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Revue internationale d’éducation de Sèvres

86 | avril 2021
L'oral dans l'éducation
Oral practices in education
Lo oral en la enseñanza

Daniel Coste et Roger-François Gauthier (dir.)

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ries/10183
DOI : 10.4000/ries.10183
ISSN : 2261-4265

Éditeur
France Education international

Édition imprimée
Date de publication : 1 avril 2021
ISBN : 978-2-85420-629-6
ISSN : 1254-4590

Référence électronique
Daniel Coste et Roger-François Gauthier (dir.), Revue internationale d’éducation de Sèvres, 86 | avril 2021,
« L'oral dans l'éducation » [En ligne], mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 25 mars 2023. URL :
https://journals.openedition.org/ries/10183 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.10183

Tous droits réservés


INTRODUCTION DE LA PUBLICATION
La Revue internationale d’éducation de Sèvres s’intéresse, dans ce numéro 86, à la question
de l’oral en éducation. Si l’on observe depuis quelques années au sein du système
éducatif français une volonté de meilleure prise en compte, il était important
d’observer les pratiques qui ont cours ailleurs.
L’étude présente la situation dans une dizaine de pays sur quatre continents Partout,
cette question de l’expression orale fait désormais partie des « compétences du
XXIe siècle » et l’on se préoccupe de savoir comment parler, comment écouter.
Pour autant, cette comparaison internationale permet pour la première fois de faire
émerger des différences, d’une culture scolaire à une autre, d’une tradition à une autre.
L’importance donnée à l’oral diffère également grandement selon les pays.
Un double consensus se dégage toutefois de l’ensemble des articles : l’oral s’apprend et
doit s’enseigner. Ne pas le faire, c’est contribuer au maintien ou, pire, au renforcement
des inégalités entre les élèves. Autre point de large convergence : le rôle moteur de
l’oral pour l’ensemble des apprentissages scolaires.
Enseigner la parole, c’est donner les moyens de la prendre dans l’espace public et la vie
sociale. C’est aussi l’affaire de tous et de toutes les matières. Car l’enjeu aujourd’hui
n’est pas seulement d’apprendre à se servir de la parole mais aussi de se servir de la
parole pour apprendre.
As a legacy of various histories the spoken word is taken into account in very diverse
ways. However this should not mask a broader trend, born of manifold origins, towards
increasing the attention paid to written and spoken communication skills. These skills,
which have often been overlooked – if not considered risky – and in any case poorly
defined in schools, need to become a genuine learning object. This comparative study
proposes ‘oracy’ as a concept to refer to a set of skills specific to the spoken word,
including that of listening; skills which are drawn upon in order to develop various
abilities to express oneself orally, to promote more democratic social participation as
well as to enhance learning across the board. A pragmatic approach of oral curricula
seems most beneficial, and is to be grounded in a clear vision of the relevant standards,
as well as taking into account the specific issues of how to assess oracy and teacher
training.
La gran diversidad de la toma en cuenta de lo oral, herencia de diversas historias, no
debe esconder el movimiento general, impulsado por unos motivos de orígenes
múltiples, a favor de un desarrollo de la atención dedicada a lo oral. Este último, que
era hasta ahora un objeto desapercibido, e incluso considerado como arriesgado, por lo
menos mal definido en contexto escolar, debe convertirse en auténtico objeto de
aprendizaje : esta comparación internacional propone el concepto de «oracía»
(«oratie») para designar un conjunto de competencias específicas para lo oral, entre las
que figura la de escuchar, implementadas tanto para desarrollar ciertas capacidades de
expresión oral como para desarrollar la vida social en un sentido democrático y para
aprender mejor, en la totalidad de los campos. Una orientación pragmática de los
currículos de lo oral debe ser favorecida, acompañándola de una visión clara de las
normas retenidas, y tomando en cuenta las cuestiones específicas de evaluación de lo
oral y de la formación de los docentes.
n° 86 - avril 2021

l’oral dans l’éducation


actualité internationale

Actualité documentaire 7
Hélène Beaucher

Ressources en ligne
Federica Minichiello
Déployer le numérique en éducation, développer les compétences 11

Le point sur l’actualité internationale


Laurence David, Laurence Marchand
L’école dans la forêt au Danemark 16
Rosa Mahdjoub
Le temps, une ressource pédagogique à préserver :
2 une analyse dans dix pays d’Afrique subsaharienne 19
Werner Zettelmeier
La gestion de la pandémie dans le système scolaire allemand 23
Natacha Duroisin, Romain Beauset, Laurie Simon, Chloé Tanghe
Pratiques enseignantes et vécus professionnels en période de crise sanitaire
en Belgique francophone 27

Repères sur les systèmes éducatifs


Bernadette Plumelle
Évaluation TIMSS 2019 : résultats des élèves en mathématiques à l’école primaire
et portrait des enseignants dans 58 pays 30
Gabriela Motoi
Enjeux et défis du système éducatif roumain avant et après le régime communiste 37
Thomas Posado
Venezuela : un système éducatif soumis aux aléas des crises économiques
et politiques 42

Notes de lecture
Jean-Marie De Ketele
L’éducation de l’ombre en Afrique. Implications politiques du soutien scolaire privé,
Mark Bray, CERC / HKU / CIRIST / ECNU, 2021 48
Anne-Marie Bardi
L’apprentissage visible : ce que la science sait de l’apprentissage,
John Hattie et Gregory C.R. Yates, L’Instant présent, 2020 51
Xavier Pons
Le coaching scolaire. Un marché de la réalisation de soi,
Anne-Claudine Oller, PUF, coll. « Éducation et société », 2020 53
Jean-Pierre Véran
Les directions d’établissement au cœur du changement. Pilotage, collaboration
et accompagnement des équipes éducatives, Laetitia Progin, Caroline Letor,
Richard Étienne, Guy Pelletier (dir), De Boeck supérieur, 2021 55

dossier
Coordination : Daniel Coste, Roger-François Gauthier

L’oral dans l’éducation

Introduction 57 3
Dis-moi quel oral, et je te dirai quelle école…
Daniel Coste et Roger-François Gauthier
La grande diversité de la prise en compte de l’oral, elle-même héritage de diverses
histoires, ne doit pas cacher le mouvement général, appelé par des motifs d’origines
multiples, en faveur d’un développement de l’attention portée à l’oral. L’oral, jusqu’ici
souvent objet inaperçu, voire considéré comme risqué, en tous cas mal défini en
contexte scolaire, doit devenir véritable objet d’apprentissage : l’article propose le
concept d’« oratie » pour désigner un ensemble de compétences spécifiques à l’oral,
dont celle d’écouter, mises en œuvre aussi bien pour développer diverses capacités de
s’exprimer oralement que pour développer la vie sociale dans un sens démocratique et
pour apprendre mieux, dans l’ensemble des domaines. Une orientation pragmatique
des curriculums de l’oral semble à favoriser, en l’accompagnant d’une vision claire des
normes retenues, et en prenant en compte les questions spécifiques d’évaluation de
l’oral et de formation des enseignants.

L’oratie dans les écoles anglaises 69


Will Millard
Cet article présente les résultats d’une recherche menée en 2016 par le Centre for
Education and Youth et Voice 21, intitulée The State of Speaking, en s’appuyant éga-
lement sur les thèmes issus de l’enquête 2020-21 Speak for Change du groupe parle-
mentaire multipartite sur l’oralité. L’article explore la signification du terme « oratie »
(oracy) dans le système éducatif anglais, avant d’examiner sa place et son statut au sein
du curriculum. Une discussion sur les obstacles qui entravent l’oratie au niveau de la
classe et de l’école s’accompagne ensuite d’une description de pratiques de l’oral en
usage dans les écoles anglaises. Selon l’auteur, il y a des raisons d’être optimiste quant
à l’avenir de l’oratie dans le système scolaire anglais.

N° 86 - Avril 2021
La place de l’oral dans l’éducation argentine,
entre matrices enracinées et défis à relever 81
Constanza Padilla
L’objectif de cet article est d’analyser l’espace que l’on attribue en Argentine à l’oral
dans les contenus curriculaires et dans les pratiques d’enseignement-apprentissage, en
lien avec ce que l’auteure considère comme des matrices enracinées ou des pratiques
traditionnelles persistantes, face à des défis encore à relever ou à des pratiques inno-
vantes déjà en place. Malgré des avancées significatives, au cours des quatre dernières
décennies, aussi bien dans les conceptions de l’oralité (notamment dans ses relations
avec la lecture et l’écriture) qu’en ce qui concerne la place que celle-ci devrait occuper
dans les pratiques des divers champs disciplinaires, celles-ci n’ont pas encore été géné-
ralisées dans les classes argentines.

L’oral au primaire en Côte d’Ivoire :


entre normes communautaires et normes scolaires 91
Bénédicte Techti
Partant du principe que l’enseignement-apprentissage d’une langue qui n’est pas celle
de première socialisation des apprenants doit adopter une perspective de médiation
de sens, cette étude s’intéresse principalement à l’oral au cycle primaire rural
ivoirien. Tout en présentant la spécificité sociolinguistique et éducative de l’oral dans
ce contexte, cet article tente de montrer en quoi il serait nécessaire d’appréhender
l’enseignement-apprentissage de l’oral dans une approche prenant en compte tout
autant normes communautaires que normes scolaires.

4 Une pratique orale réflexive dès l’école primaire en France :


la discussion à visée philosophique 101
Michel Tozzi
Cet article se propose de caractériser le développement, à l’école française, surtout
primaire, d’un oral réflexif nouveau, de type philosophique, la « discussion à visées
démocratique et philosophique » (DVDP). Il décline son émergence historique au
xxie siècle comme une innovation issue du terrain, et non de l’institution ; les choix
de son intitulé, la nature de ses objectifs, à la fois démocratique et philosophique, les
oppositions et l’intérêt rencontrés. La DVDP oriente vers un oral problématisant,
conceptualisant et argumentatif. Son aspect discussionnel lui permet de développer
des compétences citoyennes, une éthique communicationnelle et des habiletés cogni-
tives.

L’oral dans la transmission des savoirs en Inde :


culture, société et langues 111
G.N. Devy
Le recours aux pratiques orales en Inde ne saurait être réduit à une question purement
pédagogique. Le contexte social et culturel de l’expression orale est profondément
ancré dans une longue histoire d’exclusion sociale, l’accès à l’écrit ayant été réservé à
une fraction infime de la population. L’article tente de retracer la manière dont l’oral
a été réduit à un « non-savoir », et les raisons pour lesquelles les pratiques éducatives
actuelles prennent peu en compte les pratiques orales, dans un contexte de profusion
des langues et de complexité des interrelations entre des langues considérées comme
« supérieures » et « inférieures ».
L’oral dans l’éducation au Japon : un long chemin 119
Nozomi Takahashi
La place et le rôle de l’oral dans le curriculum scolaire japonais sont étudiés dans cet
article à travers, d’une part, les directives officielles des autorités éducatives au cours du
temps, et, d’autre part, une approche sémantique de ce que signifie « communiquer »
en langue japonaise. Le texte entend finalement montrer quelle approche multi-
factorielle, historique, sociologique, technologique peut seule répondre à la probléma-
tique d’un enseignement adapté à des besoins nouveaux et en constante évolution.

Quelques réflexions sur les compétences d’écoute


et d’expression orale dans l’école italienne 129
Miriam Voghera
Cet article propose une synthèse du rôle que l’oral (écouter et parler) joue dans l’école
italienne. Après une brève description de la situation linguistique italienne, caracté-
risée par un fort multilinguisme endogène et exogène, il examine comment celle-ci,
et le plurilinguisme qui en résulte, se reflètent dans le répertoire linguistique – oral et
écrit − des classes. Sont ensuite illustrés les principaux objectifs liés aux compétences
prévus dans les curricula et la façon dont ils sont poursuivis dans la pratique réelle.
Enfin, en conclusion, il aborde un certain nombre de questions liées à la formation des
enseignants, jugées essentielles pour le succès de l’éducation linguistique, en Italie et
ailleurs.

L’enseignement de l’oral au primaire en Suisse romande


et en Suisse alémanique 139
Roxane Gagnon, Stefan Hauser, Sonia Guillemin et Rosalie Bourdages 5
Dans ce bref état des lieux de l’enseignement de l’oral en Suisse aux cycles 1 et 2 du
primaire, dans les régions linguistiques de la Romandie et de la Suisse alémanique,
les auteur·e·s examinent les prescriptions institutionnelles et quelques publications
récentes sur la question, afin de circonscrire les objets oraux prescrits et mis en pra-
tique pour la compréhension et la production de l’oral. Quelques enjeux relatifs à ces
enseignements sont ensuite dégagés : les liens entre la pratique langagière de l’élève, sa
langue familière et la langue de scolarisation ; la question des corpus servant de sup-
ports à l’enseignement de la production et de la compréhension ; la prise en compte des
aspects multimodaux et pluricodiques de l’oral, la réflexivité en vue du développement
d’un rapport conscient et volontaire au langage.

La place de l’oral en licence de français


dans l’enseignement supérieur tunisien 151
Mokhtar Sahnoun
En Tunisie, former les étudiants en licence de français à communiquer à l’oral est une
exigence, compte tenu du rôle primordial de l’oral dans le contexte actuel. À cette fin,
il a fallu se débarrasser des contraintes de l’enseignement-apprentissage académique,
pour doter les étudiants des moyens appropriés linguistiques, rhétoriques, pragma-
tiques et culturels, leur permettant de pratiquer l’oral dans des contextes variés. La for-
mation des étudiants à communiquer à l’oral passe par un apprentissage structuré et
cohérent, par l’observation de discours oraux de type et de genre variés, pris en charge
par des locuteurs de statuts divers. C’est la libération de la parole qui a permis aux
jeunes Tunisiens de faire usage de variétés de français vernaculaires.

N° 86 - Avril 2021
Références bibliographiques 159
Bernadette Plumelle

Abstracts 171
Resúmenes 173

Les auteurs 175


La revue 179
Numéros disponibles 180
Commander un numéro / s’abonner 183

6
actualité internationale

inhérente au schème de la frontière


actualité en éducation. Enfin, il étudie le dyna-
documentaire misme de la frontière comme moment
de rupture, voire de crise, dans le pro-
cessus de formation de soi en revenant
DEROBERTMASURE Antoine,
sur les transformations qu’elle induit
DEMEUSE Marc,
ou traduit dans l’existence individuelle.
BOCQUILLON Marie
(sous la direction de)
L’école à travers le cinéma.
Ce que les films nous disent GIBAND David, MARY Kévin,
sur le système éducatif NAFAA Nora (sous la direction de)
Bruxelles : Mardaga, 2020, 512 p. Privatisations et ségrégations
Depuis ses débuts, le cinéma a de l’éducation. Perspectives
souvent mis en scène l’école, et même internationales
le système éducatif sous toutes ses Cahiers de la recherche sur l’éducation
facettes. Comment l’éducation est-elle et les savoirs, janvier 2020, no 19,
représentée au cinéma ? Comment les p. 7-150 [en ligne]
différentes réalités de la vie scolaire L’objectif de ce numéro consiste à
et du quotidien des élèves sont-elles focaliser l’attention sur les processus
abordées ? Vingt-cinq contributions de privatisation de l’éducation, pri-
traitent de tous les aspects des systèmes maire, secondaire et/ou supérieure, afin
éducatifs, qu’il s’agisse de la figure de d’observer les formes qu’ils prennent,
l’élève, de l’image de l’enseignant, for- d’analyser la rhétorique et les repré- 7
mateur ou mentor, des représentations sentations, d’identifier les acteurs et les
du monde contenues dans les œuvres, effets spatiaux produits. La perspective
ou encore de la manière d’aborder la se veut interdisciplinaire, en permet-
culture cinématographique en classe. tant d’embrasser les dynamiques liées
aux systèmes scolaires de manière
englobante. La volonté d’apporter des
regards croisés entre le Nord et le Sud
FABRE Michel, HUSSER Anne-Claire
soutient en outre l’idée d’une globali-
(sous la direction de)
sation de ces tendances et processus,
Éducation et frontières tout en montrant qu’ils peuvent varier
Mont-Saint-Aignan : Presses en fonction des différents contextes
universitaires de Rouen et du Havre, nationaux. https://bit.ly/2N661Os
2020, 279 p.
Issu d’un colloque de la Société
francophone de philosophie de l’édu-
cation (SOFHIED), cet ouvrage étudie
les frontières qui travaillent les insti-
tutions, les pratiques et les discours
éducatifs, et la manière dont elles
s’affirment, se déplacent ou se défont.
Il explore le cosmopolitisme éducatif,
ses attendus et ses conditions de pos-
sibilité. Il questionne la normativité

N° 86 - Avril 2021
HEIMBERG Charles, instances qui incarnent et configurent
MAULINI Olivier, MOLE Frédéric cette discipline, montrant la pluralité
(éds) des protagonistes inscrits dans leur
Le rapport à la vérité monde environnant et le contexte
dans l’éducation international.
Raisons éducatives, octobre 2020, no 24,
222 p. [en ligne]
La société contemporaine est mar- LEVASSEUR Louis,
quée par une explosion des sources NORMAND Romuald, LIU Min et al.
d’information qui multiplie, entre Les politiques de restructuration
autres par l’intermédiaire des réseaux des professions de l’éducation.
sociaux, la circulation d’interpréta- Une mise en perspective
tions diverses d’un même fait sans pour internationale et comparée
autant être légitimées par des expertises Québec : Presses de l’Université Laval,
scientifiques reconnues. Cette évolu- 2020, 420 p.
tion produit des formes de relativisme L’ouvrage analyse les changements
paradoxales qui sont particulièrement apportés mondialement dans l’organi-
problématiques dans les métiers de la sation scolaire et la profession ensei-
transmission et des apprentissages. Ce gnante, et la manière dont celle-ci a
numéro aborde la question du rapport subi les contrecoups des politiques
à la vérité en éducation en examinant d’éducation promouvant l’évaluation
tour à tour le problème de la vérité dans et la reddition de comptes. Il décrit
8 la société, la vérité comme enjeu d’édu- certaines transformations survenues
cation, et la vérité à propos de l’éduca- et caractérise les conséquences des
tion. https://bit.ly/3prVJoN normes professionnelles qui struc-
turent les pratiques d’enseignement et
la gestion des établissements scolaires.
HOFSTETTER Rita, PIOT Thierry Il comprend des données empiriques
(coord.) pertinentes sur la restructuration de
la profession enseignante dans une ère
Évolutions et défis des sciences
de mondialisation, en offrant une vue
de l’éducation.
d’ensemble et un regard critique sur les
Regards transnationaux
principales conclusions des recherches
Les Dossiers des sciences de l’éducation,
comparatives et des travaux menés
no 42, 2019, 188 p.
dans divers pays.
En écho aux manifestations du
50e anniversaire de l’institutionnalisa-
tion, en 1967, des « sciences de l’édu-
cation » dans l’Université française, ce MALET Régis, BAOCUN Liu (eds)
volume retrace la genèse et les évolu- Politiques éducatives, diversité
tions multiformes de cette discipline, et justice sociale. Perspectives
du xixe siècle à nos jours, à l’échelle comparatives internationales
nationale et internationale. L’accent est Berne : Peter Lang, 2021, 258 p.
placé sur les trajectoires et pratiques L’ouvrage aborde les questions de
effectives des chercheurs en sciences de justice sociale sous l’angle des poli-
l’éducation, sur les collectifs, réseaux et tiques éducatives menées dans des
actualité internationale

espaces géoculturels qui se signalent Rapports internationaux


par une grande diversité interne, qu’elle
soit sociale, ethnique ou linguistique. CEDEFOP : Centre européen pour
Il propose une lecture comparative le développement de la formation
des conceptions contemporaines qui professionnelle, OCDE : Organisation
orientent les politiques publiques de coopération et de développement
dans les domaines de l’éducation, de économiques
l’équité, de l’accessibilité et de la pro- The next steps for apprenticeship
motion individuelle. Les contributions Luxembourg : Office des publications
rassemblées proposent des analyses qui de l’Union européenne, 2021, 181 p.
éclairent différentes perceptions – prin-
cipalement françaises et chinoises – des La combinaison de la crise éco-
enjeux d’équité et de justice en éduca- nomique émergente et des tendances
tion, ainsi que des politiques qui en structurelles à long terme entraînera
rendent compte et des débats publics une profonde transformation du monde
qu’elles suscitent. du travail. Dans un contexte marqué
par un intérêt considérable pour la
formation en apprentissage, le rapport
explore son avenir sous l’angle d’un
VÉRAN Jean-Pierre, certain nombre de mégatendances,
DURPAIRE Jean-Louis notamment les changements socio-
Le bonheur, une révolution démographiques, l’adoption accélérée
pour l’école des technologies et de nouvelles formes
Boulogne-Billancourt : d’organisation du travail. Il examine 9
Berger-Levrault, 2021, 213 p. comment ces tendances inf luent et
Les élèves sont-ils heureux à l’école ? continueront d’influer sur la concep-
Et les enseignants ? Et l’ensemble des tion et la mise en œuvre de l’apprentis-
personnels ? Ces questions, longtemps, sage dans les pays européens et les pays
n’ont pas été posées. L’école prépare en de l’OCDE. https://bit.ly/3djpt4I
effet le bonheur public de demain, en
apprenant aux futurs citoyens l’obéis-
sance aux règles et le sens de l’effort, Commission européenne
mais que fait-elle du bonheur de
Education and training monitor
l’instant ? Aujourd’hui, ces questions
2020: Teaching and learning
émergent. L’ouvrage vise à éclairer cette
in a digital age
transformation sous l’angle du bonheur
d’apprendre, d’enseigner et d’éduquer. Luxembourg : Office des publications
Il cherche à mesurer ce qui a changé à de l’Union européenne, 2020, 127 p.
l’école en soixante ans, à déterminer [en ligne]
le cap suivi au travers des alternances Cette 9e édition du « suivi de l’édu-
politiques, en fonction des injonctions cation et de la formation » mesure les
internationales et des apports de la évolutions accomplies dans l’Union
recherche. européenne dans la réalisation des
objectifs définis à l’horizon 2020. Elle
met en lumière les progrès accom-
plis par les pays en ce qui concerne
la réduction du décrochage scolaire

N° 86 - Avril 2021
et l’augmentation de la participation PASEC : Programme d’analyse des
dans tous les secteurs de l’éducation. systèmes éducatifs de la CONFEMEN
Elle souligne néanmoins le défi persis- PASEC 2019. Qualité des systèmes
tant qui consiste à doter tous les jeunes éducatifs en Afrique subsaharienne
des compétences de base. Cette année, francophone. Performances et
le rapport a pour sujet central l’ensei- environnement de l’enseignement-
gnement et l’apprentissage à l’ère du apprentissage au primaire
numérique. https://bit.ly/2NiIERi Dakar : PASEC : Programme
d’analyse des systèmes éducatifs de la
CONFEMEN, 2020, 442 p. [en ligne]
GÉRARD Étienne Correspondant au deuxième cycle
L’expansion de l’enseignement d ’évaluations internationales du
supérieur privé et le creusement PASEC, ce rapport rend compte des
des inégalités sociales. Analyses performances des systèmes éducatifs
à partir de l’Argentine, de l’Inde, de 14 pays d’Afrique subsaharienne
du Mexique, du Pérou, de la francophone. Le programme a mené
République démocratique du une enquête pour mesurer le niveau
Congo, du Sénégal, du Vietnam de compétences des élèves en début et
Paris : AFD : Agence française de en fin de scolarité primaire, en langue
développement, 2020, 50 p. [en ligne] d ’enseignement et en mathéma-
Cette étude présente la synthèse de tiques. L’évaluation PASEC 2019 com-
travaux réalisés dans le cadre du projet prend également une enquête sur les
10 ESPI (Enseignement supérieur privé connaissances disciplinaires et didac-
et inégalités) développé dans sept pays tiques en langue d’enseignement et
d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. en mathématiques des enseignants du
Elle prend comme point de départ la primaire, ainsi qu’une analyse des évo-
forte expansion de l’enseignement lutions entre 2014 et 2019 pour les pays
supérieur dans ces pays et la croissance concernés et une analyse des données
continue de son secteur privé. L’auteur sur les acquis des enseignants, croisées
montre que les institutions d’enseigne- avec des données sur l’environnement
ment supérieur privées creusent les iné- d’apprentissage. https://bit.ly/3aXGRcG
galités entre étudiants, à l’entrée dans
l’enseignement supérieur privé, durant
le parcours universitaire et en matière SAAVEDRA CHANDUVI Jaime,
de valorisation des titres universitaires. AEDO INOSTROZA Mario Cristian,
Si le secteur privé participe à l’expan- ARIAS DIAZ Omar S.
sion de l’enseignement supérieur, il Realizing the future of learning:
renforce aussi les inégalités et fractures From learning poverty to learning
entre classes sociales et en leur sein. for everyone, everywhere
https://bit.ly/2NwgYZi
Washington : Banque mondiale, 2020,
70 p. [en ligne]
Les fermetures de classes consé-
cutives à la pandémie de Covid-19
risquent de pousser dans la pauvreté des
apprentissages 72 millions supplémen-
actualité internationale

taires d’enfants en âge d’aller à l’école


primaire. Cela signifie qu’ils seront
incapables de lire et de comprendre
un texte simple à l’âge de 10 ans. Le
rapport expose une vision de l’avenir ressources en ligne
des apprentissages susceptible d’orien-
ter aujourd’hui les investissements et Déployer le numérique
les réformes politiques des pays, selon en éducation, développer
cinq axes fondamentaux : des élèves les compétences
préparés et motivés pour apprendre,
La crise sanitaire a entraîné une
des enseignants efficaces et valorisés,
situation inédite dans la plupart des sys-
des ressources éducatives, notamment
tèmes éducatifs et a généralisé un ensei-
des programmes bien conçus et un
gnement à distance dans des conditions
apprentissage mixte, des écoles sûres
d’« urgence ». De nombreuses études et
et inclusives et des systèmes éducatifs
enquêtes ont tenté d’analyser l’impact
bien gérés. https://bit.ly/3ag5LoO
de la pandémie et d’observer les solu-
tions entreprises pour assurer la conti-
nuité pédagogique, constatant des
UNESCO : Organisation des Nations compétences numériques insuffisantes
unies pour l’éducation, la science au sein des communautés éducatives
et la culture (élèves, enseignants, familles, cadres
Right to pre-primary education: éducatifs). Selon l’Unesco (2020), dans
A global study près de la moitié des systèmes éduca- 11
Paris : UNESCO, 2021, 60 p. [en ligne] tifs, y compris des pays à revenu élevé,
Ce rapport montre que dans deux les élèves n’avaient pas les compétences
tiers des pays du monde, il n’existe numériques requises pour suivre un
aucune disposition juridique assurant enseignement à distance. 80 % des pays
la gratuité et le caractère obligatoire de déclaraient des compétences insuffi-
l’enseignement pré-primaire. Malgré santes dans les familles, indépendam-
la lenteur du rythme d’adoption de ment des revenus des foyers. Ces chiffres
cadres juridiques, l’étude indique que le montrent que, malgré des contextes
nombre d’inscriptions dans l’enseigne- politiques et socio-économiques très
ment pré-primaire a augmenté partout hétérogènes, la majorité des États se
dans le monde depuis 1999, avec une sont heurtés à des difficultés communes,
accélération à partir de 2010. Toutefois, tout en devant accélérer leur réflexion
un enfant sur deux dans le monde ne sur l’intégration des technologies numé-
reçoit toujours pas d’enseignement riques dans les pratiques éducatives et
pré-primaire à l’heure actuelle. https:// de formation tout au long de la vie.
bit.ly/3jSUgqA En partant de quelques chiffres au
niveau international, cet article propose
Hélène Beaucher, une sélection non exhaustive d’initia-
France Éducation International tives institutionnelles et de politiques
nationales illustrant différentes trajec-
toires et tendances pour le déploiement
du numérique dans les systèmes éduca-
tifs. Sitographie arrêtée le 29 mars 2021.

N° 86 - Avril 2021
Données au niveau international TALIS 2018 (OCDE)
International Computer and TALIS est une enquête interna-
Information Literacy Study (ICILS) tionale, portée par l’Organisation
de coopération et de développement
Cette enquête internationale a été
économiques (OCDE), questionnant
lancée en 2013 par l’IEA (International
enseignants et chefs d’établissement
Association for the Evaluation of
sur leurs conditions de travail et l’envi-
Educational Achievement)1 et en est à
ronnement d’apprentissage dans leurs
sa deuxième édition (2018). Destinée
établissements. La dernière édition,
aux élèves de collège (niveau quatrième
en 2018, a mobilisé plus de 50 pays et
en France) elle évalue leur capacité à
près de 260 000 enseignants. En termes
utiliser les technologies de l’informa-
de compétences numériques, l’édition
tion et de la communication et, plus
2018 montre que plus d’un jeune sur
précisément, leurs compétences en lit-
cinq, dans l’Union européenne, ne
tératie numérique et en pensée infor-
parvient pas à atteindre un niveau « de
matique. Quelques constats ressortent
base » en compétences numériques.
des deux éditions de l’enquête : l’im-
40 % des éducateurs se déclarent prêts
mersion dans un monde numérique
à utiliser les technologies numériques
dès la naissance ne se traduit pas auto-
dans leurs pratiques d’enseignement,
matiquement par de meilleures com-
avec toutefois de fortes disparités selon
pétences numériques ; un faible statut
les pays. http://www.oecd.org/education/
socio-économique est souvent corrélé
talis/
à des performances inférieures dans
12 l’utilisation du numérique ; malgré Citoyenneté numérique
des disparités liées au genre dans les (Conseil de l’Europe)
métiers du numérique, les filles sont
Le Conseil de l’Europe a lancé en
plus performantes que les garçons en
2016 un projet intergouvernemental sur
littératie numérique. Les résultats de
l’éducation à la citoyenneté numérique
cette enquête montrent également la
(https://www.coe.int/fr/web/digital-
nécessité d’une approche holistique
citizenship-education). En 2020, l’ins-
du numérique à l’école, avec un rôle
titution a mené une enquête auprès de
clé joué par l’attitude des enseignants
parents, dans 47 pays, pour analyser
à l’égard de ces outils. Des disparités
les préoccupations liées à la vie numé-
importantes existent entre les pays : si
rique de leurs enfants : la protection de
en République tchèque seuls 15 % des
la vie privée ressort comme l’inquié-
élèves ont besoin d’un soutien impor-
tude principale (67 % des répondants).
tant d’un adulte pour utiliser des
Près d’un parent sur deux exprime un
solutions numériques, ce pourcentage
besoin d’accompagnement pour choi-
s’élève jusqu’à 63 % en Italie. https://
sir les plateformes éducatives les plus
www.iea.nl/studies/iea/icils/2018
appropriées pour ses enfants, et cer-
tains indiquent le souhait d’un système
1. L’IEA, Association internationale pour l’évalua- de classification comme celui pour les
tion du rendement scolaire, est une organisation jeux en ligne (PEGI). https://bit.ly/3qGlUss
indépendante, à but non lucratif, qui mobilise un
réseau de plus de 60 pays et de 100 systèmes édu-
catifs. L’association est notamment à l’origine des
enquêtes internationales sur les mathématiques et
les sciences (TIMSS), la lecture (PIRLS), etc.
actualité internationale

Actions au niveau international la transformation numérique. Parmi


les actions proposées, on peut évoquer
Coalition mondiale pour l’éducation
une étude de faisabilité pour la créa-
La crise sanitaire a exacerbé une tion d’une plateforme européenne de
fracture numérique mondiale déjà partage des ressources éducatives en
existante2 , avec près de la moitié de ligne « labelisées », l’appui par le pro-
la population mondiale éloignée d’un gramme Erasmus+ de plans de trans-
accès internet (pour différentes raisons : formation numérique, le renforcement
obstacles socioculturels, barrière éco- des capacités des enseignants dans
nomique et/ou technologique, manque l’utilisation du numérique grâce à des
de compétences ou de formation, etc.), outils comme la plateforme Teacher
dans un contexte de pénurie mondiale Academy d’Erasmus (https://www.
d’enseignants bien formés et qualifiés. teacheracademy.eu/) et l’outil d’au-
Lancée en 2020, la Coalition mondiale to-diagnostic SELFIE : Self-reflection on
pour l’éducation est un partenariat Effective Learning by Fostering the Use
mondial d’ampleur inédite réunissant of Innovative Educational Technologies
140 membres du système onusien, de (ht t ps://ec. eu ropa .eu /educ at ion /
la société civile, du monde académique schools-go-digital_fr).
et du secteur privé. Son objectif est de https://bit.ly/3v3ihjI
répondre à la situation de crise par une
stratégie en trois axes : l’amélioration de Organisation internationale
la connectivité, la formation des ensei- de la Francophonie
gnants, l’attention pour les publics à L’Organisation internationale de la
besoins spécifiques. Tous les membres Francophonie publie, tous les deux ans,
13
de la coalition s’engagent à proposer un rapport sur la francophonie numé-
des outils et des services, gratuitement, rique avec des exemples de bonnes
pour assurer la continuité pédagogique. pratiques dont les pays francophones
https://bit.ly/2OXnuc4 peuvent s’inspirer. Début 2020 l’orga-
nisation a signé un accord-cadre avec
Plan d’action européen en matière
Smart Africa (https://smartafrica.org/),
d’éducation numérique
initiative réunissant environ 30 pays
Après une phase de consultation africains, vouée à l’accélération du
publique, la Commission européenne développement socio-économique du
a publié son plan d’action « numé- continent grâce aux TIC. Les thèmes
rique » pour la période 2021-2027. Ce de coopération entre les deux institu-
programme est structuré autour de tions sont les suivants : le développe-
deux priorités stratégiques : favoriser le ment de la connectivité et de l’accès aux
développement d’un écosystème per- infrastructures numériques, en privilé-
formant (infrastructure, équipement, giant le développement d’une connec-
renforcement des capacités, contenus tivité intra-africaine, la formation au
de qualité, plateformes sécurisées, etc.) numérique et la promotion des conte-
et renforcer les aptitudes et compé- nus numériques en langue française,
tences numériques pertinentes pour la promotion de l’économie digitale.
https://www.francophonie.org/
2. Voir notre article dans la Revue internationale
d’éducation de Sèvres no 84 (2020) : « Un accès
internet pour tous : enjeux, solutions ». https://
journals.openedition.org/ries/9703

N° 86 - Avril 2021
IMS Global Learning Consortium au et par le numérique, l’accompagne-
IMS est une ONG à but non lucra- ment d’opérations innovantes comme
tif composée d’environ 150 membres, des « challenges » dans le domaine de
acteurs de l’innovation numérique, l’intelligence artificielle, etc.
réunis autour de l’objectif de dévelop- https://bit.ly/30FbFu1
per l’utilisation des technologies au
Estonie
service de l’apprentissage et de l’éduca-
tion. L’association œuvre en particulier Dès 2014, l’Estonie a déployé une
pour promouvoir l’interopérabilité des stratégie nationale et multisectorielle
systèmes utilisés et le développement de transformation numérique de sa
de normes et de référentiels permettant société. En éducation, l’accent a été
de décrire les technologies éducatives. mis sur le développement de compé-
Elle promeut une architecture et un tences numériques, en intégrant des
écosystème plug-and-play3, sur les- modules ad hoc dans la formation des
quels des produits innovants peuvent enseignants et dans les programmes
être déployés et, surtout, fonctionner scolaires. En 2019, selon Eurostat,
ensemble, sans difficultés d’inter- 96 % des 16 à 19 ans disposaient des
connexion. http://www.imsglobal.org/ compétences numériques « de base »
et l’intégralité des établissements sco-
laires bénéficiaient d’une infrastructure
Exemples au niveau national numérique, principalement dans le
France nuage, avec un choix d’outils proposés
aux enseignants et aux élèves. Plusieurs
14 La France a mené une consultation
projets pilotes ont été lancés, récem-
nationale qui a conduit aux États géné-
ment, pour développer des applications
raux du numérique en novembre 2020.
d’intelligence artificielle en éducation,
Résultat de cette concertation, quarante
visant à construire des modèles prédic-
actions ont été priorisées et mises au
tifs pour l’évaluation diagnostique et à
cœur de la stratégie numérique natio-
personnaliser les ressources d’appren-
nale, comme la conception d’espaces
tissage.
numériques personnels pour l’édu-
https://e-estonia.com/education-nation/
cation et l’orientation (portfolio de
compétences), un « pass connexion Danemark
éducation » pour démocratiser l’ac-
Le Danemark ressort de l’enquête
cès aux outils et aux ressources édu-
TALIS comme le pays au plus grand
catives en ligne, le renforcement du
nombre d’enseignants laissant les
cadre de confiance à travers un code
élèves utiliser les TIC pour des pro-
de conduite pour les entreprises de la
jets en classe (58 % dans le 1er degré,
filière, la mise en œuvre de « territoires
90 % au collège) et utilisant des outils
numériques éducatifs 4 » pour former
numériques dans leurs pratiques
quotidiennes d’enseignement. Cette
3. L’expression « plug and play » (brancher et uti- démocratisation des usages est accom-
liser) désigne un système qui sait reconnaître des
périphériques ou des logiciels sans nécessité de pagnée d’un taux d’équipement très
redémarrer un ordinateur.
4. Bénéficiaire du Programme d’investissements
d’avenir, ce programme est porté par Réseau consignations, la Trousse à projets et les collec-
Canopé, en partenariat avec le Secrétariat général tivités locales : https://www.education.gouv.fr/
pour l’investissement, la Caisse des dépôts et des les-territoires-numeriques-educatifs-306176
actualité internationale

important, d’une politique nationale Uruguay


promouvant le système dit « AVEC » En 200,7 l’Uruguay a lancé le pro-
(Apportez votre équipement personnel gramme CEIBAL, afin de fournir à tous
de communication) et de l’utilisation les élèves et enseignants des écoles pri-
d’ordinateurs pour une grande partie maires publiques un accès gratuit à un
des cours, dès l’école primaire. Parmi ordinateur portable. Ce plan d’action a
les pratiques intéressantes, on peut citer été accompagné de la mise à disposition
l’enseignement de la « compréhension de points de connexion internet dans
technologique », discipline à la croi- les places publiques du pays, la création
sée des sciences humaines, des disci- d’une plateforme centralisée pour les
plines créatives et informatiques, qui manuels scolaires numériques, la for-
souhaite doter les élèves d’une bonne mation continue des enseignants. Cet
compréhension des pratiques liées au investissement soutenu dans le numé-
numérique et d’un regard critique sur rique, depuis dix ans, a permis une rési-
l’impact de la technologie. lience accrue du pays face à la pandémie
https://bit.ly/3lhHG4U et une meilleure continuité pédago-
gique, par rapport à des pays voisins.
Toutefois, comme d’autres expériences
Kenya d’« un ordinateur par enfant », les
résultats du programme semblent
Selon la Banque mondiale, le sec-
contrastés : malgré une augmentation
teur des TIC au Kenya a connu une
significative de l’accès aux ordinateurs,
croissance annuelle moyenne de
et une réduction de la fracture numé- 15
10,8 %, sur les cinq dernières années.
rique, l’écart de scolarisation entre les
Le pays accueille d’ailleurs le centre
élèves des écoles privées et publiques
d’excellence AICE pour le numérique
semble persister. Parmi les élèves de
et l’intelligence artificielle (https://
l’enseignement secondaire, ceux ayant
aiceafrica.com/), qui vise à promou-
été exposés au programme depuis
voir la recherche et développement,
leur enfance ne semblent pas être plus
l’expertise et l’utilisation de l’intel-
enclins à choisir une orientation dans le
ligence artificielle sur le continent
domaine scientifique ou technologique.
africain. Dans le cadre de sa stratégie
https://www.ceibal.edu.uy/es
nationale à l’horizon 2030, le Kenya s’est
doté du programme Digital Literacy Federica Minichiello,
Programme (DLP) porté par le minis- France Éducation international
tère de l’information, des communica-
tions et des technologies. La première
phase du programme a permis de tou-
cher plus de 20 000 écoles primaires, de
distribuer plus d’un million d’appareils
avec du contenu numérique « labellisé »
préinstallé et de former plus de 200 000
enseignants aux pratiques numériques.
La deuxième phase (2019-2023) vise à
élargir ces actions aux niveaux de classe
successifs, et à l’enseignement spécia-
lisé. http://icta.go.ke/digischool/

N° 86 - Avril 2021
le point sur de la nature. Les enfants montent dans
les arbres, se servent de couteaux et de
l’actualité scies, apprennent à reconnaître plantes
internationale et oiseaux, à construire des cabanes,
à compter avec des cailloux, à recon-
naître les lettres de l’alphabet disposées
L’école dans la forêt sur un tronc. Durant le temps scolaire,
au Danemark c’est donc en plein air que les élèves
explorent le programme des enfants de
Alors que le contexte sanitaire leur âge, à la fois de façon ludique et par
impacte l’organisation quotidienne des tâtonnement expérimental, en utilisant
établissements scolaires et que devenir essentiellement des éléments naturels.
plus écoresponsable devient véritable- Quelle est la genèse de ces
ment un enjeu sociétal, l’école dans Forestschools ? Pourquoi se sont-elles
la forêt, très répandue au Danemark, développées particulièrement au
pourrait-elle constituer une réponse Danemark ? Quels sont les effets posi-
adaptée aux problématiques actuelles ? tifs pour les élèves du point de vue de
Au Danemark, environ 700 écoles leur santé physique et psychique et ce,
maternelles, soit 20 % de ces établis- tout particulièrement dans le contexte
sements, font cours en pleine forêt, au actuel de pandémie ? Quid de leur
cœur de la nature. Le dispositif y est en motivation et de l’acquisition de com-
progression et fait des émules, en par- pétences ?
16 ticulier en Angleterre et en Allemagne,
Les Forestschools, nées
où 2 000 écoles de ce type ont vu le jour.
d’une préoccupation écologique
Aux États-Unis, au Canada et au Japon,
aux États-Unis2
le concept est également implanté.
L’école dans la forêt concerne essen- La première école de ce type est
tiellement le niveau préélémentaire, qui fondée en 1928, dans la petite ville de
s’y prête davantage en raison de pro- Laona, située dans l’État du Wisconsin
grammes moins contraints et égale- aux États-Unis. Alors que la région
ment du fait que l’enseignement y est souffrait d’une importante défores-
assuré par un seul professeur, libre de tation, élèves et professeurs s’étaient
gérer son organisation dans le temps et mobilisés pour planter de nombreux
dans l’espace à sa convenance. arbres, assurant ainsi son reboisement.
Le reportage Danemark : la forêt Aujourd’hui, l’école existe toujours et
c’est la classe ! 1 diffusé au journal télé- les élèves peuvent y étudier tous les
visé en septembre 2018 sur France 2 aspects de la vie écologique. C’est de
présentait l’organisation et l’esprit de cette volonté de sensibiliser et d’asso-
ces écoles maternelles. Les enfants âgés cier les élèves à la préservation de leur
de 2 à 6 ans passent des journées dans environnement naturel qu’a émergé le
la forêt, par tous les temps, en toute mouvement des Forestschools.
saison, habillés pour résister aux intem-
péries et encadrés par des enseignants
éventuellement assistés de spécialistes
2. https://lesdecliques.com/blog/ecoles-alterna-
1. https://bit.ly/3tHkf7X/ tives-vertes/
actualité internationale

Désir de bien-être et éducation Du point de vue physique, outre


verte au Danemark une meilleure résistance au froid, ils se
L’idée de privilégier l’école en plein forgent un système immunitaire plus
air s’est progressivement diffusée dans efficace : une exposition importante
les années 1950 en Allemagne, en aux rayons ultraviolets conduit en effet
Angleterre et dans les pays scandinaves. à augmenter leur taux de vitamine D
À cette période, au Danemark, dans l’organisme, et à diminuer ainsi
les femmes sont de plus en plus nom- le risque de nombreuses pathologies
breuses à travailler. Alors que les capa- auto-immunes. Moins soumis à la pol-
cités d’accueil des écoles commencent lution et tenus éloignés des microbes et
à saturer, la forêt apparaît comme virus qui se développent dans des salles
une solution permettant de scolariser de classe souvent surchauffées, ils sont
davantage d’élèves à moindre coût moins sujets à l’asthme et aux allergies.
d’infrastructure. Ella Flatau, ensei- Par ailleurs, l’espace dans lequel ils
gnante de musique dans une école de évoluent favorisant l’exercice physique,
la banlieue de Copenhague, diffuse ils sont également moins touchés par
alors le concept d’école itinérante. l’obésité infantile.
Conduisant des groupes d’enfants Du point de vue psychique, les
dans la forêt, elle réinvente le « jardin enfants en contact avec la nature
d’enfants ». rencontrent moins de problèmes de
Le principe est simple : les enfants comportement, celle-ci favorisant
ont avant tout besoin de jouer en exté- l’autodiscipline, en particulier chez
rieur. Faisant écho à une tradition des sujets présentant un déficit de 17
nordique consistant à renforcer la l’attention. Le risque d’être touché par
résistance des enfants au froid en les y une maladie mentale est également plus
exposant couramment, même durant faible – souvenons-nous des jardins
leur sommeil, les premiers jardins thérapeutiques proposés, en vue de leur
d’enfants dans la forêt (skovbørnehaver) réadaptation, aux soldats britanniques
s’implantent rapidement dans le et américains revenus gravement trau-
pays. Encouragés par les autorités, matisés des champs de bataille lors de
ils répondent surtout à l’aspiration la Seconde Guerre mondiale.
danoise, plus forte qu’ailleurs dans le Les enfants bénéficiant de l’école
monde, au bien-être. Dans ce pays, en dans la forêt sont aussi moins stressés
tête du classement des pays où l’on est le du fait d’une exposition importante
plus heureux, les effets bénéfiques d’un à la lumière naturelle diurne, réputée
contact régulier de l’individu avec la pour engendrer la production de bêta-
nature représentent un argument de endorphine, un opioïde endogène qui
poids. améliore le bien-être et peut avoir un
effet antalgique et relaxant. Rappelons
Immersion en pleine nature et santé qu’au Japon et en Corée du Sud, la pra-
Les travaux d’une équipe de tique des « bains de forêt » (Shinrin
recherche danoise et suédoise (Nilson, Yoku) est connue pour apporter l’apai-
Bentsen, Grahn et Mygind, 2018) sement au promeneur, qui laisse l’envi-
montrent que les enfants évoluant dans ronnement imprégner ses sens en éveil
cet environnement sont en meilleure pour se déconnecter d’un quotidien
santé. envahi par la technologie.

N° 86 - Avril 2021
L’école dans la forêt constitue par leur permettre de rêver, d’éveiller leur
ailleurs une arme face aux nouveaux curiosité, de leur laisser le loisir de s’en-
défis de santé publique. Force est de nuyer pour, in fine, induire un engage-
constater aujourd’hui que notre mode ment de leur part dans les activités qui
de vie, de plus en plus urbain, a pour leur sont proposées et ainsi apprendre
conséquence une sédentarité croissante plus aisément et sans stress à lire ou
des enfants. La faute aux écrans, à un à compter, par exemple. Gageons que
emploi du temps surchargé, mais aussi ces enfants sauront mieux faire face aux
à la peur de l’insécurité qui est désor- défis de demain grâce à leur capacité
mais associée à l’extérieur : la nature est d’adaptation plus développée.
devenue synonyme de danger, et l’on Outre une motivation renforcée,
tend à cantonner les plus jeunes au sein les élèves confrontés à des expériences
d’espaces clos, balisés, avec la convic- inédites dans la forêt, lieu de multi-
tion qu’on pourra mieux les surveiller ples dangers, développent assurance
et les protéger. Un rapport de l’Institut et autonomie. Loin de l’enseignement
national de veille sanitaire (Salanave et traditionnel caractérisé par une péda-
al., 2015) indique que 40 % des enfants gogie frontale, l’école de la forêt pose
âgés de 3 à 10 ans ne jouent jamais les bases d’un apprentissage de l’enfant
dehors pendant la semaine. par le jeu, les sens, la créativité et
L’école dans la forêt, qui permet aux l’expérience. Ils prennent quelques fois
jeunes de se dépenser et de maintenir des risques, mais sous la surveillance
le lien avec l’environnement extérieur, d’adultes – un pour douze enfants selon
donne donc à réfléchir à l’heure où la législation – et les échecs sont forma-
18
nos enfants sont de plus en plus séden- teurs. Par ailleurs, les enfants voient
taires, dépendants aux écrans, touchés leurs capacités motrices stimulées. Au
par l’obésité et plus récemment par la grand air, ils développent leur agilité,
pandémie de la Covid-19, dont l’éra- travaillent leur rapport au corps et ren-
dication sera longue malgré la mise en forcent leur endurance.
place d’une politique de vaccination. Grâce à cette pédagogie du « faire
pour apprendre » et d’une approche
Motivation et acquisition essentiellement exploratoire, les élèves
de compétences3 améliorent leurs capacités motrices et
Erik Mygind, professeur émérite de cognitives tout en adoptant par ailleurs,
l’Université de Copenhague, a entrepris du fait du contexte environnemental,
des travaux de recherche sur l’école en une attitude respectueuse à l’égard de
plein air, ou Teach Out, de 2014 à 20184. la nature.
Ses conclusions plébiscitent la pédago- Enfin, les enfants apprennent aussi
gie de la nature, qui s’inscrit dans un à coopérer pour résoudre des pro-
changement de paradigme, en mettant blèmes auxquels ils doivent faire face.
la question de la construction de l’indi- Habitués à évoluer en petits groupes,
vidu au cœur de sa réflexion. ils font appel à l’entraide et à l’esprit
En offrant aux enfants un vaste d’équipe, jouent et se sociabilisent, tout
espace scolaire, l’école dans la forêt va en améliorant leur capacité intrinsèque
d’attention, d’observation et de concen-
3. https://bit.ly/38Yol3p/ tration.
4. Voir : https://www.researchgate.net/lab/Erik-
Mygind-Lab
actualité internationale

Le temps, une ressource


pédagogique à préserver :
Rappelons pour mémoire la défini- une analyse dans dix pays
tion large et positive par l’Organisation d’Afrique subsaharienne
mondiale de la santé en 1946 du mot
« santé » :
Lancé en 1993, le Programme
La santé est un état de complet bien-
être physique, mental et social et ne
d’analyse des systèmes éducatifs de la
consiste pas seulement en une absence Confemen5 (Pasec) a adopté, en 2014,
de maladie ou d’infirmité. une nouvelle formule pour ses éva-
luations internationales des acquis
Le Danemark ne s’y est pas trompé, des élèves en fin de primaire, qui ont
en érigeant le bien-être des élèves en concerné alors dix pays d’Afrique sub-
objectif essentiel de sa politique d’édu- saharienne 6. Un nouveau groupe de
cation. pays a été étudié en 2019 ; les résultats
Aujourd’hui en Europe et plus devraient être disponibles en 20217.
largement encore dans le monde, une Le Pasec 2014 a donc été la première
école plus ouverte à la nature semble édition d’une série d’évaluations inter-
d’actualité… Signe d’une concordance nationales régulières. La mise en rela-
croissante des politiques de santé tion des informations contextuelles
publique et d’éducation pour instau- recueillies lors des enquêtes avec les
rer un modèle qui favoriserait chez les résultats des élèves aux tests fournit des
élèves le bien-être, base indispensable à points de repère sur les facteurs ayant
leur développement ? un impact sur la qualité des appren- 19
Laurence David, tissages, et permet d’orienter l’action
proviseure adjointe éducative. Dans cet article, nous nous
intéressons plus particulièrement au
Laurence Marchand, temps de fonctionnement de l’école, de
principale ajointe de collège la classe et à ses conséquences sur les
apprentissages.
Bibliographie
Le temps est un élément crucial
NILSON K, BENTSEN P., GRAHN P. et dans le processus scolaire, autant pour
MYGIND L (2018). « Étude sur les effets les apprentissages des élèves que pour
des forêts et des arbres sur la santé mentale
les enseignants et pour l’administra-
et le bien-être humain ». Rev. For. Fr. LXX
– 2-3-4 [en ligne] https://bit.ly/310nP0J/
tion. Cet aspect constitue des pans
(consulté le 21 mars 2021). entiers des recherches en éducation.
Ce qui nous intéresse ici est le temps
SALANAVE B., VERDOT C.,
de la classe, et non dans la classe. Dans
DESCHAMPS V. et al (2015). La pratique
certains cas, dans les pays du Nord, le
de jeux en plein air chez les enfants de 3
à 10 ans dans l’étude nationale nutrition
santé (ENNS, 2006-2007). Bulletin épidé- 5. Conférence des ministres de l’éducation des
miologique hebdomadaire, no 30-31, p. 561- États et gouvernements de la francophonie.
70. [en ligne] https://bit.ly/3dohli2 6. Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun,
République du Congo, Côte d’Ivoire, Niger,
Sénégal, Tchad et Togo.
7. Il aurait été souhaitable, bien sûr, d’utiliser les
données du Pasec 2019, mais les résultats et les
bases n’étaient encore pas publiés au moment de
la rédaction de cet article.

N° 86 - Avril 2021
temps de la classe peut être perturbé début de l’année scolaire 8 , et d’une
par des absences d’enseignants (mal variable (0/1) qui indique si les ensei-
ou pas du tout remplacés). Dans les gnants s’absentent chaque mois pour
pays d’Afrique subsaharienne, la durée aller percevoir leur salaire 9. Cela
effective de fonctionnement des écoles constitue une première approche, bien
peut connaître des variations significa- qu’imparfaite, de la mesure du temps
tives, d’une part, d’un pays à l’autre, du scolaire disponible sur l’année, les fins
fait de décisions nationales et, d’autre des classes intervenant sans qu’il soit
part, d’une école à l’autre à l’intérieur tenu compte des dates de rentrée.
d’un même pays, du fait de dysfonc- Selon les déclarations des direc-
tionnements divers. teurs d’école, il existe un écart de
Les données du Pasec 2014 per- plus de deux mois (voire près de trois
mettent, d’une part, d’estimer les dates mois) entre les écoles pour lesquelles
de début et de fin de fonctionnement la rentrée scolaire a été la plus précoce
des écoles au cours de l’année 2013-2014 (1er septembre) et celles où elle a été
et apportent, d’autre part, des informa- la plus tardive (courant/fin du mois
tions sur les enseignants qui quittent de novembre). De façon globale, il est
leurs classes quelques jours chaque estimé que la variance de la date de la
mois pour aller percevoir leur salaire rentrée scolaire au sein de l’échantillon
à la banque (souvent éloignée du lieu tient pour 73 % à des différences
où ils enseignent). Comme l’enquête moyennes entre pays et pour 27 % à
documente par ailleurs les conditions des différences entre écoles au sein d’un
générales d’enseignement dans chaque même pays.
20
école, les caractéristiques sociales des En moyenne, la rentrée scolaire a
élèves ainsi que leur niveau d’acquisi- lieu le 2 octobre dans les dix pays, mais
tions en fin d’année, il est possible de avec une grande variation d’un pays à
mesurer l’ampleur des pertes quantita- l’autre. C’est au Cameroun que la ren-
tives en matière de temps scolaire ainsi trée scolaire est en moyenne la plus
que leur impact net sur les apprentis- précoce (5 septembre) et au Niger, au
sages dans chacun des pays considérés. Sénégal et au Togo qu’elle est la plus tar-
dive (deuxième quinzaine d’octobre).
Variabilité du temps scolaire offert Au total, le Cameroun et le Burundi
et disparités sociales ont pris les dispositions les plus favo-
rables pour une rentrée scolaire pré-
Il n’est pas certain que toutes coce et pour limiter la variabilité de
les écoles primaires des dix pays de la date de rentrée entre les écoles. Le
l’échantillon offrent à leurs élèves Niger et le Sénégal connaissent des cir-
le même temps de fonctionnement constances moins favorables en ce sens
effectif sur l’année scolaire ; il est par qu’on trouve en même temps une date
ailleurs possible que cela ait alors un de rentrée tardive et de larges disparités
impact sur leurs résultats d’appren- de cette date entre les écoles.
tissages. L’information sur le temps
scolaire effectif des différentes écoles 8. Une variable a été construite pour disposer
n’est pas directement disponible dans d’une transcription numérique de cette date. Elle
les enquêtes du Pasec. On y dispose mesure le nombre de jours où celle-ci se situe
après une référence choisie au 1er septembre.
toutefois de la déclaration de la date 9. Ce peut être d’un à trois jours (parfois davan-
à laquelle les cours ont commencé au tage), mais la durée n’est pas documentée.
actualité internationale

Tableau 1
Moyenne jours de rentrée après le 1re septembre
et pourcentage d’enseignants s’absentant pour percevoir leur salaire par pays

Rentrée : nombre de jours Enseignants s’absentant


après le 1er septembre pour percevoir leur salaire
(en %)
Pays Moyenne Écart type
Bénin 34,6 3,2 13,3
Burkina Faso 36,6 9,3 32,3
Burundi 15,7 1,9 37,1
Cameroun 5,0 6,6 39,6
Congo 31,6 2,7 22,3
Côte d’Ivoire 22,8 10,8 23,6
Niger 46,7 16,1 61,5
Sénégal 50,7 12,4 36,1
Tchad 38,7 11,7 40,1
Togo 46,2 4,5 27,1
Ensemble 31,5 17,4 33,6

Tableau 2
Date de la rentrée scolaire et pourcentage d’enseignants s’absentant pour percevoir leur
salaire selon le milieu géographique et le quintile moyen de richesse du public d’élèves 21

Rentrée : Enseignants s’absentant


nombre de jours pour percevoir leur salaire
après le 1er septembre (en %)
Ensemble 31,5 34
Localisation de l’école
Urbaine 29,3 14
Rurale 32,5 43
Quintile du public d’élèves de l’école
1 (+ pauvre) 38,3 53
2 32,2 44
3 32,6 38
4 28,9 21
5 (+ riche) 25,5 6

L’absence, quelques jours chaque encore au Niger (62 %), que cette pra-
mois, pour aller percevoir son salaire tique est très développée. Cependant,
concerne environ un tiers des ensei- s’il existe bien une tendance à ce que
gnants des dix pays. Peu fréquente au cette pratique soit plus fréquente dans
Bénin (13 %), elle l’est davantage au les pays qui ont une large population
Congo (22 %), en Côte d’Ivoire (24 %) rurale, les différences entre pays vont
ou au Togo (27 %). Mais c’est surtout au au-delà de cet aspect.
Cameroun et au Tchad (40 %), et plus

N° 86 - Avril 2021
En consolidant les pertes en temps Une analyse consolidée des phéno-
scolaire dues aux rentrées tardives et mènes étudiés suggère que les pertur-
à l’absentéisme de l’enseignant pour bations organisationnelles du temps
percevoir leur salaire, on aboutit à des scolaire considérées dans cet article
écarts en moyenne de près d’un mois sur ne sont pas anodines pour plusieurs
l’année scolaire ; ils peuvent atteindre des dix pays considérés. Pour trois
un trimestre entre les situations les plus d’entre eux, le Niger, le Sénégal et le
favorables ou défavorables sur ces deux Tchad, elles méritent sans doute que
plans. Les chiffres du tableau 2, supra, des dispositions fermes soient prises
montrent clairement, en outre, que ce pour les traiter ; en effet, dans ces trois
sont les populations dont la scolarisa- pays, environ 15 % du temps imparti
tion est la plus fragile (ruraux/popula- n’est pas effectué. Outre le gaspillage
tions pauvres) qui souffrent le plus d’un de ressources associé, les effets négatifs
moindre temps d’enseignement effectif connexes en matière d’équité et de qua-
sur l’année scolaire. lité sont notables.

L’incidence des pertes de temps Rosa Mahdjoub, ONEF (Algérie)


scolaires sur les apprentissages et LISEC (France)
Le fait que ces perturbations dans
le temps scolaire effectif proposé soient
plus fortes pour les élèves qui ont des
caractéristiques défavorables dans la
22 société en général et en ce qui concerne
leur scolarité interroge l’équité au plan
des conditions d’enseignement offertes.
Il interroge en outre l’efficacité car ces
perturbations ont aussi des incidences
sur les apprentissages réalisés. En effet,
en contrôlant les caractéristiques géo-
graphiques et sociales des élèves et les
intrants mobilisés au niveau de chaque
école, il est estimé qu’un mois de plus
sur la date de la rentrée est associé à
une diminution de 14 points du score
moyen de la classe. De même, l’inci-
dence de l’absence mensuelle de l’en-
seignant pour percevoir son salaire
est estimée à 23 points sur le score de
l’élève en fin d’année scolaire10.

