Vous êtes sur la page 1sur 459

ÉCONOMIE POPULAIRE ET DÉVELOPPEMENT

LOCAL EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ :


L’ENTREPRENARIAT COMMUNAUTAIRE DANS
LA VILLE DE SAINT-LOUIS (SÉNÉGAL)

Sambou Ndiaye
Sous la direction de Benoît Lévesque
Et la co-direction de Louis Favreau

NOTE SUR L'AUTEUR :


Sambou Ndiaye a été doctorant en sociologie à l'Université du Québec à Montréal
(UQAM) et stagiaire doctorant à la Chaire de recherche du Canada en développement
des collectivités de l’Université du Québec en Outaouais. Il est présentement
professeur de sociologie à l'Université Gaston Berger de Saint Louis, Sénégal.
NOTE SUR LE DIRECTEUR :
Benoît Lévesque, professeur au département de sociologie de l’UQAM, directeur du
Centre de recherche sur les innovations sociales dans l’économie sociale, les
entreprises et les syndicats (CRISES), co-directeur de l’Alliance de recherche
universités-communautés (ARUC) sur l’économie sociale et membre de l’équipe
ESSBE.
NOTE SUR LE CO-DIRECTEUR :
Louis Favreau, sociologue et professeur au département de travail social et des
sciences sociales et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement
des collectivités de l'Université du Québec en Outaouais.

PUBLICATION DE LA CHAIRE DE RECHERCHE DU CANADA EN DÉVELOPPEMENT DES COLLECTIVITÉS


(CRDC)
SÉRIE : Thèses de doctorat, no.1

ISBN : 978-2-89251-328-8

AOÛT 2007
REMERCIEMENTS

A mes parents, Assane Ndiaye et Coumba Diallo: que ce modeste travail soit à la hauteur de tant
d'efforts et de sacrifices consentis pour mon éducation;

A ma femme, Fatou Awa Diop, pour m’avoir tant soutenu et attendu avec dignité, ainsi qu’à nos
enfants Khalifa Ababacar Ndiaye et Pape Assane Ndiaye;

A mes frères et sœurs : Mouhamed, Aboubakrine, Ndeye Khady, Ousmane et Alioune;

A mon directeur et à mon co-directeur de thèse, Benoît Lévesque et Louis Favreau, pour leur
support et la grande qualité de leur encadrement;

A l’Association des Universités Africaines, à la Fondation Ford, à la CRDC, au CRISES, à


l’ARUC-ÉS et au département de sociologie de l’UQAM pour le soutien apporté à la réalisation
de cette recherche;

Aux responsables et membres des organisations étudiées dans la ville de Saint-Louis pour leur
collaboration active durant la collecte de données : ADC, ADD, CECAS, GIE CETOM de Léona,
GIE Djambarou Sine, MEC SJN ;

A la famille de El Hadji Dieng et de Madina Tall pour leur sollicitude;

A mon ami Amady Diallo et à tous mes amis de Saint-Louis ;

Aux collègues et amis pour leurs remarques pertinentes tout au long de la rédaction,
particulièrement: Fontan, Racine, Nadia, Émile, Mouhamed, Sébastien, Denis et Odette;

Aux frères de la dahira Soope Cheikh (RTA) de Eaux-Claires et de la dahira tidiane de Montréal

A tous les amis du Sénégal et du Canada pour leurs encouragements.


TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES .................................................................. 6
LISTE DES TABLEAUX................................................................................................... 6
LISTE DES FIGURES ....................................................................................................... 9
SIGLES ET ABREVIATIONS .........................................................................................10
LISTE DES ANNEXES ................................................................................................... 14

Résumé.......................................................................................................................... 15
INTRODUCTION ............................................................................................................ 17
PREMIÉRE PARTIE........................................................................................................ 25
CONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE ET THÉORIQUE............................ 25
CHAPITRE I................................................................................................................. 26
CONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE DU SÉNÉGAL ........................... 26
1.1. Portrait du Sénégal............................................................................................. 26
1.2. Crise des stratégies de développement et des modalités de gestion publique :
1960-2004 ................................................................................................................. 32
1.2.1 Le modèle populiste- nationaliste : 1960-1979............................................ 33
1.2.2 Les Programmes d’ajustement structurel et le «Moins d’État, mieux
d’État» : 1979-fin des années 1990....................................................................... 34
1.2.3. Années 2000 : les politiques de lutte contre la pauvreté............................. 37
1.3. Les dynamiques émergentes du Sénégal contemporain..................................... 45
1.3.1 : Les collectivités locales : les processus de développement local .............. 45
1.3.1.1 : La décentralisation au Sénégal ....................................................... 45
1.3.1.2 : L’expérience de développement local de la ville de Saint- Louis .. 49
1.3.2 : La société civile ......................................................................................... 57
1.3.3. Le secteur informel ..................................................................................... 61
1.3.4. Les petites et moyennes entreprises/ les moyennes et petites entreprises .. 64
1.3.5 L’entrepreneuriat communautaire au Sénégal ............................................ 67
1.3.5.1. Processus de transformation du mouvement communautaire
sénégalais ...................................................................................................... 67
1.3.5.1.1. Société traditionnelle et mouvement communautaire................... 68
1.3.5.1.2. Période coloniale et mouvement communautaire ......................... 69
1.3.5.1.3. Le mouvement communautaire et la construction d’une nouvelle
Nation: 1960-1970 ........................................................................................ 70
1.3.5.1.4. Le mouvement communautaire et la crise des années 1980 ......... 71
1.3.5.1.5. La fin des années 1990 : mouvance entrepreneuriale et diffusion de
l’entrepreneuriat communautaire .................................................................. 73
1.3.5.2. Profil et Enjeux de l’entrepreneuriat communautaire sénégalais .... 79
Conclusion .................................................................................................... 85
CHAPITRE II ............................................................................................................... 87
LA CONSTRUCTION THÉORIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT
COMMUNAUTAIRE................................................................................................... 87
2.1. Autre approche de l’économie : l’éclairage de la sociologie économique ........ 88
2.1.1 Les sources d’inspiration ............................................................................. 88
2.1.1.1. Le paradigme de l’action sociale chez Weber ................................ 89
2.1.1.2. L’éclairage du courant institutionnaliste.......................................... 92
2.1.1.3. Les trois étages de l’économie chez Braudel................................... 95
2.1.1.4. Les quatre principes de l’activité économique chez Polanyi ........... 96
2.1.1.5. L’encastrement social de l’économie chez Granovetter .................. 97
2.1.2 Le courant de l’économie sociale et solidaire........................................... 100
2.1.2.1. Les contours de l’économie sociale et solidaire ............................ 100
2.1.2.2. La dimension organisationnelle ..................................................... 102
2.1.2.3 La dimension socio-économique de l’entrepreneuriat
communautaire............................................................................................ 106
2.1.2.4. La dimension socio-politique......................................................... 109
2.1.2.5 : Analyse critique du courant d’économie sociale et solidaire ....... 110
2.1.3. L’éclairage de l’économie populaire ........................................................ 114
2.2. Autre approche du développement : la perspective du développement local .. 121
2.2.1. Spécification du développement local ...................................................... 122
2.2.1.1. Rapport aux théories du développement : modernisation,
dépendance, développement endogène....................................................... 122
2.2.1.2. La perspective du développement local......................................... 124
2.2.2. Le développement local : Les repères socio-territoriaux de l’entrepreneuriat
communautaire.................................................................................................... 128
2.2.2.1. Un ancrage territorial porteur d’innovations socio-territoriales .... 129
2.2.2.2. Rapport aux nouveaux mouvements sociaux................................. 131
2.2.2.3. La question de l’interface entre pouvoirs publics et organisations
communautaires .......................................................................................... 134
2.2.2.4 : La perspective de la gouvernance territoriale ............................... 137
2.3. Autre approche de l’entrepreneuriat ................................................................ 143
2.3.1 : Etat de la recherche sur l’entrepreneuriat ................................................ 143
2.3.1.1 : Historique du concept d’entrepreneur........................................... 143
2.3.1.2. Les approches de l’entrepreneuriat ................................................ 147
2.3.1.2.1. L’approche économique ou fonctionnelle .................................. 148
2.3.1.2.2. L’approche sur les individus....................................................... 149
2.3.1.2.3. L’approche processuelle ............................................................. 149
2.3.1.3. Les bases du paradigme émergent ................................................. 150
2.3.1.4 : Analyse critique ............................................................................ 152
2.3.2. Caractérisation de l’entrepreneuriat africain............................................. 154
2.3.2.1. Historicisation du fait entrepreneurial africain .............................. 154
2.3.2.2. Caractérisation du fait entrepreneurial africain.............................. 159
2.3.2.3. Analyse critique ............................................................................. 167
DEUXIÉME PARTIE..................................................................................................... 174
MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ......................................................................... 174
CHAPITRE III ............................................................................................................ 175
PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE ET MÉTHODOLOGIE............................. 175
3.1. Problématique de recherche............................................................................. 175
3.1.1 Éclairage conceptuel .................................................................................. 175
3.1.1.1 Entrepreneuriat communautaire..................................................... 175
3.1.1.2 Économie populaire ........................................................................ 177
3.1.1.3 Développement local ..................................................................... 178
3.1.1.3 Innovations socio-territoriales ....................................................... 179
3.1.2. Problème de recherche.............................................................................. 181
3.1.3. Question et objectifs de recherche ............................................................ 184
3.1.4. Hypothèse de recherche ............................................................................ 187
3.2. Méthodologie de recherche.............................................................................. 188
3.2.1. Posture épistémologique ........................................................................... 188
3.2.2. Stratégie de recherche et cadre opératoire ................................................ 191
Année création ............................................................................................................ 193
3.2.3. Techniques et outils d’enquête.................................................................. 199
3.2.4. Histoire de la collecte................................................................................ 200
3.2.5 Transcription et analyse des données de terrain ...................................... 207
TROISIÉME PARTIE .................................................................................................... 209
PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE TERRAIN.................................................. 209
Introduction..................................................................................................................... 210
CHAPITRE IV............................................................................................................ 211
DU DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE À L’ENTREPRENEURIAT
COMMUNAUTAIRE: L’EXPÉRIENCE DE L’ASSOCIATION POUR LE
DÉVELOPPEMENT DE DIAMAGUÉNE (ADD).................................................... 211
Introduction..................................................................................................................... 211
4.1. Conditions d’émergence et d’évolution de l’ADD .......................................... 212
4.1.1. Principales étapes d’évolution de l’ADD ................................................. 212
4.1.1.1. 1993-1994 : Structuration d’une initiative populaire spontanée en
une ADQ ..................................................................................................... 212
4.1.1.2. 1995-1999: L’expansion associative de l’ADD............................. 213
4.1.1.3. 2000-2004: Mouvance entrepreneuriale de l’ADD ....................... 215
4.1.2. Quelques enseignements sur la dynamique évolutive de l’ADD.............. 216
4.2. Diagnostic organisationnel de l’ADD.............................................................. 218
4.2.1. Mode d’organisation et de fonctionnement .............................................. 218
4.2.2. Gestion administrative et du personnel..................................................... 222
4.2.3. Membership .............................................................................................. 226
4.2.4. Vision stratégique ..................................................................................... 228
4.3. Performance socio-économique....................................................................... 229
4.3.1. Les activités entrepreneuriales de l’ADD ................................................. 229
4.4. Rapport au développement local...................................................................... 237
4.4.1. Ancrage socio-territorial de l’ADD .......................................................... 237
4.4.2. Réseautage local........................................................................................ 240
4.4.3. Dynamique partenariale ............................................................................ 242
4.4.3.1. Rapport aux collectivités locales ................................................... 242
4.4.3.2. Nature des relations avec ses partenaires....................................... 244
Conclusion ...................................................................................................................... 246
CHAPITRE V ................................................................................................................. 209
MICRO FINANCE EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ: L’EXPÉRIENCE DE LA
CAISSE D’ÉPARGNE ET DE CRÉDIT DES ARTISANS DE SAINT-LOUIS (CECAS)
......................................................................................................................................... 249
Introduction................................................................................................................. 249
5.1 Conditions d’émergence et d’évolution ............................................................ 251
5.1.1. Historique de la Cecas .............................................................................. 251
5.1.2. Étapes d’évolution et état actuel de la CECAS......................................... 254
5.2. Diagnostic organisationnel de la CECAS ........................................................ 255
5.2.1. Mode d’organisation et de Fonctionnement ............................................. 255
5.2.2. Gestion administrative et du personnel..................................................... 260
5.2.3. Membership .............................................................................................. 263
5.2.4. Vision stratégique ..................................................................................... 265
5.3. Performance socio-économique de la CECAS ................................................ 266
5.3.1 Évolution socio- économique ................................................................... 266
5.3.2 Analyse de la performance de la CECAS .................................................. 268
5.4. Rapport au développement local...................................................................... 279
5.4.1. Ancrage socio-territorial de la CECAS..................................................... 279
5.4.2. Réseautage local........................................................................................ 280
5.4.3. Dynamique partenariale ............................................................................ 282
5.4.3.1. Rapport aux collectivités locales ................................................... 282
5.4.3.2. Nature des relations avec ses partenaires ..................................... 283
Conclusion ...................................................................................................................... 287
CHAPITRE VI................................................................................................................ 289
L’ENTREPRENEURIAT FÉMININ EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ:
L’EXPÉRIENCE DU GROUPEMENT D’INTÉRET ÉCONOMIQUE DJAMBAROU
SINE DE GUET NDAR ................................................................................................. 289
Introduction................................................................................................................. 289
6.1 Conditions d’émergence et d’évolution du GIE Djambarou Sine .................... 291
6.1.1. Étapes d’évolution du GIE........................................................................ 291
6.1.2. Analyse de l’évolution du GIE ................................................................. 293
6.2. Diagnostic organisationnel............................................................................... 295
6.2.1. Mode d’organisation et de fonctionnement .............................................. 295
6.2.2. Membership .............................................................................................. 298
6.2.3. Vision stratégique ..................................................................................... 301
6.3. Performance socio-économique....................................................................... 302
6.3.1. Évolution socio-économique de la transformation : quantités et valeur
commerciale........................................................................................................ 302
6.3.2. Nature et degré de performance du GIE Djambarou Sine ........................ 307
6.3.2.1. Appui à l’éducation socio-économique des membres.................... 307
6.3.2.2. Appui au financement .................................................................... 310
6.3.2.3. Appui aux matériels ....................................................................... 313
6.3.2.4 : Appui à la commercialisation des produits de ses membres ........ 314
6.3.3 Synthèse sur la performance socio-économique du GIE Djambarou Sine317
6.4. Rapport au développement local...................................................................... 320
6.4.1. Ancrage socio-territorial du GIE .............................................................. 320
6.4.2. Réseautage local........................................................................................ 321
6.4.3. Rapport aux partenaires au développement .............................................. 324
6.4.4. Rapport aux collectivités locales .............................................................. 325
CHAPITRE VII .............................................................................................................. 289
CO-PRODUCTION DE SERVICES PUBLICS LOCAUX EN CONTEXTE DE
PRÉCARITÉ: L’EXPÉRIENCE DU GIE CETOM DU QUARTIER DE LÉONA ..... 331
Introduction..................................................................................................................... 331
7.1. Conditions d’émergence et d’évolution du GIE CETOM de Léona............... 333
7.2. Diagnostic organisationnel du GIE CETOM de Léona ................................... 337
7.2.1 Mode d’organisation et de fonctionnement du GIE CETOM de Léona... 337
7.2.2 Gestion administrative ................................................................................... 338
7.2.3 Membership ............................................................................................... 339
7.2.4 Vision stratégique ..................................................................................... 342
7.3. Performance socio- économique du GIE CETOM de Léona .......................... 343
7.3.1. Évolution socio-économique .................................................................... 343
7.3.2. Performance du GIE CETOM de Léona................................................... 344
7.4. Rapport au développement local...................................................................... 351
7.4.1 Ancrage socio-territorial du GIE CETOM de Léona................................. 351
7.4.2. Réseautage local........................................................................................ 352
7.4.3. Dynamique partenariale ............................................................................ 354
7.4.3.1. Rapport aux collectivités locales ................................................... 355
7.4.3.2. Nature des relations avec ses partenaires....................................... 364
Conclusion ...................................................................................................................... 366
Conclusion : Comparaison des études de cas ................................................................. 369
CHAPITRE VIII ............................................................................................................. 289
CONCLUSION GÉNÉRALE : POTENTIEL INNOVATEUR ET ALTERNATIF DE
L’ENTREPRENEURIAT COMMUNAUTAIRE EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ 377
8.1 Potentiel innovateur de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité
................................................................................................................................. 377
8.2 Potentiel alternatif de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité
................................................................................................................................. 389
8.3. Retour aux théories et aux enjeux de l’entrepreneuriat communautaire.......... 398
8.4. Conditions d’expansion de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de
précarité................................................................................................................... 407

BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................... 411
ANNEXES...................................................................................................... 440
LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES

LISTE DES TABLEAUX

No Tableau Titre

No Tableau Titre
1.1 : Portrait du Sénégal ......................................................................................... 28
1.2: Incidence de la pauvreté et de l’inégalité au Sénégal..................................... 29
1.3: Évolution du taux de croissance de l’économie sénégalaise.......................... 29
1.4: Structure des branches d’activités en fonction du PIB (2000-2003).............. 30
1.5: Le fardeau du service de la dette sénégalaise ................................................ 30
1.6: Indicateurs sociaux du Sénégal (2001)........................................................... 31
1.7: Les divers plans de stabilisation et d’ajustement de l’économie
sénégalaise (1979-2000)................................................................................. 35
1.8: Les compétences transférées aux collectivités locales
par la loi no 96-07 du 22 mars 1996 .............................................................. 47
1.9: Évolution de la population de Saint-Louis (1780-2000)................................ 50
1.10: Principales étapes du processus de développement local
de Saint-Louis : 1978-2001............................................................................ 53
1.11: Caractéristiques majeures de l’expérience de développement
local de la ville de Saint-Louis (Sénégal)....................................................... 55
1.12: Processus d’évolution du mouvement communautaire sénégalais................. 68
1.13: Profil typologique de l’entrepreneuriat communautaire ................................ 80
2.1 : Éléments de différenciation entre économie néo-classique
et sociologie économique............................................................................... 91
2.2 : Quelques apports inspirés de la sociologie économique................................ 98
2.3 : Tableau synthétique des approches en entrepreneuriat .................................. 150
2.4 : Les approches de l’entrepreneuriat communautaire....................................... 171
3.1: Présentation des types d’entrepreneuriat communautaire étudiés.................. 193
3.2: Grille de collecte et d’analyse de données de
l’entrepreneuriat communautaire ................................................................... 197
3.3: Répartition des personnes interrogées durant la phase
de collecte de données.................................................................................... 200
4.1: Personnel de l’ADD ....................................................................................... 223
4.2: Activités de la garderie «Fonk Sa Wajur» ..................................................... 230
4.3: Effectif de la garderie «Fonk Sa Wajur»de 2001 à 2003 ............................... 230
4.4: Bilan financier de la garderie «Fonk Sa Wajur»
entre 2001 à 2002 (Fcfa) ................................................................................ 231
4.5: Bilan financier du salon de Novembre 2003 à
Août 2004 (en Fcfa) ....................................................................................... 232
4.6: Apport de l’ADD dans la promotion de l’insertion
socio-économique de ses membres ................................................................ 235
4.7: Réseau partenarial de l’ADD ......................................................................... 245
5.1: Fonctionnalité des organes de la CECAS ..................................................... 257
5.2: Personnel de la CECAS ................................................................................. 260
5.3: Évolution du membership de la Cecas de 1993 à 2002.................................. 263
5.4: Évolution des principaux indicateurs de la CECAS
en Fcfa de 1998 à 2002 .................................................................................. 267
5.5: Lignes de crédit distribué par la CECAS entre 2001
et 2002 (en Fcfa) ............................................................................................ 268
5.6: Indicateurs de la seconde ligne de crédit du FPE/ BOAD
à la CECAS (2002-2003) ............................................................................... 269
5.7: Profil du secteur mutualiste au sein de la ville de Saint-Louis ...................... 271
5.8: Tableau comparatif des bilans financiers 2001 et
2002 (en Fcfa) ................................................................................................ 274
5.9: Réseau partenarial de la CECAS.................................................................... 284
5.10: Nature des relations entre les MEC et leurs partenaires................................. 286
6.1: Répartition par classe d’âge des membres
du GIE Djambarou Sine (2003) ..................................................................... 298
6.2: Évolution des quantités de poissons transformés
dans la ville de Saint-Louis ............................................................................ 303
6.3: Évolution mensuelle de la transformation
du poisson sur Sine de 2000 à 2002 ............................................................... 304
6.4: Types de produits transformés sur Sine et zones de vente............................. 305
6.5: Évolution de la valeur commerciale de la transformation des
produits halieutiques sur Sine de 2000 à 2002............................................... 305
6.6: Résultats financiers par types de produits transformés
sur Sine en 2000............................................................................................. 306
6.7: Décomposition des charges selon le type de produits
transformés durant l’année 2000 (en Fcfa) .................................................... 306
6.8: Sessions de formation des membres du GIE
Djambarou Sine de 2000 à 2003 .................................................................... 307
6.9: Crédits offerts par le GIE Djambarou Sine
à ses membres depuis 1995 ............................................................................ 311
6.10: Un système innovant de garantie solidaire .................................................... 312
6.11: Réseau partenarial du GIE Djambarou Sine .................................................. 324
7.1 : Identification des membres du GIE CETOM
de Léona (année 2004) ................................................................................... 340
7.2: Témoignage d’un prestataire du GIE CETOM de Léona............................... 341
7.3: Résultats financiers du GIE CETOM de Léona
en Fcfa de 2000 à 2002 .................................................................................. 343
7.4: Comparaison des sources de financement du GIE CETOM
de Léona......................................................................................................... 344
7.5: Etat du recouvrement de la TOM par la Commune
de Saint-Louis ................................................................................................ 345
7.6: Salaires distribués par le GIE CETOM de Léona .......................................... 346
7.7: L’impact des GIE CETOM dans les quartiers cibles ..................................... 347
7.8: Décomposition des charges d’exploitation du GIE CETOM
de Léona......................................................................................................... 349
7.9: Comparaison des systèmes de gestion des OM.............................................. 355
7.10: Architecture institutionnelle du système de gestion partagée
des OM au sein de la ville de Saint-Louis...................................................... 356
7.11: Évolution de la répartition du budget de nettoiement .................................... 361
7.12: Réseau partenarial du GIE CETOM de Léona............................................... 365
7.13: Fiche synoptique des types d’entrepreneuriat communautaire étudiés .......... 376
8.1: Acteurs du développement territorial de Saint-Louis (2004)......................... 387
8.2: Les divers lieux de planification du développement local à Saint-Louis....... 388
LISTE DES FIGURES

No Figure Titre

1.1 : Carte administrative du Sénégal..................................................................... . 27


1.2 : Carte de la ville de Saint-Louis...................................................................... ..49
2.1: Le quadrilatère coopératif de Desroches........................................................ .104
2.2: Typologie des rapports État/Tiers secteur de Coston (1998) ......................... 136
2.3: L’entrepreneuriat communautaire : une trilogie de sources théoriques ......... 169
4.1: Organigramme de l’ADD............................................................................... 219
5.1: Organigramme de la CECAS ......................................................................... 257
SIGLES ET ABRÉVIATIONS

ADC Agence de Développement Communal


ADD Association pour le Développement de Diamaguéne
ADM Agence de Développement Municipal
ADQ Association de Développement de Quartier
AFAC Association des Femmes d’Affaires et Commerçantes
AFARD Association des Femmes Africaines pour la Recherche
et le Développement
AG Assemblée Générale
AGETIP Agence d’Exécution des Travaux d’Intérêts Publics
ANAFA Association Nationale pour l'Alphabétisation et l'Éducation des Adultes
ARD Agence Régionale de Développement
ARUC-ÉS Alliance de Recherche Universités Communautés- Économie Sociale
ASBEF Association Sénégalaise pour le Bien-Etre familial
ASC Association Sportive et Culturelle
BCEAO Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest
BIT Bureau International du Travail
BM Banque Mondiale
BOAD Banque Ouest Africaine de Développement
CA Conseil d’Administration
CCIADL Cellule de Coordination, d’Information et d’Animation pour le
Développement Local
CECAS Caisse d’Épargne et de Crédit des Artisans de Saint-Louis
CEMEA Centre d’Entraînement aux Méthodes de Pédagogie Active
CETOM Collecte, Évacuation et Traitement des Ordures Ménagères
CODESRIA Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales
en Afrique
CONACAP Conseil national pour la promotion des caisses populaires au Sénégal
COSEF Conseil Sénégalais des Femmes
CNCAS Caisse Nationale de Crédit Agricole
CNUCED Nations Unies pour le Commerce et le Développement
CRDC Chaire de Recherche en Développement des Collectivités
CRISES Centre de Recherche sur les Innovations Sociales dans l’Économie
Sociale
CSL Commune de Saint-Louis
CSMO-ESAC Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’économie sociale et de l’action
communautaire
CST Conseil de la Science et de la Technologie
CQ Conseil de quartier
DPS Direction de la Prévision et de la Statistique
DSRP Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté
ENDA ECOPOP Environnement et Développement du tiers monde. Économie Populaire.
ENDA GRAF Environnement et Développement du tiers monde. Groupe Recherche
Action Formation
ENDA RUP Environnement et Développement du tiers monde. Relais pour le
développement urbain participé.
FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
FCFA Franc de la Communauté Financière Africaine
FDL Fonds de Développement Local
FMI Fonds Monétaire International
FENAGIE Fédération Nationale des GIE de pêche
FENATRAM Fédération Nationale des femmes Transformatrices et Micro mareyeuses
du Sénégal
FENU Fonds d’Équipement des Nations Unies
FPE Fonds de Promotion Économique
FEPRODES Fédération des Productrices du Delta
GERES Groupe Énergies Renouvelables, Environnement et Solidarité
GES Groupements Économiques du Sénégal
GIE Groupement d’Intérêt Économique
GIE CETOM Groupement d’Intérêt Économique Collecte, Évacuation et Traitement
des Ordures Ménagères
GIE PNC Groupement d’Intérêt Économique Programme de Nutrition
Communautaire
GPF Groupement de Promotion Féminine
GRACE Groupe de Recherche et d’Action sur les Collectivités Éducatives
GRET Groupe de Recherche et d’Échanges technologiques
LVIA Association Internationale des Volontaires Laïques
MEC Mutuelle d’Épargne et de Crédit
MEC SJN Mutuelle d’Épargne et de Crédit Suxxali Jiggénu Ndar
MEF Ministère de l’Économie et des Finances
MPE Moyennes Petites Entreprises
NEPAD Nouveau Partenariat Pour le Développement de l’Afrique
NPO Non profit organisation
OCAAIS Organisation des Commerçants, Agriculteurs, Artisans et Industriels du
Sénégal
OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques
OÉC Organisations Économiques Communautaires
OIT Organisation Internationale du Travail
OM Ordures Ménagères
OMS Organisation Mondiale de la Santé
ONG Organisation Non Gouvernementale
ONUDI Organisme des Nations Unies pour le Développement Industriel
OSP Organisation Socio-Professionnelle
PARMEC Projet d’Assistance à la Réglementation des Mutuelles d’Épargne
et de Crédit
PAS Programme d’Ajustement Structurel
PDC Programme de Développement Communal
PDER Programme pour le Développement de l’Entrepreneuriat Régional
PDM Partenariat pour le Développement Municipal
PDQ Plan de Développement de Quartier
PELCP Programme Élargi de Lutte Contre la Pauvreté
PIB Produit Intérieur Brut
PMA Pays les Moins Avancés
PME Petites Moyennes Entreprises
PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement
PPTE Pays Pauvres Très Endettés
PRADEQ Programme de Renforcement et d’appui au Développement
des Quartiers
RADDHO Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme.
RADI Réseau Africain pour le Développement Intégré
RASEF Réseau Africain pour le Soutien à l’Entrepreneuriat du Sénégal
RIPESS Réseau Intercontinental de Promotion de l’Économie Sociale et Solidaire
RISQ Réseau d’Investissement Social du Québec
ROES Rassemblement des Opérateurs Économiques du Sénégal
STM Services Techniques Municipaux
TOM Taxe sur les Ordures Ménagères
UEMOA Union Économique Monétaire Ouest Africaine
UGB St-Louis Université Gaston Berger de Saint-Louis
UNACOIS Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal
UNACOIS/ DÉF Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal /
Développement Économique et Financier
UQAM Université du Québec à Montréal
UQO Université du Québec en Outaouais
LISTE DES ANNEXES

No Annexe Titre

1: Questionnaire Équipe de gestion et leaders OÉC


2: Leadership et groupe promoteur OÉC
2. 1 Fiche d’identification Leadership
2. 2 Fiche Age vent des promoteurs et/ ou des leaders
3: Guide d’entretien semi-structuré des leaders et des membres OÉC
4: Fiche d’informations spécifiques par organisation
4.1 Fiche d’informations Djambarou Sine
4.2 Fiche d’informations : GIE CETOM LÉONA
4.3 Fiche d’informations : ADD
4.4 Fiche d’informations CECAS
5: Questionnaire membres Cecas
6: Fiche situation socio-économique des transformatrices membres de
Djambarou Sine
7: Guide groupe focus OÉC
8: Listing des personnes enquêtées
Résumé
L’objet de cette recherche doctorale porte sur la caractérisation de l’entrepreneuriat
communautaire en contexte de précarité ainsi que sur l’analyse de son potentiel innovateur et
alternatif. Le problème de recherche provient du constat relatif à la disjonction entre le milieu
entrepreneurial et les dynamiques communautaires établie par les chercheurs, qu’accentue une
conception héritée des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds réservant la création de richesses
à l’État et/ou au marché. Tout se passe comme si l’entrepreneuriat communautaire, appréciable à
travers la mouvance entrepreneuriale des associations ainsi que la floraison d’organisations
communautaires à orientation économique, se réduisait aux stratégies de survie ou à l’éducation
populaire alors que sa portée interroge les structures et modalités de régulation économique et
politique. C’est cela qui justifie la pertinence de réaliser une recherche dans le but d’étudier si la
portée de l’entrepreneuriat communautaire se limite aux stratégies de gestion de crise ou si par
contre, elle augure d’une dynamique d’auto-promotion socio-économique expressive d’un
positionnement plus marqué des acteurs sociaux dans le processus de création de richesses et de
reconfiguration du mode de régulation. L’étude s’inspire d’un cadre théorique combinant trois
approches novatrices, à savoir la sociologie économique, les théories du développement local
ainsi qu’une nouvelle approche de l’entrepreneuriat, en vue de réaliser une recherche empirique
portant sur quatre types d’entrepreneuriat communautaire parmi les plus significatifs en milieu
urbain sénégalais, reflétant ses tendances lourdes ainsi que son hétérogénéité, à savoir : une
mutuelle d’épargne et de crédit, une organisation socio-professionnelle de femmes
transformatrices de poissons, un groupement d’intérêt économique de co-production de services
publics locaux et enfin, une association de développement de quartier engagée dans une
mouvance entrepreneuriale. Cette recherche empirique a été réalisée dans la ville de Saint-Louis
du Sénégal qui est considérée comme un des laboratoires de développement local en Afrique de
l’Ouest, du fait des initiatives innovatrices déployées à la fois par la Commune et par les
organisations communautaires.

L’hypothèse de recherche avance que l’entrepreneuriat communautaire informe des dynamiques


d’auto-promotion socio-économique portées par les acteurs sociaux en vue de construire des
innovations socio-territoriales mais qui, du fait de leur faible reconnaissance, de la situation de
précarité ainsi que de la résistance d’un mode de régulation épuisé, ne peuvent suffire pour
renouveler les modalités et structures de régulation économique et politique. Adoptant la
perspective monographique et la stratégie des études de cas multiples imbriquant divers niveaux
d’analyse, la recherche combine quatre dimensions d’analyse structurées autour de la perspective
socio-territoriale, à savoir : le contexte d’émergence et d’évolution, la gouvernance
organisationnelle, la performance socio-économique et enfin, le rapport au développement local.
Une méthodologie à dominante qualitative est utilisée, mais qui s’appuie sur des outils
quantitatifs, assurant en même temps, la triangulation des outils de recherche, des sources
d’informations et des acteurs interrogés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des organisations
étudiées.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette recherche. Les expériences étudiées révèlent
comme déterminants à l’émergence de dynamiques d’entrepreneuriat communautaire, l’existence
d’un terreau de vulnérabilité et de marginalisation concernant des acteurs sociaux, des territoires
ou des secteurs d’activités, mais articulée à une dynamique communautaire endogène et
autonome inscrite dans le système productif. Du point de vue organisationnel, l’entrepreneuriat
communautaire démontre la labilité organisationnelle des acteurs sociaux mais également, sa
difficulté à assurer une gouvernance organisationnelle équilibrée et cohérente entre sa base socio-
communautaire et sa logique entrepreneuriale, ce qui questionne son originalité et son
fonctionnement démocratique. Malgré la fragilité de sa base organisationnelle, l’entrepreneuriat
16

communautaire démontre une performance socio-économique plurielle expressive de sa logique


d’action écosociale. Cette performance peut s’apprécier à travers la détection et la systématisation
de la demande sociale, la mobilisation et la production de ressources diverses en réponse à cette
demande, la démocratisation de l’accès aux biens et services, l’expérimentation de modalités
innovantes de production et de distribution de biens et services ou encore, ses effets générateurs
en termes de revitalisation socio-territoriale et de reconfiguration de l’architecture institutionnelle
locale. Toutefois, cette performance ne se vérifie pas dans la viabilité socio-économique de
l’organisation, enchaînant ainsi l’entrepreneuriat communautaire plus dans une logique de
génération de revenus que dans celle d’une économie productive. Enfin, sur le plan du
développement local, la contribution de l’entrepreneuriat communautaire à la revitalisation socio-
territoriale ne se vérifie pas dans sa position socio-politique encore marginale dans la vie publique
locale, du fait de son faible positionnement dans la reconnaissance de ses innovations, de sa faible
capacité d’influence sur les logiques d’action de ses partenaires, de sa difficulté à constituer un
réseau de ses acteurs mais surtout, de la nature de ses relations avec les collectivités locales
dominées par le non engagement, la compétition et la sous traitance au détriment du partenariat.
Une telle situation est accentuée par une dynamique de gouvernance territoriale sélective et
limitée qui a contribué à reconfigurer l’architecture institutionnelle locale mais sans la redéfinir,
du fait des ambitions de repositionnement des collectivités locales ainsi que de la vulnérabilité
des partenaires au développement à la logique de marché. Dans un tel contexte, les innovations
construites de l’intérieur de l’entrepreneuriat communautaire ne sont ni assumées par les
organisations, ni reconnues par les pouvoirs publics ainsi que par les partenaires au
développement. C’est pourquoi, elles restent circonscrites à la dynamique elle-même en se
confinant dans les interstices des structures et des modalités de régulation économique et
politique existantes, ce qui ne garantit ni leur expansion, ni leur portée transformatrice.

A ce titre, nos résultats de recherche confirment l’hypothèse de départ. Ils confirment que
l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité dépasse un simple espace de
cristallisation de la crise pour rendre compte de la diffusion des dynamiques d’auto-promotion
socio-économique portées par les acteurs sociaux à la faveur de la crise et de l’épuisement du
mode de régulation. De telles dynamiques constituent un espace de construction d’innovations
socio-territoriales dont la portée questionne les modalités et structures de régulation politique et
économique, à savoir la nature de l’État et des collectivités locales, les modalités de
production/distribution de biens et services, la vision de l’économie, les stratégies de
développement, la configuration de l’espace public, les modalités de gestion publique ou encore
la place des acteurs sociaux dans le mode de régulation. Toutefois, du fait du contexte ambivalent
du Sénégal contemporain, à l’instar de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, évoluant entre
mode de régulation épuisé mais résistant et prémisses de mutations mais peu systématisées et peu
reconnues, l’entrepreneuriat communautaire ne dispose pas encore de conditions appropriées pour
promouvoir son expansion ainsi que son potentiel innovateur et alternatif. C’est cela qui explique
le fait qu’à défaut de se diffuser, de s’institutionnaliser ou d’accéder à des échelles supérieures,
les innovations sociales construites au sein de l’entrepreneuriat communautaire créent leur propre
système de régulation, ce qui par ailleurs les maintient dans la reproduction du système existant.
C’est pourquoi, les conditions d’expansion de l’entrepreneuriat communautaire demeurent liées à
la redéfinition de l’État et du mode de régulation dans une perspective plus internalisée.

Mots clés : Sénégal- entrepreneuriat communautaire- entrepreneuriat africain- économie


populaire- gouvernance locale- développement local- sociologie économique- innovations socio-
territoriales- précarité.
17

INTRODUCTION

L’objet de cette recherche doctorale porte sur la caractérisation de l’entrepreneuriat


communautaire en contexte de précarité ainsi que sur l’analyse de son potentiel innovateur et
alternatif. Cette étude est réalisée grâce à l’articulation d’un cadre théorique (combinant
sociologie économique, théories du développement local ainsi que celles de l’entrepreneuriat)
avec une recherche empirique portant sur des monographies d’entrepreneuriat communautaire
réalisées dans la ville de Saint-Louis du Sénégal. Pays sahélien situé à l’Ouest de l’Afrique, le
Sénégal se caractérise par un contexte ambivalent entre d’une part, une situation de précarité et la
résistance d’un mode de régulation épuisé et d’autre part, le déploiement d’initiatives innovatrices
portées par des acteurs émergents, mais peu étudiées pour analyser leur portée.

Notre intérêt de recherche provient d’une double interrogation révélatrice de plusieurs


types d’inconforts. D’abord, un inconfort concernant la description de la situation de l’Afrique,
les explications avancées et enfin, les solutions préconisées. La description habituelle de
l’Afrique présente un continent homogène traversé par des crises multiformes et profondes. Ce
type de lecture de la réalité africaine ne pose pas seulement le problème lié à sa vision
homogénéisante des cinquante deux pays africains, chacun étant traversé par une diversité
d’ethnies, de groupes sociaux, de niveaux de développement, mais également, il demeure partiel
et partial tant du point de vue méthodologique qu’épistémologique. D’une part, le fait de se
limiter à une lecture en termes de crise néglige les initiatives émergentes, innovatrices ou
porteuses d’alternatives portées par une multitude d’acteurs dont l’action ne se soumet pas à une
logique de crise. Entre autres, on peut noter les initiatives provenant de groupes sociaux et
d’individus (à travers les petites et moyennes entreprises, les initiatives économiques populaires,
les micro entreprises familiales), de collectivités locales (processus de développement local), de
la société civile, du secteur privé national (opérateurs économiques, réseaux d’opérateurs
économiques, migrants internationaux) ou encore des États africains qui, à travers le NEPAD,
cherchent à promouvoir un nouveau type de relations avec la communauté internationale. S’y
ajoute le fait qu’à l’instar de certains pays africains, le Sénégal a repris avec la croissance depuis
la fin des années 1980, avec un taux de croissance qui est passé de 2,18% en 1985 à 5% en 2001
(PNUD, 2001). D’autre part, ce qui est décrit comme situation de crise en Afrique, a tellement
18

duré qu’on se demanderait s’il ne s’agit pas d’une autre situation, révélatrice d’un autre cadre
référentiel différent de celui structurant le type de lecture de la réalité africaine. Dans un tel cas,
ce n’est pas l’Afrique qui est en crise, ce sont les outils de recherche, les approches
méthodologiques ainsi que le type de lecture qui se montreraient incapables de prendre en charge
la nature différentielle de la réalité africaine (Ndione, 1994). En tout état de cause, cette Afrique
des statistiques internationales, des grandes institutions financières, de certaines ONG
internationales et des médias notamment occidentaux, révèle l’Afrique officielle en tant que
projet économique, politique et culturel lié à la «modernité dupe». Celle-ci est caractérisée par la
prédominance de la rationalité technico-instrumentale et du marché, par un alignement sur des
valeurs extérieures présentées comme universelles, bref par un «regard néo-modernisateur
occidentalocentrique et économiciste» (Schwarz, 1983; Panhuys, 1996; Peemans, 1997;
Latouche, 1998; Éla, 1998). Cette Afrique officielle est bien différente de l’autre Afrique en tant
que projet de modernité construite de l’intérieur des communautés par divers types d’acteurs et
ceci, malgré un contexte de mondialisation.

Quant aux explications avancées et les solutions préconisées, elles apparaissent


particulièrement dans les théories du développement, notamment dans celle de la modernisation
et dans celle de la dépendance qui, en dehors de leurs limites spécifiques, partagent la même
vision macro et économiciste. Inspirée par les idéologies évolutionniste et néo-libérale, la théorie
de la modernisation analyse la situation de l’Afrique comme manifestant un retard à se hisser aux
normes universelles de progrès que cristallise la civilisation occidentale. C’est pourquoi, sa
proposition se limite à un programme de rattrapage en suivant les mêmes étapes de croissance.
Quant à la théorie de la dépendance, son interprétation de la situation africaine comme un
blocage, lié à l’exploitation de la périphérie par le centre à travers les mécanismes de l’échange
inégal, demeure pertinente, mais pêche par les solutions proposées en termes de déconnexion et
d’interventionnisme de l’État. C’est dire que ce sont l’extension de l’économie de marché et/ou
l’interventionnisme de l’État qui sont souvent avancés comme solutions de crise, ignorant ainsi le
premier développement (Favreau et Fréchette, 2002). Malgré les limites de ces deux théories, ce
serait une impasse que de réduire le développement à une simple croyance occidentale (Rist,
2001).
19

Le second niveau d’inconfort à la base de cette recherche doctorale provient de la difficulté


à identifier et à analyser les initiatives dites de l’Afrique vivante, réelle ou d’en bas, le discours
tombant souvent sous le coup de l’apologie et du populisme. C’est le cas par exemple du secteur
informel présenté comme révélateur de «l’Afrique de bricolage» (Latouche, 1998) alors qu’il
reste un mécanisme de survie qui ne se positionne guère par rapport au fonctionnement global du
système. Mais cet inconfort concerne plus précisément l’interrogation d’une expérience militante,
universitaire et professionnelle qui, durant plusieurs années, nous a permis de nous investir dans
le milieu communautaire et dans celui du développement local. Il s’agit plus précisément d’un
militantisme au sein de plusieurs types d’organisations communautaires de quartier et à l’échelle
nationale, et d’une expérience universitaire correspondant à une dizaine d’années passées à
l’Université Gaston Berger de Saint-Louis autour de champs de recherches comme le
mouvement associatif, le développement local, l’étude de la pauvreté (Ndiaye, 1995 et 1997).
Enfin, une expérience professionnelle comme chargé de programme de développement local à
Saint-Louis1, nous a permis de nous investir dans l’appui à la structuration et au renforcement des
dynamiques de quartier, favorisant du coup un contact permanent avec divers types d’acteurs
engagés dans le développement territorial. Ce sont ces trois types d’expériences qui inspirent
notre questionnement sur la portée des dynamiques communautaires.

En effet, ces expériences renseignent sur le fait que le mouvement communautaire semble
se positionner comme un régulateur de crises en s’activant comme un espace de mobilisation
sociale, d’éducation populaire et de développement social, mais par contre, sa position dans le
système de création de richesses ainsi que par rapport aux structures et modalités de régulation
économique et politique reste marginale. Autrement dit, les réponses apportées par les
organisations communautaires du reste assez dynamiques, semblent être en deçà des contraintes
majeures que vivent leurs membres ou leur communauté, parce que reproduisant une position
héritée des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds qui semble les ravaler aux stratégies de
survie et de mobilisation sociale, c’est-à-dire en dehors du champ productif et du mode de
régulation. La situation est d’autant plus délicate que la plupart des membres de ces organisations,
en majorité des jeunes et des femmes, se mobilisent bénévolement pour réaliser des activités
d’utilité publique qui, non seulement sont de faible envergure, mais également n’ont que peu

1
Il s’agissait du Programme de Renforcement et d’Appui au Développement des Quartiers (PRADEQ).
Voir le site de l’ADC : http://www.refer.sn/adcsaintlouisdusenegal/
20

d’influence sur l’amélioration de leur situation socio-économique déjà assez précaire. La question
n’est point de remettre en cause le bénévolat associatif, mais de questionner sa faible utilisation
comme ressource ou comme facteur d’opportunités économiques permettant aux jeunes sans
emploi d’y trouver des moyens d’assurer leur auto-promotion socio-économique. Il s’y ajoute
qu’au niveau du milieu de la recherche et de l’appui au développement, cette vision du
communautaire ravalé à la gestion du social ou situé hors du champ de production de l’historicité,
reste volontairement ou involontairement peu questionnée, négligeant du coup la dimension
socio-économique et socio-politique des organisations communautaires.

Mais le problème réside dans le fait que cette vision n’arrive pas à saisir la portée de
plusieurs types d’organisations qui, même s’ils restent inscrits dans le tissu communautaire,
s’investissent dans le champ économique en vue d’assurer la promotion socio-économique de
leurs membres ou celle de leur communauté. Autrement dit, l’entrepreneuriat communautaire,
appréciable à travers la mouvance entrepreneuriale des associations ainsi que la floraison
d’organisations communautaires à orientation économique, tarde à être systématisé comme
champ de recherche spécifique, du fait de la disjonction entre le milieu entrepreneurial et les
initiatives communautaires qu’accentue une conception héritée des pouvoirs publics et des
bailleurs de fonds réservant la création de richesses à l’État et/ou au marché, tout en ravalant les
dynamiques communautaires à l’éducation populaire et à la lutte contre la pauvreté.

C’est ce problème de recherche structurant les divers inconforts signalés plus haut, qui
inspire la toile de fond de cette recherche doctorale, visant à documenter les expériences
d’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité dans le but d’interroger leurs
caractéristiques mais également, leur potentiel innovateur et alternatif. Notre programme de
recherche s’inscrit dans la posture épistémologique de l’Afrique qui se refait et non plus de
l’Afrique qui se défait. Nous choissions de mettre l’accent sur les initiatives entrepreneuriales
portées par des groupes sociaux et cherchant à assurer l’auto-promotion de leurs membres ou la
promotion de leur communauté et dont les effets induits interrogent les structures et modalités de
régulation économique et politique. A ce titre, notre question de recherche est la suivante :
l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité relève-t-il des stratégies de gestion de
crise déployées par des acteurs sociaux en situation de vulnérabilité ou par contre, augure-t-il
d’une dynamique d’auto-promotion socio-économique expressive d’un positionnement plus
21

marqué des acteurs sociaux dans le processus de création de richesses et de reconfiguration du


mode de régulation ? L’enjeu d’un tel questionnement est de voir jusqu’où l’entrepreneuriat
communautaire, qui relève de l’économie populaire soumise à une rationalité écosociale, dépasse
la simple gestion de crises pour contribuer à la reconfiguration des structures et des modalités de
création de richesses, de développement et de gestion publique. Dans ce cadre, le contexte du
Sénégal contemporain semble particulièrement favorable pour étudier le processus de
construction, de diffusion ou d’institutionnalisation d’innovations sociales concernant à la fois, la
reconfiguration de l’architecture institutionnelle, des modalités de production et de distribution
des richesses, des modalités de gestion publique, bref, la reconfiguration du mode de régulation.
Ce sont tous ces éléments qui justifient la pertinence d’étudier l’entrepreneuriat communautaire
pour voir s’il participe des dynamiques qui refont le Sénégal contemporain à la lumière des
carences constatées dans le système actuel dominé par l’État, les bailleurs de fonds et le marché
international. Il reste que notre immersion au Québec dans des structures de recherches orientées
dans la capitalisation de l’économie sociale et solidaire (CRDC/UQO, CRISES, ARUC-
ÉS/UQAM)2 dés l’entame de notre doctorat, nous a confirmé dans cette intuition, à savoir que le
milieu communautaire pouvait bien constituer non plus seulement un rempart à la pauvreté, mais
également un espace de construction d’innovations interrogeant à la fois la vision de l’économie,
les modalités de création de richesses ou encore, les stratégies de développement et de gestion
publique.

Notre recherche part de l’hypothèse selon laquelle, loin de se réduire aux stratégies de
survie, l’entrepreneuriat communautaire constitue un acteur et un espace de construction
d’innovations fortement médiatisées par son ancrage socio-territorial et pouvant avoir des effets
sur la reconfiguration du territoire, tant du point de vue économique que socio-politique.
Toutefois, du fait du contexte ambivalent du Sénégal contemporain, les innovations socio-
territoriales dont est porteur l’entrepreneuriat communautaire ne peuvent suffire pour renouveler
les modalités et structures de régulation économique et politique.

2
Voir sites : www.uqo.ca/crdc-geris/crdc ;www.crises.uqam.ca; www.aruc-es.uqam.ca
22

Pour faire face à une telle visée mettant en perspective initiatives économiques
communautaires et reconfiguration du mode de régulation, nous avons choisi de prendre comme
zone d’ancrage la ville de Saint-Louis du Sénégal. L’intérêt d’étudier la portée de
l’entrepreneuriat communautaire dans cette ville historique de 160 000 habitants, réside dans le
statut de laboratoire du développement local conféré à Saint-Louis, du fait de sa dynamique de
revitalisation socio-territoriale et de promotion de la gouvernance locale, expressive par ailleurs
de dynamiques que de plus en plus de collectivités locales urbaines d’Afrique de l’Ouest
déploient en vue de jeter les bases d’un mode de régulation territorialisé. Adoptant la perspective
monographique, la recherche empirique a porté sur quatre monographies organisationnelles
d’entrepreneuriat communautaire choisi parmi les plus significatifs en milieu urbain, à savoir :
une mutuelle d’épargne et de crédit, une organisation socio-professionnelle de femmes
transformatrices de poissons, un groupement d’intérêt économique de co-production de services
publics locaux et enfin, une association de développement de quartier engagée dans une
mouvance entrepreneuriale. La stratégie des études de cas multiples imbriquant divers niveaux
d’analyse a permis de combiner quatre dimensions d’analyse structurées autour de la perspective
socio-territoriale, à savoir : le contexte d’émergence et d’évolution, la gouvernance
organisationnelle, la performance socio-économique et enfin, le rapport au développement local.
Une méthodologie à dominante qualitative est utilisée, mais qui s’appuie également, sur des outils
quantitatifs. L’étude de terrain qui a duré plus de six mois en deux phases distinctes, a permis
d’interroger une centaine de personnes issues des quatre types d’entrepreneuriat ainsi que
d’institutions, d’organismes, d’organisations et de personnes-ressources parties prenantes.
L’exploitation de ces données de terrain corrélées aux résultats de recherche théorique, constitue
la base de ce document.

Notre programme de recherche se structure autour de trois grandes parties. La première


partie présente la contextualisation socio-historique et théorique. La contextualisation socio-
historique, part du portrait du Sénégal contemporain pour remonter aux mécanismes à la base de
la situation de précarité, en procédant à une archéologie des stratégies de développement et de
gestion publique mises en oeuvres depuis l’indépendance (1960-2004). Mais conformément à
notre position épistémologique, une telle présentation sera complétée par l’analyse de quelques
dynamiques émergentes au Sénégal, en caractérisant les processus de développement local (à
travers le cas de Saint-Louis) et en analysant diverses initiatives relevant de la société civile, du
23

secteur informel, des petites et moyennes entreprises et des moyennes et petites entreprises avant
d’aboutir à la présentation du profil et des enjeux de l’entrepreneuriat communautaire en contexte
de précarité.

La construction théorique de l’entrepreneuriat communautaire arrime trois approches


théoriques afin de mettre en évidence des approches innovatrices ainsi que les multiples
dimensions de ce phénomène encore peu étudié sous ce terme. Il s’agit de la sociologie
économique qui inscrit l’entrepreneuriat communautaire comme partie prenante d’une autre
approche de l’économie. Cette approche permet de poser l’encastrement social et institutionnel de
l’entrepreneuriat communautaire ainsi que son inscription dans le courant de l’économie plurielle
voire de l’alter économie (à travers l’économie sociale et solidaire). Par la suite, le courant de
l’économie populaire sera mis à contribution afin de faire ressortir la perspective africaine de la
sociologie économique du fait du contexte différent (précarité versus crise fordisme). La
deuxième approche théorique concerne les théories du développement local en vue de fournir les
repères socio-territoriaux de l’entrepreneuriat communautaire tout en mettant en évidence le
territoire comme lieu et acteur dans la construction d’innovations sociales. Cette perspective
intègre l’entrepreneuriat communautaire dans le renouvellement des théories du développement
tout en questionnant sa dimension socio-politique. Il s’agit notamment de sa constitution en un
mouvement social local ainsi que de sa place dans la dynamique de gouvernance territoriale. Ce
sont ces deux soubassements théoriques (la sociologie économique et le développement local) qui
vont guider notre appréhension des théories de l’entrepreneuriat, positionnant d’emblée celui-ci
dans une vision extensive de l’économie et non plus dans le schéma de l’entrepreneur capitaliste
individuel. Du moment où l’entrepreneuriat médiatise le rapport entre le porteur d’initiatives et
son environnement spatio-temporel, l’historicisation et la caractérisation de l’entrepreneuriat
africain demeurent importantes pour mettre en relief les déterminants socio-historiques ainsi que
l’environnement du milieu entrepreneurial africain. La conclusion de cette partie théorique
permettra de systématiser les dimensions de l’entrepreneuriat communautaire.

La deuxième partie de cette thèse présente la problématique de recherche ainsi que la


méthodologie et enfin, la troisième partie expose les résultats de terrain. Dans cette dernière
partie, chacune des quatre monographies d’entrepreneuriat communautaire sera analysée en
24

fonction des quatre dimensions d’analyse. En conclusion, une comparaison de ces monographies
sera réalisée.

Enfin, en conclusion générale nous tenterons de tirer les enseignements issus de notre cadre
théorique et de notre recherche empirique afin de systématiser le potentiel innovateur et alternatif
de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité. Cette partie procédera à un retour
aux théories et aux enjeux de notre recherche avant de déterminer quelques limites et perspectives
de recherche. Enfin, des recommandations seront avancées en vue de systématiser quelques
conditions d’expansion de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité.
25

PREMIÉRE PARTIE
CONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE
ET THÉORIQUE
26

CHAPITRE I
CONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE DU SÉNÉGAL

Le contexte socio-historique constitue un déterminant de l’acte entrepreneurial. C’est cela


qui justifie l’intérêt de mettre en perspective l’entrepreneuriat communautaire avec le contexte
socio-historique du Sénégal contemporain. A ce titre, la description du portrait de ce pays situé en
Afrique de l’Ouest permet de présenter sa situation actuelle. Un accent particulier sera porté aux
mécanismes producteurs et reproducteurs de la situation de précarité afin d’éviter l’erreur
habituellement commise consistant à se limiter à une analyse en termes de pauvreté. Nous
considérons que la pauvreté est une conséquence et comme telle ne dispose pas de portée
heuristique suffisante pour renseigner sur les mécanismes qui la produisent ou qui la reproduisent.
C’est ce postulat qui explique le choix fait, après une présentation du portrait du Sénégal, de
documenter les stratégies de développement et de gestion publique en partant des années 1960,
date d’accession du pays à l’indépendance, jusqu’en 2004. Cette perspective permet de passer en
revue l’évolution des structures et des modalités de régulation ainsi que des acteurs stratégiques
de ce pays, du reste symptomatique de la situation de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest.
Par ailleurs, à côté de l’Afrique qui se défait, se construit une Afrique qui se refait. C’est
pourquoi, la troisième partie de cette contextualisation socio-historique mettra en évidence les
acteurs émergents, parties prenantes de cette Afrique qui se refait, à savoir les collectivités
locales, les PME/MPE, le secteur informel, la « société civile » et enfin, l’entrepreneuriat
communautaire qui demeure l’objet de notre recherche.

1.1. Portrait du Sénégal

Pays sahélien situé sur la façade ouest du continent africain, le Sénégal dispose d’une
position stratégique au confluent de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique. Avec une superficie
de 196 722 km2, il est délimité au nord par la Mauritanie, à l'est par le Mali, au sud par la Guinée
et la Guinée Bissau et enfin, à l'ouest par la Gambie et par l'Océan Atlantique (cf. carte
administrative). Sa position stratégique fortement valorisée durant la colonisation française, la
stabilité de sa vie politique marquée par une tradition démocratique ainsi que la qualité de son
capital humain, font du Sénégal une porte d’entrée sur l’Afrique ainsi qu’un laboratoire pour la
plupart des initiatives de développement destinées au continent.
27

État laïc indépendant en 1960, le système politique sénégalais fonctionne sous le régime
présidentiel pluraliste depuis le 19 mars 2000, date à laquelle le pays connut sa première
alternance politique, après quarante ans de règne du parti socialiste remplacé depuis par des
libéraux. Malgré la faiblesse de son niveau de développement, de sa démographie, de ses
ressources naturelles, le Sénégal est l’un des pays qui assure le leadership africain notamment
avec la mise en œuvre du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) qui
consacre un nouveau type de relations entre l’Afrique et la communauté internationale, une
définition par les Africains de leurs priorités de développement, un rejet des mécanismes de
perpétuation de la dépendance (à travers le binôme aide-crédit) et enfin, une vision commune
partagée par les 52 États africains (NEPAD, 2001)3.

3
Une telle position demeure particulièrement optimiste si l’on sait que le NEPAD ne remet pas en cause les
déterminants structurels à la crise de l’Afrique (notamment son mode d’insertion dans le système
économique mondial, la détérioration des termes de l’échange, la vision macro et économiciste du
développement, la prédominance du marché, l’extraversion du mode de régulation) sans parler du fait qu’il
reste jusqu’à présent, un projet des chefs d’États africains faiblement internalisé avec les acteurs sociaux.
28

Partageant la plupart des caractéristiques des pays africains situés au Sud du Sahara, le
Sénégal dispose d’une population de plus de 10 millions d’habitants en 2003 et d’un taux
d’accroissement annuel qui commence à se stabiliser autour de 2,4% après avoir atteint des taux
de 2,7% durant les années 1970-1980. Avec une densité de 52 habitants au km2, une population
jeune de moins de 20 ans estimée à 58%, le Sénégal demeure caractérisé par une cohabitation
pacifique entre diverses ethnies, malgré la prédominance des wolofs (43%) et entre diverses
religions, malgré la prédominance des musulmans (94%).4 A l’instar de la plupart des pays
africains, ce pays connaît une explosion urbaine appréciable à travers l’augmentation constante de
la population urbaine atteignant en 2001, 41% de la population du pays d’une part, et d’autre part
à travers le phénomène de macrocéphalie urbaine autour de la capitale Dakar qui, occupant
seulement 0,3% du territoire nationale regroupe 22% de la population totale du pays avec une
densité de 4 147 habitants au km2 (MEF, 2004).

Tableau 1.1: Portrait du Sénégal


Années 1960 1970 1976 1988 2002 2003
Nbre d’habitants 3 000 000 4 400 000 5 100 000 6 900 000 9 956 202 10 127 809
Tx d’accroissement 2,3% 2,6% 2,7% 2,7% 2,4% 2,4%
% Pop. urbaine 23% 30% - 39% - 41%

Densité (1998-2003) 52 habts/ km2


Densité Dakar 4 147 habts/ km2
(1998-2003)

Données 2001
Jeunes de - 20 ans 58%
Population active 42%
Espérance de vie 51,3
Religions 94% musulmans
5% chrétiens
1 % religions du terroir
Ethnies 43% wolof
24% pulaar
15% de sérère…
Source : Ministère de l’économie et des finances, 2004 et Gouvernement du Sénégal (données 2001).

Classé en 2005 par le Rapport du PNUD sur le Développement Humain au 157e rang sur
177 pays, c’est-à-dire dans la catégorie des pays à faible développement humain, le Sénégal
dispose d’une situation socio-économique révélant la précarité de la majeure partie de la
population ainsi qu’une répartition inégale des fruits de la croissance (PNUD, 2005). En 2000-
2001, 48% des ménages et 57% des individus étaient considérés comme pauvres. Même si ces
4
D’ailleurs, le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor était chrétien.
29

taux ont diminué par rapport à la période 1994-1995, comme le montre le tableau ci-dessous, la
pauvreté reste encore forte d’une part, et d’autre part, elle reste marquée par des disparités entre
zones rurales et urbaines, expressives de l’accentuation des inégalités. Par exemple, en 2001-
2002, la pauvreté des individus qui est de 42% à Dakar, la capitale, a atteint 50,1% dans les autres
villes et a dépassé les 65% en milieu rural.

Tableau 1.2: Incidence de la pauvreté et de l’inégalité au Sénégal

Années Ménages Individus


Zones National Dakar Autre Rural National Dakar Autre Rural
urbain urbain
1994-1995 61,4 49,7 62,6 65,9 67,9 56,4 70,7 71,0
2001-2002 48,5 33,3 43,3 57,5 57,1 42,0 50,1 65,2
Source : Direction de la prévision et de la statistique et Banque Mondiale, 2004.

D’autres facteurs accentuent également le taux de prévalence de la pauvreté en dehors de la


zone de résidence. Il s’agit entre autres des disparités entre sexes ou entre secteurs d’activités
ainsi que le niveau d’instruction du chef de ménage ou la taille du ménage. Du reste, le taux de
prévalence de la pauvreté reste en dessous des résultats de l’EPPS 5 (DPS, 2004) qui agrégent des
données qualitatives basées sur la perception que les pauvres ont d’eux-mêmes. Cette enquête
révèle qu’en 2001, 65% des ménages sénégalais se considèrent comme pauvres et que 23% se
considèrent même comme très pauvres.

Le problème d’inégalité se pose lorsqu’on constate que malgré la pauvreté, la croissance


économique du Sénégal est en évolution positive. En effet, le taux de prévalence encore important
de la pauvreté (plus d’un sénégalais sur deux) ne traduit pas la reprise de l’économie sénégalaise
depuis le milieu des années 1990. De 2,63% durant la première décade des indépendances, le taux
de croissance a fléchi au lendemain de la crise économique de la fin des années 1970, passant à
2,13% avant de connaître une timide reprise entre 1985 et 1993 (2,18%). Mais au lendemain de la
dévaluation à hauteur de 50% de la monnaie locale (le FcFa) en 1994, on note une reprise de la
croissance de 4,83% allant même jusqu’à frôler les 5% entre 1995 et 2001.

Tableau 1.3: Évolution du taux de croissance de l’économie sénégalaise

Variation/ années 1960-1979 1980-1985 1985-1993 1994-1999 1995-20016


Tx de croissance 2,63% 2,13% 2,18% 4,83% 5%
Source : PNUD, 2002.

5
Enquête sur la Perception de la Pauvreté au Sénégal
6
Ministère de l’Économie et des Finances. 2004. Document de stratégie de réduction de la pauvreté
30

La faible incidence de la croissance économique sur la réduction de la pauvreté des


populations est à lier à la crise du régime d’accumulation sénégalais. En effet, l’agriculture
(notamment la filière arachidiére) qui fournit 10% du PIB mais occupe plus de 50% de la
population active, subit les contrecoups de sa vulnérabilité aux chocs récurrents comme la
pluviométrie erratique et la détérioration des termes de l’échange. (MEF, 2004). Cette crise de
l’agriculture, à la base de la part limitée du secteur primaire dans la formation du PIB (17,2%),
n’est pas suffisamment comblée par les autres secteurs, révélant d’une part, l’atonie du secteur
secondaire peu compétitif (18% du PIB) et d’autre part, une tertiarisation de l’économie (52%) au
détriment des activités productives, révélatrice de la place de plus en plus grande prise par le
commerce, notamment le commerce informel qui est porteur d’évasions fiscales. S’y ajoute, le
faible recrutement dans le secteur public, après la vague des départs volontaires et déflatés liés
aux PAS tandis que le secteur privé dit moderne (entreprises industrielles, touristiques,
financières) dispose de possibilités d’expansion limitées (DSRP, 2001). Autrement dit, la
croissance économique au Sénégal est tirée par des sous secteurs qui sont de faibles pourvoyeurs
d’emplois (huileries, traitement produits halieutiques, phosphates, télécommunications, tourisme)
tandis que le secteur informel qui fournit une bonne partie de l’emploi ne garantit pas toujours
une amélioration sensible des revenus et ne démontre pas une capacité à « créer et entretenir les
conditions générales de fonctionnement du système» (Hugon, 1995 : 388).

Tableau 1.4: Structure des branches d’activités en fonction du PIB (2000-2003)

Branche d’activités Secteur primaire Secteur secondaire Secteur tertiaire


Part au PIB 17,2% 18% 52%
Source : MEF, 2004

Il faut par ailleurs noter le fardeau du service de la dette affectant la capacité redistributive
de l’État sénégalais. Par exemple, malgré les rééchelonnements et les remises de dette de la part
des bailleurs de fonds, l’encours de la dette absorbe plus de 70% du PIB en 2000.

Tableau 1.5: Le fardeau du service de la dette sénégalaise

Service de la dette/ Années 1994 1996 1999 2000


Part recette d’exportation 4,5% 14,6% 12% 12,7%
Part recettes fiscales 11% 27,6% 21,3% 22,6%
Part encours de la dette/PIB 86,2% 80,1% - 71,3%
Source : MEF, 2004.

Ce sont tous ces facteurs expressifs d’un régime d’accumulation en crise qui expliquent le
fait que la croissance économique que connaît actuellement le Sénégal, a permis certes
d’améliorer le cadre macroéconomique mais, ne se traduit pas encore «dans le panier de la
31

ménagère», parce qu’étant insuffisante en qualité et en quantité pour corriger la paupérisation


ambiante, le sous emploi chronique ou encore, la dégradation des conditions de vie des
populations. L’assainissement du cadre macro-économique entamé depuis le démarrage des
programmes d’ajustement structurel en 1979 n’a pas encore garanti un accès plus large des
pauvres aux ressources stratégiques. En réalité, la croissance économique reste fragile, ne
s’inscrit pas dans une économie productive et ne règle pas la question de la répartition équitable
des richesses, confirmant le fait qu’elle ne saurait épuiser le développement, qui dénote d’un
processus plus global. Par ailleurs, l’analyse de quelques indicateurs sociaux est à ce titre
révélatrice des manifestations de la précarité.

Sur le plan de la santé, en 2001, la mortalité maternelle touchait 510 femmes pour 100 000
naissances vivantes (450 en milieu urbain contre 950 en milieu rural) tandis que le taux de
moralité infantile concernait 60 enfants sur mille. Le paludisme demeure la première cause de
morbidité déclarée chez les femmes enceintes et chez les enfants (25%) tandis que 19% des
enfants souffrent d’insuffisance pondérale. La malnutrition des enfants de moins de 5 ans est
devenue un problème de santé publique et le Sénégal est toujours en dessous des normes établies
par l’OMS concernant le nombre de litres d’eau par habitant et par jour à savoir 28 litres d’eau
contre 35 (DSRP, 2001). Les compressions budgétaires intervenues dans le secteur de la santé
avec les PAS ont accentué l’insuffisance des infrastructures sanitaires et du personnel de santé
notamment en milieu rural ou dans certaines régions éloignées (Kolda) tandis que le coût des
prestations non subventionnées demeure inaccessible pour une bonne partie de la population.

Tableau 1.6: Indicateurs sociaux du Sénégal (2001)

Indicateurs Représentativité
Santé
Morbidité due au paludisme 24,85
Tx mortalité maternelle (100 000 naissances 510
vivantes)
Tx de mortalité juvénile (pour 1000) 98
Tx de mortalité infantile (pour 1 000) 60
Tx enfants souffrant d’insuffisance pondérale 19,1
Éducation
Tx brut de scolarisation 70
Tx alphabétisation 39,1
Tx alphabétisation milieu rural 24,1
Tx alphabétisation milieu urbain 57,2
Tx d’inscription au primaire 81,72
Tx de scolarisation des filles 64,8
Nombre d’élèves par enseignant 51
Source : DPS et Ministère de l’économie et des finances, 2004. Tableau des indicateurs
32

En matière d’éducation, l’analphabétisme des adultes demeure encore important surtout en


milieu rural où seuls 24% sont alphabétisés contre 57,2% en milieu urbain. Par contre,
d’importantes avancées peuvent être notées pour les jeunes générations en matière de
scolarisation des filles (64%) et d’inscription au primaire (81%). Mais le système scolaire reste
marqué par le caractère pléthorique des salles de classes (51 élèves par enseignant), le déficit en
matériels scolaires ainsi que la faiblesse de l’efficacité interne du système et ceci malgré la mise
en œuvre du Programme Décennal de l’Éducation et de la Formation en 1998 (DSRP, 2001).

Ce sont tous ces processus, renforçant l’élargissement de la précarité (à la classe moyenne


du fait de sa vulnérabilité et du poids des mécanismes de solidarité)7 ainsi que son
approfondissement (en accentuant les écarts entre les plus pauvres et les plus riches), qui
expliquent le fait que les traits structurants de la situation socio-économique du Sénégal soient
marqués par la vulnérabilité et la précarité. C’est ce qui justifie d’ailleurs l’éligibilité de ce pays à
l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) en 2000 ainsi que son admission en 2001 dans le
club des Pays les Moins Avancés (PMA) au monde. De nombreux facteurs sont cités comme
étant à l’origine des performances mitigées de l’économie sénégalaise. Si l’environnement
international défavorable et peu maîtrisé est souvent cité ainsi que certains facteurs peu
maîtrisables8, il semble plus approprié de remonter aux mécanismes structurels de production et
de reproduction de la précarité. C’est cela qui justifie l’analyse historique des stratégies de
développement et de gestion publique mises en œuvres depuis l’indépendance.

1.2. Crise des stratégies de développement et des modalités de gestion publique : 1960-
2004

Les politiques de développement au Sénégal ont fait l’objet de plusieurs modélisations,


notamment de type économique (Kassé, 1990) ou socio-politique (Mbodj, 1992). Toutefois, une
approche systémique plus globale retiendrait trois grandes phases qu’on retrouve généralement
dans les pays africains ayant accédé à l’indépendance pendant la même période:

1. 1960 -1979 : le modèle populiste-nationaliste d’un État interventionniste;

7
Les mécanismes de solidarité amènent les personnes occupées à devoir supporter le reste de la population.
Ce qui, avec l’enchérissement du coût de la vie, risque de les amener à grossir le cercle de la vulnérabilité.
8
Entre autres facteurs, il est souvent cité : détérioration des termes de l’échange, pression de la
consommation en riz sur la balance des paiements, pluviométrie erratique, service de la dette, taux de
change surévalué avant dévaluation, faible niveau de l’épargne interne, faiblesse des investissements…
33

2. 1980-fin années 1990 : les programmes d’ajustement structurel et le «Moins d’État,


mieux d’État»;
3. Années 2000 : les politiques de lutte contre la pauvreté

1.2.1 Le modèle populiste- nationaliste : 1960-1979

Le Sénégal indépendant a hérité en 1960 d’une économie extravertie traduisant : de rares


unités industrielles le plus souvent succursales des maisons mères basées en France, un appareil
productif essentiellement tourné vers la production de biens primaires et miniers d’exportation,
l’importation de la plupart des produits de consommation courante ou encore, un commerce sous
régional inexistant si ce n’est l’œuvre des grands commerçants ou des diasporas marchandes
préférant ignorer les frontières artificielles héritées de la colonisation (PNUD, 2002). Les
nouvelles autorités du pays ne remettront pas en cause cette configuration de l’économie
coloniale tributaire d’une économie de traite; au contraire, elles vont chercher à la transformer en
une économie de rente.

L’orientation du nouvel État indépendant prenait source dans la doctrine du socialisme


africain basée sur le «communautarisme négro-africain» avec comme cadre théorique le
paradigme de la dépendance. Au plan opérationnel, on constate un modèle de gestion dirigiste et
centralisée avec l’État, comme principal acteur du développement définissant et mettant en
œuvre seul les politiques de développement à travers son administration centrale. Des raisons
d’ordre politique (Diop et Diouf, 1990), économique, (Kassé, 1990) ou même symbolique
(Gagnon, 1976) semblaient justifier une telle logique qui a donné lieu à la mise en place de
dispositifs d’encadrement9, de vastes programmes multi sectoriels de développement et enfin, de
structures censées garantir la participation populaire. Les deux mécanismes de cette politique de
développement peuvent être situés au niveau des coopératives agricoles héritées de la
colonisation et de l’Office National de Coopération et d’Assistance au Développement
(ONCAD). Très vite, les coopératives vont être transformées en instruments de prédation ou en
« pseudo-coopératives » (Verhagen, 1991) tandis que l’ONCAD quant à elle, apparaissait
comme une structure tentaculaire caractérisée par une gestion gabégique et un clientélisme
politique (Mbodj, 1992). C’est pourquoi, les populations «…sous le poids du dirigisme et de la

9
C’est ainsi qu’on peut noter la création dés 1960 de l’Office de Commercialisation Agricole, des Centres
d’Expansion Rurale, des Centres Régionaux d’Assistance au Développement, de la Banque Sénégalaise de
Développement, des Sociétés Régionales de Développement Rural, mais aussi l’établissement d’une loi sur
le Domaine National.
34

tutelle de l’État, ont fini par croire que les structures de participation ne sont en fait que de
nouveaux maillons d’une administration omnipotente et tentaculaire » (Kassé, 1990: 32)
caractérisée par une expansion massive et une centralisation concomitante de l’appareil d’État
(Develtere, 1998). C’est dire que le problème des premières stratégies de développement dans la
plupart des États africains nouvellement indépendants comme le Sénégal concernait leurs
résultats mitigés au travers d'investissements coûteux et irréalistes associés à des dérives
financières produisant comme conséquences l’insolvabilité et la vulnérabilité des pays (Kassé,
op. cit).

L’échec de la politique de développement post indépendantiste apparu dés le milieu des


années 1970, a été rendu visible par les effets de la crise mondiale. En effet, le cycle de
sécheresse, le choc pétrolier et la détérioration des termes de l’échange à la base de la chute
vertigineuse des prix de l’arachide et des phosphates apparus simultanément durant les années
1970, vont démontrer les limites de cette économie de rente en termes de stagnation de la
production intérieure, de détérioration des avoirs extérieurs et de déficit de la balance des
paiements et des finances publiques. Entre 1970 et 1981, l’épargne intérieure passa de 7,7% à -
6,7% et le déficit des finances publiques évolua de 0,6% à 12,5% (PNUD, 2002 : 74). La perte
de compétitivité de l’économie amena les pouvoirs publics à s’endetter pour financer le
développement, accentuant ainsi la dépendance du pays aux capitaux étrangers. C’est pourquoi,
sous le diktat des bailleurs de fonds, les pouvoirs publics vont s’engager dés 1979, à corriger les
déséquilibres macro-économiques en mettant en œuvre des réformes qui vont transformer le
modèle de développement post colonial.

1.2.2 Les Programmes d’ajustement structurel et le «Moins d’État, mieux d’État» : 1979-fin des
années 1990

Face à la crise, un vaste mouvement de pression socio-politique animé par les élites
traditionnelles, les populations urbaines, le milieu scolaire et universitaire, les syndicats
d’enseignants et de travailleurs va émerger, ravivé par la critique du monolithisme politique et les
fameux événements de Mai 1968 (Fall et Diouf, 2000). Ce mouvement de contestation sociale
exprimait une remise en cause de l'approche du développement et des modes de gestion publique
voire de l’État. Cette période reste marquée par la mise œuvre des Programmes d’Ajustement
Structurel (PAS) sous la houlette du FMI et de la BM au Sénégal à partir de 1979 ainsi que par un
changement politique avec l’arrivée de Abdou Diouf à la tête du gouvernement prônant une
vision libérale qui se matérialisera sous le slogan: « Moins d’État, mieux d’État » (Sall et Hafsi,
35

1994). Prônant le désengagement de l’État en tant que garant et non plus gérant de l’activité
économique ainsi que la réhabilitation du marché et du libre échange à travers une politique de
libéralisation de l’économie, les PAS se sont matérialisés au Sénégal, à l’instar de la plupart des
pays africains sous ajustement, autour de plusieurs programmes qui ont été plutôt subis que
négociés par un État essoufflé et menacé par la fronde populaire (cf. Tableau 1.7).

Les divers plans de stabilisation et d’ajustement visaient essentiellement à corriger les


déséquilibres macroéconomiques occasionnés par les politiques économiques post coloniales
dans le but de restaurer les conditions d’une croissance économique équilibrée. Il s’agissait
surtout de maîtriser l’inflation, de contenir la demande en articulant les dépenses aux ressources
nationales, de réduire le déficit des finances publiques et enfin, de stimuler l’offre privée à travers
des conditions favorables au libre jeu du marché consacrant ainsi, la libéralisation de l’économie
(Seck, 1997; Diagne et Daffé, 2002).

Tableau 1.7: Les divers plans de stabilisation et d’ajustement de l’économie sénégalaise (1979-2000)

Date Dénomination Plan Axes stratégiques


1979-1980 Plan de stabilisation à court terme Généralisation TVA, hausse des taxes douanières,
réduction dépenses État, limitation des emprunts
extérieurs
1980-1985 Plan de redressement Assainissement finances publiques, encouragement
économique et Financier épargne, investissement secteurs productif,
restructuration parapublic, réduction intervention État,
1985-1992 Programme d’ajustement à Promotion des exportations et nouvelles politiques
moyen et long terme agricole et industrielle, redressement finances publiques
et restructuration du secteur parapublic
1993 Plan d’urgence (rupture avec les Réduction des salaires de la fonction publique,
bailleurs de fonds) augmentation tarifs services sociaux et des produits
pétroliers
1994 Dévaluation du Fcfa de 50% Amélioration compétitivité économie : hausse des prix
des denrées alimentaires et des services,
assouplissement législation du travail, privatisation
entreprises publiques, promotion du secteur privé
1994-1997 Facilité d’ajustement structurel Lutte contre l’inflation et contre le déficit budgétaire,
renforcé promotion de la croissance
1998-2000 Seconde Facilité d’ajustement Idem
structurel renforcé
1999-2004 Stratégies de réduction de la Lutte contre la pauvreté, filets de sécurité, lutte contre
pauvreté l’exclusion, amélioration des conditions de vie des plus
démunies
36

Sur le plan des agrégats économiques, d’importantes avancées ont pu être notées à la faveur
de ces mesures qui conditionnaient le financement du pays par les bailleurs de fonds : meilleure
prise en compte du rôle des mécanismes du marché et de l’initiative privée dans la régulation
économique, réduction de la masse salariale de la fonction publique, croissance constante du PIB
de 1,6% entre 1979-1984, à 2,9% en 1994, à 4,8% en 1995 jusqu’à frôler les 5% en 2000,
diminution du déficit budgétaire de 15,2% du PIB en 1994 à 2,9% à l’an 2000 (Gouvernement du
Sénégal, 2004)10. A un autre niveau, les PAS sont passés des mesures macroéconomiques à des
réformes institutionnelles visant à rendre plus efficaces l’administration publique, en la
positionnant dans un rôle de mise en place d’un environnement incitatif au marché. Du fait de ses
aspects économiques et institutionnels, les PAS consacrent la prédominance du Fonds Monétaire
International (FMI) et de la Banque Mondiale (MB) comme acteurs stratégique dans la définition
des politiques économiques et dans la reconfiguration des modalités de gestion publique (Diop,
2002).

En dehors du rôle politique dévolu aux institutions de Breton Woods en déphasage avec
leurs missions officielles (Osmont, 1995), les PAS ont contribué à transférer les secteurs
stratégiques (l’eau, l’électricité, les télécommunications) entre les mains des capitaux privés
internationaux. Ils vont aggraver les déséquilibres qu’ils étaient censés corriger, installant
progressivement le Sénégal, à l’instar de la plupart des pays africains dans une gestion de
l’enlisement (Duruflé, 1990; Noula, 1995; Chossudovsky, 1998). Les conséquences désastreuses
de cette situation aboutissent aux fermetures d’entreprises, notamment para-publiques et à la
réduction drastique du personnel de la fonction publique engendrant l’augmentation sans
précédent du chômage. D’autres conséquences des PAS peuvent être appréciées à travers
l’abolition de la gratuité de l’accès aux soins de santé, l’enchérissement des prix des denrées de
premières nécessités, la détérioration des conditions de vie des populations, la fragilisation du
tissu agricole local avec la suppression des subventions accordées aux paysans. Du fait de leur
caractère brutal, de l’absence de mesure d’accompagnement, de leur faible internalisation et de
leur économicisme réduisant le développement à la croissance tout en négligeant les coûts
sociaux de ces mesures, les PAS vont renforcer l’effritement du tissu industriel ainsi que la
précarisation, voire l’informalisation de l’emploi (Bartoli, 1999; Stiglitz, 2003).

10
Les politiques d’ajustement au Sénégal. http://www.gouv.sn/politiques/ajustement.html (consulté en
Septembre, 2005).
37

L’impact positif des PAS se situerait surtout à un niveau socio-politique en induisant une
révision des modalités de gestion publique ouvrant un espace ouvert à une intervention plus
importante des acteurs privés et sociaux. En effet, les PAS constituent une des composantes de la
structure d’opportunité politique ayant favorisé le repositionnement des différents acteurs, à
travers notamment la reconfiguration du rôle de l’État, la promotion de l’intervention du secteur
privé et d’acteurs intermédiaires (ONG, agences de développement) et enfin, le renforcement de
l’implication de la «société civile» comme contre pouvoir des institutions publiques. Cependant,
le repositionnement des acteurs sociaux semble être plus une conséquence de l’ajustement qu’un
objectif préalablement visé. Moins que la responsabilisation des populations, ce qui était visé,
c’était surtout la réduction des responsabilités de l’État en matière de développement économique
en vue d’assurer le libre jeu du marché et la privatisation du social, tout ceci entrant dans
l’objectif ultime du remboursement de la dette et de libéralisation de l’économie. En tout état de
cause, l’effet conjugué de la crise économique et des PAS va ouvrir un espace de renégociation
des compromis socio-économiques et politiques post-coloniaux avec notamment, la plus grande
affirmation de nouveaux groupes stratégiques, notamment les collectivités locales, les
organisations de jeunes et de femmes dans les quartiers, les opérateurs économiques locaux, la
société civile, à côté des partis politiques d’opposition (Diop, 2002 : 25). En outre, les exigences
en matière d’auto-promotion des acteurs sociaux, de transparence, d’équité, de bonne
gouvernance sont désormais mises de l’avant.

1.2.3. Années 2000 : les politiques de lutte contre la pauvreté

Malgré son impact dans la reprise de la croissance économique et dans l’assainissement du


cadre macroéconomique, les PAS ont accentué la pauvreté des populations et n’ont pas permis de
positionner le secteur privé national en moteur de l’économie qui, par ailleurs se trouve de plus en
plus dépendante et extravertie. L’échec des PAS a démontré d’une part, que la croissance
économique n’induit pas automatiquement un meilleur accès des pauvres aux ressources
stratégiques ou aux services sociaux de base et d’autre part, que les réformes structurelles visant à
stabiliser et à ajuster le cadre macroéconomique se font souvent au détriment des populations
démunies parce que porteuses de coûts sociaux préjudiciables mais peu pris en compte. C’est
pourquoi, dés 1999 alors que le Sénégal n’avait pas encore terminé le second programme de
facilité d’ajustement structurel renforcé avec le FMI que, devant les critiques de plus en vives à
l’échelle internationale concernant les effets dévastateurs des PAS, fut mis en place un
programme dénommé «Stratégie de réduction de la pauvreté au Sénégal».
38

Cette nouvelle politique mise en œuvre dans les pays africains sous ajustement, va chercher
à se démarquer de l’objectif des PAS visant à corriger les déséquilibres macroéconomiques et les
distorsions du marché, pour mettre l’accent sur une stratégie plus ciblée visant en priorité les
populations démunies, à travers les filets de sécurité11. Presque partout en Afrique des documents
dénommés «Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP)» sont élaborés pour
définir cette nouvelle politique qui va désormais constituer l’orientation stratégique du
développement, fournissant le cadre structurel à l’intervention des bailleurs de fonds et des
organismes de développement international. D’ailleurs son élaboration va devenir une condition
préalable pour bénéficier du crédit ou de divers appuis de la part des bailleurs de fonds. Ainsi, à
côté du programme de lutte contre la pauvreté élaboré par l’État sénégalais, des partenaires au
développement ayant une sensibilité sociale comme le PNUD, le FENU, la FAO, la coopération
bilatérale ou encore certaines ONG de coopération internationale, vont eux aussi élaborer leurs
propres programmes de lutte contre la pauvreté en visant des zones, des cibles ou des secteurs
d’activités spécifiques. En outre, toutes les initiatives destinées à l’Afrique intègrent la dimension
lutte contre la pauvreté : initiative PPTE d’allégement de la dette, dons bilatéraux, crédits et prêts
divers, objectifs du millénaire, NEPAD...

Trois niveaux de rupture peuvent être notés entre ces programmes de lutte contre la
pauvreté et les divers plans d’ajustement imposés par les bailleurs de fonds. D’abord, c’est leur
orientation sociale au profit des plus démunis et non plus une perspective exclusivement
marchande de correction des déséquilibres macroéconomiques. Ensuite, à la différence des PAS
imposés par les bailleurs de fonds, la stratégie de réduction de la pauvreté marque la
reconnaissance de la responsabilité des États dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies
de développement, en relation avec les divers acteurs du pays à travers ce qui est communément
appelé une gouvernance multi acteurs. Enfin, corrélativement à ce second élément, la stratégie de
réduction de la pauvreté met en évidence un processus participatif caractérisant à la fois son
élaboration, sa mise en œuvre et son suivi-évaluation à travers notamment l’implication des
catégories d’acteurs significatifs du pays provenant de la société civile, de l’administration, des
collectivités locales et du secteur privé. Ainsi, au Sénégal, ce processus participatif est parti des
échelles régionales pour établir le diagnostic de la pauvreté dans les onze régions du Sénégal,
ensuite passer en revue les politiques en cours pour enfin, aboutir à la détermination d’objectifs
prioritaires sous forme de compromis. Les principaux objectifs poursuivis par le programme

11
Les filets de sécurité sont des mesures d’aide spéciale destinées à éviter que les personnes démunies ne
deviennent plus pauvres et plus vulnérables.
39

sénégalais de lutte contre la pauvreté se déclinent en trois axes prioritaires : doubler le revenu par
tête d’habitant d’ici 2 015 dans le cadre d’une croissance forte, équilibrée et équitablement
répartie; généraliser l’accès aux services sociaux de base à travers la mise en place
d’infrastructures de base et enfin, éradiquer toutes formes d’exclusion et promouvoir l’égalité des
sexes. Il est prévu d’articuler quatre types de leviers pour mettre en œuvre ces trois axes: la
création de richesses, le renforcement des capacités et la promotion des services sociaux de base,
l’amélioration des conditions de vie des groupes vulnérables et enfin, la mise en place d’un
dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation décentralisé et participatif (DSRP, 2002).

De ces programmes de lutte contre la pauvreté, on peut en tirer plusieurs constats en lien
avec le bilan des stratégies de développement au Sénégal. La réorientation de l’approche du
développement des programmes d’ajustement structurel à la lutte contre la pauvreté sanctionne
l’échec des stratégies de développement post coloniales et des groupes stratégiques qui les ont
initiées à savoir, l’État et les bailleurs de fonds notamment le FMI et la BM. Mais la lutte contre
la pauvreté traduit également une régression sémantique expressive d’une régression quant à la
vision du développement. Les termes utilisés tant par les pouvoirs publics que par les bailleurs de
fonds ne font plus état du «développement» et de moins en moins évoquent «la lutte contre la
pauvreté». Plus modestement, les termes utilisés insistent sur «la réduction de la pauvreté», à
savoir un nivellement par le bas où l’objectif de développement est délaissé au profit d’actions
sectorielles et ciblées visant spécifiquement les couches sociales les plus défavorisées. De ce fait,
les politiques actuelles de développement en Afrique cherchent moins à questionner les
mécanismes producteurs et reproducteurs des inégalités ou encore les carences du modèle en
faillite, qu’à mettre en œuvre des solutions palliatives comme les filets de sécurité qui participent
davantage d’une gestion des conséquences et de la survie. Le mirage constitutif des politiques de
lutte contre la pauvreté peut être apprécié par le fait qu’elles n’ont pas cherché à remettre en
cause les postulats économicistes des PAS, ni questionner la prédominance du marché avec tous
ses mécanismes d'inégalités et d'exclusion encore moins prendre position contre la
compradorisation et l’extraversion du système économique des pays en développement. De ce
fait, ces politiques négligent la contrainte structurelle que constitue le mode d’insertion des pays
africains dans l’économie-monde en tant que fournisseur de matières premières dont les prix ne
cessent de se détériorer, renseignant sur la structuration inégale du système économique mondial
reproduisant les mécanismes de l’accumulation dépendante (Amine, 1988; Chossudovsky, 1998;
Bartoli, 1999; Daffé, 2002). En fin de compte, la lutte contre la pauvreté se réduit à une politique
sociale visant à atténuer les effets néfastes des programmes d’ajustement structurel durement
40

éprouvés par les critiques provenant de toutes parts même à l’intérieur des institutions financières
internationales où de plus en plus, on parle de désillusion du modèle des PAS (Stieglitz, 2003). A
ce titre, les politiques de lutte contre la pauvreté qui se sont substituées aux politiques de
développement reproduisent les postulats des PAS, négligeant le fait que le problème réside
moins dans leur application sélective par les États africains que dans leur incapacité intrinsèque à
promouvoir un développement autoentretenu et équitable, comme le souligne le CNUCED :

«La nouvelle approche mettant l’accent sur la réduction de la pauvreté semble donc être fondée
elle aussi sur le postulat selon lequel la libéralisation et l’intégration rapide et poussée à
l’économie mondiale sont la clef d’une croissance rapide et soutenue. La croissance ne profitant
pas automatiquement aux pauvres, on peut se demander comment concilier des politiques mettant
l’accent sur la primauté des mécanismes du marché, notamment dans les secteurs commercial,
financier et agricole, et un meilleur accès des pauvres aux actifs productifs» (CNUCED, 2002 : 5)

C’est dire que contrairement à la dynamique en cours dans la plupart des pays africains, la
lutte ou la réduction de la pauvreté ne suffit pas pour fonder une stratégie de développement.
D’ailleurs, une des limites de ces politiques réside dans l’absence de définition des mécanismes
intermédiaires et d’une stratégie à long terme concernant notamment l’investissement privé et la
création d’emplois (CNUCED, 2002). C’est pourquoi, les effets induits par les divers
programmes de lutte contre la pauvreté se situeraient moins dans la prise en charge des
mécanismes producteurs de la pauvreté ou dans la promotion du développement que dans
l’approche participative du processus d’élaboration et de mise en œuvre, misant sur une plus
grande autonomie des États ainsi qu’une meilleure implication des acteurs de la société civile.

En réalité, l’analyse des stratégies de développement et de gestion publique (1960-2004) du


Sénégal contemporain révèle l’échec de la transition d’un régime d’accumulation basé sur une
économie de rente héritée de la colonisation, vers un régime d’économie de marché préconisé par
les bailleurs de fonds à travers les PAS. L’économie de rente promue par l’État post colonial s’est
basée sur un modèle de développement qui a dépassé les capacités réelles du pays tout en
fournissant à un État tentaculaire et prédateur les moyens d’assurer sa reproduction en entretenant
une clientèle politique (Diop et all, 2002; O’Brien et all, 2002). Par contre, la régulation par le
marché prônée par les PAS n’a pas fait profiter de la libéralisation de l’économie aux
entrepreneurs nationaux, tout en accentuant la précarité de la population ainsi que l’extraversion
et la vulnérabilité du système productif. C’est dire que les politiques de libéralisation et
d’ajustement n’ont pas réussi à compenser l’épuisement de l’économie de rente, ni favoriser la
construction d’une économie productive créatrice de richesses pour le pays, leur impact se situe
41

davantage dans le renforcement de la tertiarisation et de l’informalisation de l’économie ainsi que


dans l’ouverture de l’espace public à des acteurs issus de la société civile. Enfin, les politiques de
lutte contre la pauvreté qui fournissent actuellement le cadrage structurel de la politique de
développement au Sénégal n’ont pu se libérer des postulats des PAS, se présentant de fait plus
comme leur politique sociale qu’une opportunité de renouveler les modalités de régulation de
l’économie ainsi que le mode d’insertion du Sénégal dans l’économie-monde. Ce sont ces
multiples échecs qui ont poussé certains chercheurs à conclure que la crise de l’Afrique concerne
l’Afrique des élites, de l’État, des bailleurs de fonds et des partenaires au développement
partisans d’une «modernité dupe» basée sur une rationalité technico-industrielle et marchande
agressant de larges couches de la population et destabilisant leur vision du monde, tout en ayant
beaucoup de peine à manifester sa cohérence et son adaptation à la réalité africaine (Schwarz,
1983; Ndione, 1994; Latouche, 1998; Ela, 1998). Les carences démontrées par ces acteurs vont
être sanctionnées par le déploiement de divers types d’initiatives mettant en évidence d’autres
types d’acteurs comme les organisations de jeunes et de femmes, les collectivités locales, les
organisations socio-professionnelles, les opérateurs économiques locaux, les mouvements de
quartier…

C’est dans ce cadre que l’archéologie des politiques de développement du Sénégal révèle
plusieurs éléments informant de l’émergence et/ ou de la floraison de diverses initiatives
d’entrepreneuriat communautaire. La crise des structures et des modalités de régulation politique
et économique qui ont dominé le Sénégal contemporain, laisse entrevoir l’épuisement des
compromis sociétaux issus de la période post coloniale mais ne préjuge pas du renouvellement du
mode de régulation. Cette situation demeure révélatrice de l’ambivalence qui caractérise le
Sénégal contemporain évoluant entre la résistance d’un mode de régulation épuisé et une plus
grande affirmation d’acteurs émergents dont l’action induit une renégociation des compromis
sociétaux :

«La réduction de la sphère d’intervention de l’État consécutive aux réformes et restructurations


économiques a accompagné une renégociation des compromis socio-économiques et politiques
post-coloniaux qui permettaient le fonctionnement de l’ensemble national sénégalais. (…) Le
problème est alors de savoir comment passer des initiatives locales positives à leur diffusion au
sein de la société. Répondre à une telle interrogation, c’est aussi établir la distinction entre la
simple survie proposée par les programmes de «lutte contre la pauvreté» et les stratégies
d’adaptation durable». (Diop, 2002 : 25).

C’est donc tout l’enjeu de compléter l’archéologie de la situation du Sénégal en


interrogeant la portée de ce qui est communément appelé «l’alternance» faisant référence au
42

premier changement de régime politique intervenu dans ce pays depuis son indépendance à la
faveur des élections présidentielles du 19 mars 2000, «déracinant le baobab socialiste» (Diop,
Diouf et Diaw, 2000). Ce changement majeur intervenu au sein de l’équipe dirigeante du Sénégal,
tout en sanctionnant le mode de régulation post colonial (1960-2000), met en évidence un double
enjeu : d’abord, la reconfiguration des structures et des modalités de régulation politique et
économique, ce qui interroge la nature de l’État et le renouvellement des politiques de
développement et des modalités de gestion publique; ensuite, la portée des initiatives portées par
des acteurs stratégiques émergents à la faveur de la crise, ce qui pose la question de la
recomposition de l’architecture institutionnelle des instances de régulation du pays. C’est à de
telles questions que se posent la plupart des observateurs de la situation du Sénégal post
alternance :

«La nouvelle classe dirigeante saura-t-elle lire son sucés non pas seulement comme une victoire
politique et électorale, mais comme la demande résolue d’une nouvelle moralité politique et d’un
nouveau contrat social, exprimée par une société prise à la gorge par les conséquences désastreuses
des politiques d’ajustement structurel?» (Diop, Diouf et Diaw, 2000 : 179)

Au vu des cinq premières années de «l’alternance», il demeure possible de procéder à une


analyse des signaux que reflète le pouvoir en place en termes de rupture/continuité, tout en
prenant en charge le fait que cette analyse porte sur un processus récent qui est en cours. L’enjeu
de ce questionnement est de se demander si ce qui est communément appelé «l’alternance» relève
d’un simple changement de gouvernants à la tête du pays ou par contre, s’il augure d’un nouveau
mode de régulation, cherchant à renouveler le projet de société et à transformer les structures et
modalités de régulation économique et politique au Sénégal?

Des éléments de rupture introduits par «l’alternance» par rapport au régime politique
antérieur, on peut en retenir : un nouveau régime politique avec le changement du parti au
pouvoir d’obédience social-démocrate à un parti d’obédience libérale entraînant le changement de
président de la république et des responsables des collectivités locales (maire, président conseil
régional, président conseil rural), une recomposition de l’assemblée nationale, la promotion de
nouveaux dirigeants à la tête des sociétés parapubliques et des directions de projets. En outre, une
nouvelle constitution a été adoptée par référendum en janvier 2001 tandis qu’on peut noter un
approfondissement des libertés démocratiques avec l’institutionnalisation des marches de
protestation ainsi que l’extension de la liberté de presse.
43

Toutefois, plusieurs éléments confortent l’idée selon laquelle «l’alternance» a favorisé une
certaine recomposition politique mais n’est pas encore arrivée à rompre avec la logique de
régulation du pouvoir précédent (Coulibaly, 2003). Une telle idée est corroborée par plusieurs
constats: une reproduction de la même génération de classe politique au pouvoir avec des leaders
occupant la vie publique nationale depuis l’indépendance que renforce le phénomène de
transhumance politique12, une inféodation de l’État au parti politique au pouvoir (le président de
la république est resté secrétaire général de son parti), une concentration du pouvoir autour du
président de la république (patrimonialisation de l’État) accentuée par la nouvelle constitution, le
cumul de fonctions (ministre maire), la reproduction de l’inféodation du pouvoir public au
pouvoir maraboutique avec une rupture de la neutralité traditionnelle de l’État par rapport aux
différentes confréries, posant ainsi de réels problèmes à la stabilité qui caractérisait le Sénégal
dans la sous région ouest africaine, des comportements d’accaparement des richesses et de
prébende par les classes au pouvoir posant de réels problèmes de répartition des richesses et de
moralité républicaine (train de vie de l’État, corruption, transparence dans la passation des
marchés publics, augmentation des salaires des ministres et des maires alors que la pauvreté reste
vive), une reproduction des rapports avec les bailleurs et le capitalisme international que confirme
le maintien du programme de lutte contre la pauvreté entamé à l’époque de l’ancien régime. Il
reste qu’au vu de l’ampleur et de la complexité des contraintes héritées du régime socialiste, il
faudrait plusieurs générations pour apporter des changements de structure au Sénégal.

C’est dire que l’alternance n’a pas encore permis l’émergence d’alternatives au Sénégal, ni
dans la promotion d’un développement équitable, ni dans la transformation des modalités de
régulation politique et économique. Elle a permis certes la recomposition de la classe politique
avec l’avènement d’un nouveau pouvoir dans la sphère étatique, mais jusqu’à présent, elle semble
reproduire le mode de régulation que les Sénégalais avaient sanctionné durant l’élection
présidentielle de 2000. Tout se passe comme si, les nouvelles autorités du pays n’avaient pas
suffisamment pris conscience du fait que la sanction de l’ancien régime sanctionnait en même
temps un mode de régulation en déphase avec le mode de fonctionnement de la société.

C’est cela qui explique le fait que la contestation sociale qui s’était essoufflée après les
élections de 2000, commence à reprendre de la vigueur mais en misant également sur la prise

12
La transhumance politique très marquée dans le Sénégal de l’alternance est à l’image de l’ethnie Peul qui
chaque année migre vers des pâturages plus nantis en fonction de la saison des pluies. Elle se manifeste par
l’exode massif de dirigeants ayant assumé de hauts postes de responsabilité dans le pouvoir défait vers le
nouveau parti au pouvoir.
44

d’initiatives innovatrices. C’est ainsi que la plupart des collectivités locales sénégalaises
(Commune et Conseil régional notamment) se sont davantage engagées dans des processus de
développement local prônant une gouvernance territoriale en s’appuyant sur la coopération
décentralisée tandis que les organisations de jeunes, de femmes, de secteur d’activités
économiques (organisations socio-professionnelles) ou de quartier, se mobilisent de plus en plus
dans le déploiement d’initiatives diverses de création de richesses, d’amélioration des conditions
ou du cadre de vie et enfin de participation à la vie publique locale. Toutefois, ces initiatives
populaires et institutionnelles restent encore à l’état d’expérimentation et n’ont pas été assez
documentées pour fournir une masse critique nécessaire à une appréciation objective. C’est cela
qui explique l’intérêt d’étudier un de ces types d’initiatives à savoir l’entrepreneuriat
communautaire pour apprécier sa portée innovatrice en rapport avec la crise économique et sa
portée alternative, en rapport avec la reconfiguration du mode de régulation.

Enfin, notons que cette archéologie des stratégies de développement et de gestion publique
a permis de faire ressortir le poids déterminant des bailleurs de fonds (FMI et BM) et des
partenaires au développement (organismes internationaux de développement ou de coopération
internationale13, ONG, coopération bilatérale et décentralisée) tant dans l’orientation du mode de
régulation que dans la configuration de l’architecture des acteurs stratégiques. Par exemple, c’est
à la faveur de la place plus grande prise par les partenaires au développement ayant une
sensibilité sociale que la question de la gouvernance multi acteurs est posée comme variable
structurante à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi-évaluation des politiques de lutte
contre la pauvreté, répondant ainsi positivement à la demande sociale de plus en forte manifestée
par les acteurs sociaux d’une plus grande implication dans la gestion de la crise. Mais en même
temps, il faut bien reconnaître que ce poids déterminant renseigne sur deux éléments importants :
d’une part, que ce sont des acteurs extérieurs au pays qui initient souvent les réformes
économiques et politiques en rapport avec leur vision et leur priorité et d’autre part, les
partenaires au développement malgré leur sensibilité sociale, se sont insérés dans le modèle
économiste des bailleurs de fonds soumis à la logique du marché sans interroger ses postulats.
L’orientation de volet social des PAS conférée à la plupart des programmes de lutte contre la
pauvreté, témoigne de cette dynamique de reproduction du modèle économique sans examen de
sa logique sous jacente. C’est en cela que l’effet de la coopération au développement peut être
caractérisé d’ambivalent car cherchant à promouvoir des actions visant directement à améliorer

13
PNUD, ONUDI, CNUCED, FAO, FENU, Union Européenne, ACDI, USAID…
45

les conditions de vie des populations perçues comme acteurs et non plus comme bénéficiaires
mais, tout en restant dans le modèle à la base de leur situation de précarité. C’est pourquoi, il
importe de mettre l’accent sur les acteurs émergents situés à l’intérieur des communautés locales.

1.3. Les dynamiques émergentes du Sénégal contemporain

Les dynamiques émergentes de l’Afrique contemporaine démontrent que l’analyse


uniquement en termes de crises se révèle insuffisante pour saisir la dynamique actuelle des pays
africains à l’instar du Sénégal contemporain. En contexte de précarité, se déploient des processus
innovants et émergent également, de nouveaux types d’acteurs cherchant à se positionner parmi
les acteurs stratégiques. A ce titre, les dynamiques émergentes du Sénégal contemporain peuvent
être situées à divers niveaux. Toutefois, en lien avec notre recherche, l’accent sera mis sur les
processus de développement local initiés par les collectivités locales urbaines mais également par
des dynamiques communautaires de développement, sur la société civile, sur le secteur informel,
sur les PME et MPE qui informent du secteur privé local et enfin sur l’entrepreneuriat
communautaire.

1.3.1 : Les collectivités locales : les processus de développement local

1.3.1.1 : La décentralisation au Sénégal

Les processus de développement local au Sénégal sont le fruit d’un contexte institutionnel
favorable lié à la tradition démocratique et à la politique de décentralisation, que renforcent les
effets de la crise des années 1970 sur les finances publiques ainsi que les exigences des PAS,
amenant l’État à transférer certaines de ses compétences aux collectivités locales désormais
positionnées comme responsables du développement de leur territoire.

Ce fut en 1872 durant la période coloniale qu’on remonte la tradition de décentralisation au


Sénégal avec la création des Communes de Saint-Louis et de Gorée et plus tard, de celles de
Rufisque (1880) et de Dakar (1887). La colonie Sénégal disposait de quatre Communes de plein
exercice, investies du même régime que les Communes françaises (Niang, 1997). Toutefois, outre
le fait de diviser les populations de cette colonie en citoyens français et en indigènes, cette
extension du statut de commune française à des villes coloniales s’expliquait moins par une
46

volonté du colonisateur de faire bénéficier les populations autochtones des droits de la Métropole
que par l’objectif de faciliter à la population blanche installée dans ces villes la possibilité
d'exercer leurs droits politiques et civiques (Diouf, 2005). C’est pourquoi, dés l’accession du
Sénégal à l’indépendance en 1960, on note la généralisation du statut de Commune de plein
exercice qui sera suivie de l’adoption d’un Code de l’Administration Communale en 1966 destiné
à régir l’institution municipale (loi n° 66-64 du 30 juin 1966). Toutefois, la fonction de Maire
était dévolue à un administrateur municipal nommé par l’État. Dés les premiers signes de la crise
des années 1970, l’État va initier une Réforme de l’Administration Territoriale et Locale (loi n°
72-02 du 1er février 1972) en mettant en œuvre trois instruments, à savoir la déconcentration, la
décentralisation et enfin, la participation responsable. Durant la même année, fut créé un nouveau
type de collectivité locale en milieu rural, la Communauté Rurale (loi n° 72-25 du 25 avril 1972).
En 1990, un pas sera franchi en faisant des Maires et des Présidents de Conseils Ruraux, les
administrateurs de leur collectivité locale et les ordonnateurs du budget à la place des
administrateurs nommés par l’État (loi n° 90-37 du 8 octobre 1990). A cette époque, le Sénégal
comptait 48 Communes et 320 Communautés Rurales.

En 1994, une nouvelle collectivité locale est créée, la Région. Mais ce sera en 1996 que la
politique de décentralisation sera consacrée au Sénégal à travers l’adoption de textes
fondamentaux de la décentralisation et de la régionalisation par l’Assemblée Nationale (six lois et
vingt deux décrets), textes qui érigent les communes, communautés rurales et régions en
collectivités locales dotées de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. L’objectif de
ce cadre juridique et institutionnel qu’est la décentralisation/ régionalisation concerne la
recherche de mécanismes plus souples et plus performants d’adaptation des structures
administratives aux exigences de démocratie locale et de promotion d’une gestion de proximité.
Ainsi, ce seront neuf compétences qui seront transférées aux collectivités locales (cf. Tableau
1.8). En outre, l’État n’exerce qu’un contrôle de légalité a posteriori et les collectivités locales
disposent de la liberté et de l’autonomie pour s’administrer et promouvoir le développement de
leur territoire, en relation avec la société civile et les populations. Des outils techniques et
financiers vont être mis en place par l’État pour permettre aux collectivités locales de mieux faire
face à leurs nouvelles responsabilités. Actuellement, le Sénégal comporte 441 collectivités
locales: 11 régions, 110 communes et 320 communautés rurales14.

14
L’arrivée d’un nouveau régime politique à la faveur de «l’alternance» en 2000 a créé un certain vide au
sein des collectivités locales. Durant prés de six mois, celles-ci ont été supprimées et remplacées par des
délégations spéciales dirigées par des fonctionnaires de l’État. Mais les élections de 2002 ont depuis rétabli
la situation.
47

Tableau 1.8: Les compétences transférées aux collectivités locales depuis 1996

1. Gestion et utilisation du Domaine privé de l’État, du Domaine public et du Domaine national;


2. L’Environnement et la Gestion des Ressources Naturelles;
3. La Santé, la Population et l’Action sociale;
4. La Jeunesse, les Sports et les Loisirs;
5. La Culture
6. L’Éducation, l’Alphabétisation, la Promotion des Langues nationales et la Formation
professionnelle;
7. La Planification;
8. L’Aménagement du Territoire;
9. L’Urbanisme et l’Habitat

Le processus de décentralisation renseigne sur l’évolution du local sénégalais. En effet, du


local subordonné au national, réduit à un réceptacle des décisions et des projets venus d’en haut
ou de l’extérieur ou même considéré comme une contrainte à la construction d’une nouvelle
nation durant les premières années d’indépendance, on semble passer à un local de contestation
avec la crise des années 1970-1980. Malgré l’adoption des lois de la décentralisation à partir de
1972, le local va évoluer vers une tendance cloisonnée, revendicative et réactive en lien au
mouvement de contestation sociale à la fin des années 1970. C’est à la faveur des dernières lois
de 1996 qu’on voit un nouveau local émerger cherchant non plus à présenter une alternative au
national, mais revendiquant une échelle stratégique pertinente et irréductible de planification du
développement, de production de richesses et de construction d’une dynamique de gouvernance
locale. C’est dire qu’à la faveur du processus de décentralisation, le local sénégalais actuel semble
se positionner moins comme un simple espace administratif que comme un territoire, c’est-à-dire
un système d’acteurs inscrivant leurs actions dans une perspective de revitalisation territoriale à
travers une dynamique de gouvernance locale (Ndiaye, 2004).

Malgré ce repositionnement du local, les collectivités locales semblent avoir beaucoup de


mal à s’approprier les compétences issues de la décentralisation, du fait de déficits techniques et
financiers au moment où se posent des contraintes multiples : faible maîtrise de la fiscalité locale,
difficultés de la majorité des élus locaux à s’approprier les modalités et les outils de la
décentralisation, les problèmes d’arrimage entre les divers ordres de collectivités locales ayant
dés fois des intérêts divergents (Conseil Rural, Commune et Région) ainsi que leur articulation
avec les services déconcentrés de l’État. Par ailleurs, le biais administratif de la décentralisation
du reste beaucoup inspirée du modèle français, limite cette dynamique à l’État et aux collectivités
locales, excluant de fait les autres sources de légitimités socio-historiques ou communautaires
ainsi que l’échelon quartier et village dans l’architecture institutionnelle. En outre, la question de
48

l’articulation entre démocratie participative et démocratie représentative constitue d’être une


préoccupation vive entourant la décentralisation. Ce sont tous ces défis qui poussent certains
chercheurs et élus locaux à assimiler la décentralisation à un transfert des coûts et des charges que
l’État ne pouvait plus supporter du fait de la crise des finances publiques qu’un véritable transfert
de responsabilités en vue de promouvoir le développement local (PDM, 1997; Diouf, 1997;
RADI, 1997; Niang et all, 2001).

De tels défis ne remettent pas en cause le caractère irréversible de la décentralisation, mais


interrogent comme enjeu, en dehors de la volonté réelle de l’État, la capacité/ volonté des
collectivités locales, dotées désormais d’une personnalité juridique et de l’autonomie financière, à
trouver un arrimage avec les initiatives locales innovatrices en vue de construire des alternatives
territorialisées concernant les modalités de développement (développement local) et de gestion
publique (gouvernance locale). C’est dans ce cadre que l’expérience de la ville de Saint-Louis
apparaît significative pour rendre compte des processus de développement local de plus en plus
promus dans les villes africaines. La portée de l’expérience de Saint-Louis, c’est non seulement
d’être parmi les collectivités locales pionnières en matière d’initiation d’un processus de
développement local en Afrique de l’Ouest (son expérience a démarré depuis 1994 avant même
que la loi sur la décentralisation ne soit effective) mais également, d’avoir innové en mettant en
place des dispositifs de gouvernance territoriale tout en faisant de la consultation publique locale,
une variable structurante de gestion urbaine. C’est ce qui lui a valu la distinction du Sommet des
villes africaines qui lui a octroyé le prix de la ville ayant l’expérience de développement local la
plus prometteuse en Afrique de l’Ouest (Sommet Africités, Windhoek, 2000).
49

1.3.1.2 : L’expérience de développement local de la ville de Saint- Louis

Située au Nord du Sénégal, avec ses 160.000 habitants et ses 22 quartiers, Saint-Louis est
composée de quatre zones géographiques ayant chacune des caractéristiques particulières: la
Langue de Barbarie, coincée entre le fleuve Sénégal et l’Océan Atlantique est un lieu d’intenses
d’activités économiques liées à la pêche et à ses activités connexes; l’île, site des fonctions
historiques de la ville et concentrant ses principales infrastructures administratives; le faubourg
de Sor qui représente actuellement le poumon économique de la ville car abritant le plus grand
marché de la ville et traduisant la nouvelle ville devenue africaine et enfin, le péricentre
communal constitué de quartiers périurbains15 (cf. carte Saint-Louis).

15
Au niveau de la composition démographique, Sor regroupe 56,4% de la population, la LDB, 23,5%, l’île,
17% et le péricentre, 3,1% (ADC, 1999).
50

Fondée en 1659 par les français à la recherche d'un entrepôt fortifié, Saint-Louis (du nom
de Louis XIV), ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française, de la Mauritanie et du
Sénégal, récemment inscrite au patrimoine mondial de l’Humanité en 2000, exprime la
transformation d’une ville coloniale (excroissance française en terre d’Afrique) qui, après avoir
perdu ses fonctions historiques liées à la colonisation, est redevenue une ville africaine
(Bonnardel, 1992). Son identité socio-territoriale très marquée, du fait de ses traditions et de son
rôle historique a durant longtemps endormi ses populations et ses autorités qui semblaient
négliger son état de dégradation avancée ainsi que ses problèmes de développement :
«Ancienne capitale d’empire et grand carrefour marchand, elle donne l’image d’une ville de
province ‘endormie’, vivant du souvenir d’un passé où elle était le symbole de la conquête
aéropostale et produisait ou accueillait toute l’intelligentsia de l’Afrique d’obédience française»
(PDM, 1997 : 3).

En effet, la ville semble avoir beaucoup souffert de la perte de ses attributs historiques à
partir de 1958 (Diop, 1990) 16. Avec de faibles infrastructures industrielles, un secteur de la pêche
limité par des contraintes structurelles, un tourisme en pleine expansion mais ayant des retombées
locales peu visibles, un hinterland riche mais peu exploité, Saint-Louis, écartelée entre
l'inadéquation de son rythme d'évolution et les effets de son urbanisation, survit grâce au secteur
informel qui occupe plus de 75% de la population mais, tout en faisant régner «l'ordre de la
pauvreté, de la marginalité et de la débrouillardise » (Bonnardel, 1992: 13 ). En outre, Saint-Louis
dispose d’un taux de chômage de 15,9% en 2002 (DPS, 1998 et 2004) et voit occuper 20% du
territoire communal par le fleuve et la mer, posant ainsi des contraintes d’espace engendrant un
mode d'occupation spontanée et anarchique tout en favorisant des inondations cycliques lors de
chaque hivernage. C’est cette multiplicité de contraintes expressives de la crise urbaine qui a
poussé certains chercheurs à décrire les villes sénégalaises à l’image de Saint-Louis comme
prisonnières d’un faisceau de crises entrecroisées : crise économique, crise de l’environnement
urbain, crise du politique, de la gestion urbaine et de la citoyenneté et enfin, crise sociale et des
valeurs (Guibbert, 1996). Toutefois, malgré la crise et les contraintes d’espace, la population de la
ville n’a cessé d’augmenter avec un taux d’accroissement annuel de 2,4% (DPS, 2004), du fait
entre autres de l’exode rurale et de la migration inter urbaine, traduisant la position stratégique de
Saint-Louis par rapport au circuit migratoire.

Tableau 1.9: Évolution de la population de Saint-Louis (1780-2000)

16
Sa fonction coloniale s’est épuisée avec la fin de la colonisation française, qui a en même temps marqué
l’accession du Sénégal à l’indépendance et le transfert de la capitale à Dakar.
51

Années Nombre d’habitants


1780 7 000
Début 19ème siècle 20 000
1968 60 000
1976 88 000
1988 115 000
2000 160 000
Source : ADC, 1999 : Analyse du Profil Urbain de Saint-Louis.

Mais au-delà des contraintes, la crise manifestée au sein de la ville de Saint-Louis durant
les années 1980 n’échappe pas à la carence constatée dans la gestion municipale au Sénégal
amenant d’ailleurs certains chercheurs à décrire les municipalités sénégalaises plus comme des
instruments de prédation ou des relais politiques du parti au pouvoir que comme des cadres
appropriés de promotion du développement (Diouf et Diop, 1993; Guibbert, 1996; PDM, 1997).
En effet, la gestion de la municipalité de Saint-Louis était caractérisée jusqu’au début des années
1990 par un personnel pléthorique et peu qualifié grévant lourdement le budget notamment la part
consacrée à l’investissement17, un nombre de cadres supérieurs insuffisant, une administration
s’attachant plus à des travaux d’exécution et de gestion quotidienne, une faible maîtrise de la
fiscalité locale faisant perdre des sources de financement et enfin, de grandes difficultés pour
accéder aux ressources financières de l’État liées à la décentralisation (Ndiaye, 1998; Niang et all,
2001). Une telle situation explique en partie la faible capacité de la Commune de Saint-Louis à
satisfaire la demande sociale et à se transformer en un pôle de développement. Mais cela signifie
également que moins que la perte des fonctions historiques, ce sont les facteurs liés à une
économie indigente, aux contraintes spatiales et à la carence du mode de gestion urbaine qui
expliquaient la situation de la ville jusqu’au début des années 1990 (Wade, 1995).

Devant cette situation, à l’instar de la plupart des villes du pays, le mouvement de


contestation sociale s’est accentué à travers notamment l’une de ses formes les plus dynamiques,
à savoir le «set-setal » expressif du malaise urbain, notamment au niveau des jeunes, du milieu
associatif et des populations des quartiers populaires ou défavorisés. Activité volontaire d’utilité
publique, le «set-setal» (être propre et rendre propre) se positionnait comme une initiative
populaire de compensation à l’effritement des services publics en cherchant à s’attaquer
notamment au problème de l’insalubrité : nettoyage des quartiers, des places publiques, des
dépôts sauvages, drainage des eaux liées à l’inondation… Le «set-setal» positionnait les
initiatives populaires comme composante du mouvement de contestation du mode de régulation

17
Les dépenses de fonctionnement relatives au paiement du personnel grevaient prés de 80% du budget
communal jusqu’en 1996.
52

post colonial sanctionnant à la fois l’échec des politiques de développement et du mode de


gestion urbaine, la classe politique et plus généralement la génération des «soixante huitards» qui
présidaient aux destinées du pays :

«Le Set Setal en tant qu’opération d’assainissement physique, de réarmement moral et de critiques
des mœurs sociales se préoccupe d’abord de la réintroduction d’une certaine éthique dans le monde
des adultes.» (O’Brien, et all, 2000 : 14).

Toutefois, malgré leur ampleur, ces initiatives populaires n’ont pu structurer des
propositions durables démontrant ainsi qu’elles ne pouvaient ni ne devraient se substituer aux
institutions publiques:
«Leurs initiatives et réalisations doivent plutôt être considérées comme des pistes, de stratégies
alternatives qui doivent être évaluées, et le cas échéant, validées pour être relayées sur le terrain par
l’action des services de l’État et des municipalités» (Soumaré, 1999: 132).

Par ailleurs, il faut noter que les dynamiques populaires ne se limitaient pas seulement au
«set-setal», on notait un boom associatif presque partout dans le milieu urbain sénégalais visant à
lutter contre le chômage et la détérioration des conditions de vie (Niang, 1990). A Saint-Louis,
une étude estime que sur les 669 organisations communautaires de base actives dans la ville, prés
de 70% d’entre elles ont été créées au début des années 1990. Leurs domaines d’intervention
couvrent essentiellement les activités socio-éducatives (31%), celles génératrices de revenu (31
%) et dans une moindre mesure celles d’utilité publique (21%) (ADC, 2000). A ce titre, ce furent
le dynamisme, l’ancrage populaire ainsi que la diversité des types d’actions des organisations
communautaires qui vont amener la Commune à prendre conscience de l’intérêt à les
responsabiliser dans la production de services publics locaux.

Depuis le milieu des années 1990, la situation de Saint-Louis s’est beaucoup améliorée
lorsque la Commune s’est engagée dans un processus de développement local fortement soutenu
par la ville de Lille (France) cherchant à inscrire le jumelage qui unissait les deux villes dans une
perspective de coopération décentralisée (Niang, 1997). Le jumelage des deux villes entamé
depuis 1978, se limitait aux relations épistolaires, aux missions des élus et à l’envoi de dons. Il
accédera à un palier supérieur lorsque fut créé en 1981 à Lille, un dispositif de prise en charge
associative des relations entre les deux villes à savoir l’association Partenariat Lille/ Saint-Louis18
qui inscrit son action dans le cadre de la coopération décentralisée. Celle-ci relève d’une forme de

18
Actuellement dénommée «Partenariat avec Saint-Louis et sa Région», cette association met n œuvre
comme programmes: Mère-enfants, Animation scolaire, Gestion des ordures ménagères, Appui à la Gestion
Municipale, Appui à la décentralisation, Santé communautaire.
53

coopération internationale à portée territoriale mettant en relation des collectivités locales et les
acteurs sociaux du Nord et du Sud. Elle se caractérise par une démarche de proximité, un ancrage
socio-territorial, une logique d’appui visant d’abord à renforcer les capacités locales, une
dimension interculturelle, une approche programme (versus approche projet) misant sur la
durabilité et enfin, une approche intégrée articulant différentes échelles de planification (quartier
et ville) ainsi que différents secteurs d’activités (GRET et SIC, 1999; Ndiaye, 2005).

Le processus de développement local au sein de la ville de Saint-Louis a réellement


démarré à partir de 1992 lorsque la Commune et les partenaires mobilisés par la Ville de Lille ont
convenu de réaliser une étude diagnostic dénommée Étude Envar19 visant à établir le diagnostic
des forces et faiblesses de la ville et définir les actions prioritaires de développement.

Tableau 1.10: Principales étapes du processus de développement local de Saint-Louis : 1978-2001

Dates repères Activités


1978 Acte officiel de jumelage entre Saint-Louis et Lille
1981 Création association Partenariat Lille/ Saint-Louis pour porter le jumelage
1989 Évolution du jumelage humanitaire vers la mise en œuvre de programmes : voirie et
animation scolaire
1992 Étude Envar évalue le jumelage et propose des réajustements et des actions de
développement : de l’humanitaire à la coopération décentralisée
1993 Étude Cités Unies Développement propose la mise en place d’une CCIADL devant se
transformer plus tard en une agence de développement communal
1994 Mise en place d’une CCIADL
1995 Officialisation CCIADL; démarrage mise en place des conseils de quartier et des GIE de
collecte, d’évacuation et de traitement des ordures ménagères
1996 Étude Économie Locale : Ecoloc
1997 Démarrage des travaux d’élaboration du Programme de Développement Communal
(1998-2008)
1998 Tenue des Assises de Saint-Louis: consultation publique locale, conférence des bailleurs
1999 Adoption des textes réglementaires portant sur l’ADC
2000 Mise en place de l’ADC ; trophée d’Africités; Saint-Louis érigée en patrimoine de
l’humanité par l’UNESCO
2001 Mise en place d’un fonds de développement local

Source : Niang et all, 2001.

Des conclusions de l’étude Envar vont ressortir deux conclusions majeures : substituer à la
logique projets une logique de programmes structurés autour de l’amélioration des conditions de
vie; ensuite inscrire la coopération décentralisée dans une visée de renforcement institutionnel des

19
Cette dénomination est liée au fait que c’est le département Environnement et Aménagement Régional
(ENVAR) de l’université de Lille I qui a réalisé l’étude.
54

capacités de la Commune en vue de rationaliser son mode de fonctionnement et de pouvoir mieux


faire face à la demande sociale.

Avec l’appui de l’Agence Cités Unies Développement, ces propositions vont aboutir à la
mise en place en 1994 d’une Cellule de Coordination (des projets et des initiatives),
d’Information (des populations et des partenaires) et d’Animation (sous forme d’interface et de
cadre de concertation) du développement local dénommée CCIADL. Cette structure se voit fixer
comme mission de servir de dispositif d’appui technique à la Commune et de promouvoir le
développement local. Son officialisation en 1995 par le Conseil Municipal marque l’appropriation
institutionnelle de la dynamique de développement local. Du fait de la nouveauté du dispositif
dans le paysage urbain sénégalais, l’institutionnalisation de la CCIADL a fait l’objet d’une
démarche progressive et de plusieurs consultations dont l’organisation d’un séminaire national
d’information et d’échanges. En 1996, la Commune va signer avec ses partenaires de la
coopération décentralisée une convention pour assurer la co-gestion de la phase transitoire
transformant la CCIADL à une agence de développement communal (ADC), consacrant ainsi le
double ancrage de cette expérience de développement local.

Au niveau opérationnel, l’ADC s’est structurée en programmes de développement


traduisant les enjeux majeurs du développement de la ville en intégrant deux échelles d’action, à
savoir le quartier et la ville. A l’échelle ville, se fait la mise en œuvre de programmes comme la
Planification urbaine, AVICOM, PRODEL, Sauvegarde du Patrimoine ainsi que le projet
CETOM20. Plusieurs activités structurantes ont été réalisées à partir de cette échelle : réalisation
d’une étude de promotion de l’économie locale avec le Club du Sahel et le PDM (Ecoloc, 1997),
élaboration d’un Programme de Développement Communal (1998-2008) et d’un Plan Global de
nettoiement de la Ville (1998), tenue des Assises de la ville en 1998. A l’échelle quartier, en
dehors des GIE CETOM21 articulés au projet du même nom situé à l’échelle ville, le PRADEQ
(programme de renforcement et d’appui au développement des quartiers) démarré en 1995,
intervient pour appuyer le tissu communautaire des quartiers à se structurer en conseils de
quartiers (CQ), à élaborer un plan de développement de quartier (PDQ) et à monter des projets de
développement à partir des priorités ressorties dans le PDQ. A partir de 2001, un Fonds de

20
Collecte, Évacuation et Traitement des Ordures Ménagères; Programme d’Amélioration et de
Valorisation des Infrastructures Commerciales; Promotion de l’Économie Locale;
21
Ces GIE de Collecte, d’Évacuation et de Traitement des Ordures Ménagères (CETOM) regroupent des
jeunes des quartiers où ne peut intervenir la régie municipale pour assurer journellement, la collecte et
l’évacuation des ordures ménagères à travers une contractualisation avec la Commune (cf études de cas).
55

Développement Local (FDL) a été mis en place pour répondre aux nombreux projets issus de la
dynamique des CQ. La particularité d’un tel dispositif financier, c’est qu’il est co-alimenté par la
Commune et la coopération décentralisée et co-géré avec les représentants des conseils de
quartier à travers des instances représentatives de décision, de gestion et de suivi des projets.
Ainsi, le FDL constitue une enveloppe de subventions non affectées a priori et destinées à
cofinancer des projets sociaux à finalité communautaire sans but lucratif présentés par les
associations de quartiers structurées en CQ.

C’est cette dynamique (qui s’est accélérée entre 1996 et 2000) qui a fait de la ville de Saint-
Louis un laboratoire d’expérimentations et d’innovations en matière de développement local à la
fois pour le Sénégal et pour l’Afrique de l’Ouest. Ce qui a été attesté par le prix de la meilleure
pratique de développement local en Afrique de l’ouest décerné par le sommet d’Africités 2000 à
Windhoek ainsi que la signature d’un Contrat de Ville d'un montant de 1,5 milliards de Fcfa22
entre la Commune et le Projet d’Appui aux Communes sur financement de la Banque Mondiale
(ADC/ CSL, 1999). D’ailleurs, de nouveaux partenaires viennent renforcer la Commune dans son
système de co-production des services publics locaux en relation avec les GIE CETOM
(coopération belge et des ONG).

Des caractéristiques de l’expérience de développement local entamée dans la ville de


Saint-Louis, sept dimensions majeures peuvent être systématisées (cf. tableau 1.11).

Par ailleurs, il faut noter que la ville de Saint- Louis ne constitue plus une exception au
Sénégal et en Afrique de l’Ouest où se développent de plus en plus des initiatives de
développement local basées sur un arrimage entre organisations communautaires, collectivités
locales et coopération décentralisée23. Des programmes comme celui du Partenariat pour le
Développement Municipal (PDM) ou du Développement Social Urbain et Coopération Nord-Sud
se définissent comme un lieu de capitalisation de telles expériences (GRET et SIC, 1999).

Tableau 1.11: Caractéristiques majeures de l’expérience de développement local de la ville de Saint-Louis


(Sénégal)

22
1 dollar canadien = 400Fcfa
23
C’est le cas des expériences de coopération décentralisée entre : Région Picardie (France) et le Zou-
Nord (Bénin), ville de Atakpamé (Togo) et de Niort (France), Guédiawaye (Sénégal) et Grande-Synthe
(France) Bobo Dioulasso (Burkina Faso) et Châlons en Champagne (France), La Valette du Var-La Garde
(France) et Pikine (Sénégal).
56

1. Un ancrage institutionnel de la dynamique appréciable à travers la volonté politique de la Municipalité


de Saint-Louis de rationaliser son mode d’organisation et de fonctionnement et de transférer une partie de
ses compétences à des organisations locales : contractualisation avec les GIE CETOM et officialisation des
Conseils de Quartier par arrêté du Maire24;

2. Un engagement durable de la coopération décentralisée entre Lille et Saint-Louis qui, non seulement a
mis en œuvre plusieurs programmes de développement, mais a innové en s’engageant dans le renforcement
institutionnel de la Commune au lieu de se limiter à une logique de projets;

3. Un mécanisme de gouvernance territoriale, à savoir l’ADC assurant un rôle d’appui technique à la


Commune et de promotion du développement local en articulant les échelles ville et quartier ainsi que les
secteurs d’activités. Composée de techniciens, elle constitue l’acteur stratégique du processus de
développement local à travers ses activités d’animation, de suivi, de coordination des actions et des
initiatives et enfin, d’interface entre les acteurs;

4. Une culture de consultation publique à travers divers exercices de planification participative aboutissant
à l’élaboration partagée de projets de société à l’échelle de la ville, des quartiers et des principaux secteurs
d’activités: Programme de Développement Communal, Plan de Développement de Quartier; Plan Global de
Nettoiement, Plan de sauvegarde et de mise en valeur du Patrimoine, Plan Directeur d’Urbanisme,
Programme d’Amélioration Durable de l’Environnement…

5. Une présence active des organisations communautaires s’investissant dans des domaines divers visant
l’amélioration des conditions et du cadre de vie tout en prenant part à la vie publique locale;

6. Des dispositifs autogérés de structuration des initiatives de base orientées dans la co-production de
services publics locaux (GIE CETOM) et dans la promotion du développement communautaire de quartier
(Conseils de Quartier);

7. Un dispositif co-géré de financement des initiatives de base, à travers le Fonds de Développement Local.

Au-delà de ses résultats, l’intérêt à analyser l’expérience Saint-Louis se trouve dans le fait
que l’équipe municipale qui avait initié ce processus de développement local n’a pas survécu à
l’alternance politique intervenue au Sénégal en mars 2000 posant ainsi de réelles interrogations
sur la durabilité et la reproductibilité de tels processus. L’enjeu est de se demander jusqu’où les
changements intervenus au sein des équipes dirigeantes des collectivités locales peuvent-ils
affecter, en termes d’ajustement, de recul et/ ou d’avancée, les processus de développement local.

Par ailleurs, même si ce processus a permis de remobiliser la communauté locale et de


nouveaux partenaires, il reste que des défis importants demeurent en termes de prise en compte de
l’économie locale, de création de richesses, de satisfaction des besoins locaux et d’implication du
secteur privé local. C’est ainsi qu’un des défis de taille concerne l’accent du processus de
développement local plus socio politique (dialogue social) et technique (structuration des acteurs
locaux, planification) qu’économique. En effet, tout se passe comme si la restauration du dialogue

24
Contrairement au CQ des villes de Rufisque, Thiès, Tambacounda, Kaolack qui ne disposent que de la
reconnaissance des associations et non pas d’une reconnaissance de la Municipalité.
57

social entre l’institution municipale et les populations était plus déterminante que la satisfaction
de la demande sociale en vue d’assurer une prise en charge concrète des problèmes de
développement ou encore la relance de l’économie locale. Une telle interrogation se fonde sur le
fait que les principales étapes de l’expérience de Saint-Louis se soient réalisées sans implication
des opérateurs économiques locaux, des organisations socio-professionnelles et de
l’entrepreneuriat communautaire exprimant le fait qu’aussi bien la Commune que l’ADC ne
conçoivent le dialogue social qu’avec les associations d’éducation populaire ou celles de
développement local et communautaire. C’est cela qui explique qu’au sein de l’entrepreneuriat
communautaire local, seuls les GIE CETOM ont été impliqués durant le processus de
développement local. L’analyse des diverses études de cas fournira plus d’informations là-dessus
(cf. partie II).

1.3.2 : La société civile

Notion polysémique, la société civile souffre d’ambiguïtés et de généralités qui la réduisent


souvent à une nébuleuse. Évoquant les corps intermédiaires régulateurs des relations entre les
individus et l’État, elle est souvent analysée comme un espace permettant aux acteurs sociaux
(individus et groupes) situés en dehors des sphères privée, politique et étatique de structurer leurs
positions et de participer à la vie publique. Si les relations entre société civile et Etat évoluent
entre dynamique de collaboration et de contre pouvoir se reconfigurant en fonction des rapports
de force, elles témoignent également de l’autonomie organique de la société civile par rapport aux
institutions publiques:

«Elle apparaît concrètement comme le lieu où le social, l’économique et le politique, etc. sont
pensés et repensés, en dehors des cadres politiques habituels, par des groupes sociaux plus ou
moins autonomes de l’État et des partis politiques, et qui développent des pratiques de conformité
avec les opinions et les idéologies qu’ils construisent» (Niang, 2000 :38).

Au niveau des pays africains, l’émergence de la société civile traduit à la fois la


démocratisation de la vie publique, la paupérisation des populations liée à la crise économique,
l’extension de l’économie de marché, les mutations de l’État nation liées à la mondialisation ainsi
qu’un contexte international favorable à une limitation du rôle de l’État et à l’empowerment des
acteurs sociaux25. Au Sénégal, si les éléments précurseurs de la société civile peuvent être trouvés

25
De grandes conférences internationales furent organisées entre 1992 et 1996 par le système des Nations
Unies portant sur des problématiques diverses (environnement, gouvernance, droits de l’homme, respect
58

dans l’action des guides religieux, des syndicats et des groupes intellectuels autour de
préoccupations nationalistes durant la période coloniale, (Mbow, 2000), les tendances actuelles
font référence à une diversification de sa base sociale sous tendue par une forte volonté
d’autonomisation voire de défiance par rapport à l’État qui a échoué dans sa mission de
développement ainsi que dans ses modalités de gestion publique. La diversification de la société
civile est liée à l’affirmation socio-politique du mouvement associatif durant les années 1970 tant
en milieu urbain que rural (organisations de paysans, de jeunes et de femmes), à l’émergence de
mouvements féminins (COSEF, RASEF, AFARD, Réseau Siguil Jiggéne…) ainsi qu’à la place
de plus en plus grande prise par les ONG et les organisations de défense des droits de l’Homme
tant sur le champ du développement à la base que sur la démocratisation de la vie publique. Par
exemple, on note des organisations comme la RADDHO et le Forum Civil qui ont joué des rôles
déterminants lors des élections, notamment celle de 2000 ayant abouti à la première alternance
politique au Sénégal. Non seulement, ces organisations ont contribué à la mobilisation des
électeurs pour l’inscription sur les listes électorales et la participation au vote, mais en même
temps, elles ont organisé des débats publics avec les principaux candidats et ont constitué des
missions d’observateurs indépendants pour contrôler le processus pré électoral, électoral et post
électoral (PNUD, 2002). De telles tendances ont fortement politisé la société civile sénégalaise au
détriment de l’investissement des problématiques de développement. Toutefois, de plus en plus
d’organisations de la société civile s’impliquent dans les actions de développement (ONG de
développement) ainsi que dans les processus de gouvernance multi acteurs comme ce fut le cas
lors du processus d’élaboration du document stratégique de lutte contre la pauvreté:

« …le recours à la société civile dans cette première phase très politique ne se préoccupe pas de
lutte contre la pauvreté ni de participation de la société civile à cette lutte; il s’intéresse plutôt au
desserrement de l’étau autoritaire, à l’efficacité de la politique gouvernementale et à la gestion de
l’économie.» (Fall et Diouf, 2000 : 86).

Le rapport de la société civile à la politique explique la suspicion et le scepticisme


entourant ses acteurs dans beaucoup de pays africains à l’instar du Sénégal, exprimant des
interrogations concernant sa représentativité, sa neutralité politique du fait de « l’entrisme »
récurrent de ses leaders dans les gouvernements, son degré de maîtrise de l’information pertinente
ou encore sa dépendance financière, idéologique et thématique vis-à-vis de ses partenaires du
Nord. En outre, son biais élitiste explique sa difficulté à assurer une mobilisation populaire ainsi

des minorités, égalité des sexes, le travail, le droit des enfants). Ces conférences ont promu la société civile
africaine positionnée de plus en plus comme interlocutrice des partenaires au développement avec la
défaillance des pouvoirs publics.
59

que le contrôle social de ses leaders (Poncelet et Pirotte, 1999). Mais les critiques portent de plus
en plus sur la prédominance de l’orientation néolibérale de la société civile africaine voire
sénégalaise que les acteurs eux-mêmes semblent avoir de la peine à interroger. Selon Haubert et
Rey, la conception néo-libérale établit que :

«Par «organisations de la société civile», on entend des organisations ou associations qui ont des
orientations «sociales», c’est-à-dire dont la raison d’être est la défense ou la promotion des intérêts
collectifs de leurs membres ou de l’ensemble de la «société» et non la maximisation d’avantages
économiques sur le marché (et cela même si les intérêts collectifs peuvent être aussi des intérêts
économiques)» (Haubert et Rey, 2000 : 20).

Pour ces chercheurs, cette conception manichéenne et a-historique demeure dangereuse


parce qu’occultant les relations entre ces trois acteurs tout en présentant la société civile comme
un lieu de consensus, évacuant ainsi son hétérogénéité et les contradictions qui la traversent. En
outre, cette conception ne rend pas compte du fait que dans l’Afrique traditionnelle, la
différenciation entre communauté et société n’était pas faite et que la confrontation entre acteurs
sociaux et pouvoir politique constituait une exception. Dans l’Afrique actuelle, cette conception
dualiste ne rend pas compte du fait que la plupart des groupes sociaux recherchent plus la
négociation ou une reconnaissance institutionnelle de leurs actions qu’une confrontation avec les
pouvoirs publics. Enfin, elle néglige les stratégies d’incorporation des leaders d’opinion par le
milieu politique. C’est donc dire que la conception néo-libérale de la société civile participe de la
délégitimation de l’État, des partis politiques et même des mouvements sociaux radicaux pour
légitimer la participation populaire alors que ses capacités d’influence restent marginales, la
réduisant ainsi à un rôle palliatif. Dans un tel contexte, le marché reste le seul acteur disposant de
la capacité suffisante pour corriger les déséquilibres et distorsions liés aux carences des autres
acteurs, justifiant ainsi de manière détournée la nécessité d’avoir un marché pur et parfait comme
le préconisent les partisans de l’économie néoclassique. C’est dire que les protagonistes de la
société civile en Afrique et même les chercheurs pêchent pour n’avoir pas suffisamment
questionné la conception néolibérale qui sous tend son repositionnement, conception fortement
soumise à la vision des bailleurs de fonds soucieux de ravaler l’État africain dans un rôle
marginal et de ravaler les initiatives populaires dans la sous traitance, parant ainsi le libre jeu du
marché de toutes les vertus.

Une telle vision peut être appréciée par le fait que les organisations de la société civile
africaines pour l’essentiel, se sont érigées en contre pouvoir de l’État mais par contre, leur
positionnement par rapport aux PAS et aux bailleurs de fonds, par rapport aux forces à l’œuvre au
60

sein des marchés africains, par rapport aux modalités d’insertion des territoires post coloniaux au
système économique mondial à prédominance néolibérale, ou encore par rapport à la privatisation
du social reste encore timide, si ce n’est les critiques envers l’État accusé d’accepter toutes
conditionnalités imposées par les bailleurs de fonds. En outre, la société civile reste encore
inactive dans les enjeux relatifs à la prédominance des bailleurs de fonds sur l’orientation des
politiques économiques et de développement ainsi que sur la configuration des acteurs. Il s’agit
donc de l’avis de Haubert et de Rey d’un détournement, voire d’une manipulation de la société
civile africaine par le capitalisme international, la rendant incapable de se rendre compte de son
instrumentalisation. Cette manipulation aboutit au cantonnement de la société civile autour de
trois domaines : l’intervention à l’échelle locale et au niveau communautaire en vue de relayer les
interventions du privé et de l’État, l’investissement de domaines sans but lucratif supportant ainsi
les coûts sociaux et les externalités négatives sans tirer profit du système économique et enfin, un
espace de détournement du mouvement de contestation sociale du fait de son intervention
circonscrite à l’intérieur du système sans interroger les contraintes structurelles. Dans un tel
contexte, l’enjeu de la société civile africaine réside moins dans le fait de se situer à l’intérieur
des modalités prédéfinies par les bailleurs de fonds du fait de la prédominance du marché, que de
refuser de s’y laisser enfermer en élargissant sa vision et en gardant sa distance critique :

«Autrement dit, si les activités que l’on attribue à la «société civile» sont sans doute légitimes,
nécessaires et même indispensables, le problème essentiel pour les acteurs concernés est de ne pas
s’y laisser enfermer et d’établir, notamment par leur action dans d’autres domaines, un rapport de
forces qui fasse qu’elles se réalisent à leur bénéfice et non à leur détriment. Et ils ont beaucoup
plus à perdre qu’à gagner à se laisser enrôler sous la bannière d’une prétendue «société civile»»
(Haubert et Rey, 2000 : 77)

Si l’analyse de ces chercheurs demeure confirmée par la timidité avec laquelle les
organisations leaders de la société civile évoquent les questions de configuration du marché ou de
prédominance des bailleurs de fonds sur les décisions des États africains sous ajustement, il reste
que leur position comporte un caractère excessif sur certaines côtés. C’est le cas notamment
lorsqu’ils établissent le lien entre faiblesse de la société civile africaine et faiblesse du
développement. Pour eux, il n’y a de société civile que dans les pays développés où on note une
division du travail, des besoins sociaux différenciés et individualisés, des conflits d’intérêts entre
classes sociales, un État capable d’impulser la croissance économique…A ce titre, ils risquent de
tomber sous le coup du transfert à l’Afrique de processus appartenant à d’autres sociétés,
reproduisant de fait les erreurs qu’ils critiquaient. En tout état de cause, même si elle demeure une
«nébuleuse» regroupant des acteurs hétéroclites, la société civile sénégalaise reste un acteur
incontournable de la vie publique intervenant de plus en plus dans la médiation entre l’État, les
61

populations et les formations politiques tout en réalisant des actions de développement basées sur
une approche de proximité. Il lui reste cependant à situer son action par rapport à la configuration
du système de l’économie-monde.

