Vous êtes sur la page 1sur 14

Techno-Chamanisme

MAGIE ET TECHNO-ESOTERISME
Techno-chamanisme & cyber-primitifs par Maxence Grugier

Maxence Grugier est un journaliste spécialisé dans les pratiques artistiques numériques.
Depuis les années 90, il étudie l’impact des technologies numériques sur nos sociétés (IA,
Big Data, réalité virtuelle, robotique, etc.) et écrit à ce sujet dans le domaine de la création
artistique et de la production sonore. Anciennement rédacteur en chef du mensuel
Cyberzone (1999 – 2001), il écrit pour Le Monde, Coda, Trax, Tsugi, Computer Art, etc. Il a
grandement participé à vulgariser les réseaux et de la cyberculture en Europe, grâce à ses
propres écrits ou aux traductions qu’il a fait de textes sur la contre-culture qui n’étaient
pas accessibles en français. La revue CyberZone dont il est le rédacteur en chef, est un
magazine au style cyberpunk, érotique et trash, à l’opposé de certaines tendances
culturelles élitistes et mondaines de l’époque. Dans les années 90, il inscrit son journal
dans un courant culturel qui regroupe de façon assez anarchique le cyberpunk, les
musiques électroniques, les nouveaux païens, les images numériques etc. Il af rme ne pas
faire de différence entre cultures et « sous-cultures », selon lui, tous ces concepts, toutes ces
idées, sont interessant.e.s par leur existence même faisant partie intégrante de son univers
informationnel et donc de sa culture :

« Je crois sincèrement que ces cultures sont en train de pénétrer la culture générale. Le
cyber, c’est forcément l’avenir. » 

Très inspiré par des auteurs de science- ction et cyberpunks comme William Gibson,
Bruce Sterling, Neal Stephenson, Pat Cadigan, il questionne le devenir de la contre- culture
et des sub-cultures, ainsi que sur l’impact du numérique dans notre environnement
culturel et social. Il s’accompagne également des ouvrages de théoriciens des médias tels
que Alvin Tof er, Norbert Wiener, Marshall Mc Luhan. Maxence Grugier cite également
des essayistes plus « doux dingues », ce sont ces termes, tels que : Timothy Leary, Douglas
Rushkoff, Terence McKenna et Jaron Lanier qui traitaient du futur de manière très libérée,
et barrée.

L’article « Techno-chamanisme & cyber-primitifs » paraît à l’origine dans le magazine


Cyberzone (99-01) et est aujourd’hui tiré des archives de La Spirale. Il s’agit d’abord d’un
Fanzine vidéo puis d’une lettre d’information photocopiée, qui a exploré plusieurs
supports médiatiques avant de s’incarner dé nitivement dans le cyberespace en 1995. Le
techno-chamanisme (ou techno-paganisme), il le dé nit comme : « la rencontre entre la
magie de l’antiquité, les sciences de la nature primitive et les technologies du futur en une
symbiose quasi-religieuse. C’est le mariage du courant new-age californien (avec son
ensemble de croyances néo-païennes), de la technologie digitale et des contre-cultures
informatiques qui a donné naissance au concept de techno-chamanisme. » En plus simple,
il s’agit d’un mouvement qui imprègne tout l’univers d’Internet et du web, et rejetant
toute opposition dualiste entre Nature et Technologie, et ne faisant pas la différence entre
fl

fi
fi
fi
fi
les ordinateurs et les autres manifestations naturelles, issues de la main de l’homme ou
directement du big-bang. Le mysticisme étant nourri par toutes les consciences reliées par
le réseau informatique mondial. 

 « Toute technologie suf samment développée se confond avec la magie. » (Arthur C.


