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Le fils de Margaret Thatcher en Guinée-équatoriale

Les chiens de guerre pour reprendre le titre d'un best-seller de Frederick Forsyth. C'est ainsi
qu'on les a nommés. Les mercenaires. Ces hommes, d'anciens militaires la plupart du temps, qui
louent leurs services et leur savoir-faire à qui veut bien les payer. Ils ont longtemps sévi en
Afrique, là où les anciens colonisateurs ne pouvaient plus envoyer leurs armées officielles.
C'était le temps des affreux comme on les a encore appelé au Congo ou ailleurs. Soldats perdus,
aventuriers, militaire de fortune et même condamnés de droit commun, on trouvait alors de tout
chez ces mercenaires spécialiste en coups tordus et autres putsch. Et encore assez récemment en
2004 précisément, une équipe de chiens de guerre a tenté de chasser du pouvoir le président de la
Guinée équatoriale. Une étrange affaire ou ont été impliqué des personnages de premier plan
dont le propre fils de la dame de fer, Mark Thatcher. Monsieur X va y revenir longuement. Un
rappel toutefois avant d'écouter son récit. Selon notre mercenaire français le plus emblématique,
le célèbre et très controversé Bob Denard, le mercenariat serait le deuxième plus vieux métier du
monde. Effectivement on trouve la présence de ses soldats sans armée à toutes les époques.
Pour ne parler que de l'époque moderne citons les reîtres, les condottières, les corsaires, les
uhlans et même les gardes suisses du Vatican peuvent être considérés comme des mercenaires. Et
aujourd'hui ? Eh bien le mercenariat vit son âge d'or. Il existe de véritables entrepreneurs de
guerre qui font fortune en proposant par exemple leurs services aux armées de la coalition
présentes en Irak. Des milliers de mercenaires en général Anglo-Saxons sont ainsi engagés en
Irak et remplissent des missions dévolues en principe aux armées officielles. Une privatisation de
la guerre qui n'est pas sans inquiéter et qui fait débat en particulier dans les instances
internationales.
— La Guinée équatoriale minuscule état de 28 000 kilomètres carrés et de moins d'un
million d'habitants est un pays à la géographie aberrante.
— Aberrante c’est-à-dire ?
— Ben elle est composée de trois morceaux répartis dans le golfe de guinée sur des
centaines de kilomètres. Deux iles est un territoire continental coincés entre le Cameroun
et le Gabon.
— Ah oui alors cette absence de continuité doit poser pas mal de difficultés…
— Evidemment ! D'autant qu'il s'ajoute à cela des problèmes ethniques.
— Et ça c'est comme dans la plupart des pays africains…
— C’est juste. Alors pour simplifier disons que la grande majorité de la population
appartient à l'ethnie Fang. Mais l'île de Bioko est peuplée de Boubis et la coexistence
entre ces deux ethnies n'est nullement évidente. Et les Fang n'auront de cesse de prendre
l'ascendant à Bioko. Une île plus riche que le reste du pays et qui a longtemps produit un
excellent cacao. Bioko qui par ailleurs accueille la capitale de la guinée équatoriale
Malabo.
— Et politiquement alors ?
— La guinée équatoriale a longtemps était une colonie espagnole elle a accédé à
l'indépendance en 1968.
— Alors sous Franco donc.
— Oui. Mais à l'évidence le colonisateur a mal préparé cette passation de pouvoir. Et comme
ce petit pays ne disposait pas d'un leader charismatique, un Houphouët Boigny par
exemple, c'est un petit fonctionnaire qui est porté à la tête de l'Etat. Un certain Francisco
Macias Nguema. Cependant à Madrid on se rend compte que ce type ne fait pas l’affaire
et à peine six mois plus tard les espagnols fomentent un coup d'Etat.
— Afin d'éliminer là comment… Macias Nguema ?
— Bien sûr. Mais l'homme est plus coriace qu’on ne le pensait à Madrid.
— Est alors le coup échoue ?
— En effet. Première conséquence, les colons espagnols fuient en masse et l'économie
équato-guinéenne est décapitée. Deuxième conséquence, le président se tourne vers le
bloc de l’est.
— Il demande son assistance ?
— C’est ça. Et en même temps il procède à des nationalisations, qui effectués à tort et à
travers finiront pas ruiner définitivement l'économie. Face à cette situation
catastrophique le petit fonctionnaire se mue en dictateur féroce et sanguinaire.
— Ah oui pour sauver son pouvoir ?
— Naturellement. Car le mécontentement grandit et on estime que Macias Nguema va
éliminer physiquement entre 5000 et 10000 équato-guinéen, alors que le pays ne compte
à cette époque q’ un peu plus de 400 000 habitants.
— Et ça c'est énorme…
— Eh oui. Et parallèlement cent mille autres citoyens fuient vers l'Espagne ou les pays
voisins. Une véritable hémorragie.
— Ouais qui appauvrit encore un peu plus le pays.
— Et un pays qui est maintenant entièrement sous la coupe de Macias Nguema et son clan
car forcément le dictateur a confié à ses parents les postes les plus importants et donc les
plus rémunérateurs. Toutefois ses excès sanguinaire commencent à inquiéter et d'abord
les membres de son clan.
— Qui profitent pourtant de la situation.
— Ah oui mais qui craignent un jour ou l'autre un retour de bâton par conséquent un conseil
de famille se réuni au cours de l'été 1979. Et il est décidé de se débarrasser de ce parent
trop encombrant.
— Mais comment ?
— Oh c'est très simple. Un neveu Teodoro Obiang Nguema, commandant des forces de
sécurité fait arrêter le dictateur. Et après quelques semaines de détention et à un procès
expéditif il est purement et simplement exécuté.
— C'est effectivement très simple. Alors là la Guinée équatoriale respire ?
— Incontestablement ! Sur le plan intérieur car le nouvel homme fort met fin à la politique
de terreur. Et aussi sur le plan extérieur. Obiang tout en ne se brouillant pas avec le camp
de l'est, se rapproche de l'ouest et même de la France. La Guinée équatoriale adhère à la
zone Franc et choisi le français comme deuxième langue officielle.
— Oui sans doute à cause de sa proximité avec des pays francophones.
— Bien entendu. Cependant le nouveau président se garde bien de mettre en cause le
fondement même du pouvoir. C'est à dire la mise en coupe réglée du pays par son clan.
— Hum, le népotisme ?
— Et la corruption. Pour Obiang et les siens la Guinée équatoriale devient une sorte d’affaire
familiale, et bientôt on va s'apercevoir qu’Obiang ne fais aucune différence entre le trésor
public et sa cassette personnelle.
— Oh ce qui est le cas de pas mal de dictateur.
— C'est vrai vous avez tout à fait raison mais en l'occurrence c'est particulièrement
spectaculaire car ce petit pays va soudain devenir un très important producteur de pétrole
et les dollars vont couler à flot en Guinée équatoriale. Mais évidemment tous n'en
profiteront pas. Cependant avant de voir cela plus précisément un dernier mot sur la
situation politique. Le président Obiang vous devez le savoir est toujours au pouvoir.
— Oui mais ça fait donc plus d'un quart de siècle.
— Une sorte de record en Afrique. Seul le président Omar bongo dépasse cette longévité.
Alors comment le leader Equato-guinéen s'est-il débrouillé pour durer aussi longtemps.
Eh ben c’est assez simple en 1982 le conseil militaire qui est assez naturellement à sa
botte prolonge son règne de sept ans. Une période au terme de laquelle le pays doit être
doté d'une nouvelle constitution et où les citoyens seront appelés aux urnes.
— Et une promesse qui sera tenu ?
— Ben principe oui.
— Pourquoi cette réserve ?
— Parce que le président Obiang est élu à une majorité écrasante.
— Ça vous paraît louche ?
— Forcément. Et notez bien que malgré l'instauration du multipartisme sous la pression de
l'ancien colonisateur, tous les scrutins qui vont suivre seront remportés haut la main par le
parti d’Obiang.
— Alors quoi ? Les urnes ont été bourrées ?
— Bon c'est vraisemblable. En 2002 par exemple, le dictateur se fera réélire avec plus de
97% des voix .La fraude est d'autant plus facile qu’il n'existe pas de liste électorale et que
bien souvent il n'y a pas d'isoloir.
— On peut donc intimider directement les électeurs.
— C'est certain. En tout cas ces scrutins douteux vont irriter l'Espagne du socialiste Felipe
Gonzalez qui du coup va diminuer de moitié l’aide économique qu'elle apporte à son
ancienne colonie, parce qu'il n'y a pas que ces manquements à la démocratie. A partir de
la moitié des années 90 la répression s'abat sur les opposants qui sont arrêtés et
maltraités.
— Alors finalement le neveu reprend donc les méthodes de son oncle.
— Et en ce sens c’est son digne héritier. J’ajoute et ce n'est pas négligeable que dans les
années 80 de nombreux notables Equato-guinéen vont tremper dans le trafic de la
drogue.
