Vous êtes sur la page 1sur 120

PATRIMOINE MONDIAL Nº68

C
haque année, Patrimoine Mondial consacre un numéro spécial aux sites du pays

éditorial
hôte de la session du Comité du patrimoine mondial afin d’examiner leur valeur
exceptionnelle ainsi que tous les efforts mis en œuvre pour assurer leur protection.
Cette édition 2013 est consacrée au Cambodge. Elle nous présente, entre autres choses, une
fascinante étude des sites d’Angkor et du Temple de Preah Vihear.
Angkor est l’un des plus grands sites archéologiques du monde en cours d’exploitation.
L’histoire de ce bien illustre parfaitement le formidable outil que constitue la Convention du
patrimoine mondial pour reconnaître notre patrimoine, encourager la coopération et mobiliser
les compétences et les ressources nécessaires à sa préservation. Couvrant une superficie
de plus de 400 km2, le parc archéologique d’Angkor renferme les vestiges des différentes
Couverture :Magnifique harmonie entre l’art et
la nature à Angkor (le temple de Preah Khan) capitales de l’Empire khmer qui rayonna du IXe au XVe siècle. Suite à la guerre et à divers
bouleversements qui secouèrent le pays dans les années 1970, le site subit d’importantes
dégradations. En 1992, il fut inscrit simultanément sur la Liste du patrimoine mondial et la
Liste du patrimoine mondial en péril.
Grâce à la création du Comité de coordination internationale pour la sauvegarde et le
développement du site historique d’Angkor (ICC-Angkor) et de l’Autorité nationale APSARA
(Autorité pour la protection du site et la gestion de la région d’Angkor et de Siem Reap) et aux
efforts continus de leurs experts internationaux, le site fut retiré, en 2004, de la Liste en péril.
Le Temple de Preah Vihear est, quant à lui, dédié à Çiva. Ce site remarquablement bien
conservé date du IXe siècle. Véritable chef-d’œuvre de l’architecture khmère, il fut inscrit en
2008 sur la Liste du patrimoine mondial.
Ce numéro exclusif se penche sur la préservation de ces sites exceptionnels ainsi que sur
divers enjeux clés comme la gestion de l’eau, la préservation d’anciens ouvrages hydrauliques
et l’essor du tourisme. Les experts chargés de la conservation des peintures murales de Wat
Bakong, des structures d’Angkor Thom, de Banteay Kdei et du Bayon, nous livrent également
de précieuses informations à leurs sujets.
D’autres aspects de la culture cambodgienne, comme le Ballet royal et le Sbek Thom, un
théâtre d’ombres khmer, les archives du Musée du génocide de Tuol Sleng, du Mémoire du
monde au Cambodge, ainsi que la réserve de biosphère Tonlé Sap sont aussi traités afin
d’offrir une vue complète de ce fascinant patrimoine.
Je tiens à remercier le Gouvernement cambodgien pour sa précieuse contribution à la mise
en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, notamment durant son mandat actuel en
tant que membre du Comité, ainsi que pour son accueil et sa présidence de la 37e session du
Comité du patrimoine mondial qui se tiendra cette année à Phnom Penh.

Kishore Rao
Directeur du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO
S o mmaire
Magazine trimestriel publié en français, anglais
et espagnol conjointement par l’Organisation des
Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture (UNESCO), Paris, France, et par Publishing
for Development Ltd., Londres, Royaume-Uni.

Directeur éditorial
Numéro spécial
Kishore Rao
Directeur du Centre du patrimoine Patrimoine mondial
18
mondial de l’UNESCO

Éditeur
au Cambodge
Publishing for Development

Chef de rédaction
Vesna Vujicic-Lugassy

Conseil editorial pour ce numéro spécial


Helen Jarvis

Rédacteurs
Helen Aprile, Gina Doubleday, Michael Gibson

Coordinateur de production
Richard Forster

Éditeur de production
Caroline Fort
Message de Madame Irina Bokova,
Correction de copie Directrice générale de l’UNESCO 5
Caroline Lawrence (anglais), Brigitte Strauss
(français), Luisa Futoransky (espagnol)
Message de bienvenue du Premier ministre
Conseil éditorial du Royaume du Cambodge, Samdech Akka
ICCROM : Joseph King, ICOMOS : Regina Durighello,
UICN : Tim Badman, Centre du patrimoine mondial Moha Sena Padei Techo Hun Sen 7
de l’UNESCO : Giovanni Boccardi, Véronique

22 32
Dauge, Guy Debonnet, Lazare Eloundou-Assomo, Entretien avec S.E. le docteur Sok An,
Feng Jing, Mechtild Rössler, Nuria Sanz, Petya
Totcharova, Éditions UNESCO : Ian Denison Président du Comité du
patrimoine mondial 8
Assistante de rédaction
Barbara Blanchard
Carte des sites archéologiques et
Publicité monuments du Cambodge 12–13
Fernando Ortiz, Peter Warren

Couverture Angkor 16

37 39
Photo : Ross Huggett l Monuments et conservation 18
Design : Recto Verso l Le système hydraulique angkorien

Rédaction l Patrimoine et population dans le site 22


Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO d’Angkor 26
7, place de Fontenoy, 75007 Paris l Les peintures murales de Wat Bakong 30
Tél. (33.1) 45 68 16 60 – Fax. (33.1) 45 68 55 70
E-mail : g.doubleday@unesco.org l Le Temple de Ta Prohm 34
INTERNET : http://whc.unesco.org l Restauration et renforcement des tours

de brique du temple de Prè Rup 38


Publicité, production

47 48
l  Le temple du Bayon : quand sculpture
Publishing for Development
5 St. John’s Lane - Londres EC1V 4PY - RU et architecture riment avec pouvoir 44
Tél : +44 2032 866610 - Fax :+44 2075 262173 l Le Baphuon à Angkor – Histoire
E-mail : info@pfdmedia.com
d’une renaissance 48
Abonnements l Le précieux patrimoine du temple de

Jean De Lannoy, DL Services sprl Banteay Kdei 52


Avenue du Roi 202 - B 1190 Bruxelles - Belgique
Tél : +32 2 538 43 08 - Fax :+32 2 538 0841 l Le plan orthogonal d’Angkor Thom 56
E-mail : subscriptions@dl-servi.com

Les idées et opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et
54 56 l Acquisition d’images LiDAR 2012 des sites
d’Angkor, du Phnom Kulen et de Koh Ker 60

ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO. Les appellations


employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent
n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut
juridique des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant à
leurs frontières ou limites.
Publié par Publishing for Development Ltd., Londres, Royaume-Uni.
ISSN : 1020-4520. © UNESCO – Publishing for Development Ltd. (2013)
PATRIMOINE MONDIAL Nº68

66 71
Preah Vihear 66
l Aperçu du temple de Preah Vihear 68
l Le système hydraulique du temple de Preah Vihear 74
l Preah Vihear – La symbolique cosmographique

du site 80
l Çiva-Bhadreçvara – L’union de Preah Vihear, Vat

Phou et Mi-sön, trois temples classés au patrimoine

81 85
mondial de l’UNESCO 84

Liste indicative 90
l Koh Ker – Le Prasat Chen et sa statuaire 92
l Groupe archéologique de Sambor Prei Kuk – un

complexe urbain de temples 96

Patrimoine culturel immatériel 102


l Ballet royal du Cambodge 104

93 96
l Le Sbek Thom – théâtre d’ombres khmer 106

Le succès de la réserve de biosphère Tonlé Sap 108

Mémoire du Monde au Cambodge 110

Bulletin d’abonnement 113

Prochain numéro 115

Patrimoine Mondial tient à remercier le Gouvernement


royal du Cambodge, la Commission nationale pour
l’UNESCO, le Ministère de la culture et des beaux-arts,
l’Autorité nationale APSARA, les auteurs, ainsi que Tan

105 106 108


Theany, Azedine Beschaouch et surtout Helen Jarvis, au
cœur du projet, pour leur participation dans la préparation
de ce numéro spécial.
NIO MUN
MO D
RI
T

IA
PA

PFD

NDIAL •
W O RLD H

MO
ER

IT
E

AG I
N

E O

P ATRIM

PUBLISHING
Organisation Patrimoine du
Convention FOR DEVELOPMENT
des Nations Unies patrimoine
mondial mondial
pour l’éducation,
Éditions UNESCO la science et la culture
Message de Madame

Message
Irina Bokova,
Directrice générale

L
Organisation

de l’UNESCO
des Nations Unies
pour l’éducation,
la sience et la culture

e patrimoine culturel du belles réussites obtenues à Angkor avec le


Cambodge nous offre soutien du Comité du patrimoine mondial,
une parfaite illustration de depuis l’inscription du site en 1992 sur la
l’idée sur laquelle repose la Liste du patrimoine mondial et la Liste en
Convention du patrimoine péril, et son retrait de la Liste en péril en
mondial : la conviction que chaque site 2004.
présentant une valeur exceptionnelle et Aujourd’hui, Angkor est non seulement
universelle doit être reconnu et protégé une destination touristique clé en Asie,
pour le bien de l’humanité tout entière. mais aussi un formidable moteur de
Le temple de Preah Vihear est un site développement économique. Le site,
dédié à Çiva. Remarquablement conservé, il qui constitue un modèle de gestion
est réputé pour la qualité de son architecture exemplaire pour tous les biens classés au
et la finesse de ses décorations en pierre patrimoine mondial, a par ailleurs inspiré
sculptée. Le site d’Angkor renferme, quant à de très nombreux projets de restauration à
© UNESCO
lui, les magnifiques vestiges des différentes travers le monde. Sa renommée contribue
capitales de l’Empire khmer qui rayonna à sensibiliser le public à la fragilité de
du IXe au XVe siècle. Ces biens constituent l’ensemble de nos sites et nous rappelle et documentaires uniques de l’ancienne
aujourd’hui d’importants témoins d’une notre responsabilité commune d’assurer prison et du centre d’interrogatoire installés
histoire riche et unique, un facteur leur protection. Le Programme de l’UNESCO par le régime des Khmers rouges sur le site.
fondamental pour l’épanouissement de sur le patrimoine mondial et le tourisme Ces documents constituent un témoignage
toute société. Tous deux nous rappellent durable prend ici tout son sens en informant important d’un chapitre sombre de l’histoire
également notre devoir de protection et de les visiteurs et en aidant les gestionnaires de du Cambodge et de l’humanité tout entière.
promotion envers le patrimoine mondial. site et les acteurs du secteur du tourisme Cette variété de sujets reflète l’approche
Angkor met en lumière l’extraordinaire à développer des solutions ayant une intégrée de l’UNESCO et illustre la richesse
étendue des réalisations qu’il est possible sensibilité locale. et la complexité d’un patrimoine culturel
d’accomplir grâce à la coopération Mais ce numéro exclusif nous offre qui englobe des monuments, des sites, des
internationale. La plate-forme scientifique bien plus qu’un simple examen des sites formes d’expressions vivantes ainsi qu’un
spécialement créée par le Comité de cambodgiens du patrimoine mondial. Il patrimoine documentaire.
coordination internationale pour la nous fait aussi découvrir de fascinantes Depuis la ratification de la Convention du
sauvegarde et le développement du site traditions culturelles, telles que le Ballet patrimoine mondial en 1991, le Cambodge
historique d’Angkor permet par exemple royal du Cambodge et le Sbek Thom, constitue un partenaire actif et constructif
de réunir et de coordonner les efforts de théâtre d’ombres cambodgien, deux dans la promotion de l’application de
diverses disciplines dans des domaines formes d’expressions artistiques inscrites la Convention. En 2013, le Cambodge
tels que la restauration, la conservation sur la Liste représentative du patrimoine terminera son mandat au sein du Comité
ou la recherche en aidant les architectes, culturel immatériel de l’humanité, et du patrimoine mondial (2009-2013) et
ingénieurs, archéologues et experts nous présente la réserve de biosphère accueillera la 37e session du Comité à Phnom
techniques à échanger des idées, des cambodgienne de Tonlé Sap, un site clé Penh. Je remercie le Gouvernement du
informations et des méthodes de recherche. pour l’équilibre écologique et économique Cambodge pour les généreux efforts dont il
Si le problème de la stabilisation structurale du pays qui fait partie du Programme a fait preuve au fil des ans pour faire avancer
des monuments d’Angkor est désormais L’homme et la biosphère de l’UNESCO. la mission de la Convention du patrimoine
résolu, le développement durable du site Il contient également un article sur les mondial et je me réjouis de poursuivre notre
reste encore un défi de taille pour toutes les archives du Musée du génocide de Tuol collaboration afin de protéger le patrimoine
parties concernées, dont l’Autorité pour la Sleng. Ces archives, inscrites sur le Registre exceptionnel de l’humanité pour le bien de
protection du site et la gestion de la région de la mémoire du monde de l’UNESCO, tous les peuples de la terre d’aujourd’hui et
d’Angkor et de Siem Reap. Je me réjouis des renferment des preuves photographiques de demain.

Patrimoine Mondial Nº68 7


Special Issue Section content

8 Patrimoine Mondial Nº68


Message
Message de bienvenue

Premier ministre du Royaume du Cambodge,

L
Samdech Akka Moha Sena Padei Techo HUN Sen

© Cabinet of the Prime Minister

e Royaume du Cambodge considère comme un Non loin d’Angkor, un des joyaux de la Liste du patrimoine
privilège l’accueil à Phnom Penh et à Siem Reap/ mondial de l’UNESCO, et à quelques heures du temple de Preah
Angkor, en juin 2013, de la 37e session du Comité Vihear, magnifique piton qui assurait à Çiva, selon ses volontés, une
du patrimoine mondial. position dominante, nos hôtes seront assurément bien inspirés et
Le Gouvernement royal a pris, en conséquence, toutes les feront aboutir leurs efforts en vue de faire avancer au mieux la mise
dispositions pour assurer à nos hôtes distingués un séjour non en œuvre de la Convention.
seulement fructueux et instructif, mais aussi agréable. Je leur souhaite un séjour mémorable parmi nous. Puissent leurs
Les membres du Comité et les représentants des États parties de travaux renforcer la solidarité culturelle internationale au service
la Convention de 1972 seront accueillis pour leurs travaux au Palais du dialogue et de la compréhension mutuelle des valeurs des
de la Paix, le siège même de la Présidence du Conseil des ministres, civilisations !
où se sont tenues de nombreuses conférences internationales dont, Universellement connu et respecté, le patrimoine mondial peut,
tout récemment, le Sommet de l’ASEAN, honoré par la présence de à n’en pas douter, constituer un puissant levier pour le maintien de
grands Chefs d’État de la planète. la paix dans le monde.

Angkor Vat.
© Ross Huggett

Patrimoine Mondial Nº68 9


Numéro spécial Entretien

Entretien avec S.E. le docteur Sok An


S.E. le docteur Sok An
Le Président du Comité du patrimoine mondial (2012–2013) est vice-Premier
ministre, ministre en charge du Bureau du Conseil des ministres et membre de
l’Assemblée nationale du Cambodge. Également Président de la Commission
nationale pour l’UNESCO et de l’Autorité nationale APSARA, il possède une
grande expérience dans les domaines du patrimoine culturel et de la diplomatie.

Entretien mené par le professeur Azedine Beschaouch


Le professeur Azedine Beschaouch, archéologue et academicien (Membre étranger de
l’Académie française des Inscriptions et Belles-Lettres), est également ancien président
(à deux reprises) et rapporteur (élu quatre fois) du Comité du patrimoine mondial.
© Office of the Council of Minister

Azedine Beschaouch : Si, pour ce qui distingue la monuments, les ensembles (c’est-à-dire les groupes de constructions
Convention de 1972, on vous priait de privilégier une idée historiques) et les sites (que ces derniers soient l’œuvre de l’être humain
centrale, quel serait, pour l’essentiel, votre point de vue ? ou de la nature ou bien l’œuvre conjuguée de l’être humain et de la
nature). Mais l’essentiel, me semble-t-il, est ailleurs. La Convention, en
Sok An : D’emblée, je dirais que ce qui distingue, avant tout, la effet, apporte, à travers sa philosophie et dans sa formulation juridique,
Convention de 1972, c’est le fait que, en reconnaissant l’importance une nouvelle approche patrimoniale. Elle est parvenue à dépasser les
de la diversité des cultures, elle constitue la face culturelle de la tensions anciennes et si vives entre deux forces de représentation :
mondialisation. - d’une part, les liens indéfectibles (et si chers aux peuples et aux
À ce propos, permettez-moi, d’abord, un rappel. nations, en particulier dans le Tiers monde !), les liens entre les biens
On a vécu la fin des antagonismes qui furent souvent implacables, culturels et l’identité culturelle,
– des deux côtés de l’ancien « Rideau de fer » – entre les blocs de - d’autre part, l’universalité progressive des biens culturels, due
l’Est et de l’Ouest. Peu à peu se sont renforcées, à travers le monde, au fait que l’humanité, dans l’éthique de l’UNESCO, se définissait,
les voies du dialogue et la recherche de la concertation. Malgré les et se définit de plus en plus comme un assemblage dynamique des
déséquilibres économiques et les fractures sociales, une grande part cultures.
de l’humanité s’attache, de nouveau, à penser aux voies et moyens Une chose est bien évidente : en ce temps-là, vers la fin des
de « bâtir la paix dans l’esprit des hommes », comme le déclare années 60 et au début des années 70, l’UNESCO était décidément
l’Acte constitutif de l’UNESCO. C’est dans ce contexte que le rôle en avance sur son temps. C’est ainsi que la Convention de 1972,
de l’UNESCO s’est également renforcé, grâce aux efforts conjugués dans ses principes mêmes, tenait le plus grand compte de la
et soutenus des États membres et par la volonté des remarquables diversité des cultures, avant même qu’une Convention spécifique
Directeurs généraux qui s’y sont succédé, ne vienne, en 2005, donner une légitimité institutionnelle, sur le
Ainsi que l’ont bien mis en évidence les analyses et les bilans plan international, à cette notion.
présentés lors de la célébration du 65e anniversaire de la fondation
de l’UNESCO, notre Organisation internationale est devenue AB : Dans votre discours liminaire à Kyoto (6-8 novembre
réellement planétaire. Mais, surtout, elle est vraiment devenue le lieu 2012), à l’occasion des festivités pour le 40e anniversaire de la
par excellence où exprimer des visions, proposer des innovations, Convention, vous avez, pour caractériser cette Convention,
prôner l’échange, sinon le partage, des savoirs et des savoir-faire. insisté également sur l’importance des conditions de sa
Si je rappelle d’abord la vocation universelle de l’UNESCO, c’est mise en œuvre. Les lecteurs de Patrimoine Mondial seraient
pour mieux faire apparaître l’idéal d’universalité qui a inspiré les intéressés par le rappel des grandes lignes de votre approche
rédacteurs de la Convention de 1972. personnelle.
On le sait bien : avant l’adoption de cette Convention par la
Conférence générale de l’UNESCO, lors de sa 17e session, le 16 SA : Il est une autre caractéristique de notre Convention sur laquelle
novembre 1972, l’intérêt se focalisait, pour l’essentiel, sur les on n’insistera jamais assez. Sa mise en œuvre a permis, en effet, à un
monuments et les œuvres d’art. Et, à la suite des traumatismes grand nombre de pays de se réapproprier l’ensemble du parcours
consécutifs à la Seconde Guerre mondiale, l’insistance se portait sur historique qu’a suivi leur territoire et d’intégrer la diversité culturelle
la nécessité de la protection de ces monuments et de ces œuvres au sein même de leur liste nationale de biens.
d’art en cas de conflit armé (c’est évidemment la portée de la Prenons, par exemple, le cas de la Tunisie, comme je l’ai mentionné
Convention de la Haye, adoptée le 14 mai 1954). à Kyoto, et que je connais mieux grâce à vous, depuis que vous
En 1972, notre Convention du patrimoine mondial innove : d’abord, contribuez avec nous à la conservation et à la valorisation d’Angkor.
pour la thématique. Désormais, le patrimoine culturel comprend les Tout le monde sait que la Tunisie est aujourd’hui un pays relevant de

10 Patrimoine Mondial Nº68


Entretien
la culture arabe et de la civilisation musulmane. Or la Liste des biens appel à l’UNESCO pour reconstruire le pont historique leur a donné
inscrits, à la requête de ce pays, comprend des sites archéologiques l’espoir de le faire inscrire. Ce pont fut détruit, intentionnellement,
et des monuments historiques phéniciens, romains et chrétiens, c’est- par des extrémistes pendant la guerre civile en ex-Yougoslavie. Cette
à-dire datant de dizaines de siècles avant l’islam. Il en est de même reconstruction fut faite à l’identique et, si je puis dire, à l’authentique.
de la Libye également arabo-musulmane. Bien plus, dans ce pays, la En faisant du vieux pont de Mostar un bien du patrimoine universel,
part des sites de l’Antiquité gréco-romaine est prédominante. Si l’on le Comité du patrimoine mondial a fait triompher l’éthique de
passe à l’Égypte si fière de son patrimoine islamique, l’on constate l’apaisement et la symbolique de la réconciliation entre les anciens
que la civilisation des Pharaons y reste emblématique. antagonistes.
Prenons, encore, le cas exemplaire de l’Espagne qui relève, depuis
des siècles, de la culture chrétienne. Dans sa Liste apparaissent des AB : Permettez-moi, Excellence, de rappeler que le
chefs-d’œuvre de l’architecture arabe et de l’art musulman, avec 14  décembre 1992, à Santa Fé (États-Unis d’Amérique) le
Cordoue, Grenade, Tolède, Séville, et j’en passe. Comité du patrimoine mondial (c’était sa 16e session) a décidé
Ainsi donc la Convention a permis de dépasser les clivages et de par consensus d’inscrire Angkor sur la Liste, sur la base de
considérer, dans la sérénité, les faits du passé même quand ils furent 4 critères (i, ii, iii et iv), pour une superficie de 40 000 ha entre
douloureux. Le dialogue a été généralisé et intériorisé. Roluos, au sud, et Banteay Srei, au nord.
Nous en sommes donc au 20e anniversaire de cette inscription.
AB : Mais, dirait-on, les conflits et les frictions internationales En l’année de ces 20 ans, un Cambodgien est élu Président du
n’ont pas pour autant disparu. Quel est selon vous, Monsieur Comité. N’est-ce pas un événement significatif ? Et qu’évoque
le Président, leur impact sensible ou possible sur la mise en pour vous, Monsieur le Président, cet anniversaire ?
œuvre de la Convention ?
SA: Au-delà de l’honneur personnel qui m’échoit, je considère
SA: Il n’est nullement question de nier la réalité ni d’être béatement que le fait que le Cambodge accueille la 37e session du Comité
optimiste, cela va sans dire. Mais reconnaissons, tout de même, du patrimoine mondial, en juin 2013, est un événement très
que la Convention a pu permettre, parfois, une mise à distance significatif en soi. Notre pays est, désormais, en plein effort de
de certains aspects conflictuels ou sensibles dans les relations développement : grâce à l’action soutenue du Gouvernement royal,
internationales, en donnant aussi de la force à la portée symbolique les conditions sociales et le niveau éducatif de la population ne
de tel ou tel bien. cessent de s’améliorer.
À cet égard, le dossier d’inscription de l’Île de Gorée, au Sénégal, Nous avons montré tout récemment avec le sommet de l’ASEAN,
me paraît exemplaire. Gorée est, pour la conscience universelle, le que nous sommes capables de réserver un bon accueil aux grands du
symbole de la traite négrière « avec son cortège de souffrances, de monde, depuis les États-Unis d’Amérique jusqu’à l’Inde, la Chine et le
larmes et de morts ». Elle reste « l’archétype de la souffrance de Japon. Nous pourrons décemment affirmer que les représentants de
l’homme noir, à travers les âges » et un lieu tristement célèbre dans 190 États parties à la Convention de 1972 auront le meilleur accueil
l’histoire de l’esclavage entre l’Afrique et l’Amérique. Le Sénégal a possible, à Phnom Penh comme à Siem Reap/Angkor. Les hôtels ne
expliqué, dans la proposition d’inscription, que « Gorée a été le manquent pas et les infrastructures sont jugées de bon niveau.
théâtre d’affrontements acharnés entre les hommes. Le Sénégal J’en viens maintenant aux 20 ans de l’inscription d’Angkor sur la
moderne voudrait en faire un sanctuaire de la réconciliation des Liste.
hommes par le pardon ». Je fais d’abord remarquer que par sa décision, considérée à
Dans ce contexte j’aimerais évoquer également le cas de l’époque très courageuse et innovante, le Comité du patrimoine
l’inscription sur la Liste de la Vieille ville de Jérusalem et ses Remparts. mondial a tenu compte de la situation exceptionnelle du Cambodge
Demandée en 1980 par le Royaume de Jordanie, qui administrait la à la suite des Accords de Paris, le 23 octobre 1991, et, par voie de
Vieille ville jusqu’à son occupation en 1967, l’inscription était inspirée conséquence, a renoncé, pour la première fois, à certaines conditions
au départ par la conjoncture politique, le conflit régional arabo- requises par les Orientations devant guider la mise en œuvre de la
israélien, et les difficultés d’application de la Convention de 1954. Convention de 1972 portant sur la protection du patrimoine mondial.
Objet de revendications identitaires, lieu de confrontation au nom Il est important, sur ce point, de faire remarquer que l’inscription
de l’histoire et de la mémoire, terrain d’une compétition acharnée d’Angkor a requis une longue procédure et que le Gouvernement
entre des représentations du passé tout à fait antagonistes, la Vieille royal a dû faire un long travail d’explication auprès des États
ville de Jérusalem finit par être inscrite en dehors de ce contexte et membres du Comité. Ce dernier a décidé l’inscription et, dans le
en raison de son caractère universel exceptionnel. Par consensus, la souci de faire face aux problèmes urgents de conservation avec
portée symbolique de son patrimoine est soulignée et l’on insiste célérité et efficacité (je cite le texte même de la Décision du Comité),
sur la nécessité de perpétuer, sur le terrain, la rencontre entre les a également inscrit le site sur la Liste du patrimoine mondial en
cultures et les patrimoines relevant du judaïsme, du christianisme péril, en demandant aux Autorités cambodgiennes de prendre
et de l’islam. les mesures nécessaires pour que soient remplies les conditions
On pourrait aussi évoquer le cas du pont de Mostar, en Bosnie- suivantes dans un délai de trois ans (1993-1995) :
Herzégovine, et montrer comment les conditions de mise en œuvre a. Promulgation d’une législation de protection adéquate ;
de la Convention de 1972 ont inspiré une démarche remarquable b. Établissement d’une agence nationale de protection avec
aux dirigeants fédéraux et cantonaux de ce pays. L’idée de faire un personnel adéquat ;

Patrimoine Mondial Nº68 11


Numéro spécial Entretien

c. Établissement de limites permanentes basées sur le projet après 20 années d’efforts ininterrompus, Angkor est en pleine
du PNUD (document du ZEMP – Zoning environmental management renaissance et, grâce aux succès remportés par la lutte continuelle
plan) ; contre le trafic illicite et le pillage organisé, le site a cessé d’être le
d. Définition de zones tampons significatives ; terrain privilégié des trafiquants d’objets d’art.
e. Établissement de la surveillance et de la coordination de Ainsi, 23 pays et institutions scientifiques représentants quatre
l’effort international de conservation. continents ont mis en œuvre près de 70 projets, pour un budget
Ces conditions ont été bien remplies et nous nous en félicitations d’ensemble qui dépasse 250 millions de dollars américains.
à distance. De fait, lors de sa 28e session à Assurément, il s’impose de révéler à tous, qu’aux
Suzhou, en Chine, le 7 juillet 2004, le Comité côtés des travaux spectaculaires de consolidation
a, en définitive, décidé de retirer le site et restauration, nous avons enregistré des
d’Angkor de la Liste du Patrimoine mondial résultats considérables dans le domaine des
en péril. recherches archéologiques. Le public mérite de
Aujourd’hui, il nous appartient de penser savoir que ces recherches ont, parfois, renouvelé
à l’historique de notre action, depuis 20 ans, notre connaissance de l’histoire d’Angkor, sa
tant au plan national qu’au plan international. chronologie et son organisation spatiale. Ainsi,
Nous le savons bien : les monuments les historiens placent désormais les débuts
d’Angkor constituent, à jamais, un symbole d’Angkor au moins au VIIIe siècle et non plus au
national du Cambodge et de son peuple. IXe siècle.
Par ailleurs, largement représentée au sein À Angkor Thom, des fouilles remarquables ont
du Comité du patrimoine mondial dans révélé sous la dense végétation tropicale une
le système de l’UNESCO, la communauté cité cadastrée, structurée selon un quadrillage
internationale a définitivement considéré que orthogonal en trames régulières. Ce modèle
le site d’Angkor et ses monuments historiques d’urbanisme réalisé avec génie sur un plan carré
constituent également l’un des patrimoines de 3 km de côté (soit une cité dont les murailles
culturels les plus importants en Asie et de par Dr Sok An au Bayon. délimitent un espace de 9 millions de m2) a fait
le monde. © Office of the Council of Minister
dire à certains qu’Angkor était le New York de
Ainsi, vingt ans après l’inscription d’Angkor, l’époque médiévale. Du reste, des études parues
personne ne doute que la coopération internationale ne revête une en 2009 dans la revue National Geographic sous le titre « Pourquoi
importance particulière et ce tant pour la sauvegarde que pour le la plus grande cité médiévale du monde s’est effondrée ? » évaluent
développement du site d’Angkor et son complément, la ville de la population d’Angkor, à son apogée, jusqu’à un million d’habitants
Siem Reap, qui s’accroît d’année en année. (un chiffre énorme pour l’époque !).
Aussi, suis-je particulièrement heureux et honoré d’exprimer au De même, des travaux de prospection sur le terrain et des
nom de Son Excellence le Premier ministre, Samdech Akka Moha sondages de contrôle, confortés et élargis par le recours aux toutes
Sena Padei Techo HUN Sen, et de la part du Gouvernement royal du nouvelles technologies de photo-interprétation par images aériennes
Cambodge, notre entière reconnaissance pour l’action conduite à ont permis, pour la première fois, une étude morphologique de
ce jour par l’UNESCO, et notre gratitude profonde à l’égard des pays l’occupation du territoire angkorien. Il s’avère que ce territoire
et des organisations gouvernementales et non gouvernementales constituait une vaste aire de plus de 2 000 km2.
qui continuent de coopérer avec l’Autorité nationale APSARA ainsi Mais surtout, je voudrais insister sur l’importance des recherches,
qu’avec les institutions et services de la province de Siem Reap, en menées depuis cinq ans, sur le système hydraulique de la capitale
vue de mettre en œuvre les programmes et projets de conservation, de l’Empire khmer. Notre ingénieur hydraulicien, le Dr. Hang Peou a
de valorisation et de développement durable. démontré que les barays (immenses réservoirs), les bassins, les douves
et les canaux constituaient un réseau considérable et cohérent de
AB : Monsieur le Président, vous venez de rappeler captage, circulation et conservation de l’eau pour l’irrigation et les
qu’en décembre 1993 s’est tenue la 1e session du Comité usages domestiques. Il s’agit là d’une grande découverte !
international de coordination pour Angkor (le CIC). En En dernier lieu, j’attire l’attention sur un autre aspect de nos
décembre prochain 2013, doit se tenir la 20e session de ce réalisations. Il ne faut pas négliger l’importance de tous les
Comité. Vingt ans déjà ! Il s’agit, de toute évidence, d’un travaux qui ont changé, en vingt ans, le visage d’Angkor : à savoir
parcours remarquable et d’un fait unique dans les annales l’aménagement des abords des monuments, l’amélioration des voies
du patrimoine mondial. Quelles réalisations à mettre en d’accès touristiques, la sécurité des lieux.
évidence pour cette commémoration solennelle ? Pour toutes ces raisons, et en considération non seulement des
résultats mais aussi de l’harmonie qui règne entre les équipes
SA : Je tiens, tout d’abord, à noter que nous avons toute légitimité angkoriennes, la campagne d’Angkor est unanimement considérée
d’être fiers de l’œuvre accomplie, qui est une grande œuvre, de l’avis comme un modèle. Du reste, l’Esprit d’Angkor a conduit la
unanime. Nous voulons montrer, par des expositions et à travers communauté internationale à adopter récemment une « Charte
les médias, le long chemin parcouru depuis 1993, quand le site de d’Angkor » fixant des orientations qui peuvent être utiles pour
40 000 ha était encore miné et les monuments en péril. Aujourd’hui, d’autres sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial.

