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Vingtième Siècle, revue d'histoire

L'immigration maghrébine en France


Un survol historique
Charles-Robert Ageron

Abstract
North African immigration in France : a historical overview, Charles-Robert Ageron.
The number of North Africans now living in France equals that of the Europeans present in North Africa at the end of the colonial
period. Starting from this " ruse of history ", the author recalls some obvious facts which seem to have been forgotten in the
present discussion on immigration. Until 1959, the massive importation of North African workers did not stem from calculations
of business leaders or French officials. Conversely, it was not only under-development, under-employment and overpopulation
which made so many North Africans cross the Mediterranean : imagination also played its role ; the call of the " paradise of man
" excited the social mobility of these people. Everything changed in the 1950s, when immigration became a family process of a
permanent nature and the French realized this alteration.

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Ageron Charles-Robert. L'immigration maghrébine en France. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°7, juillet-septembre
1985. Étrangers, immigres, français. pp. 59-70;

doi : https://doi.org/10.3406/xxs.1985.1182

https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1985_num_7_1_1182

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L'IMMIGRATION MAGHREBINE
EN FRANCE*

UN SURVOL HISTORIQUE

Charles-Robert Ageron

Aujourd'hui, le nombre des C'est un véritable challenge au sens de


Maghrébins vivant en France égale celui des Toynbee, « un défi de civilisation », que
Européens installés au Maghreb à la lancent aux dirigeants politiques et
fin de la période coloniale. Cette ruse économiques de notre pays la présence
de l'histoire excite Charles-Robert massive et l'enracinement progressif de
Ageron à dénoncer quelques mythes tenaces. la plus importante communauté étrangère
Non, il n'y eut calcul ni du patronat que la France ait jamais connue. Avec
ni des pouvoirs publics dans l'appel à près de 1 300 000 Maghrébins recensés à
la main-d'œuvre d'Afrique du Nord, la fin de 1979, la colonie nord-africaine,
jusqu'en 1959. Non, le compte tenu des immigrants clandestins
sous-développement, le sous-emploi et la et de son fort accroissement
surpopulation du Maghreb n'ont pas été les démographique interne, s'achemine, en 1985, vers
seuls mobiles qui poussaient ses pauvres le chiffre de 1 500 000.
à franchir la Méditerranée. Dans
Ce chiffre agit sur la mémoire de
l'imaginaire de l'émigrant, en revanche,
l'historien comme une révélation : tel était
gagner « le paradis des hommes » fut
aussi - se le rappelle-t-on ? - le nombre
un beau moyen d'émancipation. Tout
des Européens installés au Maghreb à la
a changé, il est vrai, dans les années
fin de la période coloniale. Par un
1950, quand l'émigration devint familiale
retournement saisissant de la perspective
et permanente. Mais, on le verra en
esquissée naguère par la colonisation, c'est
conclusion, ce survol historique est une
la France qui voit maintenant installées
dénonciation de bout en bout de
sur son territoire des populations
quelques inconséquences qui traînent
maghrébines d'une importance égale à celles
dans le débat actuel...
de sa tentative manquée de peuplement
colonial. Cette ruse de l'histoire, comme
L'immigration maghrébine fut eût dit Hegel, devrait fasciner tout esprit
naguère en France l'affaire de attentif au processus d'accélération des
quelques journalistes et de quelques évolutions contemporaines. Elle invite à
spécialistes : elle est devenue un des tout le moins à contempler de haut le
problèmes majeurs de la société française. processus d'immigration nord- africaine en
France. Il vaut peut-être d'en survoler
* Rapport présenté au colloque organisé par l'Association l'histoire, d'en détecter les causes, d'en
pour l'avancement des études islamiques, « L'Islam en Europe
dans l'époque moderne », Paris, 30 septembre - 1er octobre préciser les pulsations et les
1983. transformations, d'en rappeler enfin le climat

59
ARTICLES

Mais le mouvement migratoire fut alors


psychologique.
nécessairement
mythes ou des Une
phantasmes
critique
approche
à les
l'égard
historique,
plus des très limité : à peine 10 000 ouvriers pour
toute la période antérieure à la première
courants, peut permettre un diagnostic plus guerre mondiale (1904-1914). Durant
exact. A elle seule, elle ne saurait inspirer celle-ci, il va sans dire que les pouvoirs
de justes réponses aux « défis » que pose publics, qui recrutaient de la main-
et posera à la France la constitution sur d'œuvre jusqu'en Chine, n'hésitèrent pas
son sol d'une minorité nationale non à exiger de l'Algérie, du Maroc et de la
européenne et musulmane. Tunisie, des travailleurs « volontaires »
Un phénomène social d'une telle ou requis. L'administration a cru pouvoir
ampleur et d'une durée aussi longue ne en 1919 surévaluer jusqu'à 132 321 le
saurait, a priori, s'expliquer par une cause nombre des travailleurs nord- africains
unique. Aussi bien certains auteurs employés en France de 1914 à 1918 -1.
insistent-ils sur l'importance primordiale des Malgré des rapatriements autoritaires,
facteurs psychologiques, tandis que quelque 36 000 ouvriers recensés
d'autres, les plus nombreux, donnent la demeuraient en France en 1921.
priorité aux phénomènes économiques.
Certains soulignent que l'émigration est Le mouvement ainsi créé, facilité par
due avant tout à l'appel des industriels la liberté absolue des départs en France
français pressés d'utiliser à bon compte (depuis la loi du 14 juillet 1914), fut
la force de travail des Maghrébins ; désormais assez fort, semble-t-il, pour
d'autres, qu'elle a pour mobile essentiel que les industriels, bien qu'en quête de
la volonté d'hommes acculés, au départ, main-d'œuvre pour la reconstruction,
par la misère ou le sous-emploi. Quelques n'aient pas songé, sauf exceptions
spécialistes parlent de l'écoulement naturel individuelles, à faire venir spécialement des
d'un trop plein démographique vers des travailleurs maghrébins. Ils préféraient en
zones à faible densité de peuplement ou effet employer des ouvriers italiens,
de natalité. Des politologues enfin espagnols, polonais, jugés plus performants.
insistent sur la permanence de la décision Durant l'entre-deux-guerres, les
politique : longtemps, l'Etat colonisateur gouvernements successifs, de leur côté,
aurait réglé à sa convenance « s'employèrent plutôt à restreindre l'arrivée de
l'importation de travailleurs coloniaux » ; plus travailleurs maghrébins qu'à faire procéder
tard, les Etats maghrébins indépendants, à de nouveaux appels de main-d'œuvre.
soucieux d'écouler leurs chômeurs, Sous divers prétextes juridiques ou
s'occupèrent, discrètement ou non, de faciliter sociaux, l'administration française, en
leur entrée et leur séjour en France. Face exigeant carte d'identité, cautionnement,
à ces divergences d'interprétation, peut- visite médicale, contrat de travail,
être revient-il à l'historien de rendre pour décourageait de son mieux les départs vers la
chaque période un jugement motivé.

