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Vingtième Siècle, revue d'histoire

De Gaulle et l'histoire de France


Maurice Agulhon

Abstract
De Gaulle and French History, Maurice Agulhon.
Maurice Agulhon explains "a certain idea of France" that Charles de Gaulle drew from the history of his country. France as a
person, the weight of origins, and the dialectic of the national and providential : general de Gaulle's constant reflection on these
three questions made him a French Sisyphus, inimitable and dated.

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Agulhon Maurice. De Gaulle et l'histoire de France. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°53, janvier-mars 1997. pp. 3-12;

doi : https://doi.org/10.3406/xxs.1997.3591

https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1997_num_53_1_3591

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DE GAULLE

ET L'HISTOIRE DE FRANCE

Maurice Agulhon

Tous les sondages d'opinion le ments (dont le second surtout reste fort
disent, imperturbablement: pour ses discuté), cet homme, donc, appartient
compatriotes, de Gaulle reste le héros déjà à l'histoire de France.
préféré et incontesté de l'histoire de Mais ce n'est pas cette évidence qu'il
France, cette histoire dont la récente s'agit de commenter ici. L'histoire de
controverse sur Clovis et le voyage du France dans laquelle il a pu agir est celle
pape a rappelé l'incertitude originelle. du 20e siècle. L'histoire des siècles
Toutefois, le texte qui suit est antérieur précédents, en revanche, n'était pour lui comme
aux polémiques de l'été 1996. Il avait pour tous ses contemporains qu'un passé,
été donné comme conférence dans le une mémoire, un objet d'étude...
petit colloque réuni en avril 1996 à Seulement, ce passé, il le connaissait bien, et
Los Angeles pour honorer la retraite il prétendait s'en inspirer et, pour
d'Eugen Weber, observateur eminent l'essentiel, le continuer. Au premier rang comme
des énigmes françaises. acteur dans l'histoire, de Gaulle y tenait
aussi une place certaine comme lecteur
Il n'est pas douteux que le général de et comme théoricien. C'est à cet aspect
Gaulle soit «un personnage des choses que nous nous bornerons.
historique», aussi bien au sens exact qu'au L'importance de sa pensée sur l'histoire
sens emphatique du terme. L'homme qui, est d'autant plus grande que le Général
presque seul, le 18 juin 1940, a décidé a vécu longtemps! Né en 1890, âgé donc
que la France écrasée figurerait un jour de vingt ans en 1910, il a reçu l'essentiel
dans le camp des vainqueurs de Hitler, de sa formation intellectuelle et morale
et qui a gagné ce pari; l'homme qui, en avant 1914 1. Mais il n'a pu agir que bien
1958, a réussi à changer profondément plus tard. Il avait 50 ans en 1940, 68 ans
l'idée et l'image du régime républicain en
France ; l'homme qui a engagé après 1962 1. Pour la biographie du Général, la somme de Jean Lacou-
le pari d'une autre mutation historique: ture, De Gaulle, 1 Le rebelle, 2 Le politique, 3 Le souverain,
fonder la puissance nationale sur Paris, Le Seuil, 1984-1986, sert de référence. On y trouvera le
détail de toutes les allusions biographiques qui suivent. Les
l'excellence économique et non plus sur les idées du Général sur l'histoire de France, notamment à travers
possessions territoriales outre-mer, cet homme, sa sélection de grands hommes, ont été retracées par Alain Pey-
refitte, «De Gaulle et les grands personnages de l'Histoire de
quels que soient les jugements de valeur France' dans De Gaulle en son siècle, tome 1, 1991, p. 107-113.
que l'on porte sur ces trois Cf. aussi du même auteur, C'était de Gaulle, Paris, Fayard, 1994.
MAURICE AGULHON

