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ÉDITIONS DU ROCHER
INTRODUCTION
Chapitre_3 Le Scivias
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
Mais la partie la plus fascinante de son œuvre est bien sa " théologie
cosmique ", vision de l'univers ample et minutieuse à la fois, éblouissant
regard porté sur le monde, que les magnifiques miniatures du manuscrit de
Lucques nous permettent de saisir dans tout son éclat.
Comment une figure aussi étonnante, aussi riche a-t-elle mis si longtemps à
retrouver – en partie – l'attention, l'intérêt qu'elle mérite d'obtenir ? Cela
nous fait toucher du doigt le manque de curiosité intellectuelle dont
témoigne notre culture générale. Aux États-Unis, en Suisse, et
naturellement en Allemagne, Hildegarde de Bingen est aujourd'hui bien
connue – qu'on l'aborde sous un angle ou sous un autre. Nous avons tenté
ici de rappeler quelques traits essentiels de son œuvre et de sa personne, en
souhaitant que d'autres soient attirés par elle comme nous l'avons été nous-
même, et s'attaquent aux travaux d'envergure qu'il faudrait entreprendre
pour nous la rendre plus proche, et qu'un plus large public puisse tirer profit
de tout ce qu'elle a à nous dire.
CHAPITRE PREMIER
Une longue marche : elle dure trois ans. En 1098 les croisés sont arrêtés
devant la ville d'Antioche dont l'enceinte, dit-on, comportait trois cent
soixante tours. Il leur faut une année d'efforts, et d'innombrables épisodes
où se mêlent la ruse et le courage pour s'en rendre maîtres. Or, dès cette
même année 1098, les croisés sur leur route commencent à édifier à Tarse
une cathédrale dédiée à saint Paul, dont c'était la ville d'origine. Nous
touchons là un autre trait caractéristique de ce monde en ébullition : la
passion de bâtir. La ville où s'est tenu le concile Clermont, ne compte pas
moins de cinquante-quatre églises au moment où y séjourne le pape Urbain
II. Celui-ci d'ailleurs accomplit alors un véritable circuit de l'art roman en
train de sortir de terre, puisque à l'occasion de son voyage il procède à la
dédicace de l'église de La Chaise-Dieu, consacre le maître-autel de
l'immense abbatiale de Cluny, qui vient d'être construite et demeurera
jusqu'à la reconstruction de Saint-Pierre de Rome au XVIe siècle le plus
vaste édifice de la chrétienté ; on le verra ensuite consacrer l'église de Saint-
Flour, l'abbatiale Saint-Géraud d'Aurillac, la cathédrale Saint-Étienne de
Limoges et l'abbatiale Saint-Sauveur dans la même ville, puis de nouveaux
autels dans l'abbaye Saint-Sauveur de Charroux et à Saint-Hilaire de
Poitiers, consacrer solennellement la collégiale Saint-Sernin de Toulouse, la
cathédrale de Maguelonne, celle de Nîmes et un autel dans la basilique
toute neuve de Saint-Gilles du Gard – pour ne citer que les principales
étapes de ce voyage où, de nos jours, les amateurs d'architecture romane
peuvent le suivre à la trace. Cette ardeur à bâtir va de pair avec l'expansion
des villes à la même époque ; les cités anciennes s'étendent, les nouvelles se
multiplient, et cela va durer plus de deux cents ans ; le Moyen Âge des
châteaux est aussi celui des villes, sans parler des monastères qui surgissent
partout de terre. La réforme de Cluny a donné dès l'an 910 le départ à un
extraordinaire essor de la vie monastique. Les invasions des deux cents
années précédentes avaient paru anéantir la très belle chrétienté des VI et
VIIe siècles, mais elle renaissait de plus belle sur ses ruines. Après la
réforme de Cluny celle de Robert de Molesme, avec la fondation de
l'abbaye de Cîteaux précisément en cette année 1098, va renouveler en
profondeur l'observation de la règle de saint Benoît et permettre un essor
prodigieux de la vie monastique – avec l'impulsion définitive qui sera
donnée peu de temps après par saint Bemard. Les chartreux fondés par saint
Bruno en 1104, plus tard les prémontrés fondés en 1120, sur l'initiative de
saint Norbert, manifesteront intensément l'ardeur spirituelle qui anime cette
surprenante époque.
C'est dans ce monde en plein essor que se situe, à une date difficile à mieux
préciser, la naissance d'une petite fille dans une famille appartenant à la
noblesse locale du Palatinat. Ses parents, Hildebert et Mathilde (Mechtilde
en allemand) sont probablement originaires de Bermersheim, dans le comte
de Spanheim. Elle est la dixième enfant du ménage, et reçoit au baptême le
prénom d'Hildegarde. Naissance sans éclat, dans une famille dont la
noblesse ne s'est pas traduite par de grandes actions ; naissance pourtant qui
se révélera singulièrement accordée à l'époque riche, effervescente qu'est ce
tournant du siècle. L’année suivante, le 15 juillet 1099, les croisés
s'empareront de Jérusalem.
Une petite fille comme les autres. Pas tout à fait cependant, car dès sa petite
enfance elle étonne parfois son entourage. Une anecdote racontée
tardivement (dans les actes de son procès de canonisation) la montre
s'écriant devant sa nourrice : " Vois donc le joli petit veau qui est dans cette
vache. Il est blanc avec des taches au front, aux pieds et au dos. " Lorsque le
veau naît quelque temps plus tard, on constate qu'il est exactement
conforme à cette description. Hildegarde avait alors cinq ans. Mais même
plus tôt, dit-elle : " Dans la troisième année de mon âge, j'ai vu une telle
lumière que mon âme en a été ébranlée, mais à cause de mon enfance, je
n'ai rien pu en dire. " Elle poursuit : " Dans la huitième année de mon âge,
j'ai été offerte à Dieu en offrande spirituelle et jusqu'à ma quinzième année,
j'ai vu beaucoup de choses et je les disais parfois en toute simplicité, si bien
que ceux qui m'entendaient se demandaient d'où cela venait et ce qu'il en
était. Et moi-même, je m'en étonnais parce que ce que j'ai vu dans mon
âme, j'en avais même la vision extérieure et comme je voyais que cela
n'arrivait à personne d'autre, j'ai caché autant que je l'ai pu la vision que
j'avais dans mon âme. J'ai ignoré beaucoup de choses de la vie extérieure,
car j'ai été souvent malade depuis le temps où ma mère m'allaitait et plus
tard, ce qui nuisit à mon développement et m'empêcha de prendre des
forces. " Ce qu'elle voyait, Hildegarde demanda à sa nourrice si elle le
voyait aussi. Et comme celle-ci répondit par la négative, elle fut prise de
frayeur et n'osa plus communiquer à quiconque ses visions. Cependant
parfois, dans le cours de la conversation, elle parlait d'événements qui
allaient arriver, et quand une vision s'emparait d'elle, elle évoquait des
réalités qui paraissaient étranges à ceux qui l'entendaient. Quand la force de
la vision s'estompait, qui lui avait fait révéler des notions au-dessus de son
âge, elle en avait honte, pleurait souvent, et se taisait autant que possible.
Craignant que ceux qui l'entouraient ne lui demandent d'où lui venait cette
connaissance, elle n'osait plus rien dire.
On peut penser que cette enfant à la santé délicate avait un don de double
vue qui tour à tour étonnait et inquiétait son entourage. Certains
psychologues reconnaissent aujourd'hui aux enfants une possibilité
d'intuition supérieure à celle des adultes. Dans le cas d'Hildegarde, il
semble bien que son entourage familial ait été dès sa petite enfance frappé
par ses capacités exceptionnelles, et qu'elle-même s'en soit trouvée gênée.
En notre temps, la mère de Thérèse Martin, la petite sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus, avait ainsi perçu chez sa fille, très tôt, une certaine
prédestination.
Quand Hildegarde eut huit ans, ses parents la confièrent à une jeune femme
de noble naissance, Jutta, fille du comte de Spanheim, pour faire son
éducation. Jutta menait une vie de recluse dans le monastère du
Disibodenberg, non loin d'Alzey où ils demeuraient. Elle prit en charge la
fillette qui montrait des dispositions si étonnantes. Il était assez habituel à
l'époque de confier un enfant, garçon ou fille, à un monastère pour son
instruction. Celui où Jutta de Spanheim avait embrassé la vie religieuse était
un monastère double fondé trois ou quatre siècles plus tôt par un de ces
moines irlandais qui, à la suite de saint Colomban, avaient quitté leur île
pour ensemencer littéralement l'Europe, y multipliant les fondations.
Certaines, comme celle de Saint-Gall non loin du lac de Constance, ont
subsisté jusqu'à nos jours sous différentes formes. Plus tard, Hildegarde
allait d'ailleurs écrire la vie du saint fondateur Disibod.
Jutta prit donc en mains l'éducation de l'élève peu ordinaire qu'on lui
confiait. Les biographes d'Hildegarde racontent qu'elle lui apprit les
psaumes ainsi qu'à jouer du décacorde, l'instrument dont on s'accompagnait
alors pour les chanter. A l'époque, toute éducation commence par le chant,
et par le chant des psaumes ; " apprendre à lire " se dit alors " apprendre le
psautier ". Il est probable qu'on s'appliquait à retrouver sur les manuscrits
bibliques le texte des psaumes qu'on avait mémorisés : une sorte de
méthode globale puisque les mots eux-mêmes étaient déjà connus et que
lire et écrire consistait à retrouver puis à reproduire sur des tablettes les
vocables que la mémoire avait enregistrés. Hildegarde déclara plus tard que
si elle avait appris le texte du psautier, de l'Evangile et des principaux livres
de l'Ancien et du Nouveau Testament, elle n'avait pas étudié l'interprétation
des mots ni la division des syllabes, ni la connaissance des cas et des temps.
Jutta avait quelque peu négligé l'enseignement de la grammaire, portant son
attention avant tout sur les textes eux-mêmes.
La santé de son élève restait fragile. Plus tard son biographe la décrira dans
le style hagiographique alors en usage: "Parce que les vases d'argile
s'éprouvent dans la fournaise et que le courage se perfectionne dans
l'infirmité, les douleurs de santé ne lui manquèrent pas et se manifestèrent
presque dès la petite enfance, nombreuses et quasi continuelles, de sorte
que, dit-il, elle se tenait rarement sur ses pieds. " Elle s'était ouverte à Jutta
de ses visions secrètes. Celle-ci prit conseil de l'un des moines du monastère
de Saint-Disibod, nommé Volmar, qui n'allait pas tarder à devenir le
conseiller, puis l'assistant et l'ami d'Hildegarde, cela pendant quelque trente
ans. C'est lui aussi qui fit office de secrétaire lorsque, nous le verrons, la
nécessité s'en fit sentir.
Une enfance maladive et cachée, éclairée toutefois par ses visions tenues
secrètes, tel fut pour Hildegarde le début de l'existence, dans le cadre du
monastère double du Disibodenberg, dans la vallée de la Nahe. Lorsqu'elle
eut l'âge requis, elle souhaita prendre le voile, devenir religieuse parmi
celles – elles semblent avoir été assez peu nombreuses – qui vivaient dans
le monastère sous l'égide de Jutta. Elle devait avoir alors quatorze ou quinze
ans. L’âge de la majorité se situait pour les filles à douze ans (un peu plus
tard pour les garçons, quatorze ans). Comme son enfance, l'adolescence
d'Hildegarde est donc cachée : celle de toute moniale suivant la règle
bénédictine.
CHAPITRE II
Ce n'est pas sans hésitations que pareil message peut être reçu. Hildegarde
fait part de son anxiété et insiste sur le caractère très net, impérieux peut-on
dire, de cet ordre qui lui est adressé : " Comment cela se fit-il ? Il est
difficile à l'homme charnel de le savoir mais le fait est que, l'âge de la
jeunesse passé parvenue à cette maturité où s'acquiert une force parfaite, j'ai
entendu une voix du Ciel disant : "Je suis la Lumière vivante qui illumine
ce qui est obscur. lhomme que J'ai voulu et que J'ai introduit
admirablement, selon ce qu'il M'a plu, dans de grandes merveilles, Je l'ai
établi au-delà de ces hommes anciens qui ont pu voir en Moi de nombreux
secrets. Mais Je l'ai étendu à terre pour qu'il ne s'érige pas en quelque
exaltation de son esprit. Le monde n'a eu en lui ni joie, ni délectation, ni
promotion en ces choses qui lui appartiennent en propre, car Je l'ai soustrait
à toute audace et entêtement, demeurant craintif et épouvanté dans ses
souffrances. Car il a souffert dans les moelles et les veines de sa chair, ayant
l'esprit et le sens contractés, et souffrant de grandes passions corporelles de
telles façons qu'aucune sécurité n'a pu demeurer en lui, mais qu'il a pu
s'estimer coupable en tout ce qui le concernait. Car J'ai enclos les ruines de
son cœur de peur que son esprit ne s'élève d'orgueil ou de vaine gloire, mais
qu'il sente en toutes ces choses craintes et douleurs, plutôt que joie et
exultation. Aussi, en Mon amour, il a recherché dans son esprit ce qui lui
ouvrirait le chemin du salut. Et il a trouvé quelqu'un et il l'a aimé,
reconnaissant que c'était un homme fidèle et semblable à lui en cette part de
l'œuvre qui Me regarde ; cela, afin que Mes merveilles cachées soient
révélées. Et ce même homme ne s'est pas refusé en se repliant sur lui mais,
allant à lui dans l'élévation de l'humilité et l'intention de la bonne volonté
qu'il trouva, il s'est incliné avec nombre de soupirs. Toi donc, ô homme qui
reçois non dans l'inquiétude d'une déception mais dans la pureté de l'esprit
simple, ce qui t'est adressé pour la manifestation des choses cachées écris ce
que tu vois et entends." "
" Mais moi, poursuit Hildegarde, bien que j'aie vu et entendu cela,
cependant, parce que je doute et que j'ai mauvaise opinion et à cause de la
diversité des paroles humaines, tout ce temps, non par obstination mais pour
cause d'humilité, j'ai refusé d'écrire jusqu'à ce que j'aie été forcée sur le lit
de douleurs où je suis tombée, atteinte d'un fléau de Dieu de telle façon
qu'enfin j'ai été affligée de multiples infirmités ; j'avais demandé et trouvé,
grâce aux témoignages d'une jeune fille noble et de bonnes mœurs et de cet
homme que j'avais consulté et trouvé en cachette, comme je l'ai dit, j'ai mis
la main à l'écriture. Tandis que je le faisais, sentant la grande profondeur de
l'exposition des livres comme je l'ai dit, je me suis relevée de maladie et j'ai
retrouvé des forces. A peine ai-je pu conduire jusqu'à la fin ce travail en y
consacrant dix années. Aux jours d'Henri, archevêque de Mayence, et de
Conrad, roi des Romains, et de Cunon, abbé de Saint-Disibod, au temps du
pape Eugène, ont été faites ces visions et ces paroles. Et je l'ai dit et écrit,
non selon une recherche de mon cœur ou de quelque autre homme, mais
telles que je les ai vues en vision céleste, tels que j'ai entendu et perçu les
secrets mystères de Dieu. Et de nouveau, j'ai entendu une voix du Ciel me
disant: "Clame donc et écris ainsi." " La manière dont s'exprime la vision
rapportée est pour nous assez surprenante. Et d'abord par l'emploi du terme
homo, " homme " dans le sens de créature humaine, être humain. Ce qui
implique qu'Hildegarde est appelée à être réellement prophète, bouche de
Dieu, répétant les paroles qui lui sont dictées. Cela, elle le soutiendra toute
sa vie, protestant qu'elle ne dit rien d'elle-même, rien qui vienne d'elle,
qu'elle ne fait que répéter et transmettre ce que lui dit " la Lumière vivante
".
Cadre grandiose pour un synode que cette cité de Trèves, dont on se plait à
rappeler de nos jours qu'elle est la plus ancienne d'Allemagne. La Porta
Nigra, universellement connue, l'atteste aujourd'hui encore. Elle fait partie
des remparts élevés par l'empereur Constantin, qui résida dans la ville
jusqu'en 316 avec sa mère Helena, devenue sainte Hélène dans le calendrier
chrétien. Trèves était alors une importante métropole de l'Empire romain ;
nœud de communications actif entre tous, centre des légions qui y
cantonnaient pour contenir l'assaut des barbares aux frontières, et port
fluvial sur la rive droite de la .Moselle, elle devait rester résidence impériale
jusqu'à la fin du IVe siècle. Dans la magnifique construction qu'est la
cathédrale actuelle, on distingue encore le plan massif du Dom érigé par
Constantin, qui constitue comme le noyau de l'édifice. Détruite à deux
reprises, par les Francs au VIIe siècle, par les Normands à la fin du IXe, elle
avait été reconstruite à la date de 1037. La venue du pape allait être
l'occasion de l'agrandir, avec un nouveau choeur à l'est. A cette même
époque l'archevêque Hillin allait racheter ce qu'on appelle toujours l’Aula
palatina, l'ancien palais de Constantin alors tombé en ruine, et dont une
partie au moins fut restaurée pour y recevoir les prélats présents au synode.