O L'APPEL DE LA MÉTROPOLE ? Marocains


1. Soit —78 chiffre
556 Algériens,
taux à l'évidence,
18 249 Tunisiens
puisqu'ilet correspond
35 506 (?)
à la somme des embarquements pour la France, compte non
Que les tout premiers travailleurs tenu des voyages successifs des mêmes travailleurs ; 10 à
algériens soient venus à l'appel d'employeurs 15 000 semble un chiffre plus proche de la réalité. Ces
chiffres ont été seuls retenus par le Rapport Laroque et
métropolitains, cela ne fait aucun doute. Olive sur la main-d'œuvre nord-africaine en France (1937).

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LES MAGHREBINS

ampleur toutes les prévisions4. Il fallut


métropole
peu
guerre
de elle-même
recrutement2.
d'ouvriers
ne nord-africains1.
provoqua que trèsLa même tenter de freiner les arrivées (tel
est le sens de l'accord franco-algérien du
Ce fut seulement après la seconde 10 avril 1964). Un nouvel accord du
guerre mondiale qu'apparut l'idée d'une 27 décembre 1968 autorisa au contraire
politique d'immigration raisonnée. La un contingent annuel de 35 000 nouveaux
commission du plan Monnet envisageait migrants, lequel fut ramené à 25 000 en
de faire venir jusqu'en 1949, et pour des décembre 1971. Mais cette politique,
raisons surtout politiques, 90 000 Nord- inappliquée d'ailleurs, de contingentement
Africains sur les 310 000 travailleurs cache mal la perte de contrôle de l'Etat
immigrés jugés nécessaires à la sur le mouvement migratoire. Réduits au
reconstruction. Mais, dès 1947, on s'aperçut « laisser faire-laisser passer », les pouvoirs
de l'existence de 80 000 chômeurs publics se bornèrent généralement à
algériens. Le ministère de l'Intérieur et celui régulariser les entrées clandestines. Ce n'est
du Travail s'opposèrent donc à l'appel qu'à partir de la crise, depuis 1974, que
de nouveaux travailleurs algériens. les gouvernements tentèrent d'arrêter le
L'Office national d'immigration introduisit, flot des entrées et même de mettre en
seulement de 1946 à 1952, 5 997 marche une politique d'aide aux retours
Marocains comme mineurs de fond sur un (juin 1977-mai 1981). L'échec de cette
total de 272 539 travailleurs étrangers tentative - la politique dite du « million »
appelés à titre permanent3. - fut ensuite consacré par une démarche
Contrairement à la légende, il n'y eut donc pas, inverse : quelque 130 000 travailleurs
dans ces années d'après-guerre, une clandestins virent leur situation régularisée
politique officielle d'immigration entre 1981 et 1982.
nord-africaine. Il en fut à nouveau question Ce bilan volontairement succinct
cependant au début des années 1960, permet au moins d'affirmer que « l'appel de
lorsque la croissance continue de la métropole » ne fut pas, durant cette
l'économie française entretint l'illusion d'un longue période, le facteur essentiel, ni
nécessaire recours massif à l'immigration même le plus déterminant, de l'émigration
officielle. Mais cette fois encore, l'afflux maghrébine. La preuve en est que le flot
spontané des migrants déjoua par son des arrivées ne coïncide que rarement
avec les périodes où elles étaient
1. En septembre 1924, le départ des travailleurs algériens souhaitées ou acceptées. Les pouvoirs publics
fut strictement réglementé par la circulaire Chautemps. et le patronat ne désiraient pas, par
Déclarée illégale par le Conseil d'Etat, celle-ci fut remplacée par exemple en 1923-1924 ou en 1936-1938,
un décret du 7 août 1926 aussi restrictif. Un décret du 4 avril
1928 interdit même la liberté de voyage. Certes, les entraves voir le nombre des travailleurs maghrébins
furent en principe supprimées par le décret du 17 juillet 1936
mais, dès le mois .de décembre 1936, le cautionnement était augmenter. Ils étaient au contraire
rétabli et le contrôle des passagers de classe inférieure fut d'accord pour le faire baisser ; sans résultats
institué par le décret du 4 janvier 1937. Le cautionnement
fixé à 125 F en 1936, 148 F en 1937, 172 F en 1938 fut cependant, puisque l'inverse se produisit.
porté à 286 F par un arrêté du 26 mars 1940. Le contrat de La conclusion de notre recherche est aussi
travail préalable au départ fut rendu à nouveau exigible à
compter du 1er septembre 1941. nette qu'inattendue : attirer en France de
2. On recruta hâtivement 5 000 Marocains en 1939 pour la main-d'œuvre maghrébine n'entra pres-
sauver la récolte betteravière puis 10 000 de janvier à juin
1940 pour les mines et les industries de guerre.
3. L'ONI fit venir dans le même temps 162 035 Italiens
et 30 456 Allemands qui s'intégrèrent sans difficultés dans la 4. On comptait 180 000 arrivées d'Algériens en 1962,
communauté française. 262 000 en 1963, 269 000 en 1964.