10. À titre de référence, réduire le ratio élèves-


enseignants de dix élèves ne conduirait qu’à une
augmentation de l’ordre de 3 points du score
moyen, tout en impliquant une augmentation de
plus de 20 % des dépenses courantes.
actualité internationale

La gestion de la pandémie sociales déjà existantes avant la crise


dans le système scolaire et de provoquer la démotivation et le
allemand décrochage des élèves issus des milieux
socialement moins favorisés.
De plus, en Allemagne, le débat
Depuis le début de la pandémie
sur les mesures prises par les pou-
mondiale liée à la Covid-19, la gestion
voirs publics pour gérer la crise sani-
de cette crise inédite par les pouvoirs
taire dans le système éducatif a non
publics fait l’objet de débats parfois vifs
seulement porté sur les problèmes
en Allemagne. En effet, les responsables
techniques, organisationnels et péda-
politiques se voient contraints de trou-
gogiques soulevés par le passage à un
ver un équilibre difficile à établir entre,
enseignement en ligne, mais il a très
d’une part, la préservation des libertés
vite relancé des polémiques en quelque
individuelles à laquelle ils sont tenus
sorte indissociables du système éduca-
par un État démocratique fondé sur le
tif, à savoir son organisation fédérale.
respect des droits civiques et, d’autre
part, la nécessité de restreindre cer-
tains de ces mêmes droits pour lutter Le fédéralisme : un élément
contre la progression de la pandémie constitutif de l’ordre
et ses conséquences en termes de santé constitutionnel allemand
publique. La proportionnalité et la Il convient de rappeler quelques
légitimation démocratique de ces res- aspects institutionnels de cet élément
trictions relèvent d’une importance constitutif de l’ordre constitutionnel
fondamentale pour le fonctionnement allemand. Ils permettent de mieux 23
d’un État de droit, de même que pour comprendre les problèmes rencontrés
leur acceptation par les citoyens et, par par le système éducatif dans la gestion
conséquent, pour leur efficacité. de la crise sanitaire.
Le système éducatif et sa résilience L’enseignement scolaire est proba-
représentent un domaine particuliè- blement la politique publique la plus
rement sensible dans la gestion de la connue des Allemands, car vécue par
crise sanitaire. Dans les pays de l’Union eux dès leur plus jeune âge, et pour
européenne, on constate en effet que laquelle les Länder disposent d’une
les mesures prises dès mars 2020, et compétence législative et réglemen-
notamment la fermeture des établis- taire quasi exclusive. Le gouvernement
sements scolaires et universitaires, ont fédéral n’a donc que des compétences
suscité un débat sur les conséquences d’appui très limitées, du moins pour
possibles du basculement abrupt vers ce qui est des affaires scolaires. Les
un enseignement basé sur les techno- Länder créent eux-mêmes la loi et les
logies modernes de communication. normes juridiques dans ce domaine.
La recherche empirique en éducation Ils disposent d’une « qualité étatique »
a démontré pour nombre de pays euro- et contribuent ainsi à une diversité
péens, dont l’Allemagne et la France, certaine dans les politiques scolaires
un lien très fort entre la réussite sco- menées. Cela va de l’organisation de
laire et l’origine sociale des élèves. Des l’année scolaire jusqu’à la définition
voix se sont élevées dans les deux pays des missions de l’école, en passant par
pour dire que l’enseignement en ligne la gestion des enseignants (y compris
risquait de renforcer des inégalités universitaires), qui n’ont pas de statut

N° 86 - Avril 2021
national mais dépendent du Land, et la commun. Ce mode de fonctionnement
définition des programmes d’enseigne- de la KMK oblige les Länder à respecter
ment, des modalités d’évaluation, des une approche collective dans la réso-
diplômes et des types d’établissements. lution des problèmes d’ordre national
Cette situation rend nécessaire une et à ne pas trop s’écarter d’un compro-
concertation permanente et systéma- mis possible par des démarches isolées.
tique entre les seize Länder – égaux en Ainsi la décision de la KMK, prise le
droits – sur les décisions en matière de 25 mars 2020, de maintenir – en déca-
politique éducative, afin que l’autono- lant de quelques semaines après la fin
mie dont ils disposent dans ce domaine du premier confinement – les épreuves
reste compatible avec une autre obli- écrites du baccalauréat sur tout le ter-
gation, également inscrite dans la Loi ritoire allemand, fait suite à une propo-
fondamentale, qui est celle de préser- sition, non concertée, du ministère en
ver l’équité des conditions de vie sur le charge des affaires scolaires du Land de
territoire allemand. Dans la recherche Schleswig-Holstein de renoncer à ces
de l’équilibre entre les deux impératifs épreuves face à la progression du virus
constitutionnels, il s’est créé au cours de et de délivrer le diplôme sur la base des
l’histoire depuis 1949 – entre les seuls résultats du contrôle continu obtenus
Länder ou entre les deux niveaux de par les candidats durant les deux der-
l’organisation de l’État – un système de nières années de scolarité. Les épreuves
plus en plus complexe de concertation écrites ont eu lieu finalement dans
et de régulation, à commencer par la toute l’Allemagne et la KMK a motivé
Conférence permanente des ministres sa décision par la nécessité d’assurer
24
en charge des affaires d’éducation l’équité des conditions d’obtention d’un
(Kultusministerkonferenz : KMK) créée diplôme sur le territoire et de préserver
dès 1946, soit avant même la naissance la reconnaissance de sa valeur11.
de la République fédérale. Afin d’éviter
La gestion de la pandémie
des situations de blocage, ce système,
dans les écoles : entre approbation
appelé « fédéralisme coopératif » par les
et critique
spécialistes, oblige les acteurs à recher-
cher en permanence un compromis La lenteur du processus de prise
entre des avis parfois très divergents de décision, ainsi que l’absence d’un
selon les majorités politiques au pou- contrôle parlementaire direct de ces
voir dans les différents Länder ou entre instances « intergouvernementales »
Länder et gouvernement fédéral. Même de concertation sont cependant régu-
si la KMK s’abstient de formuler des lièrement critiquées par les partisans
recommandations détaillées afin de d’une certaine recentralisation de la
laisser une marge de manœuvre dans politique éducative. La médiatisation
leur mise en œuvre, ces dernières, à des démarches, parfois très différentes,
adoptées par les Länder dans la crise
défaut d’avoir une valeur législative
sanitaire et leur instrumentalisation
en droit – les parlements régionaux
doivent transposer ces recommanda-
tions dans leur législation respective – 11. Il est à noter que les épreuves du baccalauréat
ont des effets normatifs de fait très en Allemagne, qui n’est pas un examen centra-
lisé au niveau national, sont organisées selon un
importants car le compromis trouvé calendrier propre à chaque Land entre fin janvier et
est souvent le plus petit dénominateur juin de chaque année.
actualité internationale

dans le débat politique pour dénoncer politique de santé. En effet, la quasi-to-


les blocages institutionnels par rap- talité des politiques publiques pour les-
port à d’autres pays ont alimenté ces quelles le niveau fédéral dispose d’une
critiques de longue date. Ainsi, le pré- compétence constitutionnelle sont
sident du Deutscher Lehrerverband12 mises en œuvre par les administrations
a reproché au fédéralisme allemand des Länder, le gouvernement fédéral ne
d’avoir fait « piètre figure13 » dans sa disposant d’une administration propre
gestion de la crise du coronavirus, tout déconcentrée que dans des domaines
en se disant attaché aux prérogatives – énumérés de façon limitative par la
des Länder en matière d’éducation. Sa Loi fondamentale – pour lesquels il a
critique porte essentiellement sur la une compétence exclusive (l’armée et
lenteur et la complexité des décisions le service diplomatique notamment).
de la KMK – il se prononce en faveur Cette approche consensuelle de la
de l’abandon des votes à l’unanimité – crise sanitaire, s’appuyant sur une
et sur l’équipement informatique, jugé large concertation avec les Länder,
encore insuffisant, des établissements, mais aussi entre les deux grands partis
des enseignants et des élèves. historiques15 de la scène politique alle-
Dans la gestion de la crise sanitaire mande qui forment le gouvernement
par le système éducatif, le gouverne- fédéral actuel, ainsi que sur les avis
ment fédéral ne dispose donc prati- d’instituts de recherche tels que l’Ins-
quement d’aucune compétence ; toute titut Robert-Koch de Berlin (RKI), qui
annonce du gouvernement fédéral est l’agence fédérale de santé, largement
dans ce domaine – telle la fermeture plébiscités par les personnels de santé,
25
des établissements scolaires et uni- ont permis aux pouvoirs publics alle-
versitaires le 16 mars 2020 – suppose mands de bénéficier d’une acceptation
une concertation préalable entre les assez large – du moins dans un pre-
Länder au sein de la KMK sous forme mier temps et jusqu’au reconfinement
de recommandation14, ainsi qu’entre de l’automne 2020 – des restrictions
le chef du gouvernement fédéral et les des libertés individuelles. À ce titre,
ministres-présidents des seize Länder une étude d’un groupe de chercheurs
pour les mesures de protection à adop- de l’Université de Mannheim livre des
ter. La concertation entre les acteurs résultats intéressants sur l’évolution de
aux deux niveaux de l’État est égale- l’approbation par la population des dif-
ment nécessaire dans le domaine de la férentes mesures prises et/ou discutées
par les pouvoirs publics entre mars et
juillet 2020. Un échantillon représen-
12. Le Deutscher Lehrerverband revendique
quelque 165 000 adhérents sur les 830 000 ensei-
tatif de 3 600 personnes a été interrogé
gnants que compte l’enseignement scolaire alle- systématiquement toutes les semaines
mand. Il convient de préciser que les Kindergärten
(écoles maternelles) relèvent de la compétence des
ministères régionaux des affaires sociales. Les 15. Parmi les partis politiques représentés au
personnels qui y travaillent n’ont ni le statut, ni la Bundestag, ceux de l’opposition, les Verts,
formation d’enseignant, ils/elles sont éducateurs/ Die Linke (gauche radicale) et les Libéraux, ont
éducatrices. approuvé globalement cette démarche ; seul le
13. FAZ.net, 21 janvier 2021. parti populiste AfD (Alternative pour l’Allemagne)
14. Dans une décision du 12 mars 2020, les s’en est clairement écarté en apportant son
ministres en charge des affaires scolaires des soutien au mouvement « anti-masques » et aux
16 Länder se sont accordés sur le principe d’une manifestations spectaculaires organisées par ce
démarche concertée et conjointe dans les mesures dernier dans quelques grandes villes allemandes
à prendre face au virus. durant l’été 2020.

N° 86 - Avril 2021
pendant cette période. Si la fermeture compris dans les périodes de crise, le
des établissements scolaires et universi- risque d’une atomisation du droit sur
taires a recueilli un taux d’approbation le territoire national et oblige tous les
très élevé au début (plus de 90 %), c’est acteurs à trouver un équilibre entre des
cette mesure qui a perdu le plus rapide- décisions centrales, mais négociées et
ment et massivement en approbation, concertées avec une multitude d’ac-
car le taux s’est stabilisé à partir de fin teurs, et des décisions individuelles
mai 2020 à un peu moins de 25 %, l’un prises au niveau décentralisé. La gestion
des taux les plus bas recueillis parmi décentralisée a finalement su s’adapter
toutes les mesures questionnées16. aux situations spécifiques locales et
répondre en cela à l’attente exprimée
par la population, à savoir une produc-
tion de biens publics efficace, en phase
Dans l’analyse des faiblesses de l’or-
avec les besoins du terrain et dans des
ganisation fédérale par rapport à une
délais raisonnables. En même temps,
organisation étatique centralisée, plu-
il faut préserver au mieux les libertés
sieurs arguments sont avancés depuis
individuelles par l’implication dans la
le début de la crise sanitaire : la lenteur
prise de décision d’un maximum d’ac-
de la prise de décision, la division du
teurs, afin d’empêcher une concentra-
territoire national en entités gérées dif-
tion de tous les pouvoirs en un seul lieu.
féremment du point de vue du droit, ce
Dans le cas concret de la pandémie et
qui augmenterait l’illisibilité de l’ac-
de la gestion de ses conséquences par
tion politique, le risque étant que les
le système scolaire allemand, les méca-
26 décideurs politiques instrumentalisent
nismes de concertation, devenus peut-
cette diversité à des fins de communi-
être trop routiniers avec le temps, ont
cation stratégique au détriment d’ap-
été mis à l’épreuve et vont devoir évo-
proches plus collectives et concertées.
luer. En outre, les Länder devront aller
Ces arguments ne sont pas nouveaux
au-delà d’une concertation sur les dates
et accompagnent l’évolution du fédéra-
de confinement ou de déconfinement,
lisme allemand depuis ses origines. On
afin de permettre une réflexion plus
peut y opposer les arguments en faveur
pédagogique au niveau national sur
d’une prise de décision décentralisée
les avantages et les limites de l’ensei-
qui, elle aussi, a trouvé dans la pandé-
gnement en ligne, de fixer les critères
mie sa justification. Le fédéralisme alle-
d’une offre cohérente de formation des
mand comporte, depuis sa refondation
enseignants en la matière, et de mettre à
après 1945, des éléments de coopération
disposition des établissement les outils
et de concurrence, mais il n’a jamais été
numériques requis.
un fédéralisme à l’américaine visant à
une séparation stricte des compétences Werner Zettelmeier,
entre le niveau fédéral et celui des Université de Cergy-Pontoise
Länder. L’obligation constitutionnelle
d’assurer l’équité des conditions de vie
a limité efficacement, somme toute, y

16. Blom A. (2020). « Zum gesellschaftlichen


Umgang mit der Corona-Pandemie. Ergebnisse
der Mannheimer Corona-Studie ». Aus Politik und
Zeitgeschichte, no 35-37, p. 16-22.
actualité internationale

Pratiques enseignantes et vécus ral et des entités fédérées a décidé de


professionnels en période suspendre, à partir du 16 mars 2020, les
de crise sanitaire en Belgique cours en présentiel dans toutes les écoles
francophone de la FWB afin de respecter les mesures
de confinement liées à la crise sanitaire
de la Covid-19. Plusieurs circulaires
Dans le contexte de crise sanitaire,
ont alors été rédigées à l’intention des
nous avons, depuis le début du confi-
acteurs des établissements scolaires,
nement, investigué les pratiques des
leur transmettant règles et recomman-
enseignants belges francophones par le
dations. Si, pendant les premiers jours
biais d’enquêtes quantitatives, menées
suivant la décision du CNS, il n’a pas
en ligne, sur des échantillons de conve-
été demandé aux enseignants de pré-
nance. Complétées par des enseignants
voir du travail à distance pour les élèves
du maternel, primaire et secondaire,
(circulaire 7508), la circulaire 7515, du
ces enquêtes ont pour principal objectif
17 mars 2020, informait les enseignants
de fournir un état des lieux de la situa-
de la possibilité d’envoyer des travaux à
tion d’enseignement-apprentissage à
réaliser à domicile aux élèves, à condi-
différents moments de la pandémie,
tion que ceux-ci portent sur des conte-
en vue de comprendre la perception
nus abordés préalablement en classe et
de la situation par les enseignants en
soient uniquement évalués de manière
Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).
formative. À la suite de la présentation
Dans cet article, les principaux
d’un plan de déconfinement et confor-
résultats de la deuxième enquête sont mément à la circulaire 7550 du 25 avril
présentés17. Celle-ci a été réalisée en 2020, la réouverture des écoles pouvait 27
octobre 2020, après la rentrée scolaire, s’effectuer en deux phases. À partir du
sur un échantillon de 518 enseignants 18 mai 2020, les élèves de 6e primaire et
du maternel, du primaire et du secon- ceux de dernière année du secondaire
daire18. (6e ou 7e) pouvaient reprendre les cours
en présentiel, par groupe et à concur-
Le contexte belge en période
rence de deux jours par semaine maxi-
de crise sanitaire mum. À partir du 25 mai 2020, d’autres
Le Conseil national de sécurité élèves pouvaient reprendre le chemin
(CNS) constitué du gouvernement fédé- de l’école, en groupe également : un
jour maximum pour les élèves de
17. Les auteurs renvoient à leur rapport de 1re primaire et si possible de 2e primaire
recherche pour davantage de précisions concer-
nant les résultats : Duroisin N., Beauset R.,
et deux jours maximum pour les élèves
Flamand A. et Leclercq M. (2021). École & Covid. de 2e secondaire. Pour tous les élèves,
Pratiques enseignantes en temps de pandémie le gouvernement a annulé les épreuves
(résultats de la deuxième enquête). Rapport de
recherche. Université de Mons, Belgique. En ligne : externes certificatives (CEB, CE1D et
www.CAPTE.be CESS). Enfin, la circulaire 7599 (27 mai
18. Parmi les 911 personnes ayant accepté de par-
ticiper à cette enquête, n’ont ici été retenus dans
2020) annonçait la reprise des cours en
l’échantillon que les questionnaires complétés à présentiel à temps plein, dès le 2 juin,
plus de 50 % par des enseignants de l’enseigne- de toutes les classes de l’enseignement
ment maternel, primaire et secondaire de la FWB
(tous réseaux confondus), soit 518 questionnaires. maternel et, dès le 8 juin, de toutes
La durée estimée pour compléter l’enquête était de celles de l’enseignement primaire.
10 à 15 minutes. Les chercheurs ont été particuliè-
rement attentifs à la protection des données des
Aucun changement n’a été annoncé
répondants. concernant l’enseignement secondaire.

N° 86 - Avril 2021
La rentrée de septembre s’est opérée Le ressenti des enseignants belges
en « code jaune » pour tous les niveaux face au contexte de crise sanitaire
d’enseignement ; l’obligation scolaire a
donc été pleinement rétablie dans le res- Les enseignants ont été question-
pect de différentes mesures sanitaires. nés sur leurs perceptions à l’égard de la
Pour l’enseignement primaire, le port situation au début de l’année scolaire
du masque et la distanciation sociale 2020-2021. Un retour à l’enseignement
étaient obligatoires pendant l’activité en présentiel était plébiscité par 77,3 %
pour les enseignants uniquement, alors des enseignants répondants ; 19,4 %
que pour l’enseignement secondaire, auraient préféré un enseignement
ces mesures étaient obligatoires pen- hybride et seuls 3,3 % souhaitaient
dant l’activité, pour les élèves comme reprendre les cours à distance. 88,7 %
pour le personnel. Les circulaires 7686 des enseignants interrogés étaient
(18 août 2020) et 7691 (19 août 2020) enthousiastes à l’idée de reprendre
mentionnaient que les établissements les cours en présentiel malgré la peur,
scolaires devaient développer une pour plus de la moitié des répondants
stratégie de différenciation et de lutte (50,8 %), d’être contaminés et un stress
contre le décrochage. Il y était stipulé plus ou moins important, étant donné
que la priorité des écoles devait être de les conditions sanitaires, pour 56,1 %
(re)créer du lien social entre les élèves, des enseignants. Quand l’enseignement
entre les membres du personnel et entre s’est déroulé en présentiel, 68,5 % des
les élèves et les membres du personnel, enseignants ont déclaré avoir dû faire
de (re)créer un cadre bienveillant et un face à des taux d’absentéisme plus
climat propice à la reprise des apprentis-
28 importants que les années précédentes
sages et d’assurer un accompagnement
ainsi qu’à des élèves démotivés, suite
adéquat à chaque élève, en particulier
au confinement. En outre, 92 % des
aux élèves qui risquaient de rencontrer
des difficultés les empêchant de suivre enseignants estimaient que la période
le rythme scolaire. Malgré cette rentrée de confinement avait amplifié les iné-
en code jaune, il a été demandé aux éta- galités scolaires et 53,4 % que l’écart
blissements primaires et secondaires de entre les élèves plus faibles et plus forts
préparer une stratégie d’hybridation s’était creusé, cet écart étant visible dès
des apprentissages (enseignement par- la rentrée. Ainsi, 83,4 % des enseignants
tiellement à distance ou en présentiel) ont remarqué une baisse de niveau des
en cas de mesures de mises en quator- apprenants étant donné le confinement.
zaine pour le fondamental et de passage Parmi ces derniers, 62,7 % estimaient
en « code orange » ou « code rouge » que cette baisse était relative, c’est-à-
pour le secondaire. La circulaire 7725 dire variable d’un élève à l’autre.
(3 septembre 2020), présentait, quant à Concernant le port du masque,
elle, des ressources dans le cadre de la 72,1 % des répondants (parmi lesquels
stratégie de la rentrée 2020-2021. Parmi 81,7 % d’enseignants du primaire et
ces ressources, un document identifiait 66,9 % d’enseignants du secondaire)
les savoirs, savoir-faire et compétences
estimaient que celui-ci était très
essentiels parmi ceux définis dans les
contraignant pour enseigner ; 77,4 %
référentiels en vigueur19.
des enseignants du secondaire esti-
maient que le port du masque par leurs
19. Les essentiels et balises diagnostiques pour
la rentrée 2020 sont accessibles sur : http://
élèves les rassurait, alors que 22,6 %
enseignement.be/download.php?do_id=15922/ affirmaient le contraire. 48,8 % des
actualité internationale

enseignants ont estimé que le port du mer leurs émotions face à la situation
masque par les élèves était probléma- sanitaire. Le rappel des gestes bar-
tique. rières, parfois plusieurs fois par jour,
est apparu comme un nouvel élément
Quelles priorités en début d’année de la pratique enseignante pour 88,2 %
scolaire pour les enseignants ? des enseignants.
Les répondants ont ordonné par Concernant les apprentissages sco-
importance décroissante six priorités laires, des actions ont été entreprises
qui leur étaient proposées dans le ques- par certains enseignants afin de pallier
tionnaire : la motivation des élèves, les d’éventuels retards dans les appren-
apprentissages scolaires, l’attention, tissages20. C’est le cas, par exemple, de
la méthodologie de travail, la gestion la focalisation sur les apprentissages
du stress et pour finir, la préparation jugés les plus importants (48,3 %) ou
des élèves à l’utilisation d’outils numé- de l’utilisation de dossiers spécifiques
riques permettant l’enseignement- pour un travail autonome (24,8 %).
apprentissage à distance. Par ailleurs, à la rentrée, 41,9 % des
La faible importance accordée à l’an- enseignants ont réalisé un rappel des
ticipation d’un éventuel reconfinement thématiques les plus importantes de
s’illustre également par les réponses l’année passée, 38,6 % se sont concen-
des enseignants à d’autres questions. trés sur les apprentissages « essen-
En effet, plus de la moitié (54,1 %) ont tiels », 38,4 % ont débuté l’année par
affirmé ne pas avoir préparé les élèves à la matière non vue l’année précédente,
38,2 % ont débuté par des exercices de
l’enseignement à distance. Par ailleurs, 29
de nombreux enseignants ont indiqué remise à niveau. Moins d’un tiers des
ne pas s’être renseignés sur les équipe- répondants (29,3 %) ont débuté l’année
ments numériques de leurs nouveaux directement par de nouveaux contenus
élèves depuis la rentrée et seuls 16,6 % et 15,3 % des enseignants interrogés
ont admis connaître parfaitement les ont déclaré n’avoir rien mis en place
équipements de chacun de leurs élèves. pour gérer les retards. Concernant
L’utilisation d’une plateforme en ligne, les pratiques d’évaluation, on observe
pourtant prescrite dans les circulaires, une tendance à l’évaluation formative
n’était mise en œuvre que par 43,6 % (78,5 %) ou diagnostique (57,2 %), plus
des répondants. qu’aux évaluations sommatives et cer-
tificatives (respectivement 40,5 % et
Quelles pratiques ont émergé 21,0 %). Enfin, 33,2 % des enseignants
en début d’année scolaire interrogés ont proposé une ou plusieurs
pour les enseignants ? évaluations dès la rentrée.
L’impact des mesures sanitaires sur
La crise sanitaire semble avoir l’enseignement-apprentissage a égale-
fait émerger de nouvelles pratiques ment été interrogé : il en ressort que
qui s’avèrent être cohérentes avec les 77,3 % des enseignants estiment que
priorités évoquées. Près de 60 % des leurs pratiques et comportements ont
enseignants ont admis avoir changé été impactés. Parmi les changements
leurs habitudes lors de la rentrée. relevés, 62,5 % des répondants ont jugé
70,3 % d’entre eux ont, par exemple,
jugé nécessaire de laisser du temps 20. Pour cette question, les enseignants pou-
aux élèves pour qu’ils puissent expri- vaient mentionner plusieurs de ces actions.

N° 86 - Avril 2021
que la distanciation sociale et le port du
masque les avaient contraints à davan-
tage d’enseignement magistral. Notons
que 78,9 % des enseignants ont déclaré repères sur
impossible le respect de la distanciation
sociale au vu du nombre d’élèves par
les systèmes
classe et de la taille de celle-ci. éducatifs
Enfin, 42,5 % des répondants ont dans le monde
déclaré avoir conservé à la rentrée sco-
laire certaines habitudes prises durant
le confinement. Les plus citées sont la Évaluation TIMSS 2019 : résultats
mobilisation de ressources en ligne, des élèves en mathématiques
la mise en ligne des séances de cours, à l’école primaire et portrait
une communication accrue avec les des enseignants dans 58 pays
familles, la mise en place de meilleures
pratiques de différenciation ou encore
Dans de nombreux pays, la presse
la diminution des pratiques d’évalua-
s’est fait l’écho des résultats de la der-
tion. Si certains enseignants ont dit
nière étude comparative sur les perfor-
avoir poursuivi l’utilisation d’outils
mances des élèves en mathématiques
numériques découverts durant le
et en sciences, Trends in International
confinement, ce n’était pas le cas pour
Mathematics and Science Study
plus de la moitié d’entre eux (57,5 %)
(TIMSS) 2019, organisée par l’Associa-
et ce pour diverses raisons (manque de
30 tion for the Evaluation of Educational
temps, manque d’intérêt, manque de
Achievement (IEA)1 . Publiée en
maîtrise, manque de matériel…).
décembre 2020, cette évaluation inter-
Et après ? nationale d’une grande ampleur, beau-
coup moins médiatisée que l’enquête
Si l’enquête a permis d’identifier les PISA, a été scrutée avec attention par
perceptions des enseignants ainsi que les autorités éducatives des pays concer-
leurs priorités et pratiques depuis le nés. Chaque pays analyse la position
début de l’année scolaire, se pose à pré- de son système éducatif parmi les pays
sent la question de la persistance de ces participants et cherche à comprendre
nouvelles pratiques au-delà de la crise les raisons de l’évolution des perfor-
sanitaire. Ces questions constituent mances de ses élèves par rapport aux
l’une des préoccupations majeures de évaluations précédentes.
notre équipe de recherche. Des entre- À la différence de l’enquête PISA
tiens qualitatifs ainsi qu’une troisième de l’OCDE, cette enquête internatio-
enquête à large échelle sont envisagés. nale, qui existe depuis 1995, évalue les
Natacha Duroisin, Romain Beauset, connaissances des élèves au regard des
Laurie Simon et Chloé Tanghe, programmes scolaires des pays. L’IEA
Université de Mons a pour objectif d’apporter des informa-

1. L’Association internationale pour l’évaluation


du rendement scolaire (AIE), institution indépen-
dante à but non lucratif, est un consortium indé-
pendant d’instituts de recherche et d’organismes
gouvernementaux qui regroupe plus de 60 pays.
actualité internationale

tions utiles aux gouvernements, pour Chine ni le Vietnam n’en font partie.
les inciter à mener les réformes éduca- Pour le continent américain, l’Amé-
tives nécessaires en vue de l’améliora- rique du Nord a participé à l’enquête ;
tion de l’enseignement-apprentissage ce n’est pas le cas de l’Amérique latine,
des mathématiques et des sciences et, à l’exception du Chili. L’Afrique est peu
par voie de conséquence, des perfor- présente hormis l’Afrique du Sud et le
mances de leurs élèves. Maroc. Enfin, plus d’une dizaine de
TIMSS évalue les connaissances pays du Moyen-Orient font partie de
des élèves à deux niveaux de scola- l’enquête.
rité : en quatrième année (grade 4) et Les évaluations sont basées sur des
en huitième année (grade 8). En 2019, cadres de référence5 développés en col-
58 pays2 ont participé à l’évaluation laboration avec les pays participants
de quatrième année, 39 pays à celle de et sont organisées autour de conte-
la huitième année. Les réponses des nus et de compétences cognitives. En
élèves sont analysées selon des critères 4e année, les évaluations comprennent
de contenu, de compétence, d’âge et environ 175 éléments. La progression
de sexe. En complément, des données s’échelonne des connaissances de base
ont été collectées sur les contextes en mathématiques à l’application et à
d’apprentissage au moyen de question- la justification de leur compréhension
naires renseignés par les élèves et leurs mathématique. Les trois domaines de
parents ainsi que par les enseignants et contenu sont répartis comme suit : 50 %
les directeurs d’école3. pour les nombres, 30 % pour la mesure
Le rapport4 de plus de 600 pages et la géométrie et 20 % pour la repré-
31
offre une masse de données dont il est sentation des données. Les compé-
impossible de rendre compte ici. La tences cognitives sont classées en trois
synthèse des résultats proposée dans domaines : connaître (40 %), appliquer
cet article s’est limitée aux mathéma- (40 %) et raisonner (20 %).
tiques à l’école primaire (grade 4), Des échantillons représentatifs
dans des pays comparables en termes d’élèves ont été constitués pour chaque
de développement économique. niveau6 . Le rapport présente les scores
moyens de chaque pays. Pour pouvoir
Couverture géographique interpréter les résultats, TIMSS place
de TIMSS 2019 les performances des élèves sur une
Parmi les 58 pays participants, plus échelle qui va de faible (400) à intermé-
de la moitié sont européens. L’Asie de diaire (475), élevé (550) et avancé (625).
l’Est est bien représentée mais ni la Le point central, fixé à 500, constitue le
point de référence sur l’échelle.

2. On dénombre exactement 64 entités, 58 pays


ainsi que des systèmes éducatifs distincts de pays 5. Les cadres de référence (frameworks) sont des
comme la partie néerlandophone de la Belgique, documents contractuels qui lient les gestion-
des provinces comme l’Ontario ou le Québec et naires, les commanditaires et les gouvernements
même des villes, Madrid ou Moscou, par exemple. des pays participants.
3. Certains pays ont des taux de réponse aux ques- 6. Plus de 330 000 élèves, 310 000 parents, 11 000
tionnaires entre 50 % et 70 %, parfois moins. C’est écoles et 22 000 enseignants ont été interrogés
le cas de l’Angleterre. pour l’évaluation de la quatrième année. 6 000
4. I.V.S Mullis, M.O Martin, P. Foy, D.L. Kelly et élèves de l’enseignement primaire ont été évalués
B. Fishbein (2020). TIMSS 2019 International en France. Les épreuves se sont déroulées sur
Results in Mathematics and Science. https://bit. tablette pour environ 4 400 élèves de 156 écoles et
ly/3eJZUL3/ sur support papier pour 1 600 élèves.

N° 86 - Avril 2021
Palmarès général 7 de compétence minimal. Dans six pays,
Les cinq pays d’Asie de l’Est ont la quasi-totalité des élèves a atteint ce
obtenu les résultats moyens les plus niveau : 100 % à Hong Kong et Taïwan,
élevés : Singapour (625) suivi de Hong 99 % à Singapour, en Corée, au Japon et
Kong, de la Corée du Sud et de Taïwan, dans la Fédération de Russie. À titre de
puis du Japon (593). Pour le continent comparaison, c’est 91 % pour l’Espagne,
européen, la Fédération de Russie (567), 89 % pour la Nouvelle Zélande et 85 %
l’Irlande du Nord (566) et l’Angleterre pour la France.
(556) sont les mieux classés. Ensuite, Une analyse longitudinale
le groupe le plus important (550 à
475) est constitué de presque tous les TIMSS 2019 est le septième cycle
autres pays européens, du Canada, de d’évaluation depuis 1995. Des cohortes
l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et d’élèves ont été évaluées sur plus
de quelques pays d’Asie et du Moyen- de vingt ans, permettant d’analyser
Orient. En revanche, plusieurs pays de des tendances sur le long terme. En
l’Union européenne se situent sous le résumé, la plupart des pays ont connu
point de référence de l’échelle (500). des périodes de hausse et de baisse ainsi
que des périodes de stabilité mais l’évo-
Parmi ceux-ci, on trouve l’Arménie
lution des résultats moyens entre 2007
(498), l’Albanie (494) et la France (485).
et 2019 ainsi qu’entre 1995 et 2019
Les pourcentages médians des
montre que les progrès des résultats
élèves sont de 7 % au niveau avancé,
moyens sont nettement plus importants
34 % au niveau élevé, 71 % au niveau
que les baisses. Globalement, les résul-
32 intermédiaire et 92 % au niveau faible.
tats sur plus de vingt ans montrent une
Les pays d’Asie de l’Est ont enregistré
amélioration notable des pourcentages
les plus forts pourcentages d’élèves
d’élèves atteignant les quatre niveaux :
ayant atteint le niveau avancé (advanced
faible, intermédiaire, avancé, élevé.
international benchmark) : 54 % à
Singapour, 38 % à Hong Kong, 37 % en Le niveau des élèves de la dizaine de
Corée et à Taïwan, 33 % au Japon. Les pays qui ont participé à toutes les éva-
luations entre 1995 et 2019 s’est globa-
autres pays les plus performants sont
lement élevé avec des fluctuations selon
européens : en tête de liste figurent
les années ; les Pays-Bas constituent
l’Irlande du Nord (26 %), l’Angleterre
l’exception avec des résultats en légère
(21 %) et la Fédération de Russie (20 %).
baisse (549-538). Deux pays se détachent
Dans de nombreux pays partici-
par une hausse continue et importante
pant à TIMSS 2019, plus de 90 % des
de leurs résultats, Singapour (590-625)
élèves ont atteint le premier niveau
et l’Angleterre avec une progression
de référence, niveau de compétence
exceptionnelle de 72 points (484-556).
minimum. Les pays les plus perfor-
Vingt-deux pays de l’Union européenne
mants réussissent aux deux extrémités
ont participé au moins à deux cycles de
de l’échelle. Non seulement les pays
l’évaluation ; dans ce dernier cas, on
d’Asie de l’Est et de la Fédération de
trouve la Bulgarie (524-515), la France
Russie amènent un grand pourcentage
(488-485), la Lettonie (536-546), Malte
de leurs élèves à un niveau avancé, mais
(496-509) et la Pologne (535-520). Les
tous leurs élèves obtiennent un niveau
autres pays ont participé à trois, quatre
ou cinq cycles de TIMSS. La majorité
7. Liste complète : https://bit.ly/3eQYHS2/ (p. 7). d’entre eux a connu une légère hausse
actualité internationale

des performances de leurs élèves, avec gnement secondaire. À la lecture des


parfois des variations entre les cycles. résultats, on constate une variation
Deux pays se distinguent par la hausse très forte des niveaux de formation des
moyenne du rendement de leurs élèves : enseignants d’un pays à l’autre et au
Chypre (475-532) et le Portugal qui, sein d’un même pays, ce qui peut s’ex-
de 1995 à 2015, a connu la plus forte pliquer par l’évolution des parcours
hausse de tous les pays de l’Union euro- de formation9 dans le temps et par les
péenne, passant de 442 à 541, même si besoins des pays en enseignants. Pour
l’évaluation de 2019 montre un léger les pays asiatiques, 25 % des élèves
décrochage (525). coréens ont des enseignants titulaires
d’un diplôme de deuxième cycle mais
Les contextes d’apprentissage 5 % seulement au Japon. Pour les pays
favorables aux élèves de l’Union européenne, l’hétérogénéité
En complément de l’évaluation des est la règle : 98 % en Finlande, 96 % en
performances des élèves, les équipes de Pologne, 51 % en Lettonie, 49 % en
TIMSS ont collecté des données sur les France, 10 % au Portugal et 1 % aux
contextes d’apprentissage au moyen de Pays-Bas. Un diplôme élevé de l’ensei-
questionnaires remplis par les élèves et gnant n’implique pas systématique-
leurs parents (Home resources for lear- ment de meilleurs résultats des élèves.
ning 8) ainsi que par les enseignants et On en trouve un exemple significatif
les directeurs d’école pour déterminer avec Singapour, premier de tous les
les facteurs favorisant la réussite des pays pour ses performances, avec un
élèves. Ils ont été interrogés sur leurs nombre faible d’enseignants titulaires
33
diplômes, le nombre d’années d’expé- d’un diplôme de deuxième cycle (13 %).
rience, leur formation, etc. Pour cet En moyenne dans tous les pays, les
article, nous avons privilégié les don- résultats en mathématiques sont les
nées concernant les enseignants en plus élevés chez les élèves dont les ensei-
raison du consensus sur l’effet impor- gnants ont été formés principalement
tant que ceux-ci peuvent avoir sur les à enseigner au primaire (503), suivis
performances des élèves. des élèves dont les enseignants ont une
double formation pour enseigner dans
Formation initiale et continue le primaire et en mathématiques (497),
des enseignants et satisfaction puis des élèves dont les enseignants ont
au travail obtenu une spécialisation en mathéma-
À l’échelle internationale, 28 % des tiques mais pas dans l’enseignement
élèves ont des professeurs de mathéma- primaire (487) et des enseignants qui
tiques titulaires d’un diplôme universi- ont eu d’autres spécialisations (490).
taire de deuxième cycle (postgraduate Il ne s’agit pourtant pas d’une règle
degree), 56 % ont des enseignants générale : pour les pays situés en tête
titulaires d’une licence, 10 % ont des du palmarès, comme la Corée du Sud,
enseignants ayant terminé des études Taïwan, le Japon ou dans une moindre
postsecondaires et une minorité (5 %) mesure la Finlande, les élèves dont les
a terminé le second cycle de l’ensei- enseignants ont une double spécialisa-
tion obtiennent de meilleurs résultats.
8. L’échelle Home resources for learning combine
les données fournies par les élèves de quatrième 9. En France, la « mastérisation » de la formation
année et leurs parents. des enseignants est récente (2010).

N° 86 - Avril 2021
L’influence de l’expérience gnement des mathématiques (35 %) et
des enseignants l’évaluation des mathématiques (37 %).
Globalement, l’enquête TIMSS
En moyenne, dans l’ensemble des
révèle un fort investissement des pays
pays, un peu plus de 40 % des élèves
de la zone OCDE dans la formation pro-
sont encadrés par des enseignants ayant
fessionnelle des enseignants ; certains
vingt ans d’expérience, 29 % par des
pays font exception, comme la Finlande,
enseignants ayant entre dix et vingt ans
connue pour les performances élevées
d’expérience, 15 % par des enseignants
de ses élèves, où moins de 20 % des
de mathématiques ayant entre cinq et
élèves ont des enseignants ayant parti-
dix ans d’expérience et 14 % par des
cipé à une formation. Certains pays pri-
enseignants ayant moins de cinq ans
vilégient des domaines de formation ; la
d’expérience.
Lettonie, par exemple, a mis l’accent sur
À l’échelle internationale, le rende- la formation à la pensée critique et à la
ment moyen est de 494 pour les élèves résolution de problèmes, et plus de 60 %
ayant un enseignant exerçant depuis des élèves ont des enseignants formés à
moins de cinq ans et de 500 à 504 pour cette pratique.
les autres catégories. Dans les pays
européens, en règle générale, l’écart est Les besoins en formation
assez faible et le nombre d’années d’ex- Les enseignants ont été également
périence des enseignants semble avoir interrogés sur leur besoin de dévelop-
une influence modérée sur les résul- pement professionnel futur dans les
tats des élèves. Dans quelques pays, mêmes domaines. Au niveau inter-
34 on constate cependant de moins bons national, 72 % des élèves ont des ensei-
résultats chez les élèves ayant des ensei- gnants qui souhaitent être formés à
gnants en début de carrière ; c’est par- l’intégration de la technologie dans
ticulièrement le cas en Lettonie (– 35), l’enseignement ; le taux est de 69 %
en Suède (– 27), en Hongrie (– 22) ou pour l’amélioration des capacités de
en France (– 18). Trois pays connaissent réflexion critique des élèves. Répondre
l’effet inverse : les élèves qui ont des aux besoins individuels des élèves est
enseignants ayant moins de cinq ans le troisième domaine le plus fréquem-
d’expérience sont plus performants en ment signalé pour les enseignants.
Lituanie (+ 19), en Pologne (+ 17) ou en Dans l’Union européenne, l’intégration
Irlande du Nord (+ 4). de la technologie dans l’enseignement
est la demande première de formation
Le développement professionnel
dans presque tous les pays, suivie de la
des enseignants
formation à la résolution de problèmes.
Bien qu’il existe des variations entre Les enseignants de la Corée du Sud, de
les pays, les domaines de formation les Hong Kong, du Japon, de Taïwan, de
plus suivis dans les deux dernières la Fédération de Russie et dans une
années ont porté, en moyenne, sur le moindre mesure de Singapour expri-
contenu en mathématiques (46 %), la ment beaucoup plus de besoins de for-
pédagogie (45 %) et l’amélioration de mation dans tous les domaines que les
la pensée critique ou de la résolution de autres pays, alors même que leurs élèves
problèmes des élèves (44 %). Les deux sont les plus performants.
contenus les moins suivis ont été l’in-
tégration de la technologie dans l’ensei-
actualité internationale

Satisfaction professionnelle se dégagent. Dans un monde dominé


des enseignants par la connaissance, les pays de l’Union
On considère habituellement que européenne n’occupent pas le haut du
les enseignants satisfaits de leur métier, classement et les performances de leurs
plus motivés, obtiennent de leurs élèves élèves, dans l’ensemble, ont peu évolué
de meilleurs résultats scolaires. TIMSS ces dernières années. Certaines expli-
a demandé aux enseignants de réagir à cations peuvent se trouver dans les
cinq énoncés exprimant la satisfaction, questionnaires renseignés par les par-
l’intérêt, le sens donné à leur métier, y ties prenantes : élèves, parents, ensei-
compris la fierté à l’exercer. Au niveau gnants, directeurs d’école. L’examen
international, presque tous les élèves de la « variable » enseignant, que
ont reçu un enseignement dispensé par nous avons proposé ici, met en évi-
des enseignants « très satisfaits » (61 %) dence l’influence modérée du type de
ou « assez satisfaits » (34 %). Seuls 5 % diplôme, du nombre d’années d’ensei-
des élèves ont eu des professeurs de gnement ou du degré de satisfaction
mathématiques se déclarant « moins des enseignants sur les performances
que satisfaits ». Dans l’Union euro- des élèves ; on a constaté aussi que les
péenne, l’Espagne, l’Italie et l’Autriche domaines de formation professionnelle
sont les trois pays où l’on trouve le plus majoritairement suivis par les ensei-
d’enseignants « très satisfaits » ; à l’op- gnants sont différents de leurs attentes
posé, la République tchèque (36 %), la de formation (intégrer les technologies
France (35 %) et la Pologne (32 %) ont le dans l’enseignement des mathéma-
pourcentage le plus faible d’élèves ayant tiques, améliorer la pensée critique des
35
des enseignants « très satisfaits ». Si élèves, répondre aux besoins indivi-
l’on met en rapport ces chiffres avec les duels des élèves).
performances des élèves, cette variable
Faute de place, l’article exploite une
a une inf luence modérée ; le rende-
fraction très limitée de toutes les don-
ment moyen est légèrement plus élevé
nées fournies par TIMSS. Les réponses
pour les élèves ayant des enseignants
des parents, des élèves et des direc-
« très satisfaits », mais de manière non
teurs d’école apportent des éclairages
significative. Hors Union européenne,
complémentaires. Les enfants ont été
le Japon est le pays où le pourcentage
questionnés sur le nombre de livres
d’enseignants « très satisfaits » est le
à la maison, sur la disponibilité d’un
plus faible mais, curieusement, les
ordinateur et d’une chambre, sur le
élèves qui ont des enseignants « peu
sentiment de sécurité à l’école et dans
satisfaits » (11 %) réussissent mieux
la classe, tandis que les parents ont
que les élèves qui ont des professeurs
fourni des informations sur leur for-
satisfaits de leur métier.
mation académique et leur profession,
les ressources matérielles disponibles
dans leur foyer. Les questionnaires
À partir des données de TIMSS, ont également permis de recueillir des
cet article offre un aperçu global des informations sur les expériences d’ap-
performances en mathématiques des prentissage des élèves avant leur entrée
élèves de l’école primaire au niveau à l’école primaire : nombre d’années
mondial, avec un focus sur les pays de dans une institution préscolaire, jeux
l’Union européenne. Quelques constats éducatifs avec les parents. Les direc-

N° 86 - Avril 2021
teurs d’école se sont exprimés sur les des directeurs d’école donnerait des
relations avec les parents, les ensei- clés de compréhension de la situation
gnants, sur les ressources dont ils dis- de l’éducation dans chaque pays, en
posent ou sur le climat scolaire. comparaison avec les autres.
TIMSS montre, in fine, que les résul- Bernadette Plumelle,
tats des élèves dépendent fortement du ingénieure de recherche honoraire
milieu socio-économique des parents
et de leur engagement auprès de leurs
enfants, des ressources en matériel et
en espace fournies par les écoles, de la
maîtrise de la langue de scolarisation
ou du climat scolaire dans les écoles et
les classes.
Les études comparatives interna-
tionales (TIMSS, PIRLS, PISA) ont
eu un effet structurant sur plusieurs
systèmes éducatifs. De nombreuses
réformes ont été mises en place à la
suite de la publication des résultats
de ces enquêtes. L’Angleterre en est
un exemple emblématique. Le pays a
mené plusieurs réformes10 avec l’objec-
36 tif, entre autres, d’améliorer sa position
dans les palmarès. On peut d’ailleurs
constater que les pays qui ont participé
à toutes les évaluations TIMSS ont des
progressions que n’ont pas connues les
pays ayant irrégulièrement participé à
l’enquête. L’enquête fournit une masse
de résultats quantitatifs ; complétée
d’études qualitatives, elle devrait être
davantage utilisée par les autorités
éducatives pour comprendre et amé-
liorer l’apprentissage des mathéma-
tiques. Nous en avons ici sélectionné
une partie limitée. L’exploitation des
réponses des enfants, des parents,

10. Un article rapporte les propos du ministre


de l’éducation, Nick Gibb, qui « s’est félicité des
résultats du TIMSS [2015] et a déclaré qu’il s’at-
tendait à des résultats encore meilleurs lors des
futurs tests internationaux, à la suite de l’intro-
duction d’un programme de mathématiques plus
exigeant dans le primaire en 2014 » (traduction
DeepL) The Guardian, 29 novembre 2016, https://
www.theguardian.com/education/2016/nov/29/
english-pupils-improve-results-in-international-
maths-and-science-exams
actualité internationale

Enjeux et défis du système veau et la diffusion de l’idéologie com-


éducatif roumain avant et après muniste (Croghan, 1980).
le régime communiste De plus, la loi de 1948 stipulait
que les processus éducatifs étaient de
nature laïque et organisés exclusive-
Le système d’éducation roumain ment par les autorités de l’État, abolis-
pendant le communisme sant ainsi toute forme d’enseignement
privé. L’enseignement supérieur a été
Immédiatement après la Première particulièrement touché par les dis-
Guerre mondiale, le système éducatif positions de cette loi : plusieurs disci-
roumain s’est inspiré du modèle fran- plines des sciences sociales et humaines
çais (avec un accent mis sur l’étude de (sociologie, droit, philosophie, psy-
l’art, de la littérature, de l’histoire, de chologie) ont été remplacées par des
la philosophie) et du modèle allemand cours de marxisme-léninisme, rendus
(notamment en ce qui concerne les dis- obligatoires quel que soit le domaine
ciplines techniques). Les changements d’études. De plus, le réseau institution-
politiques et sociaux que la Roumanie nel s’est développé avec l’émergence de
a connus après la Seconde Guerre mon- nouveaux centres universitaires dans
diale ont également affecté de manière toutes les régions du pays : bien que cela
significative le système éducatif : c’est ait représenté une extension des pos-
le moment où l’on est passé de l’édu- sibilités d’accès à l’éducation de nom-
cation « bourgeoise » (sur le modèle breux jeunes, l’accès à l’enseignement
français) à l’éducation sur le modèle supérieur était influencé par l’environ-
soviétique (construite autour de l’idée nement social d’origine, perpétuant 37
d’un « homme nouveau »), et cela a été ainsi des pratiques discriminatoires (les
réglementé par la réforme de 1948, en jeunes provenant des familles « bour-
vigueur jusqu’en 1968. Son but prin- geoises » étaient stigmatisés en raison
cipal était de « développer une main- de leur « origine sociale malsaine »). Le
d’œuvre qualifiée et des citoyens bien plus souvent, le but déclaré était d’orien-
disciplinés » (Brint, 2006) et elle a eu ter ces jeunes vers les écoles profession-
de nombreux effets négatifs sur le sys- nelles, pour faire d’eux des ouvriers
tème éducatif. Parmi les plus fréquem- qualifiés et changer, ainsi, leur menta-
ment cités et qui restent significatifs lité. Le seul succès de cette réforme de
dans l’esprit collectif roumain, on peut 1948 fut le doublement de la population
mentionner les sanctions extrêmement scolaire en Roumanie et la lutte contre
sévères (destitution par retraite forcée, l’analphabétisme, car loi favorisa, en
arrestation, torture et même élimina- quelques années, l’inclusion dans l’édu-
tion) des enseignants et intellectuels cation de tous les enfants d’âge scolaire
qui critiquaient ce modèle soviétique (7-11 ans) (Radulescu, 2006). Au-delà
d’éducation. Dans le même temps, il y de ces aspects, en reprenant le modèle
a eu des changements très importants de la structure soviétique du système
dans le curriculum, parmi lesquels la éducatif, la réforme de 1948 n’a réussi
suppression de certaines disciplines qu’à faire sortir l’école roumaine du
(logique, sociologie, psychologie, etc.) modèle européen d’avant 1948, ce qui
et leur remplacement par celles qui ser- a eu des effets extrêmement négatifs sur
vaient le mieux l’objectif de la réforme la qualité de l’éducation. L’éducation de
de 1948 – la création de l’homme nou- 1948-1968 n’était pas centrée sur l’idée

N° 86 - Avril 2021
du développement professionnel de inférieur, appelé gymnase, un cycle
l’individu, mais vue comme un moyen secondaire supérieur, appelé lycée
de construire l’« homme nouveau ». Par (conclu par l’examen du baccalauréat)
exemple, l’accès aux universités devait et un cycle universitaire (pour lequel
être assuré surtout pour les jeunes qui l’examen d’entrée était très difficile).
appartenaient aux catégories sociales Ces deux cycles comportaient un pro-
les plus basses, ceux qui n’étaient pas cessus d’évaluation en deux étapes :
intéressés à améliorer leur parcours une évaluation à la fin du gymnase,
personnel et professionnel, mais uni- pour l’admission au lycée ; une évalua-
quement à obtenir un diplôme. Ainsi, tion pour accéder aux deux dernières
cette loi « réussit » à bloquer « le déve- années de lycée. Les élèves n’ayant pas
loppement de la culture, de la pensée réussi ces étapes étaient réorientés vers
critique ou de l’esprit d’innovation » des écoles professionnelles.
(Apostu et Fartușnic, 2016).
À partir de 1968, le système éducatif Changements et de réformes après
roumain a commencé à se développer et le communisme : quelle efficacité ?
a connu des changements de structure, Après 1990, il a fallu modi-
qui ont eu des effets à la fois positifs et f ier substantiellement le cadre
négatifs : par exemple, la durée de l’en- institutionnel-législatif, corriger les
seignement obligatoire a été fixée à dix dysfonctionnements qui s’étaient
ans, mais les inscriptions dans les lycées manifestés au cours des années 1980,
d’enseignement général ont considéra- et s’adapter aux évolutions qui s'annon-
38 blement diminué, parallèlement à une çaient aux niveaux européen et interna-
augmentation de celles dans les lycées tional dans le domaine de l’éducation.
techniques et professionnels. Dans l’en- De nombreuses mesures relatives
seignement supérieur, on a assisté à une à l’activité éducative ont été révisées,
augmentation des inscriptions dans les soit parce qu’elles étaient dépassées, soit
facultés techniques (étroitement liée au parce qu’elles n’étaient pas adaptées aux
développement de la politique nationale réalités d’une nouvelle société, articu-
d’industrialisation), en même temps lée autour de l’économie de marché.
qu’à une diminution du nombre de Ainsi, les premières mesures adoptées
places en sciences humaines ou sociales au niveau national dans le domaine
(histoire, socio logie, philosophie, de l’éducation visaient à réintroduire
droit), où l’un des critères d’admission l’étude des langues étrangères, comme
était l’appartenance à l’organisation de le français, l’allemand ou l’anglais, à
jeunesse communiste. Les années 1980 réintroduire certaines disciplines dans
ont été marquées par des suppressions les sciences sociales et humaines (phi-
d’emplois massives dans le système losophie, sociologie, psychologie), à
éducatif et par une baisse du finance- rétablir les établissements d’enseigne-
ment de l’éducation, ce qui a conduit ment privés à tous les niveaux.
à une insatisfaction collective accrue. À travers la réforme de 1995, on a
La structure du système éducatif tenté de passer à un système éducatif
roumain, telle qu’elle se présente en décentralisé aux valeurs occidentales :
1989, avant l’effondrement du régime réforme des programmes, formation
communiste, se présentait ainsi : un des enseignants et outils d’évaluation,
cycle primaire, un cycle secondaire libre accès à l’éducation grâce l’aug-
actualité internationale

mentation progressive de l’offre éduca- n’y a pas d’uniformité de leur applica-


tive dans les écoles, lycées et universités, tion. Par exemple, la loi de 2011 a subi
etc. Les changements ont continué en de nombreux changements et certaines
2005, année de l’européanisation de des mesures initialement envisagées,
l’enseignement universitaire roumain, comme une décentralisation plus large,
qui rejoint le processus de Bologne. ont été abrogées, en l’absence d’une
Le système éducatif roumain est politique et d’une stratégie claires et
actuellement centralisé, à la fois hori- cohérentes.
zontalement et verticalement. Toutes les En ce qui concerne les documents
responsabilités clés liées aux stratégies, de politique publique, à partir des nom-
aux politiques et à la mise en œuvre breux documents élaborés au niveau
de l’enseignement sont concentrées national, qui avaient pour objectif
au niveau du ministère de l’éducation l’année 2020, il convient de mentionner
et de la recherche. Le système pré- la Stratégie nationale de réduction de
universitaire est structuré sur quatre l’abandon scolaire précoce (2015-2020)
niveaux d’enseignement : préscolaire ; et la Stratégie pour l’éducation et la
primaire ; gymnasium (secondaire infé- formation (2016-2020). Actuellement,
rieur) ; secondaire (lycée ; profession- deux autres stratégies, pour la période
nel). La structure de l’enseignement 2021-2027, sont développées : le Cadre
universitaire s’aligne sur le modèle de politique stratégique pour le système
Bologne (licence, master, doctorat). d’éducation et de formation et la
L’un des principaux défis du sys- Stratégie de numérisation de l’éduca-
tème éducatif roumain, après 1990, tion en Roumanie11. L’éducation repré- 39
réside dans l’impossibilité de mettre sente un chapitre bien significatif de
en œuvre des réformes claires, prin- la Stratégie nationale pour l’inclusion
cipalement en raison de la rapidité sociale et la réduction de la pauvreté
avec laquelle les changements se sont (2021-2027), dans la mesure où de nom-
produits au niveau institutionnel. Au breux défis auxquels le système éduca-
cours des 31 années écoulées depuis tif est confronté (exposés ci-après) sont
la révolution anticommuniste de considérés comme des facteurs favori-
décembre 1989, la Roumanie a compté sant le risque de pauvreté et d’exclusion
plus de 30 ministres de l’éducation, sociale.
chacun ayant sa propre vision du chan-
gement et de l’optimisation du système Les enjeux et défis majeurs
éducatif, la plupart du temps à partir du du système éducatif roumain
modèle des pays d’Europe du Nord (en
particulier la Finlande). Le système éducatif roumain doit
encore aujourd’hui faire face à de
Les deux principaux documents
nombreux enjeux : sous-financement,
législatifs sont la Loi nationale sur
infrastructure déficitaire (surtout
l’éducation (1/2011) et la Loi sur l’as-
dans les milieux ruraux), taux élevé
surance qualité de l’éducation (2005),
d’abandon scolaire (15,3 % en 2019), ce
toutes deux articulées autour de quatre
qui contribue d’une certaine manière
principes : qualité, équité, décentralisa-
à l’analphabétisme fonctionnel (voir
tion et implication de tous les acteurs
clés. Ce que l’on peut remarquer au 11. Voir l’article de Hatos et Gyarmati (à paraître
sujet de ces deux lois, c’est le fait qu’il dans le no 87) à ce sujet.

N° 86 - Avril 2021
tableau 1) ; participation des élèves est calculé selon un coût standard par
roms à l’éducation ; école à distance élève, ajusté en fonction de l’emplace-
(faible niveau, avant la pandémie de ment géographique de l’école, le type
Covid-19 et en plein processus d’amé- d’école, le nombre d’élèves par classe
lioration, à présent) ; équité (grand et le niveau d’enseignement. Alors que
écart entre les zones rurales et les zones le système éducatif et le système de
urbaines) ; enseignement professionnel santé devraient être ceux dans lesquels
insuffisamment corrélé avec le marché les sociétés investissent le plus, en tant
du travail ; faible participation des que sous-systèmes directement liés au
adultes au processus d’apprentissage capital humain, et bien que cet aspect
tout au long de la vie, etc. soit connu au plan théorique (tous les
Le premier défi que nous devons documents stratégiques mettent en
mentionner, et qui est souvent consi- évidence cet objectif), paradoxalement,
déré comme la cause des nombreux en réalité, la situation en Roumanie est
problèmes auxquels le système éducatif souvent différente : l’éducation et la
est confronté, est son sous-financement. santé sont souvent les domaines qui
Selon les statistiques européennes, la reçoivent les allocations budgétaires
Roumanie est l’État de l’Union qui les plus faibles lors de la répartition du
alloue le plus faible pourcentage du budget national sur des domaines clés.
PIB à l’éducation (seulement 3,2 %, en Le sous-financement du système
2019). De plus, le financement de base éducatif a des conséquences négatives

Tableau 1
40
Quelques données sur le système éducatif roumain

Établissements scolaires et universitaires Démographie scolaire

Total 7 001 Élèves scolarisés 3 526 189

Établissements privés 797 Élèves non scolarisés 275 00

Établissements publics 6 204 Taux de sortie avant la fin 16 à 17 %


dont : de la scolarité obligatoire

jardins d’enfants 1 175 Taux d’accès au 46 %


baccalauréat des élèves
primaire et secondaire 3 994 entrés à l’école en 2008
inférieur

secondaire supérieur 1 549 Analphabétisme Lecture 41 %


fonctionnel (PISA 2018) Maths 47 %
universités 90 Sciences 44 %

Les trois 30 %
Source : données rassemblées par A. Hatos et B. F. Gyarmati .*

* Article à paraître dans le no 87 de la revue, en septembre 2021. Sources: A. Mihai, « STUDIU: Peste 25%
din copii nu au parte de acces la eduația online » [en ligne], Stiri de Cluj, 20 octobre 2020, https://bit.ly/
3bI91tx/ (consulté le 14 mars 2021) ; M. Peticila, « Din 50 de elevi care au intrat acum 12 ani în clasa I, 23 nu au luat
Bacalaureatul sau nu au mai ajuns la acest examen » [en ligne], Edupedu, 6 juillet 2020, https://bit.ly/38Cx8rO/
(consulté le 14 mars 2021) ; OECD, PISA 2018 Results (Volume I): What Students Know and Can Do [en ligne],
Paris : PISA, OECD Publishing, 2019, https://doi.org/10.1787/5f07c754-en/
actualité internationale

sur les infrastructures éducatives, sur nution de l’abandon scolaire à 11,3 %,


les investissements dans l’éducation jusqu’en 2020). Pour l’abandon scolaire
pour corriger certains déséquilibres du en milieu rural, les données statistiques
système, sur l’investissement dans les confirment l’hypothèse qu’il existe un
ressources humaines (les statistiques lien entre l’abandon scolaire et le niveau
montrent que les salaires des ensei- socio-économique de la famille, ce qui
gnants, inférieurs à 9 000 € par an, nous amène à conclure que l’éduca-
sont parmi les plus bas de l’Union euro- tion roumaine est souvent injuste en ce
péenne), sur l’équité du système éduca- qui concerne l’égalité des chances en
tif (perpétuant l’existence de situations matière d’accès à l’éducation pour tous
dans lesquelles l’accès à l’éducation les élèves.
n’est pas autorisé aux groupes vul- Un autre enjeu important du sys-
nérables, tels que les élèves des zones tème éducatif roumain est la participa-
rurales ou les élèves roms). tion des Roms à l’éducation, qui reste
À long terme, toutes ces consé- un défi majeur pour la Roumanie,
quences négatives peuvent avoir un notamment en raison de la mauvaise
impact sur les résultats scolaires des qualité de l’éducation dans les écoles
élèves. Les résultats dans les évalua- fréquentées par la plupart des élèves
tions internationales en attestent. Par roms. Pour corriger ce déséquilibre,
exemple, en Roumanie, les résultats du la question de la participation des
PISA 2015 montrent que le taux d’élèves Roms a été incluse dans des stratégies
sous-performants dans les compétences nationales (par exemple, la Stratégie
de base en Roumanie (24,3 %) est l’un nationale pour réduire le décrochage
41
des plus élevés de l’Union européenne. scolaire), dans lesquelles des solutions
L’indice de risque socio-éducatif sont avancées pour encourager leur
montre que les écoles financièrement participation à l’éducation et réduire
défavorisées se concentrent principa- le décrochage scolaire. Parmi celles-ci,
lement dans les zones pauvres et mar- nous pouvons mentionner les pro-
ginalisées, surtout dans les zones où grammes de rattrapage « L’École après
vivent des Roms. Partant de cet aspect, l’école », services scolaires intégrés, et
un autre défi apparaît pour le système les programmes « Deuxième chance ».
éducatif national : la participation De plus, l’ordonnance ministérielle de
encore faible des élèves des groupes 2016 interdit la ségrégation (quand on
vulnérables à l’éducation et le décro- structure des classes de départ). D’autre
chage scolaire. Concernant ce dernier part, il existe des mesures législatives
point, la Roumanie enregistre l’un des (souvent perçues comme des instru-
taux d’abandon scolaire les plus élevés ments de discrimination positive) qui
de l’Union européenne, tant dans l’en- attribuent des places (budgétées par
seignement primaire que dans le secon- l’État) pour les élèves roms, à l’entrée
daire (15,3 % en 2019, selon un rapport du lycée et des universités. Hormis
de la Commission européenne de 2020). cela, on trouve aussi des programmes
Cet indicateur est particulièrement nationaux, destinés aux groupes vul-
élevé dans les zones rurales (27,1 %) et nérables (Roms et enfants issus des
dans la population rom (77 %), ce qui a milieux ruraux) comme, par exemple,
conduit la Roumanie à ne pas atteindre le programme national de protection
les objectifs de l’Europe 2020 (dimi- sociale « Argent pour le lycée » ou le

N° 86 - Avril 2021
programme « Assurer le transport des Venezuela : un système éducatif
élèves » (l’État rembourse les coûts soumis aux aléas des crises
de transport des élèves, pour des dis- économiques et politiques
tances allant jusqu’à 50 km). Enfin, la
Roumanie bénéficie du soutien finan-
cier du Fonds social européen ou de la Le Venezuela est mono-dépen-
Banque mondiale, pour lutter contre dant du pétrole depuis un siècle, et
l’abandon scolaire, améliorer la qualité cette caractéristique économique a des
de l’éducation et développer une éduca- conséquences sur le système éducatif.
tion inclusive pour toutes les catégories Depuis ses origines, il subit les aléas
d’élèves ou d’étudiants. des crises économiques et politiques
qui secouent le pays, avec des périodes
Gabriela Motoi, d’investissements massifs et d’innova-
Université de Craiova tions pédagogiques et des moments de
restrictions budgétaires.
Bibliographie
APOSTU O., FARTUȘNIC C. (2016). La fondation du système éducatif
« L’enseignement obligatoire en Roumanie : vénézuélien
une panoplie de réformes ». Revue inter-
nationale d’éducation de Sèvres, no 73, Si un embryon de système éduca-
décembre, p. 107-118 [en ligne], http:// tif public a vu le jour dès le xixe siècle,
journals.openedition.org/ries/5625. des tentatives de développement ont
BRINT S. (2006). Schools and Societies, eu lieu durant le Triennat (1945-1948),
42 2nd ed., Stanford California : Stanford au cours duquel lequel le parti social-
University Press. démocrate Action démocratique (AD)
gouvernait suivant les préceptes de
CROGHAN M. (1980). Ideological Training
in Communist Education: A Case Study of
l’éphémère ministre de l’éducation
Romania. Washington : University Press of nationale, l’un des plus grands philo-
America. sophes de l’éducation latino-américain,
Luis Beltrá n Prieto Fig ueroa 12
EUROPEAN COMMISSION (2020).
Education and Training Monitor 2020:
(Prieto Figueroa, 1951).
Romania. Luxembourg: Publications Le Triennat n’a duré que trois ans
Office of the European Union [en ligne], car sa faible assise dans la société a
https://bit.ly/30EBgD5/ (consulté le permis à un coup d’État militaire de le
22 janvier 2021). renverser en 1948. Après la chute des
RĂDULESCU, D.C. (2006). « Învăţământul gouvernements militaires, en 1958, le
românesc 1948-1989: Între derivă și recupe- régime politique vénézuélien s’inscrit
rare instituţional-funcţională ». Calitatea dans le cadre du pacte de Puntofijo, un
Vieţii, vol. XVII, no 3-4, p. 307-318. accord entre AD, le Comité d’organisa-

12. Luis Beltrán Prieto Figueroa (1902-1993),


surnommé « le maître des maîtres », a fondé et
présidé la première organisation syndicale ensei-
gnante au Venezuela (la Fédération vénézuélienne
des maîtres) et a cofondé AD. Il est le penseur
d’une éducation qui doit répondre à l’intérêt de
la majorité et dans ce sens, devrait être démocra-
tique, gratuite et obligatoire, combinant égalité
des chances et sélection sur la base des capacités
de l’individu.
actualité internationale

tion politique électorale indépendante boration avec l’Église, sous les gouver-
(COPEI, d’orientation social-chré- nements militaires de 1948 à 1958).
tienne) et l ’Union républicaine Cette démocratisation du système
démocratique (URD, d’orientation scolaire s’opère à tous les niveaux : pri-
nationaliste anti-impérialiste) à l’exclu- maire, secondaire et supérieur (il n’exis-
sion du Parti communiste vénézuélien, tait que trois universités publiques en
pour assurer la stabilité du pays et le 1958, on en compte douze en 1970).
partage du pouvoir. Cette approche Conséquence logique, le taux d’anal-
consensuelle entre élites politiques phabétisme chute, passant de 26,5 % de
influence la politique éducative. La loi la population en 1962 à 15,3 % en 1981.
sur l’éducation de 1955, héritée du gou- La période d’abondance consécutive au
vernement militaire, est maintenue. La choc pétrolier de 1973 permet même la
Constitution de 1961 ne contient que création d’un programme de bourses
cinq articles spécifiquement consacrés universitaires pour les Vénézuéliens,
à la question éducative (au sein des cha- à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du
pitres « Devoirs » et « Droits sociaux », pays, par la fondation Fundayacucho,
articles 55, 57, 75, 78 et 93 ; d’autres qui bénéficiera entre 1975 et 1997 à
articles l’évoquant de façon secondaire) une vingtaine de milliers de jeunes
avec « des formulations peu précises et Vénézuéliens, dont les deux tiers feront
peu contraignantes » (Vaisset, 2013). leur scolarité à l’étranger.
L’article 79 stipule que « l’État stimu- La gestion de l’institution scolaire
lera et protégera l’éducation privée ». est déjà marquée par un certain autori-
Le projet de loi sur l’éducation de Prieto tarisme, à l’image de l’intervention des
43
Figueroa de 1948 n’est pas repris, en forces de l’ordre dans l’Université cen-
raison de l’opposition de l’Église et des trale du Venezuela en octobre 1969 ou
élites économiques aux articles 7 et 60 de la tentative de destitution de 37 diri-
prévoyant respectivement l’interdic- geants syndicaux après une grève dans
tion de toute « propagande » politique l’enseignement en période électorale en
ou religieuse dans les établissements 1983.
scolaires et l’obligation faite aux entre- La crise du modèle rentier, à partir
prises de prendre en charge l’éducation de 1983, engendre des difficultés de
de leurs employés et des enfants de fonctionnement du système éducatif.
ceux-ci (Prieto Figueroa, 1951). La part consacrée à l’éducation dimi-
nue, passant d’environ 5 % du PIB au
La massification du système éduca- début des années 1970 à seulement 2 %
tif est, cependant, mise en œuvre dès du PIB en 1998, à la veille de l’élec-
les années 1960 : entre 1958 et 1978, le tion d’Hugo Chávez (Vaisset, 2011).
nombre d’élèves augmente, passant de Entre 1987 et 1999, la part de la popu-
817 488 à 4 043 200, soit une hausse de lation scolarisée passe de 32,5 à 29,7 %
11,7 % à 28,6 % de la proportion de la de la population. Entre 1972 et 1989,
population scolarisée. C’est à partir de le taux de déscolarisation augmente
ce moment que les classes populaires de 150 %, dépassant ainsi la barre des
commencent à être accueillies dans des 5 % de la population scolaire ; dans les
écoles peu fréquentées par des élites qui foyers défavorisés, 70 % des enfants
considèrent le système public comme âgés de 2 à 6 ans et 700 000 de ceux âgés
peu fiable et se tournent davantage vers
le privé (alors plus développé, en colla-

