Vous êtes sur la page 1sur 6

École pratique des hautes études.

4e section, Sciences historiques


et philologiques

Épigraphie de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est


Claude Jacques

Citer ce document / Cite this document :

Jacques Claude. Épigraphie de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences
historiques et philologiques. Annuaire 1978-1979. 1982. pp. 989-993;

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1978_num_1_1_6598

Fichier pdf généré le 18/05/2018


CLAUDE JACQUES 989

ÉPIGRAPHIE DE L'INDE ET DE L'ASIE DU SUD-EST (*)

Directeur d'études : M. Claude Jacques

I. — Épigraphie du Cambodge.
L'inscription K 1063, inscrite au programme de cette année,
appartient à la collection de S.A.R. le prince Bhanubandhu
Yugala et provient donc vraisemblablement d'un site de
Thaïlande, malheureusement inconnu; elle m'a été signalée par
M. Boisselier qui a bien voulu m'en confier un frottis d'excellente
qualité et lisible tout du long. Cette inscription s'est révélée
intéressante à plusieurs titres : en premier lieu, l'ordonnance
du roi Jayavarman V qu'elle reproduit peut se lire sur trois
autres stèles déjà connues depuis longtemps, K 175, K 444 et
K 868 : c'est là le seul exemple connu d'un texte khmer
découvert en plusieurs « exemplaires », bien que la pratique ait dû
en être assez fréquente. Cependant, on constate que ces stèles
n'ont pas été gravées en même temps, et les variantes qu'on y
relève permettent de tirer des renseignements historiques de
valeur. Il se trouve enfin que cette ordonnance présente par elle-
même un intérêt sociologique certain, ce qui est somme toute peu
fréquent.
Les inscriptions K 444, K 868 et K 175 proviennent de
différents sites du Cambodge; elles ont été éditées par G. Ccedès
dans ses Inscriptions du Cambodge (respectivement, t. II, p. 62-
68 et t. VI, p. 170-172 et p. 177-178), mais seule la première a été
traduite. Notre interprétation a dû s'éloigner parfois assez
considérablement de celle de G. Ccedès.
L'examen comparatif des quatre inscriptions nous a permis de
considérer que la première gravée fut K 1063, suivie, une dizaine
d'années après, semble-t-il, par K 175; K 444 et K 868 sont plus
tardives encore, mais la date de leur gravure ne peut être précisée.

I. Épigraphie khmère : Deux inscriptions inédites : K 1063 (provenant de


la collection du Prince Bhanu) et K 1036 de Tûol Ro ftâà. — Épigraphie
chame : les inscriptions de Phanrang (suite).
990 RAPPORTS SUR LES CONFÉRENCES

