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École pratique des hautes études.

4e section, sciences historiques


et philologiques. Livret

Épigraphie de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est


Claude Jacques

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Jacques Claude. Épigraphie de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est. In: École pratique des hautes études. 4e section, sciences
historiques et philologiques. Livret 4. Rapports sur les conférences des années 1985-1986 & 1986-1987. 1994. pp. 160-161;

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1985_num_4_1_7104

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160 RAPPORTS SUR LES CONFÉRENCES

éPIGRAPHIE DE L'INDE ET DE L'ASIE DU SUD-EST (») la capitale de Jayavarman dans le Sud du Cambodge, dans la
région d'Angkor Borei ; en fait, aucun document n'est formel
Directeur d'études : M. Claude JACQUES à cet égard : les premiers documents qui citent ce roi (K bk7
et K 493) proviennent l'un du Nord et l'autre du Sud et
portent exactement la même date du \k juin 657. Il faut
Rapport 1985-1986 observer en outre que l'on sait maintenant que son père était roi
dans le Nord et que c'est de ce royaume que Jayavarman est
parti à la conquête de son empire ; une indication pourrait
/ - Les inscriptions de Yaêovarman 1er. permettre de situer cette capitale dans la région d'Angkor,
Poursuivant nos recherches sur les inscriptions de Yasovar- où la fille du roi régnait encore en 713. On voudrait pouvoir
man 1er, nous avons pu étudier cette année l'ensemble du attribuer à ce roi le mystérieux Pràsàt Ak Yom.
texte de la stèle de l'angle Nord-Est du Bàrày oriental K 281.
Nous avons pu constater que l'auteur de ce texte était Il est remarquable qu'aucune de ces inscriptions ne
certainement différent de celui de K 280, étudié l'an dernier ; il rap el e une fondation du roi ; beaucoup cependant contiennent un
est permis de croire que ces poèmes ont fait l'objet d'une
sorte de concours et que les meilleurs ont été gravés, bien édit royal, à tel point qu'on a cru pouvoir lui attribuer les
qu'ils ne soient pas signés comme il arrive ailleurs en pareil textes reproduisant un tel édit sans le désigner nommément.
cas. On a ici l'impression que l'auteur a voulu étaler sa On aurait voulu parvenir à préciser la structure de l'empire
culture indienne, qui se révèle de fait assez étendue, et ce souci de Jayavarman 1er. On sait qu'il se voulait cakravartin,
l'a conduit plus encore qu'ailleurs à célébrer son roi en le "souverain universel", et on trouve une vague mention à des
comparant à divers héros de la mythologie agissant dans des rois vassaux, mais il faut avouer que l'organisation
récits qui ne correspondent pas toujours à ceux des grandes administrative de l'ensemble nous échappe. On a pourtant pu faire un
épopées classiques et dont l'origine exacte n'a pu être bon nombre de remarques sur la société khmère ancienne ;
retrouvée. une inscription surtout nous a retenu, K 725, qui fait l'éloge
à travers le Vile siècle d'une famille importante : on a essayé
Comme dans K 281, on a pu reconnaître un bon nombre de comprendre les rapports de ses membres avec le pouvoir
d'allusions à des événements du règne, trop peu précises pour royal et constaté que certains en furent absolument
qu'il soit possible même de les cerner ; sans doute aussi indépendants.
certaines allusions ont pu nous échapper, cachées comme Ont participé très régulièrement et très activement aux
elles le sont normalement dans les savantes énigmes du kavya. conférences : Mme KOLHATKAR et MM. KHINSOK, LE
Une difficulté de ce texte vient encore de ce que le poète BONHEUR, MAK PHOEUN et SUNSENG SUNKIMMENG.
ne semble pas avoir suivi un ordre chronologique, sans qu'on
parvienne à découvrir un autre plan. Activités et publications du directeur d'études :
On se contentera ici de rappeler les stances XXXIII et Le directeur d'études a bénéficié d'une mission en Asie du
XXXIV, qui montrent Yasovarman 1er en position de Sud-Est en septembre et octobre 1985 : après un séjour à Pon-
subordon é, ferme soutien de son père Indravarman sans doute ; citons dichéry, il a participé, du 16 au 30 septembre, au
aussi la stance LXXI1I, qui paraît répondre à une critique faite "Consulta ive workshop on archaeological and environmental studies on
au roi d'avoir changé l'ordre [de succession] normal ; on Srivijaya", qui s'est tenu à Jakarta et à Sumatra ; il a achevé
est ainsi amené à croire que Yasovarman 1er n'était pas le sa mission en Thaïlande, où il a, comme d'habitude, donné
prince héritier désigné par son père ; on observe d'ailleurs que
cela n'est spécifié nulle part, bien qu'il existe une abondance plusieurs heures de conférences à la faculté d'archéologie de
relative de textes relatifs à sa jeunesse. Tout cela tendrait l'Université Silpakorn et a visité divers sites.
à indiquer que c'est au moment de la succession d'Indravarman Le 5 novembre, il a prononcé une conférence au Centre
que des difficultés ont eu lieu et que c'est peut-être d'études asiatiques du St. Anthony's Collège à Oxford sur le
Yasovarman qui les a créées en s'emparant indûment du trône suprême. sujet suivant : "The royal city of Angkor and the State, as
glimpsed in inscriptions, 9th to 12th centuries".
Il a participé enfin à la Deuxième rencontre inter-laboratoi-
res sur l'Asie du Sud-Est (15 et 16 mai 1986) organisée par le
// - Histoire du pays khmer : l'époque pré-angkorienne (suite). Centre d'études et de recherches internationales de la
Fondation nationale des Sciences politiques et y a fait une
Après avoir examiné les deux inscriptions inédites qui font communication sur "Communauté et état en pays khmer avant Angkor".
connaître le roi Candravarman, nouveau venu sur la scène Il a publié : - The kamrateh jagat in ancient Cambodia,
khmère dont nous avions déjà parlé l'an dernier, nous avons dans Indus Valley to Mékong Delta : Explorations in Epigraphy
passé le reste de l'année à étudier les inscriptions du règne (Karashima, N. editor), Madras, p. 269-286. - Compte-rendu de
important de son fils Jayavarman 1er (avant 657 - après 691). MICHAEL VICKERY, Cambodia after Angkor, the chronicular
Les inscriptions, 31 en tout, ont été classées en quatre évidence for the fourteenth to sixteenth centuries, thèse de
groupes : parmi les textes qui nomment le roi (17), on a Ph. D. (Yale), dans Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-
distingué des autres ceux qui portent une date ; puis on a étudié Orient, t. LXXIII, p. 359-366.
les épigraphes (5) qui, sans le nommer, citent un roi qui est
vraisemblablement Jayavarman 1er ; enfin, on a groupé les Rapport 1986-1987
inscriptions (9) portant une date appartenant à son règne,
sans faire la moindre allusion à la royauté. I - Les inscriptions de Yaêovarman 1er.
Placées sur une carte, ces inscriptions montrent une très Nous avons étudié cette année l'ensemble de l'inscription
grande concentration dans le Sud du Cambodge actuel : c'est de la stèle de l'angle Nord-Ouest du Bàrày oriental d'Angkor,
la raison pour laquelle G. Coedès avait cru pouvoir placer K 282. Elle reproduit un poème sanscrit comportant autant

