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Comment mieux réfléchir aux échecs...

et faire (beaucoup !) moins d'erreurs

Si vous jouez aux échecs depuis un certain temps, vous êtes sûrement arrivé comme moi à la
conclusion qu'il y a de nombreuses façons de perdre aux échecs. Vous avez en effet sûrement
déjà perdu à cause de l'une ou l'autre des erreurs suivantes :

 Ne pas voir une menace de mat


 Laisser une pièce en prise
 Mettre une pièce en prise
 Rater, au contraire, une opportunité de mater ou une opportunité de gagner
du matériel et laisser filer la partie
 Faire une erreur de calcul
 Jouer un coup de façon automatique et vous rendre compte qu'il est mauvais

Si c'est le cas, si vous avez déjà perdu à cause d'une de ces erreurs, alors lisez cet article. Je vais
vous expliquer comment ne plus les commettre.

Ce que vous avez appris, et pourquoi ça ne sert à


(presque) rien
Lorsque vous avez appris à jouer aux échecs, on vous a sûrement enseigné :

 Les motifs de mat et les combinaisons élémentaires telles que l'attaque


double, l'enfilade, l'attaque à la découverte… C'est bien. C'est même
indispensable. Mais pendant une partie, qui va vous souffler « Ici il y a un
mat en deux coups » ? Personne (en principe). Vous devez vous débrouiller
seul. Vous devez apprendre à voir seul qu'il y a une combinaison
possible. Pour vous ou pour votre adversaire.
 Vous avez appris les ouvertures. Des heures passées à étudier toutes les
variantes. Ça aussi, c'est bien. Mais pour bien étudier les ouvertures, il est
essentiel de les comprendre. Et pour les comprendre, il est indispensable
de savoir réfléchir par soi-même.
 Vous avez appris les techniques indispensables en finale. Vous connaissez
tout de la position de Lucena. C'est bien. Mais, honnêtement, arriverez-
vous souvent en finale si vous commettez régulièrement les erreurs ci-
dessus ?

Si vous voulez que tout ce que vous avez appris soit utile, il faut apprendre à réfléchir
correctement.

Pour cela, je vous propose une méthode en 8 étapes (8 est un chiffre facile à retenir, n'est-ce
pas ?). Cette méthode, je l'ai développée en analysant les parties de ma fille Marie, lorsqu'elle
avait une dizaine d'années. Elle est développée en détail sur mon blog, apprendre-les-
echecs.com, en particulier dans l'article Comment mieux réfléchir aux échecs.

Ma méthode de réflexion en huit étapes

Pour bien réfléchir, vous devez à chaque coup faire les huit choses suivantes :

Etape 1 : toujours vérifier tous les échecs

Vérifier tous les échecs, pour vous et votre adversaire, est indispensable à chaque coup. C'est
indispensable pour ne pas rater une possibilité de mat ou une défense par un échec
intermédiaire. Il faut vérifier tous les échecs sans en rejeter un seul a priori. Un sacrifice de Dame
qui fait échec est tout à fait valable.

Voici un exemple, tiré de la partie jouée entre Magnus Carlsen et Surya Shekhar Ganguly lors de
la première ronde du championnat du monde de parties rapides, qui s'est déroulé au Qatar en
décembre 2016.
Le joueur indien a dû regretter d'avoir raté l'occasion de battre le champion du Monde de la
façon suivante, qui commence par un sacrifice de Tour qui fait échec : 36... Tg4+ 37. Rxg4 (37. Rh2
Dg2#) 37... Dg2+ 38. Rh5 Df3#

Il n'aurait pas raté le mat s'il avait vérifié (ou eu le temps de vérifier) tous les échecs.

Etape 2 : quels sont les éléments tactiques ?

Les éléments tactiques, késéksa ?

Les éléments tactiques, ce sont tous les éléments de la position qui pourraient conduire à un
changement de l'équilibre matériel. Cela comprend :

 Les pièces (ou pions) en prise, qu'elles soient protégées ou non


 Les pièces non protégées, qu'elles soient en prise ou non
 Les possibilités de combinaisons tactiques telles que les possibilités d'attaque
double, de clouage, d'enfilade

Toutes les combinaisons naissent de la possibilité d'un échec ou de la présence dans la position
d'un ou plusieurs éléments tactiques.