— Quoi le pays produit de la drogue ?
— Mais non. Il devient une plaque tournante du trafic entre l'Amérique du sud et l'Europe.
Et ces responsables Equato-guinéens vont profiter de leur immunité diplomatique pour
transporter la cocaïne. Toutefois quelques-uns d'entre eux se feront quand même pincer.
Mais les membres du clan n'auront bientôt plus besoin de ce trafic de drogue pour
arrondir leurs fins de mois.
— Ah oui à cause de la manne pétrolière.
— Bien entendu. Alors voyons ça de plus près. La présence de pétrole offshore dans le
golfe de guinée semblait logique puisque cette zone se trouvait entre les gisements du
delta du Niger et ceux situés au large des côtes gabonaises. Mais euh, les premières
recherches effectuées dans les années 60-70 c'était pourtant révélées décevantes.
Toutefois au début de la décennie suivante de nouveaux forages démontrent qu'il y a du
pétrole au large de l'île de Bioko. Et bien sûr cela attise la convoitise de nombreux
pétroliers
— Desquels ?
— Eh ben d'abord les espagnols qui ont créé une société avec Obiang. Des espagnols qui
voudraient bien bénéficier d'un monopole de fait dans l'extraction du pétrole de la région.
Mais les français aussi sont intéressés puissent qu'ils exploitent déjà des champs
pétrolifères très proche et enfin les compagnies étasuniennes sont aussi sur les rangs et
c'est d'ailleurs l'une d'entre elles qui va commencer l'exploitation au large de l'île de
Bioko. Quoi qu'il en soit c'est le début d'une fabuleuse aventure pétrolière pour la petite
Guinée équatoriale.
— Fabuleuse vraiment ?
— Oui oui parce qu'on va trouver du pétrole un peu partout dans le golfe de guinée.
— Hu hum et dans des zones qui se trouvent dans les eaux territoriales Equato-guinéenne
alors.
— En effet. Et on va assister à un véritable boom pétrolier à tel point que la guinée
équatoriale devient le troisième producteur africain de pétrole offshore.
— Hum. Est ce que la croissance suit ?
— Oui oui elle est même faramineuse. 40% en 1996 50% 1997 et au moins 20% dans les
années 2000.
— Alors la Guinée équatoriale s'enrichit.
— Oui mais pas les Equato-guinéens. Tandis que la plupart d'entre eux vit dans des
conditions déplorables avec seulement 1 dollar par jour, les comptes en banque du
président Obiang Nguema gonflent démesurément à tel point que la célèbre revue
américaine Forbes a pu classer Obiang parmi les 100 plus grosses fortunes mondiales. A
peu près au niveau de la fortune de la reine d'Angleterre. Et l'existence de ce magot qui
ne cessait de grossir ne pouvait qu'exciter les convoitises et même au sein du clan
présidentiel.
— Dans l'excellent ouvrage collectif les nouveaux mondes rebelles paru en 2005 j'ai trouvé cette
analyse de la situation économique de la guinée équatoriale de 1995 à 2000 le PIB s'est accru de
400 %. L'ensemble des agrégats macroéconomiques connaissant une embellie similaires. Le PIB
dépasse désormais les 4500 dollars américains par habitant mais cette manne pétrolière s'avère
particulièrement mal répartie, à peine 2 % de la population en profitant pleinement selon
certaines études du fmi, le fonds monétaire international. Le pays est devenu un chantier
permanent : programme d'aménagement urbain à Malabo et Bata, extension du réseau
d'électricité dans tout le pays, travaux d'infrastructure divers, projets d'industrialisation mais sans
que la population n'en tire de véritables bénéfices dans sa vie quotidienne. En dépit de certains
engagements pris par le régime à la demande des bailleurs de fonds, annonce à l'été 1999, de la
création d'un comité de surveillance chargé d'assurer la transparence et l'efficacité de l'utilisation
des revenus ainsi que d'un fonds de réserve pour les générations futures, la gestion de la rente
pétrolière se caractérise par une forte opacité et la primauté du fait du prince. Jusqu'en 2001 les
statistiques exactes de production n'était jamais rendu publiques et les revenus pétroliers n'étaient
pas intégralement pris en compte dans le budget de l'Etat .Cette gestion patrimoniale au bénéfice
exclusif du clan dirigeant et la richesse de plus en plus ostentatoire que ses membres affichent
combinés au manque d'ouverture politique ne pouvait susciter que mécontentement et
frustrations au sein de la population. Les nouveaux mondes rebelles et publié par les éditions
Michalon.
— Il y’a d'abord ce qui se passe à l'intérieur du clan. Le contrôle de cette montagne de pétro
dollars, - 700 millions de dollars rien que pour l'année 2003 - fait des jaloux. Et la solidarité
tribale commence à se fissurer sérieusement. Et puis il y’a la perspective de la succession.
—La succession d’Obiang.
— Or régulièrement on prétend qu'il est malade
— Ah bon. Et c'est vrai ça ?
— Je ne sais pas. Mais de nombreux médecins étrangers veillent sur sa santé.
—Et il a quel âge alors ?
—Bon je crois qu'il a fêté l'an dernier ses 65 ans.
— Donc un homme encore dans la force de l'âge
— N'empêche qu'on spécule sur son état de santé
— Et on c’est qui ? C’est son entourage ?
—Bien sûr sa nombreuse famille, oncle, neveux frères et enfants car Obiang à plusieurs femmes.
Mais ce sont surtout ceux qui occupent de hauts postes dans l'armée où les services de sécurité
qu'il faut surveiller de près.
— Obiang est bien placé pour savoir quels dangers ils peuvent représenter.
— Naturellement. Il ya par exemple Agustina Dong Ona le demi-frère du président inspecteur
général des forces armées. L'un des plus proches conseillers d’Obiang. Que s'est il passé
exactement avec ce parent ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’après une dispute avec le fils
préféré d'Obiang, le turbulent Teodorino, ce demi-frère aurait fait deux tentatives de suicide.
— Il ne s'agirait-il pas plutôt de tentative d'assassinât ?
—Bon je vous l’ai dit, je l’ignore. En tout cas à la suite de ces événements, Agustina a quitté le
pays.
— Et où est il allé ?
— Oh selon la version officielle, il est allé se faire soigner en Espagne. Il est revenu quelques
mois plus tard au cours de l'été 2004 et il allé directement trouvé refuge dans son village. Depuis
il s'est bien gardé de faire parler de lui.
—C’était peut être plus prudent
—On peut le penser en effet .Mais si j'ai choisi de vous parler en particulier de cette affaire
—puisqu’il y’en a eu d’autre ?
—Plusieurs oui qui ne sont pas terminé de façon aussi paisible.
— Quoi des assassinats ?
—Euh de disparitions étranges, des maladies foudroyante, des accidents, une sorte d'épidémie
qui a frappé la caste dominante ces dernières années. Alors je reviens ce que je disais. Si je vous
ai parlé des malheurs de ce demi-frère du président c'est à cause de la date. L'année 2004.
—Et pourquoi précisément cette année là ?
—Ben parce qu'au mois de mars de cette année le régime du président Obiang Nguema va
connaître une importante entreprise de déstabilisation.
— Et vous pensez que cet Agustina aurait pu faire partie du complot ?
—Ah je ne l’exclu pas. Lui peut-être même d'autres membres du clan présidentiel. En tout cas la
coïncidence m'intrigue. Alors parlons maintenant de cette affaire de 2004. Une affaire qui n'a pas
encore livré tous ses secrets mais qui a été résumé d'une façon un peu trop abrupte à mes yeux
par l’expression argotique anglo-saxonne « Wonga Coup ». C'est à dire à peu près un coût pour
un tas de fric. C'est un journaliste britannique qui a ainsi intitulé un livre consacré à l’affaire.
– Il est donc d'abord question d'argent ?
— Essentiellement. Alors essayons d'abord de tirer les ficelles de cette sombre histoire. Il faut
d'abord parler d'un certain Servaas Nicolaas du Toit.
— Qui est ce celui là ?
— Du Toit qui a adopté un prénom plus anglo-saxon, Nick est un ancien officier de l'armée sud
africaine.
—Du temps de l'apartheid ?
—Oui ce baroudeur est ensuite devenu mercenaire au sein d'une redoutable unité le bataillon
Buffalo, appelé aussi bataillon 32.
—Redoutable avez-vous dit ?
—Cette unité aux méthodes expéditives était en effet chargée de lutter contre les opposants tant
en Angola qu’en Namibie.
—Avec l'assentiment du régime sud africain.
— Bien évidemment. A l'époque Pretoria. Donnait un coup de main à tous les mouvements anti
subversifs ou considérés comme tels. Mais la fin du régime de l'apartheid et l'arrivée au pouvoir
de Nelson Mandela ont condamné ce bataillon au désœuvrement. Et après sa dissolution nombre
de ses soldats, les blancs tout au moins ont essayait de rejoindre des officines de sécurité.
