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Université Sciences Humaines et Sociales - Lille 3 - Charles de Gaulle

UFR DECCID - Département de Sociologie et Développement Social – M2 Stratégie de


Développement Social

Recherche-action :

L'adaptation des ESAT au handicap psychique

Réalisé par Anaïs BOULOGNE, Pauline CAPPELAERE, Camille DESEINT, Amandine


LOCQUET, Amina TALBI et Grégoire VIOLLEAU

Sous la direction de Jean-Sebastien EIDELIMAN et Nadia GARNOUSSI

Année universitaire 2015-2016


Remerciements

Pour commencer, nous souhaitons adresser nos remerciements au commanditaire du


projet, le CREHPSY.
Aux professionnels et usagers des ESAT pour les accueil, leur soutien et leur participation
indispensable à cette recherche action.
A nos directeurs de recherche, Garnoussi Nadia, Eideliman Jean-Sébastien pour leur aide
précieuse.
Enfin, nous adressons nos plus sincères remerciements à nos familles : parents, frères et
sœurs et à tous nos proches et amis, qui nous ont accompagnés, aidés, soutenus et encouragés
tout au long de la réalisation de ce mémoire recherche action.

1
GLOSSAIRE ........................................................................................................................ 4
Introduction ......................................................................................................................... 7
PARTIE I - CONDUIRE UNE ENQUETE DE TERRAIN ......................................... 14
A. Immersion dans les ESAT ........................................................................................ 14
a) Présentation des ESAT traditionnels : ............................................................... 14
b) L’E.S.A.T. Mixte les Ateliers de La Lys à Armentières – Association A.F.E.J.I.
19
c) L’E.S.A.T. hors les murs de Capinghem – Association l’A.D.A.P.T ................ 21
B. De la préparation de l’enquête à la réalisation des entretiens ........................ 23
a) Outils méthodologiques..................................................................................... 24
b) Population rencontrée et conduites de l’enquête ............................................... 28
PARTIE II - CONSTRUCTION ET MODALITES D’APPROPRIATION DU
HANDICAP PSYCHIQUE ............................................................................................... 36
A. Institutionnalisation d'une catégorie complexe ................................................ 36
a) De l’infirme à la personne en situation de handicap ......................................... 36
b) Cadre législatif du travail en milieu protégé et mise en place de nouveaux
dispositifs d’accompagnement .................................................................................... 40
c) L’émergence du handicap psychique : une lutte entre psychiatrie et associations
familiales ..................................................................................................................... 42
d) Le handicap psychique : une définition non consensuelle ................................ 48
B. Modalités d’appropriations et effets performatifs du handicap psychique .. 50
a) Particularités d’une nouvelle population aux « compétences différentes » ....... 51
b) Typologie des modes d'appropriation de la catégorie du handicap psychique .. 56
c) Des conceptions et des approches des personnes en situation de handicap
psychique différentes ................................................................................................... 66
d) Parler de son handicap....................................................................................... 69
PARTIE III – DE LA PROTECTION A L'INSERTION : DES CONCEPTIONS
DIFFERENTES DU TRAVAIL EN ESAT....................................................................... 77
A. L’ESAT claustral : entre tensions et limites ..................................................... 78
a) L'ESAT traditionnel : une institution totale ? .................................................... 78
b) La loi de 2002 et l’ouverture sur le milieu « ordinaire »................................... 82
B. De la protection à l’insertion, des conceptions différentes du travail en ESAT
86
a) Protection .......................................................................................................... 87
b) Valorisation........................................................................................................ 91
c) Normalisation .................................................................................................... 94
d) Insertion ............................................................................................................. 96

2
C. Analyse croisée des attentes de la population enquêtée ................................. 107
a) Des perspectives d’insertion différentes ......................................................... 107
b) Quels besoins pour la population enquêtée ? .................................................. 113
PARTIE IV – RECOMPOSITIONS INSTITUTIONNELLES ET
PROFESSIONNELLES .................................................................................................. 120
A. Les transformations structurelles des ESAT : des mutations économiques et
législatives ..................................................................................................................... 120
a) La remise en cause du modèle historique de l’atelier de sous-traitance
industrielle ................................................................................................................. 120
b) Les lois de 2002 et de 2005 : un nouveau cadre législatif et règlementaire .... 123
B. Moniteur d’atelier : un métier en mutation.................................................... 127
a) Du contremaître au moniteur d’atelier ............................................................ 127
b) L’ethos professionnel en évolution ................................................................. 130
c) La question de la formation des professionnels .............................................. 142
C. Handicap psychique et production : une modulation des postes et des
horaires de travail ........................................................................................................ 146
a) Faciliter la modulation des horaires et du temps de travail ............................. 146
b) Approfondir l’ergonomie en milieu protégé ................................................... 151
Conclusion ......................................................................................................................... 160
BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................... 164
ANNEXE 1 : grille d’entretien des usagers....................................................................... 173
ANNEXE 2 : grille d’entretien des professionnels ........................................................... 174
ANNEXE 3 : profil des professionnels et des usagers ...................................................... 175
ANNEXE 4 : dessin d’un usager interrogé ....................................................................... 180
ANNEXE 5 : Modèle de « contrat de soutien et d’aide par le travail » établi entre
l’établissement ou le service d’aide par le travail et chaque travailleur handicapé ........... 181

3
GLOSSAIRE

A.A.H : Allocation
A.D.A.P.T : Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes
handicapées
A.F.E.J.I : Association des Flandres pour l’Éducation, la formation des Jeunes et l’Insertion
sociale et professionnelle
A.G.E.F.I.P.H : Association de Gestion du Fonds pour l'Insertion Professionnelle des
Personnes Handicapées
A.N.D.I.C.A.T : Association Nationale des Directeurs et Cadres d'ESAT
A.N.E.S.M. : Agence Nationale de l’Evaluation et de la qualité des Etablissements et
Services Sociaux et Médico-sociaux.
A.R.S. : Agence Régionale de Santé.
C.A.D.A : Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile
C.A.S.F : Code de l’Action Sociale et des Familles
C.A.T : Centre d'Aide par le Travail
C.D.A.P.H : Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées
C.D.D : Contrat à Durée Déterminé
C.D.E.S : Commission Départementales de l'Education Spéciale
C.D.I : Contrat à Durée Indéterminé
C.F.P.H : Centre de Formation et de Perfectionnement du Hainaut Pôle Tertiaire
C.H.A.I : Centre d'Hébergement et d'Aide à l'Intégration
C.H.R.S : Centre d'hébergement et de réinsertion sociale
C.H.S : Centre Hospitalier Spécialisé
C.M.P. : Centre Médico Psychologique.
C.N.Q : Certificat National de Qualification
C.N.R.S. : Centre National de la Recherche Scientifique.
C.O.T.O.R.E.P : Commission Technique d'Orientation et de Reclassement Professionnel
C.Q.M.A : Certificat de Qualification à la fonction de Moniteur d'Atelier
C.R.E.A.I : Centre Régional d'Etudes d'Actions et d'Informations
C.RE.H.PSY : Centre de REssource régional sur le Handicap Psychique
D.A.R.E.S : Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques

4
D.E.E.T.S : Diplôme d’État d’Éducateur Technique Spécialisé
D.G.A.S. : Direction Générale des Affaires Sociales.
D.S.M : Manuel diagnostique et Statistique des troubles Mentaux
E.A : Entreprises Adaptées
E.H.E.S.P-M.S.S.H : Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique - Maison des sciences
sociales du handicap
E.P.I : Equipements de Protection Individuel
E.S.A.T. : Etablissements et Services d’Aide par le Travail.
E.T.P : Equivalent Temps Plein
E.T.S : Educateur Technique Spécialisé
F.N.A.P-Psy : Fédération Nationale des Associations d'Usagers en Psychiatrie
F.S.E : Fond Social Européen
G.A.P : Groupes d'Analyse de Pratiques
G.E.M : Groupe d'Entraide Mutuelle
G.R.P.H : Garantie de Ressources des Personnes Handicapées
H.I.D. : Handicap Incapacités Dépendance
I.E.M : Institut d'éducation motrice
I.G.A.S : Inspection Générale en Affaires Sociales
I.M.E. : Institut Médico Educatif.
I.M.Pro : Institut Médico Professionnel
I.N.S.E.E. : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques
I.N.S.E.R.M : Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale
I.R.T.S : Instituts Régionaux du Travail Social
I.T.E.P : Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique
M.A.D : Mise à Disposition
M.D.P.H : Maison Départementale des Personnes Handicapées
M.E.C.S : Maison d'enfants à caractère social
M.V.A : Majoration pour la Vie Autonome
O.M.S : Organisation Mondiale de la Santé
O.N.U : Organisation des Nations-Unis
P.A.I. : Projet d’Accompagnement Individualisé.
P.A.N.S.S : Positive and Negative Syndrome Scale
P.P.F : Plan Prévisionnel de Formation

5
R.A.E : Reconnaissance des Acquis de l'Expérience
R.Q.T.H : Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé
R.S.F.P : Reconnaissance des Savoir-Faire Professionnels
S.A.T.T : Sociétés d'Accélération du Transfert de Technologies
S.E.E : Savoir-être en Entreprise
S.I.A.E : Structures d'Insertion par l'Activité Economique
S.I.S.E.P : Service d'Insertion Sociale et Professionnelle
S.M.I.C : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance
S.M.S.E : Service Médical Social et Educatif
U.N.A.F.A.M : Union nationale de Familles et Amis de personnes Malades et/ou
handicapées psychiques
UNIFAF : Fonds d'assurance formation de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à
but non lucratif
V.A.E : Validation des Acquis de l'Expérience

6
Introduction

En France, 23 millions de personnes présenteraient un handicap au sein de notre


société selon l’enquête Handicap, Incapacités, Dépendance1 (HID) de l’Institut National de
la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) publié en 1999. Toutefois, La notion de
handicap regroupe de manière insuffisamment précise, les formes de handicap qu’il est
important de distinguer et de nuancer. 80 % des personnes présenteraient « un handicap
invisible »2. En 2009, l’Observatoire National sur la Formation, la Recherche et l’Innovation
sur le Handicap (ONFRI) présente un rapport indiquant que l’une des principales difficultés
relatives à la compensation du handicap psychique réside « dans l’appréhension de
l’ampleur du phénomène qui reste mal connu »3.

La loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées constitua


un tournant majeur puisque cette dernière marque « l’apparition d’une véritable politique
du handicap »4. Cette dernière pose le principe de permettre aux personnes handicapées
d’exercer un emploi en milieu ordinaire lorsque cela est envisageable. Depuis cette date, les
politiques sociales en ce domaine se sont centrées sur deux axes : d’une part, l’élaboration
d’une prise en charge des personnes en situation de handicap par des aides financières et par
le développement de structures médico-sociales et d’autre part, des actions visant à favoriser
l’autonomie de cette population et son inclusion au sein de la société française. Dès à
présent, il revient à « l’environnement social, considéré comme handicapant, de se modifier
pour accueillir tous les citoyens quels qu’ils soient. Ce n’est plus à la personne handicapée
de s’intégrer à une société peu disposée à s’adapter »5.

Ce n’est qu’à partir des années 1970 que le handicap a pu être défini en France. Il
n’existe pas une seule et unique définition du handicap mais une pluralité ; celles établies

1
INPES. http://inpes.santepubliquefrance.fr/sante-handicap/france/statistiques.asp
2
Ministère des affaires sociales et de la santé. Les chiffres clefs du handicap psychique en 2014. Disponible :
http://www.talenteo.fr/chiffres-handicap-2015/
3
Ibidem.
4
Site internet du Sénat : Les ESAT face à la contrainte budgétaire. Disponible sur :
http://www.senat.fr/rap/r14-409/r14-4092.html
5
EHESP. La reconnaissance légale du handicap psychique dans un contexte de changements institutionnels :
quelles avancées ? Quelles ouvertures ? Disponible sur : http://crehpsy-
documentation.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=20. Consulté le 15 juin 2016.

7
par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), par les Nations Unies, etc. Ce n’est qu’à la
suite de la Loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, à la participation et
à la citoyenneté des personnes handicapées que la législation française s’est dotée de sa
première définition juridique du handicap : « Constitue un handicap toute limitation
d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement
par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou
plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un
polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant »6. Par ailleurs, elle affirme sa volonté
d’inclure ces personnes présentant un handicap au sein de notre société, essentiellement par
l’emploi.

En 2005, la législation reconnaît le handicap psychique, sans pour autant le définir


précisément. Ainsi, François Chapireau nous indique que cette « expression a été défendu
par les associations de malades et d’usagers en situation de handicap psychiques, avec
l’appui de la plupart des associations de psychiatres, selon une stratégie visant à « faire
exister une population », par contraste avec celle des personnes souffrant d’un handicap
mental »7. En effet, Claire Le Roy Hatala8 déclare que le handicap psychique suppose « non
pas la connaissance des troubles mais la compréhension des conséquences sur la vie de la
personne. […] Ce handicap est difficile à définir du fait de la complexité des troubles qui en
sont à l’origine »9.

C’est alors que Gérard Zribi, président fondateur de l’Association Nationale Des
directeurs et Cadres d’ESAT (ANDICAT), déclare que ce qui caractérise cette catégorie du
handicap psychique est un « dysfonctionnement de la personnalité caractérisé par des
perturbations graves, chroniques ou durables du comportement et de l’adaptation
sociale »10. L’ESAT représente alors l’un des acteurs principaux accueillant les personnes
présentant un handicap psychique dans le cadre du travail en milieu protégé.

6
Ibidem.
7
François Chapireau, « Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble spécifiquement
français », Socio-logos [En ligne], 9 | 2014, mis en ligne le 17 avril 2014, consulté le 15 juin 2016. URL :
http://socio-logos.revues.org/2824
8
Sociologue.
9
LE ROY HATALA Claire. Qu’est ce que le handicap psychique ? Disponible sur :
http://www.handipole.org/IMG/pdf/qu-est-le-handicap-psychique.pdf
10
Ibidem ?

8
D’après le Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du
dialogue social, le travail en milieu ordinaire de travail se compose « des employeurs privés
(entreprises, associations, etc.) et publics (notamment la fonction publique) du marché du
travail plus classique »11. Ce même Ministère le définit par opposition au « travail en milieu
protégé » (ESAT notamment). Selon Marie-Claire Villeval, chargée de recherche en
économie au travail au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), « le milieu
protégé d’emploi des personnes handicapées regroupe des structures de production, gérées
par des associations à but non lucratif destinées spécifiquement aux travailleurs
handicapées. Il est en forte croissance dans un contexte de crise économique »12.

Les premiers Centres d’Aide par le Travail (C.A.T.) ont été créés en 1957. Il s’agit à
la fois d’une structure de mise au travail et d’un établissement médico-social dispensant des
accompagnements pour leur permettre d’accéder à une activité professionnelle. A cette date,
on comptait 6 000 places en CAT sur l’hexagone. Progressivement, la législation a donné un
statut à ces usagers assorti d’une garantie de ressources. Depuis 2005, les CAT sont devenus
les ESAT. Ils occupent actuellement une place majeure dans la prise en charge des personnes
en situation de handicap. En 2013, 1 349 ESAT étaient implantés sur le territoire national
accueillant près de 119 000 personnes en situation de handicap.

Pour être accueillie en ESAT, la personne présentant un handicap doit bénéficier


d’une orientation par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MPDH), via la
Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH), et doit
être âgée d’au moins 20 ans, sauf en cas de situation exceptionnelle. De plus, celle-ci doit
remplir deux conditions : « avoir une capacité de travail inférieure à un tiers de la capacité
du gain ou de travail d’une personne valide ou avoir besoin d’un ou plusieurs soutiens
médicaux, éducatifs sociaux ou psychologiques »13.

11
Ministère du Travail, de l’Emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Emploi et
Handicap : travail en milieu ordinaire. Disponible sur : http://travail-emploi.gouv.fr/emploi/inserer-dans-l-
emploi/recrutement-et-handicap/article/emploi-et-handicap-travail-en-milieu-ordinaire. Consulté le 13 juin
2016.
12
VILLEVAL Marie-Claire. Le milieu protégé : un pôle croissant d’emploi des handicapés. Disponible sur :
http://travail-emploi.gouv.fr/publications/Revue_Travail-et-Emploi/pdf/19_2227.pdf
13
Ministère du Travail, de l’Emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Emploi
et Handicap : travail en milieu ordinaire. Disponible sur : http://travail-emploi.gouv.fr/emploi/inserer-
dans-l-emploi/recrutement-et-handicap/article/emploi-et-handicap-travail-en-milieu-ordinaire. Consulté le 13

9
Un ESAT est un établissement médico-social, composé d’une équipe
pluridisciplinaire qui permet à un adulte handicapé d’exercer une activité en milieu protégé.
Un accompagnement médico-social est assuré pour l’aider à la réalisation de son projet
individualisé. La finalité est bien d’apporter à chaque individu des savoirs, savoir être et
savoir-faire utilisables au sein de ces structures puis transposables dans le monde du travail
et dans la vie quotidienne. Les principaux pôles d’activité en ESAT sont les activités de
conditionnement, d’emballage et de montage ; le publipostage, le collage d’étiquette et les
mises sous enveloppe ; et, enfin les activités de services comme la blanchisserie, la
restauration et les espaces verts. Les usagers accueillis en ESAT ne possèdent pas le statut
de salarié et ne sont donc pas soumis au Code du Travail. Ils bénéficient toutefois d’« un
contrat d’aide par le travail »14 tel qu’il l’a été défini par le Code de l’Action Sociale et des
Familles.

Le travail que nous allons vous présenter est une recherche-action que nous avons
réalisée entre janvier et juin 2016 dans le cadre du Master 2 Stratégie de Développement
Social. Cette recherche action est issue d’un partenariat entre le Centre de Ressource régional
sur le Handicap Psychique (CREHPSY) et l’Université de Lille 3. Le CREHPSY souhaitait
en effet mener une étude sociologique sur le territoire Nord-Pas-de-Calais visant à analyser
selon leurs termes : « l’adaptation des Établissements et Services d’Aide par le Travail aux
usagers en situation de handicap psychique ». Les objectifs initiaux étaient d'identifier les
spécificités de chacun des types d'ESAT, des différents publics accueillis, d'évaluer la
satisfaction des personnes, l'influence et le rôle des familles ainsi que de l'entourage.

Traditionnellement, les ESAT accueillaient principalement des personnes


handicapées mentales, sensorielles et/ou motrices. En raison de la reconnaissance du
handicap psychique et de la désinstitutionalisation de la prise en charge psychiatrique, une
part croissante des personnes accueillies en ESAT souffrirait d’un handicap psychique d’où

juin 2016.
14
Ministère du Travail, de l’Emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Emploi et
Handicap : travail en milieu ordinaire. Disponible sur : http://travail-emploi.gouv.fr/emploi/inserer-dans-l-
emploi/recrutement-et-handicap/article/emploi-et-handicap-travail-en-milieu-ordinaire. Consulté le 13 juin
2016.

10
l’intérêt de notre recherche action. Nous intervenons principalement sur trois catégories
d’ESAT, en accord avec le CREHPSY :
 Les ESAT traditionnels qui accompagnent historiquement des personnes en
situation de handicap mental mais qui sont désormais amenés à accompagner des
individus avec un handicap psychique.
 Les ESAT mixtes qui ont un agrément à la fois pour accompagner des personnes
en situation de handicap mental et psychique.
 Les ESAT « hors les murs », qui accompagnent exclusivement des personnes en
situation de handicap psychique. L’activité professionnelle s’effectue en
entreprise dite « ordinaire ».

Notre terrain d’enquête se compose ainsi de trois ESAT principaux et d’un ESAT
complémentaire :

- L’ESAT traditionnel de Bully-Noeux les mines. Cet établissement a été fondé en 1964 par
l’association régionale La Vie Active. Il accompagne essentiellement des personnes en
situation de handicap mental. Cette structure de 260 usagers voit son public se diversifier
progressivement car 7% des usagers sont en situation de handicap psychique et 9% ont un
handicap psychique associé à un handicap mental.

- l’ESAT mixte Les Ateliers de la Lys créé en 1962 se situe sur deux sites : Armentières et
Bailleul. C’est l’un des ESAT de l’association des Flandres pour l’Education, la Formation
des Jeunes et l’insertion sociale et professionnelle (AFEJI) agréé pour accompagner 140
personnes en situation de handicap. Parmi elles, près de 30% présenteraient un handicap
psychique. Les ESAT mixtes se sont développés avec la reconnaissance du handicap
psychique notamment.

- l’ESAT Hors les murs de l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des
personnes handicapés (ADAPT) de Capinghem. C’est une structure créée en 2009 par
l’ADAPT. Il a une capacité d’accueil de 20-21 personnes présentant une situation de
handicap psychique. Il s’agit d’une forme de modèle alternatif d’ESAT puisqu’ici l’activité
professionnelle s’effectue intégralement en dehors de l’ESAT mais les personnes continuent
de bénéficier d’un accompagnement médico-social.

11
- L’ESAT traditionnel de Saint Omer, fondé en 1964 par l’Association des Parents d’Enfants
Inadaptés (APEI) les Papillons Blancs, constitue le terrain d’enquête sur lequel nous sommes
intervenus plus ponctuellement. Elle accueille 204 usagers dont 16 d’entre eux
présenteraient un handicap psychique.

Pour nous permettre d’apporter des pistes de réflexion et d’analyse quant à la


recherche action, nous avons réalisé, en plus des recherches bibliographiques, des
observations directes sur les différents terrains d’enquête et avons effectué 39 entretiens semi
directif (21 professionnels et 18 usagers). Tout au long de ce partenariat de formation, nous
avons convenu de parler d’« usager » pour appréhender les personnes en situation de
handicap psychique accueillies en ESAT. En effet, nous avons décidé d’emprunter cette
expression en rapport à la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
indiquant que les bénéficiaires des établissements médico-sociaux sont appelés sous un
même vocable « les usagers ». Nous pouvons également souligner que le terme « usager »
constitue l’expression la plus largement employée par les professionnels exerçant en ESAT.

Au regard de la loi du 11 février 200515, l’augmentation du public présentant un


handicap psychique au sein des ESAT entraine des enjeux importants pour ces structures
médico-sociales. La problématique de l’adaptation des ESAT au handicap psychique a elle-
même fait émerger d’autres questionnements :

 Quelles sont les stratégies que mettent en place les ESAT pour se « développer
autrement » et s’adapter aux enjeux socio-économiques et politiques
contemporains ?
 Quels sont les effets de l’accueil de ce public sur les cultures et les pratiques
professionnelles ? (circulation des savoirs, enjeux de pouvoirs, articulation des
équipes de production et des équipes médico-sociales, etc.).
 Comment les usagers eux-mêmes se « réapproprient » ou non cette catégorie du
handicap psychique.

15
Relative à l’égalité des droits et des chances, à la participation et à la citoyenneté des personnes
handicapées.

12
Ces différents questionnements nous ont amenés à la problématique suivante : En
quoi la catégorie du handicap psychique implique-t-elle un processus de recomposition
du fonctionnement des ESAT ?

Après avoir présenté la démarche méthodologique employée dans le cadre de cette


recherche action, nous analyserons la construction et les modalités d’appropriation du
handicap psychique. Nous développerons ensuite les différentes conceptions du travail en
ESAT allant de la protection à l’insertion. Dans une dernière partie, nous appréhenderons
les recompositions professionnelles et institutionnelles en lien avec la catégorie du handicap
psychique.

13
PARTIE I - CONDUIRE UNE ENQUETE DE TERRAIN

Au sein de cette première partie qui constitue l’approche méthodologique employée


dans le cadre de cette recherche action, nous présenterons les quatre terrains d’enquête sur
lesquels nous sommes intervenus. Il nous a ensuite fallu définir les outils de recherche en
vue de déterminer précisément la population que nous souhaitions rencontrer. Cela nous a
permis « d’étayer la réflexion vis-à-vis de la question de départ à partir des discours des
uns et des autres »16. Nous développerons enfin également les conditions dans lesquelles
s’est déroulée cette recherche action.

A. Immersion dans les ESAT


Après avoir été missionnés de réaliser une recherche action contractualisée entre le
CREHPSY et l’Université de Lille 3, nous avons rencontré en décembre 2015 les
commanditaires de ce projet. Ces derniers étaient accompagnés des différents responsables
souhaitant prendre part à ce projet. Lors de cette réunion, il a été défini les trois ESAT sur
lesquels nous nous centrerons principalement de janvier à mai 2016 et celui sur lequel nous
interviendrons plus ponctuellement en mars et en avril 2016.

a) Présentation des ESAT traditionnels :

Chaque présentation d’ESAT est effectuée sur la base des entretiens réalisés avec les
directeurs ou les chefs de service de chaque ESAT ainsi que sur les projets d’établissement
que nous nous sommes procurés. Ces 4 structures Médicosociales partagent une double
finalité :

- D’une part de permettre aux personnes accueillies, grâce à des conditions


de travail aménagées, d’exercer une activité professionnelle tout en ayant
accès au soutien médico-social et éducatif, en vue de favoriser leur
épanouissement personnel et social.

16
LIEVRE, P. Manuel d’initiation à la recherche en travail social, Rennes, France. E.N.S.P., 2ème édition,
2006, p 57 [cité par] DEHAINE Sophie, Mémoire du D.E.A.S.S : la monoparentalité des pères, 2009, p 22.

14
- Et d’autre part, de leur donner les moyens de quitter le milieu du travail
protégé pour accéder au milieu ordinaire de travail ou intégrer une
entreprise adaptée.

i. L’E.S.A.T. Traditionnel La Vie Active à Bully-Noeux les Mines – Association La


Vie Active.

L’association :

L’ESAT de la Vie Active est issu de la fusion en 2008 de deux établissements de


l’association. Il est donc aujourd’hui réparti sur deux sites : l’un situé à Bully-les-Mines,
l’autre à Noeux-les-Mines. L’association « La Vie Active », créée en 1964 à l’initiative d’un
groupe d’enseignants, avait pour vocation de répondre aux problèmes posés par la
prolongation de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans et d’accueillir des adolescents sortis
des Semi Internats Médico Professionnels (SIMP) du département. Ce sera en 1974 que deux
Centres d’Initiation par le Travail (CAT), vont compléter le dispositif. Ils s’adressaient au
départ à de jeunes adultes handicapés. La création des Centres d’Aide par le Travail, (CAT)
se fera entre les années 1975 et 1983. L’association répond aux besoins des adultes et gère
les établissements qui ne relèvent plus uniquement de l’Education Nationale. L’association
va ensuite se développer en répondant à des besoins divers, en passant de la petite enfance
avec les Centres d’Aide Médico-Social Précoce (CAMSP) jusqu’à la personne âgée
dépendante avec les Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes
(EHPAD). La finalité de cette association est d’apporter un bien-être aux personnes
accueillies ou accompagnées par ses établissements ou services. Cette dernière se positionne
comme un promoteur actif et a la volonté d’agir dans l’intérêt des usagers. Les six valeurs
qui la représente sont : la liberté dans le respect de soi-même, des autres et des règles
régissant la société ; l’égalité des droits et des devoirs ; la fraternité ; la laïcité ; la citoyenneté
de la République Française et la solidarité.

Les effectifs de l’ESAT :

L’ESAT Traditionnel de Bully-Noeux Les Mines accueille 260 « travailleurs »


regroupant à la fois des personnes en situation de handicap mental, en situation de handicap
physique et psychique. 60 salariés répartis sur trois sites accompagnent les usagers accueillis.

15
On compte dans cet ESAT une dizaine de personnes en situation de handicap psychique.

Cet ESAT est composé de 30 à 32 moniteurs d’ateliers, 3 adjoints techniques, un


directeur de production, un chef de service, une assistante sociale, un médecin psychiatre,
un psychologue, deux infirmières, deux moniteurs éducateurs, deux comptables, le personnel
de la cuisine et de la logistique. Le directeur de l’ESAT présente la structure comme étant
un soutien médical, social et éducatif. Il insiste sur la salle du temps de travail (SATT), le
sport et les visites culturelles qui sont organisées.

Les différents domaines d’activité :

Cet ESAT traditionnel compte 3 pôles majeurs d’activités :

 Les espaces verts, regroupant 10 à 11 équipes. 70 travailleurs exercent au sein de ce


pôle, ces derniers étant encadrés par 10 professionnels accompagnés d’un adjoint
technique. L’activité des espaces verts comprend des contrats annuels, des
prestations ponctuelles, essayant aussi de développer des activités à forte valeur
ajoutée.

 Les activités réalisées à l’interne de l’ESAT regroupent 10 équipes composées de


107 usagers, de 10 moniteurs ainsi que d’un adjoint technique. Les activités réalisées
en son sein sont du conditionnement, de la mise sous pli, de la blanchisserie, du tri
qualité, de l’imprimerie et de la cuisine. Les différentes activités sont réparties dans
des ateliers (anciennement des salles de classe pour l’ESAT de Bully Les Mines), où
un moniteur encadre une dizaine d’usagers ou plus.

 Il y a enfin les activités externes, dites hors les murs, qui représentent 80 à 85
travailleurs. Ces usagers vont alors travailler en entreprise le matin et l’après-midi.
Certains groupes reviennent à l’ESAT le midi, d’autres non. Cet ESAT propose aussi
des « détachements collectifs ». Des groupes d’usagers vont se rendre au sein de
collectivités, d’associations et d’entreprises pour réaliser des activités de maintien et
d’hygiène des locaux ainsi que pour effectuer des actions de rénovation de bâtiment.

Il est à noter que cet ESAT vient de faire l’acquisition d’un terrain sur lequel le
bâtiment regroupera toutes les structures. L’un des objectifs sera de développer de nouvelles
activités proches du milieu ordinaire : la gestion de l’environnement, le recyclage, la

16
ressourcerie, de la restauration « VIP », scolaire, la création d’une gamme de plateaux repas,
une chaine graphique, du numérique, de l’horticulture, du nettoyage en autonomie et enfin
de la logistique. De plus, cet ESAT traditionnel a pour ambition d’instaurer une Unité
d’Insertion Socio Professionnelle pour Personnes malades Psychiques en accord avec la
nouvelle loi de 2005. Cette structure tient en effet, à améliorer l’évaluation de la
compensation du handicap psychique et la lisibilité des dispositifs. Il s’agit bien de favoriser
l’accompagnement et l’insertion sociale des personnes atteintes d’un handicap psychique en
luttant notamment contre les représentations qui s’avèrent souvent être un frein à
l’intégration sociale.

ii. L’E.S.A.T. Traditionnel L’A.P.E.I. à Saint-Omer – Association les Papillons


Blancs.

L’association :

L’ESAT traditionnel de Saint-Omer, fondé en 1964, constitue l’un des établissements


de l’Association des Parents d’Enfants Inadaptés (APEI) Les Papillons Blancs. C’est une
association créée en 1961 par des parents d’enfants inadaptés. Les valeurs portées par l’APEI
sont les suivantes : la solidarité qui « s’exprime par l’accueil, l’écoute, la prise en compte
des personnes pour partager des espoirs, participer au cheminement dans l’acceptation du
handicap, rompre l’isolement des personnes handicapées et de leurs proches, favoriser une
dynamique associative »17. Ces valeurs se caractérisent au sein de cet ESAT traditionnel par
des réponses apportées aux personnes sur liste d’attente, à des demandes provenant de
l’extérieur (une visite de l’ESAT, un renseignement dans une démarche administrative, etc.),
par un soutien médico-social apporté aux usagers. La seconde valeur impulsée par l’APEI
est celle de la citoyenneté qui « s’exprime par la volonté de faire accéder les personnes
handicapées à ce statut de citoyen »18. A l’ESAT, cela se traduit par des formes d’expression
via le conseil de vie sociale par exemple, par l’organisation d’une cérémonie de remise de
médailles du travail, par tout ce qui peut être proposé aux personnes accueillies en dehors du
temps de travail, en veillant au respect des du règlement de fonctionnement. La troisième

17
APEI Papillons blancs. Projet associatif. Disponible sur : http://www.apei-
saintomer.fr/doc/Projet%20associatif_SIEGE.pdf.
18
Ibidem.

17
valeur est celle de « la tolérance et du respect qui s’expriment par l’acceptation de l’autre
dans sa différence 19 ». Cela se traduit au sein de cet ESAT par l’écoute des personnes
handicapées, par une modulation des horaires de travail, par une adaptation des postes de
travail dans le respect des différences et des potentialités de chacun.

Les effectifs de l’ESAT :

Cet ESAT dit traditionnel accueille 204 usagers en situation de handicap mental,
physique et psychique. 16 d’entre eux présenteraient un handicap psychique. Cet
établissement médico-social compte aujourd’hui une liste d’attente d’environ 120 personnes.
Une procédure d’admission définit les règles à tenir lorsque l’ESAT admet une personne
pour une période d’essai. En 2011, l’âge moyen de la population accueillie en ESAT est de
42 ans.

Pour la majorité des usagers de l’ESAT, la déficience principale est la déficience


intellectuelle moyenne (44%) et légère (23%) suivie de la déficience psychique (16,5%). Il
faut préciser que de nombreux usagers, dont la déficience principale est une déficience
intellectuelle, présentent en général des pathologies associées qui nécessitent une prise en
charge spécifique, tant sur le plan éducatif que sur les plans social, médical et psychologique.

Le personnel lié à l’accompagnement médico-social se compose du directeur, du chef


de service éducatif, d’un médecin psychiatre, de psychologues, d’assistantes sociales, de
moniteurs d’atelier et d’infirmières. Celui lié à l’activité de production se compose d’un chef
d’atelier, d’un agent de méthode et de sécurité, d’un agent technique, d’un agent chargé de
logistique, d’une ouvrière de production, d’un magasinier cariste et d’un chauffeur livreur.

Les différents domaines d’activité :

L’activité professionnelle s’articule autour de cinq domaines que sont les espaces
verts avec la création et l’entretien de parcs et jardins ; la menuiserie avec la fabrication de
palettes et de meubles ; la mécanique générale (tournage, le fraisage, la coupe, le perçage,
etc.) ; le conditionnement et l’assemblage ; et enfin, l’ouverture sur l’extérieur, c’est-à-dire
la saisie informatique et les prestations hors les murs. L’ESAT effectue un accueil de jour,
les horaires sont 9h00/17h15 du lundi au jeudi et 9h00/14h45 le vendredi. Les activités sont

19
Ibidem.

18
réparties en différents ateliers où les usagers ont de l’espace pour circuler, qui sont lumineux,
chaque atelier est séparé par des cloisons. Cette structures est composée de trois bâtiments :
les activités de conditionnement et la métallerie, les activités de conditionnement des
produits médicaux et l’atelier menuiserie.

Il nous semble important de préciser que l’ESAT accueille entre autre des jeunes
stagiaires en Instituts Médico-Educatifs (IME). Il travaille également en partenariat avec les
Instituts d’Education Motrice (IEM), un centre de pré-orientation professionnelle. Les jeunes
sont accueillis pour une période de trois semaines, une fois par un à compter de leurs 16 ans ;
ils sont placés en situation de travail afin d’évaluer leurs capacités d’intégration et
d’adaptation dans le monde du travail et leurs compétences. Ces stages permettent de statuer
et de faire une proposition d’orientation à la MDPH via l’établissement d’accueil du stagiaire.

b) L’E.S.A.T. Mixte les Ateliers de La Lys à Armentières – Association A.F.E.J.I.

L’association :

L’Association des Flandres pour l’Education, la formation des Jeunes et l’Insertion


sociale et professionnelle (AFEJI), association de loi 1901, a été créée en 1962 à l’initiative
d’enseignants du littoral dunkerquois désireux de s’impliquer pour venir en aide aux enfants
handicapés ou en difficultés sociales. Cette association se décrit comme une : « association
laïque, humaniste et militante »20. Celle-ci fonde rapidement des établissements à vocation
médico-sociale type Maison d'enfants à caractère social (MECS), Institut médico-éducatif
(IME), Institut d'éducation motrice (IEM), etc. Plus de cinquante ans après sa création,
l’AFEJI a étendu son champ d’intervention suite à des sollicitations supplémentaires en
termes de création, de reprise ou d’extension de structures. L’association régionale
accompagne désormais des personnes de tout âge qu’elles soient en situation de handicap ou
de difficultés sociales. L’AFEJI prône des valeurs de respect des personnes et de leur
citoyenneté ; la valorisation des personnes accompagnées et de leur place dans la société ; la
reconnaissance et le développement de leurs compétences ; et enfin, la responsabilisation de

20
http://www.afeji.org/asso/projet_asso.php

19
tous les collaborateurs L’ESAT les Ateliers de la Lys a été fondé en 1982 par l’AFEJI. Il est
installé sur deux sites : les ateliers à Armentières et la laverie à Bailleul.

Les effectifs de l’ESAT :

Le rapport d’activité pour l’année 2015 indique que l’ESAT mixte des Ateliers de la
Lys accueillait 139 usagers, avec un taux d’occupation de 98%. Cette structure médico-
sociale est initialement agréée pour accueillir 120 usagers en Equivalent Temps plein
(E.T.P.). Cette dernière accompagne des personnes avec des handicaps divers : déficience
intellectuelle (45 %), troubles psychiques (33%) en passant par l'épilepsie (8%). La moyenne
d'âge est de 37 ans, les usagers ayant entre 18 et 61 ans. La population est majoritairement
masculine (83 hommes pour 56 femmes). Les usagers restent en moyenne 9 années au sein
de cette structure.
En 2015, 56 personnes avaient entre 10 et 33 ans d’ancienneté.

L’ESAT dispose d’une équipe pluridisciplinaire de 38 personnes : une directrice, son


adjoint, trois chefs de service, un atelier production réunissant 15 professionnels et 6
membres du service médico-social éducatif. On peut également ajouter les services
transversaux mutualisés avec l’Entreprise Adaptée et les Ateliers Chantiers d’Insertion.

Les différents domaines d’activité

L’ESAT des Ateliers de la Lys est composé de différents pôles d’activités réalisées
intra muros, chacun atelier étant encadré par un voire par deux moniteurs d’atelier :

 Atelier « calage polystyrène » : 4 usagers réalisent des fiches techniques, des


commandes, l'activité y est stable depuis deux ans.

 Atelier prestation A : 30 usagers réalisent presque exclusivement des


commandes le compte des principaux clients de l’ESAT.

 Atelier prestation B : 27 usagers travaillent sur des activités de


conditionnement de produits (cosmétique, art de la table, gants de jardinage,
etc.). Les emballages sont fabriqués en interne via d'autres ateliers comme
l’atelier « calage polystyrène ».

20
 Atelier prestation C : 15 usagers réalisent des prestations diverses de
conditionnement. Cette année ils ont été chargés, en plus du travail habituel,
de monter des porte-vélos à destination de la Grande-Bretagne.

 Atelier « carton» : 10 usagers réalisent des activités liées à la fabrication de


caisses et de palettes en carton. L'atelier permet le recyclage et la réutilisation
des cartons.

 Atelier Laverie : Celui-ci est situé sur le site de Bailleul. Deux moniteurs
d’atelier encadrent 20 usagers. Ils assurent le nettoyage, l'essorage, le séchage
et le repassage de vêtements livrés par un chauffeur en CDI et par un
chauffeur à temps partiel (usager). Les livraisons sont quotidiennes. Les
horaires de travail se rapprochent de celles du site d’Armentières. Le déjeuner
est pris sur place et c'est un prestataire extérieur qui livre les repas.

En parallèle, cet ESAT mixte propose des activités professionnelles hors les murs :

 Prestations diverses de conditionnement effectuées sur le site d'une société cliente de


l'ESAT. L'équipe est constituée de 16 usagers. Deux véhicules sont mis leur à
disposition : le premier est conduit par le moniteur d’atelier et le second par un usager
titulaire du permis de conduire. Le nombre d’usagers se rendant au sein de cette
entreprise varie en fonction des commandes prévues. Ces activités hors les murs sont
réalisés par des usagers souhaitant être « confrontés » au milieu ordinaire de travail.

 Activités de maintien et d’hygiène des locaux (MHL) réalisées au sein d’une Maison
d’Accueil Spécialisée (établissement géré par l’AFEJI). Une équipe de quatre
usagers s’y rend du lundi au vendredi, aux horaires habituels des activités réalisées
au sein de l’ESAT.

c) L’E.S.A.T. hors les murs de Capinghem – Association l’A.D.A.P.T

L’association

21
L’Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées
(ADAPT) est une association loi 1901 reconnue d’utilité publique, agissant en faveur de
l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées. Fondée en 1929, cette
association a pour finalité de permettre à la personne handicapée de retrouver sa dignité par
une réinsertion dans la société active et professionnelle afin de pouvoir vivre comme
n’importe quelle personne dans la vie de la cité. Cela passe par une intervention globale sur
tous les sujets liés à la citoyenneté. Aujourd’hui, l’ADAPT est présente sur le territoire
national avec plus de 100 établissements et services d’accompagnement, de formation,
d’insertion, de scolarisation et de soin accueillant près de 12 000 personnes handicapées21.

L’ESAT hors les murs situé à Capinghem a été créé en 2009. Cet établissement est
une passerelle entre le milieu protégé et le milieu ordinaire de travail, spécialisé dans le
handicap psychique. Il a pour vocation d’accompagner les personnes en situation de
handicap psychique vers une insertion adaptée et durable en entreprise. L’accompagnement
s’étale en moyenne entre 2 et 5 ans.

Les effectifs de l’ESAT

La capacité d’accueil est de 20/21 personnes. Les entrées se font par groupe de 8 afin
de pouvoir mélanger les anciens et les nouveaux arrivants et de susciter une dynamique de
groupe. Le rapport d’activité de 2015 fait état de 14 hommes pour 7 femmes se distribuant
de cette façon : 6 personnes âgées de 25 à 34 ans ; 11 âgées de 35 à 44 ans ; et, 4 usagers
âgés de
45 à 59 ans. Parmi ces usagers, 4 usagers ont signé des contrats de travail (3 contrats à durée
indéterminée, 1 contrat aidé) et 3 autres se sont dirigés vers une activité professionnelle en
milieu protégé.

Une situation particulière :

Les pré-requis pour entrer au sein de cette ESAT sont de plusieurs ordres : avoir une
reconnaissance en qualité de travailleur handicapé et une orientation en ESAT. La personne
doit se trouver en situation de handicap psychique stabilité (être accompagné par un service
spécialisé relatif à la maladie psychique) puis avoir l’envie et la capacité d’exercer en milieu

21
http://www.ladapt.net/qui-sommes-nous.html

22
ordinaire de travail. D’autres pré-requis sont également demandés comme la maîtrise de la
lecture et de l’écriture, etc.

Après une première phase de bilan, la personne en situation de handicap est accueillie
dans la structure à raison de 17h30 par semaine. Elle y alterne les activités collectives et les
entretiens avec les différents professionnels qui sont la neuropsychologue, la chargée de
relation entreprise et la conseillère en économie sociale et familiale. 3 axes y sont, alors,
abordés :

- L’emploi : travailler son projet professionnel, avoir un C.V, etc.


- La maladie et son incidence : connaître sa maladie et ses conséquences au
quotidien, des aménagements pour pallier les difficultés en entreprise, etc.

- L’autonomie sociale : lever les freins pouvant faire obstacle à l’insertion


professionnelle, à travers la mise en place d’ateliers notamment dans le
domaine de la prévention/ santé.

Parcours en entreprise :

Le stage s’étale sur 4 semaines. Il permet de susciter des automatismes, de reprendre


contact avec le monde du travail et ses codes. Par ce biais, la personne peut, également,
découvrir un nouveau métier, puis valider ou invalider des compétences lui permettant ainsi
de mieux préciser son projet professionnel.

La Mise à Disposition (MAD) se déroule à la suite du stage et dure de 3 mois à 2 ans.


Elle est facturée à l’entreprise mais il est à noter qu’elle rentre dans le calcul du taux d’emploi
de 6 % des personnes handicapées.

Un tuteur de proximité désigné par l’entreprise accompagne ce parcours


professionnel en milieu ordinaire en coordination avec la chargée de relation entreprise.

B. De la préparation de l’enquête à la réalisation des entretiens


Après avoir délimité quatre terrains d’enquête distincts qui s’avèrent
complémentaires, il nous a fallu définir les outils méthodologiques que nous emploierons
pour mener à terme cette recherche action. Afin que l’enquête remplisse ses fonctions
d’élucidation, d’explication et de neutralité, nous présenterons également l’échantillon
rencontré tout au long de ce partenariat de formation. Enfin, nous développerons une

23
approche réflexive relative à la méthodologie employée. Celle-ci nous permettra d’apprécier
ses incidences sur notre objet de notre recherche.

a) Outils méthodologiques

Avant de débuter notre enquête de terrain, un psychologue du CREHPSY s’est


entretenu avec notre Groupe de Développement Social (GDS). Cette intervention nous a
permis d’appréhender la notion de handicap psychique, de faire évoluer nos représentations
ainsi que de nous apporter des pistes de lectures (articles spécialisés, ouvrages, textes de loi
et rapports officiels) relatives à notre objet de recherche. De plus, une fois les terrains
d’enquête circonscrits, notre GDS composé de six étudiants a décidé d’intervenir en binôme
sur chaque ESAT principal. Nous développerons dans cette sous-partie les principaux outils
employés dans le cadre de cette recherche action : l’observation directe et l’enquête par
entretien semi directif. Cette méthodologie de recherche nécessaire à la réalisation de l’étude
est appliquée de façon similaire sur nos différents terrains d’enquête.

L’observation directe : saisir la réalité des pratiques sociales et professionnelles.

En accord avec les structures prenant part à cette recherche action, nous avons
souhaité réaliser six à huit journées d’observation au sein de ces dernières. Ces périodes
d’observation directe se sont déroulées, entre les mois de janvier et de février 2016, au sein
des locaux des ESAT : ateliers de production, lieux de convivialité et de restauration, salles
de réunion et bureau des professionnels, ateliers de soutien, etc. Notre posture d’ « étudiants
chercheurs » était connue de tous, nous n’avons par chercher à « observer de façon incognito
»22.

Selon Platt (1983), l’observation consiste en une « démarche de recherche inductive


dans laquelle le sociologue observe une collectivité sociale dont il fait parti. Supposant une
immersion active dans son terrain, l’observation lui permet d’avoir accès à des informations
peu accessibles et mieux comprendre certains fonctionnements difficilement appréhendables
par un individu qui est extérieur au terrain »23.

22
REVILLARD Anne. Observation directe et enquête de terrain. Disponible sur :
https://annerevillard.com/observation-directe-et-enquete-de-terrain/. Consulté le 7 juin 2016.
23
QUENTIN Isabelle. Les méthodes de l’observation participante. 26 décembre 2013. Disponible sur :
https://isabellequentin.wordpress.com/2013/12/26/methodes-de-lobservation-participante/. Consulté le 4 juin
2016.

24
Plus récemment, Hughes envisage l’observation directe de terrain comme une «
observation des gens in situ »24. Il s’agirait alors d’« aller les rencontrer là où ils se trouvent,
de rester en leur compagnie en jouant un rôle, qui acceptable pour eux, permette d’observer
de près certains comportements et d’en donner une description qui soit utile pour les
sciences sociales tout en ne faisant pas de tort à ceux que l’on observe »25 . Comme le
souligne AnneMarie Arborio, cette démarche méthodologique est pertinente lorsque l’on
souhaite accéder à des pratiques « qui ne viennent pas à la conscience des acteurs »26, qui
apparaissent complexes à verbaliser ou à l’inverse lorsqu’elles suscitent des « discours pré
construits visant au contrôle de la présentation de soi »12.

Plus concrètement, cette méthodologie nous a non seulement amené à observer nos
terrains d’enquête en adoptant une certaine distanciation, mais nous a également permis de
participer aux activités existantes au sein de ces derniers. Nous alternions les phases
d’observation participante avec des périodes de réflexion et d’écriture, dans espace mis à
notre disposition par les directeurs des structures enquêtées. Par exemple, à l’ESAT mixte,
nous avons partagé le quotidien des usagers au sein des ateliers de production, enfilant
blouses de travail et chaussures de sécurité. Nous réalisions les mêmes tâches que celles
effectuées par ces derniers, partagent les périodes de repos et de restauration, échangions
avec les usagers et les professionnels les encadrant, etc. Cette démarche a, en partie,
contribué à faciliter notre acceptation par les enquêtés pour la suite de cette recherche action.