12 Patrimoine Mondial Nº68


Numéro spécial Carte

République
démocratique
populaire lao

ande
ï l
Tha

14 Patrimoine Mondial Nº68


Carte
Ministère de la culture
et des beaux-arts

EFEO

Principaux sites archéologiques


et monuments du Cambodge

am
ietN
V

Légende

Chef-lieu de province
Frontières nternationales
Routes nationales
Limites des province
Fleuves, rivières, canaux
Rizières
Villages
Forêts
Groupes monumentaux
Sanctuaires et temples
Anciennes chaussées

Octobre 2006

Patrimoine Mondial Nº68 15


NOTRE LIEU SUR NOTRE PLANèTE
SPÉCIALISTES EN DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE
DES SITES DU PATRIMOINE MONDIAL.
ORGANISATION D’EXPOSITIONS DU PATRIMOINE
MONDIAL ET RÉALISATION D’AFFICHES.
CONSEILS PHOTOGRAPHIQUES SUR LES SITES,
MARKETING ET PROMOTION.

www.ourplaceworldheritage.com

AzERbAïDjAN - PAySAGE CULTUREL D’ART RUPESTRE DE GObUSTAN


PHOTOGRAPHIES ET EXPOSITIONS DU PATRIMOINE MONDIAL
Numéro spécial Angkor

Angkor

Les 52 tours du Bayon se reflètent dans l’eau.

© Our Place – The World Heritage Collection

18 Patrimoine Mondial Nº68


Angkor

Patrimoine Mondial Nº68 19


Numéro spécial Monuments et conservation

Monuments et conservation

Ros Borath
Architecte DPLG
Président du Comité national du patrimoine mondial
Directeur général adjoint de l’APSARA
(Département de la conservation des monuments
dans le parc d’Angkor et de l’archéologie préventive)

Bakan, la tour centrale d’Ankor Vat.


© William Heylts

20 Patrimoine Mondial Nº68


S
Angkor Vat

Monuments
uite aux Accord de Paris en des devatas étaient en très mauvais état et
1991, le territoire patrimonial C’est le plus grand et le plus sublime des présentaient des dégradations provoquées
d’Angkor a connu une véritable temples khmers (Vat), construit au centre par l’érosion, les micro-organismes et les
mutation depuis l’inscription sur d’une ville (Angkor), pendant la première mauvaises restaurations antérieures altérant
la Liste du patrimoine mondial, moitié du XIIe siècle, sous le règne du roi profondément les sculptures. Le GACP, en
en décembre 1992 à Santa Fé (États-Unis Sûryavarman II. L’ensemble constitue, douve effectuant ce travail délicat et sensible, a
d’Amérique), de l’ensemble du site couvrant comprise (190 m de large), un majestueux mis au point des techniques spécifiques,
40 000 ha, avec 91 monuments classés. rectangle de 1 500 x 1 300 m, s’étendant de diagnostic, de prélèvement, et de
Depuis sa création lors de la Conférence sur 9 ha. Il comprend, pour l’essentiel, traitement… qui permettent de répondre
de Tokyo (octobre 1993), suivie de la une pyramide, des galeries concentriques aux défis du temps.
Conférence de Paris (novembre 2003), le CIC et 5 tours en quinconce. Les travaux
(Comité international de coor- La statue de
dination) a encadré vingt an- Ta Reach
nées d’action internationale en L’une des statues les plus
faveur de la sauvegarde et de significatives d’Angkor Vat
la valorisation d’Angkor, sous est celle de Ta Reach, image
la coprésidence de la France de Vishnu à huit bras, si-
et du Japon et avec l’UNESCO tuée dans la partie sud de la
assurant le secrétariat perma- porte occidentale du temple.
nent. La troisième conférence Certainement installée au
du CIC est prévue à Phnom XVI e siècle lors d’une restau-
Penh en décembre 2013. ration du monument, elle a
Généralement construits pris une grande importance
en latérite, grès ou brique, les pour l’ancien culte animiste,
monuments d’Angkor se dis- appelé Neak Ta. Elle est le
tinguent par une architecture cœur de la vie spirituelle et
spécifique marquée par la sociale des communautés qui
cohérence et l’homogénéité. vivent autour de ce temple et
Matière noble par excellence, même au-delà.
le grès a été privilégié par les Les mauvaises restaurations
bâtisseurs pour la sculpture et surtout la tête qui fut rem-
et l’ornementation architec- placée par une copie, et les
turale. mains manquantes recons-
Des travaux d’envergure truites avec des copies gros-
ont permis d’assurer la sauve- sières en ciment, ont porté un
garde du site et le sauvetage grand préjudice à l’image.
de certains monuments. Ils Ainsi après avoir reçu l’aval
ont été, pour l’essentiel, mis des communautés locales
en œuvre par l’École fran- pour cette opération de res-
çaise d’Extrême-Orient (EFEO) tauration et notamment pour
entre 1907 et 1973. Mais, le retour de la tête originelle
dans une période délicate et (qui était au Musée national),
non complètement sécurisée, un compromis fut trouvé sur
l’ASI (Archaeological Survey La statue de Ta Reach restaurée. les méthodes, les matériaux
© Simon Warrack
of India) a pu aussi interve- de restauration et les moda-
nir pour des restaurations lités des travaux, sans inter-
dans le temple d’Angkor Vat, entre 1981 de restauration et consolidation sont rompre la pratique du culte.
et 1992. Sous l’égide de l’UNESCO, l’action menés dans le cadre d’un vaste chantier La laque de la statue a été renforcée et
internationale voit la participation d’équipes international avec des équipes allemande, les bras manquants furent remplacés.
pluridisciplinaires provenant de vingt pays américaine, française, italienne et japonaise.
et travaillant en partenariat avec l’Autorité Depuis 1997, le GACP (German Apsara Bayon
nationale APSARA (Autorité pour la protec- Conservation Project) travaille à la Monument central au cœur de la cité
tion du site et l’aménagement de la région sauvegarde des apsaras (danseuses célestes) d’Angkor Thom, ses diverses étapes de
d’Angkor), maître d’ouvrage. et des devatas (personnages féminins faisant construction (autour de l’année 1200
Voici quelques exemples de travaux partie du milieu divin) ainsi que d’autres sous Jayavarman VII), de transformation
menés sur le site : éléments ornant le temple. Environ 20 % et d’extension lui ont donné un

Patrimoine Mondial Nº68 21


Numéro spécial Monuments et conservation

Phnom Bakheng.
© Allie Caulfield

caractère exceptionnel, symbolisé par Phnom Bakheng constitue un ensemble


un style architectural unique au monde. majestueux composé d’une pyramide de terrasses
Extrêmement complexe, il se distingue carrées entourée de 108 tours-sanctuaires.
par son apparence de montagne de pierre
avec 37 tours, généralement sculptées
de 4 visages, un à chaque point cardinal.
Mais le Bayon est aussi l’un des temples les pour atténuer l’humidité des murs des Les travaux d’archéologie et de relevés
plus endommagés et les plus compliqués bas-reliefs. d’architecture du Phnom Bakheng ont com-
à restaurer. Les travaux ont démarré avec L’étude géotechnique a ainsi montré la mencé à partir de 2004 et se poursuivent à
des interventions d’urgence menées nécessité de consolider le puit de la tour ce jour. Un plan directeur a été élaboré afin
sur les deux bibliothèques à l’entrée du centrale du Bayon, travaux qui précèdent le d’évaluer les désordres, et de programmer
monument. Ces interventions ont permis retour programmé, vers son emplacement les interventions d’urgence par une équipe
de préserver les matériaux d’origine et d’origine, de la statue du grand Bouddha, mixte (WMF [World Monuments Fund] -
d’utiliser les méthodes de construction dont la portée symbolique est importante. APSARA).
traditionnelles, privilégiées par la JASA
(Japan Apsara Safeguarding Angkor – Phnom Bakheng Baphuon
équipe cambodgienne de l’APSARA et Temple d’État de la première ville Imposant monument du milieu du
équipe japonaise de l’Université Waseda). d’Angkor, construit à la fin du IXe siècle XI esiècle, le Baphuon consiste en une
Le temple présentait aussi des problèmes par le roi Yaçovarman Ier, il constitue un pyramide massive à 5 étages, haute de
de drainage. Des interventions ont été ensemble majestueux composé d’une 25 m et mesurant à sa base 130 x 104 m.
menées pour éviter les infiltrations d’eau pyramide de terrasses carrées entourée de C’est sous la conduite de l’archéologue
dans les remblais portant les fondations 108 tours-sanctuaires. B.P. Groslier (EFEO [École française

22 Patrimoine Mondial Nº68


Monuments
Preah Kô.
© Anandajoti Bhikkhu

d’Extrême-Orient]) assisté par l’architecte Preah Kô vaux de conservation font face à des défis
Jacques Dumarçay, que des travaux Élégant temple en brique, avec 6 tours importants en raison des conditions environ-
d’anastylose ont pour la première fois groupées sur une seule terrasse et une nementales du site. Une approche multidis-
été mis en œuvre au Baphuon. L’objectif grande douve (500 x 400 m), il fut construit ciplinaire a été adoptée pour la conservation
de ces travaux visait à stabiliser le remblai dans le dernier quart du IXe siècle par le roi et la restauration de l’ensemble. L’ASI a ras-
massif du monument, puis à restaurer le Indravarman Ier. semblé une documentation détaillée sur la
parement en grès des fondations d’origine. Les premières restaurations ont été effec- pierre et les divers éléments naturels (arbres
En raison de ce parti pris de restauration, tuées par une équipe germano-hongroise. principalement) qui constituent l’ensemble
il était logique de continuer sur la même À l’heure actuelle, les travaux sont pla- du monument. Des traitements adaptés des
voie en consolidant l’ouvrage avec la cés sous la responsabilité de deux experts sous-sols et des remblais de fondation ont
restauration des maçonneries à leur cambodgiens et des ouvriers spécialisés de été mis en œuvre, avant le remontage des
niveau originel de construction. Ce travail l’APSARA. Les parties supérieures de cet en- assises et la repose des pavages en pierre.
a été mené pendant plus de seize ans par semble en brique présentaient des risques Quatre emplacements sur les cinq concer-
l’architecte de l’EFEO, Pascal Royère, et importants de déversement et menaçaient nés par les travaux de restauration et de
a abouti à assurer l’équilibre statique du de s’écrouler, notamment en raison de l’im- conservation sont déjà terminés. Les arbres
monument et à préserver les deux grandes pact des graves actions combinées de la na- qui entrelacent les pierres de leurs racines
étapes de l’histoire du monument  : la ture et de l’homme. contribuent depuis longtemps à donner
période hindouiste (avec en particulier une atmosphère particulière à ce temple.
des bas-reliefs inspirés du Rāmāyana) et Ta Prohm Cela explique que les consolidations et res-
la période bouddhiste (avec un immense L’un des temples majeurs du grand roi taurations accomplies, ou en cours, laissent
Bouddha couché). Jayavarman VII (fin XIe-début XIIe siècle), Ta largement ce monument dans son « état
Prohm est un temple-monastère. Les tra- naturel », produit de la ruine des siècles.

Patrimoine Mondial Nº68 23


Numéro spécial Le système hydraulique angkorien

Le système hydraulique
angkorien
Hang Peou
Directeur général adjoint chargé du Département de gestion des eaux
Autorité nationale APSARA

Douve nord-ouest et entrée principale d’Angkor Vat.


© Eric Molina

24 Patrimoine Mondial Nº68


L

Système hydraulique
a maîtrise des ingénieurs
des eaux khmers dans les
temps anciens est confirmée
par diverses structures
hydrauliques à Angkor, telles
que des barays (réservoirs artificiels), des
douves, des digues en latérite, des ponts,
des bassins, des canaux et des fossés.
En raison de la croissance du nombre de
touristes chaque année et de la population
de l’ensemble de la région, la demande
en eau augmente de façon spectaculaire,
faisant de la gestion des eaux pour la région
de Siem Reap/Angkor le problème le plus
critique pour la préservation des monuments
et le développement durable. Le défi
consiste à satisfaire les besoins quotidiens
en eau, tout en veillant à la stabilité, liée aux Neak Pean et ses bassins d’eau.
© Hang Peou
nappes phréatiques, des temples d’Angkor
construits sur la couche de sable.
Le Département de gestion des eaux Le défi consiste à satisfaire les besoins quotidiens en eau,
de l’Autorité nationale APSARA a réalisé tout en veillant à la stabilité, liée aux nappes phréatiques,
les travaux préparatoires théoriques et des temples d’Angkor construits sur la couche de sable.
pratiques, nécessaires à la réhabilitation de
l’ancien système hydraulique angkorien, afin
de permettre de rétablir le rôle essentiel de
préservation des monuments que jouent le de gestion des eaux sur l’ancien système travaux de restauration, depuis 2010, la
paysage culturel restauré et l’environnement hydraulique, certaines structures construites douve sud-est (3 000 m) est remplie d’eau
en général. Ce programme, long et difficile, pendant l’Empire khmer d’Angkor par tout au long de l’année (aussi bien pendant
a été mis en œuvre grâce aux ressources les ingénieurs hydrauliques ont pu être la saison sèche que pendant la saison des
techniques et financières de l’Autorité restaurées. pluies) et, en 2012, la douve complète de
nationale APSARA. Il s’est concentré tout 12 000 m de long était à nouveau remplie.
particulièrement sur la comparaison entre Srah Srang
les analyses et conclusions préliminaires et Le bain royal était alimenté par les eaux Douve d’Angkor Vat
les données exceptionnelles fournies par les de pluie et les nappes phréatiques reliées Avant 2010, le système de remplissage de la
inondations de 2009, 2010 et 2011. au baray oriental, provenant du sous-sol douve d’Angkor Vat était composé d’un canal
et des nappes phréatiques qui entourent construit entre la douve sud-ouest d’Angkor
La réhabilitation des anciennes le bassin proprement dit. Toutefois, avec Thom jusqu’à Tropeang Ses, passant derrière
structures hydrauliques l’assèchement du baray oriental et la baisse la station de montgolfières des temps
La tâche principale à réaliser avant de du niveau de la nappe phréatique, Srah Srang modernes. Nous avons maintenant réhabilité
pouvoir entreprendre la réhabilitation est a aussi commencé à s’assécher à la saison l’ancien système, raccordant directement la
l’analyse du débit depuis la limite amont sèche, pour atteindre l’assèchement total en douve d’Angkor Thom au sud-est à la douve
de la sortie du bassin-versant à partir du avril 2004. En mars 2005, le Département de d’Angkor Vat au nord-ouest, en passant par
plateau de Kulen jusqu’à ce que l’eau se la gestion des eaux a mis en place un nouveau la douve de Phnom Bakheng et le canal de
déverse dans le Tonlé Sap (Grand Lac), en système complémentaire pour remplir le Srah Sampov Loun. Ce système a permis au niveau
passant par trois bassins-versants : de la Srang, en prenant de l’eau dans le réservoir de l’eau de gagner un mètre par rapport à
Pourk à l’ouest, de la Siem Reap au centre de Phnom Bauk, sur la Roluos. son niveau antérieur.
et de la Roluos à l’est. Il semble que la Pourk
et la Roluos soient des cours d’eau naturels, Douve d’Angkor Thom Baray septentrional (Jayatataka)
alors que la Siem Reap est un cours d’eau Ce grand réservoir d’eau, capable de Ce baray mesure 3 600 m sur 930 m,
artificiel, recevant l’eau de la montagne de contenir près de 2 millions de m3 d’eau, avec une capacité de stockage initiale de
Kulen, par Bampenh Reach, un déversoir s’étend sur 12 km autour des murs de la 5 millions de m3. Il n’était pas utilisé à des
en latérite d’une largeur de 60 m et d’une ville. Récemment, seuls 3 000 m de la douve fins d’irrigation comme d’autres barays de
longueur de 300 m, construit au IXe siècle. sud-ouest étaient remplis d’eau, alors que la région, mais servait à alimenter la ville
Grâce à plus de huit années de recherche la douve sud-est n’en contenait plus que d’Angkor Thom, la ville de Preah Khan et
appliquée, réalisée par le Département pendant la saison des pluies. Suite à nos Neak Pean (l’hôpital). Il s’est asséché il y a

Patrimoine Mondial Nº68 25


Numéro spécial Le système hydraulique angkorien

Preah Khan.
© Tushar Dayal

plus de 500 ans, et certains chercheurs ne qu’il existe une connexion d’eau souterraine région d’Angkor. Le peuple khmer n’a pas
pensaient pas que le remplissage du baray entre le baray septentrional et Preah Khan, non plus transmis d’une génération à l’autre
septentrional soit à nouveau possible. Mais, mais aussi que ce remplissage est le résultat par des légendes la mémoire d’une catas-
en 2007, des chercheurs cambodgiens ont de la montée de la nappe phréatique grâce trophe. Il semblerait donc que ces problèmes
restauré son système d’alimentation des au rechargement du baray septentrional. ne soient pas survenus par le passé, indiquant
fossés, découvert en 2005, et, en 2008, que le système de gestion des eaux dans les
l’eau recommençait à couler vers ce baray. Baray occidental temps anciens était capable d’optimiser les
Le remplissage du baray septentrional s’est Dans les années soixante, pour remplir le ressources en eau. Toutefois, comme le sys-
effectué de la façon suivante : 700 000 m3 en baray occidental, l’eau de la rivière Siem Reap tème ancien n’avait pas fonctionné depuis
2008, 3 000 000 m3 en 2009, 3 678 000 m3 a été détournée au coin nord-est d’Angkor tellement longtemps, en 2004 nous avons
en 2010 et 5 000 000 m3 en 2011 et 2012. Thom, via un canal construit à l’intérieur de la connu la sécheresse dans les douves d’Angkor
douve d’Angkor Thom (douve nord et nord- Vat et l’assèchement de Srah Srang, suivis des
Neak Pean ouest) d’une longueur de 4 500 m, raccordé à crues de 2009, 2010 et 2011.
Il s’agit d’un temple-île au milieu du baray un canal parallèle à la route d’accès passant par Il est possible de comprendre à partir de
septentrional, comme le Mébon des autres la porte Ta Keo, la porte occidentale d’Angkor l’identification sur le terrain du débit d’eau,
barays, mais dans les temps anciens, il avait Thom. Ces canaux avaient pour effet de priver définissant les canaux et leurs connexions,
une autre fonction, celle d’un hôpital qui d’eau cette partie de la douve et la partie l’organisation globale du système hydrau-
utilisait des plantes médicinales. Le temple orientale du baray occidental, alors qu’on lique angkorien : rivières, barays, douves,
possède cinq bassins qui, dans des temps pensait généralement jusque-là que cette canaux, bassins et fossés. Cette étude de
plus récents, étaient à sec toute l’année, à pénurie était le résultat de la sédimentation. terrain a révélé que la partie nord-est du
l’exception du bassin central, qui était rempli En 2010, le Département de gestion des baray septentrional comportait des fossés
d’eau pendant quelques mois seulement, à eaux a découvert le système d’alimentation orientés d’est en ouest et un ancien pont
la saison des pluies. Toutefois, depuis que le d’origine du baray occidental, dans lequel en latérite formé de plusieurs arches sur la
baray septentrional est à nouveau alimenté, un ancien bassin (de sédimentation) et un rivière Siem Reap, pouvant être utilisés pour
ces cinq bassins se sont remplis et sont canal s’étendent au coin nord-ouest de la contrôler le débit et l’écoulement. Grâce à
pleins en toute saison. Ces bassins reliés douve d’Angkor Thom. En 2011, APSARA ce nœud de distribution et aux canaux de
au baray septentrional sont la meilleure a rouvert le canal d’alimentation initial du connexion, nous sommes parvenus à dis-
illustration du système hydraulique dans le baray occidental pour permettre l’évacuation tribuer l’eau vers l’ouest (le baray septentri-
site d’Angkor, inscrit au patrimoine mondial. des crues et protéger la population locale. onal, le baray occidental et la rivière Stung),
En 2012, APSARA a réhabilité la totalité du vers l’est (la rivière Roluos) et vers le sud (les
Preah Khan système d’alimentation et aujourd’hui, le douves d’Angkor Thom et d’Angkor Vat et
Dans les temps anciens, comme Srah baray occidental peut être complètement la rivière Siem Reap).
Srang, la douve de Preah Khan n’était rempli, jouant ainsi son rôle dans la gestion En 2012, la partie principale de ce sys-
pas dotée d’un système de remplissage. des crues. tème a été réhabilitée, permettant à Angkor
À l’époque moderne, elle n’avait de l’eau et à la ville de Siem Reap d’éviter les inonda-
qu’une partie de l’année, mais depuis que le Prévention de la sécheresse et tions pendant la saison des pluies. Sans ces
baray septentrional est à nouveau alimenté, des crues travaux, la ville de Siem Reap aurait subi au
la douve de Preah Khan est aussi désormais Aucune inscription de l’Empire khmer ne moins quatre crues successives. Ce résultat
remplie d’eau toute l’année. Cela montre mentionne de crue ni de sécheresse dans la confirme que l’ancien système hydraulique

26 Patrimoine Mondial Nº68


Système hydraulique
Les trois bassins versants de Phnom Kulen : Pourk,
angkorien peut non seulement optimiser la Siem Reap et Roluos (de gauche à droite)
gestion des ressources en eau, mais aussi
contrôler les crues.
Nous sommes certains qu’à l’ère de la
prospérité d’Angkor, cette capitale impé-
riale possédait un réseau hydraulique effi-
cace, cohérent et systématique.

Retour vers le futur


Aujourd’hui, le baray occidental (56  mil-
lions de m3), le baray septentrional (5 millions
de m3), la douve d’Angkor Thom (près de 2
millions de m3), la douve d’Angkor Vat (plus
de un million de m3) peuvent déjà stocker
plus de 65 millions de m3. Pendant la crue de
2012, ils ont joué un rôle très important dans
l’absorption provisoire des eaux, facilitant la
gestion de la crue. L’APSARA projette de
réhabiliter le baray oriental (plus de 36 mil- En 2012, la partie principale de ce système
lions de m3) et le baray Lolei (10 millions de a été réhabilitée, permettant à Angkor
m3), qui sont actuellement tous les deux en- et à la ville de Siem Reap d’éviter les
tièrement asséchés, pour obtenir un stock- inondations pendant la saison des pluies.
age total de 111 millions de m3 et garantir la
gestion globale de l’eau et la prévention des
crues dans la région d’Angkor. Système hydraulique antique d’Angkor
Nous comprenons désormais le système
hydraulique angkorien et nous avons pu
authentifier de nombreux éléments sur le
terrain. D’autres travaux seront nécessaires
pour restaurer entièrement ce système et
assurer la pérennité de son entretien.
Ce programme est un modèle de
conservation et de réhabilitation. La
modernisation du système hydraulique
angkorien semble être la méthode la plus
efficace et la plus rentable de contribuer
d’une manière durable au développement
de la région d’Angkor/Siem Reap et de
réduire la pauvreté.

Patrimoine Mondial Nº68 27


Numéro spécial Patrimoine et population

Patrimoine et population
dans le site d’Angkor
Khuon Khun-Neay
Architecte et urbaniste
Directeur général adjoint
Autorité APSARA

Centre Khmer Habitat, parc d’Angkor.


© Khuon Khun-Neay

28 Patrimoine Mondial Nº68


S

Patrimoine et population
ite archéologique majeur et
imposant ensemble monumental,
site paysager et milieu naturel,
territoire d’activités paysannes et
établissement humain à caractère
rural, espace touristique de portée
internationale vivant en symbiose avec une
ville, lieu de séjour des touristes, Angkor
connaît une situation unique en son genre.
Le parc d’Angkor, d’une superficie de
40 100 ha, est pris en tenailles entre un
établissement humain endogène (112
villages répartis dans les limites mêmes
du site inscrit et existant avant même
l’inscription) et un établissement humain
exogène (une ville, Siem Reap, en grande
partie de développement récent, au sud Cérémonies et processions religieuses ont encore lieu aujourd’hui à Angkor Vat.
© Khuon Khun-Neay
d’Angkor, avec un aéroport international,
plus de 100 hôtels et maisons d’hôtes,
d’innombrables restaurants et cafés, des Caractéristiques de la population La majorité des familles, soit 60 %, est
marchés et des boutiques, sans compter Le nombre d’habitants vivant dans pauvre. Selon une étude datée de 2007,
les établissements administratifs de Siem les zones protégées augmente de façon les revenus mensuels moyens par habitant
Reap, en tant que chef-lieu de province). exponentielle. En effet, depuis le retour de étaient de 24 à 30 dollars américains.
Le Gouvernement royal a la ferme intention la paix et de la stabilité dans le Royaume,
de garder cette population (estimée à nombre de villageois sont venus de provinces Écovillage de Run Ta-Èk
120 000 personnes en 2010) dans son moins riches afin de s’implanter dans le parc Afin de réduire les pressions internes sur
milieu, car elle constitue en elle-même d’Angkor et d’y vivre du tourisme. Alors que le parc d’Angkor et de protéger l’intégrité
l’héritage d’Angkor avec ses us et coutumes le taux de naissance moyen du pays était de de ce parc, et de ses paysages culturels, le
millénaires. Cependant, ce fait représente seulement 3,10 % durant la période 1992- Gouvernement royal tente de maintenir la
un défi énorme pour la préservation du parc. 2009, l’augmentation due à la migration, population vivant dans le parc au nombre
L’objectif est donc d’obtenir la participation combinée à la natalité, est de 9,50 %. actuel d’habitants ou, tout au moins, de
active de cette population dans la gestion. Voici les principales données sur minimiser leur croissance, par la prohibition
Cette participation doit être étendue à la l’accroissement de la population dans le de la vente des terrains aux gens venus
distribution équitable des profits dérivés parc d’Angkor : de l’extérieur du parc et l’interdiction de
du tourisme. De fait, la collaboration réelle - Recensement de la Mission des Nations construire de nouvelles maisons. Mais
et efficace des communautés locales se Unies en 1992 : 22 000 habitants comment faire avec les enfants des villageois
fonde sur le principe de Community-based - Recensement national en 1998 : 84 000 actuels qui grandissent, se marient et ont
Development qui consiste à associer les habitants besoin de nouvelles maisons pour les jeunes
communautés dans toutes les phases de - Recensement APSARA en 2005 : ménages ? La solution préconisée consiste
préparation du plan de gestion jusqu’à la 100  000 habitants (18 500 familles) à inviter ces jeunes ménages à s’installer en
gestion même du parc. - Estimation en 2010 : 120 000 habitants dehors des limites des zones protégées, sur
Il y a quelques années, une restructuration (21 500 familles). la base du volontariat. L’Autorité APSARA
de l’Autorité nationale APSARA, gestionnaire Chaque habitant dispose en moyenne a acquis un terrain de 1 012 ha situé sur la
du parc d’Angkor, a permis de créer trois d’un hectare de terre agricole. Toutefois, commune de Run Ta-Èk, à l’est du parc, à
nouveaux départements ayant pour mission la production annuelle de riz est encore une demi-heure de voiture de la ville de Siem
de s’occuper de la population, à savoir : insuffisante pour la consommation familiale, Reap, par des routes nationale et provinciale.
- le Département de l’aménagement du surtout vers les mois de septembre et Le nouveau village est planifié de telle façon
territoire et de la gestion de l’habitat ; d’octobre. que les futurs résidents retrouvent leur cadre
- le Département des eaux et forêts qui, La population du parc exerce divers de vie d’origine avec les mêmes activités
depuis 2008, a été scindé en deux entités métiers, principalement : la collecte du bois économiques. Des infrastructures routières,
distinctes : le Département de la gestion de (27 %) ; la culture du riz (20 %) ; d’autres économiques (champs de culture, réseaux
l’eau, d’une part, et le Département de la activités (36 %) telles que des emplois d’irrigation, microcrédit…) et sociales
gestion des forêts et de l’environnement, au sein de l’Autorité nationale APSARA  : (école, centre de formation professionnelle,
d’autre part ; gardiens des monuments, manœuvres, monastère bouddhique) existent déjà
- le Département de la démographie et ouvriers d’entretien, etc. ; des emplois non ou verront le jour prochainement. La
de l’agriculture. qualifiés (17 %). planification s’est faite sur des bases

Patrimoine Mondial Nº68 29


Numéro spécial Patrimoine et population

environnementales, d’où le nom d’Écovillage


de Run Ta-Èk pour ce nouvel établissement
humain : énergie solaire, moulins à vent
pour pomper l’eau des lacs, agriculture
biologique, réseaux d’écotourisme.
Le village s’organise autour des petits lacs
naturels en cinq unités d’habitation. On
compte y loger 850 familles, soit environ
5 000 personnes. Chaque famille reçoit un
hectare de terrain pour la construction de
sa maison et pour les activités agricoles. À
l’heure actuelle, 90 ménages se sont établis.
Une école de 5 classes a été construite,
une grande station agricole est déjà
opérationnelle. Les nouveaux habitants sont
recrutés pour travailler dans cette station ;
ils reçoivent ainsi un salaire et une formation
technique en culture biologique qu’ils
peuvent appliquer dans leur propre champ. Les touristes profitent des promenades en charettes traditionnelles dans le parc d’Angkor.
© Khuon Khun-Neay

Gestion de l’habitat
L’un des aspects caractéristiques de la Projets de participation le projet doit s’achever en août 2014,
vie de cette population est l’architecture communautaire dans 30 villages de la périphérie de Siem
vernaculaire de leur habitat. Il est donc Plusieurs projets de participation Reap, dont 20 se situent dans la zone de
important de préserver cette architecture communautaire ont été mis en place pour protection du parc d’Angkor. On en attend
authentique dans le parc d’Angkor. renforcer la capacité de la population essentiellement une amélioration des
L’Autorité APSARA établit, via son à prendre part activement dans le conditions de vie des familles pauvres, en
Département de l’aménagement du territoire développement durable pour améliorer leur particulier pour l’alimentation et l’emploi.
et de la gestion de l’habitat, une sorte niveau de vie, tout en préservant le parc. Enfin, l’Autorité APSARA collabore
d’atelier de consultation en architecture Tout d’abord, un projet, appelé « Gestion avec The National Federation of UNESCO
pour aider la population et le clergé dans la participative des ressources naturelles Associations in Japan (Fédération nationale
réparation, la rénovation et la construction d’Angkor et Économie familiale  » (Angkor des associations UNESCO au Japon – NFUAJ)
des maisons et des édifices communaux et Participatory Natural Resources and pour établir des Community Learning
religieux. Ce service est offert gratuitement Livelihoods-APNRM&L) a été créé en Centres / Centres d’apprentissage pour les
à la population depuis 2004. partenariat avec la Nouvelle-Zélande. Il vise communautés en vue de développer et de
De plus, une étude détaillée sur les à assurer une distribution plus équitable des renforcer les capacités des communautés
techniques de construction traditionnelle revenus. Il a aussi pour but de valoriser les villageoises à travers l’éducation non
a été élaborée servant de guide aux ressources locales et la diversité économique. formelle et la formation professionnelle.
villageois. Quatre dépliants sur l’habitat ont Un programme de formation aux emplois Gérer un parc aussi immense que celui
été élaborés et largement diffusés dans les indirects du tourisme culturel est dispensé d’Angkor constitue un défi colossal, surtout
zones de protection 1 et 2. aux habitants : artisanat, agriculture, etc. pour le Royaume du Cambodge, un petit
La construction d’un Centre d’interpré- La réduction du nombre d’intermédiaires pays qui a connu un régime génocidaire
tation sur l’habitat khmer a visé deux objectifs entre producteurs et consommateurs (1975-1979) et des crises politico-militaires
concomitants. Premièrement, implanté dans permettra d’orienter une partie des recettes régionales, voire internationales, pendant
le village de Rohal, au carrefour des accès touristiques vers la population. un quart de siècle. Les destructions causées
des principaux temples, le centre constitue Ensuite, l’Autorité nationale APSARA s’est par ces événements ne concernent pas
un lieu privilégié permettant aux touristes associée avec l’organisation Agricultural simplement les infrastructures physiques
venus du monde entier de s’informer sur les Development Denmark Asia (ADDA) dans la et économiques du pays, mais ont touché
communautés vivant dans le parc d’Angkor et réalisation du projet Innovative approaches également les ressources humaines et les
sur leur vie quotidienne ainsi que de découvrir to Food security for urban and peri-urban structures sociales de l’ensemble de la
l’habitat traditionnel khmer qui représente poor in Siem Reap, Cambodia/ « Approches population.
un élément majeur du paysage culturel innovantes pour une sécurité alimentaire Le fait que le parc d’Angkor soit adjacent
d’Angkor. Deuxièmement, le centre et son pour les démunis de la zone urbaine et à la limite nord de Siem Reap, ville en
aménagement informent la population locale périurbaine de Siem Reap » (INFOSE), plein essor, est à l’origine de sérieux
sur les différentes manières d’exploiter leur financé principalement par la Communauté problèmes additionnels de gestion sociale
terrain pour améliorer leur vie quotidienne. européenne. Commencé en mars 2011, et démographique.

