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Introduction
(Romuald Hamon et Yohan Trichet)
Montée au zénith social des fanatismes
Regain du religieux et recours subjectif
Ressorts subjectifs de l’adhésion
Une visée de transmission
« Nom de Dieu »
(Alain Abelhauser)
Nom-du-père et Dieu-le-père
De quoi Dieu est-il…
Constituer la garantie dernière
Soulager du poids de la faute
Éponger la jouissance
Prendre à sa charge la toute-puissance de la pensée
Se servir du Nom-du-père, user de Dieu
En passer par les enfers
Le grand abandon
(Véronique Voruz)
« Le réel, c’est la structure »
« L’inconscient, c’est la politique »
Lien social : identité, identification et événement de corps
Fanatisme du signifiant et « ne rien vouloir en savoir » au
transfert, lieu du lien
Jouir de la mort
(Jean-Claude Maleval)
Evil syndrome
La pulsion de mort selon Freud
Sadisme et masochisme
La pulsion de mort selon M. Klein
Tueurs en série
La pulsion de mort selon Lacan
La défusion des pulsions
Bascules, et retour ?
(Laetitia Belle)
Moments de bascule
Modalités cliniques du fantasme et déchaînement de la
pulsion de mort
Appui sur le désir et nouage symptomatique
Conclusion
La radicalisation et la honte
(David Bernard)
L’émoi de Mai
La honte de vivre
La honte et le signifiant-maître
Clinique de la radicalisation
(Thierry Lamote et Laure Westphal)
Repenser la radicalisation
La radicalisation : entre contrainte logico-déductive et
symptôme ?
Le symptôme et le masque, trois vignettes cliniques
De la désolation au passage à l’acte
pascal.ory@wanadoo.fr
Fanatisme, extrémisme,
radicalisme : comment l’Enfer est-il
pavé ? Le point de vue d’un
historien
Affaire de lexique
Je viens d’évoquer l’étymologie. Cette science du vrai (nous dit
l’étymologie) met d’emblée en avant le lien du fanatisme avec le
religieux, puisque le concept originel – d’origine romaine –
renvoie à la figure du dévot tout entier attaché à sa dévotion
(fanum, lieu consacré à une divinité), voire tout entier habité
par son dieu. Encore l’Antiquité ne connaît-elle, en effet, que la
figure, et l’adjectif qui la dessine (fanaticus). Pour qu’il y ait
substantif, il faut, significativement, qu’on soit arrivé à la
Renaissance. Et pour qu’il soit d’un usage courant, il faut
attendre le siècle des Lumières. Contemporain des guerres dites
justement « de religion », Montaigne (1580, p. 600) n’utilise
encore que l’adjectif alors qu’un peu plus d’un siècle plus tard
le très athée abbé Meslier parle déjà – dans son for intérieur,
exprimé par un journal publié après sa mort par Voltaire – du
fanatisme des premiers chrétiens (Meslier, 1729, p. 100). Et c’est
de cette nouvelle entité que Voltaire fera l’un de ses adversaires
principaux, lui consacrant tout un article de son très répandu
Dictionnaire philosophique qui n’en compte que soixante-treize.
« Le fanatisme est à la superstition ce que la rage est à la
colère » en est l’incipit (Voltaire, 1764, p. 75). Texte, au reste,
toujours d’actualité, quand on y lit, par exemple : « Que
répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à
Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter
le ciel en vous égorgeant ? » (ibid., p. 77). En effet, que
répondre ? En tous les cas, Voltaire, lui, a sa réponse, et l’on
peut interpréter le fameux précepte de sa correspondance,
« Écr. l’inf. », traduit par : « écrasez/écrasons l’infâme » comme
tourné moins contre telle ou telle religion, fût-elle la catholique,
que contre l’intolérance et le fanatisme dont venait de mourir le
protestant Calas [2] .
Bibliographie
Notes du chapitre
[8] ↑ Du reste, c’est la proposition qu’on a faite dès le lendemain des attentats de
novembre 2015 (Ory, 2015) et que l’on a confirmé dans un ouvrage paru en janvier
2016 (Ory, 2016).
[9] ↑ Cette historiographie du martyr fasciste découle des travaux d’Emilio Gentile
depuis son Il Culto del Littorio.
romuald.hamon@univ-rennes2.fr
Yohan Trichet
Yohan TRICHET est psychologue clinicien, psychanalyste,
professeur de psychopathologie clinique, EA4050
« Recherches en psychopathologie : nouveaux
symptômes et lien social », université Rennes 2, place
Recteur-le-Moal, 35043 Rennes cedex. Ancien
psychologue de la fonction publique hospitalière, il a
exercé une quinzaine d’années en psychiatrie adulte. Il
intervient désormais pour des analyses de pratiques en
CSAPA, CAARUDet MECS. Il a publié L’entrée dans la psychose
(Presses universitaires de Rennes, 2011,) puis codirigé
avec Romuald Hamon l’ouvrage collectif Psychanalyse et
criminologie aujourd’hui (Presses universitaires de
Rennes, 2016).
yohan.trichet@univ-rennes2.fr
L
es fanatismes religieux, idéologiques ou politiques font
aujourd’hui retour en donnant lieu à de nouvelles formes
d’extrémismes. Dans leurs versions radicales, ils reposent sur
des croyances et des idéaux instrumentalisés, au nom desquels
des actes de violence sont parfois commis. Leur dramatique
actualité nous montre la nécessité d’interroger leurs ressorts
psychiques et leurs incidences sociopolitiques et
psychopathologiques, ce à quoi s’attache cet ouvrage didactique
de psychopathologie clinique et criminologie psychanalytique,
ouvert néanmoins aux autres disciplines (histoire, droit,
psychiatrie). Il s’inscrit dans la suite logique de deux
manifestations scientifiques que nous avons codirigées en mai
2015 [1] et octobre 2016 [2] . Ces projets ont émergé puis se sont
développés dans le cadre d’un groupe de recherches sur « Les
nouveaux fanatismes », fondé en septembre 2014, réunissant
enseignants-chercheurs, professionnels, doctorants et étudiants.
Bibliographie
Notes du chapitre
[2] ↑ R. Hamon, Y. Trichet, Les fanatismes, aujourd’hui. Enjeux cliniques des nouvelles
radicalités, colloque international interdisciplinaire, université Rennes 2, 13 et 14
octobre 2016.
[3] ↑ « Un discours, c’est ce qui détermine une forme de lien social » (Lacan, 1975,
p. 76).
[4] ↑ C’est la structure sociale du lien social basée sur les grands récits et
l’opérativité du discours du maître classique qui s’en trouve modifiée. La
globalisation, effet du capitalisme, a généré le passage de la structure sociale du tout
à la « structure sociale du pas tout » (Miller, 2002, p. 21) dans laquelle les repères
traditionnels se délitent.
[6] ↑ Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI).
Première partie -
Fanatismes religieux,
politiques et scientifiques
« Nom de Dieu »
Alain Abelhauser
Alain ABELHAUSER est psychanalyste, professeur de
psychopathologie, EA 4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Il est l’auteur de Le sexe et le signifiant (Le Seuil,
2002) ; La folie évaluation (avec R. Gori et M.-J. Sauret,
Fayard, 2011) ; Mal de femme. La perversion au féminin
(Le Seuil, 2013).
alain.abelhauser@-univ-rennes2.fr
Tout cela pour insister sur le fait que dire le nom de Dieu est en
somme crédité du pouvoir d’interpeller Dieu lui-même, que ce
soit pour le bien – le prier – ou le mal – le défier. Que le nom de
Dieu, c’est en somme Dieu lui-même, et que porter atteinte à
l’un revient à porter préjudice à l’autre. Le nom (et non, là, le
mot) serait donc la chose, pour paraphraser Hegel. La chose
même, pour paraphraser Freud. Dieu est dans toute chose,
certes, mais peut-être avant tout dans son nom.
Ce qui conduit Lacan, un peu moins concis que moi, en
l’occurrence, mais certainement beaucoup plus complet, à
proclamer que lui sait « appeler Dieu par son nom-de-Dieu de
Nom » (Lacan, 1970, p. 437). Qu’est-ce à dire, sinon admettre, en
première intention, qu’appeler Dieu par son nom est à la fois
une façon de toucher à la vérité, à la vérité dernière, et de
commettre une irrévérence profonde, une irrévérence de
structure ?
Nom-du-père et Dieu-le-père
Commençons peut-être, au plus simple, par rappeler quelques
fondamentaux, qui auront de toute façon l’intérêt d’introduire
aux réflexions et aux débats que ne manquera pas de soulever
la suite de cet ouvrage. D’autant que nous disposons, en
psychanalyse, grâce à Lacan, d’un concept – d’un sacré
concept – celui de Nom-du-père, que l’on a parfois tendance à
rabattre sur celui de Dieu, voire à assimiler à celui de Dieu
lorsque c’est de Dieu-le-Père qu’il est question. Un concept dont
il importe donc, à mon sens, de s’employer à préciser les
rapports, les correspondances et les divergences, avec le Nom-
de-dieu.
Il est bien sûr une lecture de Lacan qui tendrait à les confondre.
C’est en effet Lacan lui-même qui déclare en 1967, par exemple,
lors d’une conférence à Naples : « Cette place du Dieu-le-Père,
c’est celle que j’ai désignée comme le Nom-du-père et que je me
proposais d’illustrer dans ce qui devait être ma treizième année
de séminaire [1] » (Lacan, 1967, p. 39).