en 1958! Or les générations de Français Ce sont les éléments principaux de cette


auxquelles il s'est adressé avaient reçu «idée de la France» («Toute ma vie je me
une formation assez différente. Les jeunes suis fait une certaine idée de la France»,
adultes éduqués dans les années 1920 et chaque Français a plus ou moins en mémoire
1930 étaient déjà, pour une part cette célèbre phrase par laquelle s'ouvrent
appréciable d'entre eux, si traumatisés par la les Mémoires de guerre) qui forment
guerre que le patriotisme «d'avant 14» leur l'objet des analyses que nous proposons.
paraissait un peu désuet et un peu Trois thèmes nous paraissent essentiels:
inquiétant. Quant aux jeunes formés après la la France comme personne; l'âge de la
seconde guerre mondiale, quant aux France et de ses composantes; la
générations témoins ou actrices de Dien dialectique de l'histoire nationale. Nous ne
Bien Phu et de Mai 68, l'esprit d'avant ferons que mentionner ensuite, pour
l'autre guerre leur paraissait antédiluvien. mémoire, des questions complémentaires
Contre cette évidente dégradation et quelques questions en suspens.
(irréversible, peut-être) de l'ancien culte de la
France, de Gaulle a eu conscience de passer O LA FRANCE COMME PERSONNE
son temps à rouler le rocher de Sisyphe, Bien entendu la France réelle,
La France, le poids de l'histoire, l'histoire matérielle, n'est pas une personne. La réalité
de France ont fini par contribuer à la perceptible se compose de quelques
distance morale peu à peu introduite entre dizaines de millions d'êtres humains
le Général et la majorité des Français. établis sur quelques centaines de milliers
C'est une autre raison pour justifier - s'il d'hectares et régis vaille que vaille par
en est besoin - qu'on revienne à ce quelques organisations communes. Tout
problème. ce qu'on y ajoute est abstrait, ou
Enfin il en est une dernière qu'il est imaginaire. Mais cette imagination est assez
presque superflu de rappeler: de Gaulle partagée pour s'imposer comme un langage
était quasiment lui-même un historien. commode et familier. On dit «la France»,
Fils et disciple d'un professeur d'histoire, on raisonne sur elle, on l'interpelle dans
il était grand liseur. De plus, vite remarqué la rhétorique, on la peint ou on la sculpte
comme un officier d'élite, capable de en allégorie... La question est de savoir
contribuer à la formation de ses pairs et jusqu'à quel point on ajoute foi à ces
de ses cadets, il passa beaucoup de temps fictions, au point de se sentir, par rapport
à professer l'histoire militaire, ce qui à la France, entraîné en un dialogue
devait accentuer encore sa familiarité avec comme on l'est avec un interlocuteur
l'histoire générale. vivant, ou bien encore avec un
L'histoire générale de la France, interlocuteur invisible, Dieu, saint, ou «cher
cependant. Celle qui, de toute façon, comptait disparu». Et la question est encore de savoir
le plus dans l'enseignement et la culture comment cette représentation de la patrie,
générale de son temps. Nous nous lorsqu'elle est poussée jusqu'à une
bornerons donc à elle. Ce que de Gaulle personnification prise au sérieux, est
savait, et ce qu'il pensait, de l'histoire compatible... chez les chrétiens avec leur culte
de l'Antiquité classique, ou de l'histoire de Dieu, de la Vierge et des saints, et chez
«sainte» (biblique) ou encore de l'histoire les agnostiques avec leur rationalisme.
des autres nations et des autres Vaste problème!
continents, les documents nous manquent On ne prétendra pas le résoudre, mais
pour l'apprécier. La pensée de la France, seulement rappeler que Charles de Gaulle
en revanche, était constamment dans son est de ceux qui ont poussé très loin la
esprit. foi dans l'existence de la patrie, d'une
DE GAULLE ET L'HISTOIRE DE FRANCE

patrie assez «réelle» dans son esprit pour (À Alger, discours) :


être obéie et vénérée, assez sensiblement «À la France, m'écriai-je, à Notre Dame la
perçue - et perçue en femme - pour être France, nous n'avons à dire qu'une seule
l'objet d'une nuance particulière chose, c'est que rien ne nous importe excepté
d'affection. de la servir»5.
Ce sentiment fut si ancien et si fort qu'il (Même période):
est arrivé à Charles adolescent d'en faire
un texte non encore destiné (et pour «La France n'est pas la princesse endormie
que le génie de la libération viendra
cause) à quelque effet d'éloquence doucement réveiller. La France est une captive
publique. Il avait dix huit ans et rêvait de torturée qui, sous les coups, dans son cachot, a
mourir au combat, on était en 1908: mesuré une fois pour toutes les causes de ses
«... J'aimerais que ce soit, pour mourir sans malheurs comme l'infamie de ses tyrans»6.
regret, La métaphore maternelle, déjà utilisée
Un soir où je verrais la Gloire à mon chevet
Me montrer la Patrie en fête, pour les provinces perdues et pour les
Un soir où je pourrais, écrasé sous l'effort, soldats de la France libre, s'étend même
Sentir passer, avec le frisson de la Mort, avec émotion jusqu'aux combattants de
Son baiser brûlant sur ma tête»1. la guerre civile:
Cette capacité à mobiliser, avec «Une fois de plus, dans le drame national,
l'exaltation éloquente que suscite aisément un le sang français coula des deux côtés. La Patrie
vit les meilleurs des siens mourir en la
sentiment personnel vif, l'image de la défendant. Avec honneur, avec amour, elle les berce
France, sera constamment employée. La en son chagrin. Hélas! certains de ses fils
patrie, toujours féminine, est tantôt mère, tombèrent dans le camp opposé. Elle approuve
tantôt déesse, pour ne pas dire reine, ou leur châtiment, mais pleure tout bas ses
«dame» châtelaine. enfants morts. Voici que le temps fait son
œuvre. Un jour les larmes seront taries, ces
(Dès le 14 juillet 1941, discours à fureurs éteintes, les tombes effacées. Mais il
Londres) : restera la France!»7.
«D'autres viendront nous rejoindre, j'en suis La France, à la rigueur, peut être aussi
sûr. Maintenant, j'entends la France me imaginée combattant elle-même, puisque
répondre. Au fond de l'abîme, elle se relève, elle
marche, elle gravit la pente. Ah! mère, tels que Jeanne d'Arc en a créé l'exemple; ainsi
nous sommes, nous voici pour vous servir»2. dans cette formule de 1945 sur la nation
«Quelle fierté devra à l'Alsace et à la « dépouillée de ses moyens de guerre et qu'il
Lorraine la patrie demain triomphante! Avec fallait faire réapparaître, sous l'armure, l'épée
quelles larmes de joie et d'amour la France à la main»8.
retrouvera ses deux héroïques enfants, ses
deux enfants martyrisés!» (3 Avril 1943) 3. Mais la métaphore la plus constante
«(Les populations, au Liban) voyaient dans avec celle de la mère est celle de la
la France libre quelque chose de courageux, souveraine :
d'étonnant, de chevaleresque qui leur semblait
répondre à ce qu'était, à leurs yeux, la «Lors de mon précédent voyage (aux États-
personne idéale de la France» (1943) 4. Unis) on la regardait encore comme une
captive énigmatique. On la tenait à présent pour
1. Ch. de Gaulle, Lettres, notes et carnets, édition posthume une grande alliée, blessée mais victorieuse, et
publiée à partir de 1980 par les soins de l'amiral Philippe de dont on avait besoin»9.
Gaulle, Paris, Pion. Ici le premier volume 1905-1918, p. 44,
poème signé Charles de Lugale comme d'autres essais de jeunesse.
2. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1, L'appel, Paris, 5. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 2, L'unité,
Pion, 1954. Nous citons d'après l'édition de poche, ici p. 326. p. 152.
3. Ch. de Gaulle, Lettres, notes et carnets 1969-1970 avec 6. Ibid., p. 154.
compléments 1908-1968, p. 375. 7. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 3, Le salut, p. 48.
4. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 1, L'appel, 8. Ibid., p. 156.
p. 220. 9. Ibid., p. 245.
MAURICE AGULHON

