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CAMPAS Fanny

Domaine de Compétence 1 :

La relation éducative dans l’accompagnement social et éducatif spécialisé

Mémoire de pratique professionnelle

DEES 2018-2021
Tout est question de communication
Sommaire

Introduction...............................................................................................................................1
1 Des constats à la question de départ..................................................................................3
1.1 Regard réflexif sur mes trois années de formation.......................................................3
1.2 Le choix de mon thème................................................................................................5
1.3 Un Centre Educatif Fermé............................................................................................5
1.4 Le public.......................................................................................................................7
1.5 Mes observations..........................................................................................................8
2 Elaboration d’une problématique...................................................................................13
2.1 Méthodologie d’enquête.............................................................................................13
2.1.1 La conceptualisation de l’outil :..........................................................................13
2.1.2 Les modalités de passage de l’entretien semi directif.........................................14
2.1.3 Choix des professionnels interrogés...................................................................14
2.1.4 Les limites de l’entretien semi-directif :.............................................................15
2.2 Adolescence, délinquance, et adolescent délinquant.................................................17
2.3 Le changement de mode de communication dans la communication
interpersonnelle : choix ou non ?..........................................................................................23
2.4 La relation éducative..................................................................................................25
2.5 L’analyse des entretiens :...........................................................................................28
3 Des hypothèses à la proposition d’actions socio-éducatives..........................................35
3.1 Situation de Simon.....................................................................................................36
3.2 Situation de Sacha......................................................................................................39
Conclusion...............................................................................................................................44
Bibliographie.............................................................................................................................46
Annexe 1 : Modèle de la communication linéaire et circulaire avec la notion de Feed-Back par
Norbert Wiener...................................................................................................................51
Annexe 2 : Entretien avec la psychologue du CEF...................................................................52
Annexe 3 : Entretien avec le directeur du CEF.........................................................................59
Annexe 4 : Entretien avec un éducateur spécialisé du CEF......................................................62
Annexe 5 : Entretien avec un adolescent accueilli au CEF......................................................67
Introduction
« On ne peut pas ne pas communiquer » telle est la phrase de Paul WATZLAWICK
psychologue, qui résonne tout au long de ce mémoire. La double négation utilisée, comme
l’indique la langue française, se transforme donc en une phrase affirmative : on communique.
Oui mais communiquer quoi ? comment ? où ? avec qui ? qui communique ? et pourquoi ?

Le sujet vient résonner en moi quand je constate que partout où l’on est en relation
avec une autre personne, tout est question de communication : Comprendre, se faire
comprendre, exprimer, parler, écouter…autant de mots pour interroger ce thème.

Or depuis trois ans, différentes rencontres auprès de publics aux âges, aux
problématiques et personnalités variés (des adolescents porteurs de Trouble du Spectre
Autistique (TSA), des adolescents ayant subi des maltraitances, des personnes majeures ayant
commis des infractions, délits et crime, des adolescents accueillis en Centre Educatif Fermé
(CEF)) m’amènent à explorer et affiner cette thématique.

Ce mémoire de fin d’étude est donc pour moi, un moyen pour m’interroger sur mon
identité professionnelle en tant que future éducatrice spécialisée.

Mon questionnement a donc été de savoir dans quelle direction j’allais orienter ma
question de départ afin de mener à bien cette réflexion. Cette recherche me donne l’occasion
d’approfondir des interrogations qui ont émergé tout au long de ce cursus de formation, tant
au niveau pratique que théorique.

La communication et ses enjeux, voilà les premières recherches qui m’apportent des
connaissances et constituent ma première partie pour répondre à la question de départ :

Quels sont les enjeux de la communication, dans la relation socio-éducative, auprès


d’adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé ?

Dans le cadre de ma troisième année de formation, j’effectue mon stage à


responsabilités dans un Centre Educatif Fermé (CEF) auprès d’adolescents délinquants âgés
de 16 ans jusqu’à leur majorité.

Ces jeunes n’ont pas toujours bénéficié de soutiens familial, affectif, relationnel pour
se sentir sécurisés dans leur passage à une vie d’adulte. Ils sont souvent insécurisés de par leur

1
vécu. Leur âge les situe dans une période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Ils
sont aussi en pleine construction de leur identité.

L’exploration de ma question de départ s’est construite en observant le public


accueilli, leur lieu de placement contraint, les professionnels du terrain sur le thème et en
confrontant ces éléments avec une première approche conceptuelle de la communication.

Grâce à une enquête de terrain dont je développerai les modalités dans la deuxième
partie, mon approche réflexive s’appuie sur trois approches théoriques : l’adolescent
délinquant, la relation éducative et le choix de changements de mode de communication,
constituant la problématique suivante :

En quoi les changements de modes de communication sont un outil au service de


la relation éducative avec les adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé ?

La troisième partie sera constituée de l’hypothèse : les changements de modes de


communication dans la relation éducative sont stratégiques, hypothèse, à laquelle je
tenterai d’apporter des éléments pour un début de positionnement professionnel. Je montrerai
par ailleurs au travers de deux situations les actions socio-éducatives proposées, que j’ai
pensées et ajustées à partir de mes connaissances en sciences-humaines et sociales.

*Par soucis de confidentialité, tous les noms figurant dans cet écrit ont été anonymisés.

2
1 Des constats à la question de départ
1.1 Regard réflexif sur mes trois années de formation
Durant ma première année j’ai réalisé mon stage dans un Institut Médico-Educatif
(IME), accueillant des adolescents âgés de 16 à 18 ans porteurs de Troubles du Spectre
Autistique (TSA), Troubles Envahissant du Développement (TED) associés à des déficiences
intellectuelles. Cette première expérience professionnelle auprès d’adolescents m’a étonnée
quant à l’entrée en relation, aux échanges que nous pouvions avoir sans aucune utilisation du
langage verbal pour certains jeunes. Dès mon premier jour David 16 ans, m’a interpelée en
tant que professionnelle au travers d’un geste qui, dans le langage des signes, signifie pour lui
et pour l’équipe qu’il me sollicitait afin d’obtenir mon aide. Sur le moment je n’ai pas compris
le sens de ce geste.

Lors de mon deuxième stage au Lieu de Vie et d’Accueil (LVA), accueillant des
adolescents au titre de la protection de l’enfance, j’ai identifié et repéré l’importance des
interactions qui avaient lieu lors des temps de partages, de moments de vie. A ce moment-là,
j’ai utilisé le jeu comme support pour atteindre des objectifs tels que le dialogue et
l’expression : Natacha s’est confiée sur son histoire de vie et sur des moments douloureux
qu’elle a vécus. En tant que future professionnelle, j’ai pris conscience de la nécessité d’être
disponible et réactive face aux échanges dans ce moment de communication.

Au cours de ma deuxième année dans le cadre de mon stage au Service d’Investigation


Educatif et Appui au Pénal, lors d’un entretien dans le cadre d’un Contrôle Judicaire Socio-
Educatif (CJSE), j’ai été confrontée à une situation au cours de laquelle la langue de la
personne placée sous-main de justice, ne me permettait pas de mener l’entretien seule : La
présence d’une interprète relevant de la justice a permis que je puisse réaliser l’entretien.

En troisième année, lors de mon stage au Centre Educatif Fermé accueillant des
adolescents au titre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et/ou de l’Aide Sociale à
l’Enfance (ASE), j’ai vécu un entretien au cours duquel Hakim âgé de 17 ans, a modifié son
comportement. Tandis qu’il échangeait avec un autre jeune, je lui ai rappelé qu’une tâche
collective lui était attribuée, à savoir laver la table. Après lui avoir demandé d’effectuer sa
tâche, Hakim a réagi de façon impulsive, et en proférant des injures et de manière physique en
tapant avec son pied sur le mur de la salle à manger, refusant ainsi d’effectuer sa tâche.

En portant un regard réflexif sur ces trois années de formation, j’ai cherché à donner du
sens à cette notion de communication. Pour moi la communication était il y trois ans la simple

3
transmission d’un message verbal. Je suis alors passée d’une compréhension de la
communication telle que présentée dans le modèle de Shannon et Weaver comme approche
mécanique, (un émetteur et un récepteur, un message se transmettant au travers d’un canal) à
une définition plus élaborée de celle de Norbert WIENER1.

Au cours de cette dernière année de formation, différentes lectures m’ont apportée des
éléments de compréhension autour de cette notion de communication. De nombreux auteurs,
ont écrit des théories de la communication.

Toute la présentation des situations que je viens d’évoquer ci-dessus m’ont questionnée
et me questionne encore au sujet de l’utilisation du langage verbal et non-verbal, des
différentes manières de communiquer, de l’expression non-verbale d’un mal être qui ne peut
s’exprimer par des mots et enfin au sujet de la disponibilité de l’éducateur en tant que
récepteur d’un message.

Certains paramètres de la communication comme la barrière de la langue constituent


certes des freins à l’échange mais ne constituent pas mon objet de recherche. En effet mon
questionnement s’articule autour des modes de communication, de l’absence de
communication verbale remplacée par la communication non-verbale.

Je me questionne là sur ce qui se joue dans la relation socio-éducative avec les jeunes,
quand il y a rupture de communication verbale, mais aussi quand une personne ne peut
s’exprimer avec des mots, alors que les attitudes laissent paraitre des émotions.

A la lecture de Paul WATZLAWICK qui dit « on ne peut pas ne pas communiquer » je


prends conscience que tout est question de communication, mais sans pour autant pouvoir y
donner du sens dans ma pratique professionnelle.

1
Annexe 1 : modèle de la communication par Norbert WIENER

4
1.2 Le choix de mon thème
La thématique de la communication a été le fil conducteur tout au long de mes trois
années de formation, venant interroger ma pratique professionnelle dans la construction de
mon identité professionnelle. De ce fait je me suis alors questionnée sur la posture
professionnelle à adopter avec l’autre pour entrer en communication et la maintenir au service
de la relation socio-éducative.

Je peux donc poser ici ma question de départ que je vais développer à partir
d’éléments issus d’une part de mon terrain de stage qu’est le CEF et d’autres part de
différentes sources documentaires scientifiques :

Quels sont les enjeux de la communication, dans la relation socio-éducative, auprès


d’adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé ?

Mes observations de terrain au sein du CEF s’appuieront sur différentes situations, mais
il m’appartient dans un premier temps de vous présenter mon contexte d’intervention au
travers du public et de ma fonction d’éducatrice spécialisée.

1.3 Un Centre Educatif Fermé

Les Centres Educatifs Fermés ont été créés suite à la loi Perben 1 du 9 Septembre 2002.
Je présenterai ici le Centre Educatif Fermé dans lequel j’ai effectué mon stage professionnel,
ce dernier a été créé en 2006. L’association Montjoie dont il dépend précise dans son projet
associatif que : « Ce CEF, est une alternative à l’incarcération, destinée à prévenir la
persistance et le renouvellement des comportements délinquants par le retrait des mineurs de
leur milieu social habituel. L’essentiel de notre travail vise, par des activités de
réapprentissage des savoirs fondamentaux, l’insertion socioprofessionnelle dont le contenu
est formalisé dans le projet personnalisé de chaque jeune. » 2
Selon le projet de service le CEF a pour mission d’accompagner les mineurs au niveau
psychologique, éducatif, familial et social. Ce travail permet à chaque jeune de développer
des capacités et des compétences qui favorisent son insertion sociale et préviennent la
récidive.
La finalité consiste bien à préparer le retour de l'adolescent, au sein de son milieu
familial ou dans un accueil spécialisé de droit commun avec un projet scolaire ou
professionnel lui permettant une insertion sociale dans le respect du cadre et de la loi.

2
Site internet de l’association Montjoie, présentant le CEF

5
Dans le cadre judiciaire, nous proposons un accompagnement éducatif, pédagogique et
thérapeutique. Dans le cadre légal, l’hébergement éducatif des « mineurs délinquants »
demeure encore soumis tant au respect des droits fondamentaux des citoyens que des règles
relatives à l’accueil des « usagers » dans le secteur médico-social (droit à la parole, liberté de
culte et d’orientation sexuelle).
Le placement éducatif sur décision judiciaire au CEF est une mesure individuelle de
protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation. Le magistrat qu’il soit juge des
enfants ou juge d’instruction décide et ordonne l’application de l’ordonnance de placement,
qui a pour objectif de protéger l’adolescent. L’ordonnance de placement est définie pour une
durée de six mois renouvelable une fois, elle peut être remise en cause à tout moment sur la
décision du magistrat. L’adolescent accueilli en CEF doit répondre à la responsabilité des
actes délictueux et/ou criminels qu’il a commis par le passé.
La justice des mineurs en France concerne soit les mineurs en danger, soit le mineur
ayant commis des actes de délinquance. Dans cette deuxième catégorie qui rentre dans le
cadre pénal définit pas l’ordonnance de 1945 relative à la délinquance juvénile à son
traitement qui favorise l’éducatif à l’enferment, rappelle tout de même le placement contraint
et soumis aux décisions du juge placeur.
Le CEF est un établissement social et médico-social, au sens de l’article L 312-1-I du
code de l’action sociale et des familles. Il s’inscrit donc dans le cadre des lois de la protection
de l’enfance et de l’accompagnement des mineurs en situation de délinquance et plus
largement dans le cadre de la loi de 2002 rénovant l’action sociale.
La Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ), est chargée quant à elle,
dans le cadre de la compétence du ministère de la justice, de l'ensemble des questions
intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce
titre.
Depuis la loi du 5 Mars 2007 « relative à la prévention de la délinquance », les
mineurs peuvent être confiés aux Centres Educatifs Fermés que dans le cadre prévu d’un
contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’une libération conditionnelle et d’un
placement à l’extérieur.
Le CEF s’appuie sur un cahier des charges créé par Circulaire d’application du 10
mars 2016 relatif aux règles d’organisation, de fonctionnement et de prise en charge des CEF.
Il stipule que « Les centres éducatifs fermés ainsi créés ont vocation à compléter le dispositif
de prise en charge des mineurs délinquants et à s’intégrer dans l’ensemble des structures de
placement de la protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif habilité. Destinés

6
à prévenir la persistance et le renouvellement des comportements délinquants par le retrait
du milieu social habituel des mineurs qu’ils induisent, ces centres sont une alternative à
l’incarcération offerte à ces derniers. Ils ne peuvent toutefois répondre à l’objectif d’insertion
que leur fixe le législateur que si un projet éducatif construit, intensif et structuré permet
d’assurer la prise en charge évolutive des jeunes qui y seront placés. Les activités de
réapprentissage des savoirs fondamentaux, celles d’apprentissage des gestes professionnels,
comme le travail pédagogique sur la santé et le corps à partir des activités sportives et d’une
offre sanitaire pertinente, constituent ainsi les moyens indispensables à développer au sein de
ces derniers. »3
L’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice
pénale des mineurs entre en application le 30 septembre 2021. La réforme de la justice des
mineurs vise à simplifier et accélérer le jugement des mineurs délinquants et à renforcer leur
prise en charge. Elle entend également améliorer la prise en compte des victimes.

1.4 Le public
Je me suis orientée sur la question de la communication des adolescents âgés de 16
jusqu’à leur majorité, en écho au public qu’accueille le CEF. L’établissement peut assurer la
prise en charge d’un public de 12 mineurs uniquement masculin.
Les jeunes que nous accueillons sont en placement contraint au sens juridique. Les
professionnels accompagnant ces jeunes ne se focalisent pas seulement sur leurs parcours
pénaux, mais prennent en considération et veillent à prendre en compte l’individu dans sa
globalité. Nous tenons compte de leurs histoires personnelle et familiale, de leurs souffrances
psychiques et difficultés comportementales, relationnelles, sociales, voire de leurs troubles,
psychiatriques et/ou de la personnalité. Les problématiques des jeunes sont à contextualiser en
fonction de l’histoire et du parcours de l’adolescent.
Ces jeunes sont multiréitérants (plusieurs passages à l’acte de nature différente),
multirécidivistes (plusieurs passages à l’acte de même nature) ou ayant commis des actes
d’une particulière gravité. La nature des actes peut être des crimes, des viols et agressions
sexuelles, des coups et violences volontaires, des vols et recels, des destructions et
dégradations, l’usage – la détention – l’acquisition de stupéfiants ou d’armes, des outrages et
rébellions et non-respect des règles de la circulation routière.

Les adolescents peuvent présenter des traits psychopathologiques selon le projet


d’établissement, qui se caractérisent par des conduites dyssociales, comme de l’impulsivité et
3
Cahier des charges des CEF - http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSF1607483C.pdf

7
de l’agressivité, également sur des instabilités sur le plan tant comportemental, que relationnel
et social. Les jeunes peuvent avoir des conduites de retraits qui prennent la forme de passivité
(oisiveté, désœuvrement, ennui) et qui peuvent conduire à la dépendance (absence d’initiative
et d’autonomie).

Comme l’indique le projet d’établissement du CEF « Les troubles de la personnalité


antisociale sont principalement caractérisés par une incapacité à ressentir de l’empathie
pour autrui, une instabilité affective et relationnelle ainsi qu’une impulsivité psychique et
comportementale. Dans le quotidien, ces troubles ont comme conséquence, par exemple une
intolérance à la frustration, une impulsivité responsable d’agressions verbales et physiques,
un mépris pour les règles et normes sociales, une absence de remords et de sentiment de
culpabilité. Les principales conséquences de ces comportements sont judiciaires mais aussi
familiales et professionnelles. Leurs parcours sont émaillés de ruptures et de pertes au gré
des désordres comportementaux ».
Après vous avoir présenté la structure et le public qui donne lieu à l’exploration plus
précise de ma question de départ :
Quels sont les enjeux de la communication, dans la relation socio-éducative, auprès
d’adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé ?
Je vous apporte un éclairage à partir de mes observations de terrain étayées d’éléments
théoriques.

