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Les cahiers de l'Acedle
17-2 | 2020
Recherches collaboratives en didactique des
langues
Enjeux, savoirs, méthodes
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rdlc/7272
DOI : 10.4000/rdlc.7272
ISSN : 1958-5772
Éditeur
ACEDLE
Référence électronique
Véronique Miguel Addisu et Nathalie Thamin (dir.), Recherches en didactique des langues et des cultures,
17-2 | 2020, « Recherches collaboratives en didactique des langues » [En ligne], mis en ligne le 27 avril
2020, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rdlc/7272 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/rdlc.7272
Recherches en didactique des langues et des cultures is licensed under a Creative Commons Attribution-
NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License
1
SOMMAIRE
Comité scientifique
L’altérité dans la voilure : une lesson study pour un sillage collaboratif en didactiques des
langues
Carole-Anne Deschoux et Claire Taisson
Articles pédagogiques
Sous la direction de Salima El Karouni et Emilie Lebreton
Comptes-rendus
Sous la direction de Marc Debono
Jeunes chercheur.e.s
Sous la direction de José Aguilar-Rio
Varia
Sous la direction de Joanna Lorilleux
Enseignement de la littérature dans les lycées marocains : de la centration sur les genres
littéraires classiques à l’apprentissage du goût de la lecture
Mina Sadiqui
Le profil et les représentations des étudiants gambiens pour le cours de français langue
étrangère
Ndèye Maty Paye
Comité scientifique
textes présentés ici : la spécificité d’une écriture qui, dans sa forme-même, témoigne du
travail de co-énonciation et de co-validation des auteurs.
3 La seconde partie de cette présentation introduit les textes selon quatre axes, que nous
avons choisis parce qu’ils nous semblent à même de mettre l’accent sur des éléments
saillants de la RC en didactique des langues aujourd’hui. Un premier constat nait de la
lecture des onze contributions réunies ici : la définition de départ que nous avions
proposée dans l’appel à contribution implique que les rôles de chercheur ou de
professionnel, de formateur ou de praticien soient clairement identifiés, et identifiables
par les collaborateurs. La plupart des contributions que nous réunissons ici montrent
cependant que la collaboration appelle surtout une transformation de ces rôles tout au
long du processus collaboratif, et que l’importance de la relation entre les acteurs
prend le pas sur celle des fonctions professionnelles (axe 1).
4 Ce numéro fait aussi comprendre que si les liens entre formation et recherches
collaboratives sont particulièrement forts, ces deux champs ne se confondent pas pour
les acteurs, distinction qui est à l’origine du processus à l’œuvre dans les différents
projets présentés (axe 2). Cette intuition a été à l’origine de notre appel à contribution,
qui a émergé en avril 2018, lors d’un séminaire de formation à l’Institut français
d’éducation (IFE) qui réunissait chercheurs et formateurs en vue d’explorer de
nouvelles pistes didactiques avec les élèves allophones1. Outre la thématique du
séminaire, les projets et travaux soumis à la réflexion du groupe avaient tous la
particularité d’émaner d’une collaboration pratique entre chercheurs et praticiens :
cette praxis apparaissait comme essentielle pour la formation, ainsi que pour la
recherche. Le troisième constat que l’on peut faire à la lecture de ce numéro est que la
praxis renvoie immanquablement à des positionnements éthiques situés, et
contextualisés, qu’il appartient aux chercheurs de clarifier et d’assumer socialement
(axe 3). Aujourd’hui, la didactique des langues transpose explicitement ces questions
hors de la classe : de jeunes chercheurs explorent ces voies au sein de partenariats
innovants dont les premiers résultats sont prometteurs (axe 4).
5 Nous conclurons cette présentation en revenant sur quelques points qui demeurent
délicats dans le contexte actuel pour que des recherches collaboratives se déploient
entre chercheurs universitaires et institutions partenaires.
9 Les objets des RC étudiées dans ce numéro portent sur un ensemble de dispositifs
didactiques, la plupart se déroulent en contexte scolaire (maternelle, primaire,
secondaire), en classe ordinaire ou en UPE2A (Unité Pédagogique pour Elèves
Allophones Arrivants), mais concernent également la formation initiale d’étudiants en
INSPE. Les types de RC explorés et analysés sont des recherches-formations, des Lesson
Studies, des projets artistiques, des partenariats pédagogiques… elles mobilisent une
collaboration entre chercheurs et enseignants, conseillers pédagogiques, familles,
inspecteurs de l’éducation nationale, étudiants en formation initiale, communautés
autochtones (contexte Amérique du nord), directeur de théâtre et artistes en résidence,
praticiens de l’éducation muséale (directrice de musée, médiatrices culturelles).
10 Dans neuf contributions sont évoquées des recherches contribuant à la formation des
enseignants. Sept s’intéressent à des objets « scolairement identifiés » tels que la
syntaxe et la ponctuation (Giguère et al.), l’écriture (Kervyn), la recherche
documentaire d’enseignants d’anglais du secondaire (Bento), la didactique de l’oral en
contexte plurilingue (Miguel Addisu et Beaumont), la lecture d’albums de jeunesse
(Deschoux et al.), la formation à la didactique du plurilinguisme (Colombel et Fillol ;
Macaire). Deux problématisent surtout les dynamiques de transformation des acteurs
(Lemaire et al., Lebreton et Lorilleux). Mais les RC ouvrent la didactique à des lieux
autres : dans deux contributions sont aussi évoquées des situations dans lesquelles la
didactique du plurilinguisme croise les pratiques muséales et artistiques (Carinhas et
al. ; Serusclat-Natale et al.).
11 Les onze contributions s’inscrivent dans différents ancrages de la didactique des
langues : didactique du français langue maternelle, du français langue de scolarisation,
didactique de l’anglais, didactique du plurilinguisme en contexte minoritaire ou
majoritaire francophone. Elles s’ancrent également dans différents contextes
géographiques : Canada anglophone (1 Alberta) et Canada francophone (1 Québec),
France métropolitaine (5), territoire ultramarin de Nouvelle Calédonie (1), États-Unis
(1), Suisse romande (1), Uruguay (1). Dans l’argumentaire initial du numéro, plusieurs
axes avaient été envisagés émanant des questionnements soulevés par les
coordinatrices du numéro : 1) Recherches collaboratives et diffusion des savoirs : enjeux. 2)
RC et engagement des acteurs : savoirs. 3) RC et processus de co-construction des savoirs :
méthode. Force est de constater qu’aucun article ne s’inscrit dans un axe exclusif, mais
tous en traitent en partie. S’agit-il de signes de l’émergence d’un paradigme de
recherche en didactique des langues ? On peut faire l’hypothèse que les RC bousculent
les catégorisations consensuelles et mettent à jour ce qui est de l’ordre de l’entre deux :
« l’entre n’a rien en propre, ne possède pas de statut, par conséquent passe inaperçu.
En même temps, l’entre est par où tout « passe », « se passe », peut se déployer »
(Jullien, 2012 : 51).
12 Cette démarche se lit tout d’abord dans les procédés d’énonciation que tous les auteurs
ont investis de façon à rendre compte de la collaboration à l’œuvre dans les recherches
dont ils font état.
13 En concordance avec la thématique proposée, les coordinatrices avaient fait le pari d’un
numéro où l’écriture collaborative serait présente, en invitant explicitement à cette
démarche de co-écriture. Le défi a été relevé par plusieurs auteurs, permettant ainsi de
mieux rendre compte du processus scientifique qu’impliquent les recherches
collaboratives.
14 Trois textes sont co-signés par des chercheurs et des professionnels (Lemaire,
Beauparlant & Howse ; Miguel Addisu et Beaumont ; Serusclat-Natale et Marzin). Trois
textes mêlent les voix de plusieurs chercheurs engagés dans un même projet
collaboratif (Giguère, Nadeau, Fisher, Arseneau, & Quevillon Lacasse ; Carinhas, Araujo
& Moore ; Colombel et Fillol). Les auteures assument une double-voix de praticiennes et
chercheures dans deux contributions (Deschoux et Taisson ; Lorilleux et Lebreton).
Dans les trois textes qui n’ont qu’un seul auteur, l’énonciation joue un rôle premier
dans l’explicitation des rôles et dynamiques collaboratives qui sont discutées (Bento ;
Kervyn ; Macaire).
15 Ces choix énonciatifs témoignent selon nous de la créativité à l’œuvre dans les RC : les
textes écrits à deux voix ou parfois plus, très peu habituels dans les habitus culturels
académiques, ont nécessité de la part des auteur-e-s (ainsi que pour les relecteurs !) un
certain nombre de réajustements, notamment d’ordre énonciatif, de clarification des
processus d’écriture, des places et rôles des co-auteurs dans la recherche. Cela a
favorisé dans le processus d’écriture lui-même la dimension réflexive sur le projet et la
démarche collaborative. Les auteurs ont exploré des procédés divers comme les notes
de bas de page explicatives des choix opérés, le jeu sur les marques typographiques
pour distinguer les différents énonciateurs. On trouve ainsi sous les plumes de Maud
Serusclat-Natale et Yannick Marzin l’explicitation suivante en note 5 :
« Lorsque nous avons écrit cet article, souvent à distance, notre co-écriture a pris la
forme d’un dialogue plus personnel, dont on trouve les traces syntaxiques
(pronoms, marques d’adresse, questions en suspens, etc.) dans les extraits qui vont
suivre. C’est volontairement que nous laissons apparaître ce glissement sémantique
puisqu’il est une manifestation concrète de la pensée que nous développons dans
cette contribution ».
16 Dans son article écrit à une voix, Bernadette Kervyn précise les choix énonciatifs opérés
dans la première note de bas de page pour mieux retracer le processus collaboratif à
l’œuvre :
« Malgré l’usage fréquent du pronom « nous » en recherche pour se désigner en
tant qu’auteur et parfois induire une intention de neutralité axiologique, certes
toute relative, dans le présent article, choix est fait de recourir à une écriture en
« je » quand il s’agit de l’auteur. Ce choix permettra de réserver l’usage du « nous »
pour désigner le collectif engagé dans la recherche dont il sera question. Seront
aussi utilisés de façon distincte le « nous » et le « on », ce dernier visant à inclure
les lecteurs potentiel ».
17 Un dernier exemple non exhaustif des positionnements est celui choisi conjointement
par Emilie Lebreton et Joanna Lorilleux qui, en jouant sur la typographie, assument
deux voix distinctes tout en soutenant le fait que chacune de ces voix est à la fois celle
d’une chercheure et d’une praticienne :
« Notre écriture commune ne peut laisser se confondre nos voix, nos regards, nos
expériences. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’utiliser l’italique, précédé des
initiales de l’énonciatrice (E.L. pour Emilie Lebreton et J.L. pour Joanna Lorilleux)
pour marquer les passages où le croisement, le frottement de nos expériences fait
sens. Les passages sans italiques correspondent à des compréhensions partagées des
phénomènes présentés ».
Organisation du numéro
18 Nous avons choisi de présenter les contributions selon quatre axes complémentaires :
un premier axe traite de la collaboration entre chercheurs et praticiens sous l’angle de
la complémentarité qui se distingue cependant du consensus. Un second se centre sur
les effets que la collaboration possède sur le développement professionnel des
praticiens. Un troisième apporte une réponse éthiquement située de la recherche à des
questions socialement vives. Enfin, un quatrième axe présente deux recherches
doctorales en cours qui interrogent la posture et l’implication du chercheur dans des
partenariats innovants (festival, musée).
En guise de discussion
30 Ce numéro permet d’avoir une idée des domaines dans lesquels se développent
aujourd’hui des recherches collaboratives en didactique des langues. Les RC
problématisées ici s’inscrivent toutes résolument dans un paradigme qualitatif.
S’intéressant aux praxis et à leurs effets sur les milieux de pratiques, les contributions
convergent au moins sur deux points : elles demeurent marginales, et participent à la
fois au développement professionnel des acteurs et à l’émergence de nouveaux savoirs
scientifiques. Il nous semble que ces recherches disent quelque chose des limites
atteintes par un modèle descendant de transposition recherche/formation qui s’appuie
sur la différence et les frontières entre ces deux lieux de référence, plutôt que sur la
circulation des savoirs. On comprend ici qu’il ne s’agit pas d’opposer recherche et
formation en didactique des langues : ces études permettent de documenter et de
poursuivre l’effort de conceptualisation de leur relation. En réaménageant les pouvoirs
entre savoirs pratiques et savoirs savants, c’est une démarche critique particulière qui
s’opère dans les RC pour tous les acteurs, celle de la capabilité.
31 Pourtant les appels de plus en plus nombreux à des collaborations de principe entre
chercheurs et praticiens invitent aussi à une réflexion politique dont la didactique des
langues ne peut s’affranchir : à les développer avec le soutien des décideurs, ne court-
on pas le risque d’instrumentaliser les RC au bénéfice d’une culture de la compétitivité
qui impose à la fois collaboration et résultats probants des formations s’y inscrivant ?
Nous ne pouvons non plus ignorer les projets de recherches collaboratives qui n’ont pas
abouti, et pour lesquels nous n’avons pas reçu de proposition. Les chercheurs ayant
contribué s’interrogent sur leur rôle, et se positionnent face à l’institution partenaire,
ils montrent tous que dans les projets auxquels ils ont participé, leur engagement est
considéré comme possible, souhaitable, et bénéfique. Mais toutes les voix réunies dans
ce numéro soulignent aussi ô combien est délicate à mettre en place une dynamique de
recherche collaborative qui contribue pleinement à la formation. Cette préoccupation
est loin d’être nouvelle dans le champ des didactiques :
« Au chercheur qui accepte de répondre à une demande qui, dans la majorité des
cas, est institutionnelle, c'est-à-dire produite par un responsable administratif (IEN
en général), la question se pose de savoir en quoi sa réponse est spécifique, c'est-à-
dire différente à la fois de celle du formateur qu'il pourrait rencontrer sur ce même
terrain, et surtout en quoi elle peut être reconnue comme recherche par la
communauté scientifique à laquelle il appartient. C'est ce second problème qui est
le plus épineux, à telle enseigne qu'il semble que, faute de trouver de réponse
satisfaisante à celui-ci, nombre de chercheurs préfèrent décliner l'offre qui leur est
faite. » (Fijalkow et Ragano, 1999 : 19)
32 On découvrira dans ce numéro des contributions qui montrent que les RC déploient des
processus scientifiquement rigoureux, qui favorisent des méthodes de recherche
altéritaires, certes inconfortables, mais fécondes en didactique des langues. En
favorisant de nouvelles connaissances fondées sur la relation, l’écart, et la capabilité,
ces démarches contribuent notamment au développement professionnel de tous les
acteurs « embarqués », dont les chercheurs.
BIBLIOGRAPHIE
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d’Éducation. En ligne : http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport.
Jullien, F. (2012). L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité. Paris : Galilée.
Morrissette, J., Pagoni-Andreani, M. & Pépin, M. (2017). « Observation et mise en mots des
pratiques dans le cadre des recherches collaboratives : quelles finalités ? Quels dispositifs ? Quels
impacts ? ». Phronesis, 6(1-2).
NOTES
1. http://ife.ens-lyon.fr/formation-formateurs/catalogue-des-formations/formation-2017-18/
quelle-didactique-pour-les-eleves-allophones?set_language=en.
2. La formation a rassemblé uniquement des femmes. C’est donc le féminin qui est adopté.
AUTEURS
VÉRONIQUE MIGUEL-ADDISU
INSPE de l’académie de Rouen-Université de Rouen-Normandie, DYLIS EA7474
Mes travaux se situent entre sociolinguistique et didactique, et visent à contribuer à une
meilleure connaissance des pratiques langagières des locuteurs plurilingues en situation de
contact de langues. À l’école, je cherche à comprendre comment les élèves plurilingues
s’approprient la langue de scolarisation en situation éducative immersive en France et à
l’étranger, et à construire une approche plurielle de la didactique du français, à visée inclusive,
altéritaire.
veronique.migueladdisu[at]univ-rouen.fr
NATHALIE THAMIN
Université Bourgogne Franche-Comté, CRIT EA3224, Besançon
Je suis enseignante-chercheure en sciences du langage à l’Université de Franche-Comté, au sein
du Centre de recherches interdisciplinaires et transculturelles (CRIT, EA 3224), et chercheure
associée au LIDILEM, Université Grenoble Alpes. Mes recherches actuelles, inscrites en
sociolinguistique et didactique des langues, portent sur la scolarisation et la socialisation
langagière plurilingues d’élèves dans le contexte de l’école maternelle ainsi que sur les familles
en situation de migration ou de mobilité transnationale.
nathalie.thamin[at]univ-fcomte.fr
Orientations méthodologiques et
théoriques d’une recherche
collaborative sur le travail
documentaire de professeures
d’anglais langue étrangère
Margaret Bento
Introduction
1 Les articles rendant compte de recherches collaboratives ou participatives sont de plus
en plus présents dans le paysage de la didactique des langues (entre autres Narcy-
Combes, 2005 ; Demaizière et Narcy-Combes, 2007 ; Macaire, 2007a ; Castellotti, 2013).
Ces orientations impliquent une nouvelle manière de faire de la recherche « qui va dans
le sens de valoriser un processus de production des connaissances réalisé de concert
avec les acteurs concernés » (Anadon, 2007 : 3). Pour Desgagné (1997 : 371) :
« l'approche collaborative suppose une démarche de coconstruction entre les
partenaires concernés ; elle joue sur deux registres à la fois, soit celui de la
production de connaissances et celui du développement professionnel des
praticiens ; elle contribue au rapprochement, voire à la médiation entre
communauté de recherche et communauté de pratique. À l'horizon de ces trois
énoncés se profile une vision socioconstructiviste du « savoir » à développer, et
cela, à partir d'une démarche collective d'interprétation où théorie et pratique sont
constamment mises en relation ».
2 Ainsi, on voit se mettre en place des collaborations complémentaires entre chercheurs
et enseignants (Bednarz, 2013) et leurs conséquences sur l’environnement
institutionnel dans lequel s’inscrivent ces recherches, souvent recherches-actions (voir
par exemple la rétrospective de 5 programmes de recherches collaboratives en langues
modernes de Beckers et Simons, 2010 : 31-46 ou encore, Macaire, 2007a : 93-120),
parfois recherches-interventions (Narcy-Combes, 2005 ; Demaizière et Narcy-Combes,
Le dispositif de collaboration
12 Cinq professeures ont participé à cette recherche. Trois d’entre elles enseignaient dans
des lycées généraux et technologiques du centre-ville d’Orléans et deux autres
enseignaient dans un lycée professionnel de la banlieue proche d’Orléans (non classé en
zone prioritaire).
13 La mise en place de cette recherche collaborative a pris pour cadre la démarche en trois
étapes définie par Desgagné (1998) : la cosituation, la coopération et la coproduction.
14 La cosituation a pris la forme d’une négociation entre les enseignantes et la chercheure.
Il s’est agi de se mettre d’accord sur les questions de recherche concernant le travail
documentaire des enseignantes et sur le mode de collaboration lors des séances
d’échange concernant les questions de recherche. C’est donc bien dans une démarche
de double vraisemblance que l’activité réflexive a été envisagée. Il fallait créer des
situations permettant de travailler les questionnements sur le travail documentaire en
prenant à la fois en compte les préoccupations des cinq enseignantes et les objectifs de
la chercheure.
15 L’étape de coopération a correspondu au moment de la collecte des données, objets
d’enquête pour la chercheure et activités de réflexion pour les enseignantes. Les
analyses croisaient diverses données recueillies à des moments, des lieux et auprès de
différentes enseignantes. La recherche sur l’activité de documentation des enseignants
était exploratoire et la démarche entreprise permettait d’augmenter la validité et la
qualité des résultats obtenus (Silverman, 2009). Au préalable de la collaboration avec
les enseignantes, il y a eu sept entretiens semi-directifs enregistrés, menés auprès des
cinq enseignantes exerçant en lycée général et technologique et deux enseignantes
exerçant en lycée professionnel. Le guide d’entretien était notamment composé d’une
série de questions portant sur les données personnelles et professionnelles des
enseignantes, leurs conceptions à propos des ressources pédagogiques utilisées en
cours, leurs choix et leurs utilisations. La démarche de l’entretien semi-directif
permettait la prise de parole spontanée des professeures interrogées et d’être attentive
aux détails faisant sens pour elles. Ces entretiens ont donné lieu à une série de portraits
d’enseignantes mettant ainsi en exergue les caractéristiques de chacune d’entre elles.
16 Le corpus était également constitué de journaux de bord de l’activité de trois
enseignantes volontaires lors de la préparation des séquences pédagogiques. Elles
notaient l’origine des ressources utilisées ou rejetées avec le cheminement qui avait
présidé la recherche ; l’intérêt des ressources retenues ou non ; les modifications
apportées aux ressources avec les techniques utilisées ; l’organisation des ressources,
mais aussi les activités organisées autour des ressources. Huit séquences pédagogiques
ont pu ainsi être recueillies. C’est à partir de ces différents matériaux que le dialogue
s’est établi lors de trois situations de collaboration qui prenaient la forme d’échanges
collectifs sur les questions de l’activité documentaire des enseignants.
17 Ainsi, les entretiens individuels et les carnets de bord ont été présentés au groupe des
cinq enseignantes volontaires, ayant participé à tout ou partie des phases du recueil des
données (seulement trois enseignantes ont accepté de rédiger un carnet de bord), afin
de déterminer ce qui se faisait réellement ou non. Les participantes réagissaient aux
éléments présents dans les entretiens transcrits et les carnets de bord, elles
confrontaient leurs conceptions et elles construisaient une culture commune. En effet,
grâce à cette méthodologie, qui prenait en compte les savoirs d’expérience que les
professeures développaient dans leur activité professionnelle journalière, une culture
commune a émergé (Desgagné, 1998) axée sur les quelques règles qui régissent le
métier de professeur d’anglais (Bento, 2017b).
18 Lors des rencontres, les enseignantes devaient donner du sens aux questionnements
posés en prenant à la fois en compte et en commentant les transcriptions des
entretiens, les journaux de bord et leur propre pratique. Il s’agissait principalement de
repérer, à travers leurs activités quotidiennes, comment s’effectuait leur travail
documentaire pour l’élaboration d’une séquence pédagogique. Il pouvait aussi s’agir
pour les enseignantes de raconter une anecdote, un incident en lien avec la thématique.
Des situations habituelles et inhabituelles d’activité étaient mises au jour afin d’en
extraire les éléments les plus signifiants.
19 Enfin la dernière étape, la coproduction, a consisté en l’analyse des résultats. Chaque
rencontre a été enregistrée et retranscrite. Le traitement des données a donné lieu à
une analyse thématique du contenu des discours recueillis (Bardin, 2007). Il s'est agi de
repérer les éléments significatifs du discours et des pratiques des enseignantes, puis de
les catégoriser. Pour structurer l'analyse thématique de contenu, nous avons pris en
compte plusieurs composantes susceptibles d’influencer le choix et la transformation
des ressources par les enseignants.
Le genre professionnel
circonstances pour que l’action soit finement adaptée. Mais cet ajustement ne peut
se concevoir que parce que l’organisation de l’activité comporte une bonne part
d’invariance. La dimension invariante de l’organisation de l’activité représente la
part généralisable de l’action. »
23 La notion de genre professionnel s’accorde parfaitement avec l’approche
méthodologique participative envisagée puisqu’elle renvoie directement à l’activité et à
l’organisation de l’activité par les enseignants. Cette activité peut être certifiée par les
praticiens et devient une réalité qui met en évidence la structuration de leur travail.
Dans les interactions avec les enseignantes, je me suis intéressée à la dimension sociale
du rapport aux ressources pédagogiques, commune à l’ensemble des enseignantes
(Bento, 2017b). En effet, l’enseignant ajustant ses pratiques dans l'interaction, avec les
élèves ou d'autres acteurs du système, il importe de considérer la nature interactive de
ces activités.
24 La méthodologie collaborative couplée à la notion de genre professionnel permettait de
répondre aux questionnements posés : dégager la posture pédagogique des
enseignantes quant à leur travail documentaire. Elles ont mis en évidence les
conceptualisations qui leur permettent de réaliser des tâches documentaires compte
tenu de leur formation, de leur expérience et des contraintes institutionnelles. Il a
émergé aussi de la collaboration entre praticiennes et chercheure, l’importance des
convictions professionnelles pour la construction du genre professionnel (Bento,
2017b), des convictions professionnelles partagées par la plupart des enseignantes.
Mais cela ne voulait pas dire qu’il y avait uniformisation des pratiques. Des pratiques
personnelles aussi ont émergé indiquant qu’au-delà du genre professionnel, il y a aussi
un style (Clot, Faïta, 2000 : 15-16) qui renvoie à une « action singulière » (Cicurel, 2013 :
27).
trouvent qu’elles vont à l’encontre des besoins ou du niveau des élèves ou encore de
leurs goûts personnels (Bento, 2017a). Les interactions ont mis en évidence une
exigence éthique de responsabilité personnelle. Les enseignants se positionnent en
considérant qu’il y a des actes qu’elles peuvent faire ou ne pas faire. Ainsi,
« d’un côté les enseignants ne peuvent se passer des règles qui régissent le métier et
constituent une culture commune, mais d’un autre côté, ces règles ne constituent
pas à elles seules l’ensemble des conventions de la profession. La réalité des
situations, l’intérêt des apprenants, le goût des enseignants sont autant d’éléments
qui infléchissent l’activité des enseignants en la rendant singulière » (Bento, 2017a :
69)
[…]
Chercheure : Qu’est-ce qui fait que maintenant tu vas plus choisir ce texte
plutôt qu’un autre ? Parce qu'il te plait plus, parce que c'est plus adapté aux
apprenants ?
C : Au final parce que c'est plus adapté aux textes officiels.
Chercheure : Ça t’a rapprochée des instructions ?
C : Euh, oui on pourrait dire ça, dans le côté global, on pourrait dire ça. En
tous cas, je ne sais pas si ça m'en a rapproché, je pense que je faisais pareil
sauf que je n'analysais pas pourquoi. Disons que je m'assure que je suis dans
le cadre peut-être, davantage.
[…]
S : Moi, je consulte davantage les manuels scolaires en fait. Ce que j'avais
arrêté de faire il y a déjà un petit moment et puis on en a reçu quelques-uns.
Je me dis « tiens ça fait un petit moment quand même que j'ai pas mis mon
nez dedans » et finalement j'ai trouvé des choses intéressantes que j'avais
laissé de côté alors que non il y a des choses intéressantes dans les manuels,
donc oui je me suis mise récemment, je sais pas si toi (s'adresse à E.) tu les
consultes autant
E : Euh oui, je les consulte. Voir s'il y a des idées de thèmes qui m'intéressent
Chercheure : Mais tu le faisais déjà ?
E : Oui, je le faisais déjà. Moi, je pense que c'est plus dans ma façon d'aborder
le document avec les élèves. Je travaille plus la stratégie d'accès au sens. J'ai
repris certains documents et ça m'a amenée à me poser des questions aussi
sur pourquoi choisir tel document. Y a des documents que j'ai changé cette
année en me disant que non par rapport à ce que moi je veux travailler. Si je
veux travailler vraiment des stratégies d'accès au sens, vaut mieux prendre
tel document que tel document donc peut-être pas sur beaucoup de chapitre
mais sur... Ponctuellement, ça m'a amenée à changer soit le document, soit la
façon d'aborder le document […] (Transcription des échanges avec les 5
enseignantes participant à la recherche – 27 février 2017).
28 Cela étant, les professeures ne sont pas intervenues dans le travail formel de la
recherche : définition du cadre théorique, méthodologie de recueil de données, analyse
des données, production scientifique qui incombe aux chercheurs. Mais, la démarche
entreprise a permis de mettre en œuvre un double volet, dans une perspective de
double vraisemblance : l’examen du travail documentaire des enseignantes et le
développement professionnel de ces mêmes enseignantes (Desgagné, 1997) en fonction
de l’intérêt de chacune des parties.
29 Cependant, il serait faux de dire que la chercheure n’a pas influencé le travail de
coconstruction élaboré. Par le fait qu’elle a dégagé des éléments saillants des différents
corpus recueillis avant les rencontres, elle a orienté les discussions sur des questions
qui lui semblaient pertinentes. Ainsi, ce sont les questions de genre professionnel et de
déontologie qui ont été particulièrement développées. Desgagné (1997 : 373) signale
que nous sommes face à une difficulté inhérente de la démarche collaborative.
Cependant, c’est bien les dires des enseignantes qui ont orienté les choix de la
chercheure. Ces choix reflètent les préoccupations saillantes des praticiennes lors des
entretiens exploratoires. Il s’agissait donc de se soucier du contexte et des situations
d’action des enseignantes. Ensuite, ensemble, elles sont allées chercher des pistes de
compréhension de leur agir professionnel. Cette description des postures et de la
circulation des postures qui s’est mise en place entre les actrices engagées montre la
complexité de la démarche collaborative. La coopération doit être envisagée selon ses
deux faces, chaque partenaire ayant besoin des expériences de l’autre. Marlot, Toullec-
Théry et Daguzon (2017 : 21) parlent d’ « acculturation réciproque » où l’activité de
chacun permet le développement de chaque acteur. Cependant ce développement ne se
fait pas sans douleur, notamment pour les enseignantes. Elles sont d’accord pour dire
que l’expérience est fructueuse, comme le montre cet extrait de mail écrit par une
enseignante :
E : Ce projet a été vraiment formateur pour moi dans le sens où il m'a permis
de mieux réfléchir sur ma pratique, mais également d'échanger avec des
collègues d'ailleurs sur nos façons de faire et de voir les choses, et cela est
toujours enrichissant. (Extrait du mail envoyé par E. le 18 avril 2018).
30 Cependant, elles se plaignent aussi de la charge mentale que cela a entrainée. L’extrait
suivant, tiré de la dernière séance, illustre bien le malaise engendré.
C : Moi, depuis qu’on fait ce travail ensemble, je réfléchis au fait que je suis
en train de rechercher une ressource et donc je pense à ce qu'on fait. C'est à
dire le fait d'avoir réfléchi à ça. J'analyse ma recherche. C'est pas bien du
tout. Ça prend encore plus de temps.
A : Dès qu'on commence à transformer une ressource on a l'impression
d'avoir un gendarme au-dessus du nez qui nous dit « non » t'as pas le droit
de faire ça. Là là non. C'est de l'authentique, t'es pas censée toucher ça. Et
oui, c'est exactement ça, c'est le fait que quand on cherche une ressource, on
pense bah au travail qu'on fait ensemble, aux échanges en fait.
Chercheure : Oui, ça vous facilite pas la tâche en fait ?
C : Non, ça nous facilite pas, pour moi en tout cas, j'ai pas l'impression que ça
me facilite, simplement je réfléchis à ce que je fais et à ce que je faisais pas
auparavant parce que j'allais chercher une ressource point alors que
maintenant je me dis pourquoi est-ce que tu vas prendre plutôt cette
cinquième apparition dans Google et non pas la deuxième. Qu'est ce qui fait
que tu as tiré vers ça et non pas vers ça ? Voilà.
Chercheure : Et qu'est-ce que tu as comme réponse ?
C : Je suis peut-être plus pointilleuse dans les mots, dans la petite synthèse
qu'il y a. Je vais peut-être un peu plus loin qu'auparavant, tu vois. Mais je sais
pas pourquoi.
Chercheure : Le travail qu'on fait ensemble il est pas, y a pas du tout de
jugement. Par exemple, toi A., j'ai l'impression que tu culpabilises si tu n'as
pas de document authentique
A : Ah non pas du tout.
Chercheure : alors qu'il n'y a aucun jugement en fait.
A : Non, c'est pas ça, c'est la réflexion qu'on apporte au travail qu'on fait et
qu'on ne faisait pas auparavant et ça ça change. Ça ne nous demande pas plus
de temps, c'est juste que ben dans notre tête y a un petit cheminement qui se
fait sur effectivement comment je fais, sur quel moteur de recherche je vais,
pourquoi je vais choisir effectivement cet article que cet article. Donc c'est
juste une réflexion obligatoire en fait parce que voilà on relie quand même
les éléments qui se passent dans notre vie et ça étant intégré maintenant à
notre travail bah forcément on y pense. Mais c'est pas du tout péjoratif, loin
de là, c'est juste que c'est rigolo.
C : Oui parce qu'auparavant c'était comme si c'était plus spontané en fait que
maintenant. Je choisis mes vidéos pour les BTS, je vais réellement réfléchir.
J'en ai trois devant moi et pourquoi je vais prendre celle-ci et pas ces deux-là
et voilà je vais chercher davantage à identifier pourquoi mon choix va vers
celle-ci que vers celle-là alors qu'avant j'allais vers la numéro 2, j'allais vers
la numéro 2, je cherchais pas à savoir pourquoi j'avais éliminé la une et la
trois, tu vois ? C'est dans l'analyse de ce que je fais. (Transcription des
échanges avec les 5 enseignantes participant à la recherche – 27 février
2017).
31 Ce long extrait montre le cheminement qui s’opère chez les praticiennes qui
collaborent. Elles pensaient améliorer leurs pratiques, mais sans avoir évalué le poids
que cela engendrerait en termes de questionnements. Si la recherche collaborative
apporte réellement aux protagonistes, il n’en reste pas moins que cet apport n’est pas
sans impact sur la vie professionnelle des enseignantes. Leurs tâches quotidiennes ne
sont pas facilitées, elles se posent encore plus de questions et soupèsent chaque
décision prise.
Conclusion
32 Cet article présente une expérience de mise en œuvre de recherche collaborative entre
cinq enseignantes d’anglais dans le secondaire et une chercheure autour de la question
du travail documentaire et les aspects méthodologiques et théoriques liés à la
recherche qui en découlent.
33 Outre le fait que cette recherche a permis de mieux appréhender le genre professionnel
des enseignantes quant à leur travail documentaire au quotidien et de dégager les
caractéristiques de leur éthique professionnelle et les raisons de l’agir éthique, elle a
également permis de déterminer les postures épistémologiques des différentes actrices.
On a vu aussi que ce travail collaboratif n’est pas si évident et qu’il peut produire une
forme de malaise au travail dans le questionnement perpétuel qu’il enclenche chez les
praticiennes.
34 Dans une démarche ultime, il ne faut pas oublier que l’approche collaborative, qui met
au centre d’un côté les enseignants et les savoirs/savoir faire qu’ils construisent/
développent et de l’autre côté le chercheur qui produit des connaissances, a pour
finalité l’apprentissage des élèves et que c’est en ce sens qu’oeuvrent les deux parties
de la recherche.
BIBLIOGRAPHIE
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Sage.
NOTES
1. Le projet ReVEA porte sur les utilisations de ressources par des enseignants du secondaire en
France. Centrée sur les critères de sélection des ressources, il apparaît que cette recherche
permet aussi d'approcher les questions posées par les processus de professionnalisation des
enseignants.
RÉSUMÉS
À partir des résultats d’une étude portant sur l’usage des ressources pédagogiques par des
enseignants du secondaire en France, cet article présente une expérience de mise en œuvre de
recherche collaborative entre une chercheure et cinq enseignantes d’anglais dans le secondaire
sur leur travail documentaire. Les résultats mettent en évidence les logiques des enseignantes et
de la chercheure orientées pour les unes sur le développement professionnel et pour l’autre sur
la production de connaissances.
Based on the results of a study on the use of learning resources by secondary school teachers in
France, this article presents an experience of implementing collaborative research between a
researcher and five English secondary school teachers on their documentation activity. The
results highlight the logic of teachers and researchers who are oriented respectively towards
professional development and knowledge production.
INDEX
Mots-clés : recherche collaborative, travail documentaire, éthique professionnelle, genre
professionnel, didactique de l’anglais
Keywords : collaborative research, documentation activity, professional ethics, professional
style, English didactics
AUTEUR
MARGARET BENTO
Université de Paris – Faculté Sciences et Humanités
Laboratoire Éducation, Discours, Apprentissages
Margaret Bento est professeure en sciences du langage spécialisée en didactique des langues
étrangères et maternelles. Elle s’intéresse tout particulièrement aux méthodologies
d’enseignement des langues.
margaret.bento[at]parisdescartes.fr
De l’utilité de la recherche
collaborative pour produire des
ressources de formation robustes
Bernadette Kervyn
1 Dans le présent article, je1 propose d’analyser en quoi l’inscription dans un processus
de recherche collaborative contribue à produire des ressources robustes pour la
formation des enseignants en didactique de l’écriture. Pour ce faire, je commencerai
par présenter brièvement le projet d’ingénierie didactique dont la mise en œuvre, par
le biais d’une recherche collaborative, sera étudiée. Je décrypterai l’objectif précis de ce
projet en mettant en exergue le principe de robustesse, défini au travers d’une double
exigence de validité scientifique et de validité et pertinence de terrain. Mettant ensuite
en dialogue le processus de recherche engagé et des travaux existants sur la recherche
collaborative et la recherche-action, et plus globalement sur les méthodes de recherche
en éducation, j’étudierai les caractéristiques par lesquelles la recherche collaborative
mise en œuvre permet de construire la robustesse recherchée. Ce faisant, plutôt qu’une
redéfinition générale de la recherche collaborative, je chercherai à mettre au jour les
traits de ce type de recherche susceptibles de constituer des conditions facilitatrices,
voire déterminantes, pour produire des ressources robustes en didactique du français.
leurs progressions, leurs dosages et leurs combinaisons les plus à même de faire
progresser les différents publics d’élèves (Goigoux, 2016 ; Revue française de pédagogie,
2016).
3 La communication à un public de formateurs des premiers résultats de cette recherche
de grande ampleur a d’emblée fait émerger la difficulté à passer d’une logique de
recherche à une logique de formation. Comment rendre les résultats compréhensibles
et pertinents en contexte de formation professionnelle ? Parmi les résultats, quels sont
ceux qui demandent à priori un travail de transposition didactique voire de production
de ressources spécifiques pour être ajustés et influents auprès des formateurs et des
enseignants ? Quels éléments issus de la recherche représentent un potentiel de
développement professionnel important et à quelles conditions ?
4 Plutôt que de confier ou de déléguer toute la tâche de transposition et
d’opérationnalisation (Kervyn, 20083) des résultats aux formateurs et aux enseignants,
a été actée au sein du groupe de travail LireÉcrireCP la poursuite des investigations pour
adosser à cette recherche empirique un axe formation via la production de ressources
pour les formateurs et les enseignants de CP. Trois équipes de travail se sont ainsi
constituées, dont une que j’ai coordonnée, centrée sur le volet écriture 4. Réalisée de mai
2017 à février 2020, la recherche collaborative engagée sur ce volet écriture a été
menée avec une équipe de formateurs exerçant en Aquitaine ainsi qu’avec le Centre
Alain Savary (CAS) de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ). Ce projet a consisté en la
production de 4 scénarios de formation sur l’enseignement de l’écriture au CP ainsi que
de ressources d’interface plus générales sur le processus scriptural et son
enseignement, et sur les résultats de la recherche LireÉcrireCP en matière d’écriture
(annexe 1)5. Au terme de ce long processus d’ingénierie didactique qui a permis de
mettre à disposition sur le site du CAS ces différentes ressources complémentaires 6, je
souhaite revenir sur cette recherche de type collaboratif pour en analyser les objectifs
et les caractéristiques.
travail7 que nous avons collectivement conçu pour élaborer les scénarios de formation
des colonnes dédiées à ces éléments.
