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Economies, sociétés,
civilisations
Faivre Antoine. Pour une approche figurative de l'alchimie. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 26ᵉ année, N. 3-4,
1971. pp. 841-853;
doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1971.422449
https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1971_num_26_3_422449
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1. Cf. surtout Henry Corbin, L'imagination créatrice dans le soufisme ďlbri1 Arabi, Paris,
Flammarion,
2* éd.; et1958;
généralement,
Gilbert Durand,
tous lesLes
exposés
structures
de cesanthropologiques
deux auteurs, publiés
de Г Imaginaire,
dans les Paris,
EranosBordas,
Jahrbûcher,
1969,
Zurich, Rhein Verlag.
2. On appelle « souffleurs », ou spagyristes, ceux qui s'adonnent à l'alchimie dans des buts
essentiellement utilitaires; ces mots, surtout le premier, ont souvent un sens péjoratif. Bien entendu,
ce n'est pas de cela qu'il est traité dans le présent article.
Ml
AUTRES LOGIQUES
des confusions restent possibles dans Pesprit'des lecteurs enclins à chercher chez Jung
ce qui ne s'y trouve pas, c'est-à-dire un schéma de la forme et de la structure de
l'alchimie1. Enfin, si la présente étude s'appuie sur de nombreux textes d'alchimie
occidentale du Moyen Age à nos jours, il ne s'agit pas d'un exposé historique, mais
seulement de quelques suggestions méthodologiques. Les références seraient trop
nombreuses pour figurer toutes dans un simple article; présentées en nombre limité,
ces références à des textes hermétiques laisseraient croire que les rapprochements
proposés sont insuffisamment étayés. C'est pourquoi on n'en trouvera pratiquement
pas. Un travail plus complet, parce que plus historique, est actuellement en
préparation f.
•
1. С G. Jung, Psychologie und Alchimie, Zurich, Rascher Verlag, éd. de 1944. Traduction
française
assez décevant,
: Paris,
proposé
Buchet-Chastel,
par Jung. Je1970.
n'emploie
Cf. pp.ici 316-318
le mot «(éd.
structure
de Zurich)
» qu'avec
le schéma
prudence.
d'ensemble,
Cf. à cet
égard S. Lupasco, Qu'est-ce qu'une structure?, Paris, Bourgeois, 1967, p. 41 : « Une structure est
l'intérieur, les parties d'un système, alors que le système constitue un tout »; cf. aussi p. 44. Ajoutons,
avec G. Durand, que les « formes » dont il sera question plus bas sont dynamiques, c'est-à-dire
sujettes à transformation par la modification de l'un des deux termes (op. cit., p. 65 s).
2. D référera à quelques centaines de traités alchimiques et arithmosophiques. Les études
théoriques inséparables de ces recherches se poursuivent régulièrement depuis quatre ans au sein d'un
séminaire groupant principalement MM. Jean de Foucauld, Gérard Mazeau, Robert Salmon et
moi-même. Ajoutons que les travaux sérieux sur l'alchimie feraient un grand pas en avant si les
historiens disposaient d'une bibliographie au moins presque complète des textes manuscrits et
imprimés. M. Wallace Kmsop met actuellement au point une des premières grandes bibliographies
concernant le domaine français (1550-1800).
3. G. Durand, « Structures et fonction récurrentes de la figure de Dieu ou la conversion
herméneutique », in Eranos Jahrbuch, t. 37, 1968, p. 463. Mircea Eliade, Forgerons et alchimistes,
Paris, Flammarion, 1956.
livre4.deComme
Burland,
première
Savoirapproche,
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alchimistes,
se reportera
Paris,
aux1968.
textes anciens cités <fam la bibliographie du
LA PENSÉE ALCHIMIQUE — A. FAIVRE
1. Cf., entre autres ouvrages : Qu'est-ce qu'une structure ?, op. cit., L'énergie et la matière vivante,
Paris, Julliard, 1962. La tragédie de l'énergie, Paris, Casterman, 1970.