30 Patrimoine Mondial Nº68


Numéro spécial Wat Bakong

Les peintures murales


de Wat Bakong
Chau Sun Kérya
Conseiller à l’autorité nationale APSARA
Vittorio Roveda
Expert en peintures bouddhiques cambodgiens
Associé de recherche en art et archéologie, SOAS, Université de Londres

Wat Bakong est situé près du Prasat Bakong datant du IXe siècle.
© Chau Sun Kérya

32 Patrimoine Mondial Nº68


Wat Bakong
Le Bouddha et ses moines en chemin vers Kapilavastu – avant la restauration.
© Chau Sun Kérya

at Bakong était (proba- La majorité des peintures murales représente la


blement à partir du XVIe siècle vie de Bouddha mais celles de Wat Bakong sont
au moins) un vihear (temple) d’une clarté et d’une homogénéité spectaculaires.
bouddhiste actif, construit
initialement en bois sur un
site archéologique du prasat (monument)
angkorien de Bakong, datant du IXe siècle, la présence d’un avion, peut-être un avion Le Bouddha est retourné dans sa
dans le district de Roluos, à 16 km à l’est de ligne américain, le « Super Constellation ville natale, Kapilavastu, après sept ans
de Siem Reap. En 1938, afin de permettre », d’un combat aérien et de soldats armés d’absence. Le roi Suddhodhana avait
la restauration de Bakong par l’École de mitraillettes et de pistolets. Les peintures envoyé une invitation à son fils par
française d’Extrême-Orient, Wat Bakong a murales, qui suggèrent l’influence des styles l’intermédiaire de messagers. Le Bouddha
été déménagé et construit en briques avec artistiques occidentaux et islamiques, sont accepta d’aller à Kapilavastu, se lançant
un toit en tuiles dépassant des murs, au réalisées en deux registres horizontaux, dans un long voyage depuis Rajagriha.
nord du prasat. Ensuite, il subit plusieurs avec une frise inférieure comprenant Les textes biographiques du Bouddha
agrandissements, et ses murs et plafonds l’oiseau mythique, le Garuda. Sur le mur racontent que, d’après l’histoire, le roi
ont été décorés de peintures complexes. derrière l’autel, les oiseaux mythiques sont demeurait très déçu que son fils l’ait
La recherche a permis de démontrer que remplacés par des humains à la coiffure et à quitté sept ans auparavant. Le roi était
les peintures murales avaient été réalisées la moustache de style occidental, alors que également inquiet d’apprendre que des
dans les années quarante par un certain les plafonds représentent une multitude de moines mendiaient dans sa ville et que
Sam Chum, sa famille et divers assistants. chauves-souris, qui sont un élément naturel l’un d’entre eux pouvait être son fils. Un
Elles n’avaient jamais été retouchées ou de la vie de Siem Reap. messager et ami loyal, Udayin, convainquit
repeintes auparavant et ont survécu aux Trois panneaux ont été sélectionnés pour le roi que c’était un grand honneur d’être
forces destructrices des Khmers rouges. un examen plus détaillé ici : le père d’un sage. Le souverain universel,
Elles n’ont pas non plus été complètement le roi Suddhodhana, se laissa alors fléchir
rénovées ni remplacées, une pratique Le Bouddha et ses moines et organisa une procession pour accueillir
courante au Cambodge. en chemin vers Kapilavastu le retour de Bouddha. Le Maître savait
La majorité des peintures murales Ce panneau représente une rangée de qu’il fallait suivre un certain protocole pour
représente la vie de Bouddha, telle moines menés par leur maître, le Bouddha. rencontrer son père le roi. Il ne pouvait
qu’elle est racontée dans le jataka, Ils avancent vers un groupe d’aristocrates, paraître au-dessus des personnages
comme dans d’autres wats (pagodes) peut-être le roi Suddhodhana et la reine royaux, mais il ne pouvait pas non plus
cambodgiens, mais celles de Wat Bakong Maya siégeant au palais, comme l’indique s’incliner, parce qu’il était le Sage. Il résolut
sont d’une clarté et d’une homogénéité l’inscription en dessous, « (...) le Bouddha le problème en apparaissant magiquement
spectaculaires. Certaines comprennent des (...) va voir son père à Kapilavastu », sur une plate-forme au-dessus du peuple.
représentations de paysages locaux, de la ajoutant que la peinture murale a été Le roi Suddhodhana apprécia et aima son
vie et d’événements quotidiens, y compris commanditée par le village de Ka’Ek. fils plus que jamais.

Patrimoine Mondial Nº68 33


Numéro spécial Wat Bakong

Le rêve de Maya
Le père et la mère du Bouddha étaient le
roi Suddhodhana et la reine Maya. Le roi était
un souverain guerrier de la modeste tribu
des Sakya, qui vivait à Kapilavastu, dans le
Népal actuel. Le couple voulait un enfant et,
une nuit, la reine Maya rêva qu’un éléphant
blanc avait pénétré son flanc. Le lendemain,
soixante-quatre brahmanes assurèrent au
couple royal qu’un garçon avait été conçu
et qu’il deviendrait un Monarque universel
(Cakravartin) ou un Bouddha.

La préparation à l’Éveil,
le don de l’herbe
Laissé seul après un jour de repos dans
la forêt, Siddhartha se dirigea vers un
arbre de bodhi (pipal ou Ficus religiosa). Panneau montrant une bataille aérienne de la Seconde Guerre mondiale.
© Chau Sun Kérya
Le roi naga Mahakala entendit ses pas et
lui dit qu’il deviendrait sans aucun doute
le Bouddha. Puis il rencontra un brahmane précautions spéciales avant et pendant la plafonds ont subi le même traitement, mais
qui coupait de l’herbe destinée à un rituel restauration, en effectuant notamment in situ.
védique. Le brahmane donna l’herbe à des travaux d’iconographie, d’archéologie Les efforts conjugués de l’APSARA et
Siddhartha. Celui-ci posa l’herbe sous préventive, de recherche et des fouilles. Il d’Holcim Ltd visaient non seulement à sauver
un arbre de bodhi, et s’assit en tailleur, était également essentiel d’observer et de le monument de la destruction et à redonner
une position idéale pour garder le corps respecter les croyances religieuses khmères vie aux peintures murales, mais également
immobile. Il se tourna vers l’est et décida traditionnelles. Aussi, une cérémonie a à rendre sa fonction à Wat Bakong pour la
de rester assis sur son « trône » d’herbe été organisée avec les moines locaux et la communauté locale, pour les moines et les
sans bouger jusqu’à ce qu’il ait atteint son communauté, afin d’obtenir l’autorisation générations futures.
objectif : l’Éveil. Certains récits précisent des esprits qui protègent la terre sacrée sur Cet exemple de coopération et de
qu’il était assis sur un trône qui s’était laquelle se trouve le wat. compréhension entre les autochtones et une
miraculeusement matérialisé en sortant La majorité du toit, des fondations, des organisation internationale est une vitrine
de la terre. Indra, Brahma et de nombreux murs et des piliers de Wat Bakong ont dû être pour les futurs visiteurs et les amoureux de
autres dieux vinrent faire des offrandes et reconstruits en raison de leur état délabré, l’art et l’architecture anciens, les personnes
lui rendre hommage. Ils l’adorèrent au son menaçant la survie même des précieuses intéressées par les travaux de restauration
d’une musique céleste. peintures murales, qui ont dû être démontées sur un lieu vivant du patrimoine ou celles qui
et traitées. Chaque panneau a nécessité un souhaitent voir la restitution d’un lieu sacré
La restauration de Wat Bakong examen et un nettoyage minutieux, en les de culte et de méditation à une communauté,
et de ses peintures murales consolidant et les retouchant si possible, qui bien souvent partage son espace spirituel
Les travaux de restauration ont été avant de les remonter sur les murs. Les avec des touristes en promenade.
généreusement financés par Holcim Ltd et
supervisés par une équipe de Restaurateurs
sans frontières, en association avec
l’APSARA, l’Université royale des Beaux-Arts
et un moine de Wat Bakong. Les principaux
travaux d’architecture et d’ingénierie se sont
achevés en 2010, alors que la restauration
des peintures murales se poursuit
actuellement. Le wat a rouvert en 2011 lors
d’une cérémonie d’inauguration présidée
par le vice-Premier ministre, le Dr Sok An, en
tant que président d’APSARA.
Compte tenu du fait que le wat se
situe dans la zone archéologique 1 du
parc d’Angkor, inscrit sur la Liste du
patrimoine mondial, il a fallu prendre des Panneau de la réunion de bodhisattvas (à gauche) et du rêve de Maya (à droite) avant et après restauration.
© Chau Sun Kérya

34 Patrimoine Mondial Nº68


Concert de musiciens d'Oaxaca sur la Plaza de la Danza.

Villes du patrimoine, villes durables


Thèmes et intervenants principaux :
I L’environnement. III Culture.
La conservation de l’environnent et la durabilité Le patrimoine culturel dans le contexte du développement durable.
du patrimoine culturel
DRA. NURIA SANZ GALLEGO
CONFÉRENCIER D'HONNEUR Responsable de l’unité « Amérique latine et Caraïbes »
DR. JOSÉ SARUKHAN KERMEZ du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO
Coordinateur national Paris, France
Commission nationale pour la connaissance et DR. FRANCISCO JAVIER LÓPEZ MORALES
l'utilisation de la biodiversité
Directeur du patrimoine mondial de l’INAH
Mexico
Mexico
DR. IVÁN RESTREPO FERNÁNDEZ DR. JORDI TRESSERRAS
Directeur général du Centre pour l'écologie et le développement, Coordonnateur du Programme de deuxième cycle de
CECODES gestion culturelle et membre du doctorat de gestion de patrimoine
Mexico et de la Commission pour la Culture de l'Université de Barcelone
OAXACA 2013 est une plateforme internationale ARQ. RUBÉN OMAR PESCI
Barcelone, Espagne

Président de la Fondation pour les études et M. ARQ. OLGA ORIVE BELLINGER


offrant aux maires, aux décideurs et aux experts les projets environnementaux, CEPA Président d’ICOMOS Mexique
Buenos Aires, Argentine Mexico
la possibilité de partager leurs connaissances et PROF. NALINI THAKUR
DR. LUIS FARÍAS MARTÍNEZ Directeur du département de Conservation architecturale
leurs expériences afin de créer des politiques Président de la Commission d'études du secteur privé de l'école d'architecture et de planification
pour le développement durable, CESPEDES Delhi, Inde
publiques, des actions gouvernementales et des Mexico
IV Société.
méthodes innovantes pour protéger, préserver, II L'environnement urbain (ville et territoire).
L’urbanisation globale des villes du patrimoine. L’importance de la société dans la préservation du patrimoine culturel.

conserver et gérer des villes du patrimoine DR. FERNANDO CARRIÓN MENA


ARQ. LEONCIO ORELLANA
Directeur des ateliers internationaux sur la revitalisation des
Président de l’Organisation des Centres historiques
mondial et placer la durabilité urbaine au cœur d'Amérique latine et des Caraïbes, OLACCHI
centres historiques des villes d'Amérique latine et des Caraïbes,
SIRCHAL
Quito, Équateur
Paris, France
des exigences de la Liste du patrimoine mondial
DR. EUSEBIO LEAL SPENGLER DR. RENÉ COULOMB
de l'UNESCO. Historien de la ville de la Havane, Cuba
La Havane, Cuba
Professeur/chercheur de l'Université autonome
métropolitaine d’Azcapotzalco
Mexico
DR. JAN BAZANT
ARQ. PAULO ORMINDO DE AZEVEDO
Du 19 au 22 novembre 2013 Professeur/chercheur à l'Université autonome
métropolitaine, Unité de, Xochimilco
Mexico
Spécialiste en Conservation du patrimoine culturel
Salvador de Bahia, Brésil
Oaxaca, Mexique ARQ. NORMA BARBACCI
DR. HORACIO CAPEL SÁEZ Directeur du programme pour l'Amérique latine,
Spécialiste en géographie urbaine. Espagne. l’Espagne et le Portugal à la Fondation des Monuments du Monde
Barcelone, Espagne New York, USA
facebook.com/OaxacaCongress @oaxacacongress

Pour en savoir plus et participer à cet événement, Atelier des maires • Session des participants • Forum de la jeunesse • Atelier presse
rendez-vous sur ocpmoaxaca2013.org
Numéro spécial Ta Prohm

Le temple de Ta Prohm
D.S. Sood
Ingénieur-surintendant archéologue adjoint de l’Archaeological Survey of India (ASI)
Chef d’équipe du projet de Ta Prohm

Ta Prohm.
© Lin Mei

36 Patrimoine Mondial Nº68


Ta Prohm
L
Les racines ont pénétré la structure de Ta Prohm.
© Lin Mei

a vocation du projet Ta Surnommé le « Temple de l’arbre », Ta Prohm


Prohm, lancé en février 2004 se situe au cœur d’une épaisse forêt.
par l’Archaeological Survey
of India (ASI), consistait à
mettre en avant l’authenticité,
l’intégrité et la conservation de l’osmose conservation et l’entretien des arbres, la fut exposé à certains endroits pour permet-
exceptionnelle produite par la nature et Water and Power Consultancy Service Limited tre aux visiteurs de mieux comprendre le
les monuments du temple de Ta Prohm au (WAPCOS) pour les études hydrologiques, fonctionnement du site. Une fois ces travaux
sein du complexe d’Angkor et à préserver l’Indian Institute of Technology (IIT) pour de conservation achevés, on procéda ensuite
ce précieux patrimoine pour les générations les interventions structurelles et la Larsen à des plans de post-conservation afin d’établir
de demain. Surnommé le « Temple de & Tubro (L & T) pour la fourniture de une étude comparative.
l’arbre », Ta Prohm se situe au cœur d’une matériel spécialisé et d’échafaudages. Afin Le sous-sol du site et ses remblais de sable
épaisse forêt. Le site est entouré de deux de protéger l’intégrité et l’authenticité du firent l’objet d’un traitement approprié
bassins creusés dans la terre. Reprenant bien, l’ASI choisit d’adopter la technique tandis que les gros blocs de grès formant
leurs droits sur la pierre, de nombreux de l’anastylose (qui consiste à reconstruire le sol et les plinthes du temple furent remis
arbres ont poussé sur les murs de l’ancien un monument en ruine en réutilisant les en place. Les anciens éléments du sol,
temple, leurs racines et leurs branches différents éléments qui le composent) et des colonnes et du toit furent réparés et
enlaçant étroitement sa structure. procéda à une documentation détaillée de rassemblés avec des matériaux appropriés
chaque pierre du complexe. après avoir été soigneusement vérifiés.
Un accent sur l’intégrité Des structures de soutien temporaires et Une étude par géoradar fut réalisée avant
et l’authenticité réversibles furent érigées pour assurer la de procéder aux fouilles scientifiques afin
La conservation de Ta Prohm est sécurité des touristes et maintenir en place d’identifier précisément l’emplacement des
compliquée par l’environnement et les pierres et les arbres aux endroits où la racines en sous-sol. Les pierres en équilibre
les conditions particulières du site. Sa structure menaçait de s’écrouler. Dans la instable sur les tours situées entre la 2e et
restauration repose sur une approche mesure du possible, les travaux de restauration la 3e enceinte, le long de l’axe central et de
multidisciplinaire impliquant la participation employèrent les pierres d’origine afin de la 5e enceinte à l’ouest, furent replacées
de plusieurs organismes spécialisés dans n’introduire qu’un minimum de nouvelles sur leur site d’origine et sécurisées à
des domaines bien spécifiques : le Forest pierres sur le site. L’ancien système de l’aide de câbles plastifiés permettant de
Research Institute of India (FRI) pour la drainage, révélé par les fouilles scientifiques, surveiller leur mouvement. Des stations

Patrimoine Mondial Nº68 37


Numéro spécial Ta Prohm

La chaussée avant les travaux de restauration. La chaussée après les travaux de restauration.
© D.S.Sood Dy.SAE, Team Leader, Archaeological Survey of India © D.S.Sood Dy.SAE, Team Leader, Archaeological Survey of India

météorologiques, ainsi que des dispositifs La chaussée située entre la Le gopura de la 5e enceinte ouest
de mesure de l’inclinaison des murs et 3e et la 4e galerie ouest Le gopura fit l’objet d’une documentation
de la largeur des fissures furent installés La chaussée cruciforme, reliant le pavillon détaillée réalisée sur place. Toutes les pierres
à l’intérieur du temple pour étudier les d’entrée situé entre les 3e et 4e enceintes dangereusement perchées à l’intérieur et à
mouvements de la structure. Des escaliers du côté ouest, fit l’objet d’un important l’extérieur de la tour furent réparées une à une
et des passerelles en bois furent construits traitement de conservation. Cette chaussée avant d’être replacées sur leur emplacement
pour favoriser le passage des visiteurs sans de 43,60 m de long sur 4,60 m de large d’origine afin de prévenir tout effondrement.
nuire aux anciennes racines des arbres. Des et 0,90 m de haut était dans un très Chaque pierre fut fixée aux autres pour plus
ateliers furent organisés chaque année, grand état de délabrement. Les pierres qui de sécurité. Des supports en acier réversibles
avec le soutien du FRI, pour former le composaient ses fondations furent retirées furent installés à l’intérieur du gopura pour
personnel d’APSARA dans le traitement une à une et soigneusement assemblées empêcher tout mouvement latéral. Le sol
des arbres pourris et des certificats furent pour être réutilisées. La balustrade de Naga de latérite fut également réorganisé pour lui
remis aux participants par le représentant fut également restaurée, à l’aide des pierres rendre sa forme originale.
de l’UNESCO. D’autres programmes de originales, dans la mesure du possible.
formation furent également proposés aux Le mur d’enceinte extérieur
archéologues et aux dessinateurs du site. Le gopura de la 4e enceinte ouest Les bases du mur de latérite incliné furent
Quatre des cinq sites faisant l’objet de Le gopura (pavillon d’entrée) de la 4 e soigneusement exposées puis renforcées à
travaux de conservation et de restauration enceinte était particulièrement délabré. l’aide d’un mélange de chaux et de sable
sont désormais terminés. Il s’agit de : La voûte des galeries nord et sud et les compacté afin d’augmenter la résistance
allées des porches est et ouest s’était ef- du sous-sol. D’anciens blocs de latérite et
Le côté est de l’aile sud de la fondrées tandis que les voûtes de l’axe est- d’autres plus récents furent disposés à la
galerie de la 3e enceinte ouest menaçaient à leur tour de s’écrouler, place des éléments disparus en respectant
Cette galerie rectangulaire de 41,15 m suite au déplacement de leurs blocs de l’alignement et la hauteur initiale du mur de
de long sur 4,85 m de large, ainsi que les maçonnerie. Toutes les pierres des piliers, l’enceinte.
pavillons qui se dressent à chaque coin, et poutres, voûtes, demi-voûtes et du sol fu-
son toit, était totalement détruite. Après rent déposées avec précaution et réparées. La salle des danseurs
avoir consolidé et renforcé ses bases, elle Une fois ces bases consolidées, le gopura Les travaux de conservation entrepris
fut restaurée à l’aide de ses pierres d’origine fut restauré et les pierres originelles furent dans la salle des danseurs sont actuellement
et, le cas échéant, de nouvelles pierres. replacées à leur emplacement initial. en cours.

38 Patrimoine Mondial Nº68


Ta Prohm

Les arbres majestueux de Ta Prohm ajoutent du mystère mais ils menacent également le temple.
© Yeowtzup

Patrimoine Mondial Nº68 39


Numéro spécial Prè Rup

Restauration et renforcement
des tours de brique du
temple de Prè Rup
Valter Maria Santoro
Université de Rome
Responsable de la mission technique italienne
pour la consolidation des pierres d’Angkor Vat

La cour de Prè Rup vue de la tour centrale.


© Tushar Dayal

40 Patrimoine Mondial Nº68


Prè Rup
L
Restauration en cours à Prè Rup.
© Allie Caulfield

es grandes tours du temple de Le temple de Prè Rup fut construit en 961, sous le règne
Prè Rup firent l’objet d’études du roi pacifique Rajendravarman, afin d’accueillir la
approfondies d’octobre 1995 capitale de l’Empire khmer, alors en pleine expansion.
jusqu’en décembre 2004,
grâce au soutien de l’UNESCO
et du fonds en dépôt italien, dans le cadre
du projet de Préservation du patrimoine sur des monuments semblables à travers la notion typique de la première période de
mondial. Ces recherches débutèrent par région d’Angkor. construction du temple khmer. À l’intérieur
des relevés géométriques, des analyses de Le temple de Prè Rup se situe à l’extrémité de l’enceinte, le temple comporte cinq
dégâts, un suivi du mouvement des éléments sud du réservoir du baray oriental, à 15 km au tours de brique, dressées sur le niveau
architecturaux et une évaluation de l’état nord de la ville de Siem Reap, dans ce que la supérieur du côté est. Comme l’indiquent
des matériaux. Les informations recueillies littérature française appelle communément plusieurs sculptures de grès inachevées sur
permirent d’élaborer un plan d’intervention le « Grand circuit d’Angkor ». Le site fut les linteaux des portes, leur construction
comprenant un renforcement de la structure construit en 961, sous le règne du roi ne fut jamais terminée. Pendant plus d’un
générale (rassemblant les murs en élévation pacifique Rajendravarman, afin d’accueillir millénaire, la pluie s’infiltra dans le sol puis
et élargissant les fondations) ainsi que la capitale de l’Empire khmer, alors en remonta à la surface, au gré des saisons
diverses mesures de conservation déployées pleine expansion. Le complexe présente sèches et humides du climat tropical de la
sur le plan local. Ces études préparatoires une forme relativement carrée, avec des région, entraînant d’importantes variations
furent suivies par des travaux pratiques sur côtés de 120 m environ. Sa conception cycliques du niveau de l’eau dans le sol. À
le site dès janvier 1999. Ces derniers visaient répond aux principes architecturaux l’instar de la majorité des temples datant
à ouvrir la voie aux interventions réalisées religieux du « temple-montagne », une de la période classique des Khmers, ces

Patrimoine Mondial Nº68 41


Numéro spécial Prè Rup

Renforts des fondations.


© Valter Maria Santoro

La cour de Prè Rup vue de la tour centrale. Barres stabilisatrices des tours.
© Christian Haugen © Valter Maria Santoro

tours présentent aujourd’hui d’importants Comprenant que les techniques des premiers
dommages résultant d’actions mécaniques, bâtisseurs ne résisteraient pas au passage du
physiques et chimiques. Les dégâts temps, de nombreux temples d’Angkor firent
sont clairement visibles et très étendus l’objet d’interventions et d’améliorations
(inclinaisons, fissures, parties manquantes, permanentes tout au long de l’histoire khmère.
usure des matériaux de construction, etc.).
Comprenant que les techniques des
premiers bâtisseurs ne résisteraient pas
au passage du temps, de nombreux davantage leur usure. Particulièrement Les travaux réalisés sur les tours visaient
temples de la région d’Angkor firent affectée par le mouvement des murs du à rendre aux fondations leur ancienne
l’objet d’interventions et d’améliorations temple, la voûte d’encorbellement khmère stabilité en élargissant leur base et en
permanentes tout au long de l’histoire accéléra le détachement des linteaux, ces reliant efficacement les différentes parties
khmère. Le temple de Prè Rup fut derniers n’étant plus alignés avec les murs de maçonnerie des tours. La plupart des
néanmoins abandonné assez rapidement de la tour ni correctement ancrés. tours endommagées (situées dans la
puis délaissé pendant plusieurs siècles. Quelques études préparatoires partie sud-est) bénéficièrent d’injections
Les principaux dégâts causés au fil du furent réalisées avant la conception internes de béton afin de relier les murs
temps concernent d’importantes variations finale des interventions de stabilisation de maçonnerie en brique. Les autres
au niveau de la composition du sol et afin d’identifier toutes les conditions tours (situées sur le sommet et dans la
de l’affaissement des fondations, suite géologiques et géotechniques du site ainsi partie nord-est) furent reliées au moyen
aux fluctuations du niveau des eaux que le comportement de la structure dans de techniques innovantes et de matériaux
souterraines. La brique, endommagée son ensemble. Ces travaux comprenaient de pointe, comme des tiges synthétiques
et affaiblie sous l’action de processus un examen des caractéristiques que l’on inséra dans des trous de tout
chimiques et mécaniques, favorisa la stratigraphiques et géotechniques du site, petit diamètre. Ces nouvelles techniques
décomposition du site. La nature reprit peu un suivi géométrique et structurel des permirent au concepteur de réduire l’impact
à peu le dessus et d’énormes racines de tours endommagées, un suivi du modèle des mesures de restauration du monument
mauvaises herbes et d’arbres repoussèrent structurel des tours ainsi qu’une analyse tout en garantissant une compatibilité
les murs. Des animaux vinrent nicher des fondations et une modélisation par physique, chimique et mécanique avec les
dans les cavités des briques, accélérant éléments finis. matériaux d’origine.

42 Patrimoine Mondial Nº68


Prè Rup

L’escalier central de Prè Rup.


© Robert Young

Patrimoine Mondial Nº68 43


Numéro spécial Bayon

Le temple du Bayon
Quand sculpture et
architecture riment
avec pouvoir

Takeshi Nakagawa
Université de Waseda
Directeur local du projet Japan-APSARA Safeguarding Angkor (JASA)

Les visages envoûtants du Bayon ont regardé le monde pendant mille ans.
© Benjamin Vander Steen

46 Patrimoine Mondial Nº68


Bayon
L
Coupe transversale du Bayon montrant le Bouddha assis
en position initiale à la base de la tour centrale. Une des tours du Bayon.
© Takeshi NAKAGAWA, Katsushi IKEUCHI and Ichita SHIMODA © Lin Mei

e temple du Bayon se la structure toute entière du Bayon (toits galerie extérieure, une galerie cruciforme,
caractérise par une multitude et murs de maçonnerie) menace de une galerie intérieure construite quelques
de gigantesques visages s’écrouler, illustrant le caractère éphémère années plus tard, et des galeries angulaires.
divins constituant à la fois des de matériaux pourtant réputés solides, La tour centrale, de 43 m de haut et de forme
sculptures et des éléments comme la pierre. Mais, étonnamment, le ovale, est reliée par de nombreux halls et
architecturaux. Ce complexe en trois site dégage aussi un puissant sentiment de tours juchés sur une terrasse à trois niveaux
dimensions présente une extraordinaire sécurité. C’est ce paradoxe qui motiva notre richement structurée. Certaines de ces tours
densité dans un espace relativement projet de conservation et de restauration du font face aux quatre points cardinaux, tandis
compact, donnant au visiteur l’étrange Bayon. Nos études, menées en collaboration que d’autres sont disposées de manière plus
impression que chaque visage cherche à avec de nombreux experts, visaient aléatoire. Cette caractéristique se retrouve
s’échapper de la pierre. Les frises des bas- également à percer ses fascinants mystères, également dans les 173 visages des divinités
reliefs retracent d’innombrables scènes dont beaucoup demeurent toujours sans Deva, Devata et Asura taillés sur 52 tours
de la vie courante ainsi que de grands réponse. (le site comptait initialement plus de 181
événements historiques, nous offrant ainsi visages au moment de sa construction).
une fascinante fenêtre sur le passé de la Présentation et vocation Chaque visage se distingue des autres
région. Une atmosphère profondément du temple du Bayon par sa taille, sa position, sa hauteur, son
mystérieuse, évoquant à la fois un Le temple du Bayon est le temple central apparence, et, désormais, par son état de
sentiment de destruction et de quiétude, du site d’Angkor Thom. Sa structure délabrement. Cette extraordinaire diversité
règne au sein du site. Bien qu’à moitié principale se dresse sur un plan rectangulaire donne au visiteur l’impression de plonger
effondrée, la maçonnerie de la tour centrale d’environ 130 m de large et 140 m de long dans un espace infini. Le site présente aussi
continue vaillamment à s’élever vers les et possède une grande terrasse sur sa une grande originalité pour la période
cieux, dominant le panorama. Aujourd’hui, partie est avant. Le temple comporte une Bayon.

Patrimoine Mondial Nº68 47


Numéro spécial Bayon

L’un des 173 gigantesques visages du Bayon. Bas-reliefs du Bayon.


