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PR INC E S S E S
A R I S TOC R ATE S ET
SA INTE S SOU V E R A IN E S
De l’Orient chrétien et musulman au Moyen Âge
et au début des Temps modernes
sOus la DiRECTiON DE
LE TEMPS DE L’HISTOIRE
collection
LE TEMPS DE L’HISTOIRE
sous la direction de
Élisabeth MalaMut et andrÉas nicolaïdès
2014
Presses Universitaires de Provence
© Presses Universitaires de Provence
Aix-Marseille Université
29, avenue Robert-Schuman - F - 13621 Aix-en-Provence CEDEX 1
Tél. 33 (0)4 13 55 31 91
pup@univ-amu.fr – Catalogue complet sur www.univ-provence.fr/w3pup
Judith Herrin
King’s College London
Impératrices au pluriel
Quand nous pensons à l’impératrice, c’est généralement au singulier, comme
à la femme de l’empereur. Mon propos ici est de renverser cete perspective
et, pour une fois, de considérer les impératrices au pluriel puisqu’à maintes
reprises la cour byzantine en compta simultanément plus d’une.
Il n’était, en efet, pas rare qu’à la mort d’un empereur sa veuve s’accrochât
au titre de basilissa et au prestige qui y était ataché, tandis que le nouveau
souverain airmait de son côté le droit de sa propre épouse à le porter.
L’impératrice mère et sa ille ou sa belle-ille partageaient alors le titre, et la
cohabitation entre elles n’était pas toujours aisée.
Mais d’autres conigurations plus complexes encore pouvaient aussi 55
* Je tiens à remercier très vivement mon collègue Guillaume Saint-Guillain qui a bien voulu
traduire ma conférence et y apporter plusieurs améliorations. Depuis cete conférence j'ai
publié un article sur le même thème « The Many Emprssses of the Byzantine Court (And All
Their attendants) », dans Herrin Judith, Unrivalled Influence. Women and Empire in Byzantium,
Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 219-237.
1 Kenneth Holum, Theodosian Empresses, Berkeley, 1982, p. 175-216.
Judith Herrin
2 Chronikon Paschale, années 612 et 613, Dindorf Ludovicus (éd.), 2 vol., Bonn, 1832, vol. I,
p. 703 ; tr. angl., Chronicon Paschale 284-628 AD, Michael Whitby et Mary Whitby (ed.),
Liverpool, Liverpool University Press, 1989, p. 154-5, note que la jeune ille d’Hérakleios fut
portée à la Grande Église après son couronnement dans le Grand Palais ; voir aussi Theophanis
Chronographia, AM 6104, de Carolus Boor (éd.), 2 vol., Teubner, Leipzig, 1883-5, rééd. Olms-
Hildesheim, 1980, vol. I, p. 300 ; tr. angl., The Chronicle of Theophanes Confessor, Cyril Mango et
Roger Scot (ed.), Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 430.
3 Pour écarter la jeune impératrice, on projeta son mariage avec « le Turc », mais ce dernier
mourut prématurément et elle revint à Constantinople où le problème des deux impératrices
dut se poser à nouveau. Voir à ce sujet Constantin Zuckerman, « La petite augusta et le Turc :
Epiphania-Eudocie sur les monnaies d’Héraclius », Revue numismatique, no 150, 1995, p. 113-
123 ; Paul Speck « Epiphania et Martine sur les monnaies d’Héraclius », ibid., no 152, 1997,
p. 457-465 ; et la réponse de Constantin Zuckerman, ibid., p. 473-478.
4 Sur l’importance des eunuques, voir Kathryn M. Ringrose, The Prefect Servant. Eunuchs and
the Social Construction of Gender in Byzantium, Chicago, University Press, Chicago, 2003,
p. 163-93 ; Shaun Tougher, « Byzantine Eunuchs: An Overview with special reference to
their creation and origin », dans James Liz, Women, Men and Eunuchs, Gender in Byzantium,
Londres, Routledge, 1997, p. 168-84 ; Anne McClanan, Representations of early Byzantine
Empresses: image and empire, New York, Palgrave-Macmillan, 2002, en particulier p. 179-83.
5 Michael McCormick, « Emperors » dans Guglielmo Cavallo, The Byzantines, Chicago
University Press, 1997, p. 230-54, en particulier p. 236-8, 243-7 ; Alexander P. Kazhdan et
Michael McCormick, « The Social World of the Byzantine Court », dans Henry Maguire,
Byzantine Court Culture from 829-1204, Washington DC, Dumbarton Oaks, 1997, p. 167-198.