Éponger la jouissance
Notes du chapitre
[1] ↑ Il s’agit bien sûr du séminaire Les Noms du Père, dont seule la première leçon
fut prononcée, le 20 novembre 1963. Lacan dut arrêter son séminaire aussitôt après,
pour les raisons que l’on sait, et ne reprendre la thématique, quoique dans une
orientation passablement différente, que dix ans plus tard, sous le titre homo-
phonique, mais combien lourd de sens pour ce qui nous concerne ici, Les non-dupes
errent (Lacan, 1963, 1973-1974).
[3] ↑ Variante bien connue : le mysticisme, en tant qu’il repose sur le mécanisme
consistant à la dédier, cette jouissance importune prenant volontiers forme de
souffrance, à l’Autre divin, ce qui n’est jamais qu’une autre manière, en tout bien
tout honneur, de lui en faire porter et assumer là aussi la charge. Cf. le chapitre
« Fanatisme d’antan, de l’invention à l’imposture mystique », dans le présent
ouvrage.
Fanatisme d’antan, de
l’invention à l’imposture
mystique
Romuald Hamon
Romuald HAMON est psychanalyste, maître de
conférences (HDR) en psychopathologie clinique
psychanalytique, EA4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Il est responsable du programme transversal de
recherche de l’EA4050 « Les nouveaux fanatismes ».
romuald.hamon@univ-rennes2.fr
La mascarade douloureuse
d’Yvonne-Aimée de Jésus
Durant les années 1920, Beauvais est aux prises avec cette
souffrance qui n’est pas celle du symptôme : « Tout le corps me
fait mal. Tout mon être me fait souffrir. » « Les malaises
bizarres » qui s’y associent lui font supposer qu’elle n’est « pas
malade d’une maladie commune » (Laurentin, Mahéo, 1993,
p. 36) et la mènent en 1922 vers Dieu : « Je ne peux rien
exprimer de tout ce qui se passe ; ce n’est pas de la terre »
(Laurentin, 1999, p. 338). « Il y a des moments où je souffre
beaucoup. Cette souffrance indéfinissable n’éloigne pas de
Jésus. Au contraire ! » Fin 1923, elle consacre à Jésus cette
jouissance qui l’absente douloureusement d’elle-même, qui
demeure ineffable et dénuée de sens : « Ah, si je pouvais en
parler, mais je ne peux pas ! Ma souffrance n’a jamais été
comprise que de Jésus » (Yvonne-Aimée de Malestroit, 1987,
p. 217). En la liant aux impénétrables divins, elle s’assure d’un
partenaire à qui en dédier l’indicible autant qu’elle colonise
l’abîme sans nom dans lequel elle se perd. Le signifiant « Jésus »
identifie et désigne de là où elle s’éclipse comme sujet du
signifiant : en Dieu et ses mystères.
La transformation sanctifiante de
Madeleine Lebouc
Bibliographie
Notes du chapitre
[1] ↑ Φ est « un signifiant sans pair » (Lacan, 1958, p. 642). Il est l’unique signifiant
qui dit le sexe en l’inconscient. Fidèle à Freud, Lacan le positionne comme cet
universel valable pour tout sujet en raison de la vacuité en l’inconscient d’un
signifiant identifiant le féminin. D’où l’impossible du rapport sexuel puisque la
logique du rapport entre les sexes ne peut s’écrire en raison de la forclusion du
signifiant « La femme » (Lacan, 1973, p. 537). Φ, car sans pair, est à la fois la cause et
le masque du non-rapport sexuel. Il le cause, car l’inconscient est unisexe, phallique.
Et, en énonçant ce qu’il faut faire comme homme ou femme, il en masque
l’inexistence en suppléant ainsi à l’absence d’un Autre sexe que phallique (Lacan,
1972, p. 458).
[2] ↑ La jouissance Autre d’un sujet névrosé féminin et la jouissance de l’Autre d’un
sujet psychotique sont insoumises à la loi du signifiant et de la castration,
distinctement cependant. La jouissance Autre se produit par soustraction de la
fonction phallique (Φ) mais demeure limitée par elle. Sans objet, elle met en rapport
avec l’Autre barré. Le signifiant et le sens n’ont pas de prise sur elle. Son altérité
demeure radicale. La jouissance de l’Autre, liée à la non-soustraction de l’objet a, se
produit par invasion et n’est pas limitée par la fonction phallique en raison de sa
carence dans la psychose. Cette jouissance met le sujet en rapport avec un Autre
compact. Une élaboration signifiante et une invention de sens peuvent en assurer le
traitement.
[3] ↑ L’abbé Bruneau prouve que l’écriture et le style d’Odette sont ceux de Beauvais
et qu’elle commet les mêmes fautes d’orthographe que cette dernière (Laurentin,
2000, p. 180-189).
francesca.biagi.chai@gmail.com
La psychanalyse et la modernité
Dieu et l’au-delà
L’abnégation et sa logique
Devenu croyant à sa manière, il rencontre des imams « en prise
directe avec l’au-delà », plus forts donc que les imams
traditionnels. Une vidéo américaine controversée, L’innocence
des musulmans [2] , met cette année-là le feu aux poudres et des
manifestations ont lieu un peu partout en France. Il souhaite s’y
rendre, s’égare en cours de route. Il éprouve alors un « malaise
flou et grandissant », il n’a pas fait ce qu’il devait faire,
s’ensuivent colère, frustration, énervement – sur le mode des
phénomènes de corps qui imposent l’action et inhibent la
réflexion.
Bibliographie
DIDE, M. 1913. Les idéalistes passionnés, Paris, Frison-Roche,
2006.
DOSTOÏEVSKI, F. 1846. Le double, Paris, Gallimard, 1989.
GUIRAUD, P. 1931. « Les meurtres immotivés », L’évolution
psychiatrique, vol. 72, n° 4, 2007, p. 599-605.
LACAN, J. 1949. « Le stade du miroir comme formateur de la
fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience
psychanalytique », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 93-100.
LACAN, J. 1970. « Radiophonie », dans Autres écrits, Paris,
Le Seuil, 2001, p. 403-447
LACAN, J. 1973. Le Séminaire, Livre XI (1963-1964), Les quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil.
LACAN, J. Le Séminaire, Livre XVIII (1970-1971), D’un discours qui
ne serait pas du semblant, inédit.
LE GRAND ROBERT. 1985. Article « Fanatique », Paris, Dictionnaires
Le Robert.
MILLER, J.-A. 1986-1987. Ce qui fait insigne, séminaire donné au
département de psychanalyse de l’université de Paris VIII,
inédit.
MILNER, J.-C. 2014. La puissance du détail. Phrases célèbres et
fragments en philosophie, Paris, Grasset.
ROY, O. 2016. « Djihadisme : Olivier Roy répond à Gilles Kepel »,
L’Obs, 6 avril,
http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160406.OBS8018/exclusif-
djihadisme-olivier-roy-repond-a-gilles-kepel.html
Notes du chapitre
[1] ↑ De Francesco Guerazzi.
[2] ↑ L’innocence des musulmans est une vidéo américaine diffusée en 2012 sur
YouTube.
Croyance et incroyance :
fonctions des théories actuelles
du complot
Lyasmine Kessaci
Lyasmine KESSACI est psychologue clinicienne, maître de
conférences en psychologie clinique et psychopathologie
à l’université de Bretagne occidentale, EA4050
« Recherches en psychopathologie : nouveaux
symptômes et lien social », UBO, Faculté des lettres et
sciences humaines Victor-Segalen, 20 rue Duquesne,
29238 Brest cedex 3. Elle est l’auteur de l’ouvrage De la
maltraitance infantile à l’infanticide, la mère, l’enfant, le
ravage (Presses universitaires de Rennes, 2015).
lyasminekessaci@yahoo.fr
Bibliographie
Notes du chapitre
mikael.bonnant@free.fr
Conclusion
Bibliographie
Notes du chapitre
[1] ↑ Célèbre formule prononcée par Einstein au congrès Solvay de 1927, à laquelle
il faut adjoindre la non moins fameuse réplique de Bohr : « Mais qui êtes-vous pour
dire à Dieu ce qu’il doit faire ? »
elisabeth.marion@gmail.com
Devenir un hubot
Bibliographie
Notes du chapitre
[4] ↑ La fiction n’a ici qu’une faible avance sur la science : l’université
Nishogakusha, à Tokyo, a présenté fin 2016 un robot androïde à l’effigie de Soseki
Natsume, écrivain important de la littérature japonaise, décédé en 1916. Il est
programmé pour donner cours et faire des lectures publiques. Son visage est
reproduit à partir du scan de son masque mortuaire et de photos, sa voix recréée
d’après celle de son petit-fils.
[5] ↑ Cf. le Human Brain Project qui vise d’ici 2024 à simuler le fonctionnement d’un
cerveau humain synthétique.