N° 86 - Avril 2021
de 6 à 15 ans ne sont pas scolarisés13. obligatoire » (article 102). La scola-
Certaines écoles publiques profitent rité obligatoire et gratuite est étendue
du décalage entre l’offre et la demande jusqu’à 18 ans. Les débats autour du
scolaire pour exiger un paiement des modèle éducatif sont alors circonscrits
parents. Ces restrictions budgétaires aux cercles ministériels. Après le coup
n’empêchent pas pour autant une pour- d’État avorté en avril 2002, de nou-
suite de la décrue de l’analphabétisme, veaux projets éducatifs émergent et les
qui passe de 15,3 % en 1981 à 7 % en programmes scolaires commencent à
2001. être transformés. La politique éduca-
Le déficit de construction d’infra- tive d’Hugo Chávez peut être analysée
structures et de recrutement de person- sous deux aspects : la création de « mis-
nels face à la massification du système sions » en parallèle des institutions pré-
éducatif conduit à l’adoption d’un existantes et la réforme de celles-ci.
rythme scolaire fondé sur le modèle du
double emploi du temps (une moitié Ces « missions » sont des pro-
des élèves assiste au cours le matin et grammes sociaux financés par la
l’autre moitié l’après-midi) dans les rente pétrolière, abondante entre 2004
écoles publiques ainsi qu’à une migra- et 2014 grâce à l’augmentation du cours
tion progressive des enfants des classes du baril. En termes d’éducation, un
possédantes vers le privé (Vaisset, ensemble de programmes est réalisé
2013). Si les niveaux primaire et secon- pour tous niveaux, des classes d’alpha-
daire dans le secteur public souffrent bétisation à l’éducation universitaire,
du désinvestissement étatique, les bud- dans laquelle les étudiants reçoivent
44 une modeste bourse. Les programmes
gets publics alloués à l’enseignement
supérieur augmentent. Selon Vaisset d’alphabétisation (Robinson I pour
(2013), cette répartition des fonds obéit la maîtrise élémentaire de la lecture,
à deux stratégies : la nécessité écono- de l’écriture et de l’arithmétique,
mique de former davantage de cadres Robinson II pour l’obtention d’un
et le financement politique d’une clien- diplôme élémentaire en deux ans,
tèle électorale (les étudiants sont alors Robinson III qui crée des cercles de
minoritaires mais majoritairement lectures pour maintenir les acquis des
issus des classes possédantes, alors deux phases précédentes, respective-
vivier de voix pour les partis au pou- ment fondés en juillet et octobre 2003
voir). et octobre 2005) et d’éducation secon-
daire (Sucre pour préparer à l’enseigne-
Les transformations durant ment supérieur et Ribas pour les jeunes
la présidence d’Hugo Chávez en échec scolaire, respectivement créés
en septembre et novembre 2003) uti-
Hugo Chávez arrive au pouvoir en lisent la méthode « Yo, sí puedo » (Moi
février 1999, avec une promesse d’in- aussi, je peux), développée par la péda-
clusion dans le système éducatif. La gogue cubaine Leonela Relys. Cette
nouvelle Constitution promulguée en démarche, expérimentée avec succès à
décembre 1999 consacre le droit à une Cuba, a été récompensée entre autres
éducation « démocratique, gratuite et par des institutions telles que l’Unesco.
En 65 sessions de deux heures, le parti-
13. Ces chiffres sont à comparer avec une popula-
tion scolaire croissante passant de 2,7 millions en
cipant, appelé « patriote », est aidé par
1972 à 6,1 millions en 1989. un assistant appelé « volontaire » ; il
actualité internationale

s’agit la plupart du temps de jeunes des formation des personnels de direction


mêmes communautés ou d’enseignants et des enseignants qui devront désor-
retraités, qui ont reçu une préparation mais exercer de façon exclusive dans
adaptée. Ces « missions » augmentent ces établissements pilotes en échange
conjoncturellement le nombre d’indi- d’une augmentation salariale de 60 à
vidus scolarisés, qui passe de 8 253 735 65 % (Vaisset, 2013). Logiquement, le
à 13 954 105 personnes, soit une hausse système traditionnel stagne à partir de
de 32,9 % à 51,6 % de l’ensemble de la 2003, face à la concurrence de ces nou-
population entre 2002 et 2006. Le taux velles institutions.
d’analphabétisme devient résiduel, L’éducation bénéficie alors d’un
en deçà de 5 %. Au-delà de ces pro- investissement plus important en ces
grammes d’alphabétisation, une mis- périodes d’abondance économique :
sion Ciencia est créée en février 2006 représentant 2 % du PIB en 1998, cette
pour la découverte scientifique et une part augmente à 6 % entre 2004 et 2007,
mission Alma Mater en mai 2007, pour puis plus de 7 % entre 2008 et 2012
développer des universités technolo- (Vaisset, 2011). Mécaniquement, ces
giques. dépenses supplémentaires permettent
Outre ces programmes sociaux, une augmentation conjointe du nombre
de nouveaux établissements scolaires d’établissements et de la population
dits « bolivariens14 » de tous niveaux scolaire à tous les niveaux. Les taux
sont inaugurés en parallèle, depuis de scolarisation dans l’enseignement
les simoncitos (équivalent français primaire et secondaire passent respec-
des maternelles) jusqu’aux universités tivement de 86 % à 92 % et de 56 % à 45
bolivariennes, en passant par les écoles 79 % entre 1999 et 2007. Le nombre
bolivariennes, le lycée bolivarien, les d’étudiants s’accroît entre 2000 et 2008,
écoles techniques robinsoniennes… Ce passant de 0,9 à 2,1 millions, avec une
système scolaire baptisé « bolivarien », progression d’environ 13 % du sec-
expérimenté dès 1999 et initialement teur public en ce qui concerne le ratio
prévu pour une période de trois ans, public/privé (Vaisset, 2011). La propor-
puis prolongé deux fois par le minis- tion d’étudiants par habitant est alors la
tère, est appliqué dans l’ensemble du plus élevée d’Amérique latine, derrière
pays à partir de 2004. Il bénéficie aux Cuba.
quartiers populaires avec des critères de
fonctionnement préférentiels : une jour- Cet investissement se couple avec
née scolaire complète, la dotation pro- une refonte idéologique du système
gressive des établissements sélectionnés éducatif. Les programmes scolaires
en infrastructures et en matériel, la dis- sont renouvelés en 2007. Cette politique
tribution de trois repas quotidiens et la s’appuie sur les critiques communé-
ment formulées à l’égard des systèmes
éducatifs occidentaux. Comme l’ex-
14. Le bolivarisme est un courant politique d’Amé-
rique du Sud. Il se fonde sur les idées de Simón
plique María Bethencourt (2006),
Bolívar (1783-1830), surnommé El Libertador, l’incitation à la participation de la
général et homme d’État vénézuélien, notamment population et des élèves dans la prise
en ce qui concerne la justice sociale, la liberté et
l’égalité des droits, et surtout l’indépendance et de décisions scolaires, la diffusion de
l’unité nationale. Hugo Chávez s’en réclame lors- pédagogies centrées sur l’expérimenta-
qu’il fonde le mouvement bolivarien révolution-
naire (MBR) en 1998, année de sa première élection
tion et la manière d’apprendre, l’accent
à la présidence de la République. mis sur le travail coopératif et social,

N° 86 - Avril 2021
entre autres aspects, démontrent une d’un cycle commencé avec le rejet de
intentionnalité éducative à l’inverse des la non-rénovation du canal hertzien de
pratiques de la culture scolaire tradi- la première chaîne de télévision privée
tionnelle. Toutefois, en l’absence d’un au printemps 2007, poursuivi avec la
plan massif de formation des éduca- lutte contre une réforme constitution-
teurs, la mise en œuvre de ces inten- nelle à l’hiver 2007 et qui s’achève sur
tions est partielle. le combat pour l’autonomie des éta-
Ces réformes sont considérées par blissements du supérieur contre la loi
l’opposition comme un moyen d’« idéo- d’éducation universitaire en 2010. Ces
logisation » et d’« endoctrinement » mouvements étudiants ont une impor-
des citoyens, ayant pour objectif le tance majeure pour comprendre l’évo-
maintien de Chávez au pouvoir. Une lution du pays, car ils constituent le lieu
nouvelle historiographie est ensei- d’apprentissage du pouvoir d’une géné-
gnée, montrant une patrie trahie par ration de dirigeants politiques d’oppo-
les oligarchies des xixe et xxe siècles, sition, dont Juan Guaidó est le membre
une nation volée par les intérêts colo- le plus éminent.
niaux et impériaux, en accord avec les L’héritage d’Hugo Chávez sur le sys-
nouveaux paradigmes géopolitique et tème éducatif vénézuélien est multiple.
économique développés par le pouvoir Les « missions » ont fini d’éliminer les
en place. restes d’analphabétisme qui pouvaient
Le véritable changement en matière subsister dans le pays. Le système édu-
de législation éducative se produit avec catif classique a, quant à lui, été profon-
46 l’adoption d’une nouvelle Loi organique dément transformé par la création d’un
sur l’éducation (LOE), promulguée en système bolivarien doté de moyens sup-
2009. Les points les plus embléma- plémentaires et qui s’est peu à peu ins-
tiques de cette loi sont la proclamation titutionnalisé, sans que l’on connaisse
de la laïcité de l’enseignement public aujourd’hui encore les critères, autres
(articles 3 et 7), la promotion de l’iden- que politiques, permettant aux établis-
tité nationale (article 11) et la nécessaire sements d’obtenir ce statut préférentiel.
dimension participative de l’enseigne-
ment public (article 15.2). La volonté Un système extrêmement affaibli
d’« idéologisation » entre en contradic- par les effets de la crise actuelle
tion avec la LOE elle-même, puisque La crise économique que connaît
son article 12 interdit les « activités de actuellement le Venezuela (– 71,98 %
prosélytisme ou de propagande par- du PIB entre 2014 et 2020 selon les don-
tisane dans les institutions et centres nées du Fonds monétaire international)
éducatifs du sous-système d’éducation a des conséquences dramatiques sur la
basique » (Vaisset, 2013). société, avec un exode de 5,5 millions
Ce texte suscite des manifestations de Vénézuéliens dont nombre d’ensei-
massives organisées par des mouve- gnants. Ces derniers sont particulière-
ments étudiants qui sont alors le fer de ment touchés par la chute du pouvoir
lance d’une opposition affaiblie par sa d’achat, désormais réduit à l’équiva-
stratégie insurrectionnelle des années lent de moins de dix dollars étasuniens
2002-2004 et par son échec cuisant à mensuels, représentant moins de 5 %
l’élection présidentielle de 2006. Ces du panier alimentaire depuis plusieurs
mobilisations s’inscrivent dans le cadre années. Il est difficile d’identifier avec
actualité internationale

précision l’ampleur des difficultés en dérablement développé durant les


l’absence de dispositifs de diagnostic, années 1960 et 1970 avant de connaître
d’organisme de contrôle des établis- une crise dans les années 1980 et 1990,
sements et de publication de données sous l’effet de restrictions budgétaires.
statistiques sur le sujet. Durant l’année Hugo Chávez a introduit de profondes
scolaire 2018-2019, le Syndicat véné- transformations de ce système éducatif,
zuélien des maîtres (SVM) estimait que financées par l’abondante rente pétro-
les élèves n’avaient reçu que 71 jours de lière de ces années-là. Aujourd’hui, les
classes alors que la loi en prévoit 200, écoles et les universités vénézuéliennes
en raison de l’absence d’enseignants ou font face à des difficultés majeures dans
du manque d’accès aux services publics un contexte de crise d’une ampleur iné-
de base (électricité, eau…) dans les éta- galée dans le pays. Le système éducatif
blissements scolaires. La dégradation vénézuélien est soumis à ces succes-
des conditions d’accueil des élèves est sions d’abondances et de crises souvent
considérable : les repas quotidiens assu- en raison du caractère cyclique de son
rés aux élèves ne sont plus la règle. Le économie mono-productive. Comme
taux de scolarisation des 18-24 ans a de nombreux autres pans de la société
chuté, passant de 47 % en 2014 à 25 % vénézuélienne, le système éducatif
en 2019. Celui-ci est fortement détermi- affronte actuellement les pires difficul-
née par la classe sociale : 44 % pour le tés, en termes d’asphyxie budgétaire et
quintile le plus riche, 16 % pour le plus d’autoritarisme croissant.
pauvre (UCAB-UCV-USB, 2020).
Thomas Posado,
La crise sanitaire de la Covid-19 Université Paris-8 47
a été gérée de manière précoce au
Venezuela, avec la fermeture des écoles Bibliographie
dès le 16 mars 2020, alors que le pays
BETHENCOURT M. (2007). « Educación
ne comptait officiellement que dix-sept
y revolución. Aproximaciones al aconte-
personnes malades. L’enseignement à cer educativo venezolano (2000-2007) ».
distance accroît encore davantage les Revista Venezolana de Economía y Ciencias
difficultés d’accès au système éduca- Sociales, vol. 13, no 3, septembre-décembre,
tif. Celui-ci est désormais contraint p. 143-160.
par l’accès à une connexion inter- PRIETO FIGUEROA L. B. (1951). De una
net déficiente (le Venezuela figure à educación de castas a una educación de
la 175e place sur 176 pays étudiés par masas. La Havane : Editorial Lex.
l’enquête Speedtest Global Index), par
UCAB-UCV-USB (2020). Encuesta
le manque de technologies (38 % de la
sobre Condiciones de Vida en Venezuela.
population vénézuélienne n’a pas d’ac- ENCOVI, Educación Marzo 2020, mis en
cès à internet), par le coût des équipe- ligne en mars 2020, consulté le 11 février
ments informatiques (dépendant du 2021. https://bit.ly/3vp00NU/
marché international, à des prix prohi-
VAISSET N. (2011). Les politiques d’éduca-
bitifs pour la plupart des Vénézuéliens). tion au Venezuela depuis 1998 : de l’école à
Le système éducatif vénézuélien est, la cité, portrait in itinere d’une société en
depuis ses origines, soumis aux aléas métamorphose. Thèse de doctorat, Rennes :
des crises politiques et économiques. Université Rennes 2.
Atrophié durant les gouvernements VAISSET N. (2013). « L’institution éduca-
militaires (1948-1958), il s’est consi- tive “chavo-bolivarienne” est-elle “révo-

N° 86 - Avril 2021
lutionnaire” ? Pour un bilan contrasté
des réformes éducatives au Venezuela
(1998-2012) ». In O. Folz, N. Fourtané,
M. Guiraud (dir.), Le Venezuela d’Hugo
Chávez : bilan de quatorze ans de pou-
voir. Nancy : Éditions universitaires de notes de lecture
Lorraine/Presses universitaires de Nancy,
p. 221-234.

L’éducation de l’ombre en Afrique.


Implications politiques du soutien
scolaire privé
Mark Bray [en ligne], CERC :
Comparative Education Research
Centre / HKU : Hong Kong
University / CIRIST : Centre
for International Research in
Supplementary Tutoring/ECNU : East
China Normal University, 2021, 126 p.
Bien connu des lecteurs de la Revue
internationale d’éducation de Sèvres
pour ses articles sur l’éducation de
l’ombre, Mark Bray offre ici une mono-
48 graphie1 qui s’intéresse à ce sujet en
Afrique, qu’elle soit arabophone, anglo-
phone, francophone ou lusitanophone
(54 pays au total). On ne trouvera nulle
part ailleurs un panorama aussi docu-
menté, complet et actuel. Que l’on en
juge : l’auteur fait appel à 211 références,
dont 151 produites entre 2010 et 2020 et
et qui, pour nombre d’entre elles, sont
le fruit d’enquêtes ou de témoignages
recueillis dans les différents pays afri-
cains.
D’emblée, Mark Bray pose une
question centrale : l’éducation de
l’ombre permettra-t-elle de réaliser
l’ODD 4 (le quatrième objectif de déve-
loppement durable des Nations unies),

1. Disponible en ligne en français : https://cerc.


edu.hku.hk/books/leducation-de-lombre-en-
af rique -implications-politiques- du-soutien-
scolaire-prive/ et également en anglais, sous
le titre Shadow Education in Africa: Private
Supplementary Tutoring and its Policy Implications :
https://bit.ly/3cqDUCb/ (NdlR).
actualité internationale

qui implique l’accès et une éducation de parents ; en Égypte, les ménages moyens
qualité pour tous ? et pauvres consacrent respectivement un
Encore faut-il s’entendre sur ce tiers et un cinquième de leurs revenus
que désigne le concept d’éducation annuels à la scolarité supposé gratuite.
de l’ombre (shadow education). Dans Mark Bray tente ensuite de com-
cet ouvrage, Mark Bray indique qu’il prendre pourquoi il existe une demande
s’agit du soutien scolaire privé, qui et une offre aussi importantes, l’une
obéit aux caractéristiques suivantes : expliquant l’autre et celle-là renforçant
1) il est payant, ce qui exclut le soutien celle-ci. Le moteur en est la compéti-
scolaire gratuit dispensé par les parents tion sociale : à travers le diplôme, la
ou les enseignants dans le cadre de filière suivie et l’établissement choisi,
leurs fonctions scolaires ; 2) il porte sur l’éducation est un « un bien position-
les matières scolaires classiques éva- nel » pour l’avenir des enfants. Le
luables ; 3) il est complémentaire, car il recours au soutien scolaire privé est
s’ajoute au travail et au soutien fournis d’autant plus croissant que la qualité de
par l’école dans le cadre de ses mis- l’école publique est jugée insuffisante,
sions ; 4) il concerne dans cette étude que les enseignants éprouvent le besoin
l’enseignement primaire et secondaire. de compléter leur salaire, et que l’État,
L’auteur signale cependant que dans confronté à « une massification par le
certains pays africains, un nombre non haut » (des entrées massives dans l’en-
négligeable de parents soumettent leurs seignement secondaire supérieur), n’a
enfants dès la maternelle à du soutien guère les ressources financières suffi-
privé, afin qu’ils soient les meilleurs santes pour y faire face.
à l’école primaire et puissent espérer Si ces différents types d’acteurs 49
ensuite bénéficier des meilleurs établis- y trouvent donc un certain bénéfice,
sements d’enseignement secondaire. Mark Bray pointe quelques effets per-
Au cœur du débat et de l’analyse se vers non négligeables. L’un des plus
découvrent la conscience de l’impor- importants est le renforcement de
tance de l’éducation, la sélection opérée l’inéquité du système, le soutien sco-
par l’école et la compétition pour les laire privé bénéficiant davantage aux
meilleures positions sociales ; mais on enfants des familles plus favorisées.
devine aussi que cette situation n’est Les parents des milieux modestes ne
pas sans effets pervers. peuvent y recourir sans d’importants
Mark Bray tente dans un premier sacrifices, comme le montre l’exemple
temps de cartographier le paysage afri- mauricien déjà cité. D’autres effets
cain de l’école de l’ombre. En quatre pervers, tout aussi préoccupants, sont
tableaux (chap. 3), il rassemble l’en- d’ordre éthique, comme le fait que
semble des données qu’il a pu récol- des enseignants donnent des cours
ter dans les enquêtes disponibles dans privés payants à leurs propres élèves,
les différents pays, sur les taux d’ins- auxquels ils accordent plus d’atten-
cription, les variations régionales, les tion en classe, gardent en réserve de la
modalités, les lieux et les coûts du sou- matière importante pour leurs cours
tien privé. Le phénomène est d’une très privés, privilégient le « gavage » et la
grande ampleur et inquiète. Ainsi, par restitution en vue de l’examen plutôt
exemple, le coût du soutien privé pour que le développement d’une pensée
un seul enfant à l’île Maurice repré- indépendante (les élèves perdant ainsi
sente 6 % du salaire minimum pour les l’habitude d’apprendre quand ils sont

N° 86 - Avril 2021
seuls)… et ont parfois des comporte- enseignants, la direction des établis-
ments de harcèlement envers les filles, sements scolaires et les familles ». Cela
d’où l’expression « After BECE [Basic rejoint la conclusion du numéro 83 de
Education Certificate Examination], cette revue, intitulé « Réformer l’édu-
will be pregnancy ». D’autres effets cation ».
pervers sont encore identifiés, tels que Répondre à la question initialement
le stress des élèves dû à une charge posée (« L’éducation de l’ombre per-
mentale trop élevée (cours formels et mettra-t-elle de réaliser l’ODD 4 d’une
cours privés) ; un moindre respect des éducation de qualité pour tous ? »)
élèves pour les enseignants qui ne leur suppose d’abord, écrit Mark Bray
donnent pas de cours privé ; l’évapo- en conclusion, de « tirer de l’ombre
ration des meilleurs enseignants des l’éducation de l’ombre » pour en com-
zones urbaines vers des entreprises pri- prendre les divers modes de fonction-
vées de soutien scolaire, ou des ensei- nement et leurs effets, afin de trouver
gnants les plus qualifiés dans les zones ensuite un bon équilibre dans la voie à
rurales vers des établissements en ville ; suivre. L’éducation de l’ombre a certes
l’attitude ambiguë des chefs d’établis- des effets positifs (renforcement de l’ap-
sement vis-à-vis de l’interdiction faite prentissage, revenus complémentaires
aux enseignants de donner des cours pour les enseignants, économies budgé-
privés à leurs propres élèves. taires pour les États, création d’emplois,
Dans le dernier chapitre, Mark Bray occupation des jeunes…) mais aussi
s’adresse aux responsables politiques négatifs (exacerbation des inégalités
nationaux. Même dans des pays sociales et territoriales, manquements
50 aussi sensibilisés à cette question que à l’éthique, stress des élèves, contri-
l’Égypte et l’île Maurice, les données bution à la baisse de qualité de l’école
manquent pour disposer d’une image publique, etc.). Cet équilibre ne peut
plus précise de la situation, bien éva- être trouvé que si cette question devient
luer la nature des problèmes et suivre l’affaire de tous : agences internatio-
les évolutions. L’auteur identifie toute nales, ministères de l’éducation, écoles,
une série d’indicateurs permettant de communautés, familles. Une éducation
constituer une base utile à la prise de de qualité pour tous dépasse de loin la
décision. Passant en revue plusieurs forme scolaire (comme le montre plus
initiatives prises dans certains pays que jamais la crise actuelle due à la pan-
africains, il met l’accent sur la nécessité démie) et nécessite de développer une
d’entreprendre des réformes sur l’éva- intelligence collective2.
luation, la sélection et le curriculum. D’une grande clarté et même d’une
Mais cela implique aussi de concevoir précision chirurgicale, cette mono-
et de mettre en œuvre des réglemen- graphie sur l’éducation de l’ombre
tations, concernant tant les entreprises en Afrique est à lire par tous, et bien
de soutien scolaire que l’offre de soutien au-delà de l’Afrique, comme y invitent
des enseignants. Cependant, réformes
et réglementations auront peu de 2. Le 15 avril 2021, la Conférence des ministres
chance de réussir « si les responsables de l’éducation des États et gouvernements de la
francophonie (CONFEMEN), France Éducation inter-
politiques nationaux ne bénéficient pas national et la Direction du Rapport mondial de suivi
au moins de la compréhension et, de sur l’éducation (GEM) de l’Unesco ont organisé
une conférence numérique de présentation de cet
préférence, de l’appui des principales ouvrage de Mark Bray. https://www.youtube.com/
parties prenantes, notamment les watch?v=ljaV-oFKUZg
actualité internationale

les quelques données mentionnées, d’un réel souci pédagogique. Les trois
parmi tant d’autres, dans cette brève grandes parties regroupent trente et un
recension. chapitres dont la lecture peut (presque)
s’effectuer indépendamment et dans
Jean-Marie De Ketele, lesquels on retrouve parfois des résul-
Université catholique de Louvain tats déjà cités dans d’autres contextes.
Chaque chapitre se termine par trois
L’apprentissage visible : compléments : mise en perspective,
ce que la science sait questions pour guider l’étude et réfé-
de l’apprentissage rences.
John Hattie et Gregory C.R. Yates, La première partie, « Apprendre
L’Instant présent, 2020, 417 p. en classe », traite de la difficulté à
Ce livre représente une prouesse ! apprendre, de la posture du maître et de
Présenter en quatre cents pages 3 ses relations avec les élèves, du facteur
les résultats de plus d’un siècle de temps, des formes de cours, de l’exper-
recherches sur l’apprentissage est en soi tise enseignante. La deuxième partie,
un pari ambitieux. Réunir des champs « Les fondements de l’apprentissage »,
aussi variés que les sciences de l’édu- s’intéresse au stockage des connais-
cation, la sociologie, la psychologie, les sances, à la mémoire, aux styles d’ap-
neurosciences dans un tout cohérent prentissage, aux idées reçues comme
ne l’est pas moins. Diffuser les acquis « les jeunes sont des natifs numériques
de ces travaux dans un langage clair multitâches ». La troisième partie,
et une écriture fluide accessibles à tout « Connais-toi toi-même », aborde la 51
éducateur, sans termes techniques ni confiance en soi, la maîtrise de soi, l’at-
amoncellement de références relève, de tention, la rapidité de la pensée, l’effort
plus, d’un talent de vulgarisation hors et la valorisation. Un glossaire et une
pair. longue liste de références, très majo-
Le projet des auteurs est de mettre ritairement d’origine anglo-saxonne,
à disposition des enseignants, des chefs complètent l’ouvrage.
d’établissement, voire des parents, des Ce livre est une somme. On peut
résultats attestés issus de la compilation s’y référer avec une intention ou des
de près de 50 000 recherches. Il s’agit questions personnelles. Il apporte alors
non de traiter des situations concrètes des certitudes fondées sur des résul-
d’apprentissage, mais de fournir les tats de recherches. Certes, il faut faire
repères et les savoirs permettant à ces confiance aux auteurs, mais ces deux
éducateurs de faire des choix et d’en chercheurs, l’un professeur de sciences
évaluer les effets. En un mot, de consi- de l’éducation, John Hattie, l’autre psy-
dérer l’apprentissage – celui de l’ensei- chologue cognitiviste, Gregory Yates,
gnant comme celui des élèves – comme documentent avec soin les recherches
un domaine que la recherche peut éclai- qu’ils citent.
rer et nourrir. Les surprises sont nombreuses,
La structure du livre et la com- à la mesure de la diversité des sujets
position des chapitres témoignent traités, sans doute différentes d’un
lecteur à l’autre. Par exemple : « le cer-
3. La version originale a été publiée en 2014 chez
Routledge sous le titre Visible Learning and the
veau humain n’a pas été conçu pour
Science of How We Learn. penser », mais notre volumineux cortex

N° 86 - Avril 2021
s’est d’abord développé pour établir et prentissage exige donc de le vouloir… et
maintenir les relations sociales indis- de s’en donner les moyens !
pensables à notre survie ; réf léchir La seconde partie du livre fournit
demande des efforts, consomme de des repères sur la manière dont s’ac-
l’énergie sans assurance d’obtenir un quièrent les connaissances, en struc-
résultat et comporte de sérieux risques turant et en reliant les nouveautés à
d’échec, pas étonnant donc que les des savoirs antérieurs : « le plus impor-
élèves se montrent parfois apathiques tant facteur unique qui influence l’ap-
en classe ! Apprendre est difficile et fati- prentissage est ce que l’apprenant sait
gant ; d’ailleurs, longtemps, l’idée d’ap- déjà ». Comprendre l’organisation de
prendre à lire à toute une population la mémoire ou les effets de la charge
est apparue comme une pure utopie cognitive ouvre bien des pistes pour
tant cet exercice semblait contraire à aider les élèves à apprendre.
la nature humaine. Le feedback, essen- D’autres éclairages nous viennent
tiel pour les élèves, est asymétrique car de la partie « Connais-toi toi-même » :
trois appréciations positives ne com- plus que le QI, la maîtrise de soi est un
pensent pas une remarque négative : prédicteur majeur du succès profes-
de quoi faire réfléchir les professeurs sionnel et social d’un enfant ; le sourire
français, si souvent critiques ! Trop et le langage corporel inconscient de
expliquer empêche l’élève d’apprendre : l’enseignant influent sur son efficacité ;
mieux vaut un cours bref, exposant l’es- la « cécité attentionnelle » des élèves
sentiel, suivi d’exemples résolus puis résulte mécaniquement d’une charge
d’exercices pratiques qu’un long cours mentale trop lourde. Avec humour, les
52 auteurs nous parlent du « gorille invi-
dialogué ou, pire, des problèmes censés
faire découvrir les notions. Apprendre sible » et de l’« effet Ikea4 »… mais la
exige du temps, mais ce temps est inef- classe n’est jamais loin !
ficace sans intention d’apprendre… et Voici donc un livre de référence.
ce qui est vrai pour les élèves l’est aussi Nulle recette à espérer dans cet ouvrage,
pour le professeur, qui ne deviendra pas mais des bases solides pour apprendre
un expert par la seule grâce de l’expé- sur nous-mêmes et sur nos élèves et
rience acquise au fil du temps. devenir ainsi, eux comme nous, plus
performants. C’est l’idée du livre :
Or les auteurs postulent qu’un L’apprentissage est maximisé lorsque
enseignant se doit de devenir un les enseignants l’envisagent à travers
« expert de l’apprentissage ». Et pour le regard et les perspectives de l’appre-
décrire les compétences d’un expert, ils nant et lorsque les apprenants se voient
convoquent des travaux relatifs au sport comme leurs propres enseignants.
(savoir où va une balle avant même
qu’elle soit lancée), aux échecs ou au Anne-Marie Bardi,
bridge (analyser et restituer des dizaines inspectrice générale honoraire
de parties jouées), à la musique, à la
science. Les résultats convergent : il faut 4. Des expériences ont montré qu’une personne
à chacun des experts en ces domaines absorbée par une tâche (compter les passes entre
joueurs de basket) ne voit pas un gorille qui tra-
près de 10 000 heures de pratique inten- verse le terrain de jeu assez longuement, alors
tionnelle, de tâches aux objectifs bien que toute personne regardant seulement la vidéo
le voit à coup sûr. Effet Ikea : on accorde de la valeur
définis, d’évaluations fines, de remises à ce qui nous a donné du mal ou qu’on a produit
en question. Devenir un expert de l’ap- soi-même.
actualité internationale

Le coaching scolaire. du travail éducatif entre profes-


Un marché de la réalisation de soi sionnels d’abord, mais aussi avec
Anne-Claudine Oller, Paris, PUF, les familles (développement de
coll. « Éducation et société » 2020, multiples formes d’accompa-
269 p. gnement, externalisation vers
Cet ouvrage propose une analyse celles-ci d’enjeux scolaires qui
sociologique documentée et passion- sont sources de conflit par des
nante d’une pratique qui se développe parents désireux de pacifier l’es-
fortement en France depuis le début pace domestique) ;
des années 2000 : le coaching scolaire. 3) des politiques étatiques qui se
Le coaching est envisagé comme un livrent à un « financement à bas
« espace intermédiaire » (p. 11) entre bruit » (p. 32) de ce type d’acti-
l’école et la famille, espace vers lequel vités par des aides publiques au
sont externalisés des pratiques et des soutien scolaire, par une taxation
enjeux liés à la scolarité des élèves qui, avantageuse et par des réductions
par le passé, étaient pris en charge par ou des crédits d’impôt ;
ces deux institutions. 4) les stratégies des coachs scolaires
Pour cela, la chercheuse s’appuie eux-mêmes pour affirmer leur
sur une méthodologie riche et diver- spécialité professionnelle.
sifiée : une cinquantaine d’entretiens L’auteure procède ensuite à une
auprès de coachs scolaires, de jeunes analyse fouillée des pratiques de coa-
et de parents ; des observations de ching (chap. 2). Elle montre comment
séances de coaching ; une expérience où les coachs légitiment celles-ci par la 53
l’auteure elle-même s’est fait coacher ; mobilisation de certains courants reli-
des observations de plusieurs salons gieux et par une relecture des philo-
d’orientation ; l’analyse documentaire sophes grecs (la maïeutique socratique
de 125 dossiers de personnes ayant eu par exemple est présentée comme
recours à un coach et enfin l’analyse le fondement même de l’esprit du
d’articles publiés dans la presse spécia- coaching). Elle met surtout en évidence
lisée sur l’orientation. le fait que ces pratiques s’appuient sur
Si l’auteure propose une brève de nombreux outils de la psycholo-
genèse de la notion de coaching au gie comportementale. Ces outils, qui
début du chapitre 2, l’essentiel de sa relèvent pour l’auteure d’une vision
démarche, résolument sociologique, essentialiste de la « personnalité » de
se trouve ailleurs. Il s’agit d’abord de l’élève, visent à permettre à ce dernier
retracer les conditions d’émergence de mieux se connaître, de mieux iden-
d’une telle pratique en éducation en tifier ces « petites choses » du quotidien
France (chap. 1). Celle-ci est rendue à vivre pleinement, le tout pour restau-
possible par la congruence de nom- rer une confiance perdue, confiance
breux facteurs : elle-même propice à une meilleure
1) des transformations sociales performance scolaire et à une meil-
profondes (évolutions du capita- leure réalisation de soi. Ces outils sont
lisme, triomphe de l’individua- le plus souvent utilisés pour un type
lisme et culte de la performance) ; de coaching scolaire, par ailleurs très
2) les recompositions de l’institu- répandu, le coaching d’orientation, et
tion scolaire et de la division ils permettent aux coachs d’asseoir la

N° 86 - Avril 2021
crédibilité de leur approche tout en la ont le plus souvent recours au coaching
distinguant de professionnels en géné- au moment de l’entrée au lycée de leurs
ral mal perçus par les parents (« psy », enfants. Ceux-ci ne sont ni des décro-
conseillers d’orientation). cheurs ni des élèves performants (leurs
En toute logique avec ce qui pré- moyennes générales oscillent entre 8
cède, le chapitre suivant est consacré et 12/20), ils sont le plus souvent sco-
à l’identité professionnelle des coachs, larisés dans des établissements privés
à leurs trajectoires sociales et aux fon- et ils multiplient les activités sportives
dements de leur expertise. L’auteure et culturelles en parallèle de leur sco-
synthétise d’abord les propriétés socio- larité. Disposés à profiter d’une aide
professionnelles communes aux coachs extérieure, ils voient dans le coaching
scolaires : le plus souvent des femmes, une occasion de dépasser leurs limites,
celles-ci ont en général des parents tra- d’alimenter leur quête d’autonomie et
vaillant comme indépendants ou dans de s’épanouir.
le monde de l’entreprise, orientation Comme en témoigne à elle seule
qu’elles ont d’abord voulu prolonger cette synthèse rapide du contenu de
dans des études de management ou de l’ouvrage, celui-ci présente à nos yeux
consulting. Marquées par des trajec- de grandes qualités comme l’explora-
toires professionnelles « atypiques » et tion, avec un fort degré de systéma-
discontinues, elles viennent au coaching ticité, d’une pratique émergente, la
scolaire dans le cadre d’une reconver- multiplication des niveaux d’analyse et
sion professionnelle, ce qui ne leur surtout la grande capacité de l’auteure
54 permet pas de vivre seulement de cette à constamment approfondir la signifi-
activité. Elles insistent d’ailleurs sur la cation de son objet par une mobilisa-
nécessité de ne pas être trop jeune pour tion conséquente de la littérature de
exercer ce métier et d’avoir accumulé recherche avec laquelle elle dialogue
une expérience professionnelle diver- tout au long du livre. Comme souvent,
sifiée. Elles sont marquées par des tra- ces éléments positifs sont aussi sources
jectoires scolaires difficiles, éléments de frustration à la lecture, en raison
qui les amènent à tenir un discours du déséquilibre entre la présentation
critique vis-à-vis de l’institution sco- circonstanciée de cette activité de coa-
laire. Enfin leur expertise repose sur ching scolaire et des développements
différentes compétences : la capacité beaucoup plus courts en conclusion sur
d’aider les élèves à s’orienter dans le ce que cette activité dit des transforma-
monde du travail, la capacité à s’outiller tions actuelles des systèmes éducatifs.
pour réussir cette orientation scolaire et De ce point de vue, des liens intéres-
professionnelle, la capacité à aider les sants pourraient être tissés de manière
élèves à besoins éducatifs particuliers et plus approfondie avec de grandes pro-
la capacité à prendre en compte les spé- blématiques internationales, dont plu-
cificités de chaque élève en difficulté. sieurs ont été abordées dans cette revue,
À ce portrait en correspond un telles que les attentes éducatives des
autre : celui des élèves et des familles familles, les logiques de privatisation
qui ont recours au coaching (chap. 4). de l’éducation ou la shadow education.
Essentiellement issues des classes
moyennes et moyennes supérieures, Xavier Pons,
proches du secteur privé, ces familles UPEC, LIRTES, OSC-Sciences Po
actualité internationale

Les directions d’établissement la confiance en soi, en les autres et


au cœur du changement. en l’institution. La page de l’« admi-
Pilotage, collaboration nistration » est donc tournée, même
et accompagnement si référentiels désincarnés, « bonnes
des équipes éducatives pratiques », protocoles et vade-mecum
Laetitia Progin, Caroline Letor, persistent dans la culture institution-
Richard Étienne, Guy Pelletier (dir.), nelle, dont s’est détachée celle de l’éta-
De Boeck supérieur, 2021, 288 p. blissement.
Il ne s’agit pas d’un ouvrage géné- La riche diversité des terrains de
raliste de plus sur les gouvernances et recherche permet d’appréhender les
réformes éducatives, mais d’un ouvrage multiples tensions et antagonismes
centré sur le rôle qu’y prennent les direc- traversés par les directions d’établisse-
tions d’établissement. Sont présentés ici ments en régime non plus de gouverne-
les résultats de recherches menées en ment de l’École mais de gouvernance
Europe francophone (Belgique fran- éducative. Dès le premier chapitre, les
cophone, France et Suisse romande), écoles en milieu autochtone au Québec
au Québec et aux États-Unis sur la montrent comment la diversité des
manière dont les directions accom- appartenances ethnoculturelles et lin-
pagnent le changement dans les écoles guistiques rend difficile la réalisation
et établissements. d’un projet éducatif unique autour de
L’état des observations conduites valeurs communes : pour les autoch-
dans ces différents pays fait apparaître tones, la relative autonomie des écoles
des lignes de force : le nouveau mana- est trop paternaliste, pour les autorités 55
gement public s’est imposé, et les direc- provinciales, elle est trop autochtone.
tions acceptent désormais le rôle qui En Californie, la tension entre emprise
leur est assigné non pas passivement, managériale et coopération horizontale
mais en inventant les compromis et des enseignants conduit à transformer
en acceptant les négociations qui per- les cadres en leaders, et à partager le
mettent de répondre aux exigences leadership devenu « instructionnel ».
froides de l’efficience instrumentale En France, les nouveaux rendez-vous
ou de la bureaucratie étatique, tout en de carrière entre enseignants et leur
cherchant à éviter le sentiment d’im- direction sont marqués par l’hési-
posture ou de manipulation chez les tation, d’une part entre coopération
enseignants. Se dégage donc une forme ou lutte de pouvoir entre direction et
de « leadership plus affirmé, mais inspection, et d’autre part entre éva-
multiforme » selon Claude Lessard qui luation administrée et co-évaluation
préface l’ouvrage, leadership que les en actes. En Suisse, les visites de classe
auteurs des chapitres caractériseront et entretiens d’évaluation portent la
comme hybride, partagé, pédagogique, marque d’une ambiguïté durable entre
voire « instructionnel 5 ». Leadership contrôle persistant et développement
fondé, d’après Michèle Garand dans professionnel, reddition de compte et
la postface, sur « une conversation évaluation formative.
pédagogique continue » reposant sur On retiendra d’une recherche
conduite également au Québec la double
5. Soit une intervention directe sur les apprentis-
sages, dans le cadre d’un développement profes-
dimension à prendre en compte dans
sionnel interne (en situation). une stratégie de changement : la dimen-

N° 86 - Avril 2021
sion « organisation » et la dimension laire » (comme l’écrivait Guy Vincent
« personne ». En Belgique francophone, à qui l’on attribue l’émergence de ce
c’est ainsi la confiance interpersonnelle, concept) s’est dissoute par la grâce
organisationnelle, institutionnelle et la du nouveau management public ? N’y
confiance en soi qui peuvent fonder aurait-il pas là une illusion d’optique ?
le sentiment de compétence collective Parmi les deux épigraphes choisies par
nécessaire à la réussite du changement. les auteurs de l’introduction, figure la
C’est en effet l’un des fils conducteurs fameuse formule, chez Lampedusa, de
de l’ouvrage que les auteurs, dans la Tancredi, personnage du Guépard : « Il
diversité de leurs objets de recherche, faut que tout change pour que rien ne
mettent en avant : la nécessité du tra- change. » Tout a changé, effectivement,
vail sur soi, préalable au travail avec et dans les modalités de gouvernement
sur les autres, et d’une approche systé- de l’école, à l’échelle des établisse-
mique qui permet, grâce à la confiance, ments, dans des pays à l’histoire et aux
de réguler les tensions sans effacer ou modèles politiques d’éducation variés.
réduire les oppositions. Les divers chapitres de l’ouvrage l’at-
Le lecteur ne peut s’empêcher de se testent. Mais, en ce qui concerne le
poser, au fil des pages, une question : curriculum, Tancredi pourrait-il avoir
diriger les affaires pédagogiques et édu- raison ?
catives, oui, mais sur quoi a-t-on vrai-
ment la main ? En conclusion, Letor, Jean-Pierre Véran,
Progin, Étienne et Pelletier notent que CY Cergy Paris Université
« le leadership est façonné par les inter-
56
actions entre les acteurs de l’école et les
éléments (les valeurs, les méthodes, les
programmes…) influant sur les appren-
tissages ». C’est là qu’affleure, dans une
parenthèse, la question curriculaire.
N’y aurait-il pas là, justement, un enjeu
capital pour la réussite des élèves, sur
laquelle ni les directions ni les ensei-
gnants n’ont réellement prise ? Dans la
postface, Michèle Garant écrit :
D’aucuns disaient l’école immuable,
figée dans une forme scolaire rigide et
inadaptée à la société d’aujourd’hui.
L’ouvrage met en lumière le travail
d’opérationnalisation des attentes
nouvelles à travers des modalités de
fonctionnement radicalement diffé-
rentes.
Que les modalités de fonctionne-
ment aient changé entre équipes de
direction et enseignants signifierait-il
que la forme scolaire, « construite dans
l’histoire au long cours du système sco-
l’oral dans l’éducation

Introduction
Dis-moi quel oral, et je te dirai quelle école…

Daniel Coste*
École normale supérieure de Lyon

Roger-François Gauthier*
Inspecteur général honoraire

Le manque d’oral est considérable à tous les âges, dans


toutes les strates de la société, à tout niveau de responsabilité.
Il crée bien des angoisses et des souffrances inutiles, gèle les
talents sur place et bloque des évolutions professionnelles. Il bride
l’expression citoyenne et de façon d’autant plus dommageable que
les plus vulnérables en sont les premières victimes.
Cyril Delhay (2019) 57

Consacrer un dossier de la Revue internationale d’ éducation à l’oral


implique de reconnaître aussi bien l’intérêt que la spécificité de ce sujet : s’il est rela-
tivement stimulant d’interroger les systèmes d’éducation d’une dizaine de pays, de
quatre continents choisis pour la diversité qu’ils laissaient attendre, à partir d’un
questionnement sur l’oral, il faut avoir en tête que ce que l’on appelle oral, d’un
pays à l’autre, d’une culture scolaire à une autre est si différent que la comparaison,
à laquelle conduit nécessairement cette revue, doit être en ce cas particulièrement
prudente.
La première remarque est qu’aucun des pays évoqués ici1 ne décrit la
situation de l’oral en éducation comme un objet stabilisé : la prise en compte de
l’oral à l’école « bouge », partout, et même dans les cas où l’intérêt pour l’oral est
actuellement moins développé, l’idée est qu’existe un mouvement irrépressible et
d’origines diverses. On peut s’en étonner, tant dans certains pays, comme la France,
l’oral – et plus encore, au sein de l’oral, la compétence à « écouter » – apparaît un peu
comme le parent pauvre des efforts d’une école qui privilégie classiquement l’écrit.
S’il ne saurait être question de dresser ici un palmarès de l’« oratie2 » entre les pays
observés, la lecture de ce dossier permet de prendre conscience de la complexité de
la question et de la richesse de travaux conduits ici ou là.

* Daniel Coste et Roger-François Gauthier tiennent à remercier Patrick Rayou pour le concours qu’il a apporté
à la conception et à l’élaboration de ce dossier.
1. Angleterre, Argentine, Côte d’Ivoire, France, Inde, Italie, Japon, Suisse, Tunisie.
2. Voir plus loin la définition proposée par les auteurs (NdlR).

N° 86 - Avril 2021
Un nuancier contrasté
par l’histoire des relations
entre l’oral et l’école
Les rapports sont spécifiques et complexes dans toutes les traditions sco-
laires et nationales entre l’oral et l’école. L’article de G. N. Devy, traitant de la longue
prééminence culturelle de l’oral en Inde, mais aussi l’article de Michel Tozzi pour
la France, se référant à l’apologie socratique de l’oral, nous rappellent que l’ensei-
gnement fut partout d’abord oral, en référence à de grandes œuvres orales, et avec
des activités orales, qu’il se soit agi selon les cas du « par cœur » dans ses excès ou de
la réflexion philosophique.
Toutefois, les systèmes scolaires qui se sont inscrits dans le contexte du
développement de l’imprimerie comme des États-nations ont consacré le règne
de l’écrit et la minoration de l’oral comme objet d’enseignement : l’article indien
montre cette « sortie de l’oral », celui de Mokhtar Sahnoun, à propos du contexte
tunisien, relève bien l’état actuel de cette minoration, quand l’article italien, dû à
Miriam Voghera, rappelle à quel point la langue italienne fut longtemps une réalité
seulement écrite. L’article français souligne que jusqu’à une date récente, l’oral à
l’examen du baccalauréat se voyait attribuer la qualification de « de rattrapage » !
Puis, évolution commune à tous les pays abordés, bien sûr selon des calen-
driers et des modalités diverses, on a assisté à une prise de conscience de cette mino-
ration de l’oral dans la formation des enfants et on a souhaité y remédier : la Suisse,
58 dont la situation est ici décrite par quatre auteurs (Roxane Gagnon, Stefan Hauser,
Sonia Guillemin et Rosalie Bourdages) aussi bien pour la partie alémanique que
pour la Romandie, mais plus encore le Japon, analysé dans l’histoire longue par
Nozomi Takahashi, nous montrent ici la profondeur de cette reconquête, et jusqu’à
un certain point l’Italie, même si Miriam Voghera nous rappelle l’écart entre le cur-
riculum théorique et la réalité. La France elle-même a fait preuve de façon un peu
ponctuelle d’innovation en créant, à partir de 2021, une épreuve importante dite
« grand oral » à l’examen du baccalauréat.
C’est ainsi que l’oral est devenu un objet de plein droit pour la
réflexion en éducation. Les remarquables notes de synthèse ou bilans établis par
Elisabeth Nonnon (1999, 2016) pour ce qui est du domaine francophone, ou encore
par Marie Gaussel dans un dossier de veille de l’IFE (2017) en témoignent à l’évi-
dence.
Cette « ouverture à l’oral » correspond pourtant à des contextes politiques
très divers. Le fait qu’en Angleterre, une commission parlementaire se penche sur la
question en 2020-2021, sous l’intitulé significatif Speak for Change, est à cet égard
particulièrement notable. Ailleurs, beaucoup dépend de quelle instance décide de
quoi à quelle échelle de responsabilité. Dans le cas de l’Argentine, analysé ici par
Constanza Padilla, c’est l’extrême fragmentation du système éducatif qui est sou-
lignée, reflet de l’organisation fédérale de l’État. Et la situation de l’Inde multilingue
et de ses 29 États est tout aussi révélatrice.
Pour cette dernière comme pour le Japon, l’histoire au long cours est
convoquée par les auteurs pour marquer la transformation des rapports entre oral
et écrit dans la durée. Mais là où l’Inde se caractérise par une évolution que scande
l’extension progressive de la reconnaissance officielle de langues écrites, dépos-
sédant en partie l’oral de sa fonction de transmission, c’est l’unification lente du
japonais comme langue nationale, dans la relation entre mode d’écrire et mode de
dire, qui caractérise la situation. Les héritages historiques, au sens large, ont aussi
une incidence forte sur la situation actuelle de l’oral en Tunisie ou en Côte d’Ivoire,
pays analysé ici par Bénédicte Techti.
Le contexte de cette évolution générale, même si elle correspond à des
niveaux de prise en compte très variables, est celui des évolutions technologiques,
qui donnent à l’oral des dimensions nouvelles, mais aussi celui des mouvements
de population, des dimensions transculturelles d’une certaine mondialisation, qui
modifient, pour la plupart des systèmes éducatifs, les questions que leur pose l’oral
et le traitement qu’ils lui réservent.
Parmi les facteurs qui pèsent favorablement sur le développement de la
prise en compte de l’oral à l’école, figure la prise de conscience par la plupart des
sociétés de son importance en dehors même de l’école. Une demande sociale vient
d’abord du monde du travail, en raison notamment de l’extension du secteur des
services et de la tertiarisation de nombreuses fonctions, où l’expression orale du col-
laborateur, dès l’embauche, est importante.
Diverses préoccupations de bien des sociétés, en direction par exemple de
la recherche du développement personnel, ou de ce que l’article japonais appelle la
« capacité à vivre », jouent un rôle aussi pour la revalorisation de l’oral et la demande
adressée en ce sens à l’école. L’oral fait désormais partie de ces « compétences du
xxie siècle » ou « life skills », qui sont au programme des réformes curriculaires de
59
nombreux pays.
Dans le monde civil et politique, de la même façon, la valorisation sincère
ou feinte de la démocratie a pour conséquence que de nombreuses collectivités
demandent à l’école de contribuer au fonctionnement harmonieux des sociétés
et au développement de cette démocratie : ce fut le cas au Japon au xxe siècle, c’est
le cas en Tunisie depuis la « révolution ». C’est aussi ce que l’on attend en France
de la discussion à visée philosophique ou de la pratique du débat, et c’est aussi en
Côte d’Ivoire que l’institution scolaire aimerait, en développant l’oral, agir contre
les traditions du silence imposé aux enfants. La question ici est de savoir à la fois
quelle mesure prennent les différents pays de cette évolution en direction d’une plus
grande ouverture de l’école à l’oral, et comment ils tentent de répondre aux défis que
présente l’oral.
Avant de rechercher quelles formes scolaires peut prendre l’oral tel qu’il se
développe, il y a lieu de rappeler son caractère paradoxal, car c’est sur fond de ces
caractéristiques que les mouvements en cours s’inscrivent.

L’oral, un objet paradoxal

Un oral omniprésent, inaperçu


et ancillaire
Dans la mesure où l’école est, par excellence, le lieu marqué par l’appren-
tissage de l’écrire et du lire, par l’accès écrit aux connaissances et aux œuvres, le

N° 86 - Avril 2021
recours qu’elle fait au parler et à l’écouter apparaît souvent comme simplement ins-
trumental, indispensable certes, mais ancillaire. L’oral va de soi et « va sans dire ». Il
n’est pas perçu comme un savoir à maîtriser pour lui-même mais comme « un préa-
lable au service de la culture scolaire » (Langlois, 2012).

L’oral, ça s’attrape
ou ça s’apprend ?
Pour nombre des enseignants anglais répondant à une enquête de 2016,
dont rend compte Will Millard, « l’oral, ça s’attrape » autant ou plus que « ça s’ap-
prend ». Nul besoin, dès lors, d’en faire un objet d’apprentissage en soi. « Écouter/
parler » ne fait pas partie des trois compétences de base : lire, écrire, compter. On
réserve l’attention pour l’oral à l’apprentissage des langues étrangères.

L’oral, ça se contrôle
Avec les meilleures intentions du monde et dans l’intérêt même des élèves,
le rôle de l’école reste souvent pensé comme de brider l’oral et de le rectifier. Peu
d’articles abordent ce point, hormis celui que Mokhtar Sahnoun consacre à la
situation tunisienne ou celui de Bénédicte Techti sur la Côte d’Ivoire. Sujet devenu
tabou et politiquement incorrect ailleurs ?

L’oral, ça fait peur


60 Le contrôle de la parole des élèves n’est pas seulement affaire de correction
de la langue, mais aussi de respect de l’ordre et de la discipline. Comme le déclarent
certains des enseignants dans l’enquête anglaise, à trop laisser les élèves parler entre
eux, il y a risque d’encourager au relâchement. Les témoignages ne manquent pas
d’enseignants qui, dans des classes « difficiles », ont effectivement peur de perdre
toute autorité et de faillir à leur devoir s’ils laissent par trop les élèves s’emparer de
la parole.
Mais, ailleurs, c’est aux élèves que l’oral fait peur. Répondre à une question
de l’enseignant, passer au tableau, réciter un poème devant les autres, se résume à
autant d’épreuves qui peuvent être source de malaise.

L’oral, ça engage le corps


et on peut y perdre la face
Dans les textes suisse et anglais, cette incarnation de l’oral est mise en
avant dans sa matérialité audible et visible. L’oral, c’est une voix, un timbre, une
intonation et un rythme, mais aussi des gestes, des mimiques, une certaine tenue de
l’ensemble du corps, une distance ou une proximité physique, le tout s’inscrivant à la
fois dans un jeu de codes sociaux et culturels variables suivant les contextes et dans
une interprétation personnelle – consciente ou non – de ces codes.
La dimension identitaire de l’oral peut aussi être affirmée, revendiquée (ou
à l’inverse stigmatisée, discriminée) au niveau non pas d’un individu mais d’une
communauté. Et cette valorisation ou cette dévalorisation (d’une langue régionale
ou minoritaire, d’un « accent » particulier, d’une forme de « parler jeune ») ont avant
tout l’oral pour objet (Blanchet 2016, 2019 ; Blanchet & Clerc Conan, 2018). Cela
concerne aussi l’école quand elle entend contribuer à un travail de standardisation,
normalisation, unification nationale.
Certains, les mieux avertis et les mieux armés, recherchent les formations,
le coaching, l’exercice guidé de leurs compétences et prestations orales ou encore,
comme le souligne la contribution anglaise, s’assurent que leurs enfants fréquentent
des établissements où existent des occasions de développer ce type de maîtrise de
l’oral. Serait-ce que l’oral, décidément, s’apprend et se travaille ?

L’oral qui s’apprend :


vers la définition
d’une « oratie » ?
Trois autres points sont à établir, si l’on veut s’avancer vers la définition
d’un enseignement de l’oral.
1) L’oral qui s’apprend n’est pas seulement celui prêt à dire, du last draft et
du copy ready, évoqués dans la contribution anglaise. C’est aussi celui qui
cherche et se cherche, qui explore (exploratory talk) et peine à le faire :
l’oral des reprises et des impasses, des reformulations et des hésitations,
celui qui a besoin de temps pour exprimer ce qu’il veut dire, le brouillon
d’oral qui, à l’antenne, impatiente les grands médias de communication
et que le temps de la classe ne tolère guère plus.
2) Le brouillage des frontières entre oral et écrit : le temps n’est plus où on
pouvait latiniser à peu de frais avec l’adage verba volant scripta manent. 61
L’oral s’inscrit dans les échanges que permettent les écrits des réseaux
sociaux, les chats, il s’y insinue et y importe et fait évoluer ses propres
modes de transcription, il s’ouvre à des emprunts à d’autres langues et
les mêle à loisir. La liste est longue de ces proliférations et de ces brouil-
lages, auxquels les élèves, même très jeunes, sont exposés et peuvent eux-
mêmes d’adonner.
3) La pluralité des répertoires langagiers dans les classes vient compléter
et compliquer cet ensemble de pratiques multimodales des jeunes. Dans
des contextes aussi différents que ceux de l’Italie, de la Tunisie, de l’Inde,
de la Suisse, de la Côte d’Ivoire, la présence de langues régionales, de
dialectes, de variétés endogènes de la langue majeure de scolarisation
pose des questions de norme, de contact, d’alternance, de domination,
de décalage entre l’officiellement prescrit et ce qui est pratiqué dans les
faits.
Au bout du compte, ce n’est pas un hasard si, dans les articles comme
dans cette présentation générale, on relève des variations de désignation entre
« oral », « oralité », « pratiques orales », « écouter et parler », « compréhension orale
et expression orale »… Variations et parfois hésitations renforcées quand il s’est
agi de traduire pour ce dossier des textes d’abord écrits en espagnol, en italien ou
en anglais. On a même pu s’interroger sur l’introduction d’un néologisme tel que
« oratie » qui apparaît dans le texte anglais à propos du rapport Oracy : The State of
Speaking in our Schools. De fait, il semble pertinent de proposer « oratie » en français

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car, s’ajoutant bien sûr à « littératie » et à « numératie », ce mot place l’oral à hauteur
de l’écrit et de la capacité mathématique dans l’équipement de base que l’école doit
garantir.

Une orientation pragmatique


des curriculums

Une véritable programmation


de l’oral
Là où un changement apparaît, dans certains pays, c’est d’abord dans le
fait que l’oral donne lieu à programmation dans les instructions ou recomman-
dations institutionnelles. La Suisse en fournit un exemple très clair avec le déve-
loppé des contenus et des attendus en matière d’apprentissage de l’oral, tant pour
le Lehrplan de Suisse alémanique que pour le Plan d’études romand (PER). L’oral
y est appréhendé en termes de compétences visées, elles-mêmes illustrées par des
descripteurs de savoir-faire. On retrouve là des approches de type pragmatique qui
ont été retenues et illustrées, tout particulièrement pour l’apprentissage des langues
étrangères, par les échelles de niveaux du Cadre européen commun de référence pour
les langues (CECRL), publié en 2001.
La caractérisation des attendus aux différents cycles de la scolarisation
apparaît aussi dans les articles consacrés à l’Italie ou à l’Argentine. Des descripteurs
62 de cet ordre sont par ailleurs mentionnés dans la contribution portant sur la Côte
d’Ivoire, à propos du Socle commun de référence ivoirien (SCRI). Dans ce dernier
cas, ils se trouvent pour le moins en décalage sensible avec le quotidien des échanges
dans les classes. Transfert indu et abusif de technologie éducative ou orientation réa-
liste et porteuse d’avenir dans des contextes aussi complexes ?

La montée de l’ « écouter »
La reconnaissance du parler s’est souvent faite au prix d’un oubli de
l’écouter. Ce n’est plus le cas dans les indications curriculaires que comportent les
articles des pays qui en proposent. L’écoute y figure de manière développée et dans
l’ensemble de ses dimensions. Pour n’en prendre qu’un court exemple, cet extrait
de l’article italien de Miriam Voghera, à propos de ce qui est prévu pour le premier
cycle du secondaire :
En ce qui concerne l’écoute, voici quelques-uns des objectifs principaux : a) écouter
des textes produits par d’autres, y compris transmis par les médias, en en recon-
naissant la source et en identifiant le but, le sujet, les informations principales et
le point de vue de l’émetteur ; b) écouter des textes en appliquant des techniques
qui étayent la compréhension : pendant l’écoute (prise de notes, mots-clés, courtes
phrases de synthèse, signes conventionnels) et après l’écoute (retravailler les notes,
expliciter les mots-clés, etc.).
De façon complémentaire, faciliter l’écoute, c’est aussi, pour les élèves (et
pour les enseignants), travailler sa propre voix, contrôler son élocution, son souffle,
ses gestes accompagnant la production de l’oral.
Cette capacité d’écoute s’appuie sur l’écoute de dialogues ou d’interven-
tions monologiques longues (Suisse alémanique), la variation selon les genres et
les situations (Suisse romande), l’attention portée non seulement à ce qui est dit
mais aux éléments paralinguistiques, voire aux émotions, aux visées non explicitées
(Italie). Il s’agit bien de travailler sur la pluralité des oraux, avec des possibilités de
retour réflexif sur les stratégies d’écoute qui ont été mobilisées (Suisse alémanique),
mais aussi, notamment dans la formation universitaire, de donner à analyser des
corpus de transcription d’échanges oraux (Tunisie).

Traiter la question
des (ir)régularités langagières
à l’oral
L’article sur l’université tunisienne est révélateur de tensions entre les
pratiques de l’oral, les analyses qu’on peut en faire et, d’un autre côté les dimen-
sions grammaticales, orthographiques et autres, descriptives ou normatives, en
relation aux régularités des systèmes linguistiques. Il n’y a que peu de mentions
de cette tension dans les contributions à ce dossier, mais ce n’est pas un hasard si
elles figurent, sous une forme ou une autre, à propos des contextes où il y a, dans
le système éducatif et dans les classes, contact de langues, de variétés linguistiques
d’une même langue (Tunisie, Côte d’Ivoire), de dialecte et standard (Suisse aléma-
nique, Italie).
Cet oral « débridé » n’entrant pas dans les normes habituelles de la des-
cription grammaticale ou de l’adéquation lexicale, s’il n’est pas frontalement abordé 63
comme tel, est toutefois signalé en creux sous trois aspects. D’abord, comme juste
noté, dans la mise en contraste, dans la formation de spécialistes de français, entre
les cours portant sur le système linguistique de la langue et l’observation de trans-
criptions d’échanges ordinaires entre jeunes dans une variété locale (Tunisie).
Ensuite, à travers l’importance accordée à l’apprentissage et à l’enrichissement du
vocabulaire, l’oral spontané des élèves étant réputé pauvre quant au lexique (Suisse
alémanique, Angleterre). Enfin, par une approche des régularités de l’oral au niveau
des genres discursifs, grâce à des modèles d’analyse transversaux permettant de
décrire, en utilisant les mêmes catégories, discours écrits et discours oraux (Suisse
romande).

Quel oral en classe ?


Dans l’article sur l’Angleterre, rappel est fait de la typologie de teaching
talk proposée par Robin Alexander, qui distingue cinq manières, pour l’enseignant,
de gérer dans la classe l’oral des élèves, depuis le fait de transmettre des connais-
sances en demandant aux élèves une restitution « par cœur » d’éléments clés, jusqu’à
une conduite dialogique recourant à une forme de discussion nourrie par des ques-
tionnements structurés, afin d’aider les élèves à approfondir leur compréhension
des connaissances, des principes et des processus fondamentaux. Ce dernier type
est distingué de la simple discussion qui voit l’enseignant encourager les élèves à
échanger des idées et des informations.

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Dans cette liste, Alexander ne mentionne pas comme tel le débat, mais
ce genre particulier est cité à plusieurs reprises dans le reste de l’article, de même
que dans l’article consacré à la Suisse et, plus brièvement, dans certaines des autres
contributions (Italie, voire Japon).
La contribution japonaise montre, de façon différente, comment, dans
une certaine durée historique, mais avec une accélération récente, les désignations
– disons occidentales – des activités orales (exposé, discussion, etc.) ne sauraient
convenir à caractériser les fonctions et les représentations attachées aux usages
de l’oral quand la langue ne devient que peu à peu matière scolaire et quand son
apprentissage relève plus d’une morale puis d’une forme d’affirmation nationale que
d’une visée pragmatique ou cognitive. Mais, au cours des dernières décennies, c’est
à un mouvement accéléré de référence – sinon toujours de recours – à des caractéri-
sations en quelque sorte importées qu’on a pu assister, y compris avec l’emprunt et la
japonisation du terme « communication ».

