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Jacques Claude. Épigraphie de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est. In: École pratique des hautes études. 4e section, sciences
historiques et philologiques. Livret 2. Rapports sur les conférences des années 1981-1982 et 1982-1983. 1985. pp. 231-233;
https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1981_num_2_1_6863
(*) Programme de l'année 1981-1982 : I. Épigraphie khmère : (*) Programme de l'année 1982-1983 : I. Épigraphie khmère :
Sûryavarman Ier, sa prise de pouvoir et son règne (suite). Sûryavarman I : sa prise de pouvoir et son règne (suite).
- II. Épigraphie chame : les anciens rois mythique Uroja et II. Épigraphie chame : Les anciens rois mythiques Uroja et
Vicitrasagara. Bhrgu : C 66 (suite) et C 142.
Livret de la IVe Section de l'École pratique des Hautes Études, II, 1981-82 & 1982-83
232 RAPPORTS SUR LES CONFERENCES
celle de Jayavîravarman. La troisième, K 720, porte la même faire consacrer roi. On ne sait rien de ses origines, sinon, de
date de 924 et provient de Vat Phu, dans le Sud du Laos façon fort vague, qu'il appartenait à la "lignée lunaire" ; il
actuel. K 216 enfin, qui provient du Phnom Prah Net Prah, est de fait que ce personnage ne tenta guère de justifier ses
porte d'abord un texte se rapportant à Jayavîravarman daté de droits au trône suprême et l'on a tout lieu de penser que
1005 A.D. ; puis, dans une autre écriture, 5 lignes datées de c'était un véritable usurpateur. Toutefois, d'une inscription
1007 reproduisent l'ordre d'un roi non nommé. comme K 989 dite du Pràsàt Berï, étudiée spécialement en 1980-81,
on voit bien que de grands personnages l'ont suivi et n'en ont
Dans ces conditions, le plus raisonnable est de supposer pas rougi par la suite ; de même il est probable que Yogîsvara-
que l'anomalie relevée dans la titulature royale appartient à pandita, dignitaire originaire de la même région de Battam-
l'époque, non à un roi particulier. On voit d'ailleurs que bang, a été un fidèle de ce roi avant de suivre Sûryavarman I
dans K 468 du Pràsàt Khlan Nord d'Angkor, où l'on peut qui l'en a largement récompensé. Toutes les inscriptions qui
deviner presque sûrement le nom de Jayavîravarman, on lit nomment Jayavîravarman proviennent de la région d'Angkor,
à peu près tous les titres considérés comme appartenant de la province de Battambang ou de la périphérie du grand
exclusivement à Sûryavarman I . Ainsi, il faudrait attribuer K 125 lac : en tout, cela forme un territoire loin d'être insignifiant.
de Sambor non pas à ce dernier roi comme le voulait G. o
Coedès, mais à Udayâdityavarman I , seul roi connu cette Dans les dix premières années du XI siècle, on ne connaît
année-là. K 817 devrait désigner Jayavîravarman, étant donné que sept inscriptions qui désignent sûrement Sûryavarman Ier.
le lieu de sa découverte. Quant à K 720 de Vat Phu, il paraît La plus ancienne est K 89, qui provient du site de Prah Nan
tout à fait impossible de savoir qui elle désignait, sa date et (province actuelle de Kompong Cham), situé entre le déversoir
le lieu de sa découverte ne permettant pas en l'état de nos du grand lac et le Mékong, à une trentaine de km. seulement
connaissances de décider entre les trois rois éventuels. Enfin, au Sud du Pràsàt Tnot Cum, où l'on a trouvé une inscription
la dernière partie de K 216 pourrait désigner Sûryavarman non datée de Jayavîravarman (K 143) ; elle porte la date de
1 , dont on aurait ainsi un premier témoignage de sa présence 924 saka, c'est-à-dire
Sûryavarman I 6r selon toutes
l'annéeles même
sourcesdeet laaussi,
consécration
rappelons-le,
de
non loin d'Angkor.