Le grand abandon
Véronique Voruz
Véronique VORUZ est psychanalyste, AE, membre de
l’École de la cause freudienne, membre de l’Association
mondiale de psychanalyse et de la New Lacanian School,
maître de conférences en droit, université de Leicester,
professeur associé de psychanalyse, université de
Kingston, Royaume-Uni.
veronique.voruz@leicester.ac.uk
« Je ne dis même pas “la politique, c’est l’inconscient”, mais tout
simplement, “l’inconscient, c’est la politique” », énonce Lacan,
le 10 mai 1967, lors de son Séminaire sur La logique du fantasme
(ibid.). Jacques-Alain Miller commente la position de Lacan avec
une grande précision dans le texte de son intervention, publiée
sous le titre « Intuitions milanaises ». La première proposition,
qui pose une définition de la politique, souligne-t-il, est
présentée par Lacan sous le mode de la dénégation – « je ne dis
même pas ». Lacan y substitue une alternative plus modeste,
précédée d’un « tout simplement », et prend ainsi ses distances
avec la thèse freudienne, celle de la « psychologie des masses »
(Freud, 1921). Dans ce texte, commente Miller, Freud « analyse
les formations collectives comme des formations de
l’inconscient, ayant même signifiant identificatoire et même
cause de désir ». Selon cette thèse, la politique « se ramène à
l’inconscient » (Miller, 2002, p. 11), les deux étant structurés
« par l’instance du père » (ibid., p. 12), la répression de la
jouissance et les satisfactions identificatoires. « L’inconscient,
c’est la politique », par contraste, est une définition de
l’inconscient en tant qu’il est articulation à l’Autre, et non pas à
l’Un : « “L’inconscient, c’est la politique” est un développement
de “l’inconscient, c’est le discours de l’Autre”. Ce lien à l’Autre,
intrinsèque à l’inconscient, est ce qui anime depuis son départ
l’enseignement de Lacan » (ibid.).
Alors que la thèse de Freud tend à interpréter tout ce qui se
passe dans le lien social à partir de l’inconscient – tel qu’il l’a
défini à partir du père, des identifications et de la répression de
la jouissance −, en revanche, la thèse de Lacan montre en quoi
l’inconscient n’est pas une intériorité qui structure le monde,
mais au contraire dépend de l’Histoire, des discours, etc. Ainsi,
on ne peut pas se servir d’une définition fixe de l’inconscient
pour interpréter les phénomènes du monde, car ce sont les
phénomènes du monde qui modifient l’inconscient.
« L’inconscient, c’est la politique » veut donc dire que
l’inconscient dépend de la politique.
Dès lors, le rapport au corps que l’on a, et non pas que l’on est,
est à repenser au-delà de la théorie freudienne de
l’identification à un trait prélevé sur un autre comme
fondement du lien social. L’identité, le sentiment d’être soi,
s’obtient à partir de ce qui fait événement de corps pour un
sujet, sachant que ce corps n’est pas le corps de l’individu mais
le corps parlant de la civilisation, puisque ce qui affecte ce
corps, corps social, corps politique, affecte les individus qui le
constituent ; le corps parlant, sujet de langage, affecté par le
langage, est transindividuel : « Tandis que la
Massenpsychologie freudienne était fondée sur l’identification,
à partir de l’événement de corps, c’est une nouvelle psychologie
des masses qui se dessine. Les mouvements des foules
contemporaines, les “multitudes”, se font et se défont en effet
au nom de quelque chose qui défie l’identification […]. La
nouvelle forme politique ainsi produite n’est pas celle du
sentiment, comme on le dit trop souvent, mais celle des affects,
au sens de l’événement de corps » (ibid., p. 20-21).
Bibliographie
baderosa@unina.it
C’est un passé qui n’est pas passé, et qui semble plutôt plongé
dans l’ordre de la répétition. La Shoah a fait basculer l’humain
dans un monde sans limites (Lebrun, 1997), le manifeste
fondateur des totalitarismes étant que tout est possible (Arendt,
1973) ; la politique nazie, disait Goebbels, n’était que l’art de
rendre possible ce qui semble impossible. Hybris par
excellence, qui ne peut être gagnée qu’avec le préalable
effacement du manque, et donc de la différence qui nous rend
humains. Et c’est la condition humaine qui est frappée
aujourd’hui, non pas seulement dans le désastre des migrations
des peuples poussés à l’exode par la violence et la misère, dans
les génocides ou les nouvelles formes de terrorisme qui sont
arrivées à nos portes, mais dans le cœur même de notre
culture, imprégnée comme elle l’est de scientisme, de folie de
l’évaluation (Abelhauser, Gori, Sauret, 2011) et de
technocentrisme, une véritable « machine de désintégration du
manque » (Ham, 2008, p. 123). Nous sommes plongés dans la
« damnation de la fabrique » visant l’homme comme s’il était
un produit industriel, sous l’illusion de joindre « une humanité
augmentée jusqu’à l’immortalité […]. La fabrication, pour
efficace qu’elle puisse être, nous apparaît bien dans sa fonction
défensive de protection contre l’angoisse du devenir, contre
l’angoisse de l’indétermination et de l’incertitude, en un mot
contre l’angoisse de l’inachevé » (Gori, 2016, p. 164-165).
Bien sûr que non, nous ne sommes pas capables de « ce savoir
intime », l’humanité, « celle qui se purifie de ses propres crimes
en se sacralisant », n’est pas capable de « “connaître” l’intimité
en elle de la dimension du mal » (Zaltzman, 2007, p. 109). C’est
un travail psychique qui exigerait par l’individu et l’ensemble
une révolution intérieure, un dé-rangement, « au sens d’avoir
l’esprit dérangé », en sollicitant la levée de « toute ligne de
démarcation entre le normal et l’abject qui amène à une
distance abyssale de la célébration de l’humain » (Zaltzman,
2005, p. 226).
Bibliographie
ABELHAUSER, A. 2008. « Il était mort, et ne le savait pas », Cliniques
méditerranéennes, n° 78, p. 65-76.
ABELHAUSER, A. ; GORI, R. ; SAURET, M.-J. 2011. La folie évaluation,
Paris, Fayard, coll. « Mille et une nuits ».
AGAMBEN, G. 1997. Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue,
Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique ».
AMÉRY, J. 1966. Par-delà le crime et le châtiment, Arles, Actes Sud,
1995.
ANTELME, R. 1947. L’espèce humaine, Paris, Gallimard, coll.
« Blanche », 1957.
ARENDT, H. 1950. « Les techniques de la science sociale et l’étude
des camps de concentration », dans Auschwitz et Jérusalem,
Paris, Pocket, coll. « Agora », 1998.
ARENDT, H. 1963. Eichmann à Jerusalem, Paris, Gallimard, coll.
« Folio Histoire », 1997.
ARENDT, H. 1973. Le système totalitaire : les origines du
totalitarisme, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 2005.
AULAGNIER, P. 1986. « Condannato a investire », Notes per la
psicoanalisi, n° 7, p. 93-118.
BENSLAMA, F. 2001. « La représentation et l’impossible »,
L’évolution psychiatrique, n° 66, p. 448-466.
BETTELHEIM, B. 1943. « Comportement individuel et
comportement de masse dans les situations extrêmes », dans
Survivre, Paris, Robert Laffont, 1992.
BETTELHEIM, B. 1963. « Eichmann : le système, les victimes », dans
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BREITMAN, R. 1998. Il silenzio degli Alleati, Milan, Mondadori, coll.
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française de psychanalyse, n° 76, p. 1021-1035.
FÉDIDA, P. 2007. Humain/Déshumain, Paris, Puf, coll. « Petite
bibliothèque de psychanalyse ».
FREUD, S. 1915. « Pulsions et destins de pulsions », dans OCF.P,
[1] ↑ On peut ici rappeler l’opposition des évêques allemands, notamment de von
Galen, qui amena Hitler à interrompre le programme d’euthanasie (Sereny, 1974), ou
la résistance du Danemark sous occupation nazie – résistance mise en place en même
temps par le peuple, le gouvernement, le roi et les communautés religieuses – qui
finalement entrava la déportation et l’application des lois antisémites ; cela signifie
qu’en rencontrant « une résistance “déclarée” [les nazis] en soient venus à croire que
l’extermination d’un peuple entier n’allait pas de soi » (Arendt, 1963, p. 195).
[2] ↑ Il s’agit d’une expression utilisée par Eichmann pendant son procès, par
laquelle il rappelait la plus haute vertu demandée à un soldat hitlérien (Arendt,
1963).
francois.sauvagnat@uhb.fr
De la cybernétique à
l’omniprésence des nouvelles
technologies
Corps et séparation
Or, comme l’a démontré Lacan, tout corps, tout groupe ne peut
exister que par séparation et ségrégation (notion déjà contenue
dans la division du travail marxiste). La certitude de base
s’obtient non pas par négociation intersubjective mais par
exclusion : tout « homme sait ce que n’est pas un homme »
(Lacan, 1945, p. 213), notion qui s’appuie sur l’impossibilité de
coexistence des consciences selon Hegel (1807). De même, il n’y
a d’être, de sentiment d’exister, que par exclusion et mise en
place d’un objet séparateur. On peut donc s’attendre à ce que
les différences nationales, ethniques, locales, etc., grâce
auxquelles chacun a l’assurance de son identité, de se sentir
exister, non seulement favorisent, en étant menacées, le
racisme et les différentes sortes de ségrégation (Lacan, 1974),
mais que les mécanismes guerriers s’accentuent également.
Nous devons ici renforcer un point laissé implicite par Lacan,
qui est que toute énonciation suppose une localisation, et même
une ségrégation ; rien n’est autant susceptible de bousculer un
sentiment d’identité qu’une énonciation délocalisée. La
prévalence actuelle des thématiques substitutionnistes, du
grand remplacement, chez des essayistes cherchant à s’imposer
dans les opinions politiques (Camus, Finkielkraut, Houellebecq,
Onfray, Zemmour), témoignent de la panique ressentie lorsque
les frontières apparaissent ainsi mises en cause. Alors que,
depuis plusieurs siècles, les emprunts intellectuels et culturels
entre Occident et Moyen-Orient sont plus que massifs, au point
que maintes thématiques se voulant identitaires s’avèrent avoir
été largement empruntées, on exige que soit proclamée une
différence absolue. On proclame que l’Autre est définitivement
inassimilable, alors même que depuis plusieurs décennies un
quart de la population française pratique, à chaque génération,
une telle assimilation. On note également un effacement de la
dissymétrie culturelle dans l’accès à l’information :
l’amélioration graduelle de l’accès aux réseaux sociaux dans les
pays les plus excentrés a rendu de plus en plus obsolètes les
distinctions colonialo-raciales (Mbembe, 2013).