L’oral pour apprendre


Une forme de consensus se dégage de l’ensemble des articles : l’oral
s’apprend et doit s’enseigner. Ne pas le faire, c’est contribuer au maintien ou pire,
au renforcement des inégalités entre les élèves. Autre point de large convergence,
explicitée ou non : c’est aux enseignements et aux enseignants de langue de répondre
au besoin de travailler l’oral. Cela relève prioritairement de leur responsabilité ; res-
ponsabilité que les enseignants d’autres disciplines leur délèguent bien volontiers. Là
64 encore, l’enquête de 2016 auprès d’enseignants anglais établit clairement ce constat.
À revenir toutefois sur les types d’activités en classe et leur mode de dési-
gnation, certaines contributions se caractérisent aussi par le rapport à établir entre
l’oral et la construction de connaissances. Cette attention portée à un oral pour
bien ou mieux apprendre se trouve surtout dans trois lieux et sous des intitulés
pourtant bien distincts : le cinquième type de la classification d’Alexander, déjà
mentionné ; la « discussion à visée philosophique » que présente la contribution
française ; le « modèle dialogique d’enseignement » retenu pour certaines recherches
en Argentine. Dans chacune de ces approches, inscrites dans des contextes, à des
niveaux et pour des publics différents, l’oralité est pensée comme au service de l’éla-
boration et de l’appropriation « de connaissances, de principes et de processus »
(Alexander, 2020).
C’est dans une perspective explicitement socioconstructiviste qu’on se situe
alors, inspirée de Vygotski, et qui souligne la dimension épistémique de l’oralité,
comme le montre l’article sur l’Argentine. Mais se marque aussi le rôle central de
l’enseignant « dans un contexte qui favorise la construction partagée d’apprentis-
sages, avec une médiation enseignante précise, systématique et graduelle ».
Cet oral paradoxal dans l’éducation, omniprésent et inaperçu, c’est aussi
celui qui non seulement renvoie à une oralité multiforme, d’une oratie au sein d’une
littératie étendue, mais peut aussi jouer, dans cette configuration, un rôle moteur au
service, non plus de l’écrit, mais de l’ensemble des apprentissages scolaires.
L’oral à certaines conditions
S’il semble souhaitable aux communautés éducatives de renforcer la place
de l’oral dans l’éducation, un certain nombre de conditions sont souvent rappelées.
1) Une formation adaptée des enseignants est indispensable, et semble
avoir été négligée par certains pays par ailleurs volontaires pour déve-
lopper la place de l’oral, comme l’Italie : il s’agit non seulement de mieux
former les enseignants à une fonction qui est essentiellement orale, mais
aussi d’en faire de véritables pédagogues de l’oral dans ses trois dimen-
sions pour l’élève : pour favoriser aussi bien son propre développement
psychique, que son relationnel aux autres, ou le développement de ses
connaissances dans tous les domaines grâce à l’oral.
2) Un regard attentif doit être porté sur le rapport entre enseignement de
l’oral et l’équité, sujet controversé : les articles du dossier représentent
autant l’idée que l’oral peut donner des chances à des élèves qui sont peu
à l’aise avec l’écrit, que celle selon laquelle l’oral renforce les inégalités,
notamment sociales, motif pour lequel les Anglais ont retiré l’oral des
épreuves du GCSE3.
3) Il est important de ne pas renoncer à évaluer l’oral, sinon il restera
proche du statut de parent pauvre, tout en évitant les dérives possibles
de toute évaluation vers des aspects formels éloignés de la richesse de
l’oral et en prenant garde au coût, en termes de temps, d’épreuves de
production orales quand elles doivent être programmées de façon suc-
cessive. 65
4) La meilleure prise en compte de l’oral passe aussi par un autre amé-
nagement des espaces scolaires, une autre disposition des classes, avec
des effectifs moindres et des équipements adéquats et disponibles, ainsi
que des ressources, notamment en matériels enregistrés pour favoriser
l’écoute diversifiée.
Bien sûr, on observe en effet des variations significatives des chances de
mise en place d’un enseignement de qualité de l’oral selon les contextes. Peu favo-
rables sont les cas où les modèles et les attendus des curriculums sont en quelque
sorte importés comme relevant d’une technologie éducative dominante et circulante
mais totalement « hors sol », au regard des réalités de terrain.
Plus favorables sont les cas, comme la Suisse romande le montre, où il y a
conjonction apparente entre différentes dimensions d’une évolution des pratiques
touchant à l’enseignement-apprentissage de l’oral (non isolément) et, de fait, mise
en œuvre d’un processus curriculaire au plein sens de la notion de curriculum, non
réduit à un programme institutionnel. Existe notamment une coopération entre
enseignants-chercheurs-formateurs d’une Haute École pédagogique (institut de
recherche et de formation des enseignants) et des équipes universitaires de cher-
cheurs en sciences de l’éducation et du langage. Ces derniers sont eux-mêmes
impliqués, d’une part, dans la réflexion sur la didactique des discours et, d’autre
part, avec leurs collègues de la HEP, dans le suivi de démarches d’enseignement

3. General Certificate of Secondary Education, examen intervenant à la fin du secondaire inférieur.

N° 86 - Avril 2021
telles que celles des « séquences didactiques » dont l’article fait état et qui ont donné
lieu à la mise au point d’outils pédagogiques diffusables. Il ne s’agit pas d’ériger
en modèle ce dispositif mais de souligner que l’apprentissage de l’oral, dans une
perspective de rénovation des cursus d’études, suppose l’intervention, au contact
des lieux d’enseignement et des lieux de formation, de membres complémentaires
d’équipes partenaires, assurant, à titre d’expérience limitée dans un premier temps,
les différentes phases d’une innovation curriculaire. Le cas de l’Argentine est aussi
très significatif à cet égard, mais en reste plus à des expériences ponctuelles dans le
cadre de projets de recherche.

De ce parcours dans quelques contextes nationaux et dans diverses formes


de rapport à l’oral, oralité ou oratie, que conclure ? Avant tout, qu’il n’a pu porter
qu’un éclairage très partiel sur un objet qui, de la répétition psalmodiée à l’impro-
visation chahutée, de la discussion orientée à l’allocution théâtralisée, donne lieu à
déclinaisons multiples entre lesquelles, au-delà de l’évidence du rapport entre une
parole et une écoute, toute généralisation s’avère délicate. Si toutefois on s’y risque,
quelques constats et perspectives se dégagent de cette mise en regard internationale.
L’oral n’est plus passé sous silence. Il se fait entendre. On en parle et il est
reconnu comme un enjeu éducatif majeur. On s’inquiète de savoir comment parler,
comment écouter. Si on reprend une définition que, dans une société de l’infor-
66 mation, l’OCDE donne de la littératie : « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’infor-
mation écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en
vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités »,
on voit bien que l’oral coche toutes les cases et vaut qu’on risque le terme d’oratie et
qu’on en étende la portée au-delà du traitement et de l’usage de l’information.
L’oral, ça s’apprend et ça mérite un enseignement. Et donc, où qu’on soit et
avec une bonne part de variation selon les contextes, il y faut des contenus, des sup-
ports, des méthodes, des normes, des évaluations. Si l’école ne s’en charge pas, cela
se passe ailleurs, mais pas pour tous. Les inégalités demeurent ou se creusent, les
discriminations se renforcent. Enseigner la parole, c’est aussi donner les moyens de
la prendre dans l’espace public et la vie sociale.
En filigrane encore et demandant affirmation plus nette : l’oral, c’est l’affaire
de tous et de toutes les matières. Car, dans le processus éducatif comme dans des
sociétés plurielles et technologisées, l’oral se démultiplie en genres et en pratiques
diversifiés. Dès lors que l’enjeu n’est pas seulement d’apprendre à se servir de la
parole mais aussi de se servir de la parole pour apprendre, chaque discipline y trouve
son intérêt et a à y prendre ses responsabilités. C’est à cette condition aussi que l’oral,
longtemps seul vecteur majeur de transmission des connaissances et des valeurs,
peut retrouver sa pleine place dans leur construction participative, en interjeu avec
l’écrit et d’autres modes de communication.
Au bout du compte, en revenir au titre de cette présentation : « Dis-moi
quel oral, et je te dirai quelle école… »
Bibliographie
ALEXANDER R. (2020). A Dialogic Teaching Companion. London : Routledge.
BLANCHET P. (2 e éd. : 2019). Discriminations : combattre la glottophobie. Limoges :
Lambert-Lucas (1re édition : Paris 2016 : Éditions Textuel).
BLANCHET P., CLERC CONAN S. (2018). Je n’ai plus osé ouvrir la bouche… Témoignages
de glottophobie vécue et moyens de se défendre. Limoges : Lambert-Lucas.
DELHAY C. (2019). Baccalauréat 2021. Faire du grand oral un levier d’égalité des chances :
recommandations pour le grand oral du baccalauréat et l’enseignement de l’oral, de l’école
maternelle au lycée. Rapport remis à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation
nationale et de la jeunesse, le 19 juin 2019. Paris : Ministère de l’éducation nationale et de
la jeunesse, juin 2019. En ligne : https://bit.ly/314PHkd/
GAUSSEL M. (2017). Je parle, tu dis, nous écoutons : apprendre avec l’oral. Dossier de
veille de l’IFE, n° 117, avril. Lyon : ENS de Lyon. En ligne : https://bit.ly/3tFYeX2
LANGLOIS R. (2012). Les précurseurs de l’oralité scolaire en Europe : de l’oral à la parole
vivante. Mont-Saint-Aignan : Publications des universités de Rouen et du Havre.
NONNON É. (1999). « L’enseignement de l’oral et les interactions verbales en classe :
champs de référence et problématiques ». Revue française de pédagogie, no 129, p. 87-131.
En ligne : https://bit.ly/3tJAMZ6/
NONNON É. (2016). « 40 ans de discours sur l’enseignement de l’oral : la didactique face
à ses questions ». Pratiques, n° 169-170, n.p. En ligne : https://journals.openedition.org/
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WEBER C. (2013). Pour une didactique de l’oralité. Enseigner le français tel qu’il est parlé.
Paris : Didier.
67

N° 86 - Avril 2021
L’oratie dans les écoles
anglaises*
Will Millard
Centre for Education and Youth

Nous vivons à une époque de progrès technologique sans précédent.


Pourtant, l’essentiel de notre discours social et politique est dominé par des débats
qui plongent leurs racines dans la Grèce antique, et non dans la Silicon Valley. La
démocratie, la souveraineté, la moralité et la citoyenneté sont des sujets d’actualité
brûlants. De même pour l’oratie1. La façon dont les gens se parlent et, surtout, dont
ils le font de manière constructive et courtoise est l’un des défis les plus pressants qui
se posent aux sociétés modernes. Mais, de manière regrettable, l’oratie brille plus
souvent par son absence que par sa présence.
L’oratie – c’est-à-dire le fait de bien apprendre par la parole et d’apprendre à
bien parler – occupe une place fondamentale dans les écoles. Elle demeure le vecteur
prédominant de l’enseignement et de l’apprentissage.
En 2016, Voice 212, une organisation caritative basée au Royaume-Uni, a
chargé le Centre for Education and Youth (CfEY), un groupe de réflexion et d’action,
de mener des recherches sur l’état de l’oral dans les écoles britanniques. J’ai dirigé
les recherches pour le rapport State of Speaking (Millard et Menzies, 2016). Sur la 69
base d’une enquête nationale menée pour nous par YouGov (une société mondiale
de données sur l’opinion publique), nous avons interrogé plus de 900 enseignants
du Royaume-Uni sur leurs opinions et leurs expériences en matière d’oratie. En
parallèle, nous avons passé en revue la littérature existante sur l’oratie, interrogé
des experts et visité des écoles afin d’observer l’oratie en pratique. Dans cet article,
j’expose les principales conclusions de cette recherche menée en 2016, en m’ap-
puyant également sur les premières conclusions de l’enquête 2020-2021 du groupe
parlementaire multipartite sur l’oratie (Oracy APPG, 2020)3.
S’il existe un terrain propice pour l’oratie à l’école, il reste encore beaucoup
de chemin à parcourir avant qu’un oral de qualité ne devienne vraiment monnaie
courante en classe, au bénéfice d’un meilleur enseignement et d’un meilleur appren-
tissage dans les classes et de citoyens mieux à même de communiquer entre eux.

* Article traduit de l’anglais par Sylvaine Herold.


1. Oracy en anglais, terme construit par analogie avec les termes numeracy et literacy, désigne la compétence
de communication orale. Nous traduisons, imparfaitement, par « oratie », ou encore par « compétence orale »,
« oral » ou « expression orale » selon les cas (NdT).
2. De plus amples informations sur Voice 21 sont disponibles sur : https://voice21.org/
3. De plus amples informations sur le groupe parlementaire multipartite sur l’oratie sont disponibles sur :
https://www.oracyappg.org.uk/

N° 86 - Avril 2021
Qu’est-ce que l’oracy ?
Le terme « oracy » est attribué à l’universitaire Andrew Wilkinson de
l’Université de Birmingham dans les années 1960. Il considérait que la lecture et
l’écriture – souvent décrites conjointement dans les pays anglophones par le terme
« littératie » – étaient favorisées par rapport aux compétences orales d’écoute et de
parole. Il forgea alors le terme « oracy » pour donner à ces compétences orales une
plus grande visibilité.
Cependant, assimiler l’oratie à l’écoute et à la parole ne suffit pas car
des questions demeurent : qui parle, comment, où et quand ? Qu’est-ce qui se dit ?
Qu’est-ce qui différencie l’oratie de n’importe quelle conversation banale ? Les
recherches menées par le CfEY en 2016 et les travaux du groupe parlementaire
multipartite sur l’oratie révèlent quelques points communs quant au sens que les
enseignants en Angleterre donnent au terme4.

L’oratie concerne ce que font


élèves et enseignants
En Angleterre, les enseignants tendent à considérer l’oratie comme quelque
chose que les élèves développent à mesure qu’ils acquièrent des connaissances et
des compétences linguistiques, cognitives, physiques et socio-affectives spéci-
fiques rendant possible une communication verbale efficace dans toute une série de
contextes. L’oratie n’est pourtant pas une activité que les élèves pratiquent isolément,
70 leurs enseignants en sont aussi partie prenante. La manière dont ils aident les élèves
à construire leur pratique de l’oral est très importante, tout comme la façon dont
eux-mêmes, en classe, modèlent et initient la participation orale. Le professeur
Robin Alexander décrit ainsi cinq grands types d’« oral d’enseignement » (teaching
talk) (Alexander, 2008, voir encadré 1).

Encadré 1.
Les cinq types d’« oral d’enseignement » de Robin Alexander

1. Répétition « par cœur » : transmettre des connaissances en amenant les élèves à


répéter des informations clés pour transmettre des faits, des idées et des routines.
2. Récitation : avoir recours à des questions pour tester les connaissances et la
compréhension des élèves, contrôler leurs progrès et stimuler la mémorisation.
3. Instruction : dire aux élèves ce qu’ils doivent faire et expliquer les faits, principes
ou processus clés pour transmettre l’information.
4. Discussion : encourager l’échange d’idées au sein d’une classe, pour partager
l’information.
5. Dialogue : avoir recours à des questions et des discussions structurées, aider les
élèves à approfondir la compréhension des connaissances, des principes et des
processus clés.

4. L’éducation est un domaine politique décentralisé au Royaume-Uni, ce qui signifie que l’Angleterre, l’Écosse,
le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ont leurs propres systèmes éducatifs distincts. Cet article se concentre
sur le système anglais.
L’oratie peut être générique
et spécifique à une matière
Les enseignants reconnaissent que l’oratie peut être à la fois générique
et spécifique à une matière dans sa mise en pratique. Elle est générique lorsqu’elle
implique le développement et l’utilisation de compétences utiles dans l’ensemble du
curriculum et au-delà. Cette dimension de l’oratie intègre les composantes inter-
personnelles de la parole et de l’écoute, telles que le ton de la voix et le langage
corporel. En outre, une part du vocabulaire est également générique. La recherche
sur le vocabulaire menée en 2020 par le CfEY pour les presses universitaires
d’Oxford se fonde sur la classification de Beck et al. des différents « niveaux » de
vocabulaire (Menzies et al., 2020a). Le niveau 1 comprend les mots utiles dans une
grande variété de situations quotidiennes, comme « lire » et « bien » ; le niveau 2
comprend des termes nécessaires à toutes les matières, tels que « comparer » et
« analyser ».
Mais l’oratie peut aussi être spécifique à une matière. Le vocabulaire de
niveau 3 comprend des termes plus spécialisés, tels que « allegro » et « iambe »,
moins susceptibles d’apparaître hors de leur contexte spécialisé. Et cette dimension
spécifique de l’oratie va au-delà du vocabulaire. Tout enseignant sait que les cinq
types de parole définis par Alexander (voir encadré 1) se distribuent différemment
selon le domaine d’étude. Les disciplines possèdent en outre chacune leurs propres
traditions complexes et nuancées en matière d’oratie. « Parler comme un scienti-
fique » sera différent de « parler comme un musicien », et il ne s’agit pas seulement
de vocabulaire. L’oratie aide à codifier et à rendre explicites ces nuances. Parfois,
71
cependant, la croyance selon laquelle l’oratie serait l’apanage de certaines matières
scolaires centrées sur la langue, comme l’anglais ou le français, est de nature à
limiter la disposition des enseignants des autres matières à considérer l’oratie
comme étant de leur responsabilité. C’est un point sur lequel je reviendrai.

L’oratie consiste à s’engager


dans des formes diverses
de communication motivée
En Angleterre, l’oratie est parfois considérée comme une activité exclusi-
vement formelle, associée aux échanges grandiloquents dans le cadre du Parlement
ou des séances de la société de débat de l’Oxford Union. Les débats et les exposés
représentent en effet une part importante de l’oratie, mais celle-ci ne s’y résume pas.
Barnes et Todd (1976) distinguent la « version définitive » de la « version explora-
toire », « marquée par de fréquentes hésitations, des reformulations, des faux départs
et des changements de direction ». Il est important que les élèves aient la possibilité
de s’engager dans ces deux types de production orale, mais il convient de ne pas
sous-estimer le rôle que jouent les « versions exploratoires » dans l’appui à l’appren-
tissage et au développement. De façon essentielle, l’oratie implique d’apprendre à
parler et d’apprendre en parlant ; il s’agit à la fois d’un processus et d’un résultat.
En outre, les éléments rassemblés par l’enquête du groupe parlementaire
multipartite ont souligné que l’oratie consiste à écouter aussi bien qu’à parler, et

N° 86 - Avril 2021
qu’elle n’est pas liée à une prononciation ou à un dialecte spécifique. Les participants
à l’enquête ont souligné que l’enseignement de l’oratie devrait valoriser les diffé-
rents accents et registres, et pas seulement les modes d’expression « traditionnels ».
Au Royaume-Uni, des organisations soutenant les enfants et les jeunes ayant des
besoins spéciaux en matière de langage et de communication (Speech, Language and
Communication Needs, SLCN) ont également souligné l’importance de valoriser des
formes de communication autres que la langue parlée, telles que la langue des signes
britannique5 et la communication améliorée et alternative (CAA)6.

La place actuelle
des pratiques orales
dans le curriculum

Le contexte de l’oratie
en Angleterre
En 1825, Sir Edward Curtis soulignait l’importance des « 3R » (reading,
writing and arithmetic : lire, écrire et compter). Le « quatrième R », l’oratie, est
remarquablement absent de sa liste.
Le Curriculum national anglais couvre l’apprentissage tout au long de
l’enseignement primaire et secondaire pour les enfants âgés de 5 à 16 ans. En 2014,
un nouveau Curriculum national a été introduit, précisant que les élèves doivent
72
développer leur « langage oral ». Les normes pour la profession enseignante for-
mulées en 2011 par le ministère de l’éducation précisent que tous les enseignants
doivent promouvoir l’aisance verbale, et l’inspection scolaire, l’Ofsted, examine
dans quelle mesure les établissements scolaires développent les compétences de
communication des élèves.
L’oratie occupe cependant une place ambivalente dans le Curriculum
anglais, pour un certain nombre de raisons que j’explorerai ici successivement.

Un objet d’attention
dans seulement certaines
parties du système éducatif
Il arrive trop souvent que l’oratie soit considérée comme l’apanage de cer-
taines matières, de certains niveaux éducatifs ou de certains secteurs.
Le Curriculum national indique que les élèves doivent avoir la possi-
bilité de développer leur langage oral dans toutes les matières, particulièrement en
anglais. Cela peut sembler intuitif à la plupart d’entre nous car, après tout, l’étude de
la langue et de la littérature nécessite l’usage de la communication orale.

5. De plus amples informations sur la langue des signes britannique sont disponibles sur : https://www.
british-sign.co.uk/.
6. Pour plus d’informations sur la communication améliorée et alternative (CAA), voir : https://www.
communicationmatters.org.uk/overview/.
C’est ce qui ressort de l’enquête 2016 du CfEY. Les enseignants d’anglais, de
langues et de théâtre se sentent davantage responsables du développement de l’oratie
chez leurs élèves. Cette hiérarchisation semble également affecter la pédagogie, ces
enseignants signalant une plus grande tendance à intégrer l’oratie dans leurs cours.
Les enseignants des autres matières, comme les sciences et les mathématiques, ont
moins tendance à considérer l’oratie comme de leur responsabilité, estimant qu’elle
relève de celle d’autres enseignants (notamment d’anglais).
De même, nous avons observé des différences dans la façon dont les ensei-
gnants des différents niveaux considèrent l’oratie. Les enseignants du primaire sont
beaucoup plus nombreux à faire état de pratiques de guidage et d’appui à l’oratie
dans l’ensemble ou la plupart de leurs cours que leurs collègues enseignant dans le
secondaire et l’enseignement secondaire supérieur (après 16 ans). Les enseignants
de la petite enfance (préscolaire) et du primaire sont plus nombreux à considérer le
développement de l’oratie dans leurs cours comme « très important ». Cela reflète
sans doute, en partie, la place accordée à l’oratie dans les documents stratégiques
nationaux, « la communication et le langage » constituant l’un des trois principaux
domaines de développement du cadre réglementaire sur la petite enfance (Early
Years Framework), qui concerne les enfants de 0 à 5 ans. Mais cela reflète également
la réalité quotidienne : sans un niveau de communication orale adéquat, les plus
jeunes élèves ne peuvent accéder aux autres possibilités d’apprentissage qui leur sont
offertes7.
Par ailleurs, les enseignants des écoles indépendantes (privées) ont ten-
dance à accorder plus d’importance à l’oratie que leurs homologues du secteur
73
public. Cela est notamment visible dans le fait que ces écoles sont plus nombreuses
que celles du secteur public à proposer des clubs de débat et à recourir aux ser-
vices d’organisations spécialisées, telles que l’English Speaking Union8 et la London
Academy of Music and Dramatic Art (LAMDA)9. Une explication probable est que
ces écoles sont tenues de mettre l’accent sur l’oratie en raison de la pression des
parents, conscients de l’importance déterminante que la facilité à l’oral aura pour
l’avenir de leurs enfants. Une autre explication possible est que les enseignants des
écoles indépendantes sont plus enclins à considérer l’oratie comme ayant un rôle
majeur dans la construction des connaissances disciplinaires. Sans compétence
orale – faite à la fois de connaissances (telles que le vocabulaire) et de compétences
(telles que la capacité à présenter des idées de manière convaincante) –, il sera dif-
ficile aux élèves d’exceller sur le plan scolaire.

L’évaluation de l’oratie
Les réformes des tests et des examens menées en Angleterre depuis
2010 ont eu tendance à négliger l’oral comme outil d’évaluation. Parallèlement à
l’abandon plus général des devoirs écrits et oraux au profit d’examens finaux sur
table, la réforme de l’évaluation a visé spécifiquement l’expression et la compré-
hension orales. En 2015, le régulateur des examens et des qualifications anglais,

7. Nous avons également constaté que cela était vrai pour les enseignants des écoles spéciales, qui travaillent
avec des élèves ayant des besoins éducatifs spéciaux et des handicaps.
8. Pour de plus amples informations sur l’English Speaking Union, voir sur : https://www.esu.org/
9. Pour plus d’informations sur la LAMDA, voir : https://www.lamda.ac.uk/

N° 86 - Avril 2021
l’Ofqual10, a décidé de supprimer la prise en compte des notes d’expression et de
compréhension orales des élèves dans leurs notes finales au certificat général de fin
d’études secondaires en anglais (GCSE English).
La raison avancée pour cette décision était l’équité. L’expression et la
compréhension orales étaient jusqu’alors évaluées par les enseignants et l’Ofqual a
considéré que les établissements n’avaient pas mis en œuvre des pratiques d’éva-
luation systématiques. Cette situation a probablement été exacerbée par un système
de reddition de comptes mettant l’accent sur les résultats des établissements et
exerçant une pression sur les enseignants afin qu’ils gonflent (sciemment ou non)
les notes de leurs élèves (Ofqual, 2013). Bien que l’Ofqual ait assuré que l’expression
et la compréhension orales demeuraient des « compétences extrêmement impor-
tantes, qui devraient continuer à être enseignées », de nombreux enseignants ont
considéré cette décision comme un revers pour la reconnaissance et la crédibilité
de l’oratie. Désormais, la composante orale du nouvel examen GCSE en anglais doit
être évaluée, mais ne contribue pas aux notes finales des élèves.
Bien que l’oratie ait été reléguée au second plan dans les examens formels
et sommatifs du système éducatif anglais, elle demeure un pilier de l’évaluation
formative continue. Comme le montre l’enquête de 2016, les enseignants s’appuient
énormément sur le questionnement verbal pour évaluer de manière formative
l’apprentissage des élèves. Nombreux sont ceux qui demandent aux élèves de faire
des présentations orales pour évaluer de manière sommative leurs progrès. Mais les
éléments rassemblés par l’enquête du groupe parlementaire multipartite sur l’oratie
montrent que les enseignants se sentent toujours obligés de donner la priorité aux
74
évaluations écrites. Cela vient du fait qu’ils ont le sentiment de devoir « prouver »
les résultats de leurs élèves et de la crainte de n’avoir « rien à montrer » pour les
évaluations orales. Si ce sentiment est présent chez les enseignants de tous les
groupes d’âge, ceux dont les élèves approchent des points d’évaluation obligatoires
le ressentent de manière particulièrement aiguë.

La formation des enseignants


Plusieurs documents stratégiques du ministère de l’éducation (le cadre sur
les contenus fondamentaux de la formation initiale des enseignants, le cadre sur la
petite enfance et les normes pour les enseignants) font référence à l’importance du
langage oral des enseignants et à leur capacité d’appui au développement du langage
oral des élèves.
Pourtant, l’accès des enseignants à la formation à l’oratie est, au mieux,
inégal et de nombreux enseignants ne reçoivent pas de formation explicite en matière
d’oratie, que ce soit pendant leur formation initiale ou en cours de carrière. Notre
étude de 2016 a révélé que plus de la moitié des enseignants interrogés n’avaient
reçu aucune formation en matière d’oratie depuis trois ans et qu’ils ne sauraient pas
où chercher des informations supplémentaires s’ils le souhaitaient. Peut-être nous
faut-il croire que la capacité des enseignants à utiliser efficacement une pédagogie de
l’oral se développera « naturellement ».

10. Office of Qualifications and Examinations Regulation.


Les enseignants admissibles ne bénéficient d’aucune garantie de formation
de base en matière d’oratie, en raison du caractère fragmenté du système de for-
mation en Angleterre. Il existe cependant une multitude de formations et de dis-
positifs de soutien en matière d’oratie auprès d’organisations indépendantes et non
gouvernementales, y compris des organisations caritatives. Ainsi, parallèlement aux
cours de formation organisés pour les enseignants, l’Université de Cambridge et
Voice 21 ont développé le cadre sur les compétences orales (Oracy Skills Framework),
afin d’aider les enseignants à évaluer et à suivre le développement des élèves en
termes d’oratie. Ce cadre couvre les compétences physiques, linguistiques, cogni-
tives, sociales et émotionnelles des élèves11. Les demandes de formation et de soutien
dans ce domaine ne cessent de croître.

Réalités et problèmes
de la pratique orale
en salle de classe
Lorsqu’on leur demande pourquoi l’oratie compte, les enseignants sou-
lignent son importance pour le développement linguistique, social et émotionnel
des jeunes. Les enseignants établissent également un lien entre la compétence orale
et l’amélioration des connaissances disciplinaires des élèves ainsi que leur déve-
loppement en tant que citoyens. Dans notre étude de 2016, les enseignants étaient
moins nombreux à établir un lien entre l’oratie et les perspectives professionnelles
des jeunes, mais les résultats de l’enquête du groupe parlementaire multipartite sur 75
l’oratie ainsi que de nombreuses enquêtes auprès des employeurs soulignent la perti-
nence de l’oratie en tant que compétence professionnelle. Les enseignants considèrent
également l’oratie comme un facteur favorisant l’égalité, particulièrement bénéfique
pour les élèves issus de milieux défavorisés, ayant des résultats scolaires inférieurs
ou ayant des besoins éducatifs spéciaux ou des handicaps. Les recherches montrent
qu’en moyenne, ces groupes entrent à l’école avec un niveau de développement du
langage oral plus faible et que les écarts linguistiques entre les élèves les plus et les
moins favorisés continuent de se creuser au fil de la scolarité (Menzies et al., 2020a).
Il n’est donc pas surprenant que les enseignants accordent en classe
une grande importance à l’oratie. Selon notre enquête, plus des deux tiers (68 %)
déclarent qu’il leur paraît « très important » d’aider leurs élèves à développer leurs
compétences orales. Dans l’ensemble, les enseignants accordent plus d’importance
à l’oratie qu’à la numératie. Cependant, comme je l’ai mentionné, si les enseignants
reconnaissent intuitivement l’importance de l’oratie, leur engagement dans ce
domaine est influencé et parfois réduit par d’autres facteurs.
Selon notre enquête, les techniques les plus courantes pour soutenir l’oratie
consistent à : modeler, créer des attentes, initier des travaux en binôme et en groupe
et fournir aux élèves un retour verbal sur leur production orale. Plus de 50 % des

11. Ce cadre peut être consulté ici : https://bit.ly/3c9oLVv/. Le cadre sur les compétences orales (Oracy Skills
Framework) a été testé au cours d’évaluations financées par l’Education Endowment Foundation, basée au
Royaume-Uni, et s’est révélé efficace pour aider les écoles à améliorer le statut et l’impact de l’oralité. De
plus amples informations sur ces expériences sont disponibles à l’adresse suivante : https://bit.ly/3v5sUmc/

N° 86 - Avril 2021
enseignants ayant répondu à notre enquête ont déclaré utiliser ces techniques dans
plus de la moitié de leurs cours. D’autres techniques, moins utilisées, comprennent
l’évaluation de l’oratie en tant que compétence distincte, l’organisation de débats, les
présentations orales et les activités théâtrales.
Si les enseignants des écoles primaires et privées étaient particulièrement
portés à déclarer planifier le travail de l’oratie dans les activités de leurs classes, les
enseignants de l’ensemble du cursus intègrent systématiquement l’oratie dans leurs
pratiques. Ainsi, l’une des études de cas du rapport The State of Speaking met en
lumière l’approche adoptée par l’école primaire d’Eastwood, où les enseignants ont
indiqué filmer les activités de cours et diffuser les vidéos aux élèves, qui analysent
ensuite leur langage et leurs interactions. Cela permet aux élèves d’améliorer leur
compréhension des contenus, tout en développant leurs interactions sociales.
Cependant, outre la croyance erronée selon laquelle l’oratie serait l’apanage
de certaines matières plus que d’autres, une autre opinion répandue mais inexacte
est que l’oratie « s’attrape » plus qu’elle ne s’enseigne. En d’autres termes, les enfants
apprendront de toute manière à parler quoi qu’il se passe à l’école et l’énergie des
enseignants est donc mieux investie ailleurs. S’il est bien sûr vrai que la plupart des
interactions verbales des enfants et des jeunes auront lieu en dehors de l’école, les
recherches montrent que l’attention portée au langage et à l’oratie peut être extrê-
mement bénéfique en termes de développement scolaire, social et émotionnel des
enfants (Education Endowment Foundation, 2020). Cela est particulièrement vrai
pour les enfants ayant moins accès à une langue riche et variée, un thème que les
recherches du CfEY sur le vocabulaire explorent en profondeur (Menzies et al.,
76
2020a). En réalité, le langage oral « s’attrape » et s’enseigne tout autant, et les ensei-
gnants ont un rôle essentiel à jouer à cet égard.
Un autre obstacle potentiel à l’oratie est la croyance des enseignants selon
laquelle les activités verbales mettent en difficulté les élèves timides ou stressés. Or
cela peut aussi aboutir à pénaliser encore davantage ces élèves, alors qu’ils pour-
raient bénéficier d’un encouragement et d’un soutien pour s’impliquer davantage
dans les discussions en classe.
Pour de nombreux enseignants, « oratie » est par ailleurs synonyme de
travail en groupe, de « bruit » et de « désordre ». Si cela peut être vrai, la pédagogie
de l’oral est plus ou moins interactive selon les objectifs de l’enseignant, comme
en atteste la typologie d’Alexander (voir encadré 1). En outre, certains enseignants
craignent que les activités interactives et le comportement de leurs élèves ne dégé-
nèrent. Certaines activités basées sur l’oral nécessitent certes, par leur nature même,
un relatif abandon du contrôle par l’enseignant mais, comme l’ont montré les par-
ticipants à nos recherches, ces tâches peuvent s’avérer extrêmement efficaces si les
élèves y sont préparés12.
Hormis un engagement relativement minimal dans le Curriculum national,
il n’existe pas non plus de norme nationale ou de programmes en faveur de l’oratie
en Angleterre. Cela signifie que les interactions des élèves avec l’oratie pendant les
cours dépendent largement de leurs enseignants.

12. Alice Stott et Amy Gaunt décrivent en détail la façon dont les enseignants peuvent renforcer leur pratique de
l’oratie et la confiance des élèves dans leur livre The Oracy Imperative (2019), publié par Rowman & Littlefield.
L’engagement
des établissements
De nombreux établissements apportent leur soutien à des occasions
d’expression orale régulières ; les activités les plus courantes comprennent les pré-
sentations en public par des élèves et la participation à des clubs de débat. Si ces
opportunités doivent être saluées, nos recherches indiquent que certains établisse-
ments – à savoir les écoles sélectives et les écoles indépendantes – sont plus suscep-
tibles que les écoles non sélectives et les écoles publiques d’offrir de telles possibilités.
De plus, nous avons rencontré des enseignants qui s’inquiètent que certains élèves
soient plus que d’autres en position de tirer avantage de ces possibilités. Ils peuvent
être issus de familles accordant une plus grande importance sociale et culturelle à la
prise de parole en public. Par conséquent, les élèves qui pourraient en profiter le plus
risquent de rester à l’écart.
Autre difficulté : ces activités ponctuelles consacrent la langue de la
« version finale ». Les élèves doivent aussi bénéficier d’occasions régulières de tra-
vailler des versions préliminaires, exploratoires.
Les tentatives des responsables politiques de promouvoir l’usage de dif-
férents types d’oral dans les classes n’ont donné jusqu’à présent que des résultats
mitigés. Des stratégies nationales ont été introduites dans les écoles primaires à la fin
des années 1990 qui visaient à relever le niveau en littératie et numératie en encoura-
geant le dialogue de classe (voir encadré 1). Mais, en dépit des sommes investies par
le gouvernement dans la formation et les ressources, les recherches ont montré que
les activités de discussion avaient tendance à ressembler aux styles d’enseignement
77
traditionnels sous forme de questions/réponses plutôt qu’à un véritable dialogue
(Smith et al., 2004). Demander aux enseignants d’être plus interactifs dans leur
enseignement n’aboutit pas à coup sûr à des cours véritablement plus interactifs.
De nombreuses écoles sont néanmoins parvenues à développer des
approches efficaces de l’oratie à l’échelle de l’établissement. Par exemple, à l’école
primaire Green Lane de Bradford, tous les enseignants utilisent la langue des signes
Makaton comme outil pour développer le langage oral de tous les élèves13. L’école
forme ses enseignants et son personnel de soutien, afin que tous puissent commu-
niquer en utilisant la langue des signes. Les élèves apprennent la langue des signes
Makaton dès leur entrée dans les premières années et quel que soit leur niveau de
développement linguistique lorsqu’ils commencent l’école. Les élèves et les ensei-
gnants continuent d’utiliser la langue des signes en plus de la langue parlée, en éli-
minant progressivement la langue des signes au fur et à mesure que la langue parlée
des élèves se développe. L’école estime que cela permet à tous les élèves d’accéder à
des activités d’apprentissage sans avoir à éprouver de crainte et de frustration d’être
mal compris.

13. Pour plus d’informations sur la langue des signes Makaton, voir : https://www.makaton.org/

N° 86 - Avril 2021
Enseigner l’oratie
de façon virtuelle
Comme pour presque tous les autres aspects de nos vies, la Covid a pro-
fondément bouleversé l’éducation. En Angleterre, fermer des établissements signifie
que les élèves passent la majeure partie de l’année 2020-2021 à alterner entre classe
physique et classe virtuelle. L’enseignement à distance pose toutes sortes de défis aux
enseignants et à l’oratie. Entre l’organisation des cours virtuels et le simple fait de
parvenir à ce que les élèves se connectent, il est compréhensible que l’oratie recule
dans l’ordre des priorités.
Enseigner à distance présente en outre des difficultés spécifiques en termes
d’oratie. Il devient plus difficile pour les enseignants d’engager un dialogue spontané
avec les élèves sur le contenu des cours. Les élèves, quant à eux, ne peuvent pas
s’engager dans des discussions entre pairs ou en classe entière aussi facilement qu’ils
le feraient dans une salle de classe.
En Angleterre, les examens publics ont été annulés pour les élèves de 16 et
18 ans et une évaluation fondée sur l’interaction verbale jouera un rôle crucial dans
l’attribution des résultats des élèves par les enseignants. Lorsque notre système sco-
laire se remettra en marche après cette période d’incertitude et de bouleversements,
nous aurons peut-être l’occasion de réfléchir à la pertinence de nos systèmes d’éva-
luation et de reddition de comptes.

78
Lorsque nous reviendrons à une forme de normalité relative et que l’école
ouvrira à nouveau ses portes, les enseignants s’attacheront, à juste titre, à aider les
élèves à rattraper leur retard et à apporter le soutien émotionnel nécessaire à ceux
qui en ont besoin. Dans ce processus, l’oratie demeurera tout aussi pertinente et
importante que jamais. Les enseignants doivent recevoir le soutien nécessaire pour
s’assurer que leurs interactions verbales – qu’elles soient virtuelles ou en présentiel –
sont adaptées aux tâches d’apprentissage.
Il y a toutes les raisons d’être optimiste quant à l’avenir de l’oratie. Les
enseignants et les responsables politiques reconnaissent de façon presque unanime
son importance, et elle fait l’objet d’un intérêt et d’un engagement croissants de la
part des enseignants et des chefs d’établissement. Ceux qui le souhaitent peuvent en
outre bénéficier du soutien d’organisations spécialisées.
Les éléments rassemblés par le groupe parlementaire multipartite sur
l’oratie indiquent que nous enfonçons une porte ouverte. Comme le dit la députée
Emma Hardy, présidente de ce groupe : « Notre travail consiste désormais à regarder
vers l’avenir et à profiter de cet élan. »
Bibliographie
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SMITH F., HARDMAN F., WALL K. et MROZ M. (2004). « Interactive Whole Class
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N° 86 - Avril 2021
La place de l’oral dans
l’éducation argentine,
entre matrices
enracinées et défis
à relever*
Constanza Padilla
CONICET/Université nationale
de Tucumán, Argentine

Aborder la place qu’occupe l’oralité et la variété de ses dimensions dans


l’éducation argentine suppose d’importantes tentatives de généralisation, difficiles
à synthétiser en raison de la fragmentation et de l’hétérogénéité qui caractérisent
le système éducatif argentin, constitué, rappelons-le, d’un ministère de l’éducation
nationale et de 24 provinces qui doivent établir des accords avec celui-ci dans le
cadre du Conseil fédéral d’éducation.
Nous commencerons ainsi par un propos succinct sur la contextualisation
historique des politiques éducatives, qui nous permettra ensuite de nous focaliser
plus précisément sur l’espace que l’on attribue à l’oral dans les contenus curricu-
laires et dans les pratiques d’enseignement-apprentissage ; celles-ci sont liées à ce 81
que nous définirions comme des matrices bien enracinées ou des pratiques tradi-
tionnelles persistantes, opposées à des défis à relever ou à des pratiques innovatrices
qui n’ont pas encore réussi à se généraliser au quotidien dans les classes argentines.
Au cours des quatre dernières décennies, depuis le retour de la démo-
cratie en 1983 après quelque dix années de dictature militaire – qui se caractérisait
notamment par un fort contrôle exercé sur les discours oraux et écrits –, d’impor-
tants changements ont eu lieu dans les politiques éducatives, dont l’influence a été
variable dans les différents niveaux d’exécution.
Un premier temps fort de l’ouverture démocratique a consisté à élargir
l’accès à l’éducation pour les différents niveaux éducatifs, ce qui s’est traduit par
la fin des restrictions d’accès au secondaire et à l’enseignement supérieur. De la
même manière, on a cherché à rendre leur « propre voix » aux différents acteurs du
système, en modifiant « les relations intersubjectives à l’intérieur des institutions
pour installer des subjectivités démocratiques » (Tiramonti, 2018).
Un second moment décisif fut la réforme fédérale de l’éducation de 1993,
qui a modifié les politiques éducatives dans deux directions, provoquant diffé-
rentes tensions et des manques d’articulation qui perdurent à ce jour entre les dif-
férents niveaux d’exécution du programme, depuis les politiques conçues par l’État
jusqu’aux pratiques dans les salles de classe. Le premier changement a consisté en
une décentralisation administrative et curriculaire du système éducatif qui a permis
aux provinces de gagner un rôle de premier plan, avec le risque, toutefois, d’une

* Article traduit de l’espagnol par Philippe Rabaté.

N° 86 - Avril 2021
fragmentation du système dans son ensemble. Parallèlement, une seconde inflexion
de cette réforme s’est attachée à contenir cette possible dispersion curriculaire à
travers les Contenus basiques communs (CBC) pour tous les niveaux de scolarité
et pour toutes les aires disciplinaires, élaborés à partir de consensus fédéraux entre
spécialistes et équipes techniques de l’ensemble du pays.
En ce sens, on a cherché à articuler au niveau national la progression gra-
duelle de ces CBC depuis le niveau initial jusqu’à la fin des études secondaires, en
instaurant des relations interdisciplinaires entre les différentes matières scolaires,
avec une forte insistance sur la formation en compétences. Cependant, les modifica-
tions dans la structure académique de ce système (qui ont instauré la transition d’un
niveau primaire obligatoire de 7 ans à une « éducation générale de base » (EGB) obli-
gatoire de 9 ans, et d’un niveau secondaire de 5 ans à une « éducation polymodale »
de 3 ans) ont suscité des résistances dans les provinces, dues aux importants change-
ments académiques, administratifs et d’infrastructures qu’elles impliquaient, raison
pour laquelle certaines provinces n’ont pas suivi ces nouvelles normes. Cela a eu
pour conséquence la coexistence de deux structures académiques distinctes dans le
pays, selon l’application ou non du cadre des CBC.
Un troisième temps fort a été la nouvelle loi d’éducation nationale de 2006,
qui a remplacé celle de 1993. Elle a établi le caractère obligatoire de toute l’éducation
secondaire et marqué l’abandon de la structure académique imposée auparavant
(EGB et éducation polymodale). En même temps, différents programmes alter-
natifs ont été instaurés afin de réincorporer des élèves de secteurs vulnérables de la
population expulsés de ce niveau éducatif, et de garantir les processus d’inclusion
82
socio-éducative. En ce qui concerne les contenus curriculaires, les CBC ont été rem-
placés par des « noyaux d’apprentissage prioritaires » (NAP) pour tous les niveaux
de cette nouvelle scolarité obligatoire, élaborés sur huit années (2004-2012) et qui
reposent sur des accords fédéraux de plus grande envergure issus de nombreuses
journées de discussion sur les divers matériels curriculaires impliqués. Ces NAP, au
niveau primaire, ont été accompagnés par ce que l’on a appelé les « cahiers pour une
classe », avec l’objectif de les articuler avec quelques propositions d’enseignement
susceptibles de les travailler didactiquement, en prenant notamment en compte
leurs conditions de réalisation dans des contextes scolaires spécifiques. De manière
simultanée, différents programmes de formation pour les enseignants ont été déve-
loppés, parmi lesquels se dégagent ceux mis en place à partir d’accords fédéraux qui
permettent l’articulation entre universités nationales et juridictions provinciales1.
Au cours des quatre années (2016-2020) qui ont précédé la pandémie de
la Covid-19, le changement de majorité politique dans le gouvernement national et
dans différentes provinces a provoqué de fortes tensions dans certains domaines
curriculaires, en particulier en ce qui concerne l’alphabétisation initiale ; ces der-
nières sont dues à une remise en cause des avancées obtenues dans les pratiques
d’enseignement et d’apprentissage de certaines juridictions, qui s’appuyaient sur des
perspectives socio-constructivistes. De cette manière, on a modifié quelques trames
curriculaires provinciales en maintenant des apports liés à ces approches tout en en

1. Un cas emblématique a été la Spécialisation enseignante de niveau supérieur – Alphabétisation dans l’unité
pédagogique (2013-2018), développée en coordination avec onze universités nationales, le ministère d’éduca-
tion de la nation et les provinces. Voir : http://universidadesup.fahce.unlp.edu.ar/
incorporant d’autres, dans une recherche « éclectique » où figurent convergences
et incompatibilités théoriques. Pour ce qui est des autres niveaux de scolarité, on a
maintenu les NAP et cherché à incorporer, dans des actions de formation pour les
enseignants, les apports du Programme universel pour l’apprentissage (DUA), qui
propose des matériaux didactiques multimodaux flexibles, disponibles sur internet,
afin de répondre à la diversité des publics en classe et de garantir les pratiques
d’inclusion.

L’oral dans les


transformations
curriculaires de l’éducation
argentine
La brève contextualisation que nous venons de présenter nous permet de
remarquer que les processus de transformation curriculaire en Argentine ont été
traversés, à partir des années 1980, par des moments de discontinuités, de conflits et
de fragmentations qui n’ont pas manqué d’affecter la réalité quotidienne des classes.
Les changements politiques ont eu une incidence significative sur la continuité, la
progression et la cohérence des politiques éducatives, tout particulièrement en ce
qui concerne les actions de formation pédagogique. Cela a produit un désarroi dans
les pratiques enseignantes, aussi bien en ce qui concernait les contenus à dispenser
que pour les transpositions didactiques les plus appropriées afin que les élèves par-
viennent à s’approprier les savoirs attendus d’eux.
83
Malgré cela, les modifications curriculaires ont permis une actualisation
des contenus dans les différents champs du savoir, conformément aux avancées
théoriques et épistémologiques de chaque discipline. Dans le cas du champ de la
« langue2 », l’influence des développements des différentes sciences du langage est
évidente dans les CBC de la réforme éducative de 1993, qui donnaient la priorité à
une éducation linguistique permettant le développement d’une compétence sur le
plan de la communication, qui viserait à « mettre sur un pied d’égalité » la commu-
nication orale et écrite. L’organisation de ces contenus en blocs (langue orale ; langue
écrite ; réflexion autour des faits de langage, discours littéraire ; langues étrangères ;
attitudes et procédés liés à la compréhension et à la production de textes oraux et
écrits) met en évidence l’objectif d’attribuer à l’oralité une place qu’elle n’avait jamais
eue jusqu’alors dans le curriculum traditionnel. On consacre même un item spéci-
fique à la considération des procédés relatifs à l’interaction communicative, où l’on
inclut plusieurs apports des études interrelationnelles (prise de tours de parole, jeux
de rôles, propos tenus, attitudes, modalités, structures dialogiques). En outre, la
nécessaire interaction entre oralité, lecture et écriture est explicitée :
La lecture enrichit l’expression orale et l’écriture, et rend possible également la
réflexion sur les productions linguistiques, ce qui, à son tour, nourrit de nouvelles
lectures et productions orales comme écrites (CBC de langue pour EGB3).

2. Nous concentrons notre analyse sur la langue espagnole. Le cas des langues étrangères exige d’être abordé
de manière spécifique, ce qui dépasserait les limites du présent travail.
3. Voir : https://bit.ly/3wcvJ5y/

N° 86 - Avril 2021
Ce qui en revanche apparaît comme à peine ébauché est le lien de ces CBC
de « langue » avec les autres domaines curriculaires, dont certains incluent des
aspects portant sur la compréhension et la production de textes disciplinaires (oraux
et écrits). Par exemple, dans les CBC de sciences naturelles, sont inclus des contenus
liés aux processus de recherche scientifique (formulation de questions et d’hypo-
thèses ; récolte, organisation et interprétation de l’information ; communication
orale et écrite), en insistant sur le fait que les processus d’interaction sont inhérents
aux modes de production scientifique (CBC de sciences naturelles pour EGB4).
Dans cette proposition curriculaire des années 1990, la dimension épisté-
mique des pratiques discursives, aussi bien orales qu’écrites, n’apparaît pas encore
clairement ; en d’autres termes, le lien inévitable entre celles-ci et les processus
d’apprentissage n’est pas mis en évidence. En revanche, dans les NAP (2004-2012)
qui remplacent les CBC, nous pouvons identifier plusieurs nuances au sujet de ce
lien potentiel, ainsi qu’un plus grand effort afin de montrer les interactions plus spé-
cifiques entre oralité, lecture et écriture dans plusieurs pratiques possibles d’ensei-
gnement.
Comme nous avons pu le signaler, les NAP du primaire s’accompagnent
de propositions didactiques, et l’explication de chacun des quatre axes sélectionnés
pour la langue (compréhension et production orale ; lecture ; écriture ; réflexion sur
la langue – systèmes, norme et usage – et les textes) s’organise dans des items qui
incluent les savoirs en jeu, les propositions et les considérations sur l’évaluation.
En ce qui concerne l’oral, on insiste sur sa conceptualisation comme
dialogue authentique :
84
À quoi pensons-nous lorsque nous parlons de véritables dialogues ? […] Il est clair
que les histoires que racontent les enfants […], les questions qu’ils formulent ne
sont pas seulement autorisées, mais aussi bienvenues. Cela signifie que, dans la
salle de classe, des échanges se produisent dans lesquels les élèves ont des expé-
riences sociales différentes entre eux et différentes de celles du maître (dans les dia-
logues, les participants ignorent ce que leur interlocuteur va leur dire). Cela signifie
également qu’il doit être possible de pouvoir s’exprimer quand on le souhaite, mais
sans que l’impatience à participer ne nuise à l’écoute de l’autre. Cela signifie enfin
que l’on doit être disposé à changer d’avis par rapport à ce que l’on pensait au
début de la conversation, sans que la prédominance d’une voix ou du « lieu qu’elle
occupe » n’oblige personne à dire une chose qu’il ne pense pas (NAP Premier cycle,
Langue 2 5).
Comme nous pouvons l’observer, ces lignes posent quelques questions fon-
damentales inhérentes aux dialogues didactiques dans une perspective convergente
avec les modèles dialogiques d’enseignement (Wells, 2006) : le droit d’exprimer ses
propres idées ; le devoir d’écouter ses camarades ainsi que les enseignants ; les stra-
tégies de compensation des asymétries de rôles ; la rencontre authentique entre des
savoirs et des expériences différentes ; la potentialité liée à une attitude épistémique
que permet le dialogue.
De cette manière, on remarque déjà dans ces conceptualisations les
relations possibles qui se tissent entre des dialogues authentiques et les processus

4. Ibid.
5. https://bit.ly/3sD0oXd/
d’enseignement-apprentissage, même s’ils demeurent encore limités à l’interaction
entre les différents axes du domaine du langage. En tout état de cause, se trouve ici
esquissée la manière de comprendre les relations possibles entre les pratiques orales
et écrites, et les autres domaines curriculaires.
Quel est le lieu de la parole et du dialogue dans l’enseignement/l’apprentissage ?
Comment organiser des séquences de travail qui puissent articuler des apprentis-
sages des différents axes du domaine étudié ? […] Comment contribuent tous les
champs de la connaissance dans le développement du langage oral et écrit ? Quand
nous nous référons au lieu du dialogue dans l’enseignement et dans l’apprentissage
pour le domaine de la langue, nous voulons indiquer que toutes les propositions
au sujet de cette matière ne conçoivent l’apprentissage que dans le cadre de riches
interactions orales […], des dialogues authentiques dans lesquels tous – enfants et
maîtres – ont une voix propre, quelque chose à dire, pour partager, pour se mettre
d’accord, pour émettre un avis (NAP Premier cycle, Langue 2 6).
Comme nous pouvons le remarquer, le rôle fondamental des pratiques
discursives orales et écrites n’est pas posé dans les différentes matières scolaires,
mais seulement la contribution de « tous les champs de la connaissance au dévelop-
pement du langage oral et écrit ».
En revanche, sur la période 2016-2020, bien que les NAP continuent à être
appliqués, ils ont été enrichis de différentes manières par des apports théoriques
qui tentent d’établir le caractère central de l’oralité dans les salles de classe, oralité
conçue comme une interaction didactique qui peut promouvoir la construction de
connaissances dans les différents champs disciplinaires. On cherche par là même
à promouvoir chez les enseignants7 la réflexion sur la place de l’oral dans leurs pra- 85
tiques, avec l’objectif de mesurer son importance et d’inclure diverses situations
orales dans leurs planifications pour favoriser la construction de savoirs.
Comme nous avons pu le voir, les modifications curriculaires au cours des
quatre dernières décennies ont permis quelques avancées significatives aussi bien
dans les conceptions qui tournent autour de l’oralité et de ses différentes dimen-
sions, qu’en ce qui concerne le lieu que celle-ci devrait occuper dans les pratiques
d’enseignement et d’apprentissage des divers champs disciplinaires.
Or, comme nous avons pu le signaler, les nombreux problèmes d’arti-
culation entre les différents niveaux du système éducatif ont provoqué des frag-
mentations fréquentes qui ont porté atteinte, et continuent de porter atteinte, à
la continuité et à l’avancée cohérente des politiques éducatives. Cela se reflète de
manière évidente dans la distance entre ces différentes avancées obtenues avec
succès et ce qui se passe en réalité chaque jour dans les classes. En ce sens, on peut
dire qu’à tous les niveaux de scolarité et dans les différentes matières coexistent des
modes d’enseignement très divergents, qui traduisent l’influence de plusieurs tradi-
tions pédagogiques et disciplinaires.
Une distinction théorique contribue à rendre visible la tension qui se
produit à l’intérieur des pratiques d’enseignement en lien avec la place qu’occupent
les pratiques discursives orales et écrites ; elle réside dans l’opposition, encore

6. Voir : https://bit.ly/3sD0oXd/
7. Il s’agit de propositions de développement de compétences dans le cadre du Programme national de forma-
tion des enseignants en situation.

N° 86 - Avril 2021
actuelle, entre deux styles pédagogiques qui constituent deux pôles d’un continuum :
les modèles monologiques opposés aux modèles dialogiques (Wells, 2006), consi-
dérés plus haut.
En ce qui concerne les modèles monologiques, les enseignants donnent la
priorité quasi exclusivement à l’exposé des contenus des différentes matières, sans
permettre toutefois la participation des élèves ou bien en promouvant une partici-
pation « fictive » au moyen de questions qui fonctionnent comme un contrôle éva-
luateur, mais qui n’invitent pas les élèves à réfléchir afin de proposer de possibles
transformations cognitives. Il s’agit en grande part de connaissances « encyclopé-
diques » qui ne sont pas soumises à un examen critique, et que les élèves doivent
reproduire le plus fidèlement possible.
Pour les modèles dialogiques, sont promus en revanche des échanges
authentiques entre enseignants et élèves, et également entre pairs par le biais d’une
interaction dynamique entre oralité, lecture et écriture, qui implique aussi bien
l’existence des dialogues authentiques déjà abordés, que différentes façons de parler
pour lire et écrire, et de lire et écrire pour parler ; en d’autres termes, d’échanger
sur ce qu’on lit et écrit à partir de la confrontation entre différentes sources écrites
ou matières multimodales, et/ou entre ces différentes sources ou matériels et les
données de la réalité.
En ce sens, nous pourrions poser que les modèles monologiques, carac-
téristiques des pratiques traditionnelles d’enseignement, représentent des matrices
enracinées dans la mesure où elles se maintiennent en très grande partie dans
les représentations et les pratiques enseignantes argentines 8. La conception de
86
l’enseignement comme transmission qui sous-tend ces modèles empêche, en grande
partie, de conceptualiser la potentialité épistémique de l’oralité, lecture et écriture,
en interaction dialectique, autrement dit, d’en comprendre le lien fondamental avec
les processus d’apprentissage.
De cette manière, les modèles dialogiques continuent à être, dans un
certain sens, des défis à relever dans différents contextes éducatifs, de sorte que
l’on pourrait les considérer comme des pratiques innovantes dans la mesure où ils
n’ont pas encore réussi à se généraliser dans les modes d’enseignement habituels
des classes argentines. Ces modèles impliquent d’abandonner la conception repro-
ductive de l’enseignement en quête d’un paradigme socio-constructif qui accorde
non seulement un rôle fondamental aux élèves dans la construction de leurs propres
connaissances, mais qui reconceptualise le rôle de l’enseignant et des élèves comme
des agents médiateurs indispensables dans la construction collaborative de ces
connaissances, au moyen d’un dialogue authentique en interaction dialectique avec
la lecture et l’écriture.

8. Ces recherches réalisées, par le biais d’enquêtes dans des instituts de formation enseignante au niveau
national (Carlino, 2013) et provincial (Padilla et Lopez, 2015), sur ce que déclarent les enseignants au sujet de
leurs réalisations dans leurs salles de classe, montrent la persistance de pratiques traditionnelles d’enseigne-
ment avec un pourcentage supérieur à 80 %.
Apports des recherches
didactiques dans
les différents champs
disciplinaires
Au cours des quatre dernières décennies en Argentine, des recherches
didactiques se sont développées dans différents champs curriculaires et niveaux
de scolarité ; elles ont permis d’établir l’existence de pratiques innovantes issues
de modèles dialogiques d’enseignement fondés sur des approches socio-construc-
tivistes. Quelques-unes d’entre elles ont eu comme point de départ l’étude foca-
lisée des interactions orales en classe, sans ignorer leurs relations avec la lecture et
l’écriture ; d’autres se sont concentrées sur ces pratiques depuis une orientation dia-
logique qui présuppose des interactions discursives entre celles-ci et l’oralité9.
En ce qui concerne les premières, les études développées par l’équipe coor-
donnée par De Longhi et al. (2012) de l’Université nationale de Córdoba, sont de
tout premier plan10. Depuis presque deux décennies maintenant, leurs recherches
explorent les relations entre interaction communicative et connaissance pour le
secondaire et le supérieur en sciences expérimentales (biologie, physique et chimie),
en tentant de répondre à la question suivante : de quelle manière l’enseignant peut-il
transformer les contenus à enseigner en interaction, et de quelle façon les élèves et
étudiants, en y prenant part, peuvent-ils construire leurs propres connaissances ?
À partir de l’analyse de différents registres de classe, dans le cadre d’innovations
didactiques conçues par l’équipe, cette dernière a pu avancer dans la modélisation 87
de circuits dialogiques, depuis les plus fermés, fortement guidés par l’enseignant,
jusqu’à d’autres plus ouverts, comprenant une participation significative des élèves.
Cela a permis aux chercheurs d’établir le modèle de l’enseignement par enquête
dialogique à partir de situations problématiques, où le rôle de l’enseignant est fonda-
mental car il lui incombe de gérer les interactions. Ce dernier promeut en effet une
variété de réponses (convergentes ou contradictoires) face à de véritables problèmes
liés au contenu à enseigner ; il les inclut dans le développement thématique pour les
travailler ensuite avec tous les élèves ; il présente des alternatives aptes à provoquer
des conflits, afin de susciter la révision des tâches réalisées ou d’établir de nouveaux
problèmes qui engendrent des hypothèses. De cette manière, ces circuits dialogiques
suscitent différentes circulations de la connaissance dans la classe.
En ce qui concerne le second groupe de recherches didactiques, les plus
remarquables sont celles réalisées au niveau primaire sur la production orale et
écrite de discours argumentatifs, dirigées par Ortega de Hocevar (2020) de l’Uni-
versité nationale de Cuyo, depuis maintenant une dizaine d’années. En partant du
présupposé que les capacités des enfants pour argumenter se développent dès leur
plus jeune âge, et en se fondant sur une approche collaborative entre chercheurs et
enseignants, cette équipe a conçu, développé et évalué des séquences didactiques
destinées à la production de textes argumentatifs, avec des interactions récursives

9. Faute de place, nous faisons une brève référence à quelques recherches d’équipes consolidées, dont les
résultats nous paraissent notoires pour le sujet ici traité.
10. Afin de ne pas excéder les limites données pour cet article en termes de références bibliographiques, nous
n’en donnons qu’une seule par groupe de recherche.

N° 86 - Avril 2021
entre oralité, lecture, écriture et réflexion métacognitive. Les séquences se sont
organisées en huit phases, en prenant en considération la gradualité et la complexi-
fication des processus didactiques, les manières de résoudre les tâches (collectives,
en binômes ou individuellement ; interactions orales, lectures, écritures) et les types
de matériels multimodaux (textes médiatiques d’opinion, vidéos sur YouTube).
L’évaluation des séquences didactiques développées dans les classes expérimentales
révèle que les compétences argumentatives orales et écrites des enfants peuvent
être accrues et perfectionnées dans des interactions riches entre enseignants et
étudiants ainsi qu’entre pairs, dans un contexte qui favorise la construction par-
tagée d’apprentissages, avec une médiation enseignante précise, systématique et
graduelle.
Au sein de ce second groupe de recherches, se situe également l’équipe
que je dirige depuis quatre décennies à l’Université nationale de Tucumán (Padilla,
2020). Depuis le début du xxie siècle, nous focalisons notre problématique de
recherche sur les pratiques argumentatives orales et écrites (quotidiennes et aca-
démiques), en développant des cycles de recherche-action au niveau secondaire
(Majorel et al., 2020) et universitaire de licence et master (Padilla et al., 2014 ; Padilla,
2019), qui produisent d’intéressants résultats et une rétroalimentation constante des
pratiques enseignantes. Ces cycles s’appuient sur deux présupposés fondamentaux :
1) la considération de la recherche de l’élève comme un mode d’appren-
tissage qui permet l’articulation entre savoirs d’autrui et savoirs propres,
entre théories et données de la réalité, ce qui permet de comprendre la
connaissance comme une construction et non comme une simple repro-
88
duction ;
2) la conception de l’oralité, de la lecture et de l’écriture, comme des pra-
tiques sociales établies, épistémiques et argumentatives qui favorisent
la transformation des apprentissages disciplinaires, en particulier lors-
qu’elles s’exercent sous la forme d’interaction dialectique, de discussions
critiques ou de dialogues argumentatifs dans des contextes collaboratifs.
Au cours des dernières années, nous progressons sur des recherches
dans différentes disciplines secondaires et universitaires en mettant l’accent sur
les interactions entre oralité, lecture et écriture (en particulier, dans les pratiques
argumentatives), en articulant différentes dimensions d’analyse (pratiques discur-
sives, contextes de production, représentations, identités, trajectoires et pratiques
d’enseignement). Il convient de souligner que les recherches de notre équipe s’arti-
culent avec le groupe interdisciplinaire GICEOLEM11, qui, bien qu’il développe des
investigations naturalistes et interventionnistes au niveau secondaire et supérieur
sur la lecture et l’écriture, a contribué, avec des avancées théoriques et didactiques
significatives, à donner une autre place à l’oralité dans la perspective des modèles
dialogiques d’enseignement.
Comme nous pouvons l’observer, de façon parallèle aux changements dans
les politiques éducatives au cours des quatre dernières décennies, les recherches
didactiques sur l’oralité dans les classes se sont développées à partir de modèles
dialogiques d’enseignement qui supposent l’interaction récursive entre celle-ci et

11. Voir : https://sites.google.com/site/giceolem2010/


la pratique de la lecture et de l’écriture, en lien avec sa potentialité épistémique à
contribuer aux processus d’apprentissage disciplinaire. Toutefois, ces avancées n’ont
pas eu une influence suffisante sur les pratiques et représentations des enseignants,
en raison des nombreux problèmes d’articulation et de fragmentation du système
éducatif que nous avons pu signaler.

L’oralité en temps de pandémie


L’année 2020 a marqué une rupture profonde par rapport à toutes les pro-
jections que l’on avait pu faire en ce qui concerne l’oralité présentielle en classe.
Après la commotion qu’a produite la réglementation nationale ASPO (isolement
social préventif obligatoire12), qui a suspendu l’assistance aux cours de tous les
niveaux éducatifs, on a commencé à songer à des solutions alternatives pour main-
tenir le lien entre enseignants et élèves. Différentes modalités d’éducation à distance
(facultatives jusqu’à présent), comme les plateformes virtuelles, sont devenues les
principales possibilités afin de garantir des conditions minimales d’enseignement et
d’apprentissage.
Toutefois, la disparité d’accès au réseau et aux dispositifs électroniques a
mis en évidence les grands problèmes d’inégalité structurelle du pays13. De nom-
breux élèves n’ont pas d’ordinateur et ne possèdent qu’un téléphone portable (voire
un seul appareil par famille) qui permet un degré limité de connectivité en raison
du coût élevé des données pour les portables. Par conséquent, pour de nombreux
élèves, il a été très compliqué (ou quasi impossible) d’accéder à des classes virtuelles 89
synchroniques ou, en différé, à des cours filmés. Dans de nombreux contextes édu-
catifs (tout spécialement pour les secteurs les plus vulnérables de la population),
la seule possibilité d’interaction enseignant-étudiant est ainsi passée par l’appli-
cation WhatsApp avec des messages écrits, audio et des documents PDF. De la sorte,
au milieu de ces importantes contraintes, l’oral acquiert un rôle prépondérant de
manière imprévue, grâce aux enregistrements audio de WhatsApp qui permettent
de maintenir la « parole vivante » des enseignants et élèves.
Par ailleurs, dans des contextes de connectivité plus favorables, de nom-
breux enseignants expérimentent (après des apprentissages qui sont de véritables
défis) les remarquables possibilités des différentes ressources numériques des plate-
formes virtuelles qui permettent de compenser, et non de remplacer, les dialogues
authentiques présentiels dans les salles de classe.

