Actes de la recherche en

sciences sociales

La constitution du champ de la bande dessinée

Luc Boltanski

Abstract
The establishing of the cartoon field
Until recent times (1960-1970), the cartoon possessed the properties common to most of the symbolic goods produced for a
wide-range audience : subjugation of producers to the laws of the market, anonimity, uniformity of products, etc. An ensemble
of changes, without a doubt linked, for the most part, to the increase in school attendance, have been at the origin of the
constituting of a "field" of the cartoon, possessing some of the properties of the fields of scholarly culture. The analysis of the
process of the canonization of the cartoon is the opportunity to observe the modifications which the establishing of a specifie
culture -of a relatively autonomous field, of a mechanism (reviews meetings, prizes, editors, institutions of learning, etc.)
introduces in the producers'characteristics, in the formal properties of the works and in the type of relationship which the
producers maintain toward the works.

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Boltanski Luc. La constitution du champ de la bande dessinée. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 1, n°1,
janvier 1975. Hiérarchie sociale des objets. pp. 37-59;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1975.2448

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1975_num_1_1_2448

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 37

LUC BOLTANSKI
autonome,
prix,
introduit
les
oeuvres
La
bande
des
csavante
champ
commentateurs,
de
onstitutionrelations
description
propriétés
mécanismes
d'une
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etc.—
dans
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formelles
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caractéristiques
les
qui
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être
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accompagnent
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des
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l'apparition
champ
qui
àd'analyser
producteurs,
etl'intérieur
que
ont
dans
derelativement
affecté
la
culture
congrès,
etc.)
leavec
certains
d'un
type
dudans
lales

la constitution

du champ de la

bande dessinée Depuis son apparition à la fin du 19è siècle jusqu'à

une époque récente (1960 environ), la BD possède les
propriétés communes à la plupart des biens produits
dans le champ de grande diffusion et tient ses
caractéristiques génériques de la position dominée qu'elle
occupe dans l'ordre des légitimités et de son autonomie
très faible par rapport au champ économique,
propriétés qui ont notamment pour conséquence
l'as ujet is ement des producteurs aux lois du marché le
dessinateur de BD travaille, souvent dans l'urgence, pour un

:
marché anonyme dont la contrainte s'exerce
essentiellement par l'intermédiaire des éditeurs spécialisés
(Société française de presse illustrée, Sage édition,
Vaillant, etc.) et surtout des agences -comme Opera
Mundi, Intermonde, etc. (filiales le plus souvent des
deux grandes firmes de distribution américaines
King Features Syndicate, United Features Syndicate) qui
détiennent le pouvoir de commander une bande à un
dessinateur pour répondre à la demande précise d'un
journal, d'imposer un scénariste à un dessinateur et
vice versa, de changer de dessinateur ou de
scénariste en cours de parution, de choisir les magazines

(1) La notion de champ a été développée par P. Bourdleu,

notamment dans les articles suivants "Le marché des biens
symboliques", L'Année sociologique, 22, 1971, pp. 496-126 ;
:

"Genèse et structure du champ religieux", Revue française de

sociologie. 12 (3), 1971, pp. 295-334 ; "Champ du pouvoir,
chan'p intellectuel et habitus de classe", Scolles , 1, 1971,
pp. 7-26, ainsi que dans "Le couturier et sa griffe", publié
dans ce numéro de Actes.
Luc Boltanski
dans lesquels seront publiées les bandes bref, de
définir dans une très large mesure le contenu et les
propriétés formelles des oeuvres. La relation entre le
producteur - tenu dans un "quasi- anonymat", comme
dit Goscinny- et son public s'établit presque
exclusivement par la médiation du tirage et des chiffres de
vente indicateurs du succès commercial de l'oeuvre
donc de sa "valeur" (aux sens économique et
esthétique en ce cas largement confondus) . Ce public est
composé d'enfants ou, lorsqu'il s'agit d'adultes, surtout
de membres des classes populaires, donc d'un agrégat
d'agents qui ont en commun d'être placés en dehors du
champ de légitimité culturelle .
La réussite professionnelle du producteur se mesure
essentiellement en termes pécuniaires; l'importance
des ventes détermine également la relation,
objectivement et subjectivement établie sur le mode des
relations marchandes / qu'il entretient avec les éditeurs et
les agences et qui peut aller de la soumission totale
à la liberté relative (au moins dans les horaires de
travail, le rythme de publication, etc.) du "travailleur
indépendant".
Il n'existe pas de culture propre au champ doté
presque exclusivement d'une valeur marchande elle-même
:
très fluctuante et soumis à une consommation
ponctuel e, le produit n'est pas conservé, accumulé, archivé.
Le producteur peut exercer son métier sans connaître,
au moins de façon systématique, l'oeuvre de ses
prédécesseurs que l'absence d'un appareil de célébration
et de conservation (critiques, commentateurs,
historiens, enseignants, etc. ) rend d'ailleurs difficilement
accessible. Pour les mêmes raisons, les producteurs de
BD ne connaissent pas systématiquement l'oeuvre des
autres producteurs qui leur sont contemporains,
auxquels ils font rarement référence, implicitement ou
explicitement, et leur activité tout entière orientée vers
la satisfaction de la demande échappe à la logique de
la distinction à laquelle obéit, par exemple, le champ
de l'art légitime. Les savoir-faire spécifiques et les
techniques graphiques se transmettent entre les
générations par voie orale et surtout par la démonstration
(comme dans l'apprentissage traditionnel) et se
conservent sous la forme routinisée d'un corps de préceptes
acquis par l'usage et en ordre dispersé, mode de
conservation essentiellement pratique qui assure
l'obtention d'oeuvres homogènes et conformes (et de
producteurs largement substituables) sans les coûts du travail
de rationalisation et d'explicitation Joseph Gillain,
par exemple, dont l'influence s'est fait sentir sur la
:
plupart des jeunes dessinateurs français et belges (cf.
infra), transmet sa compétence à des "apprentis",
comme Franquin, Morris ou Jean Giraud, alors à leurs
débuts, qui font "l'encrage" de ses "crayonnés".
Enfin, les producteurs entretiennent également une
relation anonyme à leur oeuvre : ils publient sous
plusieurs pseudonymes différents, reprennent des séries
dessinées par d'autres producteurs dont ils adoptent le
style, partagent avec d'autres dessinateurs la
production d'une même planche (division du travail entre
celui qui fait le crayonné, l'encrage, la couleur ou, dans
38
les grands studios, relativement rares en Europe,
comme le studio Hergé (2), entre les spécialistes des
décors, des personnages, du lettrage, etc.). Un des
meilleurs indices de distance par rapport à l'attitude
sacralisante qui définit la relation aux oeuvres dans
le champ de la culture savante réside sans doute dans
le fait que les producteurs, jusqu'à une époque
récente, ne tiennent pas la bibliographie de leurs
propres oeuvres et sont incapables, pour la plupart, de
fournir une liste même incomplète de leurs
publications .
Dans les cas les plus favorables à la réalisation d'une
oeuvre "d'auteur", la recherche de l'exactitude, que
des groupes artistiques ou intellectuels plus légitimes
appelleraient "primaire", (Jacques Martin déclare avoir
lu, pour réaliser Alix, "Socrate , Aristophane, Platon,
Tite-Live, Diodore de Sicile et les travaux du
professeur Goedtz, faits en Sorbonne sous Napoléon III sur
l'époque républicaine romaine") et l'imitation des
"dessins de maître" -comme dit Paul Cuvelier -
représentent les ambitions maximum des dessinateurs de
BD. La bande dessinée est souvent pour eux le produit
d'un choix négatif : nombre de dessinateurs, issus des
classes supérieures (le plus souvent des fractions
éloignées du pôle intellectuel, ingénieurs, gros
commerçants, cadres, etc.) ont entrepris une reconversion
tardive dans la BD après l'échec d'une carrière aiüsti-
que (c'est le cas par exemple de Edouard Paape,
Jacques Martin, Paul Cuvelier, Paul Gillon, Joseph
Gillain, Raymond Mache rot, etc. ). Ces reconversions
par défaut dans une activité sans prestige et qu'ils
ont eux-mêmes longtemps méprisée sont au principe
de nombre de leurs attitudes professionnelles depuis
la distance ostentatoire au métier qu'ils exercent et
dans lequel ils refusent d'investir leur intérêt et leur
ambition ("puisqu'il faut quand même bouffer, je suis
obligé de me rabattre sur la bande dessinée" -Paul
Cuvelier- ) jusqu'au double ressentiment dirigé aussi
bien vers les fractions intellectuelles ("les grosses
têtes", "les types qui se prennent au sérieux") que vers
les fractions dominantes de la classe dominante ("ceux
qui gagnent du fric", "les éditeurs qui nous exploitent",
etc.).
"Il faut vous dire que moi, je suis un peintre raté -
déclare Raymond Macherot dans une interview -. J'ai
toujours peint depuis l'âge de 15 ans et c'est en
peinture que j'aurais voulu réussir. Je peins toujours, bien
sûr, un petit peu, mais ce n'est plus la même
chose ... Raté par lâcheté, probablement, par manque
de courage devant la vie ... C'est là dedans que
j'aurais voulu réussir gagner suffisamment d'argent pour
:
(2) Aux Etats-Unis, à l'inverse, la plupart des BD sont
produites dans des grandes entreprises intégrées fondées sur
l'organisation rationnelle du travail en équipe. Schulz a été
sans doute le premier dessinateur de BD américain à
travail er seul et de façon artisanale. C'est pour cette raison
notamment qu'il a pu Être reconnu comme un des "précurseurs"
de la BD dite "underground".
 39
vivre, pas une fortune mais assez pour vivre bien.
Surtout être reconnu par quelques amis comme un
peintre ... Je viens de lire un bouquin sur la
manière dont vivait Picasso et ça m'a drôlement secoué :
voilà un gars qui s'est amusé en gagnant bien sa vie'.
C'est ça la réussite'.". Parlant d'une dépression
nerveuse pour laquelle il s'est fait soigner trois ans
auparavant il déclare encore "... On ne se sent pas
aimé. C'est un peu cela qui donne le signal : on
:
cherche l'amour, l'amitié en s 'imaginant qu'on n'a rien de
tout ça. Et puis on a des peurs, des angoisses. Et
uïi jour ça craque brusquement : c'est le désespoir
total, le sentiment de vide absolu ... On se sent
inutile, on remet toute sa vie en question : j'ai pensé que
j'aurais dû être peintre, pas dessinateur et j'étais
convaincu que j'avais tout raté, qu'il était trop tard.
C'était ça mon grand malheur" (3).
L'apparition d'un champ possédant certaines propriétés
des champs de culture savante est le produit de la
rencontre d'un ensemble de changements relativement
indépendants et structuralement homologues qui ont
affecté le public, les producteurs de bande dessinée,
le champ intellectuel et qui sont sans doute liés pour
la plupart, quoique selon des modalités différentes, à
l'élévation du taux de scolarisation et à la translation
des chances d'accès au système d'enseignement. Ces
changements, qui se sont renforcés mutuellement, ont
tendu à prendre la forme d'un mécanisme auto-entre-
tenu tout se passe comme si la réalisation des
propensions enfermées à l'ciat latent sous forme de
:
dispositions dans les différents agents ou groupes d'agents
était le produit de leurs interactions et/ou de leurs
relations objectives sans qu'il soit possible, au moins
en l'état actuel de l'information, de définir le poids
fonctionnel qui revient à chacun des facteurs de ce
processus circulaire (4).
Les nouveaux dessinateurs et leurs propriétés sociales
La transformation du champ est corrélative de
l'apparition d'une nouvelle génération de dessinateurs et de
(3) Les propo3 reproduits dans ce travail sont extraits pour
la plupart d'interviews publiées dans les revues Phénix et
Les Cahiers de la Bande dessinée.
(4) Une etude de la profession de dessinateur (et non de la
constitution du champ de la BD) exigerait que soient pris en
compte non seulement les quelques dessinateurs dont le nom
est associé à l'entreprise de légitimation de la BD mats
aussi tous ceux -considérablement plus nombreux- qui
continuent à travailler dans l'anonymat et souvent dans des
conditions matérielles très difficiles pour les petits
magazines hebdomadaires ou, le plus souvent, mensuels, ou encore
pour les quotidiens (cartoonistes) Pour ces derniers, la
question primordiale est moins d'accéder à la condition
.
scénaristes. Marcel Gotlib, Nikita Mandrika, Claire
Brctéchcr, Philippe Druillet, Jean Giraud, Jean-
Claude Mezieres, Fred, les scénaristes Linus et Lob,
etc. nés entre 1935 et 1940 et entrés sur le marché
vers 19G5 ont en commun d'importer sur le terrain de
la BD une nouvelle forme de relation à leur activité,
dont le principe réside sans doute essentiellement dans
le décalage entre le capital social et le capital culturel.
Originaires pour la plupart des classes populaires ou
de la frange inférieure des classes moyennes ,
scolarisés au moins dans l'enseignement secondaire (parfois
dans l'enseignement supérieur) et/ou ayant acquis une
culture scolaire en autodidactes, ils ont accédé aux
échelons socialement inférieurs du système d'éducation
artistique (Giraud, Mezieres se sont connus à l'Ecole
des Arts appliqués, Linus fréquente le groupe, Gotlib
suit, dans la même école, des cours du soir de dessin
publicitaire dispensés par Georges Pichard qui deviendra
lui-môme dessinateur de BD); ils détournent sur la
bande des ambitions censurées qu'une origine sociale plus
élevée les inciterait à investir dans le champ de la
peinture ou de la littérature. Socialement destinés à
obtenir pour toute rétribution de leur compétence
graphique l'accès à des activités sans autonomie ni
prestige - professions moyennes de techniciens du dessin,
monteurs, lettreurs, dessinateurs industriels,
coloristes etc. - ils trouvent dans la BD l'instrument
d'expression symbolique le plus élevé dans l'ordre des
légitimités culturelles auquel ils puissent
raisonnablement aspirer et aussi un instrument raisonnable de
mobilité sociale et d'affranchissement du salariat (la
BD est pour eux, sous ce rapport, ce que l'artisanat
est aux ouvriers). La position de la BD dans l'ordre
des légitimités (homologue de la position des classes
moyennes dans l'ordre social), son état d'anarchie
culturelle, la dispersion des genres qu'elle tolère et des
visées intellectuelles et sociales qui peuvent y être
investies sont autant de propriétés qui favorisent les
agents dépourvus de capital social elles rendent
possible l'ascension au coup par coup et les ambitions à
:
court terme propres aux visées scolaires,
intel ectuel es et sociales de ceux qui ne peuvent trouver dans
une origine sociale élevée le capital, les garanties
et l'assurance nécessaire pour affronter le tout ou
rien des activités symboliques légitimes. Investissant
sur un terrain socialement tenu pour culturellement
tiste "libre et sans attaches" qu'à un statut professionnel
relativement stable et protégé comme en témoignent, par
exemple, les luttes menées actuellement par le Syndicat
national des dessinateurs de presse pour obtenir l'affiliation
des dessinateurs à la sécurité sociale. Un des effets les plus
visibles de l'introduction de la BD dans l'ordre des activités
symboliques légitimes est sans doute de transformer en
différences qualitatives -celles qui séparent "l'élite" des
"créateurs" de BD ou les "artistes de la bande dessinée",
comme disent parfois les journaux, de la "grande masse"
des dessinateurs- des différences qui, avant la constitution
du champ, s'exprimaient essentiellement sous une forme
quantitative (vendre plus ou moins, travailler plus ou moins
régulièrement, gagner plus ou moins d'argent, etc.).
Luc Boltanskï
bas et où, de ce fait, le capital culturel est rare,
leurs compétences et les dispositions affectives
associées à l'activité intellectuelle, les nouveaux
dessinateurs, dotés aussi, par origine sociale,des valeurs
d'application, de travail et de sérieux, réalisent une
des figures de la réussite qui trouve son principe dans
la conjonction socialement produite de la prétention et
de la modestie : descendre dans la hiérarchie des
gitimités, non pour "s'encanailler" intellectuellement
(comme le normalien qui écrit une chanson) mais avec
les dispositions associées aux tâches intellectuelles
les plus élevées et sans le ressentiment lié à
l'ajustement tardif des aspirations aux chances objectives
de succès ni la conscience de la "déchéance", c'est
être en mesure d'accomplir sur un terrain méprisé
-le seul qui leur soit objectivement offert- les
"grandes espérances" informulées qui sont condamnées
à être refoulées là où le champ culturellement
légitime fonctionne comme censure. Stratégie objective
par laquelle on peut échapper à l'annulation par le
silence ou par la réduction aux formes les plus rou-
tinisées du discours d'institution auxquels les
mécanismes objectifs du champ intellectuel, surtout du
champ universitaire, condamnent ceux dont l'accès aux
instruments d'expression symbolique s'est opéré en
dehors de la famille et qui ne doivent souvent la
survie symbolique (et économique) qu'à leur aptitude à
fournir les preuves incessantes de conformité et de
reconnaissance réclamées par le groupe des pairs.
Enfin, les caractéristiques substantielles ou techniques
de la BD fournissent un terrain favorable à la
réalisation de projets objectifs ou d'investissements
intellectuels qui n'auraient pu, sans doute, se développer avec
la même force dans d'autres modes d'expression
symbolique occupant pourtant une position à peu près
identique dans la hiérarchie des légitimités. Les
différentes formes d'activité" symbolique sont définies aussi
par les propriétés matérielles des supports où elles
se réalisent et qui déterminent à leur tour, au moins
partiellement, la nature et la durée des
investissements en travail et en temps que requiert leur
apprentissage et leur exercice (que l'on pense, par exemple,
à l'opposition entre la consommation littéraire qui
exige du temps et la consommation de l'oeuvre d'art
qui peut être presque instantanée au moins "au temps
de ses techniques de reproduction" ou encore à la
durée très inégale des apprentissages spécifiques
qu'engage le métier de compositeur de musique ou celui
d'écrivain)- La longueur de l'apprentissage graphique
nécessaire pour acquérir la compétence requise par la
BD, surtout en sa forme "réaliste", avec ses scènes
de bataille, de foules en mouvement, de poursuite, etc. ,
comme la longueur et la minutie qu'engage l'exécution
de chaque planche (les dessinateurs de BD passent,
en moyenne, de 6 à 9 heures par jour à la table de
dessin pour réaliser de 1 à 4 planches par semaine )
(5), tendent à favoriser les agents dotés, par habitus
de classe, des valeurs d" 'application", de "sérieux"
et de "travail" et corrélativement, à décourager les
velléités "artistiques" des adolescents issus des
classes supérieures et relativement démunis de capital
40
culturel -au moins de capital culturel scolairement
certifié- qui trouvent, à l'inverse, dans la
photographie, activité où la contrainte technique est presque
nulle et le temps de travail réduit au minimum, le
terrain favorable à la mise en valeur de leur capital
social, du "goût" et des "manières" qu'ils doivent à
l'héritage familial (6).
Au moment où ils entrent sur le marché, les nouveaux
dessinateurs ne diffèrent pas sensiblement des
producteurs qui les ont précédés; ils n'ont pas l'intention
explicite d'innover; ils obéissent aux lois du marché
sur lequel ils cherchent à se placer. Mais dotés d'une
disposition cultivée (qu'ils doivent sans doute, au
moins partiellement, à la fréquentation de l'école) ils
sont détenteurs, en puissance, des propriétés qui
définissent la condition d' "artiste". L'évolution
corrélative du public et l'expansion de fractions marginales
du champ intellectuel produisent la demande à laquelle
cette disposition nouvelle permet de répondre.
Culture savante et collection
Sans perdre son public traditionnel -enfants, adultes
des classes populaires et "parents" des classes
supérieures, qui "empruntent" les bandes de leurs enfants
et se les approprient sur le mode ludique et distant
caractéristique de la relation des classes cultivées
aux biens symboliques démunis de légitimité- la
BD, un peu à la façon des films dits de "catégorie
B" , westerns, policiers, "péplums", etc. , dans les
années 50, tend à acquérir aujourd'hui un nouveau
public doté de nouvelles dispositions propres à modifier
le type de relation qu'il entretient avec elle. En
différant l'âge d'entrée dans la vie active,
l'accrois ement de la durée de la scolarisation étend aux
adolescents issus des classes populaires et surtout des
classes moyennes le statut d'écolier ou d'étudiant
traditionnellement réservé aux enfants de la bourgeoisie.
Les nouveaux adolescents qui disposent, comme
l'adolescent bourgeois, d'une réserve de temps libre
sans faire l'objet des mêmes incitations à
l'investis ement culturel dans la lecture "sérieuse" »constituent
pour la BD un nouveau public plus âgé et plus
scolarisé que son public traditionnel. Dotés par le passage
dans l'enseignement secondaire d'une ébauche de
disposition cultivée sans posséder pour autant le capital
de compétences et surtout l'assurance qui leur serait
(5) A la compétence graphique exigée par l'exécution de
chaque vignette qui suffit par exemple à l'illustrateur,
s'ajoute, dans le cas de la BD, la compétence spécifique
(découpage ,etc.) nécessaire pour "construire" une page et surtout
pour "conduire une histoire complète" comportant,
habituel ement, 40 à 50 planches.
(6) Cf. L. Boltanski , J-C. Chamboredon, "Le métier de
photographe" in: P. Bourdieu et al. , Un art moyen : Essai
sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Ed. de
Minuit, 1965.
 41