Clarke, auteur de science- ction). Si l’on considère la magie en général comme une volonté
d’élargir sa conscience ou de l’ouvrir à d’autres plans (physique, comme d’autres
dimensions, ou métaphysique), elle n’est pas incompatible du tout avec les technologies.
D’un point de vue plus philosophique, le techno-chamanisme peut être une tentative de
comprendre les bouleversements technologiques et donc affectifs sur le XXe siècle. Donner
une place au sacré dans notre monde permet de balancer avec les conclusions cartésiennes
et froides de la science. Steve Mizrach (sur son site, The Cyber-anthropologie Home Page),
explique que le besoin populaire de sacré, de fantasme et de magie est tellement présent
que la plus haute technologie n’est pas épargnée par un peu de scepticisme et de
superstition : « Depuis le Siècle des Lumières, la raison instrumentale, armée de la
méthode scienti que, a systématiquement démantelé la conception spirituelle du monde,
à quoi elle a substitué la cosmologie de la science. Cernés par le rationalisme et le
matérialisme, ceux qui pleurent la perte du sacré et se sentent démunis sans lui, ont
adopté consciemment ou non, une stratégie curieuse, qui est de justi er leurs croyances en
termes scienti ques » (Mark Dery, Deus Ex Machina) 

Le techno-chamanisme fait le pont entre la contre-culture psychédélique des années 60 et


celle informatique, virtuelle et cyberdélique des années 90. Cyberdélique est un terme
englobant toute expérience psychédélique atteinte par les moyens d’une technologie
immersive de pointe. Maxence Grugier développe ensuite sa ré exion sur la magie
assistée par ordinateur. Il nous présente quelques nouveaux moyens auxquels les gens ont
recours pour pratiquer leurs rituels ou se connecter à leur communauté. De nombreux
groupes ou BBS (bulletin board service) sont nés, permettant de partager son expérience,
poser des questions, ou simplement se réunir. Ces plateformes font quasiment of ce de
nouveaux temples de l’ère informatique. On peux citer : 

• alt.pagan
• Deus Ex Machina
• Ritual Magick On Line 
• Modem magick
• Sacred Grove
• le site bapho.net 

« Depuis toujours, la spiritualité est affaire de lieu (…) Que devient donc le sacré à une époque où
la communication instantanée rend caduque l’idée même de géographie ? Il se matérialise dans
d’autres lieux : les sites informatiques. Ceux-ci tiennent lieu de lieux dans le réseau » (Jullian
Dibbel, Spin)
fi
fi
fi
fi
fl
fi
fi
« Car là où deux ou trois se rassemblent en mon nom, là je suis parmi eux. » (Verset de l’Ancien
Testament, Matthieu, 18 – 20) 
Le techno-chamanisme puise son inspiration dans la science- ction, le roman
cyberpunk Comte Zéro par William Gibson possède sa propre mythologie informatique
originale, fusionnant les anciens rites haïtiens et les nouvelles technologies. L’auteur
parvient à faire cohabiter le monde primitif, mystique et organique du vaudou, et le
monde désincarné, mécanique et éthéré de la culture high-tech. Sans oublier les transes
électroniques et tout l’univers des raves très présents sur la scène Britannique et lié au
genre techno-hippie et à l’Acid House. La plupart de ces groupes véhiculent l’idée que la
musique rythmique contemporaine permet d’atteindre l’état de transe et d’entrer en
contact avec d’autres mondes et que le musicien est un néo-chaman, faisant l’intermédiaire
entre notre monde et les autres en ouvrant l’esprit de ceux qui écoutent sa musique  :
« L’âme des machines a toujours été une bonne part de notre musique. La transe a toujours
suivi la répétition, et tout le monde recherche la transe dans la vie… dans le sexe, dans
l’émotion, dans le plaisir, partout… et les machines produisent une forme de transe
absolument parfaite. » (Ralf Hãœtter, Kraftwerk : Man Machine and Music, de Pascal
Bussy, 1991). On retrouve dans les musiques du techno-chamanisme, des rythmiques
tribales, rituelles, des textes inspirés de l’occultisme. Certains groupes très in uents
comme Psychic Tv, Coil ou Current 93 reprennent un fonctionnement quasi similaires aux
« sociétés initiatiques » et les lieux de concerts sont hautement symboliques (églises,
anciens lieux de culte païens ou locaux de structures magiques). Psychic TV est le premier
groupe à intégrer la voix d’Aleister Crowley dans ses morceaux, grand occultiste et
fondateur de la religion Thelema. 