© Lin Mei © Tushar Dayal

Les trois divinités gardiennes Les bas-reliefs qui ornent les murs des galeries
Le célèbre bas-relief de la galerie d’Angkor intérieures et extérieures et caractérisent le
Vat intitulé « Barattage de la mer de lait » Bayon ont également un sens important.
représente la création d’un nouveau monde,
à travers l’utilisation de différents éléments,
selon la tradition indienne khmère. Au Bayon,
toutefois, les trois divinités gardiennes Deva, Une autorité royale légitimée prennent toutefois en compte les trois
Devata et Asura, symbolisant cette même Les bas-reliefs qui ornent les murs principales traditions qui existaient dans la
tradition, furent ingénieusement disposées à des galeries intérieures et extérieures et dynastie d’Angkor de l’époque. On trouve
l’intérieur et à l’entrée du temple pour jouer caractérisent le Bayon ont également un notamment dans la galerie extérieure
un rôle distinct et produire un nouveau style sens important. Représentant les croyances des scènes de la vie courante, rarement
structural. Devata protège ainsi la principale de Jayavarman VII (qui régna de 1181 à présentes dans les temples, remplies de
divinité que renferme la tour centrale du 1219) et de la famille royale, ces sculptures force, d’amour et d’humour. Le déroulement
Bayon, tandis qu’Asura protège le périmètre illustrent en effet la succession des rois du inattendu de ces histoires, la sélection et la
du temple et Deva est une divinité neutre. Bayon et la légitimité de leur règne. Les murs représentation des thèmes individuels, alliés
Le temple du Bayon représente ainsi un nord et ouest comportent respectivement à l’originalité des compositions graphiques,
monde composé de plusieurs couches, mais des motifs retraçant les légendes de Çiva et contribuent à la fascination qu’exerce
protégé dans son intégralité par ces trois Vishnu, tandis que le mur sud est dédié au aujourd’hui le temple du Bayon sur ses
divinités. bouddhisme. Ces déclarations audacieuses visiteurs.

48 Patrimoine Mondial Nº68


Bayon
Le Bayon avec ses 52 tours est fréquemment visité par les moines bouddhistes.
© Kyle Taylor

L’ambition d’un en construisant notamment des routes le bouddhisme, seule croyance asiatique
empire mondial royales reliant les différents domaines de à s’être transformée en religion mondiale.
On pense aujourd’hui que la structure la dynastie à Angkor Thom. De grands Le site nous montre par exemple que
et la nature du temple du Bayon étaient temples furent également construits Jayavarman VII recherchait une nouvelle
toutefois moins marquées à ses débuts. dans les principales villes régionales universalité tout en respectant les
Selon les travaux du Pr Claude Jacques et divers établissements tels que des anciennes traditions. Peut-être voulut-il
portant sur l’évolution historique du Bayon hospices pour les pauvres, des auberges harmoniser ces deux concepts pour
et reposant sur plusieurs années d’étude ou d’autres installations de ce type, affirmer son règne sur Angkor ? Cette
des inscriptions khmères, le site aurait en furent ouverts dans 102 sites à travers volonté se manifeste certainement par
effet été bâti en quatre parties. Les traces le royaume. Ces évolutions indiquent l’excentricité de l’emplacement du Bayon
découvertes autour de la tour centrale que la dynastie d’Angkor ambitionnait et l’ambiguïté qui est y exprimée entre
indiquent par exemple que le Bayon un empire mondial, chose rare dans l’ordre et le chaos. Suite aux travaux de
était à l’origine un temple hindou, avant l’histoire des puissances d’Asie du Sud- Jayavarman et au passage du temps, les
d’être converti à la religion bouddhiste, Est. Grâce aux diverses relations qu’avait diverses installations du temple firent
puis reconverti à l’hindouisme. On sait ainsi tissées la dynastie à travers son l’objet de modifications audacieuses,
aussi que la dynastie d’Angkor élargit empire, on pense aujourd’hui que la ville comme des réductions, agrandissements
son territoire sous la période Bayon pour royale d’Angkor Thom (avec son temple et délocalisations, conduisant finalement
englober près de la moitié de la région qui central du Bayon et son Bouddha assis) à la diversité et à la fascination que
constitue aujourd’hui l’Asie du Sud-Est, revêtait une importance particulière dans présente aujourd’hui encore le site.

Patrimoine Mondial Nº68 49


Numéro spécial Baphuon

Le Baphuon à Angkor
Histoire d’une renaissance
Pascal Royere
Directeur des études
École française d’Extrême-Orient

Portail d’entrée et la chaussée du Baphuon.


© Tushar Dayal

50 Patrimoine Mondial Nº68


Baphuon
A
La structure monumentale du Baphuon restaurée.
© Ross Huggett

u cours des premiers jours Le Baphuon est constitué par une impressionnante
du mois de juillet 2011, Sa structure pyramidale qui, aujourd’hui, s’impose dans
Majesté le roi Norodom le paysage monumental de la cité d’Angkor Thom.
Sihamoni et le Premier
ministre de la France,
M. François Fillon, présidaient la cérémonie
de fin des travaux de restauration du Un projet inscrit dans la durée parfois des éboulements. Ces défaillances
Baphuon et la réouverture du monument aux Dès le début du XX siècle les travaux
e
structurelles ont été aggravées par les
publics de visiteurs, mettant ainsi un terme de dégagement révèlent un monument infiltrations d’eau de pluie, mais aussi par
au plus long programme de restauration dont les principales lignes architecturales les modifications de l’édifice imposées
entrepris à Angkor, depuis la création de sont sans commune mesure avec ses au cours de l’histoire. Le grand temple
la Conservation d’Angkor au début du caractéristiques morphologiques originales. çivaïte, au sommet duquel le souverain
XXe siècle. Le Baphuon est un temple çivaïte La structure pyramidale à trois étages, Udayadityavarman II fit installer un linga
de première importance datant du XIe siècle. les galeries, les tours d’angle, les gopuras d’or, a été transformé au XVIe siècle par
Il est constitué par une impressionnante et, enfin, le sanctuaire principal érigé au la construction d’une statue colossale
structure pyramidale qui, aujourd’hui, sommet (et donc au centre du dispositif) représentant le Bouddha Parinirvana gisant
s’impose dans le paysage monumental de la subsistent dans un très mauvais état de sur la façade ouest du second étage.
cité d’Angkor Thom. Il est désormais sauvé conservation. Lorsque J. Commaille, alors conservateur
des périls auxquels le temps, le climat et les Les causes de la ruine sont vite d’Angkor, entreprend les premiers
hommes l’avaient soumis. compréhensibles. Le Baphuon a été, de dégagements du Baphuon en 1908,
Faisant suite à vingt-quatre années toute évidence, mal construit. Les hauts ses travaux révèlent un édifice dont les
d’interruption (1971-1995), la reprise des soubassements de grès contenant le remblai structures portent les profonds stigmates
travaux en 1995, sous la haute présidence de sable nécessaire à la constitution des des contraintes mécaniques et des phases
de feu S. M. le roi père Norodom Sihanouk, trois étages sont trop mal proportionnés de réappropriation qui ont marqué son
n’allait pas sans les contingences et les pour assurer une stabilité de l’édifice dans histoire. La tour centrale a disparu, le
difficultés d’une telle entreprise. Pour les la durée. Il en a résulté d’importantes troisième étage est amputé de sa galerie, ses
comprendre, il convient de rappeler le contraintes qui, très tôt, ont entraîné soubassements sont affaissés et il en va de
contexte de ce projet, dès ses origines. des déformations, des dévers de murs et même pour une grande partie des édifices

Patrimoine Mondial Nº68 51


Numéro spécial Baphuon

La tête et les épaules de l’énorme Bouddha couché du Baphuon.


© Allie Caulfield

du second étage. Quant aux structures Le grand temple çivaïte a été transformé au XVIe siècle par la
du premier étage, hormis le gopura est, construction d’une statue colossale représentant le Bouddha
marquant l’accès principal au premier étage Parinirvana gisant sur la façade ouest du second étage.
du temple, tout n’est que ruine…
Les efforts fournis par J. Commaille pour
dégager et conserver cet ensemble vont
donner le ton de l’engagement de ses fera la synthèse des observations de ses chacune des pierres constituant l’ensemble.
successeurs. À la suite de ce pionnier décédé prédécesseurs et organisera ainsi le plus En 1970, le projet a bien progressé, mais la
brutalement en 1916, les conservateurs grand chantier de restauration entrepris à guerre qui s’étend à la région des temples va
auront tous à cœur, non sans difficultés, Angkor. Les moyens mis en œuvre sont à lui être fatale. De manière brutale, le chantier
de ralentir les processus de dégradation la mesure des problématiques évoquées : est interrompu une première fois puis, après
si inquiétants du Baphuon. Les incidents le renforcement de l’équipe technique et une reprise éphémère, sa fermeture sera
seront hélas nombreux et prendront parfois scientifique de l’École française d’Extrême- effective en 1971.
la tournure de vraies catastrophes. Ainsi le Orient, complétée par des centaines d’artisans
gigantesque effondrement de la face nord qualifiés, le tout soutenu par des équipements La reprise d’un projet
survenu en 1943, qui emporte en une nuit adaptés, permettent de mettre en branle la impossible ?
le quart de la surface du monument, ou tentative ultime de sauvetage. Il est envisagé En 1995 enfin, la volonté conjointe
encore les éboulements de la face est en de renforcer les soubassements affaiblis de l’EFEO, du Ministère des affaires
1949. Malgré les efforts fournis, le Baphuon par les poussées des remblais au moyen de étrangères et du Ministère de la culture du
reste un ouvrage exposé aux pires dangers, dispositifs de frettage (des voiles en béton Gouvernement français, associée aux vœux
insinuant parfois le doute dans les rapports armé) placés à l’arrière des maçonneries. Pour des autorités du Gouvernement royal du
d’activités des conservateurs. réaliser une telle prouesse, il faut déposer Cambodge, permet à ce projet complexe
À la faveur d’une réorganisation de la temporairement les quatre façades du de reprendre vie.
Conservation des monuments d’Angkor monument, en établissant préalablement un Certes, les modalités ne sont pas simples :
en 1960, l’archéologue B. P. Groslier protocole d’enregistrement de la position de la documentation du chantier accumulée

52 Patrimoine Mondial Nº68


Baphuon
Galerie de second niveau. La chaussée de l’entrée restaurée.
© Tushar Dayal © Lin Meil

La restitution de la première structure pyramidale le début de la généralisation de l’emploi du


à degrés entièrement ornés de modénatures à grès dans l’art de bâtir angkorien.
Angkor est de toute première importance. La restauration des gopuras du second
étage, les seuls édifices véritablement épar-
gnés par la refonte bouddhique du XVIe siècle,
présente elle aussi un intérêt certain.
durant les années soixante a été pillée et années d’interruption des travaux, doublées Disposés en panneaux, telle une bande des-
détruite dans les locaux de l’EFEO en avril de la perte des documents de dépose, sinée, les bas-reliefs qui ornent leurs façades
1975, de sorte que le temple est devenu de la confrontation à des techniques de extérieures, sans doute le témoignage le plus
un gigantesque puzzle en trois dimensions restauration qui ont depuis lors beaucoup ancien d’un tel procédé narratif à Angkor,
dont le modèle a disparu à jamais. Ajoutons évolué ? Comment créer un équilibre entre ont pu retrouver leur place et permettent de
enfin que la nature a repris le dessus sur deux phases historiques d’occupation du révéler au public les premiers essais d’une
les parties les plus instables du temple, monument (la phase çivaïte et la refonte technique narrative qui se développera par
entraînant un énorme éboulement des bouddhique) dont l’une agit comme un ailleurs à Angkor durant des siècles.
second et troisième étages sur le quart élément destructeur par rapport à l’autre ? Pour conclure, il convient de rappeler
nord-ouest du temple. Au terme de ces seize années écoulées, que le suivi quotidien, pendant de longues
À l’issue de longs mois passés à identifier cette entreprise plus que centenaire parvient années, d’un tel chantier nous a surtout
les pierres qui jonchaient les abords du à son terme, et donc à l’heure des bilans. On offert la formidable opportunité de
temple sur quelque 10 ha de forêt, les relèvera tout d’abord l’intérêt documentaire visualiser et comprendre les difficultés
équipes spécialement formées sur le des ouvrages qui ont pu être restaurés. rencontrées par les bâtisseurs des temps
site ont, après beaucoup d’incertitudes, La restitution de la première structure angkoriens. Il nous a permis également
finalement réussi à redonner son lustre pyramidale à degrés entièrement ornés de de réussir à présenter concomitamment
d’antan à cet édifice hors normes. Certes les modénatures à Angkor est de toute première deux phases historiques successives : la
difficultés ont été considérables : comment importance. Elle révèle ici un jalon important période çivaïte (XIe-XVIe siècle) et la refonte
reprendre un chantier après vingt-quatre de l’architecture, qui marque historiquement bouddhique (XVIe siècle).

Patrimoine Mondial Nº68 53


Numéro spécial Banteay Kdei

Le précieux patrimoine du
temple de Banteay Kdei
Yoshiaki Ishizawa
Chef de la mission internationale d’Angkor
de l’Université de Sophia, Tokyo, Japon

La tour centrale de Banteay Kdei.


© Lin Mei

54 Patrimoine Mondial Nº68


B

Banteay Kdei
anteay Kdei, un temple
bouddhique mahayana cons-
truit à la fin du XIIe siècle, se
trouve à quelque 6 km au nord-
est d’Angkor Vat. Des fouilles
récentes sur le site de ce temple, réalisées
par l’Université de Sophia, ont permis de
découvrir des statues et des images de
Bouddha, les premières de ce genre à être
découvertes au Cambodge. Cette précieuse
collection de statues illustre l’évolution
religieuse du Xe au XIIIe siècle, à travers les
changements de dynasties et de dirigeants.

Enterré pendant 800 ans


Des statues furent découvertes dans
une fosse, à environ 150 m de l’entrée
de la voie orientale, devant un petit
sanctuaire septentrional, face à une terrasse
cruciforme. Leur taille allait de 20 à 180 cm.
Deux petites images en bronze de Bouddha
y furent également mises au jour.
La fosse où ces statues ont été déterrées
mesurait environ 1,80 m de profondeur
pour une superficie de 2 m². La fouille a
révélé plusieurs petites statues complètes
de Bouddha et de la tête de Bouddha, ainsi
que de gros objets en pierre, notamment
des segments de corps. Ils semblent y avoir
été jetés depuis le haut de la fosse. Par
ailleurs, les images de la tête de Bouddha
semblent avoir été délibérément coupées
du corps avant d’être jetées et enterrées.
Pour cette raison, bon nombre d’entre
elles ne pourront malheureusement être
restaurées à leur état d’origine.
Bien que les statues soient restées
enterrées pendant environ 800 ans, elles
se trouvaient dans un environnement
à la température et au taux d’humidité
constant. Par conséquent, leur état général
de préservation est remarquablement bon,
permettant encore aujourd’hui d’admirer la
noblesse de leurs traits. On estime que ces
statues appartiennent à la période allant
du Xe au XIIIe siècle. En ce qui concerne leur
conception, leur visage et leurs décorations Des fouilles récentes sur le site de ce temple,
comportent des caractéristiques des styles réalisées par l’Université de Sophia, ont
du Baphuon du Xe siècle et d’Angkor Vat permis de découvrir des statues et des
du XIIe siècle. Elles reflètent également images de Bouddha, les premières de ce
dans une certaine mesure le style de l’art genre à être découvertes au Cambodge.
Bayon du XIIIe siècle. Les statues complètes
possèdent la partie supérieure du corps du
naga (dieu serpent), avec ses trois anneaux
et ses sept têtes en éventail pour protéger la
méditation de Bouddha. Bouddha assis protégé par un naga.
© Sophia Asia Center for Research and Human Development, Sophia University

Patrimoine Mondial Nº68 55


Numéro spécial Banteay Kdei

Suite à cette découverte semblables existent du


initiale, le côté de la fosse bodhisattva Avalokitesvara
des fouilles a été élargi et (ou Lokesvara en khmer),
quelque 274 images de de la même période, et
Bouddha furent mises au qui ont été découverts lors
jour, dont un pilier en pierre des fouilles du temple de
gravé sur ses quatre faces Preah Khan de Kompong
de 1 000 Bouddhas assis. Svay. Cette statue exprime
un désir de la part du
Protéger le bodhisattva de dispenser
Bouddha de la pluie vertu et compassion aux
Les 274 images déterrées peuples proches et éloignés.
représentaient principale- D’autres exemples de
ment un Bouddha assis, tels objets dans l’histoire
protégé par un naga. Ce de l’art sont les piliers
style semblait être très en pierre de Vishnu,
répandu dans l’art khmer. remontant au dernier quart
Ces statues relatent cette du XIIe siècle. Ici, les 1 020
époque légendaire où images de Vishnu trouvées
une pluie torrentielle s’est sur les piliers en pierre
abattue une semaine durant, sont disposées en quinze
correspondant aux sept jours rangées horizontales sur
de méditation du Bouddha dix-sept rangées verticales.
pour entrer au Nirvana. Elles sont gravées sur toutes
Mucalinda, le roi serpent, les faces, comme les 1 000
s’est alors élevé de la terre Bouddhas du Cambodge,
et a protégé le Bouddha en indiquant l’influence de l’art
écartant ses sept têtes et en hindou. D’autre part, dans
enroulant son corps. les gravures de Lokesvara
La tête de l’image découvertes au temple
principale du Bouddha assis de Preah Khan, de petits
sur un serpent manquait Bouddhas sont gravés dans
lorsqu’elle fut déterrée, mais Le pilier représentant les 1 000 Bouddhas assis. la section entre la tête et la
elle a ensuite été retrouvée © Sophia Asia Center for Research and Human Development, Sophia University partie supérieure du corps,
recouvrant ainsi sa place dans un style semblable aux
d’origine. La position de la Lorsque le bouddhisme est arrivé au 1 000 Bouddhas.
main droite sur la paume Cambodge au VI siècle, plusieurs statues e
Pourquoi les images
gauche, alors qu’il est assis de Bouddha avaient déjà été sculptées, de Bouddha ont-elles été
les yeux fermés, indique mais il s’agit de la première découverte jetées  ? Jayavarman  VII
la méditation. La statue d’un pilier représentant 1 000 Bouddhas. (environ 1181-1219) a
mesure 125 cm sur 47 cm. construit la plupart des
Bien que les statues de temples bouddhistes de
Bouddha assis sur un naga la dynastie d’Angkor et a
soient apparues pour la première fois vers influence des dessins religieux de cette apporté une grande prospérité. On dit que
la moitié du Xe siècle, elles semblent avoir époque. Jayavarman VIII (1243-1295), qui a régné
été influencées par les images des divinités après Jayavarman VII, était un hindou
hindoues de l’époque. Cette tendance à 1 000 Bouddhas assis fervent. Il est probable qu’il ait ordonné
mélanger les motifs religieux se retrouve Lorsque le bouddhisme est arrivé au la saisie des images de Bouddha dans son
également dans la coiffure du Bouddha, qui Cambodge au VIe siècle, plusieurs statues combat pour le trône.
a évolué, d’un style rappelant une araignée, de Bouddha avaient déjà été sculptées, On comprend maintenant clairement
aux nattes, avec un nœud en forme de mais il s’agit de la première découverte pourquoi les images de Bouddha ont été
cône (makuta), dissimulant l’usnisa (une d’un pilier représentant 1 000 Bouddhas. détruites. Leur préservation inattendue
protubérance crânienne, un diadème ou Outre les 1 000 images de petits Bouddhas, offre aux archéologues un éclairage unique
une couronne). Certaines des images de chaque côté du pilier est surmonté d’une sur l’histoire des affrontements entre les
Bouddha jetées dans la fosse ressemblaient image de la triade bouddhique. Le pilier membres des anciennes familles royales et les
au style d’Angkor Vat, suggérant une mesure 120 cm sur 45 cm. Des exemples vainqueurs qui se sont approprié le trône.

56 Patrimoine Mondial Nº68


Numéro spécial Angkor Thom

Le plan orthogonal
d’Angkor Thom
Jacques Gaucher
Maître de conférences à l’École française d’Extrême-Orient
Chef de la Mission archéologique française à Angkor Thom

La porte sud et la chaussée d’Angkor Thom.


© Anne Roberts

58 Patrimoine Mondial Nº68


Angkor Thom
Angkor Thom (partie méridionale à droite) délimitée par sa douve sud, le baray occidental et la colline
du Bakheng ; trois composantes monumentales de l’agglomération d’Angkor.
© Jacques Gaucher

mi-chemin entre les monts Kulen La plaine d’Angkor a connu entre le IXe siècle
au nord et le lac Tonlé Sap au sud, et le XIIIe siècle une phase d’urbanisation
la plaine d’Angkor a connu entre d’un type totalement nouveau.
le IXe siècle et le XIIIe siècle une
phase d’urbanisation d’un type
totalement nouveau. La centralisation et
la stabilité du royaume khmer y ont permis qu’elle se présente aujourd’hui aux yeux réalisés sous le règne du roi Jayavarman VII.
le développement d’une agglomération des visiteurs. La cité murée présente un Angkor Thom apparaît alors comme la
urbaine qui, par son étendue, sa syntaxe plan carré de 3 km de côté, cerné par une création de ce grand roi et, au regard de la
géométrique, la monumentalité de ses douve parementée de 100 m de largeur que dramaturgie que communiquent les hautes
composantes architecturales et leur unité franchissent cinq chaussées-digues donnant tours flanquées de visages monumentaux
de composition dans la durée, revêt dans accès à cinq portes urbaines monumentales. de la ville, ses dieux et démons qui rejouent
l’histoire de l’urbanisme des sociétés À l’intérieur, ce plan s’organise à partir d’une éternellement la création du monde, elle
préindustrielles un caractère exceptionnel. double centralité. D’une part, au centre fut l’instrument capital de la refondation du
Entourée d’un vaste hinterland composé géométrique, le temple bouddhique du royaume khmer à la fin du XIIe siècle.
d’un semis de villages typiques de riches Bayon fixe la structure urbaine cruciforme
régions rizicoles, cette agglomération de la ville et sa division par quatre avenues Une nouvelle
d’Angkor est centrée sur la plus grande en quatre quadrants. D’autre part, du configuration urbaine
forme construite et habitée du site : Angkor quadrant nord-ouest où il se situe, le Palais Si cette configuration symbolique,
Thom, la « Grande ville ». royal, associé à l’avenue qui le relie hors que seule la parole révélée des mythes
les murs au baray oriental, commande une cosmologiques indiens explicite, régnait
Réalisation d’un grand roi seconde composition urbaine symétrique à jusqu’aux confins du royaume assimilés
Dès 1909, les travaux des archéologues l’origine d’une vaste esplanade centrale qui à ceux de l’univers, elle réglait également
de l’École française d’Extrême-Orient règle l’ordonnance des édifices principaux un espace intramuros de plus de
avaient permis une première restitution de de la ville. Si le palais peut être daté de la fin 9 000 000 m², aujourd’hui recouvert par la
l’agencement des grandes composantes du Xe siècle, en revanche, la douve, le mur forêt et demeuré jusqu’à ces jours inconnu.
de cette agglomération. Angkor Thom y d’enceinte et ses portes, le temple central, Quelles formes d’organisations matérielle
apparaît sensiblement de la même manière constructions urbaines majeures, furent et immatérielle, morphologique et sociale,

Patrimoine Mondial Nº68 59


Numéro spécial Angkor Thom

la structure si particulière et la clôture moyenne. Parallèles et orthogonales, à cet endroit, hypothèse que la mise au jour
d’Angkor Thom soustrayaient-elles ainsi à orientées globalement selon les cardinaux, d’une structure hydraulique enfouie à 3 m
l’agglomération d’Angkor et à sa région  ? ces structures se prolongent, d’un quadrant de profondeur sur l’un des axes théoriques
Quelles modalités de fonctionnement les à l’autre, sur un même alignement. de cette striation vient renforcer. Le second
rendaient habitables  ? découpage du sol d’Angkor
Dans quelle mesure Thom a été pratiqué selon
l’histoire de ce site relève- une partition orientée
t-elle de la fondation nord/sud. Les tracés y sont
d’une ville neuve, celle nettement moins nombreux
du roi Jayavarman VII, et en apparence irréguliers,
ou d’une construction cependant certains d’entre
urbaine établie sur une eux forment une figure de
longue durée ? Ces régularité qui correspond
questions, pour lesquelles à un module, multiple du
les sources textuelles sont précédent, de 360 m. Au
extrêmement ténues, sont total, à l’intérieur des quatre
au cœur d’un programme quadrants, le quadrillage
d’archéologie urbaine que orthogonal mis au jour à la
conduit, dans le cadre de surface d’Angkor Thom est
l’EFEO et en collaboration composé de 71 structures
avec l’Autorité nationale (24 nord/sud, 47 est/
APSARA, la Mission ouest) aujourd’hui établies
archéologique française avec certitude, auxquelles
à Angkor Thom (MAEE). s’ajoutent six autres
Une première étude unités est/ouest enfouies
systématique pratiquée suggérées, soit au total un
sur le dépôt archéologique linéaire de plus de 100 km
que constitue le sol de la qui délimite plus de 300
ville dans son épaisseur et îlots résidentiels.
dans toute son étendue
a permis de restituer un Systèmes de
nouveau plan d’Angkor voies d’eau
Thom. Réalisé au 1/2000, Le plan octogonal d’Angkor Thom, établi sous la direction de Jacques Gaucher. Les premières études
© Jacques Gaucher
ce plan est assimilable à archéologiques pratiquées
un cadastre fossile, auquel sur quelques-uns de ces
s’ajoutent les informations Au centre géométrique, le temple tracés résiduels permettent
archéologiques et sédi- bouddhique du Bayon fixe la structure d’identifier deux types de
mentologiques de 300 urbaine cruciforme de la ville et sa division structures urbaines, viaire
coupes issues du sol urbain. par quatre avenues en quatre quadrants. et hydraulique : rues,
Hormis l’espace de la parfois longées de fossés,
citadelle intérieure, un et voies d’eau plus ou moins
îlot de 90 ha à l’intérieur larges, interdisant toute
duquel le palais royal est associé à un 300 îlots résidentiels circulation par bateau. Cette distinction
gigantesque complexe hydraulique, ce La structuration d’Angkor Thom fonctionnelle est opérationnelle. Certains
nouveau plan représente une série de obéit alors essentiellement à un double tracés présentent une identité stable au
tracés visibles à la surface du sol des quatre découpage. Le premier concerne une cours de leur existence. Pour d’autres,
quadrants de la ville sous la forme de striation de l’espace urbain orientée est/ cependant, il convient de préciser que la
dépressions. Ces dépressions, rectilignes, ouest. Elle est globalement homogène, connaissance archéologique précise de leur
sont des formes résiduelles ; dans le régulière et fondée sur un module de 90 m. histoire est rendue complexe en raison de
plan, elles apparaissent le plus souvent Cette striation est absente de la surface du leur matérialité, de leurs altérations dans
fragmentées, en coupe, elles figurent le sol dans la partie orientale de la ville qui fait le temps, de leurs changements possibles
profil superficiel de structures enfouies ou face à la citadelle royale où elle laisse place de fonction dans la durée, voire de leurs
comblées. Leur largeur est comprise entre 7 à une structuration, réduite en nombre variations de fonction éventuellement
et 20 m. Restituée, la longueur de chacune d’unités, associée au Baphuon. Cependant, à une même période et sur un même
d’entre elles correspond aux dimensions les premières recherches suggèrent linéaire. Ces tracés ont été implantés dans
d’un quadrant, soit environ 1 400 m en fortement que cette striation a bien existé un substrat sableux fragile, naturellement

60 Patrimoine Mondial Nº68


Angkor Thom
Éléments de liaison hydraulique d’un tracé nord/sud à la traversée de l’avenue ouest d’Angkor Thom.
© Jacques Gaucher

évolutif et ont perduré Ce plan, expression d’un modèle dimensions, à sa structure


dans un milieu urbain d’urbanisme approprié avec génie, est la monumentale quadrifide,
qui a été transformé au somme d’un premier savoir, un premier à la distribution de ses
fil de plusieurs siècles. portrait de l’identité d’une ville. édifices dans le plan
Deux sondages pratiqués et à leur orientation
à chacune des extrémités dominante à l’est,
de l’un de ces tracés ont constituent autant de
montré des situations archéologiques et théoriques du modèle d’hydraulique traits urbanistiques fondamentaux des traités
des profils très différents, avérant une voie urbaine mis en œuvre à Angkor Thom. indiens de l’habitat.
d’eau à une extrémité et suggérant une Il reste que si la régularité du plan
voie de circulation à l’autre. Par ailleurs, Modèle urbain typique de l’Est d’Angkor Thom est un fait établi, elle ne
dans le contexte sud-est asiatique, la Mais si le quadrillage orthogonal d’Angkor peut être considérée, à l’image de villes
distinction entre une rue, qui canalise les Thom exprime concrètement les modalités asiatiques telles Chang’an ou Nara, comme
eaux de ruissellement, et une voie d’eau, de structuration technique et fonctionnelle totalement stricte. Analysée dans le détail,
asséchée une partie de l’année ou à un majeures d’un espace urbain, sa conception elle laisse apparaître de nombreuses
moment donné de son histoire et utilisée ressortit à d’autres principes, idéels. À anomalies. Le plan carré n’est pas un
comme circulation, est ténue. À elle seule, l’échelle de la ville, l’émergence d’une figure carré parfait, l’axe nord/sud n’a pas été
l’analyse de la sédimentation pratiquée sur de régularité fondée sur un même module implanté au milieu de la ville, plusieurs
des sondages ponctuels ne permet pas dimensionnel institue une trame régulière figures de régularités sont en jeu, certaines
toujours d’inférer une fonction ; d’autres qui définit, au-delà de ses imperfections, un liées à des édifices différents, de légers
paramètres contextuels doivent être alors maillage composé de 64 carrés de 360  m mais significatifs décalages d’alignements
pris en compte pour affirmer l’identité ou de côté. Ce découpage précis est l’une coexistent. Autant de faits qui suggèrent
les identités multiples d’un tracé au cours de des caractéristiques des modèles idéaux que le plan quadrillé d’Angkor Thom ne
son histoire. Toutefois, qu’il s’agisse de rues de capitales royales indiennes (rājadhāni) relève pas d’un geste unique mais d’une
ou de voies d’eau, l’ensemble de ces tracés fondés sur un principe de carroyage régulier succession d’opérations de planification.
constitue in fine les multiples composantes en damier (pāda) qui localise la position de De ce point de vue, ce plan, expression
des circuits d’alimentation, de distribution, chaque divinité sur un site (vastu) orthogonal d’un modèle d’urbanisme approprié avec
de drainage et d’évacuation de l’eau dans toujours conçu en première instance comme génie, est la somme d’un premier savoir, un
la ville. Associés à des éléments de liaison une aire sacrificielle. Cette hypostase, premier portrait de l’identité d’une ville qu’il
mis au jour (chaussées-ponts, canalisations, substitution du carroyage sacré du site en convient dès aujourd’hui à l’archéologie de
bassins), ils forment un dispositif qui trame urbaine, ajoutée à la forme carrée soumettre impérativement à l’épreuve du
permet de rendre intelligibles les principes d’Angkor Thom obéissant aux orients, à ses temps.

