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Recherches en didactique des langues et des

cultures
Les cahiers de l'Acedle 

17-2 | 2020
Recherches collaboratives en didactique des
langues
Enjeux, savoirs, méthodes

Véronique Miguel Addisu et Nathalie Thamin (dir.)

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rdlc/7272
DOI : 10.4000/rdlc.7272
ISSN : 1958-5772

Éditeur
ACEDLE
 

Référence électronique
Véronique Miguel Addisu et Nathalie Thamin (dir.), Recherches en didactique des langues et des cultures,
17-2 | 2020, « Recherches collaboratives en didactique des langues » [En ligne], mis en ligne le 27 avril
2020, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rdlc/7272 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/rdlc.7272

Ce document a été généré automatiquement le 23 septembre 2020.

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NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License
1

SOMMAIRE

Comité scientifique

Présentation : les recherches collaboratives en didactique des langues, orientations actuelles


Véronique Miguel-Addisu et Nathalie Thamin

Axe 1 : La collaboration entre chercheurs et praticiens: une complémentarité


qui diffère du consensus

Orientations méthodologiques et théoriques d’une recherche collaborative sur le travail


documentaire de professeures d’anglais langue étrangère
Margaret Bento

De l’utilité de la recherche collaborative pour produire des ressources de formation robustes


Bernadette Kervyn

Dynamique d'apprenance dans une recherche collaborative portant sur la didactique de


l’oral en contexte plurilingue : regards croisés
Véronique Miguel-Addisu et Sophie Beaumont

Axe 2 : Les effets de la collaboration sur le développement professionnel des


praticiens

La « recherche-formation », une contribution aux approches collaboratives en formation


initiale d’enseignants de langues
Dominique Macaire

L’altérité dans la voilure : une lesson study pour un sillage collaboratif en didactiques des
langues
Carole-Anne Deschoux et Claire Taisson

L’accompagnement professionnel pour développer des dispositifs didactiques innovants en


syntaxe et en ponctuation : regards de conseillères pédagogiques
Marie-Hélène Giguère, Marie Nadeau, Carole Fisher, Rosianne Arseneau et Claude Quevillon Lacasse

Axe 3 : Une réponse éthiquement située de la recherche à des questions


socialement vives

Pourquoi, quoi, comment… et après ? Regards de chercheure et d’enseignant sur un projet


collaboratif en éducation autochtone
Eva Lemaire, René Beauparlant et Cécile Howse

Expériences de recherches-collaboratives au service de l’éducation en situation


postcoloniale : enjeux, scientificité et légitimité
Claire Colombel-Teuira et Véronique Fillol

Oser les recherches collaboratives en DDL : transformations des chercheures,


transformations des recherches
Emilie Lebreton et Joanna Lorilleux

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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Axe 4 : Deux recherches doctorales en cours : posture, implication du


chercheur et exploration de partenariats originaux

Les jeux de la recherche collaborative : le cas du projet artistique


Maud Serusclat-Natale et Yannick Marzin

Le partenariat comme déclencheur de la recherche participative dans un projet école-


musée-famille pour/par le plurilinguisme
Raquel Carinhas, Maria Helena Araújo e Sá et Danièle Moore

Articles pédagogiques
Sous la direction de Salima El Karouni et Emilie Lebreton

Formes et enjeux des usages du français au collège à Madagascar


Daphné Bloch

Comptes-rendus
Sous la direction de Marc Debono

Nissen, E. (2019). Formation hybride en langues : Articuler présentiel et distanciel. Paris :


Didier.
Grégory Miras

Droit de réponse au compte-rendu fait par Valentin Feussi de l’ouvrage La crise de


l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne
Bruno Maurer et Laurent Puren

Droit de réponse au compte-rendu fait par Valentin Feussi de l’ouvrage La crise de


l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne
Patrick Chardenet

Jeunes chercheur.e.s
Sous la direction de José Aguilar-Rio

Le stage en enseignant du point de vue de sa didactique : réflexions autour de la constitution


du champ disciplinaire en Argentine
Marcos Maldonado

Varia
Sous la direction de Joanna Lorilleux

Enseignement de la littérature dans les lycées marocains : de la centration sur les genres
littéraires classiques à l’apprentissage du goût de la lecture
Mina Sadiqui

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Le profil et les représentations des étudiants gambiens pour le cours de français langue
étrangère
Ndèye Maty Paye

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Comité scientifique

Marta Anadon, Université du Québec Chicoutimi, Canada


Françoise Armand, UDEM Montréal, Canada
Nathalie Blanc, Université Lyon 1 ESPE, France
Anne-Sophie Calinon, Université de Franche-Comté, France
Véronique Castellotti, Université de Tours, France
Stéphanie Clerc, Université Rennes 2, France
Cathy Cohen, ENS Lyon, France
Catherine Delarue-Breton, Université de Rouen, France
Jean-François De Pietro, IRDP Neuchâtel, Suisse
Christine Helot, Université de Strasbourg, France
Patricia Lambert, ENS Lyon, France
Jean-Paul Narcy Combes, Université Sorbonne Nouvelle, France
Marie-Odile Maire Sandoz, IFE, ENS Lyon, France
Lastisha Mary, Université de Strasbourg, France
Grégory Miras, Université de Rouen, France
Christian Ollivier, Université de la Réunion, France
Marielle Rispail, Université de Saint-Etienne, France
Denyze Toffoli, Université de Strasbourg, France
Christel Troncy, Université de Rouen, France
Monica Vlad, Université Constanta, Roumanie
Sylvie Wharton, Université de Provence, France

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Présentation : les recherches


collaboratives en didactique des
langues, orientations actuelles
Véronique Miguel-Addisu et Nathalie Thamin

A Marie-Odile Maire-Sandoz, inspiratrice de ce numéro.

Présentation : les recherches collaboratives en


didactique des langues, orientations actuelles
1 Les textes réunis ici s’intéressent aux méthodes, aux savoirs et aux enjeux propres aux
recherches que l’on nomme « collaboratives » (désormais RC) en didactique des
langues. La notion de collaboration induit un travail en commun (collaborare :
travailler ensemble), ce qui inclut la coopération (cum operare : faire ensemble). La
collaboration peut s’envisager en termes institutionnels et contractuels, mais c’est
davantage à la praxis que les contributions s’intéressent ici, en tant qu’activité pouvant
transformer les manières de penser et de faire des collaborateurs lorsqu’ils s’engagent
à la fois dans une réflexivité conjointe et des actions complémentaires. Nous
retiendrons que les dispositifs de recherche collaborative se distinguent par des «
processus impliquant chercheurs et praticiens qui collaborent pour élucider une question de
recherche, plus ou moins codécidée, afin de produire des savoirs, le plus souvent coénoncés et
covalidés » (Bourrassa et Boudjaoui, 2012 : 5). Faire de la recherche « avec » les
praticiens (plutôt que « pour » ou « sur ») pose cependant un certain nombre de
questions à éclairer : des objets et méthodes spécifiques émergent-ils en didactique des
langues ? À quels enjeux scientifiques et sociaux peut répondre ce type de recherche
qualitative ? Pour quels effets ?
2 Dans la première partie de cette présentation, nous contextualiserons ces questions en
proposant quelques repères conceptuels sur lesquels s’appuient la plupart des
contributeurs. Ces premiers jalons débouchent sur un premier trait définitoire des

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textes présentés ici : la spécificité d’une écriture qui, dans sa forme-même, témoigne du
travail de co-énonciation et de co-validation des auteurs.
3 La seconde partie de cette présentation introduit les textes selon quatre axes, que nous
avons choisis parce qu’ils nous semblent à même de mettre l’accent sur des éléments
saillants de la RC en didactique des langues aujourd’hui. Un premier constat nait de la
lecture des onze contributions réunies ici : la définition de départ que nous avions
proposée dans l’appel à contribution implique que les rôles de chercheur ou de
professionnel, de formateur ou de praticien soient clairement identifiés, et identifiables
par les collaborateurs. La plupart des contributions que nous réunissons ici montrent
cependant que la collaboration appelle surtout une transformation de ces rôles tout au
long du processus collaboratif, et que l’importance de la relation entre les acteurs
prend le pas sur celle des fonctions professionnelles (axe 1).
4 Ce numéro fait aussi comprendre que si les liens entre formation et recherches
collaboratives sont particulièrement forts, ces deux champs ne se confondent pas pour
les acteurs, distinction qui est à l’origine du processus à l’œuvre dans les différents
projets présentés (axe 2). Cette intuition a été à l’origine de notre appel à contribution,
qui a émergé en avril 2018, lors d’un séminaire de formation à l’Institut français
d’éducation (IFE) qui réunissait chercheurs et formateurs en vue d’explorer de
nouvelles pistes didactiques avec les élèves allophones1. Outre la thématique du
séminaire, les projets et travaux soumis à la réflexion du groupe avaient tous la
particularité d’émaner d’une collaboration pratique entre chercheurs et praticiens :
cette praxis apparaissait comme essentielle pour la formation, ainsi que pour la
recherche. Le troisième constat que l’on peut faire à la lecture de ce numéro est que la
praxis renvoie immanquablement à des positionnements éthiques situés, et
contextualisés, qu’il appartient aux chercheurs de clarifier et d’assumer socialement
(axe 3). Aujourd’hui, la didactique des langues transpose explicitement ces questions
hors de la classe : de jeunes chercheurs explorent ces voies au sein de partenariats
innovants dont les premiers résultats sont prometteurs (axe 4).
5 Nous conclurons cette présentation en revenant sur quelques points qui demeurent
délicats dans le contexte actuel pour que des recherches collaboratives se déploient
entre chercheurs universitaires et institutions partenaires.

Repères méthodologiques, épistémologiques et éthiques des


recherches collaboratives pour la didactique des langues

6 De nombreuses disciplines de recherche ont développé une réflexion épistémologique


significative sur les recherches dites collaboratives ou participatives, sans que ces
termes fassent consensus sur les enjeux qu’ils recouvrent (Bourdieu, 1993 ; Desgagné et
Bednarz, 2005 ; Mesny et Mailhot, 2010 ; Lenoir, 2012 ; Gillet et Tremblay, 2017). La
nature hétéroclite du concept se perçoit par la diversité des ancrages auxquels se
réfèrent les chercheurs : « chaque auteur ou collectif d'auteurs présente de ce fait sa
propre compréhension de la recherche collaborative, empruntant tantôt à la recherche
action, à la recherche-intervention, à la recherche participative et aux Lesson Studies »
(Morrissette, PagoniAndreani et Pepin, 2017 : 3). Ces chercheurs cependant mettent
aussi l’accent sur l’intérêt de telles démarches pour contribuer à de nouveaux savoirs
répondant à des questions sociales. Les RC appréhendent les savoirs comme des
éléments largement dépendants de processus complexes, qui contribuent eux-mêmes à

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définir, et à transformer, ces savoirs (Giddens, 1987). Les RC ont donc un


positionnement éthique et épistémologique spécifique, qui induit des choix
méthodologiques. Elles débouchent sur de nouvelles connaissances, que l’on pourrait
peut-être qualifier d’hybrides, de métissées, d’altéritaire, et de dynamiques.
7 Sur un plan méthodologique, la collaboration crée des espaces d’échanges réflexifs qui
obligent chacun à expliciter ses propres cadres interprétatifs et à les éprouver au
regard de la pertinence d’autres régimes de vérité. Si les savoirs savants et les savoirs
pratiques se distinguent du fait des rôles des acteurs, les contacts sont justement un
espace de co-construction des significations : « le praticien peut devenir co-chercheur
et le chercheur co-praticien » (Canut, Espinosa & Vertalier, 2013 : 75). Sur le plan
épistémologique, les savoirs didactiques s’élaborent dans un entre-deux entre
pratique et conceptualisation qui éclairent à la fois la structure organisationnelle et les
logiques d’action des acteurs/agents (Vinatier et Morrissette, 2015 ; Bourrassa et al.,
2017). Sur le plan éthique, les RC adoptent une perspective critique, avec une visée
d’émancipation sociale : la réflexivité conjointe veut réduire l’hégémonie des savoirs
savants, elle agit sur les rapports de domination entre sciences et pratiques (Freire,
1977 ; Lechopier, 2013 : 6), elle renforce le pouvoir d’action sociale des participants ; les
RC contribuent donc à éclairer les conditions d’une éthique de la participation (Vinatier
et Morrissette, 2015).
8 Ces démarches ont tendance à se développer en France dans le champ de l’éducation (et
en didactique des langues en particulier), mais elles sont encore peu documentées : on
relève que la réflexion portant sur les collaborations se retrouve le plus souvent
associée aux recherches-actions et à leurs effets sur l’environnement social dans lequel
elles s’inscrivent (Astolfi, 1993 ; Fijalkow et Ragano, 1999 ; Narcy-Combes, 2001 ;
Macaire, 2007 ; Castellotti, 2013). Au Canada, les RC font l’objet d’analyses qui
interrogent plutôt la démarche compréhensive (et donc interprétative) construite
entre les acteurs selon un principe de double vraisemblance, et d’intersubjectivité
(Desgagné et al., 2001 ; Anadón, 2007 ; Bednarz, 2013). C’est à cet aspect que nous nous
intéresserons tout particulièrement dans ce dossier, car le partage d’expertise, et
l’effacement des frontières entre communauté professionnelle et communauté
scientifique qu’induit la RC, nous semble particulièrement heuristique en didactique
des langues. Et c’est bien cet aspect des choses que les contributeurs-trices de ce
numéro abordent dans leurs textes, notamment dans leurs choix énonciatifs.

Diversité des terrains et des objets pour un processus partagé

9 Les objets des RC étudiées dans ce numéro portent sur un ensemble de dispositifs
didactiques, la plupart se déroulent en contexte scolaire (maternelle, primaire,
secondaire), en classe ordinaire ou en UPE2A (Unité Pédagogique pour Elèves
Allophones Arrivants), mais concernent également la formation initiale d’étudiants en
INSPE. Les types de RC explorés et analysés sont des recherches-formations, des Lesson
Studies, des projets artistiques, des partenariats pédagogiques… elles mobilisent une
collaboration entre chercheurs et enseignants, conseillers pédagogiques, familles,
inspecteurs de l’éducation nationale, étudiants en formation initiale, communautés
autochtones (contexte Amérique du nord), directeur de théâtre et artistes en résidence,
praticiens de l’éducation muséale (directrice de musée, médiatrices culturelles).

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10 Dans neuf contributions sont évoquées des recherches contribuant à la formation des
enseignants. Sept s’intéressent à des objets « scolairement identifiés » tels que la
syntaxe et la ponctuation (Giguère et al.), l’écriture (Kervyn), la recherche
documentaire d’enseignants d’anglais du secondaire (Bento), la didactique de l’oral en
contexte plurilingue (Miguel Addisu et Beaumont), la lecture d’albums de jeunesse
(Deschoux et al.), la formation à la didactique du plurilinguisme (Colombel et Fillol ;
Macaire). Deux problématisent surtout les dynamiques de transformation des acteurs
(Lemaire et al., Lebreton et Lorilleux). Mais les RC ouvrent la didactique à des lieux
autres : dans deux contributions sont aussi évoquées des situations dans lesquelles la
didactique du plurilinguisme croise les pratiques muséales et artistiques (Carinhas et
al. ; Serusclat-Natale et al.).
11 Les onze contributions s’inscrivent dans différents ancrages de la didactique des
langues : didactique du français langue maternelle, du français langue de scolarisation,
didactique de l’anglais, didactique du plurilinguisme en contexte minoritaire ou
majoritaire francophone. Elles s’ancrent également dans différents contextes
géographiques : Canada anglophone (1 Alberta) et Canada francophone (1 Québec),
France métropolitaine (5), territoire ultramarin de Nouvelle Calédonie (1), États-Unis
(1), Suisse romande (1), Uruguay (1). Dans l’argumentaire initial du numéro, plusieurs
axes avaient été envisagés émanant des questionnements soulevés par les
coordinatrices du numéro : 1) Recherches collaboratives et diffusion des savoirs : enjeux. 2)
RC et engagement des acteurs : savoirs. 3) RC et processus de co-construction des savoirs :
méthode. Force est de constater qu’aucun article ne s’inscrit dans un axe exclusif, mais
tous en traitent en partie. S’agit-il de signes de l’émergence d’un paradigme de
recherche en didactique des langues ? On peut faire l’hypothèse que les RC bousculent
les catégorisations consensuelles et mettent à jour ce qui est de l’ordre de l’entre deux :
« l’entre n’a rien en propre, ne possède pas de statut, par conséquent passe inaperçu.
En même temps, l’entre est par où tout « passe », « se passe », peut se déployer »
(Jullien, 2012 : 51).
12 Cette démarche se lit tout d’abord dans les procédés d’énonciation que tous les auteurs
ont investis de façon à rendre compte de la collaboration à l’œuvre dans les recherches
dont ils font état.

Un processus d’écriture collaborative

13 En concordance avec la thématique proposée, les coordinatrices avaient fait le pari d’un
numéro où l’écriture collaborative serait présente, en invitant explicitement à cette
démarche de co-écriture. Le défi a été relevé par plusieurs auteurs, permettant ainsi de
mieux rendre compte du processus scientifique qu’impliquent les recherches
collaboratives.
14 Trois textes sont co-signés par des chercheurs et des professionnels (Lemaire,
Beauparlant & Howse ; Miguel Addisu et Beaumont ; Serusclat-Natale et Marzin). Trois
textes mêlent les voix de plusieurs chercheurs engagés dans un même projet
collaboratif (Giguère, Nadeau, Fisher, Arseneau, & Quevillon Lacasse ; Carinhas, Araujo
& Moore ; Colombel et Fillol). Les auteures assument une double-voix de praticiennes et
chercheures dans deux contributions (Deschoux et Taisson ; Lorilleux et Lebreton).
Dans les trois textes qui n’ont qu’un seul auteur, l’énonciation joue un rôle premier

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dans l’explicitation des rôles et dynamiques collaboratives qui sont discutées (Bento ;
Kervyn ; Macaire).
15 Ces choix énonciatifs témoignent selon nous de la créativité à l’œuvre dans les RC : les
textes écrits à deux voix ou parfois plus, très peu habituels dans les habitus culturels
académiques, ont nécessité de la part des auteur-e-s (ainsi que pour les relecteurs !) un
certain nombre de réajustements, notamment d’ordre énonciatif, de clarification des
processus d’écriture, des places et rôles des co-auteurs dans la recherche. Cela a
favorisé dans le processus d’écriture lui-même la dimension réflexive sur le projet et la
démarche collaborative. Les auteurs ont exploré des procédés divers comme les notes
de bas de page explicatives des choix opérés, le jeu sur les marques typographiques
pour distinguer les différents énonciateurs. On trouve ainsi sous les plumes de Maud
Serusclat-Natale et Yannick Marzin l’explicitation suivante en note 5 :
« Lorsque nous avons écrit cet article, souvent à distance, notre co-écriture a pris la
forme d’un dialogue plus personnel, dont on trouve les traces syntaxiques
(pronoms, marques d’adresse, questions en suspens, etc.) dans les extraits qui vont
suivre. C’est volontairement que nous laissons apparaître ce glissement sémantique
puisqu’il est une manifestation concrète de la pensée que nous développons dans
cette contribution ».
16 Dans son article écrit à une voix, Bernadette Kervyn précise les choix énonciatifs opérés
dans la première note de bas de page pour mieux retracer le processus collaboratif à
l’œuvre :
« Malgré l’usage fréquent du pronom « nous » en recherche pour se désigner en
tant qu’auteur et parfois induire une intention de neutralité axiologique, certes
toute relative, dans le présent article, choix est fait de recourir à une écriture en
« je » quand il s’agit de l’auteur. Ce choix permettra de réserver l’usage du « nous »
pour désigner le collectif engagé dans la recherche dont il sera question. Seront
aussi utilisés de façon distincte le « nous » et le « on », ce dernier visant à inclure
les lecteurs potentiel ».
17 Un dernier exemple non exhaustif des positionnements est celui choisi conjointement
par Emilie Lebreton et Joanna Lorilleux qui, en jouant sur la typographie, assument
deux voix distinctes tout en soutenant le fait que chacune de ces voix est à la fois celle
d’une chercheure et d’une praticienne :
« Notre écriture commune ne peut laisser se confondre nos voix, nos regards, nos
expériences. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’utiliser l’italique, précédé des
initiales de l’énonciatrice (E.L. pour Emilie Lebreton et J.L. pour Joanna Lorilleux)
pour marquer les passages où le croisement, le frottement de nos expériences fait
sens. Les passages sans italiques correspondent à des compréhensions partagées des
phénomènes présentés ».

Organisation du numéro
18 Nous avons choisi de présenter les contributions selon quatre axes complémentaires :
un premier axe traite de la collaboration entre chercheurs et praticiens sous l’angle de
la complémentarité qui se distingue cependant du consensus. Un second se centre sur
les effets que la collaboration possède sur le développement professionnel des
praticiens. Un troisième apporte une réponse éthiquement située de la recherche à des
questions socialement vives. Enfin, un quatrième axe présente deux recherches
doctorales en cours qui interrogent la posture et l’implication du chercheur dans des
partenariats innovants (festival, musée).

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Axe 1 : La collaboration entre chercheurs et praticiens : une complémentarité qui


diffère du consensus
19 La première contribution présente une expérience de mise en œuvre de recherche
collaborative entre une enseignante chercheure de Paris Descartes Margaret Bento, et
cinq enseignantes d’anglais dans le secondaire en France. La recherche s’inscrit dans le
cadre d’une étude portant sur l’usage des ressources pédagogiques et du travail
documentaire (projet ANR ReVEA, Ressources vivantes pour l’enseignement et
l’apprentissage), sur la manière de didactiser, d’organiser le contenu des séquences
pédagogiques, sur l’éthique professionnelle que ces choix engendrent ou qui est
engendrée par ces choix. L’analyse met en évidence une différence de logique ainsi
qu’une complémentarité de la part des enseignantes et de la chercheure : pour les unes
la collaboration a pour finalité le développement professionnel, et pour l’autre la
production de connaissances. L’auteure met en avant le fait que la double fonction de
recherche et de formation dans une approche collaborative (faire de la recherche avec)
ne va pas de soi, et peut « produire une forme de malaise au travail dans le
questionnement perpétuel qu’il enclenche chez les praticiennes ».
20 Enseignante chercheure à l’INSPE de Bordeaux, Bernadette Kervyn s’interroge sur les
caractéristiques essentielles des recherches de type collaboratif qui contribuent à
produire des ressources de formation de qualité. Dans le champ de la didactique du
français, la contribution prend comme corpus le processus d’ingénierie didactique
engagé suite à la recherche pluridisciplinaire LireÉcrireCP (Goigoux et al., 2016) dans
l’objectif de produire des outils sur l’enseignement de l’écriture au début de l’école
élémentaire. L’auteure situe son propos au cœur des préoccupations praxéologiques de
la didactique en tant que discipline productrice de connaissances et de ressources pour
l’action. La RC engagée sur ce volet écriture a été menée avec une équipe de formateurs
exerçant en Aquitaine ainsi qu’avec le Centre Alain Savary (CAS) de l’Institut Français
de l’Éducation (IFÉ). Ce projet a consisté en la production de quatre scénarios de
formation sur l’enseignement de l’écriture au CP ainsi que de ressources d’interface
plus générales sur le processus scriptural et son enseignement, et sur les résultats de la
recherche LireÉcrireCP en matière d’écriture. Dans sa contribution, l’auteure examine la
complémentarité des logiques des chercheurs et des praticiens qui rend la recherche
utile en didactique, et donc nécessaire.
21 Véronique Miguel Addisu, enseignante chercheure à l’INSPE de Rouen, et Sophie
Beaumont, inspectrice de l’Éducation nationale dans le réseau AEFE (Agence pour
l’Enseignement Français à l’Étranger) analysent à deux voix le processus de
collaboration du projet dont elles sont co-pilotes, les transformations et les
déplacements professionnels initiés ainsi que les contraintes induites. École, Parole de
l’élève et Plurilinguisme : Recherche Collaborative au lycée français de San Francisco – AEFE,
USA (E2PRC_Francisco) prend pour objet la didactique de l’oral en contexte plurilingue
et réunit un ensemble d’acteurs (enseignants, formatrices, chercheurs, inspectrice). Les
auteures montrent comment le recueil de données sociolinguistiques réalisé par les
chercheurs du projet a contribué à une démarche partagée d’« apprenance », par
laquelle tous les acteurs ont transformé leurs gestes professionnels en alliant pratique,
recherche et développement professionnel.
Axe 2 : Les effets de la collaboration sur le développement professionnel des
praticiens

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22 Pour Dominique Macaire, professeure à l’Université de Lorraine-INSPE, la question de


la formation à et par la recherche des futurs enseignants dans le cadre de la rénovation
des INSPE se pose actuellement de manière accrue. La réalité des classes françaises
multiculturelles et multilingues nécessite de rendre lisibles les travaux inscrits dans le
paradigme du plurilinguisme, dans une perspective de « recherche-formation » qui se
caractérise par sa dimension collaborative à double sens, de et vers la formation, de et
vers la recherche. L’auteure analyse les conditions d’élaboration de cette collaboration
au regard des enjeux formatifs et de recherche, articulés les uns avec les autres autour
de notions comme celle de plurilinguisme. Pour l’auteure, la recherche soutient le
développement professionnel, y compris en formation initiale ; la démarche propre à la
« recherche-formation » nécessite d’être davantage exploitée en formation initiale.
23 Carole-Anne Deschoux et Claire Taisson rendent compte d’une recherche
collaborative outillée d’un dispositif de formation de Lesson Study portant sur l’usage
d’albums de littérature jeunesse à l’école primaire. L’objectif de cette RC vise à
développer des pratiques orientées non plus exclusivement vers le code ou la lecture
oralisée, mais aussi vers la compréhension de ces matériaux souvent composites, la
planification et la mise en tâches de l’enseignement en littérature. Les auteures
cherchent à montrer le principe dynamique construit par la collaboration
d’enseignantes volontaires et de chercheures praticiennes2 dans le cadre d’une
formation continue en didactique du français dispensée dans un institut de formation
en Suisse romande. La contribution montre que chercheurs et praticiens font ensemble,
mais que cela induit des effets différents et complémentaires qui contribuent
largement au développement professionnel des praticiens : la pratique partagée, et les
analyses qui en découlent, sont un levier puissant de transformation en vue de
s’adapter à la diversité des démarches d’apprentissage des élèves.
24 Le projet de RC dont font état Marie-Hélène Giguere, Marie Nadeau, Carole Fisher,
Rosianne Arseneau, et Claude Quevillon Lacasse, porte sur l’accompagnement
professionnel de praticiens dans le développement de dispositifs didactiques en syntaxe
et en ponctuation pour améliorer les compétences en écriture d’élèves de 10 à 14 ans.
Dans cette contribution, les analyses se focalisent sur le regard de conseillères
pédagogiques impliquées dans le projet. L’équipe de recherche était composée de
chercheures, de conseillères pédagogiques et d’enseignants du primaire et du
secondaire au Québec. Le point de vue des conseillères pédagogiques montre que la
recherche collaborative permet de documenter l’efficacité d’un triple accompagnement
(rencontres collectives mensuelles, observations en classe avec rétroaction personnelle,
matériel offert) et de partager des rôles traditionnellement plus cloisonnés.
Axe 3 : Une réponse éthiquement située de la recherche à des questions
socialement vives
25 Eva Lemaire, René Beauparlant et Cécile Howse présentent un projet de recherche-
action-formation (RAF) en éducation, ancré dans le contexte canadien albertain. Il
implique le terrain scolaire (élémentaire) et une collaboration avec la communauté
autochtone, dans une optique de réconciliation des peuples autochtones et de
revitalisation d’une langue en voie de disparition, la langue michif. Le postulat de la
recherche était que « le michif pourrait constituer un pont entre les Métis et les élèves
des écoles francophones et d’immersion française dont la langue d’étude est le français,
dans un contexte par ailleurs anglophone majoritaire ». L’approche dite de l’éveil aux
langues et l’apport des pédagogies autochtones ont guidé la création de matériel

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pédagogique. Inspirée des recherches participatives et d’une méthodologie de


recherche autochtone nommée « visiting way methodology » (Gaudet, 2019), Eva
Lemaire interroge tout particulièrement l’engagement, la posture, la question de la
responsabilité et la légitimité du chercheur dans ce contexte de réconciliation où
l’implication des partenaires autochtones est décisive « pour soutenir la légitimité de la
recherche et maintenir des relations éthiques entre monde académique et
communautés autochtones ». Les auteurs insistent sur la nécessité de développer une
« éthique de la relation » avec tous les partenaires de la recherche, en particulier
autochtones, et de revaloriser les savoirs autochtones. Ils en montrent l’intérêt
scientifique. Par ailleurs, la RAF a favorisé l’expertise des praticiens et l’articulation
entre les savoirs de la chercheure et les savoirs de l’enseignant.
26 L’une des finalités majeures des recherches en sociodidactique de Claire Colombel-
Teuira et de Véronique Fillol, enseignantes-chercheures en Nouvelle Calédonie, est de
contribuer au développement d’une perspective plurilinguistique pour une école plus
inclusive des pratiques langagières des élèves, à la décolonisation des savoirs
concernant les dynamiques plurilingues en contexte scolaire, et plus encore à
l’émancipation des outils de l’école. C’est dans cet esprit qu’elles proposent, avec la
contribution de Vahimiti Bousquet, professeure des écoles, une analyse critique et
réflexive de deux programmes de recherche qu’elles ont menés, École Plurilingue Outre-
mer ECOLPOM, 2009-2011 et Je lis j’écris le monde (2017-2018), concernant l’inclusion des
langues océaniennes dans le contexte diglossique calédoniens. Les auteures analysent
les processus et les implications de la co-élaboration des savoirs dans cette situation
postcoloniale spécifique et s’interrogent sur les conditions de réussite d’une activité de
recherche qui, comme elles le rappellent, constitue toujours un acte d’exercice de
pouvoir, en ce qu’ « elle construit des réalités sociales et les légitime à travers sa
vulgarisation parfois sans l’accord des individus ». La comparaison des deux projets
soulève des questions épistémologiques et éthiques et c’est la recherche-action-
intervention du second projet qui paraît aux auteures la plus efficiente sur les plans
éthique, scientifique, et social.
27 S’appuyant sur leurs expériences de recherche respectives et par une mise en
discussion réflexive, les enseignantes chercheures Emilie Lebreton et Joanna
Lorilleux explorent les dimensions épistémologiques, éthiques et relationnelles qui
déterminent leur engagement dans ces démarches collaboratives. Elles interrogent les
catégories mobilisées habituellement et envisagent sous l’angle expérientiel la manière
dont les savoirs se construisent. Elles mettent au second plan la notion de « savoirs »
(savants ou pratiques) au bénéfice de la relation qui, lorsqu’elle se construit par la
collaboration, renvoie selon elles à la fois à l’impossibilité du consensus, et à la
fécondité scientifique de la subjectivité en actes. Autrement dit, les dynamiques
collaboratives transforment toutes les pratiques, ce qui pour les auteures fait
considérer les RC comme relevant d’un paradigme herméneutique.
Axe 4 : Deux recherches doctorales en cours : posture, implication du chercheur
et exploration de partenariats originaux
28 Maud Serusclat-Natale, doctorante en sciences du langage (Université Paul Valéry,
Montpellier, sous contrat CIFRE avec MA scène nationale (structure publique) du Pays
de Montbéliard) et Yannick Marzin, directeur de cette même scène, composent un
texte écrit à quatre mains portant sur un projet partenarial entre MA et l’éducation
nationale, nommé Parlemonde. Ce projet, par ailleurs objet de recherche, a pour

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ambition d’embarquer artistes, élèves EANA, enseignants et chercheur, dans « une


démarche de création et de production d’œuvres artistiques plurielles et plurilingues ».
Les auteurs posent la question de la place du chercheur dans la collaboration, sa
posture et sa légitimité symbolique. Y sont développées la notion centrale de
« chercheur embarqué » ainsi qu’une réflexion sur la posture de salarié du doctorant
Cifre, engagé dans un cadre de recherche singulier et paradoxal qui nécessite une
articulation entre « les nécessités d’une pratique opérationnelle et les exigences d’une
recherche ancrée dans le paradigme de la « low science », de l’« épistémologie de la
relation », et d’une co-production collective.
29 Raquel Carihnas, Marie Helena Araújo e Sá et Danièle Moore, explorent un projet
partenarial entre musées, familles et école en Uruguay. Elles montrent qu’il existe peu
de recherches encore pour comprendre comment les musées peuvent contribuer à une
didactique plurilingue altéritaire. Elles montrent, à l’instar du texte précédent, que la
doctorante a un rôle essentiel de médiation entre les acteurs, rôle parfois difficile à
endosser. L’expérience analysée ici concerne les débuts du projet, et fait comprendre
combien le partenariat institutionnel bouscule les habitudes des participants : il n’est
possible que parce que chaque partenaire agit en assumant un pouvoir qui lui est
propre, en vue d’initier une relation avec tous. Dans l’univers muséal encore mal connu
du champ de la didactique du plurilinguisme, l’implication concrète du chercheur
permet d’identifier les difficultés, ainsi que les leviers de ce type de partenariat encore
mal connu.

En guise de discussion
30 Ce numéro permet d’avoir une idée des domaines dans lesquels se développent
aujourd’hui des recherches collaboratives en didactique des langues. Les RC
problématisées ici s’inscrivent toutes résolument dans un paradigme qualitatif.
S’intéressant aux praxis et à leurs effets sur les milieux de pratiques, les contributions
convergent au moins sur deux points : elles demeurent marginales, et participent à la
fois au développement professionnel des acteurs et à l’émergence de nouveaux savoirs
scientifiques. Il nous semble que ces recherches disent quelque chose des limites
atteintes par un modèle descendant de transposition recherche/formation qui s’appuie
sur la différence et les frontières entre ces deux lieux de référence, plutôt que sur la
circulation des savoirs. On comprend ici qu’il ne s’agit pas d’opposer recherche et
formation en didactique des langues : ces études permettent de documenter et de
poursuivre l’effort de conceptualisation de leur relation. En réaménageant les pouvoirs
entre savoirs pratiques et savoirs savants, c’est une démarche critique particulière qui
s’opère dans les RC pour tous les acteurs, celle de la capabilité.
31 Pourtant les appels de plus en plus nombreux à des collaborations de principe entre
chercheurs et praticiens invitent aussi à une réflexion politique dont la didactique des
langues ne peut s’affranchir : à les développer avec le soutien des décideurs, ne court-
on pas le risque d’instrumentaliser les RC au bénéfice d’une culture de la compétitivité
qui impose à la fois collaboration et résultats probants des formations s’y inscrivant ?
Nous ne pouvons non plus ignorer les projets de recherches collaboratives qui n’ont pas
abouti, et pour lesquels nous n’avons pas reçu de proposition. Les chercheurs ayant
contribué s’interrogent sur leur rôle, et se positionnent face à l’institution partenaire,
ils montrent tous que dans les projets auxquels ils ont participé, leur engagement est

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considéré comme possible, souhaitable, et bénéfique. Mais toutes les voix réunies dans
ce numéro soulignent aussi ô combien est délicate à mettre en place une dynamique de
recherche collaborative qui contribue pleinement à la formation. Cette préoccupation
est loin d’être nouvelle dans le champ des didactiques :
« Au chercheur qui accepte de répondre à une demande qui, dans la majorité des
cas, est institutionnelle, c'est-à-dire produite par un responsable administratif (IEN
en général), la question se pose de savoir en quoi sa réponse est spécifique, c'est-à-
dire différente à la fois de celle du formateur qu'il pourrait rencontrer sur ce même
terrain, et surtout en quoi elle peut être reconnue comme recherche par la
communauté scientifique à laquelle il appartient. C'est ce second problème qui est
le plus épineux, à telle enseigne qu'il semble que, faute de trouver de réponse
satisfaisante à celui-ci, nombre de chercheurs préfèrent décliner l'offre qui leur est
faite. » (Fijalkow et Ragano, 1999 : 19)
32 On découvrira dans ce numéro des contributions qui montrent que les RC déploient des
processus scientifiquement rigoureux, qui favorisent des méthodes de recherche
altéritaires, certes inconfortables, mais fécondes en didactique des langues. En
favorisant de nouvelles connaissances fondées sur la relation, l’écart, et la capabilité,
ces démarches contribuent notamment au développement professionnel de tous les
acteurs « embarqués », dont les chercheurs.

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education-2015-1-page-137.htm.

NOTES
1. http://ife.ens-lyon.fr/formation-formateurs/catalogue-des-formations/formation-2017-18/
quelle-didactique-pour-les-eleves-allophones?set_language=en.
2. La formation a rassemblé uniquement des femmes. C’est donc le féminin qui est adopté.

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AUTEURS
VÉRONIQUE MIGUEL-ADDISU
INSPE de l’académie de Rouen-Université de Rouen-Normandie, DYLIS EA7474
Mes travaux se situent entre sociolinguistique et didactique, et visent à contribuer à une
meilleure connaissance des pratiques langagières des locuteurs plurilingues en situation de
contact de langues. À l’école, je cherche à comprendre comment les élèves plurilingues
s’approprient la langue de scolarisation en situation éducative immersive en France et à
l’étranger, et à construire une approche plurielle de la didactique du français, à visée inclusive,
altéritaire.
veronique.migueladdisu[at]univ-rouen.fr

NATHALIE THAMIN
Université Bourgogne Franche-Comté, CRIT EA3224, Besançon
Je suis enseignante-chercheure en sciences du langage à l’Université de Franche-Comté, au sein
du Centre de recherches interdisciplinaires et transculturelles (CRIT, EA 3224), et chercheure
associée au LIDILEM, Université Grenoble Alpes. Mes recherches actuelles, inscrites en
sociolinguistique et didactique des langues, portent sur la scolarisation et la socialisation
langagière plurilingues d’élèves dans le contexte de l’école maternelle ainsi que sur les familles
en situation de migration ou de mobilité transnationale.
nathalie.thamin[at]univ-fcomte.fr

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Axe 1 : La collaboration entre


chercheurs et praticiens: une
complémentarité qui diffère du
consensus

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Orientations méthodologiques et
théoriques d’une recherche
collaborative sur le travail
documentaire de professeures
d’anglais langue étrangère
Margaret Bento

Introduction
1 Les articles rendant compte de recherches collaboratives ou participatives sont de plus
en plus présents dans le paysage de la didactique des langues (entre autres Narcy-
Combes, 2005 ; Demaizière et Narcy-Combes, 2007 ; Macaire, 2007a ; Castellotti, 2013).
Ces orientations impliquent une nouvelle manière de faire de la recherche « qui va dans
le sens de valoriser un processus de production des connaissances réalisé de concert
avec les acteurs concernés » (Anadon, 2007 : 3). Pour Desgagné (1997 : 371) :
« l'approche collaborative suppose une démarche de coconstruction entre les
partenaires concernés ; elle joue sur deux registres à la fois, soit celui de la
production de connaissances et celui du développement professionnel des
praticiens ; elle contribue au rapprochement, voire à la médiation entre
communauté de recherche et communauté de pratique. À l'horizon de ces trois
énoncés se profile une vision socioconstructiviste du « savoir » à développer, et
cela, à partir d'une démarche collective d'interprétation où théorie et pratique sont
constamment mises en relation ».
2 Ainsi, on voit se mettre en place des collaborations complémentaires entre chercheurs
et enseignants (Bednarz, 2013) et leurs conséquences sur l’environnement
institutionnel dans lequel s’inscrivent ces recherches, souvent recherches-actions (voir
par exemple la rétrospective de 5 programmes de recherches collaboratives en langues
modernes de Beckers et Simons, 2010 : 31-46 ou encore, Macaire, 2007a : 93-120),
parfois recherches-interventions (Narcy-Combes, 2005 ; Demaizière et Narcy-Combes,

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2007 ; Macaire, 2007b ; Castellotti, 2013). Notons qu’un modèle de recherche


collaborative implique de faire de la recherche avec les enseignants alors qu’une
recherche-action ou intervention ne mettant pas en place de recherche collaborative
porte sur les enseignants. Il y a donc une double fonction de recherche et de formation
dans une approche collaborative.
3 Parallèlement, les recherches actuelles en didactique des langues s’intéressent peu aux
pratiques effectives des enseignants quant à leur travail documentaire pour
l’élaboration de séquences pédagogiques et notamment, leur point de vue est peu
interrogé.
4 La présente recherche porte sur l’usage des ressources pédagogiques (documents audio,
vidéo, écrits, iconographiques…) par des professeures d’anglais du secondaire en
France. Cette étude entre dans le cadre plus large du projet ANR ReVEA (Ressources
vivantes pour l’enseignement et l’apprentissage) portant sur l’usage des ressources par
des enseignants du secondaire en France1.
5 On s’intéresse ici à la fois aux manières de didactiser, d’organiser le contenu des
séquences pédagogiques, mais aussi à l’éthique professionnelle que ces choix
engendrent ou qui est engendrée par ces choix.
6 L’implication des enseignantes comme actrices principales pour comprendre cet aspect
de leur pratique m’a amenée à choisir une approche de recherche collaborative. Une
activité réflexive lors de plusieurs rencontres avec ces professeures a servi de matériau
d’analyse.
7 Dans cet article, je souhaite aborder les aspects méthodologiques et théoriques liés à
une recherche qui tente de comprendre le travail de documentation d’enseignantes
dans une approche collaborative et plus précisément comment s’effectue leur travail
documentaire pour l’élaboration d’une séquence pédagogique. Quelles sont les postures
épistémologiques face à la recherche des unes et de l’autre ? Posture est définie ici
comme la manière dont les enseignantes s’approprient le travail documentaire et se
positionnent en tant qu’agent éthique. Cette posture épistémologique indique de quelle
manière les protagonistes souhaitent créer de la connaissance. Quelles implications
pour les différentes actrices ? Quelles circulations de postures entre les actrices ?
8 Je présenterai, dans un premier temps, les fondements et le dispositif de ce projet de
recherche. Puis, je montrerai les conceptualisations opérées dans le cadre de la
collaboration entre les praticiennes et la chercheure. Enfin, j’analyserai les différentes
logiques des enseignantes et de la chercheure et je montrerai comment ces relations
ont conduit à nous éclairer sur les spécifités de la méthodologie mise en œuvre. On
pourra ainsi mettre en évidence l’intérêt de cette collaboration pour la formation des
enseignants et l’avancée de la recherche.

Méthodologie, contexte et corpus


Positionnement méthodologique

9 Afin de mettre en lumière la réalité du travail documentaire des enseignants


(recherche de ressources, sélection, didactisation…), une approche collaborative de
recherche m’a semblé pertinente pour décrire des pratiques professionnelles
(Desgagné, 1997 ; 1998 ; Desgagné et Bednarz, 2005 ; Bednarz, 2013). Cette démarche

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allie recherche et pratique en prenant en considération l’expérience acquise par les


enseignants dans leurs tâches quotidiennes. Ces acteurs de la formation sont reconnus
par le chercheur pour leurs compétences puisqu’ils connaissent l’environnement de
leur pratique. Ils sont donc les plus à même d’élucider la question de recherche posée
grâce aux savoirs produits (Bednarz, 2013). Mais cette démarche collaborative produit
des effets pour les deux partenaires. En effet, si le chercheur peut répondre à la
question de recherche posée, les enseignants, quant à eux, pourront développer une
réflexion sur leurs pratiques, voire se former (Desgagné, 1998 ; Simonin et Thamin
2018). C’est ce que Dubet (1994) appelle le concept de « double vraisemblance » (cf.
aussi Desgagné 1998 ; 2001). Cette réflexivité constitue le noyau de cette démarche
collaborative lors des réunions avec les enseignants. Le dialogue généré entre les deux
parties permettra de reconstruire l’expérience de la pratique (Desgagné, 2001) grâce à
la confrontation des différentes expériences des protagonistes (enseignants et
chercheur). Le chercheur accompagne l’explicitation des professeurs pendant la
réflexion dans un échange dialogique ce qui permet ensuite, à partir d’une analyse des
interactions entre chercheure et enseignantes, de catégoriser les éléments saillants.
Cette « double vraisemblance » répond à une double pertinence sociale, une
préoccupation de double rigueur méthodologique par la mise en place de l’activité
réflexive et une préoccupation pour que les résultats soient féconds pour la recherche
et la formation.
10 Dans le cadre de cette recherche, je me suis intéressée à la fois aux dimensions
personnelle et sociale du rapport des enseignantes à leurs ressources pédagogiques. On
note plusieurs tensions dans les pratiques documentaires en lien direct avec
l’enseignement : prescriptions professionnelles, contraintes organisationnelles,
situations d’enseignement et exigences normatives (Bento, 2017a). L’ensemble de ces
éléments ont conduit à mettre en discussion les enseignantes sur le travail de
transposition didactique effectué pour rendre les documents utilisés, souvent
authentiques, accessibles aux élèves et comme leviers d’enseignement/apprentissage.
On entend, par transposition didactique, les processus d’adaptation ou de
transformation d’un contenu en un objet d’enseignement en vue de son apprentissage
(Chevallard, 1985/1991 ; Bento, Defays, Meunier, 2014 : 10). Quelles didactisations sont
mises en œuvre ? Quelle organisation dans les séquences pédagogiques (Bento, 2017b) ?
La question de l’éthique professionnelle a également été posée. Quels sont les moteurs
de l’agir éthique des enseignantes quand on sait que l’expérience de la réalité de la
classe résiste aux recommandations institutionnelles (Moreau, 2009 : 78) ? Face à la
déontologie professionnelle et à l’éthique déontologique, quelle position d’agent
éthique les enseignantes adoptent-elles (Bento, 2017a) ?
11 Au niveau de la recherche, ces questionnements ont été peu étudiés et il devenait
intéressant de voir comment ils pouvaient être envisagés et développés lors d’une
collaboration enseignantes/chercheure dans une démarche de double vraisemblance.
Pour les enseignantes, cela leur permettait de réfléchir à leur démarche de
documentation : quels documents, pour quoi faire, pour qui, quelle place dans la
séquence, quelle transformation, quelle éthique ; de mettre en discussion les
enseignantes et de voir leur pratique respective ; de s’enrichir de la pratique des autres
et d’échanger sur les différentes manières de faire. Du côté de la chercheure, cela lui
permettait de mieux comprendre le travail documentaire des enseignantes et de situer
ces analyses dans le paysage didactique.

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Le dispositif de collaboration

12 Cinq professeures ont participé à cette recherche. Trois d’entre elles enseignaient dans
des lycées généraux et technologiques du centre-ville d’Orléans et deux autres
enseignaient dans un lycée professionnel de la banlieue proche d’Orléans (non classé en
zone prioritaire).
13 La mise en place de cette recherche collaborative a pris pour cadre la démarche en trois
étapes définie par Desgagné (1998) : la cosituation, la coopération et la coproduction.
14 La cosituation a pris la forme d’une négociation entre les enseignantes et la chercheure.
Il s’est agi de se mettre d’accord sur les questions de recherche concernant le travail
documentaire des enseignantes et sur le mode de collaboration lors des séances
d’échange concernant les questions de recherche. C’est donc bien dans une démarche
de double vraisemblance que l’activité réflexive a été envisagée. Il fallait créer des
situations permettant de travailler les questionnements sur le travail documentaire en
prenant à la fois en compte les préoccupations des cinq enseignantes et les objectifs de
la chercheure.
15 L’étape de coopération a correspondu au moment de la collecte des données, objets
d’enquête pour la chercheure et activités de réflexion pour les enseignantes. Les
analyses croisaient diverses données recueillies à des moments, des lieux et auprès de
différentes enseignantes. La recherche sur l’activité de documentation des enseignants
était exploratoire et la démarche entreprise permettait d’augmenter la validité et la
qualité des résultats obtenus (Silverman, 2009). Au préalable de la collaboration avec
les enseignantes, il y a eu sept entretiens semi-directifs enregistrés, menés auprès des
cinq enseignantes exerçant en lycée général et technologique et deux enseignantes
exerçant en lycée professionnel. Le guide d’entretien était notamment composé d’une
série de questions portant sur les données personnelles et professionnelles des
enseignantes, leurs conceptions à propos des ressources pédagogiques utilisées en
cours, leurs choix et leurs utilisations. La démarche de l’entretien semi-directif
permettait la prise de parole spontanée des professeures interrogées et d’être attentive
aux détails faisant sens pour elles. Ces entretiens ont donné lieu à une série de portraits
d’enseignantes mettant ainsi en exergue les caractéristiques de chacune d’entre elles.
16 Le corpus était également constitué de journaux de bord de l’activité de trois
enseignantes volontaires lors de la préparation des séquences pédagogiques. Elles
notaient l’origine des ressources utilisées ou rejetées avec le cheminement qui avait
présidé la recherche ; l’intérêt des ressources retenues ou non ; les modifications
apportées aux ressources avec les techniques utilisées ; l’organisation des ressources,
mais aussi les activités organisées autour des ressources. Huit séquences pédagogiques
ont pu ainsi être recueillies. C’est à partir de ces différents matériaux que le dialogue
s’est établi lors de trois situations de collaboration qui prenaient la forme d’échanges
collectifs sur les questions de l’activité documentaire des enseignants.
17 Ainsi, les entretiens individuels et les carnets de bord ont été présentés au groupe des
cinq enseignantes volontaires, ayant participé à tout ou partie des phases du recueil des
données (seulement trois enseignantes ont accepté de rédiger un carnet de bord), afin
de déterminer ce qui se faisait réellement ou non. Les participantes réagissaient aux
éléments présents dans les entretiens transcrits et les carnets de bord, elles
confrontaient leurs conceptions et elles construisaient une culture commune. En effet,

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grâce à cette méthodologie, qui prenait en compte les savoirs d’expérience que les
professeures développaient dans leur activité professionnelle journalière, une culture
commune a émergé (Desgagné, 1998) axée sur les quelques règles qui régissent le
métier de professeur d’anglais (Bento, 2017b).
18 Lors des rencontres, les enseignantes devaient donner du sens aux questionnements
posés en prenant à la fois en compte et en commentant les transcriptions des
entretiens, les journaux de bord et leur propre pratique. Il s’agissait principalement de
repérer, à travers leurs activités quotidiennes, comment s’effectuait leur travail
documentaire pour l’élaboration d’une séquence pédagogique. Il pouvait aussi s’agir
pour les enseignantes de raconter une anecdote, un incident en lien avec la thématique.
Des situations habituelles et inhabituelles d’activité étaient mises au jour afin d’en
extraire les éléments les plus signifiants.
19 Enfin la dernière étape, la coproduction, a consisté en l’analyse des résultats. Chaque
rencontre a été enregistrée et retranscrite. Le traitement des données a donné lieu à
une analyse thématique du contenu des discours recueillis (Bardin, 2007). Il s'est agi de
repérer les éléments significatifs du discours et des pratiques des enseignantes, puis de
les catégoriser. Pour structurer l'analyse thématique de contenu, nous avons pris en
compte plusieurs composantes susceptibles d’influencer le choix et la transformation
des ressources par les enseignants.

Recherche collaborative et conceptualisation des


pratiques
20 Cette démarche de collaboration guidait également la conceptualisation des pratiques
qui étaient au cœur du projet et s’accordait avec le cadre des notions envisagées : le
genre professionnel (Clot et Faïta, 2000) d’un côté et la déontologie professionnelle et
l’éthique déontologique (Moreau, 2003 ; Prairat, 2009 et 2013) de l’autre.

Le genre professionnel

21 Le genre professionnel est défini comme


« un genre qui installe les conditions initiales de l’activité en cours, préalables de
l’action […]. Donné à recréer dans l’action, ces conventions d’action pour agir sont à
la fois des contraintes et des ressources. Elles ont le caractère d’un prémédité social
en mouvement qui ne relève pas de la prescription officielle mais qui la traduit, la
« rafraîchit » et, si nécessaire, la contourne. Il existe des types relativement stables
d’activités socialement organisées par un milieu professionnel au travers desquels
le monde de l’activité personnelle s’accomplit, se précise, dans des formes sociales
qui ne sont pas fortuites, ni d’un seul instant, qui ont une raison d’être et une
certaine pérennité » (Clot et Faïta, 2000 : 13).
22 Le genre professionnel est donc perçu comme un élément du développement
professionnel et Clot (1999) précise qu’il renvoie à des « schèmes sociaux d’utilisation »
qui finissent par marquer la mémoire impersonnelle du collectif professionnel. Pour
Cicurel (2013 : 28), les enseignants alimentent le genre professionnel de leurs
représentations idéales d’enseignement. Et pour Pastré, Mayen et Vergnaud (2006 :
153), l’organisation de l’activité ne varie pas contrairement à l’activité :
« Cette organisation de l’activité est souple, puisque […] la compétence ne consiste
pas à répéter perpétuellement le même mode opératoire, mais à s’ajuster aux

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circonstances pour que l’action soit finement adaptée. Mais cet ajustement ne peut
se concevoir que parce que l’organisation de l’activité comporte une bonne part
d’invariance. La dimension invariante de l’organisation de l’activité représente la
part généralisable de l’action. »
23 La notion de genre professionnel s’accorde parfaitement avec l’approche
méthodologique participative envisagée puisqu’elle renvoie directement à l’activité et à
l’organisation de l’activité par les enseignants. Cette activité peut être certifiée par les
praticiens et devient une réalité qui met en évidence la structuration de leur travail.
Dans les interactions avec les enseignantes, je me suis intéressée à la dimension sociale
du rapport aux ressources pédagogiques, commune à l’ensemble des enseignantes
(Bento, 2017b). En effet, l’enseignant ajustant ses pratiques dans l'interaction, avec les
élèves ou d'autres acteurs du système, il importe de considérer la nature interactive de
ces activités.
24 La méthodologie collaborative couplée à la notion de genre professionnel permettait de
répondre aux questionnements posés : dégager la posture pédagogique des
enseignantes quant à leur travail documentaire. Elles ont mis en évidence les
conceptualisations qui leur permettent de réaliser des tâches documentaires compte
tenu de leur formation, de leur expérience et des contraintes institutionnelles. Il a
émergé aussi de la collaboration entre praticiennes et chercheure, l’importance des
convictions professionnelles pour la construction du genre professionnel (Bento,
2017b), des convictions professionnelles partagées par la plupart des enseignantes.
Mais cela ne voulait pas dire qu’il y avait uniformisation des pratiques. Des pratiques
personnelles aussi ont émergé indiquant qu’au-delà du genre professionnel, il y a aussi
un style (Clot, Faïta, 2000 : 15-16) qui renvoie à une « action singulière » (Cicurel, 2013 :
27).

La déontologie professionnelle et l’éthique déontologique

25 Pour Prairat (2009 : 131), la déontologie professionnelle consiste à inventorier les


obligations qui incombent à un professionnel dans l’exercice de sa tâche. Elle implique
aussi des « restrictions normatives », issues des instructions officielles. L’éthique
déontologique suppose qu’il y a des actions effectuées par les enseignants et d’autres
non et ce, quelles qu’en soient les conséquences (Prairat, 2013 : 38). Ici, l’enseignant fait
un choix pour être en accord avec lui-même quand il enseigne. Si la déontologie
professionnelle s’applique aux règles, aux obligations et aux normes, l’éthique
déontologique renvoie aux restrictions normatives (Prairat, 2013 : 41) avec pour
objectif le bien être de l’enseignant et l’intérêt de l’élève. Ces deux pans de la
déontologie inscrivent l’enseignant comme un agent éthique : il prend une posture
éthique face à son activité professionnelle. Cette activité professionnelle s’exerce en
fonction d’un contexte institutionnel et social, mais aussi en fonction de l’histoire
personnelle de l’enseignant (Bru, 2002).
26 La démarche méthodologique collaborative a montré les caractéristiques de l’éthique
professionnelle des enseignantes centrée sur la déontologie professionnelle et l’éthique
déontologique. Grâce au dialogue instauré, les raisons de l’agir éthique ont pu être
dégagées. Ainsi, si les enseignantes tentent au maximum d’appliquer la méthodologie
actuelle recommandée en didactique des langues dans les instructions officielles
(approche actionnelle, recommandations du CECRL…), notamment l’usage de
documents authentiques, elles peuvent renoncer à ces manières de faire si elles

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


24

trouvent qu’elles vont à l’encontre des besoins ou du niveau des élèves ou encore de
leurs goûts personnels (Bento, 2017a). Les interactions ont mis en évidence une
exigence éthique de responsabilité personnelle. Les enseignants se positionnent en
considérant qu’il y a des actes qu’elles peuvent faire ou ne pas faire. Ainsi,
« d’un côté les enseignants ne peuvent se passer des règles qui régissent le métier et
constituent une culture commune, mais d’un autre côté, ces règles ne constituent
pas à elles seules l’ensemble des conventions de la profession. La réalité des
situations, l’intérêt des apprenants, le goût des enseignants sont autant d’éléments
qui infléchissent l’activité des enseignants en la rendant singulière » (Bento, 2017a :
69)

Enseignantes et chercheure : deux logiques


complémentaires
27 Comme nous l’avons vu plus haut, la recherche collaborative suppose une démarche de
coconstruction pour répondre à un questionnement de la pratique (Desgagné : 1997).
Les postures de chacune des partenaires sont donc symétriques et complémentaires.
Chaque partie a une tâche dévolue différente. Les enseignantes prennent une posture
de praticiennes réflexives. Elles questionnent leurs pratiques quant au travail
documentaire qu’elles mettent en œuvre afin d’améliorer leur agir professionnel. La
chercheure, quant à elle, va avoir une démarche d’investigation quant à ce même
travail documentaire des enseignantes. Elle veille, par une démarche interactive, à
construire avec les praticiennes la discursivité autour des savoirs mis au jour
(Morrissette, 2013). Elle a été la médiatrice dans la démarche de coconstruction qui
s’est mise en place et elle a interprété les discours (Savoie-Zajc et Descamps-Bednarz,
2007). De plus, la chercheure a veillé à ce que les actrices impliquées, elle comprise, ne
portent pas de jugement normatif sur les pratiques décrites. Il s’est avant tout agi de
comprendre les expériences de chacune pour un meilleur développement professionnel
(Morrissette, 2013). La chercheure s’est présentée comme une facilitatrice dans la
construction des connaissances. Cette collaboration laisse donc des traces dans les
pratiques. L’extrait suivant, tiré du dernier échange, illustre une certaine évolution des
pratiques.

[…]
Chercheure : Qu’est-ce qui fait que maintenant tu vas plus choisir ce texte
plutôt qu’un autre ? Parce qu'il te plait plus, parce que c'est plus adapté aux
apprenants ?
C : Au final parce que c'est plus adapté aux textes officiels.
Chercheure : Ça t’a rapprochée des instructions ?
C : Euh, oui on pourrait dire ça, dans le côté global, on pourrait dire ça. En
tous cas, je ne sais pas si ça m'en a rapproché, je pense que je faisais pareil
sauf que je n'analysais pas pourquoi. Disons que je m'assure que je suis dans
le cadre peut-être, davantage.
[…]
S : Moi, je consulte davantage les manuels scolaires en fait. Ce que j'avais
arrêté de faire il y a déjà un petit moment et puis on en a reçu quelques-uns.
Je me dis « tiens ça fait un petit moment quand même que j'ai pas mis mon
nez dedans » et finalement j'ai trouvé des choses intéressantes que j'avais
laissé de côté alors que non il y a des choses intéressantes dans les manuels,
donc oui je me suis mise récemment, je sais pas si toi (s'adresse à E.) tu les
consultes autant

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


25

E : Euh oui, je les consulte. Voir s'il y a des idées de thèmes qui m'intéressent
Chercheure : Mais tu le faisais déjà ?
E : Oui, je le faisais déjà. Moi, je pense que c'est plus dans ma façon d'aborder
le document avec les élèves. Je travaille plus la stratégie d'accès au sens. J'ai
repris certains documents et ça m'a amenée à me poser des questions aussi
sur pourquoi choisir tel document. Y a des documents que j'ai changé cette
année en me disant que non par rapport à ce que moi je veux travailler. Si je
veux travailler vraiment des stratégies d'accès au sens, vaut mieux prendre
tel document que tel document donc peut-être pas sur beaucoup de chapitre
mais sur... Ponctuellement, ça m'a amenée à changer soit le document, soit la
façon d'aborder le document […] (Transcription des échanges avec les 5
enseignantes participant à la recherche – 27 février 2017).

28 Cela étant, les professeures ne sont pas intervenues dans le travail formel de la
recherche : définition du cadre théorique, méthodologie de recueil de données, analyse
des données, production scientifique qui incombe aux chercheurs. Mais, la démarche
entreprise a permis de mettre en œuvre un double volet, dans une perspective de
double vraisemblance : l’examen du travail documentaire des enseignantes et le
développement professionnel de ces mêmes enseignantes (Desgagné, 1997) en fonction
de l’intérêt de chacune des parties.
29 Cependant, il serait faux de dire que la chercheure n’a pas influencé le travail de
coconstruction élaboré. Par le fait qu’elle a dégagé des éléments saillants des différents
corpus recueillis avant les rencontres, elle a orienté les discussions sur des questions
qui lui semblaient pertinentes. Ainsi, ce sont les questions de genre professionnel et de
déontologie qui ont été particulièrement développées. Desgagné (1997 : 373) signale
que nous sommes face à une difficulté inhérente de la démarche collaborative.
Cependant, c’est bien les dires des enseignantes qui ont orienté les choix de la
chercheure. Ces choix reflètent les préoccupations saillantes des praticiennes lors des
entretiens exploratoires. Il s’agissait donc de se soucier du contexte et des situations
d’action des enseignantes. Ensuite, ensemble, elles sont allées chercher des pistes de
compréhension de leur agir professionnel. Cette description des postures et de la
circulation des postures qui s’est mise en place entre les actrices engagées montre la
complexité de la démarche collaborative. La coopération doit être envisagée selon ses
deux faces, chaque partenaire ayant besoin des expériences de l’autre. Marlot, Toullec-
Théry et Daguzon (2017 : 21) parlent d’ « acculturation réciproque » où l’activité de
chacun permet le développement de chaque acteur. Cependant ce développement ne se
fait pas sans douleur, notamment pour les enseignantes. Elles sont d’accord pour dire
que l’expérience est fructueuse, comme le montre cet extrait de mail écrit par une
enseignante :

E : Ce projet a été vraiment formateur pour moi dans le sens où il m'a permis
de mieux réfléchir sur ma pratique, mais également d'échanger avec des
collègues d'ailleurs sur nos façons de faire et de voir les choses, et cela est
toujours enrichissant. (Extrait du mail envoyé par E. le 18 avril 2018).

30 Cependant, elles se plaignent aussi de la charge mentale que cela a entrainée. L’extrait
suivant, tiré de la dernière séance, illustre bien le malaise engendré.

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26

C : Moi, depuis qu’on fait ce travail ensemble, je réfléchis au fait que je suis
en train de rechercher une ressource et donc je pense à ce qu'on fait. C'est à
dire le fait d'avoir réfléchi à ça. J'analyse ma recherche. C'est pas bien du
tout. Ça prend encore plus de temps.
A : Dès qu'on commence à transformer une ressource on a l'impression
d'avoir un gendarme au-dessus du nez qui nous dit « non » t'as pas le droit
de faire ça. Là là non. C'est de l'authentique, t'es pas censée toucher ça. Et
oui, c'est exactement ça, c'est le fait que quand on cherche une ressource, on
pense bah au travail qu'on fait ensemble, aux échanges en fait.
Chercheure : Oui, ça vous facilite pas la tâche en fait ?
C : Non, ça nous facilite pas, pour moi en tout cas, j'ai pas l'impression que ça
me facilite, simplement je réfléchis à ce que je fais et à ce que je faisais pas
auparavant parce que j'allais chercher une ressource point alors que
maintenant je me dis pourquoi est-ce que tu vas prendre plutôt cette
cinquième apparition dans Google et non pas la deuxième. Qu'est ce qui fait
que tu as tiré vers ça et non pas vers ça ? Voilà.
Chercheure : Et qu'est-ce que tu as comme réponse ?
C : Je suis peut-être plus pointilleuse dans les mots, dans la petite synthèse
qu'il y a. Je vais peut-être un peu plus loin qu'auparavant, tu vois. Mais je sais
pas pourquoi.
Chercheure : Le travail qu'on fait ensemble il est pas, y a pas du tout de
jugement. Par exemple, toi A., j'ai l'impression que tu culpabilises si tu n'as
pas de document authentique
A : Ah non pas du tout.
Chercheure : alors qu'il n'y a aucun jugement en fait.
A : Non, c'est pas ça, c'est la réflexion qu'on apporte au travail qu'on fait et
qu'on ne faisait pas auparavant et ça ça change. Ça ne nous demande pas plus
de temps, c'est juste que ben dans notre tête y a un petit cheminement qui se
fait sur effectivement comment je fais, sur quel moteur de recherche je vais,
pourquoi je vais choisir effectivement cet article que cet article. Donc c'est
juste une réflexion obligatoire en fait parce que voilà on relie quand même
les éléments qui se passent dans notre vie et ça étant intégré maintenant à
notre travail bah forcément on y pense. Mais c'est pas du tout péjoratif, loin
de là, c'est juste que c'est rigolo.
C : Oui parce qu'auparavant c'était comme si c'était plus spontané en fait que
maintenant. Je choisis mes vidéos pour les BTS, je vais réellement réfléchir.
J'en ai trois devant moi et pourquoi je vais prendre celle-ci et pas ces deux-là
et voilà je vais chercher davantage à identifier pourquoi mon choix va vers
celle-ci que vers celle-là alors qu'avant j'allais vers la numéro 2, j'allais vers
la numéro 2, je cherchais pas à savoir pourquoi j'avais éliminé la une et la
trois, tu vois ? C'est dans l'analyse de ce que je fais. (Transcription des
échanges avec les 5 enseignantes participant à la recherche – 27 février
2017).

31 Ce long extrait montre le cheminement qui s’opère chez les praticiennes qui
collaborent. Elles pensaient améliorer leurs pratiques, mais sans avoir évalué le poids
que cela engendrerait en termes de questionnements. Si la recherche collaborative
apporte réellement aux protagonistes, il n’en reste pas moins que cet apport n’est pas
sans impact sur la vie professionnelle des enseignantes. Leurs tâches quotidiennes ne
sont pas facilitées, elles se posent encore plus de questions et soupèsent chaque
décision prise.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


27

Conclusion
32 Cet article présente une expérience de mise en œuvre de recherche collaborative entre
cinq enseignantes d’anglais dans le secondaire et une chercheure autour de la question
du travail documentaire et les aspects méthodologiques et théoriques liés à la
recherche qui en découlent.
33 Outre le fait que cette recherche a permis de mieux appréhender le genre professionnel
des enseignantes quant à leur travail documentaire au quotidien et de dégager les
caractéristiques de leur éthique professionnelle et les raisons de l’agir éthique, elle a
également permis de déterminer les postures épistémologiques des différentes actrices.
On a vu aussi que ce travail collaboratif n’est pas si évident et qu’il peut produire une
forme de malaise au travail dans le questionnement perpétuel qu’il enclenche chez les
praticiennes.
34 Dans une démarche ultime, il ne faut pas oublier que l’approche collaborative, qui met
au centre d’un côté les enseignants et les savoirs/savoir faire qu’ils construisent/
développent et de l’autre côté le chercheur qui produit des connaissances, a pour
finalité l’apprentissage des élèves et que c’est en ce sens qu’oeuvrent les deux parties
de la recherche.

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NOTES
1. Le projet ReVEA porte sur les utilisations de ressources par des enseignants du secondaire en
France. Centrée sur les critères de sélection des ressources, il apparaît que cette recherche
permet aussi d'approcher les questions posées par les processus de professionnalisation des
enseignants.

RÉSUMÉS
À partir des résultats d’une étude portant sur l’usage des ressources pédagogiques par des
enseignants du secondaire en France, cet article présente une expérience de mise en œuvre de
recherche collaborative entre une chercheure et cinq enseignantes d’anglais dans le secondaire
sur leur travail documentaire. Les résultats mettent en évidence les logiques des enseignantes et
de la chercheure orientées pour les unes sur le développement professionnel et pour l’autre sur
la production de connaissances.

Based on the results of a study on the use of learning resources by secondary school teachers in
France, this article presents an experience of implementing collaborative research between a
researcher and five English secondary school teachers on their documentation activity. The
results highlight the logic of teachers and researchers who are oriented respectively towards
professional development and knowledge production.

INDEX
Mots-clés : recherche collaborative, travail documentaire, éthique professionnelle, genre
professionnel, didactique de l’anglais
Keywords : collaborative research, documentation activity, professional ethics, professional
style, English didactics

AUTEUR
MARGARET BENTO
Université de Paris – Faculté Sciences et Humanités
Laboratoire Éducation, Discours, Apprentissages

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


30

Margaret Bento est professeure en sciences du langage spécialisée en didactique des langues
étrangères et maternelles. Elle s’intéresse tout particulièrement aux méthodologies
d’enseignement des langues.
margaret.bento[at]parisdescartes.fr

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31

De l’utilité de la recherche
collaborative pour produire des
ressources de formation robustes
Bernadette Kervyn

1 Dans le présent article, je1 propose d’analyser en quoi l’inscription dans un processus
de recherche collaborative contribue à produire des ressources robustes pour la
formation des enseignants en didactique de l’écriture. Pour ce faire, je commencerai
par présenter brièvement le projet d’ingénierie didactique dont la mise en œuvre, par
le biais d’une recherche collaborative, sera étudiée. Je décrypterai l’objectif précis de ce
projet en mettant en exergue le principe de robustesse, défini au travers d’une double
exigence de validité scientifique et de validité et pertinence de terrain. Mettant ensuite
en dialogue le processus de recherche engagé et des travaux existants sur la recherche
collaborative et la recherche-action, et plus globalement sur les méthodes de recherche
en éducation, j’étudierai les caractéristiques par lesquelles la recherche collaborative
mise en œuvre permet de construire la robustesse recherchée. Ce faisant, plutôt qu’une
redéfinition générale de la recherche collaborative, je chercherai à mettre au jour les
traits de ce type de recherche susceptibles de constituer des conditions facilitatrices,
voire déterminantes, pour produire des ressources robustes en didactique du français.

Des résultats de la recherche LireÉcrireCP à la


production de ressources pour la formation
2 Le projet d’ingénierie didactique sur lequel je prends appui pour analyser le rôle ou
l’apport de la recherche de type collaboratif a été initié suite à la recherche LireÉcrireCP
2
à laquelle j’ai pris part aux côtés de plus de 80 chercheurs. Cette recherche
pluridisciplinaire, coordonnée par R. Goigoux, avait pour ambition de produire des
connaissances scientifiques sur les caractéristiques des pratiques efficaces
d’enseignement de la lecture et de l’écriture au cours préparatoire (CP). Il s’agissait
pour ce faire d’identifier les tâches, les contenus et les formes d’enseignement ainsi que

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


32

leurs progressions, leurs dosages et leurs combinaisons les plus à même de faire
progresser les différents publics d’élèves (Goigoux, 2016 ; Revue française de pédagogie,
2016).
3 La communication à un public de formateurs des premiers résultats de cette recherche
de grande ampleur a d’emblée fait émerger la difficulté à passer d’une logique de
recherche à une logique de formation. Comment rendre les résultats compréhensibles
et pertinents en contexte de formation professionnelle ? Parmi les résultats, quels sont
ceux qui demandent à priori un travail de transposition didactique voire de production
de ressources spécifiques pour être ajustés et influents auprès des formateurs et des
enseignants ? Quels éléments issus de la recherche représentent un potentiel de
développement professionnel important et à quelles conditions ?
4 Plutôt que de confier ou de déléguer toute la tâche de transposition et
d’opérationnalisation (Kervyn, 20083) des résultats aux formateurs et aux enseignants,
a été actée au sein du groupe de travail LireÉcrireCP la poursuite des investigations pour
adosser à cette recherche empirique un axe formation via la production de ressources
pour les formateurs et les enseignants de CP. Trois équipes de travail se sont ainsi
constituées, dont une que j’ai coordonnée, centrée sur le volet écriture 4. Réalisée de mai
2017 à février 2020, la recherche collaborative engagée sur ce volet écriture a été
menée avec une équipe de formateurs exerçant en Aquitaine ainsi qu’avec le Centre
Alain Savary (CAS) de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ). Ce projet a consisté en la
production de 4 scénarios de formation sur l’enseignement de l’écriture au CP ainsi que
de ressources d’interface plus générales sur le processus scriptural et son
enseignement, et sur les résultats de la recherche LireÉcrireCP en matière d’écriture
(annexe 1)5. Au terme de ce long processus d’ingénierie didactique qui a permis de
mettre à disposition sur le site du CAS ces différentes ressources complémentaires 6, je
souhaite revenir sur cette recherche de type collaboratif pour en analyser les objectifs
et les caractéristiques.

Une double exigence conjointe comme pilier de la


robustesse des ressources
5 Chercher à ce que les formateurs et les enseignants tiennent compte des résultats de la
recherche LireÉcrireCP dans leurs pratiques en nous engageant dans la production de
ressources m’a amenée à me questionner sur les critères de qualité essentiels pour les
outils visés. Outre ceux assez diffusés d’utilité, d’utilisabilité et d’acceptabilité issus de
l’ergonomie (Tricot et al., 2003), sur lesquelles je vais revenir, il me semble que la
qualité dépend notamment de l’exigence scientifique. Autrement dit, il s’agit de
considérer que le processus d’opérationnalisation pour le double terrain de la
formation et de la classe ne doit pas se faire au détriment de la validité scientifique.
6 En termes de résultats, il est ainsi nécessaire qu’aux yeux des chercheurs, les ressources
produites, non seulement ne soient pas en contradiction avec des connaissances
scientifiques majeures ou consensuelles, mais qu’elles prennent en compte voire
développent les connaissances actuelles sur l’écriture, sur son enseignement et son
apprentissage en contexte scolaire ainsi que sur l’ingénierie didactique. En ce qui
concerne le processus de recherche collaborative engagée, cette exigence nécessite
notamment d’intégrer, outre les résultats de la recherche LireÉcrireCP, des objets et des

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


33

résultats plus larges, issus de la didactique ainsi que de disciplines contributoires


(principalement les sciences du langage, la psychologie, les sciences de l’éducation et
l’ergonomie). L’exigence de scientificité nécessite aussi de réaliser une veille
scientifique, de développer une culture scientifique commune aux chercheurs et aux
praticiens, de mettre en œuvre une méthodologie de recherche en cohérence avec
l’objectif, de mener un travail rigoureux à chaque étape de conception.
7 Néanmoins, cette exigence scientifique, aussi importante soit-elle, n’est pas en mesure
de garantir à elle seule la qualité des outils : destinés aux professionnels formateurs et
enseignants, ils se doivent d’intégrer les caractéristiques des utilisateurs, les exigences
et les contraintes de leur métier et de leur milieu. Comme le rappelle Goigoux (2017),
faute de prise en compte suffisante du public cible, ou faute d’ajustement à ce public,
nombre d’outils ne se sont pas diffusés ou n’ont pas impacté les pratiques.
8 Dans notre cas, il nous faut par exemple acter que la catégorie professionnelle des
formateurs d’enseignants de cycle 2 en France présente aujourd’hui une hétérogénéité
assez importante, du point de vue de la fonction, de la connaissance de la didactique de
l’écriture, de la connaissance du métier de professeur des écoles, du cycle visé ou du
métier de formateur. En effet, cette catégorie regroupe des enseignants-chercheurs et
des professeurs de lettres du second degré plus ou moins familiarisés avec ce niveau
scolaire comme avec la didactique de l’écriture, des inspecteurs le plus souvent
généralistes, des conseillers pédagogiques très expérimentés ou faisant nouvellement
fonction sans la certification de formateur, des professeurs des écoles maitres
formateurs (PEMF) ayant ou non enseigné dans ce cycle et approfondi les questions
d’enseignement et d’apprentissage de l’écrit. Ignorer cette pluralité au profit d’une
représentation homogénéisante et globalisante des utilisateurs ne peut qu’engendrer
des obstacles dans l’appropriation et dans la diffusion des outils.
9 À l’inverse, au niveau de la conception des ressources, la prise en compte de
l’hétérogénéité du réel incite à expliciter davantage, et dans un langage
compréhensible pour des non-initiés, l’arrière-plan conceptuel, les soubassements
méthodologiques, la démarche, les variantes, les passages à risque (Centre Alain Savary,
2017). Elle amène aussi à préciser ce qu’il faut faire et savoir en amont, en vue du
déploiement de la formation. Cette valorisation du travail en amont rejoint
l’importance de la planification du travail relevée par Dolz et Gagnon dans leur analyse
des composantes majeures de la formation à l’enseignement de la production écrite
(2018). Plutôt que de lister seulement des pré-requis, l’attention à l’hétérogénéité
associée à une volonté de limiter la charge de travail pour l’utilisateur conduit
également à inclure parmi les ressources différents apports synthétiques optionnels,
importants pour l’action envisagée et susceptibles de faire monter en compétence les
utilisateurs. Il s’agit par exemple de modélisations du processus scriptural valables
pour ce niveau scolaire (notamment) et éclairant ou questionnant les manières
d’enseigner (annexe 2), ou d’une synthèse des leviers majeurs pour rendre la
complexité scripturale abordable au CP (annexe 3). Enfin, considérant, dans la lignée du
CAS (2017) et d’Yvon et Saussez (2010) que le métier de formateurs demande d’ajuster
son action selon le contexte (public, besoins de métier exprimés, imprévus, demandes
institutionnelles, nombre de formés, durée de la formation …) et de prendre en compte
les passages à risque liés à l’objet (ou aux représentations de l’objet en présence), liés à
l’approche adoptée ou aux dilemmes de métier, figurent aussi dans le tableau de

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travail7 que nous avons collectivement conçu pour élaborer les scénarios de formation
des colonnes dédiées à ces éléments.
10 Au-delà de ce point précis, le dépliage des dimensions d’utilité, d’utilisabilité et
d’acceptabilité en ergonomie, ou leur adaptation dans une perspective didactique
(Goigoux, Renaud et Roux-Baron, 2019), montrent combien il est complexe de concevoir
des ressources en cohérence avec le terrain. Dans notre cas, cette complexité est
d’autant plus forte que le terrain est double, puisqu’il s’agit de la formation et de la
classe.
11 En effet, on est bien face à une démarche exigeante quand sont pointés, en tant
qu’éléments construisant et conditionnant l’utilisabilité (et parfois aussi
l’acceptabilité), la nécessaire intégration des contraintes matérielles,
organisationnelles, spatiales et temporelles des acteurs et des institutions ainsi que le
besoin de flexibilité des outils pour un meilleur ajustement contextuel. Il en va de
même quand l’acceptabilité passe par le respect du prescrit et par la prise en compte
des habitudes de travail, des croyances et du système de valeurs des acteurs. Loin de
tout applicationnisme, cette démarche consiste à placer les destinataires au cœur de la
conception des outils. C’est pourquoi elle n’est possible qu’avec une bonne
connaissance et compréhension des métiers de formateurs et d’enseignants (et plus
globalement du terrain dans ses multiples dimensions), de même qu’avec un travail de
conception en dialogue avec et au plus près de ce terrain (Béguin, 2013), dialogue sur
lequel je reviendrai dans le point suivant.
12 Même si je les ai pointées distinctement pour la clarté du propos, la validité scientifique
tout comme la validité et la pertinence de terrain participent conjointement de la
qualité des ressources visées par le processus d’ingénierie didactique ici envisagé. En
conséquence, il n’y a de robustesse qu’à l’aune de cette double exigence.
13 Néanmoins, dans les faits il n’est pas rare de voir, en situation de prolongement de
résultats de recherche, des applications pour la formation ou la classe qui ne
s’inscrivent pas ou qu’assez partiellement dans cette double exigence, souvent parce
qu’elles généralisent ou appliquent à une grande échelle des résultats obtenus dans un
contexte spécifique ou restreint. Dans le débat actuel sur les recherches menées en
éducation, c’est une des limites que signale Bryk lorsqu’il pointe « la différence entre la
connaissance que quelque chose peut fonctionner et la connaissance sur la façon de le
faire fonctionner de manière fiable sur des contextes et des populations variés » (2017 :
14).
14 Il est également assez fréquent de trouver des manuels ou des outils à destination des
enseignants et parfois des formateurs, qui tiennent compte de besoins et d’habitudes de
travail du terrain, mais qui véhiculent ou mettent en œuvre des conceptions de
l’écriture et de son apprentissage en contexte scolaire demeurant en tension avec les
connaissances actuelles. À titre d’exemple, encore aujourd’hui, on trouve
régulièrement l’écriture placée en aval ou en subordination de la lecture. Certains
manuels donnent aux tâches d’écriture une place réduite ou un positionnement
récurrent en fin de séance ou de séquence à la suite de tâches de lecture alors que ces
deux composantes de l’écrit s’influencent et que l’écriture précoce peut avoir un effet
bénéfique sur la conceptualisation de la langue écrite et plus globalement sur les
compétences à l’écrit (Repères, 2013 ; Brissaud et al., 2016, par exemple).
15 Ces quelques constats soulignent combien, au niveau de la production de ressources, le
véritable défi en matière de robustesse tient dans sa mise en œuvre. Car si les

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ressources élaborées ne sont robustes qu’à la condition d’être le fruit de cette double
exigence scientifique et de terrain, leur robustesse ne peut s’obtenir via deux étapes
distinctes ou en négligeant l’un des deux axes : elle repose sur l’emboitement et la mise
en œuvre conjointe de ces deux exigences alors posées comme complémentaires et
devant faire l’objet d’une coordination.
16 Dans cette perspective, le rôle du didacticien engagé dans un processus d’ingénierie
didactique consiste, d’une part, à contribuer à la mise en œuvre de cette coordination
permettant de conférer aux outils de la robustesse et, d’autre part, à l’étudier, en
prêtant attention aux tensions, aux contraintes, aux conditions facilitatrices et aux
bénéfices générés. Percevoir de la sorte le rôle du didacticien demande de ne pas
limiter la didactique à une discipline scientifique productrice de connaissances sur
l’enseignement et l’apprentissage de contenus disciplinaires ou de matières scolaires.
En effet, il s’agit d’aussi inclure, dans la pertinence scientifique, la production de
ressources pour l’action, dans une visée praxéologique d’ailleurs mise en exergue par
nombre de didacticiens ou chercheurs engagés en didactique.
17 Cette optique amène également à ne désigner par « ingénierie didactique » ni
l’ensemble des dispositifs ou moyens mis en œuvre dans une classe ou dans une
formation, ni la seule construction et mise en œuvre de ces dispositifs ou de ces
moyens. Positionnée comme une des missions du didacticien, il s’agit de considérer
l’ingénierie didactique, de l’investir et de la valoriser en tant que type de recherche
incluant l’étude des processus d’élaboration et de mise en œuvre des moyens
d’enseignement et de formation (Artigue, 2002 ; Sénéchal, 2018). Une étude scientifique
de ce type passe, entre autres, par l’analyse des exigences, des démarches et des
conditions nécessaires pour obtenir des outils de qualité. Dans la tension constitutive
en didactique entre exigence théorique et inscription dans la pratique, ce point de vue
m’incite à souligner le déplacement opéré quand on considère la robustesse des
ressources à l’aune de cette double exigence nécessairement conjointe.