C'est donc une assemblée importante qui se réunit à Trèves à la fin de cette
année 1147. Le contraste est saisissant entre l'imposante assistance,
évêques, cardinaux, abbés de monastères, présidée par le pape de Rome en
personne – parmi eux Bernard de Clairvaux, dont la personnalité est
incontestée au sein de la chrétienté et dont l'influence a été assez forte pour
apaiser les troubles provoqués par le schisme d'Anaclet quelques années
auparavant – et la mince figure de cette petite abbesse d'un obscur couvent
des bords du Rhin, qui se dit favorisée de visions divines. A la demande de
l'archevêque Henri de Mayence et de l'abbé Cunon de Saint-Disibod, le
pape va désigner deux prélats pour aller sur place rendre personnellement
visite à Hildegarde, enquêter sur sa conduite, ses habitudes de vie et ses
écrits : l'évêque de Verdun, Albéron ou Auberon, et son prévôt nommé
Aldebert.
" Entendez-vous siffler mes souris ? " disait-il en écoutant leurs cris. La nuit
même des foules de souris envahirent son palais ; il se jeta dans le Rhin
pour leur échapper, mais elles le poursuivirent et le dévorèrent vivant. C'est
une variante de la légende fameuse du joueur de flûte qui entraînait les rats
derrière lui grâce aux airs magiques qu'il jouait ; après qu'il eut ainsi
débarrassé une ville de ses rongeurs, on refusa de lui verser le prix convenu
pour cette tâche ; il revint et du chant de sa flûte attira à sa suite les enfants
de la cité qui se noyèrent dans le fleuve.
Ce n'est d'ailleurs pas son unique activité, puisqu'il est probable que ses
compositions musicales l'ont occupée tout au long de son existence. Quant à
ses deux ouvrages qui relèvent de la médecine et des sciences naturelles,
rien n'indique dans les récits biographiques le moment où elle les composa.
On ne peut non plus évoquer la vie des moniales et d'Hildegarde elle-même
sans tenir compte des visiteurs qui désormais se pressent autour de Bingen.
La population de l'endroit l'a accueillie " avec grande exultation et divines
louanges ", mais ce n'est pas de la seule région alentour qu'affluent les
visiteurs. Comme l'écrit Bernard Gorceix, citant la biographie d'Hildegarde
: " On aurait dit, après le synode de Trèves, que le monde catholique se
mettait en mouvement... même de régions éloignées les pèlerins arrivaient à
cheval et à pied. " L’un de ces visiteurs a particulièrement attiré l'attention
des auteurs de la biographie de la sainte encore qu'ils ne citent pas son nom
(livre II, chap. III) : " Non seulement le Seigneur l'assista [l'abbesse] dans la
peine des maladies ou l'attaque des démons, mais aussi lorsqu'elle eut à
subir les attaques des hommes et Dieu tourna en mieux les cœurs de ses
adversaires comme elle l'a raconté elle-même à propos de la conversion
d'un philosophe, qui au départ était hostile non seulement à elle, mais aussi
à Dieu même, et en qui par la suite s'opéra le changement dirigé par la main
du Très-Haut... " Ce philosophe dont on ne donne pas le nom pouvait être
un savant, en tout cas non croyant et sceptique à l'endroit de cette moniale
dont on vantait les lumières. " Ce philosophe, comblé de richesses, après
avoir douté longtemps de ce que j'avais vu, vint enfin vers nous et orna
notre séjour d'édifices, d'aménagements et d'autres choses fort nécessaires ;
ce dont notre âme fut réjouie, car Dieu ne les avait pas laissées en oubli.
Après un examen minutieux mais sage, il demanda quels étaient et où
étaient les écrits de cette vision, et finit par croire pleinement à l'inspiration
divine. Lui qui d'abord nous avait exprimé son mépris par des paroles
pleines de malignité, Dieu ayant beaucoup fait pour la justice en son cœur,
il se tourna vers nous avec les plus grandes bénédictions: de même que
Dieu noya Pharaon dans la mer Rouge, lui qui voulait prendre les fils
d'Israël. Dans l'admiration de ce changement beaucoup crurent davantage et
Dieu, par cet homme sage, fit descendre sur nous Sa bénédiction... aussi
bien nous l'avons tous nommé notre père. Et lui, qui s'était d'abord désigné
comme prince par son nom demanda à être enseveli chez nous, et c'est ainsi
qu'il en fut fait. " Contrairement à cet incrédule finalement convaincu
beaucoup de gens venaient chercher auprès de l'abbesse inspirée la paix du
cœur ou la guérison du corps. Les biographes d'Hildegarde énumèrent les
nombreux faits qui paraissaient alors miraculeux aux yeux de tous, et qui
sont sans doute moins convaincants pour le lecteur d'aujourd'hui que
l'énorme correspondance à travers laquelle elle dispense ses conseils, voire
ses admonestations, à toutes sortes d'autorités, aussi bien spirituelles que
temporelles. Mais sans doute, pour comprendre la raison et la portée de
cette influence d'une petite religieuse des bords du Rhin sur le monde
tumultueux qui l'entoure, est-il bon de faire comme le philosophe dont elle
parle et de se reporter au premier ouvrage qu'elie a rédigé ouvrage qui a
reçu l'approbation pontificale ainsi que celle de saint Bernard, le Scivias.
CHAPITRE III
LE SCIVIAS
" Je vis une immense sphère ronde et pleine d'ombre, ayant une forme
ovale, moins large au sommet, plus ample au milieu, rétrécie à la base,
ayant à sa partie extérieure un cercle de lumière étincelante et au-dessous
une enveloppe ténébreuse. Et dans ce cercle de flammes était un globe
embrasé, si grand que toute la sphère en était illuminée. Il y avait au-dessus
de lui, rangées avec ordre, trois étoiles qui retenaient le même globe dans
son activité ignée, de peur qu'elle ne tombât peu à peu. Et ce globe s'éleva
parfois plus haut et donna plus de lumière, de telle sorte qu'il put lancer ses
rayons de flammes plus loin. Et puis parfois, il descendit plus bas et le froid
fut plus intense parce qu'il avait retiré sa flamme.
" Mais de ce réseau de flammes qui entourait la sphère, le vent sortait avec
ses tourbillons, et de l'enveloppe ténébreuse qui environnait le réseau de
flammes, un autre vent avec ses tourbillons grondait et se répandait en tous
sens sur la sphère. Dans cette même enveloppe était un feu ténébreux qui
inspirait une si grande horreur que je ne pouvais le regarder et qui, plein de
troubles, de tempêtes, rempli de pierres aiguës, petites et grandes, agitait
cette enveloppe de toute sa puissance. Tandis qu'il faisait entendre son
crépitement, le cercle lumineux et les vents et l'air étaient agités, de telle
sorte que les éclairs prévinrent le grondement lui-même, parce que ce feu
ressentait d'abord en lui la commotion qui produisait le tumulte, mais sur la
même enveloppe le ciel était très pur et n'avait aucun nuage au-dessus.
" Et dans ce ciel aussi, je distinguais un globe de feu ardent, d'une certaine
grandeur, et au-dessus de lui, deux étoiles placées ostensiblement qui
retenaient le globe lui-même pour qu'il n'excédât pas le but de sa course. Et
dans le même ciel, beaucoup d'autres sphères lumineuses étaient placées de
toutes parts parmi lesquelles le même globe, se déversant un peu envoyait
par instants sa lumière ; et recourant au premier feu de globe embrasé pour
restaurer sa flamme l'envoyait de nouveau vers les mêmes sphères.
" Mais de ce ciel lui-même sortait avec impétuosité un souffle de vent avec
ses tourbillons qui se répandaient sur toute la sphère céleste. Sous ce ciel
même, je voyais l'air humide qui avait au-dessous un nuage qui, se
répandant de tous côtés, étendit cette humidité sur toute la sphère. Et cette
humidité s'étant amoncelée, une pluie soudaine tomba avec beaucoup de
bruit. Et lorsqu'elle se fut épanchée doucement, une pluie fine tomba avec
un très léger bruissement. Alors un souffle avec ses tourbillons sortit pour
se répandre sur toute la sphère. Et au milieu de tous ces éléments était un
globe sablonneux d'une immense étendue, que les mêmes éléments
environnaient de telle sorte qu'il ne pouvait disparaître, ni dans un sens ni
dans l'autre. Et tandis que les mêmes éléments avec les divers souffles
luttaient ensemble, ils contraignaient le même globe sablonneux à se
mouvoir un peu par sa force. Et je vis entre l'Aquilon et l'Orient (le Nord et
l'Est) comme une grande montagne qui retenait vers l'Aquilon de
nombreuses ténèbres, et vers l'Orient beaucoup de lumière.
" Et j'entendis de nouveau une voix du ciel qui me disait : "Dieu, qui a fait
toutes choses par Sa volonté les a créées pour la connaissance et l'honneur
de Son nom. Non seulement pour montrer en elles des choses visibles et
temporelles, mais pour manifester en elles les choses invisibles et
éternelles. Ce qui est démontré par la vision que tu contemples." "
Hildegarde explique ensuite cette vision. Pour elle l'objet décrit au début –
la sphère ronde et ombreuse – est signe de Dieu. Et de commenter : "
Primitivement, les hommes étaient rudes et simples dans leurs mœurs ;
ensuite, dans l'Ancienne et la Nouvelle Loi devenus plus instruits, ils se
molestèrent et s'affligèrent mutuellement. Mais sur la fin des siècles, ajoute-
t-elle, ils auront à souffrir beaucoup de traverses dans leur endurcissement.
[... ] " Elle indique que l'enveloppe d'ombre qui environne la flamme
désigne ceux qui sont hors de la foi.
" Dans cette flamme, le globe d'un feu étincelant d'une grandeur telle qu'il
éclaire toute la sphère montre par la splendeur de sa clarté ce qu'est dans
Dieu le Père Son fils unique ineffable, le soleil de justice embrasé de
l'ardente charité et possédant une gloire si grande que toute créature est
illuminée par la clarté de sa lumière. Et le globe de feu s'incline parfois plus
bas pour signifier que le même Fils unique de Dieu, né d'une Vierge et
abaissé ainsi miséricordieusement vers la pauvreté des hommes supporta
toutes les infirmités corporelles et quitta le monde pour retourner vers Son
Père. [... ] Ce qui veut dire : les enfants de l'Église ayant reçu le Fils de Dieu
dans la science intérieure de leur cœur, la sainteté de Son corps s'éleva par
la puissance de Sa divinité et, dans un miracle mystique, la nuit du secret
mystère Le ravit pour Le cacher aux yeux mortels car les éléments étaient à
Son service. " Elle explique ensuite que l'un des souffles de vent est signe
de Dieu qui remplit l'univers de Sa toute-puissance, et que l'autre souffle
impétueux qui fait rage avec ses tourbillons vient de la colère de Satan d'où
" sort la mauvaise renommée [... ] qui se répand en tous sens sur la sphère,
car dans le siècle des rumeurs utiles ou inutiles se mêlent de diverses
manières parmi les peuples ". Elle signifie que l'homicide se mêle à
l'avarice, à l'ivresse, aux plus cruelles méchancetés.
" Mais, ajoute-t-elle, sur cette enveloppe, le ciel est très pur et sans voile
parce que sous les embûches de l'antique trompeur, la foi lumineuse
resplendit [... ] Elle ne vient pas d'elle-même, mais elle est fondée sur le
Christ. Et dans ce ciel, tu vois un globe de feu brûlant, d'une grande
étendue, qui désigne véritablement l'Église, unie dans la foi, comme le
démontre cette blancheur d'innocente clarté, qui lui forme une auréole de
gloire ; et au-dessus d'elle, deux étoiles placées distinctement [...] montrent
que deux Testaments, celui de l'ancienne et de la nouvelle autorité,
conduisent l'Eglise.
" Sous le même ciel, tu vois l'air humide et au-dessous un nuage blanc qui,
s'étendant en tous sens, propage l'humidité sur toute la sphère. " C'est
l'image du baptême " découvrant à l'univers entier la source du salut pour
les croyants. [...] Et de lui aussi, un souffle avec ses tourbillons sortait et se
répandait par toute la sphère parce que, dès la diffusion du baptême qui
apportait le salut aux croyants, la renommée véritable se propageant avec
les paroles de doctes discours pénétra le monde entier [... ] chez les peuples
qui délaissaient l'infidélité pour embrasser la foi catholique ".
" Cette même sphère de flammes montre sa vigueur, suivant les énergies
corporelles, de telle sorte que dans l'enfance de l'homme, elle fait preuve de
simplicité, dans la jeunesse de force, et dans la plénitude de l'âge [... ] elle
manifeste la puissance de ses vertus par sa sagesse. [... ] Mais l'homme a en
lui trois sentiers [trois voies ou manières d'être]. Qu'est-ce que cela ? l’âme,
le corps et le sens, et c'est par eux que la vie s'exerce. Comment ? l’âme
vivifie le corps et entretient la pensée, le corps attire l'âme et manifeste la
pensée, mais les sens touchent l'âme et flattent le corps. Car l'âme donne la
vie au corps comme le feu fait pénétrer la lumière dans les ténèbres, au
moyen de deux forces principales qu'elle possède : l'intelligence et la
volonté, qui sont comme ses deux bras. " Comme elle rejette les
interprétations simplistes, Hildegarde s'empresse d'ajouter: " Non que l'âme
ait deux bras pour se mouvoir, mais parce qu'elle se manifeste par ces deux
forces comme le soleil par sa splendeur. " Intelligence et volonté sont les
deux moyens qu'a l'homme de se manifester.
Plus loin, après avoir décrit les possibilités de l'être humain, Hildegarde
exprime une fois de plus à travers sa vision les tendances de l'homme : "
l’âme dans le corps est comme la sève dans l'arbre, et ses facultés sont
comme les rameaux de l'arbre. Comment cela ? lintelligence est dans l'âme
comme la verdeur des rameaux et des feuilles, la volonté comme les fleurs,
l'esprit comme le premier fruit qui sort de lui, la raison comme le fruit
parfait qui vient à sa maturité les sens comme l'extension de sa grandeur. Et
c'est de cette manière que le corps de l'homme est fortifié et soutenu par
l'âme. C'est pourquoi, ô homme, comprends ce que tu es par ton âme, toi
qui renonces à ton intelligence, et qui veux être comparé aux animaux. "
Après les étapes de la destinée humaine, ce sont les moments de la
Révélation que développe la cinquième vision, avec l'image de l'Église
succédant à celle de la Synagogue. " Je vis comme une image de femme,
blanche de la tête jusqu'à l'ombilic, noire de l'ombilic jusqu'aux pieds, et les
pieds couleur de sang. Elle avait autour des pieds une nuée resplendissante
et pure. Elle était privée d'yeux et, ayant ses mains sous les aisselles, se
tenait près de l'autel qui est devant les yeux de Dieu ; mais elle ne le
touchait pas. Et dans son cœur était Abraham ; et dans sa poitrine, Moïse ;
et dans son ventre les autres prophètes montrant chacun son signe et
admirant la beauté de la nouvelle épouse. Celle-ci apparut grande comme la
tour immense de quelque cité, ayant sur sa tête comme une auréole
semblable à l'aurore. Et j'entendis de nouveau une voix du ciel qui me disait
: "Dieu imposa à l'ancien peuple l'austérité de la Loi en ordonnant à
Abraham la circoncision, Il la changea ensuite en une grâce de suavité, en
donnant Son Fils à ceux qui croyaient à la vérité de l'Évangile. Et Il adoucit
par l'huile de la miséricorde ceux qui étaient blessés par le joug de la Loi.