1.5 Mes observations


Je me suis appuyée sur l’observation directe pour mener mon investigation,
« l’observation d’interactions directes permet de comprendre des actions collectives et des
processus sociaux »4 selon Anne-Marie ARBORIO

L’observation est une technique que j’ai utilisée au service de ma recherche clinique
car je la développe depuis mon entrée en formation. L’observation est au service de la
compréhension des situations dans mon métier d’éducatrice spécialisée : il s’agit pour moi de
considérer la personne avec attention, de faire état de constats, d’évaluer des situations dans la
perspective de pouvoir anticiper une réponse ou un positionnement. Les propos de Philippe
GABERAN viennent assoir mon point de vue : « …la capacité à observer est bien l’un des
tous premiers savoir-faire de l’éducateur. »5
4
ARBORIO (Anne-Marie), « L'observation directe en sociologie : quelques réflexions méthodologiques à propos
de travaux de recherches sur le terrain hospitalier », dans Recherche en soins infirmiers 2007/3 (N° 90)- Page 8
5
GABERAN (Philippe), « Cent mots pour être éducateur » Dictionnaire pratique du quotidien, ed.érès, Octobre
2017, page 115

8
Au travers de mes observations au sein du CEF, j’ai voulu réfléchir aux enjeux de la
communication interpersonnelle. En me référant au dictionnaire Le Petit Robert je peux
donner la définition suivante : « La communication est le fait de communiquer, d’établir une
relation avec quelqu’un, quelque chose ; elle consiste à mettre en commun une information.
La communication est un acte, l’information est son contenu. »6 Par ailleurs je renforce cette
définition par les propos de Dominique WOLTON qui fait aussi une différence entre « la
communication en revanche qui renvoie à l’idée de relation, partage, négociation » et
l’« information qui renvoie à l’unité et au message ».7

Cette interrelation questionne la complexité de la communication comme l’indique


Bernard WERBER « Entre Ce que je pense, Ce que je veux dire, Ce que je crois dire, Ce que
je dis, Ce que vous avez envie d’entendre, Ce que vous croyez entendre, Ce que vous
entendez, Ce que vous avez envie de comprendre, Ce que vous croyez comprendre, Ce que
vous comprenez… Il y a dix possibilités qu’on ait des difficultés à communiquer. Mais
essayons quand même… »8

Je peux rajouter la notion de « feedback » comme la définit Norbert WIENER9. C'est


une forme de communication interpersonnelle qui consiste à exprimer un retour à son
interlocuteur sur ses actes. Certains auteurs venant de l’école de Palo Alto ont repris cette
notion ajoutant que « Le feedback (positifs et négatifs) dans la communication, conçue ici
comme un échange (verbal, non-verbal, et affectif) et non comme une simple « transmission »
linéaire par un canal : voir par exemple le rôle des boucles de feedback. »10

Pour reprendre la question de départ dans laquelle j’énonce la notion d’enjeu, il est
important de s’arrêter sur ce que recouvre cette notion. C’est à la fois repérer ce qui va
influencer favorablement ou défavorablement la relation duelle dans un échange. L’enjeu
représente ce que le jeune et moi allons pouvoir produire dans la situation de communication.

Quatre types d’enjeux me paraissent interdépendants dans la communication telle que


les présente Alex MUCCHIELLI, professeur de sciences de l’information et de la
communication : L’importance de l’information transmise, mon identité et celle du jeune,

6
Dictionnaire Le Petit Robert
7
WOLTON (Dominique), « informer n’est pas communiquer », éd CNRS 2009, Page 21
8
WERBER (Bernard), « l’encyclopédie du savoir relatif et absolu », Albin Michel, 2000
9
Cf annexe 1
10
WIENER (Norbert), ASHBY (William Ross), WATZLAVICK (Paul) « Le feedback: théories systémiques de la
communication »,

9
l’influence du feedback entre le jeune et moi pour cheminer ensemble au quotidien, l’enjeu
relationnel au travers de la création et de la consolidation du lien.11

Les trois situations suivantes vont illustrer, les propos énoncés ci-dessus.

Karl est un adolescent âgé de 17 ans il est placé au CEF depuis plus de 6 mois, il a le
statut de pupille de l’Etat, il a perdu tout lien avec sa famille il est confié au services de l’Aide
Sociale à l’Enfance (ASE). Le juge des enfants de Karl demande un compte rendu du
comportement du jeune chaque semaine avant d’autoriser le jeune à partir en week-end en
foyer de jeunes travailleurs. Un dimanche soir lorsque qu’il est rentré de week-end, son état
laissait apparaître qu’il était sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants (titubant, yeux rouges,
propos incohérents…) Quel(s) message(s) Karl voulait-il renvoyer ? En termes d’information,
l’équipe s’est questionnée sur le message qu’il pouvait nous transmettre. Sans une démarche
d’écoute active au sens d’Elias Hull PORTER notre première observation de son état
physique pouvait rester sur des interprétations et jugements « ça arrive à son âge », « il
exprime une souffrance », « il nous provoque » car nous ne percevons pas les choses de la
même manière, du fait de notre personnalité, de nos valeurs, de nos formations… En me
mettant dans une position d’écoute active j’ai laissé l’espace disponible pour permettre à Karl
d’être entendu et de mettre des mots sur sa conduite déviante. L’écoute ne se limite pas à une
position passive, mais à une démarche et une attention portée à l’autre. La subjectivité de
chacun des professionnels liés à notre identité, nos parcours de vie personnel et professionnel,
influent la relation.

Kylian est un adolescent âgé de 17 ans il est reconnu Mineur Non Accompagné (MNA)
est âgé de moins de 18 ans et se trouve en dehors de son pays d’origine sans être,
temporairement ou durablement, accompagné d’un parent ou d’une autre personne exerçant
l’autorité parentale, c’est-à-dire sans quelqu’un pour le protéger et prendre les décisions
importantes le concernant. Les MNA sont confiés et pris en charges par l’ASE. La solitude et
le manque de repères de ce jeune l’ont conduit à adopter des comportements déviants en
société. Il est au CEF depuis plus de six mois. Sur les temps de vie quotidienne j’observe
Kylian qui peut se positionner physiquement à une distance intime, c’est-à-dire 40 à 45 cm
(comme l’indique Edward T. HALL- anthropologue) cherchant à rentrer en relation sur un
mode affectif. Plusieurs observations nous ont amenés en équipe pluridisciplinaire à identifier

11
MUCCHIELLI (Alex), « La nouvelle communication : Epistémologie des sciences de l’information-
communication », ed Armand Colin, 2 novembre 2000

10
des pistes de réflexion quant à sa maîtrise des codes sociaux en lien avec la proxémie, « c’est
à la distance que chacun met en place pour délimiter son territoire »12. La communication
verbale de ce jeune est adaptée aux codes de notre société, cependant son positionnement
physique est inapproprié. Dans cette situation, j’amène ici l’enjeu identitaire, comme
l’indique MUCCHIELLI, quant à l’expression de ce jeune qui montre dans son comportement
un besoin affectif.

Enfin, je vous présente la situation d’Adrien un adolescent âgé de 17 ans ayant accumulé
de nombreux actes d’incivilité, délits et crimes qui l’on conduit au CEF après avoir été
incarcéré. Lors d’une soirée Adrien m’exprime des douleurs abdominales, que je considère
avec attention. Après avoir pris en compte la souffrance physique en allant aux urgences
comme nous l’indique le protocole, le diagnostic médical ne montrait aucun danger. Sur le
retour je recherche des éléments de compréhension en questionnant le jeune sur ce qui aurait
pu provoquer sa douleur abdominale. Le jeune nomme son inquiétude quant au rendez-vous
avec son éducatrice PJJ lui rappelant les étapes judiciaires à venir et lui donnant des nouvelles
de sa famille avec qui il a interdiction d’entrer en relation.

Dans cette situation le fait d’avoir échangé verbalement sur le symptôme a permis de
contribuer à la découverte du sens profond du mal-être. L’analyse du contenu du message
exprimé et implicite est un des enjeux de la relation socio-éducative. Mes questionnements
avaient pour objectif l’explicitation verbale de la souffrance du jeune.

Comme l’indique le référentiel de compétences de l’éducateur, j’élabore une relation


socio-éducative en assurant une fonction d’étayage et de repère dans une dimension éthique.
Je peux m’appuyer ici sur les propos de MUCCHIELLI « Analyser le contenu d’un document
ou d’une communication, c’est « rechercher les informations qui s’y trouvent, dégager le sens
ou les sens de ce qui y est présenté, formuler, classer tout ce que contient ce document ou
cette communication » 13

Toute cette première partie m’a permis de questionner la thématique de la


communication, d’en interroger quelques paramètres : le langage verbal, non-verbal, le para-
verbal, l’émetteur, le récepteur, le feed-back, le langage des signes, le canal, l’écoute active, le
message transmis et reçu.

12
MASSON (Elsevier), CHAUDET (Vincent) « Je réussi le DEES », 2019, Page 239
13
COBBY (Franck), “ L'analyse de contenu du discours” 2009

11
Cette première étape m’a amenée à déconstruire mes représentations pour mettre du sens
dans les différentes manières de communiquer et dans les interactions qui en découlent. Tout
au long de mes trois années, j’ai questionné la relation socio-éducative dans cette espace de
partage avec des publics différents. Cette dernière année auprès des adolescents délinquants a
mis en exergue cette importance de la communication. Les observations plus ciblées sur ce
qui se joue dans les modes de communication avec les jeunes m’ont permis d’analyser les
enjeux : l’importance de l’information transmise, mon identité et celle du jeune, l’influence du
feedback entre le jeune et moi pour cheminer ensemble au quotidien ainsi que l’enjeu
relationnel au travers de la création et de la consolidation du lien.

Mon cheminement réflexif s’est appuyé sur des lectures d’auteurs qui ont effectué des
recherches sur la communication, sur des théories, dans différentes disciplines, (philosophie,
psychologie, sociologie, psychopédagogique) Comme l’indique Philippe PERRENOUD « Il
puise dans l’état des savoirs scientifiques et professionnels certains modèles d’intelligibilité
du réel aussi bien que des idées de stratégies d’action. »14 Mes différents terrains de stage
professionnel m’ont aidé à passer de la thématique de la communication, à la question de
départ en interrogeant les enjeux de la communication.

14
PERRENOUD (Philippe), « Articulation théorie-pratique et formation de praticiens réflexifs en alternance »,
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève, 2001

12
2 Elaboration d’une problématique
2.1 Méthodologie d’enquête
Au-delà de mes observations de terrain, j’ai continué mon travail d’enquête en
effectuant des entretiens de recherche. Je suis allée interviewer deux jeunes et trois
professionnels au sein du CEF. J’ai élaboré des grilles d’entretien afin de conduire des
entretiens semi-directifs. Le recours à ce mode d’enquête présente l’avantage d’apporter une
richesse et une profondeur aux données recueillies. En retour il exige une rigueur dans
l’analyse de contenu. Ces questionnaires sont retranscrits en annexe.

2.1.1 La conceptualisation de l’outil :


« L’entretien semi-directif est une technique de collecte de données qui contribue au
développement de connaissances favorisant des approches qualitatives et interprétatives
relevant en particulier des paradigmes constructiviste. » (Lincoln, 1995) L’approche
qualitative est le fait de développer des concepts à travers mes questions afin de comprendre
les phénomènes sociaux dans un contexte ici, le Centre Educatif Fermé. Mon objectif était de
recueillir le sens que mettait la personne interrogée à travers mon concept « la
communication » afin de recueillir la signification, avec des retours d’expérience, des points
de vue, des illustrations…

Le principe d’un entretien exploratoire est de « poser des questions les plus ouvertes
possibles et intervenir de manière la plus ouverte possible. »15 Je me suis appuyée sur cet
outil dans l’intérêt d’avoir un échange et une possibilité pour moi de reformuler, pour que les
personnes interrogées puissent être plus précises dans leurs réponses. J’ai adapté mes
questions en fonction de la réponse reçue pour approfondir mon sujet. Les questions ouvertes
avaient pour objectif de recueillir les propos, les raisonnements des personnes interrogées
avec leurs propres termes, sans induire la réponse. Les questions fermées avaient pour but
d’aller vérifier si j’avais compris le sens du message, mais aussi d’avoir des réponses plus
exactes, plus précises. J’ai construit en amont deux grilles d’entretien, l’une pour les
professionnels et l’autre pour les jeunes, mon vocabulaire était adapté et je ne recherchais pas
exactement les mêmes objectifs. Ainsi j’ai adapté mon questionnaire en reformulant parfois
les phrases, en ajoutant des questions et j’ai veillé à alterner les questions ouvertes et fermées,
pour que les interviewés soient libres de répondre tout en essayant d’être précis dans leurs
réponses. Mon objectif était de limiter le nombre de questions afin de me concentrer sur une

15
VAN CAMPENHOUDT (Luc), QUIVY (Raymond)-« Manuel de recherché en science sociales »-Paris-DUNOD-
1995-p.71

13
durée d’environ 30 minutes. Le nombre de questions ciblées permettait de maintenir mon
interlocuteur dans la dynamique d’échanges sur le thème.

2.1.2 Les modalités de passage de l’entretien semi directif


En ce qui concerne les jeunes, après les avoir informés de ma démarche de recherche
je leur ai laissé le soin de fixer le moment le plus opportun pour eux : à l’occasion de partages
de moments de la vie quotidienne, les jeunes m’ont interpelé afin de répondre à mes questions
dans leur chambre. Juridiquement parlant il est interdit d’enregistrer les paroles des jeunes
sans autorisation parentale : j’ai donc mené l’entretien avec une prise de notes immédiate.
L’entretien s’est donc déroulé dans un espace rassurant pour les jeunes, à l’abri du regard de
leurs pairs. En termes de proxémie, je me suis assise à leur bureau, face à eux, pour assurer la
distance sociale nécessaire et afin de pouvoir prendre des notes laissant les jeunes s’installer à
leur convenance dans leur chambre, pour qu’ils soient le plus à l’aise possible.

En ce qui concerne les professionnels, j’ai formalisé ma demande par courriel en


précisant l’objet de ma recherche et l’intérêt d’un entretien sur un temps déterminé. Avec la
psychologue, le jour et le lieu était défini, elle m’a laissé le choix de venir à l’horaire le plus
approprié pour moi dans la matinée, car j’étais à la fois en prise en charge donc je me suis
détachée du groupe quand tous les jeunes ont été avec l’équipe pédagogique. Il me fallait être
disponible physiquement et psychiquement.

Le directeur a répondu à mon courriel m’indiquant son intérêt pour répondre à mes
interrogations et m’a assurée pouvoir m’accorder du temps. Le directeur souhaitant échanger
avec moi sur mon point de vue concernant l’objet de recherche, l’entretien a duré une heure
trente car entrecoupé par des interpellations des collègues et par des arrêts d’enregistrement.

L’éducateur spécialisé quant à lui est mon tuteur de stage, j’ai profité d’un temps
d’accompagnement pour réaliser l’entretien. Je l’ai prévenu en amont que je comptais
l’interroger avec un questionnaire sur le sujet de mon mémoire.

2.1.3 Choix des professionnels interrogés


J’ai choisi d’interviewer le directeur du CEF, car il a une position spécifique dans la
relation avec les jeunes de par sa formation initiale (éducateur spécialisé) et son statut.

Par ailleurs j’ai choisi d’interroger la psychologue pour son point de vue clinique ;
l’importance étant donnée à la parole des jeunes dans la relation éducative.

14
Enfin j’ai interrogé mon référent titulaire du diplôme d’éducateur spécialisé, pour ses
missions, sa relation auprès des jeunes.

Avec l’accord des différents professionnels j’ai pu enregistrer les propos des
entretiens, afin de collecter l’ensemble des informations pour les analyser de manière la plus
complète possible.

J’ai rencontré le directeur et la psychologue dans leur bureau, des espaces formalisés
pour ma démarche de recherche : cela permet aux professionnels de rester concentrés et d’être
reconnus dans leurs fonctions. Je me suis entretenue avec mon référent de stage dans une salle
de réunion car le bureau des éducateurs est un lieu de passage pour les professionnels et les
jeunes.

2.1.4 Les limites de l’entretien semi-directif :


Les limites de l’entretien semi-directif avec les jeunes accueillis au CEF sont :

- La concentration qui peut être réduite


- La compréhension des questions du fait qu’il ne comprenne pas la langue,
- L’explicitation de leurs pensées pouvant être une difficulté dans la mise en mots.

Les limites rencontrées avec les professionnels sont :

- La reformulation des questions sans attendre les premiers éléments de réponses, ma


crainte étant de ne pas avoir été assez claire dans mon énoncé,
- L’ajout d’un exemple lors de cette reformulation qui a pu influencer la réponse de
mon interlocuteur, ce qui a pu freiner la spontanéité de leurs réponses,
- Le silence que j’ai voulu parfois combler, trop rapidement

La limite de l’entretien semi-directif dans la relation enquêteur/enquêté :

- Le rapport hiérarchique qui existe entre l’enquêteur et l’enquêté peuvent induire des
réponses modifiées dans la mesure où je me suis retrouvée dans une position haute
avec le jeune et dans une position basse avec les professionnels.

La méthodologie utilisée m’a permis de délimiter le champ de réflexion et les résultats de


ces échanges ont réinterrogé ce que j’ai compris des enjeux de la communication.

Chronologiquement l’entretien avec le Directeur a été le dernier. Il dit « je ne m’arrête


jamais de communiquer avec un jeune »16 lors de l’entretien, ce qui est venu confronter tous
16
Cf annexe entretien avec le directeur du CEF

15
les autres entretiens qui mettaient en avant le point de vue « qu’on pouvait ne pas réussir à
rentrer en communication avec un jeune du CEF», point de vue que je partageais.

Les propos du directeur sont venus me percuter dans ma manière d’interagir avec les
adolescents délinquants en CEF et me donner un élément de réflexion pour continuer à donner
sens à ma pratique professionnelle.

En effet, je vivais des situations d’échanges avec les adolescents délinquants au CEF
qui pouvaient me mettre en difficulté quant à leurs besoins de vouloir tout justifier au travers
de réponses verbales développées. En parallèle ils pouvaient couper complètement l’échange
verbale avec moi. Or l’expression « rupture de communication » voulait dire pour moi
« rupture de communication verbale » et donc mon raisonnement en déduisait « je ne vais
plus pouvoir t’aider ».

Explorer mes représentations concernant la communication, prendre conscience de


mes a priori, approfondir les notions de communication verbale et non verbale sont des
démarches qui ont constitué le fondement de ma réflexion.

Trois concepts clés sont donc essentiels à développer afin de répondre à la


problématique suivante :

En quoi les changements de modes de communication sont un outil au service de


la relation éducative avec les adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé ?
Le concept d’adolescence comme une période de changement, de construction
identitaire associée à un phénomène de délinquance ici justifiant l’enfermement en CEF
durant six mois. Le concept de choix de changement appliqué aux modes de communication,
communication que nous avons commencé à présenter pour les besoins de la démarche de
recherche. Le concept de relation éducative en reprenant notamment les propos de Philippe
GABERAN de la page précédente et en confrontant d’autres auteurs comme Joseph
ROUZEL, Jean-Yves BARREYRE ayant écrit sur cette question.

2.2 Adolescence, délinquance, et adolescent délinquant


Etymologiquement, le terme « adolescent » vient du latin « adolescere » qui désigne
« celui qui est en train de grandir ». Je présenterai ici la période de l’adolescence, au travers
de différentes approches théoriques afin de me donner différents points de vue.

