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Bulletin de l'Ecole française

d'Extrême-Orient

II. La naissance de Sītā


Camille Bulcke S. J

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Bulcke S. J Camille. II. La naissance de Sītā. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 46 N°1, 1952. pp. 107-
118;

doi : https://doi.org/10.3406/befeo.1952.5159

https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1952_num_46_1_5159

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LA NAISSANCE DE SITA

par

Camille BULCKE S. J.

Le manque de détails sur la parenté de Sïtâ dans les premières versions de la


légende de Râma a donné naissance à une foison d'histoires très divergentes. Janáka,
Râvana et même Daáaratha sont tour à tour désignés comme père de Sïtâ. Le
problème que pose cette divergence a attiré l'attention de plusieurs savants. La
solution proposée ici, tâche de tenir compte de l'antiquité et de l'importance relative
de chaque récit. En présentant les différentes histoires de la naissance de Sïtâ par
ordre chronologique, nous espérons mettre en lumière leur genèse progressive. Nous
montrons d'abord les raisons qui portent à croire qu'on ait à l'origine considéré
Sïtâ comme fille de Janáka; puis nous donnerons l'histoire de sa naissance
miraculeuse d'après Vâlmïki. Cette version est la plus répandue et la plus importante ;
presque tous les narrateurs ultérieurs en tiennent compte, tout en y ajoutant
d'autres éléments. Un trait presque universel des récits qui s'écartent de Vâlmïki,
c'est que Sïtâ passe par Lanka avant d'être abandonnée à Mithilâ. Pour finir, nous
examinerons le cas du Dašaratha Jâtaka et les récits indonésiens qui en dérivent.
L'importance secondaire donnée au Dašaratha Jâtaka n'est pas le résultat d'un
préjugé, mais découle du fait que c'est un récit tout à fait isolé, composé à Ceylan et
qui n'a pas exercé la moindre influence aux Indes où il est resté inconnu pendant
des siècles.

I. — Sitâ, fille de Janáka (Janakátmaja).

Il est très probable que dans les anciennes gâthâs qui, célébraient les gestes de
Râma et même dans Y Âdi-Ràmâyana, composé par Vâlmïki, Sïtâ était considérée
comme fille réelle de Janáka.
L'histoire de Râma est reproduite quatre fois dans le Mahâbhàrata (deux fois
dans le troisième livre, puis dans les septième et douzième livres), mais on ne trouve
nulle part la moindre mention de l'histoire miraculeuse de la naissance de Sïtâ;
nulle part elle n'est nommée ayonijâ, pas même dans le long Râmopâkhyàna qui
consacre à l'histoire de Râma 70Д slokas. Partout, elle est Janakàtmajâ, fille de
Janáka. Au commencement du Râmopâkhyàna, nous lisons :
Videharâjo Janakah Sïtâ tasyâtmajà Vibho.
crLe roi de Videha, 6 Seigneur, était Janáka et Sïtâ était sa fille» (*>.

W Cf. Mahâbhàrata, III, a 5 8, g, éd. de Poona.


108 CAMILLE BULCKE S. J.

Le récit du chapitre h i du Harivathsa non plus, ne fait aucune mention de la


naissance miraculeuse de Sïtâ. Elle se trouve mentionnée pour la première fois
dans le Râmâyana de Vâlmïki, tel que nous le possédons aujourd'hui. Dans les
livres authentiques (H-YI), on la trouve mentionnée trois fois. La première fois à la
fin du second livre, dans le récit de la visite chez Atri et Anasuyà, qui est
certainement une interpolation (1). La seconde fois, dans le seizième chant du Sudarakânda
où se place la lamentation de Hanumân quand il contemple Sïtâ dans l'Asokavana.
Dans ce chant, Hanumân ne fait que répéter et amplifier le sujet du chant précédent ;
il est donc possible que ce chant 16 ait été ajouté ultérieurement. La troisième
mention de la naissance miraculeuse se trouve dans la description de l'épreuve du
feu. Or, dans le Mahâbhârata l'épreuve du feu manque. Dans le Râmopâkhyâna,
Râma se contente du serment de Sïtâ et de l'assurance que lui font les dieux qu'elle
est innocente. Il se peut donc que cet épisode ait aussi manqué dans le Râmâyana
authentique, puisque le Ràmopâkhyâna est basé sur une version ancienne de Vâl-
kiW
Donc, il est assez probable que dans le Râmâyana composé par Vâlmïki, Sïtâ
était considérée comme princesse de Mithilâ et fille de Janáka. Le Râmâyana
mentionne d'ailleurs à maintes reprises que Sïtâ est née dans la famille de Janáka :
Janahasya kule jutách
Selon le plus ancien Râmâyana des Jainas, à savoir le Paumacariya de Vimala
Suri, qui date probablement du 111e ou nre siècle ap. J.-C, Sïtâ naît, avec son frère
jumeau Rhâmandala, de la reine de Janáka, Videhâ (*>. Dans le Râmâyana de
Vâlmïki, on ne fait pas mention de ce fils de Janáka; mais dans le Visnu (IV, 5, 3o)
et le Vâyu Purâna (89, 18), on donne à Janáka un fils appelé Rhânumân. H se peut
donc que le Paumacariya ait reproduit ici une ancienne tradition.

II. — Sïtâ, fille de la terre (Bhumijá).

La naissance miraculeuse de Sïtâ est racontée à deux reprises dans le Râmâyana


de Vâlmïki; on y fait également allusion à plusieurs autres endroits du même
ouvrage (6). Un jour que le roi Janáka labourait la terre pour préparer le terrain
du sacrifice, une petite fille surgit du sillon ; il l'adopta et la nomma Sîtà, c'est-à-dire
«sillon». Cette histoire date probablement d'avant l'ère chrétienne. La grande
majorité des ouvrages hindous l'ont adoptée. Le Visnu Purâna (IV, 5, s 8) ajoute
que le sacrifice pour lequel Janáka préparait la terre quand il trouva Sïtâ, était
putràrtham (pour obtenir un fils).
Quelle est doncl'origine de ce récit? H existe dans la mythologie védique une déesse
Sïtâ (personnification du sillon), protectrice de l'agriculture; on l'invoque déjà
dans le Rgveda (IV, 67, 6). Nous ne croyons pas que l'histoire entière de Sïtâ soit
sortie des maigres prières adressées à cette déesse védique ; mais il n'est pas
impossible que cette conception ait influencé la genèse de l'histoire de la naissance
miraculeuse d'une princesse, appelée Sïtâ, et dont on ne possédait pas de détails généa-

(') Cf. H. Jacobi, Dos Râmâyana, Bonn, 189З, p. 1З7, note.