10 Au-delà de ce point précis, le dépliage des dimensions d’utilité, d’utilisabilité et
d’acceptabilité en ergonomie, ou leur adaptation dans une perspective didactique
(Goigoux, Renaud et Roux-Baron, 2019), montrent combien il est complexe de concevoir
des ressources en cohérence avec le terrain. Dans notre cas, cette complexité est
d’autant plus forte que le terrain est double, puisqu’il s’agit de la formation et de la
classe.
11 En effet, on est bien face à une démarche exigeante quand sont pointés, en tant
qu’éléments construisant et conditionnant l’utilisabilité (et parfois aussi
l’acceptabilité), la nécessaire intégration des contraintes matérielles,
organisationnelles, spatiales et temporelles des acteurs et des institutions ainsi que le
besoin de flexibilité des outils pour un meilleur ajustement contextuel. Il en va de
même quand l’acceptabilité passe par le respect du prescrit et par la prise en compte
des habitudes de travail, des croyances et du système de valeurs des acteurs. Loin de
tout applicationnisme, cette démarche consiste à placer les destinataires au cœur de la
conception des outils. C’est pourquoi elle n’est possible qu’avec une bonne
connaissance et compréhension des métiers de formateurs et d’enseignants (et plus
globalement du terrain dans ses multiples dimensions), de même qu’avec un travail de
conception en dialogue avec et au plus près de ce terrain (Béguin, 2013), dialogue sur
lequel je reviendrai dans le point suivant.
12 Même si je les ai pointées distinctement pour la clarté du propos, la validité scientifique
tout comme la validité et la pertinence de terrain participent conjointement de la
qualité des ressources visées par le processus d’ingénierie didactique ici envisagé. En
conséquence, il n’y a de robustesse qu’à l’aune de cette double exigence.
13 Néanmoins, dans les faits il n’est pas rare de voir, en situation de prolongement de
résultats de recherche, des applications pour la formation ou la classe qui ne
s’inscrivent pas ou qu’assez partiellement dans cette double exigence, souvent parce
qu’elles généralisent ou appliquent à une grande échelle des résultats obtenus dans un
contexte spécifique ou restreint. Dans le débat actuel sur les recherches menées en
éducation, c’est une des limites que signale Bryk lorsqu’il pointe « la différence entre la
connaissance que quelque chose peut fonctionner et la connaissance sur la façon de le
faire fonctionner de manière fiable sur des contextes et des populations variés » (2017 :
14).
14 Il est également assez fréquent de trouver des manuels ou des outils à destination des
enseignants et parfois des formateurs, qui tiennent compte de besoins et d’habitudes de
travail du terrain, mais qui véhiculent ou mettent en œuvre des conceptions de
l’écriture et de son apprentissage en contexte scolaire demeurant en tension avec les
connaissances actuelles. À titre d’exemple, encore aujourd’hui, on trouve
régulièrement l’écriture placée en aval ou en subordination de la lecture. Certains
manuels donnent aux tâches d’écriture une place réduite ou un positionnement
récurrent en fin de séance ou de séquence à la suite de tâches de lecture alors que ces
deux composantes de l’écrit s’influencent et que l’écriture précoce peut avoir un effet
bénéfique sur la conceptualisation de la langue écrite et plus globalement sur les
compétences à l’écrit (Repères, 2013 ; Brissaud et al., 2016, par exemple).
15 Ces quelques constats soulignent combien, au niveau de la production de ressources, le
véritable défi en matière de robustesse tient dans sa mise en œuvre. Car si les
ressources élaborées ne sont robustes qu’à la condition d’être le fruit de cette double
exigence scientifique et de terrain, leur robustesse ne peut s’obtenir via deux étapes
distinctes ou en négligeant l’un des deux axes : elle repose sur l’emboitement et la mise
en œuvre conjointe de ces deux exigences alors posées comme complémentaires et
devant faire l’objet d’une coordination.
16 Dans cette perspective, le rôle du didacticien engagé dans un processus d’ingénierie
didactique consiste, d’une part, à contribuer à la mise en œuvre de cette coordination
permettant de conférer aux outils de la robustesse et, d’autre part, à l’étudier, en
prêtant attention aux tensions, aux contraintes, aux conditions facilitatrices et aux
bénéfices générés. Percevoir de la sorte le rôle du didacticien demande de ne pas
limiter la didactique à une discipline scientifique productrice de connaissances sur
l’enseignement et l’apprentissage de contenus disciplinaires ou de matières scolaires.
En effet, il s’agit d’aussi inclure, dans la pertinence scientifique, la production de
ressources pour l’action, dans une visée praxéologique d’ailleurs mise en exergue par
nombre de didacticiens ou chercheurs engagés en didactique.
17 Cette optique amène également à ne désigner par « ingénierie didactique » ni
l’ensemble des dispositifs ou moyens mis en œuvre dans une classe ou dans une
formation, ni la seule construction et mise en œuvre de ces dispositifs ou de ces
moyens. Positionnée comme une des missions du didacticien, il s’agit de considérer
l’ingénierie didactique, de l’investir et de la valoriser en tant que type de recherche
incluant l’étude des processus d’élaboration et de mise en œuvre des moyens
d’enseignement et de formation (Artigue, 2002 ; Sénéchal, 2018). Une étude scientifique
de ce type passe, entre autres, par l’analyse des exigences, des démarches et des
conditions nécessaires pour obtenir des outils de qualité. Dans la tension constitutive
en didactique entre exigence théorique et inscription dans la pratique, ce point de vue
m’incite à souligner le déplacement opéré quand on considère la robustesse des
ressources à l’aune de cette double exigence nécessairement conjointe.
19 La recherche collaborative repose, par définition, sur une équipe et sur les interactions
et la collaboration entre les différents acteurs composant cette équipe. De manière
25 Revenons sur les interactions et l’échange des points de vue. Selon les recherches et les
rôles des personnes qui y sont impliquées, la collaboration peut prendre des formes
différentes, allant du « simple » échange d’informations en vue de l’enrichissement
mutuel à une organisation et une avancée de la recherche basées sur les interactions et
les points de vue polyphoniques. Si l’on se réfère à la mixité et à l’organisation de notre
recherche présentée ci-avant, on peut en déduire que notre protocole prend appui sur
des formes de collaboration différentes qui, combinées, font que cette ingénierie
didactique repose sur la collaboration vue comme un évènement créatif dans le
processus de recherche.
26 Pour faire de l’intelligence collaborative le moteur de la recherche et pour que la
complémentarité polyphonique aboutisse à une co-construction des ressources (ce que
je détaillerai plus loin), il est nécessaire que les concepteurs-expérimentateurs
adoptent une démarche de pas-de-côté par rapport à leur métier, leur expérience, leurs
habitudes interprétatives, leur point de vue ou leur valeur, pour découvrir et
comprendre ceux d’autrui.
27 Ce déplacement passe par une prise de distance critique, elle-même renforcée par la
confrontation ou le croisement des points de vue dont Bednarz (2013), entre autres,
souligne le rôle prépondérant. Cette distance critique, souvent mentionnée dans les
recherches de type collaboratif ou participatif (Verspieren, 2002 ; Anadon, 2013) est
cohérente avec la visée qualitative de robustesse de l’ingénierie didactique, qui ne peut
se faire sans compréhension des utilisateurs visés, sans connaissances sur l’activité de
formation et d’enseignement, sur l’objet à enseigner et à apprendre, sur la didactique et
sur les méthodes de recherche. Plus généralement, la prise de distance semble
indispensable pour élaborer des outils nuancés et des réponses critiques coordonnant
pertinence et validité sociales et scientifiques.
28 Dans notre protocole, cette démarche s’est réalisée par la construction au sein du
groupe d’une culture scientifique commune via l’échange de références et par des
moments de travail avec des collègues plus expérimentés (notamment du CAS pour le
volet production de ressources). Cette logique de pas-de-côté a aussi été mise en place
par de nombreuses analyses croisées de corpus ainsi que par des interventions
communes nous obligeant à croiser et à justifier en amont nos propositions.
29 De ce tissage des regards, des postures, des savoirs expérientiels ou savants ainsi que
des valeurs qui forment la complémentarité polyphonique, résulte une extension des
cultures, des compétences et des rôles, permettant à tous les concepteurs-
expérimentateurs de monter en compétences dans le travail distancié de production de
ressources. Cette extension ne signifie pas que les compétences spécifiques des uns et
des autres sont gommées au profit d’un partage total des rôles et des tâches, partage
qui a minima réduirait ou compliquerait l’obtention de robustesse. Au contraire,
l’invitation à changer de point de vue et à élargir sa palette de connaissances et de
compétences prend appui sur les différences et la mixité au sein du groupe (restreint
des concepteurs-expérimentateurs et élargi avec tous les autres contributeurs).
Pour conclure
39 Face à la pluralité nécessaire des recherches existant aujourd’hui en didactique des
langues et des cultures, et plus spécifiquement ici en didactique du français et de
l’écriture, quand et à quelles conditions opter pour une recherche de type collaboratif ?
Pour apporter un élément de réponse à cette question vive en didactique, a été étudié
un dispositif d’ingénierie en mettant en exergue des dimensions des recherches dites
collaboratives, susceptibles d’assurer un rôle clé dans l’obtention de ressources
robustes.
40 Par un dialogue entre observation du processus de recherche engagé et travaux
nécessairement pluriels, l’analyse menée permet de montrer comment les
caractéristiques et les principes de la recherche collaborative mis en avant constituent
une réponse cohérente à une question cruciale en didactique, à savoir comment rendre
des ressources robustes. Complexe à construire, cette exigence de robustesse nécessite
l’appui sur des connaissances et des savoirs d’expérience mixtes, un tissage des points
de vue et une complémentarité polyphonique, un laboratoire de terrain étendu, une co-
élaboration initiale et continue, des tâtonnements exploratoires cadrés et des
ajustements successifs inscrits dans la durée, une implication et une distanciation
critique ainsi qu’une horizontalité maximale. Autant de dimensions que peut fournir
l’inscription dans une recherche de type collaboratif qui elle aussi refuse « le divorce
classique entre théorie et pratique » (Vinatier, 2014 : 250).
41 Sans prétendre qu’il s’agisse là de la seule voie appropriée, le pari de l’intelligence
collaborative déclinée en processus de recherche balisé et exigeant apparait au final
comme un gain indéniable pour la formation comme pour les recherches en didactique.
BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXES
NOTES
1. Malgré l’usage fréquent du pronom « nous » en recherche pour se désigner en tant qu’auteur
et parfois induire une intention de neutralité axiologique, certes toute relative, dans le présent
article, choix est fait de recourir à une écriture en « je » quand il s’agit de l’auteur. Ce choix
permettra de réserver l’usage du « nous » pour désigner le collectif engagé dans la recherche
dont il sera question. Seront aussi utilisés de façon distincte le « nous » et le « on », ce dernier
visant à inclure les lecteurs potentiels.
2. Recherche menée de 2012 à 2016 et intitulée « Étude de l’influence des pratiques
d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages au cours
préparatoire ».
3. Pour une étude croisée des concepts de transposition et d’opérationnalisation.
4. Le travail des deux autres groupes porte sur la compréhension en lecture (coordonné par M.-F.
Bishop) et sur l’étude de la langue (coordonné par P. Gourdet). Au quotidien, les 3 groupes ont
travaillé de façon distincte mais avec environ 2 rencontres annuelles pour mutualiser et croiser
le travail effectué au sein de chaque équipe.
5. L’architecture de ce travail est donnée dans l’annexe 1. Nous y reprenons le symbole de la
boite à outils utilisé par M.-F. Bishop pour représenter le travail mené sur la compréhension.
6. http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/ressources/theme-1-
perspectives-pedagogiques-et-educatives/lire-ecrire-parler-pour-apprendre-dans-toutes-les-
disciplines/dossier-lire-ecrire/copy_of_ecriture-se-construire-une-culture-commune.
7. Ce document de travail est donné en annexe 4.
8. Il s’agit de Pascale Bachelé, Bastien Caverivière, Laurence Ducos, Christine Eyssartier, Vincent
Gérard, Bernadette Kervyn, Nathalie Larroque, Sylvie Rebeschini et Véronique Rousseau,
auxquels s’ajoutent Sandra Ducher, Anne Graëls, Sébastien Hémous et Christophe Méot pour la
première moitié du projet et Céline Grancher ainsi que Catherine Lafont-Tallet pour la seconde
moitié. Sincère merci à tous ces collègues.
9. Dans l’ordre alphabétique Virginie Hohl, Frédérique Jarre, Frédérique Mauguen et Patrick
Picard.
10. Sans tous les nommer, je tiens à remercier particulièrement Isabelle Bernard, Déborah
Curuchet, Matthieu Deymard, Lucie Drouilhet, Alban Dubois, Peyo Goïgoetchea, Céline Lasserre,
Béatrice Maheas, Anne-Laure Mazet, Mylène Mortier, Magali Piazza, Martine Pujolle, Aline
Rispail-Hourcal.
11. Sur l’année 2018, les premières ressources déposées ont été visionnées environ 12 000 fois.
RÉSUMÉS
Quelles sont les caractéristiques essentielles des recherches de type collaboratif qui contribuent à
produire des ressources de formation de qualité ? Pour répondre à cette question en la situant
dans le champ de la didactique du français, cet article prend comme corpus le processus
d’ingénierie didactique engagé suite à la recherche LireÉcrireCP pour produire des outils sur
l’enseignement de l’écriture au début de l’école élémentaire. À partir de ce corpus, est mis en
avant le fait que la qualité de telles ressources repose sur une exigence conjointe de recherche et
de terrain, qui leur confère de la robustesse. Dans un dialogue avec cette analyse du processus
d’ingénierie didactique et en situant le propos au cœur des préoccupations praxéologiques de la
didactique en tant que discipline productrice de connaissances et de ressources pour l’action, je
mets en exergue différentes dimensions des recherches dites collaboratives en explicitant en
quoi elles permettent de construire la robustesse visée.
What are the essential characteristics of collaborative research that contribute to the production
of quality training resources? To answer this question by situating it in the field of French
language didactics, this article takes as a corpus the process of didactic engineering initiated
following the LireÉcrireCP research to produce tools on the teaching of writing at the beginning
of elementary school. From this corpus, we highlight the fact that the quality of such resources is
based on a joint requirement of research and field work, which gives them robustness. In a
dialogue with this analysis of the didactic engineering process and by situating our subject at the
heart of the praxeological concerns of didactics as a discipline producing knowledge and
resources for action, we highlight different dimensions of so-called collaborative research by
explaining how they enable the construction of the targeted robustness.
INDEX
Mots-clés : recherche collaborative, ingénierie didactique, didactique de l’écriture, robustesse,
méthodes de recherche
Keywords : collaborative research - didactic engineering - didactics of writing - robustness -
research methods
AUTEUR
BERNADETTE KERVYN
Université de Bordeaux – INSPE Académie de Bordeaux ; Lab-E3D - EA 744, MCF 7 e section
Situés en en didactique, mes travaux portent sur l’acquisition du processus scriptural, sur la
littéracie scolaire, sur le rôle des interactions langagières pour enseigner et apprendre, et sur les
élèves en difficulté dans l’apprentissage du FLS-FLSCO. Mes recherches de type collaboratif
m’amènent à interroger les démarches méthodologiques à même de produire des connaissances
et des ressources en dialogue avec le terrain.
bernadette.kervyn[at]u-bordeaux.fr
1 Si on peut décrire les démarches propres aux recherches collaboratives (désormais RC)
d’un point de vue scientifique, nous postulons ici que le croisement de regards des
différents collaborateurs peut nous apprendre beaucoup sur la dynamique qu’elle
suppose et sur les effets qu’elle produit. Cette question nous intéresse parce que dans le
champ de la recherche-formation que nous explorons, les résultats attendus par les
praticiens ne sont pas du même ordre que ceux poursuivis par les chercheurs
(Desgagné et al., 2001 ; Morrissette, 2013). Pourtant, la collaboration est possible.
Comment ? Peut-on en identifier des leviers qui ne soient pas uniquement de l’ordre du
relationnel, de « l’heureuse rencontre », ou même d’une éthique partagée qui définirait
plus spécifiquement les RC (Anadon, 2013) ?
2 Cette question sera explorée ici à travers le projet École, Parole de l’élève et Plurilinguisme :
Recherche Collaborative au lycée français de San Francisco – AEFE, USA (désormais
E2PRC_Francisco), qui se terminera fin 2020 après deux années de collaboration.
3 À l’origine du projet, il y a le besoin d’un établissement sur une question didactique :
comment améliorer l’enseignement de l’oral dans la langue de scolarisation (le
français) en contexte anglophone (aux États-Unis), et un besoin scientifique de
documentation des pratiques et représentations langagières des acteurs de
l’enseignement/apprentissage en situation immersive (élèves, enseignants). Le projet
comporte deux volets auxquels tous les acteurs ont participé : une enquête
sociolinguistique initiée par les chercheurs et soutenue par les praticiens
(questionnaires, entretiens et observations de classe), et une démarche de formation
didactique initiée par les formateurs et soutenue par les chercheurs (analyse de
pratiques outillées par la recherche, expérimentations, productions pédagogiques). Le
postulat sociodidactique, partagé par les praticiens et les chercheurs, est que ces deux
une société plus démocratique (Nussbaum, 2014 ; Cummins, 2014). Deux priorités
complémentaires sont identifiées par l’AEFE pour ce qui concerne la didactique des
langues : assurer une bonne maitrise du français, qui doit être la langue de scolarité
dominante, et adopter une approche plurilingue valorisant les langues et cultures du
pays d'accueil et des familles (AEFE, 2015). Or cette complémentarité des langues reste
un défi dans des écoles du réseau qui, en diffusant « l’enseignement français » à
l’étranger, restent de tradition monolingue.
9 L’école primaire SF1, est représentative d’un établissement français à l’étranger dans sa
structure, ses missions et son public. C’est une école privée américaine, homologuée
par la France, qui adopte le curriculum français de la maternelle à la terminale, année
du baccalauréat. Elle est pilotée par une équipe de direction française
expatriée (proviseur, proviseur adjoint, deux directeurs du primaire) et accompagnée
par l’équipe de zone, (CPAIEN et IEN) également expatriés. Deux formatrices et neuf
enseignants volontaires intervenant sur des niveaux de la PS au CM2 se sont engagés
dans la démarche réflexive l’année 1. Tous les enseignants impliqués sont français et
expérimentés dans le réseau AEFE, où ils enseignent depuis plusieurs années.
10 Les classes suivent le programme du ministère de l’éducation nationale français :
quelles que soient leurs langues familiales, les élèves apprennent dans un cadre
d’immersion en français, avec en majorité des enseignants français titulaires de
l’éducation nationale. Cependant, l’enseignement de l’anglais et en anglais est renforcé
(8h hebdomadaires) et assuré par des enseignants américains, eux-mêmes souvent non
francophones. Ils n’ont pas eu l’opportunité de participer à cette recherche. Dans cette
école, les élèves anglophones qui découvrent et apprennent la langue française
principalement au travers de leur scolarité sont les plus nombreux dans les classes.
donner aux praticiens les moyens de faire des choix motivés et de construire leur
activité professionnelle en s’appuyant sur les réflexions engagées, les arguments
avancés, les critiques formulées, les débats en cours (Castellotti, 2013 : 77-78).
13 Les chercheurs ont proposé quelques outils possibles, utilisables, et déjà existants (voir
par exemple : Lafontaine, 2013) mais pour leurs analyses, ils se sont principalement
inspirés des travaux scientifiques portant sur les interactions en classe de langue
(Cicurel, 2011) et en classe de français (Nonnon, 2011). Ils souhaitaient faire
comprendre que la didactique de l’oral est un « objet verbal non identifié » (Halté,
2005), qui a une histoire scolaire située (Pégaz-Paquet et Cadet, 2016), que l’on
appréhende différemment selon que l’on se réfère aux genres discursifs (Dolz et
Schneuwly, 1998), ou aux ressources interactionnelles plurilingues (Nussbaum, 2014).
L’objet de la recherche soulevait nombre de questions vives en didactique (du français,
des langues), que les chercheurs entendaient faire émerger avec les praticiens pour
qu’une réflexivité partagée puisse s’initier :
Plus que toute autre, la didactique de l’oral s’appuie sur des pratiques et des actions
fortement contextualisées, mettant directement en jeu les acteurs selon un degré
d’implication fort, des scénarios non complètement prévisibles (malgré la
ritualisation de la communication scolaire), et sur un matériau émergent, qui relève
en partie de l’événement, au-delà des grandes régularités liées à la forme scolaire.
Comme on l’a vu, les modèles à priori, les règles générales qui en seraient déduites
sont faiblement opératoires pour orienter les conduites en situation, si ces règles ne
sont pas actualisées concrètement et spécifiquement par rapport aux expériences
partagées (…). (Nonnon, 2011 : 205)
14 D’autres pistes pédagogiques ont été proposées par les chercheurs pour l’analyse du
geste professionnel et l’enseignement de l’oral ; elles ont été mutualisées sur un padlet
commun5. Après la phase de problématisation menée par les chercheurs, une formation
pédagogique s’est avérée nécessaire pour clarifier la notion de didactique de l’oral pour
les praticiens, elle a été menée par la formatrice CPAIEN en décembre de l’année 1, qui
s’est appuyée sur les programmes officiels, et a montré la pertinence de la prise en
compte du plurilinguisme des élèves à cet effet :
Figure 1 : trois entrées pour la didactique de l’oral (source : formation CPAIEN, décembre 2018)
15 Fondé sur le croisement des interprétations touchant aux pratiques de classes ainsi
qu’aux pratiques langagières des élèves, le protocole de la RC prend appui sur la
réflexivité de tous les acteurs :
16 Praticiens et chercheurs sont amenés à interagir et à explorer ensemble un aspect de la pratique
d’un intérêt commun. Cette activité réflexive s’appuie essentiellement sur l’explicitation et
l’analyse de situations de pratique vécues par les enseignants, sous l’angle de l’intérêt commun
défini par le projet d’exploration. C’est dire que l’activité est aménagée de telle sorte qu’elle
favorise et fait en sorte que soit entretenue une sorte de « conversation », pour emprunter à
Schön (1984), entre la pratique (des enseignants) et le retour réflexif sur cette pratique (entre
praticiens et chercheurs). (Desgagné et al. 2001 : 37).
17 Le processus de contextualisation mobilise altérité et réflexivité sur un temps long, et
s’appuie sur une démarche d’apprenance individuelle et collective, définie comme
« une attitude propice à l'acte d'apprendre dans toutes les situations, qu'elles soient
formelles ou non, expérientielles ou didactiques, autodirigées ou dirigées,
intentionnelles ou fortuites » (Carré, 2005 : 109). Cette dynamique est établie lorsque les
membres sont acteurs de leur développement professionnel (engagement pratique),
lorsqu’ils ressentent que le projet est le leur, et qu’ils transforment effectivement leurs
pratiques (engagement affectif), lorsqu’ils orientent leurs choix pratiques en vue
d’apprendre (engagement conatif). Sont concernés les enseignants comme les
formateurs, et les chercheurs : tous pensent leur action en la réalisant, ils la
construisent, l’improvisent en partie, innovent, recadrent leurs problèmes en tachant
de leur donner du sens et agissent de manière souvent créatrice pour les résoudre, ils
considèrent que le regard des autres peut les aider. Leur réflexivité s’appuie sur des
savoirs scientifiques permettant d’engager des analyses interprétatives et des choix
praxéologiques.
20 L’enquête sociolinguistique montre que les profils langagiers des familles sont
extrêmement diversifiés, les parcours étant souvent marqués par la mobilité : 70 % des
élèves répondants sont nés aux USA, 21 % en France, 8 % ailleurs dans le monde. Quelles
que soient les langues utilisées, les élèves déclarent que près de 65 % des familles sont
monolingues en anglais ou en français6. Même lorsque les familles sont monolingues
anglophones, la plupart des élèves déclare utiliser à la fois le français et l’anglais dans
des activités personnelles, à la maison, entre amis ou dans des activités périscolaires. Le
plurilinguisme des élèves est labile, il n’est pas celui des parents, ni celui des
enseignants. Il est aussi largement francophone.
21 Si les élèves utilisent au moins deux langues au quotidien (l’anglais et le français), leurs
enseignants français ont appris leur métier en mode monolingue. L’enquête à laquelle
ils ont répondu au début du projet a montré qu’ils savaient quelles langues parlent
leurs élèves, mais qu’ils ne voyaient pas en quoi cela concernait la didactique de l’oral.
Pour eux, enseignement du français et pratiques langagières plurilingues n’étaient pas
compatibles, ils avaient deux lieux différents, que les murs de la classe séparaient de
fait7. Pourtant, les enseignants volontaires qui se sont impliqués dans la RC
souhaitaient dépasser ces clivages, même s’ils ne savaient pas comment. Des temps
d’auto-confrontation8 ont été pour eux l’occasion d’une première prise de conscience :
effectivement les langues circulaient dans la classe de français (anglais et français
essentiellement, et plus rarement l’espagnol) ; mais lorsque les élèves réalisaient les
tâches demandées en mode bilingue ils se cachaient presque, et donnaient l’impression
de parler peu. Les praticiens expérimentés en ont peu à peu déduit qu’ils pourraient
davantage favoriser les occasions d’apprendre de élèves en reconnaissant ces pratiques
(valeur symbolique) et en les mobilisant comme ressources pour apprendre en français
(valeur didactique). Mais la diversité des pratiques langagières les empêchait
d’imaginer des séances d’oral d’une langue homogène à partir de ces pratiques
hétérogènes.
22 Un bilan partiel a été fait en février 2020 : la gestion de l’oral dans la classe a évolué
chez ces enseignants. Ils prennent appui sur leurs connaissances des biographies
plurilingues des enfants pour les valoriser, et pour choisir des modalités d’étayage qui
favorisent les passages entre les langues des élèves. Dans les deux cycles, on veille à
davantage expliciter, reformuler, répéter les structures du français. Les enseignants en
voient des bénéfices à moyen terme, qui ont par ailleurs été pointés dans d’autres
recherches (Cummins, 2014) : climat de classe plus apaisé, participation active d’enfants
qui étaient quasi-muets en classe, meilleur engagement dans les tâches collaboratives 9.
23 Peu à peu, l’oral a été envisagé par tous en tant qu’interactions susceptibles de
favoriser l’appropriation des élèves, dont le plurilinguisme a pu alors être interprété en
termes de ressources potentielles. Les analyses se sont poursuivies l’année 2,
parallèlement à l’expérimentation de séances didactiques portant sur les biographies
langagières des élèves. D’autres expérimentations ont fait suite, à l’initiative des
enseignantes, qui ont porté sur des séances d’étude de la langue et d’écriture
plurilingue (cycle 2), ainsi que sur l’entrée dans le langage oral (cycle 1).
24 La figure 1 ci-dessus représente les différentes étapes du projet du point de vue des
enseignants, qui ont tous transformé leurs pratiques, mais à des rythmes différents. Si
les chercheurs ont cru candidement que les résultats de l’enquête diffusée au milieu de
l’année 1 suffisaient à transformer les pratiques enseignantes, c’est pourtant un
ensemble de moments réflexifs qui, en se conjuguant, ont permis une évolution des
gestes professionnels. La recherche-formation s’est effectivement constituée en
organisation apprenante dès l’élaboration du projet par les co-pilotes.
25 Bien que leur rôle soit différent au sein du projet, leur préoccupation conjointe a été de
veiller à la qualité des relations au sein de l’équipe, en tenant compte des contraintes
de chacun : la temporalité, la disponibilité, la distance, et surtout la confiance entre
partenaires qui se découvrent.
formation en présentiel. Ces temps forts ont été des déclencheurs de motivation de part
et d’autre, probablement en partie parce que ce sont des occasions rares et donc
« extra-ordinaires ». La confiance entre les chercheurs et les formateurs s’est
construite sur des critères de compétence didactique, mais également sur leur
disponibilité, leur écoute respective, et sur leur capacité réciproque à exprimer des
doutes, des difficultés, afin de co-construire une réponse. C’est selon nous ce climat de
confiance qui a permis un changement de positionnement chez les quatre
collaboratrices ayant facilité la collaboration sur les plans matériel, pédagogique, et
scientifique (IEN, EC, DIR et CPAIEN). Mais pour ce faire, il leur a fallu tout d’abord
prendre conscience du cadre hiérarchique dans lequel s’inscrivait leur action (DIR,
CPAIEN) ainsi que des différences entre leurs logiques professionnelles (IEN et EC). En
témoigne le bilan d’étape à la fin de l’année 1 : les échanges réunissant chercheurs et
praticiens ont à la fois nourri les analyses et déstabilisé les positionnements de chacun.
L’implication des chercheurs a permis en particulier de prendre conscience de relations
de pouvoir au sein de l’établissement, hiérarchie qu’il fallait reconnaitre, mais aussi
dépasser pour interroger sereinement les pratiques didactiques et construire les
conditions de leur évolution, en liberté. Par ailleurs, la parole des praticiens rappelait
sans cesse aux chercheurs la nécessité d’intégrer pleinement le réel au questionnement
sociodidactique. Nous nous arrêtons sur les transformations de quatre membres qui en
ont pris soin au quotidien : Elsa Rodriguez, formatrice et directrice du site (DIR),
Laurence Madamour, formatrice sur plusieurs sites (CPAIEN), ainsi que les copilotes du
projet (EC et IEN).
29 DIR perçoit dès le début du projet l’atout que représente cette modalité de formation
pour fédérer les enseignants et susciter la motivation, questionner les pratiques. Au
début, si elle accepte de coordonner, elle estime cependant que l’accompagnement
revient aux « autres » formateurs ; son rôle est de faciliter l’organisation des échanges
et de soutenir le projet pour obtenir le budget. Pourtant, DIR estime à la fin de l’année 1
que ses missions de coordination participent pleinement de son rôle de formation :
30 « Il me semble essentiel d'être déjà convaincu soi-même de la nécessité d'un tel projet tant sa
mise en place va demander des ajustements et du lâcher prise dans son rôle classique de
directeur. (…) Du point de vue de ma posture de directrice, au-delà de l'accompagnement
traditionnel que l'on peut porter aux équipes, ce projet a nécessité parfois de ne plus être
directrice mais de redevenir collègue de classe, se retrouver au même niveau de réflexion, de
connaissance que les enseignants, « en se mettant à la place de » (…). Ce projet a aussi je pense
permis d'assoir davantage ma crédibilité de directrice, non pas en tant que « chef » mais en tant
que leader sachant mener une équipe au travers d'un processus peu commun vers des objectifs
partagés par tous. » (DIR)
31 Il ne s’agit plus d’un à côté : « créer un climat de confiance » et « rassurer » contribuent
pleinement à « des collectifs de co-formation capables de réfléchir ensemble sur le
« bon travail » enseignant (ce qui va) susciter l'émergence de « controverses
professionnelles » (Étienne, 2017 : 196).
37 En s’engageant dans une recherche qui s’appuie sur les savoirs savants et sur les savoirs
pratiques sans les hiérarchiser, EC devait aussi accepter d’oser répondre aux
questionnements des praticiens avant même que la recherche ait réellement abouti à
des résultats fiables. Cela a été le cas de tous les chercheurs du projet, à des moments
différents de la collaboration, et principalement lorsque les rencontres se faisaient
dans le quotidien des classes, ou dans la connivence des entretiens.
38 Ce faisant, les échanges ont orienté les choix des analyses de données et les
problématisations qu’elles sous-tendent : dès la fin de l’année 1, le travail de
documentation des pratiques langagières (analyse sociolinguistique) s’est réorganisé en
fonction de la réalité des questionnements pratiques des enseignants et formateurs
(orientation didactique) :
39 « Si les freins des enseignants existent, ils sont peut-être pertinents, je ne peux donc les évacuer
au nom d'une doxa de chercheur : comment en tenir compte ? comment les accompagner ? (…) La
collaboration autorise à « lâcher prise » sur les objectifs du projet : en fait le projet a des objectifs
multiples que personne ne maitrise complètement, mais la collaboration est fondée sur la
croyance de chacun qu'en « servant » les objectifs de l'autre, le travail commun servira aussi son
objectif : interdépendance bénéfique ». (EC)
40 Six mois plus tard, EC explique que le projet est positif pour deux raisons, même s’il lui
faut faire le deuil d’un étayage langagier idéal, auquel aucun contexte de classe ne peut
prétendre. D’une part, les enseignants sont désormais capables de choisir et de décrire
trop présent pour une recherche collaborative, finalement peut-être que l’on fait en réalité une
« Recherche-Formation collaborative » ? » (IEN)
Conclusion
46 Cette expérience de recherche-formation collaborative met à jour la complexité d’une
dynamique qui s’inscrit dans le réel. Elle s’appuie sur tous les acteurs-formateurs, qui
conjuguent tous à leur manière implication, pilotage, accompagnement sur le terrain,
problématisation théorique orientée par la pratique. Par l’objet qu’elle interroge (la
didactique de l’oral en contexte plurilingue), la RC E2PRC_Francisco a dû prendre acte
des représentations monolingues des enseignants, et développer une logique
d’apprenance qui les intégrait pleinement, sous peine de ne rien pouvoir construire. Le
temps long permet à chacun d’accepter l’autre dans ses différences, et d’accepter de
considérer les écarts comme des lieux de progression potentielle.
47 Alors que la recherche E2PRC_Francisco s’attache à travailler le plurilingue, les
enseignants n’opposent plus didactique de l’oral et plurilinguisme dans leurs pratiques,
les formateurs savent qu’ils n’ont pas tout à transmettre, les chercheurs acceptent de
risquer leurs convictions à l’aune des pratiques.
48 Tous se sont trouvés en situation de questionner leur identité professionnelle de façon
également interculturelle, afin de créer des ponts entre recherche et éducation. En
bousculant les cadres interprétatifs de chaque culture professionnelle (« évidences
pédagogiques, hiérarchiques, ou scientifiques »), la RC a permis la naissance d’une
écoute active de chacun, et ensuite de nouveaux choix professionnels au bénéfice des
élèves. Ces choix s’appuient sur une nouvelle « évidence » pour la didactique de l’oral :
malgré la tension entre deux modèles interactionnels (monolingue ou plurilingue) la
pluralité des usages langagiers sert l’appropriation du français en contexte multilingue.
Les choix pédagogiques qui découlent de cette évidence demeurent cependant le fait
des praticiens.
49 La recherche collaborative présente aussi ses limites pour les praticiens comme pour
les chercheurs c’est une démarche exigeante en temps et couteuse en moyens. Il a fallu
prioriser ce projet au détriment d'autres actions ou thématiques, il a fallu apprendre à
utiliser de nouveaux outils, accepter des temporalités différentes propres à chaque
communauté engagée. Personne ne maitrise l’affaire, personne ne décide pour l’autre,
que l’on ne comprend jamais tout à fait, sauf à vouloir ensemble com-prendre (au sens
de « prendre ensemble »). Un tel dispositif suppose donc un cahier des charges souple,
mais construit collectivement dès le début du projet. Par ailleurs, si les RC nous
paraissent à même de favoriser de nouvelles connaissances sociodidactiques et de
contribuer au développement de pratiques d’enseignement spécifiques à un contexte
scolaire, l’évaluation de la progression des élèves est un volet de la problématique sur
lequel praticiens et chercheurs poursuivent encore leur collaboration.
Schön, D. A. (1984). The Reflective Practitioner : How Professionals Think In Action. New York : Basic
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BIBLIOGRAPHIE
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les textes officiels ». Le français aujourd'hui, 195(4), 9-22.
NOTES
1. Afin d'accompagner les enseignants titulaires de l'éducation nationale et les recrutés locaux à
garantir une excellence éducative, 16 inspecteurs.trices de l'éducation nationale sont détaché.e.s
auprès de l’AEFE pour les écoles primaires dans le monde. IEN, initiatrice du projet, est
responsable de la politique de formation auprès des 54 établissements de la zone Amérique du
Nord.
2. 9 enseignants l’année 1, 1 a quitté l’établissement et 2 sont arrivés l’année 2.
3. L’équipe de chercheurs rouennais est composée de quatre membres ayant une expertise
complémentaire, au sein du laboratoire Dynamiques du langage in situ. Ils ont chacun contribué
à la formation lors des différentes missions à San Francisco, et ont conjointement participé à
l’analyse des données sociolinguistiques et didactiques.
4. Le processus de co-écriture que nous avons adopté est le suivant : après des échanges
nombreux entre les auteurs et avec les formateurs engagés dans le dispositif, le premier auteur
de chaque partie a soumis son texte au second auteur, les échanges se sont poursuivis, l’écriture
s’est peu à peu stabilisée et la dernière partie a été écrite conjointement. Les expertises externes
de la première version de ce texte ont beaucoup aidé à clarifier le texte dans cette version
révisée.
5. Pour ce qui concerne le geste professionnel, les travaux sur le multi-agenda ont été proposés
mais finalement peu investis par les enseignants (Bucheton et Soulé, 2009). Pour ce qui concerne
l’enseignement de l’oral, il a d’abord été choisi de proposer des ressources disponibles sur le
portail du ministère Eduscol parce qu’elles paraissaient légitimes aux praticiens tout en étant
suffisamment problématisantes pour les chercheurs (voir par exemple : https://
eduscol.education.fr/cid103155/francais-cycle-langage-oral.html). Puis les ressources ont été
diversifiées (voir par exemple la très éclairante conférence de Sylvie Plane : « L'oral un objet
multidimensionnel » en 2019 : http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-au-
plurilinguisme/conference-sylvie-plane).
6. La plupart des autres familles utilise conjointement ces deux langues (22 %). Les autres langues
mentionnées comme participant pleinement aux interactions familiales sont l’espagnol, le
japonais, l’arabe, le russe, l’italien… mais une trentaine de langues différentes sont mentionnées
en tant que langues parlées avec divers membres de la famille (y compris dans les familles
monolingues).
7. Une seconde enquête par entretiens est en cours, dirigée par Christel Troncy.
8. L’auto-confrontation fait référence à la théorie de l’activité (Clot et al. 2001). Dans un premier
temps, l’enseignant met à jour des schèmes didactiques structurant son activité en analysant sa
pratique à partir de vidéos. Il conscientise ainsi ses actes et l’orientation des interactions au sein
de la classe. Dans un second temps, chercheurs et enseignants croisent leurs analyses et les
enrichissent par une grille de lecture théorique portant à la fois sur les postures d’étayage au sein
des interactions (Bucheton et Soulé, 2009) et sur les postures interactionnelles en situation
exolingue (Gajo, 2009).
9. Une étude critériée contextualisée est en cours. Des productions pédagogiques contextualisées
seront élaborées par les enseignants, en particulier pour leurs collègues nouvellement arrivés
dans l’établissement. Si ces outils s’avèrent transposables, ils pourront être diffusés en 2021 sur le
site du laboratoire du plurilinguisme Enseigner en contexte plurilingue - Laboratoire d'analyse
de pratiques et de production de ressources (AEFE) issu d’une recherche-formation co-pilotée par
Sophie Beaumont et Danièle Moore au même moment que cette recherche, mais construite sous
la forme de modules de formation réunissant une vingtaine d’autres enseignants volontaires sur
toute la zone Amérique du Nord (Beaumont & Moore, 2020).
RÉSUMÉS
Dans le champ des recherches collaboratives en didactique des langues, les acteurs des projets de
recherche-formation postulent que la collaboration répond aux besoins des praticiens et des
chercheurs. Or les résultats attendus ne relèvent pas de la même épistémologie (épistémologie
pratique et/ou savante). Pourtant, si la collaboration est possible, nous postulons que c’est parce
que des leviers existent, qui ne sont pas uniquement de l’ordre du relationnel, de « l’heureuse
rencontre », ou même d’une éthique partagée qui définirait plus spécifiquement les RC. Le
postulat de départ est que la collaboration est possible, et souhaitable, au bénéfice de tous, y
compris des élèves. Nous en discuterons à partir d’une expérience de recherche-formation
collaborative dans le champ de la didactique des langues.