2. Pratiquement, le mot Sel n'est employé que depuis Paracelse. Mais, bien entendu, l'archétype
est indépendant de la dénomination. Cf. aussi infra, note 2, page 849. Le problème abordé dans cet
article pourrait encore, remarque Gilbert Durand (lettre à l'auteur, 24 XI 1970), être éclairé par la
prise en considération de la médecine paracelsienne (issue de l'alchimie), et de la médecine chinoise
(cf. les ouvrages de Jacques Lavier) qui consiste toujours dans le rétablissement de la tension Yin-
Yang et de l'équilibre potentialisation-actualisation.
3. Les limites de cet article sont évidemment trop restreintes pour permettre d'exposer les
rapports entre les quatre éléments, les quatre qualités élémentaires, le jeu entre éléments et qualités,
éléments et substances, etc. Ces rapports seraient pourtant d'un grand intérêt pour illustrer les
propos de la présente étude. Signalons au passage le rôle des nombres 3 (substances) et quatre
(éléments), d'où celui du nombre^ (métaux, planètes) et les possibilités d'interprétation symbolique
qui en découlent.
4. D'autant que l'alchimie ne procède ni par postulats, ni par hypothèses, ni par tâtonnements
— contrairement à la science expérimentale — mais par un comportement quasi instinctif.
AUTRES LOGIQUES
au schéma suivant, une fois dépouillés de leur vocabulaire étrange, de leurs décors
bigarrés, de leur étonnant labyrinthe verbal 1 :
A. L'Œuvre commence par la mort alchimique, c'est-à-dire par une idée de
dissolution (solve) y de séparation, des trois principes que sont l'esprit (Soufre),
l'âme (Mercure), le corps (Sel). Ceux-ci, plus ou moins unis à l'état naturel, sont
symbolisés par le blanc, le jaune et la coquille d'un œuf. On dit que l'Adepte, dans
cette première phase, « brise l'œuf de son épée », c'est-à-dire qu'il détruit cet état
naturel en séparant les trois principes les uns des autres : le Soufre et le Mercure se
dégagent; restent les cendres, ou la coquille. L'intérêt de cette séparation sera de
permettre une fixation (coagula) du double élément spirituel (Soufre-Esprit et
Mercure-Ame) meilleure qu'à l'état naturel. En d'autres termes, esprit et âme,
libérés après l'éclatement de l'œuf, vont maintenant rechercher un corps (en
allemand, Leib) qui, lui, est à la fois corps et esprit 2, non plus seulement corps matériel
fragile (en allemand, Kôrper). Cette fixation, cette stabilisation, c'est l'Œuvre elle-
même, qui après la « mort » se poursuit en quatre étapes que voici 3.
B. Acquisition du Feu. Esprit et âme en quête de leur corps spirituel reçoivent
le « Feu », qui est grâce, don de Dieu. Cette entreprise est parfois assimilée aux
douze travaux d'Hercule ou aux signes du zodiaque; elle est préparation intense
à la fusion du corps spirituel avec l'âme-esprit.
C. Acquisition du Mercure. Maintenant qu'ils sont devenus ignés, esprit et âme
se cherchent une forme. Quand ils la trouvent, on dit qu'ils ont acquis le « Mercure
Philosophique » (c'est la condensation du « Mercure Universel », qui coordonne,
suscite, sert d'agent universel, et que nous avons déjà rencontré). Mais il y a — et
pour cause — encore prédominance de l'âme (élément mercuriel).
D. Acquisition du Soufre. Esprit et âme, ignés, ayant trouvé leur forme, cherchent
à stabiliser, à « solidifier » cette forme. Pour cela, ils récupèrent la cendre, la coquille,
délaissée depuis l'étape de la Mort, lorsque l'Adepte a frappé l'œuf de son épée.
L'Œuvre a alors atteint une certaine consistance, appelée Soufre, et celui-ci rayonne
dans un ensemble maintenant presque achevé.
E. Mariage du Soufre et du Mercure. Soufre et Mercure, acquis séparément, ne
sont pas encore unis; ils aspirent à l'être, mais paradoxalement ils se présentent
comme deux forces antagonistes. Б faut alors trouver le Sel catalyseur, liant, grâce
auquel pourra s'opérer le mariage Soufre-Mercure (Roi-Reine). Alors l'Œuvre sera
achevé. Le Soufre, lumière intérieure, microcosmique, rayonne dans la lumière
environnante (formelle), ou macrocosme, du Mercure. L'énergie est unie à la
substance. La pierre, c'est l'Esprit du monde rendu visible 4.