co
W [ROU CKEY
5
§ 1 La structure de la population des lecteurs
Eh CO H § S réguliers des principaux magazines
de bande dessinée
filles 28,3 36,7 42,8 44,4 43,8 49,6
sexí
garçons 71,7 63,3 57,2 55, 6 56,2 50,4
En l'abseuce d'enquête générale sur le public de la
BD (particulièrement sur les acheteurs d'albums
10 - 14 39,6 54,8 69,2 54,4 55,2 34,8 dont ies caractéristiques ne doivent pas être
lument identiques à celles des lecteurs de
15 - 19 38,8 35,8 24,3 35,4 35,6 37,1 nes) et, a fortiori, en l'absence de séries
<rtSi tant de suivre l'évolution dans le temps de ce public,
20 - 24 on peut comparer la structure de la population des
21,6 9,4 6,5 10,2 12,2 28,1 lecteurs réguliers de Pilote, dans lequel publient
ou ont publié la plupart des nouveaux dessinateurs
à la structure de la population des lecteurs
scolarisés 79,4 77,5 83,5 77,5 78,4 62,0 liers des autres magazines de BD plus anciens ou
oS plus traditionnels. Les lecteurs de Pilote sont
tement plus âgés que les lecteurs des autres
actifs 18,3 18,8 12,8 18,4 17,9 28,0 zines (tendance qui serait sans doute plus forte si
3 l'enquête ne s'était pas limitée "aux jeunes de
CO inactifs 2,4 3,8 3,7 4,1 3,7 10,0 moins de 25 ans") et plus souvent issus des
velles fractions des classes moyennes. Le public
de Pilote surtout masculin, est composé, dans
sa grande majorité, par des adolescents en cours
agriculteurs 4,1 7,6 12,0 10,1 8,8 .13,6 de scolarité dont on peut penser, étant donné la
<Dbû moyenne d'âge relativement élevée (et en l'absence
ci ouvriers 38,9 43,2 46,1 48,4 49,8 41,5 d'indications sur le niveau d'instruction) qu'ils
partiennent au:c classes terminales de
S artisans ment secondaire ou à l'enseignement supérieur.
Ci commerçants 6,0 7,3 7,5 8,3 8,2 7,4
chef
employés/cadres moyens 30,8 21,3 20,7 19,4 17,3 19,0
% industriels 10,1 6, 5 7,4 8,7
cadres sup. 10,7 7,4
m Source : SOFRES, Enquöte statistique périodique
inactifs 10,1 9,9 6,3 7,3 8,5 9,7 auprès de 2000 jeunes de 10 à 24 ans, avril 1974.