— oui est-ce que cas de ce Du Toit ?
— Non lui c'est apparemment rangé. Avec femme et enfants il s'est fixé à Pretoria et s'est lancé
dans les affaires en créant des sociétés de pêche industrielle, transport et bien sûr sécurité.
—Ah il n'a donc pas tout à fait rompu avec le mercenariat.
—C’est vrai. Et c'est un véritable problème pour le gouvernement sud africain.
—Pourquoi alors ?
—Parce qu'on va trop souvent retrouver des sud africains dans les sales coups perpétrés par ces
chiens de guerre sur le continent ou ailleurs. La fin de l'apartheid a mis sur le marché des milliers
d'hommes qui ont refusé de rejoindre l'armée nationale et se sont vendus au plus offrant. C'est
allé si loin que le gouvernement sud-africain a dû récemment adopter une loi anti mercenaires. Il
est désormais interdit aux citoyens de ce pays de travailler pour une société privée de sécurité.
Mais où on en parlera.
— Alors revenons à Du Toit.
—Volontiers. Au cours donc de l'année 2003 l'ancien officier du bataillon Buffalo envoie deux
émissaires dans des pays de l'Afrique de l'ouest et en particulier en Guinée équatoriale.
—Et quelle est leur mission ?
— Ils sont chargés d'explorer les possibilités d'investissement dans ces pays. Notamment dans le
domaine de la pêche industrielle mais j'ai des doutes sur la nature de la véritable mission de ces
deux hommes.
— C’est que ça cache autre chose ?
— Je le crois. Certes dans ces pays pour faire des affaires il faut s'assurer de protections
politiques. Mais là ces deux personnages font très forts.
— C'est-à-dire ?
— Grâce à l'entremise d'un ancien ministre, ils entrent en contact avec l'un des frères du
président Obiang Nguema et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit du patron de la sécurité d'Etat.
Armengol Ondo Nguema. Quoi qu'il en soit, cette première prise de contact semble si fructueuse
que Nick Du Toit décide de se rendre lui-même en Guinée équatoriale.
—Ah mais de quoi s'agit-il exactement ?
— Un mystère. Ecoutez la suite. Après avoir lui aussi rencontré Ondo Nguema, Du Toit repars
pour l'Afrique du sud et il se démène pour essayer de récolter des fonds.
— Et dans quel but alors ?
— Il entend créer une nouvelle société. La Triple Action Trading. Son objet social prévoit que la
nouvelle compagnie s'occupera de pêche, de transport aérien, d'agriculture et de toute autre
activité dans laquelle la société souhaiterait s'engager.
— Euh… Bref elle peut intervenir dans n'importe quel secteur.
—C’est à peu près ça.
— Et du toit trouve effectivement de l'argent ?
— Oui oui et l'un de contributeur s'appelle Simon Mann. Un type dont la singulière personnalité
donne l'une des clés de cette histoire. Enfin n’allons pas trop vite. Non je vous promets que je
reviendrai longuement sur le profil de ce personnage en tout cas. Grâce à ses fonds propres et
aux millions de dollars que lui apporte Simon Mann, Nick du Toit peut donc créer sa société
domiciliée à Pretoria. Et à l’ occasion d'un nouveau voyage à Malabo il propose à ses relations
équato-guinéennes de prendre 50% du capital.
— Ces relations c’est à dire le frère du président ? Là…
— Et cet ancien ministre qui a préparé le terrain, naturellement. Ces deux politiciens acceptent
l'offre de l'ancien mercenaire.
—Alors du Toit donc maintenant associé au frère du président Obiang, par ailleurs chef de la
sécurité de la Guinée équatoriale.
—Et en même temps il se lance dans une série d'achats : Un bateau et deux avions de transport
un Iliouchine et un Antonov.
—Ah… Peut-être qu’il n’est plus seulement question de pêche industrielle.
— Ca me paraît évident ! Mais c'est surtout le passé du personnel qu'il embauche qui étonne.
Tous sont d'anciens compagnons d'armes.
—Des mercenaires ?
— Exactement ! Et pour du Toit et il ne s'agit pas de venir en aide à des camarades en difficulté.
Non ce qui l'intéresse ce sont les compétences très particulières de ces hommes.
— Les sud africains ont fourni les plus gros contingents de mercenaires et a dit monsieur x
Pretoria a décidé de mettre un terme à cette activité qui portait tort l'image du pays. En témoigne
cet article du monde paru en 2006. L’Afrique du sud va mettre un terme définitif aux activités de
ses chiens de guerre. Une nouvelle fois là. Renforcer son arsenal législatif afin de ne plus voir
ces anciens militaires vendre leurs compétences à désarmer étrangères ou des sociétés privées de
sécurité. Depuis 1994 le gouvernement tente de remettre de l'ordre. Il a d'abord interdits les
compagnies privées comme la société « Executive Outcomes » qui s'était illustré en Sierra Leone
ou en Angola. Certaines ont depuis l'étranger continué à recruter dans le vivier sud-africain. Il se
trouve encore des candidats pour les postes certes dangereux mais rémunérateurs d'agents de
sécurité, de garde rapprochée ou de mercenaires à la solde du plus offrant. Et pas seulement dans
les rangs de l'ancienne armée. Les jeunes recrues des unités d'élite de l'armée ou de la police dont
les salaires sont bas sont tentées par l'aventure et l'argent proposé. Dès 1998 le pays s'est doté
d'une loi anti mercenaires qui s'est rapidement révélée inefficace. Cela n'a pas empêché les sud
africains d'aller travailler pour Laurent Gbagbo en côte d'ivoire ou de monter un coup d'état
déjoué contre le président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema il ya trois ans, sans
compter les quelques milliers d'autres entre 2000 et 4000 selon les sources qui travaillent
actuellement en Irak pour différentes compagnies privées. Les mercenaires sont un fléau dans les
pays pauvres. Ce sont des tueurs à louer a déclaré le ministre de la justice sud africain Lekota
devant le parlement mardi 29 août. Désormais plus aucun sud africain ne pourra travailler pour
une société privée de sécurité ni pour une armée nationale sans l'accord préalable du comité
national de contrôle des armes conventionnelles.
— Avant de poursuivre ce récit je tiens ma promesse. Alors qu'ils étaient ce Simon Mann qui va
jouer un si grand rôle dans cette histoire. Ce personnage appartient à la gentry britannique. Son
père capitaine de l'équipe nationale de cricket et propriétaire d'une grande brasserie a fait en sorte
de lui donner une éducation très distinguée : Eton puis la très réputée école militaire de
Sandhurst.
— La crème quoi.
— Et ce jeune homme qui a incontestablement une vocation d'officiers rejoint dès la sortie de
l'école scotch gold l'un des meilleurs régiments au service de sa gracieuse majesté mais il a soif
d'aventure et son incorporation dans cette unité aussi prestigieuse soit elle ne lui suffit plus. Alors
il passe les redoutables tests de sélection du spécial air service.
—Le SAS hein ! L'unité créé pendant la seconde guerre mondiale par Churchill je crois hein !
— C'est ça. Les SAS sont des hommes d'action un peu l'équivalent de notre 11eme choc ou le
SDECE recrutait ses agents chargés des opérations clandestines. Et aujourd'hui les SAS
s’occupent essentiellement de renseignements et de lutte contre le terrorisme. Et ça convient très
bien à Mann qui va servir en tant que commandant dans plusieurs pays : en Allemagne, à Chypre
en Amérique centrale et bien sûr en Irlande du nord. En même temps lorsqu’il se trouve à
Londres, ce jeune homme de très bonne famille a ses habitudes dans le plus vieux et le plus
huppé club de Londres.
— Gentleman et baroudeurs tout a la fois.
—Hé Tout à fait. Mais encore une fois Mann fini par se lasser de l'armée.
—Mais pourquoi ?
— La vie militaire lui paraît trop banale. Et en 1981 il doit avoir une trentaine d'années, il
démissionne.
—Et que va-t-il faire alors ?
—Mais il existe toute une période de sa vie qui reste assez mystérieuse. Mais il ne fait nul doute
qu'il a mené des opérations pour son propre compte. Et il a d'abord fait des affaires. Il a par
exemple vendu un logiciel inviolable mais très vite c'est un autre secteur qui l'attire.
— Le mercenariat j’imagine
—Et le domaine de la sécurité. Il va ainsi fournir des gardes à de riches arabes dont les terrains
de chasse écossais sont pillés par des braconniers.
— Ca me parait assez anecdotiques ça…
—D’accord mais Simon Mann ne va pas en rester là. Faut pas oublier qu'en tant qu'ancien
officier SAS, Mann à une incontestable compétence en matière militaire et dans la conduite des
opérations clandestines. Il a même une telle réputation qu'à l'occasion de la guerre du golfe en
1990 on lui demande de rendosser l'uniforme.
