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Futuropa

pour une nouvelle vision du paysage et du territoire


Revue du Conseil de l’Europe n o 1 / 2008 – Français

Paysage
Territoire
Nature
L’habitat rural vernaculaire,
Culture
Patrimoine un patrimoine
Être humain dans notre paysage
Société
Développement durable
Éthique
Esthétique
Habitant
Regard
Inspiration
Genius loci
o
n 1 – 2008

Futuropa Éditeurs responsables


Robert Palmer
Directeur de la culture et du patrimoine
naturel et culturel du Conseil de l’Europe
Daniel Thérond
Directeur adjoint de la culture
et du patrimoine culturel et naturel
du Conseil de l’Europe

Editorial Directeur de la publication


Maguelonne Déjeant-Pons
Gabriella Battani-Dragoni ..............................................................................3 Chef de la Division du patrimoine culturel,
du paysage et de l’aménagement du
territoire du Conseil de l’Europe
Présentation
Le patrimoine rural vernaculaire : du passé vers le futur avec la collaboration de
Alison Carwell, Administratrice, Division
Franco Sangiorgi ..............................................................................................4 du patrimoine culturel, du paysage
et de l’aménagement du territoire
du Conseil de l’Europe
L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe Pascale Doré, Assistante, Division
du patrimoine culturel, du paysage
Fermes et paysages néerlandais : l’architecture vernaculaire et de l’aménagement du territoire
du « bas pays » Ellen Van Olst ....................................................................6 du Conseil de l’Europe
L’architecture industrielle de la vallée du Llobregat en Espagne : un précieux Conception et rédaction
paysage culturel en transformation Joan Ganyet i Solé .............................8 Barbara Howes
Sarah Haase
L’architecture vernaculaire dans « l’ex-République Yougoslave de Macédoine » Joseph Carew
Victoria Momeva-Altiparmakovska ..............................................................9
Conseillère spéciale
Patrimoine rural vernaculaire et société en France Brigitte Sabattini .....10 Stella Agostini,
Institut d’ingénierie agraire,
Les petits monuments sacrés, éléments indispensables du paysage, non Université d’études de Milan, Italie
seulement en République Slovaque Pavlina Misikova ...............................12
Imprimeur
Le paysage rural norvégien et son patrimoine architectural Bietlot – Gilly (Belgique)
Even Gaukstad ..............................................................................................13
Les textes peuvent être reproduits
Le patrimoine vernaculaire en Roumanie Gheorghe Patrascu .................14 librement, à condition que toutes
les références soient mentionnées
Architecture vernaculaire rurale du paysage maltais Ernest Vella ...........15 et qu’une copie soit envoyée à l’éditeur.
Tous droits de reproduction des
Nouvelles approches des fermes historiques Jeremy Lake ........................16 illustrations sont expressément réservés.
Croatie : l’exemple du vieux village de Posavski Bregi Silvija Nikšić ........17
Les opinions exprimées dans
cette publication n’engagent que
Points de vues la responsabilité de leurs auteurs
et ne reflètent pas nécessairement
Ferme et paysage en Allemagne : une nouvelle vie pour les bâtiments ruraux les vues du Conseil de l’Europe.
Peter Epinatjeff ..............................................................................................18
© Couverture par Manus Curran
Caractéristiques de l’habitat vernaculaire dans la culture russe (gmoods@eircom.net), Abbaye
Saint Coleman, Inishbofin, Irlande
Marina Kuleshova et Tamara Semenova ..................................................20
Agriculture, terre et identité populaire en Italie Stella Agostini................22
Ce numéro a été imprimé avec le soutien
Le Projet de coopération transnationale du Réseau des paysages fermiers financier du Ministère de l’Education et de
des îles européennes Graham Drucker ......................................................24 la Culture de la Hongrie et de l’Office
fédéral de l’environnement de la Suisse

Ailleurs dans le monde


M a r i na K u le sho v a

Influences vernaculaires européennes en Argentine Jorge Tomasi ...........25


Paysage rural dans le sud-est du Brésil : la région métropolitaine
de Campinas Maria Elena Ferreira Machado...........................................26
Un exemple d’architecture vernaculaire au Pérou : l’architecture européenne
de Lima aux XIXe et XXe siècles Fanny Montesinos Sandoval ................27
Arquitectura Mestiza dans les Philippines espagnoles de l’époque coloniale
Vincent Pinpin ...............................................................................................28

Le rôle des organisations internationales


UNESCO – L’architecture rurale vernaculaire : un patrimoine méconnu
et vulnérable Marielle Richon ....................................................................29
Conseil de l’Europe – Une lecture croisée des Conventions de Grenade
et de Florence : une alliance du patrimoine architectural et du paysage
Maguelonne Déjeant-Pons ...........................................................................30
Habitation vernaculaire au sud de la Russie
ICOMOS – Une Charte de l’architecture vernaculaire Marc de Caraffe ....31
E d i t o r i a l

L’habitat rural vernaculaire,


un patrimoine dans notre paysage
C

Service photo du Conseil de l’Europe


Dans toute l’Europe, les paysages ruraux sont aimés On comprendra, devant ces deux
pour leur beauté et leur diversité, et nombre d’Européens phénomènes, que la pire des
savourent les occasions de séjourner dans des régions menaces qui pèsent sur cette forme
plus traditionnelles et préservées que leur cadre de vie de patrimoine est en fait sa sous-
habituel. De fait, le monde rural dans son ensemble estimation générale. Elle est longtemps
constitue un élément inestimable de notre patrimoine, et restée le « parent pauvre » du patrimoine,
c’est à travers l’architecture vernaculaire que s’incarne peut-être ignorée au profit de monuments plus
et se perpétue l’identité propre à une région. Au-delà prestigieux ou de régions à la beauté particulièrement
de sa valeur esthétique, cette architecture offre un frappante. Les habitants quant à eux, même s’ils
aperçu unique et irremplaçable de certains aspects du apprécient leur patrimoine bâti, ne le reconnaissent pas
patrimoine immatériel : les réponses apportées aux toujours à sa juste valeur car il leur est trop familier.
conditions de vie locales, qu’il s’agisse des techniques, Dans ce domaine, la Convention du paysage du Conseil
des savoir-faire ou des modes d’organisation de la vie de l’Europe s’avère pionnière en matière de protection
sociale. du patrimoine : elle souligne l’importance de prendre en
compte et de protéger tous les types de paysages.
Malgré son immense valeur, le patrimoine rural
vernaculaire est menacé sur plusieurs fronts. L’habitat rural n’est certainement pas une pièce de
L’homogénéisation économique, culturelle et musée. Il n’est pas immuable, il n’est pas une curiosité à
architecturale d’un secteur agricole désormais mondialisé emballer dans du papier de soie. Pour le préserver, il faut
est pour beaucoup dans l’évolution actuelle de l’habitat à la fois l’adapter pleinement au quotidien des habitants
rural. Il est souvent plus commode, à court terme, d’aujourd’hui et conserver les pratiques et les modes
d’opter pour des solutions modernes et sans caractère de vie locaux. Les bâtiments abandonnés peuvent être
plutôt que de rénover des bâtiments endommagés ou réaménagés et trouver une nouvelle vie, en particulier
d’en construire de nouveau dans le respect des traditions pour exploiter le potentiel économique que représente
locales. Le dépeuplement des campagnes, lui aussi dû en le tourisme rural. L’architecture vernaculaire, de par sa
partie à l’industrialisation de l’agriculture, rend inutiles nature, se compose rarement de sites isolés : il est donc
des bâtiments parfois abandonnés à des habitants souhaitable de mettre en réseaux les sites ayant des
qui n’ont pas conscience de leur valeur ou ne s’en points communs, aidant ainsi à mobiliser les soutiens en
préoccupent guère. faveur de leur préservation. Une telle politique offre en
outre l’occasion de mettre en commun les expériences.

La présente édition de la revue « Futuropa » du Conseil


de l’Europe réunit des articles rédigés par des experts
de premier plan, d’Europe et du reste du monde. C’est
en attirant l’attention sur cet aspect crucial de notre
patrimoine et en encourageant la coopération à tous les
niveaux – du local à l’international – que nous réussirons
à ne pas perdre ce lien essentiel avec notre passé, mais
au contraire à le transmettre, intact et bien vivant, aux
générations futures.

Gabriella Battaini-Dragoni
Directrice Générale de l’Education,
de la Culture et du Patrimoine,
de la Jeunesse et du Sport
du Conseil de l’Europe

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G io van n i C asc o n e
P r é s e n t a t i o n

Le patrimoine rural vernaculaire :


du passé vers le futur
Qu’est-ce que le patrimoine en zone ferme et des demeures conçues pour des patrimoine culturel qui mérite d’être pré-
rurale ? Des éléments d’architecture et dizaines d’habitants. L’Italie compte plus servé. À l’évidence, il n’est pas question
de paysage tels qu’habitations et unités de 5,5 millions de ces bâtiments ruraux, de reconstruire un scénario historique
de production (étables, porcheries, silos dont 1,5 million sont aujourd’hui com- contredisant les modes de production
ou granges), qui sont nés et ont évolué au plètement à l’abandon. modernes. La richesse et la diversité du
fil du temps jusqu’à ce que la mécanisa- Là où, par le passé, les techniques et les paysage traditionnel, préservées grâce
tion, fruit du développement industriel, matériaux étaient strictement locaux, aux soins constants des paysans, exige-
n’altère de façon irréversible les relations obéissant à une tradition spécifique, les raient un énorme engagement et un style
entre les hommes et leur terre et ne fasse nouvelles technologies et l’évolution des de vie incompatible avec les tendances
diminuer les besoins en main-d’œuvre. méthodes de construction ont introduit sociales actuelles.
Les localités rurales traditionnelles sont des styles et des éléments totalement
la meilleure synthèse de l’aptitude des étrangers à l’environnement local. Le

Giovan n i C asc on e
hommes à modifier l’environnement à neuf l’emporte sur l’ancien et s’impose
leur avantage le plus rationnellement pos- dans le paysage environnant, avec un très
sible ; c’est de la structure de l’agriculture fort impact visuel car il ignore les typolo-
que naissent les éléments caractéristiques gies, les structures et les techniques de
du paysage. construction locales. Le scénario qui en
Divers facteurs déterminent la forme des résulte est répétitif : d’immenses han-
bâtiments : limites imposées par les res- gars préfabriqués dominent les ruines de
sources locales, productivité de la ferme vieilles fermes historiques. Les nouveaux
elle-même et constructions exigées par bâtiments incarnent une architecture née
le système de cultures. L’agencement avec l’industrialisation, internationale et
dépend de considérations environne- sans frontières, qui fait en général peu de
mentales et sociales, dont le souci de cas des caractéristiques locales.
sécurité.
Les matériaux, formes et volumes récur- Les bâtiments traditionnels ruraux sont à
rents, toujours liés aux conditions loca- la fois la cause et la conséquence d’un pay-
les, définissent des styles d’architecture sage donné. Le paysage agricole n’a rien
spécifiques qui deviennent représentatifs d’un paysage naturel : créé par l’homme,
du lieu. il reflète l’évolution des politiques en
matière d’agriculture. Afin d’abaisser les
S’agissant du climat, la structure cher- coûts de production, on modifie radica-
che à tirer le meilleur parti possible des lement les limites des champs, boulever-
conditions atmosphériques locales ; par sant un paysage qui se fait de plus en plus
exemple, les façades orientées au sud simplifié.
sont grandes, avec de larges galeries, tan- Les prairies et les marécages sont suppri-
dis que les murs orientés au nord sont més ; l’augmentation de la taille des par-
plus épais. celles nécessite d’immenses mouvements
Il n’est pas rare que des fermes construi- de terre. Les haies et les alignements végé-
tes il y a plus de mille ans aient été réno- taux sont détruits. Les bâtiments ruraux
vées et adaptées au cours des siècles pour traditionnels sont tout ce qui reste d’un
répondre à l’évolution des pratiques agri- paysage désormais appauvri.
coles ; une anomalie, si on les compare Ainsi, la réhabilitation ne devrait pas por-
à d’autres bâtiments utilitaires dont la ter que sur les bâtiments, mais aussi sur
durée de vie coïncide avec l’activité qui les éléments végétaux, et s’accompagner
les a engendrés. de l’idée d’une agriculture durable et res-
Si la communauté internationale s’inté- pectueuse, clairement à l’encontre de
resse aujourd’hui au patrimoine rural, l’économie de la démesure qui constitue Ferme en Sicile, Etna en arrière-plan
c’est à cause de son état général de déla- la tendance actuelle.
brement, dont les causes sont à la fois Le patrimoine rural englobe bâtiments
économiques, sociales et culturelles. et paysage, et sa sauvegarde suppose La réhabilitation des bâtiments anciens
Le système de production, autrefois de porter une attention particulière aux et leur réutilisation à des fins contempo-
fondé sur une rotation complexe des changements nécessaires pour valoriser raines passent par une évaluation appro-
cultures, repose maintenant sur une les caractéristiques locales. Cela demande fondie des points suivants :
monoculture qui laisse les champs à nu une approche commune (agriculteurs, – le potentiel réel de réutilisation des
pendant plus de sept mois. Le choix de responsables politiques, etc.) qui est très structures dans le nouveau contexte
la monoculture ou d’une rotation simpli- difficile à mettre en œuvre. agricole. Les solutions proposées doi-
fiée – tous les deux ans – a rendu inutiles vent découler d’une étude attentive de
les granges et les étables, et plus per- Tout bâtiment rural ayant conservé son l’organisation de l’exploitation, de sa
sonne n’a l’usage des vieux bâtiments de identité traditionnelle fait partie d’un production et de ses débouchés ;

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P r é s e n t a t i o n

– la gestion des biens, qui devrait garantir les existantes et à encourager leur réno- vaux de rénovation et leur acceptation
des normes d’entretien satisfaisantes vation à travers des soutiens financiers de la part de la population locale ;
après la réhabilitation. et/ou des allègements fiscaux appro- – donner des orientations pour réduire
L’entretien nécessaire dépend de l’usage priés. au maximum l’impact des différents
qui est fait du bâtiment : une série de Il est donc nécessaire de : réseaux d’alimentation sur les bâti-
fonctions compatibles avec le fonction- – mener une analyse détaillée de l’état ments traditionnels ;
nement de l’exploitation devraient être des bâtiments ruraux dans une même – décider des interventions nécessaires
identifiées afin de rendre la réhabilitation zone, pour pouvoir mettre au point des pour améliorer le micropaysage autour
viable. Une liste des priorités devrait être directives cohérentes concernant leur du bâtiment ;
définie, commençant par les fonctions réhabilitation ; – mettre en place, pour chaque zone géo-
graphique, un inventaire des matériaux
de construction nécessaires et disponi-
Fran c o S an giorgi

bles et fournir des explications sur leur


mode d’utilisation ;
– encourager des initiatives de sensibili-
sation et de formation professionnelle
à l’attention des ouvriers ;
– sensibiliser les professionnels et le
grand public à la richesse et à la spéci-
ficité de ce patrimoine et à son impor-
tance dans la définition de notre identité
culturelle ;
– introduire la notion de réhabilitation
des bâtiments ruraux traditionnels,
micropaysage compris, dans les pro-
grammes d’enseignement secondaire
et supérieur.

Vieille chapelle près d’une ferme dans la campagne Les bâtiments ruraux sont indéniable-
ment des témoins directs de l’activité
humaine en un lieu donné et si nous les
F r an co Sangiorgi

laissons dépérir, c’est une partie de notre


passé que nous perdrons pour toujours. Le
paysage, l’environnement, la terre et ses
habitants sont les éléments d’une seule
et même unité et ce patrimoine devrait
être conservé non seulement en souvenir
du passé, mais aussi comme source de
développement futur.
Le problème du délabrement du patri-
moine rural est commun à tous les pays,
tout comme l’évolution et la spécialisation
de la production agricole. Il se pose avec
encore plus d’acuité lorsque les terres ne
sont pas assez productives. Tout projet de
réhabilitation passe par une interrogation
sur son environnement : rénovation iso-
Ruines d’une vieille « cascina », près de Lodi lée, ou liée à des pratiques agricoles qui
inscrivent le bâtiment dans un contexte
et dans le paysage.
les plus simples (abriter des machines – identifier les critères qui ont déter-
et des équipements) pour aller vers les miné le choix des sites à l’époque de la Franco Sangiorgi
Professeur
plus complexes : stockage des produits construction des bâtiments ;
Présentation

Institut d’ingénierie agraire


agricoles, habitation, ferme pédagogique, – classer les bâtiments existants selon Via Celoria 2
gîte rural, etc. leurs caractéristiques historiques, afin 20133 Milan,
de définir l’impact admissible en cas de Italie
Tous les projets de réhabilitation recon- réhabilitation ; Franco.sangiorgi@unimi.it
naissent la nécessité d’une politique – concevoir des méthodes de réhabilita-
d’aménagement du territoire visant à tion tenant compte des usages locaux,
mettre en valeur les constructions rura- pour garantir la bonne qualité des tra-

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El l e n Van Ol st
L ’ h a b i t a t r u r a l v e r n a c u l a
Ferme,
Hardenberg,
Overijssel

