Aix-en-Provence
Lundi 18 Mars 2024
La coopérative tretsoise est
la seule de France à produire
des herbes de Provence
cultivées 100 % en Provence.
Tous, responsables et
producteurs adhérents ont
fêté il y a quelques jours les
cinq ans du thym IGP et les
20 ans du label Rouge herbes
de Provence.
/ PHOTO FRÉDÉRIC PORCU
Unis pour protéger les herbes
et le thym de Provence
Traçabilité garantie de la graine à l’assiette, les plantes aromatiques de la coopérative les Aromates de Provence sont
cultivées, récoltées, séchées et mises en sachet en Provence. Gage de qualité dans cette filière agricole ultra-concurrencée.
I
l veut planter de lauthentique par-
tout !*" A la coopérative de Trets
comme dans les romans de Mar-
cel Pagnol, ça sent fort, ça sent
bon, l’authentique. Celle des collines,
du romarin, de marjolaine, de sarriette
et de farigoule. Ce thym si odorant
qu’à lui seul il embaume toute la Pro-
vence. Tant de fois copié mais jamais
égalé, que sa protection en devenait né-
cessaire. La coopérative les Aromates
de Provence, la seule de France à pro-
duire des herbes de Provence cultivées
100 % en Provence, a fêté il y a
quelques jours les cinq ans du thym
IGP.
Grâce au travail d’un ethnobotaniste
inconditionnel du thym, des mar-
queurs ont été identifiés. Verdict : le
thym de Provence est à carvacrol, celui
d’Espagne c’est du thymol. Bref, diffé-
rentes variétés se sont développées et
adaptées à la terre sur laquelle elles
poussent. "Le climat fait la différence et
on retrouve un thym différent sur
chaque zone géographique. Le cahier
des charges de l’IGP a été calé sur ces cal-
culs et données. Les limites du thym car-
vacrol, et donc de l’IGP Thym de Pro-
vence, s’arrêtent à Montélimar (26) et à
30 km au-dessus de Sisteron (04), jus-
qu’au Var, et au sud-est de l’Ardèche et
du Gard" explique Emmanuel Bozon,
responsable de la coopérative. Pour
avoir du thym de Provence, il faut donc
produire dans cette enclave géogra-
phique. Grâce à un Mistral glacial l’hi-
ver et à l’été plombant, il sécrète ce car-
vacrol qui lui donne son arôme si spéci-
fique, puissant et piquant. "Cette pro-
tection a permis que ceux qui impor-
taient du thym de Pologne et ré-étique-
taient ici sous le nom ’Provence’, ne
puissent plus le faire."
Aujourd’hui ’herbes de
Provence’ est un nom
générique comme la
moutarde de Dijon. Tout
le monde peut mettre
herbes de Provence sur ses
étiquettes même si elles
sont cultivées au Maghreb
ou dans les pays de l’Est.„
Ne pas tout perdre
Chose qui n’a pas été faite en temps et
en heure pour les herbes de Provence.
Ce nom emblématique a été perdu,
malgré toute la volonté et le travail de
l’association interprofessionnelle des
herbes de Provence pour le préserver.
"Aujourd’hui ’herbes de Provence’ est
un nom générique comme la moutarde
de Dijon. Tout le monde peut mettre
herbes de Provence sur ses étiquettes
même si elles sont cultivées au Maghreb
ou dans les pays de l’Est. Ça représente
90% de ce qui est consommé en France."
S’il était, donc, impossible d’obtenir
une indication géographique protégée
(IGP), le label Rouge Herbes de Pro-
vence obtenu en 2004, garantit une tra-
çabilité et une qualité. "Ils voulaient
qu’on mette ’herbes pour grillades’ ou
’herbes pour barbecue’, sauf qu’on est
les seuls à faire des herbes de Provence
en Provence et on aurait été les seuls à
ne pas pouvoir les appeler comme ça !
C’était le monde à l’envers mais on s’est
remis autour de la table et le label
Rouge a vu le jour" s’enthousiasme Na-
thalie Vucher, secrétaire générale de
l’association des producteurs d’herbes
aromatiques.
