Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
d'Extrême-Orient
Bulcke S. J Camille. II. La naissance de Sītā. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 46 N°1, 1952. pp. 107-
118;
doi : https://doi.org/10.3406/befeo.1952.5159
https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1952_num_46_1_5159
par
Camille BULCKE S. J.
Il est très probable que dans les anciennes gâthâs qui, célébraient les gestes de
Râma et même dans Y Âdi-Ràmâyana, composé par Vâlmïki, Sïtâ était considérée
comme fille réelle de Janáka.
L'histoire de Râma est reproduite quatre fois dans le Mahâbhàrata (deux fois
dans le troisième livre, puis dans les septième et douzième livres), mais on ne trouve
nulle part la moindre mention de l'histoire miraculeuse de la naissance de Sïtâ;
nulle part elle n'est nommée ayonijâ, pas même dans le long Râmopâkhyàna qui
consacre à l'histoire de Râma 70Д slokas. Partout, elle est Janakàtmajâ, fille de
Janáka. Au commencement du Râmopâkhyàna, nous lisons :
Videharâjo Janakah Sïtâ tasyâtmajà Vibho.
crLe roi de Videha, 6 Seigneur, était Janáka et Sïtâ était sa fille» (*>.
logiques. Même le nom de son père Janáka (qui veut dire « père ») est passablement
vague W.
Il est d'ailleurs tout aussi probable et certainement plus naturel de supposer
que c'est à cause de son nom de Sïtà, qui veut dire «sillon», que l'on a imaginé
qu'elle était sortie d'un sillon. Ce ne serait pas le seul cas où le nom d'un
personnage a fourni la base d'une histoire destinée à expliquer ce nom. Le récit de Sîtâ
Sàvitrï du Taittinya Brâhmana (II, 3, io) nous renseigne sur une autre Sïtâ, fille
du roi Soma et sœur de Sraddhâ. Il semble donc que Sïtâ était un nom de fille,
déjà dans les temps védiques.
Déjà dans la recension bengalie du Râmâyana de Vâlmïki et dans celle du Nord-Ouest,
qui datent au moins des premiers siècles de l'ère chrétienne, on a complété l'histoire
miraculeuse. Dans la Vulgate, Sïtâ raconte en quelques vers le récit de sa naissance
à Anasuyâ, épouse d'Atri. Dans les deux autres recensions, ce récit est beaucoup
plus long'2). «Le roi Janáka n'avait pas d'enfants. Un jour qu'il labourait la terre
(pour préparer le sacrifice), il aperçut dans le ciel la resplendissante apsarâs Menakâ, ,
et la convoita afin d'en avoir des enfants. Une voix se fit entendre qui lui assurait
qu'il aurait d'elle un enfant pareil à sa mère en beauté. Alors Sïtâ sortit de la terre
et Janáka l'aperçut. De nouveau, une voix céleste se fit entendre : « Cette enfant,
née de Menakâ, est la fille de ton esprit ! v {Menakâyâh samutpannà kanyeyam типам
tava). Cette histoire se trouve aussi dans la Ràmâyana-Manjari de Ksemendra
(v. 344-346). Nous ne l'avons pas trouvée ailleurs. Elle est importante, parce
qu'elle montre qu'il ne semble pas avoir existé de tradition claire sur l'origine de
Sïtâ, et que dès le commencement de l'ère chrétienne ont été faites les premières
tentatives de compléter un récit qu'on trouvait peu satisfaisant à cause du manque de
détails.
A la même époque remonte l'histoire de Vedavatï, racontée dans le i 7e chant de
VUttarakânda du Râmâyana de Vâlmïki. Ce récit qui relate l'histoire de Sïtâ dans
une de ses existences antérieures doit précéder chronologiquement l'époque où
l'on considère Sïtâ comme une incarnation de Laksmï. Une fille du rsï Kušadhvaja
se macère dans l'Himalaya dans le but d'obtenir Nârâyana pour époux. Tel était
d'ailleurs le désir de son père qui avait été tué par un roi auquel il avait refusé de
donner sa fille. Râvana la voit, s'éprend de sa beauté, et la saisit par les cheveux.