Cette démarche méthodologique nous a également permis de collecter de nombreuses


données à travers la réalisation d’entretiens informels lors de nos participations aux activités
de production et de soutien. Isabelle Quentin décrit qu’il s’agit de « conversations
occasionnelles et spontanées du terrain, indispensables pour appréhender la globalité d’une
situation, d’une institution, d’un environnement » 27 . Enfin, l’observation nous a permis

24
HUGHES, E.C. La place du travail de terrain dans les sciences sociales, in Le regard sociologique, Paris:
EHESS, 1996. p.267.

25
Ibidem.
26
ARBORIO Anne-Marie. L'observation directe en sociologie : quelques réflexions méthodologiques à
propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier. Recherche en soins infirmiers 3/2007 (N° 90) , p.
26-34 12 Ibidem.
27
QUENTIN Isabelle. Les méthodes de l’observation participante. 26 décembre 2013. Disponible sur :
https://isabellequentin.wordpress.com/2013/12/26/methodes-de-lobservation-participante/. Consulté le 4 juin
2016.

25
d’étudier des documents officiels : projet d’établissement, rapport d’activité, documents
remis à chaque personne accueillie en ESAT etc.

L’entretien semi directif : un outil à visée exploratoire.

Après une première période d’ « immersion » au sein des ESAT constituant notre
terrain d’enquête, nous avons souhaité approfondir notre méthodologie de recherche à l’aide
d’un nouvel outil à visée exploratoire : l’entretien semi directif. Etendue de mars à mai 2016,
cette phase nous a permis d’en réaliser 38, répartis de manière égale entre professionnels et
usagers.

En menant des entretiens exploratoires, le chercheur « complète les pistes de travail


suggérées par les lectures préalables et met en lumière des aspects du phénomène auxquels
il n’aurait pas pensé spontanément »28. En vue de pouvoir les réaliser, définir quel type
d’entretien utilisé paraît essentiel dans le sens où ces derniers étayeront la question de départ.
Outil privilégié pour explorer un faisceau d’idées, l’enquête par entretien repose sur trois
types d’outil dont principalement l’entretien semi directif.

Cette méthodologie permet à l’enquêteur de garder les directives de l’entretien mais


génère aussi pour l’interviewé, la possibilité de s’exprimer librement. Cette forme d’enquête
est pertinente « lorsque l’on veut analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques,
aux événements dont ils ont pu être les témoins actifs »29. Les propos de l’interlocuteur sont
alors centrés sur des thèmes définis au préalable par le chercheur, au travers d’une grille
d’entretien. Produisant un discours avec un minimum d’intervention, cette méthodologie
permet au chercheur de rebondir sur des propos tenus par l’interviewé, de le questionner si
un thème nécessite un approfondissement mais aussi de recentrer son discours, si celui-ci
s’éloigne de la thématique abordée.

Dans le cadre de nos formations universitaires antérieures, nous avons déjà eu


l’occasion d’employer cet outil de recherche. Celui-ci avait contribué à rassembler des
éléments précis de réponse, mettant en exergue des points auxquels nous n’avions pas pensé
d’un prime abord. Il nous a semblé judicieux de recourir une nouvelle fois à cet « instrument

28
BLANCHET Alain, GOTMAN Anne. L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris, France, 2ème édition,
2013. P 39.
29
Ibidem, p 24.

26
d’investigation spécifique […] dont la parole est le vecteur principal »30. Le chercheur veille
à ce que l’interlocuteur produise un discours spontané, ses propos devant être les plus
authentiques possibles.

Désormais, il nous est apparu indispensable d’établir un guide d’entretien, d’y


travailler au sein de ce dernier, la formulation de questions de relance afin d’optimiser
l’objectivité et la fiabilité de l’enquête. Ce plan renvoie « à la fois à l’ensemble organisé des
thèmes que l’on souhaite explorer et aux stratégies d’intervention de l’interviewer visant à
maximiser l’information obtenue sur chaque thème »31. Dans un souhait d’interroger aussi
bien des professionnels de terrain que des usagers accueillis en ESAT nous avons établi deux
grilles d’entretiens distincts : l’une à destination des usagers accueillis en ESAT (Annexe
n°1) et la seconde s’adresse aux professionnels exerçant en ESAT (Annexe n°2).

Avant le début de chaque entretien, l’autorisation d’enregistrer l’intégralité de la


rencontre fut demandée, tout en rappelant que l’anonymat et la confidentialité des discours
seraient préservés. Nous évoquions les motifs de la rencontre qui étaient déjà précisés en
amont. Tout au long de l’interview, nous nous sommes attachés à adopter une posture
professionnelle de neutralité. A la fin de chaque entretien qui durait en moyenne une heure,
nous remercions la personne pour sa disponibilité et pour l’ensemble des éléments recueillis.

L’enquête par observation directe et par la réalisation d’entretiens semi directifs fera
ensuite l’objet d’une analyse croisée (usagers et professionnels) qui nous va nous permettre
de réaliser une évaluation globale de l’accompagnement des personnes présentant un
handicap psychique dans les E.S.A.T. de notre région. Pour mener à bien cette recherche
action, un comité de pilotage s’est réuni régulièrement réunissant les commanditaires du
projet, les enseignants chercheurs et nous étudiants. Cela nous a permis de faire connaître
l’état d’avancement de cette recherche action, de mutualiser les connaissances et les
compétences de chaque acteur puis de réajuster certains aspects de la commande.

30
Ibidem, p 23.
31
Ibidem, p 58.

27
b) Population rencontrée et conduites de l’enquête

Nous avons choisi, après les observations d’effectuer des entretiens qualitatifs car
cela est une manière d’obtenir des informations et des points de vue sur un objet que nous
n’avons pas pu matériellement recueillir in situ par observation directe32. Pour nous fixer les
limites de l’échantillon à interviewer, nous nous sommes attachés à la définition de la
population proposée par Alain Blanchet et Anne Gotman : « la sélection des catégories de
personnes que l’on veut interroger, et à quel titre ; déterminer les acteurs dont on estime
qu’ils sont en position de produire des réponses aux questions que l’on se pose »33. Nous
avons réalisé 39 entretiens semi directif (Annexe n°3).

Population rencontrée

Nous avons de ce fait choisi d’interroger 21 professionnels dont 10 moniteurs


d’atelier, et 11 professionnels de l’équipe pluridisciplinaire qui comprend une directrice
adjointe, un moniteur éducateur, deux chefs de service, deux psychologues, une
neuropsychologue, deux chargés de relation en entreprise et une conseillère en économie
sociale34. Nous avons préféré interroger un plus grand nombre de moniteurs d’ateliers car ce
sont eux qui sont au plus près des usagers, ils sont en contact permanent avec les usagers.
Nous avons de ce fait jugé leur rôle comme étant prépondérant dans l’accompagnement des
usagers.

Nous avons toutefois préféré interroger l’équipe pluridisciplinaire avant d’interroger


les moniteurs d’ateliers pour avoir les informations générales, les éléments à connaitre sur
les usagers en situation de handicap psychique et en avoir une définition un peu plus précise
et concrète que ce que nous avons pu lire. Cela nous a permis d’élaborer de meilleures grilles
d’entretien pour interroger par la suite les moniteurs d’ateliers puis les usagers. Les entretiens
réalisés avec les professionnels ont été répartis de façon égale entre les quatre sites. Nous
avons ensuite fait des entretiens qualitatifs avec les moniteurs d’ateliers, puis des entretiens
qualitatifs avec les usagers.

32
BEAUD Stéphane, L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’ « entretien
ethnographique », Politix, 1996, Vol 9, N°35, p. 226-257.
33
BLANCHET Alain, GOTMAN Anne. L’enquête et ses méthode : l’entretien. Paris, France, 2ème édition,
2013 p 58.
34
Voir ANNEXES.

28
Ensuite, nous avons réalisé 18 entretiens avec des usagers, en leur demandant
principalement s’ils apprécient leur travail à l’ESAT et comment ils s’y sentent. Certains
moniteurs de l’ESAT traditionnel n’étaient pas très à l’aise avec le fait que nous allions
interroger « leurs » usagers. Il a ainsi fallu que nous demandions à la psychologue de
l’établissement l’autorisation de faire des entretiens avec les usagers et avec quels usagers
cela était possible. A Saint Omer, nous n’avons pas eu besoin de demander une autorisation
particulière, nous avions demandé à la chef de service qui il était possible d’interroger, puis
nous avons effectué les entretiens avec eux. Dans les ESAT traditionnels, juste avant de faire
l’entretien, une personne de l’équipe technique venait avec nous pour aller chercher les
usagers, ces derniers leur demandaient s’ils avaient deux minutes puis leur disait que nous
souhaitions leur poser quelques questions sur l’ESAT. Les usagers nous suivaient ensuite,
dans les salles de réunions pour faire les entretiens. Aucune personne ne les accompagnait,
nous étions de ce fait seules avec les usagers. Il nous est arrivé de laisser un usager faire un
dessin, celui-ci était schizophrène et était passionné de dessin, cela lui a permis de se
détendre lors de l’entretien et de prendre son temps pour développer ses idées (Annexe n°4)35.
Les handicaps des usagers étaient parfois trop profonds pour que ceux-ci développent leurs
propos, nous n’avons de ce fait pas pu utiliser ou très peu leurs entretiens.

Bien que cela soit un échantillon « non représentatif », comme le précise Stéphane
Beaud, restreindre le travail intensif sur un nombre somme toute limité d’entretiens, c’est
d’une certaine manière faire confiance aux possibilités de cet instrument d’enquête,
notamment celle de faire apparaitre la cohérence d’attitudes et de conduites sociales, en
inscrivant celles-ci dans une histoire ou une trajectoire à la fois personnelle et collective36.
Le fait de réaliser des entretiens approfondis permet selon ce dernier de se libérer de la
statistique qui incite à multiplier le nombre d’entretiens. Cela permet aussi de faire des
présélections et des choix parmi les entretiens possibles. C’est ce que nous avons choisi de
faire avec cette enquête, effectivement, au cours de nos observations précédant les entretiens,
nous nous sommes rendu compte que toutes les personnes n’étaient pas « interviewables »,
il y a des conditions sociales à la prise de parole. Le fait de ne pas toujours avoir pu observer

35
Voir annexe du dessin.
36
BEAUD Stéphane, L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’ « entretien
ethnographique », Politix, 1996, Vol 9, N°35, p. 226-257.

29
les usagers dans leurs ateliers respectifs nous a de ce fait amené a effectué des entretiens
avec ce type de personne dont les entretiens n’ont pas pu être exploités ou très peu.

Chaque entretien qualitatif s’est effectué dans un endroit clos quand cela était
possible ou semi ouvert, nous effectuions les entretiens en binôme. Cela permettait ainsi de
mutualiser nos réflexions tout au long de l’entretien sur les sujets à aborder et de développer
l’entretien ou encore de prendre des notes plus facilement si cela était nécessaire. Lorsque
nous affections des entretiens semi-ouverts, il nous est arrivé de se voir rejoindre par d’autres
professionnels qui ont permis d’étoffer les entretiens, cependant cela est arrivé beaucoup
plus rarement. Les entretiens avec les usagers se sont effectués avec l’usager seul, sauf pour
l’ESAT mixte où les usagers étaient accompagnés par leur réfèrent qui faisait un retour sur
les entretiens une fois que l’usager était parti. La plupart des entretiens ont étés enregistrés,
cela avec l’autorisation préalable de la personne interrogée. Ce qui nous a permis de ce fait
d’être plus libres pour poser des questions tout au long de l’entretien. Lorsque nous n’avions
pas l’autorisation d’enregistrer les entretiens nous prenions de ce fait des notes tout au long
de l’entretien. Le fait d’être par groupe de deux était ici très efficace.

Nous avons également réalisés entretiens informels et avec les moniteurs d’atelier de
l’ESAT traditionnel de Saint-Omer particulièrement. Nous y sommes allés après avoir
effectué la majeure partie des entretiens dans les ESAT principaux. Comme nous y sommes
allés moins souvent, les entretiens informels nous ont permis de faire un maximum
d’entretiens en deux journées. Cela nous a permis de récolter une diversité d’informations.
La première journée nous avons effectué des entretiens informels avec la totalité des
moniteurs d’atelier qui sont restés sur place, nous n’avons de ce fait ni interrogé les moniteurs
d’atelier des espaces verts et ni ceux parti en prestation extérieure. Ils se sont effectués
directement dans les ateliers, cela permettait ainsi au moniteur d’expliquer concrètement son
atelier et les caractéristiques de ces usagers.

Il faut savoir que nous avons pris en compte le contexte des entretiens pour notre
analyse, effectivement, tous les entretiens ont été effectués sur les lieux de travail, ceux-ci
se prêtant bien aux conditions d’entretien. Cela nous permettait d’effectuer les entretiens
rapidement, de les faire pendant le temps de travail des professionnels et des usagers, de

30
mettre à l’aide les interviewés, ceux-ci étant en terrain connu. Selon Stéphane Beaud37, la
situation d’entretien est à elle seule, une scène d’observation qui donne des éléments
d’interprétation de l’entretien.

Pour prendre contact avec les personnes que nous souhaitions interroger, nous avons
chacun utilisé un mode d’accès indirect, c’est-à-dire que nous sommes passés « par
l’entremise d’un tiers, institutionnel ou personnel » 38 pour entrer en relation avec les
professionnels et les usagers. Il nous a semblé plus judicieux d’employer cette méthode
puisqu’elle permet de favoriser les chances d’acceptation d’une interview. Nous avons utilisé
cela pour nos entretiens effectués avec les professionnels et avec les usagers. Pour les
professionnels, nous sommes passés par les dirigeants des structures, quant aux usagers, nous
sommes passés par l’entremise de l’équipe pluridisciplinaire.

Il faut noter que les usagers des ESAT mixtes et traditionnels une moyenne d’années
de présence dans la structure élevée, la plupart des usagers restent toute leur vie en ESAT,
très peu dans ces ESAT sont insérés en milieu ordinaire, cela représente 1 personne tous les
deux ans. Ainsi, leur moyenne d’années de présence dans la structure est de 19 ans.
Contrairement à l’ESAT hors les murs où la moyenne de présence dans la structure est de 4
ans. La plupart des usagers en situation de handicap psychique interrogés ont eu une
expérience professionnelle ou au moins un diplôme avant d’être intégré à l’ESAT. C’est le
cas ici pour 14 usagers sur 18. La moyenne d’âge des usagers de l’ensemble des structures
est homogène, elle est de 44 ans pour les ESAT traditionnels, 37 ans pour l’ESAT mixte et
de 37.5 ans pour l’ESAT hors les murs.

Notre présentation dans les différentes structures :

Nous avons tous été reçus par les chefs d’établissements qui nous ont expliqué le
fonctionnement des structures respectives lors de réunions. A la suite de ce premier échange,
nous avons été introduits par les chefs de service ou moniteurs principaux auprès des
professionnels et des usagers, ces derniers expliquaient notre démarche, la recherche action
et notre collaboration avec le CREHPSY. Pour l’ESAT mixte, la présentation s’est faite dans

37
BEAUD Stéphane, L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’ « entretien
ethnographique », Politix, 1996, Vol 9, N°35, p. 226-257.
38
BLANCHET Alain, GOTMAN Anne. L’enquête et ses méthode : l’entretien. Paris, France, 2ème édition,
2013 p 58.

31
chaque atelier, à chaque fois la chef de service expliquait pourquoi nous étions là alors que
le moniteur arrêtait l’activité puis nous reformulions notre recherche par la suite. Pour
l’ESAT traditionnel, la présentation s’est faite de la même manière, c’est-à-dire dans chaque
atelier, par le moniteur principal, cependant les moniteurs n’arrêtaient pas l’activité, les
usagers restaient à leur place. Le cas de l’ESAT Hors Les Murs est plus particulier car les
usagers ne restent pas dans la structure, sauf pour les activités qui sont organisées en son
sein, de ce fait la rencontre avec les usagers s’est faite par la suite.

Pour cela, il est à souligner qu’à l’ESAT « Hors les murs », afin de favoriser l’apport
de témoignages sur la base du volontariat, la chef de service avait suggéré aux usagers
qu’étant donné la spécificité de sa structure concernant son approche du handicap psychique
« il serait bien de rendre compte que ce soit en positif ou en négatif des pratiques
novatrices dont ils ont pu bénéficier dans cette structure ». La chef de service emploi le
terme « pratiques novatrices» par rapport « à ce qui se faisait ailleurs ». Par contre, dans
les autres ESAT, à aucun moment les directeurs d’établissements n’ont mentionné le terme
« handicap psychique » en présentant notre enquête auprès des usagers afin de ne pas les
stigmatiser ou les mettre mal à l’aise. Nous étions là pour observer selon leurs termes «
Comment ça se passe …».

Ajoutons à cela, que le fait d’avoir été présentés à Bully-Noeux par le directeur lors
d’une réunion formelle puis par le moniteur principal et le directeur de la production a, par
conséquent, insufflé un caractère très formel à notre enquête sur ce terrain : les moniteurs,
lors des entretiens, ont, de ce fait, mesurer les mots qu’ils employaient pour expliquer leur
vision de l’ESAT. Ce dernier point vient, contraster avec la façon dont la chef de service de
l’ESAT de Saint Omer nous a présentés car cela s’est fait, aussi, sans évoquer le terme
handicap psychique mais de manière beaucoup plus « détendue », de manière moins formelle.
Ceci s’est, ensuite, ressenti dans nos entretiens avec les moniteurs d’ateliers que l’on sentait
beaucoup moins professionnels dans leur discours.

Pour tous les binômes, c’est à la fin de cette première présentation qu’un calendrier
concernant les observations en ateliers et les entretiens a pu être élaboré avec les directions.

L’organisation & conditions de l’enquête

Calendrier

32
Sur le terrain, étant 6, nous nous sommes répartis les ESAT, un binôme par ESAT, à
noter qu’un binôme s’est rendu 3 fois dans un ESAT complémentaire. Nous avons séparé
notre calendrier en deux : la première partie du calendrier (de janvier à mars, cette phase a
été plus brève à l’ESAT « hors-les-murs ») fut consacrée à l'observation et la seconde partie
aux entretiens (fin mars jusque mi-mai).

Observations et discussions informelles

A l’ESAT mixte, nous avons fait nos observations aux Ateliers de la Lys mais aussi
à la laverie de Bailleul, les professionnels ont été mis au courant de chacune de nos arrivées
sur le terrain. Le calendrier étant fixé à l'avance nous n'avons pas choisi les lieux
d'observation mais nous avons veillé à ce qu'ils soient variés, nous avons donc navigué entre
les différentes prestations dans les Ateliers de la Lys et nous avons eu l'occasion de partager
deux repas de midi, l'un avec les professionnels et l'autre avec les usagers. Lors des
observations nous avons travaillé avec les usagers comme eux le temps d'une journée, ce fut
l'occasion de conduire les premiers entretiens informels (avec les moniteurs et usagers), de
nous adapter à ce nouvel environnement ainsi que d'habituer les usagers à notre présence.

Dans les ESAT traditionnels, nous avons aussi observé différents ateliers, les
observations étaient réparties sur plusieurs jours. Nous nous sommes assis avec les usagers,
les discussions sont ensuite venues naturellement avec ces derniers. Ils nous expliquaient ce
qu’ils faisaient, leurs ressentis, l’occasion, comme avec l’ESAT mixte, de premiers
entretiens informels. Lors des observations, nous discutions beaucoup avec les moniteurs
d’ateliers, cependant ces derniers parlaient à voix basse, pour éviter que les usagers les
entendent, chose complétement différente à l’ESAT de Saint Omer où les moniteurs parlaient
de façon tout à fait libre. Nous avons, aussi, aidé les usagers lors des différentes observations,
cela leur permettait de plaisanter avec nous sur le travail effectué notamment.

Dans certains ateliers, les moniteurs ne souhaitaient pas que l’on s’installe avec les
usagers ou alors seulement sur des chaises qui ne leur étaient pas attribuées. Cela pour
montrer la différence entre le moniteur, ceux qui ont l’autorité, et les usagers. Tandis qu’à
l’ESAT de St Omer, nous pouvions circuler librement et s’installer avec les usagers sans que
cela ne pose problème. Des usagers nous ont même fait les visites d’atelier, notamment ceux
de métallerie et de menuiserie. Lors de ces observations, les moniteurs en ont aussi profité

33
pour nous présenter leur atelier, comment ces derniers fonctionnaient, ces discussions ont
souvent débouchées sur des entretiens informels ce qui nous a permis de récupérer des
informations pour notre enquête. Nous avons aussi, dans les deux ESAT traditionnels, eu
l’occasion de manger avec les professionnels et les usagers. Il faut savoir que les
professionnels ne mangent jamais avec les ouvriers, ils ont une table attribuée, dans la même
pièce ou dans une pièce séparée si cela le permet.

Dans l’ESAT Hors les murs, il nous a été possible de participer à des ateliers avec les
usagers, cependant il n’a pas été possible de discuter avec ces derniers. Le cadre ne permettait
pas d’engager la conversation, l’atelier pouvant se comparer à un cours.

Entretiens qualitatifs

Nous avons gardé le vouvoiement comme type de langage privilégié mais nous
n’hésitions pas à tutoyer les personnes lorsqu'on nous en faisait la demande.

À l’ESAT « Hors-les-murs » nous avons fait des entretiens, tout d’abord avec
l’équipe pluridisciplinaire, puis avec les usagers en situation de handicap psychique. Pour le
cas de l’ESAT traditionnel et de l’ESAT mixte on peut rajouter les entretiens avec les
moniteurs après ceux effectués avec l’équipe pluridisciplinaire. Cet ordre nous a permis de
comprendre sur ce terrain de quelle manière étaient accueillis les usagers, comment ils étaient
perçus par les professionnels et quelles pouvaient être les problématiques avec ces derniers.
Cela a, ainsi, facilité par la suite nos entretiens avec les différents usagers. Nous évitions
d’aborder le handicap psychique dès le début des entretiens afin de voir si les enquêtés
abordaient le sujet ou non par eux-mêmes.

Les entretiens ont, aussi, été prévus à l'avance à l’ESAT mixte avec la directrice
adjointe, concernant les professionnels nous nous sommes entretenus principalement avec
des moniteurs d'ateliers, et aussi avec quelques membres du service médico-social (une
psychologue et la chargée d'insertion). Concernant les usagers, nous avons uniquement fait
des entretiens avec des personnes en situation de handicap psychique, y compris de
l'épilepsie, en essayant de garder une parité hommes-femmes et en variant les prestations
(logistique, laverie, prestation A, B, etc.). Pour les entretiens avec les usagers, nous avons
été accompagnés par l'art-thérapeute qui était présente à tous les entretiens, pour mettre en
confiance la personne et avoir un débriefing à la fin de ceux-ci, remettant en perspective ou
non le discours de certains usagers.

34
Nous n'avons pas pu interroger des familles et ce, pour plusieurs raisons. La première
fut un manque temps, le terrain soulevait tant de questions que nous avons choisi de nous
focaliser sur ces dernières car traiter des familles aurait nécessité plus de temps. La seconde
est que parmi les usagers que nous avons interrogés, pour les ESAT traditionnels et mixtes,
peu avaient encore contacts avec leurs familles. De plus, ils avaient du mal pour la plupart
d'entre eux à évoquer leur maladie et, dans ces conditions, les questions sur la famille se
révélèrent infructueuses. Pour avoir un retour significatif sur les familles nous ne pouvions
pas nous contenter d'une ou deux familles. La troisième est une raison de méthode, en effet,
nous devions garder un point de vue qui proviendrait de situation familiales liées aux ESAT
étudiés, chercher des familles dans un autre cadre, ou uniquement des parents engagés aurait
biaisé l'enquête. Ceci était d’autant plus difficile que la famille n’est pas censée intervenir au
sein de l’ESAT, notamment dans l’ESAT « Hors-les-murs », dans leur processus
d’autonomisation et d’insertion jusqu’à la vie ordinaire. Il s’agit d’un cheminement
personnel même si la plupart des usagers de cette structure ont de bonnes relations avec leurs
proches.

35
PARTIE II - CONSTRUCTION ET MODALITES
D’APPROPRIATION DU HANDICAP PSYCHIQUE

A travers cette partie il s’agira de comprendre comment la catégorie du handicap


psychique s’est créée en repassant par l’histoire du handicap en général pour en comprendre
ses fondements. Nous aborderons pour cela la création des ESAT, auparavant CAT, qui sont
les premières structures à accueillir des personnes en situation de handicap ne pouvant
travailler en milieu ordinaire, leur but étant de protéger ces personnes et d’amener certaines
d’entre elles à s’insérer dans le milieu dit « ordinaire ». Cette émergence de la catégorie du
« handicap psychique » est marquée par des tensions importantes entre les psychiatres et les
associations de famille, dont l’accord commun a permis de parvenir à la reconnaissance du
handicap psychique dans la loi de 2005. Cependant il n’existe pas de définition consensuelle
du handicap psychique, la loi ne faisant d’ailleurs que le mentionner. Cette catégorie
opératoire, bien qu’elle ne soit pas destinée à être utilisée par les professionnels, va malgré
tout être mobilisée par les structures qui vont développer des modes d’appropriation
différents selon l’histoire, les valeurs de l’association et les enjeux institutionnels des ESAT.
Les professionnels, tout comme les usagers, vont donc s’approprier cette notion et
développer des conceptions différentes du handicap psychique dans la manière de le repérer
et d’en parler.

A. Institutionnalisation d'une catégorie complexe

Il nous semblait important, afin d’introduire notre analyse, de faire un point sur l’histoire
du handicap en général pour mieux comprendre le contexte français et la façon dont s’est
créée la catégorie du handicap psychique à travers les enjeux politiques et professionnels.
Nous nous appuierons pour cela sur des travaux socio-historiques liés au handicap, à
l’enfermement et à la pauvreté.

a) De l’infirme à la personne en situation de handicap

La prise en compte de la « personne » dans le champ du handicap est relativement récente

36
et découle des évolutions juridiques, sociales, politiques et culturelles. En effet, jusqu’à la
fin du XIXème siècle on ne va parler que d’infirmes et de malades, ils étaient d’abord
assimilés aux pauvres et vivaient de la mendicité. A la fin du XVème siècle, du fait de leur
accroissement, la mendicité devient répréhensible et tous ceux en capacité de travailler y
sont obligés, cependant, les malades et les infirmes gardent le droit à l’aumône. Puis on les
a enfermés ensemble à l’hôpital général créé en 1656, dans un souci marqué d’ordre social.

Il faut attendre les évènements de 1848 pour que les notions de droit au travail et
d’assistance à l’égard des infirmes s’inscrivent dans le débat politique. La Constitution du 4
novembre 1848 stipule, dans son article 8, que « La République doit protéger le citoyen dans
sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun
l’instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance fraternelle,
assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites
de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors
d’état de travailler »39.

A la fin du XIXème siècle apparait l’idée de réparation et de responsabilité collective


avec la loi sur les accidents du travail de 1898.

Enfin, c’est surtout après la première guerre mondiale que l’on observe un tournant
majeur, l’objectif de réintégration dans la société des invalides de guerre fait émerger les
concepts de réadaptation et de reclassement professionnel. Selon Henri-Jacques Sticker,
« C’est ici que l’on peut voir, précisément, la césure entre deux époques : le mutilé va se
substituer à l’infirme ; l’image de l’infirmité va devenir celle d’une insuffisance à compenser,
d’une défaillance à faire disparaitre »40. C’est aussi à cette époque que nait la notion de
« handicap », en référence à un terme anglais « hand in cap », qui signifie « main dans le
chapeau ». Celui-ci est utilisé dans les courses hippiques où, dans un souci d’égaliser les
chances des concurrents, les chevaux les plus forts sont chargés d’un poids supplémentaire
ou parcourent une distance plus importante. On désigne alors sous le vocable de
« handicapé » tout individu « diminué » et il convient de mettre en œuvre les actions de

39
Conseil Constitutionnel. Constitution du 4 novembre 1848. Paris. 1848. [en ligne] http://www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-constitutions-de-la-france/constitution-
de-1848-iie-republique.5106.html
40
STICKER Henri-Jacques, 2005, Corps infirmes et sociétés : Essais d’anthropologie historique, 3ème ed.,
Paris, Dunod, 253p.

37
rééducations leur permettant de trouver une place dans la société.

A partir de cette époque vont se créer des structures ou établissements de rééducation,


se développent aussi des aides financières aux handicapés et d’obligation aux entreprises.

De ces évolutions vont découler plusieurs lois 41 qui reconfigurent le champ du


handicap et des droits qui y sont associés. Tout d’abord, la loi du 23 juin 1957 affirme le
droit au travail ou au reclassement professionnel de tout travailleur handicapé. Elle va leur
donner une définition : « Est considéré comme travailleur handicapé pour bénéficier des
dispositions de la présente loi, toute personne dont les possibilités d’acquérir, ou de
conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une
diminution de ses capacités physiques ou mentales ». Elle va instaurer une priorité d’emploi
dans les entreprises, elle va définir le travail protégé et va créer un conseil supérieur pour le
reclassement professionnel et social des handicapés 42 . C’est le début du principe de la
discrimination positive à l’emploi des personnes en situation de handicap.

En 1967, 10 ans après, M. Bloch-Lainé publie un rapport prônant l’intégration des


personnes handicapées dans la société. Il est à l’origine des lois de 1975 et considère le
handicap comme étant la conséquence sociale d’une déficience ou d’une incapacité.

La loi du 30 juin 1975, d’orientation en faveur des personnes handicapées promeut


leur maintien chaque fois que possible en milieu ordinaire de vie43. Elle garantit les droits
fondamentaux des personnes handicapées et en particulier celui de travailler en créant la
Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel (COTOREP). Il n’y
a toujours pas de définition de la personne handicapée, Simone Veil, ministre de la santé
l’annonce devant le sénat le 3 avril 1975 : « Comme vous avez pu le remarquer, le texte ne
donne pas de définition du handicapé. Le gouvernement a choisi une conception très souple
et très empirique : sera désormais considérée comme handicapée toute personne reconnue
comme telle par les commissions départementales ». Les commissions vont donc faire un
classement des personnes, basé sur les atteintes d’organes ou de fonction. On ne fait aucune
mention des incapacités ou des désavantages sociaux.

41
DIDIER-COURBIN Philippe, GILBERT Pascale, « Éléments d'information sur la législation en faveur des
personnes handicapées en France : de la loi de 1975 à celle de 2005 », Revue française des affaires sociales
2/2005 (n° 2) , p. 207-227
42
Loi n°1957-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés.
43
Loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales.

38
Avec la 2002-2, la personne handicapée est reconnue actrice de son « projet
individualisé ». Les établissements médico-sociaux et services doivent donc s’adapter à
celle-ci en assurant, dans l’accompagnement mis en œuvre, le respect de ce projet. Elle va
inciter à diversifier les offres de service pour proposer une réponse individualisée aux
besoins des personnes et encourager les établissements à s’inscrire dans des pratiques de
réseau et de partenariat.

La loi du 17 janvier 2002 rappelle aussi la notion d’égalité des droits et de solidarité
nationale44 : « La prévention et le dépistage du handicap et l’accès du mineur ou de l’adulte
handicapé physique, sensoriel ou mental aux droits fondamentaux reconnus à tous les
citoyens, notamment aux soins, à l’éducation, à la formation et à l’orientation
professionnelle, à l’emploi, à la garantie d’un minimum de ressources adapté, à l’intégration
sociale, à la liberté de déplacement et de circulation, à une protection juridique, aux sports,
aux loisirs, au tourisme et à la culture constituent une obligation nationale » (CASF – Art.
11461). Et stipule le droit à la compensation du handicap : « La personne handicapée a droit
à la compensation des conséquences de son handicap quel que soient l’origine et la nature
de sa déficience, son âge ou son mode de vie, et à la garantie d’un minimum de ressources
lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante ».

Enfin la loi du 11 février 2005 rappelle l’ « l’égalité des droits, des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Elle réorganise les dispositifs
existants et instaure la Prestation Compensation du Handicap (PCH), elle crée les Maison
Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Ainsi les COTOREP sont remplacées
par les Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) par
fusion avec le Commission Départementales de l’Education Spéciale (CDES). On a en fait
regroupé les personnes adultes avec les enfants. Enfin, elle va reconnaitre l’existence du
handicap psychique, l’article 2 de la loi 2005-102 va insérer dans le Code de l’action sociale
et des familles (CASF) un article L114 qui définit le handicap : « Constitue un handicap au
sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en
société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération
substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé

44
Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.

39
invalidant. ». Un an après, en 2006, le handicap psychique obtiendra une reconnaissance
internationale avec la convention internationale de l’ONU pour la protection et la promotion
des droits et la dignité des personnes handicapées45.

François Chapireau montre que cette loi va révolutionner les représentations


concernant les personnes en situation de handicap. Les acteurs mobilisés dans le champ du
handicap vont désormais considérer l’existence simultanée de plusieurs plans sur lesquels
s’expriment les difficultés des personnes. Il s’agit de « placer la personne handicapée au
centre des dispositifs qui le concerne en substituant une logique de service à une logique
administrative ». Cela conduit à la rédaction pour chaque personne d’un plan d’aide
personnalisé, inscrit dans son projet de vie. Le plan repose sur une analyse des diverses
difficultés rencontrées par la personne et formule des aides coordonnées nécessaires à leur
compensation. La question du partenariat devient alors un enjeu central46.

b) Cadre législatif du travail en milieu protégé et mise en place de nouveaux dispositifs


d’accompagnement

Pour ce qui est du travail protégé, suite à ces lois, en 1950 est créé le Centre d’Aide
par le Travail (CAT), en 1954 seront créés les ateliers protégés et les centres de distribution
de travail à domicile en 1957. Ceux-ci vont être transformés en 2005 en ESAT et en
entreprises adaptées. Les ESAT découlent donc des CAT. Les ESAT, d’après David Sauzé47,
sont des établissements médico-sociaux qui accueillent des travailleurs handicapés dont les
« capacités de travail ne leur permettent pas, momentanément ou durablement, à temps plein
ou à temps partiel, de travailler dans une entreprise ordinaire ». Pour intégrer un ESAT,
outre la reconnaissance du statut de travailleur handicapé, une orientation spécifique est
nécessaire. Celle-ci est délivrée par les CDAPH (anciennement COTOREP), commissions
qui dépendent des MDPH (autre création de la loi 2005-102), guichet unique pour toutes les
demandes concernant le handicap. Les ESAT se doivent de mettre en œuvre « des activités

45
AMARA F., JOURDAIN-MENNINGER D., MESCLON-RAVAUD M., LECOQ G. (2011), La prise en
charge du handicap psychique, Paris, Inspection Générale des Affaires Sociales
46
CHAPIREAU François, « Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble
spécifiquement français », Socio-logos [En ligne], 9 | 2014, mis en ligne le 17 avril 2014.
47
SAUZE David, Reconnaissance du handicap psychique et intégration dans les structures d’aide par le
travail, Journal des anthropologues, 2010, p. 167-188.

40
à caractère professionnel » ainsi que des activités de « soutien médico-social et éducatif »
en relation directe avec le projet individualisé de l’usager. En contrepartie l’usager perçoit
une rémunération garantie comprise entre 55 et 110% du SMIC.

Il faut noter aussi que l’État a imposé des quotas en entreprise pour tenter de remédier
à la stigmatisation et à la méconnaissance de ce type de handicap.

Le pourcentage d’obligation d'emploi des travailleurs handicapés est, ainsi, de 6% :

« Tout employeur occupant au moins 20 salariés est tenu d'employer à plein temps
ou à temps partiel des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de
l'effectif total de l'entreprise. Les établissements ne remplissant pas ou que
partiellement cette obligation doivent s'acquitter d'une contribution à l'AGEFIPH,
le fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. »48

La loi de 2005, dans ses articles 4 et 11, a aussi permis la création et le financement
des Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) et de services spécialisés de soutien à domicile
dont peuvent bénéficier les personnes en situation de handicap psychique. Le but est celui
de la prévention mais aussi celui e la compensation du handicap49. Leur accès ne dépend pas
de la MDPH, il est personnel. Ainsi, 300 GEM ont pour objectif d’être créés sur le territoire
national. Ils ont pour vocation, entre autre, de devenir des associations de personnes souffrant
de troubles psychiques, qui se réunissent et s’entraident, pour lutter contre l’isolement et
organiser ensemble des activités visant tant au développement personnel, qu’à créer des liens
avec la communauté environnante. A la fin de 2009, 333 GEM fonctionnaient, et leur
financement s’est élevé à 24 millions d’euros.

Enfin, les personnes en situation de handicap peuvent percevoir l’Allocation aux adultes
handicapés (AAH), instituée en 1975, qui est un minimum social destiné à apporter une aide
financière aux personnes handicapées. Elle est attribuée sous conditions de ressources aux
personnes ayant un taux d’incapacité reconnu de 80% ou plus, aux personnes ayant un taux
d’incapacité supérieur à 50% mais inférieur à 80%, assorti d’une restriction substantielle et
durable pour l’accès à l’emploi. Les demandes d’AAH sont examinées par la CDAPH. Pour
les allocataires ayant un taux d’incapacité d’au moins 80%, il existe deux compléments non

48
Code du travail article L5212-1 à 5
49
BARRES Martine, « Les Groupes d'entraide mutuelle (GEM). Présentation du dispositif», Revue française
des affaires sociales 1/2009 (n° 1-2) , p. 205-208

41
cumulables : le complément de ressources qui constitue la Garantie de ressources des
personnes handicapées (GRPH) et la majoration pour la vie autonome (MVA). Il faut savoir
que les personnes qui ont une déficience d’origine psychique représentent 25% des
demandeurs d’AAH et 28% des AAH accordées, 4% des demandeurs de l’AAH sont en
situation de handicap psychique travaillant en ESAT et 9% travaillent en milieu ordinaire50.

c) L’émergence du handicap psychique : une lutte entre psychiatrie et associations


familiales

i. Une prise de conscience des désavantages sociaux

Pour en venir à la reconnaissance des personnes en situation de handicap psychique,


il faut savoir que la singularisation d’un handicap « psychique », c’est-à-dire lié à des
troubles psychiques, pose des problèmes spécifiques. Elle entre en contradiction avec une
conception universaliste qui considère que le handicap doit être qualifié à partir de ses effets
plutôt que de ses causes51. L’émergence du handicap psychique est, de ce fait, également
liée à des reconfigurations de la lutte contre les maladies mentales et plus largement des
politiques de santé mentale. Dès le début du XIXème siècle, l’idée que la maladie mentale a
un retentissement social qui appelle une réponse spécifique a profondément marqué la
pensée psychiatrique. C’est surtout au lendemain de la seconde guerre mondiale que les
psychiatres entament une réflexion nouvelle sur les désavantages sociaux liés aux troubles
psychiques. Ces personnes étaient jusque-là enfermées dans des asiles au plus loin de la ville,
et allaient devenir des malades chroniques dont la prise en charge est organisée par le secteur
psychiatrique après la deuxième guerre mondiale52. Cela comporte deux éléments importants,
d’une part, à défaut d’être guéris, les malades mentaux peuvent être réadaptés et garder ainsi
une « valeur sociale », et d’autre part, parce que la maladie mentale affecte la personne dans
sa globalité, le handicap qui en découle est une composante de la maladie, dont il ne peut
être dissocié.53

50
« Les personnes souffrant d'un handicap psychique : Allocation aux adultes handicapés et emploi. Données
de cadrage», Revue française des affaires sociales 1/2009 (n° 1-2), p. 95-98
51
RAVAUD J.-F. (1999), « Modèle individuel, modèle médical, modèle social : la question du sujet »,
Handicap. Revue de sciences humaines et sociales, n° 81, p. 64-75.
52
ESCAIG Bertrand (2009), « Le handicap psychique, un handicap caché, un handicap de tous les
malentendus », Revue française des affaires sociales, n°1-2, p. 83-93.
53
HENCKES N (2009), « Les psychiatres et le handicap psychique, De l’après-guerre aux années 1980 »,
Revue française des affaires sociales (n°1-2), p. 25-40.

42
Les champs du handicap et de la psychiatrie se sont développés en même temps mais
de manière différente depuis les années 1950. Ils ont tous deux été marqués par une réflexion
sur les conséquences des pathologies sur la vie en société et par une croissance et une
diversification des moyens pour aborder ce problème. Cependant, le handicap découlant de
la maladie mentale n’est pas devenu une composante du handicap en général.

Comme le précise Pierre Vidal Naquet dans un dossier intitulé « Qu’est-ce que le
handicap psychique », jusque dans les années 70 les psychiatres préféraient soigner les
personnes en situation de handicap psychique dans des établissements spécialement conçus
pour eux. Pour eux, le retour des malades mentaux dans le monde commun risquait de
compromettre leurs chances de guérison. D’où le fait qu’elles n’étaient pas prises en compte
dans les lois pour les personnes en situation de handicap. Cependant cette idée va faire l’objet
de plus en plus de critiques. Une profonde mutation des soins en psychiatrie va ainsi s’opérer
avec le mouvement « désaliéniste » de l’après-guerre, qui a soutenu le développement des
pratiques psychiatriques hors les murs et confronté l’ensemble de la société aux
problématiques de l’insertion des « malades mentaux »54. L’asile est, selon le mouvement
de l’antipsychiatrie, peu pathogène car il installe durablement la maladie. On va donc
chercher de plus en plus à éviter la « désocialisation asilaire » et la « chronicisation » de la
maladie et promouvoir les soins de proximité. Effectivement, « les familles et l’entourage
ont dû accueillir et accompagner les patients dans des conditions parfois si difficiles que
certains ont parlé de fardeau. Les patients, de leur côté, ont mesuré l’importance de
s’appuyer sur des dispositifs collectifs pour favoriser leur autonomie et accéder à une
position citoyenne d’usager. » 55 L’hospitalisation a ainsi diminué depuis, ce mouvement
ayant bousculé le dialogue entre les professionnels, les usagers et les familles qui s’est
transformé, en divisant le nombre de patients hospitalisés par trois. La situation est ainsi
devenue favorable à la reconnaissance officielle du droit des personnes ayant des troubles
psychiques à bénéficier elles aussi des mesures d’aide prévues par les lois sur le handicap :
« On a pu constater un changement culturel avec le passage de l’assujettissement au
partenariat, avec une nouvelle philosophie de la qualité des soins au service de l’usager. »56

54
BERTRAND Louis, CARADEC Vincent, EIDELIMAN Jean-Sébastien, « Devenir travailleur handicapé.
Enjeux individuels, frontières institutionnelles », Sociologie 2/2014 (Vol. 5), p. 121-138
55
Ibidem.
56
Ibidem.

43
ii. Une longue reconnaissance de la catégorie du handicap psychique

Traditionnellement, la vocation première des ESAT est d’accueillir principalement


les personnes atteintes d’un handicap « mental ». Cependant en 2008 Gérard ZRIBI,
président et fondateur de l’Association Nationale des Directeurs et Cadres des Centres
d’Aide par le Travail (ANDICAT) militant pour l’insertion des personnes en situation de
handicap, estime que dans les ESAT « environ 80% des personnes accueillies sont affectées
d’un handicap psychique »57. Ce constat se traduit au niveau national et tend à se renforcer
depuis que la loi de 2005 a défini le handicap psychique et, ce faisant, a entrainé la
reconnaissance et l’orientation de ces personnes en ESAT.

La reconnaissance tardive de leur statut a plusieurs explications :

 La nature même du handicap psychique, par son caractère « invisible » a rendu


difficile le fait de les désigner.

 Les professionnels de la psychiatrie ont longtemps été réticents à « enfermer » les


malades dans un statut de « handicapé » afin de ne pas les stigmatiser de manière
définitive. Effectivement, le champ du médico-social s’est construit en parallèle du
champ sanitaire, où officient la majorité des psychiatres, ils ne se sont de ce fait pas
construits selon les mêmes valeurs ou idées.

Aujourd’hui encore il n’y a pas de définition précise, il se détermine par les


caractéristiques de ce handicap et par les besoins spécifiques qui en découlent pour les
personnes qui en sont atteintes.

Le cheminement jusqu’à la reconnaissance de 2005 relève de plusieurs facteurs selon


René Baptiste58 :

 La modification internationale de la notion de handicap.

 La prise en compte de la difficulté à vivre en société des personnes handicapées


psychiques

57
ZRIBI Gérard, L’avenir du travail protégé : Les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes
handicapées. Editions Presses E.H.E.S.P. France. Décembre 2012. 120 pages.
58
BAPTISTE René, Reconnaitre le handicap psychique : développer et améliorer la réinsertion sociale et
professionnelle des personnes psychiquement fragiles, Chroniques sociales, 2005, 165p.

44
 La transformation des méthodes de soins psychiatriques (on est passé de
l’enfermement à l’inscription dans la vie sociale). C’est seulement vingt-cinq ans
après la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées que les psychiatres
vont accepter comme un fait inévitable l’existence des structures médico-sociales
dans le champ du handicap et les collaborations qui en découlent. Dès la loi de 1975,
les missions de la psychiatrie de service public ont commencé à se modifier : elles
sont davantage centrées sur les soins de courte durée. Elle va aussi s’organiser de
plus en plus en fonction de groupe cibles, comme vont en témoigner la création de
nombreuses structures intersectorielles et de « structures innovantes », toutes
destinées à des ensembles particuliers de malades59.

 Et surtout l’action des familles et notamment de l’association Union Nationale de


familles et amis de personnes malades handicapées psychiques (UNAFAM) et de
professionnel pour revendiquer la reconnaissance d’un statut pour elles. La stratégie
de l’UNAFAM et de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers en
Psychiatrie (FNAP-Psy) s’est mise en place autour de l’année 2000, pour améliorer
le sort des personnes souffrant de troubles psychiques graves et durables. D’après
François Chapireau60, cela va reposer tout d’abord sur une analyse de la situation.
On n’accorde plus ou très peu de crédits supplémentaires dans le domaine sanitaire
qui est de plus en plus encadré. De ce fait on va demander des fonds dans le domaine
médico-social, dont le développement n’est pas achevé. Les associations vont donc
situer l’action sur le terrain du handicap. L’objectif pour les associations va être de
« faire exister une population » qui sera caractérisée par sa différence par rapport à
celle des handicapés mentaux.

Les associations vont chercher à donner une définition distincte entre le handicap psychique
et mental pour démontrer que le handicap psychique concerne une population à part :

Handicap mental Handicap psychique


Capacité intellectuelle Limitée Préservées

59
CHAPIREAU François, Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble
spécifiquement français, Socio-logos, n°9-2014.
60
CHAPIREAU François, Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble
spécifiquement français, Socio-logos, n°9-2014.

45
Troubles cognitifs possibles
(volonté, perception, pensé,…)
Soins Marginaux Très présents
(Hors soins somatiques) A vie
Variabilité des Faible Importante et difficile à

manifestations  Solutions durables anticiper


 « Allers-retours »

Perception du handicap Visible Souvent invisible


Tableau présenté par le CREHPSY lors d'une sensibilisation au handicap psychique

Ce tableau montre la volonté des associations de distinguer le handicap psychique du


handicap mental de façon claire et précise. On peut voir que le critère d’incertitude dans
lequel vont se trouver les patients, même après les crises, a pour double fonction de s’opposer
à la fixité supposée du handicap mental et de souligner la nécessité d’un accompagnement
lui-même souple et variable en réponse au handicap psychique.

iii. L’alliance des psychiatres et des associations de famille

C’est aussi une vaste alliance avec les psychiatres qui a permis au militantisme d’être
beaucoup plus important, elle va s’inscrire dans la publication d’un document commun. En
2001 va paraître le Livre blanc des partenaires de Santé mentale France. L’UNAFAM et la
FNAP-PSY sont entourées de presque toutes les organisations psychiatriques d’envergure :
l’Association française de psychiatrie, le Comité d’action syndicale de la psychiatrie, la
Conférence nationale des présidents des Commissions médicales d’établissements de CHS,
la Fédération d’aide à la santé mentale Croix-Marine, la Fédération française de psychiatrie
et la Ligue française pour la santé mentale. Les psychiatres privés et les universitaires seront
absents. Le fait que les associations organisées autour de l’autisme soient absentes dans cette
mobilisation aboutira au fait que les troubles psychiques reconnus concerneront uniquement
la schizophrénie et les troubles délirants.