Caractéristiques des recherches de type collaboratif et robustesse

18 Dans la perspective d’ingénierie didactique précisée ci-dessus, l’observation du


cheminement collectif dans la production de ressources m’incite à analyser les formes
que prennent la collaboration et le rôle de celle-ci pour construire des ressources
robustes. Pour ce faire, je n’entrerai pas dans les débats sur la catégorisation des types
de recherche et je ne chercherai pas à situer la recherche collaborative au sein de la
constellation également formée par les recherches dites action, participative,
partenariale, design, écologique, innovation, technologique, etc. Il m’a paru en effet
plus fécond, pour répondre à mon objectif, de centrer l’observation sur les
caractéristiques de ce type de recherche, recherche qui est à même de jouer un rôle
majeur dans l’élaboration d’outils robustes. Pour la clarté du propos, je distinguerai
quatre dimensions qui, dans les faits, comme le montrera l’analyse, interagissent
grandement.

Mixité, interactions et complémentarité polyphonique

19 La recherche collaborative repose, par définition, sur une équipe et sur les interactions
et la collaboration entre les différents acteurs composant cette équipe. De manière

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générale y prédomine une mixité (professionnelle, fonctionnelle, expérientielle,


institutionnelle…) qui permet l’enrichissement mutuel par la confrontation et la
complémentarité des points de vue, des questions, des regards interprétatifs, des
compétences (Bednarz, 2013 ; Desgagné et al., 2001).
20 Dans certaines configurations, l’équipe compte uniquement des praticiens, enseignants
ou formateurs (non chercheurs) par exemple, réunis autour de préoccupations
professionnelles partagées et soucieux de s’inscrire ensemble dans une démarche de
recherche (non scientifique). Cette logique où la recherche prend la forme d’une
activité de compréhension et d’explication de la praxis par les groupes eux-mêmes,
s’est répandue entre autres via les communautés d’apprentissage ou de pratique (Bryk,
2017).
21 Si de telles configurations rappellent que la dynamique de recherche n’est pas propre à
la profession de chercheur (Vinatier et Morrissette, 2015) et que les deux gagnent à être
distingués, dans notre cadre d’ingénierie didactique, la présence du chercheur n’est pas
optionnelle, tout comme ne l’est pas celle du formateur et du formé. En effet, pour
construire une rencontre entre les exigences de la recherche et celles de la formation et
de la classe, la condition de base est que ces métiers soient représentés au sein de
l’équipe de travail.
22 Dans la mesure où la diversité et la mixité sont posées et vécues comme moteur et
source de complémentarité polyphonique permettant une meilleure appréhension de la
complexité, il est intéressant que le métier de formateur, dont j’ai évoqué
précédemment l’hétérogénéité, soit représenté de façon plurielle. Ainsi, au sein du
groupe de concepteurs8, également expérimentateurs et tous formateurs, on note
plusieurs catégories professionnelles, des rattachements institutionnels
complémentaires et des ancrages de terrain différents (université, circonscriptions,
zone d’éducation prioritaire, zone urbaine, périphérique ou rurale). Cette équipe
présente aussi une complémentarité par les expériences, les parcours, les compétences
en présence : spécialisation en didactique de l’écriture, formation en didactique du
français, engagement dans des recherches-formations, expériences dans la formation
de formateurs et dans la conception et le déploiement de formations auprès de publics
variés.
23 Dans l’ingénierie menée, la mixité et la complémentarité ou construction polyphonique
sont également assurées par des rencontres régulières entre notre groupe de
concepteurs-expérimentateurs de ressources sur l’enseignement de l’écriture et les
deux autres équipes de travail concevant des outils sur l’enseignement de la
compréhension et de l’étude de la langue ainsi qu’avec des collègues du CAS 9 spécialisés
dans la formation et dans la production de ressources. Ces échanges entre collègues
impliqués dans un travail du même ordre mais sur des objets différents ont largement
contribué à nourrir le travail.
24 Enfin, la mixité a également pris corps par le travail mené avec des collègues
formateurs et enseignants10 qui ont accepté de tester des ressources, d’être filmés ou
interrogés dans leur classe et/ou leur formation pour nous permettre de préélaborer
les ressources puis de progressivement les affiner. En termes de robustesse, la
collaboration ponctuelle ou continue avec ces nombreux collègues aux profils variés
(débutants ou expérimentés, courte ou longue expérience au CP, réflexion déjà engagée
ou non sur l’enseignement de l’écriture…) a aussi joué un rôle déterminant tout au long
du processus.

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Intelligence collaborative, démarche de pas-de-côté et distance


critique

25 Revenons sur les interactions et l’échange des points de vue. Selon les recherches et les
rôles des personnes qui y sont impliquées, la collaboration peut prendre des formes
différentes, allant du « simple » échange d’informations en vue de l’enrichissement
mutuel à une organisation et une avancée de la recherche basées sur les interactions et
les points de vue polyphoniques. Si l’on se réfère à la mixité et à l’organisation de notre
recherche présentée ci-avant, on peut en déduire que notre protocole prend appui sur
des formes de collaboration différentes qui, combinées, font que cette ingénierie
didactique repose sur la collaboration vue comme un évènement créatif dans le
processus de recherche.
26 Pour faire de l’intelligence collaborative le moteur de la recherche et pour que la
complémentarité polyphonique aboutisse à une co-construction des ressources (ce que
je détaillerai plus loin), il est nécessaire que les concepteurs-expérimentateurs
adoptent une démarche de pas-de-côté par rapport à leur métier, leur expérience, leurs
habitudes interprétatives, leur point de vue ou leur valeur, pour découvrir et
comprendre ceux d’autrui.
27 Ce déplacement passe par une prise de distance critique, elle-même renforcée par la
confrontation ou le croisement des points de vue dont Bednarz (2013), entre autres,
souligne le rôle prépondérant. Cette distance critique, souvent mentionnée dans les
recherches de type collaboratif ou participatif (Verspieren, 2002 ; Anadon, 2013) est
cohérente avec la visée qualitative de robustesse de l’ingénierie didactique, qui ne peut
se faire sans compréhension des utilisateurs visés, sans connaissances sur l’activité de
formation et d’enseignement, sur l’objet à enseigner et à apprendre, sur la didactique et
sur les méthodes de recherche. Plus généralement, la prise de distance semble
indispensable pour élaborer des outils nuancés et des réponses critiques coordonnant
pertinence et validité sociales et scientifiques.
28 Dans notre protocole, cette démarche s’est réalisée par la construction au sein du
groupe d’une culture scientifique commune via l’échange de références et par des
moments de travail avec des collègues plus expérimentés (notamment du CAS pour le
volet production de ressources). Cette logique de pas-de-côté a aussi été mise en place
par de nombreuses analyses croisées de corpus ainsi que par des interventions
communes nous obligeant à croiser et à justifier en amont nos propositions.
29 De ce tissage des regards, des postures, des savoirs expérientiels ou savants ainsi que
des valeurs qui forment la complémentarité polyphonique, résulte une extension des
cultures, des compétences et des rôles, permettant à tous les concepteurs-
expérimentateurs de monter en compétences dans le travail distancié de production de
ressources. Cette extension ne signifie pas que les compétences spécifiques des uns et
des autres sont gommées au profit d’un partage total des rôles et des tâches, partage
qui a minima réduirait ou compliquerait l’obtention de robustesse. Au contraire,
l’invitation à changer de point de vue et à élargir sa palette de connaissances et de
compétences prend appui sur les différences et la mixité au sein du groupe (restreint
des concepteurs-expérimentateurs et élargi avec tous les autres contributeurs).

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Interactions inscrites dans la durée et appui sur un laboratoire de


terrain étendu et évolutif

30 Je voudrais à présent questionner davantage la forme de la collaboration ou des


interactions entre le pôle scientifique et celui de la formation et de l’enseignement.
Comme relevé dans les travaux sur la recherche-action (Kervyn, 2011), ce type de
collaboration ou d’interaction repose sur le principe selon lequel recherche et action
s’enrichissent mutuellement, dans des trajectoires qui s’entrecroisent diversement
selon les situations. Dans la recherche de robustesse, cette articulation est centrale
pour éviter toute juxtaposition ou prise en compte insuffisante des contraintes
scientifiques ou de terrain. Aussi vais-je expliciter sa mise en œuvre.
31 En préambule, il est important de signaler que ce ne sont pas les catégories
professionnelles qui déterminent la représentation des deux pôles mais les
connaissances et compétences effectives de chaque membre du groupe. Certes,
l’enseignante-chercheuse que je suis a plus d’expertise dans la mise en œuvre d’une
méthodologie de recherche rigoureuse ou dans l’écriture scientifique. Mais dans une
logique de construction d’une culture partagée, il est par exemple commun que chacun
fasse part de ses lectures ou de ses observations, signale des concepts ou travaux
susceptibles de nourrir la production de ressources. Cette horizontalité dans la co-
construction, facilitée par l’expérience des pratiques collaboratives, n’empêche pas que
chacun prenne part à la recherche avec un ou des rôles parfois spécifiques (relation
avec le rectorat et la DSDEN, coordination du projet, prise en charge de la production
d’un des scénarios de formation, expérimentation…).
32 Si l’on examine les trajectoires tissant l’articulation, outre la logique de pas-de-côté
déjà notée, on constate de nombreux allers-retours entre le travail mené au sein du
groupe restreint ou au sein des sous-groupes de concepteurs d’un des scénarios de
formation et les prises de données et expérimentations dans les classes et en formation.
Autrement dit, il ne s’agit pas de transposer ou d’opérationnaliser les résultats de la
recherche par une collaboration en temps restreint dans quelques classes : on est ici
dans un processus de production inscrit dans la durée car fait de tâtonnements
exploratoires cadrés, d’ajustements successifs auprès de publics différents.
33 Il s’agit ainsi de constituer un véritable laboratoire de terrain varié et évolutif en
fonction des besoins. À titre d’exemple, le travail mené avec des classes de CP
dédoublés a ensuite été réalisé en classes « ordinaires ». Cette évolution du laboratoire
va permettre d’observer les modifications, les tensions ou difficultés dans ces nouveaux
contextes. Tel qu’envisagé, le laboratoire de terrain est aussi composé de lieux, de
collègues, de classes, de groupes de formation avec lesquels les concepteurs vont
pouvoir travailler, échanger, expérimenter. En cohérence avec la perspective
collaborative, ce laboratoire inclut les concepteurs, concepteurs d’ailleurs eux-mêmes à
maintes occasions expérimentateurs de leurs propres ressources ou de celles d’autres
concepteurs de l’équipe.
34 Les allers-retours étendus, en termes de temps et de laboratoire de terrain, sont
nécessaires si l’on souhaite élaborer des ressources robustes non pas pour quelques
enseignants ou formateurs directement impliqués dans l’ingénierie didactique (Artigue,
2002) mais pour un public plus large que vise la mise à disposition gratuite sur un site
internet comme celui du CAS11. Par rapport aux recherches collaboratives dont
l’objectif est d’outiller les acteurs qui participent à la recherche, le principe de

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conception continue dans l’usage (Goigoux, 2017) au travers d’utilisateurs différents,


dans lequel nous nous inscrivons modestement, tend à répondre au besoin de
recomposition pour un ajustement optimal aux utilisateurs visés.

Une collaboration sous forme de co-élaboration initiale et continue

35 Pour approfondir le point précédent et analyser la forme que prend la collaboration


dans notre perspective d’ingénierie didactique, je voudrais préciser la portée de la co-
élaboration visant à doter les ressources de robustesse. Comment prend forme la co-
construction impliquée dans la mise en œuvre conjointe des deux exigences
(scientifique et de terrain) au cœur de la robustesse ? Sur quoi porte-t-elle et comment
se manifeste-t-elle ?
36 Quand on retrace l’historique du projet d’ingénierie didactique mené, la collaboration
apparait au cœur du démarrage de la recherche. En effet, lors de la première rencontre,
le travail avec l’équipe alors en constitution a porté sur les résonances des résultats de
la recherche LireÉcrireCP avec les besoins du terrain : besoins de chacun en tant que
formateur, besoins des collègues et des formés avec qui chacun exerce, besoins des
élèves. En repartant des besoins des terrains représentés et en les mettant en parallèle
avec les résultats de la recherche, nous avons listé ce qu’il nous paraissait intéressant
d’investiguer. Chacun s’est ensuite positionné sur ce qui faisait le plus sens pour lui en
fonction de son environnement professionnel, de ses contraintes, des collaborations
existantes… C’est ainsi que nous nous sommes lancés dans la production de différentes
ressources pertinentes pour les uns et les autres et au vu des résultats de la recherche.
Rendre partagés ces choix initiaux ainsi que l’orientation du travail a un fort impact sur
l’engagement et l’implication, et revient à fonder ce que Verspieren appelle l’acteur
collectif (2002), mettant ici encore en œuvre l’horizontalité du travail basé sur le
principe d’égalité.
37 Par la suite, certains choix ont évolué, notamment au vu des besoins et retours
émanant du laboratoire de terrain. À titre d’exemple, le scénario sur l’enseignement de
l’encodage de phrases devait au départ porter sur l’évaluation de la production écrite.
Au fil des observations, nous nous sommes rendu compte que la question de
l’évaluation seule n’avait que peu de pertinence si les enseignants ne mettaient pas en
place régulièrement des situations de production écrite (Repères, 2015). Le mode de
travail conjoint qui a permis ces évolutions s’est globalement renforcé dans la mesure
où il s’est étendu, au fil des occasions et des besoins, à d’autres dimensions comme le
partage des tâches et l’organisation du travail, collectivement validés, la structuration
et la forme des ressources, longuement négociées, la formation et la composition du
laboratoire de terrain. Cette co-construction, qui va jusqu’à la co-validation des
ressources et différentes situations orales et écrites de co-énonciation, confère aux
outils et aux discours un caractère métissé (Miguel Addisu et Maire-Sandoz, 2018)
participant grandement à leur robustesse. En accord avec Bourassa et Boudjaoui (2012)
ou Sénéchal (2018), on peut penser que ces deux dernières dimensions sont révélatrices
de l’importance de ce mode de fonctionnement conjoint. Le travail partagé durant ces
années a amené une extension d’expertise qui permet aux uns et aux autres de
présenter à leur manière le travail et de co-valider les ressources, en s’appuyant sur des
compétences amplifiées, compétences finalisant le principe de l’intelligence
collaborative.

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38 L’intelligence collaborative et la co-élaboration telles que décrites sont, je tiens à le


souligner, régies par une valeur d’égalité. Celle-ci se réalise par la non-supériorité de la
recherche sur le terrain (et vice versa) – non supériorité aussi mise en avant dans la
robustesse – et par le respect des compétences sans hiérarchisation de celles-ci.
Privilégier l’horizontalité dans le travail et les relations plutôt qu’une organisation
descendante liée aux statuts académiques permet également de donner forme à cette
valeur d’égalité. Par ailleurs, si l’horizontalité nourrit l’engagement professionnel
(Anadon, 2013), l’implication, plusieurs fois signalée, est indispensable pour mener une
recherche collaborative de longue durée, s’ajoutant au travail quotidien, apportant peu
de reconnaissance universitaire mais un gain réel à la fois collectif et personnel.

Pour conclure
39 Face à la pluralité nécessaire des recherches existant aujourd’hui en didactique des
langues et des cultures, et plus spécifiquement ici en didactique du français et de
l’écriture, quand et à quelles conditions opter pour une recherche de type collaboratif ?
Pour apporter un élément de réponse à cette question vive en didactique, a été étudié
un dispositif d’ingénierie en mettant en exergue des dimensions des recherches dites
collaboratives, susceptibles d’assurer un rôle clé dans l’obtention de ressources
robustes.
40 Par un dialogue entre observation du processus de recherche engagé et travaux
nécessairement pluriels, l’analyse menée permet de montrer comment les
caractéristiques et les principes de la recherche collaborative mis en avant constituent
une réponse cohérente à une question cruciale en didactique, à savoir comment rendre
des ressources robustes. Complexe à construire, cette exigence de robustesse nécessite
l’appui sur des connaissances et des savoirs d’expérience mixtes, un tissage des points
de vue et une complémentarité polyphonique, un laboratoire de terrain étendu, une co-
élaboration initiale et continue, des tâtonnements exploratoires cadrés et des
ajustements successifs inscrits dans la durée, une implication et une distanciation
critique ainsi qu’une horizontalité maximale. Autant de dimensions que peut fournir
l’inscription dans une recherche de type collaboratif qui elle aussi refuse « le divorce
classique entre théorie et pratique » (Vinatier, 2014 : 250).
41 Sans prétendre qu’il s’agisse là de la seule voie appropriée, le pari de l’intelligence
collaborative déclinée en processus de recherche balisé et exigeant apparait au final
comme un gain indéniable pour la formation comme pour les recherches en didactique.

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Annexe 1 : Architecture globale du travail de production de ressources sur la formation à


l’enseignement de l’écriture

ANNEXES

Annexe 2 : Modélisation de l’activité scripturale

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43

NOTES
1. Malgré l’usage fréquent du pronom « nous » en recherche pour se désigner en tant qu’auteur
et parfois induire une intention de neutralité axiologique, certes toute relative, dans le présent
article, choix est fait de recourir à une écriture en « je » quand il s’agit de l’auteur. Ce choix
permettra de réserver l’usage du « nous » pour désigner le collectif engagé dans la recherche
dont il sera question. Seront aussi utilisés de façon distincte le « nous » et le « on », ce dernier
visant à inclure les lecteurs potentiels.
2. Recherche menée de 2012 à 2016 et intitulée « Étude de l’influence des pratiques
d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages au cours
préparatoire ».
3. Pour une étude croisée des concepts de transposition et d’opérationnalisation.
4. Le travail des deux autres groupes porte sur la compréhension en lecture (coordonné par M.-F.
Bishop) et sur l’étude de la langue (coordonné par P. Gourdet). Au quotidien, les 3 groupes ont
travaillé de façon distincte mais avec environ 2 rencontres annuelles pour mutualiser et croiser
le travail effectué au sein de chaque équipe.
5. L’architecture de ce travail est donnée dans l’annexe 1. Nous y reprenons le symbole de la
boite à outils utilisé par M.-F. Bishop pour représenter le travail mené sur la compréhension.
6. http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/ressources/theme-1-
perspectives-pedagogiques-et-educatives/lire-ecrire-parler-pour-apprendre-dans-toutes-les-
disciplines/dossier-lire-ecrire/copy_of_ecriture-se-construire-une-culture-commune.
7. Ce document de travail est donné en annexe 4.
8. Il s’agit de Pascale Bachelé, Bastien Caverivière, Laurence Ducos, Christine Eyssartier, Vincent
Gérard, Bernadette Kervyn, Nathalie Larroque, Sylvie Rebeschini et Véronique Rousseau,
auxquels s’ajoutent Sandra Ducher, Anne Graëls, Sébastien Hémous et Christophe Méot pour la
première moitié du projet et Céline Grancher ainsi que Catherine Lafont-Tallet pour la seconde
moitié. Sincère merci à tous ces collègues.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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9. Dans l’ordre alphabétique Virginie Hohl, Frédérique Jarre, Frédérique Mauguen et Patrick
Picard.
10. Sans tous les nommer, je tiens à remercier particulièrement Isabelle Bernard, Déborah
Curuchet, Matthieu Deymard, Lucie Drouilhet, Alban Dubois, Peyo Goïgoetchea, Céline Lasserre,
Béatrice Maheas, Anne-Laure Mazet, Mylène Mortier, Magali Piazza, Martine Pujolle, Aline
Rispail-Hourcal.
11. Sur l’année 2018, les premières ressources déposées ont été visionnées environ 12 000 fois.

RÉSUMÉS
Quelles sont les caractéristiques essentielles des recherches de type collaboratif qui contribuent à
produire des ressources de formation de qualité ? Pour répondre à cette question en la situant
dans le champ de la didactique du français, cet article prend comme corpus le processus
d’ingénierie didactique engagé suite à la recherche LireÉcrireCP pour produire des outils sur
l’enseignement de l’écriture au début de l’école élémentaire. À partir de ce corpus, est mis en
avant le fait que la qualité de telles ressources repose sur une exigence conjointe de recherche et
de terrain, qui leur confère de la robustesse. Dans un dialogue avec cette analyse du processus
d’ingénierie didactique et en situant le propos au cœur des préoccupations praxéologiques de la
didactique en tant que discipline productrice de connaissances et de ressources pour l’action, je
mets en exergue différentes dimensions des recherches dites collaboratives en explicitant en
quoi elles permettent de construire la robustesse visée.

What are the essential characteristics of collaborative research that contribute to the production
of quality training resources? To answer this question by situating it in the field of French
language didactics, this article takes as a corpus the process of didactic engineering initiated
following the LireÉcrireCP research to produce tools on the teaching of writing at the beginning
of elementary school. From this corpus, we highlight the fact that the quality of such resources is
based on a joint requirement of research and field work, which gives them robustness. In a
dialogue with this analysis of the didactic engineering process and by situating our subject at the
heart of the praxeological concerns of didactics as a discipline producing knowledge and
resources for action, we highlight different dimensions of so-called collaborative research by
explaining how they enable the construction of the targeted robustness.

INDEX
Mots-clés : recherche collaborative, ingénierie didactique, didactique de l’écriture, robustesse,
méthodes de recherche
Keywords : collaborative research - didactic engineering - didactics of writing - robustness -
research methods

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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AUTEUR
BERNADETTE KERVYN
Université de Bordeaux – INSPE Académie de Bordeaux ; Lab-E3D - EA 744, MCF 7 e section
Situés en en didactique, mes travaux portent sur l’acquisition du processus scriptural, sur la
littéracie scolaire, sur le rôle des interactions langagières pour enseigner et apprendre, et sur les
élèves en difficulté dans l’apprentissage du FLS-FLSCO. Mes recherches de type collaboratif
m’amènent à interroger les démarches méthodologiques à même de produire des connaissances
et des ressources en dialogue avec le terrain.
bernadette.kervyn[at]u-bordeaux.fr

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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Dynamique d'apprenance dans une


recherche collaborative portant sur
la didactique de l’oral en contexte
plurilingue : regards croisés
Véronique Miguel-Addisu et Sophie Beaumont

1 Si on peut décrire les démarches propres aux recherches collaboratives (désormais RC)
d’un point de vue scientifique, nous postulons ici que le croisement de regards des
différents collaborateurs peut nous apprendre beaucoup sur la dynamique qu’elle
suppose et sur les effets qu’elle produit. Cette question nous intéresse parce que dans le
champ de la recherche-formation que nous explorons, les résultats attendus par les
praticiens ne sont pas du même ordre que ceux poursuivis par les chercheurs
(Desgagné et al., 2001 ; Morrissette, 2013). Pourtant, la collaboration est possible.
Comment ? Peut-on en identifier des leviers qui ne soient pas uniquement de l’ordre du
relationnel, de « l’heureuse rencontre », ou même d’une éthique partagée qui définirait
plus spécifiquement les RC (Anadon, 2013) ?
2 Cette question sera explorée ici à travers le projet École, Parole de l’élève et Plurilinguisme :
Recherche Collaborative au lycée français de San Francisco – AEFE, USA (désormais
E2PRC_Francisco), qui se terminera fin 2020 après deux années de collaboration.
3 À l’origine du projet, il y a le besoin d’un établissement sur une question didactique :
comment améliorer l’enseignement de l’oral dans la langue de scolarisation (le
français) en contexte anglophone (aux États-Unis), et un besoin scientifique de
documentation des pratiques et représentations langagières des acteurs de
l’enseignement/apprentissage en situation immersive (élèves, enseignants). Le projet
comporte deux volets auxquels tous les acteurs ont participé : une enquête
sociolinguistique initiée par les chercheurs et soutenue par les praticiens
(questionnaires, entretiens et observations de classe), et une démarche de formation
didactique initiée par les formateurs et soutenue par les chercheurs (analyse de
pratiques outillées par la recherche, expérimentations, productions pédagogiques). Le
postulat sociodidactique, partagé par les praticiens et les chercheurs, est que ces deux

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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volets sont complémentaires : les praticiens ont besoin de mieux comprendre le


contexte sociolinguistique pour soutenir l’appropriation de leurs élèves, les chercheurs
ont besoin de comprendre comment les praticiens tirent parti de ces connaissances en
termes didactiques. Le postulat partagé par tous est que leur alliance est possible, et
souhaitable, au bénéfice de tous les élèves. Le projet a donc une visée inclusive.
4 Nous nous intéresserons ici plus spécifiquement à l’analyse du processus de
collaboration entre chercheurs et formateurs par les deux voix des co-pilotes du projet.
Sophie Beaumont, inspectrice de l’éducation nationale AEFE pour la zone Amérique du
nord (désormais IEN)1, s’intéresse ici principalement aux processus d’apprenance mis
en place avec les douze praticiens pendant les deux années du projet 2, avec l’appui des
deux formatrices qui accompagnent plus directement l’équipe enseignante (Elsa
Rodriguez, co-directrice de l’école primaire, désormais DIR ; Laurence Madamour,
conseillère pédagogique adjointe à l’IEN pour la zone Ouest des États-Unis et du Canada,
désormais CPAIEN). Véronique Miguel Addisu, chercheure à l’université de Rouen et
formatrice à l’INSPE (désormais EC) explicite l’implication des chercheurs et l’intérêt
scientifique de cette collaboration pour la didactique de l’oral, du français, et du
plurilinguisme, avec l’appui de l’équipe de chercheurs membres du projet (Mehmet-Ali
Akinci, acquisition bilingue ; Evelyne Delabarre, didactique de l’oral ; Christel Troncy,
didactique des langues)3.
5 Après avoir présenté le contexte de la recherche collaborative E2PRC_Francisco dans le
champ des recherches collaboratives et de la didactique de l’oral en contexte
plurilingue, nous nous arrêterons4 sur son impact en termes de formation et
d’apprenance et montrerons en quoi la recherche y a contribué, et s’en est nourrie. Puis
nous traiterons des transformations et déplacements professionnels qu’un tel dispositif
suppose pour les formateurs et les deux co-pilotes engagées.

Naissance d’un projet collaboratif : contexte,


apprenance et problématisation de la didactique de
l’oral en contexte plurilingue
Un contexte scolaire français à l’étranger : l’AEFE

6 L'agence pour l'enseignement du français à l'étranger (désormais AEFE) constitue un


réseau de plus de 500 écoles qui enseignent les programmes français dans près de 140
pays dans le monde. Ces établissements s’engagent à respecter les valeurs de
l’éducation nationale française et sa structure pédagogique. La zone AEFE « Amérique
du nord » scolarise près de 25 000 élèves dont 64 % ont entre 3 et 11 ans.
7 Alors qu’une des missions de l’AEFE est de proposer une continuité de la scolarité sur
programmes français aux familles expatriées, la présence des élèves de nationalité
française et au profil linguistique monolingue est variable et peut être minoritaire dans
de nombreuses écoles. La plupart des familles parle d’autres langues à la maison, et le
plus souvent la langue du pays hôte. C’est ici le cas. Le choix de la scolarité en français
n’est pas leur seule motivation : la réputation d’excellence des établissements est aussi
la raison pour laquelle les familles privilégient ces écoles, souvent privées.
8 De nombreuses recherches montrent que bien menée, une politique d’éducation
plurilingue harmonieuse favorise le développement sociocognitif de tous les élèves, et

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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une société plus démocratique (Nussbaum, 2014 ; Cummins, 2014). Deux priorités
complémentaires sont identifiées par l’AEFE pour ce qui concerne la didactique des
langues : assurer une bonne maitrise du français, qui doit être la langue de scolarité
dominante, et adopter une approche plurilingue valorisant les langues et cultures du
pays d'accueil et des familles (AEFE, 2015). Or cette complémentarité des langues reste
un défi dans des écoles du réseau qui, en diffusant « l’enseignement français » à
l’étranger, restent de tradition monolingue.
9 L’école primaire SF1, est représentative d’un établissement français à l’étranger dans sa
structure, ses missions et son public. C’est une école privée américaine, homologuée
par la France, qui adopte le curriculum français de la maternelle à la terminale, année
du baccalauréat. Elle est pilotée par une équipe de direction française
expatriée (proviseur, proviseur adjoint, deux directeurs du primaire) et accompagnée
par l’équipe de zone, (CPAIEN et IEN) également expatriés. Deux formatrices et neuf
enseignants volontaires intervenant sur des niveaux de la PS au CM2 se sont engagés
dans la démarche réflexive l’année 1. Tous les enseignants impliqués sont français et
expérimentés dans le réseau AEFE, où ils enseignent depuis plusieurs années.
10 Les classes suivent le programme du ministère de l’éducation nationale français :
quelles que soient leurs langues familiales, les élèves apprennent dans un cadre
d’immersion en français, avec en majorité des enseignants français titulaires de
l’éducation nationale. Cependant, l’enseignement de l’anglais et en anglais est renforcé
(8h hebdomadaires) et assuré par des enseignants américains, eux-mêmes souvent non
francophones. Ils n’ont pas eu l’opportunité de participer à cette recherche. Dans cette
école, les élèves anglophones qui découvrent et apprennent la langue française
principalement au travers de leur scolarité sont les plus nombreux dans les classes.

Genèse d’une réflexivité conjointe sur la didactique de l’oral dans un


établissement français typique du réseau AEFE

11 L’année précédant le projet, IEN a identifié un besoin de formation spécifique pour


l’établissement SF1 : construire une didactique de l’oral répondant mieux aux besoins
de ces élèves grandissant dans un contexte plurilingue. Les enseignants français
soulignaient en effet qu’ils percevaient la richesse de ce plurilinguisme mais qu’ils ne
savaient comment faire pour s’y appuyer à des fins didactiques, en particulier à l’oral :
dans la classe, anglais et français alternent quotidiennement dans les paroles des
élèves, qui parfois ne savent pas eux-mêmes comment gérer les passages d’une langue à
une autre dans les interactions. Certains étaient gênés par le plurilinguisme ambiant
mais voulaient dépasser ce ressenti et aspiraient à un questionnement réflexif sur cette
situation. IEN a alors sollicité une équipe de chercheurs s’intéressant aux interactions
didactiques en contexte plurilingue et susceptibles de s’engager dans un processus de
recherche-formation pour répondre à un objectif de développement professionnel. Le
but était de trouver ensemble des « solutions » que peut-être les praticiens ne
connaissaient pas.
12 Dès le début du projet, une explicitation du rôle de la recherche a été utile pour éviter
une vision applicationniste de la recherche-formation collaborative, démarche avant
tout réflexive, surtout en didactique :
[Le chercheur en didactique des langues] a pour rôle de proposer un certain
nombre de réflexions, voire de pistes, situées et argumentées, susceptibles de

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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donner aux praticiens les moyens de faire des choix motivés et de construire leur
activité professionnelle en s’appuyant sur les réflexions engagées, les arguments
avancés, les critiques formulées, les débats en cours (Castellotti, 2013 : 77-78).
13 Les chercheurs ont proposé quelques outils possibles, utilisables, et déjà existants (voir
par exemple : Lafontaine, 2013) mais pour leurs analyses, ils se sont principalement
inspirés des travaux scientifiques portant sur les interactions en classe de langue
(Cicurel, 2011) et en classe de français (Nonnon, 2011). Ils souhaitaient faire
comprendre que la didactique de l’oral est un « objet verbal non identifié » (Halté,
2005), qui a une histoire scolaire située (Pégaz-Paquet et Cadet, 2016), que l’on
appréhende différemment selon que l’on se réfère aux genres discursifs (Dolz et
Schneuwly, 1998), ou aux ressources interactionnelles plurilingues (Nussbaum, 2014).
L’objet de la recherche soulevait nombre de questions vives en didactique (du français,
des langues), que les chercheurs entendaient faire émerger avec les praticiens pour
qu’une réflexivité partagée puisse s’initier :
Plus que toute autre, la didactique de l’oral s’appuie sur des pratiques et des actions
fortement contextualisées, mettant directement en jeu les acteurs selon un degré
d’implication fort, des scénarios non complètement prévisibles (malgré la
ritualisation de la communication scolaire), et sur un matériau émergent, qui relève
en partie de l’événement, au-delà des grandes régularités liées à la forme scolaire.
Comme on l’a vu, les modèles à priori, les règles générales qui en seraient déduites
sont faiblement opératoires pour orienter les conduites en situation, si ces règles ne
sont pas actualisées concrètement et spécifiquement par rapport aux expériences
partagées (…). (Nonnon, 2011 : 205)
14 D’autres pistes pédagogiques ont été proposées par les chercheurs pour l’analyse du
geste professionnel et l’enseignement de l’oral ; elles ont été mutualisées sur un padlet
commun5. Après la phase de problématisation menée par les chercheurs, une formation
pédagogique s’est avérée nécessaire pour clarifier la notion de didactique de l’oral pour
les praticiens, elle a été menée par la formatrice CPAIEN en décembre de l’année 1, qui
s’est appuyée sur les programmes officiels, et a montré la pertinence de la prise en
compte du plurilinguisme des élèves à cet effet :

Figure 1 : trois entrées pour la didactique de l’oral (source : formation CPAIEN, décembre 2018)

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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L’apprenance : une dynamique pertinente pour s’intéresser aux


plurilinguismes des élèves

15 Fondé sur le croisement des interprétations touchant aux pratiques de classes ainsi
qu’aux pratiques langagières des élèves, le protocole de la RC prend appui sur la
réflexivité de tous les acteurs :
16 Praticiens et chercheurs sont amenés à interagir et à explorer ensemble un aspect de la pratique
d’un intérêt commun. Cette activité réflexive s’appuie essentiellement sur l’explicitation et
l’analyse de situations de pratique vécues par les enseignants, sous l’angle de l’intérêt commun
défini par le projet d’exploration. C’est dire que l’activité est aménagée de telle sorte qu’elle
favorise et fait en sorte que soit entretenue une sorte de « conversation », pour emprunter à
Schön (1984), entre la pratique (des enseignants) et le retour réflexif sur cette pratique (entre
praticiens et chercheurs). (Desgagné et al. 2001 : 37).
17 Le processus de contextualisation mobilise altérité et réflexivité sur un temps long, et
s’appuie sur une démarche d’apprenance individuelle et collective, définie comme
« une attitude propice à l'acte d'apprendre dans toutes les situations, qu'elles soient
formelles ou non, expérientielles ou didactiques, autodirigées ou dirigées,
intentionnelles ou fortuites » (Carré, 2005 : 109). Cette dynamique est établie lorsque les
membres sont acteurs de leur développement professionnel (engagement pratique),
lorsqu’ils ressentent que le projet est le leur, et qu’ils transforment effectivement leurs
pratiques (engagement affectif), lorsqu’ils orientent leurs choix pratiques en vue
d’apprendre (engagement conatif). Sont concernés les enseignants comme les
formateurs, et les chercheurs : tous pensent leur action en la réalisant, ils la
construisent, l’improvisent en partie, innovent, recadrent leurs problèmes en tachant
de leur donner du sens et agissent de manière souvent créatrice pour les résoudre, ils
considèrent que le regard des autres peut les aider. Leur réflexivité s’appuie sur des
savoirs scientifiques permettant d’engager des analyses interprétatives et des choix
praxéologiques.

Figure 2 : la dynamique d’apprenance dans le projet E2PRC_Francisco

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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18 Comme le montre la figure 1 reprenant l’ensemble du projet E2PRC_Francisco,


l’apprenance suppose un temps long, une durée nécessaire pour donner du sens à
l’expérience partagée car « il faut ensuite faire sien le contenu de la formation, donc
dégager le temps nécessaire pour poser, comprendre et résoudre les problèmes sans
céder à l'impatience ambiante » (Guibert et al., 2017 : 200).
19 Outre les échanges concernant la didactique durant l’année 1, la diffusion des résultats
d’un questionnaire sociolinguistique a contribué à soutenir la dynamique réflexive de
l’équipe : l’étude a documenté la réalité des pratiques langagières dans l’établissement :
188 élèves de 9 à 11 ans ont répondu individuellement (plus de 90 % de cette classe
d’âge), ainsi que 31 enseignants et assistants français (plus de 80 % d’entre eux).

Pratiques et représentations des élèves et des


enseignants de l’école SF1
Bilan d’une première enquête sociolinguistique

20 L’enquête sociolinguistique montre que les profils langagiers des familles sont
extrêmement diversifiés, les parcours étant souvent marqués par la mobilité : 70 % des
élèves répondants sont nés aux USA, 21 % en France, 8 % ailleurs dans le monde. Quelles
que soient les langues utilisées, les élèves déclarent que près de 65 % des familles sont
monolingues en anglais ou en français6. Même lorsque les familles sont monolingues
anglophones, la plupart des élèves déclare utiliser à la fois le français et l’anglais dans
des activités personnelles, à la maison, entre amis ou dans des activités périscolaires. Le
plurilinguisme des élèves est labile, il n’est pas celui des parents, ni celui des
enseignants. Il est aussi largement francophone.
21 Si les élèves utilisent au moins deux langues au quotidien (l’anglais et le français), leurs
enseignants français ont appris leur métier en mode monolingue. L’enquête à laquelle
ils ont répondu au début du projet a montré qu’ils savaient quelles langues parlent
leurs élèves, mais qu’ils ne voyaient pas en quoi cela concernait la didactique de l’oral.
Pour eux, enseignement du français et pratiques langagières plurilingues n’étaient pas
compatibles, ils avaient deux lieux différents, que les murs de la classe séparaient de
fait7. Pourtant, les enseignants volontaires qui se sont impliqués dans la RC
souhaitaient dépasser ces clivages, même s’ils ne savaient pas comment. Des temps
d’auto-confrontation8 ont été pour eux l’occasion d’une première prise de conscience :
effectivement les langues circulaient dans la classe de français (anglais et français
essentiellement, et plus rarement l’espagnol) ; mais lorsque les élèves réalisaient les
tâches demandées en mode bilingue ils se cachaient presque, et donnaient l’impression
de parler peu. Les praticiens expérimentés en ont peu à peu déduit qu’ils pourraient
davantage favoriser les occasions d’apprendre de élèves en reconnaissant ces pratiques
(valeur symbolique) et en les mobilisant comme ressources pour apprendre en français
(valeur didactique). Mais la diversité des pratiques langagières les empêchait
d’imaginer des séances d’oral d’une langue homogène à partir de ces pratiques
hétérogènes.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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Dépasser les frontières entre oral en français et pluralité langagière

22 Un bilan partiel a été fait en février 2020 : la gestion de l’oral dans la classe a évolué
chez ces enseignants. Ils prennent appui sur leurs connaissances des biographies
plurilingues des enfants pour les valoriser, et pour choisir des modalités d’étayage qui
favorisent les passages entre les langues des élèves. Dans les deux cycles, on veille à
davantage expliciter, reformuler, répéter les structures du français. Les enseignants en
voient des bénéfices à moyen terme, qui ont par ailleurs été pointés dans d’autres
recherches (Cummins, 2014) : climat de classe plus apaisé, participation active d’enfants
qui étaient quasi-muets en classe, meilleur engagement dans les tâches collaboratives 9.
23 Peu à peu, l’oral a été envisagé par tous en tant qu’interactions susceptibles de
favoriser l’appropriation des élèves, dont le plurilinguisme a pu alors être interprété en
termes de ressources potentielles. Les analyses se sont poursuivies l’année 2,
parallèlement à l’expérimentation de séances didactiques portant sur les biographies
langagières des élèves. D’autres expérimentations ont fait suite, à l’initiative des
enseignantes, qui ont porté sur des séances d’étude de la langue et d’écriture
plurilingue (cycle 2), ainsi que sur l’entrée dans le langage oral (cycle 1).
24 La figure 1 ci-dessus représente les différentes étapes du projet du point de vue des
enseignants, qui ont tous transformé leurs pratiques, mais à des rythmes différents. Si
les chercheurs ont cru candidement que les résultats de l’enquête diffusée au milieu de
l’année 1 suffisaient à transformer les pratiques enseignantes, c’est pourtant un
ensemble de moments réflexifs qui, en se conjuguant, ont permis une évolution des
gestes professionnels. La recherche-formation s’est effectivement constituée en
organisation apprenante dès l’élaboration du projet par les co-pilotes.
25 Bien que leur rôle soit différent au sein du projet, leur préoccupation conjointe a été de
veiller à la qualité des relations au sein de l’équipe, en tenant compte des contraintes
de chacun : la temporalité, la disponibilité, la distance, et surtout la confiance entre
partenaires qui se découvrent.

Prendre soin des facteurs favorisant la collaboration


26 On peut distinguer deux types d’échanges dont l’alliance est propre aux recherches-
formations collaboratives. Ces deux types d’échange ont structuré le projet tout au long
de l’année 1. Les échanges propres à chaque communauté ont été nombreux et
récurrents ; formels ou informels, ils existent dans toute formation, et dans toute
recherche. Les échanges qui allient les deux communautés de pratiques sont propres
aux RC (Desgagné et al., 2001) : elles ont eu lieu à deux reprises en présentiel (avec les
enseignants), et à distance avec les formateurs tout au long de l’année 1.
27 Les modalités de travail du collectif de la recherche collaborative ont été fortement
impactées par la distance : l’équipe de recherche basée en France (Université de Rouen)
est à plus de 8000 kilomètres de l’école, et il y a 9 h de décalage horaire. Pour
communiquer, des outils de visioconférences ont été mobilisés, nécessitant parfois des
assistances techniques. Deux plateformes de travail ont été mises en place : la première
concerne principalement les enseignants, et la seconde les chercheurs.
28 Les deux missions sur site des chercheurs (octobre 2018 et mars 2019) ont été vécues
comme des évènements essentiels : le sentiment de collectif est né grâce aux temps de

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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formation en présentiel. Ces temps forts ont été des déclencheurs de motivation de part
et d’autre, probablement en partie parce que ce sont des occasions rares et donc
« extra-ordinaires ». La confiance entre les chercheurs et les formateurs s’est
construite sur des critères de compétence didactique, mais également sur leur
disponibilité, leur écoute respective, et sur leur capacité réciproque à exprimer des
doutes, des difficultés, afin de co-construire une réponse. C’est selon nous ce climat de
confiance qui a permis un changement de positionnement chez les quatre
collaboratrices ayant facilité la collaboration sur les plans matériel, pédagogique, et
scientifique (IEN, EC, DIR et CPAIEN). Mais pour ce faire, il leur a fallu tout d’abord
prendre conscience du cadre hiérarchique dans lequel s’inscrivait leur action (DIR,
CPAIEN) ainsi que des différences entre leurs logiques professionnelles (IEN et EC). En
témoigne le bilan d’étape à la fin de l’année 1 : les échanges réunissant chercheurs et
praticiens ont à la fois nourri les analyses et déstabilisé les positionnements de chacun.
L’implication des chercheurs a permis en particulier de prendre conscience de relations
de pouvoir au sein de l’établissement, hiérarchie qu’il fallait reconnaitre, mais aussi
dépasser pour interroger sereinement les pratiques didactiques et construire les
conditions de leur évolution, en liberté. Par ailleurs, la parole des praticiens rappelait
sans cesse aux chercheurs la nécessité d’intégrer pleinement le réel au questionnement
sociodidactique. Nous nous arrêtons sur les transformations de quatre membres qui en
ont pris soin au quotidien : Elsa Rodriguez, formatrice et directrice du site (DIR),
Laurence Madamour, formatrice sur plusieurs sites (CPAIEN), ainsi que les copilotes du
projet (EC et IEN).

Différencier son statut, sa fonction, et son rôle dans


l’établissement : implication des formatrices
Diriger : DIR, de la coordination à l’implication

29 DIR perçoit dès le début du projet l’atout que représente cette modalité de formation
pour fédérer les enseignants et susciter la motivation, questionner les pratiques. Au
début, si elle accepte de coordonner, elle estime cependant que l’accompagnement
revient aux « autres » formateurs ; son rôle est de faciliter l’organisation des échanges
et de soutenir le projet pour obtenir le budget. Pourtant, DIR estime à la fin de l’année 1
que ses missions de coordination participent pleinement de son rôle de formation :
30 « Il me semble essentiel d'être déjà convaincu soi-même de la nécessité d'un tel projet tant sa
mise en place va demander des ajustements et du lâcher prise dans son rôle classique de
directeur. (…) Du point de vue de ma posture de directrice, au-delà de l'accompagnement
traditionnel que l'on peut porter aux équipes, ce projet a nécessité parfois de ne plus être
directrice mais de redevenir collègue de classe, se retrouver au même niveau de réflexion, de
connaissance que les enseignants, « en se mettant à la place de » (…). Ce projet a aussi je pense
permis d'assoir davantage ma crédibilité de directrice, non pas en tant que « chef » mais en tant
que leader sachant mener une équipe au travers d'un processus peu commun vers des objectifs
partagés par tous. » (DIR)
31 Il ne s’agit plus d’un à côté : « créer un climat de confiance » et « rassurer » contribuent
pleinement à « des collectifs de co-formation capables de réfléchir ensemble sur le
« bon travail » enseignant (ce qui va) susciter l'émergence de « controverses
professionnelles » (Étienne, 2017 : 196).

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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Accompagner : CPAIEN, de la transmission à la problématisation du geste


didactique

32 CPAIEN a découvert et expérimenté la modalité d’accompagnement de l’auto-


confrontation. Un changement de posture a été nécessaire :
33 « Une de mes difficultés a été d'accepter le positionnement durant l'auto-confrontation pour bien
respecter le cadre : s'émanciper du rôle « hiérarchique » de conseillère pédagogique pour mieux
guider la parole de l'enseignant vers un discours sur l'activité réelle sans que celui-ci soit sur la
défensive ou la justification. » (CPAIEN)
34 Dès les premiers accompagnements, elle relève « les grands changements des deux
collègues dans leur prise en compte du contexte et donc dans leur pratique
quotidienne, comme « une révélation. ». Enfin, elle souligne que l’apprenance n’est
possible que si on s’inscrit soi-même dans cette logique avec d’autres membres du
projet, les chercheurs en particulier :
35 « Le dialogue qui s'installe [avec les enseignants] où mon rôle est d'amener l'enseignant à parler,
comprendre, analyser son activité sans jamais essayer de l'influencer, a été dans un premier
temps très déstabilisant et très frustrant. Le fait de débriefer ensuite avec les collègues [les
chercheurs en particulier] sur nos ressentis a été un élément essentiel dans la prise de confiance,
dans les liens créés. » (CPAIEN)
36 À l’issue de l’année 1, CPAIEN et DIR se sont engagées dans une démarche de
construction d’outils avec les enseignants.

Différencier son statut, ses fonctions, et son rôle dans sa


communauté de pratique : implication des co-pilotes
Chercher : EC, de la problématisation à l’accompagnement praxéologique

37 En s’engageant dans une recherche qui s’appuie sur les savoirs savants et sur les savoirs
pratiques sans les hiérarchiser, EC devait aussi accepter d’oser répondre aux
questionnements des praticiens avant même que la recherche ait réellement abouti à
des résultats fiables. Cela a été le cas de tous les chercheurs du projet, à des moments
différents de la collaboration, et principalement lorsque les rencontres se faisaient
dans le quotidien des classes, ou dans la connivence des entretiens.
38 Ce faisant, les échanges ont orienté les choix des analyses de données et les
problématisations qu’elles sous-tendent : dès la fin de l’année 1, le travail de
documentation des pratiques langagières (analyse sociolinguistique) s’est réorganisé en
fonction de la réalité des questionnements pratiques des enseignants et formateurs
(orientation didactique) :
39 « Si les freins des enseignants existent, ils sont peut-être pertinents, je ne peux donc les évacuer
au nom d'une doxa de chercheur : comment en tenir compte ? comment les accompagner ? (…) La
collaboration autorise à « lâcher prise » sur les objectifs du projet : en fait le projet a des objectifs
multiples que personne ne maitrise complètement, mais la collaboration est fondée sur la
croyance de chacun qu'en « servant » les objectifs de l'autre, le travail commun servira aussi son
objectif : interdépendance bénéfique ». (EC)
40 Six mois plus tard, EC explique que le projet est positif pour deux raisons, même s’il lui
faut faire le deuil d’un étayage langagier idéal, auquel aucun contexte de classe ne peut
prétendre. D’une part, les enseignants sont désormais capables de choisir et de décrire

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des gestes professionnels pertinents en s’appuyant sur des analyses didactiques


outillées par les recherches en sociolinguistique et didactique du plurilinguisme : le
projet a permis que les enseignants fassent désormais « le choix et le développement de
pratiques de classe qu’ils considèrent comme innovantes, dont ils n’auraient pas eu
l’idée, l’envie, la nécessité d’exploiter sans la recherche collaborative » (IEN). D’autre
part, de nouvelles connaissances sont aujourd’hui disponibles pour comprendre
comment il est possible de s’appuyer sur les ressources plurilingues des élèves pour
favoriser leur appropriation en français. La recherche confirme que l’oral, ici, est moins
une question de genre qu’une question de passage entre différentes modalités
langagières, qui contribuent toutes à la dynamique d’appropriation :
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser à priori, ce n’est pas le plurilinguisme
initial des enfants qui fait la différence dans la réussite des tâches proposées, pas
plus que l’instauration d’un bilinguisme scolaire, mais plutôt les modes de gestion
des répertoires (individuels et collectifs) et l’aménagement d’un type de cadre
didactique et de culture métalinguistique qui valorise l’ouverture et la diversité, le
rapprochement, la comparaison, la collaboration et une réflexion métalinguistique.
(Castellotti & Moore, 2005 : 128)

Décider : IEN, de l’autorité à la médiation

41 Le processus d’apprenance supposait que l’IEN, représentante de l’institution et


garante de la qualité des enseignements, accepte à son tour un « lâcher – prise » : faire
confiance à la capacité des enseignants de construire par eux-mêmes des modalités de
travail adaptées à leurs élèves grâce à l’accompagnement mis en œuvre. Très vite, ce
rôle de pilote plutôt effacé dans le quotidien du projet a évolué vers une médiation
nécessaire entre les différents acteurs (CPAIEN, DIR, EC) pour favoriser, malgré la
distance, la relation de confiance nécessaire à la collaboration. Il fallait pour cela
renvoyer à chaque acteur une perception globale de la dynamique du projet, ce
qu’aucun d’entre eux ne pouvait percevoir lors de l’année 1 :
42 « La recherche collaborative est un moyen, qui sert aux différents acteurs de façon
complémentaire, chacun gardant des objectifs propres. Il y a une interdépendance : les
chercheurs ont besoin du retour des praticiens et de leurs traces, les praticiens ont besoin de
l’analyse de la recherche et des explications des chercheurs pour s’appuyer sur des concepts et
données qu’ils n’auraient pas sans la recherche collaborative » (IEN)
43 Cela a nécessité une clarification des représentations du rôle de chacun par l’IEN,
développant un point de vue qui rappelle celui des passeurs en éducation :
Le passeur/formateur aborde de façon pragmatique les questions vives issues du
terrain en s’adossant à la recherche, pour construire des compétences
professionnelles efficientes. (…) [il prend] au sérieux les savoirs et les connaissances
spécifiques qui seraient constitutifs d’une compétence de « passeur », non
réductibles à un simple voisinage organisé entre praticiens et scientifiques (Gaussel
et al., 2017 : 37)
44 Ce rôle de médiation et de passeur en éducation nous apparait aujourd’hui lui aussi
comme constitutif de la dynamique de formation dans cette recherche : par son
pilotage, l’IEN doit pouvoir croiser les logiques pratiques et scientifiques au bénéfice
des établissements scolaires dont il a la responsabilité :
45 « L'année a beaucoup enrichi ma compréhension du milieu de la recherche universitaire en
éducation, apporte une meilleure compréhension du rôle du chercheur. Si le volet formation est

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trop présent pour une recherche collaborative, finalement peut-être que l’on fait en réalité une
« Recherche-Formation collaborative » ? » (IEN)

Conclusion
46 Cette expérience de recherche-formation collaborative met à jour la complexité d’une
dynamique qui s’inscrit dans le réel. Elle s’appuie sur tous les acteurs-formateurs, qui
conjuguent tous à leur manière implication, pilotage, accompagnement sur le terrain,
problématisation théorique orientée par la pratique. Par l’objet qu’elle interroge (la
didactique de l’oral en contexte plurilingue), la RC E2PRC_Francisco a dû prendre acte
des représentations monolingues des enseignants, et développer une logique
d’apprenance qui les intégrait pleinement, sous peine de ne rien pouvoir construire. Le
temps long permet à chacun d’accepter l’autre dans ses différences, et d’accepter de
considérer les écarts comme des lieux de progression potentielle.
47 Alors que la recherche E2PRC_Francisco s’attache à travailler le plurilingue, les
enseignants n’opposent plus didactique de l’oral et plurilinguisme dans leurs pratiques,
les formateurs savent qu’ils n’ont pas tout à transmettre, les chercheurs acceptent de
risquer leurs convictions à l’aune des pratiques.
48 Tous se sont trouvés en situation de questionner leur identité professionnelle de façon
également interculturelle, afin de créer des ponts entre recherche et éducation. En
bousculant les cadres interprétatifs de chaque culture professionnelle (« évidences
pédagogiques, hiérarchiques, ou scientifiques »), la RC a permis la naissance d’une
écoute active de chacun, et ensuite de nouveaux choix professionnels au bénéfice des
élèves. Ces choix s’appuient sur une nouvelle « évidence » pour la didactique de l’oral :
malgré la tension entre deux modèles interactionnels (monolingue ou plurilingue) la
pluralité des usages langagiers sert l’appropriation du français en contexte multilingue.
Les choix pédagogiques qui découlent de cette évidence demeurent cependant le fait
des praticiens.
49 La recherche collaborative présente aussi ses limites pour les praticiens comme pour
les chercheurs c’est une démarche exigeante en temps et couteuse en moyens. Il a fallu
prioriser ce projet au détriment d'autres actions ou thématiques, il a fallu apprendre à
utiliser de nouveaux outils, accepter des temporalités différentes propres à chaque
communauté engagée. Personne ne maitrise l’affaire, personne ne décide pour l’autre,
que l’on ne comprend jamais tout à fait, sauf à vouloir ensemble com-prendre (au sens
de « prendre ensemble »). Un tel dispositif suppose donc un cahier des charges souple,
mais construit collectivement dès le début du projet. Par ailleurs, si les RC nous
paraissent à même de favoriser de nouvelles connaissances sociodidactiques et de
contribuer au développement de pratiques d’enseignement spécifiques à un contexte
scolaire, l’évaluation de la progression des élèves est un volet de la problématique sur
lequel praticiens et chercheurs poursuivent encore leur collaboration.
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NOTES
1. Afin d'accompagner les enseignants titulaires de l'éducation nationale et les recrutés locaux à
garantir une excellence éducative, 16 inspecteurs.trices de l'éducation nationale sont détaché.e.s
auprès de l’AEFE pour les écoles primaires dans le monde. IEN, initiatrice du projet, est
responsable de la politique de formation auprès des 54 établissements de la zone Amérique du
Nord.
2. 9 enseignants l’année 1, 1 a quitté l’établissement et 2 sont arrivés l’année 2.
3. L’équipe de chercheurs rouennais est composée de quatre membres ayant une expertise
complémentaire, au sein du laboratoire Dynamiques du langage in situ. Ils ont chacun contribué
à la formation lors des différentes missions à San Francisco, et ont conjointement participé à
l’analyse des données sociolinguistiques et didactiques.
4. Le processus de co-écriture que nous avons adopté est le suivant : après des échanges
nombreux entre les auteurs et avec les formateurs engagés dans le dispositif, le premier auteur
de chaque partie a soumis son texte au second auteur, les échanges se sont poursuivis, l’écriture
s’est peu à peu stabilisée et la dernière partie a été écrite conjointement. Les expertises externes
de la première version de ce texte ont beaucoup aidé à clarifier le texte dans cette version
révisée.
5. Pour ce qui concerne le geste professionnel, les travaux sur le multi-agenda ont été proposés
mais finalement peu investis par les enseignants (Bucheton et Soulé, 2009). Pour ce qui concerne
l’enseignement de l’oral, il a d’abord été choisi de proposer des ressources disponibles sur le
portail du ministère Eduscol parce qu’elles paraissaient légitimes aux praticiens tout en étant
suffisamment problématisantes pour les chercheurs (voir par exemple : https://
eduscol.education.fr/cid103155/francais-cycle-langage-oral.html). Puis les ressources ont été
diversifiées (voir par exemple la très éclairante conférence de Sylvie Plane : « L'oral un objet
multidimensionnel » en 2019 : http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-au-
plurilinguisme/conference-sylvie-plane).
6. La plupart des autres familles utilise conjointement ces deux langues (22 %). Les autres langues
mentionnées comme participant pleinement aux interactions familiales sont l’espagnol, le

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japonais, l’arabe, le russe, l’italien… mais une trentaine de langues différentes sont mentionnées
en tant que langues parlées avec divers membres de la famille (y compris dans les familles
monolingues).
7. Une seconde enquête par entretiens est en cours, dirigée par Christel Troncy.
8. L’auto-confrontation fait référence à la théorie de l’activité (Clot et al. 2001). Dans un premier
temps, l’enseignant met à jour des schèmes didactiques structurant son activité en analysant sa
pratique à partir de vidéos. Il conscientise ainsi ses actes et l’orientation des interactions au sein
de la classe. Dans un second temps, chercheurs et enseignants croisent leurs analyses et les
enrichissent par une grille de lecture théorique portant à la fois sur les postures d’étayage au sein
des interactions (Bucheton et Soulé, 2009) et sur les postures interactionnelles en situation
exolingue (Gajo, 2009).
9. Une étude critériée contextualisée est en cours. Des productions pédagogiques contextualisées
seront élaborées par les enseignants, en particulier pour leurs collègues nouvellement arrivés
dans l’établissement. Si ces outils s’avèrent transposables, ils pourront être diffusés en 2021 sur le
site du laboratoire du plurilinguisme Enseigner en contexte plurilingue - Laboratoire d'analyse
de pratiques et de production de ressources (AEFE) issu d’une recherche-formation co-pilotée par
Sophie Beaumont et Danièle Moore au même moment que cette recherche, mais construite sous
la forme de modules de formation réunissant une vingtaine d’autres enseignants volontaires sur
toute la zone Amérique du Nord (Beaumont & Moore, 2020).

RÉSUMÉS
Dans le champ des recherches collaboratives en didactique des langues, les acteurs des projets de
recherche-formation postulent que la collaboration répond aux besoins des praticiens et des
chercheurs. Or les résultats attendus ne relèvent pas de la même épistémologie (épistémologie
pratique et/ou savante). Pourtant, si la collaboration est possible, nous postulons que c’est parce
que des leviers existent, qui ne sont pas uniquement de l’ordre du relationnel, de « l’heureuse
rencontre », ou même d’une éthique partagée qui définirait plus spécifiquement les RC. Le
postulat de départ est que la collaboration est possible, et souhaitable, au bénéfice de tous, y
compris des élèves. Nous en discuterons à partir d’une expérience de recherche-formation
collaborative dans le champ de la didactique des langues.
Le projet École, Parole de l’élève et Plurilinguisme : Recherche Collaborative au lycée français de San
Francisco – AEFE, USA (E2PRC_Francisco) prend pour objet la didactique de l’oral en contexte
plurilingue et réunit 12 enseignants, 2 formatrices, 4 chercheurs, 1 inspectrice. Nous nous
intéresserons plus spécifiquement à l’analyse du processus de collaboration entre chercheurs et
formateurs par les deux voix des co-pilotes du projet. Après avoir présenté le contexte de la
recherche, nous montrerons comment les données sociolinguistiques ont servi une démarche
partagée d’apprenance. Nous nous arrêterons sur les transformations et déplacements
professionnels qu’un tel dispositif a initié pour les formateurs et les co-pilotes.

In the field of collaborative research in the didactic of languages, the actors of research-training
projects postulate that collaboration meets the needs of both practitioners and researchers. Yet
as it happens, the expected results do not reveal the same epistemology (practical and/or
academic). However, if collaboration is possible, our premise is that it is thanks to the existence
of triggers, which do not only include people skills, fortuitous encounters, or even shared ethics

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specific to collaborative researches. The basic principle is that collaboration is possible and even
wanted as a benefit for each participant, pupils included. We will discuss from a collaborative
research-training project in the area of the didactic of languages.
The project ‘Schools, Pupils’ Languages and Plurilingualism: a collaborative research in the International
French School of San Francisco – AEFE, USA (E2PRC_Francisco)’ is dealing with the didactic of oral
language in a plurilingual context and gathers 9 teachers, 2 trainers for teachers, 4 researchers, 1
French inspector of education. We will more specifically focus on how researchers and trainers
collaborate, through the double point of view of the co-pilots of the project who shared the
writing. The article starts with a description of the context, and we will then demonstrate how
the sociolinguistic data helped to achieve a shared approach of self-directed learning. We will
finally detail the transformations and professional consequences initiated by such a conceptual
framework for the trainers as well as for the co-pilots.

INDEX
Mots-clés : plurilinguisme, réflexivité, AEFE, recherche collaborative, sociodidactique
Keywords : plurilingualism, reflexive practice, AEFE, collaborative research, socio-didactics

AUTEURS
VÉRONIQUE MIGUEL-ADDISU
Université de Rouen, France
Mes travaux se situent entre sociolinguistique et didactique, et visent à contribuer à une
meilleure connaissance des pratiques langagières des locuteurs plurilingues en situation de
contact de langues. À l’école, je cherche à comprendre comment les élèves plurilingues
s’approprient la langue de scolarisation en situation éducative immersive en France et à
l’étranger, et à construire une approche plurielle de la didactique du français, à visée inclusive,
altéritaire. veronique.migueladdisu[at]univ-rouen.fr

SOPHIE BEAUMONT
AEFE, France
Mon métier d’inspectrice de l’éducation nationale détachée auprès des établissements français
AEFE m’a amenée à m’interroger sur les spécificités de l’apprentissage du français en contexte
anglophone. Mes questionnements partent des écoles visitées et des échanges avec les acteurs,
qui sont confrontés à des problématiques spécifiques au plurilinguisme et font l’objet de deux
recherches formation collaboratives, E2PRC_Francisco (cf. ci-dessous) et un dispositif intitulé
laboratoire AEFE d’analyse et de production de ressources du plurilinguisme.
ien.an[at]aefe.fr

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Axe 2 : Les effets de la collaboration


sur le développement professionnel
des praticiens

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La « recherche-formation », une
contribution aux approches
collaboratives en formation initiale
d’enseignants de langues
Dominique Macaire

Introduction
1 L’école en France, reflet de la société, est multiculturelle et multilingue. Selon sa Note
de décembre 2019, la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance
(DEPP)1 recensait plus de 64 350 élèves allophones nouvellement arrivés en France
(EANA) en 2017-2018, soit 6,8 sur mille élèves, avec une progression de 6,1 % par
rapport à l’année précédente. La DEPP présente de façon globale ces EANA, sans
prendre en compte la spécificité de leurs diverses origines culturelles, les parcours de
vie, ni même les biographies langagières de ces élèves. Il conviendrait d’ajouter environ
80 000 enfants du voyage2, sans compter ceux parlant d’autres langues que le français
chez eux, non répertoriés dans les études consultées. Qu’ils soient arrivés en France
durant l’année scolaire ou issus de la deuxième ou troisième génération en France,
qu’ils soient ou non dans des relations de mobilité forte, ces élèves sont placés dans une
case, celle des « allophones », ou ignorés. Une telle catégorisation équivaut à une sorte
de ghettoïsation. La première zone de vigilance pour la formation initiale des
enseignants relève de la connaissance de leurs élèves pour éviter un amalgame
généralisant. Le travail terminologique d’Auger (2019) a permis de clarifier la
dimension sociolinguistique de la notion « d’allophone ». Tout en en présentant les
nombreuses variantes, historiques et scolaires, Auger en pointe le biais politique.
2 Certes les langues-cultures sont un élément-clé de l’inclusion scolaire, mais la relation à
l’école et à l’apprentissage en est un autre qui relève du sens que l’on confère à l’école.
Les langues d’origine des élèves ne constituent que l’un des aspects de l’analyse de la
vulnérabilité des élèves. Le parcours de scolarisation antérieure des élèves est un

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facteur non négligeable de l’accrochage scolaire de ceux-ci et les structures existantes


ont bien du mal à les connaître et à les prendre en compte. Lorsque, par exemple, on a
connu une école du par cœur, ou une éducation par le châtiment corporel, il est difficile
d’entrer dans une autre pédagogie. Ainsi, l’inclusion potentielle de ces élèves est-elle
largement référée à leur relation au savoir et à l’école, telle que leur éducation les
véhicule à la maison, et aux conditions d’accessibilité à ce savoir qui leur sont
proposées à l’école (vs peu facilitées). Cette différence nécessite de donner aux élèves
les occasions d’apprendre non des « savoirs savants » qui seraient adaptés, vulgarisés,
et de ce fait « enseignables », et donc « apprenables » par les élèves, mais bien de partir
de ce qui constitue un « intérêt scolaire et social » pour les élèves, ce que Chevallard
(1985) décrit dans le « processus de transposition externe » qui a lieu à l’extérieur de la
classe.
3 L’évaluation Evascol3 a pointé certaines fragilités de l’école, un pilotage difficile de
l’inclusion scolaire avec des disparités fortes entre académies, relevant de la prise en
compte trop limitée de la notion de « besoin éducatif ». Evascol insiste sur la trop faible
écoute des enseignants, sur le manque de formation continue des personnels, ou enfin
sur la présence trop limitée des parents dans l’institution.
4 Enfin, la notion de pluralité ne devrait pas être « définie par la seule coexistence des
langues en présence, mais d’abord par cette activité sociale spécifique qui est le produit
de la circulation transfrontalière des valeurs, de la dynamique des identités toujours
négociées, des inversions, voire inventions, de sens, souvent masquées » (Zarate et al.,
2008 : 15). La question de fond n’est pas tant celle de la présence de ces diverses
langues, que de leur circulation et de leurs articulations dynamiques dans
l’environnement des élèves (Macaire et Reissner, 2019).
5 Même si les préconisations ministérielles et les pratiques scolaires se mettent
progressivement au diapason des sociétés, il n’en demeure pas moins qu’un écart
notable règne, ne serait-ce que par les contradictions internes que révèlent ces
orientations et par le sentiment de frustration qu’évoquent les professionnels de
l’éducation. Un réel fossé existe entre la formation initiale des enseignants en charge
de ces publics vulnérables d’une part, et les représentations des langues et de leur
enseignement-apprentissage ainsi que les praxéologies à l’œuvre, d’autre part.
6 Dans ce contexte, et en prolongement de travaux précédents (Behra et Macaire, 2017),
nous faisons l’hypothèse qu’une ingénierie de formation initiale à la fois collaborative
et adossée à la recherche serait en mesure de clarifier la notion de plurilinguisme en
situation didactique et d’y rendre les acteurs de l’enseignement plus vigilants dans
leurs pratiques scolaires ultérieures.
7 Après avoir posé le cadre de la « recherche-formation » collaborative, dans le contexte
de la formation initiale en master MEEF 1er degré en France, nous en analyserons les
conditions d’élaboration au regard des enjeux formatifs et de recherche, articulés les
uns avec les autres autour de notions devenues incontournables, comme celles de
plurilinguisme, d’inclusion, d’accessibilité au savoir par exemple, même si celles-ci
s’avèrent nomades et éminemment fluides.

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La formation initiale, levier du changement ?


Une toile de fond institutionnelle encore éloignée de la recherche

8 Des pans entiers de la recherche demeurent à l’évidence méconnus des décideurs et des
personnels, les travaux des chercheurs réunis par le Cnesco lors de la Conférence de
Consensus consacrée aux langues (mars 2019). S’ajoute à cela un écart important entre
les résultats de la recherche internationale sur l’acquisition et l’apprentissage des
langues chez les plurilingues et le fonctionnement de l’institution scolaire en France
qui semble encore négliger bon nombre de ces travaux.
9 Le Guide Eduscol4 pose par exemple un « cadre conceptuel », introduit par un « cadrage
didactique » limité à l’organisation des langues selon le ministère (2019 : 4), et sans
pour autant indiquer en amont les conditions didactiques pour apprendre (des
langues), voire ne discutant pas ce que l’on sait des apprentissages des langues, et
notamment pour les élèves avec des parcours et répertoires pluriels. Ce qui prime, c’est
le dispositif et la logique top down dans une approche essentiellement cumulative des
langues, orientée vers des langues valorisées plus que vers les langues des élèves. De
plus, le chapitre sur les « approches plurielles », sur le plurilinguisme et l’interculturel,
se présente en 3 pages comme des extensions au reste du discours et se place après les
considérations sur une langue à apprendre. Voilà ce qui constitue la toile de fond
institutionnelle des discours pour la formation des étudiants futurs enseignants.
10 Forts de ce constat adossé dans bon nombre d’académies sur des dispositifs existants
mais limités (on fait sortir d’une classe d’accueil un élève au bout de deux ans selon la
circulaire nationale de 2012, qu’il soit ou non en situation de stabilisation scolaire, ce
qui n’a pas toujours été évalué du reste) et sur le pouvoir descendant de l’institution
scolaire en France, il n’est guère étonnant que, dans les pratiques, bon nombre
d’acteurs soient en tensions et ne trouvent pas leur compte, pour peu qu’ils partent des
besoins de leurs élèves. La souffrance enseignante est même de plus en plus vive.

La formation des enseignants au cœur du changement

11 Le pivot de l’action, comme le soulignent les conclusions d’articles académiques ou de


Rapports (Cour des comptes, 20125 ; INSHEA / Défenseur des droits, 20186), est la
formation des enseignants et le développement de leur professionnalité tant au début
qu’au cours de leur activité professionnelle. Au travers des sollicitations de ces
derniers, on a pu entendre des demandes concrètes de ressources, en particulier pour
aider les professionnels à gérer l’hétérogénéité sous ses diverses formes. Mais aussi des
questionnements sur les valeurs sous-jacentes à l’éducation, dès lors que des aspects
plurilingues et pluriculturels sont à l’œuvre. N’oublions-pas que les ressources ne sont
opérationnelles que si la cohérence didactique est adossée aux objectifs affichés.
12 La question qui se pose est de savoir s’il est encore tenable de penser la formation dans
une logique top down, celle de l’institution qui préconise par ses programmes, ses
structures ou ses ressources. Ou s’il ne faudrait pas alors plutôt questionner le terrain et
former les personnels en partant des contextes, de l’expérience vécue dans des
situations, et de l’action (bottom up). Peut-on par exemple partir de l’expertise
individuelle ou de la non-expertise déclarée lorsque l’on gère des situations-problèmes
liées à des langues que l’on ne connaît pas soi-même ? Une tension linéaire entre le haut

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et le bas, voire entre le macro, le méso et le micro, est-elle suffisante pour répondre aux
défis de l’école et permettre de déplacer les croyances sur les langues et leurs
apprentissages chez des spécialistes (second degré) comme chez des non spécialistes
des langues (premier degré) ? Ne devrait-on pas alors envisager une dimension
circulaire des actions de recherche faisant formation en mettant en avant les approches
collaboratives, et notamment dans leurs aspects centrés sur les acteurs eux-mêmes ?

Repenser l’objet « langues » dans une conception compréhensive et


dynamique

13 Une approche dynamique des langues et des cultures (Herdina et Jessner, 2002) établit
des ponts entre les langues, et propose des outils conceptuels transversaux pour et sur
leur apprentissage. Une telle approche suggère alors une conception de la formation
davantage compréhensive et transversale, adaptée à un monde complexe au 21 ème siècle. La
formation des futurs enseignants peut-elle se résoudre au changement et en faire cas ?
Et comment ?

Une option alternative, la « recherche-formation »


Changer de modèle pour mieux former

14 Depuis de nombreuses années, nous nous sommes attelée à ce qui peut « faire
changement » tant pour l’école que pour la société elle-même, au moins dans le regard
qu’elles portent toutes deux sur l’hétérogénéité et la diversité, notamment culturelle et
langagière. L’option que nous prenons ici consiste à discuter une manière différente et
novatrice de « faire formation » qui intègre de façon dynamique la recherche dans la
formation et vice-versa, que nous avons nommé la « recherche-formation » (Macaire,
2019).
15 Au cœur de l’écologie de la recherche-formation, la notion de « recherche
collaborative » est centrale. Comme Simonin et Thamin (2018), nous la considérons
comme un processus et une pratique sociale conjointe de chercheurs et praticiens (dans
le cas présent de formateurs-chercheurs et praticiens) dans l’intention de mieux co-
comprendre des faits, de co-produire des savoirs co-négociés, mais non nécessairement
co-validés (Desgagné et al., 2001).
16 Nous présupposons alors que, dans un collectif institué, les étudiants des Inspé 7 sont en
capacité d’identifier des questions vives et des points aveugles de l’action didactique,
mais que, pour co-produire des réponses à ces questions et points, il leur faut une
double pratique de co-élaboration de notions et de pratique collaborative entre
individus en formation. Ceci se réalise à double sens de et vers les pratiques
individuelles et de et vers les théories de référence sollicitées. Il y a de ce fait centration
sur les acteurs.