Fermes et paysages néerlandais :


l’architecture vernaculaire du « bas pays »
Les Pays-Bas présentent, malgré leur sableuse longeant la côte, c’est le maraî- vallonné. Les fertiles sols de lœss, culti-
petite taille, une grande diversité de pay- chage (légumes, fruits et fleurs – à bulbe vés depuis l’époque romaine, y offrent
sages et de types de sols. Ils sont avant bien sûr !) qui devient la principale activité un paysage de grands champs de blé
tout une zone de delta, où certains des agricole. Sur la large bande argileuse fer- parsemés de petits châteaux et de vastes
plus grands fleuves d’Europe septentrio- tile qui traverse le pays le long des grands fermes seigneuriales.
nale viennent se jeter dans la mer. Situé cours d’eau, les cultures céréalières (blé)
à l’extrême nord-ouest du continent, le prédominent jusqu’à la fin du XIXe siècle, L’architecture traditionnelle des fermes
pays réunit en outre les ultimes expres- avant d’être remplacées par la culture des néerlandaises reflète la grande diversité
sions de différents paysages et types de arbres fruitiers. des conditions naturelles et des agricul-
sols européens. C’est ainsi que sont nées, Contrastant fortement avec ces zones tures. Au début du XXe siècle, le pays
sur un territoire relativement réduit, plu- d’agriculture prospère et avancée, l’est compte largement plus d’une trentaine
sieurs agricultures distinctes et hautement et le sud du pays présentent surtout des de types de fermes. Très différentes par
spécialisées, qui ont à leur tour entraîné sols secs et sableux. Ici, jusqu’au milieu l’apparence extérieure, la taille, la struc-
la construction de nombreux types de du XIXe siècle, la médiocre qualité de la ture et l’organisation interne, elles pré-
fermes différents. terre et l’absence de routes entraînent le sentent toutefois quelques grands traits
développement d’une agriculture essen- communs. Ce sont avant tout l’utilisation
Les terres côtières du nord et de l’ouest tiellement autarcique. Ces régions se de matériaux de construction naturels,
sont largement artificielles : elles ont été caractérisent longtemps par l’élevage la structure à bas-côtés et charpente de
gagnées sur la mer par la construction de ovin et la culture du seigle, ainsi que par bois et la réunion du logement et des
digues et le drainage de polders. Dans ces la reproduction de bétail destiné à être fonctions agricoles dans un même bâti-
zones riches en argile marine, la possibilité engraissé ailleurs. Au centre du pays, les ment.
du transport par bateau et la proximité de zones marécageuses bordant la mer inté- Il n’y a pratiquement pas de pierres aux
bourgs prospères offrent à la fin du Moyen rieure (l’IJsselmeer, maintenant fermée Pays-Bas : l’ossature des bâtiments ruraux
Âge un cadre propice à l’essor de l’élevage par une digue) fournissent de la tourbe les plus anciens était donc entièrement en
laitier (beurre et fromage). Une économie et du foin. On coupe les roseaux pour en bois. Les murs étaient faits de bois enduit
d’élevage remarquablement moderne s’y faire des toitures. Dans ces deux régions, de brindilles et d’argile (torchis) et les toits
développe à partir du XVIe siècle, les fer- les fermes sont le plus souvent de dimen- revêtus de bruyère, de paille de seigle ou
miers approvisionnant les marchés non sions modestes à moyennes. de roseaux. À partir de la fin du Moyen
seulement locaux et nationaux, mais aussi Bien que le pays soit presque entièrement Âge, une florissante industrie de la brique
internationaux. Ce commerce florissant plat (les zones occidentales se trouvent se développe et ce matériau sert de plus
se traduit par la construction d’imposants même sous le niveau de la mer), l’ex- en plus à la construction de murs et à la
bâtiments de ferme. Sur une étroite bande trême sud-est (Limburg) est relativement fabrication de tuiles. Les fermes en brique
se répandent d’abord dans les régions les
plus riches du pays, l’ouest et le nord, qui
E lle n Va n Ol st

possèdent à la fois l’argile nécessaire à la


fabrication des briques et l’argent pour les
acheter. À l’est et au sud, les bâtiments
agricoles continueront à être construits
en matériaux naturels jusque bien avant
dans le XIXe siècle.
Autre caractéristique majeure, les fer-
mes néerlandaises sont presque toutes
des constructions à bas-côtés. L’ossature
de bois s’avance nettement à l’intérieur,
avec sur deux côtés ou plus un large toit
pentu aboutissant à des murs extérieurs
extrêmement bas.
Enfin, trait peut-être plus caractéristique
encore, on vit, on travaille et on abrite
le bétail et les récoltes dans un seul et
même bâtiment. Les dépendances ne ser-
vent qu’à offrir un espace supplémentaire
pour les bêtes ou le stockage : le bâtiment
principal a toujours plus d’une fonction.
Des murs de refend délimitent les espaces
d’habitation et de travail. Dans certaines
régions cependant, jusque bien avant
dans le XIXe siècle et parfois plus tard,
Ferme typique ou « Frisian » à Middenbeemster aucune cloison ne sépare les hommes
du bétail.

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i r e e t l e p a y s a g e e n E u r o p e

El l e n Van Ol st
Représentation schématique de fermes au début
Au sein de l’extraordinaire diversité des bétail restera cependant la même : la tête du XIXe siècle
types de fermes traditionnels aux Pays- tournée vers la nef centrale.
Bas, on peut distinguer quelques familles
de bâtiments liés par des caractéristiques Loin du développement précoce du sud- remplie par les récoltes, tandis que l’es-
communes ou par une évolution histori- est du pays, les fermes du groupe septen- pace de travail et les étables se trouvent
que similaire. Les deux grandes traditions trional (de type dit « frison ») sont long- sur les bas-côtés. Les fermes du nord pré-
de construction sont celle du nord-ouest et temps restées plutôt petites et étroites. sentent un autre trait typique : la position
celle du sud-est. Autrefois, la plupart des Ici, on entrepose les récoltes à l’extérieur du bétail et la configuration des étables.
bâtiments du pays entraient dans l’une de la ferme, à l’air libre ou dans des gran- Dans ces régions, on a coutume d’atta-
ou l’autre de ces catégories. ges séparées, et le bâtiment principal ne cher les vaches par deux, tête tournée
Le groupe du sud-est (type dit générale- comprend que la pièce à vivre, l’étable vers le mur extérieur, entre des cloisons
ment de la « ferme-halle ») se développe et un petit espace de travail. Ce type de de bois. Les fosses à bétail ne sont pas en
au cours du Moyen Âge tardif à partir d’un bâtiment est généralement connu sous usage. Toutes les stalles sont de plain-pied
type de bâtiment antérieur, plus petit et le nom de fries langhuis (« maison longue ou même légèrement surélevées, un canal
plus primitif, qui ne comprenait qu’une frisonne »). d’évacuation du fumier courant derrière
pièce à vivre et une étable. La ferme-halle Pour les régions septentrionales, la chaque rangée. On estime généralement
qui en est issue, beaucoup plus vaste, réu- seconde moitié du XVIe siècle et tout le que ce type d’étable plus hygiénique a
nit pour la première fois dans les mêmes XVIIe sont une période de prospérité et d’abord été l’apanage des provinces du
murs le logement, l’étable et les lieux de d’essor économique. Les villes offrent un nord-ouest, où la production laitière a tou-
travail et de stockage. Les plus anciens débouché de plus en plus grand aux pro- jours été l’une des principales sources de
vestiges connus de ce type de ferme duits agricoles et notamment aux produits revenus.
remontent au XIVe siècle. Sa charpente laitiers, entraînant des transformations
caractéristique, probablement mise au majeures dans l’agriculture et un énorme Au fil du temps, un grand nombre de
point au cours du XVIe siècle, se com- effort de drainage de polders. Il faut donc types de fermes différents et de varian-
pose d’une série de structures appelées des bâtiments agricoles nouveaux, plus tes locales se sont développés au sein de
« poutres d’ancrage ». L’entrait (poutre efficaces et surtout, beaucoup plus grands. ces deux grandes traditions. À la fin du
maîtresse horizontale, sur laquelle repo- À la même époque, des pièces de bois XIXe siècle, les diverses pratiques et spé-
sent les solives du plancher du grenier), beaucoup plus longues que celles que peu- cialisations agricoles, l’apparition de nou-

L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe


relativement bas, vient s’encastrer dans vent offrir les essences locales deviennent veaux matériaux de construction et les
deux poteaux verticaux. disponibles, grâce à l’importation (princi- différences de richesse et de dimensions
L’avant de ce grand bâtiment, de plan palement pour la construction navale) de entre fermes avaient donné naissance à
plutôt carré, abrite la pièce où vivent le pins venus des pays baltes et scandinaves. de nombreux styles régionaux. La rapide
fermier et sa famille. L’arrière (partie la Il devient possible de construire de nou- révolution agricole du XXe siècle – méca-
plus vaste) est consacré aux différentes veaux bâtiments à ossature en bois, beau- nisation et extrême spécialisation – a fait
fonctions agricoles. La nef, au centre coup plus vastes, où peuvent être réunies tomber tous ces édifices, à l’exception des
du bâtiment, est un espace ouvert des- toutes les fonctions agricoles essentielles. plus vastes, en désuétude. La plupart des
tiné aux tâches agricoles (battre le grain Au milieu du XVIIIe siècle, presque toutes fermes anciennes ont aujourd’hui perdu
et nourrir le bétail). Au-dessus de l’aire les vieilles langhuis des provinces du nord leur rôle originel et ont soit disparu, soit
de battage, un immense grenier sert au ont été agrandies ou remplacées par de été adaptées à d’autres usages, avec
stockage des récoltes. Chacun des deux vastes fermes à bas-côtés. Leurs immen- l’inévitable perte de caractéristiques tra-
bas-côtés comprend un espace destiné au ses toits pentus sont désormais l’un des ditionnelles que cela suppose. Le nombre
bétail, habituellement placé la tête vers la traits les plus caractéristiques du paysage de fermes traditionnelles est en chute.
nef d’où il reçoit sa nourriture. Sur ces ter- plat et presque dépourvu d’arbres du Cette disparition d’éléments historiques
res pauvres et sableuses, afin d’obtenir le nord des Pays-Bas. Dans ces immenses est d’autant plus regrettable que c’est le
plus de fumier possible pour la culture du bâtiments polyvalents, le logement est paysage néerlandais dans son ensemble
seigle, les stalles ont longtemps été enfon- accolé ou intégré à la grange. Ils ressem- qui est menacé : le pays risque de perdre
cées dans le sol. Dans ces fosses dont la blent sur ce point au type plus ancien de l’un de ses traits les plus intéressants, et
profondeur peut atteindre un mètre, de la ferme du sud-est, qui réunissait déjà les plus constitutifs du caractère de ses
grandes quantités de matières organiques plusieurs fonctions en un seul bâtiment différentes régions.
sont ajoutées aux excréments et le tout, plusieurs siècles plus tôt. Cependant, la
foulé par le bétail, se transforme en une charpente de ces nouvelles fermes, dites Ellen L. van Olst
Chercheuse, ancienne directrice de l’Institut
solide couche d’engrais que l’on ne pré- fermes frisonnes, et leur organisation néerlandais de recherche historique
lève que quelques fois par an. À partir de interne sont complètement différentes. sur l’architecture agricole (SHBO)
la fin du XIXe siècle, les engrais artificiels Leur principal élément porteur consiste Schelmseweg 89
et le poids économique croissant de la en une série de pièces de charpente extrê- 6816 SJ Arnhem
production laitière finiront par entraîner mement élevées. Les entraits reposent sur Pays-Bas
info@shboarnhem.nl
le remplacement de ces cloaques par des les poteaux et sont placés beaucoup plus
stalles plus modernes et plus hygiéniques, haut que dans les fermes du sud. Il n’y
de plain-pied et équipées de canaux a pas de grenier et la nef, qui s’ouvre au
d’évacuation du fumier. La position du niveau de la ligne de faîte, est entièrement

o
F u t u r o p a n 1 / 2 0 0 8
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Pere Vall and the Provincial Government of Catalonia
L ’ h a b i t a t r u r a l v e r n a c u l a i r

L’architecture industrielle de la vallée du Llobregat en


Tour
de la colònia
Cal Pons
(Puig-reig),

Espagne : un précieux paysage culturel en transformation


Espagne

La vallée du Llobregat, située au centre- secteur. Ce plan concerne une bande de de patrimoine contenant l’inventaire, le
nord de la Catalogne, devint un axe indus- territoire d’une longueur de 29 km, avec diagnostic et les mesures de protection
triel de premier ordre pendant la seconde une section de vallée d’environ 2 km, des bâtiments et des espaces libres pour
moitié du XIXe siècle. À cette époque-là, qui va du fleuve aux plateaux latéraux et chaque unité d’exécution ; 2) Les plans
une myriade de « colònies » furent créées englobe 9 communes et une population d’amélioration urbaine, qui comprennent
en quelques années, comme par géné- totale d’environ 20 000 personnes, toutes la délimitation de la croissance résiden-
ration spontanée. Ces cités ouvrières résidant dans les cités. tielle de chaque cité ; 3) La définition de
constituent l’un des ensembles les plus Les objectifs du Plan directeur sont les sui- la « voie civique », qui doit regrouper les
denses et les plus intéressants de l’Eu- vants : 1) Adapter le standard de qualité 18 cités pour garantir l’efficacité et la
rope de la première industrialisation. du parc résidentiel actuel et des services cohérence de l’ensemble. Ces mesures
L’évolution de l’industrie, en particulier urbains des cités à celui des communes ; seront accompagnées d’un plan straté-
au cours du XXe siècle, et l’émergence du 2) Consolider les cités comme quartiers gique visant à développer le tourisme et
secteur tertiaire transformèrent les cités d’un système urbain doté d’une person- l’activité de production de qualité. Le défi
en centres résidentiels. Même si la plupart nalité propre ; 3) Préserver la valeur patri- à relever par le gouvernement autonome
d’entre elles ne sont plus liées à l’activité moniale de la vallée du Llobregat en le de Catalogne, les communes, les proprié-
manufacturière qui est à leur origine, elles qualifiant de paysage culturel de premier taires et les résidents consiste à faire de
conservent une grande valeur historique ordre sur la base de son passé industriel et la vallée du Llobregat un exemple de res-
et culturelle. de l’interrelation particulière entre l’éco- pect du patrimoine culturel dans le cadre
système fluvial et son utilisation pour changeant d’un bassin fluvial au service
Conscient de la valeur des 18 cités la production d’énergie ; 4) Garantir le des êtres humains.
industrielles de la vallée du Llobregat, le consensus institutionnel et la participa-
gouvernement autonome de Catalogne tion publique en incorporant des formu- Joan Ganyet i Solé
Directeur général
(Generalitat de Catalunya), la région les de gestion commune des éléments les d’architecture et paysage
espagnole la plus industrialisée qui est plus importants, tels que les canaux et Département de la politique
frontalière avec la France et longe la les barrages, les espaces de pêche et de territoriale et des travaux publics
Méditerranée, a approuvé un Plan direc- loisirs, les itinéraires touristiques et les Generalitat de la Catalogne
teur urbanistique afin de préserver la bâtiments. Avda Josep Tarradellas 2
08029 Barcelone,
valeur patrimoniale de ces cités et de Les instruments d’exécution prévus dans Espagne
dynamiser l’activité socio-économique du le Plan directeur sont : 1) Les catalogues joan.ganyet@gencat.net

P er e Va ll and th e P r o vi nc i al Go v er n m en t o f Catalonia

Tour et église de la colònia Viladomiu, Gironella

F u t u r o p a n o 1 / 2 0 0 8
8
Victoria Momeva- Altiparmakovska
e e t l e p a y s a g e e n E u r o p e

L’architecture vernaculaire Maison


du village
de Brajcino

dans « l’ex-République Yougoslave de Macédoine »


cement interne. Plafonds de bois simples
Vic t oria Mo m e va- Al t ip arm ak o vsk a

ou ornementés, structures intégrées au


bâtiment, embrasures de portes, esca-
liers, rampes et autres éléments en bois
forment un intérieur particulièrement
pittoresque.

La principale cause de disparition des


maisons vernaculaires rurales est leur âge
(la plupart datent de la fin du XIXe siècle
et du début du XXe) et la qualité des maté-
riaux employés pour leur construction.
La rapide disparition de ces bâtiments
s’explique aussi par des interventions
individuelles mal inspirées, le proprié-
taire n’acceptant pas les conseils ou les
instructions de professionnels.
Maison du village Brajcino La conservation des habitations vernacu-
laires se heurte à un problème majeur :
celui des besoins quotidiens de leurs occu-
« L’ex-République yougoslave de tion de matériaux de construction tradi- pants. Le temps passant, les habitants leur
Macédoine », est un petit pays niché au tionnels tels que le bois, la pierre ou les apportent diverses modifications. Ces
cœur des Balkans, réputé pour son patri- briques nues par exemple. Les techniques bâtiments devraient pourtant être proté-
moine naturel et culturel. C’est ce patri- de construction y sont elles aussi bien spé- gés et rénovés, isolément ou dans le cadre
moine qui fait toute la valeur du pays : cifiques. d’un ensemble, car ils sont l’essence de
l’environnement naturel et celui façonné Les constructions vernaculaires sont une l’identité historique et culturelle du pays et
par l’homme, toute une diversité de pay- forme anonyme d’expression artistique. ajoutent à son magnifique décor naturel.
sages, de bourgs et de hameaux. Le terme Beaucoup d’entre elles existent encore Le développement d’un tourisme alterna-

L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe


de patrimoine englobe en outre aussi bien aujourd’hui, isolées ou regroupées, en tif peut, en outre, encourager le dévelop-
les monuments remarquables que de très particulier dans les villages de l’ouest pement durable du pays, ce qui plaide en
nombreuses constructions : moulins, et du sud-ouest du pays. Elles n’ont pas faveur de la préservation des villages et
murs de pierre sèche, sépultures, fermes, bénéficié d’un traitement approprié, que de l’architecture vernaculaires. D’autant
granges, etc. ce soit sur le plan de la recherche scienti- plus qu’il s’agit du seul moyen de revita-
L’architecture vernaculaire constitue une fique ou sur celui de la préservation. Les liser l’économie des régions rurales et d’y
très importante part du patrimoine culturel ethnologues, sans pour autant nier les améliorer les conditions de vie.
du pays. Celui-ci compte un nombre signi- qualités esthétiques et artistiques de l’ar-
ficatif de localités traditionnelles, aban- chitecture populaire, y voient avant tout Victoria Momeva-Altiparmakovska
Ethnologue
données ou encore habitées. L’irrésistible un document qui témoigne des modes Conservatrice de l’Institut pour la protection
progression des changements sociaux a de vie passés et présents. Le fait que du patrimoine culturel
modifié le visage des bâtiments ruraux, des bâtiments assez simples, sans traits Musée et galerie de Bitola
des villages en tant que type d’habitat et esthétiques majeurs, aient été placés sur « l’ex- République yougoslave de Macédoine »
même de régions entières. Beaucoup de la liste des bâtiments protégés est à saluer, makvast@yahoo.com
villages traditionnels conservent cepen- car ils sont les témoins du passé. Ils sont
dant leur patrimoine culturel ancien. Ils également importants comme groupes
se composent de bâtiments vernaculaires de bâtiments montrant l’organisation des
authentiques et bien préservés, destinés régions rurales.
au travail ou à l’habitation. Les caracté- Dans la zone du mont Pelister et du lac
ristiques architecturales des villages tra- Prespa, au sud-ouest de la Macédoine,
ditionnels macédoniens, en particulier 37 villages comptent des bâtiments ver-
en haute montagne, forment encore naculaires classés qui montrent bien la
aujourd’hui un décor et une atmosphère diversité et la richesse de détails de cette
authentiques. Elles s’accompagnent de architecture. Leur structure se caractérise
richesses immatérielles : histoire locale, par des montants de bois verticaux avec
folklore, langue, musique, traditions un remplissage de briques et d’autres
culinaires, art et artisanat, industries et matériaux. Le sol est en bois. L’élévation
savoir-faire. extérieure présente différentes parties en
Les villages vernaculaires se caractérisent surplomb, des avant-toits très saillants,
par leur adaptation à l’environnement : des fenêtres alignées en rangées et des
pour une maison rurale par exemple, un éléments de bois décoratifs. L’autre trait
agencement interne particulier, l’utilisa- distinctif de ces demeures est leur agen-