1.3.3. Le secteur informel

C’est à partir de 1972 que le BIT va diffuser les termes « secteur non structuré ou secteur
informel » à travers le rapport de mission de Hart au Kenya pour faire ressortir le fait suivant : le
principal problème social des pays «sous développés » n'était pas le chômage mais l'existence
d'une importante population de «travailleurs pauvres» qui peinaient très durement pour produire
des biens et des services sans que leur activité ne soit pour autant reconnue, enregistrée ou
réglementée par les pouvoirs publics : «Les métiers de ce genre sont dans une large mesure
ignorés, rarement encouragés, souvent réglementés et parfois activement découragés par les
pouvoirs publics» (BIT,1975 : 8). Pour Hart, même s’il ne relève pas de l’analyse économique
traditionnelle, le secteur informel est le seul secteur économique en marche dans ces pays, parce
que fournissant une gamme de biens et services à moindre coût aux populations démunies tout en
constituant le plus grand pourvoyeur d’emplois en milieu urbain. Ainsi, l’informel informerait de
la formalisation excessive et des normes inadaptées provenant de la législation officielle d’une
part, et d’autre part, de l’incapacité des secteurs principaux de l’économie à fournir des emplois à
une population urbaine de plus en plus nombreuse. Les études du BIT vont permettre de mieux
connaître les caractéristiques essentielles du secteur informel, notamment sa vulnérabilité (ni
reconnaissance, ni protection sociale conduisant à une situation d’instabilité, de dépendance et de
précarité), son hétérogénéité à la fois au niveau des acteurs, des activités et des potentiels de
croissance, mais également son «illégalité structurelle» de fait du non respect de la législation26.
Dans les villes africaines, 50 à 80% de l’emploi urbain ainsi que 14 à 62% du PIB sont fournis
par le secteur informel (Maldonado, 2001: 427-428) expliquant sans doute son impact en tant que
régulateur de crise ainsi que sa tolérance par les pouvoirs publics malgré ses dérives (désordre du
marché, évasion fiscale) (Niang, 1997; PDM, 1997; Ndiaye, 2004).

Selon le Ministère des finances du Sénégal, le secteur informel emploie, si on y intègre les
activités rurales, 90% de la population active, aurait généré la moitié du PIB et aurait fourni 1/5

26
Les sept critères définis par l’équipe de Hart en 1972 sont: la facilité d’entrée, le recours aux ressources
locales, la propriété familiale des entreprises, l’échelle restreinte des opérations, le facteur main-d’œuvre,
les qualifications acquise en dehors du système scolaire, l’absence de réglementation des marchés.
62

des investissements réalisés au Sénégal alors qu’au même moment, le secteur privé moderne
n’emploie que 2% de la population active (MEF, 2004)27. Selon l’ONUDI et le PNUD (2001),
entre 1986 et 1990, la contribution du secteur informel à la valeur ajoutée est passée de 31,3% à
61,2% alors que le secondaire moderne n’a progressé que de 4 points et le tertiaire de 10 points.
Sa part à l’emploi est passée entre 1986 et 1991 de 71 à 80%, soit une hausse de 9 points alors
qu’au même moment, la part de l’emploi chez le privé et chez le public a diminué de 4 à 5 points.
C’est pourquoi, ces deux organismes décrivent l’informel comme :

«…un secteur d’expansion qui contribue à absorber le chômage par la mobilisation d’une main
d’œuvre peu qualifiée et peu chère. Centre de développement des compétences professionnelles
sur les technologies endogènes, de production de biens et services au profit de la communauté,
d’accumulation économique, le secteur informel est une mine de potentialités y compris pour la
conquête des marchés internationaux » (ONUDI et PNUD, 2001:5)

Divers facteurs expliquent la prédominance du secteur informel. Entre autres, la


paupérisation ambiante ainsi que la vulnérabilité de la majeure partie de la population sénégalaise
expressives de la persistance de la crise économique, le mode d’urbanisation (une urbanisation
sans développement), le chômage endémique des jeunes et des femmes traduisant l’atonie du
marché de l’emploi mais également, les politiques de libéralisation de l’économie liées aux PAS.
La plupart des acteurs du secteur informel évoluent dans le primaire et le tertiaire autour
notamment de l’agriculture, du commerce, du transport et des services, mais également dans le
secteur secondaire notamment dans l’artisanat, le bâtiment et les travaux publics. Il faut par
ailleurs noter qu’une importante activité commerciale se déroule entre les marchés du pays et les
marchés internationaux (Asie, Dubaï, New York, Italie, Espagne, Maroc, Inde…) développée
notamment par des sénégalais immigrants. Par ailleurs, la composition sociale des acteurs du
secteur informel s’est largement diversifiée ces dernières années. Si dans les années 1970-1980,
le secteur informel urbain apparaissait comme un réceptacle pour les migrants ruraux, les
analphabètes et les femmes se déployant autour d’activités de survie, actuellement, les constats
font état d’une population touchant toutes les couches de la population : les déflatés liés aux
programmes de compression de la fonction publique (PAS), les sortants du système universitaire
ou des écoles de formation disposant de diplômes, les nombreux chômeurs arrivés sur le marché
du travail du fait de l’atonie du secteur industriel et de la crise économique en général, les
immigrants à mi-chemin entre les marchés nationaux et internationaux et enfin, certains individus
déjà insérés (classe moyenne) qui s’y investissent à la recherche de revenus d’appoint, notamment

27
http://www.finances.gouv.sn/Rapport.htm: Stratégie de développement du secteur privé
63

des employés du secteur public ou moderne. C’est pourquoi, l’analphabétisme et la faiblesse des
capacités techniques constituent de moins en moins des critères pouvant distinguer les acteurs du
secteur informel qui se caractérisent par la pluralité de sa base sociale, la diversité de leur niveau
de formation ainsi que de leur potentiel économique.

Du point de vue du potentiel économique, De Miras (1987) distingue un secteur informel


évolutif mais circonscrit à quelques entreprises d’un secteur informel stationnaire voire involutif
regroupant la grande majorité des acteurs. On peut systématiser quatre niveaux de secteur
informel rendant compte du potentiel de croissance et de l’utilisation des ressources générées. Il
s’agit de l’informel de survie marquant les cas d’extrême précarité fonctionnant sur l’urgence,
celui de subsistance indique une utilisation exclusive des ressources générées dans les dépenses
familiales, celui de promotion fait référence à un palier plus important de capital et de patrimoine
matériel mais dont le produit de l’activité est affecté à des fins de promotion personnelle et de
prestige. Enfin, l’informel de croissance exprime un niveau plus élevé de productivité, de mode
de gestion, de matériel technique et de personnel qualifié mais où l’acteur économique cherche à
échapper à la législation (Panhuys, 1996; Niang, 1997; Ndiaye, 2003). C’est certainement toute
cette dynamique complexe que certains acteurs du secteur ont voulu capitaliser en se structurant
autour de grands réseaux pour accentuer la pression sur l’État (UNACOIS, UNACOIS/DEF,
AFAC, GES, OCAAIS, RASEF, ROES). Ces réseaux s’activent essentiellement autour de la
libéralisation de certains produits (riz, sucre), de l’allégement du fardeau fiscal ou d’un meilleur
contrôle des commerçants chinois inondant le marché de produits préfabriqués tout en «cassant»
les prix. En outre, certains d’entre eux ont mis en place un système de financement plus adapté
aux acteurs du secteur en s’investissant dans la micro finance (cas de l’UNACOIS/DÉF).

La problématique du secteur informel dépend dans une large mesure de l’angle de vue ou
du type de regard (Peemans, 1997). A cet effet, du point de vue des pouvoirs publics et des
institutions internationales (BIT), la perception de ce secteur prête souvent à ambivalence ou à
controverse du fait du dilemme dont il est porteur : malgré ses potentialités, le secteur informel
recèle de graves manquements liés au droit du travail, notamment avec l’absence d’un système de
protection sociale suffisante, la précarité de l’emploi, sans parler des risques qu’il constitue en
termes de concurrence déloyale, d’évasion fiscale et d’occupation anarchique de la voie publique
(BIT, 1991 et 1999). Toutefois, exposer comme tel le débat, c’est analyser le secteur informel du
point de vue de la loi internationale du travail formel ou de la législation des États, c’est donc
accepter le dualisme et la vision négative qui entourent ce terme, négligeant ainsi de situer son
« illégalité structurelle » comme conséquence des dispositions réglementaires discriminatoires ou
64

inadaptées. C’est pourquoi, certains chercheurs valorisent une appréhension globale du secteur
informel qui fait ressortir sa rationalité irréductible (Lubell, 1991; Latouche, 1991; Do Soto et all,
1994 ; Lautier, 1994). Aujourd’hui malgré son potentiel hétérogène de croissance, le secteur
informel est décrit plus comme un mécanisme de survie en contexte de précarité du fait de ses
acteurs dispersés et désorganisés, de sa faible dotation en capital ou de sa productivité limitée
(Favreau, 1999 ; MEF, 2004). Le débat concerne également la discontinuité du secteur informel
ou plutôt la difficulté de l’informel de croissance à opérer une transition vers le secteur moderne
(Favereau, 1995). Ce sont de tels débats qui ont consacré le concept d’économie populaire qui
elle, réfute le dualisme et la perspective de survie du secteur informel pour revendiquer une autre
économie (cf. contextualisation théorique).

1.3.4. Les petites et moyennes entreprises/ les moyennes et petites entreprises

Au Sénégal, entre les grandes entreprises parapubliques et privées et le secteur informel, le


chaînon manquant restent les micro et petites entreprises (MPE)28 et les petites et moyennes
entreprises (PME). Dans l’exposé des motifs introduisant la Charte des PME au Sénégal, celles-ci
sont présentées comme regroupant 80 à 90% du tissu des entreprises au Sénégal mais ne
fournissant qu’environ 30% des emplois, 25% du chiffre d'affaires et 20% de la valeur ajoutée
nationale (2003). C’est cela qui explique la volonté manifestée par les pouvoirs publics de
renforcer davantage cette composante spécifique du tissu économique considérée jusqu’à une
époque récente, comme une source de concurrence déloyale au secteur industriel (Giguére et all,
1990). Mais devant l’atonie de ce dernier et dans un contexte de paupérisation et d’ajustement, les
initiatives entrepreneuriales portées par des sujets populaires, mais différentes des activités de
survie (comme c’est le cas souvent dans le secteur informel), sont apparues comme un créneau
porteur d’au moins six opportunités: la création de valeur ajoutée, la rentabilité économique et/ou
financière, la création d’emplois durables et rémunérés, la valorisation des ressources naturelles
ou d’un savoir faire local, l’économie et/ou l’apport en devises, l’intégration avec d’autres
secteurs créateurs d’emplois et de valeurs ajoutées (Barro, 2004 : 16). Les MPE et PME restent
donc un acteur économique émergent au Sénégal à la faveur de la crise économique et de la
libéralisation de l’économie, mais également du fait qu’entre les grandes entreprises et le secteur

28
MPE appelées également TPE (Très Petites Entreprises)
65

informel se déployait une multitude d’acteurs économiques aux situations variées mais peu prises
en compte par les pouvoirs publics29.

La différence entre PME et MPE peut être située à divers niveaux. Selon le code des
Investissements, la PME doit supporter un investissement compris entre 5 millions et 200
millions de Fcfa, ce qui induit pour le MPE un investissement inférieur à 5 millions de Fcfa. Pour
l’ONUDI et le PNUD, contrairement au «pseudo-entrepreneuriat» que constitue le secteur
informel, la MPE peut être située :

«…à la jointure de la PME et des entreprises de survie; elle empiète tant dans le secteur moderne
que dans le secteur informel, se développe à la fois dans les activités artisanales et agricoles, voire
même semi-industrielles. Elle est porteuse d’une dynamique de développement et possède un fort
potentiel de valeur ajoutée, de création d’emplois, d’intégration socio-économique et spatiale»
(ONUDI et PNUD, 2001 :11)

Le PME lui, se caractérise selon la législation sénégalaise par le fait qu’il intègre à la fois
les petites, les moyennes et les grandes entreprises. Il se situe également sur un terrain formel,
excluant donc les PME dites non structurées. En tout état de cause, son niveau d’accumulation, la
permanence de son activité de production, le nombre d’employés, le niveau d’équipement, le
degré de qualification des ressources humaines permettraient de la distinguer de la MPE.

En lien avec notre objet de recherche portant sur l’entrepreneuriat communautaire, ces deux
structures importent moins du point de vue de leurs caractéristiques intrinsèques qu’en tant que
dynamique cristallisant les formes différentes que peut prendre l’entrepreneuriat populaire. A ce
titre, PME et MPE sont ici convoquées pour fournir des éléments quant aux caractéristiques et à
l’environnement de l’entrepreneuriat populaire au Sénégal. Des caractéristiques souvent avancées
pour spécifier les PME et MPE, on peut en retenir : un ancrage territorial avec l’utilisation de
matières premières et d’une main d’œuvre locales, un levier d’intégration pour l’économie en
articulant divers secteurs d’activités (allant du commerce, aux services, à l’artisanat, au bâtiment,
aux biens de consommation, à l’agriculture, à la microfinance, à la pêche et à l’élevage), des
activités multiples allant de la production, la transformation, la distribution et la
commercialisation de biens et services, un empiétement tant dans le secteur moderne que dans le
secteur informel, un financement à partir du réseau social, de l’autofinancement ou du réseau
mutualiste, une visée de satisfaction de la demande sociale (ONUDI et PNUD, 2001). L’analyse
de nos données de terrain nous permettra de comparer et d’apprécier de tels éléments.

29
C’est ce qui explique par ailleurs l’élaboration tardive d’une charte des PME en 2003.
66

Quant à l’environnement de l’entrepreneuriat populaire, il se décompose en plusieurs


segments d’ordre institutionnel, commercial, technologique et social. Mais il reste caractérisé au
Sénégal comme dans beaucoup de pays africains, par une prédominance des contraintes sur les
opportunités (ONUDI/ PNUD, 2001; OCDE, 2005). En effet, au niveau de l’environnement
institutionnel, les politiques de l’État semblent accorder plus d’importance au secteur privé
moderne composé de grandes entreprises au détriment de l’entrepreneuriat. Par exemple,
l’application d’une même fiscalité à la fois pour la grande entreprise et pour le PME/MPE
demeure lourde voire désincitative pour ces dernières. Au niveau de l’environnement commercial
et concurrentiel, les contraintes font état des difficultés à accéder au financement bancaire du fait
de contraintes inhérentes aux PME et PME (système d’information défaillant, faible
capitalisation) à travers notamment les garanties demandées par les banques qui posent en même
temps des conditions souvent inaccessibles. C’est ce qui explique l’investissement du
financement informel et mutualiste mais qui ne peut satisfaire les besoins d’investissement et de
roulement des PME et MPE. D’autres contraintes peuvent également être notées dans ce cadre
comme le manque de diversification vers des créneaux porteurs et le mimétisme entraînant une
saturation rapide des créneaux identifiés, la déficience des infrastructures et équipements, la
qualité des produits notamment les problèmes de finition, la forte concurrence des produits
importés et souvent moins coûteux, l’étroitesse du marché local (Barro, 2004). On note également
des difficultés pour accéder à l’information pertinente concernant les produits, les marchés ou les
nouvelles techniques, l’inaccessibilité des institutions d’appui et des organisations socio-
professionnelles habituellement basées dans la capitale Dakar, les facteurs culturels avec la
préférence des consommateurs sénégalais aux produits importés, les coûts des facteurs de
production (énergie, télécommunications)…Mais l’environnement du milieu entrepreneurial ne
comporte pas seulement des contraintes, il offre également des opportunités en termes de
proximité avec les sources d’approvisionnement et avec la clientèle en termes de disponibilité de
la main d’œuvre ou encore de financement mutualiste (ONUDI et PNUD, idem). Avec la création
d’un Ministère spécifiquement chargé des PME/PMI et de la micro finance, l’État sénégalais
voudrait certainement donner à ce segment du secteur privé national les possibilités de jouer un
rôle de moteur de la croissance.

Cette présentation des initiatives entrepreneuriales se déroulant au Sénégal révèle le fait


que l’entrepreneuriat soit surtout perçu comme une dynamique productive fortement ancrée sur le
territoire et portée par des sujets populaires engagés dans la création de richesses, prenant ainsi de
la distance par rapport au secteur informel. Toutefois, l’entrepreneuriat à partir d’une base
67

communautaire ou familiale reste peu appréhendé, c’est le sujet individuel qui prédomine. C’est
cela qui explique le fait que la politique de soutien à l’entrepreneuriat n’intègre pas suffisamment
l’entrepreneuriat communautaire ou les intègre séparément, en termes de micro finance ou
d’entrepreneuriat féminin, d’où d’ailleurs la dénomination du ministère en charge de
l’entrepreneuriat.30

1.3.5 L’entrepreneuriat communautaire au Sénégal

Cette partie part de l’hypothèse selon laquelle, avant d’être une organisation économique,
l’entrepreneuriat communautaire relève d’abord du mouvement communautaire. Autrement dit,
son ancrage au sein des organisations communautaires médiatise son mode de production socio-
économique, le différenciant ainsi des entreprises marchandes ou publiques. Mais en même
temps, son inscription dans le tissu entrepreneurial fait que l’entrepreneuriat communautaire ne
s’enferme pas dans les principes communautaires de non lucrativité et de non distribution
privative des ressources. Cette position médiane hybridant deux cadres référentiels, le monde de
l’association et celui de l’entreprise, fait de l’entrepreneuriat communautaire l’espace de
déploiement des organisations communautaires à orientation économique (Weber, 1995). Sous ce
rapport, l’entrepreneuriat communautaire s’inscrit dans le processus de transformation du
mouvement communautaire autour d’organisations orientées dans la production/ distribution de
biens et services, mais soucieuses de répondre à la demande sociale tout en visant des objectifs ne
se réduisant pas exclusivement à la rentabilité marchande (Defourny, 2005). Ce sont de tels
postulats qui expliquent l’intérêt de retracer le processus d’évolution du mouvement
communautaire sénégalais afin d’y situer l’entrepreneuriat communautaire.

1.3.5.1. Processus de transformation du mouvement communautaire sénégalais

L’itinéraire du mouvement communautaire ne préjuge, ni d’une vision homogène de la


multitude d’organisations communautaires, ni d’une vision évolutionniste où l’apparition de
nouvelles formes organisationnelles efface celles plus anciennes. Il s’agit plus d’un idéal-type
permettant de catégoriser les types d’organisations les plus significatifs à la lumière des mutations
politiques et économiques que connaît le Sénégal. A ce titre, l’analyse part du tissu
communautaire traditionnel pour retracer son évolution à travers la période coloniale, les années

30
Ministère des Petites et moyennes entreprises, de l'entrepreneuriat féminin et de la microfinance.
68

1960-fin des années 1970, les années 1980 et enfin, les années 1990-2000. Chacune des cinq
phases sera étudiée en fonction du contexte socio-politique et socio-économique de l’époque, des
types d’organisations communautaires les plus significatifs et enfin, de leurs principales
orientations.

Tableau 1.12: Processus d’évolution du mouvement communautaire sénégalais

Période Types d’organisations Orientation du mouvement


Période pré Classes d’âge, mbootay, cercles de fraternité, Logique socio-culturelle, institution de
coloniale groupes de genre, structure lignagère… régulation sociale, de socialisation, de
solidarité
Période coloniale Groupes traditionnels, clubs et amicales de Entraide, résistance culturelle et religieuse,
jeunes, coopératives agricoles, dahiras dimension ludique et psychoaffective,
économie de traite (coopérative)
1960-fin des années Pionniers, éclaireurs et scouts, coopératives Promotion du civisme, éducation populaire,
1970 agricoles, organisations de jeunesse, mobilisation autour de la Nation,
associations d’obédience politique, encadrement des jeunes et des femmes,
associations féminines associations partisanes, loisirs et sport,
économie de rente (coopérative)
Années 1980 Association sportive et culturelle, associations Logique revendicative, contestataire et
de ressortissants, groupements de promotion palliative, mouvement de jeunes, accès aux
féminine, centrale d’achat, coopératives services sociaux de base, éveil de la femme,
d’habitat, mutuelle de santé, mouvement du sport et loisirs
set-setal, groupement d’intérêt économique,
tontines
1990-2000 Association de développement de quartier, Empowerment local, mouvance
conseil de quartier, comité de salubrité, GIE entrepreneuriale des associations, nouveaux
prestataires de services, mutuelle d’épargne et types d’entrepreneuriat communautaire, co-
de crédit, mutuelle de santé, coopératives production de services sociaux et de
d’habitat services publics locaux, promotion socio-
économique des sociétaires

1.3.5.1.1. Société traditionnelle et mouvement communautaire

Dans la société traditionnelle africaine, le tissu associatif se confondait aux structures


lignagères en tant qu’institution de régulation sociale, de socialisation de l’individu et de
sociabilité, expliquant d’ailleurs leur caractère obligatoire et hiérarchisé. L’adhésion était
automatique et répondait au souci de cohésion sociale. Les groupes ethniques, les classes d’âge,
les groupes basés sur le genre ou sur la parenté en même temps que les cercles de fraternité
constituaient l’essentiel du tissu communautaire (Balandier, 1955; O’Deyé, 1985). On notait aussi
l’existence de «mbootays» qui sont des groupements de femmes cherchant à promouvoir des
relations d’entraide, de solidarité et de convivialité notamment lors des cérémonies familiales.
69

1.3.5.1.2. Période coloniale et mouvement communautaire

Durant la colonisation, de tels cadres ont continué à exister mais tout en cherchant à
s’adapter à ce contexte de domination politique, d’économie de traite et d’acculturation. Les
contraintes coloniales vont renforcer la tendance à l’entraide des associations lignagères qui
s’orientent de plus en plus vers des dimensions socio-culturelle, symbolique, ludique et
psychoaffective :

«D’institutions de régulation globale de la société, les associations deviennent des structures


d’entraide. Il ne s’agit plus de favoriser un meilleur fonctionnement socio-économique d’un type
de société mais plutôt d’aider au passage d’un système à un autre» (O’Deyé, 1985 : 68).

Ainsi, à côté de ces cadres de socialisation de l’individu et de régulation sociale, on notait


durant la colonisation française, l’existence de clubs ou d’amicales s’activant dans des activités
culturelles et de loisir (club de musique, de danse, de théâtre) ou de sport. Toutefois, en rapport
avec le contexte colonial, deux types d’organisations méritent particulièrement l’attention. Il
s’agit des «dahiras» qui sont des structures islamiques basées généralement sur l’appartenance à
une même confrérie religieuse (tidiane, mouride…). Ces structures vont jouer un grand rôle dans
la sécurisation psychologique des populations, dans leur défense ainsi que dans leur médiation
avec l’autorité coloniale, du fait du pouvoir des marabouts dans la société sénégalaise. En outre,
les «dahiras» vont constituer un creuset de résistance culturelle face à l’acculturation occidentale.
Mais le type d’organisation communautaire caractéristique de la colonisation demeure les
coopératives agricoles qui s’étaient vues fixer comme objectifs de moderniser le milieu rural et de
favoriser l’éducation des populations aux normes et valeurs «modernes». C’est dire qu’il
s’agissait plus de «pseudo-coopératives» intégrées à l’économie de traite, car elles n’étaient ni
endogènes, ni volontaires et ne témoignaient pas d’une autonomie organisationnelle encore moins
d’une participation des sociétaires aux prises de décision (Verhagen, 1991; Mbodj, 1992).

En réalité, le fait colonial, en renforçant la tendance à l’entraide et à la sécurisation


psychologique des associations, va les ravaler loin des lieux de production économique et de
gestion politique. Les seules organisations qui s’occupaient de production économique, à savoir
les coopératives étaient instrumentalisées. Mais ces organisations n’ont pas fait que défendre les
populations vis-à-vis du colonisateur, des stratégies de boycott, de coopération antagoniste ou
encore d’affiliation passive instrumentale vont être développées et constitueront une plate-forme
favorable aux mouvements politiques nationalistes (Develtere, 1998). Ainsi, le fait colonial va
70

contribuer à la transformation des organisations communautaires en un creuset de résistance


culturelle et de revendication que les mouvements nationalistes vont utiliser dans la lutte pour
l’indépendance.

1.3.5.1.3. Le mouvement communautaire et la construction d’une nouvelle Nation: 1960-1970

La première décade des indépendances (1960-fin des années 1970) correspond à un


contexte de construction d’une nouvelle Nation. C’est pourquoi, un fort accent est noté dans les
exigences d’un compromis sociétal autour d’un État dirigiste et centralisé « garant de l’unité
nationale et de l’intérêt supérieur de la Nation». Cette situation sera à l’origine d’une ambivalence
de la dynamique communautaire. En effet, on constate à côté des clubs à but culturel ou sportif,
l’émergence de nouvelles formes d’organisations comme les associations de promotion du
civisme (mouvement des pionniers), les démembrements de centrales associatives françaises
(CMEA, éclaireurs, scouts et guides…) ou encore, les associations de jeunes et de femmes
d’obédience politique. Mais, la nouveauté réside surtout dans le mode d’adhésion plus
volontariste et moins obligatoire (contrairement aux structures lignagères) ainsi que dans la
diversification des critères d’appartenance. Ainsi, en plus de la parenté d’autres critères
apparaissent pour fonder une association, à savoir la poursuite d’idéaux communs au service de la
Nation ou le partage des mêmes objectifs. Mais, du point de vue général, l’accent semblait être
mis sur la «conscientisation » et l’organisation des jeunes autour d’activités d’utilité publique
dans le cadre de la construction de l’unité nationale.

L’ambivalence réside dans le fait qu’à côté de cette dynamique nouvelle, un certain
ralentissement du dynamisme associatif a été noté du fait de problèmes d’adaptation à la situation
post coloniale. En effet, non seulement, la plupart des associations se limitaient aux milieux
scolaire et urbain avec une cible jeunesse tout en n’échappant pas au processus d’intégration de
l’Afrique francophone au monde occidental (Topor et Goerg, 1989), mais également, elles
subissaient un contrôle systématique ainsi que des tentatives d’étouffement de la part des
pouvoirs publics en vertu des principes de l’unité de la pensée et de l’action politique (Mignon,
1989) : « La construction de l’État néocolonial s’accompagne d’un vaste mouvement visant à
étouffer tous les centres de pouvoirs susceptibles de devenir autonomes et d’échapper ainsi à la
tutelle de l’État » ( Diop, 2002 :43). A côté de ce contrôle systématique, on note une reproduction
des coopératives agricoles héritées de la colonisation. Mais l’État post colonial ne remettra pas en
cause le traitement colonial des coopératives, au contraire, il va chercher à les transformer en une
71

entreprise publique sous contrôle gouvernemental (cf. contextualisation historique).

Une avancée de taille peut être notée au milieu des années 1970 à travers la définition d’un
cadre juridique spécifique aux associations à travers le décret n° 76-040 du 16 janvier 197631. Ce
décret va préciser leur statut en les classant dans les associations d’éducation populaire ayant des
obligations particulières, à savoir: adhésion ouverte et volontaire, caractère laïque, apolitique et
démocratique, poursuite de buts non lucratifs, non distribution privative des profits. Ce décret va
favoriser la formalisation des associations et sera suivi d’un boom associatif à travers notamment
les associations sportives et culturelles très actives durant les vacances scolaires. De ce décret,
c’est surtout l’interdiction de recherche de profit et de partage des bénéfices entre les sociétaires
qui soulèvent le plus d’interrogations du fait de son caractère jugé contraignant.

Ce qu’il faudra donc retenir de cette première décade des indépendances, c’est que les
exigences de consensus national autour du projet de construction d’une nouvelle Nation primait
sur toute revendication particulière. Dans ce cadre, toute tentative d’affirmation d’un acteur
quelconque autre que l’État, risquait d’être interprétée comme relevant d’un manque de
patriotisme. C’est ce qui explique certainement la facilité avec laquelle, l’Etat a pu procéder au
contrôle systématique et à l’instrumentalisation des organisations communautaires qui vont
surtout s’investir dans des activités de promotion du civisme et d’éducation populaire, s’écartant
de facto du processus de définition du compromis sociétal. D’où la conclusion de Maret et
Poncelet :

«Les années 70, qui furent celles du triomphe du projet de développement national étatique porté
par des gouvernements autoritaires, décennie dont émerge une sorte d’État providence- clientéliste
identifié à la modernisation, semblent avoir été fatales à l’associationnisme urbain» (1999 : 22).

1.3.5.1.4. Le mouvement communautaire et la crise des années 1980

Le contexte des années 1980 apparaît très différent de celui des années 1960-1970 tant du
point de vue des enjeux et défis que du positionnement des acteurs. En effet, l’échec de la
politique de développement indépendantiste apparu dés le milieu des années 1970, va être
renforcé par les effets de la sécheresse au Sahel et de la crise mondiale, justifiant ainsi la mise en

31
Ce décret, inspiré de la loi française de 1901, vient corriger, voire préciser la loi No 61- 09 de 1961
relative au régime des associations consacrant tout ou partie de leurs activités à l'éducation populaire et
sportive, ainsi que la loi No66- 70 de juillet 1966 portant code des obligations civiles et commerciales qui
sera par la suite modifiée par la loi n° 698-08 du 26 mars 1968. Jusqu'à présent un tel cadre sous tend le
fonctionnement des associations au Sénégal.
72

œuvre des PAS.

Ainsi, les impératifs de consensus national pouvaient difficilement résister à la crise de la


fin des années 1970 sapant ainsi le rapport des acteurs sociaux à l’État. A ce titre, l’effritement du
compromis autour de l’État providence va constituer un déterminant à une plus grande
autonomisation du tissu associatif ainsi qu’à son positionnement autour d’une sorte de militance
politique orientée vers un « syndicalisme des conditions de vie ». Celui- ci peut être décrit à
travers une logique revendicative et autonomiste, voire de défiance vis-à-vis de l’Etat ainsi
qu’une effervescence associative avec des préoccupations non plus liées à la construction d’une
Nation, mais orientées vers la prise en charge de problèmes liés à l’amélioration des conditions ou
du cadre de vie des membres. Ainsi, la proximité des conditions de vie ou de la situation socio-
professionnelle apparaît comme un déterminant pour fonder une association, plus que la parenté
(Niang, 1990).

De nouveaux types d’associations vont apparaître dans l’espace urbain. Parmi ceux-ci, on
peut retenir les associations de ressortissants qui se positionnent dans le processus d’insertion
urbaine des migrants. De même, les tontines et les groupements de promotion féminine vont se
démultiplier en vue de faciliter aux femmes l’accès aux ressources. Regroupant exclusivement
des femmes, ces derniers ambitionnent de transformer l’espace de convivialité et de loisirs que
constituaient les cercles d’amitié féminine (Mbootays) pour en faire des espaces de solidarité et
surtout, de financement informel de micro-activités (O, Deyé, 1985). On peut également noter
durant cette période de crise et de suppression des subventions publiques liées aux PAS,
l’émergence de centrales d’achat, de coopératives d’habitat et de mutuelles de santé au niveau
notamment des corps constitués de l’État (enseignement, armée, police, santé, etc.). La
dynamique associative se transporte ainsi au sein de l’administration, traduisant une forme
d’adaptation à l’effritement de la sécurité sociale.

Si en milieu rural, l’effervescence associative des années 1980 a donné naissance aux
foyers de jeunes, aux sections villageoises, aux organisations de producteurs et aux organisations
paysannes fédératives, en milieu urbain, on a noté la démultiplication des associations sportives et
culturelles et surtout l’organisation d’opérations dites «set-setal ». Révélateur de la réfutation du
compromis post colonial, le «set-setal » faisait partie du mouvement de contestation urbaine.
Mais son niveau d’organisation et ses capacités étaient très en deçà de l’ampleur et de la
complexité des problèmes liés à la crise urbaine (ADC, 2000; O’Brien, 2002). C’est ce qui
73

explique la conclusion de O’Deyé selon laquelle, le phénomène associatif semblait être plus
réactif que proactif, car les associations s’identifiaient plus «…comme des structures de
régulation que comme des structures de réels changements» (op. cit, 117). De telles limites sont
rendues plus apparentes, malgré l’appui de la coopération au développement (notamment les
ONG) qui, dans sa logique de contournement de l’État, a cherché à collaborer directement avec
les organisations communautaires. Mais ces programmes de responsabilisation directe des
populations se sont révélés parfois porteurs d’effets pervers en se limitant à des actions
ponctuelles souvent sans cohérence avec l’action des pouvoirs publics (Soumaré, 1999). Enfin,
notons l’apparition dans le paysage juridique des organisations communautaires d’une structure à
forte orientation économique, à savoir le groupement d’intérêt économique (GIE), à partir de
1984 (loi No 84-37 du 11 mai 1984). Son originalité réside dans sa base organisationnelle hybride
combinant une base communautaire avec une logique entrepreneuriale, dans son orientation
privilégiant l’auto-promotion des membres et non plus seulement la promotion de l’intérêt
général et enfin, dans la reconnaissance de la recherche de lucrativité et de la possibilité de
distribution privative des ressources générées. Toutefois, du fait que sa mise en place se soit
limitée à un acte administratif sans définition des mécanismes de soutien et sans politique visant à
faciliter son appropriation par les acteurs sociaux, le GIE sera surtout investi par les entreprises
familiales et des opérateurs économiques qui y trouvaient les moyens de se formaliser pour
accéder plus facilement au crédit et aux marchés publics.

En fin de compte, les années 1980 ont permis aux organisations communautaires d’émerger
comme acteur social autonome, à côté des institutions publiques, des bailleurs de fonds et des
élites politiques, intellectuelles et religieuses. Mais cette immersion semblait être surtout réactive
et revendicative, car s’inscrivant plus dans la contestation des modalités de gestion publique et de
promotion du développement que dans la construction de propositions alternatives.

1.3.5.1.5. La fin des années 1990 : mouvance entrepreneuriale et diffusion de l’entrepreneuriat


communautaire

Les années 1990-2000 marquent un grand tournant s’inscrivant dans l’effervescence


associative de la fin des années 1980. La persistance de la crise aggravée par les nouveaux plans
d’ajustement et surtout, par la dévaluation du Fcfa en 1994 va avoir pour conséquence
l’élargissement et l’approfondissement de la pauvreté. Une telle situation va être à l’origine de
mutations tant dans la base sociale des organisations communautaires, dans la construction de
74

nouvelles formes de collaboration avec les partenaires que dans l’orientation des nouveaux types
d’organisations.

En effet, la base sociale des organisations communautaires devient plus dense et plus
diversifiée avec notamment l’investissement de la dynamique par les couches sociales qui ont le
plus souffert des PAS: déflatés de la fonction publique32, la classe moyenne, étudiants et élèves,
chômeurs, diplômés des universités et des écoles de formations... Deux orientations nouvelles se
précisent au sein des organisations communautaires avec en toile de fond l’apparition de
nouveaux types d’organisations.

D’abord, on peut relever la reproduction de l’orientation revendicative issue des années


1980 autour d’une visée d’empowerment local à travers une plus grande affirmation socio-
politique du mouvement communautaire dans la vie publique locale (ADC, 2000; Niang et all,
2001; Ndiaye, 2004). Cette orientation est portée notamment par des dynamiques de quartier à
travers les associations de développement de quartier ainsi que par les conseils de quartier
indiquant une volonté de lutter contre l’état de dégradation ou d’insalubrité des quartiers
populaires, défavorisés ou périphériques. On notait également une plus grande présence
d’associations dites thématiques mobilisées autour de la défense de groupes sociaux vulnérables
et de la promotion de thématiques négligées par le modèle de développement, comme
l’alphabétisation des femmes, l’éducation en milieu ouvert, la défense des droits de la femme, la
promotion des jeunes filles, la sauvegarde de l’environnement… C’est dire que ces types
d’organisations dépassaient l’attitude revendicative et réactive des associations des années 1980
parce que cherchant à combiner attitude réactive et proactive. En milieu rural, on note la
constitution et le renforcement d’organisations paysannes fédératives ou de réseaux
d’associations régionales sous formes d’ONG rurales (Ndiaye, 1996). C’est ainsi que la FONGS
et le CNCR33 vont se positionner dans la défense des ruraux (paysans, éleveurs, exploitants
forestiers, pêcheurs) en cherchant notamment à influer sur la définition de nouvelles politiques
destinées au monde rural, jetant ainsi les bases d’un mouvement paysan.

L’entrepreneuriat communautaire se réfère plus spécifiquement à la seconde orientation des


organisations communautaires. En effet, la dimension entrepreneuriale reste marquée au sein de

32
Déflaté est le terme utilisé pour désigner tous ces travailleurs de la fonction publique ou des sociétés
parapubliques qui ont été soit licenciés, soit ont pu disposer du ‘Programme départ volontaire’ dans le cadre
des PAS.
33
Fédération des ONG du Sénégal (1976) et Conseil National de Concertation des Ruraux (1993).
75

groupes socio-économiques partageant les préoccupations de leurs membres en termes d’insertion


socio-économique et d’accès aux services sociaux de base, du fait de la persistance de la crise et
de la diminution des capacités redistributives des États. A partir d’une étude sous régionale
couvrant le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Nigéria, la Mauritanie, le Bénin et le
Sénégal, des consultants de l’ONG Enda ECOPOP confirment cette orientation des associations
de type traditionnel comme de type nouveau vers l’auto-promotion socio-économique de leurs
membres :

« Toutes les études, sans exception, classent parmi les objectifs prioritaires des associations locales
(tous types confondus) ‘l’amélioration des conditions de vie et des revenus des membres’, la
‘création d’emplois’, la ‘lutte contre la pauvreté’, la ‘lutte contre le chômage’ (notamment celui
des femmes et des jeunes), l’‘insertion socio-économique’, la ‘recherche de revenus additionnels’,
etc.(…) On constate une évolution qui semble générale, qui aboutit à ce que les associations
poursuivent des buts de plus en plus matériels, de plus en plus ouvertement économiques » (Wade
et alii, 2002 : 30-31).

Cette mouvance entrepreneuriale des organisations communautaires rend compte de


l’inscription de ces dernières dans le processus de production/ distribution de biens et services à
côté des entreprises publiques et privées. Mais une telle mouvance ne constitue qu’une des
dimensions de l’entrepreneuriat. De nouvelles formes organisationnelles à orientation
économique se sont multipliées durant les années 1990 dans la lignée des GIE. Il s’agit
notamment des Mutuelles d’Épargne et de Crédit (MEC) ou des caisses d’épargne et de crédit,
des mutuelles de santé, des Organisations Socio-Professionnelles (OSP), des coopératives
d’habitat, des GIE…Ces derniers se sont diversifiés : on note des GIE de producteurs à l’instar
des coopératives de travailleurs, des GIE de prestation de services sociaux de base en relation
avec les partenaires au développement et des GIE prestataires de services publics locaux en
relation avec les collectivités locales.

Ces deux derniers cas informent de l’orientation plus partenariale que revendicative prise
par le milieu communautaire. En effet, les collectivités locales engagées dans les processus de
développement local initient de plus en plus dans les villes africaines, des expériences de co-
production de services publics locaux (particulièrement dans le domaine de la gestion des ordures
ménagères) en relation avec des GIE de jeunes résidant dans les quartiers d’intervention. C’est
ainsi que les Communes de Saint-Louis, Rufisque, Dakar, Thiès et Kaolack ont été parmi les
premières au Sénégal à contractualiser avec des GIE de jeunes ou de femmes pour leur transférer
les opérations de collecte, d’évacuation et dés fois, de traitement des ordures ménagères au profit
des quartiers difficilement accessibles aux régies municipales (Gaye, 1996; Niang et all, 2001;
76

Ndiaye, 2003).

A côté des collectivités locales, la coopération au développement (ONG, coopération


décentralisée, agence internationale de développement) va contractualiser avec certaines
organisations de base pour assurer la prestation de services sociaux de base en direction de
groupes sociaux vulnérables (femmes enceintes, enfants souffrant de malnutrition). Par exemple,
le projet de nutrition communautaire au Sénégal va responsabiliser sur tout le territoire national
des organisations de jeunes issues des quartiers cibles afin d’assurer le suivi et l’éducation
nutritionnels des femmes et des enfants à risque sur financement entre autres du Programme
Alimentaire Mondial et de l’État sénégalais. Ainsi, du fait de leurs avantages concurrentiels en
termes de proximité sociale, d’ancrage social, de flexibilité mais également de coûts de
production moindre, certaines organisations communautaires deviennent un pilier central dans la
stratégie d’action des collectivités locales et des partenaires au développement (ONG, organismes
de coopération ou de développement international). L’entrepreneuriat communautaire devient
ainsi un acteur dans le système de production de biens et services mais également un partenaire
en matière de lutte contre la pauvreté dans le cadre de la démocratisation de l’accès aux services
sociaux de base (Ndiaye, 2005). A ce titre, il faut bien noter que l’entrepreneuriat communautaire
ne constitue pas un fait particulièrement nouveau : les coopératives existaient depuis la
colonisation, les organisations paysannes depuis les premières années d’indépendance sans parler
des tontines au sein des «mbootays » de femmes ainsi que des GIE à partir des années 1980. Par
contre, l’ampleur prise par l’entrepreneuriat communautaire, la dynamique d’auto-promotion qui
la sous tend ainsi que la diversification de ses formes organisationnelles demeurent un fait récent
apparu durant les années 1990. Par exemple, contrairement aux coopératives coloniales et post
coloniales qui s’inscrivaient dans l’économie de traite ou de rente, les formes actuelles
d’entrepreneuriat communautaire démontrent un accent marqué autour de l’auto-promotion socio-
économique qui exprime une initiative endogène et autonome de création de richesses portée par
les acteurs sociaux (Hong, 1991).

Enfin, signalons que cet investissement des organisations communautaires dans le domaine
entrepreneurial induit également des mutations quant à leur nature et leur dynamique interne. Par
exemple, la question de la perte de l’identité communautaire est souvent posée du fait de la
professionnalisation (versus bénévolat associatif) induite par l’entrepreneuriat communautaire
tout comme les tensions pouvant exister entre sa mission sociale et ses exigences de rentabilité et
d’efficience (Prouteau, 2003). C’est le cas par exemple lorsque l’organisation privilégie une
77

clientèle solvable au détriment des membres démunis ou investissent des secteurs correspondant
aux opportunités de financement des partenaires au développement au lieu de prendre en charge
les besoins des populations. D’autres questions mettent en évidence la recomposition du
membership communautaire vers un membership à tendance sociétaire (Laville et Sainsaulieu,
1997) ou encore, le risque de voir l’entrepreneuriat communautaire être transformé en entreprises
déguisées au détriment de la promotion de l’intérêt général, traduisant ainsi, la prédominance de
la rationalité instrumentale sur celle communicationnelle (Habermas, 1987; Wade et all, 2002).
En réalité, la tension consubstantielle à l’identité hybride de l’entrepreneuriat communautaire
combinant association et entreprise au sein d’une même forme organisationnelle, amène à mettre
l’accent sur les questions de cohérence et d’équilibre de la gouvernance organisationnelle ainsi
que sur celles relatives à l’évaluation de sa performance, qui faut-il le rappeler, ne se limite pas à
des critères marchands (Bouchard et all, 2003).

Par ailleurs, au niveau méthodologique, il faut signaler que la grande majorité des écrits
portant sur le mouvement communautaire africain semblent être muettes sur la description de
l’évolution des organisations communautaires, sur la systématisation de ses tendances lourdes, et
enfin, sur l’articulation de telles tendances d’avec les enjeux sociétaux actuels. Les approches
habituellement utilisées pour analyser le milieu communautaire se sont révèlèes partielles dans
l’appréhension des dimensions hybrides de l’entrepreneuriat communautaire.

L’approche anthropologique privilégie l’étude des interactions entre évolution des


associations et celle du lignage (O’Deyé, 1985) mais n’interroge pas la portée socio-économique
des organisations communautaires ainsi que leur rapport aux institutions publiques. L’approche
associative a été la plus investie par les chercheurs africains spécialistes du domaine
communautaire. A ce titre, Maret et Poncelet (1999) offre l’une des premières tentatives de
périodisation des associations urbaines de l’Afrique subsaharienne ainsi qu’une certaine ouverture
sur les rapports des associations avec «l’arène locale». Dans cette approche associative, notons
les études portant sur les associations de jeunes en Afrique (Topor et Goerg, 1989; Mignon, 1989)
ou encore celles plus générales relatives aux associations en milieu urbain sénégalais, l’une
portant sur la capitale, Dakar (Niang, 1989) et l’autre portant sur la ville de Saint- Louis (ADC,
2000). Ces deux rapports34 offrent une typologie exhaustive des associations urbaines, une
systématisation de leurs domaines d’intervention ainsi que de leurs contraintes internes.

34
Commandités respectivement par le CRDI et le PNUD
78

Toutefois, ces deux types de rapports ne sont pas parvenus à situer les caractéristiques des
associations étudiées ni dans leur rapport aux autres acteurs (institutions publiques, partenaires au
développement), ni en rapport avec les enjeux sociétaux plus larges. A ce titre, l’ouvrage de Enda
ECOPOP, Organisations communautaires et associations de quartier en milieu urbain ouest
africain (Wade et all, 2002), est l’un des rares à faire référence explicitement à la mouvance
entrepreneuriale des associations en Afrique de l’Ouest lorsqu’il décrit : « la vie associative
comme espace d’apprentissage de l’autonomisation socio-économique et comme moyen de
conquête de l’espace public pour des femmes et des jeunes en quête de nouveaux statuts » (Wade
et all, idem : 56). Il reste que la grille associative utilisée par ces chercheurs ne leur permet pas de
lire la mouvance entrepreneuriale des associations comme révélatrice des changements intervenus
au sein du mouvement associatif, changements interprétés comme des irritants alors qu’ils
informent de l’hybridation des logiques communautaire et entrepreneuriale. C’est pourquoi, ils
analysent cette mouvance plus comme conséquence de la crise économique que comme porteuse
d’une plus grande présence des organisations communautaires dans le système de production de
biens et services. En outre, le lien entre cette mouvance entrepreneuriale des associations et
d’autres types d’entrepreneuriat communautaire n’est pas établi.

C’est dire que du point de vue général, l’approche associative qui a inspiré la plupart des
chercheurs africains, reste caractérisée par sa tendance intravertie cloisonnant les associations
autour d’un système social fermé d’une part, et d’autre part, par sa faible prise en compte de la
dimension socio-économique. Ainsi, les organisations communautaires ne sont étudiées ni en
rapport avec la reconstruction du mode de régulation, ni en rapport avec les autres types acteurs
notamment les pouvoirs publics, ni en rapport avec le système de création de richesses. Il reste
que la négligence de la mouvance entrepreneuriale des organisations communautaires ainsi que le
faible investissement des nouveaux types d’entrepreneuriat communautaire, traduisent également
l’héritage d’une vision inspirée des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds qui a tendance à
réserver la création de richesses au privé et à l’État, ravalant ainsi le communautaire à l’éducation
populaire et au développement social.

A ce titre, l’approche en termes d’économie populaire demeure celle qui semble le plus se
centrer sur la dynamique entrepreneuriale en l’intégrant dans une vision globale, historique et
pluridisciplinaire (Enda- Tiers Monde, 199135; Peemans, 1997). Sa lecture part de la remise en
cause des principaux postulats de l’économie néo-classique pour analyser les pratiques de

35
Notamment Enda Graf (Groupe Recherche Action Formation) et de Enda Ecopop (Économie populaire).
79

groupes économiques en fonction « des réseaux sociaux, des hiérarchies sociales existantes, et de
leurs intérêts matériels ou symboliques » (Ndione, 1992 : 19). Mais l’analyse en termes
d’économie populaire est restée à l’échelle individuelle ou en tout cas n’a pas dépassé la
production familiale, négligeant ainsi les organisations économiques communautaires. En outre,
du moment où ce courant interroge rarement la portée des pratiques économiques populaires en
vue de déterminer si elles promeuvent un modèle alternatif ou si elles s’intègrent dans le cade de
stratégies de survie, il leur demeure difficile d’établir un rapport entre l’analyse des initiatives
économiques populaire, dans une perspective de mouvement social, et celle relative au processus
de reconfiguration des structures de régulation économique et politique (Ndiaye, 2005).

Enfin, l’approche socio-politique semble opérer une plus grande prise en compte du rapport
à l’intérêt général et aux institutions publiques, notamment le rapport aux collectivités locales
urbaines (Gaye, 1996; Niang, 2001). Elle prend comme point de départ la mise en place de GIE
de co-production de services publics locaux en relation avec les Communes ainsi que la mise en
place de conseils de quartiers pour tirer des conclusions en termes de promotion de la
gouvernance locale et de la citoyenneté active. Mais cette approche n’a pu analyser des modalités
concrètes du partenariat local. Autrement dit, l’accent est plus mis sur les opérations de gestion
des ordures, mais la nature des relations entre les diverses parties prenantes ainsi que la co-
construction des règles régissant le partenariat restent peu interrogées.

C’est dire que les approches anthropologique, associative, socio-politique ou d’économie


populaire n’arrivent que partiellement à saisir la dynamique socio-économique de
l’entrepreneuriat communautaire et à l’articuler aux enjeux sociétaux plus larges comme la
reconfiguration des structures de régulation politique et économique. Elles négligent soit le
rapport à la dynamique entrepreneuriale, soit au territoire d’intervention, soit aux pouvoirs
publics, soit au contexte de reconfiguration du mode de régulation. Ils confirment la conclusion
de Lévesque et Mager (1992) selon laquelle, même si plusieurs chercheurs revendiquent une
approche intégrée, ils ne réussissent que rarement à faire le lien entre les acteurs et leur
environnement. Pourtant, ce processus entrepreneurial du milieu communautaire qui participe de
la reconstruction d’une modernité populaire urbaine au Sénégal, mérite d’être interrogé non
seulement du fait de son potentiel de création de richesses, mais également en tant que partie
prenante d’un nouveau mode de régulation.

1.3.5.2. Profil et Enjeux de l’entrepreneuriat communautaire sénégalais


80

Cet itinéraire nous renseigne sur le fait que du point du profil, l’entrepreneuriat
communautaire se structure autour de deux constituantes: les associations en mouvance
entrepreneuriale et les organisations économiques communautaires. La première composante fait
référence aux associations qui, tout en gardant leur cadre juridique associatif, s’investissent dans
le champ entrepreneurial. La seconde composante met en évidence plusieurs types
d’organisations économiques communautaires positionnés de fait dans le champ entrepreneurial
en investissant divers domaines comme la micro finance, les mutuelles de santé, les coopératives
d’habitat, de travailleurs… A partir de ces deux constituantes, il est possible de catégoriser
l’entrepreneuriat communautaire du point de vue des domaines d’intervention, du motif de
l’activité économique, de la logique d’action ou encore des cibles visés. Le profil typologique de
l’entrepreneuriat communautaire sénégalais apparaît à ce titre, très diversifié comme le montre le
tableau suivant :

Tableau 1.13: Profil typologique de l’entrepreneuriat communautaire

Types d’entrepreneuriat Domaines d’intervention Cibles


communautaire
Association en mouvance Services sociaux de base, développement Membres et
entrepreneuriale communautaire communauté
Mutuelles d’épargne et de crédit, caisse Capitalisation épargne des membres, système de Membres
d’épargne et de crédit financement autogéré de proximité
Groupements de Promotion Féminine, Facilitation accès au crédit, système interne de crédit Membres
associations féminines rotatif, défense et promotion de la femme,
entrepreneuriat féminin
Coopérative d’habitat ou d’achat Accès aux services sociaux de base Membres
Mutuelles de santé, association de santé Accès aux services sociaux de base Membres et
communautaire communauté
Organisations Socio- Professionnelles: Appui aux activités productives des membres, Membres
organisations paysannes, de pêcheurs, financement de proximité, défense des intérêts des
groupement d’artisans, de maraîchers… membres
Regroupements villageois, conseils de Développement communautaire et développement Communauté
quartier, Association de Développement local
de Quartier
Organisations fédératives/ réseau Défense et promotion des membres, appui aux Membres
activités productives des membres, intermédiation
financière avec partenaires
Les initiatives des syndicats Accès aux services de base : mutuelle, habitat, Membres
financement décentralisé
Les dahiras et mouvements religieux Activités productives, insertion socio- économique Membres et
communauté
Les GIE à caractère productif Appui aux activités productives des membres, Membres
réalisation d’activités productives
GIE prestataires de services sociaux de Accès aux services sociaux de base Membres et
base communauté
GIE prestataires de services publics Développement local, gestion des ordures Membres et
locaux ménagères, sauvegarde de l’environnement communauté
81

L’investissement d’un domaine prioritaire n’exclut pas l’existence d’effets recherchés ou


générateurs dans un autre domaine. Par exemple, la micro finance peut s’inscrire à la fois dans le
financement de proximité et dans l’empowerment de groupes sociaux souffrant d’exclusion
financière de la part du système bancaire. Du point de vue des domaines d’intervention, on peut
systématiser au moins sept domaines prioritaires d’intervention de l’entrepreneuriat
communautaire:
1. appui aux activités productives des sociétaires en leur facilitant l’accès aux ressources
stratégiques (financement, formation, matériel de production);
2. réalisations d’activités productives (production, transformation, commercialisation,
distribution);
3. mise en place d’un système de financement de proximité autogéré à travers la
microfinance;
4. facilitation de l’accès aux services sociaux de base au profit des membres et/ou de la
communauté;
5. prestation de services sociaux de base ou de services publics locaux en relation avec des
partenaires au développement ou des collectivités locales;
6. promotion du développement communautaire et local;
7. empowerment corporatif de groupes sociaux défavorisés ou marginalisés.

Du point de vue du motif de l’activité économique, on peut distinguer quatre types


d’entrepreneuriat communautaire (Castel, 2002). L’entrepreneuriat communautaire productif se
positionne sur le marché (GIE et MEC); l’entrepreneuriat communautaire prestataire de services
sociaux de base (GIE de nutrition communautaire, garderie communautaire); l’entrepreneuriat
communautaire prestataire de services publics locaux en relation avec les collectivités locales
(gestion des ordures ménagères) et enfin, l’entrepreneuriat communautaire de redistribution
visant à contribuer à la démocratisation de l’accès aux services sociaux de base (mutuelle de
santé, coopératives d’habitat). Quant à la logique d’action, on peut distinguer la logique d’auto-
promotion visant spécifiquement les sociétaires (visée d’intérêt corporatif ou collectif) de la
logique de promotion ou d’hétéro-promotion concernant des personnes qui ne sont pas affiliées à
l’organisation (visée de l’intérêt général). Ces deux logiques renseignent sur les trois cibles de
l’entrepreneuriat communautaire: les sociétaires de l’organisation, des groupes cibles
habituellement des personnes vulnérables (femmes, enfants, démunis) et enfin, la communauté
territoriale, ce qui peut induire un développement territorial.
82

L’hétérogénéité de ses formes organisationnelles, la diversité de ses motifs économiques,


de ses logiques d’action et de ses cibles renseignent également sur le caractère varié du potentiel
de croissance et de développement de l’entrepreneuriat communautaire. Si certaines organisations
restent marquées par la fragilité, d’autres par contre révèlent des potentiels d’expansion non
négligeables comme c’est le cas de la plupart des MEC analysées dans la zone UEMOA36 par la
BCEAO:
• Augmentation entre 1993 et 2000 des ressources collectées et des crédits accordés
respectivement de 12,7 à 114,9 milliards et de 17,9 à 93,7 milliards de Fcfa. Au Sénégal,
les encours de crédit ont évolué durant cette période, de 2806 à 15 778 millions de Fcfa;
• Progression entre 1993 et 2000, des effectifs bénéficiaires des services de 309 545 à plus
de 2,15 millions. Au Sénégal, l’effectif a augmenté de 72 570 à 320 348 personnes
• Plus de 2000 personnes formées au Sénégal en gestion mutualiste entre 1993 et 2000;
• S’y ajoutent un taux de remboursement de prés de 97% ainsi qu’une mobilisation
financière de prés de 22 milliards de Fcfa en 2001 uniquement pour le Sénégal (BCEAO,
2000, 2001 et 2002)

Quant aux enjeux de l’entrepreneuriat communautaire sénégalais, ils découlent des


principaux enseignements de l’itinéraire d’évolution et du profil du mouvement communautaire.
Ces deux paramètres positionnent l’entrepreneuriat communautaire comme un des lieux de
lecture des enjeux de société mais également, comme un acteur dans la reconstruction du Sénégal
contemporain. Ce que de tels enjeux révèlent, c’est que l’épuisement du mode de régulation post
colonial (lié à l’échec des stratégiques de développement et de gestion publique et à la crise
économique) a ouvert un espace d’opportunités que les sujets populaires cherchent à investir afin
d’assurer leur auto-promotion ou même de contribuer à la promotion de leur communauté.

L’un des enjeux questionne la capacité de l’entrepreneuriat communautaire à habiliter sa


base sociale constituée de sujets populaires souvent démunis ou vulnérables pour en faire un
groupe socio-économique positionné dans la création de richesses. Cet enjeu est d’autant plus
crucial qu’en contexte de précarité, les stratégies individuelles et les comportements opportunistes
risquent de prendre le dessus sur la dynamique de groupe dont les effets demeurent lents à
percevoir. Cet enjeu pose ainsi la question de savoir, si l’entrepreneuriat communautaire constitue

36
UEMOA : Union Économique Monétaire Ouest Africaine regroupe huit Etats (Bénin, Burkina Faso, Côte
d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo); BCEAO : Banque Centrale des Etats de l’Afrique
de l’Ouest.
83

un espace où des sujets populaires cherchent à construire une dynamique commune de production
d’auto-promotion ou s’il se limite à un lieu de déploiement des stratégies individuelles d’accès à
des ressources difficilement mobilisables à un niveau individuel. A ce titre, une des questions
subsidiaires est de se demander, jusqu’où l’entrepreneuriat communautaire arrivera-t-il à
subsumer la rationalité instrumentale et opportune de ses sociétaires à la rationalité
communicationnelle expressive d’un projet de société?

Un autre enjeu situe la portée de l’entrepreneuriat communautaire au-delà des stratégies de


survie liées à la crise économique pour l’inscrire comme partie prenante des dynamiques
émergentes cherchant à construire une autre modernité, en lien avec son cadre référentiel issu de
l’économie populaire. Cet enjeu interroge à la fois l’orientation de l’activité économique de
l’entrepreneuriat communautaire (orientation écosociale versus orientation marchande) et ses
modalités de production/ distribution de richesses subséquentes. Autrement dit, est-ce que
l’entrepreneuriat communautaire se positionne dans le tissu productif en assumant sa logique
d’action écosociale qui inscrit l’activité économique dans l’action sociale ou bien, se soumet-elle
à la logique marchande dans un contexte marqué par l’absence de subventions publiques et la
concurrence d’autres formes d’organisations économiques? Cet enjeu permet aussi d’analyser si
la rentabilité écosociale de l’entrepreneuriat communautaire garantit sa viabilité socio-
économique.

Sur un autre plan, l’entrepreneuriat communautaire pose l’enjeu de la réorientation de la


logique d’action des organisations communautaires en misant certes sur l’empowerment mais
également, sur la recherche de partenariat avec les autres types d’acteurs. Sous ce rapport, la
logique d’action de l’entrepreneuriat communautaire semble évoluer d’une identité légitimante
(années 1960-1970) à une identité-résistance durant les années 1980, vers une identité plurielle
(1990) combinant identité de résistance et identité de projet (Castells, 1999). Cette identité
hybride peut être appréciée à travers la présence concomitante d’une dynamique d’empowerment
local et de production de biens et services. Il faut bien préciser que les contours de ce nouvel
acteur stratégique en puissance ne se perdent pas dans la nébuleuse qu’est la société civile mais
s’inscrit dans le mouvement communautaire du fait de son ancrage populaire et socio-culturel:
« Les sujets, si et quand ils sont construits, ne le sont plus à partir des sociétés civiles, qui sont en
passe de désintégrer, mais dans le sillage d’une résistance communautaire » (Castells, 1999 : 22).
Toutefois, il reste à se demander si l’entrepreneuriat communautaire arrive à se structurer en un
mouvement social, voire en un nouveau mouvement social (Neveu, 2002).
84

Mais l’enjeu structurant de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité réside


dans sa contribution à la reconfiguration du mode de régulation. En effet, le décalage entre les
dynamiques populaires et le mode de régulation porté par l’État et ses bailleurs de fonds, situation
que le Sénégal partage du reste avec la plupart des pays africains, peut être systématisé à un
double niveau. Malgré leur rôle dans la stabilité de la société sénégalaise durant la crise
structurelle qui frappe ce pays depuis les années 1970, les organisations communautaires, du fait
de leur dynamique revendicative et défiante encouragée par ailleurs par les bailleurs de fonds
dans leur volonté de disqualifier l’État, se sont marginalisées des espaces de reconstruction de
nouveaux compromis sociétaux. A un autre niveau, l’État, assujetti au modèle économique néo-
libéral et aux bailleurs de fonds, semble négliger les innovations dont sont porteuses les
organisations économiques communautaires en termes de production/ distribution de biens et
services ou de création d’emplois, du fait de sa vision héritée de la période post coloniale qui
réserve la création de richesses aux institutions publiques et de plus en plus au privé, ravalant
ainsi le mouvement communautaire au développement social, à la lutte contre la pauvreté ou à
l’éducation populaire. Mais du coup, il se marginalise d’un des lieux de création de richesses et
d’ajustement, de l’intérieur du pays, du mode de régulation. C’est ce décalage qui explique le fait
que les principaux partenaires de l’entrepreneuriat communautaire se retrouvent au niveau des
collectivités locales et non au niveau de l’État d’une part, et d’autre part au niveau des partenaires
au développement ayant une sensibilité plus sociale (PNUD, ONG, ONUDI) et non au niveau des
institutions de Breton Woods.

A ce titre, la portée de l’entrepreneuriat communautaire questionne à la fois, la


reconstruction endogène d’un État national plus proche des citoyens et moins dépendant des
injonctions extérieures, la reconfiguration des modalités de gestion publique et enfin, le
renouvellement des stratégies de développement, mais en se positionnant sur une échelle
territoriale, lieu d’ancrage de son action. Autrement dit, jusqu’où l’entrepreneuriat
communautaire arrive-t-il à s’arrimer aux collectivités locales et aux partenaires au
développement, tous deux ayant manifesté une sensibilité par rapport à sa logique d’action
écosociale37, dans le but de contribuer à la construction d’alternatives territorialisées concernant
les modalités de gestion publique et de promotion du développement? Cet enjeu questionne le
rapport de l’entrepreneuriat à la revitalisation socio-territoriale en lien avec les processus de
développement local d’une part, et d’autre part, son rapport à la démocratisation de l’espace

37
Les collectivités locales à travers les processus de développement local et les partenaires à travers les
programmes de lutte contre la pauvreté.
85

public local et à la redéfinition des modalités de gestion publique locale dans une perspective de
gouvernance territoriale. En toile de fond de cet enjeu, apparaît une vision faisant du territoire, un
des lieux de reconstruction du Sénégal contemporain, à côté d’autres échelles de planification.

Par souci de cohérence, ces divers enjeux de l’entrepreneuriat communautaire sont articulés
aux quatre dimensions déjà identifiées dans la partie théorique. L’enjeu historique questionne le
processus, les modalités et les facteurs à travers lesquels, des acteurs sociaux démunis ou
vulnérables arrivent à se structurer en un groupe socio-économique positionné dans le système de
création de richesses. L’enjeu organisationnel interroge la capacité de l’entrepreneuriat
communautaire à assurer une gouvernance organisationnelle équilibrée et cohérente entre sa base
communautaire et sa logique entrepreneuriale, tout en questionnant ses modalités de gestion des
conflits de rationalités se déroulant en son sein. L’enjeu économique met en évidence la capacité
de l’entrepreneuriat communautaire à assurer la production/distribution de biens et services
orientés vers la satisfaction de la demande sociale et vers la démocratisation de l’accès aux
services tout en garantissant des modalités spécifiques en lien avec son cadre référentiel
écosociale. Ce qui l’amène à rechercher l’articulation entre rentabilité sociale élargie et viabilité
socio-économique pour assurer sa pérennité. L’enjeu socio-politique de l’entrepreneuriat
communautaire questionne son rapport au processus de développement local et à la dynamique de
gouvernance locale qui informent du processus de reconfiguration territorialisée des modalités de
gestion publique et de promotion du développement. Il permet d’interroger son réseautage autour
d’un mouvement social local, son rapport à l’espace public local ainsi que la nature de ses
relations avec ses partenaires stratégiques. Autrement dit, l’enjeu socio-politique permet
d’analyser jusqu’où la performance socio-économique de l’entrepreneuriat communautaire en
contexte de précarité renforce sa position socio-politique dans la vie publique locale. Il faut donc
bien noter que la perspective territoriale, lieu d’action privilégié de l’entrepreneuriat
communautaire, structure les quatre enjeux à partir desquels cette recherche va interroger les
diverses organisations étudiées.

Conclusion

Le Sénégal contemporain reste marqué par l’ambivalence. D’un côté, on constate une crise
des structures et des modalités de régulation politique et économique qui ont dominé le pays de
l’indépendance à 2004 (modèle de développement de l’État, les PAS avec les bailleurs de fonds et
enfin, les programmes de lutte contre la pauvreté initiés par les partenaires au développement),
86

traduisant ainsi l’épuisement du mode de régulation post colonial. D’un autre côté, on constate
des dynamiques émergentes appréciables à divers niveaux : les processus de développement local
initiés par les collectivités locales en relation avec les acteurs sociaux, le secteur informel
démontrant une efficacité en termes de promotion de l’emploi non salarié et de satisfaction des
besoins sociaux, la société civile qui cherche à peser sur l’espace public, les MPE et PME
traduisant la plus grande affirmation des sujets populaires dans le secteur privé national et enfin,
l’entrepreneuriat communautaire qui marque diverses modalités de production/ distribution de
biens et services initiées par des groupes sociaux en vue d’assurer leur auto-promotion voire la
promotion de la communauté territoriale. Toutefois, ces dynamiques émergentes, du reste peu
articulées entre elles, tardent à être perçues comme porteuses du Sénégal qui se refait. Concernant
l’entrepreneuriat communautaire par exemple, aussi bien les pouvoirs publics, les bailleurs de
fonds que la plupart des chercheurs spécialisés en organisations communautaires, l’analysent
souvent en dehors des enjeux sociétaux relatifs à la reconstruction des compromis sociétaux tout
en négligeant sa portée entrepreneuriale. C’est cela qui explique le fait que, ni la mouvance
entrepreneuriale des associations, ni la multiplication récente de divers types d’entrepreneuriat ne
soient suffisamment investies comme faisant partie des dynamiques émergentes du Sénégal qui se
refait.

Dans un tel contexte, l’ambivalence du Sénégal contemporain informe du décalage entre un


mode de régulation épuisé mais qui résiste et diverses dynamiques émergentes, expressives de
l’affirmation de nouveaux types d’acteurs stratégiques porteurs de nouvelles approches de
l’économie, du développement et du politique, mais qui peinent à jeter les bases de la
reconfiguration des stratégies de développement et de gestion publique. Entre crises structurelles
(expressives de la paupérisation des populations, de l’échec du régime d’accumulation et des
modalités de gestion publique) et ces dynamiques émergentes mais fragiles, prémisse d’une
mutation des acteurs, des structures et des modalités de régulation politique et économique, le
Sénégal contemporain se cherche une voie. D’où l’intérêt à analyser en profondeur comment se
négocie cette situation ambivalente dont l’issue relève du construit en prenant comme porte
d’entrée l’entrepreneuriat communautaire.
87

CHAPITRE II

LA CONSTRUCTION THÉORIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT


COMMUNAUTAIRE

Ce chapitre présente la construction théorique de l’entrepreneuriat communautaire en


s’appuyant sur trois inspirations théoriques, à savoir la sociologie économique, les théories du
développement local et enfin, celles portant sur l’entrepreneuriat. La sociologie économique
fournit le soubassement théorique de cette recherche en la positionnant dans les autres approches
de l’économie remettant ainsi en cause la vision restrictive et économiciste des théories néo-
classiques. Au sein de la sociologie économique, le courant de l’économie sociale et solidaire
valorisant une économie plurielle est convoqué pour fournir quelques dimensions de
l’entrepreneuriat communautaire. Ce courant sera complété par celui de l’économie populaire,
plus en lien avec notre terrain de recherche.

Mais l’entrepreneuriat communautaire ne se limite pas seulement à ses dimensions


organisationnelle et socio-économique. Il comporte également des dimensions socio-territoriale et
socio-politique expressives de son ancrage socio-territorial marqué, de son rapport aux
mouvements sociaux ou encore, de son inscription dans l’action publique locale. En cela, il
s’inscrit dans le renouvellement des théories du développement (modernisation, dépendance,
développement endogène) pour mettre en évidence le territoire. C’est pourquoi, les théories du
développement local seront convoquées pour mettre en évidence le rapport de l’entrepreneuriat
communautaire à la revitalisation territoriale et à la gouvernance territoriale.

Ce double soubassement théorique encastrant l’économie dans l’action sociale tout en


misant sur le territoire comme valeur sociale ajoutée, éclaire l’analyse des théories portant sur
l’entrepreneuriat historiquement redevables au modèle capitaliste. Ces théories inspirées de
plusieurs approches, permettent de systématiser les dimensions de l’action d’entreprendre. Elles
seront par la suite mises en perspective avec les recherches portant sur l’entrepreneuriat africain
pour faire ressortir la nature de son mode d’accumulation fort différent de l’entrepreneuriat
d’obédience anglophone et francophone. La combinaison de ces trois sources théoriques permet
en conclusion, de systématiser notre approche théorique de l’entrepreneuriat communautaire.
88

2.1. Autre approche de l’économie : l’éclairage de la sociologie économique

Cette partie est structurée autour de trois mouvements. D’abord, quelques sources
d’inspiration de la sociologie économique sont présentées (2.1.1) avant de nous positionner dans
le courant de l’économie sociale et solidaire pour faire ressortir les dimensions organisationnelle,
socio-économique et socio-politique de l’entrepreneuriat (2.1.2). Enfin, le courant de l’économie
populaire permettra de mettre en évidence une perspective africaine de la sociologie économique
(2.1.3).

2.1.1 Les sources d’inspiration

Dans les théories néo-classiques, l’économie est décrite comme un processus d’allocation
de ressources rares réalisé par des acteurs économiques rationnels cherchant à maximiser le
profit. Que ce soit la théorie de la main invisible du marché auto-régulateur (Smith, 1776) ou
celle de l’équilibre général concurrentiel de Walras, elles postulent toutes deux, à l’instar de la
plupart des penseurs orthodoxes, à l’universalité du mobile utilitariste et de la coordination
marchande, en mettant en évidence la nécessité d’avoir un marché pur et parfait comme instance
unique de coordination (Hugon, 1995). C’est pourquoi, les comportements économiques sont
analysés comme rationnels, indépendamment des structures et des organisations. On peut ici
signaler que les néo-classiques considèrent que les ressources sont limitées mais avancent que les
besoins sont illimités comme c’est le cas du profit. Toutefois, il semble bien que les besoins
humains sont toujours limités pour diverses raisons, à commencer par les croyances et par les
convictions des individus.

C’est en réaction à cette vision de l’économie que se structure la sociologie économique


cherchant à promouvoir une vision plus extensive de l’économie encastrée dans l’action sociale.
La sociologie économique peut être définie comme «l’ensemble des théories qui s’efforcent
d’expliquer les phénomènes économiques à partir d’éléments sociologiques » (Swedberg, 1994 :
35).Toutefois, elle a étudié l’économie plus en amont (étude des conditions socio-économiques
du développement) et en aval (impact du développement économique), expliquant d’ailleurs sa
fragmentation autour de diverses branches de la sociologie38. C’est pourquoi, la nouvelle
sociologie économique s’est attelée à réinterroger d’abord la signification et les dimensions de

38
Sociologie industrielle, du travail, des organisations, du développement, des entreprises…
89

l’économie que les théories classiques avaient dénaturées. Elle s’est attaquée en effet «…à l’objet
même de la science économique en proposant non seulement une critique (une déconstruction)
mais également une reconstruction de ce qui constitue l’économie» (Lévesque et all, 2001 : 18).
Pour rendre compte des sources d’inspiration de la sociologie économique (la nouvelle comme
l’ancienne), cinq références théoriques seront mises à contribution de manière ordonnée en vue
d’asseoir la construction théorique de l’entrepreneuriat communautaire: le paradigme wébérien de
l’action sociale, le courant institutionnaliste, les trois étages de l’économie chez Braudel, les
quatre principes de l’activité économique chez Polanyi, et enfin, l’encastrement de l’économie de
marché dans les réseaux sociaux chez Granovetter (Lévesque, 1997 ; Laville, 1997; Lévesque et
all, 2001).

2.1.1.1. Le paradigme de l’action sociale chez Weber

Dans Économie et Société, Weber décrit l’action sociale comme «l’activité qui, d’après son
sens visé par l’agent ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel
s’oriente son déroulement» (Weber, 1995 : 28). C’est pourquoi, l’individu est considéré comme
un socius en interaction avec les autres acteurs sociaux, et qui oriente son comportement en
fonction de la compréhension qu’il a de celui de ces derniers. L’action sociale est déterminée par
quatre types de logiques. L’activité traditionnelle désigne une conduite mécanique en fonction
des coutumes tandis que l’activité affectuelle est marquée par la prédominance de l’instinct et de
l’émotion. Contrairement à ces deux types d’activités, les activités rationnelles concernent d’une
part, l’activité rationnelle en valeur marquée par un but d’ordre éthique, esthétique ou religieux
mais sans prévision des conséquences de l’acte et d’autre part, l’activité rationnelle en finalité où
les individus définissent des objectifs et évaluent les moyens les plus adéquats pour les atteindre
tout en évaluant les conséquences de leurs actes. De ces quatre types d’action, c’est l’action
rationnelle en finalité qui incorpore l’action économique. Mais, contrairement à la vision
restrictive des théories néo-classiques réduisant l’action humaine au calcul utilitaire, Weber
appréhende l’action économique en fonction de deux logiques, lorsqu’il différencie activités
économiques et activités à orientation économique. Les premières sont d’orientation
essentiellement et subjectivement économique tandis que les activités à orientation économique
désignent : «toute activité qui est orientée en principe à d’autres fins mais qui tient compte dans
son déroulement de «faits économiques » (…) ou qui est d’orientation essentiellement
économique mais utilise pour parvenir à ses fins des moyens violents » (Weber, 1995 : 102).
90

Weber constate que l’époque moderne est caractérisée par un processus accéléré de
rationalisation des activités sociales à travers notamment la diffusion de la rationalité en finalité
sur toutes les activités humaines. Dans ce cadre, la rationalisation désigne l’extension des
activités réalisées à partir d’une logique misant sur la recherche de l’efficacité optimale, le calcul,
la prévision, l’évaluation en combinant objectifs et moyens les plus adaptés pour atteindre un but
préalablement établi. Cette rationalisation des actions sociales liée à la fois aux progrès de la
science et de la technologie, à la création d’un État moderne déterminant le monopole de la
violence légitime et à des aspects religieux et culturels en Occident (éthique protestante), peut
être appréciée notamment dans le capitalisme moderne et dans le phénomène bureaucratique.
C’est ainsi que l’entreprise capitaliste résulte d’une autonomisation par rapport aux formes
traditionnelles de production et d’échange liées à cette rationalisation du monde par ailleurs
source de désenchantement.

A travers l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Weber va démontrer que le


capitalisme naissant peut bien obéir à une logique économique inspirée des croyances religieuses
(1990). Les notions de «cause du salut», de «prime de l’au-delà», de «vocation» avancées par le
calvinisme ont favorisé un changement de perception vis-à-vis du travail. Celui-ci devient non
point un moyen de rechercher du profit mais un moyen de réalisation du salut de l’individu et
d’atteinte de la paix de l’âme à la gloire de Dieu. De tels comportements économiques sont
accompagnés dans la vie sociale par des principes d’honnêteté, de respect des engagements pris,
de rigueur au travail, d’autonomie, de goût de la réussite individuelle mais également par une vie
simple induisant l’épargne réinvestie ainsi que l’accumulation continue de la richesse considérée
comme un signe de salut. C’est en ces termes que l’éthique du protestantisme (particulièrement le
calvinisme) a pu constituer du moins à ses débuts, un des facteurs explicatifs à l’essor du
capitalisme. Notons que même si la théorie wébérienne a été critiquée pour son déterminisme
unidimensionnel, sa limitation à un des courants du protestantisme, son influence par la doctrine
de la pré destination ou encore sa faible prise en compte des conditions politiques, économiques
et sociales favorables à l'esprit d’entreprise, il reste que la mise en évidence des valeurs a permis
de mettre l’accent sur la composante substantive de l’économie jusqu’alors négligée par la théorie
classique au profit de la composante formelle.

Ce paradigme de l’action sociale inspirée de Weber a permis à Laville (1997) de spécifier


la sociologie économique par rapport aux théories néo-classiques en fonction de quatre
91

dimensions : la conception de l’économie, celle de l’individu, l’approche de l’action économique


et enfin, la relation à la société.

Tableau 2.1 : Éléments de différenciation entre économie néo-classique et sociologie économique

Éléments de Économie néo-classique Sociologie économique


différenciation
Conception de Choix rationnel d’individus en Relève de l’action sociale et combine activités
l’économie condition de rareté, filiation économiques et activités à orientation
science physico-mathématique économique
Approche de l’action Rationalité formelle utilitariste Soumise à une pluralité de logiques combinant
économique rationalité formelle et rationalité substantive
Motivation poursuite de Diversité de motivation de l’action sociale
l’intérêt individuel
Conception de l’acteur Individu indépendant et L’individu en interaction avec les autres vers
atomisé qui il oriente son action
Relation à la société Respect de la rationalité Le marché est inscrit dans un contexte
optimisante du marché institutionnel, culturel et n’est jamais pur et
concurrentiel parfait
Source : Laville, 1997

Dans la logique néo-classique, le fonctionnement optimal d’un marché concurrentiel


demeure une exigence pour assurer l’efficience dans la production de biens et services. C’est
pourquoi, il est postulé une rationalité optimisante d’un marché pur et parfait. Pour la sociologie
économique, une telle vision demeure irréaliste parce que ne prenant pas en compte des variables
aussi importantes que la configuration du marché, le capital social et symbolique, le contexte
institutionnel et culturel, les phénomènes d’incertitude informationnelle ou encore les relations de
confiance. Ainsi, l’économie ne se réduit pas seulement aux sciences physico-mathématiques.
Elle inclut deux dimensions : l’une formelle liée aux choix rationnels et l’autre, substantive (où
l’allocation des ressources obéit à d’autres déterminations comme les loyautés communautaires et
la référence à des valeurs) désigne toutes activités orientées vers la subsistance et liées à la
dépendance de l’homme à la nature et à ses semblables. Ainsi, l’activité économique ne s’épuise
pas dans la rationalité utilitariste et instrumentale du fait que, s’effectuant dans une société, elle
reste soumise à l’interaction entre les individus au sein de groupes ou de réseaux sociaux d’une
part, et d’autre part, elle peut être orientée en fonction de principes ne recherchant pas forcément
la maximisation du profit, comme les valeurs religieuses, le renforcement de position, la
recherche de statut, la solidarité (Laville, 2001). C’est pourquoi, contrairement à la vision néo-
classique autonomisant l’activité économique autour d’un marché autorégulateur ou d’une main
invisible, la sociologie économique restitue l’activité économique au sein de l’action sociale. Du
point de vue de l’individu décrit à travers une conception atomiste d’un être indépendant par la
théorie néo-classique, la sociologie économique insiste sur le fait que les individus sont déjà
92

inscrits dans des relations sociales et que leur action est influencée par la compréhension qu’ils
ont du comportement d’autrui (autres individus, groupe social, réseau social). En réalité,
l’inspiration du paradigme wébérien de l’action sociale permet à la sociologie économique de
prôner le retour aux sources de l’économie en tant que fait social.

2.1.1.2. L’éclairage du courant institutionnaliste

Cette approche peut être analysée dans une perspective d’approfondissement du paradigme
de l’action sociale wébérienne. En effet, analysée dans cette recherche sous l’angle de l’économie
des conventions et de l’école de la régulation, le courant institutionnaliste demeure partie
prenante d’une vision à la fois globale et intégrée des acteurs, des organisations et des
institutions.

Du point de vue des conventionnalistes, l’action sociale répond à une pluralité de registres
liée à la diversité des grandeurs. Le courant de l’économie des grandeurs fait ressortir les
ressources éthiques et cognitives que les agents économiques mobilisent pour expliquer et
justifier leurs actions (Boltanski et Thévenot, 1999). Les chercheurs de ce courant définissent six
cités qui sont autant de manières de définir la grandeur d’une personne tout en faisant ressortir la
pluralité des ordres légitimes. La cité de l’inspiration ou cité de Dieu est basée sur la grâce qui
fonde le rejet des intérêts terrestres au profit de l’humilité, la cité domestique fait référence aux
relations de dépendance personnelle liant des personnes apparentées en lien avec leur position
dans un ordre hiérarchisé, la cité de l’opinion se base sur la réputation et la reconnaissance
d’autrui, la cité civique insiste sur la construction d’un bien commun subsumant les intérêts
individuels autour de la poursuite de l’intérêt général, la cité industrielle peut être caractérisée par
la recherche de l’efficacité et de la standardisation liée au positivisme et enfin, la cité marchande
reste soumise à la logique concurrentielle de la rivalité entre acteurs économiques. Toutefois, ce
modèle des cités ne donne pas d’information sur le processus présidant à l’attribution des
grandeurs, demeure redevable à l’individualisme méthodologique et enfin, démontre sa
pertinence surtout dans le cadre du fonctionnement normal des démocraties libérales occidentales.
L’intérêt de l’économie des grandeurs pour notre recherche réside moins dans le contenu des
diverses cités que dans l’éclairage qu’elle offre concernant la diversité des logiques d’action
présidant à l’action sociale, chaque logique ayant sa rationalité propre.
93

Même si elle s’inspire de l’économie des grandeurs, l’économie des conventions déploie
une vision plus globale née de la combinaison de divers courants critiques de l’économie néo-
classique. Réfutant le postulat d’individus atomisés rationnels dont l’agrégation des actions se fait
uniquement par le marché et autour de l’intérêt, l’économie des conventions considère que toute
forme d’activité, y compromis celle marchande, a besoin d’un cadre minimum de coordination
définissant des règles, contrats et contraintes sur lesquels s’accordent les parties prenantes, à
savoir une convention (Livet et Thévenot, 1994). De même, du moment où il y a une
incomplétude des marchés liée à l’incertitude et au risque ainsi qu’à l’existence d’agents
économiques disposant de rationalité limitée et agissant en situation d’information imparfaite et
asymétrique, les conventions sont nécessaires pour coordonner les particularités contingentes et
réguler les relations dans le but d’améliorer l’efficacité des actions des individus (Salais, 1994).
C’est pourquoi, l’accent est mis dans ce courant sur les modes de coordination aux frontières de
l’économique, du social et du politique, faisant ainsi la promotion d’une approche
transdisciplinaire en vue de saisir la complexité des modes de coordination collective de l’action
des individus.

En lien avec l’entrepreneuriat communautaire, signalons l’application de la perspective


conventionnaliste à l’association élaborée par Enjolras. Prenant ses distances par rapport aux
deux approches de l’association (sociologique et économique), ce chercheur conçoit
«l’association comme un dispositif de compromis destiné à gérer les tensions entre plusieurs
formes de coordination et impliquant les formes de coordination marchande, domestique,
solidaire, administrative, démocratique » (Enjolras, 1993 : 94). Sous ce rapport, l’association peut
donner lieu à divers modes d’hybridation des diverses grandeurs, ce qui la positionne à la fois
comme un corps intermédiaire autonome ancré dans la société civile et comme un acteur
économique irréductible. Le courant conventionnaliste sera critiqué du fait de sa négligence du
cadre macro et de sa difficulté à saisir la dimension historique et conflictuelle de l’action
économique (Lévesque et all, 2001). Pour les besoins de notre recherche, quatre
indications peuvent être tirées de ce courant: l’analyse les modalités à travers lesquelles les
acteurs sociaux s’accordent pour initier des organisations économiques communautaires et les
faire fonctionner, l’inscription des conventions au cœur des régulations économiques en opposé à
la vision autorégulatrice du marché, une perspective transdisciplinaire de notre recherche et enfin,
l’appréhension de l’entrepreneuriat communautaire comme un dispositif de compromis entre
diverses formes de coordination.
94

Alors que les conventionnalistes se penchent sur les formes de coordination à l’intérieur des
organisations, l’école de la régulation, elle, met l’accent sur les formes institutionnelles de
régulation de la société, se positionnant ainsi dans le cadre macro structurel. Le contexte lié à la
crise du mode de régulation fordiste sert de point de départ pour faire ressortir la nécessité de
renouveler les compromis sociétaux (Aglietta, 1976). La préoccupation de recherche consiste à
analyser comment un système socio-économique, malgré les contradictions et les crises qui le
traversent, arrive à s’adapter à un contexte évolutif (Lipietz, 1984). L’analyse en termes de mode
de régulation met en évidence un système de rapports sociaux, de mécanismes et d’institutions
spécifiques à travers lesquels, une société accommode les pratiques et rationalités des différents
acteurs tout en produisant des ajustements, suite aux crises en vue de renouveler les compromis
sociétaux et ainsi, assurer la reproduction de la cohérence dynamique du système. Dans ce cadre,
la crise économique traduit une crise plus générale du mode de régulation, c’est-à-dire qu’elle est
à la fois politique et sociale. L’ajustement des comportements individuels et collectifs peut se
faire sous une forme coercitive, à travers la législation, ou sous une forme négociée à travers le
compromis et enfin, sous une forme socialisatrice à travers le système des valeurs et des
représentations (Boyer, 1986). Dans un tel courant, le marché est réduit à une institution parmi
d’autres et est conditionné par le mode de régulation qui lui fixe sa place, son orientation, son
mode d’accumulation.

Ce qui nous semble pertinent dans cette approche au vu de notre objet d’étude, c’est le lien
établi entre les initiatives portées par des acteurs sociaux et le renouvellement du mode de
régulation ainsi que l’analyse faite la situation de crise. Celle-ci traduit en ce sens une crise plus
générale reflétant l’épuisement du mode de régulation d’une part, et d’autre part, une telle
situation n’est pas que destructrice, la crise permet de renouveler les compromis sociétaux. En
outre, l’accent mis sur la reconfiguration du mode de régulation permet d’interroger la nature du
contrat de société, la nature de l’État, la nature du régime d’accumulation, les rapports entre les
différents acteurs mais aussi, le degré d’articulation des initiatives économiques populaires avec
la reconfiguration des modalités et structures de régulation économique et politique.

Toutefois, cette approche qui s’est cristallisée autour du rapport salarial et à l’industrie a
négligé de prendre suffisamment en compte les mouvements sociaux tout en restant prisonnière
de sa vision fonctionnaliste, privilégiant ainsi ce qui garantit le bon fonctionnement et la
reproduction du système au détriment de ses contradictions. D’ailleurs, c’est ce qui a poussé
certains chercheurs à la réduire aux courants recherchant plus une autre forme de capitalisme que
95

la promotion d’une autre économie (Bélanger et Lévesque, 2005). On peut à ce titre noter que la
crise du couple Etat-marché à la fois au Nord et au Sud ouvre des perspectives pour les acteurs de
la société civile en vue de participer à la reconfiguration des formes institutionnelles de
régulation, élargissant ainsi le couple à une synergie à trois où se côtoient État-marché-société
civile. Dans un tel contexte, les approches théoriques cherchent de plus en plus à combiner
l’approche de la régulation, l’économie des conventions et la théorie des mouvements sociaux
pour mettre en évidence un cadre théorique arrimant trois dimensions : les acteurs sociaux, les
formes organisationnelles et enfin, les formes institutionnelles (Bélanger et Lévesque, 1991 ;
Lévesque et all, 2001)39.

2.1.1.3. Les trois étages de l’économie chez Braudel

D’autres perspectives critiques du courant néo-classique empruntent une analyse historique


de l’économie. Dans ce cadre, Braudel (1979) va chercher à expliquer la genèse du capitalisme en
dessinant une vision historique de l’économie assimilée à une maison à trois étages : un étage de
fondement ou rez-de-chaussée constitué de l’économie de subsistance, un premier étage constitué
de l’échange local sur le marché (territorial ou national) et enfin, un étage supérieur lié à
l’économie-monde.

Le rez-de-chaussée désigne le niveau inframarchand où les activités économiques disposent


d’un enracinement local marqué autour de dimensions comme la solidarité, les passions, la
proximité, le voisinage. Les activités économiques qui s’y déroulent peuvent relever de
l’économie domestique, de l’échange de proximité basé sur le don et le troc, des activités
informelles et enfin des micro-entreprises individuelles et collectives de survie. Cette économie
de rez-de-chaussée constitue un lieu d’apprentissage et de créativité notamment en matière de
création de richesses et d’emplois. Au premier étage, on retrouve le marché régulé à l’échelle
locale ou nationale. Contrairement au rez-de-chaussée caractérisé par la subsistance et l’absence
de droits politiques, dans l’échange local, les activités économiques des entreprises individuelles
ou des PME sont soumises à la concurrence et à la reconnaissance des règles. On y retrouve des
activités marchandes, des activités non marchandes de services ou d’utilité sociale disposant d’un
potentiel d’emplois ainsi que certaines activités provenant du rez-de-chaussée qui en remontant,

39
Cette approche est notamment promue au sein du CRISES : Centre de recherche sur les innovations
sociales (Québec). Voir site du CRISES: www.crises.uqam.ca
96

peuvent perdre certaines de leurs caractéristiques. Enfin, l’étage de l’économie monde est marqué
par l’accumulation à travers des activités économiques inscrites dans la compétition
internationale, par l’affranchissement aux normes et règles au profit de rapports de forces, par le
double langage, par l’opacité, par la distance ou encore par les réseaux. Mais en s’affranchissant
du droit commun, cet étage revient paradoxalement à certaines caractéristiques du rez-de-
chaussée (Verschave, 1994). L’économie monde est le règne de l’économie de rente où les
grandes entreprises, les monopoles, les institutions financières cherchent à échapper à la
concurrence tout en y contraignant les autres paliers :

«S’il est à première vue paradoxal que les entreprises de l’économie-monde défendent la
concurrence alors qu’elles tentent de s’en soustraire, c’est que le libre marché leur permet
d’exploiter le travail et les produits dans des rapports inégaux où elles peuvent faire appel à un
pouvoir politique capable d’imposer, à l’économie du marché local, des règles dont la légitimité est
acceptée» (Lévesque, 1997 : 105).

L’analyse de la construction dialectique de ces trois étages de l’économie par Braudel


permet de comprendre comment l’économie-monde soumet l’économie de subsistance et le
marché local à ses intérêts et à ses normes. C’est pourquoi, son triomphe est source de
fragilisation des deux étages inférieurs, de dérégulation et d’exclusions sociales. Du point de vue
de l’entrepreneuriat, cette théorie replace les initiatives économiques locales à la base du système
économique. Autrement dit, celles-ci constituent le premier développement fournissant les
indispensables ressorts auxquels aucun système économique ni modèle de développement ne
saurait se passer (Favreau et Fréchette, 2002). En outre, cette théorie informe qu’avec la
mondialisation néo-libérale, les initiatives économiques populaires doivent s’ajuster à un système
économique qui leur impose des règles pouvant être différentes de leur cadre de référence, mais
auxquelles elles pourraient contribuer à la révision.

2.1.1.4. Les quatre principes de l’activité économique chez Polanyi

Polanyi partage la même perspective historique que Braudel. Pour lui, avec le modèle
économique néo-classique, on passe d’un marché régulé comme une des fonctions au sein de
l’organisation sociale à un marché auto régulateur comme critère exclusif de référence cherchant
à dominer les autres formes de coordination: «Au lieu que l’économie soit encastrée dans les
relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique»
(1983: 88). Empruntant la perspective de l’anthropologie économique historique, Polanyi
identifie quatre principes de l’activité économique qui ont marqué l’histoire économique de
97

l’humanité, à savoir: l’administration domestique, la réciprocité, la redistribution et le marché.


Avec la communauté politique moderne, ces quatre principes vont être réagencés autour de trois
pôles économiques : l’économie marchande structurée autour du marché, l’économie non
marchande soumise à la redistribution de l’État et enfin, l’économie non monétaire relevant de
l’administration domestique et de la réciprocité. De ces divers systèmes, seul le marché était
guidé par des mobiles marchands. Mais du moment où son impact était limité et contenu dans un
système plus vaste, le marché restait encastré dans l’organisation sociale au même titre que les
autres formes de coordination. Ce sera avec la prédominance du capitalisme moderne que
l’économique se trouvera désencastré du social en s’érigeant comme produit de l’émanation du
choix rationnel d’individus indépendants autour d’un marché régulé par l’évolution de l’offre et
de la demande. Cette tendance traduit la domination de la composante formelle de l’économie
basée sur le choix rationnel dans des conditions de rareté sur celle substantive. Celle-ci rend
compte d’un processus d’interaction entre l’homme et la nature visant à assurer
l’approvisionnement régulier en biens et services en vue de satisfaire les besoins fondamentaux.
Parmi les apports de l’approche historique de Polanyi, on peut en retenir au moins trois éléments
qui restituent l’économique à sa place. D’abord, le fait que la configuration du système
économique loin d’être définitive est historique et reste soumise à une construction socio-
historique; ensuite l’économique ne se réduit pas au marchand que confirme l’existence d’une
pluralité de principes économiques relevant du marchand, du non marchand et du non monétaire.
Enfin, on peut également noter différents modes de production économique: l’entreprise privée
capitaliste, l’entreprise publique, l’entreprise réciprocitaire et l’entreprise domestique.

2.1.1.5. L’encastrement social de l’économie chez Granovetter

C’est à partir de cette économie de marché que Granovetter (2000) cherchera à se situer
pour faire ressortir la pluralité des principes qui s’y déroulent nuançant du coup sa prédominance,
telle que présentée par Polanyi (Youssefi, 2004). Partant de l’hypothèse selon laquelle
l’autonomie du marché constitue une utopie libérale et que les institutions économiques doivent
être considérées comme des constructions sociales et historiques, Granovetter décrit l’économie
comme inscrite dans les normes sociales, culturelles et politiques qui régulent la production et la
distribution de biens et services. C’est ce qui lui permet de prendre ainsi sa distance par rapport
aux conceptions sous socialisées et sur socialisées de l’économie atomisant l’individu:

«Dans la conception sous- socialisée, l’atomisation découle de la poursuite étroitement utilitariste de


l’intérêt personnel; dans l’approche sursocialisée, elle résulte du fait que les individus ont intériorisé
98

des schémas comportementaux et que, par conséquent, les relations sociales courantes n’affectent
plus que de manière secondaire leur comportement» (Granovetter, 2000 : 81).

Pour Granovetter, l’action économique reste encastrée au sein de réseaux de relations


personnelles plaçant les individus en contact les uns par rapport aux autres. L’encastrement social
de l’action économique pourrait être analysé tant du point de vue relationnel (centré sur les
relations personnelles) que du point de vue structurel (portant sur la structure du réseau en tant
que système). L’apport de Granovetter, même s’il reste centré sur l’individu, permet de nuancer
l’effet lié à la prédominance du marché du fait de son encastrement dans les réseaux personnels.

Des sources d’inspiration théorique provenant de la sociologie économique, nous pouvons


retenir plusieurs éléments contribuant à la construction théorique de l’entrepreneuriat comme le
montre le tableau suivant.

Tableau 2.2 : Quelques apports inspirés de la sociologie économique


Auteurs Éléments d’inspiration
Weber (1990 et 1995) l’action économique relève de l’action sociale, particulièrement de l’action
rationnelle en finalité
l’économie combine activité économique et activité à orientation économique
l’agent économique n’est pas un être atomisé, il est un socius
l’esprit du capitalisme s’inspire des valeurs religieuses et culturelles
Les institutionnalistes Les conventions régulent l’activité économique
L’action sociale relève d’une pluralité de registres liée à la diversité des
grandeurs que les agents économiques utilisent pour justifier leurs actions
L’association, comme dispositif de compromis entre diverses formes de
coordination
Le mode de régulation structure l’activité économique, par suite la crise
économique est également une crise politique et sociale.
Braudel (1979) L’économie comporte plusieurs paliers ayant chacun sa logique propre. Mais
l’économie-monde qui est le palier supérieur cherche à réduire les autres
paliers en fonction de ses intérêts et de ses propres normes auxquelles elle
cherche à se soustraire
Les initiatives économiques locales constituent la base de tout système
économique mais ne se sont pas auto-suffisantes
Polanyi (1983) L’économie est structurée autour de quatre principes regroupés autour des
pôles marchands, non marchands et non monétaires
La configuration du système économique est un fait historique et non
définitif
La prédominance actuelle du marché désencastre l’économie de
l’organisation sociale
Granovetter (2000) Malgré la prédominance du marché, l’activité économique reste encastrée
dans les réseaux sociaux
La pluralité des principes économiques se déroule au sein du marché et pas
seulement dans l’histoire économique
L’économie, une construction socio-historique
99

De ces sources d’inspiration, on peut signaler que l’entrepreneuriat communautaire dispose


d’un ancrage à la fois social, organisationnel et institutionnel comme le montre la synthèse
suivante.

- La configuration du système économique demeure une construction socio-historique


évoluant dans le temps. A ce titre, la prédominance de l’économie de marché n’est pas
définitive et n’exclut pas la présence en son sein de comportements non soumis au
comportement utilitariste. A ce titre, l’économie ne se réduit pas au marchand. Elle est
traversée par une pluralité de principes relevant du marchand (privé capitaliste), du non
marchand (redistribution État) et du non monétaire (administration domestique,
réciprocité) ou de divers ordres de grandeurs;
- Le marché demeure encastré dans l’action sociale. Il est une institution qui cohabite avec
d’autres institutions au sein de la société. En outre, il ne constitue pas un tout homogène.
Non seulement, il intègre le non marchand et le non monétaire, mais également il
comporte plusieurs paliers à savoir l’infra marchand, le marché local et l’économie-
monde. Ainsi, la rationalisation de l’économie n’exclut pas l’incorporation de valeurs, de
relations sociales, de finalités qui, dans certaines conditions, peuvent se révéler porteuses
de valeurs ajoutées aboutissant ainsi à la combinaison de rationalités formelle et
substantive;
- Les agents économiques, loin d’être atomisés, constituent des personnes, c’est-à-dire des
individus qui sont en interaction avec d’autres d’une part, et d’autre part qui poursuivent
dans leurs activités économiques des objectifs non marchands. Ils mettent en œuvre des
conventions pour réguler leurs actions économiques et assurer leur efficacité;
- L’association est un dispositif de compromis hybridant diverses formes de coordination;
- Même s’ils ne se suffisent plus comme système économique, les systèmes locaux
d’échange constituent un palier irréductible du système économique, à côté des autres
paliers;
- Les activités économiques issues d’une logique non monétaire n’échappent pas aux
règles de la concurrence imposées par l’économie-monde qui par ailleurs cherche à s’y
soustraire. A ce titre, c’est moins le marché national que l’économie-monde qui constitue
le plus grand risque de fragilisation des initiatives économiques locales;
- La crise économique est une crise du mode de régulation;
100

- Une approche transdisciplinaire de l’entrepreneuriat communautaire autour de trois


dimensions théoriques: celle de l’action sociale, celle de l’organisation et enfin, celles des
formes institutionnelles.

A partir de ces prémisses, en lien avec notre objet de recherche, le courant de l’économie
sociale et solidaire débouchant sur l’économie plurielle voire l’alter-économie, semble être le plus
approprié pour étudier l’entrepreneuriat communautaire.

2.1.2 Le courant de l’économie sociale et solidaire

La portée de ce courant (qui met l’emphase sur les entreprises sociales) par rapport à
l’entrepreneuriat communautaire, c’est de lui fournir les bases théoriques pour construire trois
dimensions : une dimension organisationnelle (2.1.2.2) expressive de l’hybridation entre base
socio-communautaire et logique entrepreneuriale, une dimension socio-économique (2.1.2.3) qui
positionne l’entrepreneuriat communautaire comme acteur stratégique partie prenante du système
de production et de distribution de richesses dans le cadre d’une économie plurielle et enfin, une
dimension socio-politique (2.1.2.4) relative à son ancrage dans la société civile et dans l’espace
public débouchant ainsi sur le courant d’alter économie. La présentation des contours de
l’économie sociale et solidaire (2.1.2.1) va précéder celle de ces trois apports avant de conclure
par une analyse critique (2.1.2.5).

2.1.2.1. Les contours de l’économie sociale et solidaire

L’économie sociale se réfère historiquement aux formes les plus anciennes d’association,
au solidarisme, au mouvement ouvrier ou à des inspirations religieuses diverses (Defourny et all,
1999). Sa redécouverte aboutissant à l’expression «économie sociale et solidaire» est à lier à
l’éclatement de la synergie Etat-marché suite à la crise de la société fordiste-providentialiste issue
des ‘trente glorieuses’ (1945-1975) (Favreau et Lévesque, 1999). Inspirée par les classiques de la
sociologie économique et par les régulationnistes, les chercheurs de ce courant partent de cette
situation de crise pour faire ressortir la nécessité de repenser et l’économique et le social dans la
perspective de redonner la priorité à la politique et à la démocratie. Pour Lévesque, quatre limites
du modèle fordiste-providentialiste expliquent cette perspective de démocratisation de
l’économie : l’effet déstabilisateur de la mondialisation, l’exclusion des travailleurs et des
101

usagers, ce qui pose des problèmes de participation et de démocratisation du système productif,


l’incapacité de la croissance à régler les problèmes de chômage et d’exclusion sociale et enfin,
une auto régulation par le marché empêchant la mobilisation des acteurs sociaux pour une
croissance axée sur le plein emploi (Lévesque, 1997). A ces conditions de nécessité, s’ajoutent
des conditions d’aspiration liées aux identités collectives, aux communautés de destin ainsi qu’à
différents projets portés par des groupes sociaux pas ou peu insérés visant «l’horizon partagé
d’une société démocratique et équitable» (Favreau, 2005).

Pour spécifier les activités ou organisations relevant de l’économie sociale et solidaire,


quatre approches peuvent être retenues (D’Amours, 1997; Comeau et all, 2001). Desroches
(1976) met en évidence les composantes fondamentales (coopératives, mutuelles et associations à
activités économiques) et périphériques40 de l’économie sociale à partir de principes : primauté de
la personne sur le capital, égalité des membres et redistribution collective des surplus. La seconde
approche provient de Vienney qui, à partir d’une vision systémique combinant acteurs dominés,
activités délaissées et règles, définit ainsi l’économie sociale:

«C’est la combinaison d’un groupement de personnes et d’une entreprise liée par des rapports
d’activité et d’association, maintenue en cohérence par l’égalité des personnes et la propriété
collective des profits réinvestis» (Vienney, 1994: 88).

Les règles concernent l’égalité des personnes et le fonctionnement démocratique, la


détermination de l’activité par les membres, la participation à l’activité et au financement et enfin,
l’appropriation collective des excédents réinvestis dans l’organisation. La troisième approche
provient de Defourny et all (1999). Elle combine une approche juridico-institutionnelle mettant
en évidence trois principales formes juridiques (les mutuelles, les coopératives et les associations)
et une approche normative basée sur quatre principes: une finalité de service aux membres ou à la
collectivité plutôt que de profit, une autonomie de gestion, un processus de décision démocratique
et enfin, la primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus. Un
cinquième principe sera ajouté par le Chantier de l’économie sociale (2001), à savoir la
participation des membres, la prise en charge ainsi que la responsabilité individuelle et collective.
Enfin, la quatrième approche est promue par l’économie solidaire qui cherche à s’inscrire dans
une alternative par rapport à la société salariale en proposant un mode de régulation socio-
économique et politique. Celui-ci met en relief : l’imbrication d’une dynamique communautaire

40
Les composantes périphériques se situent aux frontières du secteur privé (entreprise participative), du
secteur public (entreprise communale), du secteur syndical (entreprise paritaire) et du secteur
communautaire (entreprise communautaire).
102

et d’une socialité secondaire, la réciprocité à partir de la production de la solidarité, le compromis


entre divers modes de coordination (marchand, non marchand et non monétaire), l’hybridation
des ressources, l’accès égal à un espace public de proximité et enfin, la démocratisation de
l’économie à partir d’engagements citoyens (Laville, 1994; Eme, 1996; Lévesque, 2001 ; Eme et
Laville, 2005). L’économie solidaire s’est également orientée dans le renouvellement des
thématiques de l’économie sociale autour d’enjeux nouveaux comme l’emploi (Comeau et all,
2001), le développement des services sociaux de proximité (Laville et Nyssens, 2001;
Vaillancourt et all, 2003) ou encore la revitalisation des territoires (Fontan et all, 2003).

Ces quatre approches complémentaires fondent l’expression «économie sociale et


solidaire» qui cherche à dépasser la question des terminologies afin de mettre en évidence une
économie plurielle basée sur la promotion d’un mode solidaire de régulation économique et
politique misant sur la démocratisation de l’économie et l’intervention de l’État comme instance
de régulation. Signalons également des concepts apparentés à l’économie sociale et solidaire. En
milieu anglo-saxon, on note l’utilisation du vocable «non-profit sector» ou «non-profit
organisation» (NPO) qui insiste sur la contrainte de non distribution de profit ainsi que sur la
spécificité des organisations à but non lucratif par rapport aux institutions publiques et aux autres
types d’organisations (Youssofzai, 2000). Toutefois, du moment où ce vocable marqué par une
logique philanthropique néglige la composante entrepreneuriale de l’économie sociale et solidaire
(mutuelle, coopérative) ainsi que certaines composantes déterminantes comme la démocratie
économique ou l’encastrement social des organisations, le terme économie sociale et solidaire est
le plus utilisé à l’échelle internationale (Defourny et all, 1999; Favreau et Fréchette, 2002; Caillé,
2003). Notons enfin la notion d’«entreprise sociale» (Borzoga et Defourny, 2001; Laville et
Nyssens, 2001) assez proche de l’entrepreneuriat communautaire que l’OCDE définit comme :

«…toute activité privée, d’intérêt général, organisée à partir d’une démarche entrepreneuriale et
n’ayant pas comme raison principale d’existence la maximisation des profits mais la satisfaction de
certains objectifs économiques et sociaux ainsi que la capacité de mettre en place par la production
de biens ou de services des solutions innovantes aux problèmes d’exclusion et de chômage» (OCDE,
1998 : 11, cité par Maréchal, 2000 : 184)

2.1.2.2. La dimension organisationnelle

Sous l’angle de l’économie sociale et solidaire, la dimension organisationnelle de


l’entrepreneuriat communautaire peut être appréciée à travers l’hybridation d’une base socio-
communautaire avec une logique entrepreneuriale. La base communautaire de l’entrepreneuriat
met en évidence son cadre référentiel associatif. En effet, plusieurs composantes de l’association
103

structurent l’entrepreneuriat communautaire : un regroupement structuré d’individus partageant


des idéaux, des objectifs ou des préoccupations communs, une adhésion libre et volontaire, un
mode de fonctionnement démocratique basé sur l’égalité des membres et sur l’imputabilité des
actions et des décisions, un mode de propriété collective induisant une distribution non privative
des profits; la finalité de service à la collectivité et enfin, les principes d’autonomie de gestion, de
participation des membres, de laïcité et de non lucrativité (Niang, 1989; Doucet et Favreau, 1991;
Laville et Sainsaulieu, 1997). Quant à la logique entrepreneuriale, elle dénote une vision
extensive de la production socio-économique non limitée à la dimension marchande. Elle se
caractérise par une activité continue de production de biens et/ou de services répondant à la
demande sociale, une finalité de services à la collectivité, un degré élevé d’autonomie, un niveau
significatif de prise de risque économique, un niveau minimum d’emploi rémunéré (Defourny,
2005). A ce titre, il faut différencier les deux logiques d’actions de l’économie sociale et
solidaire, à savoir les activités d’auto-promotion visant à prendre en charge les besoins ou
aspirations spécifiques des membres des activités de promotion ou d’hétéro-promotion cherchant
à prendre en charge les besoins ou aspirations d’un public plus large, à savoir la collectivité ou
des cibles composées généralement d’acteurs sociaux vulnérables (Gui, 1991).

L’hybridation de la base associative avec la logique entrepreneuriale est ainsi systématisée


par le RISQ41: l’association à travers sa mission, sa vitalité associative, son mode fonctionnement
démocratique et son ancrage détermine l’entreprise qui, à travers son produit, son activités, son
marché, ses opérations, ses ressources humaines et financières offre à l’association les moyens de
réaliser sa mission (2004 : 4). Cette hybridation peut être appréciée à travers deux modalités
constitutives de l’entrepreneuriat communautaire qu’on peut retrouver tant au Nord qu’au Sud. La
premiére modalité concerne la mouvance entrepreneuriale d’associations qui, tout en restant dans
leur cadre juridique initial, s’investissent dans des activités de production et de distribution de
biens et services (Passaris et Raffi, 1984 ; Niang, 1990; Laville et Sainsaulieu, 1997; Malenfant,
1999; Wade et all, 2002; Prouteau, 2003; Ndiaye, 2004). Cette configuration organisationnelle
permet à l’association de pouvoir bénéficier de tous les avantages liés à son cadre juridique (en
termes de subventions, de bénévolat des membres) tout en réalisant des activités marchandes. On
peut également noter une autre configuration organisationnelle où l’association initiatrice crée à
ses côtés, une structure socio-économique aboutissant ainsi à une pluralité de cadres juridiques
(de type associatif et de type marchand) au sein d’une même dynamique. En dehors de ces deux
configurations informant des mutations intervenues au sein du milieu associatif, on peut noter une

41
Réseau d’investissement social du Québec
104

seconde modalité d’entrepreneuriat communautaire qui met en évidence la floraison de divers


types d’organisations hybridant de fait un cadre juridique combinant une base communautaire et
une logique entrepreneuriale. C’est le cas des coopératives, des mutuelles, des entreprises
d’économie sociale et solidaire, des groupements d’intérêt économique, des organisations socio-
professionnelles, des corporations de développement économique communautaire…

Du fait de cette hybridation, il semble plus approprié de parler de base socio-


communautaire pour mettre en évidence deux dimensions de l’entrepreneuriat communautaire.
D’une part, l’articulation entre dynamique communautaire et sociétaire dans le cadre d’un espace
démocratique fondé sur la liberté, l’engagement volontaire ainsi que la reconnaissance des
intérêts des membres et d’autre part, une dynamique organisationnelle combinant trois
composantes réciproquement liées, à savoir l’entreprise, l’association et les individus parties
prenantes (Olson, 1987; Soulama et Zett, 2002). Cette conception élargit la dualité association/
entreprise afin d’introduire une troisième composante insuffisamment prise en compte, à savoir
les individus parties prenantes. Ce niveau pose également la question des «passagers clandestins»
de l’action collective dont parle Olson consistant pour les membres d’une organisation à
privilégier leurs intérêts individuels, ce qui les amène à bénéficier des résultats collectifs sans
partager les coûts. Dans ce cadre, les quatre types d’acteurs identifiés dans le quadrilatère
coopératif de Desroches (1976 : 337) apparaît riche en enseignements sur l’existence de divers
types d’acteurs disposant chacun d’intérêts et de logiques d’action spécifiques au travers de ceux
poursuivis par l’organisation: les sociétaires (S) composant l’assemblée générale, les
administrateurs (A) élus par cette dernière et constituant le conseil d’administration, les managers
(M) nommés par celui-ci et enfin, les employés (E) recrutés par les managers. Cette configuration
organisationnelle peut donner lieu à divers types de combinaisons en fonction des tensions et des
ruptures pouvant exister entre les différents types d’acteurs sociaux à l’intérieur de l’organisation.

Figure 2.1: Le quadrilatère coopératif de Desroches

M A

E S

Source : Desroches, 1976 : 337.


105

Trois logiques d’action structurent les initiatives d’économie sociale et solidaire: la logique
utilitariste évoque sa dimension instrumentale, la logique normative intègre les finalités et valeurs
que poursuivent les membres et enfin, la logique communicationnelle orientée vers
l’intercompréhension qui fait ressortir la nécessité de définir droits, libertés, valeurs et intérêts en
référence à une communication intersubjective. Celle-ci, source de sens, fonde l’identité de
l’organisation et à ce titre doit subsumer la logique instrumentale pour ne pas voir se transformer
celle-ci en une entreprise déguisée:

«Dans l’activité communicationnelle, les participants ne sont pas primordialement orientés vers le
succès propre; ils poursuivent leurs objectifs individuels avec la condition qu’ils puissent accorder
mutuellement leurs plans d’action sur le fondement de définitions communes des situations»
(Habermas, 1987 : 295).

L’hybridation de ces trois logiques d’action au sein d’une même entité augure du conflit
consubstantiel à ces types d’initiatives opposant souvent dynamique socio-communautaire et
rationalité instrumentale. C’est ce qui explique le fait que l’économie sociale et solidaire demeure
traversée par son ambivalence comme espace de tensions (Prouteau, 2003) et/ou comme espace
de compromis (Enjolras, 1996). Cette complexité organisationnelle liée au caractère hybride de
l’entrepreneuriat communautaire invite à mettre l’accent sur la gouvernance organisationnelle
(qui pose la question de l’équilibre et de la cohérence dynamique du dispositif organisationnel)
plutôt que sur l’organigramme statutaire. S’inspirant des configurations organisationnelles
élaborées par Mintzberg (1992) à partir de deux variables, l’instance de pouvoir et le mécanisme
de coordination, Malo (2003) avance quatre configurations de gouverne plus proches de
l’économie sociale et solidaire: la gouverne missionnaire locale ou globale combinant utopie et
idéologie autour d’un projet de société; la gouverne démocratique participative qui implique la
mise en place d’une structure innovante de participation des parties prenantes; la gouverne
démocratique représentative en vue d’intégrer les intérêts spécifiques des parties prenantes
notamment celles minoritaires; et enfin, la gouverne entrepreneuriale, en solo ou locale qui traduit
la forte influence du leader fondateur ou du directeur sur la vie de l’organisation. Par ailleurs, la
gouvernance organisationnelle concerne également le conflit de logiques opposant souvent les
leaders charismatiques (administrateurs) à la base de l’initiative aux leaders gestionnaires
(employés) soucieux d’efficience (Malo et Vézina, 2003; RISQ, 2004).

C’est dire que l’hybridation d’une dynamique socio-communautaire avec une logique
entrepreneuriale est traversée par un champ de forces interrogeant la gouvernance
organisationnelle. Ainsi, des forces de nature centrifuge cherchant à assurer la cohérence et
106

l’équilibre du système organisationnel s’opposent en permanence avec des forces de nature


centripète qui fragilisant la dynamique du fait des risques de prédominance d’une des
composantes habituellement celle entrepreneuriale sur celle socio-communautaire (Soulama et
Zett, 2002). A ce titre, la question en suspens apparaît double: jusqu’où les modes de
fonctionnement associatifs arrivent-ils à satisfaire aux exigences de viabilité économique en
matière de production et de distribution de biens et services d’une part, et d’autre part, jusqu’où la
recherche de la rentabilité peut-elle être arrimée aux idéaux et principes de l’économie sociale et
solidaire, en termes de fonctionnement démocratique, d’imputabilité des administrateurs et des
leaders ou de proximité sociale ?

Enfin, signalons que cette approche organisationnelle inscrit l’entrepreneuriat


communautaire dans le renouvellement des approches habituelles des organisations. D’une part,
elle élargit les quatre grilles de lecture42 généralement utilisées dans l’analyse des organisations
productrices de biens et services, à la prise en compte des dimensions non marchandes et non
monétaires (Laville et Sainsaulieu, 1997: 37-38), d’autre part, elle cherche à infléchir la
sociologie des associations en vue d’une meilleure prise en charge de la dimension socio-
économique de celles-ci ainsi que de la composante individu-membre, source d’un membership à
la fois sociétaire et communautaire.

2.1.2.3 La dimension socio-économique de l’entrepreneuriat communautaire

Le courant de l’économie sociale et solidaire inscrit l’entrepreneuriat communautaire au


sein de l’entreprise solidaire à côté de trois autres modes de production économique, à savoir
l’entreprise marchande, le mode de production publique et le mode de production domestique.

L’entreprise marchande valorise la productivité en combinant travail et capital dans le but


de produire des biens et services destinés à un marché solvable avec comme finalité la
maximisation du profit. Par rapport à ce mode de coordination, l’entrepreneuriat communautaire
dans une vision d’économie sociale et solidaire comporte plusieurs éléments de spécification: une
propriété collective appartenant non à des investisseurs mais à des parties prenantes disposant de
droits égaux compte non tenu de leur part de capital, une finalité de services aux membres et/ou à
la collectivité ou à des groupes sociaux vulnérables, la non distribution privative des ressources
42
Elles concernent l’analyse de la contingence, l’analyse socio technique, l’analyse stratégique et enfin,
l’analyse culturelle.
107

générées, la préexistence du lien social générant le bien ou le service produit, la construction


conjointe de l’offre et de la demande permettant ainsi de réduire l’asymétrie de l’information et
favoriser la participation des usagers, l’hybridation de ressources marchandes (offre de service
sur le marchés), non marchandes (subvention publique) et non monétaires (bénévolat des
membres) ou encore la recherche délibérée d’externalités sociales positives comme le souci
d’équité, la démocratisation de l’économie (Lévesque et all, 1989; Defourny et all, 1999; Laville,
2000).

Par rapport à l’entreprise publique, l’économie sociale et solidaire semble comme plus
libérée des contraintes de hiérarchie, de centralisation, de vision techniciste ou de
bureaucratisation de l’activité économique. Sa flexibilité lui permet de pouvoir faire face à
l’hétérogénéité de la demande sociale et ainsi détecter les besoins émergents ou peu satisfaits
tandis que sa démarche de proximité réduit l’asymétrie informationnelle tout en facilitant
l’implication des usagers dans l’offre de production. Ce sont ces caractéristiques qui permettent à
l’économie sociale et solidaire de pouvoir produire une gamme variée de produits correspondant
à la demande sociale et au moindre coût. Par ailleurs, contrairement à une logique de
redistribution en faveur des exclus du système officiel les réduisant ainsi à l’attentisme et à la
dépendance, l’économie sociale et solidaire promeut une dynamique d’auto-promotion socio-
économique où des individus pas ou peu insérés économiquement cherchent à se prendre en
charge (Favreau et Fréchette, 2002; Lévesque, 2002).

Enfin, par rapport à la production domestique misant surtout sur l’auto-consommation,


l’économie sociale et solidaire déplace la dynamique productive des acteurs sociaux de l’espace
domestique vers l’espace public à travers une socialité secondaire. Dans un tel cadre, elle apparaît
comme un système socio-économique misant sur la coopération volontaire d’individus, bâtie plus
sur la poursuite d’intérêts partagés ou de préoccupations communes que sur des traits de
caractères hérités ou naturels.

Ces éléments de spécification de l’économie sociale et solidaire risquent de lui conférer


une fonction résiduelle ou palliative consistant à compenser les carences des autres modes de
coordination (public, marchand et domestique) à qui il serait accordé une antériorité logique
(Prouteau, 2003: 11). Au contraire, loin d’induire une hiérarchie de valeurs entre ces quatre
modes de coordination, ils informent que l’économie sociale et solidaire revendique un mode de
production sui generis en tant qu’espace de construction d’innovations sociales qui sont surtout
108

valorisées en cas de carence ou d’échec des autres modes de production. Du point de vue des
chercheurs regroupés autour du CRISES, l’innovation sociale est analysée comme «une
intervention initiée par des acteurs sociaux pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin,
apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations
sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles».
Ainsi, combinant nécessité et aspirations, l’économie sociale et solidaire doit en permanence
construire des innovations sociales en proposant des solutions inédites en phase avec son projet
de société visant la démocratisation de l’économie (Lévesque, 2001).

A partir de là, les chercheurs ont commencé à parler d’économie plurielle pour mettre en
exergue d’une part, l’hybridation de ressources provenant du marché, de l’État et de la réciprocité
et d’autre part, la forme institutionnelle de l’économie sociale et solidaire cherchant à opérer des
compromis entre quatre logiques d’action : la logique domestique coordonnée par la confiance, la
logique marchande coordonnée par le marché, la logique administrative coordonnée par l’État et
enfin la logique solidaire coordonnée par la réciprocité (Enjolras, 1996 : 114). En jetant les bases
d’une économie plurielle, l’économie sociale et solidaire ne se positionne plus seulement comme
un mode de production parmi d’autres, elle revendique un modèle alternatif de coordination qui,
réfutant le monopole ou la bipolarité État-marché issue du modèle fordiste-providentialiste,
cherche à promouvoir l’avènement d’un autre mode de régulation économique et politique à
dominante solidaire basé sur la trilogie État-marché-société civile (Defourny et Campos, 1992;
Eme et all, 1996; Laville et Roustang, 1999). L’économie plurielle valorise plusieurs dimensions
négligées par l’économie capitaliste, à savoir le partenariat, la démocratisation de l’économie,
l’activation d’un espace public pluriel ainsi que d’une citoyenneté active, la reconnaissance des
dimensions non marchandes et non monétaires, la modernisation du système productif…
(Lévesque, 1997).

La perspective de l’économie plurielle signifie également que c’est le mode de régulation


qui informe de la place prise ou conférée à l’économie sociale et solidaire. Trois scénarii sont
généralement avancés. Dans le scénario néo-libéral caractérisé par la régulation concurrentielle,
les entreprises d’économie sociale et solidaire sont perçues comme des sous traitants de services à
moindre coût dans un contexte de marchandisation du social. Dans le scénario social-étatiste
misant sur la qualité de services sociaux et le maintien des acquis sociaux, l’économie sociale et
solidaire apparaît comme un intermédiaire et un gisement d’emplois. Mais ce scénario qui
n’échappe pas à la volonté de relégitimation des pouvoirs publics, est souvent décrit comme à la
109

base de l’étatisation des entreprises sociales en les transformant en gestionnaires des programmes
de l’Etat sans parler de la précarisation des emplois (Lamoureux, 1994; Favreau et Lévesque,
1997; Boivin, 1998). Enfin, dans le scénario alternatif à tendance solidaire, on assiste plutôt à une
reconnaissance de l’apport de l’économie sociale et solidaire non seulement comme acteur
stratégique à côté des autres acteurs mais surtout comme à la base d’un autre système de
régulation en tant qu’espace de compromis entre les diverses logiques d’action. Toutefois, ce
modèle, qui n’exclut pas les risques d’instrumentalisation, reste à construire parce que n’ayant
pas encore fourni les méthodes de son opérationnalisation tout en posant des problèmes de
coordination entre les diverses parties prenantes aux diverses logiques d’action (Vaillancourt,
1996; Comeau, 2001).

2.1.2.4. La dimension socio-politique

Elle marque l’ancrage des initiatives d’économie sociale et solidaire dans l’espace public
en tant que dispositifs d’inclusion dans la communauté politique qui est fondée sur une
coopération volontaire et l’intersubjectivité, opérant ainsi le passage de la sphère privée à la
sphère publique (Habermas, 1987). C’est en cela que l’économie sociale et solidaire participe à la
démocratisation de l’espace public en tant que levier de démocratie participative. L’ancrage dans
la société civile concerne notamment des problématiques concrètes se déroulant sur le territoire
local (Demoustier all, 2004). Dans ce cadre, les initiatives d’économie sociale et solidaire jouent
des rôles d’activation de la citoyenneté et du lien social. En outre, même si elles traduisent la
nature des enjeux se déroulant dans la société, de telles initiatives participent à la redéfinition des
modalités de régulation publique (Eme, 2005).

Toutefois, la dimension socio-politique de l’économie sociale et solidaire comporte une


tendance plus radicale débouchant sur l’alter-économie. Celle-ci constitue un mouvement
d’articulation entre les entreprises d’économie sociale et solidaire et d’autres mouvements
sociaux qui ne sont plus structurés autour de la question ouvrière mais qui restent opposés à la
mondialisation néo-libérale dans le but de promouvoir un nouveau mode de régulation
économique et politique. Il s’agit entre autres, des mouvements des femmes pour l’égalité des
sexes, de protection de l’environnement, de lutte contre la guerre ou contre l’exploitation des
paysans, de promotion du commerce équitable, de la monnaie sociale ou des finances solidaires
ou encore de la reconnaissance de la responsabilité sociale des entreprises (Gendron, 2005). Ce
mouvement qui a réajusté son discours militant passant de l’anti-mondialisation à l’alter
110

mondialisation cherche à mobiliser la société contre les dérives et abus de la mondialisation néo-
libérale en vue de contribuer à l’instauration d’une mondialisation plus équitable et plus
écologique, retournant aux sources mêmes de l’économie (Favreau et all, 2004).

De tels mouvements peuvent être appréciés à travers les grosses manifestations anti-guerre
(Irak) ou lors des grands sommets des pays du G8, du G7 ou des institutions internationales
comme l’OMC, la Banque Mondiale et le FMI (Seattle, Washington, Gênes, Madrid). En dehors
des manifestations, le mouvement d’alter mondialisation prend également la forme de divers
réseaux et forums sociaux mondiaux comme celui de Porto Alegre, les rencontres internationales
pour la globalisation de la solidarité du RIPESS (Lima en 1997, Québec en 2001 et Dakar en
2005) ou encore les rencontres de l’Alliance pour un monde pluriel, responsable et solidaire. Pour
Massiah (2003 : 28-31), malgré toutes les limites associées à ce mouvement hétérogène et
fragmenté traversé par des divergences, le mouvement citoyen mondial pourrait construire une
alternative autour d’une ligne directrice : réguler l’économie et les échanges à partir du respect
des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels dans le cadre de l’égalité d’accès
aux services collectifs de base. Les orientations de cette entrée par les droits concernent la
redistribution internationale des richesses, le respect du droit international et la possibilité de
recours pour le citoyens, le contrôle démocratique des instances de régulation (OMC, FMI, BM,
ONU), la coresponsabilité entre le Nord et le Sud, la subordination de la logique de marché aux
respects des droits de l’homme. Ainsi, un autre monde que celui de la logique néo-libérale ou
binaire (capitalisme ou étatisme) est bien possible lorsque ce mouvement d’alter mondialisation
arrivera à articuler nouveaux mouvements sociaux, organismes de coopération internationale,
mouvements locaux, forums mondiaux, initiatives économiques populaires tant au Nord qu’au
Sud (Fall et all, 2004).

2.1.2.5 : Analyse critique du courant d’économie sociale et solidaire

L’économie sociale et solidaire demeure de plus en plus remise en cause, installant ainsi le
doute concernant ses ambitions. Elle semble en effet «condenser en elle toutes les illusions
idéologiques du siècle» (Boivin et Fortier, 1998 : 67) en se basant plus sur des déclarations de
principe que sur une politique clairement définie. Elle semble relever «d’un modèle
communautique de la misère politique» (Parazelli et Tardif, 1998), c’est-à-dire un modèle non
pas issu d’une action communautaire autonome mais d’une «étatisation du communautaire»
oscillant entre «une néo philanthropie paternaliste et des formes post modernes d’exploitation»
111

(Boivin et all, 1998: 203). En étant plus centrée sur les effets de la crise plutôt que sur ses causes
structurelles, l’économie sociale et solidaire semble être une économie de seconde zone destinée à
garantir un minimum de services aux exclus de la société fordiste, aboutissant ainsi à un
traitement social de la pauvreté. C’est pourquoi, de plus en plus d’interrogations émergent
concernant entre autres : ses rapports ambigus avec le système capitaliste à qui elle emprunte
malgré tout, son modèle de gestion technique pour assurer sa rentabilité, la fragilité de ses acquis
ainsi que ses résultats mitigés, ses effets induits en termes de marchandisation des services
sociaux et de monétarisation des liens sociaux, l’équilibre instable à assurer l’hybridation entre
entreprise et association, ses pratiques démocratiques peu garantes d’une démocratie participative
ou encore la précarité de ses conditions de travail (Méda, 1999). Enfin, l’hybridation de
ressources d’ordre marchand, non marchand et non monétaire semble de moins en moins être une
exclusivité de l’économie sociale et solidaire. En effet, les entreprises capitalistes hybrident
également des ressources provenant de subventions publiques ou de mesures d’appui, de
l’engagement plus marqué de leurs employés à travers l’intrapreneuriat ou encore, des possibilités
d’échanges d’information et de savoir-faire au sein de réseaux interpersonnels et interfirmes
(Castel, 2002). Il reste toutefois à noter que la différence tient au fait qu’au sein de l’économie
sociale et solidaire, l’hybridation des ressources est reconnue, valorisée et assumée. A ce titre,
elle informe l’orientation de l’activité économique, induit la reconnaissance de l’importance des
ressources non marchandes dans le processus productif et enfin, s’apprécie à travers une
appropriation collective des ressources générées au lieu de réserver les profits exclusivement aux
actionnaires.

Les critiques se sont notamment renforcées lorsque l’économie sociale et solidaire s’est
positionnée dans l’édification d’une économie plurielle (dimension économique) et d’une alter
économie (dimension politique). Dominée par le pôle solidaire hybridant en son sein les deux
autres pôles, à savoir le marchand et le non marchand, l’économie plurielle n’a pas encore
démontré une cohérence systémique lui permettant d’assumer le rôle d’alternative à l’économie
capitaliste ni même de résister aux risques de jouer un rôle de supplétif caritatif de l’économie de
marché ou de subir l’isomorphisme institutionnel du fait notamment d’une inconsistance à la fois
interne et externe (Latouche, 2003). Son inconsistance interne demeure liée à sa vision utopique
d’espace de compromis entre les modes de coordination alors qu’elle évolue dans un contexte
historique fortement soumis à l’économie néolibérale tandis que son inconsistance externe liée à
son angélisme, tient à sa méconnaissance du fonctionnement systémique de l’ethos capitaliste et
112

de la force de son imaginaire. Cette «oxymore de l’économie solidaire» fait qu’elle ne peut que
produire des infléchissements à l’intérieur du système dominant mais point une alternative.

Concernant l’alter-économie, outre le problème de passage d’une dynamique de


contestation pouvant prendre dès fois des formes violentes (manifestations violentes lors des
sommets mondiaux) à l’élaboration d’alternatives dépassant de simples propositions sans
cohérence, elle court le risque de se voir recycler par l’économie néo-classique qui, après l’avoir
soulagé de sa charge subversive, affaiblit sa cohérence politique (Massiah, 2003). Partant de là,
Caillé identifie comme seul point commun de l’économie sociale et solidaire, son opposition
commune à l’économie néo-classique, à l’économie administrée, au tiers secteur à visée
assistantielle et caritative et enfin aux solidarités familiales et claniques. Pour lui, l’économie
solidaire tout comme l’économie plurielle et l’alter économie ne constituent pas des économies.
Elles relèvent plutôt d’un projet éthique et politique de solidarité cherchant à ré instituer
socialement l’économique comme par exemple modifier le champ des bénéficiaires directs ou
créer un sentiment d’endettement mutuel positif par le jeu de la coopération entre les membres.
Dans un tel cadre, l’économie réelle et la seule économie, est celle à composante formelle liée à
l’économie néo-classique:

«Mais dans tous les cas de figure, ce qu’il importe de comprendre, c’est que l’expression
d’«économie solidaire» est trompeuse. Et quasiment contradictoire. L’économie ne peut être en tant
que telle solidaire. Seul peut l’être le principe éthico-politique qui décide de surseoir au primat de
l’individualisme pour instituer l’économique sur d’autres bases que le seul échange marchand»
(Caillé, 2003 : 234).

Toutefois, si le discours militant et idéologique a fortement réduit la portée des analyses de


l’économie sociale et solidaire, il reste que cette critique de Caillé reproduit à bien des égards
l’aporie du courant néo-classique confondant l’économie à l’économie marchande. Autrement dit,
Caillé semble insuffisamment prendre en compte le fait que l’économie capitaliste est une forme
historique d’économie d’une part, et d’autre part, que sa prédominance n’interdit pas l’existence
d’une pluralité de principes économiques qui, loin d’être ravalés à l’histoire ou aux sociétés
traditionnelles, continuent à exister dans l’époque moderne parce que relevant de l’action sociale.
Il semble donc bien que l’économie sociale et solidaire porte bien un projet éthique et politique
dans le but de corriger les sources d’échecs et les conséquences néfastes des autres modes de
coordination. Mais en même temps, elle rend compte de diverses expérimentations innovatrices
mises en œuvre par les acteurs sociaux pour enchâsser l’économique dans l’action sociale et qui
pourraient bien être lues comme relevant d’un autre système de production de biens et services
113

misant sur des dimensions que les autres systèmes de production arrivent difficilement à
internaliser. Par contre, cela n’induit pas qu’elle puisse jouer ce rôle de compromis entre les
divers modes de coordination43 encore moins construire actuellement une autre économie dans un
contexte marqué par la prédominance de l’économie néo-libérale. Dans un tel contexte où
l’économie sociale et solidaire a maille à partir pour systématiser une cohérence paradigmatique,
son rôle semble plutôt se situer autour de deux directions. D’abord comme socio-économie
critique en tant qu’espace de réflexions et d’actions critiques, de mise en évidence des dérives du
système dominant, de révélation des choix non explicités ou non pris en compte parce que peu
solvables (Enjolras, 1996). Ensuite, comme levier de changement social à travers ses fonctions
innovantes d’espace de révélation des autres possibilités, comme sources d’adaptations
transformatrices en occupant l’espace inédit d’innovations libéré par la crise à l’intérieur des
systèmes marchands et non marchands et enfin, comme tête chercheuse à travers ses fonctions
d’anticipation et d’organisation de nouvelles demandes sociales (Favreau, 1999 ; Comeau et all,
2001). Toutefois, une telle position n’échappe pas au risque de reproduction du système actuel en
lui fournissant des éléments de correction de ses situations d’échecs et de compléments de ses
insuffisances. Par ailleurs, cela n’empêche pas que des conditions historiques ultérieures ne
puissent un jour alimenter la visée transformatrice de l’économie sociale et solidaire qui alors
prendrait le pas sur sa visée adaptatrice voire interstitielle.

L’éclairage du courant de l’économie solidaire demeure multiple pour l’entrepreneuriat


communautaire:
- Il fournit des éléments de spécification au moins de trois dimensions de l’entrepreneuriat
communautaire, à savoir la base organisationnelle, la logique socio-économique et ses
enjeux politiques ;
- La dimension organisationnelle des entreprises d’économie sociale et solidaire même si
elle est source d’innovations, informe d’un espace de tensions structurelles pour toute
structure combinant en son sein une dynamique socio-communautaire et une logique
entrepreneuriale. Par ailleurs, la vision fédératrice liée à ce double ancrage élargit
l’entrepreneuriat à divers types d’initiatives économiques à base communautaire
combinant rentabilité sociale et viabilité économique, à savoir les coopératives, les
associations productrices, les mutuelles de santé ou d’épargne crédit, les petites et

43
Ce qui induirait par ailleurs la reproduction du déséquilibre entre les divers modes de production,
déséquilibre que l’économie sociale et solidaire tente de corriger, tout en cachant ses carences en termes de
viabilité économique, de précarisation de l’emploi, de marchandisation du social…
114

moyennes entreprises, les activités socio-économiques insufflées par des syndicats ou par
des groupes religieux ;
- L’économie sociale et solidaire fournit une portée socio-économique aux initiatives
économiques populaires dépassant la simple gestion palliative des carences des autres
modes de coordination (Etat, marché, espace domestique). Il consacre à ce titre le
positionnement marqué des groupes sociaux dans la production de biens et services
répondant à la demande sociale de leurs membres (insertion socio-économique
notamment) ou de la communauté au lieu de se limiter à l’éducation populaire ou à la
gestion des conséquences de la crise socio-économique. Corrélativement, ce courant met
en évidence la plus grande affirmation des acteurs sociaux dans la démocratisation de
l’économie et de l’accès aux services sociaux et publics à partir d’engagements citoyens ;
- Ce courant permet de mettre en exergue les modalités différentielles de production socio-
économique promues par les groupes socio-économiques misant sur l’hybridation des
ressources marchande, non marchande et non monétaire, expressive d’une économie
imbriquant les composantes formelle et substantive ;
- La variante alter économique de l’économie sociale et solidaire peut renseigner utilement
l’entrepreneuriat communautaire sur les limites de ses ambitions. Autrement dit, dans un
contexte de prédominance de l’économie de marché accentué par la mondialisation néo-
libérale, l’entrepreneuriat communautaire devrait privilégier une démarche interstitielle
permettant de construire à l’intérieur du système économique des adaptations
transformatrices au lieu de s’aggriper à une vision alternative.
- Ces apports de l’économie sociale et solidaire font que l’étude de l’entrepreneuriat
communautaire devrait être sensible à une analyse en termes d’innovations sociales pour
mieux appréhender sa portée. En outre, un accent particulier devrait être apporté aux
questions de gouvernance organisationnelle liée à la forme institutionnelle hybride de
l’entrepreneuriat et aux questions de performance socio-économique plurielle incorporant
à la fois les résultats atteints, la valeur ajoutée en termes de rentabilité sociale mais
également les modalités de production et de distribution de biens et services.

2.1.3. L’éclairage de l’économie populaire

Les divers courants de la sociologie économique demeurent redevables à un contexte


d’émergence lié à la crise du mode de régulation fordiste-providentialiste propre aux sociétés
occidentales industrialisées et basées sur le travail formel salarié. C’est pourquoi, ce substrat
115

historique et spatial mérite d’être réinterrogé en fonction du site de notre recherche qui porte sur
un pays africain dans le but d’éviter le piége récurrent de transposition de concepts et d’approches
qui traversent le milieu académique et celui de la coopération au développement (Fonteneau et
all, 1999; Assogba, 2004). C’est tout le sens de la question de Develtere et Fonteneau (2001) se
demandant quelle est la pertinence de concepts conçus au Nord pour le Sud comme la société
civile, les ONG, le tiers secteur, le mouvement social et l’économie sociale. A ce titre, l’absence
de paradigme élaboré à partir de l’Afrique en vue de saisir la spécificité des initiatives
économiques populaires qui s’y déroulent ne doit pas empêcher une perspective critique et
sélective par rapport aux courants qui, à l’instar de l’économie sociale et solidaire, répondant
d’enjeux spécifiques à la société fordiste-providentialiste occidentale. Outre ce souci
d’accommodation, l’accent devra être mis sur l’analyse concrète des processus sociaux comme le
propose la démarche parabolique proposée par Assogba selon laquelle: «…pour mieux
comprendre les phénomènes de changement social en recherche, il vaudrait mieux étudier les
micro-processus qui s’opèrent dans un cas particulier, mais qui peuvent avoir une valeur
paradigmatique plus large» (Assogba, 2004 : 6). C’est cela qui justifie le choix fait de compléter
cette partie théorique portant sur les autres approches de l’économie en nous inscrivant dans le
courant de l’économie populaire beaucoup plus utilisé en Afrique que celui de l’économie sociale
et solidaire, même si par ailleurs il reste plus empirique que théorique.

Ce courant s’inscrit dans la perspective théorique de la sociologie économique avec qui il


partage une vision extensive de l’économie non limitée à la dimension marchande. Toutefois, elle
met en évidence certaines dimensions propres au contexte des pays du Sud, notamment de
certains pays d’Amérique Latine (Chili, Brésil, Pérou) et de la plupart des pays africains. Ce
contexte, même s’il reste spécifique à chaque pays avec autant de variantes, présente quelques
traits communs : précarité d’une bonne partie de la population, échec des stratégies de
développement, extraversion de l’économie et dépendance extérieure, urbanisation sans
développement, carence de l’État notamment dans les services essentiels de base…C’est un tel
contexte qui explique qu’à côté de l’économie officielle d’ordre marchand et non marchand, se
développe une économie réelle d’ordre populaire à travers une multitude d’activités économiques
portées par des acteurs sociaux cherchant à améliorer leurs conditions de vie (Éla, 1998;
Latouche, 1998). En outre, il met évidence le fait que l’encastrement de l’économie populaire est
à la fois social, culturel, économique et politique (Nyssens, 1994). Ce concept a été surtout
popularisé par les travaux provenant de chercheurs d’Amérique Latine et d’Afrique,
116

d’organisations de recherche-action et d’ONG de développement (Enda tiers-monde) ainsi que


par certains organismes de développement international (PNUD, OIT).

L’économie populaire regroupe une diversité d’acteurs populaires qui, tout en recherchant à
assurer leur insertion socio-économique, s’activent dans le processus de production de biens et de
services en vue de la satisfaction des besoins à travers une logique écosociale à la fois productive
et redistributive. Elle met en évidence un sujet, à savoir les acteurs populaires organisateurs et
protagonistes d’activités créatrices de richesses au même titre que les opérateurs économiques.
L’entrée par le sujet populaire fait de l’économie populaire un cadre d’intégration sociale et
d’habilitation socio-économique de personnes pas ou peu insérées dans le système économique
officiel (Nyssens et Larraechea, 1996; Engelhard, 1998). Cette conception identifie comme
acteurs de l’économie populaire les individus, les micro-entreprises familiales ainsi que les
organisations économiques communautaires ou populaires, tout en excluant les activités que
certains chercheurs y intègrent, à savoir les activités caritatives et celles mafieuses qui ne lui sont
pas exclusives (Nyssens, 1994). Quant à l’écosocialité, elle rend compte d’un mode
d’accumulation extensive où la recherche de la rentabilité cherche à articuler un pôle capitaliste
orienté dans l’accumulation du capital avec un pôle relationnel orienté dans la satisfaction des
besoins ainsi que dans la reproduction de la position sociale et des rapports sociaux (Nyssens,
1994; Larraechea et Nyssens, 2000; Kanté, 2002; Assogba, 2002 ; Icaza et Tiriba, 2005):

«Une logique économique de subsistance ou de production en vue de dégager un surplus, coexiste


avec une logique sociale de reproduction de la position sociale et de rapports sociaux de type
convivial» (Peemans, 1997: 111).

Se situant dans une perspective de totalité sociale, la logique écosociale valorise une
rentabilité élargie mettant en évidence plusieurs éléments contribuant à la reproduction sociale, à
côté de l’activité productive: le facteur travail comme moyen d’accomplissement de la personne,
la fidélisation et l’élargissement du réseau social, le sentiment d’auto-promotion, l’investissement
des besoins non satisfaits, le travail indépendant, le «facteur C» de Razeto44, la recherche de bien-
être…Selon Nyssens, la catégorie dominante de l’économie populaire, c’est-à-dire le facteur
organisateur structurant sa finalité, demeure le travail de l’acteur populaire tandis que sa
ressource principale est à chercher non dans le capital uniquement, mais dans l’ensemble des
compétences professionnelles, financières, techniques et relationnelles permettant la reproduction
simple ou élargie de l’activité économique (Nyssens, 1994: 131). C’est pourquoi, dans un tel

44
Le facteur C de Razeto renvoie à coopération, collaboration, communauté, collectivité.
117

système, tenter d’isoler l’acteur social demeure factice car il n’est qu’une des parties prenantes
d’un système de tiroirs sociaux ou d’échanges généralisés de dons et de contre dons où la
génération de revenus est privilégiée par rapport à la maximisation du profit45 (Ndione, 1992 ;
Zett, 2004). A ce titre, selon Ndione, la dissociation de l’économique d’avec le social telle que
préconisée par l’économie néo-classique demeure «désappropriative» et est source
d’appauvrissement symbolique des populations africaines parce que désintégrant ou illégitimant
leurs représentations symboliques ainsi que leurs systèmes d’explication du monde (Ndione,
1994 : 24). Ainsi, l’écosocialité ne se réduit pas seulement à réfuter l’autonomisation de
l’économique par rapport à l’action sociale, elle cherche à «réinventer le présent» en proposant
une autre vision de l’économie. C’est pourquoi, elle remet en cause les mythes fondateurs de
l’économie classique comme la conception économique du temps, le culte du quantifiable et de la
compétition, la monnaie comme étalon de valeur, le modèle individuel de réussite sociale, la
marchandisation de la vie, la sectorialisation de la vie, l’externalisation de la valeur… (Ndione,
1994: 38-49).