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ARTICLES

trouverait bien plutôt ses racines dans la


situation économique du Maghreb. Pour
politiques
jugeait
que jamais,
dans les même
calculs
gouvernementales.
après
par
du1919
le
patronat
seul
et jusqu'en
contenu
ou
Si dans
l'on
1959,
des
les
en
eux, le sous-développement persistant et
l'aggravation continue du sous-emploi
archives, on serait tenté d'écrire que les déterminaient la pression majeure. Le
pouvoirs publics français furent surtout courant d'émigration était d'abord
préoccupés de contenir l'immigration provoqué puis intensifié par les « hauts
spontanée1. Quant au patronat français, salaires » relatifs pratiqués en métropole2.
on ne le voit que très exceptionnellement Point n'est besoin d'illustrer longuement
avant 1962 demander ou rechercher des cette loi économique bien connue :
travailleurs maghrébins. lorsque les prix de la main-d'œuvre sont
Après 1962, il est vrai, il affirma différents dans deux régions voisines, il
parfois une attitude inverse. Du fait peut- y a écoulement de la main-d'œuvre vers
être de la modernisation de la grande la zone à hauts salaires. Or la disparité
industrie, l'utilisation d'une main-d'œuvre des salaires entre la France et le Maghreb
non qualifiée effectuant un travail fut toujours considérable.
parcellisé redevenait possible. C'est alors que Avant 1914, les salaires de manœuvres
certaines grandes entreprises, celles de offerts aux « travailleurs kabyles » en
l'automobile notamment, firent France étaient plus de deux fois supérieurs
effectivement appel, et parfois directement par à ceux qu'ils pouvaient éventuellement
des agents recruteurs, à des travailleurs percevoir dans la Mitidja. Peu après 1919,
maghrébins, spécialement à des les salaires journaliers moyens en France
Marocains. L'Etat se borna à autoriser cette étaient de l'ordre de 15 F à 30 F, tandis
nouvelle immigration (notamment par que l'ouvrier agricole algérien ne pouvait
l'accord franco-marocain du 1er janvier prétendre qu'à un salaire de 3,50 F à 5 F
1963) et à « laisser passer » le flot accru et à une embauche très irrégulière. En
des migrants, quitte à tenter d'imposer 1954, les salaires des manœuvres algériens
aux Etats maghrébins des quotas non travaillant dans l'industrie métropolitaine
respectés. Mais s'agissant de l'ensemble étaient encore deux fois et demie plus
de la période 1910-1980, on ne saurait élevés que ceux de leurs homologues
donc sans abus décrire le processus algériens. Avec les versements des
migratoire comme répondant à la seule volonté prestations familiales au taux métropolitain,
de la France ou du capitalisme industriel les disparités étaient en réalité plus fortes
d'utiliser une main-d'œuvre à bon marché. encore. Au-delà de ces évidences, des
enquêtes sociologiques attentives ont
O SOUS-DÉVELOPPEMENT, SOUS-EMPLOI montré que le mécanisme global des
ET SURPOPULATION ? départs était bien lié à la situation
économique des familles. Les mois de pointe
L'incitation au départ, selon la majorité
des départs se situent partout en hiver
des enquêteurs de l'époque coloniale,

1. Conscients de ce qu'ils appelaient l'obstruction 2. Telle était déjà la conclusion de la première grande
métropolitaine, l'Assemblée algérienne et le patronat français enquête réalisée par la Direction des affaires algériennes
d'Algérie insistèrent après 1947 pour que fût autorisée et organisée (ministère de l'Intérieur, 1924). Le Rapport Laroque et Olive
une émigration algérienne vers les territoires d'Afrique noire. de 1937, la grande « Etude sociologique de l'émigration des
Les réponses du ministère de la France d'Outre-Mer furent travailleurs algériens en Métropole » (1956-10 cahiers)
toujours négatives. reprennent plus ou moins les mêmes explications.