Le projet École, Parole de l’élève et Plurilinguisme : Recherche Collaborative au lycée français de San
Francisco – AEFE, USA (E2PRC_Francisco) prend pour objet la didactique de l’oral en contexte
plurilingue et réunit 12 enseignants, 2 formatrices, 4 chercheurs, 1 inspectrice. Nous nous
intéresserons plus spécifiquement à l’analyse du processus de collaboration entre chercheurs et
formateurs par les deux voix des co-pilotes du projet. Après avoir présenté le contexte de la
recherche, nous montrerons comment les données sociolinguistiques ont servi une démarche
partagée d’apprenance. Nous nous arrêterons sur les transformations et déplacements
professionnels qu’un tel dispositif a initié pour les formateurs et les co-pilotes.
In the field of collaborative research in the didactic of languages, the actors of research-training
projects postulate that collaboration meets the needs of both practitioners and researchers. Yet
as it happens, the expected results do not reveal the same epistemology (practical and/or
academic). However, if collaboration is possible, our premise is that it is thanks to the existence
of triggers, which do not only include people skills, fortuitous encounters, or even shared ethics
specific to collaborative researches. The basic principle is that collaboration is possible and even
wanted as a benefit for each participant, pupils included. We will discuss from a collaborative
research-training project in the area of the didactic of languages.
The project ‘Schools, Pupils’ Languages and Plurilingualism: a collaborative research in the International
French School of San Francisco – AEFE, USA (E2PRC_Francisco)’ is dealing with the didactic of oral
language in a plurilingual context and gathers 9 teachers, 2 trainers for teachers, 4 researchers, 1
French inspector of education. We will more specifically focus on how researchers and trainers
collaborate, through the double point of view of the co-pilots of the project who shared the
writing. The article starts with a description of the context, and we will then demonstrate how
the sociolinguistic data helped to achieve a shared approach of self-directed learning. We will
finally detail the transformations and professional consequences initiated by such a conceptual
framework for the trainers as well as for the co-pilots.
INDEX
Mots-clés : plurilinguisme, réflexivité, AEFE, recherche collaborative, sociodidactique
Keywords : plurilingualism, reflexive practice, AEFE, collaborative research, socio-didactics
AUTEURS
VÉRONIQUE MIGUEL-ADDISU
Université de Rouen, France
Mes travaux se situent entre sociolinguistique et didactique, et visent à contribuer à une
meilleure connaissance des pratiques langagières des locuteurs plurilingues en situation de
contact de langues. À l’école, je cherche à comprendre comment les élèves plurilingues
s’approprient la langue de scolarisation en situation éducative immersive en France et à
l’étranger, et à construire une approche plurielle de la didactique du français, à visée inclusive,
altéritaire. veronique.migueladdisu[at]univ-rouen.fr
SOPHIE BEAUMONT
AEFE, France
Mon métier d’inspectrice de l’éducation nationale détachée auprès des établissements français
AEFE m’a amenée à m’interroger sur les spécificités de l’apprentissage du français en contexte
anglophone. Mes questionnements partent des écoles visitées et des échanges avec les acteurs,
qui sont confrontés à des problématiques spécifiques au plurilinguisme et font l’objet de deux
recherches formation collaboratives, E2PRC_Francisco (cf. ci-dessous) et un dispositif intitulé
laboratoire AEFE d’analyse et de production de ressources du plurilinguisme.
ien.an[at]aefe.fr
La « recherche-formation », une
contribution aux approches
collaboratives en formation initiale
d’enseignants de langues
Dominique Macaire
Introduction
1 L’école en France, reflet de la société, est multiculturelle et multilingue. Selon sa Note
de décembre 2019, la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance
(DEPP)1 recensait plus de 64 350 élèves allophones nouvellement arrivés en France
(EANA) en 2017-2018, soit 6,8 sur mille élèves, avec une progression de 6,1 % par
rapport à l’année précédente. La DEPP présente de façon globale ces EANA, sans
prendre en compte la spécificité de leurs diverses origines culturelles, les parcours de
vie, ni même les biographies langagières de ces élèves. Il conviendrait d’ajouter environ
80 000 enfants du voyage2, sans compter ceux parlant d’autres langues que le français
chez eux, non répertoriés dans les études consultées. Qu’ils soient arrivés en France
durant l’année scolaire ou issus de la deuxième ou troisième génération en France,
qu’ils soient ou non dans des relations de mobilité forte, ces élèves sont placés dans une
case, celle des « allophones », ou ignorés. Une telle catégorisation équivaut à une sorte
de ghettoïsation. La première zone de vigilance pour la formation initiale des
enseignants relève de la connaissance de leurs élèves pour éviter un amalgame
généralisant. Le travail terminologique d’Auger (2019) a permis de clarifier la
dimension sociolinguistique de la notion « d’allophone ». Tout en en présentant les
nombreuses variantes, historiques et scolaires, Auger en pointe le biais politique.
2 Certes les langues-cultures sont un élément-clé de l’inclusion scolaire, mais la relation à
l’école et à l’apprentissage en est un autre qui relève du sens que l’on confère à l’école.
Les langues d’origine des élèves ne constituent que l’un des aspects de l’analyse de la
vulnérabilité des élèves. Le parcours de scolarisation antérieure des élèves est un
8 Des pans entiers de la recherche demeurent à l’évidence méconnus des décideurs et des
personnels, les travaux des chercheurs réunis par le Cnesco lors de la Conférence de
Consensus consacrée aux langues (mars 2019). S’ajoute à cela un écart important entre
les résultats de la recherche internationale sur l’acquisition et l’apprentissage des
langues chez les plurilingues et le fonctionnement de l’institution scolaire en France
qui semble encore négliger bon nombre de ces travaux.
9 Le Guide Eduscol4 pose par exemple un « cadre conceptuel », introduit par un « cadrage
didactique » limité à l’organisation des langues selon le ministère (2019 : 4), et sans
pour autant indiquer en amont les conditions didactiques pour apprendre (des
langues), voire ne discutant pas ce que l’on sait des apprentissages des langues, et
notamment pour les élèves avec des parcours et répertoires pluriels. Ce qui prime, c’est
le dispositif et la logique top down dans une approche essentiellement cumulative des
langues, orientée vers des langues valorisées plus que vers les langues des élèves. De
plus, le chapitre sur les « approches plurielles », sur le plurilinguisme et l’interculturel,
se présente en 3 pages comme des extensions au reste du discours et se place après les
considérations sur une langue à apprendre. Voilà ce qui constitue la toile de fond
institutionnelle des discours pour la formation des étudiants futurs enseignants.
10 Forts de ce constat adossé dans bon nombre d’académies sur des dispositifs existants
mais limités (on fait sortir d’une classe d’accueil un élève au bout de deux ans selon la
circulaire nationale de 2012, qu’il soit ou non en situation de stabilisation scolaire, ce
qui n’a pas toujours été évalué du reste) et sur le pouvoir descendant de l’institution
scolaire en France, il n’est guère étonnant que, dans les pratiques, bon nombre
d’acteurs soient en tensions et ne trouvent pas leur compte, pour peu qu’ils partent des
besoins de leurs élèves. La souffrance enseignante est même de plus en plus vive.
et le bas, voire entre le macro, le méso et le micro, est-elle suffisante pour répondre aux
défis de l’école et permettre de déplacer les croyances sur les langues et leurs
apprentissages chez des spécialistes (second degré) comme chez des non spécialistes
des langues (premier degré) ? Ne devrait-on pas alors envisager une dimension
circulaire des actions de recherche faisant formation en mettant en avant les approches
collaboratives, et notamment dans leurs aspects centrés sur les acteurs eux-mêmes ?
13 Une approche dynamique des langues et des cultures (Herdina et Jessner, 2002) établit
des ponts entre les langues, et propose des outils conceptuels transversaux pour et sur
leur apprentissage. Une telle approche suggère alors une conception de la formation
davantage compréhensive et transversale, adaptée à un monde complexe au 21 ème siècle. La
formation des futurs enseignants peut-elle se résoudre au changement et en faire cas ?
Et comment ?
14 Depuis de nombreuses années, nous nous sommes attelée à ce qui peut « faire
changement » tant pour l’école que pour la société elle-même, au moins dans le regard
qu’elles portent toutes deux sur l’hétérogénéité et la diversité, notamment culturelle et
langagière. L’option que nous prenons ici consiste à discuter une manière différente et
novatrice de « faire formation » qui intègre de façon dynamique la recherche dans la
formation et vice-versa, que nous avons nommé la « recherche-formation » (Macaire,
2019).
15 Au cœur de l’écologie de la recherche-formation, la notion de « recherche
collaborative » est centrale. Comme Simonin et Thamin (2018), nous la considérons
comme un processus et une pratique sociale conjointe de chercheurs et praticiens (dans
le cas présent de formateurs-chercheurs et praticiens) dans l’intention de mieux co-
comprendre des faits, de co-produire des savoirs co-négociés, mais non nécessairement
co-validés (Desgagné et al., 2001).
16 Nous présupposons alors que, dans un collectif institué, les étudiants des Inspé 7 sont en
capacité d’identifier des questions vives et des points aveugles de l’action didactique,
mais que, pour co-produire des réponses à ces questions et points, il leur faut une
double pratique de co-élaboration de notions et de pratique collaborative entre
individus en formation. Ceci se réalise à double sens de et vers les pratiques
individuelles et de et vers les théories de référence sollicitées. Il y a de ce fait centration
sur les acteurs.
17 On a demandé à des étudiants de master MEEF 1er degré de visionner des vidéos de
séances de langues pour qu’ils s’approprient des outils d’analyse de situations captées,
puis on leur a proposé de s’auto-organiser pour discuter, puis d’enregistrer eux-mêmes
des vidéos de moments qui les intéressent ou leur posent problème. Ils devaient ensuite
restituer au groupe complet la lecture d’un extrait considéré comme saillant, d’un
moment aveugle, ou d’un fait non expliqué pour une analyse collective.
18 La première étape, la vidéo-formation, assez traditionnelle, permet de développer la
culture de l’observation et de confronter pratiques et questionnements dans une
institution. La seconde étape, la recherche-formation, davantage collaborative, a pour
enjeu de développer une posture assumée d’autonomisation, de créativité et de
recherche action pour « faire pratique ».
19 Les captations vidéo sont un outil impactant : chacun les regarde et les interprète avec
son propre filtre et avec une grille de critères élaborés en amont. On passe de la vidéo-
formation à une production de vidéos pour rendre visible une question didactique dans
une situation contextuelle donnée. C’est ce que nous appelons « recherche-formation ».
Dans ce dispositif, tous les acteurs, étudiants et formateurs ont un rôle à jouer sans que
l’initiative soit affectée particulièrement aux uns ou aux autres. L’activité part de
questions de terrain en relation à des questions de recherche collectivement choisies
(plusieurs groupes) pour produire un recueil de données collaboratif (transmissible et
explicable avec des outils d’accompagnement éventuels, comme des transcriptions, des
diapos d’intertitrage, des gros-plans etc.). Après avoir débattu en cours, on engage la
lecture d’articles théoriques de référence (Macaire, 2019).
20 Après qu’ont été discutés collectivement ses tenants et ses aboutissants, un point choisi
prend sens pour un collectif institué, et peut devenir un espace d’intéressement. C’est
le moment où l’on passe du collectif au collaboratif. Dans les approches coopératives, le
collectif joue un rôle à la fois en tant que parole instituante, et en tant que lieu d’un
projet sur une base à laquelle tous adhèrent. L’objet fédère le groupe. Dans cette
approche collaborative, l’institution prime sur le projet. L’humain dans ses diversités et
ses contradictions potentielles y est premier et détermine le projet, le ou les processus
engagés, les ajustements et étayages éventuels, et même les résultats, quel que soit le
degré de « vérité » ou de validité des résultats produits. L’objet vit dans un espace
d’intéressement porté par une intelligence collective instituée et qui se parle.
21 Dans un tel collectif institué, tous les acteurs peuvent influer sur le collectif et sur la
recherche qui fait formation. Ils ne sont pas amenés à trouver la solution, à être
d’accord les uns avec les autres, à faire la même chose durant les captations ou pour ce
qui est des thèmes retenus, etc.
22 Ce choix repose pour une large part sur une philosophie du sujet, telle que Ricoeur la
définit au travers de sa maxime, maintes fois revisitée au demeurant, et de sa visée
éthique : « Une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes » (1990 : 202). Le
terme de « recherche-formation » est adapté. Il s’instaure un va et vient de la recherche
vers la formation et réciproquement. Selon Ricoeur, le « soi pour autrui » est un puissant
levier de l’action et de la construction de l’identité, ici professionnelle. Les trois strates
de la vision de Ricoeur sont interreliées et devraient être considérées simultanément
(la vie bonne – avec et pour les autres – dans des institutions justes). Ce choix est
également issu d’une vision de la complexité que Morin décrit dans ses 7 savoirs (2015).
23 On peut se demander ce qui fait sens pour engager une « recherche-formation »
différente de ce qui, à ce jour, a présidé aux recherches et à la formation des
enseignants durant le 20ème siècle. Pour ce faire, nous partirons de l’écologie de la
formation en vue du développement de compétences professionnelles pour les futurs
25 Dans les Inspé, il existe un espace pour questionner de façon transversale les langues et
le langage. Dans ces UE, les étudiants sont réunis, peu importe leur langue de spécialité.
Des groupes ainsi mélangés offrent une plus grande diversité de points de vue et
davantage d’ouverture aux autres.
34 Les enseignants qui ont vécu des expériences en formation les reproduisent plus
facilement que les activités qu’ils ont lues ou trouvées dans les manuels scolaires. On ne
parle du plurilinguisme que si on (re)connait les plurilingues autour de soi, et que l’on
se considère soi-même comme tel.
35 Le modèle de formation évolue d’une distribution hiérarchique descendante vers une
distribution partagée et collaborative des notions qui intéressent l’institution
constituée. On a établi une sorte de fablab d’une démarche de recherche qui fait
formation.
41 Une nouvelle étude, cette fois avec des étudiants de master 2 durant 3 ans (environ 50
sujets volontaires), a montré des effets positifs de la recherche-formation. L’évaluation
a été menée collectivement par les étudiants. Elle portait sur la distanciation par
rapport a/ aux ressources disponibles (les captations), b/ aux pratiques de classe (la
46 L’une des options fortes de la recherche-formation est que le faire ensemble a moins à
voir avec le faire avec, ce qui est mis en avant dans les recherches collaboratives. Si l’on
se centre sur les personnes, la focale ne se place pas sur la collaboration dans l’esprit
d’un projet commun, ce qui est louable, mais on admet que la dissymétrie entre les
acteurs est possible, en termes de liberté de faire ou non. De plus, les rôles, les tâches et
les postures, donc les individualités, sont perçues comme éminemment diverses, ce que
le « faire avec » suppose d’accepter. La collaboration ici n’est pas axée sur l’intention
d’une action conjointe qui aboutirait à un consensus ou favoriserait un projet commun,
mais relève des aspects dynamiques de l’action elle-même en acceptant une probabilité
de dissension interne, de sujets en décalage entre eux, voire non coopérants (Behra et
Macaire, 2019). « Faire avec » place l’accent sur les acteurs, alors que « faire ensemble »
le place sur le projet. Il n’y a pas deux conceptions de la recherche collaborative, mais
une mise en perspective de paramètres humains dans la recherche-formation, dans la
mesure où la recherche fait formation et s’intéresse aux acteurs de celle-ci et non pas
seulement à la recherche.
47 Une telle approche nécessite une conception fluide à la fois des métiers, des rôles et des
acteurs. Tous sont concernés. Le rôle des formateurs est alors central pour permettre
Conclusion
49 Ces exemples issus de ce que nous avons appelés la « recherche-formation », prennent
en compte et la recherche et la formation du point de vue des sujets et non des objets.
Ils ont pour visée de tenter d’approcher au plus près les liens entre recherche et
formation par le bais des pratiques en éducation autour des langues et de leur
enseignement-apprentissage. Ils ne prétendent pas modéliser mais « informer la prise
de décision en éducation, la recherche n’étant pas la seule forme de preuve qui puisse
ou doive informer la prise de décision. Comprendre et renforcer l’usage de la recherche
dans les écoles implique de reconnaître l’existence et la valeur d’autres formes de
preuves pour chaque décision » (Farley-Ripple et al., 2018). En cela, cette approche se
distingue de ce que l’on appelle communément la formation à et par la recherche tout
en s’adossant à cette dernière.
50 Ces usage collaboratifs et co-élaboratifs développent à la fois un savoir, un savoir agir
et un savoir penser et agir avec (Macaire, 2018). Ces soft skills mettent en évidence de
nouveaux rôles pour les futurs enseignants du premier degré. Faciliter aux étudiants
l’accès à la recherche, scientifique et quotidienne, crée du lien entre les communautés
constitue un facilitateur de recherches futures sur les pratiques. Cela permettra
d’ouvrir les classes aux chercheurs. La formation fonctionne comme un espace
privilégié ouvert sur les terrains, un tiers-lieu, ou une institution d’interface entre
pratiques et recherche.
51 On peut dire que la recherche-formation telle qu’elle commence à émerger se réalisera
dans un « à condition que… ». On en attend en effet qu’existe un équilibre entre
l’expérientiel, les théories, les contextes et les situations didactiques, les paramètres
des praxéologies, etc. dans le respect de la spécificité des divers acteurs.
52 Cela suppose, en matière de langues vivantes, et en suivant de nouveau Lemoigne (2005,
2013) et Morin (2008, 2015), de considérer les approches collaboratives en langues à
l’aune du paradigme de la complexité, dans des relations parfois difficiles entre les
aspects pragmatiques de l’action didactique, épistémiques, et de la réflexion
scientifique et éthique (des valeurs en jeu). Cet effort est indispensable pour travailler
des « objets à fort enjeu local » (Perez, 2018), comme peut l’être la notion de
plurilinguisme.s.
53 Enfin, la recherche-formation induit un déplacement des rôles, pour que les étudiants
passent de « formés agis » (soumis) à la posture d’« acteurs » (partage) et d’« auteurs »
(autonomisation), même si tous n’y adhèrent pas. Elle engage à penser davantage
collectivement qu’individuellement l’action en formation et dans l’établissement futur.
Elle suppose également que les chercheurs-formateurs partagent le savoir autrement et
se placent dans une posture d’apprenants autant que de chercheurs. La recherche-
formation apporte un « pouvoir agir » libératoire.
BIBLIOGRAPHIE
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Éditions des archives contemporaines.
NOTES
1. DEEP, Note 19-52, de décembre 2019, disponible à : https://www.education.gouv.fr/64-350-
eleves-allophones-nouvellement-arrives-en-2017-2018-8-sur-10-etaient-deja-scolarises-4913
2. Cour des Comptes (2012). L’accueil et l’accompagnement des gens du voyage. Rapport.
3. Evascol est une étude menée par le Ministère entre 2015 et 2017 dans 4 académies avec 2
cohortes de 353 élèves EANA de 6 à 16 ans et 133 enseignants. Elle est disponible à : https://
www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/synth-evascol-num-21.12.18.pdf
(consulté le 09/03/2020).
4. Eduscol (2019). Guide pour l‘enseignement des langues vivantes étrangères – Oser les langues
vivantes étrangères à l’école. Disponible en ligne : https://eduscol.education.fr/pid34145-
cid143570/guide-pour-l-enseignement-des-langues-vivantes-etrangeres.html
5. Voir note 2.
6. INSHEA/Défenseur des droits (2018). Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement
arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV). Décembre 2018. 426
pages. Disponible à : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/
rapport_evascol_032019.pdf
7. Les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), issues de la loi Peillon sur la
refondation de l’école, étaient en charge de la formation des enseignants de la maternelle à
l’université. Elles sont devenues des Inspé en 2019, avec la Loi pour l’école de la confiance adoptée le
30 janvier 12019. Les articles 10, 11 et 12 donnent ainsi naissance aux « instituts nationaux
supérieurs du professorat et de l’éducation » (Inspé).
RÉSUMÉS
La formation à et par la recherche prend sens, alors que se refondent les ÉSPÉ en Inspé. On ne
forme pas les enseignants de demain avec des ressources d’hier. De nouvelles méthodologies
d’observation et d’analyse davantage collectives sont rendues nécessaires dans un contexte
scolaire complexe, tant au regard des questions vives émergentes en didactique des langues, que
des points aveugles dans les praxéologies à l’œuvre. Un enjeu vital pour la formation consiste
alors à rendre lisibles des travaux inscrits dans le paradigme du plurilinguisme (Herdina et
Jessner, 2002), mais également à en co-produire dans un collectif institué (Behra et Macaire
2019). Tel est le sens de la « recherche-formation » (Macaire, 2019) qui se caractérise par sa
dimension collaborative à double sens, de et vers la formation, de et vers la recherche. Les savoirs
issus de travaux collaboratifs sont nécessairement métissés et à multifocales. Ils construisent et
instituent de nouveaux « espaces d’intéressement » (Akrich et al., 1991), ou des « espaces de co-
intéressement » (Macaire, 2019). Après avoir posé le cadre théorique de la « recherche-
formation » collaborative, nous en analyserons les conditions d’élaboration au regard des enjeux
formatifs et de recherche, articulés les uns avec les autres autour de notions comme celle de
plurilinguisme.
Forming in and by the research in the domains of the teacher education and training is the aim of
the ESPÉ, which are nowadays redesigned into Inspé, as we cannot train tomorrow's teachers
with yesterday's resources. New more collective methodologies of observation and analysis are
required in a complex school context, both in the light of the questions emerging in language
didactics and of the blind spots of the professional practices. A main issue for teacher education
then consists in making readable works written in the paradigm of plurilingualism (Herdina et
Jessner, 2002), but also in co-producing them in an established collective way (Behra et Macaire,
2019). This is also the meaning of a "research-based teacher education" (Macaire, 2019), which is
characterized by its two-way collaborative dimension, to and from education, as well as to and
from research. The knowledge resulting from their collaborative work is necessarily mixed and
multifaceted. It reveals new “spaces for interest-sharing” (Akrich et al., 1991), or “spaces for co-
interest” (Macaire, 2019). According to a theoretical framework of collaborative “research-based
teacher education”, we will analyse the ways it develops in the light of the formative and
research challenges, combined with major dynamic scientific issues like plurilingualism.
research-based teacher education, professional development, research methodology in language
didactics, collaborative research
INDEX
Mots-clés : recherche-formation, développement professionnel, méthodologie de recherche en
didactique des langues-cultures, recherche collaborative
AUTEUR
DOMINIQUE MACAIRE
Université de Lorraine-Inspé
Laboratoire ATILF, UMR 7118, équipe Didactique des langues et sociolinguistique
Dominique Macaire est professeure à l’Université de Lorraine-INSPÉ. Ses travaux sur la formation
des futurs enseignants abordent la question du collectif dans la recherche et la formation,
mettant en relations dynamiques ces deux champs. Pour elle, la complexité de nos sociétés
contemporaines sollicite des recherches nouvelles, circulaires et systémiques, davantage
adaptées aux paradigmes reconfigurés.
dominique.macaire[at]univ-lorraine.fr
1 Dans une institution qui forme des enseignants et qui développe de la recherche,
comment et sur quels savoirs construire une relation « collaborative » entre
chercheurs/formateurs et enseignants ? Que faire, que choisir, en fonction de quoi et
de qui ? Peut-on concilier les besoins de formation avec ceux de la recherche ?
2 C’est à partir de ces tensions que nous avons initié un questionnement au sein d’une
recherche collaborative en nous focalisant sur la construction d’un dispositif. Nous
présentons ici les choix posés et les analyses effectuées afin de comprendre la relation
construite et les apports réciproques des différents acteurs. Pour ce faire, nous nous
référons initialement au concept de recherche collaborative de Desgagné et al., pour qui
la réflexivité est au cœur du processus de collaboration . Or la réflexivité se décline
différemment selon que l’on est praticien ou chercheur. Lorsqu’on parle de
questionnement pratique, les premiers sont projetés dans leur quotidien, et les seconds
se réfèrent à des aspects formels. Pourtant cette différence initie et alimente la
dynamique même de formation :
À l’issue d’une première étape du projet où chercheurs et praticiens négocient un
objet de réflexion commun […] une activité réflexive […] sera mise en place. Le
déroulement de cette activité réflexive […] considéré du point de vue des
enseignants qui vont y effectuer une démarche d’explicitation et d’analyse de leur
pratique en vue de l’améliorer, répond à la définition de ce que Richardson (1994)
appelle le « questionnement pratique » et à ce que Beillerot (1991) appelle « être en
recherche ». Mais cette même activité réflexive, prise du point de vue des
chercheurs qui vont faire de ce matériau réflexif un objet d’analyse en vue de
produire des connaissances nouvelles dans un domaine lié à la pratique enseignante
et plus spécifiquement au savoir des enseignants, répond à la définition de ce que
Richardson (1994) appelle la « recherche formelle » et à ce que Beillerot (1991)
appelle « faire de la recherche ». Dans la mesure où les chercheurs du projet se
retrouvent du même coup à accompagner et à guider le « questionnement
pratique » des enseignants, on dit qu’ils jumellent à leur rôle de chercheurs, pris au
Présentation de la formation
Le contexte
6 Le contexte retenu est romand. Il se situe dans une institution helvétique qui forme des
enseignants. La formation qui nous intéresse s’inscrit en didactique du français comme
première langue enseignée (Simard et al., 2010). Elle a été initiée à partir d’un
questionnement sur l’usage d’album de jeunesse en classe. Support composite dont la
complexité est reconnue (Bautier et al., 2012/2014), l’album de jeunesse est présent
massivement dans les classes primaires et également dans les plans d’études. Mais force
est de constater que les pratiques rencontrées le plus souvent dans les classes avec ce
support visent à enseigner le code ou encore se cantonnent à une lecture oralisée
(souvent faite par l’enseignant). La compréhension comme objet d’enseignement est
encore trop peu enseignée et constitue une véritable difficulté pour les enseignants
(Soussi et al., 2008 ; Goigoux, 2013 ; Thévenaz-Christen et al., 2014). De plus, en
formation, penser, planifier, mettre en tâches l’enseignement en littérature de jeunesse
suscitent également des difficultés chez les étudiants (Deschoux et al., 2015). Mais ces
difficultés renvoient aussi à la jeunesse de la discipline littéraire à l’école primaire en
suisse romande, à l’hétérogénéité des objets à enseigner, aux référents théoriques qui y
sont liés et à leur non articulation (Cordonier, 2012), et également à l’histoire de son
10 L’expérience de formation continue dont nous parlons ici est suivie par des
enseignantes qui, avec des formatrices-chercheures, définissent des activités et des
enseignements à mener à partir d’un album de jeunesse. Cette formation comporte cinq
séminaires, deux leçons données devant les collègues et les formatrices-chercheures
dans la classe d’une enseignante volontaire à chaque fois différente, deux moments
d’échanges juste après les leçons données, lesquels permettent de revenir sur les leçons
observées et vécues.
La figure ci-dessous illustre l’organisation de cette Lesson Study.
11 Les trois premières séances3 (T1) visent à choisir un objet d’enseignement, à définir les
modalités de travail et le matériel. Puis une première leçon est réalisée et analysée « à
chaud » avec tout le monde (Chri avec des élèves de 6-7ans). De leur côté, deux
collègues adaptent et donnent la leçon dans leur classe sans la présence des collègues
(Ja avec des élèves de 7-8 ans et Cla avec des élèves de 4-6 ans). La séance suivante
reprend l’analyse « à froid » de la leçon et la planification de la nouvelle leçon (T2). La
leçon est redonnée par une autre collègue (Ga à des élèves de 7-8 ans) et à nouveau
analysée « à chaud ». Deux collègues l’adaptent et la réalisent dans leur classe (Cé avec
des élèves de 5-6 ans et Cla avec des élèves de 6-7 ans). La formation se termine par une
deuxième analyse « à froid » et par un moment de bilan. L’ensemble des sept séances
(séminaires et sessions en classe) comporte environ quatorze heures de travail en
présentiel.
12 Pour optimiser les échanges et les dimensions expérientielles, les enseignantes
assument ainsi différents rôles et responsabilités dans la réalisation et dans l’analyse
des leçons. Chaque enseignante peut voir deux leçons, donner une leçon de son côté
dans sa classe (sous les yeux ou non des collègues) et alimenter les discussions avec son
expérience, ses observations et ses remarques. Les formatrices-chercheures endossent
aussi différents rôles ; elles gèrent les séances, participent à l’élaboration des leçons,
observent les deux leçons données. Elles ont la responsabilité de la formation. Elles
gardent en tête les attentes formulées initialement, elles confrontent les points de vue
des enseignantes, elles mobilisent leurs observations et amènent des éléments
théoriques en fonction de ce qui se présente.
Comme on le voit plus loin (figure 3), le loup a des attitudes ambigües. Sur les images, il
est sombre, il regarde en coin, il tient un couteau qu’il dirige vers les hôtes. Dans le
texte, il est taiseux.
15 Au fil du récit, dans le dialogue de l’image et du texte, l’auteure emmène ainsi le lecteur
sur de fausses pistes et l’invite à douter. De plus, au terme de l’histoire, le lecteur reste
devant une fin ouverte. Le loup n’a mangé personne. Plusieurs interprétations sont
ainsi possibles. Si le lecteur garde la figure du loup, il peut se dire que la ruse a échoué.
Mais il peut aussi douter de l’animalité du carnivore en constatant qu’il ne mange
jamais et ne manifeste aucune agressivité. Et s’il doute de son animalité, c’est alors une
autre figure qui devient saillante : celle du pèlerin. Cette deuxième interprétation
renvoie ainsi à une autre version zen de ce conte – qui existe aussi ; par exemple, celle
de Jon J. Muth (2011).
16 Nous avons bien affaire à un support composite dont l’hétérogénéité des traitements et
la difficulté interprétative sont manifestes, et dont l’usage ne peut être dissocié de ce
que les enseignants comptent en faire avec leurs élèves (Bautier et al, 2010).
Éléments méthodologiques
18 La recherche se base sur la formation continue dispensée à cinq enseignantes
volontaires d’une même école primaire du cycle 1 (avec des élèves de 4 à 8 ans). Toutes
donnent la leçon à un moment, excepté une enseignante (Cla) qui la donne deux fois
avec deux classes différentes (elle travaille dans deux classes). Les planifications, les
captations vidéo des leçons, les captations audio d’échanges, les productions écrites des
enseignantes (attentes, évaluation), les Power Point, les échanges par email, les
productions des élèves constituent le corpus.
19 Le protocole de recherche reconsidère le dispositif de formation à posteriori afin
d’identifier et de reconstruire le processus en fonction de ce qui s’est passé. Il est
constitué de traces hétérogènes récoltées lors de la formation et des passages dans les
classes. De différentes natures, ces traces sont produites en amont ou lors de la
formation. Cet appareil méthodologique reconstruit l’entité sémiotique pour pister la
dimension explicative. Il suppose de revenir au cadre interprétatif dans lequel on le
place (Radford, 2019).
Tous les matériaux font l’objet d’une analyse de contenu.
des loups, les rapports aux autres personnages. Elle fait constater l’évolution de la
menace que peut représenter le carnivore en regard de l’enchainement en succession
des pages (Van der Linden, 2013). Elle montre l’aspect « non figé » du loup, en pointant
que le loup n’est pas toujours mauvais. La deuxième activité d’oralisation de La soupe au
caillou permet bien de réinvestir la réputation du dévoreur potentiel, d’identifier la
menace qui plane sur la poule et de vivre la tension narrative liée à ce carnassier. Lors
de l’analyse « à chaud », les enseignantes sont satisfaites de ce qu’elles ont vu et vécu.
Les enfants ont vécu le suspens. Les formatrices-chercheures relèvent que
l’enseignante observée, en effectuant une lecture oralisée où à chaque page elle
montrait les images sans questionner le lien entre ce qui était dit et écrit, s’est
exclusivement accrochée aux images. Elle a travaillé la compréhension de l’histoire en
se basant sur un rapport transparent entre le texte et les images. Les collègues
constatent alors qu’elle n’a pas pris en compte les dimensions textuelles et
iconographiques comme deux entités distinctes et liées (Van der Linden, 2013) alors
qu’elles avaient prévu de le faire dans la planification ; l’enseignante observée pensait
l’avoir fait dans le déroulement de l’activité. Avec la vidéo, elle a constaté qu’elle a
effectivement fait autrement et repris une pratique habituelle avec le postulat que
l’image illustrait le texte, et que ce qui figurait dans l’écrit figurait aussi sur les images.
Cette façon de faire n’a pas tenu compte de « la “complémentarité” recherchée par
certains auteurs-illustrateurs, qui font suivre à l’illustration et au texte des
cheminements étanches l’un à l’autre, en évitant toute redondance, [ce qui] engendre
certaines difficultés de compréhension » (Canut et Vertalier, 2012, p. 55). L’analyse
réalisée ensemble montre que les représentations de ce que l’enseignante pense avoir
fait différaient de ce qui avait été effectivement fait et de ce qui avait été décidé
collectivement.
26 En dehors du séminaire, de leur côté, deux enseignantes (Cla et Ja) réalisent l’activité
planifiée dans leur classe. Au séminaire 4, l’ensemble du groupe revient sur ce qui s’est
passé lors de la leçon observée et sur les leçons données dans les classes des
enseignantes (analyse « à froid »). Elles échangent en reprenant les images vidéo, les
expériences et les observations. Cla et Ja montrent leur matériel et expliquent les choix
posés dans leur classe. Elles ont rajouté des albums, du matériel et ont modifié la
consigne. Elles évoquent la nécessité de s’adapter aux élèves et à leur âge. Cla 6 avec de
très jeunes élèves a d’abord fait observer les caractéristiques du loup en partant
d’images diverses du loup figurant sur des cartes pour identifier les similitudes et les
différences des représentations. Elle a ainsi pointé avec ses élèves les caractéristiques
du loup (grandes dents, griffes, queue). Pour la deuxième leçon, elle a instauré un
suspens à partir de premières de couverture d’une collection de cinq albums avec la
question « est-ce que le loup est gentil ou méchant ? ». Elle a relevé que l’on ne pouvait
pas se baser sur des caractéristiques et a fait émerger la nécessité de lire le texte pour
savoir s’il était méchant ou non. Puis elle a lu l’album de Vaugelade. L’enseignante a
donc bien gardé la logique de la progression et le suspens décidés en groupe.
27 La deuxième enseignante, Ja, a choisi quatre histoires issues d’un même recueil (Aymé,
1973). Elle dit avoir fait la même chose que ses collègues. Elle a proposé une brochure
de dix-sept pages téléchargée sur un site (Les coccinelles 7) qui reprenait des exercices
visant un foisonnement d’objectifs : travailler les mots outils, identifier et apparier des
titres écrits avec différentes typographies, repérer des mots, remplir des textes
lacunaires, travailler la fusion syllabique et les phonèmes /u/ et /ɑ̃ /, etc. Cette collègue
n’est pas rentrée dans ce qui a été proposé par le groupe ; elle n’a pas conservé
l’importance d’avoir un corpus d’albums, ni de construire l’intrigue. La brochure avec
son foisonnement d’exercices traditionnels appuie ce constat. Mais les enseignantes
voyant le matériel de Ja demandent à le photocopier. Le groupe, y compris les
formatrices-chercheures, ne relève pas le problème. Il reprend la planification 1, la
modifie en fonction des analyses effectuées et de la personne qui a donné la leçon (ici
en 3H, élèves de 6 ans).
28 La leçon (L1’) est donnée dans une autre classe par une autre collègue. La collection
d’albums, pour la première activité, est composée de quatre albums dont trois
nouveaux que l’enseignante en question a choisis. L’analyse « à chaud » permet à tout
le monde de constater que l’unité de l’album a été prise en compte et que les aspects
textuels et iconotextuels ont été abordés comme deux entités sémiotiques séparées et
interdépendantes (van der Linden, 2013). Mais là, un autre problème est alors constaté.
Les élèves lors de la leçon font remarquer qu’on ne peut pas dire qu’un loup est
méchant s’il doit se nourrir, car un animal doit manger pour vivre. Les formatrices-
chercheures reprennent ce qu’ils disent et pointent l’évolution et la complexité des
personnages dans le récit et l’importance du genre narratif. Elles posent le statut de la
fiction. Le personnage du loup dans un récit est anthropomorphisé. Il est doté
d’intentionnalité comme les êtres humains. Il peut être méchant. Alors que la fiction
implique une rupture par rapport au vrai loup. Dans la réalité, comme animal, il doit
31 Le dispositif de formation est en cohérence avec ce qui a été annoncé. Par les choix
posés, les initiatives assumées, formatrices-chercheures et enseignantes sont bien
orientées vers les dimensions pragmatiques liées au terrain et visent les apprentissages
à faire construire par les élèves. Les deux groupes sont engagés dans la relation ; tout le
monde est présent aux séances, les activités sont réalisées et du matériel est échangé.
Les enseignantes prennent du temps en dehors du temps de formation pour négocier et
stabiliser la planification, pour chercher des livres. Les formatrices-chercheures
reviennent sur les éléments pointés, à l’aide de matériel, tentent de répondre aux
attentes et aux besoins des collègues et interviennent sur les contenus. Les deux
groupes de professionnelles sont solidaires et réunis autour d’un premier but qui est le
travail en classe.
32 Ce même but est assumé en regard de responsabilités distribuées. Ce qui se passe
réellement en classe est pris en charge par les enseignantes. À la fois elles doivent tenir
compte des choix collectifs tout en les adaptant à la particularité de leur classe.
33 Les formatrices-chercheures acceptent ces initiatives tout en ayant le souci du
maintien des objectifs de formation et de la réalisation des attentes verbalisées des
enseignantes. Elles cherchent à encourager l’enthousiasme des enseignantes tout en
assumant la reprise de décalage en regard du contenu enseigné. Elles mènent l’analyse
de pratique. Cette analyse est aussi outillée par les résultats de recherche et leurs
connaissances scientifiques.
34 La responsabilité est ainsi partagée et distribuée en fonction des compétences, des
connaissances professionnelles des deux groupes.
principe dynamique est identifiable par les traces matérielles laissées dans la
succession des étapes du dispositif de formation. Il est nourri par le jeu de tensions
entre les différents groupes et rôles assumés par les différents partenaires.
Conclusion
45 Dans cette recherche, nous nous sommes intéressées au processus construit par et à
travers un dispositif de recherche-formation collaborative outillé d’une Lesson Study,
ainsi qu’à la dynamique construite entre les participantes.
46 Nous avons montré le caractère distribué et situé de ce qui s’est développé et nous
avons relevé l’importance des enjeux et des rôles liés à chaque étape du dispositif et
aux participantes.
47 Le dispositif de formation a bien le statut d’instrument (Schneuwly, 2000) qui permet,
initie, contraint le travail entre des professionnels. Il invite les enseignantes à
transformer pour leurs classes ce qui est négocié collectivement tout en gardant le cap
de ce qui a été décidé. Cette adaptation rend compte de la sémiotisation qu’elles
construisent dans et par cette adaptation, mais aussi des contraintes liées à leur
environnement. Elle permet ainsi, par la matérialité, d’attester de ce qui s’est fait, de le
reprendre et de le reconfigurer tout en remobilisant les représentations des unes et des
autres. L’action observée est ainsi tracée et discutée.