La logique écosociale qui structure l’économie populaire a amené Castel, à mettre l’accent
non plus sur les catégories d’acteurs mais sur les motifs économiques. Sur la base d’un
croisement de la sphère du marché avec les trois motifs économiques inspirés de Polanyi (cf.
1.1.3), ce chercheur propose une nouvelle grille de lecture de l’économie populaire en dégageant
trois catégories d’activités (2003). Les activités capitalistes et/ou de redistribution correspondent
aux activités marchandes, non marchandes ou combinant maximisation du profit et redistribution.
Les activités de réciprocité pure concernent les activités domestiques participant à la reproduction
de la force du travail. Enfin, les activités d’économie populaire solidaire se fondent sur la
réciprocité à laquelle est subordonnée la redistribution et l’échange sur le marché : «Ces activités
ont toutes pour motif la solidarité au sein d’un groupe de personnes conscientes d’une
communauté d’intérêts et utilisent le principe de réciprocité pour atteindre leurs objectifs»
(Castel, 2003 : 7). Dans cette logique, l’économie populaire regroupe trois catégories d’activités :
les activités de redistribution solidaire mises en œuvre par des groupes de personnes assurant la
production de services collectifs (mutuelle de santé), les activités économiques solidaires avec
vente de la production sur le marché, renseignant ainsi sur une prise en charge collective des
risques de l’investissement, de la production et de la commercialisation et enfin, les activités

45
Cela ne signifie pas que l’économie populaire ne recherche pas le profit, au contraire. Cela signifie que
dans un système économique où la redistribution des ressources est valorisée, l’efficience qui fonde la
maximisation du profit ne constitue plus un critère exclusif. C’est pourquoi, l’accent est mis plus sur la
génération de revenus pour entretenir le système de redistribution que sur la maximisation des profits.
118

économiques de redistribution solidaire avec vente sur le marché qui cherchent à répondre à des
objectifs sociaux de redistribution et de partage au profit du plus grand nombre de citoyens.
Ainsi, dans la vision de Castel, l’économie populaire qui regroupe les coopératives, les mutuelles,
les entreprises autogérées, les associations et fédérations, se caractérise par la prédominance de la
logique de réciprocité utilisant l’échange marchand et non marchand comme logiques
subordonnées. Toutefois, elle finit par reconnaître que cette diversité de logiques économiques et
de formes institutionnelles n’a pas encore débouché sur un mouvement articulé, ce qui pose le
problème de son réseautage interne.

L’économie populaire a longtemps souffert de sa confusion implicite avec le secteur


informel qui, en tant que mécanisme de survie et non point comme dispositif de développement,
participe de la reproduction du système existant (Favreau, 1999). C’est ce qui explique le fait que
la composante communautaire de l’économie populaire soit peu étudiée malgré son potentiel de
développement élevé au profit de sa forme individuelle à travers les petits métiers informels de
rues. Cette composante communautaire est constituée des groupements d’artisans, des
organisations paysannes, des groupements féminins, des groupements d’intérêt économique, des
systèmes de financement décentralisé, des mutuelles de santé, des coopératives d’habitat…A ce
titre, non seulement l’économie populaire ne se réduit pas à un secteur de l’économie rompant
ainsi avec la vision dualiste des théories néo-libérales et structuralistes du secteur informel toutes
deux subordonnées au mythe de la modernisation, mais également elle ne constitue pas une forme
déformante et transitoire de l’économie formelle (Lautier, 1994; De Soto et all, 1994; Ndiaye,
2003). Elle inspire un projet de société qui dépasse une économie de survie:

«Quel que soit le continent, quelle que soit la culture, quelle que soit la dénomination adoptée,
l’économie populaire est une mobilisation sociale locale en tant que réponse à des besoins sociaux
(par rapport au rendement d’un capital), en tant que production d’un bien ou d’un service mettant
activement à contribution des populations locales (ou des segments de ces populations) et en tant que
constructions de nouvelles régulations sociales (gouvernances locales) (Favreau et Fréchette, 2002 :
33-34).

Un tel projet de société reste encore difficile à être systématisé du fait de la nature fuyante,
fluctuante et hétérogène de l’économie populaire tant du point de vue de ses types d’acteurs et de
la nature de leurs relations, de ses formes organisationnelles que de ses potentiels de croissance.
Mais quel que soit son niveau de développement, les activités d’économie populaire contribuent à
la création d’emplois et à la production/ distribution d’une gamme variée de produits à moindre
coût visant en priorité à satisfaire la demande sociale locale.
119

Malgré son hétérogénéité, l’économie populaire revendique une forme différentielle


d’appropriation endogène et populaire de l’économie qui n’est pas nouvelle mais dont
l’expansion actuelle semble être liée à l’atonie du secteur moderne et formel. En effet, elle
s’inscrit dans le tissu productif de la société traditionnelle africaine et donc préexiste à l’esclavage
et à la colonisation. De tels facteurs, à côté de l’urbanisation rapide, de la croissance
démographique, de la crise économique ou encore de la démocratisation des sociétés du Sud
l’ont selon les cas, marginalisée, diversifiée et/ ou renforcée. C’est dire qu’il s’agit bien d’une
redécouverte d’une forme particulière de faire de l’économie et non point d’une innovation
contemporaine, ni d’une simple survivance de pratiques traditionnelles, ni d’un secteur de
l’économie comme l’informel encore moins d’une étape vers l’économie sociale (Favreau et
Fréchette, 2002; Assogba, 2002). Sous cet angle, l’économie populaire semble être porteuse d’un
des lieux de reconstruction d’une «modernité populaire» questionnant le caractère extraverti et
souvent inadapté des logiques et pratiques des institutions publiques, des élites locales et des
bailleurs de fonds pour exprimer des modalités de production et de distribution de richesses
renouant avec la culture locale (Favreau, 2000; Ela, 1998; Ndiaye, 2005). C’est pourquoi, l’ONG
Enda Tiers Monde situe l’enjeu de la recherche en économie populaire moins dans la justification
de son existence que dans la systématisation des types de systèmes socio-économiques que les
populations défavorisées inventent en rapport avec leurs modes spécifiques de pensées et
d’organisations en vue de répondre à leurs besoins :

« La logique profonde de fonctionnement et de gestion n’est donc pas celle des «entreprises
modernes». Elle se refére au modèle organisationnel de la société où l’objectif prioritaire du système
est la maximisation des avantages sociaux en terme de pouvoir, d’influence et de prestige au sein du
groupe ou entre groupes plutôt que la recherche du profit et la croissance de l’unité de production»
(Enda tiers monde, 1991 : 15).

Toutefois, la réflexion autour de l’économie populaire semble être entachée dès fois d’un
certain culturalisme avec l’exaltation peu lucide des pratiques populaires sans prendre en compte
son hétérogénéité tant du point de vue de ses formes organisationnelles que de ses potentiels de
croissance. En outre, rares sont les chercheurs qui mettent en évidence le fait que la redistribution
sociale que promeut l’économie populaire fonctionne dans un cadre clientéliste et de reproduction
sociale à la base de relations souvent hiérarchiques et inégalitaires entre les acteurs d’une part, et
d’autre part, que le dynamisme des réseaux sociaux facilite certes l’accès des acteurs sociaux aux
ressources mais souvent au détriment de la viabilité du système de production. Enfin, les
recherches en économie populaire négligent souvent de la mettre en perspective avec le contexte
actuel marqué d’une part par la prédominance de l’économie de marché, et d’autre part par
120

l’essoufflement des mécanismes de redistribution (État et famille). Autrement dit, le maillage


néo-libéral accentue la pression sur la composante redistributive de l’écosocialité d’autant plus
que celle-ci n’est plus suffisamment irriguée par les flux provenant des sociabilités et de l’État du
fait de l’épuisement de l’économie de rente et de la paupérisation. C’est d’ailleurs ce qui explique
le fait que du moment où les acteurs populaires évoluent dans une économie-monde fortement
dominée par le modèle capitaliste, l’économie populaire ne peut, du moins tant que va durer cette
prédominance de l’économie néo-classique, que déployer des stratégies plus adaptatives voire
interstitielles qu’alternatives:

«…l’économie populaire se place dans les interstices d’un système dominé par une logique de
modernisation guidée par une exigence d’intégration au modèle de transnationalisation de
l’économie mondiale. A vrai dire, elle n’est pas reconnue, et ne se reconnaît que peu elle- même,
comme un acteur de développement. Les mécanismes qui lui confèrent une unité sont encore
fragiles, quoique l’on assiste ces dernières années à une consolidation et un accroissement de
ceux- ci (notamment du point de vue des associations d’organisations économiques populaires et
de micro- entrepreneurs), bénéficiant en particulier de l’action d’un ensemble d’ONG travaillant
pour le développement de l’économie populaire» (Larraechea et Nyssens, 2000: 202).

Cette situation exprime en même temps la position socio-politique marginale de l’économie


populaire qui semble revendiquer moins une transformation du système de régulation
économique qu’une reconnaissance de son rôle. En outre, elle exprime sa faible
institutionnalisation expressive du décalage entre le système officiel et les pratiques populaires
(Ndiaye, 2003).

La valeur ajoutée du courant d’économie populaire dans la construction théorique de


l’entrepreneuriat met en évidence plusieurs éléments :

- Le contexte spécifique des pays du Sud avec des initiatives économiques populaires
luttant contre la précarité, la carence dans l’offre de services sociaux de base,
l’extraversion du système économique et des stratégies de développement;

- L’économie comme une totalité sociale orientée en priorité autour de la satisfaction des
besoins et de la reproduction des rapports sociaux. A ce titre, l’encastrement de l’activité
économique est à la fois social, culturel et politique;

- Le sujet populaire comme protagoniste d’initiatives diverses de création de richesses à


travers une forme individuelle, familiale ou communautaire comme partie intégrante de
l’entrepreneuriat;
121

- La subordination de la redistribution étatique et de l’échange marchand à la réciprocité,


comme principal motif économique. Cela suppose de ne pas établir de cloisons étanches
entre l’économie populaire et l’économie marchande ou l’économie publique;

- L’importance du facteur travail mais non limité au travail salarié;

- Les ressorts non monétaires de la dynamique entrepreneuriale comme : la fidélisation et


l’élargissement des tiroirs sociaux, l’auto-promotion, l’investissement des besoins
nouveaux ou non satisfaits, le travail indépendant et non salarié…

- Une accumulation écosociale articulant le pôle marchand et relationnel mais de plus en


plus fragilisée par la prédominance de l’économie de marché et par l’essoufflement des
mécanismes de redistribution.

2.2. Autre approche du développement : la perspective du développement local

Les théories du développement local permettent de mettre l’accent sur une dimension de
l’entrepreneuriat communautaire insuffisamment systématisée par la sociologie économique, à
savoir la dimension socio-territoriale46. Celle-ci renseigne sur deux perspectives. D’une part, elle
inscrit le développement local dans les nouvelles logiques du développement en opposition aux
deux principales théories du développement (à savoir celle de la modernisation et celle de la
dépendance), et d’autre part en complément au courant du développement endogène. En outre, la
dimension socio-territoriale positionne l’entrepreneuriat communautaire comme acteur
contribuant à la revitalisation de son territoire d’implantation. C’est pourquoi, cette partie est
structurée autour de deux axes. D’abord, la spécification du développement local permet
d’analyser son rapport aux théories du développement avant de systématiser ses caractéristiques
(2.2.1). Ensuite, les repères socio-territoriaux de l’entrepreneuriat communautaire inspirés de la
perspective du développement local (2.2.2) seront étudiés en fonction de quatre dimensions :
l’ancrage territorial débouchant sur les innovations socio-territoriales, le rapport aux nouveaux
mouvements sociaux, la question des interfaces entre organisations communautaires et pouvoirs
publics et enfin, le rapport à la gouvernance territoriale.

46
En effet, ce n’est que récemment que cette dimension a été prise en compte par les recherches en
économie sociale et solidaire de plus en plus sensibles à son articulation avec le développement local (cf.
Lévesque, 1999; Comeau et all, 2001; Fontan, 2004 et 2005; Favreau, 2004).
122

2.2.1. Spécification du développement local

2.2.1.1. Rapport aux théories du développement : modernisation, dépendance, développement


endogène

La théorie de la modernisation, fortement inspirée des relents d’évolutionnisme et de néo-


libéralisme, postule que le développement est positif et demeure un idéal universel à atteindre
lorsque l’on suit les mêmes étapes que les sociétés développées. Ainsi, le sous-développement
traduit le retard des pays concernés à se hisser aux normes universelles de progrès que cristallise
la civilisation occidentale. Dans ce cadre, une politique de modernisation (basée sur
l’industrialisation, la diffusion de l’économie de marché et l’urbanisation) et de rattrapage en
suivant les mêmes étapes de croissance que les pays occidentaux (Rostow, 1970) accompagnée
d’un ajustement culturel (Manguelle, 1991 ; Kabou, 1991) devraient pouvoir garantir le
développement des pays sous-développés ou en développement. Au-delà de son ethnocentrisme,
de son dualisme et de son déterminisme, ce courant, qui participe d’un développement extraverti,
néglige souvent l’histoire tout en confondant croissance et développement.

C’est pourquoi, dés les années 1950, le courant de la dépendance d’inspiration marxiste, va
réfuter une telle vision en mettant en évidence l’héritage colonial et surtout, la structuration du
système économique mondial basée sur les mécanismes de l’échange inégal47 (Furtado, 1970;
Frank, 1978; Amine, 1988). Dans ce cadre, le sous développement n’est plus considéré comme un
retard mais comme un blocage lié à l’exploitation de la périphérie par le centre du moment où
c’est le développement du Nord qui a engendré le sous développement du Sud. Ainsi, la
déconnexion de la périphérie par rapport au centre, la nationalisation des outils de production, la
politique de substitution aux importations, l’industrie industrialisante, la réforme agraire et la
forte intervention de l’État sont entre autres, les stratégies proposées par les théoriciens de la
dépendance pour créer les conditions d’un développement auto entretenu. Au-delà de son
emphase sur les facteurs externes, cette théorie a favorisé l’interventionnisme étatique avec toutes
ses dérives et n’a pas remis en cause la vision macro et économiciste de la théorie de la
modernisation.

Si la dimension «échange inégal» entre le centre et la périphérie qu’accentue la


mondialisation garde toute sa pertinence pour les pays africains, ces deux théories ont maille à

47
Il s’agit entre autres de la division internationale du travail, de la dépendance financière, commerciale,
industrielle et technologique, de la détérioration des termes de l’échange, du cercle vicieux de la dette…
123

partir pour expliquer la différenciation des processus de développement entre territoires situés sur
un même territoire (Demaziére, 2000). En outre, elles n’arrivent pas à sortir du schéma de la
croissance économique, négligeant ainsi le fait qu’en tant que fait social total, le développement
ne s’épuise pas dans l’économie marchande (Latouche, 1998). Il suppose l’intervention
appropriée de l’État et d’autres types d’acteurs d’une part, et d’autre part, résulte moins de
l’action provenant de l’extérieur que d’un processus préalable de mobilisation socio-territoriale
d’acteurs locaux (gouvernements locaux, acteurs sociaux et privés) protagonistes du premier
développement:

« Les théories libérales ont raisonné et agi comme si l’économie du développement, avec ses
investissements, ses infrastructures et ses circuits financiers, avait commencé au XIXe siècle en
Europe occidentale sans besoin de l’État ; les théories marxistes ont raisonné et agi comme si
l’intervention de l’État pouvait faire l’économie des économies locales et du marché » (Favreau et
Fréchette, 2002 : 33)
Au lieu de proclamer que le développement était une croyance occidentale (Rist, 2001), le
courant du développement endogène48 s’est développé en cherchant à faire intervenir la
dimension locale dans les théories du développement. Privilégiant la couverture des besoins
fondamentaux des populations, ce courant s’inscrit dans une démarche construite de l’intérieur
des communautés où : « …ce sont les acteurs de base qui se définissent leurs objectifs et finalités,
et déploient des stratégies propres intégrant les relations avec les autres acteurs » (Hong, 1995 :
25). Ses dimensions majeures concernent la participation des acteurs locaux, le renforcement de
l’influence et du contrôle dont disposent les acteurs locaux dans les décisions et institutions
affectant leur espace de vie, la satisfaction des besoins fondamentaux et non plus la dépendance
au marché, la valorisation des ressources locales (naturelle, humaine, socio-culturelle, savoir faire
local) pour éviter une dépendance extérieure, une approche intégrée du développement,
l’intervention à petite échelle dans l’espace vécu et enfin, une logique d'éducation au
développement en termes d'apprentissage d'une citoyenneté plus active (Meister, 1978; Grigori,
1993; Mondjanagni, 1994; Schneider et Libercier, 1995; Ela, 1998; Ndiaye, 2002). C’est cela qui
explique le fait que le développement endogène promeut un modèle plus participatif de
développement et de gestion publique. Toutefois, le développement endogène conçoit le territoire
plus comme un réceptacle, un espace neutre et passif que comme un acteur disposant d’une
dynamique propre. En outre, sous tendue par la logique du développement par le bas (Sanyal,
1999)49, ce courant reste marqué par son localisme, ce qui explique ses difficultés à s’articuler

48
Ce courant est à lier à ses variantes: développement à la base, participatif, autoentretenu, intégré, auto-
promotion…
49
Appelée également, approche bottum-up promue notamment par les ONG en opposition à l’approche top
down des pouvoirs publics centralisés.
124

avec les autres échelles de planification ainsi que par sa dynamique conflictuelle avec les
pouvoirs publics d’une part, et d’autre part, il ne démontre pas toujours une attention marquée à la
viabilité économique s’attachant plutôt aux dimensions socio-politiques (participation des
populations) et socio-culturelles (reconnaissance des valeurs locales).

2.2.1.2. La perspective du développement local

C’est dans la lignée des principes promus par le courant du développement endogène que le
développement local s’est imposé comme porteur d’une nouvelle logique du développement
misant sur le territoire sans être localiste avec il faut le dire, un contexte particulier. Celui-ci est
en effet marqué par la crise des modèles de développement économique à tendance macro du fait
de leur économicisme, de leur manque de flexibilité et du poids de la centralisation, par un plus
grand repositionnement du local lié aux politiques de décentralisation et enfin, par les effets de la
mondialisation en termes de remontée du local, d’où le terme « glocalisation »:

« La face cachée de la mondialisation, sa contrepartie en quelque sorte, c’est la remontée du ‘local’,


c’est-à-dire de solidarités territoriales, d’entreprises, de services de proximité et d’agences qui, en
tant que dispositifs de développement ou de revitalisation, peuvent être porteurs d’une nouvelle
universalité. Remontée du ‘local’ sans doute, mais aussi transformation du ‘local’ » (Comeau et all,
2001 : 74-75).

La valeur ajoutée du développement local notamment par rapport au développement


endogène peut être située à divers niveaux. D’abord, une nouvelle vision du territoire non plus
comme espace passif ou neutre ou comme simple délimitation administrative mais comme un
acteur disposant de capitaux économique, social, relationnel et cognitif. Dans un tel cadre, le
territoire secrète une dynamique socio-territoriale forgeant son identité mais surtout, produisant
diverses formes d’innovations sociales permettant aux acteurs qui s’y investissent de disposer
d’avantages concurrentiels sans cesse renouvelés pour leur permettre d’assurer une position
favorable par rapport à des acteurs provenant d’autres territoires :

«Dans cette optique, le territoire médiatise et institue des arrangements d’acteurs productifs, des
organisations et des preneurs de décision, permettant ainsi l’émergence de cultures d’innovation
spécifiques, mais pas isolés ni indépendantes de contextes plus globaux» (Fontan et all, 2004 : 117).

N’étant pas forcément lié à la disposition de ressources naturelles ou à des soutiens


extérieurs, le développement ne s’applique pas partout de la même manière ni dans les
trajectoires historiques, ni dans les modalités de réalisation, ni dans les paramètres utilisés, ni
125

dans les types d’acteurs intégrés encore moins dans les ressources mobilisées. Sous ce rapport,
chaque territoire est considéré comme un modèle unique de développement produit certes de
l’histoire et de la culture, mais également résultant d’un processus de transformation sociale
médiatisé par la réalité vécue:

«En d’autres termes, l’analyse des territoires montre que le développement se déploie à partir d’un
système d’interrelations, de circulation d’informations, de production et de reproduction des valeurs
qui caractérisent un mode de production. Cela signifie que les facteurs critiques du développement
sont historiquement enracinés dans la réalité sociale locale et ne sont donc pas facilement
transférables à d’autres espaces : le développement apparaît en définitive, comme un processus
social et non comme un processus uniquement technique» (Courlet et Pecqueur, 1998: 53).

C’est dans ces conditions que le territoire favorise des comportements innovateurs grâce
aux interdépendances productives liant les acteurs, ce qui est source d’apprentissage commun et
de réduction des incertitudes informationnelles tout en renforçant leur sentiment d’identification
(Côté et all, 1995; Proulx, 1998). L’environnement socio-territorial produit ainsi une atmosphère
favorable à la dynamique entrepreneuriale locale mais en retour, le territoire est construit par le
dynamisme des acteurs locaux, par la qualité des interventions des partenaires qui s’y investissent
ainsi que par la nature et l’intensité des relations. A ce titre, la dynamique de milieu innovateur
qui sous tend la logique de développement local (Ayadalot, 1986) positionne le territoire comme
un incubateur de pratiques innovatrices. Elle met en relief la capacité auto organisatrice des
territoires, définissant par eux-mêmes leurs règles, normes, valeurs, projets et modalités de
réalisation en lien avec leur vision propre qui est d’abord culturelle, c’est-à-dire à la fois héritée
de son histoire et médiatisée par la réalité vécue. Dans un tel registre, les innovations secrétées
par la dynamique socio-territoriale peuvent aboutir à de nouvelles dynamiques organisationnelles,
à la mise en valeur des ressources et des compétences disponibles, à créer des opportunités
d’apprentissage collectif, à reconfigurer la nature du mode de coordination mais aussi à renforcer
le capital relationnel mettant en relief la capacité locale à générer un projet commun. A ce titre,
les territoires gagnants seront ceux qui sauront mettre en place un système local d’innovations
composé d’entreprises innovantes et soutenues par divers types de services articulés autour de
liens systémiques, à savoir: les infrastructures de recherche, les services aux entreprises, les
services de formation ou encore les capitaux de risques (CST, 2001).

Cette nouvelle vision du territoire implique un refus de l’autarcie, le développement local


se caractérisant par son ouverture à son environnement ainsi que par son ambition de positionner
le local comme une échelle pertinente de planification irréductible mais articulée aux échelles
126

départementale, régionale, nationale et internationale. A ce titre, contrairement au développement


endogène souvent porteur d’une logique d’action cloisonnée, palliative et revendicative par
rapport notamment au national et aux pouvoirs publics, le développement local se caractérise par
une option délibérée en faveur du partenariat à travers une coopération conflictuelle entre les
acteurs locaux d’une part (collectivités locales, habitants, groupes sociaux, privé) et d’autre part,
entre ces derniers et les intervenants présents sur le territoire (partenaires au développement, État,
bailleurs de fonds, ONG) (Favreau et Lévesque, 1997 et 1999). Une telle perspective renseigne
sur le fait que le local lui-même a changé. Il s’agit d’un local non plus postulant une alternative
au national mais un local à la fois partenarial et transversal cherchant à s’articuler aux autres
échelles de décision. Le changement induit par le développement local ne concerne pas seulement
l’orientation du local, il évoque aussi des changements concernant les logiques d’action des
différents acteurs parties prenantes au processus ainsi que la configuration des rapports entre
acteurs. En effet, les parties prenantes doivent accepter des compromis remettant en cause leurs
vision et intérêt, mais en même temps, l’architecture institutionnelle locale pourrait subir des
changements concernant la recomposition des rapports de pouvoir entre acteurs intervenant au
sein d’un territoire (Ndiaye, 2005)50.

Ce sont tous les changements induits par le développement local qui ont poussé certains
chercheurs à l’analyser plus comme une méthode de travail que comme une nouvelle théorie du
développement qui n’est ni l’exclusivité des zones marginalisées, défavorisées ou périphériques,
ni la propriété d’un seul acteur (Pecqueur, 2000; Husson, 2001). Sous ce rapport, le
développement local indique l’efficacité des relations non exclusivement marchandes entre les
hommes pour valoriser les richesses dont ils disposent (Pecqueur, 1989) en privilégiant « les
acteurs plus que les infrastructures, les réseaux plus que les institutions établies, pour donner aux
hommes et aux groupes directement intéressés une fonction de décision sur les actions qu’ils
mènent » (Husson, 2001 : 7). Dans une vision plus globale, Vachon systématise un certain
nombre de caractéristiques du développement local : sa dynamique d’auto-promotion locale
expressive de la maîtrise du processus par les acteurs locaux, sa démarche globale et intégrée de
développement non limitée à la croissance économique, sa volonté de réintroduire l’humain
comme force motrice du développement, son ancrage dans les micro initiatives locales visant à
l’amélioration des conditions et du cadre de vie de la communauté locale, son caractère
démocratique ou encore, sa logique de partenariat visant à créer un environnement propice à
l’action des collectivités en difficulté (Vachon, 1993 : 104).

50
Ce point sera traité dans la partie relative à la gouvernance territoriale.
127

A de telles caractéristiques, il faut y ajouter une dimension prospective qui informe du


projet de société structurant la démarche de développement local. En effet, le développement
local ambitionne de dépasser la simple gestion palliative des conséquences pour se positionner
dans une revitalisation territoriale durable et cohérente. Cela nécessite la définition concertée
d’une vision du territoire s’inscrivant sur le long terme, définition revenant d’abord aux acteurs
locaux. Dans ce cadre, en dehors de l’État, du privé et des partenaires au développement, on peut
relever deux types d’acteurs dont le repositionnement est intimement lié aux processus de
développement local, à savoir les collectivités locales ou gouvernements locaux et les acteurs
sociaux (individus, groupe social). Ces deux acteurs demeurent porteurs de deux approches
complémentaires de développement local. Dans une approche de politique de développement, le
développement local rend compte d’un processus initié par une collectivité locale (mais partagé
avec les acteurs locaux et intégrant les instances de médiation nationale et internationale) de
relocalisation du processus de développement et de revitalisation d’un territoire à partir de ses
potentialités (Houée, 2001). Dans une approche de développement communautaire, il s’agit d’une
dynamique d’empowerment initiée par les acteurs sociaux locaux (individus mais surtout
organisations communautaires), combinant à la fois une logique revendicative et une visée de
satisfaction des besoins dans une perspective d’amélioration des conditions et du cadre de vie
intégrant l’accès équitable aux services sociaux de base (Doucet et Favreau, 1991; Tremblay et
Fontan, 1994; Favreau et Lévesque, 1999; Deffontaines et Prod’homme, 2001). C’est dire que le
développement local met en relief une dynamique socio-territoriale promue notamment par les
institutions publiques territoriales et par les communautés locales (Prévost, 1993). Il renseigne à
ce titre selon Favreau de trois dimensions : la capacité des acteurs locaux et régionaux à faire
gagner leurs territoires à partir de leurs actions diverses de revitalisation, la gouvernance
territoriale rendant compte des modalités de coordination/ coopération entre parties prenantes
autour d’enjeux locaux et enfin, l’élaboration concertée de politiques publiques territorialisées
mettant en relation acteurs sociaux et institutionnels locaux (Favreau, 2003). Ce sont de telles
valeurs ajoutées qui ont consacré le développement local ou ses variantes à savoir le
développement régional ou le développement territorial.

Sur le plan des approches du développement local, Tremblay et Fontan (1994) en


distinguent deux: l’une de type libéral misant sur la croissance économique axée sur des projets
privés en vue de créer des emplois et d’améliorer les conditions de vie et l’autre de type
progressiste, visant la revitalisation socio-économique de territoires marginalisés à partir d’une
128

articulation entre entrepreneuriat collectif, empowerment des groupes sociaux et bonne


gouvernance dans le souci de créer un environnement viable et équitable favorisant la prise en
charge individuelle et collective (1994: 130-136). Benko (2000) élargira les approches en
systématisant deux courants théoriques regroupant chacun trois approches du développement
local : il s’agit du courant d’inspiration territoriale regroupant les approches en terme de districts
industriels, de systèmes productifs locaux et de milieux innovateurs et du courant d’inspiration
régulationniste regroupant les approches en termes de post fordisme, de gouvernance/
conventions et institutions et enfin, en termes de nouvelle géographie économique. Un troisième
courant pourrait y être ajouté, celui du développement économique communautaire qui cherche à
inscrire l’action communautaire dans la sphère de la production de richesses au sein d’un
territoire débouchant sur l’empowerment des communautés locales (Favreau et Lévesque, 1999;
Tremblay, 1999). Une approche intégrée de ces divers courants de développement local permet
de mieux systématiser la dimension socio-territoriale de l’entrepreneuriat communautaire, à
condition bien sûr de prendre de la distance par rapport aux paradigmes technologique et
industriel qui soutendent la plupart des approches du développement local : systèmes productifs
locaux, districts industriels, clusters, milieux innovateurs...

Par ailleurs, la perspective du développement local n’échappe pas aux divergences des
enjeux, des aspirations ou des intérêts provenant des diverses parties prenantes. Ces divergences
expressives d’une coopération conflictuelle, pose le problème des rapports asymétriques de
pouvoirs entre acteurs tout en posant celui des surcoûts liés à la construction du dialogue social
(en temps, en investissement humain) alors que la demande sociale devient de plus en plus
pressante. En outre, se pose le problème du renouvellement de la dynamique innovatrice du
territoire du fait des risques de routinisation pouvant amener les régions qui gagnent à partager le
lot des régions qui perdent (Benko et Lipietz, 1992; Côté et all, 1995). Enfin, comme le font
remarquer Benko et Lipietz, le développement local se présente plus comme une nébuleuse
rassemblant une grande diversité idéologique et théorique que comme un modèle théorique
intégré (1999 : 5).

2.2.2. Le développement local : Les repères socio-territoriaux de l’entrepreneuriat communautaire

Il s’agit ici d’analyser quelques repères fournis par les théories du développement local
dans le but de construire la dimension socio-territoriale de l’entrepreneuriat communautaire. Dans
ce cadre, la dimension socio-territoriale peut être appréhendée non plus seulement comme un
129

complément des dimensions organisationnelle, socio-économique et socio-politique, mais comme


une dimension transversale renouvelant du coup l’angle d’analyse de l’entrepreneuriat
communautaire. Quatre repères socio-territoriaux nous semblent particulièrement révélateurs de
la portée socio-territoriale de l’entrepreneuriat communautaire. Il s’agit de son ancrage socio-
territorial qui informe non seulement de ses liens avec le lieu d’implantation mais surtout de ses
innovations socio-territoriales induites par ses actions et sa dynamique organisationnelle (2.2.2.1).
Les trois autres repères concernent les enjeux socio-politiques de l’entrepreneuriat
communautaire, à savoir son rapport aux nouveaux mouvements sociaux à portée locale (2.2.2.2),
la question des interfaces entre pouvoirs publics et groupes sociaux (2.2.2.3) et enfin, son rapport
à la gouvernance territoriale (2.2.2.4).

2.2.2.1. Un ancrage territorial porteur d’innovations socio-territoriales

L’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat communautaire postule que ses effets


induits en termes de cibles et de secteurs visés, d’acteurs mobilisés, de ressources valorisées, de
réalisations effectuées ou encore de financements injectés contribuent à la revitalisation du
territoire d’implantation et du secteur investi. Pour Klein et all (2003), l’ancrage socio-territorial
des groupes communautaires qui refére à trois dimensions d’ordre spatio-temporel, sociale et
politique, se caractérise par : leur territoire d’intervention, leur pérennité dans le milieu, leur
apport local en termes de ressources humaines bénévoles, leur population-cible composée en
majorité de personnes défavorisées du milieu, leur membership, leur préoccupation de démocratie
ainsi que leur réseautage local avec les acteurs communautaires, publics, privés ou sociaux dans
une optique de concertation locale. Ce sont tous ses apports qui expliquent leur conclusion :
«L’ancrage des groupes communautaires a dès lors comme résultats la densification et la
dynamisation du tissu local en vue du développement socioéconomique de leurs milieux
d’appartenance» (Klein et all, 2003 : 31). A ce titre, l’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat
communautaire s’explique non seulement par le fait que le territoire constitue le lieu prioritaire
d’identification, de mise en œuvre de projets concrets locaux et de mobilisation des acteurs
sociaux mais également, du fait de ses avantages concurrentiels en termes d’économie de
proximité et de flexibilité réduisant les coûts de transaction ainsi que les sources d’incertitude
informationnelle (Demoustier, 2003).
130

Mais, l’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat communautaire ne se limite pas


seulement au constat du lieu d’implantation de son action, il évoque également ses innovations
socio-territoriales contribuant à la revitalisation de son territoire d’implantation. L’innovation
comme construction socio-territoriale permet de voir à l’œuvre comment les acteurs locaux font
face à des situations ou profitent/ construisent d’opportunités en vue de répondre à une demande
sociale ou réaliser des aspirations ayant une utilité sociale (Fontan et all, 2004). Les innovations
socio-territoriales concernent à la fois, les divers services offerts à la population ou aux cibles,
mais également, l’hybridation de ressources diverses d’ordre marchand, non marchand et non
monétaire et enfin, les modalités innovantes de production/distribution de biens et services en lien
avec la vision extensive de l’économie dont est porteur l’entrepreneuriat communautaire. Dans
cette perspective, le développement local apparaît comme à la base de la construction socio-
territoriale d’un système productif local non pas basé sur un tissu industriel, mais orienté vers le
développement de parties marginalisées du territoire, de secteurs délaissés et d’acteurs
vulnérables en se basant sur une interaction synergique des dynamiques de développement
promues par les acteurs locaux ou intervenants: acteurs institutionnels, privé, social, organismes
communautaires, partenaires au développement. Pour Hillier et all (2004 : 135), la dimension
territoriale de l’innovation sociale révèle trois dimensions : satisfaction de besoins humains de
base non encore satisfaits ni par le marché, ni par l’État, ni par un autre agent collectif,
amélioration de la participation des groupes exclus à la prise de décision en rapport avec la
gouvernance et enfin, une dimension d’empowerment relative à l’augmentation de la capacité
sociopolitique et de l’accès aux ressources stratégiques. Dans ce cadre, l’innovation socio-
territoriale relève d’un processus d’inclusion et d’habilitation des populations marginalisées ou
défavorisées dans un but explicite de justice sociale, ce qui induit des effets sur la gouvernance
locale. En réalité, les innovations sociales liées aux effets induits de l’entrepreneuriat
communautaire sur la revitalisation de leur territoire d’implantation participent du capital socio-
territorial perçu comme : «l’ensemble des ressources tangibles et intangibles, endogènes et
exogènes, qu’une collectivité locale peut mobiliser afin d’assurer le mieux-être de ses citoyens»
(Fontan et all, 2005 : 16-17).

L’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat communautaire à travers l’approche des


innovations socio-territoriales apparaît ainsi particulièrement instructif dans l’étude du
développement local. Cette approche permet en effet de dépasser le type de lecture habituelle des
territoires marginalisés ou défavorisés ou même de territoires plus vastes mais se trouvant en
situation de précarité comme la plupart des pays africains, en termes de crise pour mettre en relief
131

les divers processus socio-territoriaux d’habilitation du territoire et de ses acteurs. Sous ce


registre, l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité apparaît comme un lieu de
lecture et un acteur dans la construction de nouveaux compromis socio-territoriaux.

2.2.2.2. Rapport aux nouveaux mouvements sociaux

Les effets structurants de l’entrepreneuriat communautaire comportent également une


dimension socio-politique. Sur ce plan, l’effet induit de son ancrage socio-territorial et de ses
innovations socio-territoriales concerne son empowerment, exprimant son inscription dans les
mouvements sociaux. Selon cette approche, les individus et les groupes sociaux d’une société ont
la capacité de se définir des projets de société qui peuvent révéler des identités de légitimation, de
résistance ou de projet (Melucci, 1989; Castells, 1999) même si par ailleurs, de tels projets
doivent s’insérer dans le cadre de compromis avec les autres sphères d’acteurs intervenant au sein
de l’environnement.

Si certains ont pu parler de déclin des mouvements sociaux suite à l’essoufflement du


mouvement ouvrier, il semble plus approprié de parler de recomposition avec l’émergence de
nouveaux mouvements sociaux autour notamment de questions identitaires. En effet, les
mouvements sociaux émergents semblent de moins en moins se référer aux conflits de classes où
un acteur de classe se mobilise contre la classe dirigeante en vue de contrôler la production de
l’historicité au travers des principes d’identité, d’opposition et de totalité (Touraine, 1982). Pour
Neveu, les nouveaux mouvements sociaux font référence aux formes et types originaux de
mobilisation sociale inséparables des mobilisations contestataires émergeant dans les années
1960-1970. Il identifie quatre sources de différenciation avec les mouvements sociaux classiques
symbolisés par le mouvement ouvrier: les formes d’organisation et de répertoires d’action misant
sur des structures plus décentralisées laissant l’autonomie aux acteurs à la base et se singularisant
par des formes institutionnelles peu institutionnalisées (grève de la faim, sit-in…), les valeurs et
revendications mettant l’accent sur la résistance au contrôle social, aux identités, aux styles de
vie, le rapport au politique cherchant moins à prendre la place de l’État que de construire des
espaces d’autonomie, et enfin, l’identité des acteurs non plus liée à une classe sociale mais à des
référents identitaires (religion, genre, environnementaliste) (Neveu, 2002 : 66-68). Toutefois pour
ce chercheur, la rupture entre anciens et nouveaux mouvements sociaux n’est pas toujours si
grande et ces derniers ne manquent pas de poser un problème de durabilité.
132

En rapport avec notre objet de recherche, il nous semble nécessaire de différencier deux
niveaux de nouveaux mouvements sociaux. Le premier concerne les mouvements d’alter-
mondialisation ou d’alter-économie cherchant à promouvoir une alternative à l’économie néo-
libérale à travers divers enjeux : monnaie sociale, finances solidaires, économie sociale et
solidaire, responsabilité sociale des entreprises ainsi que les mouvements écologiques tels le
mouvement des paysans sans terre ou le commerce équitable (Favreau et Fréchette, 2002;
MAUSS, 2003; Gendron, 2005). Ce nouveau mouvement social privilégie le niveau international
(forums sociaux mondiaux) et se différencie des mouvements sociaux classiques par leurs cibles à
savoir les instances internationales de régulation politique et économique (le G8, les institutions
internationales comme l’OMC, la Banque Mondiale et le FMI, le capitalisme international, les
multinationales, les marchés boursiers) mais également, par leur base sociale composée
d’individus provenant d’horizons divers souvent sans conscience de classe. Ce mouvement se
mobilise autour d’enjeux multiples, ce qui est augure en même temps de sa fragmentation.

Le second niveau des nouveaux mouvements sociaux met l’accent sur les diverses formes
d’action collective misant sur des enjeux locaux pouvant trouver des ramifications à l’échelle
nationale, à l’image de l’entrepreneuriat communautaire. En effet, c’est au niveau territorial
qu’on peut déceler la base de ces nouveaux mouvements sociaux mobilisés autour de plusieurs
modalités : l’amélioration des conditions ou du cadre de vie à l’échelle locale, l’imputabilité des
décisions prises au nom de la collectivité, une plus grande implication des acteurs sociaux dans le
processus décisionnel affectant leur espace de vie, la promotion d’une plus grande
démocratisation dans la distribution de services sociaux et publics. Les mouvements sociaux
locaux se mobilisent sur divers terrains notamment la lutte contre l’insalubrité et pour la
conversion ou la revitalisation d’espaces défavorisés ou marginalisés, la lutte contre le chômage
des jeunes ou contre la ségrégation spatiale des services sociaux ou publics (Dionne et all, 1997).
Agissant à la fois comme révélateurs des dérives du système dominant en mettant en lumière les
conséquences souvent implicites de ses modalités d’action (Melluci, 1997) ou comme
l’expression de nouvelles demandes sociales pas ou peu satisfaites, ces mouvements sociaux
locaux, associés dés fois à la société civile, contribuent à la redéfinition des valeurs culturelles en
proposant une réécriture des modalités de production de biens et services sociaux ou publics
ainsi que des modalités de gestion publique locale. Cette perspective amène à voir
l’institutionnalisation non pas seulement du point de vue des pouvoirs publics mais de démarches
d’innovations institutionnelles portées par les acteurs sociaux :
133

«L’institutionnalisation est un processus dynamique et complexe. Elle ne répond pas uniquement à


une dynamique d’encadrement ou de contrôle définie par l’Etat. Elle reflète aussi des initiatives ou
des démarches d’innovation que les acteurs, y compris ceux du milieu communautaire, introduisent à
l’intérieur même des institutions» (Bouchard et Hamel, 1997 : 147).

C’est pourquoi, Hamel qui analyse les mouvements sociaux locaux comme des espaces de
médiation dynamique entre la sphère publique et la sphère privée, les décrit autour de quatre
dimensions: l’importance du capital social ou de l’intégration sociale, la reconnaissance du local,
l’apparition de nouvelles valeurs universelles et enfin, la redéfinition du cadre de l’action
publique (Hamel, 1997 : 26-27).

Le caractère local, éphémère, fragmenté de telles dynamiques amène à se demander s’il ne


s’agit pas de formes d’action collective plutôt que de mouvements sociaux cherchant à proposer
des alternatives. En effet, pour ce qui concerne les cas de dynamiques territoriales comme
l’entrepreneuriat communautaire, il semble utile de s’interroger sur leur visée de transformation
sociale. Il s’agit plutôt de dynamiques d’auto-promotion des membres ou de promotion d’une
collectivité territoriale qui peuvent déboucher sur la reconstruction des compromis socio-
territoriaux mais qui ne portent pas forcément une ambition de diffusion ou de changement social.
A ce titre, Haubert et Rey inscrivent ces dynamiques d’empowerment local ou de société civile
dans l’Afrique contemporaine comme relevant plus d’une protestation morale et culturelle des
populations que d’un projet de transformation sociale :

«En réalité, la double crise de l’Etat et de l’économie paraît surtout avoir pour effet de susciter un
repli sur des comportements où les nécessités de la survie conduisent à un bricolage incessant
entre la débrouille individuelle et l’appel à la protection que peuvent procurer diverses
appartenances communautaires, celles-ci étant éventuellement en parties recomposées sur un mode
plus associatif et même contractuel qu’unanimiste ou fusionnel» (Haubert et Rey, 2000 : 39).

Ce point de vue est de plus en plus partagé en Afrique où l’existence d’un projet de société
au sein des initiatives locales reste à démontrer d’autant plus que les relations entre l’Etat et les
acteurs sociaux ne sont pas toujours traversées par le conflit :

«Le reproche principal relatif au concept de mouvement social est qu’il sous-entend l’existence
d’un projet de société plus au moins explicité, une espèce ‘d’autopropulsion’ et une capacité de
transformation progressive. Or, beaucoup d’initiatives populaires ne sont guère liées à un projet
idéologique plus large, sont le résultat d’ingénierie sociale d’acteurs externes et n’ont n’y
l’ambition, ni la capacité d’engendrer un changement social radical. » (Develtere et Fonteneau,
2002 : 6)
134

Si de telles mises en garde invitent à nuancer la portée alternative des nouveaux


mouvements sociaux surtout en Afrique, il reste qu’elles n’arrivent pas à donner un statut à
certaines nouvelles dynamiques de l’Afrique contemporaine comme la plus grande affirmation
des acteurs sociaux locaux dans la vie publique locale. A ce titre, la dimension socio-politique de
l’entrepreneuriat communautaire amène à documenter comment les organisations négocient des
relations partenariales appropriées avec des acteurs susceptibles de les appuyer dans la réalisation
de leurs activités productives destinées à la communauté territoriale (pouvoirs publics, partenaires
au développement, bailleurs de fonds, ONG, structures de formation…). C’est cela qui justifie
l’analyse de l’interface entre organisations communautaires et ses partenaires, notamment les
pouvoirs publics ainsi que le rapport de l’entrepreneuriat communautaire à la gouvernance
territoriale.

2.2.2.3. La question de l’interface entre pouvoirs publics et organisations communautaires

La question de l’interface entre pouvoirs publics et groupes communautaires constitue une


des thématiques récurrentes des études portant sur le mouvement communautaire, sur l’économie
sociale et solidaire ainsi que sur le développement local (OCDE, 1990; Gagnon et Klein, 1992;
Lévesque et Favreau, 1997; Martinot et Kosinski, 1999; Laville et Roustang, 1999; Lévesque,
2000). La question de la configuration des relations partenariales a attiré particulièrement
l’attention des chercheurs du fait de son dilemme constitutif en tant que source
d’institutionnalisation et/ou d’instrumentalisation du communautaire. Mais ce dilemme peut être
élargi aux relations entretenues avec ses divers partenaires, à savoir les pouvoirs publics (l’État,
les gouvernements locaux), les organismes d’appui (ONG, organisme de coopération
internationale), les bailleurs de fonds. Du fait de sa portée, le partenariat, décrit comme une
relation durable, contractualisée et non hiérarchique entre différents acteurs ayant des approches
et des principes compatibles et partageant objectifs, responsabilités, risques et imputabilité dans le
cadre d’activités communes, mais au travers d’un système de coopération conflictuelle
(Lamoureux, 1994 et 1996), a été davantage utilisé plutôt que d’autres termes comme la
collaboration, la coopération, la concertation. Toutefois, contrairement à une vision populiste et
idéologique, le partenariat semble être foncièrement paradoxal et ambigu, car ambitionnant de
développer des relations horizontales et négociées entre acteurs qui disposent de profils
asymétriques et qui sont traversés par des divergences de sens et d’intérêts (Lévesque, 2000). En
ce sens, il n’implique ni la réduction de l’autonomie des parties prenantes, ni celle liée au jeu des
intérêts spécifiques (Laville et Roustang, 1999; René et Gervais, 2001). Il évoque simplement un
135

espace d’accommodation autonome d’actions que se donnent différents acteurs pour optimiser
leurs chances de succès :

« L’avantage essentiel du partenariat local est qu’il repose sur des projets et non sur des institutions.
Les partenaires se retrouvent non en tant que représentants de telle ou telle organisation, mais parce
qu’ils ont un objectif commun et une mission précise à remplir, ce qui facilite l’établissement d’un
consensus» (OCDE, 1990: 12).

L’étude de l’interface entre les groupes communautaires et ses partenaires, notamment les
pouvoirs publics se heurte à deux défis. D’abord, sa grille d’analyse binaire en termes
d’opportunités et de risques tombant sous le coup du dualisme, ensuite sa tendance à examiner les
relations en se limitant à une seule dimension ou à la perspective d’une des parties prenantes.
C’est pourquoi la perspective formulée par Najam (2000) et surtout par Coston (1998) nous
semble particulièrement appropriée pour dépasser ces visions binaire ou partielle de l’interface
entre les organisations communautaires et leurs partenaires (Proulx et all, 2005)51. Le modèle de
Najam combine deux dimensions (les buts poursuivis par les acteurs et les stratégies déployées
pour atteindre ces buts), aboutissant ainsi à l’identification de cinq types de relations entre l’État
et le tiers secteur. Cette typologie part du non engagement marqué par l’absence de relation, à la
cooptation où on note des stratégies similaires mais des buts différents, chacun des partenaires
essayant d’amener l’autre à partager son but, à la confrontation (divergence tant dans les buts que
dans les stratégies), à la complémentarité (partages de buts et stratégies différentes) et enfin, à la
coopération marquée par un partage de buts et de stratégies entre les parties prenantes.

Par rapport à la typologie de Najam, celle de Coston (1998) apparaît plus exhaustive
d’autant plus qu’elle part d’une synthèse des types de relations systématisés à travers plusieurs
pays situés dans divers continents. Ce modèle combine trois dimensions : le degré d’ouverture de
l’État au pluralisme institutionnel, le degré de formalisme des rapports et enfin, le rapport de
pouvoir pour aboutir à l’élaboration d’un continuum de huit types de relations entre l’État et les
organisations communautaires.

51
Cette partie s’inspire d’un cahier de recherche publié par l’ARUC-ÉS/ UQAM portant sur la question des
interfaces entre Etat et tiers secteur. Cf. Proulx et all, 2005.
136

Figure 2.2 : Typologie des rapports État/Tiers secteur de Coston (1998)

Résistance au pluralisme Ouverture au pluralisme institutionnel


institutionnel

Répression Rivalité Compétition Contractuelle Tiers parti Coopération Complémentarité Collaboration

formelle formelle
et et
informelle informelle informelle formelle informelle formelle

Relation de pouvoir Relation de pouvoir


asymétrique (avantage à symétrique
l'État)

Source : Coston, 1998: 361-364

Les relations de répression (interdiction de l’existence des organisations ou de certaines


activités), de rivalité (absence de soutien, reconnaissance restrictive) et de compétition tant dans
l’exercice du pouvoir local que dans l’obtention de ressources provenant notamment de bailleurs
de fonds, démontrent une relation de pouvoir asymétrique au profit de l’État et une résistance au
pluralisme institutionnel. Par contre, les autres types de relations (cinq) démontrent un plus grand
équilibre dans les relations de pouvoir ou tout au moins, dénotent des relations beaucoup plus
interdépendantes entre les parties prenantes. Il s’agit du type contractuel où l’État délègue
pendant une certaine durée, un certain nombre de services aux organisations communautaires
mais garde la responsabilité de l’opération; du type tiers parti qui reste un contrat de services mais
permet une responsabilisation plus importante des organisations communautaires quant au
financement et à l’exercice de l’autorité politique; du type coopération qui valorise l’échange
d’information mais avec des rapports peu développés contrairement au type complémentarité
marqué par une relation intégrée tant dans la production des ressources que dans l’élaboration des
politiques. Enfin, le type collaboration se distingue de ce dernier type par le degré d’intensité et
de formalisme des rapports ainsi que par l’élaboration conjointe de politiques. On parle ici plutôt
d’une coproduction du service public entre l’État et les organisations communautaires, expliquant
par ailleurs sa rareté. En combinant ces huit types de Coston au non engagement de Najam, on
137

peut systématiser une typologie assez exhaustive de la nature des interfaces entre
l’entrepreneuriat communautaire et ses partenaires.

Toutefois, malgré sa portée heuristique, la typologisation demeure tautologique en ce sens


qu’elle ne permet pas d’aller au-delà de la réalité immédiate. S’y ajoute, le fait qu’elle ne rend pas
suffisamment compte du caractère complexe, dynamique et évolutif des situations partenariales
qui ne sont jamais définitives sans parler de son faible rapport à la dynamique socio-territoriale
qui informe de l’histoire des arrangements intervenus au sein de l’architecture institutionnelle
locale. Sous ce rapport, la nature des rapports entre l’entrepreneuriat communautaire et ses
partenaires semble être moins soumise à un déterminisme ou à un état préétabli qu’à un processus
historique et territorial de construction/déconstruction des modalités de coordination des acteurs
au sein d’un territoire. C’est pourquoi, l’approche en termes de gouvernance territoriale apparaît
plus susceptible de confronter la typologie des relations partenariales à l’aune des modalités
concrètes de gestion du pouvoir politique et de formulation des politiques de développement se
déroulant à l’échelle locale, qui constitue d’ailleurs le lieu privilégié d’intervention des
organisations communautaires.

2.2.2.4 : La perspective de la gouvernance territoriale

L’idée de gouvernance désigne une dynamique concertée et démocratique dans l’exercice


du pouvoir politique, dans la coordination des actions et acteurs au sein d’une communauté ou
encore dans le processus de formulation et de gestion des politiques de développement (Stoker,
1998). Elle promeut certes un Etat de droit, le respect des droits et libertés, la décentralisation, la
subsidiarité mais implique également une modification du mode de gestion publique, de
l’approche du développement, des rapports entre pouvoirs publics et acteurs sociaux ainsi que du
compromis Etat-marché. En effet, ce sont d’une part, les limites du modèle d’administration
centralisée en termes de logique d’action ascendante, sectorielle et standardisée peu perméable
aux nouvelles aspirations et aux nouvelles demandes et d’autre part, les défaillances du marché en
termes d’exclusion sociale, d’accentuation des inégalités, de réduction des usagers au rang de
clients ou encore de marchandisation du social, qui ont positionné la gouvernance comme une
nouvelle forme de régulation politique et économique «régissant les interactions d’acteurs dont
les activités contribuent à la réalisation d’objectifs relevant de l’intérêt général » (Enjolras, 2005 :
8). A ce titre, la gouvernance écarte la gestion isolée d’un seul acteur du moment où elle ne relève
ni uniquement du marché, ni exclusivement de l'Etat encore moins de la société civile mais
138

cherche à construire un mécanisme stratégique de compromis volontaire et de mise en cohérence


des interactions synergiques entre différents types d’acteurs basées sur l’accountibility (Lévesque,
2004). Dans ce cadre, si toute gouvernance suppose un cadre institutionnel et relève d’abord
d’une décision politique des pouvoirs publics, par contre l’État est réduit au statut d’acteur à côté
d’autres acteurs d’une part, et d’autre part, sa fonction change tout comme l’orientation du mode
de régulation (Lallement, 1999). On passe d’un État centralisé comme instance unique de
régulation à tendance tutélaire ou hiérarchique à un État partenaire garantissant les conditions
propices à l’intervention des autres acteurs (privé, acteurs sociaux). En outre, au niveau du mode
de régulation, on mise désormais sur une pluralité d’espaces de délibération en hybridant espaces
publics institués et espaces publics autonomes (Eme, 2005).

Par ailleurs, la gouvernance récuse la conception du développement d’en haut ou d’en bas
ainsi qu’une approche sectorielle. Elle met en relief une conception transversale (autour de
filières) et multidimensionnelle du développement liant l'économique, le social, le politique,
l'environnemental. Cette conception transversale et multidimensionnelle questionne la
prédominance de l’économie marchande pour promouvoir des interdépendances non marchandes
basées sur la confiance, la proximité et la cohésion sociale (Lévesque, 2001). Pour ce dernier, la
gouvernance est traversée par au moins quatre défis liés à la trilogie Etat-Marché-Société civile, à
la base d’un nouveau mode de régulation politique et économique. Le premier défi concerne
l’identification des parties prenantes pertinentes au regard des questions considérées, ce qui est
éminemment politique d’autant plus que chacun de ces trois acteurs est constitué de plusieurs
sous groupes. Le second défi pose la question de la diversité des logiques et mécanismes de
coordination provenant d’un ménage à trois. Le troisième défi questionne l’aménagement d’un
espace public de délibération pour concilier les intérêts des diverses parties prenantes autour de
l’intérêt général. Enfin, le quatrième défi pose l’enjeu politique de l’évaluation et de
l’imputabilité qui doit prendre en compte la diversité des logiques des parties prenantes
(Lévesque, 2004 : 12-15). C’est cette complexité de la gouvernance n’échappant pas aux jeux des
acteurs ainsi que sa dynamique organisationnelle traversée par des tensions structurelles qui a
poussé Enjolras (2005) à avancer la notion de régime de gouvernance plus heuristique en lieu et
place de celle de gouvernance. Le régime de gouvernance combine trois dimensions : les diverses
parties prenantes, les instruments de politique publique et enfin, les modalités institutionnelles
d’interaction.
139

Du point de vue historique, l’itinéraire de la gouvernance permet d’apprécier sa portée


actuelle hautement politique et idéologique surtout en Afrique. En effet, à l'origine, la notion de
«governance» désignait le partage du pouvoir entre les différents corps constitutifs de la société
médiévale anglaise. Le monde universitaire anglo-saxon s’est réapproprié la notion dans les
années 1980 pour l’appliquer à l'analyse des différences constatées dans les niveaux de
développement entre pays. Ce sera à partir de 1986 que la Banque mondiale va la récupérer à la
suite d’une étude portant sur les conditions de réussite et d'échec des plans d'ajustement
structurel, basée sur la comparaison entre pays d'Asie du Sud-Est et ceux d'Afrique
subsaharienne. D’une catégorie d’analyse, on passe à une vision normative autour de la notion de
"bonne gouvernance" véhiculée notamment par les institutions de Bretton Woods qui la limitent à
l’articulation entre démocratie politique et économie de marché. Le respect du libre jeu du
marché, le principe de «moins d’État, mieux d’État», la démocratie, le respect des droits de
l'homme, des élections transparentes et régulières, la décentralisation vont constituer entre autres
des éléments d’une bonne gouvernance à côté de la bonne application des programmes
d'ajustement structurel en vue d’assainir le cadre macro-économique. Ces dernières années,
l’approche économique et gestionnaire de la banque mondiale s’est vue fléchie par celle plus
socio-politique des organismes internationaux de développement comme le PNUD.

En Afrique, cet itinéraire du concept demeure important du fait qu’il est devenu une des
conditionnalités que les bailleurs de fonds imposent aux Etats dans le cadre d’octroi des prêts ou
de rallongement de la dette. Mais le problème est de se demander si les critères de la gouvernance
«signifient simplement le fait de construire un Etat non autoritaire, libéral et démocratique, ce qui
est une saine exigence, ou s’ils n’impliquent pas la logique d’un Etat sans autorité, incapable de
résister aux forces du marché et de jouer son rôle d’agent régulateur nécessaire pour traiter les
différents déséquilibres» (Sine, 1997 : 16). C’est dire que la gouvernance s’écarte bien du
processus de privatisation tout azimut du service public comme le stipule la Banque mondiale qui
a tendance à réduire la portée du concept à la subordination d’un Etat minimal au marché ou à la
subordination de l’intérêt public aux intérêts privés dominants (Campbell, 1997).

Sur ce même plan, d’autres types d’interrogations nuancent la portée de la gouvernance.


Par exemple, celle-ci peut être certes garante de la légitimité des actions de développement, mais
ne conduit pas forcément à une efficacité du fait de la lourdeur et de la complexité du processus
liées à la multiplicité des acteurs possédant chacun une logique et des intérêts propres. En outre,
elle ne présuppose pas que les acteurs sociaux disposent de plus de responsabilité. C’est dire que
140

si tous les acteurs sont d’accord pour admettre l’importance de la gouvernance, ils n’y placent pas
forcément les mêmes espoirs ou n’y investissent pas le même degré d’engagement (Niang, 2001).
En outre, la capacité des acteurs locaux à articuler leurs actions de survie avec une vision plus
prospective et plus globale questionne le degré de compréhension des enjeux de la gouvernance
au niveau des diverses parties prenantes. Enfin, la dynamique de gouvernance risque d’aboutir à
des effets pervers si elle n’est pas accompagnée de moyens suffisants permettant de prendre en
charge le produit de la négociation ou répondre efficacement à la demande sociale.

On peut distinguer diverses échelles de gouvernance. A l’échelle mondiale, la gouvernance


refére aux relations entre Etats et entre eux et le marché, mais également à la démocratisation des
instances de régulation internationale (ONU, OMC, BM, FMI) ou encore à une mondialisation
plus équitable et plus écologique. Au niveau national, elle interroge les modalités de gestion
publique, la démocratisation de la vie publique, la décentralisation ainsi que l’élaboration
concertée des politiques de développement. Enfin52, la gouvernance territoriale qui est plus liée à
notre objet de recherche, valorise les modalités de coordination des acteurs locaux et des
intervenants autour d’une dynamique socio-territoriale.

Cristallisant la dimension socio-politique des processus de développement local, la


gouvernance territoriale met l’emphase sur l’interaction entre les acteurs significatifs du territoire,
comme les collectivités locales, les partenaires au développement, les bailleurs de fonds, les
divers paliers gouvernementaux, les acteurs sociaux, les acteurs privés…L’enjeu est de se
demander si la gouvernance territoriale aboutit à une recomposition de l’architecture
institutionnelle locale voire à une redéfinition du mode de régulation locale ou par contre, s’il ne
traduit qu’un nouveau concept cachant mal la volonté de relégitimation et de repositionnement
des pouvoirs publics locaux. Elle interroge à ce titre, la capacité/ volonté des diverses parties
prenantes, en priorité les collectivités locales, du fait que toute gouvernance suppose un pouvoir
public intervenant au sein du territoire à s’arrimer pour construire des alternatives territorialisées
tant dans la gestion publique locale que dans la promotion du développement local. Pour cela, elle
interpelle la nature des rapports entre acteurs présents sur le terrain local ainsi que la nature du
mode de gestion publique locale:

« Ainsi, une gouvernance locale détentrice de potentiel démocratique exige à la fois la


mobilisation des divers acteurs sociaux locaux, des formes de soutien public souvent renouvelées

52
Il y a un autre niveau de gouvernance, celle organisationnelle qui concerne la gestion interne d’une
organisation.
141

et des formes institutionnelles de régulation qui encadrent les négociations et un nouveau partage
du pouvoir non seulement entre ces acteurs locaux, mais également entre les divers paliers de
gouvernement » (Boucher et Tremblay, 1999 : 5).

Pour Eme, la gouvernance territoriale offre aux mouvements d’économie sociale et


solidaire la possibilité de construire des espaces publics autonomes par rapport à ceux institués et
même, de pouvoir influer sur les politiques publiques locales dans les limites définies par les
pouvoirs publics. Mais il s’agit plutôt de dynamiques d’appropriation des interstices
institutionnels que de transformation du mode de régulation locale. Il constate que la gouvernance
territoriale favorise en dernière analyse les pouvoirs publics locaux qui en réalité, déploient une
double régulation au sein des dynamiques de gouvernance: une régulation verticale sous la forme
d’un encadrement administratif centralisé à travers des secteurs cloisonnés et une régulation
horizontale sous la forme d’une logique de gouvernance à travers une approche par filière. Ainsi,
53
la réalité du terrain renseigne sur une gouvernance non seulement sectorielle mais également
limitée à certains niveaux et non point d’une gouvernance territoriale. D’ou la notion de «poly-
gouvernance» qui rend compte de l’agrégation de plusieurs modes de gouvernance sectorielle au
détriment d’une dynamique d’ensemble de gestion négociée du territoire. Par ailleurs, cette poly-
gouvernance accentue la fragmentation des entreprises sociales et explique leur difficulté à se
constituer en un mouvement social dans la mesure ou certaines d’entre elles sont cooptées par les
pouvoirs publics pour participer aux dynamiques de gouvernance tandis que d’autres, disposant
d’initiatives innovantes ou émergentes se voient souvent marginalisées. C’est en cela que la
gouvernance est devenue un outil des gouvernements locaux cherchant à assurer leur
relégitimation et leur reproduction:

« L’appel à la mobilisation civique, à la responsabilité citoyenne, à l’initiative de tous selon une


démocratie participative et délibérative se heurte au principe de réalité de la tentative de
relégitimation et de reproduction des pouvoirs dans les mécanismes de la démocratie
représentative. Le principe démocratique de l’interdépendance conflictuelle de la société civile et
de l’État se réalise en réalité sous de nouveaux modes de dépendance de la première au nom de la
légitimité d’un bien public légitime porté par le second. Ainsi, prédominent les visions dominantes
du développement local, fortement teintées d’économicisme, de rationalité instrumentale et de
perpétuation des pouvoirs » (Eme, 2005 : 7-8).

Malgré ces risques d’instrumentalisation ou de détournement des dynamiques de


gouvernance territoriale, ces dernières offrent des opportunités diverses aux acteurs sociaux, en
termes d’apprentissage de nouveaux modèles relationnels, de reconnaissance institutionnelle de

53
Cette pratique sélective des secteurs gérés sous forme de gouvernance est liée à plusieurs facteurs :
l’importance accordée au secteur ou à la problématique dans les priorités du développement local, le poids
des acteurs du secteur…
142

leurs initiatives, de positionnement sur des problématiques macro structurelles ou même de


déploiement de niches d’auto-régulation, à côté du mode de régulation officielle. Enfin, les
acteurs sociaux disposent de compétences spécifiques médiatisées par leur connaissance du
terrain mais également de marge de manœuvre pour mettre à profit les zones d’incertitude, tout en
ayant la possibilité de se retirer, invalidant de fait la dynamique de gouvernance.

La perspective du développement local complète utilement la sociologie économique en


ouvrant de nouveaux horizons à la construction théorique de l’entrepreneuriat communautaire.
Entre autres, on peut retenir comme éléments:

- la dimension transversale de la variable territoriale de l’entrepreneuriat communautaire


informant ses innovations socio-économique, organisationnelle, institutionnelle et socio-
politique ;

- la portée de son ancrage socio-territorial à la revitalisation du territoire autour de


multiples domaines : les acteurs vulnérables promus, les services offerts, les ressources
mobilisées, les partenaires attirés… Un accent particulier concerne également les modalités
innovantes de production et de distribution de biens et services misant sur l’implication des
usagers. Enfin, les effets structurants de l’entrepreneuriat communautaire sur le territoire et
l’effet-lieu de ce dernier sur la dynamique permettent d’interroger l’existence d’un système
local d’innovations ;
- la dimension socio-politique permet d’interroger le degré d’empowerment de
l’entrepreneuriat communautaire par rapport aux autres sphères d’acteurs (notamment les
gouvernements locaux), la constitution de réseaux d’acteurs issus d’un même secteur
d’activités ou d’un même territoire en tant que forme d’action collective. Cette dimension
interroge également sa contribution à la constitution d’espaces publics autonomes de
délibération ainsi que sa position socio-politique dans la vie publique locale, notamment la
nature de ses liens avec les collectivités locales et les intervenants sur le territoire, mais
également son rapport à la gouvernance territoriale;

- une analyse intégrant ces deux dimensions permet d’interroger jusqu’où la contribution
de l’entrepreneuriat communautaire à la revitalisation socio-territoriale lui permet d’assurer
une meilleure position socio-politique dans la vie publique locale en termes d’une meilleure
implication dans la dynamique de gouvernance territoriale.
143

2.3. Autre approche de l’entrepreneuriat

Cette partie présente l’état de la recherche portant sur l’entrepreneuriat autour de deux
mouvements. D’abord, sera présentée une revue de la littérature sur l’entrepreneuriat (2.3.1) en
retraçant notamment l’historique du concept d’entrepreneur, les différentes approches de
l’entrepreneuriat ainsi que les bases du paradigme émergent. La deuxième partie va se situer sur le
terrain de notre recherche pour tenter de caractériser l’entrepreneuriat africain tel que décrit par les
chercheurs africains et africanistes (2.3.2). Cette partie permettra d’analyser l’historicisation du fait
entrepreneurial africain ainsi que les études portant sur sa caractérisation. Toutes ces deux parties
seront accompagnées d’une lecture critique. Il va sans dire que ce troisième bloc théorique sera
analysé à la lumière des apports théoriques inspirés de la sociologie économique et des théories du
développement local.

2.3.1 : Etat de la recherche sur l’entrepreneuriat

2.3.1.1 : Historique du concept d’entrepreneur

La perspective historique permet de relever d’une part, l’accent mis par les chercheurs sur les
fonctions de l’entrepreneur et d’autre part, le soubassement économique des recherches en
entrepreneuriat. Elle permet en outre de dépasser les divergences liées à la définition de
l’entrepreneur pour mettre en évidence l’évolution de la conception de l’entrepreneur qui finalement,
informe des mutations de l’environnement économique et du fonctionnement des sociétés (Tounes,
2003). Il faut rappeler qu’historiquement, l’entrepreneur évoquait des individus chargés de réaliser
des ouvrages comme la construction de bâtiments, de routes, de fortifications ou de ponts54 (Vérin,
1982). Par la suite, ce terme évoquait des individus s’activant sur le terrain économique et combinant
ruse, prise de risque, calcul et aventure. A ces conceptions beaucoup plus liées à l’imagerie populaire,
on peut ajouter également une autre conception provenant de la théorie économique orthodoxe. Dans
ce cadre, même s’il est reconnu à l’entrepreneur sa contribution à un rendement plus élevé, la théorie
classique en général décrit l’entrepreneur comme celui qui n’exerce qu’un rôle réactif voire
subalterne soumis à la main invisible du marché auto-régulateur (Smith, 1776) ou à l’équilibre

54
L’entrepreneur dans le langage courant au Sénégal fait référence au chef maçon qui effectue ou qui dirige des
travaux de construction de bâtiments. Il s’agit donc d’un entrepreneur de bâtiments. Ainsi, les acteurs qui
s’investissent dans le marché disposent d’autres noms comme commerçants, marchands, opérateurs
économiques mais pas comme entrepreneurs.
144

général concurrentiel de Walras. Une telle conception qui postule l’universalité du mobile utilitariste
tout en analysant le marché comme instance unique de coordination, traite les comportements
économiques comme rationnels indépendamment des structures et des organisations (Hugon, 1995).
C’est pourquoi, l’entrepreneur tout comme l’entreprise, n’ont comme rôles que de s’adapter au
marché comme le fait remarquer Perroux:

«Dans la concurrence pure, l’entrepreneur est simple exécuteur des indications du marché et son profit
tend vers zéro. Il est d’autant plus fidèle à son rôle qu’il est plus docile aux sollicitations du
mouvement des prix; il ne peut ni ne doit les contrarier. L’activisme et l’autorité de l’entrepreneur sont
ainsi mis entre parenthèses; or ce sont ces traits que l’économie moderne fait saillir avec un saisissant
relief» (Perroux, 1969; cité par Béraud et Perrault, 1994 : 25)

Il faudra attendre Richard Cantillon (1755) et Jean Baptiste Say (1816) pour voir dans la théorie
économique une plus grande place accordée à la notion d’entrepreneur autour notamment des notions
de prise de risque et d’incertitude. Cantillon distingue dans le système économique trois types
d’acteurs : les propriétaires disposant d’une indépendance financière, les fermiers et enfin les
entrepreneurs. Appartenant à un groupe hétérogène (bouchers, marchands, manufacturiers, hommes
de lois), ces derniers constituent des agents de direction de la production et du commerce qui doivent
supporter seuls le risque. S’approvisionnant en produits à partir de prix certains, l’entrepreneur
dispose de prix de vente aléatoires rendant ainsi incertains son profit. C’est pourquoi, Cantillon établit
une distinction entre les gens dont les gages sont certains et les entrepreneurs, des gens à gages
incertains qui doivent affronter le risque. Mais pour lui, l’entrepreneur est un homme rationnel
utilisant son expérience personnelle pour anticiper les risques et prévoir les comportements
économiques:

«L’entrepreneur est l’homme rationnel par excellence, parce qu’il œuvre dans une société marchande où
tout se règle par la concurrence sur le marché, où il faut donc savoir mesurer le probable, où l’on ne peut
décider qu’après avoir délibéré, jugé» (Vérin, 1982 : 12).

Mais contrairement à Cantillon, Say néglige l’environnement incertain du fait de sa


préoccupation tournant autour de l’équilibre du système économique où l’offre crée sa propre
demande. Positionnant l’entrepreneur au cœur du processus économique, Say le spécifie en fonction
de deux caractéristiques : celui qui prend et assume les risques ainsi que l’organisateur qui combine
les facteurs de production en vue d’accroître la production. A la différence du savant qui étudie les
lois de la nature et de l’ouvrier qui travaille sous ses ordres, l’entrepreneur est celui qui profite des
connaissances du savant pour créer des produits utiles. C’est pourquoi, Say le décrit comme un
intermédiaire entre les agents participant au processus productif et entre ceux-ci et le consommateur,
145

garantissant ainsi l’équilibre du système économique (Esposito et Zumello, 2003). C’est d’ailleurs ce
qui explique le fait que pour lui, le bien-être d’un pays soit associé au dynamisme de ses
entrepreneurs.
Toutefois, le personnage de l’entrepreneur définit par Cantillon et Say va progressivement
céder la place à l’entreprise avec la révolution industrielle. Ainsi, après le marchand et le négociant
du XVIIe siècle, c’est le manufacturier qui caractérise la conception de l’entrepreneur à la fin du
XVIIIe siècle (textile, métallurgie). Au XIXe siècle, les directeurs de fabrique vont être valorisés du
fait des aptitudes techniques sollicitées par la seconde étape d’industrialisation. L’entreprise plus
grande et plus complexe que la petite firme apparaît à travers les sociétés anonymes mettant ainsi
l’accent sur la dimension organisationnelle et la séparation entre fonction de propriété et celle de
gestion dans un contexte de révolution technologique et de production de masse. Les fonctions de
l’entrepreneur s’en trouvent éclatées autour de plusieurs spécialistes, le manager prend la place de
l’entrepreneur à la fin du XIXe siècle (Tounes, 2003). Mais l’essoufflement de la révolution
industrielle au milieu du XXe siècle va repositionner l’entrepreneur et la petite entreprise supposée
détenir une plus grande flexibilité. C’est à partir de là que Schumpeter (1935) apparaît non seulement
pour systématiser la place de cet agent économique moteur du progrès mais également, pour jeter les
bases du champ entrepreneurial.

Marquant sa distance par rapport à certaines descriptions faisant de l’entrepreneur le détenteur


du capital, le preneur de risques ou l’inventeur, Schumpeter le conçoit comme «le révolutionnaire de
l’économie», c’est-à-dire un innovateur et un agent de changement porteur d’une dynamique de
destruction créatrice :

«Nous appelons «entreprise» l’exécution de nouvelles combinaisons et également ses réalisations dans
des exploitations, etc…et «entrepreneurs», les agents économiques dont la fonction est d’exécuter de
nouvelles combinaisons et qui en sont l’élément actif» (Schumpeter, 1999: 106)

La fonction d’exécution de nouvelles combinaisons fait de l’entrepreneur schumpétérien celui


qui introduit et conduit cinq types d’innovations à savoir : la création d’un bien nouveau,
l’introduction d’une nouvelle méthode de production, l’ouverture d’un nouveau débouché ou d’un
nouveau marché, la conquête d’une nouvelle source de matières premières et enfin, la réalisation
d’une nouvelle organisation du travail (1999: 95). Schumpeter soulignera également le caractère
temporaire de la fonction d’entrepreneur du moment où l’innovation intervient à certains moments,
comme au début de l’initiative ou lors des moments de crise. Dans ce cadre, le déséquilibre introduit
par l’innovation finit par un nouvel équilibre avec le temps, entraînant ainsi la disparition du profit,
146

d’où la nécessité de continuer à innover. Enfin, il évoque les risques d’une routinisation
(bureaucratisation) des innovations suite à l’expansion de la grande entreprise comme norme
industrielle, ce qui sera à la base de la disparition de l’entrepreneur au profit des managers et des
spécialistes. Toutefois, la crise de la société fordiste ainsi que la globalisation des échanges semblent
au contraire avoir renforcé la petite entreprise et l’entrepreneur individuel tout comme l’innovation
qui devient de plus en plus un critère de compétitivité.

La plupart des écrits sur l’entrepreneuriat partent de la théorie de Schumpeter pour


l’approfondir, la nuancer ou la remettre en cause. Les critiques font ressortir la limitation de la
réflexion de Schumpeter à l’entrepreneur-individu négligeant les organisations entrepreneuriales ou
encore sa limitation à la petite firme négligeant son articulation avec les grandes entreprises. De
même, les critiques portent sur la non prise en compte du cadre institutionnel et plus largement de
l’État qui pourtant joue un rôle dans l’appui aux innovations (cadre législatif, moyens) tout comme la
non prise en compte des conditions de l’innovation, ou encore la négligence de Schumpeter
concernant l’assomption de risques préférant mettre l’accent plutôt sur l’innovation (Perroux, 1993;
Dannequin, 2002). A un autre niveau, Kirzner (1973) et Mises (1985) décrivent l’entrepreneur non
comme mû par une destruction créatrice mais comme une personne ordinaire mais vigilante par
rapport à l’information en vue de réduire le désordre ou détecter les opportunités d’affaires non
encore décelées, arrivant ainsi à trouver les ressources nécessaires pour mettre en œuvre son idée de
projet. Pour Kirzner :

«La capacité cruciale de l’entrepreneur, c’est d’être le premier à percevoir, dans les interstices du
système de production actuel, les situations potentielles où existent des occasions d’offrir aux autres la
possibilité de réaliser ce à quoi ils aspirent dans des conditions d’échange supérieures à celles dont ils
avaient jusqu’à présent connaissance» (Kirzner, 1973; cité par Dictionnaire de sociologie, 1999 : 188).

Mark Casson (1982) quant à lui, affecte à l’entrepreneur une fonction de prise de décisions et
de coordination des ressources rares. Julien (2000), mettant en évidence la complexité de
l’innovation, distingue l’entrepreneur de reproduction (crée très peu de valeur nouvelle), d’imitation
(crée peu de valeur mais permet le changement de situation), de valorisation (ayant une idée originale
et offrant une valeur nouvelle) et d’aventure (crée une nouvelle valeur pour l’économie). A la fin des
trente glorieuses (1945-1975), l’esprit d’entreprise va être mis au premier plan à travers les écrits de
Gilder (1984) et de Drucker (1984) qui font de l’entrepreneur le sauveur du capitalisme en
transformant ce dernier d’une économie de management à une économie d’entrepreneurs (Boutillier
et Uzunidis, 1999: 43). Ainsi, du capitalisme marchand, à celui libéral et ensuite managérial, on passe
au capitalisme entrepreneurial (Julien et Marchesnay, 1996). Mais pour Boutillier et Uzunidis,
147

l’entrepreneur contemporain, se situant à l’intersection du monde des entreprises et du travail,


apparaît comme un acteur socio-économique plus socialisé qu’héroïque parce que créant des emplois
et innovant à partir de la mobilisation d’un capital social qu’on peut décomposer en capital financier,
cognitif et relationnel (1999 et 2000). Une telle conception augure de la nouvelle vision de
l’entrepreneur comme remplissant une fonction fortement socialisée. L’entrepreneuriat lui, cesse
d’être un phénomène exclusivement marchand pour intégrer l’entrepreneuriat social et collectif
(Lévesque, 2002).

L’analyse historique de l’entrepreneuriat renseigne sur l’évolution des conceptions relatives aux
fonctions de l’entrepreneur en lien avec celles relatives au capitalisme occidental. Trois fonctions ont
été conférées à l’entrepreneur par les divers chercheurs au fil des ans: la prise de risques dans un
contexte d’incertitude, la coordination-organisation et enfin, l’innovation (Hernandez, 2001). De cette
synthèse historique, Fayolle dégage deux figures : l’entrepreneur-organisateur et l’entrepreneur-
innovateur ainsi que quatre rôles fondamentaux: «risk-taker/risk-manager» (Cantillon, Say);
«innovator» (Schumpeter); «alert seeker of opportunities» (Hayek, Mises) et enfin, «co-ordinator of
limited resources» (Casson) (Fayolle, 2000 : 5). L’approche économique qui sous tend cette
focalisation autour de l’entrepreneur individuel capitaliste explique le fait que l’entrepreneuriat n’ait
été traité qu’indirectement et non pas en tant que phénomène spécifique. Il faudra attendre
l’élaboration de nouvelles approches inspirées par d’autres types de sciences que la science
économique pour voir une analyse plus spécifique de l’entrepreneuriat.

2.3.1.2. Les approches de l’entrepreneuriat

L’éclatement du champ d’étude de l’entrepreneuriat peut être apprécié tant en fonction de la


diversité des objets d’étude, des visions et des approches. Dans le milieu anglo-saxon, la recherche
sur l’entrepreneuriat relève d’un domaine déjà établi structuré autour de trois champs à savoir, l’esprit
d’entreprise, la création d’entreprise et l’entrepreneur et de deux approches à savoir, l’émergence
organisationnelle et l’opportunité entrepreneuriale. Par contre, la recherche en milieu francophone se
situe pour le moment du préparadigmatique appréciable par le fait, qu’émergeant dans les années
1980, elle est certes arrivée à dépasser le stade de l’émergence mais semble stagner à l’adolescence
du fait de l’absence d’un corps théorique unifié partagé par les chercheurs (Verstraete et Fayolle,
2004). A l’origine de ce blocage, on peut relever plusieurs facteurs : la difficulté à constituer un relatif
consensus sur les caractéristiques fondamentales de l’entrepreneuriat, une base théorique peu
systématisée du fait de l’absence d’un cadre minimal d’accumulation des connaissances ou encore
148

l’absence de concepts de base55 et de méthodes spécifiques car partagés avec d’autres domaines. Ce
dernier facteur explique l’absence d’une approche spécifique du phénomène entrepreneurial, en lieu
et place on trouve plutôt des approches disciplinaires provenant de spécialistes en économie, en
sociologie, en histoire, en psychologie, en sciences du comportement ou en sciences de gestion
(Hernandez, 2001; Verstraete 2001). Le seul consensus dans ce domaine se réduit pour le moment au
constat de l’hétérogénéité disciplinaire, du caractère complexe et multidimensionnel du phénomène
ainsi que de la diversité des visions portant à la fois sur l’entrepreneur et sur l’entrepreneuriat. A ce
titre, ce n’est pas seulement l’absence de paradigme spécifique à l’entrepreneuriat qui interdit toute
tutelle disciplinaire, c’est également la complexité du phénomène qui invite à éviter tout enfermement
théorique et méthodologique. Notons par ailleurs que les chercheurs francophones dans leur majorité
utilisent une méthodologie de type qualitatif contrairement à ceux anglo-saxons qui mettent l’accent
sur les approches empirico-déductives et quantitatives (Saporta, 2003).

Trois ordres de questions informent de l’évolution des approches en entrepreneuriat (cf Tableau
No 1): what (approche fonctionnelle des économistes), why and who (approche par les individus des
sciences du comportement) et why (approche processuelle des sciences de la gestion). L’analyse
révèle le déplacement du centre d’intérêt de l’entrepreneur au processus entrepreneurial d’une part, et
d’autre part, de l’approche partant d’une vision positiviste à une vision constructiviste (Fayolle,
2000).

2.3.1.2.1. L’approche économique ou fonctionnelle

Cette approche issue des sciences économiques met l’accent sur la création d’entreprise et sur
le rôle des entrepreneurs dans le développement économique. Mais comme le démontre l’analyse
historique ci-dessus, les théories classiques n’accorderont qu’un rôle subalterne à l’entrepreneur
décrit comme un acteur réagissant aux sollicitations de l’environnement économique. C’est en cela
que la contribution de Schumpeter se révélera déterminante par rapport à la pensée néoclassique en
faisant de l’entrepreneur un acteur économique innovateur. En outre, cette approche économiciste de
l’entrepreneur basée sur la rationalité du marché met l’accent sur des mobiles biologiques ou
psychologiques comme la propension à maximiser le profit tout en négligeant à la fois la dimension
globale et sociale du phénomène entrepreneurial.

55
Ses principaux concepts sont déjà utilisés par d’autres champs : incertitude, innovation, création de valeur,
risque…
149

2.3.1.2.2. L’approche sur les individus

Dénommée l’approche par les traits, l’approche sur les individus met l’accent sur les traits de
personnalité ou les caractéristiques psychologiques, familiales et sociales afin de déterminer un profil
type de l’entrepreneur (Carland et al, 1988; Gasse, 2002). Certains décrivant l’entrepreneuriat comme
un caractère inné, propose une théorie du «need for achievement» (McClelland, 1961) tandis que
l’école psychanalytique (Kets de Vries, 1977) décrit l’entrepreneur comme le produit d’expériences
difficiles vécues durant l’enfance du fait d’un environnement familial hostile et de problèmes
affectifs. Cette approche qui aboutit à une théorie du comportement de l’entrepreneur oublie souvent
l’entreprise ainsi que ses modalités de création et d’expansion.

2.3.1.2.3. L’approche processuelle

Issue des sciences de la gestion, l’approche processuelle ou approche par les faits insiste sur
deux dimensions du processus, à savoir l’émergence entrepreneuriale et l’opportunité
entrepreneuriale: «The entrepreneurial process involves all the functions, activities and actions
associated with the perceiving of opportunities and the creation of organisations to pursue them»
(Bygrave et Hofer, 1991; cité par Fayolle, 2000: 7). Avec Gartner (1985 et 1988) et Hernandez
(2001), l’émergence entrepreneuriale devient une variable explicative du processus entrepreneurial
consistant à créer et à organiser de nouvelles organisations ou de nouvelles valeurs. En lieu et place
de l’émergence d’une nouvelle organisation, l’approche en termes d’opportunité entrepreneuriale met
l’accent sur la création de nouvelles activités à partir d’un processus d’identification, d’évaluation et
d’exploitation d’opportunités d’affaires. Outre son aspect dynamique, la portée de l’approche
processuelle peut s’apprécier à travers le caractère temporel, complexe, multidimensionnel et
contextuel dévolu à l’entrepreneuriat décrit comme une interaction dynamique entre l’entrepreneur et
son environnement.

Toutefois, l’approche processuelle porte la plupart du temps sur les cas de réussite
entrepreneuriale négligeant de fait les processus se soldant par des échecs. En outre, la création de la
valeur n’est pas spécifique à l’entrepreneuriat et peut résulter d’un acte d’imitation, de reproduction
ou de simple transfert d’une activité déjà existante. Enfin, l’opportunité ne constitue pas toujours un
150

préalable à la dynamique entrepreneuriale qui peut provenir également d’un dysfonctionnement du


marché voire, être construite par les acteurs.

Tableau 2.3 : Tableau synthétique des approches en entrepreneuriat

Question principale What : approche Who and Why : approche How: approche sur les
fonctionnelle sur les individus processus
Échelle du temps 200 dernières années Début années 1950 Début années 1990
Domaine Economie Psychologie, sociologie, Sciences de gestion,
scientifique psychologie cognitive, sciences de l’action,
anthropologie sociale théories des organisations
Objet d’étude Fonctions de Caractéristiques Processus de création
l’entrepreneur personnelles des d’une nouvelle activité
entrepreneurs
Paradigme Positivisme Positivisme sociologie Constructivisme
compréhensive
Méthodologie Quantitative Quantitative/ qualitative Qualitative
Hypothèse L’entrepreneur joue ou Les entrepreneurs sont Les processus
ne joue pas un rôle différents des non- entrepreneuriaux sont
important dans la entrepreneurs différents les uns des
croissance économique autres
Lien avec la Etat, Collectivités Entrepreneurs, Entreprises,
demande sociale territoriales, entrepreneurs potentiels, entrepreneurs, éducateurs
responsables système éducatif, et formateurs, structures
économiques formateurs d’accompagnement et
d’appui aux entrepreneurs
Source : Fayolle, 2000: 8

2.3.1.3. Les bases du paradigme émergent

Des trois approches, celle processuelle semble rencontrer un plus grand consensus. A ce titre, si
les bases constitutives d’un paradigme spécifique à l’entrepreneuriat sont à faire, on peut néanmoins
noter certains traits structurants de plus en plus partagés par les chercheurs. Dans ce cadre, le
caractère dynamique, complexe (multidimensionnel et interactif) et situé de l’entrepreneuriat semble
être établi malgré les variantes. Par exemple, Bruyat (1993) identifie deux dimensions du champ
entrepreneurial, à savoir la création de valeur et l’intensité du changement à la fois sur le porteur et
sur l’environnement. Pour ce spécialiste des sciences de la gestion, l’entrepreneuriat est un système
de relations dialogiques individu/création de valeurs nouvelles : l’individu crée la valeur, détermine
les modalités de production mais en retour, la création de valeur investit l’individu et modifie sa vie,
ses activités, ses relations et ses caractéristiques. Cette relation dialogique demeure insérée à un
processus évolutif au sein d’un environnement aboutissant ainsi à un système articulé autour de
quatre éléments : l’individu, la création de valeur, l’environnement et le processus. Cette modélisation
151

de Bruyat concernant notamment la création d’entreprises va servir de cadre référentiel à la plupart


des recherches portant sur l’entrepreneuriat francophone. C’est ainsi que Hernandez va décrire
l’entrepreneur comme l’initiateur (innovateur et/ou créateur d’organisation) d’un processus complexe
se déroulant dans un contexte spécifique et, l’entrepreneuriat comme «la combinaison étroite et
permanente d’une composante stratégique (le projet, l’environnement, les ressources) et d’une
composante psychologique (l’entrepreneur, ses comportements, ses aptitudes, ses motivations»
(2001 : 23).

Dans ce même registre, Verstraete et Fayolle vont tenter une modélisation du phénomène
entrepreneurial en dégageant une vision plus globale. La relation symbiotique entre l’entrepreneur et
l’organisation impulsée est dans ce cadre modélisée autour de trois dimensions intégrées et de quatre
paradigmes complémentaires (Verstraete, 2000 et 2001; Verstraete et Fayolle, 2004). Les dimensions
concernent celles cognitive (vision stratégique de l’entrepreneur, capacités réflexives et
d’apprentissage), structurale (contexte d’émergence, environnement institutionnel, économique,
territorial) et enfin praxéologique (configuration organisationnelle et positionnement par rapport aux
espaces et parties prenantes). Cette dernière dimension sert d’élément de matérialisation de la
dynamique entrepreneuriale. Quant aux quatre paradigmes complémentaires, ils visent plus à cerner
le champ de l’entrepreneuriat que de déterminer un cadre unifié. Il s’agit de paradigmes développés
par l’approche processuelle, à savoir la détection d’opportunités d’affaires, la création de valeurs, la
création d’organisations et enfin, l’innovation. C’est en synthèse à cet essai de modélisation que
Verstraete et Fayolle vont avancer une définition de l’entrepreneuriat :

«Initiative portée par un individu (ou plusieurs individus s’associant pour l’occasion) construisant ou
saisissant une opportunité d’affaires (du moins ce qui est considéré comme tel), dont le profit n’est pas
forcément d’ordre pécuniaire, par l’impulsion d’une organisation pouvant faire naître une ou plusieurs
entités, et créant de la valeur nouvelle (plus forte dans le cas d’une innovation) pour les parties prenantes
auxquelles le projet s’adresse» (2004 : 19).

On peut noter par ailleurs la perspective territoriale de l’entrepreneuriat mettant en relief les
interdépendances fonctionnelles entre ce dernier et le territoire: «Ces interdépendances favorisent un
processus d’apprentissage collectif par l’échange d’informations, la réduction de l’incertitude du fait
de cet échange, et l’innovation systématique partagée» (Julien et Marchesnay, 1996: 94). A ce titre,
l’entrepreneuriat peut disposer de divers types de réseaux, à savoir les réseaux d’affaires,
institutionnels et informationnels. Mais pour Julien, les réseaux à signaux faibles permettant de
connaître plus rapidement les nouvelles occasions d’affaires et donc sont plus porteuses d’innovations
(2000). A partir du degré d’enracinement expressif de la durée d’implantation et du degré
152

d’imprégnation qui rend compte du réseau de relations établies entre l’entrepreneur et le territoire,
Marchesnay établit quatre idéaux-types d’entrepreneur : l’isolé qui a très peu de relation avec un
environnement souvent peu incitatif, le notable fortement enraciné et imprégné dans le territoire, le
nomade caractérisé par sa mobilité et manifestant une relation instrumentale avec le territoire et enfin,
l’entreprenant pour qui le levier territorial peut constituer un atout mais qui le combine à un réseau
«a-spatial» (Marchesnay, 2000 : 269-273).

2.3.1.4 : Analyse critique

Les recherches en entrepreneuriat restent marquées par la tutelle des approches disciplinaires
notamment celles provenant des sciences économiques, celles du comportement ou celles de la
gestion. Les sciences économiques ont jeté la base théorique de l’entrepreneur mais en le confinant
dans un rôle résiduel. Les sciences du comportement psychologique ont renouvelé la réflexion sur
l’entrepreneur en cherchant à faire ressortir ses traits caractéristiques. Toutefois, en mettant l’accent
sur l’individu, elles ont oublié l’activité entrepreneuriale et ont négligé le fait que l’entrepreneur est
co-construit par le processus entrepreneurial à travers divers apprentissages. Quant à l’approche
processuelle, elle a permis de restituer le caractère structuré, complexe, multidimensionnel,
processuel et situé du phénomène entrepreneurial tout en faisant ressortir sa logique interactive entre
ses composantes psychologique et stratégique. Toutefois, cette approche surestime l’émergence
entrepreneuriale au détriment des modalités de maintien, d’expansion, de réorientation ou encore
d’échec des situations entrepreneuriales. Par ailleurs, la plupart de ces approches semblent rester dans
le schéma initial avancé par l’analyse historique d’obédience économique qui réduisait
l’entrepreneuriat à l’individu entrepreneur capitaliste. Réduisant la plupart du temps l’économique à
sa dimension marchande, ces approches négligent le fait que l’entrepreneuriat ne se réduit pas
exclusivement à une dynamique marchande, que l’acteur social est loin de se réduire à un acteur
économique et enfin, que la base sociale de l’entrepreneuriat ne s’épuise pas dans l’individu.

A ce titre, Lévesque (2002) établit une différence entre l’entrepreneuriat capitaliste inscrit dans
la logique du marché de deux autres types d’entrepreneuriat, à savoir celui social et collectif, la
différence se situant surtout au niveau de la composante substantive de l’économie, c’est-à-dire au
niveau de son contenu et de sa signification. L’entrepreneuriat social dénote des initiatives
d’individus entreprenants soucieux des intérêts collectifs, enracinés dans leur communauté et qui
proposent des solutions innovatrices aux problèmes dont est confrontée celle-ci. Se distinguant par
son souci de justice sociale, l’entrepreneur social combine trois types d’aptitudes de leadership : un
153

activisme militant avec des compétences professionnelles, la capacité d’être visionnaire tout en étant
pragmatique et enfin, une fibre éthique (conviction) avec une confiance tactique (sens des
responsabilités) (Lévesque, 2002 : 14). Quant à l’entrepreneuriat collectif, il se distingue de
l’entrepreneuriat capitaliste sur deux aspects fondamentaux : son fonctionnement démocratique56
appréciable à travers la participation des membres, la construction conjointe de l’offre et de la
demande entre les parties prenantes ou encore, l’existence d’un espace public de délibération. Le
second aspect concerne la mise en place préalable d’un regroupement de personnes avant de le
combiner à une entreprise. C’est donc sa vision différente de ce qu’est l’économie, ses règles de
partage du pouvoir et des surplus ainsi que sa forme organisationnelle hybride qui spécifient
l’entrepreneuriat collectif comme porteur d’un fort potentiel d’innovation : «Outre l’innovation de
biens nouveaux ou la création de débouchés nouveaux, on peut également retrouver des innovations
dans les procédés et même dans l’organisation» (Lévesque, 2002 : 18). Toutefois, sa gestion
organisationnelle et son expansion semblent plus difficiles à assurer parce que plus complexe d’autant
plus qu’il internalise ce que les autres types d’entrepreneuriat externalisent.

Par ailleurs, la dimension socio-culturelle reste négligée dans les recherches antérieures
comme si l’entrepreneuriat relève d’un phénomène universellement construit (Berger, 1993).
Pourtant, la culture entrepreneuriale produit de l’évolution historique des sociétés, reste marquée par
la culture, les croyances, le contexte spatial et temporel ou encore par les déterminants structurels de
l’environnement (Weber, 1990; Tribou, 1995; Hernandez, 1997; Diakité, 2004). Toutefois,
contrairement à la question posée par certains chercheurs se demandant s’il existe un entrepreneuriat
spécifique à chaque peuple ou à chaque culture, il s’agit plutôt de chercher à savoir comment les
conditions socio-historiques et territoriales informent et médiatisent le processus entrepreneurial.
C’est cela qui justifie la nécessité d’interroger la nature de l’entrepreneuriat africain, lieu d’ancrage de
notre recherche.

56
C’est d’ailleurs ce fonctionnement démocratique qui est à la base des avantages de ce type d’entrepreneuriat,
en termes de proximité sociale permettant de pouvoir trouver des lotions rapides et inédites, sa capacité de
mobilisation de ressources et d’acteurs divers, sa prise en charge du social dans la production de biens et
services et enfin ses règles relatives à l’équité et à la participation des personnes.
154

2.3.2. Caractérisation de l’entrepreneuriat africain

Cette partie vise à faire une analyse historique et analytique des recherches portant sur
l’entrepreneuriat africain. L’analyse porte sur l’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest couvrant
notamment le Sahel57.

2.3.2.1. Historicisation du fait entrepreneurial africain

L’analyse des études portant sur l’entrepreneuriat africain part de la période pré-coloniale
jusqu’à la fin des années 1990 (Copans, 1995). On peut la décomposer en cinq périodes : la période
précoloniale avec le commerce transsaharien, la période coloniale marquée par une économie de
traite, la période des indépendances (fin années 1950-1970) marquée par le capitalisme d’État, la
période de la crise économique et de la libéralisation économique (1980-1990) cherchant à
promouvoir le secteur privé et enfin, la période contemporaine (années 1990) où l’accent commence à
être mis sur les entrepreneurs et les entreprises africaines.

En réaction aux théories de la modernisation et du rattrapage58, faisant ressortir la nécessité


d’inculquer aux africains l’esprit d’entreprise en vue de moderniser leurs sociétés à tendance
traditionnelle, les recherches africaines et africanistes portant sur la période précoloniale, se sont
surtout évertuées à réhabiliter l’histoire économique de l’Afrique. Dans ce cadre, les travaux
provenant notamment de l’anthropologie historique et économique ainsi que de l’économie politique,
ont cherché à démontrer que les sociétés africaines non seulement ne se limitaient pas à une économie
de subsistance, mais également, au même titre que les autres sociétés, disposaient d’un éthos
entrepreneurial marqué (Hopkins, 1995). Deux types d’entrepreneurs ont été notés à cette époque.
D’abord, les grands commerçants et marchands engagés dans le commerce transsaharien de longue
distance qui ont permis de développer des relations intenses avec l’Afrique du Nord, le Moyen Orient,
l’Europe et l’océan indien. Le deuxième type concernait le commerce administré développé par les
royaumes comme celui de Dahomey (actuel Bénin), du Ghana, de l’empire du Mali, des États
57
Il faut prendre note que l’Afrique demeure hétérogène tant du point de vue des cultures, des peuples, des
modes de vie que des situations économiques et modes de coordination sans parler de l’impact différentiel
induit par le type de colonisateur (notamment administration directe française versus indirect rule anglais).
Ainsi, cette caractérisation porte notamment sur l’Afrique de l’Ouest à dominante francophone qui elle-même
est traversée par des différences. Donc, la situation présentée ici définit plutôt des traits structurants se
manifestant avec plus ou moins de variabilité selon les pays.
58
Celles-ci d’obédience évolutionniste et néo-classique (cf étapes de la croissance de Rostow) avançaient que
l’Afrique était en retard par rapport au monde occidental et se devait de suivre les mêmes étapes universelles
pour accéder au monde civilisé ou moderne.
155

Haoussa, de l’empire du Bornou. Le commerce transsaharien était donc entre les mains des grands
commerçants et des rois qui échangeaient l’or, la noix de cola, l’ivoire, le coton et les esclaves contre
les produis de l’artisanat, les armes, le sel, le fer, les chevaux…Les écrits parlent également de liens
étroits entre les commerçants et leurs milieux social, religieux et politique (Grégoire, 1995). A ce
titre, le groupe social d’origine, la religion et la proximité avec le milieu politique étaient mobilisés
par les commerçants pour assurer la performance de l’activité entrepreneuriale. A partir de 1875, le
commerce sahélien sera bouleversé par la conquête coloniale.

Concernant la période coloniale, les recherches ont interrogé l’incidence de la colonisation sur
le milieu entrepreneurial africain. Autrement dit, est-ce que la colonisation a comblé les lacunes
soulevées concernant les milieux entrepreneuriaux en rapport avec sa « mission civilisatrice » ou si au
contraire, elle a étouffé l’évolution de l’entreprise et des entrepreneurs africains? Il faut dire que la
réponse à une telle question semblait difficile du fait des différents cas possibles, notamment du mode
de colonisation (administration directe française versus indirect rule des anglais) Toutefois, beaucoup
de recherches portant sur cette période ont insisté sur le déclin d’un certain type d’activités
entrepreneuriales (le commerce transsaharien) tandis que d’autres types d’activités se sont plutôt
adaptés à l’économie de traite. Ce dernier cas de figure a mis en évidence la réorientation de
l’agriculture en fonction des besoins de la métropole, le parcours biographique de la bourgeoisie
d’affaires ainsi que les stratégies des grands commerçants indigènes par rapport aux colonisateurs qui
avaient tendance à privilégier les grandes maisons de commerce européennes59 ou libano-syriennes
(Diouf, 1992; Kipré, 1995). Soulignons à ce titre, l’ouvrage dirigé par Barry et Harding qui a mis en
relief le fait que la marginalisation des commerçants africains par le colonisateur a certes eu des effets
sur certains types de commerçants comme «les maîtres d’échange, le marchand prince ou le traitant
indépendant». Par contre, les grands commerçants, à savoir le producteur-commerçant, le
commerçant-multifonctionnel, le commerçant professionnel, le commerçant-planteur/ entrepreneur et
enfin, le grand courtier ou «the landlord-broker» se sont plutôt reconvertis en investissant les
interstices des secteurs des maisons de commerce colonial. Élaborant sur le concept de
marginalisation, exprimant le cantonnement par le système colonial des commerçants africains dans
des secteurs secondaires en marge des secteurs expansifs, ces historiens concluent :

«Les nouvelles conditions politiques et économiques ont interrompu le procès naturel d’ascension de
commerçants couronnés de succès; elles ont porté un préjudice grave à nombre de commerçants
professionnels en les privant de leur autonomie et elles ont évincé les commerçants africains du
commerce colonial» (Barry et Harding, 1992 : 13-14).

59
Maurel et Prom, Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest (CFAO), Compagnie du Niger Français…
156

La troisième période (années 1950-1960), reste marquée en Afrique par le processus de


décolonisation et de construction d’Etats indépendants. Écartelés entre deux courants théorico-
idéologiques, celui de la dépendance et celui de la modernisation, les chercheurs africains et
africanistes vont surtout insister sur l’État, décrit comme le principal acteur du développement
économique des pays africains, négligeant du coup toute référence aux dynamiques entrepreneuriales
(Éllis et Fauré, 1995; Copans, 1995). L’approche de la dépendance, en mettant l’accent sur la division
internationale du travail ainsi que sur les facteurs exogènes pour expliquer l’exploitation de la
périphérie par le centre va négliger le phénomène entrepreneurial tandis que les néo-libéraux finiront
par avancer que dans le contexte de retard du processus d’industrialisation et de l’état embryonnaire
des milieux entrepreneuriaux africains, l’État reste le principal moteur de la croissance économique :

«Beaucoup de théoriciens fidèles aux principales idéologies qui dominaient à l’époque partageaient cette
notion que l’Etat était l’acteur essentiel dans le décollage économique des pays sous développés, l’agent
incontournable de leur modernisation dans de multiples domaines» (Ellis et Fauré, 1995 : 7-8).

La premiére décennie des indépendances (1960-1970) reste marquée d’une part, par un
capitalisme d’État à travers l’émergence des sociétés d’État gardant le monopole de l’exportation des
produits agricoles comme l’ONCAD au Sénégal ou la SONARA au Niger60 (Kennedy, 1995) et
d’autre part, par les coopératives agricoles comme outils de modernisation agricole et d'animation
rurale hérités de la colonisation. Les coopératives vont être transformées en instruments de prédation
aboutissant à des «coopératives sans coopérateurs » (Verhagen, 1991; Mbodj, 1992; Develtere, 1998).
Les nouveaux États indépendants ne manqueront toutefois pas d’initier des politiques de soutien aux
commerçants et grands producteurs agricoles nationaux pour prendre la place des maisons de
commerce étrangères. Par ailleurs, la sécheresse qui attaqua le Sahel à partir de 1974 ainsi que la crise
pétrolière de 1973, vont bouleverser le système de production des pays africains nouvellement
indépendants. Curieusement, certains chercheurs (Grégoire, 1995: 75-76) décrivent cette période
couvrant la fin des années 1970 (1974-1985) comme marquant l’avènement du grand commerce
africain avec l’avènement d’hommes d’affaires diversifiant leurs activités au lieu de se limiter
simplement au commerce et à l’agriculture (l’immobilier, le transport, l’industrie…) au-delà des
frontières héritées de la colonisation, tout en nouant des liens avec des firmes multinationales
étrangères ainsi qu’avec le milieu politique. En réalité, le contexte post colonial n’a pas promu les
entrepreneurs africains, il a surtout assuré aux nouveaux États indépendants les moyens de construire
leur souveraineté et de jeter les bases du développement économique, expliquant ainsi leur caractère
tentaculaire.

60
Office de commercialisation agricole du Sénégal et société nigérienne de commercialisation de l’arachide
157

Avec la crise de la fin des années 1970 (crise économique et de gestion publique) et la mise en
œuvre dans la plupart des pays africains des programmes d’ajustement structurel sous l’égide du
fonds monétaire international (FMI) et la banque mondiale (BM), des mesures de rétrécissement de la
fonction publique, de libéralisation du marché et de promotion du secteur privé vont être développées,
marquant ainsi la mise sous tutelle néo-libérale des économies africaines. C’est dans ce contexte de
disqualification de l’État que les bailleurs de fonds, particulièrement le FMI et la BM, partisans du
«Moins d’État, mieux d’État», vont chercher à positionner le secteur privé comme moteur de la
croissance économique. Ainsi, les sociétés d’État qui n’avaient pas fait faillite vont perdre le
monopole de la commercialisation des produits agricoles avant d’être privatisées. Le capitalisme
d’état va céder la place à de grandes entreprises privées essentiellement étrangères (multinationales
notamment) qui vont ainsi dominer les secteurs stratégiques comme les secteurs énergétiques et
agricoles d’exportation, le secteur des télécommunications et des finances en profitant dés fois de
marchés protégés par l’État (Hugon, 1995). C’est dire que le retrait de l’État comme acteur
économique n’a pas beaucoup profité aux entrepreneurs nationaux du reste assez faibles par rapport
au capital étranger. Toutefois, certains d’entre eux ont pu accroître leur position hégémonique grâce à
une combinaison de trois capitaux : les réseaux sociaux notamment familiaux et ethniques, le soutien
religieux et enfin, le réseau clientéliste au sein de l’appareil d’État (Grégoire, 1995). Un tel système
intégrant des liens extra marchands liant les grands commerçants à l’environnement socio-politique
s’expliquait par la crise persistance du Sahel ainsi que des effets néfastes de la compétition
commerciale et de la mondialisation avec l’ouverture des marchés.

Par ailleurs, durant cette période, l’accent a été mis sur le secteur informel considéré comme un
terreau d’entrepreneurs porteur de valeurs ajoutées capable de réussir là où l’Etat a échoué mais qui,
du fait de contraintes, reste bloqué. L’accent est souvent mis sur le cadre réglementaire contraignant,
le retard de l’industrialisation, la nature incomplète du capitalisme africain ou encore l’absence
d’accomplissement des groupes entrepreneuriaux (Lautier et all, 1991; Maldonado et all, 1999).
L’intérêt envers le secteur informel suite au rapport Hart du BIT portant sur le Kenya en 1975
(Ndiaye, 2004), va pousser les chercheurs à donner plus de place aux initiatives économiques
populaires appelées « initiatives par le bas, petits métiers de la rue, petites activités marchandes …».
En réalité, son expansion démontre qu’au lieu de passer d’une économie administrée à une économie
de marché, beaucoup d’activités économiques se sont informalisées (Ellis et Fauré, 1995 : 567). A
côté de ce secteur, l’accent est également mis sur la réinsertion des nombreux déflatés de la fonction
publique liés à la mise en œuvre des PAS. Toutefois, à l’instar de ces derniers, les acteurs du secteur
158

informel ne se transforment pas automatiquement en entrepreneurs comme le suggèrent les tenants


néo-libéraux:

«Bref tous les ex-fonctionnaires et néodiplomés ne peuvent devenir, comme par enchantement, des
créateurs d’entreprises, d’actifs micro-exploitants, des «capitaines d’industrie», de «grands commerçants»,
des entrepreneurs efficaces et prospères, de même que les opérateurs informels ne vont pas se transformer
aisément en de vrais petits entrepreneurs et les moyennes entreprises passer au stade de grandes firmes»
(Éllis et Fauré, 1995 : 11).

Il faudra attendre le début des années 1990 pour voir le milieu de la recherche centrer ses
thématiques de recherche sur les entreprises et les entrepreneurs africains. Il faut noter que les
commerçants africains se sont davantage structurés à travers des organisations socio-professionnelles
ou des syndicats d’une part, et d’autre part, leurs activités ont atteint des niveaux de croissance
insoupçonnés. Il s’agit notamment d’activités d’importation des denrées de première nécessité (riz,
sucre, huile) en lieu et place de l’État ainsi que de l’investissement des secteurs bancaire et industriel
(Grégoire, 1995). Dans un tel contexte, la recherche va mettre l’accent sur les contraintes
institutionnelles des entreprises, la création d’entreprises en Afrique, le mode d’accumulation dans les
entreprises africaines ainsi que sur la dimension culturelle de la dynamique entrepreneuriale (Ponson,
1990; Traoré, 1990; Henault et M’Rabet, 1990; Geschiere et Konings, 1993; Fauré, 1994; Ellis et
Fauré, 1995; Albagli et Henault, 1996; Fauré et Labazee, 2000). Notons dans ce cadre, l’ouvrage
central dirigé par Ellis et Fauré (Entreprises et entrepreneurs africains, 1995) qui, contrairement à la
plupart des écrits de ce genre limités aux obstacles, met l’accent sur les conditions, les atouts et les
facteurs de succès à «l’acte d’entreprendre et d’exploiter des affaires en Afrique». A côté de cet
ouvrage, il faut signaler l’apparition de travaux portant sur l’économie populaire urbaine développés
notamment par des ONG d’appui au développement comme Enda Tiers Monde (Ndione, 1992 et
1994 ; Engelhard, 1996). Ces travaux cherchent à dépasser la grille du secteur informel souvent
utilisée pour analyser les activités entrepreneuriales pour interpréter celles-ci comme expressive d’une
autre économie (cf. 1.3). Enfin, notons que durant cette période des années 1990-2000, quatre types
d’entreprises sont notés en Afrique: la grande entreprise privée capitaliste appartenant notamment au
capitalisme étranger, les sociétés d’économie mixte avec participation de l’État mais ouvertes au
capital international, les petites et moyennes entreprises et petites et moyennes industries (PME/PMI)
investissant notamment dans le secteur tertiaire mais encore faibles et enfin, les petites unités
informelles de plus en plus nombreuses et variées tant dans leur potentiel que dans leurs formes
(Hugon, 1995).
159

L’analyse des recherches portant sur l’entrepreneuriat démontre qu’à part l’anthropologie
historique du commerce traditionnel, l’analyse s’est focalisée sur les diverses stratégies d’adaptation
des milieux entrepreneuriaux à l’économie de traite, aux politiques de développement post coloniales
et maintenant, à la crise économique qui frappe le continent africain. L’analyse révèle que
l’entrepreneuriat n’a pas été suffisamment étudié comme objet d’étude spécifique ni dans ses
caractéristiques fondamentales, ni dans sa diversité, ni dans ses conditions de réussite, les recherches
privilégiant plutôt l’étude des sources de blocages. En outre, en plus d’atomiser le fait entrepreneurial
autour d’une approche monodisciplinaire, les disciplines et théories scientifiques n’ont traité
l’entrepreneuriat que de manière partielle ou tangentielle autour de problématiques plus ou moins
liées comme le capitalisme africain, les grands commerçants, les ethnies commerçantes, la
bourgeoisie d’affaires, les modes d’accumulation (Ellis et Fauré, 1995 : 9). C’est que d’une part, les
sciences économiques africaines sont restées très académiques en se situant en dehors du champ
entrepreneurial et d’autre part, les disciplines comme l’histoire, l’économie politique, l’anthropologie,
la sociologie du travail ou encore la sociologie du développement n’ont pas accordé une attention
soutenue à l’entrepreneur africain comme objet d’étude spécifique malgré leur intérêt à la thématique
du développement. Il reste que le souci de démontrer l’existence de traditions et/ ou de pratiques
entrepreneuriales en Afrique, compréhensible du fait des résistances manifestées par les tenants de la
modernisation, a retardé également l’orientation des chercheurs africains et africanistes dans la
construction théorique du phénomène entrepreneuriale tel que pratiqué en Afrique. C’est pourquoi, la
persistance du fait entrepreneurial africain dans un contexte marqué par la paupérisation des
populations devrait inciter à mettre l’accent sur la spécification de l’entrepreneuriat africain comme
objet d’étude spécifique.

2.3.2.2. Caractérisation du fait entrepreneurial africain

Les recherches partent la plupart du temps sur la critique de Weber et de Schumpeter pour
tenter de faire ressortir la grille référentielle de l’entrepreneur africain, la notion d’entrepreneuriat
n’étant utilisée que de manière marginale. La référence à Weber concerne notamment sa spécification
de l’entreprise occidentale comme résultant d’un processus d’autonomisation par rapport aux formes
traditionnelles de production et d’échange refoulant ainsi les socialités primaires (cf.2.1.1.1). A partir
de là, certains chercheurs d’obédience évolutionniste et néo-classique vont analyser l’imbrication des
espaces domestique, social et économique comme révélatrice d’un détournement improductif du
160

capital, expliquant ainsi le retard voire l’absence d’un capitalisme africain61. Quant à Schumpeter, sa
vision de l’entrepreneur décrit comme un innovateur a été beaucoup nuancée en Afrique où l’action
entrepreneuriale est perçue plus comme résultant d’un processus socialisé que d’opérations
spectaculaires d’un destructeur-créateur :

«De nombreux historiens, économistes, anthropologues africains et/ ou africanistes ou spécialistes des
questions de développement n’ont guère eu de mal à faire valoir que contrairement à la figure d’outsider,
de marginal associée à la notion d’entrepreneur, beaucoup de grands artisans et commerçants africains
ont réussi à monter et faire remarquablement prospérer leurs affaires en utilisant des ressorts sociaux et
des mécanismes techniques fort traditionnels» (Fauré, 1994 : 69)

De manière plus générale, Weber et Schumpeter sont perçus comme reproduisant un impensé
de la rationalité occidentale en prenant pour acquis universel l’entrepreneur individuel comme étant
celui qui décide et qui assume seul les décisions liées à l’activité entrepreneuriale. D’autres sociétés,
dont celles issues d’Afrique, semblent plutôt mettre l’accent sur un homo situs qui, contrairement à
l’homo oeconomicus occidental, demeure enchâssé dans des sites, c’est-à-dire des univers composites
et complexes d’éléments sociaux, économiques, affectifs, symboliques, mythiques, explicites ou
implicites (Laléyê et all, 1996; Latouche et all, 1999). Partant du constat que chaque site symbolique
produit ses propres modalités managériales, Zaoual estime que les catégories économiques traduisent
un projet culturel. Ainsi, l’entreprise, le capitalisme, la domination de la nature par l’homme, la
culture du progrès, la recherche de profit, l’esprit de compétition ou encore l’individualisme marquent
le projet culturel de l’Occident contrairement aux codes du site africain. Celles-ci restent soumises au
paradigme de la réciprocité, à la solidarité communautaire, aux réseaux sociaux, à une économie
substantive alimentée par les tiroirs sociaux, à une logique de long terme mettant l’accent sur la
reproduction de la vie, l’imprévu ou sur la personne en lieu et place de l’individu (Zaoual, 1996: 53-
64).

C’est dire que la comparaison tacite avec le modèle capitaliste occidentale structure la plupart
des recherches portant sur l’entreprise ou sur l’entrepreneur africain. Certains chercheurs (Réseau
Sud-Nord Cultures et Développement) vont même jusqu’à proposer de substituer au terme
«entreprise» qui apparaît comme le moteur symbolique du capitalisme occidental, le terme
«organisation» qui renvoie à une pluralité de réalités à savoir : «acteurs et systèmes, instituant et
institués, moyens et fins, procès et résultats, signifiants et signifiés…» (Panhuys et Zaoual,

61
Notre lecture de la sociologie économique de Weber ne confirme pas une telle interprétation, notamment son
inscription de l’économie dans l’action sociale.
161

1996:21)62. Cette comparaison avec le modèle capitaliste met en relief le dilemme structurant la
caractérisation du fait entrepreneurial africain telle qu’élaborée par des chercheurs africains ou
africanistes. Le dilemme concerne d’une part, le souci de ne pas s’éloigner de la vision universelle de
l’entrepreneuriat qui reste toutefois fortement influencée par des critères occidentaux encore soumis à
l’économie néo-classique, et d’autre part, le souci de faire ressortir un entrepreneuriat spécifique en
Afrique sans tomber dans les dérives du culturalisme peu sensible aux évolutions historiques et aux
hétérogénéités présentes sur le continent. Ce dilemme informe également de la tension permanente
entre l’impératif de rentabilité et les soucis d’obligations sociales au cœur de la dynamique
entrepreneuriale africaine.

La plupart des recherches réalisées caractérisent l’entrepreneuriat africain comme relevant d’un
mode d’accumulation à tendance extensive et dont l’effet demeure perceptible sur le long terme se
situant plus à l’échelle macroéconomique que microéconomique (Ponson, 1990; Fauré, 1994;
Lootvoet et Oudin, 1995; Labazee, 1995; Ellis et Fauré, 1995; Albagli et Henault, 1996). A un
premier niveau, une telle conception met en relief l’hybridité de la logique d’action de
l’entrepreneuriat africain combinant dynamique productive et redistributive, sa nature de fait social
total encastrant l’activité économique dans l’action sociale ainsi que sa vision extensive de la richesse
non limitée aux dimensions marchandes et monétaires. Ces caractéristiques d’une logique d’action à
dominante lignagère voire écosociale révèlent à ce propos l’héritage du commerce traditionnel
africain:

«L’échange commercial n’a pas été une activité entre des individus, régie par leurs intérêts et profits
mutuels, il a été un acte social qui impliquait toujours plusieurs groupes sociaux et leur identité
culturelle; il y allait du bien-être social, de la reproduction des groupes familiaux, de leur statut social»
(Barry et Harding, 1992 : 16)

Misant sur un système d’actions plurielles au détriment d’une autonomisation du champ


économique, l’enchâssement de l’économique dans le socio-culturel, caractéristique de l’activité
entrepreneuriale africaine, ne signifie nullement un envahissement de l’activité économique par
l’espace social, ni une reproduction mécanique des solidarités traditionnelles, encore moins une
extraversion des ressources générées dans des dépenses sociales. Il dénote plutôt une incorporation
fonctionnelle, c’est-à-dire sélective, raisonnée et instrumentale des liens sociaux dans le champ
entrepreneurial. C’est pourquoi, certains chercheurs comme Labazee préfèrent parler d’une

62
C’est ce qui explique d’ailleurs le titre de l’ouvrage collectif «Organisations économiques et cultures
africaines…», Lalèyê, Panhuys et all. 1966.
162

autonomisation fonctionnelle entre l’entreprise et la société démontrant le choix fait de privilégier


l’accommodation plutôt que l’assimilation entre déterminants économiques et liens sociaux. Mais
pour pouvoir apprécier cette autonomisation fonctionnelle de l’activité entrepreneuriale, il faudrait se
situer dans le cadre macro structurel ou tout au moins dans le cycle complet d’une double relation
qu’entretient l’entrepreneur avec ses espaces de sociabilités:

«…une relation d’« investissement » où les promoteurs dépensent temps et argent à établir, puis à
reproduire leur pouvoir sur les communautés, et une relation de « conversion » où ces liens de
domination sont transformés en rapports fonctionnels dans -ou pour- l’entreprise » (Labazee, 1995 : 143-
144).

C’est le cas par exemple lorsque c’est le réseau religieux qui est utilisé comme cadre
idéologique de sécurisation et de fidélisation des rapports marchands pouvant même se situer à une
échelle internationale. Le cas des commerçants haoussas est illustratif à cet égard: ils ont utilisé les
voies pédestres du pèlerinage à la Mecque pour constituer un réseau de distribution de leurs produits
avec des musulmans vivant sur le long du parcours misant ainsi sur une garantie religieuse et morale
en vue de réduire le hasard moral avec leurs partenaires. Le cas des Bamilékés (ethnie du Cameroun)
a permis d’insister sur les ressorts fournis par les structures sociales et politiques (ethnie, famille
étendue, pouvoir politique, religion) à l’activité entrepreneuriale. Par exemple, au niveau de
l’organisation familiale Bamiléké, les chercheurs constatent une forte incitation à la pratique de
l’épargne, à la réussite économique individuelle, à la compétition, au goût du risque, à l’évergétisme
et à la maîtrise des causes de désaccumulation du fait des principes de segmentation lignagère et
d’indivision de l’héritage obligeant les descendants mâles non héritiers à se lancer dans
l’établissement de nouveaux lignages, (Geschiere et Konings, 1993; Warnier, 1995; Ellis et Fauré,
1995). D’autres diasporas marchandes seront également étudiées pour rendre compte de
l’autonomisation fonctionnelle entre activité entrepreneuriale et espace socio-culturel comme les
mourides (confrérie du Sénégal) ou encore les Koorokos :

«Ces études indiquent d’une part que les valeurs autochtones, les normes sociales des communautés, les
ressorts traditionnels, des activités loin d’être un obstacle au développement des affaires, ont été non
seulement intériorisés et instrumentalisés conformément aux intérêts économiques des entreprises mais
qu’ils ont souvent constitué des outils sur lesquels s’est bâti un mode d’exploitation particulier- au regard
d’un modèle entrepreneurial qu’on croyait sans soute universel quand il n’était qu’occidentalocentré, et
d’une redoutable efficacité organisationnelle et productive» (Fauré, 1994: 20).

A un second niveau, cette conception de l’entrepreneuriat valorise une dynamique dépassant le


cadre spécifique de l’activité et de l’entrepreneur pour induire sur le long terme des effets structurants
touchant le milieu, la société ou encore le cadre macro-économique. Cette conception dénote un mode
163

d’accumulation à caractère diffus, lent et dispersé appréciable à travers une vision plus cyclique que
linéaire du temps, une multiplication des sources de création de richesses (espace économique et
familial, réseaux sociaux) ou encore un réinvestissement social des ressources générées comme
sources de garanties futures et de prestige social (Lootvoet et Oudin, 1995; Ponson, 1995; Hugon,
1995). C’est le cas par exemple lorsque certains entrepreneurs préfèrent investir dans de nouvelles
activités souvent sans lien avec l’activité principale ou antérieure aboutissant ainsi à une
diversification/ segmentation de la dynamique entrepreneuriale:

«Dans un tel paradigme de la pensée et de l’action économiques, il s’agit moins de tenter d’augmenter la
capacité de production et la taille de l’exploitation présente, que de s’assurer de la solidité de ses
fondations (…) et d’utiliser une partie des surplus dégagés lors de la présente affaire, dans des
investissements professionnels ou domestiques divers et parfaitement rationnels» (Fauré, 1994: 249).

Il reste que les caractéristiques entrepreneuriales tout comme le mode d’accumulation reflètent
les conditions socio-historiques déterminant l’orientation du système productif (Traoré, 1990; Ponson
1990). A ce titre, les caractéristiques entrepreneuriales doivent être considérées comme relevant plus
de déterminants socio-historiques que résultant de caractères ontologiques, car évoluant en fonction
de la structure de production ainsi que du système de représentation et d’organisation sociale qui leur
confèrent sens et cohérence:

«C’est donc la structure organisant la production et les échanges de biens et services qui paraît
partiellement expliquer des variations dans la distribution de traits extra-économiques et non pas le
principe d’un fonctionnement en quelque sorte ontologique de l’entreprise africaine qui serait en soit
dotés de traits culturels spécifiques et quasi définitivement acquis». (Ellis et Fauré, 1995 :18-19)

Ce postulat nous amène à interroger les conditions socio-historiques ayant conduit et/ ou
renforcé cette logique d’accumulation tendanciellement extensive afin d’éviter de tomber dans le
piége culturaliste qui a tendance à décrire le comportement entrepreneurial comme relevant
uniquement d’un héritage ontologique. Sous ce rapport, l’analyse du milieu entrepreneurial africain
révèle une situation marquée par des incertitudes structurelles liées à des facteurs peu maîtrisables en
termes de fluctuation non maîtrisée des cours mondiaux et d’aléas climatiques récurrents, de
prédominance du secteur spéculatif (capital marchand et financier) sur le secteur productif, de
désarticulation entre les différents secteurs d’activités, d’exclusion financière d’une bonne partie de la
population, de rareté des capitaux, de faiblesse du tissu industriel... (Norro, 1988; Hugon, 1995 et
2003; Fauré, 1994; Ellis et Fauré, 1995). Selon Hugon:

«On peut caractériser les économies africaines par des régimes rentiers conduisant à une faible
accumulation, par des modes de régulation d’économie administrée et par des mécanismes redistributifs
164

passant par les appareils d’État et par les réseaux d’appartenance communautaires. Les logiques
redistributives l’emportent sur les logiques accumulatives (…) Les sociétés africaines ont ainsi des
marchés rudimentaires, incomplets et imparfaits. Le capitalisme y est circonscrit et est fortement altéré
par les liaisons qu’il entretient avec les secteurs non capitalistes. Dés lors la rationalité des agents ne
s’expriment pas prioritairement par l’utilitarisme» (Hugon, 1995 : 389-390).

Au-delà de ces données structurelles à la base de la vulnérabilité du système de production


africain, on peut systématiser à partir des analyses des chercheurs sus mentionnés, cinq facteurs
renforçant la situation d’incertitude et de risques qui pèse sur le milieu entrepreneurial africain, à
savoir : les effets néfastes du capitalisme international, l’incomplétude du marché africain, les
obstacles socio-culturels, le mode de régulation peu incitatif et enfin, la crise des régimes
d’accumulation et du mode de régulation. Le caractère rudimentaire, instable, incomplet et imparfait63
(Hugon, idem) des marchés africains peut être apprécié à travers leur altération par des déterminants
non marchands, l’absence de vérité des prix, ces derniers étant faiblement articulés à la loi de l’offre
et de la demande, les liens avec le clientélisme politique et la forte intrusion de l’espace social dans
l’activité économique. Pour Hugon, pour renforcer les milieux entrepreneuriaux africains, la question
est moins d’appliquer les lois du marché face aux distorsions de l’État que de créer le marché et de
l’articuler aux autres modes de coordination faisant sens en Afrique.
Le second facteur informe de l’effet destructeur du capitalisme international hypothéquant de
l’avis de Fauré, l’épanouissement d’un tissu entrepreneurial prospère en le retenant dans des positions
subordonnées ou interstitielles perpétuant ainsi la dépendance du Sud vis-à-vis du Nord:

« Le faible développement de ces économies, leur forte dépendance à l’égard des marchés mondiaux,
les effets de domination exercés par le «centre» sur les sociétés situées à la «périphérie» enferment les
dynamismes productifs des pays du Sud dans des limites étroites qui assurent l’essentiel de
l’accumulation des richesses par les nations économiquement hégémoniques et confinent les
économies sous développées et dominées dans la seule reproduction de leurs faiblesses et de leurs
pauvretés, au mieux dans des processus de croissance externalisée, artificielle, pour tout dire «sans
développement» (Fauré, 1994 : 11)

Le troisième facteur a trait au blocage socio-culturel en termes de faible différenciation entre


activité marchande et espace social, de forte personnalisation des relations professionnelles et des
rapports commerciaux au détriment de relations contractuelles d’affaires, de concentration du pouvoir
de décision au sein de l’entreprise en lien avec la hiérarchie sociale, de rareté de la transmission
intergénérationnelle des affaires fragmentant la chaîne historique d’accumulation, de logique de
dépenses (Traoré, 1990). Mais pour Fauré (1994), selon qui de tels éléments traduisent plus un autre

63
Ce qui n’est pas certes une spécificité de l’Afrique, mais qui, du fait de la déstabilisation du système
productif, s’y trouve plus prononcé.
165

mode de production qu’une déformation de l’activité productive, le blocage du milieu entrepreneurial


demeure moins lié aux contraintes socio-culturelles qu’aux facteurs économiques et institutionnels.

Le quatrième facteur a trait à la contrainte que constitue le mode de régulation qui laisse
apparaître des régimes rentiers misant sur une allocation néo-patrimoniale des ressources autour d’un
État prédateur bloquant l’éclosion de milieux entrepreneurs autonomes sans parler de l’instabilité
politique de la plupart des pays africains. A un autre niveau, les modalités d’intervention de l’État
demeurent peu incitatives à l’activité entrepreneuriale du fait de la reproduction d’un système de
production extraverti hérité de la colonisation, des contraintes fiscales, des appuis insuffisants ou
inadéquats, de la faiblesse des infrastructures (communication, transport, locaux) ou encore d’un
cadre de réglementations souvent inadaptées.

Enfin, le cinquième facteur met en relief l’échec de la transition du régime d’accumulation


d’une économie administrée vers une économie de marché comme étant un des facteurs de
déstabilisation des dynamiques entrepreneuriales. En effet, durant la période post coloniale (1960-
1979), l’économie administrée pratiquée par l’État post colonial se justifiait par la nécessité de
suppléer à l’insuffisance d’entrepreneurs nationaux. Mais à partir des années 1980, la crise
économique et financière mondiale a remis en cause l’économie de rente pour mettre en évidence la
nécessité d’une régulation par le marché misant sur l’initiative privée. Toutefois, les privatisations
n’ont pas profité aux entrepreneurs nationaux tandis que les activités productives nationales étaient
délaissées au profit du commerce import-export et de l’informel dont les capacités limitées ne
pouvaient « créer et entretenir les conditions générales de fonctionnement du système» (Hugon,
1995 : 388). En réalité, les politiques de libéralisation et d’ajustement sous l’égide des bailleurs de
fonds ont accentué le caractère extraverti du système de production national et, ajoutées à
l’épuisement de l’économie de rente, l’ont rendu encore plus fragiles. A ce titre, l’échec de la
transition des régimes d’accumulation rend la base de l’économie structurellement vulnérable parce
désarticulée et extravertie :

«Nous avons souligné plus haut qu’une économie extravertie est une économie à base productive étroite,
à activités peu nombreuses, peu diversifiées et qui n’ont pratiquement aucun lien les unes avec les
autres.. Il y a un certain nombre de fils, souvent fragiles, reliant le pays à l’extérieur ; il n’y a pas de tissu
économique. (…) Dans cette perspective, les économies dites sous développées, apparaissent
essentiellement, d’un point de vue structurel, comme des économies désarticulées, à secteurs juxtaposés,
non intégrés entre eux» (Norro, 1988 : 32-33)

Ainsi, dans ce contexte conjuguant incertitudes structurelles, situation de risques peu


maîtrisables, crise des régimes d’accumulation et du mode de régulation, faiblesse des marchés, effet
166

destructeur du capitalisme international, effets nocifs des obligations communautaires et capitalisme


parasitaire d’un État prédateur, les agents économiques semblent être fondés en rationalité à adopter
des stratégies à dominante défensive de sécurisation et de minimisation des risques plutôt que de
s’installer dans une dynamique proactive d’accumulation intensive et de prise de risques (Ponson,
1990; Geschiere et Konings, 1993; Fauré, 1994; Ellis et Fauré, 1995; Hugon, 1995 et 2003; Hugon et
all, 1995). Les modalités de cette logique d’accumulation tendanciellement extensive peuvent être
appréciées à travers une logique plurielle de diversification des activités pour réduire la dépendance
en une seule activité, d’investissements sociaux et de transferts intergénérationnels comme source de
garantie, de dépréciation du futur au profit du court terme facilitant des choix réversibles en cas
d’échec ou encore, de préférence à une solution acceptable au détriment de la recherche de solution
optimale (Hugon, idem).

Ces analyses seront partagées par d’autres chercheurs comme Mahieu pour qui ce qui bloque
les entrepreneurs africains, c’est la superposition des contraintes communautaire et étatique
engendrant ainsi un équilibre très instable du système de production (Mahieu, 1990 : 12). C’est la
même conclusion à laquelle ont abouti Albagli et Henault mettant l’accent sur la triple astreinte à
laquelle est soumise la grille référentielle métisse de l’entrepreneurship africain, à savoir, l’intérêt de
l’entrepreneur exprimé par le profit, sa solidarité communautaire comme système d’allocation de
ressources et enfin le pouvoir politique qui, à travers une logique de rente, réintroduit des flux
compensatoires en termes de contrats exclusifs, d’informations ou de soutien financier (1996 : 36).
Ainsi, l’entrepreneurship africain ne peut se reproduire et assurer son expansion que si la logique
économique prend le dessus sur les obligations communautaires et sur la relation avec le pouvoir
politique. Toutefois, leur proposition visant à tracer un sentier des mutations destiné à libérer
l’entrepreneur africain des déviances «du parasitisme social» et des implications de la puissance
publique en vue de l’inscrire dans le jeu du marché concurrentiel, semble reproduire l’autonomisation
voire la surdétermination du marchand par rapport aux autres champs de l’action sociale.

La question est donc moins de se demander s’il existe un entrepreneuriat africain ou si le


secteur informel relève ou non de l’entrepreneuriat (Gachuruzi, 2000; Saporta et Kombo, 2000) ou
encore si l’homo africanus est rationnel (Hugon, 2003), mais il s’agit de chercher à caractériser la
nature du mode d’accumulation en fonction des conditions socio-historiques qui définissent un
système de contraintes et d’opportunités pour les entrepreneurs. C’est dire que la nature
tendanciellement extensive du mode d’accumulation de l’entrepreneuriat africain, loin d’être
167

définitive, pourrait un jour évoluer vers une autre tendance lorsque les conditions socio-historiques
venaient à changer.

2.3.2.3. Analyse critique

Les recherches récentes du milieu des années 1990 ont permis de mettre en perspective la
logique d’accumulation tendanciellement extensive de l’entrepreneuriat africain, contrairement aux
écrits antérieurs qui s’accrochaient à des déterminants ontologiques. Actuellement, la plupart des
chercheurs africains et africanistes cherchent à établir un lien entre les déterminants macro structurels
de la situation économique de ce continent et les comportements économiques des entrepreneurs
africains. Ainsi, c’est donc la prédominance de facteurs d’incertitudes et de précarité qui explique en
partie les réponses des acteurs économiques africains cherchant au préalable à sécuriser la fragilité de
l’activité économique et à se reproduire. Toutefois, les chercheurs africains et africanistes travaillant
sur l’entrepreneuriat ne semblent pas suffisamment établir un rapport entre cette logique
d’accumulation extensive et le contexte actuel lié à la prédominance et à l’incitation à l’accumulation
de type capitaliste. Traduisant le maillage de la mondialisation néo-libérale sur l’économie-monde
(Braudel, 1979), de tels facteurs comportent des effets destabilisateurs sur toute activité économique
qui cherche à s’écarter des normes de rentabilité marchande. Autrement dit, la prédominance et
l’incitation à l’accumulation de type capitaliste risque de rendre l’activité entrepreneuriale africaine
structurellement vulnérable parce qu’accentuant la tension structurelle de sa logique d’autonomisation
fonctionnelle qui, par ailleurs, ne peut plus compter sur les mécanismes de redistribution. En effet,
dans un contexte d’essoufflement des flux de redistribution au profit de l’activité entrepreneuriale
(espaces de sociabilité familiale et États) perturbant ainsi sa cohérence, un mode d’accumulation à
tendance extensive risque non seulement de ne plus pouvoir assurer son efficience donc sa viabilité,
mais également ses caractéristiques intrinsèques liées à l’encastrement de l’économique dans la
société, risquent de se transformer en externalités négatives, en sources de distorsions, voire en effets
pervers sources de vulnérabilités structurelles. A ce titre, selon Favereau64, la façon dont les agents
économiques africains s’organisent pour atténuer les incertitudes et les instabilités contribue à
aggraver la situation:

64
Par contre, nous ne partageons point son analyse des PAS qu’il qualifie de politique d’une grande justesse
(Favereau, 1995 : 198).
168

«…les modes d’adaptation micro-économique à l’incertitude, dans les sociétés africaines, tendent à
augmenter l’incertitude macro-économique, en rendant l’économie plus vulnérable aux chocs
conjoncturels, chocs d’offre ou chocs de demande» (Favereau, 1995 : 195).

Par ailleurs, la manière dont l’entrepreneuriat a été traité en Afrique limite ce phénomène aux
grands commerçants ainsi qu’aux groupes ethniques ayant démontré un ethos entrepreneurial marqué
et de manière plus récente, aux entrepreneurs et aux entreprises. D’une part, le contexte de précarité
qui informe du foisonnement de diverses initiatives d’auto-promotion socio-économique portées par
les acteurs sociaux vulnérables semble être peu pris en compte dans les analyses du fait
entrepreneurial africain. D’autre part, le concept et aussi bien que le phénomène de l’entrepreneuriat
africain n’ont pas été analysés de manière spécifique comme porteurs d’une rationalité intrinsèque.
C’est dire que l’étude de l’entrepreneuriat africain, loin de s’épuiser dans l’analyse des entreprises et
des grands entrepreneurs africains, devrait être corrélée à une vision plus élargie mettant en évidence
l’acteur stratégique que se trouve être le sujet populaire ainsi qu’une dynamique sociétale dépassant
largement le champ économique stricto sensus. Cette conception inscrit la diffusion de
l’entrepreneuriat en Afrique autour des multiples espaces interstitiels libérés par l’échec des autres
modes de coordination et investis par les acteurs sociaux dont les initiatives dépassent une simple
lutte contre la pauvreté pour promouvoir une autre économie. Cette vision inspirée de la sociologie
économique oriente la position théorique de l’entrepreneuriat autour d’une économie différentielle. A
un autre niveau, la perspective territoriale renseigne sur le fait que l’entrepreneuriat communautaire
comporte un ancrage territorial marqué tant du point de ses acteurs que des secteurs d’activités
investis. A ce titre, une telle perspective élargit la performance de l’entrepreneuriat en termes d’effets
structurants sur la revitalisation socio-territoriale mais également, en termes de mouvement social
local défendant les intérêts des acteurs sociaux par rapport aux collectivités locales. De telles
perspectives demeurent souvent absentes des théories de l’entrepreneuriat.
Conclusion: l’approche théorique de l’entrepreneuriat communautaire

L’approche transdisciplinaire adoptée dans le cadre de cette recherche positionne


l’entrepreneuriat communautaire au cœur d’une trilogie d’approches théoriques.
169

Figure 2.3 : L’entrepreneuriat communautaire : une trilogie de sources théoriques

Entrepreneuriat

Dévelop. local Socio. Économi.

La sociologie économique permet d’analyser l’entrepreneuriat communautaire comme une


dynamique organisationnelle hybride réalisant des activités économiques qui sont encastrées dans
l’action sociale et dans un contexte institutionnel. Une telle conception s’écarte de la réduction de
l’entrepreneuriat à sa dimension marchande ainsi qu’à l’entrepreneur capitaliste ainsi que de son
exclusion du champ de définition des formes institutionnelles de régulation économique et politique.
Dans cette approche de la sociologie économique, le courant de l’économie sociale et solidaire
débouchant sur l’économie plurielle a permis de construire les bases organisationnelles, socio-
économiques, voire socio-politiques de l’entrepreneuriat communautaire. Celui-ci apparaît à ce
niveau comme expressif à la fois d’un mode spécifique d’organisation hybridant base socio-
communautaire et logique entrepreneuriale et d’un mode original de production socio-économique
hybridant trois principes économiques (le marchand, le non marchand et le non monétaire) mais avec
une dominante réciprocitaire. La perspective africaine de la sociologie économique qu’augure
l’économie populaire, a permis de mettre l’accent sur le sujet populaire protagoniste de
l’entrepreneuriat communautaire à travers sa forme communautaire. A ce titre, l’économie populaire
élargit l’activité entrepreneuriale aux acteurs sociaux qui, en situation de précarité, déploient des
initiatives innovatrices de production/ distribution de services autour de motifs économiques divers
pouvant être dominés par l’un des trois principes économiques. C’est pourquoi, ce courant plus
empirique que théorisé, permet de situer l’entrepreneuriat communautaire comme partie prenante du
premier développement, à savoir la base de tout système productif même s’il ne s’y réduit pas.
170

Les approches du développement local enrichissent la sociologie économique avec qui elles
partagent une opposition commune à la vision économiciste du développement, en faisant ressortir
notamment l’interaction productive entre territoire et activité économique. Elles permettent de relire
le courant institutionnaliste à travers une perspective socio-territoriale, plus en phase avec l’ancrage
territorial de l’entrepreneuriat communautaire. En effet, l’évaluation de ce dernier ne saurait négliger
le fait que son terrain de déploiement au sein duquel on peut apprécier ses effets structurants, demeure
fortement structuré autour de son territoire d’implantation. A ce titre, la reconfiguration des formes
institutionnelles peut être analysée selon une perspective territoriale. Dans ce cadre, la dimension
socio-territoriale inspirée des approches du développement local, apparaît comme une valeur ajoutée
transversale structurant la plupart des dimensions de l’entrepreneuriat communautaire. En tant que
capital socio-territorial ou comme milieu innovateur, l’interaction productive entre initiatives
entrepreneuriales et atouts du territoire d’implantation, offre divers avantages concurrentiels
participant de la performance plurielle de l’entrepreneuriat communautaire notamment du point de
vue de la construction d’innovations socio-territoriales, ce qui le positionne parmi les acteurs
stratégiques de la revitalisation socio-territoriale. Cette variable informe également des modalités
particulières à travers lesquelles les territoires se reconfigurent et ajustent leurs modalités de
régulation. Enfin, les approches du développement local permettent de saisir toute la complexité de la
dimension socio-politique de l’entrepreneuriat communautaire en mettant en évidence sa position
dans l’espace public local, sa dynamique d’empowerment mais également, la question des interfaces
entre l’entrepreneuriat communautaire et les collectivités locales ainsi que ses partenaires dans le
cadre d’une dynamique de gouvernance territoriale.

Ce sont ces deux soubassements théoriques (sociologie économique et théories du


développement local) qui ont guidé notre analyse de l’approche de l’entrepreneuriat. Ces deux
approches permettent d’éviter de reproduire l’orientation exclusivement marchande de
l’entrepreneuriat pour la repositionner dans l’action sociale et dans le mode de régulation et ceci, à
travers un prisme territorial. De l’approche de l’entrepreneuriat, les variables d’innovation, de
détection/ construction d’opportunités et de processus entrepreneurial articulé à l’environnement,
semblent particulièrement adaptées au contexte de précarité pour rendre compte de la manière dont
les acteurs sociaux cherchent à dépasser une simple gestion de survie. C’est cela qui explique la
place accordée aux innovations socio-territoriales pour postuler le fait que le contexte de précarité
n’interdit pas la construction d’innovations sociales, au contraire, elle est source d’innovations, du fait
de la nécessité pour les acteurs sociaux d’inventer et de mettre en valeur sans cesse des modalités
innovatrices de gestion de l’incertitude et de la situation de carence liée notamment aux défaillances
171

de l’État et du marché. A ce titre, l’entrepreneuriat ne se réduit pas à l’entrepreneur mais met en


évidence un processus complexe et multidimensionnel articulé à son environnement et au mode de
régulation territoriale. Dans ce cadre, l’entrepreneuriat reste un processus d’innovations économiques
inscrit dans l’action sociale mais qui interroge également les structures et modalités de régulation
économique et politique. Son protagoniste ne se réduit ni aux opérateurs économiques, ni à
l’entreprise, mais intègre également les sujets populaires porteurs d’initiatives innovantes de création
de richesses. Ces sujets populaires peuvent prendre diverses formes organisationnelles, soit
l’entrepreneuriat social à base individuelle, soit l’entrepreneuriat domestique et familial, soit
l’entrepreneuriat communautaire. Enfin, l’éclairage de l’entrepreneuriat africain demeure important
pour faire ressortir le ressort contextuel de l’entrepreneuriat qui est d’abord une relation symbiotique
entre les protagonistes et leur espace spatio-temporel. Dans ce cadre, l’accent mis sur les conditions
socio-historiques de l’entrepreneuriat africain en lieu et place d’une lecture en termes de caractères
ontologiques, permet de démontrer que le mode d’accumulation tendanciellement extensif constaté
dans le milieu entrepreneurial africain, constitue un fait historique qui renseigne sur les mécanismes à
la base de la vulnérabilité du tissu productif africain. De tels éléments serviront à analyser la portée
alternative de l’entrepreneuriat communautaire.