Trois objectifs seront annoncés par les signataires : il s’agit de : « faire exister la
population des personnes souffrant de handicap psychique dans la cité, informer la

46
collectivité sur la vraie nature de ce handicap appelé « psychique » et sur les risques qui lui
sont liés, et d’aider les responsables du social dans la cité et ceux qui vont répartir les
ressources disponibles et les validations officielles, à faire en sorte que les droits des
personnes en cause soient mieux protégés ». C’est ce document qui va officialiser, dans le
champ du handicap, la distinction entre le handicap mental et le handicap psychique61.

Par la suite, conformément à la revendication des deux associations, la ministre de la


famille, Ségolène Royal va demander à un parlementaire, Michel Charzat, de lui rendre un
rapport sur la question, ce qu’il fait en mars 2002. Le rapport va présenter une synthèse des
avis des experts consultés mais aussi préparer l’appropriation de ses conclusions par la
ministre. Il fait sienne la distinction entre handicap mental et handicap psychique, qui va
permettre de faire exister une population. Les constantes du handicap psychique définies par
le rapport sont les suivantes : la stigmatisation, la méconnaissance, la crainte, la souffrance
de la personne, la fragilité, la vulnérabilité, l’isolement, la rupture du lien social, la variabilité,
l’imprévisibilité, la durabilité, l’évolutivité, le poids des traitements et la souffrance et la
charge de la famille et de l’entourage.

Cette victoire des associations militantes pour la reconnaissance du handicap psychique


représente une garantie de pérennité, un atout déterminant lors des demandes ultérieures de
financement, face aux réticences habituelles du ministère du budget. Elle confère aussi une
plus grande visibilité au handicap psychique. La mention des troubles psychiques dans la
définition légale du handicap permet une action pédagogique d’ampleur et donc un meilleur
accès aux prestations et services existants. Pour ce faire, il a toutefois été nécessaire
d’instaurer un nouveau « groupe cible » : la « catégorie » d’usagers en situation de handicap
psychique. Il comporte aussi en lui-même ses propres limites, à savoir la stigmatisation liée
à la catégorie du handicap, c’est-à-dire le fait de créer un clivage sociétal dans le fait de
vouloir absolument (con)fondre le patient en situation de handicap psychique dans le milieu
« ordinaire », tout en revendiquant de manière quasi militante sa singularité et sa différence
comme sujet « pas ordinaire » 62 . A cela s’ajoute également la lourdeur des démarches
nécessaires à l’obtention des droits afférents auprès des MDPH.

61
CHAPIREAU François, Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble
spécifiquement français, Socio-logos, n°9-2014.
62
BOUCHERAT-HUE Valérie, PERETTI Pascale, COURTY Bénédicte, « La notion de handicap psychique :
un levier politicosocial « à la française » !... », L'information psychiatrique 8/2011 (Volume 87), p. 668-676

47
d) Le handicap psychique : une définition non consensuelle

Le handicap concerne les conséquences d’une maladie sur la vie quotidienne : des
difficultés à faire des démarches administratives, dans le maintien et l’accès à l’emploi et à
l’habitat. Concernant la schizophrénie par exemple, la personne ne souffre pas seulement de
ses symptômes, mais également du fait de ne pas pouvoir participer à des activités
professionnelles ou de loisir, avoir des amis ou une relation de couple63. C’est un handicap
qui a ses particularités : « Une forte liaison avec le médical car il est la conséquence de
maladies psychiques évolutives comme les psychoses ou les troubles du comportement, c’est
un handicap variable, car des états psychiques calmes ou tendus alternent d’un jour à l’autre,
quelquefois dans la même journée, conduisant à des capacités variables dans le temps,
souvent avec une grande fragilité et une angoisse prête à monter à la moindre complication.
Et ce sont enfin des personnes avec un potentiel intellectuel certain, qui en fait des personnes
« comme nous », avec les mêmes désirs, les mêmes exigences, les mêmes ambitions, mais
hélas, pas les mêmes moyens. Ils sont aussi relativement « cachés » au premier regard, ce
qui en fait un « handicap de tous les malentendus. »64

Il apparait difficile de proposer une définition communément admise. Les enjeux


autour de cette notion sont pluriels et entrent en tension. Ils vont en effet diverger selon les
acteurs, selon qu’ils appartiennent au secteur médico-social, sanitaire ou associatif.

De plus, les deux classifications de l’OMS ne contribuent pas à clarifier la notion


française de handicap psychique car elles sont très différentes l’une de l’autre. La première
rédigée par des médecins épidémiologues est centrée sur l’amélioration des dispositifs d’aide
et de soins qui restent organisés selon la définition antérieure, c’est-à-dire en fonction de
groupes cibles basés sur les atteintes d’organes et de fonctions. La seconde est fortement
influencée par le mouvement militant des disability studies65 et centrée sur les obstacles à la
participation créés par l’environnement. En effet, l’Union Européenne considère le handicap

63
PROUTEAU Antoine, GRONDIN Olivier, SWENDSEN Joël, Qualité de vie des personnes souffrant de
schizophrénie : une étude en vie quotidienne, Revue française des affaires sociales, La Doc. Française,
2009/1, n°1-2, p 137-155.
64
ESCAIG Bertrand (2009), « Le handicap psychique, un handicap caché, un handicap de tous les
malentendus », Revue française des affaires sociales, n°1-2, p. 83-93.
65
ALBRECHT Gary L., RAVAUD J.-F., STICKER Henri Jacques, L’émergence des disability studies : état
des lieux et perspectives, In : Sciences sociales et santé, Volume 19, n°4, 2001, p43-73.

48
comme un concept social et met l’accent sur les obstacles environnementaux. Elle entérine
de ce fait une évolution conceptuelle, d’une notion médicale du handicap à une notion sociale
qui revient à définir le handicap non pas comme inhérent à la personne mais comme les
obstacles que celle-ci rencontre en raison des difficultés d’accès dans son environnement66.
La France quant à elle se base encore sur la première classification de l’OMS et sur le
concept de « groupes cibles », qui est le fait de faire exister une nouvelle population, basée
sur les atteintes d’organes et de fonctions.67

Malgré la taille de la structure qui est conséquente et le fait que les personnes en situation
de handicap psychique soient nombreuses, elle a encore du mal à percevoir la réalité du
handicap psychique, ce qu’il engendre : « Chaque personne handicapée psychique est
différente, il faut agir au « cas par cas », on ne sait pas quand la personne va avoir une
crise,… » (Jean-Pierre, moniteur d’un ESAT traditionnel). Tout ceci a pu être constaté lors
de nos observations dans les différents ESAT, les professionnels ne semblent pas s’accorder
sur des pratiques professionnelles similaires : chacun a sa manière de fonctionner avec les
usagers, de réagir face aux crises ou d’appliquer les règles.

La notion de handicap psychique n’a pas été créée pour devenir une notion opératoire
utilisée par les professionnels mais pour ouvrir plus largement le champ du handicap au
niveau administratif. Il faut un travail important des associations, telles que le CREHPSY,
pour rendre la notion utilisable et compréhensible pour les professionnels. Effectivement, on
voit aujourd’hui que le handicap psychique peut faire « peur » 68 dans certains cas aux
professionnels mais aussi aux personnes handicapées mentales. De plus, malgré le discours
des associations, l’interpénétration de la pathologie mentale, pour certaines de ses formes,
avec le handicap psychique est étroite et il est le plus souvent illusoire de vouloir chercher à
opérer un cloisonnement étanche entre le patient traité et la personne handicapée, en
particulier en raison de la variabilité fréquente des troubles qui est à l’origine d’une grande
fluctuation dans les capacités d’intégration sociale de la personne atteinte69. Les ESAT et les

66
COHU Sylvie, LEQUET-SLAMA Diane, VELCHE Dominique, « Les politiques en faveur des personnes
handicapées dans cinq pays européens », Revue française des affaires sociales, 2005/2 (n°2), La Doc.
Française, p9-33.
67
CHAPIREAU François, « Le handicap psychique : la construction sociale d’un nouveau trouble
spécifiquement français », Socio-logos, n°9-2014.
68
D’après un entretien avec une monitrice éducatrice.
69
AMARA F., JOURDAIN-MENNINGER D., MESCLON-RAVAUD M., LECOQ G. (2011), La prise en
charge du handicap psychique, Paris, Inspection Générale des Affaires Sociales.

49
professionnels travaillant au plus près de ces personnes apportent chacun des réponses
différentes en fonction leurs valeurs et de leurs représentations. Ceci est applicable aux
ESAT traditionnels et mixtes qui existaient avant la création de la catégorie du handicap
psychique, cependant le handicap sera vu différemment de la part des ESAT hors les murs
qui ont étés créés après la loi de 2005. Ils ne semblent pas s’inscrire dans la même culture
d’établissement que les autres ESAT, et se sont construit en parallèle à cette nouvelle
catégorie, leur philosophie et leur rapport au handicap seront ainsi différents. On retrouve
dans ces établissements une volonté de créer une catégorie de personnes en situation de
handicap psychique stabilisé et une volonté d’insertion dans le monde ordinaire très
développée avec une manière de faire qui sera la même pour tous les professionnels. Ils
tentent de développer un nouveau mode d’insertion des usagers en situation de handicap
psychique.

Il faut souligner aussi le fait que les données actuelles ne permettent pas d’appréhender
précisément la réalité du handicap psychique en France, les données parcellaires pouvant
recenser un certain nombre de pathologies sans toutefois prendre la mesure exacte du type
et du degré de handicap. Alors que les enquêtes réalisées en population générale soulignent
qu’environ 30% des français seraient concernés par un problème plus ou moins grave de
santé mentale (troubles anxieux, de comportements, de l’humeur, ou liés aux addictions)70,
il reste impossible de déterminer la part des personnes dont l’altération psychique entraîne
un handicap réel. Les associations estiment que 1% de la population française serait touchée
par un trouble psychique pouvant entraîner un handicap. 71 Ce chiffre reste toutefois à
nuancer étant donné le fait que le handicap psychique reste difficile à cerner, à définir et à
repérer.

Ainsi, malgré les recherches qui ont été faites sur le handicap psychique, il reste encore
difficile de donner une définition précise et consensuelle de ce qu’est ce handicap psychique.
Nous allons de ce fait essayer de comprendre comment les structures et les professionnels
enquêtés s’approprient ce nouveau type de handicap, afin de trouver leur propre définition.

B. Modalités d’appropriations et effets performatifs du handicap psychique

70
Ibidem.
71
Ibidem.

50
Dans cette partie nous tenterons de comprendre les effets performatifs de l’arrivée de
cette nouvelle population au sein des ESAT étudiés et ses différentes particularités. Par la
suite, nous dresserons une typologie des modes d'appropriation de la catégorie handicap
psychique, puis nous expliciterons les différentes conceptions et approches du handicap
psychique selon les ESAT enquêtés. Enfin, nous nous attacherons à décrire les diverses
manières de parler de son handicap.

a) Particularités d’une nouvelle population aux « compétences différentes »

i. L'arrivée de la population en situation de handicap psychique dans les ESAT

La loi de 2005 a conduit à une évolution du public accueilli en ESAT dits


« traditionnels », il s'agit des ESAT prenant en charge traditionnellement des personnes en
situation de handicap mental ou des personnes en situation de handicap physique. Ces ESAT
n’ont pas encore tous l’autorisation d’accueillir des personnes en situation de handicap
psychique, néanmoins cela commence à évoluer.

Une directrice adjointe de l'ESAT mixte étudié, Dorothée, montre qu’ « En ce moment,
on en entend parler partout du handicap psy. Je pense qu’il y a une conscientisation
nationale. Je pense que d’autres centres vont se centrer uniquement sur le handicap
psychique. » Il existe donc une volonté de prendre en charge l’accompagnement des
personnes en situation de handicap psychique. Les dernières lois ont permis de faire évoluer
les représentations liées aux personnes en situation de handicap psychique dans le milieu du
travail, notamment dans la manière de penser et de travailler avec les usagers en situation
de handicap psychique. La loi de 2002, par exemple, introduit le terme usager pour nommer
les personnes accueillies.

De plus, il est important de mentionner que les ESAT accueillaient déjà des personnes
en situation de handicap psychique, néanmoins celles-ci n’étaient pas appréhendées comme
telle. En effet, « dès leur ouverture en 1999 ils ont accueillis des personnes ayant des
difficultés psychiatriques avec parfois des troubles relevant de soins importants » 72 .

72
Rencontre avec Beulné Thierry, et Wolff Marc, Propos recueillis par Chobeaux François, « Le
travail en ESAT », VST - Vie sociale et traitements 4/2015 (N° 128), p. 30-33

51
Cependant depuis la loi de 2005, nous observons dans les statistiques l’arrivée massive de
personnes en situation de handicap psychique. Aussi d’après l’Agence Nationale de
l’Evaluation et de la qualité des établissements et Services sociaux et Médico-sociaux
(ANESM), le handicap psychique au sein des ESAT représente 19% des pathologies
principales. De plus, le rapport précise que « les courbes actuelles signifient que les
nouveaux entrants sont bien plus fortement atteints de handicap psychique »73. Dorothée le
confirme :

« Quelque part, des personnes en souffrance psychique, on en a depuis un bout de


temps mais de façon très isolée. Quand je suis arrivée en 2000, sur 10 dossiers en attente,
on avait 2 personnes en souffrance psychique et 8 en déficience intellectuelle. Maintenant,
sur 10 personnes, on va avoir deux déficients intellectuels, 5 en souffrance psychique, 2 avec
des problématique d’addiction, un trauma crânien, un autisme et un avec un problème
organique. »

Un moniteur, Bertrand, établit le même constat : « Oui. On voit plus de personnes


handicapées psy. On le voit dans les nouveaux travailleurs qui arrivent ou les jeunes qui
viennent en stage. Mais ça fait quelques années qu’on voit ça déjà. ». Cette nouvelle
population est également caractérisée par des compétences spécifiques.

ii. Une population avec des caractéristiques spécifiques


En effet, il faut noter que les personnes en situation de handicap psychique ont
généralement suivi un parcours professionnel en milieu ordinaire avant d’intégrer les ESAT.
En cela, elles diffèrent des personnes en situation de handicap mental dont le parcours est
plus institutionnalisé. Effectivement, 37% 74 de la population en situation de handicap
psychique accueillis dans l'ESAT traditionnel étudié possède un niveau CAP, ou a effectué
des études supérieures. A ce sujet, une référente en insertion professionnelle, Christelle,
déclare :

« Là en me remémorant les dernières entrées que j’ai pu faire, je me rends compte

73
Document de l’ANESM.
Document de l’ESAT traditionnel sur l’Unité d’insertion Socio Professionnelle pour Personnes malades
74

Psychiques, 2015.

52
qu’on a effectivement des personnes qui entrent, sauf certaines personnes qui viennent
d’IME, avec un parcours en milieu professionnel en milieu ordinaire ou avec éventuellement
des stages ou des formations. Il y en a une qui a fait un BTS secrétaire de direction, il y en
a qui ont fait des petits boulots de vendeur. On n’est plus du tout sur des gens forcément en
difficulté par rapport aux connaissances, à la mémorisation ».

Les personnes en situation de handicap psychique sont alors décrites comme une
nouvelle population aux compétences différentes, ces compétences nécessitent alors une
adaptation des postes. A ce sujet, lorsque les postes ne sont pas adaptés nous avons observé
que cela était susceptible de créer des tensions, les individus ne trouvent pas leur place au
sein des ateliers. Nous remarquons également que les personnes en situation de handicap
psychique sont relativement autonomes, la plupart d'entre elles se considèrent aptes à vivre
seules ou en couple. Ces personnes possèdent le permis de conduire, et certaines d'entre elles
déclarent avoir une vie sociale en dehors de l’ESAT. « Je vis dans un appartement en
location. J’y vis seule. Je me rends à l’ESAT en voiture, j’ai le permis » ou encore « En
dehors de l’ESAT, je fais du jardinage, de la cuisine, du nettoyage. J’ai d’autres loisirs : le
théâtre. J’en fais dans un club depuis 9 ans. Ça m’aide à parler. J’ai juste un copain avec
qui je fais du théâtre. Sinon, je préfère être seul.[…] Je fais du badminton aussi quand je
peux, j’aime bien. Le médecin n’aime pas car j’ai mal au dos ». Toutefois cela est à nuancer
car nous nous sommes entretenus avec des usagers bénéficiant d'une mesure de protection
juridique des majeurs (curatelle et tutelle). De plus, certains usagers sont également dans une
situation d'isolement social.

L’orientation générale de la loi du 11 février 2005 vise à construire l’autonomie


relationnelle des personnes reconnues comme handicapées. Ainsi les usagers ont recourt à
l’équipe pluridisciplinaire lorsqu'elles doivent procéder à la réalisation de démarches
administratives :

« Quelle relation vous avez avec l’équipe médico-sociale?


Bah ils sont toujours là pour nous aider hein, heureusement, on est protégé,
on s’occupe de nous.
Vous les voyez de temps en temps ?
Bah bien sûr, je dis quand je veux les voir, je pourrais voir Chantale ou
Elodie. S’il y a un papier que je ne comprends pas c’est eux qui m’aident, ils

53
sont toujours là pour aider hein, ouais hein, pour moi c’est important après
quand je serais à la retraite ce sera différent, il faudra que je me débrouille
avec elle (sa copine) »

Ainsi la conseillère en économie sociale et familiale de l'ESAT hors les murs étudié
nous indique : « Moi je suis là pour accompagner les personnes sur le plan administratif et
financier, les usagers n’hésitent pas à m’interpeller quand ils se sentent en difficulté.
L’important est qu’ils sachent venir me voir s'ils ont besoin d’aide et pas forcément qu’ils
sachent le faire par eux-mêmes. » Il est de ce fait nécessaire de maintenir une palette d’offres
adaptées à la spécificité du handicap psychique.

iii. Les effets de la mixité des publics en ESAT

L'ouverture des ESAT au handicap psychique introduit une mixité au niveau des
types de public accueilli. Nous avons observé que cette mixité au sein des ateliers créait des
situations particulières au sein des ESAT. Celle-ci peut engendrer des effets positifs. Il existe
par exemple des complémentarités au niveau des compétences dans les équipes de
production. Les moniteurs d’atelier cherchent alors pour les personnes en situation de
handicap psychique, des postes qui correspondent au mieux à leur besoin et compétences.
Chaque usager présente, en effet, différents niveaux d’efficience professionnelle :

« Il faut trouver la capacité de chacun à faire une action. […] Il faut savoir juger à
quel moment il faut arrêter de pousser la personne même si le but est que la personne sorte
travailler en milieu ordinaire […] dès que l’on sent une difficulté ils ne savent plus rien
faire. »

Des liens de solidarité se créent également entre les différents usagers. Un moniteur,
Gérard, explique que « les usagers vont s’entraider dans les difficultés à réaliser une tâche,
quand la personne est embêtée dans les transports en commun, etc… ». Le psychologue de
l'ESAT mixte étudié montre que « le positionnement des travailleurs est souvent respectueux
et bienveillant ». Un usager explique:

54
« Ça se passe bien hein, de toute façon moi je réponds bien, je les accepte, comme
un autre, qu’ils ont un handicap ou quoi, il ne faut pas non plus se moquer. Moi quand j’étais
au foyer il y en avait aussi qui étaient dans le même cas donc je sais comment parler quoi ».

De plus, il existe une crainte des personnes en situation de handicap d'être assimilées
aux individus en situation de handicap mental, comme en témoigne Brigitte : « quand je les
vois dans le bus, ils font du bruit, se font remarquer, j'suis pas comme ça moi, le handicap
psychique y'a pas de déficience ». Une autre usagère explique que certaines personnes en
situation de handicap mental « ne comprennent rien », c'est l'une des raisons pour laquelle
elle a décidé de quitter l'ESAT dans laquelle elle travaillait. A l'inverse, selon la directrice
adjointe de l'ESAT mixte étudié, les usagers déficients intellectuels déclarent parfois : « je
ne suis pas fou », en se comparant aux usagers en situation de handicap psychique. Il existe
une méconnaissance de la part des usagers sur les particularités de chaque type de handicap.
Celle-ci peut rendre difficile la tolérance à l'égard des difficultés de chacun.

Des tensions peuvent également exister entre les usagers, « parfois il faut déplacer
les personnes en cas de tensions entre les travailleurs. Le but est que les travailleurs se
sentent bien au travail. ». Ces tensions peuvent être provoquées par les conséquences du
handicap psychique :

« Des fois on voit des tensions avec les travailleurs. Les handicapés psy avec leur
traitement ont souvent besoin de se reposer et les autres travailleurs ne comprennent pas
toujours ça. […] Certains dorment sur la table tellement ils ont un train d’enfer et c’est
compliqué à gérer. »

Les tensions sont également provoquées par des facteurs extérieurs au type de
handicap comme l'absence de tâches à effectuer : « dans les périodes où il y a peu de travail,
c’est dans ces moment-là que des disputes apparaissent. C’est compliqué de gérer
l’inactivité. Mais quand tout le monde est au travail, je trouve que les relations sont
nettement meilleures. ».

Certains moniteurs sont défavorables à la mixité au sein des équipes. Jean-Pierre,


moniteur de l'ESAT traditionnel étudié, considère que les niveaux d’intelligence ne devraient
pas être « mélangés ». Il évoque la mise à l'écart d'un usager en situation de handicap
psychique. Celui-ci, possédant une culture générale très développée, est surnommée

55
« monsieur je sais tout » par les autres usagers. Il semble, selon le moniteur : « ne pas trouver
sa place dans l’atelier ». Les usagers en situation de handicap psychique peuvent aussi
« faire peur », une monitrice s'exprime à ce sujet : « Le handicap psychique fait peur. On en
a quelques-uns ici. Si ils ont une crise on ne sait pas comment faire. Leur comportement est
moins stable que les autres ». Le cas de Luc montre bien également comment un usager en
situation de handicap psychique peut perturber le travail des autres usagers ayant eux une
déficience mentale :

« Lui il est vraiment difficile, il arrive à faire péter les plombs à 4 moniteurs en même
temps. Il va venir s’amuser, il va prendre un balai et venir dire à tout le monde « vous voyez,
je travaille. Les autres (usagers) ils en ont marre, ils crient. »

Dans cette partie, nous constatons que les ESAT portent une attention accrue à la
population en situation de handicap psychique. Avant la loi de 2005, les personnes en
situation de handicap psychique étaient déjà accueillies, dans une moindre mesure, au sein
des ESAT. Néanmoins, ces personnes n'étaient ni appréhendées ni définies à partir de leur
handicap. De plus, cette population possède des caractéristiques spécifiques, elle est
relativement autonome, et dispose de compétences différentes de celle de la population en
situation de handicap mental. Ces nouvelles compétences rendent nécessaires une adaptation
des postes au travail. Enfin, elle introduit une mixité dans les équipes de production, des
liens de solidarités et de complémentarités peuvent se créer entre les personnes en situation
de handicap psychique et ceux en situation de handicap mental. Il existe également en
parallèle, une volonté de la part des individus en situation de handicap psychique de ne pas
être assimilés aux individus en situation de handicap mental.
Après avoir explicité les particularités de cette population, il s'agit à présent de
comprendre comment les professionnels des ESAT étudiés s'approprient la catégorie
complexe du handicap psychique, cette catégorie définissant ce nouveau public accueilli.

b) Typologie des modes d'appropriation de la catégorie du handicap psychique

Dans cette partie, il s'agit d'expliciter les modalités d'appropriation de la catégorie


handicap psychique en dressant une typologie. Cette catégorie est plus ou moins efficiente

56
selon les ESAT, elle couvre différents degrés d'appropriation, de la non-appropriation à la
construction de l'identité de l'ESAT à partir de celle-ci. Nous analyserons alors les différents
modes d'appropriation des ESAT de la catégorie handicap psychique. Puis nous étudierons
les conceptions du handicap psychique relatives à chaque ESAT.

Selon la sociologue Dominique Schnapper une typologie n’est pas une simple
classification, celle-ci est le fruit d’une interprétation de la réalité qui a pour objet «
d’élaborer la logique des relations abstraites qui permet de mieux comprendre les
comportements et les discours observés et donne une nouvelle intelligibilité aux interactions
sociales ».75 Il s’agit d’un moyen et non d’un but pour comprendre les interactions sociales,
et qui porte sur des situations ou des relations. Elle est élaborée à partir de « types idéaux »,
concept de Max Weber qu’il conviendrait de traduire selon la sociologue par « idée » ou «
type idéel » afin d’éviter les confusions avec les termes de « norme » ou d’« idéal ». En effet,
le type idéal est « un tableau simplifié et schématisé de l’objet de recherche […] 76 . »
Dominique Schnapper précise plus loin : « Je parlerai de « type idéal » ou d’« idéaltype »
pour désigner l’élaboration d’un concept ou d’une « individualité historique » et de «
typologie » pour désigner l’analyse de plusieurs types idéaux.»77 Le concept qu’incarne le
type idéal en simplifiant et en clarifiant le réel nous aide à mieux le comprendre. Il faut,
aussi, souligner que l’appartenance à un type idéal n’est pas figée, une situation peut évoluer
d’un type idéal à un autre. En confrontant les analyses, nous avons pu élaborer une typologie
des modes d'appropriation de la catégorie handicap psychique.

i. La position indifférenciée ou la non-appropriation

Dans l’ESAT traditionnel où nous avons mené nos recherches, nous constatons que les
moniteurs ont des difficultés avec la notion de handicap psychique, comme en témoigne
Gérard moniteur magasin-logistique :

75
SCHNAPPER Dominique, La compréhension sociologique, Quadrige/Presses Universitaires de France,
1999 p.141
76
Ibid p.17
77
Ibid p.18

57
« Je sais bien, physique, ça se voit, mais psychique... C'est un grand mot, qui
déploie pas tout, on est devant un arbre généalogique, on a le mont de feuille, et on ne
sait pas toutes les branches, où ça peut ouvrir […] Pour moi le handicap psychique
comme on dit, c'est vague, c'est un mot, c'est vague, voilà. ».

Le handicap psychique semble être une notion floue pour les moniteurs et les référents
professionnels de cet ESAT. Ces moniteurs possèdent d'ailleurs une formation très succincte
au handicap psychique. Nombre d'entre eux sont demandeurs d'une formation plus
approfondie afin de mieux maîtriser cette catégorie : « Moi, c'est ce que je vais demander
(une formation), pour pouvoir qu'on m'explique, enfin qu'on éclaircisse ce mot ''psychique''
dans ma tête, parce que pour moi... Qu'est-ce qui mettent là-dedans ? Ça veut rien dire pour
moi ''psychique'' ». On constate qu'il existe également parfois une confusion entre les
publics :

« Ici on a plus de personnes psychique que physique, mais si vous prenez du


« psychique » et du « psychique bagarreur »... Des personnes qui ne veulent pas
entendre raison, on en a pas mal, après on a des personnes qui font des crises
d’épilepsie, c'est pas du psychique, c'est plus du maladif. On les mets où ? On les trie
comment ? Comment ils sont triés ? Ces personnes, on les mets sur quelle grille ? C'est
pas évident à comprendre ».

La notion de handicap psychique comme catégorie imposée nécessite alors d'opérer


un tri dans les populations accueillies, tri qui ne s'effectuait pas auparavant. Au sein de cet
ESAT mixte il existe une résistance à réaliser un étayage des populations, ainsi qu'à employer
cette notion comme en témoigne Dorothée, la directrice adjointe : « Le handicap psychique,
on s’en fout quelque part. Le tout c’est comment on adapte et quel partenaire on va prendre
pour agir au plus juste dans l’intérêt de la personne ». De plus, certains moniteurs d’atelier
s'interrogent sur la pertinence de la présence en ESAT des personnes en situation de handicap
psychique. Ce nouveau public soulève des incompréhensions. Ces personnes vont plutôt être
considérées par exemple comme paresseuses ou caractérielles. 78 De plus, les moniteurs
insistent sur le fait que les usagers sont tous des travailleurs, ce critère fonde alors leur

ESCAIG Bertrand (2009), « Le handicap psychique, un handicap caché, un handicap de tous les
78

malentendus », Revue française des affaires sociales, n°1-2, p. 83-93.

58
identité : « Quel que soit le travailleur, pour moi, ils sont tous pareils. ». Ainsi, ce n'est pas
le handicap psychique qui apparaît comme un critère pertinent pour définir les usagers mais
le fait qu'il exerce la même activité. Cela peut être dû à la culture professionnelle de l'ESAT,
celle-ci accordant une importance au fait d'identifié les usagers en tant que travailleurs. Il
s'ensuit que dans cette structure, les personnes en situation de handicap psychique ne sont
pas identifiées comme telles. La référente insertion professionnelle, Christelle, s'exprime à
ce sujet : « Je n’ai pas en ma possession la connaissance du profil ou du handicap de chaque
personne. C’est le secret médical. » Cette méconnaissance peut impacter le travail de
l'individu comme elle en témoigne par la suite :

« Ce qui me met le plus en difficulté, c’est quand un employeur me demande des


informations. Par exemple, on a eu des stages organisés par la Mairie. L’équipe, méfiante
au début, m’a demandé le handicap de la personne. J’étais embarrassée. Moi je sais que s’il
est chez nous c’est qu’il y a un problème mais je ne connais pas forcément le type de
problème. Alors j’essaie d’en référer à la psy de l’ESAT, qui ne va pas forcément me donner
des détails précis, mais des pistes de réflexion, des préconisations. »

Néanmoins, on constate que l'identification se fait de manière informelle, en observant


la « stabilité » ou l'absence de stabilité du comportement des individus. Les professionnels
se donnent ainsi des repères mais cela reste assez incertain : « Frédéric c'est plutôt... ». Par
exemple, l'art thérapeute confie avoir remarqué que Nathalie, une usagère de l'ESAT, fait des
crises toutes les trois semaines, elle l'explique par le fait que son traitement prendrait fin, ce
qui l'amène à en conclure qu'elle doit avoir un problème psychiatrique. Un autre moniteur
témoigne de cet état de fait : « Frédéric c’est plutôt un handicap psychique. Lui n’a pas de
déficience, il ne supporte pas la pression. C’est pas déficient, j’ai du mal à trouver mes mots.
Dom je crois qu’il doit être schizophrène, il entend des voix. ».

Le handicap psychique est alors appréhendé au cas par cas comme en témoigne les
extrait suivant : « Le handicap psychique c’est vraiment du cas par cas. » (Bertrand,
moniteur d'atelier en ESAT mixte). Il s'agit également de s'adapter quotidiennement au
handicap de la personne :

« On a peu de formations. [...] Je peux vous dire que les formateurs nous ont répondu
qu’il n’y a pas de solution. Il y a tellement de maladies psychiques. Au fur et à mesure, on

59
apprend à connaître la personne, on sait petit à petit comment réagir et comment se
positionner. Puis, la solution qu’on a trouvée peut fonctionner aujourd’hui et le lendemain
non. Il faut s’adapter. » (David, moniteur principal)

A ce propos, la directrice adjointe déclare que le handicap psychique consiste à «


trouver des outils pour essayer d’adapter au mieux en fonction de chaque situation. ». Cette
idée de gérer au cas par cas se retrouve également dans les propos de la psychologue :

« Alors il n'y a pas une règle et une façon de faire, il y a des personnes avec handicap
psy que je n'ai jamais rencontré, parce que les choses sont bien cadrées, les soins c'est à
l'extérieur, et ils viennent travailler ici […] des personnes qui ont eu besoin de cloisonner,
et moi je vais pas m'imposer parce que c'est leur façon de gérer. »

Comme nous l'avons vu, cette notion a été créée pour « faire exister une population »,
une population pour laquelle il faut proposer des solutions. Or, on se rend compte que les
moniteurs peinent à s'approprier cette notion pour plusieurs raisons. Dans un premier temps,
nous nous rendons compte qu'il existe un manque de connaissance sur le handicap psychique
et sa prise en charge, qui laisse les moniteurs démunis, et les contraint à agir au cas par cas.
Dans un deuxième temps, nous remarquons que le handicap psychique en tant que catégorie
peut entrer en concurrence avec la culture même de l'ESAT. En effet, cette structure pose le
principe d'égale considération entre tous « les travailleurs ». La notion de handicap
psychique vient opérer un tri dans l'unicité du terme « travailleurs », et vient imposer un
traitement différencié qui entre en dissonance avec la culture de cet ESAT. On constate alors
une volonté de maintenir cette unicité entre les travailleurs, d'où la position indifférenciée
de cet ESAT mixte sur la catégorie handicap psychique.

ii. La position ambivalente

Dans l'ESAT traditionnel étudié, on observe des similitudes avec l'ESAT mentionné
plus tôt, au niveau des pratiques des professionnels, néanmoins la position de l'ESAT quant
au handicap psychique est tout à fait différente.

Les moniteurs sont également contraints de deviner les handicaps des usagers : « le
handicap, on le voit petit à petit », c'est à travers le comportement de la personne qu'ils

60
parviennent à le catégoriser : « Ils [les handicapés psychiques] sont plus soupe au lait […]
plus émotifs ou bien même colériques » ou encore « on le voit à son comportement [un
handicapé psychique] ». Cette approche par le comportement peut s'expliquer notamment
par le fait que l’association accueillait déjà cette population avant que la notion ne s'impose
comme catégorie de penser avec la loi de 2005. Catherine, chef de service de l'ESAT exprime
d'ailleurs cet état de fait : « Avant 2005 on ne le savait pas, on considérait ainsi les personnes
psy comme ayant un trouble du comportement. ». On constate alors que la notion de handicap
psychique s'impose comme une nouvelle catégorie pour penser ce qui existe déjà. Ainsi, dans
cette structure, l'approche reste la même, les individus sont appréhendés à partir de leur
comportement. Pour les moniteurs, il s'agit avant tout de s'adapter :

« Dans mon atelier, c’est l’atelier où les gens vont le plus souvent aider en cuisine, je
sais qu’il y a des personnes, si je leurs dis ça à 1h30 pour aller à 1h30 en cuisine, elles
partent tout de suite en cacahuète. Par contre si le matin je leur présente bien la chose, si je
leur dis, bon je vais avoir besoin de personnes en cuisine, si quelqu’un veut bien y aller
aujourd’hui, il me le dit au cours de la matinée » (Pierre, moniteur d’atelier).

Il existe également chez certains moniteurs un paradoxe entre l'idéologie qui consiste
à ne pas traiter les individus et les handicaps différemment, qui pourrait s'expliquer par le
fait que la population était avant indifférenciée, et leur pratique, comme en témoigne un
moniteur :

« Je ne me comporte pas différemment avec eux qu’avec les autres, comme ça ils
voient bien que c’est les mêmes règles, pour tout le monde […] je suis plus attentif ! Mais
ça ne se voit pas, disons que quand je suis à mon bureau, j’écris mais j’écoute en même
temps, il faut savoir faire les deux pour bien voir les relations qu’ils ont ».

De manière générale, nous avons observé que les moniteurs gardent un œil plus
attentif aux personnes en situation de handicap psychique. Ils évoquent également une
inconstance chez ces personnes contrairement aux personnes en situation de handicap mental
qui sont, elles, relativement constantes. « Un jour tu parles bien avec (la personne
handicapée psychique) et le lendemain elle fait une crise et il faut tout recommencer, on

61
repart de 0 »79. On se rend compte que les moniteurs de l’ESAT ne savent pas comment agir
avec le handicap psychique. En parallèle, l'ESAT tente de mettre en place des dispositifs,
notamment avec l'unité spécifique aux personnes en situation de handicap psychique.
Néanmoins, malgré cette volonté de prendre en charge le handicap psychique, le secteur
médico-social ne partagerait pas l'information sur le handicap des individus. Nous verrons
en effet que les moniteurs ne connaissent pas toujours les raisons pour lesquelles ces
personnes sont amenées à exercer en milieu protégé que ce soit à cause du secret médical ou
du refus de l’usager de l’énoncer. Avec ce nouveau public, les moniteurs déclarent alors avoir
besoin de plus de communication avec les équipes pluridisciplinaires. Cela permettrait d’«
éviter bien des désagréments »80. En effet, c'est uniquement au moment des réunions de
synthèse, qui ont lieu tous les cinq ans en moyenne, que les différents professionnels se
rencontrent de manière formelle pour discuter du projet de la personne et de son orientation.
Chacun expose l'accompagnement qu'il a mené au cours des cinq dernières années et c'est
principalement à cette occasion que l’ensemble des « référents » de l’usager ont un temps
spécifique pour échanger autour du parcours de l’usager et obtenir des précisions sur les
questions qu’ils se posent (traitement, attitude au travail, fatigabilité…). On pourrait faire
l’hypothèse que se rejoue au sein des ESAT la déconnexion entre le champ sanitaire et le
champ médico-social.

Il existe donc un décalage entre la politique de l'ESAT qui souhaite mettre en place
des dispositifs spécifiques réservés aux personnes handicapées psychiques, à savoir de
différencier les handicaps grâce à une unité spécifique dédiée à ce public, et la pratique qui
requiert peu de connaissances sur le handicap chez les moniteurs et un manque de
communication entre le secteur de la production et le secteur médico-social.

Cette position ambivalente peut s'expliquer par le fait que l'ESAT se situe dans un
« entre deux » ; entre les pratiques antérieures à l'apparition de la catégorie handicap
psychique, et la nouvelle politique actuelle apparue en réponse à loi de 2005 qui consiste à
s'approprier cette nouvelle catégorie en prenant en charge la population en situation de
handicap psychique, notamment avec l'ouverture de l'unité psychique.

79
Moniteur d’atelier d’un ESAT traditionnel (métallurgie).
80
Moniteur d’atelier d’un ESAT traditionnel (Pierre).

62
Afin de comprendre davantage cette position, nous pouvons nous appuyer sur les
concepts de l’identité héritée, de l’identité agie et l’identité désirée développés par Jean-
Marie De Ketele en l'appliquant, non pas aux individus, mais à l'institution. Ces identités
fondent l'identité personnelle de la personne, elle fonde dans notre cas, l'identité de
l’institution :

« L’identité héritée est le produit de l’histoire du sujet. […] Il est possible d’avancer
que l’identité héritée structure tout le développement personnel du sujet. […] L’identité agie
est celle qui se dégage de l’agir de la personne dans un contexte donné, avec ses
caractéristiques, ses normes, ses contraintes, ses ressources. À travers l’identité agie,
l’identité héritée se traduira sous de nouvelles formes et permettra au sujet de poursuivre
son processus de construction. Façonnée pour une grande part par l’identité héritée et les
identités agies, l’identité désirée est un des moteurs du développement personnel et de la
construction identitaire, car elle pousse le sujet à être autant que possible ce qu’il voudrait
être. »81

Le mode d'appropriation ambivalent peut alors s'expliquer en mobilisant ces


concepts. Ces identités font écho à diverses pratiques. L'identité héritée renvoie aux
pratiques antérieures à l'apparition de la notion handicap psychique. Les ESAT accueillaient
traditionnellement des personnes en situation de handicap mental. Les travailleurs étaient
appréhendés selon leur comportement et non pas selon leur handicap. Les structures ne
faisaient pas de différenciation entre les individus qui composaient cette population.
L'identité agie quant à elle renvoie aux pratiques présentes, qui oscillent entre les pratiques
liées à l'identité héritée et celles liées à l'identité désirée de la structure. Ce tâtonnement
s'exprime plus particulièrement chez les moniteurs. Ainsi, Laurence explique que certains
moniteurs « se (basent) par rapport au vécu et à leur expérience. Mais c'est une expérience
en milieu extérieur ». Elle précise qu'elle tente pour sa part d'allier son expérience
professionnelle dans le secteur de l'entreprise et de la production, afin de transmettre des
savoirs techniques aux usagers, à ses aspirations professionnelles dans le champ du médico-
social, développées notamment durant la formation au Certificat de qualification à la
fonction de moniteur d'atelier (CQMA), et qu'elle tente de faire correspondre avec les

81
DE KETELE Jean-Marie, « La reconnaissance professionnelle : ses mondes et ses logiques », in Anne
Jorro et al., La professionnalité émergente : quelle reconnaissance ?, De Boeck Supérieur « Perspectives
en éducation et formation », 2011, p. 13

63
fonctions qu'elle s'est vue attribuer. Enfin, l'identité désirée renvoie au positionnement
politique de l'ESAT et à la volonté prendre en charge le handicap psychique, notamment en
créant une unité handicap psychique. Cette identité s’immisce progressivement dans les
pratiques des professionnelles.

iii. La pleine adhésion : l’ADAPT et la construction du handicap psychique stabilisé-


type

L'ESAT Hors les murs sur lequel nous avons mené notre recherche-action accueille des
personnes qui sont exclusivement en situation de handicap psychique. Les membres de
l'association parlent plus précisément de « handicap psychique stabilisé ». Pour comprendre
ce que signifie cette expression, il faut s'intéresser aux critères d'entrée dans la structure. Ils
sont les suivant :

 Habiter dans la métropole lilloise

 Savoir lire, écrire et compter

 Signer la convention tripartite

 Etre motivé à travailler en milieu ordinaire

 Accepter de parler de son handicap en entreprise

 Ne pas avoir de « comorbidité associée »

Il n'existe pas de définition du handicap psychique stabilisé dans cette association,


néanmoins ces critères d'entrée permettent d'estimer si le handicap de l'individu est stabilisé
ou non. A cela s'ajoute des critères plus informels : les personnes qui ont été récemment et
de manière régulières hospitalisées, et celles qui ne prennent pas leur traitement, ne font pas
partie de la catégorie des handicapés psychiques stabilisés. L'importance est également mise
sur la capacité à parler de son handicap, selon la neuropsychologue certaines personnes ont
été réticentes à « l'idée qu'on puisse même aborder le mot handicap [...] c'est pour cette
raison qu'ils ont décidé d'ajouter ce critère ». Les comorbidités associées quant à elles
désignent d'autres formes de handicap qui pourraient s'ajouter au handicap psychique, le
handicap mental par exemple (hormis certains handicaps physiques, une personne mal

64
voyante est actuellement dans la structure). Ce qui diffère par exemple des autres ESAT, où
le public accueilli est pluriel, moins cloisonné et défini comme en témoigne la psychologue
d’un ESAT traditionnel :

« On a des personnes pour qui… bon on a des personnalités un peu borderline et on en


a qui certes avaient un problème de déficience mais qui ont développé aussi des
problématiques psychiques mais c’est un trouble secondaire pour nous. […] Ensuite on a
des gens qui avaient un déficit psychique au départ mais il a laissé de telles traces que
derrière, plus qu’un retard ou un dysfonctionnement ils sont vraiment tombés dans la
déficience. Donc après on en a quelques-uns pour qui, qui sont très peu nombreux, qui ont
uniquement un déficit psychique, sans déficience intellectuelle derrière mais pour autant
leur jugement est altéré mais ce n’est pas de la déficience intellectuelle, c’est de l’altération
de jugement, d’analyse, des problèmes de dissociation mais on n’est pas,… ».

Ainsi, nous remarquons qu'il existe des interactions complexes entre handicap psychique
handicap mental. Au sein de l’ESAT Hors les Murs, le CMP opère à présent le tri, la
neuropsychologue précise à ce sujet : « ils ne nous envoient plus des gens qui ne sont pas
stabilisés, ils savent qu'ils vont perdre leur temps, faire naître de faux espoirs chez ces
personnes ». La CESF ajoute également : « Les personnes, elles ont moins de difficultés et
on a plus de facilités parce qu'au niveau de nos critères, on s'est un peu affinés. […] Je sais
qu'au début où j'étais là on a fait pas mal de réorientations en ESAT traditionnel ». Ainsi les
critères de cette structure se sont « affinés au niveau des compétences, au niveau de
l'environnement social, au niveau de la maladie ».

On se rend alors compte que l'association opère une sélection dans la population des
personnes atteintes de handicap psychique. En ce sens, les pratiques de l'association diffèrent
fortement de celle de l’ESAT mixte étudié. Les usagers accueillis dans cette association
représentent donc une partie très restreinte de la population en situation de handicap
psychique. Leur handicap renverrait au handicap psychique type, cloisonné, non associé à
un handicap mental, et défini en termes de conséquences qu'entraîne la maladie mentale dans
le quotidien et au travail. Ce handicap est également défini comme stabilisé : cette catégorie
construite renvoie à un ensemble de caractères essentiels qui définissent le handicap
psychique stabilisé type. Ainsi l'établissement adhère pleinement à la catégorie handicap
psychique, puisque cette catégorie est au cœur de l'identité de l'association. A ce titre, on

65
remarque que la catégorie handicap psychique donne lieu à un nouveau type d'ESAT : les
ESAT hors les murs spécialisés dans le handicap psychique dont fait partie l’établissement
sur lequel nous nous sommes centrés.

c) Des conceptions et des approches des personnes en situation de handicap psychique


différentes

Les conceptions du handicap psychique et les approches des personnes en situation


de handicap psychique varient selon les structures, mais aussi selon le statut professionnel
des personnes interrogées pour certains ESAT.

Pour les moniteurs de l'ESAT mixte, le handicap psychique résulterait de


l'environnement familial dans lequel a évolué l'individu durant son enfance (« manque
d'amour des parents », d'attention, etc.) ou d’un accident de la vie (maladie, événements
traumatiques). Néanmoins, ils ne vont pas nécessairement différencier handicap psychique
et handicap mental.

Il existe différentes formes d’indifférenciation au sein de cet ESAT. Une


indifférenciation qui consiste à ne pas connaître la différence entre les différents types de
handicap, ce qui est le cas pour de nombreux moniteurs. Une indifférenciation qui réside
dans le fait de ne pas souhaiter différencier les formes de handicap pour ne pas faire de
différence entre tous les « travailleurs », qui résulte de la culture professionnelle de l'ESAT.
Ces deux formes d’indifférenciation renvoient au mode d'appropriation indifférencié de la
catégorie handicap psychique dont nous parlions plus tôt. Ces formes d'indifférenciation ont
pour conséquence une troisième indifférenciation, qui consiste à ne pas vouloir faire de
différences entre les « travailleurs », cette dernière impose alors un traitement indifférencié
entre les usagers. C'est pourquoi, nous avons alors choisi de nommer cette approche du
handicap l'approche indifférenciée.

De plus la conception du handicap psychique varie selon les professionnels. En effet,


pour la psychologue le handicap psychique désigne les conséquences de la maladie mentale :

66
«Y'a pas de définition qui existe, au niveau de la loi 2005 le nomme, sans le définir, et
donc c'est vrai que si on veut trouver des définitions, bah elles n’existent pas, après pour
moi tel que je vois le handicap psychique, je suis vraiment dans l'approche où l’on parle de
situation de handicap. […] Le handicap psychique c'est les conséquences pour la personne,
de la maladie mentale qui va affecter à la fois ses facultés cognitives, ses compétences
sociales, sa vie affective, la manière d’interagir avec l'autre, avec le monde et ses
perceptions aussi, on voit souvent des personnes qui ont des perceptions « décalées » par
rapport à la réalité, tout ça c'est dans notre accompagnement. ».

On constate alors qu'il existe un décalage entre la conception du handicap psychique


chez les moniteurs de l'ESAT et celle de la psychologue, qui quant à elle est semblable à
celle de la neuropsychologue de l'ESAT hors les murs. Toutes deux précisent qu'il n'existe
pas de définition du handicap psychique dans la loi et le définissent comme la conséquence
d'une maladie psychiatrique.

