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58 | 2022
Penser l'inclusion au prisme du plurilinguisme
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/trema/7793
DOI : 10.4000/trema.7793
ISSN : 2107-0997
Éditeur
Faculté d'Éducation de l'université de Montpellier
Référence électronique
Fatima Chnane-Davin, Karima Gouaïch et Jessyca Tretola, « Innovation en didactique du
plurilinguisme inclusif pour des allophones », Tréma [En ligne], 58 | 2022, mis en ligne le 30 septembre
2022, consulté le 14 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/trema/7793 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/trema.7793
Innovation en didactique du
plurilinguisme inclusif pour des
allophones
Fatima Chnane-Davin, Karima Gouaïch et Jessyca Tretola
Introduction
1 En France, les dispositifs appelés Unités Pédagogiques pour Élèves Allophones Arrivants
(UPE2A), des classes-monde désignées auparavant par classes d’accueil ou dispositifs
d’accueil et d’intégration, scolarisant des élèves allophones, constituent un microcosme
des contextes multilingues et multiculturels avec une hétérogénéité de parcours
scolaires et d’âges des élèves. De ce fait, une inclusion scolaire réussie de l’élève
allophone met l’enseignant au défi de composer avec les diverses formes de pluralités.
En l’absence de programme et de formation adéquate (Mendonça, Azaoui et Chnane-
Davin, 2020 ; Rigoni, 2020), les voies de l’inclusion scolaire provoquent insécurité
(Jeannin, 2020) et souffrance chez les enseignants (Azaoui, 2020). Elles deviennent
moins incertaines devant la créativité et l’innovation pédagogique dont nombre
d’enseignants font preuve (Nicolas, 2016). Partant de vecteurs communs au groupe-
classe tels que le plurilinguisme et le pluriculturalisme, l’enseignant peut s’appuyer sur
les approches plurielles (Candelier, 2003) comme ressource didactique innovante et
inclusive au service de l’apprentissage de la langue de scolarisation (Verdelhan-
Bourgade, 2002). Toutefois, dans un espace d’ouverture au plurilinguisme aussi grand
que la classe-monde – avec des langues-cultures souvent éloignées du français, voire
éloignées entre elles – nous pouvons nous interroger sur l’efficience des modalités de
mise en œuvre de ces approches plurielles en termes d’inclusion scolaire.
2 Nous nous interrogeons dans cette contribution sur les pratiques d’enseignants de
français en classe d’UPE2A. L’objectif est d’étudier la prise en compte et la valorisation
des langues premières des élèves allophones dans l’apprentissage du français langue de
scolarisation, de réfléchir sur les implications pédagogiques et didactiques que suppose
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cette prise en compte. Nous nous intéressons aux enseignants qui mettent en place ou
pas une didactique inclusive du français (Miguel-Addisu, 2020) afin de comprendre les
relations, voire les tensions entre plurilinguisme, inclusion et innovation pédagogique
et répondre aux questions suivantes :
• La valorisation et la prise en compte des langues des élèves peuvent-elles être considérées
comme une innovation pédagogique ?
• L’inclusion visant à favoriser l’appropriation du français langue de scolarisation par les
élèves peut-elle passer par l’innovation pédagogique ?
• Quelles relations voire tensions entre plurilinguisme, inclusion et innovation pédagogique
apparaissent dans les pratiques des enseignants ?
3 Nous répondrons à ces questions en nous appuyant d’abord sur un cadre institutionnel
et un cadre théorique qui discutent les notions d’allophonie, d’inclusion et d’innovation
pédagogique notamment par les langues premières des élèves allophones en relation
avec la didactique des langues, du français et du plurilinguisme. Dans un deuxième
temps, nous présenterons la méthodologie puis les résultats d’une recherche à partir de
deux corpus : un questionnaire sur les représentations des enseignants concernant
plurilinguisme, l’inclusion linguistique et l’innovation pédagogique ainsi que l’analyse
de l’expérimentation d’un dispositif innovant visant à inclure les langues premières des
élèves dans l’apprentissage du français aux élèves allophones nouvellement arrivés
(désormais EANA). Nous discuterons ces résultats dans la conclusion afin de formuler
quelques propositions pour une didactique inclusive du français.