C’est la combinaison de ces trois sources théoriques, expressive d’une approche


transdisciplinaire, qui fonde la structure d’explication de notre recherche. Ce cadre théorique permet
de systématiser quatre approches de l’entrepreneuriat communautaire mettant en évidence l’accent sur
la combinaison entre acteurs, organisations, institutions et territoire comme le montre le tableau
suivant :

Tableau 2.4 : les approches de l’entrepreneuriat communautaire


Types Approche par les Approche par les Approche par les Approche socio-territoriale
d’approches acteurs formes formes
organisationnelles institutionnelles
Dimensions Individu, famille, entrepreneur individuel, Cadre institutionnel, Ancrage socio-territorial,
d’analyse groupe, rapport entrepreneur social, système de règles, rapport à la revitalisation
aux mouvements entrepreneuriat familial, législation, rapport au territoriale, rapport à
sociaux, entrepreneuriat mode de régulation, l’espace public local et à la
empowerment, communautaire aux institutions gouvernance territoriale
publiques, aux acteurs

Dans ce cadre, nous analysons l’entrepreneuriat communautaire comme relevant de diverses


initiatives socio-économiques portées par des groupes sociaux structurés profitant ou construisant des
opportunités en vue de produire/distribuer des biens et services prenant en charge une demande
172

sociale ou des aspirations issues de la communauté territoriale. Une telle conception met en évidence
les quatre dimensions de l’entrepreneuriat communautaire : la dimension organisationnelle, socio-
économique, socio-politique et socio-territoriale.

La dimension organisationnelle présente l’entrepreneuriat communautaire sous une forme


institutionnelle hybride combinant une base socio-communautaire et une logique entrepreneuriale
autour de sujets populaires, protagonistes de la dynamique. Ces trois composantes (base
communautaire, logique entrepreneuriale et sujets populaires) articulent les courants de l’économie
sociale et solidaire et de l’économie populaire. Dans ce cadre, l’entrepreneuriat communautaire peut
être étudié comme une entreprise à base communautaire et à orientation écosociale ou comme une
organisation communautaire à orientation économique. Cette hybridation qui renseigne d’une
configuration organisationnelle particulière à mi-chemin de l’association et de l’entreprise, pousse à
mettre l’accent sur les questions de gouvernance organisationnelle ainsi que sur l’équilibre entre
rationalité normative, communicationnelle et instrumentale.

La dimension socio-économique positionne l’entrepreneuriat communautaire comme un acteur


dans le système de production/ distribution de biens et services avec comme finalité prioritaire
favoriser l’auto-promotion des membres et/ ou la promotion de sa clientèle ou de la communauté
territoriale. Cette dimension combine les courants d’économie populaire, de l’entrepreneuriat et de
l’économie sociale et solidaire. Elle renseigne sur son inscription dans le paradigme de l’action
sociale articulant rationalité formelle et substantive de l’économie et son rapport à la démocratisation
du système productif. La perspective entrepreneuriale amène à mettre l’accent sur le processus de
création de valeur, les innovations socio-territoriales tant en matière de services offerts que de
modalités innovatrices de production/distribution de biens et services visant à prendre en charge des
besoins ou des aspirations, la détection/ construction d’opportunités ainsi que le facteur travail du
sujet populaire. Cette dimension socio-économique élargit la performance à la rentabilité sociale, à la
viabilité économique mais aussi aux effets structurants sur les sujets populaires, sur le secteur investi
ainsi que sur le territoire d’implantation.

La dimension socio-politique de l’entrepreneuriat communautaire, inspirée du courant


institutionnaliste et des théories du développement local, interroge sa position dans la vie publique
locale. Elle inscrit l’entrepreneuriat communautaire comme porteur d’un espace public de
délibération, comme forme d’action collective lorsqu’il arrive à assurer un réseautage opérationnel de
ses diverses composantes sur le territoire, mais également comme partie prenante des structures et
173

modalités de régulation politique et économique. Ainsi, cette dimension qui interroge la nature des
interfaces entre l’entrepreneuriat communautaire et ses partenaires, particulièrement les pouvoirs
politiques locaux et les partenaires au développement, permet d’apprécier sa position par rapport au
processus de gouvernance territoriale.

Enfin, la dimension socio-territoriale est analysée dans le cadre de cette recherche comme une
variable transversale structurant les trois dimensions sus mentionnées du moment où l’organisation
créée, les activités réalisées, les acteurs populaires habilités, les ressources injectées ou encore les
partenaires mobilisés ont tous comme déterminant de s’inscrire dans le territoire d’implantation. C’est
pourquoi, le territoire est analysé comme une valeur ajoutée à l’ensemble des dimensions de
l’entrepreneuriat communautaire, manifestant en même temps sa contribution au renouvellement des
modalités de gestion publique et de développement. Sous ce rapport, le territoire peut être considéré
comme acteur, système d’innovations et ressources et non plus comme espace réceptacle. C’est dire
que la dimension socio-territoriale structure la dynamique de l’entrepreneuriat communautaire en le
positionnant dans les espaces innovants de création de richesses et de renouvellement du mode de
régulation territoriale. Il faut par ailleurs ajouter à de telles dimensions, celle socio-historique
présentant le processus constitutif ainsi que les modalités à travers lesquels un groupe social
défavorisé arrive à se structurer en un groupe socio-économique positionné dans le système de
création de richesses ainsi que dans le mode de régulation.

La partie méthodologique permettra de présenter les modalités d’opérationnalisation de ce


cadre théorique de l’entrepreneuriat communautaire.
174

DEUXIÉME PARTIE
MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
175

CHAPITRE III
PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE ET MÉTHODOLOGIE

3.1. Problématique de recherche

3.1.1 Éclairage conceptuel

Notre cadre conceptuel se base sur quatre concepts. L’entrepreneuriat communautaire reste le
concept central. Il sera enrichi par deux concepts théoriques, à savoir l’économie populaire et le
développement local. Enfin, le concept d’innovations socio-territoriales rend compte de notre position
épistémologique valorisant les innovations en contexte de précarité en lieu et place de la notion de
crise suffisamment étudiée.

3.1.1.1 Entrepreneuriat communautaire

L’entrepreneuriat communautaire désigne diverses initiatives d’auto-promotion socio-


économique portées par des groupes sociaux regroupant généralement des individus en situation de
vulnérabilité, et destinées, à travers un ancrage socio-territorial, à prendre en charge la demande
sociale, réaliser des aspirations ou construire des opportunités au profit de leurs sociétaires et/ou de la
communauté. Il constitue un mode spécifique d’organisation hybridant une base socio-
communautaire avec une logique entrepreneuriale soumise à une rentabilité écosociale tout en
comportant des effets générateurs pouvant être appréciés à divers niveaux : contribution à l’auto-
promotion de ses sociétaires, à la promotion d’acteurs sociaux vulnérables, à la revitalisation socio-
territoriale ou encore à la démocratisation de l’accès aux services de base et de l’espace public local.

Au niveau opérationnel, l’entrepreneuriat communautaire peut être systématisé autour de sept


caractéristiques majeures:

1. une initiative autonome portée par des groupes sociaux regroupant généralement des sujets
populaires issus de couches sociales défavorisées ou vulnérables ;
2. une dynamique socio-communautaire hybridant certains principes associatifs (mode de
propriété communautaire, engagement volontaire, participation des membres, fonctionnement
démocratique, égalité des membres, imputabilité des leaders, caractère autonome et non
partisan, partage de préoccupations communes entre sociétaires) avec une logique
176

entrepreneuriale (création de richesses, saisie ou construction d’opportunités, activité


productive durable, modalités innovatrices de production/distribution de biens et services,
recherche de profit subordonnée à une rentabilité écosociale, importance du facteur travail)
tout en faisant ressortir les intérêts des parties prenantes;
3. la production/distribution de biens et de services en réponse à une demande sociale ou en
profitant/ construisant des opportunités ;
4. une logique d’action écosociale encastrant l’activité économique dans l’action sociale en
l’orientant prioritairement autour de la satisfaction des besoins, ce qui induit une performance
plurielle misant sur la rentabilité sociale, les valeurs ajoutées, les externalités positives…
5. ses cibles centrées sur les personnes à travers deux modalités: une visée d’auto-promotion des
membres et/ou de promotion de cibles vulnérables ou de la communauté territoriale ;
6. ses effets structurants pouvant affecter le secteur d’activité investi, un plus grand accès aux
services de base, la position socio-politique du groupe social protagoniste ou encore la
configuration de l’espace public et de l’architecture institutionnelle ;
7. un ancrage socio-territorial structurant l’ensemble des caractéristiques de la dynamique.

Il est possible d’étudier l’entrepreneuriat communautaire à travers ses formes


organisationnelles, ses domaines d’intervention et ses motifs économiques (cf profil entrepreneuriat
communautaire). Du point de vue de ses formes organisationnelles, deux types peuvent être notés: les
associations en mouvance entrepreneuriale regroupent des associations ou des organisations de
développement communautaire réalisant des activités productives. Le second type comprend une
diversité d’organisations communautaires à orientation économique regroupant les mutuelles
(d’épargne crédit ou de santé), les GIE productifs, les GIE prestataires de services sociaux ou publics,
les organisations socio-professionnelles, diverses formes de coopératives…

Du point de vue des domaines d’intervention, quatre domaines prioritaires peuvent être retenus:
la réalisation d’activités productives, l’appui aux sociétaires pour mettre en œuvre des activités socio-
économiques en leur facilitant l’accès aux facteurs de production ou la maîtrise de l’environnement
productif (financement, matériel, formation), la démocratisation de l’accès aux services sociaux de
base ou aux services publics locaux au profit d’individus ou de territoires défavorisés et enfin,
l’empowerment de groupes sociaux et de territoires marginalisés.

Enfin, du point de vue des motifs économiques, quatre types d’entrepreneuriat communautaire
peuvent être distingués: l’entrepreneuriat communautaire productif positionné sur le marché (GIE
177

producteur et MEC); l’entrepreneuriat communautaire prestataire de services sociaux de base ou de


services de proximité (GIE de nutrition communautaire, garderie communautaire); l’entrepreneuriat
communautaire prestataire de services publics locaux en relation avec les collectivités locales (gestion
des ordures ménagères) et enfin, l’entrepreneuriat communautaire de redistribution visant à contribuer
à la démocratisation de l’accès aux services sociaux de base (mutuelle de santé, coopératives
d’habitat, groupements de promotion féminine).

3.1.1.2 Économie populaire

L’économie populaire fait référence à des sujets populaires protagonistes qui cherchent à
assurer par eux-mêmes la satisfaction de leurs besoins ou de leurs préoccupations d’insertion socio-
économique en s’investissant dans le système de production/ distribution de biens et de services, à
travers une logique écosociale à la fois productive, redistributive et régulatrice insérée dans le
système social.

Quelques caractéristiques de l’économie populaire peuvent être relevées:


1. l’économie populaire dénote une dynamique d’auto-promotion socio-économique portée par
des sujets populaires pas ou peu insérés dans le tissu économique. Elle révèle une forme
d’appropriation endogène et populaire de l’économie mettant en évidence un sujet populaire
protagoniste de l’activité, souvent issu des couches sociales en situation de précarité ou de
vulnérabilité. Le sujet populaire regroupe trois types d’acteurs : les individus à travers les très
petites entreprises, les micro entreprises familiales et les organisations économiques
communautaires;
2. une option délibérée autour de la satisfaction des besoins et de la promotion de l’insertion
socio-économique en vue d’améliorer les conditions de vie des protagonistes. Une telle
option n’exclut pas la recherche de profit mais la subordonne à d’autres objectifs;
3. Contrairement aux privés capitalistes et à l’État, l’économie populaire valorise une logique
d’action écosociale accordant la primauté à la réciprocité comme principe économique
dominant. Elle n’écarte ni la recherche de profit, ni l’échange marchand encore moins la
concurrence (dimension productive) et ni la hiérarchie ou la redistribution (dimension
redistributive), mais, elle les subordonne à la réciprocité des échanges en vue d’assurer la
reproduction de la position sociale et des rapports sociaux (dimension régulatrice).
L’économie populaire apparaît ainsi comme un espace d’hybridation des trois principes
178

économiques (marchand, non marchand et non monétaire) avec une dominante réciprocitaire,
cet espace semblant être plus soucieux de régulation sociale que de changement social;
4. Un enracinement et un encastrement social, culturel et politique de l’activité économique
insérée dans le système social comme composante d’une totalité sociale; elle réfute à ce titre
l’autonomisation du champ économique;
5. Une valorisation de diverses ressources d’ordre social, financier, relationnel, technique,
symbolique issues du territoire. Partie prenante de l’économie de rez-de-chaussée, l’économie
populaire constitue la base du système productif local. Mais elle ne s’épuise pas dans le
premier développement, elle en constitue la matrice tout en se positionnant également dans le
marché.

On peut distinguer trois catégories d’économie populaire en fonction de l’hybridation des


principes économiques: l’économie populaire de redistribution vise la démocratisation de l’accès aux
services sociaux de base ou aux services publics, l’économie populaire marchande orientée vers la
productivité et enfin, l’économie populaire solidaire qui, contrairement aux deux autres qui
s’inscrivent dans le système existant, cherche à promouvoir un mode de production économique
alternatif misant sur des valeurs de réciprocité, de solidarité, d’encastrement multiple de l’économie,
de partenariat… Cette dernière catégorie qui vise surtout à lutter contre les carences et dérives de
l’échange marchand et de la redistribution, relève encore du projet.

3.1.1.3 Développement local

Le développement local fait référence à un processus porté par les acteurs locaux,
principalement les acteurs institutionnels et communautaires, cherchant à promouvoir la revitalisation
durable et auto entretenue du territoire articulé à son environnement, à travers une vision globale
matérialisée par un projet de société et utilisant comme mécanismes, la gouvernance et le partenariat.

Sept caractéristiques peuvent être conférées au développement local:


1.un processus auto promotionnel construit de l’intérieur des communautés locales et porté par
des acteurs locaux, soit, par une collectivité locale (politique publique), soit, par des groupes
sociaux (promotion du développement communautaire et empowerment), soit, à travers un
processus conjointement mis en œuvre par ces deux acteurs en relation avec d’autres parties
prenantes intervenant sur le territoire. Quelle que soit la formule utilisée, la maîtrise locale ainsi
179

que l’appropriation locale du processus constituent des traits structurants du développement


local;
2. un objectif de revitalisation auto entretenue du territoire à partir de ses potentialités à travers
la valorisation de ses ressources, la prise en charge de ses problèmes, la remobilisation de ses
acteurs…
3. un ancrage territorial mais articulé à son environnement. Cela induit une nouvelle vision du
territoire perçu non plus comme un espace délimité administrativement ou comme un
réceptacle de décisions provenant d’en haut ou d’ailleurs, mais comme un acteur disposant d’un
capital socio-territorial lui permettant d’incuber les pratiques innovatrices (milieu innovateur);
4. une autre vision du développement : approche intégrée et globale non limitée à la croissance
économique, un système d’interactions locales basé sur des relations non exclusivement
marchandes, un processus socio-historique et territorial non transférable;
5. deux mécanismes. D’abord, la gouvernance qui implique une dynamique concertée et
démocratique dans l’exercice du pouvoir politique, dans la coordination des actions et acteurs et
dans le processus de formulation et de gestion des politiques de développement. Ensuite, le
partenariat qui met en évidence une relation durable, contractualisée et non hiérarchique entre
différents acteurs partageant objectifs, responsabilités, risques et imputabilité dans la réalisation
d’activités communes, autour d’une coopération conflictuelle;
6. une institutionnalisation du processus à travers la définition concertée d’un projet de société,
des règles du partenariat et des outils de suivi-évaluation ainsi que la mise en place d’un
dispositif autonome de coordination et d’animation;
7. des principes : durabilité, équité, subsidiarité, performance plurielle, démocratie
participative, compromis et confiance.

3.1.1.3 Innovations socio-territoriales

L’innovation socio-territoriale peut être analysée comme un processus construit socialement par
divers types d’acteurs implantés sur un territoire donné dans le but de répondre à des besoins, réaliser
des aspirations ou profiter/ construire des opportunités et pouvant induire un changement social à
divers niveaux. Elle met en évidence les modalités et formes novatrices que les acteurs locaux
inventent ou s’approprient en vue de résoudre leurs problèmes ou réaliser leurs aspirations en
valorisant le territoire comme producteur d’avantages concurrentiels.

Une telle conception met en évidence plusieurs éléments :


180

1. l’innovation comme construction socio-territoriale se démarque de la logique de transfert


technique qui réduit le territoire à un simple espace d’adaptation sociale des inventions
techniques provenant de l’extérieur. L’ancrage socio-territorial structure tout le processus
d’innovations et met en évidence le fait que l’invention n’arrive à donner naissance à une
innovation que si elle est accompagnée d’une appropriation, d’une mise en valeur et d’une
reconnaissance locales (qui peuvent être d’ordre institutionnel, organisationnel ou social).
Enfin, comme construit socio-territorial, l’innovation informe d’un processus d’apprentissage
procédant par essai-erreur et non d’un processus linéaire et parfait;

2. L’innovation n’est pas seulement le fait exclusif des entrepreneurs, des inventeurs, des
techniciens, des opérateurs économiques, elle peut être produite par tout type d’acteur de
manière individuelle ou en alliance avec d’autres acteurs. Elle comporte également un aspect
à la fois réactif en réponse à des problèmes, et proactif en détectant des opportunités ou en les
construisant;

3. Les innovations socio-territoriales référent à un processus complexe et global ayant plusieurs


aspects. Elles comportent un aspect conflictuel du fait de la destruction créatrice de l’ordre
établi mais également, elles nécessitent des réajustements sans cesse renouvelés pour gérer
les risques de routinisation (cycle de vie de l’innovation). Les innovations n’aboutissent pas
tous au changement social : on peut distinguer les innovations d’équilibre qui restent dans le
système en participant à sa reproduction et les innovations de structure qui sont plus radicales
à la base de changements majeurs. Toutefois, ces dernières sont plus difficiles à être réalisées;

4. Le territoire devient un lieu de construction d’innovations, mais également un acteur


construisant des innovations : l’effet-lieu met en évidence les opportunités offertes par le
capital socio-territorial en termes d’interdépendances productives, d’apprentissage, de
réduction des incertitudes informationnelles et de coûts de transaction, ainsi que divers
services de soutien aux pratiques innovantes autour d’un système local d’innovations (milieu
innovateur);

5. L’innovation n’échappe pas au déterminisme du système socio-territorial (économique,


politique, socio-culturel) dans lequel elle émerge. Mais ce déterminisme rend compte surtout
d’un système de contraintes et d’opportunités (pouvant influer sur la construction, la
diffusion, la reconnaissance ou l’institutionnalisation des innovations) mais que l’acteur
social s’approprie;
181

6. les innovations socio-territoriales de l’entrepreneuriat communautaire peuvent être


appréciables à divers niveaux :

o la revitalisation socio-territoriale : la nature des services offerts notamment au


profit de personnes vulnérables (services souvent délaissés parce que peu solvables,
ou nouveaux ou trop hétérogènes), la dynamisation de l’économie locale ou du
secteur d’activités, la valorisation de ressources locales peu exploitées, la
mobilisation de nouveaux partenaires investissant diverses ressources sur le
territoire ;
o les modalités de production et de distribution de biens et services (combinaison de
nouveaux facteurs de production ou nouveau mode de production) en rapport avec
des valeurs ou des finalités différentes de celles communément admises (par
exemple construction conjointe de l’offre et de la demande);
o les formes organisationnelles : création de nouvelles formes organisationnelles ou
promotion de nouveaux modes de gestion organisationnelle;
o les formes institutionnelles : effets structurants portant sur la gouvernance
territoriale, la recomposition de l’architecture institutionnelle locale des acteurs, la
redéfinition de l’action publique locale…

Ces concepts précisés, nous en venons à notre problématique de recherche.

3.1.2. Problème de recherche

Notre problème de recherche systématise le produit de l’analyse combinée des dimensions


théorique, socio-historique et méthodologique en lien avec notre objet de recherche, à savoir
l’entrepreneuriat communautaire. Il peut être formulé en ces termes.

L’entrepreneuriat communautaire tarde à être systématisé comme champ de recherche


spécifique du fait de la disjonction entre le milieu entrepreneurial et les initiatives communautaires,
qu’accentue une conception héritée des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds réservant la création
de richesses à l’État et/ou au marché tout en ravalant les dynamiques communautaires à l’éducation
populaire et à la lutte contre la pauvreté. Du point de vue de la recherche, l’entrepreneuriat a été
surtout considéré dans ses dimensions marchande et individuelle tandis que le milieu communautaire
est resté dans le schéma traditionnel de l’association soumis aux contraintes de non distribution
182

privative des ressources et de non recherche de profit. Du point de vue des pouvoirs publics et des
bailleurs de fonds, les dynamiques communautaires restent dans le champ du développement social
en tant que stratégie de survie ou dans le champ de l’éducation populaire en tant qu’instrument de
mobilisation sociale. Tout se passe comme si l’entrepreneuriat communautaire, appréciable à travers
la mouvance entrepreneuriale des associations ainsi que la floraison d’organisations communautaires
à orientation économique, se réduisait aux stratégies de survie ou à l’éducation populaire, alors que sa
portée participe des dispositifs de création de richesses tout en interrogeant les structures et les
modalités de régulation économique et politique.

L’explicitation de ce problème de recherche appelle cinq niveaux de commentaires. A un


premier niveau, l’entrepreneuriat n’a pas été suffisamment étudié comme un fait économique encastré
dans l’action sociale et dans l’institutionnel. Son soubassement économique explique sa limitation à
l’entreprise marchande et à l’entrepreneur individuel capitaliste tandis que son exclusion du champ
institutionnel explique son cantonnement dans les stratégies de gestion de crise ou dans le
développement social. Ainsi, ni ses caractéristiques fondamentales, ni le sujet populaire protagoniste
d’initiatives économiques, ni la diversité de ses acteurs (entrepreneuriat individuel, social, familial et
communautaire), encore moins sa portée ne semblent être suffisamment pris en compte par les
approches et théories de l’entrepreneuriat. C’est cela qui explique le fait que dans la plupart des cas,
l’entrepreneuriat n’a été traité que de manière tangentielle autour d’une approche monodisciplinaire.

De telles limites se reproduisent en Afrique où l’entrepreneuriat demeure un champ de


recherche émergent (années 1990) à la faveur de la crise économique persistante, de la carence des
pouvoirs publics ainsi que des résultats mitigés des politiques de développement et de libéralisation
de l’économie. Dans ce cadre et à un second niveau, on constate que les chercheurs africains et
africanistes en entrepreneuriat se sont focalisés sur les stratégies d’adaptation des entrepreneurs et des
diasporas marchandes (à l’économie de traite, aux politiques de développement, à la crise
économique), sur les contraintes des entreprises, sur la création d’entreprises, sur le mode
d’accumulation dans les entreprises africaines ainsi que sur la dimension culturelle de l’acte
d’entreprendre en Afrique. Toutefois, le concept aussi bien que le phénomène de l’entrepreneuriat
n’ont pas été analysés de manière spécifique. S’y ajoute le fait que les initiatives d’auto-promotion
socio-économique portées par les acteurs sociaux en situation de vulnérabilité ne sont pas analysées
comme parties prenantes du fait entrepreneurial.
183

A un troisième niveau, l’analyse des initiatives économiques populaires sous l’angle du secteur
informel n’échappe pas au dualisme et les réduit souvent aux stratégies de survie. De même,
l’analyse en termes d’économie populaire se limite souvent aux micro-activités individuelles
négligeant les organisations économiques communautaires. C’est pourquoi, le rapport des initiatives
économiques populaires aux enjeux sociétaux reste peu analysé : sa vision de l’économie, sa
dimension socio-politique ou encore les effets nocifs de la mondialisation néo-libérale sur son mode
d’accumulation à tendance écosociale dans un contexte d’essoufflement des sources de redistribution
(famille et État).

A un quatrième niveau, la plupart des approches portant sur le mouvement communautaire


sénégalais voire africain, restent soumises à la grille de lecture associative peu apte à caractériser
l’entrepreneuriat communautaire, si ce n’est en termes d’irritants et de tensions pouvant déstabiliser
sa composante associative. En outre, cette grille reste marquée par son souci de légalisation en lien
avec le cadre juridique associatif ainsi que par sa tendance intravertie, évacuant le rapport des
associations aux mutations intervenues au sein de l’environnement. C’est cela qui explique sa
difficulté à saisir d’une part, le phénomène de l’entrepreneuriat communautaire et d’autre part, de le
mettre en lien avec le contexte de reconfiguration du mode de régulation.

Enfin, à un cinquième niveau, l’analyse du Sénégal en termes de crise ne suffit plus pour rendre
compte de la réalité actuelle, car à côté du Sénégal qui se défait, émerge un Sénégal qui se refait.
Certes, la crise s’est accentuée et est devenue multiforme, rendant compte à la fois de l’élargissement
et de l’approfondissement de la paupérisation, mais également de l’échec de la transition du régime
d’accumulation de rente à celui de l’économie de marché liée aux PAS. Une telle situation exprime
non plus simplement une crise, mais l’épuisement du mode de régulation post colonial. Toutefois, le
contexte du Sénégal contemporain, partagé par ailleurs avec la plupart des pays africains vivant en
contexte de précarité, reste marqué par un décalage traduisant une situation ambivalente entre la
résistance d’un mode de régulation épuisé et des prémisses de mutation induites par l’affirmation plus
grande d’acteurs émergents, mais qui restent pour le moment peu connues. Les dynamiques
enclenchées par ces acteurs émergents semblent questionner à la fois l’approche de l’économie, celle
du développement et celle du mode de gestion publique. Dans un tel contexte, l’entrepreneuriat
communautaire, qui fait partie de ces dynamiques émergentes (à côté des collectivités locales, des
PME/MPE ou de la société civile), reste soumis à la vision traditionnelle des acteurs stratégiques
ayant marqué le Sénégal, à savoir l’État et ses bailleurs de fonds (FMI, BM). Cette conception affecte
à l’entrepreneuriat communautaire la place délaissée aux dynamiques communautaires, à savoir des
184

dispositifs de lutte contre la pauvreté et d’éducation populaire. Une telle vision, héritée des
coopératives coloniales et des associations durant la période post coloniale, exclut l’entrepreneuriat
communautaire du champ de production économique et de celui de la régulation politique si ce n’est
en l’instrumentalisant. Pourtant la dynamique de l’entrepreneuriat communautaire semble interroger à
la fois les modalités de production/distribution de richesses, les stratégies de développement ainsi que
les structures et modalités de gestion publique.

C’est l’articulation de ces cinq niveaux de problèmes qui justifie l’intérêt d’étudier
l’entrepreneuriat communautaire comme une dynamique autonome, mais articulée aux structures et
modalités de régulation économique et politique. C’est ce postulat qui guide la détermination de notre
question et de nos objectifs de recherche.

3.1.3. Question et objectifs de recherche

L’objet de cette recherche porte sur la caractérisation de l’entrepreneuriat communautaire en


contexte de précarité ainsi que sur l’analyse de son potentiel innovateur et alternatif. Cet objet sera
analysé à partir d’une étude de terrain portant sur quatre types d’entrepreneuriat communautaire se
déployant dans la ville de Saint-Louis. Celle-ci est connue pour être un des laboratoires de
développement local en Afrique de l’Ouest, du fait notamment du dynamisme associatif investissant
divers domaines ainsi que de la volonté politique manifestée par la Commune à renouveler son mode
de gestion publique ainsi que sa politique de développement. De manière plus spécifique, notre
question de recherche est la suivante :

L’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité, appréciable à travers la mouvance


entrepreneuriale des associations et la floraison récente de plusieurs types d’organisations
économiques communautaires, relève-t-il des stratégies de gestion de crise déployées par des
acteurs sociaux en situation de vulnérabilité ou par contre, augure-t-il d’une dynamique d’auto-
promotion socio-économique expressive d’un positionnement plus marqué des acteurs sociaux
dans le processus de création de richesses et de reconfiguration du mode de régulation?

L’enjeu de cette question de recherche interroge la portée de l’entrepreneuriat communautaire à


deux niveaux : est-ce que l’entrepreneuriat communautaire reste soumis aux contraintes que lui
impose le contexte de précarité en s’inscrivant dans une des multiples stratégies de lutte contre la
pauvreté qui, malgré ses apports, restent une gestion des conséquences et de la survie? Ou par contre,
185

traduit-il une dynamique d’auto-promotion socio-économique que les acteurs sociaux en situation de
précarité déploient pour, non seulement assurer la démocratisation de l’accès aux services mais
également, questionner les modalités et structures de régulation économique et politique. Comme
stratégie de gestion de crise, l’entrepreneuriat communautaire reste soumis aux intérêts de ses
membres, ne dispose pas de projet de société, induit plus une régulation sociale qu’un changement
social, se laisse instrumentaliser par les autres types d’acteurs et réalise des actions éparses souvent
ponctuelles et de faible envergure. Par contre, comme dynamique d’auto-promotion socio-
économique, l’entrepreneuriat communautaire relève d’une option délibérée des sociétaires à assurer
par eux-mêmes leur accès aux ressources ainsi que leur épanouissement tout en cherchant à influer
sur le système de création et de distribution de richesses, mais également sur le mode de régulation.
Cette perspective met en évidence les initiatives innovatrices des acteurs sociaux cherchant à assumer
une position d’acteur stratégique dans un contexte de reconfiguration du mode de régulation.

Pour saisir les dimensions d’une telle question, trois objectifs spécifiques de recherche ont été
définis:

1. Décrire les caractéristiques de l’entrepreneuriat communautaire à travers l’analyse de ses


conditions de constitution et d’évolution ainsi que de sa gouvernance organisationnelle;

2. Déterminer et analyser sa performance socio-économique en tant qu’organisation à


orientation économique cherchant à favoriser l’auto-promotion de ses membres ou la
promotion de la communauté tout en arrimant souci de rentabilité socio-territoriale et
exigence de viabilité économique. Cet objectif interroge également les modalités
différentielles de production et de distribution de biens et services que l’entrepreneuriat
communautaire promeut en lien avec sa logique écosociale;

3. Analyser le rapport de l’entrepreneuriat communautaire au développement local à travers


plusieurs éléments : l’analyse de son ancrage socio-territorial, de son degré d’empowerment
ainsi que de la nature de ses relations avec les acteurs stratégiques se déployant dans l’espace
public local, particulièrement, les collectivités locales et les partenaires au développement,
tout ceci en perspective de la reconfiguration territoriale du mode de régulation.

Le premier objectif se décline en deux sous objectifs. Le premier interroge le processus


constitutif et d’évolution ainsi que les facteurs et les modalités à travers lesquels un groupe social,
186

composés en majorité d’individus vulnérables, se constitue en un groupe socio-économique


positionné dans le système productif. Le second sous objectif qui porte sur la gouvernance
organisationnelle, cherche à analyser les modalités d’arrimage de la base socio-communautaire avec
la logique entrepreneuriale. Cet objectif permet d’apprécier si l’entrepreneuriat communautaire
dispose de bases organisationnelles solides lui permettant de se positionner dans le système de
production économique et de régulation politique.

Le second objectif interroge trois niveaux de performance socio-économique de


l’entrepreneuriat communautaire. D’abord, sera questionnée sa performance dans la mobilisation, la
production et la distribution de biens et services en vue de promouvoir l’intérêt corporatif de ses
membres et/ou l’intérêt général de la communauté territoriale dans une perspective de
démocratisation de l’accès aux services ou aux ressources. Ensuite, l’analyse portera sur la nature et
la portée de ses modalités différentielles de production/distribution de biens et de services en rapport
avec son cadre référentiel écosociale. Enfin, l’analyse tentera d’évaluer si l’organisation arrive à
articuler son souci de rentabilité sociale, expressif de sa finalité de services aux membres et/ou à la
collectivité, avec ses exigences de viabilité socio-économique en tant qu’organisation à orientation
économique se positionnant souvent dans un marché concurrentiel.

Enfin, le troisième objectif part de la systématisation des innovations socio-territoriales induites


par l’action de l’entrepreneuriat communautaire pour évaluer son incidence sur la revitalisation socio-
territoriale. L’analyse portera notamment sur ses effets structurants concernant le secteur d’activité
visé, l’économie locale, sa position socio-politique, la reconfiguration de l’espace public et enfin, la
construction de relations partenariales avec la collectivité locale et les partenaires au développement.
Autrement dit, cet objectif cherche à étudier si la contribution de l’entrepreneuriat communautaire à
la revitalisation socio-territoriale contribue à lui assurer une meilleure position socio-politique dans
l’espace public local.

Cette recherche utilise la variable socio-territoriale comme dimension structurante de


l’entrepreneuriat communautaire pour analyser de manière combinée ses dimensions socio-historique
(conditions d’émergence et d’évolution), organisationnelle (gouvernance organisationnelle), socio-
économique (performance socio-économique) et enfin, socio-politique (rapport au développement
local). Ce sont de telles dimensions d’analyse qui nous permettront de pouvoir répondre à la question
de recherche, à savoir si l’entrepreneuriat communautaire n’est qu’un dispositif de plus concernant la
187

lutte contre la pauvreté ou s’il informe d’innovations socio-territoriales interpellant les structures et
modalités de régulation économique et politique.

3.1.4. Hypothèse de recherche

Comme réponse anticipée et provisoire à la question de recherche, nous formulons l’hypothèse


suivante :

En contexte de précarité, l’entrepreneuriat communautaire ne reflète pas seulement un espace


de cristallisation de la crise. Exprimant une dynamique d’auto-promotion socio-économique
portée par les acteurs sociaux se trouvant souvent en situation de vulnérabilité, il constitue un
acteur ainsi qu’un des lieux de construction d’innovations socio-territoriales concernant à la
fois la démocratisation de l’accès aux biens et services, des modalités différentielles de
production/distribution de biens et services ou encore, la reconfiguration de l’espace public
local. Toutefois, du fait du contexte de transition, exprimant d’une part, une situation de
précarité affectant sa capacité d’action tout en accentuant les stratégies opportunes de ses
sociétaires et d’autre part, la résistance d’un mode de régulation épuisé mais soutenu par l’État,
les bailleurs de fonds et le marché, les innovations socio-territoriales dont est porteur
l’entrepreneuriat communautaire, du reste peu reconnues, peu systématisées et peu assumées,
ne peuvent suffire pour renouveler les modalités et structures de régulation économique et
politique.

Une telle hypothèse écarte la réduction de l’entrepreneuriat communautaire comme composante


des stratégies de survie, d’autant plus que la lutte contre la pauvreté comporte également des éléments
relevant de la dynamique de l’auto-promotion et de la création de richesses. Sous ce rapport,
l’entrepreneuriat communautaire demeure bien un espace de construction d’innovations fortement
médiatisées par son ancrage socio-territorial et pouvant avoir des effets sur la reconfiguration du
territoire, tant du point de vue économique que socio-politique. Toutefois, la diffusion, la
reconnaissance et l’institutionnalisation de ces innovations dépassent le champ de l’entrepreneuriat
communautaire et justifie à ce titre, l’analyse de ses rapports avec les acteurs stratégiques du
territoire. Au vu des résistances manifestées par les structures de régulation économique et politique
(État, bailleurs de fonds, marché international) malgré l’épuisement du mode de régulation, il reste
peu probable que de telles innovations puissent dépasser le stade de l’expérimentation. Si une telle
hypothèse arrivait à être confirmée, les innovations de l’entrepreneuriat communautaire risqueraient
188

de rester duales et vulnérables et porteuses de régulations interstitielles circonscrites à la dynamique


elle-même.

3.2. Méthodologie de recherche

3.2.1. Posture épistémologique

Notre position épistémologique considère la connaissance scientifique comme produit d’un


construit social et historique dans la mesure où les faits ne sont jamais neutres. Ils ne parlent jamais
d’eux-mêmes, ils sont imprégnés d’actions sociales et de représentations situées dans le temps et dans
l’espace (Berthelot, 1990). Ainsi, à la fois le chercheur et l’enquêté les construisent en fonction de
catégories spécifiques. A ce titre, les informations recueillies en cours d’enquête doivent être tenues
pour révélatrices de la réalité sociale étudiée mais également, comme produit de la construction
intellectuelle des sujets (Huther, 2001). De même, le comportement du chercheur, la nature et le degré
de son immersion par rapport à son terrain de recherche demeurent déterminants par rapport à sa
relation avec les enquêtés et par suite, de ses résultats de recherche (Bourdieu et all, 1973; Mendras,
et all, 2000). C’est pourquoi, la décentration du chercheur, en tant que distance intellectuelle par
rapport à lui-même et à son objet de recherche en vue d’objectiviser les relations, permet d’assurer un
recul épistémologique face aux préjugés et aux influences diverses (Durkheim, 1895; Bernard, 1984;
Quivy et all, 1995). Pour cela, il semble nécessaire de différencier le sujet épistémique du sujet
égocentrique à travers un processus de déconstruction de l’objet social et de construction de l’objet
scientifique.

Toutefois, notre posture épistémologique se positionne surtout par rapport aux enjeux
épistémologiques et méthodologiques que les sciences sociales rencontrent en Afrique, lieu de notre
terrain de recherche. En effet, la recherche africaine en sciences sociales opère souvent sous deux
registres dualistes. D’une part, le piége de l’impérialisme idéologique ou paradigmatique du Nord
demeure réel si le chercheur ne s’interroge pas sur les concepts, méthodes, outils et centres d’intérêts
qui traversent le milieu académique et celui de la coopération au développement (Ela, 1994 et 2001;
Develtere et Fonteneau, 2001; Assogba, 2004). D’autre part, certains chercheurs africains ou
africanistes, du fait de leur position réactive cherchant à démontrer la spécificité de la recherche
africaine, tombent souvent sous le coup de descriptions populistes, culturalistes voire a-historiques
décrivant l’Afrique sous les traits d’un continent homogène, sans contradiction sociale, voire déjà fait.
189

A un autre niveau, la réalité du changement social en Afrique demeure à peine systématisée du fait
que la vision afro pessimiste centrée sur les guerres, la crise et la pauvreté, néglige les innovations
ainsi que les initiatives émergentes. Par ailleurs, la réalité africaine reste souvent évanescente pour la
recherche du fait de la difficulté à saisir l’«informalité», négligeant ainsi d’analyser cette dernière non
pas comme une déformation de la rationalité formelle mais, comme expressive d’une autre rationalité
ayant ses caractéristiques intrinsèques. Ce problème renseigne plus généralement sur les défis
épistémologiques que les pratiques économiques populaires posent aux sciences sociales et
économiques, lesquels défis comportent des enjeux méthodologiques (en termes d’outils appropriés)
ainsi que des enjeux politiques relatifs aux politiques mises en œuvre (Larraechea et Nyssens, 1996).
Enfin, du fait de la jeunesse des sciences sociales en Afrique65, le tableau dressé par Ly (1989) fait
ressortir plusieurs enjeux épistémologiques et méthodologiques relatifs à leur statut dans le continent:
faibles élaborations théoriques, faibles apports originaux notamment concernant l’épistémologie et la
méthodologie des sciences sociales, fractionnement de l’objet d’étude en autant de disciplines et de
composantes peu en rapport avec la dynamique holiste de la réalité africaine, caractère extraverti des
outils de recherche, problèmes de financement, d’accès à l’information et de diffusion des résultats de
recherche, absence d’articulation entre le milieu de la recherche, les instances de décision publique et
le milieu social empêchant la valorisation des résultats de recherche:

« Quoi qu’il en soit, le constat qu’il convient de faire, c’est que les sciences sociales africaines n’ont
pas fait sur leurs sociétés de production théoriques adéquates (notamment dans le domaine de la liaison
sciences sociales-développement) et partant n’ont pas encore contribué à la théorie générale universelle
des sciences à partir de leur particularité. (…) Autrement dit, la théorie générale des sociétés telle
qu’elle est présentée dans les sociétés africaines est toujours celle des pays occidentaux, la situation
africaine apparaissant comme un domaine de spécialisation » (Ly, 1989 : 26).

Ce sont de tels enjeux qui ont guidé trois choix épistémologiques dans le cadre de cette
recherche. D’abord, une démarche critique des outils, concepts et approches utilisés. Cette
perspective critique, qui nous amène à mettre l’accent plus sur l’étude de la réalité qu’à forcer celle-ci
afin de l’adapter à l’outil de recherche, a également l’avantage de nous intégrer dans une perspective

65
Leur origine daterait des recherches liées à l’anthropologie coloniale tandis que les indépendances n’ont pas
toujours favorisé son expansion du fait de la politique menée par les pouvoirs publics visant un contrôle
systématique des espaces d’autonomie et de contrôle critique. D’ailleurs, c’est ce qui explique qu’au Sénégal,
l’enseignement de la sociologie à l’université ait été suspendu après les événements de Mai 1968. Ce ne fut
qu’en 1990 à l’ouverture de la seconde université du pays (UGB de Saint-Louis) que la sociologie a
recommencé à être enseignée. Mais, il faut noter que depuis lors, les sciences sociales ont été promues
notamment avec la mise en place du CODESRIA (Conseil pour le développement de la recherche en sciences
sociales en Afrique)
190

comparative entre le Sénégal (pays d’origine et de terrain de recherche) et le Québec (pays


d’élaboration et de présentation de cette recherche), perspective qui a enrichi notre vision et notre
angle d’analyse. A un second niveau, notre recherche s’intègre dans le défi épistémologique que
l’économie populaire pose aux sciences sociales et économiques. Plus précisément, il s’agit de mettre
l’accent sur les caractéristiques de cette autre approche de l’économie au lieu de l’étudier en fonction
de la vision néo-classique. Cela signifie par exemple de mettre l’accent sur les ressources non
marchande et non monétaire de l’activité économique à côté de celle marchande, sur le sujet
populaire protagoniste de l’activité, sur le contexte ou encore sur les déterminants pluriels de
l’économie populaire à base communautaire. Enfin, un troisième choix épistémologique, d’ailleurs en
lien avec le second, positionne notre recherche dans l’Afrique qui se refait afin de mettre en évidence
le fait que le contexte de précarité n’exclut pas la construction d’innovations. Comme nous le disaient
souvent les femmes transformatrices de poissons du GIE Djambarou Sine reprenant un adage
sénégalais : « Niak pékhé, pékhé la » ou la précarité est source d’innovations. Ainsi, à côté de
l’Afrique qui se défait à travers les crises économiques et politiques, l’impact nocif de
l’environnement international défavorable et non maîtrisé, la détérioration des conditions de vie,
existe également, une Afrique qui se refait, certes laborieusement, mais porteuse de solutions
endogènes et innovatrices. S’y ajoute le fait que ce qui est souvent présenté comme une situation de
crise, a tellement duré qu’on se demande si en réalité cela ne relèverait-il pas d’éléments appartenant
à un autre système d’action ou à un autre cadre référentiel, mais qui ne trouvent pas dans le contexte
africain actuel marqué par l’extraversion du mode de régulation, un terrain favorable pour s’affirmer
ou prendre de l’expansion. Dans un tel cadre, c’est le type de lecture de la réalité africaine qui serait
en crise parce qu’inappropriée par rapport au sens de l’action. Cette vision épistémologique explique
le fait que notre recherche soit centrée prioritairement sur la détermination et l’analyse du potentiel
d’innovation que recèle l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité en prenant soin
également, de signaler la complexité de ces dynamiques émergentes à travers l’identification des
irritants et des sources de blocage. Dans ce cadre, l’accent est mis sur l’analyse des processus et des
modalités construits de l’intérieur des communautés locales par les acteurs sociaux en vue de faire
face à leur situation ou réaliser leurs aspirations.

Notre posture épistémologique combinant ces trois niveaux (démarche critique, accent sur
l’économie populaire et les innovations sociales), partage la position de certains chercheurs d’Afrique
et d’Amérique Latine qui partent du sens implicite des initiatives économiques populaires pour
interroger le mode de production scientifique (Ndione, 1992 et 1994; Larraechea et Nyssens, 1996).
Capitalisant leurs expériences de développement à la base, ces chercheurs, tentent de promouvoir un
191

modèle épistémologique basé sur une interaction entre production du savoir, pratiques économiques
des acteurs sociaux et projet de développement. Dans un tel modèle, l’entrepreneuriat communautaire
apparaît non seulement comme partie prenante d’une autre économie et d’un autre modèle de
développement, mais également, il participe à la démocratisation de la production du savoir qui cesse
ainsi d’être l’exclusivité des chercheurs, techniciens ou ingénieurs. Par contre, une telle visée ne
signifie pas de se laisser tomber dans le populisme consistant à valoriser le savoir populaire sans
analyser sa portée et ses caractéristiques.

3.2.2. Stratégie de recherche et cadre opératoire

Notre recherche s’intègre dans le cadre des monographies qui semblent être particulièrement
adaptées aux phénomènes peu étudiés. En effet, la monographie apparaît particulièrement adaptée
lorsque le chercheur veut mettre en évidence des phénomènes en émergence ou en situation de
transition en vue de déterminer leurs caractéristiques de base ou élaborer une vision systémique
(Mucchielli, 1991 et 1996; Gauthier, 1992; Comeau, 2003). Il s’agira plus spécifiquement dans le
cadre de cette recherche de réaliser quatre monographies organisationnelles représentant quatre types
d’entrepreneuriat communautaire choisis parmi les plus significatifs en milieu urbain sénégalais en
vue de les analyser tant du point de vue spécifique qu’à titre comparatif. Nous avons limité le nombre
de cas étudié à quatre dans la mesure où, moins que la régularité, la mesure du phénomène ou encore
la confirmation ou l’illustration d’une théorie, ce qui nous intéressait, c’était surtout de réaliser des
études en profondeur de quelques organisations reflétant les tendances lourdes mais également la
diversité de l’entrepreneuriat communautaire. Ce choix répond donc au souci d’assurer la
représentativité qualitative et la portée heuristique des études de cas plutôt qu’une représentativité
statistique. C’est cela qui justifie la sélection de quatre différents types d’entrepreneuriat
communautaire disposant d’expériences suffisamment significatives en rapport avec nos objectifs de
recherche.

Notre stratégie de recherche s’intègre dans le cadre des études de cas multiples imbriquant
divers niveaux d’analyse (Denis et all, 1990; Yin, 2003). Il s’agit d’abord d’une stratégie de recherche
portant sur plusieurs cas, permettant ainsi de nuancer les limites de l’étude de cas unique tout en
garantissant un certain degré de généralisation des processus identifiés. A un autre niveau, en
imbriquant divers niveaux d’analyse, cette méthode garantit une vision plus systémique de la réalité
étudiée en mettant en lien, diverses logiques d’action, divers déterminants ainsi que diverses
dimensions d’analyse du phénomène. Dans ce cadre, la validité interne et externe ainsi que la
192

puissance explicative apparaissent plus intéressantes sans toutefois assurer une répartition statistique.
Pour mettre en œuvre cette stratégie d’études de cas multiples avec divers niveaux d’analyse
imbriqués, nous avons procédé par un échantillonnage à trois niveaux. Il s’agissait d’abord de
procéder à un échantillonnage par types d’organisation, ensuite, la sélection d’une organisation dans
la catégorie retenue et enfin, un échantillonnage des types d’acteurs à enquêter à l’intérieur de
chacune des quatre organisations sélectionnées.

L’échantillonnage par types d’organisation s’est avéré plus difficile que prévu du fait de la
multiplicité des types d’organisations économiques communautaires dans la ville de Saint-Louis.
C’est pourquoi, la sélection des cas étudiés s’est faite à la suite d’entretiens exploratoires avec des
informateurs clefs, à savoir : des responsables d’organismes d’appui (ADC, ARD, PELCP/ PNUD,
ONUDI, ONG Enda Rup, Partenariat Lille/ Saint-Louis), des responsables des services techniques
municipaux et ceux décentralisés (pêche, chambre des métiers, développement communautaire), des
leaders de fédérations d’associations et des personnes ressources (consultants locaux, chercheurs).
C’est ainsi que neuf types d’entrepreneuriat communautaire parmi les plus significatifs dans la ville
de Saint-Louis ont été identifiés. Il s’agit des :
1. Mutuelles d’épargne et de crédit (MEC) ou caisse d’épargne et de crédit qui se déploient dans
la micro finance;

2. Organisations socio-professionnelles (OSP) composées d’acteurs économiques mobilisés


autour d’activités productives;

3. GIE prestataires de services publics locaux en rapport avec des collectivités locales;

4. GIE prestataires de services sociaux de base dans le cadre de programmes de développement;

5. Groupements de Promotion Féminine orientés autour de l’entrepreneuriat féminin;

6. GIE de jeunes financés dans le cadre de programmes gouvernementaux pour la promotion de


l’emploi;

7. Coopératives d’habitat;

8. Associations de développement communautaire en mouvance entrepreneuriale;

9. Mutuelles de santé qui interviennent dans la prise en charge des frais de santé de leurs
sociétaires.
193

C’est à partir de ce tableau qu’un choix raisonné a été appliqué sur quatre types d’organisations
en utilisant comme principes, la pertinence heuristique en rapport à nos objectifs de recherche ainsi
que la diversité des unités d’observations. De tels principes ont été déclinés en critères de sélection: la
position socio-territoriale dans la ville, la composition de la base sociale, les domaines d’intervention
et enfin, les relations aux autres acteurs stratégiques, particulièrement les collectivités locales et les
partenaires au développement. Le critère de faisabilité est apparu plus tard avec des réticences
constatées au niveau de certaines MEC. C’est ainsi que sont ressortis comme types d’entrepreneuriat
communautaire les plus significatifs et susceptibles d’être étudiés dans le cadre de cette recherche:
une mutuelle d’épargne et de crédit, un groupement d’intérêt économique de femmes, un groupement
d’intérêt économique de co-production de services publics locaux (ordures ménagères) et enfin, une
association de développement de quartier en mouvance entrepreneuriale.

A partir des informations recueillies auprès de nos informateurs clefs, un échantillonnage au


second degré a été opéré pour sélectionner les quatre organisations à étudier en utilisant quatre
critères: la durée de l’organisation, la consistance et l’ancrage socio-territorial des réalisations, la
diversité des domaines d’intervention et de la base sociale, et enfin, le rapport à la Commune et aux
partenaires au développement.

C’est ainsi que la Caisse d’Épargne et de Crédit des Artisans de Saint-Louis (CECAS), le GIE
de femmes transformatrices de poissons dénommé GIE Bokh Khol Djambarou Sine de Guet Ndar66,
le GIE de Collecte, d’Évacuation et de Traitement des Ordures Ménagères (GIE CETOM) du quartier
de Léona et enfin, l’Association pour le Développement de Diamaguéne (ADD) apparurent comme
étant les types d’entrepreneuriat présentant une expérience significative par rapport à nos objectifs de
recherche.

Tableau 3.1: Présentation des types d’entrepreneuriat communautaire étudiés


Nom Année Réali Domaines Base Relation Parte Ancrage
création sation d’intervention sociale Commun naires territorial
e
CECAS 1993 3 Micro finance Artisans 1 3 3
Promotion de l’artisanat Mixte
GIE 1965 2 Entrepreneuriat féminin Femmes 2 2 3
Djambarou Transformation de transfor
Sine produits halieutiques matrices
GIE 2000 3 Co-production de Jeunes 3 1 3
CETOM services publics locaux, hommes
Léona Insertion socio-

66
Ce GIE peut être assimilé à une coopérative de travailleuses ou à une organisation socio- professionnelle.
194

économique
ADD 1994 2 Garderie Mixte, 2 2 3
communautaire, salon majorité
de formation pour de
femmes, insertion des femmes
membres
NB : la cotation de 1 à 3 varie selon le degré d’importance.

Le troisième niveau d’échantillonnage concernait le choix des catégories d’enquêtés. Il faut


d’abord signaler que les analyses portées sur des organisations à base communautaire courent
toujours le risque de se limiter au discours souvent standardisé et pré requis des leaders. Pour nous,
une organisation est d’abord un système d’interactions composé à la fois de divers types d’individus
membres et de divers sous groupes mais qui se mobilisent autour de compromis conférant un sens à
l’organisation. S’y ajoute, certaines caractéristiques de l’entrepreneuriat communautaire en termes de
recherche de profit ou de distribution de ressources aux sociétaires même si c’est de manière limitée,
accentuent le jeu d’intérêt ainsi que les sources de tensions. D’ailleurs, dans la construction théorique
de l’entrepreneuriat communautaire, nous avons veillé à spécifier les individus parties prenantes
comme troisième dimension après la base socio-communautaire et la logique entrepreneuriale (cf.
dimension organisationnelle). C’est cette prise en compte des diverses catégories d’acteurs au sein
des organisations qui nous a amené à différencier dans nos enquêtes, les leaders qui se trouvent être
habituellement les administrateurs, les sociétaires-usagers, les professionnels et les bénéficiaires ou
cibles comme étant des catégories de personnes à enquêtées. Mais, l’enquête ne s’est pas seulement
limitée aux acteurs internes de l’organisation.

Des institutions, des organismes et des personnes-ressources parties prenantes de l’activité des
organisations étudiées ont été également interrogés. En fonction du cas étudié, il s’agissait de
responsables de la Commune et du Conseil Régional ainsi que de leurs services d’appui technique,
des fonds publics de soutien, des services publics déconcentrés, des partenaires au développement ou
des organismes d’appui implantés dans la ville (ONG, organismes de coopération internationale), du
secteur privé associé, de personnes ressources ayant une expérience ou une expertise pertinente67 par
rapport à l’organisation ou au domaine de recherche et enfin, de responsables d’organisations
similaires ou concurrentes. De tels entretiens ont alimenté ou complété utilement certaines
informations collectées au sein des quatre types d’entrepreneuriat communautaire étudiés, notamment
en fournissant de précieuses informations concernant les éléments de contexte ainsi que les
perspectives relatives au secteur d’activité des organisations étudiées, mais également en offrant des
appréciations extérieures concernant la présence territoriale de ces dernières. C’est ainsi que les liens

67
Il s’agissait de chercheurs ou de consultants des cabinets d’étude ou de formation.
195

entre ces initiatives micro et les contextes sectoriels de chaque domaine ou encore avec des
dynamiques institutionnelles à l’échelle nationale ont pu être faits à ce niveau. Par ailleurs, il faut
noter que parmi ces acteurs externes aux organisations, la Commune de Saint-Louis a fait l’objet
d’une attention particulière du fait du rapport de notre objet de recherche à la politique de
développement local impulsée par cette collectivité locale. Il s’agissait ici d’analyser le rapport de ce
processus de développement local aux types d’entrepreneuriat étudiés ainsi que le dispositif technique
de promotion d’un tel processus, à savoir l’Agence de Développement Communal de Saint-Louis
(ADC). Cette analyse concerne les dimensions relatives à son positionnement institutionnel, la portée
de ses programmes et outils de promotion du développement local et enfin, son rapport à
l’entrepreneuriat communautaire. Il faut signaler que cette stratégie à trois niveaux d’échantillonnage
permettant de sélectionner le type d’entrepreneuriat communautaire, l’organisation et enfin, les
catégories d’acteurs à enquêter, s’est précisée davantage sur le terrain. Certes, les niveaux de
recherche étaient déjà différenciés dans le cadre du projet de thèse, mais leur articulation s’est
consolidée sur le terrain d’enquête.

Cette stratégie de sélection des échantillons est corrélée au cadre d’analyse. Partant du postulat
que la vision extensive de l’économie prônée par l’entrepreneuriat communautaire informe également
l’évaluation de ses dimensions et indicateurs d’analyse, notre cadre d’analyse s’est évertué à mettre
en pratique les éléments structurants de l’écosocialité. Ainsi, inspiré par les résultats de recherche de
ENDA GRAF concernant l’économie populaire urbaine (Ndione, 1992 et 1994), par la grille de
collecte et de catégorisation des données pour l’étude d’activités de l’économie sociale élaborée par
Comeau (2003) et enfin, du pilote sur le développement d’indicateurs sociaux et économiques,
élaboré par le CSMO-ESAC (2002), notre cadre de collecte et d’analyse des données s’est structuré
autour de quatre dimensions pour chacune des organisations étudiées, à savoir: le contexte
d’émergence et d’évolution, la gouvernance organisationnelle, la performance socio-économique et
enfin, le rapport au développement local. Chacune des quatre dimensions répond à une préoccupation
spécifique.

Le contexte d’émergence et d’évolution permet de retracer le processus et les modalités à


travers lesquels un groupe social marginalisé ou vulnérable arrive à se structurer en un groupe socio-
économique positionné dans le système de production/ distribution de biens et services. Cette
dimension questionne la situation initiale, le groupe promoteur, le processus de constitution et
d’évolution, les appuis et contraintes au démarrage. La gouvernance organisationnelle questionne la
196

nature et les modalités d’arrimage entre base socio-communautaire et logique entrepreneuriale.


Autrement dit, comment l’entrepreneuriat communautaire arrive-t-il à assurer la cohérence de son
dispositif organisationnel hybride tout en gérant en même temps, les tensions liées aux conflits de
rationalités d’ordre communicationnel, normatif et instrumental se déroulant en son sein? Cette
dimension présente le cadre juridique de l’organisation, son mode d’organisation et de
fonctionnement, le processus décisionnel, la gestion administrative, le membership et enfin, la vision
stratégique. La troisième dimension d’analyse portant sur la performance socio-économique interroge
la nature et la portée des réalisations de l’entrepreneuriat communautaire en lien avec ses objectifs
ainsi qu’à son orientation de démocratisation de l’accès aux biens et services au profit de ses
membres, des cibles vulnérables ou de la communauté territoriale. En outre, la performance
questionne les innovations liées aux modalités de production/ distribution de biens et services mais
également, si la visée de rentabilité écosociale de l’organisation ne remet pas en cause sa viabilité
socio-économique. Enfin, le rapport au développement local cherche à analyser si la contribution de
l’entrepreneuriat communautaire à la revitalisation socio-territoriale renforce sa position socio-
politique dans l’espace public local. Cette dimension met en évidence l’analyse de son incidence sur
son territoire d’implantation, à savoir sa contribution à la revitalisation du secteur ou du territoire, à la
constitution de réseaux d’organisations locales et enfin, la nature de ses relations avec les collectivités
locales et les partenaires au développement en vue de mesurer son poids socio-politique.
L’articulation de l’analyse de ces quatre dimensions permettra en conclusion de systématiser le
potentiel innovateur et alternatif de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité.
197

Tableau 3.2: Grille de collecte et d’analyse de données de l’entrepreneuriat communautaire

Dimensions Composantes Indicateurs


I-Contexte d’émergence 1. situation de l’activité, du milieu et des acteurs Caractéristiques et position du secteur, du territoire et des cibles visés
et d’évolution visés
2. projet initial objectifs de départ d’ordre économique, social, corporatif, politique,
3. groupe promoteur Caractéristiques socio-économiques, trajectoires personnelles des leaders, vision et
intérêts particuliers
4. processus de constitution et d’évolution Timing, les étapes du processus constitutif et d’évolution, état actuel
5. appuis et contraintes au démarrage Nature des appuis, impact sur la dynamique originelle, mode de gestion des défis
II- Gouvernance 1. cadre juridique Statut juridique, documents réglementaires, rapport aux pratiques des acteurs, au
organisationnelle type d’activités, à la lucrativité et au partage des bénéfices, domaines d’intervention,
objectifs
2. mode d’organisation et de fonctionnement Types d’organes, position, équilibre et inter relation entre organes, nature et portée de
l’articulation association et entreprise, fonctionnalité des organes, périodicité et
modalités renouvellement des instances, innovations du modèle organisationnel
3. processus décisionnel Composition et nature leadership, mécanismes et modalités de prise de décisions,
modalités circulation de l’information et de consultation des membres, modalités de
prévention et de gestion des conflits, modalités de contrôle social des leaders,
démocratie interne
4. gestion administrative et du personnel Evaluation de la tenue du fichier central : documents administratifs et financiers et
rapports d’activités, modalités de gestion comptable et financière, degré de
professionnalisation du mode de gestion, nombre et type d’employés, caractéristiques
des employés, compétences professionnelles, rapport des employés aux
administrateurs, modalités de sélection et système d’évaluation du personnel, actions
de renforcement des capacités du personnel, conflits de travail
5. membership composition et caractéristiques socio-économiques des membres, évolution de
l’effectif ; relations entre catégories d’acteurs : nature des relations entre leaders,
militants, usagers et professionnels, rapport des acteurs à l’organisation : modalités
adhésion, nature des attentes des membres, degré d’identification et d’appartenance
par catégorie d’acteurs, sacrifices consentis, place organisation dans activités et
trajectoires personnelles, modalités du bénévolat, degré de conscience sociale de
groupe; effritement/, recomposition/ densification/ diversification membership
6. Vision stratégique Plan et stratégies de développement de l’organisation ou de l’activité, vision
prospective, projets, modalités de programmation des activités, stratégies de
pénétration des marchés
198

III- Performance socio- 1. Évolution socio-économique Trois derniers bilans financiers, niveau d’auto financement, hybridation de
économique ressources, avoir financier, architecture budgétaire, mode d’utilisation des ressources
et surplus, efficacité dans le mode de mobilisation des ressources et efficience du
système de gestion financière, évaluation du patrimoine,

2. Nature et portée des réalisations Bilan des réalisations : nature et importance des biens et services offerts, portée et
rapport des réalisations avec projet initial, cibles et territoires visés, impact sur
l’emploi, niveau de développement de l’organisation, valeur ajoutée des modalités de
production et de distribution, part de marché, nombre de bénéficiaires, degré de
satisfaction clientèle, impact sur la situation socio-économique des sociétaires,
modalités de production et de distribution de biens et services, articulation viabilité
économique et rentabilité sociale, modalités d’arrimage intérêt corporatif et intérêt
collectif
IV- Rapport au 1. Ancrage socio-territorial : impact sur la Impact socio-territorial de l’organisation et des activités, impact sur le développement
développement local revitalisation socio- territoriale et l’image sociale du secteur et de ses acteurs, capacité de réponse à la demande
locale, facteurs innovateurs du milieu; impacts systémiques sur le territoire, nombre
d’entreprises créées ou maintenues, nombre d’emplois créés ou consolidés, nombre
de cibles touchées, ressources locales valorisées, remobilisation territoriale des
acteurs
2. Réseautage local Rapport aux autres organisations du secteur, participation aux cadres de concertation
locale, rapport aux autres types d’entrepreneuriat communautaire, poids socio-
politique du réseau sur le territoire
3. Dynamique partenariale Nature et intensité des rapports avec la Commune, implication dans le processus de
développement local, ampleur du réseau partenarial, nature et intensité des relations
avec les partenaires, positionnement par rapport aux stratégies de développement et
au mode de gestion publique de la Commune, présence dans des cadres de
délibération locale, rapport à l’espace public local
199

3.2.3. Techniques et outils d’enquête

Notre posture épistémologique, le choix de la perspective monographique ainsi que les


dimensions de la grille d’analyse installent notre recherche dans une méthodologie à dominante
qualitative, mais qui s’appuie également sur des outils quantitatifs. En effet, l’entretien semi-
structuré a constitué le principal outil d’enquête à côté du journal de bord, du questionnaire, du
groupe focus, des fiches signalétiques spécifiques, de l’observation participante, de la
conversation informelle et enfin, de l’exploitation de documents. De manière plus spécifique, les
outils utilisés concernaient (cf annexes):

1. Guide d’entretien semi structuré leaders et membres;


2. Fiche d’identification du leadership;
3. Fiche d’informations spécifiques par organisation;
4. Questionnaire équipe de gestion et leaders/administrateurs des organisations;
5. Questionnaire membre;
6. Guide des groupes focus;
7. Des fiches spécifiques pour certaines organisations comme la fiche situation
socio-économique des femmes transformatrices du GIE Djambarou Sine;
8. Entretiens semi structurés avec des responsables d’organismes d’appui, des
leaders d’organisations similaires ou concurrentes;
9. Journal de bord;
10. Observation directe lors d’activités ou de réunions, conversations informelles
avec des responsables et des membres des organisations étudiées,
11. Fiche de lecture : documents divers, les rapports d’activités, études réalisées
sur l’organisation, articles de presse...

Cette diversité d’outils a garanti une triangulation des sources d’information et des
informateurs (Poupart et alii, 1997) aboutissant ainsi à l’interrogation de 102 personnes issues des
quatre types d’entrepreneuriat ainsi que d’institutions, d’organismes, d’organisations et de
personnes-ressources parties prenantes. Au niveau des organisations économiques
communautaires étudiées, le nombre d’enquêtés varie en fonction du cas et du degré de saturation
de l’information comme le montre le tableau suivant.
200

Tableau 3.3: Répartition des personnes interrogées durant la phase de collecte de données
Dénomination Nbre de leaders Nbre de membres/ Nbre personnes Total
ou bénéficiaires ressources enquêtés
ADD 13 5 3 21
CECAS 12 7 6 25
CETOM 5 7 8 20
Djambarou Sine 8 11 5 24
Institutions et - - 12 12
partenaires
Total 38 30 34 102

L’orientation qualitative de notre recherche répond à notre visée compréhensive


concernant la description des caractéristiques d’un phénomène encore peu étudié ainsi que la
saisie des logiques d’action des acteurs qui s’y déploient (Mace et Pétry, 1992; Combessie, 2001).
Cette dominante qualitative semble être plus en mesure de nous permettre d’atteindre notre
objectif méthodologique: adopter une démarche souple pouvant s’ajuster à la diversité des cas
étudiés et pouvant faciliter l’utilisation intégrée de plusieurs techniques de recherche, tout en
favorisant une appréhension systémique de la réalité étudiée. A ce titre, la recherche qualitative
garantit un certain nombre d’atouts comme: une appréhension holistique et socio-anthropologique
des phénomènes, une ouverture à la découverte de l’inédit, une description en profondeur des
objets, une attention particulière aux significations que les acteurs donnent à leurs actions tout en
veillant à interroger la portée de celles-ci par rapport aux déterminants de l’environnement, la
saisie de la pluralité des intentionnalités et des justifications des acteurs. En outre, il faut noter
que la recherche à dominante qualitative semble plus adaptée pour les recherches axées sur le
territoire local ou sur des phénomènes émergents ou en mutation (Deslauriers, 1991; Gauthier,
1992; Groulx, 1997; Pires et all, 1997; Grawitz, 2001; Miles et Humerman, 2003). Toutefois, la
démarche qualitative ne peut arriver à des résultats probants que lorsque le chercheur arrive à
maîtriser ses biais en termes notamment de faible généralisation des résultats, de risque à tomber
dans la description du banal, du particulier ou en termes de confusion entre recherche scientifique
et discours militant. Il s’agissait pour nous d’être conscient de tels défis et de tenter de les gérer
dans la pratique, comme le démontre l’histoire de la collecte.

3.2.4. Histoire de la collecte

Après la présentation de notre projet de thèse en Mai 2003, nous avons procédé à
l’élaboration d’une version préliminaire d’un plan d’enquête comprenant notamment les outils de
201

collecte de données avant d’aller à Saint-Louis pour la phase terrain de cette recherche. Ce temps
de préparation des outils et du processus de collecte des données a été déterminant parce que nous
ayant permis une fois sur le terrain de ne pas nous laisser engloutir par la foule de données, certes
intéressantes, mais pas toujours pertinentes par rapport à nos objectifs de recherche. Deux temps
d’enquête ont été nécessaires pour arriver à recueillir toutes nos données. La premiére vague
d’enquête a duré quatre mois, de mai à septembre 2003. C’est là où l’essentiel des enquêtes a été
réalisé. Nous avons profité d’un second séjour de deux mois (de juillet à septembre 2004) pour
compléter certaines informations, en valider d’autres mais également, pour apprécier les
changements intervenus au niveau des organisations étudiées. Il faut également signaler que nos
expériences concernant la ville de Saint-Louis, le milieu communautaire et celui du
développement local nous ont été d’un grand apport lors de cette phase de collecte de données.
Elle a constitué un atout certain à la faisabilité d’une telle étude dans le délai imparti, notamment
en facilitant notre immersion dans le milieu tout en favorisant une relation de confiance, réduisant
fortement la zone d’incertitude avec les enquêtés, toutes choses par ailleurs qui nous a facilité
l’accès aux documents ainsi que la collaboration des organisations étudiées. A ce titre, même si
cette proximité sociale comprenait certains risques, nous amenant ainsi à être vigilant dans la
différenciation entre sujet égocentrique et sujet épistémique, elle a fourni un capital relationnel
qui a permis de réduire sensiblement le temps d’immersion nécessaire à la réalisation de cette
recherche.

Sur le terrain d’enquête, après avoir procédé aux trois niveaux d’échantillonnage dans le
but de sélectionner les quatre types d’entrepreneuriat communautaire à étudier, nous avons
procédé à une pré enquête exploratoire pour tester la pertinence des outils d’enquête à répondre
aux objectifs de notre recherche, mais aussi déterminer un certain nombre de variables comme les
différentes catégories d’acteurs à interroger. Nous avons choisi de faire ces tests sur le GIE
CETOM de Léona et la MEC Suxxali Jiggénu Ndar. En effet, il s’agissait de démarrer par ces
petites unités d’observation où nous disposions de relations avec certains de leurs membres pour
pouvoir faire les ajustements nécessaires. Puis, après deux semaines de pré-test et de correction,
nous avons commencé à administrer nos outils aux quatre études de cas.

D’abord, des contacts ont été pris avec les leaders de chaque organisation. L’objectif était
d’exposer les objectifs de notre recherche, les enjeux qui seront soulevés, mais également l’apport
que cela pourrait représenter pour l’organisation. Ensuite, des garanties concernant la
202

confidentialité des informations recueillies ont été données, de même, une proposition de pacte de
collaboration a été faite aux responsables des organisations étudiées. Le pacte consistait à
s’inscrire dans une dynamique de diagnostic participatif proche d’une recherche-action où
l’enquêté participe à la production du savoir non pas seulement comme objet de recherche, mais
comme une des sources d’information et de validation du savoir produit68. Dans ce cadre, la
relation objet/ sujet est réciproque et non plus à sens unique, l’enquête étant transformée en
processus d’auto-analyse des pratiques organisationnelles ouvrant des perspectives concrètes pour
l’organisation étudiée (Ndione, 1994; Barbier, 1996; Liu, 1997). La négociation du pacte avec les
leaders de ces organisations a porté sur l’accès à toutes informations utiles ainsi qu’une restitution
des premiers résultats d’enquête avant la fin de l’étude. Cet accord de principe dans la
collaboration à la réalisation de cette recherche fut par la suite communiqué aux membres de
l’organisation avant le démarrage de l’étude. Nous avons constaté que c’est lorsque les
responsables d’organisations enquêtées ont compris le parti qu’ils pouvaient prendre de notre
recherche, que leur collaboration a été plus active, confirmant qu’un climat de confiance en
conduite d’entretien semble être plus fécond qu’une position artificielle de neutralité. Il faut
signaler que trois des quatre organisations enquêtées, à savoir l’ADD, le GIE CETOM et le GIE
Djambarou Sine ont dés le début démontré leur volonté de questionner leurs pratiques
organisationnelles en vue d’apporter les correctifs nécessaires, la CECAS, tout au moins certains
membres de son conseil d’administration, n’ayant démontré sa disponibilité que plus tard.

Lorsque ce pacte a été socialisé, nous commencions par l’exploitation des documents de
l’organisation, la participation à des réunions et à des activités, l’administration des
questionnaires, l’identification du leadership et du membership ainsi que l’entretien avec des
personnes ressources extérieures, notamment les partenaires au développement. Ce n’est qu’après
avoir rassemblé suffisamment d’informations que nous avons procédé aux entretiens semi
structurés, en direction des responsables, des membres, des employés et des bénéficiaires. Par la
suite, un groupe focus de présentation des résultats provisoires a été organisé sous forme
d’atouts/défis de l’expérience entrepreneuriale de l’organisation (sauf pour la CECAS) à partir de
nos notes de terrain consignées sur un journal de bord. Cet exercice s’est révélé particulièrement

68
Mais comme le souligne Huther (2001), l’attitude d’approbation ou de désapprobation de la population enquêtée
n’est pas le gage de la validité scientifique des propositions émises.
203

incitatif pour nos enquêtés et particulièrement heuristique pour notre recherche. En effet, les
groupes focus nous ont permis de valider certaines informations, de croiser les points de vue des
différentes catégories d’enquêtés à l’intérieur de chaque organisation et également d’avoir une
réaction à chaud des enquêtés par rapport à nos constats préliminaires.69

La plupart des phases de collecte des données ont été marquées par une démarche
circulaire, c’est-à-dire à la fois intégrée et flexible permettant un effet de rétro action entre les
divers actes de recherche. Ainsi, le plan de recherche évoluait à chaque semaine d’autant plus que
la disponibilité des enquêtés n’était jamais garantie. Les entretiens ont eu lieu sur le terrain de
travail des enquêtés, ce qui posait dés fois des problèmes de temps liés à leur disponibilité. C’est
le cas notamment des femmes transformatrices de poissons qui passent leur journée entre l’aire de
transformation et la plage de Guet Ndar. Plus d’une fois, nous avions été amenés à interrompre
nos enquêtes lorsque des pirogues débarquaient. En outre, des outils sous forme de fiche
signalétique ont été élaborés sur le terrain lorsque le questionnaire ne permettait pas de saisir la
gestion financière des organisations étudiées. Il reste qu’en milieu populaire, la recherche bute
toujours sur le caractère opaque et imbriqué en nœud, des données financières avec notamment la
non différenciation des rubriques budgétaires. C’est pour cela d’ailleurs que l’utilisation de divers
instruments à des fins de triangulation des sources d’information a été adoptée (Grawitz, 2001).
En cela, nous pensons que la recherche africaine n’a pas encore produit des outils pour mieux
saisir la spécificité des modes d’organisation et de fonctionnement des sociétés africaines. Le
problème ne se réduit pas seulement au fait qu’une bonne partie des chercheurs soit formée dans
un autre cadre de référence, mais cela interroge aussi le degré d’articulation entre les outils de
recherche et le cadre référentiel populaire.

Par ailleurs, notre expérience de terrain nous renseigne qu’en milieu populaire, les premiers
entretiens ne sont jamais suffisamment étoffés pour fournir le maximum d’informations (souvent
des réponses évasives ou peu claires), les enquêtés ne révélant le fond de leurs pensées que vers la
fin de l’entretien. D’où l’utilisation de questions tremplins, de reformulations ou encore de
questions relances pour les amener à mieux systématiser leurs opinions d’une part, et d’autre part,
l’organisation d’autres séances d’entretien qui, la plupart du temps, se sont révélées riches en
informations. Ainsi, certains informateurs clés ont été interrogés plus d’une fois en veillant
notamment à décaler les temps de passage pour ne pas les saturer. Enfin, l’interview de leaders

69
Il faut à ce titre signaler que lors de ces groupes focus, les organisations enquêtées ont décidé de
s’approprier certaines conclusions. Par exemple, Djambarou Sine est en train de travailler sur un projet
d’unité de transformation, l’ADD envisage d’élaborer un guide de procédures.
204

appartenant à des structures rivales ou similaires à l’organisation étudiée, a permis d’avoir des
points de vue extérieurs souvent différents des acteurs internes ainsi qu’une idée sur l’image
sociale de l’organisation et la qualité de ses relations au sein du tissu communautaire local.
Malgré la portée d’une telle démarche, certaines difficultés ont retardé l’avancement de notre
collecte de données par rapport à notre plan de travail.

Des quatre organisations étudiées, la CECAS a été celle dont l’étude a comporté le plus de
difficultés. En effet, si pour le GIE CETOM de Léona, l’ADD et le GIE Djambarou Sine, la
collaboration était acquise dés le début du processus, par contre les responsables de cette mutuelle
n’ont pas montré beaucoup d’empressement à voir leur structure faire l’objet de recherche. Il
reste qu’étant la MEC qui a reçu la plus grosse ligne de crédit dans la ville et même dans la région
de Saint-Louis (plus de 200 millions de Fcfa du FPE), la CECAS commençait à être saturée par
les nombreuses études menées sur son expérience par des partenaires de la micro finance, des
collectivités locales (Conseil Régional notamment) ainsi que par les étudiants de l’Université
Gaston Berger de Saint-Louis. Toutefois, il faut remarquer que la rétention d’information résidait
surtout au niveau du conseil d’administration (CA) de cette mutuelle. Par exemple, les documents
de la mutuelle ne nous ont été fournis que plus tard et au compte goutte après moult négociations.
La stratégie adoptée consistait à utiliser la tension sociale entre certains leaders de la mutuelle en
démarrant nos enquêtes avec ceux qui étaient plus favorables à notre étude. Ainsi, tous les
présidents d’organes sauf celui du CA furent rencontrés ainsi que certains membres fondateurs et
des membres de base de la mutuelle durant le premier mois de collecte de données. D’ailleurs, les
premiers documents de la mutuelle sur lesquels nous avons travaillé nous ont été fournis par ces
acteurs. Marginalisés et mis devant le fait accompli, les responsables du CA finiront par nous
convoquer et nous témoigner de leur bonne disposition. Nous en avons profité pour leur garantir
la confidentialité de nos travaux ainsi que notre volonté de les tenir informer des résultats de notre
recherche. Finalement, nous avons pu accéder à des informations au sein de la mutuelle que
même des membres d’organes ne disposaient pas.

Par ailleurs, il reste que la distance manifestée par certains leaders de la CECAS traduit
également une réaction face à l’absence de restitution des résultats de la recherche aux personnes
ou organisations enquêtées, posant ainsi le problème de l’utilisation des produits de la recherche
signalé plus haut. Il semble admis que plus les initiatives populaires seront étudiées, plus les
acteurs locaux exigeront d’avoir un retour sur l’analyse qui est faite de leurs pratiques. C’est à la
fois un problème d’utilité de la recherche, mais aussi un problème de lien entre objet et sujet,
l’objet ne voulant plus rester seulement au stade de terrain d’expérimentations, revendiquant ainsi
205

son droit de connaître comment les chercheurs l’apprécient et ainsi pouvoir procéder lui-même
aux ajustements nécessaires à son expansion. Cette demande des enquêtés pose aussi le problème
de la validation sociale des résultats de la recherche scientifique ainsi que de son appropriation
par les populations dans une perspective de changement social. C’est pourquoi, les restitutions
provisoires de nos premiers constats de recherche ont été particuliéremt bien accueillies par les
organisations étudiées qui ont continué d’ailleurs à nous informer régulièrement de nouveaux
développements survenus, malgré la distance, à travers l’internet.

Il faut par ailleurs relever les difficultés à accéder aux données financières des
organisations économiques populaires. Ce blocage n’est pas seulement lié à un refus de
collaboration, il y a aussi l’informalité qui entoure le suivi financier de ces organisations, les
imbrications de dépenses appartenant à des nomenclatures budgétaires différentes, le souci de
garder secret des informations sensibles ou appartenant à des particuliers, la pratique de
l’estimation financière en lieu et place de données exactes… En outre, dans certains milieux
enquêtés, nous avons l’impression que parler d’argent est gênant et que demander un bilan
financier, c’est manifester un manque de confiance aux dirigeants. En tout état de cause,
l’absence d’une tenue régulière des états financiers et du fichier central (rapports d’activités, bilan
d’opérations) a constitué une contrainte majeure qui a rendu difficile l’analyse de la performance
de la plupart des organisations étudiées (à part le GIE CETOM qui avait des transactions
financières limitées). Ainsi, certaines informations financières sur la base desquelles nous avons
établi notre analyse de la performance, ont été collectées à la suite d’une triangulation de sources
d’information diverses.

Une autre contrainte de nos enquêtes se situe dans la tendance notée à l’esquive,
notamment au niveau des membres de base. Notre volonté de ne pas limiter nos enquêtes aux
seuls dirigeants de l’organisation, s’est plus d’une fois heurtée aux réponses évasives et générales
notamment des femmes transformatrices prétextant qu’«une organisation ne peut avoir qu’une
seule tête, une seule et c’est celle de la présidente». Mais cette volonté d’homogénéiser les
discours pour ne pas nuire à l’image de la présidente cache mal des interrogations sur le lien entre
membres/ dirigeants ainsi que la nature du membership (cf membership des diverses études de
cas). Pour dépasser pareille contrainte, nous avons fait intervenir directement la présidente qui a
pour ainsi dire libérer ses membres à parler sans crainte, parce que disait-elle, cette enquête va
servir le groupement et que «le chercheur est un ami qui ne peut que nous faire du bien». En
206

outre, nous avons misé sur notre réseau relationnel dans le quartier en vue d’amener les femmes
transformatrices à coopérer davantage. Mais, il reste que les membres n’avaient pas toujours
suffisamment d’informations sur le GIE: leur connaissance se limitait aux services offerts et
rarement sur la vie organisationnelle ou sur les relations avec les partenaires…Nous considérons
que cette contrainte méthodologique avait aussi une portée heuristique rendant compte du degré
de circulation de l’information mais également, du rapport des membres à l’organisation.

Mais le problème reste entier, notamment lorsque par souci de représentativité et


d’objectivité, le chercheur établit des fiches d’enquête leaders et des fiches membres.
L’information pertinente, ce sont les leaders qui la détiennent souvent. En outre, les informations
de base ne sont pas toujours disponibles ou demeurent peu fiables pour permettre une enquête
ciblée. Ainsi, notre volonté d’enquêter le membership de la CECAS en fonction du nombre
d’années d’adhésion des membres, du nombre de prêts reçus par le membre ou en fonction de
leur catégorie socio-économique et de leur type de métiers n’a pu se faire parce que l’organisation
ne disposait pas de base de données en ce sens. Toutefois, le fait de poser de telles questions,
outre le fait qu’il révèle des contraintes organisationnelles réelles, a constitué un facteur de prise
de conscience au niveau des dirigeants, notamment la nécessité de disposer d’une base de
données fiables pour suivre l’impact du système de crédit. Ainsi, au moment où nous quittions
notre terrain, la mutuelle venait de commencer à saisir sur ordinateur l’ensemble des données
nécessaires à sa maîtrise de l’évolution des dossiers et de ses membres.

De tels questionnements exigeant sans cesse un ajustement de la recherche, ont confirmé


notre choix d’être notre propre enquêteur, nous permettant ainsi de ne pas perdre le bénéfice de la
relation directe avec le terrain. S’y ajoute que la technique d’enregistrement utilisée durant les
entretiens, même si elle reste exigeante (bonne préparation préalable, impact sur l’enquêté, sa
mise à l’aise, problèmes techniques, confidentialité), elle s’est révélée performante notamment
dans la saisie intégrale des réponses et dans l’opportunité qu’elle offre de procéder à plusieurs
types d’exploitation de l’interview. Enfin, notons que la langue utilisée durant les entretiens
dépendait de l’enquêté. A part les personnes ressources et les responsables d’institutions et
d’organismes d’appui, la plupart des membres enquêtés (leaders, gestionnaires, membres ou
bénéficiaires) employaient, selon leur niveau d’instruction, la langue nationale du pays, le wolof
ou en le mélangeant au français.
207

Après avoir bien avancé dans les enquêtes des quatre types d’entrepreneuriat
communautaire, nous sommes revenus interroger la Commune (élus et services techniques
municipaux), l’ADC (directeur, chargés de programmes), certains services déconcentrés (Pêche,
Développement communautaire, Chambre des métiers, Inspection d’Académie) ainsi que certains
partenaires au développement (Partenariat avec Saint-Louis et sa région, PELCP, ONUDI, FPE,
ENDA RUP…). Enfin, il faut signaler les enquêtes bibliographiques réalisées sur notre sujet de
recherche au niveau des bibliothèques universitaires (Saint-Louis et Dakar), d’organismes
(CODESRIA, ENDA ECOPOP et RUP, PELCP) et de certaines institutions (ADC et ARD).
C’est une telle démarche qui nous a permis de pouvoir, sur le terrain déjà, procéder à des prises
de notes à la fois méthodologiques et théoriques dans notre cahier de bord. Ainsi, avant même la
transcription et l’exploitation de nos données, l’analyse avait déjà commencé aussi sur le terrain
d’enquête.

3.2.5 Transcription et analyse des données de terrain

Après la collecte des données de terrain, la transcription a suivi, dés notre retour du terrain.
Nous avons procédé à une transcription intégrale de nos divers entretiens enregistrés à l’aide d’un
dictaphone. Cela a exigé beaucoup de temps du fait notamment de la langue utilisée et du nombre
d’entretiens réalisés. Il fallait d’abord traduire du wolof au français avant de transcrire la plupart
des entretiens avec tous les risques que cela comportait sur l’interprétation ou la déformation du
discours des acteurs. C’est pourquoi, nous avons tenu à rester fidèle autant que faire se peut au
type de langage et à certains modes d’expression de nos enquêtés, en cherchant à reproduire
l’esprit et la lettre de leur réponse. En effet, nous considérons que le langage d’un responsable
d’organisme d’appui diffère de celui d’un collecteur d’ordures ménagères ou d’une femme
transformatrice de poissons. En procédant ainsi, nous avons pu gagner aussi tout le bénéfice
d’avoir enregistré nos entretiens sur lesquels nous revenons à chaque fois que nécessaire.

Le mode de transcription intégrale de l’enregistrement effectué par fiche individuelle a été


utilisé. Ainsi, chaque entretien a fait l’objet d’une transcription particulière sous forme de fiche
personnalisée arrangée en fonction des catégories d’acteurs. Une fiche analytique est élaborée en
utilisant comme variables les quatre dimensions de la grille de collecte et d’analyse de données
(contexte d’émergence et d’évolution, gouvernance organisationnelle, performance socio-
économique, rapport au développement local). Ensuite, chaque fiche individuelle a fait l’objet
208

d’un rangement interne et longitudinal en fonction des unités analytiques. A un troisième niveau,
au sein de chaque organisation, les diverses fiches individuelles déjà arrangées ont fait l’objet
d’un regroupement transversal en fonction des unités thématiques (Combessie, 2001). Après
avoir exploité les données de terrain collectées auprès des quatre types d’entrepreneuriat
communautaire, elles ont été par la suite comparées aux autres sources d’information exploitées
en fonction des dimensions d’analyse (entretiens avec institutions, autres organisations et
partenaires au développement, cahier de bord, sources documentaires et fiche signalétique).
Ainsi, l’exploitation et l’analyse des données par unités thématiques et ensuite de manière
transversale nous ont permis d’atteindre les conditions d’une recherche à dominante qualitative à
savoir, la complétude, la saisie de la globalité du fait, la saturation des données ainsi que la
cohérence interne du rapport. L’articulation entre ces divers niveaux d’exploitation de données
nous ayant ainsi permis de saisir l’inférence de nos données et passer de la description à
l’explication (Comeau, 1994). Il faut signaler ici que le mode d’analyse des données s’est raffiné
au fur et à mesure de l’exploitation des données. C’est cela qui explique le fait que le temps mis
pour la première organisation (cas de la CECAS) a pu être capitalisé pour les autres études de cas.
Il faut également noter que les présentations de nos études de cas lors de diverses conférences et
ateliers nous ont été d’un grand apport, nous permettant notamment de bonifier le document en
fonction des échanges. C’est l’ensemble de ces produits qui a abouti à l’élaboration de ces quatre
monographies que nous présentons dans les pages qui suivent.
209

TROISIÉME PARTIE
PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE TERRAIN
210

Introduction

Cette partie présente les résultats de données de terrain collectées auprès de quatre types
d’entrepreneuriat communautaire établis dans la ville de Saint-Louis. L’objet de ces quatre
monographies est d’étudier la portée de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité en
décrivant ses caractéristiques et en analysant ses potentiels innovateur et alternatif. La question
structurante de ces quatre monographies est la suivante : comment dans un contexte de précarité, des
groupes sociaux caractérisés par leur vulnérabilité ou leur marginalité, arrivent à construire des
innovations socio-territoriales dont l’effet contribue à la production/distribution de biens et services
répondant à la demande sociale ou aux aspirations des membres et/ou de la communauté territoriale, à
la démocratisation de l’accès aux biens et services ainsi qu’à la recomposition de l’architecture
institutionnelle locale? La partie méthodologique présentée ci-dessus fournit les informations sur le
processus de collecte et d’analyse des données.

L’étude part d’une expérience de mouvance entrepreneuriale initiée par une organisation
communautaire, à travers le cas de l’Association pour le Développement du quartier de Diamaguène
(ADD) pour ensuite se positionner dans trois cas d’entrepreneuriat communautaire établis. Il s’agit de
la micro finance, à travers la Caisse d’Épargne et de Crédit des Artisans de Saint-Louis (CECAS), de
l’entrepreneuriat féminin à travers le cas d’un groupement d’intérêt économique de femmes
transformatrices de poissons (GIE Djambarou Sine de Guet Ndar) et enfin, de la co-production de
services publics locaux à travers le cas du GIE de collecte, d’évacuation et de traitement des ordures
ménagères (GIE CETOM) du quartier de Léona.

Quatre dimensions d’analyse répondant aux quatre enjeux de recherche, structurent la


présentation des quatre monographies. D’abord, la dimension socio-historique présente l’analyse des
conditions d’émergence et d’évolution. La dimension organisationnelle présente la gouvernance
organisationnelle. La dimension socio-économique concerne l’étude de la performance socio-
économique. Enfin, la quatrième dimension d’analyse interroge le rapport de l’entrepreneuriat
communautaire au développement local. Une étude comparative des quatre monographies servira de
conclusion à cette partie avant la systématisation dans la conclusion générale, des potentiels
innovateur et alternatif de l’entrepreneuriat communautaire ainsi que de ses conditions d’expansion.
CHAPITRE IV

DU DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE À L’ENTREPRENEURIAT


COMMUNAUTAIRE: L’EXPÉRIENCE DE L’ASSOCIATION POUR LE
DÉVELOPPEMENT DE DIAMAGUÉNE (ADD)

Introduction

L’objet de cette étude de cas est d’analyser la nature et la portée de la mouvance


entrepreneuriale constatée en milieu communautaire sénégalais (Ndiaye et Niang, 1998; ADC,
2000; Wade, 2002) à travers trois questions. La premiére est relative au sens et au processus d’une
telle mouvance: la mouvance entrepreneuriale constatée en milieu communautaire, traduit-elle
l’instrumentalisation du cadre associatif par des acteurs sociaux profitant des opportunités offertes
par un tel cadre70 ou par contre, augure-t-elle d’une dynamique d’auto-promotion socio-économique
que déploient de tels acteurs cherchant à articuler leur service à la communauté territoriale avec leur
préoccupation d’insertion socio-économique dans un contexte marqué par un chômage chronique?
La seconde question est relative aux modalités de gouvernance organisationnelle: la mouvance
entrepreneuriale des associations, aboutit-elle à une recomposition de la dynamique communautaire
arrimant les composantes associative et entrepreneuriale ou au contraire, donne-t-elle lieu à une
superposition voire une dysfonction de deux composantes peu articulées au sein d’une même
entité? Enfin, la troisième question cherche à établir la nature et le degré de performance socio-
territoriale des organisations communautaires en mouvance entrepreneuriale.

Pour répondre à de telles questions, la recherche prend la forme d’une étude de cas portant
sur une association de développement de quartier qui s’est engagée dans l’entrepreneuriat
communautaire, à savoir l’Association pour le Développement de Diamaguéne (ADD). Désignée
comme l’une des six organisations communautaires de base les plus significatives dans la ville de
Saint-Louis par l’ADC et Enda Ecopop en 200071, cette association, créée en 1994 dans un des
quartiers les plus défavorisés de Saint-Louis, se positionne actuellement dans la mise en œuvre
d’une garderie communautaire au profit des enfants du quartier et d’un salon multifonctionnel au
profit des femmes.

70
En termes de subvention, de bénévolat des membres et surtout d’accès gratuit aux ressources stratégiques :
financement, formation, matériel de production, information, réseau…
71
C’est pourquoi, l’ADD a été retenue par Enda ECOPOP dans le cadre du PREFAL comme faisant partie
des expériences associatives pertinentes en Afrique de l’Ouest devant faire l’objet d’un diagnostic
institutionnel participatif, à l’instar d’autres associations de la sous région.
212

L’étude, qui a permis d’interroger vingt et une personnes membres et parties prenantes de
l’organisation, s’articulera autour de quatre parties. L’analyse des conditions d’émergence et
d’évolution de l’ADD permettra de retracer le sens et le processus de sa mouvance entrepreneuriale.
En deuxième partie, l’étude de la gouvernance organisationnelle renseignera sur les modalités
d’arrimage des composantes associative et entrepreneuriale tandis que la performance socio-
économique va interroger la portée de l’action de l’ADD. Enfin, la quatrième partie cherchera à
analyser le rapport de cette association au développement local.

4.1. Conditions d’émergence et d’évolution de l’ADD

4.1.1. Principales étapes d’évolution de l’ADD

L’évolution historique de l’ADD peut être systématisée autour de trois étapes :


- Phase I : 1993-1994 : structuration d’une initiative populaire spontanée en une association
de développement de quartier (ADQ);
- Phase II : 1995-1999: expansion associative de l’ADD;
- Phase III : 2000-2004: mouvance entrepreneuriale de l’ADD.

4.1.1.1. 1993-1994 : Structuration d’une initiative populaire spontanée en une ADQ

Dans la ville de Saint-Louis, la référence au quartier de Diamaguène servait à stigmatiser le


mal développement des quartiers populaires et défavorisés: absence de viabilisation et occupation
anarchique de l’espace sur un ancien lit du fleuve, précarité des conditions de vie des habitants avec
20% des ménages vivant dans l’extrême pauvreté, insécurité, insalubrité des rues accentuée par la
position géographique du quartier : zone carrefour abritant le principal marché de la ville tandis que
ses frontières naturelles sont constituées de sites naturels de dépôts sauvages, à savoir les berges du
fleuve ainsi que la gare routière et ferroviaire (PDQ de Diamaguène, 2001).

Face à l’état de délabrement avancé du quartier, une initiative populaire spontanée va


émerger sous l’impulsion d’une femme résidante du quartier, mère de famille et institutrice de son
état. Dans un premier temps, elle va chercher à convaincre ses voisins de la nécessité de mener des
activités de nettoyage des ruelles et d’enlèvement des ordures au niveau des dépôts sauvages durant
213

les week-ends. L’engouement populaire suscité par la réalisation de ces activités d’utilité publique
communément appelées «set setal» (cf contextualisation) ainsi que le soutien reçu de la part des
pouvoirs publics (services techniques municipaux, AGETIP, service du Tourisme), vont faciliter la
poursuite d’une telle initiative durant plusieurs mois.

Cette activité ponctuelle va toutefois être mise à rude épreuve en 1994, lorsque la ville de
Saint-Louis fut ravagée par une grosse inondation liée aux fortes pluies. Du fait de la nature de son
site et de l’absence d’un réseau de drainage complet des eaux usées, le quartier de Diamaguéne va
cristalliser l’état de désolation constaté dans toute la ville, engendrant notamment le déplacement
de beaucoup de familles sinistrées en vue d’être logées dans des édifices publics (écoles primaires
et lycées). L’ampleur des conséquences de l’inondation était telle que les opérations de remblai des
rues et de désinfection initiées par la Municipalité et l’État se révéleront insuffisantes. C’est cet
événement naturel défavorable ainsi que la timidité et le retard constatés dans la réaction des
pouvoirs publics, qui vont pousser les initiateurs des opérations de «set setal» à vouloir structurer
leurs actions autour d’une association de développement communautaire. Pour ce faire, ils vont
déposer une demande de reconnaissance officielle auprès de l’État sénégalais en prenant comme
nom Association pour le Développement de Diamaguéne :

«J’avais constaté que dans le quartier, tout le monde parlait de l’état de dégradation de notre cadre de
vie. Même l’image extérieure du quartier en souffrait… Un jour, j’ai mobilisé mes voisins pour leur
expliquer qu’il existe des ONG qui appuient les populations démunies mais à condition que celles-ci
prennent d’abord l’initiative. La première réunion a été tenue ici chez moi, dans la cour de ma
maison. Il y avait beaucoup de monde et les gens ont estimé que la priorité des priorités c’était
d’assurer la salubrité et la propreté du quartier. On a établi un calendrier d’activités consistant à faire
du «set setal» chaque week-end. ….Cette activité a eu une ampleur telle que nous étions nous tous
surpris par la mobilisation populaire. Il y avait des jeunes, des femmes, des chômeurs, des personnes
ressources, des enseignants…qui tous étaient mobilisés en vue de faire quelque chose pour le
quartier…Mais, il faut dire que ce fut l’inondation de 1994 qui nous a poussé à mettre sur pied
l’ADD. Ce qui était important, c’est que tout le monde s’accordait sur le fait qu’on ne devrait plus
rien attendre de qui que ce soit, ni de l’Etat, ni de la Mairie. C’est là que l’idée est venue de
structurer le mouvement autour d’une association chargée de promouvoir le développement du
quartier avec pour nom ADD. On a mis en place un bureau provisoire qui fonctionne depuis 1994.
On a déposé une demande de reconnaissance auprès de la gouvernance et depuis lors, nous avons
réalisé plusieurs activités au profit du quartier» (A, S. ADD).

4.1.1.2. 1995-1999: L’expansion associative de l’ADD


214

Dès sa reconnaissance officielle, l’ADD va s’atteler à développer toutes activités utiles pour
le quartier. En dehors du «set setal», elle va, en rapport avec des ONG (ASBEF, RADI) réaliser
diverses activités de mobilisation sociale portant sur divers domaines : la participation civique des
habitants du quartier, MST/ Sida, grossesse indésirée des jeunes filles, paludisme…En 1995, une
année après sa mise en place, l’ADD va être confrontée à l’apparition dans le quartier d’une
structure faîtière dénommée Conseil de Quartier. Outre la similarité des objectifs, le CQ, fortement
soutenu par la Municipalité de Saint-Louis dans le cadre de son processus de développement local,
disposait d’une représentativité plus grande parce que regroupant l’ensemble des associations du
quartier alors que l’ADD se limitait à une association d’individus. Ce climat concurrentiel entre ces
deux entités va beaucoup marquer l’évolution de l’ADD (cf. réseautage local).

A partir de 1996-1997, une nouvelle dynamique va émerger au sein de l’ADD avec un accent
marqué autour de l’encadrement socio-éducatif. En 1996, une classe d’alphabétisation sera ouverte
au profit des femmes du quartier. Mais, l’investissement du domaine socio-éducatif concernera
surtout les enfants et jeunes du quartier de Diamaguène. En effet, du fait du pullulement d’enfants
dans le quartier notamment lors des week-ends et lors des vacances scolaires, l’ADD va s’engager
dans l’organisation d’activités de patronage consistant à initier les enfants à diverses activités
manuelles, d’éducation à la citoyenneté et à la vie environnementale…Du fait de l’absence
d’encadreurs résidants du quartier, l’association va s’engager dans la formation de ses membres en
moniteurs de collectivités éducatives à travers l’organisation de centres aérés en 1997, puis en
1998. La première session a été auto financée grâce à l’organisation d’activités lucratives (vente de
poissons, organisation de soirées dansantes et de kermesse…) tandis que la seconde session va
recevoir l’appui de plusieurs partenaires (Partenariat Lille/Saint-Louis, ADC, CEMEA).

Cette expérience de l’ADD dans l’encadrement socio-éducatif va constituer un de ses atouts


expliquant sa sélection par le Projet de nutrition communautaire (PNC) initié en 1996 par l’État
sénégalais avec l’appui de la Banque Mondiale. Ce projet couvrant le territoire national visait à
mettre en place des centres de nutrition communautaire au profit des enfants âgés de 3 à 36 mois et
des femmes enceintes ou allaitantes dans le but d’améliorer leur situation nutritionnelle. Des
opérateurs communautaires furent choisis dans les zones d’intervention en vue d’assurer la gestion
de ces centres à la suite d’une sélection de candidatures. C’est ainsi que l’ADD va constituer en son
sein un groupement d’intérêt économique (GIE) composé de quatre de ses membres pour concourir
à côté de treize autres structures du quartier. Finalement, le GIE PNC de l’ADD fera partie des deux
organisations sélectionnées par l’AGETIP. Il fonctionnera jusqu’en 2002, date d’arrêt du projet.
215

4.1.1.3. 2000-2004: Mouvance entrepreneuriale de l’ADD

La réalisation de son défi de former des moniteurs habitant le quartier pour gérer ses activités
socio-éducatives a engendré un autre défi au sein de l’ADD tournant autour de l’insertion socio-
professionnelle des membres déjà formés. Pour ce faire, elle va jouer un rôle de placement de ses
membres disposant de diplômes de moniteurs en collectivités éducatives auprès des garderies de la
ville et surtout, auprès de l’Inspection d’Académie. Celle-ci va recruter dix moniteurs de l’ADD en
qualité de volontaires de l’éducation, intégrant ainsi la fonction publique. Une telle décision qui fut
une première dans la ville, sanctionne la qualité pédagogique des sessions de formation organisées
par l’ADD. Toutefois, la demande d’insertion socio-professionnelle des membres était loin d’être
satisfaite. Par ailleurs, le constat est fait à l’effet que le quartier de Diamaguène ne disposait pas de
structure préscolaire, obligeant les enfants à se déplacer dans d’autres quartiers. C’est l’effet
conjugué de tous ces facteurs qui ont poussé l’ADD, à initier la première garderie communautaire
dans la ville dénommée «Fonk Sa Wajur»72 dans le souci de contribuer d’une part, à la
démocratisation de l’accès à l’éducation préscolaire pour les enfants du quartier et d’autre part, à
l’insertion socioprofessionnelle de ses membres moniteurs.

Toutefois, l’ouverture de la garderie ne permettait pas aux nombreuses filles et femmes


membres de l’ADD de s’insérer professionnellement du fait de leurs compétences plus liées aux
métiers généralement dévolus aux femmes (couture, tricotage, teinture). C’est pourquoi, l’ADD va
promouvoir la mise en place en 2002 d’un salon multifonctionnel (couture, broderie, tricotage,
alphabétisation, teinture...) destiné exclusivement à ses membres femmes. Pour ce faire, un
groupement de promotion féminine fut érigé pour regrouper vingt quatre femmes volontaires. Grâce
à l’intermédiation d’un ancien membre émigré, une ONG italienne «Les Cultures» va appuyer cette
initiative d’un montant de 1 700 000 Fcfa (4 000 dollars) pour l’achat de matériel de travail. La
présidente de l’ADD mettra à la disposition du GPF une chambre de sa maison pour faire office de
local.

Il faut noter qu’une première tentative de mise en place d’un salon de coiffure a eu lieu
durant l’année 2000 avec des tresseuses résidantes du quartier. L’association voulait leur offrir un
cadre pour exercer leurs activités en dehors de l’espace domestique et en même temps pour former

72
Respecter ses parents
216

des jeunes filles du quartier. Un local loué et du petit matériel de travail seront mis à leur
disposition. Mais cette expérience ne va pas durer longtemps du fait des faibles chiffres d’affaires
obtenus mais surtout, de la difficulté à concilier les logiques individuelles des coiffeuses (qui
n’étaient pas membres de l’association) et la dynamique communautaire recherchée par l’ADD.
C’est pourquoi, moins d’un an après son ouverture, le salon de coiffure va fermer :

«Nous avions ouvert un salon de coiffure en sélectionnant des jeunes filles expérimentées dans ce
domaine. Notre ambition était d’élargir notre base sociale en rapport avec notre vision de
développement de quartier. Nous nous sommes dits qu’en tant qu’association de développement de
quartier, nous ne devons pas limiter nos opportunités à nos membres. Nous avions mis à leur
disposition du matériel et nous avons loué un local à nos frais. Mais cette expérience n’a pu réussir
parce que ces femmes n’étaient pas membres de l’association. Elles privilégiaient leurs intérêts
personnels au détriment de la pérennité du salon parce qu’elles ne partageaient pas notre vision de
dynamique communautaire de quartier. Par exemple, les opératrices préféraient faire leurs
prestations chez elles plutôt que de les faire dans le salon où on leur demandait de reverser une partie
de leur gain pour entretenir le local et payer les petits frais d’électricité… C’est à cause de cette
expérience que nous avons décidé d’affecter la gestion de nos projets à nos membres actifs» (L.W,
ADD).

Ainsi, à partir de 2003, les principales activités de l’ADD tournent autour de la promotion de
deux structures socio-économiques, à savoir la garderie communautaire d’enfants et le salon
multifonctionnel au profit des femmes. De telles activités positionnent cette association de quartier
plus dans l’entrepreneuriat communautaire que dans le développement communautaire qui était son
orientation initiale. Cette mouvance entrepreneuriale renseigne sur la spécialisation de l’ADD
autour de l’encadrement socio-éducatif des enfants, de la formation socio-professionnelle et enfin,
de la promotion de l’insertion socio-économique de ses membres.

4.1.2. Quelques enseignements sur la dynamique évolutive de l’ADD

Quelques enseignements majeurs ressortent de la dynamique évolutive voire innovatrice de


l’ADD. Des initiatives populaires spontanées du genre de «set setal», rares sont celles qui ont pu
réussir la transition en se structurant en une association de développement reconnue par les
pouvoirs publics. D’une part, leur logique palliative par rapport aux déficits des services publics
(drainage des eaux pluviales, nettoiement des dépôts sauvages...) les confrontait au risque de
l’essoufflement du fait du décalage entre l’ampleur des problèmes visés et les moyens disponibles.
D’autre part, partie prenante du mouvement de contestation sociale urbaine de la fin des années
1980 sanctionnant le mode de gestion publique, de telles initiatives semblaient se positionner plus
dans une logique revendicative de que proactive (Soumaré, 1999)73. A ce titre, l’expérience de

73
Une telle logique est à lier au contexte de crise multiforme et de démarrage des programmes d’ajustement
217

l’ADD traduit une dynamique endogène et autonome de structuration d’une activité spontanée et
informelle vers une vision plus élargie qu’est la prise en charge du développement communautaire
de quartier.

Quant à la mouvance entrepreneuriale de l’ADD, elle exprime une dynamique innovatrice


appréciable à travers les diverses modalités d’insertion socio-économique des membres : prestation
de services sociaux de base à travers le GIE PNC, mise en œuvre de deux entreprises
communautaires. Un des mécanismes ayant facilité cette mouvance entrepreneuriale peut être
trouvé dans sa capacité à arrimer demande sociale du quartier et préoccupation d’insertion socio-
professionnelle de ses membres en cherchant à valoriser leurs compétences. Sous cet angle, la mise
en place de la garderie et du salon apparaît comme une réponse à l’absence de structure
d’encadrement des enfants du quartier ainsi qu’aux préoccupations d’insertion socio-économique
des membres. En outre, l’évolution par défi (passant de la lutte contre l’insalubrité du quartier à la
formation de moniteurs résidants du quartier, à l’encadrement socio-éducatif des enfants et à la
promotion socio-professionnelle de ses membres) permet à l’association de renouveler ses champs
d’intervention et de se constituer comme un espace d’innovations sociales.

Il reste que cette évolution par défi renseigne sur le fait que la mouvance entrepreneuriale de
l’ADD ne relève pas d’un processus planifié. Elle s’est construite par essai-erreur dans l’action, au
fur et à mesure de l’atteinte des objectifs, de l’apparition de nouveaux défis ou encore de la
présence d’opportunités, notamment avec l’appui des partenaires au développement. Il importe
également de se demander si la mouvance entrepreneuriale ne questionne pas le bénévolat au sein
des organisations communautaires (débauche d’efforts et de ressources humaines dans un contexte
de chômage de la plupart des membres) en même temps que l’orientation de développement
communautaire caractérisée par des résultats souvent lents, anonymes et diffus. Dans ce cadre, la
mouvance entrepreneuriale de l’ADD exprime le rétrécissement de ses domaines d’activités en lieu
et place de sa tendance à la totalisation des activités consistant à intervenir dans tout domaine jugé
utile pour le quartier compte non tenu des moyens disponibles. Enfin, il faut signaler que
l’environnement concurrentiel voire hostile au sein du quartier à partir de 1995 avec la mise en
place du conseil de quartier, a beaucoup joué dans la dynamique innovatrice de l’ADD. Le conflit
de légitimités va pousser l’ADD à chercher à marquer sa différence par rapport au CQ sur le terrain
des services rendus au quartier. A ce titre, il demeure légitime de se demander si le
repositionnement de l’ADD autour de l’entrepreneuriat communautaire ne traduit pas une stratégie
218

visant à se spécialiser dans des domaines plus susceptibles de produire des résultats probants, à
savoir l’encadrement socio-éducatif, la formation et l’insertion socio-professionnelle de ses
membres.

4.2. Diagnostic organisationnel de l’ADD

4.2.1. Mode d’organisation et de fonctionnement

Du point de vue juridique, l’ADD est régie par le décret N° 76-040 du 16 janvier 1976
destiné aux associations à but d’éducation populaire et sportive ainsi qu’à celles à caractère culturel.
Elle a été enregistrée en 1994 sous le No 8780 MINT/DAGAT. Ce cadre juridique plus approprié
aux associations sportives et culturelles74, est souvent présenté comme peu adapté par rapport à
l’évolution de la dynamique associative au Sénégal du fait de sa position rigide quant à la recherche
de lucrativité ainsi qu’aux possibilités de partage des bénéfices entre les sociétaires. C’est en cela
que la mouvance entrepreneuriale des organisations communautaires semble être en décalage par
rapport à leur cadre juridique qui semble vouloir les maintenir dans un rôle hérité de l’État
providence (1960-1979), à savoir des structures d’éducation populaire, de mobilisation sociale ou
de réalisation d’activités d’utilité publique (Ndiaye, 1999).

Concernant les modalités de mouvance entrepreneuriale, l’expérience de l’ADD démontre


une stratégie de contournement du cadre juridique associatif consistant pour l’organisation
initiatrice, à créer en son sein une ou des organisations socio-économiques intégrant la recherche de
lucrativité tout en maintenant sa forme juridique initiale. Cette modalité donnera naissance à la mise
en place au sein de l’ADD d’un groupement d’intérêt économique dans le cadre du projet de
nutrition communautaire, d’un groupement de promotion féminine dans le cadre du salon
multifonctionnel des femmes et enfin, d’une garderie communautaire d’enfants. C’est dire que la
mouvance entrepreneuriale n’aboutit pas à la disparition de l’association initiatrice, mais plutôt se
donne à voir dans la diversification de ses formes organisationnelles, ce qui lui permet de continuer
à s’activer sur le terrain des services à la communauté tout en faisant des incursions sur le terrain
économique. En ce sens, les associations en mouvance entrepreneuriale à l’instar de l’ADD
différent d’une part du tissu associatif, du fait de leur position dans le marché de
production/distribution de services et d’autre part, de l’entreprise marchande. La différence entre

74
Les ASC constituent l’une des associations les plus populaires au Sénégal, autour notamment d’activités de
football durant les vacances scolaires opposant les équipes des différents quartiers.
219

l’entrepreneuriat communautaire et celle-ci peut être située à la fois dans son objectif prioritaire de
satisfaction des besoins au-delà de toute recherche de profit, de sa finalité écosociale ou encore
dans son fonctionnement démocratique supposant un espace public délibératif, bref autant
d’éléments peu internalisés par une entreprise marchande.

Figure 4.1: Organigramme de l’ADD

AG
150 Sociétaires

CD
33 membres

-postes statutaires
Bureau exécutif -commissions de
14 Administrateurs travail

Comité de gestion de la garderie Groupement de Promotion


ADD+ parents + directeur Féminine
Administratrices déléguées

Garderie communautaire : Salon multi fonctionnel


«Fonk Sa Wajur» Femmes et jeunes filles
Employés : directeur et adjoint, bénéficiaires
monitrices, maître d’arabe,
personnel d’appoint

C’est dire que l’investissement du domaine entrepreneurial par les organisations


communautaires n’aboutit ni à au détournement de leur base associative ni à leur transformation en
entreprises marchandes, mais plutôt en entreprises sociales hybridant dimensions sociale et
entrepreneuriale (Enjolras, 1998; Borzoga et Defourny, 2001; Defourny, 2005). Toutefois, en
l’absence d’un cadre juridique prenant en charge cette mouvance entrepreneuriale des associations,
l’hybridation d’une base communautaire avec une logique entrepreneuriale au sein de
l’entrepreneuriat communautaire se construit dans l’action par essai-erreur. C’est ce qui explique
220

l’intérêt d’étudier les modalités d’arrimage que l’ADD tente de construire entre ses composantes
associative et entrepreneuriale.

Du point de vue de sa composante associative, l’ADD est structurée autour d’une assemblée
générale regroupant sa base sociale, d’un comité directeur de trente trois membres et d’un bureau
exécutif. Chargé de la gestion opérationnelle, ce dernier est composé de 7 membres statutaires
(président, secrétaire général et trésorier avec leurs adjoints) et de 7 présidents de commissions.75
Dans la réalité, ce mode de structuration formelle lié au cadre associatif demeure peu fonctionnel.
L’absence de tenue d’AG de renouvellement depuis la création de l’association en 1994 et la
léthargie du comité directeur expliquent le fait que le fonctionnement de l’ADD soit essentiellement
assuré par un bureau élargi qui comprend les leaders fondateurs ainsi que les membres actifs.
Ainsi, au lieu d’une répartition des tâches en fonction des commissions du bureau, on a plutôt
affaire à un fonctionnement misant sur une gestion collégiale des dossiers qui consiste à confier aux
membres disponibles des tâches. Ce mode de fonctionnement misant plus sur l’efficacité
opérationnelle que sur le respect des procédures associatives, apparaît plus efficace dans un
contexte de bénévolat, de mobilité des membres ou encore d’absence de moyens de
fonctionnement. Il ne justifie toutefois pas l’absence de renouvellement du bureau originel qui
cristallise les dysfonctionnements à l’œuvre au sein de l’ADD : circulation de l’information limitée
autour des leaders, absence de maîtrise de l’évolution du nombre de membres…

Des entretiens avec certains membres ressortent diverses explications à l’origine de l’absence
de renouvellement des instances de l’ADD : risque de voir certaines personnes jusqu’alors peu
mobilisées venir profiter des résultats produits par les initiateurs de l’association travaillant
bénévolement, allant même jusqu’à pré financer certaines activités; risque de voir certaines
personnes déstabiliser le leadership de l’ADD dans le quartier en se faisant élire à certains postes de
responsabilité; ou encore la crainte de voir la présidente de l’association souffrant d’un état de santé
précaire céder sa place à une personne qui n’aura pas les mêmes qualités de leadership. Ainsi, le
souci de ne pas briser la dynamique de groupe qui a permis à l’ADD d’engranger des résultats
probants, expliquerait le non respect de cette règle édictée par le cadre juridique des associations :

«Nous ne pouvons pas créer une association pour gérer les questions d’inondation et après, laisser cela
entre les mains de n’importe qui. Parce que ces gens n’auront pas les mêmes visions que nous et de
peur que nos acquis ne tombent à l’eau, nous on préfère rester. Oui, nous notre problème, c’est cela,
parce que si nous étions assurés d’avoir une relève, on aurait quitté pour faire autre chose. Mais

75
Les commissions sont : organisation, éducation et loisirs, finances, environnement et santé, promotion
féminine, sensibilisation et communication, suivi et évaluation.
221

maintenant si nous les leaders, nous quittons, qui va nous remplacer? L’ADD risque de s’éclipser.
C’est surtout dû à cela qu’il n’y a pas eu de renouvellement depuis le début» (L.W, ADD)

Si une telle vision se maintient, elle confirmerait la prédominance des préoccupations


opérationnelles d’efficacité technique sur le respect des règles associatives d’une part, et d’autre
part, elle informe sur le fait que dans un contexte de bénévolat et de sous emploi, les membres les
plus actifs de l’association ont tendance à déployer des stratégies de sécurisation de leurs positions
de pouvoir en perspective des opportunités probables générées par l’association, posant ainsi des
problèmes de découplage (Niang, 2002).

Quant à la composante entrepreneuriale, elle laisse apparaître deux structures avec des modes
d’organisation spécifiques. La garderie «Fonk Sa Wajur » est structurée autour d’une direction, des
enseignants (monitrices et maître d’arabe) et est sous la tutelle d’un comité de gestion (CG) qui
assure son intermédiation avec le bureau de l’ADD. Le CG est composé d’un représentant des
parents d’élèves, de la direction de la garderie et de l’ADD. Quant au salon plurifonctionnel des
femmes, il est structuré autour d’une présidente, d’une responsable par sections (couture, teinture,
tricotage, alphabétisation) et d’une trésorière. A la place d’un CG, les femmes du salon se sont
regroupées autour d’un GPF comptant 24 femmes.

Ainsi, c’est à travers la subsidiarité que l’ADD a réussi à gérer ses structures
entrepreneuriales en déléguant la responsabilité de leur gestion à des organes intermédiaires
composés de ses membres. Cette délégation de gestion opérationnelle a permis à l’association de se
positionner dans la recherche de partenaires, le suivi et la coordination de ses activités:

«Les relations entre l’ADD et la garderie, c’est comme entre une mère et son enfant. Tous les
employés de la garderie sont membres de l’ADD. La garderie est la structure mère, nous sommes un
démembrement de l’association. Les responsables de l’association nous avaient dit au début que la
garderie avait son autonomie et que nous pourrions la gérer directement. Mais cela ne signifie pas
que nous sommes libres de faire n’importe quoi. Nous devons rendre compte de tout ce que nous
faisons» (G.M, ADD)
Toutefois, l’hybridation entre les composantes associative et entrepreneuriale de l’ADD
demeure à l’état expérimental. Elle n’a été ni le produit d’une socialisation à travers un consensus
entre les membres, ni l’objet d’une systématisation formelle autour de documents écrits. Par
exemple, la mise en place du comité de gestion de la garderie n’a pas été précédée d’un compromis
concernant sa mission, ses prérogatives ainsi que son positionnement institutionnel. Quant à
l’absence de document indicatif sur le comité de gestion, elle laisse le champ libre à toutes
interprétations et visions, ce qui attise les conflits internes déteignant sur le climat de travail au
niveau de la garderie. Par exemple, son directeur, après avoir refusé de collaborer avec le CG
222

durant un certain temps (le travail de ce dernier étant perçu comme un contrôle de sa gestion
financière), a estimé que le travail du CG, jusqu’alors limité à une gestion comptable de la garderie,
devrait aussi concerner la recherche de partenaires. Ainsi, durant une certaine période, cette activité
importante dont dépend la pérennité de la garderie fut peu assurée:

«Ce qui nous a poussé à mettre sur pied ce comité de gestion, c’est qu’il y avait des failles dans la
direction de la garderie. La direction de la garderie dépensait de l’argent à tort et à travers sans rendre
compte à personne. C’est pourquoi, nous avions des problèmes pour le paiement de la location et pour
la rémunération des monitrices le dernier mois. Je dois vous signaler que la création du comité de
gestion a été très mal perçue par la direction de la garderie. Le directeur nous avait signifié qu’il ne
voulait pas être contrôlé parce qu’il n’avait rien fait de mal. On lui a fait comprendre que nous n’étions
pas là pour le contrôler mais pour gérer autrement. Finalement, quand le comité de gestion a été mis
sur pied, cela nous a permis de résoudre pas mal de problèmes en l’occurrence le paiement de la
location et du dernier mois ouvrable que les élèves ne payaient pas. (L, S. ADD)

En réalité, l’absence de cadre institutionnel de référence pouvant guider la mouvance


entrepreneuriale des organisations communautaires, ne facilite pas l’hybridation des composantes
associative et entrepreneuriale au sein de l’entrepreneuriat communautaire émergent. C’est ce qui
explique le fait que les organisations communautaires n’arrivent pas toujours à systématiser une
claire vision des modalités et des implications liées au virage entrepreneurial (organigramme
cohérent, manuel de procédures, définition d’outils de gouvernance organisationnelle, mode de
répartition des tâches formalisé…). Dans un tel contexte, l’investissement du champ entrepreneurial
apparaît, tout au moins pour le moment, plus soumis à une logique d’apprentissage sur le tas et
d’expérimentation, où l’association se trouve obligée de forger par elle-même ses normes de
fonctionnement et d’organisation, qu’à une logique de gestion professionnelle. Dans une telle
situation, la mouvance entrepreneuriale procède par essai-erreur-ajustement où l’accent est plus mis
sur une gouvernance organisationnelle opérationnelle et efficace que sur le respect de procédures
formelles ou démocratiques.

4.2.2. Gestion administrative et du personnel

La gestion administrative et financière de l’ADD révèle de réels efforts d’actualisation des


outils de tenue des comptes, de gestion du courrier et de suivi des activités. Les réunions de bureau
élargi ainsi que la production régulière d’états financiers (par mois pour la garderie et par cycle de
vente pour le salon) permettent d’assurer un suivi régulier des activités et des finances. En outre, au
niveau de la garderie, le règlement pédagogique défini par l’Inspection d’Académie sert d’outil de
référence au contenu pédagogique et à l’organisation des activités, permettant ainsi aux enfants de
suivre les mêmes enseignements que ceux des garderies privées. C’est dire que sur le plan de la
223

gestion administrative et financière, l’ADD dépasse la plupart des associations populaires


fonctionnant sur une base plutôt «informelle». Toutefois, il faut signaler que la performance de son
système de gestion administrative et financière concerne davantage ses activités entrepreneuriales
que ses activités associatives, démontrant un accent marqué de l’ADD autour de la garderie et du
salon.

Quant au personnel, il est composé de 13 membres de l’ADD dont 10 sont affectés à la


garderie «Fonk Sa Wajur» et trois, au salon en qualité de formatrices.

Tableau 4.1 Personnel de l’ADD


Type d’employés Nombre
Personnel Garderie «Fonk sa Wajur»
Directeur 1
Adjt directeur, chargé de l’animation 1
Monitrices 6
Chargé de l’éducation religieuse 1
Personnel de soutien 1
Salon des femmes
Formatrices 3

La gestion du personnel a constitué durant les premières années de la garderie un lourd


fardeau pour l’ADD, le salon étant plus épargné. Les problèmes se sont posés à deux niveaux.
D’abord, le personnel de la garderie qui ne comptait que trois classes semblait être pléthorique au
vu de ses capacités financières et d’accueil, assez limitées. Il faut signaler qu’à l’ouverture de la
garderie, l’engagement du personnel relevait plus d’un acte bénévole et volontariste des membres
que d’une opération de sélection des employés en fonction de critères définis à travers des fiches de
postes. Ce recrutement volontariste était lié également au fait que, ne pouvant garantir un salaire
décent et régulier à son personnel76, l’ADD s’est tournée vers ses membres pour valoriser leur
bénévolat associatif. A ce titre, elle semble être piégée par sa promesse d’offrir à ses membres en
chômage l’opportunité de «pouvoir se contenter de quelque chose» alors que ses ressources
générées demeurent encore faibles:

«Ce qui nous a poussé à nous engager dans le volet entrepreneurial, c’est pour mieux répondre aux
besoins de nos membres et du quartier. Mais ce volet exige beaucoup de sacrifices pour nos membres
et il n’est pas évident que tous pourront en bénéficier parce que comme vous le savez, une association
recherche la base sociale la plus large possible tandis que pour une entreprise, il faut nécessairement

76
Les indemnités mensuelles sont en dessous du SMIC (80 dollars par mois) pour tout le personnel, y
compris pour le directeur.
224

faire des sélections au niveau des participants, sinon cela va péricliter. Tous nos membres ne pourront
donc pas prétendre à un poste au niveau de la garderie parce qu’une entreprise demande des moyens
mais aussi recherche des bénéfices. Un jour ou l’autre, nous serons obligés de compresser certains de
nos membres et j’espère que ces derniers continueront à se mobiliser pour l’ADD... Quand on choisit
d’aller vers une entreprise communautaire, cela exige des sacrifices douloureux. Une entreprise ne peut
se faire qu’avec un groupe restreint de personnes tandis que l’association peut elle recevoir tout le
monde.» (L.W, ADD).

Une proposition a été faite concernant le transfert de certaines monitrices de la garderie vers
le salon des femmes qui pourrait accueillir plus de personnes parce que payées à la tâche en
fonction des cycles de confection-vente. Cette proposition a failli pendant un moment déstabiliser la
base sociale de l’ADD, certains membres allant même jusqu’à menacer de démissionner de
l’association en cas de licenciement. Pour le moment, l’association n’a eu d’autre choix que de
maintenir le statu quo dans la gestion du personnel de la garderie en profitant par exemple de la
mobilité résidentielle ou socioprofessionnelle. Par exemple, en 2005, le directeur de la garderie a
obtenu une bourse pour aller en France poursuivre une formation socio-professionnelle tandis que
deux monitrices ont quitté, l’une ayant obtenu un emploi dans un établissement public et l’autre
pour cause de mariage. Ces départs ont permis de réduire le personnel de la garderie de dix à sept
employés. Ainsi, l’ADD rencontre un problème de découplage lié aux fortes attentes de ses
membres en matière d’insertion socio-économique ainsi qu’aux stratégies de sécurisation que
déploient ses membres les plus actifs pour reproduire leurs positions. De tels comportements
compréhensibles dans un contexte de précarité positionnent l’ADD dans une dynamique articulant
mission de service à la communauté et recherche d’auto-promotion socio-économique de ses
membres.

L’autre problème dans la gestion du personnel a trait aux difficultés à établir une hiérarchie
administrative entre la direction et les monitrices de la garderie, qui ont tous reçu le même niveau
de formation à titre de moniteurs en collectivités éducatives. Ces fréquents problèmes de leadership
opposant le directeur et les monitrices ont été accentués par l’absence de documents indiquant la
hiérarchie organisationnelle ainsi que les indicateurs de performance de la garderie :

«Le problème que nous avons, c’est que les monitrices respectent plus les leaders de l’ADD que leur
responsable au niveau de la garderie, parce que disent-elles, le pouvoir de décision ce sont les
administrateurs qui l’ont. Le directeur n’est là que pour coordonner. J’avais proposé d’élaborer un
règlement intérieur pour la garderie, mais des membres m’ont dit que ce n’était pas mon rôle et qu’il
fallait laisser le comité de gestion s’occuper de cela. Alors, jusqu'à présent, il n’y a rien comme
document de ce genre. Tout cela fait partie des dysfonctionnements constatés au sein de la garderie et
qui sont sources de problèmes multiples.» (M.N, ADD)
225

Le problème entre administrateurs et employés dans un contexte de non délimitation des


prérogatives de part et d’autre, est rendu plus complexe par un conflit de logiques sous tendu par un
conflit de rôles entre les diverses instances: au sein de la garderie, le pouvoir de décision est assuré
par les administrateurs (bureau exécutif de l’ADD, le pouvoir de contrôle est délégué au comité de
gestion CG tandis que la gestion opérationnelle est assurée par le directeur et son équipe. Mais une
telle forme de coordination, qui informe de la complexité du quadrilatère organisationnel de
l’entrepreneuriat communautaire (Desroches, 1976)77, expressive des nombreux cas de conflits ou
de ruptures entre instances et entre parties prenantes, reste encore diffuse parce que n’ayant pas fait
l’objet de compromis ou de formalisation. Quant aux conflits de rôles, ils traduisent le fait que le
personnel de la garderie est composé de membres de l’ADD qui, lors des réunions peuvent se
retrouver à la fois comme employés et administrateurs. Toutefois, l’ADD a pu éviter la
prédominance du personnel sur les membres garantissant ainsi l’ancrage associatif de la dynamique.
Enfin, la difficulté de certains membres à pouvoir continuer à rester bénévole pendant que d’autres
disposant de la même formation acquise sur le tas, accèdent à des emplois au sein de la même
structure, mérite d’être soulignée. Même s’il est encore marginal, ce problème révèle les paradoxes
de la professionnalisation des associations avec notamment le risque sur le bénévolat des membres
non insérés (Loirand, 2003).

En réalité, la gouvernance organisationnelle de l’ADD reste marquée par un accent porté


autour de ses structures socio-économiques qui rapportent aux membres mobilisés, des opportunités
d’insertion socio-économique à la différence de l’association. Une telle mouvance entrepreneuriale
semble être à l’origine de la qualité constatée dans son système de gestion administrative et
financière régulièrement actualisé. Toutefois, du fait de la jeunesse de cette expérience, des faibles
moyens et de l’absence de cadre institutionnel de référence pouvant faciliter l’arrimage entre les
deux composantes, c’est un fonctionnement associatif qui assure la gestion de la dynamique
entrepreneuriale de l’ADD. C’est pourquoi, l’ADD rencontre de réels problèmes pour assurer une
cohérence de sa gouvernance organisationnelle. A ce propos, si l’ajustement organisationnel lié au
virage entrepreneurial n’est pas accompagné de compromis en vue de débloquer la lourdeur de sa
dynamique organisationnelle, il reste à craindre des risques d’accentuation des conflits internes
pouvant aller jusqu’à déstabiliser sa base sociale. Toutefois, jusqu’à présent, l’association a
démontré une grande capacité interne de gestion de tels conflits.

77
Dans le cas de la garderie, on aura, des Membres, des Administrateurs, des Gestionnaires et des Employés.
226

4.2.3. Membership

En l’absence de données fiables sur le nombre de membres (du fait du caractère fluctuant du
membership au sein des organisations communautaires), il demeure difficile de déterminer les
caractéristiques de la base sociale de l’ADD. Tout au plus, il est possible d’indiquer quelques
constats issus de l’immersion au sein de la dynamique associative de l’ADD. Dans ce cadre, la base
sociale de l’ADD est estimée à environ 150 personnes, tous résidantes du quartier auxquelles il faut
ajouter des sympathisants provenant d’autres quartiers. Cette base sociale se caractérise par sa
mixité (regroupant des hommes et des femmes) et son hétérogénéité (non détermination par des
liens de parenté culturelle) qui confirme d’ailleurs une tendance constatée au sein du mouvement
communautaire urbain depuis la fin des années 1980, à savoir : le mobile de l’adhésion est de moins
en moins lié à une identité socioculturelle (ethnie, langue, classe d’âge), mais bien par la proximité
résidentielle ou par le partage des mêmes conditions de vie ou des mêmes préoccupations (Niang,
1989).

Par ailleurs, le renouvellement des domaines d’intervention de l’ADD semble être à l’origine
de la diversification de son membership. Ainsi, aux membres liés à la dynamique associative, se
sont ajoutés de nouveaux membres liés à ses activités entrepreneuriales. Par exemple, le salon
multifonctionnel a permis d’attirer des femmes du quartier disposant de compétences en matière de
couture mais peu actives dans le tissu associatif mixte tandis que la garderie a permis d’attirer
certains parents de familles qui se sont d’ailleurs regroupés au sein d’une association de parents
d’élèves. Il reste que le noyau de la base sociale de l’ADD est composé essentiellement de femmes
et de jeunes à la recherche d’emploi et disposant de compétences socio-professionnelles,
notamment en matière d’encadrement socio-éducatif des enfants et d’activités manuelles (teinture,
batik…). C’est dire que l’un des principaux déterminants à la mouvance entrepreneuriale de l’ADD
se situe dans la forte demande de ses membres en insertion socio-économique.

En effet, dans un contexte de chômage chronique, l’engagement bénévole des jeunes et des
femmes sans emploi demeure difficile à pérenniser. Aussi, constate-on de plus en plus, un degré
d’engagement associatif centré d’une part, sur les préoccupations spécifiques des membres et
d’autre part, sur la capacité de l’organisation à y répondre positivement en termes d’opportunités
liées à l’insertion socio-économique ou à l’accès aux biens et services stratégiques (financement,
formation, matériel de production, information, réseau….). La mobilisation des membres autour des
objectifs exclusifs de l’organisation communautaire semble de moins en moins résister à de telles
227

attentes. Sous ce rapport, l’instance de centralité de l’action communautaire semble de moins en


moins se situer autour de l’organisation elle-même, mais bien au niveau des attentes diffuses ou
exprimées par les membres. C’est en cela que la mouvance entrepreneuriale des organisations
communautaires, même si cela ne coïncide pas avec leur cadre juridique, induit une recomposition
de leur membership vers une tendance sociétaire (versus communautaire). Une telle tendance
traduit une plus grande affirmation de l’individu membre voulant transformer son engagement
associatif en source d’opportunités socio-économiques. Cette mouvance semble inscrire le milieu
communautaire comme un des lieux de déploiement des stratégies individuelles et semi collectives
de gestion de la crise. D’ailleurs, les leaders d’organisations communautaires semblent avoir
compris cette tendance des membres à vouloir transformer leur mobilisation associative en une
source d’insertion socio-économique:

«Au début, c’était du développement communautaire qu’on faisait pour construire notre légitimité
dans le quartier. Mais maintenant, la crise nous impose de nous tourner vers une orientation de
prestation de services d’autant plus que vous vous trouvez dans un quartier où on rencontre
beaucoup de jeunes chômeurs. Ce sont des gens qui ont leur diplôme mais qui n’ont pas trouvé du
travail. Quoi donc, de plus normal qu’une association se positionne pour aider ces jeunes à « se
contenter de quelque chose » en attendant de trouver mieux…Au moins, il y aura des retombées
économiques pour eux. Sinon, à force de se limiter à des activités communautaires, les membres
vont se décourager… Il faut aussi dire que plus d’une fois lors de nos réunions, les gens soulevaient
la difficulté à se mobiliser durablement sans avoir rien en retour. Ils souhaiteraient, tout en faisant
des actions bénévoles pour le quartier, voir leurs conditions de vie évoluer. C’est ce qui nous a
poussé à ouvrir la garderie et le salon. Donc nous, nous tendons vers le domaine économique pour
vraiment aider les jeunes à pouvoir se prendre en charge dans des activités économiques» (M.N,
ADD).

Il reste que l’étude de ce membership à tendance sociétaire au sein du milieu communautaire,


ne doit pas être écartée d’un processus plus global d’ajustement des mécanismes socio-culturels que
le Sénégal partage avec d’autres pays africains. Il s’agit entre autres, de la place de plus en plus
grandissante de l’accumulation économique, de la recomposition des lieux de solidarité de plus en
plus instrumentalisés, du rétrécissement du tissu familial autour du ménage, de la renégociation du
lien d’appartenance, bref, de plusieurs phénomènes que certains chercheurs interprètent comme
expressifs d’une nouvelle forme d’individualité en Afrique, à savoir une individualité syncrétique et
hybride développant une attitude critique de renégociation des liens avec ses cadres
d’appartenance (Marie, 1997 : 436). Dans le milieu communautaire, les tendances révèlent une
recomposition hybride de l’identité communautaire plus ouverte aux individus membres (et non
plus seulement la surdétermination des buts collectifs) ainsi qu’à la recherche de profit combinée à
la promotion de la solidarité. A ce titre, la dynamique de groupe constatée au sein de l’ADD,
démontre un membership volontariste faisant de la réussite de l’association, un défi personnel de
228

réalisation de soi ou d’accession à une responsabilité sociale dans un contexte où le communautaire


apparaît de plus en plus comme un des espaces d’accès au leadership local :

«Pour moi, l’ADD c’est ma vie. Nous ne sommes pas appelés à rester dans le quartier. Si on fait
quelque chose, c’est en contre partie pour avoir une renommée. D’ailleurs, je pense que les autorités
devraient nous octroyer des médailles de reconnaissance, car tout ce que nous faisons, ce sont elles qui
devraient le faire. Nous si, on nous donne les moyens de travailler, nous allons démontrer de quoi nous
sommes capables. Nous, nous avons le virus du développement dans notre sang, nous voulons marquer
l’histoire, nous voulons révolutionner notre ville et nous ne demandons que des petits appuis pour
développer nos ambitions» (L.W, ADD).

Cette forte appropriation des membres à l’ADD informe de la relation réciproque entretenue:
la réussite de l’association rejaillit sur le positionnement social voire socio-politique des membres,
notamment des leaders qui de leur côté mettent à sa disposition les capitaux (financier, relationnel,
technique, symbolique, sociopolitique) dont ils disposent pour assurer sa pérennité et sa
performance. C’est pourquoi, on voit souvent les leaders de l’ADD prendre en charge les problèmes
sociaux de certains membres (maladie, cérémonie familiale), pré financer certaines activités en cas
de manque de moyens ou même, mettre à la disposition de l’association une chambre de leur
maison en guise de local. Ce volontarisme actif des leaders est cependant source de
présidentialisme lorsqu’il fait dépendre la vie associative, des initiatives exclusives de son
président.

4.2.4. Vision stratégique

Même si elle ne relève pas d’une opération planifiée, la mise en œuvre de la garderie
communautaire et du salon des femmes marque une volonté réelle de l’ADD à chercher à articuler
la mobilisation de ses membres au profit du quartier à leurs préoccupations d’insertion socio-
économique :

«Je peux dire que maintenant, promouvoir l’indépendance économique de nos membres constitue un
objectif prioritaire de l’ADD. Le fait de rester dans une association ne nourrit pas son homme! Pour
moi, c’est normal que quelqu’un qui ne travaille pas puisse attendre de son association des appuis pour
améliorer sa condition de vie (…). Il faut qu’on aide nos membres à s’insérer dans des activités
économiques et d’acquérir leur indépendance économique. Je peux vous dire que depuis 94, nous
avons servi bénévolement l’association pour pouvoir produire quelque chose de bénéfique pour le
quartier. Et vraiment c’était au détriment de nos vies personnelles. Il faut savoir arrêter le bénévolat. Il
nous faut quelque chose qui pourra nous permettre de vivre décemment et de fonder un foyer, c’est
important. En créant le salon et la garderie, l’objectif était à la fois de créer des emplois pour nos
membres et promouvoir le développement du quartier de Diamaguène» (L.W, ADD)

A ce titre, la vision qui émerge de la garderie concerne la mise en place dans le futur d’un
groupe scolaire combinant le pré scolaire et les deux premières classes de l’élémentaire. Ce genre
229

de projet qui n’existe pas encore à Saint-Louis, est assez développé à Dakar, la capitale du pays du
fait notamment de la forte population scolaire que n’arrivent pas à contenir les établissements
publics. A côté de ce groupe scolaire, l’ADD ambitionne également de promouvoir la mise en place
d’un atelier de formation socio-professionnelle pour faire face aux cas d’échec scolaire des jeunes
du quartier. Concernant le salon, l’ambition du GPF consiste à diversifier ses marchés (au niveau
des hôtels de la ville ou de l’université…) et à développer le volet apprentissage de métiers pour les
jeunes filles du quartier. De tels projets confirment la mouvance entrepreneuriale de l’ADD autour
de l’encadrement socio-éducatif des enfants et des jeunes, de la formation des jeunes filles et des
femmes du quartier et enfin, de l’insertion socio-économique de ses membres.

Toutefois, une telle vision reste pour le moment à l’état de vœux pieux. Il n’y a pas encore de
discussions autour de telles idées de projets et les documents de l’association n’en font pas encore
état. Pour le moment, il n’y a ni étude de marchés ou de faisabilité, ni identification des clientèles
probables. C’est dire que leur réalisation reste liée plus à la présence d’opportunités qu’à la mise en
œuvre d’un plan de travail stratégique. Mais une telle démarche risque de poser les mêmes
problèmes que ceux rencontrés par la garderie, à savoir un démarrage de projet sans plan de
réalisation, ni mécanismes de gestion, à l’origine des problèmes de gouvernance organisationnelle
que connaît actuellement l’ADD.

4.3. Performance socio-économique

4.3.1. Les activités entrepreneuriales de l’ADD

Cristallisant la mouvance entrepreneuriale de l’ADD, la garderie et le salon méritent d’être


analysés du point de vue de leur performance socio-économique. Concernant la garderie, son
ouverture précipitée, la location d’une maison en guise de local à un coût assez élevé et exigeant de
nombreux travaux de réaménagement ainsi que l’absence de plan stratégique de développement
seront à l’origine des conditions de démarrage difficiles. Celles-ci peuvent être appréciées par
exemple dans l’amenuisement du matériel pédagogique (des nattes sont utilisées à même le sol en
lieu et place de chaises et de tables bancs), expliquant d’ailleurs, l’hésitation de certains parents
d’élèves quant au professionnalisme de l’ADD à pouvoir assurer un encadrement adéquat de leurs
enfants. Toutefois, de tels risques furent vite levés du fait du volontarisme et du capital technique
engrangés par les employés dans le cadre des centres aérés ainsi que de la légalité conférée par
l’Inspection d’Académie. L’ADD va déployer également une stratégie proactive à divers niveaux.
230

Par exemple, le ciblage de trente huit personnes ressources pour aider à payer le loyer de la
garderie, lui permettra de se libérer de cette dépense «non manoeuvrable», durant deux à trois ans,
tandis que l’engagement d’un personnel composé de membres de l’association permettra de faire
des gains substantiels au niveau des salaires. Enfin, la mobilisation de partenaires notamment le
Partenariat Lille/Saint-Louis, l’ADC, Giraphe sans frontières et A Tout Ville permettra d’améliorer
sensiblement les conditions d’étude au sein de la garderie à travers notamment, la construction et la
réhabilitation de salles de classes ainsi que l’acquisition de matériels didactiques. La garderie
compte actuellement 3 salles de classes fonctionnelles regroupant trois sections (1 grande section, 2
classes de moyenne section et une petite section). En outre, elle arrive à mettre en œuvre le plan
pédagogique défini par l’inspection d’Académie en direction du préscolaire comme le confirme son
programme quotidien.

Tableau 4.2 : Activités de la garderie «Fonk Sa Wajur»


Types d’activités
- Prise en main, envolée, psychomotricité
- Éducation physique, Activités de découverte : sortie
- Activités d’éveil et de langage
- Éducation musicale, chants, graphisme, dessin libre
- Éducation environnementale
- Exercice de calcul
- Activités manuelles, conte, causerie
- Enseignement arabe

C’est certainement l’amélioration de l’état du local qui explique entre autres, l’évolution
positive du nombre d’enfants inscrits à la garderie, sanctionnant ainsi le degré de satisfaction des
parents d’élèves. Par ailleurs, la répartition par genre des élèves de la garderie, confirme le rôle que
le préscolaire peut jouer dans la promotion de la scolarisation des jeunes filles.

Tableau 4.3: Effectif de la garderie «Fonk Sa Wajur»de 2001 à 2003


Années Garçons Filles Total
2001 29 38 67
2002 54 73 127
2003 50 54 104
Source : Compilation des rapports d’activité de la garderie

Sur le plan financier, l’augmentation constante des élèves est à l’origine de l’évolution
exponentielle des revenus générés entre 2001 et 2002. En effet, le doublement du nombre d’élèves
inscrits entre 2001 et 2002 explique le fait que les revenus tirés du paiement des élèves, soient
231

presque quadruplés (passant de 402 000 à prés de 1 500 000 Fcfa)78 tandis que ceux provenant des
inscriptions se soient doublés durant cette période.

Tableau 4.4: Bilan financier de la garderie «Fonk Sa Wajur» entre 2001 à 2002 (Fcfa)

Sources de financement/ Année 2001 2002


Paiement mensuel élèves 402 500 1 496 500
Inscription 216 000 525 000
Personnes ressources 93 000 -
Total des revenus 711 500 2 021 500
Total des dépenses 768 235 1 465 000
Solde - 56 735 + 556 500
Effectif élèves 67 127
Source : Compilation des rapports d’activité de la garderie

Le doublement des dépenses tient essentiellement aux nombreux travaux de réaménagement


du local. Le solde financier de la garderie pouvait être plus important si ce n’était les nombreux cas
d’impayés : de 19 cas en 2001, le nombre d’élèves n’ayant pas honoré leurs mensualités sera de 69
cas en 2002. En outre, la plupart des parents omettent volontairement de payer le dernier mois
ouvrable (juin). La stratégie trouvée a consisté à intégrer ce mois dans les frais d’inscription
payable au début de l’année. Il se trouve que l’engagement de l’ADD à faire de la garderie un
service social au bénéfice de la population de Diamaguène, rend difficile toute idée d’exclusion
d’enfants pour non paiement. Ce conflit entre le but social de la garderie affiché dès le départ et les
exigences de rentabilité en l’absence de subvention, pèse lourdement sur sa viabilité. Par ailleurs, il
faut signaler que le bilan financier ne donne pas d’indication sur les financements extérieurs reçus
ou les travaux directement réalisés par des partenaires comme la construction d’une nouvelle classe
et d’une nouvelle toilette ou encore, les travaux de réhabilitation du local.