La belle âme contemporaine
Sommes-nous en guerre ?
L’effet Aaronson
Banalité de l’entre-deux-morts
Quelques propositions
Bibliographie
Notes du chapitre
[1] ↑ L’auteur de ces lignes a reçu de son grand-père, mobilisé pendant la guerre
1914-1918, le témoignage d’exécutions en réponse à des mouvements d’humeur à
peine plus fortement exprimés, à Verdun, en 1917.
Deuxième partie - Figures
contemporaines de
l’extrémisme et pousse-à-la-
mort
Jouir de la mort
Jean-Claude Maleval
Jean-Claude MALEVAL est psychanalyste, membre de
l’École de la cause freudienne et de l’Association
mondiale de psychanalyse, professeur émérite de
psychologie clinique à Rennes 2. Il est l’auteur de Folies
hystériques et psychoses dissociatives (Payot, 1981),
Logique du délire (Masson, 1997), La forclusion du Nom-
du-Père. Le concept et sa clinique (Le Seuil, 2000),
L’autiste et sa voix (Le Seuil, 2009), Écoutez les autistes
(Navarin/Le champ freudien, 2012), Étonnantes
mystifications de la psychothérapie autoritaire
(Navarin/Le Champ freudien, 2012) et il a dirigé
l’ouvrage collectif L’autiste, son double et ses objets
(Presses universitaires de Rennes, 2009).
Evil syndrome
Sadisme et masochisme
Tueurs en série
De nombreux témoignages confirment que la satisfaction
obtenue par certains tueurs en série n’est pas une satisfaction
érotique mais plutôt une satisfaction narcissique.
Paula Heimann souligne à raison une défusion des pulsions
dans ces « cas de cruauté effrénée », puisque, comme y insistait
Schaefer à propos des meurtres qu’il commettait, « ce n’est pas
érotique, c’est sale » (Schaefer, 1992, p. 64) ; en revanche,
Heimann méconnaît qu’une satisfaction d’un autre ordre est en
jeu, ne permettant pas de saisir un fonctionnement pulsionnel
qui s’exercerait « au-delà du principe de plaisir ». Le « crime de
jouissance » (Miller, 2007, p. 13) n’est pas érotique, mais n’en
procure pas moins une intense satisfaction à ceux qui le
commettent. Dès lors, on ne saurait le considérer comme une
pure expression de la pulsion de mort.
Notes du chapitre
myriam.cherel@uhb.fr
Dans L’éthique, Lacan montre que la loi morale de Kant, qui est
par excellence un énoncé symbolique et qui comporte
l’annulation de toute jouissance, est d’un côté l’envers de das
Ding, de la jouissance, mais est en même temps identique à das
Ding, parce que cela en a le même caractère muet, aveugle,
absolu. La science répond à l’exigence première de das Ding
parce qu’elle est absolue, parce qu’elle revient à la même place.
« Il s’introduit, d’une façon générale, une liste d’objets
substitutifs qui arrive jusqu’au plus dérisoire, commente Miller.
C’est la boîte d’allumettes de Jacques Prévert, dont le tiroir est
une variation sur le modèle du vase » (ibid., p. 8).
Peut-on supposer que c’est le kakon de son propre être qui est
visé dans l’attentat-suicide ? En tout cas, c’est bel et bien sur
cette intolérance à la jouissance de l’Autre que se fondent les
atrocités commises, avec ce pas supplémentaire que nous
permet Lacan et son parcours dans L’éthique, c’est un sacrifice
pour une jouissance pure.
Notes du chapitre
[2] ↑ « Lorsqu’on parle de Sade, qui porte le nom de Sade ? C’est le sujet qui
assumerait, qui prendrait à son compte la pulsion de mort, qui la subjectiverait
comme un crime, et qui l’étendrait jusqu’aux éléments du corps décomposé dont il
désirerait la disparition, l’anéantissement » (Miller, 2000, p. 13).
[3] ↑ En 2016, lors de la soirée préparatoire du Congrès de l’AMP « Le corps parlant ».
Usage extrémiste de l’acte
Michel Grollier
Michel GROLLIER est psychanalyste, membre de l’École de
la cause freudienne, professeur de psychopathologie,
directeur de l’EA4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Ancien psychologue hospitalier en secteur de
psychiatrie générale et infanto-juvénile, et pratique
clinique également à l’ASE de Gironde.
michel.grollier@univ-rennes2.fr
Croire…
Terrorisme contemporain
Paradoxe de l’acte
La seule chose qui relie tous ces acteurs, qui supporte leurs
actes dans leur radicalité même, c’est la mise en cause d’un
ordre social exposé dans la diversité de ses valeurs. Les causes
en sont manifestement en partie singulières, dans ce qui
conduit chaque sujet à endosser l’idéal qui va l’effacer comme
sujet. Dans le roman La bombe, nous voyons combien celui qui
anime le discours et va assumer l’acte, qu’il a dû laisser mettre
en œuvre par un autre, est dans une jouissance totalement
envahissante à se sacrifier pour son idéal. Alors même que celui
qui est au centre, celui qui finira par être l’auteur de l’attentat
meurtrier, jouit par procuration, ce qui retentit sur sa propre
histoire d’amour. Parcours singulier, mis en scène par l’auteur,
pour un drame social où chacun se laisse entraîner pour des
raisons diverses, mais où tous renoncent radicalement à
quelque chose au profit d’un idéal élu par un discours de
contestation. À proprement parler, ce ne sont ni la Saint-
Barthélemy ni la bombe de mai 1886 à Chicago qui ont changé
le cours de l’histoire, c’est l’interprétation que certains ont su
leur donner.
[1] ↑ « Les attentats suicides de terroristes : des meurtres de masse ? », dans cet
ouvrage.
antoine.masson@uclouvain.be
Est-ce à dire pour autant que nous puissions rester sans voix et
sans désir de savoir ? Il n’en est rien. Ces destins fanatiques,
parfois jusqu’à la destruction, représentent en réalité, outre le
traumatisme qu’ils infligent à la collectivité tant par les actes
destructeurs effectifs que par la peur et le désarroi social qu’ils
génèrent, des interpellations auxquelles nous ne pouvons nous
dérober. Ils représentent un aiguillon nous forçant à penser les
troubles de la plasticité d’un monde dans lequel ils trouvent à
se déployer. Ils nous convoquent à une responsabilité, celle d’en
répondre, non pas par une réponse absolue qui ne pourrait être
que plus fanatique, mais bien par une forme de répondance,
une manière de se soutenir de l’insu, qui donne plus de chance
à la réinscription d’une vérité non désastreuse de ces destins.
Découverte du fondement
dialectique de la vérité et ses
actualisations catastrophiques sous
forme de conduites irréelles
De quelle manière, en tant que psychiatre enseigné par la
psychanalyse, pouvons-nous parler de la question du fanatisme
et du spectre de sa version destructrice ? Nous nous référons à
quelques indications fournies par Lacan lorsque, confronté à
un problème analogue, il s’est risqué à une « Introduction
théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie »
(Lacan, 1950). Il précise d’abord que, même si la délinquance et
le crime ne peuvent pas être abordés sans la référence
sociologique de leur actualisation, il ne s’agit pas pour autant de
compléter le savoir du criminologue mais plutôt de « poser les
limites légitimes, et certes pas pour propager la lettre de notre
doctrine sans souci de méthode, mais pour la repenser, comme
il nous est recommandé de le faire sans cesse, en fonction d’un
nouvel objet » (ibid., p. 126). Il s’agit pourtant de partir de ce qui
se manifeste sur le plan de la réalité sociale, sans en fournir
une explication mais plutôt pour en apporter un éclairage
particulier du fondement dialectique animant le social, et la
psychanalyse ne peut le faire que parce qu’elle est une sorte de
laboratoire tout à fait singulier. Grâce à la « technique qui guide
notre dialogue avec le sujet et les notions que notre expérience
a définies » (ibid., p. 125), le psychanalyste découvre, tel un
spéléologue, le fondement dialectique sous-jacent de la loi et du
désir, qui est en réalité le même fondement que celui à l’œuvre
dans l’articulation insue des phénomènes sociaux, touchant là
en quelque sorte à une dimension universelle et éclairante.
« Pouvant être poussé jusqu’aux significations les plus
radicales, ce dialogue [analytique avec un sujet singulier]
rejoint l’universel qui est inclus dans le langage et qui, loin
qu’on puisse l’éliminer de l’anthropologie, en constitue le
fondement et la fin, car la psychanalyse n’est qu’une extension
technique explorant dans l’individu la portée de cette
dialectique qui scande les enfantements de notre société et où
la sentence paulinienne – c’est la loi qui fait le péché ! –
retrouve sa vérité absolue » (ibid., p. 128).
Empêchement du partir,
catastrophe ou passage à l’acte du
partir
Bibliographie
Notes du chapitre
[1] ↑ En juillet 2016, lors du colloque de Cerisy qui lui était consacré.
Les attentats-suicides
terroristes : des meurtres de
masse ?