René ZAZZO, psychologue français et professeur de psychologie à l'Université Paris-


Nanterre, dit que « L’adolescence est le passage du statut social de l’enfant au statut social

16
de l’adulte. C'est-à-dire qu’elle variera en durée, en qualité, en signification, d’une
civilisation à l’autre et pour une même société, d’une classe sociale à l’autre »17

Dans une autre approche conceptuelle, Erik ERICKSON psychanalyste et psychologue


du développement, présente « le cycle de la vie humaine en huit phases sous un aspect psycho
social : dont celle des 12 à 20 ans caractérisée par une remise en question chez l’adolescent
de ses compétences, croyances et valeurs dans le but de se forger sa propre identité ».18 .

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l’adolescence est la période de


croissance et de développement humain qui se situe entre l’enfance et l’âge adulte, entre les
âges de 10 et 19 ans.

Joël-Yves LE BIGOT, chercheur, propose 3 étapes pour décrire l’adolescence : « de


11 à 13 ans : l’Ado-naissance, de 15 à 17 ans : l’Adolescence, de 18 à 25 ans :l’Adu-
lescence »19.

Les âges ne sont que des points de repères mais nous aident à repérer les étapes de la
construction de l’adolescent. Cette variation de durée, selon les auteurs, montre déjà une
certaine complexité.

Pour poursuivre avec les propos de René ZAZZO, l’adolescence varierait « en qualité
et en signification » ; effectivement au vu des lectures réalisées, l’adolescent de 12 à 20 ans se
construit grâce à différents contextes de socialisation dont le premier est le contexte familial :
ce contexte a une responsabilité forte face à l’éducation et la construction identitaire qui se
poursuit grâce au groupe de pairs.

Physiquement et psychiquement, c’est le corps qui change. Dans un premier temps


avec la puberté, l’adolescence est un phénomène biologique où l’enveloppe corporelle de
l’enfant se transforme pour devenir celle d’un adulte. Françoise DOLTO psychanalyste
utilise, quant à elle, la métaphore du « complexe du homard » pour caractériser plus
précisément la période parfois critique de l’adolescence : « Dolto a inventé cette image pour
représenter la crise d’adolescence. L’enfant se défait de sa carapace, soudain étroite, pour
en acquérir une autre. Entre les deux, il est vulnérable, agressif ou replié sur lui-même. Mais
« ce qui va apparaître est le produit de ce qui a été semé chez l’enfant », avertit Dolto. Et de
17
Cours en linge de l’école : INS HEA sur le module 4 « psychologie de l’adolescence, approche
développementale »-diapo 5
18
MASSON (Elsevier), CHAUDET (Vincent) « Je réussi le DEES », 2019, P.45
19
LE BIGOT (Joël-Yves), LOTT-VERNET (Catherine), PROTON-DETERNE (Isabelle), “Vive les 11-25”, Editions
d’Organisation ; 1 avril 2004

17
rajouter : « Les parents devraient donc voir les crises explosives comme une preuve qu’ils ont
rempli leur contrat, les repères éducatifs s’avérant suffisamment souples pour « sauter » au
bon moment. A l’inverse, si les parents sont trop rigides, l’ado restera prisonnier de sa
carapace et désarmé face à la dépression ». 20

L’adolescence est une période de construction où l’individu est fragile, elle est propice
à un mal-être de par les différentes transformations qu’elle occasionne. Cette phase
transitionnelle entre l’enfance et l’âge adulte est entrecoupée de différentes transformations à
la fois psychiques et physiques.

Nous pouvons dire que c’est de manière générale, une tranche d’âge de la vie qui est
sujette à des bouleversements. Lors de ce processus, l’adolescent en quête d’émancipation et
d’une identité qui lui sera propre, se construit. Il va aussi explorer et comprendre le monde
dans lequel il évolue en prenant part aux échanges petit à petit avec le monde des adultes qui
l’entoure.

L’adolescence est une période de changements sur le plan psychique, puisqu’il va se


remettre en question et avoir accès à une nouvelle capacité de raisonnement. Ces nouvelles
facultés liées au développement corporel vont lui permettre de concevoir le monde de la
même façon que l’adulte. Il s’agit d’une véritable réorganisation cognitive de la réalité qui
entraîne des changements sur le plan de la vie affective, l’image de soi, et donc le lien social.

Je m’arrêterai donc sur cette fin de période de l’adolescence avec le début de la


constrution de l’âge adulte, qui correspond à celui des adolescents accueillis en CEF. La
phase de l’adolescence « est un moment fondateur du développement de la personne, au
carrefour de l’enfance et de l’âge adulte, à la croisée de l’intime, du social et du cognitif. » 21

Dans le contexte du CEF, je retiendrai comme tranche d’âge celle des adolescents de
16 à l’âge de la majorité, caractérisée plus particulièrement par cette crise identitaire : qui
suis-je réellement et que vais-je faire de ma vie ? Les parcours de vie de ces adolescents sont
caractérisés par des fragilités, notamment des troubles des conduites, selon la Classification
International des Maladies (CIM -10).

Communément dans mon écrit, j’utiliserai aussi le mot « jeune » en faisant référence à
ce qui caractérise un adolescent vivant dans cette période plus spécifique de 16 à 18 ans.

20
LVASCU (Tessa) « Françoise Dolto, la fervente militante de la cause des enfants » 2019 disponible sur
21
Cours en linge de l’école : INS HEA sur le module 4 « psychologie de l’adolescence, approche
développementale »-diapo 31

18
Cette période est attendue par le jeune comme une période de liberté mais elle peut
aussi procurer de nombreuses angoisses autour de l’identité puisque le jeune va commencer à
devoir faire des choix de vie et assumer les responsabilités qu’ils engagent.

La période de l’adolescence est souvent vécue comme une crise où le jeune est en
quête de soi. Il recherche ses limites et a besoin de confronter son environnement stable et
rassurant à de nouvelles libertés. Cependant il est certain que des jeunes souffrent déjà de
fragilités avant d’entrer dans cette période. Le passage à l’adolescence se passe donc de façon
plus ou moins violente, jusqu’à, pour certains adolescents en crise, un passage à l’acte
délictueux. De nombreuses questions viendront à lui, liées notamment au cadre, aux
transgressions de ce cadre et donc à la loi.

Ces adolescents accueillis « en placement contraint au sens judiciaire » comme


indiqué dans le projet d’établissement doivent ici « répondre des actes délictueux et/ou
criminels qu’ils ont commis. ». Au cours de mes lectures, deux concepts sont donc apparus et
ont nécessité un regard plus précis sur ces deux notions : la déviance et la délinquance.

Il est donc nécessaire de définir le concept de délinquance. Comme l’indique Gérard


MAUGER ancien directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique
(CNRS), « il faut d'abord distinguer la « délinquance » de la « déviance » : en substance, la
déviance désigne l'ensemble des conduites sociales qui s'écartent de la norme, alors que la
délinquance désigne les seules déviances sanctionnées par la loi pénale ». 22

Howard BECKER sociologue définit aussi « la déviance par le défaut d'obéissance


aux normes du groupe : Quand on décrit les normes qu’un groupe impose à ses membres, on
peut décider avec une certaine précision si un individu a, ou non, transgressé celles-ci, et
donc s’il est déviant ». « La déviance comme construction sociale » selon Howard BECKER,
n’est pas une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de
l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un « transgresseur ». Ainsi, l’acte
déviant est le produit d’un double processus celui de l’individu qui effectue un acte qui
n’obéit pas à la norme et celui du groupe qui désigne un acte comme « déviant ». Dans le
modèle de BECKER, la déviance est un produit de la société qui passe par une redéfinition de
son identité sociale. »23

22
MAUGER (Gérard) « La délinquance juvénile : construction d’objet dans la sociologie de la délinquance
juvénile » (2009) Page 9 à 29
23
ROBERT (Philippe), BAILLEAU (Francis) « Normes, déviances, réactions sociales sous le regard de jeunes
sociologues français »-Déviance et Société 2005/2 VOL.29 - p 99 à 101 disponible sur

19
Les propos de Gérard MAUGER et Howard BECKER font-ils opposition à ceux de
Philippe ROBERT et Francis BAILLEAU qui disent : « La sociologie utilise normes pour
désigner des manières de faire, d’être ou de penser socialement définies et
sanctionnables. » ?24

Si je reprends la fin de cette définition de BECKER, je retiens la notion de sanction


comme un point incontournable qui ferait passer d’un stade de déviance à un stade de
délinquance. Revient alors à se poser comme question : Ne pas respecter la norme, est-ce un
acte déviant ou un acte délinquant ?

En effet, selon DURKHEIM la déviance c’est, «l'existence d'un certain nombre


d'actes qui présentent tous ce caractère extérieur que, une fois accomplis, ils déterminent de
la part de la société cette réaction particulière qu'on nomme la peine. »25

Les limites sont floues en fonction des auteurs car lorsqu’il est fait état de sanctions,
de peines, les deux termes semblent aborder les mêmes notions.

Le Larousse définit la délinquance comme un « Ensemble des infractions commises en


un temps et en un lieu donnés ». Nous voyons bien effectivement au travers du mot
« infraction » le lien entre un comportement déviant qui, à l’extrême, devient délictueux.

Si l’on fait état d’un comportement déviant ou délinquant au travers du délit, je


retiendrai que l’acte est un moment particulier dans la vie du jeune adolescent. On parle donc
communément du passage à l’acte. Mais que s’est-il passé avant dans la vie de l’adolescent ?
Pour apporter des précisions sur ce concept de délinquance, je m’appuierai dans un premier
temps sur les propos de Denis SALAS, magistrat qui « distingue trois types principaux de
délinquance juvénile :

 La délinquance initiatique, liée à l’adolescence,


 La délinquance pathologique, liée à des difficultés individuelles et familiales,
 La délinquance d’exclusion, liée à une situation de précarité économique. »26

Cette période de l’adolescence précédemment identifiée met en évidence


effectivement ce premier aspect de la délinquance ; comme il est dit plus haut, la période est
propice pour tester les limites, au moins essayer une fois de transgresser l’interdit. Mais cet

24
Op.Cit (page 3)
25
DURKHEIM (Emile), 2007, p. 35 cité par OGIEN (Albert), « Sociologie de la déviance - chapitre II. Le normal et
le pathologique », ed Presses Universitaires de France, 2012, page 29
26
Justice des enfants & des adolescents « quel projet pour notre société ? »-Page 2-Disponible sur

20
acte reste souvent à la marge du comportement global de l’adolescent qui se cherche, qui
cherche à tester le cadre de référence de notre société.

Dans les deux autres notions « délinquance pathologique » et « délinquance


d’exclusion », je remarque que les propos de Denis SALAS, aborde une problématique
aggravante quant au contexte de vie précaire soit en lien avec le contexte familial propre à
chaque jeune, soit plus largement en lien avec l’environnement culturel et social.

Laurent MUCCHIELLI qui a fait partie de la commission d'enquête sur la


délinquance des mineurs au Sénat, a reconnu que si « les actes se ressemblaient en nature
[...], ils ne [...] semblaient pas avoir le même niveau d'intensité. Il y a incontestablement eu
un durcissement sur le plan quantitatif »27. Il apparaît que la délinquance des mineurs a fait
l'objet de cinq modifications fondamentales qui pourraient être résumées de la manière
suivante : « progression de la délinquance des mineurs (mesurée par l'identification des
auteurs) en nombre mais également en taux, rajeunissement de l'âge d'entrée dans la
délinquance, aggravation des actes de délinquance, développement d'une délinquance
d'exclusion, territorialisée et accompagnée de trafics, explosion des incivilités. » 28

En France le Ministère de la Justice donne quelques chiffres sur la délinquance. « En


2019, la délinquance des mineurs traitée par les parquets a concerné 218 100 mineurs, soit
3,3 % de la population âgée de 10 à 17 ans au 1er janvier 2020. Parmi les garçons de 16-17
ans, ce taux est de 11,5 % ». En 2019, les magistrats (juge des enfants, juge d’instruction et
juge des libertés et de la détention) ont ordonné 2445 placements. 29

La délinquance juvénile est exercée par une personne mineure au regard de la loi. Le
terme délinquant justifie l’acte posé en commettant une infraction prévue et punie par le code
pénal. La délinquance désigne l'ensemble des agissements délictueux, des défauts
d’obéissance aux normes du groupe et de la société, se traduisant par la transgression de la loi.
Les adolescents subissent des transformations représentant des bouleversements qui induisent
de la vulnérabilité, de l’insécurité et des angoisses. L’adolescence, comme le précise
Françoise DOLTO est une période critique qui peut amener le jeune à adopter des
comportements déviants au regard de la société, compte tenu de l’absence ou du manque de
repères éducatifs.

27
CARLE (Jean-Claude) et SCHOSTECK (Jean-Pierre), Délinquance des mineurs : la République en quête de
respect (rapport de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs ) le 27 juin 2002- (I.B.1)
28
Op.Cit
29
Ministère de la justice –références statistiques justice des mineurs-PDF- 2019, disponible sur

21
Face à cette délinquance juvénile telle que je l’ai décrite ci-dessus, l’Etat français a
mis en place différentes procédures d’accompagnement éducatif. Elles s’inscrivent
notamment dans le cadre de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) en
application depuis 1990; elle protège le mineur au travers de 54 articles. La CIDE repose sur
quatre principes fondamentaux : l’intérêt supérieur de l’enfant, la non-discrimination, le
respect des opinions de l’enfant, le droit à la vie et au développement.

De fait les mesures prononcées par la PJJ ont « pour cœur de mission l’action éducative dans
le cadre pénal. Il s’agit d’éduquer, de protéger et d’insérer le mineur en conflit avec la loi,
dans un objectif de lutte efficace contre la récidive. »30 Notre accompagnement est donc
adapté en fonction de son âge, de la singularité des faits commis et de sa personnalité ; le
mineur délinquant peut faire l’objet de mesures éducatives, de sanctions éducatives ou de
sanctions pénales. Il s’agit essentiellement de le protéger et de l’aider plutôt que de le punir.
« Les CEF se présentent comme des établissements, publics ou privés, ils accueillent des
mineurs, placés en application d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve ou
d’une liberté conditionnelle qui nécessitent des mesures de surveillances et de contrôles. »31

Tous les professionnels vont contribuer à apporter les conditions nécessaires pour
permettre au jeune de comprendre par lui-même son geste. Notre rôle est d’être un soutien
auprès du jeune dans le travail de compréhension de l’acte et dans le but que le jeune ne
réitère pas ses actes.

30
Brochure de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)- plaquette de présentation en ligne sur
31
Projet d’établissement CEF (2020-2025)

22
2.3 Le changement de mode de communication dans la communication
interpersonnelle : choix ou non ?
Mon travail de recherche se situe dans cette relation interpersonnelle et éducative avec
les jeunes et je ferai ici référence à WATZLAWICK, qui présente ainsi la communication
digitale et analogique

La communication digitale se définit par l’utilisation des mots qui signifient quelque
chose, c’est le fait de dire les mots qui ont du sens ou non pour celui qui les reçoit. Elle peut
se définir par un code, le code peut être le langage des signes par exemple, le geste représente
alors un mot. La communication digitale est ce qu’une personne donne à entendre (un mot), à
montrer (un signe dans le langage des signes), à signifier par l’organisation des mots dans une
phrase (la syntaxe).
La communication analogique correspond aux signes qui donnent des indications
complémentaires à la communication digitale ; elle utilise images, photos, comportements,
gestes, postures, bruits, intonations, distance physique.
L’Homme utilise ses deux modes de communication pour interagir, enrichir sa
compréhension du message grâce à la complémentarité de ses deux modes de communication.

Par ailleurs, des statistiques indiquent que « le langage non verbal représente plus ou
moins 75 % du contenu global de la communication » selon WATZLAWICK alors qu’Albert
MEHRABIAN, psychologue et professeur d’université nous précise que « ce rapport serait
de plus ou moins 7 % pour la communication verbale et environ 93% pour le versant non
verbal »32

Selon Bruno JOLY, diplômé en sciences de l’éducation, « La communication


interpersonnelle, appelée aussi comportementale, se définit par l’échange de messages et de
codes entre deux individus »33. Cette définition rappelle qu’il s’agit bien là de ce qui se passe
entre des personnes et que l’on ne peut rester sur des aspects techniques et objectifs. La notion
d’interaction appelée feedback interroge la subjectivité de chacun des interlocuteurs dans
l’échange de ce message.

Quels liens peut-il y avoir entre l’outil « parole » au service de la communication


verbale et les outils non verbaux et para-verbaux ? A quels moments l’utilisation de l’un

32
DELAMARRE (Cécile), « Alzheimer et communication non verbale », ed Dunod, 2014
33
JOLY (Bruno), « La communication », Chaptire 2 La communication interpersonnelle, ed : De Boeck Supérieur,
année 2009, page 11,

23
prend le pas sur l’utilisation de l’autre ? Dans quelles mesures, les personnes dans une relation
interpersonnelle utilisent plutôt l’un que l’autre ?

La constellation des interactions entre le non verbal, para verbal et verbal apparaît
comme très complexe et immense. Je me contenterai d’évoquer la seule approche du choix :
qui choisit de passer du verbal au non verbal ? Quand, à quel moment, l’interlocuteur choisit
de changer de mode de communication ? Où se passe le changement de mode de
communication ? Pourquoi choisir de changer de mode de communication ?

L’interlocuteur est-il en pleine conscience de ce qui se joue dans l’utilisation de tel ou


tel mode de communication ? La subjectivité de l’individu est donc à interroger ainsi que la
question des conditions au cours desquelles le changement s’opère. A ce stade de ma
recherche, je n’ai pas de réponse à ces questions, même si des éclairages se font à la lumière
des accompagnements de terrain.

En effet, au sein du CEF, dans les relations établies avec les adolescents, les troubles
de la conduite montrent ces changements de modes de communication. J’en prends acte, j’en
échange en équipe, j’expose mes questionnements aux professionnels qui m’entourent : la
colère, la violence, l’opposition active à nos propos, à nos demandes, s’opposent aux
comportements positifs que les jeunes entretiennent avec l’équipe et m’interpellent dans ma
pratique professionnelle.

Abordons alors la question du changement de mode de communication ; Le petit


Robert définit le changement comme « état de ce qui évolue, se modifie, ne reste pas
identique. ». Gregory BATESON est un anthropologue, psychologue, distingue cependant
deux types de changements dans les systèmes humains : « Celui qui intervient à l'intérieur
d'un système, qui lui permet de maintenir son équilibre par la mise en place de mesures
correctrices d'adaptation, assurant par-là même la permanence de ce système. Celui qui
affecte et modifie le système, qui correspond à des bouleversements aboutissant à l'évolution
de ce système ».34 A l’échelle de chaque être humain et de la relation interpersonnelle et plus
spécifiquement en lien avec mon sujet de recherche, je peux m’arrêter sur le changement
comme modification, passage à autre chose, variation.