Patrimoine Mondial Nº68 61


Numéro spécial Projet LiDAR

Acquisition d’images LiDAR


2012 des sites d’Angkor, du
Phnom Kulen et de Koh Ker
Damian Evans
Directeur associé de recherche post-doctorat
Robert Christie Research Centre, Siem Reap

Roland Fletcher
Professeur d’archéologie théorique et mondiale
Université de Sydney
Directeur du Greater Angkor Project

Tan Boun Suy


Directeur général assistant chargé de la documentation
Autorité nationale APSARA

L’effet
AngkordeWat.
relief de la topographie a révélé la structure de la ville angkorienne à l’intérieur et à l’extérieur des douves d’Angkor Vat.
© Damian Evans and Kasper Hanus

62 Patrimoine Mondial Nº68


E

LiDAR
n avril 2012, le projet d’acquisition aérienne nécessitait une dispense spéciale le cœur urbain rigoureusement structuré et
d’images LiDAR (Light Detection pour survoler la zone d’exclusion aérienne planifié du centre d’Angkor s’étend au nord
and Ranging), réalisées sur une su- au-dessus du parc archéologique d’Angkor. de Preah Khan, au sud vers Angkor Vat et
perficie de 300 km, est arrivé à son Elle a été confiée par contrat à PT à l’est au-delà de Ta Prohm. Les travaux
terme. Il visait à relever des données McElhanney, la division indonésienne d’une précédents réalisés par une équipe franco-
topographiques haute résolution et haute société canadienne, en collaboration avec khmère, dirigée par le Pr Jacques Gaucher,
précision du centre d’Angkor, parc inscrit au Cambodia Air Traffic Services, la Société avaient identifié un agencement urbain
patrimoine mondial, de Koh Ker et d’une concessionnaire d’aéroport et le Secrétariat orthogonal de rues et de canaux, formant des
partie du parc national de Phnom Kulen. Il d’État de l’aviation civile. Les vols en blocs qui contenaient des groupes de petits
s’agit du premier relevé archéologique LiDAR hélicoptère étaient exécutés par la société bassins dans Angkor Thom. En revanche, les
en Asie et du plus grand en son genre jamais cambodgienne locale, Helistar Cambodia. nouvelles données révèlent que cet espace
réalisé. La technologie LiDAR a produit des Le projet LiDAR a été une révélation to- urbain bien structuré et densément peuplé
résultats remarquables pour plusieurs grands tale. Il a redéfini le centre d’Angkor, identifié s’étend très loin, au-delà de l’« enceinte »
sites archéologiques dans le monde entier, une érosion importante pendant la période d’Angkor Thom. Dans certains cas, la grille
notamment sur les sites mayas, dans les angkorienne, révélé d’énormes agrandisse- urbaine à l’extérieur de l’enceinte d’Angkor
basses terres fortement boisées du Belize. Son ments d’Angkor Vat, démontré que le Kulen Thom ne correspond pas précisément à
usage s’est généralisé en sylviculture, dans les est recouvert de nombreuses structures et la grille à l’intérieur de l’enceinte. Il est
études d’occupation des sols et la gestion des talus, et a exposé la topographie agricole et également démontré que le réseau de
ressources en eau. Pour la première fois, un de génie civil de Koh Ker. Dans ces trois blocs la grille existait avant la construction des
dispositif de télédétection aéroporté permet d’acquisition, un grand nombre de sites ar- murs d’enceinte de Ta Prohm et Banteay
aux chercheurs de créer des cartes très pré- chéologiques qui n’avaient pas encore été Kdei. Cette grille antérieure n’a pas de mur
cises et détaillées du paysage, des structures documentés, notamment des temples, des d’enceinte et se fond dans le tissu du paysage
qui s’y trouvent et, également, de créer des carrières et des structures urbaines, ont été urbain élargi, à faible densité de population,
modèles en 3D de la végétation, comme le identifiés grâce aux nouvelles données. des tertres d’occupation, des trapeang
triple couvert forestier tropical qui dissimule le (bassins), prasat (monuments) et des
centre d’Angkor d’une vue aérienne. Période antérieure à champs, qu’on retrouve autour de Prè Rup et
l’agencement de Jayavarman VII qui s’étend sur une grande partie du Grand
La redéfinition d’Angkor Dans le bloc d’acquisition d’Angkor, l’un Angkor. Il semble, par conséquent, que
Le LiDAR utilise un faisceau laser, transmis des principaux résultats est la révélation que l’agencement de Jayavarman VII d’Angkor
par un dispositif transporté par un avion ou
un hélicoptère. Pendant le vol, les faisceaux
laser sont envoyés jusqu’au sol, puis ren- KALC équipes internationales de recherche dans le projet LiDAR
voyés au dispositif. Le délai nécessaire pour • Authority for the Protection and Management of Angkor and the Region of Siem Reap
couvrir la distance aller-retour sert à calculer (APSARA)
la distance entre la plate-forme de vol et la • École française d’Extrême-Orient, Siem Reap Centre (EFEO)
surface. À partir de l’énorme volume de ces • University of Sydney, Robert Christie Research Centre, Siem Reap (USYD)
mesures de distance, il est possible d’établir • Société concessionnaire de l’aéroport (SCA)
une carte en 3D du paysage et de la végéta- • Hungarian Indochina Company (HUNINCO)
tion qui y pousse. Afin d’obtenir la précision • Archaeology & Development Foundation Phnom Kulen Program (ADF)
requise pour cartographier les sites archéo- • Japan-APSARA Safeguarding Angkor (JASA)
logiques, il faut des systèmes de localisation • Fonds mondial pour les monuments (WMF)
par satellite, tels que le GPS, ainsi que des
trajectoires très précises et des points de Le projet LiDAR en chiffres
contrôle au sol relevés avec précision. • Durée des opérations de vol : du 16 au 22 avril 2012
En 2012, huit équipes internationales, la plus • Superficie couverte totale : 300 km2
grande coopération de recherche technique • Nombre total d’heures de vol : 20
jamais réunie à Angkor, représentant sept • Distance totale de vol : 1 165 km linéaires
pays, a formé le Khmer Archaeology Lidar • Altitude moyenne de vol : 800 m au-dessus du sol
Consortium (KALC), afin de financer et de • Instrument : Leica ALS60 avec laser de classe 4. Paramètres de sécurité, dont une
réaliser le projet LiDAR (voir encadré). Le sécurité oculaire
programme a été conçu et exécuté sous • Nombre total de points : 4 milliards
la direction technique de Damian Evans • Précision : > 15 cm horizontal + vertical
de l’Université de Sydney (Australie), avec • Nombre de photos aériennes : 5 000
le soutien gouvernemental d’une équipe • Résolution spatiale des photos aériennes : 10 cm
de l’Autorité nationale APSARA, sous la • Livraison de l’ensemble complet des données originales : 11 juin 2012 au bureau
direction de M. Tan Boun Suy. L’acquisition d’APSARA à Phnom Penh

Patrimoine Mondial Nº68 63


Numéro spécial Projet LiDAR

Thom soit superposé à un agencement en La révélation du lieu sacré confirmant les indications que Koh Ker
grille préexistant du centre d’Angkor. Les de Mahendraparvata n’était pas un centre transitoire, mais une
images du LiDAR fournissent également Au nord sur le Kulen, un relevé test de la implantation urbaine de grande importance
d’importantes données topographiques. Par zone autour de Rong Chen montre que la et permanente. À Koh Ker, nous pouvons
exemple, la zone immédiatement à l’ouest de topographie du plateau a été modifiée par désormais définir clairement des travaux
Ta Nei présente aussi des signes perturbants la gestion importante des eaux, une grille de génie hydraulique à une échelle qui fait
de forte érosion par l’eau à une époque où urbaine de talus, par de nombreuses rangées concurrence à Angkor proprement dit.
la rivière Siem Reap (alors un canal) coulait à de petits tertres et par une multitude de La mission LiDAR d’Angkor en 2012 a fer-
son niveau d’eau initial élevé. sanctuaires jusqu’alors inconnus, de taille mement établi la valeur de la détection la-
considérable. La vérification des résultats ser aéroportée comme méthode vitale de
Nouvelles données du LiDAR se poursuit au sommet de Phnom prospection archéologique au Cambodge
topographiques radicales Kulen, sous la direction de l’Archaeology and et, plus largement, en Asie du Sud-Est conti-
La redéfinition complète du contexte Development Foundation. Il est déjà clair nentale. Elle fournit la preuve flagrante de
archéologique d’Angkor Vat est un autre cependant qu’une ville qui n’était pas encore la capacité de la technologie à illuminer des
résultat essentiel. Au lieu d’une seule documentée (en relation avec le lieu sacré de vestiges archéologiques dans divers milieux
enceinte, il s’agit en fait d’un ensemble Mahendraparvata souvent mentionné dans tropicaux, de la forêt dense d’Angkor Thom
constitué de trois enceintes adjacentes. On les inscriptions) a été révélée en haut du massif aux rizières à ciel ouvert. Il semblerait que des
a pu démontrer que l’enceinte principale à en grès. Le plateau de Phnom Kulen est un monuments bien connus, comme Angkor
douves, dont on savait qu’elle comportait site majeur du patrimoine urbain, possédant Vat, soient redéfinis. Des paysages entiers
des bassins et des rues, possède un réseau de plein droit une importance mondiale. du Kulen et autour de Koh Ker fournissent
routier complet et des rangées de bassins. Autour de Koh Ker, les données du de nouvelles informations et réservent des
Une enceinte se situe à l’est, composée d’une LiDAR montrent que le paysage naturel surprises. Cette mission a ouvert la porte à
grille et de rangées de bassins. Au sud des a été considérablement remodelé dans le de nombreuses années d’opportunités de re-
douves d’Angkor Vat se trouve un vestige à cadre de très gros investissements à long cherche dans l’archéologie angkorienne. Tout
la fonction inconnue, une forme rectiligne terme dans l’urbanisme, dans la région particulièrement, compte tenu de la richesse
en « spirale » ou « enroulée », jusque-là qui est aujourd’hui la province de Preah des données maintenant disponibles, il est
encore jamais vue dans l’archéologie ou Vihear. Par exemple, le LiDAR permet de urgent d’affiner les cartes archéologiques
l’iconographie angkorienne. Ce vestige révéler la topographie de l’énorme barrage existantes du Grand Angkor, au-delà du parc
est composé de groupes rectangulaires qui se situe entre la rivière au nord et le classé au patrimoine mondial, à Phnom Kulen
de talus de plus de 10 m de large, séparés centre de Koh Ker, prouvant l’existence et autour de Koh Ker, à des fins de recherche
par des canaux continus, organisés autour de multiples périodes de construction. Il et aussi de gestion du patrimoine, afin de
de petits bassins. À l’origine, il y en avait montre également un réseau important préserver les traces remarquables et pourtant
trois rangées, mais celle du milieu a été de murs entourant des champs, jusqu’à fragiles de la civilisation d’Angkor qui persis-
détruite par l’immense canal est-ouest qui, présent dissimulés par le couvert forestier, tent encore dans le paysage.
à une époque, était considéré comme étant
la douve du Yasodharapura de la fin du
IXe siècle. Le LiDAR a livré une autre surprise, Blocs couverts par la mission LiDAR 2012.
à savoir que les données topographiques
détaillées fournissent de nouvelles preuves
radicales pour la datation. La grande douve
à angle droit s’avère donc être un élément
postérieur en date à Angkor Vat, qui fait
probablement partie du réaménagement
d’Angkor Thom. D’autre part, on peut
également constater que la grille des routes
et l’agencement des bassins ont été en
premier lieu associés à Angkor Vat et se
trouvaient aussi à Beng Mealea, précédant
Angkor Thom de plus d’un demi-siècle. En
outre, des zones résidentielles de tertres et
de bassins bordent Angkor Vat au nord et à
l’ouest, entourées de plusieurs autres petits
sanctuaires, dont certains n’étaient pas
encore documentés. La nature d’Angkor Vat
et ses environs devra donc être entièrement
réévaluée. © Damian Evans

64 Patrimoine Mondial Nº68


Relief topographique sous la forêt Modifications anthropogéniques à

LiDAR
dans la zone centrale du temple grande échelle du paysage autour du
temple de Rong Chen, sur Phnom Kulen

© Damian Evans and Kasper Hanus © Damian Evans and Kasper Hanus

Couverture LiDAR de Koh Ker, avec


la végétation supprimée de l’image

Données sur l’hydrologie de la période


d’Angkor près du coin nord-est d’Angkor Thom

© Damian Evans and Kasper Hanus

© Damian Evans and Kasper Hanus

Patrimoine Mondial Nº68 65


Numéro spécial Preah Vihear

Preah Vihear

Gopura III du temple de Preah Vihear.


© C. Frank Starmer

68 Patrimoine Mondial Nº68


Preah Vihear

Patrimoine Mondial Nº68 69


Numéro spécial Preah Vihear

Aperçu du temple
de Preah Vihear
Chuch Phoeurn
Archéologue
Président de l’Autorité national de Preah Vihear (ANPV)
Secrétaire d’État à la culture

Escalier de l’entrée nord du gopura IV.


© Fabien Billaud

70 Patrimoine Mondial Nº68


É

Preah Vihear
difié sur le bord d’un
plateau dominant la plaine
du Cambodge, le temple
de Preah Vihear est dédié
au dieu hindou Çiva. Il est
perché sur la crête d’une immense falaise,
à environ 625 m au-dessus du niveau
de la mer. Bâti dans un paysage des plus
attrayants, légèrement à l’est de la partie
centrale des monts Dangrêk, il se situe
dans le nord-ouest de la province de Preah
Vihear, dans la commune de Kantuot et le
district de Choam Ksan, à quelque 414 km
de la capitale cambodgienne, Phnom Penh.
Avant d’en venir aux recherches et travaux
entrepris dans le temple récemment,
rappelons quelques données historiques et
archéologiques.

Évolution historique
Prasat Preah Vihear (qui signifie le Temple
de la montagne sacrée) est considéré comme
un véritable joyau culturel du Cambodge,
dont l’histoire a traversé le millénaire de
l’empire khmer. Durant près de 1 200
Piliers le long de Preah Vihear.
ans, Preah Vihear a dominé les plateaux
© ChrisSteph LewisBoegeman
environnants. Son histoire remonte au IXe
siècle, lorsque le prince Indrâyadha, fils du roi
Jayavarman II, lança les travaux du sanctuaire Prasat Preah Vihear est considéré comme un
d’origine, dédié au dieu hindou Çiva en tant véritable joyau culturel du Cambodge, dont l’histoire
que Çikhareçvara (seigneur du sommet). a traversé le millénaire de l’empire khmer.
Il y installe une partie de l’immense linga
(symbole phallique du dieu Çiva) provenant
de Vat Phou, temple aujourd’hui situé en
République démocratique populaire lao. De d’agrandissement durèrent plus de 300 ans, ajouts au temple. Cette intensification des
fait, l’inscription K58 (trouvée à Angkor) nous avec de nombreux réaménagements sous le travaux transforma tout naturellement le
apprend qu’au début du IXe siècle, Indrâyadha règne des rois Sûryavarman Ier (1002-1050) et petit sanctuaire d’origine en l’un des plus
reçut du dieu Çiva l’ordre d’apporter sur le site de son fils Udayadityavarman II (1050-1068). grands temples khmers de tous les temps.
de Preah Vihear un linga, extrait de la pierre Quatre inscriptions khmères et sanscrites Ainsi, à la différence de nombreux
du grand linga de la montagne de Vat Phou provenant du site constituent de précieux autres temples khmers abandonnés avec la
(Indrapura). C’est ce linga qui reçut le nom de éléments de datation, puisqu’elles disparition du roi qui les édifia, le temple de
Çikhareçvara, « le Seigneur du sommet ». De confirment le lien étroit existant entre le Preah Vihear a bénéficié d’un intérêt royal
son côté, l’inscription K380 précise que « Çri roi Sûryavarman Ier et la construction du ininterrompu durant plus de quatre siècles
Bhadreçvara de Lingapura (Vat Pohu) est venu complexe actuel. De fait, le roi érigea des (IXe-XIIe), comme le montrent les différentes
renaître à Çri Çikhareçvara (Preah Vihear)… colonnes gravées en divers endroits de son phases de sa construction et de son évolution
pour manifester sa puissance de façon visible, vaste domaine, avec son nom et son titre, architecturale. Cela illustre l’importance
pour que le monde entier puisse le voir ». Sûryavarmeshvara (dieu Sûryavarman). L’une particulière du site en tant que sanctuaire
Les origines de Preah Vihear remontent d’elles fut dressée à Preah Vihear au début spirituel de premier plan dans l’empire.
probablement à l’installation antérieure d’un du XIe siècle, là encore en l’honneur de En outre, contrairement à de nombreux
ermitage sur le site montagneux ; l’édifice Çiva. Elle se trouvait à proximité du temple temples d’Angkor élaborés de manière
d’Indrâyadha pouvant être une structure précédent, qui fut rapidement reconstruit en concentrique, le plan de Preah Vihear,
modeste en bois. Cette œuvre se tradui- grès dans le cadre d’un programme global tenant compte du relief naturel, suit une
sit par une avancée spirituelle, un prestige d’extension et de rénovation du temple. progression de niveau linéaire. De la sorte,
politique accru, ainsi que la croissance éco- Les rois Jayavarman VI (1080-1107), le temple possède quatre niveaux et quatre
nomique de l’empire khmer. Cependant Dharanindravarman Ier (1107-1112) et cours constituées de cinq gopuras (pavillons
les travaux de construction, de réfection et Sûryavarman II (1113-1150) apportèrent des d’entrée). À mesure que l’on progresse vers le

Patrimoine Mondial Nº68 71


Numéro spécial Preah Vihear

Gopura IV.
© Fabien Billaud

Les origines de Preah Vihear remontent abruptes. L’extrémité méridionale du


probablement à l’installation antérieure promontoire s’avance pour former un
d’un ermitage sur le site montagneux. renforcement naturel, lieu sacré qui
surplombe un vaste panorama : la large
étendue de terre se déployant au sud
jusqu’au mont Kulen, berceau de la
sanctuaire intérieur du temple, chaque niveau sud du gopura  IV raconte l’histoire d’un civilisation khmère. La partie nord du
révèle un caractère architectural propre, qui personnage local, Sukarman, qui revêtait domaine est constituée d’une plate-
procure au visiteur une sensation à chaque la fonction d’archiviste du sanctuaire. Une forme de grès pratiquement horizontale,
fois différente. Représentation stylisée du autre inscription mentionne un chef de d’environ 100 m de long du nord au sud
mont Kailash, patrie du dieu hindou Çiva l’ermitage qui faisait des offrandes en faveur et de 50 m de largeur, qui donne accès au
à qui le temple est dédié, Preah Vihear est de Çikhareçvara, dieu principal du temple. temple et au village de Phnom Kulen.
devenu un lieu de pèlerinage et de culte pour De même, une inscription provenant aussi Le temple lui-même se compose d’une
les rois aussi bien que pour leurs sujets. du temple et datant de 1047 fait référence à série de sanctuaires reliés par un système
Parmi les inscriptions retrouvées à Sûryavarman Ier. Elle se trouve actuellement de chaussées et d’escaliers, alignés sur
Preah Vihear, la plus intéressante, connue au Musée national de Bangkok. 800 m selon un axe nord-sud – un fait
sous le nom de stèle de Preah Vihear ou plutôt inhabituel si l’on songe que les
stèle de Divakar, est rédigée en sanscrit Architecture du temple temples angkoriens sont généralement
et en khmer, et se situe probablement Le domaine sacré se situe sur un exposés à l’est.
entre 1119 et 1121. Gravée sur une stèle, promontoire de la chaîne des monts On accède au temple par deux escaliers
cette inscription relate l’ordre donné Dangrêk (surplombant la plaine du monumentaux, l’un à l’est et l’autre au nord.
par Sûryavarman II au prêtre royal, Guru Cambodge du haut de ses 547 m), à Ainsi, le temple présente à la fois une orien-
Divakara, d’accomplir les sacrifices rituels, proximité de la frontière actuelle avec tation est-ouest et nord-sud. Au nord, l’es-
les rénovations et les travaux de réparation la Thaïlande. Sa forme, grossièrement calier monumental de 54 m est constitué de
du temple. Une inscription située à la porte triangulaire, est délimitée par des falaises 159 marches qui mènent à une chaussée de

72 Patrimoine Mondial Nº68


Preah Vihear
Décors architecturaux sur le Gopura IV.
© Fabien Billaud

25 m de longueur, flanquée d’énormes naga Les décors les plus achevés figurent sur les
(serpents) rampants. De là, trois marches per- gopuras et sont restés bien visibles.
mettent d’atteindre le premier des gopuras,
c’est-à-dire le gopura V. Arborant un tracé
cruciforme, il présentait à l’origine un toit en
bois à forte pente soutenu par des colonnes. La qualité de l’architecture, le remarquable et de danse bien distinctes, telles que la
Deux chemins s’y rejoignent, l’escalier venant rendu des décors et le symbolisme du danse des guerriers, ainsi que des arts et des
du nord et celui venant de l’est, partant depuis paysage ont valu au Temple de Preah Vihear traditions architecturales vernaculaires. Les
la plaine cambodgienne. Ce dernier, en partie d’être inscrit sur la Liste du patrimoine de Kuy sont également connus pour les relations
taillé dans la roche et en partie construit en l’UNESCO. La décision d’inscription indique particulières qu’ils entretenaient avec la cour
grès, large de 10 m et long de 1 400 m, des- que sa valeur universelle exceptionnelle khmère en tant que forgerons produisant
cend à pic les quelque 400 m du flanc oriental réside dans le fait qu’« il est un remarquable armes et armures, et pour la capture et le
du promontoire. Il vient d’être complètement chef-d’œuvre de l’architecture khmère. Il dressage des éléphants sauvages.
restauré, en majeure partie en bois. est très ‘‘pur’’ dans sa configuration comme
dans la finesse de ses décors ». Un écomusée à Preah Vihear
Décors architecturaux Au sein du Royaume du Cambodge, la
Les décors les plus achevés figurent sur les Autres valeurs de la région de région du temple de Preah Vihear, foyer
gopuras. Généralement en excellent état de Preah Vihear culturel, se distingue par sa faune et sa flore
conservation, ils sont restés bien visibles. La Les alentours du temple sont peuplés et par une longue histoire naturelle. Un
composition des sculptures, notamment sur par la minorité ethnique locale des Kuy musée à caractère global – où les découvertes
les linteaux, colonnes et pilastres, est variée, qui possèdent un mode de vie bien archéologiques et les objets ethnographiques
complexe et minutieuse, et représente les caractéristique et se distinguent par leur vont côtoyer une présentation novatrice
grands dieux hindous Çiva et Vishnu, une savoir traditionnel et leur savoir-faire, y de cette histoire naturelle – est en cours
vieille divinité du ciel Indra et l’avatar le plus compris technique. Outre une langue propre, d’achèvement. Il a profité, en particulier, de
fameux de Vishnu, Krishna. ils perpétuent des traditions de musique la contribution de l’UNESCO.

Patrimoine Mondial Nº68 73


Numéro spécial Système hydraulique

Le système hydraulique du
temple de Preah Vihear
Hang Peou
Directeur général adjoint chargé du Département de gestion des eaux
Autorité nationale APSARA

Niveau d’eau au mois de novembre dans le cinquième bassin.


© Hang Peou

76 Patrimoine Mondial Nº68


L

Système hydraulique
e temple de Preah Vihear se
situe au sommet de la chaîne
de montagnes Dangrêk, dans
le nord du Cambodge. Dédié à
Çiva, il a été construit du IXe au
XII e siècle, principalement pendant le règne
des rois khmers Sûryavarman Ier (1002-1050)
et Sûryavarman II (1113-1150). Ce temple a
été inscrit au patrimoine mondial en 2008
et il est géré par l’Autorité nationale pour la
protection de Preah Vihear (ANPV). Preah
Vihear a été construit directement sur la
couche rocheuse, contrairement aux autres
temples khmers de la région d’Angkor ou
ailleurs dans les plaines, qui étaient bâtis
sur une couche de sable, les rendant très
sensibles aux changements du niveau de la
nappe phréatique ou au degré de saturation
du sable. Néanmoins, le problème de l’eau
est encore un défi majeur pour la gestion de
ce site, tout comme ailleurs dans le monde.
Dans cet article, nous nous concentrons sur
le système de gestion des eaux, y compris
la consommation de l’eau et le drainage. Érosion entre le premier bassin et le gopura II.
© Hang Peou
Comment dans les temps anciens, les
Khmers considéraient-ils l’eau par rapport
au patrimoine et comment la géraient-ils ? Les deux principaux systèmes hydrauliques ont
Les deux principaux systèmes hydrauliques été établis pour le site dans les temps anciens,
ont été établis pour le site dans les temps un au sommet de la colline (autour du temple) et
anciens, un au sommet de la colline (autour l’autre au pied de la colline (dans la plaine).
du temple) et l’autre au pied de la colline
(dans la plaine).

Les réservoirs et le à n’importe quel endroit, pour utiliser l’eau. Le temple de Preah Vihear possède cinq
système hydraulique L’infiltration verticale peut être considérée gopuras (pavillons d’entrée), également
Le temple de Preah Vihear n’avait pas comme inexistante, parce que ces bassins nommés depuis le point le plus élevé (au
besoin d’eau pour assurer sa stabilité ou sa ont été construits à même la roche. La sud) jusqu’au point le plus bas (au nord).
décoration, mais pour la gestion du site et de perte d’eau dans le bassin provient donc Dans le premier gopura, la tour centrale
ses visiteurs. Puisque ce temple est construit essentiellement de l’infiltration horizontale, s’est effondrée et la galerie sud-est a été
sur le point culminant de la montagne, car les parois n’ont pas été entretenues détruite parce que l’ancien système de
aucune autre source d’eau ne pouvait depuis de nombreuses années, en raison drainage est bloqué et que les eaux de pluie
fournir de l’eau pour la consommation des guerres au fil des siècles et parce que ne peuvent s’évacuer que par infiltration ou
quotidienne. le système de drainage n’a jamais été ni par évaporation. Certaines parties du canal
Afin de résoudre ce problème, six bassins restauré ni entretenu. de drainage sont encore visibles, mais il est
ont été construits pour recueillir l’eau Outre leur fonction de satisfaire les en majorité rempli de terre. L’ANPV œuvre
pendant la saison des pluies, nommés en besoins quotidiens en eau, ces bassins pour résoudre ce problème.
fonction du sens d’écoulement de l’eau du servent à réduire les eaux de ruissellement Le premier bassin, à l’ouest du deuxième
plus élevé (au sud) au plus bas (au nord). Tous du temple, afin d’empêcher que l’érosion gopura, sert à recueillir les eaux de pluie et
les bassins avaient la même topologie : la n’ait un impact sur sa stabilité. Toutefois, de ruissellement de la zone au sud et d’une
partie inférieure est découpée directement en raison de l’effondrement du système grande partie du premier gopura. Il semble
dans la roche, les parois sont formées de drainage, les eaux de ruissellement avoir été construit plus tard que le temple. Il
à partir du sol compacté et les bassins s’écoulent de manière incontrôlée. Ainsi, est possible que le bassin ait été reconstruit en
sont doublés de blocs de grès, pour les certaines parties du temple se sont déjà rehaussant ses parois, afin d’en augmenter la
protéger de l’érosion des sols et permettre effondrées et d’autres parties se sont capacité de stockage et satisfaire la demande
également aux usagers d’évaluer le niveau inclinées et finiront par s’écrouler si le en eau pour la gestion du site. Un remblai
d’eau dans le bassin et d’atteindre la surface problème n’est pas résolu rapidement. a été ensuite ajouté pour créer une pente

Patrimoine Mondial Nº68 77


Numéro spécial Système hydraulique

Section transversale typique des bassins anciens

Sens d’écoulement, premier bassin,


Système de drainage à l’intérieur du gopura I deuxième bassin et position de l’érosion

Sens d’écoulement et position du troisième bassin,


du quatrième bassin et du cinquième bassin Cinquième bassin et sens d’écoulement

78 Patrimoine Mondial Nº68


Système hydraulique
Le troisième bassin et son paysage.
© Hang Peou

douce entre le bassin et le temple. Mais cette Récemment, deux barays (réservoirs artificiels)
solution n’était pas suffisante pour drainer ont été découverts à proximité du site du temple
complètement l’eau de pluie, et la contrainte de Preah Vihear, au pied de la colline.
hydraulique sur les fondations a décalé le
sous-sol de plusieurs centimètres, causant
l’effondrement de la partie supérieure.
Le deuxième bassin, au nord du premier, ruissellement provenant du troisième bassin pour recueillir les eaux de ruissellement
sert à recueillir les eaux de pluie et le trop- au nord et les pluies directes peuvent du côté sud-ouest du temple. Le sens de
plein du premier bassin, ainsi qu’à réduire remplir le quatrième bassin. l’écoulement dans ce bassin est illustré dans
le débit vers les bibliothèques du troisième Le sixième bassin, au nord-ouest du la figure (voir encadré). Ce bassin-versant,
gopura. Comme il n’y a pas eu de travaux de cinquième gopura, est le plus grand du recouvert par la végétation, coule plus
restauration ou d’entretien depuis un temps temple de Preah Vihear. Il sert à recueillir les longtemps que d’autres dans cette région.
considérable, les sédiments libérés en amont eaux de ruissellement de la partie occidentale
ont bloqué une quantité d’eau devant les entre le quatrième et le cinquième gopura. Le réseau des barays
bibliothèques occidentale et orientale. Cette Afin de recueillir ces eaux de ruissellement, Récemment, deux barays (réservoirs
eau stagnante s’est infiltrée dans le sous-sol les ingénieurs khmers des temps anciens artificiels) ont été découverts à proximité du
et a causé l’inclinaison des bibliothèques. ont construit un fossé en grès, associé à site du temple de Preah Vihear, au pied de la
Le troisième bassin sert à recueillir les un petit canal, pour modifier le sens du colline. L’un se trouve à l’ouest et l’autre à l’est
eaux de pluie et de ruissellement du côté flux, orientant l’eau passant par ce fossé de l’axe du temple, respectivement appelés le
oriental du troisième gopura. Les eaux de vers le sixième bassin. Le canal le long de baray occidental et le baray oriental. Les deux
ruissellement provenant du côté occidental ce fossé est doté de découpes pour ralentir barays sont alimentés par de petits ruisseaux
du troisième gopura s’écoulaient auparavant la vitesse du débit, capter les sédiments qui descendent de la colline. Cette découverte
le long de la chaussée principale et de la libérés en amont et ainsi protéger le sixième nous permet de conclure que le temple de
parcelle en herbe, mais cet écoulement a été bassin de la sédimentation et permettre Preah Vihear devait accueillir de nombreux
obstrué par la construction d’un héliport. Il l’accès pour l’éliminer. Le fossé est aussi visiteurs de tout le pays, principalement des
est maintenant dévié et traverse la chaussée appelé l’ancienne route car il servait de voie pèlerins qui venaient prier ou manifester leur
principale près du quatrième gopura, pour d’accès au temple depuis l’ouest. Dans les respect pour ce temple.
remplir le cinquième bassin. Pour cette années quatre-vingt, comme un volume Le baray occidental se trouve à proximité
raison, ce bassin contient davantage d’eau important d’eau s’écoulait jusqu’à ce point, de la voie d’accès au sommet de la colline,
que les autres à la saison des pluies, bien les populations locales qui y habitaient ont à l’ouest du cinquième gopura. L’arrivée
qu’il ne puisse pas la stocker très longtemps construit un barrage en béton, prolongeant initiale de l’eau se situe au coin nord-est,
parce qu’il fuit. le sixième bassin de quelques mètres vers comme l’indique une pierre en latérite que
La majorité des eaux de ruissellement l’aval pour stocker davantage d’eau, au lieu les archéologues de l’ANPV ont trouvée.
du côté oriental atteint le troisième bassin de restaurer l’ancien bassin. Comme toujours dans les temps anciens,
et le reste s’écoule le long de la chaussée Un nouveau réservoir, près de la pagode l’arrivée d’eau était placée au point le plus
principale jusqu’au cinquième bassin. Keo Seka Kiri Svarak, a été construit haut du baray, pour optimiser le recueil et le
Seulement une petite partie des eaux de récemment par les populations locales stockage de l’eau.