Yohan Trichet
Yohan TRICHET est psychologue clinicien, psychanalyste,
professeur de psychopathologie clinique, EA4050
« Recherches en psychopathologie : nouveaux
symptômes et lien social », université Rennes 2, place
Recteur-le-Moal, 35043 Rennes cedex. Ancien
psychologue de la fonction publique hospitalière, il a
exercé une quinzaine d’années en psychiatrie adulte. Il
intervient désormais pour des analyses de pratiques en
CSAPA, CAARUDet MECS. Il a publié L’entrée dans la psychose
(Presses universitaires de Rennes, 2011,) puis codirigé
avec Romuald Hamon l’ouvrage collectif Psychanalyse et
criminologie aujourd’hui (Presses universitaires de
Rennes, 2016).
yohan.trichet@univ-rennes2.fr
Un triomphe narcissique et
médiatique
L’islamisation de la radicalité : un
régime de jouissance radical
Conclusion
Bibliographie
Notes du chapitre
[2] ↑ Entre 1984 et 2011, 39 % des meurtres de masse sont perpétrés dans un
établissement scolaire ou universitaire (Hassid, Marcel, 2012, p. 98).
[3] ↑ Notre étude porte sur les attentats djihadistes perpétrés en Europe, et
spécialement en France, par des ressortissants européens.
[4] ↑ Bien qu’ils relèvent les motifs djihadistes de Merah, les deux auteurs
l’intègrent dans la sous-catégorie des spree killers, qui compose, avec les meurtriers
de masse et les tueurs en série, la catégorie des meurtres multiples.
[5] ↑ Notamment en levant un doigt de la main droite. Sur ce point, voir Aggoun,
2006, p. 55.
[6] ↑ Voltaire précise : « Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la
fièvre […] celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique » (Voltaire, 1769,
p. 263).
[7] ↑ Soit entre les attentats commis par Khaled Kelkal en 1995 et Mohamed Merah
en 2012.
[9] ↑ Les trois terroristes Samy Amimour, Ismaël Omar Mostefaï et Foued
Mohamed-Aggad portaient du reste des ceintures explosives.
[11] ↑ Dans son séminaire Encore, Lacan s’adressant à ses auditeurs précise : « Vous
savez que martyr veut dire témoin – d’une souffrance plus ou moins pure » (Lacan,
1975, p. 105).
[12] ↑ Cette « organisation islamiste libanaise financée par l’Iran » renouvelle, selon
Pascal Ory, « en matière politique la tradition du martyr chiite » (Ory, 2016b, p. 220).
[13] ↑ Dans son séminaire de 1964, Lacan évoque le nazisme et les « dieux obscurs »
(Lacan, 1973, p. 247) au nom de qui et pour lesquels d’atroces sacrifices et
exterminations ont été commis.
[14] ↑ Le frère de ce dernier, Ahmad Al-Mohammad, s’est fait exploser faisant alors
une victime. Cf. Bonnefoy, 2015 et Anonyme, 2016.
[16] ↑ Il précise néanmoins dans son communiqué que « cette règle ne concerne pas
les images apportant différents types de preuves (par exemple, capture d’écran
attestant d’une présence à tel endroit, photo de groupe donnant des informations sur
des proximités entre personnes ou réseaux), accompagnées d’explications et
éventuellement recadrées, ou les documents d’identité » (cité par Piquard, 2016).
[17] ↑ Il critique en revanche le traitement médiatique des attentats : « Au nom de
l’information transparente, rapide et événementielle, on en fait trop. Beaucoup trop.
Si on retire les noms et les photos mais que l’on continue à être dans la même vitesse
quasiment hystérique de l’événement, cela aura les mêmes effets » (cité par Ricard,
Zeghoudi, 2016).
[19] ↑ Comme le note Kepel, l’état d’urgence est alors proclamé par le
gouvernement, « une première depuis la fin de la guerre d’Algérie » (Kepel, Jardin,
2015, p. 33).
[21] ↑ Âgé d’une trentaine d’années, il peut ainsi faire figure de grand frère et user
de ce lien pseudo-fraternel.
[22] ↑ D’après Dulong (2009, p. 107), les meurtriers de masse de moins de 20 ans
agissent dans 60 % des cas en équipe.
[23] ↑ Il y en aurait eu sept en France entre 1995 et 2004, sur les quarante-deux au
monde dont dix en Europe (Hassid et Marcel, 2012).
[24] ↑ Un collégien de 15 ans avait planifié une tuerie scolaire dans son
établissement situé à Meyzieu (Rhône). Il a blessé à l’arme blanche trois collégiens.
[26] ↑ Cette estimation regroupe les attentats revendiqués (sept), attribués (un) ou
vraisemblablement en lien (quatre) avec l’EI (cf. Audureau, Zerrouky, Vaudano, 2016).
pierre-paul.costantini@uhb.fr
Un poème
« Tout au fond
de la crevasse des temps,
près de la
glace alvéolaire,
attend, cristal de souffle,
ton inébranlable
témoignage »
(Celan, 1967, p. 239)
Une rencontre
L’instant de ma mort
Les Allemands au temps où, déjà vaincus, ils luttaient avec une
« inutile férocité » (ibid., p. 9), croisèrent dans une grande
maison, celle que l’on appelait le « château », un jeune homme
qui naïvement leur ouvrit les portes. Il fut surpris par les
hurlements qui avec une rage démesurée intimaient aux
habitants du lieu de sortir. L’officier nazi, dans un « français
honteusement normal », commandait, voire exigeait que tous
furent dehors (ibid., p. 10). Au regard de tous, il montra les
douilles qu’il avait trouvées et qui témoignaient du combat qui
y avait eu lieu. Au jeune homme déjà vieillissant, il hurla « voilà
à quoi vous êtes parvenu » (ibid.).
L’instant inqualifiable
L’expérience du dehors
L’expérience du dehors (Foucault, 1986, p. 15) constitue alors ce
moment où le sujet semble être exclu, car quelque chose nous
est donné, quelque chose émerge, et l’on se sent « sans raison
devenu autre, autre parmi les hommes, autres à lui-même »
(Michaux, 1967, p. 180). Nouveau et unique surgit un
événement. L’événement est à la fois une déchirure et un bond
de la temporalité, une déchirure dont le jour, opposé au non-
sens de la nuit, n’arrive plus à rendre compte. Le sujet est exclu,
et témoigne d’une incompatibilité peut-être sans recours entre
lui et son être, la conscience de soi et son identité.
Un savoir impossible
Le savoir, qui va jusqu’à accepter l’horrible pour le savoir,
commente Blanchot (1949) dans l’écriture du désastre, révèle
l’horreur du savoir, le bas-fond de la connaissance, complicité
discrète qui le maintient en rapport avec ce qu’il y a de plus
insupportable dans le pouvoir. Ainsi commente-t-il le destin
tragique de Kalmin Furman, homme de 25 ans qui put
témoigner d’une expérience extrême. Un jour, il fut contraint de
conduire ses parents au crématoire. Il se pendit, mais on le
sauva in extremis. Il fut « dispensé de la manipulation des
cadavres », cependant, quand les SS fusillaient certains détenus
dans une pièce spéciale, il devait tenir la victime par le bras et,
si l’une d’elles se débattait, la saisir par l’oreille pour que le
tireur pût placer sa balle dans la nuque. On lui aurait demandé
comment il pouvait supporter un tel spectacle, il répondit
« qu’il observait le comportement des hommes devant la mort »
(Langbein, 2011, p. 212). Sa réponse (j’observais « le
comportement des hommes ») ne fut pas une réponse, affirme
Blanchot, il ne pouvait répondre. Ce qui reste, « c’est que,
contraint par une question impossible, il ne put trouver d’alibi
que dans la recherche du savoir, la prétendue dignité du savoir :
cette convenance ultime dont nous croyons qu’elle nous serait
accordée par la connaissance » (Blanchot, 1949, p. 130-131).
L’indicible
Écrire
L’étranger
Conclusion
Notes du chapitre
romuald.hamon@univ-rennes2.fr
Bibliographie
Notes du chapitre
[1] ↑ Il accorde la prééminence à l’élément idéatif plutôt qu’à l’élément affectif,
ainsi que Clérambault l’argumentait pour maintenir l’indépendance du syndrome
passionnel hors du cadre de la paranoïa.
[2] ↑ Cette logique du délire de revendication est davantage étudiée dans l’article
« Quérulence processive et droit à jouir dans la psychose paranoïaque » (Hamon,
2016).
[3] ↑ Selon une enquête journalistique, il en fut à chaque fois renvoyé en raison des
plaintes qu’il adressait aux autorités, en cour civile et au KGB, et dans lesquelles il
accusait ses collègues de vouloir lui voler ses idées (Marsden, 1993). Considérant
cette enquête comme diffamatoire, Fabrikant énonce avoir été victime du régime
soviétique et de l’antisémitisme – son père est d’origine juive. Il portera plainte
contre la Gazette de Monréal ayant publié cette enquête. Son action en diffamation
fut rejetée (Morissette, 2002, p. 6).
[7] ↑ Suite à cette menace, il fut soupçonné de transporter une arme à feu. Refusant
d’ouvrir sa serviette, les forces de l’ordre sont appelées et ne découvrent aucune
arme. Outré, Fabrikant déposa plainte auprès de la commission de discipline en
réclamant une compensation financière. Il l’obtint, ainsi que celle qu’il avait exigée
après la rixe lors de laquelle ses collègues l’avaient empoigné, l’ayant surpris à
écouter la conversation précédant le vote susmentionné (Lévy, 1992, p. 26 ;
Beauregard, 1999, p. 47).
