admis que le financement de l’agri-
culture requiert une forte intervention publique
qui, pour être efficace, doit s’inscrire dans le ca-
Souveraineté alimentaire. Refonder les politiques dre de politiques publiques élaborées de concert
agricoles avec les organisations paysannes.
Techniques financières et développement n¿ 94 C’est donc un ouvrage de synthèse et d’ouver-
ture sur les innovations en cours et à construire,
Pour son numéro de mars 2009, l’association Épar- fondé sur des études de cas d’Amérique latine,
gne sans frontière a choisi de traiter, à travers neuf d’Afrique et d’Asie. Un seul inconvénient, son
articles, le thème de la souveraineté alimentaire prix élevé.
et des politiques agricoles la favorisant. La mal- Édition Économica
nutrition d’un milliard de nos contemporains et 459 pages, 39 euros
la montée des risques de crise alimentaire nous ISBN : 978-2-7178-5725-2
obligent à nous interroger sur la capacité des
agricultures à nourrir la planète.
Les politiques agricoles devront mieux prendre
en compte que par le passé le défi de promouvoir
des agricultures devant être à la fois plus produc-
tives et plus respectueuses des ressources natu-
relles. À cet effet la revue aborde l’importance de
la sécurisation foncière et de l’amélioration de
l’accès au financement et aux marchés.
La prise de conscience que la nourriture n’est
pas une marchandise comme les autres est-elle
réelle ? Les discours changent, mais certains ta-
bous demeurent du fait de visions dogmatiques
de la libéralisation et de la dérégulation.
Publication de l’association
Épargne sans frontière-IGO
83 pages, 15 euros le numéro
ISBN : 1250-41

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Vie du réseau

Vers une plateforme panafricaine


des organisations paysannes
„Entretien de la Grain de sel : Pouvez vous présenter la plateforme politique agricole commune, et un projet d’ouver-
rédaction avec Mamadou panafricaine des organisations paysannes ? ture de son marché régional très fluide ; de l’autre
Cissokho. Mamadou Cissokho : La Plateforme panafricaine des des régions comme l’Afrique de l’Ouest, qui vient
Mamadou Cissokho est organisations paysannes n’existe pas encore officiel- d’établir sa politique agricole et qui commence juste
le président d’honneur lement, elle est en cours de création. Elle fait suite au à construire son marché régional, à qui l’on demande
du Réseau des processus de structuration des organisations paysan- d’ouvrir son marché en quelques années !
organisations paysannes nes (OP) en Afrique, qui a débuté avec la naissance Réunis à Addis Abeba en , les leaders des 
et de producteurs de du Réseau des organisations paysannes et de pro- réseaux régionaux d’OP au Sud du Sahara ont décidé
l’Afrique de l’Ouest ducteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) et d’autres de mettre en œuvre un processus devant aboutir à la
(Roppa). réseaux dans les régions africaines — la Fédération construction d’un réseau continental. Il a fallu pour
des agriculteurs est africains (EAFF), la Plateforme cela être solidaires, dépasser les divergences pour se
Consultez la version sous-régionale des organisations paysannes d’Afri- concentrer sur les questions qui touchent à nos mé-
longue de cette interview que Centrale (Propac), la Confédération des syndi- tiers d’agriculteurs, de pêcheurs et d’éleveurs. J’ai été
en ligne : www.inter- cats agricoles d’Afrique Australe (Sacau) et l’Union désigné facilitateur pour la construction de cette pla-
reseaux.org maghrébine des agriculteurs (Umagri). teforme, et l’une de mes tâches principales a été de
Quand les chefs d’État ont lancé le Nepad (le Nou- rallier l’Umagri à notre cause. Elle s’est finalement
veau partenariat pour le développement de l’Afrique, jointe à nous comme futur membre fondateur.
avec l’intégration d’un volet agriculture, le Cadep), le La plateforme panafricaine des paysans souhaite être
Roppa s’est mobilisé afin que les réseaux régionaux une interface au sein de l’Union Africaine : il existe
d’OP puissent être impliqués dans ce programme. déjà des réseaux continentaux de syndicats, d’ONG,
Avec l’appui du Fida, les leaders des  OP régionales de femmes, mais pas encore de plateforme paysanne
subsahariennes ont ainsi pu, pour la première fois, continentale. Nous espérons aboutir à la création of-
travailler ensemble sur ce programme. ficielle de cette plateforme d’ici avril .
Nous nous sommes également mobilisés ensem-
ble sur les négociations des APE : chaque région a GDS : Quelles sont actuellement les activités de la
conduit une étude sur l’impact potentiel des APE, plateforme ?
puis nous avons fait une synthèse et des recomman- MC : Pour avancer ensemble, nous travaillons sur
dations. Nous ne sommes pas opposés à un parte- des sujets importants à l’occasion de forums conti-
nariat avec l’Europe, mais la manière dont le projet nentaux, portés chacun par une région. L’Afrique de
était conçu ne nous convenait pas. La partie est très l’Est a déjà organisé un forum sur la compréhension
déséquilibrée : d’un côté l’Europe, unie, avec des di- du Cadep l’an dernier au Rwanda. Le Roppa, accom-
zaines d’années de structuration économique et de pagné du Cilss, de la Cedeao et de la FAO, a prévu
d’organiser en novembre ou décembre un forum sur
la souveraineté alimentaire portée par l’agriculture
familiale dans le contexte du changement climati-
que. Les représentants des différentes régions y se-
ront invités. L’Afrique centrale a proposé l’accès au
financement de l’agriculture familiale, et au niveau
du Maghreb, une proposition sur l’entreprenariat des
femmes a été faite.
Parallèlement, nous restons ensemble dans tous les
débats : la mobilisation sur les APE n’est pas termi-
née et, en ce qui concerne les négociations à l’OMC,
les réseaux iront ensemble porter leur voix lors de la
prochaine rencontre prévue en novembre.