Bien entendu, cette description a le tort d'être chronologique; aussi n'a-t-elle
de valeur que méthodologique. Remarquons cependant que tout se passe comme dans
une structure douée d'autorégulation. En effet, l'alchimiste ne demeure jamais
arrêté à un stade de l'Œuvre, et quand il passe au stade suivant, il « récupère » tout
1. Ces remarques ne doivent pas être comprises dans un sois péjoratif. Au sujet des travaux
consultés, cf. supra, p. 842, note 2.
2. A rapprocher, sans doute, de l'alternance dynamique des condensations taoïstes.
3. Ces étapes ne sont pas « absolument » chronologiques. Cf. infra, à propos du diachronisme
et du synchronisme.
4. Le « Soufre dans le Mercure » est illustré par l'image maçonnique de l'œil au centre du
triangle. La pierre est « cubique », car Mercure + Soufre + Corps + Sel (ou + Eau) = 4. On
retrouve d'ailleurs 1e 7 sous les cendres, puisqu'elles symbolisent aussi les quatre éléments (4+3=7).
LA PENSÉE ALCHIMIQUE s A. FAIVRE
1. Ibid., pp. 306-313. Toutefois, ceci n'est vrai qu'au sein des fines interprétations
microphysiques. Mais on peut citer, à ce propos, l'œuvre de Gaston Bachelard, qui dans La Formation de
ГEsprit scientifique montre comment la science expérimentale a dû se débarrasser de
l'interpénétration sujet-objet; on voit, par contre, dans sa Psychanalyse du feu comment la poétique récupère cette
interpénétration.
2. Etes expressions de ce genre sont fréquentes dans les textes. Cf. notamment Geheime Figuren
der Rosenkreuzer, AI tona, 1785-1786.
3. Ils sont souvent « situés » au stade de l'acquisition du feu. Cf. supra.
4. S. Lupasco, Qu'est-ce qu'une structure?, op. cit., p. 79, fait cette remarque à propos de
l'énergie.
5. « Les notions usuelles de matière et d'esprit sont des constructions de la logique classique,
engendrées elles-mêmes par certaines fonctions biologiques » (S. Lupasco, L'énergie et la matière
vivante, op. cit., p. 267). A propos de l'antagonisme, notons que dans le système atomique, et même
nucléaire, il se révèle comme constitutif : les protons se repoussent selon les lois de Coulomb et
s'attirent selon le principe de cohérence. On sait, d'autre part, le succès que connaît la « synthèse »
hégélienne. Mais à Hegel on pourrait opposer Proudhon — et bien d'autres penseurs — pour qui
toute synthèse du couple antinomique est artificielle ou mortelle, et en tout cas négation de la liberté :
« L'antinomie ne se résoud pas. Là est le vice fondamental du système de Hegel », qui n'a pas
LA PENSÉE ALCHIMIQUE A. FAIVRE
au terme ne les situent jamais dans un Eden immuable et inaccessible, ils les décrivent
comme des hommes très occupés bien qu'immortels; ceux-ci passent leur « temps »
à secourir l'humanité souffrante, à limiter le nombre des cataclysmes, en un mot,
à jouer leur rôle d'Élus, semblables à Celui qui apparut aux Pèlerins d'Emmaûs.
On voit que leur tâche est d'équilibrer le monde... et l'on comprend la profondeur
psychologique de ce symbole en même temps, peut-être, que la réalité énergétique
qui le sous-tend. C'est le sens, probablement, de ce verset de la Table ďEmeraude —
Bible des Alchimistes — qui enseigne : « Vis ejus (= Dei, Unitatis) intégra est, si
conversus fuerit in terram ». Le « corps glorieux » des chrétiens n'est sans doute rien
d'autre que cette fusion polarisante, équilibrante et créatrice.
