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Module : CCL
Cours 5 : Le revanchisme
Le revanchisme ou esprit revanchard est un sentiment nationaliste entretenu dans l’opinion publique.
Le mot « revanche » apparaît très tôt, dans la prédiction de Victor Hugo en novembre 1870 1, puis dans le
fameux discours de Gambetta sur la tombe de Küss2.
Sa traduction historique la plus représentative vient des trois conflits franco-allemands, sur une
période s’étalant de 1870 à 1945, durant laquelle le revanchisme a été ressenti de part et d’autre du Rhin, se
cristallisant sur les multiples annexions de l’Alsace-Lorraine.
1
« II y aura une revanche dans quatre ou cinq ans » (cité par Edmond de Goncourt, Journal, 7 novembre 1870).
2
Émile Küss, est un professeur de médecine, un journaliste et un homme politique alsacien, né le 01 février 1815 à Strasbourg,
mort à Bordeaux le 01 mars 1871. Lorsqu’il apprend que ses collègues de l'Assemblée nationale siégeant avaient décidé
d'abandonner l'Alsace et la Lorraine, il est victime d'une défaillance cardiaque à laquelle il succombe.
L’opinion française estime que l’Alsace-Lorraine est soumise depuis la fin de la guerre franco-
prussienne à un régime oppressif et entretient la nostalgie des provinces perdues. Ce sentiment est illustré,
par exemple, par le succès du livre Le Tour de France par deux enfants ou par la déclaration de Fustel de
Coulanges professeur à l’université de Strasbourg, qui déclara le 27 octobre 1870 à propos de l’Alsace :
Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de
la patrie, elle est française. Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV c’est notre
révolution de 1789. Depuis ce moment l’Alsace a suivi toutes nos destinées ; elle a vécu notre vie. Tout ce
que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous sentions, elle le sentait. Elle a partagé nos victoires et
nos revers, notre gloire et nos fautes, toutes nos joies et nos douleurs. Elle n’a rien eu de commun avec vous.
La patrie, pour elle, c’est la France. L’étranger, pour elle, c’est l’Allemagne3.
3. Pacifisme officiel
La position officielle des gouvernements successifs de 1871 à 1914 était pacifique. De 1871 à 1879,
dite période de « Recueillement » le gouvernement adopte une ligne timide sous couleur de procéder à la
réorganisation du pays et au règlement de la question du régime. Thiers a une position très nette sur cette
question :
Les gens qui parlent de vengeance, de revanche, sont des étourdis, des charlatans de patriotisme dont les
déclamations restent sans écho. Les honnêtes gens, les vrais patriotes veulent la paix en laissant à un avenir
éloigné le soin de décider de nos destinés à tous. Pour moi je veux la paix.
L’arrivée des républicains en 1879 ne modifie qu’en apparence la politique extérieure de la France.
On assiste, alors, à une floraison remarquables de romans, de chansons et d’images sur l’Alsace-Lorraines ;
de multiples sociétés sportives et patriotiques voient le jour, dont la ligues des patriotiques. Même si le
gouvernement encourageait ces mouvements, les relations franco-allemandes, sous Jules Ferry étaient les
meilleurs.
4. L’opinion publique
Une vision héritée des socialistes et des nationalistes veut que les gouvernements successifs de la
Troisième République aient systématiquement trahi la volonté populaire. Les français dans leur écrasante
majorité ne veulent pas la guerre. Le plus souvent semble régner l’oubli, régulièrement noté par les
observateurs avec plus de tristesse que d’indignation.
