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Introduction :
« Quel que puisse être le succès final, l’ombre du grand désastre de 1940 n’est pas près de s’effacer. » écrit
Marc Bloch, historien et officier de l’armée française dans son livre L’étrange Défaite, témoignage dans lequel il
interroge les raisons de la défaite française de 1940.
En mai 1940, l’offensive allemande met fin à la « drôle de guerre ». Les armées françaises et allemandes se
retrouvent sur le champ de bataille au moment de la bataille de France, qui se solde par un échec retentissant pour
les armées françaises. Nous avons ici soumis à notre étude deux discours prononcés peu après l’invasion de la France
par l’armée allemande, qui occupe alors le tiers nord-est du pays. Dans ce contexte, deux lignes de conduite
s’opposent au gouvernement. D’un côté, le président du Conseil – donc le chef du gouvernement sous la IIIe
République –, Paul Reynaud, est partisan d’une alliance renforcée avec le Royaume-Uni. Le général de Gaulle,
nommé le 6 juin sous-secrétaire d’État à la guerre, soutient ce choix. À l’opposé, le maréchal Pétain, entré au
gouvernement comme vice-président du Conseil (17 mai 1940), est favorable au fait d’accepter la défaite. Ce sont
donc deux chefs militaires qui exercent des fonctions politiques de premier ordre. Mais ces deux hommes jouissent
alors d’une renommée différente : le général De Gaulle est un inconnu pour l’opinion publique, alors que Pétain, « le
vainqueur de Verdun » est auréolé de gloire. Ils s’adressent tous deux aux Français sur les ondes radiophoniques, le
média le plus populaire de l’époque, pour tenter de convaincre la population du bien fondé de leurs décisions et
d’obtenir son ralliement. Pétain utilise la radio française et De Gaulle se trouve lui à Londres, et le premier ministre
anglais, Churchill, l’autorise à utiliser les ondes de la BBC.
Comment ces deux chefs de guerre interprètent-ils la débâcle française ? Dans quelle mesure ces discours
montrent la construction de deux visions et deux légitimités antagonistes sur la poursuite du conflit ?
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I. LE CONSTAT DE LA DEBÂCLE FRANCAISE
A. Une défaite rapide et traumatique
Doc. 2 « Dès le 13 juin, la demande Le 10 mai 1940, l’Allemagne nazie attaque la Belgique, les Pays-Bas et la
d’armistice était inévitable », « ses France avec la percée de Sedan mettant fin à la « drôle de guerre ». Le
échecs », « la leçon des batailles 10 juin, les forces nazies sont rejointes par les armées italiennes. Malgré
perdues » des combats acharnés, notamment la bataille de Dunkerque, l’armée
française est vaincue en moins d’un mois. Les nazis marchent sur Paris le
14 juin et le gouvernement se replie successivement à Tours, puis à
Doc. 1 « La défaite », « nous avons été Bordeaux. Au moment où les discours sont prononcés, l’armée
et nous sommes submergés par la force allemande a envahi tout le nord-est du pays, causé la mort de 200 000
mécanique, terrestre et aérienne, de personnes et fait 2 millions de prisonniers.
l’ennemi. » « Territoire malheureux de
Cette défaite rapide provoque en outre l’exode de millions de français,
notre pays » « La bataille de France »
fuyant l’avancée de la Wehrmacht et désertent les grandes villes. On
estime qu’entre mai et juin 1940, 9 millions de français dont 2 millions de
parisiens sont sur les routes, engendrant un véritable chaos et entravant
le déplacement des troupes françaises.

Doc. 1 « submergés par la force


mécanique, terrestre et aérienne de Les deux chefs de guerre s’accordent sur un point : la supériorité de la
l’ennemi », « ce sont les chars, les tactique allemande. La Wehrmacht pratique la tactique du Blitzkrieg
avions, la tactique des Allemands qui (« guerre éclair ») qui consiste à conjuguer l’action des forces terrestres
ont surpris nos chefs », « foudroyés et aériennes sur des objectifs ciblés pour obtenir une victoire rapide. Elle
aujourd’hui par la force mécanique » repose sur l’effet de surprise, la rapidité de la manœuvre et la brutalité
de l’assaut. Cette tactique est utilisée lors de la percée de Sedan et à
Doc. 2 « L’infériorité de notre matériel nouveau au moment de la bataille de Dunkerque. Ils arguent également
a été plus grande encore que nos du déséquilibre des forces allemandes et françaises.
effectifs. L’aviation française a livré un
contre six ses combats . », « cet échec
surprit »
B. Des analyses militaires qui divergent

