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Revue française d'histoire d'outre-

mer

De Gaulle et le Maroc. Sous la direction de Mustapha Schimi,


préface de Michel Jobert
Daniel Rivet

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Rivet Daniel. De Gaulle et le Maroc. Sous la direction de Mustapha Schimi, préface de Michel Jobert. In: Revue française
d'histoire d'outre-mer, tome 78, n°292, 3e trimestre 1991. pp. 422-423;

http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_292_2914_t1_0422_0000_2

Document généré le 13/04/2016


422 COMPTES RENDUS

l'armée de terre. Par un scrupule peut-être excessif, la publication s'est voulue « respectueuse
des textes, y compris les fautes d'orthographe » et de dactylographie... (N'aurait-il pas
été possible de rétablir en notes l'identité exacte des personnages maltraitée par les scribes
de l'époque et l'orthographe des institutions algériennes. Exemple : les « Rhamanjas », cités
aussi sous le nom de « Rehmanias », n'auraient-ils pas pu être désignés comme la confrérie
des Rahmâniyya, qui tire son nom de celui de son fondateur Muhammad ibn 'Abd al-Rahmân
(1728-1794) ?
Les mêmes scrupules expliquent que soient publics dans la version des archives militaires
des textes connus. (Ainsi, malgré l'affirmation du commentateur [p. 49], la version publiée du
Manifeste algérien n'est pas le texte original du 10 février 1943, mais celui qui a été remis le
31 mars. Ce n'est pas l'Additif au Manifeste qui est publié page 40, mais un mince résumé
d'un texte fort long et souvent réédité.)
Cela dit, cette publication, enrichie de documents photographiques et de cartes,
d'organigrammes et de biographies : celles des responsables civils et militaires et des hommes
politiques français et algériens, se révélera vite un instrument de travail incomparable pour
tous les historiens et tous les chercheurs. On y trouvera une abondance de chiffres et de faits
précis introuvables ailleurs.
Qui savait qu'en novembre 1944, sur 174 500 Français mobilisables en Algérie (21,7%
de la population française totale), 120 000 étaient sous les drapeaux (68,7%), 18 570 affectés
spéciaux, 56 000 disponibles, les autres inaptes ou insoumis ? (Remarquons au passage que
se trouve ainsi remise en question l'affirmation courante selon laquelle « les Français d'Algérie
ont eu un pourcentage de mobilisés supérieur à celui de la métropole en 1914-1918 ». En
France, il y eut 7 893 000 hommes mobilisés sur 38 441 000 citoyens français, soit
20,53%; en Algérie 120 000 sur 804 000 Français, soit 14,92%).
Qui connaissait le bilan officiel des victimes de l'insurrection spontanée du Constantinois
(8-22 mai 1945) : 99 Européens et 3 soldats algériens tués par les insurgés,
1 165 « Musulmans présumés tués » par les forces de l'ordre et la population européenne
(rapport du général Duval, 9 août 1945) ? Les historiens auront cette fois intérêt à comparer
ces chiffres à ceux fournis par le gouverneur général Soustelle pour l'insurrection déclenchée
par l'A.L.N. le 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois : 123 victimes de l'action des
insurgés, dont 71 Européens, et 1 273 « rebelles » tués par les militaires et les commandos
d'Européens. Est- il possible que la jouréne du 20 août 1955 ait fait plus de victimes du côté
algérien que les opérations combinées de mai 1945 où intervinrent quelque 10 000 fantassins,
28 avions « effectuant 20 actions répressives : bombardements et strafiïngs » et des tirs
d'artillerie effectués par des bâtiments de marine ?
Au total, il faut le souligner, cet ouvrage consacré à un sujet délicat s'imposera aux
et aux professeurs comme un modèle de publication impartiale et honnête.
Charles-Robert AGERON

De Gaulle et le Maroc. Sous la direction de Mustapha Schimi, préface de Michel Jobert. —


Paris, Publisud-Sochepress, 1990. — 21,5 cm, 196 p., 16 ph.

Sur la trame d'un sujet, à vrai dire, un peu mince et sentant la circonstance, un collectif
d'historiens et de juristes, pour la plupart marocains, ont tissé, à force de variations
et de circonvolutions coulissantes, un bel ouvrage indispensable pour qui veut examiner
les rapports franco-marocains de 1940 à 1969.
Deux historiens, d'abord, circonscrivent avec méthode la Deuxième Guerre mondiale, forts
d'une compétence acquise au contact des archives françaises et américaines. Mohamed Kenbib
réduit à bien peu l'audience du général auprès des nationalistes marocains. Entre l'homme de
Brazzaville, en retard de vingt ans sur Lyautey, et Allai cl Fassi, impitoyable en sa résidence
forcée au Gabon, on ne voit pas se dessiner une interférence. Jaama Baïda fait ressortir
combien, à la suite du débarquement américain en novembre 1942, la presse du protectorat
français bascula, sans nulle transition, du vichysme éclatant au gaullisme ardent...