12. Il convient d’entendre par ce sigle un confinement de la population particulièrement strict et long qu’a
connu l’Argentine en 2020 pour lutter contre la propagation de la Covid-19 (NdT).
13. Si l’on se fonde sur les données de l’INDEC (septembre 2020), l’on peut estimer que 52 % de la popula-
tion argentine a accès à internet de manière fixe, avec de grandes différences de qualité (depuis 1Mb jusqu’à
100 Mb). Voir : https://bit.ly/2PavR4R/

N° 86 - Avril 2021
Bibliographie
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L’oral au primaire
en Côte d’Ivoire :
entre normes
communautaires
et normes scolaires
Bénédicte Techti
Université Félix Houphouët-Boigny

Des travaux de recherche (Garcia-Debanc et Plane, 2004 ; Weber, 2013)


ont montré qu’en contexte didactique, la médiation de l’oral doit être abordée avec
méthode et précaution. C’est pourquoi, pour être efficace, il est nécessaire de bien
identifier le contexte dans lequel cette médiation s’exerce et les enjeux qui le carac-
térisent.
Or, à considérer les recherches disponibles en contexte didactique ivoirien,
l’enseignement-apprentissage de l’oral y est moins questionné que celui de l’écrit. Et
il l’est encore moins au cycle primaire ivoirien en zone rurale, où la langue française,
principale langue de scolarisation et matière d’enseignement, se trouve toujours être
une langue étrangère dans l’environnement social immédiat des élèves. Certes, cet
environnement immédiat présente la spécificité d’être lié à une culture de tradition 91
orale, mais cette dernière est bien différente de celle qui se rattache à la langue et à la
culture françaises.
Dans ce contexte particulier, il est clair que les enjeux d’un enseigne-
ment-apprentissage de l’oral comme « savoir » disciplinaire sont de répondre à de
multiples exigences : l’oral doit à la fois être un moyen d’expression et d’enseigne-
ment-apprentissage pertinent, mais également un objet d’apprentissage facilement
accessible aux élèves (Garcia-Debanc et Plane, 2004).
D’où l’intérêt d’orienter notre réflexion autour des interrogations suivantes :
les pratiques de médiation scolaire de l’oral prennent-elles en compte la spécificité
du contexte rural ivoirien ? Suivant quelles approches didactiques les pratiques de
médiation prescrites sont-elles effectivement mises en œuvre au cycle primaire ?
Permettent-elles d’apprendre efficacement l’oral ? Sont-elles en adéquation avec les
exigences actuelles d’une société dans laquelle maîtriser l’oral est une compétence
fondamentale pour pouvoir communiquer efficacement ?
Nous tenterons de répondre à ces interrogations à partir de l’examen d’un
corpus d’instructions et de prescriptions officielles, ainsi que d’observations in situ
du cadre social et scolaire en milieu rural ivoirien.

N° 86 - Avril 2021
Les pratiques linguistiques
orales en contexte ivoirien
Comme le fait remarquer Bourdieu (cité par Boyer, 2001), au sein d’une
communauté linguistique, il se crée des transactions qui relèvent d’une forme d’éco-
nomie donnant lieu à un marché linguistique dominant ainsi qu’à d’autres marchés
à la périphérie de celui-ci. En Côte d’Ivoire, le marché linguistique s’appréhende à
travers l’usage oral de la langue française, norme exogène, de ses variétés locales, et
des langues ethniques ivoiriennes.

Les langues ethniques


ivoiriennes
Avec plus d’une soixantaine de langues ethniques, la Côte d’Ivoire est
considérée comme faisant partie des pays sans promotion véritable accordée aux
langues nationales et ethniques. Pourtant, en milieu rural, celles-ci dominent les
échanges de communication courante et communautaire. Ainsi, dans les villages,
c’est la langue ethnique de la communauté qui sert de langue véhiculaire entre les
populations endogènes. Cependant, du fait de l’implantation des administrations
publiques et des infrastructures scolaires et sanitaires, les fonctionnaires ivoiriens
(sous-préfet, enseignants, infirmiers, etc.) qui y sont affectés, n’étant généralement
pas locuteurs de la langue ethnique de référence, usent de la traduction ; soit en
français, soit dans deux des trois langues vernaculaires ethniques du pays : le dioula
92 et le baoulé. Dans ce cadre, une personne du village peut traduire en français ce qui
est dit en langue locale à l’agent de l’État. Le dioula ou le baoulé, s’il est parlé par les
participants à l’échange (fonctionnaire et autochtone), peut être utilisé directement.
Le dioula et le baoulé sont les langues les plus dynamiques du répertoire
linguistique ethnique des zones rurales. Le dioula, le plus pratiqué, est la langue
du commerce informel, où l’on trouve un grand nombre de ses locuteurs. Quant au
baoulé, sa vitalité pourrait s’expliquer par le fait que c’est la langue ayant le plus de
locuteurs natifs et par les migrations du peuple baoulé, de tradition agricole, dans
toutes les zones rurales du pays. Enfin, le dioula et le français apparaissent en milieu
rural comme les principales langues interethniques.
Cependant, et quant au poids relatif des usages linguistiques, les langues
nationales autochtones, bien qu’elles rassemblent le plus grand nombre de locuteurs,
ne semblent dominer que dans l’environnement et les pratiques culturelles commu-
nautaires. Leur intégration dans les classes du cycle primaire rural dans le cadre de
projets de scolarisation bilingue1 demeure au stade de l’expérimentation et peine
à se généraliser. Une telle prise en compte des langues ethniques comme médium
d’enseignement reste sans grand impact social et certains parents du milieu rural
préfèrent même ne pas inscrire leurs enfants dans les écoles de cette expérience

1. Le projet PEI a été officiellement mis en place en août 2001 par le ministère de l’éducation nationale. Il
s’agissait au départ d’intégrer des langues ethniques les plus dominantes au contexte d’enseignement-appren-
tissage de base ainsi qu’à celui des pratiques d’initiation à l’agropastoral et à l’alphabétisation des parents
d’élèves. Le projet ELAN-Afrique, en revanche, qui a débuté dans sa phase pilote avec huit États bénéficiaires
d’Afrique francophone, dont la Côte d’Ivoire, a pour objectif de faciliter un meilleur rendement scolaire dans
les pays francophones dont la langue première n’est pas le français.
lorsqu’ils ont la possibilité de le faire dans des classes où le médium exclusif est
le français, perçu par eux comme langue de l’ascension sociale et de l’ouverture
vers le développement. Le statut non officiel des langues ethniques en milieu rural
contribue à perpétuer leur inscription dans un marché linguistique dominé et à
favoriser l’usage du français, qui « dicte les lois du marché » linguistique ivoirien.

Le français et ses variétés


En contexte urbain, les pratiques linguistiques orales sont dominées par
une seule et même langue, le français, dans sa forme exogène et sous ses trois prin-
cipales variétés attestées que sont le français populaire ivoirien (FPI), le français
ivoirien et le nouchi (Kouadio, 1997).
En ce qui concerne la forme la plus ancienne, davantage en usage en milieu
rural, à savoir le FPI, elle a la spécificité d’être le français des personnes peu ou non
scolarisées. Pour Simard (1994), le FPI est une variété de français assez instable, dont
les particularités d’écart à la norme exogène du français varieraient d’un locuteur à
un autre. Aussi, dans une approche descriptive, cette forme de français présente les
caractéristiques suivantes :
– la disparition de la catégorie du genre et du nombre ;
– le non-respect de la flexion verbale avec la généralisation pour tous les
verbes de la forme du participe passé ;
– des omissions de conjonctions, prépositions, déterminants ;
– une prononciation approximative, des confusions de phonèmes, la
méconnaissance des frontières du mot, une juxtaposition de lexèmes 93
sans marque grammaticale, une abondance de mots polysémiques et des
emprunts aux langues ivoiriennes (Kouadio, 2000).
En outre, selon un rapport de l’Organisation internationale de la franco-
phonie (OIF) en 2014, en dépit des avancées en matière de scolarisation, cette variété
de français était d’usage pour une frange de la population ivoirienne âgée de plus de
40 ans.
Quant au français ivoirien, c’est la variété de français la plus courante,
voire la plus partagée par l’ensemble des locuteurs du français à l’oral :
Le français ivoirien ou français vernaculaire de Côte d’Ivoire est celui qui ne
suscite pas de jugement de valeur de la part de l’interlocuteur ivoirien francophone
(Boutin cité par Kouamé, 2007).
Il s’agit de cette même variété de français que Kouadio (1997) dénomme
« français local » et dont il justifie l’émergence comme résultant des formations
de l’élite ivoirienne, des administrateurs et enseignants, non plus en France, mais
plutôt sur le sol ivoirien. Il s’agit d’une variété locale marquée par la norme acadé-
mique, mais qui, tout comme le FPI, présente une construction morphosyntaxique
empruntée aux langues vernaculaires ivoiriennes (Aboa, 2013).
Contrairement à ces deux autres variétés de français, le nouchi est moins
présent en zone rurale et se caractérise uniquement par des emprunts aux langues
vernaculaires ivoiriennes, au français et à l’anglais. Longtemps regardé comme un
code linguistique propre à une classe assez marginalisée et peu fréquentable de la
jeunesse ivoirienne et auquel seuls les initiés pouvaient avoir accès, le nouchi est

N° 86 - Avril 2021
aujourd’hui considéré, en raison de sa dimension identitaire et véhiculaire, comme
une variété attestée de français de Côte d’Ivoire (Dodo, 2015).

L’oral dans l’éducation


en Côte d’Ivoire
L’oral s’appréhende en contexte ivoirien suivant deux tendances : l’une,
endogène, véhiculée à travers les langues et cultures locales ivoiriennes et l’autre,
exogène, transmise par l’école, par la langue française et la culture qui s’y rattache.

L’oral dans l’éducation


endogène
Originellement, la Côte d’Ivoire est un pays de tradition orale. De fait,
l’oralité occupe une place de choix dans la transmission des valeurs culturelles et
sociales, par le canal des œuvres d’oralité telles que les proverbes, les contes, les
comptines, les devinettes, les légendes, etc. De nos jours, cette éducation endogène
se perçoit moins en ville, mais beaucoup plus en milieu rural.
En milieu rural en effet, l’éducation orale exige le respect de codes
culturels propres aux communautés traditionnelles locales. Toutefois, quelles que
soient la diversité des communautés et l’éventuelle singularité de chacune, cela n’af-
fecte en rien les lois quasi universelles qui régissent les pratiques de l’oral dans ces
94 contextes. On ne parle pas n’importe comment ni à n’importe quel moment, mais en
suivant des règles : « parler » est un droit prioritairement réservé à l’adulte2 car c’est
lui qui doit parler et être écouté. L’enfant issu de ces communautés traditionnelles
comprend très tôt les codes relatifs à l’usage de la parole en présence de l’adulte. Il
constate assez vite qu’il n’est pas encore assez mûr pour que sa parole soit prise en
considération ; exprimer son point de vue ou argumenter pour le défendre face à un
adulte ne lui est pas autorisé à ce stade de son développement. Cependant, il peut
s’exprimer librement et sans restriction avec ses pairs : c’est uniquement avec eux
qu’il a sa « liberté d’expression ».

L’oral à l’école :
cas du cycle primaire
ivoirien rural
Pour rendre compte de l’oral, tel qu’il est pratiqué dans le cadre institu-
tionnel scolaire, nous le présentons d’une part au regard des pratiques prescrites et
d’autre part au regard des pratiques de classe.

2. L’adulte est une personne parvenue à maturité psychologique et intellectuelle avant soi ou possédant une
grande expérience de la vie ; l’adulte a une posture de « garant » de la tradition mais est aussi celui qui est
censé savoir et de qui l’on doit apprendre.
La langue française et les langues
ethniques ivoiriennes dans le Socle
commun de référence ivoirien
Le concept de langue maternelle, tel qu’il est appréhendé dans le Socle
commun de référence ivoirien (SCRI), fait référence aux langues nationales
ethniques de la Côte d’Ivoire. Ainsi, le discours institutionnel relatif à l’enseigne-
ment-apprentissage linguistique à l’école primaire n’aura pas la même intensité
selon que l’on se situe au niveau de la compétence 1 (compétence en langue mater-
nelle) ou à celui de la compétence 2 (compétence en langue française).
La langue de la compétence 1 est caractérisée comme suit :
La langue maternelle est la langue de communication par excellence de l’enfant,
surtout en milieu rural. Parler sa langue maternelle, c’est montrer son attachement
à une communauté, à une nation (SCRI, 2016).
Cet extrait désigne le milieu rural comme le lieu privilégié des langues
vernaculaires ivoiriennes et ces dernières comme langues de première référence
pour les élèves dans ces contextes. Quant à la langue française, langue par laquelle
s’actualise la compétence 2, elle est présentée comme d’importance autre :
[O]util premier de l’égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité
[…], [elle] permet de communiquer à l’oral comme à l’écrit, de comprendre et
d’exprimer ses droits et devoirs dans diverses situations (SCRI, 2016).
Cette priorité du français en tant que discipline fondamentale pour
l’acquisition de toutes les compétences du socle commun de référence est stipulée en 95
ces termes :
Savoir lire, écrire et parler correctement le français conditionne l’accès à tous les
domaines du savoir et l’acquisition de toutes les compétences (ibid.).
De ce fait, l’enseignement-apprentissage du français s’avère indispensable.
Et l’enseignement-apprentissage de l’oral y est appréhendé en référence aux objectifs
pragmatiques généraux suivants :
– prendre la parole en public ;
– prendre part à un dialogue, un débat, tout en prenant en compte des
propos d’autrui et en valorisant son propre point de vue ;
– rendre compte d’un travail individuel ou collectif (exposés, expériences,
démonstrations…) ;
– reformuler des propos prononcés par un tiers ;
– adapter sa prise de parole (attitude et niveau de langue) à la situation de
communication.

La dynamique des échanges


didactiques en discipline
d’expression orale
Même si les langues ethniques locales sont utilisées dans certaines écoles
d’expérimentation au cycle primaire, elles ne le sont que transitoirement, c’est-à-dire
au cours des premières années et pour faciliter l’acquisition des savoirs linguis-
tiques et non linguistiques en langue française. À ce titre, l’oral en langue française

N° 86 - Avril 2021
occupe une place importante, avec notamment une plus grande plage horaire dédiée
à son enseignement. Les tâches langagières sont mises en œuvre en tenant compte
d’actes de langage spécifiques à la description, aux demandes d’informations et aux
réponses associées, à l’expression des préférences et à la narration.
De fait, les pratiques de médiation de l’enseignant sont surtout axées sur
la « narration » : l’enseignant présente une histoire, un dialogue qu’il devra faire
comprendre à ses élèves, qui devront ensuite être en mesure de réemployer dans un
autre contexte les acquis linguistiques qui s’y rattachent.
La gestion des tours de parole3 est conduite par l’enseignant et présente
des spécificités propres à la norme endogène du milieu social. Dans la classe, le
tour de parole de l’élève ne représente le plus souvent qu’une seule intervention,
qui consiste soit à répéter, soit à répondre aux questions de l’enseignant. Comme les
élèves n’interviennent pas immédiatement en réponse aux sollicitations, un tour de
parole de l’enseignant peut contenir plusieurs interventions. Il occupe une position
haute durant les échanges didactiques. Son double statut d’adulte et d’éducateur face
à des enfants a pour conséquence qu’il est rare de remarquer un changement de sa
position.
Les élèves n’interviennent jamais de leur propre initiative, que ce soit pour
poser des questions, pour étayer une idée émise par l’enseignant, ou pour faire expli-
citer une consigne.
Dans le souci de stimuler la prise de parole ou de se faire comprendre
par ses élèves, l’enseignant use régulièrement de pratiques de reformulation ou
de langues autres que le français (exogène et endogène), soit à partir de la langue
96
ethnique dominante, s’il en est locuteur, soit en demandant à une tierce personne
(un élève de sa classe) de traduire une notion, une idée, un concept qui se rapportent
à la langue française et qu’il juge important de faire mieux comprendre.
Même quand les élèves comprennent parfaitement, leur posture quant à la
prise de parole demeure inchangée en classe de langue et reste fortement influencée
par les normes sociales endogènes. Les attentes de l’institution scolaire en matière
d’oral sont pourtant contraires à ce positionnement ; on attend surtout de l’élève,
avec l’adoption de la méthode APC (Approche par compétences)4 actuellement offi-
ciellement en cours en contexte ivoirien, qu’il prenne part de façon active à son
apprentissage. Cet « activisme » passe par des modalités d’apprentissage moins
traditionnelles que celles qui ont cours dans la classe. Bien qu’en milieu rural, la
question des effectifs pléthoriques soit moins présente qu’en zone urbaine, la
modalité de travail en groupe est moins courante qu’elle ne devrait l’être. Pourtant,
pour susciter les interactions entre pairs, le travail collaboratif est le plus approprié.
Il ne suffit pas non plus de faire valider ou critiquer une réponse individuelle par les
autres élèves, comme c’est fréquemment le cas dans les classes, pour créer l’inter-
action entre pairs.

3. Le tour de parole est considéré dans le cadre de l’analyse des interactions verbales comme une prise de
parole suivant un temps pendant lequel un locuteur garde cette parole. En contexte didactique, ce principe
est le même et un tour de parole renvoie le plus souvent à une ou plusieurs interventions de l’un ou l’autre des
intervenants.
4. L’approche par compétences est une méthode pédagogique qui s’est développée au début des années 1990
et qui vise à faire reposer l’enseignement sur la base de savoir-faire construits et évalués par la réalisation d’un
ensemble de tâches plus ou moins complexes.
Pour des pratiques
de médiation du sens de l’oral
Dans son acception la plus usuelle, le mot médiation renvoie à une action
qui vise à mettre en accord deux parties. Dans le contexte de l’éducation, le principe
de médiation s’accorde aussi avec celui de la conciliation entre différentes parties :
entre le savoir et celui qui le dispense ; entre le savoir dispensé et celui qui apprend ;
entre celui qui dispense le savoir et celui qui apprend.
Nous entendons par « médiation de l’oral » toute action visant à faire se
concilier les savoirs, savoir-faire et savoir-être liés à l’oral dans une situation d’ensei-
gnement-apprentissage donnée. Cette médiation de l’oral peut intervenir en contexte
institutionnel (à l’école) ou non institutionnel (dans l’environnement familial).
Les normes de médiation endogène et scolaire liées à l’oral étant diffé-
rentes, pour pallier d’éventuels conflits de conceptualisation résultant de ces diffé-
rences, une médiation du sens s’impose afin de mieux orienter l’apprenant dans son
rapport à l’oral en langue française.
Le sens « dépend du contexte et de la façon dont on interprète une
situation » et l’acquisition du sens d’un savoir scolaire en contexte didactique est
un processus individuel (Barth, 2013). La médiation du sens en tant que procédé de
médiation permet d’engager une activité métacognitive propice à l’apprentissage.
L’élaboration du sens par l’élève présuppose une médiation porteuse de sens qui
s’établit par l’interaction. C’est par cette interaction entre l’enseignant et les élèves
que la médiation du sens se construit dans la classe.
97
De ce fait, l’enseignant tout comme l’élève apparaissent à des stades diffé-
rents comme des médiateurs de sens. Par ses pratiques effectives pour faire acquérir
le savoir scolaire, l’enseignant devient « médiateur du sens » et par la réception de ce
savoir, l’élève occupe également le statut de « médiateur du sens ».
Dans le cas de l’enseignement-apprentissage de l’oral en contexte scolaire
rural ivoirien, cette médiation du sens doit être une médiation de la réflexion et de
l’anticipation des obstacles qui pourraient être liés à la norme endogène de l’oral.
Il s’agit d’une médiation du sens qui peut se muer en « élucidation du sens » tout
comme être une médiation qui facilite la production orale et « l’élaboration de dis-
cours ».
En tant qu’acte d’intervention dans la gestion des problèmes ou difficultés
qui se rattachent au domaine scolaire ou non scolaire, la médiation du sens apparaît
donc comme un vecteur de négociation et/ou de facilitation adapté au contexte.
Tout d’abord, dans la perspective d’une médiation qui se veut porteuse
de sens, la contextualisation raisonnée des codes culturels sources de référence
s’impose. À cet égard, en contexte scolaire comme dans l’environnement social de
référence première des enfants, l’adulte a une place importante dans la médiation de
l’oral. Occupant la position haute, il mène le jeu de l’interaction didactique. C’est lui
qui parle en premier, qui est écouté pour ensuite être imité. Cet ordre bien en phase
avec les références culturelles premières de l’élève du cycle primaire en milieu rural
n’est pourtant nullement avantageux pour lui, dans la mesure où cela ne lui permet
pas de répondre aux préconisations officielles de l’institution scolaire en matière
d’oral.

N° 86 - Avril 2021
Ainsi, les actions pédagogiques de l’enseignant du cycle primaire rural
ivoirien ne peuvent suffire à développer chez les élèves une véritable aisance à l’oral.
En particulier, les élèves qui, après chaque leçon d’expression orale, sont censés
répéter la scène du dialogue initial, peuvent être déroutés quand il s’agit d’utiliser les
acquis linguistiques de ce dialogue dans d’autres contextes.
Or le processus de médiation du sens par l’étayage, s’inscrivant dans le
courant de la pédagogie active, relève d’une approche qui vise le développement de
compétences individuelles dont l’apprenant doit pouvoir faire usage dans diverses
circonstances et à des fins elles-mêmes diverses. En effet, l’enjeu majeur de l’ensei-
gnement-apprentissage de l’oral en contexte rural ivoirien est son adéquation avec
les exigences actuelles d’une société dans laquelle maîtriser l’oral est une compé-
tence fondamentale.
Ainsi, au cycle primaire, on devrait sensibiliser dès le plus jeune âge les
élèves à ces formes et usages de l’oral en français. Car si l’écrit semble représenter
une plus grande contrainte sociale, il en va de même pour l’oral. L’institution
scolaire ivoirienne doit en tenir compte, par exemple en s’inspirant des pratiques
du français langue étrangère dans lesquelles l’accent est mis tout autant sur la
dimension pragmatique que sur les formes linguistiques.

Après avoir caractérisé brièvement le dynamisme sociolinguistique de


98 la Côte d’Ivoire, saisi à partir de ses langues et véhiculaires importants, les diffé-
rents genres d’oral auxquels les apprenants peuvent être confrontés dans leur envi-
ronnement immédiat ont été présentés. En outre, à partir des spécificités propres
à l’éducation de l’oral en contexte ivoirien, nous avons tenté de montrer en quoi
il serait nécessaire d’appréhender son enseignement-apprentissage comme une
médiation entre les normes de l’oral en langue et culture françaises et les normes
endogènes.
L’enseignant se doit d’être un médiateur contribuant à la construction du
sens des apprentissages de l’oral par ses élèves en contexte scolaire tout comme en
dehors de l’institution scolaire. Cette posture centrale de l’enseignant, tuteur des
apprentissages et du développement cognitif de l’enfant, ne saurait prendre effet sur
les pratiques de l’enseignement-apprentissage de l’oral que si elle peut s’appuyer sur
un réaménagement méthodologique de celles-ci. Dans cette perspective, l’enseigne-
ment-apprentissage de l’oral au cycle primaire doit être plus à visée actionnelle et
autonomisante pour les élèves en milieu rural. Cela passe évidemment aussi par la
formation et l’accompagnement des enseignants.
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N° 86 - Avril 2021
Une pratique orale
réflexive dès l’école
primaire en France :
la discussion à visée
philosophique
Michel Tozzi
Université Paul-Valéry de Montpellier

L’entrée à l’école signifie l’entrée dans l’écrit, et l’importance de l’oral à


l’école fut longtemps minorée. La culture de l’école est d’abord une culture écrite,
même si la situation évolue depuis quelques décennies, comme le montre l’intro-
duction de l’épreuve du « grand oral » au baccalauréat en 2021. Lire et écrire sont
spontanément cités comme compétences de base à acquérir à l’école. On y a ajouté,
mais plus tardivement, parler. Peut-être parce que l’enfant parle en général déjà en
entrant à l’école, au moins approximativement ; il s’est imprégné de sa langue mater-
nelle dans sa famille, alors qu’il ne sait pas encore lire et écrire en entrant à l’école.
Même si l’école maternelle a toujours accordé une place à la parole des enfants, dans
les pratiques observées, plus on monte dans le curriculum scolaire, plus la parole
pédagogiquement autorisée se raréfie. 101
L’oral à l’examen terminal de philosophie, par exemple, porte ces stigmates
d’une « insoutenable légèreté » de l’oral : l’épreuve orale n’est que de « rattrapage »,
elle intervient après l’échec à l’écrit, genre langagier plus noble. Les discussions
en classe de philosophie ne sont pas très répandues ; quand ce n’est pas le cours
magistral, c’est plutôt le « cours dialogué » qui est pratiqué. L’institution philo-
sophique juge généralement les échanges entre élèves doxologiques. Les élèves sont
censés apprendre à philosopher par la dissertation, « patrimoine incontournable »
de l’enseignement philosophique, ou le commentaire de texte des grands auteurs,
et ils sont évalués à l’examen sur ces épreuves. L’oral est plutôt l’apanage de l’ensei-
gnant, qui pense devant les élèves par son verbe ; c’est lui qui pose le plus souvent
des questions ; la parole des élèves a droit de cité si elle est sollicitée, sinon c’est du
bavardage inopportun. Même si des philosophes comme Socrate ou Pyrrhon n’ont
rien écrit, on considère que la philosophie se trouve dans l’histoire de la philosophie,
le corpus des écrits des philosophes, qu’il faut lire et commenter.
On peut cependant constater que des « discussions à visée philosophique »
(DVP) se sont développées en France au début de ce siècle, surtout à l’école pri-
maire ; elles ont même été favorisées par l’institution, et recommandées dans le pro-
gramme d’éducation morale et civique de 2015.

N° 86 - Avril 2021
L’émergence de la discussion
philosophique en France

Un contexte culturel, didactique


et politique favorable
Apprendre la parole, apprendre par la parole, apprendre à prendre la parole
sont devenus scolairement importants depuis les années 1970 (Étienne et Tozzi,
2004). Le rôle de la parole dans les événements de 1968 a été certainement déter-
minant.
La pratique de la discussion philosophique s’est développée depuis bientôt
trente ans dans la cité : premier café philo en 1992 au Café des Phares à Paris, initié
par M. Sautet, genre philosophique développé en France ; consultations philoso-
phiques, plus minoritaires, popularisées depuis 1981 par G. Achenbach. Mais aussi à
l’occasion de ciné philo, philo théâtre, randonnées philo, etc.
À l’école, on trouve des pratiques orales d’ateliers philo en maternelle dès
1996, promues par l’Association des groupes de soutien au soutien (AGSAS) de
J. Lévine1, psychanalyste pour enfants, et les premières formations inspirées par la
communauté de recherche lipmanienne seront organisées en 1998 par M. Bailleul à
l’Institut universitaire de formation des maîtres à Caen et par E. Auriac à Clermont-
Ferrand. Le premier colloque national sur ces nouvelles pratiques philosophiques
aura lieu en 2001 à Paris. Depuis, elles se sont développées à l’école primaire, mais
102 aussi dans les quartiers défavorisés, et maintenant dans les collèges.
Cette émergence s’est inscrite dans une période plus favorable, didacti-
quement et politiquement, au débat scolaire. Ont en effet convergé :
1) l’intérêt de la didactique du français pour l’apprentissage de l’oral (Cahiers péda-
gogiques, 2019 et 2021) ;
2) le travail des didacticiens de disciplines sur le débat comme moyen d’apprentissage
de savoirs et savoir-faire par la confrontation sociocognitive : débat mathéma-
tique, scientifique dans les sciences expérimentales, en sciences de la vie et de la
Terre ainsi qu’en économie sur les « questions socialement vives », débat citoyen
en éducation civique, juridique et citoyenne, puis en éducation morale et civique,
débat interprétatif à visée littéraire (Soulé et al., 2008) et oral réflexif en français
(Chabanne et Bucheton, 2002) ;
3) la volonté politique d’instaurer une formation civique de l’élève, comme futur
citoyen, à prendre la parole en public, à développer de façon argumentée son point
de vue dans l’espace public, et, depuis les attentats terroristes de 2015, à faire
contrepoids par l’esprit critique à la radicalisation de certains jeunes, aux fake
news et théories du complot propagées par les réseaux sociaux.

1. Pour en savoir plus sur l’AGSAS et sa méthode : https://bit.ly/3sEA8fg/


La discussion à visée
philosophique (DVP)
C’est dans ce contexte que s’est développée la discussion à visée philo-
sophique (DVP), bien que la philosophie ne soit pas une discipline scolaire au pri-
maire. Alors que M. Lipman parlait aux États-Unis de « communauté de recherche
philosophique » et M. Sasseville de « dialogue » au Québec, le terme « discussion »
fut préféré en France à celui de « débat », le plus utilisé cependant dans l’école fran-
çaise, parce qu’il s’agit plutôt, dans une DVP, de « chercher avec » que de « lutter
contre ».
C’est à J.-C. Pettier que l’on doit l’expression « discussion à visée philoso-
phique ». Car tout échange entre élèves n’est pas spontanément philosophique : il
peut même être démocratique, assurer un droit égal d’expression, et cependant ren-
forcer les préjugés. Il est même exceptionnellement philosophique, car il implique
l’apprentissage de processus réflexifs sur lesquels le maître doit être vigilant.
La DVP est une forme orale d’expression centrée sur une question fonda-
mentale pour la condition humaine, où les échanges entre élèves et avec le professeur
sont régulés par celui-ci. Elle s’inspire de la « communauté de recherche philo-
sophique » de M. Lipman, initiée dans les années 1970. Elle rencontrera en France,
dans les années 2000, la tradition des méthodes actives de l’Éducation nouvelle, et
tout particulièrement de la pédagogie coopérative : cela infléchira son orientation,
doublement démocratique et philosophique. Elle part soit de propositions de ques-
tions insérées dans une boîte par les élèves, soit d’un support inducteur : le mythe
pour M. Tozzi, la littérature de jeunesse pour E. Chirouter. On choisira, à partir
103
de là, une question (« Quels sont les avantages et les inconvénients de grandir ? »),
parfois une notion (« Qu’est-ce que l’amour ? »), en vue de les approfondir.
Il s’agit d’une innovation, partie du terrain, qui a pu se structurer entre
praticiens grâce à l’horizontalité des réseaux sociaux, notamment par le groupe de
diffusion de J.-F. Chazerans en 2002, et à la réunion annuelle d’un colloque inter-
national de mutualisation de ces pratiques depuis 2001, soutenu par l’Unesco dès
2006. Elle a été progressivement confortée, jusqu’à la création par E. Chirouter en
2016 de la première chaire Unesco de philosophie avec les enfants, créée à l’université
de Nantes.
Il y eut au début de fortes oppositions de la part de professeurs et de
l’inspection de philosophie : les enfants seraient trop jeunes pour philosopher, ils
manqueraient de base langagière solide, de connaissances suffisantes, de maturité
psychique… Ils ne seraient donc pas aptes à philosopher, surtout avec des institu-
teurs non formés philosophiquement. Le qualificatif de philosophique appliqué à
des pratiques qui s’appuient rarement sur des philosophes serait usurpé.
Mais certains inspecteurs de l’école primaire constatèrent l’intérêt de ces
pratiques, car elles œuvraient à des objectifs fondamentaux de l’école primaire : la
maîtrise orale de la langue et l’éducation à la citoyenneté ; de plus, elles recoupaient
de nombreuses compétences exigées dans les référentiels officiels. Certains instituts
s’en emparèrent dans la formation initiale ou continue des professeurs d’école,
d’autant que certains formateurs étaient des professeurs de philosophie, qui appré-
ciaient de renouer avec leur discipline.

N° 86 - Avril 2021
Comme il n’existait aucune circulaire officielle pour encadrer ce type
d’activité nouvelle, plusieurs méthodes se développèrent sur le terrain : outre la
méthode de M. Lipman, la démarche de l’AGSAS autour de J. Lévine, comme nous
l’avons dit, celle d’O. Brenifier et de son Institut de pratiques philosophiques, celle
de M. Tozzi (Philocités, 2020)…
A. Delsol, S. Connac et M. Tozzi ont expérimenté, dans les années 2000-
2004, des discussions à visée philosophique en grande section de maternelle et au
cycle 3, dans un cadre coopératif qui déléguait des rôles à certains élèves (prési-
dence, reformulation, synthèse, discussion, observation, gestion de l’aménagement
de l’espace, du micro, etc.). Par essais et erreurs, avec une alternance entre animation
et observation, puis analyse de chaque séance, ils ont peu à peu stabilisé un dispo-
sitif intitulé « discussion à visée démocratique et philosophique » (DVDP).

En quoi consiste une DVDP ?

Un objectif démocratique
Il s’agit d’abord de rompre avec une conception élitiste de la philosophie :
celle qui écarte les élèves de l’école primaire, du collège et du lycée professionnel. Il
s’agit – démarche démocratisante – de rendre la démarche du philosopher accessible
à tous. Cette intention rejoint les préconisations de l’Unesco, qui valorise l’élargis-
sement de son enseignement à tous les degrés et publics, dans la perspective d’un
104 dialogue entre les peuples en vue de la paix (Unesco, 2007).
Cet idéal régulateur des pratiques pose la question cruciale du possible :
les promoteurs de la philosophie avec les enfants font l’hypothèse de l’éducabilité
philosophique de l’enfance, postulat dont ils voient les fruits empiriques dans
l’observation en classe et l’analyse par des chercheurs des corpus de discussions.
Il s’agit ensuite par la DVDP de contribuer à l’éducation démocratique du
citoyen. Cette éducation à perspective démocratique s’opère par une pédagogie coo-
pérative, et non compétitive. Le dispositif s’appuie à cet effet sur un partage des
tâches, une coanimation enseignants-élèves avec un cahier des charges précis :
l’enseignant-animateur met en place le dispositif et veille à son bon fonctionnement,
distribue les différents rôles, introduit l’enjeu de la question choisie, pose aux élèves
des questions, leur demande des précisions, fait des reformulations, des mini-
synthèses, met en relation les interventions des élèves entre eux et avec la question,
demande des définitions, des arguments, veille à la progression de la discussion,
anime sur le fond, etc. Le président de séance en binôme avec lui gère la forme démo-
cratique des échanges et distribue la parole selon des règles démocratiques : inscrire
dans l’ordre les élèves qui lèvent la main, donner la priorité à ceux qui n’ont pas parlé
jusque-là, tendre au bout d’un moment la perche aux muets, respecter le droit de
se taire des élèves. Le reformulateur doit écouter, comprendre et redire ce qui vient
d’être dit par un camarade à la demande de l’enseignant. Le synthétiseur prend
des notes sur ce qu’il a compris de ce qu’il a entendu, et le restitue à la fin de la dis-
cussion quand le président qui gère l’heure le lui demande. Les participants doivent
prendre la parole, donner leur point de vue sur la question en l’argumentant, res-
pecter leurs camarades, ne pas répéter ce qui a été dit et apporter des idées nouvelles.
Les observateurs analysent soit l’application du cahier des charges de chaque rôle,
soit les processus de pensée à l’œuvre dans la séance (état du questionnement, défi-
nition des notions, thèses et arguments)2.
Par ailleurs, les valeurs démocratiques y sont pratiquement expérimentées,
et non imposées, pour à la fois asseoir leur légitimité au-delà de leur légalité et
entraîner leur intériorisation sans contrainte. Par exemple le président vit ce qu’est
une présidence juste, celle qui ne donne la parole prioritairement ni à celui qui est
en face, ni au copain, ni au leader de la classe, mais selon les règles démocratiques
ci-dessus formulées. Le reformulateur et le synthétiseur s’entraînent à une fidélité à
la fois cognitive et éthique à la parole des discutants.

Un objectif philosophique
Mais il s’agit spécifiquement dans la DVDP de contribuer à l’éducation
d’un citoyen réflexif. Nous entendons par là celui qui non seulement prend la parole
dans l’espace public de discussion, et exerce sa liberté par le droit d’expression, mais
a développé, notamment par la DVDP, d’une part un jugement critique, une capacité
de questionnement et d’argumentation rationnelle, échappant ainsi à la doxologie et
à la sophistique, d’autre part la vertu d’une « éthique discussionnelle » (Habermas,
2013), sachant respecter ses interlocuteurs, et combattre une idée sans agresser pour
autant la personne qui l’émet.
L’enjeu est ici de développer une démarche philosophique chez les élèves,
par l’utilisation privilégiée de l’oral. Apprendre à philosopher par l’oral ne va pas
de soi. Pourtant l’exemple de Socrate est paradigmatique, qui philosophait tout 105
en marchant dans les rues d’Athènes avec le tout-venant, qu’il soit esclave dans le
Ménon, ou adolescent à la palestre dans le Lysis. Que l’on puisse apprendre à philo-
sopher en discutant est moins crédible dans la tradition académique que le passage
par la lecture ou l’écriture, alors que Platon a pris ses distances avec l’écrit dans le
Phèdre, et valorisé le dialogue comme genre philosophique, de même que J. Derrida
a célébré la « parole vive ». La question est alors de savoir quelle peut être la place de
l’oral dans l’apprentissage du philosopher…

La DVDP, un genre particulier


d’oral
Des sociologues tels que P. Bourdieu ont montré que l’écrit était scolai-
rement et socialement sélectif, un élément de distinction. Mais plus généralement,
c’est le rapport à la langue, qui engage un rapport social à la culture, qui hiérarchise
les individus. L’aisance dans la pratique orale de la langue est socialement discrimi-
nante. Cette sélectivité est renforcée par le primat de l’écrit à l’école : car on peut
dire plus facilement ce que l’on ne pourra arriver à écrire. C’est pourquoi les élèves
en difficulté ou en échec scolaire préfèrent souvent parler plutôt qu’écrire. Or la
DVDP est essentiellement une pratique orale. On constate sur le terrain qu’elle est
une chance donnée à certains élèves faibles à l’écrit de s’exprimer personnellement

2. Pour un exemple avec des élèves de 10 ans, voir : https://www.youtube.com/watch?v=noexnDpN7Y8/

N° 86 - Avril 2021
et de réfléchir collectivement. D’où le fort développement des pratiques philo-
sophiques dans les quartiers défavorisés. C’est une dimension démocratisante de ces
pratiques, alors même que la philosophie est, dans les représentations communes,
une activité abstraite, difficile.
On a pu s’étonner que ces nouvelles pratiques philosophiques à l’école
soient quasi exclusivement orales. C’est certainement l’un des facteurs de leur succès.
Car parler semble facile dès que l’on franchit l’obstacle, non négligeable, de prendre
publiquement la parole. Chaque registre de la langue, écrit et oral, a son intérêt et ses
limites. L’écriture, par ses exigences de cohésion et de cohérence, permet une plus
grande précision de sa pensée, car elle rend l’écrivant lecteur de son texte, et facilite
par là des corrections ; elle laisse trace et fait mémoire. Mais une pensée écrite, disait
Platon, est comme déjà morte. L’oral est moins structuré mais plus vivant, il est
interlocutoire en temps réel, se prête à la controverse qui permet d’approfondir sa
réflexion. On aurait tort de les opposer, et il vaut mieux les articuler pour cumuler
les avantages… à condition de ne pas « rescolariser » la DVDP par trop de recours à
l’écrit...

Un oral réflexif
Il s’agit avec la DVDP d’un oral réflexif. Cette notion, qui a été travaillée
notamment par J. Piaget et L. Vigotsky, revêt une multiplicité de sens, explorés par
Chabanne et Bucheton (2013) : verbalisation du contact avec le monde, représen-
tation personnelle d’une vision du monde, processus de contrôle épi- et méta-lin-
106 guistique, démarche métacognitive, appui pour la construction de sa subjectivité...
C’est le type d’oral réflexif en philosophie qui nous intéresse, parce qu’il est
un moyen d’apprendre à philosopher. Il y a, le plus utilisé dans la vie quotidienne,
un usage fonctionnel de la langue orale : il s’agit d’entrer en communication avec
des interlocuteurs pour demander, obtenir des informations, ordonner, remercier,
converser, etc. Et il y a un usage réflexif et non plus utilitaire de la langue, qui
exprime la façon dont s’articulent dans une réflexion le langage et la pensée : on y
travaille à la fois la pensée par la langue, car il n’y a pas de philosophie sans langage
et, ce qui est moins spontanément évident, la langue par la pensée, car l’on cherche
dans son expression à être au plus près de son idée.
Le secteur philosophie du Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN)
a inventé certaines formes d’oral réflexif : le Colloque des philosophes, qui vise à
faire soutenir par des élèves une controverse orale entre différentes thèses, nourrie
par une préparation préalable en groupes sur des documents de philosophes. Ou le
Procès (par exemple, Antigone), qui organise par le même type de travail en amont
la confrontation entre différents protagonistes (accusé, défenseur, juge, journaliste,
observateur…).
La particularité de l’oral réflexif à visée philosophique est de mobiliser
un travail spécifique de la pensée, structuré autour de certaines opérations intel-
lectuelles étroitement liées entre elles (la problématisation, la conceptualisation et
l’argumentation), qui assurent la « philosophicité » de l’échange.
Un oral problématisant
L’une des compétences développées en philosophie est la problématisation.
Cette opération intellectuelle consiste à s’interroger, à questionner et à se ques-
tionner, à expliciter dans une question quel problème elle pose, ses enjeux, l’ur-
gence intellectuelle de le résoudre et la difficulté d’y parvenir. Tout commence donc
avec le questionnement – Aristote parlait d’étonnement – , et l’élaboration de ques-
tions. C’est pourquoi la DVDP est centrée sur une culture de la question, et moins
de la réponse, qui peut toujours être philosophiquement réinterrogée (la vérité, dit
Socrate dans Le Banquet, est moins une possession – la réponse – qu’une visée).
Dans une DVDP, on peut par exemple, après avoir explicité le contenu
narratif manifeste d’une histoire, et mis à jour le « message » de son contenu latent,
élaborer avec les élèves des questions que ce texte semble poser, et auxquelles il
répond ; puis en retenir une qui sera l’objet de la discussion. Il peut y avoir, avant de
choisir la question, un travail collectif sur la formulation des questions, en évaluant
si l’on peut en regrouper certaines, ce qui amène à un travail fin de reformulation
des mots les plus adéquats à retenir, dans le rapport du langage à la pensée. C’est ce
double travail d’élaboration et de (re)formulation de questions qui fait de la DVDP
un oral problématisant.

Un oral conceptualisant
Si philosopher, c’est « créer des concepts », comme le dit G. Deleuze, la
conceptualisation est centrale pour didactiser l’apprentissage du philosopher. Le 107
travail sur l’articulation du langage et de la pensée est ici essentiel. Une notion est
une idée générale et abstraite de la pensée, formulée dans le langage par un mot,
généralement assez floue dans les représentations, qu’il faudra élever à la dignité du
concept par le trajet de conceptualisation d’un sujet pensant qui tente de le confi-
gurer en dessinant ses contours.
C’est ce travail, surtout autour de sa définition, qui s’opère dans une DVDP
pour savoir ce dont on parle, être le plus précis possible sur les mots-notions utilisés
dans l’échange, qui rend l’oral à visée philosophique conceptualisant.

Un oral argumentatif
C’est enfin un oral argumentatif (Tozzi, 1999). La compétence à argu-
menter n’est pas spécifique à la philosophie, elle est requise par bien des disciplines
demandant un raisonnement. B. Veck rappelle par exemple que l’argumentation est
l’un des trois champs de référence de la didactique du français. Mais l’on s’intéresse
dans cette dernière autant aux procédés de persuasion jouant sur les affects qu’à la
façon de convaincre rationnellement, et la rhétorique sait adapter son discours à
chaque auditoire particulier (par exemple, le ciblage publicitaire), alors que toute
une tradition philosophique ne s’adresse qu’à « l’auditoire universel » de la raison.
De plus, la philosophie articule de manière étroite les processus d’argumentation
et ceux de problématisation et de conceptualisation (savoir par exemple de quoi
l’on parle pour savoir si ce que l’on dit est vrai). Les « arguments » d’autorité ou ad
hominem, qui ne sont pas sous l’autorité de la raison, ne sont pas recevables.

N° 86 - Avril 2021
Principes éthiques,
fonctionnement démocratique
et vie sociocognitive
rationnelle
L’échange oral entre élèves prend dans la DVDP la forme d’une dis-
cussion. Il se nourrit de la confrontation de chacun à une altérité plurielle, posant,
au niveau de l’ethos, la question éthique du rapport à l’autre, à son visage ; au niveau
démocratique, la gestion citoyenne de l’espace public ; et au niveau cognitif, la
co-construction de problèmes à explorer, de réseaux conceptuels à tisser, de thèses à
argumenter ou critiquer.
Sur le premier point, le statut d’interlocuteur valable de l’enfant, popu-
larisé par J. Lévine, considéré comme un « parlêtre » (J. Lacan) reconnu comme
« pensêtre », fortifie l’estime de soi et la restaure chez les enfants scolairement
meurtris, et amène à la reconnaissance de l’autre comme un semblable confronté
aux mêmes questionnements. Sur le deuxième, cet oral coopératif contribue à
construire une identité collective par le sentiment d’appartenance à la communauté
de recherche du groupe classe, et au-delà à l’humanité, par la nature universelle
des questions abordées. Sur le dernier, la conscience de constituer un intellectuel
collectif renforce le goût de la vérité, à un moment où la post-modernité nous
confronte à la « faiblesse du vrai ».
C’est pourquoi la spécificité de ce contexte interlocutoire intéresse par-
108 ticulièrement la recherche en sciences du langage (Simon et al., 2020). Celles-ci
trouvent en effet dans les corpus des ateliers philo un matériau plus riche que celui
des conversations, grâce à une langue travaillée par la réflexivité.

Bibliographie
CASTINCAUD F. (2021). Dossier « Le débat en classe », Cahiers pédagogiques, n° 556.
CHABANNE J.-C. et BUCHETON D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se
construire. L’écrit et l’oral réflexifs. Paris : Presses universitaires de France.
COLCANAP P. et EVELEIGH H. (2019). Dossier « Pédagogie de l’oral », Cahiers pédago-
giques, n° 553.
ÉTIENNE R. et TOZZI M. (dir.) (2004). La discussion en éducation et en formation. Un
nouveau champ de recherche. Paris : L’Harmattan.
HABERMAS J. (2013). L’éthique de la discussion. Paris : Champs Essais.
PHILOCITÉS (2020). Philosopher par le dialogue. Quatre méthodes. Paris : Vrin.
SOULÉ Y., TOZZI M. et BUCHETON D. (2008). La littérature en débat. Discussion à
visées littéraire et philosophique à l’école primaire. Montpellier : CRDP de Montpellier.
SIMON J.-P., FOURNEL A., LAGRANGE-LANASPRE S. et COLLETTA J.-M. (dir.)
(2020). Philosopher avec les enfants. Fabrique de l’apprendre. Fabrique du savoir.
Grenoble : Presses universitaires Blaise Pascal.
TOZZI M. (2011). Animer une DVDP en classe. En ligne : https://bit.ly/2PL1hyE (consulté
le 24 février 2021).
TOZZI M. (coord.) (1999). L’oral argumentatif en philosophie. Montpellier : CRDP
Languedoc-Roussillon.
UNESCO (2007). La philosophie, une école de la liberté. Enseignement de la philosophie
et apprentissage du philosopher, États des lieux et regards pour l’avenir. Rapport de
l’UNESCO. En ligne : www.ovc.ulaval.ca/ms/forum/153601F.pdf

109

N° 86 - Avril 2021
L’oral dans la
transmission des
savoirs en Inde : culture,
société et langues*
G. N. Devy
The People’s Linguistic Survey of India

Le recours aux pratiques orales en Inde ne saurait être réduit à une question
purement pédagogique. Le contexte social et culturel de l’expression orale est pro-
fondément ancré dans une longue histoire : deux mille ans d’exclusion sociale d’une
grande partie de la société, privée de transmission des savoirs – l’accès à l’écrit étant
réservé à une fraction infime de la société. Je vais tenter dans cet article de retracer
cette histoire, au moins de façon synoptique, de la manière dont l’oral a été réduit
à un « non-savoir », et comment et pourquoi les pratiques éducatives actuelles sont
très partiales à l’encontre des pratiques orales. Cet article s’efforce de répondre aux
trois questions posées par les coordinateurs de ce numéro de la Revue internationale
d’éducation de Sèvres1. Néanmoins, cantonner ces réponses au champ « éducatif »
n’explique ni la gravité du problème ni la mesure de son emprise. C’est la raison pour
laquelle il décrit la profusion des langues et la complexité des interrelations entre les 111
langues respectivement considérées comme « supérieures » et « inférieures ».

L’évolution des pratiques


orales dans l’éducation
en Inde et leur statut actuel
Dans toutes les civilisations, l’histoire des pratiques orales est une consé-
quence directe de l’évolution des systèmes d’écriture et de leur usage dans la
transmission de savoirs. L’usage de l’écriture dans l’histoire indienne remonte au
troisième millénaire av. J.-C. La civilisation harappéenne avait un système d’écriture
que des archéologues cherchent toujours à déchiffrer malgré de nombreuses
tentatives. Cependant, il n’existe pas de reconstruction probante de l’écriture harap-
péenne. Il est donc toujours impossible de lire les inscriptions retrouvées lors de
fouilles sur des tablettes et des poteries. On manque manifestement de preuves
scientifiques concernant la période comprise entre la fin de la civilisation harap-
péenne et l’émergence de l’histoire connue de l’Inde ancienne. Pendant près de
douze siècles, après que la langue indo-aryenne fut devenue la langue première
des œuvres de la littérature orale, il n’y a pratiquement aucune trace d’usage d’une
écriture ou de l’écrit dans l’histoire indienne. Il conviendrait donc de soutenir que

* Article traduit de l’anglais par Hélène Bréant.


1. NdlR : 1) La place de l’oral dans le curriculum et son évolution ; 2) les pratiques de l’oral en classe : quelles
réalités, quelles difficultés ? ; 3) l’oral, usages scolaires et usages sociaux.

N° 86 - Avril 2021
les traditions linguistiques connues remontent au deuxième millénaire av. J.-C. Les
premières œuvres littéraires datent de quelque 3 500 ans avant notre ère. La méthode
utilisée pour les transmettre de génération en génération reposait sur la seule resti-
tution orale. L’éducation, entendue comme une transmission intergénérationnelle
de connaissances, se faisait uniquement à l’oral. Environ vingt-cinq siècles avant
notre ère, des œuvres philosophiques et poétiques étaient enseignées en Inde en pali,
en sanskrit et en tamil, suivant des méthodes orales. Le temps qu’un élève passait
auprès de son maître différait selon les cas, mais il est certain que l’instruction orale
dispensée par le maître et la mémorisation d’une quantité colossale de contenus
littéraires constituaient la seule méthode d’enseignement disponible à l’époque. Les
compétences en matière de poterie, de textile, d’agriculture, de médecine, de métal-
lurgie, de navigation et d’élevage étaient transmises par l’apprentissage pratique
et le compagnonnage. L’usage de l’écriture et la transcription d’œuvres orales ont
progressé au cours du ive siècle av. J.-C., entraînant la réécriture périodique de cer-
tains manuscrits pour les sauver de la disparition. Cette pratique s’est poursuivie
jusqu’au xiiie siècle. Néanmoins, alors que l’écrit commençait à faire partie inté-
grante de l’éducation scolaire, la réécriture de manuscrits ou l’écriture de son propre
texte n’étaient pas à la portée de tous. Seuls les plus doués y avaient accès, les autres
continuant d’apprendre suivant des méthodes purement orales de transmission
des connaissances. L’utilisation du papier comme support de l’écrit a émergé au
xiiie siècle et cette pratique a perduré jusqu’au début du xixe siècle. Elle a changé
– et même radicalement changé – après l’arrivée de l’imprimerie en Inde, à la fin du
xviiie siècle. À cette époque, malgré la profusion des langues dans lesquelles abon-
112
daient les œuvres et les traditions orales issues d’une longue lignée, l’impression
n’est devenue accessible qu’à un tout petit nombre de langues telles que le bengali,
le marathi, le kannada, le malayalam, le télougou, le hindi et le gujarati. À la fin du
xixe siècle, le gouvernement colonial britannique établit un système éducatif centré
sur le texte écrit, associant la maîtrise de l’écrit à des emplois bien rémunérés en
droit, en médecine et dans la haute fonction publique. De ce fait, les langues dotées
de traditions orales ont commencé à être perçues comme inférieures, non adaptées à
la transmission de connaissances et n’ayant donc pas leur place à l’école. Les langues
qui disposaient de textes imprimés ont acquis grâce à eux un statut social élevé et
l’enseignement assuré dans ces langues a été valorisé. Ce tournant signifiait aussi
que le cadre conceptuel de la connaissance allait évoluer en conséquence. La création
de la Société asiatique du Bengale par l’administrateur et fin lettré Sir William Jones,
à la fin du xviiie siècle, constitue un jalon historique très important attestant de ce
changement.

Depuis l’époque de Sir William Jones, des tentatives importantes ont été
entreprises afin de proposer et de formuler des catégories conceptuelles pour décrire
la diversité bioculturelle et les traditions indiennes en matière de savoirs (Devy,
2017). Le processus de décolonisation correspondant a généré lui aussi son lot de
tentatives en vue d’accorder les savoirs traditionnels avec la production coloniale
de connaissances, dans le contexte de la modernité occidentale. Si la confrontation
ainsi que la collaboration entre les savoirs considérés comme compatibles avec
les catégories cognitives occidentales et les traditions relatives aux connaissances
ancrées dans la vie de communautés essentiellement fondées sur l’oralité restent
au cœur des échanges en Inde, dans les imaginaires, les institutions génératrices
de connaissances dominantes – écoles, universités, hôpitaux, tribunaux, etc. – ont
développé des formes qui, souvent, laissent de côté les complexités qu’implique « la
grande transition de la civilisation du sous-continent indien ». La plus importante
des catégories cognitives qui continue à mettre l’accent sur cette « transition civilisa-
tionnelle » relève probablement du champ de l’expression créative dans la langue et
sa description. La décolonisation de l’esthétique et de la linguistique indiennes, sans
repli obscurantiste complet sur le passé, est la plus grande mission qui s’offre aux
intellectuels indiens contemporains – mission maintes fois entreprise, mais encore
inachevée.

Une épistémologie de l’oral


transformée
Dans les épistémologies précoloniales des langues, la hiérarchie entre
« standard » et « dialecte » n’était pas courante. La diversité linguistique était
une réalité communément admise. Les auteurs de littérature pouvaient employer
plusieurs langues dans une même création, et leur public l’acceptait comme s’il n’y
avait rien de plus normal. Cette pratique s’est poursuivie dans le sillage de la plupart
des classiques littéraires renommés de l’Inde ancienne. De grandes œuvres telles
que le Mahabharata, poème épique, ont continué leur existence dans de multiples
versions transmises dans plusieurs langues différentes presque jusqu’au début du
xxe siècle. Lorsque les critiques littéraires théorisaient, ils prenaient en compte la lit- 113
térature dans de nombreuses langues. Le Brihaddeshi de Matanga, recueil médiéval
de styles, est l’exemple le plus exceptionnel d’une critique littéraire découlant du
principe selon lequel la diversité linguistique est la norme. Sous l’ère coloniale,
nombre de langues indiennes ont accédé aux médias imprimés. Auparavant, l’écrit
était connu et de multiples formes d’écriture avaient cours. Le papier a également
été utilisé comme un support sur lequel on reproduisait des écrits. Toutefois, bien
qu’ils fussent « écrits », ces textes continuaient de circuler par le truchement de
l’oralité. L’imprimerie a réduit les traditions orales existantes. De nouvelles normes
littéraires ont été mises en place, qui privilégiaient l’écrit sur l’oral et introduisaient
l’idée qu’un texte littéraire devait être monolingue par essence. Ces idées, ainsi que la
relation de pouvoir créée par le contexte colonial, ont commencé à affecter le trésor
des langues indiennes. Les langues qui n’avaient pas eu accès aux technologies d’im-
pression ont alors été considérées comme « inférieures ». Après l’indépendance, les
États indiens ont été constitués à partir des langues régionales et appelés « États lin-
guistiques ». Si une langue avait une écriture et qu’elle était dotée d’une littérature
imprimée, elle se voyait attribuer une zone géographique en tant qu’État distinct au
sein de l’Union indienne. Les langues qui n’avaient pas de littérature imprimée, bien
qu’elles eussent une riche tradition de littérature orale, n’ont pas été dotées de tels
États. En outre, la langue officielle de tel État était utilisée comme un vecteur dans
l’enseignement primaire et secondaire au sein de l’État en question. De même, un
Inventaire spécial des langues (Schedule of Languages) a été créé dans la Constitution
indienne (huitième inventaire). Cette liste comprenait au départ quatorze langues.
Elle en compte désormais vingt-deux. Le gouvernement a maintenant l’obligation de

N° 86 - Avril 2021
consacrer toutes ses dépenses en matière d’éducation à ces seules langues « invento-
riées ». Le recensement de 1961 avait établi une liste de 1 652 « langues maternelles »
en Inde. Dans le recensement suivant (1971), leur nombre avait été considérablement
réduit : seules 108 langues, comptant plus de 10 000 locuteurs, ont été officiellement
reconnues. Ainsi près de 1 500 « langues maternelles » ont été mises sous le boisseau.
La plupart de ces langues sont parlées par des communautés nomades et autochtones.

Le statut actuel des langues


non écrites
Les auteurs de la Constitution indienne se sont montrés remarquablement
visionnaires en ayant l’idée de créer un inventaire dédié aux langues (le huitième),
qui comprenait à l’origine quatorze langues administratives. Ces langues, connues
du plus grand nombre sous l’appellation « langues répertoriées », sont l’assamiya,
le bengali, le boro, le dogri, le gujarati, le hindi, le kannada, le kashmiri, le konkani,
le maithili, le malayalam, le manipuri, le marathi, le népali, l’oriya, le punjabi, le
sanskrit, le santali, le sindhi, le tamil, le télougou et l’ourdou. La Constitution a auto-
nomisé les différents États en leur conférant le pouvoir de considérer toute langue
comme une langue officielle, même si elle ne figure pas dans le huitième inventaire.
Ainsi, bien que n’y étant pas répertoriés, le kokborok (Tripura), le khasi, le garo
(Meghalaya) et le mizo (Mizoram) jouissent-ils du statut de langues administratives
« officielles ». En outre, un État peut offrir l’enseignement primaire dans quelque
114 langue que ce soit, indépendamment de son statut officiel. En vertu de cette dis-
position, plusieurs langues des communautés adivasis (autochtones) ont été intro-
duites dans les écoles primaires de l’Orissa, du Chattisgadh, de l’Andhra Pradesh,
du Maharashtra et du Gujarat, où les locuteurs de ces langues constituent une part
importante de la population. Dans certains États, de nouvelles langues sont concep-
tualisées et promues au rang de lingua franca, afin de préserver la cohésion d’États
aux langues plurielles. Le rajasthani (Rajasthan), le pahari (Himachal Pradesh) et le
nagamese (Nagaland) sont autant d’exemples de langues « obligatoires2 » promues
par un État indien.
Au cours des siècles derniers, les médias imprimés sont devenus accessibles
à un certain nombre de langues qui ne sont ni officiellement reconnues ni mises
en avant. Bien que ce phénomène soit méconnu, le nombre de petits magazines,
pamphlets et livres à faible tirage édités dans les langues non répertoriées est très
élevé – phénomène qui a conduit le National Book Trust (NBT) à faire des publi-
cations en langues tribales le sujet central de sa Foire internationale du livre en
2014. Le service public national de radiodiffusion All India Radio (AIR) propose des
tranches horaires dédiées à près de 120 langues dans ses programmes régionaux.
En plus des langues susmentionnées, l’Inde compte de nombreuses langues très
importantes. Certaines sont indigènes, à l’instar du kutchhi (Gujarat), du toulou
(Karnataka), du bhojpuri (U.P.-Bihar) et du bagadi (Rajasthan) ; d’autres pro-

2. Dans toutes les écoles indiennes, les enfants doivent apprendre au moins trois langues : une langue définie
par l’État où ils vivent (qui peut être ou non leur langue maternelle), le hindi (ou le sanskrit) et l’anglais (ou une
autre langue européenne). Les trois cursus sont sanctionnés par des examens distincts et l’État en question
fournit les manuels relatifs à ces enseignements.
viennent d’autres pays et cultures et ont été intégrées au fil du temps comme faisant
partie de « nos langues ». Parmi les langues « étrangères » qui restent employées
dans différentes zones du pays figurent l’anglais, le français, le portugais, le bhoti, les
langues iraniennes, l’arabe, le persan/farsi et le pashto.
Tout au long de l’histoire connue du sous-continent, il y a eu un échange
actif et une osmose culturelle entre les langues autochtones et celles issues des migra-
tions, créant chemin faisant une grande littérature dans de nombreuses langues.
Malgré l’immense éventail de la diversité linguistique en Inde et le soutien
officiel accordé à un nombre de langues relativement important, le trésor linguis-
tique du pays commence à présenter les signes d’un déclin rapide. Divers facteurs
historiques expliquent cette érosion. L’imprimerie a profondément frappé les langues
indiennes au cours du xixe siècle. Ensuite, le processus de réorganisation des États
a érigé en principe l’idée qu’une langue n’était une langue que si elle comprenait
une littérature imprimée. À l’évidence, des langues comme le bhojpuri ou le gondi,
quoique ayant de nombreux locuteurs, n’ont jamais été envisagées pour obtenir le
statut d’État au sein de l’Union ni pour l’enseignement scolaire. La réorganisation
des États indiens sur des bases principalement linguistiques a fait des langues déjà
marginalisées et « non imprimées » des langues « minoritaires ». Ainsi du bhili,
langue très importante en soi avec plus de vingt millions de locuteurs, qui a été
répartie sur quatre États, devenant minoritaire dans chacun d’eux : le Maharashtra,
le Madhya Pradesh, le Gujarat et le Rajasthan. La mort d’une langue est littéralement
murée dans le silence. Par sa nature même, elle ne peut être visible, échouant ainsi à
émouvoir quiconque, sinon son tout dernier locuteur qui nourrit, esseulé, un espoir
115
de réaction. Quand une langue disparaît, elle s’en va pour toujours, emportant
avec elle les savoirs accumulés pendant des siècles. Il ne faut pas nécessairement un
tsunami balayant tout sur son passage pour annihiler une création de la nature. Une
décision insignifiante prise par un bureaucrate peut aussi en être la cause. Même un
inventaire des langues mû par de bonnes intentions peut avoir cette conséquence.

Usages scolaires et sociaux


de l’expression orale
La première décennie des années 2000 a été marquée en Inde par l’émer-
gence de l’expression de la voix des communautés indigènes. Tout au long de ces
dix années, cette voix s’est fait entendre de manière remarquable à travers de petits
magazines publiés en différentes langues. Auparavant, la créativité littéraire des
communautés autochtones ne nous était parvenue qu’à travers les enregistrements
d’anthropologues, de linguistes et de folkloristes. De plus, les traductions par les-
quelles le folklore avait été transcrit étaient en grande partie illisibles – à l’exception,
peut-être, des travaux de Verrier Elwin3. D’une certaine façon, l’imaginaire des
« janajatis » (le terme officiel pour désigner les indigènes) ou celui des Adivasis
d’Inde sont restés inaccessibles au reste du pays.

3. Elwin a collecté un vaste corpus de chants et d’histoires dans plus d’une douzaine de langues des
peuples indigènes de l’Inde centrale. Les livres qu’il a publiés, fondés sur ce recueil, ont ouvert à l’Inde post-
Indépendance une fenêtre de référence sur la culture et les langues des autochtones.

N° 86 - Avril 2021
Au début du xxe siècle, lorsque les Dalits ont commencé à marquer de leur
empreinte la littérature indienne, les Adivasis sont restés entièrement cantonnés
dans les limites de leur tradition orale constituée d’épopées, d’histoires et de chants.
En fait, il fallut un observateur bienveillant comme Verrier Elwin pour s’exprimer
au nom des Adivasis (à savoir, les autochtones), parce qu’ils sont demeurés discrets.
Même après l’indépendance, la fiction des Adivasis a dû se frayer un chemin pour
s’exprimer à travers les écrits de Gopinath Mohanty et de Mahasveta Devi, tous
deux très sensibles au sort des Adivasis sans en faire partie eux-mêmes. C’est dans
ce contexte que Narayan, locuteur du malayalam et auteur du roman Kocharethi,
acquiert une immense importance historique. Kocharethi, écrit en 1988 et publié en
1998 en malayalam, est véritablement le premier roman tribal en Inde. La littérature
indienne rend hommage à l’œuvre non seulement à ce titre, mais aussi parce que
c’est une réussite littéraire remarquable. C’est important à la fois sur le plan histo-
rique et sur le plan littéraire. Il est même d’autant plus important de s’y attarder qu’il
prépare le terrain pour des voix d’Adivasis qui émergent de tout le sous-continent.
À l’heure où la majeure partie de la société se satisfait de regarder les Adivasis à leur
place d’éternels marginaux, et alors que l’État diabolise, en quelque sorte, le mécon-
tentement qui s’exprime parmi les Adivasis, Narayan a sans aucun doute accompli
le travail essentiel de bâtir un pont absolument nécessaire et, de ce fait, tout à fait
bienvenu.