О Cf. V. S. Sukthaňkara, Râmopâkhyàna and Ràmâyana, dans Kane Commemoration Volume,
p. 473-Ш.
О Cf. Ràmàyana, Bombay, I, 1, 97; V, i3, i4; et aussi II, a8 et III, 47.
(*) Cf. Paumacarita, éd. de H. Jacobi, ch. a 6.
(*) Pour les récits, cf. I, 66 et II, 118; pour les allusions, cf. V, iô; VI, 1 16; VII, 17 et 98
interpolés 3 et 5, après VII, З7. ™
LA NAISSANCE DE SlTÀ 109

logiques. Même le nom de son père Janáka (qui veut dire « père ») est passablement
vague W.
Il est d'ailleurs tout aussi probable et certainement plus naturel de supposer
que c'est à cause de son nom de Sïtà, qui veut dire «sillon», que l'on a imaginé
qu'elle était sortie d'un sillon. Ce ne serait pas le seul cas où le nom d'un
personnage a fourni la base d'une histoire destinée à expliquer ce nom. Le récit de Sîtâ
Sàvitrï du Taittinya Brâhmana (II, 3, io) nous renseigne sur une autre Sïtâ, fille
du roi Soma et sœur de Sraddhâ. Il semble donc que Sïtâ était un nom de fille,
déjà dans les temps védiques.
Déjà dans la recension bengalie du Râmâyana de Vâlmïki et dans celle du Nord-Ouest,
qui datent au moins des premiers siècles de l'ère chrétienne, on a complété l'histoire
miraculeuse. Dans la Vulgate, Sïtâ raconte en quelques vers le récit de sa naissance
à Anasuyâ, épouse d'Atri. Dans les deux autres recensions, ce récit est beaucoup
plus long'2). «Le roi Janáka n'avait pas d'enfants. Un jour qu'il labourait la terre
(pour préparer le sacrifice), il aperçut dans le ciel la resplendissante apsarâs Menakâ, ,
et la convoita afin d'en avoir des enfants. Une voix se fit entendre qui lui assurait
qu'il aurait d'elle un enfant pareil à sa mère en beauté. Alors Sïtâ sortit de la terre
et Janáka l'aperçut. De nouveau, une voix céleste se fit entendre : « Cette enfant,
née de Menakâ, est la fille de ton esprit ! v {Menakâyâh samutpannà kanyeyam типам
tava). Cette histoire se trouve aussi dans la Ràmâyana-Manjari de Ksemendra
(v. 344-346). Nous ne l'avons pas trouvée ailleurs. Elle est importante, parce
qu'elle montre qu'il ne semble pas avoir existé de tradition claire sur l'origine de
Sïtâ, et que dès le commencement de l'ère chrétienne ont été faites les premières
tentatives de compléter un récit qu'on trouvait peu satisfaisant à cause du manque de
détails.
A la même époque remonte l'histoire de Vedavatï, racontée dans le i 7e chant de
VUttarakânda du Râmâyana de Vâlmïki. Ce récit qui relate l'histoire de Sïtâ dans
une de ses existences antérieures doit précéder chronologiquement l'époque où
l'on considère Sïtâ comme une incarnation de Laksmï. Une fille du rsï Kušadhvaja
se macère dans l'Himalaya dans le but d'obtenir Nârâyana pour époux. Tel était
d'ailleurs le désir de son père qui avait été tué par un roi auquel il avait refusé de
donner sa fille. Râvana la voit, s'éprend de sa beauté, et la saisit par les cheveux.
Elle lui échappe en coupant ses cheveux de sa main, transformée en épée. Ensuite
elle maudit Râvana et prédit qu'elle renaîtra miraculeusement [aifonija) pour le
détruire et finalement entre dans le feu. Plus tard, elle renaît de la terre comme
fille de Janáka.
Ce récit a été modifié plus tard par le Srîmaddevibhâgavata Purâna (IX, i &) et le
Brahmavaivarta Puràna (Prakrti Khanda, ch. i4). Kušadhvaja et son épouse Mâlavatï
vénèrent Laksmï et obtiennent qu'elle devienne leur fille. A sa naissance, elle chante
d'une voix claire les mantras védiques et obtient par là le nom de Vedavatï. Plus
tard, elle se macère afin d'obtenir Hari pour époux; elle est molestée par Râvana,
le maudit et renaît en Sïtâ. Il est évident que cette nouvelle édition du récit est
dictée par la croyance à l'identité entre Laksmï et Sïtâ qui découle naturellement
de la croyance à l'incarnation de Visnu en Râma. Quoique Râma soit considéré
comme une incarnation dans plusieurs passages interpolés des livres authentiques

(*> Janáka est le nom patronymique des rois de Mithilâ et il est souvent employé au pluriel.
Le Mahàbhàrata, d'ailleurs, mentionne plusieurs Janáka, rois de Mithilà. Cf. S. Sorensen, Index
Io the names of the Mahàbhàrata, s. v.
(*) Cf. Vulgate, éd. Bombay, II, 118, 9 8-3 a; recension bengalie, éd. de Gorresio, III, A;
recension nord-ouest, éd. de Lahore, III, a.
110 CAMILLE BDLCKE S. J.