48 Dans notre dispositif de formation, nous constatons que le rapport à l’autre est central,
multiforme et se manifeste à différents niveaux. Ce rapport à l’autre renvoie à une
multitude d’altérités qui renvoient à des rôles définis, mais aussi à des groupes labiles
qui sont des moteurs de développement.
49 Ainsi, ces altérités permettent d’accompagner le processus et engendrent du
développement. Ces altérités permettent d’entretenir un principe dynamique
impliquant un jeu de frontières entre différents groupes labiles. Ces altérités jouent des
tensions et des enjeux du moment.
50 La collaboration entre professionnelles permet ainsi de s’inscrire dans un réseau plus
large qui contribue à alimenter une dynamique sociale de collègues intéressés et
impliqués par le travail scolaire, lequel va bien au-delà du scolaire... Les besoins et les
enjeux de formation et de recherche peuvent être conciliés, même s’ils sont aussi en
tension. La poursuite du processus suppose un délicat assemblage où chacune a sa place
sur le bateau…
BIBLIOGRAPHIE
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Albums
Aymé. M. (1973). Les contes du chat perché. Paris : Gallimard.
NOTES
1. La formation a rassemblé uniquement des femmes. C’est donc le féminin qui est adopté.
2. Laboratoire 3LS : Laboratoire Lausannois Lesson Study. https://www.hepl.ch/cms/accueil/
recherche/laboratoires-hep-vaud/3ls.html
3. Le terme séance désigne ici une session de formation de deux heures. Il désigne soit un
séminaire, soit une session dans une classe pour laquelle toute l’équipe est présente .
4. Pour préciser, le dispositif d’enseignement est destiné à être implanté dans la classe, il est
élaboré en vue des apprentissages des élèves ; alors que le dispositif de formation fédère les
enseignantes en formation et les chercheures.
5. Un conte en randonnée est construit sur une structure répétitive, cumulative et simple.
6. Sur la figure 4, il apparait que le terme séance désigne ce que nous avons appelé leçon.
7. Site : http://www.les-coccinelles.fr, et les exercices liés à l’album : http://www.les-
coccinelles.fr/lienpage1/albums/unesoupeaucaillou/litteraturejeunesseunesoupeaucaillou.html,
consultés le 23 avril 2020.
RÉSUMÉS
Cette contribution s’inscrit en didactique du français langue première. Elle se focalise sur
l’analyse d’un dispositif de formation et cherche à montrer le principe dynamique construit par
la collaboration d’enseignantes et de chercheures1 dans le cadre d’une formation continue
dispensée dans un institut de formation. Elle rend compte d’une recherche collaborative
(Desgagné et al., 2001) outillée d’une Lesson Study (Lewis et Hurd, 2011). Dans cette analyse à
caractère exploratoire, le dispositif de formation et sa transformation permettent à la fois de
reconstruire le processus de collaboration entre les chercheures et les enseignantes, et de
repartir de cette collaboration pour revenir au dispositif en question. Cette recherche montre
comment, en fonction des enjeux épistémologiques, des savoirs et des expériences communes et
personnelles, ces professionnelles de la recherche et du terrain construisent d’une manière
distribuée et partagée cet artéfact, et comment ce dernier permet des déclinaisons variables qui
peuvent être réinvesties dans les différentes classes des enseignantes concernées.
This contribution is part of the teaching of French. It focuses on the analysis of a system and
seeks to show the dynamic principle built by the collaboration of teachers and researchers in the
context of continuing training provided in a training institute. It reports on collaborative
research (Desgagné et al., 2001) using a Lesson Study device (Lewis and Hurd, 2011). In this
exploratory analysis, the artefact and its transformation make it possible to reconstruct the
process of collaboration between researchers and teachers and the collaboration in turn makes it
possible to return to the artefact in question. This research shows how, based on epistemological
issues, common and personal knowledge and experiences, these research and field professionals
build this artifact together and how it allows for variable variations that make it possible to
reinvest in the various classes of the concerned teachers.
INDEX
Mots-clés : altérité, Lesson Study, positionnement historico-culturel, didactique des langues
Keywords : otherness, Lesson Study, historical-cultural positioning, language didactics
AUTEURS
CAROLE-ANNE DESCHOUX
Haute école pédagogique (HEP) du canton de Vaud, Lausanne
Carole-Anne Deschoux a une formation et une expérience d’enseignante à l’école primaire et en
enseignement spécialisé. Ses recherches s’inscrivent dans un ancrage historico-culturel post
vygotskien. Son appréhension des questions didactiques, sur l’apprentissage du français
notamment, est marquée par ce parcours avec une attention particulière aux dimensions
plurilingues.
carole-anne.deschoux[at]hepl.ch
CLAIRE TAISSON
Haute école pédagogique (HEP) du canton de Vaud, Lausanne
Longtemps enseignante et directrice d’établissements primaires français, les recherches de Claire
Taisson s’inscrivent dans le paradigme vygotskien. Elle étudie comment les élèves des premiers
degrés construisent leurs connaissances au moyen de la matérialité vue comme ressource pour
l’enseignement-apprentissage et comme indice de leur développement psychologique.
claire.taisson[at]hepl.ch
L’accompagnement professionnel
pour développer des dispositifs
didactiques innovants en syntaxe et
en ponctuation : regards de
conseillères pédagogiques
Marie-Hélène Giguère, Marie Nadeau, Carole Fisher, Rosianne Arseneau et
Claude Quevillon Lacasse
Introduction
1 Depuis plusieurs années, des recherches européennes et québécoises portant sur les
pratiques effectives des enseignants en syntaxe et en ponctuation (S-P) montrent que
cet enseignement est isolé et que les exercices proposés n’engagent pas les élèves à
construire des savoirs suffisamment solides pour leur permettre de réaliser un
transfert en situation d’écriture (Chartrand, 2009 ; Jaffré, 2014 ; Paolacci et Garcia-
Debanc, 2003 ; Paolacci et Rossi-Gensane, 2014). Or, les recherches didactiques sur
l’enseignement et l’apprentissage de l’orthographe grammaticale (Brissaud et Cogis,
2011 ; Nadeau et Fisher, 2014) fournissent des pistes encourageantes pour améliorer les
compétences des élèves en écriture puisque la résolution de problèmes
orthographiques en situation de rédaction passe largement par la mobilisation et
l’utilisation explicite des connaissances grammaticales et syntaxiques (Boivin et
Pinsonneault, 2014 ; Nadeau et Fisher, 2009, 2011).
2 C’est dans ce contexte qu’une recherche quasi-expérimentale1 a vu le jour pour tenter
d’observer les effets de la mise en œuvre de différents dispositifs didactiques jugés
prometteurs pour enseigner la S-P dans des classes du primaire et du secondaire
québécois. Or, l’adaptation de ces dispositifs basés sur des principes didactiques
reconnus à de nouveaux objets d’enseignement exigeait une phase d’exploration faite
de tâtonnements et d’expérimentations (1re année du projet) nécessitant une étroite
Problématique
3 Le développement professionnel des enseignants, soit « le processus d’acquisition des
savoirs [notamment par la formation continue] qui provoque, par la suite, des
changements chez l’enseignant ainsi que des nouveautés sur le plan de sa pratique »
(Uwamariya et Mukamurera, 2005 : 142) demeure un enjeu connu dans le monde de
l’éducation. D’ailleurs, une large étude américaine a montré qu’au-delà des cinq
premières années d’expérience, la très grande majorité des enseignants cessent
d’évoluer et de bonifier leurs pratiques pédagogiques (TNTP, 2015). Plusieurs rapports
ont également indiqué que les formations offertes dans les milieux scolaires étaient
loin d’être optimales (Conseil supérieur de l’éducation, 2014) puisqu’elles ne répondent
pas aux critères identifiés par la recherche sur le développement professionnel à savoir
que les activités de formation devraient 1- être étendues dans le temps, soit une
cinquantaine d’heures sur une durée de plus d’un an (Darling-Hammond et al., 2009 ;
Richard, 2017) ; 2- être à la base de la construction de bonnes relations entre
enseignants pour permettre des discussions riches et ouvertes donnant lieu à un
partage d’expertise (Darling-Hammond et al., 2009 ; Fullan, 2007 ; Richard, 2017) ; 3-
porter sur un aspect très précis du curriculum, ancré dans les besoins et les visées des
écoles (Darling-Hammond et al., 2009) et 4- être étayées par des données probantes,
animées par des spécialistes dont l’expertise est reconnue et soutenue par une
direction d’établissement faisant preuve de leadership (Richard, 2017). Par ailleurs, les
dispositifs didactiques peuvent être considérés comme des vecteurs de développement
professionnel puisque l’enseignement représente une activité médiatisée par des outils
didactiques. Selon Cèbe et Goigoux (2007, 2012) et Goigoux (2011), ces outils doivent
être pertinents (exploitant les connaissances issues de la recherche), proches des
pratiques habituelles des enseignants, élaborés de manière collaborative et ajustés dans
le temps par leur pratique régulière.
4 Dans le cadre de notre étude, afin de documenter les effets de la mise en œuvre de
dispositifs didactiques sur les compétences des élèves en écriture, les enseignants
participants devaient non seulement développer des gestes pédagogiques en cohérence
avec les principes didactiques retenus, mais également développer des savoirs en
grammaire moderne2 leur permettant de favoriser et de soutenir les apprentissages de
leurs élèves en S-P. L’équipe de recherche devait donc assurer un accompagnement
professionnel soutenu afin de leur permettre de s’approprier une posture et des
pratiques nouvelles pour lesquelles aucun modèle n’existait, seulement un cadre
théorique. De plus, l’équipe a rapidement ressenti le besoin de se confronter au terrain
pour s’assurer que les dispositifs soient réalistes et fonctionnels. Des échanges
réguliers, nourris par l’expertise des CP, ont permis à la recherche collaborative de se
fonder sur des besoins partagés par les trois parties.
5 Nous définirons dans la prochaine section les concepts de recherche collaborative, de
dispositif didactique et d’accompagnement professionnel. Par la suite, nous décrirons la
méthodologie employée pour dégager les perceptions des CP. Les résultats seront
ensuite explicités et discutés.
Cadre conceptuel
6 Selon Desgagné, Bednarz, Lebuis, Poirier et Couture (2001), la recherche collaborative
ne porte pas sur les praticiens, mais s’établit avec eux. Elle implique une interinfluence
entre la pratique et la recherche et elle prend « le sens d’un échange de services entre
des acteurs qui font partie de cultures différentes et qui n’ont pas à répondre aux
mêmes finalités » (Desgagné et al., 2001 : 39). Dans notre étude, les enseignants se
basaient sur un cadre théorique et sur les premières ébauches d’implantation
proposées par les chercheuses, pour les expérimenter en classe de concert avec les
chercheuses et les CP. Par la suite, les discussions entre tous les acteurs ont permis
d’identifier les gestes pédagogiques les plus efficaces et efficients pour la classe. « La
recherche collaborative valorise (…) l’intégration des points de vue [des praticiens]
dans la production de savoirs aménagée par le chercheur » (Morrissette, 2013 : 46).
Ainsi, les chercheuses ont bénéficié des savoirs d’expérience des enseignants et des CP
participants pour mettre au point les dispositifs didactiques expérimentés afin qu’ils
soient mieux ancrés dans la réalité du monde scolaire, donc plus facilement
transférables. Les rencontres collectives sur la mise en œuvre d’activités en classe
permettaient cette intégration des trois points de vue et le réajustement progressif des
dispositifs didactiques initialement proposés.
7 Notre équipe définit le dispositif didactique comme un « ensemble de moyens,
matériels ou sémiotiques, fruits d’un travail d’ingénierie a priori mais ajustés à la réalité
du milieu, et organisés pour permettre à l’élève de construire des savoirs » (inspiré de
Cèbe et Goigoux [2007] et de Weisser [2010]). Dans ce projet, les dispositifs didactiques
abordent un contenu précis (ici la S-P), et visent des objectifs également précis
(dégager les structures de phrases à partir des outils de la grammaire moderne, dont la
notion de phrase et les manipulations syntaxiques, afin de bien les construire et les
ponctuer). Les activités proposées aux élèves sont organisées et reliées pour répondre à
cet objectif, dans un temps relativement restreint (cf. annexe 1) afin de respecter la
réalité quotidienne des classes. On a mis à profit des outils matériels pour les élèves
(cahier, corpus de phrases, capsule vidéo, aide-mémoire) et pour l’enseignant
(démarche proposée, gestes didactiques, routine, outils numériques (cf. annexe 2).
8 Afin d’éprouver concrètement les dispositifs proposés et de soutenir leur mise en
œuvre dans la classe par les enseignants, un accompagnement professionnel a été
nécessaire. Aux conditions organisationnelles précédemment évoquées, s’ajoutent des
conditions intrinsèques aux enseignants.
9 Selon Shulman et Shulman (2004), l’enseignant doit développer quatre dimensions
personnelles de manière simultanée : sa vision, son engagement, ses savoirs et ses
pratiques. Autrement dit, les nouveaux savoirs et les nouvelles pratiques développées
doivent être en cohérence avec sa vision de l’enseignement, ses valeurs et ses croyances
au sujet de l’apprentissage pour lui permettre un engagement suffisant dans
Méthodologie
11 Cet article s’intéresse au point de vue des CP sur l’accompagnement offert dans le cadre
de notre recherche.
Participants
12 Rappelons que cette étude a développé des dispositifs didactiques pour enseigner la S-P
au 3e cycle du primaire (10-11 ans) et au 1 er cycle du secondaire (12-13 ans) dans des
milieux défavorisés au Québec où les élèves éprouvent plus de difficultés à réussir les
examens ministériels en lecture et en écriture et représentent donc une population à
risque (Desrosiers et Tétrault, 2012). Ainsi, plusieurs dispositifs didactiques ont été
conçus et ajustés en collaboration avec les cinq membres de l’équipe de recherche,
quatre CP et treize enseignants. Les CP et les enseignants, approchés en raison de leur
désir d’apprendre des activités innovantes en S-P, étaient volontaires pour participer à
l’étude et leurs directions respectives soutenaient leur implication. Les participants
étaient répartis géographiquement en trois groupes dont deux incluaient des CP : deux
CP, Danielle3 et Chantale, dans un milieu mixte francophone et plurilingue et deux CP,
Josianne et Marie-Claude, dans un milieu unilingue francophone.
Contexte de l’étude
l’activité. Enfin, toutes les trois disent avoir affiné leur capacité à questionner les
enseignants et à vulgariser les concepts relatifs à la S-P.
16 Dans un deuxième temps, les CP ont été invitées à se prononcer sur les modalités
d’accompagnement. Selon Danielle, « l’avantage des rencontres collectives, c’est de
permettre aux enseignants de faire part des difficultés rencontrées et d’échanger sur
des moyens possibles de les surmonter ». Josianne a d’ailleurs observé une évolution
dans les échanges au fur et à mesure que la confiance mutuelle s’installait. Ce partage a,
selon les CP, un effet d’émulation pour certains enseignants. Comme le souligne
Chantale, « les rencontres collectives leur ont permis de voir d’autres enseignants qui
réussissent à changer leur enseignement de la grammaire, à proposer des activités
différentes pour permettre aux élèves de mieux apprendre les concepts ». Les trois CP
mentionnent que ces rencontres s’avèrent rassurantes pour les enseignants, car elles
leur permettent de valider leur compréhension des activités, de s’approprier la
démarche et les modalités d’application des activités à venir, d’ajuster leur vision de
l’apprentissage et de l’enseignement. Par contre, Danielle aurait souhaité offrir un
approfondissement sur des concepts grammaticaux sollicités en S-P pour permettre
aux enseignants de développer une meilleure assurance dans l’animation des activités
en classe.
17 En ce qui concerne le matériel offert, les trois CP indiquent qu’il facilite la mise en
œuvre des activités en raison du temps que cette planification nécessite. Elles ont
apprécié la variété des activités proposées, ce qui permet aux enseignants de faire des
choix selon les besoins des élèves. Enfin, elles jugent que le guide de l’enseignant fourni
de même que les capsules vidéo sont très encadrants pour ces derniers, car cela leur
offre un modèle sur lequel s’appuyer. Josianne mentionne également qu’elle a apprécié
le fait que les chercheuses aient ajusté les activités proposées entre la fin de l’année de
recherche collaborative et l’année d’expérimentation des dispositifs en tenant compte
des commentaires reçus et des liens avec le curriculum.
18 Quant aux observations et aux rétroactions en classe, les trois CP affirment que cela a
surtout contribué à la mise en action réelle des dispositifs proposés. De plus, cela leur a
donné l’occasion d’observer la réalisation des activités – ce qui s’avère assez rare dans
le cadre de leur travail. La présence en classe de CP et de chercheuses génère un stress
important chez les enseignants, mais cette présence est tout autant sécurisante et elles
aiment être sollicitées à titre d’expertes pour répondre à des questions sur le vif. Pour
Chantale, « la présence en classe me permet de les rassurer, d’entrer dans leur
planification des apprentissages et d’avoir des discussions sur leurs gestes
pédagogiques, leurs questions et les problèmes grammaticaux rencontrés. Autrement,
elles ne m’auraient pas contactée pour cela ».
19 Enfin, dans un troisième temps, les CP ont discuté de leur rôle au sein du projet de
recherche. Elles disent avoir assumé un rôle de guide, de soutien, de facilitatrice,
principalement dans le cadre des observations où elles ont parfois fait du co-
enseignement. Elles évoquent que leur présence était perçue comme sécurisante pour
les enseignants puisqu’elles étaient en mesure de faire des liens avec le curriculum et
d’agir à titre de référence au moment opportun. Ce rôle a accru, selon elles, la relation
de confiance qu’elles entretiennent avec les enseignants. Leur présence physique à
l’école a permis aux enseignants de poser plus de questions, mais aussi d’ouvrir des
discussions avec les autres membres de l’équipe école ne participant pas au projet à
propos de l’enseignement de l’écriture et de la grammaire. Elles ont vécu leur rôle
comme celui d’un chainon important entre les enseignants, les chercheuses et les
directions d’école. Danielle et Chantale auraient souhaité participer à l’élaboration des
rencontres de recherche et du matériel expérimenté conjointement avec les
chercheuses car, selon elles, cela aurait contribué à leur propre formation. Josianne,
quant à elle, en a eu l’occasion dans son terrain de recherche.
20 Dans une optique de maintien et de transfert des pratiques, elles croient que leur rôle
sera de maintenir les échanges sur les pratiques par des rencontres collectives et
individuelles. Elles jugent que certains enseignants auront toujours besoin de soutien,
mais elles doutent qu’ils accepteront de l’aide une fois le projet de recherche terminé.
En effet, selon les trois CP, le contexte de la recherche « crée » une occasion de
développement professionnel. Or, le contexte organisationnel dans lequel elles se
trouvent ne leur permet pas souvent de réaliser des suivis : elles se sentent
dépendantes des priorités de leur commission scolaire et des budgets qui y sont
associés. Danielle et Josianne misent ainsi sur une forme de « contamination positive »
des enseignants participants pour une diffusion des pratiques dans leur école.
21 Les trois CP qui ont répondu au questionnaire constatent donc des apprentissages chez
les enseignants tant sur le plan des pratiques que des savoirs. Parce qu’elles répondent
à des intentions différentes, les CP jugent les trois modalités d’accompagnement
nécessaires et complémentaires. Elles considèrent avoir rempli un rôle de conseil, de
guide, de soutien même si certaines auraient souhaité accompagner davantage au sens
où Guillemette et al. (2019 : 43) décrivent ces rôles, soit le fait « d’accompagner le
personnel scolaire dans un contexte de collaboration ou de mobilisation pour mieux
soutenir l’amélioration des pratiques éducatives, pédagogiques ou didactiques ».
Discussion
22 La dimension exploratoire de cette recherche a demandé la collaboration étroite de
trois acteurs clés du développement professionnel : les CP, les enseignants et les
chercheuses. Les rôles traditionnels de ces intervenants ont été plus souples que dans
un autre type de recherche : les chercheuses n’ont pas été les seules conceptrices des
dispositifs, les CP ne les ont pas que validés et les enseignants ne les ont pas
qu’expérimentés. Ainsi, c’est par une réelle collaboration qu’ont pu se développer les
dispositifs de la séquence didactique finale, une collaboration essentielle pour leur
acceptabilité par les intervenants du milieu scolaire, une conciliation, en somme, entre
le « souhaitable » des chercheuses et le « réalisable » des enseignants (Goigoux et Cèbe,
2009 ; 2011).
23 Le contexte de la recherche, par l’implication volontaire des enseignants, a facilité la
mise en œuvre de modalités d’accompagnement, telles que l’observation en classe
suivie d’une rétroaction. Bien que reconnue efficace comme dispositif de
développement professionnel (TNTP, 2015), elle représente sans doute la modalité la
plus déstabilisante pour les enseignants. Ces derniers, dits « précurseurs », sentent
qu’ils ont toujours aimé se développer, tenter de nouvelles pratiques, apprendre. Cet
engagement s’avère plus fort que le stress engendré par la présence de chercheuses et
de CP en classe. Il semble qu’il faille ici trouver l’équilibre le plus juste (différent pour
chaque enseignant) entre une présence anxiogène qui pousse à se dépasser et une
présence rassurante qui guide dans les moments d’incertitude. Les trois CP ont
Conclusion
28 La recherche que l’équipe de cinq chercheuses a menée en collaboration avec des
enseignants et des CP s’appuie d’abord sur les principes de la recherche collaborative
afin que chaque participant profite d’un échange pour répondre à des finalités
différentes : selon les CP, les enseignants ont réalisé des apprentissages en S-P et dans
leur enseignement, elles évoquent elles-mêmes des apprentissages sur le
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ANNEXES
Cahier de l’élève (un pour le primaire et un pour le secondaire) regroupant tous les
exercices suivis d’une section « À retenir » ;
Questionnaire (n =3 CP)
Avez-vous constaté des apprentissages chez les enseignants que vous accompagnez ?
Si oui…
Si oui ?
Nous avons organisé des rencontres collectives, des suivis individuels et avons offert du matériel
(cahiers, activités, cartons, capsules, etc.). Selon vous, qu’est-ce qui a permis aux enseignants de
mieux développer leurs pratiques professionnelles, le cas échéant ?
b. Avez-vous senti une préférence pour une de ces formes d’accompagnement ? Si oui, laquelle ?
Pourquoi ?
c. Si vous n’avez pas senti de développement, quel dispositif aurait pu contribuer à le susciter ?
d. Est-ce que vous avez vous-mêmes eu une préférence pour une modalité d’accompagnement ?
Laquelle ? Pourquoi ?
Si c’était à refaire, que pourriez-vous nous suggérer pour améliorer notre accompagnement ?
Qu’est-ce qui aurait pu contribuer à un développement encore plus optimal de la pratique
professionnelle des enseignants ? De votre propre pratique professionnelle ?
Le projet se termine dans quelques semaines. Envisagez-vous un maintien des pratiques dans les
classes expérimentales ? Les enseignants auront-ils besoin de soutien ? Si oui, lequel ? Si non, à
quoi attribuez-vous le fait que ce ne soit pas nécessaire ?
Envisagez-vous un transfert des pratiques dans d’autres classes ou d’autres écoles ? Si oui,
comment cette diffusion devrait être organisée ? De quoi auriez-vous besoin pour mener un tel
accompagnement ? Si non, à quoi attribuez-vous le fait de ne pas donner suite à ce projet ?
Quel rôle le projet vous a-t-il permis de prendre dans le cadre de vos fonctions de CP ?
Est-ce que ce rôle vous a permis de travailler différemment ? Si oui, comment ? Pourquoi ?
NOTES
1. Recherche financée par le FRQSC-MEES (Fonds de recherche québécois – société et culture –
Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur) : Expérimentation de dispositifs
didactiques en syntaxe et en ponctuation « à la manière » des dictées métacognitives et
interactives (2017-LC-198593).
2. Selon Chartrand (2011), la grammaire dite moderne ou nouvelle se veut une description du
« fonctionnement de la langue et des textes en présentant des informations sur […] les outils
pour travailler la langue (le modèle de la phrase P et les manipulations syntaxiques), les
structures syntaxiques de la phrases, les principales règles d’orthographe et de ponctuation, ainsi
que l’histoire et le fonctionnement du lexique » (avant-propos, III).
3. Prénoms fictifs pour préserver l’anonymat.
RÉSUMÉS
L’étude présentée dans cet article s’est déroulée en deux temps : une démarche exploratoire la
première année, suivie d’une expérimentation par protocole quasi-expérimental l’année
suivante. Visant à développer et à expérimenter des dispositifs didactiques pour améliorer la
syntaxe et la ponctuation en écriture chez des élèves de 10 à 14 ans, l’équipe de recherche était
composée de chercheuses universitaires, d’étudiantes doctorale et postdoctorale, de conseillères
pédagogiques et d’enseignants du primaire et du secondaire au Québec. Tous ces membres ont
joué différents rôles tout au long de l’étude. Cet article vise à présenter les résultats de l’analyse
d’un questionnaire d’enquête auprès des conseillères pédagogiques dans lequel les modalités
d’accompagnement professionnel ont été discutées. Le point de vue des conseillères
pédagogiques montre que la recherche collaborative permet de documenter l’efficacité d’un
triple accompagnement (rencontres collectives mensuelles, observations en classe avec
rétroaction personnelle, matériel offert) et de partager des rôles traditionnellement plus
cloisonnés.
The study reported in this article was carried out in two phases: the first year followed an
exploratory approach for the creation of teaching devices, and the second year tested these
devices through a quasi-experimental protocol. The research team, interested with developing
and experimenting with teaching devices to improve syntax and punctuation in writing for
students aged 10 to 14, was composed of university researchers, doctoral and postdoctoral
students, teacher consultants, as well as elementary and secondary teachers in Quebec. All of
these members played different roles throughout the study. This article presents the results of a
survey questionnaire submitted to the teacher consultants in which the means to support
teacher professional development (TPD) were discussed. The stances from teacher consultants
show that this collaborative research made it possible to document the effectiveness of a triple
TPD support (monthly group meetings, classroom observations with personal feedback, and
provided material), while allowing for a shift of traditionally compartmentalized roles in
research.
INDEX
Mots-clés : développement professionnel, accompagnement, conseillères pédagogiques,
séquence didactique, syntaxe et ponctuation
Keywords : teacher professional development, support, teacher consultants, teaching device,
syntax and punctuation
AUTEURS
MARIE-HÉLÈNE GIGUÈRE
UQAM
Marie-Hélène Giguère est professeure au département d’éducation et formation spécialisées de
l’UQAM depuis 2015. Elle a été enseignante de français au secondaire, puis conseillère
pédagogique avant de terminer son doctorat sur un dispositif de développement professionnel
portant sur la grammaire actuelle et son enseignement.
giguere.marie-helene[at]uqam.ca
MARIE NADEAU
UQAM
Professeure au département de didactique des langues de l’UQAM, Marie Nadeau se consacre
depuis plus de 20 ans à la recherche en didactique de l’orthographe et de la grammaire. Elle est
actuellement la chercheure principale d’un projet sur l’enseignement de la syntaxe et de la
ponctuation par des activités innovantes. nadeau.marie[at]uqam.ca
CAROLE FISHER
UQAC
Après plus de vingt ans comme professeure de didactique du français à l’UQAC, Carole Fisher est
maintenant professeure associée à cette même université où elle poursuit des activités de
recherche en didactique de l’orthographe et de la grammaire et en didactique de l’oral.
c.fisher[at]uqac.ca
ROSIANNE ARSENEAU
UQAM
Rosianne Arseneau est stagiaire postdoctorale au Département de didactique des langues de
l’UQAM et consultante à l’évaluation en français langue seconde au MEES. Elle a été enseignante
de français au secondaire avant de terminer son doctorat sur l’enseignement de la phrase
subordonnée relative.
arseneau.rosianne[at]uqam.ca
Introduction
1 Les recherches participatives, dans la lignée des travaux d’Anadón (2007) et de
Bourrassa et al. (2012), sont de plus en plus souvent perçues en sciences de l’éducation
comme des recherches engagées, devant apporter des solutions collectives à des
problèmes identifiés en commun. Le courant émergeant de la recherche anglo-saxonne
dite « community-based » nous amène à repenser plus en profondeur encore ce que
peuvent être l’engagement et la posture du chercheur, tant il est vrai que les
recherches communautaires nord-américaines allient désormais recherche appliquée
et activisme social (Koster et al., 2012 ; Strand et al., 2003).
2 Le projet de recherche dont il est ici question se situe à la croisée de deux influences
distinctes, mais complémentaires. S’il constitue une recherche en éducation,
impliquant le terrain scolaire, il repose également sur une collaboration avec la
communauté autochtone, dans une optique de réconciliation et de revitalisation d’une
langue en voie de disparition, la langue michif.
3 Dans cet article, nous commencerons par expliquer plus en détail le paysage sociétal et
éducatif dans lequel se situe la recherche. Nous décrirons ensuite le projet, avec sa
phase initiale impliquant la communauté métisse3 puis sa phase de recherche-action-
formation auprès des enseignants (Charlier, 2005 ; Paillet, 1994). Après nous être
présentés, nous nous concentrerons sur la collaboration spécifique que nous avons
2019b), ce à quoi les écoles ne sont pas nécessairement habituées. Enfin, le ministère
demande désormais à chaque enseignant de s’engager dans sa formation continue
pour « améliorer sa compréhension des visions du monde, des croyances culturelles,
des langues et des valeurs des Premières Nations, des Métis et des Inuits » (Alberta
Éducation, 2018 : 4). Par ailleurs, le curriculum scolaire est actuellement en cours de
révision pour une plus grande intégration des savoirs et perspectives autochtones dans
toutes les matières, de la maternelle à la dernière année du secondaire 7.
Aperçu de la recherche
Un projet de recherche axé sur la langue michif
7 Le michif peut être défini comme la « langue officielle de la nation métisse » (Canadian
Geographic, 2018 : 24). Il s’agit également d’une langue en voie de disparition (Moseley,
2010). Historiquement, cette langue est le produit de la rencontre entre les femmes des
Premières Nations, essentiellement cries, et les Européens ou Franco-canadiens,
principalement francophones, qui vivaient de la traite des fourrures. Les différentes
variantes du michif qui co-existent constituent un continuum de pratiques
linguistiques dans lesquelles le français et la langue crie sont plus ou moins prégnants.
Le « michif français » (Canadian geographic, 2018 : 25) ou « français mitchif » (Papen et
Bigot, 2010 : 201) est ainsi parfois considéré comme un dialecte du français canadien,
souvent stigmatisé comme un « mauvais français » (Canadian Geographic, 2018 : 25). À
l’autre extrémité du continuum, se trouve un michif parfois appelé « cri » qui relève
essentiellement de cette langue, avec quelques emprunts au français (Iseke, 2013). Au
milieu du continuum se trouverait une autre variante, décrite par Rosen (2008), qui
emprunte de manière relativement fixe et équilibrée au cri et au français.
8 Dans ce contexte, le postulat de notre recherche était que le michif pourrait constituer
un pont entre les Métis et les élèves des écoles francophones et d’immersion française
dont la langue d’étude est le français, dans un contexte par ailleurs anglophone
majoritaire.
Structuration de la recherche
20 Pour Bourassa et al. (2012 : 20), la recherche collaborative (RC) comprend 3 sphères
d’intervention, la première étant la structuration, à savoir « l’ensemble des
interventions réalisées pour qu’un projet de RC voit le jour et soit structuré de manière
à favoriser l’atteinte des objectifs de la recherche ». Ainsi, en tant que chercheure, nous
avons préparé la démarche et les ressources pédagogiques à expérimenter dans un
cadre que nous jugions réaliste, basé sur nos connaissances didactiques, notre analyse
du curriculum ainsi que nos savoirs quant au milieu éducatif immersif. Un ensemble de
négociations sont néanmoins nécessaires afin d’affiner un tel projet. Il s’agit en effet
que celui-ci réponde aux besoins réels du terrain. C’est pourquoi nous avons travaillé
ensemble, enseignant et chercheure, afin d’élaguer le matériel pédagogique et de
choisir les activités qui correspondaient le mieux au niveau des élèves, priorisant
également certains objectifs d’apprentissage en fonction de la planification annuelle
prévue par l’enseignant. Les connaissances de l’enseignant quant à ses élèves ont
permis par ailleurs d’adapter les interventions pédagogiques au rythme
d’apprentissage de la classe, de prévoir les adaptations nécessaires pour des pratiques
de classe inclusives prenant en compte les besoins spécifiques de certains élèves. Par
exemple, pour l’activité perlage12, les troubles de l’attention de certains élèves nous ont
amenés à décider, en concertation, de préparer fils et aiguilles en avance et d’insister
sur une difficulté technique à contourner plutôt que de confronter les élèves à une
situation de résolution de problème, comme prévu initialement. Si l’objectif
linguistique est perdu de vue (utiliser, en langue seconde, les connecteurs logiques
permettant d’exprimer la résolution de problème), les connaissances pragmatiques de
l’enseignant quant à sa classe ont permis que l’activité se déroule sans heurt.
21 Par ailleurs, les connaissances de l’enseignant quant à son milieu institutionnel
apparaissent essentielles pour le bon déroulement du projet. Une recherche-action-
formation est en effet une recherche située, en prise avec des réalités institutionnelles
dont le chercheur ne peut avoir de connaissances préalables puisqu’elles sont propres à
une institution (une école) à laquelle il n’appartient pas. Dans certaines écoles, par
exemple, la direction scolaire peut vouloir avoir un droit de regard sur les
interventions pédagogiques extérieures, au-delà de l’autorisation préalable donnée.
Ainsi, dans notre cas, nous avons dû restreindre le temps accordé au projet et le
concentrer sur quelques sessions pour répondre à la crainte du directeur d’école qu’il
n’empiète trop sur la progression scolaire des élèves. Comme observé par Bourassa et al.
(2012), les cheminements prévus en recherche collaborative sont souvent amenés à être
repensés. Aussi, après que le directeur a par la suite assisté à une session
d’enseignement et donné une rétroaction très positive sur le projet, nous avons pu
constater l’importance de mieux expliciter les dimensions interdisciplinaires et
curriculaires du projet pour en augmenter l’attractivité et accroitre les chances que la
démarche, à terme, puisse se diffuser à plus large échelle.
impliqués dans l’expérimentation en salle de classe, qui ne se sont engagés qu’à une
formation minimale via une plateforme d’autoformation en ligne, la chercheure porte
une responsabilité directe vis-à-vis de l’aînée et du savoir partagé.
30 Parmi les dérives possibles, on mentionnera le risque que les ressources pédagogiques,
au fil de leur diffusion, soient coupées de leur connexion avec l’épistémologie
autochtone, quand la prise en compte de celle-ci fait partie de la responsabilité directe
du chercheur. Dès lors, il est essentiel que le dispositif soit partagé sur des réseaux
professionnels et autochtones cautionnés par les communautés impliquées et que les
ressources créées circulent dans le milieu scolaire accompagnées d’informations
pertinentes pour éviter que le matériel soit utilisé de manière superficielle et
décontextualisé. Il est également essentiel que les enseignants soient sensibilisés aux
pratiques éthiques relatives à l’éducation autochtone afin d’éviter toute situation indue
d’appropriation culturelle. Au-delà de l’utilisation des ressources développées dans le
cadre de ce projet, il s’agit de susciter une prise de conscience plus large quant à
l’intégration des perspectives autochtones. Comme le souligne Battiste (2007 : 114) :
« Le défi, pour les éducateurs, demeure donc le suivant : être capable de réfléchir de
manière critique sur le système éducatif actuel en se posant la question de savoir
quel savoir est représenté à l’école, qui décide de ce qui est offert, quels
apprentissages sont valorisés, qui en bénéficie, et de manière plus importante
encore, en quoi tout ceci est (ou pas) le résultat d’un processus éthique, approprié
(n.t.) ».
31 Ainsi, dans le cadre de notre dispositif, les enseignants expérimentant le matériel
pédagogique sont encouragés à créer des connexions avec les communautés
autochtones locales, afin de créer ce tissu de relations et d’engagements réciproques
autour de la revitalisation des langues et cultures et de la décolonisation des savoirs
dans les écoles. C’est ainsi que R. Beauparlant a commencé à développer ses propres
relations avec la communauté métisse de Grande Prairie. À terme, au-delà du projet
d’éveil au michif expérimenté, on vise l’autonomisation et le renouvellement des
pratiques enseignantes, en collaboration avec les communautés, dans une optique de
relations durables et de réconciliation.
32 Enfin, on soulignera simplement, au niveau de la diffusion des connaissances,
l’importance, dans notre contexte, « de présenter et diffuser des résultats qui aient une
résonnance dans les deux cultures » (Desgagné et al., 2001 : 57). Ainsi, s’il est essentiel
de communiquer dans la communauté scolaire francophone et francophile pour
rejoindre le public des enseignants et les accompagner dans le renouvellement de leurs
pratiques, la responsabilité de la chercheure, en lien avec différents organismes et
membres de la communauté, sera également de diffuser la recherche de manière à
répondre à l’objectif de revitalisation linguistique posé par cette communauté.
Conclusion
33 En collaboration avec divers partenaires Métis, cette recherche vise à participer à la
revitalisation d’une langue autochtone en voie de disparition, le michif. La
collaboration avec le milieu scolaire permet quant à elle de faire résonner la voix des
Métis auprès des jeunes Canadiens, dans le contexte de la réconciliation. Dans cet
article, nous avons voulu mettre en évidence quelques-unes des articulations
complexes entre savoirs enseignants et savoirs académiques, mais aussi entre postures
et savoirs occidentaux et autochtones, l’accent étant mis sur la complémentarité mais
aussi sur l’éthique. Alors que le dispositif pédagogique doit être expérimenté dans les
prochaines années auprès de davantage d’élèves autochtones17, on ne manquera pas de
s’intéresser à la singularité de ces nouvelles expériences dont on anticipe qu’elles
seront enrichies de perspectives socioculturelles et épistémologiques renouvelées.
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Cet article a été rédigé intégralement par E. Lemaire, avec l’approbation préalable de C. Howse.
Il a été discuté puis relu par R. Beauparlant avant soumission.
2. This article has been written by E. Lemaire with previous authorization by C. Howse. The text
has been discussed and reviewed by R. Beauparlant before submission.
3. Au Canada, la Constitution reconnaît trois peuples autochtones distincts : les Premières
Nations, les Métis et les Inuits.
4. Le féminin est utilisé en référence à l’auteure, le masculin « chercheur » quand il s’agit de la
généralisation.
5. Les aînés ou gardiens du savoir autochtones ne sont pas nécessairement des personnes âgées
mais des personnes possédant une sagesse et des connaissances culturelles ou traditionnelles qui
sont reconnues par les communautés dont ils font partie (Alberta Teachers’Association, 2019b ;
Herman, 2011).
6. Il serait impossible de mentionner ici l’ensemble des lois et actes discriminatoires subis de
façon systémique par les communautés autochtones au cours de l’histoire et de manière
contemporaine. Soulignons toutefois les conclusions du récent rapport sur les femmes et filles
autochtones disparues qui conclut au génocide (National Inquiry into missing and murdered
Indigenous Women and Girls, 2019).