La position suivante est tirée de la partie Larry Christiansen - Anatoly Karpov jouée à Wijk aan Zee
en 1993 :

Les deux Tours blanches et la Dame blanche ne sont pas protégées. Chez les Noirs, la Tour en h8,
le Fou en d6 et le Cavalier en h5 ne sont pas protégés. Le trait est aux Blancs. La Tour en h8 ne
peut pas être attaquée, mais le Fou et le Cavalier peuvent être attaqués : 12. Dd1 gagne du
matériel.

Etape 3 : quelle est la menace ?


Regarder systématiquement les échecs et les éléments tactiques doit vous permettre à présent
de vous poser et de répondre à la question « Quelle est la menace (ou les menaces !) créée(s) par
le coup de mon adversaire ? »

Si certaines menaces sont évidentes, comme voir l'attaque d'une pièce par un pion qui avance,
certaines menaces sont plus subtiles.

C'est le cas des menaces d'attaque à la découverte.

C'est aussi le cas de menaces créées par un adversaire qui recule ou qui défend. Dans ce cas,
notre cerveau a tendance à baisser la garde et à sous-estimer le coup adverse.

Voici un exemple tiré de la partie jouée entre Chen Zhu et Vlada Sviridova, lors du championnat
du Monde de blitz 2016.
Les Noirs viennent de reculer leur Dame de e4 en e6 pour protéger leur Fou attaqué par la Dame
blanche. Loin d'être uniquement défensif, ce coup crée lui-même une menace. Voyez-vous
laquelle ?

Réponse : si vous regardez les possibilités d'échecs et les éléments tactiques comme vous
devez le faire dans les étapes 1 et 2, vous devez avoir vu en particulier que  la Dame blanche
n'est pas protégée et que les Noirs peuvent faire échec en jouant 49...Fxf4.

Rappelez-vous : ce n'est pas parce votre adversaire recule ou défend qu'il n'attaque rien !

Etape 4 : comment parer la menace ?

Si le coup de votre adversaire crée une ou plusieurs menaces, il faut à présent vous demander
« Comment parer la menace ? ».

Vous savez peut-être qu'il y a trois façons de parer un échec :

 Prendre la pièce qui fait échec


 Interposer une pièce entre l'attaquant et votre Roi
 Fuir, c'est-à-dire bouger le Roi pour ne plus être en échec

Il faut toujours vérifier ces trois façons de parer un échec afin de choisir la meilleure : ce serait
dommage de fuir alors que vous pouviez simplement prendre la pièce de votre adversaire !

Ces trois façons de parer un échec peuvent être retenues par l'acronyme PIF : Prendre,
Intercepter, Fuir.

De façon similaire, la menace sur une pièce peut être parée de six façons : Prendre, Intercepter
et Fuir, comme dans le cas d'un échec, mais également :

 Protéger la pièce attaquée. Cette défense n'a de sens, en général, que si la


pièce attaquée est de plus faible valeur que la pièce qui attaque. Protéger
par exemple une Dame attaquée par un pion a peu de chance d'être une
bonne idée.
 Défendre indirectement
 Contre-attaquer

L'acronyme pour retenir les six façons de parer une menace est PIFPIC : Prendre, Intercepter,
Fuir, Protéger, défendre Indirectement et Contre-attaquer.

Il faut toujours vérifier ces six façons de parer une menace afin de choisir la meilleure.

Voyons un exemple de défense indirecte. Il est tiré de la partie jouée entre Sergey Karjakin et
Tigran Levonovich Petrosian à Tiayuan en 2005 :
Les Blancs viennent de jouer 20.c3 pour attaquer le Fou qui est cloué. Les Noirs ne peuvent ni
prendre le pion, ni intercepter l'attaque, ni fuir. Ils ne peuvent pas non plus contre-attaquer une
pièce blanche ou faire échec.

Les noirs peuvent toutefois sauver leur Fou en utilisant eux-mêmes un clouage par 21...Da5. Ce
coup, décloue de plus leur Fou.