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Allophonie et inclusion
6 Les travaux sur la scolarisation des EANA se sont intéressés aux langues en contact mais
celles-ci sont souvent restées en dehors de la classe. Pourtant, le concept
d’« allophonie » renvoie bien à l’idée d’une autre langue que celle de la société
d’accueil. Avec l’entrée par la biographie langagière (Cuq, dir. 2003), « allophone » est
devenu le terme usuel pour parler des EANA et du plurilinguisme. On a souligné
plusieurs fois qu’inscrire l’enseignement-apprentissage du français en situation de FLS
(Chnane-Davin, Félix et Roubaud, 2011) ne signifie pas que cette langue occupe
forcément le rang 2 dans la liste des langues connues par l’apprenant. Certains arrivent
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plurilingues avant même d’être scolarisés en France. Par conséquent, une didactique du
plurilinguisme (Billiez, 2011) est nécessaire pour gérer les situations de classe et
accompagner les apprenants dans l’apprentissage du français tout au moins dans les
UPE2A. Comme l’expliquent Stratilaki-Klein et Nicolas (2020), les EANA eux-mêmes
« catégorisent les langues, les statuts des langues, les situations sociolinguistiques et
didactique de manière plurielle » (p. 145). Si l’accompagnement lors de la scolarisation
n’est pas mis en place, un déséquilibre dans le contact des langues peut être constaté
lors de la valorisation de la langue de la société d’accueil et la marginalisation de la
(des) langue (s) d’origine. Or, cet accompagnement qui mènerait à la réussite scolaire et
sociale des allophones ne peut se faire que si les enseignants sont formés à la didactique
du plurilinguisme sans discriminer les langues non dominantes sous prétexte qu’elles
représentent un obstacle à l’apprentissage. Il ne s’agit aucunement de former à toutes
les langues de la classe mais d’initier aux spécificités des langues et de les utiliser
comme médiatrices et d’accompagner les enseignants dans la compréhension de
l’interlangue (Lüdi et Py, 2003) de leurs élèves qui se construit via les langues en
présence. De ce fait, la médiation4 par les langues connues des élèves, liée à la
compétence plurilingue et pluriculturelle (le CECR, 2018) occupe une place importante
dans le contexte des UPE2A lors des activités langagières communicatives et de
scolarisation. Nous pensons qu’une didactique du plurilinguisme inclusif est alors
possible si les enseignants acquièrent des connaissances sur les langues de leurs élèves.
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elle tient compte de l’ensemble des répertoires de l’élève. Elle montre que ces
pratiques, qui reposent sur des interactions exolingues et s’appuient sur l’ensemble du
répertoire plurilingue de l’élève, surgissent entre pairs de façon illégitime ou peuvent
être initiées par l’enseignant de classe ordinaire. Quant à Auger (2020), elle constate
que les discours institutionnels autour de l’allophonie et de l’inclusion, les didactiques
du français et du plurilinguisme n’atteignent pas les pratiques. Elle propose diverses
pistes intéressantes pour favoriser l’inclusion des élèves allophones, et en particulier
en s’appuyant sur deux approches :
• L’inclusion linguistique qui consiste à identifier, reconnaître, accepter, valoriser les
ressources langagières des élèves plurilingues et proposer des activités qui vont mobiliser
ces ressources, pas seulement pour le plaisir de les valoriser, mais aussi pour aider à
construire d’autres apprentissages, par exemple en français.
• L’inclusion langagière qui repose sur le transfert d’une langue à l’autre (vers le français en
priorité) et permettre aux élèves allophones d’utiliser leurs compétences plurilingues afin
d’être inclus dans toutes les tâches (notamment en classe ordinaire). Cette autorisation de
l’emploi des langues (Young et Mary, 2016) peut se réaliser à un niveau micro (utilisation
d’un mot/phrase) ou macro (utilisation tout au long de l’activité).