La France, donc, patrie, mère-patrie, droite, héritière d'une vieille tradition


déesse, souveraine - féminine toujours. monarchique et catholique, tenait que la
France commençait avec Clovis (premier
chef franc établi à Paris, premier roi
O L'ORIGINE DE LA FRANCE
baptisé dans le catholicisme), tandis que
La «vieille galanterie française» l'ascendance gauloise, évidemment plus
interdisait jadis que l'on s'occupe de l'âge des populaire et plus laïque, déjà audacieu-
dames. Certes la France, étant déesse, sement cautionnée par Napoléon III, était
échappe à cet embarras. Ne dit-on pas, rendue quasiment officielle par la
depuis des siècles «la France éternelle»? République. Tout au long de son œuvre, de
Mais cette sublimation dont nous venons son enseignement, de ses écrits, de Gaulle
de montrer la constance et peut-être de s'est montré capable de se référer aux
soupçonner l'efficacité dans le discours deux systèmes, non pas qu'il eût oscillé
entre eux, par hésitation ou par
gaulliste n'empêchait pas le Général,
comme historien, de savoir que pourtant opportunisme, mais pour en proposer la
l'histoire de France ne remontait pas à combinaison.
Prié de s'expliquer sur ses variations
l'âge des cavernes, ni même à celui des
poèmes homériques. Il lui est arrivé aussi chronologiques par son ministre Alain
Peyrefitte, au cours d'une de ces
de numéroter les siècles. Avec cette autre
conversations intimes dont ce dernier a su faire
gerbe de citations, nous quitterons le
registre des motivations intimes et des bénéficier l'histoire, le Général a répondu
sans hésiter:
élans rhétorico-mystiques pour celui de
la réflexion. «Vingt siècles, c'est Vercingétorix : il a été le
On trouve sous sa plume des textes premier résistant de notre race. Quinze siècles,
c'est Clovis, en mariant la Gaule romaine et le
contradictoires. (À Alger, le 14 Juillet christianisme, le roi des Francs a vraiment créé
1943) 1: la France. Dix siècles, c'est Hugues Capet: il a
« Français ! Ah ! Français ! il y a quinze cents installé la dynastie qui a étendu le pré carré
ans que la patrie demeure vivante dans ses jusqu'à l'Hexagone»3.
douleurs et dans ses gloires»
Il est superflu d'insister sur l'importance
(Et à Alger encore, le 3 novembre 1943): de la réalité qui serait née ainsi, en deux
[nous vaincrons] «car vingt siècles peuvent temps, avec Clovis et Hugues Capet:
attester qu'on a toujours raison d'avoir foi en l'esprit de la monarchie avec l'un, le
la France»2. dynamisme de la monarchie avec l'autre, en
somme l'État, sans lequel la France ne
Quinze siècles ou vingt siècles, la
vivrait pas. Curieusement le Général ne
différence n'est pas mince. Mais il n'est pas
paraît pas faire grand cas de Charles le
trop hardi de supposer que les «quinze
Chauve ni du traité de Verdun (843) dont
siècles» renvoient à Clovis, fondateur
date pourtant la première définition claire
véritable de la dynastie mérovingienne, «
de la Francia occidentalis, définitivement
première race» des rois «qui ont fait la
distincte de la Germanie4. Mais
France», et les «vingt siècles» à Vercingé-
l'importance accordée par de Gaulle à l'État,
torix, chef et symbole du premier sursaut véritable organe moteur de la France, ne lui
(national?) contre un conquérant étranger.
Quand Charles de Gaulle était jeune, 3. De Gaulle en son siècle, Actes du Colloque de l'Institut
c'était presque une querelle politique. La Charles de Gaulle (1990), Paris, Pion - La Documentation
française, tome 1, 1991, p. 110.
4. Il est vrai qu'il la posait aussi comme distincte de la
1. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 2, L'unité, Lotharingie (Lorraine, Bourgogne, Provence, etc.) que la France
p. 154. léguée aux Capétiens allait devoir conquérir pour constituer la
2. Ibid., p. 189. France définitive.
DE GAULLE ET L'HISTOIRE DE FRANCE