Patrimoine Mondial Nº68 79


Numéro spécial Système hydraulique

Le quatrième bassin et ses environs.


© Hang Peou

L’ANPV a réhabilité le baray occidental réelle et des conditions environnementales, intégrée des ressources en eau pour le
en mars 2011 en y draguant les sédiments la quantité d’eau stockée est inférieure site du Temple de Preah Vihear, en tenant
déposés en son fond et en créant un fossé pour au volume perdu par évaporation et par compte de quelques recommandations
y dévier l’eau. Pour remplir complètement infiltration. générales :
le baray occidental, il devrait être possible Le baray occidental a été construit pour • Il faudrait installer des stations
d’utiliser l’eau de nombreux ruisseaux stocker de l’eau destinée à être consommée météorologiques sur le site ;
au nord-est du baray. Afin de réaliser un toute l’année. Autrement dit, il devait • Il faudrait réaliser des études de
tel système hydraulique, il faut observer avoir une alimentation permanente en l’écoulement et de l’arrivée d’eau de tous
pendant plusieurs années au moins les pluies eau provenant de la nappe phréatique les bassins et barays à la saison des pluies ;
et le flux (niveau d’eau et écoulement) afin environnante et d’une ou plusieurs autres • Pour veiller à ce que les sources
de mettre en place une banque de données sources (l’eau des thalwegs s’écoulant encore d’eau remplissent les barays, il est nécessaire
des mesures hydrologiques. Les visites de à la saison sèche). Tous ces facteurs auraient de protéger la forêt et de reboiser la région
terrain ont permis de conclure que ces petits dépendu d’un couvert forestier dans la région dans son intégralité. La forêt peut jouer un
ruisseaux ne coulent qu’à la saison des pluies. produisant davantage d’humidité et réduisant rôle non seulement pour rétablir les sources
Actuellement, l’ANPV utilise deux thalwegs l’évaporation et l’infiltration de la zone d’eau de la région, mais également pour
(points les plus bas de la pente) où de petits environnante, ainsi que du baray proprement contribuer au développement durable de
ruisseaux s’écoulent sous des ponts sur la dit. La forêt a contribué à l’infiltration de l’écotourisme.
route d’accès au temple en bitume. Comme davantage d’eaux de ruissellement dans le Cette étude du système hydraulique du
nous ne possédons pas encore de données sol, entraînant des niveaux élevés des nappes temple de Preah Vihear montre que les
hydrologiques et météorologiques sur le phréatiques près de la surface et réduisant la ancêtres khmers comprenaient parfaitement
site, il est très difficile de décrire la réaction perte d’eau du baray. l’importance de l’eau et comment la gérer.
physique des petits bassins-versants de ces Le baray oriental est situé près de l’escalier Les bassins et les barays n’étaient conçus
deux thalwegs, dont le flux ou l’écoulement oriental utilisé dans les temps anciens, à côté ni pour l’aménagement du paysage, ni
varient en fonction de l’intensité des pluies. du centre d’accueil récemment construit par pour décorer le temple. Ils ne visaient pas
Une étude topographique indique que l’ANPV. Ce baray pourrait éventuellement non plus à permettre la stabilisation du
le baray occidental n’est pas suffisamment être rempli à nouveau d’eau depuis un temple, comme à Angkor ou ailleurs dans
profond pour contenir de l’eau pendant thalweg proche, en passant par l’arrivée la plaine. En revanche, ils étaient construits
toute l’année. Après l’étude archéologique, d’eau initiale au coin nord-ouest. pour satisfaire les besoins quotidiens des
il est encore difficile de déterminer la période habitants du site (encadrement et visiteurs).
à laquelle le baray s’est asséché et comment Recommandations pour Nous espérons qu’ils pourront être restaurés
il était rempli. Sa profondeur actuelle le développement afin qu’ils jouent à nouveau ce rôle dans
varie d’environ 2 m entre le coin nord-est En raison des changements climatiques ce site inscrit au patrimoine mondial, qui
le plus élevé et le plus bas, au sud-ouest. et de l’aménagement des terres, il est commence à attirer un nombre croissant de
Par conséquent, en fonction de la situation impératif de développer une gestion visiteurs.

80 Patrimoine Mondial Nº68


Preah Vihear Eco-Global Museum.

Musée de Preah Vihear


Le temple de Preah Vihear se situe au cœur même du Royaume du Cambodge, dans une région dotée d’une faune et d’une flore
uniques et d’une histoire naturelle très ancienne. Désormais, cet important centre culturel abrite également un musée « éco-global »,
construit grâce à la précieuse contribution de l’UNESCO. Le visiteur peut y découvrir l’histoire naturelle de la région sous un nouvel
angle, ainsi que de fascinantes découvertes archéologiques et divers objets ethnographiques.
Parmi les principaux trésors archéologiques du musée, on citera plus particulièrement une tête d’Apsara, un linteau et un fronton
du temple de Preah Vihear, un Nandin pré-angkorien partiellement sculpté trouvé à proximité de Preah Vihear et une inscription rare,
découverte en 2010, dans le temple de Ta Krabey, dans la province d’Oddor Meanchey. Il est prévu que d’autres pièces, provenant
notamment de Koh Ker, soient prochainement accueillies dans le nouveau musée, dont le nom complet est le Musée éco-global
Samdech Akka Moha Sena Padei Techo Hun Sen.
Le musée expose également de récentes découvertes anthropologiques témoignant du travail du fer fondu sous la période
angkorienne par les Kuys, un groupe ethnique issu de cette région réputé pour sa maîtrise de cette discipline.
La mission première du musée, qui réunit culture, histoire, anthropologie et nature sous un même toit, consiste à mettre en lumière
l’harmonie et la valeur qui lient le site de Preah Vihear, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, à la beauté naturelle de la région
et de ses habitants.

Preah Vihear Eco-Global Museum.


© Pheng Sam Oeurn

Tête d’Apsara de Preah Bakan, Nandin inachevé, trouvé à Angkrong,


Divinité féminine de Prasat Bei, Koh Ker. Preah Khan Kampong Svay. près du temple de Preah Vihear.
© Pheng Sam Oeurn ©Pheng Sam Oeurn © Pheng Sam Oeurn

Patrimoine Mondial Nº68 81


Numéro spécial Symbolique cosmographique

Preah Vihear
La symbolique
cosmographique du site

Nouth Narang
Historien et anthropologue
Ambassadeur du Royaume du Cambodge auprès de l’UNESCO

Vue depuis Preah Vihear.


© Fabien Billaud

82 Patrimoine Mondial Nº68


E

Symbolique cosmographique
n forme de S, la région
de Preah Vihear dans son
ensemble est constituée
de deux espaces, les
plaines basses du Sud et
les plateaux montagneux au nord, qui
s’imbriquent intimement autour de vallées
et de fleuves longitudinaux formant des
couloirs parallèles nord-sud, favorables à la
pénétration humaine depuis la plus haute
antiquité. Ces fleuves et vallées partent tous
en forme de patte d’oie de la région chinoise
du Yunnan et se répartissent ensuite en
plusieurs fleuves : le fleuve Rouge à l’est, le
Mékong au centre, la Ménam, la Salouen et
l’Irrawaddy à l’ouest. Les espaces intercalés
entre ces fleuves sont constitués de plaines
et de plateaux en déclivité formant des
sortes de petits golfes ouverts vers le sud.
À l’est, se trouve la cordillère annamitique
qui borde le littoral pour disparaître en
pente douce dans la plaine du Sud-Vietnam
constituant ainsi, avec les débouchés du
Mékong, une zone deltaïque propice à
l’agriculture aquatique, à la circulation des
hommes et des produits.
Le climat des moussons en Asie du Sud-
Est se caractérise par son rythme annuel
binaire. Les vents changent de direction
tous les six mois et apportent avec eux
soit un air sec de novembre à avril, soit
l’humidité de la saison des pluies durant
l’autre moitié de l’année. Originaire
de l’océan Indien, la mousson balaie
l’ensemble de l’espace péninsulaire qu’elle Vue plongeante depuis l’escalier nord.
© Philippe Bierny
contribue à façonner pour perpétuer un
système social caractéristique, celui de la
civilisation austro-asiatique. Originaire de l’océan Indien, la mousson balaie l’ensemble
Au sein des systèmes austro-asiatiques, de l’espace péninsulaire qu’elle contribue à façonner
des spécificités géographiques apportent pour perpétuer un système social caractéristique.
des nuances aux caractéristiques sociales
qu’elles sous-tendent et ont donné
naissance à plusieurs civilisations anciennes
majeures, les civilisations des moussons. dilate et se rétracte au gré de cette alternance Le mariage de l’eau et de la terre régit
climatique en symbiose avec les crues et ainsi les mentalités, les coutumes et les
La géographie cosmique décrues du Tonlé Sap, le « Grand Lac », qui croyances khmères depuis la dimension
Les cycles annuels du Cambodge font agit en tant que déversoir du fleuve. cosmique du pouvoir royal jusqu’aux
alterner deux périodes disparates. L’une Le Cambodge est ainsi conditionné par moindres détails de la vie quotidienne
est marquée par la présence de l’eau. La le rythme binaire des saisons et s’organise couvrant aussi bien les sphères publiques
mousson arrose le pays, le gorge d’eau et autour d’un principe inspiré par le dualisme que privées. L’union du Mé et du Ba se
le mue en une vaste étendue lacustre. La cosmique. Le Cambodge et la société khmère trouve immortalisée à travers le reptile
pluie cesse ensuite pour céder la place à reposent, en effet, sur la complémentarité totémique qu’est le Naga. Reptile à la fois
une période sèche pendant laquelle l’eau se entre les éléments féminins (Mé) et mâle et femelle, vivant sur la terre et dans
retire et laisse apparaître de vastes étendues masculins (Ba), respectivement assimilés à l’eau, ses mues cycliques lui confèrent un
de terre ferme. Symptomatique de cet état l’eau et à la terre, principe de base qui reste caractère d’immortalité.
de fait, le Mékong, la « Mère des Eaux », se vivace jusqu’à nos jours.

Patrimoine Mondial Nº68 83


Numéro spécial Symbolique cosmographique

Une histoire guidée par les flux d’aujourd’hui. La partie septentrionale Angkor, continuation du Chen La, a
Le Cambodge est né tout au sud de est formée de plateaux en pente douce été l’apogée de la civilisation khmère à
la péninsule indochinoise au sein d’un descendant vers le nord jusqu’au fleuve tout point de vue, économique, politique,
ancien golfe dont le rivage était constitué Ménam et vers l’ouest vers la Salouen. idéologique, et qui repose sur une structure
par la chaîne des Dangrêk. Le territoire Ces deux régions sont complémentaires particulièrement efficace fondée sur le
cambodgien actuel fut donc une étendue et liées à la manière d’un homme et Devaraja (dieu roi). Cette structure est
d’eau salée, avant que son assèchement d’une femme depuis les origines de son matérialisée par des temples en pierres aux
progressif ne laissât place à un territoire peuplement humain. L’homme, la famille décors parfaitement agencés, d’une beauté
dont les caractéristiques exposées plus haut et la société khmers s’y sont constitués unique et sculptés suivant des thèmes
ont conditionné la vie de la société khmère en symbiose avec l’eau (le Mé) et la terre iconographiques représentant le paradis
au premier chef. L’indianisation qui vint (le Ba), pour aboutir à un pays reposant terrestre. Ces temples-montagnes sont les
plus récemment fut marquante dans tous sur des normes précises et disposant sièges de monarques au pouvoir magique
les aspects de cette société, sans toutefois d’un génie propre qui a déterminé son et répondent à la représentation du mont
affecter les traits fondamentaux résultant évolution. Au Cambodge, ces éléments Méru, axe du monde et centre de la cité
de ces réalités géographiques. constitutifs se retrouvent dans les Neak Ta, sacrée khmère entourée de douves carrées,
Ancien rivage, le massif des Dangrêk, qui ancêtres du pays qui conditionnent l’édifice dans le respect du principe du Mé-Ba.
forme une falaise abrupte et continue sur social, guident l’organisation de l’espace,
des centaines de kilomètres, a départagé déterminent les mentalités et assurent la Lien entre le nord et le sud
la région en deux entités géographiques pérennité des générations de Khmers qui Le temple de Preah Vihear a été édifié sur
principales et complémentaires. La partie ont été capables de bâtir une grande et un temple çivaïte ancien portant le nom de
méridionale d’où la mer s’était retirée puissante civilisation à partir du IXe siècle. Sri Çikhareçvara (le dieu des Sommets). La
constitue le domaine des terres basses, L’héritage de cette puissance est devenu de construction de ce temple sacré fut réalisée
une plaine dominée par le Tonlé Sap et nos jours une partie du patrimoine mondial sous l’ordre du roi Yaçovarman en l’an 900,
sur laquelle s’est édifié le Cambodge de l’humanité. mais ce fut sous Sûryavarman Ier (1002-
1050) qu’elle prit sa forme actuelle et sous
Le Cambodge est né tout au sud de la péninsule le roi Sûryavarman II (1113-1150) que cette
indochinoise au sein d’un ancien golfe dont le dernière fut parachevée. Les travaux ont
rivage était constitué par la chaîne des Dangrêk. été conduits sous la direction d’un gourou
célèbre vivant jusqu’à 80 ans depuis le règne

xxx
Temple de Preah Vihear, Gopura III.
© C. Frank Starmer

84 Patrimoine Mondial Nº68


Symbolique cosmographique
de Sûryavarman Ier jusqu’à Jayavarman VI l’inscription de Vat Phou (aujourd’hui en haut des Dangrêk, à l’aplomb de la falaise
(1080-1107) : il reçut le titre de Acaryabrah République démocratique populaire Lao) qui domine la plaine en direction du sud
Guru, Ta Guru ou Sri Divakarapandita. recommandait aux monarques khmers vers la cité angkorienne. Cet agencement
Preah Vihear était considéré comme le de préserver d’une manière permanente s’apparente à la représentation de Çiva
siège d’une divinité sacrée, dite divinité des leur lignée en préservant intact le linga couché qui unit magiquement en une seule
Sommets, et assurait la fonction de toit royal. C’est ainsi que les monarques nature homogène le Cambodge du Sud à
sacré veillant à la protection et au bien- khmers venaient et continuent d’y venir celui du Nord. Les préoccupations royales
être des hommes et du pays tout entier par en pèlerinage afin d’invoquer le culte des concernant le lien entre le nord et le sud se
l’entremise de la puissance du pouvoir royal ancêtres, incarné dans la statue de Çiva, et notent également dans le gopura I, principal
qui y était représenté sous la forme du linga d’assurer ainsi la pérennité khmère. sanctuaire, qui est complètement fermé.
Bhadresvara amené de la capitale d’Angkor. C’est ici que siège le plus haut sommet de Cela confirme que le temple de Preah Vihear
Tous les rois khmers ont régulièrement Çiva, principale divinité d’une religion qui a symbolise le dieu Çiva, sa tête reposant vers
procédé à l’officialisation de ce culte pour fonction essentielle d’assurer l’unité et Angkor, la ville du centre du royaume au
directement ou par pèlerinage. À chaque la continuité du Royaume du Cambodge, sud, et son corps étant allongé le long de la
fête commémorative, on évoquait le nom de malgré la rupture géographique des pente douce avec ses pieds dans la direction
Jayavarman II qui était à l’origine d’Angkor. Dangrêk entre les plateaux septentrionaux du nord. Les pieds de Çiva, sis au nord,
Les divinités des sommets concentraient et la plaine méridionale du Tonlé Sap. Les sont le point d’entrée principal du temple
toutes les puissances symboliques du architectes khmers déterminèrent un lieu qui s’étend ensuite progressivement vers le
Cambodge autour de l’idéologie nouvelle de propice pour que la symbolique unitaire se sanctuaire principal, le sommet où siège le
Çiva. Le temple de Preah Vihear a donc été réalise concrètement à la manière d’un pont dieu Çikhareçvara ou dieu des Sommets.
érigé en tant que lieu sacré essentiel, source magique unifiant le Tonlé Sap au Tonlé Mun Le temple de Preah Vihear a donc
de pouvoir légué aux futurs monarques pour (Moul en khmer). constitué un point d’ancrage essentiel de
qu’ils parviennent à préserver la pérennité Ainsi, le temple repose majestueusement l’organisation de l’espace des royaumes
du royaume. Dans le même ordre d’idées, le long d’une pente douce à l’endroit le plus angkoriens à leur apogée, point d’appui
de la palanche, signification de Dangrêk en
Le temple a été érigé en tant que lieu sacré essentiel, khmer, qui devait assurer l’équilibre entre
source de pouvoir légué aux futurs monarques pour l’espace du Grand Lac au sud et les plateaux
qu’ils parviennent à préserver la pérennité du royaume. de Korat au nord.

Patrimoine Mondial Nº68 85


Numéro spécial Çiva-Bhadreçvara

Çiva-Bhadreçvara
L’union de Preah Vihear, Vat
Phou et Mi-sön, trois temples
classés au patrimoine mondial
Sachchidanand Sahai
Conseiller, Preah Vihear Autorité nationale

La danse de Çiva (Preah Vihear).


© Sachchidanand Sahai

86 Patrimoine Mondial Nº68


Çiva-Bhadreçvara
L
Kala.
© Sachchidanand Sahai

e dieu du temple de Preah Le dieu du temple de Preah Vihear porte


Vihear, classé au patrimoine le nom de Çikhareçvara. Ce nom signifie le
mondial, porte le nom de « Seigneur (içvara) du sommet (çikhara) ».
Çikhareçvara. Ce nom, qui
signifie le « Seigneur (içvara)
du sommet (çikhara) » est en fait l’un des
milliers de noms attribués à Çiva. Selon la L’autorité de Çiva est un thème récurrent de Bhadreçvara devint populaire à Vat Phou
littérature indienne, Çiva résidait sur le mont à Preah Vihear. Selon une inscription trouvée (également classé au patrimoine mondial
Kailash, l’un des plus hauts sommets de dans le temple (K380), le dieu Bhadreçvara de de l’UNESCO) et Bhadreçvara devint une
l’Himalaya. La mythologie khmère présente, Lingapura (Vat Phou) arriva miraculeusement divinité gardienne du royaume khmer de
quant à elle, la chaîne des Dangrêk comme à Çikhareçvara (Preah Vihear) en 1038 pour l’époque pré-angkorienne. Les rois d’Angkor
l’Himalaya de l’empire d’Angkor et la falaise exprimer la splendeur de Çiva sous forme de continuèrent à vénérer cette puissante forme
de Preah Vihear comme le mont Kailash, lumière. Le verbe khmer mok fait d’ailleurs de Çiva. Le célèbre temple du mont Prè Rup
demeure divine de Çiva. Preah Vihear fut spécifiquement référence à l’arrivée du était dédié à Rajendra-Bhadreçvara.
également la demeure d’une autre forme dieu. Le roi de l’époque ordonna alors aux Bhadreçvara se rendit ensuite de Mi-
très puissante de Çiva appelée Bhadreçvara populations de différentes localités de prêter sön à Vat Phou, puis de Vat Phou à Preah
(le Seigneur bon). serment de fidélité au dieu. Conformément Vihear. Ces trois sites, connectés par 1 500
En sa qualité de souverain, Çiva aux ordres de Çiva, les membres des groupes ans d’histoire, pourraient à nouveau être
commande son peuple, et celui-ci lui promet rebelles Pas Khmau furent, toutefois, exclus reliés par le biais de projets de coopération
en retour fidélité. Çiva est le seigneur de de ce serment. déployés sur les biens du patrimoine
l’univers tout entier. L’autorité exclusive Bhadreçvara était la déité gardienne du mondial. Le voyage de Bhadreçvara pourrait
dont il jouit sur l’univers fait de Çiva le Sanctuaire de Mi-sön, un bien classé au par exemple être célébré pour encourager
seul véritable Dieu pouvant commander patrimoine mondial attestant de la culture l’échange d’idées, la collaboration mutuelle
(Çivajna). Tous les éléments qui composent cham, situé dans le centre du Viêt Nam et la venue de visiteurs. Plusieurs initiatives
l’univers (la terre, les montagnes, les actuel. Au Ve siècle, l’un des rois du Champa, pourraient également être prises pour
rivières, les océans, les étoiles, ainsi que Devanika, arriva au Lingaparvata à Vat Phou officialiser l’axe culturel que forment les
les autres dieux, créatures célestes et tous (République démocratique populaire lao) sites de Preah Vihear, Vat Phou et Mi-
les êtres statiques et mobiles) existent ainsi pour établir la terre sainte de Kurukshetra, sön, aux niveaux gouvernemental et non
selon sa volonté. sur la rive du Mékong. Peu à peu, le culte gouvernemental.

Patrimoine Mondial Nº68 87


Numéro spécial Çiva-Bhadreçvara

La danse de Çiva (Banteay Srei). Coucher de soleil à Preah Vihear.


© Sachchidanand Sahai © Sachchidanand Sahai

Kala de Vat Phou à Çikhareçvara, l’apparition le privilège de regarder le soleil se coucher


Kala incarne le Temps absolu. Il s’agit en de la splendeur de Çiva sous le nom de à maintes reprises sur la falaise de Preah
fait d’une émanation de Çiva dans la mesure Çikhareçvara, la rébellion Pas Khmau dans la Vihear, attendant la danse de Çiva.
où Maha Kala (« temps absolu ») est un autre région de Preah Vihear et la pacification de
nom de Çiva, décrit comme le « créateur du la région de Dangrêk à travers un serment La danse de Çiva à Banteay Srei
temps ». Çiva accomplit une danse de la de loyauté envers Çikhareçvara ; autant À Banteay Srei, Çiva danse sur un motif
destruction au-dessus de la falaise de Preah d’éléments de nature identique. floral. L’artiste l’a dépeint dans une ambiance
Vihear, tandis que Vishnu, agissant sous son sereine et paisible, en train d’exécuter
contrôle (gopura IV), participe, au-dessous, La danse cosmique de Çiva l’Ananda Tandava (la danse du bonheur)
au processus de création. Çiva accomplit une danse éternelle dans le dans le hall de la conscience. Comparé à
ciel clair, observé par les yogis. Sur la falaise cette danse, le sens de sa performance
La danse de Çiva de Preah Vihear, Çiva danse sur la tête de à Preah Vihear est sans équivoque : là
Le fronton de la porte nord du porche l’éléphant, à ciel ouvert. L’artiste a créé une le dieu revêt son aspect le plus terrifiant
(mandapa) menant au temple principal de image de danse cosmique de destruction pour danser sur une cadence infernale, au
Preah Vihear comporte une image de Çiva, dans un espace infini, en dépeignant Çiva rythme de la destruction. D’un point de vue
doté de dix bras, dansant sur la tête d’un avec dix bras, sur un tympan qui s’élève vers iconographique, le Çiva à dix bras de Preah
éléphant. La position de la tête de l’animal, le ciel. Vihear correspond à l’image du « front »
indique clairement qu’il a été terrassé par du temple (lalata bimba). Avant de pénétrer
Çiva : son visage est vu de face, ses oreilles Tandis que Çiva danse dans la lueur du dans la cella pour y vénérer son emblème
sont ouvertes et son tronc est renversé soleil couchant après avoir terrassé le démon phallique, le visiteur ou le fidèle est prévenu
sur la Kala. L’iconographie correspond sous la forme de l’éléphant, le monde tout de la forme dans laquelle le Seigneur lui
indéniablement à Çiva. Le dieu y est dépeint entier danse avec lui. Pendant mille ans, apparaîtra dans le sanctum sanctorum. La
se tenant sur la tête d’un démon, apparu sous le soleil se couche dans ce rougeoiement vision de Çiva dansant sous la forme d’un
la forme d’un éléphant, et qu’il est en train originel sous lequel Çiva dansa pour la destructeur des forces du mal constitue
de tuer. Il semblerait que cet aspect féroce première fois dans un passé légendaire. Jour l’aboutissement d’une difficile ascension
du caractère de Çiva, renversant ici les forces après jour, ses fidèles ont contemplé cette jusqu’au sommet.
du mal, ait été vénéré à Preah Vihear comme danse de l’émancipation, dans la lumière des Alors que le soleil commence à disparaître
en témoigne l’arrivée de Bhadreçvara Çiva derniers rayons de soleil. J’ai moi-même eu de l’autre côté de la falaise, s’apprêtant à

88 Patrimoine Mondial Nº68


Çiva-Bhadreçvara
L’ermite.
© Sachchidanand Sahai

plonger dans un précipice mystérieux, de offrant ainsi une exception à la pratique khmère, comme Le Seigneur qui danse, une
sombres nuages se rassemblent au-dessus générale des Khmers de l’adoration de image dorée plutôt que par le nom sanskrit
du temple délabré. L’infinie canopée du ciel Çiva sous sa forme pacifique ou paisible. de Nataraja. Cette ancienne danse cosmique
noir provoque une étrange hallucination  : Cette caractéristique est étroitement liée de la civilisation angkorienne (Rabam Kailas
la silhouette de Çiva semble se mouvoir, au rôle particulier que joue Çiva dans ou les danses du mont Kailash) pourrait
ses mains jointes se lèvent alors vers le ciel. la région des Dangrêk pour faire face à aujourd’hui renaître pour être intégrée
L’atmosphère tout entière semble vibrer l’opposition de la domination établie par la au paysage de Preah Vihear, tandis que la
au rythme des puissants battements de civilisation khmère. La rébellion Pas Khmau falaise pourrait accueillir un théâtre en plein
tambour joué par son fidèle compagnon, explique d’ailleurs l’aspect féroce de Çiva. air où les visiteurs de ce site sacré pourraient
Nandin. Le Seigneur danse sur son double Bhadreçvara est le Seigneur bon, un dieu contempler la danse cosmique de Çiva.
piédestal composé d’une tête d’éléphant et qui offre sa bénédiction à ses fidèles et Les visiteurs pourraient également admirer
d’une tête de la Kala. À travers sa danse, il inflige des châtiments divins aux forces du les magnifiques pavillons du temple de
incarne à la fois le Seigneur du temps éternel mal. Preah Vihear, les nombreux rochers du site
et le Destructeur des forces du mal. Dans le qui rappellent des sculptures vivantes, ses
dernier battement du tambour, le maître L’ermite grottes qui symbolisent la quête humaine
danseur termine son cycle d’anéantissement. Le pied de la colline des Dangrêk est dédié à de la force et de la paix intérieures ainsi que
Puis, adressant un sourire à son unique la méditation. L’ermite est d’ailleurs un motif les spectaculaires chutes d’eau offrant une
spectateur, il invite du doigt celui-ci à lire les très fréquent dans les bas-reliefs de Preah douce musique de fond à la danse cosmique
inscriptions des murs de Preah Vihear pour Vihear. Le roi Sûryavarman Ier déclare que de Çiva. En effet, la simple présentation de
percer le mystère de Çikhareçvara. c’est par la force de son ascétisme (tapovirya) Preah Vihear comme un site archéologique
Preah Vihear est un lieu où la présence que le dieu Bhadreçvara de Lingapura vint ou architectural ne répond pas à la vision de
de Çiva est particulièrement marquée à régner à Çri Çikhareçvara. À l’époque la civilisation angkorienne. Comme nous le
travers ses quatre formes phalliques : le d’Angkor, les Dangrêk étaient parsemés proposons ici, le rétablissement, par le biais
descendant d’un linga Nishkala, le Seigneur d’ermitages et de sites de méditation. de programmes de collaboration, des liens
de Sûryavarman (Sûryavarmeçvara), Le grand prêtre du roi Sûryavarman II, anciens qui unissaient jadis les sites de Mi-
Bhadreçvara et Çikhareçvara. Ce site sacré Divakarapandita, installa une image dorée sön, Vat Phou et Preah Vihear, permettrait
célébrait également l’aspect féroce de Çiva de la danse de Çiva à Preah Vihear. Cette de perpétuer les traditions et les croyances
comme le Destructeur des forces du mal, image est décrite par une paraphrase de nos ancêtres.

Patrimoine Mondial Nº68 89


Finlande:
PUBLIREPORTAGE

« Un patrimoine commun,
une gestion commune »

La forteresse de Suomenlinna, une vue de l’île de Susisaari dans la baie de Tykistölahti.


Photo : Finland’s National Board of Antiquities / Soile Tirilä 2000.