(II-VI) et plus souvent encore dans l'Uttarakânda, nuiïe part nous ne trouvons
d'identification de Sïtâ et de Laksmï. Ce n'est que dans les chants 3 et 5, interpolés
après le chant З7 de Y Uttarakânda, que Sïtâ est identifiée à Laksmï. Ces chants,
d'ailleurs, datent de beaucoup plus tard, et manquent dans la recension bengalie
et dans celle du Nord-Ouest. Les Purànas les plus anciens, comme le Vâyu, le
Brahmânda et le Visnu Purâna ne reconnaissent pas encore l'identité de Sïtà et de
Laksmï. Le Harivamsa la mentionne (ch. à 1) et plus tard l'opinion qui prévaut c'est
que Laksmï est née miraculeusement du sillon de Janáka et a été nommée Sïtâ M.

111. — Sïtà et Laňka.

L'histoire de la naissance miraculeuse de Sïtâ, comme nous la lisons dans le


Râmâyana, laisse la porte ouverte à d'autres développements. D'où venait l'enfant
trouvée dans le sillon? Et pourquoi causa-t-elle plus tard la destruction de Râvana?
L'histoire de Vedavatï nous fournit une première réponse. Nous y trouvons pour
la première fois, une relation entre Sïtà et Râvana, antérieure aux événements que
décrit le troisième livre du Râmâyana. Dans les développements ultérieurs cette
relation devient plus étroite; désormais, c'est en passant par Lanka que l'enfant
arrivera à Mithilâ. Cette connexion avec Lanka prend quatre formes assez
divergentes. Nous les reproduirons dans l'ordre chronologique de leur apparition dans
la littérature. Ces histoires, sans doute basées sur les versions populaires, se
rencontrent dès le ix* siècle ap. J.-C, tant aux Indes que dans les pays circonvoisins.

1. Sitâ,Jîlle de Râvana (Râvanâtmajà). \

Parmi les variantes de la naissance de Sïtâ qui nous restent à analyser, la plus
ancienne probablement, et certainement la plus répandue, est celle où Sïtâ est
considérée comme fille de Râvana. Nous la trouvons aux Indes, au Tibet et au
Khotan (Turkestan oriental), en Indonésie et en Indochine. Elle fait son apparition
aux Indes pour la première fois dans Y Uttarapurâna du Jain Gunabhadra (ixe siècle
ap. J.-C), où elle est racontée comme suit. La princesse Manivatï, fille du roi
Amitavega d'Alkâpurï, pratique l'ascétisme sur le mont Vijayârdha (Vindhya)*
Râvana tâche de s'emparer d'elle. Indignée, elle forme le désir (nidâna) ae devenir
sa fille et de le détruire. Plus tard, elle naît de Mandodarî. Sa naissance est marquée
par toutes sortes de mauvais présages et les astrologues prédisent que cette enfant
sera la ruine de Râvana. Celui-ci ordonne à Mârïca d'abandonner l'enfant dans un
pays lointain. Mandodarî place l'enfant dans une boîte avec de l'argent et des

О Le Mahesvara Khanda du Skanda Purâna (ch. 8, 9 5) fait de Sïtâ une incarnation de Brahmavi-
dyâ; ailleurs, dans le Setumahàtmya (ch. sa) du même ouvrage, Si ta est l'incarnation de Laksmï.
Le Saura purâna considère Sïtà comme incarnation de Pârvatï. Janáka, en pratiquant l'ascétisme,
avait plu à Pârvatï; en conséquence Sïtà nait d'une portion de Pârvatï : Pàrvatyaméasamudbhavà
Janakenapurà Gaurï tapasà tositâ yatah (cf. ch. 3o, 5i). Le Saura Purâna , un livre des Pàs'upatas,
date du xie siècle ap. J.-C. Cf. R. C. Hazra dans NIA , vol. VI, p. 110.
Le même parti pris sivaite se voit dans le Mahàbhâgavata Purâna (ch. 36), où Sïtâ est bien Tin-
carnation de Laksmï, mais cette dernière passe pour être née d'une portion de Devï. Selon le
Ràma-Jàtaka laotien, Râvana s'est déguisé en Indra et a trompé la reine du ciel. Cette dernière
s'incarne en Sïtà afin de se venger de Râvana. Ici Sïtâ est donc considérée comme une incarnation
d'Indràni (cf. Journal of the Siam Society, vol. XXXVI, p. 7). Dans d'autres récits encore, Sita est
l'incarnation de Srïmatï, fille d'Ambarlsa (cf. Adbhuta Ràmàyana, sargas 9-4).
LA NAISSANCE DE SlTÂ . 111

papiers d'identité. Màrïca enterre la boîte à Mithilâ où elle est trouvée le même jour,
par des laboureurs qui la remettent à Janáka. Celui-ci confie l'enfant à sa femme,
la reine Vasudhâ (ce qui veut dire terre), lui disant de l'élever comme son enfant (У.
Cette histoire est clairement basée sur celle de Vedavatî et, d'autre part, le nom
de Vasudhâ, mère adoptive de Sitâ, montre que l'auteur connaissait l'histoire de
Vâlmïki où Sïtà est considérée comme fille de la terre. Le Mahadevibhâgavata Puràna
mentionne aussi que Sïtâ était née de Mandodarî et qu'elle sortit de la terre plus
tard :
Síta Mandodarïgarbhe sambhutâ eàruruptni
Ksetrajâ tanayâpyasya Râvanasya RaghuttamaW.