RÉSUMÉS
Dans cet article1, ancré dans le contexte canadien de la réconciliation avec les peuples
autochtones, nous détaillons un projet de recherche-action-formation impliquant à la fois, en
amont, une aînée métisse et, en aval, un groupe de 4 enseignants œuvrant à l’élémentaire. Nous
nous arrêtons sur les pratiques entre la chercheure et un enseignant spécifique d’une part et sur,
d’autre part, la posture de la chercheure qui, à travers le projet de recherche proposé, crée un
pont entre les communautés scolaires et les communautés autochtones concernées. Ce texte
entend ainsi mettre en évidence quelques-unes des articulations complexes entre savoirs
enseignants et savoirs académiques, mais aussi entre postures occidentales et autochtones,
l’accent étant mis sur la complémentarité mais aussi sur l’éthique.
In this article2, grounded into the Canadian context and into the ongoing reconciliation process
between Indigenous and non-Indigenous Peoples, our intent is to discuss a collaborative research
involving both a Métis Elder and a group of school teachers. On the one hand, we discuss the
complementarities and practicalities implied by the collaboration between the researcher and a
specific teacher involved in the research. On the other end, we discuss how the researcher can
support building a bridge between local school and Indigenous communities. This text aims to
highlight a few complex articulations between teacher and academic knowledge, as well as
between Western and Indigenous postures, emphasizing the principle of complementarity and
the importance of ethical practices.
INDEX
Keywords : indigenous, language awareness, teacher training, intercultural, plurilingualism
Mots-clés : autochtone, éveil aux langues, formation, interculturel, plurilinguisme
AUTEURS
EVA LEMAIRE
University of Alberta
Eva Lemaire est professeure agrégée à la faculté Saint Jean et professeure adjointe à la faculté
d’éducation (Department of Educational Policies Study) de l’Université de l’Alberta. Son expertise
de recherche est orientée en éducation interculturelle et éducation à la justice sociale. Ses plus
récents travaux portent sur l’intégration des savoirs et perspectives autochtones au niveau de la
formation des futurs enseignants en contexte francophone minoritaire et au niveau des écoles
élémentaires. lemaire[at]ualberta.ca
RENÉ BEAUPARLANT
École Montrose, Grande-Prairie
René Beauparlant est enseignant à l’école Montrose de Grande Prairie (Alberta). René est
originaire du Québec et vit dans l’Ouest Canadien depuis 2012. Très impliqué dans la
francophonie albertaine, il est président de l’Association Canadienne Française de l’Alberta au
niveau de la région de Grande Prairie ainsi que président du Conseil français, un des 21 conseils
de spécialistes de l’Alberta Teachers’ Association.
Rene.Beauparlant[at]gppsd.ab.ca
CÉCILE HOWSE
Cécile Howse, née Boucher, est Métisse et vit à Kikino, en Alberta. Sa famille, de descendance
dénée, crie et francophone, est établie dans la région de Lac La Biche depuis plusieurs décennies.
Cécile fut l’épouse de Marshall Howse, avec qui elle a eu dix enfants. Elle est la fille de Vital
Boucher et de Madeleine McDonald. Son grand-père paternel se nommait Francis Boucher et sa
grand-mère paternelle, Josette Lavallée. Ses grands-parents maternels s’appelaient William et
Caroline McDonald.
Expériences de recherches-
collaboratives au service de
l’éducation en situation
postcoloniale : enjeux, scientificité
et légitimité
Claire Colombel-Teuira et Véronique Fillol
NOTE DE L’ÉDITEUR
Avec la contribution de Vahimiti Bousquet, enseignante, maitresse d’accueil, Nouméa
CCT et VF ont collaboré ensemble à plusieurs programmes de recherche
sociolinguistique mettant en lumière la complexité des dynamiques de contacts de
langues et de cultures. Elles travaillent conjointement à une meilleure
contextualisation didactique des enseignements en NC, notamment en créant des outils
d’éveil aux langues-cultures océaniennes ou en accompagnant des pratiques innovantes
ou des recherches-actions-interventions en contexte scolaire.
Désignation a posteriori du
(2ème) Expérimentation2 Recherche-action-intervention
programme de recherche
Recherche pluridisciplinaire et
Forme de recherche Recherche-action-intervention
dimension comparée
Références théoriques
Partiellement (travaux de J.
partagées entre les Totalement
Cummins notamment)
chercheur.e.s
Enseignante impliquée,
Démarche collaborative et
Méthodologie3 Quantitative et qualitative
interprétative
Pour conclure
29 Les deux recherches présentées illustrent bien les tensions habituelles entre les
différents courants en recherche en éducation (ou plus largement en SHS) qui opposent
parfois scientificité/éthique, « hors-sol » /impliqué. Ces types de recherches sont
complémentaires en matière de production de savoirs comme en termes d’enjeux
sociaux, mais très différents en termes de positionnement et d’implication : faire de la
recherche qualitative implique finalement de remplacer les concepts de « quantité,
objectivité, neutralité, généralisation, représentativité », par ceux de « qualité,
pertinence, cohérence, argumentation, rigueur, appropriation, sens et sujet » (Vatz
Laaroussi, 2007 : 11).
30 Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, le projet ECOLPOM avec la duplication de résultats
internationaux participe à la déconstruction de stéréotypes, hérités de la période
coloniale (Colombel, 2012). Si on se positionne dans une optique de formation des
enseignants, il semblerait que les recherches implicantes, comme le projet Je lis, j’écris le
monde, favorisent le changement à long terme (cf. les travaux de K. Lewin dans les
années 1940 sur la dynamique de groupe).
31 Une des finalités majeures de nos recherches en sociodidactique est de contribuer au
développement d’une perspective plurilinguistique pour une école plus inclusive des
pratiques langagières des élèves (Clerc et Fillol, 2014). Nous pensons que l’éveil aux
langues à l’école calédonienne peut être un moyen de valoriser les plurilinguismes, de
légitimer les approches inclusives des enseignants et d’envisager d’autres moyens
d’entrer dans la lecture. L’ambition de ces projets est aussi de contribuer non
seulement à la décolonisation des savoirs concernant les dynamiques plurilingues en
contexte scolaire mais plus encore à l’émancipation des outils de l’école
(Razafimandimbimanana & Favard, 2018 : 331). Ainsi, si plusieurs enseignants étaient
concernés dans le programme Ecolpom et une seule pour je lis, j’écris le monde,
paradoxalement, seule V. Bousquet, désormais maitresse-formatrice, contribue par son
action collaborative avec les enseignants de sa circonscription à une diffusion à plus
grande échelle de la réflexion didactique co-construite, avec comme outils et
compétences : une meilleure conceptualisation de la lecture-écriture (en contexte dit
sensible), une ingénierie pour la pédagogie différenciée et le renforcement de son
identité professionnelle.
32 Nous faisons le constat de l’échec d’une transposition didactique qui ferait/fait le trajet
savoir savant, décideur institution et classe-société (autrement dit l’échec du modèle
« applicationniste ») pour d’autres formes de recherche en éducation, en particulier, la
recherche-collaborative sur le principe d’équité des savoirs et partages d’expériences
par la mise en commun de valeurs, de concepts, de connaissances, d’analyses, et la co-
construction d’outils pour la classe.
Vatz Laaroussi, M. (2007). La recherche interculturelle : une recherche engagée ? Recherches
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NOTES
1. C’est nous qui soulignons. On ne trouve aucun équivalent dans l’ensemble du corpus de textes
institutionnels calédoniens. Le Projet Educatif de la Nouvelle-Calédonie (PENC) à titre d’exemple
comprend trois occurrences du terme « diversité », à propos de diversité des publics : https://
denc.gouv.nc/textes-de-reference/le-projet-educatif-de-la-nouvelle-caledonie.
2. 2ème expérimentation pour souligner la continuité avec la première « expérimentation de
l’introduction des langues kanak à l’école » (titre officiel) mise en œuvre sous la direction
scientifique de C. Lercari (2002 à 2004) et financée par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
avec une évaluation confiée à des chercheures extérieures à la Nouvelle-Calédonie (Salaün, 2005 ;
Nocus et al., 2005).
RÉSUMÉS
En revenant sur deux programmes de recherche (d’ampleur très différente) concernant
l’inclusion des langues océaniennes dans le contexte diglossique calédonien, nous proposons
d’expliciter et d’analyser les processus et les implications de la co-élaboration des savoirs. Cette
comparaison soulève et éclaire des questions épistémologiques et éthiques. La recherche-action
en éducation ne peut se construire que sous la forme d’un travail coopératif entre enseignants en
formation, enseignants en exercice et enseignants-chercheurs appartenant à des champs
disciplinaires divers. Cependant, le rapport entre équipes de recherche et personnel enseignant
est toujours un équilibre fragile (Nusbaum, 2008 : 127). De plus, l’activité de recherche constitue
un acte d’exercice de pouvoir, dans ce sens qu’elle construit des réalités sociales et les légitime à
travers sa vulgarisation parfois sans l’accord des individus. La recherche-action-intervention
nous paraît donc plus efficiente sur le plan éthique et sur celui de la construction des savoirs.
Through the description of two (notably different) research programs dedicated to the inclusion
of Oceanian languages in New Caledonia’s diglossic context, the aim of this paper is to study the
processes and implications of co-development when it comes to building knowledge. This
comparison raises and enlightens many epistemological and ethical questions. We believe action
research in education should be built as in cooperative approach gathering teachers in training,
practicing teachers and researchers from various disciplinary fields. However, the relationship
between research teams and teachers is still fragile (Nusbaum, 2008: 127). In addition, research
implies an act of power as it constructs social realities and legitimizes them through scientific
popularisation (Heller 2002) sometimes without everyone’s consent. Action research that
integrates interventions seems more efficient to us on both ethical values and the construction of
knowledge.
INDEX
Keywords : collaborative research, situated didactics, multilingualism, multiliteracy, co-
involvment
Mots-clés : recherche-collaborative, sociodidactique, plurilinguisme, pluri-littéracie, co-
implication
AUTEURS
CLAIRE COLOMBEL-TEUIRA
Institut de Formation des maîtres de la Nouvelle-Calédonie, Eralo
Claire Colombel-Teuira est enseignante-chercheure et formatrice à l’institut de formation des
maitres de la Nouvelle-Calédonie et membre associée à l’équipe Eralo de l’université de la
Nouvelle-Calédonie. Ses travaux sociolinguistiques et sociodidactiques portent sur les thèmes des
contacts de langues et du plurilinguisme, la contextualisation didactique, les langues objets et
moyens d’enseignement et les interactions verbales.
colombel.claire[at]gmail.com
VÉRONIQUE FILLOL
Université de la Nouvelle-Calédonie, Eralo
Maître de conférences en sciences du langage (HDR) à l’Université de la Nouvelle-Calédonie,
Véronique Fillol tente d’articuler l’analyse sociolinguistique à la didactique des langues-cultures.
Ses travaux portent sur la description des plurilinguismes, la glottopolitique, les violences
normatives, la didactique du français langue de scolarisation et la formation des enseignants en
contexte plurilingue.
veronique.fillol[at]univ.nc
Saisir le flou ?
Traits définitoires
6 Les pratiques sont emblématiques des recherches collaboratives. Peu importe le stade
de recherche auquel on se trouve et l’objectif affiché F02D observer, comprendre, analyser,
Accentuer le flou
14 Nous nous appuyons ici sur plusieurs de nos expériences de recherche (thèses,
dispositif élaboré autour des questions de langues et insertions), toutes ancrées dans un
paradigme qualitatif et interprétatif, où l’importance des autres participe pleinement
de toute compréhension (Lorilleux, 2015 ; Lebreton, 2017). Nous en présentons les
éléments qui nous semblent pertinents pour la discussion, en mettant en évidence les
limites que nous voyons à l’élan taxinomique et en soulignant la centralité, dans ces
expériences, de la rencontre altéritaire.
15 Notre écriture commune ne peut laisser se confondre nos voix, nos regards, nos
expériences. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’utiliser l’italique, précédé des
initiales de l’énonciatrice (E.L. pour Emilie Lebreton et J.L. pour Joanna Lorilleux) pour
marquer les passages où le croisement, le frottement de nos expériences fait sens. Les
passages sans italiques correspondent à des compréhensions partagées des
phénomènes présentés.
16 JL : Professeure des écoles auprès d’élèves allophones nouvellement arrivés, j’ai été mise en
recherche par la rencontre d’élèves auxquels mon savoir-faire pédagogique, j’en avais le
sentiment, n’était pas adapté. Face à ce sentiment, j’ai cherché à comprendre ce qui, au-delà des
techniques pédagogiques mises en œuvre, pouvait jouer dans ce qui m’apparaissait comme une
non appropriation de la lecture et de l’écriture en français. Ma mise en recherche trouve sa
source dans des situations de classes jugées inopérantes par la praticienne que j’étais, mais aussi
dans l’expérience partagée avec ces élèves, qui me permettait de comprendre que le problème ne
se limitait pas à une question de technique pédagogique. A cette première rencontre s’ajoute une
autre expérience d’abord déstabilisante : celle de l’animation de formations d’enseignants où les
alternatives présentées ne trouvent pas d’écho favorable chez les participants. Cela m’a poussée
à proposer à l’une des collègues présentes de mettre en place, au sein de sa classe, des séances
d’arts plastiques, comme chemin détourné vers l’appropriation de l’écriture en français. Mise en
place que j’ai également proposée à une enseignante du réseau FLS d’Indre-et-Loire au sein de sa
classe NSA de collège. Ces propositions ont été concomitantes avec mon inscription en thèse de
doctorat et ont servi de base à ma recherche.
17 Cette recherche de thèse part donc de besoins identifiés par des professionnels :
• praticienne mise en recherche par ses élèves ;
• formatrice collaborant avec une enseignante pour remédier à une situation de classe jugée critique ;
• collègues enseignantes – dont une apprentie-chercheure - proposant des activités moins scolaires à des
élèves non scolarisés antérieurement, pour varier les approches de classe.
18 Ici la praticienne, la formatrice et l’apprentie-chercheure ne font qu’une, et ces statuts sont
identifiés pour la seule lisibilité du texte. Aux observables élaborés au sein de classes de collège,
se mêlent mes savoirs d’expérience (mes intuitions ? mon expérience-même) de chercheure
professeure des écoles auprès d’élèves allophones.
19 Enfin, cette recherche s’est menée en collaboration avec différents acteurs, de statuts différents :
• les élèves des classes où ont pris place les ateliers proposés ;
• les enseignantes de ces classes, chacune entretenant une relation singulière avec la chercheure.
20 Ces éléments m’amènent à qualifier cette recherche :
• de « recherche collaborative », parce qu’elle mobilisait les savoirs d’expérience des autres participants
à la recherche (enseignants et surtout aussi élèves, dont les réactions, les façons d’être, et les récits
constituent les briques de construction de la recherche) ;
• de « recherche-intervention », parce qu’elle visait à améliorer une situation didactique vécue comme
inadaptée (par l’enseignante de SEGPA qui se sentait démunie face à ses élèves « allophones ») ;
• de « recherche-action », parce qu’y était mis en place un dispositif alternatif.
21 EL : L’expérience présentée ici par Joanna apporte des éléments de réponse aux questions et
observations formulées précédemment (1.2). À l’instar de plusieurs chercheurs en DDL la mise en
recherche s’est réalisée au cours d’une expérience d’enseignement. Plus précisément, il s’agissait
pour Joanna selon les termes d’Y. Bonny « d’être en recherche » au sens d’être confrontée à une
situation insatisfaisante. Par la suite, sa « mise en recherche » s’est réalisée de diverses
manières : en s’impliquant dans une formation et dans la mise en place d’une forme de
recherche-action qui s’est développée en « faisant de la recherche », par l’élaboration d’une
étude doctorale discutée et reconnue par la communauté scientifique, » respectant les canons en
vigueur du référentiel scientifique, dont les chercheurs professionnels sont les experts et les
garants » (Bonny, 2015 : 2). Plus que de simples étapes correspondant à des formes précises de
recherches collaboratives, ces distinctions rappellent que les praticiens peuvent déjà être dans
une démarche de réflexion et de recherche sans nécessairement être impliqués dans un dispositif
formel de recherche. Mettre en évidence ce type d’implicite influe sur la manière de concevoir la
recherche et de la faire. En outre, la mise en recherche, évoquée plus haut, résulte de rencontres,
de collaborations avec d’autres personnes : apprenants, enseignants, experts, amis à l’occasion.
Le fait de le mentionner, et de le souligner ici, permet de rappeler qu’en dehors des recherches
collaboratives « officielles », institutionnalisées, il se passe des choses 4 qui ne sont pas
nécessairement inscrites dans le carcan du « référentiel scientifique ».
22 Mettre en regard nos expériences nous permet de déplacer le projecteur sur des
acteurs qui demeurent parfois au second plan ou maintenus dans un rôle de praticien,
et de souligner qu’à travers leurs expériences, réceptions et réactions, ils participent au
développement des recherches et transforment nos pratiques professionnelles de
chercheurs.
23 EL : Soucieuse d’intégrer le point de vue des autres et d’articuler la réflexion à l’action, j’ai
souhaité travailler étroitement avec des professionnels et des apprenants pour bousculer leurs
regards et mettre en mouvement mes propres questionnements. Si le projet de thèse auquel je
répondais visait à optimiser les pratiques de formation, j’ai préféré réfléchir avec les acteurs de
la recherche à des propositions didactiques alternatives portant sur les manières d’être dans les
situations d’enseignement-apprentissage et leurs répercussions sur les manières d’agir. J’ai alors
déployé une méthodologie plurielle offrant la possibilité de mobiliser les savoirs d’expériences des
professionnels, d’analyser leurs pratiques en s’y confrontant, y compris à partir des observables
construits avec les apprenants. Les pratiques ont constitué un tremplin, un prétexte ou encore
un élément déclencheur à nos réflexions. Des rencontres ont également été provoquées par
l’organisation et notre participation conjointe à des ateliers interprofessionnels, tant sur la rive
droite du fleuve où se trouve l’université, que sur la rive gauche où les centres de ressources et de
formation sont majoritairement implantés. Pour ma part, il s’agissait de faire se rencontrer les
acteurs ; de favoriser un espace d’échanges ; de créer un réseau de travail et de réflexion. Au-delà
d’une réflexion enrichie par croisements de regards et d’expériences, cette manière de chercher
est agréablement inconfortable. Ainsi, lors d’ateliers pédagogiques organisés par des
professionnels pour leurs pairs, les vives réactions engendrées par les présentations des
chercheures et les discussions qui ont suivi sur l’absence de réponses immédiates, d’outils clés en
main et des prescriptions « farfelues et déconnectées de la réalité », sont de précieux éléments
pour réfléchir au sens de nos actions.
24 JL : L’expérience présentée ici par Emilie a tous les atours d’une recherche collaborative : des
praticiens sollicitent des chercheurs, la Région finance une thèse dans la perspective de mobiliser
une diversité d’acteurs (de « terrain » - praticiens - et « hors sol » - chercheurs-) dans le but
d’améliorer son action formative envers les migrants. La chercheure y fait l’expérience
inconfortable d’une forme d’incommunicabilité. L’attention portée à la réception, par les acteurs
de terrain, des propositions finalement énoncées par des universitaires semble mettre en
évidence des éléments parfois tus sur les recherches collaboratives : les relations entre les
participants à la recherche sont pour beaucoup dans la réussite des projets, dans la pérennité et
l’appropriation des connaissances construites à travers ces recherches. Cet inconfort relatif est
pourtant mis à profit par la chercheure qui choisit de s’engager dans une réflexion sur ce qui lui
permettrait de « tenir » (Gaspar, 2012) les deux bouts, voire d’en attraper un autre.
25 Ces deux premiers exemples nous permettent a) d’illustrer les limites de la classification
définitoire des recherches collaboratives et b) de percevoir les limites de la réception de certaines
de ces recherches dites « collaboratives », qui ne parviennent pas (toujours) à produire des
résultats validés par les deux parties engagées : « praticiens » et « chercheurs ».
26 Loin de nous décourager, ces éléments de déconstruction des représentations sur les recherches
collaboratives nous ont poussées à nous engager ensemble sur d’autres voies, attachées que nous
sommes aux deux rives de ces recherches : la pratique et la réflexion théorique, en quête, à notre
tour, d’ « une autre manière de chercher » (Mesnier & Missotte, 2003).
dans le domaine du français en contexte migratoire. Nous avons choisi de nous lancer
dans l’élaboration d’un site internet proposant une ouverture réflexive aux personnes
qui nous liraient. Les dimensions collaboratives de cette expérience résident dans le
fait que nous avons souhaité soumettre notre travail à des partenaires issus du milieu
associatif6, afin d’améliorer la réception de notre site auprès du public auquel nous
avions pensé l’adresser. Ce travail procède d’un va-et-vient entre :
• des savoirs construits avec des praticiens et des « usagers » des cours de français (nous
avons utilisé pour concevoir les contenus du site des questionnements et des savoirs issus –
entre autres F0
2D de nos thèses) et
• la réception de ces éléments par d’autres praticiens, réception produisant elle-même des
effets sur le positionnement et la présentation de ces savoirs.
29 C’est en quelque sorte un mouvement de retournement de la demande habituellement
formulée dans les recherches collaboratives, dans la mesure où nous, universitaires,
avons souhaité échanger avec des praticiens pour améliorer notre pratique de
professionnels de la recherche (sur le plan notamment de la diffusion des
connaissances).
30 Cette collaboration avec des praticiens trouve une forme de prolongement dans un
autre dispositif pensé dans un même élan de collaboration, mais sans lien direct avec le
QUILT : les ateliers interprofessionnels.
31 Comme le QUILT, ces ateliers procèdent de notre volonté de croiser des regards de
praticiens et de chercheurs sur des questions communes dans le cadre de la formation
linguistique des migrants, pour affiner les compréhensions – par chacun F0 2D 20 de ces
F0
phénomènes. Nous nous sommes saisies de l’occasion d’un colloque 7 organisé par notre
équipe de recherche pour inviter des professionnels, des bénévoles et des usagers 8 du
FLE/S ainsi que les participants au colloque à venir échanger sur la notion d’insécurité
linguistique. Ce colloque a constitué le premier jalon d’un cycle d’ateliers qui se
poursuit, autour de notions clés du champ de la formation linguistique pour migrants
(in/sécurité linguistique ; langues – insertions – terrains d’intervention ; engagement ;
diversité). Le succès rencontré par ces ateliers fait naitre une dynamique d’échanges
propice à alimenter nos réflexions théoriques sur le domaine, mais aussi sur le rôle et la
place que nous occupons, comme chercheures, dans la société.
32 Ces deux expériences mobilisent de façon croisée les savoirs dits savants et
d’expérience autour d’un champ de recherche ; y participent des praticiens, des usagers
(minoritairement, toutefois à ce stade) et des chercheurs. Ces croisements stimulent la
réflexivité des uns et des autres qui se laissent interroger, déplacer par les altérités
perçues. L’altero-réflexivité9 (Robillard, 2007 ; Bretegnier, 2009 ; Feussi, 2010, 2018) à
l’œuvre apporte au caractère collaboratif qui influe ainsi sur les pratiques … de
recherche.
33 A la différence de ce qui est d’usage dans les recherches collaboratives, ce sont ici les
chercheures qui ont sollicité l’expertise (ou les savoirs) des « praticiens », en leur
soumettant tantôt les contenus élaborés dans le QUILT, tantôt des concepts construits
par des chercheurs, et ce dans l’optique de se confronter à la réception de personnes
occupant d’autres « fonctions », d’autres rôles, et de tenir compte de leurs retours pour
faire évoluer, ensemble, ces projets. Du reste, les rencontres proposées se déroulent sur
36 Si, comme nous, l’on admet cette diversité des interprétations comme indépassable,
parce que toujours inscrite dans une histoire singulière, orientée vers un projet
particulier, et s’élaborant dans une conceptualité propre, cela interdit – en théorie – la
possibilité d’une co-énonciation de savoirs. En effet, dans les exemples que nous avons
mobilisés, nous repérons aisément des éléments qui échappent aux différents
participants : les « praticiens », les « chercheurs » ou les « usagers 10 » s’approprient les
concepts travaillés en les nouant à leur propre expérience, en les orientant vers leurs
propres projets de compréhension. Ceci nous amène à penser que toute (nouvelle)
connaissance est toujours-déjà métissée : toute connaissance, s’inscrivant dans la
corporéité, dans l’imaginaire, dans l’histoire, dans les visées de celui qui l’énonce,
comme de celui qui la reçoit est nécessairement en partie expérientielle :
« Dès lors, le sens est à concevoir non seulement comme pluriel car expérientiel,
perçu différemment par chacun, mais aussi comme pétri d’altérité et, de ce point de
vue, au moins partiellement « inaccessible » (...). Plus exactement, cette altérité
fondamentale suppose des formes de traduction, qui ne peuvent pas passer par des
procédures technicisées et reproductibles (i.e. des outils, des protocoles, des
démarches) mais par l’instauration d’une relation et d’un projet (au moins
partiellement partagé). La réflexivité occupe par conséquent une position centrale,
« en tant que processus de constitution du sens des autres solidairement par
transformation à partir du nôtre (…), [pour] susciter des conflits productifs en cela
que nos propres repères implicites sont instabilisés et visibilisés si nous parvenons
à imaginer que d’autres créent du sens pour être de manière très différentes de la
nôtre jusqu’alors » (Robillard, 2013 : 53) » (Castellotti, et al, 2017 : 69).
37 La question des protocoles de recherche, des dispositifs collaboratifs se voit ici déplacée
sur le plan de la relation entre les participants, qui doivent être en mesure
d’instaurer un projet « au moins partiellement partagé ».
38 Cette perspective amène une autre question au moins : est-il possible de décréter
l’instauration d’une relation et d’un projet commun dans un cadre institutionnel qui
pousse de plus en plus le monde académique à collaborer avec des « professionnels »
pour répondre à des besoins exprimés dans une « demande » ? Autrement dit, peut-on
(ou suffit-il de) penser un dispositif collaboratif au sein duquel « on » ferait travailler
ensemble des praticiens forts de leurs savoirs d’expérience et des chercheurs forts de
leurs savoirs théoriques et savoir-faire, autour d’un problème identifié en amont, pour
parvenir à produire des connaissances nouvelles « coénoncées » par les participants à
la recherche ?
39 Nous avons montré plus haut que la distinction entre praticiens, chercheurs, et usagers
n’est que partiellement pertinente, nous pourrions souligner à présent cette évidence :
l’altérité n’a pas nécessairement besoin de statuts professionnels différents pour se
faire jour. Praticiens, chercheurs, usagers, une même personne peut avoir fait
l’expérience de ces trois statuts, et en viendra donc probablement à mobiliser des
connaissances issues de toutes ces expériences pour construire de nouvelles
connaissances. Attention, il ne s’agit pas pour autant d’homogénéiser ces statuts, mais
bien de reconnaitre une fluidité, une perméabilité et de souligner le caractère mouvant
des « connaissances » produites dans le cadre de ce type de recherches. Cette diversité
des statuts, des expériences, mène à des significations toujours nécessairement diverses
elles aussi, du fait même de leur inscription dans les expériences des participants.
40 Autrement dit, dans cette perspective, les recherches collaboratives ne peuvent pas
vraiment parvenir à une co-énonciation des savoirs. Elles peuvent « co-construire des
significations », à condition que l’on admette que ces significations ne sont jamais tout
à fait les mêmes pour chacun des participants, qui peuvent s’accorder plus ou moins
implicitement ‒ dans une disposition ouverte à l’autre ‒ sur une forme de consensus
fictionnel. En partie fictionnel, certes, mais indispensable pour parvenir à la
transformation de chacun. Finalement plutôt que de chercher à « co-construire » des
connaissances, ce qui risquerait de mener à une imposition à l'autre (si minime soit-
elle) du sens construit par l’un, nous optons pour une forme de collaboration qui
assume la possibilité d’une transformation réciproque.
relation entre les participants, à la nature des savoirs issus de ce type de recherches, et
aux dimensions antéprédicatives qui les innervent. Autant de réflexions qui nous
amènent à présent à nous interroger de nouveau : qu’est-ce qui nous permet de nous
positionner face au paradigme des recherches collaboratives ? Des protocoles de
recherche ? Les méthodologies déployées ? Sans doute non, ceux-ci étant en partie
invalidés par l’importance que nous avons souhaité accorder aux dimensions
antéprédicatives : les relations humaines, la disposition à se laisser transformer lors de
rencontres altéritaires, « ça ne se commande pas ». Alors quoi ? Au risque de formuler
une tautologie, disons qu’une recherche collaborative, c’est une recherche qui se fait
avec des autres, qui porte en soi une hétérogénéité de compréhensions, et que l’on ne
peut viser à réduire cette hétérogénéité dans l’homogénéisation du sens.
BIBLIOGRAPHIE
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pédagogie, 103, 5-18.
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global et enjeux locaux, Bruxelles : P.I.E.-Peter Lang, 49-76.
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plurilingue et défavorisée », dans : Briquet S. (dir.) Enseignement-apprentissage de la lecture,
Carrefour de l’Éducation n° 46, 15-26.
NOTES
1. Nous faisons principalement référence aux travaux de chercheurs francophones souhaitant
conceptualiser les recherches collaboratives, notamment en interrogeant leurs enjeux, limites et
perspectives.
2. A titre d’exemples : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Langue-francaise-et-
langues-de-France/Politiques-de-la-langue/Langues-et-numerique/Appel-a-projets-national-
Langues-et-numerique-2017 (consulté le 12/02/2020) et http://ife.ens-lyon.fr/lea/le-reseau/
@@carte_des_leas (consulté le 12/02/2020). Voir également à ce propos l’Editorial de R. Guyon
(2018) et certains articles qui composent le n° 192 de la revue Diversité.
3. Ces typologies démultipliées risquent d’attirer l’attention des personnes qui les mobilisent sur
une forme de foisonnement d’appellations qui pourraient bien y perdre leur sens. Il nous semble
en effet plus fondamental d’en explorer les dimensions éthiques et épistémologiques que de bien
choisir l’étiquette (quitte à en créer de nouvelles au moindre frémissement de différence) qui
servira à se distinguer d’autres recherches. Ce mouvement nous amène peut-être à un manque de
précision, mais nous choisissons d’en assumer le flou.
4. Nous empruntons à J.-P. Astolfi (1993 : 9) cette belle citation de M. Serres « Combien de pêcheurs basques, à la course à la baleine, combien de
Norvégiens, de Grecs, de Phéniciens, de Bretons inconnus, avaient découvert l’Amérique et le trou vers le Pacifique, avant le savant érudit Christophe
Colomb, représentant des Rois ? Ils ne l’ont pas écrit, voilà toute l’affaire » (Serres, 1980 :60).
Le QUILT est un projet de l’équipe DYNADIV (EA4428, Université de Tours), auquel collaborent centralement L. Courtaud, E. Lebreton, J. Lorilleux
5.
et C. Rubio, et qui a été initié sous l’impulsion de V. Castellotti et E. Huver. Les ateliers interprofessionnels sont co-portés par J. Choplin, E. Lebreton et
6. Il s’agit de structures associatives impliquées de longue date dans l’intervention auprès des
personnes migrantes, et notamment dans l’enseignement du français à visée d’insertion sociale
et professionnelle. Ces partenaires œuvrent en région Centre Val-de-Loire et en Normandie.
7. Le colloque « Les « francophones » devant les normes, 40 ans après Les Français devant la
norme - L’(in)sécurité linguistique aujourd’hui : perspectives in(ter)disciplinaires », s’est déroulé
à Tours du 13 au15 juin 2018.
8. Parmi ces professionnels figurent nos partenaires de stage pour les étudiants de Master FLE/S
ainsi que des collègues ou des employeurs de doctorants de l’équipe qui sont salariés dans ces
structures, dont certains sont venus accompagnés de leurs apprenants. Cette précision vise à
témoigner de notre projet de travailler plus étroitement avec les professionnels qui participent à
la formation de nos étudiants.
9. « traduction de la dimension dialogale avec autrui qui fait prendre conscience de notre
altérité » Feussi, 2018 : 185.
10. Catégories délimitées par les statuts institutionnels.
RÉSUMÉS
Les travaux sur les recherches collaboratives en didactique des langues tendent à distinguer
divers types de recherches en fonction notamment de l’implication des différents acteurs, des
modalités de collaboration, et de la nature des connaissances construites. En déstabilisant les
catégories habituellement mobilisées dans ce paradigme à l’appui de nos propres expériences de
recherches « collaboratives », nous explorons les dimensions épistémologiques, éthiques et
relationnelles qui fondent notre engagement dans ces démarches, afin d’envisager différemment,
i.e. sous l’angle expérientiel, la manière dont les savoirs s’y construisent.
Die Arbeiten über die Kollaborativforschung im Bereich der Didaktik der Sprachen weisen darauf
hin, gewisse Kategorien der Forschung zu unterscheiden, besonders im Hinblick auf den Einsatz
der verschiedenen Akteure, auf die Formen der Mitarbeit und auf die Natur der aufgebauten
Wissen. Auf Grund unserer eigenen Erfahrungen bei der Kollaborativforschung stellen wir die
herkömmlich in diesem Paradigma mobilisierten Kategorien in Frage. In diesem Zusammenhang
erforschen wir die epistemologischen, ethischen und relationellen Dimensionen, auf welchen
unser Engagement in dieser Vorgehensweise beruht, damit wir die Wissenskonstruktion anders,
nämlich erfahrungsgestützt, in Betracht ziehen können.
INDEX
Mots-clés : recherche collaborative, engagement, éthique, épistémologie, inconfort positif
Keywords : collaborative research, involvement, ethics, epistemology, positive discomfort
AUTEURS
EMILIE LEBRETON
LPL- UMR7309
Aix-Marseille Université
Emilie Lebreton est MCF en Didactique du FLE, ses recherches portent sur l’appropriation du
français en contexte migratoire. Les recherches collaboratives menées avec les acteurs
diversement impliqués auprès de personnes migrantes engagées en formation linguistique, la
conduisent à développer des réflexions concernant : l’articulation langue(s) et insertion(s), la
dimension langagière de la scolarisation et de la socialisation, les conceptions du métier
d’enseignant/formateur de FLE/S.
emilie.lebreton@univ-amu.fr
JOANNA LORILLEUX
Dynadiv EA4428
Université de Tours
Joanna Lorilleux est MCF à l’université de Tours (SDL didactique des langues), ses recherches
concernent les situations où le français contribue à la formation des personnes qui se
l’approprient, qu’elles soient adultes ou enfants. Ancrées dans des approches qualitatives
d’inspiration phénoménologique-herméneutique, ces recherches s’articulent autour des mots
clés suivants : français langue seconde, (pluri)littératie, articulation langue(s) et insertion(s),
appropriation, approches artistiques.
joanna.lorilleux@univ-tours.fr
en scène la rencontre au sens large: rencontre avec soi, avec son nouvel espace de vie,
les autres, les publics et les arts vivants. Les collaborations école/culture sont
habituelles et les politiques nationales ou locales les encouragent vivement, en vue de
favoriser l’engagement, la motivation ou l’estime de soi des élèves, mais également
pour apaiser le climat scolaire ou participer à la cohésion sociale, pour reprendre les
termes de l’éducation nationale. École et Institution culturelle publiques partagent une
mission commune essentielle : l’éducation artistique et culturelle. Plusieurs dispositifs
existent pour cela, au-delà des disciplines artistiques inscrites dans les curricula,
notamment depuis la création du parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) 6
en 2013, que chaque élève alimente de son entrée à l’école à la fin de sa scolarité.
4 L’expérience Parlemonde 1 s’est déroulée sur l’année scolaire 2016/2017. Il s’agit pour
les participants et MA7 d’une première expérience à cette échelle, dans le sens où elle a
fait travailler ensemble de nombreux acteurs : 5 artistes sont engagés auprès de 4
établissements scolaires et d’un centre d’hébergement pour mineurs non accompagnés
soit une dizaine d’enseignants, 80 élèves et les équipes artistiques et techniques. 6
créations sont nées de ces collaborations et ont été présentées sur scène en mai 2017.
5 A l’issue de 8 mois de résidences et de 2 jours de festival, les artistes et les élèves
témoignent de leur envie de poursuivre, tout comme les partenaires éducatifs. Depuis,
Parlemonde est devenu un festival déployé en biennale intégrant tous les deux ans la
programmation de MA et instaurant une collaboration avec l’éducation nationale et les
EANA au long cours.
6 La collaboration de recherche s’est trouvé scellée un an après Parlemonde 1 à travers
deux types de conventions : la première, dans une convention industrielle de formation
par la recherche (Cifre)8 portée par MA avec l’université Paul Valéry de Montpellier. La
seconde a été signée avec le rectorat de l’académie de Besançon, permettant à la
doctorante de poursuivre les échanges avec les équipes pédagogiques et les formateurs
du CASNAV et de la DAAC, car l’un des enjeux de Parlemonde est de venir nourrir des
changements de paradigme didactique.
Définir la collaboration
13 L’expertise de chacun est requise, de façon dynamique, pour qu’une œuvre commune
naisse. Pour chacun, cette expertise évolue au contact des autres participants. Ici
l’implication des praticiens est mobilisée à chaque étape et trois niveaux de
collaboration sont requis pour créer l’œuvre qui sera présentée publiquement : une
collaboration entre responsables institutionnels (CASNAV, DAAC et structure
culturelle), une collaboration entre équipes artistiques et équipes enseignantes en
classe, une collaboration entre élèves et artistes. S’y mêle dans le même temps une
collaboration entre l’ensemble des acteurs du projet (professionnels, artistes,
enseignants, élèves) et la doctorante, qui s’intéresse à la fois à situer l’impact des
expériences artistiques dans l’appropriation d’une langue cible pour les EANA, et dans
la construction d’un geste professionnel inclusif pour les enseignants et les équipes
artistiques.
14 Pour YM, la particularité de Parlemonde a été d’évoluer avec l’impact et la force du projet. C’est
parce que tu as décidé d’en faire ta thèse et que nous nous sommes mis d’accord pour te faire
intégrer l’équipe et que nous avons commencé à penser collectivement, et c’est ainsi que le projet
a évolué pour devenir ce que nous en faisons aujourd’hui, du festival à un programme avec des
résidences, des séminaires, des publications et des productions Parlemonde, comme la prochaine
pièce de Charlotte Lagrange, L’Araignée.
15 La collaboration n’est pas une superposition ou une succession d’actions commises par
différents acteurs en jeu mais une action partagée et ses évolutions posent de
nombreuses questions, tant techniques (comment ne pas figer la collaboration ?) que
méthodologiques et déontologiques, dans la mesure où, comme le rappellent
Blondiaux, Fourniau & Mabi « « travailler avec » n’a pas tout à fait le même sens que
« travailler pour » » (2016 : 10). Elle relève d’une dynamique. L’enjeu de la recherche est
publics comme avec les artistes. Une doctorante en action était aussi un motif de réintroduction
de la pensée, auprès d’une équipe dont la majorité des membres est titulaire d’un Master.
18 On peut donc parler d’un embarquement réciproque dans une collaboration dont les
enjeux ont évolué. Les intérêts didactiques et éthiques de Parlemonde ont conduit la
formatrice CASNAV à devenir doctorante et le directeur de la scène nationale à créer
un poste de recherche –développement transversal nourrissant sa propre réflexion à la
tête de l’entreprise, son équipe et les artistes.
De la posture à la relation
Extrait 113 :
D : Comment as-tu vécu ou vis-tu notre collaboration ?
