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11 octobre 2019

Populations du monde : espaces, dynamiques et migrations

Bonjour á toutes et à tous,

Tout d’abord je tiens á remercier Mme. Borghi qui m’a invité á exposer deux cas d’étude
de différentes communautés rurales au Mexique central. je tiens á me présenter, je
m’appelle Itzi Segundo, je suis une géographe franco-mexicaine et je prépare actuellement
ma thèse à l’EHESS. Mon travail vise á comprendre la configuration du paysage dans la
longue durée á partir d’antagonismes sociaux dans une commune qui s’appelle La
Quemada, signifiant-la brulée- en espagnol.

Ceci ne doit pas vous dire grand-chose. Mais nous allons commencer par le plus simple :
Le Mexique, c’est quoi ? Frida Kahlo, les cartels de narcos, le film Roma, lauréat de
plusieurs prix de cinéma l’année dernière.

Où se trouve-t-il ? Montrer la representation cartographique du monde.

Le Mexique est un pays de l’Amérique du Nord qui se trouve entre le Guatemala, le Belize
et les États-Unis d’Amérique. Il a une surface trois fois plus grande que la totalité du
territoire français.

C’est un des pays qui possède le plus de biodiversité au monde (avec le Brésil, le
Madagascar, l’Indonésie, etc.) et il a une grande richesse ethnique et pluriculturelle
également. Montrer la carte de diversité culturelle du Mexique

Il s’agit donc d’un pays multiculturel représenté par divers peuples habitant tout au long du
territoire mexicain : des groupes indigènes, des groupes d’origine africaine, des groupes
d’origine européenne, et des groupes imprégnés par le métissage.
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Notre passé est marqué par une série de périodes de domination et de résistance, de guerres
et de révolutions, même bien avant de la conquête espagnol au XVI siècle, quand l’empire
des aztèques, par exemple, cherchaient la domination politique, économique et militaire de
leurs voisins du sud. Voici par exemple une représentation graphique des sacrifices
d’ennemies aztèques pendant la guerre Fleurie au quinzième siècle selon le Codex
magliabechiano du seizième siècle. Montrer l’image du codex

Voici un autre exemple de domination, la Matrícula de Tributos, une liste de tribut que
devaient verser á l’Empire Aztèque les sociétés soumises au tlatoani, le roi aztèque.
Montrer la matrícula

J’évoque ceci uniquement pour mettre en relief l’histoire d’un pays qui est historiquement
sous les flammes, brulée, foudroyé, mais plutôt á la façon de l’oiseau Phénix, qui émerge,
et renaît des cendres, constamment au fil du temps long. Changer de diapo pour montrer
les enfants á La Quemada

Je vais, sans doute, commettre un acte arbitraire en choisissant les deux cas d’étude que je
vais vous présenter aujourd’hui et vendredi prochain mais le contexte historique et
géographique du Mexique est tellement vaste en histoires de résistance sociale qu’on est
obligé de faire des choix pour les intégrer dans le cadre du CM.

Aujourd’hui j’expose la communauté métisse de La Quemada qui gagne, son droit á la terre
et à sa liberté, su tierra y libertad, grâce á toute une série de luttes et d’organisations qui
prennent forme lentement pendant le passage du XXe siècle, á l’échelle du séculaire, de la
moyenne durée.

Vendredi prochain, je présenterai la lutte de la communauté indigène Cherán qui s’est battu
à mort pour préserver la forêt et pour expulser l’administration de l’État mexicain qui les
avait vendus aux intérêts des cartels de trafiquants.

Je commence alors par vous présenter La Quemada, comme un ensemble de territoires.


Premièrement, voici en jaune la commune de La Quemada. Par commune, je veux dire le
village, les espaces publics de partage (photo), la place centrale (photo), la rivière (photo),
les lieux de mémoire historique (photo).
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C’est le territoire des quemadenses, les personnes habitant La Quemada, indépendamment


de leur statut de propriété ou de leur classe social. C’est un espace de partage et de
tolérance. Changer a l’image de satellite du village

De l’autre côté, je vous présente, en bleu claire, le territoire de l’Hacienda de La Quemada.


Montrer l’image de satellite de l’hacienda

Voici quelques photos de la façade de la maison principale (photo), du patio centrale


(photo), du château d’eau (photo), et de l’ancienne station de train (photo). Remettre la
surface de terrain de l’hacienda.

C’est une propriété qui correspond actuellement à environ 100 ha, 100 terrains de football
pour mettre en perspective, de propriété privée. Nous pouvons imaginer que 100 hectares
représentent une très grande surface de terrain étant donné que nos logements á Paris ne
font que quelques mètres carrées, mais á l’échelle du territoire en question, cela ne
représente rien du tout comparé à ce qu’historiquement appartenait á l’hacienda á la fin du
XIX siècle.