(*) Programme de l'année 1985-1986 : I. Histoire du pays (*) Programme de l'année 1986-1987 : I. Histoire du pays
khmer : l'époque préangkorienne (suite). - II. L'épigraphie khmer : l'époque préangkorienne (suite). - II. L'épigraphie
sanscrite de Yaêovarman 1er : les stèles du Bàrày oriental (suite). sanscrite de Yaêovarman 1er : les stèles du Bàrày oriental (suite).
Livret de la IV Section de l'École pratique des Hautes Etudes, IV, 1985-86 & 1986-87
Claude JACQUES 161

de stances que ceux qui sont gravés sur les stèles des trois approximativement 150 ans après Rudravarman ; mais fsanavar-
autres angles (27 sur chacune des faces, soit 108, chiffre man 1er, qui a commencé à régner un siècle environ après ce
sacré), mais l'auteur, peut-être parce qu'il avait une meilleure roi répond convenablement à notre attente.
maîtrise du sanscrit, a utilisé ici des stances plus longues On pourrait supposer que le nom posthume d'Indraloka, cité
et plus variées que celles des autres poèmes, qui, hors les par les inscriptions K 124 et K 826, est celui de Jayavarman
parties communes à tous ces textes, ne présentent que des 1er, maintenant "disponible". Cependant cette identification
sloka anusjubh. est bien mal assurée ; elle permettrait de constater que deux
Comme dans l'inscription de l'angle Sud-Est K 280, on a rois seulement, ïsânavarman 1er et Jayavarman 1er ont reçu un
cru pouvoir discerner, parmi les éloges dithyrambiques du nom posthume, tandis qu'ils apparaissent comme les deux plus
roi qui sont la loi du genre, nombre d'allusions à des grands rois de cette période.
événements historiques plus ou moins identifiables aujourd'hui ; L'étude des noms posthumes nous a donné l'occasion
on retrouve d'ailleurs quelques comparaisons analogues dans d'examiner les importantes inscriptions K 904 et 259, qui nomment
les deux textes. En particulier, l'auteur a voulu insister sur en particulier la reine Oayadevî". La seconde est fort ruinée,
les difficultés que Yasovarman 1er avait éprouvées à parvenir mais on a pu y reconnaître le nom de Sivapura et aussi celui
jusqu'au trône suprême ; la stance XLVII (B, 20) a même de Purandarapura, probablement le nom de la capitale de Jaya-
particulièrement attiré notre attention : on y fait allusion assez varman 1er, ce qui corroborerait une timide hypothèse situant
clairement à la profanation d'un sanctuaire ; nous avions déjà cette capitale dans la région d'Angkor. On croyait jusqu'à
supposé que Yasovarman 1er ne s'était pas installé dans le présent que dayadevf, fille de Jayavarman 1er, avait succédé
palais de son père, sans doute proche du Bàkong, parce qu'il directement à son père ; une nouvelle interprétation de K 259
en avait été empêché probablement par des ennemis, et non permet de proposer une autre hypothèse : le roi Nrpâditya qui
pas à la suite d'une simple fantaisie ; il est permis maintenant s'y trouve désigné était vraisemblablement roi (ou fils de roi)
d'aller plus loin et de supposer que le sanctuaire profané d'Aninditapura au moment où Jayavarman 1er a annexé ce
n'était autre que le Bàkong : on sait que la tour principale royaume au début de son règne ; à la suite de quelque accord,
actuelle de ce temple est beaucoup plus tardive que celui- il a pu épouser JayadevF, puis succéder, sur son ancien
ci, ayant été construite probablement à l'époque d'Angkor domaine, à Jayavarman 1er. Ce serait donc à son mari qu'en réalité
Jayadevi"
Vat ; il est possible que la tour primitive ait été aurait succédé : cette hypothèse, toute fragile, a
complètement abandonnée à la suite de la profanation, ce qui aurait l'avantage de rendre plus "normal", nous semble-t-il, l'anomalie