La recherche-formation par l’exemple

17 On a demandé à des étudiants de master MEEF 1er degré de visionner des vidéos de
séances de langues pour qu’ils s’approprient des outils d’analyse de situations captées,
puis on leur a proposé de s’auto-organiser pour discuter, puis d’enregistrer eux-mêmes

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des vidéos de moments qui les intéressent ou leur posent problème. Ils devaient ensuite
restituer au groupe complet la lecture d’un extrait considéré comme saillant, d’un
moment aveugle, ou d’un fait non expliqué pour une analyse collective.
18 La première étape, la vidéo-formation, assez traditionnelle, permet de développer la
culture de l’observation et de confronter pratiques et questionnements dans une
institution. La seconde étape, la recherche-formation, davantage collaborative, a pour
enjeu de développer une posture assumée d’autonomisation, de créativité et de
recherche action pour « faire pratique ».
19 Les captations vidéo sont un outil impactant : chacun les regarde et les interprète avec
son propre filtre et avec une grille de critères élaborés en amont. On passe de la vidéo-
formation à une production de vidéos pour rendre visible une question didactique dans
une situation contextuelle donnée. C’est ce que nous appelons « recherche-formation ».
Dans ce dispositif, tous les acteurs, étudiants et formateurs ont un rôle à jouer sans que
l’initiative soit affectée particulièrement aux uns ou aux autres. L’activité part de
questions de terrain en relation à des questions de recherche collectivement choisies
(plusieurs groupes) pour produire un recueil de données collaboratif (transmissible et
explicable avec des outils d’accompagnement éventuels, comme des transcriptions, des
diapos d’intertitrage, des gros-plans etc.). Après avoir débattu en cours, on engage la
lecture d’articles théoriques de référence (Macaire, 2019).
20 Après qu’ont été discutés collectivement ses tenants et ses aboutissants, un point choisi
prend sens pour un collectif institué, et peut devenir un espace d’intéressement. C’est
le moment où l’on passe du collectif au collaboratif. Dans les approches coopératives, le
collectif joue un rôle à la fois en tant que parole instituante, et en tant que lieu d’un
projet sur une base à laquelle tous adhèrent. L’objet fédère le groupe. Dans cette
approche collaborative, l’institution prime sur le projet. L’humain dans ses diversités et
ses contradictions potentielles y est premier et détermine le projet, le ou les processus
engagés, les ajustements et étayages éventuels, et même les résultats, quel que soit le
degré de « vérité » ou de validité des résultats produits. L’objet vit dans un espace
d’intéressement porté par une intelligence collective instituée et qui se parle.
21 Dans un tel collectif institué, tous les acteurs peuvent influer sur le collectif et sur la
recherche qui fait formation. Ils ne sont pas amenés à trouver la solution, à être
d’accord les uns avec les autres, à faire la même chose durant les captations ou pour ce
qui est des thèmes retenus, etc.
22 Ce choix repose pour une large part sur une philosophie du sujet, telle que Ricoeur la
définit au travers de sa maxime, maintes fois revisitée au demeurant, et de sa visée
éthique : « Une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes » (1990 : 202). Le
terme de « recherche-formation » est adapté. Il s’instaure un va et vient de la recherche
vers la formation et réciproquement. Selon Ricoeur, le « soi pour autrui » est un puissant
levier de l’action et de la construction de l’identité, ici professionnelle. Les trois strates
de la vision de Ricoeur sont interreliées et devraient être considérées simultanément
(la vie bonne – avec et pour les autres – dans des institutions justes). Ce choix est
également issu d’une vision de la complexité que Morin décrit dans ses 7 savoirs (2015).
23 On peut se demander ce qui fait sens pour engager une « recherche-formation »
différente de ce qui, à ce jour, a présidé aux recherches et à la formation des
enseignants durant le 20ème siècle. Pour ce faire, nous partirons de l’écologie de la
formation en vue du développement de compétences professionnelles pour les futurs

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enseignants au contact de langues et de cultures diverses dans les classes, au regard de


dispositifs et de pratiques de formation en master MEEF dans un INSPÉ.
24 La recherche-formation ne s’inscrit pas dans un « agir et chercher ensemble », qui
caractérise le développement des approches collectives centrées à la fois sur l’objet et
le projet. Elle prend place dans un « agir et chercher avec », qui renvoie explicitement
aux acteurs, individus, personnes ou communautés, c’est-à-dire aux sujets engagés et
ce dans leur liberté. Cette différence est importante, elle conditionne la cohérence du
dispositif et engage plus aisément des changements. Comme le dispositif de
« recherche-formation » est circulaire et non vertical, il permet d’assurer des échanges
entre les acteurs, même si leurs positions sont, de fait, foncièrement asymétriques. La
dissymétrie est une condition de fonctionnement de la recherche-formation. Au lieu
d’être gommée, elle intervient au cœur de l’action. Elle en est l’un des ferments. En
outre, les savoirs issus de travaux collaboratifs sont nécessairement métissés et à
multifocales.

Une écologie de la formation favorable au


développement de compétences professionnelles
liées aux langues-cultures
Une certaine souplesse de l’interdisciplinarité dans les Inspé

25 Dans les Inspé, il existe un espace pour questionner de façon transversale les langues et
le langage. Dans ces UE, les étudiants sont réunis, peu importe leur langue de spécialité.
Des groupes ainsi mélangés offrent une plus grande diversité de points de vue et
davantage d’ouverture aux autres.

Une expérience de l’individuel au collectif

26 La formation tout comme la recherche reconfigurent la notion de plurilingue.s. Une


expérience précédente menée en formation par Behra et Macaire (2017) a fait émerger
les représentations de la diversité et la richesse corrélée, non pas en termes individuels
comme on le fait fréquemment en levant les représentations, mais en plusieurs étapes,
individuellement, puis collectivement, ensuite en co-construction collaborative de
réseaux de sens autour des représentations émergentes, assortie pour finir d’un quizz
ludique de validation. L’évaluation était collective et reprenait le format de l’activité.
27 Les chercheures ont fait identifier par les étudiants les langues présentes dans 5
groupes de master 1, soit environ 120 sujets. La mise à plat des diverses biographies
langagières individuelles, puis des parcours des uns et des autres fait prendre
conscience de la fluidité de la notion de plurilingue.s, de la richesse non dite d’un
groupe constitué et du potentiel humain qu’il véhicule.
28 Deux aspects rejaillissent de cette étude :
29 d’une part, la dimension personnelle prime sur la dimension professionnelle et le levier
premier s’inscrit dans l’histoire de vie du formé, avec comme effet les co-constructions
de savoirs en formation, co-constructions sur lesquelles il s’appuiera pour sa pratique
ultérieure ;

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30 d’autre part, la validation par le collectif en amont et en aval de la mise en œuvre en


classe permet une analyse de pratiques davantage ouverte et une appropriation plus
sereine de diverses notions fluides (les savoirs), de gestes professionnels (les savoir-
faire et les questionnements sur les faits saillants de l’action (le sens de l’action).
31 La double reconnaissance du collectif permet de dépasser des modèles linguistiques,
voire des préconisations institutionnelles peu questionnés par ailleurs. Alors que les
enseignants en poste dans les classes et non formés disent « privilégier des actions
connues plutôt que des situations-problèmes non maîtrisées et auxquelles ils ne sont ni
formés ni alertés » (Behra & al. 2015), les étudiants ayant participé à un travail de mise
en évidence de leur biographie langagière individuelle et à son partage collaboratif
(sous forme de panneaux et de mind maps) sont plus ouverts et mieux à même de vivre
ensuite avec la diversité linguistique et culturelle des élèves. Ayant pour ainsi dire
« augmenté » leur expérience de la notion de plurilinguisme.s au-delà de leur
expérience propre, réfléchi collectivement, ils se sentent rassurés pour en gérer les
aspects qui peuvent leur échapper (les langues inconnues par exemple) et pour
envisager des stratégies de remédiation (non verbales, ludiques, décentrées de l’objet
vers l’usage, adossées à des supports visuels et non verbaux, créatives, etc.).
32 Ces étudiants de master envisagent plus aisément de gérer de façon davantage
holistique les plurilinguismes qu’ils rencontrent ou pourraient rencontrer du simple
fait qu’ils se reconnaissent désormais eux-mêmes plurilingues, même s’ils ne sont pas
des polyglottes (la plupart se déclarent en difficulté avec le niveau de langues attendu
au concours). Ils se sentent davantage prêts à l’inconnu et à la surprise. Le désir de
stabilité issu de leurs peurs individuelles et collectives et de leur image des savoirs liés
au langage prend une moindre place dès lors que le collectif s’exprime et partage. Le
collaboratif se caractérise ici par sa visée autonomisante. Une fois les peurs dites, et
souvent levées, et les notions mises en discussion, presque tous les étudiants se disent
prêts à mettre en doute certaines croyances. On a donc affaire à la fois à un
déplacement de posture par rapport à l’expertise en langues et à une plus grande
aisance dans la gestion scolaire de notions peu travaillées en formation (des zones
aveugles, notamment) ou d’aspects en contradiction entre les affichages des
programmes et/ou des dispositifs et les référents théoriques sous-jacents.
33 Une vision compréhensive des langues suppose que les notions à l’œuvre en formation,
comme le plurilinguisme par exemple, soient l’occasion de faire exploser des carcans,
des frontières et des conceptions figées. Il y a reconfiguration des savoirs et recentrage
de l’équilibre entre les savoirs et les usages de ces savoirs, scolaires ou sociaux.

La dimension professionnelle du métier initiée en formation

34 Les enseignants qui ont vécu des expériences en formation les reproduisent plus
facilement que les activités qu’ils ont lues ou trouvées dans les manuels scolaires. On ne
parle du plurilinguisme que si on (re)connait les plurilingues autour de soi, et que l’on
se considère soi-même comme tel.
35 Le modèle de formation évolue d’une distribution hiérarchique descendante vers une
distribution partagée et collaborative des notions qui intéressent l’institution
constituée. On a établi une sorte de fablab d’une démarche de recherche qui fait
formation.

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36 En outre, dans le dispositif testé, la co-animation constitue un levier pour éviter de


modéliser les rôles des uns et des autres en passant à une parole de formation elle-
même partagée et ressentie comme articulée par les acteurs.

La recherche-formation pour répondre aux


conceptions individuelles et aux préconisations
institutionnelles
Deux approches que l’on peut relier : disegno et ingegnio

37 Lemoigne (2005 et 2013), suivant en cela Morin (2008), et reprenant la controverse de


Descartes et Leonard de Vinci, oppose deux conceptions de la recherche, toutes deux en
relation avec le paradigme de la complexité, le disegno et l’ ingegnio qui nous
apparaissent comme une manière intéressante d’entrer dans la question de la
formation et des compétences professionnelles.
38 Selon lui, le disegno est une stratégie de modélisation, le « dessin à dessein », dit-il en
reprenant Leonard de Vinci. Lemoigne explique que l’on représente un phénomène
d’une certaine manière parce que l’on a le projet de le représenter ainsi. La
modélisation qui en découle se construit comme un point de vue pris sur le réel. Une
partie de la recherche se positionne en cherchant à construire des représentations
symboliques artificielles des problèmes que suscite notre perception des phénomènes.
Or c’est le déplacement de point de vue qui va s’avérer décisif. Et de dire : Je ne me vois
pas moi-même, je me vois en interaction avec mon contexte. Je m’intéresse alors à « ce
que ça fait », non à « ce que je fais », sans séparer l’acteur de l’action.
39 Pour ce qui est de l’ingegnio, il s’agit d’une stratégie d’interprétation de la réalité, toujours
selon Lemoigne, en reprenant les termes d’un schéma stratégique du CNRS (2002). C’est
à dire, selon lui, une faculté de relier le moyen à la fin, l’action au projet, le processus
au résultat. Le propos de Lemoigne met en évidence l’intérêt d’une approche
systémique. Plutôt que de séparer, il convient de relier, pourrait-on dire.

Pour un « détour formatif »

40 Croire alors que la formation et la recherche pourraient viser l’homogénéité et le


consensus est un leurre. La recherche-formation est conçue ici comme un détour
formatif qui traverse l’expérientiel et les référents théoriques du domaine (Macaire, 2019). Les
futures médiations des formés dans les actions didactiques qu’ils mettront à leur tour
en place dépendent des croisements que peut mettre en place la formation entre
croyances et pratiques des sujets et entre croyances et théories de référence. La
recherche-formation a pour visée de « mettre en recherche pour faire formation ».

Résultats d’une étude sur la recherche-formation

41 Une nouvelle étude, cette fois avec des étudiants de master 2 durant 3 ans (environ 50
sujets volontaires), a montré des effets positifs de la recherche-formation. L’évaluation
a été menée collectivement par les étudiants. Elle portait sur la distanciation par
rapport a/ aux ressources disponibles (les captations), b/ aux pratiques de classe (la

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réflexivité entre le soi et l’autre), c/ aux actions collaboratives (les pratiques de


formation entre membres du groupe, notamment les échanges et négociations, les
lectures complémentaires, par exemple).
42 Cette recherche collaborative a permis de voir que le recours à un nombre d’acteurs
dont la différence est le moteur de l’action - et dont la seule proximité d’étudiants
cooptés n’est pas admise collectivement comme souhaitable - a un effet engageant. On a
pu constater que se crée une institution de production de savoirs et de négociation.
Cette institution se caractérise par une plus grande compétence d’analyse et de co-
compréhension de situations didactiques choisies, par une compétence de négociation
émergente, ainsi que par un questionnement réflexif à la fois individuel et collectif.
Cette institution va ainsi au-delà de l’intelligence collective.
43 Il ressort de cette étude que les objets retenus par les étudiants pour être captés et
étudiés sont au plus près des préoccupations des acteurs. Enfin les rôles et placements
respectifs construisent un topos (une position et une posture à la fois) et encouragent la
conscience/awareness d’un « pré-agir professionnel » chez les étudiants. Les formés
montrent une posture plus affirmée dans la recherche-formation, ont des initiatives
plus fréquentes et suggèrent davantage de situations.
44 Les étudiants se montrent plus « libres » par rapport aux textes officiels, davantage
« intéressés par les outils de la recherche » et « plus centrés sur les pratiques
professionnelles des autres enseignants », ils se déclarent pouvoir être moins isolés par
la suite. Enfin, ils se révèlent également être plus créatifs.
45 En revanche, si un déplacement s’opère, ce n’est pas le cas pour tous les étudiants, et de
plus, pour la plupart des membres de l’institution constituée, il se réalise dans la durée
et non dans l’immédiateté des séances.

L’enjeu de « faire ensemble » ou « faire avec » ?

46 L’une des options fortes de la recherche-formation est que le faire ensemble a moins à
voir avec le faire avec, ce qui est mis en avant dans les recherches collaboratives. Si l’on
se centre sur les personnes, la focale ne se place pas sur la collaboration dans l’esprit
d’un projet commun, ce qui est louable, mais on admet que la dissymétrie entre les
acteurs est possible, en termes de liberté de faire ou non. De plus, les rôles, les tâches et
les postures, donc les individualités, sont perçues comme éminemment diverses, ce que
le « faire avec » suppose d’accepter. La collaboration ici n’est pas axée sur l’intention
d’une action conjointe qui aboutirait à un consensus ou favoriserait un projet commun,
mais relève des aspects dynamiques de l’action elle-même en acceptant une probabilité
de dissension interne, de sujets en décalage entre eux, voire non coopérants (Behra et
Macaire, 2019). « Faire avec » place l’accent sur les acteurs, alors que « faire ensemble »
le place sur le projet. Il n’y a pas deux conceptions de la recherche collaborative, mais
une mise en perspective de paramètres humains dans la recherche-formation, dans la
mesure où la recherche fait formation et s’intéresse aux acteurs de celle-ci et non pas
seulement à la recherche.

Des formateurs « autrement attentifs » au collectif et à l’individu

47 Une telle approche nécessite une conception fluide à la fois des métiers, des rôles et des
acteurs. Tous sont concernés. Le rôle des formateurs est alors central pour permettre

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des espaces de circulation de la parole et des attitudes et de négociation. Dans cette


constellation, on note que le rôle du formateur est plutôt d’accompagner et de guider si
nécessaire. Il est en retrait et n’est pas l’unique détenteur d’un savoir. Selon son statut,
il peut même se trouver en situation de « formateur-apprenant » ou de « chercheur-
apprenant » (Perez, 2018). -Ainsi la recherche-formation ne peut faire l’économie de
réinterroger l’identité de tout formateur et en particulier celle de l’enseignant-
chercheur dans son rôle de « chercheur/formateur- apprenant » qui se rend par là-
même « autrement capable » (Perez, 2018). Un tel déplacement suppose une posture de
recherche et de formation assumée.
48 Une approche de ce type considère le collectif comme un levier et un espace à la fois, où
l’individu et l’institution didactique au sens de Chevallard (1985) sont centraux. Les gains
entre l’individuel et le collectif sont réciproques, quoi qu’il en soit, bien que leurs
relations soient souvent instables et fluides.

Conclusion
49 Ces exemples issus de ce que nous avons appelés la « recherche-formation », prennent
en compte et la recherche et la formation du point de vue des sujets et non des objets.
Ils ont pour visée de tenter d’approcher au plus près les liens entre recherche et
formation par le bais des pratiques en éducation autour des langues et de leur
enseignement-apprentissage. Ils ne prétendent pas modéliser mais « informer la prise
de décision en éducation, la recherche n’étant pas la seule forme de preuve qui puisse
ou doive informer la prise de décision. Comprendre et renforcer l’usage de la recherche
dans les écoles implique de reconnaître l’existence et la valeur d’autres formes de
preuves pour chaque décision » (Farley-Ripple et al., 2018). En cela, cette approche se
distingue de ce que l’on appelle communément la formation à et par la recherche tout
en s’adossant à cette dernière.
50 Ces usage collaboratifs et co-élaboratifs développent à la fois un savoir, un savoir agir
et un savoir penser et agir avec (Macaire, 2018). Ces soft skills mettent en évidence de
nouveaux rôles pour les futurs enseignants du premier degré. Faciliter aux étudiants
l’accès à la recherche, scientifique et quotidienne, crée du lien entre les communautés
constitue un facilitateur de recherches futures sur les pratiques. Cela permettra
d’ouvrir les classes aux chercheurs. La formation fonctionne comme un espace
privilégié ouvert sur les terrains, un tiers-lieu, ou une institution d’interface entre
pratiques et recherche.
51 On peut dire que la recherche-formation telle qu’elle commence à émerger se réalisera
dans un « à condition que… ». On en attend en effet qu’existe un équilibre entre
l’expérientiel, les théories, les contextes et les situations didactiques, les paramètres
des praxéologies, etc. dans le respect de la spécificité des divers acteurs.
52 Cela suppose, en matière de langues vivantes, et en suivant de nouveau Lemoigne (2005,
2013) et Morin (2008, 2015), de considérer les approches collaboratives en langues à
l’aune du paradigme de la complexité, dans des relations parfois difficiles entre les
aspects pragmatiques de l’action didactique, épistémiques, et de la réflexion
scientifique et éthique (des valeurs en jeu). Cet effort est indispensable pour travailler
des « objets à fort enjeu local » (Perez, 2018), comme peut l’être la notion de
plurilinguisme.s.

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53 Enfin, la recherche-formation induit un déplacement des rôles, pour que les étudiants
passent de « formés agis » (soumis) à la posture d’« acteurs » (partage) et d’« auteurs »
(autonomisation), même si tous n’y adhèrent pas. Elle engage à penser davantage
collectivement qu’individuellement l’action en formation et dans l’établissement futur.
Elle suppose également que les chercheurs-formateurs partagent le savoir autrement et
se placent dans une posture d’apprenants autant que de chercheurs. La recherche-
formation apporte un « pouvoir agir » libératoire.

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Simonin, M.-C. & Thamin, N. (2018). Recherche collaborative à l’école maternelle et socialisation
plurilingue. Diversité, n°192, « La recherche en éducation. Vers de nouvelles interfaces », 131-136.

Zarate, G., Lévy, D. & Kramsch, C. (2008). Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Paris :
Éditions des archives contemporaines.

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74

NOTES
1. DEEP, Note 19-52, de décembre 2019, disponible à : https://www.education.gouv.fr/64-350-
eleves-allophones-nouvellement-arrives-en-2017-2018-8-sur-10-etaient-deja-scolarises-4913
2. Cour des Comptes (2012). L’accueil et l’accompagnement des gens du voyage. Rapport.
3. Evascol est une étude menée par le Ministère entre 2015 et 2017 dans 4 académies avec 2
cohortes de 353 élèves EANA de 6 à 16 ans et 133 enseignants. Elle est disponible à : https://
www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/synth-evascol-num-21.12.18.pdf
(consulté le 09/03/2020).
4. Eduscol (2019). Guide pour l‘enseignement des langues vivantes étrangères – Oser les langues
vivantes étrangères à l’école. Disponible en ligne : https://eduscol.education.fr/pid34145-
cid143570/guide-pour-l-enseignement-des-langues-vivantes-etrangeres.html
5. Voir note 2.
6. INSHEA/Défenseur des droits (2018). Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement
arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV). Décembre 2018. 426
pages. Disponible à : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/
rapport_evascol_032019.pdf
7. Les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), issues de la loi Peillon sur la
refondation de l’école, étaient en charge de la formation des enseignants de la maternelle à
l’université. Elles sont devenues des Inspé en 2019, avec la Loi pour l’école de la confiance adoptée le
30 janvier 12019. Les articles 10, 11 et 12 donnent ainsi naissance aux « instituts nationaux
supérieurs du professorat et de l’éducation » (Inspé).

RÉSUMÉS
La formation à et par la recherche prend sens, alors que se refondent les ÉSPÉ en Inspé. On ne
forme pas les enseignants de demain avec des ressources d’hier. De nouvelles méthodologies
d’observation et d’analyse davantage collectives sont rendues nécessaires dans un contexte
scolaire complexe, tant au regard des questions vives émergentes en didactique des langues, que
des points aveugles dans les praxéologies à l’œuvre. Un enjeu vital pour la formation consiste
alors à rendre lisibles des travaux inscrits dans le paradigme du plurilinguisme (Herdina et
Jessner, 2002), mais également à en co-produire dans un collectif institué (Behra et Macaire
2019). Tel est le sens de la « recherche-formation » (Macaire, 2019) qui se caractérise par sa
dimension collaborative à double sens, de et vers la formation, de et vers la recherche. Les savoirs
issus de travaux collaboratifs sont nécessairement métissés et à multifocales. Ils construisent et
instituent de nouveaux « espaces d’intéressement » (Akrich et al., 1991), ou des « espaces de co-
intéressement » (Macaire, 2019). Après avoir posé le cadre théorique de la « recherche-
formation » collaborative, nous en analyserons les conditions d’élaboration au regard des enjeux
formatifs et de recherche, articulés les uns avec les autres autour de notions comme celle de
plurilinguisme.

Forming in and by the research in the domains of the teacher education and training is the aim of
the ESPÉ, which are nowadays redesigned into Inspé, as we cannot train tomorrow's teachers
with yesterday's resources. New more collective methodologies of observation and analysis are
required in a complex school context, both in the light of the questions emerging in language

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didactics and of the blind spots of the professional practices. A main issue for teacher education
then consists in making readable works written in the paradigm of plurilingualism (Herdina et
Jessner, 2002), but also in co-producing them in an established collective way (Behra et Macaire,
2019). This is also the meaning of a "research-based teacher education" (Macaire, 2019), which is
characterized by its two-way collaborative dimension, to and from education, as well as to and
from research. The knowledge resulting from their collaborative work is necessarily mixed and
multifaceted. It reveals new “spaces for interest-sharing” (Akrich et al., 1991), or “spaces for co-
interest” (Macaire, 2019). According to a theoretical framework of collaborative “research-based
teacher education”, we will analyse the ways it develops in the light of the formative and
research challenges, combined with major dynamic scientific issues like plurilingualism.
research-based teacher education, professional development, research methodology in language
didactics, collaborative research

INDEX
Mots-clés : recherche-formation, développement professionnel, méthodologie de recherche en
didactique des langues-cultures, recherche collaborative

AUTEUR
DOMINIQUE MACAIRE
Université de Lorraine-Inspé
Laboratoire ATILF, UMR 7118, équipe Didactique des langues et sociolinguistique
Dominique Macaire est professeure à l’Université de Lorraine-INSPÉ. Ses travaux sur la formation
des futurs enseignants abordent la question du collectif dans la recherche et la formation,
mettant en relations dynamiques ces deux champs. Pour elle, la complexité de nos sociétés
contemporaines sollicite des recherches nouvelles, circulaires et systémiques, davantage
adaptées aux paradigmes reconfigurés.
dominique.macaire[at]univ-lorraine.fr

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L’altérité dans la voilure : une lesson


study pour un sillage collaboratif en
didactiques des langues
Carole-Anne Deschoux et Claire Taisson

1 Dans une institution qui forme des enseignants et qui développe de la recherche,
comment et sur quels savoirs construire une relation « collaborative » entre
chercheurs/formateurs et enseignants ? Que faire, que choisir, en fonction de quoi et
de qui ? Peut-on concilier les besoins de formation avec ceux de la recherche ?
2 C’est à partir de ces tensions que nous avons initié un questionnement au sein d’une
recherche collaborative en nous focalisant sur la construction d’un dispositif. Nous
présentons ici les choix posés et les analyses effectuées afin de comprendre la relation
construite et les apports réciproques des différents acteurs. Pour ce faire, nous nous
référons initialement au concept de recherche collaborative de Desgagné et al., pour qui
la réflexivité est au cœur du processus de collaboration . Or la réflexivité se décline
différemment selon que l’on est praticien ou chercheur. Lorsqu’on parle de
questionnement pratique, les premiers sont projetés dans leur quotidien, et les seconds
se réfèrent à des aspects formels. Pourtant cette différence initie et alimente la
dynamique même de formation :
À l’issue d’une première étape du projet où chercheurs et praticiens négocient un
objet de réflexion commun […] une activité réflexive […] sera mise en place. Le
déroulement de cette activité réflexive […] considéré du point de vue des
enseignants qui vont y effectuer une démarche d’explicitation et d’analyse de leur
pratique en vue de l’améliorer, répond à la définition de ce que Richardson (1994)
appelle le « questionnement pratique » et à ce que Beillerot (1991) appelle « être en
recherche ». Mais cette même activité réflexive, prise du point de vue des
chercheurs qui vont faire de ce matériau réflexif un objet d’analyse en vue de
produire des connaissances nouvelles dans un domaine lié à la pratique enseignante
et plus spécifiquement au savoir des enseignants, répond à la définition de ce que
Richardson (1994) appelle la « recherche formelle » et à ce que Beillerot (1991)
appelle « faire de la recherche ». Dans la mesure où les chercheurs du projet se
retrouvent du même coup à accompagner et à guider le « questionnement
pratique » des enseignants, on dit qu’ils jumellent à leur rôle de chercheurs, pris au

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sens formel du terme, un rôle de formateurs qui encadrent, au fond, la démarche de


recherche des enseignants, prise au sens informel du terme. (Desgagné et al, 2001,
pp. 38-39)
3 L’ancrage retenu s’inscrit dans celui de l’enseignement du français. Il est appréhendé
selon un paradigme historico-culturel post vygotskien où l’altérité est l’élément
structurant de la dialectique du développement. Le développement procède ainsi de
l’intersubjectif à l’intrasubjectif (Vygotski, [1934]1997) et est de l’ordre processuel. Ce
processus est fait de tensions qui renvoient non seulement aux autres mais à soi-même.
L’altérité est ainsi constitutive de cette ipséité (Ricoeur, 1990).
4 Dans cette contribution est présentée une recherche sur un dispositif de formation
dans la discipline français, dispensé à des enseignantes volontaires, en Suisse romande.
Il est reconstruit rétrospectivement à partir de traces diverses considérées comme des
entités sémiotiques (Radford, 2019). Il porte sur l’usage d’albums en littérature de
jeunesse à l’école primaire. L’attention est portée sur ce qui a été élaboré ensemble et
sur la dynamique construite entre les différents acteurs. Cette dynamique renvoie à
l’espace construit entre les partenaires, aux relations, aux savoirs concernés et aux
contraintes rencontrées. Tous ces rapports sont liés aux enjeux des situations
considérées, aux groupes et également aux personnes impliquées dans la relation.
5 Nous présentons d’abord le dispositif de formation qui constitue le cadre de la
recherche. Puis nous présentons le support retenu, qui est un album de jeunesse, et ses
spécificités. Nous explicitons ensuite ce que les enseignantes et les formatrices-
chercheures ont effectué ensemble, et les choix posés dans l’usage de l’album en classe.
Nous reprenons les éléments qui occasionnent des négociations entre les différents
partenaires et qui structurent aussi les échanges. Nous revenons à des éléments
configurant ad finem la relation entre enseignantes et formatrices-chercheures.

Présentation de la formation
Le contexte

6 Le contexte retenu est romand. Il se situe dans une institution helvétique qui forme des
enseignants. La formation qui nous intéresse s’inscrit en didactique du français comme
première langue enseignée (Simard et al., 2010). Elle a été initiée à partir d’un
questionnement sur l’usage d’album de jeunesse en classe. Support composite dont la
complexité est reconnue (Bautier et al., 2012/2014), l’album de jeunesse est présent
massivement dans les classes primaires et également dans les plans d’études. Mais force
est de constater que les pratiques rencontrées le plus souvent dans les classes avec ce
support visent à enseigner le code ou encore se cantonnent à une lecture oralisée
(souvent faite par l’enseignant). La compréhension comme objet d’enseignement est
encore trop peu enseignée et constitue une véritable difficulté pour les enseignants
(Soussi et al., 2008 ; Goigoux, 2013 ; Thévenaz-Christen et al., 2014). De plus, en
formation, penser, planifier, mettre en tâches l’enseignement en littérature de jeunesse
suscitent également des difficultés chez les étudiants (Deschoux et al., 2015). Mais ces
difficultés renvoient aussi à la jeunesse de la discipline littéraire à l’école primaire en
suisse romande, à l’hétérogénéité des objets à enseigner, aux référents théoriques qui y
sont liés et à leur non articulation (Cordonier, 2012), et également à l’histoire de son

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enseignement en regard de pratiques sédimentées et de leur disciplination (Schneuwly


et Dolz, 2009 ; Ronveaux et Schneuwly, 2018).
7 Par ailleurs, dans la même institution du canton de Vaud, une équipe de recherche 2
développe des travaux en vue d’améliorer les pratiques enseignantes et les
apprentissages de tous les élèves par la mise en place de formations outillées de la
Lesson Study (Lewis and Hurd, 2011). Elle propose aussi des accompagnements
collaboratifs lors de la formation initiale (Clerc et Martin, 2011) et continue.
8 La recherche collaborative sur laquelle nous nous arrêtons ici porte sur un
accompagnement proposé à des enseignantes de l’école primaire du cycle 1 (élèves de 4
à 7 ans) voulant travailler avec des albums de littérature de jeunesse dans le cadre
d’une formation continue outillée d’une Lesson Study.
9 Une Lesson Study vise à la fois la construction de nouvelles connaissances sur
l’enseignement-apprentissage (Takahashi et McDougal, 2016) et le développement
professionnel. L’unité de travail est la leçon. La démarche rassemble des formateurs,
des chercheurs et des enseignants (Lewis et Hurd, 2011 ; Takahashi et McDougal, 2016).
Elle se caractérise par un processus cyclique : le groupe choisit une thématique et
définit des objectifs d’apprentissage, puis il élabore et planifie ensemble une leçon.
Après l’avoir planifiée, la leçon est donnée dans la classe de l’un des enseignants sous
les yeux du reste du groupe qui l’observe. La leçon est analysée collectivement, a
posteriori. Toutes les traces récoltées – matériel utilisé, productions des élèves,
photographie instantanée des tableaux noirs, vidéo, etc. – peuvent être potentiellement
mobilisées lors des analyses par le groupe, lequel reprend le plan de leçon. Cette
nouvelle planification peut donner lieu à une nouvelle leçon donnée et observée dans
une autre classe, puis à nouveau analysée, etc. Au terme du cycle, le groupe peut (ou
non) documenter à nouveau la leçon et diffuser son travail. La structure de base de la
Lesson Study accentue donc la dimension négociée et distribuée des choix posés.

Un dispositif de formation au service de l’enseignement

10 L’expérience de formation continue dont nous parlons ici est suivie par des
enseignantes qui, avec des formatrices-chercheures, définissent des activités et des
enseignements à mener à partir d’un album de jeunesse. Cette formation comporte cinq
séminaires, deux leçons données devant les collègues et les formatrices-chercheures
dans la classe d’une enseignante volontaire à chaque fois différente, deux moments
d’échanges juste après les leçons données, lesquels permettent de revenir sur les leçons
observées et vécues.
La figure ci-dessous illustre l’organisation de cette Lesson Study.

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Figure 1 – Dispositif de formation

11 Les trois premières séances3 (T1) visent à choisir un objet d’enseignement, à définir les
modalités de travail et le matériel. Puis une première leçon est réalisée et analysée « à
chaud » avec tout le monde (Chri avec des élèves de 6-7ans). De leur côté, deux
collègues adaptent et donnent la leçon dans leur classe sans la présence des collègues
(Ja avec des élèves de 7-8 ans et Cla avec des élèves de 4-6 ans). La séance suivante
reprend l’analyse « à froid » de la leçon et la planification de la nouvelle leçon (T2). La
leçon est redonnée par une autre collègue (Ga à des élèves de 7-8 ans) et à nouveau
analysée « à chaud ». Deux collègues l’adaptent et la réalisent dans leur classe (Cé avec
des élèves de 5-6 ans et Cla avec des élèves de 6-7 ans). La formation se termine par une
deuxième analyse « à froid » et par un moment de bilan. L’ensemble des sept séances
(séminaires et sessions en classe) comporte environ quatorze heures de travail en
présentiel.
12 Pour optimiser les échanges et les dimensions expérientielles, les enseignantes
assument ainsi différents rôles et responsabilités dans la réalisation et dans l’analyse
des leçons. Chaque enseignante peut voir deux leçons, donner une leçon de son côté
dans sa classe (sous les yeux ou non des collègues) et alimenter les discussions avec son
expérience, ses observations et ses remarques. Les formatrices-chercheures endossent
aussi différents rôles ; elles gèrent les séances, participent à l’élaboration des leçons,
observent les deux leçons données. Elles ont la responsabilité de la formation. Elles
gardent en tête les attentes formulées initialement, elles confrontent les points de vue
des enseignantes, elles mobilisent leurs observations et amènent des éléments
théoriques en fonction de ce qui se présente.

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Un dispositif d’enseignement construit à partir d’un album


composite

13 Les enseignantes construisent un dispositif d’enseignement 4 à partir de l’album La soupe


au caillou d’Anaïs Vaugelade (2002) – album qu’elles ont choisi ensemble. Pour
comprendre les enjeux didactiques de ce choix, il importe de présenter la complexité
sémiotique du support. Conte en randonnée5, l’ouvrage aborde l’histoire d’un loup qui
s’invite chez une poule et lui propose de lui cuire une soupe. Cette visite inquiète les
voisins qui heurtent à la porte. Ils rendent visite à la poule les uns après les autres et lui
amènent un légume. Ce légume est rajouté à la soupe contribuant au contenu et à la
qualité du repas. À la fin, les convives partagent la soupe puis le loup s’en va.
14 L’album joue sur la tension narrative (Baroni, 2007). L’intertextualité porte sur la
réputation du loup, le personnage principal. Cette réputation est explicite dès la
première page. Il est écrit que la poule « n’est pas rassurée (…), elle n’a jamais vu de
loup en vrai, elle ne le connait que par les histoires ». Sur l’image, le loup a un regard
sombre et semble forcer la porte. À plusieurs moments, le lecteur vit cette tension et se
demande si le carnivore va manger les convives.

Figure 2 – La soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade, 2002 (pp. 5-6)

Comme on le voit plus loin (figure 3), le loup a des attitudes ambigües. Sur les images, il
est sombre, il regarde en coin, il tient un couteau qu’il dirige vers les hôtes. Dans le
texte, il est taiseux.

Figure 3 – La soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade, 2002 (pp. 19-20)

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15 Au fil du récit, dans le dialogue de l’image et du texte, l’auteure emmène ainsi le lecteur
sur de fausses pistes et l’invite à douter. De plus, au terme de l’histoire, le lecteur reste
devant une fin ouverte. Le loup n’a mangé personne. Plusieurs interprétations sont
ainsi possibles. Si le lecteur garde la figure du loup, il peut se dire que la ruse a échoué.
Mais il peut aussi douter de l’animalité du carnivore en constatant qu’il ne mange
jamais et ne manifeste aucune agressivité. Et s’il doute de son animalité, c’est alors une
autre figure qui devient saillante : celle du pèlerin. Cette deuxième interprétation
renvoie ainsi à une autre version zen de ce conte – qui existe aussi ; par exemple, celle
de Jon J. Muth (2011).
16 Nous avons bien affaire à un support composite dont l’hétérogénéité des traitements et
la difficulté interprétative sont manifestes, et dont l’usage ne peut être dissocié de ce
que les enseignants comptent en faire avec leurs élèves (Bautier et al, 2010).

Éléments de cadrage épistémologique


17 Dans le paradigme interactionniste social que nous adoptons (Bronckart, 1997, 2005),
trois dimensions sont mobilisées pour une Lesson Study : 1) l’importance des activités
sociales pour le développement personnel des conduites conscientes, 2) le rôle décisif
du sémiotique et du langage dans la construction de la pensée consciente, 3) le rôle des
médiations formatives dans le processus humain. La trace est ainsi appréhendée
comme une entité sémiotique (Radford, 2019) matérielle, pour « ce qu’elle est capable
de nous révéler » (p.15). Elle atteste de ce qui s’est passé, s’inscrivant dans un cadre
interprétatif qui doit être accompagné d’un appareil méthodologique. Le dispositif
d’enseignement construit avec les enseignantes est donc un ensemble structuré
d’instruments et de systèmes sémiotiques orientés vers le développement des élèves, et
déterminés par une institution scolaire, une discipline et une profession qui ont leur
histoire (Schneuwly, 2000).

Éléments méthodologiques
18 La recherche se base sur la formation continue dispensée à cinq enseignantes
volontaires d’une même école primaire du cycle 1 (avec des élèves de 4 à 8 ans). Toutes
donnent la leçon à un moment, excepté une enseignante (Cla) qui la donne deux fois
avec deux classes différentes (elle travaille dans deux classes). Les planifications, les
captations vidéo des leçons, les captations audio d’échanges, les productions écrites des
enseignantes (attentes, évaluation), les Power Point, les échanges par email, les
productions des élèves constituent le corpus.
19 Le protocole de recherche reconsidère le dispositif de formation à posteriori afin
d’identifier et de reconstruire le processus en fonction de ce qui s’est passé. Il est
constitué de traces hétérogènes récoltées lors de la formation et des passages dans les
classes. De différentes natures, ces traces sont produites en amont ou lors de la
formation. Cet appareil méthodologique reconstruit l’entité sémiotique pour pister la
dimension explicative. Il suppose de revenir au cadre interprétatif dans lequel on le
place (Radford, 2019).
Tous les matériaux font l’objet d’une analyse de contenu.

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Pointages kaléidoscopiques de la relation qui se


construit entre les différents partenaires
Des négociations alternées et des ajouts personnalisés

20 En reprenant les choix posés, un subtil jeu de négociations alternées construit


l’interdépendance des deux groupes de base (formatrices-chercheures et enseignantes).
Il est identifiable au fil des séances et nourrit la dynamique de la relation.
21 Au séminaire 1, les formatrices-chercheures posent le cadre initial (méthodologie,
discipline, support, liens avec les prescriptions, nombre de séances). Elles demandent
aux enseignantes : 1) de venir avec des albums avec lesquels elles travailleraient en
classe, 2) de se préparer à les présenter, 3) de formuler leurs attentes pour la formation.
Les enseignantes apportent des albums, chacune verbalise par écrit ses attentes
(travailler avec des albums de littérature de jeunesse autrement que par le travail du
code, avoir des outils d’analyse de ces albums pour évaluer leur « qualité » et se faire
une opinion, pouvoir faire de la place à l’hétérogénéité socioculturelle et plurilingue
des élèves, découvrir d’autres albums). Les enseignantes négocient le nombre de
séances à la baisse en justifiant que le dispositif est trop impliquant. Le nombre de
séances passe ainsi de 13 à 7 séances.
22 Au séminaire 2, les albums sont repris. Les formatrices-chercheures abordent les
critères d’analyse (dimensions paratextuelles, structuration du texte, situation de
communication, contenu de l’histoire, rapport texte-images), l’importance de l’usage
du livre en fonction du public à qui on le destine et les apprentissages visés. Les
enseignantes relèvent ce qu’elles trouvent intéressant en regard du travail pour leur
classe.
23 Entre les séminaires 2 et 3, les formatrices-chercheures demandent aux enseignantes
d’effectuer une analyse de l’album. Elles reçoivent des emails des enseignantes dans
lesquels elles disent qu’elles ne savent pas la réaliser et qu’elles aimeraient pouvoir la
faire ensemble.
24 Au séminaire 3, les formatrices-chercheures reprennent l’analyse de l’album, laquelle
est discutée. Les enseignantes construisent une planification (L1). Les choix se font
pour la classe dans laquelle la leçon sera réalisée mais doivent être compatibles avec les
autres classes. Elle se mettent d’accord sur : 1) la nécessité de travailler la
« réputation » du loup pour construire des référents communs entre les élèves et
préparer le suspens ; en effet, elles relèvent que leurs élèves ne la connaissent pas
forcément et que s’ils ne peuvent pas s’y référer, ils ne comprendront pas le danger du
potentiel dévoreur ; 2) la proposition d’une méthodologie d’investigation pour
construire le personnage du loup. Elles constituent ainsi un corpus de cinq livres avec
une question qu’elles réservent aux élèves : est-ce que le loup de votre histoire est
gentil ou pas ? Et pourquoi ? 3) la reprise de cette question avant de débuter la lecture
oralisée de l’album par chacune d’elles. Comme le temps prévu en séminaire est trop
court, les enseignantes la reprennent de leur côté, en dehors de la formation, et la
finalisent sans les formatrices-chercheures.
25 Puis, la première leçon (L1) est donnée dans une classe de 3H (élèves de 6-7 ans). Elle est
suivie de son analyse « à chaud ». Pour la première activité, l’enseignante qui donne la
leçon fait observer dans les cinq livres, à des groupes de 4-5 élèves, l’attitude, les actes

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des loups, les rapports aux autres personnages. Elle fait constater l’évolution de la
menace que peut représenter le carnivore en regard de l’enchainement en succession
des pages (Van der Linden, 2013). Elle montre l’aspect « non figé » du loup, en pointant
que le loup n’est pas toujours mauvais. La deuxième activité d’oralisation de La soupe au
caillou permet bien de réinvestir la réputation du dévoreur potentiel, d’identifier la
menace qui plane sur la poule et de vivre la tension narrative liée à ce carnassier. Lors
de l’analyse « à chaud », les enseignantes sont satisfaites de ce qu’elles ont vu et vécu.
Les enfants ont vécu le suspens. Les formatrices-chercheures relèvent que
l’enseignante observée, en effectuant une lecture oralisée où à chaque page elle
montrait les images sans questionner le lien entre ce qui était dit et écrit, s’est
exclusivement accrochée aux images. Elle a travaillé la compréhension de l’histoire en
se basant sur un rapport transparent entre le texte et les images. Les collègues
constatent alors qu’elle n’a pas pris en compte les dimensions textuelles et
iconographiques comme deux entités distinctes et liées (Van der Linden, 2013) alors
qu’elles avaient prévu de le faire dans la planification ; l’enseignante observée pensait
l’avoir fait dans le déroulement de l’activité. Avec la vidéo, elle a constaté qu’elle a
effectivement fait autrement et repris une pratique habituelle avec le postulat que
l’image illustrait le texte, et que ce qui figurait dans l’écrit figurait aussi sur les images.
Cette façon de faire n’a pas tenu compte de « la “complémentarité” recherchée par
certains auteurs-illustrateurs, qui font suivre à l’illustration et au texte des
cheminements étanches l’un à l’autre, en évitant toute redondance, [ce qui] engendre
certaines difficultés de compréhension » (Canut et Vertalier, 2012, p. 55). L’analyse
réalisée ensemble montre que les représentations de ce que l’enseignante pense avoir
fait différaient de ce qui avait été effectivement fait et de ce qui avait été décidé
collectivement.
26 En dehors du séminaire, de leur côté, deux enseignantes (Cla et Ja) réalisent l’activité
planifiée dans leur classe. Au séminaire 4, l’ensemble du groupe revient sur ce qui s’est
passé lors de la leçon observée et sur les leçons données dans les classes des
enseignantes (analyse « à froid »). Elles échangent en reprenant les images vidéo, les
expériences et les observations. Cla et Ja montrent leur matériel et expliquent les choix
posés dans leur classe. Elles ont rajouté des albums, du matériel et ont modifié la
consigne. Elles évoquent la nécessité de s’adapter aux élèves et à leur âge. Cla 6 avec de
très jeunes élèves a d’abord fait observer les caractéristiques du loup en partant
d’images diverses du loup figurant sur des cartes pour identifier les similitudes et les
différences des représentations. Elle a ainsi pointé avec ses élèves les caractéristiques
du loup (grandes dents, griffes, queue). Pour la deuxième leçon, elle a instauré un
suspens à partir de premières de couverture d’une collection de cinq albums avec la
question « est-ce que le loup est gentil ou méchant ? ». Elle a relevé que l’on ne pouvait
pas se baser sur des caractéristiques et a fait émerger la nécessité de lire le texte pour
savoir s’il était méchant ou non. Puis elle a lu l’album de Vaugelade. L’enseignante a
donc bien gardé la logique de la progression et le suspens décidés en groupe.

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Figure 4 – Planification de Cla (élèves 4-5 ans) et sa transcription

27 La deuxième enseignante, Ja, a choisi quatre histoires issues d’un même recueil (Aymé,
1973). Elle dit avoir fait la même chose que ses collègues. Elle a proposé une brochure
de dix-sept pages téléchargée sur un site (Les coccinelles 7) qui reprenait des exercices
visant un foisonnement d’objectifs : travailler les mots outils, identifier et apparier des
titres écrits avec différentes typographies, repérer des mots, remplir des textes
lacunaires, travailler la fusion syllabique et les phonèmes /u/ et /ɑ̃ /, etc. Cette collègue
n’est pas rentrée dans ce qui a été proposé par le groupe ; elle n’a pas conservé
l’importance d’avoir un corpus d’albums, ni de construire l’intrigue. La brochure avec
son foisonnement d’exercices traditionnels appuie ce constat. Mais les enseignantes
voyant le matériel de Ja demandent à le photocopier. Le groupe, y compris les
formatrices-chercheures, ne relève pas le problème. Il reprend la planification 1, la
modifie en fonction des analyses effectuées et de la personne qui a donné la leçon (ici
en 3H, élèves de 6 ans).
28 La leçon (L1’) est donnée dans une autre classe par une autre collègue. La collection
d’albums, pour la première activité, est composée de quatre albums dont trois
nouveaux que l’enseignante en question a choisis. L’analyse « à chaud » permet à tout
le monde de constater que l’unité de l’album a été prise en compte et que les aspects
textuels et iconotextuels ont été abordés comme deux entités sémiotiques séparées et
interdépendantes (van der Linden, 2013). Mais là, un autre problème est alors constaté.
Les élèves lors de la leçon font remarquer qu’on ne peut pas dire qu’un loup est
méchant s’il doit se nourrir, car un animal doit manger pour vivre. Les formatrices-
chercheures reprennent ce qu’ils disent et pointent l’évolution et la complexité des
personnages dans le récit et l’importance du genre narratif. Elles posent le statut de la
fiction. Le personnage du loup dans un récit est anthropomorphisé. Il est doté
d’intentionnalité comme les êtres humains. Il peut être méchant. Alors que la fiction
implique une rupture par rapport au vrai loup. Dans la réalité, comme animal, il doit

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effectivement se nourrir et ne peut être considéré comme « méchant ». Ensemble, elles


constatent que même si les loups sont souvent des dévoreurs, même s’ils ont mauvaise
réputation, d’une part ils ne sont pas tous « méchants » dans les textes retenus et,
d’autre part, certains loups évoluent au fil du texte en regard de la dynamique du récit.
Toutes reprennent le corpus pour revenir au personnage du loup dans le récit de
Vaugelade. Des élèves avaient dit qu’il était gentil car il n’avait pas mangé les animaux
ou alors parce qu’il avait cuit une soupe. Elles constatent l’impossibilité de savoir si ce
loup est gentil ou méchant. Elles se demandent si sa ruse a échoué, car il y avait
finalement trop d’invités pour manger la poule, ou s’il n’avait plus faim. Les
formatrices-chercheures font émerger que la figure du loup est en tension avec celle du
pèlerin qui existe aussi dans d’autres versions de cette même histoire. Elles montrent
un album qui est un conte zen appelé la soupe aux cailloux de Jon J. Muth (2011). Ici des
moines zen proposent à des villageois de faire une soupe afin de recréer des liens de
solidarité entre eux. Le loup n’est donc peut-être pas la seule figure de Vaugelade. Son
loup ressemble à un pèlerin qui va de maison en maison pour créer de la solidarité
entre les habitants alors qu’il fait froid dehors. Pour le comprendre, il faut comparer les
deux figures en effectuant un travail d’observation et de lexique de manière à les
qualifier, à les caractériser. Il s’agit aussi de considérer ce qui est dit sur lui et les
réactions qu’il provoque auprès des autres personnages. Ce rapprochement entre les
deux histoires de soupe aux cailloux permet d’évoquer d’autres histoires de soupe aux
cailloux (il en existe plusieurs versions, car il s’agit d’un conte populaire).
29 Puis, à nouveau, deux enseignantes donnent la leçon dans leur classe. Cla (6-7 ans) et Cé
(5-6 ans) choisissent un corpus de cinq albums. Cla garde la même planification avec
des élèves élèves d’une année de plus.
30 Le séminaire 5 est consacré à l’analyse « à froid » du deuxième tour. Le contenu, les
dimensions socioculturelles et plurilingues sont repris avec la question des adaptations
et des réécritures en regard des différentes versions du conte et des multiples histoires
de loup. Il est relevé l’importance de travailler la mise en réseau des différents récits
afin de toucher et d’enrôler un public dont les référents socioculturels pourraient
potentiellement différer et de montrer les variations. Elles reprennent les attentes, le
dispositif et les outils d’analyse construits. Les enseignantes sont toutes ravies de cette
formation et relèvent qu’elles ont beaucoup appris. Une dit quand même regretter ne
pas avoir eu plus d’échanges autour des albums présentés au début. Ja dit avoir
apprécié mais ne rendra jamais son évaluation écrite aux formatrices-chercheures. Ces
dernières sont aussi contentes des échanges mais se demandent si les collègues
arriveront à reproduire seules ce genre de démarche.

Le dispositif de formation au service des apprentissages des élèves

31 Le dispositif de formation est en cohérence avec ce qui a été annoncé. Par les choix
posés, les initiatives assumées, formatrices-chercheures et enseignantes sont bien
orientées vers les dimensions pragmatiques liées au terrain et visent les apprentissages
à faire construire par les élèves. Les deux groupes sont engagés dans la relation ; tout le
monde est présent aux séances, les activités sont réalisées et du matériel est échangé.
Les enseignantes prennent du temps en dehors du temps de formation pour négocier et
stabiliser la planification, pour chercher des livres. Les formatrices-chercheures
reviennent sur les éléments pointés, à l’aide de matériel, tentent de répondre aux
attentes et aux besoins des collègues et interviennent sur les contenus. Les deux

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groupes de professionnelles sont solidaires et réunis autour d’un premier but qui est le
travail en classe.
32 Ce même but est assumé en regard de responsabilités distribuées. Ce qui se passe
réellement en classe est pris en charge par les enseignantes. À la fois elles doivent tenir
compte des choix collectifs tout en les adaptant à la particularité de leur classe.
33 Les formatrices-chercheures acceptent ces initiatives tout en ayant le souci du
maintien des objectifs de formation et de la réalisation des attentes verbalisées des
enseignantes. Elles cherchent à encourager l’enthousiasme des enseignantes tout en
assumant la reprise de décalage en regard du contenu enseigné. Elles mènent l’analyse
de pratique. Cette analyse est aussi outillée par les résultats de recherche et leurs
connaissances scientifiques.
34 La responsabilité est ainsi partagée et distribuée en fonction des compétences, des
connaissances professionnelles des deux groupes.

Des groupes labiles pour jouer des frontières et des enjeux

35 Même si initialement, il y a un groupe de formatrices-chercheures et des enseignantes


en formation, d’autres groupes labiles se forment en fonction des enjeux de la situation,
du moment et de l’avancée du processus. Il y a un jeu de frontières entre les personnes
qui constituent ces groupes. Trois moments forts ont été repérés.
36 Le premier moment (séminaires 1, 2, 3) comporte un enjeu important qui est celui de
donner envie de s’engager tout en identifiant comment. Il vise à définir la place des
unes et des autres et les responsabilités à assumer par rapport au travail en classe et à
la formation continue.
37 Le deuxième moment est décliné en deux parties qui est la mise à l’épreuve de ce qui a
été construit en commun dans des contextes d’enseignement différents. Il montre que
la leçon commune de lecture oralisée de l’album est partout la même, mais que c’est la
leçon qui précède qui varie. Cette variation renvoie à la particularité de la classe, du
matériel et de l’enseignante. Il permet aussi de constater que ce qui est pensé être
effectué n’est pas forcément ce qui est fait et que ce qui est fait peut être lié à quelque
chose d’intériorisé (pratique séculaire ou habitus) que l’on n’interroge pas forcément.
38 Le troisième moment permet une resaisie de ce qui s’est passé et un positionnement
par rapport à ce qui a été vécu et appris.
39 Ces trois moments renvoient à des frontières qui délimitent des sous groupes : les
collègues des degrés enseignés (1-2 versus 3-4) ; celles qui enseignent devant les autres
versus celles qui regardent ; celles qui donnent la leçon versus celles qui ne l’ont pas
essayée ou qui ne l’essayeront jamais. Ces groupes impliquent des jeux de forces, des
rôles différents et supposent des échanges physiques et des verbalisations qui
nourrissent les dimensions personnelles et collectives. Ces tensions contribuent à la
dynamique du processus et ont des répercussions potentielles sur chacune des
personnes.

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Un processus nourri par des jeux et des enjeux entre formatrices-


chercheures et enseignantes

40 La dimension fondamentalement sociale des conduites conscientes à l’œuvre dans la


visée d’assurer et d’améliorer ce qui est appris aux élèves est le liant de la relation.
C’est à cette condition que les enseignantes acceptent de se trouver sous tension et
qu’elles s’investissent, assument leur rôle dans la Lesson Study et se forment
potentiellement. C’est aussi à l’aune de ces échanges que les formatrices-chercheures
comprennent la complexité du métier d’enseignant en classe, et qu’elles se
transforment aussi. Le processus et la transformation sont identifiables par le dispositif
de formation qui se co-construit et se négocie entre les participantes. Certains choix
peuvent être considérés « hybrides » du côté de la recherche. Ils sont totalement
assumés. Le dispositif de formation fait ainsi aussi bouger les frontières
épistémologiques et invite à les dépasser. Le processus engagé se décline donc à
différents niveaux et à différents moments de la formation-recherche. Il invite à
revenir au concept d’altérité qui se saisit à différents niveaux et qui constitue son
moteur fondamental.
Niveau de la Lesson Study :
41 La Lesson Study construit le rapport aux différentes altérités en présence dans la
formation et dans la recherche mais aussi par la formation et par la recherche. Par le
caractère cyclique (de reprise des planifications, des leçons, des échanges), par la
dimension partagée (de la construction des planifications, de l’essai des leçons) et
distribuée (dans la répartition de ce qu’il y a à faire), toutes les participantes se sentent
concernées et responsables. Elles se mettent en danger parfois dans ce qu’elles
montrent « d’imparfait » ou dans ce qu’elles voient comme différent chez les autres.
Par ces échanges, mais aussi par les aspects techniques (vidéos, documents écrits), le
processus est couteux. Se voir en vidéo n’est pas forcément facile ; reprendre ce qui a
été fait et le repenser dans un collectif est éprouvant – même si la bienveillance est
présente.
Niveau des classes :
42 Pour les classes, une rupture est constatée dans le travail effectué par les enseignantes
entre les deux premières années (1H-2H, élèves de 4-6 ans) et les deux suivantes
(3H-4H, élèves de 6-8 ans), mais aussi entre celles qui sont observées et les autres.
Même si les enseignantes construisent une même planification, gardent les mêmes
objectifs, elles adaptent le choix des livres pour le corpus ; elles modifient le matériel.
Le dispositif de formation permet de montrer l’adaptation aux élèves ; il permet
d’articuler les niveaux individuel et collectif.
Niveau de la formation :
43 Les altérités évoquées en fonction des groupes labiles sont un vecteur dynamique de la
relation entre les différentes participantes, marquée par des enjeux de groupes, des
enjeux personnels (formation – recherche – enseignement – apprentissage) en tension
avec des enjeux communs (le travail en classe, l’engagement des unes par rapport aux
autres).
44 Ce processus est construit par de la sémiotisation, car il est investi, transformé par les
différents acteurs. Il renvoie aux traces appréhendées comme des entités sémiotiques
(Radford, 2019) matérielles, par rapport « à ce qu’elles nous donnent à voir ». Le

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principe dynamique est identifiable par les traces matérielles laissées dans la
succession des étapes du dispositif de formation. Il est nourri par le jeu de tensions
entre les différents groupes et rôles assumés par les différents partenaires.

Conclusion
45 Dans cette recherche, nous nous sommes intéressées au processus construit par et à
travers un dispositif de recherche-formation collaborative outillé d’une Lesson Study,
ainsi qu’à la dynamique construite entre les participantes.
46 Nous avons montré le caractère distribué et situé de ce qui s’est développé et nous
avons relevé l’importance des enjeux et des rôles liés à chaque étape du dispositif et
aux participantes.
47 Le dispositif de formation a bien le statut d’instrument (Schneuwly, 2000) qui permet,
initie, contraint le travail entre des professionnels. Il invite les enseignantes à
transformer pour leurs classes ce qui est négocié collectivement tout en gardant le cap
de ce qui a été décidé. Cette adaptation rend compte de la sémiotisation qu’elles
construisent dans et par cette adaptation, mais aussi des contraintes liées à leur
environnement. Elle permet ainsi, par la matérialité, d’attester de ce qui s’est fait, de le
reprendre et de le reconfigurer tout en remobilisant les représentations des unes et des
autres. L’action observée est ainsi tracée et discutée.
48 Dans notre dispositif de formation, nous constatons que le rapport à l’autre est central,
multiforme et se manifeste à différents niveaux. Ce rapport à l’autre renvoie à une
multitude d’altérités qui renvoient à des rôles définis, mais aussi à des groupes labiles
qui sont des moteurs de développement.
49 Ainsi, ces altérités permettent d’accompagner le processus et engendrent du
développement. Ces altérités permettent d’entretenir un principe dynamique
impliquant un jeu de frontières entre différents groupes labiles. Ces altérités jouent des
tensions et des enjeux du moment.
50 La collaboration entre professionnelles permet ainsi de s’inscrire dans un réseau plus
large qui contribue à alimenter une dynamique sociale de collègues intéressés et
impliqués par le travail scolaire, lequel va bien au-delà du scolaire... Les besoins et les
enjeux de formation et de recherche peuvent être conciliés, même s’ils sont aussi en
tension. La poursuite du processus suppose un délicat assemblage où chacune a sa place
sur le bateau…

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. La formation a rassemblé uniquement des femmes. C’est donc le féminin qui est adopté.
2. Laboratoire 3LS : Laboratoire Lausannois Lesson Study. https://www.hepl.ch/cms/accueil/
recherche/laboratoires-hep-vaud/3ls.html
3. Le terme séance désigne ici une session de formation de deux heures. Il désigne soit un
séminaire, soit une session dans une classe pour laquelle toute l’équipe est présente .
4. Pour préciser, le dispositif d’enseignement est destiné à être implanté dans la classe, il est
élaboré en vue des apprentissages des élèves ; alors que le dispositif de formation fédère les
enseignantes en formation et les chercheures.
5. Un conte en randonnée est construit sur une structure répétitive, cumulative et simple.
6. Sur la figure 4, il apparait que le terme séance désigne ce que nous avons appelé leçon.
7. Site : http://www.les-coccinelles.fr, et les exercices liés à l’album : http://www.les-
coccinelles.fr/lienpage1/albums/unesoupeaucaillou/litteraturejeunesseunesoupeaucaillou.html,
consultés le 23 avril 2020.

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RÉSUMÉS
Cette contribution s’inscrit en didactique du français langue première. Elle se focalise sur
l’analyse d’un dispositif de formation et cherche à montrer le principe dynamique construit par
la collaboration d’enseignantes et de chercheures1 dans le cadre d’une formation continue
dispensée dans un institut de formation. Elle rend compte d’une recherche collaborative
(Desgagné et al., 2001) outillée d’une Lesson Study (Lewis et Hurd, 2011). Dans cette analyse à
caractère exploratoire, le dispositif de formation et sa transformation permettent à la fois de
reconstruire le processus de collaboration entre les chercheures et les enseignantes, et de
repartir de cette collaboration pour revenir au dispositif en question. Cette recherche montre
comment, en fonction des enjeux épistémologiques, des savoirs et des expériences communes et
personnelles, ces professionnelles de la recherche et du terrain construisent d’une manière
distribuée et partagée cet artéfact, et comment ce dernier permet des déclinaisons variables qui
peuvent être réinvesties dans les différentes classes des enseignantes concernées.

This contribution is part of the teaching of French. It focuses on the analysis of a system and
seeks to show the dynamic principle built by the collaboration of teachers and researchers in the
context of continuing training provided in a training institute. It reports on collaborative
research (Desgagné et al., 2001) using a Lesson Study device (Lewis and Hurd, 2011). In this
exploratory analysis, the artefact and its transformation make it possible to reconstruct the
process of collaboration between researchers and teachers and the collaboration in turn makes it
possible to return to the artefact in question. This research shows how, based on epistemological
issues, common and personal knowledge and experiences, these research and field professionals
build this artifact together and how it allows for variable variations that make it possible to
reinvest in the various classes of the concerned teachers.

INDEX
Mots-clés : altérité, Lesson Study, positionnement historico-culturel, didactique des langues
Keywords : otherness, Lesson Study, historical-cultural positioning, language didactics

AUTEURS
CAROLE-ANNE DESCHOUX
Haute école pédagogique (HEP) du canton de Vaud, Lausanne
Carole-Anne Deschoux a une formation et une expérience d’enseignante à l’école primaire et en
enseignement spécialisé. Ses recherches s’inscrivent dans un ancrage historico-culturel post
vygotskien. Son appréhension des questions didactiques, sur l’apprentissage du français
notamment, est marquée par ce parcours avec une attention particulière aux dimensions
plurilingues.
carole-anne.deschoux[at]hepl.ch

CLAIRE TAISSON
Haute école pédagogique (HEP) du canton de Vaud, Lausanne
Longtemps enseignante et directrice d’établissements primaires français, les recherches de Claire
Taisson s’inscrivent dans le paradigme vygotskien. Elle étudie comment les élèves des premiers

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degrés construisent leurs connaissances au moyen de la matérialité vue comme ressource pour
l’enseignement-apprentissage et comme indice de leur développement psychologique.
claire.taisson[at]hepl.ch

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L’accompagnement professionnel
pour développer des dispositifs
didactiques innovants en syntaxe et
en ponctuation : regards de
conseillères pédagogiques
Marie-Hélène Giguère, Marie Nadeau, Carole Fisher, Rosianne Arseneau et
Claude Quevillon Lacasse

Introduction
1 Depuis plusieurs années, des recherches européennes et québécoises portant sur les
pratiques effectives des enseignants en syntaxe et en ponctuation (S-P) montrent que
cet enseignement est isolé et que les exercices proposés n’engagent pas les élèves à
construire des savoirs suffisamment solides pour leur permettre de réaliser un
transfert en situation d’écriture (Chartrand, 2009 ; Jaffré, 2014 ; Paolacci et Garcia-
Debanc, 2003 ; Paolacci et Rossi-Gensane, 2014). Or, les recherches didactiques sur
l’enseignement et l’apprentissage de l’orthographe grammaticale (Brissaud et Cogis,
2011 ; Nadeau et Fisher, 2014) fournissent des pistes encourageantes pour améliorer les
compétences des élèves en écriture puisque la résolution de problèmes
orthographiques en situation de rédaction passe largement par la mobilisation et
l’utilisation explicite des connaissances grammaticales et syntaxiques (Boivin et
Pinsonneault, 2014 ; Nadeau et Fisher, 2009, 2011).
2 C’est dans ce contexte qu’une recherche quasi-expérimentale1 a vu le jour pour tenter
d’observer les effets de la mise en œuvre de différents dispositifs didactiques jugés
prometteurs pour enseigner la S-P dans des classes du primaire et du secondaire
québécois. Or, l’adaptation de ces dispositifs basés sur des principes didactiques
reconnus à de nouveaux objets d’enseignement exigeait une phase d’exploration faite
de tâtonnements et d’expérimentations (1re année du projet) nécessitant une étroite

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collaboration de tous les participants (enseignants, chercheuses universitaires et


conseillères pédagogiques (CP)). Cette collaboration s’est actualisée par un
accompagnement soutenu et régulier qui s’est poursuivi à la 2e année du projet,
permettant ainsi la mise au point de dispositifs didactiques à la 1 re année et leur
expérimentation avec prise de données à la 2e année. Cet article vise à décrire
l’accompagnement professionnel et analyser cette collaboration par le regard des
conseillères pédagogiques à l’aide d’un questionnaire écrit recueilli au terme de la 2 e
année du projet. Des pistes pour le développement professionnel des enseignants
seront dégagées.

Problématique
3 Le développement professionnel des enseignants, soit « le processus d’acquisition des
savoirs [notamment par la formation continue] qui provoque, par la suite, des
changements chez l’enseignant ainsi que des nouveautés sur le plan de sa pratique »
(Uwamariya et Mukamurera, 2005 : 142) demeure un enjeu connu dans le monde de
l’éducation. D’ailleurs, une large étude américaine a montré qu’au-delà des cinq
premières années d’expérience, la très grande majorité des enseignants cessent
d’évoluer et de bonifier leurs pratiques pédagogiques (TNTP, 2015). Plusieurs rapports
ont également indiqué que les formations offertes dans les milieux scolaires étaient
loin d’être optimales (Conseil supérieur de l’éducation, 2014) puisqu’elles ne répondent
pas aux critères identifiés par la recherche sur le développement professionnel à savoir
que les activités de formation devraient 1- être étendues dans le temps, soit une
cinquantaine d’heures sur une durée de plus d’un an (Darling-Hammond et al., 2009 ;
Richard, 2017) ; 2- être à la base de la construction de bonnes relations entre
enseignants pour permettre des discussions riches et ouvertes donnant lieu à un
partage d’expertise (Darling-Hammond et al., 2009 ; Fullan, 2007 ; Richard, 2017) ; 3-
porter sur un aspect très précis du curriculum, ancré dans les besoins et les visées des
écoles (Darling-Hammond et al., 2009) et 4- être étayées par des données probantes,
animées par des spécialistes dont l’expertise est reconnue et soutenue par une
direction d’établissement faisant preuve de leadership (Richard, 2017). Par ailleurs, les
dispositifs didactiques peuvent être considérés comme des vecteurs de développement
professionnel puisque l’enseignement représente une activité médiatisée par des outils
didactiques. Selon Cèbe et Goigoux (2007, 2012) et Goigoux (2011), ces outils doivent
être pertinents (exploitant les connaissances issues de la recherche), proches des
pratiques habituelles des enseignants, élaborés de manière collaborative et ajustés dans
le temps par leur pratique régulière.
4 Dans le cadre de notre étude, afin de documenter les effets de la mise en œuvre de
dispositifs didactiques sur les compétences des élèves en écriture, les enseignants
participants devaient non seulement développer des gestes pédagogiques en cohérence
avec les principes didactiques retenus, mais également développer des savoirs en
grammaire moderne2 leur permettant de favoriser et de soutenir les apprentissages de
leurs élèves en S-P. L’équipe de recherche devait donc assurer un accompagnement
professionnel soutenu afin de leur permettre de s’approprier une posture et des
pratiques nouvelles pour lesquelles aucun modèle n’existait, seulement un cadre
théorique. De plus, l’équipe a rapidement ressenti le besoin de se confronter au terrain
pour s’assurer que les dispositifs soient réalistes et fonctionnels. Des échanges

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réguliers, nourris par l’expertise des CP, ont permis à la recherche collaborative de se
fonder sur des besoins partagés par les trois parties.
5 Nous définirons dans la prochaine section les concepts de recherche collaborative, de
dispositif didactique et d’accompagnement professionnel. Par la suite, nous décrirons la
méthodologie employée pour dégager les perceptions des CP. Les résultats seront
ensuite explicités et discutés.

Cadre conceptuel
6 Selon Desgagné, Bednarz, Lebuis, Poirier et Couture (2001), la recherche collaborative
ne porte pas sur les praticiens, mais s’établit avec eux. Elle implique une interinfluence
entre la pratique et la recherche et elle prend « le sens d’un échange de services entre
des acteurs qui font partie de cultures différentes et qui n’ont pas à répondre aux
mêmes finalités » (Desgagné et al., 2001 : 39). Dans notre étude, les enseignants se
basaient sur un cadre théorique et sur les premières ébauches d’implantation
proposées par les chercheuses, pour les expérimenter en classe de concert avec les
chercheuses et les CP. Par la suite, les discussions entre tous les acteurs ont permis
d’identifier les gestes pédagogiques les plus efficaces et efficients pour la classe. « La
recherche collaborative valorise (…) l’intégration des points de vue [des praticiens]
dans la production de savoirs aménagée par le chercheur » (Morrissette, 2013 : 46).
Ainsi, les chercheuses ont bénéficié des savoirs d’expérience des enseignants et des CP
participants pour mettre au point les dispositifs didactiques expérimentés afin qu’ils
soient mieux ancrés dans la réalité du monde scolaire, donc plus facilement
transférables. Les rencontres collectives sur la mise en œuvre d’activités en classe
permettaient cette intégration des trois points de vue et le réajustement progressif des
dispositifs didactiques initialement proposés.
7 Notre équipe définit le dispositif didactique comme un « ensemble de moyens,
matériels ou sémiotiques, fruits d’un travail d’ingénierie a priori mais ajustés à la réalité
du milieu, et organisés pour permettre à l’élève de construire des savoirs » (inspiré de
Cèbe et Goigoux [2007] et de Weisser [2010]). Dans ce projet, les dispositifs didactiques
abordent un contenu précis (ici la S-P), et visent des objectifs également précis
(dégager les structures de phrases à partir des outils de la grammaire moderne, dont la
notion de phrase et les manipulations syntaxiques, afin de bien les construire et les
ponctuer). Les activités proposées aux élèves sont organisées et reliées pour répondre à
cet objectif, dans un temps relativement restreint (cf. annexe 1) afin de respecter la
réalité quotidienne des classes. On a mis à profit des outils matériels pour les élèves
(cahier, corpus de phrases, capsule vidéo, aide-mémoire) et pour l’enseignant
(démarche proposée, gestes didactiques, routine, outils numériques (cf. annexe 2).
8 Afin d’éprouver concrètement les dispositifs proposés et de soutenir leur mise en
œuvre dans la classe par les enseignants, un accompagnement professionnel a été
nécessaire. Aux conditions organisationnelles précédemment évoquées, s’ajoutent des
conditions intrinsèques aux enseignants.
9 Selon Shulman et Shulman (2004), l’enseignant doit développer quatre dimensions
personnelles de manière simultanée : sa vision, son engagement, ses savoirs et ses
pratiques. Autrement dit, les nouveaux savoirs et les nouvelles pratiques développées
doivent être en cohérence avec sa vision de l’enseignement, ses valeurs et ses croyances
au sujet de l’apprentissage pour lui permettre un engagement suffisant dans

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l’ajustement de ses pratiques et la construction de ses savoirs. De plus, selon Guskey et


Yoon (2009), c’est lorsque l’enseignant perçoit l’effet de ses pratiques sur les
apprentissages de ses élèves que l’impact sur sa vision est le plus important. Ainsi, pour
que l’enseignant en perçoive les effets dans sa classe, les formateurs doivent soutenir
l’évolution des quatre dimensions par des modalités de développement professionnel
différenciées et par le soutien à l’implantation rapide de nouvelles pratiques. Des
rétroactions régulières et formatives soutiennent les apprentissages en ayant lieu dans
un contexte ouvert d’apprentissage et en fonction des besoins observés chez les élèves.
Enfin, le développement professionnel montre un effet plus grand lorsqu’il est partagé
entre collègues (Darling-Hammond et al., 2009).
10 Au Québec, les CP jouent un rôle de premier plan dans le développement professionnel
des enseignants (Guillemette, Vachon et Guertin, 2019). À ce titre, on leur reconnait un
regard d’expert sur les situations de formation (Draelants, 2007). Leur rôle est
généralement associé à des interventions hors classe. Quatre situations emblématiques
clarifient le travail des CP : former, conseiller, accompagner et innover (Guillemette et
al., 2019). Lors de la phase exploratoire collaborative, les chercheuses ont endossé le
rôle d’accompagnement car le besoin de se confronter régulièrement à la réponse des
élèves et des enseignants a permis de mieux cerner les enjeux des apprentissages et de
mieux réajuster le design des dispositifs. À cette étape du projet de recherche, les CP
ont plutôt revêtu un rôle de conseillères, principalement en donnant leur avis sur la
conception et la mise en œuvre des dispositifs. Elles ont également partagé la tâche
d’accompagnement de l’équipe de chercheuses en participant à l’observation en classe
et à la rétroaction fournie aux enseignants, ce qu’elles font peu habituellement.

Méthodologie
11 Cet article s’intéresse au point de vue des CP sur l’accompagnement offert dans le cadre
de notre recherche.

Participants

12 Rappelons que cette étude a développé des dispositifs didactiques pour enseigner la S-P
au 3e cycle du primaire (10-11 ans) et au 1 er cycle du secondaire (12-13 ans) dans des
milieux défavorisés au Québec où les élèves éprouvent plus de difficultés à réussir les
examens ministériels en lecture et en écriture et représentent donc une population à
risque (Desrosiers et Tétrault, 2012). Ainsi, plusieurs dispositifs didactiques ont été
conçus et ajustés en collaboration avec les cinq membres de l’équipe de recherche,
quatre CP et treize enseignants. Les CP et les enseignants, approchés en raison de leur
désir d’apprendre des activités innovantes en S-P, étaient volontaires pour participer à
l’étude et leurs directions respectives soutenaient leur implication. Les participants
étaient répartis géographiquement en trois groupes dont deux incluaient des CP : deux
CP, Danielle3 et Chantale, dans un milieu mixte francophone et plurilingue et deux CP,
Josianne et Marie-Claude, dans un milieu unilingue francophone.

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Contexte de l’étude

13 Les chercheuses se sont appuyées sur la littérature scientifique (Darling-Hammond et


al, 2009 ; Richard, 2018 ; Shulman et Shulman, 2004 ; TNTP, 2015) pour offrir aux
enseignants un accompagnement structuré autour de trois modalités : 1-des rencontres
collectives mensuelles sur une période de 18 mois au cours desquelles les activités
étaient explicitées et où les enseignants échangeaient sur leur expérience, 2- des
observations bimensuelles en classe suivies de rétroactions personnalisées aux
enseignants sur leur métalangage et leurs pratiques plus fines (par ex. : leur manière
d’utiliser les manipulations syntaxiques ou de questionner les élèves). Ces observations
ont été réalisées par les chercheuses accompagnées parfois des CP dans le but de
développer les pratiques didactiques attendues, mais aussi de mieux comprendre la
mise en œuvre des dispositifs expérimentés et 3- du matériel pour soutenir
l’implantation des dispositifs, ajusté et offert à tous les participants au cours de
l’expérimentation (cf. annexe 2). De multiples allers-retours entre la conception,
l’ajustement et l’expérimentation des dispositifs ont été nécessaires pour obtenir la
séquence finale qui a été mise en œuvre et mesurée dans des textes d’élèves lors de
l’année scolaire suivante. Les résultats chez les élèves en écriture feront l’objet d’autres
publications.

Outils de collecte et d’analyse

14 Au terme de l’expérimentation, un questionnaire d’enquête à réponse ouverte


(Gaudreau, 2011) a été distribué aux CP sur différents thèmes liés au développement
professionnel (cf. annexe 3). L’analyse du questionnaire écrit auquel trois CP ont
répondu (Danielle, Chantale et Josianne - Marie-Claude a été relancée deux fois, mais
n’a pas remis son questionnaire) a fait l’objet d’une analyse thématique basée sur les
éléments-clés liés aux composantes efficaces du développement professionnel.

Résultats : Analyse des questionnaires complétés par


les CP
15 Dans un premier temps, les trois CP évoquent que le métalangage lié à la grammaire
moderne représente un apprentissage signifiant pour les enseignants. Les
manipulations syntaxiques ainsi que les concepts de phrase graphique et phrase
syntaxique ont constitué également des apprentissages importants pour ces derniers.
En ce qui concerne les apprentissages liés aux pratiques didactiques, elles remarquent
que la démarche inductive, le questionnement et la discussion-négociation sollicités
par les activités ont permis aux enseignants de donner davantage la parole aux élèves,
ce qui a modifié leur vision de ces pratiques. Quant à leurs propres apprentissages,
Chantal et Josianne mentionnent que les manipulations et les contextes utilisés dans les
exercices permettent de mieux discriminer les compléments de phrase des
compléments indirects de même que les procédés de combinaison de juxtaposition, de
coordination et de subordination. Quant aux apprentissages didactiques, les trois CP
disent mieux comprendre comment enseigner la S-P autrement que par des leçons de
grammaire isolées de l’écriture de textes. Elles saisissent mieux la nécessité d’établir
une routine tant pour les enseignants que pour les élèves afin de baliser le pilotage de

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l’activité. Enfin, toutes les trois disent avoir affiné leur capacité à questionner les
enseignants et à vulgariser les concepts relatifs à la S-P.
16 Dans un deuxième temps, les CP ont été invitées à se prononcer sur les modalités
d’accompagnement. Selon Danielle, « l’avantage des rencontres collectives, c’est de
permettre aux enseignants de faire part des difficultés rencontrées et d’échanger sur
des moyens possibles de les surmonter ». Josianne a d’ailleurs observé une évolution
dans les échanges au fur et à mesure que la confiance mutuelle s’installait. Ce partage a,
selon les CP, un effet d’émulation pour certains enseignants. Comme le souligne
Chantale, « les rencontres collectives leur ont permis de voir d’autres enseignants qui
réussissent à changer leur enseignement de la grammaire, à proposer des activités
différentes pour permettre aux élèves de mieux apprendre les concepts ». Les trois CP
mentionnent que ces rencontres s’avèrent rassurantes pour les enseignants, car elles
leur permettent de valider leur compréhension des activités, de s’approprier la
démarche et les modalités d’application des activités à venir, d’ajuster leur vision de
l’apprentissage et de l’enseignement. Par contre, Danielle aurait souhaité offrir un
approfondissement sur des concepts grammaticaux sollicités en S-P pour permettre
aux enseignants de développer une meilleure assurance dans l’animation des activités
en classe.
17 En ce qui concerne le matériel offert, les trois CP indiquent qu’il facilite la mise en
œuvre des activités en raison du temps que cette planification nécessite. Elles ont
apprécié la variété des activités proposées, ce qui permet aux enseignants de faire des
choix selon les besoins des élèves. Enfin, elles jugent que le guide de l’enseignant fourni
de même que les capsules vidéo sont très encadrants pour ces derniers, car cela leur
offre un modèle sur lequel s’appuyer. Josianne mentionne également qu’elle a apprécié
le fait que les chercheuses aient ajusté les activités proposées entre la fin de l’année de
recherche collaborative et l’année d’expérimentation des dispositifs en tenant compte
des commentaires reçus et des liens avec le curriculum.
18 Quant aux observations et aux rétroactions en classe, les trois CP affirment que cela a
surtout contribué à la mise en action réelle des dispositifs proposés. De plus, cela leur a
donné l’occasion d’observer la réalisation des activités – ce qui s’avère assez rare dans
le cadre de leur travail. La présence en classe de CP et de chercheuses génère un stress
important chez les enseignants, mais cette présence est tout autant sécurisante et elles
aiment être sollicitées à titre d’expertes pour répondre à des questions sur le vif. Pour
Chantale, « la présence en classe me permet de les rassurer, d’entrer dans leur
planification des apprentissages et d’avoir des discussions sur leurs gestes
pédagogiques, leurs questions et les problèmes grammaticaux rencontrés. Autrement,
elles ne m’auraient pas contactée pour cela ».
19 Enfin, dans un troisième temps, les CP ont discuté de leur rôle au sein du projet de
recherche. Elles disent avoir assumé un rôle de guide, de soutien, de facilitatrice,
principalement dans le cadre des observations où elles ont parfois fait du co-
enseignement. Elles évoquent que leur présence était perçue comme sécurisante pour
les enseignants puisqu’elles étaient en mesure de faire des liens avec le curriculum et
d’agir à titre de référence au moment opportun. Ce rôle a accru, selon elles, la relation
de confiance qu’elles entretiennent avec les enseignants. Leur présence physique à
l’école a permis aux enseignants de poser plus de questions, mais aussi d’ouvrir des
discussions avec les autres membres de l’équipe école ne participant pas au projet à
propos de l’enseignement de l’écriture et de la grammaire. Elles ont vécu leur rôle

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comme celui d’un chainon important entre les enseignants, les chercheuses et les
directions d’école. Danielle et Chantale auraient souhaité participer à l’élaboration des
rencontres de recherche et du matériel expérimenté conjointement avec les
chercheuses car, selon elles, cela aurait contribué à leur propre formation. Josianne,
quant à elle, en a eu l’occasion dans son terrain de recherche.
20 Dans une optique de maintien et de transfert des pratiques, elles croient que leur rôle
sera de maintenir les échanges sur les pratiques par des rencontres collectives et
individuelles. Elles jugent que certains enseignants auront toujours besoin de soutien,
mais elles doutent qu’ils accepteront de l’aide une fois le projet de recherche terminé.
En effet, selon les trois CP, le contexte de la recherche « crée » une occasion de
développement professionnel. Or, le contexte organisationnel dans lequel elles se
trouvent ne leur permet pas souvent de réaliser des suivis : elles se sentent
dépendantes des priorités de leur commission scolaire et des budgets qui y sont
associés. Danielle et Josianne misent ainsi sur une forme de « contamination positive »
des enseignants participants pour une diffusion des pratiques dans leur école.
21 Les trois CP qui ont répondu au questionnaire constatent donc des apprentissages chez
les enseignants tant sur le plan des pratiques que des savoirs. Parce qu’elles répondent
à des intentions différentes, les CP jugent les trois modalités d’accompagnement
nécessaires et complémentaires. Elles considèrent avoir rempli un rôle de conseil, de
guide, de soutien même si certaines auraient souhaité accompagner davantage au sens
où Guillemette et al. (2019 : 43) décrivent ces rôles, soit le fait « d’accompagner le
personnel scolaire dans un contexte de collaboration ou de mobilisation pour mieux
soutenir l’amélioration des pratiques éducatives, pédagogiques ou didactiques ».