11 Pour Stratilaki-Klein et Nicolas (2020) une didactique du plurilinguisme inclusif se
fonde sur la reconnaissance de tous les plurilinguismes : le plurilinguisme lié aux
langues majoritaires et minoritaires, et en particulier les langues de la migration. Pour
ces auteures, la prise en compte du plurilinguisme de l’élève allophone est nécessaire
dans son appropriation de la langue de scolarisation et va au-delà de la compétence
communicative. Elle repose sur certaines conditions :
• donner le temps à l’élève allophone d’acquérir sereinement des connaissances en leur
permettant d’utiliser leurs langues premières comme des ressources potentielles ;
• reconnaitre les singularités et les pluralités de l’élève allophone dans l’inclusion scolaire à
travers sa biographie langagière, sa trajectoire et son histoire de migration ainsi qu’à travers
ses diverses expériences de la compétence plurilingue et pluriculturelle.
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comme une nouveauté, et qui a été créé afin de combler un manque ou d’améliorer
complètement ou partiellement une situation jugée insatisfaisante. » (p.131). De plus,
selon Puren (2021), l’innovation liée à des expérimentations d’un nombre limité
d’enseignants doit donner lieu à un changement durable, une généralisation et une
pérennisation de celles-ci dans des classes dites « ordinaires ».
14 La prise en compte d’un milieu pluriethnique et plurilingue permet la mise en œuvre de
pratiques innovantes de la part des enseignants, adaptant ainsi leur enseignement aux
élèves allophones. En classe de langues, l’innovation peut revêtir plusieurs formes. En
effet, les enseignants ont souvent recours à des stratégies ou des techniques pour
impliquer les élèves dans la tâche. Une de ses formes relève d’activités ludiques. Dans
une perspective actionnelle promue par le CECR (2001), en FLE ou en FLS, le jeu serait
également un outil pédagogique au service de l’enseignement/apprentissage de la
langue. Selon Silva (2019), « se développe, en parallèle, une montée de la
« gamification » – entendue comme l'extension du ludique à des domaines censés en
être exclus (Silva, 2019, en ligne) –, ayant comme effet le développement théorique et
pratique de l'apprentissage basé sur le jeu et comme corollaire une transformation des
représentations et des pratiques associées à l'enseignement et à l'apprentissage des
langues en général et des langues étrangères en particulier. Cette « gamification » ou
« ludicisation » s’accompagne souvent de nouvelles technologies.
15 La démarche de projet peut être également considérée comme une innovation. Elle met
l’apprenant en « action » dans le cadre des définitions de pédagogie active. Puren
(2011) décrit cette démarche comme une action complexe dans laquelle les apprenants
doivent s’impliquer collectivement pour concevoir (définition des
objectifs), planifier (répartition des tâches), réaliser (contrôler la bonne mise en œuvre à
travers des activités métacognitive), évaluer (les objectifs et les critères de réussite
définis au départ). « Le « projet pédagogique » relève de finalités qui peuvent être
définies par les trois concepts de mobilisation, responsabilisation et autonomisation à la fois
individuelles et collectives des apprenants. En même temps, il doit rester un instrument au
service de la poursuite des objectifs langagiers et culturels. » (Puren, 2011, p. 2). Tricot
(2017), quant à lui, donne une conclusion positive sur la pédagogie de projet,
définissant également cette démarche comme innovante, même si les apprenants
peuvent être confrontés à des difficultés à « apprendre ensemble, à s’organiser, à
communiquer ou à utiliser un outil informatique ou numérique ». (p. 127). La
didactique des langues a su, à travers le temps, utiliser les nouvelles technologies ou
des « techniques matérielles » exploitées à des fins didactiques (Besse, 2016). Ces
nouvelles « techniques matérielles » ont donc pu développer une certaine innovation
en didactique des langues exploitables dans des classes comme les UPE2A.
Méthodologie
16 C’est la mise en œuvre de l’inclusion linguistique et langagière dans l’enseignement de
la langue de scolarisation que nous interrogeons dans cet article. À travers le
questionnaire, nous décrivons comment les enseignants la mettent en œuvre et s’ils
introduisent des innovations didactiques et notamment numériques. L’expérimentation
nous permet d’observer les effets d’une telle inclusion, les leviers susceptibles de
mettre en relation le plurilinguisme de la classe avec les répertoires plurilingues de
chaque élève.