Pour l’ESAT hors les murs étudié, les professionnels s'accordent tous pour penser que
le handicap psychique est une conséquence de la maladie dans la vie personnelle et
professionnelle de la personne. L'association cherche à prendre en charge l'individu à partir
des conséquences plurielles de son handicap, à la fois dans le travail et dans la vie
quotidienne. Nous appellerons donc cette approche, l'approche globale. La personne est
également reconnue comme un citoyen « comme les autres » qu'il faut inclure dans la
société. Cette prise en charge prend en compte les multiples difficultés rencontrées face au
handicap, différents ateliers sont alors proposés qui concernent divers aspects de la vie des
individus. Il existe par exemple des ateliers de cuisine, de socio-esthétique etc. Pour
Edouard, l'ancien chargé de relation d'entreprise, de nombreux aspects de la vie des usagers
sont « déséquilibrés », il s'agit alors de normaliser ces aspects : prendre soin de soi et bien
se présenter en entreprise, bien manger, entretenir son corps, etc. A ce titre l'analyse de
Myriam Winance peut nous être utile :

« Le terme « handicap » utilisé en France à partir des années 1950, recouvre cette
représentation et ce traitement de « l'infirme », comme « individu à réadapter ». Emprunté
au domaine du sport, et plus précisément au turf, il renvoie directement à l'idée d'égalisation
des chances. En sport, pour qu'une compétition soit intéressante elle doit opposer des

67
concurrents de force égale ; on impose donc un handicap, un désavantage à certain
concurrent. Cette métaphore est reprise dans la sphère de la justice sociale. Il s'agit de
repérer ceux qui sont handicapés (désavantagés), de les classer, en différentes catégories
(handicapés physiques, mentaux...) de mettre en place des techniques pour les normaliser et
pour leur permettre de retrouver une place dans la société « des valides » (avoir les mêmes
chances que les autres de gagner la courses). »82

En ce sens dans cette ESAT, il s'agit de repérer les personne en situation de handicap
psychique par un tri très sélectif, de mettre en place des ateliers destinés à normaliser certains
aspects de la vie de ces individus, pour leur permettre de retrouver une place dans la société.
Il s'agit d'appréhender la personne comme « un individu à réadapter », mais en parallèle la
société doit également s'adapter au handicap de l'individu, notamment dans le monde de
l'entreprise en mettant en place des postes adaptés. L'ADAPT impose alors une double
injonction : l'individu s'adapte à la société par un travail de normalisation et la société
s'adapte à l'individu en étant plus flexible sur ses propres normes (flexibilité du poste au
niveau des horaires, du rendement, etc., par exemple).

Dans l’ESAT traditionnel étudié, on observe des similitudes entre le discours des
moniteurs et celui de la psychologue dans la conception du handicap psychique. En effet,
dans ces ESAT les moniteurs considèrent le handicap psychique comme une maladie, en
parallèle la psychologue décrit le handicap en terme de maladie mentale : « N : Et c’est quoi
comme type de handicap ? P : Schizophrénie, des bipolaires, des névroses phobiques,
dépression, une psychose délirante, psychose infantile qui a laissé des séquelles. ». Il n'y a
pas de distinction entre handicap psychique et maladie mentale.

« Comme le confirme la loi de février 2005, les personnes dont les fonctions
psychiques sont altérées ne sont plus assignées au seul statut de malade. Sous réserve de la
stabilisation de leur maladie, elles peuvent aussi prétendre au statut de personne handicapée
et par conséquent au droit à compensation des conséquences de leur handicap. Or, un tel
schéma, envisageable dans ses grands principes, ne va pas de soi. Les frontières entre la
maladie mentale et le handicap psychique demeurent en effet particulièrement poreuses.
Certes, il est devenu habituel de rappeler qu’il y a lieu de ne pas confondre la maladie d’une

82
WINANCE Myriam. Handicap et normalisation. Analyse des transformations du rapport à la norme dans
les institutions et les interactions. In: Politix, vol. 17, n°66, Deuxième trimestre 2004. pp. 204.

68
part et le handicap psychique qui est la conséquence stabilisée de la maladie. Or, une telle
distinction n’est pas si claire que cela car, à la différence de beaucoup de pathologies
somatiques, la maladie mentale n’est perceptible qu’au travers de ses manifestations. Ce
sont les troubles du comportement qui sont les révélateurs de la maladie. Mais en tant qu’ils
sont « conséquences » de dysfonctionnements psychiques ces mêmes troubles
comportementaux attestent aussi de l’existence du handicap psychique. »83

Ainsi, la notion de handicap psychique impose un double statut aux individus, le statut
de malade et le statut de handicapé. Il existe alors parfois confusion entre les statuts. On
remarque d'ailleurs que l'accompagnement des moniteurs s’appuie sur les connaissances
empiriques qu'ils ont acquises à partir de l'observation des comportements et des attitudes
des usagers. Dans leur discours, ils n’attribuent pas ce comportement à leur handicap
psychique mais davantage à leur « caractère » comme en témoigne l'extrait suivant : « Ils
sont plus soupe au lait [les handicapés psychique), ils partent plus au quart de tour que
d’autres.» (Pierre, moniteur d’atelier) ou encore : « Quand elle fait une crise elle est
désagréable, elle a un fort caractère. » (Véronique, monitrice d’atelier à l’ESAT). On
désignera alors cette approche du handicap, l'approche par le comportement. On va chercher
à déceler les troubles du comportement chez la personne, ces troubles vont renvoyer à un
caractère supposé ou à une maladie mentale supposée.

d) Parler de son handicap

Le récit du parcours de vie nous renseigne sur la façon dont les individus parle de leur
handicap. Il existe différentes manières de parler de son handicap chez les usagers des ESAT :
nier son handicap, oblitérer son handicap, valoriser son handicap. Ces façons de parler de
son handicap renvoient à un contrôle de l'information sociale effectué par l'individu.

Goffman distingue les stigmates visibles des stigmates invisibles. Lorsque le stigmate
est invisible, l'individu peut essayer de le dissimuler pour ne pas être discrédité. La question
est alors de savoir s'il doit dissimuler ou non son stigmate, avec quelle personne et dans
quelle situation. Si la personne choisit de dissimuler son stigmate, elle doit alors développer

83
VIDAL-NAQUET Pierre A., « Maladie mentale, handicap psychique : un double statut
problématique », Vie sociale 1/2009 (N° 1) , p. 14

69
des stratégies dans ce but. Il s'agit du contrôle de l'information.

i. Nier son handicap

Certaines personnes ne justifient pas leur entrée dans l'ESAT par leur handicap, ou
par des difficultés mais par un besoin de travailler, comme en témoigne Serge:

« Déjà moi je n’ai pas de handicap, je suis quelqu’un qui pouvait travailler ailleurs,
autre que dans l’ESAT mais…. J'aurai pu travailler dans les entreprises, je sais lire, écrire,
compter, je suis autonome, c’est pas comme ci j’étais quelqu’un avec une charrette, je
pouvais travailler ailleurs pour gagner plus quoi, j’ai été a pôle emploi mais pas de
nouvelles, vous êtes trop vieux, je n’ai pas insisté. »

Ou encore : « J'avais du mal à trouver du boulot et ils m'ont conseillé de m'orienter


devant un ESAT » (Sandrine, usagère). Ces individus vont refuser d'être étiquetées comme
personne en situation de handicap. Elles vont définir le handicap à partir de déficiences
moteurs et non mentale ou psychique : « Donc pour vous le handicap c’est quand vous êtes
en fauteuil ? Alain : Voilà, pour moi c’est ça, ce n’est pas autre chose. Quand on est comme
moi, normal, pour moi je n’ai pas de handicap. », ce même usager expliquera un peu plus
loin : « Mais vous ne vous reconnaissez pas la dedans ? [en parlant des personnes en
situation de handicap] Non non […] Il y a des gens ils sont en incapacité de travailler ailleurs
quoi ici […] Ce n’est pas spécialement un ESAT pour les handicaps, heureusement qu’il y
avait ça parce que sinon je n’aurais jamais trouvé de travail ». Ainsi, certains individus
cherchent à dissimuler leur handicap en le niant, soit en expliquant qu'ils ne font pas parti de
cette catégorie, soit en montrant qu'ils ont intégré l'ESAT uniquement en tant que travailleur.
Enfin, ils vont parler d'eux même en se référant à la catégorie des « normaux ».

ii. Oblitérer son handicap

Certaines personnes vont quant à elle oblitérer leur handicap. Elles ne vont pas se
considérer comme handicapées. Elles vont alors parler du handicap des autres individus. Un

70
usager évoque par exemple les « handicapés lourds » et les « malades mentaux », pour
lesquels il faut apporter de l’aide et vis-à-vis desquels il faut se montrer compréhensif : « Moi
monsieur Claudet [l'ancien directeur] il m’avait dit qu’il fallait rester calme et tout parce
que ici tu sais c’est un ESAT y’a des handicapés lourds ». Un autre usager évoque également
les personnes en situation de handicap mental : « C'est pas leur faute en fait [...] c'est la
diversité […] on doit pas faire de différence ».

Une autre usagère parle plutôt de ses problèmes de santé plutôt que de son handicap
psychique. Elle cherche à substituer son handicap pour un autre perçu comme moins
stigmatisant. Cela relève d'une des stratégies identifiées par Erving Goffman. En générale,
les personnes parlent des conséquences de leur handicap en termes de caractère et de
comportement : « j'suis lent », « j'suis un peu nerveux ». Les individus ne cherchent pas à
nier leur handicap, ils n'en font tout simplement pas mention, et s'attardent sur celui des
autres.

iii. Minimiser son handicap

D'autres encore vont évoquer leur handicap mais en cherchant à le minimiser, comme
en témoigne l'extrait suivant :

« [...] ça peut protéger des gens qui ont une pathologie lourde, moi la mienne elle est un
peu en limite, en limite parce que j'ai eu plusieurs diagnostics et là je suis dans une case,
mais je trouve que je devrai pas être mise dans cette case, quand on me voit comme ça, je
trouve que ma pathologie elle est pas si handicapante que ça, mais moi j'ai évolué aussi […]
donc je trouve que je devrai plus y figurer mais bon après ça me protège parce que j'ai l'AH,
ça me permet de vivre entre guillemet. »

Martin déclare : « Mais en fait les psys, ils ont considéré que c’était une maladie
psychique mais moi j’pense que c’était plus une dépression » et explique ensuite « le DRH
m’a expliqué qu’ils avaient des avantages financiers. »

Ces personnes cherchent à minimiser leur handicap, tout en admettant que cette catégorie
leur permet de bénéficier d'aides.

71
Nathalie cherche à substituer son handicap psychique à un trouble psychique moins
stigmatisant : la dépression. Lors de nos observations et entretiens, nous avons remarqué que
les personnes souffrant d'une dépression ont plus de facilité à parler de leur handicap, elles
savent mettre un mot sur la maladie. C’est le cas notamment de Cindy qui exprime bien le
fait « qu’elle a fait une dépression ». Elle « ne le cache pas ». Cette personne ne cherche pas
à contrôler l'information à propos de son handicap. La dépression semble être une maladie
moins stigmatisante. En effet, actuellement la dépression est considérée comme un trouble
psychique courant qui peut « arriver à tous »84.

iv. Valoriser son handicap

D'autres individus valorisent leur handicap au détriment du handicap mental. Brigitte


déclare par exemple : « personne avec qui c'est difficile de communiquer, puis après c'est
peut être une question d'égo, mais être catalogué comme une personne déficiente alors qu'il
y a une différence entre handicap mental et handicap psychique, une question d'intellect […]
En étant dans le milieu médicalisé j'ai appris à faire la différence entre handicap mental et
handicap psychique, handicap psychique y'a pas de retard mental, on a pas de difficultés
intellectuelles, mais il y a des moments où on est plus ou moins mal, il y a des degré dans la
maladie, nous on peut encore évoluer, en se connaissant, en connaissant la maladie, on peut
encore travailler en milieu ordinaire, mais un ESAT traditionnel c'est une voie de garage ».
L’étude d’Anne Lovell85 montre que le Centre d’aide par le travail (CAT) dont le but est de
permettre aux individus de se réinsérer dans le milieu ordinaire, par des travaux protégés et
adaptés à leur trouble, est vécu comme particulièrement stigmatisant par les personnes
atteintes d’un handicap psychique. Car celui-ci est fréquenté par des « déficients mentaux »
de qui les usagers tiennent à se distinguer. Les usagers vont user de stratégies d’évitements
pour ne pas être étiqueté en tant que « déficients mentaux ».

84
GARNOUSSI Nadia, « une maladie comme une autre ? Logiques de redéfinition de la dépression et du
vécu dépressif », Lien Social et Politiques, n°67, 2012, p18
85
LOVELL Anne M., Du handicap psychique aux paradoxes de sa reconnaissance : éléments d’un savoir
ordinaire des personnes vivant avec un trouble psychique grave, Handicap psychique et vie quotidienne,
Revue française des affaires sociales, 2009/1 (n° 1-2), p 209-227.

72
v. L'ADAPT et le travail sur le contrôle de l'information sociale

De plus, nous avons constaté que les usagers de l'ESAT hors les murs étudié évoquent
plus facilement leur handicap. Ils font part de leur parcours psychiatrique et explicite le lien
entre leur handicap et leur entrée dans l'ESAT, à l'inverse des usagers des autres ESAT. Ils
ont appris à parler et à connaître de leur maladie et handicap, comme en témoigne Brigitte :
« en étant dans le milieu médicalisé j'ai appris à faire la différence entre handicap mental et
handicap psychique ». Cette ESAT propose des ateliers sur les différents types de maladie
que recouvre la catégorie handicap psychique.

Les usagers de l'ADAPT (ESAT hors les murs) effectuent un travail de connaissance de
la maladie. Il s’agit d’un travail de « psychoéducation » qui a un double but : « Mieux
connaitre sa maladie parce qu’il y en a certains qui la connaissent bien, d’autres beaucoup
moins mais ça permet aussi que les personnes découvrent d’autres maladies parce que si
elles sont schizophrènes elles savent ce que c’est que la schizophrénie mais elles
comprennent pas bien les tocs que certaines personnes peuvent avoir dans le groupe ou les
troubles bipolaires que certains peuvent avoir donc ça permet de mieux tolérer j’pense les
difficultés des autres ». A cela s'ajoute un travail de contrôle de l'information sociale, en
effet lors de nos observations d'un atelier dont le thème était « le relationnel en entreprise »,
la chargé de service déclare en s'adressant aux usagers : « Quand on est dans le milieu
professionnel, on peut parler d sa vie privé, mais il y a des points de vigilances, on peut
parler de sa maladie, mais il ne faut pas trop en dire ». Certaines consignes sont alors
données de manières informelles aux usagers. A ce sujet une usagère déclare : « On est pas
obligé de se justifier […] il y a des personnes qui ont du mal avec le handicap psychique,
je le sens à qui je peux en parler, si la personne est plus ouverte, je prends des gants ». Un
contrôle sociale est effectué également de la part de la chargé de relation en entreprise : « Le
but c’est pas de dire « un tel arrive, il est schizophrène » Non ! C’est de dire : « Un tel arrive,
voilà, il souffre d’un handicap, et du coup il prend un traitement qui le ralentit du coup. ».

73
vi. Des différences entre les milieux sociaux

Certains usagers, issus d’un milieu social plus élevé, envisagent de quitter l’ESAT pour
trouver « quelque chose de mieux ». Un usager, fils d’une mère secrétaire comptable et d’un
père notaire, explique lors d’un entretien qu’il souhaite déménager dans le sud avec sa
compagne. Ces usagers distinguent leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Ils se
pensent à part des autres usagers, en déficience mentale notamment. Le dernier usager
évoqué parle par exemple des « malades » qui peuvent être « dangereux » et « ce n’est pas
de leur faute ». Certaines de ces types de personnes ne s’incluent pas au sein de la population
en situation de handicap travaillant dans l’ESAT. Cela constitue une manière d’éviter de se
considérer comme handicapé. Ils utilisent alors des stratégies d’évitement et se considèrent
comme « acteur de leur vie et de leur carrière, ce qui transparaît dans les entretiens : « je lui
ai dit, moi j’ai vu, je, moi je, etc. ».
A l'inverse, les usagers issus de classes moins aisées apparaissent comme plus passif
lorsqu'ils évoquent leur parcours de vie, le vocabulaire employé est alors autre « on m’a
placé, on m’a mis, j’ai écouté, etc. ». La plupart de ces personnes ont eu un parcours
institutionnalisé et ne remettent pas en question l’accompagnement éducatif de l'ESAT. Ils
se considèrent épanouis en ESAT : « on est protégé, on s’occupe de nous ». Leur discours
est moins marqué par le désir de changement et d’indépendance.

Dans cette sous partie, nous constatons qu'il existe plusieurs manières de parler de
son handicap, celles-ci renvoient à diverses façons de contrôler l'information sociale. Ce
contrôle de l'information peut être également pris en charge par l'institution, c'est le cas
notamment de l'ESAT hors les murs étudié. Il existe également plusieurs modalités
d'appropriation du handicap psychique, ces dernières renvoient à différentes manières
d'appréhender les personnes en situation de handicap psychique.

Ainsi, cette partie, nous a permis de déceler les effets performatifs de l'arrivée de
cette population aux compétences nouvelles. Elle entraîne une mixité dans le public
accueilli, une nécessité d'adapter les postes, et un réajustement des pratiques des
professionnels. En effet, dans certains cas, elle laisse les professionnels démunis. De plus,
les modalités d'appropriation de la catégorie handicap psychique diffèrent selon les ESAT.

74
Ainsi, l'ESAT mixte étudié ne cherche pas à s’approprier la catégorie handicap psychique, il
s'ensuit qu'il appréhende les individus en situation de handicap psychique en ne les
différenciant pas des autres « travailleurs ». Dans l'ESAT traditionnel étudié, le mode
d'appropriation du handicap est ambivalent, il oscille entre la volonté de s'approprier la
catégorie, et des pratiques qui empêchent son appropriation (c'est à dire la mauvaise
coordination entre le secteur professionnel et le secteur médico-social), les moniteurs ayant
peu de connaissances et d'information sur les usagers, appréhendent alors les usagers en
situation de handicap psychique à partir du comportement des usagers. Enfin, au sein de
l'ESAT hors les murs étudié la catégorie handicap psychique est pleinement appropriée, il
s'ensuit que les personnes en situation de handicap psychique sont appréhendées de manière
globale à partir des conséquences du handicap dans la vie quotidienne et au travail. Il s'agit
à présent d'analyser la façon dont les usagers appréhendent leur activité professionnelle en
milieu protégé.

75
Action Améliorer la formation du personnel d’encadrement :
Mise en place d’une formation interactive sur le handicap
N°1 psychique

Pourquoi cette  Les professionnels ont souligné le besoin d’une formation sur le
action ? handicap psychique pour adapter leur accompagnement à l’usager

 aux professionnels des équipes médico-sociales et de production


A qui elle
s’adresse ?

 Harmoniser les pratiques et favoriser la communication interne


Les objectifs  Apporter un éclairage théorique et pratique sur les notions de
handicap mental et psychique
 Améliorer la prise en charge de l’usager

 Deux jours interactifs destinés à l’ensemble des professionnels


encadrants de l’ESAT

Jour 1 : apports théoriques Jour 2 : apports pratiques


Descriptif de Matin : table ronde afin Matin : jeu de rôle : gestion des
l’action d’échanger autour des crises, des refus ou des
représentations sur le handicap montées d’angoisse.
psychique Mises en commun et échanges
Mises en commun et échanges publics
publics
Après-midi : professionnel Après-midi : intervention d’un
intervenant sur le handicap professionnel sur la gestion de
psychique crises
Bilan

 Recueillir en amont les attentes des professionnels pour mettre en


Facteurs de place une formation adaptée
réussite  Désigner des professionnels chargés de l’animation dans chaque
groupe (distribution de la parole, utilisation de supports ludiques,
gestion du temps, etc.)

 Diminution du nombre de demandes de formation interne


Résultats  Moduler les accompagnements au projet et capacités réelles de
attendus et l’usager (ex : modulation des postes)
évaluation  Recueillir à l’issue de la formation les avis des professionnels

76
PARTIE III – DE LA PROTECTION A L'INSERTION : DES
CONCEPTIONS DIFFERENTES DU TRAVAIL EN ESAT

Les ESAT s’inscrivent dans un secteur plus général appelé le milieu protégé.
Comprenant des établissements et services spécialisés de l’enfance à la vieillesse, ce secteur
a pour vocation de prendre en charge les besoins en matière d’éducation, de formation,
d’emploi, d’hébergement mais aussi d’accompagnement de la personne en situation de
handicap.

Les premières mesures visant à prendre en charge les « inadaptés sociaux » 86 ont
concerné l’éducation, avec la création des classes de perfectionnement au sein du système
scolaire dit « ordinaire ». Comme nous l’avons vu précédemment, la place des familles dans
les enjeux et tensions autour de la création de la catégorie administrative et idéologique du
handicap a été et reste prépondérante. Ces dernières se sont regroupées et mobilisées pour
permettre la création d’établissement d’éducation spécialisée, afin de prendre en charge les
enfants présentant un handicap trop lourd pour être admis en classe de perfectionnement.
Aussi, c’est dans une logique de continuité administrative et institutionnelle que sont créés
en 1954 les ESAT. Il s’agit d’occuper professionnellement la première génération
d’adolescents issus des Instituts Médico-pédagogiques (IMP) 87 . Comme le rappelle
l’ANESM88, « il est bon de conserver cet acte de naissance pour comprendre la persistance
de certains stéréotypes à l’encontre du travail protégé : il est vrai qu’initialement ces
établissements se sont créés dans une logique de protection plus occupationnelle avec pour
mission de rassurer les parents ».

Ces établissements médico-sociaux développent ainsi, à leur création, un modèle parfois


qualifié de « paternaliste » et mettent en place, parallèlement à l’activité professionnelle, un
accompagnement social, éducatif, psychologique et médical pour répondre aux besoins du
« travailleur » : « cette dualité constitue le fondement même des centres d'aide par le
travail ; aucun des deux aspects ne saurait disparaître sans que la vocation de

86
Terme utilisé à l’époque de la création des ESAT, notamment dans les textes législatifs.
87
Anciens Instituts médico-éducatifs (IME) et Instituts médico-professionnels (IMPRO)
88
ANESM

77
l'établissement, soit gravement altérée »89. La circulaire du 8 décembre 1978 relative aux
centres d’aide par le travail, qui définit le rôle des ESAT et leur fonctionnement, précise par
ailleurs la double finalité des structures, de « faire accéder, grâce à une structure et des
conditions de travail aménagées, à une vie sociale et professionnelle des personnes
handicapées momentanément ou durablement, incapables d'exercer une activité
professionnelle dans le secteur ordinaire de production ou en atelier protégé ; [et de]
permettre à celles d'entre ces personnes qui ont manifesté par la suite des capacités
suffisantes de quitter le centre et d'accéder au milieu ordinaire de travail ou à un atelier
protégé ».

Cette volonté de protéger et d’insérer s’inscrit donc dans les missions historiques des
ESAT. Dès leur émergence, cette double finalité marque le quotidien des établissements.
Pour la mettre en œuvre, les ESAT ont d’abord développé un modèle que l’on peut qualifier
de total, fonctionnant en « entre-soi » sans véritable ouverture sur le monde dit « ordinaire ».
Nous verrons que ce modèle est toutefois remis en question aujourd’hui, notamment par la
loi de 2002, qui instaure des dynamiques d’ouverture des établissements et de passerelle vers
le milieu « ordinaire ». Nous verrons ainsi que le sens accordé au travail évolue également,
représentant encore un modèle de protection et de valorisation, mais tendant davantage
aujourd’hui vers des logiques de normalisations et d’insertion. Enfin, ces deux premières
parties nous amèneront à nous interroger sur les besoins des usagers et professionnels
enquêtés, nous questionneront notamment les perspectives d’insertion ainsi que la volonté
de se professionnaliser.

A. L’ESAT claustral : entre tensions et limites

a) L'ESAT traditionnel : une institution totale ?

L’ESAT traditionnel témoigne d’une volonté historique de protéger les personnes en


situation de handicap et de leur permettre d’accéder aux mêmes droits que chaque citoyen.
Cet « équilibrage » des chances s’effectue, non pas dans le milieu « ordinaire », mais dans
des établissements du milieu « protégé ». D’après Alain Blanc, « la distinction puis la
réunion des mêmes en un lieu séparé du droit commun témoignent de notre sens de la

89
Circulaire 60 AS du 8 décembre 1978 relative aux centres d’aide par le travail. Titre 1. Généralités.

78
protection et de notre volonté de solidarité, mais hors des espaces publics et symboliques
communs, ce que longtemps les murs de l’asile ont signifié et que le concept d’institution
totale consacre ».90

« L’institution totale » est analysée par Goffman91 comme un « lieu de résidence et de


travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, sont coupés du
monde extérieur pour une période relativement longue. Ces individus mènent ensemble une
vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » 92. Goffman a
proposé dans les années 1960 un cadre théorique autour de cette notion en s’appuyant sur
l’analyse d’établissements fermés, tels que les couvents, les prisons ou les hôpitaux
psychiatrique.

Nous nous sommes ainsi demandé dans quelle mesure l’ESAT historique peut-il avoir
des similitudes avec ces institutions fermées, et jusqu’où la grille de lecture de l’institution
totale peut-elle s’appliquer ?

Dans son étude portant sur l’analyse des violences dans des écoles « de dernière
chance »93 , Philippe Vienne compare l’Ecole à une institution « claustrale ». Il souligne
« l‘erreur » consistant à opposer une institution ouverte spatialement et socialement, en
l’occurrence l’école, à des idéaux-types d’enfermement que sont les institutions totales
analysées par Goffman. Il rappelle l’erreur qui consiste à « calquer » le contenu d’un concept
et à se focaliser sur le degré moral des institutions, différents d’une époque à l’autre. Il
propose alors de s’intéresser davantage à « l’identité structurale » 94 et de la mobiliser
comme base de la comparaison :

« L’erreur fréquente consisterait à opérer une sorte de « présentisme », pour reprendre


un peu hors de son contexte un terme à la mode, en ce qui concerne la période qui s’est
écoulée depuis la publication de l’ouvrage. L’erreur que commettent sans doute ceux qui
jugent que l’école « sanctuaire » ne saurait être soumise à la grille de lecture de l’institution
totale vise à opposer une institution scolaire que l’on estime fortement démocratisée (…) et
des « institutions totales » regroupées autour des institutions les plus lourdes

90
BLANC Alain, Sociologie du handicap, 1.1 la discrimination positive, 2e ed.,. 2015
91
GOFFMAN Erwing, Asiles, Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968.
92
GOFFMAN Erwing, Asiles, Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968. p.41
[cité par] Vienne Philippe, page 114.
93
VIENNE Philippe. Comprendre les violences à l’école. 2eme édition
94
VIENNE, page 114.

79
d’emprisonnement et d’encasernement, comme la prison ou le camp de concentration. (…)
L’erreur consiste ici à réduire l’institution totale à sa partie congrue la plus « inhumaine »
au regard moral de notre époque et de notre mode de vie libéral. C’est oublier l’identité
structurale de différentes institutions aussi différentes entre elles qu’un couvent ou un camp
de concentration ».

Pour en revenir à la définition proposée par Goffman, nous pouvons constater que
l’ESAT ne répond qu’en partie aux caractéristiques énoncées. En effet, bien que l’ESAT soit
un lieu de travail, l’établissement n’a pas le caractère résidentiel de la définition. Il faut
cependant noter ici que certains usagers sont hébergés dans des structures d’hébergement
faisant partie elles-aussi du secteur protégé. Ces « foyers » ont parfois été construits à
proximité de l’ESAT afin de faciliter les déplacements des usagers, et dépendent souvent de
la même association que l’ESAT. De plus, bien que la mise à l’écart soit relativement courte,
elle se renouvelle du lundi au vendredi.

Goffman propose toutefois une seconde définition de l’institution totale, qui semble
davantage correspondre aux ESAT. Il définit ainsi une institution « enveloppante » comme
une structure qui « accapare une part du temps et des intérêts de ceux qui en font partie et
leur procure une sorte d’univers spécifique qui tend à les envelopper. Mais parmi les
différentes institutions de nos sociétés occidentales, certaines poussent cette tendance à un
degré incomparablement plus contraignant que les autres. (...) Ce sont ces établissements
que j’appelle « institutions totalitaires » » 95 . Comme le souligne Philippe Vienne,
« l’adjectif « enveloppant » est pour Goffman synonyme de « total », et l’auteur vise donc
ici moins l’absence ou la présence de caractère résidentiel dans l’institution que la capacité
de celle-ci à réaliser une emprise sur ses membres, à les insérer dans un univers
spécifique »96.

Ainsi les ESAT ne sont certes pas des établissements résidentiels, toutefois nous pouvons
considérer leur caractère « enveloppant » au regard de nos résultats d’observation.

Tout d’abord, les usagers mènent une vie recluse, à savoir une existence encadrée par du
personnel. En l’occurrence ils sont encadrés d’une part par les moniteurs d’atelier, mais aussi

95
GOFFMAN, op.cit. 1968. pp 45-46 [cité par] Philipe Vienne, De l’institution totale à l’institution scolaire.
La grille de lecture goffmanienne d'une ethnographie scolaire dans l'enseignement professionnel. La matière
et l’esprit, n°2, juillet 2005, p.66
96
VIENNE Philippe, ibid, p.67

80
par l’ensemble du personnel de l’équipe médico-sociale. Les entrées et les sorties sont
contrôlées, tout comme les absences qui doivent être anticipées et justifiées. D’après
Goffman, cette vie recluse doit être minutieusement réglée. D’un point de vue
organisationnel, la règlementation en ESAT est stricte. Tenue de travail, circulation dans
l’espace, comportement, repas et temps de pause sont encadrés. D’ailleurs les moniteurs
nous l’ont clairement précisé durant les entretiens :

« Moi dans mon atelier les règles c’est les règles. La première chose à faire de toute
façon quand on commence à travailler comme moniteur c’est ça, appliquer le règlement
pour que tout de suite ils l’intègrent. La tenue de travail d’abord, avec les chaussures de
sécurité, la blouse et puis la charlotte. Le téléphone, c’est interdit. Pour aller aux toilettes
ils me demandent avant, on sort pas comme ça de l’atelier » (Mathieu).

Un autre moniteur précise également :

« Je mets des règles en place, c’est l’obligation d’avoir l’équipement de protection


individuel ensuite le téléphone portable est interdit dans l’atelier […] éviter les cris, se
respecter les uns les autres, très important, je leur demande aussi d’avoir une hygiène
correcte, jusqu’ici ça se passe bien ». (Pierre)

Ces modalités sont d’ailleurs inscrites dans le règlement intérieur de l’ESAT et sont
rappelées sur des affiches dans les ateliers. En outre, nous pouvons ajouter les temps de
pause et les repas, qui sont également réglementés. Les pauses durent entre 7 et 15 minutes
selon les établissements et ont lieu en moyenne vers 10 heures le matin et vers 15 heures
l’après-midi. Dans certains établissements, il existe une sonnerie qui prévient les usagers du
début et de la fin de la pause. Concernant le midi les usagers sont tenus de déjeuner au sein
des ESAT qui possèdent un service de restauration collective. Les locaux des réfectoires se
présentent comme ceux d’une cantine scolaire. Le personnel du service de restauration, qui
comprend d’ailleurs des usagers en situation de handicap, est chargé de la préparation des
repas et du service à table lorsqu’il n’existe pas de self-service. Les professionnels peuvent
également manger sur place et s’installent soit sur une table dans la même salle, soit dans
une salle à part selon la disposition des locaux. Deux encadrants doivent, à tour de rôle,
surveiller le bon déroulement du temps de repas. En moyenne, le temps de la pause repas le
midi est de 45 minutes.

81
Philippe Vienne analyse également la fermeture « intellectuelle » de l’Ecole, qui
concerne les relations entretenues avec les acteurs extra-muros. Aujourd’hui encore, les
professionnels et les usagers témoignent pour bon nombre d’entre eux d’un manque de
communication avec le milieu ordinaire. Qu’elle concerne les relations avec les entreprises
ou les partenaires du secteur médico-social et psychologique, ou les ouvertures sur
l’extérieur par le biais de stage ou de sorties culturelles, éducatives ou à caractère social, les
limites à cette ouverture sont évoquées dans l’ensemble des ESAT. En outre nous avons pu
observer dans un ESAT que cette ouverture vers l’extérieur, qui prend parfois la forme d’une
« sortie » lorsqu’elle a lieu, peut être interdite à un usager lorsqu’il ne s’est pas soumis à la
discipline de l’établissement. Ainsi un usager s’était vu retirer le droit de participer à une
sortie éducative, afin de le sanctionner pour son absentéisme non justifié.

Enfin ce terme « enveloppant » peut se référer à la prise en charge des usagers, qui
est d’ailleurs qualifiée de « globale » dans le discours des professionnels. Dès leur
émergence, les ESAT ont vocation à apporter des soutiens aux usagers, se référant à la vie
sociale ou professionnelle. Historiquement, l’idée est de favoriser l’autonomie décisionnelle
de l’usager en lui apportant des savoir-être et savoir-faire qu’il pourra réinvestir dans le
milieu « ordinaire ». Paradoxalement, cet accompagnement entraîne une forme de
« dépendance » de l’usager vis-à-vis de l’établissement, et plus largement au milieu
« protégé », car ce secteur est adapté à ses difficultés.

A sa création, l’ESAT historique propose donc un modèle « total » destiné à prendre


en charge une partie de la population qui ne parvient pas à s’insérer dans les milieux sociaux
et professionnels dits « ordinaires ». Il s’agit ainsi de protéger les travailleurs et d’insérer
ceux qui ont les « capacités » jugées « suffisantes ». Aujourd’hui, bien que cette dynamique
reste présente, elle s’inscrit désormais dans une logique de d’échanges et de passerelles vers
le milieu « ordinaire ».

b) La loi de 2002 et l’ouverture sur le milieu « ordinaire »

Le modèle de l’ESAT « total » semble, comme nous avons pu l’observer durant notre
présence sur les terrains de stage, être progressivement remis en question par les structures.
Même si les établissements fonctionnent encore dans cet « entre-soi », les logiques

82
organisationnelles et professionnelles tendent à évoluer. Les entretiens formels et informels
avec les professionnels des ESAT et les équipes de direction nous ont permis de saisir
l’importance accordée aujourd’hui à l’ouverture des établissements au milieu « ordinaire ».
Les ESAT cherchent à développer des compétences nouvelles et à s’appuyer sur celles
d’autres acteurs pour mettre en œuvre leur projet d’établissement et celui de l’usager.

Les ESAT s’inscrivent ainsi, plus que par le passé, dans des dynamiques partenariales
et de travail en réseau. Les actes de décentralisation, notamment la loi du 2 janvier 2002
rénovant l’action sociale et médico-sociale, affirment la volonté des pouvoirs publics
d’encadrer ces pratiques, de favoriser la coordination et la coopération des acteurs exerçant
dans le champ du travail social. Les professionnels interrogés confirment cette tendance
d’inscription dans des logiques de réseau et de partenariat.

Le travail en réseau correspond à un ensemble de relations, souvent peu formalisées,


entre des personnes ou des services rassemblées autour d’un même projet, que leurs buts
soient convergents ou non : « le projet est l’occasion et le prétexte de la connexion. Celui-ci
rassemble temporairement des personnes très disparates, et se présente comme un bout de
réseau fortement activé pendant une période relativement courte, mais qui permet de forger
des liens plus durables qui seront ensuite mis en sommeil tout en restant disponibles »97.

Deux formes de réseau sont à distinguer :

- Le réseau « spontané » repose entièrement sur l’engagement personnel des


acteurs, souvent ils sont deux. Cette forme de réseau est informelle, spontanée et
répandue.

- Le réseau « professionnel » est une organisation de travail semi-formelle mise en


place en complémentarité du partenariat ou pour le préparer. Il se compose
souvent des professionnels de première ligne. Leur adhésion reste volontaire et
les professionnels représentent leur institution respective par délégation en raison
de leurs compétences spécifiques.

97
BOLTANSKI, L. CHIAPELLO, E. (1999). - Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, NRF Essais.
p.157 [cité par] Marc Fourdrignier. Le travail en réseau ou en partenariat dans le secteur social. 2011 [en
ligne] http://marc-fourdrignier.fr/politiques-sociales-politiques-publiques/le-travail-en-partenariat-ou-en-
reseau-dans-le-secteur-social/

83
Ainsi, nous avons pu voir que les professionnels des ESAT tentent de développer leur
travail en réseau avec des partenaires extérieurs à l’association. Concernant le handicap
psychique par exemple, les professionnels développent leurs pratiques de réseau avec le
secteur de la psychiatrie, notamment les Centres médico-psychologiques (CMP) afin
d’assurer une continuité dans la prise en charge des pathologies.

Sur le plan de l’insertion professionnelle en milieu « ordinaire » de travail, nous avons


pu noter le développement des postes de chargé d’insertion. Deux des quatre ESAT enquêtés
sont déjà inscrits dans cette dynamique d’ouverture et de « sortie » de l’ESAT, et ont
embauché un chargé d’insertion qui a notamment pour mission d’assurer le relais entre
l’ESAT et l’entreprise dans laquelle l’usager effectue un stage ou une mise à disposition.
Cela implique notamment la participation à des réunions et à des séminaires, dans le but
présenter les ESAT à des entreprises et de démarcher de potentiels clients. Un autre ESAT,
qui est actuellement en pleine mutation organisationnelle, tend à développer les parcours
d’insertion à court et moyen terme, et souhaiterait embaucher dès que possible un chargé
d’insertion.

Enfin, l’un des ESAT rencontrés est investi dans l’Association Nationale des
Directeurs et Cadres d’ESAT (ANDICAT) : « c’est une association nationale qui représente
environ 80% des ESAT Nationaux. Le président est Gérard Zribi. Il est très militant. Il y a
des rencontres nationales à Paris, des fiches pratiques pour nous aider, des données
juridiques, rencontrer d’autres ESAT, avoir des idées innovantes. C’est une ressource
importante, ce sont des échanges de pratiques » (Dorothée, directrice adjointe).
L’association ANDICAT a été fondée en 1997 à l’initiative de plusieurs directeurs d’ESAT.
Militante, sa finalité est de préserver le travail en milieu protégé. ANDICAT apporte son
soutien aux ESAT grâce à divers outils : formations, mise en œuvre d’expertise et une
fonction de « porte-parole » auprès des décideurs publics.
Cet ESAT est également adhérent de l’association loi 1901 « Différent et compétent »,
qui rassemble près de 500 structures médico-sociales. L’association a pour finalité de
favoriser notamment la mise en œuvre de parcours de Reconnaissance des Acquis de
l’Expérience (RAE).

Le partenariat consiste quant à lui à établir des liens beaucoup plus formels que dans

84
le cadre d’un réseau. Selon Fabrice Dhume98, il s’agit d’une « méthode d’action coopérative
fondée sur un engagement libre, mutuel et contractuel d’acteurs différents mais égaux » qui
mettent en commun leurs compétences afin de réaliser un projet. Les partenaires doivent agir
ensemble dans une perspective de changement. Les relations entre les partenaires peuvent
se formaliser dans une convention qui a un caractère juridique et/ou dans une charte qui a
une dimension plus déontologique et éthique. Le partenariat peut être humain, technique,
opérationnel mais également financier.

La possibilité de développer des partenariats est annoncée dans l’article 21 de la loi


n°2002-2 du 02 janvier 2002 :

« Afin de favoriser leur coordination, leur complémentarité et garantir la continuité


des prises en charge et de l'accompagnement, notamment dans le cadre de réseaux sociaux
ou médicosociaux coordonnés, les établissements et services ou les personnes physiques ou
morales gestionnaires peuvent conclure des conventions entre eux (…), créer des
groupements d'intérêt économique et des groupements d'intérêt public (…), créer des
syndicats interétablissements ou des groupements de coopération sociale et médicosociale
(…), procéder à des regroupements ou à des fusions ».

L’un des établissements enquêté, qui est divisé en deux sites, est issu de la fusion
entre deux ESAT. La création d’un nouvel établissement va d’ailleurs permettre d’achever
cette fusion en réunissant dans un même établissement les deux sites.

L’ouverture des ESAT au milieu ordinaire et la remise en question de son modèle


total reposent également sur une démarche de « transparence », caractérisée par un dispositif
d’évaluation des activités et de la qualité des prestations :

« Les établissements et services procèdent à l'évaluation de leurs activités et de la


qualité des prestations qu'ils délivrent, au regard notamment de procédures, de références et
de recommandations de bonnes pratiques professionnelles (…). Les résultats de l'évaluation

98
DHUME, Fabrice. (2001). Du travail social au travail ensemble. Le partenariat dans le champ des
politiques sociales. Editions ASH, 2e édition. p.108 [cité par] Marc Fourdrignier. Le travail en réseau ou en
partenariat dans le secteur social. 2011 [en ligne] http://marc-fourdrignier.fr/politiques-sociales-politiques-
publiques/le-travail-en-partenariat-ou-en-reseau-dans-le-secteur-social/

85
sont communiqués tous les cinq ans à l'autorité ayant délivré l'autorisation »99.

Cette obligation d’évaluation impose aux ESAT de justifier leur organisation et leurs
pratiques auprès des décideurs et vise à assurer une homogénéisation des pratiques sur le
territoire national.

Enfin cette dynamique d’ouverture des établissements repose également sur la


reconnaissance des droits des usagers dans la législation, introduite dans la loi de 2002. Alors
que jusque 2002 la prise en compte de ses besoins n’était pas imposée aux ESAT, les
établissements sont aujourd’hui tenus d’entendre la parole de l’usager, qui doit devenir
« acteur » de son parcours, et d’agir en adéquation avec son projet individuel défini dès la
demande de reconnaissance du handicap auprès des MDPH. La loi instaure ainsi sept outils
destinés à assurer l’exercice des droits fondamentaux de l’usager : le livret d’accueil, la
charte des droits et libertés de la personne accueillie, le contrat de séjour, le possible recours
à une « personne qualifiée »100 pour l’exercice de ses droits, le règlement de fonctionnement,
et enfin le projet d’établissement. La loi instaure également les Conseils de Vie Sociale
(CVS), instance d’échanges réservée aux usagers, destinée à favoriser leur participation et à
traiter des questions relatives à leur prise en charge dans l’établissement.

L’émergence de la catégorie de handicap, dont celle du handicap psychique, a certes été


motivée par un souci de protection d’une partie de la population, toutefois elle a participé à
sa mise à l’écart du monde « ordinaire » et de la cité, dans des institutions du secteur dit
« protégé ».
L’ouverture de ces institutions a été introduite par la loi de 2002 et, sans remettre en
question la mission de protection des ESAT, met en avant la logique d’insertion.

B. De la protection à l’insertion, des conceptions différentes du travail en ESAT

Il est ressorti au fur et à mesure de nos entretiens et de nos observations que les

99
Loi °2002-2 du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Article 22. [en ligne]
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=AA0314CE5163D3D329AD45742897F622.tpdjo1
4v_1?cidTexte=JORFTEXT000000215460&categorieLien=id
100
Article 9 de la loi n°2002-2 du 02 janvier 2002

86
personnes en situation de handicap psychique accordent une certaine importance au travail.

On peut ainsi s'appuyer sur la typologie établie par G. Friedmann relatives aux points
de vue accordés au travail venant de son ouvrage sur Qu'est-ce que le travail ?101. Ils sont au
nombre de cinq : le point de vue technique, qui a longtemps été le seul à définir le travail et
qui le définit encore aujourd’hui par certains professionnels. Le travail relève de la
compétence de l'ingénieur, de l'expert en production ; physiologiste, qui exprime l'existence
des relations entre le poste de travail, l’environnement matériel et la constitution physique
du « travailleur ». Il s'agit du niveau d’adaptation du « travailleur » au poste de travail et à
son environnement physique ; de la constitution mentale, car tout comportement humain
implique des activités psychiques. Il s’agit d'observer comment le « travailleur » va réagir
face à la tâche demandée, comment il perçoit le travail demandé, s’il a conscience de ce qu’il
réalise, s’il est apte à la tâche réalisée, s'il est satisfait professionnellement ; social, il existe
une approche des phénomènes de travail sous l'angle social, et économique, cela renvoie au
salaire et aux aides dont va bénéficier le « travailleur ».

Nous allons regrouper ces 5 points de vue dans trois sens qui ont étés accordés au
travail par les usagers et qui sont ressortis de nos entretiens qui sont ceux de la protection,
de la valorisation et de la normalisation. Nous développerons enfin un dernier sens qui est
accordé au travail par les usagers, que l'on ne retrouve pas dans la typologie de Friedmann
qui est l'insertion, question de plus en plus prépondérante dans les ESAT et qui soulève de
nouvelles problématiques. Nous parlerons tout au long de cette partie du sens du travail au
niveau de l’institution et au niveau des individus.

a) Protection

Etre protégé signifie « être à l’abri des péripéties qui risquent de dégrader le
statut social »102. Le travail apporte une protection en assurant la satisfaction des besoins

101 FRIEDMANN Georges, Qu’est-ce que le travail ?, Annales. Economies, Sociétés, Civilisations.
Persée, p 684-701.
102 CASTEL Robert, L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?, Paris, seuil, 2003, p.23

87
primaires de l'individu tel que l'a développé Maslow : « les besoins physiologiques », « les
besoins de sécurité », et « le besoin d'appartenance ». L'ESAT fonctionne comme une
instance prenant en charge les besoins, les attentes et les difficultés des personnes en situation
de handicap, tout en assurant le maintien de leur statut social. Effectivement, elle leur permet
de se prémunir des principaux risques susceptibles d'entraîner une dégradation de leur statut.
Ce faisant, cette institution garantie une stabilité dans le travail, et par conséquent favorise
un ancrage relationnel. En ce sens, il protège en partie l'individu du risque de désaffiliation
sociale. Cette dernière se caractérise par « un processus de rupture du lien social que vivent
un certain nombre de personnes particulièrement démunies. Cette notion […] ne se réduit
pas à la dimension économique de leur situation mais concerne également le tissu
relationnel dans lequel elles s'insèrent (ou plutôt ne s'insèrent pas) ».103

Ainsi, les ESAT protègent les individus, d'abord en leur permettant une insertion
professionnelle et sociale, puis en leur assurant les soutiens nécessaires au maintien de leurs
droits et de leur autonomie. Ces soutiens sont variés : formation professionnelle, aides
psychosociales, alphabétisation, etc.

En travaillant en ESAT, les usagers perçoivent une garantie de ressources comprise


entre 55 et 110% du SMIC, et bénéficient en parallèle d'un complément de l'AAH. Pour
certaines personnes, percevoir une rémunération en milieu protégé leur permettrait d'accéder
à « un appart, faire les courses, avoir une mutuelle, sortir » (Aurélien, usager). Ainsi,
travailler en ESAT garantirait la satisfaction de leurs besoins primaires : les besoins
physiologiques (logement, restauration, vêtement etc.) et les besoins de sécurité (emploi,
stabilité professionnelles etc.). L'activité professionnelle en ESAT constituerait donc un
accès à une protection permise par la rémunération, cette dernière ne serait pas garantie s'ils
cessaient leur activité ou s'ils la diminuaient : « j'veux pas du partiel, parce que si c'est ça,
j'touche moins, ça sera plus compliqué » (Martin, usager). Alors que d'un point de vue légal,
ces personnes bénéficieraient d'une revalorisation de l'AAH, et seraient donc toujours
protégées.

En matière de protection, l'ESAT intervient sous des aspects pluriels, notamment par
une aide médico-sociale et éducative, par un maintien du tissu relationnel, et par l'adaptation

103 DEBORDEAUX Danièle. Désaffiliation, disqualification, désinsertion. In: Recherches et Prévisions,


n°38, décembre 1994.Pauvreté Insertion RMI. p 93

88
des postes de travail.

Il apparaît dans les entretiens que les ESAT assurent une mission d'aide et
d'accompagnement médico-sociale et éducative aux usagers. Cette dernière leur permet de
pallier à certaines difficultés liées à la vie quotidienne par des actions de soutien : aide à la
compréhension des documents administratifs, à la gestion des budgets, etc. Les usagers
peuvent également solliciter l'équipe pluridisciplinaire. Jacqueline, usagère d'un ESAT
traditionnel, montre que le service éducatif « est bien, on est protégé, on s'occupe de nous. ».
Luc « apprécie le calme, la patience et la gentillesse de son chef ». Un accompagnement
médical est parfois apporté : aide à la prise médicamenteuse, proposition de consultations
médicales etc. Néanmoins, cette fonction de protection peut être remise en question comme
en témoigne Julia, une usagère de l'ESAT Hors les murs. En effet, celle-ci explique avoir des
difficultés relationnelles avec les professionnels : « ils nous parlent comme des enfants, pour
nous infantiliser, ça m'agace ». Ce phénomène d’ « infantilisation » est aussi présent dans
l'ensemble des ESAT observés. A ce propos, certains moniteurs donnent des surnoms aux
usagers : « ma poule », « ma belle », « les jeunes », « les enfants ».

Le travail participe également au maintien des liens sociaux, en cela il participe à


l'intégration sociale et réduit le risque de désaffiliation. Nous entendons par lien social, les
relations existantes entre des personnes qui évoluent au sein d'un même groupe social. Les
liens sociaux garantissent la cohésion sociale et l'intégration des individus, notamment à
travers le partage de valeurs communes. Selon Emile Durkheim, l'intégration sociale dans
nos sociétés doit présenter trois caractéristiques, à savoir le fait de partager une culture
commune c’est-dire les mêmes croyances, sentiments, pratiques ; d'être en interaction les
uns avec les autres, en interdépendance ; et de se sentir voués à des buts communs.

