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Le pétrole congolais d’Elf, huile de la Françafrique

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AGATHE DAHYOT / LE MONDE

Le besoin était double pour la France. Au mitan du XXe siècle, il s’agissait d’une part de
trouver de nouveaux canaux d’approvisionnement en hydrocarbures, à la suite de la crise
du canal de Suez et à la détérioration de ses relations algériennes. Mais il fallait aussi
trouver une solution au maintien de l’influence française dans les ex-colonies africaines,
tout en contrecarrant les volontés marxistes-léninistes prônées par le parti au pouvoir
dans la République du Congo.

Encouragée par la découverte, au Gabon voisin, d’importants gisements pétroliers, la


France s’implante donc durablement au Congo, à travers la société publique française Elf-
ERAP. La société, devenue Elf-Aquitaine en 1977, étend son influence dans les pays du
golfe de Guinée, sous l’œil bienveillant de Jacques Foccart, secrétaire général à la
présidence pour les affaires africaines et malgaches. « Monsieur Afrique », comme il était
surnommé, s’appuie sur la structure et les largesses du groupe Elf pour organiser la
politique africaine de la France. Il devient dès lors l’intermédiaire essentiel entre la France
et les régimes africains, principal instigateur de la notion de « Françafrique », tandis
qu’Elf se transforme en officine de barbouzes, bras du renseignement français en Afrique.

Elf, tête de pont de la diplomatie et de l’espionnage français


En 1979, Denis Sassou Nguesso, cofondateur du Parti congolais du travail (PCT) dix ans
plus tôt, accède au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat. Il est considéré par les diplomates
comme « l’homme des Soviétiques », mais cela n’empêche pas Elf de s’accommoder du
régime communiste, tout autant que les dirigeants congolais acceptent parfaitement
l’omniprésence de la société pétrolière. De fait, toutes les parties en présence en profitent

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largement. Elf est la tête de pont de la diplomatie et de l’espionnage français, tout en
rapportant énormément d’argent à la France. En face, l’énorme pactole des hydrocarbures
était aussi utilisé à des fins de corruption, ainsi qu’au financement de campagnes
politiques en France.

Les relations sont donc, à cette époque, entre le Congo et Elf, particulièrement
florissantes. Entre l’arrivée au pouvoir de Denis Sassou Nguesso et le tournant des années
1990, la production congolaise en hydrocarbure du Congo double. Mais le pays s’endette
avec des préfinancements pétroliers, qui arrangent fortement Elf, et dont les traces se
perdent dans des paradis offshore et des comptes en banque helvètes. Le mécontentement
de la population, qui supporte le poids des créances congolaises, oblige le dictateur à jouer
le temps en promettant la tenue d’élections démocratiques.

L’aide financière d’Elf pendant la guerre civile


Elf — et au-delà, les réseaux de la Françafrique — fait son possible pour garder son bon
ami en place en vue des élections. Mais le 16 août 1992, le Congo élit un nouveau
président : Pascal Lissouba. Il hérite d’un pays où l’armée est encore acquise à M. Sassou
Nguesso, où Elf fait la pluie et le beau temps, et dont les caisses sont singulièrement
vides : « Le pétrole est hypothéqué jusqu’en 2001 », selon François-Xavier Verschave
dans son livre Noir silence (Editions des Arènes, 2000). Mais, politiquement, M. Lissouba
ne s’impose pas vraiment, et d’erreurs en maladresses, Elf comprend rapidement qu’il
vaut mieux adopter une position attentiste : tout en nouant des liens avec le nouveau
gardien du pétrole congolais, la société française sait que l’ancien dictateur pourrait
revenir au pouvoir à la prochaine échéance présidentielle, en 1997.

Quelques mois avant cette échéance, M. Sassou Nguesso est reçu en ami par le président
de la République français Jacques Chirac. Tout laisse à penser que, malgré les promesses
de neutralité, tous les réseaux de la Françafrique se sont activés pour remettre l’ancien
dictateur au pouvoir, jusqu’à aller chercher l’aide militaire du voisin angolais. Comble de
duplicité, Elf aide financièrement les deux camps, jusqu’au retour triomphal de
l’autocrate déchu au pouvoir, au terme d’une guerre civile qui aura fait plusieurs centaines
de milliers de morts.

En fusionnant avec Elf au printemps 2000, Total a eu à cœur de faire oublier ce passé
affairiste et barbouzard, d’oblitérer la notion de Françafrique axée autour du pétrole. « La
Françafrique, pour moi, elle n’existe plus, ou alors elle est vraiment en fin de course »,
annonçait ainsi le PDG de l’époque, Christophe de Margerie, en 2012. Mais pour le
philosophe Alain Deneault, auteur du livre De quoi Total est-elle la somme ? (Rue de
l’Echiquier, 2017), l’entreprise pétrolière est « devenue une firme apatride comme une
autre, qui a hérité de réseaux d’influence, de savoir-faire et de modalités qui lui
permettent d’exercer des pressions pour arriver à ses fins sur le continent africain ». Le
montage financier autour du champ Likouala en atteste.

Lire l’enquête : Comment le groupe Total a aidé le Congo à berner le FMI


Jérémie Baruch

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