Je vais maintenant changer d’échelle pour vous montrer la surface que cela représente par
rapport á la dimension actuelle. Changer de diapo pour changer l’échelle

L’Hacienda de La Quemada avait une surface d’environ 14 mil hectares, quatre mil de plus
que la ville de Paris comme nous la connaissons actuellement. Changer de diapo pour
montrer l’hacienda en 1892

Tout ce domaine appartenait á un seul propriétaire : l’ex gouverneur de l’état de


Guanajuato, l’état ou se trouve La Quemada. Juste pour préciser, un état au Mexique
correspond en termes administratifs á un département en France.

Une autre petite précision, à cette époque il était « normal » que les figures politiques soient
propriétaires de grosses haciendas et, il faut aussi préciser que l’hacienda de La Quemada
n’était pas considérée dans le groupe d’haciendas les plus grandes, ni même dans la région,
c’était une hacienda de moyennes dimensions. De plus, il faut signaler que dans le contexte
historique, le Mexique se trouvait en pleine période de dictature á la fin du XIXe, la
dictature de Porfirio Díaz. Voici Don Porfirio. Montrer la photo
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Il est, par ailleurs, enterré á Montparnasse.

Je vais simplifier la description de l’époque de la dictature de Díaz, non sans vous prévenir
qu’en le faisant ainsi je risque de supprimer des éléments importants pour l’analyse de cette
période de l’histoire. Mais on peut dire qu’en termes générales, tout le travail des pions et
des métayers de l’hacienda ne faisant qu’apporter du profit au propriétaire du domaine. Le
travailleur agricole cultivait les champs pour satisfaire ses besoins de base, mais surtout,
pour payer les dettes des contrats de location de la terre. Il faut, d’ailleurs, signaler qu’au
début du XXe siècle, il y a eu de fortes saisons de sècheresse qui ont freiné la production et
aggravé le sort des travailleurs agricoles.

Voici Joaquín Obregón González, le propriétaire de l’hacienda de la Quemada et


gouverneur de l’état de Guanajuato. Montrer l’image de Don Joaquín.

À cette époque il avait tout l’appui du président de la République pour modifier la loi et
ainsi en tirer le meilleur parti. À condition, bien sûr, de lui assurer sa loyauté, et de servir
les intérêts de la République, enfin, surtout ceux du président de la République.

Joaquín Obregón, grand maitre de La Quemada et gouverneur de l’état c’est vraiment tout
permis pour « développer » son propre domaine tout en utilisant les ressources publics de
l’état. Il a complètement annulé les fonds de crédit et d’inversion agricole pour supprimer
le développement d’autres haciendas du sud, et ainsi annuler la concurrence du marché. Il a
« fais un don » de terres aux réseaux ferré mexicain qui lui a permis de construire une
station á La Quemada pour exporter sa propre production agricole au nord du Mexique et
aux États-Unis. Et finalement, pour concentrer encore plus de soutien politique, il redonne
du pouvoir á l’église catholique, il concède toute l’activité minière aux américains et il
établit un décret au travers duquel il pourra choisir lui-même et sans aucun appareil de
participation populaire, les chefs politiques de chaque district.

Finalement, Díaz et González Obregón ainsi que tout l’appareil de hauts fonctionnaires du
régime sont allées bien trop loin avec leurs abus. Montrer la photo des científicos

C’est en 1910 qu’explose la Révolution Mexicaine contre les excès du régime de Díaz.
Montrer la transition d’images vers celle de Pancho Villa
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Je n’aurais pas le temps de vous exposer ici toute la série d’évènements ni de personnages
qui sont intervenus dans cette révolte, mais je peux tout de même présenter ses icones :
Pancho Villa, Emiliano Zapata (photo), Petra Herrera (photo), les frères Flores Magón
(photo), les soldaderas, des groupes de femmes qui luttait contre le régime ainsi qu’elles
cuisinait et servait comme infirmières des troupes (photo), tous responsables, entre autres,
de l’insertion d’idéaux politiques du genre la tierra es de quien la trabaja, la terre
appartient à qui la travaille, visant à équilibrer la balance social pour une grande partie de
la population paysanne appauvrie, endettée et en détresse.