[8] ↑ En 2007, les autorités lui en interdisent l’accès et lui retirent son ordinateur.
En 2012, il perd sa bataille juridique pour les récupérer et avoir accès à sa
messagerie.
[9] ↑ Une des trois armes a été achetée par Fabrikant, en mars 1992. Sa femme lui
fournira les deux autres, qu’elle achète les 13 et 24 août, jour de la tuerie. Tous deux
se sont entraînés au tir. Selon Beauregard, Fabrikant, faute de disposer des
recommandations requises pour l’obtention du permis d’achat et de port d’arme, a
réussi à convaincre sa femme, en prétextant la protection de leurs biens, de réaliser
cette démarche en son nom (Beauregard, 1999, p. 83). Il est aussi probable que
Fabrikant soit parvenu à la persuader de l’injustice dont il était l’objet et de la
nécessité de s’en défendre (Clément, 1992).
[11] ↑ Ce jugement survient après une plainte, en 1999, dans laquelle il allègue que
les autorités correctionnelles lui refusent des soins médicaux.
[13] ↑ En 1998, alors qu’il était emprisonné, Fabrikant avait en outre amendé sa
poursuite pour ajouter aux noms de Swamy et Sankar ceux de trois autres
professeurs : S. Sankar, G.D. Xistris, et S.V. Hoa.
Troisième partie -
Radicalisation, pratique et
clinique
Radicalisation, lutte
antiterroriste et
(néo)bureaucratie
Thierry Lamote
Thierry LAMOTE est psychologue clinicien, psychanalyste
et maître de conférences à l’UFR d’Études
psychanalytiques de l’université Paris Diderot-Paris 7.
Après avoir exercé comme psychologue pour le compte
du ministère de la Justice (Plan de lutte antiterroriste), il
coordonne actuellement, sous la direction de Fethi
Benslama, certaines recherches cliniques en relation
avec la radicalisation, menées dans le cadre du Centre de
recherches psychanalyse médecine et société (EA3522),
université Paris Diderot, bâtiment Olympe de Gouges, 8
rue Albert Einstein, Paris, 13e. Outre divers articles et
chapitres d’ouvrages traitant des phénomènes sectaires,
du terrorisme et de la radicalisation, il est l’auteur de La
scientologie déchiffrée par la psychanalyse : la folie du
fondateur (Presses universitaires du Mirail, 2011), et de
L’envers obscène de la modernité. De la scientologie à
Daech (Hermann, 2017).
thierry_lamote@yahoo.fr
La bureaucratie, histoire et
discours : du commandement du
maître…
Figure 2
–
Tableau des quatre places
… à la domination du savoir
(néo)bureaucratique
Figure 3
–
Discours universitaire
Du savoir au réel
La loi du surmoi
Dans la théorie lacanienne, l’espace narratif où s’actualisent les
discours ordinaires se divise en un aspect public, officiel, régi
par la Loi symbolique, et un niveau sous-jacent masqué : le
domaine fantastique de son double spectral. Dans ce dernier,
fonctionne un autre registre de loi – la loi du surmoi – dont on a
vu qu’il courbe le champ symbolique tout entier. On ne peut,
dès lors, résumer la pensée de Lacan à la tension entre la Loi
symbolique et la Chose réelle [9] (soient les forces en jeu dans
l’Œdipe). Il ne s’agit pas simplement de penser la Chose (das
Ding) comme l’obscur au-delà de la Loi, comme l’instance
fuyante sécrétée par la Loi symbolique, mais au contraire
d’envisager la possibilité que ce soit la Chose elle-même qui
fasse Loi (au niveau inconscient), en-deçà de la Loi symbolique :
« Das Ding se présente au niveau de l’expérience inconsciente
comme ce qui fait la loi. […]. C’est une loi de caprice,
d’arbitraire, d’oracle aussi, une loi de signes où le sujet n’est
garanti par rien, à l’endroit de quoi il n’a aucune Sicherung,
pour employer encore un terme kantien » (Lacan, 1986, p. 89).
Or, qu’est-ce que la Chose, chez Lacan, sinon l’équivalent de la
jouissance elle-même ? La Loi de la Chose n’est alors « rien
d’autre que celle du surmoi, cette loi dont l’injonction revient à
l’impossible commandement : “Jouis !” » (Žižek, 2008a, p. 191).
Nous avons vu que c’est cette loi surmoïque qui met en marche
la néobureaucratie : non plus la Loi symbolique, qui soutient le
désir, mais au contraire cette loi capricieuse se manifestant à
tout moment par des règles indéchiffrables et arbitraires qui
paralysent et ajournent indéfiniment l’acte. N’est-ce pas sur la
base de ce même renversement de la loi qu’il nous est possible
de résoudre l’ambiguïté troublante que l’on repère dans le
parcours de plusieurs terroristes de la troisième vague du
djihad ? Car, en effet, comment concilier les revendications
morales rigoristes de l’idéologie djihadiste « officielle », dont se
réclament ces nouveaux terroristes (« Il faut en finir avec les
mécréants qui mènent une vie de débauche ! »), avec leur
propre vie débauchée et décadente ? Pour sortir de l’impasse,
nous devons concevoir que ce nouveau djihadisme s’épanouit
très exactement à l’intersection des deux registres narratifs,
entre l’espace symbolique public et son double obscur – entre la
Loi symbolique, qui forme l’écume superficielle des discours (la
ligne doctrinale officielle du djihad, soutenue par les dignitaires
islamistes dans l’espace public et colportée sans distance
critique par les médias : « l’islamisme prône un retour à la Loi
morale ! »), et son envers obscène (sadien), la Loi de la Chose,
qui en dévoile la vérité, à savoir que loin de vouloir imposer
une morale rigoriste, l’islamisme (prôné par Daech) fonctionne
en réalité selon une loi surmoïque qui vise à suspendre les
interdits moraux. C’est pourquoi le néocalifat nous révèle
l’envers obscène de la néobureaucratie contemporaine :
organisé, comme cette bureaucratie, selon l’impératif de
jouissance propre au surmoi, il ne peut dès lors être envisagé
comme une « société héroïque », mais simplement comme une
bande (un gang), prépolitique et barbare – nul héros n’émerge
hors de la loi du désir.
Bibliographie
[2] ↑ Zénon d’Élée pensait avoir démontré que le mouvement était impossible,
puisque avant qu’un mobile puisse atteindre sa destination, il doit parcourir la
moitié du trajet ; et avant d’avoir parcouru la moitié du trajet, il doit en avoir effectué
le quart, avant le quart, le huitième, avant le huitième le seizième, etc. De subdivision
en subdivision, le mouvement s’enlise jusqu’à la paralysie complète (Dunan, 1884,
p. 28-37).
[3] ↑ Selon Zénon, Achille, le héros grec, ne rattrapera jamais la tortue qui marche
devant lui, car avant de l’atteindre, il doit atteindre le point de départ de celle-ci ; or
quand ce sera fait, elle aura de nouveau avancé. Il lui faudra donc atteindre sa
nouvelle position, sachant que, quand ce sera fait, elle aura encore avancé – et ainsi
de suite, à l’infini (ibid., p. 18-31). Les professionnels traitant la radicalisation sont
comme Achille : ils courent après un phénomène que les procédures administratives,
fondées sur des grilles de repérage toujours déjà obsolètes, rendent inaccessible.
[6] ↑ Il s’agit d’une métaphore qui permit à Blaise Pascal de tracer les limites de la
raison pour en déduire la nécessité d’un espace propre à la croyance.
[7] ↑ Les Huns, en périphérie de l’Empire romain ; les Mongols, aux frontières
(entre autres empires) de la Chine, etc.
[8] ↑ L’Heroïc Fantasy (Conan le Barbare, Le trône de fer, etc.) est née sous l’ère
victorienne, au temps des grandes bureaucraties publiques occidentales (Graeber,
2015, p. 210).
[9] ↑ C’est-à-dire la tension entre la Loi du Père et la Chose maternelle interdite par
cette Loi, et qui polarise dès lors le désir.
Le psychologue clinicien à
l’épreuve de la « lutte contre la
radicalisation » en milieux
ouvert et fermé des services
pénitentiaires
Corentin Mengual
Corentin MENGUAL est psychologue clinicien. Il pratique
dans le cadre du Plan de lutte antiterrorisme mis en
place par le ministère de la Justice au sein de la Direction
interrégionale des services pénitentiaires du Grand
Ouest (Bretagne, Pays de la Loire et Normandie).
mengual.corentin@gmail.com
Mais il n’en sera rien : nous devrons batailler pour obtenir des
informations sur l’évolution de l’expérimentation et pour
participer à une réunion par site. Nous transmettons donc, à
l’issue de l’expérimentation, un retour à la DAP faisant état de
toutes les limites de l’outil et de son utilisation. Avant l’été, nous
ébauchons un programme de prise en charge visant le
désengagement de la violence chez certaines personnes
inscrites dans un système de pensée radicale. Nous incluons
dans ce projet, structuré en temps individuels et collectifs, la
participation d’agents et de cadres des SPIP et des
établissements. Nous réfléchissons également à une formation à
dispenser aux personnes qui seront amenées à participer à ce
projet, à une supervision et à toute la logistique qu’il nécessite.