fait pourtant pas oublier ce qui a précédé le Rhin, à Mayence en octobre 1945, il va
nos dynasties de plusieurs siècles, les même jusqu'à écrire: «On dirait qu'après
Gaulois, ancêtres de notre peuple. La des siècles aboutissant à d'immenses
mention de Vercingétorix, «premier épreuves l'âme des ancêtres Gaulois et
résistant» n'est pas isolée. Dès La France et Francs revit en ceux qui sont là!»5. Si fier
son armée, fresque d'histoire militaire et de représenter les «Gaulois», le Général
nationale publiée en 1938, il avait admis abandonne donc ici aux Allemands le
que «la flamme de la conscience vieux nom des «Francs», du moins le
nationale» était «déjà vive au temps des temps d'un discours.
Gaulois»1. Cependant, on l'a dit, ce n'est pas
C'était naguère un problème très toujours un sujet de fierté que d'être gaulois.
controversé que de savoir jusqu'à quel César voyait une « infirmité gauloise » dans
point les Gaulois étaient, selon le terme la mobilité, « l'instabilité nerveuse de notre
consacré, «nos ancêtres». Ancêtres peuple, ou du moins de nos ancêtres»,
biologiques, c'est peu probable: les Gaulois notait de Gaulle dans ses carnets de
étaient de grands blonds au teint clair et lecture de 1921 6. Cette infirmité, comme on
aux yeux bleus, et ce type n'est pas sait, il passera sa vie à la dénoncer sous
majoritaire en France2. Ancêtres culturels, la forme de la passion politique, avec ce
peut-être. Après tout, même une qu'elle entraîne d'émotions, de troubles,
oligarchie, puisqu'elle fut dominante, peut avoir de divisions, et finalement, ihorresco refe-
légué aux peuples soumis des modes rens, bien entendu...) de luttes de partis.
d'action et une sorte de psychologie. Le Des Gaulois à la Quatrième République
fait est que les historiens les plus sérieux3 en passant par Etienne Marcel, la Ligue
répétaient, quand Charles de Gaulle était et la Convention, courrait ainsi un fil
jeune, que les traits les plus frappants du rouge de politique intérieure dramatisée
caractère gaulois tels que César les avait et finalement funeste. Et peut-être de
retracés se retrouvaient dans notre Gaulle n'a-t-il été si attentif aux origines
caractère national. Ce n'était pas forcément gauloises de notre «race» que parce qu'il
flatteur, du reste, nous le verrons. avait besoin de donner à notre handicap
De Gaulle, donc, croyait aux Gaulois. national, avec son mythe d'origine, un
Il lui arrivait même d'utiliser «gaulois»
nom familier et symbolique à la fois.
pour « français» lorsqu'il voulait évoquer
un peu solennellement la nation. Ainsi en
1944: l'Europe se fera quand O DIALECTIQUE DE NOTRE HISTOIRE
s'associeront, pour l'équilibre et la paix, «Slaves, Cette longue histoire de la France est
Germains, Gaulois et Latins» (entendons, dramatique à souhait. C'est une longue
grosso modo, Russes, Allemands, Français alternance de catastrophes et de
et Italiens)4. Mieux encore, acclamé sur
redressements. Le Général tenait si fort à cette
1. Ch. de Gaulle, La France et son armée, Paris, Pion, 1938, idée qu'elle figure dans le premier
p. 25. Au début du même ouvrage, il fait même remonter chapitre des Mémoires de guerre, juste après
l'histoire plus haut encore puisque « Nos pères entrèrent dans
l'Histoire avec le glaive de Brennus- (p. 9). Les Gaulois qui prirent l'évocation de son enfance imprégnée
Rome deux siècles avant Jésus-Christ étaient donc «nos pères > d'histoire :
avant même d'être établis en sédentaires sur notre sol.
2. Observation de bon sens faite dans YHistoire de France «J'ai, d'instinct, l'impression que la
de Lavisse par Gustave Bloch dès 1903, alors même que Providence a créé [la France] pour des succès
Camille Jullian, dans une œuvre monumentale et vite célèbre, achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient
arrimait la France à la Gaule.
3- Y compris Gustave Bloch cité ci-dessus.
4. ... et leurs petits frères respectifs, tchèques, autrichiens, 5. Ibid., p. 256.
belges, etc., Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 3, Le 6. Ch. de Gaulle, Lettres, notes et carnets. 1919-1940, op.
salut, p. 58. cit., p. 108 (se rapporte à l'année 1921).
MAURICE AGULHON