La question du changement de mode de communication me semble donc être parfois


une menace ou bien une opportunité dans la mesure où il est choisi en toute conscience ou
pas. S’agit-il pour le jeune simplement d’une préférence donnée à tel mode de communication
34
BENGOUFFA (Adbessamed), « La problématique du changement : entre concepts et réalités » 2005

24
plutôt que tel autre ou bien une simple décision rapide sans aucune planification ou alors une
réelle prise de risque en toute conscience ?

La notion de choix m’interpelle dans cette étape de recherche ; Will SCHUTZ,


psychologue a écrit dans son ouvrage L’Elément Humain : Estime de soi, productivité et
résultat d’exploitation, que « Ce qui nous arrive dépend en premier lieu de nous-même car
chaque individu peut choisir d’être conscient de ses comportements, de ses sentiments, de ses
pensées, de ses croyances, dont celles qu’il cherche à masquer à tout prix, ou de choisir de ne
pas savoir qu’il a le choix.35

Dans l’état d’avancement de mes recherches, je pourrai retenir que le mode de


communication peut être un déterminant dans la relation éducative à l’instant présent puis
futur. Cette variation ne peut être que singulière, les histoires de vie étant aussi diverses et
complexes, les parcours de ces adolescents aussi chaotiques.

2.4 La relation éducative


Le terme de relation vient du latin « relatio » qui signifie « récit, narration ». La
relation est définie comme « le fait de relater », comme « un rapport entre deux choses, entre
deux personnes »36. Philippe GABERAN dit que la relation éducative « est un temps et un
espace, à la fois instable et sécurisé, au sein desquels une personne requise pour ses
compétences en aide une autre à passer du vivre à l’exister »37. En effet du commencement à
sa fin, la relation se déroule dans des espaces-temps. L’éducateur spécialisé doit alors
instaurer une relation éducative avec les adolescents qui lui sont confiés dans le cadre d’un
placement contraint en CEF. Quant à la dimension relationnelle elle, « est mise en œuvre par
une capacité à « être avec ». « Etre avec » suppose être disponible, présent, ouvert, attentif et
être capable de mobiliser la disponibilité, la présence, l’ouverture, l’attention. »38 Ce
placement éducatif pénal m’amène à accompagner un jeune, en me rendant disponible pour
lui pour lui apporter mon aide afin qu’il évolue dans son comportement et construise son
projet de vie.

35
SCHUTZ (Will), « Le modèle de l’élément humain”, institut repère, publié le 28 février 2009,
36
Dictionnaire Hachette encyclopédique, Paris, Hachette livre, 2001, page 1373
37
GABERAN (Philippe), La relation éducative. Un outil professionnel pour un projet humaniste », Toulouse, Erès,
2009, page. 14
38
PAUL (Maela) «L'accompagnement comme posture professionnelle spécifique », Recherche en soins
infirmiers 2012/3 (N° 110), page 9,

25
Selon moi la relation éducative doit être basée sur la bienveillance. Le dictionnaire
Larousse définit la bienveillance comme « Une disposition d’esprit inclinant à la
compréhension, à l’indulgence envers autrui »39. C’est sur cette base qu’un lien avec le jeune
va pouvoir se mettre en place.
Philippe GABERAN indique d’ailleurs que l’éducateur spécialisé « …est un
compagnon de route qui, en s’engageant dans la même aventure que la personne, enfant ou
adulte, dont il a la charge, va partager les mêmes joies et les mêmes peines, va rencontrer les
mêmes difficultés et les mêmes victoires, va découvrir en même temps qu’il les élabore les
stratégies de réussite, et va s’apercevoir lui, tel qu’il est réellement au fond de lui-même, en
même temps qu’il découvre cet autre qu’il a accompagné. C’est là, me semble-t-il, le vrai
sens de ce cheminement induit par l’étymologie du mot « éduquer » qui renvoie autant au
partage de liens construits dans le vivre-ensemble qu’à l’exercice d’une technicité qui
40
consiste à emmener un individu à la place où il a projeté d’être ». Cette citation que je
partage me renvoie à la notion d’accompagnement.

Jean-Yves BARREYRE (anciennement éducateur devenu sociologue) et, Brigitte


BOUQUET (Ancienne directrice du CEDIAS) indiquent qu’accompagner «c’est d’abord être
côte à côte avec quelqu’un, c’est-à-dire qu’il y a action interactive et donc un échange entre
celui qui accompagne et celui qui est accompagné »41. Il s’agit d’aller avec la personne vers,
de se placer à côté d’elle, de lui donner une place afin de ne pas imposer notre direction. Deux
idées majeures ressortent de ces définitions, « celle d’être avec et celle de déplacement en
commun »42 . L’accompagnement suppose qu’il y ait au moins deux personnes, comme
précédemment développé dans la relation interpersonnelle, un accompagnant et un
accompagné, et qu’elles souhaitent effectuer un bout de chemin ensemble.

L’accompagnement, pour pouvoir exister et s’effectuer, nécessite que l’éducateur soit


en lien avec le jeune. En d’autres termes, l’accompagnement ne peut exister sans la mise en
œuvre d’une relation avec la personne.

Maëla PAUL reprend ces principes : « la définition commune du verbe « accompagner


» (…) s’exprime en trois éléments : Se joindre à quelqu’un/pour aller où il va/en même temps
que lui ». Cette définition nous enseigne que la relation est première « se joindre à quelqu’un

39
Dictionnaire LAROUSSE
40
GABERAN (Philippe), « La relation éducative » 2007 page 9
41
SALBREUX (Roger), « Interview de Jean-Yves BARREYRE », Contraste, n°24, 2006/1, p. 76
42
BARREYRE (Jean-Yves), BOUQUET (Brigitte), Nouveau dictionnaire critique d’action sociale. Bayard, Paris,
2006. P.22.

26
», que la démarche est de l’ordre du mouvement qui se règle à partir de l’autre « pour aller
où « il » va » et que les deux avancent ».

Nous avons vu que la communication était primordiale pour le développement d’un


adolescent. C’est pour cette raison que nous retrouvons, dans le référentiel métier d’éducateur
spécialisé de 2018, l’établissement d’une relation éducative : « L’éducateur spécialisé crée
une relation de confiance avec les personnes à partir des situations du quotidien dans des
espaces institutionnels formels et informels. Dans la rencontre, il adopte une posture
d’accueil et d’écoute. Il facilite l’expression des personnes et de leur demande. Il analyse
leur situation, repère leurs besoins et identifie leurs potentialités. Il questionne sa pratique et
sa posture, à partir du vécu de la situation, par une analyse partagée en équipe. »43

Voici une expression fréquemment utilisé au CEF dans le langage courant permettant
d’illustrer notre intervention éducative. « Chaque jour semons des graines, certaines
germerons plus ou moins vite et d’autres pas du tout. »

« Si l'homme a deux oreilles et une bouche, c'est pour écouter deux fois plus qu'il ne
parle. » a dit Confucius Selon moi les notions d’écoute et d’observation sont à analyser et à
ne pas négliger. Je prends conscience de l’étendue de la tâche quant à cette étape de
l’observation. Chacun de mes propos, chacune de mes interactions vont alors être porteurs de
sens dans l’accompagnement. « Par une observation fine et attentive, l’éducateur parvient à
déceler les attitudes, les gestes ou les paroles qui annoncent des changements de
comportements et des passages à l’acte possibles »44 dit Philippe GABERAN. Cette
observation permet aussi d’associer le comportement, le physique, la prestance, les attitudes,
la gestuelle, l’expression du visage ou corporelle, la posture, afin de l’accompagner.

Je complèterai mes propos quant à la notion d’écoute évoquée plus haut avec la
définition de ROUZEL « (…) l’essence de l’écoute est toujours la même, à savoir offrir un
creux où la parole d’un sujet puisse se loger »45. Le rôle de l’éducateur spécialisé est
d’apporter un espace d’écoute à chaque jeune pour qu’il puisse s’exprimer en lui apportant
certains repères. Mon but est de donner l’opportunité aux adolescents de se libérer afin qu’ils
me communiquent leurs envies, leurs interrogations et leur mal-être et d’accepter leurs
silences.

43
Référentiel métier éducateur spécialisé 2018
44
GABERAN (Philippe), « Cent mots pour être éducateur » Dictionnaire pratique du quotidien, ed.érès, Octobre
2017, page 115
45
ROUZEL (Joseph), « La parole éducative », chapitre 7 Une bonne relation, ed.Dunod, 2016,

27
Enfin c’est après avoir observé et écouté que la parole aura son importance dans la
relation éducative. La relation éducative passe par un échange de parole avec l’adolescent,
avec premièrement la rencontre quand deux sujets rentrent en relation. L’idée de
communiquer verbalement renvoie au lien entre deux personnes, à l’échange, allant d’un mot
comme « bonjour » jusqu’à la confrontation d’idées, l’échange de récit de vie et de son
histoire par exemple. Joseph ROUZEL dit que « (…) la relation est d’abord un échange de
paroles, une histoire, un récit. Avant de relationner, on relate. Autrement dit entre moi et
l’autre, dans la relation, il y a tous les mots de la langue. »46 « En l’occurrence, la modalité
de parole la plus appropriée est le dialogue. Car c’est, entre autres dans des situations de
dialogue, que s’exerce la place de chacun, cet échange de personne à personne, de sujet à
sujet et non plus de professionnel à usager »47

2.5 L’analyse des entretiens :


Afin d’élaborer l’hypothèse de travail, l’analyse des entretiens de recherche vont venir
enrichir les apports théoriques avec les éléments recueillis du terrain. Cette étape va apporter
des données pour approfondir ma question de départ et les concepts qui ont été précédemment
développés.

Le public

La particularité du public nécessite de reprendre quelques éléments de contexte. Les


adolescents accueillis au CEF se caractérisent par la souffrance : « ils ont vécu des choses
difficiles, des parcours de vie plus souvent engoncés de ruptures, en lien avec leurs histoires
familiales principalement. » d’après la psychologue. Ces propos sont confirmés par le
directeur qui présente l’adolescent délinquant « dans un passage difficile de sa vie et qui a
besoin d’aide », l’attitude de ces jeunes c’est « l’envie de se faire remarquer, l’envie d’exister
(…) de poser des actes plus ou moins graves » comme l’indique l’éducateur spécialisé.

Deux modes de communication

Pour comprendre les changements de modes de communication, j’ai commencé par


séparer la communication verbale, le non verbal. Je me suis alors rendue compte que pour
saisir leurs sens il fallait les associer. Je ne peux pas prendre en compte l’une sans l’autre. La

46
OP.Cit page 17
47
PAUL (Maela) «L'accompagnement comme posture professionnelle spécifique », Recherche en soins infirmiers
2012/3 (N° 110), page 31

28
communication verbale, représente les mots comme je vous l’ai expliqué auparavant. Chacune
des personnes interrogées a évoqué le fait que la communication verbale était de parler, avec
la formulation de mots et qu’il y ait au minimum deux personnes dans un échange. Certains
registres du langage verbal, qu’ils soient familiers, courants, soutenus, populaires, vulgaires
ou argotiques viennent donner de l’importance à l’échange verbal. Le directeur du CEF dit
« il ne faut jamais arrêter de communiquer », « il faut communiquer, expliquer le sens,
ramener l’autre à exprimer sa colère à dire ce qui ne va pas ».

Les entretiens viennent à la fois confirmer et infirmer des statistiques théoriques


auxquelles j’accorde de l’importance. Il est dit précédemment que la communication verbale
représente 7% du message.

Or au CEF comme le dit la psychologue « c’est important d’échanger avec eux (…)
beaucoup dialoguer et mettre du sens » : c’est en prenant en compte la particularité des jeunes
et en travaillant avec eux sur l’importance de pouvoir verbaliser, qu’ils comprennent ce qu’ils
ressentent intérieurement. Il est important de s’intéresser à eux en tant que personne, les
considérer comme des adules responsables. La psychologue évoque comme exemple un jeune
qui était dans son bureau, et qui, en sortant physiquement de cet espace d’échange, passe à un
autre mode de communication.

Quand l’éducateur me dit « On est payé pour parler, donc si on dit que ce n’est pas de
la communication ?». Ces quelques mots viennent donc illustrer « le quotidien » de
l’éducateur et rappellent l’importance de communiquer verbalement avec les jeunes.

Cependant les jeunes peuvent rencontrer des difficultés à mettre des mots sur leur mal
être, leurs souffrances, et choisissent de s’adresser à un professionnel plutôt qu’un autre en
tenant compte de leur fonction ou de leur identité (le genre, l’origine culturelle, la religion…).
Le jeune va aussi « choisir » le professionnel à qui il va livrer ses angoisses, ses
interrogations, ses envies, professionnel qui va le comprendre sans porter de jugement sur ce
qui lui est confié.

Le directeur dit d’ailleurs que quand le jeune ne verbalise pas, il vient transmettre un
message par le non verbal, donc il communique. Il ajoute « il ne faut jamais arrêter de
communiquer » « le jeune quand il ne communique pas verbalement c’est de la
communication »

29
A l’inverse, l’éducateur me dit que « la communication non-verbale, (…) est parfois
plus importante que le verbal ». C’est pour moi l’association des différents types de
communication qui vont me permettre d’être en relation éducative avec le jeune de la manière
qui lui est la plus adaptée.

La communication non-verbale est définit par les gestes, les mimiques, la posture elle
représente environ 75% du message. Le non-verbal sert à mieux comprendre ce qui se joue
dans les modes de communication des jeunes et donner du sens à l’expression sous toutes ses
formes.

L’éducateur définit la communication non verbale, par des gestes, il donne l’exemple
d’un jeune qui serre les poings sous la table, mais aussi il expose différentes postures d’un
jeune (debout, de face, courbé et droit) cela renvoie à l’attitude. Les expressions du visage
sont également très importantes comme quand un jeune « fronce les sourcils », cela peut avoir
plusieurs significations. Cela vient traduire que certaines positions ou gestuelles du corps et
du visage peuvent vouloir signifier par le non verbal ce qui ne peut pas être exprimé à l’oral.

Le rôle de l’éducateur et de pouvoir observer tous les signes, les gestes et la posture
qui viennent signifier ce que le jeune ne peut pas mettre avec des mots en se mettant à sa
hauteur et en l’aidant à formuler ou à reformuler avec des attitudes d’écoute comme celles
décrites et utilisées par Elias PORTER.

Le changement de communication peut avoir lieu au travers de la posture quand le


jeune est dans une activité physique par exemple et qu’il montre par son arrêt d’activité, son
refus de pouvoir passer à une autre activité sollicitée par les éducateurs.

Il y a aussi la musique qui est un médiateur à la communication verbale pour exprimer


un choix ou une envie afin de mettre en place un mode de relation. En voiture quand le jeune
fait le choix de monter ou descendre le volume, il m’adresse un message spécifique me
signifiant soit qu’il est à l’écoute, qu’il veut échanger verbalement, soit qu’il n’a pas envie de
parler ou pour me tester.

Ce changement dans la variation du volume sonore est un régulateur du temps de


parole à travers le message à exprimer, et du message à faire passer. Sous un autre aspect la
musique est un médiateur dans la communication orale dans la mesure où, quand un jeune
écrit sur un fond musical, les paroles qui lui viennent à l’esprit, traduisent sa pensée, sa
réflexion, ses émotions, son état, son vécu, son parcours, son idéal.

30
31
Les conduites à risques et les passages à l’acte sont selon moi des modes de
communication non-verbale que les jeunes au CEF ont utilisé ou utilisent encore pour
transmettre aux professionnels un message. La psychologue dit « le passage à l’acte pour moi
c’est une manière de communiquer leurs souffrances et de mettre en action ce qu’ils
n’arrivent pas à dire en tout cas ou à reconnaitre ce qui se passe à l’intérieur d’eux. » « Les
passages à l’acte qui peuvent être un mode de communication. »

L’espace physique : particularités d’un lieu d’échange

Un jeune dans l’espace clos qu’est le CEF va se comporter différemment qu’à


l’extérieur avec un professionnel : le mode de communication verbale et non verbale tente à
montrer qu’il peut se sentir à égalité et même en position de force par rapport à la relation
duale et à vouloir mener l’éducateur dans ses retranchements et dans ses capacités à poser et
faire respecter le cadre.

La psychologue ajoute que « le jeune adopte une posture de fuite lorsque qu’il
demande à monter dans sa chambre et souhaite y rester ». La fuite à répétition peut être
considérée comme un frein à la communication mais aussi comme une modalité d’exprimer
quelque chose de l’état du jeune, de ses ressentis au moment où il effectue sa demande et son
déplacement. La demande de changer de lieu entre l’espace collectif et l’espace privé « sa
chambre » vient signifier un changement de mode de communication. Le jeune peut exprimer
une saturation du groupe, un besoin de vouloir s’isoler, de se renfermer, de se ressourcer, de
prendre du temps libre.

La grande différence entre son espace privé (sa chambre) et les espaces collectifs (salle
à manger, salle de jeux…) signifie un besoin du jeune d’exprimer une saturation ou une
fatigue ou un refus.

La psychologue dit : « Ils peuvent des fois à l’inverse jeter des grosses bombes on va
dire, des trucs hyper importants en groupe, qu’on ne peut pas reprendre pour le coup parce
que c’est très personnel. Mais il ne faut pas oublier qu’il faudra peut-être le reprendre plus
tard avec lui. Mais ça il faut les repérer aussi ce n’est pas simple, car il y a des défiances, je
viens lâcher quelque chose mais en même temps de le reprendre ce n’est pas facile. » Ces
propos seront repris un peu plus loin dans le paragraphe sur la réception du message.

Au CEF, la mise en place des multiples ateliers est un outil au service des différents
types de communication. La psychologue dit que le but des ateliers est d’amener les jeunes :

32
« à exprimer différemment les choses, par le rap, le dessin, la poterie. » L’éducateur ajoute
« Les sports collectifs, le sport c’est un très bon outil, les ateliers parce que du coup ils sont
en groupe restreint, donc ça permet une autre prise en charge, ça n’a rien à voir avec le
sport collectif car ils sont tous ensemble. » Ces outils vont donc changer les modes de
communication des jeunes. Cela permet d’aborder la relation avec un support, cela amène du
tiers. Je rajouterai la notion d’espace en tant que changement de pièce avec l’intervention de
personnes différentes : la salle scolaire fait partie d’un espace d’apprentissage, cet espace peut
créer des changements de modes de communication en termes d’apprentissage pratique ;
l’utilisation d’un mode de raisonnement inductif basé sur l’expérience, la manipulation, le
questionnement contribue à un mode de communication valorisant. Ici la confrontation entre
l’espace comme lieu d’apprentissage est l’enjeu de la communication au travers du message
que l’équipe éducative veut transmettre en termes d’apprentissage.

