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TRAVAUX DIRIGÉS LITTÉRATURE ET FRANCOPHONIE

Année universitaire : 2022/2023


Niveau : Licence 1
Texte N° 1 : Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998,
pp. 76-79.
Le président Fricassa Santos qui refusait l'intégration des mercenaires paléos dans la
jeune armée nationale de la République du Golfe différait des autres chefs d'État francophones.
Il constituait une exception. Son parcours était autre. Les autres pères de la nation et de
l'indépendance avaient été inventés et fabriques par le général de Gaulle. Fricassa Santos était
un père de la nation et de l'indépendance qui s'était autofabriqué, avait autoprospéré. Il avait
lutté pour l'indépendance et avait été chef de l'État en triomphant du candidat du général de
Gaulle au cours d'une consultation supervisée par l'ONU. Il n'était pas un père de la nation et
de l'indépendance inventé et fabriqué par la France et le général de Gaulle.
Après la défaite indochinoise et la guerre d'Algérie, le général de Gaulle et la France
décidèrent de décoloniser les possessions françaises de l'Afrique noire. Pour des motifs
évidents, il avait paru impossible d'intégrer dans l'ensemble français un sous-continent habité
par près de cinquante millions de Nègres sauvages, en majorité primitifs et parfois
anthropophages sans risquer de faire coloniser à long ou moyen terme la France.
Il n’est pas possible non plus de laisser ces vastes et riches territoires et les importants
investissements et intérêts français qu'ils renfermaient à la merci de leaders africains
démagogues inexpérimentés, prévaricateurs et inconscients. Le génie politique du général de
Gaulle lui permis de trouver une solution satisfaisante au problème. De Gaulle parvint à
octroyer l'indépendance sans décoloniser. Il y réussit en inventant et en entretenant des
présidents de la République qui se faisaient appeler pères de la nation et de l'indépendance de
leur pays, alors qu'ils n'avaient rien fait pour l'indépendance de leur République et qui n'étaient
pas les vrais maîtres, les vrais chefs de leurs peuples. (...)
La bonne trouvaille du général de Gaulle avait été cette création de la Communauté
française avec ces meneurs nègres lorsqu'ils furent acclimatés aux bords de la Seine et
redoutaient le retour immédiat et définitif dans leur brousse natale. Complète le répondeur.
Et la communauté avait réussi partout, sauf en République des Monts où régnait
l'homme en blanc au totem lièvre qui ne s'était pas encore remplumé en dictateur sanguinaire.
La Communauté était parvenue, dans les autres territoires, à faire plébisciter comme chef de
gouvernement, par des élections législatives et des référendums qu'elle avait réussi à truquer,
l'élu de la colonie que le général de Gaulle avait préféré et dont les paroles ne juraient pas trop
avec la thèse colonialiste de l'infériorité du Nègre voleur et paresseux. Le nouveau chef de
gouvernement choisi par le général avait été forcé - en dépit de sa propre réticence, comme en
République des Ebènes, insinue le répondeur - de proclamer l'indépendance de la colonie dans
l'interdépendance et en toute amitié avec la France. La proclamation solennelle achevée, il avait
présenté le drapeau qu'on lui avait conseillé comme emblème de la nation, avait chanté l'hymne
qu'on lui avait composé, s'était décoré du grand cordon de l'Ordre qu'il venait d'instituer et s'était
proclamé Président rédempteur, Père de la nation et de l'indépendance de sa nouvelle
République.
De Gaulle dépêchait aussitôt un avion Caravelle cueillir le récent chef d’État : celui-ci,
la préférée de ses épouses et ses valets. La Caravelle les débarquait à Nice, où une semaine
durant, des maitres de cérémonie enseignaient au nouveau Président et surtout à la Présidente
les indispensables rudiments des règles du savoir-vivre qu'il fallait posséder pour évoluer dans
la cour élyséenne du général de Gaulle
La Caravelle et des Mercedes les rembarquaient et les transportaient jusqu'à Paris,
jusqu'au perron de l'Elysée. Au nez et à la face de l'univers médusé, le général de Gaulle en
personne confirmait le plébiscité dans sa nouvelle charge de magistrat suprême en l'interpellant
« Excellence monsieur le Président ». Il le félicitait pour son anticommunisme vigilant. La reine
d'Angleterre et le président des USA - la guerre froide obligeait - recevaient le nouveau
président avec le protocole d'État.
À New York, le nouveau président lisait devant l'Assemblée générale des Nations unies
un discours préparé par l'ambassadeur de France à l'ONU. Les représentants des deux mondes
unanimes - le monde communiste et le monde capitaliste - applaudissaient et votaient
l'admission du nouvel Etat à l'ONU. Avec le certificat pour son pays d'une nation libre,
indépendante et égale en droit à toutes les nations de l'univers, le Président rentrait dans son
pays, réintégrait le palais du gouverneur de la colonie et proclamait le parti unique.
[...]. Et, à partir de ce jour, commençait le titanesque combat du Père de la nation et de
l'indépendance contre le sous-développement. Combat dont chacun connait aujourd'hui les
résultats, c'est-à-dire les tragédies dans lesquelles les ineffables aberrations ont plongé le
continent africain. Conclut Tiécoura.
Texte N°2 : Olympe Bhêly-Quenum, C’était à Tigony, Paris, Présence Africaine/NEI, 2000,
pp.229-230.