que la médiocrité marque, pourtant, ses faits un rôle de premier ordre n'a pas le droit de
et gestes, j'en éprouve la sensation d'une se réduire au matérialisme bourgeois qui ne
absurde anomalie, imputable aux fautes des demande qu'à jouir tranquillement de ses
Français, non au génie de la patrie. Mais aussi richesses acquises. N'est pas médiocre qui
le côté positif de mon esprit me convainc que veut...» 3.
la France n'est réellement elle-même qu'au
premier rang; que seules, de vastes De Gaulle connaissait probablement
entreprises sont susceptibles de compenser les ces textes, très probablement même,
ferments de dispersion que son peuple porte en pour le second. Plus originale, chez lui,
lui-même; que notre pays, tel qu'il est, parmi l'idée que la France se compose d'un État
les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de et d'un peuple, et que cette dualité
danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref,
à mon sens, la France ne peut être la France essentielle donne la clef de la dualité
sans la grandeur»1. dramatique des phases du destin national. Dans
la page des Mémoires citée ci-dessus, on
Ce type de réflexion — à vrai dire, de rencontrait déjà «les Français», qui font
constat presqu'autant que de réflexion — des «fautes», et le «génie de la Patrie», qui
n'est pas sans précédent. Pour ne pas les répare périodiquement. On trouve le
remonter plus haut, Guizot, rédigeant en peuple qui «porte en lui-même des
1855 une préface à la réédition de son ferments de dispersion» - comment ne pas
Histoire de la Civilisation, écrivait qu'il y reconnaître l'hérédité gauloise,
avait ressenti, dans ses leçons, querelleuse depuis vingt siècles? - et, en face
«le sévère et profond plaisir d'assister au du peuple, ou plutôt au-dessus, et pour
développement laborieux, mais puissant, de le contraindre, et pour le mouler en une
ma patrie, et de la voir grandir et briller à nation, l'État. Dans un de ses fréquents
travers les obstacles, les efforts et les douleurs. accès de mélancolie, glissant parfois au
Il en coûte cher pour devenir la France» (et,
plus loin), «Nation pleine de force intelligente désespoir, le Général a un jour évoqué
et vitale, qui s'emporte, s'égare, le reconnaît, cette paire contrastée de valeurs en une
change brusquement de route, ou bien s'arrête antithèse lapidaire: «La gauche m'avait
immobile, lasse en apparence et dégoûtée de abandonné au lendemain de la Libération
chercher en vain, mais qui ne se résigne point parce qu'elle est contre l'État. La droite
à l'impuissance et se distrait de ses revers m'a abandonné ensuite parce qu'elle est
politiques par d'autres travaux et d'autres gloires,
en attendant qu'elle reprenne sa course vers contre le peuple»4.
son grand but»2. Le peuple est ce qu'il est, «gaulois» ou
«français» (les Français, au pluriel),
Plus récemment encore, et dans un porteur de ses penchants parfois fâcheux,
ouvrage encore plus célèbre, le Renan mais il existe du moins en permanence.
désolé de 1871 avait écrit dans La Réforme L'État, malheureusement, est plus
intellectuelle et morale que la France intermittent. On pourrait difficilement trouver
venait de subir un désastre approprié à un texte plus explicite de la pensée du
son destin Général que cette lettre privée, datée de
«II y a une justice pour elle; il ne lui est 1956;
pas loisible de s'abandonner, de négliger sa «Nous sommes "faits" pour être un grand
vocation; il est évident que la Providence peuple, même quand nous nous renions
l'aime car elle la châtie. Un pays qui a joué nous-mêmes. La déception de nombre de
Français à l'égard d'une France faible et médiocre
1. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 1, L'appel,
p. 1.
2. Guizot, Histoire de la civilisation en Europe et en France 3. E. Renan, La Réforme intellectuelle et morale de la France,
depuis la chute de l'Empire romain, préface à l'éd. de 1855, Paris, Calmann-Lévy, 1871, p. 1.
que nous citons d'après C. Jullian, Extraits des historiens 4. Ch. de Gaulle, Lettres, notes et carnets 1951-1958, op. cit.,
français du XIXe siècle, Paris, Hachette, 1922, p. 151-153. p. 143, lettre du 27 avril 1953, à son fils Philippe.
DE GAULLE ET L'HISTOIRE DE FRANCE