La notion de temporalité

L’espace-temps renvoie à la notion de disponibilité du professionnel au service du


jeune. Celle-ci peut être parfois rompue à cause des nombreuses sollicitations, des imprévus
que l’éducateur peut rencontrer au sein du CEF. Mais communiquer c’est avant tout pouvoir
écouter les jeunes, car si nous leur demandons de parler sans les écouter, nous ne sommes pas
en cohérence avec notre mission première qu’est « créer les conditions favorables à la
rencontre 48». La psychologue dit que « Communiquer c’est donnant donnant, c’est une
personne qui parle et une personne qui reçoit et inversement. Si à un moment donné ça ne va
que dans un sens, s’il n’y a pas de communication donc il n’y a pas d’intérêt. »

Quand sur le moment, l’éducateur n’est pas disponible, l’éducateur dit : « Il faut se
remettre en question, prendre du recul et de revenir vers le jeune ». Si l’espace-temps n’a pas
été bien géré, il est important de reprendre avec le jeune cette indisponibilité et savoir lui
accorder des excuses pour éviter de rejouer le schéma abandonnique, c’est-à-dire la démission
des parents, ou de lui donner l’impression de ne pas être entendu.

La réception du message

La communication vise à renvoyer un feed-back donc transmettre un message. Avec


les jeunes que nous accueillons au sein du CEF il est difficile par moment de traduire le
message. La psychologue ajoute « c’est ce qu’on en fait de ce qu’ils nous donnent (...) si on
n’en fait rien la communication va vite s’arrêter, si on essaie d’en faire quelque chose, je
48
Référentiel métier éducateur spécialisé 2018

33
pense que là on peut avancer sur certaines choses. Mais des fois ce n’est pas facile de
repérer ce qu’ils viennent nous dire. » La compréhension du message et le retour que je peux
en faire au jeune –appelé feed-back- a toute son importance ; je cherche les significations en
mettant en lien des moments de son histoire de vie et ses propos déposés ; mon travail
consiste à interpeler le jeune et à vérifier continuellement ma compréhension du message.

L’authenticité de la relation

Lors de mes entretiens un des éléments marquant avec le jeune fait ressortir une
attitude authentique du directeur dans la relation qu’il établit avec chacun d’eux : « Ça se voit
qu’il travaille avec le cœur » dit Martin. Tous les jours, le directeur prend le temps de saluer
individuellement chacun, de discuter avec eux, de partager des temps collectifs.

Par ailleurs, la psychologue dit : « Moi je pense qu’il faut être authentique dans la
relation et d’autant plus avec nos jeunes, c’est des choses qu’ils sentent très rapidement donc
il faut être authentique et puis il faut leur dire aussi, fin moi je trouve ça important de leur
dire que nous aussi on déconne quoi et que dans la communication, ne pas hésiter à s’excuser
auprès des jeunes si l’on n’est pas disponible psychiquement pour échanger ou quand on
réagit brusquement. C’est aussi être humble dans la communication et puis des fois dire non
là je n’étais pas disponible ou voilà je suis fatigué. » « Etre humble, honnête et quand on ne
sait pas et bien on ne sait pas.»

Etre soi-même évite de jouer un rôle qui ne correspond pas aux attentes des jeunes qui
savent identifier la dissonance entre nos attitudes et nos propos. La pertinence de nos
interactions en lien avec notre posture va rejoindre le jeune là où il est dans son parcours de
reconstruction.

De leurs côtés, « certains jeunes vont dire des choses aussi pour nous faire plaisir et
essayer de s’adapter à notre demande » comme l’indique la psychologue ; le jeune transmet
alors une envie d’obtenir satisfaction, d’avoir un gain en passant par un registre de séduction.
Dans ce mode de communication, le jeune veut être aimé et ne pas se mettre en opposition à
l’adulte de peur de reproduire un schéma qu’il a connu auparavant.

J’ai enrichi mes premières approches concernant la communication à partir du projet


d’établissement et de mes observations au sein du CEF, auprès d’adolescents délinquants
ayant des conduites anti sociales, des troubles de la personnalité psychopathiques et des

34
troubles psychiatriques ainsi que de l’enquête de terrain avec les entretiens de recherche. J’ai
appris au travers de différents professionnels et jeunes qui ont leurs propres rôles et places.

J’ai, à la fois mis du sens sur les théories de la communication au travers de ce qui se
joue dans la relation éducative. Dans les entretiens de recherche, il apparait des points
d’ancrage évoqués tant par les professionnels que par les jeunes. L’authenticité de l’éducateur
dans la relation avec les adolescents accueillis au sein du CEF pose comme un pilier, une
fondation dans l’accompagnement. Les notions d’écoute, d’observation, de mise en mots qui
en découlent contribuent à la relation éducative.

Les entretiens semi directifs ont fait également ressortir trois points essentiels que
sont : la temporalité, l’espace physique comme particularité d’un lieu d’échange, la réception
du message. En croisant les différents éléments recueillis, je mets en lumière que la seule
alternative qui serait la suspension du langage verbal comme changement unique de mode de
communication viendrait mettre un frein à la relation d’aide socio-éducative.

Le changement est un outil de régulation dans la communication, ce changement va


permettre à l’éducateur de prendre du recul pour agir avec méthodologie et stratégie.

Quels sont les modes de communication dont disposent les jeunes pour interagir avec les
professionnels ?

35
3 Des hypothèses à la proposition d’actions socio-éducatives
Pour répondre à la problématique : en quoi les changements de mode de communication
sont un outil au service de la relation éducative avec les adolescents délinquants au CEF ?

Je fais l’hypothèse que les changements de modes de communication dans la


relation éducative sont stratégiques.

La notion de stratégie se définit dans le Larousse comme « l’art de coordonner des


actions, de manœuvrer habilement pour obtenir un but ». Si l’on parle de but, je peux y
mettre comme autre mot synonyme : objectifs, finalité, les objectifs se traduisant par des
verbes d’action.

L’art nous amène vers une notion subtile qu’est la mise en lumière d’un talent, d’un
savoir-faire. En effet, la démarche de projets personnalisés dans sa mise en œuvre requiert de
l’habileté, un savoir-faire de manière à amener l’adolescent « à bien préparer son retour au
sein de son milieu familial ou dans un accueil spécialisé de droit commun avec un projet
scolaire ou professionnel lui permettant une insertion sociale dans le respect du cadre et de
la loi pour quitter le CEF » 49

En associant stratégie et changement dans ma pratique professionnelle, je vais donc, dans


la relation éducative, rejoindre la démarche de projet et notamment la notion de projet
individualisé ; en effet, au sein du CEF, l’’éducateur spécialisé « conçoit, conduit, évalue des
actions socio-éducatives dans le cadre de projets personnalisés, crée et met en œuvre des
actions mobilisant différentes méthodologies, propose des activités, des médiations et fait
preuve de créativité. »50

En analysant ma pratique professionnelle au travers de deux situations


d’accompagnement, je vais pouvoir venir confronter mon hypothèse à la réalité de terrain.

49
Projet d’établissement du CEF
50
Référentiel professionnel Educateur Spécialisé 2018

36
3.1 Situation de Simon
Simon est un adolescent âgé de 16 ans, j’ai pris la co-référence du jeune lors de son
arrivée. L’équipe décrit Simon comme ayant une posture de leader négatif face à ses pairs, il
entre plusieurs fois par jour en conflit avec les professionnels du CEF. Ma relation avec
Simon est de même nature.

Un vendredi matin au CEF, Simon se réveille, prend son petit déjeuner puis me rejoint
dans le bureau des éducateurs. Je l’autorise à entrer pensant qu’il souhaite me faire une
demande comme l’indique le règlement mais il prend le cahier de transmission et s’enfuit en
courant à l’étage de l’internat. Je lui demande d’une façon directive de redescendre avec le
cahier, ce qu’il n’effectue pas. Je le rejoins à l’étage et trouve le cahier au sol. Simon vient
vers moi et je lui adresse ces quelques mots d’une façon ferme en le regardant dans les yeux :
« Je t’informe que je vais rédiger un rapport d’incident au vu de la gravité de l’évènement ».
Le jeune me répond en descendant les escaliers « fais une note et tu vas voir ». Je lui explique
qu’il n’avait pas à avoir accès à ce cahier, car il comporte des informations confidentielles et
que si un autre jeune lisait ce qui est écrit sur lui, il n’apprécierait pas. Il me répond « Je
voulais juste te faire une blague ».

En un temps très court, et dans ces trois lieux proches les uns des autres (bureau, étage,
escalier), j’utilise à la fois une communication digitale et analogique : la fermeté de par les
mots utilisés est associée au regard insistant et au haussement de ton de manière à poser le
cadre. Je prends le temps nécessaire pour lui faire prendre conscience de la gravité de son acte
au regard de tous les éléments confidentiels que ce cahier comporte. Comme à son habitude,
lorsqu’il est repris, Simon adopte un comportement de provocation, d’opposition et de
défiance.

Quelques minutes plus tard, je vais sous le kiosque pour distribuer les cigarettes du
matin aux jeunes. Simon nous rejoint. Je lui tends une cigarette qu’il prend. Il va alors
interpeler le directeur et lui expliquer ce qui s’est passé.

Faisant abstraction de l’évènement précédent ; mon changement de mode de


communication permet de garder la relation avec ce jeune ; mon but recherché n’est pas le
même que celui du jeune qui, lui, cherche à m’éviter. Son objectif pourrait être de
contrecarrer la perspective d’une communication d’un rapport d’incident au juge ;
stratégiquement, ce jeune montre son opposition envers ma démarche de signalement. D’un

37
point de vue juridique et éthique, je me dois de l’informer qu’un rapport d’incident sera rédigé
afin de respecter ses droits.

Plus tard à l’heure du rangement des chambres (comme chaque vendredi) , je passe le
relais à l’autre éducateur qui prend en charge Simon et deux autres jeunes tandis que j’aide
trois autres jeunes à ranger leur chambre. Simon refuse de ranger sa chambre et va au bureau
de l’infirmière pendant que tous les jeunes effectuent leur tâche ; je décide d’aller le chercher
et lui demande monter, ce qu’il fait avec quelques résistances.

Pour montrer son refus dans un premier temps, Simon choisit de m’éviter et fait
preuve aussi de résistance face à la tâche à réaliser. Mon positionnement professionnel me
conduit à passer le relai à mon collègue pour faciliter l’adhésion du jeune.

Au bout d’une demi-heure, je demande à la maîtresse de maison de monter avec moi


pour aller faire la vérification. La maîtresse de maison trouve un cendrier avec des mégots ce
qui est contraire au règlement. Elle en informe Simon et le prévient qu’elle va avertir les chefs
de service. Le jeune prend le cendrier et le jette par la fenêtre. La maîtresse de maison lui fait
alors remarquer qu’il faut qu’il change ses draps et qu’il nettoie sa salle de bain. Le jeune
s’emporte et nous demande de sortir, ce que nous faisons. Il s’empresse d’aller vers un autre
éducateur qui prend le relais. Sur la demande de ce dernier, Simon effectue ses tâches sans
aucune résistance pour pouvoir partir en Droit de Visite et d’Hébergement (DVH).

La posture professionnelle identique de l’équipe quant au maintien du cadre, au choix


de faire intervenir deux personnes tiers, contribuent à proposer un choix dirigé à Simon. En
terme éducatif, ce positionnement professionnel sert à modifier sa manière d’agir dans le
respect du cadre. Lorsque Simon jette les mégots par la fenêtre, il utilise à nouveau la
communication analogique cherchant ainsi par son comportement à estomper voire à faire
disparaitre tout élément de sa transgression au cadre. En allant vers cet autre éducateur, Simon
montre à nouveau son évitement.

Je croise Simon, accompagné d’un éducateur, je lui souhaite un bon week-end avant
qu’il ne parte en DVH et il me remercie. Je reste en relation, en lien grâce à mon accessibilité
qui se traduit par ma disponibilité.

Une heure après que le jeune soit parti, j’appelle sa maman. Elle nous confirme que
son fils est arrivé au domicile. Simon me demande au téléphone pour échanger sur un autre
sujet. Ma mission m’oblige à adopter une attitude de contrôle face au placement contraint,

38
cependant ma relation que j’ai déjà établie avec ce jeune lui a permis de différencier la
situation problème décrite et le rôle que j’y ai joué avec une communication structurante et
positive afin de garder le lien relationnel.

Le rythme des échanges et le nombre de professionnels conséquents à être intervenus


au cours de cette journée a permis d’assurer la cohérence éducative.

Le fait d’avoir mis à distance son comportement non adapté sans le pointer de manière
accusatrice en différant les conséquences a permis à mon sens de garder le lien.

L’ensemble des stratégies que j’ai utilisées ont permis de stabiliser la relation dans
l’accompagnement. Voici quelques propositions d’actions socio-éducatives que j’aurai pu
mettre en place afin de répondre aux besoins de Simon.

La place de leader de Simon face à ses pairs l’oblige à tenir une certaine posture de
force, ne lui permettant pas d’exprimer ses émotions qui peuvent lui porter préjudice. Voici
l’un des objectifs de son projet personnalisé sur lequel je me suis appuyée pour proposer des
actions : « Aider Simon à exprimer ses émotions pour qu’il puisse mesurer l’intérêt du
recours à la verbalisation. ».

Je proposerai à Simon de partager un repas à l’extérieur. Le jeune étant défensif et persécuté


dans la relation avec l’autre, les temps individuels sont à privilégier afin que Simon puisse
s’exprimer librement sans avoir à tenir un rôle. Les différents espaces que je peux proposer
pour cette action : la voiture, le lieu du repas en extérieur, une balade, favorise la relation
éducative de façon à me retrouver à côté du jeune, pour éviter une relation dans laquelle je me
retrouve physiquement en face à face. Le fait de sortir du CEF peut créer un espace favorable
aux échanges et permet de médiatiser ce temps officiel. Par ailleurs la notion de mouvement
créée par les déplacements occasionnés apporte un changement de rythme, par rapport à
l’enferment du CEF. Cette autre situation de communication vient étayer ma recherche par
apport aux changements.

Je proposerai de saisir le moment où Simon est disponible à l’échange lorsqu’il me


sollicite de son domicile. Choisir le « bon moment » c’est d’abord le fait qu’il soit chez lui
dans un endroit « sécure ». Le support (le téléphone) comme outil à la relation, peut être vu
comme un tiers dans la relation et ainsi amener Simon à se décentrer pour pouvoir se livrer.
La relation duelle est mise à distance. La relation indirecte est à favoriser avec Simon qui a un

39
fort sentiment de persécution dans la relation duelle. Mon choix d’utiliser un support pour
échanger en individuel contribue à l’objectif de son projet personnalisé.

Au quotidien je travaille sur ses changements de mode de communication en faisant


évoluer son positionnement de toute puissance et en l’aidant à accepter le cadre et à verbaliser
sa frustration.

3.2 Situation de Sacha


Sacha est un adolescent âgé de 17 ans, arrivé au CEF au mois d’août 2020. Il a une
place de leader tant positive que négative auprès de ses pairs. Lors de mon arrivée en stage,
Sacha a cherché à me connaître dans un premier temps. Il a montré une aisance relationnelle
dès son arrivée et partage assez rapidement des temps individuels au cours desquels le jeune
se montre respectueux du règlement institutionnel.

Au moment d’aller chercher Kilian, un autre adolescent qui revenait de son stage en
bus, Sacha me demande s’il peut m’accompagner. Avec l’accord de ma référente nous partons
en voiture. Pendant les cinq minutes du trajet nous échangeons sur des sujets variés. Sacha me
dit « tu sais Fanny au CEF il y a deux types d’éducateurs les bons et les mauvais ». Avec
étonnement, je lui demande d’être plus précis. En me fixant du regard, et avec une intonation
qui m’interpelle, il me dit que « les mauvais sont les poucaves* et les bons sont ceux qui ne
balancent* pas »51.

Je ressens à travers ses propos qu’il catégorise les éducateurs, et qu’il utilise le para
verbal et le non verbal pour tenter de m’intimider.

Je n’ai pas eu le temps de relever ses propos car nous arrivons à l’arrêt de bus. Sacha
descend de la voiture sans y avoir été autorisé alors que l’autre adolescent Kilian monte à
l’arrière de la voiture. Sacha sort une cigarette et un briquet et fume laissant ouverte la porte
du côté passager. Je suis dans un premier temps étonnée, je lui demande alors : « qu’est-ce
que tu fais ? » Il me répond d’un air méprisant et dans la provocation : « bah je fume ça ne se
voit pas ». Je sens en moi la colère monter et je lui dépose calmement ces propos « écoute
Sacha tu es grand, tu arrives bientôt sur ta majorité tu connais le règlement du CEF, tu en
assumeras les conséquences. »

Je deviens alors crispée et tendue, je me concentre et pendant que Sacha fume,


j’échange avec Kilian sur sa journée. Sacha propose alors la fin de sa cigarette à Kilian qui

51
« Une poucave et une balance » sont des mots employés, pour désigner une personne, qui dénonce
quelqu’un d’autre en rapportant ses faits et gestes dans son dos.

40
refuse. Je suis alors très en colère, il n’y a plus de communication verbale sur le trajet du
retour, seulement un fond sonore musical. En arrivant au CEF Sacha dit « Je m’excuse
Fanny ». Je le regarde dans les yeux et lui dis fermement « je n’accepte pas tes excuses
maintenant car je suis très remontée, et que ça ne changera rien au fait que l’équipe soit
informée de ton comportement ». Je lui dis que je me suis montrée à son écoute et j’ai
apprécié prendre du temps avec lui mais que je ne peux accepter son comportement. Le jeune
me répond sèchement : « bah au moins tu ne pourras pas dire que je ne me suis pas excusé ».

Au travers de cette situation de vie quotidienne, les modes de communication utilisés,


que ce soit le verbal (mots menaçants qui visent à provoquer), le non verbal (le temps de
partage d’une activité sportive, le regard déstabilisant, l’expression du visage et du corps), le
para verbal (l’intonation de la voix, le rythme de la voix) montrent une double attitude
positive et négative.

Dans cette situation, Sacha a transgressé le règlement à savoir qu’il ne doit pas être en
possession de cigarettes ; elles sont distribuées chaque jour à heures fixes par les
professionnels.

Au regard des repères de sa problématique, document auquel je peux faire référence, je


relie mes observations à un des éléments qui indique : « Sacha est respectueux du règlement
de fonctionnement de l’établissement. Néanmoins il a besoin que les règles fassent sens pour
lui, c’est pourquoi il vient questionner l’adulte. En effet, il a besoin d’explications car sans,
son sentiment d’injustice peut vite être alimenté et être compliqué à gérer pour lui ».52

Ma ligne de conduite a été de rester authentique ; spontanément, j’ai dû m’adapter à cet


imprévu en agissant calmement, en nommant les faits, en exprimant mes ressentis et en
amenant Sacha à prendre conscience de son acte, des conséquences à venir afin de développer
son sens de la responsabilité. Ma posture professionnelle a permis de rester accessible pour
maintenir la communication en permettant l’échange tout en faisant preuve de fermeté.