Elle lui échappe en coupant ses cheveux de sa main, transformée en épée. Ensuite
elle maudit Râvana et prédit qu'elle renaîtra miraculeusement [aifonija) pour le
détruire et finalement entre dans le feu. Plus tard, elle renaît de la terre comme
fille de Janáka.
Ce récit a été modifié plus tard par le Srîmaddevibhâgavata Purâna (IX, i &) et le
Brahmavaivarta Puràna (Prakrti Khanda, ch. i4). Kušadhvaja et son épouse Mâlavatï
vénèrent Laksmï et obtiennent qu'elle devienne leur fille. A sa naissance, elle chante
d'une voix claire les mantras védiques et obtient par là le nom de Vedavatï. Plus
tard, elle se macère afin d'obtenir Hari pour époux; elle est molestée par Râvana,
le maudit et renaît en Sïtâ. Il est évident que cette nouvelle édition du récit est
dictée par la croyance à l'identité entre Laksmï et Sïtâ qui découle naturellement
de la croyance à l'incarnation de Visnu en Râma. Quoique Râma soit considéré
comme une incarnation dans plusieurs passages interpolés des livres authentiques
(*> Janáka est le nom patronymique des rois de Mithilâ et il est souvent employé au pluriel.
Le Mahàbhàrata, d'ailleurs, mentionne plusieurs Janáka, rois de Mithilà. Cf. S. Sorensen, Index
Io the names of the Mahàbhàrata, s. v.
(*) Cf. Vulgate, éd. Bombay, II, 118, 9 8-3 a; recension bengalie, éd. de Gorresio, III, A;
recension nord-ouest, éd. de Lahore, III, a.
110 CAMILLE BDLCKE S. J.
(II-VI) et plus souvent encore dans l'Uttarakânda, nuiïe part nous ne trouvons
d'identification de Sïtâ et de Laksmï. Ce n'est que dans les chants 3 et 5, interpolés
après le chant З7 de Y Uttarakânda, que Sïtâ est identifiée à Laksmï. Ces chants,
d'ailleurs, datent de beaucoup plus tard, et manquent dans la recension bengalie
et dans celle du Nord-Ouest. Les Purànas les plus anciens, comme le Vâyu, le
Brahmânda et le Visnu Purâna ne reconnaissent pas encore l'identité de Sïtà et de
Laksmï. Le Harivamsa la mentionne (ch. à 1) et plus tard l'opinion qui prévaut c'est
que Laksmï est née miraculeusement du sillon de Janáka et a été nommée Sïtâ M.
Parmi les variantes de la naissance de Sïtâ qui nous restent à analyser, la plus
ancienne probablement, et certainement la plus répandue, est celle où Sïtâ est
considérée comme fille de Râvana. Nous la trouvons aux Indes, au Tibet et au
Khotan (Turkestan oriental), en Indonésie et en Indochine. Elle fait son apparition
aux Indes pour la première fois dans Y Uttarapurâna du Jain Gunabhadra (ixe siècle
ap. J.-C), où elle est racontée comme suit. La princesse Manivatï, fille du roi
Amitavega d'Alkâpurï, pratique l'ascétisme sur le mont Vijayârdha (Vindhya)*
Râvana tâche de s'emparer d'elle. Indignée, elle forme le désir (nidâna) ae devenir
sa fille et de le détruire. Plus tard, elle naît de Mandodarî. Sa naissance est marquée
par toutes sortes de mauvais présages et les astrologues prédisent que cette enfant
sera la ruine de Râvana. Celui-ci ordonne à Mârïca d'abandonner l'enfant dans un
pays lointain. Mandodarî place l'enfant dans une boîte avec de l'argent et des
О Le Mahesvara Khanda du Skanda Purâna (ch. 8, 9 5) fait de Sïtâ une incarnation de Brahmavi-
dyâ; ailleurs, dans le Setumahàtmya (ch. sa) du même ouvrage, Si ta est l'incarnation de Laksmï.