les porte à s'en détourner (communistes, Cha- Nous avons tenté de montrer ailleurs
teaubriant-Brasillach, partisans de l'Europe des comment, selon de Gaulle, la Révolution,
Six). C'est l'État qui a fait la France, on peut mauvaise, avait été si l'on peut dire sauvée
dire malgré - bien qu'avec - les Français, en
leur donnant des ambitions et une fierté de l'opprobre par le péril national
commune. L'absence d'État défait la France»1. auquel la Convention avait eu le mérite
de faire face en laissant le Clemenceau
Cet État est fait pour contraindre2. Pour du moment, Lazare Carnot, organiser la
cela il ne doit pas être trop abstrait: défense6.
«Suivant moi, il est nécessaire que l'État ait Cette théorie des divisions récurrentes
une tête, c'est-à-dire un chef, en qui la nation a un aspect conservateur qui, bien
puisse voir, au-dessus des fluctuations, entendu, distingue radicalement de
l'homme en charge de l'essentiel et le gérant
de ses destinées»3. Gaulle de la gauche: aucun combat
intérieur violent ne trouve grâce à ses yeux,
Cet État, en République (surtout avant ni Etienne Marcel, ni la grande
1958, bien sûr...), mais aussi parfois en Révolution, ni la lutte des classes. Mais cet aspect
Monarchie, peut ne pas remplir sa tâche, conservateur de sa pensée est atténué par
si le chef est défaillant, ou s'il se laisse sa théorie de la psychologie nationale, qui
submerger par les Gaulois, entendons par relativise les maux de la guerre civile en
les partis. Il perd alors sa «légitimité». les renvoyant à un penchant fatal, ainsi
Cette légitimité, notion gaulliste que par la théorie du sursaut national, qui
fondamentale, mais ce n'est pas ici le lieu d'en permet de rendre honorable la
discuter4, est plus facile à maintenir en Convention quand elle organise les soldats de
monarchie qu'en république, mais dans l'An II, ou le Parti communiste quand il
l'un ou l'autre régime, elle se fonde et se participe au bon combat de 1941 à 1945.
fait reconnaître au critère de l'intérêt Quand il y a péril extrême, et quand il
national. Il faut une légitimité, explique se trouve un chef pour appeler au
un jour de Gaulle à Pompidou; il y en rassemblement, alors s'ouvrent les grandes
avait une avant 1789. La Troisième perspectives victorieuses pour la patrie et
République a été bien près de la rétablir, rédemptrices pour les partis eux-mêmes.
consacrée qu'elle était par la victoire, en 1918 Le sursaut national pourrait-il se
(mais les divisions ont repris, écartant produire spontanément, et sans la présence
Clemenceau). Moi-même, général de Gaulle, d'un chef régulier ou improvisé, porteur
je l'ai rétablie en 1944 (mais peu après ou créateur de légitimité, qui en donne
les partis, à nouveau...)5. le signal? Ce n'est pas clair. Mais la
Ce même schéma, parfois plus affiné, réponse «Non» est la plus probable. Il
lui avait déjà servi pour parler du passé. semble que, pour de Gaulle, «l'antique
1. Ibid., p. 280, lettre du 17 juillet 1956, à Maurice André- instinct de la tribu» ait toujours besoin
Gillois. Dans la parenthèse, les trois catégories de mauvais d'un interprète. N'en a-t-il pas d'abord
Français sont les communistes, réputés parti de l'étranger, proposé le rôle à Paul Reynaud? C'est à
-séparatistes - dans le langage du Général ; les collaborateurs de
l'ennemi dans la période 1940-1944, évoqués par les noms des ce dernier qu'il écrit, le 25 juin 1936 (et
écrivains Alphonse de Chateaubriant et Robert Brasillach ; et Paul Reynaud n'est alors qu'un député de
enfin les partisans trop zélés de l'Europe supranationale...
2. Propos rapporté par Georges Pompidou dans Pour l'opposition au gouvernement du Front
rétablir une vérité (Paris, Flammarion, 1982), ouvrage posthume populaire) :
publié par Mme Claude Pompidou et Jean-François Saglio,
p. 134, 24 Juillet 1951. «Monsieur le Ministre, c'est vous qui aurez
3. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 3, Le salut, à faire, et peut-être prochainement, le regrou-
p. 280.
4. Notre contribution à la discussion dans La République de
1880 à nos jours, tome 5 de YHistoire de France, Paris,
Hachette, 1990, p. 282. 6. • De Gaulle et la Révolution », à paraître dans les Mélanges
5. G. Pompidou, Pour rétablir... op. cit., p. 61-62. en l'honneur de Michel Vovelle, Paris.
MAURICE AGULHON

pement national. Or on ne concentre un pays que où la défaillance de l'État laisse