nécessaires pour investir dans les domaines culturelle-
ment légitimes, ces nouveaux lecteurs transposent
dans le rapport qu'ils entretiennent avec la BD les
dispositions acquises au contact des biens culturels
que transmet l'école intérêt pour l'auteur de
l'oeuvre et pour sa biographie autant que pour l'oeuvre
:
téristique de ne pouvoir se réaliser qu'en s'ignorant
comme tels ou , au moins, en laissant ouverte la
possibilité du renoncement ou du reniement.
Collectionner les bandes, les échanger, créer des clubs
de collectionneurs, rechercher des bandes anciennes
disparues de la circulation, reconstituer des séries

elle-même; propension au commentaire, à la complètes, établir des bibliographies, comparer les

paraphrase (formes scolaires du discours de célébration)
et à la comparaison; surtout, disposition accumula-
trice. La collection, comme accumulation
systématique et sélective, est à la fois constitutive de toute
culture savante (qui en ses formes les plus
sophistiquées est entièrement réductible à un système
d'accumulation et de classement) et une activité culturelle-
ment et socialement méprisée lorsqu'elle est
explicitement définie comme telle et qu'elle s'exerce à
propos d'objets démunis de légitimité. Elle s'offre par
là, comme l'atteste sa fréquence dans les classes
moyennes, (7) aux investissements culturels déguisés,
hésitants et timides des agents dominés par le
système des hiérarchies culturelles, qui ont pour
éditions, les personnages puis, les auteurs, les
styles, c'est se livrer sur un terrain à peu près libre
de toute autorité culturelle à la même activité, stricto
sensu, que l'historien de l'art ou de la littérature
dans le domaine réservé de la culture légitime. De
cette activité naissent, autour des années 70, les
(7) Ainsi, par exemple, la part des hommes qui font une
collection de timbres est maximum chez les employés de
bureau (13%), les cadres moyens (14, 4%) et les techniciens
(28%) contre, par exemple, 7% chez les ouvriers et 8% dans
les classes supérieures (source : INSEE, Enquête
loisirs, 1967).
Luc Boltanskx
fanzines (Hop 1 , Haga, Submarine, Zinograph,
Scorpion, et surtout Falatoff et le Petit Mickey qui n'a pas
peur des gros) (8), bulletins de collectionneurs, puis
revues d'amateurs à partir desquelles se contruiront
certaines des instances de consécration du champ.
Transfert de légitimité et discours de célébration
L'apparition récente de commentateurs en provenance
du champ intellectuel et de l'Université dont les
membres étaient, pour la plupart, très hostiles à la BD
jusque vers les années 55 (cf. chronologie) accroît
la légitimité de la BD et augmente le capital culturel
concentré dans le champ où elle se produit (9). La
surproduction d'universitaires à la recherche de
débouchés, i. e. de sujets de thèses inédits,
particulièrement dans les disciplines surpeuplées occupant une
position basse dans la hiérarchie, socialement constituée,
des disciplines- universitaires (anglais, lettres
modernes, psychologie, etc.) et d'autre part le relativisme
culturel auquel le structuralisme en sa forme
vulgarisée (sémiologie) apporte une forme de caution
scientifique et que couvre l'autorité toute nouvelle de la
sociologie et de l'ethnologie, favorisent le transfert
des habitudes académiques -explication de textes,
analyse interne , etc.- à l'exégèse de biens
symboliques que leur "indignité culturelle" protégeait jusque
là contre le commentaire savant et l'esprit de sérieux.
Ces universitaires, souvent issus des classes moyennes
et formés à l'écart des filières scolairement
prestigieuses (10), trop incertains pour lutter sur le front
de la tradition ("littéraires" ignorant les langues
anciennes, "linguistes" sans formation spécifique, etc.)
et trop fortement soumis, par tout leur apprentissage,
aux habitudes traditionnelles de pensée pour rompre
avec elles trouvent, dans les zones les plus
marginales de la culture savante -baptisées par eux, pour
les besoins de la cause, contre-culture (cinéma,
science fiction, roman policier, jazz, etc.) -des
terrains nouveaux où la censure universitaire et le
pouvoir patronal des "directeurs" de thèse s'exercent
avec moins de force que sur le terrain réservé des
"grands sujets" consacrés et où l'effet d'innovation
(8) La liste des fanzines, publications souvent de courte
durée, vendues de la main à la main et qui échappent au dépôt
légal est difficile à établir. Une recollection récente fournit,
outre les publications mentionnées ci-dessus, les titres
suivants Ailleurs, Apiniou, Archeopterix, Crampe, Fa Dièse,
Gandahar, Georges, Nota Bene, Megafoutrai, Rictus Occitan,
:
Schroeder. Skblllz, Sphinx, Tréponème bleu pâle. Zounds .
(9) Des articles sur la BD écrits par des universitaires ont
été publiés assez régulièrement depuis 1968, dans les revues
suivantes : La nouvelle Critique, Critique, Communications ,
La Revue d'Esthétique, Langages, Les Cahiers de
Lexicologie, Image et Son.
(10) Cf. P. Bourdieu, L. Boltanski et P. Maldidier, "La
défense du corps", Information sur les Sciences sociales,
10 (4), 1971, pp. 45-86.
42
peut être obtenu par le simple transfert des techniques
les plus ritualisées de la routine scolaire.
Autre transfert de légitimité la forme esthétique du
discours de célébration s'implante dans le champ. Elle
:
y est importée par des professeurs d'esthétique
(G. Lascault dans l'Art vivant), des critiques d'art
(J. F. Josselin dans le Nouvel Observateur, etc. ) qui
trouvent sans doute dans la réhabilitation élective des
biens symboliques produits en dehors de la légalité
esthétique (kitsch) un moyen d'éprouver leur pouvoir
de consécration et d'exercer, par un simple
déplacement de l'attention, les talents de découvreurs de
talents qui les justifient.
Au contact des commentateurs, et des techniques
qu'ils importent dans le champ -congrès, tables
rondes etc.- , les producteurs de bande acquièrent les
manières qui expriment la relation cultivée aux biens
symboliques, un discours sur leur activité et les
formes les plus sommaires d'introspection que développe
la pratique de l'interview "Etes-vous réellement
mégalomane? - Je dois l'être sûrement, puisque
:
j'aime bien parler de moi". Le décalage stylistique entre
le discours des commentateurs et le discours des
producteurs, (objet d'une infinité d'anecdotes et de
plaisanteries) tient aux contraintes spécifiques que
rencontre ici le discours de célébration astreint à la pro-
lepse ("longtemps la BD a été en France ignorée, mal
famée ou maudite", "la raison de ce silence, c'est
qu'un préjugé défavorable, il faut bien l'avouer, souvent
fondé", etc.) et sommé d'apporter continûment la preuve
de la dignité du bien célébré et de son appartenance,
de droit sinon de fait, à la culture légitime. De là,
l'inflation lexicale, les références multiples, les
parallèles par lesquels les oeuvres des dessinateurs sont
comparées aux oeuvres les plus consacrées de la
culture légitime ("Achille Talon est un personnage becket-
tien" , "La langue talonienne tire sa substance de
prédécesseurs aussi divers que Rabelais, Proust ou
Céline", etc.) qui caractérisent le discours des
commentateurs, surtout lorsque, dépourvus de positions
externes au champ de la BD, ils ne peuvent apporter une
caution personnelle au bien célébré. Le souci d'établir
la filiation entre la culture savante et la bande
dessinée et de conférer à la BD l'ancienneté constitutive de
toute tradition culturelle légitime rend compte
également de la tendance - manifeste surtout chez les
commentateurs internes- à faire remonter l'origine des
bandes le plus loin possible dans le temps, par
exemple à la Tapisserie de Bayeux chez J. Marny ou aux
cavernes aurignaciennes et aux Livres des morts
égyptiens chez F. Lacassin.
Quant au commentaire proprement universitaire à
prétention savante , qui se contente le plus souvent de
porter au niveau du discours et d'exprimer sous
forme de règles et de codes (à la façon du discours des
grammairiens) les régularités que décèle l'observation
des produits de la pratique des producteurs de bande
(analyse sémiotique, etc. ), il a lui aussi pour fonction
 43
L'ICONOGRAPHIE DE LA CELEBRATION UNIVERSITAIRE
DU "MESSAGE ICONIQUE"
Illustration Unguitliqiu du message ¡coniqut (" Ambiguïté gommée)
■*■ Explication
(• tup
II y plimentatrt
a un homma
qui vieot datte...»)
(TintinMettagt
eiiaie daiconiqu*
a« dégager)
source : Communications , 15, 1970
objective d'inclure la BD dans le champ de la culture
savante, mais d'une autre façon, en utilisant pour
décrire la succession des vignettes le langage réservé,
consacré jusque là à "l'analyse" des biens symboliques
que transmet la tradition scolaire (textes littéraires,
tableaux, etc.). Etant donné que toute activité quelle
qu'elle soit (geste, rite, langage, etc.) réalise sur
le mode pratique des opérations dont la description
exige le recours à des instruments d'expression
symbolique spécifiques (jargons, systèmes de concepts,
langues artificielles etc. ) (11) ,P exploitation par le
discours de l'activité des dessinateurs et des intentions
,
objectives ou pratiques enfermées dans leurs oeuvres
suffit par soi seule à faire valoir la complexité du
produit et, par là, à en célébrer la dignité. Enfin,
l'apparition récente (1972) d'un commentaire scolaire
(12) et d'un commentaire sur le commentaire ("Waugh
et ceux qui l'ont suivi ne semblent pas avoir compris
que la BD . . . ") sont conformes aux lois de l'évolution
des champs de culture savante dont la transmission
scolaire éternise les produits et qui, fonctionnant selon
(11) Cl P. Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique,
Paris, Droz, 1972.
(12) Cf. par exemple, P. Fresnault-De ruelle, Dessins et
bulles, la bande dessinée comme moyen d'expression. Paris,
Bordas, 1972. Cet ouvrage destiné "aux élèves et aux maftres"
accompagne chaque"étude" d'un ''exercice de travaux pratiques"
("Essayez de faire une classification des BD. . ", "Faites un
catalogue d'onomatopées divisé en rubriques...", etc. Cf. aussi
.
D. Convard, S. Saint-Michel, Le français et la bande dossinéd
étude et travaux pratiques 6" et 5°, Paris, F. Nathan, 1974.
Liis à la diversification de l'enseignement secondaire et à
l'introduction des 10%, ces ouvrages sont produits par des
intermédiaires entre le champ de la BD et le système
d'enseignement -assistant, professeur de dessin, professeur de lycée
technique d'art graphique- dont la raretó relative peut âtre
rentabilisée sous forme "d'innovations pédagogiques".
Role de la parole ContiouiU Diicontinuite
fragmentation
-
Axa t verticil • (image i.olée) +
Axe • horizontal • (diegèie, luite da +
pluaieura imageaj
la logique de la distinction, tendent à se diviser en
autant de segments qu'ils incluent d'agents et de groupes
dotés d'intérOts (et d'espèces de capital) partiellement
différents.
La formation de l'appareil
La mise en place d'un appareil -de production, de
reproduction et de célébration- accompagne les
transformations du champ
- Revues A côté des revues qui publient des bandes
:
dessinées se créent plusieurs revues d'érudition et de
:
célébration (bibliographies, histoire de la bande,
critiques et surtout, interviews de dessinateurs et de
scénaristes).
- Sociétés savantes et académies Amis de la bande
dessinée, Centre d'études des littératures d'expression
:
graphique et, surtout, Société française de bandes
dessinées (créée en 19G6) qui organise des conférences,
des soirées de projection, etc. au musée des Arts
décoratifs. Des nouveaux producteurs s'y retrouvent et
y rencontrent aussi des membres du champ intellectuel
- Prix : La même académie décerne un prix, le
"Prix de la bande dessinée" (pouvoir de consécration).
- "Création d'événements" (comme disent les manuels
de Relations publiques). Congrès, salons, assises,
sont propres à ponctuer selon un rythme spécifique
la vie du champ, à accroître les interactions à
l'intérieur du champ (notamment entre producteurs et cé-
lébrateurs) et entre le champ de la BD et le champ
intellectuel et aussi, sans doute, au moins ten dan -
ciellement à organiser l'activité des membres du
champ, sur le modèle en vigueur dans les champs
intellectuel et universitaire, avec ses "déplacements
Luc BoltansicC
L'ENTREPRISE DE LEGITIMATION
Claude Moliterni , ancien élève de l 'Eaole des
Chartes, iconographe spécialisé dans la recherche
d'illustrations pour livres de classes et "amateur" de
bandee, est à l 'origine des premières expositions
réalisées en France sur la bande dessinée et aussi
de la première association. Devenu professionnel,
il dirige maintenant une revue spécialisée et un
magazine de BD, une collection, publie des albums
en qualité de scénariste, organise conventions,
congrès, prix > etc.
"La reconnaissance de la BD c'était 11 y a dix ans que
ça a commencé. La reconnaissance par le public. Et,
disons, nous sommes à l'origine de la sortie du ghetto
de l'enfance pour la BD. On l'a fait accepter par les
musées, par les critiques d'art et reconnaître comme
moyen d'expression. C'était ça qui nous intéressait.
Il y a à peu près douze ans, on était quelques uns un
peu nostalgiques de retrouver nos lectures de notre
enfance et on s'est retrouvé dans une association. Et
puis on a eu l'idée, la prétention on peut dire à ce
moment là, de faire une exposition sur la bande
dessinée américaine. C'était en 1965, dix millions d'Images.
Il y avait une partie thématique, sociologique, rapport
avec le cinéma, rapport avec l'histoire de l'art, tout
le machin, quoi. Et puis il y a eu un journaliste qui
est passé, c'était Girod de l'Ain du Monde, et il nous
a fait un article fabuleux dans le Monde. Et alors,
comme des fous, étant donné que si le Monde écrit
quelque chose ils y vont tous, ils ont tous foncé à
cette exposition qui a duré six semaines. Alors J'ai
eu Paris-Match, l'Express, la télévision. On a. dit,
bon, essayons d'aller un peu plus loin. On a essayé
de s'informer un peu plus, de faire des recherches
sur le plan historique et en 1966 on a fait quelque
chose sur Tarzan qui a eu aussi un succès démentiel
ce qui nous a incité à aller frapper à la porte des
Arts Déco où là j'ai fait une exposition eur l'Art
narratif figuré. A partir de là, ce qui a apporté,
c'est qu'on a eu la caution des musées . Dans un très
grand nombre de musées on a montré nos expositions,
nos travaux. Lorsqu'on s'est présenté, on nous a
demandé des références. Mais nous étions de la mal-
son pour tous ces gens, pour le conservateur; on
était des spécialistes d'histoire de l'art, donc, pour
eux, c'était une caution . Vous savez, il faut toujours
des c auttons pour arriver à quelque chose En fait,
c'est comme ça que c'est arrivé. Et puis c'est
.
devenu une aventure folle; c'est fou cette histoire".
44
professionnels", ses "communications", ses
"expositions", ses "discours d'inauguration" et ses
présidences "honorifiques" : depuis le premier congrès
international en 1965 et la première grande
exposition au musée des Arts décoratifs de Paris en 1967,
les manifestations se multiplient depuis la simple
"signature" dans une librairie spécialisée jusqu'à la
"Foire du livre" ou le "séminaire" pour "spécialistes
avertis".
- La republication de séries anciennes disparues du
marché (Little Nemo, Bicot, Flash Gordon, Tarzan,
Prince Vaillant, Mandrake. etc.) et la création de
librairies spécialisées (librairies Dargaud, Dupuis,
Futuropolis > etc . ) créent les instruments de
l'érudition et de l'accumulation, culturelle.
- A côté des éditeurs traditionnels (Dupuis, Caster-
man.etc.) se développent des maisons d'édition d'un
type nouveau avec "attaché de" presse", "revue",
"rêceptitfos" et dont la politique d'édition tend à
répondre à la demande des "amateurs éclairés" au
moins autant qu'à celle du "grand public" comme
Serg et surtout Dargaud qui publie la plupart des
nouveaux dessinateurs et qui balance entre
l'académisme et la novation tempérée.
En outre, quelques éditeurs implantés dans le champ
de la littérature traditionnelle et dotés, à des degrés
divers, d'une légitimité littéraire, commencent à
publier dès bandes en album de luxe destinées à une
clientèle d'adultes (par exemple, republication de
Zig, Puce et Alfred chez Stock , publication chez
Eric Losfeld de nombreux albums, Saga de Xam,
Scarlet Dream, Lone Sloane, Barbarella, Pravda la
survi reuse, etc . ) .
-Création d'un enseignement de BD à la faculté de
Vincennes (Giraud, Méziè'res.etc. y enseignent ou y
ont enseigné).
La formation d'un appareil s'accompagne de la quasi-
institutionnalisation (i_j3. de l'objectivation) des
positions nouvelles dont la détention de fait peut être
officialisée au profit des agents qui les occupent et
qui peuvent dorénavant revendiquer tous les profits
symboliques (et matériels) que procure la
reconnaissance : transformation par exemple en poste
d'enseignant à l'Université de Paris I ("cours d'histoire
et esthétique de la bande dessinée") de la position
occupée par le président du Centre d'études des
littératures d'expression graphique , qui est aussi
le fondateur de cette association dont il établit la
légitimité en obtenant le patronage de membres du
champ universitaire (Evelyne Sullerot, Edgar Morin)
ou de producteurs symboliques investis d'une
autorité académique (Marcel Brion, Alain Resnais, etc.).
L'institutionnalisation des positions à partir
desquelles s'opère la reproduction du champ (positions
de pouvoir dans les revues, les associations, les
jurys de prix, etc.) et l'augmentation du capital
symbolique concentré dans le champ ont sans doute
également pour effet, au moins tendanciellement, de
modifier les conditions d'accès à un mode
d'expression symbolique jusque là relativement ouvert en
 45