Le Saura purâna considère Sïtà comme incarnation de Pârvatï. Janáka, en pratiquant l'ascétisme,
avait plu à Pârvatï; en conséquence Sïtà nait d'une portion de Pârvatï : Pàrvatyaméasamudbhavà
Janakenapurà Gaurï tapasà tositâ yatah (cf. ch. 3o, 5i). Le Saura Purâna , un livre des Pàs'upatas,
date du xie siècle ap. J.-C. Cf. R. C. Hazra dans NIA , vol. VI, p. 110.
Le même parti pris sivaite se voit dans le Mahàbhâgavata Purâna (ch. 36), où Sïtâ est bien Tin-
carnation de Laksmï, mais cette dernière passe pour être née d'une portion de Devï. Selon le
Ràma-Jàtaka laotien, Râvana s'est déguisé en Indra et a trompé la reine du ciel. Cette dernière
s'incarne en Sïtà afin de se venger de Râvana. Ici Sïtâ est donc considérée comme une incarnation
d'Indràni (cf. Journal of the Siam Society, vol. XXXVI, p. 7). Dans d'autres récits encore, Sita est
l'incarnation de Srïmatï, fille d'Ambarlsa (cf. Adbhuta Ràmàyana, sargas 9-4).
LA NAISSANCE DE SlTÂ . 111
papiers d'identité. Màrïca enterre la boîte à Mithilâ où elle est trouvée le même jour,
par des laboureurs qui la remettent à Janáka. Celui-ci confie l'enfant à sa femme,
la reine Vasudhâ (ce qui veut dire terre), lui disant de l'élever comme son enfant (У.
Cette histoire est clairement basée sur celle de Vedavatî et, d'autre part, le nom
de Vasudhâ, mère adoptive de Sitâ, montre que l'auteur connaissait l'histoire de
Vâlmïki où Sïtà est considérée comme fille de la terre. Le Mahadevibhâgavata Puràna
mentionne aussi que Sïtâ était née de Mandodarî et qu'elle sortit de la terre plus
tard :
Síta Mandodarïgarbhe sambhutâ eàruruptni
Ksetrajâ tanayâpyasya Râvanasya RaghuttamaW.
B. Ziegenbalg W cite une lettre qui prouve que cette histoire était également
courante dans l'Inde du Sud, puisqu'on y fait mention d'une boîte enterrée dans
le sol, encore que Râvana ne soit pas nommé. «Janáka avait fait une longue
pénitence afin d'obtenir des enfants. Ses sujets en labourant la terre trouvent une boîte
contenant une enfant très belle, et l'apportent à Janáka. Ce dernier adopte l'enfant
et lui donne le nom de Sïtâ. я
II existe en outre, toute une série d'histoires d'après lesquelles l'enfant de Râvana
est jetée tantôt dans l'océan, tantôt dans une rivière. Aux Indes, nous trouvons
cette forme dans le Râmâyana cachemirien du xviii* siècle (éd. B. l. par G. A. Grier-
son). « Mandodarî, en l'absence de Râvana, donne naissance à une fille. L'horoscope
révèle qu'elle tuera son père. Mandodarï jette l'enfant dans une rivière, après lui
avoir noué une pierre au cou. L'enfant est sauvée et retrouvée par Janáka». Une
version analogue est celle de Vincenzo Maria, où c'est Râvana lui-même, qui donne
l'ordre d'enfermer la fillette dans une boîte et de la jeter dans l'océan. Janáka la
trouve sur la côte du Coromandel M. C. Niebûhr aussi a noté cette histoire : «Un
Brahmane prophétisoit au Rawân qu'une certaine fille donneroit un jour occasion
à sa mort. Il la fit dès lors fortement garder. Lorsqu'elle avoit six mois, il y tomboit
une si grosse pluie, que tous les gens d'autour d'elle furent noyés, mais cette
enfant qui étoit dans une Boète, fut emportée par l'eau, de lisle de Ceylon et jetée
sur la terre ferme, au rivage d'un nommé Radja. . . Cette fille, dit-on avoit ensuite
épousé ce Ramshi qui massacra Rawân я (5).