C'est pourquoi tu vois comme une image de femme, blanche de la tête à
l'ombilic: c'est la Synagogue, mère de l'incarnation du Fils de Dieu et qui
dès le commencement de la naissance de ses fils, jusqu'à la plénitude de
leurs forces, prévoit dans l'ombre les secrets de Dieu, mais ne les découvre
pas pleinement. Car elle n'est pas la resplendissante aurore qui manifeste
ouvertement mais celle qui regarde de loin dans l'étonnement et
l'admiration. La Synagogue admire la nouvelle épouse, l'Église, qui ne se
voit pas ornée des mêmes vertus qu'elle, mais environnée d'escortes
angéliques, afin que le démon ne puisse ni la ruiner, ni la renverser; tandis
que la Synagogue abandonnée par Dieu Ifit dans le vice. [... ] Elle a les
pieds tout sanglants et autour de ses pieds brille une nuée resplendissante
parce que, à sa consommation, elle mit à mort le Christ, le Prophète des
prophètes, et elle-même, déchue, s'écroula. Mais, dans cette consommation,
la lumière de la foi resplendissante et pure surgit dans l'esprit des croyants
parce que, au moment de la chute de la Synagogue, l'Église se leva, lorsque
la doctrine apostolique, après la mort du Fils de Dieu, se répandit par toute
la terre." " Par contraste avec la Synagogue, l'Église " apparaît si
majestueuse qu'elle est comparable à la haute tour d'une cité, parce que,
recevant la beauté des préceptes divins, elle munit et fortifia la noble cité
des élus. Elle a sur la tête comme une auréole semblable à l'aurore, parce
que l'Église dans sa naissance manifesta le miracle de l'incarnation du Fils
de Dieu, ainsi que les vertus éclatantes et les mystères qui en découlent. [...
] Or, de même que l'homme, par la mort du Fils unique de Dieu, dans une
ère nouvelle, fut arraché à la perdition de la mort, ainsi la Synagogue avant
le Dernier Jour, attirée par la divine clémence abandonnera l'incrédulité et
parviendra véritablement à la connaissance de Dieu. [ ... ] Ainsi, la
Synagogue précède dans l'ombre de la figure, et l'Église suit dans la lumière
de la vérité ". Cette grandiose image, l'opposition entre la Synagogue aux
yeux voilés et l'Église contemplant le mystère divin, est familière à l'époque
d'Hildegarde. Il suffit de rappeler le magnifique portail sud de la cathédrale
de Strasbourg, où cette double vision se trouve évoquée dans la pierre ou
encore, un peu plus tardive, cette même double image sur le portail de la
cathédrale de Bamberg, Église et Synagogue resplendissant d'une semblable
beauté.
Ces extraits du premier livre du Scivias donnent une idée de ce que sera
l'ensemble de l' œuvre d'Hildegarde. Ce sont des visions d'une puissante
originalité, à la fois riches et précises, qui sous ses yeux évoluent dans un
grand luxe de détails et de couleurs très typiques d'une époque de grande
créativité. Visions violentes où il semble que toutes les descriptions soient
poussées à l'excès. Si les thèmes sont bien connus, ceux de l'Incarnation, de
la Rédemption de la Création elle-même, ils sont ici développés avec une
force qui les renouvelle, hors des formulations conventionnelles, exempts
de toute faiblesse ou toute fadeur; des pages enflammées, des flots d'images
que viennent scander les interrogations " Comment cela ? " " Qu'est-ce que
cela ? "... et que prolongent les interprétations données par la voyante pour
en détailler le sens et la portée.
CHAPITRE IV
Or, en 1151, Richardis est elle-même élue abbesse d'un monastère de Saxe,
Bassum, dans le diocèse de Brème. En l'apprenant, Hildegarde s'empresse
d'écrire à sa mère : " N'allez pas distraire mon âme et faire couler de mes
yeux des larmes amères et remplir mon cœur de blessures cruelles, à propos
de mes très chères filles, Richardis et Adélaïde [sœur de Richardis]. " Il
semble bien qu'elle ait usé de tout son pouvoir pour empêcher ces deux
jeunes religieuses de s'éloigner. Mais visiblement l'archevêque de Brème
tenait à ce changement, et en l'occurrence il avait l'appui et l'approbation de
cet autre prélat qui jusque-là avait beaucoup aidé Hildegarde, lors de son
établissement à Bingen, l'archevêque de Mayence Henri. L’abbesse voit
donc Richardis s'éloigner d'elle, et cet éloignement lui est très pénible. Elle
tente de s'adresser à son frère Hartwig pour la faire revenir au Rupertsberg,
se heurte à un refus, et va jusqu'à écrire au pape, Eugène III. On ne possède
ni sa lettre ni la réponse du pontife, mais celui-ci ne pouvait que s'en
remettre aux autorités locales. Une lettre d'Hildegarde à Richardis nous a
été conservée en revanche : " J'aimais la noblesse de votre comportement, la
sagesse et la pureté de votre âme et de tout votre être. " Semblable affinité
ne pouvait en effet que rendre déchirante la séparation.
La Vie d'Hildegarde fait état de quelques-uns des miracles qui lui sont
attribués. Ce sont surtout des guérisons, de maladies qui ne sont parfois que
vaguement décrites. Ainsi débarrasse-t-elle l'une de ses parentes d'une
fièvre que l'on n'arrivait pas à soigner. Ou encore, dans un monastère qui
n'est pas nommément désigné, une servante appelée Berthe avait une
tumeur dans le cou qui l'empêchait d'avaler aucune nourriture ni boisson, ni
même sa salive ; un signe de croix tracé sur l'enflure douloureuse suffit à
l'en délivrer. Parfois Hildegarde se contente d'envoyer de l'eau bénite à ceux
qui ont imploré ses secours, et leurs douleurs s'apaisent. Ainsi d'une mère
venue solliciter la guérison de sa fille ; et l'eau bénite envoyée par l'abbesse
soigne encore un jeune homme plongé dans un état d'extrême faiblesse.
Certaines des guérisons opérées montrent combien la renommée
d'Hildegarde s'est étendue. Ainsi, une nommée Sybille écrit depuis la cité
de Lausanne au-delà des Alpes pour être libérée d'un " flux de sang " – ce
qui se produit en effet après la réponse d'Hildegarde. Ou encore, un jeune
homme d'Andemach, ayant supplié le Seigneur en invoquant l'intercession
d'Hildegarde voit celle-ci lui apparaître, lui imposer la main sur la tête et lui
dire : " Que cette infirmité s'éloigne de toi et sois guéri. " Aussitôt la vision
disparaît, le malade se lève de son lit.
C'est à Bingen, sans doute entre 1158 et 1163, que l'abbesse compose son
second ouvrage, intitulé Le Livre des mérites de vie. Il comporte six visions,
groupées en un seul livre, alors que le Scivias comportait trois livres et
autant de thèmes. Le premier ouvrage avait pour sujet le Créateur et la
créature, comme l'analyse Bernard Gorceix dans son admirable introduction
à l' œuvre d'Hildegarde, " le second le Messie et l'Église, le troisième
l'histoire du salut ". " Dans le second texte, continue-t-il, Le Livre des
mérites de vie, la structure est monolithique : au cours de six visions
successives, une figure humaine regarde en direction de l'est, de l'ouest, du
nord puis du sud, l'univers tout entier dans un cinquième moment. En six
seulement, la figure humaine se met en mouvement avec les quatre zones de
la Terre. Cette figure humaine n'est autre que Dieu. " En bref, ce Livre des
mérites dresse l'histoire du salut, avec l'affrontement des vertus et des vices
et le triomphe de la divinité. Enfin c'est en 1163 qu'Hildegarde entreprend
son troisième ouvrage, Le Livre des œuvres divines mieux connu, qu'a
traduit Bemard Gorceix et qui a été édité en français en 1982.
" Après que j'ai obtenu, écrit-elle, avec le secours de Dieu, d'être aidée par
votre présence si désirée et votre amabilité, je me suis trouvée relevée de la
crainte de mon esprit et de la première épreuve subie. Et parce que votre
parole, je n'en doute pas, procède non d'un esprit humain, mais de cette
lumière véritable qui vous a illuminée plus que les autres hommes, j'ai
différé par votre conseil de faire jusqu'à présent ce que je me proposais. Je
veux savoir, dame et sœur très chère, vous que j'ai tant désiré voir une
première fois – je ne le désire pas moins à présent, et puisque je ne le peux
corporellement, je m'attache toujours à vous par le cœur – et puisqu'il est
certain que la charité est en vous, et vous dans la charité, je vous supplie par
cette charité que vous ne tardiez pas à m'écrire ce que la Lumière vivante
vous aura manifesté en esprit à mon sujet, et qui soit digne d'être corrigé ou
adopté. "
La réponse d'Hildegarde est courte et sans ambiguïté : " Celui qui voit tout
dit : "Tu as des yeux pour voir et pour regarder tout autour. Là où tu vois la
malpropreté, lave-le et fais verdoyer ce qui est aride mais aussi rends
savoureux les aromates que tu possèdes. Car si tu n'avais pas d'yeux tu
pourrais être excusée, mais tu as des yeux et pourquoi ne regardes-tu pas
autour de toi grâce à eux ? Mais tu as le discours facile en ta rationalité. En
effet, bien des fois tu juges les autres en des choses pour lesquelles tu ne
désires pas toi-même être jugée, et cependant parfois tu dis sagement ce que
tu exprimes. Prends donc bien garde de porter ton fardeau et rassemble
toute bonne œuvre dans la bourse de ton cœur de peur que tu n'en manques,
car dans la vie solitaire que tu recherches selon tes dires, tu ne pourrais
trouver le repos, au milieu de conditions nouvelles, difficiles, inconnues de
toi, donc bien pires que celles d'avant, et même plus lourdes, comme il en
est du jet d'une pierre. Imite donc la tourterelle en chasteté, mais procure-toi
diligemment une vigne choisie pour que tu puisses voir Dieu d'un visage
droit et pur." "
Autrement dit, Hazzecha est tentée de délaisser le monastère pour une vie
solitaire, et Hildegarde lui conseille de veiller à son état présent plutôt que
de s'exposer aux difficultés nouvelles qui pour elle surgiraient dans la
solitude, amenant un état pire encore que celui dont elle souffre. Sans doute
Hazzecha témoigne-t-elle d'une certaine instabilité, tout au moins intérieure,
contre laquelle Hildegarde la prévient. Il semble bien qu'une autre lettre
(non publiée dans la Patrologie mais reproduite par Peter Dronke)
provienne de la même Hazzecha, qui se propose soit de mener une vie de
solitaire, soit encore de faire un pèlerinage à Rome. Hildegarde à nouveau
la met en garde contre cette instabilité qui ne peut que lui être néfaste. Elle
l'adjure de demander à Dieu la sainte discrétion : " Ô fille de Dieu, vous qui
appelez cette pauvre petite femme à être mère dans l'amour de Dieu,
apprenez à avoir discrétion, qui au ciel et sur terre est la mère de toutes
choses, puisque grâce à elle l'âme est réglée et le corps nourri dans une
saine austérité. "
CHAPITRE V
L'EMPEREUR ET LA MONIALE
La première de ces lettres émanant d'une autorité temporelle lui est adressée
par l'empereur Conrad III de Hohenstaufen. Tout absorbé qu'il est par sa
haute charge et par divers soucis et sollicitation.,, qui l'accablent, il a tenu à
lui écrire car il a appris quelle était la sainteté de sa vie et comment elle se
trouvait visitée par l'Esprit saint. Il l'assure de sa bienveillance pour elle-
même et pour ses sœurs ; dans toute la mesure du possible, il leur portera
secours en toute circonstance ; et il recommande instamment à ses prières
lui-même et son fils dont il espère, dit-il, qu'il lui survivra. En fait ce fils,
Henri, ne lui survivra pas et c'est à son neveu Frédéric que Conrad III laisse
l'empire lorsqu'il meurt le 15 février 1152. Sa succession n'est d'ailleurs pas
réglée à cette date, et il ne peut que recommander aux princes-électeurs ce
neveu promis à un règne glorieux et mouvementé.
C'est par une lettre de Frédéric, le nouvel empereur lui-même, que l'on
apprendra bientôt qu'Hildegarde a été invitée par lui à venir le voir en son
palais d'Ingelheim. " Nous faisons savoir à ta sainteté, écrit-il que ce que tu
nous as prédit lorsque nous, demeurant à Ingelheim, t'avons demandé de
venir en notre présence, nous le tenons à présent en mains. " Semblable
entrevue eût mérité de passer dans l'Histoire. l'empereur Frédéric n'est autre
que celui que nous connaissons sous le nom de Frédéric Barberousse. Élu le
4 mars 1152 à Francfort, il a été couronné le 9 du même mois à Aix-la-
Chapelle, et il est probable que cette visite aura eu lieu dès les débuts de son
accession à la tête de l'empire, peut-être dès cette même année 1152.
L’édition de la Patrologie n'a retenu qu'un seul échange de lettres, celle de
l'empereur Frédéric en partie citée, et la réponse d'Hildegarde, mais les
rédacteurs de sa Vie ne parlent pas d'un épisode qui aurait pourtant mérité
de retenir leur attention.
La réponse d'Hildegarde adopte un ton solennel :" Ô fils de Dieu – car Lui-
même t'a façonné dans le premier homme – écoute les paroles que j'ai vues
et entendues en mon âme et esprit, et le corps vigilant quand pour répondre
à ta demande j'ai regardé vers la vraie lumière. " Et en quelques mots elle
lui rappelle le juste jugement par lequel Adam fut expulsé du Paradis,
comment ceux qui avaient oublié Dieu furent ensevelis par le déluge et
comment l'Agneau très doux, Fils de Dieu, pendu en croix, sauve l'homme
en effaçant tous ses crimes et ses péchés. Considérations générales propres
à faire réfléchir le comte Philippe qui avait la réputation d'un homme
emporté, cruel dans ses vengeances. Puis elle passe à des conseils plus
directs. " À présent écoute, ô fils de Dieu, pour que tu puisses regarder vers
Dieu de l'œil pur de la justice comme l'aigle regarde le soleil, afin que tes
jugements soient justes et dépouillés de ta volonté propre, de peur qu'il ne te
soit dit par le Juste suprême qui a donné son précepte à l'homme, qui
appelle à Lui par la pénitence en sa miséricorde, qu'Il n'aille te dire :
"Pourquoi as-tu tué ton prochain sans que Ma justice intervienne ?" "
Phrase assez saisissante quand on sait que Philippe avait fait périr sous le
fouet un homme, nommé Gautier de Fontaines qu'il avait trouvé en
conversation avec son épouse. Hildegarde poursuit en lui disant, un peu
plus loin : " Toi donc, prends toutes tes négligences et tes fautes et tes
injustes jugements, réfugie-toi avec la marque de la croix vers le Dieu
vivant qui est la Voie et la Vérité et qui dit : "Je ne veux pas la mort du
pécheur mais qu'il se convertisse et qu'il vive." Et si le moment vient où les
infidèles se consacrent à détruire la fontaine de foi, alors résiste-leur autant
que tu le pourras avec l'aide de la grâce de Dieu. Pour moi, je vois en mon
âme que l'inquiétude que tu as dans les angoisses de ton âme est semblable
à l'aurore qui se lève au matin. Donc, que l'Esprit saint opère en toi par pure
et véritable pénitence et en fasse un soleil ardent pour que tu Le recherches,
que tu Le serves Lui seul et que tu vives dans l'Éternité en complète
béatitude. " La suite de l'histoire prouvera que les réserves d'Hildegarde
étaient justifiées. Le comte Philippe allait en effet décevoir grandement
ceux qui, en Terre sainte, espéraient son arrivée.
En 1177, on ne savait certes pas que la fin du royaume de Jérusalem était si
proche – il devait tomber dix ans plus tard entre les mains de Saladin – mais
on sentait fortement combien ce royaume était précaire. Le roi de Jérusalem
était alors le jeune Baudouin IV, encore adolescent mais chez qui les
progrès de la lèpre devenaient évidents, ne lui laissant guère d'espoir de
survie et moins encore de descendance. Deux années auparavant il avait fait
épouser à sa sœur Sybille, à qui était destiné le royaume, le prince
piémontais Guillaume Longue-Epée, fils du marquis de Montferrat,
espérant ainsi assurer la succession dynastique. Or Guillaume, emporté par
une maladie épidémique, était mort en juin 1177. L'arrivée du comte de
Flandre à la tête d'une brillante armée représentait donc pour les barons de
Terre sainte un grand espoir. Aussitôt, le roi Baudouin lui offrit la " baylie ",
la garde du royaume, mais – on le sent à lire la question posée par Philippe
à Hildegarde – la résolution de celui-ci était loin d'être prise. Il refusa. Il
avait aussi refusé de prendre part à une expédition prévue contre l'Égypte
conjointement avec les forces byzantines ; une telle expédition eût
probablement stoppé l'étoile montante de Saladin, en qui on pressentait un
ennemi qui ne tarderait pas à triompher mais Philippe de Flandre ne voulut
pas en être. Finalement, la flotte byzantine réunie dans la rade d'Acre se
lassa des atermoiements incessants qu'on lui opposait et reprit la mer sans
avoir combattu.