—Et il accepte ?
— Oui. Il rejoint l'état-major du commandant des forces britanniques à Riyad mais ce n'est
qu'une parenthèse dans sa vie aventureuse. Mann retourne vite vers le privé et en 1993 il crée
avec un homme d'affaires britannique la trop célèbre entreprise de mercenaires Executive
Outcomes.
—Pourquoi trop célèbre ?
— Pourquoi ? Parce qu’elle va être mêlée à des actions peu reluisantes mais très fructueuses.
—Par exemple ?
—En Angola. Cette compagnie de mercenaires est chargée de protéger les installations
pétrolières de Chevron-Texaco contre les attaques des rebelles de l'Unita.
— Ca c’est le mouvement armé de Jonas Savimbi.
—Hum Hum.
—Est pourtant j'imagine que cette guérilla pro-occidentale, celle de Savimbi, en tout cas opposé
au régime marxiste en place à Luanda, devrait plutôt avoir les sympathies de Mann hein.
— Certes certes mais les affaires sont les affaires.
—Ah oui.
—Et si vous me passez l'expression, les mercenaires de Simon Mann n'y vont pas avec le dos de
la cuillère. Ils attaquent les rebelles avec des bombes au phosphore.
— Du napalm quoi.
— Et ils mènent de véritables bombardements aériens contre les unités de Savimbi. C'est
d'ailleurs en partie l'action des mercenaires qui obligera le chef de l'Unita a s'asseoir à la table
des négociations en 1994. Quoi qu'il en soit, Mann se constitue une considérable fortune. Les
pétroliers étasuniens donc paient très bien !
— Et rubis sur l'ongle. Et puis ces succès obtenu en Angola lui amènent d'autres clients. La
Sierra Leone en proie à une terrible est quasi permanente guerre civile fait appel à ses services.
Pour l'occasion Mann crée une autre société avec un personnage emblématique du mercenariat.
Tim Spicer. Un homme qui aujourd'hui au service des états unis en Irak dirige une floraison de
compagnies de mercenaires.
—Mais Spicer enfin j’en ai entendu parler. C’est une sorte de légende dans ce domaine.
— En tout cas c'est le mercenaire le plus connu. Avant même Simon Mann le sud africain Mike
Horn un soldat de fortune qui a combattu au Congo pour le compte de moïse Tshombé. Toutefois
si vous le voulez bien on évoquera un peu plus tard le cas de cette nouvelle compagnie de
mercenaires fondée par Spicer et Mann. La Sandline International qui sera à l'origine d'un
considérable scandale international.
— En tout cas, si je vous ai bien entendu Simon Mann est maintenant très riche.
— Et il a investi une partie de sa fortune dans l'achat d'un château situé en grande Bretagne dans
le Hampshire plus précisément. Un château qui appartenait à la branche anglaise des Rothschild.
Mais il n'y demeure guère. Il met cette superbe résidence en location et part s'installer en Afrique
du sud avec sa troisième épouse et les trois enfants qu'elle lui a donné.
—Oui un peu la bougeotte non ? (manie de bouger, de voyager)
— C'est certain et c'est d'ailleurs ce qui causera sa perte.
— Mais n’est ce pas n'allons pas trop vite.
— Si vous précédez mes réactions maintenant.
— Pas vraiment. Ca été plus fort que moi.
—Simon Mann qui arbore maintenant une allure de respectable homme d'affaires a choisi
d'acheter une luxueuse demeure de style hollandais dans un quartier chic de la ville du cap. Il
semble s'être alors rangé. Il collectionne les objets d'art, va à la pêche, reçoit ses relations sud
africaine, toutefois en 2002 se place une curieuse parenthèse Mann va faire du cinéma.
—C’est sérieux ?
— Absolument. Simon Mann joue le rôle d'un officier parachutiste dans un film que vous avez
vu je le sais : « Bloody Sunday »
—Oui, le dimanche sanglant c'est l'œuvre de Paul Greengrass à propos du massacre en 1972 de
manifestants pacifiques irlandais du nord par une unité parachutiste. On en a parlé.
— Exactement. C'est Simon Mann qui joue avec conviction et beaucoup de vraisemblance le rôle
du colonel Derek Wilford.
—La vraisemblance je veux bien le croire, il devait être dans son élément après tout. Mais la
conviction ?
— Mann tout en considérant que les paras avait commis à Derry une belle connerie selon ses
propre termes.
— Et fait qu'obéir à des ordres
—C’est vrai. Mais Mann voulait en quelque sauvegarder l'honneur de l'armée et participer à sa
façon au processus de paix.
— Et donc à la reconnaissance de la responsabilité britannique dans ce massacre.
— C'est certain.
— Bizarre quand même pour un type qui n'hésitait pas à balancer des bidons de napalm sur les
rebelles africains qui menaçaient les intérêts pétroliers des grandes compagnies américaines.
— Je suis d'accord avec vous mais Simon Mann est à l'évidence un être complexe. Et surtout un
homme qui hait l’ennui plus que tout. Et c'est pourquoi ce type qui mène une vie confortable en
Afrique du sud entourée de l'affection des siens comme on dit ne va pas résister à l'appel de
l'aventure lorsque son ami Du Toit vient le solliciter en 2003. En outre il n'est pas exclu que
Simon Mann qui menait la vie à grandes guides ait alors connu quelques difficultés financières.
—Vous m’avez pourtant dit que ses activités de mercenaires lui avait permis de se construire à
une véritable fortune.
— Sans doute. Mais je ne peux pas vous en dire plus. Par contre ce dont je suis à peu près certain
c'est que cet homme d'action qui avait jusque là réussi dans tout ce qu'il avait entrepris, n'a pas
réellement pris la mesure des dangers qu'il allait courir en en s'engageant dans cette aventure
équato-guinéenne.
—Vous voulait dire qu'il a péché par incompétence
—Oui et puis sans doute aussi par cupidité. Après tout il s'agissait rien moins que de s'emparer
d'un pays.
—Et de ses richesses.
—Ses richesses colossales je vous le rappelle. Puisque le président Obiang Nguema était devenu
l'un des hommes les plus riches du monde. Mais c'est là ou Simon Mann m’étonne. Il n'a pas
compris qu’il tombait dans un piège et qu'on l'attendait lui et ses copains mercenaires.
— Un piège avez vous dit.
—Bien sûr. Car l’affaire était largement éventée avant même de commencer. Et ce n'est
nullement un hasard si on l’a laissé suivre son cours. Et avant même d'essayer de percer le fin
mot de l'histoire, il n'est pas indifférent de savoir qu'on allait aussi compromettre le fils d'une
importante personnalité britannique.
—Ah le fils Tacher.
—Lui-même. Et aussi quelques autres personnages de premier plan, mais reconnaissez que j'ai
déjà été long. Alors voyons la suite dans notre prochain entretien.
—Pour finir très provisoirement cette histoire je vous propose la lecture d'un extrait du portrait
d'Obiang Nguema publié par l'hebdomadaire jeune Afrique. Un journal qui il faut le préciser
d'emblée a toujours été très favorable au dictateur équato-guinéen malgré tous les excès son
régime. A écouter donc avec un certain esprit critique. Il reste néanmoins que ces lignes
laudatrices montrent un personnage parfaitement capable d'avoir imaginé le piège où allaient
tomber tous ces mercenaires qui voulaient l'abattre. Patient, Obiang Nguema avec le self control,
l'obstination est d'ailleurs l'une des principales qualités de cet homme aussi secret
qu'énigmatique, maître absolu depuis 27 ans d'une sorte de Qatar tropical, de ses sept cent mille
habitants et de ses 19 millions de tonnes de brut annuel. De la patience, il en a fallu pour
supporter pendant près de deux décennies les sarcasmes et la commisération de ceux qui
voyaient en cette ancienne colonie espagnole un cul de basse fosse au cœur des ténèbres oublié
de Dieu et des hommes et puis en 1995 le pétrole jaillit du fond de l'océan au large de Bioko
comme une manne céleste. Troisième producteur d'Afrique subsaharienne la guinée équatoriale
est depuis lors un émirat envié, courtisé, propice à tous les fantasmes et à toutes les convoitises.
Si les pétro CFA ont tourné la tête de certains de ses proches qui n'hésitent pas à exorciser le
passé avec l'arrogance clinquante des nouveaux riches, Théodore Obiang Nguema a su garder les
pieds sur terre. Intelligent, prévoyant, calculateur, l'ancien élève des bons pères de Bata,
catholique fervent et un brin prêcheur n'hésite pas à gourmander son peuple quand cela lui
semble nécessaire. Mais nulle allusion dans cet article complaisant à la fortune que le président
Obiang Nguema continue d'amasser.