Doc. 1 « qui ont surpris nos chefs au De Gaulle souligne l’impréparation des chefs militaires, il rend
point de les amener là où ils sont responsable de la défaite le haut commandement et sa stratégie
aujourd’hui », « moi qui vous parle en défensive qui reposait en grande partie sur la ligne Maginot, ligne de
connaissances de cause » fortifications construite par la France sur ses frontières allemandes,
suisses, belges et italiennes dans l’entre deux guerres. Il est intéressant
de noter que De Gaulle s’exclut ici de ces chefs, lui qui s’est illustré dans
des plaidoyers en faveur du dvlp des forces blindées depuis les années
Doc. 2 « Depuis 1918, l’esprit de 30.
jouissance l’a emporté sur l’esprit de A l’inverse, Pétain rend responsables « l’esprit de jouissance » et accuse
sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a un « on » indéfini. Il tient pour responsable la IIIe République et les
servi. On a voulu épargner l’effort ; on divers gouvernements de l’entre-deux-guerres, dont le Front Populaire
rencontre aujourd’hui le malheur. » et ses réformes (congés payés, réduction du temps de travail). Se crée à
ce moment là l’idée que l’entre deux guerres serait des « années folles »,
marquées par l’insouciance, l’euphorie et la féminisation de la société.
Doc. 2 « trop peu d’enfants »
Vieille idée entretenue depuis le XIXe siècle du déséquilibre
démographique entre la France et l’Allemagne qui serait une des causes
de la défaite. En filigrane, on perçoit la volonté de Pétain de cantonner
les femmes à leur rôle traditionnel : celui de mère.
Transition et réponse explicite à la pblm : Les deux auteurs s’accordent sur la débâcle française et l’on mesure à
quel point cette défaite marque un traumatisme profond dans l’ensemble de la société. Malgré tout, leurs analyses
des causes de cette défaite divergent et préfigurent leurs visions antagonistes quant à la poursuite ou non du
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conflit.
II. DEUX VISIONS ANTAGONISTES SUR LA POURSUITE DE LA GUERRE
A. La fatalité de l’armistice pour Pétain
Pétain insiste sur le fait que la France se retrouve sans alliés : les USA
Doc. 2 « nous avions aussi moins demeurent dans une politique isolationniste et refusent alors d’entrer en
d’amis », « trop peu d’alliés » guerre. La Grande Bretagne et son premier ministre Churchill, alliés de la
France, se replient au moment de la bataille de Dunkerque et de
l’opération dynamo. L’URSS respecte le pacte germano-soviétique de non
agression mutuelle avec l’Allemagne.

Doc. 2 « cette décision, dure au cœur Par ailleurs, il fait énormément de référence à la Grande guerre. Pétain
d’un soldat », « vous souvenant de 1914 est alors le « vainqueur de Verdun » et jouit d’une grande popularité. Il
et de 1918 » thésaurise sur son rôle de vainqueur et de son expérience militaire pour
faire accepter la défaite. Il fait de sa personne la garantie d’une
négociation bien menée. [Marc Bloch dans L’étrange défaite : « en un mot,
parce que nos chefs, au milieu de beaucoup de contradictions, ont prétendu,
avant tout, renouveler, en 1940, la guerre de 1915-1918. Les Allemands
faisaient celle de 1940 » ]
Doc. 2 « J’ai demandé à nos adversaires
de mettre fin aux hostilités », « la La décision de l’armistice apparaît alors comme fatale, inéluctable.
demande d’armistice était inévitable » Pourtant, loin d’être une fatalité, l’armistice à au contraire été sujet de
« parce que la situation militaire débats. Le président du Conseil Paul Reynaud souhaitait continuer la
l’imposait » guerre, mais mis en minorité il démissionne et est remplacé le 16 juin par
le Maréchal Pétain, qui demande l’armistice le lendemain. L’armistice
désigne la demande d’arrêt des combats mais n’équivaut pas à la paix.
B. La poursuite de la guerre grâce aux Alliés pour De Gaulle
Doc. 1 « cette guerre est une guerre Pour De Gaulle, la défaite de la bataille de France ne sonne pas la fin de la
mondiale », « La France n’est pas seule ! guerre. Il a conscience que la guerre est mondiale et que les terrains des
Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas conflits sont multiples. Il y a donc une volonté de poursuivre le combat
seule ! » par sa mondialisation.
En effet, les empires coloniaux britanniques et français sont alors les plus
grands et vastes du monde. La France est à la tête d’un empire territorial
Doc. 1 « Elle a un vaste empire derrière
important, s’étendant sur trois continents et qui peut fournir ressources
elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire
et Hommes en nombre. Son appel à la résistance s’adresse à tous,
britannique […] »
citoyens français ou sujets des colonies.
Certes, les USA ne participent pas directement aux combats mais
fournissent déjà de l’argent et du matériel de guerre à la Grande
Doc. 1 « utiliser sans limites l’immense Bretagne Churchill et Roosevelt ont passé des accords et les Usa
industrie des Etats-Unis » deviennent progressivement « l’arsenal des démocraties ».

Doc. 1 « Moi, général de Gaulle, Réfugié en Angleterre et soutenu par Churchill, De Gaulle lance un appel
actuellement à Londres, j’invite les à le rejoindre. Conscient de l’idée de « guerre totale », son appel ne se
officiers et les soldats français […] j’invite limite pas aux soldats, mais aussi aux ouvriers. Il souhaite alors faire de
les ingénieurs et les ouvriers spécialistes Londres et des colonies les bases de repli des français n’acceptant pas la
des industries d’armement », « Quoiqu’il victoire allemande. Il se pose alors en leader, en homme providentiel et
arrive, la flamme de la résistance incarne la Résistance.
française ne doit pas s’éteindre et ne
s’éteindra pas. »

Transition et réponse explicite à la problématique : Ces deux discours montrent qu’il existe deux visions antagonistes
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de la poursuite du conflit, et qu’elles sont toutes deux incarnées par leurs auteurs. Juin 1940 est un moment de
construction de deux légitimités antagonistes autour de deux chefs de guerre.

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