ENTA1 : Notre collaboration a modifié beaucoup de choses pour moi, petit à
petit. Tu étais dans un accompagnement jamais pédagogique et pourtant
hyper instructif. Tu m’as laissée me faire mon opinion tout en exposant ton
regard par petites pincées de sel…Et ces pincées m’ont guidée dès le début du
travail pour Sédiments et dans les réflexions politiques et dramaturgiques
qui ont suivi et qui sont à l’origine de L’Araignée… C’est aussi l’humain, c’est
une rencontre… ça passe par là, et par le temps aussi, on a pris le temps de
cette recherche en commun.
Extrait 2 :
D : Maintenant qu’on se connaît depuis 3 ans, comment tu décrirais ce que je
fais moi dans tout ça ?
ENTA2 : [19 secondes d’hésitation] Au début en fait, d’un côté c’est comme
des… ce n’est pas vraiment comme quelqu’un des NGO’s…Mais…Tu es comme
une personne qui prend aussi soin de ces jeunes, qui est attentive pour qu’ils
aient une possibilité d’autonomie ici et… aussi ailleurs en fait, et après tu es
passionnée par les langues. Je me rappelle pour Les Portes quand on a parlé
avec les élèves et cherché dans leurs langues des mots, des textes et des
proverbes, tu as amené ça ! Pour moi c’est la passion qui te définit. Tu es
21 C’est comme cela que MA fonctionne, on va chercher des collaborations AVEC des artistes pour
qu’ils m’accompagnent dans mon projet dans une relation réciproque. Je les accompagne à mon
tour de façon différenciée. Ta pratique à mes côtés t’a fait passer par cela. Ta recherche répond à
un schéma semblable et ton lien avec les artistes ou des artistes avec Parlemonde suit le même
scénario. Il me semble important de personnaliser car il y a un va et vient constant entre les
personnes et les maisons ou institutions. Mais le départ naît d’une volonté et d’un choix
personnel et subjectif qui passe par l’établissement d’un lien qui est nourrit et se développe en
complicité permettant un aller retour constant aboutissant à la production finale.
L’embarquement devient un principe empirique et subjectif de fonctionnement entre les artistes
et moi, entre toi et moi, les artistes et toi.
22 Ce lien dépasse la relation directeur- artistes- doctorante associée. Les élèves,
notamment les lycéens, ont investi la posture d’écoute et de médiation du chercheur,
certains demandant parfois à interrompre le travail avec l’artiste pour lui « parler » ou
« s’enregistrer » avec elle, considérant qu’elle était « celle qui gardera une trace de ce
que nous avons à dire sur ce que nous faisons14 ».
23 Ce lien particulier entre toi et les jeunes a influé sur toute la démarche de création. Je te sens très
proche des jeunes à un endroit non touché par les autres intervenants et adultes d’une manière
générale. Pourquoi ? Ta complicité avec eux permet autant qu’accompagne et se nourrit du lien
tissé avec le créateur.
24 Cette présence ethnographique a bien entendu été remarquée par les enseignants qui,
constatant ce lien avec les élèves, se sont livrés avec plus d’aisance lors des entretiens
de fin de projet, et ont expliqué qu’ils « n’avaient plus de crainte » particulière ou qu’ils
pouvaient « se lâcher » plus facilement. Si ces liens ont grandement aidé à approfondir
le questionnement de recherche, ils posent des questions éthiques et épistémologiques
importantes.
25 S’il n’y a pas de chercheur qualitatif objectif (Pourtois & Desmet, 2009 : 304) et si une
recherche ethnographique n’est pas modélisable ou généralisable hors contexte, il faut
assumer que son terrain n’est pas un terrain de recherche neutre mais plutôt le terreau
de la chercheure en devenir15, terreau multilingue et pluriel : « [Un terrain] c’est
d’abord un ensemble de relations personnelles où « on apprend des choses » et « faire
du terrain », c’est établir des relations personnelles avec les gens » (Agier, 2004 : 35). En
rendre compte en tant que chercheure-doctorante embarquée, c’est reconnaitre les
« jeux » dans la relation, et assumer le « je » dans l’écriture. Dans mon cas, cette
relation s’inscrit dans une histoire vécue préexistant la collaboration : j’ai grandi à
Montbéliard, j’y ai enseigné puis j’y ai formé des enseignants. Parallèlement, j’ai animé
des ateliers théâtre en partenariat avec MA, collaboré à des projets participatifs
(parfois en langue étrangère) impliquant la jeunesse sur mon temps de travail
d’enseignante et en dehors. Les acteurs des deux terrains, scolaire et culturel, me
28 Ces temps d’intervalle ne sont pas programmables, ils se tiennent dans l’action, à mon
initiative ou sur les sollicitations des acteurs (élèves, équipes, artistes). Tant que
l’expert est dans son équipe et dans l’action du terrain, cette réactivité présente une
rentabilité immédiate pour la structure. Mais comment dépasser le statut d’expert
associé à une démarche ou à un projet ? Cette posture se rapproche du « marginal
sécant » explicitée par Ferrando y Puig & Petit en ces termes :
« Partie prenant dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les
autres, et qui peut, de ce fait jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et
d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoire. […] Cette
division du travail réflexif, si elle peut permettre une progression mutuelle, risque
d’aboutir à une perspective utilitariste faisant de cette réflexivité une caution de
scientificité sans réelle portée critique » (2016 : 28).
29 Cette question n’est pas encore tranchée en ce qui me concerne. Trois problèmes
majeurs sont à souligner quant au positionnement scientifique dans une collaboration
de ce type. Tout d’abord la légitimité de la caution que la présence du chercheur
apporte n’est pas tant liée à son expertise scientifique (au sens où elle serait liée au
statut de doctorant ayant des connaissances théoriques dans un champ donné ici la
didactique des langues), qu’à son expérience professionnelle et interculturelle
antérieure. Ensuite les rétroactions qui sont conduites dans une temporalité immédiate
laissent peu de place à une analyse approfondie des phénomènes observés,
distanciation scientifique pourtant nécessaire. Se pose en dernier lieu la question de la
transmission de mes compétences de médiation et d’analyse aux équipes.
30 La principale limite reste alors, comme le soulignent Vinatier & Morrissette dans leur
état des lieux des recherches collaboratives, la temporalité : « parce qu’elle[s]
s’inscri[ven]t dans la longue durée, [les recherches collaboratives] déroge[nt] aux
normes nettement plus limitées de la temporalité des recherches subventionnées »
(2015 : 155). En effet, la durée du statut pose la question de la notion de mission. Comment je
gère ta présence et ce que tu prends en charge et apporte dans un temps limité ? Qui fera ensuite
Parlemonde ? Ta présence signifie pour la maison une mission. Or, cette mission est devenue un
pilier du projet global de MA. Comment gérer le tempo autant que la temporalité dans cette
dynamique ?
31 Il s’agit donc de trouver comment dépasser le conflit des temporalités imbriquées par
le contexte collaboratif de sa recherche : 1) le temps de la genèse d’un projet, 2) le
temps de sa réalisation (les résidences), 3) le temps de sa valorisation (préparation des
outils de communication, de presse, préparation des espaces d’exposition etc.), 4) le
temps de l’exposition publique. Il faut à cela ajouter une cinquième étape installant un
travail réflexif –critique, collaboratif et collectif, permettant de dépasser la remise en
cause ou l’autoréflexivité au profit d’un « paradigme transactionnel » (Fabre 2014 : 75)
invitant à passer à une action réfléchie. En parallèle, le doctorant doit recueillir et
analyser son corpus, et rédiger son propre travail de thèse. En d’autres termes, il faut à
la fois créer un espace de transformation où puissent émerger les discours du
« pendant » et de « l’après », instaurant un ou plusieurs savoir-faire pour les projets à
venir, et pouvoir s’en extraire pour avancer sa thèse.
32 Or, ces espaces-temps n’existaient pour aucun des partenaires, dont l’activité
professionnelle cadence les calendriers, les plongeant d’une année à l’autre au cœur des
autres projets déjà programmés, qu’il faut réaliser à temps. Et surtout, leur importance
ou leur nécessité n’étaient pas conscientisées. Tout l’enjeu consiste donc à faire
émerger des « dispositifs de co-explicitation » (Vinatier, 2010) : on fait d’autant mieux
son métier « qu’on le maitrise sur le plan conscient, qu’on est capable de porter à
l’explication les principes pratiques qu’on met en œuvre dans sa pratique » (Bourdieu
2012 : 152). Pour porter ces éléments à la conscience des acteurs dans un contexte
plurilingue et interculturel, une relation avec eux doit non seulement s’installer mais
également être nourrie dans un continuum propice au développement d’échanges
réciproques qui perdureront après la recherche.
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NOTES
1. Site compagnon du projet : http://parlemonde.mascenenationale-creative.com.
2. Project partner site : http://parlemonde.mascenenationale-creative.com.
3. Lorsque nous avons écrit cet article, souvent à distance, notre co-écriture a pris la forme d’un
dialogue plus personnel, dont on trouve les traces syntaxiques (pronoms, marques d’adresse,
questions en suspens, etc.) dans les extraits qui vont suivre. C’est volontairement que nous
laissons apparaître ce glissement sémantique puisqu’il est une manifestation concrète de la
pensée que nous développons dans cette contribution.
4. On trouvera ici le site compagnon de Parlemonde avec des traces des 2 éditions de ce festival :
Parlemonde 1 en 2017 et le programme de Parlemonde 2 qui a eu lieu en mai 2019 : http://
parlemonde.mascenenationale-creative.com.
5. https://www.scenes-nationales.fr/label/.
6. https://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html ?cid_bo =71673.
RÉSUMÉS
Cette contribution s’appuie sur une recherche en sciences du langage en cours, menée dans le
cadre d’un doctorat sous contrat CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la REcherche)
au sein d’une scène nationale, lieu de création et de diffusion artistique. En 2016, une
collaboration s’installe entre la scène nationale du pays de Montbéliard et l’éducation nationale
et prend la forme d’un festival de créations participatives : Parlemonde 1. A travers une
expérience commune de création, se rencontrent des élèves allophones nouvellement arrivés,
des enseignants, des artistes européens pluridisciplinaires, une chercheuse et des spectateurs.
Cette contribution s’attachera à montrer comment cette collaboration particulière a
considérablement déplacé les participants : le projet est devenu un vaste espace de jeux, au sens
de collaboration dynamique. Les questionnements, les attentes, les pratiques et les positions de
chaque interlocuteur (doctorant compris) sont sans cesse en mouvement.
Nous examinerons la place du chercheur dans cette collaboration, dont l’activité conventionnée
est soumise à des règles. Quelles règles du jeu co-construire avec les équipes de la structure qui
salarie le doctorant pour installer un (ou plusieurs) savoir-faire, qu’aucune des parties
impliquées ne pourrait, seule, mettre en jeu ? On s’interrogera ensuite sur les espaces de friction
ou de jeu au sens d’intervalle « entre deux pièces d’un même mécanisme » en s’intéressant
particulièrement à ce que recouvre la collaboration pour le chercheur et ses données dans un tel
contexte. Afin de laisser entrevoir au lecteur quels enjeux sont à l’œuvre dans ces contextes
mouvant et agissant au cœur de l’espace social, on abordera ces questions en laissant deux voix
This paper is based on a research situation in progress in the Language Sciences that was carried
out in a national theater, a place for artistic creation and diffusion, as part of a Doctoral thesis
under the CIFRE (Convention of Industrial Training through Research) agreement. A
collaboration was initiated in 2016 between the Ministry of National Education and a common
artistic project, Parlemonde2. Meetings were organized between minority-language speaking
students newly arrived in France, their teachers, multidisciplinary European artists, researcher
and spectators in a joint creative experience. This collaboration is special because it is the first of
its kind, requiring the expertise of each of the stake holders of the project (artists, teachers and
students). All of them were moved to a vast games area involving a collaborative dynamics where
questions, expectations, practices and positions of each of the players (including this researcher)
were constantly in motion. The researcher’s place in this collaboration will be examined through
a study of the “game” as a conventional activity subject to collaborative rules between the
participants. What then are the rules to be co-constructed with the teams belonging to the
organization funding the researcher and whose objectives are to develop a (or several) skills that
none of the partners are in a position to develop by themselves? The consequences for the
researcher and the organization will be examined by considering the game as an interval
between two parts of the same process, an ideal interstitial space facilitating mediation, focusing
particularly on the development of the researcher’s “game” in this context. The paper will
examine these questions through a dialogue of two voices: that of the Director of the regional
theater, and of the researcher funded by the organization, in order to allow the reader to
understand the stakes that are “at play” in this type of fluid and changing context found at the
heart of the social sphere.
INDEX
Mots-clés : jeu, médiation, formation, conscientisation, plurilinguisme
Keywords : game, mediation, training, awareness, plurilingualism
AUTEURS
MAUD SERUSCLAT-NATALE
LHUMAIN, Université Paul Valéry Montpellier III & CIFRE à MA scène nationale du Pays de
Montbéliard
M. Sérusclat-Natale est certifiée de lettres, FLE/FLES et théâtre, a collaboré avec le CASNAV et la
DAAC de l’académie de Besançon. Elle travaille actuellement à MA, scène nationale de
Montbéliard sur Parlemonde, projet artistique plurilingue auquel elle consacre un doctorat en
sciences du langage, dirigé par N. Auger (Université Paul Valéry, Montpellier).
m.natale[at]mascene.eu
YANNICK MARZIN
Directeur MA scène nationale – Pays de Montbéliard
Y. Marzin dirige la scène nationale du Pays de Montbéliard en 2011 après des postes de direction
au Ballet du Nord avec Carolyn Carlson, et au Conservatoire National Supérieur de Musique et de
Danse de Paris. Formé à la danse, il est titulaire d’une maîtrise en géographie, d’un D.E.A. en
esthétique et d’un D.E.S.S en politiques culturelles. Il a enseigné à Paris 10 pendant 10 ans et été
Introduction
1 Dans les écologies plurilingues qui forment le tissu de nos sociétés et de l’école, de
nombreux chercheurs soulignent à la fois l’importance de construire la continuité
entre les différents espaces où circulent et apprennent les enfants (Ishimaru et al.,
2015 ; Simonin & Thamin, 2018), et l’importance pour les enseignants de travailler en
étroite collaboration avec les familles et les communautés pour construire le projet
pédagogique qui sera le leur. Il existe encore peu de recherches didactiques qui
permettent d’explorer finement comment les pratiques linguistiques et culturelles et
les savoirs des familles, des communautés locales et des institutions, peuvent être
investis dans les partenariats éducatifs (Bottoms, Ciechanowski, Jones, de la Hoz, &
Fonseca, 2017) ni comment une recherche participative, fondée sur la collaboration, la
réflexivité et le partage des expertises, se déploie sur le plan méthodologique et
conceptuel.
2 La recherche en éducation et en didactique des langues et du plurilinguisme (DLP) a
pourtant largement montré, depuis plusieurs décennies, que des projets partenariaux
entre école, familles et communautés contribuent au succès scolaire et au
développement intégral des élèves (Ishimaru, Barajas-López, & Bang, 2015 ; Santos,
Araújo e Sá, & Simões, 2012), tout en soulignant l’importance de créer des situations
éducatives œuvrant pour la mise en continuité des espaces de socialisation et
d’apprentissage des apprenants (Simonin & Thamin, 2018). Toutefois, peu de
recherches se centrent sur les partenariats pédagogiques multi-situés, impliquant tout
à la fois l’école, les musées et les familles, notamment autour de projets centrés sur le
médiatrice
Uruguayenne. Elle a toujours vécu en Uruguay
P4 muséal musée MAPI (secteur
et ne parle et comprend que l’espagnol.
éducatif)
16 Le tableau 1 nous montre que ce partenariat est hétérogène sur plusieurs plans : les
professions, les institutions d’appartenance et les cultures professionnelles des acteurs
sont différentes. Le projet intègre par ailleurs des personnes présentant des parcours
de vie diversifiés avec des trajectoires plurilingues et des expériences de mobilité
variées. Cette hétérogénéité s’est révélée assez utile à l’heure de la conceptualisation
des activités plurilingues du projet, lesquelles sont le résultat du partage des
expériences, des savoirs et des savoir-faire des membres du partenariat. Ainsi, le PPI
comprend un ensemble d’activités menées dans une perspective dialogique qui
englobe, en continuum et en interaction permanente, tous les partenaires : des ateliers
dans l’école dynamisés par plusieurs acteurs éducatifs (enseignants, chercheurs,
familles, animateurs des musées), des visites guidées et interactives aux musées, des
ateliers dans les musées, des promenades par le paysage linguistique (visuel et sonore)
du quartier de l’école, la création de dispositifs muséologiques par les enfants.
Durante esta semana, fui preparando diversos materiais para a reunião. (CR/
06/09/2019)7
• la communication,
Logo pela manhã comecei a ligar aos pais que não me tinham confirmado a
receção da mensagem. (CR/07/06/2019)8
Vou tentar reunir-me com ela na quinta-feira [...] e tentar convencer, mas
sem impor, a ideia da parceria, mais no sentido de que em rede conseguimos
fazer mais coisas [...] Tenho de gerir isto com pinças. (CR/09/03/2019) 10
21 Ces tâches appellent des compétences diversifiées de la part de P10, en particulier des
compétences stratégiques et de négociation qui transforment la démarche partenariale
en une tâche exigeante et, dans certaines situations, assez ardue :
« Começa a ser pesado, duro mesmo, ter de lidar com esta situação de
liderança da diretora [da escola]... » (CR/08/05/2019) 11.
22 Le rôle de facilitatrice de P10 est reconnu par tous les partenaires comme essentiel au
bon fonctionnement du projet pédagogique collaboratif (« y que tú estás haciendo un
trabajo como de ir enlazando todo »12- P8/RR/06/09/2019). Les participants considèrent
même que ce rôle est le plus difficile à endosser dans une dynamique partenariale (« lo
organizativo es lo más difícil del trabajo en red »13 - P1/RR/06/09/2019). On note par ailleurs
la stabilité dans ce rôle auto et hétéro-assigné au sein du réseau partenarial, ce qui n’est
pas nécessairement le cas pour ceux joués par les autres partenaires, en particulier les
enseignants et les parents, comme nous allons pouvoir le voir ci-après.
Leur entrée plus tardive dans le réseau semble avoir restreint leur participation active
dans la conceptualisation du projet et des activités et ressources pédagogiques.
26 Enfin, bien que la directrice de l’école (P2), n’ait pas assisté à toutes les réunions, elle a
joué un rôle fondamental de gardienne (gatekeeper) de la recherche et du projet chez les
enseignants18 en accomplissant aussi d’autres tâches telles que l’explicitation du projet
pédagogique aux familles (avec P1, qui a joué ce même rôle) et le partage
d’informations concernant le PPI avec d’autres éventuels collaborateurs (« Vos hablá con
los museos y dejá las maestras para mí »19 - CR/27/02/2019 ; « Os do CdF tinham estado pela
escola, ela comentou-lhes sobre o projeto e passou-lhes o meu contacto, pois eles tinham-se
mostrado interessados »20 - CR/12/08/2019). D’une façon plus large, nous remarquons que
P2 a joué un rôle essentiel dans l’opérationnalisation de ce projet éducatif multi-sites,
et ceci à plusieurs niveaux. P2 investit la responsabilité de tâches aussi diverses que la
relecture critique du matériel de diffusion produit par le partenariat ainsi que la
relecture du guide d’activités du PPI, la programmation des espaces et des horaires des
activités à implémenter à l’école, et la mise à disposition du matériel didactique et des
autres ressources nécessaires comme, par exemple, des photocopieuses.
27 Au final, si les musées semblent plus engagés dans le développement des ressources
pédagogiques et dans la mise en place des activités didactiques, ce sont bien les
partenaires issus de l’institution scolaire qui sont le nœud spatial et le ciment du
partenariat, en assurant l’engagement des élèves et des familles, et la continuité du
projet.
plurilingue partenarial (« as salas eram muito absorventes, os professores acabam por ter
quase todo o “tempo de antena” e não são um espaço nada prático para a criação de um projeto
plurilingue »22 - CR/22/05/2019). La mise en place du partenariat appelle flexibilité et
adaptation de la part de P2, de la part des autres partenaires, et tout particulièrement
de la part de P10, dont le rôle ne se borne pas à observer les participants : P10 y joue
une importante fonction d’impulsion des actions, de coordination et de stimulation des
partenaires impliqués.
30 Un deuxième exemple montre comment P10 adapte la forme de la participation des
partenaires en changeant les codes préalablement co-établis des réunions du groupe,
en particulier par P2. Le modèle très collégial, ouvert à tous, fondé sur la mise en
commun d’expertises diversement situées qui était celui des premières réunions, parce
qu’il ne réussit pas à engager la participation, est remplacé en cours de route par une
redistribution des rôles des participants. Se constitue alors, sous l’impulsion de P10, un
comité de pilotage qui assume cette responsabilité, jusque-là surtout endossée par P2 :
(« A P4 corroborou […] que achava que estávamos “colgadas” na reunião, que não havia
abertura »23 - CR/09/05/2019).
31 Une autre situation problématique est en rapport avec la nécessité ressentie par P10,
dans son rôle de chercheuse principale de l’étude : motiver constamment les membres
du réseautage afin d’éviter les abandons en cours de route, tout en cherchant les
stratégies et les modalités les plus adéquates pour dépasser les contraintes de toute
sorte perçues par les partenaires : « A P4 comentou que está a fazer de tudo para que a
atividade vá avante, mas desabafou que, até ontem, pensava que o MAPI teria de desistir da
parceria... »24 (CR/16/08/2019). Selon les partenaires, un partenariat se construit aussi
selon un processus d’entonnoir (embudo), c’est-à-dire, par un moment, souvent initial,
d’abandon de certains partenaires : « después comienza como el embudo / como a decantar »
25
(P1/RR/06/09/2019). Par exemple, la gestion du temps (comment faire coïncider les
contraintes horaires des différents membres) s’est constituée comme un nœud
caractéristique limitant la participation des partenaires (« A grande maioria dos familiares
apenas podia da parte da manhã, o que tornaria difícil a participação da P1 » 26 - CR/
06/06/2019). Si la mise en place de modalités alternatives de communication, comme le
courrier électronique ou les messages Whatsapp, a permis de lever certaines barrières,
il reste que les pratiques linguistiques et culturelles et les savoirs des familles ont
difficilement pu être investis directement, pour le moment, au sein du projet. On
observe toutefois que les activités pédagogiques développées collaborativement
donnent voix aux communautés locales27, au musée et dans la rue, interrogeant leur(s)
histoire(s), leurs objets et leurs pratiques.
32 Ces défis qu’il faut gérer en temps réel et qui engagent le chercheur à jouer de
différents équilibres dans la posture de chercheur-acteur, définissent au final le
caractère de la participation. En effet, ces moments de doute dans la construction
partenariale, ainsi que les glissements dans les rôles et les postures participatives, sont
de nature à favoriser la réflexivité et le dialogue et, partant, d’interroger le processus
participatif dans la recherche.
Conclusion
36 Nous avons dans cette contribution cherché à mettre en avant certaines dynamiques de
la collaboration au moment de l’établissement et de la mise en place d’un projet
éducatif impliquant un partenariat visant à engager école, familles et institutions
communautaires (comme ici les musées) autour de la valorisation du plurilinguisme de
jeunes élèves de l’école primaire en Uruguay. Nous y avons retracé différentes étapes
de la mise en place d’un tel projet pour discuter ensuite comment se construit la
participation des partenaires, ainsi que le rôle ambigu du chercheur-acteur dans ces
configurations partenariales multi-situées. Nous avons cherché à montrer combien une
telle démarche de recherche, qui se construit comme variable, complexe et dynamique
(Blanchet & Chardenet, 2011), est reliée à des questionnements fondamentaux sur la
responsabilité sociale de la recherche et sur l’éthique dans le processus de construction
de la connaissance (Anadon, 2013). Ainsi, la recherche participative doit-elle
s’accompagner du partage de volontés et de valeurs, de la complémentarité
d’expertises et de compétences, et de démarches adaptées aux contextes
d’appartenance et d’action des partenaires de la recherche, tout autant qu’à l’écologie
locale qui marque leur domaine d’action.
37 En éclairant certains enjeux qui entourent les conditions de mises en place de
recherches qui impliquent les enseignants, les familles, les élèves et les intervenants
muséaux comme coparticipants dans des expériences éducatives où les
questionnements sont impulsés, nous espérons contribuer, à notre mesure, à un
questionnement qui demeure central dans la recherche actuelle en DLP. C’est en effet la
mise en réseau des professionnels de l’éducation (scolaire et muséale) et des familles
qui permet, pour l’enfant, d’investir la continuité des apprentissages entre les
différents pôles qui constituent son univers quotidien (Bottoms et al., 2017).
38 Quand ce partenariat associe aussi les institutions muséales dans les projets
d’apprentissage, on voit se démultiplier l’expérience de l’altérité. Nos analyses
soulignent la valeur de ces espaces de collaboration qui favorisent l’expression des
acteurs et le partage de leurs expériences, l’innovation pédagogique, le développement
de la professionnalité par/dans la recherche, l’action et la formation (Giglio, 2016) mais
aussi la difficulté de leur mise en place. En ce sens, le partenariat comme déclencheur
de la recherche participative inscrit la démarche comme un « incubateur de ressources »
(Sperano, Roberge, Bénech, Trgalova, & Andruchow, 2019). On espère dans la suite de
nos recherches pouvoir montrer que ce partenariat, qui s’inscrit dans un paradigme de
la diversité, a des effets bénéfiques pour l’ensemble des apprenants et des partenaires
éducatifs (Beacco et al., 2016).
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Walton, J., Paradies, Y., & Mansouri, F. (2016). Towards reflexive ethnicity : Museums as sites of
intercultural encounter. British Educational Research Journal, 42(5), 871–889.
NOTES
1. La première auteure de cet article est la chercheuse principale, celle qui a mené l’étude de
terrain. Les autres deux co-auteures sont les directrices de la recherche.
2. Il y a trois types d’écoles primaires : les écoles Tiempo Completo (temps complet, 7h30/jour), les
écoles Tiempo Extendido (6h/jour) et les écoles Comunes (4h/jour).
3. Epstein (2002) identifie 6 types de participation par degrés croissants d’investissement : 1) rôle
parental ; 2) communication ; 3) volontariat ; 4) apprentissage à la maison ; 5) prise de décision ;
6) collaboration avec la communauté.
4. Différents partenaires sont entrés à des moments différents des étapes de mise en place de ce
réseautage.
5. 40 entrées ont été objet d’analyse (depuis l’entrée sur le terrain de la chercheuse principale, en
février 2019, jusqu’à la première rencontre réflexive du partenariat réalisée au début de
septembre 2019).
6. « Au départ, nous avions prévu cette réunion pour le 9, au MUMI, mais, comme il y avait peu
de confirmations, j’ai décidé de la reporter à ce vendredi ».
7. « Au cours de cette semaine, j’ai préparé divers documents pour la réunion ».
8. « Tôt le matin, j’ai commencé à appeler les parents qui n’avaient pas confirmé la réception du
message ».
9. « J’ai envoyé un courriel au partenariat avec un résumé de la réunion. Il a fallu commencer à
définir différentes problématiques et à mobiliser les partenaires qui ont eu une présence plus
timide dans la construction de certaines activités ».
10. « Je vais essayer de la rencontrer jeudi [...] et essayer de la convaincre, mais sans imposer, sur
l’idée du partenariat […] plus dans le sens que dans un réseau on peut faire plus de choses [...] je
dois gérer ça avec une pince à épiler ».
11. « Ça commence à être lourd, vraiment dur, d’avoir à faire face à cette situation de leadership
du directeur [de l’école] … »
12. « … et que vous faites un travail comme de tout relier ».
13. « L’organisation est le plus difficile dans un travail en réseau ».
14. « Les dimensions de travail de chacun/ les actions de chacun/ sont très différentes ».
15. « Pour P4, la contribution de toute l’équipe pédagogique est essentielle ».
16. « P3 a immédiatement donné une excellente idée d’une exposition qu’elle avait vue à Buenos
Aires avec des cartes sonores ».
17. « P6 et P7 étaient attentives aux détails tels que la gestion du temps ».
18. On notera que P11 et P12 jouent un rôle similaire auprès de P10. Nous ne l’analysons pas ici.
19. « Vous vous occupez des musées et vous me laissez les enseignantes ».
20. « Ceux du CdF étaient allés à l’école, elle a commenté le projet et transmis mon contact, car ils
avaient montré de l’intérêt ».
21. « L’ambiance marque beaucoup : c’est l’espace des professeurs ».
22. « Les salles étaient très absorbantes, les professeurs ont fini par avoir presque tout le « temps
d’antenne » et ce n’était pas du tout un espace adéquat pour créer un projet plurilingue ».
23. « P4 a corroboré […] le fait qu’elle pensait que nous étions « coincés » à la réunion, qu’il n’y
avait pas d’ouverture ».
24. « P4 a commenté qu’elle faisait tout pour faire avancer l’activité, mais elle a confié que
jusqu’à hier, elle pensait que le MAPI devrait abandonner le partenariat ».
25. « Puis cela commence comme l’entonnoir / c’est comme décanter ».
26. « La grande majorité des membres de la famille ne pouvait que le matin, ce qui rendrait
difficile la participation de P1 ».
27. Par le biais, par exemple, de l’étude des sons de la ville effectuée lors d’une sortie au musée
des enfants (une des activités plurilingues développées par l’équipe partenariale, activités qui ne
sont pas explorées dans le cadre de cet article).
28. « Et à quoi ressembleraient ces rencontres ? Seraient-elles comme celles-ci ? À quoi
ressemblerait la méthodologie ? ».
29. « Quoi amener à la recherche ? »
30. « Avec quelles clés nous devrions regarder et observer quelles choses dans ces cas ? Ce n’est
pas clair pour moi ».
31. « P8 a même proposé de faire un relevé photographique des activités ... ».
32. « Cela me semble bien/ ce que P8 a dit / avoir un feedback là-bas tout de suite… ».
33. « Pour moi / oui / parce que cela fait partie // c’est un peu pourquoi nous avons fait ça /
non ? / C’est ce qui est sorti de tout ça non ? ».
34. « C’est tout un apprentissage ».
RÉSUMÉS
La contribution porte sur une recherche en cours dont l’objectif est de comprendre comment se
construit un partenariat pédagogique et de recherche impliquant un travail collaboratif entre
une école, des familles et plusieurs musées de la ville, autour du développement de scénarios
didactiques pour/ par le plurilinguisme pour des enfants du primaire, à Montevideo (Uruguay).
L’enjeu est d’éclairer certaines conditions d’élaboration d’un tel partenariat impliquant des
enseignants, des praticiens de l’éducation muséale, des chercheurs en didactique des langues et
des parents d’élèves. Par le biais d’une approche (auto)-ethnographique, nous chercherons à
comprendre : (i) comment ce partenariat éducatif est envisagé par les différents partenaires – ses
enjeux et ses contraintes pour chacun ; (ii) leurs rôles dans l’éclairage et la compréhension d’une
recherche visant une innovation pédagogique autour du plurilinguisme. Nous explorerons en
particulier quelques implications pour le chercheur-acteur, ainsi que les transformations qu’elles
supposent, tant au niveau des pratiques professionnelles que des pratiques et de la posture de
recherche. La contribution pose ainsi quelques jalons pour mieux comprendre les enjeux, les
savoirs et les méthodes des recherches collaboratives en didactique des langues et du
plurilinguisme, ainsi que leur potentiel pour la transformation des pratiques (de recherche et en
éducation).
Este texto apresenta uma investigação em curso cujo objetivo é a compreensão de como se
constrói uma parceria educativa e de investigação entre uma escola, famílias e diversos museus
da cidade, implicados no desenvolvimento de cenários didáticos para e pelo plurilinguismo
destinados a alunos de uma escola primária em Montevideu, no Uruguai. Pretende-se refletir
sobre as condições de formação de uma tal parceria implicando professores, mediadores de
museus, famílias de alunos e investigadores em didática de línguas. Inserida num paradigma
(auto)-etnográfico, a investigação visa compreender : 1) como é que este partenariado educativo
é compreendido pelos sujeitos (suas potencialidades e constrangimentos) ; 2) quais são os papéis
dos parceiros numa investigação visando a inovação pedagógica em torno do plurilinguismo.
Exploramos, ainda, algumas implicações para o investigador-ator, bem como as transformações
que elas acarretam tanto ao nível das práticas profissionais como das práticas e da postura da
investigação. O estudo permite identificar alguns elementos fundamentais para aprofundar o
INDEX
Mots-clés : partenariat école-musée-famille, plurilinguisme, recherche participative
Keywords : partnerships schools-museums-families, plurilingualism, participative research
AUTEURS
RAQUEL CARINHAS
Universidade de Aveiro, CIDTFF, Universidad de la República, Camões, I.P
Doctorante du Programme Doctoral en Éducation de l’Université d’Aveiro, Portugal. Chercheuse
dans le domaine de la didactique des langues et du plurilinguisme. Elle s’intéresse actuellement à
des questions liées aux partenariats éducatifs entre école, familles et musées dans une visée
d’éducation plurilingue et interculturelle. Lectrice de portugais du Camões – Institut de la
Coopération et de la Langue à l’Université de la République à l’Uruguay.
raquelcarinhas[at]ua.pt
DANIÈLE MOORE
Simon Fraser University, CRECHE – PluriLCo et DILTEC, Paris 3 Sorbonne Nouvelle
Professeure à la Faculté d’Éducation de l’université Simon Fraser à Vancouver au Canada, et
Directrice de recherche (HDR) à la Sorbonne Nouvelle - Paris 3 en France, ses recherches
couvrent les domaines de la sociolinguistique et de la didactique des langues et du
plurilinguisme. Ses travaux récents investissent des recherches collaboratives portant sur le
développement de pratiques éducatives innovantes autour du plurilinguisme et de la
revitalisation des langues autochtones, ces recherches impliquant écoles, familles, centres
communautaires et musées.
dmoore[at]sfu.ca
Articles pédagogiques
Sous la direction de Salima El Karouni et Emilie Lebreton
1 Il est communément admis par les acteurs du système scolaire que le français est le
médium exclusif de la transmission des connaissances en milieu scolaire à Madagascar.
Toutefois les interactions sur le terrain sont révélatrices d’une hétérogénéité
linguistique sous-tendue par la nécessité de transmettre un savoir et de communiquer
d’une part, et par les prescriptions officielles d’autre part. A l’instar des travaux de
Gumperz (1989) et de l’école fonctionnelle, le sens et les formes des alternances codiques
visibles, mais labiles, sont l’objet de notre présente investigation.
2 En étudiant les pratiques linguistiques au sein de classes de collèges malgaches, nous
identifierons quelques déterminants de l’alternance codique pour répondre à ces
questions : quelles formes prennent les pratiques francophones dans la sphère
scolaire ? Quels sont les enjeux didactiques et idéologiques des formes de la
communication pédagogique ? Que nous révèle de la glottopolitique malgache les
crispations ressenties par les acteurs du système scolaire ? Comment les pratiques
langagières et les inégalités scolaires sont-elles liées à Madagascar ?
3 Trois points de vue complémentaires vont être mis en perspective : les usages
linguistiques déclarés des élèves, les déclarations des enseignants et les observations de
classes filmées.
questions complémentaires. Dans un premier temps, nous leur avons demandé quelle
était la langue qu’ils préféraient que l’enseignant utilise pour les séquences
explicatives. Puis, nous leur avons demandé quelle(s) langue(s) ils parlaient avec leurs
enseignants3. Ces questions concernaient les langues utilisées à l’oral. Quant aux
enseignants, nous leur avons demandé au cours des entretiens, dans quelle(s) langue(s)
ils parlaient quand ils faisaient cours, puis nous leur avons demandé leur point de vue
concernant la langue préférée des élèves en classe.
11 Les graphiques suivants (Graphiques 1.1 et 1.2)4 présentent la répartition des usages
linguistiques déclarés des collégiens avec les enseignants.
Graphique 1.1 : Langues que les collégiens déclarent parler avec leur enseignant – comparaison
d’Antananarivo et de Majunga
Source : Bloch 2015, enquête réalisée par questionnaires auprès de 1752 collégiens inscrits dans 4
établissements privés et 4 établissements publics.
12 Le tableau montre un usage déclaré du malgache plus répandu chez les élèves
interrogés à Antananarivo qu’à Majunga, ville, qui selon cet indicateur, se révèlerait
plus francophone que la capitale. En outre, les déclarations concernant la langue
utilisée pour les échanges sont proches dans les deux villes, les chiffres dénotant
cependant d’une légère prééminence de la langue malgache, notamment dans les
établissements de la capitale. Les observations de classes nous ont appris que les élèves
n’étaient qu’exceptionnellement à l’initiative de ce type d’interaction 5.
Graphique 1.2 : Langues que les collégiens déclarent parler à leur enseignant – comparaison selon
la ville et le type d’établissement
Source : Bloch 2015, enquête réalisée par questionnaires auprès de 1752 collégiens inscrits dans 4
établissements privés et 4 établissements publics.
Graphique 2 : Langues que les collégiens déclarent préférer pour les explications données par leur
enseignant – comparaison selon la ville et le type d’établissement
Source : Bloch 2015, enquête réalisée par questionnaires auprès de 1752 collégiens inscrits dans 4
établissements privés et 4 établissements publics.
17 Il est notable que les élèves des collèges publics de Majunga affichent une certaine
préférence pour les explications en français par rapport à leurs homologues de la
capitale, ce qui peut à nouveau s’expliquer par la distance entre le malgache officiel et
la variété majungaise du malgache.
18 L’analyse statistique des réponses aux questionnaires permet de dessiner deux
tendances révélatrices de représentations sociales :
1) Un clivage public / privé très net : les élèves des établissements publics déclarent
utiliser davantage le malgache avec leurs enseignants et préférer les explications en
malgache, alors que les collégiens scolarisés dans des établissements privés déclarent
préférer le français. Nous pouvons supposer que la langue française étant associée à
l’excellence scolaire, des enjeux de face ont influencé les réponses des collégiens.
2) Une préférence des collégiens Majungais interrogés pour le français, par rapport aux
élèves de la capitale et un usage important du français dans les interactions avec les
enseignants dans les établissements privés. Si nous considérons que le malgache
employé dans l’enseignement est le malgache officiel (selon les prescriptions
ministérielles et les déclarations des enseignants) il est fort probable que cette variété
ne soit pas la langue maternelle des élèves de Majunga et que bien au contraire, l’usage
du malgache officiel produise sur ces derniers une violence symbolique plus importante
que ne provoque l’usage du français (Bourdieu, 1977). La glottopolitique des
établissements privés de Majunga pourrait alors se comprendre en réaction face au
malgache officiel.
19 Voici une explication très adoucie de la prédilection des élites provinciales pour
l’enseignement en français.
Les provinces côtières (60 % de la population) n’ont pas eu la même histoire que les
Hauts-Plateaux. Même si elles comprennent très bien la langue officielle, et de
mieux en mieux du fait des contacts, elles ne se sentent pas encore
sentimentalement attachées à cette langue « merina ». L’élite de ces provinces
hésite donc entre trois politiques linguistiques : promouvoir les dialectes,
promouvoir le malgache officiel, promouvoir le français. C’est ce dernier choix
21 Lors de nos entretiens auprès des enseignants nous avons porté une attention
particulière à l’identification, par nos interlocuteurs, de la langue assurant le rôle de
médium d’enseignement. Nous avons distingué deux pôles centralisant des tensions
liées à des contraintes prescriptives d’une part, et pragmatiques d’autre part,
révélatrices de représentations sociales de références et d’usages.