On croyait leur époque révolue. Affreux, soldats de fortune, chiens de guerre, bref les
mercenaires. Après avoir longtemps sévi en Afrique, artisans de putsch improbable, bras armés
des dictatures ou chien de garde du pouvoir blanc ils semblaient avoir disparu. Mais ils ont refait
surface en 2004 à l'occasion d'une tentative de coup d'état en Guinée équatoriale. Les mêmes ou
presque. Le cuir un peu plus recuit et les réflexes ralentis mais ce sont dans les nouveaux conflits
Irak, Afghanistan que s'illustre - si j'ose dire- les nouveaux mercenaires. Ils sont par exemple
des milliers à Bagdad ou employé par les armées de la coalition. Ils assurent des missions de
sécurité et même exercent parfois des fonctions qui relèvent de la police comme des
interrogatoires de prisonniers. On assiste donc à une privatisation progressive de la guerre. Une
perspective qui inquiète de nombreux Etats et les organisations internationales. Mais revenons
d'abord à la suite du récit de monsieur x. La semaine passée il a commencé de parler de la
préparation de ce coup d'état en guinée équatoriale, un minuscule pays mise en coupe réglée par
le clan du président Obiang Nguema. Un pays fabuleusement riches depuis qu'on a trouvé du
pétrole au large de ses côtes et donc un pays qui attire de nombreuses convoitises. En 2003 un
ancien mercenaire sud africain, Nick du Toit crée une société dont l'objet social est en principe la
pêche industrielle et le transport aérien. Un autre mercenaire Simon Mann va bientôt lui apporter
une partie du capital et des membres du clan présidentiel dont un frère du président
équato-guinéen figureront aussi parmi les associés. Du Toit achètera un bateau, louera des avions
et il embauchera du personnel. Et parmi celui-ci, quelques hommes sont aussi d'anciens
mercenaires. Enfin des personnages britanniques de premier plan seront aussi de la partie, le plus
connu étant Mark Thatcher le fils de la dame de fer. Mais selon monsieur x tous vont tomber
dans un piège.
— Qui est réellement à l'origine du coup. Bof difficile de le dire précisément car après l'échec du
coup d'Etat les uns et les autres se rejetteront respectivement la responsabilité de l’affaire. Ainsi
Nick du Toit lorsqu'il sera interrogé par les autorités équato-guinéennes racontera une curieuse
histoire. Et ça mérite un petit retour en arrière.
—Ben je vous écoute alors.
—Alors qu'il se trouvait chez lui en Afrique du sud, Du Toit aurait été contacté par un certain
Greg.
—Quoi ? un type qu'il connaissait ?
— Ah pas du tout. Et Du Toit prétend qu'il n'a jamais su son patronyme. Il a simplement donné
une description physique de ce personnage mystérieux. 1m 80, la cinquantaine, le cheveu brun.
— C’est pas bien précis hein (rires).
—Ouais, je suis bien d’accord avec vous.
—Que lui veut ce Greg ?
—Eh bien il l'entretien d'un projet de putsch en Guinée équatoriale.
— Il fait appel à ses services.
—Evidemment ! Du Toit est un ancien des forces spéciales sud-africaines
— Du temps de l'apartheid
— Oui. Et il a une petite notoriété en tant que mercenaire
—Alors la réponse de Du toit là ?
— Ben toujours d'après ses aveux, il refuse. Il ne veut pas compromettre ses affaires en guinée
équatoriale.
— Cette société là qu'il a créée.
— Et qui seront en partie capitalisée par un important apport d'un autre ancien mercenaire Simon
Mann dont je vous ai longuement parlé dans la première partie de cet entretien.
— Enfin rappelons quand même pour les auditeurs qui n'auraient pas été l écoute le samedi
dernier que Mann ancien officier britannique SAS, il a fait fortune grâce à sa société de
mercenariat : Exécutive Outcomes.
—Une société qui était chargée en Angola de la sécurité d'une importante compagnie pétrolière
étatsunienne.
— Contre les rebelles de l'unita. Et m'avez vous dis Simon Mann n'a pas hésité à utiliser des
bombes au phosphore pour liquider ces rebelles.
— C'est exact. Et un peu plus tard après avoir gagné des millions de dollars, l'ancien officier
britannique a créé une autre société de mercenariat Sandline International avec Tim Spicer.
—Hu hum, ça c'est… celui là c’est un mercenaire très connu.
— Et presque une légende. Ici me permettez-vous une petite parenthèse.
—Je vous en prie je commence à être habitué hein (rires).
— Spicer ancien officier supérieur de la garde royale britannique, a été blessé lors de la guerre
des Malouines, puis il a dirigé des opérations spéciales dans plusieurs pays avant de quitter
l'armée en 1995 et de créer sa société de sécurité qui va d'abord agir en Papouasie nouvelle
guinée.
—Hu Hum et quelle mission ?
— Par la demande des autorités de ce pays, Spicer est chargé de neutraliser la rébellion. Un joli
contrat de plusieurs millions de dollars, ensuite c'est la Sierra Leone en proie à une interminable
guerre civile. La Sandline International est pour les rebelles qui la rétribuent en diamant.
—Hum
—Et c'est le scandale. Alors que l'ONU a placé le pays sous embargo, Spicer livres 35 tonnes
d'armements à ses clients. Le scandale est d'autant plus retentissant que dans cette affaire le
mercenaire a certainement bénéficié de l'agrément de l'ancien colonisateur britannique et même
de membres du gouvernement.
— Mais j'imagine que ça n'empêche pas Spicer de poursuivre ses activités.
— Bien entendu ! Il donne ensuite un coup de main à Mobutu avant qu'il ne chute puis c'est la
divine surprise de la deuxième guerre du golfe. Spicer qui a fondé une nouvelle société : 
« AEGIS » conclu le contrat du siècle avec l'armée américaine. Presque 300 millions de dollars.
Songez qu’AEGIS emploie 20000 personnes en Irak.
—Vingt mille mercenaires.
—Qui représentent la deuxième force militaire présente en Irak oui. Bien loin devant le
contingent britannique. Alors fermons si vous voulez bien cette longue parenthèse et
revenons-en au récit que fait Nick Du Toit devant les enquêteurs Equato-guinéen. Dans un
premier temps il refuse donc de se mêler de cette affaire de coup d'Etat mais le nommé Greg
revient à la charge et cette fois il est accompagné de Simon Mann.
—Et Simon Mann était une référence dans le petit monde des mercenaires.
— Par conséquent il est mis en confiance. Et il prête une oreille plus attentive aux propositions
de ce Greg.
— Hu hum ces propositions qui sont ?
—Ben ce qui intéresse Greg ce sont les contacts de Du Toit en Guinée équatoriale. C’est le
mercenaire converti en homme d'affaires qui serait chargée de déterminer les principaux lieux
stratégiques à Malabo la capitale mais aussi aux alentours.
—Des lieux alors qu’il faudrait investir.
—C’est ça ! Ensuite Du Toit devrait trouver des guides et des véhicules pour acheminer les
mercenaires sur ces lieux stratégiques. En outre on lui demande de recruter un certain nombre de
mercenaires parmi ses anciens compagnons d'armes.
—Ouais alors on propose donc à Nick Du Toit de jouer un rôle central.
—C'est vrai.
—Alors et en retour ?
—Simon Mann met un million de dollars sur la table.
—Ah c’est ce million qui m'avez vous dit la semaine passée va être investi dans le capital de la
société de Du Toit hein ?
— Et les deux compères ajoutent pour finir de convaincre le mercenaire que d'autres
investisseurs les rejoindront et qu’ils bénéficieront du soutien de hautes personnalités
britanniques.
—Alors est ce que tout ça suffit a décidé Nick Du Toit ?
— Oui oui il faut pas oublier que ce qui est en jeu c'est la manne pétrolière, qui jusque là tombe
directement dans la cassette personnelle du président Obiang Nguema.
— Hum…Tenez avant de poursuivre. Avez-vous une petite idée là de l'identité de ce Greg ?
—Non non mais je ne peux pas m'empêcher de penser que ce type était un agent.
— Appartenant à quel service là ?
— Un service occidental évidemment.
—Ouais d'accord mais lequel exactement ?(rires).
— La ce sont mes choix. Si vous n’y voyez pas d'inconvénient, c'est une question à laquelle je
préfère ne pas répondre tout de suite.
—Et des mystères.
—Et pourquoi pas.
—Alors autre interrogation vous avez parlé de cette manne sur laquelle ces mercenaires auraient
bien voulu jeter leur dévolu. Mais comment auraient-ils bien pu faire ? Ils ne comptaient quand
même pas s'installer au pouvoir à la place du président Obiang.
—Bien sur que non ! Ils avaient prévu leur coup depuis longtemps déjà un certain Severo Moto
réfugié en Espagne guignait la place et aspirer à remplacer Obiang.
—Mais un opposant sérieux ?