Discussion
22 La dimension exploratoire de cette recherche a demandé la collaboration étroite de
trois acteurs clés du développement professionnel : les CP, les enseignants et les
chercheuses. Les rôles traditionnels de ces intervenants ont été plus souples que dans
un autre type de recherche : les chercheuses n’ont pas été les seules conceptrices des
dispositifs, les CP ne les ont pas que validés et les enseignants ne les ont pas
qu’expérimentés. Ainsi, c’est par une réelle collaboration qu’ont pu se développer les
dispositifs de la séquence didactique finale, une collaboration essentielle pour leur
acceptabilité par les intervenants du milieu scolaire, une conciliation, en somme, entre
le « souhaitable » des chercheuses et le « réalisable » des enseignants (Goigoux et Cèbe,
2009 ; 2011).
23 Le contexte de la recherche, par l’implication volontaire des enseignants, a facilité la
mise en œuvre de modalités d’accompagnement, telles que l’observation en classe
suivie d’une rétroaction. Bien que reconnue efficace comme dispositif de
développement professionnel (TNTP, 2015), elle représente sans doute la modalité la
plus déstabilisante pour les enseignants. Ces derniers, dits « précurseurs », sentent
qu’ils ont toujours aimé se développer, tenter de nouvelles pratiques, apprendre. Cet
engagement s’avère plus fort que le stress engendré par la présence de chercheuses et
de CP en classe. Il semble qu’il faille ici trouver l’équilibre le plus juste (différent pour
chaque enseignant) entre une présence anxiogène qui pousse à se dépasser et une
présence rassurante qui guide dans les moments d’incertitude. Les trois CP ont

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explicitement nommé la relation de confiance à établir avec les enseignants, relation


renforcée par cette présence rapprochée.
24 L’objet de développement à proprement parler représente une autre explication à
l’ouverture à l’observation. Généralement, lorsque les CP vont en classe, c’est bien
souvent pour modéliser une pratique attendue. On tente de montrer aux enseignants
un mode d’emploi à transposer, voire à imiter selon une vision applicationniste
(Goigoux et Cèbe, 2009). Alors que la présence d’une tierce personne en classe serait
généralement associée à une évaluation de la performance selon des critères attendus,
le sentiment de contribuer à une innovation pédagogique permettrait une plus grande
ouverture des enseignants et ce, malgré l’inconfort à être observé (Cèbe et Goigoux,
2007, 2012 ; Goigoux, 2011 ; Giguère et al., 2018).
25 Des différences individuelles entre les CP ont été observées dans l’analyse des réponses
au questionnaire. Danielle et Chantale auraient souhaité un rôle plus actif dans la
planification et l’animation des rencontres collectives, et dans la formation en
grammaire offerte aux enseignants. D’une part, cette place n’a pas pu être offerte, car
les chercheuses créaient les dispositifs et avaient besoin d’un contact direct avec le
terrain pour observer le déroulement des activités et bénéficier d’un accès aux
conceptions des élèves et des enseignants. D’autre part, la disponibilité et la flexibilité
des horaires des membres de l’équipe de recherche a permis cet accompagnement
rapproché, ce que les CP n’auraient pas pu offrir, étant donné les contraintes
organisationnelles de leur travail, leurs nombreux dossiers et engagements fixés
longtemps à l’avance.
26 Enfin, les CP ont partagé leur expertise relative aux conditions de maintien et de
transfert des dispositifs, un enjeu important de valorisation des connaissances issues
de la recherche dans les milieux de pratique. Selon leurs réponses au questionnaire,
l’accompagnement soutenu, à la fois individuel et collectif, permet un maintien des
pratiques, mais également un engouement pour l’objet de développement dans les
milieux de pratique, ce qui représente un levier pour les CP dans l’accompagnement de
nouveaux enseignants n’ayant pas participé au projet de recherche.
27 Ces résultats ne sont pas généralisables en raison du faible nombre de participants et
du caractère volontaire de leur engagement. Il est également difficilement envisageable
de généraliser ce genre de collaboration au Québec en raison des difficultés de
recrutement de participants volontaires. En revanche, une telle collaboration pourrait
être possible sans l’apport des chercheuses à la condition que les milieux scolaires
(écoles et commissions scolaires) dégagent du temps de qualité et des budgets
substantiels pour permettre à des CP d’endosser un rôle accru d’innovation dans lequel
des rencontres collectives régulières, des suivis réguliers en classe et un partage de
matériel pourraient être offerts pour répondre aux besoins des écoles. Enfin, une
évaluation des résultats devrait faire partie de cet accompagnement.

Conclusion
28 La recherche que l’équipe de cinq chercheuses a menée en collaboration avec des
enseignants et des CP s’appuie d’abord sur les principes de la recherche collaborative
afin que chaque participant profite d’un échange pour répondre à des finalités
différentes : selon les CP, les enseignants ont réalisé des apprentissages en S-P et dans
leur enseignement, elles évoquent elles-mêmes des apprentissages sur le

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questionnement et l’observation en classe, et estiment que les chercheuses ont


structuré une séquence d’activités basées sur les principes didactiques et sur les
besoins des élèves et des enseignants (métalangage, questionnement, interactions).
29 Le contexte d’une recherche semble faciliter la mise en œuvre rapide de dispositifs
innovants par les enseignants participants, comme une obligation à développer leurs
pratiques dans un délai plus court que ce qu’ils auraient fait dans le cadre d’une
formation plus régulière. Les enseignants comme les CP en ont vu les bénéfices entre
autres dans la fluidité des pratiques, dans l’affirmation des savoirs, mais également
dans la transformation de la vision de l’enseignement de la syntaxe et de la
ponctuation, dont l’enseignement est problématique dans plusieurs milieux scolaires
(Boivin et Pinsonneault, 2012). Toutefois, des questions soulevées par les CP de l’étude à
propos de l’ouverture de la classe se posent toujours : comment développer les
différentes dimensions du développement professionnel dans le contexte des
contraintes organisationnelles dans les commissions scolaires, et comment maintenir
les pratiques dans les années à venir lorsque le soutien se retire ?

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journals.openedition.org/questionsvives/271.

ANNEXES

Annexe 1 – Séquence didactique du projet

Dispositifs Prévoir de 30 à 40 min par activité

Notions de phrase syntaxique et


3 à 4 « périodes » avec manipulation de « cartons »
phrase graphique

6 activités d’ajout de ponctuation dans un texte sans majuscules ni


Ajout de ponctuation
points.

10 activités où plusieurs phrases simples doivent être jointes en


Combinaison de phrases
une seule phrase graphique par divers procédés.

Annexe 2 : Matériel offert aux enseignants

Cahier de l’élève (un pour le primaire et un pour le secondaire) regroupant tous les
exercices suivis d’une section « À retenir » ;

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Guide de l’enseignant (pour le primaire et pour le secondaire) présentant des


solutionnaires, des guides d’animation des différents dispositifs, des tableaux illustrant
des possibilités grammaticales pouvant survenir en classe lors des discussions avec les
élèves ;
Activités « clé en main » sur les concepts de phrases graphiques et phrases syntaxiques
incluant les cartons à manipuler par les élèves ;
Capsules vidéo (une pour le primaire et une pour le secondaire) montrant un modelage
du dispositif « combinaison de phrases » ;
Pages pour le tableau numérique interactif (pour le primaire et pour le secondaire)
servant à l’animation des échanges avec les élèves.

Annexe 3 : Questionnaire individuel aux CP

Questionnaire (n =3 CP)

Avez-vous constaté des apprentissages chez les enseignants que vous accompagnez ?

Si oui…

a. lesquels en lien avec la grammaire ?

b. lesquels en lien avec des gestes pédagogiques ou des actions didactiques ?

c. à quoi attribuez-vous cette évolution ?

Si non, à quoi attribuez-vous cet état de fait ?

Est-ce que vous avez vous-mêmes réalisé des apprentissages ?

Si oui ?

a. lesquels en lien avec la grammaire

b. lesquels en lien avec des gestes pédagogiques ou des actions didactiques

c. à quoi attribuez-vous cette évolution ?

Si non, à quoi attribuez-vous cet état de fait ?

Nous avons organisé des rencontres collectives, des suivis individuels et avons offert du matériel
(cahiers, activités, cartons, capsules, etc.). Selon vous, qu’est-ce qui a permis aux enseignants de
mieux développer leurs pratiques professionnelles, le cas échéant ?

a. Décrivez ce que chacune de ces modalités a apporté à leur développement professionnel.

b. Avez-vous senti une préférence pour une de ces formes d’accompagnement ? Si oui, laquelle ?
Pourquoi ?

c. Si vous n’avez pas senti de développement, quel dispositif aurait pu contribuer à le susciter ?

d. Est-ce que vous avez vous-mêmes eu une préférence pour une modalité d’accompagnement ?
Laquelle ? Pourquoi ?

Si c’était à refaire, que pourriez-vous nous suggérer pour améliorer notre accompagnement ?
Qu’est-ce qui aurait pu contribuer à un développement encore plus optimal de la pratique
professionnelle des enseignants ? De votre propre pratique professionnelle ?

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


105

Le projet se termine dans quelques semaines. Envisagez-vous un maintien des pratiques dans les
classes expérimentales ? Les enseignants auront-ils besoin de soutien ? Si oui, lequel ? Si non, à
quoi attribuez-vous le fait que ce ne soit pas nécessaire ?

Envisagez-vous un transfert des pratiques dans d’autres classes ou d’autres écoles ? Si oui,
comment cette diffusion devrait être organisée ? De quoi auriez-vous besoin pour mener un tel
accompagnement ? Si non, à quoi attribuez-vous le fait de ne pas donner suite à ce projet ?

Quel rôle le projet vous a-t-il permis de prendre dans le cadre de vos fonctions de CP ?

Est-ce que ce rôle vous a permis de travailler différemment ? Si oui, comment ? Pourquoi ?

NOTES
1. Recherche financée par le FRQSC-MEES (Fonds de recherche québécois – société et culture –
Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur) : Expérimentation de dispositifs
didactiques en syntaxe et en ponctuation « à la manière » des dictées métacognitives et
interactives (2017-LC-198593).
2. Selon Chartrand (2011), la grammaire dite moderne ou nouvelle se veut une description du
« fonctionnement de la langue et des textes en présentant des informations sur […] les outils
pour travailler la langue (le modèle de la phrase P et les manipulations syntaxiques), les
structures syntaxiques de la phrases, les principales règles d’orthographe et de ponctuation, ainsi
que l’histoire et le fonctionnement du lexique » (avant-propos, III).
3. Prénoms fictifs pour préserver l’anonymat.

RÉSUMÉS
L’étude présentée dans cet article s’est déroulée en deux temps : une démarche exploratoire la
première année, suivie d’une expérimentation par protocole quasi-expérimental l’année
suivante. Visant à développer et à expérimenter des dispositifs didactiques pour améliorer la
syntaxe et la ponctuation en écriture chez des élèves de 10 à 14 ans, l’équipe de recherche était
composée de chercheuses universitaires, d’étudiantes doctorale et postdoctorale, de conseillères
pédagogiques et d’enseignants du primaire et du secondaire au Québec. Tous ces membres ont
joué différents rôles tout au long de l’étude. Cet article vise à présenter les résultats de l’analyse
d’un questionnaire d’enquête auprès des conseillères pédagogiques dans lequel les modalités
d’accompagnement professionnel ont été discutées. Le point de vue des conseillères
pédagogiques montre que la recherche collaborative permet de documenter l’efficacité d’un
triple accompagnement (rencontres collectives mensuelles, observations en classe avec
rétroaction personnelle, matériel offert) et de partager des rôles traditionnellement plus
cloisonnés.

The study reported in this article was carried out in two phases: the first year followed an
exploratory approach for the creation of teaching devices, and the second year tested these
devices through a quasi-experimental protocol. The research team, interested with developing

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


106

and experimenting with teaching devices to improve syntax and punctuation in writing for
students aged 10 to 14, was composed of university researchers, doctoral and postdoctoral
students, teacher consultants, as well as elementary and secondary teachers in Quebec. All of
these members played different roles throughout the study. This article presents the results of a
survey questionnaire submitted to the teacher consultants in which the means to support
teacher professional development (TPD) were discussed. The stances from teacher consultants
show that this collaborative research made it possible to document the effectiveness of a triple
TPD support (monthly group meetings, classroom observations with personal feedback, and
provided material), while allowing for a shift of traditionally compartmentalized roles in
research.

INDEX
Mots-clés : développement professionnel, accompagnement, conseillères pédagogiques,
séquence didactique, syntaxe et ponctuation
Keywords : teacher professional development, support, teacher consultants, teaching device,
syntax and punctuation

AUTEURS
MARIE-HÉLÈNE GIGUÈRE
UQAM
Marie-Hélène Giguère est professeure au département d’éducation et formation spécialisées de
l’UQAM depuis 2015. Elle a été enseignante de français au secondaire, puis conseillère
pédagogique avant de terminer son doctorat sur un dispositif de développement professionnel
portant sur la grammaire actuelle et son enseignement.
giguere.marie-helene[at]uqam.ca

MARIE NADEAU
UQAM
Professeure au département de didactique des langues de l’UQAM, Marie Nadeau se consacre
depuis plus de 20 ans à la recherche en didactique de l’orthographe et de la grammaire. Elle est
actuellement la chercheure principale d’un projet sur l’enseignement de la syntaxe et de la
ponctuation par des activités innovantes. nadeau.marie[at]uqam.ca

CAROLE FISHER
UQAC
Après plus de vingt ans comme professeure de didactique du français à l’UQAC, Carole Fisher est
maintenant professeure associée à cette même université où elle poursuit des activités de
recherche en didactique de l’orthographe et de la grammaire et en didactique de l’oral.
c.fisher[at]uqac.ca

ROSIANNE ARSENEAU
UQAM
Rosianne Arseneau est stagiaire postdoctorale au Département de didactique des langues de
l’UQAM et consultante à l’évaluation en français langue seconde au MEES. Elle a été enseignante
de français au secondaire avant de terminer son doctorat sur l’enseignement de la phrase

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


107

subordonnée relative.
arseneau.rosianne[at]uqam.ca

CLAUDE QUEVILLON LACASSE


UQAM
Claude Quevillon Lacasse est doctorante en éducation et chargée de cours au département de
didactique des langues de l’UQAM, ainsi que collaboratrice au MEES. Elle s’intéresse, pour son
doctorat, à la didactique comparée de la grammaire en langue maternelle et en langue seconde.
quevillon_lacasse.claude[at]uqam.ca

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Axe 3 : Une réponse éthiquement


située de la recherche à des
questions socialement vives

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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Pourquoi, quoi, comment… et


après ? Regards de chercheure et
d’enseignant sur un projet
collaboratif en éducation
autochtone
Eva Lemaire, René Beauparlant et Cécile Howse

Introduction
1 Les recherches participatives, dans la lignée des travaux d’Anadón (2007) et de
Bourrassa et al. (2012), sont de plus en plus souvent perçues en sciences de l’éducation
comme des recherches engagées, devant apporter des solutions collectives à des
problèmes identifiés en commun. Le courant émergeant de la recherche anglo-saxonne
dite « community-based » nous amène à repenser plus en profondeur encore ce que
peuvent être l’engagement et la posture du chercheur, tant il est vrai que les
recherches communautaires nord-américaines allient désormais recherche appliquée
et activisme social (Koster et al., 2012 ; Strand et al., 2003).
2 Le projet de recherche dont il est ici question se situe à la croisée de deux influences
distinctes, mais complémentaires. S’il constitue une recherche en éducation,
impliquant le terrain scolaire, il repose également sur une collaboration avec la
communauté autochtone, dans une optique de réconciliation et de revitalisation d’une
langue en voie de disparition, la langue michif.
3 Dans cet article, nous commencerons par expliquer plus en détail le paysage sociétal et
éducatif dans lequel se situe la recherche. Nous décrirons ensuite le projet, avec sa
phase initiale impliquant la communauté métisse3 puis sa phase de recherche-action-
formation auprès des enseignants (Charlier, 2005 ; Paillet, 1994). Après nous être
présentés, nous nous concentrerons sur la collaboration spécifique que nous avons

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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établie, E. Lemaire, comme chercheure4 d’une part, et R. Beauparlant comme


enseignant d’autre part. Le texte abordera ensuite la posture singulière de la
chercheure, qui joue un rôle de pont entre la communauté scolaire et la communauté
autochtone, à travers notamment la voix de C. Howse, aînée 5 et locutrice de michif. On
interrogera enfin les responsabilités et questionnements éthiques avec lesquelles
composer dans ce contexte.

Le contexte de la réconciliation entre peuples


autochtones et non autochtones
Quelques repères

4 Afin d’esquisser le portrait d’une situation sociétale extrêmement complexe, nous


commencerons par les excuses publiques du premier ministre canadien, Stephen
Harper, formulées en 2008. Le ministre reconnaît alors « un triste chapitre » de
l’histoire du Canada, s’excusant pour le système des écoles résidentielles qui, des
années 1870 à 1990, ont séparé de force plus de 150 000 enfants autochtones de leur
famille dans le but de « tuer l’Indien au sein de l’enfant ». L’objectif assimilationniste
reposait en effet sur l’idée colonialiste que les cultures et les croyances spirituelles des
Autochtones étaient inférieures (Harper, 2008). En dépit d’un mouvement
contemporain de revendication et de résurgence (Alfred et Cornstassel, 2005), de
nombreuses communautés des Premières Nations, Métis et Inuits demeurent
profondément impactées sur le plan social, culturel et identitaire ; et ce à cause des
abus et mauvais traitements vécus notamment dans les écoles résidentielles, à cause du
génocide culturel subi, du traumatisme intergénérationnel induit, de la privation de
droits élémentaires et des multiples discriminations passées et présentes 6.
5 Dans ses excuses (Harper, 2008), le ministre insiste sur l’importance de la Commission
de Vérité et Réconciliation (CVR, 2015), une commission d’enquête publique qui
s’inscrit comme « une démarche de guérison, de réconciliation et de règlement des
tristes séquelles laissées par les pensionnats indiens ». À la suite des travaux de cette
commission, 94 appels à l’action seront publiés (CVR, 2015) à l’intention de divers
acteurs gouvernementaux et de l’Église. Plusieurs ciblent directement la responsabilité
du milieu scolaire et éducatif. À travers le Canada, des réformes éducatives ont ainsi vu
le jour afin de répondre à cet objectif de réconciliation.

L’émergence de nouveaux standards éducatifs en Alberta

6 À compter de septembre 2019, les enseignants des écoles élémentaires et secondaires


devront désormais pouvoir attester d’une toute nouvelle compétence, relative à
« l’application de connaissances de base au sujet des Premières Nations, des Métis et
des Inuits » (Alberta Education, 2018). Ils devront notamment mieux faire comprendre
à leurs élèves l’histoire et le vécu contemporain des populations autochtones, faire
connaître leurs cultures à travers des ressources diversifiées et authentiques. Il est
maintenant attendu des enseignants qu’ils puissent nouer des relations efficaces avec
des partenaires autochtones, tels que des parents, des aînés ou des gardiens du savoir.
Or de telles relations supposent à la fois l’existence d’un réseau, mais aussi la mise en
application de protocoles culturels et d’honoraires (Alberta Teachers’ Association,

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


111

2019b), ce à quoi les écoles ne sont pas nécessairement habituées. Enfin, le ministère
demande désormais à chaque enseignant de s’engager dans sa formation continue
pour « améliorer sa compréhension des visions du monde, des croyances culturelles,
des langues et des valeurs des Premières Nations, des Métis et des Inuits » (Alberta
Éducation, 2018 : 4). Par ailleurs, le curriculum scolaire est actuellement en cours de
révision pour une plus grande intégration des savoirs et perspectives autochtones dans
toutes les matières, de la maternelle à la dernière année du secondaire 7.

Aperçu de la recherche
Un projet de recherche axé sur la langue michif

7 Le michif peut être défini comme la « langue officielle de la nation métisse » (Canadian
Geographic, 2018 : 24). Il s’agit également d’une langue en voie de disparition (Moseley,
2010). Historiquement, cette langue est le produit de la rencontre entre les femmes des
Premières Nations, essentiellement cries, et les Européens ou Franco-canadiens,
principalement francophones, qui vivaient de la traite des fourrures. Les différentes
variantes du michif qui co-existent constituent un continuum de pratiques
linguistiques dans lesquelles le français et la langue crie sont plus ou moins prégnants.
Le « michif français » (Canadian geographic, 2018 : 25) ou « français mitchif » (Papen et
Bigot, 2010 : 201) est ainsi parfois considéré comme un dialecte du français canadien,
souvent stigmatisé comme un « mauvais français » (Canadian Geographic, 2018 : 25). À
l’autre extrémité du continuum, se trouve un michif parfois appelé « cri » qui relève
essentiellement de cette langue, avec quelques emprunts au français (Iseke, 2013). Au
milieu du continuum se trouverait une autre variante, décrite par Rosen (2008), qui
emprunte de manière relativement fixe et équilibrée au cri et au français.
8 Dans ce contexte, le postulat de notre recherche était que le michif pourrait constituer
un pont entre les Métis et les élèves des écoles francophones et d’immersion française
dont la langue d’étude est le français, dans un contexte par ailleurs anglophone
majoritaire.

Collaboration avec C. Howse (aînée métisse) et avec R. Beauparlant


(enseignant) : des approches à différencier

9 La recherche, prévue sur plusieurs années, comporte des phases complémentaires


impliquant différentes collaborations.
10 Dans sa phase initiale, elle repose d’abord sur la collecte de récits de vie, soit des
entretiens narratifs « centré[s] sur le parcours de vie d’une personne et […] ses
expériences vécues » (Bertaux, 2016 : 10). Dans un premier temps du projet en effet,
une série de souvenirs autobiographiques ont été racontés à la chercheure par C. Howse
lors de visites, pendant plus de deux années. En cela, l’approche s’inspire d’une
méthodologie de recherche autochtone que Gaudet (2019) nomme la « visiting way
methodology », la collecte des données entrant en synergie avec une éthique de la
relation. Comme le souligne Gaudet (2019), cette approche doit être distinguée de la
notion de “relationship-building” que l’on retrouve en recherche communautaire et
participative : « La notion de « relationship-building », dans un contexte occidental, est
davantage orientée vers la résolution de problèmes pour arriver aux meilleures

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


112

solutions ou résultats possibles, plutôt que de voir l’établissement de relations comme


un processus auquel faire confiance en ce qu’il peut aboutir à des résultats inédits et
inattendus » (Gaudet, 2019 : 59, n.t.)8.
11 Les discussions entre la chercheure et l’aînée ont ainsi abouti à la décision de créer des
clips audio, des vidéos ainsi qu’un livre numérique mettant en valeur certains
souvenirs et connaissances culturelles chers à C. Howse. Ceux-ci ont été enregistrés/
filmés en langue michif, transcrits, traduits puis édités. Plusieurs personnes de la
communauté métisse ont participé à la réalisation de ces ressources, que cela soit pour
transcrire et traduire le corpus oral, en proposer une analyse métalinguistique, pour
illustrer le livre numérique, ou encore pour apporter une validation quant à la qualité
du travail produit9. Il est à noter que, dans le contexte de la réconciliation, l’implication
de partenaires autochtones est cruciale pour soutenir la légitimité de la recherche et
maintenir des relations éthiques entre monde académique et communautés
autochtones. Aussi le développement du matériel pédagogique accompagnant les
ressources créées avec C. Howse s’est aussi fait en collaboration avec des partenaires
Métis. L’approche dite de l’éveil aux langues (Candelier, 2008, 2012), qui a guidé la
réalisation du matériel pédagogique, a ainsi été enrichie par l’apport des pédagogies
autochtones.
12 Une fois le matériel pédagogique prêt, la phase de recherche-action-formation
(Karsenti et Savoie-Zajc, 2018) a été initiée auprès d’enseignants du primaire. Les buts
étaient les suivants :
13 (1) améliorer l’état des connaissances sur l’intégration des perspectives autochtones
dans l’enseignement ;
14 (2) transformer les pratiques éducatives ;
15 (3) participer au développement professionnel des enseignants ;
16 (4) améliorer et valider le matériel et la démarche d’enseignement proposés.
17 Nous avons ainsi travaillé avec quatre écoles et quatre enseignants différents.
Toutefois, nous ne retenons ici que notre collaboration avec R. Beauparlant dans la
mesure où celui-ci était intéressé à approfondir la discussion sur notre processus de
collaboration pour cet article et à contribuer à la diffusion des résultats de la recherche
(Lemaire et Beauparlant, 2019, 2020). Soulignons aussi que notre collaboration repose
sur une relation antérieure professeur-étudiant et de recherche. En effet, R.
Beauparlant, dans le cadre de son Baccalauréat en éducation, a suivi un stage intensif
d’enseignement au Togo encadré par E. Lemaire, ce qui nous avait donné l’occasion
d’une première collaboration de recherche (Lemaire, Beauparlant, Ani-Meunier et
Agbéflé, 2020). R. Beauparlant a par ailleurs eu l’occasion d’occuper des postes
d’assistant de recherche alors qu’il suivait sa formation initiale en éducation.
18 En fonction depuis trois ans dans une école primaire au nord de l’Alberta, R.
Beauparlant s’est porté volontaire pour expérimenter la recherche avec sa classe de 6 e
année (fin du primaire) dans la mesure où il souhaitait se former aux nouvelles
exigences ministérielles relatives à l’intégration des réalités autochtones dans
l’enseignement. Il a ainsi accepté de se former aux ressources pédagogiques
proposées10, de planifier les activités de classe avec la chercheure, d’accepter la
présence de cette dernière dans la classe, de mettre à disposition les travaux générés
par les élèves ainsi que le matériel pédagogique éventuellement ajouté pour répondre
aux besoins des élèves. Enfin, R. Beauparlant a accepté de se livrer à un certain nombre

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


113

d’entretiens nrichissant la collecte de données11. Trois sessions de travail de une à trois


séances de 45 minutes chacune ont eu lieu dans sa classe au cours de l’année
académique.

Articulations entre les savoirs de la chercheure et les


savoirs de l’enseignant
19 Avant d’entrer plus en détail dans notre collaboration, rappelons que R. Beauparlant
est entré dans le processus de recherche au moment seulement de l’expérimentation en
salle de classe, et ce pour permettre de parfaire et valider la démarche et le matériel
d’apprentissage co-construits en amont avec divers partenaires Métis. La chercheure
joue ainsi un rôle de pont entre communauté métisse et enseignante. Et si les points
abordés dans cette partie développent principalement l’articulation des savoirs entre
l’enseignant et la chercheure, la communauté autochtone impliquée demeure sous-
jacente, et nous verrons dans la partie suivante que l’engagement de la communauté
est particulièrement importante au moment de diffuser la recherche à plus large
échelle.

Structuration de la recherche

20 Pour Bourassa et al. (2012 : 20), la recherche collaborative (RC) comprend 3 sphères
d’intervention, la première étant la structuration, à savoir « l’ensemble des
interventions réalisées pour qu’un projet de RC voit le jour et soit structuré de manière
à favoriser l’atteinte des objectifs de la recherche ». Ainsi, en tant que chercheure, nous
avons préparé la démarche et les ressources pédagogiques à expérimenter dans un
cadre que nous jugions réaliste, basé sur nos connaissances didactiques, notre analyse
du curriculum ainsi que nos savoirs quant au milieu éducatif immersif. Un ensemble de
négociations sont néanmoins nécessaires afin d’affiner un tel projet. Il s’agit en effet
que celui-ci réponde aux besoins réels du terrain. C’est pourquoi nous avons travaillé
ensemble, enseignant et chercheure, afin d’élaguer le matériel pédagogique et de
choisir les activités qui correspondaient le mieux au niveau des élèves, priorisant
également certains objectifs d’apprentissage en fonction de la planification annuelle
prévue par l’enseignant. Les connaissances de l’enseignant quant à ses élèves ont
permis par ailleurs d’adapter les interventions pédagogiques au rythme
d’apprentissage de la classe, de prévoir les adaptations nécessaires pour des pratiques
de classe inclusives prenant en compte les besoins spécifiques de certains élèves. Par
exemple, pour l’activité perlage12, les troubles de l’attention de certains élèves nous ont
amenés à décider, en concertation, de préparer fils et aiguilles en avance et d’insister
sur une difficulté technique à contourner plutôt que de confronter les élèves à une
situation de résolution de problème, comme prévu initialement. Si l’objectif
linguistique est perdu de vue (utiliser, en langue seconde, les connecteurs logiques
permettant d’exprimer la résolution de problème), les connaissances pragmatiques de
l’enseignant quant à sa classe ont permis que l’activité se déroule sans heurt.
21 Par ailleurs, les connaissances de l’enseignant quant à son milieu institutionnel
apparaissent essentielles pour le bon déroulement du projet. Une recherche-action-
formation est en effet une recherche située, en prise avec des réalités institutionnelles
dont le chercheur ne peut avoir de connaissances préalables puisqu’elles sont propres à

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


114

une institution (une école) à laquelle il n’appartient pas. Dans certaines écoles, par
exemple, la direction scolaire peut vouloir avoir un droit de regard sur les
interventions pédagogiques extérieures, au-delà de l’autorisation préalable donnée.
Ainsi, dans notre cas, nous avons dû restreindre le temps accordé au projet et le
concentrer sur quelques sessions pour répondre à la crainte du directeur d’école qu’il
n’empiète trop sur la progression scolaire des élèves. Comme observé par Bourassa et al.
(2012), les cheminements prévus en recherche collaborative sont souvent amenés à être
repensés. Aussi, après que le directeur a par la suite assisté à une session
d’enseignement et donné une rétroaction très positive sur le projet, nous avons pu
constater l’importance de mieux expliciter les dimensions interdisciplinaires et
curriculaires du projet pour en augmenter l’attractivité et accroitre les chances que la
démarche, à terme, puisse se diffuser à plus large échelle.

Accompagnement et posture collaborative

22 La sphère de l’accompagnement regroupe, selon Bourassa et al. (2012), l’ensemble des


actions et postures déployées par le chercheur au moment de l’expérimentation. Pour
le chercheur, il s’agira à la fois d’accepter de partager le contrôle sur la recherche et
d’affirmer son positionnement engagé. Dans notre cas, il ne s’agit pas de se limiter à un
rôle minimaliste (distribuer des documents par exemple) pour mieux se fondre dans la
classe et observer. Co-enseignante, la chercheure accepte que son rôle ne soit pas de
produire un savoir neutre et objectif, mais de changer des pratiques et de former,
d’effectuer un « travail « avec » et non « sur » » les personnes avec qui on collabore
(Bourassa et al., 2012 : 13). Le chercheur fait partie d’une recherche pleinement située,
qui se déroule non pas de manière expérimentale, mais « in vivo ». Il s’agit de
reconnaître que toute mise en œuvre sur le terrain, en salle de classe, avec les élèves, se
produit de manière unique, en fonction des participants présents, des dynamiques et
interactions spécifiques à un moment donné. La complexité de la réalité scolaire (la
nécessité d’avancer dans le programme d’études, les collaborations avec d’autres
enseignants ou intervenants, etc.) est telle qu’il n’est pas possible, sur le terrain, de
mettre en œuvre la recherche de manière prescriptive et normative. Le chercheur ne
saurait par ailleurs exiger de son enseignant partenaire qu’il remette en question la
planification de la journée ou de la semaine au seul profit de la recherche. Ainsi, nous
n’avons pas pu toujours mettre en œuvre l’intégralité de l’enseignement planifié et, a
contrario, nous avons parfois choisi ensemble de « déborder » sur l’enseignement d’une
autre matière13.
23 L’enseignant doit quant à lui accepter un lâcher-prise quant à la classe : accepter par
exemple de prendre les réponses de tous les élèves ayant levé la main pour permettre
de collecter le plus de données possible au lieu de ne donner la parole qu’aux « bons »
élèves pour accélérer le rythme. On observera par ailleurs que ce type de pratique
permet à l’enseignant de donner une plus grande part à l’évaluation informelle des
apprentissages. Il s’agit enfin d’accepter, pour l’enseignant, que le leadership soit
partagé, ce qui permettra par ailleurs de modeler auprès des élèves ce qu’est un travail
collaboratif.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


115

Production des connaissances

24 Dans le cadre de notre collaboration, les savoirs scientifiques sont globalement


imputables à la chercheure, quand les savoirs pragmatiques professionnels sont
principalement détenus par l’enseignant, sans que cette répartition soit toutefois
exclusive. Mais poser une dichotomie stricte serait inexact dans notre cas. On
reconnaitra que la chercheure est aussi dotée d’une expérience d’enseignement
significative, tout comme on prendra en compte les expériences de jeune chercheur du
praticien enseignant.
25 Ainsi, la collecte des données fut d’autant plus fructueuse que R. Beauparlant était en
mesure d’aller au-delà de la simple mise à disposition des travaux réalisés par les élèves
lors des sessions en classe. Il a ainsi pris l’initiative de collecter les données qui lui
arrivaient en dehors des périodes d’expérimentation. Il a par exemple pris en photo
l’artefact qu’une élève lui a présenté fièrement quelque temps après le cours
d’initiation au perlage. Il rapportera aussi comment une autre élève, Métisse, a pu
établir un dialogue renouvelé avec sa grand-mère autour de cette pratique artistique. R.
Beauparlant documentera également une anecdote racontée par une élève qui lui
confiera qu’elle s’est rendu compte que sa gardienne était Métisse et qu’elle avait vécu
une expérience de scolarisation similaire à celle présentée en classe par C. Howse.
L’ajout de ces données est particulièrement intéressant car elles viennent accréditer
l’hypothèse que le dispositif permet de créer davantage de liens avec la communauté
métisse. Le fait que l’enseignant soit posé comme partenaire de la recherche et non
comme sujet aura ainsi permis d’enrichir la collecte de données hors temps
d’expérimentation. Un autre exemple serait la proposition, faite par R. Beauparlant, de
réaliser un entretien final avec chaque élève pendant le temps de classe, alors qu’en
tant que chercheure nous avions choisi de ne pas inclure cette possibilité dans la
méthodologie. En effet, créer cet espace de discussion avec les élèves génère
d’importantes contraintes pour l’enseignant, mais aussi pour tout chercheur qui doit
pouvoir justifier auprès du comité d’éthique de l’université autorisant la recherche que
le projet introduit un minimum de perturbation dans la classe. En tant que co-
enseignants et co-chercheurs, il devient plus aisé de créer cet espace et de le penser
collaborativement à la fois comme un temps de collecte de données mais aussi comme
une évaluation informelle des apprentissages et un espace d’interaction authentique en
langue seconde, dans une perspective enseignante.
26 En phase d’analyse de données, la co-construction des significations est également de
nature à renforcer la validité de la recherche (Bradburry et Reason, 2008 ; Karsenti &
Savoie-Zajc, 2018). Selon Dubet (1994 : 233), « tout en répondant à des critères internes
de scientificité, la théorie la plus convaincante est celle qui sera la plus proche de
l’expérience des acteurs ». Si cette idée est largement reprise dans la littérature
(Desgagné et al., 2001 ; Larouche, 2005 ; Morrissette & Desgagné, 2009), nous avons
choisi d’illustrer ici une situation de convergence des deux points de vue, aussi appelée
« situation de double vraisemblance confortée » (Pepin et Desgagné, 2017 : 131). Du
point de vue scientifique et éthique, la démarche de l’éveil aux langues appliquée aux
langues des Métis dans une optique de réconciliation ne pouvait, pour la chercheure,
que s’enrichir des pédagogies autochtones14. Ainsi, le dispositif visait non seulement à
familiariser les élèves avec langues et perspectives métisses, mais proposait de prendre
en compte des éléments du « comment apprendre » dans une perspective autochtone.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


116

Parmi les principes pédagogiques convoqués se trouvaient notamment la pédagogie de


la terre (Wildcat et al., 2014), l’importance du récit et de la transmission par les aînés,
ou encore la valorisation des talents de chaque enfant (Campeau, 2017). En lien avec
nos notes de terrain et grâce aux entretiens finaux avec les élèves, nous avons pu
mettre en évidence 1) l’intérêt des élèves pour les temps passés hors classe, en forêt, 2)
l’empathie des enfants envers l’aînée métisse ayant pris la peine de partager avec eux
ses histoires et de répondre à leurs questions, 3) le succès d’un élève à besoins
spécifiques excellant dans le perlage quand enseignant et aide-élève avaient postulé à
tort que ses troubles de l’attention l’empêcheraient de s’atteler à la tâche. Côté
enseignant, les apprentissages parmi les plus marquants, seront justement, pour R.
Beauparlant, la prise de conscience (1) que des pratiques autochtones comme la
pédagogie de la terre sont bénéfiques aux apprentissages et bien-être de tous les élèves
au-delà du projet d’éveil au michif, (2) que l’éducation autochtone s’enrichit de la
création de liens avec des personnes de la communauté, et que (3) l’inclusion des élèves
à besoins spécifiques peut porter ses fruits à des moments inattendus et qu’il demeure
essentiel de planifier ses enseignements en gardant en tête le développement et la
valorisation des divers talents des élèves.
27 Ces exemples, tirés de nos pratiques, illustrent ainsi comment la littérature et
méthodologie scientifiques qui soutiennent le dispositif rejoignent les besoins et
analyses du praticien.

La posture du chercheur entre enseignants et aînés/


gardiens du savoir autochtones
28 Si cet article porte avant tout sur la collaboration entre l’enseignant et la chercheure, il
importe de rappeler, encore une fois, que ce dispositif de recherche n’aurait pu être
possible sans l’engagement de partenaires autochtones, en particulier de C. Howse. De
manière générale, les relations entre chercheurs non autochtones d’une part et aînés
ou gardiens du savoir autochtone d’autre part sont marquées par une histoire
ethnocentrique et colonialiste qui a vu les savoirs traditionnels autochtones être, dans
le champ académique, sous-représentés, mal représentés ou encore méprisés (Battiste,
2011 ; Battiste & Youngblood, 2000 ; Doxtater, 2004 ; Morgan, 2003). La relation de
confiance est à reconstruire, d’autant plus que nombre de savoirs autochtones ont pâti
du phénomène d’appropriation culturelle, par lequel les savoirs ont été transmis
(souvent de manière erronée et coupée de leur dimension spirituelle), utilisés,
commercialisés, publicisés, sans reconnaissance ou profit quelconque pour les
individus qui détenaient originalement ces savoirs (Battiste & Youngblood, 2000 ;
Morgan, 2003). Une dimension éthique, liée au contexte de la réconciliation avec les
peuples autochtones, caractérise ainsi fortement la démarche de recherche dans son
ensemble, depuis la conception du matériel audio, vidéo, textuel et des ressources
pédagogiques afférentes, jusqu’à la diffusion de la démarche et du matériel
d’enseignement.
29 Selon Battiste (2007), acquérir un savoir autochtone, même partiellement, n’est
nullement anodin. Le processus se fait à travers de longues et multiples conversations
avec des aînés, des lieux15 et peuples autochtones. Et, de fait, rappelons que ce projet de
recherche-action-formation est né autour de thés partagés régulièrement pendant plus
de deux ans, dans l’établissement métis16 de Kikino. Contrairement aux enseignants

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117

impliqués dans l’expérimentation en salle de classe, qui ne se sont engagés qu’à une
formation minimale via une plateforme d’autoformation en ligne, la chercheure porte
une responsabilité directe vis-à-vis de l’aînée et du savoir partagé.
30 Parmi les dérives possibles, on mentionnera le risque que les ressources pédagogiques,
au fil de leur diffusion, soient coupées de leur connexion avec l’épistémologie
autochtone, quand la prise en compte de celle-ci fait partie de la responsabilité directe
du chercheur. Dès lors, il est essentiel que le dispositif soit partagé sur des réseaux
professionnels et autochtones cautionnés par les communautés impliquées et que les
ressources créées circulent dans le milieu scolaire accompagnées d’informations
pertinentes pour éviter que le matériel soit utilisé de manière superficielle et
décontextualisé. Il est également essentiel que les enseignants soient sensibilisés aux
pratiques éthiques relatives à l’éducation autochtone afin d’éviter toute situation indue
d’appropriation culturelle. Au-delà de l’utilisation des ressources développées dans le
cadre de ce projet, il s’agit de susciter une prise de conscience plus large quant à
l’intégration des perspectives autochtones. Comme le souligne Battiste (2007 : 114) :
« Le défi, pour les éducateurs, demeure donc le suivant : être capable de réfléchir de
manière critique sur le système éducatif actuel en se posant la question de savoir
quel savoir est représenté à l’école, qui décide de ce qui est offert, quels
apprentissages sont valorisés, qui en bénéficie, et de manière plus importante
encore, en quoi tout ceci est (ou pas) le résultat d’un processus éthique, approprié
(n.t.) ».
31 Ainsi, dans le cadre de notre dispositif, les enseignants expérimentant le matériel
pédagogique sont encouragés à créer des connexions avec les communautés
autochtones locales, afin de créer ce tissu de relations et d’engagements réciproques
autour de la revitalisation des langues et cultures et de la décolonisation des savoirs
dans les écoles. C’est ainsi que R. Beauparlant a commencé à développer ses propres
relations avec la communauté métisse de Grande Prairie. À terme, au-delà du projet
d’éveil au michif expérimenté, on vise l’autonomisation et le renouvellement des
pratiques enseignantes, en collaboration avec les communautés, dans une optique de
relations durables et de réconciliation.
32 Enfin, on soulignera simplement, au niveau de la diffusion des connaissances,
l’importance, dans notre contexte, « de présenter et diffuser des résultats qui aient une
résonnance dans les deux cultures » (Desgagné et al., 2001 : 57). Ainsi, s’il est essentiel
de communiquer dans la communauté scolaire francophone et francophile pour
rejoindre le public des enseignants et les accompagner dans le renouvellement de leurs
pratiques, la responsabilité de la chercheure, en lien avec différents organismes et
membres de la communauté, sera également de diffuser la recherche de manière à
répondre à l’objectif de revitalisation linguistique posé par cette communauté.

Conclusion
33 En collaboration avec divers partenaires Métis, cette recherche vise à participer à la
revitalisation d’une langue autochtone en voie de disparition, le michif. La
collaboration avec le milieu scolaire permet quant à elle de faire résonner la voix des
Métis auprès des jeunes Canadiens, dans le contexte de la réconciliation. Dans cet
article, nous avons voulu mettre en évidence quelques-unes des articulations
complexes entre savoirs enseignants et savoirs académiques, mais aussi entre postures
et savoirs occidentaux et autochtones, l’accent étant mis sur la complémentarité mais

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118

aussi sur l’éthique. Alors que le dispositif pédagogique doit être expérimenté dans les
prochaines années auprès de davantage d’élèves autochtones17, on ne manquera pas de
s’intéresser à la singularité de ces nouvelles expériences dont on anticipe qu’elles
seront enrichies de perspectives socioculturelles et épistémologiques renouvelées.

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NOTES
1. Cet article a été rédigé intégralement par E. Lemaire, avec l’approbation préalable de C. Howse.
Il a été discuté puis relu par R. Beauparlant avant soumission.
2. This article has been written by E. Lemaire with previous authorization by C. Howse. The text
has been discussed and reviewed by R. Beauparlant before submission.
3. Au Canada, la Constitution reconnaît trois peuples autochtones distincts : les Premières
Nations, les Métis et les Inuits.
4. Le féminin est utilisé en référence à l’auteure, le masculin « chercheur » quand il s’agit de la
généralisation.
5. Les aînés ou gardiens du savoir autochtones ne sont pas nécessairement des personnes âgées
mais des personnes possédant une sagesse et des connaissances culturelles ou traditionnelles qui
sont reconnues par les communautés dont ils font partie (Alberta Teachers’Association, 2019b ;
Herman, 2011).
6. Il serait impossible de mentionner ici l’ensemble des lois et actes discriminatoires subis de
façon systémique par les communautés autochtones au cours de l’histoire et de manière
contemporaine. Soulignons toutefois les conclusions du récent rapport sur les femmes et filles
autochtones disparues qui conclut au génocide (National Inquiry into missing and murdered
Indigenous Women and Girls, 2019).

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121

7. À noter qu’un changement récent de gouvernement provincial impacte actuellement la


réforme des programmes scolaires.
8. En version originale : « In a Western context focuses more on problems and how to arrive at
better solutions or outcomes, rather than trusting in a process with unforeseen or unscripted
outcomes. »
9. Nous en profitons pour remercier chaleureusement Riplea Lothian, Gabrielle Lamontagne,
Athena McKenzie, Maureen Bélanger et Olivia Sammons pour le partage de leurs expertises. Sans
leur participation et leurs connaissances, mener un tel projet de recherche n’aurait pas été
possible.
10. Une plateforme d’auto-formation accessible en ligne pour les enseignants participant à la
recherche a été développée par la chercheure.
11. Le dispositif de recherche prévoit un entretien initial, des entretiens de « débriefing » après
chaque séance d’enseignement, ainsi qu’un entretien final.
12. Le perlage est une pratique artistique appartenant à la culture traditionnelle des Métis. C.
Howse a choisi de créer une vidéo dans laquelle elle explique comment perler fait partie des
ressources expérimentées avec les élèves.
13. À noter que, même s’il existe une marge de liberté pour mener des projets interdisciplinaires
ambitieux, l’enseignement en Alberta, au niveau élémentaire, est le plus souvent structuré
autour de blocs de 45 minutes dédiés à une discipline particulière.
14. Les élèves ont par exemple fait une analyse métalinguistique de la langue employée par C.
Howse pour identifier comment français et cri sont tissés ensemble dans ses propos. Ainsi, à
partir du tutoriel vidéo sur le perlage, les élèves révisent la nature des mots. La création de liens
avec une aînée respectée par vidéo interposée mais aussi par un projet de correspondance, le fait
de pratiquer le perlage et de ne pas seulement apprendre à ce sujet, le fait d’aller puiser son
inspiration dans la forêt avant de réaliser son artefact, ainsi que le fait d’apprendre sur
l’écosystème forestier à cette occasion sont des exemples de comment l’approche pédagogique
autochtone a enrichi la démarche d’éveil aux langues, au-delà de la seule analyse linguistique/
métalinguistique du michif.
15. Précisons que, de manière générale, dans l’épistémologie autochtone, les lieux, dont certains
ont une forte dimension spirituelle, sont porteurs de sens et portent des savoirs avec lesquels
« converser ». C’est parce que les lieux sont ainsi chargés en apprentissages que la pédagogie
expérientielle et que la pédagogie de la terre sont essentielles dans une approche autochtone de
l’enseignement/apprentissage.
16. Les établissements peuvent être pensés, de manière ici simplifiée, comme l’équivalent, pour
les Métis, de ce que sont les réserves pour les Premières Nations.
17. Nous prévoyons en effet de proposer, dans les années à venir, cette démarche et ce matériel
dans des écoles accueillant un nombre plus élevé d’élèves autochtones, en comparaison avec le
contexte des écoles francophones qui, habituellement, dénombrent peu d’élèves s’identifiant
comme Premières Nations, Métis ou Inuits. Les écoles que nous contacterons seront situées soit,
en ville, dans des quartiers où le taux de population autochtone est élevé, soit en milieu rural, à
proximité ou dans les réserves des Premières Nations et établissements métis. Certaines de ces
écoles proposent des programmes d’immersion française ou des cours de français de base.

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RÉSUMÉS
Dans cet article1, ancré dans le contexte canadien de la réconciliation avec les peuples
autochtones, nous détaillons un projet de recherche-action-formation impliquant à la fois, en
amont, une aînée métisse et, en aval, un groupe de 4 enseignants œuvrant à l’élémentaire. Nous
nous arrêtons sur les pratiques entre la chercheure et un enseignant spécifique d’une part et sur,
d’autre part, la posture de la chercheure qui, à travers le projet de recherche proposé, crée un
pont entre les communautés scolaires et les communautés autochtones concernées. Ce texte
entend ainsi mettre en évidence quelques-unes des articulations complexes entre savoirs
enseignants et savoirs académiques, mais aussi entre postures occidentales et autochtones,
l’accent étant mis sur la complémentarité mais aussi sur l’éthique.

In this article2, grounded into the Canadian context and into the ongoing reconciliation process
between Indigenous and non-Indigenous Peoples, our intent is to discuss a collaborative research
involving both a Métis Elder and a group of school teachers. On the one hand, we discuss the
complementarities and practicalities implied by the collaboration between the researcher and a
specific teacher involved in the research. On the other end, we discuss how the researcher can
support building a bridge between local school and Indigenous communities. This text aims to
highlight a few complex articulations between teacher and academic knowledge, as well as
between Western and Indigenous postures, emphasizing the principle of complementarity and
the importance of ethical practices.

INDEX
Keywords : indigenous, language awareness, teacher training, intercultural, plurilingualism
Mots-clés : autochtone, éveil aux langues, formation, interculturel, plurilinguisme

AUTEURS
EVA LEMAIRE
University of Alberta
Eva Lemaire est professeure agrégée à la faculté Saint Jean et professeure adjointe à la faculté
d’éducation (Department of Educational Policies Study) de l’Université de l’Alberta. Son expertise
de recherche est orientée en éducation interculturelle et éducation à la justice sociale. Ses plus
récents travaux portent sur l’intégration des savoirs et perspectives autochtones au niveau de la
formation des futurs enseignants en contexte francophone minoritaire et au niveau des écoles
élémentaires. lemaire[at]ualberta.ca

RENÉ BEAUPARLANT
École Montrose, Grande-Prairie
René Beauparlant est enseignant à l’école Montrose de Grande Prairie (Alberta). René est
originaire du Québec et vit dans l’Ouest Canadien depuis 2012. Très impliqué dans la
francophonie albertaine, il est président de l’Association Canadienne Française de l’Alberta au
niveau de la région de Grande Prairie ainsi que président du Conseil français, un des 21 conseils
de spécialistes de l’Alberta Teachers’ Association.
Rene.Beauparlant[at]gppsd.ab.ca

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123

CÉCILE HOWSE
Cécile Howse, née Boucher, est Métisse et vit à Kikino, en Alberta. Sa famille, de descendance
dénée, crie et francophone, est établie dans la région de Lac La Biche depuis plusieurs décennies.
Cécile fut l’épouse de Marshall Howse, avec qui elle a eu dix enfants. Elle est la fille de Vital
Boucher et de Madeleine McDonald. Son grand-père paternel se nommait Francis Boucher et sa
grand-mère paternelle, Josette Lavallée. Ses grands-parents maternels s’appelaient William et
Caroline McDonald.

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124

Expériences de recherches-
collaboratives au service de
l’éducation en situation
postcoloniale : enjeux, scientificité
et légitimité
Claire Colombel-Teuira et Véronique Fillol

NOTE DE L’ÉDITEUR
Avec la contribution de Vahimiti Bousquet, enseignante, maitresse d’accueil, Nouméa
CCT et VF ont collaboré ensemble à plusieurs programmes de recherche
sociolinguistique mettant en lumière la complexité des dynamiques de contacts de
langues et de cultures. Elles travaillent conjointement à une meilleure
contextualisation didactique des enseignements en NC, notamment en créant des outils
d’éveil aux langues-cultures océaniennes ou en accompagnant des pratiques innovantes
ou des recherches-actions-interventions en contexte scolaire.

1 Sociolinguistes et sociodidacticiennes, nous nous situons dans un contexte formatif où


les questions d’éducation plurilingue sont prioritaires et relèvent d’enjeux sociaux,
sociétaux et éthiques importants depuis une vingtaine d’années (Colombel 2012 ; Fillol
2012).
2 Nous avons eu la chance de participer ou d’initier plusieurs programmes de recherche
ambitieux : première expérimentation sur l’introduction des langues kanak à l’école
(Nocus & al., 2005 ; Salaün, 2005 ; Fillol & al., 2007), ECOLPOM, 2009-2011 (Nocus & al.
2014 ; Fillol & Colombel, 2011, 2014 et 2016 ; Alby & al. 2015), Les langues dans la ville
(Colombel & al., 2016 ; Fillol & al., 2017a), ou plus « modestes » que l’on pourrait
qualifier de recherche-collaborative en didactique du français contextualisé (Colombel-
Teuira, Fillol & Bousquet, soumis). Ces expériences nous ont conduites à réfléchir aux

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


125

enjeux et méthodes de recherche en situation postcoloniale (Fillol & Le Meur, 2014), et


aux conditions de recherches interdisciplinaires (Fillol & al, 2017b).
3 En revenant plus précisément sur deux expériences de recherche visant l’inclusion des
langues « locales » pour l’une et la prise en compte des usages langagiers dans une
approche de type polynomique pour l’autre, nous souhaitons revenir sur les conditions
qui rendent possible les recherches collaboratives et les processus de co-construction
des savoirs. L’analyse de ces expériences prend en compte trois types de données du
terrain : une posture réflexive pour les chercheurs et l’enseignante-chercheure ;
l’analyse des discours et des gestes professionnels de l’enseignante ; et enfin, l’analyse
des indicateurs de réussite ou plus simplement l’observation du développement des
compétences littéraciques des élèves.

Faire de la recherche sur les langues, les


plurilinguismes et l’éducation plurilingue en contexte
sensible
4 Plusieurs caractéristiques du terrain néo-calédonien participent à définir notre
situation en tant que chercheures, formatrices et enseignantes et ont d’une certaine
manière orienté nos objets de recherches, nos positionnements épistémologiques et
nos conceptions et manières de faire de la recherche.
5 Nous travaillons dans un contexte sensible et paradoxal : sensible, dans le sens où les
questions (socio)linguistiques et d’éducation plurilingue sont enchâssées dans des
tensions ou consensus politiques (Colombel, 2012 ; Fillol, 2013 ; Fillol & Colombel, 2014)
nous incitant à être le plus explicite possible pour ce qui concerne nos intentions et
postures de recherche, et paradoxal, dans la mesure où le plurilinguisme qui est la
norme de facto est jaugé à l’aune d’une idéologie monolingue en contexte scolaire (Alby
& al., 2015 ; Fillol, 2017 ; Razafimandimbimanana et Favard, 2018).
6 Le compromis politique en matière d’introduction des langues kanak à l’école (Fillol &
Vernaudon, 2004 ; Fillol, 2013) n’a pas permis d’afficher ouvertement une école
inclusive de la diversité linguistique et culturelle des élèves comme c’est le cas en
Polynésie française. Comparativement, l’objectif d’une école plurilingue est très
explicite, en témoigne la charte de l’Éducation, votée à l’unanimité par les élus de
l’Assemblée de la Polynésie française le 29 août 2011, qui précise que :
7 L’objectif de l’École est la réussite de tous les élèves. Cette réussite impose la maîtrise
du langage qui passe par le développement des compétences linguistiques en français,
en langues polynésiennes et en langues étrangères. L’École doit tirer profit de la
diversité linguistique1 de la société polynésienne pour favoriser le plurilinguisme
tout au long de la scolarité.
8 Nous plaçons notre démarche de compréhension et d’analyse des représentations et
des pratiques langagières dans le champ de la sociodidactique et de la sociolinguistique
scolaire, donc des liens entre langues au pluriel, langues identitaires, langues
d’enseignement, tentant de prendre en compte les données sociolinguistiques issues de
la situation des apprenants et du cadre scolaire pour les réinvestir dans les situations
d’enseignement / apprentissage. Outre la visée sociodidactique, et méthodologique
(quels outils d’observation des pratiques langagières et des pratiques enseignantes en
particulier ?), les recherches que nous souhaitons poursuivre visent à approfondir la

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


126

réflexion à caractère épistémologique sur les conceptions notamment du bilinguisme/


plurilinguisme, la question de l’évaluation des compétences langagières (Clerc & Fillol,
2014) des élèves plurilingues, celles de l’enseignement de la lecture/écriture en
contexte plurilingue.
9 Nous présentons de façon synthétique une « fiche d’identité » des deux programmes de
recherche de façon à envisager les différences relatives aux formes de recherche-
collaborative, aux positionnements épistémologiques et éthiques, à l’implication (ou
non) des acteurs du terrain et à « définir » les conditions d’une recherche collaborative.
L’expérience du programme ANR Ecolpom nous a fait souhaiter, et concrétiser, d’autres
formes de recherche, notamment la recherche-action-intervention.

Tableau : comparaison des programmes ECOLPOM et Je lis, j’écris le monde

ECOLPOM (2009-2012) Je lis, j’écris le monde (2017-2018)

Financement ANR Auto-financée

Désignation a posteriori du
(2ème) Expérimentation2 Recherche-action-intervention
programme de recherche

Point de départ de la Question scientifique des


Besoins du terrain
recherche psycholinguistes

Evaluation de l’introduction des


Développer les compétences en
Finalités langues locales sur les compétences
lecture-écriture en français
en français

Chercheurs (de différents champs Enseignante, chercheur-e-s,


Acteurs
disciplinaires) et institutions parents, élèves

Rapport de domination réel ou Relation d’équité des rôles et des


Relation entre les acteurs
symbolique expériences

Recherche pluridisciplinaire et
Forme de recherche Recherche-action-intervention
dimension comparée

Références théoriques
Partiellement (travaux de J.
partagées entre les Totalement
Cummins notamment)
chercheur.e.s

Enseignante impliquée,

Posture des acteurs Non associés ou impliqués « praticien réflexif » (Schön,


1994) et posture engagée pour
le/la chercheur-e

Niveau Recherche macro Recherche micro-contextualisée

Démarche collaborative et
Méthodologie3 Quantitative et qualitative
interprétative

Vision de la recherche « Top-down » « grounded » ou située

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10 Le programme École Plurilingue Outre-mer ECOLPOM (2009-2012) qui s’inscrivait dans la


continuité d’un séminaire (2007) et d’une première « évaluation » (voir note 2)
constituait pour nous - chercheures en sociodidactique impliquées dans le contexte
calédonien - l’occasion d’une recherche collaborative.
L’originalité de ces dispositifs est qu’ils ont dès le départ visé l’association des
chercheurs (linguistes, sociolinguistes, psychologues, anthropologues) et des
professionnels de l’éducation chargés de leur mise en œuvre (enseignants,
conseillers pédagogiques, inspecteurs, autorités pédagogiques locales, etc.). Cette
association devait répondre à un triple objectif : mettre la recherche au service
d’une volonté institutionnelle locale ; participer au rééquilibrage des rapports de
domination hérités de la période coloniale, notamment en faveur des langues
marginalisées dans un contexte de diglossie ; promouvoir une recherche
collaborative impliquant chercheurs et acteurs de terrain. (Salaün & Vernaudon,
2014 : 159)
11 Au-delà des difficultés de la collaboration inter ou pluridisciplinaire 4 qui auraient
mérité d’être discutées tout au long du programme dans une démarche réflexive et/ou
critique5, quel est le point de départ de la recherche ? Qui pose la question de
recherche6 ? L’ensemble des acteurs impliqués validaient-ils la question ? La demande
est-elle sociale ou politique ? (Clerc & Fillol, 2014).
Une des premières questions que le chercheur engagé peut se poser - et selon nous
qu’il a à se poser lorsqu’il s’engage dans une recherche financée – est celle-ci : pour
répondre à quels problèmes sociaux et posés par qui ? Ou, autrement formulée : à
quelle demande et émanant de qui ? (…) le chercheur doit-il attendre l’émergence
d’une demande sociale ? Peut-il, doit-il la susciter, aider ou accompagner son
émergence quand elle est latente, non clairement exprimée ? (Clerc et Fillol, 2014)
12 La recherche-action (démarche que nous privilégions) partage avec l’expérimentation
quelques étapes mais aussi de nombreuses différences : le questionnement, le problème
à résoudre, la formulation d’une hypothèse, la mise à l’épreuve de l’hypothèse ne sont
pas énoncés ou imposés par le chercheur mais co-construits avec l’ensemble des
acteurs impliqués (Clerc, 2015).

Conditions d’une recherche-action-intervention et


implication
13 Pour le projet je lis, j’écris le monde, le point de départ est bien une demande de
collaboration pédagogique et scientifique, celle d’une enseignante de CP en zone
prioritaire, Vahimiti Bousquet adressée à Claire Colombel-Teuira, enseignante
chercheure qui a développé des outils d’éveil aux langues océaniennes. C’est à partir
d’une part, du constat des difficultés des élèves à entrer dans le code écrit, et d’autre
part, de ses gestes professionnels qualifiés selon elle d’« épuisés » qu’est née cette
recherche-action en éducation définie comme :
une pratique méthodologique centrée sur la résolution d’un problème concret vécu
dans une situation pédagogique réelle dans le but d’y apporter des changements
bénéfiques, de contribuer au développement professionnel des personnes qui y ont
part et d’améliorer les connaissances sur cette situation (Guay et Prud’homme,
2011 : 188)
14 Un point essentiel qui découle du choix de recherche (celui de la question de recherche
imposée ou négociée, ou d’un problème concret à résoudre) concerne la relation entre
enseignants, acteurs impliqués et chercheurs. Si, dans le cadre du programme ECOLPOM7,

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nous avons pu approfondir la connaissance et la compréhension des rapports aux


langues, aux normes, aux pratiques plurilingues, dessiner une cartographie des
« micro-contextes »8 et suggérer des pistes de dispositifs inclusifs des langues
océaniennes à l’école calédonienne (Fillol & Colombel, 2014 et 2016), la perception de
notre rôle ou place dans la recherche en tant que « chercheurs prescripteurs » et
« évaluateurs » n’a pas permis de co-construire des outils pédagogiques ou d’envisager
des recherches-actions-interventions qui partent des problèmes9 ou questions posés
par les acteurs dans les écoles et leurs classes. Pour le dire simplement, cette recherche
a été perçue comme une recherche par et pour les chercheurs, qui au final perturbait le
quotidien de la classe.
15 Pour Dewey, souvent considéré comme le précurseur de la recherche-action en
éducation, les généralisations de chercheurs extérieurs à l’école sont rarement
réinvesties par les enseignants et donc insuffisantes pour améliorer nos systèmes
d’éducation : « la connaissance trouve sa source dans l’action collaborative des
chercheurs et des praticiens et des praticiens sur le terrain » (Karsenti et Savoie-Zajc,
2011 : 185).
16 Le projet je lis, j’écris le monde10 a été co-construit pour répondre à des enjeux de
différents niveaux, l’un que l’on pourrait qualifier de « pratique » ou « pédagogique », à
savoir accompagner l’enseignante à faire entrer les élèves dans le code écrit, dans la
conceptualisation de l’écrit et très spécifiquement le principe alphabétique ; l’autre
niveau est d’ordre scientifique ou didactique. En effet, « plusieurs travaux sociologiques
et sociolinguistiques, analysent la réussite dans l’apprentissage du lire-écrire d’élèves
de milieux sociaux contrastés par la faculté de mise à distance du langage afin de
l’appréhender en tant qu’objet dans un processus de « secondarisation » qui caractérise
la littéracie scolaire. » (Miguel-Addisu et M.-O. Maire-Sandoz, 2018 :17). L’hypothèse et
« l’originalité de ce projet d’éveil à la diversité est de se servir des langues autres que
celle de l’école pour mieux apprendre à lire et écrire » (Ina Pepari, 2019 : 9).
17 La réussite d’une recherche collaborative - comme celle vécue pour le projet je lis, j’écris
le monde – est avant tout une question de relation humaine. Outre la relation de
confiance et de respect mutuels, une très grande disponibilité hors-temps scolaire ou
formatif sont autant de facilitateurs de la réussite du projet (et de sa valorisation). On
peut parler dès lors de véritable implication de l’enseignante et des chercheur-e-s. « La
R.A ne se contente pas d’être impliquée parce que qu’elle se situe sur le terrain, elle est
impliquée par immersion dans un temps long » (Clerc, 2015 : 119), « l’au-delà de cette
implication du chercheur, déjà en soi importante, est l’action sur, pour et avec le
terrain dans une perspective de (trans)formation ». (ibid)
18 Au-delà des chercheurs et enseignants, d’autres acteurs devraient avoir une place plus
explicite dans les recherches en éducation. Les parents d’élèves sont rarement
impliqués dans les projets didactiques. Pour des raisons socio-historiques (Colombel,
2012), l’école est une institution dont on se méfie. Le rapprochement famille-école était
aussi une question investiguée par les programmes « expérimentation de
l’enseignement des LK (2002-2004) » (Fillol al., 2007) et le programme ECOLPOM. Ces
projets ont souligné combien la demande d’une école plurilingue était forte (Fillol et
Colombel, 2014). Il est l’un des enjeux du projet je lis, j’écris le monde, mais aussi un
facteur de réussite. En effet, certains parents ont exprimé un sentiment de fierté d’être
sollicités en tant « qu’experts » par l’enseignante. La légitimation des langues
identitaires des enfants est une sorte de médiateur facilitant la coéducation.

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19 Dans le contexte sensible de la Nouvelle-Calédonie, où certains acteurs (enseignants,


parents d’élèves) se sentent traités comme des « cobayes » par les chercheurs, il s’agit
pour nous de créer un espace de légitimation du « savoir d’expérience » (Schön, 1994)
en valorisant, dans une approche réflexive, la « compétence d’acteur en contexte »
(Giddens, 1987).
La représentation initiale que chaque acteur se faisait de la complémentarité dans
la co-construction du savoir est l’objet d’une négociation dans l’interaction,
négociation notamment influencée par le rapport plus égalitariste proposé par la
chercheuse qui sollicite le point de vue réflexif des praticiennes. (Morrissette et
Desgagné, 2009 : 123)
20 En effet, dans notre pratique, c’est cet espace de négociation qui crée la « zone
interprétative » (Davidson, Wasser et Bresler, 1996) des situations d’enseignement-
apprentissage. La co-élaboration d’un cadre d’action partant des besoins des praticiens
nous semble en conséquence, incontournable afin de produire un travail de recherche
éclairant les pratiques, les gestes professionnels, les postures et stratégies des élèves
mais aussi les enjeux didactiques pour une école inclusive. À ce titre nous faisons nôtres
les mots de Prud’homme, Presseau et Dolbec :
Il nous apparaissait primordial d’opter pour des études en profondeur du
particulier et de la complexité afin d’agir sur les difficultés dans le contexte de la
pratique, au regard de la mobilisation des connaissances issues de la recherche.
(2007 : 39)
21 Pour travailler spécifiquement les identifications et changements de postures, nous
nous sommes largement inspirées de l’utilisation de l’autoscopie conçue par C.
Colombel (2012) dans le cadre de sa thèse, « technique » de formation « permettant
l’analyse réflexive des praticiens à travers l’auto-observation décentrée » (Colombel,
2012 : 101).
22 Les références théoriques conjointes (en particulier le paradigme de l’agir
professionnel de Jorro ou de l’agir enseignant de Bucheton), et notre commune
conception socio-constructiviste de l’enseignement/apprentissage, ont aussi facilité la
réalisation du projet de bout en bout. Les regards croisés11 d’une praticienne experte et
d’une sociodidacticienne ont permis de construire et réajuster le projet au fur et à
mesure pour arriver à une version aboutie, sa mise en œuvre et son analyse.

Pour quels « résultats » ou quels « effets » ?


23 Les effets de ces deux programmes sur les différents acteurs de l’éducation nous
semblent corrélés à l’implication ressentie ou aux espaces discursifs/interprétatifs
accordés.
24 Le projet Je lis, j’écris le monde a été pensé, construit et réajusté pour répondre aux
besoins des élèves identifiés par l’enseignante. Les effets sur les performances et
attitudes des élèves, au-delà d’être attendus constituaient l’objectif même du projet.
D’un point de vue méthodologique, nos outils de mesure des performances des élèves
ont d’abord été les outils d’évaluation de la maitresse et les tests OURA-LEC 12. Selon ces
indicateurs institutionnels, tous les élèves ont progressé et ont atteint au minimum un
degré satisfaisant de maitrise de la combinatoire. Les observations et films de classe ont
aussi permis d’identifier et de quantifier des performances ou attitudes plus rarement
évalués en classe. Nous avons ainsi noté une amélioration générale, mais

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singulièrement importante pour les élèves réputés en difficulté, dans l’engagement et


la persévérance dans la tâche13 (Colombel-Teuira, 2019). Lors d’entretiens (semi-dirigés)
avec les élèves (seul ou en groupe), nous avons aussi pu relever des indices de
l’augmentation de leur appétence à la lecture et du développement de leurs habiletés
métalangagières et métacognitives. Par exemple, lors d’un bilan de fin d’atelier de
manipulation lettres/syllabes, un élève s’est écrié « ah mais, mais maitresse, j’ai compris.
Ben mon piège à moi c’est à cause que je me trompe des lettres et des syllabes que c’est pas
pareil14. »
25 Du point de vue des enseignants, les deux projets ont eu des résonnances très
différentes tant sur les « sentiments » et représentations liés au déroulement que sur le
développement de compétences professionnelles. D’un point de vue méthodologique,
notons cependant que le suivi et l’accompagnement réflexif n’a pas été équivalent. Pour
le projet ECOLPOM, certains enseignants n’ont pas accepté d’être filmés, d’autres n’ont
accepté que de répondre à des questionnaires auto-administrés et aucun n’a tenu de
carnet de bord15.
26 Dans le cadre de la collaboration avec Vahimiti Bousquet, les modalités de
l’accompagnement ayant été négociées et conçues conjointement, les différentes
techniques et outils proposés ont pu être mis en place. Le carnet de bord, par exemple,
s’est révélé plus un outil de distanciation pour la praticienne 16 qu’un mode de suivi
pour les chercheures. Vahimiti Bousquet témoigne dans un portfolio :
Au-delà des progrès des élèves, qui sont tous entrés dans la combinatoire à la fin du
projet, j’ai moi aussi progressé dans l’analyse de mes gestes professionnels. Sans
prétendre à l’expertise, je pense maintenant avoir développé de nouvelles
compétences pour accompagner des collègues, enseignants du premier degré.
(Bousquet, 2018 : 27)
27 Les effets en termes de recherche-action-formation ne sont pas négligeables. En effet,
les différents projets pédagogiques et recherches-actions engagées visant à valoriser les
identités des élèves et l’engagement dans la littéracie (Cummins, 2011) lui ont permis
de construire des compétences professionnelles pour l’accompagnement de jeunes
enseignants autour de l’observation multi-modale17 comme moyen d’identifier les
besoins des élèves et de les évaluer autrement. Enfin, l’action réflexive et le travail
collaboratif ont contribué à rassurer l’enseignante, « à légitimer son action
pédagogique et sa réflexion didactique. Elle s’autorise en effet, à développer une
éducation au plurilinguisme – non légitimée - dans les programmes scolaires
calédoniens » (Colombel-Teuira et al., soumis).
28 Pour les chercheur-e-s, notre collaboration dans le cadre du programme ECOLPOM a été
fructueuse du point de vue de la comparaison entre les dispositifs d’enseignement et les
représentations du plurilinguisme en milieu scolaire (dans les différentes collectivités),
du point de vue méthodologique, sur le plan relationnel avec les chercheurs en
sociolinguistique ou ethno ou anthropolinguistique des autres territoires. Nous avons
interrogé le choix des langues enseignées, la place qui leur est octroyée à l’école, les
formes d’enseignement proposées au détriment cependant de co-construction de
savoirs sur l’enseignement bilingue ou la bi-littéracie. À l’inverse, le projet je lis, j’écris le
monde, a permis une description compréhensive de l’apprentissage de la lecture en
contexte plurilingue. Les enjeux sont d’augmenter les connaissances scientifiques en
matière d’enseignement-apprentissage en contexte plurilingue (lire c’est utiliser un code

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arbitraire qui transcrit arbitrairement un code arbitraire) et plus spécifiquement


comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les situations d’apprentissage.

Pour conclure
29 Les deux recherches présentées illustrent bien les tensions habituelles entre les
différents courants en recherche en éducation (ou plus largement en SHS) qui opposent
parfois scientificité/éthique, « hors-sol » /impliqué. Ces types de recherches sont
complémentaires en matière de production de savoirs comme en termes d’enjeux
sociaux, mais très différents en termes de positionnement et d’implication : faire de la
recherche qualitative implique finalement de remplacer les concepts de « quantité,
objectivité, neutralité, généralisation, représentativité », par ceux de « qualité,
pertinence, cohérence, argumentation, rigueur, appropriation, sens et sujet » (Vatz
Laaroussi, 2007 : 11).
30 Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, le projet ECOLPOM avec la duplication de résultats
internationaux participe à la déconstruction de stéréotypes, hérités de la période
coloniale (Colombel, 2012). Si on se positionne dans une optique de formation des
enseignants, il semblerait que les recherches implicantes, comme le projet Je lis, j’écris le
monde, favorisent le changement à long terme (cf. les travaux de K. Lewin dans les
années 1940 sur la dynamique de groupe).
31 Une des finalités majeures de nos recherches en sociodidactique est de contribuer au
développement d’une perspective plurilinguistique pour une école plus inclusive des
pratiques langagières des élèves (Clerc et Fillol, 2014). Nous pensons que l’éveil aux
langues à l’école calédonienne peut être un moyen de valoriser les plurilinguismes, de
légitimer les approches inclusives des enseignants et d’envisager d’autres moyens
d’entrer dans la lecture. L’ambition de ces projets est aussi de contribuer non
seulement à la décolonisation des savoirs concernant les dynamiques plurilingues en
contexte scolaire mais plus encore à l’émancipation des outils de l’école
(Razafimandimbimanana & Favard, 2018 : 331). Ainsi, si plusieurs enseignants étaient
concernés dans le programme Ecolpom et une seule pour je lis, j’écris le monde,
paradoxalement, seule V. Bousquet, désormais maitresse-formatrice, contribue par son
action collaborative avec les enseignants de sa circonscription à une diffusion à plus
grande échelle de la réflexion didactique co-construite, avec comme outils et
compétences : une meilleure conceptualisation de la lecture-écriture (en contexte dit
sensible), une ingénierie pour la pédagogie différenciée et le renforcement de son
identité professionnelle.
32 Nous faisons le constat de l’échec d’une transposition didactique qui ferait/fait le trajet
savoir savant, décideur institution et classe-société (autrement dit l’échec du modèle
« applicationniste ») pour d’autres formes de recherche en éducation, en particulier, la
recherche-collaborative sur le principe d’équité des savoirs et partages d’expériences
par la mise en commun de valeurs, de concepts, de connaissances, d’analyses, et la co-
construction d’outils pour la classe.
Vatz Laaroussi, M. (2007). La recherche interculturelle : une recherche engagée ? Recherches
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NOTES
1. C’est nous qui soulignons. On ne trouve aucun équivalent dans l’ensemble du corpus de textes
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comprend trois occurrences du terme « diversité », à propos de diversité des publics : https://
denc.gouv.nc/textes-de-reference/le-projet-educatif-de-la-nouvelle-caledonie.
2. 2ème expérimentation pour souligner la continuité avec la première « expérimentation de
l’introduction des langues kanak à l’école » (titre officiel) mise en œuvre sous la direction
scientifique de C. Lercari (2002 à 2004) et financée par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
avec une évaluation confiée à des chercheures extérieures à la Nouvelle-Calédonie (Salaün, 2005 ;
Nocus et al., 2005).