Nous présentons ensuite le projet à notre hiérarchie, celle des
SPIP et celle des établissements où nous comptons mener
l’expérimentation. Il est dans un premier temps validé, puis
notre hiérarchie le repousse à 2017. Nous tentons alors de
mettre sur pied un groupe de parole dans un établissement
pénitentiaire, auprès de personnes détenues qu’une pensée
radicale a menée à des violences. Mais il est mis de côté lorsque
la DAP, en octobre, demande de mettre en place dans deux
établissements classés comme « priorisés » sur la thématique de
la radicalisation des programmes de prévention de la
radicalisation. Ces derniers nous laissent perplexes, puisqu’on
nous recommande, notamment, de les présenter de manière
attrayante en ne mentionnant pas la radicalisation aux
participants. En essayant de faire entendre notre
positionnement sur les modes de prise en charge, nous
reconstruisons sur cette base à partir de décembre 2016.
Bibliographie
Notes du chapitre
[2] ↑ Ibid.
miloud.gharrafi@st-cyr.terre-
net.defense.gouv.fr
Maalouf, 1998
Conclusion
Notes du chapitre
[1] ↑ Daech est l’acronyme arabe de « État islamique en Irak et au Levant » (Al-
dawla al-islâmiyya fî al-’irâq wa al-châm). En 2013, le groupe jihadiste abandonne ce
nom au profit de État islamique.
[5] ↑ Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de nous et celles des
versets coraniques sont de Jacques Berque (2002).
[7] ↑ Outre le fait de ne pas se raser la barbe et d’imposer le niqab aux femmes et le
qamîs aux hommes, les salafistes appellent à se lécher les doigts après avoir mangé, à
prononcer des invocations avant d’entrer aux toilettes et d’y pénétrer avec le pied
gauche et d’en sortir avec le pied droit, etc. Selon les propos d’un salafiste rapportés
par Pierre Conesa : « Du plus haut degré de la gestion de l’État, jusqu’aux toilettes,
l’islam gère » (Conesa, 2015).
[10] ↑ Sur le drapeau de Daech, nous lisons horizontalement tout en haut « Il n’y a
de divinité que celle de Dieu » et verticalement en dessous « Mohamed est le
Messager de Dieu ». Cette dernière phrase se lit de bas en haut, car afin de respecter
à la lettre la hiérarchie entre « Dieu » et son « Messager », Daech ne peut admettre
que le nom d’« Allah » soit consigné en dessous de son « Messager ». C’est l’exemple
par excellence de la pensée dogmatique et littéraliste du mouvement jihadiste.
[11] ↑ Rafidites (en arabe, ceux qui refusent) désigne depuis le VIIIe siècle les
membres d’un grand courant chiite qui ont rejeté la légitimité des deux premiers
successeurs du prophète de l’islam. Notons que la haine que les jihadistes de Daech
éprouvent pour les chiites n’est pas doctrinale mais politique : Daech est né en Irak
suite à l’invasion américaine qui a porté au pouvoir les chiites.
[13] ↑ Ceux qui lient et délient (en arabe Ahl al-hall wa al-’aqd) sont les décideurs
parmi les notables et savants religieux dignes de confiance auprès de la
communauté.
[14] ↑ En islam, l’intention (niyya en arabe) est une notion fondamentale dans
l’accomplissement des actes et rituels religieux. Il est exigé de tout croyant « l’énoncé
préalable qu’il a l’intention d’accomplir l’un de ces actes ». Elle est l’équivalent de la
kawânâ dans le droit juif (Wensinck, 1986, p. 67-68).
[15] ↑ « Partez en Châm [Levant]. C’est la meilleure partie de la terre de Dieu pour
laquelle il a choisi les meilleures de ses créatures », propos attribués à Mahomet et
cités par Al-Adnânî dans un discours diffusé par l’agence Al-Furqân en mars 2014.
Bascules, et retour ?
Laetitia Belle
Laetitia BELLE est psychanalyste, membre de l’École de la
cause freudienne, maître de conférences en
psychopathologie clinique, EA 4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Elle a dirigé les ouvrages collectifs Les
fondamentaux de la psychanalyse lacanienne (avec
L. Ottavi, Presses universitaires de Rennes, 2010) et Le
non-rapport sexuel à l’adolescence au XXIe siècle. Théâtre
et cinéma (avec C. Page, Presses universitaires de Rennes,
2015).
laetitia.belle@univ-rennes2.fr
Moments de bascule
Nous pouvons alors faire l’hypothèse que, pour Clémence, la
radicalisation se réalise avant l’islamisation, au moment de ce
qui fait révélation pour elle, soit qu’Allah est un Dieu unique et
n’appartient à aucune filiation. Pas d’histoire de famille, en effet,
ici. C’est un Dieu qu’elle trouve sur Internet, comme elle le dit à
sa façon, prêt à l’emploi, celui qui répond aux questions sur la
mort et sur le sexe de façon univoque. Elle dit bien que le
christianisme est trop illogique. Pas moyen pour elle, depuis
son plus jeune âge, de pouvoir appréhender la sainte Vierge, le
Christ et Jésus. Pas de Trinité, donc, mais du Un tout seul qui
commande la jouissance surmoïque.
Conclusion
Bibliographie
BENSLAMA, F. 2016. Un furieux désir de sacrifice. Le sur-
musulman, Paris, Le Seuil.
BLANCHET, R. 2015a. « Émergences jihadistes », Lacan quotidien,
n° 496, 30 mars, http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-
content/uploads/2015/03/LQ496.pdf
BLANCHET, R. 2015b. « Émergences jihadistes », La cause du désir,
n° 90, p. 144-148.
FLAVIGNY-NOGUERAS, C. 2015. « Les repentis du djihad », Envoyé
spécial, France 2, septembre.
FREUD, S. 1919. « On bat un enfant », Revue française de
psychanalyse, t. VI, n° 3-4, p. 274-297.
KHOSROKHAVAR, F. 2015. « Des jeunes radicalisés qui se rêvent en
héros négatifs », Le Monde, 10 janvier.
MILLER, J.-A. 2015. « En direction de l’adolescence », intervention
de clôture de la troisième journée de l’Institut de l’enfant,
13 avril, http://www.lacan-universite.fr/en-direction-de-
ladolescence/
OGILVIE, B. 2012. L’homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la
violence extrême, Paris, Éditions Amsterdam.
PIETRASANTA, S. 2015. La déradicalisation, outil de lutte contre le
terrorisme, www.ladocumentationfrancaise.fr
THOMSON, D. 2014. Les Français jihadistes. Qui sont ces citoyens
en rupture avec la République ? Pour la première fois, ils
témoignent, Paris, Éditions les Arènes.
Notes du chapitre
[1] ↑ Dounia Bouzar est anthropologue, elle dirige le Centre de prévention des
dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), créé en 2014.
La radicalisation et la honte
David Bernard
David BERNARD est psychanalyste, membre de l’École de
psychanalyse des forums du champ lacanien (EPFCL),
maître de conférences en psychopathologie et clinique
psychanalytique, EA 4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Il a publié Lacan et la honte (éditions du Champ
lacanien, 2011).
david.bernard@uhb.fr
L’émoi de Mai
La honte de vivre
La honte et le signifiant-maître
Bibliographie
[1] ↑ Je renvoie sur ce point aux analyses de Peter Sloterdijk sur le logement
moderne, notamment l’idéal du confort, et le « phénomène de l’appartement »
(Sloterdijk, 2005, p. 448-504).
[2] ↑ Je remercie Boris Grillet pour cette remarque sur l’impératif moderne
d’investissement.
[3] ↑ Sur les rapports de la honte de vivre et du capitalisme, voir D. Bernard (2011).