Illustration non autorisée à la diffusion

Lúa Boltanski
accroissant le capital culturel et social que réclame
son exercice (comme semble le montrer, entre
autres indicateurs, le niveau de formation
universitaire relativement plus élevé des dessinateurs
entrés sur le marché depuis 1970 environ).
L'accumulation primitive de capital symbolique
(produit, notamment, de l'entrée sur le marché d'agents
dotés d'un capital culturel élevé et de dispositions
associées à une origine sociale basse) brise le
mécanisme circulaire par lequel s'opère la reproduction
de la position occupée par chaque champ dans la
hiérarchie des légitimités (les champs dont la position
est la plus haute attirent les individus les plus
riches dans l'espèce de capital qui définit les critères
de hiérarchisation des agents et du champ, et vice
versa); mais le même processus est aussi à
l'origine de la thésaurisation des apports de capital, dont
bénéficie le champ, par les agents qui en occupent
les positions de pouvoir et qui en contrôlent la
reproduction. Mécanisme de fermeture corrélatif de
tout processus de légitimation qui s'accélère selon
la dialectique de l'offre et de la demande, le capital
culturel et social détenu par les postulants et la
concurrence pour l'accès aux positions convoitées,
augmentant en même temps que s'accroît la
légitimité du champ.
La polarisation du champ
Avec l'entrée sur le marché de producteurs
caractérisés par un nouveau type de trajectoire sociale, le
changement de la structure du public qui se divise
en groupes socialement différents porteurs d'intérêts
différents, et la constitution d'un appareil propre à
institutionnaliser et à éterniser les positions
acquises, le champ tend à se diversifier et à se
polariser. La division du travail entre éditeurs,
commentateurs, critiques, producteurs, s'accompagne d'une
polarisation du champ fondée sur les principes
d'opposition et sur les dichotomies sociales et logiques
-entre la gauche et la droite, l'avant-garde et
l'académisme, les "jeunes" et les "vieux"- qui
structurent le marché des biens symboliques
légitimes (13) : d'une part, les grands dessinateurs
traditionnels, consacrés par la réussite commerciale,
souvent détenteurs du pouvoir dans les maisons
d'édition (comme Goscinny, Greg) qui, par toutes
leurs attitudes, esthétiques, éthiques, politiques
et aussi par la définition qu'ils donnent de leur
activité, "distraire" le public, avoir "du métier",
du "savoir-faire", etc. , se rapprochent des
producteurs de biens symboliques destinés aux classes
moyennes traditionnelles et aux fractions de la
bourgeoisie les plus éloignées du champ intellectuel
(13) Cf. P. Bourdieu, "Les fractions de la classe
dominante et les modes d'appropriation de l'oeuvre d'art",
Information sur les Sciences sociales, 13 (3), pp. 7-32.
46
(opérette, théâtre de boulevard, etc. ); d'autre part,
les nouveaux dessinateurs qui tentent d'exprimer
dans leurs propos, dans leurs comportements,
parfois dans leur hexis corporelle (cf. photographies)
(14) et d'introduire dans leur oeuvre malgré la
censure (loi de 1949 sur les publications destinées
à la jeunesse) et les contraintes du marché, le
type particulier de subversion politique et culturelle
propre à rencontrer les attentes des nouvelles
fractions des classes moyennes , détentrices de capital
culturel mais dominées dans l'ordre des hiérarchies
intellectuelles et sociales (enseignants des CEG
ou des CET, "animateurs", "éducateurs",
techniciens, etc.), auxquelles ils se rattachent souvent par
1 'habitus et par nombre de caractéristiques
objectives (notamment l'origine sociale). Ils constituent
pour ces classes des sortes de porte-paroles
pratiques -comme, en d'autres cas, les écrivains ou
encore les "auteurs -compositeurs" de chansons-
propres à objectiver sur le mode de l'humeur les
expériences corrélatives d'une condition sociale
particulière, sans aller au principe des conflits et des
luttes entre groupes et entre classes qui les
constituent; et cela, particulièrement, en portant au jour
par la sélection, la schématisation et
l'intensification les traits pertinents de 1 'habitus des membres
des classes moyennes, surtout des classes
moyennes traditionnelles -boutiquiers, petits
fonctionnaires, etc.- d'où les membres des nouvelles classes
moyennes sont souvent issus et/ou par rapport
auxquelles ils occupent une position objectivement
concurrente. Que l'on pense, par exemple, aux "beaux-
frères" à casquette de Cabu, aux "petits bourgeois"
à béret basque de Gébé ou encore , chez Gotlib,
au personnage de "Super Dupont", sorte d'"ancien
combattanfrogneux, répressif et cocardier doté des
pouvoirs surhumains des "super héros" de la BD
américaine de l'entre-deux-guerres (cf. page
document)
.
Dans le champ de la bande dessinée comme sur la
plupart des terrains situés aux marges de la culture
consacrée -agences de publicité, radio et télévision,
(14) L'analyse, réalisée à partir d'une série de
photographies, de l'évolution dans le temps de l'hexis corporelle
(vêtement, cosmétique, posture, expression etc.) des
dessinateurs de la nouvelle génération permettrait sans doute
d'établir une relation directe entre le changement de la
définition sociale du producteur de BD et l'incorporation des
signums sociaux qui définissent la condition artiste : au
"costume avec gilet", à la "cravate", aux "cheveux bien
coiffés" à l'allure de "jeune cadre plein d'avenir" que
cherchaient à adopter, il y a dix ans, une partie au moins des
dessinateurs de la jeune génération, alors à leurs débuta,
se substituent peu à peu les cheveux longs, les "jeans",
les chemises à fleurs, les gilets de peau, la moustache,'
la barbe et, plus généralement, l'ensemble des traits atta- ,
chés au statut d'intellectuel et/ou de jeune dont l'adoption
par les dessinateurs s'opère, par un paradoxe qui n'est
qu'apparent, de façon de plus en plus ostensible à mesure
qu'ils avancent en âge parce que le vieillissement est ici
corrélatif d'un changement de définition sociale, de classe,
de fraction de classe.