GDS : Qu’est-ce qui fédère ces différents réseaux au


niveau continental ?
© Patrick Delmas

MC : Globalement, nous sommes d’accord sur le fait


que nous devons pouvoir vivre de nos métiers et que
pour cela nous devons avoir des prix rémunérateurs
dans la durée. Sur ce point, tous les paysans du mon-

40 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Vie du réseau

L’Afrique subsaharienne arrivera-


t-elle à nourrir ses habitants?
D e nombreux ouvrages et colloques traitent des problè-
mes cruciaux de l’alimentation de la population mondia-
le, de la nécessité de consacrer plus d’attention à cet enjeu
majeur et donc de faire du développement agricole une prio-
rité, en particulier en Afrique. Un point de vue sur ce sujet
pour continuer le débat…

L
de sont unanimes. Tout le monde reconnaît aussi „ Jean Claude Devèze ’A  est la région du mon-
l’importance de l’agriculture familiale, car dans la (jc.deveze@free.fr) est de où la part de la population agricole est, en
majeure partie de l’Afrique, ce sont des familles qui membre fondateur proportion, la plus importante (près des deux
produisent. d’Inter-réseaux, tiers), mais où la ration alimentaire par personne est
Nous nous posons la question de savoir quelle de- secrétaire général la plus faible en calories (  kcalories/j/hab, alors
vra être l’agriculture africaine de demain. L’Afrique d’Inter-réseaux et que les pays de l’OCDE sont à   kcalories/j/hab)
est un continent de petites agricultures familiales, directeur de la ainsi qu’en protides et en lipides. C’est aussi la région
attachées à produire une bonne partie de leur ali- publication de Grain de où la population devrait augmenter le plus fortement,
mentation, mais qui apportent aussi, dans une région sel. passant de  millions en  à , milliard en .
comme l’Afrique de l’Ouest,   du PIB régional : Pour faire face à la fois à cette augmentation de po-
on ne peut donc pas les mettre au rebut… pulation et à une amélioration de la ration alimen-
Nous sommes également d’accord et fiers de four- taire à un niveau correct de   kcalories/j/hab, la
nir nos régions en produits alimentaires, mais aussi production agricole devrait être triplée d’ici à .
d’exporter. Pour cela nous pensons que le marché Alors que les leaders paysans africains militent pour
ne s’écrit pas au singulier mais au pluriel. Exporter conquérir leur souveraineté alimentaire, des travaux
ne signifie par uniquement expédier des produits de prospective mettent en doute la capacité des agri-
vers l’Europe, les États-Unis ou la Chine : quand le cultures subsahariennes à mieux nourrir leur popu-
Sénégal envoie des produits au Ghana, c’est déjà de lation dans les prochaines décennies.
l’exportation. Nous pensons enfin qu’il y a en Afri- Ainsi deux scénarios ont été élaborés par la pros-
que d’importantes pistes de marchés à structurer : pective Agrimonde ¹, conduite par le Cirad et l’Inra.
les marchés doivent être construits avec des méca- Dans un premier scénario, la croissance économi-
nismes, des règles sur la circulation des produits, que est privilégiée aux dépens de l’environnement et,
leur qualité. Nous avons déjà fait des demandes à ce dans un deuxième scénario la recherche d’un déve-
sujet aux autorités. loppement durable (utilisation de moins d’engrais
Il est cependant difficile de trouver des accords à que dans le premier) et d’une diminution des per-
  sur tous les sujets. Cela dit, il n’y a pas de réel- tes le long de la chaîne alimentaire de la récolte à la
les divergences entre les réseaux, mais plutôt des réa- consommation sont mises en avant.
lités et des intérêts différents. Dans les deux hypothèses, l’Afrique subsaharienne
Dans la construction continentale, nous sommes en  serait en déficit alimentaire, mais de façon
dans un processus fondé sur la solidarité dans l’auto- plus importante dans le deuxième scénario.
nomie (principe de subsidiarité). À l’échelle continen- Par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique
tale, il est évidemment impossible de traiter toutes subsaharienne, comme l’Amérique latine, se carac-
les questions : certaines relèvent du niveau local ou Hypothèses térise par des surfaces cultivables importantes en-
national, et il est important de respecter l’autonomie Agrimonde pour core disponibles et par des surfaces irriguées faibles. Ü
des pays, pour ne se focaliser que sur les questions l’Afrique au sud du
transversales concernant tous les pays, comme les Sahara . voir Kiosque du Grain de sel nº .
négociations à l’OMC, ou encore le taux élevé des
crédits, le coût de l’énergie, le transport, les infras-
tructures…
1er scénario 2e scénario
Si nous arrivons à nous battre ensemble pour ré- Afrique Sud Sahara Situation 2003
2050 2050
gler ces problèmes majeurs, le reste sera du détail.
Nos partenaires doivent aussi comprendre qu’il faut
qu’ils travaillent au renforcement de ces processus, Population 0,7 milliard 1,66 milliard 1,66 milliard
qu’aujourd’hui la structuration aux niveaux natio-
nal, régional et continental est un enjeu primordial
pour les paysans. § Surfaces cultivées (millions d’ha) 202 303 339

Pâtures (millions d’ha) 783 1 161 691

Rendements végétaux (kcalorie/


9 582 23 133 11 750
jour/ha)

Grain de sel 41
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Vie du réseau