Les traditions lyriques et dramatiques des communautés adivasis et les


récits picaresques élaborés par les communautés nomades restent l’une des pièces
116 importantes de la mosaïque indienne de la créativité littéraire, d’une richesse for-
midable (Devy, 2003). Dans la plupart des cas, les œuvres littéraires créées dans les
langues des communautés adivasis indiennes sont, par nature, orales. Le nombre de
langues dans lesquelles s’expriment les communautés tribales indiennes est tout à
fait stupéfiant. La réorganisation des États indiens après l’indépendance s’est faite
sur des bases linguistiques. Les langues écrites ont été prises en compte. Celles qui
ne s’écrivaient pas – et qui n’avaient donc pas de littérature imprimée – n’ont pas
obtenu leurs propres États. Les écoles et les universités ont été créées pour les seules
langues officielles. Celles que l’on n’écrivait pas, malgré les trésors de sagesse qu’elles
charriaient oralement, n’eurent pas la chance de décrocher des institutions éduca-
tives dédiées. C’est dans ce contexte de négligence flagrante qu’il faut comprendre la
créativité des langues des communautés adivasis indiennes. Il y a une quarantaine
d’années, lorsque la littérature dalit a commencé à recevoir la lumière des projecteurs
de la nation braqués sur elle, il était d’usage d’inclure les Adivasis et les nomades
au sein du mouvement dalit. À l’époque, le Nord-Est n’était rien d’autre qu’une
rumeur pour le reste de l’Inde. Au début des années 1990, j’ai décidé d’aborder des
langues telles que le kukna, le bhili, le gondi, le pizo, le garo, le santhali, le kinnauri,
le garhwali, le dehwali, le warli, le pawri et j’en passe. Je m’attendais à y découvrir
quelques centaines de chants et d’histoires, tout au plus. Au début de mon travail,
mes collègues adivasis et moi-même avons lancé une série de magazines dans
des langues de ces communautés. Ces langues comprennent divers sous-groupes
de la famille bhili et quelques langues de communautés nomades, à l’instar du
bhantu parlé par les Sansis et du gor-banjara parlé par les Banjaras. J’ai désormais
conscience de la part douloureusement infime de cette grande richesse littéraire
que mes modestes efforts ont réussi à saisir. Si un programme de publication systé-
matique était créé afin de documenter la littérature tribale orale de l’Inde, plusieurs
centaines de titres pourraient être lancés en un tournemain à partir des traditions
orales.

La civilisation indienne est fondée sur des savoirs développés à travers les
traditions orales. Néanmoins, au cours de l’histoire, l’oral a été progressivement
perçu comme étant inférieur à l’expression écrite. Le colonialisme et les technologies
d’impression ont contribué à accentuer davantage encore cette marginalisation. Par
conséquent, le système éducatif et la transmission des savoirs en Inde ne considèrent
pas l’apprentissage oral et la reproduction orale de connaissances comme des moda-
lités viables de traitement du savoir et de production de la connaissance. Le présent
de l’oral est absolument blafard, en dépit des tentatives de lui rendre les prérogatives
qu’il mérite.
Il faut ajouter à cette conclusion que le « système » éducatif indien est
constitué d’un large spectre de modèles pédagogiques et de modes d’administration
de l’éducation. L’Inde compte des écoles gouvernementales (state run schools), mais
dans un État donné, les méthodes et règlements employés peuvent différer consi-
dérablement de ceux qui sont en vigueur ailleurs. Il existe une myriade d’écoles
dites « expérimentales » influencées par les philosophies du Mahatma Gandhi, de
Rabindranath Tagore, de J. Krishnamurti, de Montessori, d’Ivan Ilitch et du British 117
Council, par les responsables de divers ordres religieux et de sectes, et même des
écoles gérées selon les modèles traditionnels précoloniaux. Il serait impossible de
trouver des dénominateurs pédagogiques communs entre une madrasa, une école
de mission catholique, une école gérée par une communauté spirituelle, un éta-
blissement d’enseignement militaire et une école municipale. Cependant, dans la
grande masse de ces institutions, le rôle de « l’oral » se limite à l’apprentissage par
cœur des tables de multiplication, la plupart du temps par la récitation collective
et à voix haute, et à l’apprentissage de poèmes dans le premier cycle du secondaire.
Tout le reste des apprentissages passe par l’écrit. Les examens ont lieu exclusivement
sous forme écrite, de la première année de scolarisation à la fin d’un cursus dans
l’enseignement supérieur. L’évaluation des thèses de doctorat est obligatoirement
soumise à une soutenance orale. Toutefois, au cours des vingt dernières années,
même cet exercice connaît une tendance lourde à prendre la forme de présentations
PowerPoint au cours desquelles les candidats finissent par lire à voix haute ce qui
est écrit à l’écran. En Inde, les résultats sur le plan des apprentissages sont inté-
gralement mesurés sous la forme d’épreuves écrites et l’éducation n’est perçue que
comme une préparation garantissant l’accès à l’emploi. En d’autres termes, « l’oral »
a plus ou moins disparu de l’enseignement tel qu’il est conçu dans l’Inde contempo-
raine.

N° 86 - Avril 2021
Bibliographie
AMBEDKAR B. R. (1946). Who Were the Shudras? How They Came to be the Fourth
Varna in the Indo-Aryan Society?
AUSTEN P. et McGill J. (2011). Endangered Languages. Oxford : Routledge.
DEVY G. N. (2003). Painted Words: The Literature of Adivasis and Nomads. Delhi :
Penguin.
— (2014). The Bing of Bhasha: General Introduction to the People’s Linguistic Survey of
India. Delhi : Orient Blackswan.
— (2017). The Crisis Within: On Knowledge and Education in India. Delhi : Aleph.
DONIGER W. (2009). Intellectual Ethos of India: An Alternative History. New York :
Viking.
Indian population stood at 1.21 billion in 2011. https://Censusindia.gov/2011-prov-
results/indiaatglance.html (consulté le 25 janvier 2021).

118
L’oral dans l’éducation
au Japon :
un long chemin
Nozomi Takahashi
Université de Strasbourg

Comprendre le Japon d’aujourd’hui, donner une idée des modes de


communication actuels de sa société, préciser enfin comment ce fonctionnement
social prend son origine dans une éducation pilotée par des politiques parfois
contradictoires, qui sont celles de chaque époque, c’est forcément se tourner vers le
passé. Quelle place l’oral a-t-il tenue au fil du temps dans l’enseignement japonais ?
Où en est-on aujourd’hui ? Dans ce texte, nous ferons ensemble le parcours néces-
saire et en viendrons à réfléchir aux enjeux actuels1.
Avec l’ère Meiji, c’est-à-dire dans les trente dernières années du xixe siècle,
et la fin du morcellement du pays entre différents gouvernements locaux dits
shogunats, s’interrompt une longue période de repli historique (1639-1854), et le
Japon va s’ouvrir à nouveau au monde occidental et à la modernité (Souyri, 2016).
On sait, par ailleurs, quel rôle l’école tient dans la culture japonaise et comment
l’archipel a bénéficié de longue date d’une population scolarisée et éduquée par
l’écrit (Galan, 1998). 119
C’est pourquoi il est possible de décrire, parallèlement à la communication
sociale, l’évolution méthodologique de l’enseignement des langues, et en premier
lieu de la langue maternelle, puis les pratiques orales et écrites, sans les dissocier, en
se référant aux instructions curriculaires pour l’enseignement de la langue japonaise
à l’école.

Avant l’ère Meiji (avant 1868)


Vers le milieu de l’époque d’Edo, au xviiie siècle, à côté des écoles de fiefs
que fréquentent les enfants des samouraïs, apparaissent d’autres écoles appelées
terakoya, qui sont des institutions privées de formation, où les enfants du peuple
apprennent les bases de la lecture et de l’écriture. Ces institutions seront un pilier
fondamental de l’éducation moderne vers la fin du xixe siècle. La compétence prin-
cipale que l’on cherche à développer chez l’élève est, à l’époque d’Edo, la lecture à
haute voix des textes du canon confucéen. Héritage des lettrés, ces textes sont refor-
mulés de façon plus intelligible par le maître. Écrits en chinois classique, ils sont
oralisés en japonais. On recourt à des méthodes établies telles que le sodoku, une
théorie d’apprentissage qui consiste à lire à plusieurs reprises pour pouvoir répéter
sans regarder les textes. Il faut imaginer la classe comme le lieu où plusieurs audi-
teurs écoutent d’abord silencieusement ce que lit le maître.

1. Nous remercions Évelyne Lesigne-Audoly (Université de Strasbourg) de sa relecture attentive et de ses


suggestions.

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Depuis l’ère Meiji (1868-) :
politique linguistique
et modernisation
À cette époque, il existe, bien entendu, un écart entre la langue écrite et
celle qui est parlée (d’ailleurs sous ses différentes variétés archipélagiques), même
si le rapprochement de la langue écrite et de la langue orale, genbun itchi, progresse
peu à peu, notamment sous l’effet de la création littéraire de l’époque mais aussi
d’une éducation qui se généralise. En outre, étant donné que le vocabulaire différait
d’une région à l’autre et que le japonais vernaculaire n’était pas unifié, la question de
la langue nationale se posait en termes d’unité politique et de gouvernement. La pos-
sibilité d’une langue nationale et d’une écriture nationale (kokugokokuji mondai),
était un principe encouragé par les autorités impériales, avec pour objectif une adap-
tation aux besoins de la modernité.
En 1872, un système scolaire est institué et des normes sont fixées pour
l’enseignement obligatoire, telles que le tracé des caractères, les deux syllabaires
(hiragana et katakana représentant les sons) ou encore la réduction du nombre de
kanji (les idéogrammes représentant à la fois sons et idées, qu’il faut apprendre lon-
guement, environ 1 000 kanji au primaire, 1 000 autres au collège). Dans le système
d’enseignement d’alors, le dialogue, la « conversation » (kaiwa) était proposée avec
l’écriture, l’orthographe et la lecture de texte. On peut noter qu’elle n’était pas une
fin en soi, mais qu’elle avait pour fonction de contribuer à apprendre la pronon-
120 ciation par la lecture à haute voix du texte dit « de conversation ». À cette époque, on
est bien conscient qu’il est difficile à des locuteurs parlant des dialectes différents de
communiquer. C’est pourquoi les autorités encouragent autant que possible la nomi-
nation d’enseignants venant d’autres régions qui n’utilisent pas le même dialecte que
les enfants. Comme dans bien d’autres pays, le processus visait évidemment à établir
la langue japonaise comme standard (Soeda, 1994).
Depuis 1894, la langue nationale est appelée, en termes de politique lin-
guistique, kokugo, à la différence de nihongo : langue japonaise. Kokugoka, la matière
« langue nationale », est créée en 1900, par une révision de l’ordonnance sur l’école
élémentaire. Depuis, la langue japonaise est devenue une langue nationale. Derrière
cela, il y avait un fort sentiment d’homogénéité ethnique, et on peut dire que le
japonais a naturellement pris racine en tant que langue du pays comme entité sociale
et politique. Le contenu de son enseignement était centré sur la lecture, l’écriture et
l’orthographe, et il y avait beaucoup moins de références à l’oral, au style de parole,
aux « manières de dire ». L’éducation en langue standard est alors largement dif-
fusée, ce qu’illustre l’utilisation de règles normatives dans les manuels nationaux
établis par le gouvernement depuis 1903. Il y a, dans cette logique, la préconisation
selon laquelle les enseignants qui peuvent utiliser la langue standard doivent éga-
lement être formés à son enseignement. On notera surtout que celui-ci était placé
alors en position subordonnée à d’autres matières qui donnaient des connaissances
de culture générale, telles que la géographie et l’histoire, et contribuaient simulta-
nément à la maîtrise de la langue.
Si l’on en vient plus précisément à l’enseignement de l’oral, on observe une
lente prise de conscience de sa nécessité et c’est toujours en vue du renforcement
en langue japonaise comme élément identitaire que les éducateurs en japonais
et les spécialistes vont se déterminer. Ils proposent, au début du siècle, un ensei-
gnement spécifique pour l’oral, incluant la conversation déjà mentionnée et la
connaissance du fonctionnement de la langue parlée. On trouve chez un théoricien
comme Ogasawara (2001) des données importantes sur cette avancée. Ainsi, il
cite Ishii Shôji, qui soulignait, en 1890, que « l’enseignement de la grammaire était
rarement dispensé et que les lectures qui avaient été menées dans les terakoya le res-
taient encore à [son] époque ». Au même moment, Tsuji Shinji déclarait déjà que « le
contenu d’apprentissage de la lecture, de la composition et de la calligraphie n’[était]
pas adapté à une société dans laquelle il est nécessaire d’exprimer oralement des
idées en public ». Et, comme Tsuji, le philologue Ueda Kazutoshi remarquait alors :
« Exprimer oralement des idées dans sa langue est une tâche urgente dans la société
d’aujourd’hui. » Il est proposé également de mettre en place un cours de japonais
dès l’école primaire, afin d’enseigner la prononciation, l’orthographe, les accents, la
grammaire et, point important qui apparaît enfin, les techniques du débat.
De telles propositions aboutissent à l’installation de la langue nationale en
tant que matière. Mais même avant sa création par le ministère de l’éducation de
l’époque, cette matière prend le caractère d’une forme d’éducation morale plutôt
que d’une éducation langagière. Il faut d’ailleurs garder à l’esprit l’extension de
l’enseignement obligatoire, dont l’objectif est également d’intégrer autant que pos-
sible des contenus et de gérer par la lecture et de manière holistique les connais-
sances liées à divers sujets. En d’autres termes, pour la nation, l’enseignement du
japonais en tant que matière scolaire et langue nationale était un moyen d’enseigner
121
avant tout la connaissance et la morale. L’objectif reste inchangé jusqu’à la pro-
mulgation de l’ordonnance sur l’école nationale de 1941 (Ogasawara, 2001), qui a
pour objectif de promouvoir la militarisation du Japon, et de donner encore plus
de vigueur à l’effort de guerre : on y préconise, par exemple, la lecture de textes
concernant l’Empereur, clairement dans une perspective d’éducation morale
(shûshin kyôiku).

Après la Seconde Guerre


mondiale
La première directive d’orientation de l’apprentissage est publiée par
le ministère de l’éducation en 1947. Projet majeur dans le cadre de la nouvelle
Constitution, l’enseignement obligatoire est fixé à une durée de neuf années, entre 6
et 15 ans (six années d’école élémentaire, trois années de collège), et le programme
d’enseignement sera révisé environ tous les dix ans, en réponse aux exigences du
moment. La position de l’oral dans l’enseignement de la langue japonaise d’après-
guerre peut être résumée dans les cinq périodes de transition suivantes. Nous nous
référons ici aux directives d’orientation de l’apprentissage pour la matière « langue
japonaise » publiées jusqu’à ce jour par le ministère de l’éducation, l’année entre
parenthèses étant celle de l’annonce des instructions officielles.

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Éducation et vie sociale (1947)
L’accent est mis, dans l’après-guerre (terme utilisé en japonais), sur l’amé-
lioration de la capacité langagière dans la vie de tous les jours. Les directives pédago-
giques du projet de 1947 incluent « parler (y compris écouter) », « rédiger (écrire) »,
« lire (y compris la littérature) », « écrire (y compris la calligraphie) » et « gram-
maire ». Dans ce projet, lié à la nouvelle ère démocratique, l’importance est donnée
à la discussion, et le terme apparaît. Elle se concrétise, dans le curriculum, par un
apprentissage à travers des activités langagières. L’objectif est de « s’adapter à la
société, de développer la personnalité […], de développer la capacité de parler et
d’écrire efficacement ». On apprendra à « écouter attentivement » et à « écouter les
histoires des gens ». Le texte mentionne également qu’il est attendu une formulation
correcte, facile à comprendre et appropriée, avec un soin apporté à l’attitude, la pro-
nonciation et le ton. De plus, les formes de conversation, le dialogue, le discours en
solo, la lecture, le théâtre, etc., sont spécifiées et classées, et les expressions faciales
et les gestes sont également mentionnés. Une approche historique et géopolitique
révèle aisément le poids de la Constitution de 1946 et du soft power nord-américain
dans ce paradigme linguistique et éducatif d’un Japon renaissant.

La transition : de l’empirisme
au systématisme (1958, 1968)
Dans les directives de 1958, apparaît une insistance sur la mise en œuvre
122 complète de la méthode de base, soulignant une nécessaire façon correcte de « parler
clairement et écouter honnêtement » (la morale est toujours présente), tout au long
de la scolarité. La perspective empirique est réduite, un tableau des compétences
linguistiques est proposé : on va vers un enseignement explicite plus systématique.
Dans l’édition de 1968, les actes spécifiques d’« écouter » et de « parler » ne sont
plus décrits, et sont désormais inclus dans les compétences de « compréhension »
et d’« expression ». Par ailleurs, étant donné que des moyens d’enregistrement et de
diffusion tel le magnétophone se répandent pendant cette période, dans une société
japonaise hautement technologique, le terme « langue orale » est utilisé pour la pre-
mière fois, et on mentionne explicitement l’utilisation de matériel didactique à cet
effet.

Des activités langagières


aux compétences linguistiques
(1977)
Dans la version 1977 des directives, figurent les termes « expression »,
« compréhension » et « questions linguistiques ». Il faut noter cependant que, si cette
version propose une approche linguistique autour des thèmes « kanji, vocabulaire,
grammaire, parler pour s’exprimer, écouter pour comprendre », etc., « parler » et
« écouter » sont divisés en « expression » et « compréhension », ce qui est un incon-
vénient pour une éducation globale et interactive à la communication. En outre, on
repère un glissement vers une vision éducative qui met l’accent sur la capacité lin-
guistique plutôt que sur l’apprentissage par des activités véritablement langagières.
Vivre en autonomie
à l’ère informatique
(1988, 1998, 2008)
Dans l’édition de 1988, de nombreuses références manifestent encore le
principal enjeu – le développement d’une compréhension de la langue écrite –, mais
celui-ci est tourné vers un autre horizon d’attente : la capacité à répondre de manière
autonome aux besoins d’une société de plus en plus informatisée. Est également
mentionnée l’importance du développement personnel pour l’expression et le parler/
écouter. En particulier, l’accent va de façon naturelle se porter sur un enseignement
de la langue parlée. S’ajoutent aux apprentissages scolaires les pratiques informelles
ou assistées hors de la classe : médias audiovisuels, chanson, réseaux sociaux, jeux,
bande dessinée (avec son oralisation à la télévision et ses onomatopées), ou encore le
dibêto (de l’anglais debate).
Dans l’édition de 1998, les domaines d’apprentissage ont changé : il s’agit
de savoir parler, écouter, écrire, lire, et des éléments d’enseignement sont axés expli-
citement sur les activités linguistiques (kanji enseigné spécifiquement, vocabulaire,
grammaire). Désormais, parler et écouter sont intégrés. Jusqu’alors, la capacité de
parler était souvent enseignée en tant que telle et l’écoute avait pour but de capter
des informations importantes. Désormais, on ajoute des activités interactives
d’expression et d’écoute. Par exemple, dans les classes pour les jeunes enfants, on
vise à développer une attitude ouverte à l’échange oral, puis dans les classes inter-
médiaires, à favoriser le goût de la discussion volontaire, et enfin dans les classes 123
supérieures, on promeut la discussion « avec préméditation », donc organisée. Dans
ces directives, parler et écouter sont positionnés comme prioritaires, avant écrire et
lire.
Dans l’édition 2008, on va même jusqu’à évoquer l’idée de « développer
la capacité de vivre ». On voit se faire jour une conception qui met l’accent sur le
développement des capacités linguistiques et l’acquisition de connaissances ou de
capacités, non seulement dans le cours de langue japonaise, mais aussi dans toutes
les autres matières.

Un apprentissage ouvert
sur la vie sociale (2017-)
Dans la version 2017, l’enseignement de la langue, conforme à une tendance
générale en éducation, observable aussi en Europe, est requalifié en un apprentissage
actif, dans lequel les élèves, en autonomie, prennent des initiatives pour résoudre
des problèmes en collaboration avec les autres. Le but de cette évolution est bien
d’améliorer la capacité de communiquer dans la vie quotidienne à travers des acti-
vités langagières. Par conséquent, c’est une méthode d’enseignement-apprentissage
actif qui est encouragée dans toutes les matières. Le fait de parler et d’écouter fait
partie du développement de « la capacité de réflexion, de jugement et d’expression »,
et la méthode d’apprentissage est centrée sur le travail en projet, la discussion et le
travail en groupe. De plus, on mentionne que les compétences en langue sont la base
de l’apprentissage dans toutes les matières. Il faut ajouter à ce dispositif éducatif des

N° 86 - Avril 2021
activités périscolaires ou libres, favorables à la prise de parole et très encouragées : le
chant, le théâtre, la pratique des concours et des certifications nombreuses, qui sont
une caractéristique d’un système éducatif dans lequel l’évaluation compte beaucoup.

Le terme « communication »
Il est important, pour saisir la portée de ces changements historiques dans
le paradigme éducatif, de passer par la sémantique. Le mot équivalent à « commu-
nication » est komyunikêshon. On sait qu’en japonais, les mots d’origine étrangère
peuvent être transcrits en alphabet rômaji, mais dans la pratique, ils le sont plutôt
par le système des katakana, l’un des deux syllabaires japonais. Les mots d’origine
étrangère, écrits en katakana, peuvent transcrire les noms d’objets importés d’un
pays étranger ou les concepts qui n’ont pas été trouvés au Japon. Notre exemple
est un mot d’origine anglaise, mais cela ne dit pas qu’il n’y avait pas de concept
correspondant à « communication » au Japon. Par exemple, en japonais, les mots
qui désignent l’action de « communiquer » sont nombreux : hanashiau : discuter ;
tsuujiau : comprendre réciproquement ; kaiwasuru : engager une conversation ;
taiwasuru : dialoguer ; ou encore dentatsusuru : transmettre, etc. Ils sont utilisés
selon les contextes et cohabitent avec le terme komyunikêshon. On sait que le niveau
de couverture lexicale est très faible en japonais, c’est-à-dire qu’une réalité peut être
désignée différemment et de multiples façons selon l’angle d’approche, ce qui mul-
tiplie les mots pour la désigner.
124 Chez Okamoto (2017), le mot « communication » est utilisé dans des situa-
tions où des relations interpersonnelles se produisent, par exemple, dans le manuel
d’apprentissage des langues, le savoir-vivre dans les affaires professionnelles, la garde
des enfants ou les soins médicaux, avec leurs propres définitions et explications.
C’est là qu’intervient le langage honorifique japonais, le keigo, d’ailleurs enseigné
à l’école, mais qui doit s’adapter à la société actuelle. Ainsi, différentes significa-
tions sont incluses dans komyunikêshon : en sciences « dures », le terme signifie
transmission de l’information par la technologie, ce à quoi les sciences sociales ne
peuvent le réduire. Il est donc impossible de ramener les différentes définitions du
mot « communication » à une seule. Le mot komyunikêshon circule comme un mot
contextualisé de large extension.
L’enseignement du japonais langue étrangère est révélateur, de ce point
de vue. Dans les directives pédagogiques pour les cours de japonais mentionnées
ci-dessus, le mot « communication » est rarement utilisé. Cependant, si l’on
considère l’enseignement des langues étrangères (principalement l’anglais) dans
ces mêmes directives d’orientation, le mot « communication » y prend toute sa
place : il est défini comme objectif de l’enseignement de l’anglais dès 1989, et sa fré-
quence d’utilisation est élevée. En revanche, dans les directives qui concernent la
matière « langue japonaise », ce sont les mots « dialoguer », « discuter » mentionnés
ci-dessus qui sont utilisés. Okamoto explique :
Parce que la matière « langue japonaise » développe quatre compétences linguis-
tiques : écouter, parler, lire et écrire en fonction du moment de développement
personnel des élèves, c’est donc une éducation de la communication. Cela explique
qu’il semble y avoir un accord tacite pour ne pas utiliser le mot « communication »
aveuglément 2 (Okamoto, 2017).
En outre, dans l’enseignement de l’anglais, la compétence communicative
se concentre officiellement sur des capacités telles que « pouvoir communiquer de
manière appropriée dans une langue étrangère en fonction de la situation, de la cir-
constance et du but ». En dehors de la classe, l’anglais (ou plutôt l’anglo-américain)
est très populaire, surtout à l’oral chez les jeunes, dans les variétés et les médias, et la
langue japonaise lui emprunte sans cesse. Pourtant, il y a loin de l’école à la société,
des instructions à la réalité : l’épreuve d’entrée à l’université, à titre d’exemple, ne
comporte qu’un exercice d’écoute. Pour ce qui est de la langue japonaise comme
matière du curriculum, on peut dire qu’elle a un objectif différent : « enrichir les
sensibilités à travers le processus de discussion et de dialogue ». Cependant, nous
l’avons dit, lorsque nous parlons de « la capacité de communication », cette der-
nière ne signifie pas seulement aptitude à transmettre des informations. Il est fon-
damental d’approfondir le sens de ce que veut dire « acte de communication » en
reconstruisant culturellement le sens du mot « communication » dans la société
japonaise.

Langue nationale
et communication exolingue
L’éducation scolaire que nous avons vue jusqu’à présent suppose que
tous les enfants de la classe soient des locuteurs natifs de japonais. Cependant, ces 125
dernières années, le nombre d’enfants étrangers ayant besoin d’un enseignement
de langue japonaise est en augmentation. Selon l’enquête de 2016 du ministère
de l’éducation, cela concernait 45 000 enfants environ, dont un quart n’était pas
scolarisé. Tout en restant certes très limité (le Japon compte plus de 120 millions
d’habitants), ce nombre était 1,7 fois plus élevé qu’il y a dix ans.
Si l’objectif de l’enseignement scolaire est « d’améliorer la capacité de
communiquer tout en interagissant avec les gens dans la vie quotidienne », une
société qui se voudrait multilingue et multiculturelle devrait rendre possible la
communication avec des personnes dont le japonais n’est pas la langue maternelle.
De nombreuses opinions expriment la nécessité de réexaminer la nomination de la
langue nationale désignée comme kokugo, pour lui préférer le mot nihongo, qui serait
plus approprié à l’évolution de la société, car il saisit objectivement la langue japo-
naise (Muramatsu, 2002). De toute manière, et en fonction de la sociodémographie
japonaise du xxie siècle, il sera peut-être nécessaire d’envisager l’enseignement de la
langue maternelle comme existant non pas dans une société qui serait idéalement
monolingue, mais dans une société où serait reconnue la diversité linguistique, de
Hokkaido à Okinawa, celle des langues, des dialectes, des sociolectes, des parlers
générationnels, avec les implications de reconnaissance symbolique et éducative que
cela suppose.

2. Notre traduction.

N° 86 - Avril 2021
Dans l’apprentissage du japonais, il semble désormais nécessaire de
regarder autrement le développement des compétences communicatives et d’envi-
sager une communication avec des personnes de langues et de cultures différentes.
Le concept de Easy Japanese est né de la nécessité de transmettre des informations
aux étrangers d’une manière facile à comprendre, par exemple à travers des annonces
radio ou télévisées en cas de catastrophe (comme après le séisme de Hanshin-Awaji
[Kobe] en 1995 et celui de la région du Tohoku, en 2011). C’est une langue japo-
naise qui éviterait d’utiliser des termes techniques, des expressions difficiles ou des
expressions honorifiques, afin d’être facilement compréhensible par des locuteurs
non natifs du japonais ou le maîtrisant insuffisamment. Dans la logique de cette
hypothèse, qui relève à la fois du politique, de la démographie et du vouloir-vivre
ensemble (le concept japonais de « symbiose » recouvre ce projet), locuteurs natifs
et non natifs du japonais pourraient apprendre et développer ensemble des formes
linguistiques aujourd’hui en construction.

Au fil du chemin, nous avons pu donner au lecteur une idée des différentes
phases qu’a vécues la langue japonaise au cours du temps. Les rapports entre oral et
écrit se sont transformés, on l’a vu, non seulement en fonction de facteurs linguis-
tiques et institutionnels, mais aussi historiques, ethnologiques et géopolitiques. Les
évolutions pédagogiques ont pu emprunter des voies différentes. Les attentes sont
126 grandes et parmi elles, on pourrait distinguer celles qui relèvent du système (un
fonctionnalisme à visée économique et professionnelle, mais aussi une conception
du lien social [kizuna], de l’acteur social) et celles qui relèvent des individus (les
jeunes, les personnes isolées dans une société vieillissante, avec le cas extrême du
repli sur soi).
La spécificité culturelle et formelle d’une langue telle que le japonais doit
donc être soulignée, si l’on souhaite éviter la tentation de plaquer des représentations
et des schèmes trop simples, voire stéréotypés ou occultant la complexité, sur des
pratiques sociales par ailleurs en constante évolution. Le confucianisme sert trop
souvent d’explication. Les structures démocratiques nationales (nées d’une guerre
moderne et non d’une révolution), la culture éducative, le rapport au pouvoir, le
mode de vie collectif ne sauraient être interprétés à l’aune des pays occidentaux.
Les médias qui segmentent plus que jamais une population en communautés de
goûts et d’intérêts, les innovations technologiques inégalement partagées empêchent
parfois aussi la mixité sociale et les rapprochements linguistiques. Cela va encore
jouer de manière imprévisible sur le paysage linguistique : on a d’abord écrit à la
main et à la plume, puis à la machine et maintenant on dicte à son smartphone et
on « chatte » sur les réseaux sociaux (appelés SNS en japonais), et voilà que l’écrit et
l’oral sont plus que jamais indissociables. Les tendances sociolinguistiques sont dif-
ficiles à discerner et, plus encore, à anticiper. Même la pandémie aura des effets sur
les pratiques virtuelles en face à face, avec des règles discursives nouvelles, souvent
ritualisées autrement.
Il restera à voir comment le japonais manifestera ses particularités, ses
formes identitaires dans les avatars de la mondialisation, en Asie de l’Est et ailleurs
comme langue étrangère. Actuellement, sa sphère d’influence par le manga, le
dessin animé, le drama, est considérable, notamment en France et aux États-Unis.
Très active à travers ses institutions telles que le NINJAL (Institut national pour
la langue et la linguistique japonaises), la Fondation du Japon et les universités,
l’éducation japonaise aura à reformuler des perspectives et des principes d’action.
Des recherches collaboratives, par exemple sous forme de recherche-action entre
ces institutions et les praticiens, seraient utiles à des innovations curriculaires,
notamment pour resituer l’enseignement de l’oral dans l’éducation japonaise.

Bibliographie
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manuels ». Ebisu-Études japonaises, no 17, p. 5-47.
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- début de l’ère Showa)] ». 人文研究 大阪市立大学文学部紀要 [Recherches en sciences
humaines, Bulletin de la Faculté des lettres, Université municipale d’Osaka], p. 15-29.
SOUYRI Pierre-François (2016). Moderne sans être occidental. Paris : Gallimard.

N° 86 - Avril 2021
Quelques réflexions
sur les compétences
d’écoute et d’expression
orale dans l’école
italienne*
Miriam Voghera
Université de Salerne

Dans cet article nous proposons une synthèse du rôle que l’oral (écouter et
parler, désormais É&P) joue dans l’école italienne. Après une brève description de
la situation linguistique italienne, caractérisée par un fort multilinguisme endogène
et exogène, nous verrons comment celle-ci et le plurilinguisme qui en résulte se
reflètent dans le répertoire linguistique – oral et écrit − des classes à l’école. Nous
illustrerons par la suite les principaux objectifs liés aux compétences prévus dans
les curriculums scolaires et nous verrons si et comment ils sont poursuivis dans la
pratique réelle. Enfin, nous aborderons un certain nombre de questions liées à la for-
mation des enseignants, qui, à notre avis, sont essentielles au succès de l’éducation
linguistique, et pas seulement dans l’école italienne.
129
Quelques données
sur la situation linguistique
italienne passée et présente
Dans l’histoire linguistique italienne, l’oral et l’écrit ont été distincts
pendant des siècles, non seulement en tant que modes différents de communication,
mais parce qu’ils ont été associés à des langues différentes : le premier avec des dia-
lectes, des parlers romans dérivés du latin parlé et donc langues sœurs de l’italien, le
second avec l’italien. Ce dernier est né et est resté longtemps une langue consacrée
à l’écriture d’œuvres littéraires, qui n’était pas utilisée pour la communication quo-
tidienne : une langue qui ne s’apprenait pas en parlant, mais en lisant. Cela signifie
que seule une proportion minime de personnes alphabétisées pouvait, dans le passé,
entrer en contact avec l’italien1.
Au fil du temps, le nombre d’utilisateurs de l’italien a augmenté progres-
sivement, mais, bien entendu, le nombre de locuteurs natifs de l’italien ne s’est pas
accru aussi rapidement. Autrement dit, l’italien s’est répandu en tant que langue offi-
cielle, cultivée, formelle, alors que les dialectes restaient la langue maternelle de la
plupart des Italiens, qui continuaient à les utiliser non seulement pour les questions

* Article traduit de l’italien par Marisa Cavalli.


1. Au moment de l’unification du royaume d’Italie (1861-1870), on estime que les locuteurs de l’italien représen-
taient entre 2,5 % et 10 % de la population totale, suivant que l’on accepte le calcul réalisé soit par De Mauro
(1963) soit par Castellani (1982).

N° 86 - Avril 2021
strictement domestiques, mais dans toutes les situations, même publiques non offi-
cielles. En d’autres termes, il existait une situation de véritable diglossie : les dialectes
et l’italien avaient des fonctions communicatives différentes et distinctes, qui de fait
n’entraient pas en contact.
Cette situation a perduré jusque dans les années 1970, bien que l’italien ait
continué à gagner du terrain et que le nombre de ceux qui ne parlaient que le dia-
lecte ait continué à diminuer. Cependant, il est intéressant de souligner que l’aug-
mentation de l’utilisation de l’italien n’a pas correspondu à une simplification de
la situation linguistique, mais qu’elle a contribué, au contraire, à une plus grande
complexité. Les dernières données dont nous disposons, de 2015 (ISTAT, 2017), font
état d’une situation de multilinguisme marqué. L’italien est parlé par 75 % de la
population dans des situations formelles (13 % l’alternent encore avec le dialecte),
mais à la maison, seuls 46 % environ parlent toujours l’italien, tandis que 32 %
environ utilisent à la fois le dialecte et l’italien et 14 % ont recours exclusivement au
dialecte. Enfin, environ 7 % de la population emploie en famille une langue autre
que l’italien ou qu’un dialecte. En plus de l’italien et des vingt langues italo-ro-
manes (les dialectes), il existe en fait, en Italie, quinze parlers minoritaires dont
les locuteurs se sont anciennement installés dans divers lieux géographiques de la
péninsule2, et plus d’une centaine de langues de nouvelle immigration (Vedovelli,
2017). Parmi celles-ci, le roumain, l’arabe, l’albanais et l’espagnol occupent les pre-
mières places en nombre de locuteurs.
Une nouvelle situation linguistique apparaît donc dans ce pays, qui peut
être représentée schématiquement comme suit :
130
1) Augmentation du nombre de locuteurs natifs de l’italien.
2) Augmentation du nombre de locuteurs natifs bilingues de l’italien et du
dialecte.
3) Augmentation du nombre de locuteurs natifs bilingues de l’italien et
d’une autre langue.
4) Augmentation du nombre de locuteurs du dialecte et d’une autre langue.

La « nativisation3 » déclenche un processus que je qualifierai ici normali-


sation de l’italien parlé, en jouant sur le double sens que peut avoir le mot « normali-
sation ». En premier lieu, l’italien parlé devient pour un nombre de plus en plus élevé
de citoyens italiens le moyen « normal » de communiquer : dans ce cas, « normal »
signifie fonctionnellement prédominant. Deuxièmement, de cette normalité dans
le premier sens découle le fait que l’italien parlé devient de plus en plus la norme
linguistique, au sens de structure de référence de base également pour les usages non
parlés. Cela apparaît bien dans les usages parlés même non formels et spontanés,
par exemple dans les émissions de télévision, mais aussi dans les usages écrits, par
exemple dans les romans contemporains.
En même temps, la diffusion de l’italien n’a ni réduit le multilinguisme ni
simplifié la situation linguistique italienne. Bien au contraire, aujourd’hui, un bon
tiers des Italiens peuvent alterner l’utilisation de l’italien et celle du dialecte ; c’est ce

2. Occitan, franco-provençal, français, allemand Walser, allemand bavarois, Hochdeutsch, ladin, frioulan,
slovène, croate, albanais, néo-grec, sarde, catalan, romani ou tsigane.
3. Processus par lequel une langue compte de nouveaux locuteurs natifs. (NdT)
que Berruto (2012) appelle la « dilalie », c’est-à-dire une utilisation tout aussi fonc-
tionnelle de l’italien et du dialecte par de nombreux locuteurs. Cette plus grande
proximité entre l’italien et le dialecte a accru les phénomènes de contact linguistique
et a également conduit au développement de nouvelles variétés, comme les italiens
régionaux. En outre, les alternances d’une langue à l’autre (code-switching) et les
mélanges (code-mixing), dans lesquels italien et dialecte alternent ou se mélangent
au sein d’une conversation ou d’un texte, sont très fréquents. L’alternance et le
mélange de codes se produisent, évidemment, aussi bien entre l’italien et d’autres
langues qu’entre des dialectes et d’autres langues. Il n’est pas rare que, selon les
métiers exercés par les travailleurs immigrés, le dialecte devienne la langue cible
de l’apprentissage, car c’est la langue le plus souvent utilisée dans les relations de
travail, surtout si elles ont lieu essentiellement à l’oral.
L’utilisation accrue de l’italien a pour effet une diversification interne liée
aux différents usages et pratiques sociales, à la variété des utilisateurs réels et/ou
potentiels, aux contextes et aux modes communicatifs (oral et écrit). Plus une langue
se répand en tant que langue maternelle et est utilisée dans tous les contextes pos-
sibles, plus elle est destinée à présenter des variations en relation avec la dimension
diaphasique (liée au style du locuteur en relation avec les situations de communi-
cation), diastratique (liée à son appartenance sociale), diamésique (liée au canal de
communication). En d’autres termes, nous avons un plus grand multilinguisme,
c’est-à-dire une plus grande variété interne en fonction des différentes situations
d’utilisation et des différents choix linguistiques qui s’y rapportent. Si le multi-
linguisme consiste en la présence de plusieurs langues différentes, le plurilinguisme
131
se caractérise comme une dimension propre à la sémiose humaine, c’est-à-dire la
capacité qui permet à chaque personne de varier les codes et les modes de communi-
cation en fonction des besoins, des destinataires, des objectifs et des contextes.

À l’école
De nombreuses classes de l’école italienne, de la maternelle au lycée,
reflètent bien les nouveaux multilinguisme et plurilinguisme que nous venons de
décrire, car il n’est pas rare que des enfants ou des adolescents alternent l’utilisation
de l’italien, de dialectes, de langues étrangères et de variétés mixtes. De plus, l’uti-
lisation alternée de différentes langues change selon le mode utilisé. Si, d’une part,
l’italien devient de plus en plus la langue maternelle et quotidienne de la plupart des
élèves, d’autre part, le nombre des langues qu’ils ont potentiellement à leur dispo-
sition augmente.
La figure 1, ci-dessous, est une représentation très schématique du réper-
toire potentiel d’une classe4. Le degré de grisé est inversement proportionnel à la
capacité des élèves à maîtriser le registre inclus dans la case.
Dans ce schéma, nous imaginons une classe avec des élèves italophones et
parlant des langues premières différentes de l’italien, qui peuvent être l’un des dia-
lectes italo-romans ou l’une des anciennes ou nouvelles langues minoritaires. Pour

4. Le schéma pourrait être beaucoup plus compliqué si nous ajoutions d’autres modes, tels que la rédaction
conversationnelle de messages télématiques et les réseaux sociaux en général.

N° 86 - Avril 2021
Figure 1.
Représentation du répertoire modal potentiel des élèves d’une classe

Dialectes Italien Autres langues

Parler informel Parler informel Parler informel


MODES

Parler informel Parler informel Parler formel

Écrit informel Écrit informel Écrit informel

Écrit formel Écrit formel Écrit formel

chaque langue, des registres différents sont indiqués pour le mode parlé et écrit. Il
est peu probable que les élèves maîtrisent tous les registres pour chaque langue et
dans chaque mode, en raison du manque d’expérience concrète et aussi parce que
l’école, comme nous le verrons, n’encourage pas l’exercice de la variation.
Les flèches bidirectionnelles indiquent que des relations existent entre
les modes et les registres d’une même langue, mais aussi entre le même mode et le
même registre de langues différentes. Il est utile de distinguer entre canal et mode
de communication : le premier est constitué par la voie physique de transmission des
signaux, le second est l’ensemble des conditions énonciatives et interpersonnelles
liées aux contraintes matérielles de la transmission. La relation entre le canal et le
132 mode peut être directe, comme dans le cas de l’oralité native primaire, ou médiée
par la technologie, comme c’est le cas, par exemple, de l’écriture manuscrite et
de l’écriture numérique. C’est pourquoi elle n’est pas fixe, mais plutôt un produit
socio-historique qui évolue avec les besoins de la communauté et peut prendre
de nouveaux contours, comme dans le cas de l’écriture conversationnelle sur les
réseaux sociaux. Tous les emplois d’un même mode (parlé ou écrit) partagent cer-
tains types de constructions qui sont utilisées parce qu’elles sont fonctionnelles dans
ce contexte modal et permettent donc un meilleur fonctionnement de la commu-
nication, c’est pourquoi nous pouvons les appeler des corrélats linguistiques fonc-
tionnels des modes (Voghera, 2017). Ces constructions sont fortement partagées
entre les langues et il est donc normal qu’elles soient transférées d’une langue à
l’autre. Cela se produit d’autant plus fréquemment à l’oral, qui constitue la voie prin-
cipale de communication.
En résumé, tout comme dans l’ensemble de la société italienne, on parle et
on entend à l’école de nombreuses langues différentes et celle-ci a pour tâche de les
inclure dans le même espace de communication, en évitant la création de commu-
nautés séparées. Pour que cette séparation ne se produise pas, il est nécessaire de
trouver le juste équilibre entre garantir une bonne maîtrise de la langue commune
par tous et accepter pleinement les autres langues. L’éducation à l’É&P peut être l’un
des contextes adaptés à cette fin, car parler et écouter présupposent une forte inter-
relation entre les participants à la communication et plus ces derniers collaborent, et
acceptent la langue des autres, plus l’É&P progresse.
Les objectifs de l’É&P dans les
programmes scolaires
Les habiletés d’É&P sont présentes dans les Indicazioni nazionali
(Ministero, 2012) qui définissent les objectifs de l’école primaire (de 6 ans à 11 ans)
et du collège (de 11 ans à 14 ans). En général, nous pouvons affirmer que les objectifs
sont structurés sur deux paramètres de base : une progression des activités d’É&P
qui suit le schéma de la typologie textuelle traditionnelle allant de la narration à
l’argumentation et une progression dans la gestion de l’interaction orale verbale qui
va du court dialogue à deux participants au débat ou à la discussion à plusieurs voix.
Nous résumons ci-dessous certains des objectifs principaux.
Au cours des premières années de l’école primaire, l’objectif est que les
enfants soient capables d’écouter et de produire oralement de brefs récits et des ins-
tructions, mais aussi d’interagir en classe dans des dialogues. Les objectifs sont plus
complexes pour la fin du cycle et comprennent, entre autres :
a) la compréhension du sujet et des informations essentielles d’un exposé
(direct ou transmis par un médium) ;
b) la compréhension de consignes et d’instructions pour la réalisation
d’activités ;
c) la capacité à formuler des questions précises et pertinentes pendant ou
après l’écoute ;
d) la capacité à organiser un discours oral simple sur un sujet abordé en
classe avec une brève intervention préparée au préalable ou un exposé
sur un sujet d’étude à l’aide d’un plan ;
133
e) la capacité à prendre la parole lors d’échanges communicatifs (dialogue,
conversation, discussion) en respectant les tours de parole ;
f) la capacité à interagir de manière collaborative dans une conversation,
une discussion, un dialogue sur des sujets relevant de l’expérience
directe, en formulant des questions, en donnant des réponses et en four-
nissant des explications et des exemples.
Les objectifs de l’école secondaire du premier degré sont beaucoup plus
larges, en ce qui concerne aussi bien la réception que la production : non seulement,
en effet, des tâches complexes s’y ajoutent, mais l’ambition serait de développer
également des compétences, pour ainsi dire, méta-textuelles. En ce qui concerne
l’écoute, voici quelques-uns des objectifs principaux :
a) écouter des textes produits par d’autres, y compris transmis par les
médias, en en reconnaissant la source et en identifiant le but, le sujet, les
informations principales et le point de vue de l’émetteur ;
b) écouter des textes en appliquant des techniques qui étayent la compré-
hension : pendant l’écoute (prise de notes, mots-clés, courtes phrases de
synthèse, signes conventionnels) et après l’écoute (retravailler les notes,
expliciter les mots-clés, etc.) ;
c) reconnaître, lors de l’écoute, certains éléments rythmiques et sonores du
texte poétique.
Quant à la production orale, les objectifs concernent principalement la
capacité à produire des textes descriptifs, expositifs et argumentatifs, mais aussi à :

N° 86 - Avril 2021
a) rendre compte oralement d’un sujet d’étude, en expliquant le but et en le
présentant clairement ;
b) présenter l’information dans un ordre préétabli et cohérent, à utiliser un
registre approprié au sujet et à la situation, à contrôler le lexique spéci-
fique ;
c) préciser les sources et à utiliser, si nécessaire, des matériels d’étayage
(cartes, tableaux, graphiques).
En termes d’interaction verbale, l’objectif prioritaire est la capacité à
prendre part à une conversation ou une discussion, avec toute la classe ou en groupe,
avec pertinence et cohérence, en respectant le temps et les tours de parole et en
apportant une contribution personnelle positive.
Enfin, une mention pour l’école secondaire du second degré, dont il est
difficile de donner une image unitaire, puisqu’en Italie, de nombreux curriculums
différents existent pour ce cycle, dont il est impossible de rendre compte ici. En fait,
l’éducation linguistique s’arrête après les deux premières années de l’école secon-
daire du second degré (biennio) et les trois années qui suivent (triennio) sont princi-
palement consacrées aux études littéraires, non seulement dans les lycées généraux,
mais aussi dans les curriculums plus professionnalisants. En résumé, une pers-
pective structurée pour une éducation linguistique continue est absente et, au-delà
de 15 ans, on considère à tort que le développement des quatre habiletés est achevé et
qu’il ne s’agit que de les affiner.
En conclusion, les Indicazioni nazionali prévoient déjà pour la fin de l’école
secondaire du premier degré l’acquisition de bonnes compétences en É&P, diffé-
134
renciées selon le contexte et la finalité, alors que, dans l’école secondaire du second
degré, l’É&P est généralement absent en tant qu’objectif spécifique.
Nous verrons dans le paragraphe suivant dans quelle mesure ces objectifs
sont atteints et/ou atteignables dans les conditions actuelles de la didactique scolaire.

Dans la salle de classe


Les enseignants de l’école primaire sont ceux qui se consacrent davantage
à l’É&P tout au long de ce niveau de la scolarité, souvent de manière innovante.
L’école primaire a, bien entendu, pour tâche d’initier les enfants à l’utilisation de
l’écriture et, par conséquent, outre les problèmes liés à la technique de l’écriture,
elle doit nécessairement travailler sur les propriétés énonciatives et les exigences
linguistiques conséquentes des modes parlés et écrits. Apprendre à écrire, comme
chacun sait, ne consiste pas seulement à utiliser un autre moyen et un autre canal,
mais cela implique une re-sémiotisation des contenus : de fait, les différents contenus
sont « reformatés » lors du passage d’un mode à l’autre avec des changements
linguistiques inévitables (Voghera, 2017). En effet, la relation entre les modes et les
textes n’est pas directe ni immédiate, et chaque passage correspond à une révision
du contenu et à une variation dans la construction du texte (Kress, 2015). Il est donc
nécessaire de se concentrer sur les corrélats fonctionnels de l’oral, non seulement
pour apprendre à parler et à écouter de manière plus compétente, mais aussi pour
apprendre à écrire. Lorsque nous parlons, nous utilisons non seulement des mots,
mais aussi des gestes et des intonations. En outre, nous pouvons nous référer direc-
tement aux éléments de la situation dans laquelle nous nous trouvons, en pointant
des objets et des personnes. Cela change la façon dont nous utilisons la langue par
rapport à quand nous écrivons, car nous pouvons utiliser moins de mots, en les
accompagnant de gestes, ou des mots moins spécifiques, que notre interlocuteur
comprend à partir du contexte. L’écriture exige, au contraire, d’être explicite et
complète : pour les enfants, c’est un peu comme communiquer avec les mains der-
rière le dos et les yeux fermés, c’est-à-dire sans pouvoir utiliser les gestes ni voir leur
destinataire, les expressions de son visage, ses réactions. En résumé, pour maîtriser
l’écriture, il est utile de savoir ce qui la différencie de l’oral et d’avoir également
une bonne compétence orale dans la langue dans laquelle on doit écrire, à tel point
qu’une première alphabétisation dans la langue maternelle des enfants est recom-
mandée.
Dans l’enseignement secondaire du premier degré, malgré les objectifs
ambitieux des Indicazioni nazionali, on peut dire que l’É&P est tout à fait marginal
dans la pratique didactique quotidienne. Bien que, ces dernières années, une plus
grande attention lui ait été portée, on ne peut certainement pas affirmer que des
espaces sont systématiquement consacrés à ces habiletés dans la majorité des classes.
Les enseignants s’investissent principalement dans les aspects sociolinguistiques
(éviter les formes locales ou dialectales) car l’objectif premier est l’utilisation de
l’italien formel toujours et dans tous les cas, sans aucune gradualité.
Une grande contradiction apparaît ici dans la pratique didactique de l’école
italienne, puisque, bien que l’É&P soit présent massivement dans l’école secondaire,
y compris dans le second degré, il n’existe pas de véritable curriculum qui lui soit
consacré. En fait, à partir du premier cycle de l’enseignement secondaire, les ensei-
135
gnants ont traditionnellement l’habitude d’« interroger » les élèves dans toutes les
matières. À l’exception de l’italien, des mathématiques et des langues étrangères, qui
sont également testés sous forme écrite, les autres matières sont principalement éva-
luées au moyen d’« interrogazioni », c’est-à-dire d’épreuves orales, qui exigent une
grande autonomie de la part des élèves. On leur assigne un sujet qu’ils doivent savoir
exposer et sur lequel ils doivent savoir répondre, s’ils sont interrompus par l’ensei-
gnant, à des questions ou des requêtes spécifiques. Une épreuve orale est également
prévue dans les examens finaux des écoles secondaires du premier et du second
degré. Cette épreuve est particulièrement complexe car il est demandé aux élèves de
savoir développer un exposé, qui peut durer quarante à cinquante minutes, sur un
sujet de leur choix, qui doit porter sur plusieurs disciplines.
Malgré toutes ces épreuves orales, il n’y a pas d’espaces spécifiques dédiés à
l’É&P dans un contexte d’évaluation, comme cela se fait normalement pour l’écrit :
résumés, rapports, etc. Ces espaces manquent, car le présupposé est que l’inter-
rogation ou l’exposé oral relèvent grosso modo du cadre d’une conversation et ne
nécessitent donc pas, du moins pour un locuteur natif, d’être enseignés. En réalité,
l’oral des interrogations ou des examens de fin de cycle devrait s’éloigner consi-
dérablement de l’oral naturel et spontané pour répondre aux critères d’une bonne
évaluation et nécessiterait donc une formation spécifique, et pas seulement pour
les locuteurs non natifs. De plus, l’absence d’un enseignement explicite ne fait
qu’accroître le fossé entre les étudiants issus de milieux défavorisés et ceux dont le
milieu social et familial leur permet de profiter d’une formation implicite. En subs-
tance, d’une part, on perd un temps considérable à évaluer oralement et, d’autre

N° 86 - Avril 2021
part, aucune véritable éducation linguistique à l’É&P n’est dispensée. Il serait bien
plus judicieux de consacrer du temps à cette dernière et de limiter, alors, les évalua-
tions des performances orales à ce qui serait prévu par le curriculum de l’É&P. Dans
l’enseignement secondaire du second degré, comme nous l’avons déjà mentionné,
après les deux premières années, non seulement l’É&P, mais même l’éducation
linguistique dans son ensemble sont complètement marginalisés.
Bien sûr, la situation peut énormément varier d’une école à l’autre et de
nombreuses initiatives ont mis en place des programmes qui développent les habi-
letés de l’É&P. Il convient toutefois de souligner que la présence de ces activités
repose davantage sur la bonne volonté et sur l’effort d’organisation des écoles prises
individuellement que sur un projet éducatif national structuré. La prise d’initia-
tives de la part des enseignants a toujours été une caractéristique d’une grande
partie de l’école italienne. Entre la fin des années 1970 et les années 2000, un vaste
mouvement de renouveau s’est opéré dans le monde de l’éducation, grâce à une
activité associative généralisée et d’inspiration démocratique prenant naissance sur
le terrain. En 1973, le Giscel (Gruppo di intervento e studio nel campo dell’edu-
cazione linguistica) a été fondé au sein de la Société de linguistique italienne, qui
a créé un réseau régional de formation et d’intervention constitué d’enseignants
et de linguistes et, en 1975, voient le jour les Dieci tesi per l’educazione linguistica
democratica, inspirées et rédigées par Tullio De Mauro (Giscel, 1975)5. À partir de
ce moment, une transformation progressive de la pédagogie linguistique, tradi-
tionnellement axée sur un monolinguisme rigide et centré sur l’écrit, a commencé.
D’innombrables initiatives ont été menées à bon terme au fil des années, tant au
136
niveau local que national, ainsi que des congrès et des publications 6, dont même
les programmes nationaux ont tiré profit. Malheureusement, ces dernières années,
un air de restauration a commencé à souffler ainsi qu’un nouveau désir de norma-
tivisme et de grammaire d’« ancien régime ». Néanmoins, le travail du Giscel se
poursuit sans relâche avec des groupes régionaux et de nombreuses activités : la der-
nière conférence nationale a justement été consacrée au thème « Oral et écrit, verbal
et non verbal : la multimodalité en classe » (Voghera et al. 2020).

Cet aperçu sur les habiletés de l’É&P à l’école italienne fait découvrir un
tableau complexe, qui résulte de la situation linguistique fragmentée, de la dis-
tance entre les objectifs des curriculums nationaux et une pratique didactique
reposant principalement sur le bon vouloir des enseignants et de l’associationnisme
démocratique.
À ces éléments s’en ajoute un dernier : la formation des enseignants.
Nombre des incohérences décrites plus haut découlent du fait que la majorité des
enseignants disposent d’outils peu adéquats pour faire face à la complexité de
l’É&P, car ces questions ne sont pas systématiquement intégrées à leur curriculum

5. Outre le Giscel, il faut pour le moins mentionner le Movimento di Cooperazione Educativa (MCE, http://www.
mce-fimem.it/) et le Centro iniziativa democratica insegnanti (CIDI, http://www.cidi.it/), qui sont toujours
actifs.
6. Voir : https://giscel.it/
universitaire et leur formation continue. Au demeurant, la plupart des grammaires
sur lesquelles ils se sont formés, c’est un fait avéré, assument comme modèle de
référence l’écrit formel ou, pire encore, une langue abstraite « amodale », constituée
d’exemples construits ad hoc. C’est cette langue statique, a-contextuelle et amodale
des grammaires qui devient de facto la représentation de la norme par excellence.
Il est très rare que les enseignants soient confrontés à de véritables textes parlés
faisant l’objet d’une réflexion linguistique approfondie ou à des problèmes liés à
leur évaluation. Il existe donc un fossé entre la réalité linguistique à l’intérieur et à
l’extérieur de la salle de classe, dans laquelle l’italien parlé et familier est désormais
prédominant, et ce que les enseignants estiment devoir enseigner à leurs élèves.
Cette contradiction est particulièrement évidente dans la phase d’évaluation (éga-
lement à l’écrit), car la norme de l’italien actuel est souvent considérée comme trop
informelle ou même incorrecte. Ainsi, les enseignants se trouvent souvent en diffi-
culté pour porter des jugements sur un texte parlé, d’autant plus que celui-ci présente
souvent de fortes traces du substrat dialectal ou d’autres langues, non seulement au
niveau phonologique, mais dans le lexique et aussi dans la morphosyntaxe.
Il est évident que la formation des enseignants, y compris la formation
continue, devrait être plus ciblée et plus solide. Pour ce faire, il faudrait non seu-
lement des investissements financiers et un temps de formation adaptés, mais aussi
des modèles de référence adéquats tant au niveau scientifique qu’à celui de l’appli-
cation. Tout cela concerne évidemment les programmes universitaires consacrés à la
formation, qui ne fournissent pas actuellement un nombre suffisant d’enseignements
de linguistique et de didactique des langues, ouverts à l’étude de l’É&P et, encore
137
moins, des modèles linguistiques réalistes et, par conséquent, méta linguistiques
adéquats (Voghera, 2017). Malheureusement, les grammaires scientifiques elles-
mêmes présentent en grande partie des modèles centrés sur l’écrit, axés sur le pro-
ducteur plutôt que sur le destinataire et peu ouverts à la variation linguistique.
Face à l’augmentation de la mobilité linguistique, de la disponibilité de
plusieurs codes dans plusieurs modes, l’école semble parfois n’avoir plus de boussole
pour s’orienter car plus il y a de variations et de variétés, moins on a de possibilité
d’indiquer ce qui est « correct » ou « incorrect ». Ce n’est que si les enseignants sont
formés à la variation linguistique qu’ils pourront travailler avec assurance sur des
textes parlés spontanés, souvent si éloignés des textes « rassurants » des grammaires.
À cette fin, il faudra que, dans la formation, non seulement l’italien parlé, mais aussi
l’italien des nouveaux Italiens et les interlangues deviennent l’objet d’étude et de
travail métalinguistique. Comme nous l’avons déjà dit, dans une même classe, nous
pouvons avoir des langues différentes et, par conséquent, l’éducation linguistique à
l’É&P ne peut se développer que dans une perspective multi- et plurilingue, qui se
concentre sur la relation entre modes de communication, usages et langues diffé-
rentes. Il incombe donc aux chercheurs et aux enseignants de proposer ensemble des
modèles et des applications de ce cadre complexe de relations et de variations, afin
de permettre aux jeunes générations de se déplacer avec maîtrise dans un nombre
croissant de contextes et de modes, en utilisant le plus grand nombre de langues
possible.
Enfin, il faut souligner que c’est par le biais de l’É&P que les enfants éta-
blissent principalement des relations sociales entre eux et avec les enseignants,

N° 86 - Avril 2021
prennent connaissance de leurs objets d’étude et de leurs tâches : bref, deviennent
des élèves. Reconnaître leur parler comme un objet d’étude « digne » est également
une étape importante pour leur acceptation. Un programme d’éducation à l’É&P est
donc une occasion concrète d’entrer en contact direct avec l’identité de ses cama-
rades de classe, de reconnaître leur individualité et enfin de les accepter, dans leur
diversité, comme faisant partie de la même communauté scolaire et, à l’avenir,
comme des citoyens jouissant de droits égaux. Par ailleurs, comme déjà exprimé
dans les Dieci tesi per l’educazione linguistica democratica (Giscel, 1975), l’éducation
linguistique dans son ensemble est l’un des piliers de l’éducation démocratique,
puisque sans une égale dignité linguistique et sans d’égales chances linguistiques
pour tous, il n’y a pas d’égalité dans l’accès et la participation à la vie sociale et
politique.

Bibliographie
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CASTELLANI A. (1982). « Quanti erano gli italofoni nel 1861? ». Studi linguistici italiani,
VIII, p. 3-26.
DE MAURO T. (1963). Storia linguistica dell’Italia unita. Bari : Laterza.
GISCEL (1975). Dieci tesi per l’educazione linguistica democratica. En ligne : https://bit.
ly/3ciqTuj/ le 15 janvier 2021).
ISTAT (2017). L’uso della lingua italiana, dei dialetti e di altre lingue in Italia, per l’anno
138 2015. En ligne : https://bit.ly/38OUQRI/ (consulté le 15 janvier 2021).
KRESS G. (2015). La multimodalità. Un approccio socio-semiotico alla comunicazione
contemporanea. Matera : Progedit.
MINISTERO DELL’ISTRUZIONE, DELL’UNIVERSITÁ E DELLA RICERCA (2012).
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d’istruzione ». Annali della Pubblica Istruzione, LXXXVIII, p. 3-82. En ligne : https://bit.
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globale », dans VEDOVELLI M. (dir.) L’italiano dei nuovi italiani. Roma : Aracne,
p. 27-48.
VOGHERA M. (2017). Dal parlato alla grammatica. Costruzione e forma dei testi spon-
tanei. Roma : Carocci.
VOGHERA M., MATURI P., ROSI F. (dir.) 2020. Orale e scritto, verbale e non verbale: la
multimodalità nell’ora di lezione. Firenze : Cesati.
L’enseignement de l’oral
au primaire en Suisse
romande et en Suisse
alémanique
Roxane Gagnon
Haute école pédagogique de Vaud

Stefan Hauser
Haute école pédagogique de Zoug

Sonia Guillemin
Haute école pédagogique de Vaud

Rosalie Bourdages
Haute école pédagogique de Vaud

L’oral n’est désormais plus le parent pauvre de l’enseignement de la langue


de scolarisation en Suisse. Aujourd’hui, ce sont les questions relatives à la définition
de l’objet « oral » et à la délimitation de ce que l’on y inclut (du non-verbal, para- 139
verbal, verbal) qui interpellent. Quel oral, quels oraux se dégagent des plans d’études
suisses ? Quelles sont les zones de convergence ou de divergence entre les régions
linguistiques ?
Examinant les prescriptions institutionnelles et quelques publications
récentes sur la question, nous tentons de circonscrire les objets oraux prescrits et mis
en pratique aux cycles 1 et 2 du primaire, dans les deux principales régions linguis-
tiques : la Romandie et la Suisse alémanique. Nous soulignons aussi quelques enjeux
relatifs à l’enseignement de l’oral, tels qu’ils se dégagent de travaux de recherche
récents en didactique. Cet état des lieux est non exhaustif : il se centre sur les travaux
des didacticiens du français de Romandie et du Centre de la communication orale
(Zentrum Mündlichkeit) en Suisse alémanique. On vise ainsi à interroger les spé-
cificités et les caractéristiques communes des aires culturelles francophones et
germanophones en Suisse. Quels sont les traits communs, les différences entre les
deux régions linguistiques ? Qu’est-ce qui explique ces différences ? D’emblée, nous
devons souligner que la région suisse alémanique montre plus de diversité socio-
linguistique, avec la présence et l’usage des schwyzerdütsch, les différents dialectes
parlés dans les cantons.

N° 86 - Avril 2021
La place de l’oral dans
les plans d’étude romands
et suisses-alémaniques1
En Suisse alémanique et romande, les prescriptions relatives aux appren-
tissages relatifs à l’oral sont détaillées dans trois documents institutionnels :
Compétences fondamentales pour la langue de scolarisation (CDIP2, 2011), corres-
pondant aux standards minimums nationaux pour chacun des trois cycles de la sco-
larité obligatoire3 ; le Lehrplan 21, plan d’études de la Suisse alémanique, et le Plan
d’études romand (CIIP4, 2010, désormais PER). Le PER et le Lehrplan 21 privilégient
une approche communicative : ils accordent une place importante à l’oral (Eriksson
et de Pietro, 2011). Ces deux documents, largement diffusés dans le cadre de la for-
mation et de l’enseignement, sont organisés selon une logique de progression spira-
laire, où les mêmes conduites langagières sont reprises, tout au long de la scolarité
obligatoire, mais avec des degrés d’approfondissement croissants.