La 6e partie du championnat du Monde 2016 entre Sergey Karjakin et Magnus Carlsen nous offre
un exemple de contre-attaque :
Le Cavalier blanc attaque à la fois la Dame et la Tour en f8. Voyez-vous comment les Noirs
peuvent sauver leurs deux pièces ?

Réponse: les Noirs ont pu sauver les deux pièces grâce à la contre-attaque 19...Dd5 qui menace
de mat en g2. Après 20.f3 pour parer la menace de mat, Carlsen sauva la Tour en jouant
20...Tfe8.

Etape 5 : quels sont les coups candidats ?

Lorsque vous devez parer une menace, l'ensemble des défenses possibles, que vous devez
trouver en utilisant PIFPIC, constitue les coups candidats parmi lesquels il va falloir choisir le coup
que vous allez jouer en utilisant les étapes 6 à 8.

Mais que faire lorsque votre adversaire ne menace rien ? Comment choisir les coups candidats ?

Voici 5 idées générales pour vous aider à trouver des coups candidats :
Idée 1 : Un coup qui fait plusieurs choses à la fois est souvent un bon coup
Vous pouvez par exemple mettre sur votre liste de coups candidats un coup qui augmente
l'activité d'une pièce tout en créant une menace, ou un coup qui améliore la structure de vos
pions tout en augmentant l'activité d'une pièce.

Idée 2 : Lorsqu'on a du matériel d'avance, il faut échanger les pièces et pas les pions
Echanger les pièces permet d'augmenter l'avantage relatif (un pion d'avance est en général plus
important lorsqu'il reste peu de matériel sur l'échiquier) et de limiter les risques d'une attaque
sur votre Roi.

Idée 3 : Tous les coups ont des avantages et des inconvénients
Essayez de repérer les avantages et les inconvénients du coup que votre adversaire vient de
jouer et regardez si vous profiter de son inconvénient. L'inconvénient peut être une case qui n'est
plus protégée et que vous pouvez utiliser.

Idée 4 : L'activité des pièces et la structure des pions sont les deux principaux éléments de
la stratégie aux échecs
Essayez de trouver des coups qui augmente l'activité de vos pièces et limite l'activité des pièces
de votre adversaire. Echangez par exemple votre mauvais Fou contre son bon Fou. Trouvez une
case active pour votre Cavalier. Mettez vos Tours sur les colonnes ouvertes. Ou alors,
débarrassez-vous de vos pions doublés, doublez les pions de votre adversaire, créez des pions
passés...

Idée 5 : Attaquez des faiblesses dans le camp ennemi et jouez des coups agressifs
Cela va obliger votre adversaire à défendre, ce qui est souvent plus difficile. Il est plus agréable
d'être à la place du conducteur.

Ces cinq idées générales doivent vous permettre de trouver plusieurs coups candidats dans
chaque position. Il est très important de ne pas jouer le premier coup qui vous vient à l'esprit,
mais de toujours envisager plusieurs coups.

Etape 6 : comment calculer ?

Après avoir fait une liste de coups candidats, il faut calculer les conséquences de chaque coup
afin de choisir le meilleur. Lors de ce calcul, il faut :

 Ne jamais espérer que l'adversaire jouera un mauvais coup ou tombera


dans un piège. Il faut toujours supposer que l'adversaire jouera le meilleur
coup
 Estimer jusqu'où calculer. Dans le diagramme suivant, il semble que les Noirs
peuvent gagner un pion en jouant 1...cxd4 2.cxd4 Cxd4 3.Cxd4 Dxd4, mais
ce calcul est faux car à la fin de cette variante, les Blancs disposent du coup
4.Fb5+ et la Dame noire est perdue
 Ne jamais penser que la prise ou la reprise sont forcées. La position du
diagramme suivant est tirée de la partie Viswanathan Anand - Garry
Kasparov jouée à Genève en 1996. Avec deux pions de plus, les Noirs ont
nettement l'avantage, mais leur coup 33…Dxe3 est une gaffe : les Blancs
ne sont pas obligés d'échanger les Dames, mais gagnent du matériel en
jouant 34.Dxg4, qui attaque la Tour en c8 et la Dame par une attaque à la
découverte
Ces trois conseils sont importants pour calculer dans des positions complexes ou en finale,
lorsque le résultat de la partie peut se décider à un temps près.