A la n des années 70 apparaît un nouveau courant occultiste, La Chaos Magick . Il s’agit


d’une forme de magie post-moderne utilisant dans ses rituels des éléments de la société
hyper moderne, oeuvres fantastiques, langage informatique etc.. A l’origine de la Chaos
Magick, on trouverai des artistes assez méconnus comme Austin Osman Spare
(1886-1956), un peintre, écrivain et théosophe britannique. Inspirant par ses travaux
symbolistes, à l’érotisme violent et aux références occultistes. Il fût d’ailleurs en contact
avec Aleister Crowley. Austin est aujourd’hui connus pour ses dessins et écrits
automatiques. Pour les magiciens du chaos, les croyances sont de simples outils, qu’on est
libre d’adopter en vue de la réalisation d’un but, sans qu’on s’intéresse à la question de
leur valeur intrinsèque ou de leur adéquation à la réalité. L’informatique, Internet et les
mondes virtuels permettent de s’affranchir de ces limites. Pour se libérer, il faut se
déprogrammer en atteignant un état mental limite où la conscience cède le pas à
l’inconscient : nous retrouvons une thématique chère aux néo-chamans. Tous ces sujets
sont pas mal ignorés par les milieux universitaires français, notamment les milieux
subculturels anglo-saxons « underground ».
Le techno-chamanisme bien qu’hyper-moderne, cherche à concilier primitivisme et
modernité technologique. Dans la continuité de certaines pensées postmodernes : « la
synergie de l’archaïsme et du développement technologique » (Michel Maffesoli). Et bien
que je puisse me montrer parfois très conservateur.ice de certaines traditions concernant
l’ésotérisme, je trouve assez beau d’explorer les limites de telles oppositions, bien que
justement iels n’y voit aucune opposition ici. Et quoiqu’il en soit, on peux observer
qu’aujourd’hui le sacré, reste bien vivant dans la machine.
fi
fi
fl
La spirale.org

Le techno-chamanisme (ou techno-paganisme) imprègne tout l'univers d'Internet. Le web


lui-même, constitué de mille et une consciences isolées, reliées entre elles par le réseau
informatique mondial, se prête facilement aux jeux du mysticisme. La dé nition la plus
simple du techno-chamanisme est celle de la rencontre entre la magie de l'antiquité, les
sciences de la nature primitive et les technologies du futur en une symbiose quasi-
religieuse. C'est le mariage du courant new age californien (avec son ensemble de
croyances néo-païennes), de la technologie digitale et des contre-cultures informatiques
qui a donné naissance au concept de techno-chamanisme.

Selon Mark Dery, observateur de la cyberculture et auteur de  Vitesse Virtuelle  (ed.
Abbeville Press, coll. Tempo), le techno-chamanisme est « la culture parallèle, modeste mais
vitale, des savants de l'informatique qui ont un pied dans la technosphère naissante et l'autre dans
le monde fou du paganisme ». Loa vaudou, IA (Intelligence Arti cielle) autonome, concept de
cyberespace, tout un univers est né avec l'avènement de l'informatique de réseau et en
particulier d'Internet. Des écrivains comme William Gibson ou Bruce Sterling ont
participés à l'élaboration d'une véritable mythologie électronique en créant des mondes
virtuels cohabitant avec le nôtre dans un futur proche. Le techno-chamanisme et les cyber-
primitifs, dans leur quête d'humanité et de mythes, répondent a un besoin humain vieux
comme le monde : trouver du sacré dans l'univers.