Malgré un contexte marqué par l’absence de subvention publique et la cotisation irrégulière


de certains élèves, l’ADD a pu assurer la performance de la garderie appréciable à travers
l’augmentation constante du nombre d’inscrits et subséquemment des revenus, ainsi que
l’amélioration des conditions de travail. Toutefois, l’ouverture de la garderie ne pouvait fournir des
opportunités aux nombreuses femmes et filles membres de l’ADD, expliquant la mise en place d’un
salon multifonctionnel (apprentissage de divers métiers comme la couture, broderie, tricotage,
sérigraphie, transformation du savon, alphabétisation) exclusivement destiné à sa base sociale
féminine:

78
1 dollar = 400 Fcfa
232

«Notre ambition, c’est de permettre à chaque femme et fille du quartier de pouvoir se contenter de
quelque chose pour pouvoir satisfaire ses propres besoins. Nous, nous avons choisi la formation
autour d’activités dont a besoin toute femme dans son ménage. Notre ambition, c’est de lutter contre
le chômage chez les femmes et jeunes filles en leur donnant l’opportunité de pouvoir exercer un
métier qui peut leur apporter un bénéfice à la fois dans leur ménage comme dans leur vie
professionnelle» (F.S, ADD).

L’orientation du salon autour de la formation socio-professionnelle et de la confection-vente


de vêtements fait que sa gestion économique apparaît moins complexe que celle de la garderie Son
bilan financier dénote l’évolution positive des sources de revenus supérieure aux dépenses. Les
ressources générées sont en partie réinvesties lors d’opération de confection-vente pour fournir le
matériel d’apprentissage et en partie, distribuées aux femmes participantes.

Tableau 4.5: Bilan financier du salon de Novembre 2003 à Août 2004 (en Fcfa)
Période Entrée Dépense Solde
Du 13-11-03 au 12-01-04 260 465 134 215 + 126 250
Du 13-01-04 au 12-03-04 457 200 151 100 + 306 100
Du 13-03-04 au 15-08-04 557 495 332 510 + 224 985
TOTAL 1 275 160 617 825 + 657 335
Source : Compilation des rapports d’activité du salon des femmes

Toutefois, ce bilan financier ne prend pas en compte, ni l’indemnisation des femmes


mobilisées durant les diverses activités de confection-vente, ni le remboursement des dettes
contractées auprès de l’ADD ou auprès des commerçants pour pré financer de telles activités, ni
l’amortissement du matériel de production. C’est dire que la compatibilité simplifiée en termes
d’entrées/ dépenses que l’ADD pratique tant dans la garderie que dans le salon, renseigne sur les
mouvements de transaction financière (gestion courante, investissement), mais ne fournit pas
d’indications suffisantes pour évaluer la rentabilité économique de ses activités entrepreneuriales.
Elle renseigne également sur le fait qu’en contexte de précarité, les initiatives économiques
populaires semblent plus être préoccupées de générer des revenus que de rentabiliser les
investissements (Zett, 2004).

A ce titre, il faut noter que la production à crédit, les faibles moyens du GPF, le coût
exorbitant des matières premières (fil, produits de teinture…) à l’origine de l’irrégularité de la
production, l’absence d’identification d’un marché potentiel font que le salon rencontre de sérieux
problèmes de viabilité économique qu’accentue la concurrence du marché central de la ville située
aux frontières du quartier. Dans un tel contexte, les femmes du salon attendent des opportunités de
233

marché réel pour procéder à des opérations de confection-vente afin d’éviter de prendre trop de
risque comme le début de l’année scolaire, la fête de Tabaski, le festival de jazz:

«Presque toutes nos productions aboutissent à des pertes, lorsqu’on rembourse nos dettes et lorsqu’on
donne des motivations aux femmes que nous mobilisons…Mais, il ne faut pas oublier aussi qu’on est
encore qu’au début. Donc, il ne s’agit pas réellement de pertes, car notre ambition c’est d’abord
apprendre aux jeunes filles et aux femmes du quartier des métiers utiles pour ensuite faire connaître
nos produits au public. C’est pourquoi, nous nous limitons actuellement aux activités de formation et
d’exposition pour nous faire mieux connaître du public. (…) Notre difficulté, c’est que nous
empruntons tous les produits dont nous avons besoin, l’argent que nous disposons est tellement
minime qu’il ne peut pas soutenir nos activités. La recherche de bénéfice nous intéresse beaucoup.
Mais, pour avoir des bénéfices, il faudra d’abord avoir des moyens financiers importants. (…) Nos
contraintes se situent autour d’un local adéquat, du financement et du matériel de production. Et pour
cela, il nous faut avoir des appuis. Nous, on fait ce qu’on peut en fonction de nos capacités et je peux
vous dire qu’au moment où je vous parle, nous sommes arrivées au bout de nos efforts, nous avons
tout donné…Nous avons accepté de travailler bénévolement, de former des femmes… La seule chose
qui peut permettre au salon de se développer et de dépasser son niveau actuel, ce sont des appuis, mais
nous, on a tout donné.» (F.S. ADD).

Au-delà de la question de la viabilité économique, se pose un conflit de logiques au sein du


salon entre son orientation d’insertion par l’économique et les attentes réelles des femmes
participantes en termes d’insertion économique. En effet, l’insertion par l’économique rend compte
d’un processus d’habilitation d’une personne en marge du marché de l’emploi en renforçant ses
capacités techniques. Elle relève d’une mise en situation professionnelle utilisant comme support un
métier qui ne débouche pas forcément sur un emploi, mais renforce les atouts des personnes cibles
pour accéder à un emploi rémunéré ou indépendant. Par contre, l’insertion économique vise à
insérer économiquement une personne en marge du marché de l’emploi en lui assurant un emploi
salarié ou non salarié. Cette différence entre dynamique d’insertion économique que recherchent les
femmes pour assurer leur autopromotion, et dynamique d’insertion par l’économique que cherche à
promouvoir l’ADD en offrant des opportunités d’apprentissage socioprofessionnel à ses membres,
n’est pas toujours opérée au sein de la plupart des organisations initiatrices de telles initiatives
entrepreneuriales. En conséquence, la débauche d’énergie ainsi que la mobilisation permanente
qu’exigent de telles activités, surtout durant leur phase d’émergence, sont sans commune mesure
avec les ressources générées, engendrant ainsi des situations socioprofessionnelles précaires, ce qui
est source de déstabilisation de la base sociale.

Par ailleurs, il semble plus approprié d’analyser la performance socio-économique de l’ADD


à travers une perspective plurielle, en lien avec son objectif de développement communautaire et de
promotion de ses membres.
234

4.3.2. Analyse de la performance socio-économique de l’ADD

La performance plurielle de l’ADD peut être appréciée tant à travers ses activités d’utilité
publique destinées au quartier, ses activités d’encadrement socio-éducatif en direction de groupes
sociaux vulnérables (enfants, jeunes filles et femmes), qu’à travers ses activités d’insertion par
l’économique et d’insertion socio-économique de ses membres.

L’analyse des principales réalisations de l’ADD renseigne sur le fait que les activités de
développement communautaire se sont surtout développées durant ces deux premières années
d’existence de 1994 à 1996, autour notamment d’activités de mobilisation sociale et d’utilité
publique qui lui ont permis de se forger une légitimité socio territoriale. La spécification des
interventions de l’ADD autour de groupes cibles à partir de 1996, va concerner surtout les enfants
et les femmes. C’est le cas par exemple de l’ouverture d’une classe d’alphabétisation destinée aux
femmes du quartier en 1996 et du projet de mise en place d’une union des groupements de
promotion féminine du quartier de Diamaguène. L’ADD jouera le rôle d’intermédiation entre les
GPF du quartier et le Partenariat Lille/ Saint-Louis qui va offrir en mai 1996, une subvention sous
forme de crédit rotatif à deux GPF de Diamaguène en vue de réaliser des activités génératrices de
revenu.

Quant aux actions d’appui en direction des enfants, elles augurent de la spécialisation de
l’ADD autour de l’encadrement socio-éducatif des enfants et des jeunes du quartier (3 à 14 ans).
Aux patronages à partir de 1996 (encadrement d’enfants durant l’après midi durant 21 jours)
renouvelés trois années de suite, se sont succédées des brigades organisées durant toute l’année en
raison de deux jours par semaine (mercredi et samedi). L’expérience acquise poussera l’ADD à
organiser en 2000, un centre aéré qui va regrouper 120 enfants du quartier durant 21 jours. Cette
activité d’envergure, gérée par les moniteurs formés par l’ADD, positionne celle-ci dans
l’éducation alternative qui ambitionne d’élargir l’apprentissage scolaire à la promotion de la
citoyenneté, du civisme et du bénévolat.

Enfin, les activités de promotion des membres concernent non seulement la formation socio-
professionnelle (en collectivités éducatives, en métiers féminins), mais surtout les diverses
modalités de promotion de l’insertion socio-économique des membres: parrainage du GIE PNC de
1996 à 2002, placement de 10 membres à l’Ecole de Formation des Instituteurs en qualité de
volontaires de l’Éducation Nationale en 2000, ouverture d’une garderie communautaire d’enfants
235

permettant d’engager 10 membres comme personnel à partir de 2001, ouverture d’un salon
multifonctionnel regroupant 24 femmes membres de l’ADD en 2002 et une vingtaine de jeunes
filles dans le cadre du projet Enfant Jeunes Travailleurs.

Tableau 4.6 : Apport ADD dans la promotion de l’insertion socio-économique de ses membres

Type d’activités d’insertion des Nombre de membres Date


membres bénéficiaires
Parrainage d’un GIE PNC 4 1996-2002
Placement de membres comme 10 2000
volontaires de l’éducation nationale
Personnel de la garderie 10 Depuis 2001
Salon des femmes 24 Depuis 2002

L’évolution des réalisations de l’ADD confirme la spécialisation de ses domaines


d’intervention : à la totalisation de ses activités (consistant à agir dans tout domaine jugé utile au
développement communautaire du quartier) partagée d’ailleurs avec la plupart des organisations
communautaires (Ndiaye et Niang, 1998), s’est substituée une orientation plus ciblée depuis 1996-
1997 autour de l’encadrement socio-éducatif des enfants, de l’appui à des groupes cibles (jeunes et
femmes) et enfin, de la promotion de l’insertion socio-économique de ses membres. Les
mécanismes en toile de fond de cette performance plurielle de l’ADD traduisent sa dynamique
innovatrice. Celle-ci peut être appréciée à travers ses «spécificités méritoires» comme par exemple,
la pertinence de sa lecture de la situation du quartier ou encore sa capacité à détecter et à structurer
la demande sociale du quartier, de groupes sociaux ainsi que de ses membres en la transformant en
un projet mobilisateur pouvant intéresser les partenaires au développement (Parodi, 1998). C’est le
cas de la plupart de ses activités qui ont reçu le soutien de partenaires comme le salon
multifonctionnel des femmes (ONG Les Cultures) ou encore ses activités socio-éducatives au profit
des enfants (coopération décentralisée, ADC). Dans ce cadre, sa dynamique auto promotionnelle
consistant à financer une partie de l’activité, a beaucoup séduit les partenaires au développement de
plus en plus soucieux de voir les acteurs sociaux contribuer au financement de leurs propres projets.
Par exemple, avant de solliciter l’appui de la Commune, du Conseil Régional et du Partenariat dans
le cadre de ses activités socio-éducatives en direction des enfants du quartier, l’ADD avait déjà
organisé des séances de préfinancement (kermesse, soirée dansante, vente de poissons…) et avait
également demandé aux parents d’élèves de verser une contribution financière. A ce titre,
l’expérience de l’ADD questionne l’approche en termes de marchandisation du social du moment
où, en contexte de faibles capacités des pouvoirs publics à répondre à la demande sociale que
236

n’arrive pas à combler le privé, le secteur associatif apparaît comme celui qui peut permettre à des
groupes sociaux marginalisés d’accéder à certaines ressources.

A ce titre, l’ADD semble acquérir une solide expérience en matière d’hybridation des
ressources pour assurer la réalisation de ses activités. Outre le cofinancement (contribution de
l’ADD et des cibles), il faut noter l’appui technique et/ ou financier des partenaires: les pouvoirs
publics (collectivités locales et services décentralisés), des ONG locales (ASBEF, ANAFA, RADI,
Claire Enfance), de la coopération internationale (Partenariat Lille-Saint-Louis, Association les
Girafes, Les Cultures, A Tout Ville) et enfin, le réseau associatif et mutualiste local (CECAS,
CEMEA, GRACE). Enfin, le bénévolat des membres de l’ADD constitue sa principale ressource
tant pour ses activités associatives qu’entrepreneuriales. En effet, si le bénévolat demeure au cœur
de la dynamique associative, il faut rappeler qu’en contexte de précarité, il permet à l’association de
compenser la faible rentabilité de ses activités en permettant d’engager un personnel à partir de sa
base sociale. A ce titre, la saisie de cette valeur sociale ajoutée de l’entrepreneuriat communautaire
qu’est le bénévolat, interpelle la recherche du fait de la difficulté méthodologique à déterminer par
exemple la contribution des bénévoles.79 Cet écueil méthodologique est rendu plus complexe par le
fait que la pérennité du salon et de la garderie est largement fonction du bénévolat des membres de
l’ADD qui prolongent à travers de telles activités entrepreneuriales leur engagement associatif.
C’est ce qui les a amenés à accepter des indemnités dérisoires faisant du lien entre l’ADD et ses
employés, un lien plus associatif que professionnel. Un autre mécanisme sous-tendant la
performance de l’ADD, peut être trouvé dans l’arrimage qu’elle a pu établir entre la demande
sociale territoriale et celle de ses membres. C’est le cas notamment de la garderie qui articule le
souci de l’ADD d’assurer l’auto-promotion de ses membres ainsi que sa visée de contribuer à la
promotion des populations du quartier: elle offre des opportunités d’insertion socio-professionnelle
aux membres de l’ADD déjà formés ainsi que des opportunités d’encadrement socio-éducatif des
enfants conformément aux souhaits des parents d’élèves de voir s’ouvrir une structure préscolaire
dans le quartier.

C’est cette performance plurielle qui fait de l’ADD, l’une des associations les plus en vue
dans la ville de Saint-Louis. Mais sa visée entrepreneuriale demeure mise à rude épreuve du fait
d’un ensemble de facteurs défavorables (absence de plan stratégique, absence de moyens financiers,

79
A cet effet, l’équipe de Quarter a avancé des outils de calcul du bénévolat en prenant en compte des
variables comme les tâches réalisées, le nombre d’heures consacrées bénévolement, les dépenses engagées et
non remboursées, la valeur estimée des compétences... (Quarter, 2002)
237

faible appui institutionnel, problème de local et de matériels de travail, gestion associative…). Elle
est arrivée à faire face à ses difficiles conditions de démarrage en s’appuyant sur sa dynamique
associative, source d’atouts non négligeables en termes de mobilisation sociale, de bénévolat des
membres compensant la faiblesse des moyens financiers, de valorisation de leurs compétences, de
proximité avec la communauté territoriale…Toutefois, au fur et à mesure que les initiatives
d’entrepreneuriat communautaire dépassent l’étape d’émergence, le mode de fonctionnement
associatif devient insuffisant pour soutenir la transition et l’expansion et pourrait même devenir
pesant sur la visée entrepreneuriale. C’est le cas notamment lorsque les membres qui s’étaient
mobilisés bénévolement pour mettre en place l’activité entrepreneuriale, développent des attentes
trop fortes que la rentabilité financière actuelle n’arrive à supporter. C’est pourquoi, la mouvance
entrepreneuriale des associations si elle n’est pas soutenue et planifiée, pourrait aboutir à
déstabiliser la dynamique associative des organisations communautaires soumises à une forte
demande de leurs membres en termes de revenus distribués ou d’insertion socio-économique.
Enfin, notons que la logique éco sociale de l’entrepreneuriat communautaire dans un contexte
marqué par l’absence de subvention, demeure difficilement soutenable pour des organisations
intervenant dans des secteurs sociaux ou ciblant des acteurs défavorisés (peu susceptibles de faire
des bénéfices). Elle risque à ce titre des intégrer dans une logique de gestion quotidienne de survie
générant certes des revenus, mais tout en étant peu viable économiquement.

4.4. Rapport au développement local

4.4.1. Ancrage socio-territorial de l’ADD

L’ancrage socio-territorial de l’ADD demeure pluriel. Il peut être apprécié tant au niveau de
ses membres résidant tous le quartier, de ses cibles constituées de groupes sociaux vulnérables
(enfants, jeunes, femmes, jeunes filles) ainsi que de ses multiples actions ayant un ancrage
territorial. Il s’agit d’activités d’utilité publique, d’encadrement socio-éducatif des enfants, de
formation socio-professionnelle ou encore, de promotion de l’insertion socio-économique de ses
membres. De telles activités participent de l’habilitation d’un bassin d’habitants en leaders «aux
pieds nus» mobilisés autour de la promotion de leur quartier. A ce titre, l’entrepreneuriat
communautaire apparaît comme un espace de structuration des populations, de mise en situation
professionnelle, d’apprentissage de l’auto-promotion ou encore de promotion de l’éducation au
développement et d’une citoyenneté active. De telles opportunités permettent à des personnes pas
238

ou peu insérées professionnellement de négocier leur insertion socio-économique tout en rendant


service à leur communauté territoriale.

L’impact socio-territorial de l’ADD concerne également, la mobilisation de partenaires divers


autour des problèmes de développement du quartier avec notamment des effets induits en termes de
financements injectés et de réseautage (cf réseau partenarial). Son expérience démontre que les
acteurs sociaux arrivent à négocier directement des financements alors que dans un passé récent
(jusqu’à la fin des années 1980), ce rôle était dévolu exclusivement aux pouvoirs publics (Etat et
collectivité locale). S’il est difficile d’isoler l’action de l’ADD de celle d’autres acteurs présents
dans le quartier comme le Conseil de Quartier, cette association demeure partie prenante de
l’intervention de divers partenaires dans le quartier de Diamaguéne, contribuant ainsi, à
repositionner ce dernier dans la dynamique d’auto promotion territoriale80.

Les effets induits par les activités promues par l’ADD participent à renforcer l’empowerment
local dont la portée renseigne sur le renforcement du pouvoir d'initiative et de décision des
populations locales dans la définition et la mise en œuvre d’actions de développement affectant leur
espace de vie, en relation avec des partenaires divers. A ce titre, l’expérience de l’ADD s’intègre
dans le cadre de l’auto promotion, à savoir un processus endogène s’affirmant dans des pratiques
autonomes de développement assimilable à un acte politique, traduisant une plus grande maîtrise
locale du processus de développement par les acteurs locaux (Hong, 1991).

Sur ce plan, le positionnement marqué de l’ADD comme un espace de prise en charge de


problèmes concrets liés au cadre de vie du quartier, a contribué à recomposer le leadership
territorial au sein du quartier. En effet, aux leaders politiques (élus municipaux, chef de sections de
partis politiques, leaders religieux), s’ajoutent de plus en plus des leaders associatifs disposant
d’une légitimité non pas conférée par l’appartenance à un parti mais par les habitants ou par un
groupe social :

«Comme vous le savez, dans ce pays pour avoir certains postes de responsabilité, il faut se fondre dans
les partis politiques. Et vous savez que beaucoup de personnes ont la phobie de la politique parce que
si les politiciens avaient réussi, nous, nous n’allons pas nous déployer dans ces associations pour faire
du développement. Donc c’est l’échec des politiciens qui nous ont poussé à mettre sur pied toutes ces
associations comme l’ADD. Comme vous le voyez, il y a une différence entre les politiciens et nous
les leaders associatifs. Mais je pense qu’il faudrait revoir les textes pour permettre aux leaders
associatifs d’être mieux responsabilisés parce qu’on voit un conseiller municipal du quartier qui n’a

80
Le Conseil de Quartier de Diamaguène et l’ADD ont pu mobiliser avec l’appui de l’ADC, de gros
partenaires comme l’Union européenne ainsi que des organisations de la coopération française.
239

aucune audience dans le quartier représenter le quartier au conseil municipal… C’est un défaut dans
notre pays de croire qu’il faut être politicien pour représenter la population». (L.W, ADD).

Dans un contexte de remise en cause des pouvoirs publics (lenteur de leur réaction,
éloignement avec «le monde d’en bas», promesses non tenues…), le mouvement associatif apparaît
comme un espace permettant à de nouveaux leaders d’émerger au sein de l’espace public local en
dehors de toute appartenance partisane, s’intégrant ainsi dans la «société civile». C’est cette
recomposition du leadership socio-territorial qui explique le fait que le recul du militantisme
politique ne traduit pas toujours une baisse de la participation politique des citoyens mais plutôt, un
transfert au sein du communautaire de préoccupations centrées la plupart du temps sur les
conditions de vie. Les acteurs locaux semblent donc prendre de plus en plus de la distance par
rapport à leur investissement dans les partis politiques pour militer davantage dans des cadres ou
des espaces (le communautaire et la société civile) plus maîtrisables et plus proches de leurs
préoccupations et qui, par la suite, pourraient investir le champ politique pour constituer un contre-
pouvoir ou une force de négociation (Kanté, 2002). C’est dire que l’entrepreneuriat communautaire
participe du jeu socio-politique car traduisant une forme d’expression de la conscience politique
populaire au niveau local. Toutefois, cette légitimité délibérative ne saurait remettre en cause la
nécessité d’une démocratie représentative garantie par les élus et renseigne plutôt sur le fait que
l’entrepreneuriat communautaire participe de la diversification des espaces de délibération au sein
du territoire, ce qui est source de démocratisation de l’espace public local (Eme, 1996 et 2005). A
l’espace institutionnel (conseil municipal), s’ajoutent selon diverses modalités (complémentaire ou
concurrentielle), un espace sociocommunautaire porté par des groupes sociaux ou par des leaders
sociaux.

Par ailleurs, on peut noter que le leadership associatif reste fortement circonscrit autour du
quartier ou du secteur d’intervention de l’organisation et ne porte pas toujours d’ambitions vers des
espaces publics plus larges comme la ville. Par exemple, aucun des leaders de l’ADD n’a manifesté
d’ambition pour aller investir l’espace municipal, tous préférant rester dans le quartier. Cette
caractéristique du leadership associatif, qui s’explique aussi par les craintes de récupération
politique ou d’instrumentalisation ne fait que traduire le caractère circonscrit des activités de
l’association autour d’un secteur du quartier. C’est le cas de l’ADD où, à la fois la garderie et le
salon sont situés au sein du secteur où résident la plupart des membres, le salon étant situé dans la
maison de la présidente qui a offert gratuitement une de ses chambres. C’est d’ailleurs cette
tendance à se limiter à une partie du quartier qui a alimenté la critique de certains groupes sociaux,
240

notamment le conseil de quartier à l’effet que l’ADD ne peut revendiquer représenter tout le
quartier de Diamaguéne.

4.4.2. Réseautage local

L’ADD est bien intégrée au réseau associatif lié à ses domaines d’intervention. Dans le
domaine de l’encadrement socio-éducatif des enfants, elle est en relation étroite avec les deux
principales organisations du secteur, à savoir le CEMEA et le GRACE qui ont d’ailleurs formé ses
moniteurs en collectivités éducatives. Dans le domaine de l’alphabétisation, elle est membre de
l’ANAFA qui lui a accordé deux prêts appelés «prêts d’urgence» dans le cadre du salon des
femmes. Elle a adhéré également à la CECAS81 où elle a pu obtenir deux lignes de crédit. Ces
crédits obtenus auprès de l’ANAFA et de la CECAS ont permis de garantir la pérennité de la
garderie et du salon notamment en pré finançant certaines achats ou certaines opérations.

L’intensité des relations entretenues par l’ADD avec des associations intervenant dans les
secteurs liés à ses activités entrepreneuriales, s’oppose aux relations mitigées entretenues avec le
tissu associatif intervenant au sein du quartier de Diamaguéne. D’un côté, on voit des invitations
lors d’activités, d’un autre côté, on peut noter des relations difficiles avec certaines associations. Ce
dernier cas concerne le projet qu’a eu l’ADD, relatif à la mise en place d’une Union des GPF de
Diamaguéne (UGD). Même si ce projet a débouché sur un micro crédit financé par le Partenariat82,
il a échoué du fait des suspicions réfutant l’ambition fédératrice de l’ADD, auxquelles se sont
ajoutés les querelles de leadership ainsi que le climat de concurrence tacite à laquelle se livraient les
GPF. Toutefois, l’un des conflits majeurs auxquels fut confrontée l’ADD concerne ses relations
avec le conseil de quartier (CQ) de Diamaguéne.

Ce problème remonte en 1995, soit une année après la création de l’ADD. En effet, c’est
durant cette période qu’obnubilée par la critique populaire au sein des différents quartiers de la
ville, la Commune de Saint-Louis a décidé, avec l’appui de la coopération décentralisée, d’initier
une politique de développement local en érigeant le quartier comme échelle stratégique de
représentation politique et de planification locale. Cette volonté politique débouche sur la mise en
place de conseil de quartier. L’enjeu autour de la mise en place des CQ était de promouvoir la mise
en place d’un dispositif autonome populaire et représentatif exclusivement mobilisé autour des

81
Cette mutuelle fait partie des quatre études de cas.
82
Cette initiative sera reprise par les CQ pour mettre en place en 2001, une mutuelle d’épargne et de crédit
regroupant les différents GPF des quartiers.
241

problèmes de développement du quartier et dont les responsables, démocratiquement élus par la


population, avaient aussi une légalité du point de vue de la Commune (Ndiaye, 2004). Promouvant
une gestion urbaine de proximité, le CQ a pour mission de promouvoir la mobilisation des acteurs
locaux autour du développement communautaire du quartier et de constituer un relais entre ce
dernier et les partenaires, en particulier la Commune. Du point de vue de sa composition, le CQ
regroupe les associations et groupements, le délégué de quartier ainsi que les élus municipaux
résidant dans le quartier83. Le choix du quartier de Diamaguéne comme expérience test dans la mise
en place des CQ a été le produit d’une sélection basée sur son dynamisme associatif ainsi que sur
son caractère défavorisé (PDQ Diamaguéne, 2001). Toutefois, la mise en place de cette structure
répondant aux mêmes objectifs que l’ADD va beaucoup contrarier les leaders de cette association
pour qui, une telle initiative ressemblait à une tentative de récupération politique d’une dynamique
endogène par une Commune cherchant à imposer ses propres structures :

«L’association avec qui nous avions eu le plus de problème, c’était le conseil de quartier. Nous, nous
avions mis en place une association de développement compte tenu des problèmes que rencontrait
notre quartier. Notre ambition était de faire de l’ADD une association fédérative de toutes les
associations du quartier. Mais lorsque la mairie nous a dit qu’elle voulait créer un conseil de quartier,
cela nous a beaucoup surpris… Parce que nous nous sommes rendus compte que tout ce que le conseil
s’était fixé comme objectifs, nous on se l’était fixé d’avance. Pour nous, on peut créer des conseils
dans les quartiers où il y a un vide, mais à Diamaguène, il n’y avait pas de vide. C’était absurde de
créer cela ici... On voulait nous fragiliser après avoir vu les résultats que nous avions obtenus sans
l’aide de personne. Cela a créé un grand problème dans le quartier. (…) . C’est vrai qu’aujourd’hui on
a dépassé ce conflit parce nous sommes devenus membres du conseil. Ensuite, je pense que les
problèmes du quartier sont nombreux et que chacun a sa place» (N.C.W, ADD).

L’enjeu d’un tel conflit dépassait le cadre du quartier parce qu’opposant deux logiques de
développement local, à savoir une initiative endogène construite de l’intérieur des communautés
territoriales et une dynamique institutionnelle impulsée par une collectivité locale voulant renouer
le dialogue social. Autrement dit, il s’agit de se demander entre cette structure associative endogène
marquant une volonté d’auto promotion d’acteurs sociaux et le CQ composé des structures
associatives du quartier et promu par la Municipalité, lequel pouvait représenter valablement la
communauté territoriale? Le climat tendu entre les responsables de l’ADD et les leaders du CQ
d’une part et d’autre part, avec l’équipe technique chargée d’appuyer la mise en place des CQ à
savoir le PRADEQ va aboutir au boycott de l’ADD. Il faudra attendre 1997 à la faveur du
renouvellement de l’équipe technique du PRADEQ, pour voir l’ADD adhérer au CQ. Toutefois, le
climat concurrentiel entre ces deux organisations a attisé leur dynamisme débordant et le
volontarisme de leurs membres. Actuellement, c’est un des leaders de l’ADD qui occupe le poste de

83
Le délégué de quartier et les élus municipaux sont membres à titre consultatif du CQ.
242

premier vice président du CQ. Il semble bien que la stratégie de l’ADD a bien changé en ce sens car
il s’agit pour elle d’intégrer le conseil de quartier pour pouvoir mieux influer sur les décisions
locales :

«Aujourd’hui, il m’est difficile d’affirmer que nos relations avec le conseil de quartier se sont vraiment
améliorées. En tout cas, cela va dans le bon sens puisque l’actuel vice président du CQ est un des
responsables de l’ADD. Je pense que c’est une bonne chose d’intégrer le conseil de quartier, parce que
cela nous permet de voir ce qui se fait à l’intérieur et on ne peut pas juger quelque chose qu’on ne connaît
que de l’extérieur» (N.C.W, ADD).

Sur un autre plan, il faut noter l’absence d’un réseau local des associations de
développement de quartier. Il y a certes des structures associatives fédératives mais, la plupart sont
d’ordre sectoriel autour du sport (Organisation Départementale de Coordination des Activités de
Vacances) ou autour de la jeunesse (Conseil Communal de la Jeunesse). En fait, le caractère
circonscrit des associations de développement de quartier ne facilite pas l’émergence d’une
structure de coordination et de représentation de ces types d’associations.

4.4.3. Dynamique partenariale

4.4.3.1. Rapport aux collectivités locales

En boycottant la mise en place du CQ de Diamaguéne, l’ADD risquait de se voir marginaliser


à la fois par la Commune, l’ADC et le Partenariat, c’est-à-dire les partenaires stratégiques des
initiatives locales de développement au sein de la ville de Saint-Louis. En effet, ces trois acteurs qui
étaient les porteurs de l’implantation des CQ dans les différents quartiers, ne pouvaient supporter
une association dont l’action risquait de remettre en cause la dynamique de développement local
destinée à restaurer le dialogue social entre les élus et les populations. C’est pourquoi, depuis son
adhésion au CQ, l’ADD a pu bénéficier d’un appui soutenu de l’ADC dans le cadre de ses activités
socio-éducatives et du Partenariat dans le cadre du fonds de développement local. Celui-ci lui a
octroyé une subvention pour des travaux de réaménagement de salles de classe et d’achat de
matériel au profit de la garderie «Fonk Sa Wajur».

Le problème lié à l’implantation du tout premier CQ dans la ville informe sur les difficultés
entourant le partenariat entre les collectivités locales initiatrices de processus de développement
local, et les acteurs sociaux porteurs d’initiatives d’auto-promotion locale mais organisés autour de
leurs propres structures de représentation. Le problème est rendu plus aigu par le fait que les
243

relations entre les associations locales et les collectivités locales semblent être marquées par la
suspicion et le cloisonnement de l’action où chacun des acteurs marque sa volonté de déployer ses
propres initiatives de manière autonome (Topor et Goerg; 1989; Soumaré, 1999).

A ce titre, l’expérience de l’ADD démontre les difficultés des collectivités locales à


s’appuyer sur les dispositifs endogènes pour renouveler les modalités de gestion publique, préférant
la plupart du temps valoriser les structures qu’elles ont contribué à mettre en place ou qu’elles
contrôlent. C’est ce qui explique le fait que malgré l’existence d’une association de développement
de quartier, la Commune de Saint-Louis a préféré promouvoir la mise en place d’un CQ alors qu’il
y avait la possibilité de partir de la dynamique déjà déployée par l’ADD. Il reste que les
préoccupations d’uniformisation des CQ dans tous les quartiers de la ville, le caractère
expérimental du cas de Diamaguéne ainsi que la jeunesse de l’ADD (un an après sa création),
rendaient difficiles l’ajustement de la forme organisationnelle des CQ. Par ailleurs, le
positionnement institutionnel des CQ encore flou entre relais du quartier avec l’extérieur et maître
d’œuvre cherchant à réaliser des actions de développement (ce qui le met souvent en concurrence
avec les associations) semble obstruer l’accès direct des associations aux partenaires. C’est le cas
par exemple lorsque ces derniers font de l’accord préalable des CQ aux dossiers présentés par les
associations, une condition de recevabilité:

«J’ai l’impression que nous sommes bloqués par les conseils de quartier, parce que les partenaires se
disent que les conseils regroupent tout le quartier alors que nous, on ne regroupe que nos membres, à
savoir des individus. Vous savez, ce sont les associations de base qui font fonctionner le conseil, donc
sans nous, le conseil ne peut pas marcher. Je pense que les partenaires doivent faire la part des choses
et cesser de se limiter aux grandes structures» (M.N, ADD)

Sur un autre plan, cette expérience informe également des difficultés que présentent les
associations locales à construire des compromis avec les pouvoirs publics, restant la plupart du
temps dubitatives sur la volonté politique des hommes politiques du fait des risques
d’instrumentalisation. Par exemple, l’ADD n’a pas démontré sa disponibilité à ajuster sa base
sociale composée uniquement d’individus alors que le CQ ambitionnait de regrouper à la fois des
associations, des groupements et des élus. Toutefois, il semble bien que ce cas de Diamaguéne ait
servi d’expérience pour les autres quartiers. Désormais, la mise en place de CQ n’est envisagée à
Saint-Louis qu’en cas d’absence d’un dispositif similaire dans les quartiers d’intervention. Ce fut le
cas du quartier de Darou notamment où l’association de développement de quartier s’est transformé
en CQ en s’ouvrant à toutes les structures associatives intervenant sur son territoire.
244

Sur ce même plan, on peut signaler que le rapport des associations locales aux pouvoirs
publics locaux, limité la plupart du temps au Maire renforçant ainsi la marginalisation des
commissions municipales, dénote un accent marqué autour de la demande d’appui au détriment de
l’appréciation critique des modalités d’action des collectivités locales, de l’architecture
institutionnelle locale ou encore de la nature des relations. Par exemple, lors des entretiens, le
discours des membres de l’ADD concernait des reproches quant au faible appui financier reçu de la
part de la Commune et ne questionnait ni la logique d’action de celle-ci, ni la nature de ses rapports
avec le mouvement associatif, ni ses choix budgétaires Cette position de demandeur d’appui et
dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics locaux fragilise la position socio-politique des
associations comme porteuses d’alternatives, cherchant plus à bénéficier d’appuis ponctuels qu’à
influer sur le mode de gestion publique locale ou amener les collectivités locales à reconnaître leur
impact socio-territorial. Une telle position, qui interroge leur potentiel alternatif, renseigne sur le
fait que les associations se laissent enfermer par leurs préoccupations socio-économiques et
n’assument pas suffisamment les enjeux socio-politiques structurant leurs activités. Elle confirme la
thèse de certains chercheurs selon laquelle, il faut différencier l’association du mouvement social
plus engagé dans la transformation sociale : « L’association ne poursuit pas forcément le
changement à long terme du modèle culturel de la société à venir, elle met en place des réponses à
la réalité immédiate » (Laville, 1997 : 334)

Par ailleurs, une telle position dénote la faible articulation de l’appui technique apporté par
l’ADC à l’action de la Commune. Par exemple, les appuis offerts par le PRADEQ et le FDL en
direction de l’ADD pour ne citer que ceux là, ne sont pas souvent liés à l’action de la Commune.
C’est le même cas aussi pour l’ARD concernant le Conseil Régional. C’est dire qu’un problème de
visibilité de l’action communale risque de se poser si les programmes de l’ADC n’essaient pas de
restituer le cadre institutionnel de leurs actions d’appui aux initiatives locales. A ce titre, il faut
noter que les relations soutenues entre l’ADD et l’ADC, dénotent une «marginalisation» des élus
municipaux dans la réception et le traitement de la demande sociale. En effet, le fait que
l’interlocuteur privilégié des associations et des porteurs d’initiatives locales soit l’ADC, traduit la
place de plus en plus importante prise par les experts techniques (alors qu’auparavant la demande
sociale transitait par les élus qui en faisait une source de légitimité socio-politique) dans la
promotion du développement local.

4.4.3.2. Nature des relations avec ses partenaires


245

L’analyse du réseau partenarial de l’ADD démontre une diversité de son réseau ainsi qu’une
évolution des types de partenaires. Aux partenaires associatifs liés à ses activités de mobilisation
sociale et d’utilité publique, se sont succédés des partenaires plus présents sur le terrain
entrepreneurial. Par exemple, aux services décentralisés (comme le CDEPS, le service régional du
tourisme et celui du développement communautaire) ou encore aux ONG nationales (RADI,
ASBEF) qui étaient ses partenaires traditionnels, on voit intervenir de plus en plus auprès de
l’ADD, des organismes de coopération internationale. A ce titre, le salon des femmes a été ouvert
grâce à un appui structurant en matériels de l’ONG italienne Les Cultures tandis qu’au niveau de la
garderie communautaire, le soutien financier du Partenariat Lille Saint-Louis (subvention pour
matériels didactique et réhabilitation des locaux) et d’associations françaises comme les Girafes ou
A tout Ville (construction de salles de classes) s’est révélé déterminant.

Tableau 4.7: Réseau partenarial de l’ADD

Partenaires Activités réalisées


ADC/commune de Saint-Louis - appui technique et financier
AGETIP - contrat de prestation de services autour du PNC
- appui pour activités d’utilité publique
ANAFA - appui à l’alphabétisation
- prêt d’urgence
ASBEF - appui pour activités d’utilité publique
- formation de relais communautaires
Association «Les Giraphes» - Réhabilitation d’une salle de classe et appui matériel
- Échange d’informations
Association A tout Ville - construction de deux salles de classes

ARD/ Conseil Régional - appui en matériel/ intermédiation avec partenaires


CDEPS - appui technique et financier
CECAS - deux lignes de crédit mutualiste
CEMEA et GRACE - formation de moniteurs
- appui aux activités socio-éducatives
CQ de Diamaguéne - intermédiation avec partenaires extérieurs
- coordination avec autres acteurs du quartier
FDL/ Partenariat/ADC - Subvention pour matériels pédagogiques
Hygiène - participation aux activités d’utilité publique
Inspection d’Académie - Appui institutionnel et technique
ONG Claire Enfance - Appui en matériels pour jeunes filles du salon
ONG «Les Cultures» - Financement du matériel du salon
RADI - formations diverses
Service Développement communautaire - appui institutionnel
Service du Tourisme - appui pour activités d’utilité publique

La diversité du réseau partenarial de l’ADD informe de l’hybridation d’acteurs pluriels


provenant de secteurs et d’échelles divers. Au niveau du secteur public, on peut noter les relations
difficiles avec la Commune, timides avec le Conseil Régional et enfin soutenues avec leurs organes
246

techniques, à savoir l’ADC et l’ARD ainsi qu’avec certains services décentralisés de l’Etat. Il faut
également signaler les relations avec le réseau associatif local tel que le conseil de quartier de
Diamaguéne ainsi que les structures spécialisées dans l’encadrement socio-éducatif telles que
CEMEA et GRACE (cf réseautage local). On peut noter également l’appui d’ONG locales (RADI,
ASBEF, ANAFA…) ainsi que les relations avec le secteur mutualiste (CECAS). L’échelle
internationale concerne les organismes de coopération internationale sus mentionnés. La diversité
du réseau partenarial de l’ADD constitue un indicateur de performance quant à la capacité de cette
organisation à mobiliser des acteurs stratégiques en vue de réaliser ses activités. A ce titre, l’ADD
est l’une des rares associations locales qui a pu mobiliser de manière autonome des partenaires
internationaux, en profitant des déplacements de ses membres dans ces pays (France et Italie).

Toutefois, l’appui de ses partenaires n’a pas encore suffi pour permettre à l’ADD de sortir de
la fragilité qui caractérise ses activités entrepreneuriales. En effet, il s’agit de petites actions d’appui
souvent ponctuelles qui ne s’intègrent pas toujours dans une perspective globale et intégrée.
L’absence de plan stratégique de développement de la garderie et du salon fait que les partenaires
interviennent au coup par coup en fonction des demandes ponctuelles formulées par l’ADD.

Conclusion

Par rapport aux trois questions posées en introduction relatives au sens, aux modalités et à la
portée de la mouvance entrepreneuriale des organisations communautaires, l’expérience de l’ADD
se révèle particulièrement intéressante pour fournir un certain nombre d’enseignements. Concernant
la premiére question, la mouvance entrepreneuriale des organisations communautaires apparaît
comme le produit de l’évolution historique des communautés locales engagées dans une dynamique
d’auto promotion dans un contexte de retrait des pouvoirs publics que n’arrive pas à combler le
privé, et où les acteurs sociaux doivent assurer par eux-mêmes leur insertion socio-économique. A
ce titre, l’expérience de l’ADD atteste que cette mouvance traduit une stratégie opportune déployée
par les acteurs sociaux souffrant le plus de la crise économique, en l’occurrence les jeunes et les
femmes en vue de transformer leur engagement social bénévole en faveur de leur communauté
territoriale en une source d’opportunités pour prendre en charge leurs préoccupations d’insertion
socio-économique ou socio-professionnelle. Un tel type de lecture refuse de lire la mouvance
entrepreneuriale des associations comme un simple palliatif visant à combler les carences de l’Etat
et du privé à qui il serait accordé une antériorité logique (Prouteau, 2003). En outre, il permet de
dépasser l’analyse en termes d’instrumentalisation du cadre associatif ou de dénaturation de
247

l’identité associative (du fait de la lucrativité et de la possibilité de rémunérer les personnes


mobilisées versus le bénévolat) pour interroger les tendances actuelles du mouvement
communautaire sénégalais, voire africain. Celles-ci mettent en relief la recomposition plurielle
concernant sa forme organisationnelle devenue hybride, son membership à tendance sociétaire, sa
spécialisation (versus totalisation des activités) ou encore sa dynamique d’empowerment local
permettant de renforcer le pouvoir d'initiative et de décision des acteurs sociaux dans la définition et
la mise en œuvre d’actions affectant leur territoire de résidence. S’il est difficile à l’état actuel
d’évolution du processus de déterminer les formes que prendra la mouvance entrepreneuriale des
organisations communautaires par contre, son caractère irréversible semble être attesté par le fait
qu’il s’intègre dans un mouvement plus global qui informe de la place de plus en plus grande prise
par le travail autonome, indépendant voire non salarié devant l’atonie des sources d’emploi formel.

Toutefois, le caractère spontané d’un tel processus dans un contexte marqué par l’absence de
cadre institutionnel de référence, fait que l’investissement du champ entrepreneurial par les
associations reste plus soumis pour le moment, à une logique d’apprentissage sur le tas et
d’expérimentation des modes de fonctionnement et d’organisation, qu’à une logique de gestion
professionnelle. C’est ce qui explique les difficultés rencontrées par ces genres d’associations pour
assurer une gouvernance organisationnelle cohérente et équilibrée en vue d’arrimer leur base
communautaire avec leur logique entrepreneuriale. A ce titre, les tendances qui émergent, font état
d’un accent marqué autour de la dynamique entrepreneuriale, négligeant ainsi la composante
associative. Dans ce cadre, la fragilité de la base organisationnelle interroge la capacité de ces
associations à assurer la viabilité de leurs activités entrepreneuriales.

Malgré les difficultés relatives aux modalités de gouvernance organisationnelle, l’expérience


de l’ADD témoigne de la performance plurielle des associations en mouvance entrepreneuriale. En
effet, celles-ci se révèlent être un espace de production/distribution de biens et services répondant à
la demande sociale locale ainsi qu’un moyen de vitalisation et de conquête de l’espace public local
pour leurs membres et notamment pour les leaders. Une telle tendance est partagée par le milieu
associatif ouest africain comme le confirme une étude récente (Wade et all, 2002). A ce titre, la
logique d’actions plurielles promue par le milieu associatif le positionne comme porteur
d’innovations sociales tant en matière de détection, de structuration, voire de prise en charge de la
demande sociale, qu’en matière de démocratisation de l’accès aux services sociaux de base
(éducation préscolaire, formation socio-professionnelle) au profit de groupes sociaux défavorisés.
L’articulation entre la demande sociale avec les préoccupations d’insertion socio-économique
248

constitue d’ailleurs une des modalités innovantes de l’ADD devant inspirer les pouvoirs publics
dans la lutte contre le chômage.

Mais la mouvance entrepreneuriale des organisations communautaires de base apparaît comme


expressive d’un processus inachevé d’auto promotion qu’accentue le maillage d’un cadre
institutionnel et juridique réservant la création de richesses exclusivement à l’Etat et au privé tout
en confinant les initiatives économiques populaires dans le développement social et dans
l’éducation populaire. Dans un contexte où les associations ont du mal à systématiser la spécificité
de leur logique d’action, la reconnaissance de leurs pratiques innovatrices par d’autres types
d’acteurs porteurs de logiques d’action différentes (Etat et privé), se trouve fortement compromise
(Develtere, 1998). Mais le décalage entre la mouvance entrepreneuriale des associations et le cadre
juridico-institutionnel n’informe pas seulement de l’obolescence de celui-ci. S’y ajoute le caractère
ambivalent et hybride du Sénégal contemporain tiraillé entre l’épuisement du mode de régulation
(que porte les pouvoirs publics notamment) et la faible reconnaissance des innovations sociales
portées par des acteurs émergents expressives d’un autre projet de société (O’Brien, 2002; Ndiaye,
2004). Cette contrainte structurelle peut s’apprécier dans les difficultés des collectivités locales à
s’appuyer sur les dynamiques autogérées pour renouveler leur logique d’action, préférant la plupart
du temps valoriser les structures qu’elles ont contribué à mettre en place ou qu’elles contrôlent
comme ce fut le cas avec le conseil de quartier. Malgré ce conflit de logiques entre deux
dynamiques de promotion du développement local (dynamique construire de l’intérieur des
communautés versus dynamique institutionnelle), des passerelles de collaboration ne manquent pas,
mais exigent du temps pour se concrétiser comme le démontre l’adhésion tardive de l’ADD au
conseil de quartier de Diamaguéne, après trois ans de boycott.
CHAPITRE V

MICRO FINANCE EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ: L’EXPÉRIENCE DE LA CAISSE


D’ÉPARGNE ET DE CRÉDIT DES ARTISANS DE SAINT-LOUIS (CECAS)

Introduction

L’objet de cette étude est d’analyser l’expérience de ce qui fut la premiére mutuelle autonome
à base corporative (regroupant des acteurs exerçant un même métier) au Sénégal, à savoir la
CECAS. En effet, mise en place en 1993 avant que la loi sur le secteur mutualiste n’émergea en
1995, la CECAS s’est fixée comme but de : «Subvenir aux besoins des artisans, en leur octroyant
un crédit à un taux d’intérêt raisonnable en nous basant d’abord sur l’entraide et la solidarité».
L’intérêt de cette étude monographique est de voir à l’œuvre comment le milieu artisanal, décrit
souvent sous les traits de la marginalisation, de la désorganisation, de la précarité et de la
propension à travailler de manière individuelle (Fall et all, 2001), a pu mettre en place et pérenniser
un système autogéré de production et de distribution de services financiers de proximité, à travers
une mutuelle d’épargne et de crédit (MEC), en vue de lutter contre l’exclusion financière dont
souffraient les artisans. L’enjeu de cette recherche est d’analyser, jusqu’où la portée des MEC se
limite à leur vocation originelle d’outil de lutte contre la pauvreté en réaction à l’exclusion
financière dont souffrent les populations défavorisées ou si au contraire, elle laisse entrevoir
l’émergence de dispositifs autogérés de financement de l’entrepreneuriat local.

Il faut rappeler que la floraison récente de systèmes financiers décentralisés84 en Afrique de


l’Ouest et plus particulièrement au Sénégal durant les années 1990, exprime la désarticulation entre
d’une part, un système bancaire en sur liquidités85, mais inaccessible à la majorité des populations
du fait de ses conditionnalités86, et d’autre part, une forte demande sociale en financement mais
réprimée (BCEAO, 2000, 2001 et 2002; Servet, 1995 et 2002). En effet, ce fut au lendemain de la
crise bancaire des années 1980, en réaction à leur exclusion du système bancaire classique, que des
groupes sociaux démunis ou marginalisés (notamment ceux du secteur informel et certaines

84
Mutuelle d’Épargne et de Crédit ou Institutions de Micro Finance ou Système Financier Décentralisé.
85
Par exemple, l’une des grandes banques sénégalaises, à savoir la BICIS vient de voir son produit net passer
de 17 milliards Fcfa à 19 milliards entre 2002 et 2003 (cf Le Quotidien du 5 Mai 2004).
86
Le terme «conditionnalités» rend compte des exigences déterminées unilatéralement par les bailleurs de
fonds pour fixer les conditions d’accès des pays en développement à leur financement. Concernant le secteur
bancaire, il s’agit des conditions d’accès au financement jugées au-delà de la portée de la majeure partie de la
population : taux d’intérêt élevé, garanties exigées, volume d’épargne préalable important, délai de
remboursement court, projet rentable financièrement…
250

fédérations féminines) vont déployer des initiatives autogérées de services financiers de proximité
en mettant en place des mutuelles ou des caisses d’épargne et de crédit. Cette dynamique du secteur
autonome différente du secteur intermédiaire,87 traduit une volonté d’auto-promotion socio-
économique portée par des groupes sociaux qui, s’inspirant des systèmes financiers traditionnels
(tontines, natt, sani jamra..), ambitionnent de capitaliser l’épargne de leurs sociétaires et
promouvoir la démocratisation de l’accès au financement à des conditions soutenables.

Quatre dimensions structurent le questionnement autour de la CECAS. D’abord, il s’agit de


déterminer les facteurs et les modalités à la base de cette initiative autogérée de constitution d’une
MEC spécifiquement destinée aux artisans. La seconde dimension a trait à la gouvernance
organisationnelle afin d’interroger la cohérence du dispositif organisationnel mutualiste. Autrement
dit, il s’agit d’étudier les modalités d’arrimage du mode de fonctionnement mutualiste88 par rapport
aux exigences de rentabilité socio-économique d’une organisation à orientation économique. Quant
à la troisième dimension, elle interroge la nature et le degré de performance de la CECAS dans la
production de services financiers de proximité ainsi que dans l’expérimentation de modalités
innovatrices de production et de distribution de services financiers à des conditions soutenables au
profit des artisans. Enfin, la quatrième dimension étudie le rapport de la CECAS au développement
local.

Ces quatre dimensions constituent les quatre parties de cette recherche monographique sur la
CECAS qui a permis d’interroger 25 membres ou parties prenantes de l’organisation. D’abord la
présentation des conditions d’émergence et d’évolution de la mutuelle permettra de situer
l’historique de la CECAS. Ensuite le diagnostic organisationnel précède l’étude de la performance
socio-économique. Enfin, la quatrième partie présente l’analyse du rapport de cette mutuelle au
développement local.

87
Le secteur intermédiaire a initié les premières expériences mutualistes au Sénégal vers la fin des années
1980. Il regroupe deux types de dynamiques : les projets à volet crédit (initiés par les pouvoirs publics et les
bailleurs) et les organismes de microfinance (Crédit Mutuel Sénégal, Pamecas). Contrairement à ces deux
dynamiques qui offrent des services financiers, les MEC autonomes constituent des dispositifs auto- gérés de
microfinance.
88
Comme principes mutualistes, on peut retenir : adhésion volontaire, fonctionnement démocratique,
imputabilité des administrateurs, autonomie de gestion, participation et coopération entre sociétaires,
proximité sociale, priorité à l’éducation socio-économique, rémunération des parts sociales limitée.
251

5.1 Conditions d’émergence et d’évolution

5.1.1. Historique de la Cecas

Les raisons à l’origine de la création de la CECAS en 1993 sont multiples. D’abord, il y avait
le terreau de frustration relatif à la triple marginalisation du secteur artisanal et de ses acteurs, à la
fois au niveau des politiques publiques peu attentionnées au secteur89, des banques pratiquant des
conditionnalités jugées inaccessibles et enfin, de la hiérarchie sociale (Fall et all, idem). En effet,
considéré comme un métier de pauvres souvent lié au système de castes ou encore comme le
réceptacle de déchets scolaires, l’artisanat a longtemps souffert d’une vision sociale péjorative :

« Dans notre société, les artisans sont perçus comme des « gorgorlous» 90(…). Il ne faut pas oublier
que jusqu’à une période récente dans notre pays, l’ouvrier ou l’artisan d’une manière générale était
une personne marginalisée…C’était des métiers réservés aux déchets scolaires. Je crois fermement
que Dieu a tracé pour chacun d’entre nous, un destin à suivre et que tous les Sénégalais ne peuvent
pas être des bureaucrates. L’artisanat devrait avoir la même valeur que le travail intellectuel ou le
travail de bureau» (O. N, leader Cecas, menuisier).

Mais ce sera surtout la prise de conscience de cette triple marginalisation ainsi que la
nécessité de développer une dynamique auto promotionnelle collective, qui vont insufluer l’énergie
mobilisatrice à l’origine de l’émergence de ce système endogène et autonome de financement
décentralisé spécifiquement destiné aux artisans, dénommé la CECAS. En effet, la pertinence du
lien que celle-ci a pu faire entre de telles contraintes et le type de solution proposé autour de la mise
en place d’une mutuelle d’épargne et de crédit jusque là inconnue dans la ville de Saint-Louis, reste
déterminante dans la mobilisation des artisans au début de l’initiative. Ainsi, derrière cette initiative
se profilait aussi, une visée de repositionnement institutionnel du secteur et de reconnaissance
sociale du métier d’artisan.

C’est ce qui transparaît d’ailleurs derrière le projet initial de la CECAS tournant autour de
trois objectifs d’ordre financier, corporatif et organisationnel: faciliter l’accès au crédit pour les
artisans à des conditions soutenables à partir de leur épargne renforcée par l’appui des partenaires,

89
En effet, au niveau des pouvoirs publics, l’accent semblait être plutôt mis sur les secteurs porteurs de
devises comme l’agriculture, la pêche ou encore le tourisme au détriment d’un artisanat resté traditionnel.
90
Personnage représentant le Sénégalais ordinaire dont l’activité essentielle tourne autour de la recherche de
la dépense quotidienne familiale. Il s’agit d’un chef de famille vivant dans une situation de précarité avancée
et sans activité professionnelle ou économique rentable et/ ou fixe. Ce personnage personnifie aussi le refus
de la fatalité ainsi que la survie au quotidien à travers les petits métiers de la rue.
252

structurer la solidarité financière des artisans autour d’une organisation auto gérée et enfin, assurer
une représentation socio-politique du secteur pour réduire sa marginalisation.
Dés le départ, apparurent des défis multiples remettant en cause la portée de cette initiative.
L’un des premiers défis concernait le changement social que la CECAS voulait opérer dans le
milieu consistant à amener les artisans à s’engager dans l’épargne malgré la précarité de leur
situation économique. En outre, l’hétérogénéité des artisans ainsi que la forte concurrence interne,
achevaient de constituer des contraintes structurelles à l’organisation du secteur. A cela s’ajoutent,
la méfiance du milieu déçu par les nombreuses promesses non tenues et les initiatives peu durables
d’une part, et d’autre part, la défiance à l’endroit des membres du groupe promoteur, notamment
dans leur capacité technique à gérer un tel dispositif encore peu connu au Sénégal et à faire des
artisans des clients solvables. Toutefois, la force de cette mutuelle, c’est d’avoir pu transformer les
contraintes techniques, sociales et enfin institutionnelles en défis à relever. En effet, de telles
contraintes ont forgé dès le début de la mutuelle une forte conscience sociale des leaders fondateurs
ainsi qu’une perception volontariste de leurs responsabilités faisant de la réussite d’une telle
initiative un défi personnel. S’y ajoute le vide juridique qui caractérisait le fonctionnement des
MEC en émergence au Sénégal exigeant de telles initiatives, une démarche innovatrice et
adaptative pour ne pas compromettre leur pérennité.

A ce titre, certaines caractéristiques psycho socioculturelles des membres fondateurs


semblent avoir beaucoup joué dans le démarrage de la CECAS. Constitué d’une quinzaine de chefs
d’ateliers maîtres artisans avec 82 % d’hommes appartenant pour la plupart au corps de métier
«menuiserie» (47%), le groupe promoteur regroupait des artisans assez âgés (41% avait plus de 46
ans). Ceux-ci disposaient donc d’une légitimité sociale liée à leur ancrage social ainsi qu’à leur
connaissance des rouages du secteur et du milieu91 tout en partageant le lot quotidien des artisans :
niveau scolaire ne dépassant pas le cycle primaire, familles d’origine démunies, expérience
professionnelle limitée à l’apprentissage du métier, absence d’expérience mutualiste.

La structuration des membres fondateurs en groupe promoteur au début des années 1990
avec l’appui d’une ONG française dénommée la Sauvegarde du Nord, capitalisant une expérience
dans les pays limitrophes comme le Mali et le Burkina Faso, marque le démarrage effectif du
processus de constitution de la CECAS. S’en suit l’organisation de séances de mobilisation sociale

91
Ainsi, le président de la Cecas fut vice-président de la chambre des métiers et un des responsables de la
foire nationale de l’artisanat pendant plusieurs années. Ses responsabilités institutionnelles ont facilité le
réseautage de la mutuelle au niveau du ministère et des partenaires du secteur.
253

à travers les ateliers des artisans et les quartiers de la ville pendant trois mois, du 17 février au 16
mai 1993. Même si l’idée du dispositif mutualiste demeurait encore peu claire pour ces membres
fondateurs, il faut noter que leur rapide appropriation de la dynamique va garantir un processus
constitutif endogène facilitant l’ancrage social de la MEC. Ainsi, si le choix du type organisationnel
qu’est la mutuelle d’épargne et de crédit a été proposé par Sauvegarde, la dynamique de
constitution fut portée et mise en œuvre par les artisans membres du groupe promoteur qui vont
directement organiser et animer les réunions d’information. Lors de ces séances, l’approche
pédagogique consistait à faire d’abord un diagnostic participatif de la situation du secteur afin de
stimuler la prise de conscience autour du problème de l’accès au crédit, avant de faire ressortir les
opportunités qu’offre le dispositif mutualiste:

«D’abord nous commencions les séances en mettant sur la table les contraintes que nous les artisans
nous avions pour développer nos activités. Ensuite, nous demandions aux participants de faire le
diagnostic de leurs activités professionnelles. Partout le constat était le même : « Nous avons
l’expertise pour développer l’artisanat mais tout notre problème, c’est que nous n’avons pas accès au
financement pour travailler ». Alors la question était de savoir comment faire pour trouver cet
argent. C’est à partir de là que nous leur expliquons l’existence d’un outil financier qui devrait nous
permettre d’aller loin en tant qu’artisan. Cet outil n’était rien d’autre qu’une mutuelle d’épargne et
de crédit» (O. N, leader Cecas, menuisier).

La pertinence du contenu du discours est donc à chercher dans l’absence de promesses


entretenant de fausses attentes ainsi que dans le lien établi entre le besoin de financement des
membres et le cadre d’action proposé, à savoir une mutuelle. S’y ajoutent les nombreuses garanties
présentées par le groupe promoteur pour marquer la spécificité du cadre mutualiste : démocratie
interne, égalité des membres compte non tenu de leur poids économique ou de leur part sociale,
absence de concentration du pouvoir, sécurisation de l’épargne récupérable à tout moment, accès au
crédit en fonction des moyens disponibles et enfin, une dynamique autogérée au service exclusif
des artisans de la ville.

C’est sur de telles bases que fut convoquée le 16 mai 1993, l’assemblée générale constitutive
de cette première mutuelle d’artisans au Sénégal. Toutefois, les nombreux appuis au démarrage
ainsi que la dynamique endogène du processus constitutif ne suffiront pas à garantir une forte
adhésion des artisans lors de cette assemblée, où étaient présentes 52 personnes sur une population
cible estimée à plus de 5 000 au sein de la ville.92 Cette faible présence peut s’expliquer par les

92
Il faut signaler que dans le milieu mutualiste local, les AG constitutives sont généralement de grands
moments de mobilisation sociale et de démonstration de la base sociale de l’organisation. Elles sont l’un des
moments où celle-ci comptabilise le plus grand nombre d’adhésions.
254

caractéristiques intrinsèques du secteur (problème de disponibilité des artisans dont l’absence


engendre la fermeture de l’atelier de travail, forte concurrence interne) doublées par l’attitude
méfiante, réticente, voire dubitative des artisans. Du reste, il faut noter aussi l’empressement dont a
fait montre le groupe promoteur dans la tenue de cette rencontre après seulement trois mois de
mobilisation sociale. Ce qui demeure assez court pour favoriser un changement de perception des
artisans au vu des résistances manifestées.

Malgré ces contraintes, plusieurs éléments favorables vont concourir à la réussite de ce


processus de mise en place de la mutuelle. Il s’agit notamment de l’appui technique et financier93
durant les cinq premières années d’existence de la part de deux ONG, Sauvegarde du Nord (France)
et CONACAP (Sénégal) qui vont grandement contribuer à la maîtrise interne du processus
d’émergence. En outre, elle a pu bénéficier de l’appui institutionnel du service de tutelle comme la
chambre des métiers et le Gouverneur de région qui va mettre d’ailleurs à sa disposition un local,
faisant office de siége provisoire. Sans ces soutiens au démarrage inscrits dans le cadre d’un
renforcement institutionnel, technique et financier, l’initiative de la CECAS risquait difficilement
de se pérenniser ou en tout cas d’atteindre son niveau actuel. C’est dire qu’une démarche endogène
et autogérée de mise en place d’une mutuelle, garant de sa pérennité et de son appropriation,
n’invalide en rien la nécessité de bénéficier d’un accompagnement extérieur adapté pour d’une part,
assurer la maîtrise technique du dispositif et d’autre part, supporter les frais de démarrage dans un
contexte de raréfaction des moyens financiers.

5.1.2. Étapes d’évolution et état actuel de la CECAS

On peut retenir à partir de l’analyse des conditions de démarrage, trois grandes phases
d’évolution de la CECAS. D’abord, le processus de constitution correspond à la première phase et
couvre la période 1993-1995. Il coïncide avec la promulgation de la loi en 1995 partagée par les
pays membres de l’UEMOA et qui comble le vide juridique caractérisant le fonctionnement des
institutions mutualistes.

La seconde phase d’évolution de la CECAS allant de 1996 à 2000 va être caractérisée par la
construction autogérée d’une dynamique interne, échappant ainsi au risque d’une croissance non
maîtrisée. Cette étape, que la plupart des leaders décrivent comme étant la période sombre de la

93
En plus des formations et de l’accompagnement technique au démarrage, elles ont eu à supporter certains
frais de fonctionnement.
255

mutuelle parce qu’évoluant sans grosse ligne de crédit, peut être analysée comme une phase de
maturation organisationnelle et d’apprentissage de l’auto financement. En effet, ces quatre années
auront permis à la mutuelle d’octroyer de petits crédits à partir de ses propres produits et de
s’assurer de la maîtrise du dispositif grâce à la formation des administrateurs et du personnel et à
l’éducation socio-économique de ses membres.

Enfin, la troisième phase qui va de l’an 2000 à nos jours, correspond à l’essor que prendra la
CECAS lorsque des partenaires financiers (PELCP et FPE)94mettront à sa disposition de façon
successive quatre lignes de crédits entre 2000 et 2003. Ainsi, d’une mutuelle exclusivement
réservée à l’origine aux artisans exerçant dans la ville de Saint-Louis, la CECAS apparaît à son
dixième anniversaire, comme un dispositif de soutien financier à l’entrepreneurship populaire et de
portage des MEC émergentes de la région. C’est ce qui explique que la CECAS soit considérée par
le PELCP dans une étude évaluative du secteur mutualiste régional, comme étant la mutuelle la plus
prometteuse de la région de Saint-Louis (PELCP, 2002).

L’analyse des trois dimensions de recherche (gouvernance organisationnelle, performance


socio-économique et rapport au développement local) permettra d’analyser les conditions de
pérennisation et de développement de ce capital de départ.

5.2. Diagnostic organisationnel de la CECAS

5.2.1. Mode d’organisation et de Fonctionnement

Du point de vue juridique, la CECAS fait partie du système financier autonome créé et mis en
œuvre par les populations. Agréée en 1994 sous le numéro SL 1.94.0069, elle se positionne dans les
institutions mutualistes d’épargne et de crédit définies par la loi 95-03 du 05 Janvier 199595 comme
«Un groupement de personnes doté de la personnalité morale, sans but lucratif et à capital variable,
fondé sur des principes d’union, de solidarité et d’entraide mutuelle et ayant principalement pour
objet de collecter l’épargne de ses membres et de leur consentir du crédit». Trois préoccupations

94
Programme Élargi de Lutte contre la Pauvreté (PNUD) et Fonds de Promotion Économique (Etat et
BOAD)
95
En plus de son décret d’application No 97.1106 du 11 novembre 1997, cette loi est complétée par la
convention cadre ainsi que les huit instructions de la BCEAO composant ainsi l’arsenal juridique régissant les
IFD.
256

soutendent ce cadre législatif : la sécurité des opérations financières, la protection des déposants et
enfin, l’autonomie financière des institutions. Il faut signaler que cet arsenal juridique visait surtout
à protéger les populations démunies contre les taux usuriers des prêteurs informels et à garantir
leurs dépôts ainsi que leurs transactions financières au sein des MEC.

Toutefois, ce cadre juridique qui a accusé du retard par rapport aux initiatives déjà déployées
par les populations, comporte une vision qui semble peu correspondre à la pratique mutualiste
autonome parce que s’intégrant dans une logique de rattrapage institutionnel et de légalisation en
vue de contrôler la circulation de la masse monétaire «informelle» en milieu populaire (CAT/
CPEC, 1999: 6). Fortement inspirée par le modèle coopératif et associatif, cette législation ne
semble pas suffisamment prendre en compte le fait que les MEC se développent en réaction aux
résultats mitigés des politiques de développement et aux conditionnalités jugées inaccessibles du
système bancaire. C’est dire que l’orientation entrepreneuriale des mutuelles demeure peu valorisée
par les textes réglementaires encore en vigueur parce que soumis à une vision qui réserve la
création de richesses au privé et aux institutions publiques tout en ravalant les initiatives
économiques populaires au développement social. D’ailleurs, la BCEAO vient de reconnaître les
limites du dispositif juridique et institutionnel des systèmes financiers décentralisés en insistant sur
la nécessité de reconnaître leur lucrativité : «Le but non lucratif qui caractérise certaines de ces
institutions ne leur permet plus de saisir toutes les opportunités commerciales et financières
96
nécessaires à leur évolution et à la pérennisation de leurs activités». Ainsi, l’accent mis sur le
caractère civil des MEC alors qu’elles sont en réalité des sociétés commerciales, traduit le décalage
entre le cadre législatif et les pratiques des acteurs sociaux. Enfin, du fait de la superposition des
dispositifs de contrôle et de réglementation entre le Ministère des finances (à travers la CAT/
CPEC)97 et la BCEAO, le dispositif institutionnel de contrôle des MEC semble assez complexe
pour les porteurs de projets.

Malgré ces limites, c’est en vertu de cet arsenal juridique que la CECAS, à l’instar des autres
MEC, s’est structurée autour d’un organigramme à trois pôles. Le premier pôle concerne
l’assemblée générale (AG) regroupant l’ensemble des sociétaires, mais qui n’a de relations qu’avec
le conseil d’administration (CA). Composé de trois organes, le second pôle regroupe les

96
Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Etude sur la viabilité financière des SFD au Sénégal,
25p (date non indiquée).
97
Cellule d’Assistance Technique aux Caisses Populaires d’Épargne et de Crédit.
257

administrateurs élus par l’AG, le comité de crédit (CC) et enfin, le conseil de surveillance (CS). Le
troisième pôle est constitué du personnel rémunéré (gérante, caissière et stagiaires).

Figure 5.1 : Organigramme de la CECAS

AG
Approbation des textes réglementaires, des
orientations stratégiques, du budget, élection des
administrateurs

CC CA CS
Etude demandes et Élaboration des orientations stratégiques, choix et Contrôle de la
décision d’octroi supervision des employés, coordination et gestion de la MEC
de crédit représentation de la MEC

Personnel
Gestion opérationnelle de la
MEC

Ces organes demeurent fonctionnels en tenant régulièrement des réunions et sont renouvelés
tous les trois ans au tiers de leurs membres, conformément aux statuts et règlements. En plus des
réunions que tient chaque organe, on note la tenue de réunions inter organes en vue d’harmoniser
les positions sur un certain nombre de dossiers.

Tableau 5.1: Fonctionnalité des organes de la Cecas


Nombre de réunions dans l’année 2001 2002
par organe
Conseil d’administration 17 13
Comité de crédit 19 16
Conseil de surveillance 5 7
Inter organes 5 6
Assemblée générale 1 1
Source : Compilation des rapports d’activités de la CECAS (2001-2002)

Toutefois, les mécanismes d’élection indirecte au second degré pratiqués par la plupart des
mutuelles semblent loin garantir les conditions d’une démocratie directe dans le choix des
258

responsables d’organes. Basé sur un consensus, le mode d’élection se fait souvent à travers la
désignation par l’assemblée générale d’un collège de sept personnes qui, par la suite, élit les
responsables d’organes. Un tel mécanisme explique en partie le faible renouvellement des
administrateurs lors des AG où à quelques exceptions près, ce sont les mêmes personnes qui
tournent autour des postes de responsabilité. Par exemple, la présidence de la CECAS n’a changé
de titulaire qu’une seule fois depuis sa création, à la suite au décès du premier président. En même
temps, l’ancien président du CC est devenu vice-président du CA, cédant sa place à son vice
président.

Concernant la dynamique organisationnelle, il faut noter que les pratiques de fonctionnement


ne permettent pas de vérifier l’équilibre entre les organes notamment entre l’AG et les autres
organes. Décrite souvent comme l’instance suprême, l’AG voit sa position dans l’architecture
institutionnelle amoindrie du fait de la concentration du processus décisionnel autour des trois
autres organes, privant ainsi les membres d’un espace régulier d’information, de consultation et de
décision. Souvent réduite en une simple réunion annuelle d’informations, l’AG ne donne pas
toujours lieu à un véritable exercice d’évaluation et de prise de décisions sur l’évolution de la
mutuelle:

«La dernière AG de la Cecas, j’y avais participé, mais ce que j’ai vu, c’était plus une réunion
d’informations... C’était au mois de mai dernier, beaucoup de membres étaient d’ailleurs mécontents
des conditions de son déroulement. Moi, ce que je sais des AG, le bureau présente son bilan et après
les membres apprécient. Par la suite, on fait un renouvellement et on forme un autre bureau… Mais
il n’y avait pas de débat sinon seulement des informations qu’on donnait. Le président a parlé, puis
le vice président et ensuite la gérante a insisté sur ses difficultés au travail…Il y a même quelqu’un
qui a pris la parole pour leur reprocher cela parce que le risque c’était de voir un bureau à vie
continuer à diriger cette mutuelle» (Y. D, membre Cecas, teinturière).

Le déséquilibre des rapports inter organes et la faiblesse des contrepouvoirs sont rendus plus
expressifs par la suprématie du CA, révélatrice des effets du «présidentialisme» sur le
fonctionnement de la MEC. Celui- ci se manifeste par la domination du président du CA sur tous
les organes et décisions de la mutuelle98. Par exemple, lors de l’acquisition des moyens de
fonctionnement (ordinateurs, voiture, mobylettes) ni les modalités d’achat, ni les conditions de leur
utilisation encore moins les modalités d’entretien et d’amortissement n’ont été discutées en réunion
inter organes, la décision étant prise et exécutée par le président et quelques leaders. La suprématie
du CA pose un problème de hasard moral lié à la domination du circuit informationnel par les

98
D’un autre côté, c’est le président, habituellement le fondateur qui supporte le fonctionnement de
l’organisation et qui mobilise tous ses capitaux (financier, relationnel, technique) au service de celle-ci.
259

leaders ainsi qu’aux faibles possibilités des membres de contrôler leurs actions de manière pérenne.
Dans ce cadre, le «présidentialisme» cristallise les dysfonctionnements liés aux modalités de
leadership, de circulation de l’information et de prise de décision qui semblent être en déphasage
par rapport aux principes de socialisation des décisions et d’imputabilité des leaders. C’est
pourquoi, il semble être l’une des principales causes de conflits au sein de la CECAS. Devenus
plus fréquents depuis l’avènement des grosses lignes de crédit, ces conflits opposent souvent le
conseil d’administration au comité de crédit ou à certains membres de l’AG. Dans ce cadre, il faut
noter la faible utilisation de mécanismes internes de résolution des conflits au sein de la Cecas. En
effet, les conflits opposant les leaders atterrissent généralement à la chambre des métiers où les
responsables institutionnels du secteur artisanal interviennent pour désamorcer les risques de
dérapage. Toutefois, il arrivera un jour où ces «masla» ou arrangements à l’amiable qui noient le
problème sans le régler, ne suffiront plus pour venir à bout des conflits de leadership. D’ailleurs,
leur caractère répétitif a poussé certains administrateurs à diminuer l’intensité de leur mobilisation
en faveur de la mutuelle :

« Au début, entre 1993 et 1998, quand la mutuelle n’avait pas assez de moyens, nous tenions
régulièrement les réunions et la gestion financière était transparente. Mais depuis l’avènement des
gros fonds, les problèmes de fonctionnement se sont amplifiés. Les réunions sont devenues plus
espacées et ne sont plus des endroits où se prennent les décisions. (…) Les administrateurs qui
refusent comme moi, d’être mis devant le fait accompli se voient de plus en plus marginaliser. C’est
pourquoi moi, je participe de moins en moins aux réunions du CA, sinon je serais en conflit
permanent avec le président» (A. S, Leader Cecas, menuisier).

Toutefois, il faut souligner que les rapports distants des membres à la mutuelle (consistant à
ne manifester leur appartenance qu’en fonction des opportunités de crédit) ne facilitent pas toujours
une pratique démocratique. Ils expliquent en partie la permissivité dont disposent certains
administrateurs qui savent que l’appréciation des sociétaires sera plus fonction des résultats obtenus
en termes de crédits distribués qu’en termes de respect des principes mutualistes.

Par ailleurs durant nos entretiens, une certaine confusion a été notée dans l’interprétation des
positions et des rôles des divers organes. Cette confusion concerne notamment les rôles dévolus au
CA et à l’AG. C’est le cas notamment lorsque des membres veulent faire jouer à l’AG un rôle de
validation a priori et de suivi opérationnel des dépenses effectuées par le CA surtout lorsque celles-
ci sont très élevées. Toutefois, une telle confusion traduit aussi un problème d’informations, de
socialisation des textes réglementaires de la MEC, mais également de confiance entre certains
membres et les administrateurs.
260

5.2.2. Gestion administrative et du personnel

La CECAS élabore des rapports annuels calendaires et financiers régulièrement présentés aux
AG. Il faut dire que l’acquisition de moyens de fonctionnement adéquats (ouverture de deux
guichets de quartier, construction d’un siége social équipé, acquisition de voiture, de motos et
d’ordinateurs) grâce aux produits issus des lignes de crédit a permis à la CECAS de renforcer sa
gestion administrative et financière. Toutefois, l’actualisation régulière des outils de gestion et de
suivi à la fois des finances et des activités, reste une tâche ardue au sein de cette mutuelle. Par
exemple, l’acquisition d’ordinateurs ne lui a pas permis de pouvoir élaborer des bilans mensuels
réguliers ou de disposer d’un système d’informations fiables sur sa composition sociale ainsi que
sur la situation de ses différentes lignes de crédit. L’informatisation du fichier semble répondre plus
à un souci de marketing qu’à une dynamique de professionnalisation de la mutuelle du fait de ses
impacts difficilement appréciables. Sous ce rapport, il faut se demander comment la CECAS arrive
à élaborer ses rapports financiers annuels sans maîtrise de l’évolution de son état financier. Du
reste, un tel constat est confirmé par un diagnostic récent de ses partenaires:

«Sur le plan de l’organisation comptable, la CECAS souffre de l’absence d’un système comptable
bien élaboré. Il est bon de rappeler que la production d’états financiers doit être le résultat d’un
processus qui comprend la saisie des écritures dans des journaux, leur centralisation dans un journal
général, l’établissement d’un grand livre et d’une balance.» (Pelcp, 2002 : 35)

Sur le plan du personnel, contrairement à la plupart des mutuelles, la CECAS a pu recruter


sur fonds propres, deux permanents (une gérante et une caissière), deux contractuels informaticiens
et un stagiaire et ceci, malgré le faible appui des partenaires en matière de fonctionnement préférant
plutôt financer des opérations. Elle a pu trouver une formule originale consistant à limiter ses
emplois permanents et à employer de façon ponctuelle un personnel d’appoint lors des opérations
de crédits ou de la préparation des rapports en vue de l’AG. Le mode de recrutement des employés
répond à des critères aussi bien techniques que sociaux liés à leur moralité et à leur proximité
sociale avec les membres de la mutuelle.

Tableau 5.2: Personnel de la CECAS


Statut Age Sexe Niveau de qualification Ancienneté
Gérante 32 F Secondaire + formations 4
Caissière 45 F Secondaire + formations 3
Stagiaire (ponctuel) 41 M Primaire + formations 4
Informaticien (contractuel) 38 M Supérieur 1
Informaticien (contractuel) 36 M Supérieur 1
261

Ainsi, pour assurer leur professionnalisation, la plupart des mutuelles cherchent à mobiliser
les ressources disponibles dans leur environnement en promouvant comme personnel, des femmes
adultes (l’âge tournant autour de la quarantaine) disposant de faibles qualifications au démarrage
avec comme cursus scolaire le niveau secondaire, auxquelles se joignent de jeunes diplômés de
niveau supérieur à la recherche d’expériences professionnelles. Ce personnel bénéficie d’un
apprentissage sur le tas sous l’encadrement des administrateurs, renforcé par les sessions de
formations offertes par les partenaires99.

Toutefois, le défi de pouvoir recruter un personnel suffisant et qualifié demeure bien réel au
sein de la CECAS. Du reste, le traitement salarial du personnel (30 000 à 60 000 Fcfa par mois, soit
75 à 150 dollars) qui n’est lié ni aux normes, ni au volume de travail mais aux moyens disponibles,
informe de la précarité des emplois dans le secteur mutualiste ayant maille à partir avec le respect
de la législation du travail : absence d’assurance sociale et de maladie, absence de contrat de travail,
de contrat d’objectifs ou encore de système d’évaluation. Il aura fallu l’avènement de la seconde
ligne du FPE pour voir une augmentation des salaires. L’acceptation de ces conditions de travail
témoigne de l’ampleur du chômage ainsi que de l’absence d’une présence syndicale dans le secteur
mutualiste.

Sur un autre plan, outre le fait de justifier le niveau des salaires, le faible niveau technique des
employés au recrutement, comportant un handicap rendu plus expressif dès que la mutuelle
commence à gérer des fonds importants, rend défavorable leur rapport aux administrateurs.
D’ailleurs, ce sont les fréquentes intrusions du président de la CECAS dans les prérogatives de la
gérante ainsi que le faible niveau des salaires qui ont été avancés par les anciennes gérantes comme
étant les principales raisons de leur démission. Mais, il faut se demander si le recrutement d’un
personnel peu qualifié est lié à un problème financier ou à une stratégie délibérée des leaders
d’avoir à leur disposition des employés vulnérables ou encore, s’il traduit une réaction par rapport à
leur statut de bénévoles. En effet, le recrutement d’un personnel suffisant et qualifié semble être
vécu par les leaders de mutuelles plus comme un fardeau que comme un investissement :

« Aucun de nos employés n’est venu ici avec un bagage intellectuel nous permettant de les engager
comme des professionnels. Au contraire, c’est nous qui les avons formés. Nos difficultés à
embaucher un personnel qualifié s’explique par nos faibles moyens mais aussi par le fait que nous,
les administrateurs nous faisons du bénévolat…Si l’administrateur qui est l’employeur n’est pas
payé, il voit difficilement la nécessité de prendre une grosse somme produite par ses efforts pour la

99
La CECAS a pu bénéficier de neuf modules de formation durant l’exercice 2002 avec l’appui de ses divers
partenaires (PELCP, ARD…)
262

verser comme salaire à un personnel, qui pour l’essentiel s’occupe plus du fonctionnement
quotidien. » (MM, leader Cecas, mécanicien).

Ce déficit de personnel par rapport au niveau de développement de la mutuelle explique la


nécessité d’une mobilisation permanente des administrateurs de la CECAS. En effet, les tâches
essentielles comme la recherche de partenaires, la négociation de lignes de crédit, la création de
nouveaux produits, le suivi opérationnel du crédit et l’appui-conseil aux membres porteurs de
projets, sont assurées par les administrateurs des différents organes de manière bénévole. Ce
bénévolat des administrateurs, fournissant des ressources gratuites à la mutuelle, témoigne de
l’ancrage associatif de celle-ci ainsi que de son hybridation des ressources de nature marchande,
non marchande et non monétaire en vue d’assurer un fonctionnement permanent. Toutefois, le
bénévolat des administrateurs est source de dysfonctionnements majeurs dans la gestion de la
mutuelle: il favorise un fonctionnement «informel» ainsi que la confusion des rôles entre employés
et administrateurs tout en engendrant des conséquences fâcheuses sur les activités socio-
professionnelles de ces derniers que la MEC ne peut compenser par ailleurs. Tout au long des
entretiens, les leaders de la CECAS n’ont cessé de décrier ce statut que leur impose la législation, à
savoir le fait de ne pas rétribuer leur mobilisation permanente au profit de la mutuelle:

«Le risque aujourd’hui, est clair, ce sont nous les administrateurs qui faisons marcher la CECAS au
détriment de nos ateliers. On est certes responsable de la mutuelle, mais on sacrifie notre travail et la
mutuelle ne nous paie pas. (…) Il faut bien un jour penser à mettre en place un système de
rémunération des administrateurs si l’on veut que les mutuelles se développent. Il n’est pas normal
de travailler bénévolement pour une institution financière ». (P. D, leader Cecas, menuisier).

C’est ce qui explique la récurrence dans le discours des leaders de l’idée selon laquelle la
CECAS est le fruit de leurs propres efforts, les conduisant ainsi à s’aggriper à leurs postes :

«Vous avez vous-mêmes constaté que depuis 93, ce sont les mêmes administrateurs qu’on
retrouve au niveau de la Cecas. La raison est liée au fait que les artisans savent qu’il n’y a rien à
gagner parce que c’est du bénévolat. Donc, rares sont ceux qui sont prêts à se sacrifier pour la
mutuelle…Mais quand les fonds ont commencé à pleuvoir entre 2002 et 2003, beaucoup
d’artisans ont manifesté leur volonté d’intégrer les organes. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, ce
coup de force de certains artisans pour entrer dans les instances, ne s’explique pas par une volonté
de travailler au bénéfice de la mutuelle, ils entrent pour en profiter. Ils sont là pour eux- mêmes...
Et lorsque nous les membres fondateurs, avions senti ce coup de force, nous sommes devenus plus
vigilants encore, parce que nous ne laisserons à personne le soin de gâcher le produit de nos
sacrifices…» (P. D, leader Cecas, menuisier).

Mais la prise en compte d’une telle dimension reconnue officiellement et acceptée par les
membres, exigerait une analyse plus globale parce que c’est la portée associative et la philosophie
263

même du cadre mutualiste qui sont ainsi interrogées. Par ailleurs, il faut se demander si les MEC
ont la capacité financière à la fois, de payer leur personnel et de rétribuer la mobilisation de leurs
administrateurs.

5.2.3. Membership

Mutuelle composée de 53 % d’hommes contre 32 % de femmes en 2002, la CECAS a vu une


augmentation exponentielle de son effectif avec un rythme de croissance annuelle qui est passé de
22 % entre 1998-2000 à 113 % entre 2001-2002. Cette densification de sa base sociale est liée à
l’ouverture de son lien commun à des non artisans suite à la distribution successive de quatre lignes
de crédit entre 2000 et 2003. A ce titre, il faut souligner que la totalité de nos enquêtés avance
l’accès au crédit comme principal déterminant de leur adhésion, avant les critères subsidiaires
comme les conditions sécuritaires d’épargne ainsi que les relations personnelles avec les leaders.

Tableau 5.3: Évolution du membership de la Cecas de 1993 à 2002

Répartition/ Année 1993 1998 2000 2001 2002


Effectif % Effectif % Effectif % Effectif %
Hommes - 234 61 274 58 357 55 745 53
Femmes - 144 37 162 35 231 35 447 32
Auxiliaires - 8 2 24 5 48 7 188 13
Associations - - - 10 2 20 3 20 2
Total effectif 52 386 100% 470 100% 656 100% 1 400 100%
Rythme d’évolution 22 % 39,5% 113%
Taux de pénétration 8% 8% 11 % 17,5%
Source : Compilation des rapports d’activités de la CECAS

Même si cette densification de la base sociale a permis de relever le taux de pénétration de la


CECAS dans le secteur artisanal au-delà de 17% en 2002, il reste encore faible au vu de l’effectif
du secteur artisanal estimé à plus de 8 000 artisans dans la ville en 2002. Cela est lié à la forte
concurrence que lui livre la quinzaine de mutuelles mise en place dans la ville entre 2000 et
2003100. Une autre raison peut être située, de l’avis des administrateurs, dans la tendance des
artisans à accorder leur priorité aux cadres «informels» de financement (tontines, famille) qui
n’exigent ni épargne préalable, ni présentation de dossier de projet. C’est dire que les MEC n’ont
pas conduit à la disparition des systèmes de financement antérieurs, mais plutôt participent des
multiples canaux de financement populaire. Il faut noter également une faible adhésion des

100
En effet, 72 % des MEC de la ville ont été créées à partir de 2000.
264

associations au vu de leur nombre dans la ville.101 Ainsi, le défi de la sensibilisation n’est pas
encore relevé par la CECAS qui, malgré ses dix ans d’existence n’a pas encore dépassé les 2 000
membres contrairement à certaines mutuelles plus récentes comme la FEPRODES qui, créée en
1997, comptabilisait plus de 2 400 membres en 2002. Mais, il faut bien remarquer que l’effectif
d’une mutuelle ne constitue pas toujours un critère suffisant de performance. Non seulement, il
demeure flexible en fonction du nombre de crédits distribués, mais il n’exclut pas la multi
appartenance des membres à plusieurs MEC à la fois.

La densification de la base sociale de la CECAS s’est accompagnée d’une diversification de


son membership autour de la classe moyenne (fonctionnaires, entrepreneurs, commerçants) 102 et
des démunis. Cette recomposition sociologique du membership est liée à l’ouverture du lien
commun aux cibles des quatre lignes de crédit offertes par le Programme Élargi de Lutte contre la
Pauvreté (chômeurs, femmes, petits métiers de la rue) et par le Fonds de Promotion Economique
(Etat et BOAD). Ainsi, d’une mutuelle jadis exclusivement réservée aux artisans, la CECAS
apparaît de plus en plus comme un dispositif de soutien financier à l’entrepreneurship populaire
ouvert aux démunis et aux petits métiers, mais aussi à une classe moyenne dense et hétéroclite
d’artisans, de commerçants et de fonctionnaires engagés dans la pluriactivité. L’investissement de
cette mutuelle d’artisans par d’autres types d’acteurs sociaux ainsi que par les partenaires au
développement désireux de toucher directement les populations démunies, tendent à démontrer que
les mutuelles constituent un cadre efficace et adapté à la fois de lutte contre la pauvreté et de
soutien à l’entrepreneuriat local. Toutefois, il faut se demander jusqu’où l’ouverture du lien
commun des MEC à des acteurs sociaux issus de la classe moyenne, ne risque pas de constituer un
facteur de reproduction de l’exclusion dont était victime la cible initiale, à savoir les artisans
démunis. En effet, la tentation demeure réelle pour les MEC soumises aux contraintes liées à
l’inefficience des petits prêts et à l’incertitude du remboursement des membres démunis, à accorder
plus d’importance à ces nouveaux adhérents présentant moins de risques du fait de leur situation
socio-économique plus sécurisée (domiciliation de salaires, revenu régulier).

La recomposition sociologique de la base sociale de la CECAS est porteuse de


transformations au niveau du sociétariat mutualiste, des types de services financiers et même de la
vision de la micro finance. Par exemple, la base sociale pauvre, les liens d’inter connaissance, les
exigences de proximité sociale ou de partage de l’idéal mutualiste sont en passe de devenir de

101
Plus de 600 en 2000 selon une étude ADC/ PNUD.
102
Il n’est qu’à voir les garanties offertes par les bénéficiaires du FPE tournant autour de sommes importantes (2 millions
et plus) ou d’aval salarial.
265

moins en moins des critères pertinents pour spécifier la micro finance. Durant nos entretiens, les
sociétaires interrogés marquaient peu d’empressement à s’engager dans la vie associative de la
mutuelle prétextant un problème de temps. C’est qu’il semble plus avantageux de rester membre
dans une mutuelle que de prendre des responsabilités. Le membre accède au crédit avec moins
d’effort que l’administrateur qui se trouve limité par ailleurs dans le montant de crédit accessible,
du fait de la limitation des prêts aux dirigeants dont le montant total ne devrait pas dépasser 20 %
des dépôts de la MEC. D’ailleurs, l’analyse du langage de nos enquêtés a permis de noter une
différence notable dans le rapport identificatoire des administrateurs personnifiant la mutuelle en
parlant de «notre mutuelle», et de celui des membres exprimant un rapport plutôt neutre et distant à
travers l’utilisation du terme «la CECAS» ou «la mutuelle». Tout se passe comme si les membres
se déchargeaient sur les administrateurs pour tout ce qui concerne la vie de la mutuelle et ne s’y
intéressent que lorsque des opportunités de crédit apparaissent :

«Je ne veux pas pénaliser la Cecas en m’engageant alors que je n’ai pas assez de temps à lui
consacrer. Je bouge beaucoup et mon atelier m’occupe toute la journée. Ensuite, j’ai mes enfants à
gérer, mon ménage... Je préfère continuer à faire confiance aux leaders qui sont honnêtes et qui nous
ont amenés jusqu’ici.» (C. F, membre Cecas, commerçante).

Ainsi, le sociétariat mutualiste laisse entrevoir une identité de plus en plus à dominante
sociétaire expressive d’un membership instrumentalisé, distant et intermittent faisant des
préoccupations individuelles d’accès au crédit, le principal déterminant du rapport identificatoire
des membres à la mutuelle.

5.2.4. Vision stratégique

L’orientation stratégique de la CECAS peut être située dans la promotion de l’artisanat en


agissant sur le levier du crédit ainsi que dans le repositionnement socio-politique du secteur. A ce
titre, la mobilisation de l’épargne des membres, l’intermédiation financière auprès des partenaires
ainsi que la distribution du crédit aux membres constituent ses principaux axes stratégiques, la
dimension corporative voire syndicale de défense des intérêts des artisans étant délaissée aux autres
associations du secteur. Les principales priorités tournent autour de la recherche de garantie pour
les membres fonctionnaires en vue de couvrir des investissements immobiliers, l’acquisition de
logiciels de base de données, la construction décentralisée de guichets, la recherche d’autres lignes
de crédit et enfin, l’extension régionale.
266

A ce titre, même si l’orientation stratégique actuelle de la CECAS reste à être systématisée à


travers un plan cohérent et socialisé avec ses différentes composantes, les actions réalisées
s’exécutent souvent au coup par coup privilégiant une logique fonctionnelle dans le but d’apporter
des réponses aux besoins concrets au détriment d’une planification formelle. Par exemple,
l’élargissement de la base sociale à des acteurs sociaux non artisans n’a pas fait l’objet d’une
convocation préalable de l’AG (du fait qu’il impliquait une révision des orientations stratégiques)
mais répondait à des opportunités de financement dans le cadre du PELCP et du FPE. Cette logique
fonctionnelle, basée sur une démarche opportune et volontariste des administrateurs à profiter de
toutes opportunités en présence, alimente la tendance proactive de la mutuelle:

«Nous avons un plan de développement de notre mutuelle, mais il est dans notre esprit…. Nous
savons ce que nous voulons faire et c’est l’essentiel. Notre objectif, c’est de donner le crédit à tous
les artisans demandeurs en fonction de l’appui que nous recevons de la part des pouvoirs publics
et des bailleurs. Lorsque nous trouverons un partenaire technique pour nous appuyer, nous allons
élaborer ce plan» (M.M, leader Cecas).

Enfin, notons que la CECAS envisage, en relation avec d’autres mutuelles régionales du
secteur de mettre en place une banque nationale des artisans du Sénégal dans le but de pouvoir
octroyer des crédits d’investissement afin de faciliter l’équipement des ateliers et l’accès aux
nouvelles technologies ainsi qu’aux marchés extérieurs. Ce projet, dicté par l’ampleur des besoins
du secteur, est soutenu par de nombreux partenaires du Ministère de l’artisanat.

5.3. Performance socio-économique de la CECAS

5.3.1 Évolution socio- économique

Si la CECAS a fonctionné au ralenti de 1993 à 2000, ces sept années lui ont cependant permis
d’assurer la maîtrise interne de son processus de démarrage. Ainsi, à partir de 1998, au lendemain
de ses premières lignes de crédit (USAID et PARMEC), émergent les premiers résultats positifs de
la CECAS, avec notamment un solde positif et une épargne des membres supérieure à l’encours de
crédit. Ce résultat peut être mieux apprécié par rapport à l’année 2000 où l’évolution, basée sur ses
moyens propres du fait de l’absence de partenaires financiers, a engendré une situation de
flottement aboutissant à un solde négatif et à une diminution des produits d’exploitation et des
dépôts (de 8 à 5 millions FCfa) ainsi que celle de l’encours de crédit de 50 %. C’est dire que le
dynamisme économique des IFD est en grande partie lié à la régularité des injections financières
des bailleurs.
267

Tableau 5.4: Évolution des principaux indicateurs de la Cecas en Fcfa de 1998 à 2002

Indicateurs 1998 2000 2001 2002


Épargne des membres 8 657 000 5 064 000 9 716 000 26 000 000
Encours crédit 6 979 000 3 595 000 19 569 000 45 147 000
Capital social 579 000 637 500 780 000 1 517 700
Lignes de crédits partenaires - 5 400 000 40 600 000 303 000 000
Nombre de bénéficiaires crédit - - 80 489
Produits d'exploitation 2 169 000 1 557 000 3 955 000 7 615 000
Charges d'exploitation 2 439 000 1 631 000 2 138 000 5 905 000
Résultats d’exploitation + 338 802 - 453 983 1 816 789 1 710 054
Nombre d’employés 2 2 2 4
Salaires du personnel 877 285 971 535 751 000 1 492 900
Crédits en souffrance 120 000 186 200 52 500 2 179 300
Taux de remboursement - - 99 % 73 %
Nombre de guichets 1 1 2 3
Nombre de bénéficiaires crédit - - 80 489
Subvention 360 500 176 200 1 805 510 2 960 000
Réserve générale 58 582 68 907 - 256 508
Source : Compilation des bilans financiers de la CECAS

L’année 2001 qui apparaît comme le début de l’essor financier de la CECAS (avec un solde
positif de tous les indicateurs financiers) coïncide avec l’avènement de la seconde ligne du PELCP
et de la première ligne du FPE103 pour un total de crédits distribués de plus de 40 millions de Fcfa.
Ce résultat a pu être atteint parce que la mutuelle a réussi à doubler l’épargne des membres tout en
contenant les crédits en souffrance qui ont diminué de prés de 27% et ceci, malgré l’augmentation
du nombre et du volume des crédits.

L’année 2002/ 2003 correspond à l’expansion de la CECAS avec une augmentation


exponentielle des crédits distribués passant de 40 à 303 millions de Fcfa, du capital social, des
produits internes et enfin, du volume, du nombre et des plafonds de crédits offerts (cf Tableau
5.6)104. Il semble bien que cet essor soit particulièrement lié au refinancement de la seconde ligne
du PELCP mais surtout, à la seconde ligne du FPE à hauteur de 248 millions de Fcfa distribués à
179 bénéficiaires. Ces résultats qui apparaissent à un an de son dixième anniversaire (1993-2002),
sanctionnent l’efficacité technique du dispositif de mobilisation du financement au sein de la
CECAS. C’est ce qui la poussera d’ailleurs à investir le domaine de l’intermédiation financière au

103
Le PELCP a offert deux subventions à la Cecas avec comme cibles des chômeurs, des femmes et des
artisans exerçant des petits métiers tandis que le FPE (Etat et BOAD) a accordé deux crédits remboursables
destinés aux micro entrepreneurs.
104
489 membres ont bénéficié de crédit en 2002 contre 80 crédits en 2001. Avec le FPE, les plafonds ont
atteint le sommet historique de 2 millions pour les individuels et 5 millions pour les groupements alors
qu’auparavant les montants de crédit dépassaient rarement une centaine de milles.
268

profit de mutuelles émergentes en instance d’être agréées, renforçant ainsi son leadership territorial
dans le secteur mutualiste régional. Ainsi, en plus des crédits distribués à ses membres, la CECAS a
porté des crédits pour la mutuelle Suxxali Jiggénu Ndar établie dans la ville, pour le GECAM, le
GECAP et Takou Guane105 établis dans divers départements de la région de Saint-Louis.

Tableau 5.5: Lignes de crédit distribuées par la CECAS entre 2001 et 2002 (en Fcfa)

Total crédit en cours 2001 40 600 000 Fcfa


1iére ligne Boad 10 600 000
2iéme ligne Pelcp 20 000 000
Portage crédit SJN/ Pelcp 10 000 000

Total crédit en cours 2002 303 147 000 Fcfa


Refinancement 2iéme ligne Pelcp 33 142 000
Fonds propres 12 005 000
Portage crédit Gecam/ Pelcp 5 000 000
Portage crédit Gecap/ Pelcp 5 000 000
2iéme ligne Boad 208 000 000
Portage crédit Gecap/ Boad 40 000 000
Source : Compilation des bilans financiers de la CECAS

C’est pour toutes ces raisons que la CECAS a été décrite comme la mutuelle la plus
prometteuse de la région (PELCP, 2001). Toutefois, il reste à se demander jusqu’où cette
performance a pu être capitalisée et rationalisée pour permettre à la CECAS de se forger une
viabilité socio-économique afin de dépasser son statut originel de mutuelle d’artisans et de se
positionner comme un outil financier d’appui à l’entrepreneuriat local d’une part, et d’autre part,
afin d’améliorer sensiblement les conditions de vie et de travail de ses sociétaires. Une analyse de la
performance globale de la CECAS s’avère nécessaire pour apprécier cet enjeu fondamental des
MEC.

5.3.2 Analyse de la performance de la CECAS

En matière de production et de distribution de crédits, l’évolution positive de la CECAS


laisse apparaître une mutuelle performante notamment depuis qu’elle a réussi à mobiliser des
partenaires financiers comme le PELCP et le FPE. Cette performance socio-économique peut être
mesurée en fonction de sa contribution à la démocratisation du financement, à travers notamment

105
Groupe d’Épargne et de Crédit des Artisans de Matam/ Groupe d’Épargne et de Crédit des Artisans de
Podor.
269

les nombreuses lignes de crédits qu’elle a distribuées à une clientèle vulnérable ou ayant peu accès
au financement bancaire. Ainsi, en 2002 quelques 489 sociétaires ont bénéficié de crédits pour
réaliser des activités productives comme les activités génératrices de revenu, l’extension d’atelier,
et l’achat de matériels:

«Les mutuelles ont permis aux gens ordinaires d’initier des activités économiques et de pouvoir faire
vivre leur famille. Avec les mutuelles, personne ne reste plus les bras croisés à la maison. C’est
pourquoi, les femmes en ont été les principales bénéficiaires. » (M. D, leader Cecas, couturière)

Le cas de la seconde ligne du FPE est d’ailleurs révélateur de la performance de cette


mutuelle, même si elle n’a obtenu que 62% du montant demandé. Ce crédit remboursable d’un
montant de prés de 250 millions de Fcfa fut destiné à 179 bénéficiaires pour créer ou maintenir
quelques 491 emplois. Il faut signaler la ségrégation positive envers les femmes avec un apport
personnel ramené à 5% contre 10% pour les hommes. Les principaux corps de métiers financés
concernent l’artisanat de production (86 %) avec notamment la broderie/ couture (79 millions Fcfa)
et la menuiserie (38 millions Fcfa). La répartition des membres selon leur milieu de résidence
reflète la présence territoriale de la CECAS dans le faubourg de Sor où se trouvent à la fois son
siége et ses deux guichets décentralisés, ainsi que le portage de lignes de crédit pour les MEC de la
région (GECAP et GECAM).

Tableau 5.6: Indicateurs de la seconde ligne de crédit du FPE/ BOAD à la Cecas (2002-2003)

Désignation Montant (en %


millions de Fcfa)
Montant total sollicité 402.247
Montant total obtenu 248.219 62 %
Apport des bénéficiaires 36.888 15 %
Nombre d’emplois créés ou maintenus 491

Répartition selon types de bénéficiaires


Nombre total de bénéficiaires 179
Hommes 89 50 %
Femmes 78 43 %
GIE 12 7%

Répartition selon le corps de métiers


Corps de métiers Nbre de %
bénéficiaires
Artisanat de production 154 86 %
Artisanat de service 12 7%
Artisanat d’art 13 7%
270

Total 179 100 %


Répartition selon la zone de résidence
Zone Effectif %
Sor 107 60
Iles 30 17
Langue de Barbarie 13 7
Région 29 16
Total 179 100 %
Source : Ligne de crédit FPE, CECAS

Outre la démocratisation de l’accès au financement, il faut ajouter à cette dimension


économique, l’effet levier du micro crédit à travers notamment les opportunités d’insertion socio-
économique ou encore la diffusion de la culture d’épargne du fait des exigences concernant
l’épargne préalable et celle sur prêt (Doligez, 2002). S’il est difficile de mesurer son inscription
définitive dans les habitudes économiques des artisans, il est possible de constater néanmoins
l’évolution de l’épargne des membres de la CECAS qui a plus que triplé entre 1998 et 2002 passant
de 8 à 26 millions Fcfa (cf Tableau 5.4). Il faut aussi comptabiliser d’autres dimensions offertes par
le cadre mutualiste comme la dynamique sociocommunautaire ainsi que divers services
accompagnant l’accès au crédit comme l’éducation socio-économique des membres106 ou encore
l’apprentissage entrepreneurial à travers l’appui-conseil dans le montage des dossiers. Ces
dimensions témoignent de la valeur sociale ajoutée du secteur mutualiste, du fait de la proximité
sociale entre les différentes parties prenantes (administrateurs, employés, membres), de la
personnalisation des rapports sociaux ou encore du mode collectif de propriété:

«J’ai senti un net développement de mes activités du fait des crédits que m’offre la Cecas. Mais, le
commerce, ce n’est pas seulement le financement. Il faut savoir aussi identifier une bonne clientèle
solvable, capable de rembourser régulièrement. Et je peux dire que c’est grâce aux formations que la
Cecas donne à ses bénéficiaires de crédit que j’ai compris davantage tout cela. Aujourd’hui, le
comportement d’un chef d’entreprise, le mode d’utilisation du crédit…tout cela ne m’échappe plus.»
(C. F, membre Cecas, commerçante).

La performance de CECAS comporte également une dimension socio-territoriale appréciable


à travers ses effets structurants dans la redynamisation du secteur artisanal tant en amont qu’en
aval. En effet, les crédits distribués par la CECAS qui ont atteint plus de 300 millions de Fcfa en
2002, contribuent d’une part, à améliorer les conditions de travail et les capacités d’offre des
artisans membres et d’autre part, à renforcer la demande du marché en finançant les besoins
d’équipement des membres. En outre, en mobilisant ses membres et ses partenaires autour des
problèmes de développement du secteur, la CECAS a pu contribuer au financement d’activités se

106
Rien que durant l’exercice 2002, la Cecas a bénéficié de neuf modules de formation.
271

déroulant sur le territoire de la ville et utilisant pour l’essentiel une main d’œuvre ainsi que des
ressources locales, participant du coup à la dynamisation du commerce local. Par ailleurs, la
dynamique corporative impulsée par la CECAS a eu des effets générateurs sur la remobilisation
socio-territoriale d’autres groupes sociaux vulnérables ou marginalisés au sein de la ville de Saint-
Louis. C’est ainsi, qu’on note une multiplication d’expériences mutualistes autonomes appréciable
à travers le fait que 72 % des MEC installées dans la ville de Saint-Louis ont été créées à partir de
l’an 2000, suite aux résultats positifs des premières expériences mutualistes. C’est ainsi
qu’actuellement, on note des MEC spécifiques aux commerçants, aux pêcheurs, aux éleveurs, aux
femmes d’affaires, aux femmes des quartiers ou aux groupements de promotion féminine. Ces
initiatives expriment une plus grande structuration des entrepreneurs populaires dans leur volonté
de construire leur propre système de financement en lien avec les besoins spécifiques de leurs
membres.

Tableau 5.7 : Profil du secteur mutualiste au sein de la ville de Saint-Louis

Dénomination des MEC Année de Nombre de Type de clientèle Zone


création membres d’intervention
1. Affer Nord 2000 620 Femmes d’affaires Régional
2. AFSDN 2000 520 Femmes Régional
3. Cecas 1993 1.400 Artisans et non artisans Communal
4. Feprodes 1997 2.439 Femmes rurales Régional
5. Gec Téranga Ndar 2002 96 Mixte Communal
6. Gec de Bango 2002 142 Mixte Communal
7. Gec Bok Jom Guet Ndar 2002 62 Femmes Communal
8. Mame Coumba Bang 2001 1 300 Groupements féminins Communal
9. Mec de la Fafs 1997 45 Femmes intellectuelles Communal
10. Mec des pêcheurs du Sénégal 1998 284 Pêcheurs Communal
11. Mec des éleveurs 1999 301 Éleveurs Régional
12. Mec des jeunes pêcheurs 2001 20 Pêcheurs Communal
13. MEC Goxu Mbathie 2001 180 pêcheurs Communal
14. MEC Open 2002 148 Opérateurs économiques Communal
15. Niakh Tedd 2003 159 Femmes Communal
16. Ndagou Liggey 2003 132 Femmes Communal
17. Suxxali Jiggénu Ndar 2001 1 200 Femmes des quartiers Communal
18. Unacois Déf 2001 604 Commerçants Communal
Source : Compilation des données ARD, 2003 et ADC, 2004

L’impact structurant de la CECAS peut également être situé dans le financement des
associations membres ainsi que dans l’émergence de mutuelles d’artisans dans toutes les capitales
régionales du Sénégal, permettant ainsi une meilleure structuration de l’artisanat national:

«Je peux dire que rien que l’unité créée par la Cecas en regroupant les artisans et en leur permettant
de régler par eux-mêmes leurs problèmes dans tous le pays constitue une avancée réelle, lorsqu’on
272

sait que l’unité des acteurs du secteur a été toujours un défi permanent que même l’Etat avait du mal
à réaliser.» (P. D, leader Cecas, menuisier).

C’est certainement l’agrégation des effets structurants des différentes mutuelles d’artisans à
l’échelle nationale qui a favorisé la prise de conscience au niveau des pouvoirs publics et des
partenaires au développement de l’opportunité de la mise en place de cette ligne de crédit de 3
milliards Fcfa qu’est le FPE/ artisanat.

En dehors de ces impacts, l’expérience de la CECAS se mesure aussi en fonction des


avantages concurrentiels que présente son mode de production et de distribution des ressources. Les
modalités de production du crédit se basent d’abord sur la capitalisation de l’épargne en posant
comme conditions d’accès au crédit, les mécanismes d’épargne préalable (épargne régulière de trois
mois avant crédit) et d’épargne sur prêt comme composante du bénéfice de l’activité. Ce sont de
tels mécanismes contribuant à la réduction de l’asymétrie informationnelle qui ont permis à la
CECAS d’avoir pu réussir à solvabiliser une population jugée à risque, démontrant ainsi que le
contexte de précarité ne signifie pas toujours dénuement, mais appelle des formes particulières de
production de richesses qui doivent être adaptées à la situation socio-économique des acteurs ainsi
qu’à leur cadre de référence.

Deux ressorts organisationnels peuvent être notés comme étant à la base de l’offre régulière
de crédits. Il s’agit d’abord de la professionnalisation du dispositif qui peut s’apprécier à travers, le
recrutement d’un personnel, leur formation sur le tas ou à travers des modules spécifiques grâce à
l’appui des partenaires au développement et enfin, l’acquisition de moyens de fonctionnement
(ouverture de deux guichets de quartier, construction d’un siége social, acquisition de voiture,
motos et d’ordinateurs). Mais l’un des plus grands atouts des MEC consiste en l’hybridation de
ressources et d’acteurs divers (Polanyi, 1983; Ndione, 1994; Granovetter, 2000). Le crédit est en
effet produit grâce à la mobilisation de ressources marchandes (lignes de crédit des bailleurs;
épargne des membres); non marchandes (fonds publics d’appui en termes de subventions non
remboursables, appui institutionnel et technique) et enfin, des ressources non monétaires
(réseautage, engagement bénévole des administrateurs, engagement social du personnel). Dans ce
cadre, le bénévolat de ses 17 administrateurs mobilisant leur capital social, technique et relationnel,
s’est révélé être la principale ressource mobilisable à souhait dont dispose la CECAS, contribuant
ainsi à la réduction des coûts de transaction (Lelart, 1999). Ces capitaux se révèlent déterminants
dans l’accès aux informations stratégiques et au réseautage avec les partenaires:
273

« Comme j’ai été élu au poste de vice-président de la chambre des métiers de Saint-Louis, je devrais
représenter la ville à l’union nationale des chambres de métiers du Sénégal. C’est là où les délégués
m’ont désigné comme président de la commission foire des artisans durant de nombreuses années. Quand
on a voulu aussi monter un comité d’organisation pour le grand prix du chef de l’Etat pour la promotion
de l’artisanat, c’est moi qui pilotais cette commission nationale pendant cinq ans. Je gérais un budget
important et j’étais toujours en contact avec des partenaires, des ONG, des bailleurs de fonds. Cela m’a
permis de gagner en confiance mais surtout d’avoir beaucoup d’expériences et de contacts au sein du
ministère de l’artisanat et de certains organismes. Ces expériences ont affermi mon approche et ont été
déterminantes dans les résultats actuels de notre mutuelle». (C.T, leader Cecas, bijoutier)

Si l’efficacité adaptative fonde la performance du mode de mobilisation des ressources, la


rationalité écosociale du système de distribution de crédits met en relief les avantages
concurrentiels du système mutualiste. Orienté dans l’articulation entre l’objectif de promotion
socio-économique des membres et le souci de garantir la rentabilité du crédit, le système de
distribution du crédit peut être caractérisé par :

1. Son mode de gestion flexible et ciblé, voire personnalisé contrairement aux normes
standardisées et anonymes du système bancaire, réduisant l’asymétrie d’information entre
le sociétaire et la mutuelle et promouvant une diversité de produits en fonction des
catégories socio-économiques. C’est le cas des crédits distribués à des acteurs de la classe
moyenne (micro activité d’appoint), aux démunis (petits métiers) et aux micro
entrepreneurs voulant renforcer leur niveau d’équipement par des crédits d’investissement
plus importants. Ainsi, la CECAS semble tendre vers un élargissement de sa gamme de
produits en l’adaptant aux besoins spécifiques de ses clientèles;
2. Son cycle rotatif et progressif assurant un refinancement du membre en fonction de la
régularité des remboursements, garantissant une dynamique auto entretenue ainsi que la
démocratisation de l’accès au crédit pour tous les membres;
3. Ses conditionnalités soutenables et adaptées aux caractéristiques des membres : taux
d’intérêt et apport financier faibles, délai de remboursement acceptable, garanties
minimales voire inexistantes;
4. Son souci de justice sociale : égalité des membres indépendamment de leurs moyens
économiques ou de leurs parts sociales, accompagnée d’une politique de ségrégation
positive au profit des clientèles vulnérables ou marginalisées comme les femmes;
5. Ses divers services gratuits accompagnant l’accès au crédit comme l’éducation socio-
économique des membres, l’information, l’appui-conseil, l’intermédiation sociale;
6. Enfin, à la différence des tontines où les opérations financières sont connues de toutes les
participantes, au sein des mutuelles, le caractère confidentiel du traitement des dossiers des
membres permet aux bénéficiaires de pouvoir s’autonomiser de la demande sociale.
274

Ce sont ces habiletés, expressives d’une efficacité opérationnelle adaptative et d’une rationalité
écosociale, qui expliquent la performance du dispositif mutualiste tant dans la mobilisation des
ressources que dans l’offre régulière de crédit. A ce titre, le système mutualiste apparaît comme le
système de financement le plus approprié qui semble correspondre le mieux aux caractéristiques
socio-économiques de la majeure partie de la population, démunie et/ ou tournant autour de la
classe moyenne:

« Au stade actuel, les mutuelles sont dans une phase d’apprentissage de l’épargne crédit. Donc, il faut les
aider à jouer leur rôle. Quand quelqu’un a des problèmes, il n’hésite pas à venir rencontrer le président
du comité pour lui demander de l’aide et on se comprend. Une mutuelle, «c’est le nous dans nous».
D’ailleurs ceux qui gèrent cette mutuelle, ce sont des artisans comme les membres. Si c’était une banque,
les garanties présentées seraient insuffisantes et ils n’auraient personne à qui parler. Ensuite, au niveau de
la mutuelle, nous en sommes les propriétaires et le membre sait qu’il peut toujours compter sur les
responsables» (P. D, leader Cecas, menuisier).

Toutefois, la performance plurielle de la CECAS intégrant de multiples externalités, semble


être fragile tant dans ses conditions de rentabilisation et de pérennisation que dans sa capacité à
améliorer sensiblement la situation socio-économique de ses sociétaires.

A un premier niveau, il faut noter qu’en dehors de la dépendance structurelle de la


performance de la CECAS au financement extérieur provenant des partenaires comme le FPE et le
PELCP, l’augmentation des ressources a engendré en même temps une augmentation sans
précédent des charges de fonctionnement de 176% (les fournitures de bureau, les frais de
déplacement et d’entretien et les charges exceptionnelles ont presque triplé entre 2001 et 2002)
ainsi que des crédits en souffrance de 52 500 à plus de 2 millions de Fcfa, aboutissant ainsi à un
effet pervers, la diminution de l’excédent financier de près de 6 %.

Tableau 5.8: Tableau comparatif des bilans financiers 2001 et 2002 (en Fcfa)

Désignation 2001 2002


Variation
2001-2002
Total ressources financières 3 955 000 7 615 000 92,5 %
Intérêts 1 029 000 2 475 000
Produits financiers 1 120 000 2 180 000
Subvention d’investissement 1 805 000 2 960 000
Épargne des membres 9 716 000 26 000 000

Total charges 2 138 000 5 905 000 176 %


Fournitures de bureau et factures 227 550 976 855
Entretiens/ réparation / frais de 260 400 585 620
déplacement
Formation, étude 44 200 0
275

Salaires du personnel 751 000 1 492 900


Charges exceptionnelles 393 206 657 500

Coefficient brut d’exploitation 54 % 77 %


Coefficient de couverture autonome 99, 45 % 127 %
Excédent budgétaire 1 816 000 1 710 000 - 5,9 %
Total encours de crédit 40 600 000 303 147 000 645 %
Crédits en souffrance 52 500 000 2 179 300 4051 %
Source : Compilation des bilans financiers de la CECAS

Une analyse plus nuancée en termes de coefficient brut d’exploitation, désignant le rapport
entre la couverture des charges et les produits d’exploitation, confirme cette augmentation des
charges subséquemment à celle des produits d’une part, et indique d’autre part, que plus de ¾ des
produits d’exploitation sont utilisés pour des dépenses de fonctionnement (77 % en 2002). Cette
situation devient plus explicite lorsqu’on utilise le coefficient de couverture autonome, qui indique
un taux plus nuancé prenant en compte uniquement les revenus d’exploitation hors subvention. Ce
taux qui permet d’analyser jusqu’où la MEC arrive à couvrir ses charges d’exploitation grâce à ses
revenus propres, révèle que sans les subventions reçues, la CECAS fonctionnerait à perte avec
notamment un dépassement de 127 % des revenus propres par les charges d’exploitation en 2002.

De tels résultats, expressifs des capacités limitées d’absorption de cette mutuelle, sont la
conséquence de la désarticulation entre l’efficacité de son système de mobilisation des ressources et
le déficit de son système de gestion comptable et de suivi des ratios prudentiels, traduisant la
difficulté de la CECAS à mettre en œuvre un système d’informations financières fiables et
régulières. Mais elle partage ces dysfonctionnements avec la plupart des MEC de la région de
Saint-Louis, comme le confirment la plupart des diagnostics réalisés par les partenaires des MEC
(PELCP, 2001; PELCP, 2001; ARD, 2003)107. Mais contrairement à leur conclusion selon laquelle
la difficulté de la CECAS à équilibrer sa situation financière serait due à la faiblesse de ses
activités, c’est lorsque cette mutuelle a reçu le plus de fonds extérieurs et qu’elle a distribué le plus
de crédits, qu’elle a laissé paraître les déficits de son mode de gestion. Du reste, cette situation ne
fait que confirmer les résultats du diagnostic organisationnel plus haut, posant un problème de
hasard moral (Enjolras, 1995). Celui-ci peut être appréciable d’une part, par l’accroissement des
dépenses préjudiciables à la suite des excédents financiers et d’autre part, par la difficulté pour les
sociétaires de contrôler dans la durée les comportements des leaders du fait du déficit

107
L’étude de l’ARD fait état de l’absence au niveau des MEC, d’un système comptable bien élaboré, des
soldes déficitaires, de l’inexistence d’un système permanent de suivi et d’information, de la gestion manuelle
des outils, d’un personnel peu qualifié et enfin, du manque de formalisation des procédures administratives,
comptables et financières (ARD, 2003)
276

d’information. C’est le cas de l’utilisation des excédents financiers où on voit les administrateurs
préférer augmenter les moyens de fonctionnement (voiture, motos, ordinateurs) au détriment du
renforcement de la réserve ou de l’assiette du crédit. Il reste qu’en toile de fond de ce problème, se
pose la question du leadership charismatique et associatif qui, s’il est particulièrement efficace dans
la constitution de la dynamique ainsi que dans la mobilisation des membres et des partenaires, se
révèle parfois inadapté pour assurer ou maintenir les conditions d’expansion de la MEC du fait de
ses déficits en capacités gestionnaires et managériales mettant en péril l’efficience des activités
entrepreneuriales. Toutefois, il demeure difficile pour des leaders ayant assuré la constitution de
dynamiques entrepreneuriales, de céder leur place à des leaders plus gestionnaires au moment où
l’initiative commence à produire ses premiers résultats positifs. Cette question entre leadership
charismatique et leadership gestionnaire confirme la difficulté de l’entrepreneuriat communautaire
à arrimer sa base associative et sa logique entrepreneuriale.

La CECAS semble donc vivre présentement sous le risque d’une crise de croissance
expressive de sa difficulté à assurer la rationalisation des ressources et opportunités qu’elle a pu
mobiliser. Il reste à se demander toutefois si un tel constat ne risque pas d’être limitatif pour les
mutuelles révélant le fait qu’à certains niveaux de rentabilité financière, le dispositif mutualiste
apparaît comme rattrapé par son fonctionnement associatif et son orientation originelle de dispositif
de lutte contre la pauvreté. C’est dire que l’enjeu des mutuelles n’est plus seulement la
démocratisation de l’accès au crédit en faveur d’acteurs, de secteurs d’activités ou de territoires
marginalisés, il concerne surtout leur capacité à assurer la viabilité organisationnelle, gestionnaire
et socio-économique des ressources mobilisées.

Un autre enjeu relatif à la rentabilisation économique de la microfinance, pose la question de


la capacité des MEC à promouvoir non plus seulement l’amélioration des conditions de vie ou de
travail des sociétaires mais également, le changement de leurs catégories socio-économiques. C’est
que les petits prêts (de 20 000 à 100 000Fcfa), maintiennent l’artisan en activité mais ne lui
permettent ni de développer son atelier, ni d’épargner suffisamment, ni d’assurer sa transition
économique :

« Le crédit que nous donnons à nos membres ne change pas forcément la situation de l’artisan, mais
au moins le maintient en activité…L’artisan dispose ainsi d’un fond de roulement pour maintenir son
activité mais aussi accéder à certaines ressources que ne lui permettait pas toujours le niveau de
développement de son activité : ainsi, il peut acheter avec le crédit un terrain, construire sa maison
ou encore s’équiper tout en y dégageant un fond de roulement pour son atelier. En tant qu’artisan, il
nous faut gérer et l’atelier et la maison aussi…» (M. M, Leader Cecas, mécanicien)
277

Ainsi, la relation inverse entre la vulnérabilité de la situation économique du bénéficiaire et le


degré de capitalisation financière du micro crédit qui semble enfermer une bonne part de la clientèle
des MEC dans le cycle chronique d’endettement-remboursement, participe de la reproduction
simple de l’unité artisanale. C’est en cela qu’un des risques est de voir les MEC se laisser piéger par
les outils de reproduction des inégalités du système économique actuel :

«Les gens à qui nous prêtons, s’ils n’ont pas d’autres sources de revenus, arrivent difficilement à
épargner. Ils ne font qu’emprunter et rembourser (…). Nous avons l’impression que l’activité de
l’artisan n’arrive toujours pas à se développer avec ce système de crédit. Nous, comme mutuelle, je
te le cache pas, on en bénéficie à travers les frais de gestion…Donc, il faut le dire, les bailleurs et les
mutuelles sont ceux qui bénéficient le plus du système actuel de micro finance, plus que les artisans
eux- mêmes. Mais comme on le dit souvent : « Celui qui n’a pas de mère, tête sa grand-
mère »» (P.D, leader Cecas, menuisier).

Par ailleurs, l’efficience du service mutualiste demeure compromise par la multiplicité des
petits prêts du fait des coûts élevés de traitement des dossiers et de gestion des risques. Toutefois, il
reste que la pratique des petits prêts s’explique aussi par la faiblesse des moyens des mutuelles, tout
en obéissant à un choix de cibles prioritaires ainsi qu’aux exigences de sécurisation du crédit:

«Les riches artisans ont plus d’argent que la Cecas. Ils traitent avec les banques et non pas avec les
mutuelles qui sont destinées en priorité aux gens pauvres ou aux petits fonctionnaires…Il y a un
niveau de développement d’activités à partir duquel la mutuelle n’est plus pertinente pour intervenir.
En outre, on ne peut pas se hasarder au sein d’une mutuelle à prêter certains montants financiers à
une seule personne. C’est même interdit par la loi» (MM, leader Cecas, mécanicien).

En dehors des contraintes peu manœuvrables telles que les conditionnalités et priorités des
bailleurs, le faible montant du crédit ainsi que le temps d’attente entre deux prêts, la rationalisation
du micro crédit pose la question de certaines caractéristiques contraignantes que présente la majeure
partie de leur clientèle comme par exemple, leur potentiel économique vulnérable, le mode
d’utilisation des crédits ou encore la qualité technique des projets. Par exemple, lors de la seconde
ligne du FPE, beaucoup de demandes faisaient état des possibilités rapides de commercialisation,
cause pour laquelle le bailleur avait jugé raisonnable de réduire les délais de remboursement de la
plupart des prêts, ce que beaucoup de bénéficiaires semblent avoir du mal à accepter après coup:

«Nos membres ne savent pas que plus le crédit est long, plus l’intérêt devient élevé et plus le
recouvrement devient fastidieux pour nous les responsables de la mutuelle. Je pense que le Fpe leur
a rendu service en réduisant la durée des prêts... (…). Ce qui intéresse les gens, ce n’est ni la durée,
ni dés fois le taux, mais le montant octroyé. Les bénéficiaires font rarement le calcul entre les
montants prêtés, les intérêts, les pénalités, les montants à rembourser et leurs rapports au rendement
de l’activité prévue.» (C.T, leader Cecas).
278

Mais ce qu’une telle situation révèle, c’est le chaînon manquant entre le porteur de projet, la
mutuelle et les autres dispositifs d’appui pouvant permettre par exemple, d’assurer la maîtrise des
créneaux porteurs ou de la situation du marché. Il faut par ailleurs noter, que de l’avis des leaders
de la CECAS, le faible impact du crédit concerne surtout les cas où l’artisan a fait supporter trop de
charges à son financement ou s’est détourné de l’objectif pour lequel il a été financé. Ainsi, en est-il
de ces bénéficiaires qui s’engagent dans une nouvelle activité économique souvent peu maîtrisée et
sans plan d’affaire. L’échec de cette activité engendre du coup des risques réels concernant le
remboursement du crédit et même, la pérennité de leur activité principale. C’est le cas de ce
menuisier qui s’est investi dans l’achat d’un taxi ou de ce maçon reconverti en vendeur de denrées
alimentaires. Toutefois, les bénéficiaires interrogés évoquent la faible qualité de cette seconde ligne
du FPE. Ainsi, contrairement au crédit du PELCP qui était une subvention ayant une orientation
sociale, la ligne FPE demeure orientée exclusivement sur des objectifs de rentabilité économique.
C’est dire que la forte demande des membres en crédit pousse souvent les administrateurs des MEC
à accepter tout crédit sans examen lucide de la qualité du produit. Ainsi, si cette ligne du FPE
traduit le montant le plus élevé qu’a obtenu la CECAS depuis sa création, elle est à l’origine
d’inquiétudes réelles quant à sa rentabilisation du point de vue des bénéficières et à son
remboursement dans les délais. Mais ce qui est curieux par ailleurs, c’est que la CECAS a élaboré
cette demande de refinancement au même bailleur sans pour autant au préalable avoir évalué l’effet
de la premiére ligne. Ce qui enchaîne la mutuelle dans le captage de financement sans évaluation
des modalités et des résultats.

On peut donc retenir que la CECAS constitue une mutuelle performante en termes de
mobilisation de ressources, de distribution de crédits, d’éducation et d’insertion socio-économique
de ses sociétaires et enfin d’effets structurants à la fois dans le secteur et dans le territoire de la ville
de Saint-Louis. Toutefois, elle rencontre des problèmes de viabilité socio-économique du fait de sa
difficulté à assurer un équilibre financier durable, une gestion financière efficiente et enfin un
système d’information financière. En outre, si la CECAS s’est investie dans l’amélioration des
conditions de vie et de travail de ses sociétaires, son apport limité à la rentabilisation du crédit
distribué ne permet pas d’assurer l’expansion de leurs activités et de changer de catégories socio-
économiques. Toutefois, une telle situation ne relève pas seulement de la responsabilité des MEC.
279

5.4. Rapport au développement local

5.4.1. Ancrage socio-territorial de la CECAS

Malgré la volonté d’extension régionale affichée par ses leaders, la CECAS reste une
mutuelle locale avec notamment l’ancrage de ses membres, de ses actions et de son siége au sein de
la ville de Saint-Louis. Cet ancrage territorial confirmé par l’ouverture de guichets décentralisés
dans des quartiers populaires comme Diamaguéne et Pikine tend à faire de la CECAS, une mutuelle
aussi bien corporative destinée en priorité aux artisans que territoriale parce qu’engagée dans la
revitalisation de son territoire d’implantation à travers l’effet structurant de ses diverses actions. Par
exemple, l’injection d’importants montants financiers à travers les crédits distribués à divers types
d’acteurs sociaux (artisans, femmes, démunis, MEC émergentes) exprime un impact dans la
revitalisation de l’économie locale. Ces effets structurants concernent à la fois le territoire, le
secteur artisanal mais également les artisans et leurs familles du fait de l’effet levier que constitue le
micro crédit. Enfin, son impact concernant la remobilisation socio-territoriale de groupes sociaux
vulnérables participe de l’empowerment local. Par exemple, la plupart des secteurs d’activités
économiques disposent désormais de leur propre mutuelle comme c’est le cas des commerçants, des
éleveurs, des pêcheurs… Cet ancrage territorial ne s’explique pas seulement par les difficultés des
MEC à investir des zones géographiques plus étendues, il est également porteur d’avantages
concurrentiels relatifs au renforcement de la conscience sociale de groupe et à la densification de la
base sociale. D’ailleurs, de plus en plus d’études attestent que les MEC ayant des ambitions
territoriales plus ciblées sont celles qui bénéficient le plus d’une densification de leur base
sociale.108

Toutefois, il subsiste un décalage entre la portée socio-territoriale des actions de la mutuelle


et sa prise de conscience par les leaders. En effet, ayant déjà beaucoup de difficultés à systématiser
la portée territoriale de leurs actions, les leaders ne se sont guère engagés dans la revendication
d’une meilleure position de la mutuelle dans la vie publique locale. Ce qui traduit par ailleurs un
déficit de capitalisation des innovations de la mutuelle ainsi qu’une logique d’action introvertie
circonscrite à l’organisation. Tout se passe comme si la portée des réalisations ainsi que les
modalités de production et de distribution des services se limitaient juste à des objectifs

108
Selon une étude de l’ARD (2003), 83% des MEC de la région ont un ancrage local. Ainsi, MEC AFFER,
créée depuis 2000 et ayant comme zone d’ancrage les femmes de la région ne comptabilisaient en 2003 que
497 membres alors que SJN créée en 2002 mais limitée aux femmes de cinq quartiers de la ville, regroupait
920 membres.
280

opérationnels, évoluant ainsi à l’intérieur des interstices du système financier existant sans
interroger sa nature.

5.4.2. Réseautage local

Outre la CECAS, la ville de Saint-Louis compte deux organisations socio-professionnelles


(OSP) d’artisans dégageant une logique plus syndicale, à savoir l’Association des Professionnels de
l’Artisanat (APA) et l’Union Départementale des Artisans de Saint-Louis (UDAS). Ces deux OSP
qui fonctionnent de manière isolée sur fond de lutte de leadership, n’entretiennent pas de lien
organique avec la CECAS, ce qui ne participe pas d’un meilleur positionnement du secteur
artisanal. En ce qui concerne le réseautage de la CECAS avec les organisations communautaires,
cela se limite aux organisations membres à travers leurs demandes de crédit. Ce créneau porteur, du
fait de la multiplicité de ces organisations dans la ville demeure toutefois faiblement exploité (seule
une vingtaine d’organisations sont membres de la CECAS), en raison certainement des contraintes
posées par leur cadre juridique en matière d’activités entrepreneuriales et de l’absence de stratégie
développée par la mutuelle à leur endroit.109

Quant au réseautage de la CECAS avec les autres mutuelles de la ville, il demeure faible si ce
n’est les contacts sporadiques lors de rencontres avec des partenaires. Le portage d’une ligne de
crédit au profit des femmes des conseils de quartier de la ville (à travers la mutuelle Suxxali
Jiggénu Ndar) dans le cadre du Pelcp, a démontré les soupçons auxquels se livrent les différentes
mutuelles.110 Ainsi, malgré les opportunités que pourrait offrir un réseautage du secteur mutualiste
local (partage des informations, de certains coûts, risques, outils de suivi et même de certains
produits, tout en constituant en même temps une opportunité pour accéder à de gros fonds), il reste
que seul subsiste un cadre de concertation qui ne se réunit qu’en cas de visite des partenaires, et qui
ne dispose ni de l’organisation, ni de la force politique nécessaire pour agir efficacement.
Apparemment, les leaders des mutuelles ne portent pas encore ce dossier qui a surtout été initié par
le PELCP et par l’ARD. En outre, l’absence d’une claire vision du réseautage, l’intrusion
permanente des partenaires, le problème de confiance entre leaders, l’absence de solidarité entre
MEC, les relations plus vues en terme de rivalité ou de domination que de partenariat,
l’investissement de la même clientèle sur un territoire relativement étroit, constituent autant de

109
Comment des activités communautaires ne donnant lieu qu’à de faibles marges bénéficiaires peuvent-elles
être financées par le crédit ? S’y ajoutent le caractère non lucratif ainsi que la non distribution privative des
bénéfices qu’exige le cadre juridique des organisations communautaires.
110
La CECAS détenait 50% des intérêts du crédit et 100% de tous les autres frais des bénéficiaires alors que
la mobilisation sociale ainsi que le risque étaient supportés par SJN.
281

facteurs bloquant l’émergence d’un réseau mutualiste local fonctionnel. Mais le conflit de
leadership entre les leaders des différentes mutuelles, constitue le principal facteur de blocage de ce
projet de réseau.

C’est que résultant souvent d’une scission liée au conflit de pouvoir au sein de l’équipe
dirigeante, la création d’une nouvelle MEC est la plupart du temps perçue comme relevant du
factionnalisme parce que fragmentant la base sociale des MEC antérieures. Cette tendance au
factionnalisme au sein du secteur mutualiste autonome, semble être une pratique courante et aboutit
à la création d’une nouvelle mutuelle supposée être plus démocratique mais qui à son tour, après
quelques années de fonctionnement, se voit fragilisée par une défection de quelques leaders. Il reste
que ce factionnalisme, lié en partie à la volonté de chaque ONG d’avoir «sa mutuelle» au lieu de
renforcer celles existantes ainsi qu’aux programmes de lutte contre la pauvreté ayant chacun un
volet microfinance, demeure un phénomène conjoncturel lié à la nouveauté de l’expérience
mutualiste dans la ville et donc, est en passe de se stabiliser.

Les rivalités entre MEC font que la CECAS développe plus de liens avec les MEC se
trouvant hors du territoire de la ville, notamment les MEC artisanales émergentes de la région de
Saint-Louis pour qui elle a porté à plusieurs reprises des lignes de crédit auprès des bailleurs. 111 Ce
soutien, lié à son ancienneté ainsi que la densité de son réseau partenarial, lui ont permis de
renforcer son leadership territorial dans le secteur mutualiste régional. En outre, elle participe à un
cadre de concertation nationale destiné à mettre en place un réseau de MEC d’artisans en
perspective de la création d’une banque nationale des artisans.

En réalité, la faible interdépendance fonctionnelle à l’intérieur du secteur mutualiste local, et


entre ce secteur et d’autres organisations de la «société civile », ne participe pas à renforcer le poids
politique des MEC dans la ville. Au contraire, elle les prive d’un certain nombre de facteurs de
soutien liés aux milieux innovateurs (Favreau, 2003). Il s’agit notamment d’un lieu de concertation
et de partage de l’information et des innovations autour du territoire, de la réduction des coûts de
transactions et des zones d’incertitude ou encore, de la consolidation d’un capital social territorial
(Lévesque et all, 1996; Julien 1996; CST, 2001).

111
Gecam (Région de Matam), Gecap et Takou Gane (région de Saint- Louis).
282

5.4.3. Dynamique partenariale

5.4.3.1. Rapport aux collectivités locales

La CECAS n’a pas participé au processus d’élaboration du programme de développement


communal (1998-2008) initié par la Commune de Saint-Louis après plus de deux ans de démarche
participative. Cette absence de collaboration ne traduit pas la portée territoriale de cette mutuelle :

«A vrai dire, à part les visites d’accompagnement d’un ministre venu visiter le village artisanal, il
n’y a aucun rapport qui nous lie avec la Commune, malgré nos dix ans d’existence. (…) Mais, il faut
aussi remarquer qu’au début de notre expérience, nous ne fondions aucun espoir sur ces autorités
politiques. Nous voulions d’abord partir de nos propres moyens afin de garder notre autonomie et
éviter ainsi toute politisation de notre mutuelle. Notre priorité, c’était d’abord satisfaire les besoins
de nos membres et en réalité l’apport de ces institutions pour la réalisation de cet objectif était
insignifiant. Mais de plus en plus, nous nous rendons compte que de bons rapports avec les autorités
donnent plus de visibilité à notre action. Mais néanmoins, cette absence de rapports avec elles ne
dérange en rien l’avancée de notre mutuelle» (C.T, leader Cecas, bijoutier).

Il faut souligner que les résultats positifs des mutuelles autonomes, souvent basés sur du
financement des partenaires (bailleurs de fonds et ONG) et donc sans appui des pouvoirs publics,
ont alimenté un discours autonomiste basé sur leur capacité à réussir là où les pouvoirs publics et le
système financier bancaire ont échoué. C’est dire que l’attitude de défiance des MEC et la
marginalisation des collectivités locales par la plupart des partenaires au développement inhibent de
telles relations. Toutefois, l’ADC est en train de rectifier cette absence de la plus grande mutuelle
locale en initiant une étude sur les MEC de la ville (2003-2004) et en cherchant à impliquer la
CECAS dans le Fond de Développement Local visant à soutenir les initiatives locales de quartier.
Le projet qui est encore à l’étude, cherche à déléguer la gestion financière du fonds à la CECAS.
Contrairement à la Commune, le Conseil régional de Saint-Louis, à travers son dispositif technique,
l’ARD, a développé des relations entretenues avec la CECAS. L’ARD a en effet réalisé des actions
de diagnostic des MEC de la région, de renforcement technique (sessions de formation) et
d’intermédiation avec les partenaires au développement. Elle fait partie d’un des initiateurs du
projet de réseau de mutuelles dans la région. Pour les responsables de la CECAS, le comportement
des autorités politiques de la Mairie et du Conseil Régional, consistant à toujours déléguer des élus
disposant d’un faible pouvoir aux invitations qui leur sont faites, dénote une vision restrictive de
leur mandat et leur prise en otage par le milieu politique:
283

«Dans un pays, tout le monde ne peut pas faire de la politique et en général pour les politiciens, seuls
les gens qui font de la politique les intéressent surtout leur base socio-politique. Vous savez, un
politicien doit avoir une certaine vision, c’est lui qui doit aller vers les gens. Nous ne pouvons pas
être classés dans la même catégorie que les gens qui viennent les voir chaque jour pour régler leurs
problèmes personnels... Nous, nous sommes détenteurs d’une base sociale» (O. N, leader Cecas,
menuisier).

Mais le peu d’empressement des autorités locales à répondre positivement aux sollicitations
des mutuelles s’explique aussi, par leur faible capacité à satisfaire la principale attente de celles-ci
tournant autour du financement (subvention). S’y ajoutent, les effets pervers liés à la tendance des
bailleurs de fonds à traiter directement avec les populations ou à travers le relais d’ONG qui
renforcent la marginalisation des pouvoirs publics locaux. C’est le cas notamment du FPE qui a
directement traité avec la CECAS sans chercher à articuler son intervention avec les autres
partenaires de la mutuelle, encore moins avec l’ARD ou avec l’ADC. Enfin, la perception
péjorative des hommes politiques par les leaders de MEC dénote une confusion entre classe
politique et institution publique et traduit leur volonté de séparer sphère étatique, politique et celle
de la «société civile». Mais elle tend aussi à les éloigner des possibilités de collaboration avec le
milieu institutionnel et affaiblit leur positionnement dans la vie publique locale.

5.4.3.2. Nature des relations avec ses partenaires

A la faiblesse des relations entretenues avec la Commune, s’opposent les relations soutenues
entre la CECAS et ses autres partenaires. C’est le cas notamment du service décentralisé, à savoir la
Chambre des métiers qui apparaît comme l’espace de règlement des conflits internes opposant des
leaders de la mutuelle. Cette chambre consulaire a joué également un rôle d’intermédiation avec les
partenaires du Ministère de l’artisanat en permettant à la CECAS d’avoir accès à l’information
stratégique concernant les opportunités présentes dans le secteur. Par exemple, outre le fait d’avoir
affecté un terrain à la CECAS au sein du village artisanal, la chambre des métiers a facilité le
financement de sa construction en siège en portant le dossier auprès du FPE.

Par ailleurs, la CECAS développe des relations avec le secteur privé local. C’est le cas
notamment de l’antenne locale de la SGBS (Société Générale de Banques au Sénégal) chez qui, la
mutuelle a domicilié son compte bancaire et avec qui elle négocie actuellement des produits pour
ses membres fonctionnaires (achat de maison, de mobilier, de voiture). En outre, cette banque lui a
284

consenti un découvert qui a permis l’achat des moyens de locomotion. Cela témoigne de l’absence
de cloisons étanches entre système bancaire classique et MEC.

Tableau 5.9: Réseau partenarial de la CECAS

Partenariat Activités réalisées Années


ADC Appui ponctuel 2003
Agence d’Appui aux Affaires Appui technique au montage de dossiers de 2002
projets
Aquadev Appui technique et étude diagnostic 2000
ARD Formation, Appui ponctuel, projet de réseau de 2001
MEC régionales
Chambre des métiers Terrain pour siège, Appui institutionnel, Depuis le
Réseautage partenaires, information début
Conacap Formation, Accompagnement technique et Au démarrage
financier
FPE Deux lignes de crédit (258 millions) 2000- 2003
Construction du siège de la MEC
Parmec Appui technique et financier Au démarrage
PELCP/ PNUD Formation, Étude diagnostic, Deux lignes de 2000 - 2002
crédit (40 millions)
Prom’art/ Dyna entreprises et Appui technique/ Réseautage de MEC d’artisans 2001
autres MEC régionales et Projet de constitution d’une banque nationale
des artisans
Mec SJN, Taku Gane, Gecap, Portage de lignes de crédit, Accompagnement 2000- 2003
Gecam technique
Sauvegarde du Nord Accompagnement technique et financier Au démarrage
Usaid Micro crédit (1,8 million) 1998
SGBS Services financiers 2001

Un autre acteur privé avec qui la CECAS a noué des relations actives peut être trouvé au
niveau du milieu de la recherche-action. C’est le cas de ses relations soutenues avec l’Agence
d’Appui aux Affaires qui est une structure de consultance spécialisée dans le montage de dossiers
de projets et dans le suivi-évaluation de projets économiques. Par exemple, face à la réaction
mitigée du FPE relative à la qualité technique des dossiers de projets soumis par les membres de la
CECAS dans le cadre de la seconde ligne de crédit, c’est cette structure qui a élaboré la seconde
version des 179 dossiers. N’ayant pas les moyens de payer comptant, la CECAS a pu négocier avec
cette agence une entente qui stipule que ses services seront payés après le versement de la ligne par
le FPE. Ce sont ces types d’arrangements, témoignant des liens personnels que les leaders de la
CECAS sont parvenus à nouer avec des personnes-ressources à l’intérieur de structures
stratégiques, qui leur permettent d’assurer l’efficacité opérationnelle du dispositif de production et
de distribution de crédits. D’ailleurs, la construction d’un réseau de soutiens «informels» au sein du
personnel de ces organismes et institutions apparaît comme l’une des variables explicatives du
choix de la CECAS par la plupart des partenaires investissant le secteur mutualiste régional. Une
285

telle situation commence toutefois à être soulevée par des leaders d’autres MEC remettant en cause
le choix exclusif de la CECAS par la plupart des interventions, alors que d’autres MEC se trouvant
sur le même territoire évoluent sans partenaire.