B. Ziegenbalg W cite une lettre qui prouve que cette histoire était également
courante dans l'Inde du Sud, puisqu'on y fait mention d'une boîte enterrée dans
le sol, encore que Râvana ne soit pas nommé. «Janáka avait fait une longue
pénitence afin d'obtenir des enfants. Ses sujets en labourant la terre trouvent une boîte
contenant une enfant très belle, et l'apportent à Janáka. Ce dernier adopte l'enfant
et lui donne le nom de Sïtâ. я
II existe en outre, toute une série d'histoires d'après lesquelles l'enfant de Râvana
est jetée tantôt dans l'océan, tantôt dans une rivière. Aux Indes, nous trouvons
cette forme dans le Râmâyana cachemirien du xviii* siècle (éd. B. l. par G. A. Grier-
son). « Mandodarî, en l'absence de Râvana, donne naissance à une fille. L'horoscope
révèle qu'elle tuera son père. Mandodarï jette l'enfant dans une rivière, après lui
avoir noué une pierre au cou. L'enfant est sauvée et retrouvée par Janáka». Une
version analogue est celle de Vincenzo Maria, où c'est Râvana lui-même, qui donne
l'ordre d'enfermer la fillette dans une boîte et de la jeter dans l'océan. Janáka la
trouve sur la côte du Coromandel M. C. Niebûhr aussi a noté cette histoire : «Un
Brahmane prophétisoit au Rawân qu'une certaine fille donneroit un jour occasion
à sa mort. Il la fit dès lors fortement garder. Lorsqu'elle avoit six mois, il y tomboit
une si grosse pluie, que tous les gens d'autour d'elle furent noyés, mais cette
enfant qui étoit dans une Boète, fut emportée par l'eau, de lisle de Ceylon et jetée
sur la terre ferme, au rivage d'un nommé Radja. . . Cette fille, dit-on avoit ensuite
épousé ce Ramshi qui massacra Rawân я (5).
Dans les Râmâyanas tibétain et khotanais qui datent probablement du ixe siècle,
la fille de Râvana est abandonnée à cause de son horoscope et jetée à l'eau, enfermée
dans une boîte. Ici, ce n'est plus Janáka, mais des paysans dans le texte tibétain,
un rsï dans le texte khotanais, qui prennent soin de l'enfant W.
Le Serai Kanda javanais contient un récit analogue. La reine de Râvana donne
naissance à une fille, incarnation de Sri. La mère a été prévenue que si son enfant
est une fille, elle deviendra la femme de Râvana. Pour cette raison, la mère jette
l'enfant à la mer, après l'avoir enfermée dans une boîte.
Plus tard, c'est un certain rsï, nommé Kala, de Mantili, qui trouve l'enfant,
l'élève et lui donne le nom de Sinta. Mantili rappelle Mithilâ, ce qui nous ramène à

О Cf. Uttarapuràna, Indore, 1917, Parvan 68.


(*) Cf. Mahábhágavata Puràna, Gujarati Printing Press, Bombay, 19 13, ch. 4 a, 6a, Mr. R. C.
Hazra (Université de Dacca) m'écrit que c'est un ouvrage du x' ou xi* siècle, composé au Bengale.
<s> Cf. Genealogy of S. Indian Godt, Madras, 1869.
(*). Cf. /{ viaggio ail Indie Orientali, Roma, 167a, p. 396.
(*) Cf. Voyage en Arabie, Amsterdam, 1790, vol. II, p. aa.
(*) Cf. Indian Studies in honour of Lanman, Harvard, 1999, p. 19З et suiv., et BSOS, vol. X,
p. 559.
112 CAMILLE BULCKE S. J.

l'histoire du Râmâyana. Pour remplacer l'enfant jetée à la mer, lé magicien Tjibisana


(Vibhïsana) tire un enfant des nuages et l'appelle Meganada^).
Le Râma-Кгеп siamois dont les rédactions ne sont pas antérieures au xviii" siècle (2),
nous fournit un récit semblable. Sïtâ, fille de Râvana, commence à parler
indistinctement dès sa naissance. On appelle Vibhïsana qui déclare que cette enfant sera
la ruine de Lanka. Alors on la jette à la mer, mais les dieux produisent un courant
d'eau qui entraîne la fillette jusqu'à Mithilà, où elle est trouvée par Janáka (3).
Le Reamker cambodgien se rattache, en toute apparence, au même groupe,
quoique la connexion avec Laňka ne soit pas mentionnée dans le résumé français
du fascicule i, publié par la Bibliothèque Royale à Phnom Penh. Le roi de Mithilà
prépare la fête des semailles sur le bord de la rivière Yamunà ; il aperçoit la jeune
Sïtà sur un radeau qui flotte au milieu du fleuve, et l'emmenant chez lui, l'adore
comme sa fille i4).
Aucun de ces récits n'est antérieur à celui de Gunabhadra, qui est manifestement
basé sur l'histoire de Vedavatï. H est donc permis de voir dans cette dernière
l'origine de tous les récits où Sïtâ est considéré comme fille de Râvana.

2. Síta, née d'un lotus (Padmajâ).


Le Dasâvatàra Carita du polygraphe cachemirien Ksemendra (xi* siècle ap. J.-C.)
a conservé une histoire différente de la naissance de Sïtâ. Elle présuppose le récit
du Râmâyana et aussi la croyance à l'identité de Sïtà et de Laksmï. Un des noms
de cette dernière est précisément Padmà (lotus) et a servi de base au récit suivant.
Râvana fait des visites successives à un certain endroit où il voit d'abord une
montagne, puis des villes, ensuite une forêt, plus tard un puits et finalement un lac,
couvert de lotus. Il y dresse un liňgam et vénère Siva avec les lotus du lac. Sur un
lotus d'or, il aperçoit une fillette, qui n'est autre que Laksmï; il l'emmène à Laňka,
où il la donne à Mandodarï et l'adopte comme sa fille. Nârada qui rend visite à Man-
dodarî, voit cette fille sur ses genoux et lui prédit qu'un jour Râvana deviendra
amoureux d'elle.- A ces mots, Mandodarï donne l'ordre d'aller enterrer la fillette,
enfermée dans une boîte d'or dans un pays lointain. Janáka la retrouve un jour
qu'il labourait la terre avec une charrue d'or en vue du sacrifice W.
. Cette variante de la naissance de Sïtà n'est pas très répandue. Elle se trouve
insérée dans le commentaire de Govindarâja. Ce dernier fait renaître Vedavatï