On se doute que celle-ci emploie un tout autre ton quand elle s'adresse à
saint Bernard – car Bernard de Clairvaux en personne a écrit à l'abbesse de
Bingen et il s'excuse même de sa trop courte lettre. " Je me suis hâté d'écrire
à la douceur de ta pieuse charité bien que ce soit plus brièvement certes que
je ne le voudrais, comme m'y oblige la multitude de mes affaires. " Il
poursuit : " Nous remercions la grâce de Dieu qui est en toi et de ce que tu
la tiens comme une grâce, et nous t'avertissons de t'efforcer à y répondre de
tout l'effort de ton humilité et de ta dévotion. " Et d'ajouter un peu plus loin
: " C'est pourquoi nous prions encore et nous demandons de façon
suppliante que tu fasses mémoire de nous devant Dieu et de tous ceux qui
se sont joints à nous en compagnie spirituelle. [... ] Nous en effet prions
assidûment pour toi pour que tu sois confortée dans le bien, instruite dans
les choses intérieures, et que tu te diriges vers celles qui demeurent. "
À cette lettre, Hildegarde répond par une très belle missive, dans laquelle
elle se laisse quelque peu aller à ce qu'on peut appeler, de sa part, des
confidences. " Moi, malheureuse et plus que malheureuse, en mon nom de
femme depuis mon enfance, j'ai vu de grandes merveilles que ma langue ne
peut proférer, si ce n'est autant que l'enseigne l'Esprit de Dieu pour la façon
dont je puis les dire. Ô Père très sûr et très doux, écoute-moi, ton indigne
servante, en ta bonté moi qui jamais depuis mon enfance n'ai vécu en
sécurité. Dans ta piété et ta sagesse, comprends en ton âme selon ce que tu
auras reçu de l'Esprit saint puisque les choses qui t'ont été dites de moi sont
de cette nature : je sais en effet dans leur texte l'intelligence intérieure de ce
que nous exposent les psaumes, l'Évangile et autres volumes qui me sont
montrés dans cette vision qui touche mon cœur et brûle mon âme comme
une flamme, m'instruisant de ce qu'il y a de profond en ces ouvrages.
Cependant, cela ne m'apprend pas les lettres de la langue allemande que je
ne connais pas. Simplement je sais lire dans la simplicité, non dans la
précision du texte, car je suis ignorante, n'ayant eu aucune instruction de
façon extérieure, mais c'est à l'intérieur, dans mon âme, que je suis instruite.
Aussi je te parle, parce que je ne doute pas de toi, mais je me sens consolée
de ta sagesse et de ta piété en cela qu'il y a beaucoup d'erreurs chez les
hommes, à ce que j'entends dire d'eux. " Et elle raconte comment elle a
d'abord ouvert ses " secrets " comme elle le dit, à un moine qui l'a
encouragée et rassurée.
Elle poursuit : " Je veux, Père, que pour l'amour de Dieu tu aies souvenir de
moi dans tes prières. Il y a deux ans, moi, je t'ai vu dans cette vision comme
un homme qui regarde le soleil, et cela sans crainte, mais avec beaucoup
d'audace, et j'ai pleuré de ce que moi je suis timide et sans audace. Bon et
très doux Père, place-moi en ton âme, prie pour moi, car j'ai de grandes
souffrances en cette vision, afin que je dise ce que je vois et ce que
j'entends. " Puis, rappelant les infirmités dont elle est souvent accablée, elle
s'adresse de nouveau à saint Bernard en lui disant: " Pour toi, tu es l'aigle
qui regarde le soleil. " Elle lui demande d'avoir égard à ses paroles et
termine: "Je te demande de les mettre en ton cœur de façon que tu ne cesses
[...] de regarder Dieu pour moi, car Lui-même te veut à Dieu en ton âme, et
sois fort dans les combats en Dieu. Amen. "
Sans doute ne s'attendait-il pas à la réponse que lui fait l'abbesse de Bingen:
" O personnage qui es armure éminente et sommet d'autorité de la cité très
ornée qui est instituée en Épouse du Christ, écoute celle qui n'a pas
commencé à vivre, mais ne se laisse pas abattre par ce qui lui manque. Ô
homme qui en regard de ta science t'es lassé de réprimer la jactance de
l'orgueil chez les hommes qui sont placés sous ta protection, pourquoi ne
fais-tu pas revivre les naufragés qui ne peuvent émerger de leurs difficultés
s'ils ne reçoivent pas d'aide ? Et pourquoi ne tranches-tu pas la racine du
mal qui étouffe les herbes bonnes et utiles, celle qui ont goût de douceur et
suave odeur ? Tu négliges la fille du roi, c'est-à-dire la justice, qui est aimée
des puissances supérieures et qui t'avait été confiée. Tu permets que cette
fille de roi soit jetée à terre, que le diadème et l'ornement de sa tunique
soient ravagés par la grossièreté des mœurs étranges de ces hommes qui
aboient à la manière des chiens et à la manière des coqs qui tentent de
chanter parfois dans la nuit, émettent l'inepte appel de leur voix. Ceux-là
sont des simulateurs qui parlent de paix de façon feinte, mais entre eux
grincent des dents dans leur cœur, comme le chien qui salue en remuant la
queue les compagnons qu'il connaît, mais mord à belles dents l'honnête
soldat qui est utile dans la maison du roi. [...] " La lettre poursuit sur ce ton
propre à laisser interdit son destinataire. Elle ne craint même pas les
menaces qui laissent prévoir des lendemains terribles : " Écoute à présent
Celui qui vit et qui ne verra pas de fin : "Le monde est à présent dans la
lâcheté puis il sera dans la tristesse, ensuite dans la terreur au point que les
hommes ne redouteront pas d'être tués. En tout cela il y a tantôt le moment
de l'impudence, tantôt le moment de la contrition et tantôt le moment des
éclairs et du tonnerre d'iniquités diverses. [... ]." " Et Hildegarde termine sur
de vives exhortations : " Toi donc, ô homme, puisque tu sembles avoir été
constitué pasteur, lève-toi et cours plus vite vers la justice de façon que
devant le Médecin supreme tu ne sois pas accusé pour n'avoir pas purifié ta
bergerie de sa malpropreté et ne l'avoir pas ointe d'huile. [...] Toi donc,
homme, tiens-toi sur le droit chemin et tu te sauveras de façon qu'Il te
ramène dans la voie de la bénédiction et de l'élection et que tu vives pour
l'éternité. "
La réponse d'Hildegarde est d'un tout autre ton que celle envoyée à
Anastase IV. Elle s'adresse à quelqu'un qui a de durs combats à soutenir.
Elle le prévient qu'il aura affaire à des hommes qui ont des mœurs d'ours et
de léopards : " Mais le glaive de Dieu les tuera de façon que parmi eux se
lève un bon chef. À présent, je te recommande d'imposer un frein à ceux qui
te sont soumis, et de ne pas leur permettre de mal parler contre toi. [... ]
Veille donc avec zèle à ce qu'exige l'état des mœurs du peuple en ce temps.
Ô Père très doux, souviens-toi que tu es homme sur terre et ne crains pas
que Dieu te délaisse, puisque tu verras Sa lumière. "
Quant au pape Alexandre III, son pontificat qui débute en 1159 s'annonce
aussi comme difficile, le trône de saint Pierre étant disputé entre deux
prétendants – certains veulent même recourir à l'arbitrage de l'empereur
Frédéric Barberousse ! Quatre antipapes vont se succéder, dont l'un
canonise Charlemagne – manière sans détours de faire sa cour à l'empereur
régnant. Celui-ci ne se réconciliera avec le pape qu'en 1177. Hildegarde
quant à elle, traversant une période difficile, écrit au pontife pour implorer
son aide. Alexandre III s'adresse au prévôt de Saint-André de Cologne pour
régler le différend et apporter à l'abbesse l'apaisement souhaité.
C'est assez dire que tous les puissants, tout ce qui a compté dans le monde
temporel et spirituel, se retrouvent dans la correspondance d'Hildegarde.
Nous reviendrons sur le nombre et la variété de ses correspondants à propos
de ses prédications. Pour clore ce chapitre, il n'est pas sans intérêt de
mentionner les lettres qu'elle échange avec une autre mystique, allemande
elle aussi, Elizabeth de Schönau. Celle-ci semble posséder le don de
prophétie, mais elle se trouve en butte aux moqueries de certains clercs, qui
déforment ses paroles. " J'avoue avoir conçu quelques nuages de
perturbation dans l'âme récemment, écrit-elle à Hildegarde, à cause de
propos ineptes de gens qui disent beaucoup de choses à mon sujet,
lesquelles ne sont pas vraies. Mais je supporterais facilement les propos de
la foule si ceux-là aussi qui se promènent en habits religieux ne
contristaient plus gravement encore mon esprit. Car parmi Ceux agités de je
ne sais quel zèle, il y en a qui tournent en dérision la grâce de Dieu qui est
en moi et qui ne craignent pas de juger témérairement de choses qu'ils
ignorent. J'entends dire que quelques-uns présentent ici et là, des lettres
écrites selon leur esprit sous mon propre nom. Ils me diffament, disant que
j'ai prophétisé au sujet du jour du Jugement, ce que certes je n'aurais jamais
eu la présomption de faire, puisque cette arrivée défie la connaissance de
tous les mortels. " Elle ajoute que pour éviter toute arrogance, et autant
qu'elle le peut, elle tient caché tout ce qui lui est enseigné par révélation.
Mais elle s'est entendu reprocher violemment par un ange de cacher la
parole de Dieu qui lui a été dite " non pour qu'elle soit cachée, mais pour
qu'elle soit manifestée à la louange et à la gloire de Notre-Seigneur et pour
le salut des âmes de son entourage ".
CHAPITRE VI
Sans doute l'essentiel de son œuvre, en tout cas ce qu'elle a de plus frappant,
est-il là, dans cette saisie du monde à travers ses visions. Elle s'exprime à ce
propos surtout dans son troisième ouvrage, celui qu'on peut considérer
comme le plus achevé, le plus complet, le plus étonnant aussi, Le Livre des
œuvres divines. Il est heureusement à notre portée aujourd'hui, grâce au
magnifique travail de Bernard Gorceix. Nous ne ferons que rappeler ici les
principales de ces visions cosmiques, qui nous révèlent un univers somme
toute acceptable au regard des découvertes de notre temps – surtout si l'on
songe à la conception d'un univers clos et limité, qui a régné depuis le XVe
siècle, et encore jusqu'au XIXe. Nous ne tenterons d'ailleurs pas d'éclaircir
les implications scientifiques que peuvent posséder ces visions ; elles
s'expriment dans un tout autre registre que celui de la science pure ; leur
originalité, leur puissance poétique les rendent par elles-mêmes captivantes
et suffisent, croyons-nous, à susciter l'intérêt.
Le Livre des œuvres divines s'ouvre sur une image somptueuse qui a été
récemment reproduite à plusieurs reprises, celle d'un personnage debout,
possédant trois têtes et quatre ailes peintes dans des teintes d'écarlate. Cette
image s'accompagne d'un commentaire qu'il est essentiel de citer pour
introduire l'œuvre et aussi pénétrer l'ensemble des visions qu'elle développe.
" Je contemplai alors dans le secret de Dieu, au cœur des espaces aériens du
Midi, une merveilleuse figure. Elle avait apparence humaine. La beauté, la
clarté de son visage étaient telles que regarder le soleil eût été plus facile
que regarder ce visage. Un large cercle d'or ceignait la tête. Dans ce cercle
un deuxième visage, celui d'un vieillard, dominait le premier ; son menton,
sa barbe frôlaient le sommet du crâne. De chaque côté du cou de la
première figure se détachait une aile. Ces ailes s'élevaient et se rejoignaient
au-dessus du cercle d'or. La partie extrême de la courbure de l'aile droite
portait une tête d'aigle ; de ses yeux de feu rayonnait comme en un miroir la
splendeur angélique. La partie correspondante de l'aile gauche portait une
tête d'homme qui brillait comme étincellent les étoiles. Les deux visages
étaient tournés en direction de l'est. De chaque épaule de la figure, une aile
descendait jusqu'aux genoux. Un vêtement qui avait l'éclat du soleil la
recouvrait. Dans les mains elle portait un agneau qui brillait comme une
journée débordante de lumière. Du pied, elle terrassait un monstre à l'aspect
effroyable, vineux et noir, et un serpent. Le serpent serrait dans sa mâchoire
l'oreille droite du monstre. Son corps s'enroulait autour de la tête du
monstre, et sa queue allait jusqu'à ses pieds, du côté gauche de la figure.
" La figure parla en ces termes : "C'est moi l'énergie suprême, l'énergie
ignée. C'est moi qui ai enflammé chaque étincelle de vie. Rien de mortel en
moi ne fuse. De toute réalité je décide. Mes ailes supérieures enrobent le
cercle terrestre ; dans la sagesse, je suis l'ordonnatrice universelle. Vie ignée
de l'essentialité : puisque Dieu est intelligence, comment pouvait-il ne pas
œuvrer ? Par l'homme, il assure l'épanouissement de toutes ses œuvres.
L'homme, en effet, Il le créa à Son image et à Sa ressemblance ; en lui Il
inscrivit avec fermeté et mesure, la totalité des créatures. De toute éternité,
la création de cette œuvre – la création de l'homme – était prévue en son
conseil. Une fois la dite œuvre achevée, il remit donc entre les mains de
l'homme l'intégralité de la création, afin que l'homme pût agir avec elle de
la même manière que Dieu avait façonné Son œuvre, l'homme. Ainsi donc,
je suis serviteur et soutien. Par moi en effet toute vie s'enflamme. Sans
origine, sans terme, je suis cette vie qui identique persiste, éternelle. Cette
vie, c'est Dieu. Elle est perpétuel mouvement, perpétuelle opération, et son
unité se montre en une triple énergie. L'éternité, c'est le Père ; le Verbe, c'est
le Fils ; le souffle qui relie les deux, c'est l'Esprit saint. Dieu l'a représenté
dans l'homme : l'homme en effet a un corps, une âme et une intelligence.
Mes flammes dominent la beauté des campagnes : la terre est la matière
grâce à laquelle Dieu façonna l'homme. Si je pénètre les eaux de ma
lumière c'est que l'âme pénètre le corps tout entier, comme l'eau par son
flux pénètre la terre entière. Si je dis que je suis ardeur dans le soleil et dans
la lune, c'est une allusion à l'intelligence : les étoiles ne sont-elles pas les
innombrables paroles de l'intelligence ? Et si mon souffle, invisible vie,
protecteur universel, éveille l'univers à la vie, il s'agit d'un symbole : l'air et
le vent en effet maintiennent tout ce qui pousse et tout ce qui mûrit, et rien
ne s'écarte des données de sa nature. "
" J'entendis alors la même voix. Du ciel, elle s'adressait à moi en ces termes
: "Dieu, le créateur de l'univers, façonna l'homme à Son image et à Sa
ressemblance. En lui, Il figura toute créature, supérieure et inférieure. Il
l'aima d'un tel amour qu'Il lui réserva la place dont avait été expulsé l'ange
déchu. Il lui attribua toute la gloire, tout l'honneur que ledit ange avait
perdus en même temps que son salut. Voilà ce que te montre le visage que
tu contemples. La magnifique figure que tu aperçois au midi des espaces
aériens et dans le secret de Dieu, et dont l'apparence est humaine, symbolise
en effet cet amour du Père des cieux. Elle est l'amour: au sein de l'énergie
de la déité pérenne, dans le mystère de ses dons, elle est une merveille d'une
insigne beauté. Si elle a l'apparence humaine, c'est que le Fils de Dieu s'est
revêtu de chair, pour arracher l'homme à la perdition dans le service de
l'amour. Voilà pourquoi ce visage est d'une telle beauté, d'une telle clarté.
Voilà pourquoi il te serait plus facile de contempler le soleil que de
contempler ce visage. La profusion de l'amour en effet rayonne, étincelle
d'une brillance si sublime, si fulgurante, qu'elle dépasse d'une manière
inconcevable pour nos sens tout acte de compréhension humaine qui assure
d'habitude dans l'âme la connaissance des sujets les plus divers. Nous le
montrons ici par un symbole, qui permet de reconnaître dans la foi ce que
les yeux extérieurs ne peuvent réellement contempler." "
Hildegarde ouvre donc ses visions par la Trinité sainte ; l'Éternité, le Verbe,
le Souffle sont ici figurés signifiant que Dieu est Vie et qu'il est Amour.