62
LES MAGHREBINS

diale. On mesure alors qu'en dépit de


et au début
d'origine rurale,
du printemps.
de beaucoup
Les migrants
les plus
la surmortalité due à la misère des années
nombreux, ne se décident à partir qu'après 1942 à 1945, les populations maghrébines
épuisement des subsistances familiales. connaissaient un développement accéléré.
Toutefois, la conjoncture économique, Le maintien de la très forte natalité,
globale ou individuelle, n'explique pas combinée avec l'abaissement progressif
tout et surtout pas l'accélération continue des taux de mortalité, accentuait la
de l'émigration. On le vérifiera d'abord surpopulation relative, eu égard aux
au fait trop peu remarqué que la grande possibilités de l'emploi et à l'état arriéré de
crise économique des années 1930 l'économie. De là à penser que
n'interrompit pas le mouvement migratoire. l'écoulement des populations du Maghreb, zone
Même ralenti, il maintint les effectifs des de haute pression démographique, vers
Algériens en France, en dépit d'un la France, zone de dépression, était un
chômage important alors très peu secouru1. phénomène naturel quasi météorologique,
Mais le même constat peut être dressé il n'y avait qu'un pas. Et Louis Chevalier
après guerre : en 1951, le nombre des pronostiquait pour 1960 un million de
chômeurs algériens était d'environ 100 000 Nord- Africains présents en France (chiffre
selon les services de la main-d'œuvre atteint en 1970).
(80 000 selon le ministère de l'Intérieur) Si les prévisions des futurologues (qui
sur 203 000 Algériens vivant en France. sous-estimèrent pourtant l'accroissement
Le solde migratoire positif fut pourtant démographique du Maghreb) se révélèrent
cette année-là de 54 587. Dès lors qu'on assez exactes, c'est que la situation
croit devoir refuser la version raciste de économique du Maghreb ne connut pas
la presse française d'Algérie selon laquelle l'amélioration attendue. Les plans de
« les Algériens montaient travailler au développement et d'industrialisation,
chômage en France », il faut bien admettre d'ailleurs incomplètement appliqués, se
que les départs n'étaient pas étroitement révélèrent vite dans l'incapacité de
subordonnés aux aléas de l'économie remédier à l'extension du sous-emploi. La
française. mécanisation de l'agriculture coloniale,
Faudrait-il donc penser, comme caractéristique de la décennie 1946-1955,
l'écrivait en 1947 Louis Chevalier dans un devait accroître le chômage dans les
ouvrage qui fit beaucoup réfléchir2, que campagnes et accélérer les phénomènes
« l'immigration nord- africaine est un fait migratoires. L'exubérance démographique
démographique » c'est-à-dire soumis aux ne provoqua pas pour autant une «
lois de la démographie et non à celles émigration de la faim », expression dont on
de l'économie ? Ce phénomène, a peut-être abusé. La situation
parfaitement décelable dès l'entre-deux-guerres, économique et démographique ne devint pas
n'apparut pourtant aux yeux des brusquement intolérable dans la décennie
responsables qu'après la seconde guerre mon- 1945 à 1954 où s'est accéléré le flux
migratoire. Par rapport aux « années de
1. En 1937, sur 82 000 Nord- Africains recensés, 7 000 braise » et de famine (1941-1945), il y
seulement étaient inscrits au fonds de chômage, 11 000 étaient eut même une amélioration relative. Par
classés « chômeurs non secourus » et 19 000 « sans
ressources ». Il y eut pourtant cette année-là 46 562 départs ailleurs, l'enquête menée en Algérie sous
d'Algérie pour la France contre 27 200 en 1936. la direction de Robert Montagne montre
2. Le problème démographique nord-africain, Paris,
INED, 1947. qu'avant 1954 la corrélation entre la

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ARTICLES

défi à leur égard » (G. Marcy). Chaque


famille berbère aurait donc insisté pour
le départ d'un des siens, dès lors qu'elle
aurait vu l'émigration enrichir ses voisins.
densité
de
que
n'étaient
opeuplés
population
n'avaient
d'émigrants.
udémographes.
tre-Méditer anée l'émigration
lel'affirmaient
plus
de
qui
pas
Contrairement
pas
lagrand
les
envoyaient
égale,
population
dudouars
n'était
tout
désormais
nombre
desles
pas
le douars
et
àmême
plus
aussi
d'émigrés.
l'attente,
l'importance
les
densément
évidente
nombre
voisins
ce
A Mais les berbéristes restaient cois pour
expliquer que le même phénomène
touchait les zones purement arabes. Pour
d'autres auteurs mieux inspirés, le mirage
d'une France riche, tolérante, plus
respectueuse des droits des Maghrébins,
N'était-ce point suggérer aurait été essentiel. En Algérie, des
qu'intervenaient bien d'autres mobiles que la Européens ajoutaient volontiers « l'attrait de
classique et indéfinissable surpopulation ? Si la femme française réputée facile chez les
même des zones à faible densité de Nord-Africains » ; ils incriminaient aussi,
peuplement donnaient beaucoup en majorant l'effet de quelques annonces
d'émigrants, c'était peut-être parce qu'ils étaient publicitaires, « la propagande effrénée des
plus pauvres, mais aussi parce que la compagnies de transport maritime ».
tradition du voyage y était plus ancienne, Il paraît plus simple de rappeler une
la scolarisation plus précoce, l'exemple constante historique : l'émigration se
ou l'appel des expatriés plus clairement produit seulement en direction d'un pays
entendu. Autrement dit, cette enquête qui offre à l'imagination de l'émigrant la
imposait l'idée que les Algériens n'émi- chance d'obtenir ce qui lui est refusé
graient pas seulement pour des raisons dans son propre pays. Travail régulier,
économiques. hauts salaires et liberté ont toujours attiré
les emigrants. Un personnage de Mouloud
O LES MOTIVATIONS PSYCHOLOGIQUES Feraoun déclarait à son fils en instance
de départ : « Tu quittes le pays de la
Ces motivations psychologiques des faim, tu vas au paradis des hommes ».
départs n'ont pas été, semble-t-il, Pourquoi ne pas reconnaître aussi que
suffisamment prises en compte, ni analysées. chez les plus jeunes, et en particulier les
Certes les Maghrébins, hommes de grande célibataires, l'émigration a toujours
pudeur, taisaient volontiers aux représenté un moyen d'émancipation ? Quel
enquêteurs les raisons de leurs départs. Ceux- meilleur moyen de fuir l'oppressante
ci n'étaient, en effet, pas bien considérés ruche kabyle ou l'autorité souveraine d'un
par la société traditionnelle et pendant père de famille que de motiver son départ
longtemps ils furent condamnés par les par de nobles considérants d'aide à la
colons. La loi du silence s'imposait donc. famille ? Ceux qui partaient pour tenter
Devant le mutisme des intéressés, l'aventure, parfois séduits par l'Eldorado
certains sociologues français, parfois raconté par quelques parents « retour de
prisonniers de clichés coloniaux, imaginèrent France », n'en convenaient, certes, que
que l'émigration devait être avant tout rarement. Mais on a quelques raisons de
un phénomène de la psychologie berbère. penser que, plutôt que d'assumer la dure
« La société berbère est à tendance éga- condition paysanne et de supporter ses
litaire. Quand une famille s'enrichit, les rudes contraintes sociales, beaucoup de
autres considèrent qu'il y a un véritable jeunes ruraux ont préféré la grande aven-