<*> Cf. W. Stutterheim, Ràma-Legenden und Rama-Reliefs in Indonésien, Muenchen, 1996, ch. 3.
Les plus anciens mss du Serat Kanda javanais datent du xvi* siècle; il est très probable d'ailleurs
que les versions populaires du Râmâyana avaient pénétré en Indonésie auparavant, mais
certainement après le xn* siècle. Cf. A. Zieseniss, Die Rama-Sage bei den Malaien, Hamburg, 1938, p. 109.
Les artistes des bas-reliefs de Prambanan (ix* s.) ont suivi en général une version qui rappelle
de très près le récit vâlmïkien et le Râmâyana javanais kakawin. Il est vrai qu'on trouve déjà dans
leur œuvre quelques variantes (d'une importance d'ailleurs secondaire) qui s'expliquent par les
hikayats populaires dont les rédactions datent de sept siècles plus tard (cf. W. Stutterheim, op. cit.,
p. 1ЗЗ et suiv.). Mais ces variantes sont minimes en comparaison avec la grande masse de matière
hétérogène des hikayats, dont on ne trouve aucune trace dans les bas-reliefs de Prambanan. Les
bas-reliefs de Panataran du xiii* siècle sont basés intégralement sur le Râmâyana javanais kakawin.
Cf. W. Stutterheim, op. cit., p. 179 et suiv.
(*) Cf. S. Karpelès, Un épisode du Râmâyana siamois, dans Études Asiatiques, Paris, iga5,
p. 3 1 5 et suiv.
(s) Cf. W. Stutterheim, op. cit., p. a 61. Pour un récit laotien analogue au Râmakien siamois,
cf. Râma-Jâtaka, dans Journal of the Siam Society, vol. XXVI, p. 7.
(*) Cf. J. Przyluski, IHQ, vol. XV, p. a 89 et suiv.
(•) Cf. Dasâvatàra Carita, Sriramavatara, vers 7 0-1 о 4.
LA NAISSANCE DE SÏTA 113

dans un lotus ; Râvana l'aperçoit, assise sur la fleur, et l'emmène chez lui. Son
conseiller [Laksanajûa) l'avertit que l'enfant causera sa mort. Alors Râvana la jette
à la mer. Elle atteint la terre ferme et y est trouvée par le roi Janáka W.

3. Sltà, née du sang des rsis {rsiraktaja).


Il nous reste deux autres variantes analogues de la naissance de Sïtâ. La première,
où Sïtâ naît du sang des rsis, est assez répandue bien qu'elle semble plutôt récente.
On la trouve pour la première fois dans le sarga 8 de YAdbhuta Râmâyana qui
date probablement du xv" siècle. Râvana, lors de sa conquête de l'univers (digvijaya)
lève des impôts sur les rsis habitant le Dandakâranya. Ils lui donnent quelques
gouttes de sang qu'ils recueillent dans un vase appartenant au rsi Grtsamada.
Or ce vase contenait du suc de l'herbe Kusa, sur lequel le rsi Grtsamada avait
récité des mantras, ce qui avait eu pour effet d'y rendre Laksmî présente. Râvana
porte le vase à Lanka et le donne à Mandodarï, en lui disant qu'il contient un poison
mortel. Plus tard, Râvana part pour une autre expédition. Mandadorï apprend que
Râvana se divertit avec d'autres femmes, boit le sang dans l'intention de se tuer,
et devient enceinte. Voyant cela, elle part pour un pèlerinage, et après s'être fait
provoquer un avortement, ensevelit le fœtus à Kuruksetra, où Janáka, qui labourait
la terre en vue d'un sacrifice, trouve plus tard l'enfant et lui donne le nom de Sïtâ,
puisqu'elle avait surgi d'un sillon.
Le même ouvrage donne en outra l'histoire de deux malédictions différentes
qui expliquent la naissance de Sïtâ. Le sarga 4 nous apprend que Sïtâ est la
réincarnation de Srïmatï, fille du roi Ambarïsa, au svayamvara de laquelle les saints Nârada
et Parvata ont reçu de Visnu des visages de singes. D'autre part, le sarga 6 dit que
Nârada a été bousculé par les domestiques de Laksmî lors d'une fête au ciel et a
voué Laksmî à naître parmi les Ràksasas et à être abandonnée par une Râksasî.
On trouve à Ceylan aussi des traces de l'histoire de YAdbhuta Râmâyana^K
Aux Indes, elle se présente sous diverses formes. Un récit nous raconte que c'est
par curiosité que Mandodarï a bu quelques gouttes de ce sang et donne plus tard
naissance à une fille. Redoutant- la colère de Râvana, elle dépose l'enfant dans le
même vase de sang et le jette à la mer. Dans la suite, des paysans trouvent la fillette
et la donnent à Janáka (3).
De PolierW a noté un récit qui explique pourquoi la fillette va à Mithilâ.
Janáka avait infligé plusieurs défaites à Râvana. Comme dans l'histoire de YAdbhuta-
Râmâyana, Râvana recueille le sang des rsis, en guise de taxe. Quand le sang arrive
à Lanka, il s'y produit toutes sortes de calamités. Alors Râvana fait enterrer le vase
de sang à Mithilâ, pour se venger de Janáka. Dès lors, les mêmes calamités frappent
le royaume de ce dernier. Les ministres conseillent au roi d'aller, accompagné de la
reine, labourer la terre et d'obtenir ainsi, la cessation de la sécheresse. Sitôt fait
et Janáka trouve la fillette, née dans l'intervalle du sang des rsis. Après cela les
calamités cessent. Ailleurs aussi, nous lisons que c'est le sang, et non pas la fillette,
qui est enseveli à Mithilâ W.