Mal 1968 à Pilote
:
!'En mal 1968 le journal s'est arrêté pendant trois
semaines et tout le monde s'est agité, parce que tout le
monde voulait être Jans le coup ... Il y a eu une
réunion syndicale des dessinateurs, à laquelle je n'étais
pas invitó. Aux dessinateurs qui s'en sont étonnés, on
a dit que j'étais un 'patron', donc de l'autre cOté de
la barricade. L'homme à abattre à cause de son
succès. Il y a eu une seconde réunion où j'étais
convoque, à la suite de laquelle j'ai décidé, non seulement
de démissionner, mais aussi d'abandonner ce métier,
tellement j'étais écoeuré. Et puis, non, on m'a couru
après, on s'est beaucoup excusé, et j'ai pas mal
rúfléchi. J'en avais marre mais je me suis dit qu'il
y avait une occasion de faire quelque chose de neuf.
Je les ai tous réunis et j'ai proposé un journal de
type nouveau, avec prise directe sur la vie, réunions
de rédaction, pages d'actualité, etc. . . Ils ont tous été
d'accord et on a commencé de faire un journal plus
nerveux en supprimant un tas de choses dépassées. . .
J'ai eu des ennuis avec mes collaborateurs,
pourquoi le nier; peu à peu, ils 3ont revenus à leurs
habitudes et la routine s'est de nouveau installée".
(extrait d'une interview iené Gesclnny)
"Je ne vais plus aux réunions du journal depuis 1968.
Lors de cette fameuse réunion de mal 1968 où les
dessinateurs voulaient refaire le monde, on m'a
placé de l'autre cOté de la barrière et on m'a ignoré...
Ce n'est peut-Ôtre pas de la jalousie, ¡riais une sorte
de réticence devant le succès d'un confrère que Je
ressens même chez les jeunes dessinateurs de Pilote .
Il y a une distance, c'est incontestable, bien que je
n'aie jamais pontifié, que je n'aie jamais joué les
grands maîtres. Dans les réunions de dessinateurs
auxquelles j'assistais, je la bouclais, je ne voulais
pas m'imposer. Depuis mai 68, je me suis enfermé
dans ma tour d'ivoire . . Maintenant le caractère de
certains collègues me déplaft assez et la vie du
.
journal m'est étrangère".
(extrait d'une interview d'Albert Udorzo)
47
journalisme, etc -, l'effet de crise (mai 1968) tend
à porter à l'état explicite la polarisation objective
.
du champ (conflit entre Goscinny et une partie de la
rédaction de Pilote, etc. ) en cassant notamment par
l'interruption des activités habituelles les évidences
de la routine professionnelle et en suspendant la
contrainte du marché (les journaux ne paraissent
plus), en contraignant les agents à prendre
officiel ement position sur des choix objectifs (contenu des
bandes, etc.) opérés jusque la sur le mode implicite
du "cela-va-de-soi", et peut-être surtout en tendant
a rapprocher les différents champs de production
symbolique dont les membres dotés de positions
structuralement homologues et également dominées
peuvent, pour un temps, se découvrir "solidaires"
dans l'adhésion, au moins symbolique, aux
revendications et aux luttes des groupes et des classes
dominés dans le champ des classes sociales (Reiser,
Gébé, Cabu, etc. -qui, du fait de leur participation
à Hara-Kiri, sont plus fortement tenus que les
dessinateurs de BD "pour enfants" à "prendre position
sur l'actualité politique"- vont "à la Sorbonne",
"à l'Odéon", publient dans L'Enragé , comme les
"assistants" des disciplines les moins légitimes,
sociologie, psychologie, etc.) (15).
Etats du champ et propriétés formelles des oeuvres
La formation d'un champ tendant à l'autonomisation,
structuré sur le modèle des champs culturels
légitimes, et d'un appareil, la constitution d'une
culture spécifique qui récupère, accumule et organise
les produits du travail de plusieurs générations de
dessinateurs, l'apport externe de capital culturel et
de légitimité et la concentration du capital culturel
dispersé dans le champ créent des conditions
favorables à l'apparition d'une activité artistique ou, ce
qui revient au môme, à l'instauration d'une relation
d'allure artistique entre le producteur et son oeuvre
qu'enfermaient les caractéristiques psychologiques
et sociales des nouveaux dessinateurs. Les nouveaux
producteurs, sans entretenir avec leur activité la
relation narcissique inhérente au travail symbolique
dans sa modalité artistique, qu'ils rejettent par
incertitude de soi, par anxiété culturelle et aussi sans
doute par habitus de classe (par exemple, ils ne
conservent pas les critiques publiées sur leurs
albums -"on s'en fout comme de l'an quarante", "ils
n'y connaissent rien", etc.- et, pour la plupart, ne
lisent pas les commentaires universitaires consacrés
à leur oeuvre) tendent à rechercher non seulement
la consécration du marché mais aussi la
consécration par le groupe des pairs. Ils tendent de plus en
(15) Sur l'effet de crise, cf. P. Bourdieu, "Les doxosophes",
Minuit, 1, 1973, pp. 26-45 et P. Bourdieu, "L'opinion
publique n'existe pas", Les Temps modernes, 318, janv.
1973, pp. I 292-1 309.
Luc Boltanski
LA POLARISATION DU CHAMP
"NOVATEURS'
1. ESTHETIQUE
"En général, je ne cherche pas la couleur esthétique, maie
l'efficacité. Je sens davantage la couleur "vulgaire", qui
colle à mon graphisme. Mon dessin e6t certainement vulgaire.
Encore faudrait-il s'entendre sur le sens exact du mot
'VULGAIRE' en l'occurrence. "
"Lone . . . n'aime pas qu'on le dérange. En vérité, il est dans
un monde de déments où un humain a difficilement sa place. . .
Elric c'est différent, beaucoup plus torturé, beaucoup plus
intellectuel, beaucoup plus masochiste. Mais il y a le lien
lovecraftien entre les deux personnages. "
"J'aime beaucoup Lewis Carroll et Alice au pays des merveilles
bien sûr. . . Mais je crois que ce qui m'a le plus influencé c'est
Edgard Poe. . . J'ai énormément lu Poe, son oeuvre complète
et j'aimais bien ce climat, c'est merveilleux, c'est étrange,
c'est angoissant, ça met mal à l'aise. . . "
"Je ne lis pratiquement pas de BD; ce qui nourrit mon
inspiration, ce sont d'autres lectures : sociologie, psychologie,
ethnologie dont je suis passionné. "
2. POLITIQUE
"Nous avons le désir de faire de la politique fiction. . .
L'immense majorité de la BD française, et à plus forte raison
américaine, se situe à droite. C'est une bande aliénante,
op rimante. .."
"Je sais pertinemment que la politique est partout mais vouloir
en mettre obstinément partout lorsque l'on, n'est pas 'étudié
pour1 ne mène à rien. . . Je préfère, pour ma part, expliquer
ma démarche politique par le biais d'histoires inventées. .
Ma rubrique à propos du procès de Burgos n'est pas une
.
dérogation à ce qui précède. Je n'ai pas fait un truc sur le procès
de Burgos mais un truc sur l'énormité du fait qu'on arrive à
vivre dans un monde où l'on peut condamner quelqu'un à mort
deux fois! "
48
"CONSERVATEURS"
"Je ne suis pas d'une exigence vétilleuse, mais J'aime bien
la qualité tout de même. En radio et en télé il y a deux
dangers extrêmes le 'popularisme' à tout crin fait en général
par des intellectuels qui, croyant se mettre au niveau de la
:
masse, deviennent simplement bêtes (et dès lora, vulgai-
reB). Et le contraire les gars à grosse tête qui veulent
absolument éduquer tout le monde, et qui ne touchent en
:
réalité que leurs semblables, tous les autres tournant le bouton.
Entre les deux il y a la place pour du bon récréatif, pas
humiliant de sottise ni dégoulinant de prétention, pour gens
fatigués par une journée de labeur. . . Dans le domaine du
cinéma, je serais partisan de la pendaison immédiate de
Jean-Luc Godard, mais je me retiens, j'ai un self-control
admirable... Dans le domaine artistique, j'aime énormément
de choses, à condition que ça ne soit pas du toc. Je peux
savourer l'art ancien, nègre, néo-pré-colombien (c'est-à-
dire moderne) ou autre. C'est de l'art dans la mesure où ça
provoque une émotion vraie, agréable, une sensation de
plénitude. L'art qui cherche à provoquer des inquiétudes, à
'traumatiser' , c'est très souvent du bidon, une agression
délibérée à but publicitaire. Je crois à la recherche du beau,
picturalement, auditivement, etc.. Je trouve Jean-Pierre
Chabrol remarquable. . . Simenon est parfois extraordinaire. . .
et puis des toquades, tout Montherlant dévoré en six mois,
les bouquins de Pierre et Renée Gösset. . . 'Ce qui se conçoit
bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent
aisément' . La citation date un peu mais on n' a pas trouvé
mieux à ce jour. Disons que je préfère les idées neuves
exprimées sous une forme classique, que l'inverse. "
". . . Maintenant, tout a bien changé. La mode envahissante
de l'underground, le désir d'être dans le vent, pousse les
jeunes rédacteurs à une surenchère de violence verbale, de
haine, de grossièreté gratuite. . . La bande dessinée c'est
surtout le rêve, la fantaisie, le rire. Bien des fanzines,
aujourd'hui, sont loin de refléter tout cela. C'est navrant et
c'est dommage. "
"J'ai été beaucoup plus influencé par des peintres, des
graphistes, que par des auteurs de bande dessinée. Jacques Callot,
Gustave Doré sont des dessinateurs que j'ai souvent étudiés
ainsi que des peintres tels que Michel-Ange, le Caravage.etc. . .
Jusqu'à Delacroix, Gustave Moreau et tant d'autres. . . "
"On m'a accusé aussi de toutes sortes de turpitudes et,
notamment, on m'a lié à la politique alors que je n'en faisais
et que je n'en fais pas ... On colle plus que jamais des
étiquettes, 'réac' 'gauchiste', etc.. . Ras le bol! . .Y'en a
mar e de ces ridicules contraintes. Pour moi,la liberté, c'est
,
de se foutre de tout, et pas seulement de ce dont il est de
bon ton de rire;
"Gens dont j'ai horreur Mao et ses pensées, qui sont d'un
vide sidéral où il m'abasourdit que des naïfs puissent tomber
:
et se perdre par vertige. Je n'aime pas non plus les faux
hippies, ceux de la crasse et de la paresse, moyen commode
de retourner au singe avec un alibi que plus personne n'ose
contester
eux;)." (eux contestent, mais avisez-vous de les contester,
 49

3. SEXUALITE
"Oui, parfaitement, j'ai été la première à dessiner un zizi "La pornographie et surtout la scatologie, ça, c'est autre
dans Pilote et des seins et des fesses! C'est un grand titre de chose : je n'aime pas ça je l'ai toujours dit à mes gars. . .
gloire. Je peux me le permettre parce que j'ai un dessin

'
,

élégant et racé; alors que celui de Gotlib qui est commun et

vulgaire. . . Si je fais un zizi, ça a de la classe. Le môme
dessiné par Gotlib, il sera porno et dégueulasse! Pour les gros
mots, j'ai été aussi la première et j'ai tenté un coup de poker
en me demandant ce qui allait se passer. C'était d'une audace
follement insensée. "
4. ETHIQUE
". . . Il n'y a pas de mal et de bien en soi. . . Dans nos
histoires, il n'y a pas de héros central. . . mais des personnages
symptomatiques de forces sociales. Et on essaie, je ne dis pas
qu'on y parvient très bien, de ne jamais renier aucune de ces
forces sociales. "
"Dieu, pour moi, c'est la volonté, le sens des valeurs,
l'amour naturel, etc. . „ C'est donc un mot, une appellation qui
couvre en somme tout ce qu'il y a de positif en nous. . .
Remarquez, la religion est nécessaire à l'équilibre moral áv.
monde (ou alors.il faut y substituer un fanatisme quelconque
ce qui ne serait pas mieux). Trop de gens ont besoin de s'en
remettre à quelqu'un, à quelque chose.
Société de consommation, etc : je ne me sens pas concerné,
comme on dit. Je trouve que tout ça c'est une question de
volonté personnelle savoir ce que l'on veut être, ce que
l"on veut' tout court et l'obtenir. Par soi même."

:
5. HOBBY
"La musique, le jazz plus précisément, et la politique ". . . La gastronomie, ce qui commence à se voir, hélas! Alors
constituent probablement mes passions principalement. . . Pendant là.j'aime à peu près tout, du caviar à la soupe de fèves selon
,

longtemps j'ai été musicien de jazz. Je ne le suis plus
pratiquement mais je continue à faire de la musique. Le thème
musical, donc, est sous-jacent un peu à tout ce que je faia.
C'est ainsi que j'ai utilisé Sun Ra, avec une orthographe un peu
modifiée dans la première histoire, et je suis ravi de faire cette
histoire politico-musicale en ce moment. "
(Extraits d'interviews de : Gotlib, Philippe Druillet, Fred,
le cas. A peu près spécialiste (c'est sérieux) en Bordeaux. Un
faible pour la selle d'agneau Bouquetière. "
"Je lis tout ce qui me tombe sous la maia. Bien sûr, dans le
genre policier; par exemple, je lis tous les classiques et les
autres aussi (Simenon, Agatha Christie,, etc. ). "
(Extraits d'interviews de Michel Greg, René Goscinny,
Jacques Martin, Edouard Paape).
:

Linus, Claire Bretécher).