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Magal i Po n s
L ’ h a b i t a t r u r a l v e r n a c u l a

Patrimoine rural vernaculaire


Porte en bois
et société en France
Parler d’habitat rural vernaculaire est en devient donc déterminant dans la différen- rural entraîne ainsi une recomposition
quelque sorte un paradoxe dans la mesure ciation spatiale. La densité de peuplement du paysage où le désir de conserver les
où les impératifs économiques ont conduit relativement faible et le moindre degré formes héritées du passé va de pair avec
à la disparition de ce qui était sa principale d’artificialisation des sols – et non l’acti- la volonté d’adoption d’un mode de vie
caractéristique : être une architecture de vité économique principale – voilà ce qui urbain, symbole de modernité.
modèle qui, comme le note Marie Pascale définit le rural par opposition à l’urbain. Il Dans cette recomposition, l’habitat
Mallé, conservatrice de l’Inventaire du est intéressant de noter que nombre d’ha- vernaculaire ne trouve pas toujours sa
patrimoine culturel, se reproduit « non bitants des zones périurbaines se définis- place. Une partie du parc ancien a certes
par transmission écrite mais par imitation, sent ainsi comme vivant à la campagne et pu être rénové ou réhabilité, mais l’arri-
contagion de modèles architecturaux dont depuis le début des années soixante-dix, vée de nouveaux habitants a souvent eu
la diffusion peut être définie très précisé- on assiste à un renversement de tendance comme conséquence l’extension en péri-
ment »1. Les modes comme les matériaux démographique dû à un solde migratoire phérie des agglomérations préexistantes
utilisés se sont largement uniformisés sur positif qui s’accélère depuis le dernier de zones pavillonnaires correspondant
le territoire français et les savoir-faire pro- recensement : de 1999 à 2004, plus de mieux aux moyens et aux aspirations
pres à la construction traditionnelle qui se deux millions de Français ont quitté la en matière de logements des nouveaux
transmettaient de manière informelle ont ville pour s’installer dans des communes arrivants comme des anciens habitants.
le plus souvent laissé place à des techni- de moins de 2000 habitants. 2,4 millions A Riez, commune des Alpes de haute
ques de type industrielles dont le moindre d’autres néo-ruraux sont attendus d’ici Provence, l’enquête annuelle de recen-
coût a assuré le succès et qui sont les seu- à 2008. Le coût du foncier urbain n’est sement 2005 compte 37 ménages de
les largement enseignées aux ouvriers du qu’en partie à l’origine de ce phénomène plus qu’en 1999, pour 56 logements
bâtiment. En matière d’habitat, la diver- de société. Il s’explique essentiellement supplémentaires. 33 résidence princi-
sité culturelle française repose désormais par la recherche d’un meilleur cadre de pales ont été achevées depuis cette date
plus sur une politique de conservation du vie, moins stressant, moins cher et moins et 14,7 % de la population recensée en
bâti ancien que sur le maintien des tradi- pollué, en même temps qu’un épanouis- 1999 a changé de logement entre ces
tions architecturales locales et ce constat sement dans les sphères personnelle, deux dates. La vétusté du parc immobilier
est tout aussi valable en milieu dit rural familiale et professionnelle. La ville étant du centre historique et le moindre coût
qu’en milieu urbain. devenue synonyme de mal-être, le bon- d’une construction neuve par rapport à
Largement ancré dans le local, ce type heur est désormais dans le pré. Aux yeux une opération de rénovation n’expliquent
d’architecture a pu d’autant moins résister des néo-ruraux, l’habitat et la morpho- qu’en partie un phénomène lié au désir de
que les communautés dépositaires de ces logie agraire du territoire qui ont consti- posséder un jardin tout autant qu’à celui
savoir-faire ont subi des transformations tué pendant des siècles le squelette du de jouir de tout le confort moderne. Si on
imposées de l’extérieur qui ont abouti paysage rural français ne sont qu’un des s’attache à l’habitat hors agglomération,
à une complète recomposition de l’es- éléments du cadre de vie. Ils font partie on note la même évolution. Une partie des
pace français : la dichotomie commune d’un paysage pittoresque qu’ils entendent agriculteurs ont préféré s’installer dans le
urbaine/commune rurale ne reflète plus la conserver tel qu’ils se le représentent. village. De nombreuses fermes ne sont
réalité d’une occupation humaine où lieux Comme le disaient Bertrand Hervieu et ainsi plus le centre d’une exploitation agri-
de production et lieux de consommation Jean Viard : « c’est aux agriculteurs eux- cole. Quelques-unes demeurent occupées
sont souvent dissociés et où de plus en mêmes d’entrer dans le paysage pour rester par des exploitants agricoles à la retraite
plus de personnes ne travaillent plus dans paysans »3. Cette population émigrée qui ou sont transformées en résidences
leur communes de résidence. L’espace se superpose à une couche antérieure secondaires, voire en gîtes ruraux, mais
rural ne se définit ainsi plus en fonction de rurale de moins en moins cohérente obéit certaines restent inoccupées pour ne pas
la densité du bâti ou de la prédominance en outre à une logique sociétale urbaine dire abandonnées. Les habitants comme
de l’activité agricole, mais par un paysage. qui n’est pas sans poser des problèmes les élus sont plus sensibles au devenir
En ce sens, le territoire français dont la d’intégration. 63 % des maires interrogés du village qu’à celui des écarts et c’est
plus grande partie reste marquée par les redoutent des demandes excessives en donc ce type d’habitat vernaculaire qui
activités agricoles et forestières jusque matière d’équipements et de services. subit le contrecoup des transformations
dans les zones dites périurbaines (55,4 % L’espace rural apparaît dès lors comme socio-économiques récentes. Frappés
de leur superficie sont de la, surface agri- une source de tensions et de conflits d’obsolescence et ne répondant plus aux
cole utile, SAU ; 35 % des exploitations entre ruraux et néo-ruraux en raison de normes européennes, les bâtiments utili-
agricoles de France métropolitaine) son caractère multifonctionnel. Il sert taires anciens trouvent difficilement une
conserve une physionomie rurale mal- de support à trois types de fonctions qui nouvelle affectation, tandis que des struc-
gré un taux d’urbanisation élevé (75,5 % induisent des usages concurrents : une tures modernes (hangars pour les machi-
de la population métropolitaine vit dans fonction économique ou de production, nes, étables) doivent être édifiées.
des unités urbaines, 82 % dans l’espace une fonction résidentielle et récréative Magnifié comme « exemple de la diversité
à dominante urbaine défini par le zonage (campagne comme cadre de vie qu’il architecturale et des influences diverses
par aire urbaine, ZAU)2. D’un point de vue s’agisse d’un habitat permanent ou tem- qui l’ont façonné », le patrimoine rural
sociologique, le caractère rural des espa- poraire) et une fonction de conservation vernaculaire n’est désormais plus qu’un
ces périurbains est d’autant plus accentué (protection de la biodiversité, du patri- « témoin vivant de notre architecture, du tra-
que les modes de vie urbains et ruraux moine naturel, culturel et paysager). La vail des artisans et des savoir-faire qui l’ont
sont très proches : le poids du paysage diversification des fonctions du milieu constitué », mais pour combien de temps ?

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i r e e t l e p a y s a g e e n E u r o p e

Un récent rapport du Conseil économique locaux qui ont créé le bâti rural vernacu- communauté soucieuse non seulement
et social4 permet de dresser un état des laire français se sont disloquées quand de le préserver et de le transmettre, mais
lieux du bâti lié plus spécifiquement aux elles n’ont pas disparues. La « nouvelle capable d’y puiser une source d’inspira-
activités agricoles. Sur 11 millions de bâti- ruralité » où le local est désormais intégré tion pour de nouvelles créations.
ments à usage agricole identifiés en 1966, au global est encore en gestation. C’est de
on estime ainsi aujourd’hui à 6 millions sa capacité à trouver un nouvel équilibre Brigitte Sabattini
Centre Camille Jullian d’Archéologie
le nombre de bâtiments qui restent. La entre respect du legs du passé et adapta- méditerranéenne et africaine
moitié appartiendrait à des agriculteurs, tion que dépend l’avenir du patrimoine Université de Provence, Maison
l’autre moitié ayant été acquise par des rural vernaculaire. Par habitude ou par méditerranéenne des Sciences de l’homme
particuliers. Sur ceux appartenant aux aspiration, les habitants des campagnes Rue du château de l’horloge, 5
agriculteurs, 1,5 million ont conservé françaises partagent déjà une conception Aix-en-Provence, France
bsabattini@aol.com
l’usage qu’ils avaient en 1966 ; en effet, la commune, celle d’un mode de vie rythmé
plupart des maisons sont encore habitées par le temps cyclique de la nature. Ils leur
1
par l’exploitant. Les autres, 1,5 million, restent à édifier avec le temps une per- Mallé, Marie-Pascale, 1983. « L’inventaire de l’ar-
chitecture rurale dans les Hautes-Alpes », Le monde
ont changé d’usage ; ils sont vacants ou ception commune de leur environnement alpin et rhodanien, no 4, p. 10.
tombent peu à peu en ruine. Parmi ceux spatial. Dans la recomposition en cours 2
Un rapport de l’INSEE (La structuration de l’espace
rural : une approche par les bassins de vie. Rapport
qui ont été repris par des particuliers, 1,5 des territoires ruraux, un des principaux de l’INSEE (avec la participation de IFEN, INRA,
million auraient été reconvertis en rési- enjeux est moins la cohabitation de diffé- SCEES) pour la DATAR, juillet 2003) propose de pren-
dences secondaires ou principales, en rents groupes sociaux aux intérêts parfois dre en compte un référentiel rural restreint compre-
nant les bassins de vie dont le pôle est une commune
commerces ou autres, l’autre moitié serait antagonistes que l’émergence d’un vou- ou une unité urbaine de moins de 30 000 habitants
en attente d’usage ou de reconversion. loir vivre ensemble un espace dans toutes en 1999 et un bassin rural élargi qui y ajoute la péri-
Dans ce constat d’ensemble, il n’est pas ses dimensions, y compris productives. phérie des 171 autres bassins de vie dont le pôle est
une unité urbaine comptant plus de 30 000 habi-
tenu compte des fortes disparités régio- De simple décor en patchwork dont les tants. Aux 429 000 km2 (79 % du territoire) du réfé-
nales. Dans les zones péri-urbaines qui morceaux disparates s’assemblent par rentiel rural restreint s’ajoute ainsi 82 000 km2 du
référentiel complémentaire soit 94 % du territoire
sont en fait les plus touchées par le nou- couture, le paysage rural redeviendra alors français regroupant 25 765 000 habitants (44 % de
veau dynamisme démographique, la réu- ce tissu dont la trame et la chaîne s’en- la population 1999).
3 Hervieu Bertrand et Viard Jean, La campagne et
tilisation fréquente pose des problèmes tremêlent savamment ou cette mosaïque
l’archipel paysan, dans Chevallier Denis (dir.), Vives
de coût et de respect du bâti ancien ainsi dont les tesselles bien ajustées se fondent campagnes. Le patrimoine rural, projet de société,

L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe


que d’équilibre entre les besoins liés à la harmonieusement dans le dessin d’en- Editions Autrement, Paris, 2000, p.76.
4 Un atout pour le monde rural : la valorisation du bâti
production et les exigences en matière semble. Seulement ainsi, les fragments
agricole. Rapport présenté par Michel de Beaumesnil,
de cadre de vie des nouveaux arrivants. d’espace que constitue le patrimoine bâti 2006.
Ailleurs, la nouvelle donne engendre un trouveront leur place et redeviendront
surcoût du foncier dont pâtissent essen- vernaculaires parce que faits siens par une
tiellement les jeunes agriculteurs qui se
retrouvent en concurrence avec des ache-
M a ga l i P o ns

teurs de résidences principales ou secon-


daires étrangers ou français. Enfin, une
partie du territoire français, le « rural pro-
fond » demeure à l’écart du mouvement :
dans cette zone, la plus affectée par la
déprise agricole et le vieillissement de la
population, le bâti vernaculaire tombe en
déshérence. Peut-on encore employer le
terme de patrimoine pour un bien dont
la transmission n’est pas assurée puisque
aucun héritier ne se présente ?
Si le bâti vernaculaire « contribue par des
caractéristiques propres à chaque région,
à la richesse et à la diversité architecturale
de la France, à son charme et à son attrac-
tivité touristique », force est cependant
de constater que ces prérogatives ne lui
assurent pas pour autant une garantie de
pérennité. Plus qu’un problème d’adap-
tabilité, sa réutilisation se heurte à deux
obstacles majeurs. Le premier, le coût de
son aménagement, est d’ordre économi-
que et technique. Le second obstacle est
d’ordre culturel. Les communautés pro- Maison en Lozère, France
fondément ancrées dans des territoires

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Frantisek Petrovic
L ’ h a b i t a t r u r a l v e r n a c u l a

Village
Mala Lehota

Les petits monuments sacrés, éléments indispensables


du paysage, non seulement en République Slovaque
logie avant de devenir vicaire général

Pavl in a Misik o va
de l’archevêché de Prague. La légende
retient surtout son refus de trahir auprès
du roi Wenceslas les confessions de la
reine Sophie, qui lui valut la mort. Le
roi le fit jeter dans la Moldau depuis
le pont Charles, à Prague. Son effigie
s’élève aujourd’hui en maints endroits ;
il est patron des avocats, protecteur des
ponts et des cours d’eau et symbole de
la discrétion, de la fiabilité et du cou-
rage.
Sa personnalité a inspiré la rencontre
internationale de peintres « Sanctus
Ioannes Nepomucenna Medioeuropeansis »
(1999-2004) et l’exposition itinérante

P avlina Misikova
Bord d’un croisement de route, Slovaquie

À l’heure de l’intégration européenne, trée ou à la sortie des villages ou sur


une question revient de plus en plus les sommets. Aujourd’hui symboles de
dans les débats et conférences : miséricorde, de pardon et de sérénité,
« Qu’est-ce qui constitue l’identité d’une ils ont joué un rôle significatif dans la
région ? ». À une époque où les distan- vie religieuse des villages. On les éri-
ces se font de plus en plus courtes et le geait en signe de remerciement ou de
passage à la douane de moins en moins prière pour la réalisation d’un vœu.
important, nous avons toujours envie de Aujourd’hui, non seulement admira-
sentir dans chaque pays un caractère bles pour leurs qualités esthétiques, ils
unique, une atmosphère différente. Et sont là comme un défi : est-il possible
le caractère du paysage compte parmi de recenser tout ce qui fait la valeur d’un
les principaux éléments constitutifs de paysage ? Qu’apprécions-nous exacte-
cette fameuse identité. ment dans un paysage ? Comment inté-
Le paysage slovaque typique, souvent grer aux politiques d’aménagement du
représenté sur les cartes postales, est territoire des thèmes comme la sensi-
bien sûr lié aux Carpates. Outre la bilisation au paysage, la protection des
diversité du paysage, l’image du pays éléments irremplaçables tels que l’as-
est très marquée par l’habitat (petits pect du paysage, ou encore la subjecti-
bourgs, hameaux isolés, vieux châteaux vité des habitants et leur attachement
en ruines ou encore debout) et par les au lieu ? Dans la réflexion autour d’un
formes traditionnelles d’utilisation des paysage de qualité, la participation du
sols : mosaïques de champs, de prés et public, maître mot de la Convention
de forêts. Enfin, des milliers de monu- européenne du paysage, pose des défis
ments sacrés, particulièrement visibles similaires.
en ville mais que l’on trouve aussi très
souvent en pleine campagne, témoi- Témoins de racines historiques com-
gnent d’une riche histoire influencée par munes, certains monuments slova-
la religion. La facture de ces monuments ques ressemblent beaucoup à ceux des
diffère en fonction des techniques loca- pays voisins. Saint Jean Népomucène,
les. Croix de chemins, colonnes votives, qu’on nomme aujourd’hui « le Centre-
petites chapelles, calvaires ou statues européen », en est un exemple. Né en
de saints protecteurs, le plus souvent Bohème (actuelle République tchèque) Statue de Saint Jean de Nepomuk
érigés aux carrefours, au centre, à l’en- vers 1350, Jean étudia le droit et la théo-

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i r e e t l e p a y s a g e e n E u r o p e

Jean Népomucène – le saint d’Europe cen-

Jiri Havran © Riksantikvaren


trale, qui fait voyager dans différents Le paysage rural norvégien
pays européens des œuvres d’artistes et son patrimoine architectural
contemporains d’Europe centrale ins-
pirées de la légende historique. Les principaux matériaux de construc-
Pour reprendre les termes d’Aldemar tion sont le bois et le bois d’œuvre, mais
Schiffkorn, l’un des commissaires de aussi la tourbe et la pierre, notamment
l’exposition : « Il est impossible de déli- Ferme « Trommald » dans le Conté dans les régions côtières. Pour les habi-
miter précisément l’Europe centrale, que de Buskerud tants du pays, une ferme ancienne,
ce soit par des frontières politiques ou c’est en général une maison en ron-
géographiques. Elle se définit avant tout dins, sans panneaux, coiffée d’un toit
par l’histoire, la culture et les traditions. En Norvège, quelque 3 % seulement de tourbe. C’est là le bâtiment « clas-
L’espace culturel centre-européen est du territoire sont constitués de terres sique » des vallées intérieures du sud
celui où Jean Népomucène est connu et arables, dont un tiers se prête à la pro- de la Norvège, un legs du passé. Par la
révéré – un espace qui lie étroitement la duction céréalière, de sorte que l’agri- suite, et ailleurs dans le pays, le pan-
Tchéquie, la Bohème, la Slovaquie, l’Autri- culture a toujours été tributaire d’une neautage s’est généralisé. Bien souvent,
che et l’ensemble des pays du centre de exploitation extensive des grandes les différences régionales se situent tant
l’Europe. La nouvelle Europe n’a pas étendues forestières et montagneuses au plan visuel que dans les techniques
besoin que de prospérité économique, il qui couvrent l’essentiel du pays. Les de construction. Au siècle dernier, le
lui faut aussi une orientation culturelle ressources agricoles marginales ont paysage rural se caractérisait, dans de
et spirituelle commune ». engendré une forte diversité, en raison nombreuses régions de Norvège, par
des adaptations locales aux différentes des maisons d’habitation blanches, un
Pavlina Misikova conditions climatiques et naturelles. Et bâtiment rouge remplissant de multi-
Agence de la Convention européenne
du paysage
cette diversité se retrouve dans le patri- ples fonctions et des entrepôts en ron-
Ministère de l’Environnement moine architectural. dins de la période précédente.
de République slovaque Le paysage rural de la Norvège est La richesse du patrimoine vernacu-
Service de l’aménagement dominé par des fermes isolées, dotées laire norvégien tient avant tout à ses
du territoire traditionnellement de structures laitières innombrables constructions en bois

