Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
MAGIE ET TECHNO-ESOTERISME
Techno-chamanisme & cyber-primitifs par Maxence Grugier
Maxence Grugier est un journaliste spécialisé dans les pratiques artistiques numériques.
Depuis les années 90, il étudie l’impact des technologies numériques sur nos sociétés (IA,
Big Data, réalité virtuelle, robotique, etc.) et écrit à ce sujet dans le domaine de la création
artistique et de la production sonore. Anciennement rédacteur en chef du mensuel
Cyberzone (1999 – 2001), il écrit pour Le Monde, Coda, Trax, Tsugi, Computer Art, etc. Il a
grandement participé à vulgariser les réseaux et de la cyberculture en Europe, grâce à ses
propres écrits ou aux traductions qu’il a fait de textes sur la contre-culture qui n’étaient
pas accessibles en français. La revue CyberZone dont il est le rédacteur en chef, est un
magazine au style cyberpunk, érotique et trash, à l’opposé de certaines tendances
culturelles élitistes et mondaines de l’époque. Dans les années 90, il inscrit son journal
dans un courant culturel qui regroupe de façon assez anarchique le cyberpunk, les
musiques électroniques, les nouveaux païens, les images numériques etc. Il af rme ne pas
faire de différence entre cultures et « sous-cultures », selon lui, tous ces concepts, toutes ces
idées, sont interessant.e.s par leur existence même faisant partie intégrante de son univers
informationnel et donc de sa culture :
« Je crois sincèrement que ces cultures sont en train de pénétrer la culture générale. Le
cyber, c’est forcément l’avenir. »
Très inspiré par des auteurs de science- ction et cyberpunks comme William Gibson,
Bruce Sterling, Neal Stephenson, Pat Cadigan, il questionne le devenir de la contre- culture
et des sub-cultures, ainsi que sur l’impact du numérique dans notre environnement
culturel et social. Il s’accompagne également des ouvrages de théoriciens des médias tels
que Alvin Tof er, Norbert Wiener, Marshall Mc Luhan. Maxence Grugier cite également
des essayistes plus « doux dingues », ce sont ces termes, tels que : Timothy Leary, Douglas
Rushkoff, Terence McKenna et Jaron Lanier qui traitaient du futur de manière très libérée,
et barrée.
fi
fi
fi
fi
les ordinateurs et les autres manifestations naturelles, issues de la main de l’homme ou
directement du big-bang. Le mysticisme étant nourri par toutes les consciences reliées par
le réseau informatique mondial.
• alt.pagan
• Deus Ex Machina
• Ritual Magick On Line
• Modem magick
• Sacred Grove
• le site bapho.net
« Depuis toujours, la spiritualité est affaire de lieu (…) Que devient donc le sacré à une époque où
la communication instantanée rend caduque l’idée même de géographie ? Il se matérialise dans
d’autres lieux : les sites informatiques. Ceux-ci tiennent lieu de lieux dans le réseau » (Jullian
Dibbel, Spin)
fi
fi
fi
fi
fl
fi
fi
« Car là où deux ou trois se rassemblent en mon nom, là je suis parmi eux. » (Verset de l’Ancien
Testament, Matthieu, 18 – 20)
Le techno-chamanisme puise son inspiration dans la science- ction, le roman
cyberpunk Comte Zéro par William Gibson possède sa propre mythologie informatique
originale, fusionnant les anciens rites haïtiens et les nouvelles technologies. L’auteur
parvient à faire cohabiter le monde primitif, mystique et organique du vaudou, et le
monde désincarné, mécanique et éthéré de la culture high-tech. Sans oublier les transes
électroniques et tout l’univers des raves très présents sur la scène Britannique et lié au
genre techno-hippie et à l’Acid House. La plupart de ces groupes véhiculent l’idée que la
musique rythmique contemporaine permet d’atteindre l’état de transe et d’entrer en
contact avec d’autres mondes et que le musicien est un néo-chaman, faisant l’intermédiaire
entre notre monde et les autres en ouvrant l’esprit de ceux qui écoutent sa musique :
« L’âme des machines a toujours été une bonne part de notre musique. La transe a toujours
suivi la répétition, et tout le monde recherche la transe dans la vie… dans le sexe, dans
l’émotion, dans le plaisir, partout… et les machines produisent une forme de transe
absolument parfaite. » (Ralf Hãœtter, Kraftwerk : Man Machine and Music, de Pascal
Bussy, 1991). On retrouve dans les musiques du techno-chamanisme, des rythmiques
tribales, rituelles, des textes inspirés de l’occultisme. Certains groupes très in uents
comme Psychic Tv, Coil ou Current 93 reprennent un fonctionnement quasi similaires aux
« sociétés initiatiques » et les lieux de concerts sont hautement symboliques (églises,
anciens lieux de culte païens ou locaux de structures magiques). Psychic TV est le premier
groupe à intégrer la voix d’Aleister Crowley dans ses morceaux, grand occultiste et
fondateur de la religion Thelema.