Les femmes de la cour à Byzance
suggère le titre de cet article, l’un des aspects de mon propos est d’atirer l’aten-
tion sur le nombre signiicatif de femmes qui se trouvaient ainsi présentes à la
cour, soit comme suivantes soit comme servantes des souveraines.
Au service de l’impératrice
L’impératrice jouissait d’un pouvoir absolu sur le gynaikônitis et pouvait y
58
convoquer quiconque à paraître devant elle, non seulement les danseurs et
les musiciens, les dignitaires du palais et leurs parents, mais aussi les chefs
militaires, les moines et les saints hommes 12. Au temps de Théodora, Procope
raconte que des danseuses et des courtisanes habitaient le Grand Palais et y
menaient ce qu’il appelle « leurs afaires de phallus 13 ».
Le personnel au service de l’impératrice comprenait les eunuques du
palais, qui étaient responsable de sa garde-robe, de son trésor, de ses salles
de banquet, de ses écuries et de ses domaines, ainsi que des amuseurs parmi
lesquels des boufons tels que le nain Denderis, qui allaient et venaient à
leur guise 14. Ces domestiques personnels de l’empereur et de l’impératrice,
qui les servaient directement et vivaient dans le palais, doivent être distin-
gués des eunuques de la cour qui occupaient des charges qui pouvaient être
achetées. Plusieurs souverains s’appuyèrent sur le service de leurs eunuques
10 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 234-235, 238 ; Jean Skylizès, Empereurs de
Constantinople,…, op. cit., p. 197-198, 201.
11 Par exemple, lorsque la nouvelle impératrice visitait le bain de Sainte-Christine, cf. Constantin
Porphyrogénète, De cerimoniis aulae byzantinae, , J. J. Reiske (ed.), 2 vol., Bonn, 1838, t. I,
chap. 41, p. 214-216 ; Judith Herrin, Women in Purple. Rulers of Medieval Byzantium, Londres,
Weidenfeld and Nicolson, 2001, p. 63-64.
12 Alexander P. Kazhdan et Michael McCormick, The Social World…, op. cit., p. 182-185 : les
auteurs insistent sur le rôle mal documenté des femmes impériales.
13 Procope, Anekdota, livre 17, 34, H. B. Dewing (ed.), Cambridge, Mass., Harvard University
Press, 1960, p. 208-209.
14 Pour Denderis, voir Theophanes Continuatus…, op. cit., p. 91-2 ; Iôannès Skylizès, Synopsis…,
op. cit., p. 53-54, Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…, op. cit., p. 50-51, et n. 3.
Les femmes de la cour à Byzance
et les promurent à des postes importants, tant civils que militaires. Théophile
désigna son logothète du drome, Théoctiste, et le magistre Manuel comme
régents pour son jeune ils, et à ce titre ils vécurent tous deux au Grand Palais
et conseillèrent l’impératrice Théodora 15.
Il est possible que chaque nouvelle impératrice se soit choisi des dames
de compagnie à sa convenance, mais elle héritait certainement aussi de tout
un personnel féminin expérimenté dans le fonctionnement du Grand Palais.
Certaines de ces suivantes devinrent d’ailleurs elles-mêmes impératrice :
dans les années 790, Théodote, la koubikoularia de Marie d’Amnia, supplanta
ainsi cete dernière dans le cœur de Constantin VI ; un siècle plus tard, Zoé
Zaouzaina devint la seconde épouse de Léon VI ; une princesse d’Alanie, qui
servait à la cour, devint la maîtresse de Constantin IX après la mort de Marie
Sklèraina. D’après Psellos, l’empereur l’installa dans un palais indépen-
dant, lui it don de grandes quantités d’or et d’autres présents et insista pour
qu’elle portât les titres d’augousta et sébastè qu’il avait également conférés à sa
maîtresse précédente. Seule l’opposition résolue de l’impératrice Théodora, la
belle-sœur de l’empereur, empêcha ce dernier d’installer la princesse d’Alanie
dans les appartements impériaux du Grand Palais 16.
Outre ces dames de haut rang qui parvenaient à se gagner les faveurs de
l’empereur, la cour comptait aussi un grand nombre de servantes et d’esclaves,
et les souverains abusaient fréquemment de leur pouvoir sur elles. Théophile
59
est réputé avoir trompé sa femme avec l’une des esclaves ou des servantes
de celle-ci, et Romain Lécapène eut un ils nommé Basile qui naquit d’une
esclave qualiiée de « Scythe 17 ». L’enfant fut castré ain qu’il ne puisse aspirer
à l’empire, mais il n’en domina pas moins la cour impériale durant des décen-
nies, comme beau-frère de Constantin VII et oncle de Romain II. Il ateignit la
position de parakoimomène et devint un courtisan riche et puissant jusqu’à ce
que Basile II l’exilât et conisquât ses biens en 985. Nous ignorons s’il fut permis
à sa mère de bénéicier en quelque manière de sa prodigieuse ascension.