L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe


Namestie L. Stura 1, 812 35
Bratislava, distinctes, en montagne, pour le pâtu- datant du Moyen Âge, plus nombreu-
République Slovaque rage, le fourrage et la production de ses ici qu’en nul autre pays au monde.
misikova.pavlina@enviro.gov.sk produits laitiers durant l’été. Il n’y a pas On en recense à ce jour 233, mais les
de villages et les grandes exploitations types et techniques de construction
ne sont guère nombreuses. L’image n’ayant guère varié des siècles durant,
du paysan sans attaches vivant dans on découvre, à la faveur des travaux
sa ferme isolée est omniprésente dans de datation en cours des bâtiments
l’histoire de l’agriculture norvégienne, antérieurs à cette période. Outre l’évi-
en dépit de quelques regroupements çà dent intérêt au plan du patrimoine, les
et là de fermes et exploitations de taille connaissances et compétences tirées de
plus modeste. Sur le plan ethnique, l’étude et de la gestion de ces bâtiments
la diversité du paysage rural tient à la peuvent s’avérer d’un intérêt considé-
présence de la population autochtone rable également pour le bâtiment et la
sâme et de deux minorités nationales sylviculture d’aujourd’hui.
d’origine finlandaise, dans le nord et le
sud du pays. Even Gaukstad
Conseiller en chef
Pendant la deuxième moitié du Riksantikvaren – Direction
XIXe siècle et au début du XXe, le pay- du patrimoine culturel
sage rural s’est profondément trans- Pb. 8196 Dep.
formé. Dans ce paysage réorganisé et NO-0034 Oslo,
remodelé, la ferme isolée est devenue Norvège
le modèle dominant et les nouvelles
technologies ont imprimé leur mar-
Ragnhild Hoel © Riksantikvaren

que. Dans maintes cours de ferme,


les multiples petites bâtisses à fonction
unique ont cédé la place à quelques
bâtiments, moins nombreux, mais
conçus pour remplir plusieurs fonc-
tions. Par bonheur, beaucoup de bâti-
ments anciens ont aussi été conservés
et sauvegardés. Ferme Kruke dans le Comté de Oppland

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Gheorghe Patrascu
L ’ h a b i t a t r u r a l v e r n a c u l a
Maison
de commerce,
Sud de la
Transylvanie
Le patrimoine vernaculaire
en Roumanie
L’architecture vernaculaire en Europe population d’une communauté donnée,

Ern e st Ve l l a
présente certes bon nombre de caracté- lié à l’inconscient ou à « l’enfant » qui som-
ristiques lui conférant une certaine unité, meille en chaque adulte.
expression de traditions héritées de cultu- L’étude de la culture rurale peut être
res anciennes qui se sont mutuellement une manière fascinante d’exhumer des
influencées au fil du temps, avec des traits ressources culturelles toujours enfouies
distinctifs pour chaque grand domaine au sein d’une communauté ou d’un peu-
culturel. Mais elle n’en comporte pas ple. L’architecture vernaculaire comme
moins de multiples spécificités régionales manifestation directe et matérielle
ou locales, en particulier dans les territoi- d’une culture donnée occupe une place
res qui ont été isolés pour des raisons reli- essentielle dans cette approche. Dans la
gieuses, culturelles ou géographiques. Roumanie rurale, elle donne à voir les
Presque partout en Roumanie, l’architec- idéaux spatiaux cachés des communau- Cabane en pierre avec corral
ture vernaculaire est l’expression d’une tés et contribue à créer ce que Lucian
culture profondément enracinée, qui se Blaga1 appelle une « matrice stylisti-
manifeste en particulier dans les campa- que » et un « horizon spatio-temporel »
gnes, en raison de la tradition résolument de sa population, tout en transmettant Architecture vernaculaire rurale
rurale qui caractérisait la civilisation rou- fidèlement, dans le même temps, les du paysage maltais
maine jusqu’à l’avènement de l’époque objectifs et idéaux originaux de la com-
moderne. On situe généralement l’âge munauté. L’architecture vernaculaire, en L’aridité et le manque d’arbres de la
d’or de l’architecture vernaculaire dans particulier son architecture rurale, aide campagne maltaise ont obligé l’homme
les Carpates dans la période allant de la la Roumanie à préserver ses traditions. à s’adapter à elle. L’architecture vernacu-
seconde moitié du XVIIIe siècle à la fin Dans un contexte géographique et histo- laire en témoigne abondamment.
du XIXe. rique « propice » qui l’a protégée du poids
L’élément archaïque a toujours été présent écrasant d’influences extérieures, elle a Champs, cultures en terrasses
comme expression d’une culture mineure permis de sauvegarder jusqu’à présent et murs en moellons
aux caractéristiques intemporelles. Il est des formes d’expression stylistique très Le Nord et l’Ouest de Malte sont couverts
le produit de l’état d’esprit spontané de la fortes. en grande partie par des collines karsti-
La force et la spécificité de la culture ques. Dans les régions pauvres en globigé-
rurale roumaine viennent aussi du carac- rines se trouvent de nombreuses carrières
G h eo r ghe P atrascu

tère et de l’âme du peuple roumain, qui de surface appelées « mġiebel », dont la


forme un groupe très spécial au sein de plupart sont peu profondes, dépassant
l’Europe, même s’il fait partie de l’Eu- rarement les 5 mètres de profondeur.
rope du Sud-Est, région particulièrement On en extrayait jadis du calcaire coral-
démonstrative au plan ethnographique, lien pour édifier des murs en moellons,
et présente des affinités avec l’Europe construire des huttes par encorbellement,
centrale. des ruchers et quelquefois aussi des fer-
L’architecture rurale vernaculaire témoi- mes. Après l’extraction, on remplissait la
gne de la relation étroite entre le folk- cavité de pierraille et on recouvrait le tout
lore et la nature de la Roumanie. Rares d’une fine couche de terre ramassée dans
sont les expressions architecturales qui la garrigue alentour.
puissent soutenir la comparaison avec Très souvent, on creusait les pentes des
elle en termes d’organicité de la concep- collines pour créer un champ en terrasse.
tion, alliant le fonctionnel et l’esthétique La plupart des terrasses étaient entou-
sous des formes qui, tout en se confor- rées de murs en moellons qui servaient
mant aux règles générales de l’art de de marqueur territorial, protégeant les
la construction, présentent une variété champs des agents subaériens nocifs et
surprenante. Dans son ouvrage essen- des animaux sauvages.
tiel sur la culture roumaine, Lucian Blaga
démontre en termes éloquents l’impor- Construction de huttes
tance de l’architecture vernaculaire dans par encorbellement
la vie roumaine : « La Roumanie n’a pas Les huttes à encorbellement se trouvent
vu l’émergence d’une architecturale monu- principalement dans le Nord et l’Ouest de
mentale, dont la nécessité du reste ne se Malte, dans les contrées pauvres en glo-
fait pas sentir : l’esprit de l’architecture bigérines et riches en pierre corallienne.
du pays se révèle pleinement dans une Les huttes, appelées « giren » (singulier
simple ferme ou une église envahie par « girna »), ont la forme d’un cône tronqué.
les orties ».2 On considère traditionnellement qu’el-
Porte en bois, Maramures, Nord de la Roumanie La civilisation rurale rappelle la relation les servaient de refuges aux fermiers et
entre l’homme et la nature, thème d’une

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i r e e t l e p a y s a g e e n E u r o p e

G h e o r gh e Pat r asc u
brûlante actualité. Dans les circonstan-
ces d’aujourd’hui, qui mettent cette rela-
de postes de garde aux bergers, de ber- tion à mal sans guère de perspectives
geries et d’entrepôts. Mais à ce jour, les d’amélioration, il serait bon de tirer les
universitaires continuent de s’interroger enseignements qui s’imposent de notre
sur l’origine de ces structures. civilisation rurale. Ses structures, notam- Four et cheminée, Nord-Est de la Roumanie
ment architecturales, n’ont jamais été en
Ruchers conflit avec la nature ; elles respectent
La collecte du miel constituait également ses règles et ménagent ses ressources. ture vernaculaire et lui donner toute sa
une activité importante, de l’île, notam- L’expérience accumulée au fil des ans place, mais il faudra aussi veiller à mettre
ment dans les zones dépourvues de ter- dans l’architecture rurale nous offre à ce dûment en œuvre le Schéma de déve-
res arables. On distingue trois types de jour encore de singulières leçons concer- loppement de l’espace communautaire
ruchers, appelés « mġiebah̄ » (singulier nant la logique des structures, leur inté- (SDEC), la Convention du paysage, les
« miġbh
¯ a »), selon qu’ils sont taillés dans la gration dans la nature, leur fonctionnalité Principes directeurs pour le développe-
roche, construits à l’aide de pierres dres- et leur esthétique. ment territorial durable du continent
sées ou nichés dans un mur en moellons. Aujourd’hui, l’architecture rurale tra- européen de la CEMAT et les autres ins-
Les deux premiers types sont en forme verse une période marquée par d’inten- truments juridiques européens.
de L, la porte occupant toute la façade ses changements et la perte des valeurs
avant du dispositif. Celle-ci est percée traditionnelles, parce qu’elle disparaît Gheorghe Patrascu
Directeur général
pour offrir un passage aux abeilles. Les physiquement, phénomène naturel et Direction générale de l’aménagement
ruches étaient fabriquées à partir de jar- acceptable jusqu’à un certain point, mais du territoire et de l’urbanisme
res en terre appelées « qollol » et placées aussi, parce qu’elle est altérée par l’intro- et de la politique du logement
à l’intérieur du rucher. duction non maîtrisée d’éléments prove- Ministère des Transports,
nant d’autres cultures ou d’une architec- de la Construction et du Tourisme
Calea Serban Voda, no 66, Apt. 8, Secteur 4,
Corrals ture qui se veut « créative » (souvent d’un Bucarest, Roumanie
Les corrals, « ċikken », consistaient en un goût douteux). patrascu@mt.ro, patrascu@b.astral.ro
espace extérieur ceint d’un haut mur en Cette perversion du bon goût d’antan du
1 Lucian Blaga, poète et philosophe roumain (1895-
moellons. Les bergers y parquaient leurs paysan bâtisseur ne saurait être repro-

L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe


1962), qui mériterait d’être mieux connu hors de
troupeaux de chèvres et moutons pour chée aux paysans eux-mêmes. Roumanie.
la traite et y amassaient le fumier pour le Le phénomène a des causes objectives, 2 Lucian Blaga, “The Trilogy of Culture”, Universal

Literature Edition, Bucarest, 1969.


vendre à des fermiers. telles que la tendance générale au déve-
loppement social en Europe, la mon-
Fermes dialisation ou encore les problèmes de
L’ancienne ferme maltaise, « ir-razzett » développement propres à la Roumanie.
(sing.), « irziezet » (pl.), offrait intimité Il ne faut pas oublier qu’entre 1985 et
Gh eo r g he P at r asc u

et protection. Orientée vers l’intérieur, 1989, le régime communiste a mené


elle avait peu d’ouvertures. Au rez-de- une politique très agressive de standar-
chaussée autour d’une cour ouverte se disation des villages, en vue de détruire
trouvaient les étables et les hangars. La le mode de vie rural traditionnel par la
famille du fermier logeait à l’étage. force. Aujourd’hui, les responsables de
l’altération continue du paysage rural,
Conclusion ce sont les dirigeants politiques et autres
Bien que vernaculaire, l’architecture « spécialistes ». Ils sont en effet incapa-
rurale maltaise apporte la démonstration bles de comprendre la valeur profonde
du savoir-faire et du talent de la popula- et réelle des enseignements de l’archi-
tion locale pour tirer parti des ressources tecture vernaculaire ; ils ne prennent pas
du paysage en les adaptant aux besoins. suffisamment de mesures pour sauve-
Cette architecture va certes progressive- garder les sites qui méritent de l’être et
ment disparaître, mais tout est mis en préserver ces valeurs traditionnelles par
œuvre pour apprendre aux générations l’éducation.
actuelles et futures comment conserver Ces remarques ne s’appliquent pas au
ce patrimoine et préserver ainsi durable- patrimoine exceptionnel d’ores et déjà
ment le paysage. protégé par la loi, bien que même dans
ce cas maints problèmes se posent eu
Ernest Vella égard à la délimitation des zones de pro-
Université de Malte
33 Triq il-Barriera
tection et à la collecte de fonds pour les
Balzan, BZN 06 travaux de restauration.
Malte L’adhésion de la Roumanie à l’Union
ernestv@maltanet.net européenne est l’occasion d’intensifier Grange en bois avec un toit de chaume
les efforts pour préserver notre architec-

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L ’ h a b i t a t r u r a l v e r n a c u l a

Carte montrant
Nouvelles approches des fermes
historiques au Royaume-Uni
la répartition
des granges
en Angleterre
avant 1750

Les fermes historiques doivent être consi- tiennent compte de la spécificité et de la


dérées et analysées en liaison avec le pay- diversité locale et régionale – modes d’oc-
sage dans lequel elles s’inscrivent et avec cupation des sols, double emploi, état
les contextes sociaux, économiques et d’abandon, possibilités de reconversion,
culturels présents et passés. Pour pouvoir caractère des bâtiments de ferme –, sans
dégager des tendances, il importe de sortir perdre de vue les implications en termes
des limites étroites des études portant sur de stratégies de réutilisation. Huit déclara-
le bâti. Nous devons brosser un tableau à tions préliminaires de caractère régional
partir de ce que nous savons, en soulevant ont, en réponse à ce besoin, regroupé un
des questions pour les recherches futures. large éventail d’informations disponibles.
De récents travaux, parrainés par English Cela constitue un premier pas en vue de
Heritage et par la Countryside Agency, ont la présentation d’une base de données à
souligné que le secteur de l’environne- l’intention d’une grande diversité d’utilisa-
ment historique doit promouvoir des teurs intéressés par les fermes historiques
moyens de gestion du changement plus et souhaitant étudier, mieux comprendre
positifs et mettre en place une base de ou gérer ce patrimoine. Les évolutions
données factuelles qui contribuera à favo- régionales sont ainsi replacées dans un
riser les bonnes pratiques, l’affectation cadre national ; des exposés sommaires
des ressources et le suivi de l’efficacité décrivent le développement agricole de
des actuels mécanismes et politiques chacune des zones de mêmes caractéris-
de subvention. La politique nationale en tiques (Joint Character Areas). Un projet
matière d’aménagement du territoire pilote au Hampshire, désormais étendu au
demande désormais aux collectivités Sussex et au Weald of Kent, a montré que
locales d’adopter une approche plus sou- la densité et l’évolution des fermes sur la
ple et positive concernant la réutilisation durée, ainsi que le taux de survivance de
durable des bâtiments ruraux désaffectés, différents types de bâtiments et dépen- de la ferme et de divers autres facteurs.
en privilégiant à la fois une conception dances, sont étroitement liés à des types La plupart des outliers, notamment dans
de qualité et l’application d’orientations de paysages dont le caractère a été modelé les Cornouailles et le comté de Durham,
et de principes directeurs spécifiques par l’histoire. Cela permet de vérifier et représentent la construction d’importan-
pour tel ou tel endroit. En effet, la plupart modifier les résultats de la caractérisation tes granges sur des domaines ecclésias-
des directives en matière d’aménage- des paysages historiques et contribue à tiques à l’époque médiévale. Pendant
ment au niveau local témoignent d’une une compréhension plus intégrée et nuan- la période 1550-1750, des dynamiques
connaissance limitée de la nature et du cée à la fois des bâtiments et des paysages. régionales de construction et de survi-
caractère des fermes historiques, tant Cela nous permet en outre de formuler des vance se dessinent plus nettement. On
à l’échelle locale que dans un contexte recommandations positives et de produire observe ainsi une concentration sur une
plus large. L’apparition, en 2005, de nou- des trousses à outils pour une réutilisation bande allant de la plaine du Lancashire
veaux programmes agro-environnemen- durable fondée sur une compréhension aux Pennines du Sud. A noter également
taux qui accordent des subventions aux des traits ou éléments distinctifs qui contri- l’absence relative de fermes antérieures
agriculteurs s’ils mettent en œuvre des buent à la spécificité d’un territoire et lui à 1750 dans les schémas d’aménage-
projets comportant des avantages envi- donnent son caractère1. ment du territoire de l’est et du centre de
ronnementaux (naturels mais aussi his- l’Angleterre. Ces paysages sont ceux qui
toriques, en englobant les bâtiments), a Légendes furent le plus profondément modifiés par
en outre révélé qu’il y a beaucoup moins La carte montre la répartition des fermes les améliorations agricoles de la période
d’informations disponibles à l’échelle d’un en Angleterre avant 1750. postérieure à 1750. (© Copyright de la
paysage sur les fermes et leurs dépendan- La plupart des fermes ayant conservé le Couronne. Tous droits réservés. English
ces que sur d’autres aspects du paysage gros de leurs dépendances et antérieu- Heritage 100019088. 2005)
culturel, comme l’occupation des sols, les res à 1750 ont été recensées. Ces cartes Les granges sont généralement les plus
régimes agraires ou les modes de délimi- soulèvent d’importantes questions pour grands bâtiments que l’on trouve sur une
tation des parcelles. des recherches futures. Sur la carte éta- ferme. Celles construites uniquement
blie pour la période antérieure à 1550, aux fins du traitement et du stockage
En 2006, English Heritage et la Countryside elles sont concentrées en ceinture autour des récoltes sont plus courantes dans les
Agency ont publié une politique révisée de Londres, dans les Pennines du Sud zones arables, comme cet ensemble dans
sur les corps de fermes traditionnels qui et dans le secteur allant du Feldon of les Chilterns, dans le sud de l’Angleterre.
mettra en avant ces exigences et le rôle Warwickshire au Mid Devon. Derrière Cet exemple d’une grange en plein champ
que ces bâtiments seront appelés à jouer cette distribution se cache un large éven- sur les collines crayeuses de Weymouth,
dans la diversification des revenus agrico- tail de fermes de toutes sortes et dimen- dans le Dorset, est typique de l’agriculture
les, le développement rural et le maintien sions, des grandes exploitations isolées blé-mouton qui a caractérisé cette région
et l’amélioration d’un environnement aux granges relativement modestes qui du XIVe au XIXe siècle. La construction
rural de grande qualité. Une recomman- ne furent pas remplacées au cours des basse est un très rare exemple d’abri
dation clé est que les solutions envisagées siècles suivants en raison de la dimension à moutons. Les corps de ferme linéai-