Û Agrimonde estime, en , les surfaces cultivées en Dans cette région où le potentiel d’augmentation
Afrique subsaharienne à  millions d’hectares et la de production est important, il s’agit de maîtriser
FAO évalue à   la part des surfaces cultivées par l’utilisation d’une abondante énergie solaire, d’une
rapport aux surfaces cultivables ; une bonne part de eau à la disponibilité aléatoire et de sols souvent dif-
ces surfaces cultivables actuellement non cultivées ficiles à cultiver. Ce ne sont pas les solutions techni-
sont fragiles et doivent être protégées. Les rendements ques qui manquent, allant de l’emploi de plus d’en-
en équivalent blé, pour comparer les calories dispo- grais à la mise en place de nouveaux systèmes de
nibles par hectare, sont estimés à  tonne en Afrique production agro écologiques ; ce sont les conditions
subsaharienne, soit trois fois moins que ceux des ré- de leur mise au point et de leur mise en œuvre qui
gions du monde les plus productives (ces dernières doivent être réunies.
étant souvent près d’atteindre un seuil difficile à dé- Comment appuyer les agricultures familiales sub-
passer sans remise en cause des équilibres d’écosys- sahariennes ? Comment promouvoir en leur sein le
tèmes déjà mis à mal dans trop de cas). capital humain disponible, sachant que celui-ci est
En Afrique subsaharienne, malgré des zones ex- actuellement gaspillé faute de mise à disposition de
cédentaires en produits vivriers et malgré le dyna- possibilités de formation et d’innovation, et d’un
misme des agricultures périurbaines, la balance com- environnement social, économique et réglemen-
merciale des produits agricoles pour l’alimentation taire favorable ?
est déficitaire pour des produits essentiels comme Ceci ne nécessite-t-il pas avant tout une volonté
les céréales, l’huile, le poisson, la viande d’animaux politique africaine forte, et pas seulement au niveau
à cycle court et le lait. Si la balance commerciale en- gouvernemental, pour promouvoir des politiques pu-
tre importations et exportations de produits agroa- bliques réellement concertées, nationales et régiona-
limentaires est légèrement excédentaire, cette région les ? Les priorités ne doivent-elles pas être choisies
s’adapte difficilement à la demande urbaine de pro- avec les organisations agricoles, mais aussi avec les
duits plus faciles à cuisiner et peine pour augmenter autres acteurs, dont les consommateurs urbains ? La
les échanges régionaux. « ténacité » ne doit-elle pas être le maître mot pour
La question qui est posée, après les émeutes de la permettre que les modalités mises au point avec les
faim de , est celle du risque de nouvelles crises acteurs concernés soient ensuite appliquées dans la
alimentaires et de l’augmentation de la part des afri- durée ?
cains mal nourris du fait de l’augmentation rapide Même en cas d’augmentation substantielle de la
de la population et de la stagnation de la production, production vivrière de l’Afrique subsaharienne, au vu
en particulier au niveau des rendements en céréales de la diversité des situations et des aléas multiples, les
et tubercules. Ceci est d’autant plus inquiétant que échanges agricoles seront toujours nécessaires entre
la crise économique en cours, les menaces de crise zones excédentaires et déficitaires régionales. L’enjeu
climatique, la dégradation de certains écosystèmes est la régulation de ces échanges en période de prix
surexploités et le manque d’intérêt de trop de respon- bas comme élevés ; ceci nécessite de mettre en place
sables politiques confortent actuellement les prévi- des mécanismes de stabilisation des prix, de stockage
sions pessimistes concernant l’Afrique subsaharienne. et de protection, à envisager à différentes échelles,
Comment sortir du pénible contraste entre les mul- mais en priorité au niveau régional.
tiples beaux discours sur la nécessité de promouvoir D’après tous les prévisionnistes, il est illusoire de
les agricultures africaines et la faiblesse des résultats compter sur de fortes augmentations des prix agri-
des actions engagées pour y parvenir ? coles en Afrique subsaharienne, vu la pauvreté des
populations urbaines, pour permettre aux agricul-
teurs familiaux d’investir sur leurs exploitations. Ceci
renvoie à la nécessité de transferts financiers en leur
faveur et d’investissements publics pour améliorer
leur environnement économique et social, à l’exem-
ple de ce qui a été fait et est encore fait dans le cadre
des pays de l’OCDE. Le débat porte sur la nature et
les montants de ces transferts, sur leur origine, sur
la maîtrise de leur mise en place, sur leurs conditions
et sur leur compatibilité avec les doctrines libérales
actuellement dominantes. Pour sortir de ces débats
par le haut, un rôle majeur revient aux responsables
africains qui doivent créer un climat de confiance
vis à vis de ceux qui les soutiennent financièrement,
mais aussi et surtout vis à vis de leurs mandants en
rendant crédible leurs politiques et leurs projets. §
© Patrick Delmas

