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Épines Infernales » 
Un auteur, une œuvre

Il a pour titre « Épines infernales »et pour auteur, Salem Abdallah Mohamed. Il, c’est ce recueil de poèmes
qui vient de paraître aux éditions « Soleil Levant » et disponible à prix abordables dans les librairies de la
capitale. Qui est ce jeune poète et de quelles épines nous parle son ouvrage?
À la découverte d’un poète et d’une œuvre qui charrie de scintillantes pépites de la poésie du désert.

Salem Abdallah Mohamed, enseignant depuis une quinzaine d’années, est né en 1985 à Djibouti-ville et
grandit au sein d’une famille où l’amour de l’art est inscrit au code génétique. Avec grand-père maternel
chanteur-compositeur, flûtiste à ses heures perdues, des parents jeunes, citadins et de surcroît, contaminés
par la fièvre du reggae des années quatre-vingt, le jeune Salem connu une enfance naturellement baignée
de l’art et de la poésie. Il apprit donc à égailler des mélodies dès sa tendre enfance comme on apprend à
respirer. Môme, il étonne par la puissance de sa voix et surtout sa « mémoire de cheval » qui lui permet
d’enregistrer à la volée. Son enseignant de CP le remarque et le fait monter sur le podium à l’âge de six ans
pour chanter devant ses camarades. Le jeune garçon a un don pour dompter le podium et dominer le trac.
Il sera ainsi constamment sollicité pour psalmodier les versets coraniques ou reprendre,a cappella et sans
dissonance, des morceaux à couper le souffle. Et fait de la scène sa passion qui l’accompagnera tout au
long de son cursus scolaire. Le jovial artiste occupe le premier plan aux sketches, chants et théâtres
organisés dans le cadre des activités parascolaires et les centres de développements communautaires. En
2002, il présente aux théâtres des salines, puis au palais du peuple, une chanson que le chanteur Adam
Baxa avait composé en l’honneur des festivités de l’indépendance nationale. Épris de liberté comme peut
l’être tout poète dans l’âme et comme l’ont été tous les poètes du désert, il se dirige vers un métier qui lui
permettrait de donner libre cours à son imagination et offrirait en même temps un terreau fertile pour la
créativité. Il devient enseignant par choix. En 2006, alors élève-maitre au CFPEN (Centre de Formation du
Personnel de l’Éducation Nationale), il monte une troupe artistique qui se reproduit au CFPEN et au et
CCFAR (Centre Culturel Français Arthur Rimbaud). En 2010, Salem est encore une fois sollicité pour
participer à la fête de musique aux côtés de la troupe musicale "Lokki Band" sur l’esplanade du palais du
peuple, enchaîne une tournée à Dikhil où il chante des chansons qu’il a lui-même composées. Auteur
prolifique, il écrit des poèmes en chapelet et son répertoire artistique s’élargit, en chants et en sketches qu’il
écrit en Afar, en Français et en Somali pour un combat qu’il a décidé de mener, celle de la lutte contre
l’obscurantisme de tout bord et la promotion de ce qui a la vertu d’élever l’Homme.
Habité par la poésie
Pour Salem, la poésie est un moyen de se libérer, d’échapper à laideur de l’existence humaine, c’est un
raccourci qui mène vers le « cosmos de la pensée » où l’homme, à la manière des dieux de l’Olympe, refait
le monde grâce à l’alchimie des mots. « Épines Infernales » est le carnet de ce voyage allégorique que le
poète a décidé d’entreprendre très tôt et qui l’a fait visiter les abysses de la vie, les méandres de la stupidité
humaine, les cimes de l’esthétique. Comme le souligne la note de l’éditeur, sous la plume de Salem, la vie
est assimilée à ce tas d’épines dont chaque dard pique, chaque piqûre secoue, réveille en même temps
qu’elle fait mal. Et l’auteur rappelle que les agents humains ont besoin de ces « piqûres de rappel », de cet
antidote pour tenir en équilibre et avancer, tel un saltimbanque, sur cette barre d’équilibriste qu’est la vie.
Sur le plan littéraire, c’est un recueil profond, qui se lit comme une véritable épopée à travers les dédales de
la vie. Un appel à la conscience, un cri de désarroi, une invitation aux valeurs morales aujourd’hui en
désuétude, la droiture morale, la persévérance, la loyauté…Une énième piqûre pour stimuler une
conscience avachie par une époque où la déviance morale s’est substituée aux bonnes mœurs. Du point de
vue artistique, on y trouve une mosaïque de styles qui allie rime, rythme et sens dont la combinaison fait la
féerie de la poésie. Ici se côtoient, se mêlent et s’entremêlent périphrases et anaphores; là, métaphores et
comparaisons, maniées avec une grande dextérité, peignent les frasques contradictoires de la condition
humaine. Les titres éloquents, aux allitérations sonnantes, happent le lecteur vers un univers intense où
l’auteur livre parfois des vérités crues, brutales. Les bassesses humaines sont dénoncées, le ridicule social
mis à nu, l’absence de vergogne, décriée. Dans le fond, c’est un ouvrage dont le message, didactique au
demeurant, est résolument tourné vers le lecteur et sur lequel l’influence d’un magister, mû par le désir de
« transmettre », pèse de tout son poids. De bout en bout, l’auteur essaye d’attirer l’attention sur le temps qui
passe, l’amour qui fuit, la jeunesse qui se fane, la mort qui guette…Et encourage le lecteur à savourer la vie
« avant que » le piège ne se referme sur nous, que le destin nous foudroie. Du haut de ses trente-quatre
ans, Salem prodigue des conseils que l’on retrouvait jadis chez nos sages, la rectitude, la noblesse de
l’âme, la prouesse…Par l’ardeur du verbe et la magie des mots, Salem vient d’associer sa voix à celle des
illustres paroliers du pays de Khamsin à l’instar d'Idriss Youssouf Elmi, Chehem Watta pour ne citer que
quelques-uns. Un auteur qui veut nous éviter les Épines infernales de la vie, une œuvre fluide et magnifique
qui mérite bien sa place sur la table de nuit.

Ali Houmed Ibrahim, Ottawa, janvier 2020

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