Selon Mark Dery, observateur de la cyberculture et auteur de Vitesse Virtuelle (ed.
Abbeville Press, coll. Tempo), le techno-chamanisme est « la culture parallèle, modeste mais
vitale, des savants de l'informatique qui ont un pied dans la technosphère naissante et l'autre dans
le monde fou du paganisme ». Loa vaudou, IA (Intelligence Arti cielle) autonome, concept de
cyberespace, tout un univers est né avec l'avènement de l'informatique de réseau et en
particulier d'Internet. Des écrivains comme William Gibson ou Bruce Sterling ont
participés à l'élaboration d'une véritable mythologie électronique en créant des mondes
virtuels cohabitant avec le nôtre dans un futur proche. Le techno-chamanisme et les cyber-
primitifs, dans leur quête d'humanité et de mythes, répondent a un besoin humain vieux
comme le monde : trouver du sacré dans l'univers.
« Toute technologie suf samment développée se confond avec la magie. » Arthur C. Clarke, auteur
de science- ction
fi
fi
fi
fi
D'un point de vue philosophique, le techno-chamanisme est une tentative pour tirer les
conclusions concernant les bouleversements technologiques et donc affectifs du XXe siècle.
Il exprime le désir populaire de réinsuf er un peu d'humanité dans les conclusions
inévitablement cartésiennes et froides du monde scienti que. Même si la plupart d'entre
nous en sommes réduits à croire le verdict de la science sur parole, le besoin de sacré, de
fantasme et de magie est si fort que la plus haute technologie n'est pas épargnée par une
certaine dose de scepticisme et de superstition comme l'explique Steve Mizrach sur son
site, The Cyber-anthropologie Home Page. En n, le techno-chamanisme témoigne du
besoin universel de laisser une place au divin dans une société devenue de plus en plus
scienti que et technologique. "Depuis le Siècle des Lumières, la raison instrumentale,
armée de la méthode scienti que, a systématiquement démantelé la conception spirituelle
du monde, à quoi elle a substitué la cosmologie de la science. Cernés par le rationalisme et
le matérialisme, ceux qui pleurent la perte du sacré et se sentent démunis sans lui, ont
adopté consciemment ou non, une stratégie curieuse, qui est de justi er leurs croyances en
termes scienti ques", peut-on lire dans l'un des chapitres du livre de Mark Dery, intitulé
Deus Ex Machina. Ce qui est amusant dans le techno-chamanisme, c'est que, par ses
croyances new-age, il fait le pont entre la contre-culture psychédélique des années 60 et
celle informatique, virtuelle et cyberdélique des années 90. Comme le courant new age, le
néopaganisme qui lui donna naissance, est entré dans la culture occidentale des sixties par
la mode du mysticisme oriental et de l'occultisme (astrologie, tarot, Yi-king et magie).