DE LA SYSTEMATICITE DES PROPOS A LA COHERENCE DE L'HEXIS CORPORELLE

Les termeß de "conservateur" et

de "novateur" utilisés ici, faute de
mieux, pour désigner les producteurs
entrés sur le marché avant la
constitution du champ de la BD ou depuis sa
formation ne prennent sens que dans
leurs relations réciproques c'est
dire qu'ils ne qualifient pas les
:

propriétés substantielles des agents et

des oeuvres et, a fortiori, qu'ils ne
font pas référence à des jugements
de valeur.
Quant au rapprochement des discours
et des visages (auxquels on aurait dû, Illustration non autorisée à la diffusion
si la place n'avait' manqué , adjoindre
les oeuvres) il vise à rappeler le
caractère systématique de l'habitus dont
1' "oeuvre", au sens traditionnel du
terme n'est qu'un produit parmi
d'autres et qui se réalise aussi bien,
parfois mieux, dans la multitude des
"oeuvres" objectives que produit la
pratique quotidienne discours
d'humeur, jugements, "propos" ou encore,
:

marques symboliques inscrites dans

le vêtement, la mimique, les gestes,
le corps.
Lúa Boltanski
plus fortement à s'orienter par référence aux
travaux des autres producteurs du champ et par
rapport aux travaux de ceux des producteurs du passé
qu'ils connaissent, conformément à la logique de la
distinction et de la recherche de la différence pour
la différence. Ils tolèrent de plus en plus difficilement
la relation anonyme du producteur à l'oeuvre qui
caractérisait le bon faiseur stipendié d'autrefois et publient
sous leur nom véritable au moins la partie de leur oeuvre
qu'ils jugent la plus estimable ou utilisent toujours
le même pseudonyme, nom d'auteur sous lequel ils
se font connaître. Ils refusent de reprendre des
personnages ou des séries créés par d'autres,
choisissent leurs scénaristes, font eux-mêmes leurs
couleurs, tentent de s'affranchir de la contrainte
que constitue l'obligation de fournir chaque semaine
les planches que réclame le journal et manifestent
dans nombre de leurs conduites professionnelles une
"volonté d'innovation personnelle" "consacrer un
ou deux ans de sa vie à mitonner un petit chef-
:
d'oeuvre, bien dégagé des impératifs commerciaux,
des problèmes de censure ou des nécessites de la
parution hebdomadaire" (Jean Giraud).
La rhétorique de la bande, acceptée jusque là
comme allant de soi au titre de simple instrument,
devient pour elle-même objet d'intérêts et
d'innovations et se modifie selon les lois qui caractérisent
les jeux mandarinaux avec la forme propre à toute
tradition cultivée Druillet supprime le système
des cases que Fred utilise pour suggérer un univers
:
où la logique de la bande se substituerait à la
logique, du réel (par exemple lorsque son héros,
tombant d'une case à l'autre, s'étonne de rencontrer
en chacune d'elles cet autre lui-même qui le
représente aux différentes étapes du récit qu'illustre
la succession des vignettes) (cf. page document).
Le découpage tend à s'affranchir des contraintes
qu'imposent la parution page par page et les
republications par demi-page (16) (vignettes de petite
taille, "suspense" à la fin de chaque planche etc.)
et à s'établir en fonction d'unités plus longues
depuis la double page jusqu'à l'album entier d'où,
notamment, une plus grande diversité dans la
forme, la taille et l'organisation des vignettes .
Parallèlement, certaines vignettes, publiées en demi-
page ou même pleine- page sont autonomistes par
rapport au récit et, traitées en quelque sorte pour
elles-mêmes, appellent une consommation d'allure
esthétique. L'accumulation culturelle engendre la
citation et la parodie (Gotlib parodiant Hogarth ) ;
la pression du champ produit le besoin tout nouveau
de se "renouveler" (Giraud essayant d'échapper au
"western" pour se "renouveler" dans le
"fantastique" et la "science-fiction").
(16) Jusqu'à une date récente, certains journaux, des
quotidiens de province notamment, republiaient des histoires
déjà parues dans des magazines de BD à raison d'une demi-
planche par semaine en sorte que les dessinateurs étaient
tenus de construire leur page de façon à ce qu'elle puisse
être coupée par son milieu, ce qui limitait considérablement
les effets de découpage et interdisait, par exemple, de placer
certaines vignettes dans le sens de la longueur.
50
L'évolution du style des dessins de Giraud fournit
une autre illustration de l'effet de champ : le
graphisme réaliste et minutieux "sans plus" du début,
en affinité avec l'habitus de classe qui porte à
valoriser le travail "bien fait" et à accepter la "loi
du genre" (expression euphémisée de la contrainte
du marché) se transforme progressivement , comme
le montrerait la comparaison des albums échelonnés
entre 1966 et 1973 , en "manière" spécifique produit
d'un quasi parti-pris esthétique : l'obtention de grisés
et de dégradés (exclus normalement par les procédés
de reproduction "à plat"), par l'accumulation des
traits et des points qui tendent à remplacer les
parties encrées de la BD classique (un peu à la manière
des graveurs sur bois traçant d'après photographie
pour les premiers magazines d'actualité avant
l'invention de la photogravure et de la trame) ; le réalisme
excessif des gestes, des expressions et des décors
(calqué sur l'outrance du "western spaghetti") et le
découpage emprunté lui aussi au cinéma (succession
de plans très rapprochés et de plans généraux,
plongées, contre-plongées, etc .) constituent autant d"'effets"
qui précèdent les attentes du "grand public" encore
essentiellement enfantin, et qui sont destinés à
"surprendre" les "amateurs éclairés" et à susciter
l'admiration du groupe des pairs ("on ne peut pas faire
mieux", "c'est le meilleur", "il est très fort", etc.)
(cf. page document). Ces exercices de style appellent
la lecture cultivée de la portion "informée" et
"avertie" du public, seule capable de ressaisir les
"intentions cachées" dont l'oeuvre est porteuse les clins
d'oeil mutuels (Morris redessinant dans son
:
graphisme propre une planche de Giraud et vice versa, Bre-
técher dessinant une planche dont les bulles, restées
vides, sont remplies tour à tour par Lob, Fred,
Gotlib, Beketch); les allusions complices aux tics et
aux travers de chacun (par exemple lorsque Gotlib se
représente sous les traits cadavériques d'un "monstre"
sorti de Lone Sloane surmonté d'une bulle : "Je
trouve que Druillet en fait trop") qui visent objectivement
à faire valoir la cohésion du groupe -"on est
vachement tous copains"- divisé dans l'indivision
conformément au modèle consacré de la "chapelle artistique",
ne sont accessibles qu'à des lecteurs déjà familiarisés
avec la "manière" propre à chaque dessinateur. Plus
profondément, la sophistication croissante du
découpage qui substitue à l'alignement des vignettes de
gauche à droite et de haut en bas (comme dans la
page écrite) d'autres formes d'organisation (cases de
formes diverses juxtaposées dans un désordre savant;
dessin unique occupant plusieurs cases, etc.); les jeux
sur la relation texte -image (texte qui "commande" la
page placé au milieu, texte pouvant se lire dans
n'importe quel ordre, absence de texte, de titre>etc);
l'usage systématique de "l'ellipse" (les dessins ne
montrent pas tous les moments de l'action et insistent
plutôt sur les préparatifs de l'action ou sur ses
résultats que sur l'action elle-même) tendent à accroître la
difficulté de la lecture qui n'est plus nécessairement
immédiatement accessible sans effort au lecteur
habitué à l'ordonnance graphique du livre traditionnel et à
exiger un travail de "déchiffrement" dont la réussite
 51
dépend, comme pour l'oeuvre d'art, de la possession
„Fan "code" relativement spécifique acquis par familia-
iisaLiCn progressive avec les oeuvres.
":. .=?.. revendication du goût vulgaire
La rencontre sur le terrain de la bande dessinée,
iaôp risée pour échapper, au moins partiellement,
i raintes imposées par la censure du champ ar-
;
ii/iirj, mais assez cultivée pour qu'un projet intel-
it^'fc: : puisse s'y investir, d'un habitus -celui des
pro j1 "'leurs issus de la frange inférieure des classes
moyennes ~ et de cette forme spécifique de capital
culturel que constitue la compétence graphique, quasi -
méthode propre à organiser et à objectiver
l'expérience de classe, tend à engendrer des formes incongrues
(au sens d'inédites et de malséantes) d'activité
symbolique - comme en témoigne, par exemple, la
revendication quasi -explicite du "vulgaire" (et non du
"populaire") en tant que parti-pris esthétique et social -
impensables dans le champ de la culture savante y
compris dans les zones d" 'avant -garde" d'où
proviennent les oeuvres intentionnellement novatrices et os-
tentatoirement blasphématoires (17). Mais il est peut-
être dans la logique du champ de production
symbolique d'interdire à des projets de ce type d'atteindre
l' exploitation complète en les soumettant
alternativement à ces deux formes contradictoires et similaires
d'annulation que constituent la reconnaissance et le
désaveu, l'inclusion et l'exclusion. Et cela d'autant
plus que les contraintes du marché, celui de la presse
pour enfants et pour adolescents, limitent encore très
fortement la tendance du champ à l'autonomisation.
Produire pour les adultes, comme les nouveaux
caricaturistes, particulièrement ceux de Charlie -Hebdo
-Reiser, Cabu, Gébé, Wolinski, etc.- venus pour
la plupart de la BD, constitue la grande ambition des
producteurs de bande. Le dessin obscène publié en
dehors des filières habituelles (le Canard sauvage,
l'Echo des Savanes, etc. , a pour propriété essentielle
(17) Ce ne sont pas l'obscénité et la scatologie, utilisées
également à titre de procédé esthétique par les artistes
consacrés ou en voie de consécration -que l'on pense, par
exemple, à l'activité du groupe de Vienne (Schwarzkogler,
Nitsch, Mull, etc.) ou encore à l'oeuvre de Acconci ou de
Pizani- qui constituent en elles-mêmes le genre "vul-
gairei' mais la modalité de leur expression, emphatique et
grave, "importante" dans "l'art consacré", réductrice et
ricanante, "inavouable" dans l'"art moyen", et le type d'inB-
trument formel mis à leur service c'est sans doute
essentiellement chez Gotlib que le genre "vulgaire" tend vers la
:
cohérence et l'explicitation qui définissent un style parce
qu'il réussit à concilier l'attirance pour le "pipi-caca"
(selon ses propres termes) et un graphisme "méticuleux",
■'soigné", "précis", (à l'inverse des dessinateurs de Charlie
Hcbdo par exemple, cf. infra), conforme en tous points
aux canons esthétiques du "goût barbare" (cf. P. Bourdieu
,
et al., Un art moyen, op. cit.) mis au service d'une
description indistinctement critique et complice de l'habitus
des classes moyennes.
d'être interdit aux enfants . Il exprime la
revendication d'un statut adulte, i.e. de dessinateur pour
adultes, la recherche d'une novation esthétique réalisable
par un simple déplacement des contenus et peut-être
aussi, comme c'est souvent le cas pour la
transgres ion sexuelle, forme immédiatement accessible et
quasi anthropologique de la transgression qui ne
nécessite pas un gros apport de capital symbolique, une
bonne volonté subversive à l'état pur à laquelle
manquent la conscience claire de son objet et les
instruments de son accomplissement .
A la levée des censures liées au marché de la presse
enfantine correspond l'affranchissement, vécu comme
"émancipation", par rapport aux contraintes formelles
( "faire soigné", "léché", "fini", c'est-à-dire, selon
les cas, "joli", "poétique", "amusant", "gentil" ou
"réaliste", "vrai", "exact", etc.-) -produit de
l'ajustement entre la demande du public et les
dispositions sociales et esthétiques des producteurs-
auxquelles était soumise la bande traditionnelle. Le style
"zizi" (comme on parle du style "nouille")
-caractérisé par la mollesse du trait, les lignes inachevées,
les contours à peine suggérés, l'écriture presque
illisible, le tracé hésitant des lignes de séparation entre
les cases et, très généralement, par l'accentuation
hyperbolique de la pilosité (notée par des séries de
traits et de points dans le dessin des corps, cheveux,
barbes, aisselles, cuisses et surtout sexes)" qui
définit le graphisme de la plupart des nouveaux
dessinateurs spécialisés dans la bande "humoristique" (et
celui des caricaturistes venus de la bande) Mandrika,
Bretêcher, Gébé, Wolinski et surtout Reiser (cf. page
document) exprime sans doute au moins autant le
refus ostentatoire des valeurs qui sous-tendent à l'état
pratique le "goût petit bourgeois" (18) que
l'insubordination frondeuse du potache "libéré" de
l'as ujet is ement aux canons académiques imposés dans les écoles
d'art appliqué. Soumis à un rythme de diffusion rapide
depuis 1968 (notamment par l'intermédiaire des
fanzines) -dans la mesure, sans doute, où il offre
le rendement symbolique maximum pour la compétence
spécifique la plus faible- ce style original (dont on
pourrait retrouver la trace sous des formes à peine
différentes dans d'autres modes d'activité symbolique,
depuis l'écriture des textes d'allure gauchistoi'de -
Cavanna, Pierre Fournier, DeKeil de Ton, etc. (19)~
jusqu'à la cosmétique, le vêtement, le parler courant
ou l'hexis corporelle des "générations" les plus jeunes
des nouvelles classes moyennes dont l'habitus est le
(18) Cf. P. Bourdieu et al. , Un art moyen, op. cit. pre-
mière partie.
(19) L'originalité de l'écriture de Cavanna par exemple
-qui termine l'introduction de ses livres par un "Bon.
Salut", qui accumule les "tu vois ce que je veux dire", leH
"t'es trop con", "t'es trop moch^", etc. et qui tire une
grande partie de ses effets de la juxtaposition de la langue
parlée et de la rhétorique savante en sa forme politique
Illustration non autorisée à la diffusion
Illustration non autorisée à la diffusion
 Luc Boltaneki
produit d'un même mode de génération social et*
scolaire (20) ) exprime peut-être, pour dire vite, la
relation en porte à faux à la culture dominante, i.e.
scolaire, de tous ceux dont la translation des chances
d'accès au système d'enseignement a successivement
déplacé, élevé et abaissé les aspirations (21) : la
combinaison de la reconnaissance et du ressentiment,
de la prétention et de l'humiliation, produit cette
forme primitive et dominée de rébellion culturelle qui
cherche, sans doute en vain (comme en d'autres temps
la sorcellerie), dans la simple inversion
(contre/culture) des formes dominantes (dénégation qui contient
encore la soumission aux valeurs transgressées) l'outil
symbolique propre à échapper au pouvoir des formes
scolairement consacrées d'expression sans pour cela
les renier complètement, ni, surtout, les atteindre
sur le terrain où elles puisent leur force, le seul où
elles soient vulnérables, celui de la hiérarchie sociale
des légitimités, produit transfiguré dans l'ordre
symbolique de la hiérarchie sociale entre les groupes et
entre les classes.
Les dessinateurs et la définition sociale de 1' "artiste"
Chez les dessinateurs, surtout chez ceux d'entre eux
dont l'origine sociale est la plus basse, l'implantation
dans le champ de la culture savante, même dans ses
zones les plus marginales, reste précaire et
incertaine. Et cela d'autant plus que la coexistence d'un
champ autonome relativement restreint et d'un marché
économiquement très important (le tirage moyen d'un
journal de BD varie entre 50 000 et 150 000
exemplaires et les albums, publiés dès la première édition en
12 000 exemplaires atteignent souvent des tirages
dépassant 80 000 exemplaires), offre aux producteurs les
plus appréciés du grand public (semblables en cela
aux chanteurs et surtout aux musiciens de pop-music)
la possibilité d'un double recours propre à échapper
au moins partiellement aux principes de
hiérarchisation hérités de la culture savante qui tendent à
s'introduire dans le champ et à maintenir la position
occupée sur le marché > sans se soumettre à la
nouvelle définition "intellectuelle" du dessinateur de BD.
Chez la plupart des dessinateurs, l'adoption des
' et/ou scolaire ("La conférence de Bucarest sur la
population se proposait d'étudier. laissez-nous rigoler, petits
pessimistes déficients glandulaires '.")- tient au fait qu'il
..
a su objectiver dans un "style" l'habitus linguistique des
fractions les plus marginales du public intellectuel
(étudiants prolétarisés, enseignants déclassés, Freinetiques,
etc ) et reproduire dans un discours suivi la démarche
hésitante, suspendue entre l'envolée lyrique et le
.
borborygme des discussions de bistrot ou des monologues d'AG.
La communauté d'habitus entre les membres de l'équipe
de Charlie -Hebdo (qui fonctionne presque sans organisation
et avec le minimum de réunions) et entre l'équipe et son
public (dont témoigne par exemple l'importance du courrier
des lecteurs) explique sans doute seule "l'événement
54
manières qui caractérisent la relation "artiste" à
l'oeuvre s'opère de façon hésitante, honteuse,
anxieuse, comme si l'habitus de classe résistait aux
sollicitations du champ et à la tentation d'adopter la
représentation de leur oeuvre que les commentateurs venus
du champ intellectuel bâtissent autour d'eux.
Le jeu inquiet avec la définition sociale de 1'" artiste"
(ne pas "se rendre ridicule", ne pas "se prendre au
sérieux", mais aussi ne pas "sous-estimer son
travail", ne pas "s'écraser") revient comme un
leitmotiv dans les gags à usage essentiellement interne par
lesquels les dessinateurs épinglent les "ridicules"
des membres du champ et surtout se parodient eux-
mêmes et qui ont, pour la plupart, comme thème
sous-jacent la position ambiguë* de la BD dans la
hiérarchie des légitimités. Bretécher dessine
"l'artiste dans son atelier", mais un sèche-cheveux et
divers objets familiers remplacent les outils nobles
du peintre académique ou encore pastiche le discours
de célébration "Claire Bretécher, vous êtes femme
et dessinatrice, votre oeuvre connaît un immense
:
succès ... en effet on pourrait disserter à loisir sur
cet aspect fondamentalement suicidaire que l'on a
maintenant coutume de retrouver chez vous mais
nous en arrivons maintenant à vos 'Salades de saison' ,
..
.
pièce maîtresse, à mon sens, de l'oeuvre bretëche-
rien . ."; Gotlib dans La coulpe, illustre le dialogue
entre Gotlib "l'artiste" qui, le visage inspiré, hurle
.
"II me faut créer seul '. " auquel réplique Gotlib,
l'homme, ricaneur et trivial, "non mais ça va pas
des fois". Le même , présente ainsi la liste de ses
"distinctions honorifiques" :"1971, grand prix Phénix;
1972, prix du délire graphique de la National Cartoonist
Society; 1973, prix de la meilleure revue de BD;
1974, proposé pour le Goncourt; 1975, nommé
chevalier des arts et lettres; 1988, entre à l'Académie
française". "Je ne veux pas avoir la prétention
-déclare encore Gotlib dans une interview- de me comparer
surtout aux grands martres que sont Alphonse Allais
et Ambrose Bierce ou Benchley, ou enfin tous les
grands humoristes, mais, qu'est-ce que c'est faire
de l'humour ? Après tout, c'est tourner en dérision
toutes les bêtises qu'on voit autour de nous, et Dieu
sait si ces bêtises sont d'une effroyable tristesse.
Alors il est tout à fait normal que chez tout humoris-
nalistique" qu'a constitué la réussite de cet autodidacte,
ancien ouvrier maçon, qui a su sans capital (financier,
culturel ou social) et selon des méthodes artisanales
(refus de la publicité, absence de local, etc.) fonder un
groupe de presse dont les quatre journaux ont un tirage qui
varie entre 30 000 et 100 000 exemplaires.
(20) Cf. P. Bourdieu, L. Boltanski et P. Maldidier, "La
défense du corps", loc. cit.
(21) Cf. P. Bourdieu, L. Boltanski et M. de Saint-Martin,
"Les stratégies de reconversion, les classes sociales et
le système d'enseignement", Information sur les Sciences
sociales, 12 (5), 1973, pp. 61-113.
 55