de celle de Jayavîravarman. L'inscription suivante serait
Pour tenter de restituer l'histoire du pays khmer à cette K 542, gravée sur un piédroit du Pràsàt Khlârï Nord d'Angkor :
époque, il faut d'abord totalement abandonner l'idée d'une si les faits qu'elle rapporte sont énumérés dans un ordre
rivalité entre un roi "khmer" et un autre venu de l'étranger, chronologique, elle mentionne une action de Sûryavarman I r
que G. Coedès avait proposée ; à ce sujet, on ne peut que qui eut lieu au plus tard en 1006/7. En tout cas, K 989 nous
suivre M. Vickery, qui montre bien à quel point est garantit qu'en avril 1007 Sûryavarman I était dans la province
insuffisamment fondée cette hypothèse, sur ce qu'il croyait être une actuelle de Battambang et cela est confirmé encore par
allusion dans les annales, tardives, du royaume de Chiang-Mai. deux inscriptions de la même époque (K 232 et 234) ; d'autre
Il est d'ailleurs peu vraisemblable qu'un territoire aussi part, la stèle de Sdok Kak Thom K 235, dans la même région,
considérable que celui du pays khmer se soit rendu comme par rappelle les dépradations provoquées, semble-t-il, par la
enchantement à un roi qui arrivait de l'étranger, au milieu de luttes guerre qui opposait Sûryavarman I et Jayavîravarman.
entre des lignées rivales.
On voit donc que l'épigraphie de Sûryavarman I er durant
Du désordre qui a régné dans les premières années du la première décennie du XI siècle est sensiblement moins
XI siècle, on peut sans doute soupçonner que la fin du règne abondante que celle de son rival, pourtant malheureux. Une
de Jayavarman V, dont le dernier acte connu est daté du lundi question importante est celle de l'origine de Sûryavarman
2 septembre 1000, a été moins sereine qu'on ne le dit I : après l'avoir fait venir de la péninsule malaise, G. Coedès
généralement, à moins que les troubles n'aient commencé qu'à a pensé qu'il était Khmer, sans se demander plus précisément
l'occasion de sa succession. d'où il sortait ; M. Vickery, suivant L.P. Briggs, pense qu'il
vient du Cambodge oriental, mais seulement parce qu'il
Udayâdityavarman I er , dont on ne connaît sûrement croit que K 125 le désigne. Peut-être n'a-t-on pas porté une
que deux inscriptions - auxquelles il faut probablement ajouter attention suffisante au fait qu'il affirme descendre de la li-
K 125 et peut-être K 720 -, a été consacré roi en l'an 1001, gnée maternelle du roi Indravarman I : ces rois ont en
selon K 356 provenant du Pràsàt Khnà, situé à une commun qu'ils ont fait tous deux des fondations dans le Sud du
cinquantaine de km. à l'Est de Koh Ker. Il régnait encore au début de Cambodge actuel, Indravarman I sur le Phnom Bàyàh (cf.
1002, l'édit reproduit par K 682 de Koh Ker étant daté du 13 K 14, publié dans ISCC, n° XXVIII, p. 312), Sûryavarman Ier
février de cette année. Il faut insister sur le fait que ce roi sur le Phnom Chisor, qui n'en est somme toute pas très
pouvait à la rigueur réclamer le trône en tirant argument de éloigné. Il est donc permis de supposer que la lignée dont
ce que sa mère appartenait à la lignée des rois de Sresfhapura, ils se réclament, qui par ailleurs paraît n'avoir guère compté
mais certainement pas du fait, souvent avancé, qu'il était le que des roitelets, avait de solides racines dans le Sud.