Un processus que S. Lupasco observe seulement dans les mondes
microphysique et psychique, mais que nous retrouvons dans l'intuition alchimique, contribue
lui aussi à transfigurer l'opposition dualiste : il s'agit du passage d'un état à un autre,
de telle sorte qu'il soit impossible de dire comment, selon quel déroulement temporel,
en fonction de quels éléments, une chose est devenue une autre chose. Ainsi, pourquoi
l'âme-esprit devient-elle Mercure? Les alchimistes ne répondent pas à ces questions,
ils ne les posent même pas, car elles sont pour eux sans objet. Au fond, le processus
n'a rien de linéaire, il se déroule par « à coups ». L'alchimiste s'efforce, disons, de
combler des manques en procédant par quanta. De quantum en quantum il pose des
jalons qui sont les étapes mêmes de l'Œuvre x. On n'a pas affaire à des synthèses,
mais à des soudures (Ie Sel soude le Soufre et le Mercure), à des passages qualifiés
apparaissant comme discontinus. La notion d'être devient inapplicable, de même
que le principe de non-contradiction, fondé sur l'être.
D'autre part l'alchimiste, il est banal de le rappeler, tend — du moins dans
l'Occident chrétien — à rendre à une partie de l'univers, et à lui-même, la dignité
que possédaient Adam et la nature avant la chute. Car la nature elle-même, selon
l'interprétation d'une phrase de saint Paul, gémit dans l'attente 2, elle aspire vers sa
Réintégration. Sur ces deux plans — le monde et l'homme — l'alchimiste n'aperçoit
pas une évolution naturelle de la vie, mais une dégradation qui nous éloigne de
l'unité, si bien que le retour vers celle-ci ne s'appellerait pas « évolution » mais
plutôt « involution ». Au fond, il s'agit de lutter contre la dégradation de l'énergie,
compris que « l'antinomie ne fait qu'exprimer un fait et s'impose impérieusement à l'esprit ». Ainsi,
« les termes antinomiques ne se résolvent pas plus que les pôles opposés d'une pile électrique ne se
détruisent » (citations présentées par Jean Bancal, in Proudhon, pluralisme et autogestion, Paris,
Aubier, 1970, 1. 1, pp. 106 s, 112 s; t. II, pp. 45, 170 s. D'autre part, il est significatif que Jean Bancal
ajoute, en matière de commentaire : « II est curieux de constater [...] comme la théorie de la particule
et de Fanti-particule constitue en physique moderne une confirmation de la théorie proudhonienne
de l'organisation antinomique du monde » (ibid., 1. 1, p. 118).
1. Rappelons que, selon le principe d'exclusion de Pauli, les protons et les neutrons se placent
sur les différentes couches et sous-couches en états quantiques diversifiés de l'énergie du noyau.
Ainsi, l'interpénétrabilité des objets est due au principe d'exclusion de Pauli, c'est-à-dire à l'hétéro-
généisation organisatrice des atomes et des molécules. Remarquons que dans la physique quantique
— comme dans les étapes de l'Œuvre alchimique — les électrons ne passent pas d'une orbite à
l'autre, ils « sautent », c'est-à-dire disparaissent dans l'intervalle; la règle générale est ici la
discontinuité, la mutation brusque, bien plutôt que la maturation diachronique. Stéphane Lupasco hasarde
l'hypothèse : « L'espace est une création plutôt de la vie que du temps, à rencontre des conceptions
à peu près générales, et notamment d'un Bergson, qui en fait le siège, sinon la création, d'une matière
morte » (La tragédie de l'énergie, op. cit., p. 74).
2. « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la
vanité — non qu'elle l'eût voulu, mais à la cause de celui qui l'y a soumise — c'est avec l'espérance
d'être, elle aussi, libérée de la servitude et de la corruption pour entrer dans la liberté des enfants de
Dieu. Nous le savons, en effet, toute création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement »
(Romains, VIII, 19-22).
847
-
AUTRES LOGIQUES
télicienne. Le Dieu de l'Église Romaine est identité par excellence, Unité dans
laquelle disparaissent toute multiplicité, toute diversité. C'est là, dit S. Lupasco,
« l'opération d'actualisation de l'extension identifiante du concept, poussée à sa
limite impossible, où toute hétérogénéité aura disparu dans une potentialisation
infinie,* équivalent à sa disparition3 ». Ajoutons que c'est un penseur luthérien,
Jakob Bôhme 4, qui au début du xvne siècle a le plus contribué à répandre dans
l'Occident chrétien l'idée d'un Dieu en quelque sorte hétérogène, aspirant à se
connaître lui-même grâce à une création dans laquelle il se reflète, et sans laquelle
il n'est que Ungrund, fond indifférencié, mais déjà potentialité lourde d'infinies
énergies. Ce Dieu se définit moins par son essence que par sa liberté. On conçoit que des
chrétiens aient, dès lors, éprouvé le besoin de chercher de préférence dans le
néoplatonisme, puis dans les textes fondamentaux de la Kabbale juive, un support à
leurs spéculations sur les formes et les manifestations d'une divinité conçue non point
comme ne varietur mais comme essentiellement dynamique et énergétique.