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Croatie : l’exemple du vieux village de Posavski Bregi

Le village historique de Posavski Bregi différentes formes et types de bâti. Les


s’est développé à l’endroit le plus poutres d’angle non équarries sont la
large de la vallée de la Save, le long caractéristique de base des construc-
de la vieille route qui relie Ivanić-Grad tions traditionnelles croates les plus
au point de passage le plus proche anciennes. Les toitures sont couvertes
sur la rivière. Le bourg a été jusqu’à de tuiles de bois. Les toits plus anciens,
aujourd’hui une importante paroisse à couverture de chaume, ne sont pas
et un centre urbain. Son existence préservés partout. La plupart des mai-
est antérieure à l’arrivée des Turcs sons de bois actuelles virent le jour
au XVIe siècle, époque à laquelle les dans la première moitié du XXe siècle ;
habitants ont été contraints de partir. les plus anciennes datent probable-
Il fut de nouveau habité en 1595, et la ment de la fin du XVIIIe siècle.
nouvelle paroisse fut créée en 1790. L’environnement historique étant bien
L’ancienne chapelle Sainte-Croix préservé, le village offre un potentiel
(1649), en bois, fut remplacée en touristique important. Des program-
1815 par une église paroissiale monu- mes en rapport avec les modes de vie
mentale. Le plan de l’agglomération traditionnels, comme la production
est quasiment identique à celui de la de tissu, ont été introduits. La présen-
carte des premières mesures cadas- tation des techniques de culture, de
Ferme du 17e siècle, South Downs, Angleterre trales de 1861. Autrement dit, ses filage et de tissage du lin, par exemple,
limites n’ont pas fondamentalement a ainsi fourni une bonne base pour le
changé. Posavski Bregi reste un gros développement du tourisme culturel
res, comme cette exploitation dans les bourg rural avec quelques hameaux. et écologique.
Oswestry Uplands, à la frontière avec le Les vieilles maisons et granges en bois
pays de Galles, sont largement absents du représentent aujourd’hui 40 % du total Silvija Nikšić

L’habitat rural vernaculaire et le paysage en Europe


Conseillère principale, Bureau
sud et de l’est du pays mais convenaient des maisons du village. pour la protection du patrimoine culturel
bien aux plateaux, où de petits troupeaux Dès ses origines, la présence de gran- Ministère de la Culture
de bétail passaient la plus grande partie de des forêts de chêne motiva l’emploi 10 000 Zagreb,
l’hiver à l’abri. Le fait de regrouper toutes quasi-exclusif du bois dans la construc- Croatie
les activités de la ferme sous un même toit tion. Dans ces régions, le bois fut conti- Runjaninova, 2
silvija.niksic@min-kulture.hr
présentait des avantages évidents. On voit nuellement utilisé jusqu’à la seconde www.min-kulture.hr
sur la photo, de gauche à droite, l’écurie, moitié du XXe siècle. On le retrouvait
l’étable, une grange avec aire de battage partout, des palissades des fortifica-
et la maison. tions aux objets sacrés, dans les mai-
G o r an Be ki n a , M e li t a Lu bi n a

Jeremy Lake sons et tous les bâtiments de ferme. La


Inspecteur, Équipe de caractérisation
English Heritage
stagnation générale de la construction
National Monuments Record dans les villages résulte de la diminu-
Swindon SN2 2GZ tion de la production agricole et de
United Kingdom l’exode rural dans la seconde moitié du
jeremy.lake@english-heritage.org.uk XXe siècle. C’est pourquoi il n’y eut pas
même, jusqu’à récemment, de nou-
1 Lake, J. et Edwards, B. ‘Farmsteads and Landscape :
velles constructions en maçonnerie
Towards an Integrated View’, Landscapes, 7.1.,
2006, 1-36. dans ces localités. Les maisons en bois
évoluèrent sur la durée. On distingue
Goran Bekina, Melita Lubina

Goran Bekina, Melita Lubina

Maison en bois non utilisée Vieille maison à un étage Cloisons en bois

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17
P o i n t s d e v u e

Fermes et paysage en Allemagne :


une nouvelle vie pour les bâtiments ruraux
En Allemagne, le dispositif structurel de physique du bâtiment, des mesures sont à faut également éviter toute exposition même
bon nombre de bâtiments ruraux est une prendre pour assainir l’air ambiant. de courte durée, à l’humidité, sous forme de
ossature en bois. Le toit et les murs sont pluie ou de mortier humide par exemple. Le
constitués d’un cadre en bois qui comporte Dommages de la charpente en bois bois trop humide rétrécira en séchant, d’où
des éléments primaires et secondaires. La plupart des dommages de la char- du jeu dans tous les assemblages. Tous les
Dans les murs, l’espace entre les poutres pente en bois sont causés par la pollution éléments de remplacement devront avoir
est comblé à l’aide de matériaux faciles humide : pluie battante, humidité diffuse et une teneur en humidité équilibrée (de 12 à
à trouver, tels que pieux et branches de forte condensation. En l’absence de plan- 24 %, selon qu’il conviendra).
clayonnage et argile, briques séchées au chéiage, la charpente ne peut être étan- Assemblages en bois dans
soleil ou, par la suite, cuites au four. Argile chéifiée. L’eau s’infiltre alors dans l’espace les constructions traditionnelles
ou chaux sont utilisées comme enduits, entre la charpente et le mur de même que Pour restaurer les constructions tradition-
et recouvertes de couleurs naturelles. dans les joints en bois et les fissures des nelles, il convient de n’utiliser qu’un bois
La structure est exposée aux variations poutres. Ce sont là les points faibles de la sec du même type que celui du bâtiment
météorologiques. Le présent article se charpente. Humidification et déshumidifi- en question. Les fissures importantes doi-
propose de montrer comment conserver cation ne s’équilibrent pas sur les parties vent impérativement être comblées avec
et restaurer les bâtiments anciens de ce les plus exposées aux intempéries. Si l’on du bois, jamais avec un quelconque maté-
type en préservant leur style, et d’élaborer utilise des matériaux non diffusibles, il se riau de remplissage.
une méthodologie pour la rénovation des produit une condensation sur la surface Toutes les pièces d’assemblage en bois doi-
bâtiments de ferme anciens. interne. Il faut que l’humidité se résorbe à vent être fabriquées selon la méthode tradi-
La majeure partie des villages et bourgs l’intérieur comme à l’extérieur. Par consé- tionnelle, sous forme de joints en bois. Les
ruraux d’Allemagne est constituée de bâti- quent, à l’intérieur, les pare-vapeur et les attaches métalliques sont un facteur sup-
ments traditionnels à charpente en bois. La pare-air sont souvent mal disposés. Les plémentaire de condensation. Il sera néces-
conservation de ce patrimoine exige de lui constructions à murs étagés doivent être saire de présenter les pièces d’assemblage
trouver de nouvelles fonctions et de mettre homogènes ; les matériaux doivent être traditionnelles – joints, tenons, biseaux,
au point des techniques de restauration susceptibles de transporter l’humidité par entures à mi-bois, coches et encoches – et
appropriées. Il est donc nécessaire de bien diffusion ou capillarité. d’assortir les descriptions de schémas expli-
connaître les problèmes inhérents aux catifs. La fabrication des joints en bois exige
charpentes en bois et à leurs matériaux. Un taux d’humidité supérieur à 18 % favo- un temps considérable, d’autant qu’on ne
rise la végétation mycélienne dans le bois. dispose pas de machines pour ce faire.
Analyse et projet préliminaire Le Boletus Destructor a une préférence pour Les mortaises doivent être défaites avec
Pour mener à bien la reconstruction d’un le conifère humide. Le bois de conifères et une perceuse. Les fentes profondes doi-
bâtiment historique, par exemple une de feuillus peut pâtir de la moisissure. Les vent être drainées. Le fil tranché doit être
grange, l’essentiel est de bien planifier le insectes aussi s’attaquent au bois lorsqu’il étanchéifié au moyen d’enduits modernes.
projet, en procédant comme suit : présente un degré d’humidité égal à celui Les surfaces de seuil peuvent être inclinées
– analyse de durabilité, bilan des dom- de l’air. pour permettre l’évacuation de l’eau. Il
mages et relevé des faiblesses de la est déconseillé de disposer du papier gou-
construction ; Rénovation des constructions en bois dronné sous les seuils, ceci entraînant une
– étude de construction, avec mesurage Pour mener à bien la rénovation des char- accumulation de l’humidité.
du site ; pentes en bois, il faut respecter strictement Protection artificielle du bois
– exigences des nouvelles affectations en les exigences concernant : Il faut veiller à harmoniser les diverses éta-
ce qui concerne la statique, la protection – la qualité et l’humidité du bois, pes du processus de protection chimique
incendie, l’isolation et l’humidité ; – l’assemblage des poutres, du bois. Les produits ou groupes de pro-
– plan détaillé, dossier à soumettre et – la protection du bois. duits doivent être clairement déterminés,
devis. Qualité des constructions en bois la quantité et les méthodes d’application,
L’étude de construction sera effectuée avec Dans la rénovation des bâtiments histo- précisément indiquées. Pour les charpen-
les outils habituels. riques en bois, le ratio matériaux/salaires tes en bois, l’utilisation de dispersions ou
Vu son coût, la photogrammétrie ne sera est de 1 :10. Vu le coût exorbitant de la enduits conformes à la norme DIN 68800
utilisée qu’en cas de nécessité, pour les main-d’œuvre, il est de la plus haute impor- est autorisée. Avant d’êtres recouvertes
bâtiments d’exception agrémentés de tance que les travaux réalisés soient utiles d’un enduit, les surfaces en bois doivent
sculptures et autres ornements. et durables. Le chêne doit être utilisé sans être parfaitement nettoyées :
La reconstruction gommera les défauts de son aubier, le conifère, exclusivement – la macération posera des problèmes envi-
conception et les problèmes d’ordre sani- comme bois équarri. ronnementaux avec les solvants. Les maté-
taire, garantissant ainsi le confort requis Lorsqu’on se trouve en présence d’insectes riaux suinteront en raison de la quantité
pour l’utilisation du bâtiment à d’autres ou de champignons dans un bâtiment en d’eau nécessaire après traitement ;
fins aujourd’hui. La modification de l’agen- bois, il faut retirer non seulement la partie – le décapage doit être réservé aux petites
cement doit se faire dans le respect des endommagée, mais l’ensemble des élé- surfaces, car il prend trop de temps ;
principes de construction historiques. Il ments concernés et protéger les éléments – le brossage ou grattage manuel prend
convient de distinguer murs porteurs et de remplacement au moyen de sel borique. également trop de temps. Quant au
murs de séparation. L’équipement tech- Les causes des moisissures doivent être com- ponçage à la machine, il abîmera trop la
nique doit être modernisé ; en matière de plètement éliminées. Pendant les travaux, il surface du bois ;

o
F u t u r o p a n 1 / 2 0 0 8
18
Pe t e r Ep in at j e ff

Pe t e r Ep in at j e ff
tage de la charpente. Le recours aux pièces
d’assemblage traditionnelles en bois exige
une description plus précise des diverses
opérations manuelles requises. Pour les
bâtiments historiques en bois, les temps
d’exécution des tâches ont été définis à
partir de propositions et projets allemands
et suisses (Gerner, 2002). L’importance des
coûts de main-d’œuvre exige un suivi pré-
cis des chantiers et un strict respect des
devis estimatifs, lesquels doivent être véri-
fiés fréquemment.
Maison et grange du XVIIIe siècle Schéma de maison et grange du XVIIIe siècle
Conclusion
Nos bâtiments à charpente en bois dont
– la pulvérisation de matériaux abrasifs tion. Cette technique ne peut pas être utili- certains sont vieux de cinq siècles ne pour-
comme la poudre de verre permettra sée sans couches pare-vapeur en hiver. Les ront être conservés à long terme qu’à la
de décoller les anciennes couches de couches traditionnelles de torchis et silicate faveur de mesures de réorganisation et de
couleur sans endommager la surface de calcium (coefficient K = 0,7 W/m2K) construction qui correspondent aux appli-
en bois. posent de moindres problèmes de conden- cations actuelles.
sation du fait de la diffusion capillaire du L’inventaire complet des bâtiments ne
Murs silicate de calcium. Une maçonnerie en doit pas relever de la seule conservation
Depuis 400 ans, les bâtiments à charpente argile léger avec une isolation à base de muséale.
sont recouverts de plâtre pour imiter les silicate de calcium est la solution la plus Les mesures de rénovation exigent égale-
maisons en pierre ou offrir une meilleure avantageuse en termes de condensation ment d’autres connaissances concernant :
protection contre les incendies. Ainsi la et de coefficient K (0,6 W/m2K). – le site où se trouve le bâtiment ;
charpente plâtrée peut-elle représenter Plâtrage intérieur – les caractéristiques régionales ;
aussi un élément historique du bâtiment. Le plâtre argileux est fort utile pour les – les mesures spécifiques – physiques, de
De précédentes rénovations ont parfois constructions en terre glaise. L’enduit statique et de construction – indispensa-
conduit à transformer la charpente par à la chaux est plus résistant et doit être bles à la réalisation d’un projet donné.
l’ajout de fenêtres et de portes. appliqué sur des couches spéciales telles Or, nous manquons de constructeurs et
Remplissage des murs, que natte de joncs ou grille métallique. La d’artisans compétents. Il faut à présent que
superposition et isolation conception des murs intérieurs doit per- les élèves des nouveaux centres de forma-
Argile et pieux sont les éléments de mettre d’offrir une résistance au vent pour tion en Allemagne et en Italie puissent se
construction ayant reçu l’approbation éviter la pénétration de l’eau de pluie. familiariser aux techniques traditionnelles
technique. Les fissures ou pièces endom- Plâtrage et revêtement extérieur et approfondir leur connaissance des maté-
magées doivent être réparées avec de Les couches d’enduit ne doivent pas recou- riaux spécifiques. Dans les écoles d’architec-
l’argile et des matériaux de remplissage vrir le bois de la charpente, pour éviter que ture également, il faut commencer à réflé-
légers, minéraux ou végétaux. En amélio- l’eau de pluie ne s’infiltre dans les fissures chir à de nouvelles tâches. La préparation
rant l’isolation, il faut veiller à prévenir la sans pouvoir s’évaporer. L’enduit doit être détaillée des projets de réorganisation et de
condensation centrale et la condensation étalé uniformément, de manière à éviter modernisation, la prise en compte des coûts
sur la surface interne des murs. l’apparition sur le bois de creux qui sont de dans la planification, la transcription sans
Isolation intérieure véritables « pièges à humidité » domma- délai des résultats de la recherche dans la
Tous les matériaux d’isolation et de rem- geables au bois et à l’enduit. Ce dernier doit pratique et la gestion rigoureuse de la main-
plissage doivent être homogènes. Ils doi- être appliqué à même le bois ou, si néces- d’œuvre permettront à l’avenir de réduire
vent permettre le transport de l’humidité saire, par projection ou pulvérisation. Il les dépenses qu’il nous faut engager pour
vers l’intérieur et l’extérieur par diffusion et convient d’utiliser du mortier hydraulique, restaurer notre patrimoine bâti rural.
capillarité. Laine minérale et pare-vapeur et non du ciment. Les couches d’enduit
s’opposeront au passage de l’humidité, ce doivent permettre la diffusion, sans être Peter Epinatjeff
Université de Hohenheim, Institut d’ingénierie
qui permettra de recueillir de l’eau. Les absorbantes pour autant. Il faut utiliser de agricole, D-70593 Stuttgart,
couches d’air à l’intérieur du mur pro- préférence un revêtement de silicate. Allemagne
duiront le même effet. L’eau recueillie ne Planches extérieures epi@uni-hohenheim.de
sèchera pas depuis l’intérieur. Une charpente à pignon exposée à des
Les matériaux isolants contenant du silicate pluies battantes a besoin d’être abritée.
Pe t er E pi n at je f f

de calcium offrent une faible résistance à La contrainte dépend du sens du vent, du


la diffusion de l’humidité (µ=5). site et de la topographie. Les protections
Ce composant jouit d’une bonne capilla- traditionnelles – bardeaux, ardoises, tuiles,
rité pour la condensation. L’humidité de blindages à chevauchement et planches
Points de vue

la charpente disparaîtra lorsque celle de recouvertes offrent une protection efficace


l’air diminuera. Le silicate de calcium est contre les pluies battantes. Il convient de
ignifuge, résistant aux champignons et les restaurer selon le modèle traditionnel.
recyclable. L’Institut für Bauklimatik (Bine-
Info 7/00) a testé différents matériaux Dépôt du dossier et devis
muraux pouvant convenir à la charpente Dans le passé, les travaux de restauration
d’un bâtiment historique. L’isolation par étaient calculés au m3 de matériau et au Reconstruction de la façade extérieure
laine minérale produit trop de condensa- mètre courant pour l’assemblage et le mon-

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19
Mar in a Ku l e sh o va
P o i n t s d e v u e
Village
Kimzha,
région
Arkhangelsk
Caractéristiques de l’habitat vernaculaire
dans la culture russe
En tant que lieu ordinaire de vie et d’ac- d’un fleuve. La disposition des maisons gent les champs et découpent les terres
tivité de l’homme, l’habitat vernaculaire tient compte de l’exposition au soleil, de arables en parcelles au tracé régulier et
peut être associé à la maison, à la zone la configuration du terrain, du régime des géométrique. Les populations s’établis-
de peuplement et en définitive, à la loca- vents, de l’aménagement de l’espace sent sur les flancs des vallées et dans les
lité. Là où l’homme imprime la marque alentour, l’ensemble de ces facteurs bassins d’érosion. Les maisons sont faites
de sa culture particulière et de telle ou de bois, de pierre et d’argile. Les cours
telle tradition le paysage « apprivoisé » intègrent de multiples dépendances, for-