3
Réponse à Theodore Mommsen qui avait publié Agli Italiani publié par Fustel de Coulanges dans la Revue des deux Mondes en
octobre 1870
On retrouve la même attitude chez les « intellectuels français ». Les deux célèbres enquêtes du
Mercure de France en 1895 et 1897 permettent de mesurer l’ampleur de la résignation. La première est
consacrée aux relations franco-allemandes en dehors des questions politiques et tout le monde y est
favorable. La deuxième porte sur la question de « l’Alsace-Lorraine et l’états actuel des esprits » et les
réponses semblent un peu nuancées. Une majorité écrasante déclare que la France ne veut pas la Revanche et
que l’oubli gagne tous les esprits, mais beaucoup ajoutent que, pour leur compte personnel, eux-mêmes
n’oublient rien.
5. Boulangisme et Revanche
Une analyse plus profonde de ses propos montre que seule la première phrase qui compte. Accusé en
mars 1889 de bellicisme par lord Berseford dans le Nintheenth Century, il répond « pourquoi voulez-vous
que je rêve la guerre quand ni la France ni l’Allemagne la veulent ? 4». Il faut dire que ce n’est pas
seulement le vœu de Boulanger, mais de toute la majorité ministérielle qui joue de cette arme « pas de
Sedan ». Les boulangistes de base paraissent animés des mêmes sentiments, à l’exception d’un groupe, celui
d’Ivry-sur Seine en aout 1889, qui réclame la révision du traité de Francfort, mais d’une façon très pacifique.
C’est presque le début d’une scission entre les boulangistes et les patriotiques dont seul, Déroulède cherche
la Revanche.
6. Nationalisme et Revanche
Tout comme leurs prédécesseurs, les nationalistes ne veulent pas entendre parler de la Revanche. La
Revanche est totalement absente de l’affaire Dreyfus et, en décembre 1898, Jules Lemaitre songe vaguement
à récupérer la Lorraine par échange ou rachat. Barres, pendant l’affaire Dreyfus, reste distant. Drumont se
moque de Déroulède, en évoquant le temps où lui et sa ligue « provoquaient niaisement l’Allemagne 5 » Le
jeune Charles Maurras ne se montre pas plus belliqueux et prône une politique de recueillement. De façon
générale, les nationalistes les plus ardents prédisent à leur pays, en cas de conflit avec l'Allemagne, « une
raclée encore plus formidable » qu'en 1870.
La France ne veut pas la guerre et ne songe guère à la Revanche, c'est entendu. Mais on aurait tort d'en
conclure qu'elle tourne définitivement la page et renonce aux provinces perdues. « Ni guerre, ni
4
La réponse de Boulanger à lord Beresford, sous la forme d'une lettre à Nutchings, est reproduite dans le Clairon du 22 mars
1889. Sa déclaration à Chincholle figure dans la Justice du 1 4 avril suivant.
5 Edouard Drumont, La France juive, essai d'histoire contemporaine, Paris, 1886; 11e édition, s.d., t. 1, p. 465.
renoncement », écrit le jeune Jaurès en 1887, définissant très clairement l'attitude ambiguë du gouvernement
et de l'opinion. De 1871 à 1914, la France ne veut ni faire la guerre ni tourner la page, elle veut la Revanche
sans la guerre.
L'idée d'une guerre de revanche est loin d'être populaire dans la nation. Les excitations contre les
Allemands ne rencontrent l'approbation générale que quand le mot de guerre n'est pas prononcé. [...] La
réalisation de ce désir comme imminente est indubitablement très antipathique à la population.
Le plus souvent, les Français résolvent leurs contradictions par une synthèse bâtarde, ne jamais faire de
guerre offensive mais se préparer activement à une guerre défensive :
6
Après avoir souligné son attachement sans réserves à la paix, Jaurès ajoute, parlant de l'annexion de l'Alsace-Lorraine « II est
impossible à la démocratie française d'accepter cette [...] La démocratie se perdrait, si elle entrait dans le monde tête basse, si elle
achetait d'un peu de terre française le repos et la liberté »
7
Premiers vers du poème qu'un ligueur, Paul Manoury, adresse à Déroulède le 14 juillet 1888, en plein boulangisme (A.N., 401
AP 13)