Les standards nationaux


Le document de la CDIP, Des compétences fondamentales pour la langue de
scolarisation, concerne l’ensemble de la Suisse.
Pour la fin du premier cycle du primaire, il est attendu que l’élève par-
vienne à comprendre des textes oraux brefs de genres divers, dont les thèmes, la
structure et le vocabulaire lui sont familiers. Il ou elle doit être capable d’en extraire
140 des informations explicites et d’en interpréter des signaux non verbaux élémen-
taires. À la fin de la 8e année, l’élève comprend et restitue les informations explicites,
mais aussi les aspects implicites évidents d’une diversité de textes oraux. Il ou elle
interprète les indices paraverbaux et non verbaux pour affiner sa compréhension.
Les compétences fondamentales pour la production orale sont réparties en
deux volets : la participation à une conversation et l’expression orale en continu. À la
fin du premier cycle du primaire, l’élève prend part activement à une conversation
guidée et soutenue par l’interlocuteur·trice, écoute attentivement et réagit aux ques-
tions ou interventions de manière appropriée. Au 2e cycle du primaire, la conver-
sation implique plus de locuteurs. L’élève y intervient de manière pertinente. Il ou
elle respecte les règles conversationnelles. Pour la Suisse alémanique, il est précisé
que l’élève s’exprime dans une langue standard, marquée encore par certaines hési-
tations ou erreurs5.
Pour l’expression orale en continu, à la fin de l’école primaire, l’élève
produit des textes oraux préparés (avec l’aide d’un canevas, en ayant travaillé la
thématique) de genres différents, adapte sa prise de parole aux situations de

1. Les auteur(e)s souhaitent remercier Bernard Schneuwly pour ses conseils avisés sur cette partie.
2. Le sigle signifie Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique.
3. La scolarité obligatoire en Suisse englobe le premier cycle (1re à 4e année, élèves de 4 à 8 ans), le deuxième
cycle (5e à 8e année, élèves de 9 à 12 ans) et le troisième cycle de la scolarité (9 e à 11e année du secondaire I,
élèves de 13 à 16 ans).
4. Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin.
5. La description de l’allemand parlé en Suisse est un sujet fort complexe, en raison notamment de la question
des variations standard (haut allemand), régionale et dialectale. Voir Pieter Sieber (1986) pour plus d’informa-
tions : https://bit.ly/2NwwyV9
communication de genres divers, utilise un vocabulaire adapté, est capable de
parler de sujets courants, lit à haute voix ou récite de manière expressive et porte un
jugement critique sur sa propre production orale et sur celles des autres.

Le Lehrplan 21 : les prescriptions


pour l’écouter et le parler
Dans le Lehrplan 21, les compétences relatives à l’écouter et au parler
se structurent en quatre sous-ensembles : les compétences de base, l’écoute-
compréhension de monologues et de dialogues et le retour réflexif sur l’écoute.

Hören (écouter)
Dans les compétences de base relatives à l’écouter, l’attention de l’élève
est portée à la fois sur la personne qui parle et sur son message dans le but de la
comprendre, de poser des questions et d’élargir son propre vocabulaire. Au 2e cycle,
l’élève est confronté à des situations d’écoute de plus en plus longues et de plus en
plus exigeantes. La dimension liée aux émotions de la personne qui parle et la recon-
naissance des différents registres de langue s’ajoutent aux compétences travaillées au
cycle 1.
En situation d’écoute de monologues, l’élève reconnaît des informations
importantes dans des messages simples et en s’aidant du contexte, il ou elle est
capable d’accéder aux informations manquantes à l’aide d’outils appropriés. La com-
préhension auditive globale de divers textes audio se diversifie au cycle 2 : récits, 141
pièces de théâtre, films, poèmes, documentaires.
En situation d’écoute de dialogues, l’élève prend part à des conversa-
tions familières, en montrant son attention de manière non verbale, paraverbale
et verbale. Il ou elle identifie les contenus importants, pose des questions en cas
d’incompréhension et évalue les intentions de l’interlocuteur. Au 2e cycle, l’élève
parvient à participer et à reproduire le contenu de conversations de plus en plus
longues. Il ou elle adapte son comportement conversationnel dans les négociations
ou les situations de conflit.
En situation de réflexion sur l’écoute, l’élève est amené·e à réfléchir sur
son comportement d’écoute et son comportement conversationnel. Au 2e cycle, il
ou elle prend conscience des facteurs perturbateurs dans une situation de conver-
sation, décrit les stratégies d’écoute qu’il ou elle utilise et s’interroge sur l’effet que la
situation entendue a eu sur lui ou sur elle.

Sprechen (parler)
L’articulation, le débit, le volume de la voix sont mobilisés de manière
appropriée. L’élève utilise des mots, des modèles de phrases dans des situations
familières et est amené·e à travailler sa conscience phonologique. Une amorce de
l’entraînement aux moyens non verbaux et paraverbaux est entreprise au 1er cycle,
puis affinée au 2e cycle où, grâce à un vocabulaire de plus en plus riche, l’élève
s’exprime avec plus de précision.
Dans des situations de monologue, l’élève communique de manière appro-
priée et compréhensible, exprime ses sentiments, pensées et expériences vécues et

N° 86 - Avril 2021
récite de courts poèmes. Au 2e cycle, l’élève raconte une histoire en créant parfois un
effet de suspens, présente un livre, les résultats d’un travail et ses réflexions à l’aide
d’un schéma ou de différents médias. Il ou elle utilise des aides à la structuration
pour une courte présentation : mots-clés, carte conceptuelle, etc.
Dans des situations de dialogue, l’élève participe à des conversations de
plus en plus longues sur des sujets de tous les jours et en suit les règles, à partir de
jeux de rôle familiers, ludiques. Au 2e cycle, il ou elle explicite ses propos, argu-
mente, est capable d’adopter le rôle de modérateur ou modératrice, sur des sujets
simples et dans des discussions courtes.
Dès le 1er cycle, l’élève doit réfléchir sur son comportement à l’oral à l’aide
de questions concrètes, en échangeant des informations sur ses comportements et
ceux des autres dans la conversation. Au 2e cycle, il ou elle est capable de décrire ses
progrès, de réfléchir à la conduite d’un travail de groupe.

Le Plan d’études romand (PER) :


le travail en compréhension
et en production
Les concepteurs du PER ont adopté une structuration différente de celle
du Lehrplan alémanique et retiennent une articulation en deux parties : les appren-
tissages communs à tous les genres de textes sociaux publics6 et les apprentissages
propres à six regroupements de genres, à savoir : le texte qui raconte, le texte qui
relate, le texte qui argumente, le texte qui transmet des savoirs, le texte qui règle des
142 comportements et le texte qui joue avec la langue (texte poétique).

Compréhension de l’oral
Au premier cycle, le PER traite de manière conjointe la compréhension et la
production de textes oraux d’usage familier et scolaire. L’amélioration de l’élocution
constitue l’un des premiers apprentissages relatifs à la compréhension. Du point de
vue de la réception, l’élève prend conscience des effets de son discours sur autrui. Il
ou elle apprend aussi à interpréter le langage verbal et non verbal.
Relativement aux objectifs portant sur les regroupements de genres, l’élève
du 1er cycle comprend une histoire ou un conte qu’il ou elle reformule d’abord à
l’aide de l’enseignant(e), puis seul(e). Concernant le « relater », l’élève participe à
des conversations sur des situations vécues en repérant les personnages et les évé-
nements qui organisent le discours. Pour l’« argumenter », l’élève prend part à des
conseils de classe, des débats et respecte les règles des échanges, en prenant pro-
gressivement conscience de l’avis des autres et de la diversité des opinions. Il ou elle
comprend la thématique de textes documentaires et restitue les informations reçues.
L’élève comprend des consignes pour agir, et parvient progressivement à respecter
les étapes d’exécution. Il ou elle écoute, comprend, mémorise divers genres de textes
poétiques, porte attention à l’intonation, au volume, au débit, est sensible aux sono-
rités de la langue.

6. Dans la perspective historico-culturelle qui est la nôtre, nous croyons, à l’instar de Bronckart (1996), que
tout membre d’une communauté est confrontée à un univers de textes « déjà-là », organisé en « genres » empi-
riques et historiques, c’est-à-dire en forme d’organisations concrètes qui se modifient avec le temps.
Au 2 e cycle, l’élève identifie divers genres oraux et les contextes dans
lesquels ils ont été produits. Il ou elle cerne les éléments propres à la situation de
communication (émetteur, canal…) ainsi que le thème abordé et adapte son écoute
en fonction du genre et de la source du message. L’élève prend en compte le rythme,
l’accent, les mimiques et les gestes et s’aide aussi des indices lexicaux.
Dans le cas du texte qui raconte, l’élève distingue ce qui appartient à
l’univers de la fiction de ce qui relève du vraisemblable et identifie les éléments du
schéma narratif. Pour les genres de textes qui racontent et ceux qui relatent, l’élève
identifie l’ordre des événements et les organisateurs propres au genre. Pour ceux qui
argumentent, l’élève distingue entre opinion et argument, repère les expressions
marquant la position de l’émetteur, reconnaît les différentes parties d’un débat.
Quant aux textes qui transmettent des savoirs, l’élève établit des liens entre les infor-
mations, formule des questions adaptées et identifie les différentes parties d’une
interview ou d’un documentaire audiovisuel. Cependant que le texte qui règle des
comportements permet le repérage des différents organisateurs (spatiaux, temporels,
logiques) et que les textes poétiques sont travaillés dans leur visée, les images et les
procédés qui leur sont propres.

Production de l’oral
Au premier cycle et en fonction des regroupements de genres, l’élève :
– apprend à créer des histoires selon un ordre chronologique et ose
s’exprimer devant la classe ;
– participe à des conversations à partir de situations vécues et produit des 143
récits à partir de celles-ci ;
– argumente et défend ses idées, demande des compléments d’information,
reformule ;
– présente un sujet dans le cadre du travail des textes qui transmettent des
savoirs ;
– crée des consignes pour agir, en indiquant les étapes d’exécution ;
– apprend à interpréter des textes poétiques en créant des jeux de mots,
développe sa prononciation grâce à la récitation.

Au 2e cycle, l’élève élabore une production orale en fonction d’un projet


et d’une situation, identifie les composantes de celle-ci, organise le contenu en
fonction d’un modèle donné. Il ou elle prend en compte le lieu de parole, le rôle
de l’énonciateur·trice, la posture, la tenue, utilise un vocabulaire adéquat, emploie
des énoncés oraux syntaxiquement corrects tout en respectant les contraintes de
l’oralité. Les genres de textes abordés se diversifient : conte, récit inventé, légende,
sketch sont associés aux textes qui racontent ; pour les textes qui relatent : récit
de vie, exposé sur un personnage ; le débat est le genre privilégié pour travailler
les textes argumentatifs ; pour les textes qui transmettent des savoirs : exposé et
interview ; pour ceux qui règlent des comportements : description d’itinéraire, règle
de jeu ; le poème et la chanson sont les deux genres de textes poétiques abordés.

N° 86 - Avril 2021
Traits communs et spécificités
des documents prescriptifs
Dans les deux régions, le grand objectif pour l’oral est d’amener l’élève à
progressivement adapter son langage à une diversité croissante de situations, selon
les normes sociales et linguistiques appropriées. Les genres textuels sont pris en
compte, mais cette centration sur les genres est nettement plus affirmée dans la
partie romande, où les apprentissages sont organisés relativement aux six regroupe-
ments de genres et non en fonction de l’aspect monologal ou dialogal des situations7.
Les dimensions pluricodiques et multimodales8 de la communication orale sont pré-
sentes dans les deux plans d’études régionaux.
Au titre des distinctions, dans le Lehrplan, un accent est mis sur les
registres de langue ainsi que sur l’articulation entre la langue standard et le dia-
lecte suisse allemand. Une place plus grande est aussi accordée au développement
des connaissances lexicales. Le Lehrplan priorise en outre le développement d’une
posture réflexive, qui se traduit, d’une part, par l’adaptation du comportement
conversationnel aux réactions, aux émotions de l’interlocuteur·trice et, d’autre part,
par une estimation de ses propres progrès et de sa conduite communicationnelle.
L’oral est abordé sous un angle plus psychologique, avec un accent sur les situations
de vie réelle et la motivation.
Dans le PER, c’est à partir des différents genres qu’est analysée la struc-
turation des textes oraux : repérage des parties du texte, production d’une suite,
travail sur les différents types d’organisateurs. Le regroupement des genres permet
144 d’associer des unités linguistiques aux dimensions textuelles (les verbes d’opinion,
les modalisateurs, les organisateurs logiques sont, par exemple, travaillés dans le
cadre du texte argumentatif). En contexte romand, la production textuelle est le
point de départ et le point d’arrivée de l’enseignement.

Des mises en œuvre


didactiques et pédagogiques

La compréhension de l’oral :
nouvelle donne des programmes
scolaires
La compréhension de l’oral est souvent considérée comme une compétence
acquise, qu’il n’y a pas lieu de travailler ou d’exercer, et constitue donc le parent
pauvre de la didactique de l’oral langue première. Pourtant, comme elle est omni-
présente dans la routine quotidienne de l’école et qu’à ce titre, elle permet à l’élève
d’avoir accès aux éléments centraux de ses apprentissages scolaires, la didactique de

7. Une caractéristique du PER est que la catégorisation de ces groupements de genres est posée comme trans-
versale à l’oral et à l’écrit.
8. La communication orale est pluricodique, elle ne s’appuie pas que sur du verbal, et multimodale, en ce
qu’elle fournit du sens à travers la voix et le corps, le temps et l’espace.
la compréhension orale est essentielle. Ainsi s’est-elle vu attribuer une place de choix
dans le Plan d’études romand et dans le Lehrplan 21.
En Suisse romande, suivant les principes d’un enseignement explicite, la
compréhension devient un véritable objet d’enseignement. Il ne s’agit plus seulement
de la vérifier ou de l’évaluer. De nouvelles séquences sont élaborées visant à, d’une
part, proposer des situations d’écoute, formuler des objectifs et prévoir des activités
de manière à travailler les composantes de la compréhension. Dans cette nouvelle
orientation, le travail des stratégies de compréhension occupe une place de choix.
On vient ainsi répondre aux besoins qu’ont les élèves « faibles compreneurs » d’aller
au-delà du texte pour en approfondir le sens ou répondre à une intention d’écoute.
Les stratégies proposées amènent l’élève à évaluer régulièrement sa compréhension
et à chercher à remédier aux difficultés qu’il ou elle rencontre : il ou elle identifie
l’objectif de l’activité d’écoute, formule des hypothèses sur cette activité, réécoute et
module son écoute, prend des notes, s’aide du contexte, reformule, effectue une syn-
thèse de ce qu’il ou elle a entendu.
En Suisse alémanique, la « compétence d’écoute » (Kompetenzbereich
« Zuhören ») est traitée comme un outil, un tremplin vers d’autres apprentissages :
il s’agit d’un oral pour apprendre. Le mode monologique est travaillé avec le modèle
Bernius et Imhof (2010) qui propose de planifier la compréhension de l’oral en trois
étapes à didactiser : avant, pendant et après l’écoute. L’étape préalable consiste à
formuler une intention d’écoute afin que les élèves saisissent l’objectif de la tâche et
activent des connaissances antérieures relatives à cet objectif. Pendant l’écoute, les
élèves doivent être amené·e·s à sélectionner des informations pertinentes à l’atteinte 145
de l’objectif. L’enseignant·e les aide à focaliser leur attention sur des éléments du
contenu de grandeurs variables (groupes syntaxiques, mots difficiles, idées géné-
rales), en fonction de l’intention d’écoute. L’écoute est suivie d’une phase d’éva-
luation. La dimension « méta » de cette réflexion sur l’écoute est une spécificité du
Lehrplan 21.
Dans les deux régions, l’importance donnée à la constitution des corpus
audio et vidéo qui serviront de base aux situations d’écoute est soulignée. En effet, il
arrive encore souvent, dans les pratiques, que les activités dites de compréhension de
l’oral interrogent les élèves à partir d’un texte écrit, ce qui peut induire un transfert
de ces modèles lors de tâches de compréhension de textes oraux. Comme la nature du
matériau présente des différences quant au support, à la planification et à la contex-
tualisation du texte à comprendre (de Pietro, Gagnon et Rhem, 2020), il importe
d’offrir des situations de communication variées, sur divers supports (écoute en
ligne, audio, vidéo, transcriptions), présentant du français oral s’apparentant à de
l’écrit oralisé (par exemple, téléjournal, dialogue de film, de théâtre) et du français
parlé, plus ou moins spontané (entretien en direct à la radio, interview, débat, etc.)

Production orale
De nouvelles séquences romandes
Un travail d’actualisation et de numérisation de séquences sur la pro-
duction orale a été réalisé en 2018 par la CIIP. Au cycle 2, trois séquences viennent
enrichir les propositions existantes : compte rendu d’une expérience, conte

N° 86 - Avril 2021
étiologique et exposé oral. Les outils didactiques développés s’inspirent des prin-
cipes mis en œuvre dans les Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit (Dolz,
Noverraz et Schneuwly, 2001) et de séquences existantes sur la production et la com-
préhension orales développées par la Haute école pédagogique (HEP) du Valais et la
Haute école pédagogique de Vaud. Les nouvelles propositions pour l’oral partagent
les caractéristiques suivantes :
– modélisation d’un genre textuel ;
– contextualisation du projet de communication ;
– structure type : une production initiale de l’élève ; un nombre x de
modules qui abordent les différentes dimensions du genre et sont adaptés
aux capacités des élèves, repérées dans les productions initiales ; puis une
production finale, évaluée de manière formative ou certificative selon le
contexte ;
– articulation entre compréhension et production, et entre oral et écrit ;
– modules portant sur le fonctionnement de la langue et les contraintes de
l’oralité (les aspects para- et non-verbaux) ;
– intégration des nouvelles technologies.

Des recherches en cours


Une recherche-design sur la
production de récits inventés
146
Afin d’interroger la validité des propositions didactiques pour la pro-
duction de l’oral, un projet de recherche orientée par la conception (recherche-
design) a été lancé en 2018. Ce projet romand vise l’expérimentation et la diffusion
de séquences d’enseignement pour développer le récit spontané oral chez les élèves
des trois cycles de la scolarité obligatoire et, d’autre part, le développement profes-
sionnel des enseignants impliqués par un dispositif de formation continue. Il s’agit
de vérifier si des séquences créées ont un effet sur la production orale. L’ingénierie
de formation mise en place prend appui sur la modélisation didactique de genres
textuels oraux et sur les indices identifiés d’une bonne production orale narrée
(Gagnon, Bourhis et Bourdages, 2020). La recherche apporte des éléments de
réponse à l’épineuse question de la progression des apprentissages pour l’oral, car
elle mesure les capacités maîtrisées des élèves pour un même genre, le récit oral
inventé de manière spontanée, sur l’ensemble de la scolarité obligatoire.

Une approche multimodale


du conseil de classe
(ou conseil de coopération)
L’apprentissage de l’argumentation entraîne la prise en compte de l’altérité
par l’élève et favorise la décentration. Les différents documents institutionnels
recensés prévoient l’enseignement de genres oraux dialogiques, qui impliquent
des discussions de consensus comme de conflit, telles que le débat et le conseil de
classe. Les travaux poursuivis par le Centre de la communication orale de la Haite
école pédagogique de Zug abordent le conseil de classe dans une approche multi-
modale qui considère l’ensemble des ressources sémiotiques (Haldimann, Hauser
et Nell-Tuor, 2017). Les chercheur(e)s analysent les interactions verbales, mais aussi
l’ensemble des outils (cartes de conversation, listes de mots-clés, etc.) utilisés pour
l’organisation et la structuration de la communication, la configuration spatiale
ainsi que les aspects de la communication non verbale (regards, gestes, positions
du corps). Les études conduites par l’équipe de Zug interrogent les conditions favo-
risant la participation des élèves et la mise en place de rapports de pouvoir symé-
triques ou asymétriques. Par exemple, si l’enseignant(e) se positionne à l’extérieur du
cercle des échanges et délègue à un·e élève la responsabilité de la gestion des interac-
tions, il ou elle favorise la mise en place d’une structure de participation symétrique.
L’usage d’un procès-verbal, qui requiert la synthèse et l’évaluation de la discussion
conduite, contribue aussi à la structuration des échanges.

Préoccupations communes
et leçons de la comparaison
Ce bref état des lieux a mis en évidence des constatations et des options
communes.
– L’importance, dans la perspective d’une école inclusive, de familiariser tous
les élèves aux formes de communication de l’école (Eriksson et Hauser, 2015).
L’apprentissage de l’oral à l’école primaire requiert, d’une part, d’établir des rela-
tions entre les formulations de l’élève, le dialecte et la langue de scolarisation,
d’autre part, de reconnaître la pratique langagière de l’élève, sa langue familière. 147
Les propositions en vue de l’inclusion des élèves en difficulté intègrent aussi une
évaluation des besoins, des ajustements pour lever les obstacles (en particulier
celui du manque de confiance en soi) et un choix des dimensions langagières à
travailler.
– Le défi d’enseigner une langue parlée, de travailler sur des situations de parole qui
reflètent les usages ordinaires de la langue (et non ses usages écrits). Les formes
d’oral et d’écrit et leurs relations (de complémentarité ou d’opposition) doivent
être sans cesse redéfinies et clarifiées en lien avec le contexte social et avec les
changements que ce contexte subit (Eriksson et de Pietro, 2011). La réponse à cette
préoccupation passe notamment par une réflexion sur les corpus oraux servant de
supports à l’enseignement de la production et de la compréhension de l’oral.
– Le recours à des activités inspirées de la pratique théâtrale pour que l’appren-
tissage et l’enseignement ne passent pas seulement par les mots, mais comprennent
tout autant le corps, la voix, ainsi que l’environnement culturel et sémiotique
dans lequel toute action intervient. Le travail sur la voix de l’enseignant·e devrait
être renforcé dans les institutions de formation. C’est l’objet des propositions de
Judith Kreuz (2017) qui a développé le concept de « conseil vocal entre pairs » : des
étudiant·e·s formé·e·s à cette fin conseillent leurs camarades sur les questions d’ap-
parence, de voix et de parole et aussi pour améliorer leurs compétences orales dans
une large variété de situations : discussion en classe, rencontre de parents, présen-
tation d’un projet à des collègues. Les séances de coaching incluent notamment
des activités réflexives où l’étudiant(e) analyse sa propre communication dans des
journaux vidéo ou sur des vidéos d’enseignement.

N° 86 - Avril 2021
Le contraste entre les deux régions montre aussi que des chantiers sont à
développer pour la didactique de la langue de scolarisation dans les deux contextes.
En Suisse romande, un accent pourrait être mis sur la conception d’acti-
vités favorisant la réflexivité, la manière d’entrer en dialogue ou de prendre la parole
et, in fine, un rapport conscient et volontaire à son propre langage. Il y a aussi à déve-
lopper des outils pour renforcer le travail de l’oral dans l’ensemble des disciplines
scolaires et en faire une priorité pour l’école. Pour apprendre, l’élève a besoin de
comprendre et de parler dans toutes les disciplines. La prise en compte de cet oral
pour apprendre passe par des pratiques de verbalisation qui unissent le savoir à
l’expérience personnelle de l’élève.
En Suisse alémanique, les efforts pourraient porter sur une meilleure
articulation entre le travail des dimensions formelles (lexicales, syntaxiques, ortho-
graphiques) et les aspects textuels propres aux genres. En effet, l’un des principaux
apports de l’approche romande par genres de textes est de mettre en évidence des
objets d’apprentissages spécifiques et diversifiés qu’elle organise en fonction de leurs
régularités linguistiques et des transferts possibles d’un genre à un autre (Schneuwly
et Sales Cordeiro, 2016).
Enfin, l’un des apports principaux de cette contribution est d’avoir favorisé
les contacts et la connaissance réciproque entre des équipes travaillant sur l’ensei-
gnement de l’oral dans les régions francophone et alémanique de la Suisse. Gageons
que grâce à ces échanges, le spectre de la barrière du Röstigraben9 prendra peur et
s’éloignera !
148
Bibliographie
BRONCKART J.-P. (1996). Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionisme
socio-discursif. Neuchâtel et Paris : Delachaux et Niestlé.
DOLZ J., NOVERRAZ M. et SCHNEUWLY B. (2001). S’exprimer en français. Séquences
didactiques pour enseigner l’oral et l’écrit. Bruxelles : De Boeck.
DE PIETRO, J.-F., GAGNON R. et RHEM C. (2020). « Des corpus pour travailler la com-
préhension de l’oral », Études de linguistique appliquée no 198, p. 207-224.
ERIKSSON B. et DE PIETRO, J.-F. (2011). « Oralité : développements actuels dans diffé-
rents contextes », Revue suisse des sciences de l’éducation, vol. 33, no 2, p. 167-174.
ERIKSSON B. et HAUSER S. (2015). « Welche Kompetenzen benötigen Schülerinnen und
Schüler, um erfolgreich an Gesprächen teilzunehmen? », Infonium, PH Zug 2, p. 9-11.
GAGNON R., BOURHIS V. et BOURDAGES R. (2020). « Oral et évaluation : se sortir
d’une dualité contradictoire ? Une grille comme outil de formation et de recherche »,
Pratiques, « Oralités et littératies ». http://doi.org/https://doi.org/10.4000/pratiques.7791
HALDIMANN N., HAUSER, S. et NELL-TUOR N. (2017). « Aspekte multimodaler
Unterrichtskommunikation am Beispiel des Klassenrats – Partizipationsformen und ihre
medialen und räumlichen Ausprägungen », Forum Lecture, no 1. https://bit.ly/3umfEcp

9. Expression d’origine suisse alémanique qui désigne les différences de mentalité, de langue et d’éventuels
clivages politiques entre la Suisse romande et la Suisse alémanique.
IMHOF M. (2010). « Zuhören lernen und lehren. Psychologische Grundlagen zur
Beschreibung und Förderung von Zuhörkompetenzen in Schule und Unterricht »
[Enseigner et apprendre à écouter. Fondements psychologiques pour une description
et une valorisation des compétenes d’écoute à l’école et en cours]. Dans V. Bernius
et M. Imhof (Eds.), Zuhörkompetenz in Unterricht und Schule, p. 15-30. Göttingen :
Vandenhoeck & Ruprecht.
KREUZ J. (2017). « Sprechberatung im Lehramtsstudium durch Peers – ein Projekt der
Pädagogischen Hochschule Zug (Schweiz) », Sprechen, vol. 34, no 64, p. 35-48.
SCHNEUWLY B. et SALES CORDEIRO G. (2016). « Le genre de texte comme objet d’en-
seignement – Comparaison de deux approches didactiques », Dans Vrydaghs D. et Sales
Cordeiro G. (dir.), Statuts des genres en didactique du français. Namur : Presses universi-
taires de Namur.

149

N° 86 - Avril 2021
La place de l’oral
en licence de français
dans l’enseignement
supérieur tunisien
Mokhtar Sahnoun
Université de la Manouba

En Tunisie, pendant des décennies, l’enseignement de l’oral n’a pas béné-


ficié de l’intérêt qu’il mérite. Ni les enquêtes d’ordre pédagogique ni les recherches
d’ordre didactique n’ont abouti à des conclusions suffisamment probantes pour
donner lieu à des actions efficientes. Cet enseignement a toujours été considéré
comme « le parent pauvre » parmi les matières enseignées en licence de français
à l’université. Puisqu’il fallait intégrer cet enseignement dans les cursus universi-
taires, on l’avait fait à la hâte, sans sélectionner des contenus, sans prendre soin de
circonscrire les besoins réels des apprenants et sans prendre en considération leur
inscription dans un milieu arabophone. Par ailleurs, les mutations historiques et
sociales, ainsi que les choix culturels et éducatifs, avaient eu pour corollaires les
fluctuations du statut de la langue française. Elle avait été tantôt considérée comme
une langue seconde privilégiée, tantôt, simplement, comme une langue seconde. 151
Aujourd’hui, on s’achemine vers un nouveau baptême. On examine l’éventualité de
lui accoler l’étiquette de langue étrangère.
Néanmoins, la dernière réforme de l’enseignement supérieur1 (2015-2025)
semble accorder un intérêt accru à l’acquisition des compétences orales par les étu-
diants inscrits dans les différentes disciplines universitaires. Cet intérêt se manifeste
à la lecture des programmes de la licence de français, qui prévoient des séances de
communication orale et inscrivent les séances de formation dans le cadre d’ateliers,
structure en principe moins contraignante que celle des cours.

L’enseignement de l’oral
en licence de français
L’observation des comportements des jeunes, notamment des étudiants,
l’évaluation des différentes réformes mises en place à l’université et les conclu-
sions développées dans les études menées par les chercheurs dans les domaines des
sciences humaines et des sciences du langage ont permis aux décideurs de prendre

1. « Il est impératif donc d’assurer, par des programmes transversaux dans chaque famille de disciplines,
l’acquisition des compétences linguistiques nécessaires à l’oral et à l’écrit et de faire découvrir des nouvelles
perspectives de recherche en sciences humaines. Ces perspectives contribueront au développement des
compétences pour questionner, comparer, conceptualiser, dégager les présupposés, prévoir les conséquences,
lutter contre le dogmatisme et l’exclusion », Réforme 2015-2025 de l’Enseignement supérieur en Tunisie :
Réalisations et perspectives, p. 43. Ce livre blanc est produit par les membres des Higher Education Reform
Experts (HERE) en collaboration avec le Bureau Erasmus + de la Tunisie. https://www.erasmusplus.tn/doc/
Livre-Blanc-HERE-2020.pdf

N° 86 - Avril 2021
conscience de la nécessité de former les étudiants à communiquer à l’oral. Les jeunes
se trouvent plus souvent impliqués dans des contextes où ils sont appelés à interagir
à l’oral. Les avancées technologiques dans le domaine de la communication ont
introduit de nouveaux comportements qui privilégient le recours à l’oral en tant que
moyen d’action pour dialoguer avec l’autre, les autres. Ne parle-t-on pas de « réseaux
sociaux des utilisateurs », de « réactivité » et « d’échanges avec les membres de la
communauté » ? N’est-il pas besoin, aujourd’hui, d’avoir les compétences requises
pour suivre un cours, soutenir un mémoire ou une thèse, présenter un exposé, par-
ticiper à une réunion en visioconférence ou établir une communication avec un ami
ou un étranger, un homme ou une femme, un individu ou un groupe ? Néanmoins,
il ne suffit pas d’être en possession de l’outil informatique pour être en mesure d’agir
et d’interagir avec un ou des destinataires. Une formation est nécessaire pour pré-
parer le jeune à s’approprier les codes qui gouvernent ce genre de communication
orale. Comment, dans le cadre d’un cours à distance, prendre la parole, selon quelles
règles intervenir pour poser des questions, donner son point de vue, formuler des
appréciations, interpeller le formateur sans empiéter sur le droit des autres partici-
pants ? Comment s’impliquer dans les échanges et improviser ses questions et ses
réponses ?
Aujourd’hui, les données nouvelles définissant les contextes dans lesquels
s’inscrivent les jeunes contraignent les formateurs à adopter des attitudes débar-
rassées des préjugés liés à l’oral, à assurer une formation qui soit en adéquation avec
l’attente des apprenants et à veiller à ce que la communication orale soit dégagée de
l’emprise de la communication écrite.
152
Pratique de l’oral dans les cours
L’oral pratiqué par les étudiants à l’université en Tunisie, notamment en
licence de français, est contraint, puisqu’il se réduit, le plus souvent, à un discours
que formule l’étudiant pour répondre brièvement à des questions que pose le pro-
fesseur ou à des remarques relatives à un texte ou à l’un des aspects du contenu d’un
enseignement. Dans ce contexte, il ne se sent pas suffisamment motivé pour prendre
la parole ; d’autant que ce sont moins ses compétences à pratiquer l’oral qui sont
sollicitées que ses connaissances linguistiques et, par ricochet, son savoir théorique.
Bien que le temps de parole qui lui est imparti reste insuffisant, qu’il ait l’impression
d’être constamment soumis à l’appréciation, tant du professeur que de ses cama-
rades, et malgré les obstacles qui freinent son élan, l’étudiant tente, avec ses moyens
linguistiques et pragmatiques, de s’exprimer, parce qu’il a des idées personnelles,
des points de vue, des prises de position qu’il cherche à communiquer ou parce qu’il
sollicite l’aide de l’enseignant.
Les nouveaux programmes de la licence de français révèlent que les
décideurs et les formateurs sont convaincus de l’intérêt de former l’étudiant à
communiquer à l’oral, en le dotant des connaissances suffisantes et des compétences
appropriées pour pratiquer un oral varié qui le prépare à prendre la parole, en étant
conscient des exigences du contexte particulier dans lequel il s’inscrit.
Les objectifs assignés à cette formation en ateliers visent à faire acquérir
à l’étudiant les compétences de compréhension de discours oraux variés et la pro-
duction de discours dans lesquels il investit les connaissances linguistiques et prag-
matiques acquises. Les séances réservées à la compréhension et à la production de
l’oral l’initient à observer et à analyser les composants de supports oraux relevant
de genres et de types différents et à identifier leurs spécificités, tant linguistiques
et rhétoriques que structurales et pragmatiques. Ainsi, cette approche consiste à le
familiariser avec des discours oraux variés, à déclencher chez lui la parole et à faci-
liter son implication dans la communication.
Ces séances le préparent aussi à produire une parole cohérente et struc-
turée, à assumer sa responsabilité de locuteur engagé dans une interaction verbale
(Kerbrat-Orecchioni, 1996) et à être en mesure de gérer la progression de son dis-
cours conformément à son intention et à l’attitude adoptée par les allocutaires, dans
le cadre de l’interlocution.
Lors de ces séances d’observation, inscrites en début de cycle de formation,
le formateur attire l’attention de l’étudiant sur une dimension essentielle de l’oral,
en l’occurrence la part d’improvisation. À la différence du discours écrit, qui est le
produit d’un processus de réflexion, de planification, de corrections et de vérifica-
tions, le discours oral obéit à une autre logique. Sa production se fait ici et main-
tenant, dans l’actualité du présent du locuteur. Son organisation et ses orientations
sont imposées par le contexte immédiat et le contraignent à modifier ses stratégies
discursives, dans l’urgence, afin de les adapter aux réactions et aux attitudes de
l’allocutaire qu’il découvre dans la progression des échanges.
L’observation de discours oraux produits par des interlocuteurs français ou
francophones, notamment jeunes, dans des situations authentiques de la vie quoti-
dienne, suscite chez l’étudiant des remarques qui révèlent son étonnement et la dif-
153
ficulté de comprendre et d’interpréter certaines expressions appartenant au langage
relâché. En effet les expressions idiomatiques et le vocabulaire populaire ou argo-
tique constituent, pour lui, un obstacle à la compréhension. La découverte de ces
faits linguistiques offre au formateur l’opportunité d’aider l’étudiant à distinguer les
registres et les niveaux de langue, les valeurs sémantiques des morphèmes de déri-
vation et des connotations et à comprendre le fonctionnement des séquences figées
par contraste avec les séquences compositionnelles. L’analyse des discours oraux,
particulièrement ceux développés par des jeunes appartenant à d’autres cultures,
permet l’examen d’une dimension stratégique, quelque peu négligée au niveau de
l’analyse, celle des contenus implicites et des sens signifiés sans être dits. À cette
occasion, le formateur dote l’étudiant, assez démuni en début de formation, des
moyens linguistiques, logiques et rhétoriques susceptibles de lui faciliter la tâche
d’interpréter les contenus inférentiels, dont la force réside dans le fait qu’ils sont
implicites et font partie d’une stratégie de manipulation.
Le jeune étudiant est sensible à ces aspects du discours mais, ne pos-
sédant pas toujours les outils appropriés, il se trouve parfois dans l’incapacité de
les nommer ou il se limite à les décrire de manière intuitive. La formation se donne
aussi pour objectif la mise en place de connaissances métalinguistiques, contex-
tuelles et procédurales nécessaires pour que l’étudiant apprenne progressivement à
s’exprimer de manière précise, en séances d’observation.

N° 86 - Avril 2021
La place des oraux dans
les examens pour les études
en licence de français
Il peut sembler paradoxal que, dans un milieu où la tradition orale est for-
tement ancrée, il y ait eu pendant longtemps une résistance à inscrire l’enseignement
de l’oral dans les programmes universitaires. Cette forme d’inertie a participé, de
manière consciente ou inconsciente, à installer dans l’esprit des étudiants des repré-
sentations fondées sur des préjugés. Ils considéraient que l’apprentissage de l’oral
était associé à celui des langues étrangères, l’anglais, l’espagnol ou l’allemand, à titre
d’exemple et qu’il était inconcevable d’apprendre à s’exprimer dans une langue qui
faisait partie intégrante de leur quotidien, à savoir le français.
Curieusement, dans ce contexte hostile à l’intégration de l’oral en tant
qu’enseignement, était instituée, dans les établissements universitaires, une autre
forme d’oral. Le seul type d’oral qui était réellement mis en pratique sans être
l’aboutissement d’une quelconque formation résidait dans des épreuves orales qui
faisaient le pendant aux épreuves écrites et qui déterminaient le succès ou l’échec du
candidat.
À l’occasion de ces épreuves orales, les examinateurs évaluaient, chez
l’apprenant, sa compétence de lecture, sa maîtrise des connaissances spécifiques
au genre et au type de l’extrait qu’il avait à expliquer, ainsi que ses connaissances
linguistiques ponctuelles. Implicitement, les professeurs examinateurs évaluaient
154 aussi le degré de conformité des réponses de l’étudiant avec le contenu des cours
qu’ils avaient dispensés et du savoir qu’ils avaient transmis. Ils n’étaient pas formés
pour se soucier de son autonomie. C’était la reproduction de leur savoir-faire qu’ils
cherchaient à retrouver chez lui, en tant que modèle à reproduire.
Ces épreuves orales, dont la gestion était jugée trop lourde, avaient été
abandonnées. Jusqu’à la dernière réforme, les étudiants en licence de français
n’étaient plus évalués qu’à l’écrit et n’avaient plus l’occasion de s’exprimer à l’oral
que lors des séances de travaux dirigés. Mais le temps dont ils pouvaient disposer
restait assez réduit et la prise de parole brève.
Pour remédier à ce contexte de confusion qui a perduré, on a, aujourd’hui,
intégré dans la licence en langue, littérature et civilisation françaises l’ensei-
gnement de l’oral. Cependant, malgré les efforts déployés, la place de l’oral dans
les examens reste relativement réduite. Les compétences de l’étudiant sont dans
l’ensemble testées dans le cadre d’épreuves écrites. La seule unité évaluée à l’oral est
l’unité « compréhension et production de l’oral ». Cet enseignement est soumis à un
contrôle continu qui vérifie, chez l’étudiant, la compréhension de discours oraux et
la lecture expressive de séquences orales de genre et de type variés. Dans cette pers-
pective, sont testées ses capacités à adapter les données prosodiques aux exigences
spécifiques d’un discours oral particulier, ainsi que ses aptitudes à communiquer
oralement.
Aujourd’hui, former les étudiants pour communiquer en français à l’oral
s’avère être une nécessité. Mais son efficacité est tributaire d’un ensemble de prin-
cipes à revoir et d’a priori à gommer. En effet, la situation actuelle impose que
soient modifiées les représentations des étudiants associées à la langue française, en
adaptant l’enseignement-apprentissage du français aux exigences du contexte et aux
besoins effectifs des apprenants, ainsi qu’au statut réel de la langue française et de
sa relation interculturelle et didactique avec la langue maternelle (l’arabe dialectal
tunisien) et la langue d’enseignement-apprentissage (l’arabe classique) (Miled, 2010).
Afin que la formation soit cohérente, structurée et pertinente, il est souhaitable
qu’elle s’appuie sur des référentiels de formation (Sahnoun et Benaïssa, 2010), dont
les objectifs viseraient l’acquisition de compétences orales ciblées, diversifiées, en
corrélation avec le statut du français : français de spécialité ou français fonctionnel2.
Dans cette perspective, il faudrait mettre en évidence l’étroite dépendance entre
compétences orales de compréhension et celles de production. La métacognition
est, dans ce domaine, un moyen méthodologique qui permet de prendre conscience
des exigences linguistiques, structurales, typologiques, énonciatives, rhétoriques
et culturelles que présuppose la pratique de l’oral en situation. En effet l’obser-
vation du fonctionnement de discours oraux variés prépare l’étudiant à prendre la
parole, à s’impliquer dans des interactions verbales de types variés et à assumer ses
statuts, tant de locuteur que d’allocutaire, imposés par les interversions des rôles qui
s’opèrent dans la progression des échanges. Que l’étudiant ne perde pas de vue, que
« les discours oraux sont généralement spontanés », qu’ils sont « des improvisations
libres » et qu’ils « obéissent à un certain nombre de règles de nature diverse », ainsi
que le remarque Kerbrat-Orecchioni (1996), est primordial. L’intériorisation de ces
principes ne peut que l’aider à aborder l’oral autrement et avec des prédispositions
différentes de celles préconisées dans l’approche de l’écrit.
155
La place du bilinguisme
et de l’alternance codique
Quand l’étudiant est libéré de la présence de l’enseignant, qu’il assimile à la
figure de l’évaluateur, celui qui juge, apprécie, corrige, l’étudiant est plus motivé et
réussit à parler de manière spontanée.
L’oral pratiqué par les étudiants de la licence de français a relativement les
mêmes caractéristiques que celui qu’emploient les jeunes en général, en tant que
groupe homogène, du point de vue de l’âge, des préoccupations et de l’apparte-
nance à une société, dans sa majorité bilingue, francophone. Ainsi, dans le discours
employé par les jeunes, on remarque l’alternance permanente de l’arabe, langue
maternelle, et d’une forme de français, caractéristique d’un parler typiquement
tunisien. Des études portant sur le contact des langues en Tunisie dans différents
milieux, ont montré que l’usage du français prend la forme d’une variété vernacu-
laire.

2. Le français fonctionnel, dont la dénomination avait connu des flottements : français sur objectifs spécifiques
(FOS), français langue professionnelle (FLP), français sur objectifs universitaires (FOU), vise, selon Lehmann,
des publics qui souhaitent, quelle que soit leur spécialité, « un apprentissage leur permettant de communiquer
rapidement en français dans l’exercice de leurs fonctions », cité in Fattier D. (1992). « Enseignement fonctionnel
du français à des publics spécialisés. Bibliographie sélective ». Linx, no 27, Les français professionnels.

N° 86 - Avril 2021
L’inscription des jeunes étudiants dans leur milieu arabophone a favorisé le
contact des deux langues et un mode d’expression, le code-switching3 ou l’alternance
codique. À l’intérieur du même énoncé ou de la même séquence discursive orale,
sont opérés des modes de combinaisons assez complexes qui ne gênent nullement les
jeunes locuteurs. Ils insèrent des expressions ou des vocables en français et en arabe,
le plus souvent l’arabe dialectal tunisien. La contiguïté des vocables, des expres-
sions et des structures, tantôt empruntés à un code, tantôt à l’autre, a des impli-
cations d’ordre phonologique, lexical, morphologique et syntaxique, sur l’une et
l’autre langues. Le résultat obtenu est une variété vernaculaire, gérée par des règles
implicites, imposées par la fréquence de l’usage et le nombre des locuteurs. Dans la
progression d’une intervention, le jeune locuteur emploie des vocables en recourant
au procédé du calque, dans un sens comme dans l’autre. Le mode de formation du
lexique du français est appliqué à l’arabe et vice versa. Les structures syntaxiques
propres à une langue sont employées pour construire des syntagmes ou des phrases
dans l’autre langue. Le recours à la troncation est assez fréquent dans les échanges
entre étudiants, puisqu’ils ont en commun le même univers référentiel, dimension
qui facilite la communication et l’interprétation des contenus, qu’ils soient expli-
cites ou implicites. Certains mots de la langue française, appartenant à des para-
digmes désignant des objets inscrits dans le quotidien du jeune locuteur, perdent
leur appartenance à la langue d’origine et sont employés comme des néologismes
intégrés dans la langue arabe, après avoir subi quelques modifications, en particulier
phoniques et morphologiques, partielles dans certains cas, assez importantes dans
d’autres. Les locuteurs ont, progressivement, fini par s’approprier des mots tels que :
156
fauteuil, balcon, train, métro, taxi, cartable, stylo, carnet, bureau, restaurant, biscuit,
gâteau, dessert, espadrilles, blouson, casquette, veilleuse, rideau, ordinateur, prise,
téléphone, rendez-vous. L’usage fréquent de ces mots dans la vie courante a érodé
le besoin de créer des vocables équivalents en arabe dialectal. Il est bien entendu
que tous ces vocables ont leurs équivalents dans la langue arabe classique. Mais les
jeunes ne les emploient pas, parce que l’usage de l’arabe classique est réservé à la lit-
térature et aux situations officielles.
Le recours au code-switching, dans les interactions verbales, n’est pas tou-
jours signe de maîtrise des deux langues mais, le plus souvent, indice révélateur de
non-acquisition des compétences requises pour communiquer de manière struc-
turée et pertinente, au moyen de l’une et/ou de l’autre langue. Dès que le locuteur
rencontre une difficulté, se situant à l’un des niveaux lexical, morphologique ou
syntaxique, dès que les concepts spécifiques lui font défaut, il change de code. Cette
pratique adoptée par le locuteur se transforme dans certains contextes en obstacle
qui trouble le destinataire et l’empêche d’interpréter avec succès les contenus du dis-
cours qu’il développe.
Il est évident que, dans la plupart des situations, l’alternance codique
permet aux jeunes de communiquer, libérés des contraintes des règles de l’une et
l’autre langues et de produire un discours personnel, imagé et expressif. C’est un

3. Dans son ouvrage Le code-switching des diplômés de l’université en Tunisie, Ben Mustapha (2016) consacre
la troisième partie à la description formelle des séquences orales produites par des locuteurs, jeunes diplômés
de l’université tunisienne, présupposant que c’est un usage qui présente des constantes formelles et qui est
motivé par des données sociolinguistiques. Il en déduit que le code-switching est « un parler ordinaire » (p. 214)
et que « parler mixte constitue un acte identitaire » (p. 216).
mode d’échange verbal oral qu’ils maîtrisent et qu’ils enrichissent par le recours
à des formes de création aux niveaux paradigmatique, syntagmatique et tropique.
L’originalité de ce type de communication orale géré par des règles intériorisées par
les jeunes a été repérée par les publicistes qui n’hésitent pas à le calquer pour struc-
turer leurs slogans.

Les usages du français parlé


Le phénomène qui retient l’attention est que aussi bien les étudiants en
licence d’anglais que ceux qui préparent une licence d’arabe, comme les étudiants en
licence de français, étant tous francophones et polyglottes, empruntent à la langue
française, qui fait partie de leur vécu, des mots, des expressions et des structures.
Parfois les deux langues sont tellement enchevêtrées qu’il faut avoir l’habitude de ce
mode de combinaisons et d’emplois du vocabulaire pour pouvoir suivre une inter-
action verbale de ce genre entre des jeunes.
Ce mode de communication est fréquent dans les médias. Les invités et
les auditeurs qui interviennent sur les différentes chaînes de radios parlent en ayant
recours à l’arabe dialectal et au français. Par souci de rendre intelligibles les propos
de la personne qui intervient sur les ondes, certains animateurs traduisent les termes
qu’elle emploie en français. Mais, ces dernières années, la parole est libérée et chacun
s’exprime comme il l’entend, selon sa propre formation ou sa culture, en arabe clas-
sique ou en arabe dialectal, avec ses variétés régionales, en français ou en alternant
les deux codes, le français et l’arabe. La parole libérée de la censure qui condamnait 157
le recours à ce qu’on désignait, avec mépris, le « franco-arabe », révèle que les locu-
teurs tunisiens sont dans leur majorité francophones et qu’ils recourent naturel-
lement aux deux codes dans leur discours oral. Même dans le cadre d’un événement
décisif, celui qui a été à l’origine de la révolution, la foule scandait « Dégage ! », verbe
emprunté à la langue française et qui avait la valeur d’un acte de langage et la force
illocutoire d’un performatif qui avait réalisé ce qu’il disait.
Quand ce sont des scientifiques ou des techniciens qui interviennent pour
traiter une question ponctuelle dans un domaine particulier, ils développent leurs
idées et points de vue presque uniquement en français. Le recours à l’alternance
du français et de l’arabe se fait de manière assez souple et les frontières entre les
deux langues sont marquées par des pauses ou un changement de ton ou de rythme.
Les hommes politiques, par contre, cherchant à toucher un large éventail d’audi-
teurs, emploient une variété de l’arabe dialectal tunisien, un dialecte standard,
mi-soutenu, mi-relâché, et ne peuvent s’empêcher d’insérer dans leurs propos, pour
des finalités assez variées, des mots ou des structures empruntés au français.

Depuis quelques années, l’oral jouit d’un intérêt grandissant. Décideurs


et formateurs donnent à voir la nécessité pour les jeunes d’apprendre à comprendre
les discours oraux, à intérioriser les principes qui gèrent les interactions verbales
et à s’initier à impliquer son corps dans la communication orale, mais aussi à se
familiariser avec les outils informatiques de communication à distance. Toutefois,

N° 86 - Avril 2021
les évaluations des différentes expériences menées par les formateurs, visant à faire
acquérir aux étudiants tunisiens en licence de français les compétences de compré-
hension et de production de discours oraux de genres et de types variés, concordent
sur un point essentiel. La formation ne peut prétendre à répondre aux besoins réels
des apprenants qu’à la condition sine qua non que soit défini le statut effectif de la
langue française et que soit prise en considération leur inscription dans leur milieu
arabophone.
Par ailleurs, l’orientation évidente de la recherche scientifique vers l’étude
des caractéristiques linguistiques, pragmatiques et culturelles des variétés de dis-
cours oraux pratiqués par les jeunes ou par des communautés, définies par la langue,
la culture, la profession ou l’inscription dans un espace topographique marqué, est
un indice révélateur d’ouverture sur l’autre et de la nécessité de se munir des moyens
permettant de communiquer avec lui, d’être à son écoute et de le comprendre.
La formation des jeunes à communiquer à l’oral est une manière de leur
faire prendre conscience des valeurs humaines de partage et, par voie de consé-
quence, de tolérance.

Bibliographie
Approche de l’expression orale en didactique des langues (2007). Actes du XIVe colloque
SGAV. Novembre 2005-Hammamet-Tunisie, avec le soutien de l’AIF, l’ISEFC et l’AT-
LCPTP.

158 BEN MUSTAPHA Heikel (2016). Le code-switching des diplômés de l’université en


Tunisie. Tunis : Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba. École doc-
torale Patrimoine, Communication, UR Analyse textuelle, traduction et communication.
KERBRAT-ORECCHIONI C. (1996). La conversation. Paris : Seuil.
KERBRAT-ORECCHIONI C., TRAVERSO V. (2004). « Types d’interactions et genres de
l’oral ». Langages, no 153, p. 41-51.
MASSERON C. (1996). « Présentation ». Pratiques. Linguistique, littérature, didactique,
no 92.
MILED M. (2015). « Les innovations curriculaires, entre standardisation et contex-
tualisation : l’exemple du français en milieu bi-plurilingue ». Approches didactiques du
bi-plurilinguisme en Afrique. Paris : ELAN. Publications de l’OIF. Éditions des archives
contemporaines, p. 83-89.
MILED M. (2010). « Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts
avec la langue arabe ? ». Langue française, vol. 3, no 167, p. 159-171.
MILED M. (2007). « Le français langue seconde en Tunisie : une évolution sociolinguis-
tique et didactique spécifique ». Le Français aujourd’hui, no 156, p. 79-86,
SAHNOUN M. (2006). « Didactique de l’oral : articulation et harmonisation ». Le
Français aujourd’hui, no 154, Former au français dans le Maghreb, p. 45-56.
SAHNOUN M. et BENAÏSSA Z. (2010). Repères I. Langue française. Référentiel de for-
mation. Activités de langue pour communiquer en français à l’université. Tunis : Centre de
publication universitaire.
Références
bibliographiques
du dossier
« l’oral dans
l’éducation »

Bernadette Plumelle
Ingénieure de recherche honoraire

La nécessité du développement des compétences orales à l’école pour les enfants de tous
les milieux sociaux fait largement consensus, particulièrement dans les premières années.
L’enseignement explicite de l’oral permet de réduire les inégalités scolaires, d’améliorer la
transmission des savoirs et de développer la confiance et l’estime de soi de chaque élève. La
France, avec la mise en place du « grand oral », épreuve inscrite au programme du nouveau
baccalauréat, en est un exemple, mais cette volonté de soutenir le développement de la pra-
tique orale est le cas de très nombreux pays. Les références sélectionnées pour cette biblio-
graphie, majoritairement de langue française, sont récentes, afin d’offrir un état des débats
actuels. Eu égard au sujet, il y sera largement question du champ disciplinaire du français.
Enfin, les titres proposés complètent ceux donnés par les contributeurs du dossier.
Cette sélection rassemble, en introduction, quelques références sur la littératie, compétence 159
liée à l’appropriation de la culture écrite et orale, et sur l’oralité. La section centrale propose
quelques articles sur les curriculums suivis de publications questionnant les didactiques de
l’oral issues de plusieurs pays francophones. Dans la partie suivante, les publications sélec-
tionnées ont pour sujet les pratiques orales mises en œuvre dans les classes de l’enseignement
primaire et secondaire, avec un focus sur certaines activités : débat, exposé critique, récit…
Enfin, quelques références introduisent à la « pédagogie dialogique » pratiquée dans les pays
anglo-saxons.
Les résumés sont, pour l’essentiel, ceux des éditeurs et des revues. Bibliographie arrêtée le
26 février 2021.

Littératie et oralité

LANGLOIS Roberte, Les précurseurs de l’oralité scolaire en Europe : de l’oral à


la parole vivante, Mont-Saint-Aignan : Publications des universités de Rouen et
du Havre, 2012, 257 p.
« Quand on sait, on se tait ! » : cette injonction paradoxale montre le rapport ambigu
qu’entretient le couple « parole et savoir » au sein du système éducatif français. Cet
ouvrage éclaire la question de l’oralité scolaire à travers l’histoire des idées éducatives. La
seconde partie propose une approche comparative de pédagogues des xixe et xxe siècles :
N. Grundtvig, C. Kold, M. Buber et M. Jousse. Avec ce réseau de précurseurs européens de
l’éducation dont l’idéal est centré sur le concept de parole vivante, l’ouvrage propose une
réflexion sur les enjeux et la dimension anthropologique de l’oralité scolaire.

N° 86 - Avril 2021
MASSERON Caroline, PRIVAT Jean-Marie, « Oralité, littératie », Pratiques, 2019,
n° 183-184, n.p. [en ligne]
Ce numéro fait le point sur les usages actuels des notions de littératie et d’oralité, en
linguistique, en didactique et en littérature. Les auteurs interrogent leurs articulations selon
trois volets : 1) un volet épistémologique qui cartographie plus précisément porte sur les
définitions sémiologiques, linguistiques et socio-symboliques des termes oralité et littératie ;
2) un volet d’applications pratiques à partir d’analyses variées de ces deux modes dans des
discours ; 3) un volet ouvert aux pratiques scolaires et à la didactique.
https://journals.openedition.org/pratiques/6717

TERRAIL, Jean-Pierre, De l’oralité. Essai sur l’égalité des intelligences, Paris : La


Dispute, 2009, 281 p.
L’ouvrage conjugue approche sociologique, historique, et approche linguistique de type
anthropologique de l’apprentissage du langage, de l’oral à l’écrit, incluant aussi les fonde-
ments psychologiques. L’auteur parcourt l’histoire de l’élaboration, dans l’imaginaire
occidental, de conceptions anthropologiques ou pédagogiques ethnocentristes et scripto-
centristes. Il examine les rapports entre langage et pensée et considère que l’accès à la parole
est d’emblée accès au pouvoir d’abstraction et aux relations logiques. D’autres chapitres sont
consacrés aux cultures orales.

WAQUET Françoise, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir, Paris : Albin


Michel, 2003, 432 p.
160 Depuis l’invention de l’imprimerie, l’oralité a perdu de sa valeur alors que le savoir a été placé
progressivement sous le signe majeur, voire exclusif, de l’écrit. Ainsi, cours, conférences,
séminaires, congrès, soit un pan considérable de l’activité intellectuelle, n’ont pas été saisis
dans leur dimension orale. En décrivant les pratiques et les formes de la communication
savante entre les xvie et xxe siècles, l’autrice livre une histoire culturelle de l’oralité dans la
civilisation de l’imprimé. Elle montre le statut élevé qui fut reconnu à une parole aussi réglée
que l’écrit et fondée sur le modèle du dialogue des philosophes antiques.

L’oral dans les curriculums :


quelques exemples

BEACCO Jean-Claude, COSTE Daniel, VAN DE VEN Piet-Hein, VOLLMER


HELMUT J., Langues et matières scolaires : dimensions linguistiques de la
construction des connaissances dans les curriculums, Strasbourg : Conseil de
l’Europe. Division des langues vivantes, novembre 2010, 28 p., [en ligne]
Toute construction de connaissances en contexte scolaire passe par un travail langagier.
Ce texte a pour objet le rapport entre connaissances et langue de scolarisation. Dans une
première partie, les auteurs soulignent la nature complexe des relations entre connaissances
et langage comme la spécificité de la communication scientifique. Sont analysées ensuite
les formes générales de la communication en classe ainsi que les formes de la communi-
cation dans les enseignements scientifiques, artistiques et techniques. La dernière partie est
consacrée aux compétences discursives mises en œuvre pour ces apprentissages.
https://bit.ly/3ux6R7D
CADET Lucile, PÉGAZ-PAQUET Anne, « Prendre/apprendre la parole : l’oral à l’école
primaire dans les textes officiels », Le Français aujourd’hui, décembre 2016, n° 195,
p. 9-21 [disponible sur le portail Cairn]
L’article aborde la question de l’oral et la façon dont il s’est construit en tant qu’objet d’ensei-
gnement, au regard de son traitement dans les instructions et programmes officiels de l’école
primaire en France, depuis 1945 à aujourd’hui. L’étude montre comment l’évolution de la
définition que l’institution lui a donnée a été influencée par les autres disciplines des sciences
sociales, et quelles préconisations ont été faites pour la prise en charge d’un enseignement de
l’oral « pour apprendre à apprendre, pour penser et communiquer », en fonction des besoins
que l’évolution sociologique de ces dernières décennies a fait apparaître pour l’école.

Inspection générale de l’éducation nationale, La place de l’oral dans les enseigne-


ments à l’école primaire, Paris : Ministère de l’éducation nationale, 2000, 35 p. [en
ligne]
À l’école élémentaire, beaucoup d’apprentissages se construisent durant des moments de
travail oral. L’inspection générale a mené une enquête sur la place de l’oral dans les enseigne-
ments à l’école primaire dans neuf académies (1998-1999). Elle a conjugué deux démarches :
1) une étude des attentes de l’institution depuis un siècle ; 2) une enquête sur le terrain. Les
visites de classes ont porté sur au moins deux séquences différentes explicitement demandées
aux maîtres et visant l’oral en tant que tel : « l’oral à apprendre » et l’oral vecteur des appren-
tissages : « l’oral pour apprendre ». https://bit.ly/3r9Ztgx

MAXWELL Bronwen, BURNETT Cathy, REIDY John et al., Oracy curriculum,


culture and assessment toolkit: Evaluation report and executive summary, 161
London : Education endowment foundation, juin 2015, 76 p. [en ligne]
Ce rapport évalue un projet de développement conçu par School 21 et l’Université de
Cambridge pour améliorer les compétences oratoires des élèves de septième année
(10-11 ans) de septembre 2013 à juillet 2014. Le projet a impliqué le développement d’un
cadre de compétences qui définit les compétences oratoires physiques, linguistiques, cogni-
tives et socio-émotionnelles requises pour la scolarité des élèves et leur vie. D’autres éléments
ont été inspirés par ce cadre comme un programme d’enseignement de l’oralité en 7e année ;
la construction d’une culture de l’oralité à l’école et une boîte à outils d’évaluation. Les élé-
ments ont été rassemblés pour créer un Oracy Curriculum, Culture and Assessment Toolkit.
https://bit.ly/3dSiuAh

Didactiques de l’oral

CADET Lucile, PEGAZ PAQUET Anne (coord.), « L’oral en question(s) : dossier »,


Le Français aujourd’hui, décembre 2016, n° 195, 151 p. [disponible sur le portail Cairn]
De quoi parle-t-on lorsque l’on parle d’oral ? Comment le définir ? Qu’est-ce qu’enseigner
l’oral ? En fonction de quelles progressions ? Si ce numéro a pour objectif premier de mieux
appréhender l’oral, il développe l’idée d’une didactique du français transversale ou en
contexte permettant de dépasser les cloisonnements disciplinaires. Une première partie
propose d’explorer les différentes définitions didactiques et linguistiques de l’oral qui lui ont
été associées au cours du temps. La seconde partie ouvre sur les fonctions de l’oral et l’ensei-
gnement de la langue. La troisième partie aborde la production de l’oral dans les classes.