Marin a Ku l e sh o va
peut être qualifié de culturel. Sous l’angle mant un « ensemble » particulier avec
historique et en termes de patrimoine, la maison principale, souvent couverte
ce paysage est porteur de valeurs témoi- d’un toit en argile et de plâtre blanc sur
gnant des conceptions du monde de les murs. Les cours sont dotées de fours
divers groupes ethniques et sociaux. On supplémentaires permettant de cuisiner
s’accorde généralement à considérer dehors en été. Les couleurs dominantes
que la forme et les fonctions du paysage sont le blanc et le bleu clair. Les rues sont
participent des relations et interactions d’ordinaire assez larges et bordées d’ar-
avec la nature. Ce qui peut conduire soit bres des deux côtés ; les villages sont, le
à une transformation totale de l’environ- plus souvent, dûment structurés.
nement naturel, soit, au contraire, à son Les habitants du sud de la Russie aiment
entière préservation grâce à de pieux aussi décorer les maisons – linteaux
efforts pour le garder intact. Chaque sculptés, volets peints, cheminées et gout-
élément du paysage acquiert, dans ce tières ouvrées, arêtes de toit ornées – et
Vieille serrure de maison,
processus, le contexte culturel approprié. région de Chelaybinsk ces éléments sont tous présents aussi
Un paysage « apprivoisé », porteur de bien sur les édifices publics que sur les
sens, est toujours culturel. Tout naturel- maisons d’habitation. Dans la forma-
lement, l’élément clef d’un tel paysage concourant à la beauté et à l’harmonie tion d’une zone de peuplement, l’église
est la maison, un type d’habitat dont le du village typique de la Russie septentrio- a toujours été l’élément déterminant de
style et la construction savent s’adapter nale. C’est là, dans ces villages entourés la structuration du lieu, entourée de la
à l’environnement naturel. La Russie, qui de champs et de prés, s’étirant le long place où se déroulent la vie publique et
présente sur son immense territoire les des routes, nichés dans des clairières, l’activité commerciale. La modification
conditions naturelles les plus diverses, délimités par des haies et des buissons, des frontières méridionales de la Russie
de la toundra arctique aux steppes ari- que le paysan passe la quasi-totalité de au fil de l’histoire a fait de cette région
des, offre maints exemples de ces modes sa vie, la famille tirant ses revenus des une zone de contacts, qui n’ont pas tou-
d’adaptation. travaux agricoles et d’activités annexes. jours été amicaux envers les voisins,
Dans le nord de la Russie d’Europe, la C’est dans les régions où la pêche et la
rudesse du climat, les forêts sans fin, chasse de mammifères marins offrent
l’immensité des marais, les innombra- d’importants compléments de revenus
bles lacs, fleuves et rivières ont engendré que va naître la culture des Pomors, peu-
une architecture en bois, exportée par la plade russe, attachée aux côtes septen-
suite en Sibérie, puis, encore au-delà, en trionales et perpétuant la tradition de la
amont des grands affluents. Ce sont les navigation en mer. Les Pomors quittaient
villages des hautes terres ou des rives leur plaisant village niché dans la forêt
escarpées des cours d’eau, avec leurs pour descendre des mois durant les fleu-
maisons massives, dont l’intérieur et les ves du nord ; ils construisaient sur leur
dépendances sont rassemblés sous un chemin vers les régions côtières où ils
même toit, de manière à éviter d’inutiles allaient pêcher et chasser, les cabanes
expositions au froid et au vent en hiver. adaptées à leurs besoins, « marquant »
L’architecture vernaculaire russe a tou- ainsi le paysage d’éléments culturels
jours intégré des éléments décoratifs – spécifiques.
riches sculptures en bois sur les linteaux
et le toit (« tours », « ailes », accolades), En Russie méridionale, les rythmes, cou-
parfois aussi sur le porche et la cage d’es- leurs et formes de l’habitat sont tout à fait
calier. Dans certaines régions, des pein- autres. Dans les steppes ou à la lisière des
tures viennent agrémenter le « podzor » forêts et des steppes, les espaces s’éti-
(intérieur de l’avancée du toit), les portes, rent et les habitations se cachent dans
les volets. Au centre de la zone de peuple- l’ombre des jardins. Ici, ce ne sont pas les
ment s’élève généralement une église ou forêts, mais les champs qui s’étendent
une chapelle, toujours à un endroit clé, à perte de vue. Les forêts se trouvent à
en un point dominant, soit sur une haute proximité des vallées fluviales ou dans
colline, soit au centre d’un amphithéâ- les régions qui ne se prêtent pas à l’agri-
tre naturel, par exemple à l’embouchure culture. De multiples bois et haies protè-

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P o i n t s d e v u e

Mar in a Ku l e sh o va
loin s’en faut ! Le groupe de population
constitué par les Cosaques – qui a émi-
gré par la suite dans les monts Oural et
au-delà – a amplifié la mobilisation pour
la défense de l’identité culturelle et des
modes d’acculturation du paysage. Dans
le sud et dans certaines régions du centre
de la Russie, les cours fermées par de
hauts portails aveugles en vertu du prin-
cipe « ma maison est ma citadelle » sont
encore très répandues, alors que dans
le nord du pays, l’absence de clôture est
plus fréquente.
Le centre de la Russie a aussi ses habitats
spécifiques. Les populations s’établis-
sent de préférence sur les hauteurs des
rives – non inondables – des cours d’eau Maison privée à Kyshtym, région Chelaybinsk
et des lacs. C’est ici la région des forêts,
mais les champs et les prairies couvrent
également de vastes territoires, trans- la maison est généralement en pierre un contexte social donnés, à un moment
formant le paysage en une gigantesque ou en bois. Contrairement à la maison particulier de l’histoire. Lors de change-
mosaïque d’écosystèmes. Plantations traditionnelle du nord, elle est peinte et, ments civilisationnels marqués, le pro-
d’arbre et cultures clôturées sont carac- en règle générale, les dépendances sont cessus d’adaptation peut échouer, entraî-
téristiques de cette région. Aux siècles soit dispersées, soit regroupées sous un nant la perte irrémédiable de nombreux
précédents, la noblesse y possédait de toit léger. En termes de décoration, les éléments de l’habitat vernaculaire. Par
grands domaines avec parcs et dépen- linteaux sculptés sont réputés pour leur conséquent, l’élaboration de méthodes
dances dont certains, transformés par la élégance. La façade est habituellement et d’outils pour définir, évaluer et pré-
suite en musées littéraires sont, à ce jour, ornée d’une « palissadnik », un parterre- server ces éléments est de la plus haute
bien préservés. Une majorité de poètes clôturé de plantes cultivées et sauvages. importance.
et écrivains russes en effet, sont nés, Autre caractéristique, la présence, à Signalons à ce propos que l’Institut russe
ou ont vécu dans de vastes domaines proximité des villages, de forêts pasto- de recherche pour la préservation du
qu’ils ont eu à cœur de décrire dans leurs rales. Ce sont d’ordinaire des boulaies, patrimoine culturel et naturel a engagé
œuvres. Dans l’habitat rural traditionnel, puisque les Russes cultivent et chérissent l’adaptation du Guide européen d’obser-
le bouleau. Dans le centre de la Russie, vation du patrimoine rural qu’a élaboré
les palissades sont basses et permettent la Conférence européenne des ministres
M ar i n a K ul esh o v a

de voir ce qui se passe à l’extérieur. Elles responsable de l’aménagement du terri-


ne délimitent ni ne protègent le territoire, toire (CEMAT), Conseil de l’Europe1. Cet
mais le marquent symboliquement. exercice pourrait constituer une étape
importante dans la sauvegarde et la valo-
Le XXIe siècle voit apparaître un nouveau risation du patrimoine.
type d’habitat vernaculaire, typique de
la nouvelle strate – relativement margi- Marina Kuleshova,
Tamara Semenova
nale – de la population, les « nouveaux 2, Rue Kosmonavtov
Russes ». Cottages éclectiques à trois éta- Institut russe de recherche pour la
ges occultés par de hautes et massives préservation du patrimoine culturel et naturel
palissades, prédominance de construc- RU – 129366 Moscou,
Fédération de Russie
tions en béton et de revêtements en tams@online.ru
asphalte, ruelles étroites écrasées par la
hauteur des palissades, tels sont les traits
1 www.coe.int/CEMAT
caractéristiques de cet habitat émergent.
Il tend à envahir le voisinage des loca-
lités les plus attrayantes, en particulier
Points de vue

celles dotées d’infrastructures vitales, et


entoure la ville d’un nouveau paysage
de « cottages ».
La valeur de l’habitat vernaculaire tradi-
tionnel réside dans le choix des formes
d’adaptation les plus appropriées pour la
Village Konyevo dans la région Arkhangelsk cohabitation humaine et l’activité écono-
mique dans des conditions naturelles et

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S t e l l a Ago st in i
P o i n t s d e v u e
Maison
de ferme
dans le centre
de l’Italie

Agriculture, terre et identité populaire en


Lorsqu’on s’approche des Apennins, le

S t e l l a Ago st in i
paysage se compose de fermes d’exploi-
tation mixte dans les zones de monta-
gne, de châtaigneraies, de prairies et de
pâturages. Les fermes sont dispersées ou
regroupées dans des villages comptant
de 300 à 1000 habitants.

Les paysages bleus des plaines


Dans les plaines du nord de l’Italie, le fac-
teur déterminant est l’eau. Sa présence
détermine en effet les modes et types de
cultures et l’évolution du peuplement et
de l’habitat rural dans la vallée du Pô.
Dans les plaines sèches et sur les contre-
forts, la terre se prête parfaitement à la
culture des céréales. Les exploitations
sont regroupées sur les hauteurs. Presque
toujours polyvalentes, elles s’organisent
autour d’une petite cour, et se caracté-
risent par de multiples espaces réservés
« Sassi », Matera, Italie pour chaque agriculteur, des balcons en
bois et un hangar.
La vallée du Pô, bien arrosée, concentre
Les agriculteurs ont été les premiers à ovin, c’est pourquoi les herbages sont au sud de Milan la culture du fourrage, du
savoir transformer un lieu à leur avan- omniprésents, tandis que les surfaces riz et des céréales, l’élevage et les cultu-
tage et c’est depuis toujours à l’agricul- ensemencées sont limitées et reculent res mixtes. La topographie des lieux a été
ture, et à son mode d’organisation, que au fur et à mesure que se développent façonnée par les crues, (buttes, bassins
l’on doit la mise en place des éléments les zones de peuplement. Afin d’utiliser et dépressions), les dépôts de galets et
qui caractérisent et définissent un lieu. le moins possible de terrain productif et de sable et préservée au fil des siècles.
Les liens entre l’agriculture, les hom- par solidarité, compte tenu de l’état du Il s’est créé ainsi un paysage de bois et
mes et la terre façonnent le paysage milieu, les agglomérations rurales sont marécages, que les paysans ont patiem-
en fonction de facteurs locaux, tels le plus souvent concentrées dans les ment convertis en champs fertiles. La
que le climat, la présence de matériaux vallées et éparpillées sur les flancs enso- mise en place d’un savant réseau de rigo-
de construction et d’infrastructures, leillés des montagnes. Caractérisé par sa les et de canaux d’irrigation, nécessaires
le volume de la production agricole, structure unitaire, l’habitat de montagne à l’extension des terres cultivées, s’est
l’organisation socioéconomique, les réunit la maison d’habitation et les bâti- accompagnée de la construction de mou-
modes de construction traditionnels, ments agricoles sous un même toit. Le lins à eau et de fermes à « cour fermée »
les connaissances techniques, le savoir- lieu de vie n’est séparé du lieu de travail typiques de la vallée du Pô : alignement
faire et l’artisanat local. que dans les régions plus développées de bâtiments de faible hauteur, mécani-
Ces facteurs concourent à l’organisation au plan socioéconomique. sés, encadrant une cour, espace ouvert
des bâtiments agricoles et contribuent La pratique de l’estivage, qui consiste à utilisé à l’origine pour le gerbage et le
à façonner diversement, partout dans faire séjourner les bêtes à des altitudes battage des céréales.
le monde, les paysages ruraux. Chaque de plus en plus élevées au fur et à mesure Dans leurs structures, bon nombre de ces
région, aussi petite soit-elle, a son type de que la chaleur augmente, a été à l’ori- fermes portent la marque du XIIIe siècle.
fermes. Il suffit souvent de les regarder gine des « alpages » qui se composent des La prépondérance des briques et tuiles
attentivement pour comprendre les sys- pacages proprement dits et d’un ensem- en argile tient à l’abondante présence
tèmes agricoles. En Italie, où les surfaces ble de constructions d’appui. de cette roche dans le sol des plaines
agricoles couvrent la moitié du territoire, Celles-ci sont nécessaires en raison des alentour.
ces systèmes se reconnaissent encore distances importantes à couvrir et des Ce modèle d’exploitation évolue en fonc-
aisément de nos jours. La différenciation difficultés propres à la transhumance. tion des conditions socioéconomiques.
historique des modèles agricoles le long Elles sont habituellement disséminées et Les territoires autrefois sous influence
d’un axe nord-sud a permis la constitu- comprennent une grange et une étable. milanaise ou vénitienne se caractéri-
tion au fil des siècles d’un patrimoine Des regroupements s’opèrent parfois sent par la présence de quelques grands
riche et varié. pour s’entraider le temps de l’estivage. domaines agricoles, alors que dans les
Les constructions typiques des Alpes, sta- environs de Mantoue et de Reggio d’Emi-
Les paysages verts des montagnes tions semi-permanentes situées à diffé- lie, les fiefs (« corti ») appartenaient à des
Dans les régions montagneuses, la terre rentes altitudes, peuvent être tantôt en nobles de rang moins élevé, dont les
est stérile, impropre à la culture. L’une pierre, tantôt entièrement en bois, selon domaines étaient par conséquent plus
des activités traditionnelles est l’élevage les matériaux disponibles. modestes.

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P o i n t s d e v u e

Italie
Dans les plaines de Vénétie, les bâtiments fortification, en fonction des conditions sont la résultante d’une architecture
ruraux ne présentent pas de caractéristi- climatiques et des matériaux présents internationale née de l’industrialisation,
ques notables, sauf dans le sud de la pro- dans la région, en particulier, le tuf (roche qui ignore les frontières autant que la
vince de Padoue dont la maison typique volcanique). couleur locale.
est la « casone », reconnaissable à son toit A Matera, en Basilicate, on en trouve L’arrivée de nouveaux pays dans l’Union
bas et pointu. Ce modèle d’habitat rural quelques exemples, dont les « sassi », des européenne et la mondialisation du mar-
très simple date de la première moitié habitations troglodytes creusées dans ché des produits agricoles et alimentaires
du XVe siècle, lorsque l’assèchement de les flancs de la montagne, qui forment portent en eux le risque d’une mon-
vastes étendues marécageuses nécessita un ensemble complexe avec les églises dialisation de l’identité des peuples,
un important afflux de main-d’œuvre. rupestres, les réservoirs d’eau situés le gommant le patrimoine culturel et les
Il fut alors créé un fonds pour aider les long des pâtures et les masserie forti- identités distinctes des pays et de leurs
nouveaux venus à bâtir leur maison et les fiées. Aux XIXe et XXe siècles, les « sassi » populations. La diversité culturelle mon-
inciter ainsi à rester sur place. étaient essentiellement habitées par des diale s’en ressentirait profondément.
personnes extrêmement pauvres, qui y Les bâtiments ruraux constituent indé-
Les paysages sous l’influence vivaient dans des conditions d’hygiène niablement des témoignages immédiats
citadine des métairies déplorables. de l’activité humaine. Les laisser tomber
Dans le centre de l’Italie, la pratique de en ruines, c’est perdre à tout jamais des
l’agriculture et de l’élevage extensif s’est Les paysages monochromes pans entiers de notre passé.
inscrite des années durant dans le cadre de la mobilité
de grands domaines. Il s’agissait prin- Longtemps en ruines, les « sassi » ont Un patrimoine durable
cipalement d’exploitations familiales, été inscrites au patrimoine mondial de Les liens entre champs cultivés et bâti-
mais le métayage était également très l’UNESCO et restaurées en tant que cen- ments de ferme sont d’importants mar-
répandu. Le système reposait sur une tre culturel et touristique. queurs de la spécificité locale et concou-
polyculture associant cultures herbagè- Cela étant, les principaux types de fer- rent ainsi à la formation du sentiment
res, arboriculture et élevage. Le villa- mes restent les mêmes aujourd’hui. Tant identitaire des communautés locales.
geois possédait la terre et les murs de sa qu’elles existeront, ces fermes témoigne- Leur transformation et la vitesse d’évolu-
maison, et les fermes ressemblaient aux ront de la grande diversité régionale des tion des techniques agricoles en général
habitations urbaines selon le bon vouloir modes d’exploitation, des types d’habi- posent de véritables défis à l’Europe et
de leur propriétaire. tation, des méthodes de million et demi au reste du monde.
L’habitation typique des métayers est de fermes à l’abandon, rejoignant ainsi Ce n’est pas en recréant le décor du
l’« italico ». C’est une haute bâtisse de une tendance qui s’observe également passé, incompatible avec les exigen-
forme rectangulaire surmontée d’un au-delà des frontières du pays et de l’Eu- ces de production d’aujourd’hui, que
toit en bâtière ; soit la partie habitée se rope. l’on remédiera à la perte d’identité des
trouve directement au-dessus des dépen- La campagne couvre 85 % du continent sites qu’engendre la mondialisation.
dances (accessible par un escalier exté- européen. On considère dorénavant Une « agriculture durable » s’accompa-
rieur) soit elle en est séparée. la riche diversité des paysages ruraux gne nécessairement de possibilités de
comme la valeur fondamentale de ce développement. Par agriculture durable,
Les paysages fortifiés du Sud patrimoine, chaque fois que la structure il faut entendre ici, une agriculture sou-
Au sud de l’Italie centrale, les domaines des nouveaux bâtiments agricoles est cieuse de préserver l’identité du terroir
agricoles ont longtemps occupé une manifestement inspirée des modèles tout en assurant un avenir au secteur,
place prépondérante dans le paysage. industriels. et résolue à améliorer la qualité de vie
Le système reposait sur une hiérarchie Alors qu’autrefois, les matériaux et la et les conditions de travail des agricul-
rigoureuse : le propriétaire, le régisseur, main-d’œuvre étaient d’origine locale, teurs, pour les aligner sur les évolutions
le fermier, les ouvriers agricoles. Ce type exclusivement, et leur utilisation définie sociales actuelles.
d’exploitation agricole (« masseria ») était par la tradition, aujourd’hui, les nouvelles
conçu de manière à être indépendant technologies et techniques de construc-
St el la Ag o sti n i

et autosuffisant. La structure rappelle tion ont introduit des éléments et des sty-
celle des « corti » du Nord. Elle peut être les totalement étrangers au milieu local.
simple ou complexe selon le nombre de Dans les fermes actuelles, les bâtiments
bâtiments qui la composent. agricoles traditionnels – étables, écuries,
Plus on descend vers le Sud, plus les bâti- granges, dépendances et remises – ont
ments de ferme revêtent une apparence été remplacés par des préfabriqués en
Points de vue

urbaine. béton armé indépendamment de leur


Souvent, le regroupement des habita- fonction et sans prise en compte de
tions tient à des raisons historiques : l’environnement. Souvent d’anciennes
agrandissement des domaines, mesure résidences seigneuriales sont, elles aussi,
de défense, absence d’eau potable, éloi- délaissées pour de prétentieuses villas
gnement du marché, etc. D’où la com- contemporaines importées de la ville qui
plexité des formes de la « masseria » qui ne manquent pas de détonner dans la Prairie de l’Italie du Nord
ressemble parfois à un château ou à une campagne. Ces nouvelles constructions

