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1Une trentaine d’années de familiarité avec les archives
espagnoles m’ont convaincu de cette vérité d’évidence, qui
n’est pas seulement espagnole : à l’époque moderne, et sauf
circonstances exceptionnelles, la structure de protection et de
défense authentique des individus est la ville, dans une
moindre mesure le gros bourg ou le village. L’Etat ne fait
guère figure que de prédateur : il prélève de l’argent et ses
exigences fiscales vont croissant tout au long de la période
moderne ; il prélève des hommes pour l’accomplissement de
sa politique extérieure. Or, une fois encore, sauf exceptions
(par exemple celles qui concernent les populations des zones
frontières ou des régions littorales), les sujets éprouvent ces
prélèvements comme des pertes « nettes » dont ils
n’aperçoivent aucune retombée : ni sous la forme d’une
participation de l’Etat à l’équipement de leur région (routes,
ponts, par exemple) au moins jusqu’au XVIII siècle, ni sous la
e
I. Le rôle de l’Etat
2Cela dit, le rôle de l’Etat dans l’approvisionnement des villes
est loin d’être nul dans le royaume de Castille aux Temps
Modernes. On peut même considérer qu’il s’agit d’une
intervention essentielle puisqu’elle a pour but d’assurer
l’alimentation, donc la survie de nombreux sujets qui ne
vivent pas sur les lieux immédiats de la production des
denrées alimentaires. On peut définir schématiquement ce
rôle de la façon suivante :
1 Les textes disent : mayordomo de la alhóndiga.
3. Le marché libre
24Une partie des grains et toutes les autres denrées relevaient
du marché libre : les menus grains ou légumes secs (pois,
vesces, fèves, lentilles), les légumes verts et les fruits, le miel,
les sucres, les confiseries, l’eau et la neige très recherchée
pendant les chaleurs de l’été, les œufs, le fromage, le gibier
et le poisson de rivière. Ce marché était cependant surveillé,
toujours dans le souci d’éviter la spéculation et les hausses
abusives des prix. Les paysans qui apportaient leur grain au
marché de Séville devaient produire un certificat signé par
l’un des alcaldes de leur village, garantissant la provenance
du blé ou de l’orge, de façon à éviter la revente et à éliminer
les intermédiaires. Sur les marchés de nombreuses villes, la
revente est interdite pendant les premières heures, de façon à
ce que les acheteurs puissent se fournir directement auprès
des producteurs qui amènent leurs denrées au marché. Les
revendeurs ou regatones ne peuvent intervenir qu’au bout de
quelques heures. Les contrôleurs du ravitaillement parcourent
le marché et leur tâche est facilitée par le groupement des
ventes de même nature : légumes
verts (hortaliza), fruits (fruteria), épicerie (especeria), œufs,
volailles et gibier (aves y caza), etc. Les producteurs de ces
denrées sont d’ailleurs membres du même « métier »
ou « miembro de renta ».
25Bien que la consommation des denrées que je viens
d’énumérer soit très difficile à quantifier, il serait tout à fait
erroné de la négliger. Prenons le cas du gibier : tous les
voyageurs ont insisté sur la très grande abondance du gibier
en Espagne aux Temps Modernes, abondance logique si l’on
songe que la population représente alors à peu près la moitié
de la française pour un territoire qui est plus étendu que le
français. Or, le droit de chasser n’était limité que par les
chasses royales et n’était pas une exclusive de la noblesse. Le
résultat est que la consommation de lapins de garenne, de
lièvres, de faisans, de perdrix, de cailles, était relativement
importante. Dans une moindre mesure, le poisson de rivière
jouait son rôle : ainsi, à Tolède, de 1583 à 1604, le marché
est régulièrement alimenté en truites et saumon salé, plus
épisodiquement en anguilles ; à Valladolid, la consommation
de truites et de saumon était également notable. Quant à celle
des œufs, les comptabilités hospitalières permettent, compte
tenu de la régularité de leurs achats et de leur importance, de
supposer une forte consommation, conforme d’ailleurs aux
traditions ibériques.
26D’autre part, il faut tenir compte des variantes régionales :
à partir des années 1610-20, le maïs intervient de façon de
plus en plus massive dans l’alimentation des villes
cantabriques, de la Galice et de Santander. Le riz supplée
parfois le blé dans le pays valencien et les sucres donnent un
caractère particulier aux marchés des huertas de Valence et
de la côte grenadine.
4. Bilan du système
27Les études de consommation ne sont pas encore assez
développées pour que l’on puisse dresser un bilan
satisfaisant, susceptible de nourrir des comparaisons
quantifiées avec les autres pays. Les échantillons dont on
dispose suggèrent des rations de grain (et donc de pain), de
viandes et aussi de laitages moins importantes qu’en France,
en Allemagne, aux Pays-Bas, mais des rations de poisson,
d’œufs, de sucres (grâce à l’abondance du miel et à la
production de sucre de Valence et de Grenade) supérieures à
celles de la France. Il reste à considérer la variable
chronologique.
28Au XVI siècle, jusqu’à la dernière décennie de ce siècle,
e