64
LES MAGHREBINS

il le rappeler, selon un schéma assez


simple dès lors qu'on entend s'en tenir
aux grandes lignes.
turepaysans
résisté
de
personnelle
siens
épargne
France
de
lesau?et
l'émigration.
multiples
La
spectacle
miséreux
au
distribuant
scolarisation,
volant
cadeaux,
auraient-ils
dede
généreusement
Comment
l'ouvrier
sa lefruits
voiture
journal,
d'ailleurs
les
de
revenu
aux
son
fils
la Des origines (1905-1910) à la fin de
la décennie 1940, l'immigration en France
est le fait d'hommes seuls, mais non
isolés. Ces hommes, le plus généralement
radio, voire le cinéma, en faisant entrer mariés mais venus sans femme, ni enfants,
le monde moderne dans l'univers rural agissaient dans un cadre communautaire
naguère le plus fermé, éveillaient bien encore très solide. D'âges divers (on
des rêves, bien des tentations. trouvait parmi eux des hommes mûrs et
Puis, très vite, les départs isolés et de très jeunes gens), ils étaient
difficiles ont été banalisés ; l'acte pratiquement délégués par la communauté
courageux de rupture de quelques-uns a fait familiale étendue ou par des familles plus
place à un consensus social. L'émigration étroites mais ayant conservé la mentalité
a joui d'un climat favorable d'abord dans patriarcale. Envoyés à titre temporaire
les villages où sa rentabilité avait été pour deux ou trois ans au maximum par
éprouvée et peu à peu, par contagion, le groupe familial, ils savaient qu'ils
dans tout le monde rural. Cet seraient bientôt relayés par des frères ou
entraînement social devait même parfois créer des cousins. A côté de cette émigration
une tradition dans certaines régions K La temporaire essentiellement liée à
voie était dès lors ouverte à l'émigration l'existence d'une famille patriarcale solide et
définitive tacitement acceptée. Les d'une entraide collective puissante, une
psychologues sociaux auront pourtant à émigration moins organisée voire
s'interroger sur la persistance d'un sentiment individualiste se développa. Les caractères en
de culpabilité chez les immigrés. Ne étaient différents : concentration moins
nourrirait-il pas en partie le ressentiment forte, dispersion géographique, tendance
contre la France, ce pays trop riche pour plus accentuée à la fixation. Ces emigrants
lequel on a dû abandonner la terre des désagrégés, déracinés, qui évoluaient en
ancêtres ? Cette interrogation renvoie à marge de leur groupe d'origine, perdaient
un phénomène plus considérable : les souvent contact avec le pays. Ils étaient
transformations de nature de l'émigration. les plus nombreux à se marier en France.
Cette distinction entre ce qu'on pourrait
O LES TRANSFORMATIONS DE NATURE appeler l'émigration solidaire et
DE L'ÉMIGRATION
l'émigration solitaire indique plus une tendance
La nature même de la migration nord- qu'une réalité. Les enquêtes ont révélé,
africaine a considérablement évolué, faut- en effet, bien des nuances et pas seulement
locales ou régionales.
1. Dans les limites restreintes de cet article, il n'est pas
possible de donner des exemples nombreux. Rappelons Aussi bien toutes ces distinctions
pourtant que dès les années 1930 le seul arrondissement de allaient s'effacer après 1950 devant les
Bougie (Bejaïa) comptait plus de 6 % de sa population totale
vivant habituellement en France. La commune mixte de la phénomènes nouveaux qui caractérisent
Soumman, avec plus de 20 000 émigrés sur 125 000 habitants, désormais l'émigration nord-africaine,
soit le sixième de sa population, voyait partir régulièrement
presque toute sa population mâle adulte. En Grande Kabylie, devenue une émigration familiale et une
on comptait en 1936 dans l'arrondissement de Tizi-Ouzou émigration permanente. Le début de la
plus de 21 000 travailleurs emigrants sur une population de
350 000 habitants. venue des familles marque un tournant