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Vie du réseau

Inter-réseaux se mécanise… Entre nous


Inter-réseaux a réalisé en avril 2009 un traction animale (Prommata) travaille Djibril Fofana, étudiant à l’Institut privé
bulletin de veille (BDV) thématique sur un sur le développement de matériel, la de relations internationales et stratégi-
sujet remis au goût du jour par l’actuali- formation à sa fabrication et à son utili- ques (IRIS) a rejoint l’équipe du secréta-
té : la mécanisation agricole. Avec la crise sation. www.prommata.org/ » (Hélène). riat exécutif pour effectuer un stage à
alimentaire, des initiatives pour mécani- Inter-réseaux en mai 2009. Il sera avec
ser les opérations culturales, améliorer la Suite à ce bulletin de veille, Inter-ré- nous jusqu’à fin septembre. Il est parti-
productivité du travail et augmenter la seaux a été invité à participer au forum culièrement impliqué sur ce numéro de
production ont fleuri dans tous les pays Safir (le 4 septembre 2009 à Treffieux, Grain de sel. Il a également coordonné la
d’Afrique subsaharienne. France) et en particulier à une table parution d’un numéro spécial du bulletin
Mais au-delà des déclarations des auto- ronde organisée par la FNCuma, avec de veille sur le thème : Pastoralisme, agro
rités ouest-africaines, qu’en est-il réelle- pour thème « Mécanisation partagée pastoralisme et alimentation du bétail
ment ? Où vont les nombreux tracteurs en Afrique : est-ce possible ? ». au Sahel.
indiens et chinois ? Quelles sont les ini- Étaient présents, pour apporter une Le Conseil d’administration a confirmé
tiatives de motorisation agricole déve- expérience relative à ce sujet, Ivan Al- la décision du Comité de rédaction de
loppées dans cette sous-région ? Qu’en quier (président de la FRCuma Aquitaine) Grain de sel concernant les thèmes des
est-il de la culture attelée ? représentant l’expérience des Cuma bé- prochains dossiers de votre revue. Le pro-
www.inter-reseaux.org/bulletin-de-veille/no143- ninoises, Esaïe M’Baïtelsem Betel coordi- chain numéro portera sur la mécanisation
la-mecanisation-agricole/article/bulletin-de- nateur de l’Atader, association tchadienne agricole (décembre 2009) et en 2010 les
veille-no143-la appuyant les Gumac (groupements sur la premiers numéros seront sur les risques
culture attelée). Valentin Beauval, mem- en agricultures et le changement clima-
Autant de questions soulevées dans bre d’Inter-réseaux, a aussi pu partager de tique. Puis nous aurons un dossier sur le
ce BDV et qui ont suscité de nombreuses multiples expériences dans ce domaine. Nigeria et ensuite sur les responsables
réactions parmi vous. La qualité des interventions a éveillé l’in- et leaders paysans africains.
En voici, quelques extraits… térêt du public sur ce sujet et les nom-