(*) Cf. Les vers insérés après VII, 17, 33, dans l'édition du Râmâyana avec trois commentaires,
Gujarati Printing Press, 1920, vol. VII.
(*) Cf. IA, vol. 45, Supplement, Singhalese Folklore.
(») Cf. Sacred Boob of the Hindu», vol. XXVI, p. 3З9, note.
(*) Cf. de Polier, Mythologie de$ Indous, Paris, 1809, p. 3o4.
<•> Cf. Sacred Books of the Hindus, vol. XXVI, p. 9З9, note (seconde histoire); Le Râmâyana de
Tulsidas, Nirnaya Sagara Press, Bombay, 19З7, l'interpolation p. 167. Dans le livre de S. C. Roy,
The Birhors, p. 4o5, on trouve des traces de cette histoire. Janáka laboure la terre pour faire cesser
la sécheresse et trouve l'enfant qu'il nomme Sïtâ.
.

BKFKO, Xt.VI-1.
114 CAMILLE BULCKE S. J.

â. Síta, née du /eu (Agnijâ).


La dernière forme que prend la connexion entre Sïtà et Lanka se trouve dans
YÂnanda Râmâyana, qui date probablement du xv* siècle et qui contient toutes
sortes d'histoires basées sur des contes populaires. Ce récit de la naissance de Sïtâ
semble reposer sur l'histoire de Vedavatï. Le roi Padmâksa, après des austérités
sévères, avait obtenu Laksmï comme fille et lui avait donné le nom de Padmâ (cela
rappelle l'histoire de Sïtâ Padmajâ, rapportée sous le paragraphe 2). A l'occasion
de son svayamvara, il s'élève une querelle dans laquelle son père est tué. Padmâ,
pleine de désespoir, entre dans le feu. Un jour, elle sort du puits de feu (Agnikunda)
et Râvana l'aperçoit. Aussitôt elle replonge dans le feu, mais Râvana éteint le feu
et trouve dans les cendres cinq pierres précieuses qu'il met dans une boîte et
emporte à Lanka. A Lanka, il se trouve que personne ne peut soulever la boîte; on
l'ouvre et on y trouve une petite fille. Mandodarî, effrayée, conseille de l'abandonner.
La boîte est enterrée à Mithilâ, puis retrouvée par un Sudra, qui labourait la terre
Eour le compte d'un brahmane. Ce dernier porte la boîte à Janáka qui y trouve
fillette et l'adopte W.
Les Lettre* Édifiantes ont conservé une histoire du même genre : «Les diverses
renaissances de la Kehoumi, femme de Vichnou sont célèbres. Elle naquit d'abord
lorsque les Dieux et les Géants firent tourner dans la mer la fameuse montagne. . .
Longtemps après, elle naquit d'un fruit dont l'odeur infiniment douce et agréable
se répandoit à dix lieues à l'entour. Cette jeune fille fut élevée par un pénitent
appelé Vedamamouni, qui lui enseigna toutes les sciences; mais comme elle sur-
passoit en beauté toutes les personnes de son sexe, il souhaita qu'elle devint femme
de Vichnou, changé alors en Ramen, Roy célèbre dans les anciennes Histoires des
Indes. Cette Princesse s'appeloit pour lors Sida : elle faisoit une rude pénitence
sur le bord de la mer, se tenant sur un mast au bas duquel elle entretenait un feu
fort actif. La réputation de sa beauté vint aux oreilles d'un Géant qui estoit Roi
de Ceilon : il se transporta sur le lieu où elle avoit fixé son séjour, dans le dessein
de l'épouser, mais une pareille proposition lui ayant déplu, elle se jeta dans le feu,
et elle fut réduite en cendres. La pénitence ne fut pas pourtant inutile, car
Vedamamouni ayant recueilli les cendres, les renferma dans une canne d'or, enrichie de
diamans, et de pierres précieuses d'un prix inestimable. On porta cette canne au
géant Ravanem qui la fit mettre dans son trésor. Quelque temps après comme on
entendit sortir de cette canne une voix semblable à celle d'un enfant, on l'ouvrit,
et on y trouva Sida changée en petite fille. Les Astrologues consultés sur ce prodige,
répondirent que cet enfant serait la cause de la ruine de Ceilon ; c'est pourquoi on
l'enferma dans un coffre d'or, et on la jetta dans la mer pour l'y faire périr. Mais le
coffre au lieu d'estre entraîné par sa pesanteur au fond de l'eau, surnagea, et avança
vers la mer de Bengale : estant entré dans un des bras du Gange, il fut porté sur
un champ; les laboureurs l'ayant trouvé le donnèrent à leur Roy, qui éleva la
Kehoumi jusqu'à ce qu'elle fust mariée à Ramen» W.
Ici, l'influence de l'histoire de Vedavatï se discerne assez facilement. Le fruit dont •
Sïtâ est supposée naître est sans doute le Sitàphaîa (Annona Squamosa).
,

Le Père Fenicio, écrivant en 1609, donne une histoire qui se rattache aux récits

0) Cf. Ananda Râmâyana, I, 3, 188-376. Drie Oude Portugeesche Verhandelingen , éd. et trad,
par W. С aland, Amsterdam, 191 5, contient une histoire identique, mais incomplète. Cf. p. 110
et suiv.
(*) Cf. Lettres édifiantes, XIII, recueil, Paris, 1718, p. i3g-i4i. Lettre du Père Bouchet à
Monseigneur Huel, ancien évêque d'Avranches.
LA NAISSANCE DE SÍTA 115

précédents, quoique l'histoire de Draupadï^ (née du feu du sacrifice, cf. M. Bh.,


éd. de Poona, I, i 55, à 1) et celle de l'arc de Siva lui aient aussi fourni des éléments.
« Isvara se déguise en yogi et vit à Laňka, y faisant toutes sortes de folies. Finalement,
il consent à garder une des portes de la ville. Là, il recueille des cendres, desquelles
naît un arbre qui atteint une hauteur de mille pieds. Puis le yogi disparaît et R&vana
donne l'ordre de couper l'arbre en quatre morceaux et de les jeter à la mer. Un des
morceaux arrive au royaume de Janáka; les sages conseillent de le brûler dans le
sacrifice ; on le fait et voilà que Sïtâ sort du feu, avec un arc qui porte l'inscription
suivante ; Elle sera donnée à celui qui rompra l'arcv. (Cf. Livro da Seita dos Indias
Orientais, publ. par Jarl Charpenter, p. 86.)