Dans les Râmâyanas tibétain et khotanais qui datent probablement du ixe siècle,
la fille de Râvana est abandonnée à cause de son horoscope et jetée à l'eau, enfermée
dans une boîte. Ici, ce n'est plus Janáka, mais des paysans dans le texte tibétain,
un rsï dans le texte khotanais, qui prennent soin de l'enfant W.
Le Serai Kanda javanais contient un récit analogue. La reine de Râvana donne
naissance à une fille, incarnation de Sri. La mère a été prévenue que si son enfant
est une fille, elle deviendra la femme de Râvana. Pour cette raison, la mère jette
l'enfant à la mer, après l'avoir enfermée dans une boîte.
Plus tard, c'est un certain rsï, nommé Kala, de Mantili, qui trouve l'enfant,
l'élève et lui donne le nom de Sinta. Mantili rappelle Mithilâ, ce qui nous ramène à
<*> Cf. W. Stutterheim, Ràma-Legenden und Rama-Reliefs in Indonésien, Muenchen, 1996, ch. 3.
Les plus anciens mss du Serat Kanda javanais datent du xvi* siècle; il est très probable d'ailleurs
que les versions populaires du Râmâyana avaient pénétré en Indonésie auparavant, mais
certainement après le xn* siècle. Cf. A. Zieseniss, Die Rama-Sage bei den Malaien, Hamburg, 1938, p. 109.
Les artistes des bas-reliefs de Prambanan (ix* s.) ont suivi en général une version qui rappelle
de très près le récit vâlmïkien et le Râmâyana javanais kakawin. Il est vrai qu'on trouve déjà dans
leur œuvre quelques variantes (d'une importance d'ailleurs secondaire) qui s'expliquent par les
hikayats populaires dont les rédactions datent de sept siècles plus tard (cf. W. Stutterheim, op. cit.,
p. 1ЗЗ et suiv.). Mais ces variantes sont minimes en comparaison avec la grande masse de matière
hétérogène des hikayats, dont on ne trouve aucune trace dans les bas-reliefs de Prambanan. Les
bas-reliefs de Panataran du xiii* siècle sont basés intégralement sur le Râmâyana javanais kakawin.
Cf. W. Stutterheim, op. cit., p. 179 et suiv.
(*) Cf. S. Karpelès, Un épisode du Râmâyana siamois, dans Études Asiatiques, Paris, iga5,
p. 3 1 5 et suiv.
(s) Cf. W. Stutterheim, op. cit., p. a 61. Pour un récit laotien analogue au Râmakien siamois,
cf. Râma-Jâtaka, dans Journal of the Siam Society, vol. XXVI, p. 7.
(*) Cf. J. Przyluski, IHQ, vol. XV, p. a 89 et suiv.
(•) Cf. Dasâvatàra Carita, Sriramavatara, vers 7 0-1 о 4.
LA NAISSANCE DE SÏTA 113
dans un lotus ; Râvana l'aperçoit, assise sur la fleur, et l'emmène chez lui. Son
conseiller [Laksanajûa) l'avertit que l'enfant causera sa mort. Alors Râvana la jette
à la mer. Elle atteint la terre ferme et y est trouvée par le roi Janáka W.
(*) Cf. Les vers insérés après VII, 17, 33, dans l'édition du Râmâyana avec trois commentaires,
Gujarati Printing Press, 1920, vol. VII.
(*) Cf. IA, vol. 45, Supplement, Singhalese Folklore.
(») Cf. Sacred Boob of the Hindu», vol. XXVI, p. 3З9, note.
(*) Cf. de Polier, Mythologie de$ Indous, Paris, 1809, p. 3o4.