Rev. franc, d'hist. d'outre-mer, t. LXXVIII (1991), n° 292.


COMPTES RENDUS 423

Les juristes et les économistes, eux, s'exercent à comparer république gaullienne et


monarchie hassanienne. Entre la « république plébiscitaire » de l'un et la « monarchie
» de l'autre, y eut-il un jeu d'influence, et la captation d'un modèle, bref une imitation
consciente ou bien seulement des analogies formelles dues à l'esprit du temps ?
Mohamed Ghomari, comparant les pratiques du référendum (cinq du fait du général, six à
ce jour à l'initiative du roi), démontre l'écart entre les deux chefs d'Etat et rappelle
le résultat du référendum du 1er décembre 1989 qui laisse rêveur (99,98% de oui)...
Mustapha Sehimi, au cours d'un très vif et suggestif essai de constitutionnalisme
comparé, cerne aussi la différence de nature entre les deux régimes, mais scrute également deux
styles... L'usage, par exemple, de l'article 35 de la constitution de 1972 autorisant le souverain
du Maroc à décréter l'Etat d'exception n'a qu'une parenté lointaine et fictive, pour ainsi dire,
avec l'article 16 de notre constitution de 1958. Ce qui reste « provisoire » en France devient
« transitoire » au Maroc. Car l'élargissement de l'État de droit, apparent, y est une technique
de renforcement d'un pouvoir royal qui demeure un composé hybride de légitimité khalifienne,
de pouvoir de contraindre sultanien et de contractualité libérale-constitutionnelle quelque peu
surajoutée.
Avec peut-être moins de brio, mais autant d'intensité, Mohamed Raja Amrani compare,
lui, deux styles économiques, deux modes d'intervention étatique, l'un et l'autre sous le signe
du pragmatisme. Mais si de Gaulle tolère le laisser-passer, il proscrit le laisser-faire et, là
encore, implicitement, la différence se creuse...
A la suite d'une contribution très substantielle, Bouhout cl Mellouki Riffi démontre, en
force et en finesse, comment et pourquoi il n'y eut qu'une « introuvable coopération
» entre la France du général, encore congénitalement néo-coloniale, et un Maroc encore
mal dégagé des « maladies infantiles de la décolonisation » (Esprit, 1957). Peut-être eut-il pu
assouplir un peu son argumentaire en faisant plus de place à l'affaire Ben Barka, à la suite de
laquelle la coopération, de 1965 à 1969, se réduisit au strict minimum, c'est-à-dire à
l'intendance (coopération technique et culturelle).
Deux contributions, celle de Michel Rousset et de Claude Nigoul, n'ajoutent vraiment
rien au dossier mais posent question : pourquoi des universitaires français ont-ils recours au
genre du panégyrique sans resetrictions pour parler du roi du Maroc ?...
De Gaulle avait-il senti le Maroc ? Pouvait-il comprendre l'essentiel historique d'un pays
où surabondent les traces et les symboles d'une société, d'un État plus que millénaires ? Un
nationalisme en cachc-t-il un autre, inexorablement, fatalement ? Ce livre ruisselant
impeccables et gorgé de rhétorique de qualité eut pu s'attacher à cerner plus
celte question. Les photographies, parachutées pour donner vie à l'ouvrage, méritaient
un commentaire, qui nous montrent de Gaulle sur les points nodaux du vieil empire. Et puis
quelle fut sur sa vision du Maroc l'influence d'hommes qui, tels un Pierre Vienot, un Lucien
Paye, voire un Gaston Palevski, l'avaient appris à bonne école, et qui pressentirent la
décolonisation ?
Daniel RIVET

DAKHLIA (Jocelyne) : L'oubli de la cité. Récit de lignage et mémoire collective dans le Sud
tunisien. — Paris, La Découverte, 1990. — 22 cm, 516 p.

Ce n'est pas une tâche aisée de rendre compte du remarquable travail de recherche de
Jocelyne Dakhlia, car il s'agit en fait d'une nouvelle vision de l'histoire proposée à la critique.
L'auteur est une authentique historienne qui a dépouillé, semble- 1- il, toutes les archives
publiques ou privées concernant la région étudiée. Au-delà, en ethnologue avertie, elle a voulu
parvenir à une histoire totale au moyen de sources orales. Elle a procédé à 250 enquêtes, le
plus souvent collectives, dans les milieux les plus divers, au Jérid même, dans la région
minière voisine Gafsa Metlaoui, à Tunis et auprès de Jeridis émigrés à Paris.
D'une certaine manière, ce livre est un constat d'échec. 11 n'existe pas au Jerid de tradition
orale, de griots officiels. L'écrit étant souverain et la parole indigne, on renvoyait

Rev. franc, d'hist. d'outre-mer, t. LXXVIII (1991), n° 292.

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