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P o i n t s d e v u e

Garantir la durabilité exige dès lors de lieu. Le paysage, le milieu, la terre et Forum UNESCO – université et patri-
commencer par cerner les liens entre les hommes forment un tout. Examiner moine. C’est une question qui exige une
l’agriculture, les hommes et la terre qui le patrimoine rural vernaculaire, c’est attention immédiate, compte tenu du vif
font l’identité du lieu et forment la base examiner ce tout : comprendre les rela- intérêt qu’elle suscite auprès du grand
du « patrimoine rural vernaculaire ». tions, apprécier l’authenticité des sites public, comme en témoigne la ratifica-
Jusqu’à présent, la communauté inter- et habitats agricoles sous tous les angles tion de la Convention européenne du
nationale s’est intéressée essentielle- et réfléchir au moyen de la préserver. paysage.
ment au « patrimoine vernaculaire » en C’est aussi élaborer des directives et des
tant que mode de construction partagé politiques foncières visant à promou- Stella Agostini
Institut d’ingénierie agraire
par la communauté pour apporter des voir le développement d’un nouveau Université d’études de Milan (I)
réponses efficaces aux contraintes fonc- patrimoine rural vernaculaire, à même Via Celoria 2
tionnelles, sociales et environnementa- de conserver le « génie du lieu » dans 20133 Milano,
les (Charte du patrimoine bâti vernacu- l’aménagement futur de l’espace rural. Italie
laire adoptée en octobre 1999). Ajouter Tels sont les objectifs des travaux sur stella.agostini@unimi.it
« rural » à la définition, c’est enrichir le le patrimoine rural vernaculaire que
concept pour reconnaître les influen- mène l’Institut d’ingénierie agricole de
ces de l’agriculture sur l’identité d’un l’Université de Milan au sein du Réseau

Le Projet de coopération transnationale du Réseau des paysages fermiers des îles européennes

Les îles sont les grandes oubliées de la ment les murs traditionnels, et souvent Le projet est coordonné par le
politique européenne du paysage. Elle uniques, faits de pierre et de tourbe, les Hampshire and Isle of Wight Wildlife
a pourtant de profondes répercussions enclos et abris à bétail, ou encore les Trust et cofinancé par Leader, l’une des
sur leurs communautés rurales, leur vestiges historiques et archéologiques. quatre initiatives financées par les fonds
environnement et leur biodiversité. Les loisirs à la ferme et les gîtes ruraux structurels de l’UE, conçue pour aider
Le réseau des paysages fermiers des tendent à constituer une importante les acteurs du monde rural à prendre
îles européennes créé en 2005 établit source de revenus pour les agriculteurs la mesure des possibilités offertes à
un partenariat entre des îles qui s’em- et s’avèrent extrêmement utiles pour longue échéance par leurs régions res-
ploient ensemble à appeler l’attention promouvoir le rapport entre les paysa- pectives.
sur les problèmes qui les préoccupent, ges et la faune et la flore sauvages – par
en examinant les incidences des inves- exemple à travers la restauration ou la Graham Drucker
EIFL Coordinateur de projet, Hampshire
tissements agricoles de l’UE sur la bio- conversion de bâtiments de fermes and Isle of Wight Wildlife Trust, Forest
diversité et les paysages insulaires. Les inusités. Le tourisme joue un rôle éco- Office, Parkhurst Forest, Newport,
activités du réseau consistent principale- nomique clef dans la plupart des îles du Isle of Wight, PO30 5UL,
ment à promouvoir les composantes de réseau. Sa contribution pourrait être des United Kingdom
ces paysages, comme l’architecture des plus précieuses pour la sauvegarde des drucker@btopenworld.com.
www.islandfarming.net
fermes locales et le bâti rural, notam- fermes vernaculaires dans l’avenir.
Gr a ha m Dr uc k er

Ferme de l’Ile de Wight, Royaume-Uni

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A i l l e u r s d a n s l e m o n d e

Influences vernaculaires européennes


en Argentine
Des influences de la période coloniale

Jo rge To m asi
aux apports des migrations massives de
la période républicaine, l’influence ver-
naculaire européenne s’est fait sentir à
différents moments historiques. A cha-
que fois, cependant, les contributions
européennes sont venues s’ajouter aux
traditions locales, générant de nouvelles
expressions.

Le colonialisme espagnol en Amérique


s’étend sur une période allant de la fin du
XVe siècle au début du XIXe siècle. Au-
delà du processus d’acculturation subi
par les populations indigènes, de nom-
breuses traditions vernaculaires hispa-
niques, avec leur composante arabe, se
superposèrent aux expériences locales.
La plus grande partie de l’architecture
coloniale illustre ce processus d’adap-
tation des traditions européennes à un
nouveau territoire. Les missionnaires
qui furent à l’œuvre en Amérique jouè-
rent aussi un rôle très important à cet
égard. La plupart d’entre eux apportè-
rent le savoir-faire architectural de leur
région d’origine et appliquèrent ces
connaissances à la construction d’égli-
ses et de maisons dans les nouvelles
villes qui furent fondées.

Entre 1870 et 1920, le gouvernement


argentin tenta de donner une image
européenne au pays en cherchant à
oublier les traditions locales. Une immi-
gration européenne massive fut favo-
risée dans le cadre de ce processus.
Jusqu’en 1910, plus de deux millions
d’immigrants entrèrent dans le pays. Ils
venaient pour la plupart d’Italie ou d’Es- Maison à La Boca, Buenos Aires
pagne, mais aussi d’autres pays d’Eu-
rope. Ils amenèrent avec eux non seule-
ment leurs illusions d’une nouvelle vie, pes du centre de l’Europe reproduisirent Jorge Tomasi
mais aussi la culture de leur pays, leur leurs habitudes constructives fondées Architecte
langue et leur architecture. Perpétuer sur l’utilisation du bois, créant ainsi de Conseil national de recherches scientifiques
et techniques (CONICET)
ces traditions équivalait à maintenir les nouvelles traditions vernaculaires. La Université de Buenos Aires
Ailleurs dans le monde

valeurs de leur lieu d’origine. Beaucoup plupart des nouveaux résidents choisi- Argentine
de ces communautés d’immigrés étaient rent le milieu urbain, où ils contribuè- jorgetomasi@hotmail.com
déterminées à préserver ces valeurs rent par leurs traditions et leurs valeurs
tandis que d’autres intégraient les spé- à créer de nouveaux langages dans
cificités locales, générant de nouvelles l’architecture populaire, en intégrant
réponses spécifiques. les nouveaux matériaux industriels qui
arrivaient également dans les ports.
La plupart des groupes d’immigrés
cherchaient à maintenir les structures Toutes ces interactions firent apparaître
productives de leur lieu d’origine. Dans de nouvelles traditions vernaculaires.
certains cas, ils y étaient aidées par Les influences européennes, unies aux
la similitude des nouvelles terres. Ils valeurs locales, apportèrent de nouvel-
contribuèrent aussi à l’architecture liée les réponses originales aux besoins qui
à leur activité productive. Certains grou- se faisaient jour.

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25
Val dir Zwe t sc h
A i l l e u r s d a n s l e m o n d e
Témoignage
de la migration
italienne,
Campinas,
Brésil Paysage rural dans le Sud-Est du Brésil :
la région métropolitaine de Campinas
construites pour faciliter l’écoulement de sionnement en eau de la région métro-

Val dir Zwe t sc h


la production. Une seule (qui traverse la politaine. Elle offre de surcroît un remar-
Zone de protection environnementale en quable couvert végétal qui a subsisté en
direction nord-ouest) est encore en ser- raison des caractéristiques de l’utilisation
vice de nos jours, à des fins touristiques. des terres rurales. La forêt atlantique pri-
Du point de vue du processus historique mitive a été presque totalement anéantie
d’occupation territoriale, il faut citer la par le développement et l’urbanisation
forte présence de l’immigration italienne de la métropole de Campinas. Dans ce
durant l’âge d’or du café, dont l’influence contexte, on ne saurait donc trop insister
sur les traditions sociales et religieuses sur l’intérêt considérable de ce secteur3.
est encore visible aujourd’hui. Le passé Tous les aspects de la Zone de protection
colonial de cette région se dénote dans environnementale évoqués plus haut sont
ses innombrables bâtiments de ferme représentatifs du patrimoine naturel, his-
encore bien préservés. Ils constituent un torique et culturel et sont fondamentaux
patrimoine architectural rural unique2 et pour le maintien d’une bonne qualité
Vieux train roulant aujourd’hui pour les touristes,
musée Carlos Gomes, Brésil un témoignage de la production agricole de vie dans la région métropolitaine de
qui propulsa Campinas sur la scène natio- Campinas.
nale.
La région métropolitaine de Campinas est Maria Helena
Ferreira Machado
aujourd’hui l’une des plus importantes de A ce patrimoine architectural rural com- Professeur
la scène nationale du point de vue de son posé des fermes d’autrefois et des gares, Faculté d’architecture et d’urbanisme
insertion dans la dynamique économique des ponts et des voies de l’ancienne ligne Pontifícia Universidade Católica
actuelle. Composée de dix-neuf villes, elle de chemin de fer s’ajoute celui des centres de Campinas,
Brésil
compte 2,3 millions d’habitants et génère urbains des districts de Souzas et Joaquim lenafm@uol.com.br
environ 10 % du produit intérieur brut de Egídio. Malgré l’extension du périmètre
l’Etat de São Paulo. Reliée par un com- urbain et le morcellement du territoire
1 La Zone de protection environnementale couvre
plexe réseau autoroutier à la métropole de en d’innombrables copropriétés érigées
223 km2 (27 % de l’ensemble du territoire com-
São Paulo et à d’autres pôles développés par des populations à hauts revenus à munal de Campinas) et compte 29 000 habitants,
du sud-est du pays, c’est une zone extrê- partir des années 1970, les noyaux origi- répartis sur les deux districts.
2 La première documentation sur les bâtiments de
mement industrialisée qui occupe une nels abritent encore des constructions du ferme datant de la période coloniale de Campinas a
situation stratégique dans le réseau urbain XIXe siècle dont certaines ont été restau- été produite par la professeure Area Pereira da Silva
de l’Etat. Elle se distingue d’autres régions rées et placées sous la tutelle de l’Etat. en 1996. La plus grande partie de ces bâtiments se
trouvent dans la Zone de protection environnemen-
de l’Etat de São Paulo à la fois par la diver- tale de Souzas et Joaquim Egídio.
sité de son parc industriel et par l’intense Il convient de rappeler l’importance de 3 Il ne reste guère que 2,5 % de la végétation ori-

activité agro-industrielle (production de cette Zone de protection environnemen- ginelle dans la ville de Campinas, dont 60 % dans
cette zone de protection.
sucre, d’alcool et d’agrumes, notamment) tale. Son riche bassin hydrographique, en
des zones environnantes. Avec son mil- particulier, est essentiel pour l’approvi-
lion d’habitants, Campinas est la princi-
pale agglomération de la région métropo-

Val di r Zw e tsch
litaine et un pôle d’attraction majeur qui
rayonne sur les villes voisines.

C’est dans cette municipalité que l’on


peut trouver les vestiges d’un patrimoine
rural vraiment remarquable, aujourd’hui
protégé par une loi de l’Etat en vertu de
son classement en Zone de protection
environnementale. Située dans le sec-
teur nord-est de Campinas, cette zone
recouvre deux petits districts : Souzas et
Joaquim Egídio1.

Cette région fut au XVIIIe siècle l’une


des principales voies de pénétration de
l’intérieur du Brésil par les bandeirantes.
Occupée dans un premier temps par de
grandes exploitations de canne à sucre,
elle devint par la suite le royaume des plan-
tations de café. Avec l’arrivée du chemin Maisons de fermes coloniales de Souzas et Joaquim Egidio, Campinas, Brésil
de fer au XIXe siècle, deux lignes furent

o
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A i l l e u r s d a n s l e m o n d e
N at ion al In st it u t e o f C u l t u re , Pé ro u

Rue Contumaza
Nat i o na l In st i tu te o f C u lt u r e, Pé rou

Un exemple d’architecture vernaculaire au Pérou :


l’architecture européenne de Lima aux XIXe et XXe siècles

La transformation de Lima débuta au de cannes et de boue), cannes broyées, ont fait place à des halls couverts de
XIXe siècle à la suite des deux révolu- bois et plâtre pour les décors des faça- verrières.
tions européennes, « l’industrielle et la des. Du plâtre était aussi utilisé pour les Plusieurs styles peuvent être identifiés,
scientifique », qui modifièrent complè- murs intérieurs et extérieurs. Seul du dont l’Art Nouveau (1910-1915) et le
tement les modes de vie. fer préfabriqué était importé d’Europe, style Floral italien (1916-1919). A comp-
La rénovation de la ville comporta la principalement de France, pour la réa- ter de 1920, la loi imposa de construire
réalisation de travaux publics (éclairage lisation des balcons, rampes d’escalier, tous les bâtiments dans le nouveau style
public, tramway, nouvelles avenues grilles des portes et fenêtres. C’est le colonial. Certains éléments des façades
en béton et en asphalte, eau potable cas des maisons des rues Contumazá, révèlent l’influence du style palazzo ita-
et assainissement) et l’utilisation de Lino Cornejo et Pachitea. Ces rues font lien (1924-1928).
Ailleurs dans le monde

« matériaux nobles » comme le ciment, partie du paysage monumental urbain


le béton armé et le fer forgé dans les du centre-ville historique de Lima. L’architecture européenne influença
nouveaux bâtiments publics et privés. Ces immeubles de deux ou trois étages l’architecture locale, donnant nais-
Cette période vit aussi la création de ont des façades décorées. On observe sance à « l’architecture vernaculaire »
nouvelles institutions qui investirent une prédominance des allèges au pre- aujourd’hui étudiée par l’Institut natio-
dans la modernisation de la ville. mier étage tandis qu’au deuxième appa- nal de la Culture.
raissent colonnes, pilastres, sculptures,
Les matériaux traditionnels continuaient moulures (fleurs et cariatides), balcons, Fanny Montesinos Sandoval
Master en archéologie
à entrer dans la construction des mai- colonnades et entablures. Le tout est Restauration de monuments
sons de la classe moyenne : pierres surmonté de corniches ou frontons. Pérou
pour les fondations, briques pour les L’intérieur des bâtiments a été entiè- fannymontesa@yahoo.com
soubassements, briques de boue et rement transformé. De vastes halls ont
clayonnage enduit de torchis (murs faits remplacé les vestibules et les patios

Lima, 1925
o
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Adr ian V. Liz ar e s
A i l l e u r s d a n s l e m o n d e
Façade
de la maison
de Balai
ni Tana Dicang,
Philippines,
XVIIIe siècle
Arquitectura Mestiza dans les Philippines
espagnoles de l’époque coloniale
L’arrivée de l’expédition de Miguel de ville et les autres bâtiments insti- dur qui pousse dans ces îles. Les murs
López de Legazpi en 1571 signifia la tutionnels et civils d’importance. Ces du niveau inférieur étaient ponctués de
naissance d’une Manille espagnole sur édifices furent en outre bâtis selon de grandes baies cintrées et de portes sou-
les rives du Pasig. Les conquérants nouvelles méthodes architecturales qui vent dotées de belles grilles en fer forgé
entreprirent d’ériger fortifications et se répandirent jusque dans les demeures (plateria) ; pour les vitrages des fenêtres
églises et commencèrent à construire des ilustrados, ou « citoyens éclairés », à châssis en bois, on utilisait des carreaux
des habitations dans le style typique de les représentants de l’élite locale qui translucides en capiz (coquillage) en lieu
la région Pacifique-Asie du Sud-Est : une s’étaient enrichis et avaient reçu une et place du verre vénitien importé, plus
maison sur pilotis réalisée entièrement éducation en Europe. onéreux.
en bois, bambou et chaume, matériaux Une nouvelle architecture était née, On accédait à l’étage par un élégant
très abondants dans ces régions. Mais dite arquitectura mestiza (« architecture escalier de bois sculpté, l’escalera. Lieu
au vu des risques d’incendie inhérents métisse ») en raison de l’emploi simul- de la résidence principale, c’était l’en-
à ce type de constructions, il fut décidé, tané de la pierre et du bois. La popula- droit le plus sophistiqué de la maison où
en vertu d’une ordonnance de 1573 du tion locale qualifiait ces constructions étaient déployées toutes les fioritures de
roi Philippe II, d’en revoir la structure de bahay ng kastila (maison de Castille) la vie européenne. Les pans de bois de
en remplaçant les composants par des ou bahay na bato at kahoy (maison de cet étage supérieur, ornés de bas-reliefs,
matériaux ignifuges et en modifiant tota- pierre et de bois). Des similitudes avec pouvaient s’ouvrir sur quatre-vingt-dix
lement les normes de construction. Vers l’architecture vernaculaire du nord de pour cent de l’espace mural, garantissant
le milieu des années 1580, à la suite de la la péninsule Ibérique peuvent d’ailleurs ainsi la ventilation dans ce climat tropical
découverte de dépôts de tuf volcanique être notées, notamment dans le pragma- chaud et humide. Toute l’enceinte était
(connu localement sous le nom d’adobe) tisme de la conception. Comme le caserio composée de fenêtres centrales coulis-
à San Pedro de Makati, au nord de la basque ou le pazo de Galice, ces maisons santes (ventanas) sur châssis de bois,
ville, le père jésuite et ingénieur Antonio se caractérisent par l’emploi de la pierre avec des vitres en capiz, couplées à des
Sedeno forma des maîtres d’œuvre phi- au rez-de-chaussée et du bois à l’étage. persiennes (persianas) que l’on pouvait
lippins à l’exploitation de la carrière et Le rez-de-chaussée n’était pas utilisé à ouvrir ou fermer à volonté (pour protéger
à la taille de la pierre. Encouragés dans des fins d’habitation, mais servait au la fenêtre du soleil tout en permettant
leurs efforts par Domingo Salazar, le pre- stockage ou au bétail, tandis que l’étage à l’air de passer). Sous ces fenêtres se
mier évêque de Manille, ils se lancèrent était le principal lieu de vie. Par compa- trouvaient des ventanillas con baran-
dans la construction du quartier fortifié raison, ces espaces étaient utilisés aux dillas (petites fenêtres à balustrades) et,
d’Intramuros, cœur de Manille, jadis mêmes fins dans la modeste bahay kubo au-dessus, des callados (réseau de fenê-
considéré comme « l’Europe de l’Asie ». traditionnelle, simple case de bambou tres ajourées), de manière à favoriser
et de paille. Le plus remarquable dans la au maximum le passage de l’air dans la
Manille fut construite sur le plan typi- bahay na bato at kahoy est que la struc- maison. L’ensemble de la structure était
que des colonies du Nouveau Monde : la ture de base reproduit exactement celle coiffé d’un toit de tejas (tuiles d’argile
trame en damier des rues est organisée des constructions philippines tradition- cuite) de style espagnol. Tous ces détails
autour d’une grande place centrale, la nelles : il s’agit toujours d’une maison sur garantissaient le confort des habitants
plaza mayor, présidée par la cathédrale pilotis, mais désormais les piliers de bois tout au long de l’année.
et le presbytère attenant, ou convento. du niveau inférieur sont entourés d’un La création de ce type d’architecture
De part et d’autre s’alignent le palais du mur de pierres, le tout étant surmonté met en évidence une volonté délibérée
gouverneur général, le tribunal, l’hôtel d’un étage à pans de bois. d’absorber les techniques européennes.
Cette architecture métisse, fortement Le résultat fut cependant une fusion
influencée par l’Europe, devint la est-ouest de styles, fruit de l’apport de
A dr i a n V. Li z ar e s