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3. La méthodologie de recherche de l’enquête sociolinguistique en NC est explicitée dans Fillol &


Colombel, 2011, 2014 et 2016. Pour l’ensemble des travaux et « résultats » produits, on se
reportera à l’ouvrage : Nocus, I., Vernaudon, J. et Paia, M., 2014, Apprendre plusieurs langues,
plusieurs langues pour apprendre. L'école plurilingue en Outre-mer, Presses Universitaires de Rennes,
Collection « Des sociétés ».
4. Nous affirmons volontiers aujourd’hui (avec le recul et la réflexivité) que les axes
psycholinguistique et sociolinguistique sont moins complémentaires que nous ne le postulions,
en ce sens qu’ils s’inscrivent dans des paradigmes épistémologiques éloignés, voire
incompatibles, en particulier, en ce qui concerne les conceptions du bi/plurilinguisme.
5. Plusieurs retours sur expériences ou analyses critiques ont été publiés : Clerc et Fillol, 2014 ;
Salaün et Vernaudon, 2014.
6. Dans le cadre de la première « expérimentation » de l’introduction des LK à l’école (2002-2004),
la question de recherche initiale était explicitement la suivante : « la prise en compte des langues
maternelles favorise-t-elle l’appropriation du français ? » (Nocus & al. 2007). Marie Salaün et
Jacques Venraudon expliquent avoir ainsi eu la difficulté, voire l’impossibilité de « devoir
répondre à une question dont nous ne validions pas les termes » (Muni Toke cité par Salaün &
Vernaudon, 2014 : 169). Nous faisons pour notre part le constat d’un malentendu dans le sens où
une partie des chercheurs cherchait à répondre à une (fausse) demande sociale du groupe
dominant quand l’autre partie des chercheurs se positionnait davantage dans une recherche-
action visant à mieux définir les obstacles à une réforme du système scolaire (Clerc et Fillol,
2014).
7. Nous précisons que les réflexions et analyses psycholinguistiques et sociolinguistiques
concernant les trois collectivités concernées ont été publiées notamment et pas exclusivement
dans : Nocus, I., Vernaudon, J. et Paia, M., 2014, Apprendre plusieurs langues, plusieurs langues pour
apprendre. L'école plurilingue en Outre-mer, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Des
sociétés ».
8. Lifou (Province des Iles) où les élèves sont bilingues drehu-français ; Houaïlou (Province Nord)
où le multilinguisme est plus complexe et Nouméa (Province Sud) où les élèves ont des
répertoires langagiers divers dans un environnement plurilingue à la langue dominante unique
(le français).
9. Quel temps consacrer à la lecture ? Comment mener des activités méta-phonologiques en
utilisant les deux langues du répertoire des élèves ? (Fillol et Colombel, 2011).
10. Ce projet transdisciplinaire utilise des langues (non) parlées par les élèves pour travailler
l’apprentissage de la lecture. Les outils construits permettent aux élèves de se focaliser sur une
seule tâche pour en automatiser les mécanismes et ensuite pouvoir passer à des tâches complexes
que sont la lecture (compréhension) ou l’écriture (orthographique). Dans une perspective
actionnelle, la mise en projet s’est faite avec une activité brise-glace, un jeu des familles et des
lectures offertes d’albums bilingues (français/inuktitut). Le jeu a été construit en sélectionnant
certaines des langues familiales (déclarées par les parents, ajië, cèmuhî, drehu, futunien, tahitien,
wallisien et xârâcùù) ainsi que 2 langues du sud-est asiatique pour leurs caractéristiques
phonologiques et « orthographiques » (vietnamien et chinois). Les « outils » et la démarche du
projet ont été publiés : Pepari I., Je lis, j’écris le monde, 2019 autopublié, ISBN 978-1-7932-3509-1.
11. Le dispositif de recherche s’organise en 5 temps forts itératifs. À partir des questionnements
de VB i), nous co-construisons un projet/une séquence ; ii) ensuite, l’enseignante rédige seule ses
outils de pilotage, au besoin nous co-élaborons le matériel didactique (affichage, corpus de
documents, jeux et manipulations…) ; iii) les séances sont filmées avec parfois aussi des prises de
vue simples ; iv) nous faisons un premier retour sur pratique en fin de séance, essentiellement à
travers des jeux de questions et v) un deuxième retour sur pratique en nous appuyant sur les
captations (vidéos et photographies) nous permet de construire une analyse négociée (Colombel
& Fillol, soumis).

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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12. Utilisés dans la circonscription, outils du laboratoire Cognisciences, 2013, http://


www.cognisciences.com/accueil/outils/article/oura-lec-cp-outil-enseignant.
13. Un élève qui « tenait à peine en place plus de 5 minutes » a réussi à augmenter son temps de
concentration/réalisation à 21 : 25 minutes.
14. En manipulant un tableau à double entrées pour décoder l’alphabet syllabique inuktitut, cet
élève s’est rendu compte que lors qu’il écrivait (en français), il faisait comme si une lettre
transcrivait systématiquement une syllabe.
15. Ils rédigeaient bien leurs outils de pilotage, mais ils n’ont transmis aucune progression/
programmation et n’ont pas tenu de carnet de bord spécifique au projet, bien que cela leur ait été
proposé.
16. VB présentait le CAFIPEMF et disait avoir des difficultés « à rédiger ». Nous avons alors mis en
place le carnet de bord avec des objectifs ciblés évoluant de semaine en semaine pour arriver à
l’identification des réajustements des gestes, leur justification et une analyse par rapport aux
outils de pilotage (l’enseignante rédigeait toutes les fiches séquences et séances du projet, en plus
du cahier journal).
17. Bousquet, V. (2019). Comment aider les enseignants de maternelle à développer une posture
d’observateur multimodale pour mieux identifier les besoins des élèves ? Mémoire CAFIPEMF.

RÉSUMÉS
En revenant sur deux programmes de recherche (d’ampleur très différente) concernant
l’inclusion des langues océaniennes dans le contexte diglossique calédonien, nous proposons
d’expliciter et d’analyser les processus et les implications de la co-élaboration des savoirs. Cette
comparaison soulève et éclaire des questions épistémologiques et éthiques. La recherche-action
en éducation ne peut se construire que sous la forme d’un travail coopératif entre enseignants en
formation, enseignants en exercice et enseignants-chercheurs appartenant à des champs
disciplinaires divers. Cependant, le rapport entre équipes de recherche et personnel enseignant
est toujours un équilibre fragile (Nusbaum, 2008 : 127). De plus, l’activité de recherche constitue
un acte d’exercice de pouvoir, dans ce sens qu’elle construit des réalités sociales et les légitime à
travers sa vulgarisation parfois sans l’accord des individus. La recherche-action-intervention
nous paraît donc plus efficiente sur le plan éthique et sur celui de la construction des savoirs.

Through the description of two (notably different) research programs dedicated to the inclusion
of Oceanian languages in New Caledonia’s diglossic context, the aim of this paper is to study the
processes and implications of co-development when it comes to building knowledge. This
comparison raises and enlightens many epistemological and ethical questions. We believe action
research in education should be built as in cooperative approach gathering teachers in training,
practicing teachers and researchers from various disciplinary fields. However, the relationship
between research teams and teachers is still fragile (Nusbaum, 2008: 127). In addition, research
implies an act of power as it constructs social realities and legitimizes them through scientific
popularisation (Heller 2002) sometimes without everyone’s consent. Action research that
integrates interventions seems more efficient to us on both ethical values and the construction of
knowledge.

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INDEX
Keywords : collaborative research, situated didactics, multilingualism, multiliteracy, co-
involvment
Mots-clés : recherche-collaborative, sociodidactique, plurilinguisme, pluri-littéracie, co-
implication

AUTEURS
CLAIRE COLOMBEL-TEUIRA
Institut de Formation des maîtres de la Nouvelle-Calédonie, Eralo
Claire Colombel-Teuira est enseignante-chercheure et formatrice à l’institut de formation des
maitres de la Nouvelle-Calédonie et membre associée à l’équipe Eralo de l’université de la
Nouvelle-Calédonie. Ses travaux sociolinguistiques et sociodidactiques portent sur les thèmes des
contacts de langues et du plurilinguisme, la contextualisation didactique, les langues objets et
moyens d’enseignement et les interactions verbales.
colombel.claire[at]gmail.com

VÉRONIQUE FILLOL
Université de la Nouvelle-Calédonie, Eralo
Maître de conférences en sciences du langage (HDR) à l’Université de la Nouvelle-Calédonie,
Véronique Fillol tente d’articuler l’analyse sociolinguistique à la didactique des langues-cultures.
Ses travaux portent sur la description des plurilinguismes, la glottopolitique, les violences
normatives, la didactique du français langue de scolarisation et la formation des enseignants en
contexte plurilingue.
veronique.fillol[at]univ.nc

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Oser les recherches collaboratives


en DDL : transformations des
chercheures, transformations des
recherches
Emilie Lebreton et Joanna Lorilleux

1 Les finalités des recherches collaboratives, souvent rapportées à la compréhension et à


l’amélioration des pratiques, en mobilisant des points de vue de professionnels,
donnent lieu à des réflexions qui s’articulent essentiellement sur les procédés, les
actions réalisées et les perspectives à tirer en termes de recherche et de formation.
2 Nous chercherons à mettre en lumière, par une mise en discussion réflexive, les enjeux
éthiques et méthodologiques liés à nos choix épistémologiques. Nous réinterrogerons
ainsi au prisme de nos expériences des catégories qui semblaient pourtant, de prime
abord, évidentes (praticiens/chercheurs, expertise/engagement par exemple).
Comment une épistémologie, plaçant en amont de toute compréhension l’expérience
du chercheur (histoire, projets et conceptualité au sein desquels s’opère la
compréhension) et la relation aux autres vient-elle potentiellement récuser l’existence
de frontières fixes entre ces catégories ?
3 Cet article, écrit à quatre mains, est un travail collaboratif entre deux chercheures, et il
nous a semblé important d’y faire entendre, par moments, la pluralité de nos voix.

Saisir le flou ?
Traits définitoires

4 Les recherches collaboratives ont la particularité d’offrir la possibilité de chercher


autrement. Présentées comme une démarche de recherche originale alliant la
construction d’actions à la production de savoirs, les recherches collaboratives en
didactique des langues englobent toutes formes de recherche rapprochant le monde

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académique et celui des professionnels autour de thématiques et de préoccupations


communes. Si ces premières caractéristiques les distinguent des recherches dites
théoriques ou appliquées – où l’accent est mis sur la conceptualisation, et où le va-et-
vient entre l’action et la recherche est moindre – il convient d’ajouter que ce sont les
dimensions interventionnistes et pragmatiques qui font que ces recherches s’imposent
dans le domaine de la didactique des langues, et plus largement dans la recherche en
éducation et formation. Des éléments de définition fournis par différents travaux 1
plaçant les recherches collaboratives au centre de leur réflexion, nous retenons que
cette « méthodologie d’intervention » (Morissette, 2013 :41) a pour objectif premier de
produire des savoirs visant à faire évoluer les pratiques, à pallier les problèmes et
difficultés repérés. Pour y parvenir, la collaboration avec des professionnels, tant pour
comprendre leurs pratiques que pour les améliorer, représente un procédé pertinent et
judicieux où savoirs théoriques et d’expériences se côtoient, se confrontent, voire se
(re)construisent. Toutefois, travailler avec ne semble pas totalement suffisant, il est
également nécessaire de tenir compte des finalités et des intérêts respectifs pour
maintenir l’esprit collaboratif visé, notamment en favorisant cet échange de services
permettant le développement professionnel des enseignants et la production de
connaissances scientifiques dans un champ précis (Desgagné et al : 2001).
5 En condensant ainsi les caractéristiques de ces recherches, nous soulignons leurs
aspects utiles, applicables et stimulants, sans aborder les subtilités qui font, en partie,
des recherches collaboratives un sujet à discussion. Ces points de discussions
concernent à la fois les finalités et les modalités de ces recherches : il est autant
possible de s’inscrire dans une dynamique d’intervention sur le réel par la
transformation des pratiques (Hugon & Seibel, 1988) que de privilégier une
conscientisation des pratiques sans chercher à les transformer (Montagne-Macaire,
2007). Le jeu de relations qui se crée est aussi évoqué : il peut s’agir d’accorder un statut
égal aux chercheurs et enseignants dans la définition de l’objet de recherche et la
production de savoirs (Morissette, 2013. Desgagné, 1997) ou d’aller plus loin en
intégrant les points de vue des praticiens dans la construction des connaissances. De
nombreuses explicitations visent à faire plus clairement la distinction entre les diverses
appellations existantes (recherche collaborative, recherche-action, recherche-
intervention, recherche-action collaborative, etc.). Elles ont leur importance pour
donner une direction au projet de recherche, mais nous nous concentrerons ici sur ce
qui semble constitutif de cette forme de recherche, à savoir une réflexion, passant par
un croisement des regards, sur les pratiques, et exclusivement sur les pratiques (de
professionnels).

Des pratiques, de bout en bout

6 Les pratiques sont emblématiques des recherches collaboratives. Peu importe le stade
de recherche auquel on se trouve et l’objectif affiché F02D observer, comprendre, analyser,

interroger, remettre en question, agir, construire 2D les pratiques demeurent « l’objet


F0

d’exploration » (Desgagné et al., 2001 : 37) autour duquel chercheurs et professionnels


travaillent, ensemble. L’accent étant principalement mis sur elles, les pratiques
forment une évidence sur laquelle on ne s’arrête plus. Ces pratiques sont pourtant à
l’origine des recherches impulsées par des praticiens, des chercheurs, ou des
institutions. Elles constituent un socle où s’ancrent :
les relations entre professionnels et chercheurs, les intérêts et les rôles de chacun ;

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les savoirs valorisés, à construire ;


la manière de concevoir et de faire de la recherche collaborative ;
la possibilité même de s’inscrire dans une recherche collaborative, les rencontres, les
finalités.
7 Les deux premiers points mentionnés font l’objet de réflexions, mais toujours au prisme
des pratiques.
8 En effet, dans l’optique de rétablir un rapport entre deux univers professionnels, les
travaux mobilisant les notions de recherche collaborative, recherche-action ou
recherche-intervention, veillent à discuter des relations par le biais des modalités de
travail où l’enseignant n’est pas vu comme un simple acteur pourvu d’une
indispensable compétence justifiant sa participation :
« La recherche collaborative s’inscrit, en ce sens, dans le mouvement de
substitution de l’image mécaniste de « l’enseignant efficace », conçu comme le
« docile exécutant » des prescriptions du chercheur, vers celle, plus constructiviste,
du « praticien réflexif » conçu comme le « partenaire averti » qui contribue, avec le
chercheur, dans une réflexivité conjointe, au développement de la pratique »
(Desgagné et al., 2001 : 35).
9 Nombre de chercheurs s’engageant dans des recherches collaboratives prennent
position pour souligner la contribution essentielle des professionnels, de leurs regards,
de leur rôle pour faire évoluer les questions de recherche. Cette prise de position
apparait par ailleurs dans des appels à projets2 émanant de diverses institutions et dans
lesquels on peut lire l’intérêt de valoriser les savoirs d’expériences, notamment pour
faire avancer les connaissances.
10 Néanmoins, il apparait très souvent que ces recherches permettent également de
favoriser le développement d’une réflexion des professionnels sur leurs pratiques,
encourageant les enseignants à les remettre en cause. Cela permet de redonner un
pouvoir d’agir aux formateurs (Morrissette, 2013 ; Desgagné, 1997). L’accompagnement
des chercheurs soulève des questions qui vont au-delà des simples modalités et
procédés. Comment s’assurer que les chercheurs « éclairent » les professionnels ? Ou
que ces derniers attendent d’être « éclairés » par les chercheurs ? Les professionnels
ont-ils besoin de faire de la recherche pour interroger leurs pratiques ? En maintenant
une logique de « lumière » apportée par le monde de la recherche à celui de la pratique,
et en ne mettant pas autant l’accent sur l’apport des professionnels au développement
professionnel des chercheurs, on peut se demander s’il n’y a pas un risque de réduire et
de circonscrire ce qui s’opère lors de ces collaborations.
11 Y. Bonny propose une typologie, élaborée en fonction de la place accordée à chacun des
acteurs (chercheur/praticien) et des relations qu’ils entretiennent autour de
l’élaboration des savoirs issus de ces recherches. La typologie procède par crescendo,
depuis les configurations où le travail de recherche est réservé aux chercheurs,
jusqu’aux configurations où savoirs théoriques et praxéologiques sont considérés à
parité. Quelle que soit la configuration envisagée, Bonny souligne l’importance de
« penser […] la pertinence praxique de la connaissance produite, ou plus fortement le
déploiement de l’activité de recherche comme composante d’une praxis » (2015 : 5).
12 Il nous semble que le prisme des pratiques contribue à une forme de hiérarchisation
des recherches, qui iraient à rebours du crescendo mentionné plus haut : dans la
mesure où la conceptualisation tend à ne plus être centrale, l’intervention et les savoirs
produits sont, le plus souvent, réduits à un résultat qui doit être visible, concret,

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applicable. Finalement, de même qu’une trop forte centration sur le « référentiel


scientifique » (ibid.), la seule préoccupation pratique risque à son tour de limiter la
collaboration à un « milieu de pratiques » pour les uns et un « terrain d’enquête » pour
les autres (la théorie se construisant au mieux en aval de la collaboration). Cela
pourrait avoir pour conséquence de ne laisser place qu’à un type de relations pas aussi
équilibrées qu’on aurait pu l’imaginer.
13 Face à la multiplicité des critères et des appellations visant à désigner les recherches
dites collaboratives, dubitatives3 quant à l’intérêt des éléments de taxinomie évoqués
en première partie, nous souhaitons poursuivre la réflexion à partir de recherches que
nous avons menées pour en explorer les dimensions fondamentales, à savoir éthiques
et épistémologiques.

Accentuer le flou
14 Nous nous appuyons ici sur plusieurs de nos expériences de recherche (thèses,
dispositif élaboré autour des questions de langues et insertions), toutes ancrées dans un
paradigme qualitatif et interprétatif, où l’importance des autres participe pleinement
de toute compréhension (Lorilleux, 2015 ; Lebreton, 2017). Nous en présentons les
éléments qui nous semblent pertinents pour la discussion, en mettant en évidence les
limites que nous voyons à l’élan taxinomique et en soulignant la centralité, dans ces
expériences, de la rencontre altéritaire.
15 Notre écriture commune ne peut laisser se confondre nos voix, nos regards, nos
expériences. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’utiliser l’italique, précédé des
initiales de l’énonciatrice (E.L. pour Emilie Lebreton et J.L. pour Joanna Lorilleux) pour
marquer les passages où le croisement, le frottement de nos expériences fait sens. Les
passages sans italiques correspondent à des compréhensions partagées des
phénomènes présentés.

Praticiens, chercheurs : tous des professionnels

16 JL : Professeure des écoles auprès d’élèves allophones nouvellement arrivés, j’ai été mise en
recherche par la rencontre d’élèves auxquels mon savoir-faire pédagogique, j’en avais le
sentiment, n’était pas adapté. Face à ce sentiment, j’ai cherché à comprendre ce qui, au-delà des
techniques pédagogiques mises en œuvre, pouvait jouer dans ce qui m’apparaissait comme une
non appropriation de la lecture et de l’écriture en français. Ma mise en recherche trouve sa
source dans des situations de classes jugées inopérantes par la praticienne que j’étais, mais aussi
dans l’expérience partagée avec ces élèves, qui me permettait de comprendre que le problème ne
se limitait pas à une question de technique pédagogique. A cette première rencontre s’ajoute une
autre expérience d’abord déstabilisante : celle de l’animation de formations d’enseignants où les
alternatives présentées ne trouvent pas d’écho favorable chez les participants. Cela m’a poussée
à proposer à l’une des collègues présentes de mettre en place, au sein de sa classe, des séances
d’arts plastiques, comme chemin détourné vers l’appropriation de l’écriture en français. Mise en
place que j’ai également proposée à une enseignante du réseau FLS d’Indre-et-Loire au sein de sa
classe NSA de collège. Ces propositions ont été concomitantes avec mon inscription en thèse de
doctorat et ont servi de base à ma recherche.
17 Cette recherche de thèse part donc de besoins identifiés par des professionnels :
• praticienne mise en recherche par ses élèves ;

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• formatrice collaborant avec une enseignante pour remédier à une situation de classe jugée critique ;
• collègues enseignantes – dont une apprentie-chercheure - proposant des activités moins scolaires à des
élèves non scolarisés antérieurement, pour varier les approches de classe.
18 Ici la praticienne, la formatrice et l’apprentie-chercheure ne font qu’une, et ces statuts sont
identifiés pour la seule lisibilité du texte. Aux observables élaborés au sein de classes de collège,
se mêlent mes savoirs d’expérience (mes intuitions ? mon expérience-même) de chercheure
professeure des écoles auprès d’élèves allophones.
19 Enfin, cette recherche s’est menée en collaboration avec différents acteurs, de statuts différents :
• les élèves des classes où ont pris place les ateliers proposés ;
• les enseignantes de ces classes, chacune entretenant une relation singulière avec la chercheure.
20 Ces éléments m’amènent à qualifier cette recherche :
• de « recherche collaborative », parce qu’elle mobilisait les savoirs d’expérience des autres participants
à la recherche (enseignants et surtout aussi élèves, dont les réactions, les façons d’être, et les récits
constituent les briques de construction de la recherche) ;
• de « recherche-intervention », parce qu’elle visait à améliorer une situation didactique vécue comme
inadaptée (par l’enseignante de SEGPA qui se sentait démunie face à ses élèves « allophones ») ;
• de « recherche-action », parce qu’y était mis en place un dispositif alternatif.
21 EL : L’expérience présentée ici par Joanna apporte des éléments de réponse aux questions et
observations formulées précédemment (1.2). À l’instar de plusieurs chercheurs en DDL la mise en
recherche s’est réalisée au cours d’une expérience d’enseignement. Plus précisément, il s’agissait
pour Joanna selon les termes d’Y. Bonny « d’être en recherche » au sens d’être confrontée à une
situation insatisfaisante. Par la suite, sa « mise en recherche » s’est réalisée de diverses
manières : en s’impliquant dans une formation et dans la mise en place d’une forme de
recherche-action qui s’est développée en « faisant de la recherche », par l’élaboration d’une
étude doctorale discutée et reconnue par la communauté scientifique, » respectant les canons en
vigueur du référentiel scientifique, dont les chercheurs professionnels sont les experts et les
garants » (Bonny, 2015 : 2). Plus que de simples étapes correspondant à des formes précises de
recherches collaboratives, ces distinctions rappellent que les praticiens peuvent déjà être dans
une démarche de réflexion et de recherche sans nécessairement être impliqués dans un dispositif
formel de recherche. Mettre en évidence ce type d’implicite influe sur la manière de concevoir la
recherche et de la faire. En outre, la mise en recherche, évoquée plus haut, résulte de rencontres,
de collaborations avec d’autres personnes : apprenants, enseignants, experts, amis à l’occasion.
Le fait de le mentionner, et de le souligner ici, permet de rappeler qu’en dehors des recherches
collaboratives « officielles », institutionnalisées, il se passe des choses 4 qui ne sont pas
nécessairement inscrites dans le carcan du « référentiel scientifique ».
22 Mettre en regard nos expériences nous permet de déplacer le projecteur sur des
acteurs qui demeurent parfois au second plan ou maintenus dans un rôle de praticien,
et de souligner qu’à travers leurs expériences, réceptions et réactions, ils participent au
développement des recherches et transforment nos pratiques professionnelles de
chercheurs.
23 EL : Soucieuse d’intégrer le point de vue des autres et d’articuler la réflexion à l’action, j’ai
souhaité travailler étroitement avec des professionnels et des apprenants pour bousculer leurs
regards et mettre en mouvement mes propres questionnements. Si le projet de thèse auquel je
répondais visait à optimiser les pratiques de formation, j’ai préféré réfléchir avec les acteurs de
la recherche à des propositions didactiques alternatives portant sur les manières d’être dans les
situations d’enseignement-apprentissage et leurs répercussions sur les manières d’agir. J’ai alors

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déployé une méthodologie plurielle offrant la possibilité de mobiliser les savoirs d’expériences des
professionnels, d’analyser leurs pratiques en s’y confrontant, y compris à partir des observables
construits avec les apprenants. Les pratiques ont constitué un tremplin, un prétexte ou encore
un élément déclencheur à nos réflexions. Des rencontres ont également été provoquées par
l’organisation et notre participation conjointe à des ateliers interprofessionnels, tant sur la rive
droite du fleuve où se trouve l’université, que sur la rive gauche où les centres de ressources et de
formation sont majoritairement implantés. Pour ma part, il s’agissait de faire se rencontrer les
acteurs ; de favoriser un espace d’échanges ; de créer un réseau de travail et de réflexion. Au-delà
d’une réflexion enrichie par croisements de regards et d’expériences, cette manière de chercher
est agréablement inconfortable. Ainsi, lors d’ateliers pédagogiques organisés par des
professionnels pour leurs pairs, les vives réactions engendrées par les présentations des
chercheures et les discussions qui ont suivi sur l’absence de réponses immédiates, d’outils clés en
main et des prescriptions « farfelues et déconnectées de la réalité », sont de précieux éléments
pour réfléchir au sens de nos actions.
24 JL : L’expérience présentée ici par Emilie a tous les atours d’une recherche collaborative : des
praticiens sollicitent des chercheurs, la Région finance une thèse dans la perspective de mobiliser
une diversité d’acteurs (de « terrain » - praticiens - et « hors sol » - chercheurs-) dans le but
d’améliorer son action formative envers les migrants. La chercheure y fait l’expérience
inconfortable d’une forme d’incommunicabilité. L’attention portée à la réception, par les acteurs
de terrain, des propositions finalement énoncées par des universitaires semble mettre en
évidence des éléments parfois tus sur les recherches collaboratives : les relations entre les
participants à la recherche sont pour beaucoup dans la réussite des projets, dans la pérennité et
l’appropriation des connaissances construites à travers ces recherches. Cet inconfort relatif est
pourtant mis à profit par la chercheure qui choisit de s’engager dans une réflexion sur ce qui lui
permettrait de « tenir » (Gaspar, 2012) les deux bouts, voire d’en attraper un autre.
25 Ces deux premiers exemples nous permettent a) d’illustrer les limites de la classification
définitoire des recherches collaboratives et b) de percevoir les limites de la réception de certaines
de ces recherches dites « collaboratives », qui ne parviennent pas (toujours) à produire des
résultats validés par les deux parties engagées : « praticiens » et « chercheurs ».
26 Loin de nous décourager, ces éléments de déconstruction des représentations sur les recherches
collaboratives nous ont poussées à nous engager ensemble sur d’autres voies, attachées que nous
sommes aux deux rives de ces recherches : la pratique et la réflexion théorique, en quête, à notre
tour, d’ « une autre manière de chercher » (Mesnier & Missotte, 2003).

Diversifier les recherches collaboratives

27 Pour réfléchir aux enjeux méthodologiques et épistémologiques des recherches collaboratives,


nous avons choisi de mobiliser deux autres expériences dont nous sommes à l’origine, avec
d’autres chercheurs5. Nous avons sollicité des formes de collaboration que nous allons décrire
rapidement, de manière à y souligner les éléments pertinents pour notre réflexion.

Le QUILT, un site internet à l’attention de formateurs (bénévoles notamment)


intervenant dans le champ de la formation linguistique pour migrants

28 A l’occasion de la « crise » migratoire de 2015, de nombreuses images de bénévoles


proposant des cours de français aux réfugiés ont fait la une des médias. Certains
reportages illustrant la bonne volonté de bénévoles non formés ont renforcé notre
envie de nous mobiliser en mettant à profit notre spécificité d’universitaires œuvrant

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dans le domaine du français en contexte migratoire. Nous avons choisi de nous lancer
dans l’élaboration d’un site internet proposant une ouverture réflexive aux personnes
qui nous liraient. Les dimensions collaboratives de cette expérience résident dans le
fait que nous avons souhaité soumettre notre travail à des partenaires issus du milieu
associatif6, afin d’améliorer la réception de notre site auprès du public auquel nous
avions pensé l’adresser. Ce travail procède d’un va-et-vient entre :
• des savoirs construits avec des praticiens et des « usagers » des cours de français (nous
avons utilisé pour concevoir les contenus du site des questionnements et des savoirs issus –
entre autres F0
2D de nos thèses) et
• la réception de ces éléments par d’autres praticiens, réception produisant elle-même des
effets sur le positionnement et la présentation de ces savoirs.
29 C’est en quelque sorte un mouvement de retournement de la demande habituellement
formulée dans les recherches collaboratives, dans la mesure où nous, universitaires,
avons souhaité échanger avec des praticiens pour améliorer notre pratique de
professionnels de la recherche (sur le plan notamment de la diffusion des
connaissances).
30 Cette collaboration avec des praticiens trouve une forme de prolongement dans un
autre dispositif pensé dans un même élan de collaboration, mais sans lien direct avec le
QUILT : les ateliers interprofessionnels.

Des ateliers interprofessionnels à l’université ?

31 Comme le QUILT, ces ateliers procèdent de notre volonté de croiser des regards de
praticiens et de chercheurs sur des questions communes dans le cadre de la formation
linguistique des migrants, pour affiner les compréhensions – par chacun F0 2D 20 de ces
F0

phénomènes. Nous nous sommes saisies de l’occasion d’un colloque 7 organisé par notre
équipe de recherche pour inviter des professionnels, des bénévoles et des usagers 8 du
FLE/S ainsi que les participants au colloque à venir échanger sur la notion d’insécurité
linguistique. Ce colloque a constitué le premier jalon d’un cycle d’ateliers qui se
poursuit, autour de notions clés du champ de la formation linguistique pour migrants
(in/sécurité linguistique ; langues – insertions – terrains d’intervention ; engagement ;
diversité). Le succès rencontré par ces ateliers fait naitre une dynamique d’échanges
propice à alimenter nos réflexions théoriques sur le domaine, mais aussi sur le rôle et la
place que nous occupons, comme chercheures, dans la société.
32 Ces deux expériences mobilisent de façon croisée les savoirs dits savants et
d’expérience autour d’un champ de recherche ; y participent des praticiens, des usagers
(minoritairement, toutefois à ce stade) et des chercheurs. Ces croisements stimulent la
réflexivité des uns et des autres qui se laissent interroger, déplacer par les altérités
perçues. L’altero-réflexivité9 (Robillard, 2007 ; Bretegnier, 2009 ; Feussi, 2010, 2018) à
l’œuvre apporte au caractère collaboratif qui influe ainsi sur les pratiques … de
recherche.
33 A la différence de ce qui est d’usage dans les recherches collaboratives, ce sont ici les
chercheures qui ont sollicité l’expertise (ou les savoirs) des « praticiens », en leur
soumettant tantôt les contenus élaborés dans le QUILT, tantôt des concepts construits
par des chercheurs, et ce dans l’optique de se confronter à la réception de personnes
occupant d’autres « fonctions », d’autres rôles, et de tenir compte de leurs retours pour
faire évoluer, ensemble, ces projets. Du reste, les rencontres proposées se déroulent sur

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l’espace professionnel des chercheures, et les modalités de travail collaboratif sont


également plus proches de celles de l’université que de celles des centres de formation,
dans la mesure où la parole y circule à partir de supports semblables à ceux mobilisés
lors des séminaires de recherche de l’équipe. Ces recherches ne se développent pas en
toute « symétrie » entre les différents acteurs, mais les idées et la réflexion prennent
sens et forme au gré des rencontres et discussions.
34 Ces deux expériences se sont révélées déstabilisantes pour les deux parties. Pour
certains professionnels, notre choix de ne pas nous situer dans une dynamique de
« demande-réponse », pour éviter de coller au plus près d’aspirations utilitaires, peut
générer de l’incompréhension voire de l’agacement. Pour les chercheures, s’autoriser à
procéder ainsi suscite parfois des doutes liés à la validation et à la légitimité de
recherches qui se veulent « collaboratives », sans protocole explicite et sans
expérimentation sur le terrain. Nous poursuivons pourtant, en saisissant notre
inconfort, mais un « inconfort positif ! » évoqué par J.-P Astolfi (1993 : 17), et en
assumant de potentiellement construire des savoirs « incertains, qui deviennent le
moteur de la réflexion sur l’action » (Morrissette, 2013 : 47), l’action incluant aussi pour
nous la théorisation. Plus que des résultats, les fruits de nos démarches prennent la
forme d’une « instabilisation réflexive occasionnée par les frottements altéritaires »
(Castellotti, Debono & Huver, 2017 : 72)

A la recherche des résultats perdus ?


Coénoncer des connaissances spécifiquement « métissées » ?

35 L’ensemble de nos recherches - rapidement présentées ici - s’inscrit dans le paradigme


herméneutique décrit par Astolfi, dans le sens où celles-ci sont centrées « sur
l’interprétation et la recherche de significations » (1993 : 6 ) ; mais elles relèvent selon
les cas de l’une ou l’autre « coupe » qu’il opère : propositions d’alternatives (qu’il
nomme innovations sans adhérer nécessairement au caractère innovant des
propositions pédagogiques mentionnées) ; puis interprétations des pratiques, autour de
ce qu’il nomme à la suite de M. Bataille « un chercheur collectif » (1993 :16). Si nous
avons pu nous reconnaitre dans de nombreux traits mobilisés par Astolfi pour
comprendre les recherches participatives, nous devons mettre en question cette idée
de « chercheur collectif », qui semble trouver écho dans d’autres écrits, amenant
parfois les chercheurs à viser (et/ou revendiquer) une forme de co-énonciation du sens
fait de ces recherches. Des connaissances, « des savoirs, le plus souvent coénoncés et
covalidés » (Bourrassa & Boudjaoui, 2012 : 5 ; cités dans l’appel auquel nous répondons)
dont la nature est parfois vue comme « métissée […] » dans la mesure où les frontières
entre savoirs expérientiels et savoirs savants sont justement un espace de co-
construction des significations (Miguel Addisu & Maire-Sandoz, 2018) » (citées dans le
même appel). Ces derniers éléments nous semblent intéressants à discuter, en
déplaçant leur conceptualisation vers une orientation phénoménologique-
herméneutique, reposant sur l’idée selon laquelle toute compréhension est toujours-
déjà expérientielle, avant, ou en même temps que rationnelle, et par conséquent,
toujours singulière, parce que se détachant d’un fond antéprédicatif (Romano, 2010 ;
Castellotti, et al., 2017).

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36 Si, comme nous, l’on admet cette diversité des interprétations comme indépassable,
parce que toujours inscrite dans une histoire singulière, orientée vers un projet
particulier, et s’élaborant dans une conceptualité propre, cela interdit – en théorie – la
possibilité d’une co-énonciation de savoirs. En effet, dans les exemples que nous avons
mobilisés, nous repérons aisément des éléments qui échappent aux différents
participants : les « praticiens », les « chercheurs » ou les « usagers 10 » s’approprient les
concepts travaillés en les nouant à leur propre expérience, en les orientant vers leurs
propres projets de compréhension. Ceci nous amène à penser que toute (nouvelle)
connaissance est toujours-déjà métissée : toute connaissance, s’inscrivant dans la
corporéité, dans l’imaginaire, dans l’histoire, dans les visées de celui qui l’énonce,
comme de celui qui la reçoit est nécessairement en partie expérientielle :
« Dès lors, le sens est à concevoir non seulement comme pluriel car expérientiel,
perçu différemment par chacun, mais aussi comme pétri d’altérité et, de ce point de
vue, au moins partiellement « inaccessible » (...). Plus exactement, cette altérité
fondamentale suppose des formes de traduction, qui ne peuvent pas passer par des
procédures technicisées et reproductibles (i.e. des outils, des protocoles, des
démarches) mais par l’instauration d’une relation et d’un projet (au moins
partiellement partagé). La réflexivité occupe par conséquent une position centrale,
« en tant que processus de constitution du sens des autres solidairement par
transformation à partir du nôtre (…), [pour] susciter des conflits productifs en cela
que nos propres repères implicites sont instabilisés et visibilisés si nous parvenons
à imaginer que d’autres créent du sens pour être de manière très différentes de la
nôtre jusqu’alors » (Robillard, 2013 : 53) » (Castellotti, et al, 2017 : 69).
37 La question des protocoles de recherche, des dispositifs collaboratifs se voit ici déplacée
sur le plan de la relation entre les participants, qui doivent être en mesure
d’instaurer un projet « au moins partiellement partagé ».
38 Cette perspective amène une autre question au moins : est-il possible de décréter
l’instauration d’une relation et d’un projet commun dans un cadre institutionnel qui
pousse de plus en plus le monde académique à collaborer avec des « professionnels »
pour répondre à des besoins exprimés dans une « demande » ? Autrement dit, peut-on
(ou suffit-il de) penser un dispositif collaboratif au sein duquel « on » ferait travailler
ensemble des praticiens forts de leurs savoirs d’expérience et des chercheurs forts de
leurs savoirs théoriques et savoir-faire, autour d’un problème identifié en amont, pour
parvenir à produire des connaissances nouvelles « coénoncées » par les participants à
la recherche ?
39 Nous avons montré plus haut que la distinction entre praticiens, chercheurs, et usagers
n’est que partiellement pertinente, nous pourrions souligner à présent cette évidence :
l’altérité n’a pas nécessairement besoin de statuts professionnels différents pour se
faire jour. Praticiens, chercheurs, usagers, une même personne peut avoir fait
l’expérience de ces trois statuts, et en viendra donc probablement à mobiliser des
connaissances issues de toutes ces expériences pour construire de nouvelles
connaissances. Attention, il ne s’agit pas pour autant d’homogénéiser ces statuts, mais
bien de reconnaitre une fluidité, une perméabilité et de souligner le caractère mouvant
des « connaissances » produites dans le cadre de ce type de recherches. Cette diversité
des statuts, des expériences, mène à des significations toujours nécessairement diverses
elles aussi, du fait même de leur inscription dans les expériences des participants.
40 Autrement dit, dans cette perspective, les recherches collaboratives ne peuvent pas
vraiment parvenir à une co-énonciation des savoirs. Elles peuvent « co-construire des

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significations », à condition que l’on admette que ces significations ne sont jamais tout
à fait les mêmes pour chacun des participants, qui peuvent s’accorder plus ou moins
implicitement ‒ dans une disposition ouverte à l’autre ‒ sur une forme de consensus
fictionnel. En partie fictionnel, certes, mais indispensable pour parvenir à la
transformation de chacun. Finalement plutôt que de chercher à « co-construire » des
connaissances, ce qui risquerait de mener à une imposition à l'autre (si minime soit-
elle) du sens construit par l’un, nous optons pour une forme de collaboration qui
assume la possibilité d’une transformation réciproque.

Conditions de possibilité de transformation(s) réciproque(s)

41 Cette réciprocité transformative re-pose à son tour la question de la relation à


instaurer (cf. Castellotti, et al. 2017 supra) dans le cadre institutionnel de « la
recherche » : pour se laisser transformer par la rencontre altéritaire (qui pourrait être
considérée comme le point nodal des recherches collaboratives), il faut que les
participants se trouvent dans une certaine disposition. Cette disposition ne saurait être
réduite au projet commun d’élucider une question de recherche, plus ou moins codécidée »
(Bourrassa & Boudjaoui, 2012 : 5) : l’on trouverait dans les exemples que nous avons
mobilisés plus haut des personnes avec qui nous n’avons pas pu travailler, nous
trouvant dans une relation stérile. Ce qui rend possible une transformation réciproque
au sein de recherches collaboratives repose sur le fait (pas toujours, voire rarement
explicité) d’être concerné, affecté par le travail collaboratif qui s’ouvre et s’opère. La
relation qui s’instaure (dans le meilleur des cas) s’instaure dans une « tonalité
affective », une « Stimmung » qui traverse chacun sans que l’intentionnalité y soit
impliquée. Cette tonalité affective « nous présente […] le monde comme ce qui nous
concerne, nous affecte et donc appelle à la compréhension » (Camilleri, 2008 : 201).
Pour le dire plus prosaïquement, on pourrait parler d’une « longueur d’onde », ou d’une
coloration, au sein de laquelle nous sommes au monde et qui fait partie de la
conceptualité (rapidement mentionnée plus haut) au sein de laquelle advient le sens
que nous faisons des phénomènes. Cette tonalité affective, que nous pouvons parfois
ressentir, nous échappe en même temps, ne se laisse pas contrôler. Nous ne pouvons ici
mobiliser que très superficiellement cette notion, mais elle nous permet de souligner
les dimensions antéprédicatives dont il nous semble important de ne pas faire
l’économie quand il s’agit de réfléchir aux dimensions épistémologiques des recherches
collaboratives, en sciences humaines.

Assumer une part (d’)incontrôlable


42 Ecrire ce texte nous a permis de réfléchir à notre façon de faire de la recherche, en
collaborant avec d’autres. Nous avons procédé à un tour d’horizon (non exhaustif) des
travaux sur la question, que nous avons confrontés à nos propres expériences de
recherches. Cela nous a amenées à questionner le sens des catégories mobilisées au sein
du paradigme collaboratif (recherche action, recherche intervention, recherche
participative, praticiens, chercheurs, théorie, pratique, savoirs d’expérience et savoirs
théoriques, etc.). Nous avons aussi souhaité nous interroger sur la question de la co-
construction de savoirs partagés, ce qui nous a amenées à expliciter des orientations
épistémologiques qui remettent en question l’universalité du sens, et son extériorité,
déplaçant ainsi la centration sur les résultats vers une attention particulière portée à la

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relation entre les participants, à la nature des savoirs issus de ce type de recherches, et
aux dimensions antéprédicatives qui les innervent. Autant de réflexions qui nous
amènent à présent à nous interroger de nouveau : qu’est-ce qui nous permet de nous
positionner face au paradigme des recherches collaboratives ? Des protocoles de
recherche ? Les méthodologies déployées ? Sans doute non, ceux-ci étant en partie
invalidés par l’importance que nous avons souhaité accorder aux dimensions
antéprédicatives : les relations humaines, la disposition à se laisser transformer lors de
rencontres altéritaires, « ça ne se commande pas ». Alors quoi ? Au risque de formuler
une tautologie, disons qu’une recherche collaborative, c’est une recherche qui se fait
avec des autres, qui porte en soi une hétérogénéité de compréhensions, et que l’on ne
peut viser à réduire cette hétérogénéité dans l’homogénéisation du sens.

BIBLIOGRAPHIE
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chercheur ». Cahiers de sociolinguistique, 14(1), 27-42.

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de soi et/avec l'autre ? », Cahiers de sociolinguistique, 15 (1), 13-28.

Feussi, V. (2018) Francophonies – relations - appropriations Une approche historicisée et


expérientielle des « langues ». Note de synthèse HDR, soutenue le 9 novembre 2018 à l’Université
de Cergy-Pontoise.

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Montagne-Macaire, D. (2007) « Didactique des langues et recherche-action », Recherches en


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Mesnier, P.-M., & Missotte, P. (dirs.) (2003) La recherche-action, une autre manière de chercher, se
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Miguel-Addisu, V. & Maire-Sandoz, M.-O. (2018). « Enseigner la lecture dans une classe
plurilingue et défavorisée », dans : Briquet S. (dir.) Enseignement-apprentissage de la lecture,
Carrefour de l’Éducation n° 46, 15-26.

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Serres, M. (1980). Le passage du Nord-Ouest, Paris : Minuit.

NOTES
1. Nous faisons principalement référence aux travaux de chercheurs francophones souhaitant
conceptualiser les recherches collaboratives, notamment en interrogeant leurs enjeux, limites et
perspectives.
2. A titre d’exemples : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Langue-francaise-et-
langues-de-France/Politiques-de-la-langue/Langues-et-numerique/Appel-a-projets-national-
Langues-et-numerique-2017 (consulté le 12/02/2020) et http://ife.ens-lyon.fr/lea/le-reseau/
@@carte_des_leas (consulté le 12/02/2020). Voir également à ce propos l’Editorial de R. Guyon
(2018) et certains articles qui composent le n° 192 de la revue Diversité.
3. Ces typologies démultipliées risquent d’attirer l’attention des personnes qui les mobilisent sur
une forme de foisonnement d’appellations qui pourraient bien y perdre leur sens. Il nous semble
en effet plus fondamental d’en explorer les dimensions éthiques et épistémologiques que de bien
choisir l’étiquette (quitte à en créer de nouvelles au moindre frémissement de différence) qui
servira à se distinguer d’autres recherches. Ce mouvement nous amène peut-être à un manque de
précision, mais nous choisissons d’en assumer le flou.

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4. Nous empruntons à J.-P. Astolfi (1993 : 9) cette belle citation de M. Serres « Combien de pêcheurs basques, à la course à la baleine, combien de
Norvégiens, de Grecs, de Phéniciens, de Bretons inconnus, avaient découvert l’Amérique et le trou vers le Pacifique, avant le savant érudit Christophe

Colomb, représentant des Rois ? Ils ne l’ont pas écrit, voilà toute l’affaire » (Serres, 1980 :60).
Le QUILT est un projet de l’équipe DYNADIV (EA4428, Université de Tours), auquel collaborent centralement L. Courtaud, E. Lebreton, J. Lorilleux
5.
et C. Rubio, et qui a été initié sous l’impulsion de V. Castellotti et E. Huver. Les ateliers interprofessionnels sont co-portés par J. Choplin, E. Lebreton et

J. Lorilleux. E. Mercier collabore également aux deux expériences.

6. Il s’agit de structures associatives impliquées de longue date dans l’intervention auprès des
personnes migrantes, et notamment dans l’enseignement du français à visée d’insertion sociale
et professionnelle. Ces partenaires œuvrent en région Centre Val-de-Loire et en Normandie.
7. Le colloque « Les « francophones » devant les normes, 40 ans après Les Français devant la
norme - L’(in)sécurité linguistique aujourd’hui : perspectives in(ter)disciplinaires », s’est déroulé
à Tours du 13 au15 juin 2018.
8. Parmi ces professionnels figurent nos partenaires de stage pour les étudiants de Master FLE/S
ainsi que des collègues ou des employeurs de doctorants de l’équipe qui sont salariés dans ces
structures, dont certains sont venus accompagnés de leurs apprenants. Cette précision vise à
témoigner de notre projet de travailler plus étroitement avec les professionnels qui participent à
la formation de nos étudiants.
9. « traduction de la dimension dialogale avec autrui qui fait prendre conscience de notre
altérité » Feussi, 2018 : 185.
10. Catégories délimitées par les statuts institutionnels.

RÉSUMÉS
Les travaux sur les recherches collaboratives en didactique des langues tendent à distinguer
divers types de recherches en fonction notamment de l’implication des différents acteurs, des
modalités de collaboration, et de la nature des connaissances construites. En déstabilisant les
catégories habituellement mobilisées dans ce paradigme à l’appui de nos propres expériences de
recherches « collaboratives », nous explorons les dimensions épistémologiques, éthiques et
relationnelles qui fondent notre engagement dans ces démarches, afin d’envisager différemment,
i.e. sous l’angle expérientiel, la manière dont les savoirs s’y construisent.

Die Arbeiten über die Kollaborativforschung im Bereich der Didaktik der Sprachen weisen darauf
hin, gewisse Kategorien der Forschung zu unterscheiden, besonders im Hinblick auf den Einsatz
der verschiedenen Akteure, auf die Formen der Mitarbeit und auf die Natur der aufgebauten
Wissen. Auf Grund unserer eigenen Erfahrungen bei der Kollaborativforschung stellen wir die
herkömmlich in diesem Paradigma mobilisierten Kategorien in Frage. In diesem Zusammenhang
erforschen wir die epistemologischen, ethischen und relationellen Dimensionen, auf welchen
unser Engagement in dieser Vorgehensweise beruht, damit wir die Wissenskonstruktion anders,
nämlich erfahrungsgestützt, in Betracht ziehen können.

INDEX
Mots-clés : recherche collaborative, engagement, éthique, épistémologie, inconfort positif
Keywords : collaborative research, involvement, ethics, epistemology, positive discomfort

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AUTEURS
EMILIE LEBRETON
LPL- UMR7309
Aix-Marseille Université
Emilie Lebreton est MCF en Didactique du FLE, ses recherches portent sur l’appropriation du
français en contexte migratoire. Les recherches collaboratives menées avec les acteurs
diversement impliqués auprès de personnes migrantes engagées en formation linguistique, la
conduisent à développer des réflexions concernant : l’articulation langue(s) et insertion(s), la
dimension langagière de la scolarisation et de la socialisation, les conceptions du métier
d’enseignant/formateur de FLE/S.
emilie.lebreton@univ-amu.fr

JOANNA LORILLEUX
Dynadiv EA4428
Université de Tours
Joanna Lorilleux est MCF à l’université de Tours (SDL didactique des langues), ses recherches
concernent les situations où le français contribue à la formation des personnes qui se
l’approprient, qu’elles soient adultes ou enfants. Ancrées dans des approches qualitatives
d’inspiration phénoménologique-herméneutique, ces recherches s’articulent autour des mots
clés suivants : français langue seconde, (pluri)littératie, articulation langue(s) et insertion(s),
appropriation, approches artistiques.
joanna.lorilleux@univ-tours.fr

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Axe 4 : Deux recherches doctorales


en cours : posture, implication du
chercheur et exploration de
partenariats originaux

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Les jeux de la recherche


collaborative : le cas du projet
artistique
Maud Serusclat-Natale et Yannick Marzin

1 Cet article retrace à deux voix (distinguées typographiquement) une expérience de


collaboration en cours entre une doctorante en sciences du langage et un directeur de
scène nationale travaillant ensemble autour d’un projet nommé Parlemonde, à la fois
programme de création artistique pluriel et plurilingue, et objet de recherche. Yannick
Marzin (désormais YM, dont l’écriture est visible en italique dans le texte) apporte son
regard professionnel sur le projet, en complémentarité avec celui de Maud Sérusclat-
Natale, doctorante et intervenante3. Nous traiterons particulièrement de la question du
statut du chercheur embarqué dans et par les dynamiques de création artistique. Nous
arrivons au terme d’une année de collaboration mais notre relation repose sur des
années de travail en commun sur un même territoire. Nous signons ensemble ce qui
correspond à l’état actuel de nos discussions alors que s’est achevée la collecte des
données de recherche, et que commence une seconde année dédiée à leur exploration
et à la préparation du prochain Parlemonde.
2 Nous examinerons d’abord la construction de cette collaboration, puis nous nous
interrogerons sur les espaces de jeu, au sens d’intervalles entre deux pièces d’un même
mécanisme, que suscite la collaboration, en nous intéressant particulièrement aux
conséquences sur les données de recherche. Enfin nous évoquerons ses enjeux dans ce
contexte agissant au cœur de l’espace social.

Du partenariat à la collaboration : quelles règles du


jeu ?
3 Parlemonde4 est organisé par une scène nationale publique 5 à Montbéliard (France)
depuis 2017 en partenariat avec l’Éducation nationale. Ce festival met à l’honneur les
créations participatives réalisées à partir des langues et des cultures de chacun. Il met

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en scène la rencontre au sens large: rencontre avec soi, avec son nouvel espace de vie,
les autres, les publics et les arts vivants. Les collaborations école/culture sont
habituelles et les politiques nationales ou locales les encouragent vivement, en vue de
favoriser l’engagement, la motivation ou l’estime de soi des élèves, mais également
pour apaiser le climat scolaire ou participer à la cohésion sociale, pour reprendre les
termes de l’éducation nationale. École et Institution culturelle publiques partagent une
mission commune essentielle : l’éducation artistique et culturelle. Plusieurs dispositifs
existent pour cela, au-delà des disciplines artistiques inscrites dans les curricula,
notamment depuis la création du parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) 6
en 2013, que chaque élève alimente de son entrée à l’école à la fin de sa scolarité.

Institutionnaliser la collaboration entre le chercheur et les praticiens

4 L’expérience Parlemonde 1 s’est déroulée sur l’année scolaire 2016/2017. Il s’agit pour
les participants et MA7 d’une première expérience à cette échelle, dans le sens où elle a
fait travailler ensemble de nombreux acteurs : 5 artistes sont engagés auprès de 4
établissements scolaires et d’un centre d’hébergement pour mineurs non accompagnés
soit une dizaine d’enseignants, 80 élèves et les équipes artistiques et techniques. 6
créations sont nées de ces collaborations et ont été présentées sur scène en mai 2017.
5 A l’issue de 8 mois de résidences et de 2 jours de festival, les artistes et les élèves
témoignent de leur envie de poursuivre, tout comme les partenaires éducatifs. Depuis,
Parlemonde est devenu un festival déployé en biennale intégrant tous les deux ans la
programmation de MA et instaurant une collaboration avec l’éducation nationale et les
EANA au long cours.
6 La collaboration de recherche s’est trouvé scellée un an après Parlemonde 1 à travers
deux types de conventions : la première, dans une convention industrielle de formation
par la recherche (Cifre)8 portée par MA avec l’université Paul Valéry de Montpellier. La
seconde a été signée avec le rectorat de l’académie de Besançon, permettant à la
doctorante de poursuivre les échanges avec les équipes pédagogiques et les formateurs
du CASNAV et de la DAAC, car l’un des enjeux de Parlemonde est de venir nourrir des
changements de paradigme didactique.

Le projet Parlemonde : créer en contexte multilingue

7 Le terrain de la collaboration culture/école intéresse depuis longtemps des chercheurs


comme Dupont (2010), Bordeaux (2014, 2017) ou Kerlan & Lemonchois (2017), dont les
travaux ont montré à la fois le grand intérêt de ce type d’expérience pour les élèves,
mais également les tensions que les partenaires peuvent rencontrer en travaillant
ensemble, ainsi que les difficultés à en évaluer les effets dans un temps compatible avec
les enjeux de la recherche (Bamford, 2008).
8 Parlemonde a déplacé considérablement le cadre habituel des collaborations entre les
deux institutions. En effet, il s’agit de co-construire avec des acteurs n’ayant jamais
travaillé ensemble (artistes, élèves allophones nouvellement arrivés – désormais
EANA–, enseignants) une démarche de création et de production d’œuvres artistiques
plurielles et plurilingues à l’école, en mobilisant particulièrement les EANA du
secondaire sur le temps scolaire dans le cadre de résidences artistiques. Les
interventions s’étendent sur un temps long (entre 60 et 100 heures d’intervention en

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classe) et proposent parfois des périodes de travail intense (2 ou 3 journées d’affilée ou


une semaine, puis des intervalles réguliers). Or le temps scolaire est extrêmement
contraint et les moments de résidence bousculent l’organisation des enseignements
disciplinaires, à la différence d’un cours de « théâtre » ou d’un atelier spécifique qui
aurait lieu chaque semaine.
9 Dans les « fiches action » élaborées par les enseignants porteurs de projet à l’institution
scolaire, le travail avec les artistes doit servir de support au « développement des
compétences linguistiques », « favoriser l’inclusion des EANA » dans l’établissement et
« dé-ségréguer » les dispositifs UPE2A. Leur participation à Parlemonde vise donc
à valoriser les compétences plurilingues des EANA tout en accélérant leur
appropriation du français. Cet objectif veut favoriser l’inclusion des élèves par un
accompagnement répondant à leurs besoins particuliers9 (Auger 2001 ; Pierra 2006 ;
Auger et al. 2007 ; Auger et al. 2009 ; Sérusclat-Natale & Adam-Maillet 2018).
10 Pour MA scène nationale, Parlemonde dépasse la collaboration habituelle avec l’École
parce que ce festival intègre sa programmation artistique. Ses résidences s’inscrivent
dans son projet artistique global, qui pour YM mise sur son implantation locale et, dans un
grand écart voulu et assumé, ouvre des fenêtres sur le monde. Parlemonde répond de la
même exigence artistique que les spectacles produits et joués par les compagnies
professionnelles : il y a une « direction artistique », une signature dans le concept même de
l’événement avec des orientations qui démarrent par le choix des artistes, de leur discipline et
ensuite le choix du lieu. C’est cet aspect qui fait la différence entre des ateliers et des productions
qui s’inscrivent dans un événement construit. Né en 2017 mais préparé dès 2015,
Parlemonde s’ancre dans un contexte médiatique marqué par « la crise migratoire », les
crispations identitaires multiples et les nombreux appels au monde de la culture pour
favoriser « l’intégration » des « migrants » 10. Afin de favoriser les rencontres, les
créations Parlemonde sont mises en valeur publiquement lors d’un festival de plusieurs
jours au cœur de la ville. Les enjeux et les prises de risques sont donc importants tant
pour les artistes que pour les écoles.
11 Si les deux partenaires sont prêts à travailler ensemble et se connaissent de longue
date, ils ne parlent pas vraiment la même langue car ils relèvent de métiers, cultures et
représentations différentes. De plus, les 250 participants plurilingues de Parlemonde
font circuler une trentaine de langues (sans compter les langages de la création
artistique), de multiples langues professionnelles des acteurs impliqués ainsi que leurs
habitus et cultures disciplinaires : les questions d’explicitation des univers de référence
de l’Autre (artiste, enseignant, élève, assistant, chargé de mission, doctorant etc.) n’ont
eu de cesse de se poser. Notre choix de faire apparaître nos deux voix distinctes dans
cet article souligne cet élément réflexif central : le 4 mains c’est aussi au moins deux
champs avec des codes et des langages qui doivent être explicités pour s’accorder, non ?

Définir la collaboration

12 Collaborer, c’est dépasser le paradigme du « partenariat » (un partenaire utilisant les


compétences de l’autre et réciproquement, chacun dans un but inhérent à son
domaine) pour que s’installe un « processus de recherche et de transformation des
pratiques » (Vinatier & Morrissette 2015 : 159) dans lequel « l’implication des praticiens
est mobilisée » (Bednarz 2015 : 173). Par sa nature artistique et multimodale, l’objet et
le projet Parlemonde ont constamment évolué. Ce caractère dynamique l’inscrit dans le

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paradigme de la collaboration : il ne s’agit pas seulement de travailler ensemble mais,


chemin faisant, d’être transformé par la collaboration et de faire évoluer ses pratiques
dans son champ professionnel. Cette expérience peut être représentée ainsi :

Figure 1- L’expérience de collaboration Parlemonde

13 L’expertise de chacun est requise, de façon dynamique, pour qu’une œuvre commune
naisse. Pour chacun, cette expertise évolue au contact des autres participants. Ici
l’implication des praticiens est mobilisée à chaque étape et trois niveaux de
collaboration sont requis pour créer l’œuvre qui sera présentée publiquement : une
collaboration entre responsables institutionnels (CASNAV, DAAC et structure
culturelle), une collaboration entre équipes artistiques et équipes enseignantes en
classe, une collaboration entre élèves et artistes. S’y mêle dans le même temps une
collaboration entre l’ensemble des acteurs du projet (professionnels, artistes,
enseignants, élèves) et la doctorante, qui s’intéresse à la fois à situer l’impact des
expériences artistiques dans l’appropriation d’une langue cible pour les EANA, et dans
la construction d’un geste professionnel inclusif pour les enseignants et les équipes
artistiques.
14 Pour YM, la particularité de Parlemonde a été d’évoluer avec l’impact et la force du projet. C’est
parce que tu as décidé d’en faire ta thèse et que nous nous sommes mis d’accord pour te faire
intégrer l’équipe et que nous avons commencé à penser collectivement, et c’est ainsi que le projet
a évolué pour devenir ce que nous en faisons aujourd’hui, du festival à un programme avec des
résidences, des séminaires, des publications et des productions Parlemonde, comme la prochaine
pièce de Charlotte Lagrange, L’Araignée.
15 La collaboration n’est pas une superposition ou une succession d’actions commises par
différents acteurs en jeu mais une action partagée et ses évolutions posent de
nombreuses questions, tant techniques (comment ne pas figer la collaboration ?) que
méthodologiques et déontologiques, dans la mesure où, comme le rappellent
Blondiaux, Fourniau & Mabi « « travailler avec » n’a pas tout à fait le même sens que
« travailler pour » » (2016 : 10). Elle relève d’une dynamique. L’enjeu de la recherche est

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d’éclairer cette dynamique : comment naissent et circulent les éléments permettant


l’agir ensemble constitutif d’une activité de création artistique ? En quoi le
plurilinguisme soutient-il cette action ? Plus particulièrement : quels sont les effets
d’une collaboration entre chercheur et praticiens dans ce contexte ?

Un « embarquement » réciproque : conséquences


épistémologiques
Du poste à la posture du « chercheur embarqué » ou « embarquant »

16 La position de salarié du doctorant Cifre constitue un « cadre de recherche singulier »


(Ferrando y Puig & Petit, 2016 : 20) largement documenté sous la forme du paradoxe
par les chercheurs (Hellec, 2014), comme l’évoquent Vinatier & Morrissette:
« Ce dispositif […] place le doctorant, jeune salarié dans l’organisation, dans des
positions complexes de tenue de multiples rôles, reliés à la recherche scientifique
dans son laboratoire et à l’opérationnalité de ses analyses dans l’organisation
recruteuse. Cette hybridation de la recherche et des enjeux économiques de
l’entreprise risque d’obliger restrictivement le doctorant à répondre aux
commandes institutionnelles avec une stricte posture de recherche appliquée »
(2015 : 157).
17 La position de « doctorante associée11 » à une scène nationale, observant, participant et
co-construisant le projet qui constitue également son objet de recherche est une
« expérience incorporée » (Ferrando y Puig & Petit, 2016 : 20) inédite. Dans une telle
structure de création, « embarquée » par un tel projet artistique, définir un poste précis
s’est avéré difficile car on attendait plutôt que la doctorante occupe plusieurs rôles
transversalement. Blondiaux, Fourniau & Mabi rappellent que c’est souvent le cas lors
des recherches collaboratives : « il est impossible […] de résumer le rôle du chercheur
dans les processus participatifs à une posture unique » (2016 : 10). Pour YM, il faut
montrer à l’équipe comment cette création de poste participe au projet général de la maison et
accompagner une modification des équilibres et des habitudes de fonctionnement. Lorsque la
création d’un tel poste se réfère à un statut inhabituel pour une entreprise culturelle, cela
demande de faire preuve d’une plus grande pédagogie vis à vis de l’équipe et des tutelles qui
valident la création d’emploi lors des Conseils d’Administration de l’association. La Cifre a donc
conduit à de nombreuses réorientations du travail de recherche: « l’activité
professionnelle génère et oriente l’activité de recherche [qui à son tour] ressource et
réoriente l’activité professionnelle » (De Lavergne, 2007 : 29). Cela a des conséquences
sur les méthodologies, les données et les finalités que chacun (entreprise, directeur de
recherche et doctorante) se représente de la thèse en cours, qui, d’une certaine
manière, échappe parfois au chercheur puisqu’elle devient, en chemin, commanditée.
Le partenaire professionnel attend notamment qu’elle présente des effets opératoires,
c’est-à-dire qu’elle génère des changements de gestes professionnels appréciables. Pour
YM, l’objectif est d’utiliser et jouer avec l’impact des recherches appliquées pour faire évoluer le
projet général de la maison si jamais j’y voyais le potentiel. Le statut de doctorante associée fut le
résultat de la première validation de l’intérêt à court et moyen termes (3 à 5 ans) pour la scène
nationale dans le cadre de ses missions « éducatives ». […] J’attends des connaissances de M. et
de la dimension « recherche » de son travail, un élan à partir duquel je pourrais créer une
dynamique de changement et de questionnement interne pour revitaliser la réflexion et ne pas
limiter nos métiers à de la médiation ou de la production dans un rapport binaire avec les

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publics comme avec les artistes. Une doctorante en action était aussi un motif de réintroduction
de la pensée, auprès d’une équipe dont la majorité des membres est titulaire d’un Master.
18 On peut donc parler d’un embarquement réciproque dans une collaboration dont les
enjeux ont évolué. Les intérêts didactiques et éthiques de Parlemonde ont conduit la
formatrice CASNAV à devenir doctorante et le directeur de la scène nationale à créer
un poste de recherche –développement transversal nourrissant sa propre réflexion à la
tête de l’entreprise, son équipe et les artistes.

De la posture à la relation

19 Les pratiques artistiques exposent et s’exposent, ce qui crée du lien. La collaboration


relève de la même dynamique. La création artistique en collaboration revêt un enjeu à
la fois social, éducatif, linguistique qui, au fil de l’expérience, a rendu visible le besoin
d’interaction et de médiation. Cela a ancré le travail du chercheur dans une
épistémologie de la relation puisqu’en effectuant des entretiens, il se tient entre mais
surtout parmi, avec, au cœur de son terrain et de l’acte même de créer 12.
20 Les artistes ont été les premiers à investir la doctorante en tant qu’interlocutrice
« initiée » puisque salariée par MA, ou en tant qu’interface de médiation faisant le lien
entre les élèves, les enseignants et le milieu de la création artistique. YM : En effet tu te
trouves dans une légitimité que n’ont pas les autres membres de l’équipe. De mon point de vue tu
te situes à un endroit semblable à celui que les artistes connaissent quand ils démarrent un
processus de création/recherche. Tu représentes un apport réflexif qui anime leurs recherches et
peut orienter leur création. Il y a un espace de création au sens fort du terme auquel tu
appartiens. La question de la légitimité est extrêmement sensible et subjective dès lors que tu es
là avec eux, in situ. Les entretiens avec les artistes ont été très faciles à recueillir (malgré
les contraintes géographiques et linguistiques diverses) et les dialogues se poursuivent
encore, au-delà de la collecte de données désormais close. Ils ont investi la fonction du
chercheur, mais de façon très différente, comme on le voit dans les extraits ci-dessous.
Ces extraits de corpus émanent de 2 artistes ayant participé aux 2 Parlemonde,
collaborant avec la doctorante depuis 3 ans, de manière ponctuelle mais régulière.

Extrait 113 :
D : Comment as-tu vécu ou vis-tu notre collaboration ?
ENTA1 : Notre collaboration a modifié beaucoup de choses pour moi, petit à
petit. Tu étais dans un accompagnement jamais pédagogique et pourtant
hyper instructif. Tu m’as laissée me faire mon opinion tout en exposant ton
regard par petites pincées de sel…Et ces pincées m’ont guidée dès le début du
travail pour Sédiments et dans les réflexions politiques et dramaturgiques
qui ont suivi et qui sont à l’origine de L’Araignée… C’est aussi l’humain, c’est
une rencontre… ça passe par là, et par le temps aussi, on a pris le temps de
cette recherche en commun.
Extrait 2 :
D : Maintenant qu’on se connaît depuis 3 ans, comment tu décrirais ce que je
fais moi dans tout ça ?
ENTA2 : [19 secondes d’hésitation] Au début en fait, d’un côté c’est comme
des… ce n’est pas vraiment comme quelqu’un des NGO’s…Mais…Tu es comme
une personne qui prend aussi soin de ces jeunes, qui est attentive pour qu’ils
aient une possibilité d’autonomie ici et… aussi ailleurs en fait, et après tu es
passionnée par les langues. Je me rappelle pour Les Portes quand on a parlé
avec les élèves et cherché dans leurs langues des mots, des textes et des
proverbes, tu as amené ça ! Pour moi c’est la passion qui te définit. Tu es

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passionnée. Après l’élément du doctorat finalement je crois que ce n’est pas


important, c’est la passion, la patience et la recherche aussi, tu cherches un
chemin…Comme le font les artistes, eux aussi sont souvent passionnés,
fascinés par quelques chose et toi, c’est ça, avec les langues des gens.

21 C’est comme cela que MA fonctionne, on va chercher des collaborations AVEC des artistes pour
qu’ils m’accompagnent dans mon projet dans une relation réciproque. Je les accompagne à mon
tour de façon différenciée. Ta pratique à mes côtés t’a fait passer par cela. Ta recherche répond à
un schéma semblable et ton lien avec les artistes ou des artistes avec Parlemonde suit le même
scénario. Il me semble important de personnaliser car il y a un va et vient constant entre les
personnes et les maisons ou institutions. Mais le départ naît d’une volonté et d’un choix
personnel et subjectif qui passe par l’établissement d’un lien qui est nourrit et se développe en
complicité permettant un aller retour constant aboutissant à la production finale.
L’embarquement devient un principe empirique et subjectif de fonctionnement entre les artistes
et moi, entre toi et moi, les artistes et toi.
22 Ce lien dépasse la relation directeur- artistes- doctorante associée. Les élèves,
notamment les lycéens, ont investi la posture d’écoute et de médiation du chercheur,
certains demandant parfois à interrompre le travail avec l’artiste pour lui « parler » ou
« s’enregistrer » avec elle, considérant qu’elle était « celle qui gardera une trace de ce
que nous avons à dire sur ce que nous faisons14 ».
23 Ce lien particulier entre toi et les jeunes a influé sur toute la démarche de création. Je te sens très
proche des jeunes à un endroit non touché par les autres intervenants et adultes d’une manière
générale. Pourquoi ? Ta complicité avec eux permet autant qu’accompagne et se nourrit du lien
tissé avec le créateur.
24 Cette présence ethnographique a bien entendu été remarquée par les enseignants qui,
constatant ce lien avec les élèves, se sont livrés avec plus d’aisance lors des entretiens
de fin de projet, et ont expliqué qu’ils « n’avaient plus de crainte » particulière ou qu’ils
pouvaient « se lâcher » plus facilement. Si ces liens ont grandement aidé à approfondir
le questionnement de recherche, ils posent des questions éthiques et épistémologiques
importantes.

Être à la fois (du) dedans et (du) dehors


Assumer un rapport subjectif au(x) terrain(s)

25 S’il n’y a pas de chercheur qualitatif objectif (Pourtois & Desmet, 2009 : 304) et si une
recherche ethnographique n’est pas modélisable ou généralisable hors contexte, il faut
assumer que son terrain n’est pas un terrain de recherche neutre mais plutôt le terreau
de la chercheure en devenir15, terreau multilingue et pluriel : « [Un terrain] c’est
d’abord un ensemble de relations personnelles où « on apprend des choses » et « faire
du terrain », c’est établir des relations personnelles avec les gens » (Agier, 2004 : 35). En
rendre compte en tant que chercheure-doctorante embarquée, c’est reconnaitre les
« jeux » dans la relation, et assumer le « je » dans l’écriture. Dans mon cas, cette
relation s’inscrit dans une histoire vécue préexistant la collaboration : j’ai grandi à
Montbéliard, j’y ai enseigné puis j’y ai formé des enseignants. Parallèlement, j’ai animé
des ateliers théâtre en partenariat avec MA, collaboré à des projets participatifs
(parfois en langue étrangère) impliquant la jeunesse sur mon temps de travail
d’enseignante et en dehors. Les acteurs des deux terrains, scolaire et culturel, me

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connaissent de longue date, tant personnellement que professionnellement et ces liens


ont fait naître Parlemonde. Ma position de chercheure « embarquée » (Alam,
Gurruchaga & O’Miel 2012) a favorisé l’émergence de dialogues que je n’aurais pu
prévoir avec les participants. Cette position constitue « bien souvent une ressource,
beaucoup plus qu’un obstacle » (Ferrando y Puig & Petit 2016 : 10). Les frontières entre
recherche et action, ou participation à la vie du terrain, sont poreuses : ce terrain
d’expérience est ici un terrain partagé.

Effets sur le corpus

26 Jouer la collaboration ouvre un espace interstitiel qui intéresse conjointement le


doctorant et le commanditaire, un espace de dialogue à la fois formel et informel inédit
de part et d’autre, instauré et instaurant des pratiques de réflexivité. Ce jeu repose sur
un équilibre toujours à construire entre utilisation d’une expertise acquise par
l’expérience de terrain et élément catalyseur ou moteur de réflexivité inhérente à
l’activité de recherche. Sur ce terrain, les interactions sont extrêmement riches et
variées et forment un corpus très important qui a été recueilli durant Parlemonde 1 et
2 de façon multimodale par le biais d’enregistrements audio, vidéo, de notes de
terrains, de questionnaires et d’entretiens semi-directifs. Mon protocole s’intéressait
dans un premier temps davantage aux interactions élèves/artistes/enseignants
collaborant lors des résidences et s’est trouvé suite à la Cifre, complété par des
entretiens avec les artistes et les membres des équipes de production, de
communication et de relations publiques de la structure, éléments dont l’analyse
intéresse davantage l’entreprise qui me considère comme un « agent de mouvement ».
Par interaction, j’entends donc « relation », rejoignant Blanchet : « au sens complet de
la relation humaine et sociale […] une interaction engage toujours la totalité des
personnes et des contextes (leurs histoires, leurs représentations, leurs tensions, leurs
altérités, etc.) » (2012 : 124)

Les conflits de temporalités

27 Parlemonde a fait travailler ensemble des univers singuliers, culturellement et


linguistiquement marqués, qu’il s’agisse de mobiliser les élèves nouvellement arrivés et
non encore locuteurs du français pour certains, les équipes enseignantes non familières
avec la création artistique, ou les artistes non familiers avec les créations participatives
plurilingues en milieu scolaire. Comme toute expérience et rencontre avec ce qui est
« autre », « nouveau », échappant à des rituels confortables, l’expérience de la
collaboration dans un projet artistique met à l’épreuve, bouscule car il y a
interculturalité comme le rappelle Auger : « La complexité culturelle de chacun,
traversée d’éléments collectifs et singuliers, fait de chaque rencontre une rencontre
interculturelle » (2007 : 13). Dans ces circonstances, tout à fait propices et même
nécessaires à la création artistique, je suis devenue à la fois celle qui cherche, observe,
observe-participe, et intervient, en donnant un éclairage sur une situation précise, sans
attendre. Je partageais donc le jeu et instaurais des temps de réflexivité qui confinaient
à de l’analyse de la pratique presque immédiate, afin d’éviter des écueils qui auraient
pu nuire non pas seulement à l’œuvre artistique en train de naître, mais avant tout au
bien-être des participants.

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28 Ces temps d’intervalle ne sont pas programmables, ils se tiennent dans l’action, à mon
initiative ou sur les sollicitations des acteurs (élèves, équipes, artistes). Tant que
l’expert est dans son équipe et dans l’action du terrain, cette réactivité présente une
rentabilité immédiate pour la structure. Mais comment dépasser le statut d’expert
associé à une démarche ou à un projet ? Cette posture se rapproche du « marginal
sécant » explicitée par Ferrando y Puig & Petit en ces termes :
« Partie prenant dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les
autres, et qui peut, de ce fait jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et
d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoire. […] Cette
division du travail réflexif, si elle peut permettre une progression mutuelle, risque
d’aboutir à une perspective utilitariste faisant de cette réflexivité une caution de
scientificité sans réelle portée critique » (2016 : 28).
29 Cette question n’est pas encore tranchée en ce qui me concerne. Trois problèmes
majeurs sont à souligner quant au positionnement scientifique dans une collaboration
de ce type. Tout d’abord la légitimité de la caution que la présence du chercheur
apporte n’est pas tant liée à son expertise scientifique (au sens où elle serait liée au
statut de doctorant ayant des connaissances théoriques dans un champ donné ici la
didactique des langues), qu’à son expérience professionnelle et interculturelle
antérieure. Ensuite les rétroactions qui sont conduites dans une temporalité immédiate
laissent peu de place à une analyse approfondie des phénomènes observés,
distanciation scientifique pourtant nécessaire. Se pose en dernier lieu la question de la
transmission de mes compétences de médiation et d’analyse aux équipes.
30 La principale limite reste alors, comme le soulignent Vinatier & Morrissette dans leur
état des lieux des recherches collaboratives, la temporalité : « parce qu’elle[s]
s’inscri[ven]t dans la longue durée, [les recherches collaboratives] déroge[nt] aux
normes nettement plus limitées de la temporalité des recherches subventionnées »
(2015 : 155). En effet, la durée du statut pose la question de la notion de mission. Comment je
gère ta présence et ce que tu prends en charge et apporte dans un temps limité ? Qui fera ensuite
Parlemonde ? Ta présence signifie pour la maison une mission. Or, cette mission est devenue un
pilier du projet global de MA. Comment gérer le tempo autant que la temporalité dans cette
dynamique ?
31 Il s’agit donc de trouver comment dépasser le conflit des temporalités imbriquées par
le contexte collaboratif de sa recherche : 1) le temps de la genèse d’un projet, 2) le
temps de sa réalisation (les résidences), 3) le temps de sa valorisation (préparation des
outils de communication, de presse, préparation des espaces d’exposition etc.), 4) le
temps de l’exposition publique. Il faut à cela ajouter une cinquième étape installant un
travail réflexif –critique, collaboratif et collectif, permettant de dépasser la remise en
cause ou l’autoréflexivité au profit d’un « paradigme transactionnel » (Fabre 2014 : 75)
invitant à passer à une action réfléchie. En parallèle, le doctorant doit recueillir et
analyser son corpus, et rédiger son propre travail de thèse. En d’autres termes, il faut à
la fois créer un espace de transformation où puissent émerger les discours du
« pendant » et de « l’après », instaurant un ou plusieurs savoir-faire pour les projets à
venir, et pouvoir s’en extraire pour avancer sa thèse.
32 Or, ces espaces-temps n’existaient pour aucun des partenaires, dont l’activité
professionnelle cadence les calendriers, les plongeant d’une année à l’autre au cœur des
autres projets déjà programmés, qu’il faut réaliser à temps. Et surtout, leur importance
ou leur nécessité n’étaient pas conscientisées. Tout l’enjeu consiste donc à faire
émerger des « dispositifs de co-explicitation » (Vinatier, 2010) : on fait d’autant mieux

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son métier « qu’on le maitrise sur le plan conscient, qu’on est capable de porter à
l’explication les principes pratiques qu’on met en œuvre dans sa pratique » (Bourdieu
2012 : 152). Pour porter ces éléments à la conscience des acteurs dans un contexte
plurilingue et interculturel, une relation avec eux doit non seulement s’installer mais
également être nourrie dans un continuum propice au développement d’échanges
réciproques qui perdureront après la recherche.

Conclusion : Parier sur la collaboration


33 Du projet artistique à la recherche scientifique, il y a, plutôt qu’un hiatus ou un fossé,
un écart fascinant, un espace médiant reliant diverses identités, langues et cultures
professionnelles, dans un mouvement propre aux zones de créativité et d’interactions,
cœurs des métiers des arts vivants. Collaborer c’est s’engager ensemble dans et vers un
projet en construction, c’est donc accepter les incertitudes et les logiques de création
qui ont pour caractéristique de ne pas répondre à des protocoles et qui n’ont pas de
résultat connu par avance. C’est nourrir des élans communs, partager des valeurs,
inventer un vocabulaire accessible à tous : c’est composer. Nous sommes passés
collectivement du risque, moteur essentiel de créativité dans une structure culturelle
et vecteur de biais pour le chercheur, au pari. Si « se former c’est se transformer »
(Vinatier & Morrissette, 2015 : 142), la particularité des recherches collaboratives nous
semble résider dans la réciprocité de cette dynamique de transformation / trans-form-
action et dans l’acceptation des dimensions subjectives et intimes de ce parcours. Cet
article pourrait d’ailleurs en constituer une trace, à valeur performative, explorant à
deux voix l’idée d’un continuum et d’un déplacement qui, pour être fécond, repose sur
les expériences (conscientisées et explicitées) et les histoires professionnelles et
personnelles de tous les acteurs. La posture de « chercheur embarqué » met en lumière
des points d’invisibilité interculturels et langagiers pouvant générer des zones de
résistances ou des interférences, mais ces dernières ne sont pas indépassables, ni
incompatibles avec la recherche. Au contraire, elles la nourrissent.
34 Jongler avec les nécessités d’une pratique opérationnelle et les exigences d’un travail
de thèse ancré dans le paradigme de la « low science » et de l’épistémologie de la
relation, est corrélé à une autre forme d’exigence partagée, qui n’a plus rien à voir avec
la livraison d’une méthodologie clé en mains ou d’un protocole efficient ni pour
l’entreprise, ses partenaires ou pour le doctorant. Tous co-embarqués, nous ne
fabriquons pas de produit mais des expériences artistiques, uniques, vivantes,
mouvantes, qui, bien qu’institutionnellement et professionnellement encadrées, se
nourrissent à la fois du professionnalisme et de la sensibilité de chacun. Le travail
déployé dans ces lieux de création s’émancipe donc d’une logique proprement
économique et procède de ce que Menger définit comme : « la réalisation de soi dans
l’agir productif » (2019). Il s’agit pour la doctorante de faire émerger les conditions de
cette conception expressive du travail chez tous les acteurs, en interrogeant ce qui
circule consciemment ou non, dans quelles configurations, et d’analyser la place des
langues (familiales, professionnelles, etc.) dans cette dynamique de « compagnonnage »
(Narcy-Combes, 2001). C’est à cet endroit que se rejoignent les travaux du « chercheur
qualitatif », de l’artiste, de l’enseignant et du participant, engagés ensemble par la
création, au service de valeurs communes rendues explicites par l’effort de réflexivité
éthique (Dewey, 1934) conditionnant un agir ensemble public. Les échanges, les

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« interactions » sont devenus des activités expressives complexes et sensibles, livrés de


façon formelle ou non. Ils sont la condition d’émergence de toute création, artistique
comme scientifique, à condition d’en accepter, voire d’en revendiquer, la part
d’imprévisible, d’intersubjectif et de mouvant.