« Il est en effet intéressant de reparler de breux échanges, avant, pendant et après
la mécanisation après environ une décen-
nie où elle n’était plus d’actualité dans
le forum, ont été constructifs. Les débats
continuent au sein de la FNCuma… Annonce aux
les programmes de développement et de
recherche. Il n’est pas inutile de dire une De son côté, Inter-réseaux, n’en reste abonnés de
fois encore de ne pas oublier la traction
animale qui continue à progresser dans les
zones favorables. » (Michel Havard)
pas là non plus et consacre le prochain
numéro de Grain de sel à ce sujet avec
pour fil directeur « mythes et réalités
Grain de sel
« Au moment où certains prônent en multiples de la mécanisation agricole »
Afrique la diffusion de tracteurs équipés (sortie décembre 2009). Pour approfondir Afin d’économiser des frais de port et
de charrues et de covercrop, d’autres en la réflexion et faire ressortir les réalités d’édition, de plus en plus coûteux, nous
Amérique Latine jettent ces outils aux or- complexes et diverses de la mécanisa- vous proposons de recevoir Grain de sel
ties : les diverses formes de semis direct tion-motorisation agricole en Afrique, via email en format PDF. Si vous êtes d’ac-
(SCV) y occupent des millions d’hectares » n’hésitez pas à nous faire parvenir vos cord, merci de nous le confirmer par email
(Valentin Beauval) contributions. À vos articles, à vos idées, à l’adresse suivante : secretariat@inter-
« Sur la traction animale : l’association à vos réactions ! reseaux.org, en n’oubliant pas de préciser
Promotion du machinisme moderne à vos nom, prénom, organisme et adresse
postale pour que puissions vous retirer
de notre liste d’envoi courrier.

Forum Safir
(septembre
2009)

Grain de sel 43
nº 46-47 — mars – août 2009
on en parle… directeur
de la publication Jean-Claude Devèze

rédactrice en chef Anne Perrin

comité de rédaction Estelle Deniel (rédactrice en chef

intérimaire), Roger Blein, Patrick Delmas,

Daouda Diagne, Benoît Faivre-Dupaigre,

Dominique Gentil, Christophe Jacqmin,

Anne Legile, Souleymane Ouattara, Philippe

Remy, Joachim Saizonou, Rose Somda, Joël

Teyssier, Marie-Pauline Voufo


Accès au marché et com-
mercialisation de pro- conception graphique, mise en œuvre Bureau Issala

duits agricoles. photogravure, impression IMB, 14400 Bayeux


Valorisation d’initiatives de éditeur Inter-réseaux — 32, rue Le Peletier
producteurs et enseignements 75009 Paris
d’une démarche de réflexions
téléphone : +33 (0) 1 42 46 57 13
collectives. Groupe de travail
« Accès au marché et commercialisation de produits agricoles » gds@inter-reseaux.org
Présenté par A. Lothoré, P. Delmas. Inter-réseaux, CTA, AFD, www.inter-reseaux.org
,  p + annexes
dépôt légal 3e trimestre 2009
Recension par Dominique Gentil :
ISSN 1253-0166