« Toute technologie suf samment développée se confond avec la magie. » Arthur C. Clarke, auteur
de science- ction
fi
fi
fi
fi
D'un point de vue philosophique, le techno-chamanisme est une tentative pour tirer les
conclusions concernant les bouleversements technologiques et donc affectifs du XXe siècle.
Il exprime le désir populaire de réinsuf er un peu d'humanité dans les conclusions
inévitablement cartésiennes et froides du monde scienti que. Même si la plupart d'entre
nous en sommes réduits à croire le verdict de la science sur parole, le besoin de sacré, de
fantasme et de magie est si fort que la plus haute technologie n'est pas épargnée par une
certaine dose de scepticisme et de superstition comme l'explique Steve Mizrach sur son
site, The Cyber-anthropologie Home Page. En n, le techno-chamanisme témoigne du
besoin universel de laisser une place au divin dans une société devenue de plus en plus
scienti que et technologique. "Depuis le Siècle des Lumières, la raison instrumentale,
armée de la méthode scienti que, a systématiquement démantelé la conception spirituelle
du monde, à quoi elle a substitué la cosmologie de la science. Cernés par le rationalisme et
le matérialisme, ceux qui pleurent la perte du sacré et se sentent démunis sans lui, ont
adopté consciemment ou non, une stratégie curieuse, qui est de justi er leurs croyances en
termes scienti ques", peut-on lire dans l'un des chapitres du livre de Mark Dery, intitulé
Deus Ex Machina. Ce qui est amusant dans le techno-chamanisme, c'est que, par ses
croyances new-age, il fait le pont entre la contre-culture psychédélique des années 60 et
celle informatique, virtuelle et cyberdélique des années 90. Comme le courant new age, le
néopaganisme qui lui donna naissance, est entré dans la culture occidentale des sixties par
la mode du mysticisme oriental et de l'occultisme (astrologie, tarot, Yi-king et magie).

Magie assistée par ordinateur

La manifestation la plus spectaculaire du techno-chamanisme est la façon dont certains se


servent de leur ordinateur personnel pour appliquer des rituels néopaïens ou des
pratiques magiques. De façon plus pratique, on le trouve sur internet dans les groupes de
news (Alt.Pagan) ou sur des BBS spécialisés dans les domaines néopaïen et new-age,
comme le Deus Ex Machina de Glendale en Arizona, Ritual Magick On Line dans le New-
Jersey, Modem magick en Californie, Sacred Grove à Seattle ou encore le site Bapho.net
(un calembour sur le mot "Baphomet", le bouc satanique qui préside au sabbat des
sorcières). Beaucoup de ces groupes utilisent des forums de discussions ou des chats pour
communiquer en une seule conférence. Les BBS sont donc en passe de devenir les
nouveaux temples de l'ère informatique : «  Depuis toujours, la spiritualité est affaire de lieu
(...) Que devient donc le sacré à une époque où la communication instantanée rend caduque l'idée
même de géographie ? Il se matérialise dans d'autres lieux : les sites informatiques. Ceux-ci
tiennent lieu de lieux dans le réseau », déclare Jullian Dibbel dans Spin. Un verset de l'Ancien
Testament vient alors à l'esprit : « Car là où deux ou trois se rassemblent en mon nom, là je suis
parmi eux. » (Matthieu, 18 - 20)

Les dieux dans la machine

Le techno-chamanisme fut aussi une source d'inspiration pour nombre d'écrivains de