BIBLIOGRAPHIE
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d’émergence et d’expression du sujet capable. » Recherches en éducation, n°1, 111-129.

NOTES
1. Site compagnon du projet : http://parlemonde.mascenenationale-creative.com.
2. Project partner site : http://parlemonde.mascenenationale-creative.com.
3. Lorsque nous avons écrit cet article, souvent à distance, notre co-écriture a pris la forme d’un
dialogue plus personnel, dont on trouve les traces syntaxiques (pronoms, marques d’adresse,
questions en suspens, etc.) dans les extraits qui vont suivre. C’est volontairement que nous
laissons apparaître ce glissement sémantique puisqu’il est une manifestation concrète de la
pensée que nous développons dans cette contribution.
4. On trouvera ici le site compagnon de Parlemonde avec des traces des 2 éditions de ce festival :
Parlemonde 1 en 2017 et le programme de Parlemonde 2 qui a eu lieu en mai 2019 : http://
parlemonde.mascenenationale-creative.com.
5. https://www.scenes-nationales.fr/label/.
6. https://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html ?cid_bo =71673.

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165

7. MA signifie ici Montbéliard Agglomération et vient souligner l’importance accordée par la


direction à l’appropriation de cette institution culturelle par les habitants du territoire.
8. Une CIFRE est un contrat de travail qui lie le doctorant, l’entreprise qui le salarie, le
laboratoire de recherche et le ministère de la recherche via l’ANRT (association nationale
recherche technologie). L’entreprise reçoit une subvention qui prend en charge une partie du
salaire du doctorant.
9. Cf. Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de
l’école de la République et la circulaire n° 2012-141 du 2-10-2012.
10. Voir par exemple : http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-
de-France/Politiques-de-la-langue/Maitrise-de-la-langue/Action-culturelle-et-maitrise-du-
francais.
11. Formulation choisie par le directeur de la scène nationale, réemployant ici le qualificatif que
l’on donne aux artistes qui vont collaborer de manière étroite pendant une ou plusieurs saisons
(« artistes associés »), et que la structure met en valeur.
12. C’est à ce moment que notre co-écriture a pris la forme d’un dialogue plus personnel comme
le montrent les marques d’adresse. Cela témoigne de l’importance de « l’effet relationnel » dans
une recherche collaborative.
13. D pour doctorante, ENT pour entretien, A1 pour artiste 1 et A2 pour artiste2.
14. Phrase prononcée par ESIA12, élève UPE2A de lycée professionnel, participant à Parlemonde
2.
15. Dans la continuité de cette logique relationnelle et subjective, j’emploierai dans les trois
prochains paragraphes volontairement le « je » pour retracer ce qui, dans mon parcours
personnel, a nourri et suscité mon actuelle situation de doctorante associée à MA.

RÉSUMÉS
Cette contribution s’appuie sur une recherche en sciences du langage en cours, menée dans le
cadre d’un doctorat sous contrat CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la REcherche)
au sein d’une scène nationale, lieu de création et de diffusion artistique. En 2016, une
collaboration s’installe entre la scène nationale du pays de Montbéliard et l’éducation nationale
et prend la forme d’un festival de créations participatives : Parlemonde 1. A travers une
expérience commune de création, se rencontrent des élèves allophones nouvellement arrivés,
des enseignants, des artistes européens pluridisciplinaires, une chercheuse et des spectateurs.
Cette contribution s’attachera à montrer comment cette collaboration particulière a
considérablement déplacé les participants : le projet est devenu un vaste espace de jeux, au sens
de collaboration dynamique. Les questionnements, les attentes, les pratiques et les positions de
chaque interlocuteur (doctorant compris) sont sans cesse en mouvement.
Nous examinerons la place du chercheur dans cette collaboration, dont l’activité conventionnée
est soumise à des règles. Quelles règles du jeu co-construire avec les équipes de la structure qui
salarie le doctorant pour installer un (ou plusieurs) savoir-faire, qu’aucune des parties
impliquées ne pourrait, seule, mettre en jeu ? On s’interrogera ensuite sur les espaces de friction
ou de jeu au sens d’intervalle « entre deux pièces d’un même mécanisme » en s’intéressant
particulièrement à ce que recouvre la collaboration pour le chercheur et ses données dans un tel
contexte. Afin de laisser entrevoir au lecteur quels enjeux sont à l’œuvre dans ces contextes
mouvant et agissant au cœur de l’espace social, on abordera ces questions en laissant deux voix

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dialoguer : celle du directeur de la scène nationale, et celle de la doctorante salariée par la


structure.

This paper is based on a research situation in progress in the Language Sciences that was carried
out in a national theater, a place for artistic creation and diffusion, as part of a Doctoral thesis
under the CIFRE (Convention of Industrial Training through Research) agreement. A
collaboration was initiated in 2016 between the Ministry of National Education and a common
artistic project, Parlemonde2. Meetings were organized between minority-language speaking
students newly arrived in France, their teachers, multidisciplinary European artists, researcher
and spectators in a joint creative experience. This collaboration is special because it is the first of
its kind, requiring the expertise of each of the stake holders of the project (artists, teachers and
students). All of them were moved to a vast games area involving a collaborative dynamics where
questions, expectations, practices and positions of each of the players (including this researcher)
were constantly in motion. The researcher’s place in this collaboration will be examined through
a study of the “game” as a conventional activity subject to collaborative rules between the
participants. What then are the rules to be co-constructed with the teams belonging to the
organization funding the researcher and whose objectives are to develop a (or several) skills that
none of the partners are in a position to develop by themselves? The consequences for the
researcher and the organization will be examined by considering the game as an interval
between two parts of the same process, an ideal interstitial space facilitating mediation, focusing
particularly on the development of the researcher’s “game” in this context. The paper will
examine these questions through a dialogue of two voices: that of the Director of the regional
theater, and of the researcher funded by the organization, in order to allow the reader to
understand the stakes that are “at play” in this type of fluid and changing context found at the
heart of the social sphere.

INDEX
Mots-clés : jeu, médiation, formation, conscientisation, plurilinguisme
Keywords : game, mediation, training, awareness, plurilingualism

AUTEURS
MAUD SERUSCLAT-NATALE
LHUMAIN, Université Paul Valéry Montpellier III & CIFRE à MA scène nationale du Pays de
Montbéliard
M. Sérusclat-Natale est certifiée de lettres, FLE/FLES et théâtre, a collaboré avec le CASNAV et la
DAAC de l’académie de Besançon. Elle travaille actuellement à MA, scène nationale de
Montbéliard sur Parlemonde, projet artistique plurilingue auquel elle consacre un doctorat en
sciences du langage, dirigé par N. Auger (Université Paul Valéry, Montpellier).
m.natale[at]mascene.eu

YANNICK MARZIN
Directeur MA scène nationale – Pays de Montbéliard
Y. Marzin dirige la scène nationale du Pays de Montbéliard en 2011 après des postes de direction
au Ballet du Nord avec Carolyn Carlson, et au Conservatoire National Supérieur de Musique et de
Danse de Paris. Formé à la danse, il est titulaire d’une maîtrise en géographie, d’un D.E.A. en
esthétique et d’un D.E.S.S en politiques culturelles. Il a enseigné à Paris 10 pendant 10 ans et été

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consultant pour divers festivals en Europe.


ym[at]mascene.eu

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Le partenariat comme déclencheur


de la recherche participative dans
un projet école-musée-famille pour/
par le plurilinguisme
Raquel Carinhas, Maria Helena Araújo e Sá et Danièle Moore

Introduction
1 Dans les écologies plurilingues qui forment le tissu de nos sociétés et de l’école, de
nombreux chercheurs soulignent à la fois l’importance de construire la continuité
entre les différents espaces où circulent et apprennent les enfants (Ishimaru et al.,
2015 ; Simonin & Thamin, 2018), et l’importance pour les enseignants de travailler en
étroite collaboration avec les familles et les communautés pour construire le projet
pédagogique qui sera le leur. Il existe encore peu de recherches didactiques qui
permettent d’explorer finement comment les pratiques linguistiques et culturelles et
les savoirs des familles, des communautés locales et des institutions, peuvent être
investis dans les partenariats éducatifs (Bottoms, Ciechanowski, Jones, de la Hoz, &
Fonseca, 2017) ni comment une recherche participative, fondée sur la collaboration, la
réflexivité et le partage des expertises, se déploie sur le plan méthodologique et
conceptuel.
2 La recherche en éducation et en didactique des langues et du plurilinguisme (DLP) a
pourtant largement montré, depuis plusieurs décennies, que des projets partenariaux
entre école, familles et communautés contribuent au succès scolaire et au
développement intégral des élèves (Ishimaru, Barajas-López, & Bang, 2015 ; Santos,
Araújo e Sá, & Simões, 2012), tout en soulignant l’importance de créer des situations
éducatives œuvrant pour la mise en continuité des espaces de socialisation et
d’apprentissage des apprenants (Simonin & Thamin, 2018). Toutefois, peu de
recherches se centrent sur les partenariats pédagogiques multi-situés, impliquant tout
à la fois l’école, les musées et les familles, notamment autour de projets centrés sur le

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plurilinguisme (Moore, sous presse). Encore moins d’études se centrent plus


particulièrement sur les dynamiques réflexives de mutualisation des expertises des
réseaux d’acteurs-chercheurs dans le développement collaboratif de ressources
pédagogiques plurilingues (Beaumont & Moore, 2020).
3 C’est dans ce creux que s’inscrit notre réflexion qui porte sur l’analyse d’un partenariat
éducatif autour du plurilinguisme comme déclencheur d’approches participatives
(Anadon, 2013), dans le sens où celles-ci supposent aussi la coopération et la
contribution des partenaires à la démarche d’investigation sur un même objet de
recherche (Desgagné, 1997). Après une revue de littérature sur les défis des projets
partenariaux développés sur la diversité linguistique et culturelle en DLP, nous 1
présentons notre étude qui s’inscrit dans une perspective auto et ethnographique pour
mieux comprendre comment se développe, du point de vue des acteurs, ce processus
partenarial visant l’éducation au plurilinguisme d’enfants de l’école primaire en
Uruguay.

Contexte de la recherche et méthodologie


4 Cette contribution se situe dans le contexte de l’éducation primaire en Uruguay, niveau
d’enseignement qui s’adresse à des élèves de 6 à 12 ans. L’école de notre étude est une
école de Tiempo Completo2 (temps complet), située dans un quartier défavorisé de la ville
de Montevideo. Cette école présente le pourcentage le plus élevé d’élèves étrangers
(issus majoritairement de l’Amérique Latine) en Uruguay. La langue de scolarisation est
l’espagnol et les enfants apprennent l’anglais et le portugais comme langues
étrangères. Même si les politiques linguistiques du pays soulignent l’importance d’un
curriculum en langues selon une orientation plurilingue, les programmes invitent
plutôt à juxtaposer les apprentissages des différentes langues enseignées.
5 Le projet de partenariat en étude implique l’école en question (notamment sa
directrice, des enseignants, des enfants et leurs familles), les trois chercheuses, et
plusieurs musées de la ville : le MUMI – Museo de las Migraciones, le MAPI – Museo de Arte
Precolombino e Indígena, et le Museo Histórico Cabildo). Au moment de la recherche (2019),
seul le Musée des Migrations proposait déjà des ateliers adressés à des enfants avec une
approche interculturelle. Pour les autres institutions muséales du réseau, le
plurilinguisme restait encore une voie à explorer.
6 Ce partenariat a conçu un projet visant une approche plurilingue qui a été développé
pendant une année scolaire (de mars à novembre de 2019). La recherche, de type
ethnographique, a permis le recueil de plusieurs types de données : des observations
participantes lors des activités (de la planification à la mise en œuvre à l’école et dans
les musées), des enregistrements des interactions synchrones et asynchrones entre les
partenaires (pendant la planification et les phases de rétroaction) et le journal réflexif
et le carnet de recherche de la chercheuse principale (note 1).

Plurilinguismes et partenariats éducatifs école,


familles et institutions muséales
7 Peu de recherches ont été menées en contexte partenarial mobilisant les institutions
muséales (Moore, Hoskyn, & Mayo, 2018), malgré leur potentiel reconnu pour

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développer des programmes sur la diversité culturelle et linguistique


(Charalampopoulou, 2013). Ce sont en effet des lieux d’apprentissage et facilitateurs de
rencontres interculturelles (Walton, Paradies, & Mansouri, 2016). Un état des lieux de
ces recherches montre l’ampleur des défis relevés par le partage d’expertise entre
praticiens, chercheurs et partenaires éducatifs lorsqu’ils mettent en place des projets
éducatifs qui prennent en compte la diversité des langues et des cultures des
apprenants. La complémentarité des expertises et des cultures de travail est vécue par
les partenaires à la fois comme une potentialité et comme une contrainte. En effet, si
cette complémentarité rend possible le développement de projets éducatifs perçus
comme cohérents entre les contextes formels et non-formels d’apprentissage, elle
implique aussi des tensions fréquentes entre les divers acteurs éducatifs. La dynamique
partenariale demande donc qu’il soit possible de gérer ces tensions d’une façon
productive à l’égard des objectifs du partenariat (Auger, Azaoui, Houée, & Miquel,
2018). Le public cible de la plupart des recherches recensées sont des populations
minorisées, notamment des allophones (Clerc, 2015), des immigrés (Bautista Garcia-
Vera, Limón Mendizábal, Oñate, De La Rasilla, & Rostand Quijada, 2016), des Roms
(Auger et al., 2018) ou bien des autochtones (Flückiger, Diamond, & Jones, 2012). Dans
ce cadre, et quand ils incluent la participation des parents (surtout des mères, voir par
exemple Auger et al., 2018 ; Flückiger et al., 2012), les projets pédagogiques sur lesquels
portent ces études visent pour la plupart la prise de voix des populations minorisées et,
par conséquent, la valorisation des langues minoritaires, des langues de la maison et
des répertoires plurilingues des enfants (Auger et al., 2018 ; Flückiger et al., 2012 ; Li,
Anderson, Carr, & Hare, 2018).
8 Pour ce qui concerne les dynamiques des projets conduits à travers la participation de
différentes institutions ayant des responsabilités éducatives, les études montrent
qu’elles ne sont pas uniformes et exigent la constante adaptation aux contextes et aux
cultures des plusieurs partenaires (Beaumont & Moore, 2020 ; Clerc, 2015 ; Milutinović
& Gajić, 2010).
9 Le degré de participation des partenaires est flexible et instable, chaque partenaire
pouvant assumer différents rôles tout au long d’un même projet. Dans les projets
partenariaux impliquant une collaboration entre école et familles, la participation de
ces dernières reste plutôt périphérique au projet d’école, et relève plus généralement
du volontariat et des apprentissages à la maison (Epstein, 2002) 3. Mais lorsque les projets
sont menés entre école et musées, les degrés de participation entre les partenaires
semblent plus équitablement distribués, dans le sens où le projet éducatif se co-
construit par l’ensemble des partenaires. En revanche, une seule étude traite d’une
association entre écoles, familles et musées ; le degré d’investissement des partenaires
y est plutôt du type volontariat (Auger et al., 2018).
10 Ces conclusions invitent à se pencher sur les contraintes et les obstacles associés à une
participation plus engagée et soutenue des familles dans la mise en œuvre des projets
partenariaux. Il semble central d’interroger les modes de participation des familles
dans ces projets de recherche participative, surtout quand celles-ci sont issues de
milieux fragilisés et/ou minoritaires. Nous analyserons ici le processus de constitution
et de la dynamique d’un partenariat éducatif entre école, musées et familles, dans le
contexte de cette recherche en cours à Montevideo (Uruguay).

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


171

La mise en place de la recherche et de la démarche


partenariale
11 Les projets partenariaux comportent différentes étapes de mise en place (Depetris &
Eames, 2017). Le chemin que nous avons parcouru comprend 4 étapes : les deux
premières concernent la construction du partenariat et le dessein du Projet Plurilingue et
Interdisciplinaire (désormais PPI) ; la troisième - où nous sommes à l’heure actuelle -
correspond à la mise en place du PPI4 ; une quatrième étape portera sur l’extension du
projet sur la base de l’analyse critique des étapes précédentes.
12 La préparation de l’entrée sur le terrain (Étape 1) a compris l’élaboration d’un
prospectus présentant les trois chercheures universitaires impliquées et expliquant les
buts de la recherche et de notre proposition, comme mobilisateur des motivations
(Moore et al., 2018). Nous avons aussi procédé à un relevé exhaustif de tous les musées
de Montevideo comportant des programmes éducatifs à destination de jeunes publics
(février 2019), ce relevé étant fondamental pour informer et approcher tous les
partenaires potentiels.
13 La sélection de l’école s’est effectuée sur deux critères : d’une part, le volontariat d’une
équipe scolaire qui a toujours affiché une forte disponibilité pour accueillir des projets
de recherche ; d’autre part, sa localisation, puisqu’il s’agit de la seule école d’éducation
primaire et publique à la Ciudad Vieja, le quartier où se situe la plupart des musées, ce
qui facilite la mobilité des participants, circonstance essentielle pour la viabilité de ce
type de réseautage (Depetris & Eames, 2017 ; Monroe et al., 2016). L’école constituant le
nœud du réseautage partenarial, nous nous sommes appuyées sur la thématique
nucléaire de son projet pour l’année scolaire 2019 – les jeux universels –, pour ensuite
associer trois musées historiques et ethnographiques situés près de l’institution, ceci
pour éviter des coûts associés au transport des partenaires et des participants du
projet. Les trois musées contactés ont accepté de faire partie du partenariat : le MUMI
(Museo de las Migraciones), le MAPI (Museo de Arte Precolombino e Indígena), et le
musée historique de la ville (Museo Histórico Cabildo).
14 Pendant les mois de mars et avril 2019, les partenaires pressentis se sont réunis à trois
reprises pour discuter du projet pédagogique et de son articulation à une recherche
participative. Ces premières séances ont eu lieu à l’école pendant les rencontres
hebdomadaires des professeurs. Le nombre élevé de personnes réunies (20), et le
déséquilibre entre les cultures professionnelles représentées, avec une prédominance
d’enseignants de l’école, se sont révélés peu productifs pour discuter ensemble de la
construction d’un projet éducatif de l’école impliquant les musées et les familles. Ces
déséquilibres ont par ailleurs constitué un obstacle de taille pour le développement
d’une dynamique partenariale construite sur des expertises partagées pendant ces
réunions, provoquant de fortes tensions à l’égard des rôles à jouer par chaque
partenaire. L’expertise pédagogique des partenaires universitaires et des familles
n’était pas nécessairement accueillie comme valide, tandis que familles et enseignants
se sentaient peu légitimes au sein d’une collaboration de recherche. On voit ici se
dérouler une perception différente, dans le sein du partenariat, de la recherche
participative, en particulier entre une recherche « auprès » de participants ou bien
« avec » eux (Litalien, Moore, & Sabatier, 2012). Dès la fin de la troisième séance, un
comité partenarial a été mis en place, composé d’un nombre moins important de
participants, mais qui se déclaraient prêts à s’engager dans le développement et le

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pilotage du projet (participer régulièrement aux réunions, collaborer à la construction


du matériel pédagogique et à la mise en place des activités didactiques, s’engager dans
une démarche de recherche par le biais de la collecte de données et la participation à
des discussions pédagogiques réflexives). Du côté de l’école, une seule enseignante a
choisi de s’investir activement dans ce réseau, même si les autres enseignants ont
manifesté leur accord pour mettre en place les activités dans leurs salles de classe, une
fois celles-ci développées. Cette enseignante de l’école a joué un rôle fondamental pour
que nous puissions présenter le projet aux familles des élèves.
15 Le tableau 1 présente le profil des 9 partenaires qui, au final, constituent le nœud de ce
réseau partenarial et en assurent la cohérence et la continuité pour l’ensemble des
autres acteurs engagés dans ce travail collaboratif. Nous y ajoutons la directrice de
l’école (P2), qui, bien qu’absente physiquement à la plupart des réunions, a joué un rôle
fondamental dans le fonctionnement de ce partenariat, surtout au moment de la mise
en œuvre des activités du PPI et de la gestion des ressources scolaires.

Tableau 1 – Caractérisation des partenaires

Code Partenaire Institution Rôle Profil linguistique et de mobilité

Uruguayenne. Elle a vécu pendant 10 ans en


école
P1 scolaire enseignante Galice. Elle est retournée en Uruguay il y a 9
primaire
ans.

Uruguayenne. Elle déclare l’espagnol comme


sa langue maternelle. Elle a étudié le français,
école
P2 scolaire directrice l’anglais et l’italien, mais elle précise ne plus
primaire
les parler. Elle a vécu une partie de son
enfance (de 1 à 5 ans) en Argentine.

Uruguayenne. Elle a toujours vécu en Uruguay.


Ses parents viennent de Galice et elle parlait le
Musée
galicien à la maison. Son rattachement à cette
P3 muséal Historique directrice
langue est très fort, mais elle déclare
Cabildo
l’espagnol comme sa première langue. À
l’école, elle a étudié l’anglais et le français.

médiatrice
Uruguayenne. Elle a toujours vécu en Uruguay
P4 muséal musée MAPI (secteur
et ne parle et comprend que l’espagnol.
éducatif)

médiatrice Uruguayenne. Elle a toujours vécu en


musée
P5 muséal (secteur Uruguay- L’espagnol est sa langue. Elle parle le
MUMI
éducatif) portugais et comprend l’anglais à l’écrit.

Chilienne. Elle est récemment arrivée en


Uruguay. Elle a vécu en Argentine, au Brésil et
P6 familial famille mère
en Catalogne. L’espagnol est sa langue et elle
comprend le catalan.

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Cubaine. Elle est récemment arrivée en


P7 familial famille mère Uruguay. Elle a vécu au Venezuela et au Brésil.
Elle parle le portugais.

Uruguayenne. Elle a vécu en Colombie pendant


médiatrice plusieurs années. Elle a travaillé avec des
P8 muséal freelancer (secteur populations minoritaires et migratoires dans
éducatif) des ONG. Elle travaille comme freelancer dans
plusieurs musées.

médiatrice Uruguayenne. Elle a toujours vécu en Uruguay.


P9 muséal musée MAPI (secteur L’espagnol est sa langue maternelle et elle
éducatif) comprend un peu de portugais et d’anglais.

chercheuse Portugaise (chercheuse principale). Elle vit en


principale Uruguay depuis 12 ans. Elle est enseignante et
P10 académique université
(impliquée sur doctorante. Elle a étudié le français, l’anglais,
le terrain) l’espagnol, l’allemand, le latin et le russe.

chercheuse Portugaise. Elle vit au Portugal. Elle a étudié le


P11 académique université (co-direction de français, l’anglais, l’italien et l’allemand. Elle a
la recherche) vécu en France.

Française. Elle vit au Canada. Elle parle


chercheuse français et anglais et s’intéresse à la
P12 académique université (co-direction de revitalisation des langues autochtones au
la recherche) Canada. A vécu en France, en Angleterre, en
Suisse, au Canada, au Japon.

16 Le tableau 1 nous montre que ce partenariat est hétérogène sur plusieurs plans : les
professions, les institutions d’appartenance et les cultures professionnelles des acteurs
sont différentes. Le projet intègre par ailleurs des personnes présentant des parcours
de vie diversifiés avec des trajectoires plurilingues et des expériences de mobilité
variées. Cette hétérogénéité s’est révélée assez utile à l’heure de la conceptualisation
des activités plurilingues du projet, lesquelles sont le résultat du partage des
expériences, des savoirs et des savoir-faire des membres du partenariat. Ainsi, le PPI
comprend un ensemble d’activités menées dans une perspective dialogique qui
englobe, en continuum et en interaction permanente, tous les partenaires : des ateliers
dans l’école dynamisés par plusieurs acteurs éducatifs (enseignants, chercheurs,
familles, animateurs des musées), des visites guidées et interactives aux musées, des
ateliers dans les musées, des promenades par le paysage linguistique (visuel et sonore)
du quartier de l’école, la création de dispositifs muséologiques par les enfants.

La mise en place d’un partenariat école-musées-


familles : quels enjeux ?
17 Le corpus d’étude, sur lequel s’appuie cette contribution, comprend trois types de
données discursives recueillies pendant les deux premières étapes du projet (initiation

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et constitution du partenariat) et au début de la troisième (mise en place du PPI) : le


carnet de bord de la chercheuse principale5, l’enregistrement des interactions
asynchrones, multilatérales et bilatérales, entre les membres du partenariat (courrier
électronique et Whatsapp), la transcription de l’enregistrement d’une rencontre du
partenariat portant spécifiquement sur les motivations des partenaires, les dynamiques
du réseautage et les possibilités et perspectives de participation dans une recherche
académique.
18 Pour ces analyses, nous avons utilisé un logiciel d’analyse qualitative (webQDA) qui
permet d’établir, individuellement ou collectivement, de manière synchrone ou
asynchrone, un système catégoriel pour filtrer et organiser les données discursives en
unités signifiantes pour les partenaires de la recherche. L’analyse nous a ainsi permis
de noter l’existence de catégories avec une forte occurrence d’unités de contenu, ces
catégories étant en rapport avec : (i) les rôles assumés par les partenaires, (ii) les défis
posés par le partenariat et (iii) les possibilités de mise en marche d’une recherche
participative.

Les rôles des partenaires


Un rôle endossé de facilitatrice pour la chercheure sur le terrain (P10)

19 La construction d’un partenariat éducatif part souvent de la conjugaison d’un besoin


individuel et d’une problématique sociale identifiée par un individu qui s’intéresse
simultanément aux questions éducatives et communautaires, et qui prend l’initiative
de créer un partenariat pour les aborder. Après la constitution du partenariat, cette
personne, désignée comme la facilitatrice, conserve souvent des responsabilités de
coordination et de gestion du réseautage (Monroe et al., 2016).
20 Dans notre étude, la chercheuse principale (P10) a joué ce rôle dès le début du projet,
en particulier au niveau de la coordination générale du réseau, de la communication, de
la gestion des tensions, de l’opérationnalisation du PPI et du maintien de la motivation
des partenaires. Ce rôle concerne tout particulièrement :
• la coordination des rencontres,

Inicialmente, tínhamos marcado esta reunião para dia 9, no MUMI, mas,


como havia poucas confirmações, decidi adiá-la para esta sexta-feira. » (CR/
16/08/2019)6

• la préparation des rencontres et du matériel du partenariat,

Durante esta semana, fui preparando diversos materiais para a reunião. (CR/
06/09/2019)7

• la communication,

Logo pela manhã comecei a ligar aos pais que não me tinham confirmado a
receção da mensagem. (CR/07/06/2019)8

• l’opérationnalisation du PPI et la mobilisation des partenaires,

Enviei um email à parceria com um resumo da reunião. Era necessário


começar a definir vários assuntos e mobilizar os parceiros que têm tido uma
presença mais tímida na construção de algumas atividades. (CR/19/08/2019) 9

• la gestion des tensions,

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Vou tentar reunir-me com ela na quinta-feira [...] e tentar convencer, mas
sem impor, a ideia da parceria, mais no sentido de que em rede conseguimos
fazer mais coisas [...] Tenho de gerir isto com pinças. (CR/09/03/2019) 10

21 Ces tâches appellent des compétences diversifiées de la part de P10, en particulier des
compétences stratégiques et de négociation qui transforment la démarche partenariale
en une tâche exigeante et, dans certaines situations, assez ardue :

« Começa a ser pesado, duro mesmo, ter de lidar com esta situação de
liderança da diretora [da escola]... » (CR/08/05/2019) 11.

22 Le rôle de facilitatrice de P10 est reconnu par tous les partenaires comme essentiel au
bon fonctionnement du projet pédagogique collaboratif (« y que tú estás haciendo un
trabajo como de ir enlazando todo »12- P8/RR/06/09/2019). Les participants considèrent
même que ce rôle est le plus difficile à endosser dans une dynamique partenariale (« lo
organizativo es lo más difícil del trabajo en red »13 - P1/RR/06/09/2019). On note par ailleurs
la stabilité dans ce rôle auto et hétéro-assigné au sein du réseau partenarial, ce qui n’est
pas nécessairement le cas pour ceux joués par les autres partenaires, en particulier les
enseignants et les parents, comme nous allons pouvoir le voir ci-après.

Des rôles partagés entre partenaires

23 Le partenariat de notre recherche se caractérise par le jumelage de cultures


professionnelles et éducatives et de terrains d’action très diversifiés : « las dimensiones
del trabajo de cada uno / los accionares de cada uno /son muy diferentes. » 14 - P1/RR/
06/09/2019) (cf. tableau 1). La dynamique partenariale se caractérise en effet souvent
par la fluidité et la flexibilité des rôles assumés par des partenaires (Epstein, 2002), dont
l’engagement dépend souvent du contexte et de la culture de travail ou institutionnelle
de laquelle ils proviennent.
24 Cette hétérogénéité reconnue par les sujets conduit à des modalités de participation
très différentes et des rôles clairement identifiables, notamment au sein de l’institution
scolaire. Ainsi, nous avons pu vérifier que les musées sont plus participatifs et engagés
dans la mise sur pied du projet que les autres partenaires (école, familles, chercheurs).
Nous avons noté en particulier que travailler avec des musées, c’est aussi partager des
idées avec toute l’équipe éducative muséale qui reste, dans la plupart des cas, dans les
coulisses du partenariat : « Para P4, é essencial a contribuição de toda a equipa educativa » 15
(CR/22/05/2019). Ce sont aussi les musées qui ont le plus impulsé le développement de
ressources permettant la mise en place des activités-clés du projet pédagogique : « A P3
deu logo uma ideia genial de uma exposição que ela tinha visto em Buenos Aires com mapas
sonoros »16 (CR/22/05/2019).
25 Dans notre réseau, les contributions des familles se sont limitées jusqu’à aujourd’hui à
la logistique des activités, tout en identifiant des possibilités et d’éventuelles
contraintes à leur mise en place : « P6 e P7 estavam atentas a pormenores como a gestão do
tempo »17 (CR/22/06/2019). De ce fait, pour que les parents (dans la situation étudiée,
des mères) participent de manière engagée, il était nécessaire de les (re)contacter
individuellement, par des messages Whatsapp, en leur proposant de partager des
responsabilités de conceptualisation et de dynamisation de quelques activités-clés qui
doivent se dérouler, par exemple, lors des visites dans les musées (comme participer à
la prise de photos ethnographiques ou le recueil des sons de la ville avec les enfants).

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Leur entrée plus tardive dans le réseau semble avoir restreint leur participation active
dans la conceptualisation du projet et des activités et ressources pédagogiques.
26 Enfin, bien que la directrice de l’école (P2), n’ait pas assisté à toutes les réunions, elle a
joué un rôle fondamental de gardienne (gatekeeper) de la recherche et du projet chez les
enseignants18 en accomplissant aussi d’autres tâches telles que l’explicitation du projet
pédagogique aux familles (avec P1, qui a joué ce même rôle) et le partage
d’informations concernant le PPI avec d’autres éventuels collaborateurs (« Vos hablá con
los museos y dejá las maestras para mí »19 - CR/27/02/2019 ; « Os do CdF tinham estado pela
escola, ela comentou-lhes sobre o projeto e passou-lhes o meu contacto, pois eles tinham-se
mostrado interessados »20 - CR/12/08/2019). D’une façon plus large, nous remarquons que
P2 a joué un rôle essentiel dans l’opérationnalisation de ce projet éducatif multi-sites,
et ceci à plusieurs niveaux. P2 investit la responsabilité de tâches aussi diverses que la
relecture critique du matériel de diffusion produit par le partenariat ainsi que la
relecture du guide d’activités du PPI, la programmation des espaces et des horaires des
activités à implémenter à l’école, et la mise à disposition du matériel didactique et des
autres ressources nécessaires comme, par exemple, des photocopieuses.
27 Au final, si les musées semblent plus engagés dans le développement des ressources
pédagogiques et dans la mise en place des activités didactiques, ce sont bien les
partenaires issus de l’institution scolaire qui sont le nœud spatial et le ciment du
partenariat, en assurant l’engagement des élèves et des familles, et la continuité du
projet.

Les défis d’une posture de chercheur-acteur dans une démarche


partenariale participante

28 La conceptualisation, la planification et la mise en œuvre d’un partenariat comportent,


nous l’avons vu, de nombreux défis et demandent de la part de tous les acteurs
impliqués la prise en charge de plusieurs types de responsabilités, ainsi que des
compétences interpersonnelles et stratégiques. Nous nous intéressons ici plus
particulièrement aux défis auxquels engage la posture de chercheur-acteur dans la
démarche partenariale participante de P10, tout particulièrement au moment de la
mise en marche du partenariat (étape 2). Cette étape s’est particulièrement marquée
par de nombreux moments de risque qui ont mobilisé ses compétences
interpersonnelles et stratégiques de facilitatrice, en particulier au niveau de la gestion
des tensions.
29 Les analyses ont permis de mettre en avant deux aspects qui caractérisent ces moments
de risque pour le chercheur-acteur. Un premier se rattache aux attentes initiales de la
part de la directrice de l’école (P2) par rapport au projet éducatif plurilingue et
interculturel, qu’elle pensait pouvoir fusionner avec le projet pédagogique de l’école,
centré cette année-là sur les jeux universels. De l’avis de P2, les rencontres
hebdomadaires des enseignants de l’école avec les autres partenaires étaient, ainsi, la
meilleure procédure pour travailler ensemble. Pourtant, après deux ou trois de ces
rencontres, P10 note, dans ses observations et ses actions de terrain, combien cette
décision influe sur l’organisation de cet espace fortement marqué par la culture
scolaire (« O clima marca muito : este é o espaço dos professores. » 21 - CR/07/05/2019). Aussi
elle considère que cet espace de réunion était très (trop) peuplé (avec plus de 20
personnes) et, de la sorte, susceptible de réduire le potentiel créatif d’un projet

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plurilingue partenarial (« as salas eram muito absorventes, os professores acabam por ter
quase todo o “tempo de antena” e não são um espaço nada prático para a criação de um projeto
plurilingue »22 - CR/22/05/2019). La mise en place du partenariat appelle flexibilité et
adaptation de la part de P2, de la part des autres partenaires, et tout particulièrement
de la part de P10, dont le rôle ne se borne pas à observer les participants : P10 y joue
une importante fonction d’impulsion des actions, de coordination et de stimulation des
partenaires impliqués.
30 Un deuxième exemple montre comment P10 adapte la forme de la participation des
partenaires en changeant les codes préalablement co-établis des réunions du groupe,
en particulier par P2. Le modèle très collégial, ouvert à tous, fondé sur la mise en
commun d’expertises diversement situées qui était celui des premières réunions, parce
qu’il ne réussit pas à engager la participation, est remplacé en cours de route par une
redistribution des rôles des participants. Se constitue alors, sous l’impulsion de P10, un
comité de pilotage qui assume cette responsabilité, jusque-là surtout endossée par P2 :
(« A P4 corroborou […] que achava que estávamos “colgadas” na reunião, que não havia
abertura »23 - CR/09/05/2019).
31 Une autre situation problématique est en rapport avec la nécessité ressentie par P10,
dans son rôle de chercheuse principale de l’étude : motiver constamment les membres
du réseautage afin d’éviter les abandons en cours de route, tout en cherchant les
stratégies et les modalités les plus adéquates pour dépasser les contraintes de toute
sorte perçues par les partenaires : « A P4 comentou que está a fazer de tudo para que a
atividade vá avante, mas desabafou que, até ontem, pensava que o MAPI teria de desistir da
parceria... »24 (CR/16/08/2019). Selon les partenaires, un partenariat se construit aussi
selon un processus d’entonnoir (embudo), c’est-à-dire, par un moment, souvent initial,
d’abandon de certains partenaires : « después comienza como el embudo / como a decantar »
25
(P1/RR/06/09/2019). Par exemple, la gestion du temps (comment faire coïncider les
contraintes horaires des différents membres) s’est constituée comme un nœud
caractéristique limitant la participation des partenaires (« A grande maioria dos familiares
apenas podia da parte da manhã, o que tornaria difícil a participação da P1 » 26 - CR/
06/06/2019). Si la mise en place de modalités alternatives de communication, comme le
courrier électronique ou les messages Whatsapp, a permis de lever certaines barrières,
il reste que les pratiques linguistiques et culturelles et les savoirs des familles ont
difficilement pu être investis directement, pour le moment, au sein du projet. On
observe toutefois que les activités pédagogiques développées collaborativement
donnent voix aux communautés locales27, au musée et dans la rue, interrogeant leur(s)
histoire(s), leurs objets et leurs pratiques.
32 Ces défis qu’il faut gérer en temps réel et qui engagent le chercheur à jouer de
différents équilibres dans la posture de chercheur-acteur, définissent au final le
caractère de la participation. En effet, ces moments de doute dans la construction
partenariale, ainsi que les glissements dans les rôles et les postures participatives, sont
de nature à favoriser la réflexivité et le dialogue et, partant, d’interroger le processus
participatif dans la recherche.

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Le partenariat comme déclencheur de la participation


en recherche
33 Un espace partenarial où un ensemble d’acteurs sociaux partage des expériences et des
ressources pour construire un projet plurilingue favorise, à notre avis, la recherche
participative. Autrement dit, ces acteurs sociaux s’y configurent comme des sources de
co-production de connaissances (Gillet & Tremblay, 2017). En nous appuyant sur
l’analyse des voix plurielles des partenaires, nous cherchons à comprendre les
possibilités de mise en place d’une recherche participative et les enjeux qu’implique
une telle démarche dans notre contexte de recherche, afin de tracer le meilleur chemin
possible.
34 Mobiliser une diversité d’expertises autour d’un projet commun (ici autour du
plurilinguisme) pour mieux le comprendre et le mener à bien, se situe comme l’enjeu
central de la mise en œuvre du partenariat. Pouvoir développer une culture commune
de recherche dans l’intervention, un savoir-faire méthodologique (« ¿Y cómo serían esas
instancias ? ¿Serían como estas ? ¿Cómo sería la metodología ? »28 - P8/RR/06/09/2019),
pouvoir répartir les rôles de chacun dans la co-construction des savoirs (« ¿Qué aportar
a la investigación ? »29 -P4/RR/06/09/2019), constituent des nœuds de questionnements
récurrents à cet égard. Par exemple, l’observation en tant que modalité de recherche
participative qui donne accès à une compréhension plus approfondie et partagée des
activités développées par le partenariat (comme l’observation des extraits des
enregistrements vidéos de ce que font les enfants) est considérée par les partenaires
comme une activité complexe, dont ils considèrent qu’ils ne maitrisent ni les enjeux ni
les techniques (« Con qué claves tendríamos que mirar y observar qué cosas en esas instancias
// no me queda de todo claro »30 - P8/RR/06/09/2019), ce qui confirme l’importance de
trouver des modalités de « médiation entre les cultures de pratiques et celles de la
recherche » (Giglio, 2016 : 46). En revanche, la participation des différents membres à la
collecte des données (comme l’enregistrement photographique des activités du projet
ou l’enregistrement audiovisuel du feedback des participants après leur mise en place),
s’est avérée plus aisée pour les différents membres du réseau qui se sont ainsi sentis
vraiment inclus dans le processus de recherche collaborative : « P8 até se prontificou a
fazer o levantamento fotográfico das atividades... »31 (CR/21/03/2019) / « A mí me parece bien
/ lo que dijo P8/sacar ahí en el momento alguna opinión... »32 (P4/RR/06/09/2019). Il reste
plus difficile pour les différents partenaires de comprendre la valeur des savoirs et des
langues des familles (y compris et peut-être surtout de la part de celles-ci) dans ce
projet de recherche participative qui pourtant s’organise autour du développement
d’activités et de ressources plurilingues par/pour le plurilinguisme. Les parents sont
restées jusqu’ici plus en retrait, une tendance que nous espérons voir s’inverser dans
les prochaines étapes du travail collaboratif.
35 La mise en place d’une recherche participative est vécue comme le résultat naturel de
ce projet conçu à partir d’une démarche partenariale (« A mí / sí / porque es parte // es un
poco del por qué hicimos esto / ¿no ? / Es lo que salió de todo esto ¿no ? » 33 - P4/RR/
06/09/2019). Ce sont en effet les malentendus et la mise en évidence des écarts des
attentes, des représentations et des pratiques qui fondent un processus qui fait appel à
l’engagement, à la réflexivité et à de nouveaux apprentissages (« Es todo un aprendizaje »
34
- P1/RR/06/09/2019), aspects qui sont au cœur de ce type de recherche (Gillet &
Tremblay, 2017). Ce sont bien dans ces interstices que se construit la collaboration.

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Conclusion
36 Nous avons dans cette contribution cherché à mettre en avant certaines dynamiques de
la collaboration au moment de l’établissement et de la mise en place d’un projet
éducatif impliquant un partenariat visant à engager école, familles et institutions
communautaires (comme ici les musées) autour de la valorisation du plurilinguisme de
jeunes élèves de l’école primaire en Uruguay. Nous y avons retracé différentes étapes
de la mise en place d’un tel projet pour discuter ensuite comment se construit la
participation des partenaires, ainsi que le rôle ambigu du chercheur-acteur dans ces
configurations partenariales multi-situées. Nous avons cherché à montrer combien une
telle démarche de recherche, qui se construit comme variable, complexe et dynamique
(Blanchet & Chardenet, 2011), est reliée à des questionnements fondamentaux sur la
responsabilité sociale de la recherche et sur l’éthique dans le processus de construction
de la connaissance (Anadon, 2013). Ainsi, la recherche participative doit-elle
s’accompagner du partage de volontés et de valeurs, de la complémentarité
d’expertises et de compétences, et de démarches adaptées aux contextes
d’appartenance et d’action des partenaires de la recherche, tout autant qu’à l’écologie
locale qui marque leur domaine d’action.
37 En éclairant certains enjeux qui entourent les conditions de mises en place de
recherches qui impliquent les enseignants, les familles, les élèves et les intervenants
muséaux comme coparticipants dans des expériences éducatives où les
questionnements sont impulsés, nous espérons contribuer, à notre mesure, à un
questionnement qui demeure central dans la recherche actuelle en DLP. C’est en effet la
mise en réseau des professionnels de l’éducation (scolaire et muséale) et des familles
qui permet, pour l’enfant, d’investir la continuité des apprentissages entre les
différents pôles qui constituent son univers quotidien (Bottoms et al., 2017).
38 Quand ce partenariat associe aussi les institutions muséales dans les projets
d’apprentissage, on voit se démultiplier l’expérience de l’altérité. Nos analyses
soulignent la valeur de ces espaces de collaboration qui favorisent l’expression des
acteurs et le partage de leurs expériences, l’innovation pédagogique, le développement
de la professionnalité par/dans la recherche, l’action et la formation (Giglio, 2016) mais
aussi la difficulté de leur mise en place. En ce sens, le partenariat comme déclencheur
de la recherche participative inscrit la démarche comme un « incubateur de ressources »
(Sperano, Roberge, Bénech, Trgalova, & Andruchow, 2019). On espère dans la suite de
nos recherches pouvoir montrer que ce partenariat, qui s’inscrit dans un paradigme de
la diversité, a des effets bénéfiques pour l’ensemble des apprenants et des partenaires
éducatifs (Beacco et al., 2016).

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NOTES
1. La première auteure de cet article est la chercheuse principale, celle qui a mené l’étude de
terrain. Les autres deux co-auteures sont les directrices de la recherche.
2. Il y a trois types d’écoles primaires : les écoles Tiempo Completo (temps complet, 7h30/jour), les
écoles Tiempo Extendido (6h/jour) et les écoles Comunes (4h/jour).
3. Epstein (2002) identifie 6 types de participation par degrés croissants d’investissement : 1) rôle
parental ; 2) communication ; 3) volontariat ; 4) apprentissage à la maison ; 5) prise de décision ;
6) collaboration avec la communauté.
4. Différents partenaires sont entrés à des moments différents des étapes de mise en place de ce
réseautage.
5. 40 entrées ont été objet d’analyse (depuis l’entrée sur le terrain de la chercheuse principale, en
février 2019, jusqu’à la première rencontre réflexive du partenariat réalisée au début de
septembre 2019).
6. « Au départ, nous avions prévu cette réunion pour le 9, au MUMI, mais, comme il y avait peu
de confirmations, j’ai décidé de la reporter à ce vendredi ».
7. « Au cours de cette semaine, j’ai préparé divers documents pour la réunion ».
8. « Tôt le matin, j’ai commencé à appeler les parents qui n’avaient pas confirmé la réception du
message ».
9. « J’ai envoyé un courriel au partenariat avec un résumé de la réunion. Il a fallu commencer à
définir différentes problématiques et à mobiliser les partenaires qui ont eu une présence plus
timide dans la construction de certaines activités ».
10. « Je vais essayer de la rencontrer jeudi [...] et essayer de la convaincre, mais sans imposer, sur
l’idée du partenariat […] plus dans le sens que dans un réseau on peut faire plus de choses [...] je
dois gérer ça avec une pince à épiler ».
11. « Ça commence à être lourd, vraiment dur, d’avoir à faire face à cette situation de leadership
du directeur [de l’école] … »
12. « … et que vous faites un travail comme de tout relier ».
13. « L’organisation est le plus difficile dans un travail en réseau ».
14. « Les dimensions de travail de chacun/ les actions de chacun/ sont très différentes ».
15. « Pour P4, la contribution de toute l’équipe pédagogique est essentielle ».
16. « P3 a immédiatement donné une excellente idée d’une exposition qu’elle avait vue à Buenos
Aires avec des cartes sonores ».
17. « P6 et P7 étaient attentives aux détails tels que la gestion du temps ».
18. On notera que P11 et P12 jouent un rôle similaire auprès de P10. Nous ne l’analysons pas ici.
19. « Vous vous occupez des musées et vous me laissez les enseignantes ».
20. « Ceux du CdF étaient allés à l’école, elle a commenté le projet et transmis mon contact, car ils
avaient montré de l’intérêt ».
21. « L’ambiance marque beaucoup : c’est l’espace des professeurs ».
22. « Les salles étaient très absorbantes, les professeurs ont fini par avoir presque tout le « temps
d’antenne » et ce n’était pas du tout un espace adéquat pour créer un projet plurilingue ».
23. « P4 a corroboré […] le fait qu’elle pensait que nous étions « coincés » à la réunion, qu’il n’y
avait pas d’ouverture ».
24. « P4 a commenté qu’elle faisait tout pour faire avancer l’activité, mais elle a confié que
jusqu’à hier, elle pensait que le MAPI devrait abandonner le partenariat ».
25. « Puis cela commence comme l’entonnoir / c’est comme décanter ».
26. « La grande majorité des membres de la famille ne pouvait que le matin, ce qui rendrait
difficile la participation de P1 ».

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


183

27. Par le biais, par exemple, de l’étude des sons de la ville effectuée lors d’une sortie au musée
des enfants (une des activités plurilingues développées par l’équipe partenariale, activités qui ne
sont pas explorées dans le cadre de cet article).
28. « Et à quoi ressembleraient ces rencontres ? Seraient-elles comme celles-ci ? À quoi
ressemblerait la méthodologie ? ».
29. « Quoi amener à la recherche ? »
30. « Avec quelles clés nous devrions regarder et observer quelles choses dans ces cas ? Ce n’est
pas clair pour moi ».
31. « P8 a même proposé de faire un relevé photographique des activités ... ».
32. « Cela me semble bien/ ce que P8 a dit / avoir un feedback là-bas tout de suite… ».
33. « Pour moi / oui / parce que cela fait partie // c’est un peu pourquoi nous avons fait ça /
non ? / C’est ce qui est sorti de tout ça non ? ».
34. « C’est tout un apprentissage ».

RÉSUMÉS
La contribution porte sur une recherche en cours dont l’objectif est de comprendre comment se
construit un partenariat pédagogique et de recherche impliquant un travail collaboratif entre
une école, des familles et plusieurs musées de la ville, autour du développement de scénarios
didactiques pour/ par le plurilinguisme pour des enfants du primaire, à Montevideo (Uruguay).
L’enjeu est d’éclairer certaines conditions d’élaboration d’un tel partenariat impliquant des
enseignants, des praticiens de l’éducation muséale, des chercheurs en didactique des langues et
des parents d’élèves. Par le biais d’une approche (auto)-ethnographique, nous chercherons à
comprendre : (i) comment ce partenariat éducatif est envisagé par les différents partenaires – ses
enjeux et ses contraintes pour chacun ; (ii) leurs rôles dans l’éclairage et la compréhension d’une
recherche visant une innovation pédagogique autour du plurilinguisme. Nous explorerons en
particulier quelques implications pour le chercheur-acteur, ainsi que les transformations qu’elles
supposent, tant au niveau des pratiques professionnelles que des pratiques et de la posture de
recherche. La contribution pose ainsi quelques jalons pour mieux comprendre les enjeux, les
savoirs et les méthodes des recherches collaboratives en didactique des langues et du
plurilinguisme, ainsi que leur potentiel pour la transformation des pratiques (de recherche et en
éducation).

Este texto apresenta uma investigação em curso cujo objetivo é a compreensão de como se
constrói uma parceria educativa e de investigação entre uma escola, famílias e diversos museus
da cidade, implicados no desenvolvimento de cenários didáticos para e pelo plurilinguismo
destinados a alunos de uma escola primária em Montevideu, no Uruguai. Pretende-se refletir
sobre as condições de formação de uma tal parceria implicando professores, mediadores de
museus, famílias de alunos e investigadores em didática de línguas. Inserida num paradigma
(auto)-etnográfico, a investigação visa compreender : 1) como é que este partenariado educativo
é compreendido pelos sujeitos (suas potencialidades e constrangimentos) ; 2) quais são os papéis
dos parceiros numa investigação visando a inovação pedagógica em torno do plurilinguismo.
Exploramos, ainda, algumas implicações para o investigador-ator, bem como as transformações
que elas acarretam tanto ao nível das práticas profissionais como das práticas e da postura da
investigação. O estudo permite identificar alguns elementos fundamentais para aprofundar o

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


184

conhecimento sobre as possibilidades, saberes e abordagens de investigação colaborativa em


didática das línguas e do plurilinguismo, bem com o seu potencial para a transformação das
práticas (de investigação e de educação).

INDEX
Mots-clés : partenariat école-musée-famille, plurilinguisme, recherche participative
Keywords : partnerships schools-museums-families, plurilingualism, participative research

AUTEURS
RAQUEL CARINHAS
Universidade de Aveiro, CIDTFF, Universidad de la República, Camões, I.P
Doctorante du Programme Doctoral en Éducation de l’Université d’Aveiro, Portugal. Chercheuse
dans le domaine de la didactique des langues et du plurilinguisme. Elle s’intéresse actuellement à
des questions liées aux partenariats éducatifs entre école, familles et musées dans une visée
d’éducation plurilingue et interculturelle. Lectrice de portugais du Camões – Institut de la
Coopération et de la Langue à l’Université de la République à l’Uruguay.
raquelcarinhas[at]ua.pt

MARIA HELENA ARAÚJO E SÁ


Universidade de Aveiro, CIDTFF
Professeure de Didactique des Langues au Département d’Éducation et Psychologie de
l’Université d’Aveiro, Portugal. Elle dirige actuellement le Centre de Recherche en Didactique et
Technologie dans la Formation des Formateurs (CIDTFF) et est coresponsable du L@LE,
laboratoire qui travaille dans le domaine de la Didactique du Plurilinguisme et de
l’Interculturalité. Elle est responsable du Doctorat en Éducation de son université.
helenasa[at]ua.pt

DANIÈLE MOORE
Simon Fraser University, CRECHE – PluriLCo et DILTEC, Paris 3 Sorbonne Nouvelle
Professeure à la Faculté d’Éducation de l’université Simon Fraser à Vancouver au Canada, et
Directrice de recherche (HDR) à la Sorbonne Nouvelle - Paris 3 en France, ses recherches
couvrent les domaines de la sociolinguistique et de la didactique des langues et du
plurilinguisme. Ses travaux récents investissent des recherches collaboratives portant sur le
développement de pratiques éducatives innovantes autour du plurilinguisme et de la
revitalisation des langues autochtones, ces recherches impliquant écoles, familles, centres
communautaires et musées.
dmoore[at]sfu.ca

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Articles pédagogiques
Sous la direction de Salima El Karouni et Emilie Lebreton

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186

Formes et enjeux des usages du


français au collège à Madagascar
Daphné Bloch

1 Il est communément admis par les acteurs du système scolaire que le français est le
médium exclusif de la transmission des connaissances en milieu scolaire à Madagascar.
Toutefois les interactions sur le terrain sont révélatrices d’une hétérogénéité
linguistique sous-tendue par la nécessité de transmettre un savoir et de communiquer
d’une part, et par les prescriptions officielles d’autre part. A l’instar des travaux de
Gumperz (1989) et de l’école fonctionnelle, le sens et les formes des alternances codiques
visibles, mais labiles, sont l’objet de notre présente investigation.
2 En étudiant les pratiques linguistiques au sein de classes de collèges malgaches, nous
identifierons quelques déterminants de l’alternance codique pour répondre à ces
questions : quelles formes prennent les pratiques francophones dans la sphère
scolaire ? Quels sont les enjeux didactiques et idéologiques des formes de la
communication pédagogique ? Que nous révèle de la glottopolitique malgache les
crispations ressenties par les acteurs du système scolaire ? Comment les pratiques
langagières et les inégalités scolaires sont-elles liées à Madagascar ?
3 Trois points de vue complémentaires vont être mis en perspective : les usages
linguistiques déclarés des élèves, les déclarations des enseignants et les observations de
classes filmées.

Une recherche ancrée dans une expérience de terrain


4 Le choix du terrain a été guidé par une intuition née de notre expérience
professionnelle à Madagascar : les disparités culturelles et linguistiques observées selon
les régions, influeraient sur les formes de la communication pédagogique, ce qui
déterminerait parallèlement les dynamiques d’enseignement/apprentissage. Nos
enquêtes se sont déroulées à Antananarivo, la capitale de l’ile, et à Majunga, une ville
de province située sur la côte Nord-Ouest du pays. Alors qu’Antananarivo présente des
caractéristiques ethniques et linguistiques très homogènes, la ville de province se

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distingue par un métissage important. En bref, on parle à Antananarivo la variété


Merina du malgache, mise à l’écrit précocement et sur laquelle le malgache officiel s’est
fondé. Selon un schéma de diglossie enchâssée, le malgache officiel jouit d’une force
symbolique et institutionnelle (langue nationale), fortement supérieure à la variété
parlée à Majunga1.
5 Nos investigations ont concerné huit établissements publics et privés du secondaire.
1752 collégiens ont répondu à notre questionnaire, concernant leurs attitudes scolaires
et linguistiques ; nous avons conduit 30 entretiens auprès d’enseignants des
établissements témoins et réalisé 13 vidéos de classes.
6 Bien que le français soit le médium officiel de la transmission des savoirs scolaires, un
système d’enseignement bilingue s’est tacitement installé depuis la politique de relance
du français, ayant suivi la période dite de malgachisation. L’examen des différents
corpus recueillis nous permet d’une part, de constater qu’il existe une distance
importante entre les représentations linguistiques des élèves et des enseignants et les
pratiques linguistiques au sein de la classe ; et d’autre part, que la définition de la
langue d’enseignement, dans le discours des enseignants et dans les pratiques
observées, n’est pas nette mais bien au contraire qu’elle appelle à questionnement.

Langue(s) d’enseignement et représentations sociales


des langues
7 Afin d’identifier la langue assurant les fonctions réelles de médium d’enseignement
nous nous sommes intéressée à la langue utilisée à l’oral, dans les explications de
l’enseignant et dans les interactions verticales (enseignant-collégiens). Nous avons en
effet estimé, à la suite de J.-M Lévy Leblond (cité par Motchane, 1990) que la
transmission est avant tout un échange de paroles. Toutefois, consciente que le
discours écrit caractérise la transmission scolaire, nous ne manquerons pas d’examiner
la place des langues dans les pratiques écrites.
8 La notion de représentations linguistiques renvoie, de façon directe ou indirecte, à la
manière dont un locuteur - ou un groupe de locuteurs - perçoit et pratique des langues.
L.-J. Calvet (1999) distingue les pratiques linguistiques qui correspondent aux modalités
de production des énoncés, et les représentations qui correspondent aux perceptions
réflexives des locuteurs sur leurs pratiques et sur celles des autres locuteurs.
9 B. Py évoque quant à lui le rôle déterminant des représentations sociales des langues en
didactique2, et distingue, au sein des discours associés à des représentations sociales sur
le langage, celles s’adressant à des énonciateurs anonymes et celles ancrées dans un
contexte discursif. (Py, 2004, p. 13) Comme, la notion de représentations sociales des
langues permet de faire dialoguer les projections des locuteurs sur leur(s) langue(s) et
leurs productions langagières et autorise ainsi, à la fois une approche descriptive et
explicative, c’est donc celle que nous privilégions pour éclairer les déclarations des
collégiens, ainsi que les discours des enseignants relatifs à la langue d’enseignement.

Interactions enseignant – élèves : les déclarations des collégiens

10 Nous avons respectivement questionné enseignants et élèves au sujet de la langue


utilisée au cours des interactions verticales. Aux collégiens, nous avons posé deux

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questions complémentaires. Dans un premier temps, nous leur avons demandé quelle
était la langue qu’ils préféraient que l’enseignant utilise pour les séquences
explicatives. Puis, nous leur avons demandé quelle(s) langue(s) ils parlaient avec leurs
enseignants3. Ces questions concernaient les langues utilisées à l’oral. Quant aux
enseignants, nous leur avons demandé au cours des entretiens, dans quelle(s) langue(s)
ils parlaient quand ils faisaient cours, puis nous leur avons demandé leur point de vue
concernant la langue préférée des élèves en classe.
11 Les graphiques suivants (Graphiques 1.1 et 1.2)4 présentent la répartition des usages
linguistiques déclarés des collégiens avec les enseignants.

Graphique 1.1 : Langues que les collégiens déclarent parler avec leur enseignant – comparaison
d’Antananarivo et de Majunga

Source : Bloch 2015, enquête réalisée par questionnaires auprès de 1752 collégiens inscrits dans 4
établissements privés et 4 établissements publics.

12 Le tableau montre un usage déclaré du malgache plus répandu chez les élèves
interrogés à Antananarivo qu’à Majunga, ville, qui selon cet indicateur, se révèlerait
plus francophone que la capitale. En outre, les déclarations concernant la langue
utilisée pour les échanges sont proches dans les deux villes, les chiffres dénotant
cependant d’une légère prééminence de la langue malgache, notamment dans les
établissements de la capitale. Les observations de classes nous ont appris que les élèves
n’étaient qu’exceptionnellement à l’initiative de ce type d’interaction 5.

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189

Graphique 1.2 : Langues que les collégiens déclarent parler à leur enseignant – comparaison selon
la ville et le type d’établissement

Source : Bloch 2015, enquête réalisée par questionnaires auprès de 1752 collégiens inscrits dans 4
établissements privés et 4 établissements publics.

13 À Majunga la corrélation entre le type d’établissement et le médium utilisé dans la


communication pédagogique est remarquable. D’après les déclarations des élèves, le
français domine les échanges enseignants-élèves dans les établissements privés (68 %).
Ce sont les seuls collèges où le français domine de façon claire et nette. L’enjeu est à la
fois pédagogique et commercial. Ces collèges ont fait de l’usage du français un gage de
qualité de l’enseignement, ce qui les rend attractifs6. Les résultats du graphique 1.1
montraient des pratiques plus francophones à Majunga que dans la capitale, où l’effet
établissement est aussi plus faible que dans la ville de province. Les résultats sont ainsi
influencés par les pratiques glottopolitiques des établissements privés de Majunga.
14 En outre, la proximité du malgache officiel avec la variété parlée dans la capitale, la
prédominance et la valorisation de la culture merina jouent un rôle important dans les
pratiques linguistiques à l’école : nous constatons que la majorité des échanges
enseignants- élèves se font en malgache, et ce quel que soit le type d’établissement. Les
usages du français sont plus importants dans les établissements privés, comme on
pouvait s’y attendre.
15 Ainsi, suivant un critère limité aux interactions orales et selon ces déclarations, le
malgache assurerait le rôle de langue d’enseignement. Cette fonction du malgache est
sans équivoque dans les établissements publics.
16 La confrontation des réponses obtenues à la question concernant la langue préférée par
les élèves pour les explications (graphique 2)7 ne traduit qu’une légère préférence pour
les explications en malgache selon les données globales, mais nous constatons que la
répartition dans les deux villes entre les collèges privés et les collèges publics, dessine
des images opposées.

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190

Graphique 2 : Langues que les collégiens déclarent préférer pour les explications données par leur
enseignant – comparaison selon la ville et le type d’établissement

Source : Bloch 2015, enquête réalisée par questionnaires auprès de 1752 collégiens inscrits dans 4
établissements privés et 4 établissements publics.

17 Il est notable que les élèves des collèges publics de Majunga affichent une certaine
préférence pour les explications en français par rapport à leurs homologues de la
capitale, ce qui peut à nouveau s’expliquer par la distance entre le malgache officiel et
la variété majungaise du malgache.
18 L’analyse statistique des réponses aux questionnaires permet de dessiner deux
tendances révélatrices de représentations sociales :
1) Un clivage public / privé très net : les élèves des établissements publics déclarent
utiliser davantage le malgache avec leurs enseignants et préférer les explications en
malgache, alors que les collégiens scolarisés dans des établissements privés déclarent
préférer le français. Nous pouvons supposer que la langue française étant associée à
l’excellence scolaire, des enjeux de face ont influencé les réponses des collégiens.
2) Une préférence des collégiens Majungais interrogés pour le français, par rapport aux
élèves de la capitale et un usage important du français dans les interactions avec les
enseignants dans les établissements privés. Si nous considérons que le malgache
employé dans l’enseignement est le malgache officiel (selon les prescriptions
ministérielles et les déclarations des enseignants) il est fort probable que cette variété
ne soit pas la langue maternelle des élèves de Majunga et que bien au contraire, l’usage
du malgache officiel produise sur ces derniers une violence symbolique plus importante
que ne provoque l’usage du français (Bourdieu, 1977). La glottopolitique des
établissements privés de Majunga pourrait alors se comprendre en réaction face au
malgache officiel.
19 Voici une explication très adoucie de la prédilection des élites provinciales pour
l’enseignement en français.
Les provinces côtières (60 % de la population) n’ont pas eu la même histoire que les
Hauts-Plateaux. Même si elles comprennent très bien la langue officielle, et de
mieux en mieux du fait des contacts, elles ne se sentent pas encore
sentimentalement attachées à cette langue « merina ». L’élite de ces provinces
hésite donc entre trois politiques linguistiques : promouvoir les dialectes,
promouvoir le malgache officiel, promouvoir le français. C’est ce dernier choix

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


191

qu’elle fait en ce moment dans l’enseignement. (Dumont, Rakotozanany &


Ratsimbazafy, 1995, p. 51)
20 La domination économique, culturelle et politique de l’ethnie merina est ancienne et
toujours actuelle, et les rivalités entre les Merinas et les autres Malgaches déterminent
sans doute tout autant les représentations sociales liées aux langues que les
dynamiques dites post- coloniales, mettant au premier plan des dynamiques identitaires
en relation de dépendance au colonial.

L’idéal monolingue et la répartition fonctionnelle des langues en


classe : la « contrainte » dans les déclarations des enseignants

21 Lors de nos entretiens auprès des enseignants nous avons porté une attention
particulière à l’identification, par nos interlocuteurs, de la langue assurant le rôle de
médium d’enseignement. Nous avons distingué deux pôles centralisant des tensions
liées à des contraintes prescriptives d’une part, et pragmatiques d’autre part,
révélatrices de représentations sociales de références et d’usages.
22 Rappelons qu’il existe une représentation puriste de la langue malgache, dont les
origines remontent aux circonstances de la transcription du malgache en alphabet latin
(Raison Jourde, 1991, p. 530)8 et à l’influence du purisme français, et qui se manifeste
davantage dans le discours métalinguistique des enseignants que dans des pratiques
linguistiques9.
23 Nous avons choisi d’analyser les discours de professeur(e)s, désigné(e)s par des
pseudonymes, exerçant dans des établissements très différents et enseignant des
matières appartenant à des champs disciplinaires éloignés : deux enseignants de
mathématiques exerçant dans des établissements privés et deux enseignantes
d’histoire-géographie exerçant dans des établissements publics. Les extraits
d’entretiens présentés ci-dessous illustrent deux types d’usages linguistiques
contraints, caractéristiques des représentations sociales des langues des locuteurs.

Le malgache : une langue « mal équipée » pour enseigner

24 L’argument du défaut lexical qui affecterait le malgache est souvent avancé lorsqu’il
s’agit d’expliquer les raisons de l’usage d’une langue exogène en classe. Les enseignants
des matières scientifiques seraient les plus touchés par cette soi-disant carence de la
langue malgache.

Corpus Antananarivo : extrait entretien n° 12 : M. Mamy, 48 ans, professeur


de mathématiques au Collège Saint François-Xavier10
D100 : d’accord ok / euh quand vous êtes en classe vous parlez en quelle
langue ? /
M101 : en français ! mais quelques fois si euh si si on voit que les élèves n-
n’ont pas bien compris alors on est OBligé quelquefois de parler en malgache
/
D102 : c’est quelquefois ? /
M103 : c’est quelquefois hein pas très souvent // tu vois ce que l’on enseigne
c’est là il n’y a pas de mathématiques en malgache hein [D : hum hum] c’est
en français alors on est obligés de parler en français oui /

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192

25 En M101, le contraste dans le mode énonciatif entre l’exclamation « en français ! » et


l’aveu de l’usage du malgache caractérisé par des ratages : « mais quelquefois si euh si
si on voit que les élèves n- n’ont pas bien compris alors on est Obligé quelquefois de
parler en malgache », révèle des représentations de références : un enseignement de
qualité est en français. Mais aussi des représentations d’usages reflétant l’idée qu’une
enquêtrice française souhaiterait entendre que les cours se déroulent en français, et
que si les cours se font aussi en malgache alors une justification est nécessaire.
26 Ce phénomène se retrouve chez un autre enseignant de mathématiques en poste à
Majunga, qui évoque également l’hétérogénéité des pratiques linguistiques des élèves
comme un facteur supplémentaire de difficulté.
27 La contrainte s’appliquerait alors à l’emploi de la langue malgache et à un défaut de
compréhension des élèves en français. M. Mamy exprime quant à lui une idée répandue
parmi les enseignants de matières scientifiques : l’enseignement de ces matières ne
peut se passer des apports lexicaux du français. Cependant, l’argument avançant les
lacunes lexicales du malgache en matière scientifique parait irrecevable pour Dumont,
Rakotozanany et Ratsimbazafy (1995). En effet, ces auteurs, partisans de l’enseignement
des mathématiques en malgache, insistent sur l’importance de l’emploi de la L1 dans les
démonstrations ainsi que dans les explications, et évoquent également l’existence
d’emprunts aux langues étrangères de néologismes, ou encore de traductions de mots
techniques à l’aide de mots qui existent déjà dans la langue nationale (Rajemisa-
Raolison, 1972, p. 12), et qui se voient conférer une acception scientifique.
Nous savons bien que ce qui constitue la base des mathématiques, ce n’est pas le
vocabulaire spécial, c’est le raisonnement logique. (…) On peut postuler que toute
langue nationale est capable de traduire cette langue logique, laquelle possèderait
une dimension universelle, comme les mathématiques elles-mêmes. (…) Or la
démonstration et l’argumentation sont deux démarches de la pensée qui certes ne
se confondent pas mais s’appuient sur les mêmes registres du langage, sur ces mots
de liaison aussi familiers et utiles aux mathématiciens qu’ils le sont au philosophe
ou à l’avocat. (Dumont, Rakotozanany & Ratsimbazafy, 1995, p. 46- 47)
28 Sur le terrain le pragmatisme de l’emprunt au français l’a emporté sur l’emploi de
néologismes en langue nationale qui ne correspondent pas à l’usage. Ces emprunts
constituent des mots-clés aux enjeux pédagogiques déterminants. Toutefois, les
déclarations des enseignants démontrent que la langue malgache, privilégiée lors des
séquences explicatives, occupe la place de médium officieux.
29 Signalons également notre échange avec M. Roger, marqué d’hésitations et de
modulations à l’évocation de la langue préférée des élèves.

Corpus Majunga : extrait entretien n° 8 : M. Roger, 36 ans, professeur de


mathématiques au collège Saint Gabriel.
D91 : euh ; à votre avis / quelle langue ils préfèrent en mathématiques ? vous
voyez qu’ils sont plus à l’aise dans quelle langue en mathématiques ?
R92 : pour cerTAINS mais disons c’est pas une majorité mais de euh ; disons
dix pourcent des élèves euh qui préfèrent un peu le français / mais la
PLUpart c’est les deux / à la fois le français et le malgache / enfin c’est
surtout peut-être euh ; le malgache /

30 En R92, « qui préfèrent un peu le français », traduit une représentation sociale de


référence : d’une part, M. Roger ne souhaite pas blesser l’enquêtrice française, d’autre

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193

part, en tant qu’enseignant du privé il souhaite donner une image francophone et


francophile de ses élèves.
31 L’usage est également modulé dans cet énoncé, porteur lui aussi d’une représentation
sociale de référence : « enfin c’est surtout peut-être euh ; le malgache / ». Ainsi, bien
qu’il semble légitime pour des collégiens malgaches de préférer un enseignement
dispensé en langue malgache, l’adverbe « peut-être » nous montre que l’usage du
malgache en classe, ainsi que l’intérêt affectif et pédagogique qu’il peut présenter, n’est
pas entièrement assumé par cet enseignant. Par ailleurs, le discours de M. Roger se
caractérise par des processus d’atténuation, conformément aux cadres conceptuels
régissant la communication à Madagascar11.

L’obstacle du français

32 Les extraits suivants font état de pratiques et de points de vue fortement différents de
ceux exprimés par les enseignants de mathématiques, et témoignent de
représentations sociales de références et d’usages tout aussi distinctes.

Corpus Majunga : extrait entretien n°3 : Mme Chantal, 52 ans, professeure d’histoire-
géographie au C.E.G 12Ch. Renel

D94 : alors / pendant la classe /


vous parlez en français ou vous
parlez en malgache ? /
C95 : en malgache / TOUT !
D96 : tout ?

C97 : hum hum / fa presque en


enfin presque en
malgache izahay amin’ny
malgache l’explication de
explications de la leçon izany
la leçon en malgache mais
amin’ny malagasy fa ny leçon en
la leçon en français
français

D98 : d’accord ok / et est c’que


vous écrivez au tableau en
français ou en malgache ?

C99 : en français !

D100 : en français d’accord §

I101 : tout ce qui est écrit est en


français/

D102 : et est-c’que les élèves ils


comprennent le français ?

C103: tsy izy jiaby / pas tous /

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194

D104 : alors alors pourquoi vous


faites la leçon en français ?

C105 : mais c’est obliGÉ !

33 Mme Chantal avance un argument différent : la contrainte pèserait sur l’emploi du


français et serait attribuée aux directives ministérielles imposant l’emploi du français
dans l’enseignement13. La position de cette enseignante est caractéristique de la
schizoglossie. (Guerin, 2010). Pour Mme Chantal, la représentation sociale de référence
accorde donc la place de médium d’enseignement au français, quoiqu’une contrainte
institutionnelle pèse clairement sur cette représentation ; mais dans l’usage c’est le
malgache qui assure cette fonction.
34 Des représentations similaires sont présentes dans le discours de Mme Felana,
également professeure d’histoire-géographie. L’extrait d’entretien ci-dessous
intervient après l’évocation des difficultés rencontrées par les élèves dans la matière.

Corpus Antananarivo : extrait entretien n° 9 : Mme Felana, 38 ans,


professeure d’histoire-géographie au C.E.G Ampefiloha.
F52 : non l’histoire en histoire géographie on n’a on n’apprend pas par cœur
/ mais c’est la le raisonnement qui compte / donc c’est toujours la cause à
effet / on les / on les exerce donc à pratiquer ce genre de raisonnements /
D53 : oui /et ça ça marche pas ? /
F54 : ça marche pas bien / en plus euh le français est un vrai est vraiment UN
obstacle //
D55 : oui parce que vous devez ; euh officiellement vous devez enseignez en
français [F : hum hum oui] mais comment ça se passe en classe ? /
F56 : on doit faire bilingue / [D : oui] des fois on doit traduire ce que cela veut
dire en malgache LA plupart du temps /

35 En F65, nous constatons plusieurs signes caractéristiques de représentations sociales :


« on doit faire bilingue », il s’agit d’une représentation sociale d’usage. En revanche,
l’hésitation qui fait passer Mme Felana de « des fois » à « LA plupart du temps » est
caractéristique d’une tension entre ses usages linguistiques et les représentations
sociales de références attachées à l’emploi de la langue française. Cependant, le
malgache est également pour cette enseignante le médium d’enseignement privilégié
dans la communication orale.

Répartition fonctionnelle des langues


36 À ce stade, l’analyse nous conduit à penser qu’une seule langue ne suffit à remplir
toutes les fonctions nécessaires à l’acte d’enseignement : celles-ci sont partagées entre
deux langues et même trois dans le cas où la variété locale du malgache est utilisée
selon un schéma de triglossie (Mackey, 2000). Parmi ces fonctions, nous retiendrons
celle de donner pour vrai un savoir (Chiss, 2005)14 ; transmettre et expliquer un savoir
et évaluer/contrôler la compréhension et les acquisitions des élèves. Les modalités
discursives de réalisation de ces fonctions font diversement appel à l’écrit et à l’oral, à
l’explicite et à l’affectivité des élèves.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


195

Les usages du français dans les établissements publics témoins :


objectivisation des savoirs, rituels et mémorisation

37 Nos observations font état d’un usage quasi-exclusif du français à l’écrit. Cet emploi
interroge quant aux raisons conduisant au choix du médium et du canal. En effet,
comme l’écrit Razafindratsimba (2009), le malgache pourrait techniquement être
employé comme médium à l’écrit. Cependant, qu’il s’agisse d’un héritage colonial
désormais associé au désir de modernité et/ou du souvenir de l’échec de la
malgachisation de l’enseignement, conjointement à une menace d’isolement
linguistique de l’île, c’est le français qui est utilisé selon les déclarations des
enseignants pour faire la leçon. Nous retrouvons cette expression dans la totalité des
entretiens effectués, la variable matière n’est pas à ce stade pertinente. Le type
d’établissement où exercent les enseignants peut toutefois être corrélé avec des
modulations du sens porté par cette formule.
38 Dans les établissements publics, faire la leçon en français correspond à la recopier au
tableau à partir d’un livre en français et à la faire copier aux élèves dans leur cahier.
39 L’usage du français servirait alors ici à objectiver les contenus d’enseignement et à les
harmoniser. L’usage du français à l’oral apparait toutefois dans le cadre de formules
ritualisées et comme mots-clés à mémoriser au sein d’énoncés explicatifs en malgache.
Un exemple intéressant est donné dans l’extrait transcrit ci-dessous :

Corpus Antananarivo : vidéo n° 6 : un cours d’histoire au C.E.G d’Ampefiloha, classe de


3ème
(C’est le début du cours, les élèves ont leur cahier ouvert.)

L’enseignante 1 : quelles sont les


différentes mesures prises par
LES Bolchéviques ? ils ont pris
qui va répondre ?
DES Mesures !
Tsilavina ?
(elle écrit « mesures » au
tableau) hum hum ?
iza no hamaly ? Tsilavina ?

Tsilavina 2 : décret de paix /

L’enseignante 3 :
voilà ce qu’ils ont fait le
han han misy zavatra nataony ao
décret de paix /
décret de paix /
ça veut dire quoi ?
dia inona no dikan’izany ?

Les élèves 4 : arrêtER la GUErre /

L’enseignante 5 :
qu’est-ce que ça veut
inona no dikan’io ?
dire ?
(elle désigne un élève)

L’élève interrogée 6 : arrêter de


la guerre /

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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pourquoi ?
regardez bien on se
L’enseignante 7 : arrêTER la
souvient que ici !
GUErre /
ce qui a causé la
satria ahoana anisan’ny ?
révolution russe c’est une
jereo tsara tadidintsika taty an !
conséquence de la guerre
anisan’ny nahatonga revolution
/
russe ny conséquence de la guerre /
c’est-à-dire que les
izany HOE mba hampandroso
conséquences de la
ny fiantraikan’ny ady / dia
guerre font avancer le
anisan’ny tao izany an !
pays / à part ça !
nahatanteraka ny ao amin’ny thèse
est-c’qu’il a bien appliqué
d’avril aloha izy sa tsy ao izay ?
la thèse d’avril oui ou
mety tsara aloha izay satria izy hoe
non ?
arrêter la ?
c’était bien car ça à arrêté
la ?

Les élèves 8 : GUERRE !

40 « Décret de paix » « arrêté la guerre » et encore « la guerre » sont progressivement les


seuls termes énoncés en français par les élèves et l’enseignante. Il s’agit de mots-clés à
mémoriser, l’usage du français renvoie donc à la fonction de donner pour vrai un
savoir. Le malgache prend rapidement une place prépondérante dans la
communication pédagogique et assure les fonctions de transmission, d’explication ainsi
que d’évaluation orale de la compréhension. Les interactions sont alors poussives et
doivent s’appuyer sur l’écrit par la récitation par cœur et/ou la lecture de la leçon
copiée dans le cahier. Le malgache s’introduit rapidement et marque le début des
véritables interactions enseignant-élèves, sans qu’aucun recours à l’écrit ne soit plus
nécessaire. L’extrait suivant illustre le passage d’un médium à l’autre, le français étant
abandonné après une tentative de récitation de la leçon :

Corpus Majunga : vidéo n° 10 : un cours de physique-chimie au C.E.G d’Amborovy,


classe de 4ème

L’enseignant 17 : un
conduCTEUR ? //est un corps
qui laisse passer ?

Les élèves 18 : est un corps qui


laisse passer le courant
électrique /

mais quelle est la


Une élève 19 : raha ohatra hoe
différence entre isolant et
hafa ny isolant sy conducteur ?
conducteur ?

L’enseignant 20 : (s’adressant à
est-ce que c’est pareil
l’élève) ka mitovy ny isolant sy
isolant et conducteur ?
conducteur ?