22 Rappelons qu’il existe une représentation puriste de la langue malgache, dont les
origines remontent aux circonstances de la transcription du malgache en alphabet latin
(Raison Jourde, 1991, p. 530)8 et à l’influence du purisme français, et qui se manifeste
davantage dans le discours métalinguistique des enseignants que dans des pratiques
linguistiques9.
23 Nous avons choisi d’analyser les discours de professeur(e)s, désigné(e)s par des
pseudonymes, exerçant dans des établissements très différents et enseignant des
matières appartenant à des champs disciplinaires éloignés : deux enseignants de
mathématiques exerçant dans des établissements privés et deux enseignantes
d’histoire-géographie exerçant dans des établissements publics. Les extraits
d’entretiens présentés ci-dessous illustrent deux types d’usages linguistiques
contraints, caractéristiques des représentations sociales des langues des locuteurs.
24 L’argument du défaut lexical qui affecterait le malgache est souvent avancé lorsqu’il
s’agit d’expliquer les raisons de l’usage d’une langue exogène en classe. Les enseignants
des matières scientifiques seraient les plus touchés par cette soi-disant carence de la
langue malgache.
L’obstacle du français
32 Les extraits suivants font état de pratiques et de points de vue fortement différents de
ceux exprimés par les enseignants de mathématiques, et témoignent de
représentations sociales de références et d’usages tout aussi distinctes.
Corpus Majunga : extrait entretien n°3 : Mme Chantal, 52 ans, professeure d’histoire-
géographie au C.E.G 12Ch. Renel
C99 : en français !
37 Nos observations font état d’un usage quasi-exclusif du français à l’écrit. Cet emploi
interroge quant aux raisons conduisant au choix du médium et du canal. En effet,
comme l’écrit Razafindratsimba (2009), le malgache pourrait techniquement être
employé comme médium à l’écrit. Cependant, qu’il s’agisse d’un héritage colonial
désormais associé au désir de modernité et/ou du souvenir de l’échec de la
malgachisation de l’enseignement, conjointement à une menace d’isolement
linguistique de l’île, c’est le français qui est utilisé selon les déclarations des
enseignants pour faire la leçon. Nous retrouvons cette expression dans la totalité des
entretiens effectués, la variable matière n’est pas à ce stade pertinente. Le type
d’établissement où exercent les enseignants peut toutefois être corrélé avec des
modulations du sens porté par cette formule.
38 Dans les établissements publics, faire la leçon en français correspond à la recopier au
tableau à partir d’un livre en français et à la faire copier aux élèves dans leur cahier.
39 L’usage du français servirait alors ici à objectiver les contenus d’enseignement et à les
harmoniser. L’usage du français à l’oral apparait toutefois dans le cadre de formules
ritualisées et comme mots-clés à mémoriser au sein d’énoncés explicatifs en malgache.
Un exemple intéressant est donné dans l’extrait transcrit ci-dessous :
L’enseignante 3 :
voilà ce qu’ils ont fait le
han han misy zavatra nataony ao
décret de paix /
décret de paix /
ça veut dire quoi ?
dia inona no dikan’izany ?
L’enseignante 5 :
qu’est-ce que ça veut
inona no dikan’io ?
dire ?
(elle désigne un élève)
pourquoi ?
regardez bien on se
L’enseignante 7 : arrêTER la
souvient que ici !
GUErre /
ce qui a causé la
satria ahoana anisan’ny ?
révolution russe c’est une
jereo tsara tadidintsika taty an !
conséquence de la guerre
anisan’ny nahatonga revolution
/
russe ny conséquence de la guerre /
c’est-à-dire que les
izany HOE mba hampandroso
conséquences de la
ny fiantraikan’ny ady / dia
guerre font avancer le
anisan’ny tao izany an !
pays / à part ça !
nahatanteraka ny ao amin’ny thèse
est-c’qu’il a bien appliqué
d’avril aloha izy sa tsy ao izay ?
la thèse d’avril oui ou
mety tsara aloha izay satria izy hoe
non ?
arrêter la ?
c’était bien car ça à arrêté
la ?
L’enseignant 17 : un
conduCTEUR ? //est un corps
qui laisse passer ?
L’enseignant 20 : (s’adressant à
est-ce que c’est pareil
l’élève) ka mitovy ny isolant sy
isolant et conducteur ?
conducteur ?
L’élève 21 : ha ha non
fa rehefa hoe samby hafa ! c’est différent !
L’enseignant 22 : (s’adressant à
la classe) hum est-c’que c’est pareil
han ka mitovy ve ny isolant sy isolant et conducteur ?
conducteur ?
41 Dès le tour de parole 19, le français n’est plus conservé que sous la forme d’emprunts
insérés dans les énoncés en malgache (« ny isolant sy conducteur » aux tours de parole 19,
et 22 et « courant » présent deux fois au tour de parole 27). Le passage au malgache
permet un déplacement des frontières didactiques et linguistiques entre enseignant et
enseignés, une élève allant jusqu’à poser une question à l’enseignant sans même lever
la main (tour de parole 19). Il est notable que la prise de parole de chacun, « délivrée »
en quelques sortes, de la langue de l’écrit, est plus spontanée en malgache. Si le français
est présent à l’écrit et à l’oral au début du cours, il est rapidement abandonné par les
enseignants du public. Le malgache assume donc les fonctions de médium
d’enseignement dans les établissements publics témoins.
42 Les enseignants des établissements privés s’efforcent quant à eux de donner également
des explications en français. Au cours de nos observations nous avons considéré qu’il y
avait deux types d’emplois du français à l’oral par les enseignants du privé. Le premier
consiste en des explications de règles, et aurait alors pour objectif de permettre aux
élèves de raisonner en français. Cet emploi consiste en des interactions verticales en
français constatées dans un cours de français à l’ESCA, un des plus prestigieux
établissements de la capitale. La leçon portait sur la transformation des phrases actives
en phrases passives. La leçon est ici expliquée en français à partir d’exemples
d’énoncés, et non pas d’une leçon écrite au tableau. L’enseignante s’assure de la
compréhension des élèves et leur pose des questions collectives. Il y a donc un échange
oral en français entre elle et la classe. Les réponses orales des élèves sont cependant
fortement ritualisées : rompus à l’exercice de l’écoute active, ils finissent en chœur les
phrases de leur enseignante, afin de montrer leur attention et leur compréhension. Le
rythme et l’accentuation caractérisant les propos de l’enseignante jouent un rôle
important pour le repérage et la compréhension des mots-clés par les élèves. La
variable matière (ainsi que la variable établissement) est ici en corrélation directe avec
l’emploi du français dans les interactions.
43 Le second type de leçon donnée et expliquée en français, observée dans un
établissement privé de Majunga, consiste davantage en l’oralisation par l’enseignant de
la leçon écrite au tableau. Toutefois le schéma discursif est proche de celui repéré dans
la leçon de français donnée à l’ESCA.
44 Comme pour le cours de français à l’ESCA les interactions verticales ne sont pas
individualisées, elles réactivent les connaissances des élèves et leur permettent de
mémoriser en français et elles permettent à l’enseignant de s’assurer de leur attention.
Les élèves récitent ensemble une définition (tour de parole 6), répètent un terme connu
(tours de parole 7 et 15) et répondent très brièvement, et toujours collectivement, aux
questions (tours de parole 14 et 16). Le discours de l’enseignant comporte des
explications en français dont les grandes lignes sont écrites au tableau. La langue
française sera utilisée (bien que l’enseignant ait également recours au malgache) tout
au long du cours. Cependant, l’emploi oral du français en classe ne témoigne pas des
caractéristiques discursives habituellement attachées à ce canal de communication : les
répétitions de l’enseignant s’appuient sur le texte du tableau et ne comportent pas de
reformulation, il n’y a pas de véritable échange entre l’enseignant et les élèves qui
répondent collectivement et de façon très ritualisée. Bien que le discours de
l’enseignant comporte une marque de feedback verbal (tour de parole 11 :« A d’accord »)
l’aspect interpersonnel de la langue n’est pas saillant et son discours s’apparente au
monologue. Dans ce cadre on peut difficilement imaginer un collégien prendre la
parole en français de son initiative.
Conclusion
45 Les fonctions des emplois du malgache en classe sont liées au type d’établissement. En
effet, dans les collèges publics le malgache occupe sans conteste la place de médium
officieux alors que dans les établissements privés c’est le français, qui assure également
les fonctions d’explication et d’évaluation.
46 Soulignons que dans tout type d’établissement, le français permet l’usage d’une
terminologie commune relative à la matière enseignée. En ce sens, il remplit la fonction
d’objectivisation du savoir. Les déclarations des collégiens et des enseignants dénotent
de représentations sociales de références ambigües, à l’image des tensions entre les
prescriptions ministérielles, la valorisation sociale du français et les besoins
pragmatiques ressentis par les enseignants.
47 Enfin, toutes nos observations tendent à prouver que les usages des langues au collège
reflètent les rapports diglossiques (et par conséquent les rapports sociaux inégalitaires
des locuteurs), à l’œuvre à Madagascar. La systématisation de l’emploi d’une langue ou
l’autre dans la communication pédagogique remplit une fonction de sélection, l’école
reproduisant les inégalités sociales à travers le système de transmission des savoirs
(Bernstein, 1975). La compréhension approfondie des facteurs pesant sur les
trajectoires scolaires des collégiens malgaches nécessite pourtant l’examen des
multiples relations entre le langage, le savoir et les pratiques de transmission. Une
étude élargie que nous avons menée sur ce sujet, souligne des dynamiques
d’apprentissages différenciées entre les deux villes et les établissements, ce qui soulève
la question des inégalités scolaires et de leur maintien.
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NOTES
1. Cette variété est nommée le kizanatany, ou plus communément le majungais.
2. Py ne s’intéresse pas, dans le cadre de cette étude, au discours métalinguistique,
caractéristique d’une activité réflexive du locuteur sur le langage, mais aux représentations
sociales traitant le langage comme « un objet social à interpréter. » (2004, p. 7).
3. Ces deux questions étaient éloignées l’une de l’autre (question n° 4 et question n° 11) dans le
questionnaire afin de minimiser l’influence que la première question pouvait avoir sur la seconde
4. La question concernait le code utilisé selon l’interlocuteur : « Quelle(s) langue(s) parles-tu :-
avec les professeurs ? - avec les parents ? - avec les frères et sœurs ? - avec les amis ? ». La
question était ouverte et les élèves étaient invités à donner plusieurs réponses. Cependant,
l’ensemble des collégiens interrogés n’ont répondu que par « français » ou « malgache ».
5. Nous supposons donc que les élèves ont compris la question de la manière suivante : « Dans
quelle langue te parle le professeur ? ». Nous estimons ainsi que ces graphiques décrivent les
échanges enseignant-élèves.
6. Le souvenir de l’échec de la malgachisation de l’enseignement s’accompagne d’une
représentation positive de l’enseignement intégralement dispensé en français, langue de mobilité
et de promotion sociale.
7. La question était : « Tu préfères quand le professeur explique en quelle langue ? » La réponse
était ouverte.
8. F. Raison-Jourde souligne que les revues religieuses, premiers supports véhiculant une langue
malgache pure au XIXème siècle, vont influencer les pratiques linguistiques des élèves sortis des
grandes écoles, ces derniers se forçant à perpétuer le purisme élitiste et à renvoyer cette vision
idéale de la langue.
9. Le caractère performatif des idéologies a été mentionné par plusieurs théoriciens notamment
ceux défendant une approche fonctionnelle du discours idéologique. Selon Eagleton, il existe une
sorte « d‘état glissant ou de duplicité enfermé dans le langage idéologique » qui permet au
discours idéologique d’accomplir certains actes ou fonctions en même temps qu’il prétend
constater ou décrire des faits (Eagleton, 1991, p. 19).
10. La lettre D désigne l’enquêteur.
11. La pragmatique malgache est fortement orientée vers la recherche de la préservation de la
face de l’interlocuteur.
12. C.E.G. : Collège d’Enseignement Général. Il s’agit d’un établissement public.
13. Soulignons que depuis la malgachisation de l’enseignement, l’idée que les cours d’histoire
doivent se faire en langue nationale a perduré. Au début des années 90, la politique de retour au
français précise, par la note circulaire du 7 juillet 1992, que la langue nationale reste médium de
l’enseignement pour les matières véhiculant les valeurs malgaches, dont l’histoire (de
Madagascar) fait partie.
14. Chiss définit la langue d’enseignement comme celle servant à « la mise en forme des savoirs
(contenus, manuels, etc.…) » et la langue des apprentissages comme « les formes linguistiques et
rhétoriques dans lesquelles les tâches scolaires sont codifiées (explications, consignes,
évaluations, etc.…). » (Chiss, 2005).
RÉSUMÉS
Le présent article propose une étude des formes et des fonctions des langues présentes dans la
communication pédagogique dans des classes de collèges de deux villes de Madagascar. Selon une
analyse croisée de trois corpus de natures différentes recueillis auprès des enseignants du
secondaire et de leurs élèves, nous présentons une étude comparative des représentations
linguistiques, des pratiques langagières et des modalités de transmission des connaissances dans
des établissements d’Antananarivo et Majunga. L’hétérogénéité des pratiques et des
représentations linguistiques et les enjeux inhérents révélés par l’analyse, dénotent d’une
dynamique de maintien des inégalités scolaires, miroirs des disparités sociales à Madagascar.
In this paper we study the features and functions of educational languages in high schools of two
Madagascar’s cities. From a cross-analysis of three different data sets collected with school
teachers and their students, we present a comparative study of linguistic representations of
language practices and knowledge transfer methods in higher education establishments of
Antananarivo and Mahajanga. The revealed heterogeneity of linguistic uses and believes/
preconceived as well as their intrinsic challenges, denote a dynamic of educational inequality
maintenance mirror Madagascar´s social disparities.
INDEX
Mots-clés : pratiques langagières, inégalités scolaires, alternance codique, langue
d’enseignement
Keywords : language practices, educational inequalities, code-switching, language of instruction
Thèmes : Articles pédagogiques
AUTEUR
DAPHNÉ BLOCH
Université de Rouen – Dylis – EA 7474
Daphné Bloch est docteure en Sciences du langage, professeure de Français Langue Etrangère et
de Lettres modernes. Elle a enseigné en Afrique Subsaharienne et dans l’Océan Indien. Sa thèse a
analysé l’impact des pratiques de transmission des savoirs et celui des pratiques langagières sur
les trajectoires scolaires, dans des classes de différents collèges à Madagascar.
daphnebloch80[at]gmail.com
Comptes-rendus
Sous la direction de Marc Debono
pour ne pas donner l’impression que l’un ou l’autre est moins important ce qui pourrait
provoquer un désinvestissement des apprenants. Elke Nissen donne plusieurs pistes sur
les moyens de maintenir l’investissement : chaque tâche est évaluée, l’apprenant
comprend le rôle d’une activité au sein des objectifs de la formation, le résultat d’une
tâche s’imbrique dans la tâche suivante, un journal de bord permet de rendre compte
des activités de l’apprenant. Le facteur temporel est le dernier point de cette
dimension, il se reflète dans la structuration du scénario avant, pendant et après, de
manière régulière ou plus asymétrique. Au sein de cette deuxième dimension, tournée
autour de l’alternance et de la complémentarité, l’autrice rappelle néanmoins qu’il
existe presque toujours un « mode pilier » (lead mode) – la dominance d’un mode sur
l’autre, ce qui est aussi le cœur de la réussite des FHL. Ce mode pilier est déterminé en
prenant 4 caractéristiques : le mode dans lequel (1) les consignes sont données, (2) le
déroulement de la formation est expliqué, (3) les apprenants passent le plus de temps et
(4) sa conception a été pensée. Il ne s’agit là pas d’une prédétermination (ce mode peut
changer au cours du dispositif) ni d’une domination (il y a alternance) mais c’est ce qui
permet d’afficher clairement le fonctionnement de la formation aux apprenants. Pour
finir, le troisième point pose la question du choix des outils et notamment celui des
critères de leur sélection (accessibles, adaptés, au service des objectifs pédagogiques).
5 Suite à cette proposition d’articulation entre présentiel et distanciel, le chapitre 3
montre l’intérêt de « s’appuyer sur une approche par tâche(s) ». L’autrice rappelle que
la notion de « tâche » est ancienne, même si les auteurs cités ne le mentionnaient pas
de cette manière (Dewey, Freinet, etc.), et si cette étiquette a pris une ampleur
particulière avec l’avènement de l’approche actionnelle. Il s’agit avant tout de
reconnaitre l’action comme vecteur de sens pour l’apprentissage en lui donnant un but
ancré dans les pratiques de la société comme élaborer un produit, savourer une
expérience esthétique, résoudre un problème ou atteindre un certain degré de
compétence. Les compétences visées ne sont pas forcément langagières et s’appuient
sur un contexte social entourant l’apprenant ou son futur. A partir de ce
positionnement général, plusieurs notions sont explicitées : la tâche complexe, qui
comporte des sous-tâches (contrairement à une tâche simple), et qui n’est pas
forcément finale dans le dispositif ; les sous-tâches ou étapes sont orientées vers
l’accomplissement de la tâche ; les activités d’entrainement qui visent à préparer des
compétences utiles pour la réalisation de la tâche ; et enfin, des aides qui facilitent le
processus de réussite. Dans ce cadre, trois types de scénarios pédagogiques se
détachent :
• Une seule tâche comme élément structurant : l’objectif est la réalisation d’une tâche unique
qui se décompose en différentes étapes prenant la forme d’unités ou de modules successifs.
• Plusieurs tâches s’enchainent et forment ensemble la colonne vertébrale du scénario
pédagogique : le scénario pédagogique se compose de plusieurs tâches qui se suivent d’après
une logique variable. Cette logique peut s’appuyer sur la nature des tâches, leur
recoupement partiel ou une situation globale partagée.
• Le même type de tâche est proposé de manière itérative (répétée et à intervalle régulier).
6 De manière transversale, la notion de tâche questionne les critères de son authenticité
(sociale). Pour l’autrice, elle peut prendre quatre formes : (1) la préparation d’une tâche
sociale réelle, (2) une tâche s’inscrivant dans un objectif éducationnel, (3) une
simulation soit une tâche « sociale » mais reproduite dans le cadre pédagogique, ou
bien (4) les objectifs d’apprentissage et sociaux sont combinés. Elke Nissen propose de
sur l’autonomisation de l’apprenant qu’elle définit comme une compétence qui permet
d’être acteur de sa formation et de la réussir, et qui s’acquiert. Il s’agit de soutenir
l’apprenant pour qu’il soit capable de réussir les activités pédagogiques et qu’il sache
gérer différents degrés de responsabilité (organisationnelle, méthodologique, sociale,
etc.). Ce soutien passe notamment par la structuration du scénario pédagogique, qui est
clair dès le début de la formation, tout en laissant aux apprenants une certaine liberté
notamment dans le choix des outils et des ressources. Plusieurs exemples sont ainsi
donnés pour illustrer les différents types de soutien. Cependant, elle reconnait que ce
type les FHL ne convient pas à tous les apprenants pour des raisons diverses : maitrise
des outils informatiques, changement dans les habitudes d’apprentissage, faible
engagement, etc. De ce fait, la présence sociale de l’enseignant-tuteur est déterminante
car elle contribue à l’engagement de l’apprenant et donc à la réussite de l’hybridation.
Toutefois, certaines des fonctions de l’enseignant-tuteur sont également prises en
charge par l’environnement techno-pédagogique. Ainsi, l’enseignant-tuteur a des rôles
multiples qui évoluent au cours des scénarios pédagogique et de communication (aide
pour gérer et planifier l’apprentissage, création d’un climat de travail favorable,
indication des critères d’évaluation, etc.). Dans les particularités des FHL, notons que
lorsque des enseignants et/ou tuteurs reprennent une formation sans en avoir pris en
charge une partie de la conception (et donc pensé le fil rouge), les principaux enjeux
sont de saisir comment fonctionne cette formation afin d’être capables de s’approprier
l’approche méthodologique pour mieux expliquer le scénario pédagogique aux
apprenants. D’autres facteurs professionnels sont également centraux : pouvoir faire
évoluer le scénario pédagogique, intégrer une équipe de tuteurs, se sentir à l’aise avec
les outils ou apprécier les contenus de la formation. La formation des enseignants au
scénario pédagogique est indispensable. Dans les FHL, l’accompagnement par les pairs
est tout aussi important que celui apporté par l’enseignant et l’environnement techno-
pédagogique. Dans une perspective socioconstructiviste, Elke Nissen rappelle la
nécessité des interactions humaines dans le développement langagier en tant que
production sociale. Cependant, si ces interactions sont fréquentes dans les FHL, le
travail collectif y est parfois erratique. Pourtant, favoriser la création de communautés
d’apprenants dans les deux modes (présentiel et distanciel) est crucial surtout si l’on
adopte une pédagogie centrée sur l’action et les apprenants (par exemple, la résolution
de problèmes). Pour l’autrice, le travail en groupe est un élément facilitant
l’autonomisation individuelle. Les principaux enjeux autour de l’intégration du travail
en groupe en FHL sont la nécessité d’une plus grande autonomie organisationnelle des
apprenants, la possibilité d’avoir accès à des outils robustes permettant le travail en
groupe à distance, la reconnaissance du travail que cela implique pour l’enseignant en
dehors du présentiel, et la nécessité d’un panachage d’évaluations individuelles et
collectives. Il devient alors nécessaire de distinguer la collaboration (les membres du
groupe négocient conjointement l’ensemble des étapes de production) et la coopération
(les membres du groupe se divisent le travail puis assemblent à la fin ces parties qui
forme une production conjointe). Favoriser une démarche de collaboration implique la
création d’une communauté, et donc d’un sentiment d’appartenance au groupe, qui
participera au succès de la FHL.
9 Le chapitre 6 est en fait la conclusion de l’ouvrage. Il propose des outils tangibles pour
les acteurs de la formation en langue : une taxonomie synthétisant les différents
paramètres qui interviennent dans l’articulation des modes présentiel et distanciel,
mais aussi une typologie des FHL et des conditions de leur mise en place dans d’autres
contextes que celui de l’enseignement supérieur.
10 Dans son ensemble, cet ouvrage répond au cadre posé par l’autrice, à savoir, fournir
aux acteurs de l’enseignement-apprentissage des langues un outil pratique qui
organise, dans une perspective d’ingénierie pédagogique et de formation, les clés pour
la mise en place de formations hybrides en langues. L’organisation même de l’ouvrage
permet à son lecteur de trouver des éléments de synthèse (des encadrés, des
taxonomies, des schématisations) mettant en évidence les caractéristiques de FHL
complexes mais aussi des descriptions détaillées qui fournissent le matériel nécessaire
pour construire des scénarios pédagogiques et de communication opérationnels. Le
fonctionnement de la réflexion en entonnoir (partir d’exemples variés de FHL pour
déterminer des clés de réussite) fait son originalité et sa force pour les acteurs de la
didactique des langues-cultures. Cet ouvrage joue un rôle important pour souligner le
fait que les formations hybrides en langues sont un « genre de formation spécifique »
(p. 17) et doivent être conçues dès le début comme telles en dehors de toute volonté de
transposer des approches du présentiel vers l’hybride. Ce point, qui pourrait sembler
négligeable, est nécessaire pour inciter les institutions à mieux reconnaitre ce type de
formations alors qu’elles fonctionnent souvent administrativement sur la base d’un
cours magistral. Ces difficultés sont cependant partagées avec d’autres approches que
les FHL lorsqu’il est nécessaire de déconstruire les espaces physiques et temporels de la
« salle de classe ».
11 Ce positionnement général en ingénierie pédagogique de la question des FHL amène à
une focalisation « de niveau micro ou encore méso » (p. 16). Tout en reconnaissant
qu’une démarche globale sur l’articulation des différents niveaux (micro, méso et
macro) n’est pas le centre de l’ouvrage et nécessite d’intégrer les travaux en histoire de
la didactique tout autant qu’en politique éducative, une telle démarche permettrait
néanmoins de mieux situer ces pratiques dans une démarche d’analyse didactique
glocale (Robertson, 1995) et de circulation des représentations. Il nous semble qu’un
certain nombre d’éléments pourraient être pris en compte en complément de cet
ouvrage pour aller plus loin dans une démarche holistique. Tout d’abord, il nous semble
important de remarquer, tout comme le fait l’autrice dans la partie 6.3, « Conditions pour
la mise en place d’une FHL dans d’autres contextes que celui de l’enseignement supérieur » (p.
254), que la majorité des exemples de dispositifs exploités a été mise en place à
l’université. Or, d’une part, les enjeux mis en évidence dans les FHL posent l’importance
de l’implémentation de ces dispositifs dès le système primaire et secondaire pour
réduire les conséquences inhérentes à des approches dominantes actuelles
transmissives et fermées dans la « salle de classe » (notamment le niveau réel en
langues des bacheliers). Mais aussi, et d’autre part, il semble nécessaire de préciser la
réalité des pratiques sur le terrain de l’enseignement des langues. Si la recherche
montre clairement l’apport des formations hybrides par rapport au tout présentiel ou à
l’autoformation (Narcy-Combes et al., 2019) et si les enseignants peuvent être (de plus
en plus) convaincus par ce type de dispositifs, il n’en reste pas moins vrai que de
nombreuses limites expliquent le faible taux de mise en place de FHL dans les
institutions. Ces limites sont, entre autres, la non-reconnaissance du temps de travail
supplémentaire que cela nécessite pour les enseignants de langues, la modification
hebdomadaire des cohortes d’apprenants et la non-rémunération de la formation
continue des enseignants. Ainsi, si l’on reconnait qu’il n’existe pas de « résistance au
changement » (Duclos, 2015) de la part des enseignants face au numérique, ce sont bien
13 L’ouvrage d’Elke Nissen est un support qui apporte de nombreuses réponses à des
acteurs de la didactique des langues qui se trouvent confrontés à la mise en place de
formations hybrides en langues ou à une envie de les tester. C’est un ouvrage qui prend
logiquement sa place dans une collection (Langues & didactiques aux Editions Didier).
En effet, un certain nombre des questions qu’il soulève sur la complémentarité entre
théories et pratiques tout en faisant appel à de nombreuses disciplines, tant il s’agit
d’objets complexes, ont eu des réponses dans l’ouvrage qui le précède dans la collection
(Narcy-Combes & Narcy-Combes, 2019) et dont la conclusion souligne que les
formations hybrides semblent les plus pertinentes pour répondre aux problèmes que
soulève aujourd’hui l’apprentissage des langues en milieu institutionnel.
BIBLIOGRAPHIE
Arnold, J. (2000). Affect in Language Learning. Cambridge: Cambridge University Press.
Narcy-Combes J.-P., Narcy-Combes M.-F. (2019). Cognition et personnalité dans l’apprentissage des
langues. Relier théorie et pratique. Paris : Didier.
Narcy-Combes, M.-F., Narcy-Combes, J.-P., MacAllister, J., Leclerc M. & Miras, G. (2019). Language
Learning and Teaching in a Multilingual World. Bristol: Multilingual Matters.
INDEX
Thèmes : Comptes rendus
AUTEUR
GRÉGORY MIRAS
Université de Rouen Normandie, DYLIS-EA7474
Grégory Miras est maître de conférences au laboratoire DYLIS (EA7474) à l’Université de Rouen
Normandie. Ses thématiques de recherche portent à la fois sur la compréhension des mécanismes
de perception/production des sons en langue étrangère mais aussi sur les technologies
numériques pour l’enseignement/apprentissage des langues. Il s’intéresse également à
l’épistémologie de la connaissance didactique.
gregory.miras[at]univ-rouen.fr
https://sites.google.com/site/gregorymiras/home
NOTE DE L’ÉDITEUR
La ligne éditoriale de RDLC se veut débattante : il est demandé aux auteur.e.s des
comptes rendus de prendre en compte cette visée.
Le présent droit de réponse s'appuie sur un compte-rendu publié dans un précédent
numéro de notre revue (16-2).
https://journals.openedition.org/rdlc/7146
1 On se plaint souvent que nos disciplines soient si peu l’objet de débats. Nous-même
(Maurer) avons regretté que notre ouvrage polémique de 2011 ne s’attire pas plus de
volées de bois vert, de celles qui montrent qu’au moins vous avez été lu et qui vous
permettent de revenir sur quelques points méritant correction ou… plus amples
développements. Nous ne pensions pas que ce soit un ouvrage collectif co-dirigé, un
livre en forme de bilan/perspectives sur la situation de l’enseignement-apprentissage
des langues en Afrique qui nous donnerait l’occasion d’entrer dans une saine
controverse ! Mais soit ! Un compte-rendu a été fait de notre livre collectif et il l’a été
de manière assez particulière, par un mélange de survol à très haute altitude de son
contenu, de manipulations, de procès d’intention étranges et de plaidoyer pro domo…
ou pro épistémologie phénoménologique herméneutique, ce qui était pour le coup
assez inattendu vu le terrain qui était le nôtre, celui de l’école africaine.
2 Nous développerons notre droit de réponse en cinq points.
3 Une lecture attentive du « compte rendu » de Valentin Feussi montre à quel point son
texte ne rend pas compte de l’ouvrage que nous avons coordonné. Ainsi, l’articulation
du livre en trois parties n’est pas du tout présentée, ni la nature de cette crise de
l’apprentissage qui est dans le titre et qui occupe pourtant le cœur de l’ouvrage
collectif, ni aucune de ses manifestations concrètes, que nous (Puren/Maurer) avons
posées de manière pourtant détaillée dans le préambule, et sur laquelle nous sommes
revenus dans une postface d’une quinzaine de pages. Le lecteur ne pourra se faire
aucune idée des problématiques abordées, éléments factuels dont il devrait en premier
lieu avoir connaissance.
4 La liste des auteurs (25) qui ont contribué est également un minimum pour commencer
à se faire une idée de l’ouvrage. Les auteurs de deux chapitres de l’ouvrage (Koia Jean-
Martial Kouamé et Thibaut Lauwerier, soient 35 pages dans le recueil) ne sont pas
mentionnés, La présentation des autres contributions est expédiée par allusions :
• Quelques lignes, à peine, pour les textes de Kouassi Gérard Abaka, de Thierry Gaillat,
Christian Ollivier, Sylvie Wharton et Issa Youssouf et de Muriel Nicot-Guillorel ;
• Deux notes de bas de pages suffisent à rendre compte de la réflexion menée par Guy
Romuald Ouedraogo et Afsata Pare-Kabore ;
• Quelques mots seulement pour Adjoua Valérie Djè (5 mots pour résumer 17 pages), Moira
Laffranchini Ngoenha et Harouna Diallo (13 mots pour 18 pages) ;
• Le renvoi rapide, sans plus de développement, vers une page du texte d’Iramène Destin et de
Georges Daniel Véronique.
5 Si l’on raisonne en termes géographiques, les dix-sept études de cas, déployées sur un
grand nombre de situations précises, nationales ou régionales, sont avalées à travers
quelques rapides allusions à ces contextes : on trouve deux fois le mot Burkina Faso,
une fois Sénégal, une fois Côte d’ivoire (quand trois chapitres sont consacrés à ce seul
pays), une fois Niger, etc. On voit là aussi que le CR est un survol fait à très très haute
altitude, avec la hauteur de vue un peu fautive des héros de Jules Verne dans Cinq
semaines en ballon…
Cette critique est d’ailleurs étendue à l’ensemble de l’ouvrage accusé de « négliger les
arrière-plans politiques, idéologiques et historiques des démarches proposées » ou
encore de ne pas proposer de « problématisation pertinente et argumentée » (au sujet
du statut du chercheur). Nous réfutons bien entendu ces critiques, une importance
toute particulière étant précisément accordée dans la plupart des contributions aux
enjeux politiques, historiques et institutionnels liés aux différents contextes éducatifs
décrits et analysés. Mais peut-être n’est-ce pas là ce que Feussi appelle des questions de
fond. Au fond se trouvent sans doute… les mystérieuses racines : nous y reviendrons au
point 5.
8 Une autre critique récurrente est liée à l’absence d’originalité des solutions ou
approches proposées dans l’ouvrage pour faire face à la crise de l’éducation dans ces
pays. Là encore, l’auteur fait fausse route. L’originalité de l’ouvrage, s’il y en a une, a
consisté à proposer, modestement, une réflexion de fond, à travers un bilan qui n’avait
alors jamais été effectué sous cette forme et à cette échelle, sur les dysfonctionnements
éducatifs en Afrique francophone subsaharienne (désormais AFS) et quelques pistes
susceptibles d’améliorer la situation, sans qu’à aucun moment celles-ci aient pu être
mises en avant comme totalement originales ou radicalement novatrices. Il n’existe
évidemment pas de solution miracle ni de baguette magique pour résoudre la crise
éducative que traverse l’AFS. Il est d’ailleurs assez cocasse de constater que, tout en
adoptant une position critique envers toute prétention à l’innovation ou à l’originalité
en didactique, Feussi en vienne lui-même à se targuer de proposer « une option
émancipatrice et originale », sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus loin
(point 5). Ailleurs, l’auteur s’adonne à un pinaillage stérile. Ainsi, dans la contribution
pourtant riche de Fandy et Vigouroux, il se focalise sur un détail terminologique,
reprochant aux auteures leur choix du terme « translanguaging » (qui ne présente
pourtant qu’une seule occurrence dans leur texte...) en lieu et en place de « compétence
plurilingue » consacré par Danièle Moore. La belle affaire...
9 Un autre procédé de l’auteur consiste, sous forme d’insinuations, à nous prêter des
intentions inavouables.
10 Ne serions-nous pas tout d’abord des suppôts de ce libéralisme effréné qui nuit tant à
l’Afrique ? Nous avons en effet commis le crime impardonnable d’effectuer une
référence « plutôt élogieuse », d’après l’auteur, à la Banque mondiale, celui-ci
regrettant « l’adossement de cet ouvrage au point de vue de le (sic) poids de la banque
mondiale »1 et s’interrogeant pour savoir si l’ajout de cette référence n’avait pas été
initié par notre éditeur... Mais de quoi s’agit-il exactement ? Feussi fait référence à une
citation de quelques mots - « Schooling is not the same as learning » - figurant sur la
quatrième de couverture et extraite du rapport 2018 de ladite Banque mondiale -
Learning to realize education’s promise - consacré aux questions éducatives. Nous
confirmons tout d’abord que le choix de cette citation est bien le nôtre, et non celui de
l’éditeur. Ensuite comme le souligne Patrick Chardenet, directeur de la collection
« Champs didactiques plurilingues », chez Peter Lang, dans laquelle cet ouvrage a été
publié, « sur le plan de l’énonciation, il [...] semble difficile de voir dans la phrase [citée]
plus qu’une référence tout court. Il n’y a là rien d’élogieux du strict point de vue
discursif. » (Voir son droit de réponse dans ce même numéro). Ajoutons que ce rapport
n’a évidemment pas été rédigé par une entité anonyme nommée « Banque mondiale »
mais qu’il est le fruit de la synthèse de travaux pluridisciplinaires d’une trentaine de
chercheurs internationaux (éducateurs, économistes, spécialistes du développement
dans les pays émergents, etc.). Au nom de quel principe ou de quelle doctrine devrions-
nous nous priver de lire ou de citer un rapport, dès lors que son contenu nous semble
en mesure d’éclairer notre problématique ?
11 Autre élément incriminant et accusation suprême pour des chercheurs travaillant sur
l’Afrique : notre projet éditorial et les propositions que nous y faisons ne seraient-ils
pas entachés de néo-colonialisme ? Ainsi la recherche-action dans laquelle nous nous
inscrivons dans l’ouvrage « ne serait adossée », indique Feussi, « qu’à la perspective
rationaliste et diffusionniste caractéristique de l’enseignement-apprentissage (du
français) en Afrique depuis la période coloniale ». Ailleurs, l’auteur évoque, concernant
une proposition que nous (Puren) effectuions concernant le développement dans la
formation de formateurs de l’analyse de pratiques professionnelles, « une importation
de modèles venus d’ailleurs » qui « pourrait être reçue comme du colonialisme
méthodologique sous-jacent au « dispositif de scolarisation » ». Le concept de langue,
tel qu’il apparaîtrait dans notre ouvrage, serait défini selon des « catégories
prioritairement occidentales ». Enfin, Feussi appelle de ses vœux une « décolonisation
des savoirs », sans que l’on sache à quels savoirs il fait allusion, ni en quoi les dits
savoirs seraient aujourd’hui sous l’emprise d’un quelconque pouvoir colonial. Pour
répondre à ces accusations sans fondements, rappelons tout d’abord, comme nous
l’avions souligné dans le préambule de l’ouvrage (p. 23), que sur les dix-sept chapitres
composant cet ouvrage, « sept émanent d’auteurs africains comme uniques rédacteurs,
quatre associent chercheurs africains et européens ou nord-américains, six sont le fait
de chercheurs européens seulement (cinq d’universités françaises, un de Suisse). » Et
nous ajoutions : « ll y a lieu de s’en réjouir : une bonne part des analyses vient du
continent africain et est le fait de chercheurs encore jeunes, parfois doctorants ou
fraîchement docteurs. » Nous serions curieux de savoir comment Feussi pourrait
expliquer à nos collègues de l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan (Côte
d’Ivoire), de l’Université Mouloud Mammeri à Tizi-Ouzou (Algérie), de l’Université
Norbert Zongo à Koudougou (Burkina Faso), de l’Université de Ngaoundéré (Cameroun),
de l’Université des Comores/IFERE à Moroni, du Ministère de l’éducation nationale et
de l’Alphabétisation (MENA) à Ouagadougou (Burkina Faso), en quoi leurs propositions,
analyses et modèles seraient des résurgences ou des continuités de l’idéologie
coloniale. Rappelons par ailleurs que la recherche OPERA, conduite au Burkina Faso,
que nous citons en modèle pour ce qui est de l’importance, à notre sens, d’un travail sur
l’analyse des pratiques dans la formation de formateurs, est le fruit d’un travail
d’équipe entre une chercheuse française, Marguerite Altet (voir son chapitre dans
l’ouvrage) et deux collègues d’Afrique : Afsata Paré-Kaboré, du Burkina Faso (également
auteure dans notre ouvrage) et Nacuzon Sall, du Sénégal.
12 Il n’a bien sûr jamais été question dans nos propositions d’imposer des « modèles venus
d’ailleurs », c’est au contraire tout ce que nous dénonçons à travers notamment les
critiques réitérées portées contre l’APC (contributions de Berkaine, Destin &
Véronique, Puren). Réfléchir à des méthodes pédagogiques, des dispositifs de
formation, des curricula, etc. susceptibles d’améliorer la situation éducative de ces pays
ne revient pas à opposer de manière caricaturale, comme le fait Feussi, dans sa vision
clivante et dogmatique, approches/conceptions africaines versus occidentales de la
langue2 et de l’éducation. Il est d’ailleurs ici également cocasse de noter que les
13 Parmi les procédés auxquels Feussi recourt pour la rédaction de son CR, il en est un
particulièrement retors qui consiste à déformer la pensée d’un auteur au point de faire
tenir à celui-ci des propos qu’il n’a pas eus, allant souvent jusqu’au contre-sens,
essentiellement dans le but de servir sa propre argumentation et d’alimenter son
idéologie. Un terme ancien qui a presque disparu de la langue française rend
parfaitement compte de ce procédé malhonnête : détorquer, du latin detorquerer
(« détourner »), d’où notre archaïsme, détorcation.
14 L’exemple le plus frappant apparaît dans la présentation (tronquée) qu’il effectue de la
contribution de Muriel Nicot-Guillorel sur une application de la démarche OPERA en
Casamance, au Sénégal. L’auteure y présente l’utilisation de tablettes numériques pour
filmer et analyser des pratiques de classe dans le cadre d’une formation continue.