que sur un sentiment, celui du péril couru, remonter à la surface la vieille passion
et, depuis que le monde est monde, ce querelleuse, où la passion entraîne les
sentiment n'a eu qu'une expression, la politique
militaire. Antique instinct de la tribu qui cesse désastres, où enfin du désastre surgit le
de se quereller pour des moutons ou pour chef qui refait l'autorité de l'État,
des femmes quand elle entend la rumeur des rassemble les querelleurs et fait rebondir la
ennemis et, soudain, s'accorde à préparer les nation vers les sommets. Pour que ce
frondes et les épieux. Ne vous semble-t-il pas système fonctionne (théoriquement parlant),
que le moment soit venu pour vous de jeter il faut donc des chefs, ... mais peut-être
au premier plan la question de nos armes?
Hitler n'a pas fait autre chose pour rassembler faut-il aussi des catastrophes.
l'Allemagne...»1 Des chefs, il est plus facile de les
trouver en monarchie; après tout, c'est à les
Comme on le sait, il en alla produire que servent les dynasties.
différemment et c'est à lui-même que quatre ans Charles de Gaulle a cessé pourtant très
plus tard le général de Gaulle devait jeune d'être royaliste, et n'a envisagé que
attribuer le rôle. de façon bien vague, par la suite, les
Alors, à son appel (on notera éventualités de restauration, voire de dictature.
l'importance du mot, devenu mythique: «Appel Du moins a-t-il voulu que la république
du 18 Juin», repris comme titre du tome I soit dotée d'un pouvoir exécutif assez fort,
des Mémoires de guerre, non certes par assez stable, et assez responsable pour
hasard) se produisit le mouvement avoir les avantages du pouvoir personnel
national. Conséquence, par contre-coup, des d'antan. Il faudrait alors évoquer tous les
passions fatales, ce mouvement est problèmes que posent aux
récurrent comme elles, et c'est pourquoi commentateurs depuis cinquante ans les rapports
on peut le dire au singulier, comme on du général de Gaulle avec l'idée de
parle au singulier de la division ou du république, l'idée de légitimité ainsi qu'avec
rassemblement. En voici une expression le droit constitutionnel. Mais il existe sur
caractéristique; elle date de 1921, dans eux une abondante littérature, la résumer
une conférence sur la défaite de Sedan ici n'apporterait rien et nous éloignerait
en 1870 (Napoléon III n'avait pas su être
de notre sujet.
un bon rassembleur, et Gambetta, semble- Il faut un chef, donc, régulièrement
t-il, s'y était pris trop tard). : désigné, à la limite autodésigné. Mais il
« II eût fallu que la France fût emportée par faut aussi un drame, ou que le marasme
cet irrésistible mouvement national qui l'avait ait tourné au drame pour que l'on puisse
sauvée déjà tant de fois dans son histoire ; que
tous les Français aient su oublier pour un un jour sortir du marasme par un sursaut!
temps leurs divisions et leurs passions et C'est en ce sens que la vision gaullienne
réunir en un faisceau toutes les énergies de la de l'histoire nationale est profondément
patrie. Mouvement national qui a porté à la dramatique, et profondément pessimiste.
victoire Philippe Auguste à Bouvines, Jeanne d'Arc Rien n'est plus clair, une fois de plus, que
à Orléans, Louis XIV et Villars à Denain, les propos tenus par de Gaulle à
la France révolutionnaire de 1792 à 1795, Jof-
fre sur la Marne, Clemenceau et Foch en Georges Pompidou, si celui-ci, comme tout
1918» ....2 porte à le croire, les a fidèlement compris
et rapportés.
Ainsi l'histoire de France paraît-elle (Du 2 Novembre 1949):
régie par une sorte de loi, évolution cycli-
«II n'y a rien à faire ... le pays se complaît
dans l'ignominie ... On ne peut compter que
1. Ch. de Gaulle, Lettres, notes et carnets, 1919-1940, op. sur l'événement. S'il y a la catastrophe, alors
cit., p. 405.
2. Ibid., p. 172. peut-être auront-ils un petit sursaut et peut-

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DE GAULLE ET L'HISTOIRE DE FRANCE