« Sauf erreur de perception, Madame le Représentant, vous m'avez semblé y avoir fait
allusion en des termes qui m'ont fait penser que vous étiez en colère. Bref, vous voudrez
m’excuser d'avoir rapporté trop longuement des pensées venues d'ailleurs auxquelles je n'ai rien
modifié, ni ajouté, mais que j'approuve et fait miennes. Quant à mon point de vue personnel, le
voici : les enfants du Wanakawa ne devraient pas, ne doivent pas être absents des organisations
qui s'intéressent aux mines du mont Franakiniriyo. Créer une société africaine des mines dans
laquelle nous, Africains, serons majoritaires à plus de 51% et dont tout Occidental qui le
voudrait et le pourrait serait aussi actionnaire », termina-t-il, les yeux rivés sur Dorcas
impassible, bien qu'il eût lu des signes d'assentiment sur son visage.
Les secrétaires applaudirent vivement ; Dugratin aussi ; réticents, ses compatriotes
tapotaient d'un geste sans énergie dans la paume d'une main, avec les doigts de l'autre, crochus
tel un rapace agrippant une proie dans ses serres.
Dorcas semblait écouter, comme si eux aussi parlaient à leur tour ; elle approuva ‘’les
propos de Monsieur Niriokiriko Aplika’’, déclara avoir la conscience soulagée qu'un
ressortissant de Wanakawa, en activité au Bureau régional du Consortium, ait pu exposer de
telles idées ; l'avenir économique, social et culturel trop souvent négligé dans ce pays, devra
beaucoup à l'exploitation des mines qui ne sauraient être une manne pour les seuls
Occidentaux».
Analossokirioni, une des secrétaires, dit que si le rêve d'une société africaine des mines
se métamorphosait en une réalité objective, elle souhaiterait y investir une partie de son salaire
mensuel, au lieu de la confier à « ces banques où notre argent ne nous rapporte rien ».
Toutes les banques de ce pays dépendent de l'Occident ; pas une n'accepte qu'un Africain
ait un compte épargne ou bloqué ; nos commerçants et commerçantes déposent des milliards de
francs que ces buildings-là font travailler sans intérêts pour leurs propriétaires, réagit Anari
nkosi, une autre secrétaire.
C'est au gouvernement, plus carrément, à l'État d'ériger un barrage face à de tels abus ;
mais le peuple aussi, avec la même détermination que pour la grève, peut avoir son mot à dire
et son rôle à jouer, dit Ségué n'Di.
Ne pensez-vous pas qu'une grève d'une telle ampleur suffit dans un pays comme le
vôtre? dit Thèse, un des techniciens nouveaux venus.
Il paraît qu'en France, et aussi ailleurs en Europe démocratique, les gouvernements ne prennent
conscience de la réalité de nombre de problèmes que lorsque les travailleurs ou le peuple
réagissent, dit Selinio, une autre secrétaire.
Dorcas sourit, Thèse rougit violemment et déclara :
Il faut avoir les moyens des grèves qu'on fomente. [...]
Dorcas sourit encore, puis annonça que les délégués internationaux avaient décidé de « se
constituer en une table ronde ; ce n'est pas notre affaire ; le rapport de leur tenue nous fera
connaître l'essentiel de leurs débats ; pour l'heure, je vous informe qu'ils visiteront nos bureaux,
mais surtout le chantier »

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