—Oui Severo moto un grand ami de la droite espagnole et du premier ministre Aznar avait
autrefois occupé de hautes fonctions avant d'être limogé et de devoir s'exiler. Les comploteurs
pensient donc à le placer à la tête du gouvernement équato-guinéen.
—Reconnaissant, celui ci les aurait fait bénéficier d'une partie de la rente pétrolière.
—Oui s'était en effet le plan qui était envisagé.
—Avec la complicité de l’Espagne ?
—Etant donné le rapport entre ce moto et Aznar…
—Aznar était toujours au pouvoir hein ?
—Ouais ce n'est nullement exclu d'autant que l'ombrageux Obiang Nguema entretenait des
rapports plutôt houleux avec l'ancien colonisateur Espagnol toujours accusé de se mêler de ce qui
ne le regardait pas.
—Hum…Et vous parliez là à l’instant d investisseurs disposés à entrer dans l’affaire.
—Et vous avez raison de parler d'affaires car c'est essentiellement de cela qu'il s'agit. Ces gens là
se moquent bien de l’aspect politique.
—Eux ce qu’ils veulent c’est faire de l'argent.
— Exactement ! Car certains n'hésitent pas à déclarer que la petite Guinée équatoriale et le
Koweït de l'Afrique. Alors les investisseurs, me demandiez vous ? Bah on trouve d'abord un
homme d'affaires multimillionnaire qui a fait fortune dans le pétrole nigérian. Ely Calil. Un
britannique d'origine libanaise qui est aussi un lobbyiste très influent. Ami et conseiller de cet
opposant équato-guinéen Severo Moto, il va jouer un rôle important dans la mise sur pied du
complot.
— Mais plus précisément ?
—Ben il use de ses relations dans les milieux politiques britanniques pour les convaincre qu'une
tentative de déstabilisation du président Obiang ne présenterait que des aspects positifs. Il
approche en particulier un ancien ministre de Tony Blair mais les conservateurs ne sont pas
oubliés un certain David Art, ex conseiller de Margaret Thatcher est aussi mis au courant et
dépose son obole. Pour information ce type a été l'organisateur des équipes de gros bras qui ont
cassé les grèves de mineurs dans les années 80.
— Ca veut dire en tout cas que beaucoup de gens sont informés de la préparation du coup d'état
hein ?
—Beaucoup trop oui. Enfin je poursuis. D'autres investisseurs sont aussi contactés. Un Lord
ancien numéro deux du parti conservateur. Cependant celui qui retient le plus l'attention c'est un
homme qui porte un patronyme célèbre puisque c'est le propre fils de Margaret Thatcher.
—Revenons un instant sur le mercenaire en chef le colonel Tim Spicer un homme toujours tiré à
quatre épingles qui engageait en Irak quelques vingt mille hommes aux côtés des américains. Et
voici à ce propos ce qu’écrit Steffen Armstrong journaliste au Guardian. L'avantage stratégique
pour le pentagone de travailler en étroite collaboration avec des sociétés comme AEGIS est
manifeste. L'impopularité grandissante de la guerre en Irak parmi les américains est
principalement dû au nombre croissant de victimes au sein de l'armée près de 2500 à ce jour, en
fait on sait maintenant qu'il y’en à trois milles, alors que les pertes d'agents de sécurité elles ne
sont pas enregistrées. En signant avec le pentagone AEGIS de son côté s'est hissé au premier
rang des acteurs britanniques de la bulle sécuritaire. Et plus loin le journaliste du Guardian écrit
ceci à propos du développement spectaculaire du mercenariat : Le secteur privé cherche
d'ailleurs à améliorer sa respectabilité. Les institutions financières de Londres n’ignorent pas
l'intérêt que cela peut représenter pour elles. Quasiment tous les jours Spicer rejette des
propositions d'investisseurs. La société compte aujourd'hui 1200 employés. Et comporte trois
départements chargés respectivement du renseignement, de la sécurité, et du soutien technique.
La plupart des agents de terrain sont d'anciens militaires mais le conseil d'administration
comprend un certain nombre de banquiers et le personnel inclut quelques journalistes, policiers,
ancien fonctionnaire de l'ONU et humanitaire. La société a des bureaux à Londres, Washington,
Kaboul, en Arabie Saoudite et au Népal mais c'est en Irak qu’elle est le plus présent.
—Attardons nous un instant sur Mark Thatcher, fils adoré de sa mère, toujours prête à lui venir
en aide. Quitte à provoquer des scandales. Et commençons par une anecdote révélatrice. En
1986 alors que la dame de fer s'apprête à se représenter devant les électeurs, Mark Thatcher
demande au porte-parole de sa mère ce qu'il peut faire pour aider à la réélection de celle-ci. Et il
obtient la réponse suivante : Exilez vous !
—Fichez le camp quoi ! C'est une vraie gifle. Il est donc si embarrassant que ça ?
— Oui oui. Et surtout sa mère qui a toujours satisfait ses caprices est incapable d'être objectif dès
qu'il s'agit de son fils bien aimé. Alors voyons ça de plus près. Mark qui a pourtant fréquenté les
meilleures écoles a complètement raté ses études.
—Un cancre ?
— Assurément. Se résignant à devenir comptable, il échoue trois fois à obtenir son diplôme.
Affublé du surnom de scratcher.
— Ah scratcher c’est le gratteur en anglais hein !
— C'est ça mais je ne sais pas s'il doit ce sobriquet à l'eczéma qui le démangeait ou à autre chose.
Enfin peu importe. En tout cas scratcher faute de bagage universitaire enchaîne les petits boulots.
Mais attention pas n'importe quoi. Grâce à l'entregent de sa mère il obtient des jobs très bien
payés. Il est par exemple représentant bijoux de luxe ou encore mannequin. Toutefois il sacrifie
rapidement à sa passion la course automobile. Employé à prix d'or par la petite écurie lotus, il se
lance ensuite lui même dans la compétition.
— Oui et le Paris-Dakar.
—C'est ça, vous avez une excellente mémoire mon cher.
—Enfin c’est quand même difficile d'oublier sa mésaventure dans le désert
—Ah oui Mark Thatcher s’est en effet perdu. Et pendant six jours sa mère fera tout ce qui est en
son pouvoir pour retrouver son fiston. A l'occasion on verra même la dame de fer écraser une
larme. Et Mark qui n'a pas eu un mot de remerciement pour ses sauveteurs algériens, osera dire
qu'il n'y a eu que deux événements importants cette année 82 : La guerre des Malouines et sa
disparition dans le désert.
— Et vaniteux avec ça.
— Alors bon je poursuis mais allons vite.
—Ah ça pour une fois.
—Je vous en prie. Après avoir couru les 24 heures du mans et fini deux fois dans le mur, il se
lance dans les affaires en tant que consultant. Toutefois curieusement dans cette nouvelle activité
marque semble surtout mettre ses pas dans ceux de sa mère.
—C’est-à-dire ?
— Margaret Thatcher effectue un voyage officiel à Oman. Quelques temps plus tard, un des
clients de son fils, une grosse société de travaux publics obtient le contrat de la construction
d'une université. Autre exemple : A l'occasion d'un autre contrat, la vente d'avions britanniques
Tornado à l'Arabie saoudite, Mark touche une commission de 12 millions de livres. Ca vaut à la
dame de fer d'être interpellée à plusieurs reprises à la chambre des communes.
—Ouais quand même, avec quel résultat ?
—Margaret Thatcher défend bec et ongles son fils. Et prétend même qu'il est tellement brillant
qu’il serait capable de vendre de la glace aux esquimaux et du sable aux arabes.
—Oui elle exagère là enfin bon elle l’aime. Il ne devrait donc ces commissions qu’a ses
exceptionnelles qualités commerciales.
— Ce que conteste tout ce qu'ils connaissent bien. Quoi qu'il en soit. Mark Thatcher multiplie
embrouilles et magouilles à tel point que résidant en suisse les autorités lui ordonne de quitter la
confédération. Il aurait en particulier vendu en toute illégalité des équipements militaires à l'Irak
de Saddam Hussein. Il aurait même était partie prenante dans la fameuse affaire du super canon
irakien imaginé par l'ingénieur Gerald Bull.
—Un homme qui a fini par être assassiné par le Mossad israélien.
— Ce qui montre que le projet n'était peut-être pas aussi fou qu'on le pensait. Mais ne nous
éloignons pas.
—Bon alors après la Suisse là, ou Mark Thatcher part-il ?
— Bah il s'installe au Texas où il va faire la connaissance d'une riche héritière.
—Qu’il va épouser ?
—Naturellement ! Et ensuite en délicatesse avec le fisc américain et un associé qu’il a roulé, il
pas pour l'Afrique du sud.
—Mais pourquoi ce pays là ?
— Ben là encore Marc suit les traces de sa mère, car la dame de fer a toujours été une grande
amie de l'Afrique du sud. Lorsqu'elle était premier ministre, elle a tout fait pour éviter au pays de
l'apartheid des sanctions économiques. Quant à son fils il a déclaré ouvertement qu'il était aux
côtés je cite : « Des blancs qui résistent ».