être pourra-t-on faire quelque chose. Mais ce de se poser en arbitre entre l'Alger des
n'est pas sûr»1. soldats et le Paris des politiques pour se
(Du 11 juillet 1950): hisser au pouvoir, faire changer les
institutions, et fabriquer une Cinquième
«Le Général, note Pompidou, arrive à 5h 30
et je le vois pendant près d'une heure. Numéro République conforme à ses vœux4. La suite
extraordinaire de philosophie. Artiste de est connue.
l'histoire contemplant avec une délectation amère
la fin d'un monde, [la guerre de Corée venait
d'éclater (M.A)] et Pompidou poursuit, citant
le Général cette fois : "En 1912-1913 on a senti On voit assez bien, si l'on nous a suivi,
venir la guerre et le pays s'est repris. En 1936- comment Charles de Gaulle a «vu»
1937 non; il est allé à Munich mais, malgré fonctionner l'histoire de France, comment
tout, il s'est laissé mobiliser. Cette fois, c'est cette dialectique d'un peuple enfant et
fini ... La France est finie. J'aurai écrit la
dernière page" etc.»2. d'un État paternel a nourri et fondé son
action politique, et comment cette idée
(Du 20 septembre 1951): des combats sanglants et de leur
«Mon impression, écrit Pompidou, il ne veut succession fatale a coloré de mélancolie toute
plus le pouvoir. Il se contente du "gaullisme sa personnalité. Chacun a en mémoire la
sans de Gaulle", de son rôle de mentor et de célèbre première page des Mémoires de
Cassandre. Il est devenu "historien et guerre («Toute ma vie je me suis fait une
spectateur". Et comme j'avais dit qu'il faudrait bien
certaine idée...»). En grand artiste (qu'il
arriver [au pouvoir, sous-entendu (M.A.)]
avant que tout ait flambé, il a dit: "Rien ne était aussi), le Général lui a donné pour
flambe jamais en entier. Et puis c'est fini de pendant une dernière page tout aussi
la France pour une ou plusieurs générations personnelle et tout aussi tendue. «Vieille terre
au moins. Cela a commencé au 18e siècle avec [la nature], vieille France... vieil homme
la grande industrie. Nous n'avions pas de [lui-même].» Faute de pouvoir la citer
charbon, peu de métaux, pas de pétrole... Et puis toute, retenons la partie qui nous a ici
les invasions. C'est l'invasion qui a coupé la
tête à Louis XVI, puis fait chasser Napoléon, retenu.
c'est la rancune de l'invasion qui a fait les «Vieille France accablée d'Histoire, meurtrie
révolutions de 1830 et 1848, c'est l'invasion de guerres et de révolutions, allant et venant
qui a chassé Napoléon III, puis la Troisième sans relâche de la grandeur au déclin, mais
République". Il s'arrête, et je n'ose continuer»3. redressée de siècle en siècle, par le génie du
renouveau.» ...5
On comprend la timidité de
Georges Pompidou, auditeur et, pour nous, Sisyphe, disions-nous tout à l'heure.
narrateur! «Continuer» en effet, extrapoler Mais quel Zeus a fixé le destin du Sisyphe
cette effrayante série, c'était bientôt français? Quel est ce «génie du
avouer qu'il faudrait une «invasion» pour renouveau» qui inspirerait périodiquement la
en finir avec «la Quatrième». Ou du moins remontée? En d'autres termes, qui a fixé
une catastrophe. En fait, il est bien cette mission à la France éternelle? Quelle
survenu une sorte de catastrophe, d'où est providence? En termes plus précis, on ne
sorti, comme attendu, l'événement: la voit ni les rapports qui relieraient l'idée
guerre d'Algérie, l'égale difficulté de la gaullienne du destin national à la
gagner sur le terrain ou d'en sortir par la philosophie chrétienne à laquelle il a toujours
négociation, le putsch d'Alger du 13 Mai déclaré appartenir, ni plus modestement
1958, et la fulgurante décision du Général
4. Nous admettons avec Alain Peyrefitte que le Général n'a
pas été informé du complot aboutissant au 13 Mai, mais qu'il
1. G. Pompidou, Pour rétablir... op. cit., p. 120-121. a, à l'improviste, saisi l'occasion qu'il offrait.
2. Ibid., p. 127-128. 5. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., 3, Le salut,
3. Ibid., p. 136. p. 337.

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MAURICE AGULHON

par quelles procédures la providence ou réfractaires au «nouvel ordre mondial»?


le hasard procureraient les événements Ou, au contraire, assumer franchement
qui rythment le cycle français de la l'entrée dans l'Europe, et tâcher de
grandeur et du déclin. On devine que transposer à l'échelle continentale de cette
l'extérieur y est pour beaucoup, l'étranger, les patrie élargie les vertus qui ont été celles
peuples rivaux, le vaste monde. La de la France? C'est le problème
«politique extérieure» est première dans cette d'aujourd'hui. Mais le Général est mort
histoire, et elle renvoie au destin de depuis un quart de siècle. Son heure à
l'univers des hommes. Mais que pensait de lui était celle de 1940. Nul doute qu'il ait
celui-ci le général de Gaulle? On ne voit été, dans la crise de son moment à lui,
pas qu'il se soit souvent prononcé là un digne combattant doublé d'un
dessus. éloquent interprète.
Enfin et cette fois en prospective, que
deviendra l'histoire de France à l'heure où D
tous les problèmes se mondialisent tandis
que se réduit, objectivement, le poids Professeur au Collège de France, Maurice Agulhon
relatif de ce pays? Faut-il garder «le rang» en vient de publier Histoire vagabonde, t. III, La
résistant à l'absorption de la France dans politique en France, d'hier à aujourd'hui (Gallimard,
l'Europe, et en s'appuyant sur les forces 1996, coll. 'Bibliothèque des histoires')-

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