L'énergie suprême, l'énergie ignée, a suscité la création de l'homme, lequel
naît corps, âme, esprit. Tout procède de cette vie libérant une triple énergie
d'amour dont l'homme est reflet. L'ensemble est exprimé avec une vivacité,
avec le sens d'une beauté dont la visionnaire souligne qu'elle se trouve à la
limite de ce que l'homme peut contempler. Elle-même, dans le cadre qui la
représente sous l'image pleine page, ouvre sur cette vision des yeux
extasiés.
"Au dessus du chef de ladite figure se faisaient face les sept planètes : trois
dans le cercle du feu de lumière, une dans la sphère du feu noir, trois dans le
cercle de pur éther. Toutes les planètes rayonnaient en direction des têtes
d'animaux et de la figure de l'homme. Le cercle du feu lumineux englobait
seize étoiles principales, quatre entre les têtes du léopard et du lion, quatre
entre celles du loup et du lion, quatre entre celles du loup et de l'ours, quatre
entre celles de l'ours et du léopard. Huit d'entre elles occupaient une
position intermédiaire, et elles s'assistaient l'une l'autre : elles étaient situées
entre les têtes et elles s'envoyaient l'une l'autre leurs rayons qui frappaient la
couche d'air mince. Les huit autres à côté des autres têtes d'animaux,
frappaient de leurs rayons les nuages qui s'étendaient en face d'eux. Dans la
partie droite de l'image, deux langues, distinctes l'une de l'autre, formaient
comme deux ruisseaux qui se déversaient sur la roue et la figure humaine. Il
en allait de même sur la gauche : c'était comme un bouillonnement de rus. "
Après avoir énuméré tout ce qui dans la nature influence ainsi ce dernier, le
soleil, la lune, les planètes, Hildegarde a une réflexion pour l'homme lui-
même. " Quant à toi, homme qui vois ce spectacle comprends que ces
phénomènes concernent également l'intérieur de l'âme. " Ces interactions
des éléments naturels et des tendances de l'homme se retrouvent dans les
autres ouvrages d'Hildegarde d'ordre résolument médical. Elle pousse ici
très loin ses comparaisons. " Aux quatre vents principaux correspondent
quatre énergies au sein de l'homme : la pensée, la parole, l'intention et la vie
affective. De même que chaque vent peut envoyer son souffle vers la droite
ou vers la gauche, de même l'âme escortée de ces quatre énergies peut, par
la science naturelle atteindre la partie qu'elle désire en choisissant tantôt le
bien, tantôt le mal. " Et de comparer au vent du midi, celui qui apporte la
chaleur, " les pensées bonnes et saintes qu'attise, grâce au feu de l'Esprit
saint, le zèle d'une pieuse intention ". Au contraire le vent d'ouest, qui est
froid, " désigne les pensées malhonnêtes et inutiles que ne réchauffe pas le
feu de l'Esprit saint, les œuvres froides et malhonnêtes ". Seul le vent du
nord " est inutile pour toute créature. Il a lui aussi deux ailes, dirigées l'une
vers l'orient l'autre vers l'occident. Elles désignent dans l'homme cette
science du Bien et cette science du Mal grâce auxquelles il considère en son
âme, comme en un miroir, ce qui est utile et ce qui est inutile. De même que
le firmament, supérieur et inférieur, régit la terre ".
L'ensemble des visions met ainsi l'accent sur une sorte d'unité cosmique qui
régit ou qui influence à la fois l'homme et le monde dans lequel il vit. C'est
ainsi que l'aquilon, le vent du nord, " est un vent dangereux, il est nocif pour
tout ce qu'il touche, son froid et sa rudesse touchent également le souffle
chaud qui descend doucement du soleil en déposant la rosée et qui produit
sur terre toute la viridité des fruits champêtres ". Nous abordons ici l'une
des notions favorites d'Hildegarde, la viridité, du latin viridis, vert,
vigoureux ; elle s'applique également à la nature et à l'homme, désignant
cette énergie interne qui fait pousser les plantes et par laquelle l'homme se
développe.
" Tous ces phénomènes, souligne Hildegarde, sont en rapport avec l'âme.
L'âme en effet est présente dans le corps comme un vent dont on ne voit ni
n'entend le souffle. Aérienne, elle déploie son souffle, à la manière du vent,
ses soupirs et ses pensées ; son humidité, véhicule de ses bonnes intentions
envers Dieu, l'assimile à la rosée. Comme l'éclat du soleil qui illumine le
monde entier et qui ne faiblit jamais, l'âme est tout entière présente dans la
petite forme de l'homme. Ses pensées lui permettent de s'envoler dans
toutes les directions : les œuvres saintes l'élèvent vers les étoiles par la
louange de Dieu, les œuvres mauvaises des péchés la précipitent dans les
ténèbres. " Et de poursuivre en détaillant la quatrième vision. " L'âme
raisonnable profère de multiples paroles qui résonnent comme l'arbre
multiplie ses rameaux, et, de la même façon que les rameaux proviennent
de l'arbre les énergies de l'homme jaillissent de l'âme. Ses œuvres, quelles
qu'elles soient, réalisées de concert avec l'homme, ressemblent aux fruits
d'un arbre. L'âme a quatre ailes en effet : les sens, la science, la volonté et
l'intelligence. "
Ainsi toutes ces visions rassemblent-elles en une unité profonde Dieu et son
œuvre, qu'il s'agisse de l'homme ou du cosmos. Cela leur donne leur
caractère grandiose. " L'âme, tant qu'elle est dans le corps sent Dieu parce
qu'elle vient de Dieu, mais tant qu'elle accomplit sa tâche dans les créatures,
elle ne voit pas Dieu. Lorsqu'elle aura quitté l'atelier de son corps et
lorsqu'elle sera confrontée à Dieu, elle connaîtra sa nature et ses anciennes
dépendances corporelles. [... ] Elle attend donc avec avidité ce dernier jour
du monde, car elle a perdu ce vêtement qu'elle aime et qui est son propre
corps. Quand elle l'aura recouvré, elle verra avec les anges la face glorieuse
de Dieu. [... ] "L'homme est le vêtement que revêt mon Fils en sa royale
puissance afin d'apparaître Dieu de toute création et vie de la vie." [... ]
Dans la forme de l'homme, c'est la totalité de Son œuvre que Dieu a
consignée. " (Quatrième vision.) Au sein de cet univers, une large place est
faite aux anges. La sixième vision, qui se présente sous une forme
sensiblement différente des précédentes, leur est à peu près totalement
consacrée. La visionnaire aperçoit cette fois " comme une grande cité en
forme de carré, ceinte d'un mur, à la fois de splendeurs et de ténèbres, une
cité qu'ornaient aussi des collines et des figures. Sur le côté est de la cité, se
dressait une grande et haute montagne, d'une pierre blanche et dure qui
ressemblait à un volcan. À son sommet resplendissait un miroir dont la
clarté et la pureté paraissaient même dépasser celles du soleil. Une colombe
apparut dans ce miroir, les ailes écartées, prête à prendre son vol. Ledit
miroir, qui était le lieu des merveilles cachées, projetait un éclat qui s'élevait
et qui s'étendait et au sein duquel se manifestaient de nombreux mystères et
plusieurs formes et figures. En cette splendeur et en direction du midi
apparaissait un nuage blanc en sa partie supérieure, noir en sa partie
inférieure. Au-dessus de ce nuage resplendissait toute une cohorte
angélique. Les uns rayonnaient comme le feu, les autres étaient toute clarté,
les troisièmes scintillaient comme des étoiles ".
Cette cité apparaît désormais dans chacune des visions. Elle comporte entre
ses quatre murs divers édifices : églises, palais, colonnes, maisons
ordinaires dans un ordre qui varie d'une image à l'autre. La sixième vision
s'étend surtout, on l'a dit, sur le rôle des anges. " La multitude des anges aux
côtés de Dieu est, dans le ciel, un arcane que la lumière de la divinité
pénètre totalement. Arcane obscur pour la créature qu'est l'homme, à moins
que des signes lumineux n’aient une raison d'être qui est liée à Dieu plus
qu'à l'homme. Elle n'apparaît aux hommes que rarement. Certains anges,
cependant, qui sont au service des hommes, se révèlent par des signes
quand il plaît à Dieu : c'est que Dieu leur a confié des fonctions diverses et
les a placés au service des créatures. " Parmi ces anges, il y a celui " qui
voulait n'exister que par lui-même ", Satan, et ceux qu'il a entraînés dans sa
chute ; mais il y a surtout " la grande cohorte angélique, les uns tels un feu,
les autres toute clarté les troisièmes tels des étoiles. Les anges de feu
recèlent les énergies les plus vives, rien ne peut les ébranler. Dieu a désiré
en effet qu'ils contemplassent sans cesse Son visage. Les anges qui sont
toute clarté sont eux, ébranlés par le service des œuvres humaines qui sont
aussi œuvres de Dieu ; ces œuvres de dévotion sont présentées aux anges à
la face de Dieu. Les anges ne cessent de les considérer, ils offrent à Dieu
leur suave parfum en choisissant ce qui est utile et en rejetant ce qui est
inutile. Quant aux anges qui ressemblent à des étoiles, ils souffrent avec la
nature humaine, ils la présentent à Dieu comme un livre, ils sont
compagnons des hommes, ils leur adressent des paroles de raison selon la
volonté de Dieu, les actions bonnes leur permettant de célébrer Dieu, et ils
se détournent des actions mauvaises. " Dans une autre vision, la septième,
Hildegarde revient sur " ces deux ordres, ceux des anges et ceux des
hommes ", indiquant que " Dieu éprouve une véritable joie dans la
célébration des anges autant que dans les saintes œuvres des hommes.
Certes, l'ange est constant à la face de Dieu, cependant que l'homme est
instable : aussi l'œuvre de l'homme, parallèlement, est-elle souvent
déficiente ; la célébration angélique, elle, ne l'est jamais ".
" J'aperçus le cercle terrestre partagé en cinq secteurs l'un à l'est, l'autre à
l'ouest, le troisième et le quatrième au sud et au nord, le cinquième au
centre. " Chacun de ces secteurs a l'aspect d'un arc tendu. L'un d'entre eux,
le secteur est, resplendit de clarté, alors que l'ouest est recouvert
partiellement de ténèbres ; le secteur sud, lui, se divise en trois zones, deux
qui montrent " des châtiments et, au milieu, pas de châtiments mais des
monstres horribles qui lui conféraient un aspect effroyable. En direction de
l'est, j'aperçus, au-dessus de la courbure terrestre et à une certaine altitude,
une boule rouge entourée d'un cercle de la couleur d'un saphir. Deux ailes
sortaient de la droite et de la gauche de ces boules, elles s'élevaient des deux
côtés puis elles se recourbaient, elles se faisaient face, elles se prolongeaient
jusqu'à la moitié de la circonférence terrestre qu'elles encerclaient. [... ] De
cette boule partait jusqu'au milieu des ailes une route au-dessus de laquelle
scintillait une étoile lumineuse ". Dans les explications qui suivent, on
comprend qu'il s'agit du globe terrestre, lequel se trouve réparti en cinq
zones ; l'ensemble d'ailleurs est une figure de l'homme. " La terre représente
l'homme. [... L'homme est conduit au salut de son âme par les cinq sens qui
lui permettent de satisfaire tous ses besoins. "
Hildegarde se fonde ensuite sur les citations de l'Apocalypse pour évoquer
les divers temps, celui d'Adam, celui du Déluge, celui de l'attente du Christ
; enfin, avec le cheval noir, apparaît le temps qui a suivi la Passion du
Christ. Puis vient le cheval verdâtre, " celui qui désigne le temps, durant
lequel tout ce qui est conforme à la loi et à la plénitude de la justice de Dieu
sera, dans une sorte de lividité excessive, tenu pour rien. [...] En ce temps, il
y aura sur terre, partout, des combats à l'épée. Les fruits de la terre
disparaîtront, les hommes mourront de mort subite, les animaux leur
causeront des morsures mortelles. L'antique serpent se réjouit de tous ces
châtiments qui s'abattent sur l'âme et le corps de l'homme ; il a lui-même
perdu la gloire des cieux, il aimerait que l'homme ne l'atteignît pas lui non
plus. [... ] Le serpent se réjouit et il cria: "Honte à celui qui façonna
l'homme: l'homme renonce à sa propre forme, il rejette l'amour naturel,
l'amour des femmes." Aussi la séduction diabolique engendre-t-elle les
criminels et les séducteurs, la haine et le crime du diable, les brigands et les
voleurs ; mais c'est dans l'homosexualité que le péché est des plus impurs,
racine de tous les vices. Quand ces péchés se seront accumulés dans les
nations la constitution de la loi de Dieu se scindera, l'Église telle une veuve,
sera frappée. Les princes, les nobles, les riches seront exilés par leurs sujets,
ils fuiront de ville en ville, la noblesse sera annihilée et les riches
deviendront pauvres. [... ] Certes, l'antique serpent et les autres esprits de
rien ont perdu la beauté de leur forme, mais ils n'ont pas abandonné
l'exaltation de leur raison. " Hildegarde termine d'ailleurs cette série
d'évocations par un autre rappel de l'Apocalypse. " Lorsque vint le temps de
l'aurore rougeoyante, c'est-à-dire le temps de la pleine justice grâce à mon
Fils, l'antique serpent atterré, stupéfié, dit qu'il avait été totalement trompé
par une femme, par la Vierge. Aussi sa fureur s'enflamma-t-elle contre elle.
Mais avec l'aide de la terre, la femme se libéra, car mon Fils reçut d'elle
l'habit d'homme, mon Fils qui endura une multitude d'opprobres et de
souffrances afin de contraindre le serpent. "
Pour terminer. évoquons l'une des visions les plus étonnantes, la neuvième.
" Je vis tournée vers l'est une figure dont le visage et les pieds rayonnaient
d'un tel éclat que mes yeux en étaient éblouis. Sur sa robe de soie blanche,
elle portait un manteau vert richement orné des gemmes les plus diverses. À
ses oreilles un pendentif, un collier sur la poitrine, aux bras des anneaux,
des bijoux d'or fin sertis de gemmes. Mais au centre de la région du
Septentrion j'aperçus une seconde figure. Étrange apparition, dressée. À la
place de la tête, une splendeur qui m'éblouissait, au centre de son ventre, on
voyait la tête d'un homme aux cheveux gris, barbu, ses pieds ressemblaient
à des griffes de lion. Elle portait six ailes : deux partaient des épaules,
remontaient, partaient vers l’arrière pour se rejoindre, et elles recouvraient
pour ainsi dire cette splendeur que nous avons évoquée. Deux autres ailes
fixées également à l'épaule retombaient sur la nuque. Les deux dernières
descendaient de la hanche jusqu'aux talons. Ses ailes se levaient parfois
comme si elles voulaient se déployer pour permettre le vol. Tout le corps de
la figure était recouvert non pas de plumes mais d'écailles, comme un
poisson. Quant aux ailes de la nuque, elles portaient cinq miroirs. Le miroir
supérieur sur l'aile droite portait l'inscription : "Voie et vérité." Le second
miroir du milieu : "Je suis la porte de tous les arcanes de Dieu." Le miroir
du bout de l'aile droite : "Je suis la manifestation du Bien tout entier." Le
miroir supérieur de l'aile gauche : "Je suis le miroir qui reflète les bonnes
intentions des élus." Au bout de l'aile, au-dessus du cinquième miroir: "Dis-
nous si c'est bien toi le peuple d'Israël." La figure tournait le dos à l'aquilon.
" Vision étrange dans laquelle se mêlent des figures inattendues comme
celle du personnage recouvert d'écailles de poisson, et des images très
habituelles comme celle du miroir. On sait que c'est là une métaphore
fréquente dans les écrits du temps. Les miroirs de verre, invention du haut
Moyen Âge, sont devenus au temps d'Hildegarde d'un usage courant. Ils
supposent la lumière et permettent de refléter sagesse, sainteté, le visage et
les traits de ceux qu'on admire, d'où l'usage qu'on en fait dans les lettres. Un
médiéviste allemand a compté plus de deux cent cinquante ouvrages qui
s'intitulent Miroirs.