<•> Cf. Sacred Books of the Hindus, vol. XXVI, p. 9З9, note (seconde histoire); Le Râmâyana de
Tulsidas, Nirnaya Sagara Press, Bombay, 19З7, l'interpolation p. 167. Dans le livre de S. C. Roy,
The Birhors, p. 4o5, on trouve des traces de cette histoire. Janáka laboure la terre pour faire cesser
la sécheresse et trouve l'enfant qu'il nomme Sïtâ.
.
BKFKO, Xt.VI-1.
114 CAMILLE BULCKE S. J.
Le Père Fenicio, écrivant en 1609, donne une histoire qui se rattache aux récits
0) Cf. Ananda Râmâyana, I, 3, 188-376. Drie Oude Portugeesche Verhandelingen , éd. et trad,
par W. С aland, Amsterdam, 191 5, contient une histoire identique, mais incomplète. Cf. p. 110
et suiv.
(*) Cf. Lettres édifiantes, XIII, recueil, Paris, 1718, p. i3g-i4i. Lettre du Père Bouchet à
Monseigneur Huel, ancien évêque d'Avranches.
LA NAISSANCE DE SÍTA 115
5. Conclusion.
Toutes ces formes divergentes de la naissance de Sïtâ admettent le cadre de la
naissance miraculeuse, décrite dans le Râmâyana de Vàlmïki, où Janáka trouve I a
petite fille en labourant la terre. Celles qui ne portent pas l'empreinte de l'histoire
de Vedavatï présupposent l'identité de Laksmï et de Sïtâ et ne peuvent avoir pris
origine que longtemps après Vâlmïki. Il semble donc légitime de considérer la
naissance miraculeuse de Sïtâ et l'histoire de Vedavatï du Râmâyana de Vâlmïki
comme des germes dont se sont développées les autres histoires. L'histoire de
Vedavatï n'est que le complément de la naissance miraculeuse ; cette dernière
semble avoir été imaginée pour combler la lacune causée par l'absence de détails
généalogiques concernant une princesse dont le nom Sïtâ, qui veut dire «sillon»
a servi de base à l'histoire de sa naissance II est d'ailleurs possible que la déesse
védique, Sïtâ, personnification du sillon et protectrice de l'agriculture, ait joué un
rôle dans la genèse de l'histoire miraculeuse de la princesse du même nom. Avant
d'examiner le problème du Dasaratha Jâtaka, mentionnons qu'à Ceylan, on raconte
que les vêtements d'une déesse furent volés pendant qu'elle se baignait. Râma lui
donna d'autres vêtements et l'épousa W.
Dans le Dasaratha Jâtaka, Râma, Laksmana et Sïtâ sont les enfants de la reine
principale de Dasaratha. Ce n'est qu'après la mort de cette dernière que la nouvelle
reine met au monde le prince Bharata. A. Weber d'abord, et beaucoup d'autres
après lui, ont vu dans l'histoire du Dasaratha Jâtaka la première forme de la légende
de Râma. Sïtâ aurait été d'abord la fille de Dasaratha et sœur de Râma, ensuite elle
est devenue fille réelle et plus tard fille adoptive de Râvana ; à la fin elle est devenue
fille adoptive de Janáka W.
Une telle évolution prendrait bien du temps. Or, Vâlmïki date probablement du
ine ou iY* siècle av. J.-C. On devrait donc admettre une longue évolution avant lui;
mais il est tout à fait clair que la légende de Râma, ignorée par Pânini et dont on ne
trouve pas la moindre trace dans la littérature védique, les Grhya-Sutra inclus, ne
peut avoir été célèbre avant Vâlmïki. Il existait sans doute des gâthâs anciennes,
chantées surtout dans le royaume d'Ayodhya; mais l'histoire des gestes de Râma
n'avait pas encore conquis l'imagination du peuple indien. C'est l'œuvre immortelle
de Vâlmïki qui devait accomplir ce prodige. Nous avons vu d'ailleurs que tous les
récits basés sur les contes populaires, portent l'empreinte du Râmâyana de Vâlmïki
et datent de beaucoup de siècles après lui. Le cas du Dašaratha Jâtaka semble plus
difficile à expliquer.