Les principales conséquences que l'on a pu tirer du point de


vue historique ont été exposées dans un article du Bulletin de
l'École française d'Extrême-Orient (t. LXV, p. 281-332), dans
lequel on a présenté également le résultat des recherches
retracées dans les conférences de l'an dernier. Une variante notable
se trouve en effet dans la date d'accession au trône du roi Jaya-
varman V : K 1063 et K 175 donnent la date de 891 saka (soit
969 AD.), tandis que les deux autres textes avancent cette date
d'un an, et l'on sait que la date de 890 est celle qui est partout
ailleurs fournie par les inscriptions. Cette variante est d'autant
plus significative que la date la plus basse apparaît dans les textes
les plus anciennement gravés et qu'on devrait par conséquent
la considérer comme exacte. La modification qui fut faite par la
suite pourrait avoir eu pour objet, selon nous, de cacher des
difficultés d'accès au trône du jeune roi Jayavarman V, ce qui
signifierait en même temps que la fin du règne de Râjendravar-
man, son père, a pu être difficile; quelques indications provenant
d'autres épigraphes iraient dans ce même sens.
Une autre variante porte sur le nom de la capitale, appelée
d'abord Yasodharapura, nom bien connu, puis Yasodharapar-
vata, beaucoup plus insolite. On a cru pouvoir en déduire — et
cela s'accorde bien avec l'hypothèse précédente, tout en
confirmant le résultat des recherches conduites l'an dernier — que
Jayavarman V s'installa d'abord dans l'ancien palais de Yaso-
varman Ier, qui s'élevait vraisemblablement au pied du Phnom
Bàkhèn, et qu'il résida ensuite dans le palais qu'il avait fait
construire lui-même au Nord du temple de Ta Kèv.
L'ordonnance de Jayavarman V concernait la création de deux
« castes » (varna), dont le nom : khmuk vrah kralâ arcana et
karmântara n'est rien moins que transparent; il est regrettable
qu'aucun indice ne nous permette de deviner quelle était la
fonction exacte des gens qui appartenaient à ces « castes »;
il apparaît pourtant qu'il s'agissait d'une fonction cultuelle
et que ces « castes » étaient fort élevées, contrairement à ce
qu'avait supposé G. Cœdès; en effet, les « membres fondateurs »
(mûla) devaient être choisis, au nombre de vingt pour chacune
. des « castes », parmi des hommes « parents d'une succession
d'âcâryapradhâna (âcârya prééminents) ». L'ordonnance ajoute
que ces « castes » étaient exclusivement sivaïtes; elle précise
en outre un certain nombre de points, concernant des exemptions
de redevances, le mariage des femmes et, semble-t-il, les honneurs
auxquels les membres de ces « castes » peuvent prétendre. Le
CLAUDE JACQUES 991

plus intéressant est sans doute que ce texte nous permet de


voir à quel point la « caste » khmère était différente de l'institution
indienne du même nom, qu'elle devait pourtant chercher à imiter.
En effet, non seulement le roi pouvait créer des « castes », mais
encore il semble qu'il y avait des possibilités de promotion et
qu'on pouvait quitter sa « caste » en étant désigné dans une
« caste » supérieure (et peut-être aussi inférieure?).
Toutefois, quelques points de cette ordonnance sont restés
obscurs, parce que nous ignorons le sens de certains mots —
notamment de sanjak, qui apparaît ici nettement comme un verbe
et dont le sens éclairerait utilement le titre d'anale sanjak, si
souvent rencontré à partir de cette époque. De même, tout un
passage concerne le kanakadanda, « bâton d'or », sans doute
insigne honorifique; il est difficile à interpréter, parce qu'on
ignore tout de cet insigne et des conditions dans lesquelles il était
attribué.
On voit que ce texte pose en définitive plus de questions qu'il
n'en résout. Il nous aide donc à mesurer l'étendue de nos
ignorances en ce qui concerne la civilisation khmère ancienne et peut
servir par là d'utile stimulant à la recherche, s'il en était besoin.

II. — Épigraphie du Champa.


Nous avons partagé l'année à l'étude des inscriptions C 20
et C 4, qui proviennent toutes deux de la région de Phanrang.
C 20 est gravée sur deux faces de la stèle dite de Yan Kur.
On compte 16 lignes sur la face A, qui se continuent au moins
sur une partie des 7 lignes de l'autre face. Ce texte est inédit à
ce jour; il est assez difficile à déchiffrer, surtout sur la face B.
Il avait pour objet de faire l'éloge d'une princesse, ce qui est
exceptionnel, nommée Sûryalaksmï; elle était l'épouse du roi
Indravarman et était elle-même « petite-fille de roi » (râjapautra
[sic]). Elle semble avoir porté curieusement le titre de urà bhatht
pândurâùgesa, le même que celui du prince Abhimanyudeva
célébré dans C 6 (cf. mon rapport de l'an dernier), peut-être
son contemporain si la date de 1200 saka qui figure en tête du
texte correspond à la fin de la vie de la princesse. On apprend
encore que la princesse a fait ériger des statues en mémoire de
son père, de sa mère et de son fils, en une triade qui rappelle
celles de même type qui furent érigées en grand nombre dans
les temples d'Ankor à l'époque de Jayavarman VII. On trouve
aussi dans cette inscription une allusion à deux de ses frères
992 RAPPORTS SUR LES CONFÉRENCES