Transes électroniques
« L'âme des machines a toujours été une bonne part de notre musique. La transe a toujours suivi la
répétition, et tout le monde recherche la transe dans la vie... dans le sexe, dans l'émotion, dans le
plaisir, partout... et les machines produisent une forme de transe absolument parfaite. » Ralf
HÃŒtter, 1991, dans Kraftwerk : Man Machine and Music, de Pascal Bussy. Le techno-
chamanisme est aussi très répandu dans l'univers des raves. « La transe atteinte dans la
centrifugeuse sociale où s'agitent des danseurs en sueur déchaînés avec la dance-music
électronique, faite de rythmes house ou techno entêtants, atteignant des niveaux sonores faramineux
et la drogue typique, l'extasy, élèvent les participant dans un état quasi-mystique de délire
introspectif et les aident à passer les étapes d'un état de conscience modi é. » Née d'un genre
musical techno-hippie, bien connue en Angleterre sous le nom d'acid house pendant l'été
1989 et bien avant l'in uence de la scène électronique allemande des années 70, la scène
rave s'est vite développée en Californie. A San Francisco, les deux traditions contre-
culturelles dominantes, celle des hippies du Haight Hassbury et celle de la Silicon Valley
ont fusionné dans le phénomène des raves. Genesis P. Orridge, fondateur du groupe
industriel, puis techno Psychic TV, explique le phénomène qui s'empare des danseurs dans
ces soirées : « La trance-music où les gens vibrent et tournent jusqu'a atteindre l'hyper-
ventilation et l'expérience des ondes alpha-psychédéliques. (...) Ils se trouvent alors complètement
"transe-formés" par cet excès primal et physique. Alors, il se passe un truc, une énergie païenne
s'empare d'eux, à force de danser n'importe comment au rythme d'un chamanisme high-tech. »
Beaucoup de soirées technos comportent des chambres de refroidissement, appelées chill
out room. Les fêtards, épuisés par l'expérience des ondes alpha-psychédéliques, peuvent
se détendre, caressés par les synthés vaporeux et enveloppants de la musique "ambient",
l'un des genres instrumentaux de la musique électronique.
fl
fi
fi
fi
Angoisses technologiques
Loin d'être seulement le fruit d'un "culture clash" entre univers metaphysique tribale et
univers virtuel de notre monde sur-technologique, le techno-chamanisme se fait aussi
l'écho de l'angoisse suscitée par un monde où les dernières vérités tendent à être des
vérités scienti ques. Un monde où la science devient de plus en plus incontrôlable, et la
technologie de plus en plus aliénante. Dans un essai sur la "cyber superstition", Bruce
Sterling, gourou du cyber âge et collègue de William Gibson, analyse notre relation à
l'ordinateur comme "machine magique" : « Les ordinateurs sont des créatures effrayantes,
chargées de mystère et de puissance. Même pour les programmeurs et les concepteurs de circuits
électroniques, l'ordinateur reste une chose qui dépasse foncièrement l'entendement. (...) Une
machine capable d'accomplir des millions d'opérations par seconde est tout bonnement trop
complexe pour être entièrement comprise par un cerveau humain, quel qu'il soit. » Quoi qu'il en
soit et comme le montre l'intérêt qu'on lui porte sur Internet, bons ou mauvais, les génies
ne semblent en tout cas, pas près de nous quitter. Et, en cette n de millénaire, le sacré,
reste lui aussi bien vivant dans la machine.
fi
fi
Techno-paganisme et chamans post-modernes
À cela, nous pensons qu’il est possible d’en rajouter une quatrième, que nous avons peu
analysé jusqu’à présent : le néo-paganisme postmoderne, qui relèverait non seulement du
bricolage. Pour asseoir notre propos, nous étudierons ici une forme hypermoderne de néo-
paganisme : le « techno-chamanisme », compris comme un « techno-paganisme ».
En effet, le techno-chamanisme, par son origine partiellement issu du new age, fait le lien
entre la contre-culture psychédélique des années 1960 et celle informatique des années
1990. Il ne faut pas oublier que certains des pionniers de l’informatique provenaient
également de la contre-culture des années 1960…
Les techno-païens utilisent également des téléviseurs, des fours et autres objets électriques
dans ces mêmes pratiques rituelles ou divinatoires : le naturel, les objets classiques de la
magie, disparaissent, laissant la place à l’intrusion de la technologie dans la magie. Cette
idée était en germe dans le Neuromancien de Gibson : ce terme est composé de « neuro »
(« intelligence » ici arti cielle) et « mancien » (devin, mage). Gibson l’a construit sur le
modèle du mot « nécromancien », ce mage qui interagit avec les morts. Par un jeu d’aller-
retour d’in uences mutuelles, les auteurs cyberpunks se nourrissent du techno-
paganisme. Ainsi, ce dernier a été une source d’inspiration pour William Gibson : son
deuxième roman, Comte Zéro, paru en 1986, fusionne vaudou haïtien et nouvelles
technologies.