te il y ait un arrière-fond d'amertume. Il est rondes gravées à l'ancienne "Haendel, Le Messie",

absolument sensible à toutes ces choses. Au lieu de les
faire passer dramatiquement, il les fait passer sous
l'angle de l'humour ... et les tourne en dérision.
Mais, moi, je trouve que c'est tout à fait normal
c'est la différence qu'il y a entre un humoriste et
honteusement sous-titrée dans le graphisme de la
bulle "arrangement Verchuren". Les sous pleuvent.
Un petit personnage accablé de sanglots, sorte de
coccinelle ou de criquet, joue du violon.

:
un homme d'esprit. C'est que l'homme d'esprit, c'est
le gars qui joue avec les mots, qui s'amuse, qui sait
parler en société, qui sait être drôle. Et l'humoriste,
par contre, pour lui, c'est plutôt une philosophie.
Il y a une différence très profonde entre quelque chose
de superficiel et quelque chose de très profond. (Ciel,
suis-jc pompeux '.). Ce n'est pas pour rien
qu'Alphonse Allais est mort alcoolique et qu 'Ambrose Bierce CHRONOLOGIE DE
est allé se faire tuer lors de la guerre de Sécession
et a disparu, je ne sais pas tellement comment, et L'ENTREPRISE DE
que nombre d'humoristes se sont suicidés Mais CANONISATION
encore une fois, je ne veux pas me comparer à eux'.
..
.

Enfin, si on considère le fait de faire passer DE LA B D

quelquefois nos problèmes personnels, nos préoccupations,
des choses qui nous ennuient au travers de l'humour,
alors peut-être je suis un humoriste à ce moment-
là, peut-être '. J'espère que ce n'est pas trop
prétentieux de dire ça ?".
Le conflit entre l'intérêt expressif qui pousse à maf-
triser par le pouvoir objectivant du graphisme les
expériences traumatiques associées au déplacement
dans l'espace des classes et la censure, intériorisée
("ne pas être prétentieux") du champ intellectuel qui,
s 'exerçant avec sa force maximum sur les moins
reconnus de ses membres, réserve aux détenteurs iCette
Lacassin
d'autre
de
l'évolution
nstruments
mettre
l'appareil
chronologie
établis
fonction
etenduJ.derelation
par
champ
Marny)
célébration
(partiellement
les
que intellectuel
historiens
l'apparition
dequifournir
estet de
loinet
construite
dequelques
des
reproduction
d'être
du
la oeuvres,
BD, exhaustive,
champrepères
ànotamment
partir
universitaire.
dela laconstruction
permettant
des
BD
n'a
F. et
de titres scolaires et/ou de capital familial le droit
d'énoncer sur le mode de l'éthique ("ce que je crois")
ou dans le langage de la science (les grandes
philosophies sociales) les principes qui sous -tendent , à La distribution entre les différents champs des événements,
l'état pratique, leur ethos de classe, engendre les des individus et des oeuvres (opérée essentiellement en tenant
philosophies honteuses et les sagesses à usage privé. compte des caractéristiques institutionnelles, comme la
Ces sortes de "ça m 'suffit" intellectuels qui ne position occupée par chaque agent dans chaque champ, etc ) est
sans doute, en ce cas, particulièrement arbitraire et cela pour

.
diffèrent souvent des grandes constructions théoriques sur deux raisons domaine en voie d'autonornisation, la BD puise,
lesquelles s'établissent les religions laïques de la au fur et à mesure de sa formation en champ spécifique, une
:

classe dominante que par le type d'expérience sociale
qu'elles expriment et par le degré d'euphémisation
des instruments symboliques mis au service de ces
expériences, trouvent leur mode d'expression
néces aire dans le double registre de la conviction et du
démenti que produit la juxtaposition des mots empruntés
aux langages socialement opposés et fonctionnellement
identiques de la prédication et du baratin et qu'engendre
aussi l'apposition des diminutifs de l'usage populaire
au vocabulaire rituel de l'introspection bourgeoise
("faire sa petite révolution intérieure / si j'ose dire";
"retrouver son âme d'enfant / même si ça fait cucu",
etc.). Mieux que toute analyse, un dessin de Gotlib(cf.
page document) sa propre caricature en chanteur des
rues, définit la situation culturellement et socialement
encore incertaine du producteur de bande la pomps
du geste, la cambrure des reins, l'expression du
:
partie au moins de ses éléments constitutifs dans les autres
champs de production symbolique, en sorte qu'il est légitime
d'attribuer, par exemple, un agent au champ intellectuel à un
moment donné du temps et au champ de la BD à une date
ultérieure ou encore de situer dans deux champs différents les
oeuvres simultanées d'un môme agent selon la position
institutionnelle de l'éditeur ou de la revue qui les a publiées, les
caractéristiques du public auquel elles sont destinées, etc. ;
d'autre part, les agents qui viennent occuper et/ou produisent
les positions dont l'apparition accompagne la construction du
champ possèdent des propriétés sociales relativement ambiguës
qui rendent difficiles leur identification sociale et le repérage
de la/ou des position (s) qu'ils occupent dans l'espace des
classes et des fractions de classes. Mais peut-être la position en
porte-à-faux qu'ils occupent à l'intersection des différents
champs de production symbolique n'est-elle pas étrangère aux
propriétés les plus spécifiques de leur trajectoire sociale et
sans doute pourrait-on montrer que la position d'intermédiaire
(entre le champ universitaire et le champ intellectuel et
surtout entre le champ de culture savante et le champ de grande

visage à la fois inspirée et crispée contrastent avec
l'aspect minable des vêtements, les souliers à la
Chariot, les cheveux calamistrés, les lunettes cassées.
A la main, une partition où s'étalent en belles lettres
diffusion) les prédispose à tirer parti des potentialités
objectivement inscrites dans le champ de la BD et à contribuer,
par leurs stratégies, individuelles ou collectives, à la
légitimation du nouveau type d'activité symbolique auquel ils ont lié
leurs intérêts (aux deux sens du terme)
.
Luc Boltanski 56