Elle termine cette vision par le mot qui résume sa conception de l'humanité
: " Ainsi, l'homme est la clôture des merveilles de Dieu. " Une main
inconnue peut-être au XIIIe siècle, a recopié cette phrase, qui résonne
comme une clé de l'œuvre d'Hildegarde, à la fin de la neuvième vision dans
le manuscrit de Lucques: Homo est clausura mirabilium Dei.
CHAPITRE VII
On ne trouve guère à lui comparer que l'ouvrage d'une autre abbesse, celle
de Sainte-Odile au Mont-Sion en Alsace, Herrade de Landsberg.
Contemporaine d'Hildegarde, elle compose vers 1175-1185 une
encyclopédie – la première de notre littérature qu'elle nomme Jardin de
délices (Hortus deliciarum). C'est un recueil d'histoires, de chroniques,
d'extraits divers tirés aussi bien de la Bible et des Pères de l'Église que des
travaux d'Honorius d'Autun ou de l'étude de la vie quotidienne, qui est
destiné aux religieuses du mont Sainte-Odile. On y trouve par exemple un
chapitre sur la Trinité, que suit l'histoire de la Création, et à cette occasion
des propos allant de l'astronomie à l'agriculture, de l'arpentage à la voirie
etc. C'est de cet ouvrage que les historiens des techniques médiévales ont
tiré la plus grande partie de leur savoir; l'énorme manuscrit de 324 feuillets
ne comporte pas moins de 336 miniatures (note_2). Le propos d'Hildegarde,
lui, dépasse néanmoins la simple description. Elle établit des rapports entre
les productions de la nature et les êtres humains, recherche les
connaissances relatives à l'homme, à son équilibre, à sa santé.
On voit souvent revenir dans ses ouvrages, ceux par exemple qui traitent
des plantes, le souci de guérir la " mélancolie " ; celle-ci est d'autant plus
redoutable qu'elle sape la " viridité ". Foncièrement, elle provient de la bile
noire mal éliminée ; elle engendre les humeurs mauvaises d'où viennent les
troubles du métabolisme et qui conduisent à la dépression. Elle est
responsable aussi bien des accès de goutte ou des attaques de rhumatismes
que des bouffées de colère redoutables. Aussi y a-t-il toute une série de
prescriptions pour éliminer cette bile noire si funeste : de bons repas bien
préparés y aident, car la santé humaine se maintient essentiellement par un
sage régime alimentaire ; certains remèdes peuvent agir immédiatement,
ainsi la rose dans le cas de la colère. " Prendre de la rose et à peine moins de
sauge, réduire en poudre et au moment où la colère jaillit en soi, présenter
cette poudre devant la narine. En effet la sauge apaise et la rose réjouit. "
Toute une série de remèdes, et surtout un régime alimentaire approprié,
permettront ainsi d'éliminer la bile noire. Et cette remarque de détail permet
de saisir ce qui fait l'essentiel de la démarche d'Hildegarde, sa méthode
pourrait-on dire. Elle n'ignore pas les méfaits de la bile noire dans
l'organisme, ce qui signifie qu'elle a des vues absolument justes sur le rôle
du foie et les conséquences de ses dérèglements éventuels ; la colère
immodérée est l'une de ces conséquences. Or on peut la calmer par le
spectacle d'une chose belle, qui de plus diffuse une odeur douce – d'où la
rose, qui agira d'autant mieux si l'on y ajoute de la sauge aux vertus
apaisantes.
Elle conseille aux sourds l'usage du marrube. " Faire cuire du marrube dans
de l'eau, le retirer de l'eau et laisser pénétrer la vapeur dans les oreilles et
placer le marrube chaud sur les oreilles et la tête, ainsi l'ouie est améliorée.
" Pour la vue, elle conseille de manger du pissenlit, ou encore " en été
lorsqu'elles sont vertes, placer souvent des feuilles de fougères sur les yeux
pour dormir, elles purifient les yeux et dissipent le brouillard de la vue ". La
reste possède toutes sortes de vertus qu'elle ne manque pas d'énumérer. En
ce qui concerne les yeux la médecine la plus avancée de notre temps ne
démentira pas les lignes qui suivent : " Si l'eau et le sang diminuent dans les
yeux d'un être humain, par suite de l'âge avancé ou de quelque maladie, il
doit aller se promener, écrit-elle, dans des prés de gazon vert, et considérer
celui-ci longtemps jusqu'à ce que ses yeux s'humidifient, comme s'ils
versaient des larmes, parce que la verdure du gazon élimine ce qui est
trouble dans les yeux et rend ceux-ci purs et clairs. " On sait aujourd'hui que
l'œil accommode à trente mètres, que cette distance ne se trouve pas
facilement dans la vie de tous les jours en ville, et qu'un séjour à la
campagne devant un pré vert aidera l'œil à se reposer et à se fortifier. De
même conseille-t-elle l'eau très pure " qui n'a pas servi ", et aussi, vieux
remède d'expérience, " les gouttes qui tombent des ceps de vigne au
printemps du matin jusqu'à midi [...] ; il faut les recueillir dans la matinée
en un petit récipient ". La sève des jeunes feuilles de pommier lui paraît
aussi propre à raffermir les yeux. " Il faut s'en oindre modérément les
paupières comme la rosée tombe sur l'herbe. Ou encore " les mettre sur les
yeux sur un linge en compresse ".
Mais il n'est pas sans intérêt non plus de constater, à travers la variété de
cette botanique, que bien des productions ont disparu, faute sans doute d'un
rendement suffisant, en un temps où ne prévaut que le critère économique.
Nos cultures se sont notablement appauvries depuis le XIIe siècle.
Hildegarde insiste par exemple sur les bienfaits des fèves ; en son temps qui
ne connaît pas la pomme de terre, elles sont avec les pois les féculents
habituels. " La fève est chaude, bonne à manger pour les gens en bonne
santé et en pleine force, elle est meilleure que le pois. [... ] La farine de fève
est bonne et utile pour le bien portant comme pour le malade, car elle est
légère et se digère facilement. " Au contraire, le pois, dit-elle, s'il est " bon à
manger pour celui qui est de nature chaude cependant, comme il est de
nature froide, il ne vaut rien pour les malades, car lors de la digestion il
provoque en eux beaucoup d'écoulements d'humeurs ". Or le pois est resté
commun dans notre alimentation alors que la fève y est devenue rare.
On peut de même regretter la disparition du safran qui fut cultivé jusqu'en
Angleterre et qui ne se trouve plus qu'en de rares régions d'Espagne. La
culture du chanvre a été abandonnée un peu partout – à l'exception hélas du
Cannabis indica d'où l'on tire le haschich. Or aujourd'hui, où les forêts
disparaissent pour fournir les énormes quantités de papier consommées
dans le monde, le Cannabis sativa, le chanvre de nos campagnes, fournirait
du papier d'excellente qualité, et serait propre à meubler ces terres qu'on
oblige à laisser en friche.
CHAPITRE VIII
VOYAGES ET PRÉDICATIONS
Mais bien plus étonnants sont les voyages entrepris par elle dans un but de
prédication. La clôture des religieuses est certes beaucoup moins sévère et
stricte en son temps qu'elle ne l'est devenue par la suite lorsque la
constitution Periculoso du pape Boniface VIII à la fin du XIIIe siècle, en
1298 exactement, les contraint à une existence uniquement confinée.
Sévérité encore accentuée par la suite : aux XVIe et XVIIe siècles, on ne
permettra plus aux femmes que la fondation d'ordres totalement cloîtrés.
C'est dans un contexte tout différent que se déroule la vie d'une religieuse
au XIIe siècle.
Il reste que pour nous, à distance, c'est un étrange spectacle que celui de
cette abbesse qui à quatre reprises prend la route pour ses prédications. On a
même cru qu'elle s'était rendue à Paris et à Tours comme l'indique le
rédacteur d'une des Vies, mais c'est probablement par erreur. L'un de ceux
qui ont consigné ses révélations, Guibert de Gembloux, accomplit le voyage
après la mort d'Hildegarde et montre ses œuvres à des maîtres des écoles
parisiennes et tourangelles (on sait qu'à l'époque l'université de Paris
n'existe pas encore) ; c'est sans doute pourquoi les écrits de la visionnaire
sont très tôt connus en France. Jean de Salisbury, le fameux évêque de
Chartres, parle d'elle dans une lettre datée de 1167, et fait allusion à la
grande confiance que lui a témoignée le pape Eugène III. Au XIIe siècle,
Vincent de Beauvais ne pouvait manquer de la connaître et il la nomme
dans son Speculum historiale. " En ce même moment, écrit-il, il y avait en
Allemagne une vierge admirable à qui la force divine avait apporté de telles
grâces que bien qu'elle fût laïque et illettrée [le terme "laïque" est à prendre
ici par opposition à "clerc", désignant celui qui a fréquenté les écoles],
cependant de façon merveilleuse elle avait appris étant souvent transportée
en songe, non seulement à s'exprimer, mais aussi à dicter en latin, de telle
façon qu'en dictant elle a composé des livres sur la foi catholique. " Or il
semble que l'on puisse, par une étude attentive de la correspondance
d'Hildegarde – qui a été recueillie avec soin et éditée dans la Patrologie
latine au siècle dernier – tenter de reconstituer les sermons qu'elle a
prononcés en certains lieux, ou en tout cas retrouver le sujet de ces sermons.
" Puisque par permission divine vous sont révélées les pensées de
nombreux cœurs, écrit-il, citant saint Luc, de par la volonté divine, nous
vous aimons de toute l'impulsion de notre corps, de toute la dévotion de
notre esprit. Nous savons en effet que l'Esprit saint demeure en vous et que
par Lui vous sont manifestées bien des choses inconnues aux autres
hommes. Car depuis que vous êtes partie de chez nous, après que vous y
êtes venue, il y a peu, au jour de Pentecôte, par une disposition supérieure
où vous nous avez prédit qu'une menace de Dieu était imminente pour nous,
nous avons vu et éprouvé autour de nous et chez nous beaucoup de
difficultés des Églises et beaucoup de périls de la part des hommes, car nous
avions négligé, comme nous l'a révélé votre jugement éclairé, d'apaiser la
colère de Dieu, et si Sa vengeance ne s'était retirée grâce à la miséricorde de
Dieu, peut-être aurions-nous succombé de désespoir sous le poids de ces
mêmes dangers. Et parce que Dieu est en vous, et que Ses paroles mêmes
sortent de votre bouche, nous implorons votre dilection profondément
maternelle pour que vous nous exposiez ce que vous nous avez dit de vive
voix. [...] Que la protection de Dieu demeure toujours sur vous et que ce
qu'Il a commencé en vous, Il le mène en vous à bonne fin. "
C'est l'occasion d'évoquer le sens musical tout à fait surprenant dont est
dotée Hildegarde, qui s'est traduit par plus de soixante-dix compositions
aujourd'hui retrouvées et accessibles grâce aux travaux du docteur
Christopher Page. La séquence sur saint Maximin a même fait l'objet d'une
cassette éditée sous sa direction (note_7). Il a parfaitement dégagé la valeur
des réalisations musicales d'Hildegarde, lesquelles sont bien dans la ligne
du plain-chant, musique méditative qui garde un tranquille contrôle au sein
même de l'extase et amène celui qui la chante à un développement de vie
intérieure beaucoup plus qu'à des effets musicaux nouveaux, surprenants ou
occasionnels. C'est ce dont témoigne la séquence qui commence par
" Columba aspexit " (La colombe a vu à travers les volets de la fenêtre)...
On y retrouve les images familières à Hildegarde, celles qui viennent
volontiers sous sa plume tant lors de ses visions que dans sa correspondance
: " Cette tour élevée, faite de bois du Liban et de cyprès, est ornée de
jacinthes et de diamants, ville qui domine les arts de tous autres artisans. "
Et elle poursuit en évoquant par images ceux qui dans l'abbaye
accomplissent la sainte liturgie : " O vous qui préparez le baume, vous qui
êtes en la très suave viridité des jardins du roi, vous montez vers la hauteur
quand vous accomplissez le Saint Sacrifice au milieu des béliers. " La
strophe ne peut se comprendre que si l'on sait comment, dans l'Apocalypse,
le baume, les parfums en général symbolisent les prières des saints, et que
les béliers alentour évoquent ceux de l'Exode quand ils sont sacrifiés au
cours de l'ordination des fils d'Aaron. Sans doute Hildegarde désigne-t-elle
sous cette image les prêtres, voire les jeunes moines qui entourent le
célébrant à l'autel de Saint-Maximin. La musique est ici indispensable pour
apprécier la beauté de cette séquence, mais les images qui la composent
reflètent parfaitement le langage d'Hildegarde. On ne sait évidemment pas à
quelle date cette superbe séquence dédiée à saint Maximin a été composée
par la visionnaire, mais elle atteste en tout cas la profondeur de l'impression
reçue à Trèves dans l'abbaye dédiée au saint.
L'abbaye Saint-Mathias subsiste encore en notre temps. Elle est même, avec
la cathédrale, le seul témoin de l'art roman que possède encore Trèves, et
elle se trouve intimement liée à l'histoire de la ville puisqu'elle fut consacrée
par le pape Eugène III lorsqu'il vint tenir le fameux synode de 1147. Elle
était primitivement dédiée à saint Eucher, premier évêque de la cité, et c'est
précisément au cours de sa construction que fut découvert l'autel antique
contenant les reliques de saint Mathias – l'apôtre qui avait été élu pour
remplacer Judas après sa trahison. Cette découverte fit de l'abbatiale un lieu
de pèlerinage très fréquenté dès l'époque d'Hildegarde.
Mais c'est sans aucun doute dans la cathédrale que la moniale a prêché : le
magnifique Dom, l'église la plus ancienne d'Allemagne, qu'heureusement
les horreurs de nos guerres du XXe siècle ont épargnée. Elle avait été
construite par Constantin lui-même, et conserve du reste aujourd'hui encore
un certain nombre de souvenirs, dans son trésor, que la tradition rapporte à
sainte Hélène, la mère de l'empereur. Saccagée une première fois par les
Francs au Ve siècle elle le fut à nouveau par les Normands en 882. Elle fut
relevée au début du XIe siècle par l'évêque Poppon de Babenberg, et les
siècles suivants ajoutèrent notamment les voûtes d'ogive qui couvrent
aujourd'hui la nef, tandis qu'y étaient rassemblées des reliques précieuses :
entre autres la Sainte Tunique exposée de nos jours dans une chapelle
spéciale, les manuscrits sortant du fameux scriptorium, et divers trésors
(dont certains sont désormais au musée diocésain ou au musée municipal),
comme la Croix du marché élevée lors de la restauration de la cité après les
destructions dues aux Normands. Tout cet ensemble fait de Trèves un joyau
exceptionnel d'histoire et d'art – et c'est là qu'ont été prises en 1908 les
premières mesures édictées pour la conservation et la restauration des
monuments historiques – mesures heureusement imitées dans la plupart des
pays d'Occident depuis lors.
" Donc eux, à travers les bonnes œuvres, ne se manifestent pas à l'Orient et
ne brillent pas de l'ardeur du soleil et ne s'écartent pas du mal à l'Occident,
mais avec l'aquilon du Nord, ils se dissimulent dans la volonté propre de
leur cœur. À cause de cela, le diable envoie trois vents noirs de l'aquilon
avec un sifflement joyeux. Le premier avec orgueil et haine contre l'Orient
qui est éteint. Le second contre le Sud, par oubli de Dieu. Le troisième
contre l'Occident par infidélité. " Suit un exposé de l'Ancien Testament à
travers ses principales figures présentées comme Hildegarde aime le faire.
C'est dire que l'on reconnaît entièrement sa manière propre, aussi bien dans
ce préambule qui fait appel aux forces de l'univers : les points cardinaux, les
vents, toutes les énergies cosmiques, dont l'évocation tient une si grande
place dans son œuvre, que dans la suite, l'exposé de la Rédemption, qui aura
probablement constitué la trame de ce sermon prononcé à Trèves, et dont le
clergé voulait avoir une trace écrite.