andreamcguerra@gmail.com
Le cas de Cruzeirense
Nous partirons d’un cas clinique ; celui d’un jeune adulte, noir,
habitant un bidonville, qui fut impliqué dans un trafic de
drogue vers l’âge de 10 ans. Cruzeirense vivait avec sa mère, ses
deux sœurs et trois neveux. La mère était seule à soutenir
financièrement toute la famille. Elle travaillait beaucoup, était
absente une bonne partie de la journée. Le père était connu,
mais il n’était pas là. L’une des sœurs, âgée de 26 ans, avait déjà
trois enfants et était consommatrice de crack. Cruzeirense a
passé une bonne partie de son enfance dans la favela. « Alors, à
10 ans je me suis embrouillé, j’ai commencé à être utilisateur
[des drogues], je me suis mis en relation avec des personnes qui
étaient impliquées dans le trafic, j’ai commencé à vendre de la
drogue. Parce que je voulais des choses que ma mère ne
pouvait pas me donner […] C’est comme ça, des désirs de
jeunesse, d’enfant, les choses que tu veux en tant qu’enfant. »
Notre hypothèse
À propos du fondement de la
question
Conclusion
Bibliographie
Notes du chapitre
thierry_lamote@yahoo.fr
Laure Westphal
Laure WESTPHAL est psychologue clinicienne au pôle de
psychiatre-addictions « La Terrasse », établissement
public de santé Maison Blanche, 222bis, rue Marcadet,
Paris 18e. Docteure en psychanalyse et psychopathologie
(ED 450) et attachée temporaire d’enseignement et de
recherche à l’UFR d’Études psychanalytiques, elle
participe à la recherche sur la radicalisation menée par
le Pr Fethi Benslama dans le cadre du laboratoire CRPMS
(Centre de recherches en psychanalyse, médecine et
société ; 3522) à l’université Paris 7 Diderot, bâtiment
EA
laure_westphal@hotmail.fr
Repenser la radicalisation
Le symptôme et le masque, trois
vignettes cliniques
Mélanie est issue d’une famille très peu concernée par les
questions religieuses. Pour sa part, elle commença à s’y
intéresser dès l’âge de 9 ans – mais « pas à toutes les religions,
précise-t-elle, seulement à deux religions monothéistes, le
catholicisme et l’islam ». Elle traversait alors une crise
personnelle, sur fond de grave crise familiale, comme nous le
découvrons par bribes : ce regain de religiosité se produisit en
effet au moment où ses parents se séparèrent, peu après que
son père eut perdu son travail (il était à ce moment-là
chauffeur-routier). Remettons les choses dans l’ordre. Premier
temps, son père, jadis incarnation de l’autorité et de la loi (« il
était militaire, donc il était droit, à cheval sur la loi », dira-t-
elle), tombe malade, perd son emploi et hérite du statut de
handicapé. Deuxième temps, la mère se sépare du père et quitte
le foyer avec les enfants. Entre les deux, un souvenir
traumatique, étonnamment net, qui la hante encore. Elle nous
dit qu’un jour où elle était souffrante, l’école appela chez elle
pour qu’on vienne la chercher. Son père étant immobilisé à la
maison, c’est sa mère qui vint la prendre. Elles passèrent la
matinée ensemble, ce qui permit à Mélanie d’être témoin d’une
scène qu’elle n’aurait pas dû voir : sa mère passa chez un
avocat pour discuter de sa séparation d’avec son père, lequel
n’était encore au courant de rien. Cette scène ne se chargera de
sa valeur traumatique qu’après coup, lorsque l’enfant
comprendra que sa mère quittait son père pour un autre
homme (un ami de la famille). Outre la double déchéance,
physique et sociale, son père était donc un homme trompé par
sa femme, avec la complicité de Mélanie. Durant deux ans, elle
fera vivre un enfer à sa mère et à son nouveau compagnon,
lequel n’avait aucun droit puisque, lui fera-t-elle remarquer, il
n’était pas son père. C’est à ce moment-là qu’elle se met à
chercher des réponses du côté des deux religions
monothéistes – deux religions organisées autour de Dieu, cette
figure d’un père « exalté jusqu’au grandiose » (Freud, 1930,
p. 15). Elle s’intéresse d’abord à l’islam, dont le Livre lui semble
à la fois plus poétique et plus clair dans son rapport à la Loi.
L’affirmation selon laquelle « il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah »
(le premier syntagme, donc, de la Chahadah) la touche
particulièrement – de dieu, il n’y en a qu’un, comme le père. Le
Coran (où est retranscrite « la parole du Prophète », nous dit-
elle) recèle une autorité qui « l’apaise ». À l’endroit où le père a
défailli est venue se loger la parole du Prophète, la
manifestation écrite de la Loi, autrefois représentée par le
père – un père fantasmé puisqu’elle ne l’a pas connu du temps
de sa splendeur (et de sa rectitude) militaire. D’un autre côté,
elle poursuit le dialogue avec le catholicisme, dont le texte
recèle les ressources requises pour traiter à la fois la culpabilité
(à l’égard du père) et le pardon (adressé à la mère, qu’elle
recommencera à voir après quelques années de froid).
Notes du chapitre
[4] ↑ Bizarrement, dans La pensée extrême, alors même qu’il en suit exactement le
fil, Bronner ne cite à aucun endroit la thèse sur l’idéologie développée par Hannah
Arendt dans Le système totalitaire, ouvrage qu’il connaît par ailleurs puisqu’il y fait
référence sur des points anodins.
[5] ↑ C’est par exemple le cas des toxicomanies : le produit d’addiction détourne
l’attention, contourne le conflit, c’est pourquoi il ne s’agit pas d’un symptôme au sens
freudien.
Fonctions subjectives des
radicalités et traitements
analytiques
Pierre Bonny
Pierre BONNY est psychologue clinicien, docteur en
psychopathologie, PAST à l’université Rennes 2. Il est
membre associé de l’EA4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Il exerce au centre hospitalier Guillaume-Régnier,
108 avenue du Général Leclerc, BP 60321 – 35703 Rennes
cedex 7.
pierre.bonny@yahoo.fr
Max, un traitement de
l’identification au « tueur »
Tom, un traitement de la
persécution divine
Plus tard, je dis à Tom qu’il est assez étonnant qu’il ne sache
jamais nommer ses camarades, ce avec quoi il est d’accord.
À partir de là, il pourra différencier ceux qui ne sont « pas ses
amis », ceux qui sont « neutres », ceux qui sont des
« connaissances », et ceux qui « pourraient être des amis ».
Nous ordonnerons aussi les différents types de proximité avec
l’autre. Pour Tom, en effet, quand un camarade lui tape sur
l’épaule pour l’interpeller, « taper » est pris au pied de la lettre
(« j’ai été tapé ») et prend de fait le sens de frapper. En fait, Tom
voudrait n’avoir aucun contact physique avec ses camarades. Il
ne s’y oppose cependant jamais. Je lui dis qu’il n’a pas à être
touché s’il ne le souhaite pas et qu’il peut dire non.
Parallèlement, j’introduis l’idée que pour se lier aux autres,
sans doute cela nécessite-t-il de partager un intérêt commun.
Tom répond être « tellement différent qu’il ne sait pas quoi
partager ».
Pour conclure
Que nous enseignent ces deux cas à propos des enjeux cliniques
de la radicalité ? Le point essentiel me semble être que, chez ces
sujets, la radicalité est avant tout une solution. Les positions
radicales de Max et de Tom (« être un tueur », « être intégriste »)
ont en effet une fonction défensive contre ce qu’ils interprètent
comme jouissance de l’Autre à leur endroit (Maleval, 2000). En
effet, leur radicalité traite ce point de réel, et en ce sens elle a
déjà une fonction de suppléance. Il leur faut cette radicalité, à
un moment de leur existence, afin de s’extraire a minima de
leur souffrance. La radicalité intervient d’ailleurs dans la
dynamique thérapeutique du dialogue analytique puisque, chez
Max et Tom, elle ne va se développer qu’à partir du moment où
ces deux adolescents ne sont plus entièrement en position
d’objet de jouissance de l’Autre. Bien sûr, il ne s’agit pas de
considérer que ce serait là le point d’aboutissement de leur
cure, car en effet la radicalité va elle-même être amenée à se
modifier dans la suite du dialogue analytique. Ainsi, il apparaît
nettement que des entretiens cliniques orientés par la
psychanalyse peuvent réintroduire une dialectique signifiante
afin de désidentifier le sujet de sa radicalité.
Ces deux cas ont été traités dans une institution psychiatrique.
Comme tout cas, ils sont évidemment singuliers et uniques,
mais les thématiques que l’on y retrouve, elles, ne sont sans
doute pas exceptionnelles. À partir de notre expérience
professionnelle, nous pouvons constater que l’isolement, le
sentiment d’être rejeté et persécuté, l’absence de désir,
l’agressivité, la haine, les fantasmes de passage à l’acte, sont au
fond des problématiques relativement communes dans les
centres de consultations psychiatriques. Les hôpitaux
spécialisés ont en effet une pratique ordinaire et ancienne de
l’accueil et du traitement de ce que l’on pourrait donc nommer
des subjectivités radicales. Dans cette acception, la radicalité
n’est pas spécifique à la religiosité ni à une religion en
particulier. Finalement, elle serait même plutôt à situer au
fondement de la subjectivation. En effet, pour se distinguer de
l’Autre, le sujet ne doit-il pas enclencher un processus de
différenciation qui suppose nécessairement une forme de rejet
et d’opposition ? Comment alors se produit pour certains sujets
le passage de cette radicalité structurante à une radicalité qui
acte la haine de l’autre ? Sur ce point, Max et Tom nous
enseignent que la prévalence des identifications imaginaires et
de l’appui pris sur un discours religieux non dialectisé semble
déterminante.
Bibliographie
yohan.trichet@univ-rennes2.fr
Romuald Hamon
Romuald HAMON est psychanalyste, maître de
conférences (HDR) en psychopathologie clinique
psychanalytique, EA4050 « Recherches en
psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social »,
université Rennes 2, place Recteur-le-Moal, 35043 Rennes
cedex. Il est responsable du programme transversal de
recherche de l’EA4050 « Les nouveaux fanatismes ».
romuald.hamon@univ-rennes2.fr
L
a radicalisation de la croyance et de l’idéal à laquelle nous
assistons représente une réalité politique dont les
incidences sociales et cliniques sont malheureusement
indéniables. D’un point de vue didactique, cet ouvrage de
psychopathologie clinique et criminologie psychanalytique
participe à l’étude de la discursivité sociale dans laquelle les
radicalités d’aujourd’hui prennent corps, en montrant que la
montée en puissance des fanatismes est étroitement liée au
déclin du crédit fait au Père, de l’autorité et de ses figures
idéalisées. Elle s’avère également corrélée à la ruine de l’Autre
et au droit à jouir caractérisant notre époque. De plus, nous
nous sommes attachés ici à analyser la clinique des extrémistes
épris de doctrines idéologiques et d’utopies sociales (religieuses,
politiques, scientifiques), dans laquelle des sujets, en vertu
d’une croyance ou/et au nom d’un idéal, se dévouent à une
cause – le plus souvent celle de leur jouissance – jusqu’à l’agir,
en passant à l’acte, dans le champ de la réalité sociale. Enfin,
nous avons interrogé les processus de la radicalisation, les
réponses sociales possibles et les apports de la psychanalyse
dans ses modalités cliniques et institutionnelles de traitement,
dont on sait qu’elles possèdent des enjeux cruciaux.
Bibliographie