65
ARTICLES

si les difficultés d'insertion seront


résolues. Mais le processus d'acculturation
des enfants d'immigrés est visiblement en
marche et cela quelles que soient les
difficultés de la «seconde génération».
Une troisième transformation
essentielle peut toutefois être notée au tournant
de la décennie 1950. Jusqu'à cette date,
l'immigration nord-africaine en France
était avant tout algérienne ; désormais,
elle allait devenir nettement maghrébine
les
par
il
migratoire
enregistrait
enfants
Dès
le
en
l'année.
enfants1.
nouveaux
sans
capital
Provoqué
des
et
aux
d'abord
76
épouse
accessoirement
s'est
portait
nombre
760
allocations
sociétés
mois,
France,
familles
1961,
esprit
femmes
dans
très
algériens
et
assez
Désormais,
essentiellement
de
immigrants
sur
calculé
on
des
En
déjà
leurs
derapidement
d'HLM,
d'obtenir
dont
mai
limité
l'histoire
familiales
évaluait
retour,
une
enfants
17
algériennes
1968,
par
pour
enfants2
1952
de198
10
centaine
: lafin
pour
plus
learrivent
un
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des effectifs marocains et tunisiens.
Historiquement, tout se passe comme si cette
immigration nord-africaine avait relayé
l'immigration latine désormais
partiellement tarie des apports italiens et
espagnols, tout en accompagnant cependant
une forte immigration portugaise.
Les Marocains, pourtant fort attirés
par les hauts salaires français et
généralement appréciés par leurs employeurs,
Ainsi est-on passé de l'émigration ne furent jamais plus de 20 000 présents
temporaire à l'émigration permanente. La en France entre 1918 et 1948. Travailleurs
colonie algérienne, quelles que soient les temporaires, presque tous originaires du
vicissitudes du marché du travail, continue Sud Marocain, ils ne purent venir
à s'accroître non seulement du fait de sa librement en France du fait de l'obstruction
démographie propre mais par suite de du régime du Protectorat. Au contraire,
nouvelles arrivées légales ou clandestines. à partir des années 1950 et surtout 1960,
A en croire les évaluations du ministère l'immigration marocaine déferla dans
de l'Intérieur, le nombre des Algériens l'Europe entière. Par tous les moyens, surtout
présents en France se serait accru de illégaux, ils affluèrent en France. Ils
190 200 entre 1948 et 1957 et de 248 600 étaient environ 50 000 en 1962, 218 000
de 1958 à 1967. Dans la décennie 1968 en 1972 et environ 400 000 en 1975
à 1977, la progression aurait été de (322 000 en 1979 ?).
267 572, la colonie algérienne passant de Le déclenchement de l'immigration
562 000 à 829 572. Il n'appartient pas tunisienne fut presque simultané vers
encore à l'historien de dire si cette colonie 1956-1957 et lié au même phénomène :
s'enracinera définitivement en France, ni l'expansion démographique accélérée.
Malgré son faible attrait pour l'extérieur,
la migration tunisienne devint une
1. Dans ces chiffres sont compris les Français musulmans nécessité : 40 % des actifs seuls avaient une
jouissant de la qualité de rapatriés.
2. Depuis le décret du 29 avril 1976, le conjoint et les occupation permanente. Le marché
enfants de moins de 18 ans d'un résident étranger bénéficiant français de l'emploi exerça dès lors une forte
d'un titre de séjour ne peuvent se voir refuser l'accès du
territoire français. attraction que les gouvernements n'offi-

66
LES MAGHREBINS

pouvoir présenter une étude des variations


des opinions française et maghrébine
concernant ce grand phénomène social.
On ne trouvera naturellement dans ce
bref article que quelques indications très
sommaires.
L'accueil des métropolitains, fait de
cialisèrent
comptait
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familles
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la: curiosité et de sympathie dans les années
1910 à 1918 3, se nuança d'inquiétude
après la première guerre mondiale.
Favorables aux ouvriers algériens pour des
raisons patriotiques, les Français
s'alarmèrent de leur afflux dans l'après-guerre,
du nombre de leurs chômeurs et de leur
politisation révolutionnaire 4. D'autre
part, la grande presse, en soulignant et
marocaine, mais elle va croissant. Tout en grossissant les méfaits de quelques-
indique que les migrations marocaine et uns, déclencha un climat d'insécurité à
tunisienne demeurent encore partiellement Paris et dans quelques grandes villes,
du type de la migration ouvrière l'organisation d'un contrôle policier et
temporaire mais s'acheminent déjà vers le un réflexe d'hostilité ente les deux
modèle de la colonie permanente2. communautés. La « grande peur » des
Ces variations de nature intervenues Parisiens face aux « sidis » devint un
dans un délai relativement court thème familier de la presse populaire.
expliquent peut-être, sans les justifier, les L'opinion et les gouvernements français
embarras ou les suspicions du public subirent aussi des pressions venues
français face à ces « étrangers » qui, de d'outre-Méditerranée. Les colons qui
migrants temporaires, se sont transformés s'estimaient « dépossédés de leurs
en colonies « d'immigrés » réclamant le travailleurs » exigeaient qu'on mit fin à « l'exode
droit à l'insertion sociale et le maintien des indigènes » sous divers prétextes : ils
de l'identité culturelle. laissaient leurs familles à l'abandon,
rapportaient la tuberculose en Algérie,
O IMMIGRATION ET OPINIONS PUBLIQUES « revenaient avec un moral détraqué de
véritables bolchevistes ». En fait, ils
Parmi les innombrables problèmes que entendaient se réserver « une main-
soulève l'étude de l'immigration nord- d'œuvre certainement médiocre mais
africaine en France, l'historien aimerait
3. En 1913, Le Petit Marseillais concluait ainsi une
1. Selon l'enquête Remplod (1975), 79,2 % des migrants enquête : « Des travailleurs et des soldats pour la France,
tunisiens sont entrés en France comme touristes, 11 % sur du bien-être pour les indigènes, voilà plus qu'il n'en faut
contrats. pour approuver avec joie une immigration aussi sympathique ».
2. L'évolution des transferts des revenus du travail vers 4. Pour la presse de droite, les Algériens étaient tombés
les pays d'origine est un bon indicateur de ce processus. complètement sous la coupe des communistes : « Voici, écrivait
Par exemple, le montant moyen des transferts par personne un journaliste en parlant des ouvriers algériens syndiqués à
et par an était en 1975 de 5 790 F vers l'Algérie, 7 114F la CGTU, la garde berbère des futures armées rouges, qui
vers la Tunisie, 8 377 F vers le Maroc. Les sondages sur les s'avance portant les oriflammes de Lénine et qui s'offre
intentions de rentrer définitivement dans le pays d'origine comme un bouclier protecteur aux entrepreneurs du Grand
paraissent au contraire peu fiables. Soir ».