Etape 7 : mon coup est-il bon ?

Après avoir calculé les conséquences de vos coups candidats et choisi le coup que vous voulez
jouer, il faut une dernière fois vérifier que votre coup n'est pas une erreur. Parmi les erreurs
typiques, on trouve :

 Laisser ou mettre une pièce en prise


 Ne pas avoir réfléchi aux réponses possibles de l'adversaire
 Ne pas avoir calculé correctement les conséquences de son coup dans une
position complexe
 En particulier, avoir oublié une possibilité de contre-attaque de son adversaire
ou avoir supposé que son adversaire est obligé de reprendre
 Ne pas se méfier des coups de pion
 Ne pas avoir réfléchi aux inconvénients du coup envisagé

Faire des erreurs de ce type n'est pas réservé aux débutants. La position suivante est un exemple
célèbre de gaffe.

Cette position est tirée d'une partie jouée par Vladimir Kramnik, alors champion du Monde,
contre l'ordinateur Deep Fritz, en 2006. Avec la majorité de pions à l'aile dame, Kramnik, avec les
Noirs, a une bonne finale s'il arrive à échanger les Dames. C'est pourquoi Kramnik joua 34...De3
en oubliant la réponse 35.Dh7#.

Etape 8 : essayez de trouver un meilleur coup

Quand tu vois un bon coup, essaie d'en trouver un meilleur. Ce proverbe est attribué à Emmanuel
Lasker, un joueur d'échecs allemand champion du monde de 1894 à 1921.
Après avoir choisi un coup et vérifié qu'il est bon, il faut donc encore passer quelques instants
à réfléchir à un meilleur coup. En effet, un coup qui nous paraît naturel n'est pas toujours le
meilleur.

Réfléchir à un meilleur coup est utile pour vérifier si vous n'avez pas raté un mat ou un coup
agressif qui vous donnerait l'avantage sur votre adversaire. Mais surtout, réfléchir à un meilleur
coup est utile pour progresser aux échecs. Progresser est en effet synonyme de jouer des coups
meilleurs que vos coups habituels. Remettre en question le coup que vous avez choisi
initialement est ainsi une façon d'essayer de progresser.

Comment s'entraîner à appliquer cette méthode de réflexion ?

Vous avez maintenant une méthode en 8 étapes pour mieux réfléchir à chaque coup et faire
moins d'erreurs.

Encore faut-il apprendre à l'utiliser.

Si vous êtes comme moi, vous allez essayer de l'utiliser dans vos parties, mais vous allez vite
oublier de le faire.

Pour utiliser correctement et systématiquement cette méthode de réflexion, il faut en faire une
(bonne) habitude.

Pour cela, je vous propose de vous entraîner à l'appliquer sur les parties de votre joueur préféré
de la façon suivante :

 Choisissez n'importe quelle partie gagnée par ce joueur


 Regardez la partie, sur un échiquier ou sur votre ordinateur, en vous mettant à
la place de ce joueur
A chaque coup de son adversaire, appliquez la méthode de réflexion en huit
étapes pour choisir le coup que vous joueriez
 Si votre champion a joué un coup différent du vôtre, demandez-vous si vous
aviez envisagé ce coup et pourquoi vous lui avez préféré un autre coup (cet
autre coup n'est pas forcément plus mauvais que le coup joué dans la
partie)

Si cet exercice vous semble trop difficile, vous pouvez commencer appliquer uniquement l'étape
1, vérifier tous les échecs. Puis, lorsque vérifier tous les échecs sera devenu un automatisme,
vous pourrez rajouter l'étape 2, etc.

Vous verrez que réfléchir de cette façon deviendra petit à petit automatique.

Et vous verrez, je l'espère, que vous ferez beaucoup moins d'erreurs, que vous prendrez plaisir à
jouer aux échecs et que vous progresserez rapidement !

Un article de Jérôme Schwindling »

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