" Un vent souffla de Lui, disant : J'ai placé le firmament avec tout ce qui
l'orne, aucune force ne lui manquant. Il a en effet des yeux comme pour
voir, des oreilles pour entendre, des narines pour sentir, une bouche pour
goûter. En effet, le soleil est comme la lumière de ses yeux, le vent comme
l'entendement de ses oreilles, l'air son odeur, la rosée son goût, faisant
émaner la viridité comme émise de la bouche. La lune aussi donne les
temps des temps (les saisons et leur déroulement) et ainsi en développe la
science aux hommes. Les étoiles, comme si elles étaient douées de raison,
le sont en effet, car elles parcourent un cercle, et ainsi leur rationalité
comprend beaucoup de choses. Et j'ai assigné quatre angles au globe, de
feu, de nuage et d'eau, et ainsi j'ai joint, comme par des veines, toutes les
extrémités de la terre. J'ai rempli les pierres de feu et d'eau comme des os,
et j'ai inséré en la terre humidité et viridité comme la moelle. J'ai étendu les
abîmes comme ceux qui soutiennent les corps en les fixant, autour desquels
sont les eaux qui jaillissent pour les maintenir. Ainsi toutes choses sont
constituées de façon à ce qu'elles ne s'évanouissent pas. Si les nuages
n'avaient ni eau ni feu, ils seraient comme cendres. Mais si les autres
luminaires ne recevaient pas leur lumière du feu du soleil, ils ne brilleraient
pas à travers les eaux, mais seraient aveugles. "
Mais elle reproche à ses auditeurs leur inertie. " Vos langues sont muettes
dans la voix qui résonne de la trompette de Dieu, vous qui n'aimez pas la
sainte rationalité qui tient comme les étoiles le cercle de la révolution
circulaire. La trompette de Dieu, c'est la justice de Dieu, que vous devriez
ruminer avec grand soin, en la répétant dans la règle instituée et dans
l'obéissance, avec une sainte discrétion, en la présentant aux peuples aux
temps convenables, et non en la leur intimant avec excès. Mais, à cause de
l'obstination de votre volonté propre, vous ne le faites pas. D'où manquent à
vos langues les luminaires au firmament de la justice de Dieu, comme
quand les étoiles ne brillent pas. " Et de leur reprocher de se tenir comme "
des couleuvres nues dans leurs cavernes " ou de " s'attarder dans les
fantaisies de l'enfance ".
Finalement, elle s'exclame comme pour elle-même: " Oh! que de malignité
et d'inimitié en cela que l'homme ne veut être tourné vers le bien ni pour
Dieu ni pour l'homme, mais qu'il cherche l'honneur sans travail et les
récompenses éternelles sans abstinence ! [... ] Vous n'avez pas d'yeux
puisque vos œuvres ne brillent pas devant les hommes du feu de l'Esprit
saint, et que vous ne leur rappelez pas les bons exemples ; d'où le firmament
de la justice de Dieu manque en vous de la lumière du soleil, et l'air manque
de suaves odeurs à l'édifice des vertus. " Suit une longue série de reproches,
en premier lieu de mollesse, de manque de zèle, de fragilité coupable : "
Vous devriez être des colonnes de feu " ; et de développer: " Si, grâce à la
capacité de raison que Dieu vous a donnée, vous réprimandiez en toute
vérité ceux qui vous sont soumis, ils n'oseraient pas résister à la vérité. Mais
autant qu'ils le pourraient, ils diraient que votre parole est vraie. [... ] D'où
toute Sagesse que vous avez cherchée partout dans les Écritures et dans
l'étude se trouve dévorée dans le puits de votre volonté propre. Comme si ce
que vous saviez, pour l'avoir touché et éprouvé, vous l'ensevelissiez à
combler vos désirs et à engraisser votre chair comme le petit enfant qui, en
son enfance, ne sait ce qu'il fait. " Et de reprendre en exemple l'obéissance
des figures bibliques, leur désir de recueillir et de mettre en pratique la
parole que Dieu leur adressait, pour ramasser fortement l'ensemble en une
phrase : " Vous devriez être jour, mais vous êtes nuit ; car vous serez ou nuit
ou jour ; choisissez donc de quel côté vous voulez vous tenir. " Elle
développe ensuite les exemples à travers l'Écriture, jusqu'au moment où elle
en arrive au baptême, dans lequel " Le serpent fut suffoqué de confusion et
la mort fut détruite et blessée, d'où l'Église engendra une nouvelle
génération par une autre voie, car Ève fut d'une vie stérile et Marie apporta
une grâce plus grande que la nuisance d'Ève ".
Cette violence dans l'expression est motivée par la lutte qu'Hildegarde veut
entreprendre. Elle dénonce des erreurs pires encore que celles du peuple qui
erre, " des mœurs de scorpion, des œuvres de serpent " ; et de lancer,
montrant comment ces erreurs ont pu entrer dans un corps auparavant sain
de terribles condamnations contre les cathares, dont elle fait une description
pleine de finesse. " Un peuple viendra, séduit et envoyé par le diable, avec
un pâle visage et se composant une attitude toute de sainteté, et il se joindra
aux principaux chefs séculiers pour leur dire de vous : "Pourquoi gardez-
vous ceux-ci auprès de vous, et pourquoi les souffrez-vous dans votre
entourage, eux qui empoisonnent toute la terre de leurs iniquités souillées ?
Ce sont gens ivrognes et luxurieux, et si vous ne les rejetez pas d'auprès de
vous, toute l'Église sera détruite." " Le peuple qui dira cela de vous [elle
s'adresse rappelons-le, aux prélats et au clergé] se vêt de viles capes de
couleurs passées et il s'avancera, strictement tondu, et se montrera à tous les
hommes comme ayant des mœurs tranquilles et sereines. Il n'aime pas
l'avarice, n'a pas d'argent et pratique en privé une telle abstinence qu'il serait
difficile de lui faire quelque reproche. Or le diable est avec ces hommes
cachant son éclat, il se montre à eux comme il en fut lors de la création du
monde avant la chute, et se rend parfois semblable aux prophètes et dit :
"Le peuple parle en plaisantant, disant que je me montre à lui comme des
animaux enragés et immondes, et comme des mouches. Mais à présent, je
veux voler sur les ailes des vents dans un éclair fulgurant et les envahir de
telle façon qu'ils accomplissent toute ma volonté. C'est pourquoi parmi ces
hommes je rendrai mon extérieur semblable au Dieu tout-puissant." Car
c'est le diable qui opère cela à travers des esprits invisibles qui, à cause des
œuvres mauvaises des hommes, courent parmi eux dans toutes les
directions, au souffle des vents et de l'air, innombrables comme des
mouches et des moustiques qui infestent les hommes de leur multitude dans
l'ardeur de la chaleur. Lui-même en effet est entré en ces hommes de telle
façon qu'il ne leur enlève pas la chasteté. Et qu'il permet qu'eux soient
chastes puisqu'ils ont souhaité garder la chasteté.
Ainsi, dans son sermon prononcé à Cologne autour des années 1163 ou
1164, Hildegarde dénonce une nouvelle forme d'hérésie en laquelle il n'est
pas malaisé de reconnaître les cathares. Au vrai il s'agissait moins d'une
hérésie proprement dite que d'une sorte de religion nouvelle, semblable aux
sectes que nous connaissons en notre XXe siècle, et qui, se plaçant en
dehors de la Révélation, supposait un dualisme initial : deux dieux à
l'origine de la création, l'un créateur du monde visible, matériel, corporel, et
c'était un dieu mauvais, l'autre créateur des âmes, de l'esprit, un dieu bon
auquel seul l'homme devait s'attacher. Une douzaine d'années auparavant,
cette " hérésie " s'était manifestée dans le Languedoc ; on nommait ses
adeptes les " henriciens ", car c'était un certain moine Henri qui aurait été à
l'origine de leur errance. Celle-ci avait été assez répandue, notamment aux
environs du comté de Toulouse, pour amener saint Bernard lui-même à y
faire une tournée de prédication, peu de temps avant sa mort. Revenu à
Clairvaux, il avait écrit aux habitants de la ville pour les inciter à persévérer
dans la droite doctrine après sa mission, qui avait été un succès.
" Notre séjour près de vous, disait-il, a été de courte durée, mais il n'a pas
été sans fruits. La vérité qui par nous s'est manifestée, non seulement par
des paroles, mais encore par des actes [il faisait allusion à ses miracles] a
démasqué ces loups qui, venant à vous sous des peaux de brebis, dévoraient
votre peuple comme un morceau de pain. Elle a démasqué ces renards qui
ravageaient votre vigne, très précieuse vigne du Seigneur ; mais, s'ils ont été
démasqués, ils n'ont pas été pris. " Et de recommander la méfiance envers
ces prédicateurs d'un nouveau genre " qui, revêtant l'apparence de la piété,
et rejetant entièrement la vertu, mêlent aux paroles célestes de profanes
nouveautés de sens ou d'expression, comme on mêle du poison au miel.
Défiez-vous d'eux comme d'empoisonneurs et reconnaissez, sous leurs
vêtements de brebis, des loups rapaces ".
De fait, les cathares n'allaient pas tarder à pulluler dans la région rhénane,
région très commerçante, en pleine prospérité à l'époque où prêche
Hildegarde ; et il semble bien que ce développement du commerce et d'une
vie urbaine où le profit devient une préoccupation dominante ait été un
terrain propice pour une doctrine teintée de spiritualité, mais étrangère à
l'Évangile et puisant sa source dans les antiques affirmations manichéennes.
Une sorte de dualisme somme toute simpliste, qui assimile le mal au corps
lui-même et par conséquent redoute la femme, celle par qui se transmet la
vie et qui en procréant accomplit l'œuvre du " dieu mauvais ". Logique sans
nuance, qui réduit corps et matière à être instruments de péché, ce qui ne va
pas sans faciliter l'éternelle et toujours troublante distinction entre le bien et
le mal, l'objet même de la tentation d'Adam : décider soi-même de ce qui
est son bien et de ce qui est son mal.
Elle poursuit cependant, et sa prophétie prend dès lors un tour étonnant pour
nous, en prédisant une aurore de justice qui " surgira alors dans le peuple
spirituel et qui, tout d'abord, commencera par un petit nombre, et eux ne
voudront pas avoir beaucoup de pouvoir ni beaucoup de richesses, de celles
qui tuent l'âme, mais diront : "Pitié pour nous, car nous avons péché."
Ceux-là, en effet, seront réconfortés et viendront à la justice hors de la
douleur et de la crainte passées, de même que les anges ont été confortés
dans l'amour de Dieu lors de la chute du diable. Et ainsi par la suite, ils
vivront en humilité et ne désireront pas se rebeller contre Dieu en
accomplissant des œuvres mauvaises. Mais, débarrassés de toutes sortes
d'erreurs, dorénavant ils persisteront avec une force très courageuse de
droiture. Si bien que beaucoup d'hommes s'étonneront qu'une tempête aussi
violente ait été l'avant-coureur de cette douceur. Les hommes, en effet, qui
auront été avant ces temps-là auront soutenu beaucoup de violents combats
contre leur volonté propre, au péril de leurs corps dont ils n'auront pu se
dégager. Mais, en vos temps, vous aurez beaucoup de troubles et de
combats contre vos volontés propres et vos mœurs mai contenues, dans
lesquels vous aurez à souffrir toutes sortes de tribulations. "
" Cette même force du Très-Haut qui survint en Marie, réalisant en elle la
chair et le sang du Fils de Dieu, descend sur l'offrande du pain et du vin, des
blessures ouvertes de Jésus-Christ, de telle façon que cette même offrande
de pain et de vin, de manière cachée, en présence de Dieu et des saints
anges, se trouve transformée en chair et en sang – de même en effet que le
blé et le vin, par leur viridité cachée, que l'homme ne peut voir, se mettent à
pousser. Mais parce que l'homme, après avoir été lavé de ses fautes par
l'effusion du baptême, tombe très souvent dans le péché, les blessures du
même Fils de Dieu restent ouvertes, aussi longtemps que l'homme plein de
raison péchera, de façon que par la pénitence et la confession il soit en ses
blessures lavé et soit reçu.
" Mais ces hommes que l'on appelle hérétiques et sadducéens nient la très
sainte humanité du Fils de Dieu et la sainteté de son corps et de son sang
qui est présentée dans l'offrande du pain et du vin. C'est pourquoi le diable,
qui tira son origine de Celui qui n'a ni commencement ni fin, et qui au début
de son élévation a contredit à l'unité de l'Éternelle Divinité parsème toute la
terre d'une poussière de mort par l'entremise de ces hommes. Lui-même est
en effet menteur puisqu'il infuse dans les yeux de ces hommes
l'aveuglement de l'infidélité, les aveuglant à ce point qu'ils ne peuvent ni
espérer ni croire en Dieu véritable. Ainsi, à la manière de la vipère, il mord
toute Sainteté et Honneur de Dieu à travers ces hommes qui le suivent par
sa suggestion et qui, en toutes choses méprisent le Dieu vivant à travers leur
infidélité. En effet ils ne tiennent pas selon la vraie foi le Dieu véritable, qui
est invisible, et de même l'âme, donc l'esprit de l'homme. Car toute leur
affection se porte sur les choses qui sont charnelles, et c'est pourquoi ils
foulent aux pieds toutes les choses qui viennent de Dieu, comme celui-là
qui les a séduits, car, méprisant les mots de la Vérité, ils se glorifient dans le
mensonge et dans sa fausse doctrine.
" L'ange déchu en effet sait par son intelligence que l'homme intelligent a la
possibilité de faire ce qu'il veut. Et il avait reconnu cela dans le premier
homme qui avait accepté l'ordre de Dieu. Et ainsi, de même qu'il avait
trompé la femme, il s'efforce de détruire en ces hommes ce que Dieu avait
ordonné, à savoir qu'ils croissent et se multiplient, en leur suggérant qu'ils
vivent non pas selon le précepte de la Loi, mais selon ce qu'ils décident
pour eux-mêmes par la suggestion du diable. " De là leur acharnement à se
mortifier le corps, à jeûner, tout en refusant les préceptes de Dieu et l'ordre
normal de la procréation.
Et Hildegarde d'exhorter les maîtres de la cité à chasser ces gens : " Ainsi
vous, rois, ducs et princes et autres hommes chrétiens qui craignez Dieu,
écoutez bien cela et faites fuir ce peuple de l'Église en le privant de ses
libertés, en le chassant et non en le tuant. Car ils sont images de Dieu.
Puisse en effet l'esprit de feu qui est source vivante par Sa Grâce vous
pénétrer pour que vous le fassiez avant le jour de la colère de Dieu, de
façon que vous ne manquiez ni d'honneur ni de la béatitude du corps et de
l'âme. " " En le chassant, non en le tuant. " Les autorités religieuses aussi
bien que civiles auraient eu intérêt à se souvenir du conseil d'Hildegarde !
La moniale rattache au péché des origines la défaillance du corps qui meurt
et le fait que l'homme soit privé de la vision de la vraie lumière. Et c'est aux
maîtres que le Christ nous a donnés qu'il revient de " prendre garde que les
hommes, avant leur mort, puissent se purifier de toutes fautes ; eux-mêmes
pour cela doivent avoir le cœur pur de façon à demeurer vigilants et à ne
juger jamais que selon le jugement du Dieu tout-puissant ". Et elle lance un
avertissement quant au respect de la pauvreté et du pauvre lui-même pour
l'amour du Christ : " Bien que Dieu permette que le riche possède des
richesses et puisse en soutenir le pauvre, cependant c'est l'image du pauvre
qui est Son image à Lui, et qu'Il aime. " Hildegarde semble décidément
avoir pressenti ces religieux qui allaient, dans la foulée de frère François et
de saint Dominique, donner une place de choix à Dame Pauvreté,
s'appliquer à réformer les mœurs et à renouveler la vie monastique pour
combattre l'hérésie ou plutôt la secte manichéenne.
CHAPITRE IX
Hildegarde dénonce ensuite les effets de cette criminelle avarice : " De faux
prêtres, certes, se trompent eux-mêmes, qui veulent avoir l'honneur de
l'office sacerdotal sans en exercer la charge. Ce qui ne peut être, car à
personne ne sera donnée récompense sans que le travail correspondant ait
été accompli. Dès que la grâce de Dieu touche l'homme, en effet, elle
l'amène à œuvrer pour qu'il en reçoive récompense. " L'époque d'Hildegarde
n'est pas encore celle où les bénéfices ecclésiastiques seront distribués en
abondance à des titulaires qui ne se soucient pas d'en exercer les charges ;
ce sera le cas aux XIVe et XVe siècles ou encore à l'époque classique, quand
le monarque se sera vu attribuer par le concordat de 1516 la nomination des
évêques et des abbés des monastères. Mais percevoir les revenus de ces
bénéfices destinés à rémunérer une charge ecclésiastique sans trop se
soucier de la charge elle-même représente une tendance humaine – trop
humaine ! – qui, elle, a toujours existé.