Faute de place, on a renoncé à faire remonter la chronologie
aux origines de la BD (1896, The Yellow Kid, de R.F.
Outcault aux U S A ) et cela d'autant plus que les relations
entre la BD et les champs intellectuel et universitaire sont
presque inexistantes avant 1945. L'intérêt porté à la BD par
les intellectuels, les universitaires et les enseignants a
d'abord été le produit d'une intention purement répressive
exercée au nom de l'espèce "d'autorité morale" que
revendiquent ceux qui occupent dep positions de pouvoir dans le
champ de la culture savante. A l'origine de leur intervention
dans le champ de la BD, on trouve de véritables campagnes
de boycottage conduites par des sortes de "ligues de vertu"
formées par des intellectuels catholiques et surtout par des
Intellectuels communistes qui, par leurs efforts conjugués,
obtiennent le vote des lois de censure de 1949 (dont l'effet
indirect a été d'ouvrir le marché aux dessinateurs français en
interdisant l'importation de la plupart des bandes dessinées
d'origine américaine).
Le revirement d'une partie au moins des membres du champ
intellectuel qui s'opère dans les années 1958-1960 et qui a,
scmble-t-il, joué un rôle non négligeable dans l'accumulation
primitive de capital culturel, condition de l'entreprise de
légitimation de la BD (et d'un certain nombre d'autres activités
symboliques), est sans doute corrélatif des changements qui
conduisent certains intellectuels à s'écarter, au moins en
surface, de la définition dominante de la culture pour laquelle Ils
avaient jusque là milité (y compris au sens politique du terme)
sans pouvoir lui substituer une autre définition théoriquement
fondée, ni de nouvelles pratiques.
Encore ne faudrait-Il pas surestimer le rôle des massmédio-
logues et de tous ceux dont les efforts visaient à rejeter la
BD, au môme titre que les autres activités symboliques sans
légitimité, dans l'indignité culturelle et l'abjection politique et
éthique avant de trouver dans la récupération de ces "arts
mineurs" et l'exaltation populiste de la "culture populaire"
l'instrument propre à opérer la consécration d'un nouvel
arbitraire. Sans doute, les jeux scolaires avec la définition des
concepts de culture, de masse et de culture de masse
n 'auraient-ils suffi à déranger, si peu que ce soit, la
hiérarchie des légitimités culturelles si l'arrivée d'un nouveau
groupe de professionnels de la BD (cas particulier de l'apparition
de producteurs symboliques d'un nouveau type), la formation
d'un nouveau public et, plus généralement, l'ensemble des
phénomènes associés à la translation très rapide dos chances
d'accès au système d'enseignement (suggérée ici par le rappel
du nombre des étudiants et des assistants des facultés des
lettres à différents moments du temps) n'avaient été corrélatifs
de la constitution de groupes, de classes et de tractions de
classes dont les intérêts culturels et sociaux sont peut-être
objectivement solidaires d'un changement de l'ordre
hiérarchique selon lequel s'ordonnent les différents types de
produits symboliques.

OEUVRES CHAMP DE LA BD CHAMP INTELLECTUEL CHAMP UNIVERSITAIRE

1948 Corentin Feldoe,
par P. Cuvelier
dans Tintín
1949 Blake et Mortimer, Loi du 26 juillet sur la
E.P. Jacobs dans presse pour enfants
Tintin
1950 Alix le gaulois, H. Kurtzman crée le La Ligue de
par .J. Martin magazine Mad ment fait campagne
dans Tintin contre la BD
Campagne de la revue
Educateur (éditée par
l'Union des oeuvres
catholiques) contre le
personnage de Tarzan
Facultés des lettres:
39 000 étudiants
177 assistants
1953 Chlorophille, de Hachette interrompt la Campagne de la revue
R. Macherot dans publication de Tarzan souî3 Enfance contre la BD
Tintin la pression d'associations
d'enseignants et
d'éducateurs
1955 Jerry Spring , de Publication dans Les
J. Gillain dans Temps modernes d'un
Spirou article hostile à la BD
par le psychiatre
F. Wertham
 57

OEUVRES CHAMP DE LA BD CHAMP INTELLECTUEL CHAMP UNIVERSITAIRE

1956 F. Caradec,
phe Colomb, Grasset,
ouvrage consacré au
1957 Gaston la gaffe, par dessinateur Christophe
Franquin dans Spirou
1958 Oumpah-pah, de E. Morin, "Tintin
R. Goscinny et héros d'une
A Uderzo dans tion", La Nef
Tintin
.

1959 Astérix, par R. Goscinny, A. Uderzo

R. Goscinny et et J-M. Charlier créent
A . Uderzo dans l'hebdomadaire Pilote
Pilote
1960 Cavanna et Bernier P. Strinati, "L'âge Facultés des lettres:
créent Hara-Kiri d'or de la bande 67 000 étudiants
dessinée", Fiction 497 assistants
1961 Premiers dessins Création du CECMAS
de Wolinski dans et de la revue
Hara-Kiri Communications
1962 Barbarella, par F. Lacassin et E. Morin, L'esprit
J-C. Forest dans A . Resnais créent le Club du temps, Grasset
V-Magazine de la BD et la revue (un passage consacré
Premiers dessins de Giff Wiff à la BD)
Topor dans Hara-Kiri
1963 Lieutenant Blueberry, Première réédition d'une "Tarzan mythe
par J-M. Charlier et BD ancienne, Guy l'Eclair, phant et mythe humilié','
J. Giraud dans par A Raymond numéro spécial de la
Pilote revue Bizarre publiée
.

par J-J. Pau vert

Premiers dessins de
J. Giraud (Moebius)
dans Hara-Kiri
1964 Du duche, de Cabu F. Lacassin crée le
dans Pilote Centre d'études des
tératures graphiques
R. Forlani et J-C. Forest
créent Chouchou premier
magazine de BD pour
adultes (9 numéros)
1965 Scarlet Dream, par Premier congrès
Gigi et Moliterni tional de la BD à Bordi-
ghera en Italie
dans Pilote G. Moliterni organise
Débuts de Mandrika l'exposition de BD "Dix
millions d'images"
Interdiction de Hara-Kiri
Apparition des
premiers fanzines
La femme assise de
Copi dans le Nouvel
Observateur
Umberto Eco, "Le
the de Superman et la
dissolution du temps",
Giff Wiff
L'éditeur E. Losfeld Facultés des lettres:
publie Barbarella 137 000 étudiants
en album 1 646 assistants et
F. Lacassin, "Federi- maftres -assistants
derico Fellini et les E. Sullerot devient
fumetti", Les Cahiers vice -président du
du Cinéma CELG que dirige
Retour à la peinture F. Lacassin
figurative (nouvelle
figuration, Salon de la
jeune peinture, etc.)
Luc BoltanékC 58

OEUVRES CHAMP DE LA BD CHAMP INTELLECTUEL CHAMP UNIVERSITAIRE

1966 Jodelle , par C. Moliterni crée la J-J. Pauvert édite La Ligue de
P. Bartier et Société française de la revue Giff Wiff l'enseignement organise une
G. Pellaert bande dessinée et la publiée jusque là sous conférence favorable
revue Phénix forme ronéotée à la BD
Diffusion du pop-art
américain en France
(Salon de mai)

1967 Débuts de Gébé Création du "Prix de la C. Moliterni organise

dans Pilote bande dessinée" au musée des Arts
Première émission décoratifs de Paris
Valerian , de Linus l'exposition : "Bande
et J-C. Mézières télévisée consacrée à la BD dessinée et figuration
dans Pilote Les chefs d'oeuvre de narrative"
Débuts de Reiser la bande dessinée,
dans Pilote Anthologie Planète
Pravda la survireuse,
de G. Pellaert

1968 Blanche Epiphanie f de L'Enragé publie des R. Vadim tourne C. Bremond, "Pour
J. Lob et G. Pichard dessins de Wolinski, Barbarella un gestuaire des
Reiser, etc. bandes dessinées",
Expoxy, de Langages
P. Cuvelier et J. Marny, Le monde
Van Ham étonnant des bandes dessinées,
Editions du centurion
Saga de Xam ,de
N. Devil Apparition des premiers
comics underground aux
Etats-Unis (R. Crumb, etc.)

1969 Cellulite, de J. Glénat-Guttin crée
C. Bretécher dans Les Cahiers de la
Pilote Bande dessinée
Cavanna crée le mensuel
Charlie et Hara-Kiri Hebdo
G. Blanchard, La bande
dessinée. Marabout Université
A. Franquin et J. Gillain,
Comment on devient
créateur^ de bande dessinée,
Marabout
L' Encyclopedia Univer- Facultés des lettres:
salis consacre un 208 000 étudiants
article à la BD 4 171 assistants et
maîtres assistants
Les situationnistes
"détournent" des
bandes dessinées (change- A. Barraud et S. de
Sède, "La mythologie
ment du texte des d'Astérix", La
bulles) nouvelle Critique

1970 Lone Sloane, de Les fanzines se M-A. Burnier crée Enseignement

P. Druillet dans multiplient Actuel Débuts de la pratique de BD à
presse dite l'université de Vincennes
.

Pilote
"underground" en France P. Fresnault- Deruelle
A gar, de Gigi et Création de Comics 130 ,
Moliterni dans organe de la librairie "Le verbal dans la
Tintín Futuropolis bande dessinée",
Communications
Paulette, de Interdiction de Hara Kiri
G. Pichard et Hebdo Cavanna crée A. Roux, La bande
Wolinski Charlie Hebdo dessinée peut être
.

éducative, L'école
 59
OEUVRES CHAMP DE LA BD
1971 Thorkael, de Loro F. Lacassin, Pour un
et Beketch 9e art, la bande dessinée
10/18
N. Sadoul, Archétypes et
concordances dans la
bande dessinée moderne,
(chez l'auteur)
1972 Histoires extraor- Gotlib, Bretécher et
dinaires, de Tardi Mandrika créent L'Echo
et Linus des savanes
Débuts de l'émission
télévisée "Tac au tac"
C. Moliterni et al. ,
Histoire de la bande
dessinée d'expression
française, Serg
Début de la parution de
"l'Encyclopédie mondiale
de la BD" dans Tintin
197: La déviation , de C. Moliterni, Entretiens
J. Giraud. dans avec , Serg
..
.
Pilote
Tenebrax, de M. Gotlib, N. Mandrika,
J. Lob et C. Bretécher créent les
G. Pichard Editions du fromage
Diffusion en France de
BD en provenance de
Chine populaire
1974 Le ban dard fou, P. Couperie, C. Moliterni,
de J. Giraud (sous H. Philippi, Encyclopédie
le pseudonyme de de la BD, Serg
Moebius)
'
Hamster jovial, Publication chez Hachette
de Gotlib de la collection : les
Vuzz, de maftres de la BD
P. Druillet -J. Glenat-Guttin crée
la revue Cartoon
Pilote devient mensuel
Congrès de la BD à
Angoulême
Création de la collection
Graffiti aux éditions
Albin Michel consacrée
à des études sur les
dessinateurs de BD
CHAMP INTELLECTUEL
Apparition d'une
rubrique de BD dans
Le Nouvel Observateur
M. Covin, "La bande
dessinée psychédélique"
Critique
Apparition d'une
rubrique de BD dans Zoom
G. Lascault publie un
très long article sur
Fred dans Critique
C. Bretécher, "Les
frustrés" dans le_
Nouvel Observateur
Série d'articles sur
la BD dans l'Art
vivant (G. Lascault,
C. Bouyeure, etc.)
Republication dans la
collection Folio
(Gallimard) des oeuvres
de Reiser, Cabu, Cavanna
Création à Toulouse
d'une bibliothèque
spécialisée dans la BD
Astérix dans Le Monde
Exposition "Ils
collectionnent" au musée
des Arts décoratifs
de Paris
René Clair de
l'Académie française fait, à
l'Institut de France,
une communication sur
"La bande dessinée,
cinéma inanimé"
CHAMP UNIVERSITAIRE
Cours "d'histoire et
d'esthétique de la
bande dessinée" à
l'université de Paris I
M. Covin,
"Propositions sur la bande
dessinée','
Communications
P. Fresnault-Deruelle,
"La codification de la
couleur dans la bande
dessinée", Revue
d'Esthétique
A-M. Thibault- Laulan,
Images et
communications, Editions
universitaires
P. Fresnault-Deruelle,
La bande dessinée,
essai d'analyse sémio-
tique, Hachette
P. Fresnault-Deruelle
Dessins et bulles,
Bordas
Sujet sur la BD au
BEPC dans
l'académie d'Amiens
J. Maiffredy,
L'esthétique anamorphique, de
Gotlib_, mémoire de
l'Université de
Toulouse
D. Convard et
S. Saint-Michel, Le_
français et la bande
dessinée , F Nathan
.