science- ction. William Gibson, par exemple, met en place dans son deuxième
roman  Comte Zéro, une mythologie informatique originale, fusionnant les anciens rites
haïtiens et les nouvelles technologies. Il semblerait pourtant qu'il n'y ait pas deux choses
fi
fi
fi
fi
fl
fi
fi
fi
plus différentes que le monde primitif, mystique et organique du vaudou et celui,
désincarné, mécanique et éthéré de la culture high-tech. Pourtant Gibson, pro tant du
succès de son premier roman,  Neuromancien, s'est engagé en 1984 dans une intrigue
beaucoup plus complexe dans laquelle ces deux mondes cohabitent. Dans Comte Zéro, un
jeune hacker surfant au sein du cyberespace, Bobby Newmark, rencontre par accident une
forme d'intelligence arti cielle encore jamais vue, et qui le sauve d'une mort certaine. Plus
loin, le lecteur fait connaissance avec une autre protagoniste, Angie Mitchell, mystérieux
personnage capable de se cabler en direct sur le cyberespace sans console et en quelque
sorte possédée par les entités habitant cet espace virtuel. Plus tard, Bobby rencontre
Beauvoir, un membre d'une secte cyber-vaudou, qui lui expliquera que l'entité qui lui a
sauvé la vie est en réalité Erzulie (déesse de la Terre dans la religion vaudou) et qu'il est
maintenant le favori de Legba (Père des dieux vaudou) et prince de la communication
entre les différents mondes... Dans ce chapitre, Beauvoir explique que, comme dans
l'univers informatique, le vaudou est la parfaite expression religieuse de notre ère, car elle
est pragmatique. « Ce n'est pas une religion qui parle de rédemption et de transcendance, mais
une religion qui fait que les choses arrivent », explique-t-il.

Transes électroniques

« L'âme des machines a toujours été une bonne part de notre musique. La transe a toujours suivi la
répétition, et tout le monde recherche la transe dans la vie... dans le sexe, dans l'émotion, dans le
plaisir, partout... et les machines produisent une forme de transe absolument parfaite.  » Ralf
HÃŒtter, 1991, dans  Kraftwerk : Man Machine and Music, de Pascal Bussy. Le techno-
chamanisme est aussi très répandu dans l'univers des raves. «  La transe atteinte dans la
centrifugeuse sociale où s'agitent des danseurs en sueur déchaînés avec la dance-music
électronique, faite de rythmes house ou techno entêtants, atteignant des niveaux sonores faramineux
et la drogue typique, l'extasy, élèvent les participant dans un état quasi-mystique de délire
introspectif et les aident à passer les étapes d'un état de conscience modi é.  » Née d'un genre
musical techno-hippie, bien connue en Angleterre sous le nom d'acid house pendant l'été
1989 et bien avant l'in uence de la scène électronique allemande des années 70, la scène
rave s'est vite développée en Californie. A San Francisco, les deux traditions contre-
culturelles dominantes, celle des hippies du Haight Hassbury et celle de la Silicon Valley
ont fusionné dans le phénomène des raves. Genesis P. Orridge, fondateur du groupe
industriel, puis techno Psychic TV, explique le phénomène qui s'empare des danseurs dans
ces soirées : «  La trance-music où les gens vibrent et tournent jusqu'a atteindre l'hyper-
ventilation et l'expérience des ondes alpha-psychédéliques. (...) Ils se trouvent alors complètement
"transe-formés" par cet excès primal et physique. Alors, il se passe un truc, une énergie païenne
s'empare d'eux, à force de danser n'importe comment au rythme d'un chamanisme high-tech.  »
Beaucoup de soirées technos comportent des chambres de refroidissement, appelées chill
out room. Les fêtards, épuisés par l'expérience des ondes alpha-psychédéliques, peuvent
se détendre, caressés par les synthés vaporeux et enveloppants de la musique "ambient",
l'un des genres instrumentaux de la musique électronique.
fl
fi
fi
fi
Angoisses technologiques

Loin d'être seulement le fruit d'un "culture clash" entre univers metaphysique tribale et
univers virtuel de notre monde sur-technologique, le techno-chamanisme se fait aussi
l'écho de l'angoisse suscitée par un monde où les dernières vérités tendent à être des
vérités scienti ques. Un monde où la science devient de plus en plus incontrôlable, et la
technologie de plus en plus aliénante. Dans un essai sur la "cyber superstition", Bruce
Sterling, gourou du cyber âge et collègue de William Gibson, analyse notre relation à
l'ordinateur comme "machine magique" : «  Les ordinateurs sont des créatures effrayantes,
chargées de mystère et de puissance. Même pour les programmeurs et les concepteurs de circuits
électroniques, l'ordinateur reste une chose qui dépasse foncièrement l'entendement. (...) Une
machine capable d'accomplir des millions d'opérations par seconde est tout bonnement trop
complexe pour être entièrement comprise par un cerveau humain, quel qu'il soit. » Quoi qu'il en
soit et comme le montre l'intérêt qu'on lui porte sur Internet, bons ou mauvais, les génies
ne semblent en tout cas, pas près de nous quitter. Et, en cette n de millénaire, le sacré,
reste lui aussi bien vivant dans la machine.
fi
fi
Techno-paganisme et chamans post-modernes