67
ARTICLES

charges, mais il n'a pas les avantages des


malgré donner
seulement
devoir tout
». utilisable
Lessatisfaction
gouvernements
en Algérie,
aux ayant
exigences
maiscru
là Français (Tawfiq el Madani) ». Ainsi
s'explique en partie le réflexe de défense
coloniales, l'immigration régressa des travailleurs maghrébins. Même les
considérablement. Cette pause permit aussi à militants ouvriers refusaient leur
la vague xénophobe de s'apaiser en France intégration au mouvement ouvrier français
et à l'image des travailleurs algériens de suspect de servir les desseins du colonialisme
s'améliorer. Celle-ci redevint même assez ou du communisme3. Ils requéraient
positive pendant les années 1939 à 1945. l'aide politique et sociale de leurs
De leur côté, les Maghrébins n'ont camarades de travail et des syndicats sans
pas cessé de dire « la grande pitié » de pour autant s'associer à toutes leurs
ceux des leurs qui travaillaient en consignes. Migrants temporaires, repliés
France1. Déjà pendant l'entre-deux- sur eux-mêmes, ils entendaient condamner
guerres, la presse algérienne de langue tout l'environnement et ne pas céder aux
française faisait volontiers écho aux pièges de l'entraide et de l'assistance :
doléances d'ouvriers déçus2 et à leur « Nous sommes contre l'assimilation.
colère contre la surveillance policière. Ces Nous tenons à rester Arabes et
thèmes misérabilistes ou revendicateurs mans ».
devaient être largement exploités par la Après les indépendances, le même
presse nationaliste du Maghreb. A l'en discours se retrouve pourtant dans toute la
croire, l'émigration n'était point une presse maghrébine. Pour les intellectuels
nécessité mais le fruit d'une politique et les journalistes, l'exploitation par le
maligne. Trompés, démoralisés, les capitalisme français de la force de travail
migrants étaient « attirés par le vice, maghrébine représente « une nouvelle
l'alcoolisme et la débauche ». Victimes forme de ponction opérée sur le Tiers
du racisme français, ils subissaient « une Monde » et une aide quasi directe aux
exploitation éhontée de la part d'un employeurs français. A en croire le
patronat avide et rapace » et étaient l'objet directeur de la revue marocaine Lamalif, M.
de mesures discriminatoires en ce qui Zakya Daoud, la France, du fait de son
concernait la Sécurité sociale, le logement intégration au Marché commun, avait
et la formation professionnelle. « besoin d'augmenter la capacité technique
Pourtant les mêmes publicistes de ses industries, de réduire les coûts
nationalistes s'exaspéraient de voir que « la unitaires de production et pour ce faire
France permette l'accès de son territoire de créer une masse de salaires très bas.
aux travailleurs étrangers et Elle n'y est parvenue qu'en ayant recours
particulièrement aux Espagnols alors qu'elle le défend à l'immigration ». Selon lui, les
aux musulmans. L'indigène est Français travailleurs maghrébins seraient ainsi « respon-
plus que les Français lorsqu'il s'agit des

3. Il est remarquable, par exemple, que les ouvriers


1. L'expression figure, pour la première fois, semble-t- maghrébins ou leurs organisations n'aient jamais fait écho
il, dans le journal L'Ikdam du 1er juillet 1931. aux revendications politiques que la Ligue anti-impérialiste
2. Cf., par exemple, cette lettre d'un ouvrier algérien formulait pour eux : « Droit de vote et d'éligibilité dans les
publié par L'Entente (21 juillet 1938) : « Je regrette d'être conseils municipaux pour tous les originaires des colonies
venu en France. La misère règne parmi nos coreligionnaires vivant en France ». (Assises anti-impérialistes du 31 mars
... Quand on se présente au bureau de l'embauche pour les 1935). Le Rapport Laroque signale pourtant que de nombreuses
Algériens, le bureau est fermé ; les nouveaux arrivés sont municipalités de la banlieue parisienne et du Nord délivraient
sans travail ... Malheur à celui qui cherche après ses droits ». des cartes d'électeur à des Algériens (tome 1, p. 69).