De ce réseau partenarial, le PELCP et le FPE constituent, à part la chambre des métiers, les
partenaires stratégiques de la CECAS. Ils ont en effet marqué l’évolution de la CECAS en lui
octroyant quatre lignes successives de crédits à l’origine de la diversification de ses produits
financiers et de son membership. A ce titre, il faut noter que si le FPE a offert à la CECAS sa plus
grosse ligne de crédit, c’est le PELCP112 qui a été le partenaire stratégique à la base de la
dynamique actuelle d’expansion: après une étude diagnostic du secteur, le PELCP a sélectionné
cette mutuelle pour distribuer deux lignes de crédit aux groupes sociaux vulnérables. La portée de
ce programme, c’est d’avoir intégré ses lignes de crédit dans le cadre d’un renforcement
institutionnel (sessions de formations offertes gratuitement aux employés, administrateurs et
bénéficiaires, appui-conseil, suivi-évaluation) et d’une démocratisation de l’accès au financement
en faveur de cibles vulnérables (femmes, petits métiers de la rue, chômeurs), contribuant du coup à
la densification et à la diversification de la base sociale de la CECAS. LE FPE a accentué cette
densification/diversification en ouvrant le lien commun de la CECAS aux micro entrepreneurs et
fonctionnaires.

La différence de logiques d’action entre le PECLP et le FPE permet de caractériser la nature


des relations entre la CECAS et ces deux organismes sous deux registres, à savoir une relation
d’affaire et une relation de partenariat. La relation d’affaires met l’accent sur la rentabilité et opère
souvent par crédit. Dans ce cas, le partenaire se positionne plus en bailleur et s’intéresse davantage
au remboursement de son crédit comme ce fut le cas du FPE113. La relation de partenariat
développée par des organismes de développement à sensibilité sociale comme le PELCP recherche
plutôt des effets structurants à la fois sur la clientèle démunie, mais aussi sur la mutuelle en
promouvant un renforcement organisationnel à travers non pas un crédit remboursable au bailleur
mais une subvention remboursable à la mutuelle. Ainsi, si le FPE s’est davantage intéressé au

112
Le PELCP est mis en œuvre par le PNUD pour appuyer les efforts de l’Etat sénégalais en couvrant les
zones les plus défavorisées du pays. Il mise à la fois sur la réalisation d’investissement que sur le
renforcement de capacités des populations démunies. Dans le secteur de la microfinance, le PELCP intervient
à travers des subventions accordées aux femmes, aux chômeurs et aux petits métiers de la rue.
113
Le FPE est un dispositif institué par l’Etat sénégalais destiné à la recherche de lignes de financement en
faveur des secteurs porteurs de l'économie. Cette ligne de crédit Boad/ Artisanat est financé par la banque
centrale à hauteur de 3 milliards de Fcfa et vise à satisfaire les besoins financiers en investissement et en
intrant des entreprises artisanales du pays, hormis celles de Dakar, la capitale.
286

remboursement de son crédit à 100%, le PELCP lui, intégrait ce résultat avec d’autres critères aussi
importants que le nombre de personnes touchées, l’effet générateur sur la condition de la femme, la
promotion de la culture d’épargne et de la dynamique entrepreneuriale chez les populations
démunies ainsi que le développement organisationnel de la CECAS.

Tableau 5.10: Nature des relations entre les MEC et leurs partenaires

Désignation Logique d’affaires Logique de partenariat


Orientation Rentabilité financière Lutte contre la pauvreté
Financement d’activités économiques Renforcement institutionnel de la MEC
Forme Crédit Subvention + appui non financier
Approche Démarche standardisée Participative et flexible
Critères de Remboursement à 100% Développement organisationnel MEC
performance
Nombre d’emplois créés Amélioration conditions de vie des cibles,
promotion du secteur et du territoire
Cibles Micro entrepreneurs Populations démunies ou défavorisées
Taux d’intérêt 10% 1%

En dehors des logiques d’action entre relation d’affaires et de partenariat, l’expérience de la


CECAS renseigne sur le fait que les relations entretenues avec ses partenaires au développement
demeurent plus fonction de l’orientation générale définie par ces derniers, de telles orientations
demeurant un pré requis sur lequel la mutuelle n’a aucune prise. S’y ajoute le fait que la plupart des
mutuelles se positionnent plus dans le captage des financements que dans la maîtrise de la nature
des rapports avec leurs partenaires. Une telle position dénote le fait que la plupart des MEC remplit
leur fonction d’intermédiation financière avec une faible capacité de négociation des clauses
proposées par le bailleur, ne faisant que transférer les conditionnalités aux bénéficiaires. Mais du
moment où les lignes de crédit à orientation partenariale à l’image de celles du PELCP demeurent
rares et sont le fait de projets limités dans le temps, la plupart des mutuelles n’ont pas d’autres
choix que de prendre le fonds le plus disponible pour satisfaire leurs membres.

Ainsi, malgré l’absence d’un réseau mutualiste local fonctionnel, la CECAS a pu garantir la
densité et la diversité de son réseau partenarial. Aux faibles relations avec la Commune, ce qui par
ailleurs ne favorise pas la reconnaissance de la portée territoriale de ses actions, la CECAS
développe des relations soutenues avec les partenaires au développement. Ces derniers, même s’ils
287

en dominent la nature et le rythme en fonction de leurs orientations propres, lui assurent des lignes
de crédit garantissant un accès régulier du crédit à ses membres.

Conclusion

Plus que son rôle pionnier dans la micro finance corporative et locale, c’est la maîtrise interne
du processus de maturation facilitée par la qualité de ses ressources humaines ainsi que la diversité,
voire l’ampleur des appuis reçus, qui semblent être déterminantes dans la dynamique évolutive et
innovatrice de la CECAS. Celle-ci peut être appréciée notamment à travers le repositionnement
d’un groupe social jadis marginalisé, le double processus de densification/diversification de son
membership ainsi que sa performance plurielle. Celle-ci peut être appréciée tant dans la
démocratisation de l’accès à un crédit soutenable au profit de groupes sociaux vulnérables que dans
la revitalisation d’un des secteurs de l’économie locale, ce qui implique des effets générateurs sur le
territoire d’implantation. Mais ce sont surtout les avantages concurrentiels que présentent ses
modalités de production et de distribution de services financiers, qui participent à démontrer que le
système mutualiste autonome demeure en contexte de précarité, l’un des systèmes financiers les
plus appropriés à la situation socio-économique des populations vulnérables parce que permettant
de capitaliser leur épargne, de les rendre solvable et de les constituer en un groupe socio-
économique capable de produire et de distribuer la richesse. C’est d’ailleurs ce qui explique le fait
que le secteur mutualiste autonome soit de plus en plus investi par les partenaires au développement
dans le cadre de leur programme de lutte contre la pauvreté.

Toutefois, la performance plurielle du système financier autonome risque d’être affectée par
un problème de viabilité du fait de la désarticulation entre l’efficacité opérationnelle de son système
de mobilisation des ressources et le déficit de son système de gestion et de suivi organisationnel et
comptable. Sous ce rapport, les MEC ne peuvent dépasser le stade de lutte contre la pauvreté pour
se positionner comme un dispositif autogéré de promotion de l’entrepreneuriat local sans garantir
les conditions d’une gouvernance organisationnelle à la fois plus professionnalisée et plus
démocratique. L’expérience de la CECAS démontre que le leadership charismatique peut permettre
aux MEC d’assurer les conditions de constitution réussies, mais se révèle parfois peu approprié
pour leur assurer la viabilité socio-économique dont elles ont besoin afin de prendre de l’expansion.
Un leadership gestionnaire mais ancré dans les principes mutualistes, semble être plus approprié à
ce propos.
288

Par ailleurs, le décalage entre la portée socio-territoriale de la CECAS et son absence dans le
processus de développement local initié par la Commune ainsi que l’asymétrie de pouvoir constatée
dans les relations avec ses partenaires sur lesquelles elle n’a qu’une faible influence, témoignent du
confinement des MEC à la lutte contre la pauvreté. C’est comme si les MEC se limitaient à faciliter
à leurs membres l’accès à des services financiers de proximité sans s’interroger suffisamment sur
les conditions structurelles qui déterminent la portée de leurs actions, ni chercher à influencer le
système institutionnel et financier à l’origine de l’exclusion financière qu’elles ambitionnent de
corriger. Il reste que cette situation pose aussi un problème de choix de société et interpelle la
vision et les priorités des institutions publiques et des partenaires au développement. Autrement dit,
la reconnaissance de la performance plurielle de la microfinance dépasse la mise en œuvre de
programmes d’appui pour appeler de nouvelles formes de régulation faisant de telles initiatives, le
socle d’un nouveau projet de société. C’est ce que démontrent les lignes de crédit du FPE qui,
même si elles ont été les plus gros financements reçus par la CECAS, ont amené cette dernière, à
appliquer la même logique d’action qu’une institution bancaire dans sa politique de crédit,
instrumentalisant ainsi le cadre mutualiste comme partie intégrante des mécanismes de reproduction
du système économique néo-libéral.
CHAPITRE VI

L’ENTREPRENEURIAT FÉMININ EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ:


L’EXPÉRIENCE DU GROUPEMENT D’INTÉRET ÉCONOMIQUE
DJAMBAROU SINE DE GUET NDAR

Introduction

L’objet de cette étude monographique est d’analyser comment, dans un contexte de


précarité, une dynamique d’auto-promotion féminine, mobilisée autour de l’activité de
transformation du poisson, a pu transformer cette activité jadis répulsive en une filière
structurante du secteur de la pêche. Depuis les années de sécheresse qu’a connu le Sahel (1970-
1980), qui a occasionné la crise arachidiére (principale ressource d’exportation), la pêche est
devenue au Sénégal un secteur de substitution par rapport à l’agriculture. Elle constitue de plus en
plus un secteur stratégique tant en matière de réduction du déficit de la balance des paiements à
travers son apport en devises, qu’en matière d’absorption du chômage des jeunes et de
satisfaction des besoins alimentaires des populations (Ndiaye, 2004). Activité exclusivement
féminine, la transformation de produits halieutiques est réalisée sur des sites de transformation
situés dans les grandes zones de pêche comme Kayar, Bargny, Mbour, Joal et Saint-Louis. Dans
cette ville, l’activité est l’exclusivité des femmes de la Langue de Barbarie, une zone coincée
entre l’océan atlantique et le fleuve Sénégal et marquée par une dynamique territoriale tournant
autour de la pêche artisanale. Les femmes du quartier de Guet Ndar et de manière marginale, le
quartier de Goxumbathie (deux des trois quartiers de cette zone), constituent à ce titre les
principales transformatrices de produits halieutiques de la ville.

Jadis marginalisée, la transformation du poisson était pratiquée par de vieilles femmes


cherchant surtout à s’occuper. L’utilisation de poissons invendus voire pourris comme matières
premières ainsi que l’emplacement excentré du principal site de transformation dénommé Sine en
dehors du quartier de Guet Ndar, confirment le caractère répulsif de cette activité. Au début du
XXe siècle, la sécherie de Sine fut positionnée comme devant approvisionner certaines régions
pauvres de France en produits transformés à la place de la morue. Mais le faible investissement
des entreprises françaises va entraîner un repli sur le marché africain et local vers les années 1950
(Séne, 1985). La redécouverte de l’activité de transformation est à lier à plusieurs facteurs : la
crise économique des années 1970 et ses conséquences en termes de paupérisation des
290

populations dopant ainsi la demande sociale en poissons transformés désormais intégrés à la


consommation courante des sénégalais, la crise du secteur de la pêche du fait de l’épuisement des
côtes sénégalaises amenant les consommateurs à se tourner vers des produits de substitution et
enfin, l’avènement de «banas-banas», commerçants intermédiaires qui exportent les produits
transformés de Guet Ndar dans les marchés sous régionaux (Bénin, Congo, Togo, Côte d’Ivoire,
Mali…). C’est ce contexte favorable qui explique le fait que l’activité de transformation a cessé
d’être temporaire pour mobiliser en permanence des femmes cherchant à contribuer à la prise en
charge des dépenses familiales et se forger en même temps une indépendance économique. En
outre, ce contexte a renforcé les tentatives de structuration des femmes transformatrices autour de
groupements d'intérêt économique (GIE) qui constituent des structures socio-économiques dont la
mission est d’appuyer le développement de l’activité économique de leurs membres. La
multiplication de GIE de femmes transformatrices sur le territoire national donnera naissance à
une fédération nationale des femmes transformatrices et micro mareyeuses du Sénégal
(FENATRAM), contribuant ainsi à donner une visibilité plus grande à l’activité.

L’enjeu de cette étude de cas est de déterminer et d’analyser les innovations sociales
récentes intervenues dans l’activité de transformation du poisson et induites du fait de
l’organisation des transformatrices en un GIE. S’il reste difficile d’isoler l’apport spécifique du
GIE dans l’expansion que connaît cette activité, il est possible néanmoins de déterminer la portée
des divers types de services qu’il offre à ses sociétaires. Le cas d’un des premiers groupements de
femmes transformatrices de poissons au Sénégal, dénommé Djambarou Sine (les braves femmes
du site de transformation Sine), sera étudié à cet effet sous l’angle de l’entrepreneuriat féminin.
Une telle approche participe du renouvellement théorique de la problématique féminine en
Afrique par rapport aux approches plus connues, comme «Intégration des Femmes dans le
Développement», «Femmes et Développement» et dans les années 1990 «Genre et
Développement» (Diop, 1997; Sarr, 1998; Touré, 2002; Denis et Sappia, 2003). Une telle
perspective situe l’expérience des femmes transformatrices de Sine autour d’un double enjeu :
l’évolution de la place de la femme à la fois dans l’espace domestique, économique et public
voire politique d’une part et d’autre part, la démocratisation de l’accès aux ressources
stratégiques.

Pour étudier l’expérience de Djambarou Sine, 24 personnes ont été interrogées composées
de membres et de parties prenantes. Ce rapport présente le résultat de cette recherche et est
structuré autour de quatre dimensions d’analyse : les conditions d’émergence et d’évolution, la
291

gouvernance organisationnelle, la performance socio-économique et enfin, le rapport au


développement local.

6.1 Conditions d’émergence et d’évolution du GIE Djambarou Sine

6.1.1. Étapes d’évolution du GIE

L’évolution historique du GIE peut être retracée à travers trois grandes phases :
1. De sa création dans les années 1960 jusqu’en 1978 : la transformation d’un
groupe de sociabilité en une coopérative

Djambarou Sine a été mis en place au lendemain de l’accession du Sénégal à


l’indépendance autour des années 1965, sous la forme d’un «mbootay» regroupant de vieilles
femmes s’activant dans la transformation du poisson sur le site de Sine. Regroupant
exclusivement des femmes selon leur classe d’âge, le «mbootay» fait partie des structures
traditionnelles ayant pour objectif de raffermir les liens de sociabilité, d’entraide et de
convivialité entre ses membres. Il offre un espace de loisir et de solidarité entre femmes lors
d’événements familiaux (mariage, baptême, décès). C’est dire qu’à ses débuts, Djambarou Sine se
présentait comme un cadre associatif de fidélisation des relations sociales entre ses membres.

Avec les effets de la crise frappant le Sénégal (fin des années 1970), les «mbootays» vont
chercher à combiner leur objectif de sociabilité avec la recherche de promotion socio-économique
de leurs membres. Mais leur manque de formalisation institutionnelle les empêchait de pouvoir
bénéficier d’appuis des partenaires au développement. C’est ce qui explique la transformation du
«Mbootay» Djambarou Sine en une coopérative en 1978 donnant ainsi naissance à l’une des
premières organisations légales de transformatrices de poissons sur le territoire local et national.
Organisations communautaires de référence des pouvoirs publics durant l’époque coloniale et
post coloniale, les coopératives avaient pour mission de structurer les populations afin de leur
faire participer à l’objectif de développement national. C’est en se transformant en coopérative
que pour la première fois, les femmes transformatrices de Saint-Louis vont recevoir des appuis
conséquents. Ainsi, en est-il du don d’une usine de transformation de glace que l’ONG Plan
International a offert à la coopérative Djambarou Sine et qui constitue jusqu’à présent, son
principal patrimoine.
292

2. De 1979 à la fin des années 1990 : l’enfantement douloureux d’un GIE en lieu et
place de la coopérative Djambarou Sine

Les résultats mitigés des coopératives dans le cadre de la construction d’un nouvel État
avec en toile de fond l’échec des stratégies de développement, vont favoriser un contexte de
libéralisation économique et de promotion de l’initiative privée au début des années 1980. Le GIE
est apparu alors comme la forme organisationnelle la plus appropriée parce que démontrant un
positionnement économique plus affirmé tout en intégrant la possibilité de partage des bénéfices
entre sociétaires. C’est ce contexte qui justifie la transformation de la coopérative Djambarou
Sine en un GIE en 1995. Il faut signaler que ce changement intervient également dans un contexte
de scission de la coopérative originelle du fait de conflits de succession suite au décès de la
présidente fondatrice de Djambarou Sine. En effet, l’ambition de la fille de cette dernière
d’hériter du poste de présidente a suscité une vive réaction des autres responsables qui voulaient
éviter de faire de leur organisation une propriété familiale. Cette confrontation aboutira à une
scission du groupement originel en deux entités: celle dirigée par la fille de l’ancienne présidente
et celle dirigée par la vice présidente qui va prendre une autre forme juridique à travers le nom
GIE Djambarou Sine. Ce dernier va disposer d’une consécration institutionnelle dés sa création,
avec sa reconnaissance par le Gouverneur de la Région de l’époque comme dépositaire légal de la
coopérative Djambarou Sine:

«Suite au décès de Sokhna Teuw, sa fille a déclaré qu’elle devrait hériter sa mère, ce que j’ai
refusé, moi et la plupart des membres. Depuis lors, elle m’a déclaré la guerre…Un jour, le
gouverneur m’a appelé dans son bureau, parce que c’est moi que les autorités connaissaient
comme présidente adjointe. Je suis partie lui remettre le PV de notre assemblée générale avec tous
mes membres. Ce fut vers 17h, un «takoussane» 114...Tout Guet Ndar était là bas... Quand le
gouverneur de l’époque a vu la foule, c’était Mbagnick Ndiaye, il s’est levé et m’a appelé par mon
nom. La salle était pleine. Devant tout le monde, il a dit : «Toi Ndeye Aïssatou Séne, je mets mon
chapeau bas devant toi. «Wédi guiss bokou thia»115. J’ai fait exprès de te demander de me
convoquer toutes les femmes ayant participé à votre assemblée générale uniquement pour mesurer
ta représentativité et ta légitimité dans le quartier. J’ai vu ce que tu représentes. Désormais, je ne
mettrais plus en cause ta parole» (A. S, leader Dj. Sine).

3. A partir de l’an 2000 : la consolidation du Gie Djambarou Sine

Cette consécration institutionnelle a permis au GIE Djambarou Sine de capitaliser tout le


préjugé favorable lié à la coopérative initiale tout en marginalisant l’autre groupement concurrent,
notamment du point de vue des pouvoirs publics locaux et des partenaires de l’activité. En effet,

114
Il s’agit de la prière de l’après midi qui se fait autour de 17h.
115
Littéralement : «Voir de ses propres yeux exclut toute remise en cause»
293

son leadership dans l’activité est reconnu par ces derniers qui l’invitent à tout forum portant sur
l’activité de transformation de poissons, le secteur de la pêche, la promotion de la femme ou
encore sur l’entrepreneuriat féminin

6.1.2. Analyse de l’évolution du GIE

Plus qu’une évolution linéaire, il semble plus expressif de systématiser deux éléments
structurant l’histoire de Djambarou Sine et déterminant sa situation actuelle, à savoir
l’isomorphisme institutionnel à travers la multiplicité de ses formes juridiques ainsi que le conflit
majeur lié au renouvellement de son leadership.

La transformation du «mbootay» en une coopérative dans les années 1965 marque une
double rupture que les femmes de Djambarou Sine ont voulu manifester : d’une part, une rupture
par rapport à l’informalité qui caractérisait la dynamique associative féminine116 et d’autre part,
une volonté de marquer une mouvance plus entrepreneuriale de l’activité de transformation. Il
reste que cette volonté d’officialiser la dynamique associative informe également, du leadership
manifesté par un noyau de femmes transformatrices ainsi que du contexte d’émancipation de la
femme et de promotion des coopératives promu par le nouvel État indépendant. Toutefois, du fait
de leur instrumentalisation par les pouvoirs publics de l’époque et de leur caractère exogène, les
coopératives se verront désaffecter dés les signes avant coureurs de la crise des années 1970
(Verhagen, 1991; Mbodj, 1992; Develtere, 1998).

C’est ainsi que les GIE vont émerger au milieu des années 1980 dans le paysage
institutionnel sénégalais en offrant une plus grande autonomie aux acteurs sociaux. Disposant
d’une personnalité morale et d’une reconnaissance formelle de la recherche de profit, le GIE vise
d’abord à assurer la promotion socio-économique de ses sociétaires en permettant une distribution
privative des ressources générées à la différence des associations. En outre, structure médiane à
mi-chemin entre l’association et l’entreprise, le cadre juridique du GIE promeut un arrimage entre
l’orientation économique d’une entreprise et la base communautaire d’une association. C’est cela
qui a expliqué sa floraison, dés son inscription dans le tissu institutionnel sénégalais en 1984 dans
un contexte de crise économique et de libéralisation de l’économie.

116
Se formaliser à cette époque là relève d’une vision innovatrice des leaders de Djambarou Sine quand on
sait que la plupart des organisations féminines préfèrent se mouvoir sur un terrain «informel» dans lequel
elles se retrouvent parce que correspondant avec leurs modes de représentation et d’organisation sociale.
294

L’isomorphisme institutionnel qu’a connu Djambarou Sine passant d’une « mbootay », à


une coopérative puis à un GIE, traduit le souci constant de ses leaders de s’ajuster à l’évolution de
l’environnement institutionnel et économique du mouvement communautaire avec comme
principal mobile, l’accès régulier aux opportunités de soutien des partenaires. Cette attitude
«opportune» (versus opportuniste) demeure payante parce que permettant à Djambarou Sine de
multiplier ses sources d’appuis à travers sa filiation à divers secteurs (artisanat, pêche,
développement social et entrepreneuriat féminin). Par ailleurs, l’évolution des formes juridiques
du GIE Djambarou Sine informe sur l’évolution du statut de la femme et de la vision de l’activité
de transformation du poisson. En effet, la fonction reproductrice de la femme semble céder la
place à un positionnement pluriel autour de l’espace domestique, économique et public voire
politique, expressif de la recomposition de son statut de mère, d’épouse, de citoyenne et
d’opératrice économique autonome.

Il reste toutefois à se demander si la transformation récurrente de la forme juridique de


Djambarou Sine s’accompagne d’un ajustement de sa dynamique organisationnelle ou si elle
reproduit la même dynamique de gouvernance interne. De même, cet isomorphisme institutionnel
traduit-il l’obsolescence du cadre juridique de l’entreprenuriat communautaire féminin ou
exprime-t-il un souci de s’ajuster aux sources d’appui? Il faut enfin noter que tous ces
changements de formes juridiques ne relèvent pas toujours d’un choix socialisé avec les
membres. Au sein de ce GIE, ce fut notamment les leaders, influencés par des intervenants (issus
des services publics décentralisés et des organismes d’appui), qui ont choisi de changer de forme
juridique à chaque fois que nécessaire pour pouvoir garantir un accès permanent aux appuis.

L’autre élément structurant l’histoire du GIE Djambarou Sine demeure lié aux conflits issus
du renouvellement de son leadership suite au décès de la présidente. Il faut rappeler que le
premier renouvellement dans cette organisation était lié à l’âge avancé de la titulaire. La vice
présidente va prendre sa place et sera remplacée à la suite de son décès en 1994. C’est de ce
renouvellement que provient le conflit majeur qui structure actuellement la dynamique territoriale
de l’activité de transformation à Saint-Louis. Il a occasionné une partition du patrimoine matériel
et financier de la coopérative autour des deux structures. C’est ainsi que la fille de l’ancienne
présidente a confisqué la caisse du groupement que détenait sa mère tandis que l’actuelle
présidente du GIE utilise l’usine de glace offerte par Plan International comme la propriété de son
organisation. Les relations heurtées entre les deux groupements ont abouti à une forte rivalité des
femmes transformatrices et bloquent toute possibilité de coordination des acteurs du secteur ainsi
295

que tout projet d’appui destiné à l’ensemble des transformatrices. Toutefois, la tendance actuelle
est à l’apaisement, car à défaut de pouvoir supprimer l’autre, tous les deux groupements semblent
avoir optés pour un fonctionnement en parallèle sans collaboration.

6.2. Diagnostic organisationnel

6.2.1. Mode d’organisation et de fonctionnement

Régi par la loi No 84-37 du 11 mai 1984, Djambarou Sine est incorporé le 3 avril 1995
sous le nom «GIE des femmes transformatrices de Sine Box Khol Djambarou Sine» qui signifie
GIE des femmes braves et solidaires du site de transformation Sine. Ce souci de formalisation,
qui apparaît également dans l’actualisation d’un registre des membres117 ainsi que dans
l’ouverture d’un compte bancaire, répond à une stratégie pour attirer les partenaires qui en font de
plus en plus un préalable avant tout appui. D’ailleurs, une des particularités de ce GIE, c’est la
multiplicité de ses attaches juridiques qui informe d’une stratégie d’essaimage lui permettant
d’avoir accès à plusieurs types de réseaux et d’opportunités : Ministère de l’économie maritime
(en tant que structure liée à la pêche), celui de la famille, du développement social et de la
solidarité nationale (en tant que groupement féminin) et enfin, le ministère des petites et
moyennes entreprises, de l’entrepreneuriat féminin et de la micro finance (en tant GIE de femmes
entrepreneuses).

Du point de vue de ses objectifs, le GIE Djambarou Sine apparaît plus comme une structure
d’appui aux activités productives de ses membres que comme une organisation productive. Il vise
à:

- mettre en œuvre les moyens financiers nécessaires afin d’améliorer et d’accroître les
activités économiques de ses membres;
- constituer une épargne pour le renouvellement du matériel de ses membres;
- commercialiser les produits découlant de l’activité de ses membres;
- et enfin, assurer la formation et l’éducation de ses membres.

117
Ce registre comporte la photo d’identité ainsi que la filiation des membres. Comme on se trouve dans un
milieu à faible niveau d’instruction, le GIE a du prendre sur lui la confection de carte d’identité nationale
pour une bonne partie de ses membres.
296

Au plan organisationnel, Djambarou Sine s’est structuré autour de deux organes, un bureau
exécutif et une assemblée générale comprenant l’ensemble des membres. En plus des postes
statutaires (président, trésorier, secrétaire général et leurs adjoints), le bureau comporte neuf
commissions répondant aux besoins des femmes comme l’approvisionnement, la
commercialisation, le matériel, le financement…Toutefois, cette structuration formelle liée à la
forme juridique demeure peu fonctionnelle, car n’étant pas appropriée par la plupart des
responsables de commissions du fait de l’absence de contenu programmatique et/ ou de leur
faible volontarisme au vu de la mobilisation permanente de la présidente. Par exemple, aucun
rapport d’activité n’a été disponible pour pouvoir apprécier l’opérationnalité des commissions.
Ainsi, malgré l’existence d’une telle structuration, le GIE fonctionne grâce à la mobilisation
permanente de ses principaux leaders, à savoir la présidente, la vice-présidente, la secrétaire et la
trésorière. Plus que la structure organisationnelle, c’est le dynamisme de ses leaders faisant de la
réussite de l’organisation un défi personnel enfoui dans leur stratégie de leadership corporatif
local, qui permet à de telles organisations de fonctionner. C’est ce qui explique le fait que la
léthargie des commissions ne remette pas toujours en cause la fonctionnalité du GIE:

«Il apparaît à premiére vue que moi et la présidente, nous accaparons tout le pouvoir à l’intérieur
du groupement alors que dans la réalité, moi en tant que secrétaire, je ne fais que pallier à
l’insuffisante mobilisation de certains responsables de commissions. Il faut dire que ce problème
de concentration du pouvoir par le sommet et de rétention de l’information est présent dans la
plupart des groupements de femmes. Nous les leaders, nous faisons tout pour responsabiliser nos
membres, mais ce n’est pas facile» (Y. F., leader Dj. Sine).

Il reste à se demander si ce décalage entre la structuration formelle et le fonctionnement au


quotidien du GIE, traduit un dysfonctionnement organisationnel rendant compte de
l’inadéquation entre la forme organisationnelle et la logique de fonctionnement social en milieu
populaire ou, s’il exprime un comportement associatif intermittent. Il faut noter que du fait du
caractère précieux du temps chez les transformatrices, occupées quotidiennement à la fois par les
tâches domestiques et productives, une mobilisation sociale constante demeure problématique.
C’est dire que le bénévolat des leaders constitue la principale ressource permettant d’assurer le
fonctionnement permanent de Djambarou Sine.

Concernant le mode d’élection, le GIE procède au renouvellement de ses responsables tous


les cinq ans en usant de la pratique de désignation sociale. Privilégiant le consensus, celle-ci
consiste à rechercher le compromis dans le choix des responsables de l’organisation en lieu et
place d’un vote dont les résultats risquent d’engendrer des frustrations ou d’installer un climat de
297

compétition entre les membres. Cette pratique, qui n’échappe pas aux enjeux de pouvoir, exprime
par ailleurs le fait que le jeu démocratique dans de telles structures porte plus sur les résultats en
termes de répartition des opportunités mobilisées que sur le mode d’organisation et de
fonctionnement. Par exemple, la plupart des réunions tenues au sein du GIE portent sur la
distribution du crédit ou sur des informations concernant d’éventuelles venues de partenaires et
rarement, sur la dynamique organisationnelle. De tels éléments confirment un accent plus marqué
autour de la recherche de l’opérationnalité au détriment de la dynamique associative révélant par
ailleurs les préoccupations prioritaires des membres. Enfin, notons que le renouvellement des
postes concerne rarement la présidence du GIE. En effet, de sa création à nos jours (soit une
quarantaine d’années), la présidence a changé de titulaire deux fois, lors du remplacement de la
présidente fondatrice du fait de son âge avancé et suite au décès de sa remplaçante en 1994.
L’actuelle présidente dirige le GIE depuis son incorporation en 1995.

Par ailleurs, par souci d’efficacité opérationnelle en vue d’assurer un fonctionnement


permanent devant la faible instruction de la plupart de ses membres, le GIE est obligé de sacrifier
à certains principes liés à l’équilibre des pouvoirs. Par exemple, du fait des difficultés éprouvées
par la majorité des membres à pouvoir capitaliser et restituer les formations reçues lors des
sessions de formation, c’est la secrétaire générale disposant d’un baccalauréat qui représente
désormais le GIE dans la plupart des modules afin d’assurer une restitution ultérieure à tous les
membres, hormis les formations portant sur les techniques de braisage du poisson. Le problème
est rendu plus aigu par le fait que toute tâche exigeant un minimum d’instruction est assurée par
la secrétaire générale même si cela ne coïncide pas avec sa fonction:

«Les principaux responsables ne savent pas lire et écrire et me confient toutes les tâches
d’administration, de gestion financière et de représentation extérieure même si cela ne correspond
pas à mon rôle. De même, nous faisons tout pour faire participer nos membres aux séminaires de
formation. Mais comme elles sont analphabètes, elles ne retiennent pas grand-chose pour pouvoir
faire une restitution. C’est pourquoi, maintenant c’est moi qui participe à toutes les formations.» (Y.
F, leader Dj.S).

En tout état de cause, les formations reçues ne justifient pas le fonctionnement actuel du
GIE. Si des efforts ont été faits avec l’ouverture d’un registre des membres, la gestion
administrative et comptable pose problème avec l’absence de rapports d’activités et de bilan
financier118. Ainsi, les ajustements récurrents de l’organisation à l’évolution du cadre juridique ne

118
Ce déficit du système de gestion et de suivi organisationnel et comptable a rendu difficile l’analyse de la
performance du Gie.
298

semblent pas être accompagnés d’une transformation suffisante des pratiques d’organisation et de
fonctionnement afin de lui garantir une gouvernance organisationnelle appropriée.

6.2.2. Membership

Le GIE Djambarou Sine regroupe exclusivement des femmes résidant le quartier Guet Ndar
s’activant autour du métier de transformation de produits halieutiques. Du fait de son ancienneté
dans l’activité ainsi que de la nature de l’adhésion se faisant souvent par héritage, le GIE
regroupe plus de 30% des 750 transformatrices comptabilisées dans la ville de Saint-Louis
(Service Régional de la Pêche). L’héritage familial dans l’acte d’adhésion au GIE, perpétué de
mère à fille, positionne Djambarou Sine comme un espace de sociabilité entre femmes partageant
non seulement la même activité, mais aussi le même réseau social. 52% de ses membres sont âgés
de plus de 45 ans tandis que les filles de moins de 20 ans ne représentent que 2%. Cela confirme
l’âge avancé de la plupart des femmes transformatrices tout en posant le problème du
rajeunissement de la base sociale du GIE. Il faut cependant noter que 46% de ses membres ont
entre 20 à 45 ans, exprimant la présence de plus en plus grande de jeunes femmes mariées
auxquelles viennent s’ajouter des femmes venant d’autres quartiers de la ville et n’ayant aucune
tradition familiale liée à la pêche. Il s’agit notamment de femmes démunies venant des quartiers
du faubourg de Sor.

Tableau 6.1: Répartition par classe d’âge des membres du GIE Djambarou Sine (2003)

Classes d’âge Effectif %


- 20 ans 3 2
20- 35 ans 33 14
35- 45 74 32
+ 45 ans 118 52
Total 228 100 %
Source : Registre des membres du GIE Djambarou Sine

Toutefois, malgré les liens sociaux entre les membres du GIE, celui-ci semble être exclu du
procès de production de ses membres. En effet, dans le processus de transformation-
commercialisation, les transformatrices rechignent à voir le GIE harmoniser leurs pratiques,
préférant procéder de façon individuelle. Cette volonté explicite d’autonomisation de la sphère de
la propriété privée hors du champ de contrôle du GIE, révèle le fait que celui-ci apparaît plus
comme un espace d’allocation de ressources subordonné aux intérêts particuliers de ses diverses
parties prenantes que comme un cadre d’organisation collective de leurs activités. Ce constat
299

confirme la théorie des «passagers clandestins» de l’organisation (Olson, 1987). S’il ne faut pas
perdre de vue le fait que la visée entrepreneuriale de l’activité de transformation implique une
gestion personnalisée du procès de production, ce comportement semble réduire le GIE à une des
multiples composantes de la stratégie entrepreneuriale des femmes mobilisées autour d’une
diversité de réseaux d’appartenance (d’ordre familial, religieux, politique, social…). A un autre
niveau, les membres limitent leur engagement au GIE, sinon ce qui est tout juste nécessaire pour
garantir leur accès aux ressources comme la participation aux réunions. C’est ce que confirme le
refus des membres de contribuer financièrement au fonctionnement de l’organisation malgré le
fait qu’elles s’activent sur le terrain économique. En cela, l’instrumentalisation du cadre
communautaire réduit ces organisations plus comme un cadre d’allocation de ressources
difficilement accessibles à l’état individuel (le financement, la formation, le matériel de
production), que comme un cadre de construction d’une dynamique d’autopromotion permettant à
un groupe social de promouvoir de nouveaux rapports sociaux de pouvoir.

Ainsi, contrairement à la récurrente évocation de la question des faibles moyens financiers,


le GIE Djambarou Sine souffre davantage des faibles liens organiques entre ses membres qui, du
fait d’une volonté de différencier leur propriété productive du champ d’action du GIE, arrivent
sur le marché esseulés face à des «banas-banas», commerçants intermédiaires, très au fait des
cours du marché. Notons que le GIE n’a pas encore proposé un projet visant une meilleure
structuration de la commercialisation de ses membres. En tout état de cause, sa mise à l’écart dans
la commercialisation du produit de ses membres fait perdre aux femmes transformatrices
l’opportunité que présente cette dynamique collective structurée, notamment face aux «banas-
banas» qui continuent à dominer le marché du poisson transformé à Saint-Louis. En cela, la
nature du membership fragilise le poids socio-politique ainsi que la capacité d’action du GIE.

Il ne faut pas toutefois négliger le fait que de telles pratiques demeurent expressives de la
nature des rapports sociaux entre les membres et la présidente du GIE. En effet, d’un coté la
présidente, considérée comme une mère sociale appelée «ndéyi mbootay»119, situe les apports du
GIE comme une offre de services personnels aux membres (Diop, 1997). D’un autre côté, les
membres perçoivent leur adhésion comme un soutien socio-politique à la présidente et
continueront à se mobiliser tant que le GIE leur apportera un appui au moindre coût (pas de
cotisation) tout en se gardant de ne pas trop s’immiscer dans leurs activités propres. Ce rapport

119
Elle supporte ses membres, protégés sociaux tant du point de vue affectif que financier, notamment lors
d’événements familiaux.
300

réciproque entre la présidente et les membres semble être le fondement du compromis basé plus
sur une relation de « woléré » entre la présidente et les membres120 permettant au GIE de
fonctionner et de se pérenniser. D’ailleurs pour parler du GIE, les membres évoquent plus le
«groupement de Ndeye Séne» du nom de la présidente, en lieu et place du GIE Djambarou
Sine, traduisant ainsi leur lien psychoaffectif avec la présidente qui a décidé de ne pas faire
cotiser ses membres pour ne pas trop les fatiguer :

«L’absence de cotisation provient de ma propre décision pour ne pas trop fatiguer mes membres.
Mais, je suis tout à fait consciente que la force d’un groupement, c’est la contribution financière de
ses membres. Il faudra les préparer petit à petit en leur démontrant ce que cela pourra leur apporter
un jour…. Moi, je fais tout pour associer mes membres à toutes les décisions concernant le
groupement. Mais, chaque fois que je les convoque, elles me répondent qu’elles n’ont pas le
temps. Mais lorsque je leur dis que c’est pour distribuer de l’argent, elles sont capables de tout
laisser et de venir immédiatement. Donc, il faut dire que ce qui les intéresse à priori dans le
groupement, c’est d’accéder au financement. Mais, la demande en financement, c’est partout. Il
faut comprendre que tout cela n’est rien d’autre qu’une volonté de chercher des moyens pour
travailler davantage. Cet argent ne sert à rien qu’à travailler…» (N. S. leader Dj.S).

Toutefois, de plus en plus de voies s’élèvent pour insister sur la nécessité d’un ajustement
stratégique du GIE. En effet, il semble de plus en plus qu’un tel compromis demeure certes
acceptable, mais ne garantit pas les conditions d’efficacité permettant aux membres de voir leur
situation évoluer. Ainsi, certains leaders insistent sur la nécessité de pousser les membres non
seulement à verser des cotisations, mais aussi à permettre au GIE de jouer son rôle en matière
d’harmonisation de la commercialisation de leurs produits:

« Je pense que les femmes doivent accepter une gestion collective de leurs productions par le
groupement, ce qui leur permettra de pouvoir mieux résister aux «banas-banas». Cela pourra même
permettre une nouvelle réorganisation du groupement. Ainsi, certaines seront spécialisées en
matière de production, d’autres dans la commercialisation, d’autres spécialisées pour tout ce qui
concerne la recherche de marchés... Contrairement à la situation actuelle où tout le monde produit et
tout le monde vend, ce qui conduit à notre perte «Coono ju bari, njarign lu tutti»121». (S. B, membre
Dj. Sine)

En réalité, Djambarou Sine exprime certaines caractéristiques des organisations


communautaires qui sont plus accentuées au sein de l’entrepreneuriat communautaire féminin.
Cette conception inscrit la dynamique communautaire féminine dans le cadre de défis personnels
d’une femme entrepreneure ou leader disposant de certaines capacités: une assise financière, un
réseautage dans le milieu du développement, un soutien institutionnel ou politique, des qualités

120
Le Woléré signifie une relation de loyauté, de confiance et de solidarité mutuelle fidélisée entre des
personnes ou des familles. Il s’agit de relations nourries par une dynamique de don et de contre don. Sous
ce rapport, le Gie apparaît comme un système d’allocations et d’échange de biens et de services.
121
«Beaucoup d’efforts pour peu de résultats».
301

d’innovatrice, un espace social composé de femmes partageant les mêmes valeurs ou la même
activité tout en lui manifestant loyauté et fidélité. C’est pourquoi, toute la dynamique repose sur
cette présidente expliquant du coup le «présidentialisme» ainsi que son revers, à savoir
l’attentisme des membres.

6.2.3. Vision stratégique

La volonté de promouvoir un changement structurel du GIE est cependant posée de


différentes manières selon qu’on est leader ou membre, même si la perspective d’une réforme de
la dynamique organisationnelle demeure de plus en plus partagée. D’un côté, les membres
reprochent à l’équipe dirigeante en plus du manque de transparence de se «routiniser» dans un
fonctionnement au coup par coup et de miser trop sur la recherche de partenaires. Par contre pour
les leaders, le problème du GIE se situe davantage dans la faible implication des membres dans la
vie organisationnelle ainsi que dans leur membership instrumental et opportuniste.

Cette lecture différente des sources de blocage de la dynamique organisationnelle aboutit à


des propositions différentes quant aux solutions de réforme interne : d’un côté, on semble insister
sur une cotisation régulière des membres, une meilleure organisation de la commercialisation par
l’entremise du GIE ainsi qu’une production économique de cette dernière à côté de celle de ses
membres; d’un autre côté, l’accent semble être plus mis sur le changement du mode de leadership
et de gestion organisationnelle. Malgré de telles propositions de part et d’autre, il reste qu’il n’y a
pas encore eu de véritable débat interne relatif à la nature des réformes organisationnelles à
mener. De telles divergences encore diffuses, posent le problème du renouvellement des
compromis à l’intérieur des organisations.

Par ailleurs, une multitude d’idées de projets peut être notée. C’est le cas de projets comme
la mise en place d’une unité de transformation semi-industrielle permettant au GIE d’avoir sa
propre production à côté de celle de ses membres, ou de la recherche d’un camion pour faciliter à
ses membres l’accès au marché national ou encore de la mise en place d’une caisse de solidarité
entre les femmes transformatrices destinée aux accidents de travail. Le projet majeur du GIE,
partagé avec les autres transformatrices, tourne autour de l’édification d’un site de transformation
approprié à la place de Sine. La vision des responsables correspond à un complexe
multifonctionnel à l’image de ce qui se passe dans d’autres zones de transformation comme
Kayar ou Joal à savoir, un site comprenant le siége des organisations de transformatrices, un
302

magasin de stockage et une salle de réunions. Toutefois, la volonté des leaders du GIE de faire de
la construction de ce site un préalable pour pouvoir mieux organiser la commercialisation des
membres semble bien faible, car rien n’indique que les femmes vont accepter de donner au
groupement leurs produits du fait de la simple construction d’un site de transformation.

C’est dire que les perspectives du GIE répondent bien à des besoins réels ressentis, produit
d’une évaluation opérationnelle liée à l’expérience du terrain. Mais, elles ne proviennent ni
d’étude systématique, ni d’une réflexion socialisée avec les membres. C’est ce qui explique le fait
qu’elles restent limitées à des idées éparses sans vision globale, ni définition des modalités
d’opérationnalisation. D’où leur faible probabilité à être réalisées sans appui approprié des
partenaires au développement et des pouvoirs publics.

6.3. Performance socio-économique

Il reste difficile à partir de cette étude d’apprécier si du fait de leur appartenance au GIE, la
situation socio-économique des femmes transformatrices a atteint un saut qualitatif de
productivité. Non seulement, la situation d’incertitude structurelle de l’activité de transformation
interdit les généralisations, mais également la pluriactivité des femmes transformatrices (Frassy,
2000)122 ainsi que l’imbrication de plusieurs sphères (familiale, sociale, marchande, publique)
font qu’il est difficile d’isoler un des facteurs pour apprécier son effet sur l’évolution de la
situation socio-économique des transformatrices. Tout au plus, peut-on systématiser quelques
éléments d’effets directs et indirects liés aux services offerts par le GIE à ses membres. Il s’agira
dans cette partie de retracer l’évolution socio-économique de la transformation sur la Langue de
Barbarie (LDB), de déterminer la nature et le degré de performance du Gie Djambarou Sine, en
insistant notamment sur sa portée innovatrice et enfin de systématiser ses atouts et défis.

6.3.1. Évolution socio-économique de la transformation : quantités et valeur commerciale

122
La plupart des transformatrices s’activent dans d’autres activités d’appoint et/ou de substitution, comme
le petit commerce de poissons frais ou de produits de consommation courante (tissu, produits féminins
divers…) notamment lors de la saison morte, c’est-à-dire en cas de rareté du poisson frais.
303

Il faut d’abord signaler la grande difficulté à estimer la part de marché du GIE Djambarou
Sine dans la production de poissons transformés sur la LDB123. En effet, il semble inapproprié
d’affecter la totalité des produits transformés localement aux seuls membres du GIE. Non
seulement, on note l’existence de deux autres groupements de transformatrices sans compter les
transformatrices indépendantes n’évoluant dans aucun groupement, mais également la production
de poissons transformés reste pour le moment, individuelle. Toutefois, du fait de son ancienneté
dans l’activité et de son effectif (plus de 30% des 750 transformatrices de la ville), il est établi de
l’avis des services compétents (Pêche et Statistiques) que la production des membres du Gie
Djambarou Sine représenterait prés de 60% de l’ensemble des produits transformés localement
sur la LDB. C’est pourquoi, la plupart des sources prennent le cas du GIE pour donner une image
globale de l’activité de transformation des produits halieutiques dans la ville et même, dans la
région de Saint-Louis.

Du point de vue des quantités, selon le Service Régional de la Pêche de Saint-Louis, la


transformation s’accapare chaque année de 30 à 35 % des poissons frais débarqués dans la ville.
L’analyse des quantités produites sur le site de Sine révèle une moyenne annuelle de plus de 2000
tonnes de poissons transformés de 1999 à 2002 avec notamment en 2001, une production record
de prés de 2400 tonnes.

Tableau 6.2: Évolution des quantités de poissons transformés dans la ville de Saint-Louis

Rubrique/ Années 1999 2000 2001 2002


Qté de poissons transformés 1 849 1 945, 601 2 388, 166 2 297, 293
(en Tonne)

Source : Données corrélées Service Régional de la pêche de Saint-Louis et Région de Saint-Louis

Cette variation des quantités produites traduit l’évolution en dents de scie de l’activité de
transformation d’une année à une autre et même à l’intérieur d’une année. C’est ainsi que de 2000

123
Il faut prendre note que les chiffres utilisés ici correspondent plus à des estimations. D’une part, les
services compétents (Pêche et Statistiques) ne disposent pas toujours des moyens nécessaires pour assurer
le suivi de l’évolution des quantités. D’autre part, la nature «informelle» de l’activité, dont ni les quantités
produites ni les ventes ne sont fournies de façon systématique par les transformatrices, ajoute à la difficulté
d’avoir des données exactes. Toutefois, plusieurs autres sources donnent des ordres de grandeur similaires à
celui de ces deux services.
304

à 2002, les pointes annuelles atteintes dans les quantités de poissons transformés évoluent de 220
tonnes en janvier (année 2000), à 378 tonnes en février (2001) et à 404 tonnes en juin (2002).

Tableau 6.3: Évolution mensuelle de la transformation du poisson sur Sine de 2000 à 2002

Mois/ Qté en tonnes 2000 2001 2002


Janvier 220, 120 130,120 212, 716
Février 190, 212 378,300 139, 280
Mars 84, 966 278,330 130, 753
Avril 37, 704 277, 270 210, 136
Mai 121, 199 206,270 338, 667
Juin 87,267 193,470 404, 049
Juillet 150 149 49, 311
Août 250 120,400 43, 216
Septembre 208, 633 216,966 38, 054
Octobre 225 215,60 129, 511
Novembre 200,200 117,200 309, 394
Décembre 170,3 105,24 292, 206
Total 1945, 601 2388, 166 2297, 293
Source : Service Régional de la pêche de Saint-Louis (2003)

Plusieurs facteurs influent sur la variation des quantités de poissons transformés sur Sine. Il
s’agit pour l’essentiel de facteurs naturels liés à la quantité de poissons frais débarqués sur les
côtes de la ville, comme la situation agitée en mer du fait de la présence de la barre124 ainsi que la
pause cyclique durant la saison des pluies (juillet à septembre) correspondant habituellement à
une période de vacances des pêcheurs et de réduction sensible du débarquement en frais. Un autre
facteur peut être trouvé dans la configuration du marché avec la forte concurrence provenant du
mareyage (vente de poissons frais vers l’intérieur du pays et l’extérieur, notamment l’Europe) et
de la consommation locale (le poisson frais fait partie du repas national sénégalais) dans un
contexte d’épuisement des côtes sénégalaises. A ce titre, il faut noter que la transformation vient
souvent en troisième position de la destination du poisson frais.

Par ailleurs, malgré le caractère excentré de la ville par rapport aux autres circuits de
transformation du poisson, la qualité et la diversité des produits que présente le site de Sine,
constituent un avantage concurrentiel positionnant la ville de Saint-Louis parmi les zones de
prédilection des commerçants grossistes spécialisés dans l’intermédiation entre les
transformatrices et les marchés intérieurs et extérieurs (banas-banas). En effet, alors que les autres

124
La barre rend compte de la hauteur parfois infranchissable atteinte par les vagues ( 9 mois dans l’année)
à l’origine de retards de débarquements des pirogues et de fréquents accidents en mer.
305

sites de transformation (Kayar, Joal, Thiès, Mbour, Dakar…) semblent se spécialiser autour de
quelques produits, Sine, parce qu’utilisant à la fois les poissons du fleuve et de la mer, offre la
plupart des types de poissons transformés au Sénégal : les produits fermentés, les produits salés
séchés, les produits séchés, les produits fumés, révélant par ailleurs la diversité des techniques de
transformation. L’exportation des produits transformés vers des pays comme le Ghana, la Congo,
le Bénin ou le Burkina, a d’ailleurs favorisé le développement d’un circuit d’échanges intenses.

Tableau 6.4: Types de produits transformés sur Sine et zones de vente


Types de produits Type de poissons utilisés Zone de vente
Kéthiakh ou fumé braisé ou séché sardinelles Marchés régional et national,
notamment Louga, Diourbel,
Tambacounda, Thiès
Tambadiang ou fermenté séché entier petite carange, sardinelles et Idem
sans sel pelons
Guedj ou fermenté séché toutes espèces Idem
Yet Fruits de mer Idem
Sali ou le salé séché mâchoire de raie et requin Pays africains : Ghana, Congo,
Bénin, Burkina
Aileron requin Autres pays notamment européens

Quant à la valeur commerciale de la transformation, elle révèle une activité rentable malgré
la variation des quantités produites. La valeur commerciale annuelle de 2000 à 2001 révèle une
progression de 64 % alors que ceux de 2001 à 2002 dénotent une baisse de 44 %. Cette rentabilité
est assurée à la fois en période de surabondance que de rareté du poisson frais. Par exemple, les
trois mois d’hivernage correspondent habituellement à la période pendant laquelle les femmes
transformatrices font leurs plus gros chiffres d’affaires, du fait de la rareté du frais.

Tableau 6.5: Évolution de la valeur commerciale de la transformation des produits halieutiques


sur Sine de 2000 à 2002

Années 2000 2001 2002


Qtés produites (en Tonnes) 1 945, 601 2 388, 166 2 297, 293
Taux d’évolution annuelle + 64 % - 44 %
Valeur commerciale (Fcfa) 554 000 000 910 488 500 511 430 000
Source : Service Régional de la pêche de Saint-Louis (2003)

Il faut noter que la valeur commerciale (qui ne représente d’ailleurs qu’une indication du
prix au kilogramme vendu aux intermédiaires, la valeur réelle sur le marché demeurant de loin
supérieure), dépend des types des produits et du lieu de destination des produits. Par exemple,
durant l’année 2000, le salé séché dont la production est exclusivement destinée à l’exportation, a
généré la plus grande marge bénéficiaire (147 millions sur un total de 198 millions de Fcfa)
306

même si son coût de transformation est corrélativement élevé. Quant à la marge bénéficiaire du
«kétiax» représentant prés de 40 millions de Fcfa, elle s’explique par le fait que ce produit
contrairement aux autres qui sont des produits d’accompagnement, constitue un produit de
substitution du poisson frais utilisé occasionnellement durant les périodes de rareté du poisson
frais ou de manière plus régulière en milieu rural et périurbain125.

Tableau 6.6: Résultats financiers par types de produits transformés sur Sine en 2000
Rubriques / Types de Salé séché Kéthiax Tambadiang Guedj Total
produits
Produits d’exploitation 297 300 000 112 400 000 28 360 000 39 500 000 477 560 000
Charges d’exploitation 149 479 600 72 640 600 21 377 540 35 716 930 279 214 170
Marge bénéficiaire + 147 820 400 + 39 759 400 + 6 982 460 + 3 783 070 + 198 345 830

Source : Région de Saint-Louis, 2002.

La décomposition des charges d’exploitation durant l’année 2000, révèle leur coût élevé
avec des rubriques peu compressibles. C’est le cas des quatre principales charges d’exploitation:
l’achat du poisson (99% des coûts), le sel, la main d’œuvre et enfin le transport.

Tableau 6.7: Décomposition des charges selon le type de produits transformés durant l’année
2000 (en Fcfa)

Rubriques / Types de Salé séché Kéthiax Guedj Tambadiang Total


charges
Poissons 148 650 000 72 372 000 35 572 500 21 270 000 277 864 000
Sel 594 600 168 600 47 430 42 540 853 170
Main d’œuvre 200 000 75 000 35 000 20 000 330 000
Transport 35 000 25 000 62 000 45 000 167 000
Total des charges 149 479 600 72 640 600 35 716 930 21 377 540 279 214 170
d’exploitation
Source : Région de Saint-Louis. 2002.

Il faut noter que l’estimation du coût de la main d’œuvre ne prend pas en compte ni le
travail de la transformatrice elle-même, ni ces ressources humaines gratuites mises à sa
disposition (aides familiales, filles ou nièces)126, encore moins les frais afférents au produit
transformé (frais médicaux ou amortissement du matériel de travail). Ce coût concerne
uniquement le personnel d’appoint composé généralement de jeunes garçons embauchés à la
tâche par les transformatrices pour enlever les écailles du poisson et pour faire le fumage/
braisage. C’est dire que du point de vue strictement économique, l’activité ne comporterait pas

125
C’est pourquoi, certains désignent le «Kéthiax» sous le nom de la «viande du pauvre».
126
Elles bénéficient en contrepartie d’une formation sur le tas ainsi que de dons de la transformatrice.
307

une si grande marge bénéficiaire si on intégrait toutes les charges. Enfin, même si l’analyse des
résultats d’exploitation révèle la rentabilité de l’activité de transformation, il reste à se demander
si les transformatrices en profitent suffisamment, du fait de la part de plus en plus importante
prise par les «banas-banas» dans le contrôle du marché des poissons transformés.

6.3.2. Nature et degré de performance du GIE Djambarou Sine

Le positionnement institutionnel du GIE Djambarou Sine comme structure d’appui aux


activités socio-économiques de ses membres implique que la détermination de sa performance
soit mesurée en fonction des appuis offerts à ces derniers. Dans ce cadre, quatre modalités issues
des objectifs fixés par le GIE peuvent être retenues pour déterminer cette performance, à savoir la
portée de son appui au financement, à la formation, à l’accès au matériel et enfin, à la
commercialisation des produits de ses membres.

6.3.2.1. Appui à l’éducation socio-économique des membres

L’entrepreneuriat féminin n’est pas seulement un espace économique, il offre également un


espace de promotion du changement comportementale et de diffusion d’innovations sociales et
techniques liées aux activités des femmes. C’est d’ailleurs ce qui explique le fait que les
organisations féminines à l’instar du GIE Djambarou Sine soient souvent utilisées par les
partenaires au développement dans le cadre de leurs activités de lutte contre la pauvreté,
concernant particulièrement la démocratisation de l’accès aux services de base et la promotion du
genre. Dans ce cadre, le Gie Djambarou Sine s’est révélé particulièrement performant au vu de
ses nombreuses sessions de formation. Il s’agit moins de l’organisation de séminaires de
formation que de la participation de ses membres à des modules de formation offerts gratuitement
par les partenaires au développement comme le montre le tableau suivant.

Tableau 6.8: Sessions de formation des membres du GIE Djambarou Sine de 2000 à 2003

Partenaires Modules de formation Nombre de Année


bénéficiaires
SP1/ PELCP (PNUD) Gestion technologique 4 2000
Atelier sur les nouvelles techniques améliorées de 55 2000
transformation des produits halieutiques
Gestion de la qualité 55 2000
Information/Education/ Communication et éveil de 4 2000
conscience de la femme entrepreneure
Gestion administrative et organisation des 10 2001
associations
308

Ministère de la pêche/ Gestion de la qualité 4 2000


CACP (Centre Gestion de l’environnement de la production 15 2001
d’Assistance, Gestion des techniques de production 15 2001
d’Expérimentation et de Alphabétisation des professionnels de la pêche 15 2001
Vulgarisation de la artisanale en langues nationales
Pêche Artisanale) Hygiène et Qualité des produits/ techniques 15 2002
améliorées de transformation

ONUDI/ BIT/ PELCP Gérer mieux son entreprise (formation Germe) 5 2001
ONUDI/ BIT Formation des formateurs en CLÉ (comprendre son 1 2001
entreprise)
FENAGIE Gestion administrative et financière des 2 2000
investissements
Formation en CLÉ 1 2001
Formation en Germe 5 2001
Hygiène et Salubrité dans la transformation des 1 2001
produits halieutiques
Gestion administrative et financière des mutuelles 1 2001
de solidarité
Gestion des organisations et Code de la pêche 2 2000
maritime
FENAC Gestion de l’environnement de la production 1 2000
Gestion de la qualité 1 2000
ADC/ GÉRES Gestion administrative et financière des 7 2003
organisations locales
JICA/ coopération Formation en vulgarisation des fours de braisage 1 2003
japonaise/ Ministère de amélioré
la pêche
Source : Djambarou Sine

De la multiplicité et de la diversité des modules de formation ressortent deux orientations


majeures : la première destinée aux membres vise leur renforcement technique et
socioprofessionnel (amélioration des techniques de production, de la qualité des produits et de
l’environnement de travail). Une seconde orientation concerne les modules à visée
organisationnelle tournant essentiellement autour du renforcement organisationnel du GIE avec
comme thématique, la gestion administrative, organisationnelle et financière. Une telle régularité
dans la formation de ses membres (plus d’une vingtaine de sessions de formation de 2000 à 2003)
renforce la position territoriale du GIE dans la filière de la transformation locale, tout en
contribuant à maintenir la confiance de ses membres sur sa capacité à pouvoir mobiliser des
partenaires autour de leurs préoccupations. A ce titre, les sessions portant sur l’amélioration des
techniques de production, se sont révélées particulièrement fécondes en vue de permettre aux
membres de mieux s’adapter aux mutations dans un contexte d’évolution rapide et de
concurrence avec les autres sites de transformation. Des séances de restitution sont organisées
après chaque formation afin d’assurer une plus large diffusion des produits. Enfin, la multiplicité
de modules de formation témoigne de la densité et la diversité du réseau partenarial de
309

Djambarou Sine, tournant notamment autour des organismes de coopération internationale


(PELCP/ PNUD, BIT, ONUDI), de la coopération bilatérale (Japonaise), des services publics
(Ministère de la pêche), des collectivités locales et des fédérations du secteur de la pêche
(FENAGIE).

Toutefois, il reste que le suivi de ces modules de formation est rarement assuré rendant
ainsi difficile la mesure de leur impact au sein du GIE. Par exemple, malgré les modules relatifs à
la gestion administrative et financière, le GIE ne dispose pas de rapport d’activités, ni de registre
financier indiquant les entrées et les sorties. Il faut signaler que la durée des sessions de formation
(au maximum 5 jours du fait des coûts) ne garantit pas toujours une appropriation adéquate de
leur contenu. Certainement, si les organismes commanditaires de telles sessions de formation
manifestaient autant d’intérêt pour l’organisation de ces sessions que pour l’application du
produit de ces formations, les modes de fonctionnement des organisations bénéficiaires en
seraient davantage renforcés. Par ailleurs, le problème d’instruction de la plupart des membres du
GIE constitue un blocage dans la démocratisation de l’accès aux formations. En effet,
administrées dans la plupart des cas en français et rarement en langues nationales, les sessions de
formations dont a bénéficié le GIE, sont la plupart du temps suivies par les mêmes personnes
disposant d’un certain niveau d’instruction. Le GIE a tenté d’intégrer des membres analphabètes
pour participer à de telles sessions, mais se posait alors le problème d’appropriation du contenu et
de restitution aux autres membres. Cette contrainte de langue utilisée lors de ces sessions pose en
toile de fond la question de la formule pédagogique utilisée.

Mais, il faut noter la prise de conscience de telles interrogations par les organismes d’appui
qui tentent de plus en plus d’améliorer le contenu et les modalités pédagogiques des sessions de
formation en les intégrant par exemple dans le cadre d’un renforcement organisationnel. C’est le
cas par exemple du PELCP qui détermine les composantes des modules de formation à partir
d’une étude préalable, puis sélectionne les formateurs en fonction de leur approche participative.
Enfin, notons que la formation sur le tas qu’assurent les transformatrices aux aides familiales,
constitue un vivier de savoirs techniques endogènes dont la reproduction est garantie grâce à la
transmission d’un capital de savoir et de savoir-faire intangible de mère à fille. Cette formation
sur le tas qui n’est pas reconnue de manière officielle, garantit à ces aides familiales
l’apprentissage d’un métier, source d’insertion socio-économique.
310

6.3.2.2. Appui au financement

Le grand handicap que constitue l’accès au financement participe des mécanismes de


féminisation de la pauvreté au Sénégal127. Cette exclusion financière dont souffre le genre
féminin est plus prononcée dans le milieu de la transformation artisanale du poisson qui apparaît
comme une activité informelle caractérisée par son imprévisibilité, son incertitude, l’imbrication
entre espaces domestique, marchand et social ainsi que la précarité des opératrices. Ce sont de
telles caractéristiques qui expliquent l’importance stratégique du financement pour ces femmes
transformatrices souvent incapables de satisfaire aux garanties exigées par le système bancaire
classique (titre foncier, immobilier, épargne préalable, compte bancaire). L’importance de l’accès
au financement est aussi à lier au fait qu’il permet aux femmes d’accéder aux facteurs de
production (poisson, matériel de production, main d’œuvre...) tout en permettant de satisfaire les
besoins sociaux (nourriture, santé et éducation des enfants, dépenses personnelles) du fait de
l’absence prolongée du mari pêcheur absent une bonne partie de l’année (plus de 6 mois) à la
poursuite de côtes plus poissonneuses que celles du Sénégal. C’est d’ailleurs ce qui explique le
fait que le membership féminin soit souvent fonction de la capacité des organisations à assurer un
financement régulier à leurs membres:

« Notre groupement finance chaque année ses membres, avec ou sans l’appui des banques comme la
Cncas. Pour cela, nous n’hésitons pas à engager notre fonds propre pour financer nos membres.
C’est important de les financer si on veut assurer la pérennité et la vitalité du groupement » (Y. F,
leader Gie).

A ce titre, le GIE Djambarou Sine n’échappe pas à cette course effrénée des groupements
féminins autour de la recherche de financement au profit de leurs membres. Il constitue à ce
propos l’un des groupements de la filière territoriale qui a reçu le plus de financements comme
l’attestent ses nombreuses lignes de crédit qui informent d’une stratégie de diversification des
sources de financement : crédit bancaire au niveau de la Caisse Nationale de Crédit Agricole,
crédit mutualiste au niveau de la MEC Suxxali Jiggénu Ndar, crédits mobilisés par la Fédération
des transformatrices (FENAGIE) et enfin, un système d’autofinancement à travers un système de
micro crédit rotatif.

127
La féminisation de la pauvreté insiste sur les divers handicaps liés au statut de la femme et reproduisant
leur situation de précarité et de vulnérabilité. Il s’agit entre autres, des difficultés d’accéder au crédit ou de
pouvoir achever une formation scolaire ou universitaire, de la faible reconnaissance institutionnelle du
travail domestique qui mobilise une grande majorité des femmes, de leur faible présence/ participation aux
instances de décision, ou encore de la faible considération des besoins sexo-spécifiques des femmes comme
priorités dans l’élaboration des politiques de développement (Beijing +5).
311

Tableau 6.9: Crédits offerts par le GIE Djambarou Sine à ses membres depuis 1995 (Fcfa)
Partenaires Montant Nbre de Montant par Date
bénéficiaires bénéficiaire
Micro crédit rotatif - - variable Depuis 1995
FÉNAGIE/ ADEPES 400 000 16 25 000 1996
FÉNAGIE (fonds 4 000 000 100 40 000 1998
contrepartie Suisse)
CNCAS 400 000 16 25 000 1996
CNCAS+ Complément 2 650 000 104 25 000 X 102 2002
GIE +50 000 X 2
MEC SJN 150 000 Unité de - 2002
production GIE
MEC SJN 300 000 10 30 000 2002
Source : Registre des crédits Djambarou Sine

Dans la mise en œuvre de ces lignes de crédit, une grande attention est accordée par le GIE
à un remboursement dans les délais et à 100%, justifiant d’ailleurs le renouvellement de certaines
lignes comme celles de la FÉNAGIE et de la CNCAS. Par exemple, celle-ci a accordé au GIE
deux prêts. D’abord, un montant de 400 000Fcfa a été octroyé en 2001 qui sera remboursé à 100
%, puis un autre de 2 millions de Fcfa en 2002. Lors de ce second prêt par exemple, la demande a
été tellement forte que le GIE a du puiser sur ses fonds propres 650 000Fcfa pour satisfaire la
demande de ses membres. Ce crédit de 2 650 000Fcfa lui a permis de financer prés de la moitié
de ses membres (104 sur un effectif de prés de 300 membres). Le taux d’intérêt de crédit était de
10 % décomposé en deux parties : 7,5% pour la CNCAS et 2,5 % pour le GIE.

L’analyse des modalités de remboursement de ce crédit témoigne d’une grande


capacité du GIE concernant à la fois la garantie apportée à ses membres ainsi que
l’intermédiation et l’arrimage entre le cadre référentiel du système productif local et les
conditionnalités des banques. En effet, à chaque date de versement, ce fut le GIE lui-même
qui remboursait le crédit à la banque et se chargeait par la suite, en fonction des jours de
marché hebdomadaire spécifiques à l’activité de transformation, à savoir les mardis et
samedis, d’assurer le recouvrement auprès de ses membres. Un tel procédé se justifie par le
fait que l’activité des femmes transformatrices, tout comme le système de production de la
pêche dépend du calendrier lunaire alors que la banque, elle, utilise le remboursement
mensuel à partir du calendrier grégorien. Ce décalage entre deux types de calendriers
312

demeure expressif d’un décalage entre deux cadres référentiels et deux systèmes de
fonctionnement : l’un formel et standardisé autour d’un rythme mensuel tandis que l’autre
endogène beaucoup plus vulnérable à l’incertitude se voit rythmé par les cycles liés à
l’apparition lunaire. L’une des conséquences, c’est que la date de versement des
remboursements ne coïncide pas toujours avec la période la plus active de la transformation
du poisson, posant ainsi de réels problèmes d’adéquation entre l’échéancier des banques
classiques et les cycles lunaires structurant l’activité des transformatrices. C’est ce
mécanisme innovant de pré remboursement et de garantie solidaire mis en œuvre par le
GIE qui lui a permis à la fois de gérer les risques que l’instabilité et l’imprévisibilité de
l’activité de transformation font courir au remboursement de la ligne de crédit, de
solvabiliser ses membres, de rendre le crédit plus soutenable et enfin, de maintenir de
bonnes relations avec la banque.

Tableau 6.10: Un système innovant de garantie solidaire

Nous femmes transformatrices, notre activité dépend du mois wolof (mois lunaire). Dans le mois, nous
travaillons pendant 14 jours, les autres jours sont consacrés aux opérations d’étalement du poisson au soleil,
de veille sur les produits et de commercialisation…Au quatorzième jour du mois wolof, il y a clair de lune,
alors là il y a pénurie de poisson... Alors, si cela coïncide avec la fin du mois, tu ne peux pas demander des
remboursements. Les banques elles, fonctionnent avec le mois «toubab», nous, nous produisons en fonction
de l’apparition lunaire qui détermine la pénurie ou la disponibilité du poisson.

Nous avons l’habitude de travailler avec nos membres, tous des transformatrices de poissons. Ce métier,
nous l’avons hérité de nos mères qui l’ont reçu des leur. Donc, nous sommes mieux placées que quiconque
pour savoir quel est le meilleur système qui arrange nos membres et qui se trouve en adéquation avec
l’activité de transformation. Nous nous connaissons entre nous... C’est pourquoi, au sein de notre
groupement, nous avons élaboré un système de remboursement des crédits de nos membres auprès de la
Cncas. Notre groupement rembourse sur ses propres fonds la CNCAS à chaque fin de mois et puis le
recouvrement auprès des membres se fait les jours de marché. Ici à Sine, les banas-banas viennent le mardi
et le samedi parce que le dimanche, c’est le louma de Kébémer et le mercredi, le louma de Touba…

Comme vous le voyez, le groupement récupère le crédit en fonction des contraintes que les femmes
rencontrent tandis que la banque, elle, prend les femmes transformatrices comme des fonctionnaires qui
reçoivent un salaire à chaque fin du mois. Nous sommes obligées d’utiliser le fond propre du groupement
pour respecter les délais que nous avons avec les banques. Et le résultat, c’est un système performant : le
groupement recouvre le crédit à 100% et ses membres arrivent à bénéficier d’un crédit qui ne les fatigue
pas. C’est pour vous dire que le système de crédit de la banque est très différent du système de crédit du
groupement. Nous, ce qui nous intéresse, ce n’est pas seulement que nos membres obtiennent un crédit et
puis, remboursent. Cela ne change en rien à leur niveau de vie, il faut que le crédit s’inscrive dans une
perspective d’aider les gens à s’en sortir…

Synthèse établie à partir d’entretiens avec les leaders du GIE Djambarou Sine.

Ces innovations organisationnelles dans la gestion du crédit en termes de garantie des


membres et d’intermédiation financière attestent que les structures du genre de Djambarou Sine
313

semblent être les plus appropriées à pouvoir assurer la démocratisation de l’accès au financement
du fait de leur organisation flexible, de leur proximité sociale et de leurs objectifs multiples qui ne
sont pas qu’économiques. Il semble en effet difficile à une banque classique de pouvoir supporter
de manière directe un tel système de production. La préoccupation visant à permettre aux
membres d’optimiser leurs chances de gain en fonction des caractéristiques de leur activité,
semble en effet beaucoup plus élargie et appropriée qu’un simple objectif de remboursement de
prêt. Une telle préoccupation élargit la performance au souci de renforcement des capacités des
acteurs sociaux à pouvoir assurer les conditions de promotion de leurs activités en fonction de
leur cadre référentiel en lieu et place d’un simple processus d’endettement-remboursement.

Par ailleurs, ce cas ne manque pas de poser des interrogations sur les pratiques
d’uniformisation des banques standardisant les mêmes conditionnalités aux pêcheurs,
fonctionnaires, commerçants, transformatrices…sans lien avec les modes de production
spécifiques à chaque clientèle. Cette politique uniformisante et anonyme des banques classiques
ne reconnaissant ni le type d’acteur, ni la spécificité de ses activités, constitue à bien des égards
une des causes de l’exclusion financière que subit une bonne partie de la population. Par ailleurs,
la garantie offerte par le GIE à ses membres dans la gestion des risques financiers n’est ni
valorisée, ni reconnue officiellement, le GIE lui-même ne se positionnant pas autour de tels
enjeux. Ainsi, le GIE supporte les risques en apportant une garantie solidaire mais ne dispose en
retour d’aucune mesure compensatoire, ni de prime de risque notamment en cas de non
remboursement par le bénéficiaire. C’est dire que ce mécanisme innovant ne présente de risques
majeurs tant que le système se déroule normalement, c’est-à-dire tant que les membres du GIE
respecteront le compromis de rembourser leur crédit dés que possible en fonction des jours de
vente. Enfin, la faiblesse des crédits octroyés par la MEC Suxxali Jiggéne, démontre que le
financement mutualiste n’est pas encore suffisant pour combler l’exclusion financière liées aux
conditionnalités des banques.

6.3.2.3. Appui aux matériels

La structuration des femmes transformatrices facilite l’accès aux matériels de production.


En effet, c’est un tel cadre qu’utilisent habituellement les partenaires au développement pour
offrir gratuitement des appuis en matériels en vue d’atteindre un plus grand nombre de cibles.
C’est dans ce cadre que le GIE a bénéficié de l’octroi gratuit de fours modernes de braisage du
poisson de la part de l’USAID (3 fours), du PELCP (2 fours) et de la Fenagie (1 four). De même,
314

des clés de séchage, des bacs, des balançoires et bascules ont été régulièrement offerts au GIE
notamment par l’ADC. La plupart de ces matériels ont été distribués aux membres
individuellement tandis que la bascule et les fours sont restés la propriété du GIE. L’introduction
de ces nouveaux matériels fait que la production de poissons transformés se fait de plus en plus
grâce à une combinaison de techniques traditionnelles et semi-industrielles. C’est d’ailleurs avec
ce patrimoine de 6 fours que le GIE envisage de mettre en place une unité de production.
Démarré le 23 avril 2002 avec un fond de 213 000 Fcfa, une phase test a permis d’amasser en
moins d’un an le 30 mars 2003, un chiffre d’affaires de 1 238 000 Fcfa. Ce sont certainement de
tels résultats qui ont poussé le GIE à envisager la transformation de cette unité en un groupement
autonome de transformation semi industrielle qui lui permettra d’initier ses membres aux
techniques modernes de production et aussi, d’avoir sa propre production. Un partenaire
stratégique, le PDER s’est déjà manifesté pour accompagner ce projet.

Il faut néanmoins rappeler que l’objectif du GIE de constituer une épargne interne pour
favoriser le renouvellement du matériel de ses membres n’a pas été atteint. Aucune initiative n’a
été prise en ce sens, le GIE préférant profiter de l’appui des partenaires pour équiper ses
membres. Par ailleurs, Djambarou Sine dispose d’une rente locative liée au local abritant l’usine
de glace offerte par l’ONG Plan International qui lui fournit une recette de 600 000 Fcfa chaque
trois mois. Du fait de la partition du patrimoine du GIE suite au problème de succession (cf
historique), la capitalisation de cette rente locative qui pourrait permettre au GIE de procéder à
des investissements structurants ou renouveler les matériels de transformation, reste thésaurisée à
la CNCAS pour servir de dépôt de garantie dans le cadres des prêts bancaires.

6.3.2.4 : Appui à la commercialisation des produits de ses membres

Les transformatrices de Guet Ndar disposent de trois types de marchés pour commercialiser
leurs produits : le marché local de la ville et de la région de Saint-Louis, le marché national
notamment Dakar, Touba, Kébémer ainsi que d’autres zones ayant peu accès au fleuve et à la mer
(surtout milieu rural) et enfin, l’exportation vers les pays de la sous région ouest africaine
(Guinée, Ghana, Congo, Mali, Niger…). Par rapport à tous ces lieux de destination du produit
transformé, les transformatrices de Sine n’investissent que les marchés de la ville de Saint-Louis,
les autres marchés recevant pourtant la plus grosse part des quantités transformées, étant dominés
par les «banas-banas» qui, du fait de leur part de marché imposent leurs prix d’achat:
315

«Nous sommes limitées dans nos possibilités par l’inexistence d’un marché à travers lequel on
pourrait vendre nous-mêmes nos produits, nous n’avons pas accès aux grands marchés. C’est
pourquoi, nous ne faisons que transformer et attendre la venue des banas-banas qui ainsi fixent
leurs propres prix. (…)Les banas-banas achètent le produit à des prix souvent dérisoires qui ne
nous arrangent pas. Quand on n’arrive pas à vendre le kg du Sali à plus de 500F, alors qu’au
Ghana, on le vend à 2.500, cela signifie qu’on est exploité. La différence est insupportable... Mais
comme ce sont eux qui viennent acheter et qui imposent leur prix, on n’a pas le choix… D’autant
plus que ce que tu refuses, une autre transformatrice pourrait l’accepter. Si les femmes calculaient
le prix de revient du produit en intégrant le prix du poisson, les aides familiales gratuites, leurs
forces de travail et d’autres frais, je pense qu’elles n’accepteraient pas de brader ainsi leurs
produits… Ce qui est inacceptable, c’est que nous qui travaillons sommes celles qui reçoivent la
plus petite part des bénéfices que génère la transformation. Ce que les banas-banas arrivent à avoir
dans de telles activités, nous les transformatrices, nous ne l’avons pas et c’est anormal…Je pense
que la solution serait que nous-mêmes, on aille vendre nos produits dans les marchés
extérieurs….» (Y. F, leader Gie)

Pareille contrainte traduit le décalage entre la maîtrise du processus de transformation des


poissons par les femmes de Sine et leur domination dans le processus de commercialisation par
les «banas-banas». Le marché libre, la faible maîtrise des conditions d’accès aux marchés
extérieurs à la ville, l’insécurité du site de transformation et l’absence d’infrastructures adéquates
de conditionnement des produits (obligeant les femmes à se débarrasser au plus vite leurs produits
au risque de les perdre) ainsi que la précarité de leur situation socio-économique fragilisent les
capacités de résistance des transformatrices face aux «banas-banas». C’est pourquoi, la
commercialisation est dans la chaîne de production du poisson transformé, la principale source
d’inquiétude des transformatrices qui supportent à elle seules les coûts de production ainsi que les
risques liés aux aléas toujours incertains du poisson :

«Nous travaillons à l’air libre et nos produits ne sont pas gardés en sécurité. Plus tôt, tu l’écoules,
plus c’est rentable pour toi... Il est sûr que si nous avions une aire de transformation adaptée, nous
ne serions pas contraintes à «basarder» nos produits qui ne demandent pas de glace mais
simplement un magasin adéquat (…) De même, si on s’était réparti la tâche entre transformatrices
et femmes chargées de la commercialisation, on serait loin actuellement. Mais comme vous le
savez, les groupements de femmes sont compliqués et font l’objet de suspicion entre
femmes…Quelle transformatrice accepterait de donner à une autre femme ses produits pour
qu’elle les vende? D’autant qu’ici, il n’y a pas de prix fixes… Je pense que la meilleure solution
serait que le groupement achète le produit des femmes transformatrices et aille le vendre à
l’extérieur de la région» (S. B., membre Gie).

Cette position défavorable des transformatrices dans le circuit de commercialisation du


poisson transformé apparaît comme la conséquence de leur volonté d’autonomiser leur
production privée par rapport au champ d’action du GIE, empêchant ainsi ce dernier de pouvoir
jouer son rôle d’harmonisation des prix de marché. Ce refus confirme la nature du membership au
sein de l’entrepreneuriat féminin qui apparaît plus comme un cadre d’allocation des ressources
que comme un espace de construction d’une dynamique collective d’auto-promotion (cf
316

membership). Certainement la situation d’incertitude structurelle de l’activité dans un contexte de


précarité pousse les femmes à prendre le moins de risque possible en privilégiant une logique de
sécurisation et de gestion personnalisée de leurs activités. C’est pourquoi, cet objectif est de plus
en plus délaissé par Djambarou Sine cherchant à concentrer ses efforts en amont (appui à l’accès
aux moyens de production). En outre, ce problème de commercialisation informe des effets
pervers liés aux rivalités entre GIE (incapables d’influer sur la détermination des prix de marché)
en termes de reproduction des rapports de domination sur le marché, accentuant ainsi la
vulnérabilité des transformatrices. Ce constat est confirmé par d’autres recherches portant sur
Djambarou Sine:

«L’existence d’une coopérative de productrices ne pèse d’aucun poids ni sur la détermination du


prix au producteur, ni sur la marché même des produits. La coopérative ne joue pas encore son rôle
d’organisation de défense des intérêts de la corporation. Les productrices se présentent en ordre tout
aussi dispersé que les pêcheurs face aux marchands (…)» (Séne, 1985 : 231).

Face à cette situation, les stratégies déployées par le GIE consistent à solliciter auprès de
ses partenaires le don d’un camion de transport pour exporter le produit de ses membres en
direction des «loumas» du pays. Les réponses mitigées des partenaires renseignent sur le fait que
les préalables à la mise à disposition d’un tel camion semblent être loin d’être réunis. En effet, le
GIE n’a pas encore procédé à des discussions internes pour systématiser les modalités de
réalisation d’un tel projet comme par exemple, les termes de l’accord de principe de ses membres
ou le plan d’affaires (les informations relatives aux prix et au mode de fonctionnement de ces
marchés, les modalités de partage des bénéfices…). La suspicion est tellement grande dans le
milieu que sans la réalisation de ce préalable, il semble être difficile de voir ce projet de
structuration de la commercialisation voir le jour:

«Le fait que jusqu'à présent le groupement ne se soit pas organisé pour faciliter à ses membres la
commercialisation vers des marchés extérieurs à la région tient surtout à un manque
d’informations et d’organisation. Ce qu’on attend des partenaires, c’est de nous montrer la voie par
laquelle nous pourrons passer pour nous développer. Notre problème, c’est que nous, nous ne
maîtrisons pas les marchés, nous ne savons pas comment y accéder et comment y vendre. Nous ne
pouvons pas prendre le risque d’aller dans des zones qu’on ne maîtrise pas. Aucune femme
n’acceptera de brader ainsi sa production…» (Y. F, leader Gie).

Les résultats mitigés du GIE Djambarou Sine en matière de commercialisation expliquent


le fait que malgré la diversité des appuis offerts, les femmes transformatrices interrogées ne
voient pas leur situation socio-économique s’améliorer de manière systématique, comme nous le
fait remarquer cette boutade courante dans le milieu: Coono lu baré, Ngarigne lou touti.
317

Autrement dit, l’activité de transformation dans l’imagerie populaire est assimilée à « une
débauche d’énergie mais avec de maigres résultats ».

6.3.3 Synthèse sur la performance socio-économique du GIE Djambarou Sine

Malgré ses résultats mitigés en termes d’appui à la commercialisation des produits de ses
membres, le GIE Djambarou Sine a démontré une performance réelle dans l’appui à ses membres
tant dans l’accès à un financement régulier et soutenable que dans l’éducation socio-économique
régulière et diversifiée favorisant une mise à niveau technique permanente des transformatrices
ainsi que dans la distribution gratuite de matériels de production. Cette performance plurielle ne
se limite pas seulement à l’augmentation des capacités d’action des membres, elle concerne
également toutes les opportunités d’innovations offertes aux transformatrices, participant ainsi au
renforcement du positionnement territorial de l’activité de transformation. C’est le cas notamment
de la mise en œuvre du mécanisme innovant de pré remboursement en vue d’offrir une garantie
solidaire et ainsi, d’assurer la solvabilité de ses membres. Ces mécanismes informent de la
capacité du GIE Djambarou Sine à jouer un rôle d’intermédiation financière et d’arrimage entre le
cadre référentiel du système productif local et les conditionnalités des partenaires.

Un autre indicateur de performance du GIE peut être situé dans son appui au
renouvellement des techniques de transformation. Par exemple, si dans un passé récent, la
principale technique de transformation pratiquée sur le site de Sine consistait à éventrer et à étaler
au soleil pendant plusieurs jours le poisson (ce qui posait de réels problèmes de qualité),
actuellement, non seulement le type de matières premières a changé avec l’utilisation exclusive
du poisson frais, mais également les transformatrices utilisent désormais des outils de production
de plus en plus modernisés comme les fours de braisage offerts par les partenaires au
développement. D’autres types d’innovations techniques peuvent être également notés comme
par exemple la transformation de nouvelles espèces pélagiques (sardinelles, mâcherons), la
création de nouveaux débouchés avec tous ces produits dérivés comme la sauce de poissons dite
«Niokman», la valorisation de l’huile de poisson braisé utilisée désormais dans la cuisson des
repas familiaux et enfin, la transformation de certaines parties du poisson qui étaient auparavant
jetées comme détritus (tête, bronchites, écailles, mâchoires) sous forme de compost utilisé dans
l’agriculture périurbaine. En dehors de leurs impacts environnementaux et de leur rapport aux
normes de qualité de plus en plus posées comme facteur de compétitivité, ces innovations
contribuent à garantir de meilleures conditions de rentabilisation et de conservation du poisson
318

transformé pendant au moins trois mois. Elles permettent ainsi d’amoindrir tous ces risques de
perte de valeur courants dans l’activité de transformation en termes d’infection larvaire, de
contamination microbienne ou encore de ré humidification des produits.

La portée de telles innovations dépasse le cadre de services offerts par un GIE à ses
membres. Elle comporte une dimension corporative, appréciable à travers les changements
intervenus entre les transformatrices actuelles et leurs mères, tant du point de vue des moyens
investis, des capacités techniques, de l’intervention de partenaires financiers et techniques, des
techniques de production que de la logique d’action:

«Vous pouvez voir que notre façon de travailler diffère beaucoup de celle de nos mamans. Elles
n’étaient pas si organisées. L’essentiel pour elles, c’était de chercher à s’occuper simplement
autour de la transformation du poisson. Rien que la place qu’occupe ce type de travail dans la
pêche et dans le quartier doit permettre de comprendre que maintenant la transformation est bien
un métier noble… C’est nous qui avons initié la structuration de cette activité et de ses acteurs. De
même, la culture de l’épargne chez les femmes transformatrices est née avec l’apparition des
crédits obtenus auprès de la Cncas. C’est avec nous que pour une premiére fois, des
transformatrices sont allées à la banque pour ouvrir un compte d’épargne et y déposer leur argent.
Ainsi, lorsque nous en avons besoin, nous allons retirons un peu d’argent et le distribuer aux
femmes à crédit pour travailler. Nos mamans ne connaissaient pas tout cela…» (C. S, leader Gie)

Ainsi, la tendance entrepreneuriale des transformatrices démontre que l’activité de


transformation devient de moins en moins une occupation de vieilles femmes pour se positionner
en une filière structurante de la pêche128, en regroupant des femmes de plus en plus jeunes à la
recherche d’une plus grande rentabilité de leur activité afin de renforcer leur indépendance
économique et soutenir leur famille.

Les ressorts organisationnels qui ont permis au GIE Djambarou Sine de se positionner
comme un espace de construction et/ ou de diffusion d’innovations sociales et techniques sont
multiples : mobilisation permanente du GIE autour de la satisfaction des besoins des membres et
grande capacité de structuration de la demande locale, densification et diversification de son
réseau partenarial, mise à niveau technique continue de ses membres, arrimage entre les
conditionnalités des partenaires et les caractéristiques du mode de production local, hybridation
de ressources diverses, élargissement de la performance au renforcement des capacités des
membres ainsi qu’un volontarisme actif des leaders. De telles expériences innovantes au sein de
l’entrepreneuriat féminin confirment l’adage maintes fois utilisé par les femmes enquêtées, à

128
Au vu de l’absorption de quantités débarquées par la transformation dans un contexte de faible
envergure des infrastructures de conditionnement du poisson frais.
319

savoir : Niak péxé, péxé la ou la précarité favorise l’innovation (Diop, 1997). C’est tout cela qu’a
voulu certainement magnifier l’Etat sénégalais en primant le GIE Djambarou Sine en 2002 dans
le cadre du Grand Prix du Président de la République en matière d’initiatives prises par les
femmes. Le GIE avait en effet remporté le 10e prix de ce concours national lui valant ainsi de
recevoir une subvention de 1 million de Fcfa.

Toutefois, de telles innovations sociales ne sont pas toujours assumées et exploitées par le
GIE ainsi que par les transformatrices beaucoup plus rivées dans la gestion quotidienne que dans
la capitalisation de la portée de leurs activités. Un tel état de fait peut être apprécié à travers le
faible positionnement du GIE dans la reconnaissance du cadre référentiel du système productif
local dans le but d’influer la tendance uniformisante de la banque129. Ainsi, malgré ses efforts à
articuler les deux systèmes de production, le GIE ne dispose pas d’une reconnaissance officielle
concernant la garantie solidaire qu’elle offre à ses membres, elle ne reçoit pas également de prime
de risque en cas de non remboursement du crédit. A un autre niveau, en matière d’innovations
techniques, le GIE se positionne plus comme un espace de diffusion d’innovations initiées par les
partenaires au développement (cas des fours de braisage distribués par ces derniers) que comme
un dispositif de valorisation des savoirs techniques endogènes, en faisant par exemple de la
formation sur le tas un creuset d’innovations techniques. A ce titre, on peut noter que le déficit
d’articulation entre le système productif endogène et le mode de production officiel peu actif en
matière de valorisation des produits et technologies endogènes, fournit le cadre structurel
expliquant le manque de reconnaissance de ces innovations. Au-delà de ces facteurs, certaines
caractéristiques des femmes (statut social dans un quartier et un secteur de la pêche qui restent
encore dominés par les hommes, leur faible niveau d’instruction) et de l’activité de
transformation (comme le ressort familial malgré ses avantages concurrentiels), ne favorisent pas
toujours une appropriation par les transformatrices de leurs capacités innovatrices parce que
continuant à s’y investir plus comme un métier hérité que comme une activité entrepreneuriale:

« Ces changements ne sont pas encore compris et exploités par les femmes. Il semble qu’il y a un
problème de prise de conscience par les femmes elles-mêmes de la place de leurs activités dans le
développement du pays ainsi que de leurs capacités à innover, notamment au niveau des
techniques de production. Cela exige beaucoup de sensibilisation sur l’ampleur de cette activité,
son impact sur l’alimentation de la population. Les femmes n’ont pas pleinement conscience de
l’importance de leurs activités dans la satisfaction des besoins alimentaires au Sénégal.» (Y. F.,
leader Dj. Sine)

129
A ce titre, ce déficit est partagé avec les autres acteurs de la pêche ayant des moyens financiers plus
importants que les transformatrices, tels les pêcheurs et les mareyeurs.
320

En réalité, le décalage entre les pratiques innovatrices des femmes transformatrices et la


reconnaissance de ces innovations informe sur le fait que de telles initiatives économiques
populaires se positionnent plus autour d’un changement interstitiel. En effet, si de telles activités
permettent d’assurer la pérennité du système productif populaire, le cadre structurel en toile de
fond de leur évolution ne leur fournit pas assez de soutien afin d’impulser leur expansion. Malgré
le fait qu’elles puissent être le foyer de création d’éléments nouveaux ou de combinaison nouvelle
d’éléments pré-existants (Schumpeter, 1935), ces innovations n’aboutissent pas toujours à
produire un changement de structure, se contentant plutôt à la reproduction et à l’équilibre du
système de production. Sous ce regard, les innovations sociales portées par l’entrepreneuriat
féminin semblent se laisser embrigader par le système officiel dans lequel elles pourront trouver
difficilement cohérence et sens du fait des différences de logiques d’action. Mais, du fait que
cette situation hybride semble de plus en plus relever du fait social à cause de sa durée et de son
caractère général,130 il est à craindre que les innovations sociales induites par l’entrepreneuriat
féminin, restent structurellement vulnérables et duales.

6.4. Rapport au développement local

6.4.1. Ancrage socio-territorial du GIE

L’ancrage socio-territorial du GIE Djambarou Sine peut s’apprécier à travers ses effets
structurants aux plans socio-économique, social et socio-politique à la fois dans le quartier de
Guet Ndar, sur la ville de Saint-Louis ainsi que sur l’activité de transformation. Sur le plan socio-
économique, les membres résident dans le quartier de Guet Ndar et les formations, les matériels
ainsi que les financements mobilisés par le GIE sont tous investis dans ce quartier, contribuant
ainsi à la résorption du chômage en milieu féminin. Ses divers appuis apportés aux membres, tout
en contribuant à la démocratisation de l’accès aux ressources stratégiques au profit d’acteurs
sociaux démunis, participent de la dynamisation de l’activité de transformation et du
renforcement de son positionnement comme une filière structurante du secteur de la pêche.
L’aspect économique concerne également la valeur commerciale de l’activité qui tourne
annuellement autour de 500 millions de Fcfa (plus de 900 millions en 2001), l’utilisation d’une
main d’œuvre locale ainsi que la constitution d’un marché local fortement investi par les banas-
banas, positionnant la destination de la ville Saint-Louis dans le circuit national et sous régional

130
Parce que concernant d’autres secteurs comme le système mutualiste et le système non conventionnel de
gestion des ordures ménagères (Ndiaye, 2003 et 2004).
321

de distribution du poisson transformé. En outre, valorisant les ressources locales, la


transformation offre un débouché permanent au surplus de poissons sur la plage de Guet Ndar
dans un contexte de faiblesse de la chaîne locale de froid (35% des débarquements en frais de la
ville sont consacrés à la transformation). C’est dire que l’impact de la transformation par rapport
au secteur de la pêche et à la ville est à la fois socio-économique et environnementale.

Par ailleurs, l’effet démultiplicateur des appuis en direction des femmes est de plus en plus
reconnu en termes d’impact dans l’amélioration des conditions de vie de leurs familles ainsi que
de leur statut de femme. Par exemple, du fait de l’absence prolongée du mari souvent pêcheur
(prés de 6 mois par an), la transformatrice apparaît de plus en plus comme le «réel» chef de
ménage qui répond aux besoins de sa famille durant une grande partie de l’année. Par ailleurs, en
proposant une gamme variée de produits halieutiques transformés à moindre prix, la production
des membres du GIE contribue à la satisfaction des besoins alimentaires des populations à travers
les divers lieux de destination des produits au niveau local, national et sous régional en proposant
des produits de substitution ou d’accompagnement au plat national quotidien, à savoir le riz aux
poissons. Enfin, du fait de l’héritage familial concernant l’adhésion au GIE, celui-ci est devenu au
fil des ans un des lieux de sororité et de sociabilité du quartier de Guet Ndar participant ainsi, à la
densification et à la recomposition des relations sociales. Dans ce cadre, le GIE Djambarou Sine
apparaît comme une sorte de «famille élargie» dont la présidente joue le rôle de «mère sociale»,
sorte de travailleuse sociale auprès des membres, en organisant par exemple, un système interne
de don et de contre don notamment lors d’événements familiaux (baptême, mariage, décès…).

Sur le plan socio-politique, le cadre offert par le GIE participe de la structuration et du


repositionnement stratégique d’un groupe social jadis marginalisé. Ainsi, c’est avec la création de
la coopérative Djambarou Sine que pour une première fois, des partenaires sont intervenus pour
appuyer spécifiquement les femmes transformatrices. C’est dire que sans ce cadre structuré
formel qu’est le GIE, l’activité de transformation risquerait fort bien de continuer à s’empêtrer
dans les stratégies de survie individuelle de femmes âgées ou démunies. Le renforcement de
l’empowerment des transformatrices fait du GIE, une structure de défense de leurs intérêts auprès
des partenaires du secteur de la pêche et des pouvoirs publics.

6.4.2. Réseautage local


322

Le conflit à l’origine de la création du GIE Djambarou Sine en 1995 continue à avoir des
effets néfastes dans les relations entre les deux groupements de transformatrices établis à Guet
Ndar. Ces rivalités, opposant surtout les présidentes des deux groupements, portent sur leur
représentativité et sur leur positionnement territorial, appréciables à travers le nombre de
membres mobilisés et l’ampleur des ressources mobilisées. En l’absence de données objectives
liées à l’informalité et à la nature individuelle de l’activité de transformation, il semble difficile
de mesurer la représentativité ainsi que le poids économique de chaque groupement. Ce climat de
tension empêche les échanges entre les deux groupements et bloque toute tentative de promouvoir
une dynamique territoriale dans la promotion des femmes transformatrices. C’est le cas par
exemple des difficultés rencontrées par le PELCP voulant appuyer les transformatrices sans
distinction de leur appartenance aux groupements. Face au retard pris par ce projet du fait du
refus de collaboration des deux présidentes, ce partenaire stratégique a pris la décision de ne
travailler qu’avec les femmes du GIE Djambarou Sine, accentuant de facto la tension sociale. Par
ailleurs, de telles rivalités fragilisent le poids socio-politique des transformatrices par rapport aux
«banas-banas» notamment dans la fixation des prix de marché. C’est pourquoi, de plus en plus,
on voit sur le site de Sine, un nombre de plus en plus important de transformatrices indépendantes
n’évoluant dans aucun GIE:

«Tous nos problèmes sont dus au manque de coordination et de consensus entre nos dirigeants. Si
nous arrivons à parler d’une seule voix, nous pourrons imposer le fait que tous les poissons
transformés fassent l’objet de pesée à la place de la vente par sac qui ne nous arrange pas. En
outre, cela nous permettra de fixer nous-mêmes un prix unique du produit sur le marché (…) Je
pense que quelle que soit la divergence entre les dirigeants des groupements, l’heure est à l’union.
Nous ne pouvons pas continuer à travailler à perte… Actuellement, nous ne connaissons même pas
la valeur de notre production par an, ni en quantité, ni en argent. Nous sommes des actrices du
développement de ce pays à qui nous apportons beaucoup de devises. Mais pour qu’on nous
respecte, il faut qu’il y ait un minimum de consensus entre nous» (Y .F, Dj.S).

Toutefois, ce conflit originel a favorisé un climat concurrentiel qui semble avoir


beaucoup contribué à expliquer le volontarisme des leaders des différentes organisations de
transformatrices qui font de la réussite de celles-ci, un défi personnel. En outre, de telles rivalités
ont ravivé le sentiment d’appartenance des membres ainsi que la dynamique de groupe
contribuant à faire du GIE, un espace familial élargi.

Par ailleurs, si les relations entre les groupements de transformatrices sont caractérisées
par la rivalité, celles existant entre eux et la plupart des autres acteurs du secteur semblent être
323

mitigées. En effet, excepté les pêcheurs qui alimentent en poissons les transformatrices à travers
un système de prêt ou de don du fait de leur proximité sociale, les relations avec les autres types
d’acteurs sont surtout marquées par la rivalité. Ainsi, aux relations déséquilibrées avec les
«banas-banas», s’ajoute la concurrence rude apportée aux transformatrices par les mareyeurs dans
l’approvisionnement en poissons frais. Du point de vue général, on peut noter que le GIE
Djambarou Sine n’exploite pas suffisamment les opportunités de relations ni avec les autres
groupements de la filière locale de la transformation, ni avec les autres types d’acteurs du secteur
de la pêche. Ce constat est partagé par Fall et Le Blanc selon qui :

«Les relations défectueuses entre professionnelles d’un sous secteur (la transformation) ne
prédisposent pas à des relations bien structurées avec le secteur de manière générale (l’ensemble des
activités liées à la pêche) et encore moins avec des professionnels d’autres secteurs (l’artisanat en
l’occurrence) » (2001 :74).

Mais ce faible réseautage interne reflète les tensions traversant le quartier de Guet Ndar
ainsi que tout le secteur de la pêche locale, minée par de fortes rivalités entre les leaders du fait de
conflits de leadership et de tendances politiques. S’y ajoute, ce quartier se caractérise par la
floraison d’organisations diverses concurrentes investissant le même domaine et visant la même
cible. Il faut noter que la volonté de singularité du quartier de Guet Ndar ne favorise pas
l’inclusion de ses habitants dans la dynamique territoriale de la ville, préférant manifester leur
spécificité de quartier de pêcheur. Le service régional de la pêche, chargé de structurer et de
faciliter les relations entre les acteurs du secteur, semble être peu outillé pour pouvoir jouer un
rôle efficace.

Malgré cela, le GIE Djambarou Sine participe dans plusieurs cadres de concertation,
notamment les fédérations du secteur ainsi que les fédérations d’organisations féminines. Il est en
effet, membre de la FENATRAM, de la FENAGIE ainsi que de la Fédération des groupements de
promotion féminine de Saint-Louis. Le GIE est également membre de trois mutuelles : Suxxali
Jiggénu Ndar, MEC Coumba Bang et la mutuelle des pécheurs. Cette stratégie de participation à
divers lieux de concertation tant au niveau local que national, permet à Djambarou Sine d’être
présent dans divers lieux d’information et de décision concernant à la fois le milieu féminin et
celui de la pêche.

Toutefois, les membres du GIE semblent peu apprécier l’impact de cette adhésion à ces
fédérations et mutuelles. En effet, le fonctionnement de la plupart de ces structures révèle une
distance entre la base sociale et les leaders ainsi que des dysfonctionnements en termes de
324

circulation de l’information et de contrôle social interne…Par exemple, de l’avis des leaders du


GIE, les fédérations ne rendent pas suffisamment compte de leurs activités et des ressources
qu’elles mobilisent au nom des associations de base. En outre, la tendance des pouvoirs publics et
des bailleurs à privilégier la négociation avec ces structures faîtières dans le but de réduire
l’émiettement des acteurs sociaux, se fait souvent au détriment des organisations de base. Enfin,
la forte rivalité entre les deux GIE de transformatrices du quartier démontre que les structures
fédératives n’offrent pas toujours l’opportunité d’une collaboration organique entre leurs
membres en vue d’une meilleure structuration de la solidarité interne :

«Le fonctionnement des fédérations pose réellement problème. Elles constituent certes un
regroupement de plusieurs structures, mais les responsables ne descendent jamais à la base que
pour se faire élire. A l’intérieur de la fédération, on pouvait bien assurer un auto financement des
activités des membres en misant sur la solidarité. Mais comme les fédérations sont coupées de leur
base, rien de tout cela n’existe. Quant aux mutuelles, nous ne recevons de l’information que lors
des AG, le fonctionnement courant nous échappe». (Y. F, leader Dj.S).

6.4.3. Rapport aux partenaires au développement

L’une des forces de Djambarou Sine, c’est d’avoir pu mobiliser divers types de partenaires
engagés dans l’appui au secteur de la pêche. Ses relations soutenues avec les services publics
décentralisés, notamment le service régional de la pêche, la gouvernance et le service du
développement communautaire, lui fournissent un réseautage institutionnel déterminant dans
l’accès aux partenaires tout comme ses relations avec l’ADC. On note également des partenaires
de la coopération au développement (PELCP, BIT, ONUDI), de la coopération internationale
(japonaise, USAID, GERES), du système bancaire (CNCAS), du réseau mutualiste (SJN et
mutuelle des pêcheurs, MEC Mame Coumba Bang) et des fédérations du secteur de la pêche
(FENAGIE) et de la filière de transformation (FENATRAM).

Tableau 6.11: Réseau partenarial du GIE Djambarou Sine


Partenaires Types d’appui
ADC Appui technique et en matériel, réseautage
BIT Appui en matériels de production, formation
Cncas Financement de trois lignes de crédit
Coopération japonaise Formation technique
Fenagie Formation financement,
Fénatra Information, formation, réseautage
Gouvernance de Saint-Louis Appui institutionnel
MEC Mame Coumba Bang Financement
MEC SJN Financement de deux lignes de crédit
Pelcp Formation, intermédiation avec d’autres partenaires,
appui en matériels de production, réseautage
325

Service régional de la pêche Suivi technique, réseautage institutionnel


Service développement communautaire Information, réseautage, appui technique
UGPF Coordination, réseautage, appui technique
USAID Appui en matériels modernes de transformation
Source : Données compilées Djambarou Sine
Dans ce cadre, le PELCP et l’ADC ont beaucoup contribué au leadership territorial du GIE
en l’appuyant directement tout en facilitant son réseautage avec d’autres partenaires. Par exemple,
le PELCP a mobilisé le BIT et l’USAID pour un appui en matériel au profit du GIE après les
séances de formations aux techniques améliorées. Les fours modernes de braisage de poissons
dont a bénéficié le GIE s’inscrit dans ce cadre en vue d’appliquer le produit des sessions de
formation. L’ADC, à travers son Programme Économie locale, va également mobiliser le GERES
(Groupe Énergies Renouvelables, Environnement et Solidarité) pour former les membres du GIE
et les doter en petits matériels de production.

L’activisme des leaders du GIE ainsi que leur présence dans les espaces d’échange, de
concertation et de décision au sein de la ville constituent les principaux facteurs explicatifs de la
diversité du réseau partenarial. La confiance des partenaires est liée au fait que le GIE offre un
cadre opératoire de mobilisation des femmes transformatrices et de distribution de biens et
services à un groupe social démuni. Dans ce cadre, le GIE Djambarou Sine apparaît notamment
comme une structure de mobilisation sociale, de structuration de la demande sociale et
d’intermédiation avec les partenaires.

6.4.4. Rapport aux collectivités locales

Le réseau partenarial du GIE révèle un absent de taille, à savoir la Commune de Saint-


Louis. En effet, des relations maintenues au minimum sinon inexistantes entre la Commune et le
GIE, tranchent d’avec celles assez dynamiques entretenues avec les partenaires au
développement. La faible présence de la mairie en matière de promotion de l’activité de
transformation et de ses acteurs est avancée par les membres du GIE comme étant la principale
cause de cet état de fait, perçu comme une démission des pouvoirs publics par rapport à ses
responsabilités et comme étant à la source de tous les maux auxquels sont confrontées les femmes
transformatrices. Le problème concerne particulièrement le site de transformation dénommé Sine.
En effet, ce ne sont pas seulement des problèmes d’aménagement que Sine pose, ce sont aussi des
questions de qualité de vie, de promiscuité, de salubrité, de santé publique et d’image d’une
activité voire d’un quartier:
326

«Nous les transformatrices de Sine, nous sommes là pour travailler, mais la mairie ne nous aide
pas. Elle n’a rien fait même pas pour assainir Sine ou le sécuriser avec des lampes, malgré tout
l’apport des transformatrices dans le développement de la ville. Vous savez, les produits
transformés ne peuvent pas être gardés dans les maisons à cause de leur odeur. Alors, on ne peut
les garder qu’ici, sur Sine, à l’air libre avec tous les risques…D’ailleurs, c’est à cause de ce
problème de sécurité avec les nombreux cas de vol ou les effets de la pluie que les transformatrices
se voient obliger de limiter leur niveau de production… Tout cela relève de la responsabilité de la
mairie» (Y. F, Dj.S).

Pour certains élus municipaux, cette attitude d’évitement s’explique en partie par les
nombreuses sources de conflits socio-politiques liés au secteur de la pêche, à l’activité de
transformation et au quartier de Guet Ndar qui ressemble fort bien à une «poudrière en
puissance». Par ailleurs, l’absence d’un projet documenté fixant une demande précise et
budgétisée de la part du GIE, ne facilite pas la prise en charge de leurs problèmes par la
Commune. Ainsi, de l’avis de certains élus interrogés, les rencontres avec les leaders féminins se
limitent souvent à un chapelet de doléances souvent sans cohérence et sans commune mesure
avec les capacités financières de la Commune de Saint-Louis. En outre, les transformatrices ne
paient ni d’impôt, ni de taxes. Enfin, une confusion est notée dans les relations entre la Commune
de Saint-Louis et le GIE, réduites aux relations entre le Maire et la présidente:

«Depuis que le Maire est élu, il m’entend et moi aussi je l’entends tout simplement, mais il n’y a
rien entre nous… J’ai eu à collaborer avec l’ancien Maire Abdoulaye Diaw Chimére, mais avec le
maire actuel, j’ai l’impression qu’il me fuit… Je ne rejette pas le fait de travailler avec Ousmane
Masseck Ndiaye et cela même s’il n’est pas mon responsable politique…Lui comme moi
partageons le même amour du travail, donc, si personne ne trahit l’autre, on devrait pouvoir
s’entendre…Le jour où je serais en face de Ousmane Masseck Ndiaye, ce que je lui demanderais
sera très simple : un camion de mareyage pour sortir les produits transformés de mes membres
hors de la ville et même du pays et une chambre froide pour stocker le produit déjà transformé.
Ensuite, je lui parlerais de mon attente en ce qui concerne la construction d’une aire de
transformation digne et adéquate en remplacement de Sine». (A. S, leader Dj.S).

Il faut remarquer que les membres du GIE justifient l’absence de réaction de la Commune à
leurs nombreux courriers après plus de quatre années d’exercice, par le fait que leur présidente
évolue dans une tendance politique opposée à celle du Maire actuel. Pourtant, la présidente du
GIE, connue pour ses relations particulières avec l’ancien Maire de la ville qui appartenait à un
autre parti politique, a du faire une «transhumance politique» pour venir rejoindre le parti
actuellement au pouvoir, le parti démocratique sénégalais, espérant ainsi monnayer son
allégeance politique. Malheureusement, le leader politique local sur lequel elle comptait, fait
partie des plus grands opposants à l’actuel Maire même si tous les deux partagent le même parti
politique. Dans ce cadre, le groupement féminin apparaît comme une carte politique entre les
327

mains des présidentes pour négocier l’accès à certaines ressources (informations, financement,
matériels, réseautage) que distribuent les leaders politiques, à la tête des collectivités locales:

« Nous les responsables, nous ne pouvons pas éviter de nous immiscer dans la vie politique de la
ville parce que pour bénéficier de certains appuis, il faut faire de la politique. Même nos membres
profitent de leurs rencontres avec leurs leaders politiques pour les sensibiliser sur les difficultés
que nous rencontrons en tant que femmes transformatrices. Pourtant à dire vrai, je partage avec le
Maire la même base politique. Le leader politique que j’appuie dans cette ville est Ameth Fall
Braya, lui et le Maire supportent Abdoulaye Wade131. Moi, c’est la première fois que je soutiens
Abdoulaye Wade parce qu’on m’a demandé de le faire. Actuellement, chacune de nos membres a
sa carte d’identité et nous avons tout remis entre les mains de notre leader politique, parce que
nous soutenons Abdoulaye Wade. C’est dire que moi je suis disposée à travailler avec le Maire.
S’il nous soutient, nous le soutiendrons…» (A. S, leader Dj.S).

L’intrusion des leaders communautaires dans le milieu politique comporte des dimensions
ambivalentes. D’une part, on voit certains leaders utiliser leurs organisations comme carte de
négociation ou profitent de leur proximité avec les dirigeants au pouvoir pour faciliter à leurs
membres-protégés, l’accès aux ressources. D’autre part, cette intrusion risque d’inhiber leur poids
socio-politique en favorisant leur instrumentalisation par les leaders politiques. Phénomène plus
prononcé en milieu féminin, du fait du «présidentialisme» ambiant, l’instrumentalisation des
organisations féminines par les hommes politiques constitue à cet effet, une donnée récurrente au
Sénégal et participe de la reproduction d’un système pourtant décrié (Sarr, 1998).

Par ailleurs, les revendications des transformatrices augurent d’éléments contribuant à


l’émergence d’un contrat social entre elles et la commune : elles ne sont prêtes à participer à
l’effort de développement de la collectivité que si la Commune au préalable, démontre sa volonté
d’investir dans la filière à travers notamment la construction d’un nouveau site de transformation.
C’est sous ce rapport que les transformatrices sembleraient disposer à payer taxes et impôts :

«Si la Mairie remplissait ses responsabilités, aucune d’entre nous ne serait contre le principe de
payer des taxes ou de l’impôt. Car, comme on le dit souvent «Respecte tes devoirs pour qu’on te
donne tes droits». Nous, nous sommes prêtes à faire notre devoir. A Joal et à Bargnie où il y a de
sites de transformation modernes par exemple, les femmes paient des taxes. La mairie a investi et a
bien organisé la gestion de ces sites que nous avons d’ailleurs visités. Mais ici, rien n’a été
fait…Pour que mes membres acceptent de payer des taxes sur Sine, il faudra que je sois en face du
maire pour discuter de ce que chacun d’entre nous pourra faire l’un pour l’autre. Sinon, cela va
être difficile de donner des taxes sans voir en retour l’effet de notre contribution…» (Y. F, Dj.S).

Mais de l’avis des responsables de l’ADC, une telle proposition risque de conduire la
Commune à privilégier les secteurs d’activités porteurs de valeur ajoutée et à sacrifier ceux non

131
L’actuel Président de la République du Sénégal.
328

productifs. De leurs avis, la responsabilité de développement de la ville incombe à l’institution


municipale qui est habilitée à faire des équilibrages entre les différentes composantes du
développement urbain. C’est dire que les conditions du dialogue entre la Commune et les femmes
transformatrices semblent être loin d’être assainies.
A la différence de la Commune, les relations entre le GIE Djambarou Sine et l’ADC
semblent être assez développées. En effet, cet organe d’appui technique de la Commune,
implique régulièrement le GIE dans les activités se déroulant dans le quartier (mise en place d’un
conseil de quartier) ou concernant le secteur de la pêche (Forum sur le secteur) et même la ville.
En outre, l’ADC a apporté des soutiens substantiels au GIE dans le cadre de son programme
« Promotion de l’Économie Locale » avec le GERES. Toutefois, elle n’a pas les moyens de
réaliser ses ambitions structurantes qui se limitent souvent au stade de concertation et
d’identification des besoins. Par ailleurs, les actions promues par l’ADC sont loin d’être
appropriées par la Commune parce que n’étant pas suffisamment présentées comme partie
intégrante du renforcement de l’action de la Commune sur son territoire: « Les gens de l’ADC
nous ont appuyés, mais ce ne sont pas eux la Mairie!» C’est dire que les transformatrices aussi
bien que leurs leaders ne perçoivent la Commune que du point de vue traditionnel, une institution
de prédation dirigée par un Maire qui confond la satisfaction des besoins de sa base sociale au
développement de la ville (Diouf et Diop, 1993).

Conclusion

Cette étude de cas a permis de démontrer que la situation de précarité n’interdit pas la
construction/ diffusion d’innovations sociales. A ce titre, les innovations sociales induites par
l’activité du GIE Djambarou Sine peuvent être appréciées à divers niveaux. Les femmes
transformatrices ont pu réaliser des innovations organisationnelles en s’adaptant à l’évolution du
cadre juridique et socio-économique des organisations communautaires, expliquant leur tendance
à l’isomorphisme institutionnel qui leur a permis par ailleurs de densifier et de diversifier leur
réseau partenarial. Les innovations sociales concernent également la performance plurielle du
GIE en matière d’appui à l’auto-promotion socio-économique de ses membres en leur facilitant
une éducation socio-économique régulière, un accès régulier au financement à travers des
conditions soutenables et enfin, la mise à disposition de matériels de production modernes. Dans
ce dernier cas, le GIE est apparu comme un espace de partage et/ ou de diffusion d’innovations
liées aux techniques de transformation du poisson. Ce rôle d’intermédiation entre ses partenaires
et ses membres a pu être apprécié notamment, à travers son mécanisme de pré remboursement du
329

crédit bancaire ainsi que les nombreuses sessions de formation offertes gratuitement à ses
membres afin de leur permettre de s’ajuster aux nouvelles techniques de production.

Ces diverses innovations sociales comportent des effets structurants en termes de


promotion de l’économie locale de la pêche, de démocratisation de l’accès aux ressources
stratégiques ou encore, de dynamisation et de renforcement de l’empowerment territorial d’un
groupe social défavorisé. Elles ont largement contribué au renforcement du positionnement
territorial de l’activité de transformation de plus en plus perçue comme une filière structurante du
secteur de la pêche appréciable à travers l’évolution positive des quantités de poissons
transformés ainsi que des valeurs commerciales. Le GIE a pu atteindre de tels résultats en activant
plusieurs ressorts comme : la subordination de son action autour de la satisfaction de la demande
sociale de ses membres au coup par coup, en fonction de l’apparition des besoins, une dynamique
de groupe structurée autour de la présidente considérée comme une mère sociale, le volontarisme
des leaders, une mise à niveau technique continue de ses membres à travers les diverses sessions
de formation, sa performance dans l’intermédiation des besoins de ses sociétaires avec les
conditionnalités des partenaires financiers et techniques en termes de médiation de cadres
référentiels souvent différents, la densification et la diversification de son réseau partenarial et
enfin, l’hybridation de ressources diverses. A ce titre, en contribuant au repositionnement de
l’activité de transformation, le GIE Djambarou Sine a pu également renforcer son leadership
corporatif et territorial au sein de la filière de transformation du poisson.

Toutefois, la base organisationnelle fragile liée à l’informalité qui caractérise son système
de gestion administrative, calendaire et financière, fait que le GIE Djambarou est resté un
groupement féminin traditionnel marqué par le présidentialisme. Mais, c’est surtout la volonté
manifestée par les membres d’autonomiser la commercialisation de leurs produits transformés du
champ d’action du GIE qui inhibe la portée de ce dernier en l’inscrivant dans les espaces de
mobilisation sociale et de captation de ressources stratégiques difficilement accessibles à un
niveau individuel, se constituant ainsi comme un cadre d’allocation de ressources au profit
d’acteurs sociaux vulnérables ou marginalisés. C’est dire que la fonction latente du GIE comme
espace de promotion d’un système productif local autogéré, soutenu par une dynamique
d’empowerment corporatif permettant à ses membres de construire une position de pouvoir sur le
marché local, a été négligée, voire refoulée du fait de la subordination du GIE aux intérêts de ses
sociétaires. Cette ambivalence des liens d’appartenance des sociétaires avec le GIE indique que
ce dernier, très sollicité pour tout ce qui se situe en amont de la production (financement,
330

formation, matériels) demeure exclu du processus de commercialisation des produits transformés.


Il reste qu’en dehors de la pression liée à la situation d’incertitude structurelle de la pêche, le GIE
n’a pas encore avancé des propositions concrètes permettant de réduire le manque de confiance
de ses membres quant à sa capacité à assurer une commercialisation rentable de leurs produits.

Au-delà du faible poids socio-politique du GIE, cette instrumentalisation par le bas, liée
aux membres, participe de la reproduction de la position de marché déficiente des femmes
transformatrices, largement dominées par les «banas-banas». C’est ce qui explique le fait que
malgré ses initiatives innovatrices, le GIE ne semble pas se positionner suffisamment dans
l’institutionnalisation d’un système productif plus approprié au vu de la logique d’action de ses
sociétaires. Ses innovations sociales participent donc de la pérennisation du système productif
populaire mais ne garantissent ni son expansion, ni son influence décisive par rapport au système
productif officiel. Ainsi, en s’inscrivant dans une économie de rente au profit de ses membres au
détriment d’une économie productive (Hugon, 2003), l’entrepreneuriat féminin à base
communautaire se positionne davantage autour d’un changement interstitiel à l’intérieur du
système productif officiel. C’est cela qui explique le fait que ses innovations restent vulnérables
et duales.
331

CHAPITRE VII

CO-PRODUCTION DE SERVICES PUBLICS LOCAUX EN CONTEXTE DE


PRÉCARITÉ: L’EXPÉRIENCE DU GIE CETOM DU QUARTIER DE LÉONA 132

Introduction

L’objet de cette étude monographique est de documenter une expérience de co-production de


services tournant autour de la collecte, de l’évacuation et du traitement des ordures ménagères
(CETOM). Cette dynamique met en relation une collectivité locale et un groupement d’intérêt
économique de jeunes issus d’un quartier démuni, mais engagés dans une dynamique de développement
local. L’analyse porte sur le cas du GIE CETOM de Léona qui constitue l’un des neuf GIE CETOM de
la ville de Saint-Louis. La mission de ces GIE consiste à assurer la collecte régulière des OM au pas des
portes de maisons ainsi que leur évacuation vers un site relais en vue de leur transformation en compost.
L’objectif essentiel visé par la Commune de Saint-Louis dans la mise en place des GIE CETOM,
concerne à la fois l’amélioration de la salubrité des quartiers défavorisés, la promotion de la
participation des populations à la mise en œuvre des services publics locaux et enfin, la lutte contre le
chômage des jeunes: «Améliorer l’environnement des quartiers cibles en favorisant la participation des
populations tout en cherchant à créer des emplois pour les jeunes».

L’expérimentation de ces dynamiques de co-production de services publics locaux dans la plupart


des villes d’Afrique de l’Ouest est à lier aux déficiences constatées dans le système conventionnel de
gestion des OM qui constituait jusqu’à la fin des années 1980, l’unique cadre de gestion des ordures
ménagères en milieu urbain (PDM, 1997; Ndiaye, 1998). Initié et/ ou encadré par les pouvoirs publics,
le système conventionnel de gestion des OM se caractérisait par son approche centralisée, sectorielle,
techniciste et enfin formelle (Guibbert, 1990 ; Thu Thuy, 1995 ; Doucouré, 2002). Limité aux acteurs
institutionnels, à savoir les régies municipales et les sociétés parapubliques en relation parfois avec des
opérateurs privés133, un tel système décrit comme peu efficace, économiquement coûteux, socialement
inapproprié et écologiquement nocif (Guibbert, 1996), ne permettait pas d’assurer la collecte
systématique, régulière et quotidienne des OM chez l’habitant. En effet, les gros matériels utilisés,
souvent en panne et dont l’entretien et le renouvellement devenaient insupportables pour un budget

132
Groupement d’Intérêt Économique chargé de la collecte, de l’évacuation et du traitement des ordures
ménagères.
133
Il s’agissait des régies municipales dans les villes sénégalaises, de la Direction des Services Urbains de Voirie
et d’Assainissement (Mali), de l’Office National des Services d’Entretien, de Nettoyage et d’Embellissement
(Burkina Faso) ou encore au Bénin avec le Service de la Voirie Urbaine de Cotonou.
332

communal en déficit constant, étaient souvent inaccessibles à la plupart des quartiers, notamment ceux à
mode d’occupation «anarchique ou spontané». Les résultats mitigés d’un tel système étaient surtout
visibles lors de l’hivernage (c’est-à-dire la saison des pluies qui dure de Juillet à Octobre), lorsque les
eaux des pluies non drainées se mêlaient aux entassements des ordures au niveau des dépôts sauvages,
transformant la plupart des quartiers défavorisés en «bombes bactériologiques». Une telle situation pose
de réels problèmes de salubrité, de pollution, de santé publique et de qualité de vie, mais aussi de
ségrégation spatiale des services publics, voire de justice sociale :

« Le défaut de prise en charge publique, le traitement en ‘parent pauvre’ des quartiers périphériques par le
service de collecte des déchets, d’une part, et la méconnaissance des dangers sanitaires des décharges et
dépotoirs sauvages d’autre part, alimentent le ‘laisser-aller’ et la ‘dé-responsabilisation’ des habitants quant
à l’espace collectif urbain » (Waas, 1990 : 12).

Ces résultats mitigés dans la gestion des OM ont alimenté au Sénégal, la montée d’un mouvement
de contestation sociale dont l’une des formes les plus actives, demeure le set setal (être propre et rendre
propre), expressif du malaise urbain, notamment au niveau des populations des quartiers périurbains,
populaires ou défavorisés.134 Toutefois, malgré son ampleur, le set setal n’a pu être en mesure de
structurer une proposition alternative durable, démontrant que les initiatives populaires ne peuvent pas
et ne doivent pas se substituer aux institutions publiques (Soumaré, 1999). Néanmoins, de telles
initiatives populaires ont contribué à crédibiliser l’idée selon laquelle, le transfert d’une partie de la
gestion des OM à des groupes sociaux ayant un ancrage territorial, notamment dans les quartiers
inaccessibles à la régie municipale, pourrait constituer une solution efficace, efficiente et durable. C’est
dans ce contexte que sont apparues, à partir du début des années 1990, les premières formes
d’entrepreneuriat durable à travers des groupements de jeunes et de femmes contractualisant avec les
municipalités pour se charger de la collecte, de l’évacuation et du traitement des ordures ménagères.
L’implication de ces groupes socio-économiques consacre une nouvelle ère de gestion partagée des OM
dans la plupart des villes sénégalaises voire africaines, dénommée système non conventionnel de
gestion des OM. On peut en citer les GIE CETOM de Saint-Louis à partir de 1994, les Comités de
Salubrité de la Ville de Thiès, le Projet d'Assainissement de Diokoul et Environnants de Rufisque et
enfin, la structure dénommée Associations et Mouvements des jeunes de la Communauté Urbaine de
Dakar qui, en 2002, regroupait 109 GIE utilisant 1542 opérateurs (Ndiaye, 2003).

L’enjeu de la co-production de services publics locaux questionne la nature des relations


partenariales unissant les collectivités locales, initiatrices de telles dynamiques et les groupements
socio-économiques de jeunes prestataires de services. Autrement dit, les dynamiques de coproduction

134
Pour le set setal, cf étude de cas ADD.
333

de services publics locaux qu’initient de plus en plus de collectivités locales en Afrique de l’Ouest en
relation avec des groupes socio-économiques, traduisent-elles un instrument de relégitimation et de
reproduction des pouvoirs publics et/ ou augurent-elles d’un renouvellement territorial du mode de
gestion publique misant sur la gouvernance locale?

Pour répondre à une telle question, une vingtaine de personnes ont été interrogées composée de
membres et de parties prenantes de l’organisation (la Commune, des partenaires techniques et
financiers, des ONG, des habitants abonnés ou non abonnés au système, des conseils de quartier). Le
rapport présente ici quatre dimensions d’analyse portant sur l’expérience du GIE CETOM de Léona, à
savoir : les conditions d’émergence et d’évolution, la gouvernance organisationnelle, la performance
socio-économique et enfin le rapport du GIE CETOM au développement local.

7.1. Conditions d’émergence et d’évolution du GIE CETOM de Léona

Jusqu’à la fin des années 1980, la gestion des OM était assurée dans la ville de Saint-Louis par la
régie municipale, par des sociétés concessionnaires (Italiana Investimenti) ou par une agence
parapublique (AGETIP). Cette dernière recrutait des jeunes hommes et femmes pour exécuter des
tâches de balayage des grandes artères de la ville moyennant une contre partie en nature (riz, huile,
sucre). Son action a été perçue comme relevant du traitement social du problème des OM du fait du
décalage entre la formule utilisée (qui ne prenait pas en charge les ordures ni chez l’habitant, ni à
l’intérieur des quartiers mais se limitait seulement aux grandes artères) et l’ampleur du problème en
maintenant les jeunes sans emploi dans la précarité. Par contre, pour la société privée Italiana
Investimenti, on a assisté à la rupture du contrat du fait de ses résultats mitigés ainsi que de ses coûts de
prestation jugés élevés pour le budget municipal expliquant d’ailleurs, les difficultés rencontrées par la
Commune à honorer ses engagements financiers (ADM/PAC, 1998 ; Cissé, 1998 ; Niang, 2003).

C’est dans ce contexte que la Municipalité de Saint-Louis, obnubilée par la contestation urbaine
(du fait de l’insalubrité notoire ainsi que de l’état de dégradation avancée du système d’assainissement
de la ville) demandera l’appui de ses partenaires au développement (notamment la coopération
française), ce qui débouchera à la mise en place d’un plan d’actions municipales. En 1981, la
coopération décentralisée Lille/ Saint- Louis va se positionner en transformant le jumelage entre ses
deux villes autour d’une coopération au développement (Ndiaye, 2005). C’est ainsi qu’à partir de 1992,
des études, notamment celle menée par l'Agence Cités Unies Développement, vont dresser un
diagnostic urbain suivi de recommandations. Celles-ci tournaient autour de la mise en place d’un
334

dispositif d'appui technique à la maîtrise d'ouvrage, à travers la CCIADL, devenue Agence de


Développement Communal (ADC) en 2000 et autour de la mise en œuvre de projets structurants dont
l’une des composantes était l’installation d’un système de co-production des OM.

C’est dans ce contexte, qu’à partir de 1994 va prendre naissance le projet de Collecte, Évacuation
et Traitement des Ordures Ménagères (CETOM) qui dénote d’une démarche globale articulant les
échelles ville et quartier. Quatre composantes majeures structurent ce projet :

1. La redynamisation de la régie municipale en la dotant de plus de moyens, en ciblant son


intervention autour des grandes artères et en insistant sur l’étape d’évacuation des OM
collectées dans les quartiers;
2. La mise en place de GIE CETOM, à travers une démarche participative et progressive dans tous
les quartiers non accessibles à la régie municipale. Les GIE, chargés de la pré- collecte et de
l’évacuation des OM sont articulés à la régie municipale qui intervient en amont pour évacuer
les OM du site relais vers la décharge municipale en vue de leur transformation en compost ou
en les utilisant à des fins de remblai dans les quartiers inondables;
3. Des partenaires au développement viennent renforcer le système en fonction de leurs domaines
d’intervention. Au début, ce fut le Partenariat Lille-Saint-Louis qui joua le rôle de catalyseur
des bailleurs de fonds135 ;
4. Ponctuellement, des prestataires privés locaux (camionneurs) sont mobilisés notamment, lors
d’opérations d’envergure pour évacuer les dépôts sauvages.

Une vaste campagne de sensibilisation va être menée par les services techniques municipaux
(STM) après sélection de quatre quartiers test (Bango, Eaux-Claires/ Diaminar, Médina Course,
Diamaguéne). Ces quatre GIE CETOM vont bénéficier d’un encadrement technique rapproché des
STM ainsi que de moyens importants mobilisés par le Partenariat Lille/ Saint-Louis : subvention
mensuelle de 75 000 Fcfa destinée à la nourriture des chevaux et à l’entretien du matériel, formation des
prestataires, construction d’écurie, mise à disposition des matériels : charrettes, chevaux, gants, blouses,
bottes… De son côté, le GIE organise un système d’abonnement mensuel des ménages du quartier dont
le prix est fixé de façon concertée, variant de 500 à 1000 Fcfa (de 1,5 à 2,5 dollars). La portée d’un tel
système était si déterminante pour la Commune de Saint-Louis, que lorsque le Partenariat a décidé de se
retirer du projet, elle a pris en charge la subvention mensuelle versée au GIE en la doublant à 150 000F
(prés de 400 dollars).

135
Pour les actions du Partenariat, cf le site : http://www.partenariat-saint-louis-senegal.org/
335

C’est cette volonté politique ainsi que les résultats positifs du projet qu’ont voulu magnifier les
partenaires au développement (coopération belge, LVIA, Enda RUP) en appuyant la Commune à mettre
en œuvre un plan global de nettoiement (PGN) de la ville. D’un coût de 1 milliard 548 millions de Fcfa,
ce document définit les conditions d’extension du projet CETOM: renforcer le parc matériel de la régie,
créer 7 autres GIE CETOM dans des quartiers non accessibles à la régie municipale et surtout,
améliorer l’évacuation des OM. C’est ce contexte institutionnel de promotion d’un processus de
développement local, qui fournit le cadre structurel déterminant les conditions d’émergence du GIE
CETOM de Léona.

Situé dans le faubourg de Sor, Léona fait partie des quartiers populaires de la Commune de Saint-
Louis. Couvrant une superficie de 118 ha, il comporte 880 concessions occupées abritant 1025
ménages. En 1996, sa population était estimée par la Direction de la Prévision et de la Statistique à 13
537 habitants parmi lesquels on comptait 50,3% de femmes. Le quartier est découpé en deux secteurs
géographiques distincts : la partie Léona, site historique du quartier était une bande de terre entourée de
part et d’autre par l’eau du fleuve que les populations ont commencé à investir dans les années 1930 et
1940. Plus récent, l’autre secteur, dénommé HLM est lié aux opérations de viabilisation menées par
l'Office des HLM démarrées en 1959. C'est le caractère particulier de la typologie et du régime de
l'habitat des HLM déjà viabilisés, qui différencie ce secteur avec celui de Léona et a poussé d’ailleurs
certains de ses habitants à demander son érection en un quartier spécifique.

Concernant la gestion des OM dans le quartier, ce fut la régie municipale à travers ses camions de
ramassage, qui assurait la collecte hebdomadaire à travers les rues des HLM et au niveau des dépôts
non aménagés du secteur de Léona. Ainsi le service de collecte et d’évacuation des OM dans le quartier
de Léona, à l’instar d’autres quartiers populaires, n’était pas régulier et ne couvrait pas tous les secteurs
géographiques du quartier. C’est ce qui explique le fait que jusqu’en 1998, 66% des OM étaient
déversées dans les dépôts sauvages situés sur des terrains vagues ou dans des parcelles inoccupées.
Cette situation était plus alarmante au niveau du secteur de Léona (ADC/ CSL, 1998).

C’est dans ce contexte qu’en réponse à une demande de quelques responsables d’organisations
communautaires du quartier, l’ADC, sur commande de la Commune de Saint-Louis va mobiliser le
PRADEQ pour appuyer la mise en place du deuxième conseil de quartier (CQ) de la ville et
l’élaboration du plan de développement de quartier de Léona. Durant cet exercice, est ressortie comme
problème prioritaire, la déficience du système de gestion des OM alors assuré par la régie municipale.
336

C’est ainsi que le quartier retiendra comme projet prioritaire, la mise en place d’un GIE CETOM. Fort
de ce mandat, le CQ va remonter cette demande sociale auprès de la Commune, marquant ainsi l’une de
ses premières réalisations une année après son officialisation.

Le GIE CETOM de Léona sera mis en place en 1999-2000 à travers un processus de consultation
publique réalisé par le CQ, avec l’appui des STM et de l’ADC, et visant à confirmer la demande sociale
et à mesurer le degré de volonté contributive des populations à participer au co-financement du
système. L’ADC par le biais du PRADEQ, se chargera du volet mobilisation sociale tandis que la régie
municipale s’occupera des dimensions techniques et matérielles, (sélection et formation technique des
prestataires, mise à disposition de matériels). Depuis sa création, le GIE CETOM de Léona bénéficie
d’une subvention mensuelle d’abord du Partenariat Lille/ Saint-Louis136, puis de la Commune. Une
autre partie du financement provient des populations à travers un système d’abonnement mensuel à 500
Fcfa (1 à 2 dollars). Il faut noter que ce GIE a capitalisé toute la phase expérimentale liée aux quatre
GIE test dans la ville. Les erreurs commises par ces derniers en termes de nombre pléthorique de
prestataires, souvent en décalage avec les ressources financières générées par l’activité, et en termes de
gestion organisationnelle et financière ont poussé le GIE de Léona à limiter dès sa création, le nombre
de prestataires à 9 jeunes chômeurs composant son membership:

« Toutes les difficultés que nous avons aujourd’hui, c’est du fait de la mauvaise gestion des premiers GIE
installés dans la ville. Les jeunes n’étaient pas encore mûrs pour gérer un tel projet. Quand quelqu’un qui
passe tout son temps à «dormir» se voit affecter un GIE, une subvention mensuelle, des matériels, une
boutique… il ne peut pas manquer de rencontrer des difficultés pour les gérer. Cet échec des premiers
GIE nous a porté beaucoup de préjudices dans nos rapports avec la Commune. Ce sont des erreurs qu’il
ne faut pas refaire» (N.Y.S, GIE Léona).

Moins d’un an après sa mise en place, le GIE CETOM de Léona se sépare de ses administrateurs
pour ne compter que des membres prestataires voulant ainsi réduire tout risque de hiérarchie interne.
Depuis lors, il semble connaître une stabilité appréciable à travers la régularité de son service de
collecte, la faible mobilité de ses prestataires (les cas d’abandons de prestataires semblent diminuer), les
relations soutenues avec le CQ, son ancrage social dans le quartier et ses bilans financiers régulièrement
présentés à l’assemblée générale annuelle du CQ. C’est en cela que ce GIE est aujourd’hui cité par la
régie municipale, comme étant un GIE modèle présenté aux partenaires lors de visite d’expériences à
Saint-Louis.

On peut systématiser l’évolution du GIE CETOM de Léona autour de deux périodes :

136
Dénommé le Partenariat dans le reste du document
337

1. De 1999 à 2001 : Phase caractérisée par la mise en place du GIE et l’apparition d’une crise
organisationnelle entre les administrateurs et les prestataires;
2. De 2001 à 2004 : Phase de restructuration et de redéploiement du GIE.

7.2. Diagnostic organisationnel du GIE CETOM de Léona

7.2.1 Mode d’organisation et de fonctionnement du GIE CETOM de Léona

Deux déterminants structurent la configuration organisationnelle du GIE CETOM de Léona, à


savoir la crise organisationnelle survenue un an après sa mise en place ainsi que son ancrage
institutionnel au sein du CQ.

Dans le modèle organisationnel initial, le GIE de Léona était structuré autour d’un bureau
composé de 3 administrateurs (soit un président, un secrétaire et un trésorier) et de 6 prestataires qui
s’occupaient des tâches de collecte et d’évacuation des OM. Les administrateurs, chargés de la gestion
administrative et financière du GIE, recevaient les mêmes salaires que les prestataires. Cette
configuration organisationnelle fonctionnera moins d’un an du fait du malaise lié à la hiérarchie qui
semblait sous-tendre les liens entre administrateurs et prestataires. S’y ajoutent l’informalité qui
caractérisait le système de gestion financière et administrative ainsi que le découragement constaté chez
certains prestataires, du fait du décalage entre le rythme de travail et les maigres indemnités mensuelles
(moins de 20 000Fcfa, environ 50 dollars). C’est pourquoi, dès 2001, fut demandé par les prestataires,
l’arbitrage du CQ et des STM concernant le conflit qui les opposait aux administrateurs.

Une restructuration organisationnelle s’en suivra en 2001, débouchant sur la suppression du


bureau et des administrateurs pour ne retenir que des prestataires, diminuant les membres du GIE à 7
personnes. Une gestion collégiale va être promue autour d’un président prestataire élu par ses pairs et
de deux équipes de trois personnes comprenant chacune, un cocher et deux collecteurs d’ordures. Enfin,
furent institutionnalisées des rencontres hebdomadaires afin d’assurer un suivi-évaluation des activités
et des finances. Par ailleurs, avec la suppression du bureau, la gestion financière du GIE fut confiée au
trésorier du CQ. Ce changement établit en même temps de nouvelles procédures dans la gestion
financière avec notamment, une triple signature avant tout décaissement : celle du président du CQ, de
celui du GIE et du trésorier:
338

«En tant que président du GIE, je suis en même temps prestataire au même titre que les opérateurs de
terrain. Je transite entre les deux équipes, presque à chaque 30 minutes. Je suis soit à Léona, soit aux
HLM. De ce fait, même s’il y a un problème, je suis toujours sur place. Ensuite, nous avons décidé de
supprimer le poste de trésorier pour l’affecter au conseil de quartier. Ce qui permet d’éviter de parler de
question d’argent au sein du GIE, car c’est à cause de l’argent que beaucoup de GIE finissent par
«couler». Pour parer à tout cela, nous, on se limite au travail et quand on a besoin d’argent on interpelle
le conseil…Ce mode d’organisation nous permet de savoir chaque jour ce qui se passe dans notre
quartier ainsi que sur le terrain des ordures». (Y.S, GIE Léona).

Une telle restructuration a pu être réalisée grâce au soutien du CQ, qui du point de vue statutaire,
assure la supervision opérationnelle du travail exécuté par le GIE. C’est d’ailleurs dans ce cadre que le
CQ de Léona a décidé de confier la présidence de sa commission environnement au GIE afin de
renforcer sa visibilité dans le quartier et en même temps, élargir la gestion des OM à la promotion du
développement communautaire. La portée de ce soutien apparaît lorsqu’on compare cette expérience
avec celle d’autres GIE ne bénéficiant pas de l’appui d’un CQ. C’est le cas par exemple d’un des
premiers GIE installés à Saint-Louis, celui de Bango, qui rencontre de grandes difficultés à assurer son
ancrage social ainsi que sa solvabilité.

En réalité, les variables à la base de la configuration organisationnelle actuelle du GIE CETOM


de Léona demeurent multiples : la suppression de la hiérarchie entre membres au profit d’une gestion
collégiale, la pratique de démocratie directe promue à travers un mécanisme de suivi-évaluation interne
de la gestion des activités, du matériel et des finances, la diminution du nombre de membres permettant
du coup d’augmenter les indemnités reçues par prestataire et enfin, le rôle d’appui et de suivi du CQ
élargissant la gestion des OM à la promotion du développement communautaire du quartier.

7.2.2 Gestion administrative

Sur le plan administratif, le GIE CETOM de Léona se caractérise par la performance de son
système de gestion administrative et financière. Sur les 9 GIE, il constitue un modèle de transparence
dans la gestion de ses états financiers ainsi que dans l’actualisation de ses outils de gestion
administrative. C’est ce que traduit l’élaboration d’un bilan mensuel des activités et des finances qui est
validé en réunion interne le 13 de chaque mois, coïncidant avec la journée de paie mensuelle. Après
validation interne, les bilans mensuels font l’objet d’un bilan annuel présenté à l’assemblée générale du
CQ. Même si les outils semblent dès fois rudimentaires (des cahiers d’écoliers servent de documents
administratifs), on peut noter une volonté des leaders de laisser des traces. Il faut signaler que cette
situation demeure liée à la fois, aux effets de la restructuration de 2000 qui voulait assainir la gestion
339

organisationnelle, à l’appui du CQ qui a affecté au GIE son trésorier et enfin, à la qualité du leadership.
En effet, l’actualisation des outils de gestion administrative traduit l’engagement personnel de son
président qui y trouve un moyen de démontrer que le travail dans les ordures ne signifie pas un travail
de jeunes marginaux n’ayant aucune ambition dans la vie (cf membership).

Sur le plan de la gestion du personnel, le consensus autour des modalités d’organisation et de


répartition équitable des revenus a beaucoup facilité l’instauration d’un climat social presque familial
entre les membres du GIE. C’est ainsi qu’après le travail, les prestataires se retrouvent généralement le
soir dans l’enceinte de l’écurie pour boire du thé et échanger des idées, transformant ainsi le GIE en un
espace de sociabilité. L’intensité des relations entre membres du GIE constitue un avantage
concurrentiel cimentant la dynamique de groupe tout en renforçant le sentiment d’appartenance et
d’identification. A ce titre, les divers services offerts par le GIE à ses membres ont beaucoup contribué
à renforcer leur rapport identificatoire (cf membership).

7.2.3 Membership

L’activité de collecteur d’ordures et plus généralement tout travail lié aux ordures, souffre d’une
perception sociale péjorative au Sénégal. Jusqu’à une époque récente, elle était considérée comme une
activité dégradante du point de vue social, éprouvante du point de vue physique, et financièrement peu
rentable, exclusivement réservée aux exclus, aux étrangers ou aux talibés mendiants137. Ce fut avec
l’expérience des GIE CETOM que pour une première fois, des résidants du quartier s’y sont investis:

« Notre défi, que nous voulons partager avec tout saint-louisien petit comme grand, c’est de ne plus rester
dans les maisons à ne rien faire, c’est de refuser la facilité et l’oisiveté. Il faut que les habitants de ce pays
comprennent que le travail des ordures est comme les autres types de travaux. On peut le faire, puis
après, être propre et porter des habits corrects comme tout le monde et faire d’autres activités…Il faut
faire comprendre aux gens qu’on a une utilité pour notre famille et pour notre société. Pour nous, les
ordures, c’est de «l’or-dur»...» (Y. S, GIE Léona).

A ce titre, le GIE CETOM de Léona regroupe 7 prestataires membres, tous des hommes se situant
dans une tranche d’âge active (entre 23-46 ans). Ce qui caractérise de prime abord les prestataires, c’est
leur expérience antérieure dans diverses activités caractérisées par la précarité (mécanicien, boulanger,
boutiquier, cocher), démontrant que leur investissement dans l’activité de collecte des OM demeure
expressif de tentatives multiples de recherche d’emploi.