Le néo-paganisme est fréquemment perçu de trois façons différentes  : une tentative de


réactivation de vieux cultes ethniques, une invention de cultes à prétention historique, très
fréquemment non ethnique, ou, en n, un paganisme philosophique, c’est-à-dire la création
à notre époque d’une cosmologie étrangère aux monothéismes, qui se manifeste par un
engagement politique, couramment identitaire.

À cela, nous pensons qu’il est possible d’en rajouter une quatrième, que nous avons peu
analysé jusqu’à présent : le néo-paganisme postmoderne, qui relèverait non seulement du
bricolage. Pour asseoir notre propos, nous étudierons ici une forme hypermoderne de néo-
paganisme : le « techno-chamanisme », compris comme un « techno-paganisme ».

Pour les techno-païens, le techno-chamanisme imprégnerait tout l’univers d’Internet.


Ainsi, le web serait constitué de consciences isolées, qui seraient reliées entre elles par le
réseau informatique mondial. Nous serions donc en présence d’une « cyber spiritualité ».

Ce techno-chamanisme peut être vu comme la subculture inventée par des informaticiens


adeptes du néo-paganisme. Des écrivains cyberpunks, comme William Gibson ou Bruce
Sterling ont participé à l’élaboration de cette nouvelle mythologie électronique en créant
des mondes virtuels cohabitant avec le nôtre dans un futur proche. Ils ouvrent le champ
du possible spirituel en sous-entendant qu’il existerait d’autres réalités. Mais surtout, cette
cyber-spiritualité tend à répondre au désenchantement du monde, en cherchant de
nouvelles formes de sacré.

Le techno-chamanisme est une variante postmoderne du néo-chamanisme : il renvoie à la


fois à l’idée que la musique rythmique contemporaine (techno, musique industrielle
tribale en particulier) permet d’atteindre l’état de transe et d’entrer en contact avec
d’autres mondes et que le musicien est un néo-chaman, faisant l’intermédiaire entre notre
monde et les autres en ouvrant l’esprit de ceux qui écoutent sa musique. Il s’agit
également de la rencontre du californien, en particulier de son néo-chamanisme, de la
technologie numérique et des contre-cultures informatiques.

Le techno-paganisme est, quant à lui, un terme générique, qui se réfère à la fois à


l’intégration de la technologie dans les expressions religieuses païenne (1/utilisation des
mondes virtuels et des ordinateurs dans les pratiques rituelles ou divinatoires  ; 2/
utilisation des téléviseurs, des fours et autres objets dans les pratiques rituelles ou
divinatoires) ; à l’intégration de signes modernes (logo de publicité, de marques, etc.) dans
la création de sceaux magiques  ; et en n à l’idée que le monde spirituel et naturel ne se
termine pas là où l’humanité commence. Comme les êtres humains sont naturels, ce que
les humains créent serait aussi naturel  : les bâtiments, les routes, les voitures, les
ordinateurs, et autres éléments de la vie moderne.

Le techno-chamanisme peut-être analysé comme une tentative de dépasser la


sécularisation des sociétés de la n du XXe siècle, mais également d’intégrer à ce désir de
fi
fi
fi
réenchantement les bouleversements technologiques de cette période, via l’utilisation, par
exemple, de l’ordinateur à des ns magiques. En ce sens, le techno-chamanisme est très
proche de l’occultisme de la n du XIXe siècle, qui utilisait les découvertes scienti ques de
son époque pour maintenir du sacré, et du new age, issu de l’occultisme et qui associe dans
ses pratiques spirituelles technologie et textes sacrés, dont il est d’ailleurs l’un des
héritiers.