vitrine des modes de vie européens du la culture locale, des autres influences
XVIIe siècle au début du XXe siècle. Elle étrangères et du climat tropical, qui
se développa non seulement à Manille, donna naissance à une véritable architec-
mais aussi dans toutes les îles. Le zaguán, ture philippine, sans pareil au monde.
au rez-de-chaussée, était pavé de piedra
china (granite) ou de baldosas (carreaux) Malheureusement, très peu des maisons
décorées. L’ensemble était entouré de ancestrales existant encore à Manille
murs d’adobe (tuf volcanique) ou de sont bien entretenues.
ladrillo (briques d’argile cuite) d’au moins
un mètre d’épaisseur. La maçonnerie Vincent Pinpin
Architecte
était liée par de l’argamasa, un mortier de 16 D Muñoz Avenue, Carmel
chaux et d’eau complété par des coquilla- 5 Subd, T.Sora
ges écrasés, des coraux ou même de la Uezon City 1116,
mélasse et des blancs d’œuf. Ces ingré- Philippines
dients étaient censés rendre la structure vbparch@yahoo.com
plus solide et résistante. Les piliers, ou
Salle de Balai ni Tana Dicang (Clan Lizares) haligue, dégagés et indépendants des
murs, étaient taillés dans un bois très

F u t u r o p a n o 1 / 2 0 0 8
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Le rôle des organi sation s internationales

UNESCO – L’architecture rurale vernaculaire :


un patrimoine méconnu et vulnérable
Le patrimoine rural vernaculaire est, par physique et fonctionnelle de ces biens. gories des paysages culturels et à un des
définition, humble et populaire. Ceci peut Des matériaux modernes, des procédés critères de la liste du patrimoine mondial,
expliquer pourquoi il est si peu représenté sans lien avec les pratiques ancestrales par exemple le critère (v) des Orientations
sur la Liste du patrimoine mondial. En sont utilisés. Le torchis est ainsi remplacé pour la mise en œuvre de la Convention du
effet, il ne possède pas de caractéristiques par la laine de verre, les pierres sèches patrimoine mondial 2.
spectaculaires ou monumentales et son par les parpaings. Cela est dû autant à la
bâti n’est pas signé par les grands noms perte de savoir-faire traditionnels qu’au Cette perte serait celle de l’humanité
de l’architecture universelle, mais par des coût parfois prohibitif des techniques de tout entière. Car les caractéristiques du

Le rôle des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales


personnes ordinaires et anonymes. construction traditionnelles. patrimoine rural vernaculaire européen
Pourtant, la simplicité des matériaux Parfois, sous la force de la pression ont essaimé lors des diverses migrations
employés pour la construction du patri- urbaine, ce patrimoine devient, malgré vers des pays émergents tels que la Chine,
moine rural vernaculaire, ses structures, lui, un patrimoine urbain, dont l’existence l’Inde ou le Brésil. De nombreux biens
ses fonctions, ne doivent pas faire oublier même est menacée, du fait de son inadé- témoignent dans ces pays des savoir-faire
les inestimables trésors d’ingéniosité quation aux modes de vie actuels ou de emportés et transposés par les migrants
déployés dans l’invention de systèmes son contre emploi avec le contexte auquel dans leurs rapports avec leur nouvel envi-
et procédés permettant de répondre aux il appartient désormais. ronnement. Ces pays caractérisés par leur
contraintes climatiques, topographiques Ce patrimoine, que la Stratégie globale a importante ruralité ont commencé à vivre
et économiques. De même, son intégra- mis en avant en 1994 et que l’ICOMOS le même processus d’industrialisation et
tion dans le paysage est inégalée si on le a ensuite identifié comme étant une des d’exode rural massif. Il est donc important
compare aux résultats obtenus par bien lacunes de la Liste du patrimoine mon- et déterminant que l’Europe sauvegarde
des architectes contemporains. dial1, est actuellement en danger. Il est son patrimoine rural vernaculaire.
De surcroît, ce patrimoine vivant est aussi important de l’inventorier, de le docu-
fragile que vulnérable. En Europe et en menter, de l’explorer, pour en détermi- Marielle Richon
Section de la communication, de l’éducation
Amérique du nord, un changement irré- ner les caractéristiques, les valeurs et les et des partenariats (CEP)
versible s’est produit consécutivement méthodes de conservation. Il faudrait éga- Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO
à la révolution industrielle et à l’exode lement mettre au point des techniques et (WHC)
rural. Ce changement continue et s’accé- des pratiques de conservation respectueu- Bureau 2.26
lère du fait de l’acquisition de ces biens ses de son intégrité. 7, place de Fontenoy
75352 PARIS 07 SP
par de nombreux urbains aisés en quête France
de nature. La conservation du patrimoine est un m.richon@unesco.org
Ce changement de fonction génère de processus sélectif qui en dit long sur les
1 La Liste du patrimoine mondial – Combler les lacu-
profondes modifications du paysage dues priorités accordées à la mémoire par
nes : un plan d’action pour le futur, Paris, ICOMOS,
à la disparition du lien intime et profond les gouvernements ou les communau- 2005.
entre le bâti et l’agriculture, qui en justi- tés. Les pays européens devraient donc 2 (v) « être un exemple éminent d’établissement humain

traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire


fiait l’existence. La gentrification progres- réagir pour que cette mémoire rurale ne ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture (ou de
sive des fermes, des granges et de villa- soit pas perdue de manière irréversible. cultures), ou de l’interaction humaine avec l’environne-
ges entiers, due à cet afflux de population D’autant plus que certains sites pourraient ment, spécialement quand celui-ci est devenu vulnéra-
ble sous l’impact d’une mutation irréversible ».
urbaine, cause de profondes modifications être jugés de valeur universelle exception-
structurelles et porte atteinte à l’intégrité nelle (VUE) s’ils correspondent aux caté-
M a r i el le R i ch o n

Ferme le long du mur Hadrian, Royaume-Uni

F u t u r o p a n o 1 / 2 0 0 8
29
Le rôle des organi sation s internationales

Conseil de l’Europe – Une lecture croisée


des Convention de Grenade et de Florence :
une alliance du patrimoine architectural et du paysage
Au terme de la Convention pour la sau- – le paysage concourt à l’élaboration des et la « mise en valeur » du patrimoine
vegarde du patrimoine architectural de cultures locales et représente une com- architectural ;
l’Europe de Grenade (3 octobre 1985), posante fondamentale du patrimoine – il convient de parvenir à un dévelop-
l’expression « patrimoine architectural » culturel et naturel de l’Europe ; pement durable fondé sur un équilibre
est considérée comme comprenant les – le patrimoine architectural consti- harmonieux entre les besoins sociaux,
biens immeubles suivants : les monu- tue un « bien commun » à tous les l’économie et l’environnement.
ments (toutes réalisations particuliè- Européens ;
rement remarquables en raison de – le paysage contribue à la « consolidation Maguelonne Déjeant-Pons
Chef de la Division du patrimoine culturel, du
leur intérêt historique, archéologique, de l’identité européenne » ; paysage et de l’aménagement du territoire
artistique, scientifique, social ou tech- – la qualité et la diversité des paysages Conseil de l’Europe
nique, y compris les installations ou européens constituent une « ressource France
les éléments décoratifs faisant partie commune » ; maguelonne.dejeant-pons@coe.int
intégrante de ces réalisations) ; les – le patrimoine architectural constitue un
ensembles architecturaux (groupe- témoin inestimable de notre passé et il
ments homogènes de constructions importe de transmettre un système de
urbaines ou rurales remarquables par références culturelles aux générations
leur intérêt historique, archéologi- futures ;
que, artistique, scientifique, social ou – les infractions à la législation protégeant
technique et suffisamment cohérents le patrimoine architectural doivent faire
pour faire l’objet d’une délimitation l’objet de mesures appropriées et suffi-
topographique) ; et les sites (œuvres santes de la part de l’autorité compé-
combinées de l’homme et de la nature, tente ;
partiellement construites et constituant – le paysage ainsi que sa protection, sa
des espaces suffisamment caractéris- gestion et son aménagement impli-
tiques et homogènes pour faire l’ob- quent « des droits et des responsabilités
jet d’une délimitation topographique, pour chacun » ;
remarquables par leur intérêt histori- – il importe de s’accorder sur les orienta-
que, archéologique, artistique, scien- tions essentielles d’une politique com-
tifique, social ou technique). Selon la mune qui garantisse la « sauvegarde »
Convention européenne du paysage
de Florence (20 octobre 2000), « pay-
sage » désigne une partie de territoire
M ar i n a K ul esh o v a

telle que perçue par les populations,


dont le caractère résulte de l’action de
facteurs naturels et/ou humains et de
leurs interrelations.

Trop souvent négligé ou malmené,


l’habitat vernaculaire ne doit-il pas être
appréhendé à la lumière de ces deux
traités internationaux ? N’est-ce pas
en effet très souvent la combinaison
harmonieuse d’un habitat dans un site
qui donne tant à la construction qu’au
paysage dans lequel elle s’insère, une
valeur irremplaçable.

Il convient dès lors de rappeler les prin-


cipes fondamentaux inscrits dans ces
deux traités internationaux :

– le patrimoine architectural constitue une


expression irremplaçable de la richesse
et de la diversité du patrimoine culturel Fenêtre, Fédération de Russie
de l’Europe ;

F u t u r o p a n o 1 / 2 0 0 8
30
Le rôle des organi sation s internationales

ICOMOS – Une Charte d’architecture vernaculaire


Le chercheur John B. Jackson opte pour peuvent être utilisés libéralement afin de seur Pierre Larochelle, les communau-
une approche pragmatique de l’archi- maintenir des communautés vivantes. tés vivantes apportent constamment
tecture vernaculaire lorsqu’il définit ce Les changements apportés aux bâtiments des modifications à leur milieu bâti4. En
concept comme « tout ce qu’un bâtis- vernaculaires sont acceptables s’ils res- résumé, la charte demande aux acteurs
seur moyen réalise chaque jour »1. Les pectent les valeurs culturelles et le carac- de la conservation concernés par l’ar-
auteurs de la Charte du patrimoine bâti tère traditionnel des communautés. La chitecture vernaculaire de veiller à bien
vernaculaire font preuve du même sens charte affirme en outre que le patrimoine comprendre les processus de formation et
pratique. La charte, officiellement adop- bâti vernaculaire fait partie intégrante du de transformation d’un paysage culturel

Le rôle des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales


tée par la 12e Assemblée générale de paysage culturel et que cette relation doit avant de procéder à toute intervention. La
l’ICOMOS en 1999 à Mexico, énumère donc être prise en compte dans la prépa- même attention devrait être portée dans
ainsi, en guise de définition, des traits ration des projets de conservation. Elle tous les cas, qu’il s’agisse d’une interven-
propres à une architecture vernacu- reconnaît implicitement que des mesu- tion sur des établissements vernaculaires
laire2. Selon ce document, les bâtiments res de conservation rigides appliquées à ou sur de simples constructions5.
vernaculaires présentent les caractéris- un paysage culturel pourraient finir par
tiques suivantes : un mode de construc- entraîner la destruction de ce paysage Marc de Caraffe
Président
tion partagé par la communauté ; un (car il ne serait plus économiquement Comité international d’architecture
caractère local ou régional en réponse viable) ou par le transformer en musée. vernaculaire (CIAV), ICOMOS
à son environnement ; une cohérence L’objectif de la charte est le maintien et la Parcs Canada
de style, de forme et d’aspect, ou un préservation d’ensembles et d’établisse- 25, rue Eddy
recours à des types de construction tra- ments représentatifs, région par région. Gatineau,
QC Canada K1A 0M5
ditionnels ; une expertise traditionnelle C’est pourquoi elle recommande que les marc.decaraffe@pc.gc.ca
en composition et en construction trans- interventions sur les structures vernacu-
mise de façon informelle ; une réponse laires soient menées dans le respect et
1 “The vernacular is whatever the average home
efficace aux contraintes fonctionnelles, le maintien de l’intégrité de l’emplace-
builder accomplishes daily”, John B. Jackson, “The
sociales et environnementales ; une ment, de la relation avec les paysages Domestication of the Garage”, Landscape 20, 2
application efficace de systèmes et du physiques et culturels et de l’agencement (1976), p.19.
2 La Charte est disponible en ligne sur le site http:
savoir-faire propres à la construction d’une structure par rapport aux autres. //www.international.icomos.org/chartes.htm
traditionnelle. Mais, plus important encore, la charte 3 Kingston Wm. Heath, The Patina of Place : The

reconnaît l’importance du maintien du Cultural Weathering of a New England Landscape,


University of Tennessee Press, 2001.
Une bonne dose de pragmatisme trans- savoir-faire traditionnel, car l’expression 4 Pierre Larochelle, « Le paysage humanisé comme

paraît aussi dans les principes et direc- vernaculaire repose fondamentalement bien culturel », Continuité (Québec, Canada), no 110,
tives de la Charte sur le patrimoine bâti sur la pérennité des modes de construc- automne 2006, pp. 20-22.
5 L’auteur souhaite remercier Rhona Goodspeed
vernaculaire. L’objectif recherché n’est tion et du savoir-faire traditionnels. La (Canada), Kirsti Kovanen, (Finlande) et Monique
pas de faire appliquer une doctrine rigide charte recommande que ce savoir-faire Trépanier (Canada) pour leur concours.
en matière de conservation qui, à long soit conservé, enregistré et transmis
terme, ne pourrait qu’aboutir à la perte aux nouvelles générations d’artisans et
de ce type de patrimoine. Les principes de bâtisseurs par l’éducation et la for-
de la charte reposent au contraire sur mation.
l’engagement et le soutien de la collecti-
vité et défendent l’utilisation et l’entre- Le propos des auteurs de la Charte du
tien continuels de ce patrimoine. D’une patrimoine bâti vernaculaire n’a jamais
certaine façon, de tels principes cadrent été de rédiger une déclaration doctrinale.
avec le concept de « patine culturelle » Leur approche pragmatique repose sur
décrit par Kingston Wm.Heath, car ils le fait qu’il serait impossible d’appliquer
permettent aux habitants de façonner et des norme de conservation rigides pour
modifier leur milieu bâti en fonction de préserver les caractéristiques essentiel-
leurs besoins3. Au lieu d’être normatifs, les d’un paysage culturel en évolution.
les principes de conservation de la charte En effet, comme l’a souligné le profes-
M ar c de C ar af f e
M a r c de C ar a f f e

M a r c de C ar a f f e

M a r c de C ar a f f e

Village de Dagnjia, Chine Maison en République Dominicaine L’île d’Orléans, Québec, Canada Village Coptic près de Louxor, Egypte

F u t u r o p a n o 1 / 2 0 0 8
31
Conseil de l’Europe
Direction de la Culture et du Patrimoine
culturel et naturel
Division du patrimoine culturel, du paysage
et de l’aménagement du territoire
F-67075 Strasbourg cedex
http ://www.coe.int/futuropa
Le Conseil de l’Europe est une organisation
intergouvernementale créée en 1949. Son but est de travailler
à l’établissement d’une Europe unie, fondée sur la liberté,
la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit.
L’Organisation compte aujourd’hui 47 Etats membres.
Elle constitue ainsi une plate-forme privilégiée
de coopération internationale dans de nombreux domaines,
tels que l’aménagement du territoire, le paysage
et le patrimoine naturel et culturel.
La revue du Conseil de l’Europe « Futuropa » (anciennement
Naturopa), publiée depuis 1968, a pour but de mieux sensibiliser
les citoyens européens et les décideurs à l’importance du
développement territorial durable du Continent européen.
De 1968 à 2000, la revue a eu pour objectif de promouvoir
la conservation de la nature et la gestion durable des ressources
naturelles et de développer une approche pluridisciplinaire
des questions environnementales.
Depuis 2001, la revue a élargi sa thématique au paysage
et au patrimoine culturel dans une perspective de développement
territorial durable afin d’améliorer la qualité de vie.
La revue est publiée dans les deux langues officielles du Conseil
de l’Europe : l’anglais et le français.
Pour recevoir Futuropa ou obtenir de plus amples informations
sur le Conseil de l’Europe, veuillez consulter
http ://www.coe.int/futuropa.
Prochain numéro : Paysage et coopération transfrontalière

ISSN 1998-1430

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