5. Conclusion.
Toutes ces formes divergentes de la naissance de Sïtâ admettent le cadre de la
naissance miraculeuse, décrite dans le Râmâyana de Vàlmïki, où Janáka trouve I a
petite fille en labourant la terre. Celles qui ne portent pas l'empreinte de l'histoire
de Vedavatï présupposent l'identité de Laksmï et de Sïtâ et ne peuvent avoir pris
origine que longtemps après Vâlmïki. Il semble donc légitime de considérer la
naissance miraculeuse de Sïtâ et l'histoire de Vedavatï du Râmâyana de Vâlmïki
comme des germes dont se sont développées les autres histoires. L'histoire de
Vedavatï n'est que le complément de la naissance miraculeuse ; cette dernière
semble avoir été imaginée pour combler la lacune causée par l'absence de détails
généalogiques concernant une princesse dont le nom Sïtâ, qui veut dire «sillon»
a servi de base à l'histoire de sa naissance II est d'ailleurs possible que la déesse
védique, Sïtâ, personnification du sillon et protectrice de l'agriculture, ait joué un
rôle dans la genèse de l'histoire miraculeuse de la princesse du même nom. Avant
d'examiner le problème du Dasaratha Jâtaka, mentionnons qu'à Ceylan, on raconte
que les vêtements d'une déesse furent volés pendant qu'elle se baignait. Râma lui
donna d'autres vêtements et l'épousa W.

IV. — Sitâ, fille de Dasaratha (Dasarathàtmaja).

Dans le Dasaratha Jâtaka, Râma, Laksmana et Sïtâ sont les enfants de la reine
principale de Dasaratha. Ce n'est qu'après la mort de cette dernière que la nouvelle
reine met au monde le prince Bharata. A. Weber d'abord, et beaucoup d'autres
après lui, ont vu dans l'histoire du Dasaratha Jâtaka la première forme de la légende
de Râma. Sïtâ aurait été d'abord la fille de Dasaratha et sœur de Râma, ensuite elle
est devenue fille réelle et plus tard fille adoptive de Râvana ; à la fin elle est devenue
fille adoptive de Janáka W.
Une telle évolution prendrait bien du temps. Or, Vâlmïki date probablement du
ine ou iY* siècle av. J.-C. On devrait donc admettre une longue évolution avant lui;
mais il est tout à fait clair que la légende de Râma, ignorée par Pânini et dont on ne
trouve pas la moindre trace dans la littérature védique, les Grhya-Sutra inclus, ne
peut avoir été célèbre avant Vâlmïki. Il existait sans doute des gâthâs anciennes,
chantées surtout dans le royaume d'Ayodhya; mais l'histoire des gestes de Râma

(') Cf. IA, vol. 45, Supplement, Singhalese Folklore.


(*) Cf. A. Weber, On the Râmâyana, Bombay, 187З; Dinesh Chandra Sen, The Bengali Rumâ-
y ana», Calcutta, 1990, p. 7 et suiv.; Stutterheim, op. cit., p. io5; J. Przyluski, IHQ, vol. 65
p. a 8g et suiv.
8
116 CAMILLE BULCKE S. J.

n'avait pas encore conquis l'imagination du peuple indien. C'est l'œuvre immortelle
de Vâlmïki qui devait accomplir ce prodige. Nous avons vu d'ailleurs que tous les
récits basés sur les contes populaires, portent l'empreinte du Râmâyana de Vâlmïki
et datent de beaucoup de siècles après lui. Le cas du Dašaratha Jâtaka semble plus
difficile à expliquer.
Les gâthâs des jâtakas font partie du Tipitaka bouddhique qui date du me siècle
av. J.-C Elles méritent donc toute notre attention, à cause de leur ancienneté,
quoique on y ait fait parfois des changements et des additions (1>. Dès le début elles
doivent avoir été accompagnées d'une explication en prose; autrement, beaucoup
de ces gâthâs seraient inintelligibles. Malheureusement la prose qui accompagne
les gâthâs dans la Jàtakatthavannanà actuelle est la traduction en pâli d'un livre écrit
en singhalais au v" siècle ap. J.-C. Le livre singhalais, lui aussi, est perdu; l'auteur
inconnu dit qu'il écrit selon la tradition d'Anurâdhapura. Il y a donc une grosse
différence de huit siècles entre les gâthâs, conservées en pâli à partir du ni* siècle
av. J.-C, et la prose qui les accompagne, écrite d'abord en singhalais et traduite
plus tard encore en pâli. Comme il fallait s'y attendre, il y a, dans plusieurs endroits,
des contradictions entre les gâthâs et la prose qui les accompagne. Il y a même un
Jâtaka (n° 2 53) qui se trouve dans le Vinayapitaka et la Jàtakatthavannanà; la gâthâ
est la même, mais l'histoire qui l'accompagne est tout à fait différente (*).
Ce fait est très important dans le cas du Dašaratha Jâtaka, dont les gâthâs ne
contiennent presque pas d'éléments narratifs. Elles ont été analysées par N. B. Utgi-
kar, qui a montré d'une manière satisfaisante que rien dans ces gâthâs n'indique
une origine bouddhique (3). Ces gâthâs d'ailleurs ne contiennent aucun élément
qui contredise l'histoire de Râma, comme l'a chantée Vâlmïki. De plus VAnâmakam
Jâtakam, traduit en chinois au 111e siècle ap. J.-C, nous montre que c'était l'histoire
vâlmîkienne qui était connue par les bouddhistes aux Indes (4>. Les gâthâs elles-
mêmes contiennent ailleurs des allusions à l'histoire vâlmîkienne, qui contredisent
la prose du Dašaratha Jâtaka (6>.
D'autre part, une analyse de la prose du Dašaratha Jâtaka révèle des traces du
récit vâlmîkien. Un exemple nous suffira. Dans le Râmâyana de Vâlmïki, Kaikeyï
exige comme seconde faveur que Râma séjournera quatorze ans dans la forêt. Dans
le Dašaratha Jâtaka, la mère de Bharata n'a reçu qu'une faveur et réclame le royaume
pour son fils. Dašaratha, qui craint les machinations de la mère de Bharata, conseille
à ses fds d'abandonner la capitale et de ne revenir qu'après sa mort. Puis appelle les
astrologues qui prédisent qu'il mourra douze ans plus tard. Dašaratha dit alors à
ses fils de revenir dans douze ans et de s'emparer du trône. Leur sœur les
accompagne. Dašaratha meurt neuf ans après, mais quand Bharata va chercher Râma, ce
dernier refuse de revenir, puisque son père lui a dit de ne revenir que dans douze
ans. Le refus de rentrer est tout à fait naturel dans l'histoire vâlmîkienne, elle est
inexplicable dans le Dašaratha Jâtaka. D'ailleurs, selon le Jâtaka, Dašaratha a donné
le même avis à Laksmana, ce qui ne l'empêche pas de revenir après neuf ans. Alors
pourquoi Râma reste-t-il dans la forêt (6)?