Plutôt que de critiquer lui-même ce recours au numérique, Feussi, dans un exercice
douteux de ventriloquie, préfère faire parler l’une des autres auteures de l’ouvrage à
laquelle il prête des propos qu’elle n’a jamais tenus… sur ce sujet précis :
« [...] ailleurs dans le volume, Michèle Verdelhan-Bourgade (p. 298-299) ne manque
pas de souligner que le recours aux outils informatiques n’apporte rien de pertinent
dans la résolution des problèmes liés à l’école en Afrique. »
15 Premièrement, dans sa contribution, Michèle Verdelhan-Bourgade parle des manuels,
pas des limites des approches réflexives recourant au numérique dans la formation des
enseignants et elle évoque les limites des TICE dans les ressources pour la classe, ce qui
n’est évidemment pas comparable. Ensuite sur la question du numérique, elle indique
simplement qu’en raison de la rareté des outils informatiques et des supports
d’apprentissage dématérialisés, de la qualité pédagogique encore peu probante de ces
derniers et de différentes considérations, notamment matérielles, le manuel papier lui
semblait préférable à d’autres solutions de type tablette. À aucun moment, elle
n’indique sur le ton péremptoire que Feussi lui prête, que les TICE ne contribuent pas à
l’amélioration de la situation éducative en Afrique !
16 Cette manie qu’a Feussi de vouloir, de manière tout à fait artificielle et simpliste,
opposer entre elles des contributions ou mettre dos-à-dos certains de leurs auteurs/
eures se retrouve encore dans cette « incohérence » qu’il pense relever dans la
troisième partie de l’ouvrage. Alors qu’Afsata Pare-Kabore et Guy Romuald Ouedraogo
s’attachent à analyser la situation de l’enseignement bilingue au Burkina Faso sous
l’angle de la formation initiale et continue des enseignants, Cosme Zinsou Fandy et
Cécile B. Vigouroux, s’intéressent, pour leur part, à la mise en œuvre, au Bénin, de
24 Si l’auteur se montre si peu loquace sur le contenu de l’ouvrage (cf. 1), s’il réduit la
pensée des différents contributeurs à quelques propos laconiques souvent déformés (cf.
4), quand il n’omet pas purement et simplement de les mentionner, en revanche, il ne
fait pas dans l’économie lorsqu’il s’agit de développer les théories de son laboratoire
qui, en réalité, occupent la place principale de son texte. Le rôle d’un « compte rendu »
n’est-il pas d’abord et avant tout de « rendre compte » d’un ouvrage plutôt que
d’instrumentaliser celui-ci en s’en servant comme d’un prétexte pour publier un
manifeste célébrant les théories d’un groupe ?
25 Une des attitudes disqualifiantes de Feussi consiste à poser, sans plus de preuves, que
nous ne faisons jamais de réflexion épistémologique : en quelque sorte nous
manquerions de profondeur de vue. En voici un premier exemple :
« Il est également cohérent de dire que certaines autres causes de la crise de
l’apprentissage sont d’ordre politique et économique (le soft-power). Toutefois,
pourquoi ne pas mener de réflexion sur les fondements épistémologiques des
différentes approches curriculaires dans la formation des enseignants et dans les
pratiques enseignantes notamment ? »
26 Et un second :
« Etant donné qu’un des buts de cet ouvrage s’inscrit dans la perspective de la
« recherche-action » qui vise « l’amélioration » (Laurent Puren et Bruno Maurer,
p. 448) ou la recherche d’efficacité de l’action à la fois des apprenants, des
enseignants, des institutions (éducatives) et probablement des chercheurs, ne peut-
on pas penser que l’absence de réflexion épistémologique révèle une conception
pragmatiste de l’enseignement des langues qui semble réductrice (Castellotti,
2017) ? »
27 Les arguments semblent imparables : que répondre ? On répondra qu’il s’agit d’un
procédé rhétorique relativement malhonnête qui consiste à dire que l’autre n’est même
pas dans la bonne position pour débattre, qu’il n’est scientifiquement pas qualifié. Pour
cela, rien de tel que d’utiliser la bonne vieille métaphore des racines et des feuilles, un
classique bio-didactique de l’argumentaire dynadivien que Feussi attribue à Debono :
« On pourrait alors réfléchir aux situations didactiques plus globales, sans se limiter
aux feuilles de l’arbre mais en s’intéressant prioritairement aux dimensions
épistémologiques, qui en constituent les racines (pour reprendre la métaphore de
Debono, 2018). »
28 Le même procédé rhétorique est utilisé par Castellotti, Debono et Huver, quand, à
propos d’écrits traitant de la FOAD dans une optique sociocritique, ils/elles affirment :
« [...] ces travaux ne touchent que les feuilles de l’arbre, sans aller jusqu’aux racines
[...] » (2017 : 123). On l’aura compris, pour Feussi, la pensée des Béotiens non PH ne
saurait être assez profonde : aux « bas du front », les feuilles, aux esprits supérieurs, les
racines qui leur ouvrent l’accès à la compréhension du monde dans toute sa
complexité. Qu’on se le dise : une pensée critique non estampillée PH n’en sera jamais
une...
29 Pour le détail des contre-propositions, le lecteur ira voir les longs passages de la fin de
son écrit où des positions humboldtiennes sont suggérées : toutes ces suggestions de
Feussi censées proposer une alternative à nos analyses nous sembleraient belles et
bonnes si elles n’étaient d’une grande naïveté au fond, furieusement déconnectées du
réel, sans jamais aucun ancrage didactique, ni réel fondement théorique en dehors de
quelques noms jetés comme des mantras (Manessy à la rescousse), et toujours colorées
de procès d’intentions. Nous pourrions reprendre ses assertions phrase à phrase mais
l’exercice serait peut-être lassant.
30 Pour terminer cette polémique, en lieu et place de la conception de l’épistémologie
fermée, exclusive, qui nous est opposée, nous préférons largement cette autre
conception que propose Christian Puren (1994 : 89), en faisant référence à
l’épistémologie de la complexité d’Edgar Morin (1990) :
« L’épistémologie complexe d’E. Morin se veut donc ouverte et accueillante, à
l’opposé de l’« épistémologie gendarme » de certains, qui la considèrent comme un
point stratégique à occuper pour contrôler souverainement toute connaissance,
rejeter toute théorie adverse, et se donner le monopole de la vérification, donc de la
vérité (idem, p. 67). L’épistémologie complexe, au contraire, « est le lieu à la fois de
l’incertitude et de la dialogique. En effet, toutes les incertitudes [...] doivent se
confronter, se corriger les unes les autres, entre-dialoguer sans toutefois qu’on
puisse espérer boucher avec du sparadrap idéologique la brèche ultime. »
31 Puren poursuit en rappelant que pour Morin, paradoxalement, l’épistémologie
complexe est dépourvue de fondement (1990 : 24), dans le sens où, à l’opposé du
positivisme logique, elle prend en compte le fait qu’il n’existe aucun fondement certain
pour la connaissance :
BIBLIOGRAPHIE
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l’innovation » ? Réflexion à partir du corrélat innovation / créativité en didactique des langues »,
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Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien : Peter Lang, Collection Champs didactiques plurilingues.
NOTES
1. Note de bas de page n° 7 du CR publié sur HAL, élément apparemment expurgé de la
version publiée dans les RDLC. cf. https://www.researchgate.net/publication/
333809020_Compte_rendu_de_Laurent_Puren_et_Bruno_Maurer_2018_La_crise_de_l'apprentissage_en_Afrique_francoph
2. Qu’il nous explique d’ailleurs comment devrait se décliner le concept de langue selon
des catégories prioritairement non occidentales, en l’occurrence africaines (si cette
dernière globalisation a un sens).
INDEX
Thèmes : Comptes rendus
NOTE DE L’ÉDITEUR
La ligne éditoriale de RDLC se veut débattante : il est demandé aux auteur.e.s des
comptes rendus de prendre en compte cette visée.
Le présent droit de réponse s'appuie sur un compte-rendu publié dans un précédent
numéro de notre revue (16-2).
https://journals.openedition.org/rdlc/7146
didactiques » (p. 2), avant d’ajouter un regret « J’ai maintenu cette attente malgré la
référence plutôt élogieuse à la Banque mondiale en 4 ème de couverture. Mais peut-
être était-ce une exigence de l’éditeur de cet ouvrage ? »
3 Cette dernière remarque nous invite dans le débat au niveau de ce qui relève de notre
responsabilité : l’intégrité éditoriale. D’abord, sur le plan de l’énonciation, il semble
difficile de voir dans la phrase « Schooling is not the same as learning » : ainsi débute le
rapport 2018 de la Banque mondiale sur le développement dans le monde – « Learning
to realize education’s promise » – consacré intégralement aux questions éducatives. »
plus qu’une référence tout court. Il n’y a là rien d’élogieux du strict point de vue
discursif. Ensuite sur le plan de l’énoncé, la référence à un possible lien de
subordination entre l’éditeur et la Banque mondiale ne repose sur aucune donnée
factuelle.
4 Nous souhaitons donc rassurer les lecteurs sur la qualité de la relation qui nous unit
aux auteurs de la collection et qui se fonde sur l’indépendance scientifique.
INDEX
Thèmes : Comptes rendus
AUTEUR
PATRICK CHARDENET
Directeur collection « Champs Didactiques Plurilingues : données pour des politiques
stratégiques », P.I.E. Peter Lang S.A. – Éditions Scientifiques Internationales.
Jeunes chercheur.e.s
Sous la direction de José Aguilar-Rio
Marcos Maldonado
12 Dans le cadre de la formation initiale, nous considérons le stage comme l’activité dans
laquelle les étudiants entrent dans les écoles afin de réaliser leurs premières
expériences d’enseignants. Suivant Edelstein (2013 : 35), nous considérons que ce
contact avec l’école met en jeu une multiplicité de relations : « vínculos entre
instituciones, con historias y trayectorias diferentes ; vínculos entre sujetos sociales
cuya perte- nencia los coloca en lugares que portan socialmente significados también
diferentes2 ». Cette pratique implique, en outre, un processus complexe de
transformation identitaire (Vanhulle, 2009), puisque les stagiaires, en premier lieu,
changent leur relation avec l’objet d’étude (Bombini, 2012 : 5) et assument des rôles en
alternance, étudiant, enseignant, stagiaires, qui se manifestent selon le contexte et le
contact avec les sujets concernés : professeur formateur, élèves, enseignant de l’école.
13 La complexité de cette identité multiforme assumée au cours de l’activité de formation
implique également des responsabilités différentes : en tant qu’étudiants, ils sont
évalués par leur formateur, par l’institution formatrice. L’activité fait partie d’un
15 Dans l’activité du stage, comme déjà mentionné, la formation implique une alternance
entre deux contextes différents (Vanhulle, Merhan, Ronveaux, 2007) : l’institution
formatrice (universitaire) et l’institution scolaire. Cela signifie que des savoirs de
nature différente émergent de ces deux contextes. Dugal et Léziart, (2004)
reconnaissent que, dans la formation initiale, plus concrètement lors des stages, la
source des savoirs ne se situe pas seulement dans la sphère académique, c’est-à-dire de
la production scientifique, mais de l’action même des sujets. Les stagiaires produisent
des savoirs à partir de leurs propres expériences. Ces savoirs sont transposés dans le
contexte de l’université, où ils sont confrontés à des savoirs scientifiques et validés,
reformulés ou rejetés. Cette transition d’un contexte à un autre que les stagiaires
doivent expérimenter implique une circulation des savoirs. Gagnon et Balslev (2016 : 5)
soutiennent que, contrairement à la transposition didactique de Chevallard, qui répond
à une logique descendante ou ascendante, dans la circulation des savoirs du stage, les
savoirs s’inscrivent dans une « logique horizontale et ils permettent dès lors d’intégrer
le discours des acteurs, d’accorder ainsi une place importante à la manière dont ils
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Conclusion
29 L’espace d’action et de réflexion sur la formation des enseignants existe en tant que tel
et a une grande importance sociale, ainsi qu’épistémologique, en raison de son impact
sur les politiques éducatives. Ce domaine bouge et sa responsabilité passe de main en
main en fonction des courants théoriques et des contextes historiques culturels (et
politiques) de l’Argentine. Notre réflexion ne visait pas à parler d’un domaine déjà
constitué, mais de son lieu d’appartenance et de sa nécessité de le définir. Réfléchir sur
la formation des enseignants d’espagnol à partir de sa spécificité nous a permis de
montrer les différences entre les systèmes didactiques qu’elle a par rapport à celle qui
concerne la didactique de l’espagnol. L’objet de savoir n’est pas un contenu
disciplinaire, produit d’un processus de transformation d’un savoir scientifique, mais
un contenu conformé par un savoir didactique et par un savoir empirique sur les
pratiques. La nature de l’objet de la formation constitue un système didactique et
dynamique propre qui dépend des actions des sujets dans le contexte de la classe.
30 La didactique de la formation des enseignants, en tant que discipline de recherche,
s’intéresserait aux problèmes de la conceptualisation dans l’action et de la
transformation de ces conceptualisations en savoir didactique, en savoir d’action. Elle
s’intéresserait également aux processus d’apprentissage produits par l’analyse réflexive
des pratiques efficaces et par la construction du profil de l’enseignant à partir de son
rôle d’acteur social. En tant que discipline d’intervention et d’implication, la didactique
de la formation traiterait des problèmes contextualisés qui découlent de sa situation de
frontière ou de transfert entre l’académique et le pratique, entre l’université et l’école.
Son horizon praxéologique serait orienté vers la recherche de dispositifs et de modèles
qui mettent le sujet et son expérience au centre de la formation.
31 Délimiter la formation des enseignants dans l’intérêt d’une didactique nous permet de
concentrer nos forces pour expliquer et comprendre les processus en jeu et de nous
rassembler en tant que chercheurs de formation des enseignants, au-delà du champ
disciplinaire auquel nous appartenons. En d’autres termes, cela nous permettrait de
valider notre discours méthodologique face aux autres sciences.
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NOTES
1. « une implication directe en termes propositionnels et pratiques dans le domaine de
l’enseignement à différents niveaux et modalités du système éducatif ainsi que dans le domaine
de la formation initiale et continue des enseignants ».
2. « des liens entre institutions, avec des histoires et des trajectoires différentes ; des liens entre
sujets sociaux dont l’appartenance les place dans des lieux aux significations sociales
différentes »
3. « assumer un ensemble d’actions propres à la tâche d’enseignement » mais « il ne serait ni l’un
ni l’autre, ou plutôt il ne se serait pas approprié de l’un ou l’autre »
RÉSUMÉS
La situation institutionnelle et épistémologique du stage d’enseignement de la formation initiale
des enseignants d’espagnol (L1) en Argentine se caractérise par son emplacement à l’intersection
des disciplines scientifiques et des sciences de l’éducation, entre le contexte universitaire et le
contexte scolaire. Cette situation de frontières a conduit les disciplines à discuter de leurs rôles,
de leurs degrés d’intervention et du sens de l’appropriation qu’elles possèdent dans ce domaine.
Ces dernières années, les réflexions institutionnelles sur l’élaboration des programmes de
formation des enseignants en Argentine se sont concentrées sur la question épistémologique de
savoir si les disciplines scientifiques sont directement et absolument responsables de la
formation des enseignants ou si, une fois le savoir disciplinaire acquis, c’est exclusivement les
sciences de l’éducation qui doivent assumer le stage. Dans cet article, nous proposons d’aborder
ce débat autour de la conformation et de l’appartenance du champ du stage d’enseignement d’un
point de vue théorique. L’observation des processus historiques de conformation des didactiques
disciplinaires et des apports actuels de la didactique professionnelle permet d’identifier les
particularités de la situation d’enseignement-apprentissage du stage et de proposer une
délimitation du champ en fonction de ses propres caractéristiques. Notre proposition est
soutenue par la nature de l’objet de savoir du système didactique du stage en enseignement, qui
diffère de l’objet de la didactique de l’espagnole. Ce n’est pas l’apprentissage de l’objet « langue
espagnole », mais l’apprentissage de savoirs à enseigner.
INDEX
Thèmes : Jeunes chercheur.e.s
Mots-clés : stage d’enseignement, formation des enseignants, champ disciplinaire, Argentine,
systèmes didactiques
Palabras claves : prácticas de enseñanza, formación de profesores, campo disciplinar,
Argentina, sistemas didácticos
AUTEUR
MARCOS MALDONADO
Marcos Maldonado est titulaire d’un doctorat en didactique des sciences, des langues, des arts et
des sciences humaines de l’Université de Barcelone. Il a soutenu sa thèse, intitulée « Circulation
des savoirs dans la formation initiale des enseignants de langues et construction du répertoire
didactique », en juillet 2019. Il effectue actuellement un post-doc au sein du groupe AFORDEns,
Apprentissage, formation et développement professionnels dans l’enseignement, à l’Université
de Genève. Ses recherches sont axées sur les activités langagières et la construction de savoirs
professionnels et du répertoire didactique dans la formation initiale des enseignants.
marcos.maldonado[at]sorbonne-nouvelle.fr
Varia
Sous la direction de Joanna Lorilleux
Introduction
1 L’enseignement/apprentissage du FLE1 au lycée au Maroc repose depuis 2002 2 sur
l’approche par compétence et se base sur un objet/support spécifique : l’œuvre
intégrale. L’introduction de la littérature en classe de langue doit inscrire la discipline
dans une triple perspective : linguistique, méthodologique et culturelle (Ministère De
l’Education Nationale Marocain (MEN), 2007a).
2 Dans le dernier texte officiel intitulé « Les orientations pédagogiques générales pour
l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant », édité par le Ministère
National d’Education Nationale, toujours en vigueur (2007a), l’entrée par les genres est
préconisée pour enseigner et apprendre le français au lycée. On retrouve cette
conception de la notion chez Todorov (1970 : 12) qui considère que « les genres sont ces
relais par lesquels l’œuvre littéraire se met en rapport avec l’univers de la littérature ».
3 Les genres littéraires sont des catégories de classement des textes littéraires, des
conventions discursives telles que les dénombre Jean-Marie Schaeffer (1989). La notion
peut être « un pivot autour duquel bâtir un certain nombre de compétences » (Canvat,
1999 : 7). Nous pensons toutefois qu’il serait pertinent de repenser son statut et ses
diverses fonctions dans un dispositif d’enseignement/apprentissage dans une classe de
langue, de façon à transformer la notion en véritable outil de lecture et d’écriture,
optimisant ainsi ses divers usages et ouvrant la discipline à d’autres corpus.
4 Comment donc aborder les genres littéraires à approcher dans une classe FLE de sorte
que l’approche puisse contribuer à la construction des compétences de lecture et
d’écriture de notre apprenant ? Comment l’approcher tout en repensant les contenus et
les démarches mises en place et donc en revisitant les repères de la discipline
« français » au lycée au Maroc ?
5 Nous essayerons dans cette contribution de donner quelques pistes d’exploitation
didactique, en nous inspirant, d’une part, des dernières avancées en didactique de la
littérature grâce aux théories de la réception (Eco, 1987 ; Iser, 1985) qui valorisent le
sujet lecteur, et d’autre part, des nouvelles théories de l’apprentissage tels le
cognitivisme (Piaget, 1975) ou encore le socioconstructivisme (Vygotsky, 1934) qui
placent l’apprenant au centre de la situation d’enseignement /apprentissage.
6 Le dernier programme officiel (MEN, 2007), toujours en vigueur, assigne une place
spécifique à la notion de genre littéraire. Nous avions précisé auparavant que le
discours officiel préconise le texte littéraire comme le principal support
d’enseignement/apprentissage en classe de langue au lycée.
7 La notion de genre figure dans le référentiel de compétences que tout apprenant doit
construire à l’issue du cycle secondaire qualifiant (lycée). Ainsi, elle y est bien ciblée
comme compétence à construire. Il est certes précisé qu’en fin du cycle tout apprenant
est censé être capable de « reconnaître les différents genres d’écrits » (MEN, 2007 : 4),
mais, et comme nous le démontrerons c’est l’écrit littéraire qui est privilégié.
8 En outre, la notion justifie le choix des œuvres proposées. C’est dans ce sens qu’on y
souligne que les œuvres retenues, avec une nette prédominance de genre romanesque
classique3, ont pour finalité d’« initier les élèves aux principaux genres et mouvements
littéraires » (MEN, 2007 : 12).
9 La notion joue un rôle essentiel dans la conception des dispositifs didactiques vu que le
module, dispositif fondamental de mise en œuvre du projet pédagogique annuel,
« s’articule principalement autour d’une œuvre intégrale » (MEN, 2007 : 6) et que
comme nous l’avions précisé, la notion du genre est déterminante dans le choix de
cette dernière dans les programmes préconisés.
10 La mise en œuvre des dispositifs pédagogiques de certaines activités de classe prônées,
l’activité de lecture en l’occurrence, met en exergue une conception particulière de la
notion. En effet, les approches de lecture recommandées (MEN, 2007 : 6) semblent
concevoir le genre littéraire comme support et objet d’enseignement/apprentissage en
lecture et en écriture, un objet de savoir ayant pour finalité la transmission d’une
culture.
11 La notion de genre est enfin fondamentale dans la conception des situations
évaluatives, l’examen certificatif en l’occurrence, où la contextualisation et la
détermination générique sont des questions récurrentes dans toute étude des textes
proposés à l’apprenant :
« Supports d’évaluation :
Ils sont à retenir en fonction des objectifs visés. On aura recours à l’un des types de
supports suivants :
- un extrait d’une œuvre intégrale,
- deux extraits d’une même œuvre,
- des extraits appartenant à des genres différents,
- un extrait d’une œuvre en dehors du programme, mais appartenant à l’un des
genres littéraires étudiés,
- un texte didactique (définition de la tragédie, de l’autobiographie, du réalisme…)
et un extrait d’une œuvre illustrant la définition, etc.,
- un texte poétique, etc. » (MEN, 2007 : 12).
12 Dans le cadre de référence de l’examen normalisé régional pour l’obtention du
baccalauréat, la reconnaissance de la notion du genre est bien présente. Ce texte qui
énonce les paramètres qui serviront de fondement à l’évaluation des acquis des élèves
de la première année du cycle du baccalauréat, toutes sections confondues, constitue
un document de référence permettant de cibler les éléments essentiels et
représentatifs à évaluer. Parmi les trois capacités retenues à valider dans le cadre de
cette évaluation effective, celle qui est appelée « contextualiser », figure en première
place.
« Il s’agit de :
- donner des informations concernant l’œuvre (titre, auteur, courant littéraire,
genre littéraire, édition et date de parution…),
- situer le passage dans l’œuvre
- situer l’œuvre dans son contexte historique, culturel… » (MEN, 2007 : 12).
Le sens d’un texte n’existe que pour et par sa lecture et les opérations qu’effectue le
lecteur importent autant que les contenus et les formes supposés du texte (Dufays,
23 1994).
24 Pour mieux expliciter notre propos, quelques rappels s’imposent.
31 Envisager les genres en prenant en considération d’abord les expériences de lecture (ou
de non-lecture) de nos élèves, en dehors des cadres strictement rhétoriques et
poétiques, ne va-t-il pas remettre en question ces choix « institutionnels » et permettre
d’intégrer, au moins de façon partielle en contexte scolaire, ce qui est souvent nommé
« paralittérature » ?
32 La place de la littérature classique comme seul modèle culturel n’est-elle pas à
relativiser ?
34 Ensuite face à
un obstacle de lecture, l’élève apprend à chercher les outils pertinents, et donc
formateurs, pour entrer dans le texte. La démarche prend en considération le profil
spécifique de l’apprenant, en même temps que ses compétences effectives, avant de
penser, si le contexte le permet, à « ouvrir la lecture littéraire » (Rouxel, 1996 : 206), qui
« renvoie à des opérations cognitives de haut niveau, qui
au-delà de la compréhension permettent d’interpréter le texte et surtout de jouer avec
ses différentes significations » (Tsimbidy, 2008 : 13).
Toute introduction d’un « savoir littéraire », y compris celui sur les genres littéraires,
est le résultat d’une réflexion didactique sur son statut et sa finalité par rapport au
35 dispositif d’apprentissage à mettre en place. C
edispositif relève du statut à attribuer à la discipline dans un contexte donné.
36 La constitution marocainede 2011 (Article 5) précise que les apprenants doivent maitriser
: « les langues étrangères (par opposition aux langues officielles) les plus utilisées dans
le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la
société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations
contemporaines ».
37 Les finalités de l’introduction des langues étrangères au sein du système éducatif du
Royaume sont d’ordre communicatif et culturel. Ces finalités convergent d’ailleurs avec
celles conférées à l’apprentissage des langues étrangères en didactique des langues/
cultures. Il est en effet démontré qu’ « un apprentissage de langue n’est jamais
indépendant d’un apprentissage culturel » (Porcher, 1986 : 44) et que la maitrise de la
dimension linguistique n’est que « la surface d’un iceberg qui cache des réalités
culturelles dont l’appréhension est nécessaire dans toute situation de communication »
(Barthelemy, Groux & Porcher 2011 : 111). D’ailleurs, si la compétence de
communication « s’est révélée un concept beaucoup plus opératoire que tous ceux qui
l’avaient précédé dans la mesure où elle les englobe (…) s’agissant de l’enseignement de
la civilisation, la compétence de communication s’est monnayée opératoirement en
compétence culturelle » (Porcher, 1986 : 44).
38 Mais, le bilan à mi-parcours de la réforme (2007 b), le premier rapport annuel de
l’éducation du Conseil supérieur de l’enseignement (2008), les résultats de Trends in
International Mathematics and Sciences Studies (2003 et 2007), soulignent tous le constat de
sérieuses défaillances quant à la maitrise des langues, avec une tendance au recul de
certains indicateurs de performance. Le rapport du Ministère de 2008, tout en
concevant la question des langues comme une problématique transversale du système,
note dans ce sens que :
« L’examen de la stratégie linguistique actuelle révèle de nombreux
dysfonctionnements, notamment à deux niveaux :
• au niveau des langues d’enseignement, avec un déphasage particulièrement
préjudiciable entre le secondaire et le supérieur ;
• au niveau de l’enseignement des langues, avec une inadéquation évidente par
rapport aux compétences linguistiques recherchées » (MEN, 2008 : 64).
39 Il serait donc tout à fait logique, voire urgent, de repenser les repères disciplinaires
du « français ».
Conclusion
44 Examiner l’approche par la notion de genre littéraire amène à repenser les contours de
la discipline français dans tout notre système éducatif.
45 Proposer des situations d’enseignement / apprentissage basées sur des supports
diversifiés pourrait contribuer à optimiser l’appropriation de la langue cible dans ses
dimensions linguistique, culturelle.
46 Pour ce qui est du texte littéraire dont la valeur formative est indéniable, l’objectif
étant de valoriser les postures interprétatives de nos apprenants et donc de construire
des sujets lecteurs et scripteurs, n’est-il pas urgent de construire l’espace
d’apprentissage autour des centres d’intérêt de l’apprenant, de ses lacunes et de ses
besoins, et non simplement autour de corpus prédéterminés conçus comme un modèle
clos ?
47 L’apprentissage des archétypes de la littérature française est un objectif important si
on l’envisage comme une rencontre avec les fondements d’un imaginaire culturel
collectif mais le corpus de textes doit être réactualisé pour le contexte spécifique de
l’enseignement/apprentissage du français auprès de la jeunesse marocaine afin de lui
assurer un accès au vaste domaine de la production culturelle d’expression française.
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NOTES
1. « Le concept de langue étrangère se construit par opposition à celui de langue maternelle et
l'on peut dire dans un même temps que toute langue non maternelle est une langue étrangère. »
(Cuq, 2002 : 93).
2. En réponse aux principes de la Charte de d’Education et de Formation de 1999, une refonte des
curricula commence. Soulignons également que la Constitution de 2011 précise que l’état doit
veiller à « la maitrise des langues étrangères (par opposition aux langues officielles) les plus
utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec
la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations
contemporaines » (Royaume du Maroc, 2011, article 5).
3. Parmi les neuf œuvres intégrales proposées aux élèves du lycée, six sont écrites par des
auteurs du 19ème ou du 18ème siècle.
RÉSUMÉS
Cette contribution revient sur les fonctions et les usages des genres littéraires tels que préconisés
dans les programmes officiels pour le secondaire au Maroc. Certaines dérives sont alors
soulignées et des pistes didactiques proposées. Ces dernières devraient contribuer à optimiser
l’enseignement/apprentissage du FLE au lycée en contexte marocain.
This contribution returns to the functions and uses of literary genres as advocated in the official
curricula for secondary education in Morocco. Some excesses are then highlighted and didactic
approaches are proposed. The latter should help to optimize the teaching/learning of FLE at the
secondary level in the Moroccan context.
INDEX
Thèmes : Varia
Mots-clés : fonctions du genre littéraire, enseignement/apprentissage, textes littéraires, usage
Keywords : functions of the literary genre, teaching/learning, use, literary texts
AUTEUR
MINA SADIQUI
Ecole Normale Supérieure, Université My Imail, Maroc
Habilitée à diriger des recherches en D.L.C
Formatrice de professionnel.le.s de l’éducation
Responsable de la une structure de recherche Education, Formation Et Enseignement/
Apprentissage des Langues (EFEL), Laboratoire RDLLC. Responsable de la filière universitaire
d’éducation « Didactique du français »
Parmi ses dernières publications : collectif, Le français au Maroc au XXIe siècle - Vers de nouveaux
enjeux ?, L’Harmattan (2019)
m.sadiqui[at]ens.umi.ac.ma
Introduction
1 Pour choisir une langue à diffuser, à promouvoir ou encore à enseigner, quelle qu’elle
soit, un ensemble de conditions s’impose : déterminer la situation sociolinguistique,
comprendre les politiques linguistiques et éducatives, les habitudes culturelles, la
géographie, l’histoire et les représentations de la langue. La sociolinguistique démontre
ainsi l’importance du contexte dans tout enseignement/apprentissage, dans toute
élaboration de projet didactique, mais aussi dans toute politique linguistique (décision
et action). De ce fait, en nous basant sur le français langue étrangère en contexte
universitaire gambien, nous tenterons de répondre dans cette contribution aux
questions suivantes : dans quel contexte est enseigné le français à l’université
gambienne sous l’appellation de FRE 101/ FRE 102 ? Qui sont les apprenants de FRE
101/102 ? Quelles sont leurs représentations de la langue et leurs difficultés
d’apprentissage. Notre travail s’appuiera sur une enquête par questionnaire réalisée en
juin 2017.
La technique d’enquête
5 Pour une enquête efficace, nous avons utilisé le cours de Méthodologie de la recherche,
selon Alén-Garabato (2011), de l’université Paul Valéry, Montpellier 3. Ainsi, nous avons
travaillé avec le logiciel d’enquête Sphinx Plus version 2000. Le logiciel nous a facilité les
stades de l’enquête : l’élaboration du questionnaire, la saisie des données, les
traitements quantitatifs et qualitatifs à la fois, l’analyse lexicale. Prévue au mois de
mars 2016, nous n’avons pu réaliser notre enquête qu’à la fin du mois de juin 2017 à la
période des examens du second semestre 2016-2017 au campus universitaire de
Brikama en région 2 (Gambie). Nous avons pu rassembler notre corpus en un seul et
même jour à savoir le jour de l’examen final des FRE 101 et FRE 102. Soixante étudiants
de l’université de Gambie forment notre population d’enquêtés. Nous leur avons soumis
un questionnaire composé de 22 questions fermées et ouvertes sur le français langue
étrangère en contexte universitaire gambien.Les questions ouvertes nous ont garanti
des réponses libres. Les questions fermées nous ont permis de proposer aux enquêtés
plusieurs réponses possibles et de choisir librement entre elles pour une information
plus standardisée, ce qui nous a permis d’aboutir à la fois à une analyse quantitative,
qui éclaire sur les parcours personnels et les perceptions, une analyse quantitative
permettant un accès aux statistiques et aux chiffres, une analyse lexicale des items et
occurrences les plus citées et leur significativité. Le questionnaire comporte cinq
parties principales : la première donne sens aux données socio-biographiques (profils),
la deuxième offre un panorama sur l’apprentissage du FRE101/102 à UTG, la troisième
est focalisée sur l’(in)sécurité linguistique des apprenants, la quatrième sur les
difficultés rencontrées par ces apprenants et la cinquième sur les attentes de nos
enquêtés. Nous allons dans ce qui suit, inventorier les résultats obtenus.
prendre en compte. De même, nous avons observé pour certains étudiants une vraie
passion pour le français.
9 Certains étudiants expliquent leur intérêt pour le français en lui associant leur projet
professionnel. En ce sens, ils expriment leur volonté d’être bilingue (anglais/français)
pour pouvoir travailler dans des organisations internationales comme l’ONU ou la
diplomatie gambienne.
10 Pour d’autres étudiants, c’est la valeur esthétique de la langue qui est privilégiée. Selon
eux, le français est une langue belle, agréable à parler, qui fait qu’ils se sentent bien.
L’analyse lexicale montre clairement les adjectifs associés à la langue française pour
évoquer sa beauté : beautiful 4 fois, Nice 4 fois, magnifique 2 fois, appealing 2 fois, captivating
1 fois, agreable 1 fois. C’est une langue à laquelle est attribuée une valeur éducative et
morale, c’est-à-dire qu’elle donne accès à l’instruction, au savoir-vivre et savoir-faire :
educative 4 fois, polite 1 fois. Une valeur affective est associée au français qui rappelle les
sentiments et les émotions. Les adjectifs associés à ce sujet au français sont les
suivants : amazing 1 fois, enjoyable 1 fois, formidable 1 fois, genial 1 fois, romantic, 1 fois,
sentimental 1 fois, impressive 1 fois, loveable 1 fois, passionnant 1 fois. Enfin, une valeur
génétique est accordée au français qui est jugé comme apparenté à l’anglais ou encore
sa facilité ou difficulté est ici de mise. Easily 1 fois, perfect 1fois, rich 1 fois, soft 1fois,
standard 1 fois.
cours de français. Ils pensent que certains ne l’apprennent que pour réussir et avoir de
bons résultats avant de le jeter aux oubliettes. La complexité de la langue est citée
comme facteur bloquant. L’enquêté 24 pose comme condition que les enseignants
soient plus flexibles par rapport aux absences des étudiants, d’alléger les emplois du
temps trop souvent chargés et de ne pas organiser des cours de rattrapage le week-end.
Ainsi, il est utile de comprendre ce rejet du français pour arriver à des solutions
pouvant transformer la francophobie en une francophilie qui fait balayer toute
réticence.
Conclusion
16 Les résultats obtenus montrent que le français jouit en majorité d’une représentation
positive à l’université gambienne. En ce sens, les données de 2010 lors de notre thèse
coïncident avec celles de 2017. A aucun moment de cette enquête, le français n’a été
qualifié de langue ennemie, colonisatrice ou langue d’ingérence. Aujourd`hui, cet esprit
nationaliste, bien que présent, a tendance à s`estomper. Gomez (2013) l’explique en se
basant sur la littérature gambienne. Depuis le traité d’amitié entre le Sénégal et la
Gambie en 1991, nous observons une relation de partenariat malgré quelques zones de
turbulences. Et c’est le français en Gambie qui en sort gagnant. Nous avons eu, en juin
2017, un échantillon d’étudiants pragmatiques, pensant à leur futur professionnel. Cela
est d’autant plus vrai que le nouveau régime est très ouvert à la coopération
internationale, avec la visite remarquée du président Adama Barrow, d’abord au
Sénégal, puis au Mali et enfin en France. L’offre universitaire se diversifie et de
nouveaux débouchés professionnels liés aux organisations internationales, à la
diplomatie, à la traduction se profilent. De ce fait, pour la majorité des étudiants
interrogés, la maîtrise de la langue française devient une valeur ajoutée dans le marché
du travail. Il n’est pas rare de voir nos enquêtés manifester de l’intérêt pour le français
car ils veulent travailler dans la diplomatie gambienne ou encore dans les organisations
internationales. La perception positive est un poids capital dans leur motivation et leur
réussite dans l’apprentissage du français. Il n’en reste pas moins que l’administration
universitaire, ainsi que le corps professoral gambiens devraient discuter pour pallier
les difficultés évoquées. Il est vrai que ce n’est pas aux étudiants de décider du
fonctionnement universitaire, mais la prise en charge de leurs représentations
permettrait d`améliorer la qualité de l`enseignement. La sensibilisation par rapport à
l’intérêt du français est un point essentiel pour rendre son enseignement attractif. Pour
ce faire, nous soulignons la réalisation d’activités culturelles et ludiques nécessaires au
renforcement des représentations positives du français. Nous avons, de plus en plus, un
public estudiantin jeune dont il faut tenir compte par la proposition d`activités
culturelles en adéquation et en adaptation avec leur âge : les séjours linguistiques de
courtes durées sont possibles, les films courts métrages, les bandes dessinées, les jeux
de mimes en classe, le karaoké, les devinettes, la chanson francophone, les reportages,
la visite pédagogique en sont d’autres.
BIBLIOGRAPHIE
Alén Garabato, C. (2011). Méthodologie de la recherche. Cours. Montpellier, Université Paul Valéry
Montpellier 3.
Blanchet, Ph., Moore D., RAHAL et al. (2009). Perspectives pour une didactique, langues
contextualisées. Paris : Editions des archives contemporaines.
Calvet, L.-J. (1999). La guerre des langues et les politiques linguistiques. Paris : Coll. Hachette.
Gomez, P. (2013). Nation et Nationalisme dans la littérature gambienne. Paris : Editions L’Harmattan.
Paye, N.- M. (2012). L’émergence d’une francophonie en Gambie. Représentations, Promotion, Obstacles.
Les résultats des enquêtes menées à Banjul et Brikama en 2010. Thèse de doctorat. Montpellier,
Université Paul Valéry Montpellier 3.
Paye, N.- M., (1999), « La dynamique des représentations du français en Gambie », Les Cahiers de
l’école doctorale en linguistique française. Brescia, Italie, 2011/5, p. 122-134.
RÉSUMÉS
Notre contribution porte sur le profil des apprenants de FLE à l’université de Gambie. Elle a pour
dessein de favoriser une compréhension de ce public, de ses besoins, ses motivations, ses attentes
et ses difficultés. En effet, toute orientation linguistique doit se poser sur les bases d’une enquête
de terrain afin d’élucider le contexte. Pourtant dans les recherches sur la didactique du FLE en
Gambie, la voix estudiantine est souvent occultée. La rédaction de cet article permettra alors
d’analyser la perception estudiantine du français et de son enseignement en Gambie. Quelle est la
valeur de la francophonie en Gambie selon les étudiants ? Les réponses s`amorceront par une
clarification de la politique universitaire en matière d’enseignement du français.
INDEX
Mots-clés : français langue étrangère, politique universitaire gambienne
Thèmes : Varia
Keywords : french language, gambian university policy
AUTEUR
NDÈYE MATY PAYE
French – Department - The University of the Gambia
Assistant-Professor à l’université de Gambie (Afrique de l’Ouest). Titulaire d’une licence en
Langue et Littérature françaises et d’un master en Linguistique Française à l’université de Fès –
Maroc en 2005, elle obtient aussi un Master 2 en Didactique des Langues-Cultures puis un
doctorat en Sciences du Langage option Sociolinguistique à l’université de Montpellier 3- France.
Elle est l’auteure de quatre ouvrages et d’une dizaine d’
articles.
ndeyematypaye[at]yahoo.fr