A la polarité hétérogénéisation-homogénéisation s'ajoute, en effet, dans le
domaine de l'énergie — et du psychisme — la notion de potentialisation-actualisa-
tion. C'est-à-dire que tout événement énergétique comporte un élément antagoniste,
tel que l'actualisation relative de l'un entraîne la potentialisation relative de l'autre.
Relatives, mais non pas absolues, sous peine de voir disparaître l'antagonisme,
donc l'énergie elle-même 5. Rien n'arrive qui n'ait potentialisé ce qui était. Chaque
événement nouveau s'actualise sur le fond d'une potentialité, ou d'une
potentialisation, préalable. Cette notion permet d'échapper au caractère statique de la logique
classique. Elle éclaire d'un jour neuf les étapes de l'Œuvre, car l'on comprend mieux,
par exemple, pourquoi les alchimistes disent que « le Feu est déjà le Mercure », que
Qu'est-ce
1. « Les
qu'une
systèmes
structure?,
énergétiques
op. cit.,sont
p. 90).
soumis à un devenir, qui tend à les abolir » (S. Lupasco,
2. « Dans le domaine « mental » [...] il n'y a de polarité véritable que s'il y a tension hétérogène
entre des systèmes de représentation séparément homogènes. Telle semble être, entre autres, la loi
de l'esprit humain » (G. Durand, « Les structures polarisantes de la conscience psychique et de la
culture », in Eranos Jahrbuch, t. 36, 1967, p. 289).
3. S. Lupasco, Qu 'est-ce qu'une structure?, op. cit., p. 87 s.
4. En ce domaine précis, il a eu de nombreux prédécesseurs, parmi lesquels Maître Eckhart.
В est significatif que ces penseurs aient toujours été contestés par l'Eglise. Au xxe siècle, Nicolas Ber-
diaeff a hérité de ce legs, ce qui est moins surprenant chez un penseur russe, bien que Berdiaeff
doive à Boehme et à Franz von Baader l'essentiel de sa philosophie, et que l'Église orthodoxe,
pourtant plus accessible à ces spéculations, l'ait tenu en suspicion.
5. Cf. ibid., surtout pp. 84-90.
LA PENSÉE ALCHIMIQUE A. FAIVRE
« le Feu appelle sans cesse le Mercure г », que « le Mercure appelle le Soufre, ou que
Mercure (Reine) et Soufre (Roi) s'attirent tout en se repoussant, puisque chaque
individu, chaque système vital, est potentiellement bi-sexué. Les trois Principes ou
substances alchimiques ne font qu'exprimer cette loi générale. Le Soufre exerce
une action centrifuge, le Mercure une action centripète. Lorsque l'un domine,
c'est-à-dire s'actualise, il y a potentialisation de l'autre. Quant au Sel, il est le lieu
1. « Tâches de l'esprit et impératifs de l'être », in Eranos Jahrbuch, t. 34, 1965, p. 330 s. Dans
ces pages, sa critique d'un échange de vues entre Paul Ricœur et Claude Lévi-Strauss apparaît assez
significative à cet égard. Toutefois, dans une lettre à l'auteur (24 XI 1970), Gilbert Durand précise
sa position, beaucoup plus nuancée qu'elle n'apparaît dans le présent article. S'il renvoie dos à dos,
explique-t-il, Paul Ricœur et Claude Lévi-Strauss, c'est qu'à son avis la vérité anthropologique est,
elle aussi, dualitude d'un certain « témoignage » dans le temps (mais ponctuel, non déterministe)
et d'un certain « modèle » dans le Ciel (ou dans les révélations prophétiques du Livre sacré).