L’intimidation du jeune vient tester mon positionnement, dans une intention de voir si
je pouvais être fiable en tant que « bonne ou mauvaise éducatrice ».

Sa demande d’excuse en arrivant au CEF avant même d’avoir quitté la voiture fait
passer un message complémentaire : Selon moi, Sacha, implicitement, me demande de ne pas
faire remonter à l’équipe cet incident. L’arrivée vers le CEF tout en restant dans la même

52
Document institutionnel : Repères de la problématique de Sacha

41
sphère qu’est la voiture, conduit Sacha vers une négociation de la sanction encourue au sein
du CEF. Les lieux des différents échanges précédemment décrits donnent de l’importance à
l’évolution de nos échanges : Sacha investit la situation et il mène les étapes les unes après les
autres pour orienter ma réponse à apporter.

De retour au CEF, nous rejoignons tous les trois le reste du groupe qui mangeait. Les
professionnels ainsi que les jeunes s’aperçoivent qu’il s’est passé quelque chose, car nos
attitudes montrent un mal être ainsi qu’une tension entre nous. L’éducatrice me questionne
devant les autres jeunes, et je diffère la réponse. Sacha refuse de manger, il tourne en rond
autour de la salle à manger me cherchant du regard. À la fin du repas je me dirige dans le
bureau des éducateurs pour retranscrire les faits, Sacha s’en est aperçu.

Plus tard dans la soirée, l’équipe a remarqué que Sacha utilisait sa position de leader
pour influencer ses pairs et il a créé une ambiance très tendue.

Le chef de service et un autre éducateur nous ont rejoints et alors les jeunes se sont
apaisés. Le lendemain, suite à mon exposé de la situation en réunion d’équipe, plusieurs
professionnels sont allés voir Sacha à tour de rôle en exprimant leur mécontentement et leur
colère.

Dans les jours qui ont suivi, nos échanges verbaux étaient inexistants ; j’ai adopté une
posture d’attente. Le jeune est venu s’excuser ; nous avons pu prendre un temps d’échange
pendant une heure pour aborder les faits et résoudre le conflit.

Joseph ROUZEL dit qu’il n’y a « pas d’écoute sans parole, pas d’écoute sans
l’inscription d’un sujet dans le fil de la parole »53 Il a été important pour moi de ne pas le
contraindre à revenir vers moi. J’ai fait preuve de bienveillance, je l’ai laissé parler de ce qu’il
souhaitait quand il a été disponible pour de nouveau échanger.

Au sein du CEF, le jeune se sert de son aisance relationnelle auprès des autres pour les
associer à sa démarche d’opposition vis-à-vis de l’équipe qui est solidaire ; il recherche
l’adhésion des autres jeunes pour montrer qu’il est aux commandes de l’évolution de la
situation. Notre absence de communication verbale dans cette relation interpersonnelle met en
difficulté l’adolescent : il interpelle les autres jeunes pour les rallier à sa cause. Faute
d’adhésion du groupe, il perd de sa légitimité et prend conscience de la nécessité de changer

53
ROUZEL (Joseph)-« le travail d’éducateur spécialisé, éthique et pratique »- 4e édition, Malakoff, Erès- (2018)-
p.91

42
de mode de communication face à moi. Il adopte même une posture de protecteur envers moi
dans le but d’être reconnu.

L’ensemble des stratégies utilisées ont permis de stabiliser la relation dans


l’accompagnement.

Les actions socio-éducatives menées sont donc en lien avec son projet personnalisé et
intègrent les objectifs suivants : mettre en mots ses émotions, exprimer ses ressentis et ses
contrariétés pour éviter le passage à l’acte.

Les éléments que j’évoque dans la situation de Sacha m’amènent à penser à des
actions autour des émotions. En effet à la relecture des évènements passés, je réfléchis à
comment faciliter la reconnaissance des émotions par le jeune dans un accompagnement
individuel, en passant par le miroir comme outil de compréhension du langage des émotions,
du langage corporel dont il n’a pas conscience.

Je l’invite à jouer la scène du feed-back lors d’une situation déjà rencontrée à savoir :
un professionnel va être absent dans sa journée. Les différentes étapes de mise en scène vont
l’amener à identifier les sensations que produisent les émotions qu’il ressent dans son corps et
la manière dont elles transparaissent dans sa posture, son comportement et ce qu’il renvoie à
son interlocuteur. Il va alors les mimer et identifier ce qui le touche. En mettant Sacha face au
miroir je l’aide à repérer le message envoyé par son corps, je l’aide à comprendre ce qui a de
l’importance pour lui. L’objectif est qu’il prenne conscience qu’il a le droit d’être en colère,
triste, joyeux, surpris, dérouté et apeuré, mais aussi de la manière dont l’autre peut percevoir
ces états chez lui.

Dans la progression du travail éducatif je pourrais proposer à Sacha de repérer et tenir


compte des émotions de l’autre par un jeu de rôle qui permettra de poursuivre la
compréhension des émotions des autres.

Mes observations combinées à mes expérimentations sur le terrain m’ont permis de


développer et approfondir un point essentiel de la relation éducative qui fait sens dans ce
dernier stage auprès d’adolescents délinquants : la variation des modes de communication
comme une base essentielle dans l’art et la manière de mettre en mot sa pensée, de s’exprimer
par les gestes, la posture, l’intonation de la voix, le regard…

Ce qui a fait sens dans cette démarche de recherche c’est l’arrêt ou l’utilisation
prolongé d’un mode de communication qui ne doit pas me déstabiliser et me décontenancer.

43
J’ai appris par cette expérimentation à me décentrer de ma représentation : je pensais que le
fait d’émettre un message provoquait automatiquement un feed-back amenant la réponse que
j’avais imaginée pour lui comme étant « la bonne réponse » ou « la réponse attendue » du
récepteur.

Par ailleurs l’expérimentation sur le terrain a montré la nécessité de m’adapter, de me


questionner pour anticiper au mieux les changements de mode communication des
adolescents délinquants même si je n’y suis jamais totalement préparée.

L’usage des mots, des silences, du non verbal et du para-verbal m’ont permis d’ajuster
ma pratique professionnelle et de me sentir légitimée dans la compréhension des situations
problématiques qui venait toucher à l’éthique professionnelle. Les adolescents délinquants
accueillis au Centre Educatif Fermé cherchent tous à tester les limites à ne pas franchir ou
celles qui peuvent être négociées dans certaines conditions. L’analyse du rapport qu’ont ces
jeunes face au mode de communication m’a aidé à me positionner et clarifier ma posture.

Mes observations combinées à mes expérimentations sur le terrain m’ont permis de


développer et approfondir un point essentiel de la relation éducative qui fait sens dans ce
dernier stage auprès d’adolescents délinquants : la variation des modes de communication
comme une base essentielle dans l’art et la manière de mettre en mot sa pensée, de s’exprimer
par les gestes, la posture, l’intonation de la voie, le regard…

44
Conclusion
La réflexion de ce mémoire a porté sur les changements de modes de communication
des adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé et, notamment, sur la mission
d’accompagnement de l’éducateur spécialisé dans la relation éducative.

Ma démarche a été tout d’abord de porter un regard réflexif sur mes trois années de
formation, pour aboutir au thème de la communication ; à partir de mes observations et mes
questionnements, en faisant référence à mes quatre stages professionnels, la question des
enjeux de la communication a fait l’objet de ma phase exploratoire, après avoir donné les
premières caractéristiques de la communication. Je me suis plus particulièrement arrêtée sur la
communication interpersonnelle qui met en interaction deux personnes comme nous invite à y
réfléchir la relation éducative.

J’ai commencé à déconstruire mes représentations sur la « rupture de communication »


pour laisser place à l’objet de recherche sur la diversité des modes de communication. J’ai
pris appui sur mes observations et expériences de terrain ainsi que sur des références
théoriques pour apporter un éclairage et aboutir à la question de départ : Quels sont les
enjeux de la communication, dans la relation socio-éducative, auprès d’adolescents
délinquants en Centre Educatif Fermé ?

Je retiendrai plus particulièrement les enjeux de la communication selon Alex


MUCCHIELLI, « l’importance de l’information transmise, mon identité et celle du jeune,
l’influence du feedback entre le jeune et moi pour cheminer ensemble au quotidien, l’enjeu
relationnel au travers de la création et de la consolidation du lien ».54

J’ai articulé ma recherche en développant la présentation du Centre Educatif Fermé et


du public qui y est accueilli, les adolescents délinquants, pour mettre en tension ce qui
interroge ma pratique professionnelle et ce qui se joue dans la communication au quotidien
chez ces jeunes.

Les multiples allers et retours entre mes questionnements, la recherche théorique et


mon expérience sur le terrain m’ont ensuite amenée à poser la problématique suivante : En
quoi les changements de modes de communication sont un outil au service de la relation
éducative avec les adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé ?

54
MUCCHIELLI (Alex), « La nouvelle communication : Epistémologie des sciences de l’information-
communication », ed Armand Colin, 2 novembre 2000

45
Pour m’aider dans ma recherche j’ai effectué des observations ciblées pour repérer les
particularités de la communication du public en Centre Educatif Fermé et j’ai mené cinq
entretiens semi-directifs, deux auprès de jeunes et trois auprès de professionnels. Ma
démarche d’enquête a fait ressortir des aspects spécifiques de la communication au sein du
CEF à savoir l’importance du langage verbal et non-verbal, l’espace physique et ses
particularités en tant que lieu d’échange, la notion de temporalité, la réception du message et
le feed-back qui en découle ainsi que l’authenticité de la relation comme facteur essentiel
dans la qualité du lien établi.

J’ai, par ailleurs, confronté mes connaissances à différents apports théoriques et


conceptuels sur l’adolescence et la délinquance, la notion de choix dans le changement de
modes de communication et sur la relation éducative.

A ce stade de ma réflexion j’ai choisi de faire l’hypothèse que les changements de


modes de communication dans la relation éducative sont stratégiques. Mes expériences
sur le terrain m’ont permis de mieux comprendre les modes de communication des
adolescents délinquants au Centre Educatif Fermé et de mettre en perspective dans cette
relation éducative mes points d’ancrage qui constituent aujourd’hui une base solide dans ma
pratique professionnelle.

Les éléments recueillis font apparaître les effets des changements de mode de
communication qui peuvent être qualifiés comme « stratégiques » de la part de l’éducateur
spécialisé quand il cherche à établir le lien, restaurer la parole, aider à la verbalisation, faire
respecter le cadre du Centre Educatif Fermé. Du fait de la communication interpersonnelle, en
parlant de la communication du jeune, j’ai repéré qu’il choisit de changer de modes de
communication sans en saisir tous les enjeux.

Dans ce travail de recherche, j’ai appris à propos de la relation éducative que j’établis
avec les jeunes, qu’elle se caractérise par une observation fine et constante, s’associant à une
écoute active. Ma fonction d’étayage et de repère dans une dimension éthique s’appuie
dorénavant sur les enjeux de la communication et sur une méthodologie d’intervention. Ceci
facilite mon adaptation à la fois aux temporalités des jeunes, aux interactions, aux choix de
mode de communication des adolescents. La finalité du choix des habiletés de
communication, c’est de pouvoir agir avec le jeune dans cet espace-temps de six mois en vue
de le préparer à sa réinsertion sociale, professionnelle ou scolaire, tel qu’il en est fait mention

46
dans son projet personnalisé. Que retirent les jeunes de cette expérience au bout de 6 mois de
vie en Centre Educatif Fermé ?

47
Bibliographie
Ouvrages :
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méthodologiques à propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier », dans
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PAUL (Maela) « L’accompagnement comme posture professionnelle spécifique »,


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ROUZEL (Joseph), « La parole éducative », chapitre 7 Une bonne relation, ed.Dunod, 2016,
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49
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2009, disponible sur: https://www.institut-repere.com/info/modele-de-l-element-humain-de-
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WIENER (Norbert), ASHBY (William Ross), WATZLAVICK (Paul) « Le feedback:


théories systémiques de la communication », http://www.sietmanagement.fr/theories-
systemiques-de-la-communication-le-feed-back-n-wiener-p-watzlavick/

WOLTON (Dominique), « informer n’est pas communiquer », éd CNRS 2009, Page 21

Documents relatifs au lieu du stage :


Cahier des charges des CEF - http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSF1607483C.pdf

Document institutionnel : Repères de la problématique de Sacha

Projet d’établissement CEF (2020-2025)

Référentiel métier éducateur spécialisé 2018

Site internet de l’association Montjoie, présentant le CEF

Sitographie :

Brochure de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)- plaquette de présentation en ligne sur


http://www.justice.gouv.fr/art_pix/plaquette_presentation_pjj.pdf

Cours en linge de l’école : INS HEA sur le module 4 « psychologie de l’adolescence,


approche développementale » - diapo 5 et 31
http://web64.ac-bordeaux.fr/fileadmin/fichiers/ASH/04_Formation/AESH/pdf_AVS_2015/4-
_Psychologie_de_l_adolescent.pdf
CARLE (Jean-Claude) et SCHOSTECK (Jean-Pierre), Délinquance des mineurs : la
République en quête de respect « rapport de la commission d'enquête sur la délinquance des
mineurs » le 27 juin 2002- (I.B.1) disponible sur : https://www.senat.fr/rap/r01-340-1/r01-
340-1_mono.html#toc17

Justice des enfants & des adolescents « quel projet pour notre société ? »-Page 2-Disponible
sur http://www.justice.gouv.fr/publication/o45_resume_2.pdf

50
Ministère de la justice –références statistiques justice des mineurs-PDF- 2019, disponible sur
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/13
PARTIE12_References_stastiques_justice_2019_16x24.pdf

Dictionnaires :
Dictionnaire Le Petit Robert

Dictionnaire Hachette encyclopédique, Paris, Hachette livre, 2001, page 1373

Dictionnaire LAROUSSE

51
Annexes

52
Annexe 1 : Modèle de la communication linéaire et circulaire avec
la notion de Feed-Back par Norbert Wiener.55

55
https://fr.slideshare.net/dcornelis_slide/chapitre1-theories-de-la-communication-2e-partiel

53
Annexe 2 : Entretien avec la psychologue du CEF

Etudiante : D’après toi quelles caractéristiques peux-tu me donner d’un adolescent


délinquant ?

Psychologue : Caractéristique euh moi en tout cas les jeunes ici c’est des jeunes en souffrance
premièrement qui ont vécu des choses difficiles des parcours de vie plus souvent engoncés de
ruptures, en lien avec leurs histoires familiales principalement. Déjà traumatisés et qui du
coup ont recourt au passage à l’acte pour s’exprimer, puisqu’ils n’arrivent pas eux à
s’exprimer et à peut-être reconnaitre ce qu’il se passe en eux. (Le téléphone sonne) Du coup
j’en étais ah oui alors le passage à l’acte pour moi c’est une manière de communiquer leurs
souffrances et de mettre en action ce qu’il n’arrive pas à dire en tout cas ou à reconnaitre ce
qui se passe à l’intérieur d’eux.

E : Oui, à verbaliser par exemple

P : Oui, même à reconnaitre avant de verbaliser avant de se dire il y a une souffrance il y a


quelque chose qui ne va pas euh il faut déjà le reconnaitre avant de pouvoir en parler, donc le
recours ah ouais le passage à l’acte. Nous c’est comme ça qu’on l’entend nous en tant que
psychologue c’est pour dire à un moment donné qu’il y a quelque chose qui ne va pas et euh
une manière de s’exprimer eux.

E : Et au CEF quelles sont les différents profils des jeunes ?

P : Alors euh les différents profils, généralement c’est des jeunes qui viennent d’un quartier
qui est assez porteur pour eux, fin en tout cas on sent qu’il y a une certaine identification au
quartier et aux personnes qu’il y a. Ce sont des jeunes qui ont un parcours un peu difficile
comme je disais tout à l’heure des fois des ruptures familiales, des parents séparés ou des
enfants qui ont été placés depuis tout petit voilà dans le cercle ASE exceptera et qui ont pu
bouger d’un foyer à un autre. Ils ont trouvé d’autres identifications dans le quartier et une
autre manière d’exister aussi et d’être valorisés dans le quartier. Et des fois ça arrive qu’on
arrive avec des profils qui sont totalement différents où là il y a déjà une structure familiale en
tout cas de prime abord. Déjà avec un peu plus de ressources et de moyens et pour autant des
jeunes qui commettent des actes. Et déjà on n’est pas du tout sur le même rapport à la loi et le
même passage à l’acte, mais du coup c’est plus rare.

E : Comment tu peux définir la communication ?

54
P : Alors c’est-à-dire ?

E : comment peut tu définir la communication des jeunes accueillis au CEF ?

P : La communication des jeunes, souvent c’est des jeunes quand ils arrivent ils sont méfiants,
méfiants de l’adulte parce que le parcours assez institutionnel assez présent, aussi l’adulte qui
peut faire référence à l’autorité, au juge fin tout ce qu’ils n’aiment pas, qui ont pu faire
barrière à un moment donné avec eux. C’est important d’échanger avec eux et de leur laisser
le temps pour faire connaissance et beaucoup dialoguer mettre du sens sur : pourquoi ces
règles, pourquoi c’est comme ça et dans quel but en fait.

Si on dit les choses voilà c’est comme ça et on ne donne pas d’explications ça ne va pas
passer, avec eux comme avec nous, d’autant plus avec eux parce que ça leur rappelle encore
des choses et que souvent on ne leur a pas communiqué les raisons qui se passaient dans leurs
vies. Ils seront plus réfractaires et sur la défensive dans ces moment-là. Donc l’idée c’est
d’être le plus transparent dans les choses, leurs expliquer pourquoi et pour qui on les fait et
pourquoi on pense les choses comme ça et que même s’ils ne sont pas d’accord on peut
dialoguer en fait. Plus on va expliquer les choses et plus c’est entendable et ils seront moins
dans la défensive, même s’ils ne sont pas d’accord on peut en discuter. Même s’il y a des
moments où ça pète ils reviennent quand même pour en discuter. Prend le temps de discuter
avec eux et d’échanger, pour leur permettre de parler de tout, notre rôle est de leur apporter
une ouverture. Le jeune adopte une posture de fuite lorsque qu’il demande à monter dans sa
chambre et souhaite y rester. L’on peut aussi différer dire au jeune « je vois bien que tu n’es
pas en mesure d’être dans l’échange est ce que tu préfères qu’on en reparle plus tard ? » Si le
jeune n’entend pas ça ne sert à rien d’insister, on peut toujours reprendre ça plus tard avec lui.

E : Quelles sont les différents modes de communication d’un adolescent au CEF ?