Lors des entretiens, les relations interpersonnelles sont rarement mises en avant par
les usagers : « quand je fais la pause-café, je suis toute seule, je préfère être toute seule. Je
ne vais pas vers les gens, j'ai toujours été comme ça. C'est mon tempérament, je ne peux
rien y faire. » ou encore « J'ai pas de soucis avec les collègues. Je n'ai jamais eu un couac
avec qui que ce soit. Je pars du principe qu'il faut faire le boulot et faire abstraction avec
ce qu'il se passe à côté ».

Cependant lors de nos observations, nous constatons qu'il existe de nombreuses

89
formes d’interaction entre usagers. Les moniteurs le précisent d'ailleurs à travers les
entretiens : « ils partagent les potins entre eux tout en travaillant, ils rigolent, se
moquent,… » et ajoutent : « ils sont malins, ils se parlent énormément entre eux. Ils
s'attaquent même entre eux, ils montent des plans entre eux. L'autre jour ils ont même monté
un plan pour faire virer une ouvrière. », ou encore « les relations sont plutôt bonnes. Il y a
de petits clans par affinité, pas forcément par handicap. ». L'ESAT apparaît alors comme
une « deuxième famille » pour les usagers, qui, pour la plupart d'entre eux, resteront en
milieu protégé. Ainsi, le travail est un vecteur de lien social, d’autant plus pour les usagers
en situation de handicap psychique pour qui la première difficulté réside dans l’aspect
relationnel : « La difficulté à établir des relations tantôt découle d’un manque de
compétences initiales, avant la maladie, tantôt est conséquence de la maladie. [...]
Travailler apporte également des effets positifs indirects. Il permet à certains, selon les mots
d’un usager : « une vie sociale comme il faut, je veux dire normale» »104 . A ce propos,
Brigitte raconte que l'ESAT lui aurait permis de créer des amitiés et de voir des usagers en
dehors de l’établissement, car selon elle le fait partager le même handicap : « ça fait des
points communs, on peut discuter de nos difficultés, etc. ». Ceci corrobore avec l’idée de
Gérard Zribi : « le travail contribue fortement à la réalité de la participation active d'un
individu, normal ou handicapé, à la communauté sociale »105.

Enfin, les ESAT protègent des risques liés au travail en milieu ordinaire, notamment
en adaptant les postes au travail en favorisant la modulation des horaires. Brigitte s'exprime
à ce sujet : « en milieu ordinaire, j'ai craqué, tentative de suicide car j'en pouvais plus, trop
de contrainte, de pression. ». En effet, les ESAT offrent un rythme de travail aménagé, celui-
ci est moins soutenu que celui du milieu ordinaire, ce qui fatigue moins les usagers.
L'aménagement des postes et des horaires de travail s'adapte à l'aspect physiologiste et
psychologique de la personne. On peut alors reprendre l'approche physiologiste proposée
par Friedmann montrant les relations existantes entre le poste de travail, l'environnement
matériel et la constitution physique. A ce sujet, Martin explique que, bien qu'il préférerait
travailler en milieu ordinaire : « [il] ne [peut] plus car son traitement est trop lourd et qu'[il

104 LOVELL Anne M., TROISOEUFS Aurélien, MORA Marion, « Du handicap psychique aux
paradoxes de sa reconnaissance : éléments d'un savoir ordinaire des personnes vivant avec un trouble
psychique grave », Revue française des affaires sociales 1/2009 (n° 1-2) , p. 216
105 ZRIBI Gérard, 2008, L’avenir du travail protégé : Les E.S.A.T. dans le dispositif d’emploi des
personnes handicapées, p. 71

90
est] trop fatigué ». Luc l’indique également : « ici on va à son rythme, tandis qu'en
entreprise privée tu dois… Ce n’est pas pareil, ça va plus vite. Avant je conduisais des
engins, tout ça, aujourd'hui je peux plus, c'est plus la peine. ».

En milieu ordinaire, l'individu doit davantage s’adapter au poste et aux normes de


travail : « je me sens mieux ici, le rythme de travail n'est pas le même qu'à l'extérieur. C'est
moins de rendement. Quand c'est dans le milieu normal, il faut tout le temps speeder. »
(Nathalie, usager). Michelle ajoute quant à elle faire « sa journée pépère peinard ! ».
D’autre part, la modulation des horaires de travail est également un axe privilégié. Certains
usagers préfèrent ainsi moduler leurs horaires de travail afin de pouvoir dégager du temps
libre pour d’autres activités : « je suis bien ici, que le mi-temps lui convient car il a plein de
choses à faire à côté, je ne peux pas être partout ».

La protection n'apparaît pas comme étant le seul aspect mis en avant par les usagers,
le travail en ESAT répondrait également à un besoin de reconnaissance et de valorisation.

b) Valorisation

Nos observations nous ont permis de constater que certaines personnes ressentent un
véritable besoin de reconnaissance, tel que développé par Axel Honneth 106, sociologue et
philosophe allemand. Dans son ouvrage La lutte pour la reconnaissance, Axel Honneth
explique que les individus sont « en attente de reconnaissance » : ils attendent d’être eux-
mêmes pris en reconnaissance même s’ils s’expriment différemment des autres personnes
évoluant au sein de l’espace public traditionnel. Selon lui, la reconnaissance est une relation
morale entre les sujets, une relation par laquelle des individus humains se reconnaissent
mutuellement certaines qualités morales. Nous entendons par reconnaissance le fait de
reconnaître une qualité, une aptitude à quelqu’un, d’en reconnaître la valeur et son
importance. Il est possible de transposer ce processus au public des personnes accueillies en
ESAT, certains usagers déclarant vouloir être reconnus « comme un travailleur avec des
compétences » (Miguel, usager). Il s'agit alors « pour chacun de se savoir reconnu par tous,

106 HONNETH Axel. La lutte pour la reconnaissance. Paris, France. Editions Folio essais. 2013.

91
d’exister aux yeux des autres »107.

Nous entendons donc par valorisation au travail, le fait que les compétences
professionnelles d'une personne soient reconnues par ses pairs ou par ses encadrant, tout en
lui accordant un espace où elle pourra développer et approfondir ses compétences. Ainsi, les
usagers rencontrés valorisent leur statut de travailleur. Celui-ci leur permet de se distancer
de leur statut de personnes en situation de handicap. A ce propos, ils vont mettre en avant
leurs compétences et la reconnaissance qui s'en suit : « on est toujours content de moi partout
où je suis passé ». En effet, bien que ces derniers puissent mettre davantage de temps à la
réalisation d'une tâche, les moniteurs nous confient qu'ils s’avèrent être sérieux, volontaires
et minutieux.

De plus, l'investissement individuel108 des usagers dans une activité collective permet
une insertion globale de toutes les personnes (en situation de handicap ou non) dans un
groupe donné. L'usager obtient alors la satisfaction des résultats obtenus et les avantages qui
en découlent (évolution professionnelle, formation, etc.). Nous le constatons avec Karim,
usager de l'ESAT mixte : « J'ai effectué ainsi un stage en logistique, tout s'est bien passé, ça
se passe très bien… Même la mise à dispo où j'ai fait de l'administratif. Mais même
auparavant à l'école, j'avais fait des stages « employé libre-service » au supermarché, on
m'a dit que ce que je faisais c'était bien, tout s'est bien passé, j'ai eu énormément
d’expériences, d'ambitions, ça se passe tout à fait bien ». A ce propos, Karim ajoute être
« content de soi » lorsqu'il pense agir en conformité avec ce qui est valorisé par notre culture
et renforcé, dans le quotidien, par les groupes auxquels nous participons ou nous
identifions »109.

Lors de nos observations de terrain, nous nous sommes aperçus que ce besoin de
valorisation des compétences des usagers en situation de handicap psychique est exprimé.
Par exemple, lorsque Miguel terminait la réalisation d’une tâche, il interpellait
régulièrement son encadrant lui demandant si celle-ci était correctement effectuée. A ce

107 Ibidem p 47
108 GUERIN Francis, LAVILLE Antoine, DANIELLOU François, DURAFFOURG Jacques,
KERGUELEN Alain, 1997, Comprendre le travail pour le transformer-La pratique de l’ergonomie, p. 31.
109 LORIOL Marc. Sens et reconnaissance dans le travail. Traduction d'un texte de Marc Loriol, 2011,
publié (en grec) dans le Traité de sociologie du travail. 2011, p 45

92
sujet, son moniteur d’atelier nous indique : « j’ai l’impression qu’il a besoin de savoir s’il
a bien travaillé pour pouvoir continuer. C’est pour son estime de lui ! Il ne veut pas
seulement être utile, il veut être reconnu pour ses capacités ».

Les activités réalisées au sein des ESAT semblent favoriser une « remise en confiance
en soi » de la personne présentant un handicap. C’est notamment ce qui se dégage à travers
les entretiens réalisés auprès des usagers mis en situation de travail : « J'aime bien travailler,
ça me soulage ». L’estime de soi est également souligné par Karim, usager d’un ESAT mixte
: « Actuellement, je suis au magasin, je fais du transport de matériel, de linge. Je fais de la
logistique, J’aime bien parce que je suis autonome. Ça me donne une bonne estime de
moi. ». Luc montre que le travail qu'il effectue à l'ESAT permet de mettre en valeur les
compétences qu'il a acquises en milieu ordinaire. Cela se rapproche du point de vue
technique du travail développé par Friedmann, où le travail relève ici uniquement de la
compétence de l'ingénieur, expert en production.

Le travail qu'exerce Luc lui permet de mettre en valeur ses compétences techniques
sur l'horticulture. Il parle de lui comme d'un ouvrier « à part », qui est « nécessaire » à
l'ESAT de par ses compétences. Il tient également un discours emprunté au langage commun
du travail (« collègue », « patron », « chef », « ouvrier », etc.). Cela montre bien toute
l'importance d'exercer une activité pour les usagers qui peuvent ainsi faire partie d'une
« instance d'intégration » de la société.

A contrario, l’absence d’activité peut être ressentie comme une sorte de


marginalisation à laquelle « il faut remédier », (moniteur d’atelier). En effet, celle-ci peut
être vécue comme un échec, plus particulièrement si les personnes occupaient un emploi
avec des responsabilités en milieu ordinaire avant que la maladie ne se déclare. Le travail
occupe, alors, une fonction salvatrice moralement : « Vaut mieux travailler que rester à rien
faire » témoigne Amélie. Les entretiens révèlent une satisfaction au travail de la part des
usagers qui a un impact positif au niveau du développement personnel des usagers par la
mise en pratique et par l’acquisition de compétences ; par le fait de retrouver une place au
sein d’un groupe, surtout lorsque l’emploi en question est exercé en milieu ordinaire.

93
c) Normalisation

La normalisation est un processus d'application et d'assimilation des normes sociales.


Selon Howard Becker : « Les normes sociales définissent des situations et les modes de
comportement appropriés à celles-ci : certaines actions sont prescrites (ce qui est "bien"),
d'autres sont interdites (ce qui est « mal ») »110.

Les ESAT mettent en place un panel de dispositifs dans le but de normaliser les
pratiques des usagers. L'ESAT mixte étudié propose des ateliers de « savoir être en
entreprise », il s'agit d'apprendre aux usagers à adopter les règles de « bonnes conduites » au
sein d'une entreprise : savoir se présenter, respecter les règles de politesses, etc. Cet ESAT
propose également des cours de français, de mathématiques, afin d'acquérir certaines bases
fondamentales pour vivre en société. Il s'agit également de répondre aux normes du milieu
ordinaire.

L'ESAT hors les murs observé met en place quant à lui des ateliers variés dans le but
de normaliser la vie des usagers. En effet, comme nous l'avons déjà mentionné, pour l'ancien
chargé de relation d'entreprise, ainsi que pour les professionnels de cet ESAT, de nombreux
aspects de la vie des usagers seraient « déséquilibrés ». Il existe alors des ateliers « parcours
santé, hygiène de vie, citoyenneté » pour répondre à ce besoin de normalisation. En effet,
selon l'ADAPT l’insertion en milieu ordinaire se traduit par un accompagnement global
relatif aux différents aspects de la vie, susceptibles de contribuer à un équilibre de vie. C’est
l’objectif que poursuit la Conseillère en Economie Sociale et Familiale au travers de
plusieurs actions :

« On axe beaucoup sur l’hygiène de vie, l’importance d’avoir une bonne hygiène de
vie pour pouvoir, après être bien dans ses baskets et puis bien au travail, du coup parce que
c’est un équilibre de vie et qu’il y a pas que le travail dans la vie et que si on est pas bien
dans la vie, tout est lié. Ils s’en rendent compte très rapidement de quel est l’intérêt de faire
un peu de sport. Ils le voient très rapidement. Même si c’est difficile pour eux au démarrage
quand ils ont pas fait d’activité physique depuis longtemps le degré de motivation il est pas
très important, le fait qu’ils soient un peu « obligés d’y aller » puisqu’ils sont rémunérés

110 BECKER Howard. Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. 1985. Paris : Métailié. p. 4

94
pour y aller, c’est assez facilitateur pour moi parce que du coup, je leur impose jamais rien
au niveau du projet santé que ce soit les ateliers cuisine, sport, yoga training ou la socio
esthétique.»

Ces ateliers semblent contribuer à la confiance en soi des usagers : « J’ai plus
confiance en moi grâce au sport. » (Stéphanie, usagère) Sigismond quant à lui déclare :
« l’atelier cuisine ça aussi ça m’a aidé, moi-même j’en revenais pas, j’me croyais pas
capable de le faire depuis ce temps, ça m’arrive d’acheter des carottes, des oignons et puis
de préparer. Avant, je le faisais pas ». Ces ateliers répondent à la norme du bien manger,
bien s’habiller, etc.

La normalité quant à elle renvoie au fait « d'être socialement intégré ou intégrable;


elle consiste en des pratiques telles qu'aller à l'école, travailler, avoir une famille, habiter
un appartement,etc.-en d'autres termes, participer à la vie quotidienne et ordinaire de la cité,
pouvoir être et faire «comme tout le monde ». 111 Le fait de percevoir un salaire permet
également aux usagers de se sentir « normaux », Jacqueline explique fièrement qu'elle « vit
toute seule » et ajoute : « Je m'occupe de mon argent toute seule, j'ai un cahier de budget ».
Un autre usager déclare : « en milieu ordinaire, je suis normal ». Le travail devient alors
synonyme d’autonomie sociale et permet de « mettre entre parenthèses la maladie ». De plus,
certaines personnes vont demander à entrer davantage dans la norme. En effet, elles auraient
pour ambition d'accéder à un statut de salarié. Un usager rencontré, actuellement en stage
dans l'ESAT hors les murs étudié, souhaite retrouver un emploi « pour des raisons qui
dépassent l’aspect financier ». Un professionnel nous précise ses raisons par la suite : « Là,
ils deviennent comme tout le monde. ». Nous pouvons émettre l'hypothèse suivante : ces
discours sont influencés par une nouvelle norme, celle de l'injonction au travail qui se
substitue au droit au non-travail. En effet : « Dans le champ du handicap, cette nouvelle
configuration morale, qui se déploie sur le mode de l’évidence, se traduit par exemple par
la recommandation faite aux MDPH de proposer, voire d’imposer, une RQTH à tous les
demandeurs d’AAH lorsque leurs capacités de travail sont jugées suffisantes »112.

111 WINANCE Myriam. Handicap et normalisation. Analyse des transformations du rapport à la norme
dans les institutions et les interactions. In: Politix, vol. 17, n°66, Deuxième trimestre 2004. p 217.
112 BERTRANT Louis, CARADEC Vincent, EIDELIMAN Jean-Sébastien, « Devenir travailleur
handicapé. Enjeux individuels, frontières institutionnelles », Sociologie 2/2014 (Vol. 5) , p. 132

95
Les sens accordés au travail par les usagers prennent des formes multiples à savoir la
protection, la valorisation, et la normalisation. L'insertion apparaît comme un quatrième sens
donné au travail, il est aussi un enjeu qui a été réaffirmé par la loi de 2005.

d) Insertion

La question de l'insertion socioprofessionnelle est centrale au sein des ESAT. En effet,


trois ans après la création officielle des CAT, ancêtre des ESAT, la loi du 23 Novembre 1957
énonçait déjà les principes de la réinsertion professionnelle en créant le terme de ''travailleur
handicapé'', donnant la possibilité à une personne reconnue travailleur handicapé d'être
« reclassée » :

« Lorsque la qualité de travailleur handicapé a été reconnue, la commission donne un


avis sur l'orientation professionnelle de chacun des bénéficiaires et se prononce sur
l'opportunité des mesures à prendre pour favoriser son reclassement. »113

Quant à elle, la loi du 30 juin 1975 relative à « l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées » dispose dans son article premier :

« La prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et


l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources,
l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés
physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale et celle-ci doit se faire
autant que possible dans un cadre ordinaire de travail et de vie ». Une des missions
principale des CAT et ensuite des ESAT est donc de favoriser l'insertion socioprofessionnelle
de la personne en situation de handicap en essayant de la mettre dans les conditions de travail
proche du milieu ordinaire. Cette mission n'aura de cesse d'être actualisée, ré-affirmée,
jusqu'à devenir une priorité.

En effet, la loi du 11 février 2005 a, entre autres, pour but de briser cette barrière
entre le secteur protégé et le milieu « ordinaire », pour cette fois-ci placer ''l'insertion au

113 Loi n°1957-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés. Disponible
sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000880746&categorieLien=cid

96
cœur de la mission des ESAT'' , pour reprendre les termes de Christophe Baret114. Cette loi a
pour volonté de diminuer la discrimination des personnes en situation de handicap,
notamment par l'instauration de quotas. Ainsi, comme le rappel Sarah Richard et Isabelle
Barth dans une comparaison France – Etats-Unis : « En raison du respect des quotas en
France, l’objectif est de favoriser les conditions permettant de concilier handicap et
parcours professionnel ». 115 Elle cherche aussi à « compenser » le handicap par des
avantages individuels, tels que des aides financières, matérielles ou humaines.

i. L'insertion professionnelle en question, et en chiffres

Mais nous pouvons légitimement nous interroger sur la réussite de ces politiques,
tout particulièrement depuis le début des années 2000. En effet, en 2007, le taux de chômage
des personnes en situation de handicap était encore deux fois supérieur à celui des personnes
non handicapées116 Cette volonté « d'ordinaire » ordonnée par la loi ne s'est donc pas traduite
par les résultats attendus, en particulier en ce qui concerne le travail. Un rapport 117 de
l'inspection générale en affaires sociales (IGAS) de 2003 rappelle que les sorties des CAT et
des ateliers protégés pour une insertion en milieu ordinaire étaient de l'ordre de 1 % par an
et il souligne aussi que les usagers n'y acquéraient que très rarement et difficilement une
qualification professionnelle.

Aujourd'hui, si l'intégration professionnelle, ou professionnalisante, est en forte


amélioration selon la Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des
Statistiques (DARES)118, l'emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) reste minoritaire

114 BARET Christophe, « La formation permanente des travailleurs handicapés : vers une nouvelle
place du travail dans la mission médico-sociale ? », Formation emploi [En ligne], 123 | Juillet-Septembre
2013, mis en ligne le 10 octobre 2015, consulté le 11 octobre 2013.

115 RICHARD Sarah, BARTH ISABELLE, « Handicap et emploi : Une comparaison France - Etats-
Unis », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2015/1 (n° 15), p. 23-42.

116 SALBREUX Roger, « La place de la personne handicapée dans la société moderne », VST – Vie
sociale et traitements 2012/4 (n° 116), p. 112-116.
117 « L’évaluation du besoin de places en CAT, MAS et FAM» présenté par Françoise Bas Théron et
Marc Dupont, membres de l’Inspection générale des affaires sociales Disponible sur :
www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/044000191.pdf
118 BAREL Yvan, FREMEAUX Sandrine, « Les attitudes face à la contrainte légale. L'exemple de
l'intégration professionnelle des personnes handicapées », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management,

97
et les entreprises préfèrent utiliser d'autres moyens pour répondre à la demande légale de 6 %
de travailleurs handicapés, par l'utilisation du contrat à durée déterminée (CDD) ou des
stages. Certaines entreprises préfèrent même payer la contribution à l'AGEFIPH 119. Donc
malgré l'obligation d'emploi, les derniers chiffres font état du fait que le taux d'emploi de
travailleurs handicapés reste de 3,1 % 120 . Les entreprises préfèrent donc développer des
stratégies pour éviter de répondre totalement et durablement à la loi.

Mais plus spécifiquement, sur le handicap psychique, un rapport l'Inspection générale


des affaires sociales de 2011 concernant « La prise en charge du handicap psychique »
indiquait :

« En ce qui concerne l’accès ou le maintien dans l’emploi, le recensement des


personnes handicapées psychiques est difficile, mais les différentes études montrent un faible
taux d’emploi, 60 % d’entre elles percevant une allocation, principalement l’allocation aux
adultes handicapés (AAH). Selon les différentes enquêtes, il y aurait entre 9 000 et 30 000
personnes avec ce handicap en demande d’emploi ou concernées par des démarches
d’insertion professionnelle, 8 % des personnes handicapées psychiques seraient accueillies
par Cap emploi, mais moins de 5 % feraient l’objet d’un placement dans l’emploi. »121

Pour un professionnel rencontré, l'explication est simple, les entreprises : « ne vont


par courir cherche des personnes qui relèvent de problèmes psy, elles vont en gros, elles vont
rechercher des gens qui ont des handicaps qui ne sont pas handicapant, elles ont une
recherche un peu du mouton à 5 pattes : c'est bien d'avoir une personne qui a une RQTH
mais il ne faudrait surtout pas qu'elle ait de problèmes quoi. ». La question de l'insertion
professionnelle pour les usagers en ESAT, tout spécialement pour les personnes en situation
de handicap psychique, est complexe. Dans les ESAT traditionnels et mixtes, l'insertion en
milieu ordinaire est jugée « exceptionnelle » et « rare » et ne concerne qu'un nombre limité
d'usagers, comme le souligne un moniteur :

Homme & Entreprise 2012/2 (n°2), p. 33-49.


119 SALBREUX Roger, « La place de la personne handicapée dans la société moderne », VST – Vie
sociale et traitements 2012/4 (n° 116), p. 112-116.
120 Ministère des affaires sociales et de la santé, Les chiffres clés du handicap 2014. Disponible sur :
http://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/score/Actualites/ChiffresClesAGEFIPH_FIPHFP_BD.pdf
121 AMARA Fadéla, JOURDAIN-MENNINGER Danièle, MESCLON-RAVAUD Myriam, Dr. LECOQ
Gilles (2011), La prise en charge du handicap psychique, Paris, Inspection Générale des Affaires Sociales, p.
5

98
« Ce qui serait bien, c'est que ceux qui veulent puissent partir dans le monde
ordinaire jveux dire, si on regarde sur une année c'est très peu... Exceptionnellement l'année
dernière on en a eu beaucoup, parce que ça s'est présenté comme ça, il y en a eu 4 je crois
donc c'est vraiment exceptionnel. Cette année si c'est 1... Mais je voudrai que dans l'idéal,
les entreprises jouent le jeu vraiment, qu'on prenne plus de travailleurs au sein de leur
entreprise. »

Il y a donc de réelles difficultés à intégrer le milieu « ordinaire » de l'entreprise pour


les personnes en situation de handicap psychique, qui cachent souvent leur RQTH à leur
entourage professionnel, voir avec la direction122. Plus largement, la question qu'on pourrait
se poser est : l'insertion en milieu « ordinaire » est-elle plus difficile, lorsqu'on vient d'un
ESAT ?

Pour une monitrice d'un ESAT, la question est plus compliquée :

« Pour l’usager avec un parcours institutionnel, l’ESAT est plus facile mais pour
l’usager avec un parcours ordinaire, l’ESAT sera plus compliqué. Ils portent l’étiquette
''ESAT ''' ».

Sarah Richard et Isabelle Barth, reprenant les termes de Naschenberger,


rappellent, en effet, qu'il existe des freins auxquels sont confrontés les personnes en situation
de handicap : « des freins culturels, en raison des préjugés et de la méconnaissance du
handicap, des freins organisationnels, lorsque l’entreprise n’est pas préparée de par sa
structure, à accueillir un personnel handicapé, des freins conjoncturels liés à la situation de
crise économique et enfin des freins liés au manque de connaissance des réseaux spécialisés
sur la question du handicap. »123

i. Le handicap psychique, un concept difficile à intégrer

Car en effet, il ne faut pas oublier les représentations négatives dans l'opinion

122 Colloque Sciences Po, Paris, dir Gwénaël Berthélemé, L'entreprise face aux troubles
psychiques : comment l'entreprise peut-elle aborder la question de la santé mentale ? ,
disponible sur : http://www.handiplace.org/media/pdf/autres/entreprise_face_troubles_psy.pdf
123 RICHARD Sarah, BARTH ISABELLE, « Handicap et emploi : Une comparaison France - Etats-
Unis », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2015/1 (n° 15), page 15

99
dont fait encore l'objet le trouble psychique, favorisant ainsi un contexte défavorable à
l'insertion de la personne dans la société et à la reconnaissance de sa citoyenneté 124. Le
handicap psychique reste un handicap qui « fait peur », et ce davantage dans le monde du
travail car le handicap psychique est encore mal connu et identifiés par les acteurs comme
le montre cet extrait d'entretien avec une chargée d'insertion en ESAT :

« Ce qui me met le plus en difficulté, c’est quand un employeur me demande


des informations. Par exemple, on a eu des stages organisés par la Mairie. L’équipe,
méfiante au début, m’a demandé le handicap de la personne. J’étais embarrassée. Le jeune
homme est là, lui dénigre son handicap ! Moi je sais que s’il est chez nous c’est qu’il y a un
problème mais je ne connais pas forcément le type de problème. Alors j’essaie d’en référer
à la psy de l’ESAT, qui ne va pas forcément me donner des détails précis, mais des pistes de
réflexion, des préconisations. »

Les difficultés liées au parcours d'insertion peuvent aussi être liées à des
problèmes d'accessibilité (transport, aménagement des locaux, etc)125. De plus, la prise en
charge du handicap psychique en ESAT ou en entreprise nécessite souvent des
aménagements de poste126 et des horaires (beaucoup de personnes en situation de handicap
psychique sont à mi-temps dans les ESAT). Beaucoup d'usagers en ESAT, comme Brigitte
nous ont fait part des difficultés qu'ils avaient rencontré en milieu ordinaire : « j'ai craqué,
tentative de suicide car j'en pouvais plus, trop de contrainte, de pression », la cadence y
serait plus (trop) soutenue et il y a beaucoup de cas d'abandon qui se manifeste souvent par
de l’absentéisme, mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

Nous avons vu aussi que l'ESAT est une institution « englobante », qui prend
l'individu en charge sur beaucoup d'aspect, mais allier la mission d'un établissement médico-
social à celle d'insertion en milieu « ordinaire » est parfois difficile. En effet, l'ESAT est vu

124 AMARA Fadéla, JOURDAIN-MENNINGER Danièle, MESCLON-RAVAUD Myriam, Dr. LECOQ


Gilles (2011), La prise en charge du handicap psychique, Paris, Inspection Générale des Affaires Sociales
125 SALBREUX Roger, « La place de la personne handicapée dans la société moderne », VST – Vie
sociale et traitements 2012/4 (n° 116), p. 112-116.
126 "Tout salarié peut bénéficier d’un aménagement de son poste de travail lors de son embauche et ce,
dès lors que le médecin du travail le préconise (article L4624-1 du code du travail). La loi 2005-102 du 11
février 2005 impose aux employeurs de prendre des mesures appropriées afin de garantir le respect du
principe d’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées."

100
comme une sorte de « cocon » rassurant, comme le rappel un moniteur d'un ESAT mixte :
« C'est pour ça je dis c'est bien on est en cocon, on est un peu en famille quoi mais, on est
tous là pour la même chose. Eux ils sont venus ici parce qu'il y a le social, la psy, le médecin,
l'infirmière, il y a les moniteurs pour les aider à faire leur boulot donc même s'ils savent
qu'ils vont pas y arriver, parce que dans leur tête ils se sentent pas compétents […] ils se
rendent pas compte de tout ce qu'ils peuvent faire.

L'on a vu qu'il est difficile de mettre en place des moyens efficaces pour la réinsertion,
les ESAT mettent en place nombre de stratégies pour favoriser des transitions, institution-
entreprise pour les personnes volontaires, ainsi que des dispositifs pour inciter à l'insertion
socioprofessionnelle.

i. Les ESAT, une insertion en « formation »


Une de ces stratégies, est de favoriser la formation professionnelle, même si jusque
dans les années 2010, elle ne rencontra pas un franc succès. Ainsi, on note qu'un très faible
pourcentage de personnes handicapées ont bénéficié de programmes régionaux de formation
professionnelle entre 2005 et 2009 (2 % des entrées en formation en Ile-de-France en
2005)127 . Au niveau national l'étude de la Direction générale de la cohésion sociale en 2009
relevait en effet que, si 61 % des ESAT ont réalisé des formations à destination des
travailleurs handicapés en 2008, seuls 15 % des usagers ont effectivement bénéficié d'une
formation128. Cette étude met notamment en cause l'inefficacité des actions de validation des
acquis de l'expérience (VAE) qui concerne finalement peu d'usagers, principalement en
raison des normes qui restent inchangées par rapport au public « ordinaire ». Il n'est pas
étonnant de ce fait que l'impact des dispositifs concernant la formation professionnelle a
longtemps été critiqué129.

Préparant le terrain législatif, ces études sont suivies par le décret n° 2009-565 du 20
mai 2009, relatif à la formation, à la démarche de reconnaissance des savoir-faire et des

127 VELUT Philippe in L'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. En France de 1987 à
nos jours. dir. Alain Blanc, Presses Universitaires de Grenoble, 2009
128 OPUS 3‐DGCS, Appui des services de l’Etat à la modernisation et au développement des ESAT
dans leurs missions médico-sociale et économique, 2009 [cité par] lettre de cadrage accompagnement des
travailleurs en ESAT
129 BARET Christophe, « La formation permanente des travailleurs handicapés : vers une nouvelle
place du travail dans la mission médico-sociale ? », Formation emploi [En ligne], 123 | Juillet-Septembre
2013, mis en ligne le 10 octobre 2015, consulté le 11 octobre 2013.

101
compétences et à la validation des acquis de l'expérience des travailleurs handicapés
accueillis en établissement ou services d'aide par le travail. Ce décret met en place
officiellement un système de reconnaissance des acquis aux personnes ne répondant pas aux
critères traditionnels de validation des acquis : « La démarche de reconnaissance des savoir-
faire et des compétences et la validation des acquis de l'expérience visent à favoriser, dans
le respect de chaque projet individuel, la professionnalisation, l'épanouissement personnel
et social des travailleurs handicapés et leur mobilité au sein de l'établissement ou du service
d'aide par le travail qui les accueille, d'autres établissements ou services de même nature ou
vers le milieu ordinaire de travail. »130

Destiné principalement aux usagers des ESAT, des entreprises adaptées (EA), des
entreprises d'insertion par l'activité économique (SIAE) ou encore des jeunes provenant de
l'éducation spécialisée (IMPRO), la reconnaissance des savoir-faire professionnels (RSFP)
est plus souple que la VAE, ne privilégie pas le diplôme et s'attache aux compétences
acquises tout le long de la vie de la personne.

130 Décret n° 2009-565 du 20 mai 2009 relatif à la formation, à la démarche de reconnaissance des
savoir-faire et des compétences et à la validation des acquis de l'expérience des travailleurs handicapés
accueillis en établissements ou services d'aide par le travail. Disponible sur :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020645029&categorieLien=id

102
Encadré 1 :
La Reconnaissance des Acquis de l'Expérience (RAE)
Des ESAT n'ont pas attendus pour adhérer aux principes de ce décret. En effet, un
ESAT mixte interrogé participe depuis quelques années au dispositif « Différent et
Compétent » qui permet aux usagers d'effectuer une RAE.
Ce dispositif, né en 2001 en Bretagne avec la collaboration de quatre établissements
en coopération départementale qui sera reconnue par le FSE (fond social européen)
dans le cadre du programme Equal destiné à développer des moyens de lutter contre
la discrimination et les inégalités sur le marché du travail.
C'est une variante de la VAE, avec un panel de référentiel métier qui se déroule en
trois temps :
- le premier, c'est le concret : l'usager montre ce qu'il sait faire sur une tâche
bien spécifique devant un jury, qui va valider suite à un référentiel métier.
- le deuxième : le travailleur passe devant un jury interne, un dossier a été
constitué au préalable, il explique son travail et le jury valide le référentiel.
- le troisième : c'est un jury externe avec un stage, toujours sur un référentiel
métier. La personne présente un dossier sur sa structure et un dossier sur son stage.
Les moniteurs suivent donc des usagers qui souhaitent effectuer une RAE, l'avantage
pour les personnes en situation de handicap psychique c'est de pouvoir se référer à une
personne qu'ils connaissent.

Pour Christophe Baret, ces reconnaissances de savoir-faire sont peu demandées par
les entreprises, mais par contre, elles sont appréciées par les usagers131. Un moniteur déclare

131 BARET Christophe, « La formation permanente des travailleurs handicapés : vers une nouvelle
place du travail dans la mission médico-sociale ? », Formation emploi [En ligne], 123 | Juillet-Septembre

103
d'ailleurs : « C'est une reconnaissance pour eux. On leur dit « vous voyez, vous êtes capable
de ça et vous pouvez aussi être capable d'autre chose et bien plus. Quand on fait la remise
des diplômes qui regroupe tous les ESAT qui ont passé la RAE, les personnes sont appelées
une par une et on leur donne le diplôme. C'est vraiment une cérémonie, puis eux sont fiers. »

Malgré cette mobilisation des usagers dans les dispositifs de formation, les
professionnels ont relevé deux problématiques récurrentes lors du troisième temps de la RAE,
en l’occurrence la période de stage, à savoir l'absentéisme et un certain « découragement »,
comme le fait remarquer un professionnel : « C’est un jeune handicapé psychique qui est
embauché mais qui n’arrive pas à tenir à l’extérieur. Si une personne à un moment donné
exprime une envie de sortir, que ça soit de manière définitive pour s’insérer
professionnellement en milieu ordinaire ou pour faire un stage, après on peut avoir un
revirement de situation. Avec le temps, la motivation, garder le cap, savoir ce qu’ils veulent,
ça évolue vite avec le temps. On ne sait pas comment agir face à cela. Même si on est présent,
si la personne a désinvesti le projet, c’est extrêmement complexe. »

Enfin, concernant les formations, selon Christophe Baret elles sont: « orientées vers
le développement personnel (communication, présentation de soi, maintien des acquis
scolaires, pratique des transports en commun, etc.) ont concerné le plus de stagiaires (45 %).
On trouve ensuite les compétences transversales de production (sécurité, qualité, ergonomie,
conduite d’engins, etc.) avec 28 % des stagiaires. Les formations directement orientées vers
l’acquisition d’un métier (espaces verts, restauration, bureautique, nettoyage, etc.) et
l’insertion (recherche d’emploi, rédaction de CV) sont les moins fréquentes avec
respectivement 24 % et 1 % des stagiaires. »132

C'est effectivement ce que l'on retrouve le plus dans les ESAT, parfois avec un nom
évocateur, comme le savoir-être en entreprise (SEE) à l'AFEJI, ou encore à l'ADAPT des
ateliers «parcours santé, hygiène de vie, citoyenneté», cuisine, sport, yoga training, la socio-
esthétique.
Mais si l'on a vu que les formations professionnelles et les stages arrivaient
rarement à se concrétiser en CDI avec une entreprise en milieu « ordinaire », cela ne veut
pas dire pour autant que les dispositifs sont un échec.

2013, mis en ligne le 10 octobre 2015, consulté le 11 octobre 2013.


132 Ibid.

104
En effet, au cours de notre enquête nous avons pu constater que l'ensemble des ESAT
répondent à des commandes de client, appelées « prestations-extérieur » ou « mises à
disposition », en mobilisant des groupes d'usagers volontaires et compétents pour cette
prestation. Ces usagers travaillent donc au sein de l'usine du client et sont encadrés par un
moniteur détaché de l'ESAT.

Certaines structures se sont ainsi engagées dans cette dynamique de mise à


disposition et de stages, comme l'ESAT hors les murs qui repose exclusivement sur ce
modèle, mais aussi à l'ESAT mixte où un poste de chargé d'insertion a été créé. Ce
mouvement se retrouve d’ailleurs dans la plupart des ESAT sur le territoire national, comme
le souligne Christophe Baret dans une enquête de 2009 en Rhône-Alpes, sur dix-huit
monographies d'ESAT : « nous remarquons que de nombreux ESAT ont créé le poste de
Chargé d’insertion pour développer leurs compétences internes en gestion de la
formation. »133.Les établissements avancent donc à tâtons, expérimentant depuis quelques
années de nouvelles formules pour favoriser l'insertion des personnes en situation de
handicap mental et/ou psychique, principalement en établissant des partenariats, même s'il
on a vu précédemment que c'est un point à développer. Si la logique d'insertion entre un
ESAT hors les murs n'est pas la même que celle d'un ESAT mixte ou traditionnel, étant donné
que ce premier se tourne exclusivement vers une insertion en milieu « ordinaire » au bout
d'un parcours de quelques années. Les autres types d'ESAT adoptant une politique d'insertion
sur la base du volontariat et de création de «groupes sortants». On remarque tout de même
que les ESAT tendent de plus en plus à se tourner vers des pratiques se rapprochant des ESAT
hors les murs, en effet, un ESAT traditionnel est en train de créer une unité spécialement
pour le handicap psychique et veut y développer les parcours sur 2-3 ans.

Ceci nous amène à nous intéresser plus en détails sur le modèle proposé par l'ESAT
hors les murs.

La structure repose sur un modèle unique d’insertion via des stages et des mises à
disposition, le « place and train » : « en fait maintenant c’est : on trouve un job et on regarde

133 BARET Christophe, « La formation permanente des travailleurs handicapés : vers une nouvelle
place du travail dans la mission médico-sociale ? », Formation emploi [En ligne], 123 | Juillet-Septembre
2013, mis en ligne le 10 octobre 2015, consulté le 11 octobre 2013.

105
s’il y a une personne qui peut s’adapter à ce boulot-là, c’est peut-être pas très gai mais c’est
la vie. Il y en très peu qui sont arrivés avec des projets qui ont continué là-dessus quoi. »
(Edouard) Ce dispositif n’est pas une embauche directe. La personne reste salariée de
l’ESAT et non salariée de l’entreprise. Durant cette mise à disposition, si pour une raison
quelconque la personne rencontre une difficulté, elle peut s’arrêter sans que cela ne provoque
ni préjudice ou répercussion pour l’une ou l’autre des parties.

Pour favoriser l’intégration des personnes en situation de handicap psychique, l’ESAT


hors les murs de l’ADAPT mène des actions de sensibilisation, d’information et
d’accompagnement en entreprise.

L’ADAPT a également mis en place un système de « tuteur de proximité », afin


d’accompagner la personne en insertion. Le tuteur est choisi par l’entreprise, il s’agit
généralement d’une personne possédant les mêmes qualifications que l’usager en situation
de handicap psychique. Le tuteur est chargé notamment de repérer les difficultés rencontrées
par l’usager. Il dispose d’un bilan neuropsychologue, appelé « fiche de poste » et réalisé par
le neuropsychologue et le chargé d’insertion, qui précise les limitations que rencontre ou que
pourrait rencontrer l’usager dans son travail : « Bon voilà, telle personne a des problèmes de
mémoire épisodiques verbales donc il faut laisser à la personne un p’tit temps pour écrire
dans son carnet les consignes qu’on lui donne, donc voilà c’est des choses très concrètes
qu’on écrit sur une fiche puis la chargée de relation en entreprise la transmet au tuteur. »
Des bilans réguliers sont ainsi réalisés par le tuteur de proximité et le chargé d’insertion en
entreprise de l’ADAPT.

L’ADAPT a aussi insisté sur la manière d’aborder le handicap de la personne avec


les entreprises : « Le but c’est pas de dire « un tel arrive, il est schizophrène » Non ! C’est
de dire : « Un tel arrive, voilà, il souffre d’un handicap, et du coup il prend un traitement
qui le ralentit du coup, ça sert à rien de lui faire des remarques parce qu’il va moins vite que
vous, il ira toujours moins vite que vous, c’est comme ça, il faut lui laisser sa chance de
s’intégrer. Ainsi, pour l’ADAPT, l’important n’est pas de donner le nom de la maladie aux
entreprises, mais de présenter les incidences qu’elle peut avoir sur l’évolution de l’usager
durant le stage ou la mise à disposition.
L’accompagnement jusqu’à l’emploi en milieu ordinaire montre toute son utilité mais
aussi ses limites. En effet, une question reste en suspens et a été soulevé par Edouard : « Le

106
tout c’est que après quand les gens quittent l’ESAT comme ici, ils signent un CDI, c’est très
bien mais si dans 5 ans, ils ont un souci, si dans 10 ans ils ont un souci, où sont les leviers ? ».
Il suggère alors le fait que l’ADAPT puisse évoluer vers le principe « de l’emploi
accompagné à long terme », comme le font déjà d’autres ESAT hors les murs. Cela
impliquerait davantage de moyens humains dans les ESAT et de flexibilité de la part des
entreprises.

C. Analyse croisée des attentes de la population enquêtée

Après avoir développé le sens que les usagers enquêtés accordent à leur travail, nous
appréhendons désormais le fait que ces mêmes personnes ont pour ambition d’évoluer
professionnellement, que ce soit en E.S.A.T. ou en milieu ordinaire de travail. Nous
évoquerons ensuite les attentes et les besoins mises en exergue par la population rencontrée,
concernant des améliorations relatives à l’accompagnement d’un public présentant un
handicap psychique en E.S.A.T.

a) Des perspectives d’insertion différentes

A travers les entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche-action, les usagers ont,
pour la majorité, souligné avec insistance apprécier leurs activités professionnelles au sein
d’ESAT : « J’aime ce que je fais, je progresse, c’est cool », déclare par exemple Karim âgé
de 24 ans. En outre, ils ont traduit leurs aspirations à évoluer professionnellement à moyen
et long terme. En effet, Laurence, psychologue en ESAT traditionnel, indique à ce sujet : «
On sent qu’ils ont envie d’évoluer dans les tâches qu’ils réalisent, ils sont souvent même en
demande de formation pour les aider à se qualifier davantage. Ça favorise leur
épanouissement, il y a de la valorisation et de la fierté envers eux-mêmes », annonce-t-elle.

Parmi les entretiens réalisés, il semblerait que deux principaux profils d’usagers se
dégagent lorsque nous les questionnons quant à leur avenir professionnel : ceux dont le
souhait serait de poursuivre leur carrière en ESAT et ceux dont l’ambition serait de s’insérer
ou de se réinsérer professionnellement au sein du milieu dit ordinaire. Ce constat, que nous
nuancerons, se rapproche de celui d’une étude réalisée par le Centre National de Recherche

107
Scientifique (CNRS) scindant une nouvelle fois les usagers présentant un handicap
psychique exerçant en ESAT en deux catégories. « Même si l’insertion en entreprise
ordinaire reste souvent demandée par les travailleurs car elle apparaît justement comme un
moyen efficace d’évoluer professionnellement, tous n’ont pas forcément cette envie de s’y
orienter »134.

i. Certains usagers pérennisent l’emploi en milieu protégé…

Parmi l’ensemble des usagers s’étant entretenus avec nous, nous estimons qu’un tiers
des enquêtés n’auraient pas pour finalité d’accéder à un emploi en milieu ordinaire mais bien
de s’inscrire durablement au sein de l’ESAT. Les paroles de Michelle illustrent parfaitement
cette idée : « ça fait presque 25 ans que je suis ici à l’ESAT, j’y suis bien ! Je vois pas
pourquoi j’irai dehors franchement [en parlant du milieu dit ordinaire] ». Plusieurs raisons
ont été invoquées face à ce phénomène.

Tout d’abord, le profil des usagers percevant leur avenir professionnel au sein
d’ateliers en milieu protégé apparaît comme étant plutôt homogène. Nous constatons que
majoritairement les personnes dont le souhait est de rester en ESAT sont celles n’ayant
jamais travaillé en milieu ordinaire avant leur entrée en ESAT. Nous pouvons rajouter que
ces personnes ont, pour la plupart, effectué une scolarité en milieu protégé (école spécialisée,
Institut Médico Educatif, Institut Médico-Professionnel, etc.). Toutefois, nous ne pouvons
généraliser cet élément précité. Par exemple, Michelle, scolarisée en milieu protégé, souligne
ainsi le fait qu’on lui ait déjà « proposé de travailler à Carrefour… Je pourrais pas… faut
courir, je veux rester ici… ».

Lorsque nous abordons avec ces personnes les raisons les amenant à poursuivre leur
parcours en E.S.A.T., beaucoup d’entre eux ainsi que des professionnels évoquent le fait que
« travailler en milieu ordinaire leur fait peur, peur de la nouveauté, de perdre ses repères »,
(Bertrand, moniteur d’atelier). David, moniteur principal en ESAT mixte nous apporte
davantage d’explications : « Certains n’osent pas sortir de l’ESAT. Ils ont leur zone de
confort ici et ils se sentent protégés. Dès qu’on les met hors de la structure, ils perdent

RENAUD Anaïs. L’insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail. Publié par le
134

CNRS. Disponible sur : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01163385/document. Consulté le 2 mai 2016.

108
souvent leur confiance et peuvent carrément perdre leurs moyens parce qu’ils ont peur de
l’inconnu. Alors qu’ici, ils ont des facilités et sont à l’aise ». L’expression d’un sentiment
d’inquiétude quant au milieu « ordinaire » apparaît de manière récurrente pour ces personnes
présentant un handicap psychique : « elles ont peur de l’inconnu et surtout appréhendent de
ne pas pouvoir suivre le rythme de travail imposé par l’employeur »135 .

De plus, ayant pour finalité de permettre aux usagers porteurs de ce handicap


d’accéder au milieu ordinaire, les ESAT proposent des mises à disposition et des stages
notamment en entreprise tout en respectant les projets professionnels. Parmi les usagers
rencontrés, douze d’entre eux expriment avoir eu la possibilité d’en effectuer. Cependant,
certains expriment avoir eu « une mauvaise expérience en stage, ça me donne pas envie d’y
retourner, ça s’est mal passé » (Brigitte, usagère d’un ESAT hors les murs). De plus, cinq
des usagers enquêtés dont Jacqueline (ESAT Mixte) soulignent une récurrence des stages
sans que ceux-ci n’aboutissent à une embauche en milieu ordinaire : « Les stages, ça me
connaît ! J’en ai bien fais 6 mais ça n’a pas servi ! Pourtant avec le rythme de boulot, je
faisais des efforts ! Personne ne m’a gardée alors je suis bien ici et je compte y rester ».

Nous avons pu constater qu’à plusieurs reprises les usagers mettent parfois en avant
leur famille pour expliquer leur maintien en milieu protégé. Ainsi, Miguel nous explique que
« mon entourage n’est pas forcément pour, ils disent que ça peut me mettre en danger ».

En effet, les usagers se disant sceptiques à l’idée d’envisager leur avenir professionnel
en milieu ordinaire évoquent essentiellement deux distinctions principales entre l’activité
professionnelle en ESAT et celle effectuée en milieu dit ordinaire : d’une part, « un
rendement et une cadence plus soutenue, ça stresse ! » (Aurélien) et d’autre part « si ça ne
va pas, j’ai pas la psy ou l’assistante sociale, je suis seule et pas bien » (Barbara). Ces deux
aspects seront également développés par les professionnels interviewés.