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L’élève 21 : ha ha non
fa rehefa hoe samby hafa ! c’est différent !

L’enseignant 22 : (s’adressant à
la classe) hum est-c’que c’est pareil
han ka mitovy ve ny isolant sy isolant et conducteur ?
conducteur ?

Les élèves 23 : TSY MItoVY ! c’est pas pareil !

41 Dès le tour de parole 19, le français n’est plus conservé que sous la forme d’emprunts
insérés dans les énoncés en malgache (« ny isolant sy conducteur » aux tours de parole 19,
et 22 et « courant » présent deux fois au tour de parole 27). Le passage au malgache
permet un déplacement des frontières didactiques et linguistiques entre enseignant et
enseignés, une élève allant jusqu’à poser une question à l’enseignant sans même lever
la main (tour de parole 19). Il est notable que la prise de parole de chacun, « délivrée »
en quelques sortes, de la langue de l’écrit, est plus spontanée en malgache. Si le français
est présent à l’écrit et à l’oral au début du cours, il est rapidement abandonné par les
enseignants du public. Le malgache assume donc les fonctions de médium
d’enseignement dans les établissements publics témoins.

Les usages du français dans les établissements privés témoins :


explications et raisonnement

42 Les enseignants des établissements privés s’efforcent quant à eux de donner également
des explications en français. Au cours de nos observations nous avons considéré qu’il y
avait deux types d’emplois du français à l’oral par les enseignants du privé. Le premier
consiste en des explications de règles, et aurait alors pour objectif de permettre aux
élèves de raisonner en français. Cet emploi consiste en des interactions verticales en
français constatées dans un cours de français à l’ESCA, un des plus prestigieux
établissements de la capitale. La leçon portait sur la transformation des phrases actives
en phrases passives. La leçon est ici expliquée en français à partir d’exemples
d’énoncés, et non pas d’une leçon écrite au tableau. L’enseignante s’assure de la
compréhension des élèves et leur pose des questions collectives. Il y a donc un échange
oral en français entre elle et la classe. Les réponses orales des élèves sont cependant
fortement ritualisées : rompus à l’exercice de l’écoute active, ils finissent en chœur les
phrases de leur enseignante, afin de montrer leur attention et leur compréhension. Le
rythme et l’accentuation caractérisant les propos de l’enseignante jouent un rôle
important pour le repérage et la compréhension des mots-clés par les élèves. La
variable matière (ainsi que la variable établissement) est ici en corrélation directe avec
l’emploi du français dans les interactions.
43 Le second type de leçon donnée et expliquée en français, observée dans un
établissement privé de Majunga, consiste davantage en l’oralisation par l’enseignant de
la leçon écrite au tableau. Toutefois le schéma discursif est proche de celui repéré dans
la leçon de français donnée à l’ESCA.

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Corpus Majunga : vidéo n° 8 : un cours de mathématiques au collège Saint-


Gabriel, classe de 4ème
(L’enseignant a écrit la leçon portant sur les vecteurs en français au tableau.
Les élèves ont recopié la leçon.)
L’enseignant 5 : qu’appelle-t-on vecteurs opposés ?
Les élèves 6 : on appelle vecTEURS oppoSÉS / des vecTEURS qui ont la même
direction la même lonGUEUR mais SENS contrAIRE /
L’enseignant 7 : on appelle vecteurs opposés / DEUX ou plusieurs vecteurs
qui ONt la même direCTION la même lonGUEUR MAIS de SENS contraire [les
élèves : contraire] on y VA alors (il lit le tableau) caractérisaTION du milieu
des segMENTS / propriéTÉ A B I sont trois points du PLAN / I est le milieu de
A B et I A plus I B égal / vecTEUR / NUL / pourQUOI I A plus I B égal vecteur
nul ? regardez bien la FIgure ( il pointe la figure avec son doigt) I A plus I B
que constatez-vous ici ? [les élèves : XX] HEIN ? I vers A et I vers B / est ce
que le le SENS est toujours le MÊME ?
Les élèves 8 : NON /
L’enseignant 9 : HEIN ? que peut-on dire alors SI si on additionne deux
vecteurs de sens
contraire par exEMple d’après la relation de Chasles (il se met à écrire ce
qu’il dit) A B vecteur A B plus vecTEUR B A d’après la relation de Chasles ça
donne QUOI ?
Les élèves 10 : vecTEUR A /
L’enseignant 11 : A d’accord ! qu’appelle-t-on vecteur A ? [les élèves : vecteur
A] c’est un vecteur ?
Les élèves 12 : NUL !
L’enseignant 13 : I vers A et I vers B regarDEZ bien / I vers A c’est le sens de I
vers A / I vers B c’est le sens de I vers B / est c’QUE ; ces deux vecteurs sont
de même sens ?
Les élèves 14 : NON ; /
L’enseignant 15 : est-c’que ces deux vecteurs sont de même direction ? //
OUI pourQUOI ? parce QUE ces deux vecTEURS sont sur une ; même ? drOITE
[les élèves : drOITE !] est-ce QUE ces deux vecteurs sont de même longueur ?
Les élèves 16 : OUI !

44 Comme pour le cours de français à l’ESCA les interactions verticales ne sont pas
individualisées, elles réactivent les connaissances des élèves et leur permettent de
mémoriser en français et elles permettent à l’enseignant de s’assurer de leur attention.
Les élèves récitent ensemble une définition (tour de parole 6), répètent un terme connu
(tours de parole 7 et 15) et répondent très brièvement, et toujours collectivement, aux
questions (tours de parole 14 et 16). Le discours de l’enseignant comporte des
explications en français dont les grandes lignes sont écrites au tableau. La langue
française sera utilisée (bien que l’enseignant ait également recours au malgache) tout
au long du cours. Cependant, l’emploi oral du français en classe ne témoigne pas des
caractéristiques discursives habituellement attachées à ce canal de communication : les
répétitions de l’enseignant s’appuient sur le texte du tableau et ne comportent pas de
reformulation, il n’y a pas de véritable échange entre l’enseignant et les élèves qui
répondent collectivement et de façon très ritualisée. Bien que le discours de
l’enseignant comporte une marque de feedback verbal (tour de parole 11 :« A d’accord »)
l’aspect interpersonnel de la langue n’est pas saillant et son discours s’apparente au
monologue. Dans ce cadre on peut difficilement imaginer un collégien prendre la
parole en français de son initiative.

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Conclusion
45 Les fonctions des emplois du malgache en classe sont liées au type d’établissement. En
effet, dans les collèges publics le malgache occupe sans conteste la place de médium
officieux alors que dans les établissements privés c’est le français, qui assure également
les fonctions d’explication et d’évaluation.
46 Soulignons que dans tout type d’établissement, le français permet l’usage d’une
terminologie commune relative à la matière enseignée. En ce sens, il remplit la fonction
d’objectivisation du savoir. Les déclarations des collégiens et des enseignants dénotent
de représentations sociales de références ambigües, à l’image des tensions entre les
prescriptions ministérielles, la valorisation sociale du français et les besoins
pragmatiques ressentis par les enseignants.
47 Enfin, toutes nos observations tendent à prouver que les usages des langues au collège
reflètent les rapports diglossiques (et par conséquent les rapports sociaux inégalitaires
des locuteurs), à l’œuvre à Madagascar. La systématisation de l’emploi d’une langue ou
l’autre dans la communication pédagogique remplit une fonction de sélection, l’école
reproduisant les inégalités sociales à travers le système de transmission des savoirs
(Bernstein, 1975). La compréhension approfondie des facteurs pesant sur les
trajectoires scolaires des collégiens malgaches nécessite pourtant l’examen des
multiples relations entre le langage, le savoir et les pratiques de transmission. Une
étude élargie que nous avons menée sur ce sujet, souligne des dynamiques
d’apprentissages différenciées entre les deux villes et les établissements, ce qui soulève
la question des inégalités scolaires et de leur maintien.

BIBLIOGRAPHIE
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Louvain : Duclot.

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Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


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plurilingues et représentations linguistiques à Madagasca », Le français en Afrique. pp. 135-152.

NOTES
1. Cette variété est nommée le kizanatany, ou plus communément le majungais.
2. Py ne s’intéresse pas, dans le cadre de cette étude, au discours métalinguistique,
caractéristique d’une activité réflexive du locuteur sur le langage, mais aux représentations
sociales traitant le langage comme « un objet social à interpréter. » (2004, p. 7).
3. Ces deux questions étaient éloignées l’une de l’autre (question n° 4 et question n° 11) dans le
questionnaire afin de minimiser l’influence que la première question pouvait avoir sur la seconde
4. La question concernait le code utilisé selon l’interlocuteur : « Quelle(s) langue(s) parles-tu :-
avec les professeurs ? - avec les parents ? - avec les frères et sœurs ? - avec les amis ? ». La
question était ouverte et les élèves étaient invités à donner plusieurs réponses. Cependant,
l’ensemble des collégiens interrogés n’ont répondu que par « français » ou « malgache ».
5. Nous supposons donc que les élèves ont compris la question de la manière suivante : « Dans
quelle langue te parle le professeur ? ». Nous estimons ainsi que ces graphiques décrivent les
échanges enseignant-élèves.
6. Le souvenir de l’échec de la malgachisation de l’enseignement s’accompagne d’une
représentation positive de l’enseignement intégralement dispensé en français, langue de mobilité
et de promotion sociale.
7. La question était : « Tu préfères quand le professeur explique en quelle langue ? » La réponse
était ouverte.

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8. F. Raison-Jourde souligne que les revues religieuses, premiers supports véhiculant une langue
malgache pure au XIXème siècle, vont influencer les pratiques linguistiques des élèves sortis des
grandes écoles, ces derniers se forçant à perpétuer le purisme élitiste et à renvoyer cette vision
idéale de la langue.
9. Le caractère performatif des idéologies a été mentionné par plusieurs théoriciens notamment
ceux défendant une approche fonctionnelle du discours idéologique. Selon Eagleton, il existe une
sorte « d‘état glissant ou de duplicité enfermé dans le langage idéologique » qui permet au
discours idéologique d’accomplir certains actes ou fonctions en même temps qu’il prétend
constater ou décrire des faits (Eagleton, 1991, p. 19).
10. La lettre D désigne l’enquêteur.
11. La pragmatique malgache est fortement orientée vers la recherche de la préservation de la
face de l’interlocuteur.
12. C.E.G. : Collège d’Enseignement Général. Il s’agit d’un établissement public.
13. Soulignons que depuis la malgachisation de l’enseignement, l’idée que les cours d’histoire
doivent se faire en langue nationale a perduré. Au début des années 90, la politique de retour au
français précise, par la note circulaire du 7 juillet 1992, que la langue nationale reste médium de
l’enseignement pour les matières véhiculant les valeurs malgaches, dont l’histoire (de
Madagascar) fait partie.
14. Chiss définit la langue d’enseignement comme celle servant à « la mise en forme des savoirs
(contenus, manuels, etc.…) » et la langue des apprentissages comme « les formes linguistiques et
rhétoriques dans lesquelles les tâches scolaires sont codifiées (explications, consignes,
évaluations, etc.…). » (Chiss, 2005).

RÉSUMÉS
Le présent article propose une étude des formes et des fonctions des langues présentes dans la
communication pédagogique dans des classes de collèges de deux villes de Madagascar. Selon une
analyse croisée de trois corpus de natures différentes recueillis auprès des enseignants du
secondaire et de leurs élèves, nous présentons une étude comparative des représentations
linguistiques, des pratiques langagières et des modalités de transmission des connaissances dans
des établissements d’Antananarivo et Majunga. L’hétérogénéité des pratiques et des
représentations linguistiques et les enjeux inhérents révélés par l’analyse, dénotent d’une
dynamique de maintien des inégalités scolaires, miroirs des disparités sociales à Madagascar.

In this paper we study the features and functions of educational languages in high schools of two
Madagascar’s cities. From a cross-analysis of three different data sets collected with school
teachers and their students, we present a comparative study of linguistic representations of
language practices and knowledge transfer methods in higher education establishments of
Antananarivo and Mahajanga. The revealed heterogeneity of linguistic uses and believes/
preconceived as well as their intrinsic challenges, denote a dynamic of educational inequality
maintenance mirror Madagascar´s social disparities.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


202

INDEX
Mots-clés : pratiques langagières, inégalités scolaires, alternance codique, langue
d’enseignement
Keywords : language practices, educational inequalities, code-switching, language of instruction
Thèmes : Articles pédagogiques

AUTEUR
DAPHNÉ BLOCH
Université de Rouen – Dylis – EA 7474
Daphné Bloch est docteure en Sciences du langage, professeure de Français Langue Etrangère et
de Lettres modernes. Elle a enseigné en Afrique Subsaharienne et dans l’Océan Indien. Sa thèse a
analysé l’impact des pratiques de transmission des savoirs et celui des pratiques langagières sur
les trajectoires scolaires, dans des classes de différents collèges à Madagascar.
daphnebloch80[at]gmail.com

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Comptes-rendus
Sous la direction de Marc Debono

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Nissen, E. (2019). Formation hybride


en langues : Articuler présentiel et
distanciel. Paris : Didier.
Grégory Miras

1 La monographie Formation hybride en langues : Articuler présentiel et distanciel d’Elke


Nissen propose, en 284 pages et 6 chapitres, un panorama large des travaux sur les
formations hybrides en langues tout en faisant la synthèse de multiples dispositifs
existants. C’est en cela un ouvrage utile pour tous les (futurs) enseignants en didactique
des langues, mais aussi les ingénieurs pédagogiques qui souhaiteraient mettre en place
ou accompagner la création de formations hybrides en langues. Le titre révèle le choix
de l’autrice de retenir, à dessein, l’étiquette de « formation hybride » plutôt que
d’autres termes comme le blended learning ou les formations mixtes dont elle considère
comme ayant une acception trop large (différentes modalités, approches pédaogiques,
etc.). Elle rappelle également la spécificité des formations en langues dans ce type de
dispositif. Elke Nissen introduit ou conclut les chapitres par un ou plusieurs encadrés
synthétiques, et guide ainsi le lecteur pas à pas vers les points importants à retenir. Cet
accompagnement réussi du lecteur est complété par des exemples et des modélisations
schématiques de dispositifs.
2 Le chapitre 1 intitulé « Cerner la formation hybride en langues (FHL) » souligne avec
pertinence la dimension d’ingénierie pédagogique de cet ouvrage et pose son cadre
général. En effet, il débute par la présentation de trois exemples de FHL qui permettent
au lecteur de mieux cerner, à la fois les contours, mais aussi les variations possibles en
termes de modélisations de dispositifs hybrides. Ces dernières sont le résultat des
possibilités multiples, en termes d’outils mobilisés, et de transformation du dispositif
lui-même en fonction de ses acteurs (objectifs, besoins, possibilités). Ces possibilités
sont d’autant plus importantes que l’articulation entre présence et distance permet des
variations infinies. Face à cette multitude de voies ouvertes, l’autrice rappelle son choix
de se focaliser sur une analyse micro, voire méso, des FHL (p. 33). Ainsi, une première
définition générale est proposée pour ce terme permettant au lecteur de mieux
comprendre les frontières de ce que l’autrice considère comme les FHL.

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La formation hybride en langues (FHL) articule au sein de son ou de ses scénarios(s)


pédagogique(s) deux modes, le distanciel et le présentiel. Elle correspond à une
forme de formation spécifique, dont chacun des modes est également spécifique par
rapport à une formation qui se déroulerait entièrement, respectivement, à distance
ou en présentiel. La FHL fait appel à un accompagnement et elle intègre
l’interaction, dans un mode comme dans l’autre, à travers la présence d’un (ou
plusieurs) scénario(s) de communication. Elle se base, au moins partiellement, sur
une pédagogie active. (Nissen, 2019 : 35).
3 Il s’agit donc d’une coprésence humaine (des interactions physiques ou à distance),
reprenant les principes du socioconstructivisme, qui présente des particularités tant en
termes de modalités d’organisation (un accompagnement), de moyens d’action
(présence ou distance) et de dispositions pédagogiques (scénario, pédagogie active).
Cependant, pour respecter les principes de l’hybridité, il est nécessaire qu’une phase de
non-coprésence physique soit mise en place à un moment donné du dispositif. Cette
phase doit nécessairement être incluse (et accompagnée) dans le scénario global
pédagogique. L’autrice souligne que la FHL est une formation spécifique qui nécessite
de déconstruire un agir professoral établi, mais aussi le distanciel pur, en insistant sur
l’articulation structurelle avec les moments en présence. Cette articulation est à la fois
pensée par l’enseignant et par les apprenants qui disposent de clés pour la construire.
Cette construction prend la forme d’une scénarisation (avec des granularités multiples)
dont l’objectif est une structuration cohérente de la formation. Dans le cas de la
didactique des langues, un scénario de communication – l’explicitation de la manière
dont les acteurs vont communiquer entre eux, sera nécessaire en admettant un
ensemble de possibilités (plutôt que de contraintes). L’autrice rappelle qu’en matière de
FHL contrairement aux situations d’autoapprentissage, qui conduisent à un fort taux
d’abandon, il y a toujours la présence d’un enseignant qui pourra être concepteur,
tuteur ou les deux.
4 A partir de ce cadre général, Elke Nissen propose d’« identifier les paramètres de
l’articulation du distanciel et du présentiel » (p. 68) ce qui constitue le corps du
chapitre 2. L’autrice propose trois points nécessaires pour la réussite des FHL. En
premier lieu, le « fil rouge », que l’autrice définit comme la colonne vertébrale du
scénario pédagogique, assure la cohérence du dispositif dans son intégralité tout en
intégrant deux aspects : une unité d’ensemble (une méthodologie, un aspect langagier
ou une compétence) et le scénario de communication (petits et grands groupes tutorés
en présentiel ou en télécollaboration (a)synchrones). Le deuxième point dépend du
premier et il correspond à l’alternance fonctionnelle entre les deux modes en ce qui
concerne les habiletés langagières. En effet, chaque mode présentera une fonction
particulière tout en étant complémentaire de l’autre. Par exemple, le présentiel permet
des interactions verbales synchrones sans outil numérique tiers et le distanciel rend
possible les interactions pour des personnes dans des espaces géographiques éloignés.
Il s’agit là de voir comment ces deux modes se complètent (même si chacun a ses
spécificités) afin de maintenir le « fil rouge ». Cette alternance permet notamment
d’accorder aux apprenants une liberté et une flexibilité plus grandes parce que le
distanciel permet à chaque apprenant de trouver son propre rythme et ainsi de
disposer d’une certaine individualisation. La logique de cette alternance se retrouve
dans la question de l’évaluation, qui peut se faire en miroir en présence et à distance, et
porter sur des éléments vus dans un mode comme dans l’autre. Au-delà des enjeux de
l’évaluation valables pour toute formation, l’autrice rappelle qu’il est nécessaire que le
travail effectué dans ces deux modes soit évalué (de manière formative ou sommative)

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206

pour ne pas donner l’impression que l’un ou l’autre est moins important ce qui pourrait
provoquer un désinvestissement des apprenants. Elke Nissen donne plusieurs pistes sur
les moyens de maintenir l’investissement : chaque tâche est évaluée, l’apprenant
comprend le rôle d’une activité au sein des objectifs de la formation, le résultat d’une
tâche s’imbrique dans la tâche suivante, un journal de bord permet de rendre compte
des activités de l’apprenant. Le facteur temporel est le dernier point de cette
dimension, il se reflète dans la structuration du scénario avant, pendant et après, de
manière régulière ou plus asymétrique. Au sein de cette deuxième dimension, tournée
autour de l’alternance et de la complémentarité, l’autrice rappelle néanmoins qu’il
existe presque toujours un « mode pilier » (lead mode) – la dominance d’un mode sur
l’autre, ce qui est aussi le cœur de la réussite des FHL. Ce mode pilier est déterminé en
prenant 4 caractéristiques : le mode dans lequel (1) les consignes sont données, (2) le
déroulement de la formation est expliqué, (3) les apprenants passent le plus de temps et
(4) sa conception a été pensée. Il ne s’agit là pas d’une prédétermination (ce mode peut
changer au cours du dispositif) ni d’une domination (il y a alternance) mais c’est ce qui
permet d’afficher clairement le fonctionnement de la formation aux apprenants. Pour
finir, le troisième point pose la question du choix des outils et notamment celui des
critères de leur sélection (accessibles, adaptés, au service des objectifs pédagogiques).
5 Suite à cette proposition d’articulation entre présentiel et distanciel, le chapitre 3
montre l’intérêt de « s’appuyer sur une approche par tâche(s) ». L’autrice rappelle que
la notion de « tâche » est ancienne, même si les auteurs cités ne le mentionnaient pas
de cette manière (Dewey, Freinet, etc.), et si cette étiquette a pris une ampleur
particulière avec l’avènement de l’approche actionnelle. Il s’agit avant tout de
reconnaitre l’action comme vecteur de sens pour l’apprentissage en lui donnant un but
ancré dans les pratiques de la société comme élaborer un produit, savourer une
expérience esthétique, résoudre un problème ou atteindre un certain degré de
compétence. Les compétences visées ne sont pas forcément langagières et s’appuient
sur un contexte social entourant l’apprenant ou son futur. A partir de ce
positionnement général, plusieurs notions sont explicitées : la tâche complexe, qui
comporte des sous-tâches (contrairement à une tâche simple), et qui n’est pas
forcément finale dans le dispositif ; les sous-tâches ou étapes sont orientées vers
l’accomplissement de la tâche ; les activités d’entrainement qui visent à préparer des
compétences utiles pour la réalisation de la tâche ; et enfin, des aides qui facilitent le
processus de réussite. Dans ce cadre, trois types de scénarios pédagogiques se
détachent :
• Une seule tâche comme élément structurant : l’objectif est la réalisation d’une tâche unique
qui se décompose en différentes étapes prenant la forme d’unités ou de modules successifs.
• Plusieurs tâches s’enchainent et forment ensemble la colonne vertébrale du scénario
pédagogique : le scénario pédagogique se compose de plusieurs tâches qui se suivent d’après
une logique variable. Cette logique peut s’appuyer sur la nature des tâches, leur
recoupement partiel ou une situation globale partagée.
• Le même type de tâche est proposé de manière itérative (répétée et à intervalle régulier).
6 De manière transversale, la notion de tâche questionne les critères de son authenticité
(sociale). Pour l’autrice, elle peut prendre quatre formes : (1) la préparation d’une tâche
sociale réelle, (2) une tâche s’inscrivant dans un objectif éducationnel, (3) une
simulation soit une tâche « sociale » mais reproduite dans le cadre pédagogique, ou
bien (4) les objectifs d’apprentissage et sociaux sont combinés. Elke Nissen propose de

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207

questionner l’authenticité de la tâche du point de vue des acteurs : l’enseignant et/ou le


concepteur mais aussi les apprenants, voire le public. Elle rappelle que cette
authenticité est construite et qu’elle peut reposer sur la « sincérité » de l’apprenant
dans son investissement dans la tâche, sa plausibilité, les enjeux ou sa signification
notamment pour l’apprenant ou encore une adhésion motivée de ce dernier.
L’importance du contrat social, notamment avec le public, est un facteur déterminant
dans l’investissement des apprenants.
7 Le chapitre 4 développe les modalités de combinaison entre télécollaboration et
présentiel. La télécollaboration est définie par Elke Nissen comme une interaction
sociale, en ligne, médiatisée par le langage entre des apprenants éloignés
géographiquement, avec un objectif d’apprentissage langagier, interculturel, technique
et/ou disciplinaire. Elle se déroule dans un cadre institutionnel qui intègre au moins
deux partenaires incluant des enseignants ou des tuteurs qui proposent des tâches
collectives. C’est un bon moyen pour les apprenants de pratiquer une langue et elle
peut être perçue (voire reconnue de plus en plus) comme une mobilité virtuelle.
Plusieurs éléments permettent de distinguer les différentes formes de
télécollaboration : les objectifs visés, la configuration langagière, la configuration de
participation, la temporalité et les outils, la durée et la fréquence ou encore
l’intégration dans le cursus. L’une des limites de ce type de dispositif est le caractère
chronophage pour les enseignants et, potentiellement, pour les apprenants. Une fois
ces éléments posés, l’autrice commente plusieurs exemples de FHL collaborative dans
des contextes variés en utilisant des outils différents et portant sur des langues variées
(anglais, langues romanes, etc.). Ainsi, il est proposé que les interactions au sein de FHL
disposent de propriétés spécifiques et qu’elles nécessitent donc un séquençage
particulier. Le premier cas repose sur un enchaînement d’étapes d’une tâche-projet
(par exemple : briser la glace, échange d’opinions, préparation du projet final,
rédaction/publication du projet final). Le deuxième cas reprend le séquencement fondé
sur Willis (1996) et correspond à un enchainement d’activités pédagogiques qui visent
la réussite du projet collaboratif, se rapprochant de savoir-faire (par exemple : établir
le contact, accomplissement d’activité, phase analytique/réflexive). Le troisième et
dernier cas, l’activité itérative (répétée) est souvent à distance et elle permet
d’anticiper chaque séance de télécollaboration (par exemple, lire et travailler des
documents audio avant d’en discuter avec ses pairs). Dans tous les cas, la collaboration
humaine permet une authenticité des échanges qui augmente l’investissement des
apprenants. Cependant, elle nécessite que ces derniers prennent des risques ce qui
n’est pas évident pour tous les individus. Pour terminer, il est question des spécificités
dans l’articulation des modes de la FHL collaborative. La pluralité des scénarios de
communication est le reflet de la variété des situations de chaque partenaire impliqué.
Il en va de même pour l’enseignant qui pourra adopter différents rôles, mais celui de
régulateur sera d’autant plus important qu’il vérifiera le bon déroulement des
interactions nécessaires pour la réalisation des objectifs. La particularité des FHL
collaboratives repose sur le fait qu’il existe deux piliers : le présentiel car il est le mode
référent localement pour chaque partenaire (présentation du scénario, discussions
guidées, négociations, etc.) et le distanciel puisque le scénario pédagogique (les
échanges collaboratifs) est centré sur ce mode.
8 Pour terminer, Elke Nissen s’intéresse, dans un cinquième chapitre, aux modalités
d’accompagnement de l’apprenant dans une FHL. Tout d’abord, elle porte son attention

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sur l’autonomisation de l’apprenant qu’elle définit comme une compétence qui permet
d’être acteur de sa formation et de la réussir, et qui s’acquiert. Il s’agit de soutenir
l’apprenant pour qu’il soit capable de réussir les activités pédagogiques et qu’il sache
gérer différents degrés de responsabilité (organisationnelle, méthodologique, sociale,
etc.). Ce soutien passe notamment par la structuration du scénario pédagogique, qui est
clair dès le début de la formation, tout en laissant aux apprenants une certaine liberté
notamment dans le choix des outils et des ressources. Plusieurs exemples sont ainsi
donnés pour illustrer les différents types de soutien. Cependant, elle reconnait que ce
type les FHL ne convient pas à tous les apprenants pour des raisons diverses : maitrise
des outils informatiques, changement dans les habitudes d’apprentissage, faible
engagement, etc. De ce fait, la présence sociale de l’enseignant-tuteur est déterminante
car elle contribue à l’engagement de l’apprenant et donc à la réussite de l’hybridation.
Toutefois, certaines des fonctions de l’enseignant-tuteur sont également prises en
charge par l’environnement techno-pédagogique. Ainsi, l’enseignant-tuteur a des rôles
multiples qui évoluent au cours des scénarios pédagogique et de communication (aide
pour gérer et planifier l’apprentissage, création d’un climat de travail favorable,
indication des critères d’évaluation, etc.). Dans les particularités des FHL, notons que
lorsque des enseignants et/ou tuteurs reprennent une formation sans en avoir pris en
charge une partie de la conception (et donc pensé le fil rouge), les principaux enjeux
sont de saisir comment fonctionne cette formation afin d’être capables de s’approprier
l’approche méthodologique pour mieux expliquer le scénario pédagogique aux
apprenants. D’autres facteurs professionnels sont également centraux : pouvoir faire
évoluer le scénario pédagogique, intégrer une équipe de tuteurs, se sentir à l’aise avec
les outils ou apprécier les contenus de la formation. La formation des enseignants au
scénario pédagogique est indispensable. Dans les FHL, l’accompagnement par les pairs
est tout aussi important que celui apporté par l’enseignant et l’environnement techno-
pédagogique. Dans une perspective socioconstructiviste, Elke Nissen rappelle la
nécessité des interactions humaines dans le développement langagier en tant que
production sociale. Cependant, si ces interactions sont fréquentes dans les FHL, le
travail collectif y est parfois erratique. Pourtant, favoriser la création de communautés
d’apprenants dans les deux modes (présentiel et distanciel) est crucial surtout si l’on
adopte une pédagogie centrée sur l’action et les apprenants (par exemple, la résolution
de problèmes). Pour l’autrice, le travail en groupe est un élément facilitant
l’autonomisation individuelle. Les principaux enjeux autour de l’intégration du travail
en groupe en FHL sont la nécessité d’une plus grande autonomie organisationnelle des
apprenants, la possibilité d’avoir accès à des outils robustes permettant le travail en
groupe à distance, la reconnaissance du travail que cela implique pour l’enseignant en
dehors du présentiel, et la nécessité d’un panachage d’évaluations individuelles et
collectives. Il devient alors nécessaire de distinguer la collaboration (les membres du
groupe négocient conjointement l’ensemble des étapes de production) et la coopération
(les membres du groupe se divisent le travail puis assemblent à la fin ces parties qui
forme une production conjointe). Favoriser une démarche de collaboration implique la
création d’une communauté, et donc d’un sentiment d’appartenance au groupe, qui
participera au succès de la FHL.
9 Le chapitre 6 est en fait la conclusion de l’ouvrage. Il propose des outils tangibles pour
les acteurs de la formation en langue : une taxonomie synthétisant les différents
paramètres qui interviennent dans l’articulation des modes présentiel et distanciel,

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mais aussi une typologie des FHL et des conditions de leur mise en place dans d’autres
contextes que celui de l’enseignement supérieur.
10 Dans son ensemble, cet ouvrage répond au cadre posé par l’autrice, à savoir, fournir
aux acteurs de l’enseignement-apprentissage des langues un outil pratique qui
organise, dans une perspective d’ingénierie pédagogique et de formation, les clés pour
la mise en place de formations hybrides en langues. L’organisation même de l’ouvrage
permet à son lecteur de trouver des éléments de synthèse (des encadrés, des
taxonomies, des schématisations) mettant en évidence les caractéristiques de FHL
complexes mais aussi des descriptions détaillées qui fournissent le matériel nécessaire
pour construire des scénarios pédagogiques et de communication opérationnels. Le
fonctionnement de la réflexion en entonnoir (partir d’exemples variés de FHL pour
déterminer des clés de réussite) fait son originalité et sa force pour les acteurs de la
didactique des langues-cultures. Cet ouvrage joue un rôle important pour souligner le
fait que les formations hybrides en langues sont un « genre de formation spécifique »
(p. 17) et doivent être conçues dès le début comme telles en dehors de toute volonté de
transposer des approches du présentiel vers l’hybride. Ce point, qui pourrait sembler
négligeable, est nécessaire pour inciter les institutions à mieux reconnaitre ce type de
formations alors qu’elles fonctionnent souvent administrativement sur la base d’un
cours magistral. Ces difficultés sont cependant partagées avec d’autres approches que
les FHL lorsqu’il est nécessaire de déconstruire les espaces physiques et temporels de la
« salle de classe ».
11 Ce positionnement général en ingénierie pédagogique de la question des FHL amène à
une focalisation « de niveau micro ou encore méso » (p. 16). Tout en reconnaissant
qu’une démarche globale sur l’articulation des différents niveaux (micro, méso et
macro) n’est pas le centre de l’ouvrage et nécessite d’intégrer les travaux en histoire de
la didactique tout autant qu’en politique éducative, une telle démarche permettrait
néanmoins de mieux situer ces pratiques dans une démarche d’analyse didactique
glocale (Robertson, 1995) et de circulation des représentations. Il nous semble qu’un
certain nombre d’éléments pourraient être pris en compte en complément de cet
ouvrage pour aller plus loin dans une démarche holistique. Tout d’abord, il nous semble
important de remarquer, tout comme le fait l’autrice dans la partie 6.3, « Conditions pour
la mise en place d’une FHL dans d’autres contextes que celui de l’enseignement supérieur » (p.
254), que la majorité des exemples de dispositifs exploités a été mise en place à
l’université. Or, d’une part, les enjeux mis en évidence dans les FHL posent l’importance
de l’implémentation de ces dispositifs dès le système primaire et secondaire pour
réduire les conséquences inhérentes à des approches dominantes actuelles
transmissives et fermées dans la « salle de classe » (notamment le niveau réel en
langues des bacheliers). Mais aussi, et d’autre part, il semble nécessaire de préciser la
réalité des pratiques sur le terrain de l’enseignement des langues. Si la recherche
montre clairement l’apport des formations hybrides par rapport au tout présentiel ou à
l’autoformation (Narcy-Combes et al., 2019) et si les enseignants peuvent être (de plus
en plus) convaincus par ce type de dispositifs, il n’en reste pas moins vrai que de
nombreuses limites expliquent le faible taux de mise en place de FHL dans les
institutions. Ces limites sont, entre autres, la non-reconnaissance du temps de travail
supplémentaire que cela nécessite pour les enseignants de langues, la modification
hebdomadaire des cohortes d’apprenants et la non-rémunération de la formation
continue des enseignants. Ainsi, si l’on reconnait qu’il n’existe pas de « résistance au
changement » (Duclos, 2015) de la part des enseignants face au numérique, ce sont bien

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les conditions d’exercice du métier d’enseignant qui ne permettent pas toujours de


penser au mieux et de mettre en place ce type de formations. Toutefois et dans le même
temps, on constate l’augmentation de recrutement d’ingénieurs pédagogiques (souvent
en lien avec le numérique), dans les structures qui, comme les universités, le peuvent,
pour faciliter et dynamiser le montage de dispositifs de ce type et viser la formation
pédagogique des maitres de conférences stagiaires (Décret n° 2017-854 du 9 mai 2017).
Cet accroissement participe à la pression perçue par les institutions pour se présenter
comme « innovantes » (MESRI, 2018) parfois au détriment d’une réflexion pédagogique
sur les besoins réels du public ciblé. Cette réalité professionnelle est également au
centre de la question posée par l’autrice sur le rôle des tuteurs de 2 e génération (p. 225).
En effet, avec la démocratisation des formations hybrides ou totalement à distance, le
métier de « tuteur » est de plus en plus reconnu et intégré dans des fiches métier des
établissements. Toutefois, la rémunération dépend largement des conventions de
l’institution (équivalence TD, rémunération à la tâche) et catalyse la question de la
précarisation des métiers de l’enseignement (le contrat de base à l’université étant la
vacation ce qui implique d’avoir un emploi principal). Or, la légitimation de ces
nouveaux rôles, sur le plan professionnel, est un levier nécessaire si l’on veut la réussite
à long terme de ces dispositifs hybrides (Burrows & Miras, 2019).
12 Un deuxième point, qui nous semble soulevé par ce type de travail de synthèse, en
miroir à l’articulation des deux modes proposée par Elke Nissen, est lié à l’articulation
entre les pratiques de terrain et les démarches de théorisation. Si l’autrice indique
clairement tout au long de l’ouvrage, son inscription dans une approche
socioconstructiviste de l’apprentissage (Vygotsky) et dans des pédagogies centrées sur
l’action (Dewey, Brunet), ces apports scientifiques (complétés par d’autres) auraient pu
permette une remise en question de l’impact du CECRL et de l’approche actionnelle sur
la conception des curricula - omniprésents dans les dispositifs retenus qui répondent à
des demandes institutionnelles. En effet, si le CECRL n’est pas un outil issu de la
recherche scientifique, Macaire et al. (2010 : 15) rappellent néanmoins qu’il a acquis
une « autorité incontestable » notamment pour les acteurs de terrain. Cette autorité
construite pose la question de l’impact de ce type de document sur les choix retenus
(pédagogiques et didactiques) lors de la construction de formations hybrides. Elle peut
également être source de perturbation lorsqu’il est question de définir des notions
complexes comme celle de « tâche », ou de réflexions dites interculturelles, notamment
dans le cas mentionné par l’autrice où le scénario de communication n’est pas
déterminé par une méthodologie d’enseignement-apprentissage mais directement par
une compétence ou un aspect langagier. Or, il parait nécessaire de rappeler que toute
liberté pédagogique est conditionnée à une responsabilité épistémologique (la capacité
à se situer scientifiquement par rapport à une approche didactique) ce qui implique que
tout choix (éventuellement revu à postériori) de conception pédagogique repose sur
des éléments issus de la recherche scientifique. Pour terminer, certaines notions
polysémiques et polyréférentielles, comme celle d’autonomie (p. 205), traitées au
regard d’autres disciplines, comme la psychologie ou les neurosciences, nous amènent à
en concevoir les limites. Ainsi, l’autonomie, vue comme une forme d’agentivité, pose la
question de la marge de manœuvre des individus à l’accepter ou la refuser dans un
dispositif centré sur l’apprenant et l’action. Cette problématique est d’autant plus
importante que la recherche montre que ce type de pédagogie active peut être facteur
d’anxiété pour l’individu-apprenant (Arnold, 2000).

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13 L’ouvrage d’Elke Nissen est un support qui apporte de nombreuses réponses à des
acteurs de la didactique des langues qui se trouvent confrontés à la mise en place de
formations hybrides en langues ou à une envie de les tester. C’est un ouvrage qui prend
logiquement sa place dans une collection (Langues & didactiques aux Editions Didier).
En effet, un certain nombre des questions qu’il soulève sur la complémentarité entre
théories et pratiques tout en faisant appel à de nombreuses disciplines, tant il s’agit
d’objets complexes, ont eu des réponses dans l’ouvrage qui le précède dans la collection
(Narcy-Combes & Narcy-Combes, 2019) et dont la conclusion souligne que les
formations hybrides semblent les plus pertinentes pour répondre aux problèmes que
soulève aujourd’hui l’apprentissage des langues en milieu institutionnel.

BIBLIOGRAPHIE
Arnold, J. (2000). Affect in Language Learning. Cambridge: Cambridge University Press.

Burrows, A. & Miras, G. (2019). Pratiques numériques en langues : de la verbalisation à l’analyse


des préoccupations enseignantes. Alsic [En ligne], vol. 22. http://journals.openedition.org/alsic/
3549 (Consulté le 14/10/19).

Duclos, A.-M. (2015). La résistance au changement : un concept désuet et inapproprié en


éducation. Psychologie & Éducation, n° 1. p. 33-45.

Macaire, C., Narcy-Combes, J.-P. & Portine, H. (2010). Interrogations épistémologiques en


didactique des langues. Le français dans le monde, Recherches et applications. Paris : CLE
International.

MESRI (2018). Les innovations pédagogiques numériques et la transformation des établissements


d’enseignement supérieur. Rapport N° 2018-049, juin. https://cache.media.enseignementsup-
recherche.gouv.fr/file/2018/43/6/IGAENR-Rapport-2018-049-Innovations-pedagogiques-
numeriques-transformation-etablissements-enseignement-superieur-2_980436.pdf (Consulté le
10/10/19).

Narcy-Combes J.-P., Narcy-Combes M.-F. (2019). Cognition et personnalité dans l’apprentissage des
langues. Relier théorie et pratique. Paris : Didier.

Narcy-Combes, M.-F., Narcy-Combes, J.-P., MacAllister, J., Leclerc M. & Miras, G. (2019). Language
Learning and Teaching in a Multilingual World. Bristol: Multilingual Matters.

Robertson, R., (1995), Glocalization: Time-Space and Homogeneity-Heterogeneity. Dans


Featherstone, M., Lash, S. & Robertson, R. (dir.), Global Modernities. Londres : Sage Publications,
p. 25-44.

INDEX
Thèmes : Comptes rendus

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AUTEUR
GRÉGORY MIRAS
Université de Rouen Normandie, DYLIS-EA7474
Grégory Miras est maître de conférences au laboratoire DYLIS (EA7474) à l’Université de Rouen
Normandie. Ses thématiques de recherche portent à la fois sur la compréhension des mécanismes
de perception/production des sons en langue étrangère mais aussi sur les technologies
numériques pour l’enseignement/apprentissage des langues. Il s’intéresse également à
l’épistémologie de la connaissance didactique.
gregory.miras[at]univ-rouen.fr
https://sites.google.com/site/gregorymiras/home

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Droit de réponse au compte-rendu


fait par Valentin Feussi de l’ouvrage
La crise de l’apprentissage en Afrique
francophone subsaharienne
Bruno Maurer et Laurent Puren

NOTE DE L’ÉDITEUR
La ligne éditoriale de RDLC se veut débattante : il est demandé aux auteur.e.s des
comptes rendus de prendre en compte cette visée.
Le présent droit de réponse s'appuie sur un compte-rendu publié dans un précédent
numéro de notre revue (16-2).
https://journals.openedition.org/rdlc/7146

1 On se plaint souvent que nos disciplines soient si peu l’objet de débats. Nous-même
(Maurer) avons regretté que notre ouvrage polémique de 2011 ne s’attire pas plus de
volées de bois vert, de celles qui montrent qu’au moins vous avez été lu et qui vous
permettent de revenir sur quelques points méritant correction ou… plus amples
développements. Nous ne pensions pas que ce soit un ouvrage collectif co-dirigé, un
livre en forme de bilan/perspectives sur la situation de l’enseignement-apprentissage
des langues en Afrique qui nous donnerait l’occasion d’entrer dans une saine
controverse ! Mais soit ! Un compte-rendu a été fait de notre livre collectif et il l’a été
de manière assez particulière, par un mélange de survol à très haute altitude de son
contenu, de manipulations, de procès d’intention étranges et de plaidoyer pro domo…
ou pro épistémologie phénoménologique herméneutique, ce qui était pour le coup
assez inattendu vu le terrain qui était le nôtre, celui de l’école africaine.
2 Nous développerons notre droit de réponse en cinq points.

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1. Retour sur la présentation bien peu factuelle de l’ouvrage

3 Une lecture attentive du « compte rendu » de Valentin Feussi montre à quel point son
texte ne rend pas compte de l’ouvrage que nous avons coordonné. Ainsi, l’articulation
du livre en trois parties n’est pas du tout présentée, ni la nature de cette crise de
l’apprentissage qui est dans le titre et qui occupe pourtant le cœur de l’ouvrage
collectif, ni aucune de ses manifestations concrètes, que nous (Puren/Maurer) avons
posées de manière pourtant détaillée dans le préambule, et sur laquelle nous sommes
revenus dans une postface d’une quinzaine de pages. Le lecteur ne pourra se faire
aucune idée des problématiques abordées, éléments factuels dont il devrait en premier
lieu avoir connaissance.
4 La liste des auteurs (25) qui ont contribué est également un minimum pour commencer
à se faire une idée de l’ouvrage. Les auteurs de deux chapitres de l’ouvrage (Koia Jean-
Martial Kouamé et Thibaut Lauwerier, soient 35 pages dans le recueil) ne sont pas
mentionnés, La présentation des autres contributions est expédiée par allusions :
• Quelques lignes, à peine, pour les textes de Kouassi Gérard Abaka, de Thierry Gaillat,
Christian Ollivier, Sylvie Wharton et Issa Youssouf et de Muriel Nicot-Guillorel ;
• Deux notes de bas de pages suffisent à rendre compte de la réflexion menée par Guy
Romuald Ouedraogo et Afsata Pare-Kabore ;
• Quelques mots seulement pour Adjoua Valérie Djè (5 mots pour résumer 17 pages), Moira
Laffranchini Ngoenha et Harouna Diallo (13 mots pour 18 pages) ;
• Le renvoi rapide, sans plus de développement, vers une page du texte d’Iramène Destin et de
Georges Daniel Véronique.
5 Si l’on raisonne en termes géographiques, les dix-sept études de cas, déployées sur un
grand nombre de situations précises, nationales ou régionales, sont avalées à travers
quelques rapides allusions à ces contextes : on trouve deux fois le mot Burkina Faso,
une fois Sénégal, une fois Côte d’ivoire (quand trois chapitres sont consacrés à ce seul
pays), une fois Niger, etc. On voit là aussi que le CR est un survol fait à très très haute
altitude, avec la hauteur de vue un peu fautive des héros de Jules Verne dans Cinq
semaines en ballon…

2. Compte-rendu ou distribution de (bons et de) mauvais points ?

6 La rédaction d’un CR exige un minimum de prudence et de retenue, sans éviter les


critiques fondées. Au lieu de cela, Feussi a choisi d’adopter un positionnement
surplombant en délivrant, le plus souvent gratuitement, les mauvais points sous la
forme de jugements lapidaires. Il dit « regretter » le « ton d’excuses » dont nous (Puren)
aurions fait preuve dans le chapitre sur les Comores, alors que dans nos propos il n’est
évidemment aucunement question de nous excuser. La distance que nous prenons vis-
à-vis d’IFADEM, les critiques formulées sur la démarche globale, les productions et
résultats auxquels ce projet a abouti, ne nous empêchent pas de reconnaître :
1) l’importance du travail accompli sur le terrain et l’intérêt de certaines productions ;
2) plus globalement, la difficulté que constitue la mise en œuvre de projets de cette
ampleur, notamment au niveau de l’animation, dans le cadre d’un travail d’expertise,
d’une équipe de concepteurs.
7 Dans le chapitre que nous (Maurer) avons consacré aux réformes curriculaires au Niger,
Feussi note, sans plus de justifications, une absence de « questionnement de fond ».

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Cette critique est d’ailleurs étendue à l’ensemble de l’ouvrage accusé de « négliger les
arrière-plans politiques, idéologiques et historiques des démarches proposées » ou
encore de ne pas proposer de « problématisation pertinente et argumentée » (au sujet
du statut du chercheur). Nous réfutons bien entendu ces critiques, une importance
toute particulière étant précisément accordée dans la plupart des contributions aux
enjeux politiques, historiques et institutionnels liés aux différents contextes éducatifs
décrits et analysés. Mais peut-être n’est-ce pas là ce que Feussi appelle des questions de
fond. Au fond se trouvent sans doute… les mystérieuses racines : nous y reviendrons au
point 5.
8 Une autre critique récurrente est liée à l’absence d’originalité des solutions ou
approches proposées dans l’ouvrage pour faire face à la crise de l’éducation dans ces
pays. Là encore, l’auteur fait fausse route. L’originalité de l’ouvrage, s’il y en a une, a
consisté à proposer, modestement, une réflexion de fond, à travers un bilan qui n’avait
alors jamais été effectué sous cette forme et à cette échelle, sur les dysfonctionnements
éducatifs en Afrique francophone subsaharienne (désormais AFS) et quelques pistes
susceptibles d’améliorer la situation, sans qu’à aucun moment celles-ci aient pu être
mises en avant comme totalement originales ou radicalement novatrices. Il n’existe
évidemment pas de solution miracle ni de baguette magique pour résoudre la crise
éducative que traverse l’AFS. Il est d’ailleurs assez cocasse de constater que, tout en
adoptant une position critique envers toute prétention à l’innovation ou à l’originalité
en didactique, Feussi en vienne lui-même à se targuer de proposer « une option
émancipatrice et originale », sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus loin
(point 5). Ailleurs, l’auteur s’adonne à un pinaillage stérile. Ainsi, dans la contribution
pourtant riche de Fandy et Vigouroux, il se focalise sur un détail terminologique,
reprochant aux auteures leur choix du terme « translanguaging » (qui ne présente
pourtant qu’une seule occurrence dans leur texte...) en lieu et en place de « compétence
plurilingue » consacré par Danièle Moore. La belle affaire...

3. Quelques procès (gratuits) d’intention

9 Un autre procédé de l’auteur consiste, sous forme d’insinuations, à nous prêter des
intentions inavouables.
10 Ne serions-nous pas tout d’abord des suppôts de ce libéralisme effréné qui nuit tant à
l’Afrique ? Nous avons en effet commis le crime impardonnable d’effectuer une
référence « plutôt élogieuse », d’après l’auteur, à la Banque mondiale, celui-ci
regrettant « l’adossement de cet ouvrage au point de vue de le (sic) poids de la banque
mondiale »1 et s’interrogeant pour savoir si l’ajout de cette référence n’avait pas été
initié par notre éditeur... Mais de quoi s’agit-il exactement ? Feussi fait référence à une
citation de quelques mots - « Schooling is not the same as learning » - figurant sur la
quatrième de couverture et extraite du rapport 2018 de ladite Banque mondiale -
Learning to realize education’s promise - consacré aux questions éducatives. Nous
confirmons tout d’abord que le choix de cette citation est bien le nôtre, et non celui de
l’éditeur. Ensuite comme le souligne Patrick Chardenet, directeur de la collection
« Champs didactiques plurilingues », chez Peter Lang, dans laquelle cet ouvrage a été
publié, « sur le plan de l’énonciation, il [...] semble difficile de voir dans la phrase [citée]
plus qu’une référence tout court. Il n’y a là rien d’élogieux du strict point de vue
discursif. » (Voir son droit de réponse dans ce même numéro). Ajoutons que ce rapport

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n’a évidemment pas été rédigé par une entité anonyme nommée « Banque mondiale »
mais qu’il est le fruit de la synthèse de travaux pluridisciplinaires d’une trentaine de
chercheurs internationaux (éducateurs, économistes, spécialistes du développement
dans les pays émergents, etc.). Au nom de quel principe ou de quelle doctrine devrions-
nous nous priver de lire ou de citer un rapport, dès lors que son contenu nous semble
en mesure d’éclairer notre problématique ?
11 Autre élément incriminant et accusation suprême pour des chercheurs travaillant sur
l’Afrique : notre projet éditorial et les propositions que nous y faisons ne seraient-ils
pas entachés de néo-colonialisme ? Ainsi la recherche-action dans laquelle nous nous
inscrivons dans l’ouvrage « ne serait adossée », indique Feussi, « qu’à la perspective
rationaliste et diffusionniste caractéristique de l’enseignement-apprentissage (du
français) en Afrique depuis la période coloniale ». Ailleurs, l’auteur évoque, concernant
une proposition que nous (Puren) effectuions concernant le développement dans la
formation de formateurs de l’analyse de pratiques professionnelles, « une importation
de modèles venus d’ailleurs » qui « pourrait être reçue comme du colonialisme
méthodologique sous-jacent au « dispositif de scolarisation » ». Le concept de langue,
tel qu’il apparaîtrait dans notre ouvrage, serait défini selon des « catégories
prioritairement occidentales ». Enfin, Feussi appelle de ses vœux une « décolonisation
des savoirs », sans que l’on sache à quels savoirs il fait allusion, ni en quoi les dits
savoirs seraient aujourd’hui sous l’emprise d’un quelconque pouvoir colonial. Pour
répondre à ces accusations sans fondements, rappelons tout d’abord, comme nous
l’avions souligné dans le préambule de l’ouvrage (p. 23), que sur les dix-sept chapitres
composant cet ouvrage, « sept émanent d’auteurs africains comme uniques rédacteurs,
quatre associent chercheurs africains et européens ou nord-américains, six sont le fait
de chercheurs européens seulement (cinq d’universités françaises, un de Suisse). » Et
nous ajoutions : « ll y a lieu de s’en réjouir : une bonne part des analyses vient du
continent africain et est le fait de chercheurs encore jeunes, parfois doctorants ou
fraîchement docteurs. » Nous serions curieux de savoir comment Feussi pourrait
expliquer à nos collègues de l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan (Côte
d’Ivoire), de l’Université Mouloud Mammeri à Tizi-Ouzou (Algérie), de l’Université
Norbert Zongo à Koudougou (Burkina Faso), de l’Université de Ngaoundéré (Cameroun),
de l’Université des Comores/IFERE à Moroni, du Ministère de l’éducation nationale et
de l’Alphabétisation (MENA) à Ouagadougou (Burkina Faso), en quoi leurs propositions,
analyses et modèles seraient des résurgences ou des continuités de l’idéologie
coloniale. Rappelons par ailleurs que la recherche OPERA, conduite au Burkina Faso,
que nous citons en modèle pour ce qui est de l’importance, à notre sens, d’un travail sur
l’analyse des pratiques dans la formation de formateurs, est le fruit d’un travail
d’équipe entre une chercheuse française, Marguerite Altet (voir son chapitre dans
l’ouvrage) et deux collègues d’Afrique : Afsata Paré-Kaboré, du Burkina Faso (également
auteure dans notre ouvrage) et Nacuzon Sall, du Sénégal.
12 Il n’a bien sûr jamais été question dans nos propositions d’imposer des « modèles venus
d’ailleurs », c’est au contraire tout ce que nous dénonçons à travers notamment les
critiques réitérées portées contre l’APC (contributions de Berkaine, Destin &
Véronique, Puren). Réfléchir à des méthodes pédagogiques, des dispositifs de
formation, des curricula, etc. susceptibles d’améliorer la situation éducative de ces pays
ne revient pas à opposer de manière caricaturale, comme le fait Feussi, dans sa vision
clivante et dogmatique, approches/conceptions africaines versus occidentales de la
langue2 et de l’éducation. Il est d’ailleurs ici également cocasse de noter que les

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


217

propositions hors-sol de l’auteur sont inspirées de la phénoménologie herméneutique,


qui est un courant de pensée on ne peut plus occidental, et dans une version
interprétée par un laboratoire lui même très occidental... Comment peut-il à la fois
condamner l’importation en Afrique de modèles allogènes tout en promouvant, pour ce
continent, des démarches inspirées des philosophies humboldtienne et heideggerienne
qui, jusqu’à preuve du contraire, ne sont ancrées dans aucune tradition africaine, alors
que telle semble pourtant être la condition sine qua non posée par l’auteur pour la mise
en œuvre d’une approche didactique sur ce continent. Feussi, qui pense avoir relevé des
paradoxes, contradictions et ambiguïtés à chaque page, ou presque, de notre ouvrage,
n’en est lui-même pas à un/e près…

4. Une détorcation sans vergogne de la pensée des contributeurs

13 Parmi les procédés auxquels Feussi recourt pour la rédaction de son CR, il en est un
particulièrement retors qui consiste à déformer la pensée d’un auteur au point de faire
tenir à celui-ci des propos qu’il n’a pas eus, allant souvent jusqu’au contre-sens,
essentiellement dans le but de servir sa propre argumentation et d’alimenter son
idéologie. Un terme ancien qui a presque disparu de la langue française rend
parfaitement compte de ce procédé malhonnête : détorquer, du latin detorquerer
(« détourner »), d’où notre archaïsme, détorcation.
14 L’exemple le plus frappant apparaît dans la présentation (tronquée) qu’il effectue de la
contribution de Muriel Nicot-Guillorel sur une application de la démarche OPERA en
Casamance, au Sénégal. L’auteure y présente l’utilisation de tablettes numériques pour
filmer et analyser des pratiques de classe dans le cadre d’une formation continue.
Plutôt que de critiquer lui-même ce recours au numérique, Feussi, dans un exercice
douteux de ventriloquie, préfère faire parler l’une des autres auteures de l’ouvrage à
laquelle il prête des propos qu’elle n’a jamais tenus… sur ce sujet précis :
« [...] ailleurs dans le volume, Michèle Verdelhan-Bourgade (p. 298-299) ne manque
pas de souligner que le recours aux outils informatiques n’apporte rien de pertinent
dans la résolution des problèmes liés à l’école en Afrique. »
15 Premièrement, dans sa contribution, Michèle Verdelhan-Bourgade parle des manuels,
pas des limites des approches réflexives recourant au numérique dans la formation des
enseignants et elle évoque les limites des TICE dans les ressources pour la classe, ce qui
n’est évidemment pas comparable. Ensuite sur la question du numérique, elle indique
simplement qu’en raison de la rareté des outils informatiques et des supports
d’apprentissage dématérialisés, de la qualité pédagogique encore peu probante de ces
derniers et de différentes considérations, notamment matérielles, le manuel papier lui
semblait préférable à d’autres solutions de type tablette. À aucun moment, elle
n’indique sur le ton péremptoire que Feussi lui prête, que les TICE ne contribuent pas à
l’amélioration de la situation éducative en Afrique !
16 Cette manie qu’a Feussi de vouloir, de manière tout à fait artificielle et simpliste,
opposer entre elles des contributions ou mettre dos-à-dos certains de leurs auteurs/
eures se retrouve encore dans cette « incohérence » qu’il pense relever dans la
troisième partie de l’ouvrage. Alors qu’Afsata Pare-Kabore et Guy Romuald Ouedraogo
s’attachent à analyser la situation de l’enseignement bilingue au Burkina Faso sous
l’angle de la formation initiale et continue des enseignants, Cosme Zinsou Fandy et
Cécile B. Vigouroux, s’intéressent, pour leur part, à la mise en œuvre, au Bénin, de

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l’initiative ELAN (École et Langues Nationales), visant à promouvoir l’enseignement


bilingue. Feussi pense relever une contradiction entre ces textes, les auteurs du
premier présentant, selon lui, l’éducation bilingue « comme une des solutions pour
améliorer la qualité de l’enseignement du français au Burkina Faso » tandis que les
auteures du second « pensent, au contraire, que la mise en place d’un enseignement
bilingue ne résout pas tous les problèmes ». (nous soulignons) S’il avait lu
attentivement chacune de ces contributions, Feussi aurait compris que/qu’ :
• Afsata Pare-Kabore et Guy Romuald Ouedraogo n’affirment, évidemment, à aucun moment
(il faudrait être bien naïf pour cela) que l’enseignement bilingue « résout tous les
problèmes ». Bien au contraire, comme annoncé dès leur titre - Crise de l’enseignement
bilingue français/Langue nationale, crise de l’enseignant au Burkina Faso... (nous
soulignons) - les auteurs mettent en avant les nombreux dysfonctionnements de ce
dispositif.
• Cosme Zinsou Fandy et Cécile B. Vigouroux, tout en relevant elles aussi les défis auxquels est
confrontée l’éducation bilingue au Bénin, insistent par ailleurs sur l’importance des L1
comme médium d’instruction : « l’enseignement en langue africaine relève d’une nécessité
et mérite d’être inscrite comme priorité pour tout gouvernement africain soucieux du
développement et de l’épanouissement de ses citoyen.ne.s. » (p. 337)
17 Il n’y a, par conséquent, aucune espèce de contradiction ou d’opposition entre ces deux
contributions et quant bien même il y en aurait eu, l’objectif de l’ouvrage n’était pas de
faire défiler les contributeurs d’un même pas sous une bannière unique mais de
proposer une mise en perspective de points de vue pluriels. L’attitude de Feussi nous
semble à ce titre contraire à l’esprit scientifique 1) en n’admettant pas que dans un
ouvrage traitant d’un problème aussi complexe, il puisse y avoir quelques divergences
d’appréciation de la part d’auteurs venus d’horizons différents, mais pourtant tous
engagés (ou l’ayant été) dans la tâche d’améliorer l’enseignement du français ; 2) en
refusant de concevoir que les spécificités propres à chaque contexte exigent des
réponses adaptées qui ne seront pas nécessairement identiques. Ajoutons qu’en
pédagogie, les solutions n’ont pas à être mutuellement exclusives mais doivent relever
d’un éclectisme obligatoire.
18 Ailleurs, Feussi oppose les positions de cinq des auteurs à une prétendue position de
Maurer, co-coordonnateur de l’ouvrage :
« Une autre orientation serait soit de « développer la capacité des enseignants à
interagir pour apprendre et faire apprendre, notamment en s’appuyant sur la/les
langues de scolarisation des élèves » (Christian Ollivier, Thierry Gaillat, Sylvie
Wharton et Youssouf Issa, p. 93-118), soit de « contextualiser » les apprentissages
(Adjoua Valérie Djè, p. 55-71). La conception de l’élaboration du savoir sous-jacente
à ces propositions est alors soit constructiviste soit contrastive, options dont on
connait déjà les limites dans les situations africaines et ailleurs, grâce notamment à
la lecture critique de la pédagogie convergente au Mali qu’effectue Bruno Maurer
(2007). »
19 Si nous (Maurer) faisions bel et bien une critique vive des positions de la pédagogie
convergente dans notre ouvrage de 2007, ce n’est pas du tout le constructivisme de
Wambach que nous critiquions (lequel n’est que très vaguement constructiviste… mais
l’eût-il été plus que nous n’aurions rien trouvé à y redire), ni a fortiori des positions
contrastives qu’il adopterait : notre critique de Wambach portait précisément sur le fait
que cet auteur ne pensait jamais les rapports entre les langues ; comment aurions-nous
pu dès lors regretter une attitude contrastive chez lui ?

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20 Autre passage, qui est un scandaleux détournement de notre pensée (Maurer) :


« Ces contradictions s’observent également dans les approches par situations telles
que révélées par la « lecture systémiste » qu’effectue Bruno Maurer (p. 257-284) de
la situation de l’école. À partir du Programme d’études élaboré au Niger entre 2006
et 2015, il constate en effet que « les contenus proposés dans les programmes
éducatifs correspondent [plus] aux standards internationaux », ce qui l’amène à se
demander en toute cohérence ce qui ferait le caractère situé de ce curriculum. »
21 Le problème est que ce n’est pas Maurer qui constate que « les contenus proposés dans
les programmes éducatifs correspondent [plus] aux standards internationaux », c’est
une citation qui est faite de Jonnaert, un des auteurs de ce curriculum. Et au contraire,
c’est une assertion que tout le reste de l’article conteste violemment.
22 Nous finirons d’analyser cette entreprise de détorcation de la pensée des auteurs/eures
en commentant un dernier passage :
« Toutefois, pourquoi ne pas mener de réflexion sur les fondements
épistémologiques des différentes approches curriculaires dans la formation des
enseignants et dans les pratiques enseignantes notamment ? J’y reviendrai infra car
on peut se demander et en toute légitimité comment sortir de ce schéma de pensée,
puisque certaines contributions de ce volume découlent de projets (LASCOLAF,
ELAN, IFADEM) financés par des institutions internationales (OIF, AUF pour les plus
importants) ? N’est-ce pas là une des contradictions non visibilisées de façon
argumentée dans cet ouvrage ? »
23 Passons sur le fait que l’auteur nous reproche de ne pas nous intéresser à
l’épistémologie, ce que nous faisons pourtant à plusieurs reprises, mais sans doute pas,
péché mortel, dans l’acception phénoménologie herméneutique du terme… Ce que nous
contestons précisément dans ce passage, c’est l’affirmation que des contributions
« découlent » de projets internationaux financés, avec donc le sous-entendu d’une
inféodation : mais Feussi a-t-il remarqué que, loin d’en « découler », elles les
analysaient sans condescendance, de manière très critique ?

5. Hors de la phénoménologie herméneutique (PH), point de salut

24 Si l’auteur se montre si peu loquace sur le contenu de l’ouvrage (cf. 1), s’il réduit la
pensée des différents contributeurs à quelques propos laconiques souvent déformés (cf.
4), quand il n’omet pas purement et simplement de les mentionner, en revanche, il ne
fait pas dans l’économie lorsqu’il s’agit de développer les théories de son laboratoire
qui, en réalité, occupent la place principale de son texte. Le rôle d’un « compte rendu »
n’est-il pas d’abord et avant tout de « rendre compte » d’un ouvrage plutôt que
d’instrumentaliser celui-ci en s’en servant comme d’un prétexte pour publier un
manifeste célébrant les théories d’un groupe ?
25 Une des attitudes disqualifiantes de Feussi consiste à poser, sans plus de preuves, que
nous ne faisons jamais de réflexion épistémologique : en quelque sorte nous
manquerions de profondeur de vue. En voici un premier exemple :
« Il est également cohérent de dire que certaines autres causes de la crise de
l’apprentissage sont d’ordre politique et économique (le soft-power). Toutefois,
pourquoi ne pas mener de réflexion sur les fondements épistémologiques des
différentes approches curriculaires dans la formation des enseignants et dans les
pratiques enseignantes notamment ? »
26 Et un second :

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« Etant donné qu’un des buts de cet ouvrage s’inscrit dans la perspective de la
« recherche-action » qui vise « l’amélioration » (Laurent Puren et Bruno Maurer,
p. 448) ou la recherche d’efficacité de l’action à la fois des apprenants, des
enseignants, des institutions (éducatives) et probablement des chercheurs, ne peut-
on pas penser que l’absence de réflexion épistémologique révèle une conception
pragmatiste de l’enseignement des langues qui semble réductrice (Castellotti,
2017) ? »
27 Les arguments semblent imparables : que répondre ? On répondra qu’il s’agit d’un
procédé rhétorique relativement malhonnête qui consiste à dire que l’autre n’est même
pas dans la bonne position pour débattre, qu’il n’est scientifiquement pas qualifié. Pour
cela, rien de tel que d’utiliser la bonne vieille métaphore des racines et des feuilles, un
classique bio-didactique de l’argumentaire dynadivien que Feussi attribue à Debono :
« On pourrait alors réfléchir aux situations didactiques plus globales, sans se limiter
aux feuilles de l’arbre mais en s’intéressant prioritairement aux dimensions
épistémologiques, qui en constituent les racines (pour reprendre la métaphore de
Debono, 2018). »
28 Le même procédé rhétorique est utilisé par Castellotti, Debono et Huver, quand, à
propos d’écrits traitant de la FOAD dans une optique sociocritique, ils/elles affirment :
« [...] ces travaux ne touchent que les feuilles de l’arbre, sans aller jusqu’aux racines
[...] » (2017 : 123). On l’aura compris, pour Feussi, la pensée des Béotiens non PH ne
saurait être assez profonde : aux « bas du front », les feuilles, aux esprits supérieurs, les
racines qui leur ouvrent l’accès à la compréhension du monde dans toute sa
complexité. Qu’on se le dise : une pensée critique non estampillée PH n’en sera jamais
une...
29 Pour le détail des contre-propositions, le lecteur ira voir les longs passages de la fin de
son écrit où des positions humboldtiennes sont suggérées : toutes ces suggestions de
Feussi censées proposer une alternative à nos analyses nous sembleraient belles et
bonnes si elles n’étaient d’une grande naïveté au fond, furieusement déconnectées du
réel, sans jamais aucun ancrage didactique, ni réel fondement théorique en dehors de
quelques noms jetés comme des mantras (Manessy à la rescousse), et toujours colorées
de procès d’intentions. Nous pourrions reprendre ses assertions phrase à phrase mais
l’exercice serait peut-être lassant.
30 Pour terminer cette polémique, en lieu et place de la conception de l’épistémologie
fermée, exclusive, qui nous est opposée, nous préférons largement cette autre
conception que propose Christian Puren (1994 : 89), en faisant référence à
l’épistémologie de la complexité d’Edgar Morin (1990) :
« L’épistémologie complexe d’E. Morin se veut donc ouverte et accueillante, à
l’opposé de l’« épistémologie gendarme » de certains, qui la considèrent comme un
point stratégique à occuper pour contrôler souverainement toute connaissance,
rejeter toute théorie adverse, et se donner le monopole de la vérification, donc de la
vérité (idem, p. 67). L’épistémologie complexe, au contraire, « est le lieu à la fois de
l’incertitude et de la dialogique. En effet, toutes les incertitudes [...] doivent se
confronter, se corriger les unes les autres, entre-dialoguer sans toutefois qu’on
puisse espérer boucher avec du sparadrap idéologique la brèche ultime. »
31 Puren poursuit en rappelant que pour Morin, paradoxalement, l’épistémologie
complexe est dépourvue de fondement (1990 : 24), dans le sens où, à l’opposé du
positivisme logique, elle prend en compte le fait qu’il n’existe aucun fondement certain
pour la connaissance :

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« Si l’épistémologie complexe prenait forme, elle constituerait, non pas une


révolution copernicienne, mais une révolution hubbléenne en épistémologie.
Hubble a montré que l’univers était dépourvu de centre. [...] Ainsi se comprend la
révolution méta-copernicienne qui s’impose : l’épistémologie n’est pas le centre de
vérité, elle doit tourner autour du problème de la vérité en passant de perspective
en perspective, et, espérons-le, de vérités partielles en vérités partielles. »
32 Mieux vaut en rester à cette épistémologie ouverte, non surplombante, si l’on veut
ouvrir réellement l’espace d’un débat. C’est par cette invitation que nous refermons le
présent... débat.

BIBLIOGRAPHIE
Castellotti Véronique, Debono Marc & Huver Emmanuelle (2017) : « Une « tradition de
l’innovation » ? Réflexion à partir du corrélat innovation / créativité en didactique des langues »,
TRANEL - Travaux neuchâtelois de linguistique, n° 65, pp. 113-129. URL : http://www.unine.ch/files/
live/sites/tranel/files/Tranel/65/113-130_Varia_def.pdf (consulté le 10/10/19)

Maurer Bruno (2011) : Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle
idéologie dominante. Paris : Éditions des Archives Contemporaines.

Morin Edgar (1990) : Introduction à la pensée complexe. Paris : ESF.

Puren Christian (première édition papier : 1994 ; troisième édition électronique : octobre 2013) :
La didactique des langues à la croisée des méthodes. Essai sur l’éclectisme. Paris : Didier, collection
CREDIF-Essais.

Puren Laurent & Maurer Bruno (Éds) (2018) : La crise de l’apprentissage en Afrique francophone
subsaharienne. Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes. Bruxelles,
Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien : Peter Lang, Collection Champs didactiques plurilingues.

NOTES
1. Note de bas de page n° 7 du CR publié sur HAL, élément apparemment expurgé de la
version publiée dans les RDLC. cf. https://www.researchgate.net/publication/
333809020_Compte_rendu_de_Laurent_Puren_et_Bruno_Maurer_2018_La_crise_de_l'apprentissage_en_Afrique_francoph
2. Qu’il nous explique d’ailleurs comment devrait se décliner le concept de langue selon
des catégories prioritairement non occidentales, en l’occurrence africaines (si cette
dernière globalisation a un sens).

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222

INDEX
Thèmes : Comptes rendus

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Droit de réponse au compte-rendu


fait par Valentin Feussi de l’ouvrage
La crise de l’apprentissage en Afrique
francophone subsaharienne
Patrick Chardenet

NOTE DE L’ÉDITEUR
La ligne éditoriale de RDLC se veut débattante : il est demandé aux auteur.e.s des
comptes rendus de prendre en compte cette visée.
Le présent droit de réponse s'appuie sur un compte-rendu publié dans un précédent
numéro de notre revue (16-2).
https://journals.openedition.org/rdlc/7146

1 La direction de la collection « Champs Didactiques Plurilingues : données pour des


politiques stratégiques », P.I.E. Peter Lang S.A. – Éditions Scientifiques Internationales a
pris connaissance avec grand intérêt de la note de lecture parue dans Recherches en
Didactique des Langues et Cultures : les Cahiers de l’Acedle, sous la signature de Valentin
Feussi à propos du livre La crise de l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne.
Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes, sous la direction de
Laurent Puren et Bruno Maurer, 2018, 449 p.
2 Le débat scientifique est sain et productif tant qu’il reste scientifique. Les sciences
sociales sont amenées à produire des données qui repèrent, identifient et permettent
d’analyser les comportements, les orientations et les stratégies explicites ou implicites
d’organisations, enrichissant ainsi les savoirs sur le fonctionnement des sociétés. C’est
d’ailleurs ce que semble attendre l’auteur de la note lorsqu’il précise qu’il a
« commencé la lecture de cet ouvrage à partir de l’hypothèse que la crise de
l’apprentissage annoncée en titre serait éventuellement comprise à l’aune du rôle joué
par les institutions et des idéologies qu’elles promeuvent, dans les démarches et projets

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224

didactiques » (p. 2), avant d’ajouter un regret « J’ai maintenu cette attente malgré la
référence plutôt élogieuse à la Banque mondiale en 4 ème de couverture. Mais peut-
être était-ce une exigence de l’éditeur de cet ouvrage ? »
3 Cette dernière remarque nous invite dans le débat au niveau de ce qui relève de notre
responsabilité : l’intégrité éditoriale. D’abord, sur le plan de l’énonciation, il semble
difficile de voir dans la phrase « Schooling is not the same as learning » : ainsi débute le
rapport 2018 de la Banque mondiale sur le développement dans le monde – « Learning
to realize education’s promise » – consacré intégralement aux questions éducatives. »
plus qu’une référence tout court. Il n’y a là rien d’élogieux du strict point de vue
discursif. Ensuite sur le plan de l’énoncé, la référence à un possible lien de
subordination entre l’éditeur et la Banque mondiale ne repose sur aucune donnée
factuelle.
4 Nous souhaitons donc rassurer les lecteurs sur la qualité de la relation qui nous unit
aux auteurs de la collection et qui se fonde sur l’indépendance scientifique.

INDEX
Thèmes : Comptes rendus

AUTEUR
PATRICK CHARDENET
Directeur collection « Champs Didactiques Plurilingues : données pour des politiques
stratégiques », P.I.E. Peter Lang S.A. – Éditions Scientifiques Internationales.

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225

Jeunes chercheur.e.s
Sous la direction de José Aguilar-Rio

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Le stage en enseignant du point de


vue de sa didactique : réflexions
autour de la constitution du champ
disciplinaire en Argentine
Las prácticas de enseñanza desde su didáctica : reflexiones en torno a la
constitución del campo disciplinar en Argentina

Marcos Maldonado

La formation des professeurs de lettres (espagnol) à


l’Université de Buenos Aires : Tensions
épistémologiques entre la didactique et les disciplines
1 En Argentine, la formation des enseignants de langue et de littérature
(espagnole langue maternelle) du secondaire est confiée aux universités et aux instituts
d’enseignement supérieur (l’équivalent des Hautes Écoles Pédagogiques). Les étudiants,
après avoir terminé le cycle secondaire obligatoire, accèdent directement à la
formation professorale. L’apprentissage des savoirs disciplinaires (linguistique et
littéraire) et la formation pédagogique se déroulent en parallèle pendant quatre ou cinq
ans, selon l’institution formatrice. À l’Université de Buenos Aires, la formation
disciplinaire est fournie par des spécialistes dans les différents domaines des sciences
du langage et de la littérature, tandis que la formation pédagogique générale est
assurée par les professeurs du département des sciences de l’éducation. Au cours de la
dernière année, les étudiants reçoivent la formation pédagogique spécifique, didactique
de l’espagnol (L1) et méthodologies de l’enseignement, et effectuent dans une école
secondaire un stage de prise en charge dont la tâche principale est l’enseignement.
L’activité du stage se déroule en alternance entre le contexte scolaire et le contexte
universitaire. Les responsables de cette activité sont les professeurs formateurs
spécialisés dans le domaine de la didactique de l’espagnol qui ont le rôle de guider,

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227

d’observer et d’évaluer le processus de la pratique. Ces professeurs appartiennent au


département Lettres, car ce sont des professeurs de langues et de littérature qui ont été
formés dans le domaine de la didactique disciplinaire.
2 Selon Davini (2015 : 13-21), la construction historique de la formation des professeurs
du secondaire en Argentine a conduit à placer la formation des enseignants dans les
départements ou facultés des disciplines scientifiques, telles que Lettres,
Mathématiques ou Sciences naturelles, créant des tensions épistémologiques entre
celles-ci et Sciences de l’éducation. Sous l’argument de la nature de l’objet
d’enseignement, les disciplines scientifiques considèrent que la formation initiale
relève de leur compétence, puisque les savoirs sur l’apprentissage à enseigner sont
construits en relation avec l’objet de savoir disciplinaire. Dans le domaine des sciences
de l’éducation, on soutient que certaines disciplines n’ont pas la capacité d’aborder des
phénomènes spécifiques au processus d’enseignement et d’apprentissage qui vont au-
delà du contenu (Davini, 2015 : 20). Cette dissociation conduit la formation des
enseignants vers l’apprentissage de situations didactiques dénaturées qui se
concentrent sur l’objet de savoir et non sur la complexité de l’ensemble des relations
du triangle didactique. Face à ces divergences, les didactiques disciplinaires ont essayé
de se construire en tant que disciplines autonomes qui cherchent à s’éloigner des
interventions des deux autres domaines. Pour cette raison, les didactiques seront
chargées de fournir la formation pédagogique spécifique aux futurs enseignants et
seront également responsables du stage en enseignement.
3 Pour en revenir au cas de la formation des professeurs d’espagnol à l’Université de
Buenos Aires, les discussions entre les disciplines scientifiques, les sciences de
l’éducation et la didactique de l’espagnol tournent autour du degré d’intervention que
ceux-ci ont ou souhaitent avoir dans la formation pédagogique spécifique. Au sein des
sciences de la langue et de la didactique, les conflits proviennent du choix des contenus
à enseigner et de la méthodologie d’enseignement, tandis qu’au sein des sciences de
l’éducation et de la didactique disciplinaire, le focus est mis sur le moment du stage.
C’est à propos de ce moment précis de la formation que nous nous interrogeons sur son
appartenance et la pertinence de l’intervention des différents domaines qui sont en jeu.
Est-ce que les sciences de la langue sont celles qui devraient, outre la didactique disciplinaire,
intervenir dans les pratiques des futurs enseignants ? Est-ce que la science de l’éducation est
celle qui devrait prendre en charge le stage d’enseignement avec la didactique de l’espagnol ? Ou
est-ce que la didactique de l’espagnol est la seule qui dispose des instruments nécessaires et de la
pertinence épistémologique pour prendre en charge ce moment de la formation, comme elle le
fait depuis des années ? Le stage en enseignement a une construction historique hybride,
selon Edelstain (2013 : 35), entre la théorie et la pratique, entre l’académique et l’école.
Mais, si l’on considère sa référence théorique éclectique et son syncrétisme
méthodologique est-il un domaine autonome, avec des problématiques particulières différentes
de celles de la didactique de l’espagnol et des autres sciences ? A-t-il suffisamment d’éléments
pour réfléchir à une didactique de la formation des professeurs d’espagnol ? En nous basant sur
le cas du stage en enseignement de la formation des professeurs d’espagnol à
l’Université de Buenos Aires, nous allons essayer de réfléchir à ces questions.