fils de la soeur d'une des épouses de Jayavarman V. D'autre
part, il n'est probablement pas indifférent qu'on ait retrouvé Les deux rois ont un autre trait commun : ils se sont
la trace d'un de ses édits précisément à Koh Ker et que cet sentis assez puissants pour venir chercher le pouvoir suprême à
édit ait concerné le "dieu du royaume", kamrateh jagat ta Angkor, sans avoir ni l'un ni l'autre de lien particulier avec le
râjya : cela permet de supposer qu'il a tenté de s'installer roi qui l'a précédé. Dans les ténèbres où nous nous trouvons, le
dans cette ancienne capitale de l'empire khmer et il n'est pas parallèle mérite qu'on s'y arrête. Car il existe un troisième roi
interdit de penser qu'il ne l'a fait que faute de pouvoir régner qui est venu du Sud de la même façon : Jayavarman II ; son
à Angkor, où l'on n'a retrouvé aucune trace de lui et où déjà épigraphie, on le sait, est quasi inexistante et on ne saurait
sans doute Jayavîravarman essayait d'imposer sa loi. Son rien de lui si la stèle de Sdok Kak Thom n'avait par accident
domaine s'étendait à l'Est jusqu'à Sambor du Mékong, s'il est donné longtemps après sa mort autant de renseignements sur
vrai que K 125 le désigne et pouvait remonter jusqu'à Vat sa carrière. Doit-on croire que ces rois, tout occupés qu'ils
Phu, si on peut encore lui attribuer K 720. étaient par leur conquête, n'ont guère eu le loisir de s'occuper
des biens des temples...
Jayavîravarman est nommé sûrement dans 11 inscriptions,
dont les dates certaines s'étalent entre le 5 septembre 1003 et Il est en tout cas certain qu'en septembre 1011, cinq ans
le 25 mai 1006 ; cependant il est certain qu'il fut consacré en après la dernière trace sûre de Jayavîravarman, Sûryavarman
924 saka (1002/3 A.D.). On a vu qu'on pouvait très I se sentait suffisamment assuré pour faire prononcer à ses
probablement lui attribuer encore K 817 du Pràsàt Ampil : 12 "fonctionnaires" le fameux serment de fidélité à sa personne
inscriptions sur une période de 3 ans est un chiffre non négligeable. et à celle de ses successeurs : cet acte fut parfois considéré
Il a pu attendre la mort d'Udayâdityavarman I pour se comme un argument en faveur de la thèse de l'usurpation
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de ce roi ; il semble pourtant avoir été moins illégitime ceux accordés à des reines du Cambodge à peu près à la même
que son rival et on peut tout aussi bien comprendre le serment époque ; en effet Dhararundradevî, épouse de Jayavarman II,
comme une sorte d'assurance contre une usurpation future. RâjendradevF, mère d'Indradevï, elle-même épouse d'Indravar-
man I , et peut-être aussi la mère et l'épouse de Râjendra-
L'année 1018 est peut-être encore un point de repère à varman voyaient leur titre de kanlon "reine-mère" précédé du
ne pas négliger : la stance XVIII de K 380 du Phnom Prah même âjnâ, tout aussi insolite. On peut songer à un emprunt
Vihâr (éditée dans les IC, VI, p. 264/269) nous apprend en effet (mais dans quel sens ?) ou encore supposer que certaines de
que cette année-là Sûryavarman I , après avoir fait ériger un ces reines étaient d'origine chame. On ajoutera que ce mot
linga nommé Sûryavarmesvara, "le Seigneur de Sûryavarman", serait à l'origine de banâ, titre khmer moderne connu
à Jayakçetra, c'est-à-dire au Vat Bàset, près de Battambang, également en mon et dans d'autres langues de la région.
en fit ériger trois autres du même nom, l'un sur le Phnom
Prah Vihâr, un autre à Isânatirtha, le troisième sur le Phnom La face c rappelle que les trois frères ont fondé des
Chisor. Le second de ces sites est inconnu ; il faut statues de divinités, dont deux à l'image de leur père et
évidemment le chercher sur le bord d'un cours d'eau et il n'est pas de leur mère - c'est encore un trait qu'on retrouve au
déraisonnable de l'imaginer sur les rives du Mékong, peut-être Cambodge à la même époque - dans les années 820, 830 et 831 saka
dans la région de Sambor. On voit alors - et cette constatation (soit 898/9, 908/9 et 909/910).