— C'est tout à fait clair ça.
— En tout cas en arrivant en Afrique du sud, Mark Thatcher achète une splendide demeure près
du Cap dans une sorte de ghetto de luxe pour blancs fortunés. Et c'est là où nous retrouvons le
film de notre histoire.
—Oui parce qu'on s'était un peu éloigné là. Et pourquoi là
—Oui parce qu'il se trouve que l'un des voisins du fils Thatcher s'appelle Simon Mann. Vous
commencez à comprendre ?
—Ah Ouais. Et Mann va demander à marc d'investir dans le coup d'état c'est ça ?
—Et Scratcher ne rechigne pas. Il va contribuer au financement à hauteur de 275 mille dollars.
Alors maintenant que vous connaissez les principaux protagonistes voyant le scénario prévu et le
début de l'exécution du plan. D'abord les comploteurs créent une nouvelle société qui sera
chargée de commercialiser le pétrole Equato-guinéen à la suite du coup d'Etat. Avec la
bénédiction de l'opposant Severo Moto qui prendra la tête du pays bien sûr.
—En tout cas c'est qu'ils y croient. Mais pour l'heure cet homme se trouve en Espagne.
— C'est pourquoi les comploteurs lui demandent de se rapprocher de la Guinée équatoriale. Cet
éternel opposant s'installe sous pseudonyme dans un hôtel des Canaries. Et il est prévu qu’au
jour dit, un avion l'emportera vers Bamako et ensuite vers la capitale Equato-guinéenne Malabo.
— Hu Hum, et sur le terrain alors comment ça se…
—Mais deux équipes doivent intervenir. D'abord celle de Nick du Toit qui a rassemblé une
équipe comprenant une quinzaine de mercenaires.
—Ben ceux qui doivent guider les autres jusqu'aux lieux stratégiques qu'il faut investir.
—Hum.
—Et la deuxième équipe alors ?
— Ben elle doit venir de Pretoria où le patron de l'opération Simon Mann a recruté une
soixantaine de gros bras. Tous des anciens du fameux bataillon 32. Une unité chargée sous le
régime de l'apartheid de combattre les mouvements de libération en Afrique australe. Autant de
mercenaires qu'il a sommairement et discrètement entraînés. Auparavant il a acheté via une
société domiciliée à Jersey un vieux Boeing 727 qui a déjà vécu plusieurs vies.
— Pour transporter ses hommes.
—J’ajoute que tous ces mercenaires pourvu de passeport sud-africains en bonne et due forme,
doivent en cas de pépin dire qu'il se rende en république démocratique du Congo où ils vont être
employés à sécuriser une mine de diamants. Le Boeing décolle donc sans encombre de Pretoria
et il est donc prévu que l'avion fera d'abord escale à Harare.
— La capitale du Zimbabwe. Et pourquoi ?
— Simon Mann s’y trouve. Il vient en effet d'y acheter de nombreux matériels militaires : Fusils
d'assaut, lance-roquettes, grenades, munitions etc. Et ces équipements doivent être chargés dans
les soutes du Boeing qui s'envolera ensuite vers la guinée équatoriale. Si les autorités de
l'aéroport se montrent trop curieuses le commandant de bord se contentera de dire qu'il avait
besoin de faire le plein de kérosène.
Hu hum d’accord, mais là le chargement de tous ce matériel militaire ne va peut-être pas passer
inaperçu.
—Et c'est pourquoi ce 7 mars 2004 le Boeing atterrit alors qu'il fait déjà nuit et gagne aussitôt
une piste réservée aux avions cargos. Mais c'est presque aussitôt la catastrophe.
— Quoi ?
— Les douaniers zimbabwéens demandent à monter à bord. Et ils ne tardent pas à découvrir
assis dans la pénombre de la cabine une soixantaine d'hommes au crâne rasé. Et encore plus loin
tassé au fond des armes automatiques, des bottes, des sacs de couchage. Presqu’immédiatement,
tout ce beau monde est arrêté. Et Simon Mann qui attendait sur le tarmac est luit aussi coffré.
—J’ai l'impression qu'ils étaient attendus non ?
—Ca me parait évident. Les douaniers disposaient de renseignements très précis.
— Revenons un instant à l'histoire de Mark Thatcher. En 1992 la possibilité de l'octroi d'un titre
héréditaire à Margaret Thatcher provoque une vraie tempête. Pourquoi ? A cause de la réputation
de son fils Mark. Un journaliste du point, Marc Roche donne l'explication suivante : Dans ce
royaume où les divisions sociales sont plus profonde qu’ailleurs, figurer sur la liste des honneurs
demeure l'ultime forme de reconnaissance, la source il remplaçable de respectabilité. Or voilà
que cette institution est sur la sellette. A l'origine de cette tempête, les rumeurs de l'octroi d'un
titre à l'ex premier ministre Margaret Thatcher. Son élévation à la paierie doit en effet figurer
dans la Queens honour liste du mois prochain. Rien là qui choque ! Mais voilà le titre est
héréditaire, et le flegme légendaire de la gentry a craqué un brin devant la perspective de voir un
jour son fils Mark siéger à la mort de sa mère parmi les Lords dit temporels. L'un des grands
seigneurs du royaume, le duc de Norfolk a écrit une lettre au Times dans laquelle il rappelle
qu'un titre nobiliaire doit encourager l'indépendance, les vues à long terme et surtout le code de
conduite. Allusion à peine voilée au passé trouble de Mark Thatcher. Ses liens commerciaux
d'antan avec le sultan de Brunei et la famille royale d'Arabie saoudite ont défrayé tout au long de
l'ère Thatcher et défrayent encore les potins de Westminster et les colonnes des chroniqueurs.
—Aussitôt après l'arrestation des mercenaires sur l'aérodrome de Harare, c'est la débandade.
Simon Mann réussi avant d'être appréhendé à utiliser brièvement son téléphone cellulaire et à
prévenir Nick du Toit, alors même que ce dernier venait de rassembler ses hommes et s'apprêtait
à se diriger vers l'aéroport de Malabo où il devait s'emparer de la tour de contrôle.
— Pour faciliter l'atterrissage du Boeing de Simon Mann.
—Et éviter les questions indiscrètes des contrôleurs.
—Et que dit cette courte, cette brève conversation ? que dit Simon Mann à son complice Du
Toit ?
— Vous pensez bien qu'il ne s'attarde pas donner des détails. Il dit simplement qu'il faut annuler
l'opération et il raccroche.
—Et que fait Du Toit lui-même ?
— Ben par radio il ne peut que demander à ses hommes d’aller se coucher et c'est ce qu'il fait
lui-même. Mais au petit matin les policiers équato-guinéens font irruption dans les chambres de
ces mercenaires et tous sont arrêtés.
—Ca c'est une nouvelle preuve qui indique qu'ils sont été donnés.
— Et que tant qu’à Malabo qu’a Harare on savait quel était leur mission.
— Et on les a pincés juste avant qu’ils ne passent à l'action.
— Et pratiquement en flagrant délit. A Las palmas aux canaries, on était prêt aussi.
—Mais Severo Moto.
—Ouais il séjournait là bas sous un pseudonyme transparent : « Molteno » et à l'heure dite
accompagné de son escorte de blancs…
— Encore des mercenaires ?
— Vraisemblablement ! Donc à l'heure dite il embarque dans un petit avion direction Bamako
comme il a été prévu. Mais heureusement pour ces hommes dès leur arrivée dans la capitale
malienne ils apprennent que le coup a échoué et immédiatement ces comploteurs sautent dans un
avion qui les éloigne au plus vite du continent Africain.
—Ils s'en sont plutôt bien sortis, ben il aurait pu se jeter dans la gueule du loup s’ils avaient
atterri à Malabo.
—Et le président Obiang se serait fait une joie d'accueillir son principal opposant avec les
honneurs dus à sa qualité.
— Et j’imagine en effet quel sort lui aurait été réservé s'il avait été capturé. Et, alors que se
passe-t-il ensuite ?
— En Guinée équatoriale le président Obiang triomphe et il entend exploiter au maximum cette
affaire. Lui qui a la réputation de dénoncer régulièrement des tentatives de coups d'Etat
parfaitement imaginaire, détient maintenant dans ses geôles de vrais comploteurs. Des hommes
qu'il est fermement décidé à faire parler par tous les moyens.
—Y compris la torture ?
— Cela va sans dire. Et d'ailleurs Nick du Toit qui connaît bien le système ne va guère opposer
de résistance.
— Il lâche tout ce qu’il sait alors?
—Parfois rapidement oui.
— Oui, mais au fond, il est assez raisonnable non ?
—Il n’a guère le choix s'il veut s'en sortir vivant. Il va même accepter de faire des aveux devant
les caméras de la télévision équato-guinéenne.