La Finlande se concentre sur le patrimoine mondial Une boîte à outil intitulée « Mise en valeur de notre patrimoine » a été
conçue pour les Plans de gestion des sites du patrimoine mondial, afin que la
La Finlande formule actuellement une stratégie nationale pour le patrimoine gestion des sites soit plus méthodique, plus axée sur les objectifs et afin d’en
mondial, qui sera achevée d’ici 2015. Cette stratégie intégrera les objectifs de évaluer les résultats. La boîte à outils vise aussi à promouvoir et à favoriser la
la politique finlandaise sur le patrimoine mondial et les mesures à prendre pour gestion des sites du patrimoine culturel et naturel au niveau national.
développer une administration et une gestion durables et responsables des sites
du patrimoine. Les objectifs de la stratégie sont notamment la prise de conscience Initialement, cette boîte à outils a été conçue pour la gestion des sites du
du patrimoine mondial à tous les niveaux de la société, l’intégration des questions patrimoine naturel. Toutefois, la Finlande voulait également ouvrir la voie pour
de patrimoine mondial à l’éducation et le développement d’une approche l’application de la boîte à outils « Mise en valeur de notre patrimoine » à une
pédagogique intégrée, où différentes disciplines collaborent pour utiliser les sites gestion plus efficace et plus systématique des sites du patrimoine mondial.
comme des environnements d’apprentissage.
En 2009, des représentants du Conseil national finlandais des antiquités ont
Les travaux finlandais de protection du patrimoine mondial sont fondés sur participé à un atelier organisé par la Fondation nordique du patrimoine mondial.
trois objectifs principaux : 1) renforcer la protection et la gestion des sites du Cet atelier a été persuadé du potentiel de la boîte à outils à soutenir la gestion
patrimoine mondial, 2) promouvoir l’équilibrage de la Liste du patrimoine mondial des sites nordiques du patrimoine mondial. En 2010, à l’initiative du Conseil
et 3) contribuer à une plus grande prise de conscience du patrimoine mondial. des antiquités et de l’Organe de direction de Suomenlinna, une procédure de
préparation de plans d’exploitation et de gestion d’une durée de deux ans a
Il sera également important de reconnaître les sites d’intérêt national. En 2009, été lancée en coopération avec tous les sites finlandais. La première étape a
le gouvernement a approuvé un inventaire des sites culturels d’intérêt national, consisté à traduire la boîte à outils en finlandais, afin de permettre aux sites
dressé par le Conseil national des antiquités de Finlande. Actuellement, le Ministère nationaux du patrimoine culturel et naturel d’en faire usage.
de l’éducation et de la culture a confié au Conseil national des antiquités la mission
de réaliser un inventaire des sites d’intérêt national conformément à la Convention Les travaux de planification de l’introduction de la boîte à outils ont débuté
de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954. à l’automne 2010, par une formation sur la gestion des sites du patrimoine
La Finlande a également signé récemment la Convention 2003 de l’UNESCO pour mondial. Elle représentait la méthode finlandaise pour trouver des techniques
la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Diverses coopérations portant de gestion appropriées et contrôlées, par lesquelles il était facile de fournir
sur le patrimoine culturel soutiennent également les travaux associés aux sites des directives et d’établir diverses coopérations. Que l’on sache, aucun autre
du patrimoine mondial. La reconnaissance et l’appréciation des sites d’intérêt effort commun de planification de la procédure de gestion n’a été entrepris par
national permettront aux citoyens de mieux comprendre l’importance et la valeur d’autres pays. Après une année de formation, les participants étaient prêts à
du patrimoine culturel et naturel comme ressource et responsabilité qui unissent passer à l’action.
les hommes, d’autant plus dans le contexte international.
Dans la planification de la gestion des sites, une attention toute particulière
La formation en gestion enseigne des méthodes appropriées se porte sur la prévention des risques qui pèsent sur notre patrimoine culturel
et naturel. À ce titre, les risques causés aussi bien par les humains que par la
Conformément aux directives publiées sur la gestion des sites du patrimoine nature sont pris en compte. Le changement climatique est un danger constant
mondial de l’UNESCO, les sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial doivent pour plusieurs sites du patrimoine mondial. Il est aussi important de trouver des
disposer d’un plan d’exploitation et de gestion, mis à jour à intervalles réguliers. solutions durables dans les discussions internationales sur le climat pour lutter
La stratégie finlandaise pour le patrimoine mondial partage cet objectif. contre ces menaces.
L’archipel de Kvarken, le phare de Strömmingsbåda, Maalahti.
Photo : Finland’s National Board of Antiquities / Harri Nyman

Un plus grand impact par la gestion Il revient à chacun d’entre nous de s’occuper du patrimoine culturel

Bien que tous les biens du patrimoine mondial soient différents, ils sont confron- La Constitution de la Finlande déclare que « la nature et sa biodiversité,
tés aux mêmes problèmes. Les sept sites classés au patrimoine mondial en Finlande l’environnement et le patrimoine culturel sont la responsabilité de chacun ».
comprennent une vieille ville en bois, une église en bois de la fin du XVIIIe siècle, une Cette obligation prévue par la Constitution guide les actions de la Finlande visant
usine de traitement du bois et du carton du XIXe siècle, un site funéraire de l’âge de à protéger le patrimoine mondial. La prise en charge du patrimoine culturel n’est
bronze, une forteresse remontant aux XVIIIe et XIXe siècles et un site du patrimoine pas uniquement la responsabilité des autorités. L’implication des habitants dans
naturel. On trouve également en Finlande six points de l’arc géodésique de Struve, ces travaux renforce l’esprit de communauté et l’identité locale.
qui comprend des postes de triangulation sur le territoire de dix États.
Il est impératif que les autochtones soient soutenus pour qu’ils puissent
Des sites de types différents nécessitent des techniques de gestion différentes. contribuer à la protection des sites et en tirer des avantages durables. La
Il n’existe aucune solution unique parfaite, car chaque bien possède ses propres coopération orientée sur la gestion est un moyen d’y parvenir. La prise de
caractéristiques, son contexte juridique et ses accords de propriété. De nombreux conscience et la fierté des habitants pour leur propre patrimoine culturel et son
biens représentent des valeurs à la fois culturelles et naturelles, qui doivent être intérêt au plan mondial forment un élément clé de la protection des biens. Gérer
prises en compte pour préparer leur gestion. La boîte à outils est considérée ensemble les sites favorisera une compréhension de leur valeur et mettra en
comme une occasion de poser les bonnes questions et de trouver les réponses valeur l’identité locale. Il convient donc d’encourager ce genre de coopération et
communes et générales nécessaires pour réaliser les objectifs de gestion. Une de la soutenir à l’échelle mondiale.
gestion méthodique présente aussi des opportunités d’apprentissage et améliore
l’efficacité du patrimoine culturel sur des sites naturels, et respectivement, des La formation en gestion mise en œuvre en Finlande et les expériences
valeurs naturelles sur des sites culturels. d’utilisation de la boîte à outils pourraient servir de bon exemple pour une
gestion appropriée des sites du patrimoine mondial dans d’autres pays. Il est
Les participants ont constaté que la boîte à outils était un outil perfectionné et vital que les plans de gestion soient élaborés en collaboration avec les acteurs
facile d’emploi, associé à une méthode étape par étape. À l’initiative du Conseil locaux, engendrant un esprit de communauté qui permet aux autochtones
national des antiquités et de l’Organe de direction de Suomenlinna, un plan de de comprendre l’importance de leur patrimoine naturel et culturel. En outre,
gestion conforme au programme de travail commun sera élaboré pour tous les les biens du patrimoine mondial et les sites nationaux seront perçus, non pas
sites. L’objectif initial de réaliser les plans de gestion pour tous les sites dès 2011 a seulement comme des attractions touristiques, mais comme des blocs d’identité
été atteint haut la main. Un plan de gestion pour la forteresse de Suomenlinna a été d’importance locale et nationale.
terminé récemment et les plans pour les autres biens sont en cours de finalisation
ou leur préparation est bien entamée. Un plan de gestion pour l’archipel de PhD. Juhani Kostet, Directeur général
Kvarken a été achevé très tôt dans la démarche. Alors que les plans d’exploitation
et de gestion se concentrent actuellement sur les sites du patrimoine mondial, il
serait utile d’élaborer des plans semblables pour tous les sites protégés.
National Board of Antiquities
P.O.Box 913, FI-00101 Helsinki, Finland
La mise en place d’un réseau, de groupes de travail nationaux ou nordiques et le
Tel. +358 9 40 501
renforcement des groupes d’intérêt seront les prochaines étapes. Le fonctionnement
des systèmes administratifs sera déterminé et la responsabilité de la gestion des sites
sera clairement attribuée. Des efforts seront également mis en œuvre pour identifier http://www.nba.fi
les risques auxquels sont exposés les sites.
Numéro spécial Liste indicative

Liste indicative

Le Prasat Thom à Koh Ker.


© Guillen Perez

92 Patrimoine Mondial Nº68


Liste indicative

Patrimoine Mondial Nº68 93


Numéro spécial Prasat Chen

Koh Ker
Prasat Chen and its sculptures
Éric Bourdonneau
Maître de conférences
École Française d’Extrême-Orient, Paris

Duryodhana de Prasat Chen avec son socle.


© Photographie de la figure/Archives du Musée Guimet, socle photographié Eric Bourdonneau

94 Patrimoine Mondial Nº68


L

Prasat Chen Koh Ker


e temple du Prasat Chen peut
être défini comme le grand
pôle vishnouite du vaste
dispositif cultuel bâti au cœur
de l’ancienne ville royale de
Chok Gargyar (Koh Ker), capitale éphémère
qui éclipsa la grandeur d’Angkor pendant
les vingt années du règne de Jayavarman IV
(règne de 921 à 941).
La statuaire de ce temple est à l’image
de ce déplacement exceptionnel du centre
du royaume en dehors de la plaine de Siem
Reap. Elle demeura sans réel équivalent
durant toute la période angkorienne.
L’iconographie narrative inspirée des grandes
épopées indiennes n’est pas ici sculptée
en bas-reliefs, comme nous le voyons
sur les frontons et les linteaux des autres
monuments, mais réalisée en ronde bosse, à
échelle humaine ou, disons, héroïque, source
d’un irrésistible effet de « réel ». Les deux
pavillons d’entrée de la première enceinte
du Prasat Chen abritent ainsi respectivement
la représentation de la lutte opposant, dans
l’épopée Rāmāyana les deux singes Vālin
et Sugrīva et celle du combat à mort entre
Bhīma et Duryodhana, dans le Livre IX de la
grande épopée, le Mahābhārata. Bhīma de Prasat Chen, Koh Ker.
© Norton Simon Art Foundation
Dans l’un et l’autre cas, le groupe
sculpté (autrefois également peint) investit
totalement l’espace intérieur de l’édifice
qui paraît ainsi transformé en une scène de
théâtre dont l’estrade aurait été fragmentée
en autant de piédestaux qu’il y a d’acteurs à Les pieds de Bhīma, Prasat Chen, Koh Ker.
© Eric Bourdonneau
représenter. C’est sans doute dans le pavillon
d’entrée ouest, où furent érigées les images de
Bhīma et Duryodhana, que cette dimension
théâtrale de la statuaire de Koh Ker apparaît
la plus novatrice. Au centre d’une assemblée
formée de sept personnages (les quatre
frères Pāndava, de Krishna, de Balarāma et
de Dhṛṣṭadyumna), les deux héros sont saisis
au moment paroxysmique du terrible combat
décrit dans le Mahābhārata : Duryodhana
s’élance vivement dans les airs tandis que
Bhīma, prenant appui sur sa jambe arrière
et esquissant un mouvement de torsion,
s’apprête à lui briser les cuisses en lui jetant
violemment sa massue.
Il faut là prêter attention au jeu subtil
sur l’équilibre des corps et les lignes des
drapés pour prendre toute la mesure de la
maîtrise des sculpteurs de Koh Ker. Nulle
part ailleurs les artistes de l’époque ne sont
peut-être allés aussi loin dans la suggestion Duel entre Bhīma et Duryodhana devant trois Pandavas agenouillés
du mouvement que dans la représentation (Arjuna, Sahadeva et Nakula), Prasat Chen, Koh Ker.
© Reconstitution d’Éric Bourdonneau

Patrimoine Mondial Nº68 95


Numéro spécial Prasat Chen

de Duryodhana s’élançant dans les airs. le pillage « contemporain », puisqu’il est, doute possible, d’identifier et de localiser
Nulle part ailleurs la statuaire angkorienne ici, postérieur à 1970) ne semble avoir les statues disparues. Bhīma se trouve à
ne paraît avoir été aussi proche de ce qui lui été aussi systématique et bien renseigné. présent au musée Norton Simon à Pasadena
fut peut-être un modèle – le théâtre ! On le Aucune des statues composant le groupe en Californie. Duryodhana est actuellement
voit dans ce petit pas en arrière, cette prise sculpté de Bhīma et Duryodhana n’a été détenue par Sotheby’s (New York) pour le
d’appui de la jambe du Pāndava qui donne retrouvée in situ (c’est également le cas des compte d’un collectionneur privé et est le
la mesure de la violence du coup qui se images qui entouraient la lutte de Vālin et sujet d’une plainte déposée par le bureau
prépare : dans ces quelques centimètres où Sugrīva). Seuls subsistent aujourd’hui les du procureur de New York afin qu’il soit
les orteils de Bhīma dépassent de la surface piédestaux décapités par les pilleurs, bien restitué au Cambodge. Deux Pāndavas sont
du piédestal, se résume et se condense tout tristes vestiges de ce qui fut assurément au Metropolitan Museum of Art de New
le dynamisme de la scène. l’un des grands chefs-d’œuvre légués par York et d’autres sculptures se trouvent dans
Nulle part ailleurs, pourrait-on enfin le Cambodge ancien au patrimoine de divers musées, dont Cleveland et Denver
ajouter, le pillage « moderne » de la l’humanité. Ces vestiges sont néanmoins ainsi que dans des collections privées.
statuaire angkorienne (ou, plus précisément, précieux, car ils permettent, sans aucun

Informations
Le 3 mai 2013, le Metropolitan Museum of Art de New York a annoncé qu’il rapatriera deux sculptures des frêres Pāndava de
l’ensemble Prasat Chen qui se trouvaient dans leur collection depuis les années 1990.
Le directeur du musée, M. Thomas P. Campbell a déclaré : « il s’agit d’un cas où des informations complémentaires concernant les
‘serviteurs à genoux’ ont amené le musée à considérer des faits qui n’étaient pas connus à l’époque de l’acquisition et de prendre
action… ».
Le Gouvernement cambodgien a exprimé sa plus profonde reconnaissance pour ce geste et fait appel aux autres musées et
collectionneurs d’art qui détiennent les sculptures restantes afin qu’ils suivent cet exemple et rendent, dans le cadre de la campagne
mondiale pour la protection du patrimoine culturel, ces trésors volés à leurs propriétaires légitimes.

© Metropolitan Museum of Art © Metropolitan Museum of Art

96 Patrimoine Mondial Nº68


SENSATION EXTRAORDINAIRE À TRAVERS LES CONTINENTS

Laissez-nous découvrir et expérimenter ensemble un tout nouveau monde plein de


merveilles. En tant que membre de l’Alliance SkyTeam, nous nous engageons à être
votre compagnon de confiance sur plus de 900 destinations à travers le monde
avec une flotte moderne et un service de classe mondiale.
Numéro spécial Sambor Prei Kuk

Groupe archéologique
de Sambor Prei Kuk
Un complexe urbain
de temples
Ministère de la culture et des
beaux-arts du Cambodge

La tour N7 du Prasat Sambor.


© General Department of Heritage, Ministry of Culture and Fine Arts

98 Patrimoine Mondial Nº68


L

Sambor Prei Kuk


’ancienne cité d’Isanapura fut la
capitale de la dynastie de Chenla
au VIIe siècle et continua d’être
un centre religieux important
durant les périodes pré-
angkorienne et angkorienne. Aujourd’hui,
on peut voir les vestiges de cette ville dans le
Groupe archéologique de Sambor Prei Kuk,
composés de temples en brique, de la douve
et du rempart de la cité et des installations
hydrauliques pour l’irrigation, les pratiques
religieuses et l’approvisionnement en eau
des résidents. Situé au milieu d’une forêt
paisible, le site protège des édifices et des
œuvres d’art réalisés sur plus d’un demi-
siècle. À proximité de la capitale provinciale
de Kampong Thom, à mi-chemin quasiment
entre Phnom Penh et Siem Reap, le Groupe
archéologique de Sambor Prei Kuk est
inclus dans la liste indicative du Cambodge
pour son inscription au patrimoine mondial.

Échanges culturels
indiens et chinois
Le site représente une source
fondamentale d’informations sur l’histoire
de l’Asie du Sud-Est pendant la dernière
moitié du premier millénaire de notre
ère. Les inscriptions et les vestiges
archéologiques fournissent des données
sur la période importante qui a précédé
l’essor de l’empire khmer. Sambor Prei Kuk
fusionne la religion, l’art et l’architecture
indiens et l’aménagement urbain chinois
pour former un complexe urbain khmer,
qui a posé les fondations des villes khmères
ultérieures. Le site signale la naissance d’un
complexe unique et sophistiqué conjuguant
une cité hydraulique, l’État et la religion,
précurseur de l’empire khmer d’Angkor.
Sambor Prei Kuk s’est imposé sous
le règne du roi Isanavarman Ier, qui a
constitué un territoire de grande ampleur.
C’est sous son règne qu’ont été construits
les principaux complexes du Groupe
archéologique de Sambor Prei Kuk.
Ces monuments contiennent les chefs-
d’œuvre les plus remarquables des débuts
de l’art khmer, notamment des bas-reliefs
uniques en brique sculptée, des édifices
octogonaux, des décors sur stuc et un
motif d’art martial sur certains médaillons
ornementaux. La taille, le nombre et la
qualité de ces temples attestent de la
dominance d’Isanapura et des énormes
ressources dont disposait Isanavarman Ier. La tour T1, le Palais volant.
© General Department of Heritage, Ministry of Culture and Fine Arts

Patrimoine Mondial Nº68 99


Numéro spécial Sambor Prei Kuk

Les grandes installations hydrauliques sont


aussi la preuve de l’importance de la ville
et des accomplissements technologiques de
ses architectes et ingénieurs.
En dépit de la délocalisation de la capitale,
Sambor Prei Kuk s’est maintenu comme
centre d’importance pendant toute la
période angkorienne, avec la construction
d’autres édifices religieux et la rénovation
de ceux qui existaient. Les temples et
les statues du Groupe archéologique de
Sambor Prei Kuk couvrent une longue
période de changement, qui englobe la
chute de la dynastie de Chenla et l’essor
de l’empire d’Angkor. Le style artistique et
architectural de Sambor Prei Kuk apporte
la preuve précieuse des échanges culturels
entre l’Inde et la Chine.
Entre le XIe siècle et la fin du XIXe siècle,
la fonction et l’importance du Groupe
archéologique de Sambor Prei Kuk en tant
que complexe urbain, région agricole et site
religieux restent peu connues. Aujourd’hui,
les maisons en bois de l’ancienne ville ont
disparu depuis longtemps, ne laissant que
les temples, les éléments du paysage et
les installations hydrauliques. Alors que
de nombreux édifices se sont écroulés,
un nombre significatif a survécu, même
après des siècles d’assauts par une jungle
envahissante, des conditions climatiques
rudes, d’abandon et des années de guerre.
Les temples qui subsistent continuent de
servir de site religieux important pour les
communautés locales.

Protection postconflit
d’un actif précieux La tour S1.
© General Department of Heritage, Ministry of Culture and Fine Arts
Pendant la période de conflit en Asie du
Sud-Est, le Groupe archéologique de Sambor
Prei Kuk a subi des dommages, causés par les Le site constitue un témoignage vital des
nombreuses forces hostiles engagées dans développements historiques, culturels et religieux qui
le combat. À cette époque, la recherche, ont culminé dans l’épanouissement de l’empire khmer.
l’entretien et la protection des monuments,
ainsi que des objets pouvant être enlevés,
ont gravement souffert. Ce n’est qu’en 1992
que le Gouvernement royal du Cambodge en définitive, les résultats sont significatifs. l’épanouissement de l’empire khmer, ouvrant
a rétabli son contrôle sur la région. Le Les monuments restants, les paysages et une fenêtre unique sur ce pan d’histoire,
Ministre de la culture et des beaux-arts, les espaces ouverts que les touristes et les couvrant les périodes pré-angkorienne et
ainsi que d’autres ministères ont entamé la spécialistes peuvent visiter témoignent des angkorienne. Les inscriptions, les objets
tâche difficile d’identification des actions ambitions du gouvernement de préserver et les édifices représentent les archives
nécessaires pour protéger ce patrimoine et protéger le Groupe archéologique de les plus importantes de la vie khmère à
précieux. Manquant de subventions et de Sambor Prei Kuk. cette période. La recherche archéologique
professionnels formés à la conservation, la Le site constitue un témoignage se poursuit, permettant de découvrir de
restauration et la gestion, les efforts réalisés vital des développements historiques, nouvelles facettes de ce site fascinant du
ont été de faible envergure, progressifs, mais, culturels et religieux qui ont culminé dans patrimoine.

100 Patrimoine Mondial Nº68


Le fort de Bahla Fort de Bahla
Inscrit sur la Liste du
patrimoine mondial
en 1987

Une oasis qui reflète la splendeur de la construction,


du patrimoine et de la conception architecturale du
Sultanat d’Oman.

Le fort de Bahla est le premier site culturel du Sultanat


d’Oman à avoir été inscrit sur la Liste du patrimoine
mondial en 1987.

La wilaya de Bahla est considérée comme l’une des régions historiques les plus importantes du gouvernorat de Dakhiliyah, qui possédait déjà de nombreux châteaux et forts,
dont le plus imposant est le fort de Bahla. L’histoire de sa construction remonte à l’ère préislamique. En 1987, en raison de son intérêt historique, de son extraordinaire valeur

PUBLIREPORTAGE
internationale et de sa valeur culturelle, l’UNESCO l’a inscrit sur la Liste du patrimoine mondial.

Sa façade méridionale s’étend sur environ 112,5 m, alors que sa façade orientale mesure approximativement 114 m. Sa muraille sculptée au nord-ouest a une longueur de
135 m. Le fort comporte également trois bâtiments, Bait al-Jabal, Bait al-hadith et Bait al-Qaed. Il possède six tours réparties le long des murs pour en assurer la défense et
la protection, auxquelles s’ajoute un certain nombre de puits et de mosquées. La citadelle (qasaba) est la partie la plus ancienne du fort. Il s’agit d’un édifice de cinq étages
comportant des salles intégrées, qui forment ensemble une seule unité, avec une entrée privée séparée du reste du fort. La citadelle comprend trois tours.

L’historique mosquée du Vendredi adjacente, à 30 m du fort, remonte au début de l’ère islamique. On y a trouvé, sur un disque à l’intérieur de la mosquée, les plus anciennes
chroniques manuscrites découvertes jusqu’à présent dans le Sultanat d’Oman, datant de l’année 528 A.H. Ont également été découverts : le mur, les écoles coraniques, les
anciennes mosquées, l’aflaj (ancien système d’irrigation), ainsi que de vieilles poteries du Sultanat, caractérisées par leur style unique, connues par les archéologues sous le
nom de poterie de style Bahla.

Le fort a fait l’objet de diverses périodes de rénovation et de conservation, la dernière menée par le Ministère du patrimoine et de la culture lors de l’inscription du site sur la
Liste du patrimoine mondial en 1987, sous la surveillance du Centre du patrimoine mondial et conformément aux normes de rénovation reconnues à l’échelle internationale.
Tous les travaux de restauration ont été achevés fin mai 2012 et le site a été ouvert au public.

Ministère du patrimoine et de la culture www.mhc.gov.om


Direction générale d’archéologie et des musées
P.O. Box: 668 Code No: 113 - Muscat
Sultanat d’Oman Sultanat d’Oman
Ministère du patrimoine
et de la culture
UN PARTENARIAT POUR PRÉSERVER UN HÉRITAGE MONDIAL
Un partenariat stratégique avec le Centre du patrimoine mondial de L’UNESCO

Dans le cadre de notre programme d’initiatives mondiales, Panasonic vise à devenir l’entreprise numéro un de l’industrie
électronique d’ici 2018, l’année de notre centenaire. À cette fin, nous avons développé un certain nombre d’initiatives
et activités multi-facettes à l’échelle de l’entreprise. Notre partenariat stratégique, conclu en mai 2011 avec le Centre
du patrimoine mondial de l’UNESCO, en est une des plus significatives. Reconnus par le Comité du patrimoine mondial
pour leur valeur universelle exceptionnelle, ces sites naturels et culturels représentent notre patrimoine irremplaçable, et
doivent impérativement être préservés. Tirant parti des technologies visuelles et de la dimension mondiale de Panasonic,
ce partenariat stratégique a pour but d’accroître la sensibilisation sur l’importance de préserver notre patrimoine culturel
et l’environnement, en particulier auprès des jeunes dans le monde.

Développement d’une Parrainage exclusif de l’émission


communication mondiale « The World Heritage Special »
Panasonic s’attache à développer sa communication globale, pour Des émissions spéciales de 60 minutes couvrant
faire valoir l’importance des sites du patrimoine de l’UNESCO et divers sites du patrimoine mondial ont été
l’intérêt qu’il y a à les protéger, mais aussi pour mieux faire produites et diffusées sur la chaîne National
comprendre le raisonnement de Panasonic en matière d’innovation Geographic. Elles couvrent notamment « Les anciennes mégastructures
environnementale. Nous faisons connaître nos efforts dans le du Machu Picchu », « Le secret du Taj Mahal » et « Les méga chutes d’eau
monde par une campagne combinée télévision et presse. La au Brésil et en Argentine ». Ces programmes télévisés, regardés dans de
célèbre soprano Sarah Brightman apparaît dans ces campagnes en nombreux pays, ont été pour Panasonic et pour la chaîne National
sa qualité d’« Artiste pour la paix » de l’UNESCO. Geographic les premières émissions mondiales en parrainage exclusif.

http://www.panasonic.net/promotion/worldheritage/ http://www.panasonic.net/promotion/worldheritage/program/
NIO MUN
MO D
RI
Panasonic soutient

IA
PA

L

NDIAL •
le développement durable

WORLD H
à travers l’éducation et la conservation

MO
ER
IT

E
AG I
du patrimoine mondial de l’UNESCO

N
E O

PATRIM

Organisation Patrimoine
des Nations Unies mondial
pour l’éducation,
la science et la culture

Programme d’éducation à l’environnement pour les jeunes


Panasonic organise plusieurs programmes d’éducation à l’environnement s’adressant aux
enfants. Chaque année, des milliers d’enfants du monde entier envoient leurs idées originales
sur la meilleure façon de préserver les ressources naturelles de la terre. La cérémonie de remise
des prix de l’« Eco Picture Diary Contest 2012 » s’est déroulée en novembre à Kyoto afin de
coïncider avec la cérémonie de clôture du 40ème anniversaire de la Convention du patrimoine
mondial. Elle a été largement couverte par les médias locaux et mondiaux. Mme Irina Bokova,
Directrice générale de l’UNESCO, était présente à la cérémonie, ainsi que les « Artistes pour la
paix » de l’UNESCO, la comtesse Setsuko Klossowska de Rola et Sarah Brightman, en tant que
membres du jury. Plus de 300 000 enfants s’étaient inscrits à ce concours et les gagnants
originaires des quatre coins du monde ont été invités à la cérémonie.
pks.panasonic.co.jp/global/ecorelay

Panasonic et le Calendrier du patrimoine mondial de l’UNESCO


La coopération entre Panasonic et le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO a débuté
en 1995 avec le Calendrier du patrimoine mondial. En plus d’un format poster, une
version plus petite de ce calendrier a été produite pour servir d’outil pédagogique aux
écoles associées de l’UNESCO dans le monde. En réponse aux souhaits de l’UNESCO de
rendre le calendrier accessible à un plus grand nombre, Panasonic propose depuis 2008
une version téléchargeable pouvant servir de fond d’écran d’ordinateur. Les utilisateurs
peuvent aussi avoir le calendrier toujours avec eux grâce à l’application Calendrier
Panasonic de l’héritage mondial.
http://panasonic.net/promotion/worldheritage_calendar/fr/apr.html

Une plongée en 3D au cœur des sites du patrimoine mondial


Plus les gens percevront la magnificence des sites du patrimoine mondial, plus ils s’intéresseront à
leur préservation. Dans cette perspective, Panasonic, en partenariat avec le Centre du patrimoine
mondial de l’UNESCO, a créé au Siège de l’UNESCO à Paris le « 3D Dive Experience » (une
expérience d’immersion dans des paysages en 3D), faisant appel à un système d’affichage
panoramique à plusieurs écrans plasma 3D mis au point par Panasonic. Les visiteurs peuvent se
plonger dans des paysages 3D très réalistes de sites remarquables du patrimoine. Le « 3D Dive »
a également été installé au dernier événement commémorant le 40ème anniversaire de la
Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO à Kyoto en novembre 2012.
ch.panasonic.net/special/worldheritage

Pour en savoir plus, rendez-vous sur : http://www.panasonic.net/promotion/worldheritage http://www.panasonic.net/ http://whc.unesco.org/


Numéro spécial Patrimoine culturel immatériel

Patrimoine culturel
immatériel
Photographies gracieusement fournies par Anders Jiras

Le Sbek Thom.
© Anders Jiras

104 Patrimoine Mondial Nº68


Patrimoine immatériel

Patrimoine Mondial Nº68 105


Numéro spécial Ballet royal

Le Ballet royal du Cambodge


Ministère de la culture et des beaux-arts du Cambodge

Ballet royal, Apsara Mera 2012.


© Anders Jiras

106 Patrimoine Mondial Nº68


Ballet royal
Ynav & Bosba, festival de Lakhaon 2009.
© Anders Jiras

enommé pour sa gestuelle Le Ballet royal du Cambodge (également appelé


gracieuse et ses somptueux Danse classique khmère) est étroitement lié à
costumes, le Ballet royal la cour khmère depuis plus de mille ans.
du Cambodge (également
appelé Danse classique
khmère) est étroitement lié à la cour khmère
depuis plus de mille ans. Ses représentations fondatrices du peuple khmer. C’est l’intrigue et souligne les émotions mimées
accompagnaient traditionnellement les pourquoi les Cambodgiens la considèrent, par les danseurs. Ces derniers étaient
cérémonies royales ainsi que d’autres depuis toujours, comme l’emblème de la considérés comme les messagers des rois
événements tels que les couronnements, culture khmère. Le répertoire classique auprès des dieux et des ancêtres.
les mariages, les funérailles ou les fêtes comporte quatre types de personnages : Le Ballet royal a pratiquement disparu sous
khmères. Cette forme d’art, qui a échappé Neang la femme, Neayrong l’homme, Yeak le régime génocidaire des Khmers rouges
de justesse à l’anéantissement dans les le géant et Sva le singe. Chacun possède qui a exterminé presque tous les maîtres
années 1970, est vénérée par de nombreux des couleurs, des costumes, un maquillage de danse et les musiciens. Immédiatement
Cambodgiens et a été inscrite en 2008 et des masques qui lui sont propres. La après la défaite du dictateur Pol Pot en 1979,
sur la Liste représentative du patrimoine gestuelle et les postures, dont la maîtrise des troupes de danse se sont reformées et
culturel intangible de l’UNESCO. exige des années de formation intensive, ont repris les représentations de l’ancien
Investie d’un rôle sacré et symbolique, la traduisent toute la gamme des émotions répertoire. Le ballet a quasiment retrouvé
danse incarne les valeurs traditionnelles de humaines, de la crainte à la rage, de l’amour sa splendeur d’antan grâce, en particulier,
raffinement, de respect et de spiritualité. à la joie. Un orchestre accompagne la danse, à la Princesse Bopha Devi et au Ministère de
Son répertoire immortalise les légendes tandis qu’un chœur de femmes commente la culture et des beaux-arts.

Patrimoine Mondial Nº68 107


Numéro spécial Sbek Thom

Le Sbek Thom
théâtre d’ombres khmer
Ministère de la culture et des beaux-arts du Cambodge

Sbek Thom, festival de la jeuness des arts vivants du Cambodge, 2010.


© Anders Jiras

108 Patrimoine Mondial Nº68


Sbek Thom
L
Sbek Thom, Cirque volant, Wat Bo, Siem Reap, 2010.
© Anders Jiras

e Sbek Thom est un théâtre Traditionnellement, les représentations


d’ombres khmer qui met avaient lieu la nuit, en plein air, aux abords
en scène de grandes d’une rizière ou d’une pagode.
marionnettes en cuir
ajouré et non articulées,
mesurant jusqu’à deux mètres de hauteur.
Antérieur à la période angkorienne, le Sbek par exemple être découpées dans le cuir variété de mouvements. La représentation
Thom est considéré, à l’instar du ballet royal d’une vache morte accidentellement ou est accompagnée d’un orchestre et de
et du théâtre masqué, comme un art sacré. naturellement et doivent être entièrement deux narrateurs. Les spectacles inspirés du
Les représentations, dédiées aux divinités, finalisées dans la journée selon un rituel Reamker, la version khmère du Rāmāyana
ne pouvaient avoir lieu qu’en des occasions propre. Les peaux sont colorées avec une (épopée de l’Inde), pouvaient s’étendre sur
spécifiques, trois à quatre fois par an, solution à base d’écorce de kandaol. L’artisan plusieurs nuits consécutives et nécessiter
comme le nouvel an khmer, l’anniversaire dessine la figurine voulue sur le cuir tanné, jusqu’à 160 marionnettes pour une même
du roi ou la vénération d’illustres puis la cisèle et la peint avant de la fixer sur représentation.
personnages. Affaibli après la chute deux tiges de bambou qui permettront au Quasiment anéanti sous le régime
d’Angkor au XVIe siècle, ce théâtre d’ombres danseur d’animer la marionnette. génocidaire des Khmers rouges, le Sbek
a dépassé le cadre cérémoniel, évoluant Traditionnellement, les représentations Thom renaît, en 1979, grâce à quelques
vers celui des représentations artistiques, avaient lieu la nuit, en plein air, aux abords rares artistes survivants. Les ensembles
sans toutefois perdre sa dimension rituelle. d’une rizière ou d’une pagode. Un grand de marionnettes, détruits pour la plupart,
Le Sbek Thom a été inscrit en 2008 sur la tissu blanc est tendu entre deux hauts sont peu à peu confectionnés de nouveau,
Liste représentative du patrimoine culturel mâts de bambou, devant un grand feu ou et les troupes se reforment. Par ailleurs, le
immatériel de l’humanité de l’UNESCO. – désormais – des projecteurs. La silhouette Ministère de la culture et des beaux-arts s’est
Les marionnettes sont taillées dans une de la marionnette est projetée en ombre fixé pour mission d’assurer la transmission
seule pièce de cuir selon un cérémonial chinoise sur cet écran blanc. Le manipulateur des connaissances, des techniques et des
spécifique à chaque personnage. Les lui donne vie en effectuant des pas de danse savoir-faire, notamment ceux liés à la
images des divinités Çiva et Vishnu doivent précis et spécifiques, lui insufflant ainsi une confection des marionnettes.