P : Alors il y en a beaucoup parce qu’il y a ceux avec lesquels il connait et qu’il met en place
ici et ceux qu’on leur propose c’est-à-dire qu’ici il y a les passages à l’acte qui peuvent être un
mode de communication. Il y a aussi quand ils crient, quand ils sont en opposition. Pour moi
la communication n’est pas que langage, mais n’est pas que verbale et non-verbale, il y aussi
tout le comportement qui vient dire des choses, il y a aussi ce qu’il met en place. Il faut
prendre la personne dans son entier si elle me dit oui oui et que dans son corps ce n’est pas du
tout ça, qu’est-ce que je vais prendre en mesure. Parce qu’il faut savoir ce que certains jeunes
vont dire des choses aussi pour nous faire plaisir et essayer de s’adapter à notre demande,
mais si ça ne leur convient pas à un moment donné de toute façon ça ne marchera pas. Donc

55
c’est aussi de leur dire qu’il on le droit aussi de s’exprimer par des mots sur ce qu’ils
ressentent vraiment. Donc l’idée c’est aussi ça dans les ateliers de les amener à exprimer
différemment les choses, par le RAP, le dessin, la poterie c’est une manière aussi d’exprimer
les choses différemment. D’autres moyens de communication j’ai tendance à leurs dire quand
ça ne va pas toi tu cries ou tu exploses c’est ta colère qui s’exprime à ce moment là bah écoute
c’est comme ça que tu fais mais jusqu’à maintenant elle a pu te poser problème donc
comment on peut t’aider à trouver d’autres moyens d’expression. De quelle manière le jeune
peut gérer sa colère pour ne pas que ça le met en difficulté. On essaie de revoir toute cette
manière-là de s’exprimer, mais un jeune qui crie, qui fait une crise, qu’on a besoin de
maitriser c’est aussi qu’il vient exprimer quelque chose à ce moment-là d’une souffrance ou
de quelque chose. Comment on va reprendre ça aussi après. Donc la communication pour moi
c’est varié et ça peut être aussi dans ce qu’il ne va pas mettre en place. Un jeune qui ne fait
pas quelque chose qu’on lui demande et qui nous dit si si je vais le faire et qu’il ne fait pas et
bien pourquoi, qu’est-ce que ça vient dire en fait. Pour moi tout vient dire quelque chose en
fait dans une certaine mesure comme pourquoi il est comme ça avec certaines personnes et
pas avec d’autres. Mais peut être que lui-même n’est pas conscient de ce qu’il vient de
communiquer en faisant ça, il y a des choses qui nous échappent aussi. Pour moi
communiquer c’est partager, donner à l’autre quelque chose qui des fois est fait contre notre
gré on va dire. Mais c’est vrai que nos jeunes ont parfois tendance à être impulsif.

A quoi elle sert la communication dans une relation éducative ?

A pouvoir aider au mieux le jeune pour moi. C’est-à-dire que si on arrive à bien comprendre
ce qu’il nous communique et que si lui aussi arrive à nous communiquer clairement les choses
on va dire que c’est l’idéal. C’est comme le projet du jeune on le fait avec lui, moi je dis
qu’on peut faire le plus beau des projets mais si le jeune ne s’y retrouve pas dans le projet et
que ça ne fait pas sens pour lui et bien on n’avancera pas en fait. Donc c’est pour ça qu’ils
sont intégrés dès le début dans leurs projet et que quand on fait la réunion RPP je leurs dit
bien si il y a quelque chose qui ne vous convient pas vous avez le droit de le dire. Alors je ne
sais pas si ils le font, mais en tout cas c’est important pour eux de leurs dire car c’est leurs
projets en fait donc si il y a quelque chose qui ne vous convient pas ou si vous ne vous sentez
pas encore prêt à le faire ça ne sert à rien de le mettre fin c’est comment on les amène dans ça
et on leurs laisse cette possibilité de nous communiquer sur leurs envies. Donc pour moi
communiquer avec eux même si ça passe par des disputes par des cris par machin bah c’est au
moins leur permettre d’exprimer quelque chose quoi. Mais communiquer c’est aussi pouvoir

56
nous les écouter, car si on leur demande de parler mais si on ne les écoute pas ça ne sert à
rien. Communiquer c’est donnant donnant, c’est une personne qui parle et une personne qui
reçoit et inversement. Si à un moment donner ça ne va que dans un sens, s’il n’y a pas de
communication donc il n’y a pas d’intérêt. Donc l’idée ici ça va être avec nos jeunes qu’il y
est ces retours. Ça passe par différentes phases, car il y a différentes manières de
communiquer, mais c’est d’être à l’écoute de ce qu’ils nous disent et aussi qu’ils puissent être
à l’écoute de ce qu’on leurs dit aussi. Ce n’est pas toujours gagner mais si on arrive un petit
peu à ça sur certaines choses et bien on a déjà gagné quelque chose.

Ce sont des jeunes qui n’ont pas été entendus dans leurs parcours, ils ont l’impression qu’ils
n’ont pas été écoutés en fait, donc pour eux l’adulte ce n’est pas quelqu’un de fiable, ce n’est
pas quelqu’un qui est là pour écouter, pour prendre en compte qui ils sont. Donc l’idée c’est
de dire si on écoute mais l’idée ça va être de ne pas toujours répondre favorablement à ta
demande, ça ils ont tendance à confondre, mais c’est du coup leur expliquer ok tu me dis ça
déjà d’une je l’entends mais je vais différer la demande pour aussi travailler ça chez eux parce
que c’est toujours dans l’immédiateté. Donc je vais différer ta demande et oui la réponse que
je vais te donner elle sera positive comme elle peut être négative mais je vais t’expliquer
pourquoi.

E : est-ce que tu peux identifier des modes de communication qui sont plus pertinents que
d’autres ?

P : Moi je pense que les temps individuels avec nos jeunes c’est important. Déjà ils ne sont
pas pareil quand ils sont en groupe ou quand ils sont en individuel alors pas tous hein mais je
pense que oui, de prendre un temps vraiment un peu exclusif avec eux et de prendre le temps
de les écouter, sur leurs parcours, sur tout ça c’est important et d’ailleurs ils le réclament. Au-
delà de dire oui je veux manger à l’extérieur avec l’éducateur, il n’y a pas que ça quoi hein à
un moment donner tu as besoin d’avoir ce temps pour dire des choses qu’effectivement il ne
pourra pas dire devant le groupe. Il y a de l’ordre de l’intime aussi qu’il faut qu’on prenne en
compte. Donc je pense que les temps individuels sont importants avec eux. Et puis tout ce qui
est aussi d’autres moyens d’expressions comme le RAP tout ça vient aussi dire des choses
dans ces moments-là qui sont intéressantes.

E : Quel sont les freins de la communication ?

P : Les freins et bien c’est qu’est-ce qu’on en fait de ce qu’ils nous donnent. Ca je pense que
c’est un gros frein si on en fait rien euh la communication va vite s’arrêter, si on essaie d’en

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faire quelque chose, je pense que là on peut avancer sur certaines choses. Mais des fois ce
n’est pas facile de repérer ce qu’ils viennent nous dire. Ils peuvent des fois à l’inverse jeter
des grosses bombes on va dire, des trucs hyper importants en groupe, qu’on ne peut pas
reprendre pour le coup parce que c’est très personnel. Mais il ne faut pas oublier qu’il faudra
peut-être le reprendre plus tard avec lui. Mais ça il faut les repérer aussi ce n’est pas simple,
car il y a des défiances, je viens lâcher quelque chose mais en même temps de le reprendre ce
n’est pas facile.

E : Et en fonction de l’état du jeune est ce que tu penses que ça peut être un frein à la
communication ?

P : Bien sûr, sous l’emprise de stupéfiants ou d’alcool tout comme les moments de crise
quand il n’est pas accessible, ça ne sert à rien, là l’idée c’est de l’apaiser dans un premier
temps avec les mots bien sûr, mais ce n’est peut-être pas à ce moment-là qu’on va pouvoir lui
poser toute les questions du monde.

E : Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de ne pas réussir à communiquer avec un jeune ?

P : ouais

E : Alors pourquoi ?

P : Parce que des fois je renvoie des choses au jeune alors de ma personne donc pas avec les
mots mais d’insupportables pour eux. Le fait d’être psychologue des fois il y en a qui ne le
supporte pas. Et puis fin voilà, il y a aussi une question de relation fin interpersonnelle, fin
des fois ça ne passe pas. Avec des personnes c’est comme ça ne passe pas. Alors ici ils n’ont
pas trop de chance car je suis la seule psychologue. Alors après de dire que la relation était
totalement coupée nan parce que j’essaie toujours de revenir vers le jeune parce que c’est mon
travail, mais des fois voilà ce n’est pas possible. Fin je vois Kader 56 qui m’a fait la tête
pendant deux mois, il ne voulait pas me parler. J’ai continué à lui dire bonjour à être polis et
tous ca à aller vers lui mais à un moment donné je ne peux pas l’obliger à me parler à moi. Et
puis s’ils veulent se confier dans cet espace, tant mieux, si les jeunes veulent se confier avec
un éducateur j’ai envie de te dire temps mieux aussi. Du moment qu’ils ont cet espace de
parler de communiquer ce qu’ils ont et ce qu’ils ont envie et puis si ce n’est pas avec moi et
bien ce n’est pas grave ça se fera avec quelqu’un d’autre. Pour moi ça ne s’arrête pas à une
personne ça peut être avec d’autres. Mais qu’ils puissent comprendre l’importance de mettre

56
Nom d’emprunt

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en mot et de communiquer les choses bah c’est déjà gagné quelque part. Donc ouais c’est
arrivé avec certains jeunes ça ne passait pas.

E : ma dernière question va être est ce que tu t’appuies sur des concepts théoriques autour de
la communication et si oui quelles sont-ils ?

P : Alors pas trop sur la communication je parle surtout de langage verbale et non-verbale.
Depuis ma formation j’ai toujours été intéressé par le non verbale, mais je n’ai pas d’auteurs
spécifique en tête à te dire là comme ça. Mais pour autant j’ai repris une formation la de
systémie où l’on parle du système et la en ce moment je lis un livre sur la communication, bon
je viens de le commencer donc je ne pourrais pas plus t’en parler. Bon je pourrai te donner le
nom du livre mais je t’avoue que c’est un peu dur à lire. Bon dans la systémie il y a beaucoup
de choses qui se jouent comment on est, comment on peut interagir en fonction du système
dans lequel on est. Et là ou j’ai trouvé ça intéressant aussi c’est bon il y a certaines personnes
dont je peux faire partie qui ont tendance à toujours prendre leurs responsabilités dans la
relation et bah si il se passe ça c’est que ça vient de moi etc…. Mais non en fait il y a aussi
des choses qui ne nous appartiennent pas dans la communication. Dans la relation tous
simplement et qui appartient à l’autre, dans la communication c’est un peu remettre à sa place
chacun qu’est ce qui vient de l’autre qu’est ce qui viens de nous quand sa se joue, donc c’est
très complexe.

E : Est-ce que tu as entendu parler de la communication non violente ?

P : oui, on a eu une formation sur la communication non violente sur comment partager une
information et expliquer pourquoi je suis en colère, comment l’expliquer, comment la
communiquer à l’autre en fait et que ça soit dit d’une manière que ça permette l’échange.
Donc en soi c’est très intéressant. Par exemple il fallait expliquer une situation, expliquer ce
qu’on ressent, expliquer ce qu’on attend de l’autre et demander ce que l’autre attend de nous
par apport à ça. Donc il y avait tout un schéma découpé pour faire une demande et c’est là où
on se rend compte qu’il faut réfléchir, donc ce n’est pas si simple de communiquer. Bien
communiquer de manière non violente on va dire et qu’il y a aussi les automatismes que l’on
a, notre manière de parler et notre façon de faire et puis tout le monde n’est pas aussi sensible
à ce que l’autre va ressentir ou des fois on n’est pas accessible aussi, fin on peut être fatigué
ou occupé par d’autres choses. Cette formation était intéressante après dans la mise en place
ça posait des questions je trouvais fin en tous cas ça demandait de l’entrainement je pense.

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Et d’après quelle est la posture que le professionnel doit opter pour rentrer en communication
avec le jeune ?

Moi je pense qu’il faut être authentique dans la relation et d’autant plus avec nos jeunes, c’est
des choses qu’ils sentent très rapidement donc il faut être authentique et puis il faut leurs dire
aussi, fin moi je trouve ça important de leurs dire que nous aussi on déconne quoi et que dans
la communication, ne pas hésiter à s’excuser auprès des jeunes si l’on n’est pas disponible
psychiquement pour échanger ou quand on réagit brusquement. C’est aussi être humble dans
la communication et puis des fois dire non là je n’étais pas disponible ou voilà je suis fatigué.
Pour moi il faut être équitable, car on n’est pas supérieur aux jeunes et ils ne sont pas
supérieurs à nous on est dans une relation et en fait ça se joue à deux et qu’il n’y en a pas un
qui est au-dessus de l’autre. Etre soi-même, équitable, juste et dire les choses telle qu’elles
sont et puis des fois quand on n’y arrive pas et bien ce n’est pas grave on le dit en fait. Mais
moi j’aime bien dire aux jeunes fin quand je pose le cadre dans mon bureau « si un jour t’es
en colère contre moi viens me le dire il n’y a pas de soucis en fait, car tu as le droit d’être en
colère contre moi en fait ». Dans le but de permettre la discussion quoi je pense qu’il y a ce
côté où il faut être humble et il n’y a pas de dominant et dominé. On est tous égaux et puis de
leurs dire que toi aussi tu as des choses à m’apprendre, à me dire et puis on va faire ensemble
quoi. C’est le message que j’essaie de communiquer aux jeunes en tous cas. Il ne faut pas
hésiter à remettre les jeunes au centre et que souvent ils ne l’ont pas été comme on leur a
imposé les choses. Alors après ici le placement leur est imposé mais après je leur dit eux aussi
ils sont imposés (rire) L’idée ce n’est pas d’être dans un bras de fer c’est de comprendre
comment on avance ensemble comment on fait ces 6 mois ensemble quoi. En tout ça c’est le
message que j’essaie de véhiculer, fin voilà ce n’est pas leur imposer les choses quoi c’est leur
dire qu’il y a un cadre qu’il y a des choses, que c’est un choix que c’est comme ici ils sont
obligés de venir une fois par semaine ça peut durer 5 cinq minutes comme une heure, on peut
parler de vous , on peut parler d’un sujet complètement différent, on peut jouer fin voilà c’est
aussi l’idée de te connaitre de se connaitre au début, donc vous ne me connaissez pas et tu
vas me parler de ta vie en soi je peux comprendre que tu n’ais pas envie surtout que ce n’est
pas une demande en fait. Etre humble, honnête et quand on ne sait pas et bien on ne sait pas.
On est tous là ensemble dans le même bateau.

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Annexe 3 : Entretien avec le directeur du CEF

Etudiante : Quelles caractéristiques pouvez-vous donner d’un adolescent délinquant ?

Directeur : C’est un jeune en difficulté, dans un passage difficile de sa vie et qui a besoin
d’aide. En recherche identitaire en quelque sorte, euh il essaie en fait de se comprendre par
moment, il a un sentiment d’injustice. Mais de manière générale c’est des jeunes qui ont
besoin d’aide. Même s’ils ont commis des actes.

E : Comment pouvez-vous définir la communication ?

D : La communication au CEF et dans notre établissement c’est quelque chose d’hyper


important, il ne faut jamais arrêter de communiquer. Ses jeunes là même quand il y a des
difficultés, même quand on met des sanctions etc… il faut communiquer, expliquer le sens
ramener l’autre à exprimer sa colère à dire ce qui ne va pas. La communication au CEF elle
reste au CEF quelque chose, un outil hyper important et nécessaire pour l’accompagnement
des jeunes.

E : Quels sont les différents modes de communication d’un adolescent accueilli au CEF ?

D : Lui ou nous ?

E : Lui

D : Les modes de communication des jeunes au CEF c’est sur la colère, la violence,
l’agressivité au début, dans un premier temps. Ils ont besoin je pense de se protéger, ils
cherchent à être rassurés finalement, est ce que l’adulte est capable de les soutenir ou pas.
Donc c’est un moyen de communication en quelque sorte pour tester et alerter l’adulte.

E : A quoi sert la communication dans la relation éducative ?

D : C’est une grande question donc le travail doit être axé sur ce point-là, la communication et
la relation éducative. La relation éducative c’est celle qui va commencer à instaurer un lien de
confiance entre le jeune et les professionnels. Sans ce passage là on ne pourra pas travailler.
J’ai toujours la phrase en fait que j’essaie d’expliquer aux éducateurs : ils sont les techniciens
de la relation. C’est-à-dire si on ne prépare pas cette base-là, cette étape-là, le travail ne sera
pas facile ensuite parce que le jeune a besoin d’être rassuré, d’être dans une relation de
confiance.

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E : Est-ce que vous avez identifié des modes de communication qui sont plus pertinents que
d’autres ?

D : Oui, c’est la communication non-violente. C’est la communication qui permet aux jeunes
de s’apaiser en fait de retrouver leur sérénité. Répondre par une communication violente c’est
pour moi une erreur. Il faut toujours garder une communication non-violente.

E : Quels sont les différents moyens au CEF pour communiquer avec le jeune ?

D : Les entretiens en général individuel, les réunions jeunes, mais la plus part du temps c’est
la communication verbale

E : Il existe des outils

D : Pour la communication verbale ?

E : Pas forcément ça peut être la communication écrite quand les jeunes écrivent une
demande.

D : Oui bien sur ce sont des moyens de communication par rapport à leur organisation de la
vie quotidienne. Le planning des activités, les fiches demande, les rapports, les carnets de
suivis.

E : Oui les projets personnalisés aussi

D : Oui bien sûr c’est un moyen en fait de communication et tout ce qui est autour du projet
personnalisé.

E : Quels sont les freins de la communication ?

D : Les freins de la communication c’est les tensions par moment quand il y a difficultés
relationnelles, ça peut freiner mais j’ai demandé aux éducateurs. Moi à chaque fois même s’il
y ses freins là, qu’ils essayent toujours de communiquer. Même si le jeune il refuse, il faut
l’amener à la communication.

E : Donc pour vous le frein serait que le jeune se braque et ne souhaite plus communiquer ?

D : hum

E : D’accord, est ce qu’il vous est déjà arrivé de ne pas réussir à entrer en communication
avec un jeune ?

D : Personnellement ?

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E : Oui

D : Non en toute sincérité non. Non parce qu’en fait même le jeune quand il ne communique
pas verbalement c’est de la communication.

E : Oui je vous rejoins

D : c’est-à-dire même s’il nous dit je refuse etc.., mais c’est un moyen, il y a un message.