Parmi les esclaves, il y avait aussi quelques prisonnières de guerre que
l’empereur avait gardées pour son usage et placées au palais. Génésios
rapporte que Théophile eut recours aux services d’une esclave arabe réputée
pour ses dons de divination ; il fut toutefois peu satisfait d’apprendre d’elle
que la famille des Martinakioi régnerait plus longtemps que la sienne, ou que
sa femme et son ils renverseraient sa politique iconoclaste 18. Une anecdote
15 Génésios, Basileiai, 4.1, 4.8 ; voir Joseph Genesios, On the reigns of the emperors, Anthony
Kaldellis (ed.), Canberra, Australian Association for Byzantine Studies, 1998, p. 71, 77.
16 Michel Psellos, Chronographie, 6. 145, 151-6, Émile Renauld (éd.), 2 vol., Paris, 1926-8, t. I,
p. 41-42, 45-48.
17 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 55-56, 244, 285-286 ; Jean Skylizès, Empereurs de
Constantinople…, op. cit., p. 52-53, 206, 240
18 Génésios, Basileiai, 3.15 ; Joseph Genesios, On the reigns of the emperors, op. cit. p. 65 ; cf.
Theophanes Continuatus, p. 121 ; Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 72-73 ; Jean Skylizès,
Empereurs de Constantinople…, op. cit., p. 65-66.
Judith Herrin
similaire concerne une autre servante née dans le palais (c’est-à-dire née d’une
mère esclave) qui se mit à vaticiner à grands cris ain de prévenir Michel Ier
Rhangabé du complot qui se tramait contre lui 19. Leurs dons prophétiques
peuvent avoir été aussi imaginaires que leurs prophéties, mais ces femmes
purent néanmoins retenir l’atention de l’empereur parce qu’elles se trouvaient
dans son entourage immédiat. Certaines étaient à l’évidence nées d’esclaves
palatins, ce qui devait constituer la principale modalité de croissance de la
population servile à la cour.
19 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 11-12 ; Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…,
op. cit., p. 11-12.
20 The Life of St Philaretos the Merciful writen by his grandson Niketas, Lennart Rydén (ed.),
Uppsala, Uppsala University Press, 2002, chap. 4, p. 82-93 (en particulier p. 92).
21 Un phénomène similaire s’observe aussi lorsqu’un nouvel empereur prend le pouvoir,
par exemple lors de l’accession de Maurice, qui dota ses parents, son frère et ses sœurs de
maisons et de propriétés dans la capitale : Paul Magdalino, Constantinople médiévale. Études
sur l’évolution des structures urbaines, Paris, 1996, p. 43-44, citant Jean d’Éphèse, Histoire
ecclésiastique, Brooks E. (éd.), p. 203-204.
22 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 52 ; Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…,
op. cit., p. 49.
23 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 285-6 ; Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…,
op. cit., p. 240 et n. 1.
Les femmes de la cour à Byzance
24 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 314 ; Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…,
op. cit., p. 264.
25 Théodora fut une des illes de Constantin VII, donc la sœur de Romain II.
26 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 208-209, 211-213 ; Jean Skylizès, Empereurs de
Constantinople…, op. cit., p. 176, 178-179.
27 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 214-215 ; Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…,
op. cit., p. 181.
28 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 215-216 ; Jean Skylizès, Empereurs de Constantinople…,
op. cit., p. 182.
Judith Herrin
Constantin VII et d’Hélène 29. Jusqu’à son mariage avec Pierre de Bulgarie
en 927, Marie Lécapène avait vécu dans le Palais, et même après cete date
elle demeura en contact avec sa famille par le sang. Marie représente la igure
exogamique de la princesse byzantine, destinée à remplir un rôle d’ambassa-
drice dans le pays de son nouvel époux. Au contraire, lorsque Berthe, ille illégi-
time d’Hugues d’Arles, roi d’Italie, arriva de Provence en 944 pour épouser le
jeune Romain, elle n’avait que cinq ans. Elle apportait de grandes richesses, fut
renommée Eudocie (Eudokia) et occupa un espace prééminent dans le Grand
Palais en tant que future impératrice, et cela jusqu’à sa mort à l’âge de dix ans.