Patrimoine Mondial Nº68 109


Numéro spécial Tonlé Sap

Le succès de la
réserve de biosphère
Tonlé Sap
Paul Everingham
Centre for Wildlife and Environment, Koh Kong
(Avec nos remerciements au Ministère
cambodgien de l’environnement)

T
La forêt inondée du Tonlé Sap.
© C. Frank Starmer

onlé Sap (Grand Lac) est le caractéristiques uniques en réponse aux septentrionales du Cambodge, des chaînes
plus grand lac d’Asie du Sud- fluctuations saisonnières et hydrologiques de montagnes avoisinantes et du Mékong
Est et l’un des plus importants extrêmes. proprement dit, avec sa toile d’affluents et
écosystèmes des zones son immense delta.
humides au monde, en raison Une rivière qui inverse sa marche Deux millions de Cambodgiens
de ses qualités environnementales uniques Chaque année, à la saison des pluies, le dépendent directement de la richesse de la
et de son exceptionnelle biodiversité. niveau d’eau du Mékong monte et déborde pêche du lac Tonlé Sap pour vivre. En outre,
La diversité extraordinaire de la vie du dans la rivière Tonlé Sap qui, au lieu de une bonne moitié des besoins en protéines
lac Tonlé Sap a été documentée dès le drainer le lac comme elle le fait à la saison du Cambodge provient de la pêche annuelle
XIII e siècle par l’émissaire érudit chinois sèche, est forcée de changer de sens et de plus de 250 000 tonnes.
Zhou Daguan, qui a noté l’abondance de de « remonter » dans le lac. C’est ainsi la
poissons, grenouilles, tortues de terre et seule grande rivière au monde qui coule La protection des oiseaux
d’eau, lézards, crocodiles et mollusques dans les deux sens à différentes périodes La réserve abrite le plus grand fragment
dans le lac et dans ses environs. Les bas- de l’année. Cette crue annuelle fait monter encore existant d’une mégafaune aviaire qui
reliefs du temple angkorien du Bayon le niveau du lac de 1 à 1,5 m jusqu’à 8 à était autrefois répandue dans une grande
représentent plusieurs espèces de la faune 10 m et multiplie par cinq sa superficie, en partie de l’Asie du Sud-Est. À certaines
du grand lac, en particulier des poissons, recouvrant la plaine inondable. époques de l’année, la réserve foisonne
des crocodiles, des tortues et de grands Il est reconnu que le lac Tonlé Sap fait de dizaines de milliers de magnifiques
oiseaux aquatiques. partie des plus grands secteurs de pêche en cigognes, grues, ibis et pélicans. Elle
L’immense diversité de sa flore et de sa eau douce au monde. Les mouvements de héberge dix-sept espèces d’oiseaux en voie
faune comprend un nombre exceptionnel crues annuelles entraînent une migration d’extinction, dont le nombre est significatif
d’animaux, oiseaux et reptiles en voie importante et complexe, entrante et sortante, au plan international, et de nombreuses
d’extinction sur le plan mondial. De d’œufs, alevins, jeunes poissons et poissons autres espèces qui revêtent une importance
nombreuses espèces de ses plantes adultes. Ils migrent des rivières et des ruisseaux régionale. L’augmentation du nombre de
et types forestiers ont développé des de toutes les grandes plaines occidentales et ces oiseaux depuis que les efforts intensifs

110 Patrimoine Mondial Nº68


Tonlé Sap
Oiseaux aquatiques, village de Doun Sdoeng, Tonlé Chmmar. Pélicans.
© Heng Sokrith/CI © Simon Mahood/WCS

de surveillance et de protection ont débuté innovantes permettant de réconcilier le dé- ronnements de zones humides complexes,
en 1999 est l’une des plus belles réussites veloppement durable et la diversité biolo- riches en espèces, qui sont particulière-
au monde pour un projet de protection. gique et culturelle. L’accent est mis sur une ment susceptibles à la surexploitation de
Le lac Tonlé Sap et sa plaine d’inondation gestion complète, cherchant à développer leur grande productivité naturelle et éco-
ont été classés en octobre 1997 avec la et coordonner de bonnes politiques, une nomique. Cependant, en dépit de cette
mention Réserve de biosphère Tonlé Sap gestion efficace, la participation citoyenne tendance, l’écosystème de Tonlé Sap a fait
dans le cadre du Programme sur l’homme et et des méthodes scientifiques saines. preuve d’une résistance surprenante.
la biosphère de l’UNESCO, pour ensuite être Cette désignation hautement respectée La production de poissons a commencé
garantis par une loi cambodgienne en 2001. de l’UNESCO a permis d’attirer des à baisser en raison du niveau insoutenable
La réserve de biosphère comprend trois contributions utiles de la part d’ONG inter- des prises de pêche, mais pas à un degré
zones principales (chacune représentant nationales, d’institutions scientifiques et de subi ailleurs par d’autres zones de pêche
des écosystèmes uniques désignés pour la donateurs. La coordination cruciale entre les intensive. Certaines populations de
protection et la conservation à long terme), ministères pertinents et entre les instruments mammifères sont encore en déclin mais
six sanctuaires de poissons, quatre zones de gouvernementaux et les organismes d’autres espèces, notamment les oiseaux
protection de la biodiversité et neuf zones extérieurs a été fortement renforcée dans le aquatiques, prospèrent. De grandes zones
importantes pour la conservation des oiseaux cadre des réserves de biosphère. Elle a permis forestières et d’autres types d’habitat
(IBA) reconnues à l’échelle internationale. d’intensifier la gestion et la capacité de mise survivent dans un état relativement bon.
Ils se situent tous dans des zones étendues en œuvre à l’échelle locale et a garanti un Le Réseau mondial des réserves de bios-
dites tampons et de transition. degré élevé de participation citoyenne à tous phère de l’UNESCO, avec son accent sur
les niveaux décisionnels. la participation citoyenne, la science et la
Le cadre des réserves Partout, le monde naturel est soumis à gestion efficace, procure un cadre précieux
de biosphère d’intenses pressions exercées par l’expan- pour permettre au Cambodge de continuer
Les réserves de biosphère sont des sion rapide de la population humaine et à satisfaire les besoins de sa population tout
sites établis par des pays et reconnus par de ses besoins de consommation. Cet état en protégeant l’un des plus grands trésors
l’UNESCO pour promouvoir des méthodes de fait est spécialement vrai pour des envi- naturels au monde.

Patrimoine Mondial Nº68 111


Numéro spécial Mémoire du Monde au Cambodge

Mémoire du Monde
au Cambodge
Helen Jarvis
Conseillère du Gouvernement royal du Cambodge
Membre du Comité consultatif international du
Programme mémoire du monde de l’UNESCO

L
Exposition de photos.
© Bureau de l’ UNESCO de Phnom Penh

‘objectif premier du et autres matériaux, dont l’écorce de de caractères khmers furent fabriquées en
Programme de mémoire du mûrier utilisée durant la période d’Angkor) France en 1877 et les premières œuvres
monde de l’UNESCO consiste parvenus jusqu’à nous datent seulement littéraires firent leur apparition à Phnom
à reconnaître, protéger et de la deuxième moitié du XIXe siècle, bien Penh au cours des deux premières décennies
offrir un accès au patrimoine que certains contenus, constamment du XXe siècle.
documentaire de l’humanité. Créé en recopiés et parfois remaniés, pourraient Au XXe siècle, de nouvelles technologies
1992, cet important programme complète remonter au XII e siècle. Ces documents de l’information furent introduites dans le
deux grandes conventions de l’UNESCO servaient principalement à communiquer pays, sous forme de microfilms, cassettes
consacrées au patrimoine : la Convention les décrets, règlements ou exploits des audio, cassettes vidéo, films, programmes
du patrimoine mondial et la Convention rois et à transmettre et conserver les textes télévisés et bandes dessinées. Au cours
du patrimoine culturel immatériel de religieux. des années 1950 et 1960, le roi Norodom
l’humanité. Si l’écriture khmère trouve sans doute Sihanouk encouragea la production
La tradition de l’écriture est parti- son origine dans l’alphabet brahmi de cinématographique, la radio nationale et,
culièrement ancienne au Cambodge. Si le l’Inde du Sud (à l’instar des anciens mon, par la suite, la télévision du Kampuchéa
pays possède de nombreuses inscriptions java, cham, thaï, lao, dérivés également de connut également un essor.
sur pierre datant du VIe siècle (rédigées l’écriture khmère, mais aussi le myanmar La guerre décima le secteur de l’édition
en sanskrit et en khmer ancien), on pense dérivé de l’écriture mon et de l’écriture de de Phnom Penh ainsi que bien d’autres
toutefois que ses premiers textes (écrits sur nombreuses autres langues indiennes), activités. Durant la période des Khmers
des peaux d’animaux et aujourd’hui, hélas, elle possède néanmoins sa propre histoire rouges (1975 à 1979), la grande majorité des
disparus) remonteraient à la période Fou- depuis plus de 1 100 ans. publications fut remplacée par des journaux
nan (IVe siècle). On pense aujourd’hui que des documents officiels contenant des chansons, des
Même si l’on sait qu’ils avaient cours sur papier, écrits à l’encre, auraient été créés poèmes ou des nouvelles. Seules quelques
durant l’époque angkorienne, les plus dès le début du XIXe siècle pour traiter les âmes courageuses osèrent défier l’autorité
anciens manuscrits (sur feuilles de palmier affaires du palais. Les premières polices en continuant à écrire en cachette.

112 Patrimoine Mondial Nº68


Mémoire du Monde
Carnets.
© Bureau de l’ UNESCO de Phnom Penh

Archives. Négatifs.
© Bureau de l’ UNESCO de Phnom Penh © Bureau de l’ UNESCO de Phnom Penh

Suite à la chute des Khmers rouges le permettant de mieux comprendre le rôle Chambres extraordinaires au sein des
7 janvier 1979, l’on entreprit de reconstruire qu’a joué S21 (principale prison et centre tribunaux cambodgiens pour le génocide,
la société cambodgienne et ses infrastruc- d’interrogatoire du régime des Khmers les crimes contre l’humanité et les crimes
tures et de reconstituer le patrimoine docu- rouges). On estime aujourd’hui que plus de guerre. Ils attestent de l’inhumanité
mentaire du pays. de 15 000 prisonniers furent détenus avec laquelle l’homme peut traiter ses
dans cet ancien lycée et que seule une semblables et constituent un exemple
Les archives du Musée de poignée d’entre eux survécut. Ces archives parmi les plus extrêmes de crimes contre
Tuol Sleng sur le Registre contiennent également des photographies l’humanité commis au XXe siècle dont
de la mémoire du monde de plus de 5 000 prisonniers, ainsi que des l’impact sur l’histoire du monde a été
Le Comité national du Cambodge pour « confessions », souvent arrachées sous la considérable.
la mémoire du monde est encore en cours torture, et diverses données biographiques Les archives du Musée du génocide
d’élaboration, mais le pays participe déjà concernant les prisonniers, leurs gardiens de Tuol Sleng apportent un témoignage
à de nombreuses activités connexes aux et les fonctionnaires chargés de la sécurité unique au niveau international, des
niveaux national, régional et international. du site à cette époque. crimes qui se déroulèrent au Cambodge
En juillet 2009, les archives du Musée du Les archives de Tuol Sleng nous offrent de 1975 à 1979 et de la tragédie que
génocide de Tuol Sleng furent inscrites sur aujourd’hui un témoignage exceptionnel vécut ce pays. De nombreux documents
le Registre international de la mémoire, suite du système pénitentiaire du Kampuchéa qui y sont conservés figurent désormais
à l’inscription du musée au Registre de la démocratique au sein duquel 2 à sur des couvertures de livres et de DVD,
mémoire du monde de l’Asie et Pacifique 3  millions de personnes (soit 25 à 30 % des affiches de films, des brochures
en 2008. Cette inscription constituait la pre- de la population) perdirent la vie au cours touristiques et des catalogues d’exposition.
mière (et à ce jour l’unique) inscription cam- d’une période de trois ans, huit mois et Les archives et le musée proprement dit
bodgienne de ce registre. vingt jours. Ces importants documents sont gérés par le Département des musées
Les archives de Tuol Sleng réunissent des feront désormais office de preuves dans du ministère de la culture et des beaux-arts
photographies ainsi que divers documents les procès des responsables jugés par les du Gouvernement royal du Cambodge.

Patrimoine Mondial Nº68 113


SLOVAQUIE
La Slovaquie, un pays dont la nature est de toute beauté et qui possède un patrimoine culturel diversifié et d’une richesse extraordinaire, est présente sur la
Liste du patrimoine mondial depuis vingt ans. Cet espace multiculturel au cœur de l’Europe a été formé à la croisée des anciennes routes du commerce, en
PUBLIREPORTAGE

contact immédiat avec l’Empire romain. En outre, grâce à cette situation, la Slovaquie moderne, imprégnée d’un esprit de diversité culturelle et naturelle,
vous permet de rencontrer par exemple l’autel en bois gothique le plus haut du monde (dans l’église St Jacques de Levoča, d’une hauteur de 18,6 m), l’Hôtel
de la monnaie de Kremnica en fonctionnement continu depuis 1328 ou le geyser d’eau froide d’Herľany, de visiter la plus grande zone karstique d’Europe
centrale (environ 1100 grottes et failles), la seule grotte d’aragonite en Europe à Ochtiná, de faire l’expérience de la tradition préservée du rafting sur des
radeaux en bois, voire d’escalader le sommet le plus élevé des Carpates (Gerlach 2 655 m) et bien d’autres choses encore. Des promenades dans des villes
historiques, des villages pittoresques, des parcs nationaux et des zones protégées peuvent s’associer à des visites de nombreux musées et galeries d’art,
où parmi d’autres objets, vous pourrez admirer la précieuse sculpture de la Vénus de Moravany, une statuette d’une femme remontant à environ 22 800 ans
avant notre ère.

Levoča, Spišský hrad (le château de Spiš)


et les monuments culturels associés
constituent un complexe unique de
paysages et d’architecture urbaine
médiévale, qui représente le pouvoir
politique, ecclésiastique et administratif
de Spiš, une région d’importance
historique au nord de la Slovaquie.

© Monuments Board of the Slovak Republic

© Monuments Board of the Slovak Republic © Monuments Board of the Slovak Republic

La ville de Banská Štiavnica et les monuments techniques uniques des Vlkolínec est une commune médiévale, remarquablement préservée au fil
mines de ses environs représentent un complexe urbain exceptionnel et des âges, avec des maisons en rondins, à l’architecture typique des zones
complet, formé depuis le Moyen Âge. montagneuses dans le parc national Veľká Fatra.

Forêts primaires de hêtres des Carpates et forêts anciennes de hêtres Grottes du karst d’Aggtelek et du karst de Slovaquie La grotte de glace
d’Allemagne Ces forêts tempérées complexes non perturbées présentent Dobšinská est l’une des grottes les plus magnifiques de Slovaquie et l’une
les modèles écologiques les plus complets et détaillés et les processus de des premières grottes au monde éclairées électriquement. Le caractère de sa
peuplement des hêtres européens. glaciation la place parmi les grottes de glace les plus importantes au monde.

Slovak Commission
for UNESCO
Slovenská komisia
United Nations
Educational, Scientific and pre UNESCO
Slovak Commission
Cultural Organization for UNESCO
Organizácia Slovenská komisia
United Nations
spojených národov pre
Educational, Scientific and pre UNESCO
výchovuCultural
a vzdelávanie,
Organization
vedu a kultúru
Organizácia
spojených národov pre
Commission slovaque
výchovu a vzdelávanie,
vedu a kultúru pour l’UNESCO
Hlboká cesta 2
833 36 Bratislava –Slovaquie
Tel : +421 2 5978 3614, 3615
Fax : +421 2 5978 3659
e-mail : unesco@mzv.sk
© Miroslav Buraľ © Michal Rengevič (Archive of the Slovak Caves Administration, Liptovský Mikuláš)
website : www.mzv.sk
NIO MUN
MO D
RI

PFD

IA
PA

L

NDIAL •
W O RLD H

MO
E
IT

E
R
AG I

N
E O

P ATRIM PUBLISHING
FOR DEVELOPMENT
Organisation Patrimoine du
Convention
des Nations Unies patrimoine
mondial mondial

Bulletin d’abonnement
pour l’éducation,
la science et la culture

Chers amis du patrimoine mondial,

La revue Patrimoine Mondial est éditée conjointement par l’UNESCO et Publishing for Development et est
publiée quatre fois par an en anglais, français et espagnol. Un point sur l’actualité et des dossiers offrent aux
lecteurs une information détaillée sur la préservation des sites naturels et culturels les plus importants au
monde. La publication est conçue pour diffuser et mettre en valeur l’action et l’engagement de l’UNESCO en
faveur du patrimoine mondial, notre héritage du passé, notre responsabilité pour le présent et notre devoir
pour les générations futures.

En vous abonnant à Patrimoine Mondial vous contribuez à la prise de conscience concernant la nécessité de
préserver notre héritage commun.

BULLETIN D’ABONNEMENT PATRIMOINE MONDIAL

Formules d’abonnement :
Durée : 1 an (quatre numéros) 2 ans (huit numéros)
Édition : française anglaise espagnole

Le coût de l’abonnement annuel est de 27 € (54 € pour deux ans) pour l’Europe et de 37 US$ (74 US$ pour deux ans)
pour le reste du monde, frais d’envoi inclus.

Coordonnées :
Nom Téléphone
Organisation Fax
Adresse E-mail

Code postal
Ville, province
Pays

Règlement :
Chèque (à l’ordre de DL SERVICES)

Virement bancaire
Titulaire bancaire : DL SERVICES
Nº de compte : 001-4460599-33
Nom de la banque : FORTIS BNP
Code Swift : GEBABEBB
Code Iban : BE79 0014 4605 9933

Carte bancaire
Visa ou Mastercard Nº de carte bancaire : .............../................./................/................../
Date de validité : .............../................./
Code de sécurité : ..........................................

Date et signature : .............................. .

Où retourner votre bulletin d’abonnement :


DL SERVICES
Avenue du Roi 202
B 1190 Bruxelles (Belgique)
Tel : +32 2 538 43 08 l Fax : +32 2 538 08 41
E-mail : subscriptions@dl-servi.com

Patrimoine Mondial Nº68 115


Prochain numéro

Prochain numéro
Paysage culturel de la province de Bali : le
système des subak en tant que manifestation de la
philosophie du Tri Hita Karana (Indonésia).
© Johan Wieland

Dossier : Patrimoine mondial


et paysages agricoles

Les paysages agricoles témoignent de l’interaction


entre l’homme et la terre depuis des siècles, offrant
souvent des exemples uniques de la coexistence de
l’homme avec la nature et de l’influence que chacun
exerce sur l’autre. Ils sont la preuve d’une riche diversité Paysage culturel du pays konso (Éthiopie).
© Ttrees For The Future
de la culture et des paysages, de systèmes durables
d’aménagement des sols et, dans certains cas, du combat quotidien
des populations pour survivre dans des conditions climatiques et où les mondes spirituels, humains et naturels se conjuguent dans
environnementales extrêmes. une philosophie qui a façonné le paysage tout en garantissant une
production prolifique de riz, sont tous des exemples exceptionnels
Les plantations de café du XIXe siècle à Cuba, la plaine de Stari Grad d’une interaction durable et harmonieuse.
en Croatie, où le raisin et les olives sont récoltés depuis l’antiquité
grecque, le paysage culturel de Konso en Éthiopie, où des villages Ce numéro présentera également les nouveaux sites inscrits au
fortifiés témoignent d’une tradition culturelle vivante remontant à patrimoine mondial durant la 37e session du Comité du patrimoine
vingt et une générations et adaptée à un environnement hostile, mondial, session qui aura lieu du 16 au 27 juin 2013 à Phnom Penh,
et le système de gestion de l’eau des subak à Bali, en Indonésie, au Cambodge.

Patrimoine Mondial Nº68 115


Sites du patrimoine culturel mondial
au Kazakhstan et mesures prises par
PUBLIREPORTAGE

l’État pour leur sauvegarde

Situé au cœur du continent eurasien, le Kazakhstan est à la croisée 000 monuments historiques et archéologiques ont été enregistrés sur le
des chemins des civilisations anciennes, à l’intersection d’axes routiers territoire du Kazakhstan ; 218 d’entre eux ont été inclus dans le registre de
majeurs, de religions mondiales et de relations économiques, culturelles et l’État sur les monuments historiques et culturels d’importance nationale ;
idéologiques entre l’Est et l’Ouest. De nombreux états ont vu le jour sur les fonds du musée et les expositions comportent plus de 2,56 millions
le territoire du Kazakhstan avec chacun une histoire et un développement d’artefacts culturels. Une vue d’ensemble de Madeni Mura est consultable
bien distincts ; en témoignent les riches trésors de monuments historiques, sur la base de données en ligne lancée par le Ministère de la culture et de
d’artefacts culturels, de manuscrits anciens contenant un legs profond et l’information du Kazakhstan en versions kazakh, russe et anglaise (www.
spirituel du Kazakhstan moderne. madenimura.kz) où l’on trouve des photographies illustrées, des vidéos, du
matériel d’archives, des travaux de recherche ainsi que des informations sur
Depuis son accès à l’indépendance en 1991, le gouvernement du les travaux de restauration et des travaux archéologiques.
Kazakhstan a commencé à élaborer des actes législatifs et des politiques
nationales sur la sensibilisation et la préservation du patrimoine culturel Dans le cadre du programme national et de la coopération entre le
et à adhérer aux instruments internationaux pertinents. Le renouveau Kazakhstan et l’UNESCO, trois sites parmi les plus prééminents du
de l’héritage culturel profond et diversifié a débuté avec l’adoption de patrimoine culturel et naturel du Kazakhstan ont été inscrits sur la Liste
la Convention relative à la protection du patrimoine culturel et naturel du patrimoine mondial : le Mausolée de Khoja Akhmed Yasawi (2003), les
mondial (1972) par la République du Kazakhstan en 1994. Depuis lors, le Pétroglyphes du paysage archéologique de Tamgaly (2004), les steppes de
Ministère de la culture et de l’information du Kazakhstan, de concert la Saryarka ainsi que les lacs du Kazakhstan septentrional (2008).
avec les institutions nationales, les organisations affiliées, les grands
spécialistes, les chercheurs et les communautés impliquées ont entamé Le Mausolée de Khoja Akhmed Yasawi constitue un chef-d’œuvre de
une étroite collaboration avec l’UNESCO, l’ICOMOS et l’ICOM. créativité humaine, un prototype inspiré de l’architecture traditionnelle
d’Asie centrale datant de la période timouride. Le Mausolée et les restes
Le Président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbayev, a initié entre 2004- alentours de l’ancienne cité du Turkestan (Yasy) ont pour but de célébrer
2011 une étape révolutionnaire avec le lancement du Programme National l’héritage historique du développement interconnecté des civilisations
Madeni Mura (Patrimoine Culturel). Dans le cadre de ce programme, de d’Asie centrale, l’avancée de l’islam et du soufisme dans la région et le
nombreux travaux de recherche et de restauration, des études scientifiques caractère majestueux de la Grande route de la Soie.
sur le terrain ainsi que des expéditions archéologiques ont été organisés au
niveau des sites historiques, des monuments, des musées et des archives Les pétroglyphes du paysage de Tamgaly constituent un paysage
du Kazakhstan et des États étrangers. À la lumière des travaux menés, un archéologique unique comportant un groupe de 5 000 pétroglyphes – ce
nombre considérable de volumes littéraires et de collections musicales ont sont des images de haute qualité du début de l’âge du bronze qui datent
été publiés et de nombreux documentaires ainsi que des programmes de de près de 1400-1300 avant J.-C. Ce vaste répertoire d’images est composé
télévision et de radio ont été diffusés par le biais des médias nationaux et d’un nombre important, de formes uniques, d’éléments de mode de vie
internationaux. Au cours de la mise en œuvre du programme, plus de 25 pastoral traditionnel, de divinités solaires ainsi que de thèmes animaliers

Commission nationale du Kazakhstan


pour l’UNESCO et l’ISESCO
http://unesco.natcom.kz Address: 31 Dinmukhamed Kunayev street,
Astana 010000, Republic of Kazakhstan
Tel.: +7 7172 720327/ 720320/ 720197
Fax.: +7 7172 720327
Email: a.utegenova@mfa.kz (SG);
b.khabibulla@mfa.kz; zh.shaimenova@mfa.kz
de créatures zoomorphes portant de la fourrure. Le chef-d’œuvre clé de Outre cette loi fondamentale, on trouve divers actes législatifs sur la
l’iconographie des roches est représenté par l’image d’une divinité solaire protection du patrimoine national, telle que la loi sur les territoires naturels
à sept têtes. spécialement protégés (2006), la loi sur l’architecture, la loi sur les activités
de planification urbaine et de construction (2001), la loi sur la culture
Les steppes et les lacs de la Saryarka constituent un patrimoine culturel (2006), la loi sur la protection et l’exploitation du patrimoine historique
et naturel mixte du Kazakhstan étant donné que le territoire rencontre et culturel (1992). Au niveau des moyens exécutifs et de surveillance,
deux réserves naturelles d’État, celle de Naurzum et celle Korgalzhyn, dont certains programmes, règlements et instructions ont été élaborés par
la superficie totale est de 450 344 ha. On y trouve une zone protégée avec l’État conjointement avec les universités affiliées, les institutions, les ONG,
de nombreuses espèces de flore et de faune, espèces rares et en danger, les grands experts et chercheurs ainsi que des groupes et communautés
telles que les flamants roses, les saiga tatarica, les bihoreaux violacés, les concernés.
pélicans, les érismatures à tête blanche, les martres, les chevreuils, les
élans, les faucons pour n’en citer que quelques-uns. Ces dernières années, eu égard au taux d’urbanisation élevé, le
gouvernement du Kazakhstan a encouragé et financé des projets
Hormis les sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco, le territoire archéologiques et scientifiques à grande échelle, dont l’objectif est de
du Kazakhstan est riche en monuments historiques exceptionnels, en découvrir de nouvelles traces de l’histoire et de la culture kazakhes. Un
sites archéologiques et en sites naturels, tels que le canyon de Charyn système de délivrance de permis pour les travaux d’archéologie et de
– deuxième canyon au monde par la taille –, la nécropole de Beket Ata, restauration scientifique constitue un outil efficace pour assurer une
les mausolées d’Aisha Bibi et de Babadja Hatun, les cités et les colonies participation importante de toutes les parties concernées. L’accréditation
anciennes de la Route de la Soie – Sarayshik, Bozok, Otrar et bien d’autres d’institutions d’Etat, de groupes d’experts et d’ONG se fait en tenant
sites naturels – Burabay, Bayan Auyl, Karkaraly ainsi que de nombreux compte de facteurs tels que les équipes de recherche, l’expérience sur
autres sites magnifiques ayant une valeur universelle. le terrain, le système de mise en réseau avec les acteurs locaux et les
partenaires internationaux, les infrastructures connexes et l’équipement.
Un système national de réglementations juridiques sur la préservation, De façon générale, les mesures étatiques dans le cadre de la relance,
la recherche, la protection et la promotion du patrimoine culturel est la protection et la sensibilisation du patrimoine culturel kazakh,
fondé sur des dispositions particulières de la Constitution, du Code Civil conformément aux instruments juridiques internationaux et nationaux,
qui règlent les questions ayant trait aux biens immobiliers ; le code foncier apportent une base solide sur laquelle s’appuieront les initiatives futures.
qui surveille l’utilisation et le statut de zones déterminées, la loi sur l’octroi
de permis qui définit les procédures et les conditions selon lesquelles les Natalia Voyakina – avocate, experte dans le domaine de la
licences sont attribuées pour les travaux archéologiques et les travaux de préservation et de l’utilisation du patrimoine historique et culturel
restauration, le code des infractions administratives et le code pénal qui de la République du Kazakhstan et de la CEI ; chercheur scientifique
régit la responsabilité des crimes et des délits en rapport avec le patrimoine à l’Institut d’archéologie portant le nom d’A.Margulan.
culturel. E-mail: nvoyakina@inbox.ru

Patrimoine mondial
au Kazakhstan
le pays du feu

Bakou,
Atashgah
Depuis l’Antiquité, le feu est considéré comme sacré et le culte du feu a toujours été protégé en Azerbaïdjan. Le nom « Azerbaïdjan »
est composé de deux mots : « azer », qui signifie feu, et « baïdjan », qui signifie protecteur. Ainsi l’Azerbaïdjan, est le pays de la
protection du feu. L’un des symboles anciens qui désigne l’Azerbaïdjan comme le pays du feu est le temple « Atashgah ». Les origines
historiques du monument nous ramènent à l’époque de la création de l’État initial d’Azerbaïdjan, alors que la religion prédominante
était le zoroastrisme. Le temple « Atashgah », qui s’est développé en premier lieu aux IIe et IIIe siècles dans la ville de Surakhani,
sur la péninsule Absheron, à 30 kilomètres du centre de Bakou, a été construit par des croyants de la religion zoroastrienne, où
le gaz naturel brûlait sur place avec des flammes éternelles inextinguibles. Les zoroastriens estimaient que le feu était sacré et lui
adressaient leurs prières afin d’être protégés des catastrophes et de la tyrannie, pour vivre heureux, dans la paix.
La deuxième période du développement du temple s’est déroulée du XVIe au XVIIe siècle. L’Azerbaïdjan se trouvant sur la Grande
route de la soie, d’importantes relations commerciales et culturelles se sont établies avec d’autres pays à cette époque. De nombreux
pèlerins y sont venus et avec l’augmentation du nombre de zoroastriens et d’adorateurs du feu, le temple a été restauré. L’édifice
dans son ensemble, qui rappelle un caravansérail, est en forme de pentagone fermé, comportant 24 cellules et un autel central. L’un
des symboles du Bakou contemporain, les « Flame Towers », trois tours en forme de langues de feu, rappellent à tous que cette
contrée est le Pays du feu, où habitent des gens colériques et accueillants.

Dans les photos sont représentés « Icharisheher » (site du patrimoine mondial de l’UNESCO), les Flame Towers, la promenade de la mer de Bakou, ainsi que le
temple du feu « Atashgah ». Auteur : Farid Khayrulin.

Vous aimerez peut-être aussi