Il s’avère que les usagers présentant un handicap psychique déclarent apprécier le


rythme de travail en ESAT en le comparant à celui mis en place en milieu ordinaire : « Ici,
c’est pas le même rendement, on nous en demande pas autant ! Quand c’est le milieu normal,
il faut tout le temps speeder. On nous demande d’être à fond mais avec les médicaments, dès
fois, j’en peux plus. C’est même flippant », (Nathalie, 31 ans). Les propos tenus par d’autres

135
Ibidem.

109
usagers, tels que Luc se rapprochent de ceux développés par Nathalie : « En ESAT, on va à
son rythme, tandis qu’en entreprise privée, c’est pas pareil, ça va plus vite. Tu n’as pas
d’autres choix que de t’adapter quitte à ce que ça te bousille le corps et l’esprit quoi ! ».
Cette représentation du milieu « ordinaire », comme nécessitant un rythme de travail soutenu,
augmenterait par ailleurs le stress de ces derniers de « ne pas réussir à tenir le rythme, de ne
pas réussir à satisfaire nos chefs », (Lorenzo, usager d’un ESAT hors les murs).

Le second aspect mis en avant par les enquêtés correspond à l’absence de soutien et
d’accompagnement lorsque les usagers sont insérés, lors de mise à disposition par exemple,
en milieu ordinaire de travail. Ainsi, Bertrand, moniteur d’atelier, nous raconte : « Quand ils
ont un problème en entreprise, déjà on n’est pas toujours prévenus. Alors souvent, il n’y a
personne à leur écoute, pas de soutien. A l’ESAT, quand un de nos gars part au quart de
tour, on appelle nos collègues et il ne reste pas seul ». Cette vision sera reprise lors de divers
entretiens par les usagers eux-mêmes : « Quand ça ne va pas, que j’ai l’impression qu’on me
veut du mal, bah je vais voir la psychologue ou même mon moniteur. Ça fait du bien de
savoir que leur porte est ouverte », déclara Karim, (usager d’un ESAT Mixte).

Nous pourrions dire que les responsables des ESAT sur lesquels nous nous sommes
centrés déclarent effectivement qu’une partie des usagers en situation de handicap psychique
a cette « volonté de rester en ESAT. Ils sont contents, la plupart ne veulent pas changer
d’atelier. Ce qui est étonnant, c’est que ça fait des années qu’ils sont là pour certains et
qu’ils font le même travail. Ils prennent plaisir à être là », (Catherine, chef de service d’un
ESAT traditionnel). Quatre des usagers interviewés ont, au cours de leur trajectoire
professionnelle en milieu protégé, été accueillis dans deux voire trois ESAT distincts.
Plusieurs éléments les auraient motivé à changer d’ESAT : se rapprocher de leur lieu de
résidence, tensions avec les collègues ou les professionnels les accompagnant, et la volonté
d’évoluer professionnellement mais toujours au sein d’ateliers en milieu protégé. Ce dernier
élément est développé par Barbara : « J’avais fait le tour de l’autre ESAT, pas que je ne m’y
plaisais pas. Je voulais du nouveau un peu, puis faire comme ma sœur qui est secrétaire et
qui est dans une autre boîte maintenant. Je voulais rencontrer d’autres gens, faire d’autres
activités mais toujours en ESAT. Pas envie d’être dans le monde normal ».

110
ii. Quand d’autres s’inscrivent dans une démarche d’insertion en milieu
« ordinaire ».

Même si un tiers des usagers aspirent à poursuivre leurs carrières professionnelles en


ESAT, la majorité des enquêtés a pour ambition d’accéder à moyen voire à long terme à un
emploi en milieu ordinaire de travail. Nathalie s’est par exemple exprimée à ce sujet : «
J’aimerais bien retravailler en milieu normal, c’est un projet mais pas pour tout de suite.
Pour le moment, j’aimerais bien rester à la laverie ».

Le profil des usagers dont le souhait serait de s’inscrire dans une dynamique
d’insertion professionnelle en milieu ordinaire apparaît en un point distinct de celui des
personnes ayant pour envie de s’inscrire durablement au sein du milieu dit « protégé ». En
effet, l’analyse des entretiens réalisés nous a permis d’apprécier l’élément suivant : les
usagers partageant cette ambition seraient ceux dont les interactions avec le milieu ordinaire
apparaissent comme étant les plus développées : famille, scolarité, logement, loisirs, etc. Lors
des entretiens, nous avions l’impression qu’ils cherchaient à mettre en avant les relations
qu’ils entretiennent avec le milieu ordinaire, mettant quelque peu de côté le fait qu’ils
exercent une activité professionnelle au sein d’un atelier protégé. Certains d’entre eux,
soulignent d’ailleurs : « Je ne vois pas de différence dans le travail en milieu ordinaire et ici
à l’ESAT », (Cédric).

Nous remarquons qu’une partie des usagers enquêtés, envisageant une insertion en
milieu ordinaire de travail, déclare avoir reçu une scolarité « classique ». Celle-ci fut parfois
entrecoupée avec des périodes de scolarité en milieu protégé. Les enseignements reçus leur
ont bien souvent permis d’accéder à des diplômes de niveau V (CAP / BEP). Seuls six des
usagers rencontrés indiquent être en possession d’un baccalauréat, voire même avoir effectué
une à deux années d’études supérieures. En retraçant son parcours depuis sa jeunesse, Cédric
s’est exprimé quant à sa scolarité : « Bah, j’ai fait un bac pro en comptabilité ! Je me serais
bien vu continuer mais on m’a déconseillé de faire le BTS alors bah j’ai fait de l’intérim…
J’avais l’impression qu’on m’en voulait, peur quand je sortais. J’ai vu un psy tout ça. Je suis
ici en raison de mon handicap. Ils [en parlant des professionnels de santé] voulaient que je
vienne plus tôt en ESAT mais je ne me sentais pas prêt ».

111
Lors des entretiens, nous avons ensuite pu appréhender avec ces usagers leurs
expériences professionnelles, avant leur entrée en structures de travail en milieu protégé.
Certains ont notamment effectué des missions d’intérim, travaillé en restauration rapide, ont
été préparateur de commande, cariste, électrotechnicien, etc. Parfois, une certaine nostalgie
relative à leur « ancienne insertion professionnelle » en milieu ordinaire apparaît : « J’aimais
bien ce que je faisais ! C’était difficile d’arriver ici. T’as l’impression quand t’arrive et que
t’y connais rien que c’est un autre monde. Ok, c’est chaud de prendre ses marques et de
trouver sa place. Autant, j’ai besoin de ça, de l’ESAT et après j’aimerais retourner dans une
boîte et être cariste », Cédric, usager d’un ESAT Mixte.

Revenus de façon récurrente lors de cette recherche action, ces éléments font échos à
ceux évoqués par les professionnels. Ainsi, Catherine, chef de service d’un ESAT, déclare :
« Pour l’usager avec un parcours institutionnel, l’ESAT est plus facile que pour une
personne avec un parcours ordinaire. Ce sera plus compliqué pour elle je trouve ». Une
monitrice d’atelier, Florence, approfondit cette idée : « Je pense que ceux qui viennent du
milieu ordinaire et que le handicap s’est déclaré tard, ils ne trouvent pas leur place sur le
long terme ici. C’est normal, ils n’ont jamais connu ce milieu et finiront par partir ».

Même si cette idée sera reprise par plusieurs interviewés, la quasi-totalité des
enquêtés s’inscrivant dans une dynamique d’insertion en milieu ordinaire de travail considère
« l’ESAT comme un tremplin »136 vers ce milieu. En effet, les usagers rencontrés s’accordent
sur ce point : « Ce qui est bien, c’est que l’ESAT permet de donner une seconde chance par
rapport aux différents handicaps qu’on a. C’est une super opportunité », (Jacqueline en
ESAT Traditionnel), « pour moi, c’est un privilège d’être ici, j’ai plein de responsabilités »,
(Karim en ESAT Mixte). Diverses expressions sont employées : « redonner de la confiance
en soi » (Mélanie), « retrouver un rythme de travail » (Karim) ou encore « avoir des
collègues, des règles à respecter » (Julia).

Une conseillère en insertion professionnelle met en évidence que : « Ceux qui veulent
rejoindre le milieu ordinaire savent que leur parcours sera semé d’embûches. C’est pour ça
qu’ils tentent peut être plus que les autres de faire des stages et des mises à disposition ».
D’après d’autres acteurs intervenant en ESAT, ces usagers s’inscriraient de façon plus

RENAUD Anaïs. L’insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail. Publié par le
136

C.N.R.S.. Disponible sur : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01163385/document. Consulté le 2 mai 2016.

112
soutenue dans une dynamique d’insertion que ceux souhaitant rester durablement en atelier
protégé. Ils semblent solliciter davantage les professionnels les accompagnant, souhaitant
réaliser des stages, des mises à disposition et des validations de leurs acquis de l’expérience
(VAE).

Par exemple, les propos tenus par Karim, usager d’un ESAT mixte depuis trois ans,
illustre parfaitement cette idée : « Moi, je suis souvent à dire que je veux faire des stages à
mon moniteur. J’ai déjà été au service jeunesse de la mairie, en logistique pour un magasin.
J’ai fait une mise à disposition et j’ai fait de l’administratif […]. Je suis content d’y aller
moi. J’ai fait la RAE en 2015 aussi, j’ai montré tout ce que je savais faire comme le
chargement du camion, la commande de produit, la politesse, voilà. Je suis dans l’impatience
de travailler en milieu ordinaire peut être une embauche, mais d’abord les stages, ». D’après
Julia, usagère d’un ESAT hors les murs, « ces stages, c’est un pas de plus vers le travail
classique, on s’en approche. Peut-être un CDI à la clef », énonce-t-elle.

Nous pourrions ajouter que certains usagers rencontrés, dont l’ambition est de
s’inscrire dans une démarche d’insertion en milieu ordinaire de travail, semblent bénéficier
d’un entourage les confortant dans cette dynamique. Comme en témoigne Stéphane, usager
d’un ESAT hors les murs : « Ma famille me soutient, ils sont pour, et me poussent un peu à
m’éloigner de l’ESAT. ». En plus d’apporter un soutien important pour les usagers euxmêmes,
les membres de leur famille peuvent être des relais, des personnes ressources sur lesquels
peuvent s’appuyer ces structures médico-sociales.

b) Quels besoins pour la population enquêtée ?

Quel que soit le terrain d’enquête, lorsque nous échangeons avec les usagers sur les
pistes d’amélioration qu’ils envisagent concernant l’atelier protégé dans lequel ils évoluent,
la quasi-totalité d’entre eux estime « travailler dans de bonnes conditions ici, y’a pas grand
choses à améliorer », (Michelle, usagère et membre du Conseil de Vie Sociale). Ils indiquent
également que « l’ESAT est soumis à des règles et à des normes, on doit assez souvent
changer nos façons de travailler. Les moniteurs nous disent que c’est pour améliorer les
conditions de travail », (Nathalie, ESAT mixte). Les demandes formulées par les usagers
sont principalement d’ordre matériel, afin de faciliter leurs activités professionnelles

113
quotidiennes : « une filmeuse de palettes automatique », « des nouvelles blouses de travail
», « des vestiaires mieux organisés », etc.

Ces usagers ajoutent qu’il serait judicieux d’approfondir les formations proposées en
ESAT relatives « au positionnement professionnel que chacun doit adopter en entreprise »,
(Edouard, chargé des relations avec les entreprises). De nombreux ESAT offrent une palette
d’actions de soutiens pour permettre aux usagers d’appréhender, peut-être plus sereinement,
l’insertion professionnelle en milieu ordinaire. Par exemple, l’une de ces structures propose
un atelier intitulé « Savoir être en entreprise ». Ce dernier nous a été expliqué par un
participant que nous appellerons Aurélien : « C’est la psychologue et la référente insertion
qui animent ça. En faisant des mises en pratique, ils nous apprennent à savoir comment agir
en entreprise, comment nous comporter avec les collègues, notre chef. J’ai appris les
comportements qu’il faut adapter à l’extérieur ». Les périodes d’alternance entre les activités
réalisées en ESAT et les mises à disposition / les stages peuvent ainsi permettre aux usagers
participant à ces ateliers de transposer les compétences acquises au sein de structures de
travail en milieu ordinaire.

Malgré nos sollicitations, ce ne sont pas tant les usagers mais plutôt les professionnels
interviewés qui mettent davantage en exergue leurs besoins quant à l’accompagnement d’un
public présentant un handicap psychique.

Tout d’abord, comme nous avons pu le constater précédemment, la quasi-totalité des


professionnels interviewés en ESAT traditionnels et mixte soulignent un manque de
connaissances relatif au handicap psychique : « Je ne suis pas très à l’aise avec cette notion.
C’est un peu paradoxal et complexe vue que je bosse en ESAT ». Ce sont essentiellement les
acteurs intervenant dans le champ de la production qui indiquent être en demande d’une
formation, non pas uniquement théorique comme ils ont pu déjà en bénéficier, mais d’une
formation alternant apports théoriques et jeux de rôle. En effet, ils soulignent « ne pas savoir
comment agir quand un gars est en crise, angoissé et je pense que c’est lié au fait qu’on ne
sait pas vraiment ce que c’est le handicap psychique », (Gérard, moniteur d’atelier). Ces
acteurs insistent sur cette formation qui selon eux, leur permettrait de faire évoluer leurs
pratiques professionnelles, tout en répondant aux besoins et aux attentes des personnes
présentant un handicap psychique.

114
Bon nombre d’entre eux ajoutent qu’il pourrait être intéressant que chaque usager ait
une « fiche de liaison, dans lequel on y mettrait peut être pas son handicap mais les
conséquences que cela peut engendre en atelier, les difficultés qu’il rencontre, les
préconisations des professionnels médicaux, ce qu’il sait faire… Parce que dès fois, on fait
des erreurs qu’on pourrait éviter si on savait certaines choses », David, moniteur principal
d’un ESAT mixte. Un de ses collègues rajoute « qu’il faut que l’usager soit d’accord,
derrière il y a le secret médical et tout. L’idée est top, faut juste faire gaffe que ça ne soit pas
stigmatisant pour l’usager. Mais en même temps, ça lui permettrait de s’exprimer par
rapport à son handicap ».

Ensuite, les professionnels intervenant au sein d’ESAT souhaiteraient renforcer la


coordination entre les équipes médico-sociales et celles de la production. Celle-ci aurait des
incidences sur l’accompagnement proposé aux usagers accueillis. Ainsi, Dorothée, directrice
adjointe d’un ESAT indique « travailler en ce moment sur les binômes de référent pour faire
en sorte que le moniteur du travailleur soit son référent en binôme avec quelqu’un du service
médico-social, éducatif ». Elle explique qu’il s’agit d’un outil efficace qui aura pour finalité
de « réarticuler au plus juste l’accompagnement dans l’intérêt de la personne ».

En plus de cela, certains professionnels disent ressentir le besoin d’amplifier et parfois


d’instaurer « des Groupes d’Analyse de Pratiques (GAP) entre les professionnels. L’idée est
de mixer les équipes : les ateliers et le médico-social. Nous, on en fait tous les mois, mois et
demi. Ce serait bien d’en faire plus ». Selon Dominique Fablet, docteur en sciences de
l’éducation, cette analyse des pratiques « vise essentiellement l’évolution de l’identité
professionnelle des praticiens dans ses différentes composantes : renforcer les compétences
requises dans les activités professionnelles exercées, accroître le degré d’expertise, faciliter
l’élucidation des contraintes et enjeux spécifiques de leurs univers socioprofessionnels,
développer des capacités de compréhension et d’ajustement à autrui »137.

Enfin, les professionnels enquêtés ont signalé avec insistance un « manque de


coordination avec les réseaux extérieurs et ça impacte directement les usagers », (Christelle,
conseillère en insertion professionnelle). Trois éléments ont été principalement développés :
« faut voir plus les partenaires, il n’y a pas que l’ESAT « (psychologue), « trouver des

137
FABLET Dominique, Les groupes d'analyse des pratiques professionnelles : une visée avant tout
formative , Connexions 2/2004 (no82), p. 105-117

115
entreprises et des collectivités qui jouent le jeu » (Christelle), « prévoir un meilleur
accompagnement en stage » (David).

Les professionnels des équipes médico-sociales interviewés ont en effet insisté sur
l’importance de renforcer les dynamiques partenariales. Ils indiquent que les usagers
présentant un handicap psychique « sont accompagnés par une multitude de partenaires.
Souvent il y a nous, les structures de soins, les foyers, les mandataires judiciaires et d’autres
». A travers les entretiens réalisés auprès d’usagers, nous avons constaté que ces derniers
bénéficient bien souvent d’accompagnement en dehors de l’ESAT. Par exemple, Jacqueline
nous explique vivre au sein d’un foyer d’hébergement, se rendre régulièrement au CMP pour
des rendez-vous et être sous mesure de protection juridique des majeurs. Des réunions de
synthèse sont réalisées, souvent de façon annuelle, entre ces partenaires. Elles ont pour
finalité d’apprécier l’évolution de la situation de la personne en tenant compte de son projet
de vie. Elles permettent également de mutualiser les compétences des professionnels tout en
articulant les accompagnements proposés en vue que ces derniers ne s’empiètent pas les uns
par rapport aux autres.

Les professionnels chargés d’accompagner les usagers concernant les stages de


découverte et les mises à disposition en milieu ordinaire de travail soulignent les limites
qu’ils rencontrent. Ils mettent notamment l’accent sur le fait que ces expériences d’insertion
en milieu ordinaire sont rendues difficiles à mettre en œuvre tant « il est compliqué pour
certaines entreprises et collectivités d’accueillir des personnes handicapées psy. Attention,
je ne dis pas qu’elles ne jouent pas le jeu, loin de là, mais ce sont toujours les mêmes. Il y a
cette idée de rejet de leurs parts par peur et par méconnaissance du handicap psychique »,
témoigne Edouard, Chargé des relations entre entreprises en ESAT hors les murs. Il met alors
en avant ses missions expliquant avoir pour tâche de « trouver des terrains de stage mais
pour ça, faut d’abord travailler avec les structures extérieures ! Ces entreprises ne savent
pas vraiment en quoi consiste le handicap psychique et se montrent vachement réticentes.
C’est aussi mon rôle de travailler sur leurs représentations ». Christelle, dont la profession
est similaire à celle d’Edouard mais dans un autre type d’ESAT, souligne ainsi que l’ESAT
apparaît comme un établissement cloisonné : « Des portes se ferment parce qu’on est dans
un système particulier. Alors bon… j’essaie de bosser avec beaucoup de partenaires comme
Cap Emploi, je participe à pleins d’événements en lien avec l’insertion des personnes

116
handicapées. C’est ça qui me permet de trouver des terrains pour les mises à dispo et pour
les stages ».

Par ailleurs, les professionnels rencontrés s’accordent sur le fait de la nécessité


proposer un « accompagnement plus poussé. Même si on les sent capables d’aller en milieu
ordinaire, on ne peut pas les laisser dans la nature, c’est mettre tout le monde en difficulté
», proclame David, moniteur principal au sein d’un ESAT. Ils soulignent toutefois ne pas
savoir comment approfondir l’accompagnement déjà mis en place, sans que cela ne nécessite
des moyens humains supplémentaires. David nous relata avoir accompagné une usagère,
Anaïs, sur son lieu de stage : « J’ai été avec elle la présenter à la structure, à la nouvelle
équipe parce que c’est un nouveau lieu, elle perdait ses repères. Sa mission en gros, c’était
de couper du textile, elle était perdue. Plusieurs fois je l’ai accompagné, je lui ai expliqué
comment il fallait faire. Au fur et à mesure elle a pris confiance, tout ça. Sa responsable était
vraiment contente une fois que les ajustements avaient eu lieu. Et, on faisait des points
réguliers, on s’appelait, je me rendais sur place pour faire un bilan ». Les acteurs intervenant
au sein d’ESAT indiquent que les usagers seraient, pour la plupart, en demande d’un
accompagnement plus régulier : « ça les rassure », « une personne de l’ESAT comme
personne ressource dans un lieu inconnu », « une aide en cas de difficulté ».

L’ESAT historique, bien qu’il ait été pensé comme une institution prenant en charge
les besoins et attentes des usagers, est aujourd’hui contraint de s’ouvrir vers l’extérieur. Dans
cette logique, le travail, principal outil de l’accompagnement, revêt plusieurs logiques. Entre
besoin de protection et volonté d’insertion, le travail reste au cœur de la mission des ESAT.
Les passerelles vers le milieu ordinaire se développent, notamment avec l’arrivée
d’une population en situation de handicap psychique ayant des besoins et des attentes
différents. Cette dynamique est accentuée par la loi de 2002, mais aussi par les mutations
économiques actuelles.
Nous verrons que ces recompositions institutionnelles vont impacter les pratiques et
les identités professionnelles, qui vont se définir autour de compétences réactualisées.

117
Action Favoriser l'accompagnement des personnes en situation
de handicap psychique en milieu ordinaire : création de
N°2 fiches de suivi ESAT-Entreprise

 Manque de suivi de l'usager après son insertion en milieu ordinaire


Pourquoi cette
 De nombreux cas d’absentéisme et d'abandons en entreprise lors des stages
action ?
et mises à dispositions

A qui elle - Entreprises : Direction des Ressources Humaines


s’adresse ? - ESAT : Chargé d'insertion

- Favoriser les passerelles entre milieu protégé et milieu ordinaire


- Accompagner l'entreprise à intégrer une personne en situation de handicap
Les objectifs psychique dans sa structure
- Adapter le poste à la personne en situation de handicap psychique

 Période de mise à disposition de la personne en situation de handicap en


entreprise avec comme condition, la création d'une fiche partagée entre
l'ESAT et l'entreprise
 Désignation d'une personne référente dans chacune des structures, qui fera le
lien entre l'entreprise et l'ESAT
Descriptif de
 Mise en place de réunions à intervalle régulier entre l'entreprise et l'ESAT
l’action
avec la présence des deux référents et de l'usager, pour faire un point sur la
situation de l'usager
 Le suivi peut s'effectuer sur plusieurs mois, voire plusieurs années, avec un
échelonnement des réunions et du suivi à moduler en fonction des situations

- Prise en compte des compétences et difficultés de la personne


Facteurs de - Investissement de l'entreprise et du tuteur de proximité
réussite - Bilans réguliers entre les référents

 Aménagement du poste permettant une meilleure intégration de l'usager dans


son nouvel environnement de travail
Résultats  Amélioration de l’accompagnement de l’usager lors des stages, mises à
attendus et
évaluation disposition et embauche en milieu ordinaire
 Création d'une dynamique d'insertion pour les ESAT

118
Action Favoriser la communication entre les moniteurs d’atelier
à propos des usagers : création de fiches de liaison
N° 3

 Manque de communication à propos des antécédents des usagers au


sein de l’ESAT entre les moniteurs d’atelier, ce qui créé des erreurs
dans l’accompagnement des usagers et peut les mettre en danger.
Pourquoi cette
Récurent dans les trois types d’ESAT.
action ?
 Besoin de connaitre le type de la maladie pour savoir comment
approcher l’usager.
 Cloisonnement des équipes de moniteurs d’atelier qui peut impacter
l’accompagnement mené auprès de l’usager.

A qui elle  Publics visés : les usagers de l’ESAT.


s’adresse ?  Acteurs : les moniteurs d’atelier.

 Favoriser la coordination entre les moniteurs d’atelier


 Assurer la sécurité de l’usager, de ceux l’entourant et du moniteur
Les objectifs  Assurer la prise en charge globale de l’usager
 Mutualiser les connaissances entre les moniteurs d’atelier
 Faciliter la circulation d’information

 Il s’agit de créer une « fiche liaison », c’est-à-dire une fiche avec les
noms des usagers, le type de leur maladie et les antécédents qu’ils ont
Descriptif de
pu avoir dans la structure, c’est-à-dire les crises qu’ils ont pu faire par
l’action
exemple et comment il faut réagir dans cette situation.
 Cette fiche est remise à chaque moniteur d’atelier.

 Recueillir les informations auprès des moniteurs d’atelier qui ont


accompagné l’usager.
 Compléter la fiche liaison au fur et à mesure de l’accompagnement de
Facteurs de
l’usager.
réussite
 Veiller au respect du partage de l’information (avoir l’accord de
l’usager pour transmettre des éléments entre les moniteurs).

 Participation active de chaque moniteur d’atelier à la bonne rédaction


Résultats des fiches de liaison.
attendus et  Amélioration de la communication interne
évaluation  Amélioration de l’accompagnement de l’usager

119
PARTIE IV – RECOMPOSITIONS INSTITUTIONNELLES ET
PROFESSIONNELLES

La prise en charge des usagers en ESAT est double. Elle repose d’une part sur
l’encadrement du travail en atelier de production par les moniteurs d’atelier, et d’autre part
sur l’accompagnement social et médico-psychologique de l’usager par divers professionnels
du secteur (éducateurs techniques spécialisés, éducateurs spécialisés, assistants de services
sociaux, psychologues, psychiatres, infirmiers, médecins). Le pôle de production concentre
le plus de professionnels et se compose généralement des moniteurs d’atelier, d’un ou
plusieurs moniteurs principaux et parfois d’un directeur de production.

Cet articulation entre médico-social et production est aujourd’hui un enjeu majeur pour
les ESAT rencontrés. Les transformations structurelles des ESAT, aussi bien économiques
que législatives, amènent à davantage de transversalité.

Nous verrons d’abord ce qui caractérise ces transformations institutionnelles au sein des
ESAT rencontrés, avant de nous centrer sur l’impact de ces mutations sur les identités et les
pratiques des professionnels, à la fois des équipes médico-sociales et psychologiques et des
équipes de production.

A. Les transformations structurelles des ESAT : des mutations économiques et


législatives

Nous nous sommes centré jusqu’ici sur les évolutions liées à la population accueillie, en
particulier l’augmentation de la part des personnes souffrant d’un handicap psychique. Nous
souhaitons maintenant nous centrer sur deux autres transformations majeures qui ont été
soulevées par nos terrains d’enquêtes, à savoir les mutations économiques, questionnant le
modèle historique de l’ESAT comme sous-traitant industriel, ainsi que des mutations
législatives instaurant une dynamique de contractualisation.

a) La remise en cause du modèle historique de l’atelier de sous-traitance industrielle

120
Comme nous l’avons vu, les ESAT ont une double finalité économique et médico-
sociale. Il s’agit d’une structure à la fois de « mise au travail » et d’accompagnement médico-
social dispensant les soutiens requis par l’usager. Dès les années 70, les ESAT ont cherché
à maintenir cet équilibre et se sont engagés dans des activités de sous-traitance industrielle138
en proposant des coûts très inférieurs à ceux du marché « ordinaire ». Les activités
historiques sont donc celles nécessitant peu de compétences techniques, appelées activités
de « conditionnement » (assemblage, emballage, expédition) et permettant d’accueillir un
nombre jugé « rentable » de travailleurs.

Toutefois, cette « rentabilité » a progressivement été remise en question par


l’évolution des dotations financières, revues à la baisse en 1989 puis en 1994. Par ailleurs
les délocalisations des activités de sous-traitance des années 1990 vers les pays d’Europe de
l’Est et d’Asie, ainsi que l’augmentation du nombre d’ESAT sur le territoire nationale, ont
entraîné une perte de marchés ainsi qu’une concurrence accrue entre établissements.

Ces mutations économiques amènent les ESAT à questionner leurs pratiques et à se


diversifier. L’enquête OPUS 3 de 2009139 montre qu’au niveau national :
 38% des ESAT ont arrêté au moins une activité sur les cinq dernières années
 21% prévoient d’en arrêter dans les trois prochaines années
 74% envisagent de démarrer de nouvelles activités dans les prochaines années

Les ESAT sur lesquels nous sommes intervenus n’échappent pas à ces logiques et
cherchent, au regard du public qu’ils accueillent et des marchés potentiels du territoire, à se
saisir de ce mouvement pour réinterroger leur fonctionnement et se repositionner dans de
nouvelles activités de production et de services.

Christophe Baret propose ainsi une typologie 140 des stratégies économiques des
ESAT, qui sont de trois ordres :

138
BARET Christoph , « Les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) parviennent-ils à
concilier objectifs économiques et missions médico-sociales ? Une proposition de matrice stratégique »,
RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2012/2 (n°2), p.69
139
OPUS 3‐DGCS, Appui des services de l’Etat à la modernisation et au développement des ESAT dans
leurs missions médico-sociale et économique, 2009 [cité par] lettre de cadrage accompagnement des
travailleurs en ESAT
140
BARET Christophe, « Les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) parviennent-ils à
concilier objectifs économiques et missions médico-sociales ? Une proposition de matrice stratégique »,
RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2012/2 (n°2), p. 66-82.

121
 La première concerne la continuité d’activités de sous-traitance, favorisée grâce à la
proximité d’usines sur le territoire. C’est le cas d’un ESAT traditionnel qui possède
de nombreux clients dans les activités de conditionnement : « on a la chance d’avoir
pas mal d’entreprises à proximité, notamment en papeterie, donc on a du travail ».
(Pierre)
 La seconde stratégie repose sur le développement d’activités à plus forte valeur
ajoutée. Cet axe est mobilisé pour faire face au déclin des activités traditionnelles de
sous-traitance. L’un des ESAT traditionnels a ainsi choisi de développer dans les
prochaines années à venir de nouvelles activités, telles que l’horticulture dans les
plantes « rares », l’imprimerie, la « ressourcerie » ou encore la logistique. Pour ce
faire, un nouvel établissement vient d’être créé, ressemblant à une entreprise
« ordinaire » : « vous allez voir, on dirait une PME. C’est plus valorisant, pour eux
comme pour nous » (directeur de l’établissement). L’ESAT projette également de
mettre en place une « unité » spécifique pour les personnes en situation de handicap
psychique, qui réalisera des activités à plus forte valeur ajoutée. Dans cette optique,
le handicap psychique participe donc à la mise en place d’un ESAT « vitrine »
favorisant davantage la valorisation des compétences plurielles des usagers et de
l’établissement que l’ESAT historique. L’accueil de personnes en situation de
handicap psychique devient un atout, un moteur d’innovation et de création pour
s’engager dans de nouveaux secteurs.
 Le dernier axe économique que nous avons pu observer concerne le développement
d’activités de service. Un ESAT mixte s’est ainsi orienté vers cette stratégie, en
développant les activités liées aux espaces verts, à la blanchisserie industrielle et à la
restauration collective. Ils ont ainsi développé une nouvelle clientèle de particuliers,
d’entreprise et de collectivités (conseil départemental notamment). En outre, environ
1/3 de leur production est réalisée pour le propre compte de l’association. Par
exemple, la blanchisserie prend en charge le linge des établissements d’hébergement
de l’association. Cette stratégie permet ainsi de diminuer les coûts et d’assurer du
travail aux usagers.

Il faut noter qu’aucun ESAT ne se saisit d’une seule stratégie mais qu’en général les
établissements engagent plusieurs axes de développement. Toutefois, certains restent
privilégiés par les établissements.

122
b) Les lois de 2002 et de 2005 : un nouveau cadre législatif et règlementaire

Aux mutations économiques que nous venons d’aborder s’ajoutent également des
évolutions législative majeures, impulsées par les lois n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant
l’action sociale et médicosociale et n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits
et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Ces lois réaffirment la mission médico-sociale des ESAT et place l’usager au cœur
du dispositif d’accompagnement. Pour ce faire, elles imposent l’élaboration et la mise en
œuvre du projet individualisé de l’usager. L’objectif est de favoriser la prise en compte de
ses besoins et de veiller à ce que les contraintes budgétaires et organisationnelles de
l’établissement ne s’imposent pas à lui.

Ce projet est inscrit d’une part dans le contrat de séjour prévu par la loi de 2002, et
renommé contrat de soutien et d’aide par le travail par la loi de 2005. Le décret n° 2006-
1752 du 23 décembre 2006 141 définit un modèle de contrat de soutien et d’aide par le
travail 142
, auquel l’établissement ne peut déroger, ainsi que les modalités de
contractualisation. Ce contrat, passé entre l’ESAT et l’usager, pose les engagements
respectifs des deux parties. Il doit être signé par l’ensemble des parties dans le mois qui suit
l’admission de l’usager.

D’autre part le projet de la personne accueillie est également inscrit dans le projet
personnalisé, annexe du contrat de soutien et d’aide par le travail, qui est co-construit à
l’issue de la période d’essai. Il précise les objectifs et les prestations adaptées et
personnalisées, qui sont révisables. Il s’agit ainsi de construire des trajectoires évolutives
prenant en compte à la fois l’usager et les conditions de fonctionnement de l’ESAT, et
d’assurer le consentement de l’usager à la mise en œuvre de son projet.

La mission médico-sociale des ESAT, bien qu’elle soit réaffirmée dans chacune des
lois concernant les établissements, est mise en œuvre, aujourd’hui encore, de manière
hétérogène selon les établissements. Ces dynamiques vont varier selon la place accordée au

141
Décret n° 2006-1752 du 23 décembre 2006 relatif au contrat de soutien et d’aide par le travail et aux
ressources des travailleurs des établissements ou services d’aide par le travail.
142
Voir annexe n°5

123
travail dans le projet éducatif des ESAT143 :
 Dans certains établissements, le rôle des ESAT reste de fournir du travail car
« quand ils n’ont pas de travail, on fait des jeux de société, mais ça va un
moment. Après ils s’ennuient… ». Un autre moniteur ajoutait : « quand ils ont
du travail ils oublient leurs problèmes. C’est plus compliqué c’est quand y’a
pas de travail ». Aussi dans un établissement enquêté, les actions de soutien
à caractère éducatif et social restent encore limitées, au profit de soutiens
professionnels.
 La deuxième stratégie repose sur le développement d’un accompagnement
personnel de la personne handicapée, impulsé par les lois de 2002 et de 2005.
Le travail devient alors un outil de l’accompagnement à la mise en place du
projet individuel de l’usager « acteur » : « on essaie toujours que le
travailleur soit au cœur, au centre de son propre projet ». (moniteur d’un
ESAT mixte)
 La dernière stratégie repose sur une spécialisation dans l’insertion en milieu
ordinaire. L’ESAT Hors les murs, comme nous l’avons vu, en a ainsi fait son
modèle d’accompagnement. Il développe, en parallèle des mises à disposition
et des stages, de nombreux soutiens à caractère social et éducatif destinés à
développer l’autonomie des usagers et à « normaliser » les usagers selon les
codes du milieu « ordinaire ».

L’émergence d’un parcours individualisé de l’usager, impulsée par les lois de 2002
et de 2005, implique donc la mise en place de la contractualisation. Cette dynamique vise à
modifier la relation entre le professionnel, ou plus largement l’ESAT, et l’usager, souvent
considérée comme un rapport de contrainte et de contrôle.144L’objectif est ainsi d’équilibrer
cette position en l’orientant vers un dialogue entre deux individus-acteurs. Il s’agit également
d’instaurer un caractère individualisé à la prise en charge, afin que chaque usager
bénéficiaire d’une prestation ait droit à une réponse adaptée à son parcours.

143
BARET Christophe, « Les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) parviennent-ils à
concilier objectifs économiques et missions médico-sociales ? Une proposition de matrice stratégique »,
RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2012/2 (n°2), p. 66-82.
144
AUTES M., Les paradoxes du travail social, Dunod, 1999.

124
Toutefois, l’individualisation des prestations peut également être analysée comme
une « injonction » qui s’impose à l’usager comme à la structure. Philippe Lyet, qui apporte
une critique à la notion de contractualisation, souligne ainsi :

« L’émergence de la double problématique du contrat et de la prestation


individualisés dans l’action sociale est un phénomène pluriel qui charrie plusieurs
significations. S’il est une forme de réponse à la singularisation des parcours de vie, il
apparaît aussi comme la transposition de (…) l’idéologie de l’individu autonome et
responsable, entrepreneur de lui-même, invité à se prendre en charge, gestionnaire de ses
intérêts et engagé dans des relations utilitaires à visée stratégique avec ses collaborateurs
ou ses partenaires. Dans le domaine de l’action sociale, il traduit un renversement de la
dette sociale et se manifeste, selon Isabelle Astier145, par six injonctions adressées aussi bien
aux politiques publiques qu’à leurs usagers : activer, reconnaître, se rapprocher,
personnaliser, accompagner, responsabiliser »146.

Aussi, pour Danilo Martuccelli, cette injonction à la responsabilisation constitue


l’expérience contemporaine de la domination, elle « suppose que l’individu se sente,
toujours et partout, responsable non seulement de tout ce qu’il fait (notion de responsabilité),
mais également de tout ce qui lui arrive (notion de responsabilisation) »147. Ce mécanisme
atteint son paroxysme dans la logique de projet148, où la dimension du choix est paradoxale.
L’idée de l’individu-acteur y est défendue, mais les possibilités de réaliser un projet vont
dépendre des ressources qu’il possède. Or pour les personnes considérées comme
« vulnérables », ces ressources peuvent être limitées, et le projet peut alors devenir une
contrainte qui s’impose à l’usager.

Il apparaît donc important de veiller à adapter les modalités du contrat individualisé


aux problématiques de l’usager et de tenir compte du fait que la capacité à contractualiser et
à développer une stratégie pour mettre en œuvre un projet ne va pas de soi. Philippe Lyet
souligne également les effets « pervers » que peut impliquer l’orientation d’un projet vers

145
ASTIER Isabelle, Les nouvelles règles du social, PUF, coll. « Le lien social », 2007. [cité par] Philippe
Lyet, « Approche sociologique : la transaction sociale ou sortir de l’impasse et de la prestation individualisée
dans l’action sociale », in Catherine Taglione, Contrat et contractualisation dans le champ éducatif, social
et médico-social, Presses de l’EHESP « Hors collection », 2013, p.50
146
LOVT Philippe, op.cit., p.50
147
MARTUCCELLI D., (2004) « Figures de la domination », Revue française de sociologie, Vol. 45, p.479
148
MARTUCCELLI D., op.cit. p.493

125
des problématiques exclusivement individuelles :
« Quel qu’en soit le fondement idéologique, la réduction des problématiques à la
dimension individuelle ne permet pas une prise en compte pertinente des situations des
bénéficiaires et produit les mêmes effets pervers. Ce n’est pas parce que la singularité des
individus est aujourd’hui un fait avéré que l’individualisation de l’intervention serait la
principale, sinon la seule, réponse pertinente aux problèmes sociaux, qu’elle prenne la
double forme d’un contrat engageant l’individu et d’une fourniture de prestations
individualisées ou celle d’une prise en charge psychologique des individus. Les situations
individuelles sont encastrées dans des phénomènes collectifs et certains problèmes
ressortent du développement des inégalités sociales, économiques ou politiques ou des
phénomènes de stigmatisation. Aussi, les contrats proposés sont-ils souvent dissymétriques,
l’engagement de la « société » n’étant pas à la hauteur des attentes implicites, en termes
d’autonomie et de responsabilisation, formulées à l’encontre de l’individu »149.
Philippe Lyet préconise ainsi de penser l’intervention sociale comme une
« transaction sociale », prenant en compte la complexité des situations. Le contrat, dans
cette logique, repose sur d’autres dimensions que l’exigence d’engagements réciproques :
« c’est aussi un contrat relationnel et un contrat éthique ou, plutôt, une transaction sociale,
c’est-à-dire la mise en équivalence de valeurs, de logiques, de principes différents dans le
cadre d’une relation de confiance » 150.

Depuis les années 1990, nous avons pu voir que les ESAT subissent deux types de
mutations, liées d’une part au développement de logiques concurrentielles et d’autre part à
l’imposition d’un nouveau cadre législatif visant à améliorer la qualité de la prise en charge
des usagers.

Ces mutations vont avoir un impact sur les logiques professionnelles, qui tendent
vers davantage d’articulation entre médico-sociale et production.

149
LVET Philippe, op.cit., p.53
150
LVET Philippe, op.cit., p.56

126
B. Moniteur d’atelier : un métier en mutation

Lorsque nous avons débuté cette recherche-action, nous nous sommes rapidement
centrés sur le profil des moniteurs d’atelier. Nous jugions leur rôle prépondérant dans les
rouages des ESAT, au regard de leur position privilégiée avec le public en situation de
handicap. Ces professionnels de « première ligne » sont en contact permanent avec les
usagers, pourtant leur parcours reste marqué par une formation jugée insuffisante, voire
inexistante.

Nous nous étions, durant ces premiers temps d’observations, familiarisés avec les
tensions qui marquent le quotidien des ESAT : conflits entre usagers, dignes d’une « cour de
récréation » (Gérard), conflits intergénérationnels, enjeux de production et de mise au
travail, circulation du savoir. Nous avions ainsi pris le parti d’un raccourci trop rapide entre
ce manque de formation professionnelle et la multiplication de ces conflits, préconisant que
l’augmentation de l’un permettrait de diminuer l’autre. Or, nous avons pris conscience que
ces difficultés ne résident pas tant dans cette présence ou absence de formation, mais qu’elles
concernent davantage la rencontre de différentes cultures professionnelles au sein des ESAT,
bousculées par l’imposition d’une catégorie d’usagers, les personnes en situation de
handicap psychique, et qui vient remettre en question l’ethos professionnel151 de chacun.

Dans cette partie, il s’agira d’articuler l’impact des évolutions institutionnelles sur les
pratiques des encadrants en ESAT, en particulier des moniteurs d’atelier.

a) Du contremaître au moniteur d’atelier

Pierre-Paul Chapon, éducateur spécialisé puis responsable de formation à Tours, présente


dans son ouvrage152 l’historique du métier d’éducateur technique spécialisé. Il y décline en
parallèle la profession de moniteur d’atelier, qui trouve son origine dans le mouvement
philanthropique des années 1830-1835 porté par des humanistes dénonçant l’enfermement

151
SAUZE David, « Reconnaissance du handicap psychique et intégration dans les structures d’aide par le
travail », Journal des anthropologues [En ligne], 122-123 | 2010, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté
le 04 mars 2016.
152
CHAPON Pierre-Paul, « L'historique de la profession d'éducateur technique spécialisé », Éducateurs
techniques spécialisés, Toulouse, ERES , «Empan», 2007, 144 pages

127
mixte de mineurs délinquants avec des adultes.

En 1833 Charles Lucas, inspecteur général des prisons françaises (1833) et humaniste
libéral porteur de la réforme des prisons, propose la création de quartiers spécifiques pour
enfants. Afin de répondre au problème majeur de l’exode rural qui dépeuple les campagnes,
il préconise également la création de colonies agricoles.

Il faudra attendre 1839 pour que le vicomte de Bretignières de Courteilles et l’avocat


Frédéric-Auguste Demetz fondent la société « La Paternelle », la première colonie agricole
et pénitentiaire inspirée du modèle imaginé par Charles Lucas. L’école des contremaîtres
ouvre ses portes la même année. La promotion est composée d’une vingtaine d’hommes
relativement jeunes, d’origine modeste, choisis par les fondateurs pour leur « bonne
moralité ». Les contremaîtres jouent un rôle prépondérant. Ils travaillent toute la journée et
sont chargés de la formation professionnelle, de l’enseignement et de la gestion de la vie
quotidienne. Dans cette institution à vocation paternaliste, l’objectif est de prévenir les
dérives et de rééduquer. Frédéric-Auguste Demetz ouvrira d’ailleurs une Agence chargée de
suivre les colons après leur sortie de la colonie.

A la mort des deux fondateurs, la Paternelle sera reprise notamment par un militaire à
la retraite, qui applique une discipline plus rigide. Parallèlement, à la fin du XIX siècle, les
colonies agricoles s’orientent de plus en plus vers le travail industriel. Les apprentissages,
plus spécialisés, nécessitent donc un personnel qualifié. Une réforme est alors instaurée, elle
prévoit des critères de sélection précis pour le recrutement des contremaîtres, qui ne sont
désormais plus choisis en fonction de leurs aptitudes sociales mais en fonction de leurs
compétences techniques. Ces derniers doivent être sélectionnés parmi les anciens sous-
officiers ou « les jeunes gens qui offrent le plus d’intelligence et de connaissances
professionnelles ». Cette réforme instaure une distinction de poste entre le contremaître
d’atelier et le surveillant.

Le contremaître est reconnu dans sa fonction après validation d’un stage de six mois.
Chargé de la formation professionnelle, il enseigne et perçoit une prime. C’est l’ancêtre du
moniteur d’atelier qui s’appuie aujourd’hui sur l’encadrement d’activités techniques et
professionnelles pour promouvoir l’insertion sociale et professionnelle de l’usager d’un
service médico-social.

128
Le surveillant quant à lui est reconnu dans sa fonction après avoir suivi les cours de
l’École élémentaire à l’intérieur de la colonie. Comme son poste l’indique, il est chargé de
la surveillance. C’est l’ancêtre de l’éducateur spécialisé, qui repose aujourd’hui sur
l’accompagnement d’enfants et d’adultes en difficultés d’ordre physique, mental ou social,
par le biais d’activités éducatives ou d’entretiens individuels.

A la suite de campagnes de presse dirigées contre les « bagnes d’enfant », la Maison


Paternelle fermera ses portes peu avant la première guerre mondiale. La fonction de
contremaître est alors oubliée, notamment avec la fermeture des colonies.

Le métier d’éducateur-surveillant va se professionnaliser. En 1942 ouvre la première


école d’éducateurs de la seconde génération. Ensuite, sous l’impulsion de la neuropsychiatrie
et d’associations professionnelles, d’autres écoles voient le jour. L’éducateur spécialisé va
rapidement supplanter celui qui est désormais appelé le moniteur éducateur, passant de la
simple surveillance des jeunes à leur prise en charge éducative dans une dynamique de projet,
de contrat et de responsabilisation153.

Les éducateurs techniques spécialisés (ETS) et moniteurs d’atelier quant à eux, devront
attendre plusieurs décennies avant d’obtenir une reconnaissance officielle, la définition de
leurs fonctions et une offre de formation. C’est avec l’émergence du secteur protégé en
faveur du handicap, et notamment des ESAT, que se constituent de nouveaux bassins
d’emploi154 pour les ETS et les moniteurs d’atelier. Il apparaît alors nécessaire d’encadrer et
de règlementer la profession. Il faudra cependant attendre la Convention collective nationale
du travail de l’enfance inadaptée du 15 mars 1966 pour que soit reconnu statutairement
l’éducateur technique spécialisé. En 1970, une formation est mise en place au niveau national
pour les quatre cent mille cinq cent salariés occupant des postes éducatifs sans qualification.
Le Certificat national de qualification (CQN) comprend deux niveaux de qualification :
éducateur spécialisé ou moniteur-éducateur.

Enfin en 1981, une annexe de la convention collective de 1966 introduit une distinction
entre les moniteurs d’atelier « 1ère classe » et « 2ème classe » des ESAT. L’éducateur

153
LVET Philippe, « Approche sociologique : la transaction sociale ou sortir de l’impasse et de la prestation
individualisée dans l’action sociale », Contrat et contractualisation dans le champ éducatif, social et
médico-social, Rennes, Presses de l’EHESP , «Hors collection», 2013, 144 pages
154
CHAPON Pierre-Paul, « L'historique de la profession d'éducateur technique spécialisé », Éducateurs
techniques spécialisés, Toulouse, ERES , «Empan», 2007, 144 pages

129
technique spécialisé en ESAT, titulaire du Diplôme d’Etat d’Educateur Technique Spécialisé
(DEETS), est dénommé « moniteur d’atelier 1ère classe », il est « responsable de
l’encadrement des travailleurs handicapés dans les activités d’atelier. Il participe aux
actions de soutien des personnes handicapées. Il est responsable de la production à réaliser,
de ses délais et de son contrôle »155. Les fonctions des « moniteurs d’atelier 2ème classe »
sont identiques, alors même que ces derniers ne sont ni titulaires du DEETS, ni du Certificat
de qualification à la fonction de moniteur d’atelier (CQMA) pour la majorité d’entre eux.
Les distinctions des postes d’ETS et de moniteurs d’atelier ne résident donc pas dans les
fonctions ou les responsabilités, mais reposent uniquement sur la grille des salaires. Comme
le souligne d’ailleurs Escazaux, la fonction de moniteur d’atelier a été créée « pour
désenclaver la profession d’éducateur spécialisé, ils s’avéreront rapidement n’être qu’une
catégorisation interne, suremployée et sous-payée par rapport aux éducateurs
spécialisés ».156

b) L’ethos professionnel en évolution

La sociologie Bourdieusienne s’intéresse à la production de l’ethos est le défini comme


un « système de valeurs implicites que les gens ont intériorisées depuis l’enfance et à partir
duquel ils engendrent des réponses à des problèmes extrêmement différents »157.