68
LES MAGHREBINS

du rapatriement des Européens d'Afrique


du Nord. Ils n'en étaient pas moins
minoritaires et ne justifiaient pas les
campagnes très alarmistes de la presse
algérienne.
Depuis la crise économique, l'extension
plus-value
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la»à2 et la prolongation du chômage4, des
sentiments nouveaux s'emparent, semble-
t-il, de l'inconscient collectif des Français.
Ceux-ci perçoivent que les Maghrébins
s'organisent en colonies permanentes
constamment accrues et mesurent avec
quelque effroi le développement des
« ghettos » nord-africains. Le
et près de 16 % en 1982 ! Faut-il préciser comportement agressif de certains jeunes
que ces affirmations et pourcentages inadaptés est parfois reproché à la
erronés risquent seulement d'alimenter les communauté entière.
phantasmes de certains Français3. Ces peurs et ces défiances réciproques
Dans les premières années de l'après- ne font pas bien augurer de l'avenir.
guerre (1945-1950), l'hostilité de l'opinion Elles devraient inviter les intellectuels
française à l'égard de l'immigration français responsables à se méfier
surtout maghrébine s'accrut d'une manière d'affirmations incontrôlées, dictées par une
que les sondages permirent pour la mauvaise conscience issue de l'époque
première fois de mesurer. Avec les débuts coloniale, et qui vont le plus souvent à
de la croissance économique, le public l'encontre du but qu'elles entendent
français, peut-être rassuré, parut servir. On ne peut laisser dire que « la
considérer d'un œil moins soupçonneux prospérité récente de la société occidentale
l'arrivée des travailleurs migrants. Dans les n'a été assurée qu'au prix de la servitude
années de prospérité qui suivirent, on les d'une partie de ceux qui la font (les
acceptait même assez facilement puisqu'ils Maghrébins) » (Madeleine Trébous). On
permettaient aux travailleurs français ne peut pas laisser dire que la France
d'abandonner certains travaux pénibles ou devenue Etat multi-racial doit renoncer
les emplois les plus mal payés. Toutefois, à son traditionnel « complexe de
les comportements racistes des milieux supériorité » et donc à toute tentative
populaires s'affichèrent peut-être plus d'intégration des immigrés maghrébins, car
visiblement du fait de la guerre d'Algérie et ce serait mettre leur avenir en péril.
Exiger pour les Maghrébins immigrés un
1. Zakya Daoud, « Les travailleurs maghrébins en statut qui leur donne tous les droits des
Europe », Remarques africaines, 1973. Français y compris le droit de vote et
2. En fait, les chiffres cités sont le plus souvent ceux
des familles étrangères et non des seuls Maghrébins (exemple tous les droits des étrangers, y compris
en 1973 : 84 154 enfants d'étrangers soit 11,8 % de l'ensemble le droit à des écoles arabo-musulmanes,
des naissances). Mais les étrangers sont 4 100 000.
3. Au moment où je rédige ces lignes, la presse explique
que l'indice de fécondité en France en 1981 serait de 1,85
pour les femmes françaises, 3,6 pour les femmes étrangères
et 5,5 pour les femmes maghrébines. Il serait plus honnête Cour
: chômage,
4. 44Un% sondage
des
c'était
Français,
lede renvoi
septembre
la solution
chez eux
1979la des
plus
montrait
immigrés.
efficace
que,contre
déjà
de donner le nombre de naissances d'enfants maghrébins.

69
ARTICLES

sans reconnaître même au pays d'accueil Or le dilemme existe : ou bien les


le droit de « transformer ces étrangers », Maghrébins s'adapteront peu à peu et
relève de l'inconscience1. s'assimileront volontairement à la civilisation
Le refus opposé par les Algériens française, ou bien ils resteront une
installés en France à la naturalisation minorité sur le qui-vive, exposée à toutes les
française2, si compréhensible qu'il soit vagues de la xénophobie et à tous les
eu égard au passé du colonialisme, ne ressacs de l'histoire.
devrait pas être encouragé par leurs amis L'immigration a été et reste un bienfait
français. « Le droit à la différence », c'est pour les pays du Maghreb3, elle a rendu
en pratique le maintien du ghetto, c'est des services évidents à l'économie
le refus opposé à la « deuxième française. Puisque les avantages ont été
génération » - ou aux générations suivantes réciproques, mieux vaudrait cesser toute
- de s'intégrer à la communauté française. polémique rétrospective, toute querelle
idéologique, et laisser les familles nord-
1. On peut s'interroger sur les mobiles de ceux qui africaines juger simplement où se situe
écrivent par exemple : « La France est devenue un pays
multi-ethnique ... La France n'appartient pas aux Français le meilleur avenir pour leurs enfants...
... Elle est ouverte à tous ceux qui veulent venir s'y établir
... La notion de citoyenneté est caduque » (A. Cordeiro, D
Pourquoi l'immigration en France ?, 1980).
2. De 1962 à 1978, 9 449 Algériens seulement auraient l'importance
3. On a desvolontairement
transferts. Indiquons
laissé de seulement
côté la question
que, pour
de
acquis volontairement la nationalité française. En revanche,
on ignore combien ont été atteints par la naturalisation l'Algérie, les envois de fonds n'ont cessé d'augmenter jusqu'en
automatique. Les Français d'origine maghrébine seraient 1976. Depuis 1970, ils étaient de l'ordre du milliard de NF
estimés à 1 000 000 ou 1 2000 000. mais tombèrent à 546 millions en 1977, 426 en 1978, etc.

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