En inscrivant dans un cahier des
charges, une recette précise d’un mé-
lange défini d’herbes, "ils ont fait en
sorte que seules les herbes cultivées en
Provence puissent l’obtenir. Tout est
normé. Il impose notamment d’avoir
du thym à plus de 3% d’huiles essen-
tielles par exemple. Et un thym sous
serre poussé en Pologne, c’est impos-
sible qu’il est ce taux-là. C’est le climat
provençal qui fait la différence. Les
herbes de Provence doivent brûler en
plein Mistral. Chez nous, avec les impor-
tantes variations de températures entre
l’été chaud et l’hiver, le thym subit le
stress de son environnement et produit
des huiles essentielles."
Malgré un nom usurpé, cette recette la-
bel Rouge de sarriette, romarin, origan
et thym est unique. Concrètement,
pour être labellisées, ces plantes aro-
matiques ne peuvent être produites
que par la quarantaine de producteurs
de Paca et de la Drôme provençale,
tous adhérents des Aromates de Pro-
vence. En 20 ans, ce gage de qualité a
permis de quadrupler la production
pour atteindre les 40 tonnes en 2023.
La Provence
Marché en croissance
Jusqu’à présent, cette coopérative qui
fonctionne sur les mêmes principes
que son homologue vinicole, commer-
cialisait 120 tonnes annuelles d’herbes
sèches triées. De nouvelles installa-
tions remplacent depuis peu, les an-
ciennes lignes de triage, avec l’ambi-
tion de doubler la production.
Pour ce faire, il faut également augmen-
ter le nombre de producteurs et de sur-
faces cultivées. Un travail à temps
plein pour les sept salariés de cette co-
opérative. "Il faut qu’on les trouve et les
installe. On doit être assez attractif en
termes de rémunération. Il faut réussir
à ce qu’ils aient des intérêts à produire
des plantes aromatiques. Certains qui
font déjà du maraîchage, ont envie de
diversifier une partie de leurs activités,
en cultivant en moyenne 10 hectares.
D’autres vont s’installer. Bien sûr, pas
trop nombreux pour éviter la surpro-
duction. C’est un équilibre à trouver
mais nous devons nous développer" pré-
cise Emmanuel Bozon. "Tout ce qui
nous manque, c’est de la place. Le bâti-
ment a été agrandi mais on a eu
d’énormes difficultés. On aurait dû fi-
nir le projet depuis un an car on a obte-
nu les financements du plan France Re-
lance en 2021. On attend toujours des
validations du permis de construire
pour qu’à moyen termes, nous ayons un
bâtiment supplémentaire pour le sto-
ckage."
Faute de cet espace, les agriculteurs
stockent les plantes sèches chez eux.
Toute l’année, ils apportent leur ré-
colte préachetée par la coopérative
afin de leur assurer leur trésorerie. Elle
sera ensuite calibrée, analysée, puri-
fiée afin qu’il n’y ait plus ni poussière,
ni terre, ni cailloux "car ça sort directe-
5
ment des champs" ; puis mise en sa-
chet. 100 tonnes de thym sont égale-
ment vendues fraîches en branche
pour des clients qui en font des bou-
quets.
Avec un chiffre d’affaires de 2,6 mil-
lions d’euros et une croissance
constante, la coopérative sécurise la
production en assurant l’achat des
herbes à prix fixe aux 42 agriculteurs
adhérents. De plus, parmi les 200 hec-
tares de plantes aromatiques cultivées
en Provence, 30 % sont bio.
De la colline aux champs
Dans les années 70, les herbes de Pro-
vence encore cueillies dans les collines
n’intéressaient qu’une poignée de pro-
fessionnels amoureux de leur Pro-
vence et de leurs terres. Ils se re-
groupent sous deux entités, la Copami-
var (1987) en Paca et le Geppam (1978)
dans la Drôme. Pour faire face à la
concurrence internationale fracassant
les prix du marché et produisant en
masse de la mauvaise qualité, ils
s’unissent en 2015 pour créer les Aro-
mates de Provence à Trets. Main dans
la main avec l’association interprofes-
sionnelle des herbes de Provence, qui
gère la défense du thym de Provence
IGP et du label Rouge Herbes de Pro-
vence. Pari gagné, ces marques de qua-
lité ont permis de produire plus, mieux
et d’être reconnu comme un sa-
voir-faire du terroir provençal.
Demain, la volonté est de protéger, par
une même IGP, le romarin. Même si
toute concurrence aussi lointaine
soit-elle, n’aura jamais l’odeur de la
garrigue.
Laure GARETA
* Ugolin dans ’Jean-de-Florette’.