On peut supposer que lors de son séjour en Souabe Hildegarde s'est aussi
rendue à l'abbaye de Hirsau non loin de Freudenstadt, qui fut en son temps
l'une des plus célèbres abbayes bénédictines. Fondée au XIe siècle, elle
adopta la réforme de Cluny, et plus de cent monastères lui étaient affiliés. Il
n'en reste rien aujourd'hui, sinon l'Eulenturm, une belle tour carrée du début
du XIIe siècle, qui se dressait dans le cloître face à l'église ; son premier
étage, autrefois bibliothèque de l'abbaye, abrite les rares vestiges qui
subsistent de l'ensemble de l'édifice. À cette bibliothèque est lié le souvenir
de Conrad de Hirsau, à peu près contemporain d'Hildegarde, qui diffuse
alors et enseigne l'admiration pour les auteurs classiques de l'Antiquité,
Cicéron, Horace, Ovide et autres, toutes sources de culture que, selon lui,
les moines se doivent d'étudier pour développer en eux le goût du beau, la
finesse d'expression, le sens littéraire.
Mais il nous faut revenir sur le voyage précédent d'Hildegarde, celui qu'elle
a accompli en direction de Mayence, car il est lié à des difficultés qui ont
assombri les dernières années de son existence, et qui ont aussi suscité de sa
part des pages admirables notamment sur la musique.
Sa lettre aux prélats de la ville reprend toute l'histoire : "En vision [... ] je
me suis trouvée obligée d'écrire à propos de ce qui nous a été enjoint par
nos maîtres [Hildegarde et son couvent dépendaient de l'archevêché de
Mayence] au sujet d'un mort qui a été enseveli chez nous sous la direction
d'un prêtre, sans que cela ait soulevé de difficultés. Quelques jours après
qu'il a été enseveli, nos maîtres nous ont ordonné de le retirer de notre
cimetière. Aussi, atteinte d'une terreur qu'on devine, j'ai regardé comme
d'habitude vers la vraie lumière et j'ai vu cela dans mon âme, les yeux
ouverts : que si, selon leur ordre on retirait le corps de ce mort, ce rejet
faisait planer sur nous un grand péril, sous la forme d'une vaste noirceur sur
le lieu où nous sommes, se trouvant nous entourer à la façon d'un nuage
noir, de ceux qui ont coutume d'apparaître avant la tempête et le tonnerre.
Aussi, en ce qui concerne le corps du défunt, qui avait été confessé, oint,
avait reçu la communion et avait été enterré sans contradiction, nous
n'avons pas voulu le retirer et nous ne nous sommes pas pliées aux
injonctions de ceux qui voulaient nous en persuader ou nous l'ordonner; non
que nous méprisions en aucun cas le conseil des hommes justes ou de nos
prélats, mais de peur que nous ne paraissions faire injure par une sorte de
cruauté féminine, à celui qui, quand il était encore vivant, avait reçu les
sacrements du Christ. Cependant, pour ne pas nous tenir entièrement dans la
désobéissance, nous avons cessé les cantiques de louange divine, selon
l'interdit qui nous en était fait, et nous nous sommes abstenues de recevoir
le Corps du Seigneur ; alors que chaque mois environ d'habitude, nous Le
recevions, nous nous en sommes abstenues (note_8). Sur ce, alors que nous
en concevions une profonde amertume, tant mes sœurs que moi, et que nous
demeurions en grande tristesse, affligées d'un grand poids, j'ai entendu ces
mots en vision : "Ce n'est pas pour des paroles humaines qu'il vous convient
de vous abstenir du sacrement qu'a revêtu Mon Verbe et qui est votre salut
et qui est né de façon virginale de la Vierge Marie, mais sur cela il vous faut
demander la permission à vos prélats qui vous ont lancé cet interdit." [...] Et
aussi, j'ai entendu au cours de la même vision que j'étais coupable de n'être
pas venue en présence de mes maîtres en toute humilité et dévotion pour
leur demander la permission de communier, surtout étant donné qu'il ne
pouvait nous être imputé comme une faute d'avoir reçu ce mort, qui a été
enseveli après avoir été muni par son prêtre de tout ce qui convient au
chrétien, et a été accompagné de la procession habituelle à Bingen sans que
personne y ait trouvé rien à redire. "
" Donc, quand le diable trompeur entendit que l'homme, sous l'inspiration
de Dieu, avait commencé à chanter, et par cela était invité à rappeler la
suavité des cantiques de la patrie céleste, voyant que les machinations de sa
ruse se trouvaient réduites à néant il fut terrifié, se tourmenta, et il
commença à réfléchir et à chercher, selon les ressources multiples de sa
méchanceté, de quelle façon il pourrait désormais non seulement multiplier
au cœur de l'homme mauvaises suggestions et immondes pensées ou
distractions diverses, mais même au cœur de l'Eglise, partout où ce serait
possible, à travers dissensions et scandales ou par des ordres injustes,
perturber ou empêcher la célébration et la beauté de la divine louange et des
hymnes spirituels.
" C'est pourquoi, ajoute Hildegarde, il vous faut y réfléchir, vous et tous les
prélats, avec une extrême vigilance et, avant,de clore par sentence la bouche
de quiconque dans l'Église chante les louanges de Dieu lorsque vous le
suspendez, lui interdisant de recevoir les sacrements, tout cela, avant de le
faire, il vous faut examiner avec soin les causes pour lesquelles vous le
faites, en en ayant d'abord discuté avec la plus grande attention. "
L'évocation de la voix d'Adam, semblable à celle des anges, perdue avec le
Paradis et difficilement retrouvée à travers chants et musiques, grâce à
l'inspiration des prophètes, constitue une page fascinante de la
correspondance d'Hildegarde. Elle poursuit avec cette formule qu'on
retrouve ailleurs sous sa plume : " L'âme est une symphonie. " Sur le même
thème, elle va commenter les heures monastiques, ces temps de prières
chantées qui reviennent sept fois dans la durée du jour pour la louange de
Dieu. Et de même qu'elle a déjà montré comment les heures canoniales
rappellent les interventions de Dieu aux époques bibliques, elle va établir
une relation entre ces rythmes du jour et les moments même de la création :
" Réfléchissez que puisque le corps de Jésus-Christ est né de l'Esprit saint
dans l'intégrité de la Vierge Marie, ainsi de même le cantique de louange est
enraciné dans l'Église selon l'harmonie céleste par l'Esprit saint : le corps en
effet est vêtement de l'âme qui a une voix vivante, et c'est pourquoi il
convient que le corps avec l'âme chante par sa voix les louanges de Dieu.
D'où vient que l'esprit prophétique ordonne expressément que Dieu soit
loué par la joie des cymbales et par d'autres instruments de musique que
sages et savants ont inventés puisque tous les arts utiles et nécessaires aux
hommes proviennent de ce souffle d'esprit que Dieu a envoyé dans le corps
de l'homme ; et c'est pourquoi il est juste qu'en tous temps ils louent Dieu.
Et puisque à entendre certains chants l'homme parfois soupire et souvent
gémit, se rappelant la nature de l'harmonie céleste en son âme, le prophète,
considérant et sachant la nature de l'esprit – puisque l'âme est de nature
symphonique – nous exhorte dans le psaume que nous chantions à Dieu sur
la cithare et que nous psalmodiions sur le décacorde. [... ] Ainsi est appelé
le commencement du jour laudes, quand l'aurore surgit avant le soleil, et
aussitôt, vraie sagesse et vraie charité, Tu as inspiré en lui un souffle de vie.
En effet, de même que le soleil après l'aurore envoie aussitôt ses rayons
avec fulgurance, l'âme, souffle de vie qui est feu, dont la flamme est
rationalité, se fait reconnaître par sa science du Bien et du Mal – de même
que le soleil est reconnu par sa splendeur.
" Le temps ensuite durant lequel Dieu mit Adam en Paradis et lui montra le
plaisir glorieux de ce Paradis, lui octroyant tout fruit excepté le bois de la
science du Bien et du Mal, ce fut comme de prime jusqu'à tierce.
" Le temps au cours duquel Adam appela par leurs noms tout ce qui respire
et tous les volatiles du ciel qu'il vit et connut dans la vision de sa science, et
durant lequel il entendit Dieu lui parler dans la clarté de Sa divinité, ce fut
l'espace de l'heure de tierce jusqu'à sexte; Dieu lui apparut alors du côté de
l'orient, cependant qu'il ne voyait pas Son Visage mais la clarté de Son
Visage. Dieu ensuite, l'ayant réjoui par cette connaissance, envoya sur lui le
sommeil et ainsi, l'âme joyeuse dans le désir de sommeil il s'endormit
comme un fils devant son père. Dans ce sommeil, Dieu maintint son esprit à
une même hauteur que le corps où il l'avait envoyé avec science du Bien et
du Mal, et tout ce qui était à venir. Il le lui montra, à savoir sa progéniture
destinée à remplir la Jérusalem céleste. Et, en ce même sommeil, il lui ôta
une côte et en fit la femme qui, quand elle lui fut amenée et qu'il l'eut vue,
réjouit grandement Adam. Lui-même et son épouse considéraient ce qu'ils
allaient manger et faire, elle-même, se tenant près de l'arbre de la science du
Bien et du Mal, attendait son époux. Ce que voyant l'antique serpent qui la
regardait comme les anges regardent le Seigneur s'approcha pour la
tromper. L'espace de temps durant lequel cela fut accompli, ce fut comme
l'espace depuis sexte jusqu'à none.
" La femme que Dieu avait faite en Paradis d'une côte de l'homme vivifiée,
ayant alors en sa prescience et prévoyant la vie par laquelle toute vie
demeure lorsqu'elle descend en la femme par laquelle l'homme est destiné à
entrer dans la gloire du Paradis céleste séduite par le serpent, tendit à son
époux une nourriture de mort. Alors qu'ils se trouvaient dénudés dans leur
propre clarté, la clarté de Dieu qui avait d'abord apparu à Adam leur apparut
comme une flamme du côté austral [vers le midi] et dit : "Adam, où es-tu ?"
Cet espace de temps fut comme le délai entre l'heure de none et celle de
vêpres. Après quoi, étant expulsés du Paradis, ils vinrent dans le monde et
trouvèrent déjà la nuit sur terre. " Ce commentaire des heures canoniales, et
la magnifique évocation de l'art musical qui le précède rappellent le passage
de la septième vision, dans le Livre des œuvres divines, où Hildegarde
évoque " la flûte de la sainteté, la cithare de la louange, l'orgue de l'humilité
qui est la reine des vertus ".
Ainsi, pour elle, les instruments sont par nature voués à " la louange de
Dieu " comme les heures égrenées au fil de la journée dans la prière et le
chant des psaumes. Elle met au jour un accord profond entre les rythmes du
temps et de la liturgie, qui ne pouvait être pleinement compris qu'à son
époque où l'on cherche moins à raisonner par démonstration que par
analogie : c'est en fait tout un jeu de symboles que traduit ainsi pour elle la
vie monastique.
Moyennant quoi, elle admoneste violemment " ceux qui imposent le silence
dans les cantiques de la louange de Dieu sans que ce soit motivé par une
raison certaine ". " Ceux-là, dit-elle, ne jouiront pas dans le ciel de la
compagnie des louanges angéliques, eux qui ont injustement privé Dieu sur
terre de la beauté de Sa louange ; à moins qu'ils ne s'en corrigent par une
vraie pénitence et en une humble satisfaction. " Ils ne devaient pas être
insensibles à de pareils reproches, les prélats de Mayence qui pouvaient se
prévaloir d'une magnifique tradition dans le domaine du chant liturgique :
c'est à l'un de leurs archevêques, Raban Maur qu'est dû l'hymne fameux
Veni Creator Spiritus. Et le Dom Saint-Martin, la cathédrale de Mayence –
la plus ancienne des grandes églises romanes d'Allemagne avec celle de
Spire – évoque, avec son double chœur ces splendeurs du chant liturgique
qui à l'époque d'Hildegarde permettaient aux deux chœurs placés chacun
dans une abside de se répondre, emplissant de la voix tout le vaste édifice.
On en a fêté le millénaire en 1975, après que les offenses du temps eurent
été réparées ; l'ensemble reste digne de l'importance historique d'une
cathédrale dont l'archevêque avait été prince électeur et archichancelier du
Saint-Empire.
Dans la même lettre, on trouve un très beau passage sur le pauvre, dans
lequel elle dit s'inspirer de l'épître de saint Jacques. " Le riche veut être
honoré à cause de sa grande fortune ; il est reçu, il est honoré, surtout à
cause de l'aide qu'il apporte contre l'adversité et la crainte de sa puissance.
Le pauvre doit être reçu pour l'amour du Christ et parce qu'il est frère de
l'homme. L'un et l'autre ne peuvent être considérés comme semblables, car
ce serait sans discernement. Celui qui fait asseoir le riche et le pauvre sur un
même siège, le riche dédaignerait de le faire et le pauvre en serait effrayé.
Mais le pauvre doit être reçu et considéré pour l'amour de Dieu, car il est
frère de l'homme ; et bien que Dieu permette que le riche possède des
richesses et qu'il en fasse part aux pauvres, cependant Il aime la figure du
pauvre qui est Son image. Le riche en effet, à cause de l'orgueil de ses
richesses, commande aux hommes auxquels il peut nuire, et il les traite
comme s'ils n'étaient pas des hommes dans la même forme que lui, et en
cela est blasphémé le nom d'homme lui qui est par lui-même image et
ressemblance de Dieu. "
Enfin, cette longue lettre se termine sur une prière où Hildegarde invoque
particulièrement " sainte Marie, étoile de la mer ". Elle montre le Fils de
Dieu " tel un bon et sage jardinier, cueillant les herbes bonnes et parfaites
pour l'utilité de chacun, c'est-à-dire des hommes bons et parfaits qui ont été
comme la bonne herbe dans la bonne terre, car ils l'ont écouté et, en
écoutant Ses paroles, eux-mêmes ont obéi volontiers à Ses préceptes en foi
et en charité. "
Par ailleurs, dans un tout autre registre, l'enthousiasme devait aller croissant
dans le monde intellectuel pour un aristotélisme qui, à l'université de Paris –
celle-ci, on le sait, se forme au début du XIIIe siècle - allait devenir
dominateur et obsédant, de définitions en syllogismes. Aristote a été pour le
monde étudiant d'alors ce qu'aura été Hegel aux XIXe et XXe siècles. Or
l'Université prétendait détenir " la clé de la chrétienté ". Elle ne le montra
que trop lorsque les papes vinrent se placer sous la protection et l'influence
des rois de France pendant l'exil d'Avignon au XIVe siècle. Entre-temps,
certes, avait été élaborée une admirable synthèse entre raisonnement
aristotélicien et foi chrétienne grâce à saint Thomas d'Aquin, d'où une
philosophie qui s'imposera avec le temps, mais qui n'ouvre plus comme
jadis, sur un univers en création continue. On ne tardera pas à en arriver à la
notion d'un univers clos dont toutes les parties peuvent être déchiffrées par
l'analyse rationnelle – celui dont on ne doutait aucunement à l'époque de
Berthelot.
L'écart s'est creusé entre-temps ; vie mystique et vie sociale suivent des
voies parallèles. Loin de toute foule, derrière de hautes murailles, les
chemins de perfection sont suivis à l'abri de clôtures de plus en plus strictes,
dans les ordres réformés comme ceux du Carmel. Dans le clergé, la
hiérarchie – elle est nommée depuis le concordat de Bologne en 1516 par le
pouvoir temporel en France – tend à une sorte d'autonomie austère. On avait
pu noter dès la fin du XIe siècle, dans l'architecture même de l'Église
l'image d'un isolement entre clergé et peuple, jusque dans la célébration du
mystère eucharistique : le tour du chœur, grille ou tapisserie, en la
cathédrale d'Albi devient un mur de pierre. Il est significatif que la partie la
plus richement sculptée et peinte soit à l'intérieur tandis que, à l'usage du
peuple, se dresse le jubé et bientôt la chaire des prédications solennelles. Il
est vrai que s'esquisse, dès la fin du XVIIIe siècle, un mouvement inverse
qui s'affirmera peu à peu.
NOTES
4. Éd. Résiac.
BIBLIOGRAPHIE
Citons aussi Margot Schmidt, Die fragende Schau der heilige. Hildegard,
Leutesdorf am Rhein, 1992.
Dans le chapitre " Les subtilités de nature ", nous donnons une rapide
bibliographie des ouvrages récemment parus sur les textes médicaux
d'Hildegarde, et sur les associations qui étudient son œuvre.
SOCIÉTÉ NOUVELLE FIRMIN-DIDOT Mesnil-sur-l'Estrée pour le
compte des Éditions du Rocher en août 1994
Imprimé en France
N* d'impression : 27485