Les gâthâs des jâtakas font partie du Tipitaka bouddhique qui date du me siècle
av. J.-C Elles méritent donc toute notre attention, à cause de leur ancienneté,
quoique on y ait fait parfois des changements et des additions (1>. Dès le début elles
doivent avoir été accompagnées d'une explication en prose; autrement, beaucoup
de ces gâthâs seraient inintelligibles. Malheureusement la prose qui accompagne
les gâthâs dans la Jàtakatthavannanà actuelle est la traduction en pâli d'un livre écrit
en singhalais au v" siècle ap. J.-C. Le livre singhalais, lui aussi, est perdu; l'auteur
inconnu dit qu'il écrit selon la tradition d'Anurâdhapura. Il y a donc une grosse
différence de huit siècles entre les gâthâs, conservées en pâli à partir du ni* siècle
av. J.-C, et la prose qui les accompagne, écrite d'abord en singhalais et traduite
plus tard encore en pâli. Comme il fallait s'y attendre, il y a, dans plusieurs endroits,
des contradictions entre les gâthâs et la prose qui les accompagne. Il y a même un
Jâtaka (n° 2 53) qui se trouve dans le Vinayapitaka et la Jàtakatthavannanà; la gâthâ
est la même, mais l'histoire qui l'accompagne est tout à fait différente (*).
Ce fait est très important dans le cas du Dašaratha Jâtaka, dont les gâthâs ne
contiennent presque pas d'éléments narratifs. Elles ont été analysées par N. B. Utgi-
kar, qui a montré d'une manière satisfaisante que rien dans ces gâthâs n'indique
une origine bouddhique (3). Ces gâthâs d'ailleurs ne contiennent aucun élément
qui contredise l'histoire de Râma, comme l'a chantée Vâlmïki. De plus VAnâmakam
Jâtakam, traduit en chinois au 111e siècle ap. J.-C, nous montre que c'était l'histoire
vâlmîkienne qui était connue par les bouddhistes aux Indes (4>. Les gâthâs elles-
mêmes contiennent ailleurs des allusions à l'histoire vâlmîkienne, qui contredisent
la prose du Dašaratha Jâtaka (6>.
D'autre part, une analyse de la prose du Dašaratha Jâtaka révèle des traces du
récit vâlmîkien. Un exemple nous suffira. Dans le Râmâyana de Vâlmïki, Kaikeyï
exige comme seconde faveur que Râma séjournera quatorze ans dans la forêt. Dans
le Dašaratha Jâtaka, la mère de Bharata n'a reçu qu'une faveur et réclame le royaume
pour son fils. Dašaratha, qui craint les machinations de la mère de Bharata, conseille
à ses fds d'abandonner la capitale et de ne revenir qu'après sa mort. Puis appelle les
astrologues qui prédisent qu'il mourra douze ans plus tard. Dašaratha dit alors à
ses fils de revenir dans douze ans et de s'emparer du trône. Leur sœur les
accompagne. Dašaratha meurt neuf ans après, mais quand Bharata va chercher Râma, ce
dernier refuse de revenir, puisque son père lui a dit de ne revenir que dans douze
ans. Le refus de rentrer est tout à fait naturel dans l'histoire vâlmîkienne, elle est
inexplicable dans le Dašaratha Jâtaka. D'ailleurs, selon le Jâtaka, Dašaratha a donné
le même avis à Laksmana, ce qui ne l'empêche pas de revenir après neuf ans. Alors
pourquoi Râma reste-t-il dans la forêt (6)?
AMOGHAPUM 0/
V,.,,, <fM»«-.A.ř««»fc
• (Т< Kn) PÛRVADICA
—
—^_/A~?Ly—-\
^л^- \^\ .V«ilUM.(fclř.1U)
Í
1
«ALYÂft >/ T.K.TÍKAU
^ A IHORAřURA
г i !
Zones du Cambodge soumises & l'autorité de Jayavarman II et de Jayavarman III*