renforcerait l'hypothèse - que les quatre sites sont aux points
cardinaux et qu'ils marquaient peut-être approximativement Nous n'avons pas eu le temps d'aborder la face d, qui
les limites de l'empire de Sûryavarman I à cette date. Ce contient un texte cham qui se poursuit sur plusieurs lignes
ne serait donc que par la suite qu'il aurait encore étendu son ajoutées au bas de la face B et au sommet de la face c.
domaine, occupant la région du Nord des Dangrêk et poussant
au moins jusqu'à Lopburi, où l'on a trouvé une inscription Ont participé activement et très régulièrement aux
reproduisant l'un de ses édits, daté du 12 août 1022. conférences : MM. KHIN SOK, MAK PHOEUN, PO DHARMA,
Prapod Assavavirulhakarn et SUNSENG SUNKIMMENG, ainsi
//. Epigraphie chame : les rois mythiques Uroja et Bhrgu. que, à partir du mois de janvier, Mlle Uraisi Varasarin,
professeur à la Faculté d'archéologie de l'Université Silpakorn de
De C 66, importante stèle inscrite provenant du site de Bankok. - M. Le Bonheur, conservateur au Musée Guimet, nous
Dong-Duong, il nous restait de l'an dernier à étudier les a fait l'honneur et l'amitié de participer à nos conférences
petites faces latérales c et d, qui sont les moins intéressantes. chaque fois que son travail le lui permettait.
Le roi Indravarman, s'exprimant à la première personne,
rappelle le don d'un monastère bouddhiste et de ce qui est Activités et publications du directeur d'études :
nécessaire à son entretien ; il souligne qu'il s'agit d'un don
personnel, ne provenant pas de l'impôt ; suivent six stances Dans le cadre des conférences publiques du Musée Guimet,
bénissant les bienfaiteurs futurs et maudissant ceux qui détruiraient le directeur d'études a parlé le 23 mars 1983 sur le sujet
la fondation ou qui n'en dénonceraient pas les destructeurs. suivant : "Nouvelles orientations pour l'histoire du pays khmer"
La face d répète en prose le contenu de la face c. Le texte de cette conférence doit paraître dans la revue
La stèle C 142 étudiée ensuite provient du village de Hoa- ASEMI, vol. XIII (sous presse).
Què, près de Da-nang. C'est un important monument gravé D'autre part, il a pu se rendre en mission en Thaïlande et
soigneusement sur ses quatre faces, qui possède la particularité, en Inde pendant les mois de juillet et août 1982, grâce à la
rare dans l'épigraphie chame, d'émaner non d'un roi mais d'une D.G.R.C.S.T. du Ministère des Relations extérieures.
famille de dignitaires dont il marque le temple de lignée.
La face A consacre 13 stances à la célébration du Linga et Enfin il a commencé la réalisation d'un Corpus des
rapporte notamment la célèbre légende indienne de sa inscriptions du pays khmer, qui sera publié conjointement par l'Ecole
découverte par les dieux Viçnu et Brahma. La dernière stance française d'Extrême-Orient et par la Section. Cet ouvrage,
demande au dieu de protéger spécialement la famille des dont la publication devrait occuper une décennie, comprendra
donateurs. deux grandes parties : la reproduction de tous les estampages
Après l'éloge en quatre stances d'un roi Bhadravarman, existant, qui sera confiée à l'International Academy of Indian
appartenant à la "lignée de Bhrgu", "roi des rois de Campa", Culture de Delhi : deux volumes au moins devraient paraître
la face B célèbre trois frères issus, semble-t-il, d'une lignée avant la fin de l'année 1983. L'édition et la traduction des
étroitement liée à la famille royale, grands du royaume dont textes viendront renouveler l'oeuvre imposante accomplie jusqu'à
les titres accordés par le roi sont précédés du mot âjni, fort aujourd'hui et seront réalisées avec la collaboration principale
singulier à cette place (il signifie en sanscrit "décret", "édit") ; de Monsieur Philip N. Jenner, professeur à l'Université de
cette singularité nous a conduit à rapprocher ces titres de Hawaii.
Livret de la IVe Section de l'École pratique des Hautes Études, II, I98I-8Z & 1982-83