137
Les talibés désignent de jeunes garçons (5-15 ans généralement) qui ne vivent pas avec leur famille et qui
consacrent toute leur jeunesse à l’apprentissage du Coran auprès d’un marabout. Toutefois, certains d’entre eux
passent une bonne partie de leur journée à mendier pour se nourrir ou aider le marabout.
340

Tableau 7.1: Identification des membres du GIE CETOM de Léona (année 2004)

Nom Age Activités antérieures


N.Y .S 46 ans Boulanger, mécanicien, contremaître, employé dans une
usine de décorticage du riz, employé à la marine marchande,
militant associatif, chômeur
A. S 39 ans Vulgarisateur agricole, militant associatif, pêcheur, chômeur
M. S 43 ans Cultivateur, boutiquier, chômeur
P.M D 24 ans Apprenti mécanicien, cocher
M. N 24 ans Gardien de sécurité, boucher
A.B. C 23 ans Cocher, chômeur
P. O 24 ans Chômeur

De l’analyse du cycle de vie des membres du GIE, certaines variables apparaissent structurantes
comme un cycle de vie assez mouvementé, un rapport au religieux marqué et enfin, une dynamique
personnelle d’autopromotion.

Le cycle de vie des prestataires du GIE CETOM de Léona révèle des événements particuliers :
une certaine mobilité durant leur adolescence à travers une longue période d’absence au sein de leurs
familles ainsi que beaucoup de déplacements à l’intérieur du pays ou dans des pays limitrophes
(Mauritanie, Gambie, Guinée), la situation socio-économique précaire de la famille d’origine liée
notamment à des cas de décès, de divorce ou de chute socio-économique des parents justifiant du coup,
une responsabilité familiale précoce des prestataires, un niveau scolaire faible voire inexistant (le
prestataire disposant du niveau scolaire le plus élevé n’a pas atteint le BFEM)138 ou encore, une
expérience professionnelle liée à des métiers manuels ou à des positions d’apprentis. De tels
événements ne permettent pas toujours à ces prestataires de disposer des atouts nécessaires pour accéder
à un marché de l’emploi de plus en plus étroit et exigeant.

Quant au rapport au religieux, il ressort dans les références permanentes des prestataires à Dieu
pour expliquer, voire justifier leur situation et en même temps, se prémunir contre la perception sociale
négative entourant l’activité de collecte des OM. D’ailleurs, c’est la place du religieux qui a poussé un
des prestataires à quitter sa famille durant une dizaine d’années et à délaisser son engagement dans
l’armée afin de suivre son marabout :

138
Brevet de Fin d’Études Moyennes
341

Tableau 7.2: Témoignage d’un prestataire du GIE CETOM de Léona

Je suis né le 7 janvier 1963 et j’ai grandi ici chez mes parents. J’ai fais l’école, j’ai terminé mon cycle primaire et
je suis allé au cycle secondaire jusqu’en troisième. J’ai fais le BFEM mais je ne l’ai pas eu, puis j’ai voulu
m’engager dans l’armée comme soldat. J’ai fait le recrutement, j’étais apte, j’avais mes papiers entre mes mains.
Mais en fin de compte, j’ai choisi volontairement, d’être un «Baye Fall »139. J’ai préféré aller travailler pour le
marabout dans ses champs à Barakhlou pour recevoir sa bénédiction, de 81 jusqu’en 90. Et quand le marabout
était satisfait de notre travail, il nous a libérés en nous demandant de retourner chez nos parents et d’y rester
jusqu’à ce qu’il nous rappelle.

Quand je suis retourné sur Saint-Louis, j’ai fait la culture maraîchère avec Seck qui était à l’ISRA, pendant un an
6 mois. On lui avait prêté un champ. Quand les propriétaires ont repris leurs champs, je suis resté un laps de temps
à ne rien faire. Puis après, j’avais formé avec un ami un GIE pour le nettoiement mais nous n’avons obtenu aucun
marché. Alors durant tout ce temps là, j’ai bénéficié de l’aide de mes parents et de mes frères qui me nourrissaient
et faisaient tout pour moi…

Un jour, j’ai entendu qu’il y avait un projet dans le quartier et qu’on cherchait des gens qui se porteraient
volontaires pour travailler dans les ordures. Quelques temps après, grand Séye et grand Vieux Diop sont venus me
voir pour me parler du CETOM. Et c’est comme cela que je suis rentré dans le CETOM.

Bien vrai que c’est difficile d’avoir une femme et de travailler dans les ordures, mais pour moi, cela fait partie des
épreuves de la vie. Ce sont des tests que Dieu met dans ma vie pour mesurer ma foi et ma croyance en Lui. C’est
très gênant pour ma femme, le travail que je fais surtout par rapport à ses amies, dans un pays comme le
Sénégal…Mais je pense que ma femme non seulement me comprend, mais aussi m’encourage. C’est pourquoi, je
tiens tant à elle...

C’est sûr que lorsque je verrais un autre emploi mieux que le CETOM, je partirais. Mais en même temps, je peux
vous dire que mon principe est clair : «Jap teuwé Bayi» (Continuer ce que l’on fait sans jamais se décourager).
Nous acceptons ce travail parce qu’il n’y a pas d’autres choix dans ce pays. Partout, c’est comme ça, c’est la
situation du pays qui l’exige…»

A.. S, Prestataire du GIE

Enfin, on peut noter une dynamique d’autopromotion constatée chez les prestataires sous-tendue
par un refus de la dépendance, appréciable à travers la multitude de métiers antérieurement exercés (cf.
Tableau 7.1). En effet, au moment de la création du GIE, aucun d’entre eux ne travaillait, si ce n’est des
activités précaires (cocher, apprenti mécanicien). De tels métiers qui offrent une source d’expériences
pratiques relevant souvent de l’artisanat:

«J’ai fait l’école primaire à Dakar, puis j’ai laissé en classe de quatrième. Ensuite, j’ai été apprenti
tailleur dans un atelier. Puis, je suis venu sur Saint-Louis à l’âge de 10-12 ans. Je suis resté pendant
longtemps sans rien faire. J’ai été manœuvre d’un chef maçon, mais ce n’était pas intéressant. J’ai appris
la mécanique pendant un bout de temps dans un atelier de mécanicien, puis j’ai laissé. Ensuite, je me suis
mis à apprendre le métier de cocher. C’est durant cette période, que les responsables du GIE m’ont
appelé. Je remercie vraiment Dieu, grâce à son aide, j’ai pu apprendre au moins quelques 5 à 6 métiers :

139
Le Baye Fall est un personnage central dans la confrérie mouride qui se caractérise par son attachement
indéfectible aux ordres du marabout à qui il voue une adoration sans limite. Dans l’imagerie populaire, le Baye
Fall est perçu comme un individu portant des habits colorés, marchant pieds nus, vivant de mendicité et travaillant
dans les champs du marabout.
342

tailleur, cocher, mécanicien, maçon, manœuvre… Moi, mon problème, c’est de rester à ne rien faire, je
refuse l’oisiveté… Mais dans tous ces métiers, je n’étais que manœuvre ou aide apprenti. C’est pourquoi,
ce métier de cocher dans le GIE est vraiment important pour moi, car c’est là ou je me suis senti
réellement responsabilisé. Ensuite, dans tous ces métiers je vivais au jour le jour. Au moins ici, l’argent
que je reçois est rassemblé à la fin du mois et cela devient plus facile pour moi de pouvoir l’investir
quelque part» (P.M. D, GIE Léona).

Dans ce cadre, le choix d’adhérer au GIE apparaît comme l’expression combinée d’un pis- aller
(en attendant de trouver mieux en l’absence d’un autre choix), d’un défi personnel de réalisation de soi
après multiples tentatives peu réussies et enfin, de défiance de la perception péjorative dont souffrait le
travail des ordures. À noter aussi qu’aucun des membres n’avait eu auparavant une expérience dans le
travail de collecte des ordures. Dans ce cadre, la réussite du GIE est assimilée à une condition
essentielle à la promotion personnelle de ses membres, car au-delà de l’activité de collecte des ordures,
il faut noter une dimension réalisation de soi et une dimension reconnaissance sociale dans le quartier.
Par exemple, l’expertise des prestataires dans la gestion des OM est de plus en plus reconnue par les
populations qui les consultent pour tout problème lié à l’assainissement du quartier:
«Quand nous entrons dans le quartier pour faire notre travail, nous sentons que nous rendons service aux
populations. Nous sommes tous connus dans le quartier et les populations nous interpellent pour tout
problème communautaire. Tous les jours, les habitants nous interpellent sur les problèmes du quartier,
même ceux qui ne sont pas liés à la question des ordures : le problème d’eaux usées, de désordre ou
d’insécurité dans le quartier…Nous avons une satisfaction morale avec ces habitants, nous nous sentons
utiles pour eux et c’est vraiment une forte responsabilité sur nos épaules…Notre souhait, c’est de ne pas
décevoir cet espoir que la population de notre quartier porte en nous, malgré les conditions de travail
difficiles» (P. D, leader GIE CETOM).

Sur un autre plan, le GIE offre divers services à ses membres renforçant ainsi leur rapport
identificatoire : couverture médicale des prestataires et de quatre membres de leurs familles grâce à une
adhésion du GIE à la mutuelle de santé du quartier, divers soutiens lors d’événements familiaux
(baptême, décès…) ainsi qu’un mouton pour la Tabaski à chaque prestataire. Ce geste symbolique a
beaucoup ému les familles des prestataires et a participé à ennoblir socialement l’activité:

«Quand nos jeunes ont amené les moutons chez eux, il y a eu des parents qui ont pleuré de surprise et
de satisfaction devant ce geste inattendu de leur fils. Et depuis lors, chaque « Tabaski » même si cela
devient de plus en plus difficile, on emprunte même des moutons pour les distribuer à tous les
opérateurs. Cela nous permet de relever la tête au sein de nos familles ainsi que dans le quartier» (Y.S,
GIE CETOM).

7.2.4 Vision stratégique

Les projets majeurs poursuivis par le GIE CETOM de Léona concernent la construction d’un site
relais et d’une écurie ainsi que l’amélioration des conditions de travail des prestataires. L’absence de
343

site relais rend difficile le problème de l’évacuation des OM collectées qui font simplement l’objet de
déplacement en dehors du quartier tout en constituant une surcharge de travail pour les chevaux obligés
chaque jour de faire des rotations supplémentaires pour sortir les ordures collectées du quartier. Quant à
l’absence d’écurie, elle présente des risques quant aux conditions de sécurisation des chevaux et du
matériel de travail. Le GIE s’est vu affecter par la société des HLM une partie de sa station de pompage
à des fins d’écurie. Celle-ci se présente comme un hangar construit sur fond propre grâce à une
subvention d’une ONG allemande, Help Alliance.

Quant à l’amélioration des conditions de travail des prestataires, elle ne concerne pas seulement
le renouvellement du matériel de travail (gants, bottes, blouses, charrettes…). Elle traduit surtout la
frustration constatée chez les prestataires du GIE concernant le décalage entre la nature éprouvante de
l’activité de collecte et d’évacuation des OM et le caractère dérisoire des montants des indemnités
mensuelles.

En réalité, l’ampleur prise par les problèmes opérationnels liés aux chaînons manquants dans le
processus de collecte et d’évacuation des OM, à savoir l’absence de site relais et d’une écurie, renforce
la logique opérationnelle du GIE CETOM de Léona au détriment de la systématisation d’une vision
prospective et globale. Toutefois, l’absence d’une telle vision positionne le GIE dans la gestion de la
quotidienneté le privant ainsi d’éléments déterminants dans la négociation de ses relations et de son
statut avec les acteurs stratégiques comme la Commune (cf rapport aux collectivités locales).

7.3. Performance socio- économique du GIE CETOM de Léona

7.3.1. Évolution socio-économique

Les résultats financiers du GIE CETOM de Léona révèlent, de 2000 à 2002, une évolution
positive des produits d’exploitation. Mais celle-ci va être absorbée par l’augmentation sensible des
charges d’exploitation, révélant ainsi la fragilité de sa performance socio-économique.

Tableau 7.3: Résultats financiers du GIE CETOM de Léona en Fcfa de 2000 à 2002
Rubriques / Années Année 2000 Année 2001 Année 2002
Produits d’exploitation 4 139 000 4 248 000 4 603 000
Charges d’exploitation 3 910 000 4 144 000 4 645 716
Résultat d’exploitation + 229 000 - 104 000 - 42 716
Source : Rapport du GIE CETOM de Léona
344

Pourtant durant sa première année d’existence, le GIE a pu réaliser un excédent financier de plus
de 200 000Fcfa (500 dollars). Mais du fait de l’augmentation constante des charges d’exploitation liée
notamment à l’enchérissement de la nourriture des chevaux, aux multiples frais de réparation du
matériel devenu désuet ainsi qu’à l’achat imprévu d’un cheval en 2002, il devenait difficile de maintenir
un tel excédent. C’est ce qui explique le déficit constaté dés 2001. Même s’il est en passe d’être
maîtrisé (entre 2001 et 2002, il est passé de 104 000 à 42 000Fcfa), ce déficit traduit le fait que la
solvabilité de l’activité de gestion des OM reste en grande partie liée à un soutien durable et approprié
des pouvoirs publics et des partenaires au développement.

7.3.2. Performance du GIE CETOM de Léona

Le GIE CETOM de Léona dispose de deux sources de revenus, à savoir la contribution des
ménages abonnés et la subvention municipale. L’augmentation constante des ressources générées par
les abonnements traduit corrélativement celle du nombre de ménages abonnés (cf. Tableau No32).
Celui-ci est passé de 389 à 467 entre 2000 et 2002, rompant ainsi la tendance constatée dans d’autres
quartiers où, après l’euphorie de la premiére année d’existence, le nombre d’abonnés s’estompe. Cette
augmentation constante du nombre d’abonnées sanctionne l’efficacité du service offert par le GIE
(régularité de la collecte et qualité du service) à la base de la satisfaction des populations.

Tableau 7.4: Comparaison des sources de financement du GIE CETOM de Léona (Fcfa)

Années Nombre annuel de Contribution annuelle Contribution annuelle Total annuel


ménages abonnés des ménages de la Municipalité des revenus
2000 4 678 2 339 000 1 800 000 4 139 000
2001 4 976 2 448 000 1 800 000 4 248 000
2002 5 606 2 803 000 1 800 000 4 603 000
Totaux 7 590 000 5 400 000
Source : Rapport du GIE CETOM de Léona

Le fait que cette contribution locale ait pu dépasser la subvention communale (cf Tableau No32)
démontre que la situation de précarité n’explique pas toujours l’évasion fiscale, mais appelle plutôt de
nouvelles modalités d’organisation misant sur l’implication des usagers dans l’arrimage de l’offre et de
la demande :

«Comme vous le savez, les populations ne paient pas d’impôts dans ce pays. Seuls les fonctionnaires que
l’on compte sur les doigts de la main au Sénégal et les grands commerçants paient des impôts. Mais
comme vous l’avez vu, les GIE ont réglé ce problème en amenant les populations à s’abonner et à payer
à chaque fin de mois le service que nous leur offrons alors que la Commune n’a jamais pu leur faire
345

verser la TOM (…). Je répète que sans eux, le système ne fonctionnerait pas. Ce n’est pas la subvention
de la Commune qui maintient en activité le GIE, ce sont les abonnements des ménages qui le font
tourner » (Y. S, GIE Léona).

L’innovation sociale introduite par le GIE réside dans la promotion du cofinancement du système
CETOM à l’échelle du quartier en amenant les populations à contribuer à la prise en charge du service
public local. La portée d’une telle innovation est à comparer au système conventionnel de gestion des
OM basé exclusivement sur du financement public ainsi qu’aux difficultés récurrentes des collectivités
locales à recouvrer la taxe sur les ordures ménagères (TOM). Comme le confirme le tableau suivant, de
1996 à 1999, le recouvrement de la TOM dans la ville de Saint-Louis a baissé de prés de 50% du fait de
la carence du service de perception municipale ainsi que de la faible volonté et/ ou capacité contributive
des populations.

Tableau 7.5: Etat du recouvrement de la TOM par la Commune de Saint-Louis


Années 1996 1997 1998 1999
Montant recouvert
(Fcfa) 21 640 645 21 640 466 18 412 608 12 357 288
Source : Burgéap/ AFD, 1999 : 6.

Il faut signaler que la décision prise par le GIE de Léona, partagée d’ailleurs avec les huit autres
GIE CETOM de la ville d’affecter les revenus tirés des abonnements comme salaires des prestataires,
constitue un mécanisme incitatif participant de la motivation de ces derniers. C’est cela qui explique
entre autres, le volontarisme dont font montre les prestataires qui n’hésitent pas à travailler dans des
conditions souvent difficiles (pluie, inondations, faible sécurité au travail…) comme le laisse
transparaître le rapport du GIE à l’assemblée générale du Conseil de Quartier:

« Pendant ses trois premières années d’existence, le GIE CETOM de Léona, au vu des chiffres qui
évoluent d’année en année, mérite d’être soutenu sur tous les plans pour avoir fait ses preuves dans la
micro entreprise où l’esprit du professionnalisme règne au sein du groupe. Ce degré de professionnalisme
a permis la satisfaction de la demande sociale avec comme indicateur une augmentation constante du
nombre d’abonnés, renforçant ainsi les capacités d’insertion socio-économique du GIE» (Rapport du
président du GIE, 23 juin 2003).

Par ailleurs, en dehors de son aspect financier, la performance du GIE CETOM de Léona
comporte également des dimensions plurielles notamment d’ordre socio-économique et socio-
environnemental140 en lien avec son triple objectif d’amélioration de la salubrité du quartier, de lutte
contre le chômage chez les jeunes et enfin de promotion de la participation des populations (Ndiaye,
2005). Sur le plan socio-économique, les opportunités d’insertion offertes par le GIE à ses prestataires

140
L’aspect socio-politique étant analysé dans la partie relative au rapport au développement local.
346

leur ont permis de sortir d’une situation de chômage chronique pour prendre part à une expérience
d’auto emploi non salarié.

Tableau 7.6: Salaires distribués par le GIE CETOM de Léona

Année Salaires distribués (en FCFA) Nombre de prestataires


2000 2 339 000 9
2001 2 448 000 7
2002 2 803 000 7
Source : Rapport du GIE CETOM de Léona

Malgré les handicaps dont souffrent les prestataires en arrivant sur le marché du travail (faible
niveau de scolarité, expérience professionnelle liée à des métiers manuels...), le GIE leur a offert des
opportunités d’emplois. Les indemnités distribuées n’ont cessé d’augmenter de 2000 à 2002 passant de
2 339 000 à plus de 2 800 000Fcfa permettant ainsi aux prestataires de se retrouver avec des indemnités
mensuelles supérieures à celles perçues par les employés de la régie municipale :

« Les deux derniers mois, chaque opérateur a perçu la somme de 37 500. On a du diminuer cette somme
ce dernier mois, à cause des problèmes de recouvrement dans le quartier du fait des cas sociaux... C’est
pourquoi, ce dernier mois, les opérateurs n’ont perçu chacun que 34 210. Le premier mois d’activité du
GIE, on payait 22 500 à chaque opérateur, puis 35 000. Actuellement, on est à 37 500 alors que les
employés communaux ne gagnent pas plus de 25 000 par mois » (M. N, CQ de Léona).

En dehors des salaires, le GIE offre divers services sociaux à ses membres comme l’adhésion à la
mutuelle de santé du quartier ainsi que la gratification d’un mouton à chaque fête de Tabaski (cf
membership). En outre, l’activité de collecteur d’ordures comporte des dimensions psychologiques
déterminantes pour des jeunes à la recherche d’emploi comme la réalisation de soi, l’apprentissage de
l’auto promotion tout ou renforçant la reconnaissance sociale des prestataires perçus comme des jeunes
mobilisés au service de leur quartier. De même, à travers l’activité du GIE, les prestataires ont pu
acquérir un métier et renforcer leur capital technique grâce aux sessions de formation141 mises en œuvre
par la régie municipale, que complète une connaissance acquise sur le tas en matière de traitement des
chevaux et de gestion des ordures. C’est pourquoi, leur expertise est de plus en plus reconnue pour tout
problème lié à l’assainissement liquide et solide du quartier. Enfin, on ne manquera pas de signaler
l’impact structurant de l’activité du GIE en termes de contribution à la dynamisation du marché local
(vente de chevaux et de la nourriture, impact sur l’artisanat local concernant la construction ou la

141
Le GIE a bénéficié de plusieurs modules de formation offerts par la Commune portant sur la gestion technique
des ordures, la gestion des ressources animales, la gestion organisationnelle, administrative et financière d’une
micro entreprise…
347

réparation des charrettes ou encore l’harnachement, promotion de métiers connexes à l’activité comme
recycleurs, vendeurs de compost, palefreniers…).

Sur le plan socio-environnemental, l’efficacité du système CETOM, articulant la régie municipale


au travail des 9 GIE de quartier, demeure attestée par le fait qu’il permet d’assurer la collecte de 60 %
des ordures produites dans la ville de Saint-Louis, soit prés de 105 000 mètres cubes par an (ADC,
2002 : 8). Dans ce cadre, la suppression des dépôts sauvages a constitué le premier test de légitimation
du GIE qui aura permis notamment de libérer des terrains laissés vacants transformés, désormais en
terrains de football pour les jeunes du quartier, et d’assainir les berges du fleuve qui constituent la
frontière naturelle du quartier:

« Quand on démarrait le GIE, la première difficulté était liée au site de notre quartier. Nous avons un
quartier qui s’inonde très rapidement dès la première pluie. Ensuite, tout le monde sait que là où il y a des
ordures et des dépôts sauvages, l’inondation constitue un risque grave engendrant des maladies, des
moustiques…C’est pourquoi, notre objectif dès le début a été de promouvoir un environnement sain en
rendant la vie plus agréable dans le quartier et lutter contre certaines maladies liées à l’insalubrité comme
la galle ou la diarrhée….Depuis qu’on est là, ces genres de maladies ont presque disparu du quartier ».
(M.N, CQ de Léona).

Le GIE avait mis en place dès sa création une vaste campagne de sensibilisation des habitants du
quartier suivie de l’organisation d’opérations Augias, en relation avec la régie municipale, le conseil de
quartier et d’autres associations. C’est seulement au niveau du sous secteur Léona Pik situé aux abords
des rails que le GIE n’a pu évacuer le dépôt sauvage qu’il partage d’ailleurs avec d’autres quartiers
environnants. C’est dire que la salubrité au sein du quartier de Léona a été beaucoup améliorée sans
parler des effets sur la santé, la qualité de vie ainsi que sur l’image du quartier.

La performance socio-environnementale du GIE CETOM de Léona peut également être appréciée


à travers son taux de couverture du quartier qui demeure l’un des plus élevé sur le territoire de la ville, à
savoir 52 % contre une moyenne urbaine de 35%.

Tableau 7.7: L’impact des GIE CETOM dans les quartiers cibles

Quartiers Nombre Nombre Taux de


d’opérateurs d’abonnés couverture
Bango 8 70 16%
Diamaguéne 8 300 41%
Eaux- Claires/ Diaminar 12 500 47%
Goxumbathie 7 300 11%
Guet Ndar 6 224 26%
Léona 7 420 52%
Médina Courses 4 100 24%
348

Ndar Toute 6 242 38%


Ndiolofféne 7 310 52%
Totaux 66 2466 Moyen : 35%
Source : ADC, 2002. Etat des lieux des GIE CETOM.

Cette performance est à lier au professionnalisme dont fait montre le GIE dans son organisation
du travail. En effet, on note un découpage territorial du quartier en deux grands secteurs et la
détermination de commun accord avec les populations, des heures de collecte en fonction des secteurs
définis. Les deux secteurs sont constitués des HLM, espace déjà viabilisé et le secteur Léona où
subsistent des poches de pauvreté. A chaque secteur, est affectée une équipe de travail de trois
personnes constituée d’un cocher et de deux preneurs d’ordures, le président du GIE faisant la navette
entre les deux équipes en fonction du volume de travail. Du lundi au vendredi, chaque équipe suit le
même trajet en collectant à la porte des maisons les OM à des heures précises pour les déverser dans le
site situé à l’extérieur du quartier :

«Vous savez maintenant, chaque ruelle du quartier a son heure de passage. A partir de 8h30, les
charrettes sont prêtes : une charrette va à droite pour le secteur des HLM, l’autre va dans la direction de
Léona. Donc, quant l’équipe démarre à partir de 8h30, à 9h, elle doit être aux environs de la maison de
Ndiagua Touré. Les mardis où il n’y a pas assez d’ordures, à 9h, la charrette des Hlm doit arriver sur le
Parking du secteur. Donc, ce sont des circuits de collecte très bien maîtrisés par les abonnés. Maintenant,
à chaque matin, les femmes ont le réflexe de sortir leurs ordures devant la porte de leur maison… Savez-
vous le premier jour de collecte à quelle heure on a fini le travail? On est parti à 8h30, on est rentré à
17h30 du soir…» (Y. S, GIE Léona)

La détermination négociée du découpage sectoriel du quartier, du circuit de collecte et des heures


de passage des charrettes renseigne sur une régulation locale des OM au sein du quartier142. En cela, le
GIE apparaît comme un espace de médiation sociale dans la détermination d’un service public de
proximité en relation avec les populations (Ndiaye, 2005). A ce titre, le fait que les prestataires du GIE
soient des jeunes issus de familles résidant le quartier, a beaucoup aidé dans l’appropriation locale du
système:
« L’impact de notre GIE, c’est d’abord l’appropriation sociale du système. Jusqu’à une époque récente,
faire gérer les ordures aux populations était impensable. Les gens avaient l’habitude de dire : «La rue
appartient au Roi, elle n’appartient à personne. Donc, je peux faire ce que je veux sans être inquiété... »
Mais aujourd’hui, aucune femme n’ose déverser ses ordures dans la rue parce que ce sont les autres
femmes qui vont réagir avant même de nous en informer…» (Y. S, GIE Léona).

Toutefois, malgré sa performance plurielle tant au niveau socio-économique et socio-


environnemental qu’au niveau des modalités de production et de distribution de services, le GIE
CETOM de Léona rencontre beaucoup de défis. C’est d’abord l’augmentation constante des charges

142
Une telle idée est confirmée pour d’autres villes africaines comme Abidjan (Leimdorfer, 2003).
349

d’exploitation à travers la surenchère des prix relatifs à la nourriture des chevaux, notamment durant
l’hivernage. Ainsi, en 2002, la nourriture à elle seule recouvrait 62 % des charges d’exploitation passant
de 800 000 à plus d’un million de Fcfa entre 2000 et 2002.

Tableau 7.8: Décomposition des charges d’exploitation du GIE CETOM de Léona


Rubriques / Années 2000 2001 2002
Nourriture des chevaux 819 930 987 000 1 138 500
Factures (carnets de reçu, téléphone) 118 605 162 000 216 791
Ordonnances, mutuelle de santé 38 770 65 000 48 000
Réparations et harnachement 195 695 277 000 439 425
Mouton Tabaski personnel 398 000 105 000 0
Montage hangar (écurie) 0 100 000 0
Sous total 1 571 000 1 696 000 1 842 716
Salaires des prestataires 2 339 000 2 448 000 2 803 000
Total des charges d’exploitation 3 910 000 4 144 000 4 645 716
Source : Rapport du GIE CETOM de Léona

Une autre charge importante du GIE peut être trouvée dans les dépenses consacrées aux
réparations et au harnachement qui ont été presque doublées entre 2001 et 2002, absorbant tous les
bénéfices générés. Cela témoigne, des effets pervers liés à la vétusté du parc de matériels du GIE quant
à la rentabilisation de son activité. Toutefois, il faut noter que le montant dépensé pour cette rubrique
durant l’année 2002 couvre l’achat d’un nouveau cheval à la suite de la mort par électrocution du
cheval fétiche du GIE nommé «Black». Du fait de l’absence d’appui de la Commune pour acheter un
autre cheval, le GIE a dû contracter une dette de 2 185 000 Fcfa auprès du conseil de quartier pour
pouvoir renouveler son parc équin. On peut signaler que sans cette dépense imprévue, le GIE aurait pu
équilibrer son budget en 2002 et même faire un excédent (déficit de prés de 45 000 Fcfa). C’est
d’ailleurs l’augmentation constante des charges d’exploitation durant l’année 2002 qui a amené le GIE
à n’avoir pas pu renouveler la gratification d’un mouton de Tabaski qu’il offrait à ses membres chaque
année. Par ailleurs, du fait des inondations cycliques que connaît le quartier de Léona à chaque
hivernage liées à la nature du site du quartier et à l’absence de couverture complète du réseau de
drainage des eaux usées), les problèmes d’accessibilité au quartier occasionnent un arrêt de la collecte,
entraînant ainsi un chômage temporaire des prestataires. Toutefois, la réalisation d’un réseau de
drainage des eaux usées réalisées par la Commune, avec l’appui du Projet d’Appui aux Communes est
en passe d’alléger ce fardeau.

De tels résultats financiers traduisent les risques que la faible rentabilisation du travail du GIE fait
courir à la pérennité du système si la Commune ne garantit pas en dehors de sa subvention mensuelle,
un renouvellement du matériel de travail ainsi qu’un appui financier approprié prenant en compte
350

l’évolution des prix du marché. C’est dire que le déficit constaté dans le budget du GIE CETOM,
résulte en partie du déficit de soutien de la Commune aux GIE (cf rapport aux collectivités locales). Il
reste que l’exploitation des niches d’activités comme le traitement et le recyclage des OM pourrait
ouvrir des perspectives en matière de rentabilisation des GIE CETOM. Cette perspective pourrait
donner naissance à d’autres types de GIE, sans parler de ses effets sur l’emploi, sur la diversification
des sources de revenus ou encore sur la création de ressources énergétiques. Mais, une telle perspective
pourtant prévue dans le projet initial CETOM, demande de la volonté politique, des moyens substantiels
ainsi qu’une vision plus professionnelle de la part des GIE qui les amènerait à orienter leur logique
d’action vers une ressourcerie143.

Par ailleurs, l’absence d’un site relais et d’une infrastructure de transformation des ordures,
rompant ainsi la chaîne de collecte, d’évacuation et de traitement des OM pousse le GIE à déverser les
ordures collectées dans des dépôts sauvages situés en dehors du quartier, conduisant plus à un
déplacement des OM qu’à une évacuation. Actuellement, c’est le jardin d’essai situé dans un quartier
environnant qui sert de lieu de dépôt sauvage après l’épuisement du site situé sur le long des rails. Ces
déplacements fréquents vers des sites de dépôts de plus en plus éloignés par rapport au quartier
engendrent une surcharge de travail ainsi qu’une perte de temps avec les nombreuses rotations qu’elles
induisent (8 rotations les lundi et mardi). D’autres défis concernent les conditions de travail précaires
des prestataires liées notamment à l’absence de sécurités de travail. Il s’agit notamment du décalage
entre les faibles salaires et l’ampleur du travail, de l’absence de protection sociale (gants, blouse…) et
d’assurance des prestataires (si ce n’est la mutuelle de santé), de la faible perspective de carrières, des
accidents de travail…De tels risques posent comme enjeu la promotion d’un travail décent au sein des
GIE CETOM (OIT, 1999). A cela, s’ajoutent des rapports parfois difficiles entre prestataires et certains
abonnés. En dehors de l’absence de triage des ordures ménagères et de poubelles réglementaires (des
sceaux et des sacs font office de poubelles), des relations heurtées opposent souvent certains
prestataires aux femmes:

« On supporte n’importe quoi dans ce travail et j’ai l’impression que les femmes déchargent dès fois sur
nous leurs problèmes de ménage. Quand leur sceau à usage d’ordures est cassé ou disparaît, elles nous
tiennent pour responsables…. Je vous dis que les abonnés ne nous respectent pas, nous les opérateurs.
Les femmes nous traitent comme si nous étions des ordures. Mais, il faut savoir que notre « mougnie144»
a ses limites» (A. Sy, GIE Léona).

143
Une ressourcerie est un espace de réception, de mise en valeur et de mise en marché de matières résiduelles par
un organisme à but non lucratif positionné autour de trois axes de développement, d’ordre environnemental,
économique et social. Elle valorise le recyclage des déchets tout en favorisant l’insertion socio-économique et la
formation technique de personnes issues du milieu en leur offrant des emplois durables. En outre, elle intervient
dans l’éducation à la vie environnementale des populations. Cf www. reseauressourceries.org
144
Patience, la docilité…
351

Ainsi, le GIE CETOM de Léona demeure une structure performante tant dans la collecte régulière
des OM chez l’habitant, dans la promotion de la salubrité du quartier et dans l’insertion socio-
économique des jeunes que dans l’implication des populations au cofinancement du service public
transformé en service proximité. Sa performance plurielle demeure porteuse d’effets structurants sur les
plans socio-économique et socio-environnemental. Toutefois, les contraintes structurelles rencontrées
risquent de réduire la portée de ce type d’entrepreneuriat durable si la Commune de Saint-Louis,
responsable de la gestion des OM ainsi que ses partenaires, ne lui garantissent des conditions
d’expansion minimale en termes de moyens financiers et matériels nécessaires à la chaîne de collecte,
d’évacuation et de traitement des OM. C’est dire que l’analyse des rapports entretenus avec la
Commune demeure un déterminant à la performance du GIE CETOM de Léona.

7.4. Rapport au développement local

7.4.1 Ancrage socio-territorial du GIE CETOM de Léona

Contrairement à certains GIE CETOM qui font des «hors zones»145, le GIE de Léona se
caractérise par un ancrage marqué sur le territoire de son quartier d’intervention. Son service de collecte
des OM couvrant tous les secteurs du quartier a permis de réduire la ségrégation spatiale dans l’accès
aux services publics locaux. Parce qu’étant plus englobant, son objectif de rendre le quartier plus
salubre l’a amené à intégrer la suppression des dépôts sauvages existants dans le quartier ainsi que les
«cas sociaux», c’est-à-dire ces populations très démunies ne pouvant payer leur abonnement mensuel,
dans le but d’éviter l’émergence de nouveaux dépôts sauvages. Cet ancrage territorial du GIE de Léona
est sanctionné par son taux de couverture le plus élevé dans la ville ainsi que par la nature de ses
relations avec les populations:

«Nous avons de bonnes relations avec la population, malgré certains problèmes…Je peux dire que
contrairement à beaucoup d’autres quartiers, les populations de Léona respectent de plus en plus le type
de travail que nous faisons. Je pense qu’elles ont cet état d’esprit de bien nous considérer, parce que
parmi les prestataires, se trouvent leurs enfants, leurs neveux, leurs frères, leurs amis…Certains habitants
ne sont pas abonnés en évoquant des problèmes financiers, mais nous leur prenons les paniers d’ordures
pour éviter qu’ils créent des dépôts sauvages dans le quartier. Il y a aussi d’autres personnes qui refusent
tout simplement de s’abonner parce que pour eux, c’est la Commune qui devrait assurer le service…»
(Y. S, GIE Léona).

A ce titre, en dehors de son effet sur la promotion du civisme fiscale, la contribution financière
des habitants devient un préalable pour exiger un service public local de qualité, permettant ainsi aux

145
Terme consacré dans le milieu pour désigner les GIE qui en plus de leur quartier cible, investissent d’autres
quartiers limitrophes ou font de la prestation de services auprès de particuliers en vue d’augmenter leurs gains.
352

abonnés d’avoir un droit de regard sur le travail des prestataires et sur la gestion de services publics
locaux désormais transformés en un service de proximité :

«Quand la population prend en charge le GIE en le payant, elle exerce à avoir un droit de regard et de
contrôle sur les activités du GIE. Moi, si je ne fais pas bien mon travail, la Commune n’y saura rien, c’est
la population de mon quartier qui sera d’abord indisposée par cela. C’est pour cela que nous nous
sacrifions tant. » (A. Sy, GIE Léona)

C’est dire que l’ancrage socio-territorial du GIE CETOM de Léona a permis de transformer les
OM en un service de proximité dont les modalités sont construites conjointement avec la Municipalité,
les STM, mais surtout avec les populations reconnues non pas comme bénéficiaires, mais comme
parties prenantes à la construction d’une dynamique d’autorégulation territorialisée de la salubrité
publique. Participant du renforcement de l’empowerment local, une telle dynamique peut s’apprécier à
travers le fait que les femmes du quartier acceptent de moins en moins qu’on jette les ordures sur la
voie publique, exprimant ainsi une appropriation de l’espace du quartier comme partie intégrante du
cadre de vie et non plus comme «l’espace du Roi», c’est-à-dire un espace anonyme. A ce titre, les
activités du GIE favorisent le renforcement du sentiment d’appartenance territoriale particulièrement au
niveau des femmes au quartier habituellement responsables des OM au sein de l’espace domestique.

D’autres dimensions de l’ancrage du GIE peuvent être également appréciées à travers les
opportunités d’insertion socio-économique offertes aux prestataires résidant dans le quartier ainsi que
dans la forte implication du GIE aux activités du conseil de quartier, inscrivant ainsi son action dans
une perspective de développement local. D’ailleurs, les premiers résultats du GIE CETOM ont fourni
des éléments de crédibilisation de la démarche du CQ, cherchant à démontrer aux populations que le
processus de développement local ne se limite pas seulement à l’organisation de forums ou de réunions
mais peut aboutir à des réalisations concrètes. C’est dire que l’ancrage socio-territorial des GIE
CETOM est porteur d’externalités positives qui font de l’entrepreneuriat durable, un lieu de compromis
hybridant des formes de coordination multiple d’ordre domestique, marchand, solidaire, public et
écologique (Enjolras, 1993; Hillier et all, 2004). Ce compromis entre diverses formes de coordination
de l’action humaine intègre l’entrepreneuriat durable dans une totalité sociale, impliquant un
empowerment des acteurs sociaux (habitants et groupes sociaux) sur les modalités de gestion de leur
territoire.

7.4.2. Réseautage local


353

Le GIE de Léona participe à deux réseaux, le CQ de Léona et le Collectif des GIE CETOM. Le
CQ est le promoteur de la mise en place du GIE CETOM qui constituait un des projets majeurs issus de
l’élaboration du plan de développement du quartier:

«Après l’élaboration de notre PDQ, nous avons fait une demande d’installation d’un GIE CETOM dans
notre quartier. Cette demande a été transmise à la Commune par l’intermédiaire de l’ADC. Déjà,
beaucoup de quartiers environnants disposaient de GIE, sauf Léona. C’est pourquoi, nous avons écrit
rapidement une lettre et avec l’appui de l’ADC, la Mairie et ses partenaires sont venus installer le GIE».
(M. N, CQ de Léona).

En tant que partenaire stratégique du GIE, le CQ lui apporte divers types d’appuis :
intermédiation avec la Commune et avec les partenaires au développement, médiation sociale avec les
habitants, appui technique en mettant à sa disposition son trésorier et enfin, supervision de ses activités.
Par exemple, c’est grâce au CQ que le GIE a reçu l’appui financier de l’ONG Help Alliance pour
réaliser des travaux relatifs à l’aménagement de la station de pompage en vue de constituer une écurie
provisoire. En outre, en déléguant au GIE sa commission Environnement, le CQ lui a permis de
renforcer sa vision socio-territoriale et sa position dans la vie publique locale. Les résultats positifs du
GIE amèneront le CQ à encourager l’émergence dans le quartier d’autres types d’entreprises
communautaires, à l’image de la mutuelle de santé et du GIE de transformatrices de fruits et légumes.
Par ailleurs, notons que le GIE CETOM de Léona a cherché à mobiliser les élus municipaux résidant le
quartier pour faire pression sur la Commune concernant ses demandes de renouvellement du matériel,
de construction d’écurie et de sites relais. Toutefois, les réponses mitigées reçues jusqu’à présent,
démontrent que les élus locaux semblent plus répondre de leur parti politique que de leurs mandants.

Le GIE CETOM de Léona est également membre d’une structure fédérative, dénommée
«Collectif des GIE CETOM de Saint-Louis». Créé durant l’année 2000, le Collectif se veut d’être une
structure de promotion, de représentation et de défense des intérêts des GIE CETOM. Plusieurs activités
peuvent être mises à l’actif du Collectif. Par exemple, la mise en place d’une caisse de solidarité dans le
but de venir en aide aux GIE en difficulté ainsi que l’organisation de plusieurs séances de
sensibilisation des populations pour contribuer à l’augmentation des taux d’abonnement. Il faut rappeler
que la création de cette structure en 2000 répondait au vide institutionnel lié au retrait du principal
bailleur du projet CETOM, à savoir le Partenariat Lille/ Saint-Louis. Le portage du projet CETOM par
ce dernier s’était accompagné d’une mise à disposition de moyens importants. Son retrait, que
n’arrivaient pas à combler les finances municipales, a engendré un vide institutionnel ainsi qu’un
flottement financier sur le suivi du système:
354

« Quand le Partenariat s’était retiré du projet Cetom, il n’y avait personne pour assurer le lien entre les
GIE et l’extérieur. Notre autorité, c’était le partenariat à travers son chargé de programme CETOM. A
leur départ, il y a avait un vide presque total. On n’avait plus d’interlocuteur et c’est d’ailleurs une des
raisons qui explique la naissance de ce collectif » (I. D, Collectif GIE CETOM).

Cette initiative des GIE sera peu soutenue à ses débuts par la Commune, surtout par les services
techniques municipaux. Les réponses mitigées de ces derniers assimilant le Collectif à un syndicat,
traduisaient une volonté de le réduire à un relais de ses directives en direction des GIE. C’est pourquoi,
les STM continueront à traiter directement avec les GIE, ignorant l’existence du Collectif. Cette attitude
poussera d’ailleurs certains GIE à hésiter de rejoindre le mouvement:

«Au début, les services techniques municipaux n’étaient pas d’accord sur notre projet de créer un
Collectif. Ils avaient peur que ce dernier ne soit transformé en un syndicat des GIE. Ainsi, même certains
GIE étaient réticents à l’idée de créer un Collectif. Nous avons essayé de les convaincre sur le fait qu’on
n’allait pas en guerre contre personne et que c’était seulement pour défendre nos intérêts. On a du par la
suite reprécisé notre mission et maintenant tout le monde a adhéré en masse, à la fois les GIE et les
autorités municipales» (I.D, Collectif GIE).

Actuellement, les principales missions du Collectif concernent l’appui aux GIE dans l’atteinte de
leurs objectifs, le rapprochement entre GIE ou encore la recherche de partenaires en vue de contribuer à
pérenniser le système CETOM. C’est dire que durant ses premières années d’existence, le principal
travail du Collectif consistait à rechercher la reconnaissance de la Commune en essayant de convaincre
les STM du bien fondé de sa mission, aboutissant à réviser son orientation autour d’une vision plus
partenariale que syndicale. Depuis lors, les relations semblent être beaucoup plus assainies, comme le
confirme l’implication du Collectif à la réception de matériels ou lors de visites des partenaires. Par
exemple, lorsque la Commune a reçu quelques chevaux du Ministère de l’environnement, elle a
demandé au Collectif d’en faire la distribution auprès des GIE CETOM demandeurs.

Toutefois, le discours ambiant au niveau des responsables du GIE est à la recherche d’une plus
grande autonomie par rapport à la Commune, en cherchant à diversifier les partenaires et en
ambitionnant de se transformer en une ONG d’appui. Il reste que le Collectif révèle un poids socio-
politique faible, au vu du nombre de GIE existants (9 sur 22 quartiers) et de la nature de ses relations
avec les STM. De telles relations semblent être dominées par la logique de commandement et
d’encadrement administratif des STM, ce qui semble être loin du discours des élus municipaux
concernant la responsabilisation des populations.

7.4.3. Dynamique partenariale


355

7.4.3.1. Rapport aux collectivités locales

Les relations intenses entre la Commune et les GIE CETOM tiennent au fait que ces derniers
constituaient le projet expérimental du processus de développement local initié à Saint-Louis au début
des années 1990. En effet, c’est à travers un tel dispositif que la Commune de Saint-Louis a voulu
expérimenter un nouveau mode de gestion urbaine soutenu par la coopération décentralisée. En dehors
de son choix d’installer un GIE dans un quartier cible, la Commune apporte un appui diversifié en
termes d’accompagnement technique, de dotation de matériels de démarrage, de chevaux, de versement
d’une subvention mensuelle et de formations spécifiques liées à l’activité. Cet appui multiforme de la
Commune aux GIE est assuré par deux structures infra-municipales. Maîtres d’œuvre délégué, les STM
sont chargés de la mise en œuvre opérationnelle du projet CETOM, de l’encadrement technique et du
suivi opérationnel des activités des différents acteurs du nettoiement. A côté, une structure d’ingénierie
sociale, à savoir l’ADC va assurer l’accompagnement des GIE CETOM en promouvant leur articulation
avec les CQ, l’interface avec les partenaires et la réalisation d’études de suivi-évaluation du système.

La portée socio-politique de l’activité du GIE CETOM de Léona peut être analysée sous l’angle
de sa valeur ajoutée comparativement au système conventionnel de gestion des OM comme l’indique le
tableau suivant. A ce titre, la co-production des OM renseigne sur la recomposition de l’architecture
institutionnelle locale qui dénote d’une part, une pluralité de parties prenantes et d’autre part, un
repositionnement de certaines d’entre elles autour de nouvelles fonctions.

Tableau 7.9: Comparaison des systèmes de gestion des OM

Éléments Système conventionnel Système de gestion partagée


comparatifs 1960- 1980 Années 1990
Acteurs Monopole public ou bipolarité Régie municipale, sociétés parapubliques et
stratégiques public/ privé privées, GIE Cetom, et habitants
Approche Centralisée, techniciste et sectorielle approche filière : partenariat, subsidiarité,
avec utilisation de matériels lourds combinaison matériel lourd et système à
traction équine
Orientation Les OM, une contrainte à éliminer Les OM, une ressource locale dans un
processus d’écologie urbaine
Zone Grands artères de la ville Grands artères et quartiers défavorisés par
d’intervention souci d’équité
Mode de Public + partenaires Public + partenaires + populations abonnées +
financement volontariat des prestataires
Résultats Efficacité et efficience moindres, Démocratisation accès SPL, collecte régulière
ségrégation spatiale du service, des OM, insertion socio-économique de
déresponsabilisation des populations, jeunes prestataires, amélioration de la qualité
problème de salubrité et de santé de vie
publique
356

La pluralité de parties prenantes au sein du système CETOM est appréciable, en dehors de la


Commune et des services techniques municipaux et décentralisés (État), à travers l’élargissement des
parties prenantes à la gestion des OM aux partenaires au développement,146 aux habitants des quartiers
cibles et aux GIE CETOM, se différenciant ainsi du système conventionnel limité à un monopole public
ou à une bipolarité public-privé.

Tableau 7.10 : Architecture institutionnelle du système de gestion partagée des OM


au sein de la ville de Saint-Louis
- la Commune de Saint- Louis assure la maîtrise d’ouvrage;
- l’Agence de Développement Communal joue le rôle d’appui technique à la Commune, notamment la
conception des projets, l’animation urbaine ainsi que l’interface avec les partenaires du nettoiement ;
- les services techniques municipaux assurent la maîtrise d’ouvrage déléguée. Ils sont chargés de la mise
en œuvre du nettoiement de la ville, à travers la régie municipale et assurent le suivi de l’activité des GIE
et des autres intervenants;
- les GIE assurent au sein de leurs quartiers respectifs, la maîtrise d’œuvre du système de collecte,
d’évacuation et de traitement des OM;
- les Comités de nettoiement/ Conseils de Quartier assurent la supervision opérationnelle des GIE ainsi que
la médiation sociale avec la Commune et les autres partenaires;
- les services décentralisés de l’État (hygiène et environnement notamment) apportent un appui technique
au système de nettoiement, à travers l’échange d’informations, le lien avec le ministère ;
- les partenaires au développement (coopération bilatérale, multilatérale ou décentralisée, bailleurs de
fonds, ONG) donnent un appui technique, matériel et financier au système;
- les habitants participent au co-financement du système à travers leur abonnement mensuel.

Quant à l’évolution des positions au sein de l’architecture institutionnelle de Saint-Louis, elle


peut s’apprécier à la fois au niveau de la Municipalité, des GIE CETOM, des habitants et des
partenaires au développement. Du point de vue de la municipalité, on peut noter qu’elle se positionne
de moins en moins dans ses fonctions traditionnelles héritées de l’Etat interventionniste (1960-1979) à
savoir, la gestion monopoliste et centralisée, au profit de fonctions d’animation, d’appui technique aux
groupes socio-économiques, de suivi-évaluation et de coordination du système. C’est le sens du travail
mené par les STM et l’ADC. Par exemple, cette dernière vient de finaliser l’élaboration d’un plan
global de nettoiement en 1999 (PGN) permettant ainsi à la Commune de réactualiser l’orientation
stratégique du projet CETOM, de chercher à diversifier ses partenaires (coopération belge, Enda RUP,
LVIA), tout en assurant une meilleure gouvernance dans l’intervention des différents acteurs du
nettoiement.

146
Dans le cas de Saint-Louis, on note des partenaires techniques et financiers (ONG, coopération décentralisée
française, coopération technique belge).
357

Du point de vue des partenaires au développement, l’existence d’un document de planification


stratégique étalé sur quatre années portant spécifiquement sur le nettoiement de la ville, fournit un cadre
de référence qui privilégie la subsidiarité dans la répartition des responsabilités et des tâches entre les
diverses parties prenantes. A ce titre, l’existence d’une dynamique de gouvernance locale utilisant
comme ressort des outils de planification participative favorise de la part des partenaires au
développement, le déploiement d’une logique d’appui voire de consultance au détriment d’une logique
de promotion (Enda GRAF, 1993 : 92)147. Par exemple, chaque partenaire du nettoiement cherche à
intégrer ses interventions dans le cadre du PGN, évitant ainsi de réduire le système CETOM en un
terrain d’expérimentation d’actions peu articulées aggravant ainsi les risques de redondance, de
concurrence et de conflits de visibilité.

Du point de vue des GIE CETOM, l’architecture institutionnelle autour de la gestion partagée des
OM informe des modalités de délégation de gestion des services publics locaux à des acteurs sociaux.
Une telle dynamique met en relief le positionnement des groupes socio-économiques dans l’exécution
de tâches d’utilité publique arrimant ainsi les intérêts corporatifs de leurs membres à l’intérêt général de
leur territoire d’ancrage. En cela, les activités du GIE CETOM traduisent un positionnement marqué
des acteurs sociaux, non plus seulement dans la confrontation avec les pouvoirs publics,148 mais plutôt
dans l’expérimentation de relations partenariales au travers d’une coopération conflictuelle.

Enfin, le système non conventionnel a permis aux populations de se positionner comme


partenaire pouvant influer sur la gestion des services publics se déroulant sur son territoire renforçant
ainsi leur empowerment local. Sa contribution financière au cofinancement du système devient un
moyen de négociation pour construire de nouveaux compromis avec la Commune en tant que préalable
pour exiger des services sociaux de qualité.

Sous ce rapport, la reconfiguration de l’architecture institutionnelle territoriale autour du CETOM


renseigne non seulement sur une recomposition de l’espace public local mais également, sur une plus
grande auto promotion des acteurs locaux (à la fois les collectivités locales, les habitants et les groupes
sociaux) dans la prise en charge de problèmes que pose le développement territorial. Une telle

147
Ces trois logiques renseignent à la fois sur le degré de maîtrise de la dynamique de développement par les
acteurs locaux et sur la prégnance des partenaires à la détermination de l’action. Elles partent d’une simple
implication des populations (promotion), à une dynamique de cogestion (appui) pour déboucher sur l’auto
promotion où la logique d’action est d’abord définie par les acteurs locaux (consultance).
148
À la différence des initiatives des années 1980 qui les positionnaient dans le mouvement de contestation
sociale, comme ce fut le cas du «set setal» (cf introduction).
358

reconfiguration participe de l’émergence en milieu urbain sénégalais d’une approche de développement


et de gouvernance qui utilise comme ressorts la territorialité, le partenariat, la subsidiarité dans la mise
en œuvre d’actions de développement et enfin, l’empowerment des groupes sociaux et des habitants
dans l’espace public local.

Toutefois, des changements majeurs introduits dans le projet CETOM par la Commune et son
partenaire stratégique, le Partenariat Lille/ Saint-Louis, ont atténué sa portée sociopolitique du fait de la
remise en cause de son orientation initiale.

C’est le cas du retrait du Partenariat amorcé en 2000 pour des raisons de repositionnement
stratégique149, engendrant ainsi un vide institutionnel, technique et financier dans la mise en œuvre du
projet CETOM. Il faut rappeler que cette association de portage de la coopération décentralisée entre
Lille et Saint-Louis a eu à jouer, de 1981 à 2000, le rôle de mobilisateur des bailleurs de fonds et de
gestionnaire du projet CETOM (cf conditions d’émergence et d’évolution). Sa position comme
opérateur gestionnaire du projet avait d’ailleurs engendré un déficit de lisibilité de l’action de la
Commune dans la mise en œuvre du projet au point tel qu’il apparaissait aux yeux des acteurs sociaux
que le Partenariat se substituait à la Commune dans la promotion du développement de la ville150. Par
exemple, la demande sociale en milieu communautaire et dans les quartiers était plus adressée au
Partenariat qu’à la Municipalité. C’est une telle dérive que cherchera d’ailleurs à corriger le Ministère
français des affaires étrangères en commanditant une évaluation du positionnement institutionnel et de
l’action du Partenariat dans la ville. Les résultats de cette étude vont recommander au Partenariat de
s’éloigner de sa logique de projet et de bailleur de fonds au profit d’une intervention transversale où les
acteurs et partenaires locaux seront davantage responsabilisés (Husson et Diop, 2000). Le Partenariat
profitera du repositionnement régional enclenché par ses principaux bailleurs (Ministères français, les
conseils régionaux et départementaux…) pour investir les départements et les villes de la Région,
réduisant ainsi fortement son action dans la ville de Saint-Louis.

Les conséquences du retrait de ce principal porteur du projet CETOM peuvent être appréciées à
travers l’absence à la fois de renouvellement des matériels distribués aux GIE, de construction d’écurie,

149
Le Partenariat a décidé d’élargir sa zone d’intervention dans une perspective régionale à partir de 2000. Cette
décision unilatérale n’a pas permis d’assurer les conditions d’une bonne préparation locale de la relève remettant
ainsi en cause la dynamique enclenchée dans le cadre du CETOM depuis 1994.
150
Il faudrait noter que l’absentéisme notoire des élus municipaux de l’époque ainsi que la léthargie de
l’administration municipale avaient laissé le champ libre au Partenariat qui assumait les fonctions de maîtrise
d’ouvrage et de gestionnaire des fonds.
359

de site relais et de site de transformation, rompant ainsi la chaîne du système de collecte, d’évacuation
et de traitement des ordures ménagères. En réalité, les contraintes structurelles des GIE CETOM sont en
partie liées à ce retrait peu préparé du Partenariat ainsi qu’aux conditions locales de transfert
insuffisamment maîtrisées. Toutefois, un tel retrait aura l’avantage d’amener la Commune de Saint-
Louis à manifester un engagement plus poussé dans le projet CETOM, en doublant les subventions
accordées au GIE (de 75 000 à 150 000Fcfa par mois) et en diversifiant ses partenaires pour assurer non
seulement sa pérennité, mais également son expansion, comme le démontre le plan global de
nettoiement actuellement mis en œuvre. Pour le directeur de l’ADC, c’est cela l’une des spécificités de
l’expérience de Saint-Louis :

«C’est un phénomène prévisible que de voir des partenaires traditionnels qui s’intéressaient uniquement à
la ville, détourner leurs regards vers la région parce que dicté par des orientations du Nord. Cela n’est
que légal… Si aujourd’hui, le Partenariat juge la maturité de ses interventions à Saint-Louis et manifeste
une volonté d’en faire profiter d’autres localités, je pense que la ville de Saint- Louis a également acquis
assez de maturité pour diversifier ses partenaires. Mais, ce qu’il faut retenir, c’est la philosophie globale
que nous avons de la coopération. Pour nous ADC, on ne peut pas bâtir du développement uniquement en
nous basant sur la coopération décentralisée! Cela ne peut servir que d’appui aux actions menées ici.
Parce que si par exemple, le Front National prenait le pouvoir à Lille, il en serait fini de la coopération
décentralisée. Est-ce qu’une autorité qui se respecte peut dire aux populations dans ce cas, que je ne peux
plus réaliser mes projets parce que le Front National a pris le pouvoir dans une région en France. L’effet
du développement, c’est d’abord l’effet interne. Et de ce point de vue, il faudrait chercher à diversifier les
partenaires. Ce serait une erreur grave que de prendre la coopération décentralisée pour en faire la base
de financement de notre développement. La base du développement, c’est ici…c’est promouvoir
l’économie locale, c’est faire en sorte que les ressources et financements locaux puissent provenir de la
collectivité, grâce à notre capacité à valoriser nos gisements fiscaux» (M. D, ADC).

Sur un autre plan, un changement majeur ayant affecté les relations entre la Commune et les GIE
CETOM se trouve dans le changement d’équipe municipale intervenue en juin 2002 au sein de la
Mairie de Saint-Louis, suite aux élections locales. En effet, cette dernière est désormais dirigée par des
élus d’obédience libérale d’une part, et d’autre part, de nouveaux responsables ont été embauchés au
niveau des services techniques municipaux. Si le projet comme tel n’est pas remis en cause, par contre,
il faut signaler que la redynamisation des GIE CETOM ne figure pas dans les projets prioritaires
figurant dans le plan de référence 2002-2007 défini par la nouvelle équipe municipale151. Les priorités
de celle-ci semblent surtout être orientées vers des actions d’aménagement et d’embellissement des
grandes artères de la ville en vue de promouvoir l’amélioration du cadre de vie et le tourisme.

Mais le changement majeur remettant en cause la reproduction de l’orientation initiale du projet


CETOM, concerne la réorientation de la logique d’action des GIE CETOM passant d’une logique de

151
Cf. le site de la Commune de Saint-Louis : http://www.communedesaint-louisdusenegal.com/
360

développement local à une logique de prestation de services, ce qui comporte des incidences sur le
système CETOM dans son ensemble. Le discours porté notamment par les STM est à la recherche de
rentabilité et d’efficience des GIE à travers notamment, la suppression du versement mécanique de la
subvention mensuelle au profit de l’achat du volume d’ordures collectées par la Commune ainsi que la
transformation des GIE en micro entreprises et non plus en organisations supportées par la Commune
tant au niveau de leur fonctionnement que du renouvellement de leur matériel de production :

«Les GIE devraient se positionner en de véritables micro-entreprises de collecte, je veux parler d’une voirie
de quartier qui couvre une zone bien définie, qui donne des services à un nombre de ménages
comptabilisés…Connaissant le coût d’exploitation d’un GIE, l’articulation de l’abonnement des ménages
avec la rémunération par la Commune du volume d’ordures collectées à la place de la subvention, devrait
suffire à tout GIE qui fonctionne correctement pour assurer sa rentabilité. (…) C’est pour vous dire qu’on
réfléchit beaucoup en rapport avec les GIE, à la mise en place d’un contrat d’objectifs où le GIE sera
rémunéré en fonction du volume d’ordures déversées sur le site relais. Comme vous le voyez, cela peut
même être plus rentable que la subvention qui ne reflète pas toujours l’état du service rendu... Il faut donc
aller vers une contractualisation des relations entre la Commune et les GIE. Mais auparavant, il faut que
toute la filière soit assurée à travers la construction d’infrastructures structurantes comme les sites relais et
la décharge municipale. Tant que le système CETOM n’est pas mis en place dans une approche filière, on
ne peut pas contractualiser avec les GIE sinon, il y aura rupture de contrat» (B.D, STM).

Il faut signaler que les recommandations d’une étude de l’agence française de développement
(AFD) constituent les piliers de cette nouvelle orientation que la Commune veut désormais insuffler aux
GIE CETOM. De telles recommandations insistaient sur la nécessaire autonomisation des GIE, garant
de leur pérennité en préconisant comme mesures :
- l’abandon progressif des subventions accordées aux GIE;
- l’autonomisation des GIE en les transformant en de petites entreprises privées tout en
considérant le matériel distribué comme un prêt et non comme un don;
- le conditionnement de l’obligation de résultats à la subvention de la Mairie dans une phase
transitoire, en utilisant comme indicateurs: l’état de propreté du quartier, l’évolution du nombre
d’abonnés et le degré d’entretien du matériel;
- la mise en place d’un système de vérification des résultats du GIE;
- le positionnement du CQ comme maître d’ouvrage local des prestations du GIE qui devra être
libéré de toute implication dans les circuits financiers. (Burgéap/ AFD : 1999, 26).

Malgré le retrait de l’AFD dans la mise en œuvre du PGN, la Commune de Saint-Louis a retenu
l’essentiel de ses recommandations. Mais cette orientation n’est pas nouvelle. Elle serait initiée par
l’équipe municipale sortante mais a été surtout accentuée par le nouveau Maire de Saint-Louis. On peut
l’apprécier à travers l’évolution à sens inverse du budget communal affecté à la régie municipale par
rapport à celui accordé aux neuf GIE CETOM de la ville. Ainsi, la part affectée à la régie municipale
361

augmente de 2001 à 2003 de 77 à 84% tandis que les subventions destinées aux GIE ont diminué de 23
à 16%.

Tableau 7.11: Évolution de la répartition du budget de nettoiement

Années 2001 2002 2003


% Régie municipale 77 % 81 % 84 %
% de la subvention aux GIE 23 % 19 % 16 %
Montant global nettoiement 71 747 013 83 148 192 98 137 244
Budget annuel de la commune 825 966 548 1 163 319 643 1 874 616 684
Source : Commune de Saint- Louis

La logique de prestation de service sous tendant de telles réformes, apparaît comme la résultante
de la pression des partenaires au développement (AFD et maintenant les partenaires du PGN), de
l’efficacité variable des GIE actuels avec un taux moyen de collecte de 35% ainsi que de la volonté de
la Commune à revoir ses rapports avec les GIE dans un contexte de rationalisation des dépenses
publiques. Toutefois, au vu des vives réactions des responsables des GIE par rapport à une telle
perspective, il semble bien que les conditions d’une négociation constructive ne soient compromises si
la Commune ne revoit son approche du problème.
En effet, pour les responsables de GIE, la gestion des OM a toujours été intégrée à une mission de
service d’utilité publique visant non à faire des bénéfices, mais à améliorer le cadre de vie des
populations tout en cherchant à promouvoir l’emploi chez les jeunes des quartiers cibles. De leurs avis,
la logique de micro entreprise basée sur la recherche de rentabilité menace l’orientation du projet
CETOM qui a toujours misé sur la recherche de l’efficacité dans la collecte des OM, intégrée à un
processus de développement local. Un tel changement est vécu comme un détournement de l’objectif
initial du projet dans lequel les prestataires avaient accepté de consentir d’énormes sacrifices en termes
de sécurité de travail, d’indemnités dérisoires, de surcharge de travail…En outre, le caractère peu
solvable de l’activité accentué par l’absence de la phase traitement des OM, les contributions
irrégulières des abonnés, le montant dérisoire de la subvention mensuelle ainsi que le non respect par la
Commune de ses engagement, ne permettent pas aux GIE de se transformer en une micro entreprise.
Mais ce que les responsables des GIE dénoncent le plus, c’est la décision unilatérale de la Commune,
sous la pression de ses partenaires du PGN, de changer la logique du projet sans en discuter au
préalable avec eux, rompant ainsi avec les modalités de gestion négociée qui ont toujours prévalu:

«Comme vous le savez, le projet CETOM a démarré du temps où Abdoulaye Diaw Chimére était Maire de
la ville. Mais il faut dire que nous les GIE, nous respectons notre contrat, mais la Commune, elle, n’a
jamais respecté ses engagements envers nous… Pourquoi je dis que la Commune ne respecte pas son
362

contrat? Parce que dans le processus initial, on allait créer des GIE dans tous les quartiers de la ville et au
bout, la voirie municipale allait disparaître, car elle constitue une lourde charge pour la Commune. En
outre, la Commune n’a jamais renouvelé ni les charrettes, ni le matériel de travail, ni les bottes, ni les gants,
ni rien…Ce sont les GIE qui renouvellent le matériel qu’ils avaient reçu au début du projet sur leurs fonds
propres. Et je pense que pour qu’une petite entreprise parvienne à se transformer en une grande, cela exige
qu’on la subventionne. Parce que les ordures, cela se subventionne, cela ne se paie pas! Et lorsque vous
regardez les 500 F que versent les ménages, cela ne suffit pas pour nous faire exécuter le travail. Cela n’est
qu’une participation symbolique. Donc, si la population fait un effort envers ses fils, moi, je crois que la
Commune qui est le responsable du développement de la ville devrait faire encore plus d’efforts…Par
exemple comme vous le voyez, les ordures de la ville ne sont pas évacuées, elles déménagent de quartier en
quartier…. Et pour enrayer cela, le plan global de nettoiement avait fait des propositions concrètes. Mais ce
qui me surprend, c’est que la Commune de Saint- Louis a conçu un bon système, l’a testé, l’a mûri, puis l’a
délaissé en veilleuse et ce sont d’autres villes qui l’utilisent alors que la conception provient bel et bien de
Saint- Louis. C’est toujours comme cela, les autorités ne suivent jamais la finalité de leurs projets» (Y. S,
GIE Léona).

L’enjeu de cette divergence de visions entre les GIE et la Commune met en relief plusieurs
interrogations majeures déterminant la portée de la co-production de services publics locaux à des
groupes socio-économiques, à savoir si elle relève d’une logique de sous-traitance accompagnée d’un
transfert de coûts et de charges dans un contexte de rationalisation des finances publiques locales, ou si
elle augure d’une nouvelle approche de gestion publique tendant vers la gouvernance locale. Pareille
interrogation demeure expressive du dilemme du partenariat urbain en matière de gestion, de production
ou de distribution de services publics locaux, mettant en relation les collectivités locales, les partenaires
au développement (bailleurs et partenaires techniques), les habitants et les groupes socio-économiques.
Ce dilemme peut être apprécié à deux niveaux.

D’un côté, la co-production de services publics locaux apparaît comme un moyen


d’institutionnaliser l’entrepreneuriat communautaire en valorisant sa capacité à porter l’intérêt général
et sa volonté d’être associé à la gestion publique locale. En outre, elle permet aux groupes sociaux de se
positionner dans la vie publique locale tout en partageant leurs préoccupations avec les autres types
d’acteurs (collectivités locales, partenaires au développement). Ainsi, elle promeut la gouvernance
locale en favorisant le partage des risques, des ressources et de l’imputabilité entre les différentes
parties prenantes tout en renforçant l’empowerment territorialisé des habitants et des groupes sociaux
(Elander, 1999). Enfin, les effets structurants d’une gestion partagée peuvent être appréciés à travers la
transformation des services publics locaux en services de proximité ou à travers, la synergie des
interventions des différents partenaires.

D’un autre côté, si la coproduction ne s’intègre pas dans une dynamique partenariale, elle risque
de réduire les groupes socio-économiques en un service social ou en de simples sous traitants des
pouvoirs publics (Lamoureux, 1994; Favreau et Lévesque, 1997 et 1999). Ce risque est surtout présent
363

dans le cas où le partenariat, parce que peu perméable au changement, apparaît plus technique
(délégation de tâches) que démocratique (nature des rapports entre les parties prenantes, redéfinition de
l’action publique). C’est ce que manifeste par exemple le fait que le cadre logique du projet CETOM,
son montage financier et ses modalités d’exécution soient définis et révisés par la Commune et ses
partenaires financiers, réduisant les GIE à un simple cadre d’application de décisions prises par d’autres
types d’acteurs. A ce titre, il semble nécessaire de distinguer co-production de services qui comporte
une dimension organisationnelle et co-construction des règles qui relève de l’institutionnel. Si certains
chercheurs de l’économie sociale et solidaire ont beaucoup mis l’accent sur la co-production de services
sociaux ou publics (Laville et all, 2001; Vaillancourt et all, 2003), il reste que celle-ci concerne surtout
l’organisation opérationnelle du service mais ne règle pas l’enjeu fondamental de la construction
partenariale des règles institutionnelles déterminant les modalités de partenariat, les relations entre les
parties prenantes, les termes du contrat de service, l’orientation du projet…A ce titre, intervenant
souvent au début de la collaboration et lors de la phase d’ajustement, la co-construction pose le
problème de la définition de compromis préalables concernant l’orientation, les modalités ainsi que les
indicateurs d’évaluation du cadre partenarial : « D’une manière générale, les expériences partenariales
occupent trop souvent un espace social et politique non défini » (René et Gervais, 2001 : 25). C’est
pourquoi, du moment où le partenariat ne réduit ni l’opportunisme, ni l’asymétrie des parties prenantes
encore moins leur concurrence, l’absence de définition consensuelle préalable du cadre partenarial, fait
que l’acteur stratégique qui détient le capital financier, technique, politique ou informationnel suffisant
dispose de la latitude pour imposer sa vision et ses intérêts aux autres acteurs (Lévesque, 2000). En
outre, durant la phase de réajustement liée souvent aux difficultés dans la co-production, c’est au niveau
de la co-construction que se négocie les nouvelles règles du jeu. Mais ces deux niveaux s’interpénètrent
plus qu’ils ne s’excluent.

Sous cet angle, la connotation idéologique du partenariat cache l’asymétrie structurelle des
rapports de pouvoir en offrant l’opportunité aux collectivités locales de se repositionner et de se
relégitimer, en partageant les coûts et les risques liés à la gestion des services publics locaux sans
redéfinir les modalités de l’action publique locale. S’y ajoute, le contexte de prédominance du marché
lié à la mondialisation néo libérale qui renforce les risques liés à la co-production en termes de
privatisation des services publics locaux et de transfert au communautaire de secteurs peu rentables
(Martinot et Kosinski, 1999). C’est dire que la logique d’action des GIE CETOM promue par la
nouvelle équipe municipale de Saint-Louis semble être plus soumise à l’hypothèse néo-libérale du
partenariat collectivités locales/ communautaire. Elle semble s’inscrire en effet dans la sous traitance
des services publics, la réduction des coûts et la recherche de rentabilité, bref une reproduction des
364

critères capitalistes pour apprécier la performance plurielle des GIE occultant de facto ses dimensions
non marchandes et non monétaires liées à l’auto promotion locale, la promotion du civisme fiscal, de
l’empowerment des groupes sociaux et de la gouvernance locale (Laville et Sainselieu, 1997; Rondot et
Bouchard, 2003). Toutefois, malgré les positions asymétriques, les acteurs sociaux ne sont pas toujours
dépourvus de marge de manœuvre. Non seulement, ils peuvent se retirer à tout moment invalidant de
facto le système CETOM, mais ils disposent également de ressources et d’expertises pratiques issues de
leur proximité avec le terrain, pouvant être utilisées au niveau des zones d’incertitude comme moyen de
résistance ou d’adaptation transformatrice (Crozier et Friedberg, 1981).

Signalons que la maîtrise de certaines variables pourrait permettre de réduire les risques induits
par le dilemme constitutif du partenariat collectivités locales/communautaire/partenaires au
développement. A ce titre, la logique de survie et de dépendance ainsi que le faible professionnalisme
qui caractérisent la plupart des groupes socio-économiques ne leur permettent pas d’avoir une masse
critique suffisante pour saisir les enjeux, systématiser leurs propositions prenant en compte leurs vision
et intérêts ou encore se positionner autour de véritables relations partenariales avec les collectivités
locales. Par exemple, jusqu’à présent, le Collectif des GIE n’a pas systématisé sa vision concernant la
révision de l’orientation du projet CETOM en vue de renégocier les rapports entre les GIE et la
nouvelle équipe municipale, sa principale préoccupation se limitant au maintien de la subvention
municipale. Par contre, la Commune elle dispose d’une équipe technique (STM et ADC) pour alimenter
ses décisions. C’est dire que les GIE risquent pour longtemps encore de n’avoir comme autre choix que
de se limiter à une dynamique plus réactive que proactive par rapport aux ajustements proposés ou
imposés par la Commune et ses partenaires.

7.4.3.2. Nature des relations avec ses partenaires

Le réseau partenarial du GIE CETOM de Léona se caractérise par le fait qu’il s’agit plus de
partenaires de la Commune, le GIE étant peu en mesure de mobiliser des partenaires de grande
envergure. Le Partenariat l’avait doté de matériels de démarrage en 1999-2000 (subvention mensuelle
de 75 000 Fcfa, 2 charrettes, 2 chevaux, blouses…). Prenant le relais, la Commune a maintenu cet appui
à travers le versement d’une subvention mensuelle de 150 000Fcfa. Toutefois, elle n’a pas encore
procédé au renouvellement du matériel du GIE et à la construction d’infrastructures structurantes (site
relais, écurie). Son action demeure pourtant structurante du fait de l’appui offert par ses deux structures,
à savoir les STM et l’ADC.
365

Tableau 7.12: Réseau partenarial du GIE CETOM de Léona

Partenaires Activités réalisées Date


Commune de Saint-Louis Délégation de services et Appui technique, financier Depuis 2000
et matériel
Services techniques municipaux Encadrement technique, suivi opérationnel du travail Depuis 2000
des GIE, formations techniques
Agence de développement Accompagnement, médiation sociale, étude Depuis 2000
communal d’impact, interface et coordination avec les
partenaires de la Commune
Partenariat avec Saint-Louis et Appui financier, technique et matériel 1999-2000
sa Région
conseil de quartier de Léona Appui-conseil, médiation sociale, intermédiation Depuis 1999
avec les partenaires
Ménages abonnés Cofinancement du système Depuis 2000
Collectif des GIE CETOM Coordination avec autres GIE et représentation Depuis 2001
socio-politique
Help Alliance Appui financier pour construction écurie 2002
Société HLM Prêt local pour écurie 2002
Enda Rup Formation, étude d’impact des GIE 2001
Source : Rapport d’activités du GIE, 2003

Les relations soutenues qu’entretient le GIE CETOM de Léona avec l’ADC et avec les STM,
révèlent une différence d’approches entre ces deux structures porteuses de l’action municipale. D’une
part, on constate de la part des STM une régulation verticale d’encadrement administratif qui se
manifeste par un commandement centralisé, une approche techniciste et un cloisonnement sectoriel de
l’action limitée aux ordures ménagères. D’autre part, on constate de la part de l’ADC des éléments
proches d’une régulation plutôt horizontale qui se manifeste par l’intégration de l’action des GIE
CETOM dans une dynamique de développement local. En effet, le GIE CETOM est le produit d’un
exercice de planification participative qui a identifié comme projet prioritaire de développement local,
la mise en place d’un tel dispositif. C’est dans ce cadre que l’ADC cherche à articuler la position
institutionnelle du GIE CETOM avec la dynamique impulsée par le Conseil de Quartier (Niang et all,
2001; Niang, 2003; Ndiaye, 2004). Une telle différence d’approches renseigne sur la cohabitation au
sein d’une même institution municipale de deux types de régulations contradictoires, l’un misant sur la
gouvernance tandis que l’autre dénote une logique d’encadrement centralisé, démontrant ainsi que
l’administration communale est restée peu transformée malgré la politique de développement local
initiée depuis 1994. C’est ce qui explique les relations souvent heurtées entre les STM et les GIE
contrairement à celles entretenues avec l’ADC. Sous ce rapport, la gouvernance locale semble relever
plus d’une agrégation de divers types de régulation en fonction du service municipal concerné qu’une
logique d’action unique traduisant le mode de gestion publique définie par la collectivité locale (Eme,
2005).
366

Par ailleurs, ce conflit de logiques traduit également un conflit de positionnement stratégique


entre ces deux structures infra municipales concernant notamment la gestion du projet CETOM. Ce fut
le cas lors du démarrage du PGN où chacune d’entre elles revendiquait son portage posant ainsi des
problèmes de cohérence de l’action communale vis-à-vis notamment des partenaires au développement
et des acteurs locaux. Ainsi, l’ADC ne veut pas seulement limiter son action à faire des études de
projets dont elle ne maîtrisera pas les conditions de mise en œuvre tandis que pour les STM, la mise en
œuvre des projets urbains relève institutionnellement de sa responsabilité et les autres types d’acteurs
devraient situer leurs actions en appui au système qu’elle met en œuvre. Malgré ces divergences
d’approches induisant un traitement différentiel de la nature des rapports entretenus avec les GIE, le
directeur de l’ADC situe les risques plus autour des hommes qu’au niveau des institutions :

«Il est sûr que dans tous les pays au monde où existe un organigramme communal pareil avec un service
chargé de la conception et un autre chargé de la maîtrise d’ouvrage déléguée, il y a toujours des
problèmes. En France, entre les métropoles et les services régionaux d’urbanisme, vous avez les mêmes
problèmes. Cela ne signifie pas que l’un doit disparaître au profit de l’autre. Moi, depuis que je suis là, je
n’ai pas senti de conflits avec les STM. Nous, on est actif dans trois domaines principalement:
l’animation de l’économie locale, l’interface entre la Commune et ses partenaires ainsi que l’animation et
l’accompagnement des projets locaux de la Commune. Tandis que les STM se mobilisent beaucoup plus
dans l’exécution des projets. Donc, nous sommes deux acteurs complémentaires. Les conflits de
positionnement que l’on voit apparaître par moment sont plus liés aux hommes qu’aux institutions. Mais
ce sont là des choses qui se règlent avec le temps» (M. D, ADC).

Il reste que la dynamique enclenchée à Saint-Louis traduit le renforcement du rôle des experts
administratifs et techniques des collectivités locales par rapport aux élus locaux. Ces experts constituent
en réalité les nouveaux acteurs stratégiques du développement territorial parce qu’étant les principaux
interlocuteurs des populations et des partenaires au développement et jouant le rôle d’interface et de
médiation avec l’institution municipale. Cette montée en puissance des experts administratifs et
techniques des collectivités locales, pose cependant la question de leur imputabilité par des élus
municipaux souffrant souvent de déficits techniques par rapport à leur mission ou n’ayant pas toujours
le temps en vue d’assurer un suivi de l’action municipale.

Conclusion

Par rapport à la question de recherche, à savoir la nature et la portée des dynamiques de


coproduction de services publics locaux qu’initient de plus en plus de collectivités locales en Afrique de
l’Ouest en relation avec des groupes socio-économiques, l’expérience du GIE CETOM de Léona se
révèle riche en enseignements. Cette expérience révèle les innovations socio-territoriales expressives de
la performance plurielle du système non conventionnel de gestion des ordures ménagères, à savoir: la
367

régularité de son service de collecte et d’évacuation des ordures ménagères garantissant la salubrité et la
santé publique dans le quartier, sa contribution à la démocratisation de l’accès au service public local
réduisant la ségrégation spatiale de l’offre de services publics ou encore, sa contribution à la promotion
de l’insertion socio-économique de chômeurs et à la promotion d’un civisme fiscal contribuant au
cofinancement du service public local transformé en services de proximité. Cette performance plurielle
démontre d’une part, l’efficacité des groupes sociaux à assurer de manière partagée, la production, la
distribution et/ou la co-gestion de services publics locaux et d’autre part, elle informe de leur capacité à
promouvoir un compromis hybridant divers capitaux d’ordre domestique, solidaire, écologique,
marchand et public contribuant ainsi à la promotion d’une économie enchâssée dans le social et dans le
politique tout en étant soucieuse de développement durable.

C’est pourquoi, la portée des innovations socio-territoriales induites par l’activité du GIE
CETOM de Léona dépasse une simple question de gestion des ordures ménagères au sein d’un quartier
défavorisé. Elle interroge la démocratisation, la recomposition, voire la redéfinition de l’action publique
locale. A ce titre, les tendances notées demeurent multiples. L’espace public local cesse d’être anonyme
pour devenir un espace de proximité d’une part, et d’autre part, émerge une recomposition de
l’architecture institutionnelle territoriale à travers l’inclusion de plusieurs parties prenantes autour d’une
dynamique de gouvernance locale ou tout au moins sectorielle en lien avec la question des OM. De
telles innovations socio-territoriales positionnent la co-production du service de collecte des OM dans
une totalité sociale articulant souci environnemental, démocratisation de l’accès au service public local,
empowerment des acteurs sociaux et recomposition de l’architecture institutionnelle locale. Une telle
orientation induit une certaine proximité de l’entrepreneuriat durable avec le mouvement alter-
mondialisation qui met l’accent entre autres sur la pluralité des principes économiques (réfutant ainsi la
prédominance et l’autonomisation d’un marché autorégulateur tel que prôné par l’économie
néoclassique) ainsi que sur le renouvellement du mode de régulation (Revue Mauss, 2003; Favreau et
all, 2004).

Toutefois, le projet CETOM traverse une crise de croissance du fait de la rupture unilatérale de la
logique d’action initiale des GIE CETOM par la Commune de Saint-Louis sous la pression de ses
partenaires. Ce changement unilatéral de logique renseigne sur le fait que la co-production de services
publics locaux ne garantit pas toujours une co-construction des règles de partenariat. C’est dire que dans
un contexte de prédominance du marché, de rationalisation des dépenses publiques ainsi que de
repositionnement et de relégitimation des collectivités locales, la co-production de services publics
locaux arrive difficilement à échapper à la logique de sous-traitance.
368

En réalité, la co-production de services publics locaux demeure vulnérable au dilemme du


partenariat mettant en relation collectivités locales, groupes socio-économiques et partenaires au
développement autour de la gouvernance locale. A ce titre, l’expérience du GIE CETOM de Léona
révèle un décalage entre la performance plurielle de l’entrepreneuriat durable et sa portée socio-
politique, du fait de son positionnement marginal dans une architecture institutionnelle territoriale en
recomposition mais peu redéfinie qu’accentue la prégnance des partenaires au développement soumis à
la logique du marché. Ainsi, l’expérience de Saint-Louis pousse à nuancer les effets induits par les
expériences de gouvernance locale. Loin d’une redéfinition du mode de régulation territoriale, celle-ci
atteste d’une recomposition plus sectorielle que territoriale de l’architecture institutionnelle parce que
limitée aux ordures ménagères.152 Ce constat qui démontre une attitude sélective des pouvoirs publics
locaux dans les domaines d’expérimentation de pratiques de gouvernance, met en relief le fait que les
collectivités locales et les partenaires au développement sont restés prisonniers d’une vision héritée
respectivement de l’État post colonial et de la mondialisation néolibérale. Une telle vision réduit les
initiatives économiques populaires du genre des GIE CETOM plus comme des sous traitants dans le
cadre d’un modèle de marché que comme des leviers d’une reconfiguration territoriale du mode de
régulation. C’est pourquoi, malgré leur performance plurielle, les innovations socio-territoriales des
groupes socio-économiques engagés dans la co-production de services publics locaux, restent duales et
vulnérables se limitant à un changement de type interstitiel, parce que ne bénéficiant pas d’un soutien
approprié leur permettant de garantir leur expansion et leur portée transformatrice.

152
Comme le confirment les autres études de cas.
369

Conclusion : Comparaison des études de cas

Il s’agit ici de procéder à un premier niveau de comparaison des quatre études de cas
d’entrepreneuriat communautaire à partir des quatre dimensions d’analyse, avant de tirer des
conclusions plus systématiques dans la conclusion générale. C’est ainsi que les conditions de
constitution, la gouvernance organisationnelle, la performance socio-économique et enfin, le rapport au
développement local seront rapidement décrits avant de finir par systématiser l’état d’évolution de
chacune des expériences d’entrepreneuriat communautaire étudiées.

Les quatre expériences étudiées révèlent comme déterminants à l’émergence de dynamiques


d’entrepreneuriat communautaire, l’existence d’un terreau de vulnérabilité et de marginalisation d’ordre
institutionnel, économique, financier et/ou social concernant des acteurs sociaux, des territoires ou des
secteurs d’activités combinée à une dynamique endogène et autonome qui dépasse le sentiment de
frustration ainsi que les initiatives spontanées ou revendicatives, pour s’inscrire dans une démarche
collective d’auto-promotion socio-économique. C’est dire que l’entrepreneuriat communautaire émerge
en réaction à diverses situations défavorables comme l’état de dégradation avancée du cadre ou des
conditions de vie, la ségrégation spatiale quant à l’accès aux services publics locaux ou aux services
sociaux de base (ADD, GIE CETOM), la perception sociale péjorative concernant une activité et les
difficultés d’accès aux facteurs de production (GIE Djambarou Sine) ou encore, l’exclusion financière
de populations déjà démunies par les circuits financiers classiques (CECAS). De tels facteurs traduisent
la carence des pouvoirs publics et du marché, mais également les difficultés des acteurs sociaux à
accéder aux ressources et aux services de base en restant à un niveau individuel. Mais la dynamique
innovatrice de ces diverses expériences a consisté à transformer ce terreau de vulnérabilité et de
marginalisation en facteur de mobilisation sociale, en initiant une démarche collective d’auto-prise en
charge. Celle-ci débouche sur la constitution d’une dynamique organisationnelle qui, tout en restant
ancrée dans le milieu communautaire, s’investit également dans l’activité entrepreneuriale en vue de
répondre à la demande sociale ou de réaliser des aspirations provenant des sociétaires ou de la
communauté. Tous les cas étudiés démontrent un tel processus qui débouche sur la mise en place d’une
organisation communautaire à orientation économique, traduisant du coup la pertinence du lien établi
entre les problèmes ressentis et le dispositif organisationnel proposé.

A ce titre, la qualité du processus constitutif maîtrisé par les protagonistes de l’initiative, un


leadership volontariste disposant de compétences plurielles et faisant de la réussite de l’initiative un défi
personnel, l’investissement de secteurs d’intervention où l’organisation ou ses membres disposent
370

d’expériences ou d’expertises, la disposition d’un accompagnement institutionnel, technique et


financier approprié, l’appropriation d’une forme organisationnelle reconnue et soutenue par les
pouvoirs publics ou par les partenaires au développement, constituent entre autres des modalités
gagnantes à la base de la transformation d’acteurs sociaux vulnérables en un groupe socio-économique
inscrit dans le système productif. Un tel processus participe de l’habilitation d’acteurs sociaux, de
secteurs d’activités ou de territoires marginalisés tout en révélant de nouveaux types de leaders
(entrepreneurs sociaux), ce qui pourrait induire une recomposition du leadership territorial.

Sur le plan de la gouvernance organisationnelle, les petites organisations disposant de quelques


membres semblent être plus en mesure de limiter les dysfonctionnements organisationnels constatés
dans tous les cas d’entrepreneuriat communautaire étudiés. A part le GIE CETOM (comptant sept
membres et regroupant bureau et AG autour d’une gestion collégiale), les autres cas démontrent une
fragilité à assurer la cohérence et l’équilibre entre leur base socio-communautaire et leur logique
entrepreneuriale. Dans ce cadre, les associations en mouvance entrepreneuriale (ADD) démontrent plus
une superposition d’activités entrepreneuriales et d’un fonctionnement associatif qui, même si elle est
porteuse de valeurs ajoutées (bénévolat, ancrage social), comporte des irritants qui peuvent
difficilement assurer l’expansion d’une activité entrepreneuriale: confusion dans la répartition des
tâches, absence de manuel de procédures, délimitation informelle des prérogatives des divers organes,
faible gestion professionnelle. Concernant le GIE Djambarou Sine, le volontarisme de certains de ses
leaders arrive difficilement à combler la léthargie des différents organes. Ce GIE renseigne sur le fait
que le changement de formes organisationnelles n’implique ni un changement dans le mode de
fonctionnement, ni dans l’appropriation de la dynamique organisationnelle par les membres. A ce titre,
l’isomorphisme institutionnel constaté dans le milieu de l’entrepreneuriat communautaire répond plus à
un souci d’accéder régulièrement aux sources d’appui qu’à une nécessité organisationnelle. Ainsi,
Djambarou Sine est resté la «mbootay » héritée des grands-mères durant les années 1960, faisant peu
neuve presque à chaque fois qu’une nouvelle forme organisationnelle apparaissait dans le paysage
institutionnel sénégalais afin de toujours bénéficier du soutien des pouvoirs publics et des partenaires.

Enfin, la CECAS qui a révélé ses faiblesses organisationnelles lorsqu’elle est devenue plus
performante, confirme la difficulté de l’entrepreneuriat communautaire à assurer une gouvernance
organisationnelle non seulement hybride, mais également, qui soit en mesure de supporter l’expansion
des activités entrepreneuriales. Ce cas renseigne sur le fait que l’enjeu des mutuelles n’est plus
seulement la démocratisation de l’accès au crédit en faveur d’acteurs sociaux vulnérables, il interpelle
surtout leur capacité à s’assurer une viabilité organisationnelle, gestionnaire et socio-économique. En
371

outre, ce cas met en évidence la prédominance des leaders associatifs sur les leaders gestionnaires
reflétant le problème du présidentialisme. Hérité de la base associative, le présidentialisme rend compte
de la prédominance du président sur le mode de fonctionnement et de gestion de l’organisation, du
faible contrôle social sur les leaders ou encore, de l’accaparement du processus décisionnel par un
noyau de personnes tournant autour du président. Même s’il est source d’apports pour l’organisation
(volontarisme débordant du président affectant ses capitaux d’ordre financier, relationnel, technique,
social à l’organisation), le présidentialisme pose l’enjeu du leadership et du fonctionnement
démocratique de l’entrepreneuriat communautaire tout en renforçant les conflits internes ainsi qu’un
membership opportun, voire instrumentalisé. Mais en même temps, il pose la question du bénévolat des
leaders et de certains membres dans le cadre d’activités entrepreneuriales, ce qui ne permet pas toujours
d’exiger des résultats.

Malgré la fragilité de la base organisationnelle, tous les cas d’entrepreneuriat communautaire


étudiés démontrent une performance socio-économique plurielle tant dans la mobilisation, la production
ou la distribution de ressources diverses correspondant à la demande sociale de leurs membres et/ ou de
la communauté, que dans l’expérimentation de modalités de production innovantes en lien avec leur
logique d’action écosociale porteuse d’une vision extensive de l’économie, sans parler de leurs effets
structurants portant sur la revitalisation socio-territoriale, la dynamisation de l’espace public local, voire
la reconfiguration de l’architecture institutionnelle locale. Si on peut distinguer la CECAS et le GIE
Djambarou Sine comme des initiatives fortement marquées par la dynamique d’auto-promotion socio-
économique visant en priorité, à prendre en charge les besoins des sociétaires, au niveau de l’ADD et
du GIE CETOM de Léona, une telle orientation est articulée à un projet de promotion du
développement local. Ces deux orientations démontrent que l’entrepreneuriat communautaire arrive à
arrimer intérêt corporatiste des membres et intérêt général de la communauté en subordonnant ce
dernier au premier. En tout état de cause, du fait de son ancrage territorial marqué ainsi que de sa
finalité de service à la collectivité, l’entrepreneuriat communautaire est porteur d’effets structurants au
profit de la communauté territoriale. Par exemple, c’est la performance plurielle de la micro finance, en
termes de démocratisation de l’accès au crédit à des conditions soutenables, d’effets structurants tant en
matière de dynamisation du secteur d’activités et de l’économie locale qu’en matière d’habilitation
d’acteurs sociaux vulnérables, que d’une mutuelle censée lutter contre l’exclusion financière dont
souffraient les artisans, la CECAS se positionne actuellement comme un système de financement de
l’entrepreneuriat local en élargissant son lien commun à des non artisans (chômeurs, micro
entrepreneurs, fonctionnaires…). Le GIE CETOM de Léona a permis de son côté, la collecte et
l’évacuation quotidiennes des ordures ménagères du quartier, tout en favorisant la construction de
372

compromis socio-territoriaux concernant la gestion du service public local entre les populations, la
Commune et le conseil de quartier. Ce cas, comme celui de l’ADD concernant la mise en place d’une
garderie communautaire, démontre que l’entrepreneuriat communautaire présente une efficacité réelle
dans la production/ distribution d’une gamme variée de biens et services à moindre coût et
correspondant à la demande sociale. Enfin, la performance du GIE Djambarou Sine peut être appréciée
à travers ses divers appuis au profit de ses membres concernant l’accès au financement, au matériel de
production et aux formations techniques liées à l’activité de transformation du poisson.

Malgré sa performance plurielle, les cas étudiés démontrent que les efforts fournis par
l’entrepreneuriat communautaire dans la mobilisation et l’allocation de ressources, ainsi que dans
l’expérimentation de modalités différentielles de production, ne se vérifient pas dans la capitalisation et
dans la gestion efficiente des ressources générées afin de renforcer la viabilité socio-économique de
l’organisation, ou renforcer la rentabilisation des activités des membres. Cette situation risque de
positionner l’entrepreneuriat communautaire dans une logique de génération de revenus au détriment
d’une logique d’économie productive. C’est cela qui explique le fait que le système se reproduit sur lui-
même et a toujours besoin d’injections financières extérieures pour atteindre ou se maintenir à certains
niveaux de productivité. Cette situation renseigne sur le fait que la recherche de l’auto financement
n’est pas toujours posée comme priorité par les leaders de l’entrepreneuriat communautaire beaucoup
plus rivés à une course effrénée vers la recherche de partenaires et de financement qu’à la capitalisation
des ressources générées.

Sur le plan du rapport au développement local, les divers cas d’entrepreneuriat communautaire
étudiés témoignent du décalage entre leur contribution à la revitalisation socio-territoriale et leur place
dans la vie publique locale. A part le collectif des GIE CETOM, les autres cas d’entrepreneuriat
communautaire ne démontrent pas l’existence d’une structure de coordination locale ou d’un réseau
local à l’intérieur de leur secteur d’activités ou entre secteurs d’activités. C’est cela qui explique le fait
que l’entrepreneuriat communautaire ne se positionne pas et n’est pas reconnu comme acteur social
stratégique en tant que pôle d’acteurs spécifique. Le réseautage se fait souvent au niveau national (cas
réseau national des mutuelles d’artisans et fédération des femmes transformatrices et micro mareyeuses
du Sénégal). Les conflits de leadership, les relations plus vues en termes de concurrence, l’absence
d’une vision claire ainsi que la forte intrusion des partenaires porteurs d’un tel projet seraient à l’origine
de cette absence de cadre de concertation entre les diverses parties prenantes de l’entrepreneuriat
communautaire local.
373

Cette dispersion de l’entrepreneuriat communautaire local explique qu’aucune des organisations


étudiées n’a eu à prendre part au processus de développement local de la ville, si ce n’est à travers leurs
fédérations. C’est que les organisations étudiées semblent être plus circonscrites à leur milieu ou à leur
secteur d’activité. Ensuite, du point de vue des autorités municipales, le développement local reste
fortement teinté par les dimensions socio-politique et technique au détriment de celle économique (cf
contextualisation). Toutefois, les relations mitigées avec l’administration municipale doivent être
nuancées du fait d’un début de collaboration avec les dispositifs d’appui technique aux collectivités
locales, à savoir l’agence de développement communal et l’agence de développement régional. Dans ce
cadre, on peut systématiser la nature de l’interface municipalité et entrepreneuriat communautaire
autour de trois formes. D’abord, une absence de relation peut être constatée au niveau de la CECAS et
du GIE Djambarou Sine, mais qui n’induit pas la non collaboration avec les dispositifs d’appui
techniques des collectivités locales. Ensuite, une relation de conflit et de rivalité (ADD) liée à la
compétition entre deux dynamiques de développement local (dynamique institutionnelle versus
dynamique communautaire) et portant notamment sur les structures d’exercice du pouvoir local (ADD
versus conseil de quartier initié par la municipalité). Enfin, la troisième forme de relation, qui semble
être la plus dense, concerne la relation de sous traitance que le GIE CETOM entretient avec la
municipalité portant sur la collecte et l’évacuation des ordures ménagères du quartier de Léona.

C’est dire qu’aucune relation de partenariat n’a été notée entre la Commune et les divers types
d’entrepreneuriat étudiés. Ces divers cas témoignent de la diversité des types de relations pouvant
exister entre une municipalité et les groupes sociaux mais également, informent du fait que la
dynamique de gouvernance locale ne conduit pas forcément à une politique publique unifiée
systématisant la position des collectivités locales par rapport aux groupes sociaux, ni à une redéfinition
de la politique publique locale. Elle se construit au cas par cas, en fonction du secteur investi, de son
rapport aux priorités de l’institution publique ainsi que de la dynamique des acteurs mobilisés. S’ajoute
à de tels facteurs, la présence des partenaires financiers dont la vision (sensibilité sociale et dynamique
participative versus privatisation du social et logique de rentabilité économique) détermine en dernier
ressort, la politique des municipalités assez affectées par la crise des finances publiques. Toutefois, il
faut bien noter que la dynamique de gouvernance offre aux acteurs sociaux des possibilités plus grandes
d’investissement dans l’espace public local. C’est cela qui explique le fait que les diverses expériences
étudiées témoignent de la pluralité des espaces de délibération autonome induite par l’entrepreneuriat
communautaire permettant notamment aux organisations d’assurer, à l’intérieur de leur secteur
d’activité ou de leur territoire d’implantation, une auto-régulation des modalités de production et de
distribution des services en rapport avec les populations concernées. Ce type d’analyse se vérifie
374

également dans les relations entretenues par l’entrepreneuriat communautaire avec ses partenaires au
développement (ONG, coopération décentralisée, organisme de développement international) marquées
plus par une adaptation aux exigences des bailleurs que par une tentative de les influer. Ainsi, le rôle
d’intermédiation se réduit à un rôle de transfert des conditionnalités des bailleurs aux sociétaires
bénéficiaires, posant le problème de la qualité des produits mobilisés. Cette logique d’adaptation, au
détriment de celle de transformation, explique le fait que les innovations construites de l’intérieur de
l’entrepreneuriat communautaire ne soient ni assumées par les organisations, ni reconnues par les
pouvoirs publics et les partenaires au développement. C’est pourquoi, elles restent circonscrites à la
dynamique elle-même en se confinant dans les interstices des structures et des modalités de régulation
économique et politique existante, ce qui ne garantit ni leur expansion, ni leur portée transformatrice.

Dans le but de saisir l’hétérogénéité de l’entrepreneuriat communautaire, il est possible de


systématiser l’état d’évolution des divers cas étudiés en termes de niveaux de développement allant
d’organisations à la recherche de repères à des cas bien établis. L’ADD traduit la mouvance
entrepreneuriale inachevée des associations qui, du fait de l’absence d’un cadre institutionnel de
référence, expriment plutôt une expérience d’apprentissage de l’entrepreneuriat communautaire, car
devant forger par elles-mêmes les habiletés organisationnelles nécessaires au bon déroulement de leurs
activités entrepreneuriales. L’expérience du GIE CETOM de Léona renseigne sur le fait que
l’entrepreneuriat communautaire orienté vers la prestation de services publics locaux n’échappe pas au
dilemme consubstantiel de la dynamique partenariale entre groupes sociaux et collectivité locale ou
partenaires au développement. Ce cas démontre une volonté réelle des collectivités locales d’impliquer
les groupes socio-économiques à la co-production de services publics locaux, ce qui participe de la
gouvernance territoriale. Toutefois, la co-production de services reste plus opérationnelle et technique
que démocratique, du fait qu’elle ne garantit pas toujours une co-construction des règles de partenariat,
mais limite l’entrepreneuriat communautaire à un rôle de sous traitant de services transférés par les
collectivités locales. Dans ce cadre, l’entrepreneuriat communautaire accède certes à certains niveaux
de responsabilité dans la gestion publique locale tout en expérimentant de nouvelles formes de
relations, mais au risque de participer à la marchandisation du social et à la reproduction du système
existant.

Quant à la CECAS, elle démontre l’expansion de la microfinance en milieu précaire. Mais en


même temps, le cas de cette mutuelle informe qu’à un certain niveau de performance, le
fonctionnement associatif de l’entrepreneuriat communautaire demeure peu en mesure de lui assurer
une viabilité organisationnelle, gestionnaire et socio-économique. Ainsi, c’est lorsque la CECAS a
375

atteint un niveau d’expansion élevé, que les dysfonctionnements de sa base organisationnelle ont révélé
la déficience de son système de gestion et de suivi comptable ainsi que de son système d’informations
financières. En outre, le fonctionnement démocratique du processus décisionnel en situation
d’expansion reste problématique. C’est dire que la crise de maturité que traverse cette mutuelle
interroge le décalage entre la performance de l’entrepreneuriat communautaire en matière de
mobilisation et de distribution de ressources et son déficit en matière de gouvernance organisationnelle
et de viabilité socio-économique. Par ailleurs, ce cas démontre que la relation entre performance de
l’organisation et changement de catégories socio-économiques des sociétaires n’est pas forcément
établie au sein de l’entrepreneuriat communautaire.

Enfin, le GIE Djambarou Sine démontre la portée de l’entrepreneuriat féminin notamment


comme un espace d’allocation de ressources difficilement mobilisables à l’échelle individuelle,
notamment pour les femmes qui, du fait des contraintes sexo-spécifiques (analphabétisme, statut social,
charges familiales), ne disposent pas toujours d’opportunités pour réaliser des activités
entrepreneuriales dépassant la survie. Ce cas renseigne sur l’effet nocif, voire pervers des stratégies
opportunistes des sociétaires (passagers clandestins) à la fois sur la performance de l’organisation ainsi
que dans l’accentuation de la vulnérabilité du système productif. Par exemple, le contournement du GIE
en matière de commercialisation des produits transformés par les membres alors qu’en aval, son appui
demeure substantiel en matière d’accès aux crédits, aux formations techniques et aux matériels de
production, comporte des effets pervers reproducteurs de la position de marché déficiente des femmes
transformatrices. Ainsi, du fait de la prédominance de la rationalité instrumentale sur celle
communicationnelle, les sociétaires perdent tout le bénéfice lié à leur constitution en un GIE. Mais en
même temps, ce cas renseigne sur la difficulté en contexte de précarité, d’amener les sociétaires à
dépasser momentanément leurs intérêts immédiats, lorsque l’organisation elle-même n’est pas assez
outillée pour leur proposer des stratégies alternatives crédibles. Ainsi, limité dans l’exercice de sa
mission et n’arrivant pas à systématiser des propositions concrètes quant aux modalités de
commercialisation des produits de ses membres, le GIE Djambarou se laisse réduire à un espace
d’allocation de ressources au profit de ses sociétaires, se positionnant plus dans une économie de rente
que dans une économie productive.

Le tableau ci-joint permet de systématiser quelques enseignements des diverses études de cas.
376

Tableau 7.13: Fiche synoptique des types d’entrepreneuriat communautaire étudiés

Modalités CECAS GIE Djambarou Sine ADD GIE CETOM Léona


Type Entrepreneuriat productif Entrepreneuriat d’appui aux Entrepreneuriat de redistribution et Entrepreneuriat de prestation de
d’entrepreneuriat activités productives de développement communautaire services publics locaux
Types d’acteurs Artisans, démunis et classe Femmes transformatrices de Femmes et jeunes du quartier Jeunes du quartier
moyenne poissons
Forme Mutuelle d’épargne et de Crédit Groupement d’intérêt Association de développement de Groupement d’intérêt économique
organisationnelle économique, coopérative de quartier prestataire de services prestataire de services publics locaux
travailleuses sociaux de base
Gouvernance Organes fonctionnels mais Organes peu fonctionnels mais Cohérence organisationnelle Dynamique de groupe restreint et
organisationnelle gouvernance organisationnelle leadership actif problématique mais volontarisme des gouvernance collégiale
problématique membres
Performance socio- Performance plurielle mais Performance plurielle mais Performance plurielle mais problème Performance plurielle mais problème
économique problème de viabilité socio- fragile et problème de de viabilité socio-économique des de viabilité socio-économique de
économique et de déficience de coordination des activités activités entrepreneuriales l’activité
son système de gestion et de économiques des membres
suivi
Rapport au territoire Impact dans revitalisation et Impact dans revitalisation de Impact dans revitalisation et Impact dans revitalisation socio-
remobilisation socio- l’activité et du territoire remobilisation socio-territoriales territoriale et dans construction de
territoriales compromis territoriaux
Réseau local Réseau national mais pas local Réseau national mais pas local Réseau local timide Réseau local fonctionnel
Rapport aux Non engagement avec élus mais Risque d’instrumentalisation Compétition avec élus mais tend vers Entre sous traitance et co-production
collectivités locales début de collaboration avec avec élus et collaboration avec collaboration avec ADC de services publics locaux
ADC ADC
Réseau partenarial Réseau partenarial dense et Réseau partenarial dense et Réseau assez diversifié Réseau partenarial assez diversifié
diversifié diversifié
État actuel Crise de croissance et Réajustement de la position du Mouvance entrepreneuriale d’une Réajustement de son mandat, de son
d’évolution et restructuration organisationnelle GIE et de ses relations avec ses association inachevée et orientation et de ses relations avec la
perspectives en vue sociétaires restructuration organisationnelle en collectivité locale
cours
377

CHAPITRE VIII

CONCLUSION GÉNÉRALE : POTENTIEL INNOVATEUR ET ALTERNATIF DE


L’ENTREPRENEURIAT COMMUNAUTAIRE EN CONTEXTE DE PRÉCARITÉ

Ce dernier chapitre représentant la conclusion générale de notre recherche, vise à systématiser les
potentiels innovateur et alternatif de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité.
L’analyse du potentiel innovateur s’inscrit dans l’identification et l’analyse des sources et possibilités
d’innovations socio-territoriales tandis que celle concernant le potentiel alternatif s’interroge sur les
conditions de pérennisation voire d’institutionnalisation de ces innovations en vue de contribuer au
renouvellement des structures et des modalités de régulation politique et économique à l’échelle du
territoire. Autrement dit, les innovations socio-territoriales dont est porteur l’entrepreneuriat
communautaire en contexte de précarité, aboutissent-elles à la construction d’alternatives territorialisées
portant sur les modalités de gestion publique et de production/distribution des richesses? Après la
présentation de ces deux niveaux de potentiels, l’analyse va procéder à un retour aux théories et aux
enjeux de notre recherche avant de déterminer quelques limites et perspectives de recherche. Enfin, des
recommandations seront indiquées en vue de systématiser quelques conditions d’expansion de
l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité.

8.1 Potentiel innovateur de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité

- Structuration d’acteurs sociaux vulnérables en un groupe socio-économique combinant base


communautaire et logique entrepreneuriale

Les expériences étudiées révèlent comme déterminants à l’émergence de dynamiques


d’entrepreneuriat communautaire, l’existence d’un terreau de vulnérabilité et de marginalisation d’ordre
institutionnel, économique, financier et/ou social concernant des acteurs sociaux, des territoires ou des
secteurs d’activités, combinée à une dynamique endogène et autonome qui dépasse le sentiment de
frustration ainsi que les initiatives spontanées ou revendicatives, pour s’inscrire dans une démarche
d’auto-promotion socio-économique collectivement partagée. Ainsi, au lieu de se limiter à un simple
constat de la situation débouchant la plupart du temps sur des initiatives spontanées, informelles ou
revendicatives, la dynamique innovatrice de l’entrepreneuriat communautaire a consisté à transformer
ces sources de frustration en facteurs de mobilisation sociale dans le cadre d’une dynamique collective
d’auto-promotion socio-économique où les acteurs sociaux cherchent à assurer par eux-mêmes leur
accès aux ressources ou aux services.
378

Les déterminants structurant le processus de structuration des acteurs sociaux vulnérables en un


groupement socio-économique demeurent multiples. La qualité du processus de constitution des
organisations économiques communautaires démontre l’impact positif d’un accompagnement
institutionnel, technique et financier intégré à une logique d’appui. C’est le cas notamment de
l’intervention des partenaires (publics ou organismes d’appui) venant non pas pour réaliser un
programme déjà défini mais plutôt, renforcer une initiative endogène de façon à ne pas remettre en
cause la maîtrise locale du processus. Cela démontre également que l’appropriation d’une forme
organisationnelle reconnue et soutenue par les pouvoirs publics ou par les partenaires au
développement, constitue une modalité gagnante de structuration des initiatives locales en une
dynamique socio-économique. On peut également signaler l’investissement de secteurs d’intervention
où l’organisation ou ses membres disposent d’avantages concurrentiels en termes d’expériences ou
d’expertises, permettant ainsi d’articuler demande sociale et compétences des membres, offrant du
même coup à ces derniers, une opportunité d’insertion socio-économique. Un autre déterminant peut
être trouvé dans le leadership volontariste disposant de compétences plurielles (technique, relationnelle,
sociale, financier) et faisant de la réussite de l’initiative un défi personnel. Ces leaders (entrepreneurs
sociaux) jouent en ce sens un grand rôle dans la socialisation de leur logique d’auto-promotion auprès
d’acteurs sociaux avec qui ils partagent souvent la situation socio-économique, le secteur d’activité ou
le territoire de résidence. C’est cela qui a permis d’éviter que l’entrepreneuriat communautaire ne soit
limité à quelques leaders pour devenir une forme d’action collective. Il apparaît à ce titre comme une
forme de réponse du mouvement communautaire à la volonté d’auto-promotion socio-économique
manifestée par leurs membres luttant contre un chômage chronique et la détérioration des conditions de
vie. Sous ce rapport, l’entrepreneuriat communautaire participe du soutien et de la diffusion de l’éthos
entrepreneurial en milieu populaire.

Notre recherche nous amène à élargir l’auto-promotion à deux niveaux : l’auto-promotion d’une
part, comme auto-prise en charge personnelle de ses besoins par un individu et d’autre part, comme
processus endogène et autonome initié par un groupe en rapport avec d’autres types d’acteurs et
cherchant à assurer, en faveur de ses membres, l’accès aux ressources, la défense de leurs intérêts et la
maîtrise de la gestion de leur territoire ou de leur secteur d’activité. L’entrepreneuriat communautaire
intègre ces deux niveaux, démontrant ainsi que son action est aussi bien socio-économique que socio-
politique, en dehors du fait qu’elle cherche également à assurer la promotion de personnes appartenant à
la communauté territoriale (hétéro-promotion). En ce sens, la mobilisation autour des membres
démontre que l’individu-membre et ses préoccupations d’insertion socio-économique ou d’accès aux
379

ressources stratégiques, constituent désormais la centralité de l’action de l’entrepreneuriat


communautaire.

La stratégie de structuration des acteurs sociaux en un groupe socio-économique peut prendre


plusieurs formes. Les associations en mouvance entrepreneuriale déploient souvent une stratégie de
contournement du cadre juridique associatif aboutissant à une diversification des formes
organisationnelles en vue de mettre en place une entreprise communautaire à côté de l’association mère
(ADD). Une telle stratégie atteste le fait que la mouvance entrepreneuriale ne débouche pas forcément
sur la disparition de l’association mais donne plutôt lieu à la co-existence de plusieurs dynamiques
organisationnelles au sein d’une même entité. Quant aux autres formes d’entrepreneuriat
communautaire, elles rendent compte d’une stratégie récurrente constatée en milieu populaire, à savoir
l’appropriation de formes organisationnelles reconnues par les pouvoirs publics et soutenues par les
partenaires au développement. Par exemple, le GIE CETOM est une forme organisationnelle promue
par la Commune de Saint-Louis et ses partenaires de la coopération décentralisée tandis que
l’expérience de la CECAS témoigne de la grande attention apportée par les pouvoirs publics et les
partenaires au développement à la micro finance comme levier de lutte contre la pauvreté. Le cas du
GIE Djambarou Sine éclaire sur la labilité des acteurs sociaux, notamment jusqu’où ils peuvent aller
pour s’approprier des formes organisationnelles susceptibles d’être soutenues par les partenaires. En
effet, le changement récurrent de formes organisationnelles de la part de cette structure
d’entrepreneuriat féminin, passant de «mbootay» à une coopérative puis à un GIE renseigne sur les
pratiques d’isomorphisme institutionnel en cours au sein des dynamiques communautaires, dans le but
de pouvoir bénéficier régulièrement d’appuis financiers et techniques des partenaires au
développement. Malgré les risques que cette labilité organisationnelle pose en termes d’appropriation
du dispositif, elle témoigne de la flexibilité et de la capacité adaptative des dynamiques
d’entrepreneuriat communautaire.

- Cadre d’habilitation d’acteurs et de groupes sociaux vulnérables

La structuration d’acteurs sociaux vulnérables en groupe socio-économique participe d’une


dynamique plus globale en termes d’habilitation, qui informe d’une dynamique de renforcement des
aptitudes et de repositionnement stratégique d’acteurs, de secteurs et de territoires marginalisés, ce qui
rapproche l’habilitation de la notion de capabilité (Sen, 2000 et 2004). Cette habilitation dépasse
l’ennoblissement de certains métiers comme ce fut le cas des transformatrices de poissons de Guet Ndar
ou des collecteurs d’ordures de Léona. Elle concerne un processus plus global intégrant insertion socio-
380

économique, réalisation de soi, reconnaissance sociale, renforcement de capacités d’action et


dynamique d’empowerment local. A ce titre, l’expérience du GIE CETOM de Léona demeure riche en
enseignements : la Commune finance les matériels du GIE; les populations, à travers le système
d’abonnement, finance les salaires des membres du GIE tout en ayant un droit de regard sur les
modalités de fourniture du service; l’activité de gestion des ordures ménagères offre aux prestataires un
moyen de lutter contre le chômage tout en rendant service à leur quartier, leur faisant ainsi bénéficier
d’une plus grande reconnaissance sociale et d’une formation sur le tas. Dans ce cas, l’habilitation
augure de la construction d’un compromis socio-territorial où les populations, les membres du GIE et la
Commune s’accordent pour assurer la prise en charge du service public local, compensant ainsi les
difficultés manifestées par les collectivités locales à assurer seules un tel service. En outre,
l’habilitation induite par l’entrepreneuriat communautaire offre des opportunités d’apprentissage de
l’autonomisation socio-économique et de mise en situation professionnelle aux sociétaires.

Enfin, notons que le processus d’habilitation des acteurs sociaux induit par l’entrepreneuriat
communautaire augure de la montée en puissance de nouveaux types de leaders qui participent de la
recomposition du leadership territorial. Il s’agit de leaders n’ayant pas toujours une attache politique
partisane et qui tirent leur légitimité de leur mobilisation au service de leur communauté territoriale ou
de leur secteur d’activité. Il s’agit plus précisément d’entrepreneurs sociaux qui se caractérisent par des
traits de caractères multiples comme : un activisme militant, une vision pragmatique, un sens de
l’initiative, un réseautage à des milieux d’appui, un capital technique ou économique ainsi que des
pratiques innovatrices, bref tous traits utiles mobilisés au service de la collectivité ou de leur groupe
social. Supportant le dynamisme de l’entrepreneuriat communautaire (ce qui aboutit souvent au
présidentialisme), ces entrepreneurs sociaux apparaissent comme des vecteurs de changement
comportemental auprès de leurs membres et se voient de plus en plus reconnus au sein de leur secteur
d’activités et du territoire. C’est dire que les leaders sociaux, différents des leaders plus connus dans le
champ politique ou institutionnel (élus), participent de la recomposition du leadership local s’ils
continuent à maintenir leur ancrage social ainsi qu’une mobilisation non partisane.

- Espace de détection et de systématisation de la demande sociale autour d’un projet mobilisateur

Du fait de leur ancrage dans le milieu, de leur mode de propriété collective, de leur vision
extensive de la rentabilité ainsi que de leur engagement civique, les dynamiques d’entrepreneuriat
communautaire semblent être plus susceptibles de détecter les besoins sociaux marginalisés et pas ou
peu satisfaits parce que souvent peu solvables ainsi que les nouvelles aspirations provenant de leurs
membres ou de leur communauté territoriale, devançant ainsi les pouvoirs publics et les partenaires au
381

développement souvent lents à réagir du fait de lourdeurs bureaucratiques. Dans ce cadre, une des
modalités de la dynamique innovatrice de l’ADD se trouve dans sa capacité à révéler les problèmes et
les aspirations du quartier, à socialiser son analyse de la situation en se constituant comme espace de
médiation sociale (des divers projets, visions et intérêts provenant d’acteurs divers résidant le quartier)
et enfin, à construire des conditions de prise en charge locale avant de chercher l’appui des partenaires.
Cette modalité qui fonde sa vitalité associative est liée à son évolution par défis: la mobilisation contre
l’état d’insalubrité du quartier a débouché sur la mise en place d’une association de développement de
quartier, l’absence de structure d’encadrement socio-éducatif pour les enfants du quartier ainsi que le
chômage des membres déjà formés en collectivités éducatives ont donné naissance à la mise en place
d’une garderie communautaire d’enfants, recrutant comme personnel les membres de l’organisation.

Cette fonction de détection de la demande sociale renseigne sur la pertinence de la lecture de la


situation dont font montre les expériences d’entrepreneuriat communautaire, sur leur potentiel
anticipatoire ainsi que sur leur dynamique proactive cherchant à structurer les besoins ponctuels et
dispersés des acteurs sociaux pour en faire une base de projet. Ces initiatives démontrent également une
grande capacité à promouvoir la socialisation des préoccupations ou des idées de projets à l’intérieur
d’un secteur d’activité ou d’une communauté territoriale, évitant ainsi que l’entrepreneuriat
communautaire ne soit réduit à une dynamique promue par quelques personnes «éclairées» ou par
quelques leaders. Ce sont de tels avantages concurrentiels, expressifs de sa proximité sociale avec la
réalité vécue par les populations qui démontrent que les projets promus par l’entrepreneuriat
communautaire devraient être considérés comme composante de l’économie du «rez-de-chaussée»
(Braudel, 1979) devant inspirer les pouvoirs publics et les partenaires dans l’élaboration de leurs
programmes de développement.

- Espace de production et de distribution de biens et services répondant à la demande sociale

Les différents cas d’entrepreneuriat communautaire témoignent de la diversité de leurs domaines


d’intervention traduisant ainsi une volonté de réaliser toute activité présentant une utilité sociale mais
faiblement investie par les autres types d’acteurs, à savoir les pouvoirs publics et les partenaires au
développement. En effet, les initiatives étudiées ont la plupart du temps une visée de satisfaction des
besoins en réaction à la marginalisation sociale, économique ou institutionnelle. Les activités
concernent soit la co-production de services publics locaux (GIE CETOM de Léona), l’accès aux
services sociaux de base, comme par exemple l’éducation préscolaire des enfants (ADD), la
mobilisation et la distribution de services financiers de proximité (CECAS) et enfin, l’appui aux
382

activités productives des membres (GIE Djambarou Sine). A ce titre, l’analyse révèle une logique
d’action intégrée au sein de l’entrepreneuriat communautaire appréciable à travers le fait que derrière la
réalisation de la plupart des activités réalisées, se profilent trois déterminants structurants. Le premier
concerne son positionnement marqué autour de la démocratisation de l’accès aux ressources
stratégiques (financement, emploi non salarié, matériel de production, formation, services sociaux de
base, services publics locaux, information) au profit des membres et/ ou de couches sociales
défavorisées ou vulnérables. Cette finalité dénotant un souci d’équité et de justice sociale, positionne
l’entrepreneuriat communautaire comme partie prenante de l’élargissement de la démocratie, souvent
limitée à son aspect politique (droit de vote, élection transparente, liberté d’expression et
d’association…) à la démocratie économique. Celle-ci implique d’une part, une répartition équitable
des richesses et d’autre part, le renforcement des capacités permettant à tous les citoyens de pouvoir
bénéficier de chances égales pour accéder aux ressources stratégiques. C’est le cas par exemple de la
politique de crédit de la CECAS qui promeut un accès égale des membres aux services offerts compte
non tenu de leurs moyens économiques ou de leurs parts sociales, tout en déployant une politique de
ségrégation positive en faveur des cibles vulnérables comme les femmes à qui est accordé un apport
personnel de 5% contre 10% pour les hommes.

Une telle préoccupation renseigne sur la performance écosociale promue par l’entrepreneuriat
communautaire combinant recherche de profit et services non monétaires en vue d’assurer la promotion
socio-économique de ses membres, de cibles vulnérables ou de la communauté. Quant au second
déterminant, il révèle la dimension insertion socio-économique pouvant prendre dès fois les allures
d’une insertion par l’économique (mise en situation socio-professionnelle) comme sous tendant la
plupart des activités réalisées. Il s’agit soit du financement d’activités productives des membres
débouchant sur la création et/ou le maintien d’emplois non salariés, du recrutement d’un personnel ou
de la mise en situation socio-professionnelle de membres favorisant ainsi une expérience d’auto emploi
(ADD, CETOM). Enfin, le troisième déterminant concerne les effets générateurs induits par les
activités de l’entrepreneuriat communautaire. Ils peuvent être appréciés à travers l’expérience du GIE
CETOM de Léona qui recèle une performance plurielle en termes de collecte régulière des OM,
d’incidence sur la réduction de la ségrégation spatiale relative à l’accès aux services publics locaux au
profit d’un quartier défavorisé, de promotion de la salubrité publique assurant une meilleure qualité de
vie, de promotion d’un civisme fiscal à travers son système d’abonnement des ménages ou encore de
renforcement de l’empowerment local dans la gestion territoriale. C’est dire que le potentiel innovateur
de l’entrepreneuriat communautaire révèle une performance plurielle dans la production ou la
distribution d’une gamme variée de services financiers, sociaux et publics, accessibles à moindre coût à
383

la majeure partie de la population, et répondant à la demande sociale tout en comportant des effets
générateurs sur le territoire ou sur le secteur investi. Cette finalité écosociale informe également des
modalités de production et de distribution de services.

- Espace d’expérimentation de modalités différentielles de production et de distribution de biens


et services

La vision différente de l’économie et corrélativement celle de la performance socio-économique,


le souci d’assurer la promotion de la communauté et l’auto-promotion des membres, la démocratisation
du processus productif impliquant les usagers ainsi que le mode collectif de propriété induisant des
règles de partage du surplus, informent des modalités différentielles de production et de distribution de
biens et services promues par l’entrepreneuriat communautaire. Entre autres modalités, on peut retenir:
une construction conjointe de l’offre et de la demande en relation avec les populations concernées et
avec les partenaires (pouvoirs publics, partenaires au développement, privé local…), les services
gratuits d’accompagnement ou d’appui entourant l’offre, la prédominance du travail (mobilisation
bénévole des leaders et des membres) sur le capital, un mode de gestion des demandes flexible et ciblé
voire personnalisé réduisant l’asymétrie d’information entre le sociétaire et l’organisation, la
valorisation des compétences internes compensant la faiblesse des moyens de fonctionnement ou
encore, l’hybridation des ressources. Ces modalités qui renseignent sur une grande capacité
d’internalisation des externalités doivent cependant ne pas nuire aux conditions d’efficience du service
offert et à la viabilité socio-économique de l’organisation.

La construction conjointe de l’offre et de la demande peut être appréciée à travers l’expérience du


GIE CETOM de Léona où à la fois, le découpage sectoriel du quartier, les heures de collecte des
ordures ménagères ainsi que le montant des cotisations mensuelles des ménages sont le produit d’une
démarche négociée en rapport avec les populations et les services techniques municipaux, garantissant
ainsi les conditions d’une auto-régulation territorialisée du service de collecte et d’évacuation des OM.
Quant au mode de gestion des demandes, son caractère flexible et ciblé peut se lire à travers la
diversification des types de produits financiers mis en œuvre par les mutuelles pour prendre en charge
la diversité des besoins de financement liée à la recomposition de leur membership. C’est ce qui
donnera des crédits d’activité d’appoint pour la classe moyenne, des crédits d’activités génératrices de
revenu pour les démunis et enfin, des crédits d’investissement pour les micro entrepreneurs. C’est
d’ailleurs la diversification de ses types de crédits en fonction des catégories socio-économiques qui ont
permis à la CECAS de dépasser son statut originel de mutuelle d’artisans pour investir le financement
de l’entrepreneuriat local. Concernant la valorisation des compétences internes, elle permet à
384

l’entrepreneuriat communautaire d’une part, de bénéficier de l’apport en bénévolat de ses membres


notamment des leaders qui mettent à sa disposition divers capitaux (relationnel, socio-politique,
économique) et d’autre part, elle ouvre des perspectives en termes d’opportunité d’insertion socio-
économique au profit des membres. Dans ce cadre, une des modalités gagnantes peut être trouvée dans
le recrutement du personnel parmi les membres. Ce choix raisonné a permis par exemple à l’ADD de
réduire ses charges de fonctionnement tout en offrant des indemnités à ses membres chômeurs. Enfin,
l’hybridation de ressources constitue pour l’entrepreneuriat communautaire le mécanisme principal de
mobilisation des ressources du fait de la faiblesse des moyens financiers. L’entrepreneuriat
communautaire témoigne de l’hybridation de ressources marchandes (lignes de crédit des partenaires,
épargne des personnes concernées, prestation de services), non marchandes (subvention, appui
institutionnel et technique des services techniques décentralisés et municipaux) et enfin, non monétaires
(bénévolat des leaders, engagement social du personnel et des membres, modules de formation des
partenaires, accès aux réseaux et à l’information). A la différence du secteur privé qui procède
également à l’hybridation mais sans reconnaître ses implications, l’entrepreneuriat communautaire
reconnaît l’hybridation des ressources comme mécanisme de production induisant une redistribution
des ressources générées aux sociétaires. A ce titre, l’hybridation des ressources et des composantes
(organisationnelle et entrepreneuriale) ainsi que la logique d’action intégrée amènent à lire
l’entrepreneuriat communautaire comme un espace de médiation de divers cadres référentiels (logique
productive, redistributive et régulatrice), de divers types d’acteurs (État, collectivités locales,
partenaires, acteurs sociaux, privé) et de diverses ressources en vue de contribuer à la satisfaction de la
demande sociale.

Ce sont ces avantages concurrentiels dont est porteur l’entrepreneuriat communautaire dans ses
modalités de production et de distribution des biens et services qui démontrent que le contexte de
précarité ne signifie pas toujours un état de dénuement et n’interdit pas la construction d’innovations,
mais appelle plutôt des formes particulières de production et de redistribution des richesses qui
interrogent la portée des autres modes de production. En effet, ni les pouvoirs publics qui ont démontré
leurs faibles capacités productives du fait de leurs logiques d’action sectorielles et hiérarchiques, ni les
partenaires au développement qui répondent d’objectifs macro et d’une planification pré établie avec
des normes standardisées, ni le privé capitaliste obnubilé par la maximalisation du profit à moindre
coût, ne semblent pouvoir internaliser la plupart des modalités de production et de distribution de
services promues par l’entrepreneuriat communautaire. Par exemple, il demeure difficile au système
bancaire de supporter le caractère imprévisible et incertain du système de production halieutique
dépendant de l’apparition lunaire. C’est pourquoi, l’entrepreneuriat communautaire, à côté d’autres
385

initiatives économiques populaires apparaît comme expressif d’un quatrième pôle d’acteur (les trois
autres étant les pouvoirs publics, les partenaires au développement et le privé) dont la portée apparaît
déterminante tant en matière d’accès aux ressources, de réduction des inégalités que de maintien de la
stabilité socio-politique du pays. D’ailleurs c’est cet effet de régulateur de crises qui permet de
comprendre le fait, qu’à défaut d’être soutenu de manière systématique, l’entrepreneuriat
communautaire bénéficie de la tolérance et de la bienveillance des pouvoirs publics.

- Espace de mobilisation et d’intermédiation de divers types de partenaires

Le réseau partenarial de l’entrepreneuriat communautaire révèle diverses formes de collaboration


avec divers types d’acteurs : les collectivités locales (Commune et Région) particulièrement leurs
services techniques, les services décentralisés de l’État, les ONG locales et internationales, le secteur
privé local, les fédérations d’organisations, la coopération décentralisée et bilatérale et enfin, les
organismes de développement international. A ce titre, les expériences d’entrepreneuriat
communautaire étudiées témoignent du fait que la diversité et la densité du réseau partenarial
constituent un indicateur de performance, expliquant l’accent particulier porté à la recherche de
partenaires. D’ailleurs, les formes organisationnelles qu’empruntent la plupart des initiatives
entrepreneuriales reflètent les types d’organisations les plus soutenus par les partenaires au
développement, à savoir les ONG, la coopération décentralisée et les organismes de développement
international (PNUD, ONUDI). Ces acteurs, du fait de leurs moyens financiers importants, de la
multiplicité de leurs domaines d’intervention et de leur sensibilité sociale constituent à ce titre, à côté
des collectivités locales, les partenaires stratégiques des initiatives d’entrepreneuriat communautaire
dans un contexte marqué par la faiblesse des appuis publics. C’est le cas par exemple du PELCP/
PNUD dont le soutien structurant à deux des entreprises communautaires étudiées, à savoir la CECAS
et Djambarou Sine a été déterminant dans leur leadership territorial. Par exemple, la CECAS a connu
son expansion avec les deux crédits offerts par cet organisme qui lui a permis non seulement
d’augmenter son offre de crédit et d’élargir son membership aux démunis (petits métiers de la rue,
femmes, chômeurs, micro entrepreneurs), mais également de se positionner dans le portage de lignes de
crédits pour des MEC émergentes. Quant à Djambarou Sine, sa présence marquée sur la filière de la
transformation est le fruit du soutien du PELCP qui, en plus d’assurer la formation de ses membres
autour de divers modules, l’a réseauté avec d’autres partenaires comme l’USAID et le BIT. Ces
derniers ont offert au GIE des fours de braisage de poissons, lui permettant ainsi d’initier ses membres
aux nouvelles techniques de transformation du poisson. C’est dire que contrairement à une période
récente où les partenaires au développement n’avaient de relations qu’avec les pouvoirs publics dans le
386

cadre de conventions de financement, on constate de plus en plus la construction de liens directs établis
entre acteurs sociaux et partenaires au développement.

A un autre niveau, l’entrepreneuriat communautaire a pu démontrer une performance dans


l’intermédiation et dans l’harmonisation entre les conditionnalités des partenaires et les caractéristiques
du système productif local dans lequel baignent ses membres. A cet égard, l’expérience de Djambarou
Sine, à travers son mécanisme de garantie solidaire et de pré remboursement du crédit bancaire afin
d’assurer la solvabilité de ses membres fonctionnant sur la base du calendrier lunaire alors que le
système bancaire utilise le calendrier grégorien, démontre une dynamique innovante de
l’entrepreneuriat communautaire en termes d’intermédiation de cadres référentiels. Ce sont toutes ces
modalités qui expliquent l’appui apporté à l’entrepreneuriat communautaire par les partenaires au
développement dans le cadre de leurs programmes de lutte contre la pauvreté, du fait du cadre opérant
et efficient offert qui garantit en même temps, un accès direct aux acteurs sociaux

- Acteurs de revitalisation socio-territoriale et de recomposition de l’architecture institutionnelle


locale

L’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat communautaire, tant du point de vue de ses


domaines d’intervention, de ses réalisations, de ses membres, de ses cibles que de ses problématiques,
témoigne de son effet levier sur la revitalisation des territoires ou des secteurs investis. En effet, les
financements injectés, les ressources et partenaires mobilisés, les emplois créés ou maintenus, les
acteurs ou secteurs d’activité habilités participent de la revitalisation du territoire d’implantation de
l’entrepreneuriat communautaire. Par exemple, l’appui qu’offre Djambarou Sine à ses quelques 200
membres, en leur facilitant un accès régulier au financement, au matériel de production et aux
formations techniques, a positionné la transformation du poisson en filière structurante de la pêche
locale en lui offrant un débouché dans un contexte de faiblesse des infrastructures en froid. Ce sont de
telles opportunités qui ont fait positionné la ville de Saint-Louis comme une zone de polarisation du
circuit national voire sous régional (Afrique de l’Ouest) des poissons transformés et ceci, malgré sa
position excentrée. Quant à la CECAS, sa performance en termes d’offre régulière de crédits a
contribué à redynamiser le secteur artisanal local en termes d’augmentation des capacités d’action des
artisans et de financement de la demande en matières premières tout en ayant un effet stimulant à la fois
sur les artisans des autres régions du Sénégal mais également, sur d’autres groupes sociaux vulnérables
souffrant d’exclusion financière qui, au lendemain de ses premiers résultats, vont mettre en place leur
propre MEC.
387

A ce titre, la revitalisation socio-territoriale induite par les activités de l’entrepreneuriat


communautaire devrait être analysée en termes de renforcement du capital socio-territorial mettant en
relief son effet dynamisant sur le territoire, renforçant la compétitivité de ce dernier par rapport à
d’autres territoires. Le capital socio-territorial participe de la dynamisation des secteurs de l’économie
locale mais également de l’espace public local en favorisant des espaces d’interaction productive entre
différents types d’acteurs. C’est le cas de la coproduction de services publics locaux mettant en relation
la Commune et le GIE CETOM de Léona. Dans ce cadre, en déplaçant la gestion des OM de l’espace
domestique vers l’espace public en termes de services de proximité, la coproduction des services
publics apparaît comme un espace de construction de nouveaux compromis territorialisés impliquant les
populations, les groupes sociaux, les collectivités locales et les services techniques municipaux et
décentralisés, le privé local ainsi que les partenaires au développement. Cette dynamisation de l’espace
public local laisse entrevoir une recomposition de l’architecture institutionnelle locale appréciable au
moins à trois niveaux, à savoir : l’implication de nouvelles parties prenantes dans la gestion du territoire
mettant en relief la présence plus affirmée d’acteurs émergents, le changement de position
institutionnelle et de fonction des pouvoirs publics locaux et enfin, la reconnaissance de nouveaux lieux
de planification locale.

Les cas d’entrepreneuriat communautaire étudiés témoignent de la part de plus en plus importante
prise par les acteurs sociaux dans la gestion de problématiques territoriales ou sectorielles.

Tableau 8.1: Acteurs du développement territorial de Saint-Louis (2004)


• Pouvoirs publics
o les collectivités locales (Commune et Région) et leurs dispositifs d’appui technique
o services décentralisés de l’Etat
o les agences parapubliques: SAED, ISRA…
• les partenaires au développement: PELCP/ PNUD, PDER/ ONUDI, coopération décentralisée et
bilatérale, ONG, Union Européenne…
• le secteur privé : banque, domaine industriel, secteurs d’activités économiques, opérateurs
économiques;
• les acteurs sociaux: organisations communautaires de jeunes et de femmes, société civile, conseil de
quartier, groupement d’intérêt économique, GIE CETOM, MEC, les fédérations d’associations, les
mutuelles de santé, les organisations socio-professionnelles, les syndicats, les leaders d’opinion, les
organisations religieuses…
• les structures de formation et d’expertise : université Gaston Berger, instituts de formation, bureaux
d’études et de formation…
• les partis politiques
388

Aux organisations de co-production de services publics locaux, on peut ajouter d’autres acteurs
émergents comme les conseils de quartier, la société civile, les leaders sociaux, les organisations
socio-professionnelles mais également, les habitants des quartiers désormais impliqués dans la gestion
de leur espace de vie (cas du CETOM). A ce titre, les acteurs significatifs du développement territorial
de Saint-Louis ne sont plus seulement limités aux pouvoirs publics (État et collectivités locales), on
constate, depuis le début des années 1990, une multiplicité de types d’acteurs déployant leurs actions en
relation ou à côté de celles des pouvoirs publics.

La multiplicité d’acteurs dans un contexte de carence des pouvoirs publics mais également de
libéralisation de l’économie et de gouvernance multi-acteurs, renseigne sur le changement de position et
de fonction des collectivités locales qui participe de l’avènement d’un autre mode de gestion publique
locale. En effet, les collectivités locales n’assurent plus le monopole du développement local et leur
fonction semble tendre plus dans un rôle d’impulsion, d’animation, de suivi-évaluation et de
coordination de la dynamique que de production de services, comme le démontre le cas du CETOM.
Dans cette dynamique par exemple, on passe d’une gestion administrative, centralisée et techniciste des
services publics locaux (ordures ménagères) à une dynamique de gouvernance locale marquée par
l’implication de plusieurs types d’acteurs ainsi qu’à une construction négociée des modalités de mise en
œuvre. A ce titre, la gouvernance locale ne signifie pas simplement une implication des acteurs sociaux
à la gestion publique locale, elle exige de nouvelles modalités de gestion publique permettant à tous les
acteurs significatifs du territoire de pouvoir influer sur les décisions publiques. Mais en même temps,
elle augure de la reconnaissance de nouveaux lieux de planification du développement. Habituellement
limitée à l’échelle nationale, la planification du développement dans une perspective de gouvernance
locale met en relief de nouveaux lieux comme l’échelle communale et régionale (aboutissant au plan de
développement communal et au plan régional de développement intégré), mais également le quartier
comme échelle pertinente de planification du développement (plans de développement de quartier). On
note également une planification de type sectoriel portant sur les secteurs d’activités: nettoiement,
urbanisme, patrimoine…

Tableau 8.2: Les divers lieux de planification du développement local à Saint-Louis


- échelle régionale : Programme Régional de Développement Intégré;
- échelle ville: Programme de Développement Communal ;
- échelle quartier: Plans de Développement des Quartiers;
- dimension sectorielle: plan de promotion de l’économie locale, Plan global de nettoiement;
Plan de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine; Plan directeur d’urbanisme, Agenda
21…
389

Tout en permettant d’éviter de réduire le développement local à l’échelle du territoire (ville ou


région) comme entité globale négligeant de fait les échelles méso (zone) ou micro (quartier) ainsi que
les secteurs d’activités, cette diversification des lieux de planification participe de la multiplication des
lieux de délibération des affaires locales confirmant la dynamisation de l’espace public local. Enfin, il
faut noter que l’élaboration de ces divers plans s’est déroulée de manière participative, en intégrant
diverses parties prenantes du domaine. Il reste cependant à se demander si cette recomposition de
l’architecture institutionnelle locale, liée à l’implication d’acteurs non institutionnels et au changement
de position et de fonction de la collectivité locale, aboutit à une reconfiguration du mode de régulation
locale, ce qui amène à questionner le potentiel alternatif de l’entrepreneuriat communautaire.

8.2 Potentiel alternatif de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité

Le potentiel alternatif de l’entrepreneuriat communautaire peut être apprécié en fonction de trois


dimensions : sa capacité institutionnalisante à porter ou à assumer les innovations dont il est porteur en
vue d’introduire des changements dans son secteur d’intervention ou sur son territoire d’implantation,
son positionnement en tant que groupe stratégique coordonnant des acteurs spécifiques et disposant
d’un projet de société et enfin, son influence sur les logiques d’action et d’appui des collectivités
locales et des partenaires au développement en vue de promouvoir des relations de partenariat
susceptibles d’assurer les conditions de reconnaissance voire d’institutionnalisation de ses innovations.
L’accent sera mis ici sur les facteurs de blocage expliquant le décalage entre le potentiel innovateur
pluriel de l’entrepreneuriat communautaire et l’atonie de son potentiel alternatif.

- Un faible positionnement dans la reconnaissance de ses innovations

Malgré leur potentiel innovateur appréciable à divers niveaux, les divers cas d’entrepreneuriat
communautaire étudiés ne démontrent pas un positionnement marqué ni dans la systématisation, ni dans
la reconnaissance des innovations dont ils sont porteurs. Par exemple, Djambarou Sine s’est davantage
attelé à promouvoir la diffusion d’innovations techniques (fours de braisage) promues par ses
partenaires comme le PELCP ou l’USAID qu’à chercher à valoriser les techniques traditionnelles de
transformation du poisson transmises de mère à fille. Ainsi, au lieu de partir des savoirs techniques
endogènes comme point de départ d’innovations techniques, le GIE s’est positionné dans une logique
de transfert de technologies, ce qui participe d’un processus d’appauvrissement symbolique parce que
dévalorisant le savoir-faire local. C’est cela qui explique entre autres le fait que, malgré l’existence de
fours de braisage moderne, les femmes transformatrices de Sine, à l’instar de la plupart des femmes
390

transformatrices de poissons du pays, sont restées dans un mode de production artisanale en utilisant les
bacs de séchage traditionnels. Il en est de même du mécanisme de pré remboursement du crédit. S’il est
évident qu’à lui seul, le GIE ne pouvait influer sur les modalités de crédit de la CNCAS, il n’a pas
cherché à remettre en cause les pratiques d’uniformisation de la banque, ni cherché à trouver un
compromis pour amener celle-ci à élaborer des produits financiers plus adaptés au calendrier lunaire qui
structure le système de production halieutique locale, en lieu et place d’un système de remboursement
basé sur le calendrier grégorien. Dans un tel contexte, les caractéristiques qui font la portée de
l’entrepreneuriat communautaire risquent de se transformer en effets pervers parce qu’évoluant dans un
cadre référentiel opposé voire contradictoire. C’est ce qui a amené le GIE à assumer seul les risques liés
à l’internalisation des externalités sans pour autant bénéficier de mesures compensatoires ni même
d’une reconnaissance officielle de la garantie qu’il apporte. Cette situation concerne également l’ADD
qui, à défaut de pouvoir faire reconnaître la spécificité de sa garderie en termes de mode de propriété
communautaire ainsi que de finalité écosociale, voit celle-ci être soumise à la même législation qu’une
garderie privée.

La faible conscience des innovations au sein de ces organisations plus préoccupées par des
objectifs opérationnels de satisfaction de la demande sociale, leur faible capacité à systématiser de telles
innovations ainsi que la faible reconnaissance de celles-ci par les pouvoirs publics et par les partenaires
au développement soumis à une logique de transfert de technologies ou d’expérimentation de leurs
propres modèles, expliquent le fait que même s’il peut être un lieu de construction d’innovations
sociales, l’entrepreneuriat communautaire rencontre de grandes difficultés à les diffuser voire à les
institutionnaliser. Il faut dans ce cadre noter que ce problème d’absence de relais et de soutien suffisant
pour assurer l’expansion des innovations sociales construites par les acteurs sociaux, soulève une
double désarticulation. D’une part, il y a le déficit d’articulation entre le système productif endogène et
le mode de production officiel peu actif en matière de valorisation des technologies endogènes, et
d’autre part, se pose le décalage entre la recherche notamment universitaire et les multiples
expérimentations opérationnelles auxquelles se livrent les acteurs sociaux. Ainsi, à défaut de cette
reconnaissance et de ce soutien institutionnel voire socio-politique et technique, les innovations sociales
de l’entrepreneuriat semblent se mouvoir dans une auto régulation à l’intérieur du secteur ou du
territoire investi. Ce qui permet certes d’assurer la reproduction du système productif populaire mais
tout en renforçant sa marginalisation et sa difficulté à atteindre certains niveaux de développement.
L’étude de la nature des rapports entretenus avec les collectivités locales et les partenaires au
développement rend plus expressive une telle problématique.
391

- Une faible capacité d’influence des logiques d’action des partenaires

Avec les partenaires au développement (organisme de développement ou de coopération


internationale, ONG), l’entrepreneuriat communautaire développe des relations marquées par une
logique d’accaparement, de dépendance et d’accommodement au détriment du déploiement de
stratégies cherchant à influer sur leurs logiques d’action ainsi que sur leurs modalités d’appui. Le cas de
la CECAS est à ce titre illustratif de l’accent mis sur la recherche effrénée de partenaires au détriment
d’un examen lucide de la qualité du produit et des modalités d’appui. Elle a cherché un refinancement
de la ligne de crédit FPE/ BOAD auprès du même bailleur sans au préalable avoir évalué la portée de la
premiére ligne, mais en même temps, elle n’a pas démontré ses réserves quant à la logique d’affaire qui
sous-tend le financement du FPE, ni réagit lorsque ce dernier a diminué unilatéralement les montants de
crédit demandés par les membres ainsi que les échéanciers de remboursement. Une telle situation, à
l’origine d’inquiétudes maintes fois soulevées par les bénéficiaires quant à leur capacité à rentabiliser
cette ligne de crédit et à la rembourser selon les délais requis, atteste de cette logique de captage des
financements sans évaluation de la qualité du produit et des risques probables. Les mutuelles se limitant
à transférer les conditionnalités des partenaires à leurs membres ou bénéficiaires. C’est cela qui
explique le fait que la micro finance à certains égards risque de ne pas échapper aux mécanismes de
reproduction des inégalités du système économique actuel, en faisant supporter aux plus démunis les
frais de rentabilisation des lignes de crédit bancaire.