(») Cf. M. Wintemitz, HIQ, vol. IV, p. ti-ia.


W Cf. Hertel, ZDMG, vol. LX, p. 366 et suiv.; Charpentier, ibid., vol. LXII, p. 7a5etsuiv.; -
M. Wintemitz, Hist, of Ind. Lit., vol. II, p. 119, note.
(a) Cf. Centenary Supplement, JRAS, p. 30З-391.
(*) Cf. BEFEO, vol. IV (1904), p. 698; The Râmàyana in China, Lahore, 19З8.
(*> Cf. édition de Fáusboll, Jâtakan0 5i3, gâthâ 17, et Jàtakan" 5^7, gàthà 54i. LeDasaratha
Jâtaka porte le numéro Д61.
(•) Cf. H. Jacobi, Dat Râmâyana, Bonn, 189З, p. 85.
LA NAISSANCE DE SÏTÀ 117
Les grandes différences entre le Jâtaka et le Râmâyana s'expliquent par l'ignorance
de l'auteur du Jâtaka qui écrit dans un pays lointain où l'histoire de Râma n'était
pas bien connue, et qui n'a pour référence que la tradition orale toujours fluctuante.
Le fait que Râma épouse sa sœur après son exil n'est pas si extraordinaire, vu les
autres exemples dans la littérature bouddhique M. L'enlèvement de Sïtà n'est pas
mentionné dans le Jâtaka. Cette lacune, qui a été le point de départ de maintes
théories sur la genèse de la légende de Râma, s'explique très naturellement par les
circonstances du Jâtaka. Un laïc, atterré par la mort de son père, néglige tous ses
devoirs. Dans le but de le réconforter, le Buddha lui propose l'exemple de Râma
qui ne s'affligeait nullement en apprenant la mort de son père. Les gâthâs du Jâtaka,
d'ailleurs, se limitent à cet épisode du Râmâyana ; sur un total de treize strophes
nous en trouvons onze, qui sont consacrées à un sermon de Râma sur la futilité
de la douleur et l'instabilité des choses d'ici-bas.
En tout cas, cette histoire du Dašaratha Jâtaka n'a pas exercé la moindre influence
aux Indes, même chez les Bouddhistes qui ne semblent pas la connaître non plus.
Avant de terminer, nous devons présenter une dernière forme de la naissance de
Sïtâ, où cette dernière est aussi fille de Dašaratha. Ce récit se trouve dans le Râma
Keling javanais et le Hijakat Sert Rama malais (2). Râvana entend vanter la beauté
de Mandodarï, reine de Dašaratha. Il se présente devant Dašaratha et exige Man-
dodarï. Celle-ci, voyant que son mari est prêt à la céder, se retire dans sa chambre
et crée magiquement une seconde Mandodarï, qu'emporte Râvana. Plus tard,
Dašaratha apprend de la vraie Mandodarï, comment Râvana a été trompé. Dašaratha
craint que Râvana ne découvre la fraude en s'apercevant que cette nouvelle
Mandodarï est encore vierge. Il se rend en toute hâte à Lanka, s'introduit secrètement
dans les appartements de Mandodarï, puis revient chez lui. Plus tard la nouvelle
Mandodarï, maintenant épouse de Râvana, met au monde une fille. Son horoscope
révèle que son mari tuera Râvana; en conséquence, on la place dans une boîte
qu'on jette à la mer. Le Maharesi Kali la trouve et l'élève.
Nous reconnaissons dans ce Maharesi Kali, le rsi Kala du Serai Kanda javanais,
où il est dit qu'il habite Mantili, c'est-à-dire Mithilâ. Il est difficile de concevoir
pourquoi A. Zieseniss (3> voit dans cette histoire très bizarre un stade intermédiaire
entre le récit de Y Uttarapurâna jaina de Gunabhadra et celui de YAdbhuta
Râmâyana. On ne trouve nulle part ailleurs mention de Mandodarï comme épouse de
Dašaratha ; cela peut avoir été suggéré par le récit du Daéaratka Jâtaka où Sïtâ est
fille de Dašaratha. Le reste du récit ressemble au Serat Kanda javanais et les autres
histoires rapportées plus haut, où Sïtâ est fille de Râvana et de Mandodarï.

О Fàusboll, Jâtaka n° 6 et d'autres exemples cités par A. Weber, ibid.


(*) Cf. W. Stutterheim, op. cit., p. a 8 et suiv.
(*) Cf. op. cit., p. 71.
инн'Лшнпмнии/тшнншймнинп»!11111"""1"1 И1иИ„и11111ШШШЙ'"| X \
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• (Т< Kn) PÛRVADICA

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^ A IHORAřURA
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Zones du Cambodge soumises & l'autorité de Jayavarman II et de Jayavarman III*

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