En effet, le techno-chamanisme, par son origine partiellement issu du new age, fait le lien
entre la contre-culture psychédélique des années 1960 et celle informatique des années
1990. Il ne faut pas oublier que certains des pionniers de l’informatique provenaient
également de la contre-culture des années 1960…

La manifestation la plus spectaculaire du techno-paganisme, et donc du techno-


chamanisme, est la façon dont certains se servent de leur ordinateur personnel pour
appliquer des rituels néo-païens ou des pratiques magiques. En effet, des techno-païens
intègrent les réalités virtuelles, ainsi que l’informatique (ordinateurs et programmes) dans
les pratiques rituelles ou divinatoires  : à l’instar de la magie du chaos, des programmes
informatiques peuvent être utilisés dans l’élaboration de formules magiques.

De fait, l’ordinateur peut d’ailleurs être vu comme une «  machine magique  », au


fonctionnement incompréhensible, chargé de mystères et de puissance. Pensons à notre
attitude devant ces machines, en particulier lorsqu’elles tombent en panne : nous sommes
complètement dépassés, incapables de la réparer ou de la faire fonctionner. Même pour les
programmeurs et les concepteurs de circuits électroniques, l’ordinateur reste une chose qui
dépasse l’entendement  : une machine capable d’accomplir des millions d’opérations par
seconde est tout bonnement trop complexe pour être entièrement comprise par un cerveau
humain.

Les techno-païens utilisent également des téléviseurs, des fours et autres objets électriques
dans ces mêmes pratiques rituelles ou divinatoires : le naturel, les objets classiques de la
magie, disparaissent, laissant la place à l’intrusion de la technologie dans la magie. Cette
idée était en germe dans le Neuromancien de Gibson : ce terme est composé de « neuro »
(«  intelligence  » ici arti cielle) et «  mancien  » (devin, mage). Gibson l’a construit sur le
modèle du mot « nécromancien », ce mage qui interagit avec les morts. Par un jeu d’aller-
retour d’in uences mutuelles, les auteurs cyberpunks se nourrissent du techno-
paganisme. Ainsi, ce dernier a été une source d’inspiration pour William Gibson  : son
deuxième roman,  Comte Zéro, paru en 1986, fusionne vaudou haïtien et nouvelles
technologies.

Plus largement, ce techno-paganisme se manifeste par la mise en place de communautés


virtuelles sur le Web : création et animation de « chats », de forum, de sites, de blogs, etc.
parfois éphémères, abolissant les frontières, les cultures et la géographie. Les lieux sacrés
du néo-paganisme classique laisse la place à des lieux virtuels sur le réseau, les sites
devenant petit à petit les nouveaux temples de l’ère Internet.
fl
fi
fi
fi
fi
Cette forme de paganisme, bien qu’elle soit hypermoderne, se situe, une fois les oripeaux
technologiques enlevés, dans la continuité de l’occultisme n-de-siècle : les techno-païens
et/ou les techno-chamans cherchent à concilier primitivisme et modernité technologique.

Ces milieux, certes des plus minoritaires, n’intéressent que très peu les chercheurs, tant en
France qu’à l’étranger  : le monde scienti que anglo-saxon, pourtant rapide à étudier les
évolutions des sociétés occidentales, n’a produit que très peu d’études sur ces nouvelles
formes de néo-paganisme. Ainsi, une revue comme Pomegranate, sous-titrée « International
Journal of Pagan Studies  », considérée comme une revue de référence dans l’étude des
phénomènes néo-païens, n’a consacré aucun article au «  techno-paganisme  » ou au
« techno-chamanisme »…
fi
fi
Mark Leckey, Erik Davis et le technopaganisme

Une grande source d'inspiration pour Mark Leckey, l'ancien lauréat du Turner Prize qui
présente actuellement une importante exposition personnelle au WIELS à Bruxelles, est
l'auteur américain Erik Davis, le porte-parole du technopaganisme.
Une exploration de la relation entre le mysticisme, l'occultisme, la magie et la technologie
de l'information, et son avenir.