— Que déclare-t- il alors ?
— Après avoir mis en cause quelques-uns de ses complices dont Simon Mann, il affirme qu'il
n'était pas question de tuer Obiang Nguema mais de l'exfiltrer vers l'Espagne et du même coup
de le remplacer par Severo Moto.
—Hum, une sorte d’échange au fond. Un président contre un autre.
— Mais en même temps il accuse l'Espagne. L'Espagne du premier ministre José maria Aznar
qui aurait soutenu le mouvement.
— Et vous m’avez dit en effet que ce Severo Moto était un ami d’Aznar donc ça paraît assez
vraisemblable.
—Ah oui mais désolé sur ce point précis je n'en sais pas plus même si plusieurs autres
mercenaires arrêté à Malabo ont aussi déclaré qu'il pensait bénéficier de l'appui de Madrid.
—Ouais enfin sous la torture c'est vrai qu'on peut raconter n'importe quoi.
—Vous avez raison. Toutefois malgré ces aveux extorqués ou pas la justice équato-guinéenne va
frapper très fort. Tous les mercenaires arrêtés à Malabo écopent de lourdes peines de prison. Nick
du toit lui-même étant condamnée à trente sept ans de prison. Mais le procureur avait demandé la
peine de mort.
— Et les autres là, les mercenaires arrêtés à Harare ?
— Ils ont été traités avec beaucoup plus de clémence et ça s'explique aisément. Les magistrats du
Zimbabwe n’avaient à juger qu'une infraction à la législation locale sur les armes.
— Pas de complot.
— Par conséquent les 65 mercenaires découverts dans le Boeing de Simone Mann ne sont
condamnés qu'à 12 mois de prison.
— Et Mann lui-même ?
— Lui en tant qu'initiateur de cette affaire, il est condamné beaucoup plus lourdement. 7 ans !
Mais avant cette condamnation prononcée en septembre 2004 le mercenaire en chef a gaffé.
— Que voulez vous dire là ?
— Mann a très vite compris qu'il risquait gros et il fait passer clandestinement une lettre son
épouse. Mais…et ça éclaire de façon toute singulière cette affaire. Les services secrets sud
africains veillent et ils interceptent la lettre avant qu'elle n'arrive à destination.
—Et pourquoi les services sud-africains ? Je ne comprends pas.
— Un petit peu de patience je vous expliquerai. Ce qui est important c'est que cette lettre est un
vrai appel au secours Mann demande à sa femme de faire intervenir quelques puissants amis dont
ceux qui ont participé au financement de l'opération. Bien entendu les noms ne figurent pas en
clair et Mann utilise leur pseudonyme.
—Alors j'imagine scratcher pour Thatcher ?
— Par exemple. Et Sméli pour Calil ce richissime homme d'affaires britanniques qui par
parenthèse intéresse beaucoup un juge de chez-nous Renaud van Ruymbeke.
—Ah bon ! Pour quelles raisons ?
— Oh des histoires de pots-de-vin, pétrole, enfin peu importe. Dans sa lettre Simon Mann
sollicite aussi l'aide de cet ancien conseiller de Margaret Thatcher qui a été associé à la
préparation du coup d'Etat.
—Une observation d’abord là. Ces…ces pseudos, je pense surtout à scratcher, Thatcher c'était
quand même très très transparents.
—Oui et c'est justement Mark Thatcher qui intéresse les autorités sud africaines.
—Parce que c'est un résident sud-africain.
—Et étant donné la sympathique avait autrefois manifesté la dame de fer pour les dirigeants sud
africains du temps de l'apartheid il n'est pas exclu que les nouvelles autorités de Pretoria aient
voulu exercer une sorte de vengeance. Par conséquent Mark Thatcher est arrêté et inculpé.
—Sous quel chef alors ?
—Violation de la loi sud-africaine sur le mercenariat. Naturellement dès qu'il est sous les
verrous la Guinée équatoriale demande son extradition mais elle ne sera jamais accordée.
Toutefois scratcher a compris que la menace était sérieuse et pour éviter l'extradition il décide de
plaider coupable et donc de passer un accord avec la justice sud africaine.
—Est ce que sa mère est intervenu en sa faveur ?
—C'est certain. Et lors de son audition par la cour. Les… des petits malins ont accroché devant le
tribunal une banderole où l'on pouvait lire : « sauvé par maman ».
— Et comment s’en est il sorti ?
— En janvier 2005 après avoir passé cinq mois en prison Mark Thatcher a été condamné à une
très lourde amende et quatre ans de prison avec sursis.
—Oui mais à côté des condamnations des autres c'est plutôt clément.
—Et notez bien qui n'a pas levé le petit doigt pour leur venir en aide. Mais étant donné ce que je
vous ai dit du personnage ça ne vous étonnera pas.
— Il faut bien y venir la clé de tout ça.
— J’y viens. Tant à Londres qu'à Washington et peut-être même à Madrid nombreux étaient ceux
qui voulaient en finir avec Obiang Nguema.
—Des gouvernements vous voulez dire.
—Bien sur ! C’était de plus en plus difficile d'apporter son soutien à un régime aussi corrompu et
dictatorial. On n'ignorait rien des versements réguliers que le président Obiang effectuait dans
une banque étasunienne la Banco. C'est sans doute une coïncidence, Pinochet dissimulait une
partie de son magot. Et tout cela risquait de finir en scandale.
—Oui mais comment réagir.
—Ah il n'était pas question d'utiliser la force. Enfin directement en tout cas. Cependant laissé
faire des mercenaires pourquoi pas ? Et on pouvait même leur laisser entendre qu'on était
discrètement à leurs côtés.
—Hum tout cela sous-entend que ces gouvernements occidentaux savaient qu'un coup d'Etat se
préparerait.
—Evidemment ! Fin 2003 les services britanniques avaient reçu un rapport très précis sur la
préparation du coup.
— Un rapport qui venait d’où ?
— Oh il a été rédigé par un ancien militaire sud africain Johan Smith, qui jouissait d'une
excellente réputation dans les milieux de la sécurité.
—Voilà on pouvait donc se fier à son rapport.
—Tout à fait.
— Et malgré tous, ces gouvernements auraient laissé faire ?
—Oui.
—Alors pourquoi ce coup d'état mené par des professionnels quand même a-t-il échoué.
—Parce que les sud africains s'en sont mêlés.
— Ah ça mérite une explication.
— A Pretoria on en avait assez de ces mercenaires qui ternissent l image du pays. Et Pretoria a
décidé de donner un véritable coup de pied dans la fourmilière en faisant échouer cette opération.
Mais écoutez-moi bien. Je crois que le plus malin dans cette affaire, encore était le président
Obiang Nguema.
—Hum expliquez là.
—Averti de l'imminence d'un coup d’Etat.
— Par qui ?
— J'ai oublié de vous dire que ce Johan Smith qui a envoyé un rapport à Londres mais aussi à
Washington était le conseiller d’Obiang Nguema en matière de sécurité.
—Ah oui !
— En tout cas le président Equato-guinéen donc laisser murir le furoncle et puis au moment
opportun, il a tranché dans le vif et décapité le complot. Et pour lui c'était tout bénéfice, car ça lui
a permis de faire le ménage dans ses propres rangs et donc d'éliminer quelques personnages
indésirables jusque dans sa propre famille.
—Des gens qui voulaient être calife à la place du calife.
—Bien entendu oui.
—Donc au fond ces mercenaires lui ont rendu service.
— C'est ce que je pense. Je ne dirais pas que le chef d'état équato-guinéen était à l'origine de
l’affaire mais il a très vite compris le bénéfice qu’il pouvait en tirer. Et il a roulé tout le monde.
A commencer par ceux qui aux Etats-Unis en particulier, auraient bien voulu se débarrasser d'un
personnage encombrant. Mais le plus étonnant n'est peut-être pas là. Vous connaissez forcément
Frederick Forsyth.
—Ouais l'auteur du thriller.
—Dont le deuxième roman s'appelait les chiens de guerre. Un ouvrage devenu un best-seller et
qui racontait par le menu une tentative de coup d'état dans un petit pays africain qui ressemblait
beaucoup à la guinée équatoriale. Or les comploteurs de 2004 semblent avoir suivi presque à la
lettre le scénario imaginé par l'écrivain et c'est d'autant plus troublant que Forsyth lui même n'a
pas tout inventé.
— C’est-à-dire ?
— Et bien en 1973 il a participé financièrement et physiquement une tentative de coup d'état
contre l'oncle d'Obiang Nguema. Ce Macias qui était un tyran sanguinaire. Curieux mélange de
fiction et de réalité non ?
— Tout comme le récit de monsieur x ou parfois ses révélations semblent si étonnante qu'elles
paraissent relever de la fiction. En tout cas je vous recommande particulièrement un ouvrage tout
récent de Xavier Harel : « Afrique pillage à huis clos ». Un ouvrage paru chez fayard.

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