Les recherches en théorie de la transaction sociale vont quant à elle chercher à définir ce
que produit l’ethos. Il est alors considéré comme « un principe organisateur de
pratiques » 158 . Pour ces auteurs, l’ethos recouvre « l’articulation entre le social (les
interdépendances et les interactions), le culturel (les significations collectives, le symbolique)
et l’affectif (le ressenti et les désirs) dans l’engagement pratique. L’ethos ne suppose pas
pour autant une prédétermination des pratiques, mais davantage une propension à
engendrer un type de pratique, notamment car il constitue une modalité par laquelle des
« possibilités objectives sont ou non transposées en espérances subjectives » ».

155
Annexe 10 de la convention collective du 15 mars 1966 : Personnels concourant aux activités
socioprofessionnelles. Classification du personnel des ateliers.
156
ESCAZAUX, C. 1980. Les moniteurs-éducateurs, maîtrise de sociologie, Paris-VIII, Vincennes, 1975.
[cité par] Chapon, Pierre Paul.
157
BOURDIEU Pierre, Questions de sociologie,1984, Paris, Éditions de Minuit, p.228 [cité par] Bernard
Fusulier, « Le concept d’ethos. », Recherches sociologiques et anthropologiques, 2011 [En ligne]
https://rsa.revues.org/661#quotation
158
REMY J., VOYE L., SERVAIS E., 1980 Produire ou reproduire ?, Tome 2, Bruxelles, Vie Ouvrière, p.279.
[cité par] Bernard Fusulier, op.cit.

130
L’ethos professionnel159 peut alors se définir comme « un dénominateur commun à un
ensemble d’individus pratiquant une activité similaire qui se reconnaissent et sont reconnus
comme membres d’un groupe professionnel, ce qui n’empêche pas ce dernier d’être stratifié
et segmenté » 160.

L’ethos correspond ainsi à l’identité des individus appartenant à un groupe professionnel.


Jean-Marie De Ketele, dans une étude 161 sur l’analyse des logiques liées à la formation,
précise que l’identité personnelle est le produit d’interactions entre trois identités
professionnelles : l’identité « héritée », l’identité « agie » et l’identité « désirée ». L’identité
héritée est le produit de l’histoire de la personne, de son parcours personnel et professionnel.
L’identité agie quant à elle « se dégage de l’agir de la personne dans un contexte donné,
avec ses caractéristiques, ses normes, ses contraintes, ses ressources ». L’identité agie se
base sur la structure que constitue l’identité héritée, et va permettre à l’individu de poursuivre
son processus de développement personnel et professionnel. Reposant en grande partie sur
l’identité héritée et les identités agies, l’identité désirée est « un des moteurs du
développement personnel et de la construction identitaire, car elle pousse le sujet à être
autant que possible ce qu’il voudrait être ».

Dans le cas présent l’identité héritée des moniteurs, issue notamment de leur
expérience dans l’industrie ou l’entreprise, est bien différente de celle qu’ils vont devoir
développer dans leurs nouvelles fonctions.

En effet, dans les ESAT participant à l’enquête, les moniteurs d’atelier rencontrés
occupaient majoritairement un emploi dans le secteur de l’industrie ou de l’entreprise avant
d’être recrutés. Parmi les raisons évoquées pour expliquer ce changement de carrière
professionnelle, les plus courantes sont l’apparition d’un handicap ou d’une maladie
professionnelle nécessitant une réorientation professionnelle vers un métier moins pénible
physiquement, ou la nécessité de trouver un nouvel emploi qui correspond aux attentes liées
à la vie de famille : « J’installais des téléalarmes avant, donc j’étais souvent en
déplacements et je rentrais tard. Mon mari lui est C.R.S, alors à la naissance de ma fille

159
SAUZE David, op.cit..
160
FUSULIER Bernard, op.cit.
161
DE KETELE Jean-Marie, « La reconnaissance professionnelle : ses mondes et ses logiques »,
in Anne Jorro et al., La professionnalité émergente : quelle reconnaissance ?, De Boeck
Supérieur « Perspectives en éducation et formation », 2011 (), p. 31-47.

131
c’est devenu compliqué de tout gérer. » Ce passage du milieu dit « ordinaire » de travail au
milieu « protégé » a été vécu comme un changement de vie positif améliorant les conditions
de vie, de travail et de santé. A l’image des usagers rencontrés, les moniteurs d’atelier ont
détaillé les nombreux « avantages » que propose le secteur associatif, en comparaison au
secteur industriel, notamment ceux liés aux horaires, aux congés et à la pénibilité : « On a
pas mal d’avantages ici je trouve, les congés compensatoires, les RTT. Si on se débrouille
bien on ne fait qu’une seule semaine de 5 jours par mois. »

De plus, avant ce recrutement à l’ESAT, les moniteurs d’atelier rencontrés n’avaient pas
d’expérience professionnelle dans le champ du handicap. La plupart d’entre eux n’ont pas
bénéficié de formation professionnelle dans le champ du médico-social. La formation au
CQMA n’est pas obligatoire. Elle peut être proposée aux personnes en reconversion
professionnelle ou aux moniteurs déjà en poste. Dans les deux cas, la personne doit déjà
avoir une expérience professionnelle dans une spécialité. La formation se déroule en deux
ans, une première année basée sur des apports théoriques, puis un stage en ESAT d’environ
un an.

En outre, leur identité agie subit également des évolutions majeures. Comme l’estime
Gérard Zribi, « l’époque où le moniteur d’atelier quittait son entreprise pour venir
encadrer un groupe de travailleurs handicapés dans un atelier de conditionnement est
révolue »162. Les moniteurs d’atelier sont contraints de développer de nouvelles compétences
et de les exercer dans un nouveau cadre d’intervention, délimité comme nous l’avons vu par
les lois de 2002 et de 2005.

Une étude qualitative par entretien menée par le Centre Régional d'Etudes, d'Actions et
d'Informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) de Bretagne
en 2009163 auprès de moniteurs d’atelier d’ESAT s’est ainsi attachée à analyse l’évolution
du métier des encadrants Elle distingue trois types de mutations majeures, qui corroborent
les transformations structurelles que nous avons développées plus haut. La première porte
sur l’évolution des exigences en matière de production, liée à une exigence concurrentielle

162
Article du magazine Direction, n°84, avril 2011, p40 [cité par] José RICHIER. Mémoire de l'Ecole des
Hautes Etudes en Santé Publique. 2012. P.14 [en ligne]
http://documentation.ehesp.fr/memoires/2012/cafdes/richier.pdf#page=21&zoom=auto,-274,519
163
CREAI de Bretagne. Etre encadrant de travailleur handicapé aujourd’hui. A propos de… N°33. Janvier
2010.

132
accrue. La deuxième porte sur l’impact des lois et des modalités de financement sur les
pratiques professionnelles. La troisième concerne enfin concerne la complémentarité des
fonctions techniques et socio-éducative, ainsi que l’usage du travail comme support à
l’accompagnement. L’étude souligne également l’impact de l’évolution du public accueilli,
en particulier les usagers en situation de handicap psychique, sur les pratiques de travail.

Cette « radiographie » des évolutions majeures du métier de moniteur d’atelier


correspond ainsi à l’analyse que nous avons pu établir sur nos terrains d’enquête.

i. Des exigences accrues dans le domaine de la production


Comme nous avons pu le voir, le modèle historique de l’ESAT comme « sous-traitant »
industriel est aujourd’hui remis en question. De nouveaux enjeux liés à des contraintes
budgétaires amènent les ESAT à se développer autrement. Les professionnels, et en
particulier les moniteurs d’atelier, sont donc contraints de « suivre » ces évolutions et
d’adapter leurs propres pratiques.

La « pression » liée aux contraintes de production a été soulignée dans l’ensemble des
entretiens en ESAT mixte et traditionnel. Les moniteurs développent alors des stratégies pour
répondre aux exigences des clients et réaliser le travail dans les délais.

L’une des stratégies que nous avons pu remarquer durant nos observations est l’aide
apportée à l’atelier. Les moniteurs nous ont expliqué ne pas effectuer les mêmes tâches que
les usagers, ayant notamment pour missions de distribuer le travail et de s’assurer de sa
qualité. Toutefois, lorsque les contraintes de temps sont importantes, les moniteurs effectuent
le même travail que les usagers : « bon je vous disais tout à l’heure que le moniteur ne fait
jamais le travail avec les usagers, c’est pas sa mission, mais là par exemple ce contrat on a
des délais très courts. Donc je vais en faire un peu avec eux, surtout pour aider ceux qui
sont en difficulté », Bertrand. Dans d’autres cas, les moniteurs peuvent commencer leur
journée de travail plus tôt, afin de préparer les postes de travail et de permettre un démarrage
rapide de l’activité.

Un moniteur nous présentait sa vision du métier de moniteur d’atelier, insistant sur les
compétences qu’imposent ces nouvelles dynamiques de production :

133
« Le moniteur rentre en compte aussi lorsque le délai est court. Je ne leur mets pas la
pression, je mets deux ou trois personnes en plus. Il faut savoir arrêter une prestation qu’on
peut un peu laisser sur le côté parce qu’on a de l’avance. Et puis, on met tout le monde pour
la prestation qui doit être rapidement réalisée. On augmente le personnel pour dire que la
production soit faite et qu’eux ne s’en aperçoivent pas. » (Bertrand).

Cette « urgence de la rentabilité » (Laurence) semble paradoxale pour certains :

« je comprends pas, on a moins de travail qu’avant et pourtant on nous pousse à produire


et produire. Avant on avait du travail mais ça se faisait quoi, on arrivait toujours à rendre
dans les temps. Mais là on a la pression alors que… Résultats y’a des fois on est une semaine
sans travail, c’est pas facile de tenir un atelier dans ces conditions, les ouvriers ils
s’ennuient », (Michel).

Ce professionnel ajoutait également que ces exigences liées au rendement impactent


l’équilibre entre les missions liées à la production et l’accompagnement social qui doit être
mené auprès de l’usager.

Un moniteur d’atelier nous expliquait d’ailleurs sa vision du métier :

« Le rôle du moniteur est de mettre tout le monde au travail et de ne pas laisser des
personnes en arrière. C’est aussi d’adapter le travail à la personne, tout en sachant qu’il y
a l’idée derrière de production et de rendement. On ne peut pas le négliger. On a aussi
comme valeur le respect du client et la qualité du travail ».

On peut noter que la dimension médico-sociale est ici éludée. Elle fait pourtant partie
intégrante des fonctions du moniteur, qui est un travailleur social. Pourtant les professionnels
rencontrés, tout comme nous-mêmes, distinguons dans notre discours d’une part l’équipe
dite « médico-sociale et psychologique », et d’autre part l’équipe dite « de production ».

Un moniteur d’atelier ayant le CQMA précisait toutefois : « pour moi la base du


moniteur c’est du social hein, on est là pour que les usagers se sentent bien. On nous
demande en plus de produire, mais la base de notre boulot c’est bien le social ».

Cette reconnaissance des missions d’accompagnement social vont ainsi être plus ou
moins mises en avant dans les entretiens selon l’identité héritée des uns et des autres, et selon

134
les stratégies médico-sociales de l’établissement développées plus haut.

ii. L’articulation de la production et du médico-social : de nouvelles pratiques de


travail

L’augmentation des tâches administratives

La loi de 2002 impose, comme nous l’avons vu, l’établissement d’un contrat de séjour
que la loi de 2005 a renommé « contrat de soutien et d’aide par le travail ». Ce contrat,
rédigé selon un modèle type prévu par la loi, stipule les engagements respectifs de
l’établissement et de l’usager. Il favorise l’expression de l’usager dans l’annexe dédié à son
projet, dans le but de le rendre acteur de son parcours : « Avant 2002, on parlait à leur place,
ils n’étaient pas là. On parle aujourd’hui du citoyen acteur et auteur de son projet »
(directrice d’un établissement). Le projet doit être renouvelé tous les ans. Dans les faits, les
établissements l’actualisent tous les deux ans en moyenne. Les moniteurs participent à sa
rédaction, ils sont chargés de réaliser la « synthèse » de son parcours et de recueillir ses
ambitions professionnelles pour l’année à venir. Cela demande des compétences nouvelles,
comme le témoigne Pierre : « Avant les écrits, l’ordinateur, c’était pas trop ça, mais bon j’ai
dû m’y mettre. »

Le législateur stipule également la possibilité pour l’usager d’accéder, sur simple


demande, à tout document le concernant. Les écrits disposés dans le « dossier » de l’usager
peuvent donc être consultés et cela implique de veiller au respect de sa personne et de son
projet.

En outre, la loi du 2 janvier 2002 complexifie le travail des équipes en ESAT, en


instaurant des procédures de contrôle de la qualité de l’accompagnement 164 . Christelle,
conseillère en insertion professionnelle dans un ESAT mixte, s’accorde ainsi pour dire que
l’« on demande de nouvelles compétences aux moniteurs ». Ces compétences concernent
l’adaptation des postes, comme nous le verrons plus loin, le contrôle de leur adéquation avec

164
SAUZE David, « Reconnaissance du handicap psychique et intégration dans les structures d’aide par le
travail », Journal des anthropologues [En ligne] p.172| 2010, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le
04 mars 2016. URL : http://jda.revues.org.proxy.scd.univ-lille3.fr/5420

135
le projet individuel de l’usager, et le respect des « bonnes pratiques » recommandées par le
législateur.

Les moniteurs d’atelier prennent enfin en charge les devis, les commandes, et doivent
s’assurer de la qualité du travail effectué pour le client. Ces missions représentent une partie
importante de leur travail. Les moniteurs ont souligné le fait qu’aujourd’hui leur rôle n’est
plus de travailler avec l’usager, mais d’assurer la distribution et la compréhension des tâches
dans une logique de rentabilité, et de veiller à répondre aux exigences des clients en matière
de qualité et de délai.

Le travail en équipe et le partage de l’information

Répondre au projet personnalisé de l’usager, et plus largement à la mission des ESAT,


implique également d’articuler davantage production et médico-sociale. Les dynamiques
internes aux ESAT sont ainsi impactées et le travail en équipe apparaît comme un outil
nécessaire : « Je travaille en ce moment sur les binômes de référent pour pouvoir faire en
sorte que le moniteur d’atelier du travailleur soit son référent en binôme avec quelqu’un du
SMSE (service médico, social, éducatif). L’objectif c’est de réarticuler au plus juste
l’accompagnement. »

Parfois présentée comme un enjeu nouveau le travail d’équipe ne serait pourtant pas
récent, comme le rappelle Michel : « On a toujours travaillé en équipe, c’est juste que là ça
se formalise. Avant c’était plus autour d’un café à la pause, ou entre deux portes on posait
des questions ou on passait des infos. Seulement là il faut que ça se fasse en réunion, ou
alors on veut pas nous donner les infos parce que c’est du secret médical… c’est plus pareil
quoi, c’est moins… C’est moins familial on va dire. » Catherine, chef de service d’un ESAT
confirme cette idée : « C’est important, que l’on sache travailler ensemble, c’est un peu
compliqué, il y a un fort individualisme. C’est une dérive, j’ai connu une autre solidarité
dans les structures. »

Le travail en équipe serait souvent sollicité lorsqu’une difficulté est rencontrée, en


particulier par les moniteurs d’atelier. Nous avons pu remarquer que généralement la figure
« référent » est le psychologue ou psychiatre, et parfois l’infirmier. Les moniteurs d’atelier
vont se tourner vers ces professionnels pour solliciter une réponse aux problèmes qu’ils
rencontrent avec l’usager, réclamant une « solution » immédiate et efficiente. Les

136
professionnels de l’équipe médico-sociale sont ainsi perçus comme « ceux qui savent »,
possédant des connaissances cliniques que les moniteurs n’auraient pas.

Nous avons pu noter des tensions liées à ce partage du savoir, exacerbées notamment
lorsqu’elles concernent le handicap psychique. Lorsqu’ils rencontrent une « situation-
problème », les moniteurs en réfèrent parfois à l’équipe médico-sociale, en particulier aux
psychologues. Ils attendent ainsi, comme nous l’avons précisé, une « solution » à cette
« situation-problème », des « méthodes » ou des « façons » à appliquer : « On travaille pas
mal avec l’équipe médico-social. Les choses qui arrivent, tout le monde doit être au courant,
faut le partager. Si on n’y arrive pas, faut demander l’aide d’un autre professionnel.
L’équipe médico-sociale apporte un soutien par rapport à tout ça. C’est important parce
que dès fois, on essaie des méthodes, des façons, et dès fois, ça ne fonctionne pas » (David,
moniteur principal d’un ESAT Mixte). Cependant, comme le précise les psychologues que
nous avons rencontré, il n’est pas possible d’appliquer une réponse « type » à chaque
situation. En outre, certaines informations relèvent du secret médical et/ou professionnel et
ne peuvent être partagées sans l’accord de l’usager.

Les professionnels de l’équipe médico-sociale, quant à eux, considèrent partager ce


qu’ils sont en droit de partager et proposent des « pistes de réflexion » (assistant de service
social interrogé en entretien informel) ou des « préconisations » (Laurence, psychologue).
En outre, ils soulignent le fait que certains moniteurs ne communiquent pas les informations,
et qu’ils sont prévenus tardivement des « situations-problèmes » :

« C'est marrant parce que vous me renvoyez que ils m'identifient bien dans ma
mission, mais dans les faits il se passe pas grand-chose. Alors je pense qu'on est perçu
comme le « professionnel qui a le savoir », qui « sait » et du coup… et pourtant on est dans
cette démarche de transmettre justement, d'expliquer... Bon c'est très curieux parce que je
sens qu'on a une place qui est reconnue et bien identifiée, mais concrètement ça ne se fait
pas, ça ne se passe pas. Il y a toujours eu deux mondes à l'ESAT. Et ça ça fait partie de
l'histoire […] du coup c'est pas dans la culture de l'établissement de vraiment dire, on se
pose, on travaille ensemble, on rencontre l'usager à deux... Il y a pas longtemps j'ai invité
un moniteur à faire un entretien avec moi, je pense qu'il a dû se demander ce que je lui
voulais mais ça a été vachement intéressant, mais il revient pas me voir quand ça se passe
pas bien, j’me dis « mais mince » c'est quand même dommage » (Evelyne).

137
Dans deux des ESAT enquêtés, plusieurs moniteurs d’atelier confirmaient cette
hypothèse en expliquant que : « il n’y a pas toujours une bonne communication. Après, c’est
aussi parfois parce que je n’ai pas été chercher l’info » (Bertrand).

Ce qui est perçu comme un « simple » problème de communication peut aussi être
analysé sous l’angle du décloisonnement entre deux cultures professionnelles différentes,
celle relative au médico-sociale et celle de la production. Ces « tensions » renvoient en effet
à celles qui existent également en prison, analysées par Marie-Hélène Lechien165. L’auteur
explique que l’arrivée de nouveaux personnels hospitaliers a suscité de nombreux conflits
entre personnels pénitentiaires et personnels soignants hospitaliers, ainsi « placés en
situation de concurrence pour la définition du mode légitime de gestion de la population
pénale »166.

L’auteure souligne un système d’opposition entre des missions et pratiques


différentes, et nous ajouterons ici entre des ethos professionnels différents. Les pratiques et
les cultures diffèrent chez ces professionnels qui possèdent d’un côté des « savoirs » acquis
lors de leur formation initiale, et de l’autre, en particulier les moniteurs n’ayant pas fait la
formation au CQMA, des « savoir-faire » issus de leur expérience sur le « terrain », les
premiers étant valorisés aux dépens des seconds. Ainsi, alors que les équipes médico-sociales
et psychologiques ont une analyse du parcours de la personne tenant compte de son univers
social, familial, culturel et de sa pathologie, ces éléments seraient envisagés dans une
moindre mesure dans l’accompagnement des moniteurs d’atelier. Ces derniers ont, pour
certains, une approche davantage centrée sur le « comportement » de la personne au travail,
à savoir son attitude, le respect des consignes et de la hiérarchie, sa fatigabilité et
l’enthousiasme manifesté dans l’atelier.

Ainsi les moniteurs sont, comme les surveillants pénitentiaires, sont placés au plus
bas de la hiérarchie et sont en contact direct et quotidien avec les usagers. Ils perçoivent,
pour certains, les encadrants de l’équipe dite « médico-sociale et psychologique » comme
des professionnels ne possédant que des savoirs théoriques peu applicables sur le « terrain ».
Il ressort de certains entretiens un registre de « concurrence » : « Ils sont toujours dans leur

165
LECHIEN Marie-Hélène, « L'impensé d'une réforme pénitentiaire », Actes de la recherche en sciences
sociales 2001/1 (n° 136-137), p. 15-26.
166
LECHIEN Marie-Hélène, op.cit. p. 15.

138
bureau ou alors en réunion, même à des réunions qu’ils devraient pas aller selon moi, et qui
concernent que la direction. Pourquoi ils y vont eux ? (…) et nous non on n’est pas invités.
Alors j’comprends pas, c’est soit ça concerne tout le monde, c’est soit ça concerne que le
directeur ».

Les professionnels de l’équipe médico-sociale et psychologique peuvent aussi tenir


un discours critique vis-à-vis des moniteurs, relatif notamment à la difficulté à travailler en
équipe : « Les moniteurs c’est normal qu’ils ont l’impression de ne jamais être au courant,
ils sont enfermés dans leur atelier et ils cherchent pas à discuter davantage avec nous et à
comprendre. » ou encore « On est toujours prévenus tard que (…). » Les professionnels
soulignent également leur « manque » de connaissances théoriques, dont ils sont désormais
tenus pour responsable du fait de l’existence d’une formation : « Y’en a beaucoup qui veulent
pas, c’est dommage. » De plus les situations de « copinage » caractérisées notamment par
l’emploi de surnoms, du tutoiement ou l’usage de la bise, sont également critiquées.

Pour favoriser l’articulation de ces deux « mondes » (Catherine, chef de service), un


établissement enquêté a ainsi mis en place des dynamiques de travail collectives, reposant
notamment sur des réunions réunissant à la fois les professionnels de l’équipe médico-
sociale et psychologique, et les moniteurs d’atelier. Un autre établissement, pour des raisons
d’organisation, a supprimé ces réunions et n’est désormais présent que le chef de service de
l’équipe médico-sociale et psychologique. Les moniteurs d’atelier ont regretté, à l’unanimité,
ces anciennes pratiques qui leur permettaient d’après eux d’articuler le médico-social et la
production.

iii. L’impact de l’évolution du public : l’accueil d’un public en situation de handicap


psychique

Alors que le handicap mental apparaît comme une « maladie » à laquelle on peut apporter
une réponse pré-formatée : « les handicapés mentaux c’est pas pareil, une fois qu’on les a
bien formés on peut tout leur faire faire », le handicap psychique paraît moins « modelable »,
plus imprévisible et demanderait des compétences et un accompagnement différent :
« Moi j’ai eu une personne Jessie qui pleurait, se tapait la tête contre la table, tout ça.
C’est une personne qui entendait beaucoup de voix ; mais comment réagir avec une
personne comme ça ? Moi, je ne savais pas, je me suis rapprochée des psychologues. On

139
m’a conseillé de surtout de ne pas faire abstractions de ses voix. Donc, bien lui faire
comprendre d’essayer de mettre ses voix de côté au travail, ça a marché un petit peu ».

A l’inverse de la déficience mentale, jugée visible et stable, « sans surprise » (Pierre),


le handicap psychique impliquerait la mise en place de positions et de rôles clairement
définis. David décrit ainsi qu’avec « le psychique, ce qui est surprenant, c’est que ce n’est
pas stable. Il y a des personnes pour qui on ne le voit même pas. Y’en a elles peuvent péter
les plombs d’un seul coup, sans savoir pourquoi. Alors ça demande un accompagnement
plus personnel. C’est des remises en question quotidiennes ».

L’ethos professionnel se trouve donc impacté par de nouveaux codes, jugés nécessaires
pour rompre avec des situations de « copinage » qui s’étaient développées entre les
encadrants et les usagers en situation de déficience mentale :

« Au début quand je suis arrivée on les appelait « les jeunes » ou alors « ouvriers »,
c’est le secteur qui veut ça. Depuis la loi de 2002 j’essaie de dire « usager » car c’était
stigmatisant. Sinon je vais plus utiliser le terme de « travailleur handicapé ». Et puis quand
je suis arrivée tout le monde tutoyait alors j’ai tutoyé, aujourd’hui je ne le referais plus. Avec
la nouvelle population on se retrouve à modifier son ethos et à employer le vouvoiement ».

Les professionnels, en particulier les moniteurs d’atelier, expriment ainsi la nécessité


de maintenir une distance hiérarchique claire vis-à-vis de l’usager :

« ici c’est un lieu de travail, on n’est pas le copain. Je vois ici, après ils font comme ils
veulent, les dames font la bise, les monitrices. Je trouve qu’il faut quand même garder une
distance. J’ai des usagers qui ont le numéro de téléphone de certains moniteurs et qui des
fois le weekend ils sont dérangés. Non, toujours penser lieu de travail. Moi j’arrive à
différencier mon travail et ma vie de famille mais il faut arriver à le faire, voilà. Y’en a
certains qui ont du mal à séparer les deux, mais c’est parce qu’elles ont laissé beaucoup
rentrer les usagers dans leur vie privée. Moi on m’a demandé mon mail, je ne l’ai pas donné
» (Vincent, moniteur d’atelier)

Un autre moniteur nous expliquait également, lors de notre journée d’observation, que
la distance hiérarchique doit également être visuelle et physique : « Ma chaise vous voyez,
c’est ma chaise. On ne s’assoie pas sur la chaise du moniteur, ni derrière le bureau, c’est

140
comme ça. »

De plus certains moniteurs d’atelier, en particulier ceux ayant suivi la formation au


CQMA, tiennent un discours sur le positionnement professionnel à adopter avec l’usager et
emploient des termes empruntés au secteur médico-psychologique. Florence nous explique
par exemple : « Moi on m’appelle le Pitbull entre collègues, mais je suis très gentille (rire).
J’ai une image très stricte parce que sinon tu te fais bouffer. » L’idée est ainsi de se protéger
et de ne pas se faire envahir, voire « contaminer », par la maladie de l’usager. De même, la
question de la vie privée est souvent évoquée comme une limite à ne pas franchir : « Je sais
que je peux paraitre très très stricte, c’est l’image que je me suis donnée pour ne pas qu’ils
rentrent dans ma vie personnelle. »

Néanmoins, nous avons pu noter des divergences dans les regards portés sur ce
positionnement en fonction de l’ancienneté du professionnel. Certains entretiens étaient ainsi
marqués par des comparatifs constants entre les pratiques des uns et des autres. Les
moniteurs ayant plus d’ancienneté considèrent avoir une approche plus familiale de l’ESAT,
avec des relations marquées par des liens de proximité avec les usagers et les collègues.
Aussi certains « regrettent » cette ambiance « familiale » et adoptent une posture critique
vis-à-vis des nouvelles pratiques de travail : « les nouveaux, ils prennent les travailleurs
pour leurs esclaves. Ils sont là à crier, mais ils travaillent même pas ils sont toujours sur
leur téléphone ». Ces pratiques « familiales » sont d’ailleurs jugées par certains comme des
outils d’accompagnement social faisant partie intégrante du « diagnostic » de la situation de
l’usager :

« Moi je suis assez familier avec les gens, j'aime pas tourner autour du pot, quand les
jeunes m'appellent « monsieur », je dis tutu, enfin je dis « les jeunes »... les « travailleurs »
quoi. Chaque fois je dis, « non non, pour moi monsieur c'est le nom d'un cochon », appelez-
moi Gérard. Je blague pas mal […] Faut se servir de ce lien pour en savoir plus : « ça va
bien toi ? La famille ? » C'est pas grand-chose, mais ça permet de créer un lien avec la
personne, et vous savez quelque chose que vous auriez pas su autrement. » (Gérard).

Ces relations de proximité sont à l’inverse perçues comme du « laxisme » par les
moniteurs plus jeunes : « On ne travaille pas de la même façon. Genre Michel lui c’est j’veux

141
pas engueuler les ouvriers parce que j’veux pas être mal vu avec eux. (…) C’est
impressionnant, les gros mots ça fusent. Si on lui manque de respect ça lui passe au-dessus. »

Cette hétérogénéité dans les pratiques de travail est surtout jugée problématique
concernant le cadre imposé à l’usager dans les ateliers. Mathieu explique ainsi que « Ca c’est
un peu chiant pour nous parce que ça fait des conflits. Du genre si Jean dit rien dans son
atelier parce qu’une personne a pas mis ses chaussures de sécurité, dans mon atelier ils vont
regarder puis râler parce qu’eux ils doivent les mettre. Il faut être strict, sans être strict,
faut mettre le règlement en place, le suivre pour pas qu’ils se fassent engueuler. Si y’a un
moniteur principal qui passe c’est l’ouvrier qui va se faire engueuler s’il n’a pas mis ses
chaussures de sécurité, ce n’est pas le moniteur. »

Alain Blanc 167 souligne ainsi la situation complexe dans laquelle se situent les
moniteurs d’atelier. Tentant d’une part de s’intégrer aux équipes médico-sociales et
psychologiques qui leur demandent un positionnement professionnel distancé, ils doivent
également composer avec l’absence de culture professionnelle commune du fait d’une
grande disparité dans leurs cultures professionnelles d’origine. Entre action sociale et
activité productrice, les moniteurs d’atelier interrogés souhaitent trouver leur place mais tous
ne savent pas où celle-ci se situe :

« Nous les problèmes personnels on n’a pas le droit de s’en occuper. Enfin on est
dans le social mais bon, ce n’est pas notre rôle de gérer le social. Et puis psychologiquement
ça peut vite devenir compliqué. On ne peut pas déborder de notre cadre, on est moniteur
d’atelier donc nous tout ce que l’on doit leur apprendre c’est tout ce qui est en rapport avec
le travail. On doit leur apprendre la polyvalence, et nous on doit être tout autant polyvalent.
»

c) La question de la formation des professionnels

La nouvelle population d’usager en situation de handicap psychique entraîne des


besoins nouveaux. D’après l’ANESM, « les besoins d’encadrements des handicapés

167
Blanc, A. 1996. « Les personnels d’atelier en cat : entre action et contrainte productive », Bulletin
d’information du creai, n° 152, p. 9-22. [cité par] Ducret-Garcia Anne, « Ouvriers en esat : des
représentations professionnelles de métier hétérogènes », Empan 3/2011 (n° 83), p. 130-138
URL : www.cairn.info/revue-empan-2011-3-page-130.htm.

142
psychiques sont plus forts qu’avec les déficients intellectuels. La lourdeur des risques liés
aux handicaps psychiques (crise, décompensation), périodes d’absences à l’emploi très
longues pourrait générer des problèmes importants en terme de ressources humaines pour
les ESAT « non spécifiques à ce handicap » au-delà d’un certain seuil » 168 . Il apparaît
nécessaire pour certains professionnels des équipes médicosociales et de production de
mettre en place des outils pour améliorer la qualité de la prise en charge de ce nouveau type
de handicap, et notamment par le biais de la formation continue.

En effet, les avis portés sur la formation au CQMA sont assez univoques sur
l’ensemble des établissements, même s’il existe quelques nuances.

D’une part, les professionnels interrogés considèrent qu’un étayage théorique et


pratique sur les différents types de handicap, notamment mental et psychique, et sur les
modalités de leur prise en charge permettrait de « démystifier » (Catherine) le handicap
psychique et d’impulser un discours objectivé sur les pathologies : « Ce n’est que depuis 2
ans que l’on a eu une formation sur les troubles psychiques. On a des pistes. Avant ça on
n’avait rien. La formation a contribué à nous amener des choses. On se met plus à leur
place. » (Véronique)

Une homogénéisation des connaissances théoriques et pratiques, grâce notamment à


la formation au CQMA, permettrait pour certains d’harmoniser les pratiques et de faciliter
le travail d’équipe. Pierre indique ainsi : « Avec Florence, on a eu la même formation. Quand
on parle, on parle de la même chose, on sait de quoi on parle. Avec Marie c’est un peu plus
compliqué, elle n’a pas encore eu la formation mais je pense que ce serait utile ».

Les équipes médico-sociales quant à elles jugent la formation indispensable et


souhaitent globalement une harmonisation des pratiques pour améliorer la prise en charge
des usagers. Cet étayage théorique permettrait notamment d’éviter certaines erreurs de
jugement et d’appréciation :

« Ça m’est déjà arrivé de venir un mardi et puis de me dire « mais c’est pas vrai mais
qu’est-ce qu’ils sont allés lui dire le lundi ? » ; Il y en a un qui a lâché la grosse vanne, qui
n’a pas cru que ça allait porter à conséquences et puis on a une personne complément défaite

168
Source ANESM

143
le mardi quoi. Il faut faire attention. Mais bon ça arrive, avec des gens pas toujours formés.
Ou alors parfois ils ont reçu des formations mais comme ça n’a pas été travaillé sur le fond…
Il faut partir d’eux, de ce qu’ils sont capables de nous apporter, de ce qu’ils sont capables
de mettre en œuvre et ne pas vouloir absolument qu’ils se calquent à nos attentes. Il y a des
cas de figure comme ça, c’est désastreux quoi. » (Laurence, psychologue)

Les moniteurs d’atelier développent également cette idée et considèrent que la


connaissance de certains éléments liés aux handicaps permettrait d’abord de décrypter les
« attitudes » des usagers : « Ne serait-ce connaitre les effets du traitement, ça nous
permettrait de savoir pourquoi il est énervé, pourquoi il est fatigué. »

Certains considèrent également que des préconisations de la part des psychologues


seraient intéressantes pour éviter un éventuel danger physique pour l’usager lui-même,
notamment lorsqu’il se situe à un poste de travail jugé dangereux, pour d’autres usagers,
mais aussi pour le moniteur lui-même : « on pourrait dire que l’on ne se sent pas toujours
en sécurité avec quelqu’un qui fait une crise. Martin si il est très très énervé il peut être
violent, si on ne le sait pas et que l’on va à la confrontation il est capable de nous taper. […]
Il a déjà essayé le rapport de force au début où je suis arrivée. » (Florence)

Enfin, les moniteurs étaient nombreux à indiquer qu’une meilleure connaissance du


handicap de la personne permettrait de prévenir une erreur de jugement dans la position à
adopter avec l’usager. David, moniteur principal, explique par exemple que : « Les
travailleurs sont très affectifs aussi. Il y en a certains qui ont besoin de beaucoup d’attention :
j’avais une travailleuse qui n’acceptait pas que je m’occupe des autres. Ça m’a posé
beaucoup de problème parce qu’elle se mettait en situation de danger. On se situe juste en
face de la voie ferrée, donc elle était sortie de l’ESAT et s’est mise sur la voie ferrée. »
Toutefois, certains professionnels de l’équipe médico-sociale et certains moniteurs,
considèrent que la connaissance des handicaps et des maladies pourrait conduire à des
situations discriminantes envers l’usager : « connaître la maladie ferait que l’on serait
beaucoup plus méfiant » (Pierre).
Certains moniteurs interrogés considèrent que la formation leur permettrait
également d’acquérir des connaissances sur les lois et les réglementations encadrant le
travail en atelier. L’intérêt est ici pour eux de se préparer aux évaluations internes et externes
et d’assurer le respect du cadre légal. La question de la bientraitance est également revenue

144
dans certains entretiens, dans un ESAT traditionnel en particulier, et semblait perçue comme
une limite floue que la formation permettrait de préciser :

« Des fois on te dit ça, ça fait partie de la maltraitance, mais j’ai rien fait de mal
quoi. C’est quand même assez strict la maltraitance, même moi je ne sais pas tout. D’un côté
ce serait bien que je retourne à l’école pour toutes ces choses-là. Les faire travailler et les
encadrer, c’est pas un souci. Les détails sur les lois, tout ça j’sais pas encore trop. Mais ça
faut que je le sache, pour voir tout ce qui est procédures tout ça. Le jour où je suis audité et
que je sais pas, j’peux me faire aligner. » (Mathieu)

La formation permettrait aussi de développer des compétences nouvelles, notamment


dans la rédaction des écrits professionnels obligatoires depuis la loi de 2002. Un
professionnel de l’équipe médico-social jugeait le contenu des écrits réalisés par des
professionnels formés plus pertinent :

« On voit déjà des moniteurs qui ont fait des formations, et bien déjà il y a un autre
regard, le contenu des fiches de transmission déjà, je les lis avec plus d’intérêt, ils essayent
davantage de faire remonter ce qui les a interpellés, on voit la différence. Alors qu’il y en a
d’autres : « il ne se passe rien dans ton atelier ? » - « baaaaah… ». Ils n’ont pas du tout
d’acuité à ce niveau-là. »

D’autres considèrent enfin que la formation permettrait d’éviter le « copinage » que


nous évoquions plus haut et de développer des compétences professionnelles adaptées, dans
le but d’accompagner l’usager dans son projet :

« Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas d’étayage, il faut une exigence réglementaire.
Il faut avoir une connaissance médicale a minima. On en vient à du copinage sinon. La
formation permet de savoir prendre en charge, un suivi, un accompagnement. On doit savoir
mettre une distance professionnelle. Parfois des choses se font de façon empirique. » (Sabine,
ETS)

Un moniteur ajoute d’ailleurs à ce sujet : « Oui il y a une différence, les anciens se


basaient par rapport au vécu et à leur expérience. Mais c’est une expérience en milieu
extérieur, comme moi. Alors que travailler face à des personnes en déficience ce n’est pas
du tout la même chose et je pense que la formation elle aide beaucoup. »

145
Nous pouvons toutefois souligner quelques nuances sur les regards portés sur la
formation au CQMA. Certains moniteurs ayant le plus d’ancienneté portent un regard assez
critique sur ce qui est enseigné dans les Instituts Régionaux du Travail Social (I.R.T.S.).
D’après certains d’entre eux, il existe un décalage entre les enseignements professionnels et
la réalité de terrain. La formation contribuerait d’après eux à produire des moniteurs
éducateurs décentrés de leurs missions à caractère social et davantage soucieux d’affirmer
leur position hiérarchique : « j’sais pas ce que leur apprend à l’école, mais ils sont
déconnectés. Ils veulent pas travailler, ils sont dans leur camion à rien faire, ils crient quand
ça va, j’sais pas… C’est plus pareil qu’avant. Y’a pas besoin de tout ça, on fait du social
quand même, c’est des gars comme nous les handicapés ».

C. Handicap psychique et production : une modulation des postes et des horaires


de travail

Parmi les vingt professionnels que nous avons rencontrés, tous soulignent l’idée selon
laquelle « le handicap psychique nous amène à réfléchir quant aux horaires de travail et à
l’ergonomie au niveau des postes de travail. On ne peut pas faire l’impasse là-dessus, c’est
même essentiel », atteste Dorothée, directrice adjointe d’un ESAT. D’une part, ces mêmes
enquêtés semblent insister sur la modulation des horaires et du temps de travail. Ils ajoutent
d’autre part que cette catégorie complexe, que représentent les personnes présentant un
handicap psychique, nécessite des adaptations au niveau des postes de travail en milieu
protégé. A ce sujet, David, moniteur principal d’un atelier depuis près de dix années, énonce
« mettre en œuvre des prises en charge séquentielles en accord avec la direction et les
travailleurs eux-mêmes. Et en même temps, on essaie de proposer des aménagements de
poste pour faciliter les tâches et leur apporter des activités valorisantes ».

a) Faciliter la modulation des horaires et du temps de travail

Les entretiens réalisés nous ont permis de mettre en exergue l’idée selon laquelle «
travailler à temps plein peut être difficile pour quelqu’un qui a un handicap psychique, alors
nous, on fait de la modulation au cas par cas », déclare Vincent, moniteur d’atelier d’un
ESAT traditionnel.

146
i. Le développement des activités à temps partiel.

L’Agence Nationale de l’évaluation et de la qualité des Etablissements et services


Sociaux et Médico-sociaux (ANESM) déclare que l’une des fonctions des ESAT est «
d’étudier les moyens de faciliter l’accès et / ou le maintien au travail de la personne
handicapée psychique y compris par l’aménagement et la modulation du temps de travail.
La modulation des horaires et du temps de travail fait donc partie des réponses proposées
»169. Les enquêtés indiquent qu’« avec ce public, il y en a beaucoup plus qui ne travaillent
pas à temps plein contrairement à des personnes déficientes intellectuelles. Honnêtement, je
pense que ça leur fait du bien […] De toute façon, on voit qu’il y en a qui ne tiennent pas le
rythme et qui sont en difficulté », souligne Sabine, monitrice éducatrice d’une Section
Aménagée du temps de Travail en ESAT.

En effet, parmi les usagers avec lesquels nous nous sommes entretenus dans le cadre
de cette recherche-action, huit d’entre eux déclarent exercer actuellement à temps partiel,
dans le cadre de leur trajectoire professionnelle en milieu protégé. Parmi les usagers
rencontrés à l’ESAT traditionnel sur lequel nous sommes intervenus, nous avons entre autre
échangé avec Luc travaillant depuis 2010 à mi-temps. Ce dernier explique : « Moi, je
travaille moins que les autres. Je suis à mi-temps… Au début, mes collègues disaient que je
foutais rien. Moi, je me sens vite fatigué avec les médicaments et les rendez-vous médicaux.
Franchement, je voudrais bien bosser plus pour avoir plus de sous, mais je ne peux pas. Il
m’a fallu du temps pour l’accepter, je m’endormais parfois sur la chaise parce que le rythme
n’est pas toujours évident quand même. Maintenant, mes collègues sont plus sympas, ils me
comprennent. Ça me fait du bien de travailler à 50 % ».

Cette modulation des horaires de travail peut également s’inscrire dans des horaires
de nuit plutôt que de journée. Par exemple, Sigismond est un usager de 38 ans d’un ESAT
hors les murs. Il effectue une mise à disposition pour une entreprise en tant qu’agent

169
A.N.E.S.M, Document d’appui pour les recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur
l’adaptation de l’accompagnement aux attentes et besoins des travailleurs handicapées en E.S.A.T., juin
2013. Disponible sur :
http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Document_d_appui_RBPP_Esat_Juin_2013.pdf. Consulté le 12
mai 2016.

147
d’entretien dans des bureaux. Cette personne nous indiqua : « Moi, je travaille la nuit, je suis
à mi-temps. J’aime bien ce rythme, il n’y a personne. J’aime pas quand il y a du monde, ça
m’angoisse parce que je me sens persécuté ». En plus de travailler à mi-temps, Brigitte
usagère de cette même structure médico-sociale a en accord, avec l’entreprise lui ayant
proposé une stage, modulé ses horaires de travail. « J’ai peur de prendre les transports en
commun quand il y a du monde, j’ai l’impression que tout le monde m’en veut. Alors je
commence à 10 heures au lieu de 8 heures comme ça j’évite le monde et ça convient à mes
chefs ».

A travers les entretiens réalisés, nous avons constaté que les usagers d’un ESAT hors
les murs bénéficient d’une activité professionnelle à mi-temps. D’après Gaétane,
neuropsychologue, « je trouve ça difficile pour des personnes avec un handicap psychique
de travailler à temps plein. La grosse problématique c’est la fatigabilité des usagers. Le
temps plein n’est pas possible ». Les ESAT traditionnels et mixte sur lesquels nous avons
mené cette recherche-action semblent à un degré moindre s’inscrire dans une dynamique de
modulation des horaires et du temps de travail contrairement aux ESAT dits hors les murs.
Ces structures accueillaient historiquement des personnes présentant une déficience
intellectuelle sur la base de 35 heures par semaine. Progressivement confrontées au
vieillissement du public accueilli, elles sont alors amenées à faire face aux conséquences
engendrées par cette avancée en âge, notamment en termes de fatigabilité. Ces ESAT
recherchent désormais à diversifier les modalités d’accueil de ce public en proposant des
réponses concrètes face à ses aspirations et à ses limites. Les outils les plus couramment
utilisés sont actuellement la modulation des temps de travail et l’adaptation des postes de
travail. Cette dynamique dans laquelle s’inscrivent ces structures se voit peu à peu transposée
à destination d’une population présentant un handicap psychique.

A l’inverse, les ESAT hors les murs ont été fondés plus récemment et accueillent
principalement, voire uniquement, des individus présentant ce même handicap. Ainsi, en
échangeant avec des professionnels d’un ESAT hors les murs, ils sembleraient insister
davantage sur le fait que les usagers doivent « prendre pleinement conscience de leur
handicap et des conséquences que ce dernier engendre dans leur vie quotidienne et
particulièrement au travail », (Gaétane, neuropsychologue). Ce point de vue, repris au sein
des ESAT traditionnels et mixte, semble également prégnant, mais dans une moindre mesure

148
qu’en ESAT hors les murs. S’approprier son handicap et s’autoriser à s’exprimer par rapport
à ce dernier auraient des incidences sur le temps de travail des usagers en situation de
handicap. Selon Evelyne, psychologue, « plus un travailleur acceptent son handicap, mieux
il acceptera ses difficultés et comprendra que travailler peut être moins que d’autres pourrait
être bénéfique pour lui ».

Ainsi et de façon plus concrète, l’ESAT mixte sur lequel nous avons centré notre
recherche action est agréé pour accueillir 120 adultes en situation de handicap en équivalent
temps plein. Or, les responsables de cette structure expliquent « recourir de plus en plus à
des temps partiels sur des modalités différentes. Au final, on accueille 140 personnes
physiques et faut savoir le gérer ». Face à l’évolution des publics accueillis en ESAT à
l’échelle nationale, le cabinet de conseil Opus 3170 a, en 2009, été missionné par la Direction
Générale des Affaires Sociales (DGAS) pour réaliser une étude relative à la modernisation
et au développement des ESAT dans leurs missions médico-sociales et économiques. Les
résultats de l’étude démontrent qu’en 2009, 88% des ESAT réalisent la mise en œuvre de
temps partiels, « ce qui concerne un usager sur six, soit 13,6 % des effectifs présents en
ESAT sur le territoire français »171.

ii. Causes et conséquences engendrées par cette modulation des temps de travail

Suite à ces constats, nous avons cherché à déterminer comment s’élabore la mise en
œuvre du temps partiel et à identifier les raisons invoquées à l’origine de ce changement.
D’après les personnes enquêtées, cette modulation du temps de travail en ESAT serait
majoritairement à l’origine des usagers eux-mêmes. Ce choix, d’abord personnel, est ensuite
étudié en concertation avec les responsables d’ESAT lors de la réalisation du Projet
d’Accompagnement Individualisé (PAI). Ainsi, Catherine, chef de service d’un ESAT
traditionnel déclare : « Souvent, les usagers nous interpellent et nous expliquent les motifs

170
Cabinet de conseil qui accompagne l’Etat et les collectivités territoriales notamment dans toutes leurs
actions dédiées au développement de l’emploi durable.
171
OPUS 3, Rapport final : Appui des services de l’Etat à la modernisation et au développement des
établissements et services d’aide par le travail dans leurs missions médico-sociale et économique.
Novembre 2009. Disponible sur : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ESAT_rapport_final.pdf. Consulté le
3 mai 2016. 4 A.R.S. Pays de Loire. Modalités d’accueil à temps partiel dans les E.S.A.T. de la Région
Pays de Loire. Mars 2013. Disponible sur : http://www.creai-nantes.asso.fr/docs/Etude%20ESAT.pdf.
Consulté le 19 mai 2016.

149
pour lesquels travailler à temps complet s’avère compliqué. Souvent pour le handicap
psychique, c’est lié aux traitements lourds qui les fatiguent, à des suivis réguliers à
l’extérieur de l’ESAT, des absences régulières et il y a aussi les activités extérieures qui
peuvent leur permettre de s’insérer davantage en milieu ordinaire ».

Nous pourrions rapprocher ces éléments de ceux tirés d’un rapport réalisé en mars
2013 par l’Agence Régionale de Santé (ARS) Pays de Loire. « Le développement du travail
à temps partiel semble ainsi être directement lié voire conditionné par l’existence d’un mode
d’accompagnement complémentaire pour la gestion du temps libéré »4. Dans le cadre de
notre recherche action, nous avons rencontré Cédric, 34 ans, travaillant à 80 % au sein d’un
ESAT mixte. En s’appuyant sur ses propos, ce dernier nous informe que « ce qui pose
problème avec mon handicap, c’est que j’ai un traitement lourd. Je suis vite fatigué, je ne
sais pas travailler une journée entière comme mes collègues, je peux vite m’endormir. J’ai
besoin de repos et en plus, je suis suivi en CMP, ça prend pas mal de temps. Et parfois, je
n’arrive pas à venir tellement je suis mal ».