2. Op. cit., supra. Sur la définition du mot « régime », cf. p. 66.
3. Cf. ibid., index alphabétique des thèmes, mot « alchimie ».
850
LA PENSÉE ALCHIMIQUE 3^ > A. FAIVRE
1. Ibid., p. 147.
2. Ibid., p. 259.
3. Cf. ibid., p. 409, et M. Élude, op. cit., p. 179.
4. Cf. supra, p. 842 n. 2. Citons seulement, à propos de la période alexandrine, la Collection des
alchimistes grecs, de Berthelot-Ruelle (Paris, 1887-1888, 3 vol.), actuellement complétée par le
Catalogue des manuscrits alchimiques grecs publiés sous la direction de J. BroEz. Pour une approche
bibliographique en ce domaine précis, cf. A. J. Festugière, Hermétisme et mystique païenne, Paris,
Aubier, 1967, p. 205 ss.
5. Cf., parmi bien d'autres exemples, Karl Christoph Schmbeder, Geschickte der Alchemie,
Halle, 1832, p. 595 ss (rééd. Ulm, Arkana, 1959).
851
AUTRES LOGIQUES ~ r ^
1. Dom Pernety, Dictionnaire Mytho-Hermétique, Paris, 1758, p. 271 (rééd. Milan, Arche,
1969).
2. Ibid., p. 441. Ainsi les termes énumérés par Dom Pernety pour signifier le Sel (cf. note
précédente) ont été employés par de nombreux alchimistes pour signifier le Soufre. Mais,
psychologiquement, ils évoqueraient aussi bien le Mercure... On voit combien la prudence s'impose quand fl
s'agit d'interpréter des mots qui ne sauraient, en aucun cas, être détachés de leur contexte.
L'alchimiste Michel Mater nous met en garde : « En effet si les discours allégoriques sont en eux-mêmes
difficiles à saisir et causes d'erreurs nombreuses, ils le deviennent tout particulièrement là où les
mêmes termes sont appliqués à des réalités diverses, et des termes différents aux mêmes réalités »
(Atalante fugitive (1617), traduit et publié par Etienne Perrot, Paris, Librairie de Médicis, 1969,
p. 122). C'est pourquoi il est si important d'étudier, pour eux-mêmes, les thèmes et les variations.
Hélène Metzger l'avait bien vu : « Quelques-uns d'entre [les alchimistes] se désintéressèrent alors
des transmutations sans cesser de se considérer comme alchimistes. Paracelse fut le plus illustre
d'entre ces chercheurs. Nous voyons là, d'une manière saisissante, comment la variation sur le
thème peut devenir le thème principal reléguant le thème d'autrefois au rôle modeste de variation »
(« Alchimie », in Revue de Synthèse, Paris, 1938, t. XVI, n° 1, p. 51).
LA PENSÉE ALCHIMIQUE ,, A. FAIVRE
Les quatre éléments et les trois principes, leur dynamisme propre, représentent
des structures élémentaires, nullement abstraites; elles organisent un espace où
l'histoire vient se dissoudre, rendent compte de la totalité du monde créé et incréé.
Dans ce contexte, si l'eau, par exemple, n'est point celle des chimistes, elle ne se
laisse pas réduire non plus à un signe conventionnel « dynamique » — par
opposition à la « terre », élément « statique l » — , elle ne saurait échapper au contexte
alchimique grâce à la découverte d'une grille de significations équivalentes. L'eau
représente un élément ne renvoyant qu'à lui-même, bien qu'inséparable des trois
autres éléments et des trois principes. H semble donc difficile de réduire l'alchimie
à une forme vide à laquelle renverrait sa richesse symbolique. Ce serait la trahir,
d'ailleurs, en vertu même de l'axiome fondamental cité plus haut, et si bien exprimé
par le verset de la Table ďEmeraude; car, ici plus que jamais, on peut dire que si la
structure a une forme, celle-ci est « inséparable de son remplissement concret * ».
Au fond, l'Adepte donne une forme à une structure dans laquelle le signifié a
toujours plus d'importance que le signifiant. Mais si l'alchimie ne renvoie qu'à
l'alchimie, elle se propose à la fois comme « modèle » de la condition humaine et clef
générale de la création continue.
Même si l'accord ne se fait point sur de telles propositions, on conviendra, sans
doute, que ce domaine représente un terrain d'essai privilégié sur lequel les
représentants de méthodologies et de disciplines différentes pourraient se livrer à de
fructueuses confrontations.
Antoine Faivrb.