Ces milieux, certes des plus minoritaires, n’intéressent que très peu les chercheurs, tant en
France qu’à l’étranger : le monde scienti que anglo-saxon, pourtant rapide à étudier les
évolutions des sociétés occidentales, n’a produit que très peu d’études sur ces nouvelles
formes de néo-paganisme. Ainsi, une revue comme Pomegranate, sous-titrée « International
Journal of Pagan Studies », considérée comme une revue de référence dans l’étude des
phénomènes néo-païens, n’a consacré aucun article au « techno-paganisme » ou au
« techno-chamanisme »…
fi
fi
Mark Leckey, Erik Davis et le technopaganisme
Une grande source d'inspiration pour Mark Leckey, l'ancien lauréat du Turner Prize qui
présente actuellement une importante exposition personnelle au WIELS à Bruxelles, est
l'auteur américain Erik Davis, le porte-parole du technopaganisme.
Une exploration de la relation entre le mysticisme, l'occultisme, la magie et la technologie
de l'information, et son avenir.
L'homme pré-moderne est entré dans la forêt et s'est senti appartenir à un monde vivant.
Les montagnes, comme les rivières ou les animaux, possédaient un esprit. Cette vision du
monde animiste a été rejetée comme une superstition païenne par la main sévère du
christianisme et de la modernité. Rétrospectivement, cette période sans vie a duré assez
peu de temps. Dès le XIXe siècle, l'animisme a prospéré dans le cadre des sous-cultures
païennes qui s'opposaient à l'église et à la révolution industrielle. Dans les parties
septentrionales de l'Europe — Islande, Finlande, Suède, Allemagne au-dessus du Rhin —
la christianisation avait de toute façon progressé tardivement, et était souvent acceptée
avec réticence et aidée par la synthèse culturelle.
Les hippies les plus clairvoyants se sont tournés vers les ordinateurs au début des années
1970 pour diverses raisons. Un changement essentiel a eu lieu : la technologie,
invariablement considérée dans les mouvements païens comme une invasion contre
nature de l'Eden, a été pleinement adoptée. Dans le best-seller littéraire Zen and the Art of
Motorcycle Maintenance (1974), Robert Pirsig résume la vision animiste de la technologie :
« Le Bouddha, la divinité, réside tout aussi confortablement dans les circuits d'un ordinateur
numérique ou les engrenages d'une transmission de cycle que il le fait au sommet d'une montagne
ou dans les pétales d'une eur ». Le technopaganisme est né.
Ce terme ne sera d'ailleurs forgé que vingt ans plus tard dans un article de Wired, le
magazine visionnaire du monde informatique californien1. L'auteur Erik Davis y décrit
l'état du « néopaganisme », qui s'est adapté à bien des égards jeune monde à partir
d'Internet. Non seulement les païens se retrouvent rapidement dans toutes sortes de
groupes de discussion, mais c'est la magie du cyberespace qui en fascine plus d'un.
fi
fl
fi
L'article dégage une certaine niaiserie New Age que Davis abandonne presque
complètement trois ans plus tard dans son livre Techgnosis (1998), une étude exhaustive
de la relation entre mysticisme, occultisme, magie et technologie de l'information. Dans
celui-ci, Davis ancre son argument avec deux textes intéressants. Comme cadre théorique
général, il utilise la perspicacité de Bruno Latour dans Nous n'avons jamais été modernes
(1991). Le modernisme maintient une stricte séparation entre nature et culture. La thèse
contradictoire de Latour est que ce Grand Divorce n'a jamais été étanche. Avec l'essor de la
technologie et l'interconnexion communicative associée des sociétés, un domaine a émergé
dans lequel la nature et la culture se chevauchent également.
Autres références
https://henritauliaut.com/le-monde-techno-chamane/
https://www. ickr.com/photos/marcwathieu/albums/72157706334557411/page2
https://www.mixcloud.com/Ergote_Radio/jpo-2019-technopaganisme/
fl