Recherches en didactique des langues et des cultures, 17-2 | 2020


228

Le champ disciplinaire de la didactique des langues


4 Se référer à l’existence d’un champ d’une discipline implique d’entrer dans des débats
épistémologiques sur les frontières que celle-ci établit par rapport aux autres
disciplines. Notre hypothèse sur la nécessité d’aborder la formation des enseignants et
la recherche sur les problématiques qu’elle soulève est basée sur les procédures de
construction des didactiques disciplinaires. Prenons l’exemple de la didactique langue
maternelle ou de scolarisation, selon Dolz et Gagnon (2017 : 186).
5 Dans les années 1970, selon Schubauer-Leoni (2017 : 168-169), les didactiques
disciplinaires commencent leurs mouvements d’autonomisation par rapport à la
didactique générale en plaçant au centre de leurs préoccupations le savoir et les
conditions de sa diffusion dans les établissements scolaires. Le déplacement du centre
d’intérêt proposé par la didactique des disciplines a permis, d’une part, de refuser les
approches applicationnistes de la psychopédagogie piagétienne et, d’autre part,
d’interroger « les sciences du sujet et des organisations sociales sur l’oubli du savoir
enseigné qui les caractérise » (p. 168). Plus tard, les travaux de Chevallard (1985) sur la
transposition didactique et de Brousseau (1998) sur le système didactique ont émergé du
besoin de replier le champ de la didactique disciplinaire sur le savoir. Du côté de la
langue, en France, c’est la didactique du français langue seconde qui va d’abord
émerger comme une discipline qui tente de se détacher de la didactique générale. Selon
Schubauer-Leoni (2017), c’est la linguistique appliquée, issue des apports du
structuralisme et, plus tard, du générativisme, qui a eu dans sa tutelle les réflexions
autour de l’enseignement de l’objet « langue ». L’article de Bronckart et Schneuwly
(1991) reflète la nécessité de constituer le domaine de la didactique de la langue
maternelle, un texte fondateur, tant dans la construction de la didactique française que
de la didactique espagnole. Pour Dolz et Gagnon (2017 : 183), la nouvelle discipline sera
définie par l’étude des « phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des langues et
les relations complexes entre les trois pôles du triangle didactique » et se situera entre
le théorique et le pratique, entre l’école et l’extrascolaire, entre les carrefours, selon
Bombini (2015), des différents domaines constitués (linguistique, psychologique,
sociologique, histoire, etc.).
6 Quant aux sciences de référence de la didactique de la langue maternelle (Daunay et
Reuter, 2008 ; Daunay, 2018), le fait d’être une discipline de frontières, elle a la capacité
de marcher sur la corniche des autres disciplines sans courir le risque d’être pris dans
un domaine qui n’est pas dans leur compétence. Cette élasticité épistémologique large
que lui donne son histoire lui permet de s’approcher ou de s’éloigner de ses référents
en fonction des besoins de ses problématiques. Daunay (2018) identifie les orientations
de la didactique à partir de ces approches. Pour l’auteur, on distingue trois types
d’orientations : épistémologiques, lorsque la didactique s’intéresse aux contenus
disciplinaires et aux apports des disciplines qui parlent de ces contenus ; subjectivistes
ou psychologiques, lorsqu’elle se concentre sur les théories de référence de
l’enseignement et de l’apprentissage et sur les sujets (pédagogie et psychologie) ; et
praxéologiques, lorsque les pratiques effectives sont mises en avant (disciplines scolaires,
sociologie).

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229

De la production des savoirs et la formation des enseignants

7 La didactique disciplinaire en tant que discipline de recherche définit son territoire


d’action, selon Reuter (2013), par opposition aux autres espaces dans lesquels elle
opère, tels que les pratiques d’enseignement et d’apprentissage des contenus
disciplinaires, les prescriptions et recommandations. Pour l’auteur, il existe deux
conceptions de la recherche didactique : le modèle abstrait, centré sur la description et
l’analyse des pratiques sans y intervenir, et le modèle interventionniste, qui donne à la
science un rôle de guide qui définit de manière prescriptive les « bonnes pratiques ».
Entre ces deux modèles, selon l’auteur, il y a une troisième position, celle de l’
implication, qui reconnaît le rôle de la science dans la génération de nouvelles pratiques,
avec un horizon praxéologique, visant à aider et améliorer les pratiques existantes.
Dans cette perspective, le chercheur s’implique dans le contexte des pratiques et y
cherche les vrais problématiques de sa recherche. Proche de cette position, Bombini
(2018a) soutient que la production de connaissances ne devrait pas être régie par les
procédures académiques classiques qui valident les pratiques scientifiques par
opposition aux pratiques éducatives. Pour lui, la didactique de l’espagnol est une
discipline d’intervention, mais cette intervention suppose « un involucramiento directo
en términos propositivos y prácticos con el campo de la enseñanza en distintos niveles
y modalidades del sistema educativo como así también con el campo de la formación
inicial y continua de profesores1 » (Bombini, 2018a : 6). Dans la production des savoirs,
la didactique disciplinaire inclut les acteurs des autres espaces évoqués par Reuter
(2013) et conçoit la recherche comme une tâche collective à laquelle participent aussi
bien les chercheurs que les enseignants, les formateurs et les étudiants.
8 L’horizon praxéologique de la recherche en didactique permet au savoir y issu de
devenir un savoir didactique, que l’on peut résumer comme des savoirs-être et des
savoirs-faire sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage autour des contenus
linguistiques et littéraires. Hofstetter et Schneuwly (2009), préoccupés par le problème
du savoir dans les institutions de formation, partent de la distinction faite par Barbier
(1996) entre savoirs objectivés et savoirs détenus pour se concentrer sur les savoirs
formalisés et leur mobilisation dans l’action. Dans les savoirs objectivés, ils
reconnaissent les savoirs à enseigner (l’ensemble des savoirs disciplinaires) et les savoirs
pour enseigner (l’ensemble des savoirs qui permettent aux enseignants de développer
leur activité professionnelle). La transmission ou la transposition de ces savoirs dans le
domaine du stage pose un problème qui dépasse les capacités de la didactique des
langues. Alors que Bombini (2018a) reconnaît que la production du savoir de la
discipline implique la formation des enseignants, la transformation du savoir
didactique vers un contenu d’enseignement génère une situation différente en termes
d’enseignement et d’apprentissage. Cela nous permet d’affirmer que l’objet de savoir
n’est pas la langue et la littérature, mais les savoirs pour enseigner la langue et la
littérature. Les sujets de la situation didactique de la formation sont très différents et
ont des buts différents de ceux que l’on trouve en classe dans le contexte des écoles. Au
fur et à mesure que la nature de l’objet de savoir change, les problématiques des
processus d’enseignement et d’apprentissage sont placées dans un nouveau domaine.
C’est ici, dans ce lieu étroit qui se situe entre la didactique des langues et la formation
des enseignants, à la frontière entre l’université et l’école, que se construit la nécessité
de penser à une nouvelle didactique spécifique : la didactique de la formation des
enseignants.

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230

La formation des enseignants, de l’objet à apprendre


au savoir à enseigner
9 On pourrait dire que la formation (initiale) des enseignants est reconnue comme un
espace de professionnalisation dans lequel les « spécialistes » d’un domaine de savoir,
étudiants en linguistique, en mathématiques, en biologie, etc. « apprennent à
enseigner ». Le savoir disciplinaire cesse d’être l’objet d’apprentissage et devient un
savoir à enseigner. Dans ce cas, le spécialiste se trouve face à des théories générales qui
lui parleront des sujets d’apprentissage, tels que la psychologie, la pédagogie, la
didactique générale et à des théories orientées vers l’enseignement de l’objet
disciplinaire, la didactique disciplinaire. Mais ils seront aussi confrontés au terrain et
aux pratiques effectives, c’est-à-dire à l’école, aux sujets concrets et aux problèmes
contextualisés qui dépassent les approches théoriques. Selon Gagnon et Balslev (2012 :
150), suivant Plane et Ropé (1997) et Thévenaz-Christen et Sales-Cordeiro (2007), la
formation des enseignants représente un processus complexe et étagé qui implique
l’apprentissage d’une combinaison d’objets et de démarches, c’est-à-dire l’articulation
de la construction de savoirs didactiques et des capacités d’agir dans une discipline
scolaire à enseigner.
10 En Argentine, le stage a été traversé par le problème de la relation entre le théorique et
le pratique, entre le savoir académique et le savoir d’expérience. Davini (2015) retrace
les différents courants qui ont marqué les pratiques d’enseignement dans la formation
initiale, allant de « l’application des méthodes » d’enseignement au développement des
compétences dans l’utilisation des techniques en passant par la conception d’un espace
de réflexion sur la complexité de la tâche d’enseignement dans les contextes concrets
des pratiques.
11 Une grande partie de la recherche sur la formation des enseignants s’est intéressée aux
problématiques que les pratiques d’enseignement engendrent autour de la relation
théorique pratique et à l’impact que celles-ci peuvent avoir sur les futurs enseignants.

Le stage : l’alternance entre contextes et rôles

12 Dans le cadre de la formation initiale, nous considérons le stage comme l’activité dans
laquelle les étudiants entrent dans les écoles afin de réaliser leurs premières
expériences d’enseignants. Suivant Edelstein (2013 : 35), nous considérons que ce
contact avec l’école met en jeu une multiplicité de relations : « vínculos entre
instituciones, con historias y trayectorias diferentes ; vínculos entre sujetos sociales
cuya perte- nencia los coloca en lugares que portan socialmente significados también
diferentes2 ». Cette pratique implique, en outre, un processus complexe de
transformation identitaire (Vanhulle, 2009), puisque les stagiaires, en premier lieu,
changent leur relation avec l’objet d’étude (Bombini, 2012 : 5) et assument des rôles en
alternance, étudiant, enseignant, stagiaires, qui se manifestent selon le contexte et le
contact avec les sujets concernés : professeur formateur, élèves, enseignant de l’école.
13 La complexité de cette identité multiforme assumée au cours de l’activité de formation
implique également des responsabilités différentes : en tant qu’étudiants, ils sont
évalués par leur formateur, par l’institution formatrice. L’activité fait partie d’un

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processus d’évaluation de certification. En tant qu’enseignants, ils sont responsables de


l’apprentissage et de l’évaluation des élèves du cours. D’autre part, le rôle de stagiaire,
dans le contexte scolaire, les place à un point intermédiaire entre les pairs enseignants
et les étudiants universitaires ou en formation.
14 Les sujets qui interagissent dans cette activité sont nombreux et assument différents
degrés de responsabilité dans la formation. En général, Edelstein et Coria (1995) en
reconnaissent trois : les stagiaires, les professeurs formateurs et les professeurs de
l’école. Le sujet stagiaire est un rôle créé par l’institution formatrice et signifie, pour les
auteures, la possession d’une double identité : c’est un étudiant avancé qui doit
« asumir un conjunto de acciones propias de la tarea docente assumer un ensemble
d’actions propres à la tâche d’enseignement » mais « no sería ni un cosa ni la otra, o
mejor, no ocuparía ni una ni otra posición3 » (Edelstein et Coria, 1995 : 33). Ce sujet,
avec une trajectoire ou une situation biographique particulière, est un agent dont
l’action est dirigée/observée/évaluée par les deux autres sujets. Quant au professeur
formateur, comme le soutiennent Altet, Paquay et Perrenoud (2002), son rôle et sa
caractérisation sont très divers. Certains ont une formation dans le domaine, d’autres
sont des enseignants des écoles qui partagent leur temps avec l’Université et utilisent
leur expérience quotidienne pour former les stagiaires. Quelle que soit leur origine, on
pourrait dire, en suivant Edelstein et Coria (1995), que ce sont des experts qui
appartiennent à l’institution de formation et qui ont une expérience des pratiques
d’enseignement. À partir de ce lieu, ils assument deux types de rôles : celui de
professeur orienteur et celui de professeur évaluateur. En tant que formateur, il est
chargé de guider les stagiaires dans l’activité et met en place une série de dispositifs qui
lui permettent d’analyser les pratiques. En tant qu’évaluateur, il est responsable de la
certification de l’apprentissage des stagiaires. Enfin, les enseignants de l’école sont ceux
qui ouvrent les portes de leurs cours afin que le stagiaire puisse développer ses
pratiques. Leur degré d’implication dans la formation varie. Dans certains cas, ils sont
responsables de l’évaluation et de l’orientation, dans d’autres, ils ne font que conseiller
et observer les classes.

Circulation des savoirs et double triangulation

15 Dans l’activité du stage, comme déjà mentionné, la formation implique une alternance
entre deux contextes différents (Vanhulle, Merhan, Ronveaux, 2007) : l’institution
formatrice (universitaire) et l’institution scolaire. Cela signifie que des savoirs de
nature différente émergent de ces deux contextes. Dugal et Léziart, (2004)
reconnaissent que, dans la formation initiale, plus concrètement lors des stages, la
source des savoirs ne se situe pas seulement dans la sphère académique, c’est-à-dire de
la production scientifique, mais de l’action même des sujets. Les stagiaires produisent
des savoirs à partir de leurs propres expériences. Ces savoirs sont transposés dans le
contexte de l’université, où ils sont confrontés à des savoirs scientifiques et validés,
reformulés ou rejetés. Cette transition d’un contexte à un autre que les stagiaires
doivent expérimenter implique une circulation des savoirs. Gagnon et Balslev (2016 : 5)
soutiennent que, contrairement à la transposition didactique de Chevallard, qui répond
à une logique descendante ou ascendante, dans la circulation des savoirs du stage, les
savoirs s’inscrivent dans une « logique horizontale et ils permettent dès lors d’intégrer
le discours des acteurs, d’accorder ainsi une place importante à la manière dont ils

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négocient, interrogent, interprètent et reformulent le savoir d’un contexte à un


autre ».
16 La logique horizontale résultant de l’alternance de l’activité de formation définit la
situation didactique du stage différemment de tout autre système didactique. Portugais
(1995), intéressé par la caractérisation de l’objet de savoir de la formation
professionnelle, reconnaît que, pendant le stage, la situation didactique, au sens de la
théorie de Brousseau (2007), se construit au contact de deux situations didactiques
différentes, dont les sujets (professeur formateur et stagiaire) présentent différents
types d’implications. Ce double système, dans sa circularité, se réfère les uns aux autres
(Gagnon, 2015). Le formateur est en dehors de la situation didactique de la classe et, à
partir de là, essaie de l’interpréter et de comprendre les actions réalisées par le
stagiaire. D’autre part, ce dernier, dans son rôle d’enseignant, est impliqué dans la
situation de la classe et, à partir de là, pendant l’action elle-même, cherche à trouver
des solutions pour guider l’apprentissage des élèves. Cette particularité, pour Portugais
(1995), permet de considérer le système dans lequel le formateur, le stagiaire et l’objet
de savoir de chacun sont insérés comme un système didactique en soi. Dans la Figure 1,
on voit que le stagiaire, dans le système de formation (SF), occupe la position de
l’étudiant, tandis que dans la salle de classe (SC), celle du professeur. L’objet de savoir,
dans le premier est le savoir didactique, tandis que dans l’autre est le savoir de la
discipline.

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Figure 1 – Système didactique du stage. Source : Adapté de Gagnon (2015 : 138)

17 Le savoir de la formation, au sein de ce système, se construit à partir de la mise en


relation des savoirs didactiques et disciplinaires (savoirs à enseigner, savoirs pour
enseigner) que les stagiaires ont acquis dans les SF avec les savoirs pratiques, nés des
expériences sur le terrain. Le savoir de la formation se construit donc progressivement
à travers les « déséquilibres et rééquilibres successifs qui sont induits par les
contraintes de l’expérience et de l’action » (Portugais 1995 : 340, cité par Gagnon 2010).
18 Gagnon (2015), sur la base de la proposition de Portugais (1995), propose de représenter
la relation dynamique entre les deux systèmes didactiques par une double
triangulation, Figure 2, dans laquelle chaque système a l’autre comme référence.
L’objet de la formation est donc représenté par le système didactique de la classe.

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Figure 2 – Double triangulation du système didactique du stage

19 La compréhension de la situation de la formation à partir des théories de la double


triangulation et de la circulation des savoirs a une forte implication dans la définition
de l’objet de savoir du stage. Le stagiaire passe d’un sujet passif qui assimile des
contenus théoriques et applique des méthodes prédéfinies à un sujet qui agit et
expérimente des situations d’enseignement et d’apprentissage dans des contextes réels.
Il assume la responsabilité des problèmes, des tensions et des conflits que la classe, par
sa singularité, lui impose. Ces résistances et la capacité de réagir du stagiaire pour les
surmonter sont l’objet du stage. On n’est donc pas devant un objet de savoir théorique,
objectivé, mais devant un objet empirique, un savoir qui se construit à partir de la
subjectivité de l’expérience des sujets de la formation. L’objectivation, la
transformation de cette connaissance empirique en savoir transmissible a lieu dans la
situation de formation, lorsque le stagiaire apporte son expérience, la
conceptualisation qu’il a effectuée dans l’action, et la confronte au regard des experts
et des théories.
20 Les particularités du système didactique nous positionnent face à d’autres
problématiques qui sont différentes de celles que nous rencontrons dans les situations
d’enseignement d’un savoir disciplinaire. Les instruments, les moyens, sont orientés
vers la mise en relation des différents savoirs issus des deux contextes, deux savoirs de
natures différentes, l’un théorique et l’autre pratique, qui permettent la construction
des savoirs de la formation. Ces problèmes convergent vers le même besoin : la création
d’un espace de réflexion et d’action communes qui cherche à comprendre les
particularités du système de la formation et construit empiriquement des modèles
visant à améliorer la qualité de la formation des enseignants selon les contextes réels
des pratiques professionnelles.

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Vers une didactique de la formation des enseignants


comme discipline de recherche et d’implication
21 Le parcours historique de la constitution des didactiques disciplinaires, les différences
entre les systèmes didactiques et les particularités de la construction des savoirs de la
formation nous conduisent inévitablement à penser à un domaine spécifique qui existe,
mais qui a été occupé jusque-là par différentes disciplines.
22 La didactique professionnelle est née en France dans les années 1990 par la volonté
d’un groupe de chercheurs d’introduire l’analyse du travail comme méthode
d’apprentissage et de développement des capacités dans la formation des adultes. Cette
discipline, bien qu’ayant un intérêt didactique pour les processus de transmission et
d’appropriation des connaissances, met l’accent sur l’activité plutôt que l’objet de
savoir. Selon Pastré (2015), la didactique professionnelle repose sur trois orientations.
La première considère que l’apprentissage est indissociable de l’analyse de l’activité des
acteurs. Du point de vue du développement, il existe une continuité entre agir et
apprendre de et dans l’activité. La deuxième orientation postule que la formation des
compétences professionnelles dépend de l’observation directe de l’activité sur le
terrain et non de l’analyse de situations créées dans la situation de formation. Enfin,
troisièmement, la théorie piagétienne des schémas d’action et de la conceptualisation
permet de comprendre comment développer une intelligence de l’action.
23 La didactique professionnelle, telle qu’elle est comprise dans la tradition française, a
pour principal intérêt l’analyse réflexive de l’activité située, c’est-à-dire de l’analyse du
travail effectif, dans son contexte et ses problématiques. La discipline s’attache donc à
rechercher des méthodes efficaces qui potentialisent l’analyse de l’activité et du
développement cognitif des étudiants. En général, les recherches sont guidées par les
problèmes du développement cognitif chez l’adulte, l’apprentissage dans l’activité, les
processus de conceptualisation dans l’action et les dispositifs de formation.
24 Malgré les apports importants que la nouvelle discipline a apportés à la formation
professionnelle, Pastré, Mayen et Vergnaud (2010) reconnaissent que, dans le domaine
de la formation des enseignants, l’analyse de l’activité est loin des professions
techniques par ses caractéristiques sociales et empiriques et par le rôle central du
langage comme instrument de travail. Au-delà de cet écart entre les professions
techniques et humanistes, la contribution de la didactique professionnelle au domaine
de la formation des enseignants peut être considérée comme pertinente en raison de la
nécessité d’introduire l’analyse de l’activité effective dans le processus d’enseignement
et d’apprentissage. L’analyse des pratiques, dans une perspective de réflexion (Schön,
1987 ; Perrenoud, 2001), se concentre sur trois points. La première est l’expérience
subjective de l’action dans le contexte de la classe, qui fait émerger des problématiques
didactiques réelles, c’est-à-dire des problèmes liés à l’ingénierie didactique, qui est
orientée vers la médiation de l’apprentissage d’un contenu de savoir. Les processus
d’enseignement et d’apprentissage se voient dans leur singularité et dans la subjectivité
des visions des sujets qui agissent. Le deuxième point est le traitement de ces
problèmes à partir de l’analyse historique des instruments didactiques. La réflexion sur
les pratiques réelles est confrontée aux théories didactiques disciplinaires du point de
vue historique culturel, c’est-à-dire que les théories sont personnalisées, interprétées
pour offrir une réponse à la singularité du problème. Enfin, le troisième point, la
recherche de solutions est basée sur la validation sociale. Le praticien construit ses

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actions en fonction de sa dimension sociale, de la confrontation avec la subjectivité de l’


Autre. De ce point de vue, la conception subjectiviste individuelle de la
conceptualisation dans l’action et la conformation des schémas d’action de la
didactique professionnelle est dépassée par une conception intersubjective du
développement professionnel des enseignants. L’analyse de l’activité ou des pratiques
d’enseignement croise sa propre subjectivité et celle de l’Autre pour construire des
modèles d’actions originales qui se situent à un point à égale distance des pratiques
historiques, entre innovation et continuité.
25 Une didactique de la formation des enseignants pourrait s’inspirer des principales
préoccupations de la didactique professionnelle pour réorienter ses forces dans la
recherche de modèles de formation qui placent le sujet, par sa singularité, sa capacité à
réagir et à régler ses actions selon la situation et par sa relation avec l’historicité des
instruments, au centre de leurs préoccupations. La recherche dans ce domaine devrait
permettre de dépasser les discussions entre une prédominance du théorique ou de la
pratique vers une conception de la co-construction du théorique à partir de la pratique
sur la base de la réflexion didactique de l’expérience subjective.

La place de la didactique de la formation des enseignants, entre


l’historique et le politique

26 La place de la formation des enseignants de l’espagnol (L1) à l’Université de Buenos


Aires a été historiquement un champ de bataille entre trois forces qui, selon le moment,
ont assumé leur responsabilité : la didactique générale, les disciplines scientifiques et la
didactique de l’espagnol. Ces dernières années, en Argentine, la formation des
enseignants a été confiée à la didactique disciplinaire, qui se trouve à son tour dans les
espaces institutionnels des disciplines : lettres, sciences sociales, mathématiques, etc.
Bombini (2018b), dans son récit sur l’histoire de la didactique de la littérature en
Argentine, atteste l’appropriation légitime de la formation initiale des enseignants de
langue et de littérature par la didactique disciplinaire. Cette configuration historique
du lieu de formation actuel place cette didactique dans la nécessité de négocier son
discours méthodologique avec les sciences de l’éducation, les disciplines de référence et
les disciplines scolaires.
27 Une didactique de la formation des enseignants ne serait pas étrangère à ces pratiques
de validation, puisqu’il faudrait aussi négocier sa place et son champ d’action.
Contrairement à la didactique disciplinaire, les savoirs ou contenus de la formation ne
seraient pas construits à partir du dialogue avec les disciplines scientifiques, mais à
partir du contact avec la didactique disciplinaire elle-même. De ce point de vue, on
pourrait imaginer que la didactique de la formation se situe dans le champ des
didactiques disciplinaires, permettant un cadrage, une orientation et un
approfondissement des réflexions méthodologiques auxquelles elles sont déjà
habituées à mener à bien. Leurs méthodes, pratiques et dispositifs d’enseignement et
d’apprentissage seraient caractéristiques de cette nouvelle discipline.
28 La question que l’on pourrait se poser à cet égard est de savoir quel serait le degré
d’appartenance ou de dépendance à la didactique disciplinaire et quelle serait sa
capacité d’action autonome. Un travail épistémologique et empirique plus approfondi
devrait tenter de répondre à cette question et de déterminer s’il s’agit d’une discipline
nouvelle et indépendante ou d’un domaine spécifique de chaque didactique.

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236

Conclusion
29 L’espace d’action et de réflexion sur la formation des enseignants existe en tant que tel
et a une grande importance sociale, ainsi qu’épistémologique, en raison de son impact
sur les politiques éducatives. Ce domaine bouge et sa responsabilité passe de main en
main en fonction des courants théoriques et des contextes historiques culturels (et
politiques) de l’Argentine. Notre réflexion ne visait pas à parler d’un domaine déjà
constitué, mais de son lieu d’appartenance et de sa nécessité de le définir. Réfléchir sur
la formation des enseignants d’espagnol à partir de sa spécificité nous a permis de
montrer les différences entre les systèmes didactiques qu’elle a par rapport à celle qui
concerne la didactique de l’espagnol. L’objet de savoir n’est pas un contenu
disciplinaire, produit d’un processus de transformation d’un savoir scientifique, mais
un contenu conformé par un savoir didactique et par un savoir empirique sur les
pratiques. La nature de l’objet de la formation constitue un système didactique et
dynamique propre qui dépend des actions des sujets dans le contexte de la classe.
30 La didactique de la formation des enseignants, en tant que discipline de recherche,
s’intéresserait aux problèmes de la conceptualisation dans l’action et de la
transformation de ces conceptualisations en savoir didactique, en savoir d’action. Elle
s’intéresserait également aux processus d’apprentissage produits par l’analyse réflexive
des pratiques efficaces et par la construction du profil de l’enseignant à partir de son
rôle d’acteur social. En tant que discipline d’intervention et d’implication, la didactique
de la formation traiterait des problèmes contextualisés qui découlent de sa situation de
frontière ou de transfert entre l’académique et le pratique, entre l’université et l’école.
Son horizon praxéologique serait orienté vers la recherche de dispositifs et de modèles
qui mettent le sujet et son expérience au centre de la formation.
31 Délimiter la formation des enseignants dans l’intérêt d’une didactique nous permet de
concentrer nos forces pour expliquer et comprendre les processus en jeu et de nous
rassembler en tant que chercheurs de formation des enseignants, au-delà du champ
disciplinaire auquel nous appartenons. En d’autres termes, cela nous permettrait de
valider notre discours méthodologique face aux autres sciences.

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NOTES
1. « une implication directe en termes propositionnels et pratiques dans le domaine de
l’enseignement à différents niveaux et modalités du système éducatif ainsi que dans le domaine
de la formation initiale et continue des enseignants ».
2. « des liens entre institutions, avec des histoires et des trajectoires différentes ; des liens entre
sujets sociaux dont l’appartenance les place dans des lieux aux significations sociales
différentes »
3. « assumer un ensemble d’actions propres à la tâche d’enseignement » mais « il ne serait ni l’un
ni l’autre, ou plutôt il ne se serait pas approprié de l’un ou l’autre »

RÉSUMÉS
La situation institutionnelle et épistémologique du stage d’enseignement de la formation initiale
des enseignants d’espagnol (L1) en Argentine se caractérise par son emplacement à l’intersection
des disciplines scientifiques et des sciences de l’éducation, entre le contexte universitaire et le
contexte scolaire. Cette situation de frontières a conduit les disciplines à discuter de leurs rôles,
de leurs degrés d’intervention et du sens de l’appropriation qu’elles possèdent dans ce domaine.
Ces dernières années, les réflexions institutionnelles sur l’élaboration des programmes de
formation des enseignants en Argentine se sont concentrées sur la question épistémologique de
savoir si les disciplines scientifiques sont directement et absolument responsables de la
formation des enseignants ou si, une fois le savoir disciplinaire acquis, c’est exclusivement les

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sciences de l’éducation qui doivent assumer le stage. Dans cet article, nous proposons d’aborder
ce débat autour de la conformation et de l’appartenance du champ du stage d’enseignement d’un
point de vue théorique. L’observation des processus historiques de conformation des didactiques
disciplinaires et des apports actuels de la didactique professionnelle permet d’identifier les
particularités de la situation d’enseignement-apprentissage du stage et de proposer une
délimitation du champ en fonction de ses propres caractéristiques. Notre proposition est
soutenue par la nature de l’objet de savoir du système didactique du stage en enseignement, qui
diffère de l’objet de la didactique de l’espagnole. Ce n’est pas l’apprentissage de l’objet « langue
espagnole », mais l’apprentissage de savoirs à enseigner.

La situación institucional y epistemológica de la pasantía de enseñanza de la formación inicial de


profesores en Argentina se caracteriza por estar situada en la intersección entre los campos
disciplinares y las ciencias de la educación, entre el contexto universitario y el contexto escolar.
Esta situación de fronteras ha llevado a que las disciplinas discutan sus roles, los grados de
intervención y el sentido de apropiación que poseen sobre este campo. Las reflexiones
institucionales en torno a la conformación de los planes de estudio de la formación docente en
estos últimos años a se ha focalizado en la problemática epistemológica de si las disciplinas
científicas son las responsables directas y absolutas de la formación de los profesores o, si, una
vez adquiridos los saberes disciplinares, Ciencias de la educación debería hacerse cargo exclusivo
de las prácticas de enseñanza. En este artículo nos proponemos abordar este debate en torno a la
conformación y a la pertenencia del campo de las prácticas de enseñanza desde un punto de vista
teórico e histórico-cultural. La observación de los procesos históricos de la conformación de las
didácticas disciplinares y los aportes actuales de la didáctica profesional nos permiten identificar
las particularidades propias de la situación didáctica de las prácticas de enseñanza y de proponer
una delimitación del campo en función de sus propias características de enseñanza y aprendizaje.
Nuestra propuesta se sustenta por la naturaleza del objeto de saber del sistema didáctica de las
prácticas, que difiere del objeto de la didáctica del español. No es el aprendizaje del objeto
“lengua española”, sino el aprendizaje de saberes para enseñar.

INDEX
Thèmes : Jeunes chercheur.e.s
Mots-clés : stage d’enseignement, formation des enseignants, champ disciplinaire, Argentine,
systèmes didactiques
Palabras claves : prácticas de enseñanza, formación de profesores, campo disciplinar,
Argentina, sistemas didácticos

AUTEUR
MARCOS MALDONADO
Marcos Maldonado est titulaire d’un doctorat en didactique des sciences, des langues, des arts et
des sciences humaines de l’Université de Barcelone. Il a soutenu sa thèse, intitulée « Circulation
des savoirs dans la formation initiale des enseignants de langues et construction du répertoire
didactique », en juillet 2019. Il effectue actuellement un post-doc au sein du groupe AFORDEns,
Apprentissage, formation et développement professionnels dans l’enseignement, à l’Université
de Genève. Ses recherches sont axées sur les activités langagières et la construction de savoirs
professionnels et du répertoire didactique dans la formation initiale des enseignants.
marcos.maldonado[at]sorbonne-nouvelle.fr

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Varia
Sous la direction de Joanna Lorilleux

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Enseignement de la littérature dans


les lycées marocains : de la
centration sur les genres littéraires
classiques à l’apprentissage du goût
de la lecture
Mina Sadiqui

Introduction
1 L’enseignement/apprentissage du FLE1 au lycée au Maroc repose depuis 2002 2 sur
l’approche par compétence et se base sur un objet/support spécifique : l’œuvre
intégrale. L’introduction de la littérature en classe de langue doit inscrire la discipline
dans une triple perspective : linguistique, méthodologique et culturelle (Ministère De
l’Education Nationale Marocain (MEN), 2007a).
2 Dans le dernier texte officiel intitulé « Les orientations pédagogiques générales pour
l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant », édité par le Ministère
National d’Education Nationale, toujours en vigueur (2007a), l’entrée par les genres est
préconisée pour enseigner et apprendre le français au lycée. On retrouve cette
conception de la notion chez Todorov (1970 : 12) qui considère que « les genres sont ces
relais par lesquels l’œuvre littéraire se met en rapport avec l’univers de la littérature ».
3 Les genres littéraires sont des catégories de classement des textes littéraires, des
conventions discursives telles que les dénombre Jean-Marie Schaeffer (1989). La notion
peut être « un pivot autour duquel bâtir un certain nombre de compétences » (Canvat,
1999 : 7). Nous pensons toutefois qu’il serait pertinent de repenser son statut et ses
diverses fonctions dans un dispositif d’enseignement/apprentissage dans une classe de
langue, de façon à transformer la notion en véritable outil de lecture et d’écriture,
optimisant ainsi ses divers usages et ouvrant la discipline à d’autres corpus.

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242

4 Comment donc aborder les genres littéraires à approcher dans une classe FLE de sorte
que l’approche puisse contribuer à la construction des compétences de lecture et
d’écriture de notre apprenant ? Comment l’approcher tout en repensant les contenus et
les démarches mises en place et donc en revisitant les repères de la discipline
« français » au lycée au Maroc ?
5 Nous essayerons dans cette contribution de donner quelques pistes d’exploitation
didactique, en nous inspirant, d’une part, des dernières avancées en didactique de la
littérature grâce aux théories de la réception (Eco, 1987 ; Iser, 1985) qui valorisent le
sujet lecteur, et d’autre part, des nouvelles théories de l’apprentissage tels le
cognitivisme (Piaget, 1975) ou encore le socioconstructivisme (Vygotsky, 1934) qui
placent l’apprenant au centre de la situation d’enseignement /apprentissage.

« Genres littéraires » et discipline « français » au lycée


Statut et fonction du genre du discours littéraire dans le texte
officiel marocain

6 Le dernier programme officiel (MEN, 2007), toujours en vigueur, assigne une place
spécifique à la notion de genre littéraire. Nous avions précisé auparavant que le
discours officiel préconise le texte littéraire comme le principal support
d’enseignement/apprentissage en classe de langue au lycée.
7 La notion de genre figure dans le référentiel de compétences que tout apprenant doit
construire à l’issue du cycle secondaire qualifiant (lycée). Ainsi, elle y est bien ciblée
comme compétence à construire. Il est certes précisé qu’en fin du cycle tout apprenant
est censé être capable de « reconnaître les différents genres d’écrits » (MEN, 2007 : 4),
mais, et comme nous le démontrerons c’est l’écrit littéraire qui est privilégié.
8 En outre, la notion justifie le choix des œuvres proposées. C’est dans ce sens qu’on y
souligne que les œuvres retenues, avec une nette prédominance de genre romanesque
classique3, ont pour finalité d’« initier les élèves aux principaux genres et mouvements
littéraires » (MEN, 2007 : 12).
9 La notion joue un rôle essentiel dans la conception des dispositifs didactiques vu que le
module, dispositif fondamental de mise en œuvre du projet pédagogique annuel,
« s’articule principalement autour d’une œuvre intégrale » (MEN, 2007 : 6) et que
comme nous l’avions précisé, la notion du genre est déterminante dans le choix de
cette dernière dans les programmes préconisés.
10 La mise en œuvre des dispositifs pédagogiques de certaines activités de classe prônées,
l’activité de lecture en l’occurrence, met en exergue une conception particulière de la
notion. En effet, les approches de lecture recommandées (MEN, 2007 : 6) semblent
concevoir le genre littéraire comme support et objet d’enseignement/apprentissage en
lecture et en écriture, un objet de savoir ayant pour finalité la transmission d’une
culture.
11 La notion de genre est enfin fondamentale dans la conception des situations
évaluatives, l’examen certificatif en l’occurrence, où la contextualisation et la
détermination générique sont des questions récurrentes dans toute étude des textes
proposés à l’apprenant :

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« Supports d’évaluation :
Ils sont à retenir en fonction des objectifs visés. On aura recours à l’un des types de
supports suivants :
- un extrait d’une œuvre intégrale,
- deux extraits d’une même œuvre,
- des extraits appartenant à des genres différents,
- un extrait d’une œuvre en dehors du programme, mais appartenant à l’un des
genres littéraires étudiés,
- un texte didactique (définition de la tragédie, de l’autobiographie, du réalisme…)
et un extrait d’une œuvre illustrant la définition, etc.,
- un texte poétique, etc. » (MEN, 2007 : 12).
12 Dans le cadre de référence de l’examen normalisé régional pour l’obtention du
baccalauréat, la reconnaissance de la notion du genre est bien présente. Ce texte qui
énonce les paramètres qui serviront de fondement à l’évaluation des acquis des élèves
de la première année du cycle du baccalauréat, toutes sections confondues, constitue
un document de référence permettant de cibler les éléments essentiels et
représentatifs à évaluer. Parmi les trois capacités retenues à valider dans le cadre de
cette évaluation effective, celle qui est appelée « contextualiser », figure en première
place.
« Il s’agit de :
- donner des informations concernant l’œuvre (titre, auteur, courant littéraire,
genre littéraire, édition et date de parution…),
- situer le passage dans l’œuvre
- situer l’œuvre dans son contexte historique, culturel…  » (MEN, 2007 : 12).

Statut et fonction du genre littéraire dans les « progressions »

13 Les « progressions » sont des documents recommandés par le ministère et qui


complètent le contenu proposé par le texte officiel. Elles développent des propositions
pratiques de dispositifs d’enseignement /apprentissage à partir des corpus préconisés.
Elles explicitent, à travers les activités proposées, les démarches conceptualisées dans
le texte officiel. En effet, ces documents fournis aux praticiens proposent plusieurs
genres considérés comme moyens pédagogiques mobilisables par l’enseignant. Dans ce
sens, au cycle secondaire qualifiant, tout apprenant doit étudier une nouvelle réaliste
de Maupassant, une nouvelle fantastique de Mérimée, une comédie de Molière, un
roman autobiographique de Sefrioui, un roman à thèse de Victor Hugo, un roman de
Balzac et un conte de Voltaire (MEN, 2007).
14 Les progressions proposées sont organisées par référence aux divers genres, en vue de
transmettre de prime abord une facette de l’histoire (littéraire) de la littérature
française.
15 Les activités proposées dans ces progressions se répartissent selon les genres
considérés. Nous avançons ces quelques exemples à titre indicatif : à partir de la
nouvelle de Maupassant, on y précise que la compétence ciblée est celle de
« reconnaître un genre littéraire : la nouvelle réaliste » (MEN, 2007 : 20), et l’on y
propose comme activité de production écrite de : « Produire un écrit d’invention »
(MEN, 2007 : 20).
16 Pour ce qui est du dispositif à mettre en œuvre à partir d’un texte de théâtre, le
« Bourgois gentilhomme » de Molière, la compétence à construire chez l’apprenant
serait d’ « étudier un genre littéraire : le théâtre (la comédie) » (MEN, 2007 : 22), et dans

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ce sens l’enseignant pourrait donner comme consigne dans le cadre d’activités de


productions écrites ou orales : « Réécrire une scène », « Jouer une scène comique »
(MEN, 2007 : 22)
17 Enfin, notre dernier exemple décrit le dispositif proposé à partir d’un autre genre
spécifique, à savoir la poésie, le sonnet plus particulièrement. Reconnaître les
caractéristiques formelles du sonnet est la compétence ciblée. Comme activités de
classe à proposer, nous relevons : « jouer avec des rimes, jouer avec des formes » (MEN,
2007 : 22).
Que retenir de ces exemples de dispositifs proposés à partir de supports appartenant à
18 des genres différents ?
19 La notion du genre littéraire aide sur le plan didactique
à concevoir des dispositifs d’enseignement/apprentissage cohérents (Canvat, 1999). Au
niveau des pratiques de classe, elle contribue à la mise en œuvre d’une progression
pédagogique par des activités diverses, celles relatives à la réception et celles qui
permettent de passer à des activités de production orales et éventuellement
scripturales. La notion tisse des liens entre les activités de lecture et d’écriture
(Daunay, Reuter et Schneuwly, 2011).
Cette approche permet donc divers usages en classe de langue au lycée, mais la notion
20 utilisée ne revêt dans ces prescriptions qu’un seul statut : le
genre est représenté comme un objet
de savoir ayant pour finalité la transmission d’une culture, un objet disciplinaire à
apprendre nécessairement pour savoir lire et éventuellement écrire dans la langue-
culture cible. En conséquence, « le genre est perçu comme un prototype » (Boré, 2007 :
75). Il y a une mise en valeur de son fonctionnement textuel et de ses spécificités
linguistiques qui le modéliseraient.
En outre, le genre s’affiche comme un modèle textuel et une structure générique
stables, ce qui pourrait induire à une représentation figée et fermée de la littérature.
Cette dernière risque de rester enfermée dans le cadre traditionnel issu de la
21 poétique en respectant la triade, roman, théâtre, poésie.
La représentation scolaire des genres est stabilisée autour de quelques grandes
catégories littéraires.
Cette conception de la notion peut réduire l’approche du texte à un « simple exercice
de reconnaissance » (Descotes, 1995 : 11). Cette démarche ne conduirait-elle pas à
« l’exclusion de l’expérience subjective du sujet lecteur au profit d’une description
objective du fonctionnement textuel » ? (Langlade, 2002 : 17-28). Mettre en valeur les
problématiques génériques risque de valoriser « une approche désincarnée de la
littérature, éloignée de tout investissement personnel » (
Ibid.,
2002 : 17-28) de toute implication des apprenants, au lieu de valoriser « les expériences
de lecture imprévues qu’ils sont en droit de réaliser ».
(Rouxel et Langlade, 2004 : 13).
Les dernières décennies ont vu se renouveler les recherches en lecture et en écriture
grâce aux nouvelles théories linguistiques et aux théories de la réception. Ces avancées,
comme nous allons les voir, renouvellent l’approche du texte littéraire et invitent à
22 repenser la notion du genre littéraire en contexte scolaire.

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Le sens d’un texte n’existe que pour et par sa lecture et les opérations qu’effectue le
lecteur importent autant que les contenus et les formes supposés du texte (Dufays,
23 1994).
24 Pour mieux expliciter notre propos, quelques rappels s’imposent.

Pour approcher autrement les genres littéraires en


classe de langue au lycée au Maroc
Genre littéraire et lecteur

25 Les approches du texte littéraire en usage ces dernières années relèvent


essentiellement des théories du texte (Eco, 1965 ; Todorov 1978 ; Barthes, 1975 ; Derrida
1967). Elles postulent que tout texte est une œuvre finie. Lire, c’est retrouver l’intention
de l’auteur en faisant appel à des connaissances plus ou moins savantes sur le genre, et
les divers contextes. Ces approches externes centrées sur l’approche générique sont
celles qui prévalent encore dans les explications de textes dans certaines situations de
réception.
26 Avec les théories de la lecture (Eco, 1987 ; Iser, 1985 ; Jouve 1993), il s’opère un net
déplacement de l’objet texte vers le sujet lecteur, ce qui met en valeur l’activité de ce
dernier comme composante fondamentale dans « l’actualisation » du sens de l’objet
littéraire. Le sens ne provient plus seulement du texte, ni de son auteur, mais aussi du
sujet lecteur. Tant qu’il n’est pas lu, tout texte demeure inachevé. Ces théories, qu’elles
soient centrées sur l’effet du texte ou sur sa réception, mettent en valeur l’instance du
lecteur (Eco, 1987 ; Dufays, 1994 ; Langlade, 2004). C’est l’acte de lire qui confère au
texte son caractère littéraire (Dufays, 1994 ; Tauveron, 1999 ; Langlade, 2004). Un texte
littéraire est « en premier lieu l’accomplissement d’un acte de communication
interhumaine, un message émis par une personne donnée dans des circonstances et
avec un but spécifique, reçu par une autre personne dans des circonstances et avec un
but non moins spécifique » (Schaeffer, 1989 :80).

L’apprenant au centre de la situation d’enseignement/apprentissage

27 La centration sur l’apprenant est une démarche issue du mouvement constructiviste. À


partir des années 1970-1980, il s’est avéré que ce n’est pas l’enseignement qui produit
l’acquisition d’une langue, mais l’apprentissage par un apprenant actif. Dans l’approche
constructiviste, c’est le processus d’apprentissage et non le processus d’enseignement
qui est le point de départ de l’acquisition d’une langue. L’activité de classe qui découle
du besoin et de l’intérêt de l’apprenant permet au dispositif didactique d’être centré
sur les outils facilitant la construction de son autonomie (Tardif, 1992).
28 Dans cette approche, le genre du discours littéraire ne peut être conçu comme simple
objet disciplinaire à transmettre en lecture et à produire en écriture. Ce sont « les
pratiques langagières signifiantes, socialement reconnues qui doivent orienter
l’enseignement » (Dolz et Gagnon, 1998 : 178-179).
29 Au niveau de la gestion pédagogique, cette nouvelle conception permet le
déplacement du sens expliqué par l’enseignant aux élèves au sens produit par les élèves
avec l’aide de l’enseignant.

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30 Enfin, l’évaluation va en conséquence faire appel à l’expérience personnelle de


l’apprenant. Par ailleurs, introduire de « nouveaux » supports/genres dont les thèmes
et les idées se rapprochent de leurs expériences personnelles, de leur goût, de leurs
préoccupations et de leurs univers (Langlade, 1994) : romans d’aventure, romans
policiers, science-fiction, L’introduction de ces textes n’aiderait-elle pas à mettre en
œuvre ces nouvelles approches ?

De l’enseignement de la littérature classique à


l’apprentissage d’une pratique culturelle
Repenser « le genre littéraire » pour redéfinir les repères d’une
discipline

31 Envisager les genres en prenant en considération d’abord les expériences de lecture (ou
de non-lecture) de nos élèves, en dehors des cadres strictement rhétoriques et
poétiques, ne va-t-il pas remettre en question ces choix « institutionnels » et permettre
d’intégrer, au moins de façon partielle en contexte scolaire, ce qui est souvent nommé
« paralittérature » ?
32 La place de la littérature classique comme seul modèle culturel n’est-elle pas à
relativiser ?

Une nouvelle approche : la lecture impliquée

33 Les théories de la lecture et de la réception peuvent aider à mettre en place


« la lecture impliquée » : « impliquée, c’est-à-dire fondée sur la rencontre d’un individu
en situation et d’une œuvre (…) si le professeur garde l’initiative du discours sur
l’œuvre, s’il protège son monopole de la mise en question (…) les chances sont minces
d’une rencontre avec les apprenants.
» (Dumortier et Lebrun, 2006 : 6-7)
. Cette démarche suppose d’écouter d’abord les réactions « de nos apprenants/lecteurs
tout en conservant leur spontanéité, leur réception de l’ouvrage » (Lara, 2010 : 206
). Cette approche du texte littéraire se base dans une première étape sur les diverses
représentations du lecteur. La didactique des sciences (Astofli, 1990) a prouvé que
chaque apprenant possède des conceptions préalables « qui font partie d’un système de
représentations qui a sa cohérence et ses fonctions d’explication du monde »
(Perrenoud, 1999 : 29) et ses représentations sont foncièrement liées à sa propre
culture, à sa réalité socioculturelle.
« Le fait de susciter chez les élèves des interrogations sur le pourquoi des textes, sur
la réalité et l’imaginaire auxquels ils renvoient, sur les questions auxquelles ils
répondent, représente une manière de les impliquer dans cette communication
particulière qu’est la littérature et contribue en partie à construire leur réception ».
(Rouxel, 1996 : 198).

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247

34 Ensuite face à
un obstacle de lecture, l’élève apprend à chercher les outils pertinents, et donc
formateurs, pour entrer dans le texte. La démarche prend en considération le profil
spécifique de l’apprenant, en même temps que ses compétences effectives, avant de
penser, si le contexte le permet, à « ouvrir la lecture littéraire » (Rouxel, 1996 : 206), qui
« renvoie à des opérations cognitives de haut niveau, qui
au-delà de la compréhension permettent d’interpréter le texte et surtout de jouer avec
ses différentes significations » (Tsimbidy, 2008 : 13).
Toute introduction d’un « savoir littéraire », y compris celui sur les genres littéraires,
est le résultat d’une réflexion didactique sur son statut et sa finalité par rapport au
35 dispositif d’apprentissage à mettre en place. C
edispositif relève du statut à attribuer à la discipline dans un contexte donné.
36 La constitution marocainede 2011 (Article 5) précise que les apprenants doivent maitriser
: « les langues étrangères (par opposition aux langues officielles) les plus utilisées dans
le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la
société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations
contemporaines ».
37 Les finalités de l’introduction des langues étrangères au sein du système éducatif du
Royaume sont d’ordre communicatif et culturel. Ces finalités convergent d’ailleurs avec
celles conférées à l’apprentissage des langues étrangères en didactique des langues/
cultures. Il est en effet démontré qu’ « un apprentissage de langue n’est jamais
indépendant d’un apprentissage culturel » (Porcher, 1986 : 44) et que la maitrise de la
dimension linguistique n’est que « la surface d’un iceberg qui cache des réalités
culturelles dont l’appréhension est nécessaire dans toute situation de communication »
(Barthelemy, Groux & Porcher 2011 : 111). D’ailleurs, si la compétence de
communication « s’est révélée un concept beaucoup plus opératoire que tous ceux qui
l’avaient précédé dans la mesure où elle les englobe (…) s’agissant de l’enseignement de
la civilisation, la compétence de communication s’est monnayée opératoirement en
compétence culturelle » (Porcher, 1986 : 44).
38 Mais, le bilan à mi-parcours de la réforme (2007 b), le premier rapport annuel de
l’éducation du Conseil supérieur de l’enseignement (2008), les résultats de Trends in
International Mathematics and Sciences Studies (2003 et 2007), soulignent tous le constat de
sérieuses défaillances quant à la maitrise des langues, avec une tendance au recul de
certains indicateurs de performance. Le rapport du Ministère de 2008, tout en
concevant la question des langues comme une problématique transversale du système,
note dans ce sens que :
« L’examen de la stratégie linguistique actuelle révèle de nombreux
dysfonctionnements, notamment à deux niveaux :
• au niveau des langues d’enseignement, avec un déphasage particulièrement
préjudiciable entre le secondaire et le supérieur ;
• au niveau de l’enseignement des langues, avec une inadéquation évidente par
rapport aux compétences linguistiques recherchées » (MEN, 2008 : 64).
39 Il serait donc tout à fait logique, voire urgent, de repenser les repères disciplinaires
du « français ».

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Pour construire une véritable compétence culturelle

40 Nous proposons de repartir des finalités premières de l’enseignement des langues.


Dufay (2003 : 68) rappelle que « la culture est à la fois le principe, la finalité et le moteur
de l’apprentissage d’une langue (étrangère), qui vise directement et indirectement, la
rencontre de l’Autre ». Cependant, la culture est un produit socio-historique mais aussi
une pratique sociale. Et comme l’a bien souligné Galisson (1991), il y a d’une part, la
culture littéraire, l’histoire de l’art, la culture humaniste qu’il nomme : « le cultivé », ou
encore « la culture savante », et d’autre part « le culturel » qui renvoie au mode de vie,
à la culture quotidienne partagée par un certain nombre d’individus et qu’il qualifie
également de « culture partagée ». Dans les programmes préconisés par le ministère et
mis en œuvre dans la classe de langue au lycée, c’est le texte littéraire qui constitue la
seule et unique facette de la culture française. En assimilant l’enseignement
apprentissage du FLE à un enseignement de textes littéraires français classiques. On
survalorise la culture canonique. Les programmes de 2007 (MEN, 2007a) intègrent deux
œuvres de littérature maghrébine d’expression française, mais tout le reste est
constitué des grands classiques de la littérature française.
41 Intégrer cette double dimension attribuée au concept de culture n’aiderait-il pas à
mieux redéfinir les repères de l’enseignement/apprentissage du FLE au lycée ?
42 En effet, « la culture comportementale pourrait non seulement réconcilier
l’enseignement de la langue avec celui de la culture, mais aussi souligner le lien étroit
que le cultivé noue avec le culturel » (Briet, Blondel et Collés, 1998 : 7).
43 Or le but de notre enseignement est bien d’amener l’élève à acquérir « le goût de la
lecture », les compétences qui vont lui permettre d’intégrer dans sa vie la
fréquentation régulière de la production culturelle d’expression française sous toutes
ses formes.

Conclusion
44 Examiner l’approche par la notion de genre littéraire amène à repenser les contours de
la discipline français dans tout notre système éducatif.
45 Proposer des situations d’enseignement / apprentissage basées sur des supports
diversifiés pourrait contribuer à optimiser l’appropriation de la langue cible dans ses
dimensions linguistique, culturelle.
46 Pour ce qui est du texte littéraire dont la valeur formative est indéniable, l’objectif
étant de valoriser les postures interprétatives de nos apprenants et donc de construire
des sujets lecteurs et scripteurs, n’est-il pas urgent de construire l’espace
d’apprentissage autour des centres d’intérêt de l’apprenant, de ses lacunes et de ses
besoins, et non simplement autour de corpus prédéterminés conçus comme un modèle
clos ?
47 L’apprentissage des archétypes de la littérature française est un objectif important si
on l’envisage comme une rencontre avec les fondements d’un imaginaire culturel
collectif mais le corpus de textes doit être réactualisé pour le contexte spécifique de
l’enseignement/apprentissage du français auprès de la jeunesse marocaine afin de lui
assurer un accès au vaste domaine de la production culturelle d’expression française.

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NOTES
1. « Le concept de langue étrangère se construit par opposition à celui de langue maternelle et
l'on peut dire dans un même temps que toute langue non maternelle est une langue étrangère. »
(Cuq, 2002 : 93).
2. En réponse aux principes de la Charte de d’Education et de Formation de 1999, une refonte des
curricula commence. Soulignons également que la Constitution de 2011 précise que l’état doit
veiller à « la maitrise des langues étrangères (par opposition aux langues officielles) les plus
utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec
la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations
contemporaines » (Royaume du Maroc, 2011, article 5).
3. Parmi les neuf œuvres intégrales proposées aux élèves du lycée, six sont écrites par des
auteurs du 19ème ou du 18ème siècle.

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RÉSUMÉS
Cette contribution revient sur les fonctions et les usages des genres littéraires tels que préconisés
dans les programmes officiels pour le secondaire au Maroc. Certaines dérives sont alors
soulignées et des pistes didactiques proposées. Ces dernières devraient contribuer à optimiser
l’enseignement/apprentissage du FLE au lycée en contexte marocain.

This contribution returns to the functions and uses of literary genres as advocated in the official
curricula for secondary education in Morocco. Some excesses are then highlighted and didactic
approaches are proposed. The latter should help to optimize the teaching/learning of FLE at the
secondary level in the Moroccan context.

INDEX
Thèmes : Varia
Mots-clés : fonctions du genre littéraire, enseignement/apprentissage, textes littéraires, usage
Keywords : functions of the literary genre, teaching/learning, use, literary texts

AUTEUR
MINA SADIQUI
Ecole Normale Supérieure, Université My Imail, Maroc
Habilitée à diriger des recherches en D.L.C
Formatrice de professionnel.le.s de l’éducation
Responsable de la une structure de recherche Education, Formation Et Enseignement/
Apprentissage des Langues (EFEL), Laboratoire RDLLC. Responsable de la filière universitaire
d’éducation « Didactique du français »
Parmi ses dernières publications : collectif, Le français au Maroc au XXIe siècle - Vers de nouveaux
enjeux ?, L’Harmattan (2019)
m.sadiqui[at]ens.umi.ac.ma

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Le profil et les représentations des


étudiants gambiens pour le cours de
français langue étrangère
Ndèye Maty Paye

Introduction
1 Pour choisir une langue à diffuser, à promouvoir ou encore à enseigner, quelle qu’elle
soit, un ensemble de conditions s’impose : déterminer la situation sociolinguistique,
comprendre les politiques linguistiques et éducatives, les habitudes culturelles, la
géographie, l’histoire et les représentations de la langue. La sociolinguistique démontre
ainsi l’importance du contexte dans tout enseignement/apprentissage, dans toute
élaboration de projet didactique, mais aussi dans toute politique linguistique (décision
et action). De ce fait, en nous basant sur le français langue étrangère en contexte
universitaire gambien, nous tenterons de répondre dans cette contribution aux
questions suivantes : dans quel contexte est enseigné le français à l’université
gambienne sous l’appellation de FRE 101/ FRE 102 ? Qui sont les apprenants de FRE
101/102 ? Quelles sont leurs représentations de la langue et leurs difficultés
d’apprentissage. Notre travail s’appuiera sur une enquête par questionnaire réalisée en
juin 2017.

La politique linguistique de l’université de Gambie


2 La politique linguistique permet une gestion des langues, de la prise de décisions
(politique) à l’application réelle de ces décisions (planification). A la lecture du document
sur les politiques linguistiques de The University of the Gambia (UTG), nous constatons
que l’administration universitaire donne une plus-value à la maîtrise du français, en
considérant l’espace ouest-africain à majorité francophone. Ainsi, le français est une
matière obligatoire (GER : General Education Requirements), en référence à la circulaire
du lundi 9 février 2015. La finalité de cette décision est d’asseoir des compétences en

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français pour rendre compétitifs les étudiants au niveau du marché international du


travail (relations internationales, diplomatie, sciences politiques, interprétariat,
commerce, tourisme) après l’anglais, langue d’instruction à l’université gambienne.
Nous retrouvons cette volonté dans le passage suivant :
“In order to ensure UTG students and graduates are regionally and internationally
competitive and to better serve The Gambia in international platforms with
reasonable French language competencies, a decision was taken by Senate to
enhance our students’ French language competency skills every semester they are
enrolled in the UTG. The Gambia is surrounded by French speaking countries in the
sub region and most of the professionals in these countries are at least bilingual
and do speak French fluently as their first language and do possess English
language competency and in some cases a third language. At its meeting held on
Monday 9th February 2015, Senate revisited its earlier decision on the French GER
courses and after a thorough and exhaustive deliberation, directed as follows :
A French Language competency graduation requirement for all UTG students
regardless of major or degree programme.
To ensure competency, all UTG students MUST be exposed to French Language
acquisition every semester they are enrolled at the UTG and must pass each
enrolled French language course every semester they are enrolled at the UTG and
this will be a graduation requirement for all students”
Senate Resolution on French Courses, the University of the Gambia, circulaire
universitaire, bureau des inscriptions (registrar), du lundi 09 février 2015.
3 L’anglais est la langue officielle de la Gambie, de facto et non de jure, principale langue
d’instruction et d’administration universitaire. L’anglais est alors une langue
véhiculaire, au statut de langue seconde. En première année, les étudiants gambiens,
apprennent le français sous l`appellation de Elementary French : FRE 101 pour le premier
semestre et le FRE 102 pour le deuxième semestre. Au-delà de la première année, ils
doivent opter pour un français professionnel, puis pour un français de spécialisation en
fonction de leur domaine. Cependant, sept mois après la décision du gouvernement de
rendre obligatoire l’apprentissage du français en première année et à la suite de
protestations contre ces mesures, l’administration universitaire est revenue sur sa
décision en allégeant l’offre linguistique pour le français, en référence à la circulaire du
14 septembre 2015. En effet, certains membres de l’association des étudiants
considèrent cette politique comme une action inconstitutionnelle, selon les propos
recueillis, le 13 novembre 2015, sur le site All Africa, du secrétaire général de
l’association des étudiants UTGSU d’Almamy S. Manga. Le français reste obligatoire
(compulsory), pour tous les étudiants. Mais, cette nouvelle orientation s’accompagne de
restrictions. En effet, la mesure ne concerne que les matières FRE 101 et FRE 102
(niveau débutant). Tout étudiant, exprimant un intérêt, au-delà de la première année
pour le français à un niveau plus avancé, peut le signaler et prolonger ses études durant
la période estivale. La faculté de médecine et celle de journalisme dérogent à cette règle
par nécessité, puisque les mobilités académiques de leurs étudiants ainsi que leurs
spécialisations se font dans la sous-région (ex : le Sénégal francophone).
“At its meeting held on Saturday 12th September, 2015, Senate, deliberated
extensively on the French Courses and the decision is, summarized below :
a) That as part of the GER, Foreign Language Requirements, all students offering
French must do French 101 and 102 (Compulsory)
c) That those students who demonstrate interest in French beyond the GER level
have the option to enroll in higher level French courses during the summer
sessions at their own expense and convenience.”
Senate Resolution on French Courses, (Registrar), The University Of the

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Gambia, circulaire universitaire du samedi 14 septembre, 2015, bureau des


inscriptions.
4 Pour comprendre la perception des étudiants à l’égard de la francophonie universitaire
gambienne, nous avons opté pour un travail de recherche sur le terrain en donnant la
parole aux étudiants. L’analyse des représentations sociolinguistiques en contexte
didactique est importante, en ce sens. Elles concernent l’idée que les acteurs sociaux se
font de leurs pratiques langagières et la signification sociale, qu’ils leur attribuent, selon
Blanchet (2007 : 35).

La technique d’enquête
5 Pour une enquête efficace, nous avons utilisé le cours de Méthodologie de la recherche,
selon Alén-Garabato (2011), de l’université Paul Valéry, Montpellier 3. Ainsi, nous avons
travaillé avec le logiciel d’enquête Sphinx Plus version 2000. Le logiciel nous a facilité les
stades de l’enquête : l’élaboration du questionnaire, la saisie des données, les
traitements quantitatifs et qualitatifs à la fois, l’analyse lexicale. Prévue au mois de
mars 2016, nous n’avons pu réaliser notre enquête qu’à la fin du mois de juin 2017 à la
période des examens du second semestre 2016-2017 au campus universitaire de
Brikama en région 2 (Gambie). Nous avons pu rassembler notre corpus en un seul et
même jour à savoir le jour de l’examen final des FRE 101 et FRE 102. Soixante étudiants
de l’université de Gambie forment notre population d’enquêtés. Nous leur avons soumis
un questionnaire composé de 22 questions fermées et ouvertes sur le français langue
étrangère en contexte universitaire gambien.Les questions ouvertes nous ont garanti
des réponses libres. Les questions fermées nous ont permis de proposer aux enquêtés
plusieurs réponses possibles et de choisir librement entre elles pour une information
plus standardisée, ce qui nous a permis d’aboutir à la fois à une analyse quantitative,
qui éclaire sur les parcours personnels et les perceptions, une analyse quantitative
permettant un accès aux statistiques et aux chiffres, une analyse lexicale des items et
occurrences les plus citées et leur significativité. Le questionnaire comporte cinq
parties principales : la première donne sens aux données socio-biographiques (profils),
la deuxième offre un panorama sur l’apprentissage du FRE101/102 à UTG, la troisième
est focalisée sur l’(in)sécurité linguistique des apprenants, la quatrième sur les
difficultés rencontrées par ces apprenants et la cinquième sur les attentes de nos
enquêtés. Nous allons dans ce qui suit, inventorier les résultats obtenus.

Le profil des apprenants de FRE 101 et 102


6 Notre échantillon est constitué d’une population très jeune dont l’âge ne dépasse pas 30
ans. Nous pouvons le vérifier dans la présentation de certains où la tranche varie plus
précisément entre 17 et 28 ans, le plus âgé de notre corpus a effectivement 30 ans.
Tandis qu’un seul enquêté n° 56 n’a pas donné de précision à ce sujet. Contrairement
aux années où la population estudiantine était âgée (40 ans et plus), la donne a changé.
Nous comprenons par là que le taux de scolarisation a augmenté en Gambie et que la
jeunesse est beaucoup plus impliquée dans le sort national en investissant dans les
études. Notre population est à majorité de nationalité gambienne 95 % excepté
l’enquêté n° 6 qui est Sierra-léonais. Toutefois, nous avons deux non-réponses. L’élite
est composée de beaucoup de natifs tandis que la population étrangère estudiantine

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s’amoindrit. Peut-on envisager un nationalisme progressif de plus en plus intensifié et


assumé ? Les personnes interrogées proviennent de diverses filières et sont pour la
majorité à la faculté des lettres et des Sciences (School of Arts and Science – SAS), sauf les
étudiants des facultés de droit (law school), de médecine, des technologies de
l’information (ICT school) et les études infirmières (Nursing). Ils suivent leurs
principaux cours en majorité à Brikama, Kanifing, Banjul suivant leurs spécialisations.
Ils préparent la licence sous l’appellation anglaise de bachelor degree. Il est vrai que
l’université gambienne est très jeune, mais progressivement elle s’autonomise en
recrutant moins la ressource humaine étrangère et en misant sur sa propre population.
Diverses filières existent et les déplacements vers l’extérieur pour des spécialisations se
réduisent du fait d’une offre universitaire gambienne qui s’enrichit au fil des années,
grâce à la compétence locale. Il reste à octroyer à celle-ci les moyens d’asseoir leurs
compétences par la formation continue et la validation des acquis, sanctionnée des
diplômes aux niveaux les plus élevés comme le master et le doctorat. Ce partenariat est
en cours de réalisation grâce à la coopération universitaire étrangère, aux universités
virtuelles qui dispensent les cours en ligne (plateforme de l’AUF et université virtuelle
africaine (AVU)…). La majorité des apprenants à Brikama, pour le FRE 101/102, provient
du département de development studies soit 40 %, suivi à part égale, soit 10 %, des
départements de : political Science, médecine (préméd.), english, public health… Notre corpus
révèle plus d’étudiants de sexe féminin que masculin, soit 62 % de femmes contre 37 %
d’hommes. Les femmes ne sont pas laissées en arrière-plan. Elles sont impliquées dans
les débats intellectuels et les processus de décisions.

Les langues étrangères apprises par les étudiants


gambiens à UTG
7 L’anglais est une langue officielle en Gambie, une langue seconde, de scolarisation. C`est
une langue d’enseignement, un héritage colonial aussi. Aujourd’hui, il est la langue de
l’administration et le véhicule du savoir, au regard de la Constitution Gambienne et de
la politique linguistique gambienne. Nous considérons que tous les étudiants le
maîtrisent et le possèdent dans leur répertoire plurilingue, Jobe (1993). La première
langue étrangère apprise à l’université gambienne à 99 % est le français, suivi de
l’arabe. En réalité la position du français est celle d`une première langue étrangère à
l’université gambienne, suivi pour une faible part de l’arabe en deuxième position.
L’espagnol et le turc n’ont pas été proposés ces semestres passés pour les raisons
évoquées cf. supra : la politique linguistique à UTG. Les apprenants valorisent le français
car il intègre le programme universitaire. Le FRE 101 /102 revêt un caractère
obligatoire pour les étudiants en première année de licence. Il s’agit d’une première
contrainte, extérieure à la volonté des étudiants. Le français est imposé par
l’administration universitaire. Les réponses données montrent que l’administration a
pris cette décision dans l’intérêt des étudiants pour des motifs : pratique (large
diffusion du français sur la scène internationale avec un large auditoire), pragmatique
(économique), culturel (connaissance avec les voisins francophones de l’Afrique de
l’ouest), matériel (travail, argent, étude, voyages, conférences, coopérations…), comme
le souligne, OCKOVA (2007 : 268-270). Les étudiants, malgré ce forcing, expliquent eux-
mêmes leur intérêt pour la langue française. Elle est utile, à en croire les réponses, pour
leur projet professionnel. Elle est importante car la francophonie de proximité est à

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prendre en compte. De même, nous avons observé pour certains étudiants une vraie
passion pour le français.

Illustration : Textes extraits de la question °6. Why 1?


Observation n° 6: it’s part of my course requirements.
Observation n° 21: my dream is to work in the Gambian embassy in Senegal
besides I love French language.
Observation n° 24: l love to be able to speak it as my first foreign language.

Les représentations linguistiques du français chez les


étudiants gambiens
L’appréciation positive du français

8 Le goût pour la langue française s’avère réel avec 92 % de francophiles contre 7 %.


L’image du français reste alors positive dans cette institution anglophone. Nous avons
aussi procédé à une analyse lexicale en demandant aux enquêtés d’associer au
minimum 5 adjectifs au français. La question était : question n° 10 : Please choose five
adjectives for qualifying French language ? L’analyse lexicale montre que le français est
jugé intéressant (cité 15 fois) selon les mots des apprenants et insiste surtout sur son
statut international, officiel. Il peut aider lors des communications exogènes. Le français a
ici une valeur pratique, fonctionnelle. Il est considéré comme une langue véhiculaire, Calvet
(1999), de large diffusion, une opportunité, qui peut les aider lors des mobilités
académiques. Les adjectifs : helpful et international cités une fois chacun, ont été associés
au français. Quelques réponses à cet effet, peuvent être citées :

Textes extraits de ’8. Why2’ (40 réponses citées)


Observation n° 26: it’s an international language and it will help me in my
dream for foreign mission.
Observation n° 33: it is almost speaking worldwide and that’s an opportunity
for me as a university student in case if I’m exposes to the world especially
French speaking countries.

9 Certains étudiants expliquent leur intérêt pour le français en lui associant leur projet
professionnel. En ce sens, ils expriment leur volonté d’être bilingue (anglais/français)
pour pouvoir travailler dans des organisations internationales comme l’ONU ou la
diplomatie gambienne.

Textes extraits de ’8. Why2’ (40 réponses citées)


Observation n° 19: I want to be bilingual
Observation n° 27: I am interested in French language because I want to work
with the United Nations or other international organisations.
Observation n° 31: it gives me the opportunity to learn a foreign language.
Observation n° 41: the language is diplomatic.

10 Pour d’autres étudiants, c’est la valeur esthétique de la langue qui est privilégiée. Selon
eux, le français est une langue belle, agréable à parler, qui fait qu’ils se sentent bien.
L’analyse lexicale montre clairement les adjectifs associés à la langue française pour
évoquer sa beauté : beautiful 4 fois, Nice 4 fois, magnifique 2 fois, appealing 2 fois, captivating
1 fois, agreable 1 fois. C’est une langue à laquelle est attribuée une valeur éducative et
morale, c’est-à-dire qu’elle donne accès à l’instruction, au savoir-vivre et savoir-faire :

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educative 4 fois, polite 1 fois. Une valeur affective est associée au français qui rappelle les
sentiments et les émotions. Les adjectifs associés à ce sujet au français sont les
suivants : amazing 1 fois, enjoyable 1 fois, formidable 1 fois, genial 1 fois, romantic, 1 fois,
sentimental 1 fois, impressive 1 fois, loveable 1 fois, passionnant 1 fois. Enfin, une valeur
génétique est accordée au français qui est jugé comme apparenté à l’anglais ou encore
sa facilité ou difficulté est ici de mise. Easily 1 fois, perfect 1fois, rich 1 fois, soft 1fois,
standard 1 fois.

L’appréciation négative du français

11 7 % des répondants ont exprimé un désintérêt pour le français qu’ils rejettent et au


sujet duquel ils éprouvent un sentiment négatif, en insistant sur sa difficulté (valeur
génétique). Ils admettent leur incapacité à le parler. Par ailleurs, l’analyse lexicale du
corpus offre une vision générale de l’appréhension du français avec des adjectifs
négatifs qui lui sont associés : unimportant 1 fois, complicated 2 fois, ardnous 1 fois, brain
cracking 1 fois, petty 1 fois, difficult 1 fois, edge 1 fois. En résumé, l’apprentissage du FRE
101/102 s’accompagne d’évaluations majoritairement positives mais aussi négatives du
français auquel est accordé des valeurs, génétique, esthétique, morale, pragmatique,
fonctionnelle, Calvet (1999 : 75). La compréhension des perceptions s’avère ainsi
indispensable pour trouver des solutions destinées à améliorer les conditions de
l’apprentissage/enseignement du FLE à UTG, améliorer l’offre linguistique et accroître
la motivation et des apprenants et des enseignants par ricochet.

Les difficultés rencontrées par les étudiants gambiens


dans le cadre de l’apprentissage du FLE
12 Les étudiants en majorité (67 %) éprouvent des difficultés dans leur apprentissage,
même si 30 % déclarent ne pas en avoir. Une analyse lexicale des items et occurrences
les plus cités montre une prédominance de l’aspect oral dans les difficultés citées :
parler (speaking, cité 7 fois), lire (reading, cité 4 fois), prononcer (pronounciation cité 9
fois), épeler (cité 3 fois). En revanche, l’écrit a été peu cité (3 fois). Dans la liste des
justifications données, nous avons remarqué d’autres obstacles expliqués au-delà de la
compétence linguistique. L’environnement linguistique, surtout familial et amical, ne
donne pas aux apprenants l’opportunité de pratiquer le français. Le français est limité
d’après eux, aux séances de classe. De plus, un problème de matériel pédagogique est
souligné. Par exemple, à l’absence de laboratoire de langue à UTG, s’ajoute le manque
de tables. Cela engendre un retard considérable sur les cours de 3 heures par semaine.
Certains étudiants avouent qu’il leur est souvent impossible de se présenter au cours
car ils travaillent simultanément dans d’autres structures. Or, l’absence au cours n’est
pas tolérée par les professeurs. D’autres encore déclarent que le temps accordé au
français est trop court.

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Les recommandations données par les étudiants


gambiens
13 A la suite des limites citées, nous leur avons donné la possibilité de s’exprimer
librement afin de recueillir leurs suggestions. Celles-ci pourraient contribuer à
améliorer leurs conditions d’apprentissage. 44 réponses ont été enregistrées et se
résument en ces points :
• Pourvoir des salles de classe suffisantes et bien équipées (matériel audiovisuel, tables et
chaises…).
• Une plus grande focalisation sur l’enseignement de l’oral
• Sensibiliser les étudiants sur l’intérêt du français
• Encourager la recherche en français
• Redynamiser le club de français
• Organiser des séjours linguistiques vers les pays francophones

L’avenir optimiste du français à UTG


14 L’avenir semble prometteur pour l’enseignement/apprentissage du français à
l’université de Gambie. A la question 20: do you want to learn French after FRE101/102 at
UTG? La réponse est majoritairement positive. Beaucoup d’étudiants souhaitent que des
cours à des niveaux plus avancés, 103, 104, 201, 202… soient réintégrés au programme
universitaire pour leur permettre d`améliorer leur compétence en langue française. Ils
sont 78 % à exprimer cette volonté contre 7 %. Il est aussi à noter que 15 % des
répondants ne se prononcent pas sur le sujet. La majorité de notre population
d’enquête, à savoir 90 % espère un avenir radieux du français à l’université gambienne,
contre 4 % qui expriment une réserve sur la question. Les arguments positifs et
optimistes à l’égard du français à l’université sont nombreux. Certains étudiants
affirment avoir une connaissance antérieure du français et indiquent que l`étudier à
l’université a augmenté leur passion pour la langue. D’autres ne tarissent pas d’éloges
sur leurs enseignants qu’ils trouvent actifs, dynamiques, ponctuels, qualifiés. Ensuite,
nous avons ceux qui trouvent que le français ne peut-être qu’un atout pour l’université
pour la simple et bonne raison que toute université digne de ce nom devrait proposer à
ses apprenants au minimum deux langues étrangères. Un autre motif donné est qu’il
est difficile d’ignorer la langue française, vu la proximité géographique de la Gambie
avec la francophonie. Pour terminer sur les opinions favorables au français, nous avons
pu observer que les apprenants manifestent un réel intérêt pour la francophonie,
institution qu’ils souhaitent connaître davantage.

Les réserves par rapport au français


15 Même s’ils constituent une minorité, des apprenants de FRE 101/102 avec une
motivation quasi-nulle pour l’apprentissage du français sont répertoriés dans notre
corpus. Nous constatons toujours que 7 % de notre échantillon, soient 42 enquêtés, ne
sont pas convaincus. Ils disent ne pas aimer le français, ne croient pas en l’avenir du
français à UTG. Ils ne souhaitent pas poursuivre l`apprentissage du français dans les
niveaux supérieurs. Selon leurs propos, les étudiants ne prennent pas au sérieux les

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cours de français. Ils pensent que certains ne l’apprennent que pour réussir et avoir de
bons résultats avant de le jeter aux oubliettes. La complexité de la langue est citée
comme facteur bloquant. L’enquêté 24 pose comme condition que les enseignants
soient plus flexibles par rapport aux absences des étudiants, d’alléger les emplois du
temps trop souvent chargés et de ne pas organiser des cours de rattrapage le week-end.
Ainsi, il est utile de comprendre ce rejet du français pour arriver à des solutions
pouvant transformer la francophobie en une francophilie qui fait balayer toute
réticence.

Conclusion
16 Les résultats obtenus montrent que le français jouit en majorité d’une représentation
positive à l’université gambienne. En ce sens, les données de 2010 lors de notre thèse
coïncident avec celles de 2017. A aucun moment de cette enquête, le français n’a été
qualifié de langue ennemie, colonisatrice ou langue d’ingérence. Aujourd`hui, cet esprit
nationaliste, bien que présent, a tendance à s`estomper. Gomez (2013) l’explique en se
basant sur la littérature gambienne. Depuis le traité d’amitié entre le Sénégal et la
Gambie en 1991, nous observons une relation de partenariat malgré quelques zones de
turbulences. Et c’est le français en Gambie qui en sort gagnant. Nous avons eu, en juin
2017, un échantillon d’étudiants pragmatiques, pensant à leur futur professionnel. Cela
est d’autant plus vrai que le nouveau régime est très ouvert à la coopération
internationale, avec la visite remarquée du président Adama Barrow, d’abord au
Sénégal, puis au Mali et enfin en France. L’offre universitaire se diversifie et de
nouveaux débouchés professionnels liés aux organisations internationales, à la
diplomatie, à la traduction se profilent. De ce fait, pour la majorité des étudiants
interrogés, la maîtrise de la langue française devient une valeur ajoutée dans le marché
du travail. Il n’est pas rare de voir nos enquêtés manifester de l’intérêt pour le français
car ils veulent travailler dans la diplomatie gambienne ou encore dans les organisations
internationales. La perception positive est un poids capital dans leur motivation et leur
réussite dans l’apprentissage du français. Il n’en reste pas moins que l’administration
universitaire, ainsi que le corps professoral gambiens devraient discuter pour pallier
les difficultés évoquées. Il est vrai que ce n’est pas aux étudiants de décider du
fonctionnement universitaire, mais la prise en charge de leurs représentations
permettrait d`améliorer la qualité de l`enseignement. La sensibilisation par rapport à
l’intérêt du français est un point essentiel pour rendre son enseignement attractif. Pour
ce faire, nous soulignons la réalisation d’activités culturelles et ludiques nécessaires au
renforcement des représentations positives du français. Nous avons, de plus en plus, un
public estudiantin jeune dont il faut tenir compte par la proposition d`activités
culturelles en adéquation et en adaptation avec leur âge : les séjours linguistiques de
courtes durées sont possibles, les films courts métrages, les bandes dessinées, les jeux
de mimes en classe, le karaoké, les devinettes, la chanson francophone, les reportages,
la visite pédagogique en sont d’autres.

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BIBLIOGRAPHIE
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l’école doctorale en linguistique française. Brescia, Italie, 2011/5, p. 122-134.

RÉSUMÉS
Notre contribution porte sur le profil des apprenants de FLE à l’université de Gambie. Elle a pour
dessein de favoriser une compréhension de ce public, de ses besoins, ses motivations, ses attentes
et ses difficultés. En effet, toute orientation linguistique doit se poser sur les bases d’une enquête
de terrain afin d’élucider le contexte. Pourtant dans les recherches sur la didactique du FLE en
Gambie, la voix estudiantine est souvent occultée. La rédaction de cet article permettra alors
d’analyser la perception estudiantine du français et de son enseignement en Gambie. Quelle est la
valeur de la francophonie en Gambie selon les étudiants ? Les réponses s`amorceront par une
clarification de la politique universitaire en matière d’enseignement du français.

This contribution is focused in contextualized didactics. It analyzes the profile and


representations of learners of French as a foreign language, at the University of The Gambia. This
study shows that sociolinguistics is important and in fact, makes it possible, through the analysis
of language assessments and practices, to understand motivations and to find appropriate
language policies, in order to improve the conditions of teaching / learning.

INDEX
Mots-clés : français langue étrangère, politique universitaire gambienne
Thèmes : Varia
Keywords : french language, gambian university policy

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AUTEUR
NDÈYE MATY PAYE
French – Department - The University of the Gambia
Assistant-Professor à l’université de Gambie (Afrique de l’Ouest). Titulaire d’une licence en
Langue et Littérature françaises et d’un master en Linguistique Française à l’université de Fès –
Maroc en 2005, elle obtient aussi un Master 2 en Didactique des Langues-Cultures puis un
doctorat en Sciences du Langage option Sociolinguistique à l’université de Montpellier 3- France.
Elle est l’auteure de quatre ouvrages et d’une dizaine d’
articles.
ndeyematypaye[at]yahoo.fr

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