aînés, Varajfia, gouverneur du pays (nagara) de Kraun Vauk,


et Mâhendravarman, « chef de toutes les armées de Pândurân-
gesa ».
Suit enfin l'annonce que cette princesse, apparemment fort
endeuillée, désire se retirer sur le Ganesaparvata, « mont » que
l'on ne sait pas situer sur la carte. On constate alors une erreur
révélatrice de l'ignorance de l'auteur de ce texte : il est écrit
que la princesse a vaincu les « cinq sens » (pancendriya) et l'énu-
mération qui suit est celle des « six ennemis intérieurs » de
l'homme.
La fin de l'inscription est à peu près illisible.
L'inscription C 4 a été publiée en partie par Aymonier (Journal
asiatique, janvier-février 1891, p. 50); cet auteur dit du texte
qu'il est « si mal écrit et si mal conservé », ce qui nous a paru fort
injuste et qui laisse supposer que ce pionnier des études chames
avait disposé d'un estampage médiocre. Cette inscription pose
de graves problèmes historiques, dans notre interprétation tout
du moins, qui est assez différente de celle d'Aymonier.
Le texte commence au milieu d'une phrase et il n'est pas
possible d'évaluer la perte de ce qui précédait. L'inscription est
gravée sur un « pilier », sans doute un piédroit, et la longueur
du texte conservé donne à penser que rien de ce qui était buriné
sur ce piédroit n'a été perdu, que par conséquent le texte pouvait
commencer sur un autre piédroit, ou même sur plusieurs autres.
C'est ici l'une des deux inscriptions où l'on peut lire la fameuse
indication d'une « guerre de 32 ans », apparemment entre les
Chams et les Khmers. Comme peu après on lit la date de 1123
saka (soit 1201/2 AD.), on pouvait en remontant arriver à la date
de 1170 AD. environ, période qui fut en effet des plus critiques
entre les deux pays. On sait toutefois qu'il serait très important
de revoir de près les relations exactes entre les Khmers et les
Chams dans la seconde moitié du XIIe siècle; car la situation
paraît avoir été infiniment plus complexe qu'on ne l'a cru :
s'il est incontestable qu'une expédition chame se rendit à Ankor
en 1177 et que ces envahisseurs en furent bientôt chassés par le
futur Jayavarman VII, cela ne signifie pas que l'ensemble des
Chams était en guerre avec l'ensemble des Khmers. Notamment,
Jayavarman VII dut entretenir, avant même qu'il montât sur le
trône, d'excellentes relations avec certains princes chams et
rien ne prouve que c'était pour guerroyer qu'il se trouvait au
pays cham au moment de l'usurpation de Tribhuvanâdityadeva,
en 1166. Comme souvent, le pays cham semble avoir été fort
CLAUDE JACQUES 993

divisé à cette époque, et les Khmers ont sans doute profité de ces
divisions, si même ils ne les ont pas largement favorisées. L'étude
de cette période fera l'objet des conférences de l'an prochain,
en commentaire des inscriptions C 86 et C 30 inscrites au
programme.
Notre inscription C 4 révèle par ailleurs des faits importants :
en 1201/2, les Khmers semblent avoir été victimes d'une attaque
des Birmans, accompagnés de Siamois et de Davvâ (peuple
non identifié); les Chams vinrent alors à leur aide et, en retour,
les Khmers aidèrent les Chams, en subissant même de lourdes
pertes, lors d'une expédition contre les Vietnamiens.
La fin de l'inscription signale que le roi cham célébré —
probablement Jayaparamesvaravarman, dont on devine le nom à
la fin du texte — a été consacré en 1126/7 AD. et qu'à cette
occasion il fonda plusieurs sanctuaires, dont un à Nandin et un autre à
ârïvinâya.
L'autre face de cette inscription fournit principalement une
liste de rizières.

Ont participé activement et très régulièrement aux conférences :


MM. Khin Sok, Mak Phœun, Po Dharma et Sunseng Sunkim-
meng; M. Lan Sunnary n'a pu assister qu'aux conférences du
premier trimestre.

8 565073 9 57 63

Vous aimerez peut-être aussi