provoqué sa ruine ou au moins contribué à celle-ci. que constitue le règne d'une femme dans l'ancien Cambodge.
// - Histoire du pays khmer : l'époque pré-angkorienne (suite). Avec l'aide indispensable de notre ami Roger Billard, on
est parvenu à lire le difficile millésime de K 749 du Pràsàt Ak
Nous avons achevé l'étude systématique des inscriptions du Yom, qui est 59[6] saka au lieu de l'impossible 639 (ou 539)
règne de Jayavarman 1er, puis de celles qui nomment un roi proposée par G. Coedès ; la date correspond au samedi 5 juin
sous un nom posthume, en commençant par "Celui qui est allé 674 A.D. et le texte appartient donc au règne de Jayavarman
à Sivapura", le plus fréquemment rencontré : sous ce nom énig- 1er. Comme il est gravé sur un piédroit remployé, on doit
matique, aucun document ne portant à la fois le nom de règne supposer qu'il était considéré comme assez important pour devoir
et le nom posthume, G. Coedès avait pensé reconnaître Jaya- être affiché à nouveau et aussi que le temple auquel
varman 1er. Cette identification s'est révélée inexacte avec la appartenait son support n'était pas fort éloigné du Pràsàt Ak Yom.
découverte d'un édit de ce roi postérieur à la première Activités du directeur d'études :
apparition du nom posthume.
On avait d'ailleurs découvert à la fin des années 60 Le directeur d'études a participé à la Première conférence
d'autres inscriptions présentant ce nom de Sivapura et on l'a aussi de l'"Association of Southeast Asian Archaeologists in Western
retrouvé dans des textes où on ne l'avait pas soupçonné Europe", qui s'est tenue à Londres du 8 au 10 septembre 1986.
jusqu'à présent. Il apparût bientôt qu'il ne pouvait désigner qu'un Il s'est rendu en mission en Thaïlande au mois de janvier ;
roi particulièrement important, puisque les inscriptions qui le il a donné à Bangkok plusieurs heures de conférences à la
citent proviennent de différents sites du Cambodge très Faculté d'Archéologie de l'Université Silpakorn ; il s'est aussi
éloignés entre eux, montrant ainsi que ce roi gouvernait un rendu en Birmanie où il a passé une semaine, dont quatre
domaine relativement étendu : de tels monarques n'ont pas été jours sur le site de Pagan.
fort nombreux à l'époque pré-angkorienne.
Il a prononcé le 5 avril une conférence au Musée Guimet,
C'est K 1036, inscription qu'on avait déjà étudiée en 1978, intitulée : "Nouvelles données historiques sur le pays khmer
qui nous livrera la clef de l'énigme ; écrite sous le règne de avant Angkor".
Sûryavarman II, au milieu du XII siècle, elle retrace l'histoire Invité pour trois mois au Japon par la Japan Society for
des prêtres d'un temple fondé apparemment à l'époque de Ru- the Promotion of Science afin d'y faire diverses recherches,
dravarman, c'est-à-dire dans la première moitié du Vie siècle. notamment sur les données des annales chinoises sur le pays
On notera au passage que le temple en question devait khmer, il a dû interrompre ses conférences au début du mois
certainement conserver avec soin des annales régulièrement tenues. de mai.
La chance a voulu que parfois on ait indique la parenté de ces
prêtres en même temps que les noms des rois ; c'est ainsi que
l'on découvre qu'un homme a fondé un sanctuaire (pour Il a publié Sources on Economie Activities in Khmer
honorer d'ailleurs probablement un génie local) sous Rudravarman and Cham lands [p. 327-335], dans Southeast Asia in the 9th
et que son arnère-petit-fils était prêtre sous le règne de to 14th Centuries, Institute of Southeast Asian Studies,
Sivapura : cela élimine sans appel Jayavarman 1er, qui vivait Singapour, 1986.

Livret de la IVe Section de l'École pratique des Hautes Études, IV, 1985-86 <5c 1986-87

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