La notion d’absentéisme développée par Cédric sera également mise en exergue à


plusieurs reprises par les professionnels rencontrés. D’après David, un moniteur principal
d’atelier de 41 ans, « l’absentéisme est fréquent pour les personnes handicapées psychiques,
surtout si elles travaillent à temps plein. On sait qu’on aura toujours au moins un travailleur
absent par jour et par atelier, faut qu’on s’organise. C’est pour ça qu’on ne spécialise pas
un travailleur sur un tâche en particulier, on leur demande d’être polyvalent ». Ainsi, « le
travail à temps partiel peut également être utilisé pour pallier ces absences, qui sont bien
souvent en lien avec leur handicap et les soins qu’il occasionne »172.

Même si l’ensemble des professionnels enquêtés s’accorde sur le fait que


l’instauration du temps partiel apparaît comme une « réponse judicieuse » à la problématique
de l’accueil des personnes présentant un handicap psychique en ESAT, ils soulignent
cependant les limites et les contraintes que cela peut engendrer. Par exemple, Dorothée
directrice adjointe d’un ESAT, met l’accent sur l’accompagnement proposé à ces usagers : «
ce n’est pas parce qu’on a un travailleur à mi-temps que l’accompagnement se fera à
mitemps aussi. On ne fait pas une demie réunion, ni un demi coup de fil d’autant plus que

172
Ibidem.

150
pour les personnes en situation de handicap psychique, il y a plein de partenaires en dehors
de l’ESAT ». Avec le développement de la modulation des horaires et du temps de travail,
les professionnels exerçant en ESAT sont alors amenés à accompagner davantage d’usagers
sur une même temporalité que par le passé.

Une étude précédemment citée effectuée par l’ANESM montre que cette modulation
du temps de travail semble induire des contraintes : « Au-delà d’un certain seuil, des limites
liées au taux d’encadrement sont signalées dans les freins au développement de cette
modulation. Cette souplesse peut impliquer, le cas échéant, une forte rigueur dans
l’organisation des équipes et la recherche de marchés adaptés permettant de répondre de
façon satisfaisante aux besoins des usagers et aux demandes des clients de l’ESAT »173.
Effectivement, Laurence, psychologue en ESAT traditionnel, énonce : « Je trouve que ça
demande vachement d’organisation pour les moniteurs, ils doivent sans cesse s’adapter. Il
faut être attentif à qui arrive le matin, qui part en fin de matinée. Les moniteurs doivent
maintenir cette chaine de production avec les allées et venues des usagers ».

Ces structures médico-sociales que sont les ESAT évoquent « les moyens humains,
matériels et financiers à mobiliser pour mettre en œuvre les actions et les mesures favorisant
la modulation des horaires et du temps de travail » 174 : prises en charge de plusieurs
personnes pour une place en ETP, augmentation des temps d’accompagnement (temps libéré,
partenaires, etc.), aménagement des locaux et des postes.

b) Approfondir l’ergonomie en milieu protégé

Selon Alain Lancry, professeur en psychologie du travail, « l’ergonomie au travail a


contribué à développer un ensemble d’aides aux personnes handicapées : cela va de

173
ANESM, Document d’appui pour les recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur
l’adaptation de l’accompagnement aux attentes et besoins des travailleurs handicapées en E.S.A.T., juin
2013. Disponible sur :
http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Document_d_appui_RBPP_Esat_Juin_2013.pdf. Consulté le 12
mai 2016.
174
A.R.S. Pays de Loire. Modalités d’accueil à temps partiel dans les E.S.A.T. de la Région Pays de Loire.
Mars 2013. Disponible sur : http://www.creai-nantes.asso.fr/docs/Etude%20ESAT.pdf. Consulté le 19 mai
2016. 8 LANCRY Alain. L’ergonomie : là où l’on ne l’attendait pas. Paris, Presses Universitaires de
France, «Que sais-je ?», 2009, 128 pages
URL : www.cairn.info/l-ergonomie--9782130565611-page-84.htm.

151
l’aménagement des postes de travail ou de dispositifs, de locaux ou encore de structures de
travail »8. L’arrivée d’une population présentant un handicap psychique en ESAT a alors
amené ces structures médico-sociales à mettre en œuvre des aménagements en vue de
répondre aux attentes et aux besoins de ces derniers au sein du milieu protégé.

i. Handicap psychique et adaptation des postes de travail : que savons-nous ?

Selon le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), l’ergonomie renvoie


à « une science du travail ayant pour objet l’adaptation du travail à l’homme. Cette
amélioration des conditions de travail aura pour résultat la satisfaction des opérateurs, leur
confort, leur santé mais aussi l’efficacité de leurs conduites opératoires » 175 . L’accueil
croissant des personnes présentant un handicap psychique en ESAT vient remettre en
question l’organisation et les pratiques internes de chacun de ces établissements. Ainsi, selon
Christelle, conseillère en insertion professionnelle, « il faut constamment réfléchir à une
nouvelle ergonomie au travail. Depuis quelques années, les moniteurs et la direction tentent
d’adapter les postes de travail à chaque usager. Pour moi, ce n’est pas les types d’activité
qui ont changé, on a un peu les mêmes clients. On demande de nouvelles compétences aux
moniteurs ».

L’ensemble des professionnels rencontrés a développé lors d’entretiens les raisons


les ayant amené à adapter les postes de travail des personnes en situation de handicap
psychique. Ainsi, près de deux tiers des intervenants enquêtés soulignent l’idée selon
laquelle « En général et pour faire simple, quelqu’un qui a des troubles psychiques aura plus
de capacités intellectuelles à réaliser telle ou telle tâche plutôt qu’un travailleur avec un
déficience intellectuelle par exemple. Ils sont plus autonomes… Enfin, c’est qu’on pourra
diversifier les tâches et leur donner plus de responsabilités », (Evelyne, psychologue).

Parmi les professionnels avec lesquels nous avons pu échanger, ce sont les moniteurs
d’atelier qui nous présentent, de façon plus concrète et selon eux, ce qui les amènent à
repenser collectivement les activités et les postes proposés aux usagers accueillis au sein
d’ESAT. Ainsi, Bertrand, moniteur d’atelier qui exerce dans un ESAT depuis près de dix

175
C.N.R.S, Qu’est-ce que l’ergonomie et plus spécifiquement l’ergonomie logicielle ? , Disponible sur :
https://www.dsi.cnrs.fr/methodes/ergonomie/definition.htm. Consulté le 8 mai 2016.

152
ans constate qu’ « un travailleur déficient intellectuel va plutôt réaliser des tâches simples
et répétitives. Avec une personne en souffrance psy, on s’est rendu compte qu’il fallait
décortiquer autrement le travail et leur proposer des activités à plus forte valeur ajoutée.
Certaines tâches que je fais peuvent aujourd’hui être accomplies par un travailleur. Je pense
au filmage de palettes, à des saisies informatiques, à la réalisation de bons de commande,
voilà ! ». Un de ses collègues rajoute : « c’est vrai qu’on peut leur faire plus confiance. Moi,
avec Pascal [usager], je lui ai appris à déchiffrer et à réaliser un bon de commande.
Maintenant, c’est lui qui le fait et je vérifie ensuite. Il réalise ça sans problème. Je suis
surpris qu’il soit capable de faire autant de choses. Au début, j’étais sceptique, maintenant
je suis fier ».

Qui plus est, certains usagers en situation de handicap psychique apparaissent comme
des personnes ressources, des individus sur lesquels peuvent s’appuyer les moniteurs
d’atelier tant ils sont autonomes et leurs capacités sont grandes. Nous avons pu le constater
à plusieurs reprises notamment dans le cadre d’un entretien avec Bertrand, moniteur d’atelier,
lorsque celui-ci nous explique : « Il y a des personnes qui ont de grandes capacités et en qui
on peut faire totalement confiance. Je vais prendre l’exemple de Gaspard [usager]. Lui, a
un handicap psychique mais il sait monter un porte vélo de A à Z et c’est le seul ! Quand ses
collègues sont en difficulté, ils viennent le voir en disant : « Comment je fais ça Gaspard ?
». Je trouve ça génial et c’est valorisant pour lui. Dès fois, il met un peu le moniteur de côté,
mais c’est aussi bien dans une certaine mesure ».

Pour reprendre les propos tenus par les moniteurs d’atelier des différents ESAT
étudiés, ils se disent pour la plupart satisfaits parfois mêmes étonnés des capacités des
usagers présentant des troubles psychiques. A ce sujet, un moniteur d’atelier, que nous
appellerons Gérard, atteste : « Je suis bluffé franchement. Parfois quand nos clients nous
confient des commandes, nous moniteurs on se demande si les travailleurs réussiront. En
réfléchissant en équipe à des procédés, à des supports visuels et surtout en prenant le temps
de leur expliquer les tâches à effectuer, ils y arrivent alors qu’on y croyait pas au départ ».

Selon Jean-Luc Metzger 176 et Claudia Barril 177 , il semblerait qu’une majorité
d’individus estime que les démarches d’aménagement d’un poste de travail relèveraient

176
Sociologue, chercheur à France Telecom et associé au LSCI-GRIOT (CNAM-CNRS).
177
Anthropologue, doctorante à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales.

153
d’une initiative purement individuelle. Or, ces auteurs soulignent qu’en agissant de cette
manière, on « fait l’impasse sur la nécessité d’adapter simultanément, l’environnement
organisationnel aux spécificités des travailleurs concernés »178. Parmi les professionnels
intervenant au sein d’ESAT, ce sont les moniteurs d’ateliers qui semblent agir le plus en ce
sens avec l’aide des usagers eux-mêmes.

Par exemple, les moniteurs d’atelier de l’un des ESAT traditionnels enquêtés ont pris
l’initiative d’organiser une demi-journée de séminaire réunissant par petits groupes
moniteurs et usagers de cette même structure. Se sentant parfois démunis et à court d’idées
pour proposer des aménagements de poste répondant aux besoins des usagers, les moniteurs
ont alors cherché à favoriser leur expression, leur créativité et à les rendre acteurs des actions
qui pourraient être mises en place au sein des ateliers. Ainsi, Jean-Pierre déclare : « On a fait
ça sous forme d’activités ludiques, ça a bien fonctionné. On a mutualisé nos idées,
maintenant on réfléchit à comment mettre en place des choses dans la limite de nos moyens
quoi ! ». Les propos développés et les actions mises en place dans ces structures se
rapprochent de ceux de David, moniteur principal d’un ESAT mixte : « Parfois, ça nous
arrive de ne pas avoir d’idées à proposer, et les travailleurs nous donnent des solutions !
Finalement, c’est eux qui sont le plus à même de proposer des solutions pour adapter leur
poste de travail pour que ça leur convienne le mieux et que ce soit le plus commode »

ii. Quelques initiatives transposables dans d’autres E.S.A.T.

D’après des préconisations de l’ANESM publiées en avril 2013, « les activités à


caractère professionnel sont aménagées afin que les personnes en situation de handicap
psychique puissent participer à leurs réalisations. Leur diversité permet à la fois de donner
du travail à tous en fonction des capacités de chacun et de construire un parcours
professionnel au sein de l’ESAT. L’évolution des activités ainsi que celle des publics
accueillis engage les professionnels dans une réflexion quant à leur manière d’agencer la

178
METZGER Jean-Luc, BARRIL Claudia, L'insertion professionnelle des travailleurs aveugles et sourds :
les paradoxes du changement technico organisationnel, Revue française des affaires sociales 3/2004 (n° 3) ,
p. 6386 URL : www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2004-3-page-63.htm.

154
réalisation des activités, d’organiser les apprentissages et d’accompagner des publics en
situation variées de handicap »179.

Comme nous avons pu le constater, les établissements nous accueillant dans le cadre
de ce partenariat de formation tentent dans la limite de leurs moyens de s’adapter aux
caractéristiques et aux spécificités de chaque personne présentant un handicap psychique.
Les aménagements réalisés, tout au long du parcours de l’individu, ont ainsi pour finalité
d’une part, de simplifier les actions et les opérations professionnelles, mais également de
contribuer à la valorisation des personnes présentant un handicap psychique.

Les enquêtés rencontrés ont mis en exergue quatre recommandations principales


relatives à l’adaptation des postes de travail en milieu protégé, à destination des usagers
présentant un handicap psychique. Ces préconisations, dont les moyens nécessitent
relativement de faibles coûts, apparaissent comme étant transposables à d’autres ESAT
accueillant cette nouvelle population.

Premièrement, les professionnels intervenant en ESAT font preuve de créativité en


proposant des outils de communication correspondant aux besoins et aux attentes des usagers
en situation de handicap psychique. En effet, pour Gaétane, psychologue d’un ESAT hors
les Murs, « on pourrait dire que ce public a la spécificité de rencontrer des problèmes
d’attention et de concentration. C’est vachement fluctuant alors on a réfléchi à des dispositifs
lui permettant de répéter seul des tâches ». Ainsi, en plus de mettre l’accent sur la répétition
des consignes, la démonstration des tâches le tout par voie orale, plusieurs moniteurs ont
établi des « fiches synthèses » en y incluant des schémas pour leur permettre de reproduire
des gestes professionnels. « Ça les aide à être plus autonomes et ils me disent que c’est plus
valorisant que de leur rabâcher souvent la même chose. En même temps, je trouve ça bien,
les usagers s’aident plus j’ai l’impression de ce fait », témoigne Véronique, monitrice
d’atelier en ESAT traditionnel.

Parmi les interviewés, un quart d’entre eux affirment en second lieu que « les ouvriers
psy ont du mal à se repérer dans le temps et qu’il faut mettre en place des choses pour les
aider », (Catherine, chef de service d’un ESAT traditionnel). Concernant le versant de la

179
A.N.E.S.M. Adaptation de l’accompagnement aux attentes et besoins des travailleurs handicapés en
E.S.A.T. Avril 2016. Disponible sur : http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/ANESM_RBPP_-
HandicapesTravailleurs_en_ESAT.pdf. Consulté le 21 mai 2016.

155
temporalité, des moniteurs d’atelier dont Mathieu estiment qu’ « il est important de ne pas
les prévenir à la dernière minutes. Faut pas hésiter de leur dire ce qu’ils feront dans la
journée, comme ça on ne les brusque pas ». Les propos tenus par Vincent (moniteur d’atelier)
illustre parfaitement cette idée : « Je sais qu’il y en a certains, si je leur dis à 13 :30 d’aller
à 13 :30 en cuisine, ils partent en cacahuète direct et c’est fichu pour le reste de la journée.
Ils sont perturbés et déstabilisés. Par contre, si dès le matin, je leur présente bien les choses,
en général, ça passe bien ». Ces éléments se rapprochent de l’une des recommandations
développées par l’ANESM dont certaines sont mises en place dans les ESAT sur lesquels
nous nous sommes rendus : « Il est nécessaire de prévoir avec les travailleurs handicapés
psychiques le travail à venir. Cette anticipation les amène à se projeter, ne serait-ce que sur
un temps court. Elle leur permet, pour certains, de calmer un climat d’anxiété »180. Pour leur
permettre de se repérer davantage dans le temps, des usagers ont par exemple réalisé avec
leur moniteur d’atelier un emploi du temps sous forme de tableau pour que ces derniers
puissent se représenter une journée type.

Ensuite, les acteurs intervenant au sein d’ateliers en milieu dit protégé essaient «
d’organiser et d’aménager l’environnement de travail afin d’éveiller la curiosité du
travailleur handicapé à de nouveaux postes ou à de nouveaux apprentissages »181. Ainsi,
Véronique, monitrice d’atelier d’un ESAT traditionnel explique « mettre en place des
roulements, qu’ils aillent voir ce qu’il se passe dans d’autres ateliers. Je les fais bouger de
postes, ils découvrent d’autres activités et travaillent avec d’autres collègues. C’est
valorisant et ça les change de leur train-train habituel ». David, moniteur principal en ESAT,
approfondit cette recommandation indiquant « qu’il peut être bien que dans chaque ESAT,
il y ait des activités qui nécessitent peu de capacités et d’autres où il faut pas mal de
compétences. Occuper de façon provisoire un autre poste ça permet de susciter des
nouveaux projets pour des stages à venir ».

Enfin, approfondir l’ergonomie au niveau des postes de travail d’un usager en


situation de handicap psychique contribue en partie « à ce qu’ils soient reconnus par les
autres et c’est valorisant pour eux. Combien de fois on entend dire qu’ils sont capables de
pas grand-chose. C’est faux, nous, on cherche à reconnaître leurs capacités et à les

180
Ibidem.
181
Ibidem.

156
intensifier. Faut leur faire confiance, ils sont autonomes », proclame Dorothée, directrice
adjointe d’un ESAT mixte. C’est pourquoi, cette structure s’est engagée depuis cinq années
dans le Réseau « Différents et Compétents », par l’intermédiaire d’un dispositif : la
Reconnaissance des Acquis de l’Expérience (RAE). Chaque moniteur est formé et peut
ensuite accompagner l’usager dans cette démarche. Comme le souligne Dorothée, « Après
avoir constitué le dossier, être passé devant le jury, on leur dit : « Vous voyez, vous êtes
capable de ça, vous pouvez aussi savoir faire plus de choses. Et le plus beau, c’est quand il
y a la remise des diplômes, c’est une vrai cérémonie. Nous, on est fiers et eux sont super
heureux, ils se sentent reconnus ».

157
Action Favoriser la coordination des équipes médicosociales et de
production : mise en place d’un binôme de référents
N°4

 Manque de coordination et d’échanges entre le moniteur et le


Pourquoi cette référent éducatif. Récurent dans les trois types d’ESAT.
action ?  Cloisonnement des équipes qui peut impacter
l’accompagnement mené auprès de l’usager

 Publics visés : les usagers de l’ESAT


A qui elle  Acteurs : les professionnels des équipes médico-sociales et de
s’adresse ? production

 Favoriser la coordination des équipes médicosociales et de


Les objectifs production
 Dynamiser les parcours
 Assurer la prise en charge globale de l’usager
 Mutualiser les compétences

Descriptif de  Le binôme de référents sera composé d’un professionnel de


l’action l’équipe éducative et du moniteur d’atelier encadrant l’usager.

 Mettre en place des temps formels entre les deux référents pour
Facteurs de réussite échanger sur le projet
 Présenter le projet à l’usager qui reste acteur de son parcours
 Veiller au respect du partage de l’information (avoir l’accord de
l’usager pour transmettre des éléments à l’autre référent)

 Participation active des deux référents au projet de l’usager


Résultats attendus  Amélioration de la communication interne
et évaluation  Articulation des deux champs d’accompagnement au sein des
ESAT (production et médicosocial)

158
Action Améliorer le partage d’informations et de compétences :
Le Groupe d’Analyse de Pratiques Professionnelles
N°5 (G.A.P.P.)

Pourquoi  Les professionnels ont émis le souhait de se réunir afin


cette action ? d’échanger autour de situations jugées problématiques
- Une volonté d’articuler davantage le médico-social et
psychologique et la production a également été soulignée

A qui elle  Aux professionnels encadrants des équipes médico-sociales et de


s’adresse ? production

- Aider les encadrants à analyser une situation qui leur pose


Les objectifs problème
- Favoriser l’évolution de leur identité professionnelle
- Permettre aux autres professionnels, non engagés dans la situation
présentée, d’appréhender des situations similaires vécues
personnellement
 Favoriser les rencontres entre les différents services des ESAT
 Mutualiser et développer les savoirs, savoir-faire et savoir-être

Descriptif de - Séance organisée par un animateur, généralement un superviseur


l’action extérieur à l’établissement
- Le GAPP se déroule en plusieurs phases : 1. rappel de la fonction du
GAPP, 2. un volontaire expose une situation-problème rencontrée
dans la structure, 3. questions de l'auditoire, 4. hypothèses pour aider
à analyser la situation et à trouver une solution 5. reprise de la parole
par l'exposant, 5. Conclusion
- La séance suivante, les professionnels exposent le bilan de
l’évolution de la situation précédemment exposée

 L'analyse de pratiques fait appel à de fortes compétences et ne doit


Facteurs de pas être confondue avec de simples échanges de pratiques.
réussite  Nécessite une organisation spécifique : étalement dans le temps,
groupes restreints et travail de proximité
 Implication des professionnels dans l’analyse : travail de co-
construction

Résultats  Prise de recul des encadrants par rapport à leur pratique


attendus et  Régulation des « situations-problèmes »
évaluation
 Investissement des professionnels dans un travail en équipe
(production et médicosocial)

159
Conclusion

L'institutionnalisation de la catégorie du « handicap psychique » s'est trouvée, dès son


origine, comprise entre deux champs : celui médical et du médico-social. Il faudra attendre
le mouvement de « l'antipsychiatrie », émergent après la Seconde Guerre Mondiale, pour
qu'une partie de la psychiatrie questionnent ses pratiques jugées « désocialisantes » pour le
patient. Le secteur va alors s'ouvrir sur l'extérieur et reconnaître le médico-social comme un
acteur de la prise en charge des malades. Cette complémentarité des secteurs, travaillant
davantage en transversalité, va aboutir à une alliance entre les deux. La loi de 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées va alors être l'aboutissement de cette alliance. Cette loi crée la catégorie
administrative du handicap psychique, la reconnaissant ainsi comme relevant du champ du
handicap.

Le handicap a alors acquis une plus grande visibilité, un accès à une action pédagogique
d’ampleur et, de ce fait, aux prestations et services existants. L'augmentation du nombre
d'orientation d'usagers en situation de handicap psychique en ESAT a alors, comme nous
avons pu le voir, eu un impact sur les logiques organisationnelles des établissements, ainsi
que sur les professionnels.

La catégorie du « handicap psychique » étant une catégorie opératoire, est destinée à être
mobilisée pour l'octroi de prestations et de services par les MDPH. Sa reconnaissance n’a,
d’une part, pas entraîné sa définition, et surtout il s’agit d’une catégorie administrative, qui
n’est pas destinée à être utilisée par les professionnels. Pourtant dans les faits, nous avons
pu voir que les établissements et les professionnels s’en saisissent, parfois pleinement,
parfois de manière ambivalente.

Ainsi, dans l'ESAT mixte étudié, il existe une volonté de ne pas différencier les
« travailleurs », due à la culture et aux valeurs de l'établissement, qui engendre une indifférenciation
entre les types de handicap. L'approche des personnes en situation de handicap est elle aussi
indifférenciée, la prise en charge étant la même pour tous.

Dans l'ESAT traditionnel enquêté ensuite, nous avons constaté qu'il existe un paradoxe entre le
souhait de l'ESAT de s'approprier la catégorie handicap psychique et les pratiques des
professionnelles, possédant peu de connaissances et de formation sur le handicap psychique. Les

160
enquêtés ont également souligné un manque de communication entre le secteur de la production
et le secteur médico-social, qui comme nous avons pu le voir, relève d'une complexe
articulation entre des professionnels aux ethos différents. Cette position est qualifiée
d'ambivalente, les usagers étant appréhendées à partir de leur comportement et caractères
supposés.

Enfin l'ESAT hors les murs étudié correspond à une nouvelle catégorie d'ESAT créé à
partir de la création de la catégorie « handicap psychique ». L'établissement a quant à lui
pleinement adhéré à la catégorie handicap psychique. L'ADAPT opère une sélection dans la
population des personnes atteintes de handicap psychique, les usagers interrogés
représentent donc une partie très restreinte de la population en situation de handicap
psychique. Leur handicap renverrait à un handicap psychique « type », cloisonné, non
associé à un handicap mental, et défini en termes de conséquences qu'entraîne la maladie
mentale dans le quotidien et au travail. L'usager est pris en charge à partir des conséquences
plurielles de son handicap, à la fois dans le travail et dans la vie quotidienne. Nous avons
donc appelé cette approche, l'approche globale.

Ces différentes approches, couplées à des conceptions différentes du handicap psychique


à la fois par les professionnels et les usagers eux-mêmes, se conjuguent à des conceptions
différentes du travail selon les établissements. Nous avons pu noter que le protection de la
personne en situation de handicap reste un axe majeur dans les missions des ESAT, toutefois
celui de l'insertion apparaît comme un enjeu pour les années à venir. Le travail apparaît alors
souvent comme un outil au service de ces dynamiques d'insertion.

Aussi le modèle de l'ESAT claustral, remis notamment en question par la loi de 2002,
tend aujourd'hui à se substituer à un modèle d'ESAT « ouvert » sur l'extérieur. Dans cette
dynamique, les ESAT développent des pratiques de réseau et de partenariat avec d’autres
structures afin de mutualiser leurs compétences et leurs moyens techniques, humaines et
financiers. Cette ouverture vers l'extérieur apparaît également nécessaire pour faire face aux
enjeux de concurrence qui tendent à s’accroître. Le modèle de l'ESAT comme sous-traitant
industriel est aujourd'hui remis en question, et les établissement cherchent en majorité à se
diversifier et à réactualiser leurs compétences. La volonté d'un ESAT « vitrine » des savoir-
faire et savoir-être des travailleurs, dans lesquels les usagers en situation de handicap
psychique apparaissent comme un public aux compétences différentes, parfois plus qualifiés
et autonomes, tend à se développer.

161
Ces évolutions institutionnelles vont alors impacter les pratiques et les identités des
professionnels des équipes médico-sociales et psychologiques, mais surtout celles des
équipes de production. Amenées à travailler davantage en transversalité dans un cadre
réglementé, notamment par le secret médical et professionnel, les équipes doivent composer
avec les différences de pratiques et d'identités de chaque corps professionnel, dans une
logique de projet et de contrat avec l’usager. Les équipes médico-sociales et psychologiques
apparaissent, dans ce rapport de concurrence, comme « ceux qui savent », détenant un savoir
théorique et clinique que les moniteurs ne possèdent généralement pas. Les équipes de
production quant à elle cherchent, pour une partie d'entre elles, à s'intégrer au corps du
médico-social, tentant de répondre à ses exigences leur demandant un positionnement
professionnel distancé. Entre volonté de se professionnaliser et de remettre en cause le
modèle dit « familial » de l'ESAT historique, les moniteurs d'atelier s'attachent ainsi à
(re)définir l'ethos d'un corps professionnel caractérisé par sa diversité.

Cette recherche-action nous a amené à réfléchir, au regard des constats développés dans
ce mémoire, à des préconisations concernant l'adaptation des établissements aux nouveaux
enjeux posés par l'accueil du public en situation de handicap psychique. Un besoin apparent
d'une part d'apporter un étayage théorique et pratique aux professionnels, en particulier aux
moniteurs d'atelier, a été souligné de manière unanime dans les établissements enquêtés.
D'autre part, l'articulation du médico-social et de la production, pourrait également être
développée grâce à des outils concrets tels que le groupe d'analyse des pratiques
professionnelles, ou la mise en place d'un binôme de référents pour l'usager. Enfin, pour
encourager les relations avec les entreprises, et ce faisant développer les passerelles vers le
milieu ordinaire, une fiche de liaison réalisée à partir du bilan des compétences de l'usager
peut également être mise en place.

162
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Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. Disponible sur :


https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000408905&dateTexte=&categorie
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Loi n°57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés.


Disponible sur :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000880746&cate
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Ministère des affaires sociales et de la santé, Les chiffres clés du handicap 2014.
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publique.gouv.fr/files/files/score/Actualites/ChiffresClesAGEFIPH_FIPHFP_BD.pdf

OPUS 3‐DGCS, Appui des services de l’Etat à la modernisation et au développement des


ESAT dans leurs missions médico-sociale et économique, 2009 [cité par] lettre de cadrage
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OPUS 3, Rapport final : Appui des services de l’Etat à la modernisation et au


développement des établissements et services d’aide par le travail dans leurs missions
médico-sociale et économique. Novembre 2009. Disponible sur : http://social-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/ESAT_rapport_final.pdf. Consulté le 3 mai 2016.

POMME Nadine, Accueillir des publics souffrant de troubles psychiques en ESAT :


redéfinir l’offre de service pour améliorer l’accompagnement, Ecole des hautes études en
santé publique, EHESP, 2011, 132p.

RENAUD Anaïs. L’insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail.


Publié par le C.N.R.S. Disponible sur : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-
01163385/document. Consulté le 2 mai 2016.

171
VELCHE Dominique, ROUSSEL Pascale, La participation sociale des personnes
présentant un handicap psychique : effet de rhétorique ou perspective nouvelle ?, Maison
des sciences sociales du handicap, EHESP, 2011, p 112.

SITES INTERNET :

http://www.ladapt.net/qui-sommes-nous.html

http://www.afeji.org/asso/projet_asso.php

APEI : www.apei-valenciennes.org/

APEI Papillons blancs. Projet associatif. Disponible sur : http://www.apei-


saintomer.fr/doc/Projet%20associatif_SIEGE.pdf.

CREAI de Bretagne. Etre encadrant de travailleur handicapé aujourd’hui. A propos de…


N°33. Janvier 2010. Disponible sur : http://pdf.creai-bretagne.org/pdf/a%20propos_36.pdf

www.ladocumentationfrancaise.fr

http://www.unafam.org/

http://www.unapei.org/

172
ANNEXE 1 : grille d’entretien des usagers
Grille d'entretien – les usagers
Thème 1 : Profil
Présentation générale
Parcours et conditions d'entrée dans la structure

Thème 2 : Relations avec les autres usagers


Intégration dans la structure
Interactions avec les autres sur le lieu de travail
Reactions face à une situation de conflit

Thème 3 : Relations avec les professionnels et les clients


Interactions avec le personnel médico-social :
-rendez-vous (psychologue, assistante sociale, direction)
-participation aux ateliers et autres activités hors production
Relations avec les moniteurs

Thème 4 : Parler de son handicap


Quel type de handicap, comment l'usager le décrit
Place du traitement dans sa vie
Impact de la maladie sur sa vie

Thème 5 : Rapports au milieu ordinaire (famille, vie quotidienne en dehors de l'ESAT)


Sur son lieu d'habitation, type de logement
Situation familiale (couple, contacts avec la famille)
Activités en dehors de l'ESAT
Relations avec d'autres usagers en dehors de la structure

Thème 6 : Rapport au travail


Sa vision du travail en milieu ordinaire
Méthode de travail (horaires, prestation préférée)
Satisfaction liée au travail en ESAT (valorisant, un travail comme un autre, dévalorisant)

173
ANNEXE 2 : grille d’entretien des professionnels
Grille d'entretien – les professionnels
Thème 1 : Profil (âge, parcours professionel)
Parcours :
-formation
-parcours professionnel
-raisons de l'arrivée en ESAT
Différence entre les anciens et les nouveaux moniteurs

Thème 2 : Définition et représentation du handicap psychique


Sa définition du handicap psychique
Regard porté sur les travailleurs handicapés psychique en ESAT
Représentations :
-différences entre les usagers en situation de handicap psychique et mental
-la place des personnes handicapées psychique en ESAT

Thème 3 : Difficultés dans l'accompagnement du public


La gestion des conflits et comment voit-il la relation entre les usagers en général
Différences de prise en charge entre le handicap psychique et le handicap mental :
-adaptations de poste
-suivi professionnel, médico-social

Thème 4 : Evolution de la population acceuillie


Comparaison de la population entrant à l'ESAT depuis son arrivée jusqu'à aujourd'hui
Sa vision sur le projet d'établissement, son évolution

Thème 5 : Relations avec les autres acteurs (professionnels, usagers, familles)


La place du handicap psychique dans la structure
Appel aux autres professionnel
Relation avec les autres services (production, médical, social)
Posture adoptée envers les usagers (conviviale, neutre, distante)
Place de la famille à l'ESAT et comment elle est accueillie
Thème 6 : Besoins
Ce qui pourrait-être améliorer
Dans une scénario idéal, ce qu'il faudrait mettre en place

174
ANNEXE 3 : profil des professionnels et des usagers

Profil des
professionnels

Ancienneté
Prénom Age Profession dans la Formation Expériences antérieures
structure
Expériences courtes
Moniteur d’atelier
Mathieu 25 ans 2 ans Non (apprentissage) dans
(conditionnement)
divers secteurs
Oui
Moniteur d’atelier
Pierre 42 ans 5 ans (Moniteur Transports
(conditionnement)
d’atelier)
Jean- Moniteur d’atelier
55 ans 10 ans Non Téléconseiller
Pierre (conditionnement)

Moniteur d’atelier
Véronique 51 14 ans Non Secteur industriel
(conditionnement)
Oui
Monitrice
Sabine 37 ans 15 ans (Monitrice Travailleur social
éducatrice
éducatrice)
Oui
Catherine 35 ans Chef de service 10 ans Travailleur social
(CAFERIUS)

Moniteur d’atelier Technicien dans une


Florence 32 ans 2 ans Oui
(conditionnement) entreprise

Laurence 58 ans Psychologue 30 ans Oui -

Moniteur d’atelier
Michel 57 ans - Non -
(conditionnement)

Moniteur d’atelier
Vincent 47 ans 1 an Oui Secteur industriel
(conditionnement)

Gaétane ? Neuropsychologue 5 ans Oui Non

Chargée de
Marie ? relation en 5 ans Oui Oui
entreprise
Ancien chargé de
Edouard ? relation 5 ans Oui Tourisme social
d’entreprise

175
Foyer de jeunes
Isabelle ? Chef de service 3 ans Oui
travailleurs
Conseillère en
Coordinatrice dans un
Amélie ? économie sociale 6 ans Oui
GEM
et familiale
Réfèrente
Christelle 54 ans insertion 17 ans Oui -
professionnelle

David 45 ans Moniteur principal 12 ans Oui -

Bertrand 55 ans Moniteur d’atelier 3 ans Non Chaudronnier traceur

Dorothée 40 ans Directrice adjointe 16 ans Oui -

Gérard 35 ans Moniteur d’atelier 5 ans Oui Bâtiment

Evelyne 29 ans Psychologue 8 ans Oui -

176
Profil des usagers

Ancienne
Avant d’être Troubles
Nom Age Atelier té dans la Famille et entourage Hébergement
en ESAT
structure
Ses parents sont
Sécurité en
43 Conditionne décédés. Appartement « en
Martin 6 ans milieu Dépression
ans ment Bon rapport avec ses autonomie »
ordinaire
amis.
Bon rapport avec ses
Horticulture parents, ses amis, Appartement « en
41 Conditionne
Luc 6 ans en milieu Schizophrénie voisins et sa autonomie » avec sa
ans ment
ordinaire conjointe. conjointe
Milieu aisé.
Scolarité en
Voit sa famille
milieu
couramment. Ne
50 Conditionne protégé (IMP Troubles Appartement « en
Jacqueline 27 ans souhaite pas les
ans ment et classe de anxieux autonomie »
« déranger » quand
perfectionne
elle a besoin d’aide.
ment)
Sa mère est
décédée. Il vit avec
33 Conditionne Hébergement en
Sulivan - - - son père qui le
ans ment famille
conduit tous les
matins.
Ses parents sont
décédés lorsqu’il été
enfant. Il n’a plus de
Secteur contact avec le reste
46 Conditionne forains en Troubles de sa famille. A eu Appartement « en
Alain 34 ans
ans ment milieu anxieux un colocataire qui a autonomie »
ordinaire ensuite déménagé.
Période de solitude
mais aujourd’hui il a
une compagne.
Ses parents sont
décédés, ainsi que
Scolarité en
ses parents d’accueil.
milieu
A des contacts avec
53 Conditionne protégé (IMP Hébergé en foyer pour
Didier 33 ans Schizophrénie une tante chez qui il
ans ment dans le adultes handicapés.
va en vacances, et
secteur
des relations
agricole)
régulières avec l’un
de ses frères.

177
Travail en
Agent
milieu Angoissé, Il visite
38 d'entretien
Sigismond 2 ans ordinaire entend des régulièrement sa Il vit seul.
ans en milieu
(agent voix famille
ordinaire
d'entretien)
Préparateur
de Soutien familial
37
Stéphane commande 2 ans Militaire Schizophrénie important et Habite chez sa mère
ans
en milieu constant
ordinaire
Préparateur
de Mère malade/élevé
36 Intérim
Lorenzo commande 5 ans Dépression par ses grands Il vit chez sa tante
ans (Commerce)
en milieu parents
ordinaire
Troubles
Intérim
relationnels,
Agent (Hôtellerie,
difficulté de
47 administratif secrétariat, Relation avec sa
Brigitte 7 ans concentration, Elle vit seule
ans en milieu animation, mère compliquée
d’organisation,
ordinaire femme de
problèmes de
chambre)
stabilité
Accueil en Sa famille
35
Mélanie milieu 2 ans Interim Dépression l’encourage dans Elle vit en couple
ans
ordinaire cette voie
Agent Sa mère l’aide dans
Elle vit seule dans
32 administratif la vie pour « rédiger
Julia 8 ans Bac Dépression l’appartement de sa
ans en milieu des courriers » par
mère
ordinaire exemple
Voit régulièrement
sa famille et surtout
31 Travail à la Elle vit seule dans son
Nathalie 8 mois Restauration Dépression ses parents, sa tante
ans laverie appartement
et son oncle
Ils l’aident beaucoup
Saisonnier,
employé de
libre-service,
manutention Problème
naire, d’expression,
34 technicien entends des Il voit rarement sa Il vit seul dans sa
Cédric Repassage 5 mois
ans de surface, voix, stress, famille maison
préparateur problèmes de
de mémoire
commande,
opérateur de
caisse
24 Ecole Sentiments de
Karim Magasinier 4 ans - -
ans spécialisée persécution et

178
décourageme
nt fréquents
51
Miguel Prestation B 30 ans Bâtiment - Ne voit pas sa famille Il vit seul
ans
38 « Polystyrèn
Barbara - Segpa Epileptique Ne voit que sa tante Elle vit en couple
ans e»
Ne voit pas sa
53 « Polystyrèn famille, seulement Elle vit seule dans son
Michelle 30 ans Institution -
ans e» ses collègues de appartement
temps en temps

179
ANNEXE 4 : dessin d’un usager interrogé

180
ANNEXE 5 : Modèle de « contrat de soutien et d’aide par le travail » établi
entre l’établissement ou le service d’aide par le travail et chaque travailleur
handicapé
Entre Mme, Mlle, M. (usager)...

(le cas échéant), représenté(e) par Mme, Mlle, M. (tuteur-tutrice)...,

et l'association (ou l'établissement public) gestionnaire de l'établissement ou du service


d'aide par le travail (nom de l'établissement ou du service d'aide par le travail)...,

représentée par Mme, Mlle, M....,

président(e) de l'association (ou de l'établissement public) ou par Mme, Mlle, M....,

directeur (directrice) de l'établissement ou du service d'aide par le travail, dûment mandaté,

il est convenu ce qui suit :

Art. 1er.- Définition - établissement - signature

Le présent contrat de soutien et d'aide par le travail définit les droits et les obligations
réciproques de l'établissement ou du service d'aide par le travail X et de Mme, Mlle, M. Y,
afin d'encadrer l'exercice des activités à caractère professionnel et la mise en oeuvre du
soutien médico-social et éducatif afférent à ces activités.

Le présent contrat est élaboré en collaboration avec Mme, Mlle, M. Y, accompagné le cas
échéant de son représentant légal, en prenant en compte l'expression de ses besoins et de
ses attentes ainsi que les conditions d'organisation et de fonctionnement propres à
l'établissement ou au service X, telles que définies dans la convention d'aide sociale passée
le ..., avec le représentant de l'Etat dans le département ainsi que, le cas échéant, dans la
convention passée en application de l'article R. 243-8 du code de l'action sociale et des
familles définissant la politique de l'établissement en faveur des travailleurs handicapés.

Il est signé au plus tard dans le mois qui suit son admission dans l'établissement ou le
service.

Pour la signature du contrat, la personne accueillie ou son représentant légal peut être
accompagnée de la personne de son choix.

Le présent contrat est transmis pour information à la maison départementale des personnes
handicapées au nom de laquelle la commission des droits et de l'autonomie a prononcé
l'orientation.

Art. 2.- Appui à l'exercice des activités à caractère professionnel

Dans le cadre de la mise en œuvre de son règlement de fonctionnement et de son projet


institutionnel, l'établissement ou le service d'aide par le travail X s'engage à mettre en place

181
une organisation permettant à Mme, Mlle, M. Y d'exercer des activités à caractère
professionnel adaptées à ses capacités et à ses aspirations.

A ce titre, il s'engage à tout mettre en oeuvre pour permettre à Mme, Mlle, M. Y de


bénéficier de toute action d'entretien des connaissances, de maintien des acquis scolaires,
de formation professionnelle susceptibles de favoriser le développement de ses
compétences et son parcours professionnel au sein du milieu protégé ou vers le milieu
ordinaire de travail.

Les horaires collectifs d'exercice des activités à caractère professionnel sont prévus par le
règlement de fonctionnement de l'établissement ou du service d'aide par le travail.

Mme, Mlle, M. Y est soumis au régime des congés et des autorisations d'absence prévu
aux articles R. 243-11 à R. 243-13 du code de l'action sociale et des familles tels que mis
en oeuvre dans le cadre du règlement de fonctionnement.

Art. 3.- Participation à des activités de soutien médico-social et éducatif

Dans le cadre d'un entretien à la suite duquel l'accord des deux parties est formalisé,
l'établissement ou le service d'aide par le travail X s'engage a proposer à Mme, Mlle, M. Y
des activités d'accès à l'autonomie et d'implication dans la vie sociale correspondant à ses
aspirations personnelles et à ses besoins.

Art. 4.- Participation de la personne à l'ensemble des activités

Dans le respect du règlement de fonctionnement et des dispositions du présent contrat,


Mme, Mlle, M. Y s'engage à participer :

- aux activités à caractère professionnel qui lui seront confiées ;

- aux actions d'apprentissage et de formation qui auront été préalablement et conjointement


identifiées comme nécessaires au maintien et au développement de ses connaissances et de
ses compétences professionnelles ;

- aux activités de soutien médico-social et éducatif qui auront été préalablement choisies au
vu de ses aspirations et qui favorisent son accès à l'autonomie et son implication dans la
vie sociale.

Art. 5.- Avenant(s) au contrat

Le présent contrat peut faire l'objet d'un avenant pris en application du V de l'article D. 311
du code de l'action sociale et des familles, dont la vocation est de permettre, en cours ou au
plus tard à l'issue de la période d'essai éventuelle, de préciser les objectifs et les prestations
adaptées à Mme, Mlle, M. Y, en particulier, la répartition du temps de présence entre les
activités à caractère professionnel et les activités de soutien médico-social et éducatif, la
nature et les modalités de réalisation de ces activités, ainsi que les aménagements
d'horaires éventuels.

Art. 6.- Réactualisation annuelle des objectifs et des prestations

182
Mme, Mlle M. Y bénéficie d'un accompagnement garantissant la mise en oeuvre effective
des droits et des obligations réciproques prévus au présent contrat et permettant, chaque
année si nécessaire, une réactualisation des objectifs et des prestations par voie d'avenant.

Mme, Mlle, M. Y est obligatoirement associé(e) à la réactualisation annuelle des objectifs


et des prestations le (la) concernant, définis par avenants au présent contrat.

Art. 7.- Appel à un prestataire extérieur

Pour la réalisation des engagements prévus au présent contrat et par ses avenants,
l'établissement ou le service d'aide par le travail X peut passer convention avec tout
organisme, spécialisé ou non.

Art. 8.- Assistance de la personne accueillie en cas de difficultés en cours de prise en


charge

En cas de difficultés dans l'application du présent contrat, ou de l'un de ses avenants, et à


l'initiative de l'un ou l'autre des cocontractants, des temps de rencontre et d'expression
doivent être organisés avec la personne responsable de l'établissement ou du service d'aide
par le travail. A cette occasion, Mme, Mlle, M. Y peut être accompagné(e) d'un membre du
personnel ou d'un usager de l'établissement ou du service, de son représentant légal ou d'un
membre de sa famille, ou bien faire appel à la personne qualifiée extérieure à
l'établissement et choisie sur une liste départementale telle que mentionnée à l'article L.
311-5 du code de l'action sociale et des familles.

Art. 9.- Mesure de protection juridique

Dès lors que Mme, Mlle, M. Y bénéficie d'une mesure de protection juridique, les
signataires du présent contrat attestent qu'il/qu'elle a été partie prenante dans son
élaboration et qu'il/qu'elle a pu donner son consentement, dans toute la mesure du possible.

Art. 10.- Modification ou suspension du contrat de soutien et d'aide par le travail

Toute modification du présent contrat ou de l'un de ses avenants ultérieurs, portant sur des
dispositions essentielles, doit intervenir selon les mêmes modalités que lors de leur
conclusion initiale.

Conformément à l'article R. 243-3 du code de l'action sociale et des familles, dès lors que
le comportement de Mme, Mlle, M. Y met gravement en danger sa santé ou sa sécurité, la
santé ou la sécurité des autres travailleurs handicapés de l'établissement ou du service
d'aide par le travail, ou porte gravement atteinte aux biens, le directeur de l'établissement
ou du service peut prendre une mesure conservatoire, valable pour une durée maximale
d'un mois (échéance, qui est prorogée jusqu'à l'intervention effective de la décision de la
commission), qui suspend le maintien de Mme, Mlle, M. Y au sein de la structure et par
voie de conséquence le présent contrat.

Il doit en informer immédiatement la maison départementale des personnes handicapées.


La commission des droits et de l'autonomie est seule habilitée à décider du maintien ou non

183
de Mme, Mlle, M. Y au sein de l'établissement ou du service X, à l'issue de la période de
suspension.

La rémunération garantie est maintenue pendant toute la période de suspension.

Cette mesure est sans conséquence sur le maintien, pendant cette période, de Mme, Mlle,
M. Y en foyer d'hébergement pour personnes handicapées.

Art. 11.- Rupture anticipée du contrat de soutien et d'aide par le travail

Dès lors que l'une ou l'autre des parties au présent contrat souhaite dénoncer celui-ci, elle
doit notifier son intention à l'autre par lettre recommandée avec demande d'avis de
réception.

L'intention de l'établissement ou du service d'aide par le travail X de rompre le présent


contrat donne lieu à une information de la maison départementale des personnes
handicapées.

Dans le mois qui suit l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception
notifiant l'intention de rompre le présent contrat, un entretien doit être organisé entre les
parties, pour échanger sur les motifs de cette rupture et en évoquer les conséquences.

La fin de la prise en charge de Mme, Mlle, M. Y par l'établissement ou le service d'aide par
le travail X ne peut intervenir qu'à l'issue d'une décision de la commission des droits et de
l'autonomie des personnes handicapées, prise en application des articles L. 241-6 et R.
241-28 (6o et 7o) du code de l'action sociale et des familles. Cette décision entraîne
automatiquement la rupture du contrat de soutien et d'aide par le travail.

Art. 12.- Durée du contrat de soutien et d'aide par le travail

Le présent contrat est conclu pour une durée d'un an et est reconduit chaque année par
tacite reconduction.

Il est établi en quatre exemplaires dont un est adressé à la direction départementale des
affaires sanitaires et sociales dont relève l'établissement ou le service d'aide par le travail
X. La maison départementale des personnes handicapées au nom de laquelle la
commission des droits et de l'autonomie a pris la décision d'orientation de Mme, Mlle, M.
Y est également destinataire d'un exemplaire dudit contrat.

Fait à..., le...

184
Résumé

Le contexte actuel autour de la loi de 2005, pour l’égalité des droits et des chances,
amène les établissements médico-sociaux, tels que les Établissements et Services d’Aide par
le Travail (ESAT), à repenser l’accompagnement des personnes en situation de handicap
psychique. C’est ce qui a amené le Centre de Ressource spécialisé dans le Champ du
Handicap Psychique (CREHPSY) à commander cette étude en janvier 2016. Nous nous
sommes rendu de ce fait dans quatre ESAT aux logiques organisationnelles différentes pour
effectuer des entretiens avec des professionnels et des usagers afin d'étudier l’accueil des
personnes en situation de handicap psychique. L’objectif de cette recherche-action est ainsi
de proposer des préconisations pour améliorer l’accompagnement des usagers. Nous avons
ainsi pu saisir les particularités de cette nouvelle population et les différentes manières
qu’ont les ESAT de s’approprier cette catégorie opératoire. De plus, au regard de mutations
économiques et législatives, les ESAT repensent aujourd'hui leur modèle
d'accompagnement. Entre ouverture vers le milieu « ordinaire » et articulation du médico-
sociale et de la production, ces enjeux nouveaux amènent à des recompositions
professionnelles.

185

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