E : Oui quand le jeune ne dit pas un mot c’est un message

D : oui, c’est un message. Mais en général en fait quand je les vois, bon parce que j’ai été chef
de service, bon quand il y a une bonne relation ils ne refusent pas la communication c’est le
lien de confiance qui facilite tout.

E : Est-ce que vous vous appuyez sur des concepts théoriques pour communiquer si oui quel
sont-ils ?

D : J’ai essayé de parler avec l’équipe pour développer par moment pour par exemple les
jeunes MNA, qui ont du mal à lire par exemple un programme d’activité de mettre des
pictogrammes. Pour essayer de renforcer et d’expliquer aux jeunes ou de s’adapter en fait par
apport aux besoins du jeune. Surtout les jeunes MNA.

E : Oui une sorte de communication visuelle?

D : oui, par des pictos par exemple sur des programmes au lieu de mettre avec le pro et bien
de mettre une image d’un pro pour faciliter la lecture aux jeunes de son organisation
quotidienne. Mais pour l’instant pour cet angle-là on a développé énormément de choses, des
formations c’est un axe fort au niveau de la communication des jeunes, pour eux et pour nous
également.

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Annexe 4 : Entretien avec un éducateur spécialisé du CEF

Etudiante : Quelles caractéristiques peux-tu donner d’un adolescent délinquant ?

Professionnel : Euh un adolescent délinquant euh déjà un adolescent c’est compliqué, déjà,
pour n’importe quel jeune et après un adolescent délinquant j’ai envie de dire heu, la plus part
du temps l’envie de se faire remarquer, l’envie d’exister et un adolescent qui a posé des actes
plus ou moins graves et souvent en rapport avec son milieu social ou son environnement
familial. Maintenant et depuis quelques années, associé à des troubles mentaux et troubles du
comportement.

E : Tu m’avais parlé de certains termes « primo délinquant, multi réitérant et


multirécidiviste » peut tu m’en dire un peu plus ?

P : Ouais, bah primo délinquant comme son nom l’indique c’est un jeune, qui passe devant le
juge ou pas hein. Mais pour un premier acte ou premier passage à l’acte délictuel des fois ça
peut être aussi un crime. Après y’a les multirécidivistes donc eux c’est des jeunes qui posent
plusieurs actes de même nature. C’est-à-dire je ne sais pas, euh, un jeune qui a vendu du
cannabis il se fait attraper à plusieurs reprises et se fait incarcérer et juger pour un fait, pour la
vente de cannabis. Après il y a les multi réitérents ça veut dire, heu, un jeune qui, qui, commet
plusieurs passages à l’acte de natures différentes.

E : Ok et sinon, comment tu peux définir la communication ? Qu’est-ce que tu entends par la


communication ? Globalement ?

P : Globalement, heu c’est les échanges qui peut y avoir entre deux personnes, ou plusieurs
personnes. La communication pour moi c’est le fait d’échanger, de parler heu de débattre en
gros. De manière vulgaire bah la communication pour moi, bah, c’est parler bah la
communication c’est avec la bouche, de manière globale. Après de manière heu
caractéristique il y a plusieurs formes, de communication. Il y a comme je viens de dire avec
la parole, avec les gestes, la façon de se tenir sur une chaise, se tenir devant quelqu’un.

E : C’est justement la question suivante, quels sont les différents modes de communication
d’un adolescent au CEF ?

P : Bah c’est ce qu’on vient de dire, la communication heu verbale et non verbale
essentiellement au CEF.

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E : Qu’est-ce que tu entends par le non verbal du coup ?

P : Le non-verbal bah pour moi c’est comme son nom l’indique c’est tout ce qui n’est pas dit
mais on peut heu par exemple, je vais peut-être dire une bêtise, un jeune qui est là, qui est en
face de toi, à qui tu parles ou soit tu le recadre ou tu dis des choses. Lors d’un entretien tu le
vois il fronce les sourcils, il sert les poings, pour moi c’est de la communication en fait, il
n’est pas content et il ne peut pas le dire.

E : Hum

P : Donc nous on doit être aussi réactif sur ça, c’est très important, la communication non
verbale, pour moi, mon opinion personnelle elle est parfois plus importante que le verbale. Par
exemple un jeune quand il s’énerve, qui insulte, bah on le voit on le sait qu’il est énervé. Mais
un jeune, qui a ses poings en dessous de la table ou qui les tord et qui fronce les sourcils, on
n’est pas forcé de le voir, si il est courbé, si il est bien droit. Et par exemple quand il est
debout en face de nous bah ça permet de d’anticiper des conflits.

E : A quoi sert la communication dans la relation éducative ?

P : A tout, à tout, à rentrer en lien, car la création du lien c’est le nerf de la guerre dans notre
métier, ça veut dire que voilà si on n’est pas capable de communiquer, avec qui on va créer le
lien ? Les jeunes ils ont besoin de l’instauration du lien et du climat de confiance entre lui et
l’adulte, parce que heu malheureusement, la plupart des jeunes, c’est des environnements et
climats sociaux chaotiques et tout ça. Donc pour qu’ils fassent confiance à un adulte il faut
savoir communiquer. Et ça peut être de manière différente, ça peut être euh de façon
courtoise, respectueuse. Il y a des professionnels qui utilisent les mêmes codes avec certains
jeunes. Donc pour moi la communication elle sert à instaurer le lien. Et une fois que le lien il
est fait, la communication sert à l’accompagnement, à faire des démarches, des synthèses, à
savoir expliquer au jeune à quoi ça consiste une synthèse. La communication pour moi elle
sert pour tout, c’est la base.

E : Hum est-ce que tu identifies des modes de communication qui sont plus pertinents que
d’autres ? En tant qu’éducateur spécialisé ?

P : Tous les modes de communication sont importants euh de manière relative.

E : Relative c’est-à-dire ?

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P : C’est-à-dire on peut s’énerver dans le cadre de notre travail, mais il ne faut pas dépasser
certaines limites, on peut faire redescendre d’un étage le jeune, sur son ton, sur sa manière de
parler. Dans mon parcours j’ai constaté qu’on pouvait s’énerver mais de manière sereine, on
peut s’énerver calmement en gros. On peut montrer notre désaccord et notre mécontentement
aux jeunes de manière calme, sereine et posée et souvent on a plus d’impacts. Après l’autre
forme aussi c’est quand le gamin il s’énerve, on monte le ton plus que lui et tout ça peut aussi
fonctionner, ce n’est pas un souci. Il faut s’avoir s’adapter.

E : Quels sont les différents moyens au CEF pour communiquer avec les jeunes ? Dans cette
question je parle plus des outils. Quels outils sont mis à disposition au CEF pour
communiquer avec les jeunes ?

P : La réunion jeune c’est un temps et un outil formel, pour les jeunes c’est un moment où ils
peuvent s’exprimer en présence d’un cadre et sont reconnus. La cadre passe du temps aussi
avec eux et ça permet de prendre aussi la parole en public. Parce que souvent les jeunes aussi
dans la communication, ils ont un peu de mal avec ça. Certains sont très à l’aise et d’autres ne
peuvent pas parler avec tout le monde. Les sports collectifs, le sport c’est un très bon outil,
euh les ateliers, les ateliers parce que du coup ils sont en groupe restreint, donc ça permet une
autre prise en charge, ça n’a rien à voir avec le sport collectif car ils sont tous ensemble.
Tandis que dans les ateliers ils sont à deux maximum trois avec l’éducateur technique et ça
permet de communiquer autrement par apport à ce qu’ils sont par apport à l’intérêt qu’ils ont
pour l’activité ou ce qu’ils ont fait le week-end. On récolte pas mal d’infos.

E : Est-ce que les jeunes disposent d’outils au CEF pour communiquer une demande ?

P : Ouais il y a le cahier des suivis des jeunes, les bilans mensuels du jeune, comment ils se
comportent par rapport au quotidien, dans l’accompagnement, par rapport à où est ce qu’il en
est au niveau de l’insertion, au niveau professionnel, au niveau familial. Chacun a son cahier
attitré.

E : Quel sont les freins de la communication ?

P : La capacité aux jeunes de comprendre ce qu’on lui dit, ça peut être un frein. Il y a aussi
l’état mental et psychique du jeune c’est-à-dire s’il se lève le matin il est pas content, il a
passé une mauvaise nuit, on pourra utiliser toute la bienveillance qu’on veut le jeune il va être
fermé et c’est à nous aussi de s’adapter et de revenir vers lui quand il faut. Les freins c’est
plus de l’ordre mental et contextuel. Selon le contexte des fois on peut communiquer avec le

66
jeune et d’un coup il y a un blocage alors c’est peut-être parce qu’on a dit quelque chose qu’il
ne fallait pas ou quelque chose qu’il n’a pas compris. Ça va aussi de l’ordre de la
compréhension de certains.

E : Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de ne pas réussir à communiquer avec un jeune ?

P : Ho Oui

E : Alors si oui pourquoi ?

P : Dans des situations difficiles, des fois les insultes c’était tellement trop que c’est moi qui
est demander l’intervention d’un tiers. Il ne faut pas rester sur un conflit ou une prise de tête et
de se dire « ah bah je ne lui parle plus » nan il faut être capable de revenir vers lui.

E : Comment tu fais pour revenir vers l’autre ?

P : Juste en prenant du recul, parce que tout le temps on se remet en question on se rappelle
des missions de notre travail et on se dit que voilà, s’il insulte, il n’insulte pas l’homme ou
l’éducateur, il insulte l’institution euh je ne pense pas que les jeunes ont des problèmes avec la
plupart d’entre nous humainement en tant que personne. Voilà, donc il faut être capable aussi
de se le dire ça. Il faut se remettre en question de prendre du recul et de revenir vers le jeune.
En s’excusant quand on a commis une faute ou si on n’a pas commis de fautes en l’amenant
vers une prise de conscience.

E : Ok et dans ma dernière question est ce que tu connais et t’appuies sur des concepts
théoriques ?

P : Sur la communication ?

E : Oui

P : Là tu me prends de court, j’en connais, j’ai des noms mais là je ne les ai pas.

E : OK

P : En fait je sais je me suis déjà penché sur le sujet et je sais qu’il y a des gens qui ont fait des
livres et tout ça mais je n’ai pas d’auteurs en tête et même des comment dire des professeurs.

E : Et au CEF est ce que vous avez eu des formations sur la communication ?

P : Oui j’ai fait des formations avec OMEGA c’était sur la gestion des conflits et en fait dans
cette formation on a beaucoup parler de communication.

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E : A quelle place ranges-tu la communication dans notre métier ?

P : A la première bah oui en fait je dis toujours on est payé pour parler donc si on dit que ce
n’est pas de la communication. C’est comme la création du lien tu n’arrives pas un matin et tu
fais un clin d’œil au jeune et puis il te fait confiance, nan c’est du boulot. Quand tu
l’accueilles il va falloir parler avec lui, le rassurer, répondre tant bien que mal à ses questions,
c’est de la communication. Donc pour moi c’est la base de notre métier la communication.
Avec les adultes aussi ce n’est pas évident non plus mais bon c’est de la communication,
toujours, les réunions c’est de la communication, le matin c’est de la communication, aller
chercher le pain c’est de la communication, tout passe par la communication.

E : Bon bah je te remercie d’avoir répondu à mes questions

P : De rien, merci à toi

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Annexe 5 : Entretien avec un adolescent accueilli au CEF

Dans l’après-midi j’ai présenté le but de mon questionnaire et je lui ai demandé s’il acceptait
d’y répondre, le jeune accepte. En fin de soirée je monte à l’internat avec le jeune pour faire
le point sur ses affaires avant le départ en séjour et pour mon entretien de recherche. Le
jeune m’a souhaité la bienvenue dans sa chambre, me laissant entrer la première, c’était la
première fois que je rentrai dans la sienne. Je m’installe à côté de son bureau de façon à
pouvoir écrire et de le regarder. Il m’offre des bonbons et insiste pour que j’en prenne
pendant l’entretien par signe de respect pour lui. Il met également un fond de musique,
l’entretien durera une trentaine de minutes.

Etudiante : Si je te dis le mot communication à quoi ça te fait penser ?

Martin : Aux relations, on parle entre nous à plusieurs, et aux façons de parler. Moi je
n’accepte pas le manque de respect, je veux bien laisser une fois mais la deuxième fois ça part
en couilles.

E : ça part en couille c’est à dire ?

M : C’est-à-dire, c’est-à-dire

E : Comment tu fais pour formuler une demande ?

M : Je vais m’adresser au chef de service ou à mon référent. Ici au CEF on peut facilement
communiquer avec les chefs de service, dans mes anciens foyers il fallait s’adresser aux
référents qui allaient eux transmettre l’information et parfois ça pouvait prendre du temps. En
plus je ne voyais pas souvent le chef de service. Alors qu’ici c’est différent on voit qu’ils sont
présents, regarde par exemple le directeur il est assez proche, il vient nous dire bonjour tous
les jours, ça se voit qu’il travaille avec le cœur.

E : Comment tu communiques avec les autres jeunes ?

M : On parle et quand je ne veux pas parler je ne leurs parle pas. Des fois j’esquive les
problèmes, parce que je peux me retrouver dans l’embrouille et c’est ce qui m’a amené là.
Maintenant je ne veux plus de problème car ma juge elle m’a bien dit que je partais en prison
sinon.

E : Comment tu communiques avec ton référent ?

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M : On a une bonne communication, on parle t’as vue.

E : Comment tu communiques avec le directeur ?

M : Chaque jour, quand il me demande comment je vais, quand il me conseille, quand on


parle de mon avenir t’as vue.

E : A quoi ça sert la communication ?

M : Quand tu arrives dans un nouvel endroit ça sert pour t’intégrer et pour t’accueillir après.

E : Est-ce que tu adaptes ta communication ?

M : Comment ça ?

E : Comment dire, euh par exemple est ce que tu t’adresses différemment entre moi et ton
oncle ?

M : Oui chacun sa place, toi tu t’appelles Fanny et tu ne me parles pas à moi comme tu parles
à ta mère ?

E : Je ne vois pas très bien ce que tu veux dire

M : Moi tu as vu il n’y a pas de monarchie chez moi j’ai une certaine façon de parler, ça veut
dire je m’adresse à toi de la même façon que je m’adresse au directeur, qu’à ma juge. Moi je
fais une différence entre le cercle familial et extérieur. En famille je dois être respectueux
c’est la base tu vois, je ne peux pas dire par exemple « je m’en bas les couilles » chez moi tu
ne dis aucun mot de travers c’est carré. Et dans le monde extérieur tu peux rigoler faire des
blagues utiliser des mots plus familiers. La famille et le monde extérieur je peux le comparer
comme le noir et la lumière ?

E : Comment ça le noir et la lumière ?

M : Et bien il ne se croise jamais c’est soit l’un soit l’autre, genre l’un il est dans la lumière et
l’autre il est dans l’ombre.

E : Qui est dans l’ombre le monde extérieur ou la famille ?

M : La famille

E : Ah ouais mais c’est triste du coup l’ombre nan ?

M : Non, chacun sa place dans la famille

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E : Est ce qu’il t’est déjà arrivé de ne pas réussir à communiquer avec quelqu’un ?

M : Oui, avant je ne parlais pas, j’étais triste et stressé, maintenant j’essaie de me canaliser,
parce que avant j’étais très violent.

E : Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus ?

M : Genre c’est comme la locomotive elle met du temps à chauffer et à avancer et le TGV il
part très vite et d’un coup et bien j’étais un peu comme ça. Avant je n’avais pas de rythme, si
tu rattes l’ouverture c’est mort. C’est important d’avoir un rythme, là je suis content d’en
avoir retrouvé un, chaque matin je me réveille à huit heures et c’est bien.

E : Est-ce que pour toi ne pas parler c’est communiquer ?

M : Si tu communiques des fois tu vas blesser les gens, garder les choses pour soit c’est bien
pour ne pas les inquiéter.

E : Est-ce que pour toi le tchèque du matin et le soir ça fait partie de la communication ?

M : Ouais c’est le respect c’est la base t’as vue.

E : Qu’est-ce que tu attends de ton éducateur référent ?

M : Rien, qu’il soit correct avec moi, qu’il réponde à mes demandes s’il peut.

E : As-tu des relations différentes avec les éducateurs ?

M : Oui avec deux professionnels ça ne passe pas, la chef de service parce que elle m’a appelé
alors que j’étais occupé et elle m’a laissé en plan pour aller faire quelque chose. Donc c’est un
manque de respect et une stagiaire éducatrice car elle s’est incrustée dans une discussion et ça
ne se fait pas. Par ce qu’en fait j’avais envie de parler à un éducateur en particulier et elle
insistait pour rester et elle s’est interposée dans notre sujet et ce n’était pas à elle que je
parlais. Donc pour moi c’était des manques de respect. Après moi si on m’adresse des insultes
c’est mort ça ne passe pas sur tout si c’est contre ma famille et ma mère. Là je peux partir
directe en mode TGV.

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NOM : CAMPAS Prénom : Fanny Année : 2018-2021

Formation : Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé

Titre : Les changements de modes de communication sont un outil au service de la


relation éducative avec les adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé

Mots clés : changement, communication, relation éducative, adolescence, délinquance,


Centre Educatif Fermé

Résumé :

La réflexion de ce mémoire a porté sur les changements de modes de communication


des adolescents délinquants en Centre Educatif Fermé et, notamment, sur la mission
d’accompagnement de l’éducateur spécialisé dans la relation éducative.
La question des enjeux de la communication a fait l’objet de ma phase exploratoire.
J’ai pris appui sur mes observations et expériences de terrain ainsi que sur des références
théoriques pour apporter un éclairage et aboutir à la question de départ : Quels sont les
enjeux de la communication, dans la relation socio-éducative, auprès d’adolescents
délinquants en Centre Educatif Fermé ?
J’ai articulé ma recherche en développant la présentation du Centre Educatif Fermé et
du public qui y est accueilli, les adolescents délinquants, pour mettre en tension ce qui
interroge ma pratique professionnelle et ce qui se joue dans la communication au
quotidien chez ces jeunes.
J’ai, par ailleurs, confronté mes connaissances à différents apports théoriques et
conceptuels sur l’adolescence et la délinquance, la notion de choix dans le changement de
modes de communication et sur la relation éducative.
J’ai réalisé mon travail d’enquête en effectuant des entretiens de recherche. Mon
cheminement réflexif s’est appuyé sur des lectures d’auteurs qui ont effectué des
recherches sur la communication, sur des théories provenant de différentes disciplines.
Afin d’élaborer l’hypothèse de travail, l’analyse des entretiens de recherche vient
enrichir les apports théoriques avec les éléments recueillis du terrain. Les modes de
communication peuvent être qualifiés de « stratégie » de la part de l’éducateur spécialisé
alors que le jeune choisit de changer de modes de communication sans en saisir les
enjeux.

Centre de formation : ARIFTS Site Angevin

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