N° 86 - Avril 2021
DUMAIS Christian, « Proposition d’une typologie des objets d’enseignement/appren-
tissage de l’oral », Les Dossiers des sciences de l’éducation, 2016, n° 36, p. 37-56 [en
ligne]
Les recherches menées au cours des dernières années font état d’une difficulté pour les ensei-
gnants à saisir le concept d’ « oral » et à cerner ses objets d’enseignement/apprentissage.
Afin d’y remédier, une recherche de nature théorique a été réalisée. Elle a permis de mieux
définir ce qu’est l’oral et d’élaborer une typologie des objets d’enseignement/apprentissage de
l’oral comportant deux grands volets (structural et pragmatique) ainsi que dix types incluant
334 objets de l’oral définis. https://journals.openedition.org/dse/1347

DUMAIS Christian, SOUCY Emmanuelle, « Des documents de référence pour l’ensei-


gnement et l’évaluation d’objets de l’oral au primaire québécois », Revue hybride de
l’éducation, automne 2020, vol. 4, no 4, p. 24-60 [en ligne]
La question de l’évaluation de la compétence à communiquer oralement est peu abordée
dans les travaux en didactique de l’oral au Québec et dans l’ensemble de la francophonie.
Dans le cadre d’une recherche collaborative menée en milieu plurilingue et pluriethnique au
Québec auprès de huit enseignantes du primaire, chercheurs et enseignantes ont coconstruit
des outils pour faciliter l’enseignement et l’évaluation de cette compétence, soit des docu-
ments de référence d’objets de l’oral, et ce, à partir des compétences réelles des élèves selon les
trois cycles de l’école primaire québécoise (élèves de 6 à 12 ans). https://bit.ly/3aURrlP

DUPONT Pascal, DOLZ Joaquim (coord.), « Les genres oraux : quels dispositifs pour
apprendre ? », Recherches, décembre 2020, n° 73, p. 9-20 [en ligne]
162
À l’école, les genres oraux sont de plus en plus présents comme formes organisées de l’oral
au fur et à mesure de l’avancée des élèves dans leur scolarité. Quels sont les nouveaux dispo-
sitifs pour enseigner l’oral ? Comment didactique et pédagogie s’articulent-ils ? Ces questions
sont abordées dans les contributions issues de pays francophones qui portent une réflexion
sur ce que recouvre le champ de la didactique de l’oral dans la discipline du français.
https://bit.ly/3aURrlP

GAGNON Roxane, BOURHIS Véronique, BOURDAGES Rosalie, « Oral et éva-


luation : se sortir d’une dualité contradictoire ? Une grille comme outil de formation et
de recherche », Pratiques, 2019, n° 183-184, n.p. [en ligne]
L’évaluation de l’oral reste complexe pour les enseignants. Faute d’outils, ils font appel à des
critères d’évaluation trop généraux ou s’appuient sur les pratiques d’évaluation de l’écrit. Les
autrices considèrent les questions soulevées par l’évaluation de la production orale des élèves
à l’école primaire en étudiant le couple oralité-évaluation à travers le prisme de la production
de récits inventés performés oralement. Dans le cadre d’une recherche fondée sur la pratique
design-based research, une séquence didactique a été élaborée et testée avec des enseignants
ainsi que les outils qui l’accompagnent. https://journals.openedition.org/pratiques/7791

LAPARRA Marceline, « L’oral, un enseignement impossible ? », Pratiques, juin 2008,


n° 137-138, p. 117-134 [en ligne]
Les théoriciens comme les praticiens peinent à définir des objectifs clairs pour l’enseignement
de l’oral et à préciser les activités et les tâches préconisées pour les remplir. La déclinaison de
ces objectifs en termes de compétences à atteindre n’est que peu opératoire ; la prédominance
des enjeux communicatifs et les difficultés liées à la gestion des interactions et aux phéno-
mènes de variations occultent largement d’autres problèmes, notamment ceux qui relèvent de
l’articulation entre l’écrit et l’oral dans les situations effectives de classe.
https://journals.openedition.org/pratiques/1155

NONNON Elisabeth, « 40 ans de discours sur l’enseignement de l’oral : la didactique


face à ses questions », Pratiques, 2016, n° 169-170, n.p. [en ligne]
Bien que les savoirs sur la langue parlée et les interactions se soient beaucoup développés, la
recherche didactique sur l’enseignement de l’oral a connu une histoire à éclipses. L’évolution
des discours depuis quarante ans est significative à la fois des spécificités de cet objet de
travail, et de questions et tendances plus générales de la didactique du français. La question
de l’oral rappelle avec insistance ces problèmes : les inégalités de langage et les moyens
d’éviter les discriminations dans les activités de français, la place du travail sur la langue, la
généricité et la contextualisation des normes et des modèles, les rapports entre description et
prescription, la prise en compte de l’économie du travail scolaire dans les analyses et les inci-
tations. https://journals.openedition.org/pratiques/3115

PLESSIS-BELAIR Ginette, LAFONTAINE Lizanne, BERGERON Real (sous la direction


de), La didactique du français oral au Québec. Recherches actuelles et applications
dans les classes, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2007, 267 p. [en ligne]
Ce livre regroupe divers chapitres explorant les enjeux de la didactique du français oral.
En introduction, une perspective historique est tracée, avec le constat de la place de l’oral
dans les programmes d’enseignement au Québec. La première partie de l’ouvrage traite de
l’oral comme objet d’enseignement. La deuxième partie se concentre sur l’oral réflexif, en
explorant l’apport de l’oral aux compétences discursives autour de l’œuvre littéraire. La troi- 163
sième partie table sur des réflexions autour du développement des compétences orales en
formation continue. https://bit.ly/3dMHVTy

Inégalités scolaires en
matière de pratique de l’oral

BAUTIER Élisabeth, « Et si l’oral pouvait permettre de réduire les inégalités ? », Les


Dossiers des sciences de l’éducation, 2016, n° 36, p. 109-129 [en ligne]
L’article revient sur la place de l’oral dans l’enseignement, son lien avec la scolarisation des
enfants de milieux populaires, sur les rapports anciens entre oral et apprentissage des savoirs.
Il rappelle la diversité des travaux de recherche sur l’oral. Dans un second temps, après avoir
posé la distinction nécessaire entre langue et langage et la proximité nécessaire entre oral et
écrit scolaires, l’autrice développe l’importance d’un oral pour apprendre permettant en par-
ticulier de travailler les rapports étroits entre langage et cognition.
https://journals.openedition.org/dse/1397

GAUSSEL Marie, « Je dis, tu parles, nous écoutons : apprendre avec l’oral », Dossier
de veille de l’IFÉ, Lyon : ENS de Lyon, n° 117, avril 2017, 32 p. [en ligne]
La maîtrise des compétences orales et des habiletés de communication est un véritable
instrument d’ascension sociale. Des recherches montrent que la source de l’échec scolaire
serait langagière et que la réussite dans les apprentissages serait corrélée à la capacité à « bien

N° 86 - Avril 2021
parler » le français. Ce dossier s’intéresse aux relations entre le langage et la construction de
la pensée, la façon dont l’expression orale conditionne les apprentissages et les enjeux liés à
l’oral pour l’adaptabilité sociale et la réussite scolaire. Une deuxième partie aborde la place
des activités langagières dans l’enseignement. https://bit.ly/3qVeOBm

GRANDATY Michel, LAFONTAINE Lizanne (coord.), « L’enseignement de l’oral à


l’école : dossier », Les Dossiers des sciences de l’éducation, 2016, n° 36, p. 7-149 [en
ligne]
De nombreuses recherches ont montré que le rapport au langage est un élément majeur
d’explication de l’échec scolaire des milieux défavorisés à l’école primaire. La France
a mené une réforme, votée en 2015, qui met l’accent sur la maîtrise du langage en vue de
mieux lutter contre l’échec scolaire. Ce dossier décrit la nature réelle du rapport entre l’oral
et l’écrit afin d’interroger ensuite la question de la nature de l’objet « oral » à l’école. Les
articles s’inscrivent dans différents contextes scolaires (préscolaire, primaire, secondaire).
https://journals.openedition.org/dse/1327

LAHIRE Bernard, « Les pratiques langagières orales », in Culture écrite et inégalités


scolaires. Sociologie de l’échec scolaire à l’école primaire, Lyon : Presses universi-
taires de Lyon, 2000, p. 193-242 [en ligne]
Afin de contribuer à la compréhension de l’« échec scolaire » à l’école primaire, l’auteur
recourt à une démarche du type socio-historique basant la réflexion sur les différences entre
cultures écrites et cultures orales. Le chapitre sur « les pratiques langagières orales » cherche
à comprendre les jugements émis par les enseignants sur l’ « expression orale » de leurs élèves
164 et, notamment, les jugements négatifs portés à l’égard des pratiques langagières orales des
élèves d’origine populaire. Il s’agit de saisir ce que sont les exigences scolaires en matière
d’« expression orale » et la façon dont y répondent des élèves issus de différents milieux
sociaux. https://bit.ly/3aVUydn

NONNON Élisabeth, « Langage oral et inégalités scolaires. Entretien », Le Français


aujourd’hui, juin 2014, n° 185, p. 17-24 [en ligne]
L’autrice passe en revue les différentes conceptions des inégalités scolaires en matière de
pratique de l’oral, en montrant qu’il convient de se méfier des explications trop strictement
sociales ou culturelles. Les différences langagières apparaissent entre les élèves à des niveaux
qui tiennent également à la plus ou moins grande maîtrise des savoirs linguistiques et des
conduites discursives. Il convient de « déglobaliser » les difficultés en décrivant les décalages
entre les différentes conduites langagières des élèves, dont les écarts s’accentuent du fait des
contextes de socialisation, des formes de culture, des connaissances acquises notamment au
plan linguistique. https://bit.ly/3qWx3pV

Les inégalités langagières


dès la petite enfance

BEHRA Séverine, CAROL Rita, MACAIRE Dominique, « L’apprentissage de la


langue de scolarité : vers une école maternelle « davantage inclusive » », Le Français
aujourd’hui, décembre 2016, n° 195, p. 47-60 [en ligne]
L’école maternelle est un espace social où des enfants fort divers, par leurs aptitudes cogni-
tives, leurs attitudes et comportements, vivent ensemble. L’hétérogénéité des enfants se
manifeste tout particulièrement dans le domaine langagier où un large continuum est obser-
vable, allant de ceux ayant une maîtrise relativement aisée de la langue, aux enfants dont le
français n’est pas la langue de la maison et qui ignorent tout de la langue de l’école. Comment
l’enseignement pourrait-il mieux prendre en compte cette diversité ? Partant des pratiques
communicatives actuelles, l’étude les interroge dans une perspective inclusive de l’ensei-
gnement. https://bit.ly/3r9zJ3S

LAW James, CHARLTON Jenna, DOCKRELL Julie et al., Early language deve-
lopment: needs, provision and intervention for preschool children from socio-
economically disadvantage backgrounds, London: Education endowment
foundation, octobre 2017, 206 p. [en ligne]
Cette étude identifie les priorités pour améliorer les pratiques de soutien auprès des enfants
présentant des retards dans le développement précoce du langage (0-5 ans). En outre, elle
cherche à mettre en évidence les interventions qui ont le plus grand potentiel pour améliorer
les chances des enfants et pour réduire les inégalités. Elle propose tout d’abord un aperçu des
résultats concernant la compréhension du développement précoce du langage. Elle examine
ensuite la prévalence et la proportion d’enfants n’atteignant pas les niveaux de performance
appropriés au cours des premières années. Elle se penche enfin sur les interventions, leur effi-
cacité et leur efficience. https://bit.ly/2ZVgYF4

Rapport mondial de suivi sur l’Éducation pour tous, Comment apprendre quand on
ne comprend pas ?, Paris : UNESCO, février 2016, 10 p. [en ligne]
Ce document d’orientation de l’Unesco rappelle que, selon une estimation, 40 % des habitants
du monde n’ont pas accès à l’instruction dans une langue qu’ils parlent ou comprennent, 165
particulièrement dans les régions où la diversité linguistique est la plus grande (Afrique sub-
saharienne, Asie, Pacifique). Ce rapport montre les effets négatifs sur l’apprentissage de l’en-
seignement dans une langue différente de la langue maternelle. En s’appuyant sur plusieurs
études nationales, il expose les effets positifs sur l’apprentissage lorsque l’enseignement se fait
dans une langue comprise par les enfants. https://bit.ly/3bFM0q6

RICHARD-BOSSEZ Ariane, « À l’école maternelle, une entrée différentiée dans l’écrit


entre oralité et littératie », Pratiques, 2019, n° 183-184, n.p. [en ligne]
L’autrice interroge les activités relatives à l’écrit en maternelle au cours desquelles circulent
des opérations relevant à la fois de l’oralité et de la littératie ainsi que la manière dont ces opé-
rations s’articulent, ou non, dans les apprentissages des élèves. Le propos est illustré par des
données issues d’observations réalisées lors d’une enquête de terrain de type ethnographique
(2010-2011) dans six classes d’école maternelle en France, situées dans des contextes sociaux
variés. Trois dimensions du processus pédagogique sont développées : la présentation des
savoirs relatifs à l’écrit par les enseignants ; l’appropriation cognitive de ces savoirs par les
élèves et les interactions entre enseignants et élèves.
https://journals.openedition.org/pratiques/7533

N° 86 - Avril 2021
Pratiques de l’oral
dans l’enseignement primaire
et secondaire

DOLZ Joaquim, SCHNEUWLY Bernard, Pour un enseignement de l’oral. Initiation


aux genres formels à l’école, Paris : ESF, 2016 (6e édition), 208 p.
Si l’oral est présent dans le quotidien des classes, il est rarement conçu comme un objet sco-
laire autonome différent de l’écrit. Il n’est souvent enseigné qu’incidemment, à l’occasion
d’activités diverses et peu contrôlées. Les auteurs proposent une démarche systématique
d’enseignement à travers un travail sur l’oral dans ses multiples formes. Pour illustrer la
démarche, un ensemble de séquences didactiques est présenté, portant sur des situations
de communication en public bien distinctes : le débat, l’interview pour une radio scolaire,
l’exposé devant la classe et la lecture à d’autres d’un conte.

GAGNON Roxane, DOLZ Joaquim, « Corps et voix : quel travail dans la classe de
français du premier cycle du secondaire ? », Le Français aujourd’hui, décembre 2016,
n° 195, p. 63-76 [disponible sur le portail Cairn]
Les dimensions vocales et corporelles font l’objet de peu d’attention dans la classe de français
du secondaire. Les auteurs font l’hypothèse que les enseignants méconnaissent ces objets
et que, pour cette raison, ils ne voient pas leur pertinence dans l’apprentissage de l’oral et
de l’oralité. La contribution entend définir les concepts de voix et de corps et examine leur
traitement dans les programmes officiels pour la Suisse romande, ainsi que dans plusieurs
166 ouvrages d’enseignement en usage dans les classes.

GRANDATY Michel, DUPONT Pascal, « Apprendre à “échanger et débattre” à l’école


primaire dans le domaine de la littérature : la question de la progression », Repères.
Recherches en didactique du français langue maternelle, 2008, n° 41, p. 147-171 [en
ligne]
La notion de progression disciplinaire induit une gestion progressive dans la difficulté des
contenus, selon un ordre défini par une logique interne. Dans le domaine de l’oral intitulé
dans les programmes français de 2008 « Échanger, débattre », comment l’enseignant peut-il
aménager une progression aussi efficace que possible ? Les auteurs abordent l’analyse
de deux corpus portant sur l’enseignement de l’oral dans le domaine de la littérature. Le
premier permet de préciser la nature des difficultés rencontrées par l’enseignant, en parti-
culier la façon dont il prend réellement en compte les interactions avec les élèves dans un
enseignement de l’oral. Ils analysent ensuite la progression annuelle proposée par une ensei-
gnante. https://journals.openedition.org/reperes/292#abstract

LAFONTAINE Lizanne, « Pratiques d’enseignement de l’oral au primaire au


Québec : des avancées dans le domaine de la littératie », Le Français aujourd’hui,
décembre 2016, n° 195, p. 37-46 [texte disponible sur le portail Cairn]
Les pratiques d’enseignement de l’oral au primaire au Québec ont évolué, depuis une dizaine
d’années, en partenariat avec le milieu scolaire et la mise en place d’une progression des
apprentissages publiée par le ministère de l’éducation. Cette contribution fait état des
résultats de diverses recherches en lien avec : i) l’intégration de la littératie comme concept
central pour le développement des compétences en oral des élèves issus de tous les milieux
socioéconomiques ; ii) l’apport de la technologie pour travailler l’oral et la mise en pratique
de dispositifs didactiques efficaces. Des activités d’oral sont également proposées.

Observatoire des pratiques en éducation prioritaire, L’oral en éducation prioritaire –


2019-2020, Académie de Créteil, juillet 2020, 186 p. [en ligne]
L’observatoire des pratiques en éducation prioritaire de l’académie de Créteil a exploré les
pratiques de l’oral à l’école et au collège dans dix réseaux d’éducation prioritaire de la région
parisienne. Il analyse la place et le rôle de l’oral à partir des représentations des acteurs de
l’éducation nationale (enseignants, élèves, parents d’élèves, personnels de vie scolaire, psy-
chologues…) et des pratiques en classe. L’oral représente une part importante d’une séance
de classe (entre 30 et 75 %). Cependant, malgré des incitations fortes, les élèves s’expriment
parfois très peu. https://bit.ly/2ZQlLrs

VINEL Élise, BAUTIER Élisabeth, « Des échanges langagiers dans la classe pour
construire des usages cognitifs du langage et réduire les inégalités scolaires », Revue
suisse des sciences de l’éducation = Swiss Journal of Educational Research, 2020,
vol. 42, n° 3, p. 557-568 [en ligne]
Au sein des classes, les démarches de construction des savoirs deviennent la norme et se
substituent peu à peu aux pédagogies transmissives et frontales. Dès lors, les échanges élèves/
élèves et enseignants/élèves sont très présents dans les classes, mais ils sont souvent ambigus
et ne permettent pas à tous les élèves de réfléchir et de conceptualiser. Les autrices inter-
rogent la nature du discours produit au sein des classes, du point de vue des conditions et
possibilités d’apprentissages dont ils sont porteurs, et compte tenu des situations d’échanges
mises en œuvre par les enseignants. https://sjer.ch/article/view/5977/10474 167

Pratiques orales en milieu


scolaire : débat, exposé, récit…

CHIROUTER Edwige, PERRIN-DOUCEY Agnès, ZOIA Geneviève, CONNAC Sylvain


(coord.), « En quoi les différentes pratiques de débats démocratiques, s’appuyant
sur les Humanités, peuvent-elles contribuer à lutter contre les inégalités scolaires et
sociales », Éducation et socialisation. Les cahiers du CERFEE, 2019, n° 53, n.p. [en
ligne]
Les travaux récents des chercheurs en didactique (notamment de la philosophie, de la lit-
térature ou du français), comme en sciences de l’éducation, envisagent des dispositifs de
développement de la pensée et des émotions centrés sur la notion de débat démocratique.
Ce numéro interroge ces pratiques en se demandant en quoi elles sont un levier pour lutter
contre les inégalités à l’école et dans la Cité et en quoi le recours aux Humanités par le déve-
loppement du débat démocratique ou philosophique et de la pensée critique permet aux
élèves et aux enseignants de faire vivre concrètement les valeurs d’égalité et de fraternité.
https://journals.openedition.org/edso/6754

N° 86 - Avril 2021
DELHAY Cyril, Baccalauréat 2021. Faire du grand oral un levier d’égalité des
chances : recommandations pour le grand oral du baccalauréat et l’enseignement
de l’oral, de l’école maternelle au lycée. Rapport remis à Jean-Michel Blanquer,
ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, le 19 juin 2019, Paris : Ministère
de l’éducation nationale et de la jeunesse, juin 2019, 47 p. [en ligne]
Cyril Delhay, professeur d’art oratoire à Sciences Po Paris, a remis au ministre de l’éducation
nationale et de la jeunesse ce rapport sur la nouvelle épreuve d’oral prévue dans le cadre du
baccalauréat de 2021. Il développe également une réflexion sur la place de l’oral de l’école au
lycée, en partant de l’idée que le grand oral de classe terminale doit être l’aboutissement d’un
parcours commencé dès l’école primaire. https://bit.ly/2NHtbLd

EL ABED GRAVOUIL Hiba, DAVID Jacques, « Produire des récits oraux avec des
élèves allophones », Le Français aujourd’hui, décembre 2016, n° 195, p. 77-92 [acces-
sible sur le portail Cairn]
L’étude porte sur les compétences discursives – et plus spécifiquement narratives – d’élèves
allophones. Son objectif est de montrer que les écarts linguistiques observables dans les
narrations orales produites par ces élèves accueillis en « unité pédagogique pour élèves allo-
phones arrivants » n’obèrent pas leurs habiletés à raconter et, plus largement, à construire
des discours cohérents et complets. S’appuyant sur une revue des recherches relatives au
fonctionnement et à l’acquisition des récits oraux, la démonstration est étayée par l’analyse
conjointe d’une même histoire énoncée dans la ou les langues d’usage des élèves et dans celle
de leur scolarisation, le français.

168
EMERY-BRUNEAU Judith, BRUNEL Magali, « Poésie oralisée et performée : quel
objet, quels savoirs, quels enseignements ? », Repères. Recherches en didactique du
français langue maternelle, 2016, n° 54, p. 189-206 [en ligne]
La poésie oralisée et performée convoque des signes oraux et physiques mis en voix et en
corps par un sujet-performeur. Certaines pratiques relevant de ce domaine sont présentes
dans les classes, sans que celui-ci ne soit vraiment perçu comme objet d’enseignement. Quels
savoirs et compétences identifier pour que ce domaine soit saisi comme objet à enseigner ?
Sur quelles pratiques s’appuyer pour former des sujets-auditeurs, interprètes et performeurs ?
La question est examinée à travers l’analyse comparée des programmes français et québécois,
l’étude de pratiques ordinaires de classe, et une expérimentation menée en France et au
Québec. https://journals.openedition.org/reperes/1117

GORARD Stephen, SIDDIQUI Nadia, SEE Beng Huat, Philosophy for children:
Evaluation report and executive summary, London : Education Endowment
Foundation, juillet 2015, 45 p. [en ligne]
L’Université de Durham a mené une évaluation des effets de l’apprentissage de la philosophie
aux enfants (philosophy for children : P4C) auprès de 3 000 enfants âgés de 9 à 10 ans dans
48 écoles. L’objectif était d’étudier l’impact de la P4C sur la réussite scolaire de ces élèves
en comparaison avec des élèves n’ayant pas suivi le même apprentissage. Les résultats sont
positifs, avec une petite amélioration en maîtrise de la langue et en mathématiques, les effets
les plus importants étant observés chez les élèves de milieux socio-économiques défavorisés.
Des effets positifs sont également identifiés par les enseignants et les élèves pour ce qui a trait
à la prise de parole avec confiance, à l’estime de soi et à la qualité de l’écoute.
https://bit.ly/2O4G81e
LELEUX Claudine, « La discussion à visée philosophique pour développer le jugement
moral et citoyen ? », Revue française de pédagogie, n° 166, janvier-février 2009,
p. 71-87 [en ligne]
La contribution décrit la méthodologie et les résultats d’une recherche-action visant à
mesurer la croissance du jugement moral et citoyen en recourant à la pratique mensuelle
d’une « discussion à visée philosophique » (DVP) avec des élèves de 5 à 12 ans. La méthodo-
logie suppose une réflexion sur ce qu’est la morale et la place du jugement dans celle-ci à
partir des travaux de Jean Piaget et de Lawrence Kohlberg. https://rfp.revues.org/1271

SALES-HITIER Dorothée, DUPONT Pascal, « L’exposé : entre forme scolaire et oral


enseigné ? », Recherches, n° 73, décembre 2020, p. 113-129
Le genre oral de l’exposé relève d’une longue tradition discursive à l’école. Dans le contexte
français, ce genre est susceptible d’être pratiqué sans que sa construction langagière fasse
l’objet d’activités spécifiques en classe ou bien il peut donner lieu à un enseignement explicite
de l’oral. Les auteurs analysent l’exposé en tant que genre scolaire disciplinaire. Pour ce faire,
une étude comparative est réalisée dans deux classes dans lesquelles les élèves réalisent des
exposés, l’une en situation écologique, l’autre avec une ingénierie d’enseignement explicite
de l’oral.

SENECHAL Kathleen, « De la légitimité de séquences didactiques portant sur la dis-


cussion et l’exposé critique », Les Dossiers des sciences de l’éducation, 2016, n° 36,
p. 131-149 [en ligne]
L’autrice présente deux séquences didactiques destinées à l’enseignement de genres oraux,
la discussion et l’exposé critique, élaborées et expérimentées dans le cadre d’une démarche
169
d’ingénierie collaborative avec des enseignants. Pour justifier la nécessité d’un enseignement
explicite de certaines caractéristiques des genres choisis et établir la légitimité des contenus
enseignables des deux séquences, elle a procédé à l’analyse de la mise en œuvre de ces der-
nières au cours des deux phases d’expérimentation de sa recherche.
https://journals.openedition.org/dse/1424

STARK Hannah L., EADIE Patricia A., SNOW Pamela C. et al., « The impact
of a sustained oral language professional learning program on Australian early
years’ teachers’ knowledge, practice and beliefs: A mixed-methods exploration »,
Professional Development in Education, 2020, vol. 46, n° 2, p. 178-194
Les enseignants des premières années de l’école primaire jouent un rôle important dans le
soutien des compétences linguistiques orales des élèves. Cependant, de nombreux ensei-
gnants australiens ne sont pas suffisamment préparés à dispenser un enseignement systé-
matique de la langue orale et de littératie précoce. Le but de cette étude est de décrire les
changements observés et auto-perçus dans les connaissances, la pratique et les croyances des
enseignants qui ont participé à un programme soutenu d’apprentissage professionnel de la
langue orale.

TOZZI Michel, « Développer le jugement moral et la citoyenneté des élèves par la


discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) », Spirale. Revue de
recherches en éducation, octobre 2018, n° 62, p. 63-71
Le programme d’enseignement moral et civique (EMC) français préconise des discussions
à visée philosophique (DVP), en relation avec les deux objectifs de ce programme : 1) déve-

N° 86 - Avril 2021
lopper le jugement moral des élèves ; 2) les éduquer à la citoyenneté. La DVP permet de tra-
vailler philosophiquement les concepts de la morale ; de discuter contradictoirement sur des
dilemmes éthiques, et ce, d’autant que la DVP véhicule par elle-même des valeurs éthiques
communicationnelles. Il permet également de discuter de questions socialement contro-
versées et de générer, par son fonctionnement, des comportements démocratiques.

La pédagogie dialogique

RESNICK Lauren, ASTERHAN Christa et CLARKE Sherice (eds), Socializing


intelligence through academic talk and dialogue. Washington D.C. : American
Educational Research Association, 2015, 47 p.
L’ouvrage, qui fait suite à une conférence organisée par l’American Educational Research
Association (2011), rassemble les communications qui ont émergé de la conférence sur le
dialogue. La terminologie est disparate : « dialogue », « dialogic pedagogy », « dialogic tea-
ching », « accountable talk », « deliberation », ou « argumentation », mais les hypothèses de
base sont les mêmes. Pour les auteurs, la parole est une forme privilégiée d’apprentissage. Ce
type de discours commence par des élèves qui réfléchissent à haute voix à un concept, qui
s’interrogent sur un problème ou qui expliquent et réfléchissent à leur propre raisonnement.
Les élèves ne rapportent pas simplement des faits qu’ils connaissent pour que l’enseignant les
évalue ; ils rendent publiques leurs idées, leurs questions et leurs tentatives d’explication.

ROBIN Alexander, A dialogic teaching companion, London : Routledge, 2020, 246 p.


L’enseignement dialogique utilise le pouvoir de la parole pour susciter l’intérêt des élèves,
170 stimuler leur réflexion, faire progresser leur compréhension, élargir leurs idées et développer
leurs arguments. S’appuyant sur de nombreuses recherches, l’auteur montre comment et
pourquoi l’approche dialogique a un impact positif sur l’engagement et l’apprentissage des
élèves. Il présente les données probantes, examine les idées et les problèmes sous-jacents et
offre des conseils et des ressources pour la planification, la mise en œuvre et l’examen d’un
enseignement dialogique efficace dans un large éventail de contextes éducatifs.

SKIDMORE David, MURAKAMI Kyoko (eds.), Dialogic pedagogy: The importance


of dialogue in teaching and learning, Bristol : Multilingual Matters, 2016, 264 p.
S’appuyant sur un éventail de sources théoriques et empiriques, les auteurs proposent une
revue des fondements théoriques de la « pédagogie dialogique » et des méthodes d’analyse
de l’interaction en classe. L’ouvrage explore la philosophie du dialogisme en tant que théorie
sociale du langage et explique son importance dans l’enseignement et l’apprentissage. Il porte
une attention particulière au développement d’une pédagogie dialogique dans les interac-
tions enseignant-élève et élève-élève et rappelle l’importance de la prosodie, ou du ton de la
voix, pour parvenir à une compréhension partagée.
Abstracts

Oral practices in education


Coordination: Daniel Coste, Roger-François Gauthier

Introduction
As your oral practices, so your school p. 57
Daniel Coste, Roger-François Gauthier
As a legacy of various histories the spoken word is taken into account in very diverse ways. However
this should not mask a broader trend, born of manifold origins, towards increasing the attention paid
to written and spoken communication skills. These skills, which have often been overlooked – if not
considered risky – and in any case poorly defined in schools, need to become a genuine learning object.
This article proposes ‘oracy’ as a concept to refer to a set of skills specific to the spoken word, including
that of listening; skills which are drawn upon in order to develop various abilities to express oneself
orally, to promote more democratic social participation as well as to enhance learning across the board.
A pragmatic approach of oral curricula seems most beneficial, and is to be grounded in a clear vision of
the relevant standards, as well as taking into account the specific issues of how to assess oracy and teacher
training.

Oracy in English schools p. 69


Will Millard
This article outlines findings from The Centre for Education and Youth and Voice 21’s 2016 research,
The State of Speaking, also drawing on themes arising from the Oracy All-Party Parliamentary Group’s
2020/21 Speak for Change Inquiry. The article explores what the term ‘oracy’ means in the English
education system, before examining its position and status in the curriculum. A discussion of barriers 171
impeding oracy at the class- and school-level is accompanied by descriptions of oracy practice in use
in English schools. The conclusion asserts we have reasons to be optimistic about oracy’s future in the
school system.

The spoken word in Argentinian education, between entrenched matrices


and unmet challenges p. 81
Constanza Padilla
The aim of this paper is to analyse the place attributed in Argentina to the spoken word in curricular
contents and in teaching-learning practices, in connection with what the author considers as entrenched
matrices or enduring traditional practices; facing challenges yet to be met or innovative practices that
are already in place. Despite significant progress over the past four decades, both in the way oracy is
understood (particularly in its relation to reading and writing) and regarding the place that it should
occupy, such concerns are not yet widespread through Argentinian classes.

Oral language at primary school in the Ivory Coast:


between community norms and academic norms p. 91
Bénédicte Techti
This study focuses on oral language in rural Ivorian primary schools, and rests on the premise that the
teaching-learning of a language that is not that of learners’ first socialisation must adopt a perspective of
mediation of meaning. While presenting the sociolinguistic and educational specificity of oral language
in this context, this article aims to show how far the understanding of teaching-learning oral skills
should take into account the norms of the community as much as those of the education system.

A reflexive oral practice from primary school onwards in France:


the philosophically oriented discussion p. 101
Michel Tozzi
This article aims to depict the development in French schools, particularly at primary level, of a new
type of reflexive oral practice of a philosophical nature, entitled “discussion with democratic and
philosophical aims” (DVDP). It retraces the emergence of this innovation in the 21st century as a

N° 86 - Avril 2021
bottom-up initiative, not imposed by the institution. The paper then considers the choice of its name
and the nature of its objectives, both democratic and philosophical; and the antagonisms and interest it
encountered. The DVDP points to a spoken word which rests on defining the terms of the issue, resorting
to conceptualisation and developing an argument. Being a discussion enables it to promote citizenship
skills, communication ethics and cognitive aptitudes.

The spoken word in the transmission of knowledge in India:


culture, society and languages p. 111
G.N. Devy
The use of oral practices in India cannot be reduced to a purely pedagogical matter. The social and
cultural context of oral expression is deeply rooted in a long history of social exclusion, access to
writing having been restricted to a tiny fraction of the population. This article aims to retrace the
way in which the spoken word has been reduced to a “non-knowledge”, and the reasons why current
educational practices take little account of oral practices, in a context of myriad languages and complex.
interrelations between languages considered as “superior” and “inferior”.

Oral practices in Japanese education: a long road p. 119


Nozomi Takahashi
The place and role of oral practices in the Japanese curriculum are examined in this article through,
on the one hand, the statutory guidelines issued by the education authorities over time, and, on the
other hand, a semantic approach to what “communicating” means in the Japanese language. This paper
ultimately aims to show that only a multifactorial, historical, sociological and technological approach
can rise to the challenge of making teaching fit for new and constantly evolving needs.

Thoughts on listening and oral expression skills in Italian schools p. 129


Miriam Voghera
This article gives an overview of the role of spoken language (listening and speaking) in Italian schools.
After a brief description of the linguistic situation in Italy, which is characterised by a strong endogenous
and exogenous multilingualism, it examines how this situation, and the plurilingualism that results
172 from it, are reflected in the linguistic repertoire – oral and written – at school. It then highlights the
main objectives for the skills in the curriculum and how these actually translate into practice. Finally, to
conclude, it raises a number of issues related to teacher training, considered essential for the success of
language education, in Italy and elsewhere.

Teaching oracy in French- and German-speaking Swiss primary schools p. 139


Roxane Gagnon, Stefan Hauser, Sonia Guillemin, Rosalie Bourdages
In this brief overview of oracy teaching in cycles 1 and 2 of primary education in the linguistic regions
of French- and German-speaking Switzerland, the authors examine the institutional requirements and
some recent publications in order to identify the oral objects that are statutory requirements and those
put into practice for the comprehension and production of oral language. The article then discusses some
issues relating to this teaching: the links between pupils’ language practice, their familiar language and
the language of schooling; the matter of the body of texts used to support the teaching of oral production
and comprehension; how the multimodal and pluricodic aspects of oral language are taken into account,
and reflexivity with a view to developing a conscious and intentional relation to language.

Oral skills in French undergraduate studies in Tunisian higher education p. 151


Mokhtar Sahnoun
In Tunisia, equipping students studying for a French degree to communicate orally is a requirement,
given the key role of the spoken word in the current context. To this end, it was necessary to get rid of
the constraints of academic teaching-learning in order to provide students with appropriate linguistic,
rhetorical, pragmatic and cultural means, enabling them to exercise their spoken skills in various
contexts.
Training students to communicate orally involves structured and coherent learning, including the
observation of various types and genres of oral speech, by speakers from a range of statuses. This freeing
of speech has enabled young Tunisians to avail themselves of varieties of vernacular French.
Resúmenes

Lo oral en la enseñanza
Coordinación : Daniel Coste, Roger-François Gauthier

Introducción
Dime qué oral, y te diré qué escuela… p. 57
Daniel Coste, Roger-François Gauthier
La gran diversidad de la toma en cuenta de lo oral, herencia de diversas historias, no debe esconder
el movimiento general, impulsado por unos motivos de orígenes múltiples, a favor de un desarrollo
de la atención dedicada a lo oral. Este último, que era hasta ahora un objeto desapercibido, e incluso
considerado como arriesgado, por lo menos mal definido en contexto escolar, debe convertirse en
auténtico objeto de aprendizaje : el artículo propone el concepto de « oracía » (« oratie ») para designar
un conjunto de competencias específicas para lo oral, entre las que figura la de escuchar, implementadas
tanto para desarrollar ciertas capacidades de expresión oral como para desarrollar la vida social en un
sentido democrático y para aprender mejor, en la totalidad de los campos. Una orientación pragmática de
los currículos de lo oral debe ser favorecida, acompañándola de una visión clara de las normas retenidas,
y tomando en cuenta las cuestiones específicas de evaluación de lo oral y de la formación de los docentes.

La oracía en las escuelas inglesas p. 69


Will Millard
Este artículo presenta los resultados de una investigación desarrollada en 2016 por el Centre for
Education and Youth y Voice 21, titulada The State of Speaking, y se apoya también en los temas nacidos
de la encuesta 2020-21 Speak for Change del grupo parlamentario multipartita sobre la oralidad. El
presente estudio explora la significación del término « oracía » (oracy) en el sistema educativo inglés,
antes de examinar su lugar y su estatuto en el currículo. La discusión sobre los obstáculos que estorban la 173
oracía a nivel de la clase y de la escuela se acompaña luego de una descripción des las prácticas de oral en
uso en las escuelas inglesas. Según el autor, no faltan los motivos para ser optimista en cuanto al porvenir
de la oracía en el sistema escolar inglés.

El lugar de lo oral en la educación argentina : entre matrices arraigadas


y desafíos pendientes p. 81
Constanza Padilla
El objetivo de este artículo es analizar el espacio que se adjudica en Argentina, a lo oral en los contenidos
curriculares y en las prácticas de enseñanza y aprendizaje, en relación con lo que consideramos matrices
arraigadas o prácticas tradicionales persistentes, frente a desafíos pendientes o prácticas innovadoras.
Aunque en las últimas cuatro décadas hubo algunos avances significativos en las concepciones acerca de
la oralidad (en sus relaciones con la lectura y escritura) y en el lugar que debería ocupar en las prácticas
de enseñanza y aprendizaje de las diversas áreas disciplinares, estas aún no han tenido un correlato
generalizado en las prácticas de las aulas argentinas.

Lo oral en la enseñanza primaria en Costal de Marfil : entre normas comunitarias


y normas escolares p. 91
Bénédicte Techti
Tomando como punto de partida el principio que la enseñanza-aprendizaje de una lengua que no es
la de la primera socialización de los alumnos debe adoptar una perspectiva de mediación de sentido,
este estudio se interesa principalmente por lo oral en el ciclo primario rural marfileño. Al presentar la
especificidad sociolingüística y educativa de lo oral en este contexto, este artículo procura mostrar en qué
sería necesario aprehender la enseñanza-aprendizaje de lo oral en una aproximación que tome en cuento
tanto las normas comunitarias como las normas sociales.

Una práctica oral reflexiva desde la escuela primaria en Francia :


la discusión con objetivo filosófico p. 101
Michel Tozzi
Este artículo se propone caracterizar el desarrollo, en la escuela francesa, sobre todo primaria, de un
tipo de oral reflexivo nuevo, de tipo filosófico, la « discusión con objetivo democrático y filosófico »

N° 86 - Avril 2021
(DVDP). Declina su emergencia histórica en el siglo XXI como una innovación nacida del terreno y
no de la institución ; las elecciones de su título, la naturaleza de sus objetivos, a la vez democrático y
filosófico, las oposiciones y el interés encontrados. La DVDP orienta a los alumnos hacia un oral que
enuncia problemas, conceptos y argumentos. Su aspecto fundado en la discusión le permite desarrollar
unas competencias ciudadanas, una ética comunicacional y unas habilidades cognitivas.

Lo oral en la transmisión de los saberes en India : cultura, sociedad y lenguas p. 111


G.N. Devy
El recurso a las prácticas orales en India no podría reducirse a una cuestión puramente pedagógica. El
contexto social y cultural de la expresión oral queda profundamente arraigado en una larga historia de
exclusión social, mientras que el acceso al escrito ha sido reservado a una fracción ínfima de la población.
El artículo intenta evocar la manera con la que lo oral ha sido reducido a un « no-saber », y las razones
por las que las prácticas educativas actuales toman muy poco en cuenta las prácticas orales, en un
contexto de profusión de lenguas y de complejidad de las interrelaciones entre unas lenguas consideradas
como « superiores » e « inferiores ».

Lo oral en la educación en Japón : un largo camino p. 119


Nozomi Takahashi
El lugar y el papel de lo oral en el currículo escolar japonés se estudian en este artículo a través de, por
una parte, las directivas oficiales de las autoridades educativas a lo largo del tiempo, y de, por otra parte,
una aproximación semántica de lo que significa « comunicar » en lengua japonesa. El texto entiende
finalmente demostrar qué aproximación multifactorial, histórica, sociológica, tecnológica solo puede
responder a la problemática de una enseñanza adaptada a unas necesidades nuevas y en constante
evolución.

Algunas reflexiones sobre las competencias de escucha y de expresión oral


en la escuela italiana p. 129
Miriam Voghera
Este artículo propone una síntesis del papel que lo oral (escuchar y hablar) desempeña en la escuela
174 italiana. Después de una breve descripción de la situación lingüística italiana, caracterizada por un
fuerte multilingüismo endógeno y exógeno, examina cómo ésta, y el plurilingüismo que resulta de ella,
se reflejan en el repertorio lingüístico –oral y escrito– de las clases. Se ilustran después los principales
objetivos vinculados con las competencias previstas en los currículos y la manera con la que se
implementan en la práctica real. Por fin, en conclusión, aborda cierto número de cuestiones vinculadas
con la formación de los docentes, consideradas como esenciales para el éxito de la educación lingüística,
en Italia y en otra parte.

Lo enseñanza de lo oral en primaria en Suiza romanda y en Suiza alemánica p. 139


Roxane Gagnon, Stefan Hauser, Sonia Guillemin, Rosalie Bourdages
En este breve estado de la cuestión de la enseñanza de lo oral en Suiza en los ciclos 1 y 2 de la escuela
primaria, en las regiones lingüísticas de Romandía y de la Suiza alemánica, los autores examinan las
prescripciones institucionales y algunas publicaciones recientes sobre el particular, para delimitar los
objetos orales prescritos y puestos en práctica para la comprensión y la producción de lo oral. Algunos
retos relativos a estas enseñanzas se destacan después : los vínculos entre la práctica lingüística del
alumno, su lengua familiar y la lengua de escolarización ; la cuestión de los corpus que sirven de soporte
a la enseñanza de la producción y la comprensión ; la toma en cuenta de los aspectos multimodales y
pluricodales de lo oral, la reflexividad con vista al desarrollo de una relación consciente y voluntaria al
lenguaje.

El lugar de lo oral en licenciatura de francés en la enseñanza superior tunecina p. 151


Mokhtar Sahnoun
En Túnez, formar a los estudiantes en licenciatura de francés para que comuniquen oralmente es una
exigencia, teniendo en cuento el papel primordial de lo oral en el contexto actual. Con este fin, ha sido
necesario deshacerse de los límites de la enseñanza-aprendizaje académica, para dotar a los estudiantes
de los apropiados medios lingüísticos, retóricos, pragmáticos y culturales, permitiéndoles así practicar
lo oral en unos contextos variados. La formación de los estudiantes para comunicar oralmente pasa por
un aprendizaje estructurado y coherente, por la observación de discursos orales de tipo y de género
variados, asumidos por unos locutores de estatutos muy variados. Es la liberación de la palabra la que les
ha permitido a los jóvenes tunecinos que hagan uso de variedades de francés vernaculares.
Actualité internationale

Anne-Marie Bardi est inspectrice générale honoraire de l’éducation nationale (France). Ancienne élève
de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, agrégée de mathématiques, elle a été profes-
seure puis inspectrice d’académie-inspectrice pédagogique régionale de mathématiques. Elle s’est
notamment beaucoup impliquée dans le développement de l’usage des technologies de l’information
et de la communication dans l’enseignement en France et à l’étranger. Elle est membre du comité de
rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : anne-marie.bardi@orange.fr

Hélène Beaucher est documentaliste au centre de ressources et d’ingénierie documentaires de France


Éducation International. Courriel : beaucher@france-education-international.fr

Romain Beauset est titulaire d’un master en sciences de l’éducation. Doctorant sous mandat Aspirant
FRS-FNRS à l’Université de Mons, il mène une recherche sur le développement des habiletés spa-
tiales chez les enfants de 6 à 14 ans et participe également à la recherche sur les pratiques ensei-
gnantes en temps de pandémie. Courriel : romain.beauset@umons.ac.be

Laurence David est proviseure adjointe d’un lycée général et technologique de l’académie
d’Orléans-Tours. Elle pilote le groupe de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire et est, en
outre, en charge du suivi des élèves à besoin particulier. Dans le cadre de sa formation statutaire de
personnel de direction, elle a effectué un stage d’observation du système scolaire danois, de la petite
enfance à l’université. Courriel : Laurence.David@ac-orleans-tours.fr

Jean-Marie De Ketele est professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (Belgique) et de


l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il a créé la Chaire Unesco en sciences de l’éducation
(1994). Docteur honoris causa de plusieurs universités, il a présidé l’Association internationale de
pédagogie universitaire ainsi que l’Association pour le développement des méthodologies de l’éva-
luation en éducation (ADMEE-Europe). Ses travaux portent principalement sur la pédagogie uni- 175
versitaire, sur l’évaluation des apprentissages et des systèmes éducatifs ainsi que sur l’engagement
professionnel des acteurs de l’éducation et de la formation. Il dirige plusieurs collections d’ouvrages
scientifiques aux Éditions De Boeck et est rédacteur en chef de la Revue internationale d’éducation
de Sèvres. Courriel : jean-marie.deketele@uclouvain.be

Natacha Duroisin, Ph. D, est professeure à l’Université de Mons en Belgique. Ses champs d’expertise
concernent la formation enseignante et la (neuro)psychologie des apprentissages scolaires. Elle dirige
la recherche sur les pratiques enseignantes en temps de pandémie ainsi que d’autres recherches
menées dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence (notamment un projet pilote sur
la « Différenciation des apprentissages et l’accompagnement personnalisé ») et est impliquée dans
le cadre de la Réforme de la formation initiale des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Courriel : natacha.duroisin@umons.ac.be

Rosa Mahdjoub est docteure en sciences de l’éducation de l’Université de Haute-Alsace, chercheure


permanente à l’Institut national de recherche en éducation à Alger (ONRE) et cheffe de service,
chargée de suivi de la recherche et affiliée au LISEC (France). Elle mène en outre des activités de
consultante en éducation pour le compte de l’Unicef, l’Unesco, la Banque mondiale. Ses travaux
portent principalement sur l’évaluation des systèmes éducatifs et l’analyse sectorielle, mais aussi sur
la petite enfance et l’alphabétisation des jeunes et des adultes, notamment dans les pays de l’Afrique
subsaharienne. Courriel : rmahdjoub_16@yahoo.fr

Laurence Marchand est principale adjointe d’un collège des Yvelines. Elle est également référente du
bassin de Rambouillet en faveur des élèves à haut potentiel, pilote de la commission de bassin sur
le dispositif devoirs faits et élue du bureau départemental du syndicat des personnels de direction.
Dans le cadre de sa formation statutaire de personnel de direction, elle a effectué un stage d’ob-
servation du système scolaire danois, du jardin d’enfants à l’université. Titulaire d’une maîtrise et
d’un CAPES d’histoire, elle a enseigné en collège et contribué à la rédaction de manuels scolaires
chez Hatier. Elle accompagne par ailleurs bénévolement des voyages culturels dans le monde entier.
Courriel : laurence-m.marchand@ac-versailles.fr

N° 86 - Avril 2021
Federica Minichiello est directrice par intérim du centre de ressources et d’ingénierie documentaires
et responsable du laboratoire numérique de l’éducation à France Éducation International. Courriel :
minichiello@france-education-international.fr

Gabriela Motoi est enseignante-chercheuse en sociologie à la Faculté des sciences sociales de l’Uni-
versité de Craiova (Roumanie), membre de l’Association roumaine de sociologie. Ses recherches
portent sur l’éducation, notamment les politiques publiques et sociales de l’Union européenne et les
relations éducation-marché du travail (universités-entreprises). Courriel : gabrielamotoi@yahoo.com

Bernadette Plumelle, ingénieure de recherche honoraire, a dirigé le centre de ressources et d’ingénierie


documentaires de France Éducation International. Elle est membre du comité de rédaction de la
Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : bernadette.plumelle@hotmail.fr

Xavier Pons est professeur des Universités à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), chercheur au
Laboratoire interdisciplinaire d’études du politique – Institut Hannah-Arendt (EA 7373) et cher-
cheur associé à l’Observatoire sociologique du changement (OSC-Sciences Po). Membre de plusieurs
projets de recherche comparatifs depuis 2006, ses travaux de sociologie de l’action publique et des
politiques éducatives portent principalement sur les transformations des modes de gouvernance des
systèmes éducatifs, les réformes des administrations scolaires, les transformations des États éduca-
teurs en Europe et les modes de structuration du débat public en éducation. Il est l’auteur de plu-
sieurs articles et ouvrages sur ces thèmes. Il est rédacteur en chef de la Revue française de pédagogie.
Courriel : xavier.pons.pro@gmail.com

Thomas Posado est docteur en science politique à l’Université Paris-8 et chercheur associé au
CRESPPA-CSU. Ses recherches sont consacrées à la vie politique vénézuélienne et aux relations syn-
dicats-État. Il est le co-auteur (avec Jean-Baptiste Thomas) de Révolutions à Cuba, de 1868 à nos
jours. Émancipation, transformation, restauration (Syllepse, 2020) et a co-dirigé Gouvernements
progressistes en Amérique latine (1998-2018). La fin d’un âge d’or (Presses Universitaires de Rennes,
176 2021). Il a publié dans diverses revues telles que Pouvoirs, Cahiers des Amériques latines, Nuevo
Mundo, Politique étrangère, Mouvements, Les Études du CERI parmi d’autres. Courriel : thomas.
posado@free.fr

Laurie Simon est titulaire d’un master en sciences de l’éducation. Après avoir travaillé en tant qu’en-
seignante dans le primaire, elle est actuellement assistante de recherche à l’Université de Mons. Elle
participe au projet pilote « Différenciation et accompagnement personnalisé » dans le secondaire et
porte un intérêt particulier aux pratiques enseignantes associées à la notion de bien-être. Courriel :
laurie.simon@umons.ac.be.

Chloé Tanghe est titulaire d’un master en sciences biomédicales et détient une formation pédagogique
lui permettant d’enseigner les sciences dans le secondaire supérieur. Elle est actuellement assis-
tante de recherche à l’Université de Mons et participe au projet pilote « Différenciation et accompa-
gnement personnalisé » dans le secondaire. Courriel : chloe.tanghe@umons.ac.be

Jean-Pierre Véran est inspecteur d’académie (H), membre du comité de rédaction de la Revue inter-
nationale d’éducation de Sèvres et expert auprès de France Éducation International en coopération
éducative. Il intervient sur les questions de gouvernance des organisations éducatives, de politiques
éducatives et d’éducation aux médias et à l’information. Auteur de plusieurs ouvrages, il tient éga-
lement un blog consacré à l’éducation sur Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-
veran/ ; courriel : jeanpierreveran2@gmail.com

Dossier

Rosalie Bourdages a une formation en linguistique. Elle s’est d’abord intéressée aux notions de normes,
de langues en contact et d’emprunts, dans une perspective sociolinguistique, puis à la mesure d’ha-
biletés langagières et à leur modélisation, dans une perspective psycholinguistique. Assistante
diplômée à la Haute école pédagogique (HEP) de Vaud depuis 2017, ses recherches portent sur les
mesures des progrès des élèves, l’évaluation des méthodes d’enseignement-apprentissage de l’oral et
le rapport entre grammaire et compréhension en lecture. Courriel : rosalie.bourdage@hepl.ch
Daniel Coste, ancien directeur de recherches à l’Université Paris 3 et ancien responsable à l’École
normale supérieure de Lyon de l’équipe de recherche « Plurilinguisme et apprentissages », a dirigé le
Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français (1992-2003) et enseigné la linguistique
appliquée à l’Université de Genève (1988-1992). Auteur ou co-auteur d’ouvrages, chapitres et articles
en didactique des langues et en histoire de l’enseignement des langues, associé aux travaux de l’Unité
des politiques linguistiques du Conseil de l’Europe, il a fait partie du groupe d’auteurs du Cadre
européen commun de référence pour les langues. Courriel : costedaniel@sfr.fr

Roxane Gagnon a enseigné le français au secondaire et à des adultes anglophones au Québec où elle
a grandi. Après une maîtrise sur l’enseignement de la communication orale, elle est venue à l’Uni-
versité de Genève poursuivre des études doctorales sur le thème de la formation des enseignants à
l’argumentation orale. Professeure ordinaire en didactique du français à la HEP Vaud depuis 2015,
ses recherches portent sur l’enseignement-apprentissage de l’oral, la formation des enseignants de
français et les liens entre grammaire et écriture. Courriel : roxane.gagnon@hepl.ch

Roger-François Gauthier, agrégé de lettres classiques et ancien élève de l’École nationale d’admi-
nistration, est inspecteur général honoraire. Docteur en sciences de l’éducation, il est membre du
comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Délégué général du Comité
universitaire d’information pédagogique (CUIP), il anime un collectif de recherche sur la question
du curriculum. Courriel : erefgauthier@gmail.com

Sonia Guillemin a enseigné le français au primaire et au secondaire. Après avoir obtenu un master en
sciences de l’éducation à l’Université de Genève, elle a poursuivi ses études par un MAS en sciences
de l’éducation « Théories, pratiques et dispositifs de formation d’enseignant·e·s ». Professeure
associée à la HEP Vaud depuis 2003, ses recherches portent sur l’enseignement-apprentissage de la
compréhension en lecture, et sur l’oral. Elle s’intéresse également au rapport entre la compréhension
en lecture et le numérique. Courriel : sonia.guillemin@hepl.ch
177
Stefan Hauser a étudié l’allemand, l’anglais et la psychologie de l’éducation à l’Université de Zurich.
Il est directeur du Centre de communication orale de la Haute école pédagogique de Zoug et
priva-docent à l’Université de Zurich. Il s’intéresse principalement à la didactique des langues, à la
communication en classe et aux questions d’acquisition des langues. Il est actuellement impliqué
dans un projet sur la participation des élèves aux conseils de classe et dans divers projets sur
l’apprentissage de la conversation. Courriel : stefan.hauser@phzg.ch

Ganesh N. Devy est un penseur, activiste et créateur d’institutions connu notamment pour son enquête
linguistique des peuples de l’Inde (the People’s Linguistic Survey of India) et pour l’Académie
Adivasi, qu’il a créée. Il écrit en trois langues (marathi, gujarati et anglais). Son premier livre en
anglais After Amnesia (1992) est considéré comme un classique de la théorie littéraire. Il a écrit
et édité près de quatre-vingt-dix livres dans des domaines aussi divers que la critique littéraire,
l’anthropologie, l’éducation, la linguistique et la philosophie. Courriel : ganesh_devy@yahoo.com

Roger-Francois Gauthier, agrégé de lettres classiques et ancien élève de l’École nationale d’adminis-
tration, est inspecteur général honoraire de l’éducation. Docteur en sciences de l’éducation, il est
membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Délégué général
du Comité universitaire d’information pédagogique (CUIP), il anime un collectif de recherche sur la
question du curriculum. Courriel : erefgauthier@gmail.com

Will Millard est responsable de l’engagement au Centre for Education and Youth [Centre pour l’édu-
cation et la jeunesse]. Chercheur et évaluateur de programmes, spécialisé dans les méthodes mixtes,
il a dirigé des études sur l’oralité, l’évaluation, le développement des compétences, les technologies
de l’information et la formation professionnelle, et a mené des recherches dans des écoles du monde
entier, notamment au Japon, en Chine, au Canada et en Afrique de l’Est. Il est également ensei-
gnant et a exercé dans une école secondaire à Londres. Il est l’un des administrateurs fondateurs de
l’association caritative pour enfants I Can Be et est titulaire de deux masters en politique publique.
Courriel : will@cfey.org

N° 86 - Avril 2021
Constanza Padilla est docteure de l’Université nationale de Tucumán (UNT), Argentine, où elle
enseigne et dirige le doctorat en lettres. Chercheuse indépendante au CONICET, elle est vice-
directrice de l’Institut de recherche sur le langage et la culture (Invelec, Conicet-UNT). Elle est
également représentants du sous-site de Tucumán de la Chaire Unesco (Argentine). Elle dirige le
projet PIUNT (2018-2022) sur « les potentiels épistémiques de la lecture, de l’écriture et de l’oralité
dans des contextes éducatifs : perspectives et pratiques des élèves et des enseignants ». En tant que
chercheuse à l’INVELEC, elle est membre du Projet stratégies pour l’inclusion socio-éducative (2017-
2022) et chercheuse responsable du projet Pandemic Times: Initial Literacy in Social Vulnerability
(2020). Courriel : constanza_padilla@yahoo.com.ar

Mokhtar Sahnoun est professeur de l’enseignement supérieur, faculté des lettres, des arts et des huma-
nités, département de français, laboratoire Analyse textuelle, traduction, communication (ATTC)
à l’Université de la Manouba, en Tunisie. Il dirige également le département de français à l’Institut
supérieur de l’éducation et de la formation continue (ISEFC) de l’Université virtuelle de Tunis. Il est
également poète et romancier. Courriel : mokhtarsahnounmanouba@gmail.com

Nozomi Takahashi est maîtresse de conférences, département d’études japonaises, Université de


Strasbourg. Docteure en sciences du langage (Université Paris 8), elle a présidé l’association des
enseignants de japonais en France (AEJF) et s’est spécialisée en sociolinguistique du japonais
contemporain et didactique des langues (curriculums et parcours d’enseignants). Elle fait partie
de l’équipe de recherche GEO (Groupe d’études orientales, slaves et néo-helléniques, EA 1340).
Courriel : n.takahashi@unistra.fr

Bénédicte Techti est docteure (département des sciences du langage) de l’Université Félix Houphouët-
Boigny d’Abidjan. Elle est actuellement enseignante de français langue étrangère et examinatrice
de tests oraux de français à l’Institut français de Côte d’Ivoire. Ses recherches abordent des thé-
matiques en lien avec la notion de médiation en contexte didactique bi/plurilingue. Elle s’intéresse
notamment aux méthodes d’enseignement-apprentissage et aux pratiques et représentations ensei-
178 gnantes. Sa thèse de doctorat soutenue en 2019 a porté sur « les pratiques de médiations didactique
et linguistique de français chez l’enseignant du cycle primaire en milieu rural ivoirien ». Courriel :
blessingtechti@yahoo.fr

Michel Tozzi est un didacticien de la philosophie français, professeur émérite à l’Université Paul-Valéry
de Montpellier. Ses travaux portent notamment sur la didactique de l’apprentissage du philosopher
(DAP), et en particulier sur l’apprentissage de la philosophie avec les enfants. Rédacteur en chef de
la revue Diotime, il est aussi le créateur du Café philosophique de Narbonne et le co-initiateur de
l’Université populaire de la Narbonnaise, dont il est le président. Courriel : michel.tozzi@orange.fr

Miriam Voghera est professeure titulaire de linguistique générale à l’Université de Salerne, où elle
dirige le Laboratorio per l’analisi e l’osservazione delle lingue europee (PAROLE). Elle est membre
du secrétariat national du Gruppo di intervento e studio nel campo dell’educazione linguistica
(GISCEL). Ses intérêts principaux de recherche sont la communication verbale, la multimodalité, la
relation entre prosodie et syntaxe et celle entre sémantique et pragmatique, la linguistique éducative.
Elle a publié de nombreux articles et sa monographie la plus récente s’intitule Dal parlato alla gram-
matica, Rome, Carocci, 2017. Courriel : voghera@unisa.it
la revue

Revue spécialisée dans le champ de l’éducation et de la formation à travers le monde,


la Revue internationale d’éducation de Sèvres est éditée par France Éducation International
(anciennement CIEP), membre de l’association Sorbonne Université.
Elle publie en langue française trois numéros par an pour un public de responsables et
d’acteurs de l’éducation, ainsi que d’universitaires et de chercheurs issus des sciences humaines
et sociales concernés par les questions d’éducation. La majorité des auteurs sont étrangers et les
articles s’inscrivent dans une perspective de recherche. Les numéros sont organisés autour d’un
dossier central, portant sur un thème qui fait l’objet de débats dans le monde. Ils proposent également
des informations et des ressources documentaires dans le champ des politiques éducatives ou des
pratiques pédagogiques.
La revue s’appuie sur un conseil scientifique international et un comité de rédaction
qu’elle réunit régulièrement. Depuis sa création en 1994, elle a publié 1 200 auteurs de 110 pays.
Repérée dans différents classements internationaux et bases de données, la revue a rejoint en 2012 la
plateforme d’édition en sciences sociales et humaines OpenEdition. Ses numéros sont disponibles en
libre accès après deux ans sur : http://journals.openedition.org/ries

Procédures de soumission
La revue annonce chaque année sur son site, au plus tard en novembre, les thèmes des
dossiers de l’année suivante. Chaque dossier thématique est confié à un coordinateur invité, avec
lequel la revue construit les sollicitations qu’elle adresse aux auteurs. Elle peut également publier les
articles qui lui sont soumis spontanément, après avis du comité de rédaction et sous réserve qu’ils 179
s’inscrivent dans la problématique traitée dans le dossier ou dans la ligne éditoriale de la revue.
Les textes proposés à la revue sont adressés à la rédaction au plus tard six mois avant la
publication de chaque numéro à l’adresse suivante : revue@ciep.fr. Les articles peuvent être soumis
en français, anglais, allemand, espagnol, italien. Ils sont ensuite traduits en français par la revue.
Les articles sont soumis à relecture et sont validés par le comité de rédaction. Ils n’engagent que la
responsabilité de leurs auteurs. Les consignes aux auteurs sont disponibles en ligne sur le site de la
revue sur OpenEdition Journals.

Articles du dossier
Les articles du dossier proposent nécessairement une analyse comparative ou une
étude dans un pays donné du thème traité par le dossier. Ils ne peuvent excéder 25 000 signes (soit
4 000 mots en français, 3 500 mots en anglais), y compris les références et notes de bas de page. Ils
sont accompagnés d’un résumé et d’une notice biographique pour chacun des auteurs (100 mots
chacun maximum). Les tableaux et graphiques sont limités au strict nécessaire.

Autres rubriques
Outre le dossier thématique, la revue propose dans chaque numéro des rubriques
regroupées sous l’intitulé « L’actualité internationale en éducation ».
– Rubrique « Le point sur l’actualité internationale en éducation » : ces articles courts
et factuels (6 000 à 8 000 signes) permettent de présenter des réformes en cours dans les systèmes
éducatifs, des difficultés de mise en œuvre ou encore des événements notables.
– Rubrique « Repères sur les systèmes éducatifs » : ces articles visent à présenter de façon
problématisée l’organisation des systèmes éducatifs et les principaux enjeux qui sont les leurs
(18 000 signes).
– Rubrique « Notes de lecture » : ces articles ne peuvent excéder 6 000 signes.

N° 86 - Avril 2021
numéros disponibles

Revue internationale d’éducation – Sèvres

86 L’oral dans l’éducation, avril 2021


85 La recherche en éducation, décembre 2020
84 Croyances et pratiques professionnelles des enseignants, septembre 2020
83 Réformer l›éducation, avril 2020
82 Les privatisations de l’éducation, décembre 2019
81 La sanction en éducation, novembre 2019
80 La pédagogie universitaire, avril 2019
79 Figures de l’éducation dans le monde, décembre 2018
78 Accueillir tous les enfants à l’école : la question de l’inclusion, septembre 2018
77 Conflits de vérités à l’école, avril 2018
76 La fragmentation des systèmes scolaires nationaux, décembre 2017
75 Musique et éducation, septembre 2017
74 Les enseignants débutants, avril 2017
73 Ce que l’école enseigne à tous, décembre 2016
72 Confiance, éducation et autorité, septembre 2016
71 Formation professionnelle et employabilité, avril 2016
70 Les langues d’enseignement, un enjeu politique, décembre 2015
69 Pourquoi enseigner l’histoire ?, septembre 2015
68 L’éducation en Asie, avril 2015
67 Pédagogie et révolution numérique, décembre 2014
66 L’école dans les médias, septembre 2014
180 65 Le financement de l’éducation, avril 2014
64 Les espaces scolaires, décembre 2013
63 L’école et la diversité des cultures, septembre 2013
62 Les attentes éducatives des familles, avril 2013
61 Enseignement et littérature dans le monde, décembre 2012
60 Le métier de chef d’établissement, septembre 2012
59 Éducation et ruralités, avril 2012
58 Les ONG et l’éducation, décembre 2011
57 Le plaisir et l’ennui à l’école, septembre 2011
56 Le curriculum dans les politiques éducatives, avril 2011
55 Former des enseignants, décembre 2010
54 Palmarès et classements en éducation, septembre 2010
53 Qualité, équité et diversité dans le préscolaire, avril 2010
52 Un seul monde, une seule école ? décembre 2009
51 Un renouveau de l’enseignement des sciences, septembre 2009
50 En classe : pratiques pédagogiques et valeurs culturelles, avril 2009
49 Quel avenir pour les études en sciences humaines ? décembre 2008
48 L’École et son contrôle, septembre 2008
47 Enseigner les langues : un défi pour l’Europe, avril 2008
46 L’émergence d’une autre école, décembre 2007
45 L’enseignement supérieur, une compétition mondiale ?, septembre 2007
44 L’élève, futur citoyen, avril 2007
43 Que savent les élèves, décembre 2006
42 L’éducation artistique, septembre 2006
41 École primaire, école de base, avril 2006
40 L’éducation dans le monde, décembre 2005
39 La formation des élites, septembre 2005
38 Les défis de l’orientation dans le monde, avril 2005
37 Diplômes et examens de l’enseignement secondaire, décembre 2004
36 École et religion, juillet 2004
35 Décrochages et raccrochages scolaires, avril 2004
34 La formation professionnelle initiale : une question de société, décembre 2003
33 L’enseignement des langues vivantes à l’étranger : enjeux et stratégies, septembre 2003
32 Le processus de décision dans les systèmes éducatifs, mars 2003
31 Les parents et l’école, novembre 2002
30 Le métier d’enseignant en Europe, juin 2002
29 L’élève aujourd’hui : façons d’apprendre, mars 2002

Uniquement en ligne
28 Les grands débats éducatifs aujourd’hui – Europe, décembre 2000
27 Les grands débats éducatifs aujourd’hui – Afrique, Amérique, Asie, octobre 2000
26 L’évaluation des systèmes éducatifs aujourd’hui, juin 2000
25 Le droit à l’éducation : vers de nouveaux contenus pour le xxie siècle, tome 2, mars 2000
24 Le droit à l’éducation : vers de nouveaux contenus pour le xxie siècle, tome 1, décembre 1999
23 La formation ouverte et à distance, septembre 1999
22 Dimension économique des politiques éducatives, juin 1999
21 La formation des enseignants. II – Des problématiques convergentes, mars 1999
20 La formation des enseignants. I – Des approches constrastées, décembre 1998 181
19 Langue maternelle, langue d’enseignement, septembre 1998
18 Les technologies nouvelles, juin 1998
17 Enseigner la diversité culturelle, mars 1998
16 La formation tout au long de la vie, décembre 1997
15 Les grands débats éducatifs aujourd’hui, septembre 1997
14 L’éducation scientifique, juin 1997
13 Ruptures politiques, enseignement de l’histoire, mars 1997
12 Programmes et politiques éducatives, décembre 1996
11 L’évaluation des élèves, septembre 1996
10 L’école en milieu rural, juin 1996
9 Des langues vivantes à l’école, mars 1996
8 L’inspection, un nouveau métier, décembre 1995
7 Enseignements bilingues, septembre 1995
6 Former les enseignants à l’international, juin 1995
5 Éthique, école et société, mars 1995
4 Diriger un établissement scolaire, décembre 1994
3 Les langues régionales et l’Europe, septembre 1994
2 La lecture en questions, juin 1994
1 Approches comparatives en éducation, mars 1994

À paraître en 2021
87 L’éthique dans l’école (septembre)
88 Les adolescents et leurs engagements (décembre)

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Abonnement aux 3 numéros 2021 FRANCE offre n° D21FO01 51,00 €
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Abonnement aux 3 numéros 2021 ÉTRANGER offre n° D21FO02 51,00 €
frais de port Étranger / abonnement 25,00 €

VENTES AU NUMÉRO (offre n° D21FO03) références quantité montant sous-total


2021
n° 86 : L’oral en éducation (avril) 3568501 17,00 €
n° 87 : L’éthique dans l’école (septembre) 3568870 17,00 €
n° 88 : Les adolescents et leurs engagements (décembre) 3568993 17,00 €
2020
n° 83 : Réformer l’éducation (avril) 4121238 17,00 €
n° 84 : Croyances et pratiques professionnelles des enseignants (sept.) 4121607 17,00 €
n° 85 : La recherche en éducation (décembre) 4122720 17,00 €

AUTRES NUMÉROS : indiquer le numéro et le titre références quantité montant sous-total


n° 17,00 €
n° 17,00 €
n° 17,00 €
n° 17,00 €

FRAIS D’ENVOI
France et DOM-TOM par numéro : 4,95 € Quantité totale à envoyer × 4,95 €
OU à l’étranger par numéro : 12,55 € Quantité totale à envoyer × 12,55 €

TOTA L
Règlement joint par :
Cachet de l’organisme payeur :
■ chèque
■ bon administratif pour paiement par l’établissement à réception de facture

le .............................. signature :
Dépôt légal : avril 2021
Photos en couverture :
copyrights Jean Noguet/CIEP et Sébastien Toubon/Q.P.
© CIEP 2021

Réalisation :
04250 Turriers
www.transfaire.com

Imprimerie Bialec 23, allée des Grands Paquis, 54180 Heillecourt


Imprimé sur papier issu de forêts gérées durablement

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