L'homme pré-moderne est entré dans la forêt et s'est senti appartenir à un monde vivant.
Les montagnes, comme les rivières ou les animaux, possédaient un esprit. Cette vision du
monde animiste a été rejetée comme une superstition païenne par la main sévère du
christianisme et de la modernité. Rétrospectivement, cette période sans vie a duré assez
peu de temps. Dès le XIXe siècle, l'animisme a prospéré dans le cadre des sous-cultures
païennes qui s'opposaient à l'église et à la révolution industrielle. Dans les parties
septentrionales de l'Europe — Islande, Finlande, Suède, Allemagne au-dessus du Rhin —
la christianisation avait de toute façon progressé tardivement, et était souvent acceptée
avec réticence et aidée par la synthèse culturelle.

À la n du XIXe siècle, le nudisme, la macrobiotique, le végétarisme, le culte du soleil et


l'écologie ont émergé au sein d'une sous-culture de randonneurs qui cherchaient à se
connecter avec la nature. Au tournant du siècle, un certain nombre d'immigrants
allemands propageaient prudemment les idées néo-païennes aux États-Unis. En n de
compte, cela ne s'enracinerait nulle part aussi fortement qu'en Californie. Pour le païen
ayant une vision à long terme, les hippies des années 1960 ne sont probablement rien de
plus qu'une américanisation commerciale d'un mode de vie aux multiples facettes qui était
présent dans le monde occidental depuis un certain temps.

Vision animiste de la technologie

Les hippies les plus clairvoyants se sont tournés vers les ordinateurs au début des années
1970 pour diverses raisons. Un changement essentiel a eu lieu : la technologie,
invariablement considérée dans les mouvements païens comme une invasion contre
nature de l'Eden, a été pleinement adoptée. Dans le best-seller littéraire Zen and the Art of
Motorcycle Maintenance (1974), Robert Pirsig résume la vision animiste de la technologie :
« Le Bouddha, la divinité, réside tout aussi confortablement dans les circuits d'un ordinateur
numérique ou les engrenages d'une transmission de cycle que il le fait au sommet d'une montagne
ou dans les pétales d'une eur ». Le technopaganisme est né.

Ce terme ne sera d'ailleurs forgé que vingt ans plus tard dans un article de Wired, le
magazine visionnaire du monde informatique californien1. L'auteur Erik Davis y décrit
l'état du « néopaganisme », qui s'est adapté à bien des égards jeune monde à partir
d'Internet. Non seulement les païens se retrouvent rapidement dans toutes sortes de
groupes de discussion, mais c'est la magie du cyberespace qui en fascine plus d'un.
fi
fl
fi
L'article dégage une certaine niaiserie New Age que Davis abandonne presque
complètement trois ans plus tard dans son livre Techgnosis (1998), une étude exhaustive
de la relation entre mysticisme, occultisme, magie et technologie de l'information. Dans
celui-ci, Davis ancre son argument avec deux textes intéressants. Comme cadre théorique
général, il utilise la perspicacité de Bruno Latour dans Nous n'avons jamais été modernes
(1991). Le modernisme maintient une stricte séparation entre nature et culture. La thèse
contradictoire de Latour est que ce Grand Divorce n'a jamais été étanche. Avec l'essor de la
technologie et l'interconnexion communicative associée des sociétés, un domaine a émergé
dans lequel la nature et la culture se chevauchent également.
Autres références

https://henritauliaut.com/le-monde-techno-chamane/
https://www. ickr.com/photos/marcwathieu/albums/72157706334557411/page2
https://www.mixcloud.com/Ergote_Radio/jpo-2019-technopaganisme/
fl

Vous aimerez peut-être aussi