Il faut souligner à ce titre, le fait que les modalités d’appui des partenaires demeurent fonction de
leurs orientations propres sur lesquelles les groupes socio-économiques n’ont aucune prise parce que
relevant de pré requis standardisés s’appliquant à l’échelle nationale, voire internationale. L’expérience
du GIE PNC de l’ADD démontre que le statut de prestataire de services sociaux offert à certains
groupes communautaires par leurs partenaires (AGETIP/ Banque Mondiale), demeure piégé par le fait
que les modalités de prestation de services, les critères d’évaluation et la durée du contrat sont
prédéfinis par ces partenaires réduisant les groupes sociaux à un rôle de sous traitants. D’ailleurs, ce
GIE n’a duré que le temps de réalisation du projet. Dans un tel contexte, les stratégies que déploie
l’entrepreneuriat communautaire consistent soit à transférer les conditionnalités des partenaires aux
membres, soit à chercher à accommoder ces derniers en leur offrant un système de garantie solidaire,
soit à chercher à diversifier son réseau partenarial afin de choisir l’offre d’appui la moins contraignante.
En effet, la difficulté de l’entrepreneuriat à pouvoir résister ou refuser certaines conditionnalités des
partenaires s’explique par l’absence de choix multiples, des partenaires ayant une sensibilité sociale du
genre du PELCP étant rares ou disposent de projets à durée limitée. Il faut également souligner que
392

cette logique de captage des partenaires s’explique par la forte pression des membres en termes d’accès
aux ressources. C’est ce qui explique entre autres le fait que la course effrénée à la recherche de
partenaires se fasse souvent au détriment de la capitalisation des ressources internes ainsi qu’à l’examen
lucide des conditions d’appui, enchaînant ainsi l’organisation dans une dynamique de dépendance et
une logique de génération de revenus au détriment de sa rentabilisation.

- Une relation avec les collectivités locales marquée plus par une recomposition sectorielle de
l’architecture institutionnelle locale que par une redéfinition du mode de régulation territoriale

Les cas étudiés témoignent de la diversité des relations entretenues par les collectivités locales
avec les divers types d’entrepreneuriat communautaire allant du « non engagement » (absence de
relation), à la compétition (conflit et rivalité) et à une relation de sous-traitance. La relation de «non
engagement» traduit plus l’absence de relation directe entre la collectivité locale (les élus) et certaines
entreprises communautaires (CECAS et Djambarou Sine) qu’un manque de collaboration avec ses
services techniques. Les difficultés des collectivités locales à offrir des subventions aux organisations
ainsi que leur vision traditionnelle du mouvement communautaire ravalé au développement social et
enfin, l’attitude de défiance autonomiste de ce dernier semblent être à l’origine de la faiblesse des
relations entre les pouvoirs publics locaux et certaines organisations de l’entrepreneuriat
communautaire. Le cas du GIE Djambarou Sine démontre que le non engagement permet dés fois
d’éviter les risques d’instrumentalisation des organisations et d’inhibition de leurs leaders sociaux du
fait de leur intrusion dans le jeu politique local. L’entrepreneuriat communautaire est ici présenté
comme une carte de négociation politique entre les mains des responsables en vue de négocier l’accès
aux ressources que distribuent les leaders politiques à la tête des collectivités locales. Mais à ce jeu, la
mobilisation de l’entrepreneuriat communautaire risque de se déplacer de l’espace public local au
terrain politique voire partisan local, posant ainsi des problèmes quant à son caractère apolitique.

La relation de «compétition» tant dans l’exercice du pouvoir local que dans l’organisation des
acteurs locaux (ADD), informe sur les conflits de logiques pouvant exister entre les collectivités locales
et l’entrepreneuriat communautaire. La dynamique de développement local construite de l’intérieur de
la communauté par l’ADD s’est en effet opposée à la dynamique institutionnelle promue par les
collectivités locales à travers le conseil de quartier qui s’est vu déléguer la promotion du développement
du quartier. En toile de fond de ce comportement des pouvoirs publics locaux, on peut noter une
volonté de contrôler tout espace d’autonomie locale et d’avoir un interlocuteur unique par quartier pour
faire face à la dispersion du tissu communautaire. Mais ce conflit traduit aussi la dynamique
393

d’empowerment locale où les acteurs sociaux cherchent à mettre en place leur propre structure de
manière autonome, en dehors du contrôle des pouvoirs publics.

Les trois cas (CECAS, ADD et Djambarou Sine) démontrent la nature complexe des relations
unissant l’entrepreneuriat communautaire et les collectivités locales. Au non engagement, à la
compétition et au risque d’instrumentalisation expressifs d’un mode de régulation de type administratif
et centralisé, s’ajoutent des relations expressives d’une régulation plutôt horizontale misant sur la
gouvernance et la logique d’appui (versus logique d’encadrement) que cristallisent les relations
entretenues par la Commune avec les GIE CETOM.

En effet, le service de collecte et d’évacuation des ordures ménagères assuré par le GIE CETOM
fait partie intégrante du système de nettoiement de la régie municipale. De même, les abonnements des
ménages participent du cofinancement du système. D’ailleurs, c’est la place qu’occupent les GIE dans
la politique de nettoiement de la Commune qui explique le fait que le plan global de nettoiement ait
prévu de mettre en place sept nouveaux GIE CETOM dans d’autres quartiers en vue de généraliser ce
système. En outre, l’effet structurant du système CETOM dans la recomposition de l’architecture
institutionnelle sectorielle liée à la gestion des OM ne peut être ignorée comme révélateur d’une
dynamique de co-production de services. Toutefois, le fait que le GIE CETOM soit une création de la
Commune qui détermine sa mission, évalue son action et finance sa mise en place ainsi qu’une partie de
son activité, amène à classer cette relation dans la sous-traitance d’autant plus que la Commune garde
toujours le flou dans le partage des responsabilités, en refusant pour le moment toute contractualisation
avec les GIE, ce qui lui permet de garder en sa faveur l’asymétrie du rapport de pouvoir. La logique de
sous traitance a été accentuée au vu des changements récents intervenus dans la réorientation de la
logique d’action du projet CETOM (passant d’une logique de développement local à une logique de
prestation de services publics locaux) induits par la nouvelle équipe municipale sous la pression de ses
partenaires soumis à la logique de marché et à la marchandisation des services sociaux (coopération
bilatérale et décentralisée, ONG).

Ainsi, à la fois l’élaboration du plan global de nettoiement, la place des parties prenantes, les
modalités d’action, la décision de faire des GIE CETOM des micro-entreprises, les critères d’évaluation
de leur travail ainsi que les changements intervenus dans la logique du projet sont définis par les
pouvoirs publics en relation avec leurs partenaires. En outre, sur le plan de la logique d’action de
394

l’institution municipale, on constate qu’à la logique d’encadrement administratif que déploient les STM
chargés de la mise en œuvre technique du projet CETOM, s’oppose la démarche de gouvernance
promue par l’ADC chargée de la promotion du développement local, posant ainsi un problème de
cohérence de l’action municipale. C’est en cela qu’il faut noter que si les relations entre le GIE CETOM
de Léona et la Commune de Saint-Louis dépassent le non engagement et la prestation de services
publics locaux, elles ne permettent pas non plus de conclure à un partenariat expressif d’une dynamique
de coproduction de services. A ce titre, l’implication des groupes sociaux à la co-production de services
publics locaux demeure plus technique, en rapport avec l’exécution de tâches d’utilité publique que
démocratique, en rapport avec la nature des relations et la logique d’action du projet. Une telle situation
confirme le fait que la co-production de services n’induit pas toujours une co-construction des règles
institutionnelles devant assurer la coordination des acteurs et les modalités d’action. Ainsi, malgré la
recomposition de l’architecture institutionnelle sectorielle, l’entrepreneuriat communautaire reste
soumis aux règles édictées par d’autres acteurs, ce qui fait qu’il se trouve exclu des modalités de
redéfinition territoriale du mode de gestion des OM. Comparée à d’autres cas d’entrepreneuriat
communautaire, l’expérience du GIE CETOM démontre d’une part, que les collectivités locales
procèdent par une approche sélective des secteurs où la démarche de gouvernance est promue et d’autre
part, que même dans les secteurs où cette démarche est mise en œuvre, l’implication des acteurs sociaux
est limitée aux tâches opérationnelles et concerne rarement les modalités de redéfinition des règles
institutionnelles. En outre, du fait de l’asymétrie de pouvoir en faveur des pouvoirs publics locaux
disposant d’équipes de techniciens, les acteurs sociaux ne peuvent négocier l’élaboration des règles de
manière égale. Cette approche sélective permet ainsi aux collectivités locales de partager les coûts,
risques et imputabilité liés à la gestion des services publics locaux tout en maintenant leur domination
légale rationnelle sur les groupes sociaux réduits à des sous traitants des programmes publics.

C’est en cela que les relations des collectivités locales avec l’entrepreneuriat communautaire
demeurent expressives de la dynamique ambivalente qui caractérise le mode de régulation sénégalais
évoluant entre résistance d’un modèle de gestion publique épuisé et émergence difficile d’un nouveau
modèle qui a de la peine à construire sa cohérence (cf. contextualisation socio-historique). A ce titre,
malgré leur inscription dans des processus de développement local valorisant une dynamique de
gouvernance territoriale, les collectivités locales, tout comme les partenaires au développement,
reproduisent le décalage entre les formes institutionnelles porteuses du mode de fonctionnement officiel
et les formes organisationnelles porteuses du mode de fonctionnement populaire.
395

En effet, les politiques de gouvernance territoriale sont piégées d’une part, par la volonté de
repositionnement et de relégitimation des collectivités locales et d’autre part, par la prédominance de la
logique de marché induisant une marchandisation du social promue par les partenaires au
développement. Les collectivités locales, dans un contexte marqué par le «retour des pouvoirs publics»
après les résultats mitigés des programmes d’ajustement structurel qui cherchaient à les disqualifier,
reproduisent à l’intérieur des politiques de gouvernance locale, les modes de fonctionnement centralisés
hérités de l’État. Par exemple, aucune des organisations étudiées n’a eu à participer aux Assises de
Saint-Louis qui, durant deux ans, ont donné lieu à divers moments de consultation publique sur les
enjeux locaux débouchant sur l’élaboration d’un programme de développement communal (1998-
2008). Une telle absence, dans cet important moment d’élaboration de la vision stratégique de la ville,
traduit la non reconnaissance de l’entrepreneuriat communautaire comme acteur stratégique spécifique
d’une part, et informe d’autre part, de la faible orientation économique de la plupart des processus de
développement local au Sénégal piégée par un fort accent socio-politique et technique (cf
contextualisation). Quant aux partenaires au développement (organismes internationaux de
développement, coopération internationale, coopération décentralisée, ONG), malgré leur sensibilité
sociale et l’accent mis sur les approches participatives, ils ne démontrent pas une rupture par rapport à
la logique d’action des bailleurs de fonds (FMI et BM), notamment par rapport à la prédominance du
marché, à la logique d’action centralisée avec des normes standardisées et des composantes prédéfinies,
à la marginalisation des pouvoirs publics tout en inscrivant leurs actions dans une logique de projets à
durée limitée. On assiste ainsi à une reproduction à l’échelle locale de tendances déjà identifiées à
l’échelle nationale, traduisant en même temps, l’extraversion des politiques publiques locales en
fonction des logiques d’action des bailleurs de fonds à l’instar des politiques publiques de l’État.

Sous ce rapport, la gouvernance territoriale peut être analysée comme une modalité de la
puissance publique qui exprime plus une agrégation, voire une superposition de différents régimes de
gestion publique (mode de gestion publique centralisée et d’expériences de gouvernances sectorielles
limitées) au sein d’un même territoire qu’une gouvernance territoriale cohérente, du fait d’un contexte
marqué par la volonté de repositionnement des pouvoirs publics mais également par l’extension du
marché à travers la marchandisation des services sociaux et publics. Cette double régulation de l’action
publique locale agrégeant une logique d’action à la fois verticale et horizontale pousse Eme (2005) à
parler de poly-gouvernance territoriale, qui met en relief l’approche sélective opérée par les pouvoirs
publics dans la mise en œuvre des dynamiques de gouvernance. Celles-ci dépendent finalement plus de
la place du secteur investi par rapport aux priorités de la collectivité locale, de la vision des élus locaux,
de la logique d’action promue par les partenaires financiers intervenant dans ce secteur que du poids
396

socio-politique des acteurs sociaux du secteur dans la vie publique locale. Cette poly gouvernance
accentue la difficulté de l’entrepreneuriat communautaire à se constituer en un groupe stratégique
irréductible pouvant influer sur la dynamique de reconfiguration territoriale du mode de régulation,
d’autant plus que les parties prenantes sont sélectionnées, voire cooptées par les pouvoirs publics,
marginalisant les initiatives innovantes ou porteuses de nouvelles aspirations ou de logiques d’action
différentes.

C’est ce contexte de repositionnement et de re légitimation des collectivités locales et de maillage


structurel des partenaires au développement soumis à la logique de marché qui expliquent le fait, que
l’entrepreneuriat communautaire ne peut que développer des stratégies d’adaptation en se positionnant à
l’intérieur des interstices des structures et des modalités de régulation économique et politique
existantes. Il s’agit soit de promouvoir une micro régulation interne tournant le dos au processus de
reconfiguration de l’historicité, ce qui risque d’accroître sa marginalisation; soit de s’inscrire dans des
relations de rivalité, de compétition ou de conflits; soit de continuer à s’investir dans la sous-traitance
de services sociaux ou de services publics malgré son faible potentiel alternatif sur les acteurs
stratégiques; soit de se mouvoir dans le jeu politique local malgré les risques d’instrumentalisation. Ces
diverses stratégies interstitielles démontrent que malgré tout, l’entrepreneuriat communautaire dispose
de marge de manœuvre au travers de la zone d’incertitude et de certains atouts liés à son ancrage sur le
terrain. En outre, il peut jouer sur des coalitions locales ou même se retirer de la relation, invalidant de
facto, la dynamique de gouvernance. Mais cette dernière perspective demeure encore un fait rare.

- La difficulté à constituer un réseau représentatif et opérationnel de l’entrepreneuriat communautaire

Notre recherche ne démontre pas la construction d’un mouvement social local autour de
l’entrepreneuriat communautaire. Ni à l’intérieur des secteurs, ni entre les secteurs d’entrepreneuriat
communautaire, les pratiques organisationnelles ne témoignent d’un probable émergence d’un
mouvement social. L’absence d’une claire vision du réseautage, l’intrusion permanente des partenaires,
les relations entre organisations plus perçues en terme de rivalité ou de domination que de partenariat,
l’investissement des mêmes cibles sur un même territoire constituent autant de facteurs bloquant
l’émergence de réseaux au sein de l’entrepreneuriat communautaire local. La vision stratégique des
divers cas d’entrepreneuriat communautaire étudiés semble moins se préoccuper de promouvoir une
structure de coordination locale qu’à assurer l’auto-promotion de leurs membres et/ ou la promotion de
la communauté. En outre, la faiblesse du réseautage local de l’entrepreneuriat communautaire traduit
les conflits larvés opposant souvent les leaders d’organisations, notamment celles situées dans le même
secteur, prenant ainsi en otage les membres (Cas Djambarou Sine). Aussi, il semble plus facile de
397

travailler avec une structure partageant la même forme organisationnelle mais établie à l’extérieur du
territoire d’intervention du fait de la faible probabilité de concurrence. D’où l’option d’adhérer à des
réseaux nationaux (CECAS, Djambarou Sine). Il faut également signaler que l’idée de constituer un
réseau local d’entrepreneuriat communautaire selon les secteurs est moins portée par les acteurs de
l’entrepreneuriat communautaire que par les partenaires techniques soucieux d’avoir un interlocuteur
unique pour leurs interventions comme l’ARD (réseau mutualiste local) et l’ADC (réseau des femmes
transformatrices de la Langue de Barbarie). Ce sont toutes ces raisons qui font que même dans les
secteurs où ils existent, les réseaux sont peu opérationnels (Collectif CETOM).

La difficulté à constituer un réseau à l’intérieur d’une même forme organisationnelle rend plus
perplexe l’émergence d’un réseau transversal d’entrepreneuriat communautaire revendiquant un
quatrième pôle, à côté des pouvoirs publics, du privé et des partenaires au développement.
L’entrepreneuriat communautaire apparaît à ce titre comme une force socio-politique dispersée qui a
des difficultés à se reconnaître et à se constituer comme acteur spécifique. On se demanderait même si
une telle situation ne révèle pas le fait que la portée de l’entrepreneuriat communautaire réside moins
dans la transformation sociale que dans l’accommodation ou la régulation locale.

Enfin, d’autres irritants empêchent à l’entrepreneuriat communautaire de se positionner comme


un acteur stratégique comme la faible conscience socio-politique, le leadership introverti et circonscrit
se limitant au quartier ou au secteur d’activités ainsi que la fragilité de sa base organisationnelle. A ce
titre, les difficultés d’arrimage entre ses composantes associative et entrepreneuriale ainsi que la
prédominance de la rationalité instrumentale ne prédisposent pas l’entrepreneuriat communautaire à
systématiser sa rationalité communicationnelle, source de sens et de projet de société. C’est cela qui
explique le fait que même si son action interroge les structures et modalités de régulation économique et
politique, l’entrepreneuriat communautaire n’a pas encore systématisé ses propositions alternatives, ce
qui le maintient à l’intérieur du système existant pour y opérer des adaptations interstitielles.

Le constat du décalage entre le potentiel innovateur et celui alternatif de l’entrepreneuriat


communautaire en contexte de précarité ne remet pas en cause notre cadre théorique mais permet de
relire les enjeux de notre recherche soulevés plus haut.
398

8.3. Retour aux théories et aux enjeux de l’entrepreneuriat communautaire

Il s’agit ici de relire nos trois cadres théoriques à la lumière de nos résultats de terrain avant de
revenir aux enjeux de l’entrepreneuriat communautaire. Enfin, une systématisation des limites et des
apports de notre recherche sera ébauchée.

L’ancrage de notre recherche dans la nouvelle sociologie économique et dans les théories du
développement, à la base d’une nouvelle vision de l’entrepreneuriat, demeure fortement confirmé par
les résultats de terrain, même si par ailleurs, il faudra noter certains éléments de dissemblance. Notre
recherche réaffirme l’ancrage de l’entrepreneuriat communautaire au sein de la nouvelle sociologie
économique, participant ainsi à la promotion d’une autre approche de l’économie. Son cadre référentiel
écosociale met en évidence l’inscription de l’activité entrepreneuriale dans l’action sociale, mais tout en
l’articulant à la reconfiguration du mode de régulation. A ce titre, l’écosocialité ne rejette pas la
recherche de profit mais la subordonne à des déterminants non monétaires en lien avec des finalités et
des valeurs (priorité autour de la satisfaction de la demande sociale, démocratisation de l’accès aux
ressources stratégiques) qui finalement, traduisent une autre vision de l’économie. L’expérience de
l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité démontre que la prédominance de l’économie
de marché n’exclut pas la présence en son sein de comportements non soumis au comportement
utilitariste comme l’a souligné Granovetter (2000). En outre, cette expérience renseigne sur la non
atomisation des agents économiques qui utilisent le cadre communautaire comme moyen pour accéder à
des ressources difficilement accessibles à l’échelle individuelle. L’ancrage dans la nouvelle sociologie
économique fait de l’entrepreneuriat communautaire, un espace de compromis des trois principes
économiques définis par Polanyi (1983), à savoir les principes marchand, non marchand et non
monétaire. Mais en même temps, cette hybridation qui n’exclut pas le fait qu’un des principes puisse
être la dominante en fonction des situations socio-économiques, traduit la fragilité de l’entrepreneuriat
communautaire en termes de tensions consubstantielles (dans sa forme organisationnelle, dans le mode
de constitution des ressources, dans sa finalité, dans ses parties prenantes…). De telles tensions sont
accentuées en contexte de précarité et d’épuisement du mode de régulation, par le fait que ses
partenaires stratégiques, à savoir les collectivités locales et les partenaires au développement, n’arrivent
pas à prendre de la distance par rapport au postulat de la prédominance du marché et de la hiérarchie
publique. Ces partenaires, malgré leur sensibilité sociale et leur proximité avec les initiatives locales du
genre de l’entrepreneuriat communautaire, n’arrivent pas encore à assurer une cohérence
paradigmatique leur permettant de prendre de la distance par rapport à l’État (collectivité locale) et au
marché (partenaires au développement).
399

A ce titre, en revisitant les trois étages de Braudel (1985), il semble que le problème de
l’entrepreneuriat communautaire demeure moins les tensions induites par l’hybridation de ses trois
principes constitutifs que les pressions liées à l’extension et à la prédominance du marché, invalidant
son cadre de référence écosociale tout en transformant certaines de ses caractéristiques en effets
pervers. C’est pourquoi, l’entrepreneuriat communautaire semble moins se positionner comme un palier
du système économique que comme une dynamique socio-économique, permettant aux acteurs sociaux
d’agir à la fois dans le rez-de-chaussée, dans le système d’échange local et dans le marché-monde. A ce
titre, la distinction entre les paliers et les étages de Braudel renvoie à des règles, réglementations et
institutions de sorte que l’économie de rez-de-chaussée que promeut l’entrepreneuriat communautaire,
échappe peu ou prou aux règles formelles définies par l’État et le marché, mais reste inscrite dans des
règles d’interaction sociale qu’informent la culture locale et le territoire. C’est dire que l’entrepreneuriat
communautaire participe d’un mode de production spécifique en rapport avec son cadre référentiel, à
côté d’autres modes misant sur la logique concurrentielle (marché) ou sur la hiérarchie (État).

A un autre niveau, l’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat communautaire permet de relire


le courant institutionnaliste en dehors de l’échelle nationale ou de l’État. La reconfiguration des
structures de régulation politique et économique peut également concerner l’espace territorial, mettant
ainsi en évidence la construction ou la valorisation d’innovations socio-territoriales à l’initiative des
collectivités locales, des acteurs sociaux ou d’autres types d’acteurs, soit de manière isolée, soit en
interaction. Inscrites sur le territoire, l’économie des conventions et l’école de la régulation permettent
d’apprécier les possibilités pour les acteurs locaux, notamment les acteurs communautaires, de
construire des compromis territorialisés pouvant induire une reconfiguration du mode de régulation
locale. Sous ce registre, les contraintes territoriales et les crises deviennent une opportunité en vue de
renouveler les compromis sociétaux.

Quant au courant de l’économie sociale et solidaire, il fournit à l’entrepreneuriat communautaire


une base organisationnelle hybridant une logique entrepreneuriale avec une base socio-communautaire
mais aussi une vision stratégique en tant que mode de production économique originale restituant
l’économie à sa place dans l’action sociale. Dans ce cadre, l’entrepreneuriat communautaire demeure
partie intégrante d’un quatrième pôle de l’économie, à côté des pouvoirs publics, du marché
(comprenant les bailleurs de fonds soumis à la logique concurrentielle) et des partenaires au
développement (coopération internationale, coopération décentralisée, coopération bilatérale, ONG).
Comme quatrième acteur, notamment dans les pays en développement, l’entrepreneuriat
communautaire cristallise l’investissement du champ de production par les sujets populaires en vue de
400

compenser les carences des autres pôles ou réaliser leurs aspirations. Il reste que dans le contexte actuel,
ce quatrième pôle ne se reconnaît pas suffisamment et n’est pas reconnu aussi comme tel. A ce titre, la
perspective de l’économie plurielle semble être plus plausible au vu de nos résultats de recherche que
celle de l’alter économie, si ce n’est en considérant l’économie plurielle comme porteuse d’une autre
économie. Par ailleurs, la place prépondérante prise par les intervenants extérieurs (bailleurs de fonds et
partenaires au développement) tant dans les choix de politiques que dans la place des divers acteurs,
doit amener à élargir le quadrilatère coopératif de Desroches (1976) en vue de l’encercler par une
cinquième partie prenante, à savoir le contexte international ou plus précisément les bailleurs de fonds
et les partenaires au développement. Cela se justifie par le fait que même les formes organisationnelles
prises par l’entrepreneuriat communautaire traduisent les types d’organisation les plus soutenus par ces
acteurs stratégiques.

Quant au courant de l’économie populaire, les résultats de recherche mettent en évidence les
sujets populaires comme protagonistes de l’activité entrepreneuriale, à côté de l’entrepreneur capitaliste
et des entreprises publiques. L’entrepreneuriat communautaire fait toutefois ressortir l’apport de la base
communautaire pour le courant de l’économie populaire, notamment en renforçant sa vision stratégique
autour d’une économie différente de celle capitaliste. Il lui confère également une dimension socio-
politique relative à une plus grande reconnaissance des sujets populaires dans le système de production.

Quant aux théories du développement local, elles ont fourni une perspective socio-territoriale à la
grille de recherche. Cette perspective permet d’élargir l’évaluation de la portée de l’entrepreneuriat
communautaire à ses effets induits en termes de revitalisation socio-territoriale, de démocratisation du
système de production/distribution de biens et services, de dynamisation de l’espace public local ou
encore, de recomposition de l’architecture institutionnelle locale. A ce titre, l’entrepreneuriat
communautaire demeure partie intégrante du processus de développement local, à côté des collectivités
locales, sanctionnant ainsi la vision économiciste et macro des théories traditionnelles du
développement (modernisation et dépendance). La perspective territoriale démontre que la valeur
ajoutée de l’entrepreneuriat communautaire se situe surtout dans la construction d’innovations socio-
territoriales au profit d’acteurs sociaux, de secteurs d’activités et de territoires marginalisés ou
vulnérables, participant ainsi à faire du territoire d’implantation un milieu innovateur. En outre, une
telle perspective met en relief les effets de l’interaction productive entre territoire et entrepreneuriat
communautaire en termes de renforcement du capital socio-territorial. Toutefois, notre recherche a
démontré que si la contribution de l’entrepreneuriat communautaire à la revitalisation socio-territoriale
demeure reconnue, par contre sa position socio-politique dans l’espace public local, ainsi que dans la
401

construction de nouvelles modalités de régulation économique et politique reste un défi. Ce défi


demeure expressif de l’atonie d’un mouvement social spécifique à l’entrepreneuriat communautaire,
mais également de sa faible marge de manœuvre par rapport aux autres acteurs stratégiques, notamment
les pouvoirs publics locaux cherchant à se repositionner, et les partenaires au développement
vulnérables à la logique du marché. Ce contexte renseigne sur le fait que l’importance que de tels
acteurs stratégiques accordent au potentiel innovateur de l’entrepreneuriat communautaire est en
décalage avec la place qu’ils réservent à son potentiel alternatif. Sous ce rapport, la perception du local
comme lieu de construction territorialisée de nouvelles modalités de régulation économique et
politique, n’a pas été spécifiquement confirmée par nos résultats de recherche. Ces derniers prônent une
vision plus nuancée où le local, malgré les innovations qui s’y déroulent, reste dans une logique de
reproduction des logiques d’action constatées à l’échelle nationale. Les collectivités locales restent dans
les grandes lignes tracées par l’État. C’est cela qui explique le fait que les processus de gouvernance
territoriale, malgré leur portée, doivent composer avec une logique d’administration centralisée héritée
de l’État. Dans un tel cadre, on assiste moins à une redéfinition territorialisée des modalités de
régulation politique et économique qu’à une recomposition de l’architecture institutionnelle locale
permettant d’incorporer les acteurs sociaux émergents.

Concernant les théories en entrepreneuriat, notre recherche démontre que les soubassements
théoriques de l’entrepreneuriat communautaire autour d’une vision extensive de l’économie et autour
d’une approche territoriale du développement, participent d’une autre vision du phénomène
entrepreneurial. Sous ce rapport, l’entrepreneuriat ne se confond ni à sa dimension marchande, ni à
l’entrepreneur capitaliste. L’entrepreneuriat communautaire élargit l’entrepreneuriat à l’action sociale
comme processus socio-économique de création de richesses pouvant être porté par n’importe quel type
d’acteurs, soit à un niveau individuel, familial ou communautaire. De même l’entrepreneuriat est élargi
aux mobilisations diverses pouvant contribuer à la reconfiguration des structures et des modalités de
régulation économique et politique. Sous ce rapport, l’entrepreneuriat concerne plutôt un processus de
construction d’innovations sociales particulièrement adapté aux espaces où les acteurs stratégiques
traditionnels (État, marché, partenaires au développement, bailleurs de fonds) n’arrivent plus à satisfaire
la demande sociale, favorisant ainsi une dynamique d’auto-promotion socio-économique portée par les
sujets populaires. A un autre niveau, l’entrepreneuriat communautaire informe des valeurs ajoutées que
le territoire pourrait apporter à la dynamique entrepreneuriale en vue de transformer son ancrage socio-
territorial en facteur de compétitivité. Cette vision élargit la théorie de l’entrepreneur chez Schumpeter
notamment en faisant ressortir le fait que l’entrepreneur ne se réduit pas à l’individu, mais également
n’innove pas seul. Le cadre institutionnel, le rapport aux structures de régulation, la perspective
402

territoriale, l’insertion aux réseaux, la dynamique collectivement partagée entre des acteurs sociaux
participe également des déterminants à l’innovation. De tels déterminants contribuent par ailleurs, à
rendre moins abstraits la fonction entrepreneuriale médiatisée par l’environnement. A ce titre, les
conditions socio-historiques à la base du mode d’accumulation tendanciellement extensif de
l’entrepreneuriat africain, fournissent le cadre explicatif de la vulnérabilité structurelle des initiatives
entrepreneuriales. Toutefois, les comportements micro économiques des acteurs individuels, du fait de
leur logique opportune et de leur préoccupation de résultats concrets immédiats semblent accentuer la
vulnérabilité du système ou affecter la position stratégique de leur organisation. Celle-ci risque de se
voir réduit à un cadre d’allocation de ressource au détriment de sa fonction de dynamique collective
d’auto-promotion.

Au-delà de ces éléments théoriques, il semble nécessaire de revenir à notre objet de recherche, à
savoir décrire les caractéristiques de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité et
analyser son potentiel innovateur et alternatif. Cette conclusion sera présentée en fonction des quatre
enjeux identifiés à partir de l’analyse de l’entrepreneuriat communautaire sénégalais, à savoir les enjeux
historique, organisationnel, socio-économique et socio-politique structurés autour de la perspective
socio-territoriale, comme variable structurante et transversale.

Concernant l’enjeu historique, l’entrepreneuriat communautaire a démontré une grande capacité à


structurer et à habiliter des acteurs sociaux vulnérables pour les amener à s’inscrire dans une dynamique
d’auto-promotion socio-économique. A ce titre, son ancrage communautaire source de proximité
sociale, la qualité du processus constitutif maîtrisé par les protagonistes de l’initiative, un leadership
volontariste disposant de compétences plurielles et faisant de la réussite de l’initiative un défi personnel
(entrepreneurs sociaux), l’investissement de secteurs d’intervention où l’organisation ou ses membres
disposent d’expériences ou d’expertises, la disposition d’un accompagnement institutionnel, technique
et financier approprié, l’appropriation d’une forme organisationnelle reconnue et soutenue par les
pouvoirs publics ou par les partenaires au développement, constituent entre autres, des modalités
gagnantes à la base de la transformation d’acteurs sociaux vulnérables en un groupe socio-économique
inscrit dans le système productif. Cet enjeu a démontré la dynamique évolutive de l’entrepreneuriat
communautaire.

Concernant l’enjeu organisationnel, l’entrepreneuriat communautaire se positionne comme une


entreprise sociale à base communautaire ou comme une organisation communautaire à orientation
économique. Cette hybridité, qui renouvelle l’organisation communautaire mais également l’entreprise,
403

s’est révélée cependant source de tensions aboutissant souvent à la subordination de la rationalité


communicationnelle par celle instrumentale. C’est que d’une part, l’entrepreneuriat communautaire n’a
pas encore systématisé un projet de société pour fonder sa rationalité communicationnelle, laissant ainsi
libre cours aux stratégies opportunes de ses sociétaires, et d’autre part, sa gouvernance
organisationnelle reste un défi structurant questionnant la cohérence de l’hybridation entre sa base
socio-communautaire et sa logique entrepreneuriale. A ce titre, une gouvernance organisationnelle
cohérente et équilibrée reste un défi pour l’entrepreneuriat communautaire. Ce défi qui informe de
l’absence d’un cadre de soutien permettant aux acteurs sociaux de s’approprier des modalités
d’hybridation, est encore plus crucial pour les associations en mouvance entrepreneuriale qui doivent
forger par elles-mêmes, les normes et mécanismes d’une organisation communautaire à orientation
économique. Malgré ce défi organisationnel, l’entrepreneuriat communautaire témoigne de la labilité
organisationnelle des acteurs sociaux, disposés à s’approprier de tout cadre nécessaire à leur auto-
promotion.

Concernant l’enjeu économique, l’entrepreneuriat communautaire révèle une performance


plurielle à finalité écosociale tant dans la production/ distribution de biens et services, dans
l’hybridation de ressources diverses que dans la promotion de modalités innovatrices permettant aux
acteurs sociaux d’accéder aux ressources stratégiques à des conditions soutenables. Cette performance
questionne le mode de production marchande producteur d’exclusions et d’inégalités ainsi que le mode
de production non marchande, souvent peu flexible tout en réduisant les usagers au statut de
bénéficiaires. Cette performance plurielle met en évidence le souci de démocratisation structurant la
dynamique de l’entrepreneuriat communautaire concernant à la fois le processus productif (construction
conjointe de l’offre et de la demande) et l’accès aux ressources (au profit d’acteurs ou de territoires
marginalisés ou vulnérables). En outre, du fait de son ancrage socio-territorial marqué, l’entrepreneuriat
communautaire participe à la revitalisation socio-territoriale du fait de sa contribution à l’absorption du
chômage, à la dynamisation de secteurs de l’économie locale, à l’éducation socio-économique des
populations, à la mobilisation de partenaires, au financement d’activités, à la remobilisation socio-
territoriale ou encore à la démocratisation de l’accès aux services de base. Toutefois, du fait de ses
déficits organisationnels, de l’absence de soutien approprié en vue de compenser son internalisation
d’externalités qu’aucun autre acteur ne prend en charge, l’entrepreneuriat communautaire arrive
difficilement à assurer son efficience, posant ainsi le défi de sa viabilité socio-économique. C’est cela
qui explique le fait que l’expansion socio-économique de l’entrepreneuriat communautaire demeure
limitée tout en accentuant ses dysfonctionnements organisationnels.
404

Enfin, concernant l’enjeu socio-politique, l’entrepreneuriat communautaire demeure bien un


espace d’empowerment d’acteurs, de secteurs d’activités et de territoires marginalisés cherchant à
combiner une identité de résistance avec une identité de projet, appréciable à travers son
positionnement dans le système productif. Dans ce cadre, son action participe de la construction
d’innovations socio-territoriales mettant en lien populations, collectivités locales et partenaires au
développement en vue d’assurer une meilleure prise en charge de services publics locaux ou de services
sociaux de base, contribuant ainsi au renforcement du capital socio-territorial. En outre, son action
contribue à la démocratisation de l’espace public local en créant des espaces autonomes de délibération
qui participent de la reconfiguration de l’architecture institutionnelle locale qui cesse ainsi d’être
l’exclusivité des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds. Toutefois, sa contribution à la revitalisation
socio territoriale et ses effets structurants en réponse à la demande socio-territoriale n’ont pas suffi pour
améliorer sa position socio-politique, ni renouveler les structures et modalités de régulation politique et
économique. En outre, l’entrepreneuriat communautaire ne témoigne pas d’un mouvement social local.
Autrement dit, les innovations sociales induites par l’entrepreneuriat communautaire sont restées
fonctionnelles contribuant ainsi à corriger les carences du système existant, mais elles n’ont pas encore
abouti à promouvoir des alternatives territorialisées, faute de soutien suffisant et de mode de régulation
approprié. C’est pourquoi, son potentiel alternatif se limite aux interstices du système existant en
investissant des niches de régulation mais ayant peu d’effets sur la reconfiguration du mode de
régulation.

Ainsi, nos résultats de recherche confirment notre hypothèse de recherche. Ils confirment que
l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité dépasse un simple espace de cristallisation de
la crise. Ils révèlent le renforcement des dynamiques d’auto-promotion socio-économique portées par
les acteurs sociaux à la faveur de la crise et de l’épuisement du mode de régulation post colonial. De
telles dynamiques constituent un acteur et un espace de construction d’innovations socio-territoriales
dont la portée questionne les modalités et structures de régulation politique et économique, à savoir la
nature de l’État et des collectivités locales, les modalités de production/distribution de biens et services,
la vision de l’économie, les stratégies de développement, la configuration de l’espace public, les
modalités de gestion publique ou encore la place des acteurs sociaux dans le mode de régulation.
Toutefois, du fait du contexte ambivalent du Sénégal contemporain, à l’instar de la plupart des pays
d’Afrique de l’Ouest, évoluant entre mode de régulation épuisé mais résistant et prémisses de mutations
mais peu systématisées et reconnues, l’entrepreneuriat communautaire ne dispose pas encore de
conditions appropriées pour promouvoir son expansion ainsi que son potentiel alternatif. C’est cela qui
explique le fait qu’à défaut de se diffuser, de s’institutionnaliser ou d’accéder à des échelles
405

supérieures, les innovations sociales construites au sein de l’entrepreneuriat communautaire créent leur
propre système de régulation, ce qui par ailleurs les maintient dans la dynamique de reproduction du
système existant. Une telle situation renseigne sur le fait que le repositionnement du local comme
espace de promotion d’alternatives territorialisées quant aux stratégies nationales de développement et
de gestion publique, reste encore un défi. A ce titre, notre recherche débouche sur la nécessité de
reconstruire l’État ainsi que les modes de régulation économique et politique. Sans cette condition, les
expérimentations locales trouveront difficilement le cadrage structurel ainsi que les soutiens nécessaires
pour se pérenniser, voire se diffuser.

Même si notre hypothèse s’est vue confirmer par les résultats de terrain, il faut souligner que
notre recherche révèle également certaines limites. Nous citerons notamment deux types de limites.
Nous n’avons pu saisir suffisamment l’incidence de l’entrepreneuriat communautaire dans les
changements de niveaux de vie des sociétaires ou des cibles, particulièrement dans l’auto-promotion
socio-économique de ses membres ou la promotion de la communauté. Il faut signaler que certains de
nos outils de recherche étaient destinés à cet objectif (fiche activités socio-économiques des membres,
questionnaire membres). Toutefois, le déficit d’outils adaptés en vue de saisir la complexité des tiroirs
sociaux auxquels participent les sujets populaires, ainsi que la difficulté à isoler l’incidence spécifique
de l’entrepreneuriat communautaire dans une totalité sociale que constitue l’économie populaire, nous
ont convaincu que cette dimension à elle seule, constitue un objectif de recherche. Si nous n’avons pas
pu mesurer cette incidence, par contre, notre recherche a permis de systématiser les divers types de
services offerts par l’entrepreneuriat communautaire. Une telle dimension pourrait constituer à ce titre,
une perspective de recherche ultérieure. La seconde limite de notre recherche a trait à l’insuffisante
analyse des collectivités locales (commune et région) ainsi que des partenaires au développement
(organisme de développement international, coopération décentralisée ou bilatérale). Nous n’avons pu
les étudier que dans leurs relations avec les organisations étudiées, mais non pas du point de vue de leur
mode de fonctionnement ou de leurs modalités d’action. Une telle orientation pourrait permettre
d’expliquer pourquoi ces deux partenaires stratégiques de l’entrepreneuriat communautaire, semblent
avoir tant de difficultés, malgré leur proximité avec les initiatives locales, à prendre du recul par rapport
aux modalités d’action de l’État et des bailleurs de fonds. Des contraintes de temps mais également, le
fait que de telles variables risquaient d’alourdir notre étude, nous ont poussé à inscrire cette dimension
dans les perspectives de recherche.

Malgré ces limites, notre recherche comporte un certain nombre d’apports. Entre autres apports,
on peut retenir l’inscription du phénomène de l’entrepreneuriat dans l’action sociale, interrogeant la
406

définition même de l’économie. Dans ce cadre, les initiatives économiques populaires cessent d’être
analysées sous l’angle de la survie, mais témoignent de la remontée des dynamiques d’auto-promotion
socio-économiques que déploient les sujets populaires, lorsque l’État, le marché, les bailleurs de fonds
et la coopération internationale semblent démontrer une carence dans leur réponse à la demande sociale.
Un autre apport de notre recherche peut être trouvé dans la construction théorique de l’entrepreneuriat
communautaire en s’inspirant de diverses approches théoriques afin de rendre compte de sa complexité
et de ses multiples dimensions. Cette théorisation d’un concept encore peu analysé sous ce terme,
contribue au renouvellement de l’approche des organisations communautaires tout en faisant ressortir
un enjeu méthodologique relatif à l’élaboration d’une grille de collecte et d’analyse des initiatives
économiques populaires qui soit plus en phase avec leur cadre référentiel écosociale. Autrement dit, la
reconnaissance de la portée de l’entrepreneuriat communautaire ne peut se passer de la définition d’un
cadre d’évaluation spécifique afin d’éviter de reproduire les mêmes critères qu’une entreprise
capitaliste, ce qui pose par ailleurs, un enjeu politique. En outre, l’hétérogénéité des cas étudiés en
imbriquant diverses dimensions d’analyse, a permis de caractériser l’entrepreneuriat communautaire,
ouvrant ainsi la porte à des recherches plus spécifiques. Dans ce cadre, un accent particulier a été porté
à la variable structurante que constitue le territoire d’implantation qui apparaît comme une valeur
sociale ajoutée à l’analyse des initiatives d’entrepreneuriat communautaire. En même temps, notre
recherche a veillé, autant que faire se peut, à éviter de tomber dans le piége du populisme, en
«victimisant» les sujets populaires ou en tombant dans la valorisation excessive de leurs initiatives,
présentées souvent comme «un puits de richesses sans fond». A la place, nous avons choisi, malgré
notre proximité avec ce genre d’initiatives, à mettre en évidence la complexité de l’entrepreneuriat
communautaire ainsi que son hétérogénéité consubstantielle.

Un autre apport peut être identifié dans la systématisation de la situation ambivalente du Sénégal
contemporain, présentant ainsi le décalage entre les élites politiques, administratives et institutionnelles
(voire intellectuelles) et les acteurs sociaux. Sous ce registre, l’articulation entre les micro processus
sociaux et les processus méso (niveau territorial) et macro (niveaux national et international) constitue
un enjeu méthodologique déterminant de cette recherche. C’est tout le sens du questionnement
structurant cette thèse qui a cherché à articuler la portée des initiatives économiques populaires et le
processus de reconfiguration du mode de régulation. Par ailleurs, notre recherche démontre que
l’Afrique est en train de se refaire, malgré la crise. A ce titre, les initiatives économiques novatrices sont
à chercher notamment, au niveau des collectivités locales, de l’entrepreneuriat (entrepreneuriat
communautaire, PME/MPE) ou encore du secteur privé national. Mais, notre recherche démontre
également qu’il faut bien se garder de tomber dans le maillage de l’économie de marché, engagée dans
407

la disqualification de l’État. Au contraire, notre recherche démontre que l’État doit être reconstruit mais
d’abord, à travers un processus internalisé en fonction du mode de fonctionnement de la société d’une
part, et d’autre part, avant que de chercher à promouvoir le marché, le Sénégal, comme du reste les
autres pays africains, devrait chercher à redéfinir ce qu’est l’économie. Sans cet exercice de redéfinition
des compromis sociétaux concernant les structures et les modalités de régulation économique, sociale et
politique, il est fort à parier que les initiatives émergentes ou innovatrices risqueront de ne pas trouver
le relais institutionnel nécessaire à leur expansion. D’ailleurs, le cas du Sénégal démontre suffisamment
que sans cette reconfiguration du mode de régulation, l’accroissement du taux de croissance ne
comporterait que peu d’effets sur l’amélioration des conditions de vie des populations, du fait des
mécanismes de reproduction de l’inégalité et de l’iniquité qui le surdéterminent. Dans ce même ordre
d’idées, notre recherche a démontré d’une part, le poids nocif d’un environnement international
défavorable et peu maîtrisé sur les pays en développement, confirmant par ailleurs les théories de
l’échange inégal et d’autre part, le caractère extraverti des politiques publiques, plus soucieuses de
satisfaire aux conditionnalités des bailleurs que de chercher au sein du pays, les ressources nécessaires
au développement. Enfin, notre recherche établit un questionnement sur une dynamique présentée
comme la solution à la crise, en procédant à une perspective critique des dynamiques de gouvernance
locale au Sénégal.

8.4. Conditions d’expansion de l’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité

Au vu de l’accentuation de la précarité des conditions de vie des populations, l’entrepreneuriat


communautaire constitue une dynamique irréversible malgré les irritants qui bloquent son expansion
qu’accentue l’ambivalence du Sénégal contemporain évoluant entre résistance d’un mode de régulation
épuisé et des éléments de mutations qui ont de la difficulté à prendre de l’expansion. C’est pourquoi,
l’entrepreneuriat communautaire présente un tableau contrasté allant de cas devant forger sur le tas
leurs modalités d’actions par essai-erreur, tandis qu’à d’autres niveaux, on rencontre des dynamiques
socio-économiques bien établies dans leur secteur et inscrites dans la construction d’innovations
concernant les modalités de production et de distribution de biens et services. Mais la tendance générale
laisse voir la fragilité de l’entrepreneuriat communautaire tant que des conditions suffisantes
d’expansion ne sont pas assurées.

C’est dire que le contexte de précarité n’est pas toujours un discriminant exclusif à la base de la
fragilité de l’entrepreneuriat communautaire. A cela, s’ajoutent d’autres contraintes à la fois internes et
externes. Entre autres, ces contraintes concernent le caractère extraverti du mode de régulation qui,
outre ses résultats mitigés, peine à intégrer les aspirations d’acteurs émergents à l’instar de
408

l’entrepreneuriat communautaire. Pour autant, la réflexion n’est pas suffisamment entamée pour
systématiser les domaines ainsi que les niveaux de responsabilité où l’entrepreneuriat communautaire
arrive à démontrer une performance. Enfin, les contraintes mettent en relief également le maillage des
collectivités locales par la logique centralisée héritée de l’État post colonial ainsi que le maillage des
partenaires au développement par la logique de marché.

Le tableau contrasté de l’entrepreneuriat communautaire prédispose à mettre l’accent sur des


conditions d’expansion spécifiques au cas par cas tandis que les contraintes structurelles informant d’un
environnement peu incitatif, amènent à prendre en compte le caractère transversal des conditions
d’expansion. A cet effet, les conditions d’expansion de l’entrepreneuriat communautaire doivent être
lues dans une perspective intégrée mettant en relief son caractère de fait social total. C’est pourquoi,
elles concernent à la fois des questions spécifiques à l’entrepreneuriat communautaire mais également,
ses relations avec les acteurs stratégiques, notamment les pouvoirs publics et les partenaires au
développement, ainsi qu’avec son territoire d’implantation.

1. Promouvoir un cadre législatif et institutionnel approprié


o Redéfinir un mode de régulation plus intraverti articulé aux aspirations des acteurs
sociaux. Pour cela, il semble important de chercher à reconstruire et à renouveler les
compromis sociétaux relatifs à la nature et aux fonctions de l’État (ainsi que des
collectivités locales), à la vision de l’économie, à l’orientation des stratégies de
développement et de gestion publique, à la place et au rôle des acteurs sociaux, des
partenaires au développement, du marché…
o Systématiser un cadre juridique approprié en vue d’assurer les conditions d’une
cohérence organisationnelle hybridant composantes associative et entrepreneuriale
o Repositionner l’État comme dans la définition d’un cadre législatif approprié et
initiant une approche de développement conférant une position stratégique à
l’entrepreneuriat communautaire

2. Rationaliser la gouvernance organisationnelle et financière de l’entrepreneuriat


communautaire
o Systématiser un système de gestion administrative, calendaire et financière spécifique
à l’entrepreneuriat communautaire
o Renforcer le management organisationnel : capacités à saisir les opportunités,
engager un personnel qualifié, renforcement en matériels de travail, renforcer la
409

professionnalisation en trouvant des formes de valorisation du bénévolat des leaders


et des membres
o Renforcer les modalités de contrôle démocratique du processus décisionnel, assurer
les conditions d’un leadership démocratique en renforçant les mécanismes
d’imputabilité
o Systématiser les conditions d’arrimage du leadership charismatique avec celui
gestionnaire
o Systématiser la rationalité communicationnelle de l’entrepreneuriat communautaire
en construisant des compromis avec le membership pour renforcer la dynamique
collective

3. Clarifier le positionnement de l’entrepreneuriat communautaire par rapport aux enjeux


sociétaux
o Systématiser à l’intérieur de l’entrepreneuriat communautaire, un projet de société en
précisant son positionnement par rapport à des enjeux sociétaux comme la
démocratisation de l’accès aux ressources stratégiques, l’économie plurielle, des
modalités de production et de distribution de services plus participatives et plus
inclusives
o Positionner l’entrepreneuriat communautaire dans la prestation de services sociaux de
base ou publics locaux comme opportunités d’insertion socio-économique
o promouvoir la cohérence des activités avec les plans de développement locaux

4. Mettre en place des dispositifs d’accompagnement appropriés


o Mettre en place des dispositifs financiers et techniques de soutien adaptés à
l’entrepreneuriat communautaire
o Mettre à disposition des informations socio-économiques pertinentes pour aider à la
maîtrise de la dynamique entrepreneuriale : plan d’affaires, maîtrise des mécanismes
du marché et de la dynamique entrepreneuriale, connaissance des secteurs rentables
et émergents, détermination des conditions de viabilisation des activités
entrepreneuriales
o systématiser de manière concertée, les dimensions et indicateurs d’évaluation de
l’entrepreneuriat communautaire.
5. Appuyer la constitution de réseaux d’entrepreneuriat communautaire représentatifs et
opérationnels
410

o Systématiser et socialiser les objectifs de réseautage interne à l’intérieur de


l’entrepreneuriat communautaire
o Renforcer la conscience socio-politique des acteurs sociaux

6. Promouvoir les conditions d’émergence de territoires innovateurs autour de l’entrepreneuriat


communautaire
o Positionner les collectivités locales comme des partenaires engagés dans la co-
production de services publics locaux, le développement territorial à travers une
gouvernance locale plus partenariale
o Systématiser la portée de l’ancrage socio-territorial de l’entrepreneuriat
communautaire et indiquer les modalités d’interactions productives entre
entrepreneuriat communautaire et territoire
o Développer un soutien institutionnel et technique des services décentralisés et
municipaux
o Constituer un réseau partenarial dense et diversifié, engagé dans l’économie plurielle.
Promouvoir l’intervention de partenaires au développement moins soumis à la
logique exclusive du marché
o Mettre en réseau l’entrepreneuriat communautaire avec les acteurs significatifs du
territoire
o Promouvoir l’articulation entre la recherche et les initiatives d’entrepreneuriat
communautaire.

En rapport avec les perspectives de recherche ultérieure et avec les recommandations formulées,
nous envisageons d’effectuer un stage post doctorale à l’université Gaston Berger de Berger de Saint-
Louis, après acceptation de la thèse. Ce stage vise à étudier les conditions de mise en place d’un
dispositif de partenariat pour la recherche, la formation, l'échange et la diffusion de connaissances entre
l’UGB et les acteurs engagés dans le développement territorial de Saint-Louis. Ce projet, s’il arrive à
être réalisé, contribuerait sans nul doute au renforcement scientifique et institutionnel de l’UGB comme
acteur engagé dans le développement territorial de son environnement. Il devra permettre également de
réaliser une étude plus approfondie des mécanismes d’arrimage des acteurs significatifs du
développement territorial. Enfin, il permettra de mettre en évidence les innovations socio-territoriales
construites par les acteurs locaux en contexte de précarité.
411

BIBLIOGRAPHIE
412

Abdelmalki, L., et Cl. Courlet. 1996. Les nouvelles logiques du développement. Globalisation
versus localisation. L’Harmattan. Logiques sociales, 415p.

ADC/ CSL. 1998. Plan de Développement du quartier de Léona. 73p + annexes.

ADC/ CSL. 1999. Programme de Développement Communal de Saint-Louis 1998- 2002. 137p.

ADC/ CSL. 1999. «Analyse du Profil Urbain de la ville de Saint-Louis». Programme de


Développement Communal 1998- 2008, Tome I, 68p.

ADC, PNUD/ PELCP. 2000. Identification, Structuration et Inventaire des Besoins des
Organisations Communautaires de Base (OCB) de la ville de Saint- Louis. 48p + annexes.

ADC/PRADEQ. 2001. Plan de Développement du Quartier de Diamaguéne. 57p.

ADC/ Enda Rup. 2001. État des lieux des GIE CETOM dans la ville de Saint- Louis. 20p.

ADC. 2002. Évaluation synthétique du projet CETOM. 11p.

ADC/GERES. 2002. État des lieux du secteur de la transformation des produits halieutiques
dans la langue de Barbarie. Saint-Louis Sénégal. 12p + annexe.

ADC. 2004. État des lieux de la micro finance dans la ville de Saint- Louis. 112p.

ADD. 2003. Rapport d’activités 2003.

ADD. 2003. Bilan financier de la garderie et du salon.

ADD. 2003. Bilan d’activités réalisées : 1995-2003.

ADM/ PAC. 1998. Audit urbain et audit organisationnel et financier de la ville de Saint-Louis.
Groupe AFID-consultance/CEASA, ex Panaudit, 122p + annexes.

Aglietta, M. 1976. Régulation et crise du capitalisme. Calmann-Lévy, Paris.

Albagli, Claude, et G. Henault (éd). 1996. La création d’entreprise en Afrique. Aupelf-Uref/


Édicef, 207p.

Alvaro, P. Pires. 1997. « De quelques enjeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour
les sciences sociales ». In La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques.
Poupart et all, Gaëtan Morin, p.3-54.

Alvaro, P. Pires. 1997. «Echantillonage et recherche qualitative : essai théorique et


méthodologique». In La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques.
Poupart et all, , Gaëtan Morin, p.113-169.

Amine, S. 1988. L’échange inégal et la loi de la valeur. Antropos, Paris, 248p.

Amine, S. 1988. Impérialisme et sous développement en Afrique. Antropos, Paris, 585p.


413

Angers, M. 1992. Initiation pratique à la méthodologie des sciences humaines. Montréal,


Éditions de la Chevalière, Centre éducatif et culturel, 365p.

Antoine, Ph., et all. 1995. Les familles dakaroises face à la crise. IFAN-ORSTOM-CEPED,
209p.

ARD. 2003. Identification des Institutions de Microfinance de la région de Saint-Louis, 25p.

Assogba, Yao. 2000. Gouvernance, économie sociale et développement durable en Afrique.


CRDC/ UQO, Série recherche No 16, 28p.

Assogba, Yao. 2004. Introduction à l’analyse des dynamiques organisationnelles de l’économie


sociale et populaire en Afrique. CRDC/ UQO, Série Recherche No33, 22p.

Ayadalot, P. 1986. Les milieux innovateurs en Europe. Paris Économica/ GREMI.

Barbier, R. 1996. La recherche-action, Anthopos, 112p.

Barro, I. 2004. Microfinance et Financement des PME et MPE. Rapport final Ministère de la
PME, de l’Entrepreneuriat féminin et de la micro finance. 56p.

Barry, B., et L. Harding (éd). 1992. Commerce et Commerçants en Afrique de l’Ouest. Le


Sénégal. L’Harmattan, 381p.

Bartoli, Henry. 1999. «Échec des stratégies à dominante économique et financière. Une stratégie
multidimensionnelle liant indissolublement l’économique, le social et l’environnemental». In
Repenser le développement. Editions Unesco. Economica, 205p, p.33-62.

BCEAO. 2000. Banque de données sur les Systèmes Financiers Décentralisés- Sénégal. Sources
1999, 2000, 2001.

BCEAO. 2000. «Évolution des systèmes financiers décentralisés dans les pays de l’UEMOA». In
La microfinance en Afrique: Évolutions et Stratégies des acteurs. Mission pour la réglementation
et le développement de la microfinance, Dakar.

BCEAO. Etude sur la viabilité financière des SFD au Sénégal, 25p (date non indiquée).

Bélanger, P. R., et Benoît Lévesque. 1991. «La théorie de la régulation, du rapport salarial au
rapport de consommation. Un point de vue sociologique» In Cahiers de recherche sociologique,
No17, 1991, p.16-51.

Bélanger, P. R., et Benoît Lévesque. 2005. «Économie de la régulation ». In Dictionnaire de


l’autre économie. Laville J-L., et A. D. Cattani (éd). Desclée de Brouwer, 564p, p.225-232.

Benko, Georges, et Alain Lipietz. 1992. Les régions qui gagnent : districts et réseaux. Les
nouveaux paradigmes de la géographie économique. PUF, 424p.

Benko, Georges, et Alain Lipietz. 1999. La géographie économique revisitée à l’aube du IIIe
millénaire. CERUR, Notes de recherches No1, 17p.
414

Benko, Georges. 2000. «Les théories du développement local». In L’économie repensée, sous la
dir. de Philippe Cabin. Editions Sciences Humaines, p.197- 205.

Berger, B et all. 1993. Esprit d’entreprise, cultures et sociétés. Maxima, 265p.

Bermain, L., De B. Aline et A. Waltenen. 1993. «Guet Ndar, un monde à part : étude d’une
communauté de pêcheurs de Saint-Louis du Sénégal». Mémoire d’anthropologie sociale et
culturelle. Université Catholique de Louvain, 121p.

Bernard, C. 1984. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Paris : Flammarion, 318p.

Berthelot, J-M. 1990. L’intelligence du social: le pluralisme explicatif en sociologie. Paris : PUF,
249p.

Béraud, Ph., et J-L. Perrault (éd). 1994. Entrepreneurs du Tiers Monde. Éditions Maison neuve et
Larose et Éditions de l’orient. 235p.

Bévant, D. 2003. «Les associations sont-elles des entreprises». In Les associations entre
bénévolat et logique d’entreprise. Prouteau, L (éd). 2003. PUR, L’univers des normes, p.49-65.

BIT, 1975. Emplois, revenus et égalité : stratégie pour accroître l’emploi productif au Kenya.
Programme mondial de l’emploi, Genève, Suisse.

BIT, 1991. Le dilemme du secteur non structuré. Rapport du Directeur Général, 78e session de la
Conférence internationale du Travail, Bit, Genève, Suisse, 73p.

BIT, 1999. Un travail décent. Rapport du Directeur Général du BIT à la 87ème session de la
Conférence Internationale du Travail, Genève, Suisse.

Boivin, L., et M. Fortier (éd).1998. L’économie sociale: l’avenir d’une illusion. Fides, 229p.

Boltanski, L., et E. Thévenot. 1999. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, 843p.

Bonnardel, Régine. 1992. Saint-Louis du Sénégal: Mort ou Naissance ? L'Harmattan, 421p.

Bouchard, A, et P. Hamel. 1997. «Consultation publique et action collective : une évaluation


socio- politique à partir du cas de Montréal». In Action collective et décentralisation : Actes du
Colloque de la section Développement régional de l’Acfas. (1996). In Côté et all. UQR, GRIR,
Collection Tendances et débats en développement régional No3, p. 141-156.

Bouchard, J. B, et all. 2003. L’évaluation de l’économie sociale, quelques enjeux de


conceptualisation et de méthodologie. IN 0301, CRISES, 67p.

Boucher, J-L., et D. Tremblay, 1999. « La gouvernance locale : enjeux scientifique et politique ».


Économie et Solidarités. La gouvernance locale. Vol. 30 No2, 1999, PUQ, p.1-6.

Bourdieu, P, J-Cl. Passeron et J-Cl. Chamboredon. 1973. Le métier de sociologue : préalables


épistémologiques. 2e édition. Paris : Mouton- Bordas, 357p.

Bouthat, Chantal.1993. Guide de présentation des mémoires et thèses. UQAM, 110p.


415

Boutillier, S., et D. Uzunidis. 1999. La légende de l’entrepreneur. Le capital social, ou comment


vient l’esprit d’entreprise. Syros, Alternatives économiques, 152p.

Boutillier, S., et D. Uzunidis. 2000. «Les dimensions socio-économiques et politiques de


l’entrepreneur». In Histoire d’entreprendre. Les réalités de l’entrepreneuriat. Verstraete. T (éd),
Éditions EMS, p.21-32.

Boyer, Robert. 1986. la théorie de la régulation : une analyse critique. La Découverte, Agalma,
142p.

Braudel, F. 1979. Civilisation matérielle, économie et capitalisme. Paris, Armand Collin, 3


volumes.

Bruyat, C. 1993. «Création d’entreprise : contributions épistémologiques et modélisation». Thèse


de doctorat en sciences de gestion, Université Pierre Mendès-France de Grenoble.

BURGÉAP, et AFD. 1999. Plan Global de nettoiement de la ville de Saint- Louis. Étude de
validation et de présentation du programme. Rapport final, 46p + annexes.

Cabin, Ph. (éd).2000. L’économie repensée. Editions Sciences Humaines, PUF, 386p.

Caillé, A. 1989. Critique de la raison utilitaire. Manifeste du MAUSS. La découverte, Agalma,


139p.

Caillé, A. 2003. « Sur les concepts d’économie en général et d’économie solidaire en particulier».
In L’alter-économie. Quelle «autre mondialisation» ? (fin). MAUSS, 2003, la découverte
MAUSS, No21, 425p, p.215-236.

Campbell, Bonnie. 1997. «Quelques enjeux conceptuels idéologiques et politiques autour de la


notion de gouvernance» In Bonne gouvernance et Développement en Afrique. Sine, B (éd). IAD,
p. 66-94.

Cantillon, R. 1755. Essai sur la nature du commerce en général. London, Fetcher Gyler.

Casson, M. 1982. The entrepreneur : an economic theory. Oxford, 418p.

Castells, Manuel.1999. Le pouvoir de l’identité. Fayard, 538p.

Castel, O. 2002. Le Sud dans la mondialisation. Quelles alternatives ? La découverte, alternatives


économiques, 213p.

Castel, O. 2003. La dynamique institutionnelle de l’économie populaire solidaire dans les pays
du Sud. CRDC/UQO, Série comparaisons internationales Nord-Sud et Sud-Sud No4, 21p.

CAT/ CPEC, 1999: La microfinance : Définition, Pratiques et Cadre réglementaire. Ministère de


l’Économie et des Finances, 8p.

CECAS. 2001. Rapport d’activités de la CECAS. Années 2000- 2001. 5p

CECAS. 2002. Rapport d’activités du Conseil d’administration (2001), 5p


416

CECAS. 2002. État financier de la CECAS du 01 janvier 2000 au 31 décembre 2001.

CECAS. 2003. Rapport annuel et État financier de la CECAS. Années 2001- 2002.

CECAS. 2003. Rapport PELCP/ CECAS, 10p

CGAP. 1998. Cadre d’évaluation des institutions de microfinance, 46p.

Chantier de l’économie sociale. 2001. De nouveau, nous osons…Document de positionnement


stratégique. 23p + annexes

Chikh, R. A. 2002. «Les femmes ménagères du «nouvel ordre économique mondial?» ou


productrices de richesses? L’économie solidaire dans le contexte de la mondialisation et la
production de richesses». In Symposium African Gender in the New Millennium, Codesria, (Cairo
7-10 April 2002), 13p.

Chossudovsky, M.1998. La Mondialisation de la pauvreté. Les conséquences des réformes du


FMI et de la Banque Mondiale. Editions écosociété, 248p.

Cissé, O. 1998. « La gestion des déchets solides municipaux : cas de Dakar », IAGU, Séminaire
atelier sur l’assainissement urbain, (Kigali/ Rwanda, 15- 18 Décembre 1998), 13p.

Cissé, K. 2002. «La revendication politique et citoyenne comme réponse à la marginalisation des
femmes dans le développement : le cas du Sénégal». In Symposium African Gender in the New
Millennium, CODESRIA, (Cairo 7-10 April 2002), 13p.

Clément, H., et L. Gardin. 2000. L’entreprise sociale. Les notes de l’Institut Karl Polanyi, 46p.

CNUCED, 2002. Le développement économique en Afrique. De l’ajustement à la réduction de la


pauvreté : Qu’y- a-t-il de nouveau? 40p.

CNUCED, 2002. Stratégies nationales de développement, approche DSRP et réduction effective


de la pauvreté.

Combessie, Jean-Claude. 2001. La méthode en sociologie. La découverte, Repères, 3iéme édition,


123p.

Comeau, Y. 1994. L’analyse des données qualitatives. CRISES, No9402, 31p.

Comeau, Y., L. Favreau, B. Lévesque et M. Mendel. 2001. Emploi, Economie sociale,


Développement local. Les nouvelles filières. PUQ, Collection Pratiques et Politiques sociales,
302p.

Comeau, Y., et all. 2001. L’économie sociale et le plan d’action du sommet sur l’économie et
l’emploi. CRSC, Université de Laval et ÉNAP. 277p.

Comeau, Y. 2003. Guide de collecte et de catégorisation des données pour l’étude d’activités de
l’économie sociale et solidaire. CRDC/ CRISES, 2e édition, UQO, 18p.

Commune de Saint- Louis. 1999. Plan Global pour le nettoiement de la ville de Saint- Louis.
1999- 2003. Ordures ménagères, marchés, voirie.76p + annexes.
417

Conseil de la Science et de la Technologie. 2001. Pour des régions innovantes. Rapport de


conjoncture 2001. Québec, 259p.

Copans, Jean. 1995. «Entrepreneurs et entreprises dans l’anthropologie et la sociologie


africanistes». In Entreprises et entrepreneurs africains, Ellis, S, et Y-A, Fauré (éd). Karthala-
Orstom, p.127-138.

Coston, J.M.1988. «A Model and typology of Governement-NGO relationship». Nonprofit and


voluntary sector quaterly, Vol.27, No3, september, p.358-382.

Côté, S., J-L. Klein et M-U. Proulx. 1995. Et les régions qui perdent …? GRIDEQ, 382p.

Côté, S., J-L. Klein et M-U. Proulx.1997. Action collective et décentralisation : Actes du
Colloque de la section Développement régional de l’Acfas. (1996). UQR, GRIR, Collection
Tendances et débats en développement régional No3, 258p.

Coulibaly, A. L., 2003. Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ? Les éditions
Sentinelles. 300p.

Courlet, Cl., et B. Pecqueur. 1998. « Systèmes productifs localisés et développement : le cas des
économies émergentes et en transition » » In Territoires et développement économique. Proulx,
M-U (éd), l’Harmattan, p.49-104.

Crozier, M, et E. Friedberg. 1981. L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective.


Seuil, 434p.

CSMO-ESAC. 2002. L’économie sociale et l’action communautaire en indicateurs. Pilote sur le


développement d’indicateurs sociaux et économiques.33p.

Daffé, G., et A. Diagne. 2002. Le Sénégal en quête d’une croissance durable. Karthala, CREA,
273p.

Daffé, G. 2002. «La difficile réinsertion du Sénégal dans le commerce mondial» In La société
sénégalaise entre le local et le global. Diop, M-C (éd). Editions Karthala, 720p, 67-85

D’Amours, M., et all. 1997. L’économie sociale au Québec. Cadre théorique, histoire et défis.
IFDEC, 80p.

D’Amours, M., 2003. «Le travail indépendant : une hétérogénéité construite socialement». Thèse
doctorat de sociologie UQAM/ Montréal. 449p.

Dannequin, F. 2002. Entrepreneur et accumulation chez Schumpeter. Université du Littoral Côte


d’opale, Laboratoire R.II, document de travail, No59, 25p.

De Briey, V. 2003. «Élaboration d’un cadre d’évaluation de la Performance d’institutions de


Micro financement : Études De Cas À Santiago (Chili)». Université Catholique De Louvain.
Thèse Faculté des Sciences Économiques Sociales et Politiques, 383p.

Deffontaines, J-P., et J-P. Prod’homme. 2001. Territoires et acteurs du développement local. De


nouveaux lieux de démocratie. Editions de l’Aube, 180p.
418

Defourny, J. 1990. Démocratie coopérative et efficacité économique. La performance comparée


des SCOP françaises. De Boeck université, Ouvertures Économiques, Jalons, 234p.

Defourny, Jacques, et J.L.M. Campos (éd). 1992. Économie sociale. Entre économie capitaliste et
économie publique. De Boeck Université, Ciriec, Ouvertures Économiques, 459p.

Defourny, Jacques, et P. Develtere (éd). 1999. L'Economie sociale au Nord et au Sud. Université
De Boeck, Ouvertures Économiques, Jalons, 278p.

Defourny, Jacques. 2005. «L’entreprise sociale» In Dictionnaire de l’autre économie. J-L,


Laville, et A.D. Cattini (éd). Desclée de Brouwer, 564p, p.279-286.

Demaziére, C. (éd). 1996. Du local au global: Les initiatives locales pour le développement
économique en Europe et en Amérique. L’Harmattan, 382p.

De Miras, Claude. 1987. «De l’accumulation de capital dans le secteur informel». Revue Sciences
humaines, vol. 23 (janvier 1987), p.49-74.

Demoustier, D. 2003. L’économie sociale et solidaire. S’associer pour entreprendre autrement.


La Découverte, Alternatives économiques, 206p.

Demoustier, D. (éd). 2004. Économie sociale et développement local. Les cahiers de l’économie
sociale, l’Harmattan-IES-Crédit coopératif, 173p.

Denis, J-L., et all. 1990. «L’analyse de l’implantation: modèles et méthodes». The Canadian
journal of program evaluation, Vol.5, No2, p.47-67.

Denis, Ph., et C. Sappia (éd). 2003. Femmes d’Afrique dans une société en mutation. Academia
Bruylant, 212p.

Deslauriers, J-P. 1991. Recherche qualitative. Guide pratique. McGraw- Hill, Thema, 133p.

De Soto, H., E. Ghersi et M. Ghibellini. 1994. L'autre sentier : la révolution informelle dans le
tiers monde. Editions la Découverte, 244p.

Desroches, H. 1976. Le projet coopératif. Son utopie et sa pratique. Ses appareils et ses réseaux.
Ses espérances et ses déconvenues. Editions Économie et Humanisme. Les éditions ouvrières.
457p.

Develtere, P. 1998. Économie sociale et développement. Les coopératives, mutuelles et


associations dans les pays en développement. Ouvertures économiques, Jalons, De Boeck
Universités, 171p.

Develtere, P., et B. Fonteneau. 2002. Société civile, ONG, tiers secteur, mouvement social et
économie sociale : conception au Nord, pertinence au Sud. CRDC/ UQO, Série Recherches
No.29, 24 pages.

Diakité, B. 2004. «Facteurs socioculturels et création d'entreprise en Guinée: Étude exploratoire


des ethnies peule et soussou». Thèse Université de Laval, Faculté des sciences de
l’administration.
419

Dionne, H., et all. 1995. « L’action collective et l’idéal communautaire : bases territoriales d’un
nouveau mouvement social ? ». In Au- delà du néolibéralisme. Quel rôle pour les mouvements
sociaux ? Klein et all, (éd). 1997. PUQ, Etudes d’économie politique, 218p, p.33-46.

Diop. I. L. 1990. «Etude de la mortalité à Saint-Louis du Sénégal à partir des données d'Etat
civil». Thèse Doctorat 3ème cycle de démographie, Université de Paris I, 295p + annexes.

Diop, M-C., et M. Diouf. 1990. Le Sénégal sous Abdou Diouf. Karthala, 436p.

Diop, F. 1997. «Bilan des politiques et perspectives sur la problématique des femmes au Sénégal.
L’intérêt de l’analyse de genre». In Revue sénégalaise de sociologie, Janvier 1997, No1,
Université Gaston Berger de Saint-Louis, p.91-104.

Diop, M-C., M. Diouf et A. Diaw, 2000. «Le Baobab a été déraciné. L’alternance au Sénégal».
Politique Africaine No 78, Juin 2000. p157-179.

Diop, Momar-Coumba (éd). 2002. La société sénégalaise entre le local et le global. Editions
Karthala. Collection Hommes et sociétés. 720p.

Diop, Momar-Coumba (éd). 2002. Le Sénégal contemporain. Editions Karthala. Collection


Hommes et sociétés. 655p.

Diouf, M. 1992. « «Traitants ou négociants? Les commerçants saint louisiens (2e moitié du XIXe
S.-début XXe S.) Hamet Gora Diop (1846-1910) : Étude de cas». In Commerce et Commerçants
en Afrique de l’Ouest, Barry, B. et L. Harding (éd), L’Harmattan, p.107-153.

Diouf, M., et M-C. Diop.1993. «Pouvoir central et pouvoir local. La crise de l’institution
municipale au Sénégal», In Pouvoirs et Cités d’Afrique Noire. Décentralisations en questions,
sous la dir. de Sylvie J. et all. Karthala, p.101- 125.

Diouf, A. 1997. « La politique sénégalaise de la décentralisation: enjeux et perspectives de la


régionalisation ». In Problématique et enjeux de la régionalisation au Sénégal. Actes du Colloque
sur la décentralisation en Afrique. RADI et all (Saint-Louis, 26-28 novembre 1997), p.21-36.

Diouf, M. 2005. Présentation de la politique de décentralisation mise en œuvre au Sénégal. 30 p.

Direction de la Prévision et de la Statistique (DPS). 1988. Rapport régional des résultats définitifs
du RGPH de Saint-Louis, 50p.

Doligez, F. 2002. «Dix ans d’étude de l’impact de la microfinance : synthèse de quelques


observations de terrain». In Exclusion et Liens financiers. Servet J-M., et Guérin I. (éd), Rapport
du Centre Walras, Economica, p. 88-112.

Doucet, L., et Louis Favreau (éd). 1991. Théorie et pratiques en organisation communautaire.
PUQ, 468p.

Doucouré, D. 2002. « La gestion des déchets à Dakar. 1996-2002 : Évolutions institutionnelles


récentes et impact sur le financement » Atelier régional thématique Pour une gestion partagée
des déchets solides en Afrique. (Cotonou 9-11 juillet 2002), 16p.

DPS/ St-Louis. 2004 Recensement Général de la population et de l’habitat (RGPH). 2002, 19p.
420

DPS, et B. M. 2004. La pauvreté au Sénégal : de la dévaluation de 1994 à 2001-2002. 31p.

DPS. 2004. 2e Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages (ASSAM II) 2004. 260p.

DPS, et Ministère de l’économie et des finances. 2004. Tableau des indicateurs.

DPS. 2005. Situation économique et financière du Sénégal en 2004 et perspectives en 2005. 29p.

Drucker, P. F., 1984. Vers une nouvelle économie. Paris, Inter Éditions, 238p.

De Sardan, J- P. O. 2001. Anthropologie et développement. Essai en socio- anthropologie du


changement social, Apad/ Karthala, 221p.

Dubresson, A, et Jean-Pierre Raison. 1998. L’Afrique subsaharienne. Une géographie du


changement. Armand colin, Collection U, série «Géographie», 246p.

Durkheim, E. 1895. Les règles de la méthode sociologique, PUF, 15é édition (1963), 149p.

Duruflé, G. 1990. L’ajustement structurel en Afrique (Sénégal, Côte d’Ivoire, Madagascar).


Karthala, 203p.

Ela, J-M.1994. Restituer l’histoire aux sociétés africaines. Promouvoir les sciences sociales en
Afrique noire. L’Harmattan, 143p.

Ela, J-M. 1998. Innovations sociales et renaissance de l'Afrique Noire. Les défis du «monde d'en
bas». L'Harmattan, 426p.

Ela, J-M.2001. Guide pédagogique de formation à la recherche pour le développement en


Afrique. L’Harmattan, Études africaines, 79p.

Elander. 1999. «Partenariat et Gouvernance urbaine. Un agenda pour la recherche comparative


internationale». In Quels partenariats pour la ville ? Approches internationales. Pedone, Cervl
vie locale, n 15, p. 17-39.

Ellis, S., et Yves A. Fauré (éd). 1995. Entreprises et entrepreneurs africains. Karthala-
Orstom.632p.

Eme, B., J-L. Laville, L. Favreau et Y. Vaillancourt (éd). 1996. Société civile, État et Économie
plurielle. UQAM, CNRS et UQH. 260p.

Eme, B., et J-L. Laville. 2005. «L’économie solidaire». In Dictionnaire de l’autre économie.J-L.
Laville, et A. D. Cattani (éd). 2005. Desclée de Brouwer, 564p, p.253-260.

Eme, B. 2005. «Gouvernance territoriale et mouvements d’économie sociale et solidaire». 5iéme


Rencontres interuniversitaires de l’économie sociale et solidaire. (Marseille, 13 mai 2005), 18p.

Enda Rup. 1990. Des déchets et des hommes. Expériences urbaines de recyclage dans le Tiers
Monde. Environnement africain, 297p.
421

Enda Tiers-Monde, 1991. «Quel avenir pour l’économie populaire en Afrique? Esquisse d’une
prospective» Séminaire atelier sur la problématique de l’économie populaire urbaine en Afrique
de l’Ouest (Dakar, 1991), 40p.

Enda GRAF Sahel, 1993. La ressource humaine, avenir des terroirs. Recherches paysannes au
Sénégal. Karthala, 320p.

Engelhard, Ph. 1998. L’Afrique miroir du monde? Plaidoyer pour une nouvelle économie. Arléa,
222p

Enjolras, B. 1993. «Vers une théorie socio-économique de l’association : l’apport de la théorie


des conventions» In RECMA, 1993, No48, p.93-106.

Enjolras, B. 1995. Le marché providence. Aide à domicile, politique sociale et création d’emploi.
Desclée de Brouwer. Sociologie économique, 251p.

Enjolras, B.1996. «Crise de l’État-providence, crise du lien social et économie solidaire :


éléments pour une socio-économie critique», In Société civile, État et Économie plurielle. Eme et
all, UQAM, CNRS et UQH. 260p, p.101-121.

Enjolras, B. 1998. «Crise de l’État-providence, lien social et associations : éléments pour une
socio-économie critique» In Une seule solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif.
Revue MAUSS. 1998, N11, 1er semestre 1998. La découverte, p. 223-236.

Enjolras, B. 2005. «Economie sociale et solidaire, territoire et régimes de gouvernance». 5iéme


Rencontres interuniversitaires de l’économie sociale et solidaire. (Marseille, 13 mai 2005), 16p.

Esposito, M-C., et C. Zumello (éd). 2003. L’entrepreneur et la dynamique économique.


L’approche anglo-saxonne. CERVEPAS, Economica, 206p.

Fall, A., et Le Blanc. G 2001. Le secteur de l’artisanat à Saint- Louis : un besoin de concertation.
PLS/ UGB, 90p.

Fall, A, S., L. Favreau, et G. Larose (éd). 2004. Le Sud…et le Nord dans la mondialisation.
Quelles alternatives. Le renouvellement des modèles de développement. PUQ-Karthala, 385p.

Fauré, Yves-A. (éd). 1994. Petits entrepreneurs de Côte d’Ivoire. Des professionnels en mal de
développement. Karthala, 385p.

Fauré, Yves-A, et Pascal Labazee (éd). 2000. Petits patrons africains. Entre l’assistance et le
marché. Karthala, 644p.

Favereau, O. 1995. «Développement et économie des conventions». In L’Afrique des incertitudes.


Hugon, Ph. et all, PUF. Cered-Forum, Tiers Monde Iedes, p.179-199.

Favreau, L., et B. Lévesque. 1997. «L’économie sociale et les pouvoirs publics : banalisation du
«social» ou tremplin pour une transformation sociale?» Nouvelles Pratiques Sociales, vol.10, n1,
p.71- 81.

Favreau, L., et B. Lévesque. 1999. Développement économique communautaire. Économie


sociale et intervention, Presses Universitaires du Québec, 230p.
422

Favreau, L. 1999. «Economie solidaire et renouvellement de la coopération Nord- Sud : le défi


actuel des ONG». Nouvelles Pratiques Sociales, vol.11, No2 et vol. 12, No1, p. 127-141.

Favreau, L. 2000. «Economie sociale et développement dans les sociétés du Sud». Revue
Économie et Solidarités, Vol.31 No2, PUQ/ CIRIEC, p.45-63.

Favreau, Louis, et Lucie Fréchette. 2002. Mondialisation, économie sociale, développement local
et solidarité internationale. PUQ, Collection Pratiques et politiques sociales et économiques,
251p.

Favreau, L. 2003. Développement des territoires: Nouvelle approche du développement régional?


CRDC/UQO, Série développement régional No1, 39p.

Favreau, L., G. Larose et A. S. Fall (éd). 2004. Altermondialisation, économie et coopération


internationale. PUQ-Karthala, 384p.

Favreau, L., 2005. Qu’est-ce que l’économie sociale? Synthèse introductive. CRISES/UQAM, ET
0508, 35p.

Fayolle, A. 2000. «Dynamisme entrepreneurial et croissance économique. Une comparaison


France-USA». In Histoire d’entreprendre. Les réalités de l’entrepreneuriat. Verstraete, T. (éd),
Éditions EMS, p.33-47.

Fayolle, A. 2004. Entrepreneuriat : apprendre à entreprendre. Dunod. 392p.

Fontan, J-M., J-L. Klein et Benoît Lévesque. 2003. Reconversion économique et développement
territorial. PUQ, Géographie contemporaine, 340p.

Fontan, J-M., J-L. Klein et D-G.Tremblay. 2004. «Innovation et société : pour élargir l’analyse
des effets territoriaux de l’innovation». In Géographie, économie et société. Lavoisier. Vol.6,
No2 avril-juin 2004, p.115-128.

Fontan, J-M., J-L. Klein et D-G.Tremblay. 2005. Innovation socioterritoriale et reconversion


économique : le cas du Montréal. L’Harmattan, 169p.

Fonteneau, B., M. Nyssens et A. S. Fall.1999. «Le secteur informel : creuset de pratiques


d’économie solidaire?» In L'Economie sociale au Nord et au Sud, sous la dir. de Defourny et all,
De Boeck Université, p.159-178.

Frank, A.G. 1978. Le développement du sous-développement : L’Amérique Latine. Éditions de


Paris. 372p.

Frassy, M-L. 2000. Marchandes dakaroises entre maison et marché. Approche anthropologique.
L’Harmattan, 267p.

Furtado, C. 1970. Obstacles to development of Latine America. Garden City, 204p.

Gachuruzi, B. S. 1998. L’entrepreneurship en Afrique noire. Application aux entrepreneurs du


secteur informel au Congo-Zaïre. L’Harmattan, 190p.
423

Gagnon, G., et J-L Klein (éd). 1992. Les partenaires du développement face au défi du local,
Université du Québec à Chicoutimi, GRIR, 401p.

Gauthier, B. (éd). 1992. Recherche sociale. De la problématique à la collecte des données.


Sillery, Presses de l’Université du Québec, 535p.

Gendron, C. 2005. «Mouvements sociaux ». In Dictionnaire de l’autre économie. Laville J-L., et


A. D. Cattani (éd). Desclée de Brouwer, 564p, p.395-402.

Geschiere, P., et Piet Konings.1993. Itinéraires d’accumulation au Cameroun.. Karthala, 393p.

GIE CETOM de Léona. 2003. Rapport du président du GIE. AG du 23 juin 2003. 8p.

GIE CETOM de Léona. 2003. Présentation Générale du GIE CETOM de Léona. 7p.

GIE Djambarou Sine. Registre des crédits Djambarou Sine (2004).

GIE Djambarou Sine. Registre des membres (2004).

Giguére, P., et all. 1990. Micro-entreprise en Afrique sub-saharienne. Présentation du secteur et


pistes pour une stratégie d’intervention. SDID. 91p.

Granovetter, Mark. 2000. Le marché autrement. Les réseaux dans l’économie. Desclée de
Brouwer, Sociologie économique, 239p.

Grawitz, M. 2001. Méthodes des sciences sociales. Dalloz, 11e édition, 1019p.

Grégoire, E. 1995. « Commerçants et hommes d’affaires du Sahel ». In Entreprises et


Entrepreneurs africains, Ellis et Fauré (éd), ORSTOM-KARTHALA, 632p, p.71-79.

GRET et SIC. 1999. Evaluation des partenariats de coopération décentralisée des membres du
‘groupe pays Sénégal’ et de leurs homologues sénégalaises. Rapport de synthèse, Cités Unies
France/ AMS, APCR, 73p.

Groulx, Lionel-Henri. 1994. «Contribution de la recherche qualitative à la recherche sociale ». In


La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques. Poupart et all, Gaëtan
Morin, p.55-82.

Gui, B. 1991. «The economic rationale for the third world», In Annals of public and cooperative
economics, vol. 62 No4, p.551-572.

Guibbert, J- J. 1990. «Ecologie populaire urbaine et assainissement environnemental dans le Tiers


Monde ». In Des déchets et des hommes, 1990, p.21- 50.

Guibbert, J-J. 1996. Expériences, outils et méthodes : pour un développement urbain partagé.
Enda Tiers Monde/Preceup. Séries Pratiques Urbaines.
424

Habermas, J. 1987. Théorie de l’agir communicationnel. Tome I. Rationalité de l’agir et


rationalisation de la société. Fayard, L’espace du politique, 444p.

Hamel, P., 1995. «Démocratie pluraliste et action». In Au- delà du néolibéralisme. Quel rôle pour
les mouvements sociaux ? Klein et all, (éd). 1997. PUQ, Etudes d’économie politique, 218p, p.21-
32.

Haubert, Maxime, et Pierre-Philippe Rey. 2000. Les sociétés civiles face au marché. Le
changement social dans le monde postcolonial. Karthala, coll. Économie et développement, 299p.

Henault, G., et R. M’Rabet. (éd). 1990. L’entrepreneuriat en Afrique francophone : Culture,


financement et développement. AUPELF, 328p.

Hernandez, É-M., 1997. Le Management des entreprises africaines. Essai de management du


développement. L’Harmattan, 295p.

Hernandez, É-M., 2001. L’entrepreneuriat. Approche théorique. L’Harmattan, 270p.

Hillier, J., F. Moulaert et J.Nussbaumer. 2004. « Trois essais sur le rôle de l’innovation sociale
dans le développement territorial». In Géographie, économie et société. Lavoisier. Vol.6, No2
avril-juin 2004, p.129-152.

Hong, K. K. 1991 (éd). Jeux et enjeux de l’auto- promotion. Vers d’autres formes de coopération
au développement. Puf- Paris- Cahiers de l’IUED-Genéve, 204p.

Hopkins, A. G. 1995. «Les entrepreneurs africains et le développement de l’Afrique. Une


perspective historique». In Entreprises et entrepreneurs africains, Ellis, S., et Y-A. Fauré (éd),
Karthala-Orstom.p.37-51.

Houée, P. 2001. Le développement local au défi de la mondialisation. L’Harmattan, Questions


contemporaines, 250p.

Hugon, Ph. 1995. «Les entrepreneurs africains et l’analyse économique». In Entreprises et


entrepreneurs africains, Ellis, S. et Y-A, Fauré (éd), Karthala-Orstom, p.375-393.

Hugon, Ph., G. Pourcet et S. Quiers-Valette. 1995. L’Afrique des incertitudes. PUF. Cered-
Forum, Tiers Monde Iedes, 271p.

Hugon, Ph. 2003. Économie de l’Afrique. Repères la Découverte (4é édition). 123p.

Husson, B., et M. Diop. 2000. Partenariat avec Saint-Louis du Sénégal et sa Région. Évaluation
des actions et du dispositif institutionnel. Propositions d’ajustement. CIEDEL, 62p + annexes.

Husson, B. 2001. «Le développement local».In AGRIDOC, No1, p.6-8.

Huther, Jacques Coenen. 2001. A l’écoute des humbles. Entretiens en milieu populaire.
L’Harmattan, Logiques sociales, 253p.

IAGU-GREA-AO-PDM. 1996. «Déchets solides en milieu urbain d’Afrique de l’Ouest et


Centrale. Vers une gestion durable» Séminaire régional (Abidjan, 14-16 Février 1996).
425

Icaza, A.M.S., et L. Tiriba. 2005. «L’économie populaire». In Dictionnaire de l’autre économie


Laville, J-L et A. D. Cattani, Desclée de Brouwer, p.217-224.

Julien, P-A., et M. Marchesnay.1996. L’entrepreneuriat. Economica. 111p.

Julien, P-A. 2000. L’entrepreneuriat au Québec. Pour une révolution tranquille entrepreneuriale
1980-2005. Les Éditions Transcontinental et Fondation de l’entrepreneurship, 400p.

Julien, P-A. 2000. «Régions dynamiques et PME à forte croissance–Incertitude, information


potentielle et réseaux à signaux faibles». In Histoire d’entreprendre. Les réalités de
l’entrepreneuriat. Verstraete. T (éd), Éditions EMS, p.49-66.

Kabou, Axelle.1991.Et si l’Afrique refusait le développement. Paris, L’Harmattan, 207p.

Kanté, Souley. 2002. Le secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la


promotion d’un travail décent. Document de travail sur l’économie informelle, BIT, Genève,
Suisse, 54p.

Kennedy, P.1995. « Les obstacles politiques au capitalisme africain ». In Entreprises et


Entrepreneurs africains, Ellis et Fauré (éd), ORSTOM-KARTHALA, 632p, p.269-288.

Kipré, P. 1995. «Métamorphoses des hommes et réseaux d’affaires africaines. Temps


précoloniaux et adaptations coloniales en Côte d’Ivoire ». In Entreprises et Entrepreneurs
africains, Ellis et Fauré (éd), ORSTOM-KARTHALA, 632p, p.53-61.

Klein, Jean-Louis, Pierre-André Tremblay et Hugues Dionne (éd). 1997. Au- delà du
néolibéralisme. Quel rôle pour les mouvements sociaux ? PUQ, Etudes d’économie politique,
218p.

Klein, J-L., et all, 2003. Mobilisation et dynamisation des ressources territoriales: un portrait de
la contribution des groupes communautaires au développement local et régional. TN CDC, 65p.

Kirzner, I. 1973. Competition and Entrepreneurship. Chicago, The university of Chicago Press.

Labazee, P. 1995. «Entreprises, promoteur et rapports communautaires. Les logiques


économiques de la gestion des liens sociaux». In Entreprises et entrepreneurs africains, Ellis, S,
et Y-A, Fauré (éd), Karthala-Orstom, p.141-152.

Laléyê, I. P., H. Panhuys, T. Verhelst et H. Zaoual (éd) 1996. Organisations économiques et


cultures africaines. De l’homo oeconomicus à l’homo situs. L’Harmattan, Réseau Sud-Nord
Cultures et Développement/ Université de Saint-Louis/ URED, 500p.

Lallement, M. 1999. «Gouvernance locale, communautés d’action collective et emploi». In


Economie et Solidarité. Vol. 30, No 2, 1999. p.41-59.

Lamoureux, J. 1994. Le Partenariat à l’épreuve. L’articulation paradoxale des dynamiques


institutionnelles et communautaires dans le domaine de la santé mentale. Editions Saint-Martin,
235p.

Lamoureux, J. 1996. La concertation : perspectives théoriques sous l’angle du néo-corporatisme.


CRISES, No 9607, 32p.
426

Larraechea, I., et M. Nyssens. 1996. «L’économie populaire : un défi épistémologique pour les
économistes». In La connaissance des pauvres, Fontaine, P., et all, GIREP, Les Éditions
Travailler le social, 528p, p.489-501.

Larraechea, Ignaciao, et Marthe Nyssens. 2000. «L’économie solidaire, un autre regard sur
l’économie populaire au Chili». In L’économie solidaire. Une perspective internationale. J-L,
Laville (éd), Desclée de Brouwer, p.177-222.

Latouche, S. 1991. La planète des naufragés. Essai sur l’après- développement. Paris, La
Découverte, 235p.

Latouche, S. 1998. L’autre Afrique. Entre don et marché .Paris, Albin Michel, 250p.

Latouche, S., F. Nohra et H. Zaoual. 1999. Critique de la raison économique. Introduction à la


théorie des sites symboliques. L’Harmattan, 124p.

Latouche, S. 2003. «L’oxymore de l’économie solidaire». In L’alter-économie. Quelle «autre


mondialisation» ? (fin). MAUSS, 2003, la découverte MAUSS, No21, 425p, p.145-150.

Lautier, B. 1994. L’économie informelle dans le Tiers Monde. La Découverte coll. repères, 125p.

Laville, J-L. 1996. «Économie et solidarité : linéaments d’une problématique». In Réconcilier


l’économique et le social. L’économie plurielle. OCDE, 1996, p.45-56.

Laville, J-L. 1997. «Sociologie économique : l’état des connaissances». In Cahiers


Internationaux de sociologie. Le renouveau de la sociologie économique. Vol. 103, p.1-19

Laville, Jean-Louis, et Renald Sainsaulieu. 1997. Sociologie de l’association. Des organisations à


l’épreuve du changement social. Desclée de Brouwer, Sociologie économique, 403p.

Laville, J-L. 1997. «Association et société» In Sociologie de l’association. Des organisations à


l’épreuve du changement social. Laville, J-L., et Sainsaulieu R., Desclée de Brouwer, p.321-376.

Laville, J-L., et Guy Roustang. 1999. «L’enjeu d’un partenariat entre Etat et société civile». In
L'économie sociale au Nord et au Sud, sous la dir. de Defourny et all, Université De Boeck, pp
217- 238.

Laville, Jean-Louis (éd). 2000. L’économie solidaire. Une perspective internationale. Desclée de
Brouwer, Sociologie économique, 343p.

Laville, J-L., B. Lévesque et This Saint-Jean. 2000. «La dimension sociale de l’économie selon
Granovetter». In Le Marché autrement. Granovetter, M. Desclée de Brouwer, p.9-32.

Laville, J-L., et M, Nyssens (éd). 2001. Les services sociaux entre associations, État et marché.
L’aide aux personnes âgées. La découverte/ MAUSS/CRIDA, 284p.

Laville, J-L., et A. D. Cattani (éd). 2005. Dictionnaire de l’autre économie. Desclée de Brouwer,
564p.

Lazarev, Grigori. 1993. Vers un éco- développement participatif. Pnud/ Fenu, l’Harmattan, 272p.
427

Leimdorfer, F. 2003. «L’espace public urbain à Abidjan : individus, associations, État». In


L’Afrique des citadins. Sociétés civiles en chantier (Abidjan, Dakar). Leimdorfer et Marie (éd).
2003. Karthala, p.109-155.

Lelart, M. (éd) 1999. Finance informelle et Financement du développement. Aupelf- Uref, 249p.

Lévesque, Benoît, André Joyal et Omer Chouinard. 1989. (éd). L’autre économie. Une économie
alternative? Actes du 8e colloque annuel de l'Association d'Économie Politique (Montréal, 21- 22
octobre 1988), UQAM, PUQ, 372p.

Lévesque, Benoît, et Lucie Mager. 1992. « Vers un nouveau contrat social ? Eléments de
problématique pour l’étude du régional et du local ». In Les partenaires du développement face
au défi du local, Gagnon, G., et J-L Klein (éd), Université du Québec à Chicoutimi, p.19-62.

Lévesque, B., J-L. Klein, J-M. Fontan et D. Bordeleau. 1996. Systèmes locaux de production :
Réflexion-synthèse sur les nouvelles modalités de développement régional/ local, Cahiers du
Crises, 90p.

Lévesque, B., 1997. «Démocratisation de l’économie et économie sociale». In La crise de


l’emploi. De nouveaux partages s’imposent Laflamme et all (éd). 1997. Presses de l’Université
Laval, Sainte-Foy, p.87-123.

Lévesque, Benoît. 1999. Le développement local et l’économie sociale : Deux éléments devenus
incontournables du nouvel environnement. CRISES, 19p.

Lévesque, Benoît. 2000. Le partenariat : une tendance lourde de la gouvernance à l’ère de la


mondialisation. Enjeux et défis pour les entreprises publiques et d’économie sociale. CRISES,
17p.

Lévesque, B., L. Bourque et É. Forgues. 2001. La nouvelle sociologie économique : originalité et


diversité des approches. Paris : Desclée de Brouwer, Sociologie économique, 268p.

Lévesque, B. 2002. Le développement régional et local, avant et après la mondialisation. ARUC-


ÉS/ UQAM, 29p.

Lévesque, B. 2002. Entrepreneurship collectif et économie sociale : entreprendre autrement,


ARUC-ÉS/UQAM, I- 02- 2002, 33p.

Lévesque, B. 2002. Les entreprises d’économie sociale, plus porteuses d’innovations que les
autres ? Crises/ UQAM, 25p.

Lévesque, B. 2005. «Sociologie économique ». In Dictionnaire de l’autre économie. Laville J-L.,


et A. D. Cattani (éd). Desclée de Brouwer, 564p, p.483-489.

Liu, Michel. 1997. Fondements et pratiques de la recherche-action. L’Harmattan, Logiques


sociales, 351p.

Livet, P., et L. Thévenot. 1994. «Les catégories de l’action collective». In Analyse économique
des conventions. Orléans, A, PUF, p.139-167.
428

Loirand, G. 2003. «Les paradoxes de la «professionnalisation» des associations sportives». In Les


associations entre bénévolat et logique d’entreprise. Prouteau (éd). p.85-103.

Lootvoet, B., et X, Oudin. 1995. «L’accumulation dans les petites entreprises : mécanismes,
échelle et nature»; In Entreprises et entrepreneurs africains. Ellis, S. et Y-A, Fauré (éd).
Karthala-Orstom, p.545-561.

Lubell, H. 1991. Le Secteur informel dans les années 80 et 90. Etude du centre de
développement de l’OCDE, 138p.

Ly, Boubacar. 1989. Problèmes épistémologiques et méthodologies des sciences sociales en


Afrique. Unesco/ Codesria, 44p.

Mace, G., et F. Pétry. 1992. Guide d’élaboration d’un projet de recherche. 2iéme édition, De
Boek Université, Presses de l’université de Laval, 134p.

Mahieu, F. R. 1990. Les fondements de la crise économique en Afrique. Entre la pression


communautaire et le marché international. L’Harmattan, Logiques Économiques, 197p.

Maldonado, Carlos. (éd). 1999. Le secteur informel en Afrique face aux contraintes légales et
institutionnelles, BIT, Genève, 367p.

Maldonado, C., et B. Gaufruy. 2001. L’économie informelle en Afrique francophone. Structure,


dynamiques et politiques. BIT, Genève, 504p.

Malenfant, Roméo. 1999. La gouvernance stratégique d’un organisme sans but lucratif : sa
dynamique, ses composantes. Editions DPRM, 346p.

Malo, M-C., et M, Vézina. 2003. Stratégie, gouvernance et gestion de l’entreprise collective


d’usagers. CRISES, RT 0301, 56p.

Malo, M-C. 2003. La variété des configurations de gouverne et de gestion : le cas des
organisations du tiers secteur. CRISES, RT 0311, 23p.

Manguelle, D. E. 1991. L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme d'ajustement culturel? Editions
nouvelles du Sud, 153p.

Marchesnay, M. 2000. «Entrepreneuriat et territoire». In Histoire d’entreprendre. Les réalités de


l’entrepreneuriat, Verstraete. T (éd), Éditions EMS, p.263-274.

Maret, Pierre, et Marc Poncelet. 1999. Les associations urbaines en Afrique subsaharienne :
Types, fonctionnement et initiatives en matière de développement. Etudes de cas à Cotonou
(Bénin), Lubumbashi (RDC) et Yaoundé (Cameroun). Ciuf- Agcd, 100p.

Maréchal, J- P. 2000. Humaniser l’économie. Desclée de Brouwer, Sociologie Économique,


224p.
429

Marie, A. (éd) 1997. L’Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine
(Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey). Editions Karthala, Collections Hommes et sociétés, Paris,
438p.

Martinot, V. K., et Kosinski L. A. (éd). 1999. Quels partenariats pour la ville ? Approches
internationales. Pedone, Cervl vie locale, No15, 154p.

Massiah, G. 2003. « Le mouvement citoyen mondial ». In L’alter-économie. Quelle «autre


mondialisation» ? (fin). MAUSS, 2003, la découverte MAUSS, No21, 425p, p.23-31.

Matthew B. Miles, et A. Michael Humerman.2003. Analyse des données qualitatives. De Boeck,


Méthodes en sciences humaines, 2iéme édition, 626p.

MAUSS, 2003. L’alter-économie. Quelle «autre mondialisation» ? (fin). La découverte MAUSS,


No21, 425p.

Mbodj, Mohamed. 1992. «La crise trentenaire de l’économie arachidiére». In Sénégal.


Trajectoires d’un Etat, sous la dir. de Momar-Coumba Diop (éd). Codesria, p.95-135.

Mbow, Penda. 2001. «La société civile sénégalaise : identification et rôle dans le processus
démocratique» In Revue sénégalaise de sociologie, no1-2, 2001, Société civile, UGB de Saint-
Louis, p.207- 230.

Méda, Dominique. 1999. Qu’est- ce que la richesse? Alto Aubier, Paris, 423p.

Meister, Albert. 1978. La participation pour le Développement. Editions Economie et


Humanisme, les Editions ouvrières, Collection Développement et Civilisations, 174p.

Melucci, A. 1989. Nomads of the present, social movements and individual needs in contemporay
society. Hutchinson Radius, 288p.

Melucci, A. 1997. «Identité et changement : le défi planétaire de l’action collective». In Au- delà
du néolibéralisme. Quel rôle pour les mouvements sociaux ? Klein et all, (éd). 1997. PUQ, Etudes
d’économie politique, 218p, p.9-20.

Mendras, H., et M. Oberti. 2000. Le sociologue et son terrain : 30 recherches exemplaires.


Armand Collin, 294p.

Mignon, J-M. 1989. «Les mouvements de jeunesse dans l’Afrique de l’ouest francophone de
1958 aux années 1970- 1975». In Le mouvement associatif des jeunes en Afrique noire
francophone au XXIéme siècle, sous la dir. de Topor et all, l’Harmattan, Groupe Afrique noire
Cahier No12, p.107- 128.

Mondjanagni, A.-C. (éd). 1994. La participation populaire au développement en Afrique noire.


IPD/ Karthala, 448p.

Mucchielli, A. 1991. Les méthodes qualitatives. Puf Que sais- je? 126p

Mucchielli, A. 1996. Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales.


Paris. A. Collin, 275p.
430

Najam, A. 2000. « The four-C’s of the third sector-government relation :


cooperation,confrontration, complementary and cooptation ». Nonprofit Management and
Leadership.Vol.10, No4 summer, p.375-396.

Ndiaye, S. 1996. « Dynamique associative et Développement participatif en milieu rural.


Contribution à l'étude des Organisations Paysannes Fédératives du Delta : le cas de l'AFEGIED ».
Mémoire de maîtrise : UGB/ Saint-Louis, 151p.

Ndiaye, S. 1997. «Mécanismes de production et de reproduction de la pauvreté en milieu urbain :


conditions de vie et Stratégies de survie des Saint-Louisiens face à la crise». Mémoire de DEA,
UGB/ Saint-Louis, 38p + annexe.

Ndiaye, S. 1998. Gestion urbaine au niveau de la Commune de Saint-Louis. Assises de Saint-


Louis. Commune de Saint- Louis, 28p.

Ndiaye, S., et A. Niang. 1998. Analyse de la dynamique associative dans la ville de Saint-Louis
(Sénégal). Enda Ecopop, 21p. + annexes.

Ndiaye, S. 1999. Rapport de synthèse de l’atelier de réflexion et d’échanges sur la dynamique


associative au Sénégal. (Thiès, les 14 et 15 juin 1999). Enda Ecopop 20p.

Ndiaye, S. 2003. «Lutte contre la pauvreté et gouvernance locale : Enseignements majeurs du


système non conventionnel de gestion des ordures ménagères en milieu urbain ouest africain».
Population et Pauvreté en Afrique: relever les défis du 21ème siècle. UEPA, (Tunis 8-12
Décembre 2003), 18p.

Ndiaye, S. 2003. «Gestion partagée de la production de services urbains en Afrique de l’Ouest : le


cas du projet CETOM de Saint- Louis (Sénégal)». Conférence Internationale : Le Sud… et le
Nord dans la Mondialisation. Quelles Alternatives? CDRC/ UQ0 (Hull, 24-25 septembre, 2003),
21p.

Ndiaye, S. 2003. « Économie populaire et Développement local au Sénégal : État des lieux et
Perspectives ». In Économie sociale et le Développement local en Afrique de l’Ouest : Etat des
lieux et pistes de travail pour l’avenir. Séminaire CRDC/ UQO (Gatineau, 7-8 Mai 2003), 25p.

Ndiaye, S. 2003. Itinéraire du Secteur Informel au BIT : 1972- 2002. CRDC/UQO, 25p.

Ndiaye, S. 2004. L’entrepreneuriat communautaire en contexte de précarité : Monographie de la


Caisse d’épargne et de crédit des artisans de Saint-Louis (Sénégal). CRISES, No ES0501, 59p.

Ndiaye, S. 2004. Itinéraire du développement local et Portrait des Conseils de Quartier de la


ville de Saint- Louis (Sénégal). CRDC/UQO, 20p.

Ndiaye, P. G. 2004. Dynamiques des acteurs de la pêche au Sénégal : vers un partenariat entre le
public et le privé pour faire face au défi de la mondialisation. Enda Diapol, 9p.
431

Ndiaye, S. 2005. «Innovations socio-territoriales et enjeux de l’entrepreneuriat durable en


contexte de précarité : l’expérience des GIE CETOM de la ville de Saint Louis». In Actes des
9émes Journées Scientifiques du Réseau Entrepreneuriat de l’AUF, Entrepreneuriat,
Développement durable et Mondialisation, (CLUJ-NAPOCA, Roumanie, 1-4juin 2005), 779p,
p.479-490.

Ndiaye, S. 2005. « Enjeux et Défis de la coopération décentralisée. Une expérience


France/Sénégal ». GESQ, Université d’été sur l’internationalisation de l’économie sociale et
solidaire (Montréal, 9-10 juin 2005), 21p.

Ndiaye, S. 2005. «Innovations socio-territoriales et reconfiguration de l'architecture


institutionnelle locale en contexte de précarité: l’expérience de l'entrepreneuriat communautaire
sénégalais», ACFAS/ CIRIEC, 2005, 21p.

Ndione, E. S. 1992. L’économie urbaine en Afrique. Le don et le recours. Enda Graf Sahel,
Karthala, 214p.

Ndione, E. S (éd). 1994. Réinventer le présent. Quelques jalons pour l’action. Enda Graf Sahel,
131p.

Neveu, E. 2002. Sociologie des mouvements sociaux. 3e édition. La Découverte, Repères. 125p.

Niang, A. 1990. Les Associations en Milieu Urbain Populaire (Sénégal).CRDI, Dakar, 202p.

Niang, Abdoulaye. 1997. «Le secteur informel en milieu urbain, un recours à la crise de
l’emploi». In Ajustement structurel et emploi au Sénégal, Fall B. (éd), Karthala, p.29-55.

Niang, Abdoulaye. 1999. Diagnostic institutionnel participatif de l’Association pour le


Développement de Diamaguéne. Enda Ecopop, 50p.

Niang, A. 2000. « La société civile : une réalité sociale en question » In Revue sénégalaise de
sociologie, No1-2, 2000, UGB de Saint- Louis, p. 33-82.

Niang, A. 2002. «L’implication associative au développement et ses enjeux sociaux : le cas de


l’Association pour le Développement de Diamaguéne (ADD)». In Revue sénégalaise de
sociologie No 4-5, p.47-127.

Niang, D. 1997. « Viabilité du système de décentralisation : l’expérience de renforcement


municipal de Saint-Louis dans le cadre de la coopération décentralisée Lille/ Saint-Louis». In
Problématique et enjeux de la régionalisation au Sénégal. Actes du Colloque sur la
décentralisation en Afrique. RADI et all (Saint-Louis, 26-28 novembre 1997), p115-141.

Niang, D., S. Ndiaye et S. Kourouma. 2001. «Gouvernance locale et gestion participative des
villes en Afrique de l’Ouest : le cas de Saint- Louis ». Rencontre sous- régionale de valorisation
des approches de gestion participative de villes d’Afrique de l’Ouest, Enda Ecopop/ Ecdpm, 35p.

Niang, D. 2003. «Le renforcement de la maîtrise d’ouvrage communale des services urbains. La
gestion des déchets ménagers à Saint-Louis du Sénégal». In Les services urbains liés à
l’environnement entre mondialisation et participation. Regards croisés Maroc-Sénégal.
Programme de recherche urbaine pour le développement, 2003, p184-230.
432

Norro, M. 1988. Économies africaines. Analyse économique de l’Afrique subsaharienne. 2é


édition, De Boeck Université, Ouvertures économiques, 307 p.

Noula, A-G. 1995. «Ajustement structurel et développement en Afrique : l’expérience des années
80» In Afrique et Développement, vol. 20, No1, p.5-36.

Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique. 2001, 57p.

Nyssens, Marthe. 1994. Quatre essais sur l’économie populaire urbaine : le cas de Santiago du
Chili. Université Catholique de Louvain, Faculté des sciences économiques, sociales et
politiques, Nouvelle série No231, Ciaco, Louvain-la-Neuve, 193p.

Nyssens, M., et I. Larraechea. 1996. «Les organisations économiques populaires du Chili : la


montée en puissance du facteur C» In Organisations économiques et cultures africaines. De
l’homo oeconomicus à l’homo situs, sous la dir. de Laléyê et all, L’harmattan, p.389- 423.

O’Brien, Donal Cruise, Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf. 2002. La construction de


l’État au Sénégal. Karthala, 230p.

OCDE. 1990. Initiatives locales de création d’emplois. Réussir le changement. Entrepreneuriat et


initiatives locales. Paris, 88p.

OCDE. 1996. Réconcilier l’économique et le social. L’économie plurielle. 237p.

OCDE, 2005. «Le financement des PME en Afrique». Repères No7, Centre de développement de
l’OCDE, 6p.

O’Deyé, Michelle. 1985. Les associations en villes africaines. Dakar-Brazzaville. L’Harmattan,


Villes et Entreprises, 123p.

Olson, M. 1987. Logique de l’action collective. PUF, 2e édition, 199p.

Ominami, Carlos. 1986. Le tiers monde dans la crise. Essai sur les transformations récentes des
rapports Nord- Sud, Editions la Découverte, 247p.

ONUDI/ PNUD. 2001. Stratégie de promotion des micro et petites entreprises.

Osmont, Annick. 1995. La Banque mondiale et les villes. Du développement à l’ajustement.


Karthala, 309p.

Panhuys, H., et H. Zaoual. 1996. «Vers des organisations métisses». In Organisations


économiques et cultures africaines. De l’homo oeconomicus à l’homo situs, sous la dir. de Laléyê
et all, 1996. L’Harmattan, p.13-32.

Panhuys, H. 1996. «Définitions, caractéristiques et approches des économies populaires


(ECOPOP) en Afrique et dans le monde». In Organisations économiques et cultures africaines.
De l’homo oeconomicus à l’homo situs, sous la dir. de Laléyê et all, 1996. L’Harmattan, p.83-
127.

Passaris, S., et G. Raffi. 1984. Les associations. Editions la Découverte, Paris, 126p.
433

Parazelli, M., et G. Tardif 1998. «Le mirage démocratique de l’économie sociale». In L’économie
sociale : l’avenir d’une illusion, sous la dir. de Boivin et Fortier, Fides, p.55-99.

Parodi, M. 1998. «Sciences sociales et «spécificités méritoires» des associations». In Une seule
solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif. Revue MAUSS. 1998. N11, 1er
semestre 1998, p.136-154.

PDM/ Club du Sahel. 1997. L’Economie locale de Saint- Louis et du delta du Fleuve Sénégal.
Relance des Economies locales en Afrique de l’Ouest, (résumé), 22p.

Pecqueur, B. 1989. Le développement local : mode ou modèle? Syros/ Alternatives, Paris, 149p.

Pecqueur, B. 2000. Le développement local. Pour une économie des territoires. 2e édition revue
et corrigée. SYROS, Alternatives économiques, 132p.

Peemans, Jean-Philippe. 1997. Crise de la modernisation et pratiques populaires au Zaïre et en


Afrique, L’Harmattan, Collection Zaïre- Histoire et Société, 250p.

PELCP/ AQUADEV, 2001. Diagnostic opérationnel de la CECAS. 10p.

PELCP. 2001. Diagnostic des Mutuelles et de Crédit et des organisations de Promotion Féminine
de la Commune de Saint-Louis, 50p.

Perret, B., et G, Roustang. 1993. L’économie contre la société. Affronter la crise de l’intégration
sociale et culturelle. Collection esprit/ Seuil, 274p.

Perroux, F. 1993. Marx, Schumpeter, Keynes. PUG/ CL, 424p.

PNUD, 2002. Rapport mondial sur le développement humain au Sénégal. Gouvernance et


développement humain, 264p.

PNUD, 2005. Rapport mondial sur le Développement Humain 2005. La coopération


internationale à la croisée des chemins. L’aide, le commerce et la sécurité dans un monde
marqué par les inégalités. PNUD, Economica, 401p.

Polanyi, K.1983. La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre


temps. Gallimard, 419p.

Ponson, B. 1990 : «Individualisme ou communauté : quelques implications managériales pour


l’entreprise en Afrique», in L’Entrepreneuriat en Afrique francophone, Henault et M’Rabet (éd),
Editions Aupelf-Uref, p.15-25.

Poupart, Deslauriers, Groulx, Laperriére, Mayer et Pires, 1997. La recherche qualitative. Enjeux
épistémologiques et méthodologiques. Groupe de recherche interdisciplinaire sur les méthodes
qualitatives. Gaëtan Morin, 405p.

Prévost, Paul. 1993. Entrepreneurship et développement local. Quand la population se prend en


main. Les Éditions Transcontinentales inc, 198p.

Proulx, M-U (éd). 1998. Territoires et développement économique. L’Harmattan, 364p.


434

Proulx, M-U. 2002. L’économie des territoires au Québec. Aménagement Gestion.


Développement. PUQ, 364p.

Proulx, J., D. Bourque et S. Savard. 2005. Les interfaces entre l’État et le tiers secteur au
Québec. ARUC-ÉS/ UQAM, C-01-2005. 89p.

Prouteau, L (éd). 2003. Les associations entre bénévolat et logique d’entreprise. PUR, L’univers
des normes, 211p.

Quarter, J., et alii. 2002. La contribution des bénévoles : le calcul et la communication de la


valeur ajoutée. Centre canadien de philanthropie, 16p.

Quivy, R., et L.Van Campenhoudt. 1995. Manuel de recherche en sciences sociales. Paris :
Dunod, 287p.

RADI/ ANID/ ICAD/IBTA. 1997. Problématique et enjeux de la régionalisation au Sénégal.


Actes du Colloque sur la décentralisation en Afrique. (Saint-Louis, 26-28 novembre 1997), 255p.

René, Jean-François, et Lise Gervais (éd). 2001. «La dynamique partenariale. Un état de la
question». In Nouvelles Pratiques Sociales. Vol. 14, No1, PUQ, 220p.

République du Sénégal. DSRP, 2001. Document diagnostic de la pauvreté au Sénégal. 45p.

République du Sénégal. 2002. Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), 78p.

République du Sénégal. Ministère de la PME, de l’Entrepreneuriat féminin et de la micro finance.


2003. Charte des Petites et Moyennes Entreprises du Sénégal. 28p.

République du Sénégal. Ministère de l’économie et des finances, 2004. Situation démographique


en 2002-2003.

République du Sénégal. Ministère de l’Économie et des Finances. 2004. Document de stratégie


de réduction de la pauvreté. 9p

République du Sénégal. Ministère de l’Économie et des Finances, 2004. Diagnostic de la


pauvreté.

Revue MAUSS. 1998. Une seule solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif. N11,
1er semestre 1998. La découverte, 364p.

Revue MAUSS. 2003. L’alter-économie. Quelle «autre mondialisation»? No21 Premier semestre
2003. La Découverte. Recherches. 425p.

RISQ, 2004. Guide d’analyse des entreprises d’économie sociale.

Rist, G., 2001. Le développement. Histoire d’une croyance occidentale. 2e édition, Presses de
Sciences po, Références inédites, 442p.

Rondot, Sylvie, et Marie Bouchard. 2003. L’évaluation en économie sociale. Petit aide- mémoire.
ARUC-ÉS, 35p.
435

Salais, R. 1994. «Incertitude et interaction de travail : des produits aux conventions». In Analyse
économique des conventions. Orléans, A, PUF, p.371-403.

Sall, A., et T, Hafsi. 1994. Sénégal : stratégies de développement de 1960 à 1990, HEC.
Monographie 94-01, Montréal, 212p.

Sanyal, B. 1999. «Potentiel et limites du développement ‘par le bas’». In L'Economie sociale au


Nord et au Sud, sous la dir. Defourny et all, Université De Boeck, Jalons, p.179-194.

Saporta, B., et L. Kombou. 2000. «L’entrepreneuriat africain : mythe ou réalité?» In Histoire


d’entreprendre. Les réalités de l’entrepreneuriat, Verstraete. T (éd), Éditions EMS, p.239-249.

Saporta, B. 2003. «Préférences théoriques, choix méthodologiques et recherche française en


Entrepreneuriat : un bilan provisoire des travaux entrepris depuis dix ans» In Revue de
l’Entrepreneuriat, Vol2, no1, 2003. P5-17.

Sarr, Fatou. 1998. L’entrepreneuriat féminin au Sénégal. La transformation des rapports de


pouvoirs. L’Harmattan, 301p.

Say, J-B. 1816. Catechism of political economy. London Sherwood, Neely and Jones.

Schneider, H., et M-H, Libercier (éd). 1995. Mettre en œuvre le développement participatif.
Séminaires du Centre de Développement, les Éditions de l’OCDE, Paris, 272p.

Schumpeter, J. A. 1999. Théorie de l’évolution économique. Recherches sur le profit, le crédit,


l’intérêt et le cycle de la conjoncture. (1iére édition, 1935). Traduit par J-J. Anstett. Dalloz.,
371p.

Schwarz, A. 1983. Les dupes de la modernisation. Développement urbain et sous développement


en Afrique. Nouvelle Optique, 293p.

Seck, A. T. 1997. La Banque mondiale et l’Afrique de l’Ouest. L’exemple du Sénégal. Publisud.


200p.

Selltiz, C., L.S. Wrightsman et S. W. Cook (éd). 1977. Les méthodes de recherche en sciences
sociales. Éditions HRW, 601p.

Sen, Amartya. 2003. Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. Odile
Jacob, 479p.

Séne, A. 1985. «Les transformations sociales dans la pêche maritime piroguiére : conditions de
travail et modes de vie des pêcheurs de Guet Ndar de Saint-Louis du Sénégal». Thèse de doctorat
3iéme cycle, sociologie. Université Toulouse le Mirail, UER Sciences sociales, 706p + annexes.

Servet, J-M. (éd). 1995. Epargne et liens sociaux. Études comparées d’informalités financières.
Aupelf- Uref, Cahiers finance, éthique, confiance, 305p.

Servet, J-M., et I. Guérin (éd). 2002. Exclusion et Liens financiers. Rapport du Centre Walras,
Economica, 528p.
436

Service Régional de la pêche de Saint-Louis. 2003. Évolution mensuelle de la transformation du


poisson sur Sine de 2000 à 2002.

Service Régional de la pêche de Saint-Louis. 2003. Évolution des quantités de poissons


transformés et de la valeur commerciale dans la ville de Saint-Louis de 1999-2002.

Sine, B. 1997. Bonne gouvernance et Développement en Afrique. Institut Africain de Démocratie.


Editions Démocratie Africaine, 369p.

Smith, A. 1776. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. (1995), PUF, 4
Vol.

Soulama, S., et J-B. Zett, 2002. Économie des organisations coopératives et de type coopératif.
CEDRES-Éditions, Université de Ouagadougou, 234p.

Soumaré, Mouhamed. 1999. «Initiatives locales, développement communautaire et lutte contre la


pauvreté en milieu urbain: l’exemple de Yeumbel au Sénégal». In Quels partenariats pour la
ville ? Approches internationales, sous la dir. de Martinot et all, Pedone, Cervl vie locale, No15,
p.125-132.

Stiglitz, J.E. 2003. La grande désillusion. Fayard, 324p.

Stoker, G. 1998. « Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance». In Revue


Internationale des sciences sociales. La gouvernance. UNESCO, No155 mars 1998, p.19-30.

Swedberg, R. 1994. Histoire de la sociologie économique. Paris. Desclée de Brouwer, 314p.


Région de Saint-Louis. 2002. Présentation de la structure des femmes transformatrices des
produits halieutiques de Guet Ndar. 17p.

Ta Thu Thuy. 1996. « Evolution des conceptions et des responsabilités en matière de gestion des
déchets solides dans le contexte africain : quelles attentes et quels rôles des différents acteurs ? »
In Déchets solides en milieu urbain d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Vers une gestion durable.
IAGU et all, 1996.

Ta Thu Thuy. 1996. « Gestion des déchets solides en Afrique : aspects institutionnels et
financiers », (extraits, juin 1995). In Déchets solides en milieu urbain d’Afrique de l’Ouest et
Centrale. Vers une gestion durable. IAGU et all, 1996.

Topor, H-A, et Goerg O.1989. Le mouvement associatif des jeunes en Afrique noire francophone
au XXiéme siècle. L’Harmattan, Groupe Afrique noire Cahier No12, 138p.

Tounes, A. 2003. L’entrepreneur. L’odyssée d’un concept. IAE, Rouen, CREGO, 22p.

Touraine, A. 1982. Mouvements sociaux d’aujourd’hui. Acteurs et analystes. Éditions Ouvrières,


263p.

Touré, M. 2002. «La recherche sur le genre en Afrique : quelques aspects épistémologiques,
théoriques et culturels». In Symposium African Gender in the New Millennium, Codesria, (Cairo
7-10 April 2002), 13p.
437

Traoré, B. 1990 : « La dimension culturelle de l’Acte d’entreprendre en Afrique» in


L’Entrepreneuriat en Afrique francophone, Henault, G et M’Rabet, Editions Aupelf-Uref, p.7-14.

Tremblay, D-G., et J-M. Fontan. 1994. Le développement économique local. La théorie, les
pratiques, les expériences. PUQ, Télé- université, 579p.

Tremblay, S. 1999. Du concept de développement au concept de l’après-développement :


trajectoires et repères théoriques. Université du Québec à Chicoutimi, 52p.

Tribou, G. 1995. L’entrepreneur musulman. L’islam et la rationalité d’entreprise. L’Harmattan,


234p.

Vachon, B. 1993. Le développement local. Théorie et pratique. Réintroduire l’humain dans la


logique de développement. Gaëtan Morin, 331p.

Vaillancourt, Y. 1996. «Sortir de l’alternative entre privatisation et étatisation dans la santé et les
services sociaux». In Eme et all, 1996. Société civile, État et Économie plurielle. UQAM, CNRS
et UQH. 260p, p.147-224.

Vaillancourt, Yves, et all. 2003. L’économie sociale dans les services à domicile. PUF, 341p.

Verhagen, K.1991. L’auto développement. Un défi posé aux Ong, L’Harmattan, UCI, 193p.

Verschave, F-X. 1994. Leçons libres de Braudel. Passerelles pour une société non excluante.
Syros, 221p.

Verstraete, T. (éd). 2000. Histoire d’entreprendre. Les réalités de l’entrepreneuriat. Éditions


EMS, 297p.

Verstraete, T. 2001. «Entrepreneuriat : modélisation du phénomène» In Revue de


l’Entrepreneuriat, Vol. 1, 2001, P5-23.

Verstraete, T. 2003. Proposition d’un cadre théorique pour la recherche en entrepreneuriat. Les
éditions de l’ADREG, 126p.

Verstraete, T., et A. Fayolle. 2004. «Quatre paradigmes pour cerner le domaine de recherche en
entrepreneuriat» 7iéme Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME (27-29
Octobre 2004, Montpellier), 23p.

Vérin, H. 1982. Entrepreneurs. Entreprise. Histoire d’une idée. PUF, Recherches politiques,
262p.

Vienney, Claude. 1980. Socio- économie des organisations coopératives. Formation et


transformations des institutions du secteur coopératif français. Tome 1, Paris, CIEM, Collection
Tiers secteur, 396p.

Vienney, Claude. 1994. L’économie sociale, Editions la Découverte, Repères, 124p.

Villiers, G-D., Jewsiewicki B. et L. Monnier. 2002. Manières de vivre. Économie de la


«débrouille» dans les villes du Congo/ Zaïre. L’Harmattan/ CEDAF, Cahiers africains, No 49-50,
203p.
438

Waas, E. 1990. « Déchets urbains, déchets pluriels : propos introductif », in Des déchets et des
hommes, 1990; p.7- 20.

Wade. C. S. 1994. «Saint-Louis: la crise de sa croissance urbaine récente» ; Thèse Doctorat 3ème
Cycle Géographie ; UGB de Saint- Louis, 282p.

Wade, S. 2002. «Lecture des dynamiques associatives à travers leur participation au


fonctionnement des villes ouest africaines». In Revue Sénégalaise de Sociologie, No4-5, janvier
2000-2001, 475p, p.129-161.

Wade, S., M.Soumaré et El H.Ly. 2002. Organisations communautaires et associations de


quartier en milieu urbain ouest africain. Enda Tiers Monde, Etudes et recherches, No220. Dakar,
120p.

Warnier, J-P. 1993. L’esprit d’entreprise au cameroun. Karthala, Les Afriques, 307p.

Warnier, J-P. 1995. «Trois générations d’entrepreneurs bamiléké (Cameroun)» In Entreprises et


entrepreneurs africains, Ellis, S, et Y-A, Fauré (éd). Karthala-Orstom, p.63-70.

Weber, M. 1990. L’éthique protestante et l’esprit du protestantisme. Plon, Agora, 286p.

Weber, M. 1995. Économie et société I. Les origines de la sociologie, Plon, Agora, 411p.

Yin, R. K. 2003. Case study research. Design and methods. Thousand Oaks, 141p.

Youssefi, M. El F. 2004. «Les alliances stratégiques entre les entreprises : une nouvelle forme de
coordination à l’ère de la mondialisation et du changement du paradigme technologique». Thèse
de doctorat en sociologie, UQAM, 278p + annxes.

Youssofzai, F. 2000. Revue critique de la littérature empirique sur la gestion stratégique des
organisations- non- productrices- de- profit- ONP («Nonprofit Organizations- NPO»). CRISES,
41p.

Zaoual, H.1996. «Lecture sitienne du phénomène entrepreneurial» In Organisations économiques


et cultures africaines. De l’homo oeconomicus à l’homo situs, sous la dir. de Laléyê et all, 1996.
L’harmattan, p.53-64.

Zett, J. B. 2004. Initiatives économiques populaires et développement des communautés au


Burkina Faso. Série Comparaisons internationales No11, CRDC/UQO, 23p.
439

Sites à visiter :

ADC :
http://www.refer.sn/adcsaintlouisdusenegal/
ARUC-ÉS/ UQAM : www.aruc-es.uqam.ca
CODESRIA : www.codesria.org
Commune de Saint-Louis : http://www.communedesaint-
louisdusenegal.com
CRDC : www.uqo.ca/crdc-geris/crdc
CRISES : www.crises.uqam.ca
Direction de la Prévision et de la Statistique : http://www.ansd.org/
Gouvernement du Sénégal : http://www.gouv.sn/
Ministères des finances : http://www.finances.gouv.sn/
Ministère Éducation nationale : http://www.education.gouv.sn/
Partenariat avec Saint-Louis et sa région : http://www.partenariat-saint-louis-
senegal.org
440

ANNEXES
441

Annexe 1 : Questionnaire Équipe de gestion et leaders OÉC

I- Identification :
Date de l’enquête :
Nom de l’OÉC : No questionnaire :
Nom de l’enquêté : Fonction :

1. Forme juridique de l’organisation:

2. Trois principales activités:


1-
2-
3-

3. Nombre de membres de votre OEC :

4. Composition de la base sociale :


Hommes Femmes Groupe d’âge

5. Nombre de salariés :
6. Nombre de bénévoles actifs :

II- Performance socio-économique

7. Bilan des principales réalisations

Activités Date de Coûts Partenaires Bénéficiaires État actuel


réalisation

8. Types de biens et services produits


1- 2- 3-

9. Mode de financement des activités (estimation sur une base de 10)


1 : auto financement : 2 : financement extérieur (à préciser)

10. Mode de financement de l’organisation (estimation sur une base de 10)


1 : auto financement 2 : financement extérieur (à préciser)

11. Marché ou cibles

12. Qui sont vos concurrents dans l’offre de production?


1. 2. 3.

13. Bilan financier des trois dernières années d’exercice

14. Décomposition et estimation des revenus et des charges d’exploitation


442

15. Liste des employés

Dénomination Type d’emploi Fonction Niveau de Échelle salariale


qualification

16. Quel est votre mode de sélection du personnel ?


1. Par consultation restreinte 2. Autour de nous : 3. autres (à préciser)

17. Avez-vous réalisé des actions de renforcement des capacités de votre personnel? Si oui
lesquelles?

18. Disposez vous ou non d’un système d’évaluation du personnel? Si oui, quels sont les critères
utilisés?

III- Réseau partenarial

19. Liste des partenaires

Nom du Activités réalisées Contributions de l’OÉC État actuel de l’action


partenaire

20. Etes vous satisfaits oui ou non de vos relations avec le partenaire? Si non, pourquoi?
Oui Non :

21. Est-ce que l’organisation participe ou pas à des cadres de concertation? Si oui lesquels?
Oui : Non :

22. Est-ce que l’organisation est affiliée à une ou des fédérations? Si oui lesquelles?

Oui : Non :

23. Citer trois principales difficultés rencontrées par votre OÉC


1.
2.
3.

24. Quels sont les trois projets majeurs de votre OÉC?


1.
2.
3.
443

Annexe 2 : Leadership et groupe promoteur OÉC

Annexe 2.1 : Fiche d’identification Leadership

Profil des membres fondateurs et des leaders

Nom Age Genre Situation socio- Type de Poste occupé Autres


professionnelle formation Responsabilités

Annexe 2.2 : Fiche Age vent des promoteurs et/ ou des leaders

1. Cycle de vie
2. Événements marquants dans la vie
3. Origine familiale et degré de mobilité sociale
4. Valeurs promues et ambitions
5. Mode de leadership
6. rapport à l’OÉC
444

Annexe 3 : Guide d’entretien semi-structuré des leaders et des membres d’OÉC

Identification :

Nom de l’OÉC : Date de l’enquête :


Nom de l’enquêté : Fonction :

A) Historique :
1. Le processus d’émergence: motivations de départ, projet initial, finalités, groupe
promoteur
2. Conditions de démarrage, les appuis et contraintes
3. Évolution des activités, état actuel du processus de maturation

B) Profil organisationnel

4. le processus décisionnel, la nature de l’autorité (bureaucratique, hiérarchique,


démocratique collectif)
5. Mode d’organisation et de fonctionnement
6. Mode d’organisation du travail
7. Plan et stratégie d’actions
8. Modalités de contrôle social de l’organisation

C) Le membership
9. Liens interpersonnels, lien commun des membres
10. Relations entre leaders, professionnels, militants et usagers
11. Rapports de pouvoir à l’interne
12. Rapport des acteurs à l’organisation

D) Ancrage socio-territorial
13. Impact socio-territorial : rapports des biens produits aux ressources locales, impact sur
communauté locale, degré de mobilisation sociale, place de l’OÉC dans la vie publique
locale
14. Modalités de démocratisation de l’accès aux biens et services produits
15. Impact du milieu sur l’activité de l’organisation

E) Rapport au développement local


16. Modalité d’empowerment des groupes et communautés locaux
17. Réseautage avec acteurs sociaux et société civile, domaines et portée
18. Relation avec les collectivités locales- participation au processus de développement local
19. Nature et qualité du réseau partenarial
20. Vision stratégique de l’organisation, projet de société
445

Annexe 4 : Fiche d’informations spécifiques par organisation

Annexe 4.1 : Fiche d’informations Djambarou Sine

I- Informations générales
1. Évolution du cadre juridique : Mbootays/ Coopérative/ GIE
2. Grandes étapes d’évolution/ État actuel d’évolution
3. Rapport d’activités, PV de réunions, registre courrier, nombre de réunions depuis
début 2003/ Liste des formations reçues
4. évolution de la base sociale
5. Structures affiliées : MEC, fédérations…

II- Unité de production


1. Nature de l’activité
2. Nombre d’opérateurs
3. Nombre d’opérations durant la dernière année d’exercice
4. Décomposition et estimation des revenus et des charges d’exploitation
5. Mode de gestion de l’unité
6. Perspectives d’évolution

III- Usine de glace


1. modalités de location/ montant des versements
2. mode d’utilisation des recettes

IV- Opérations de micro-crédit rotatif


1. nombre de crédits/ montants octroyés/ nombre de bénéficiaires/ taux de remboursement
2. montant cumulé des crédits
3. montant de l’encours de crédit
4. montant des crédits en souffrance
5. Registre du système de crédit

V- Patrimoine du GIE
1. patrimoine foncier et matériel
2. montant de l’épargne du GIE
3. placement dans les banques
4. montant de l’avoir financier
446

Annexe 4.2 : Fiche d’informations GIE CETOM LÉONA

1. Grandes étapes d’évolution du GIE


2. État actuel d’évolution et perspectives
3. Bilan des activités/ Bilan financier durant les trois dernières années
4. Liste des formations reçues
5. Rapport d’activités, PV de réunions, registre courrier, nombre de réunions depuis début
2003
6. Évolution de la liste des abonnées
7. Structures affiliées : CQ, Mutuelle de santé, fédérations…
447

Annexe 4.3. Fiche d’informations ADD

1. Grandes étapes d’évolution du GIE


2. État actuel d’évolution et perspectives
3. Rapport d’activités, PV de réunions, registre courrier, nombre de réunions depuis début 2003
4. Liste des formations reçues
5. évolution de la base sociale
6. Structures affiliées : CQ, Mutuelle…

Données sur la garderie


I- Cadre institutionnel
- Statut juridique/ règlement intérieur
- Mode de gestion
- politique éducative
- organes
- relations garderie/ ADD
- modalités de contrôle social de la garderie
- fiches de postes des employés
- Bilan financier de la garderie des trois dernières années ; sources de recettes et des revenus
I- Base sociale garderie
Années Garçons Filles Groupe d’âge Total

II- Répartition du personnel


Types d’emplois Nbre d’employés Échelle salariale

Données sur le salon de l’ADD


I- Cadre institutionnel
- statut juridique règlement intérieur
- mode de gestion
- organes
- rapports salon/ ADD
- modalités de contrôle social du salon
- Bilan financier du salon des trois dernières années : sources de recettes et des revenus
- Type de produits offerts
448

Annexe 4.4 : Fiche d’informations CECAS

1. Informations Générales
- statut et règlement intérieur/ numéro d’agrément
- plan d’actions/ document de politique de crédit
- Rapport d’activités, PV de réunions, registre courrier
- évolution de la base sociale

2. Décomposition et estimation des revenus d’exploitation (3 dernières années)


- droits d’adhésion, frais de traitement des dossiers, frais de gestion
- intérêt sur prêt, vente de carnets, frais de versements, pénalités
- autres sources de revenus (à préciser)

3. Décomposition et estimation des charges d’exploitation (3 dernières années)


- frais de personnel
- frais bancaires, frais de location
- factures diverses, frais de déplacement, fournitures de bureau, frais d’équipement
- autres dépenses à préciser)

4. Opérations d’épargne
- nombre de déposants
- montants des dépôts à vue, montant des dépôts à terme
- placement auprès d’institutions financières, taux d’intérêt créditeur

5. Opérations de crédits
Années Types de Nbre de Montant Tx de Crédits en
crédit bénéficiaires des crédits remboursement souffrance

6. Nombre de réunions durant dernier exercice


AG : CD : comité de crédit : comité de surveillance
449

Annexe 5 : Questionnaire membres Cecas

Identification :
Date de l’enquête :
No questionnaire :
Nom de l’enquêté :

I- Objectifs adhésion

1. Type de métiers exercés :


2. Date adhésion Cecas :
3. Donner 3 raisons justifiant votre adhésion à la Cecas
1. Accès crédit : 2.Relations avec ses leaders : 3.Autres : (préciser)

4. Aviez vous déjà adhéré à d’autres Mec?


1.Oui: 2. Non :
Si oui, lesquelles :

5. Actuellement, êtes-vous membre d’autres Mec?


1.Oui : 2.Non :
Si oui, pourquoi, cette multi appartenance?

6. Participez-vous à des tontines?


1 : oui 2. Non

II- Appréciation système de crédit de la Cecas

7. Quels types de services la Cecas vous a offert depuis votre adhésion :


1. Formation : 2. Crédit :
3. information : 4. Autres: (préciser)

8. Crédits obtenus
Année Montant crédit obtenu Formation reçue État actuel crédit

9. Est-ce que la Cecas vous a appuyé dans :


1. Montage demande de crédit :
1.oui 2. non
450

2. Gestion du crédit :
1.oui 2.non

10. Comment appréciez-vous?:


1. les frais de dossiers :
Élevés acceptables
2. les taux d’intérêt :
Élevés acceptables
3. les délais de remboursement de crédit
Courts acceptables
4. les montants des crédits :
Trop petits suffisants

11. Depuis que vous avez adhéré à la Cecas, qu’est ce que cela a changé dans votre activité
économique? (Une seule réponse possible)
Aucun changement
Plus grand développement
Plus grande organisation
Une meilleure gestion
Autres (à préciser) :

12. Les crédits de la Cecas ont-ils permis (une seule réponse possible)
1. Le développement de vos activités 2. Leur maintien : 3. sans effet :

13. Exercez-vous d’autres types d’activités économiques? Si oui, lesquels?

III- Membership
14. Est-ce que vous vous impliquez dans le fonctionnement des organes de la Cecas ?
Oui : non :
Si non pourquoi?

15. Avez vous déjà eu à participer à des AG de la Cecas?


Si oui, quelles appréciations tirez-vous des AG?
Si non, pourquoi?

16. Êtes-vous satisfaits du travail que fait la Cecas pour vous?


Oui Non
451

Si non, pourquoi? :

17. En plus des dépenses liées à l’activité visée, à quels autres types de dépenses, utilisez-vous votre
financement?

18. Comment expliquez-vous la floraison des mutuelles à Saint-Louis?

19. Pour vous, quelles sont les trois principales forces de la Cecas?
1.
2.
3.
20. Comment appréciez vous les relations entre la Commune et la Cecas?

21. Comment appréciez-vous les relations entre la Cecas et ses partenaires?


452

Annexe 6 : Fiche situation socio-économique de femmes transformatrices membres


Djambarou Sine

Identification :

Date de l’enquête : No questionnaire :


Nom de l’enquêté :

1.Types d’activités économiques (plusieurs réponses possibles)

Transformation : vente de poissons : autres (à préciser) :

2.Types d’acteurs liés à l’activité de transformation

3. Apports du GIE aux membres


Financement : formation : matériels de production
Information : commercialisation des produits accès au marché
Défense intérêts :

4. Modalités financement activités


Moyens propres soutien social GIE Autres

5. Activités associatives
Association tontines autre groupement :

6.Estimation du coût de la dernière production

Nature des dépenses Montant estimé Nature des dépenses Montant estimé
Effectuées Effectuées (suite)

7. Origine montant dépensé :


Prêt auprès pêcheur : Tontine :
Moyens propres : Autres (à préciser):

8. Coût de la vente de la dernière production :

9. Quelle est la répartition des dépenses? (Répartir selon une base de 10) :
Dépenses activité économique: Dépense famille :
453

Dépense personnelle (à préciser) : Autres (à préciser):


9. Comment s’opère la vente des produits transformés?

10. Qui fait la vente ?


Elle-même : leurs filles : le groupement : autres (à
préciser):

11. A qui vendent-elles?


Bana-bana : marché local : autres (à préciser):

12. Seriez vous prêtes à confier vos produits au groupement pour qu’il organise la
commercialisation?
1.oui : 2. non :
Si non pourquoi :

13. Êtes vous prêtes à cotiser pour le fonctionnement du groupement?


1.oui : 2. non :
si non pourquoi :
454

Annexe 7 : Guide groupe focus

Thématiques débattues :

1. Projet initial et évolution du cadre organisationnel et des activités


2. Diagnostic organisationnel
8. Nature du leadership et du membership
9. Modalité d’articulation viabilité économique et rentabilité sociale
10. Rapport au développement local : ressources locales, réseautage avec autres acteurs locaux,
rapports avec les institutions et partenaires, impact socio-territorial et place dans le territoire
11. Rapport aux politiques publiques locales
12. Principaux défis et perspectives

Composition :
3 leaders
3 membres
1 employé
3 habitants
1 personne ressource ou organisme partenaire
455

Annexe 8 : Liste des personnes enquêtées par étude de cas d’organisation

Nom organisation : ADD Nom organisation : GIE CETOM Léona

No Initiales des Catégorie No Initiales Catégorie


enquêtés enquêté
1 G. M. Leader 1 P.T. Personne-ressource
2 A.S. D. Leader 2 B.D. Personne-ressource
3 L.W. Leader 3. B.D. Personne-ressource
4 M.N. Leader 4. S.F. Personne-ressource
5 N.C.W. Leader 5. M D. Personne-ressource
6 K. N. Leader 6. M. D. Personne-ressource
7 F.S. Leader 7. C.S. Personne-ressource
8 L. S. Leader 8. M.N Personne-ressource
9 M.G Parent d’élèves 9 M.N Leader
10 K.N Parent d’élèves 10 N.Y.S Leader
11 M.L Leader 11 A.S Leader
12 C.S Leader 12 P.M.D Leader
13 M.D leader 14 M.S Leader
14 M.B Personne-ressource 15 A.D Abonné
15 A.S Membre 16 S.W abonné
16 F.K Membre 17 T.T Abonné
17 K.S Membre 18 M.T Abonné
18 E.M Personne-ressource 19 O.S Abonné
19 E.N Personne-ressource 20 Y.S Abonné
20 A.S Leader
21 A.F Leader
456

Nom organisation : CECAS Nom organisation : GIE Djambarou Sine

No Initiales Catégorie No Initiales enquêté Catégorie


enquêté 1 Y.F leader
1 C. T. leader 2 A.C.S leader
2 M. M. leader 3 N.S leader
3 P. D. leader 4 K.S leader
4 M.D. leader 5 K.D leader
5 O.N. leader 6 N.A.S leader
6 M. N. leader 7 S.S Leader
7 A. S. Leader 8 T.K.S Leader
8 F.D. Leader 9 F. S. Membre
9 B.F Leader 10 S.B Membre
10 M.D Leader 11 K.N Membre
11 W.F Leader 12 C.T Membre
12 S.D. Leader 13 N.P.D Membre
13 Y. D Membre 14 N.A.S Membre
14 A. D Membre 15 N.S Membre
15 C. F Membre 16 K.D Membre
16 M..S Membre 17 F.B.D Membre
17 M.D Membre 18 M.G Membre
18 A.C Membre 19 F.C Membre
19 A.F Membre 20 Y.S Personne-ressource
20 A.F Personne-ressource 21 A.S Personne-ressource
21 I.D Personne-ressource 22 S.D Personne-ressource
22 S.K Personne-ressource 23 A.F Personne-ressource
23 K.S Personne-ressource 24 F.G Personne-ressource
24 P.C Personne-ressource
25 M.M Personne-ressource
457

Thèse soutenue : le 08 décembre 2005 à l’UQAM


Membres du jury

Mrs :
1. Jean-Marc FONTAN, UQAM, Président du jury
2. Benoît LEVESQUE, UQAM, Directeur de thèse
3. Louis FAVREAU, UQO, Co-directeur de thèse
4. Yao ASSOGBA, UQO
5. Yvan COMEAU, Université de Laval

Vous aimerez peut-être aussi