La Révolution Mexicaine a commencé comme une lutte contre le régime de Porfirio Díaz et
a terminé comme une guerre civile de nombreux groupes qui se sont disputés le pouvoir.
Après plusieurs décennies d’instabilité, ce n’est qu’a la mise en place de la réforme agraire,
avec l’arrivé de Lázaro Cárdenas comme Président du Mexique en 1934 que l’on verra
l’expression formelle du triomphe révolutionnaire sur le territoire. Voici Don Lázaro.
Montrer l’image de Lázaro Cárdenas

Sous le mandat de Lázaro Cárdenas l’hacienda, ce grand domaine que l’on perdait de vue á
l’horizon, se dilue. Avec cette nouvelle réforme agraire naissent de nouveaux régimes
fonciers : el ejido et la communauté indigène. Changer la diapo pour exposer El Ejido

El Ejido nait comme un régime de droit d’usufruit des terres nationales. Il s’agit de d’un
régime foncier collectif attribué á un ensemble de paysans. En termes juridiques, ils sont
reconnu par la loi comme ayant une personnalité juridique et un patrimoine propre,
concrètement, les terres appartiennent á l’ensemble des paysans faisant partie d’un
collectif. L’ejido, ainsi que la communauté indigène ont le droit d’opérer á partir d’un
règlement interne d’organisation économique et sociale, établit au préalable par une
assemblée qui est constituée par chacun des membres du collectif.

On peut dire alors que cette nouvelle administration postrévolutionnaire confisque les
terrains aux haciendas pour les répartir á la collectivité paysanne. Voici en termes
graphiques comment ça s’est passé sur le terrain. Changer la diapo pour montrer la surface
de l’hacienda en 1892.

Voici, en gris, la surface de l’hacienda en 1892. Changer la diapo


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Voici le territoire de l’hacienda fractionné en ejidos par la réforme agraire. Changer la


diapo

Et c’est au sein de ses dispositions de la loi que naît une troisième forme de territoire á La
Quemada. J’avais au paravent mentionné les deux autres : le village, souvenez-vous, en
jaune et l’hacienda post réforme agraire, en bleu claire. Changer la diapo pour montrer
l’ejido

Maintenant j’ajoute, en rouge, l’ejido de La Quemada, ce territoire qui est le fils de la


révolution mexicaine.

La restructuration du territoire á La Quemada déclenche toute une série de conflits et


d’antagonismes entre les héritiers de Joaquín Obregón González, et les héritiers de la
révolution, c’est-à-dire entre hacienda et ejido. C’est l’histoire des antagonismes au
Mexique mais á l’échelle du local. Pendant la deuxième partie du XXe siècle, tout le pays
est en processus de reconfiguration spatiale. Litige par ci, litige par là. La loi offre une
protection juridique équivalente á 100 hectares aux héritiers des haciendas, il n’est plus
question d’hériter des milliers d’hectares. Ces milliers d’hectares sont désormais réservés
aux paysans au sein d’une collectivité.

Hélas, il est beaucoup trop tôt pour crier victoire. Le décret présidentiel ne reste qu’un
symbole. Les héritiers d’Obregón González, ainsi que d’autres groupes de paysans
accaparent les terrains qui correspondent désormais á l’ejido de La Quemada. Mais les
ejidatarios, ces héritiers légitimes du territoire, ne baissent pour autant pas les bras. Ils
s’organisent, ils portent plainte au sein des autorités agraires, ils ne veulent qu’une chose :
que leurs droits soient respectés. Ils souhaitent clôturer leur territoire. Ce n’est qu’en 2006
qu’ils réussissent à formaliser leurs limites sur le terrain, á se structurer. Voici maintenant
leurs champs, par exemple ce champ de fèves au mois de janvier (photo), leurs fermes
(photo), leur puits pour accéder á l’eau en temps de sècheresse (photo), leur canal pour
optimiser l’arrosage des champs de maïs et de chili (photo), leur terrain de foot et de
baseball (photo), leur chemins (photo), enfin, leur territoire et leur destin collectif. Mostrar
últimas fotos
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Plus d’un siècle de lutte sociale a valu pour que les paysans de La Quemada fassent
respecter leurs droits. Cette lutte risque de ne pas être encore terminée, surtout avec cette
tendance mondiale à la privatisation, les figures collectives et de communauté risque de ne
pas survivre. A partir de 1991, la succession de gouvernements néolibéraux au Mexique
modifient les lois pour encourager la division des ejido et favoriser la privatisation des
biens. L’excuse principale est que l’exploitation commune du territoire endommage le
développement agricole du pays et que les configurations collectives ne sont pas assez
productives puisque que le gens de toute façon n’arrivent jamais à se mettre d’accord.

A mon avis, La Quemada est le contrexemple á cet argument, non seulement La Quemada,
mais bien d’autres communautés dans le monde. La géographie est un outil pour repérer ces
exemples dans le temps et dans l’espace, pour les analyser et les rendre encore plus
visibles. Parce que, finalement, dans ce petit village de moins de 800 habitants nous
retrouvons tout un héritage historique, culturel, politique et social. Nous retrouvons des
histoires de résistance, d’organisation et de réorganisation de l’espace et du monde.

Je vous remercie.

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