En 945, Constantin et Hélène avaient triomphé des Lécapènes et assumé
non seulement le titre mais aussi le pouvoir et les fonctions d’empereur et
d’impératrice. Ils avaient également enfanté une nombreuse progéniture de
six enfants qui réclamaient un nombre conséquent de nourrices, de gouver-
nantes et de précepteurs ain de les prendre en charge à l’intérieur du Palais.
En 959, un deuxième exemple de surabondance d’impératrices se présenta :
Romain II devint empereur et son épouse Théophanô accéda ainsi au grade
impérial le plus élevé. Elle s’eforça alors de convaincre son époux de bannir
sa mère et ses sœurs du Grand Palais (Fig. 4). Les sœurs furent envoyées au
monastère, mais ne prirent pas leur statut monastique trop au pied de la
letre. L’impératrice mère Hélène refusa en revanche de s’en aller et, cédant à
ses supplications, Romain lui permit inalement de rester. Les relations entre
62
l’impératrice mère et l’impératrice consort Théophanô paraissent avoir été
particulièrement diiciles et lorsqu’Hélène mourut elle fut inhumée dans la
fondation de son père au monastère du Myrélaion plutôt qu’auprès de son
époux Constantin VII.
À travers ces deux exemples qui découlent tous deux de la révolte des
Lécapènes en 919, on peut entrevoir un peu de la complexité mouvante des
hiérarchies impériales à la cour, un lieu pourtant voué d’ordinaire à l’ordre
et à la tradition. Alors que le jeune Constantin VII, né dans la pourpre et qui
n’avait jamais vécu hors du palais, fut écarté de force de l’exercice du pouvoir
impérial, ses beaux-frères reçurent des rangs plus élevés, au point de igurer
avant lui dans les acclamations ; en déinitive, son nom fut même totale-
ment éliminé des acclamations. Comment son épouse Hélène réagit-elle à la
perspective de ne jamais devenir impératrice principale ? Poussa-t-elle son
mari à tenter de recouvrer sa position ? Il n’est pas diicile de comprendre
que, s’ils voulaient survivre en conservant leurs titres et les espaces qu’ils
détenaient à l’intérieur du Palais, Hélène et Constantin devaient manœuvrer
et intriguer contre des factions concurrentes en s’appuyant sur la idélité de
leurs eunuques et de leurs servantes. Cete nécessité fréquente créait une forte
concurrence entre les générations, d’ordinaire entre les impératrices princi-
pales, mères des princes impériaux, et leurs belles-illes.
29 Iôannès Skylizès, Synopsis…, op. cit., p. 223-224, 231 ; Jean Skylizès, Empereurs de
Constantinople…, op. cit., p. 187-188, 195.
Les femmes de la cour à Byzance
30 Pour les deux dernières, voir Barbara Hill, « Imperial Women and the Ideology of Womanhood
in the Eleventh and Twelfth Centuries », dans James Liz, Women, Men and Eunuchs, Gender in
Byzantium, p. 76-99.
31 Théophanis Chronographia, AM 6303, op. cit., I, p. 492 ; The Chronicle…, p. 674.
32 Averil Cameron, « The Empress Sophia », Byzantion, no 45, 1975, p. 5-21.
Judith Herrin
33 Michel Psellos, Chronographie, V. 34-38, 51 ; VI, 50-60, 64, Émile Renauld (éd.) , t. I, p. 106-109,
116, 141-146, 148.
34 Lynda Garland et Stephen Rapp, « Mary “of Alania”: Woman and Empress between Two
Worlds », dans Garland Lynda, Byzantine Women. Varieties of Experience 800-1200, Aldershot,
Ashgate, 2006, p. 91-124.
35 Annae Comnenae Alexias, Dieter Reinsch & Anastasios Kambylis (éd.), 2 vol., Berlin-New York
2001, t. I, t. 3, 4. 5-7 ; tr., Anne Comnène, Alexiade, Bernard Leib et Paul Gautier, 3 vol., Paris,
1937-1976, t. I, p. 115-116.
36 Nicétas Chôniatès, Historia, Immanuel Bekker (éd.), Bonn, 1838, p. 347 ; trad. angl. Harry
Magoulias, O City of Byzantium, Annals of Niketas Choniates, Détroit, Wayne State University
Press, 1984, p. 153.
Les femmes de la cour à Byzance
lûte et d’autres amuseurs37. Mais ce sont plutôt ses meurtres à répétition qui
inirent par provoquer une réaction violente, si bien qu’en 1185, après trois
ans de règne, il fut dépecé vivant dans l’Hippodrome.