E
 A , les paysans rencontrent des diffi- aux idées reçues ;
cultés pour vendre leurs produits agricoles et en tirer un revenu : ii) les commerçants ne sont
manque de débouchés, prix peu élevés et volatils, rapports de pas forcément des voleurs ; iii) transfor-
force défavorables… Pour autant, des paysans et leurs organisations mer, commercialiser et transporter sont de véri-
paysannes (OP) s’organisent et développent des initiatives riches et tables métiers, et les OP ne peuvent pas se substituer
variées pour améliorer les conditions de mise en marché, de négocia- facilement aux professionnels ; iv) il existe une gamme
tion, de transaction, et ainsi mieux vivre de leurs activités. de solutions possibles, collectives mais aussi individuel-
Un Groupe de travail animé par Inter-réseaux est reparti de ces les. Elle dégage enfin un certain nombre de convictions,
initiatives concrètes, trop peu connues. La construction de la réflexion de recommandations et de questions ouvertes quant aux
collective lors de ce processus s’est faite i) en choisissant certaines démarches d’appui aux dynamiques locales.
de ces initiatives, jugées intéressantes à analyser et à partager, ii) En définitive, un document d’une très grande richesse. Le
en créant des espaces et supports d’échanges (visites, fiches, bandes lecteur y trouvera une synthèse sur les différentes manières
sonores, vidéos, guides d’animation…) et iii) en discutant et com- d’améliorer l’accès au marché et une analyse critique des pro-
parant ces expériences lors d’ateliers et forums. cessus d’échange d’expériences et de leurs supports. La lecture
La première partie du document présente la démarche générale du du texte, assez dense, est facilitée par de nombreux dessins,
Groupe de travail qui a directement impliqué plus de  personnes illustrations et encadrés. Il permet de dépasser les préjugés et
d’une cinquantaine d’organisations professionnelles et d’appui, dans simplifications pour aller vers des démarches d’analyse et de
une dizaine de pays africains (groupe particulièrement actif entre construction de solutions à adapter à chaque situation, en s’ap-
 et  grâce au CTA). puyant entre autres sur l’analyse de cas concrets, qui montrent
La seconde partie, cœur du document, est composée de  fiches les intérêts mais aussi les limites et risques d’échec de certaines
présentant chacune un type d’action liée à la commercialisation : des « bonnes solutions » prêt à porter.
actions individuelles de paysans (bord champ ou dans les marchés Ce texte illustre bien l’originalité de l’approche d’Inter-réseaux :
de proximité) et des actions collectives menées par des OP, seules sur un sujet important, mener dans la durée une réflexion collective
ou en liens avec d’autres acteurs de la filière (au niveau de plates- à partir de cas concrets et en faisant interagir des acteurs d’horizons
formes de concertation, d’organisations interprofessionnelles et/ou divers (acteurs directs des actions de commercialisation, acteurs
avec l’État). Chaque fiche présente des principes, exemples, intérêts en appui...), grâce à un processus d’animation visant à dépasser les
et limites du type d’action analysé. cloisonnements et idées reçues, au Sud comme au Nord.
La dernière partie tire les enseignements du processus d’analyse
participative des initiatives locales. Elle souligne des facteurs d’échec Commandez gratuitement la version imprimée de ce livre en con-
ou de réussite des actions de commercialisation et apporte des élé- tactant Inter-réseaux soit par email (secretariat@inter-reseaux.org),
ments de réflexion sur la démarche et les outils. soit par téléphone (+ ()    ). Il est aussi possible de le
La conclusion retient notamment que : i) il faut rester prudent face télécharger : www.inter-reseaux.org

Recevoir Grain de sel

Grain de sel est diffusé par abonnement gratuit pour les ressortissants du Sud, et payant au Nord
(20 euros pour 4 numéros, chèque à l’ordre de Adeprina – Inter-réseaux). Pour vous abonner, envoyez
un courrier postal avec vos prénom, nom, adresse postale et adresse de courrier électronique à Inter-
réseaux, 32 rue Le Peletier, 75009 Paris ou un message à : secretariat@inter-reseaux.org

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