Cet exemple illustre l’une des nombreuses raisons pour lesquelles une
impératrice pouvait échouer : son époux pouvait être détrôné lors d’un
putsch militaire ou d’une révolution de palais. Mais elle pouvait aussi simple-
ment s’avérer incapable de donner un héritier à l’empereur, qui s’eforçait
alors parfois de se débarrasser d’elle (comme Marie d’Amnia en it l’expé-
rience). Ses parents mâles pouvaient aussi se considérer plus aptes qu’elle
à gouverner et fomenter un coup d’État contre sa régence (comme lorsque
Théodora fut écartée par son propre frère Bardas au nom de son jeune ils
Michel III). Même si elle parvenait à rester dans les appartements impériaux
du Grand Palais et à conserver son titre, elle pouvait aussi endurer l’humi-
liation de voir son époux prendre ses maîtresses parmi les trop nombreuses
femmes qui étaient à sa disposition (des esclaves, des servantes, les propres
suivantes de son épouse, ou des princesses étrangères).
Être l’épouse de l’empereur régnant représentait certes la garantie de
recevoir des honneurs, d’occuper une situation enviable et de détenir une
parcelle au moins de pouvoir. Mais aussitôt qu’elle perdait son époux ou
simplement sa position de première dame de la cour, l’impératrice devait
luter pour sa propre survie. Rien d’étonnant à ce que l’inquiète impératrice
Catherine, épouse d’Isaac Ier Comnène, l’ait supplié de ne pas se retirer dans 65
37 Nicétas Chôniatès, Historia…, op. cit., p. 321 ; Harry Magoulias, O City…, op. cit., p. 177.
38 Michel Psellos, Chronographie, VII, 79-83, Émile Renauld (éd.), t. II, p. 131-134 ; Barbara Hill,
Imperial Women in Byzantium 1025-1204. Power, Patronage and Ideology, Harlow, Essex, 1999,
p. 61 (toutefois, Catherine était en réalité une princesse bulgare dont la mère et les frères
s’étaient établis à Byzance, si bien qu’elle n’était pas si isolée que cela) ; Leonora Neville,
« Strong Women and their Husbands in Byzantine Historiography », dans Stephenson Paul,
The Byzantine World, Londres - New York, 2010, p. 72-82.
Judith Herrin
Résumé
Au lieu de penser l’impératrice au singulier – comme l’épouse de l’empereur de
Byzance – je voudrais inverser cete perspective pour considérer les impératrices au
pluriel, puisque souvent la cour en a compté simultanément plusieurs. Ce changement
de point de vue nous fait découvrir la multiplication des appartements impériaux et du
personnel féminin requis pour le service de ces diverses impératrices. Pour comprendre
leur rôle respectif, il faut identiier les raisons structurelles qui expliquent comment
plusieurs femmes ont pu revendiquer simultanément le titre suprême et comment
d’autres en furent dotées par l’empereur. Pensons à la mère de Constantin VII ou à
la maîtresse de Constantin IX Monomaque. La pluralité des impératrices conduisait
fatalement à des frictions, et même les plus heureuses durent réduire souvent leurs
ambitions pour les adapter aux nouvelles situations.
Abstract
66
The Women of the Byzantine Court
Instead of considering the empress as one single person, the spouse of the Byzantine
emperor – let’s invert this view and consider the empresses in the plural, for in the
Court there were often several. Changing the point of view will allow us to consider the
multiplication of imperial residences and the feminine staf serving these empresses.
In order to understand their diferent roles and tasks, it is important to identify the
structural reasons which permited several women to claim the supreme title and how
others may have been given it by the emperor. Let’s think, for instance, of Constantine
VII’s mother or Constantine Monomachos’ mistress. The plurality of empresses
obviously created problems and even the most successful often had to reduce their
ambitions and adapt themselves to new situations.
Les femmes de la cour à Byzance
Fig. 1. Miniature du Skylitzès, Madrid, BNE, Vitr. 26-2, fol. 44v : la vénération des icônes
par les cinq illes de Théodora.
67
Fig. 2. Miniature du Skylitzès, Madrid, BNE, Vitr. 26-2, fol. 126v, registre inférieur : banissement et
tonsure de l’impératrice Zoé.
Judith Herrin
Fig. 3. Miniature du Skylitzès, Madrid, BNE, Vitr. 26-2, fol. 125r : mariage de Constantin VII
avec Hélène Lécapène.
68
Fig. 4. Miniature du Skylitzès, Madrid, BNE, Vitr. 26-2, fol 141v, registre médian : Romain II ordonne
l’expulsion hors du palais de sa mère et de ses sœurs.