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Le questionnaire
L’expérimentation
19 La partie qui porte sur les pratiques in situ concerne l’expérimentation d’un dispositif
innovant visant à inclure les langues premières des apprenants dans l’enseignement-
apprentissage du français langue de scolarisation. L’innovation pédagogique concerne
ici le renouvellement d’une réflexion sur l’inclusion des langues premières des élèves
dans l’enseignement du français (Cortier et Puren, 2008). L’expérimentation a été
menée dans deux UPE2A (désormais classes A et B) de 2 deux écoles REP situées dans le
centre-ville de Marseille5. L’expérimentation, effectuée dans le cadre du projet Erasmus
KA+ Xenios Zeus6 (Gouaïch, Azaoui et Roubaud, 2020), a été réalisée par deux
chercheuses dont Gouaïch (désormais C1). C’est cette dernière qui a conduit les séances,
la seconde chercheuse (désormais C2) co-animait. Les enseignants des deux classes
d’UPE2A ainsi qu’une conseillère pédagogique ont assisté à cette expérimentation.
20 Les élèves ont entre 9-12 ans (classe A) et 7-10 ans (classe B). Les élèves de la classe A
viennent d’Albanie (Aurela, Hyqmet, Klaudja), d’Algérie (Ishaq, Maroua, Rania),
d’Arménie (Aram) et du Maroc (Loudjaine). Outre leur langue d’origine, certains élèves
ont des compétences dans d’autres langues qui correspondent parfois à des langues
apprises dans un premier pays d’émigration, avant d’arriver en France 7. C’est le cas
d’Aram (arménien et russe), d’Aurela (albanais et anglais), de Loudjaine (arabe et
espagnol), de Marwa (arabe et italien) et de Rania (arabe, allemand et italien). Les
élèves de la classe B viennent d’Algérie (Kayane et Soujoud), de Mayotte (Mohamed) et
de Nouvelle-Guinée (Sérifou). Deux élèves alloglottes (Gouaïch, 2018) sont nés en France
et ont des origines turques (Kadir et Yagmur)8. Les élèves de cette classe parlent
respectivement l’arabe, le shimaoré et le turc.
21 Lors des deux séances, un livret d’accueil pour enfants (Gouaïch, 2020) qui présente la
ville de Marseille est projeté au tableau pour servir de support à des activités
langagières orales et écrites. Les élèves participent à plusieurs activités d’expression
orale, de lecture de mots écrits dans plusieurs langues et de production écrite (écrire
son prénom, les langues connues ainsi qu’un mot retenu au cours de la séance).
22 Le corpus se compose des transcriptions liées à l’activité d’écriture : du prénom
accompagné des langues connues, en plus du pays correspondant à ces langues
(seulement pour la classe B). Tout au long de cette activité, les langues des élèves et les
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Résultats
Le questionnaire
Inclusion et plurilinguisme
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n’est pas le seul élément numérique déterminant (Audran et Dazy-mulot, 2019). Les
sites internet sont largement exploités, en particulier les sites consacrés à
l’enseignement du FLE (comme par exemple, le point du FLE, les Zexperts,
TV5Monde). Des applications de création numérique comme « Book creator » ou
« Puppet pals » sont également désignés comme des appuis faisant ainsi appel à la
créativité de leurs élèves.
23 De plus, les enseignants se servent du jeu pour la mise en œuvre de leur enseignement.
À la question concernant les activités mises en œuvre dans les classes, les activités sont
souvent ludiques et en particulier ludiques et numériques. Le manque de matériel
numérique et technologique relevé par certains empêche la mise en œuvre des
enseignements à ce niveau ainsi qu’un manque de formation à l’utilisation des outils et
des supports. Nous pouvons constater que le ludique donc occupe une place importante
dans les activités proposées (Silva, 2013).
La pédagogie de projet
Mettez-vous en place des projets innovants pour enseigner le français aux élèves
allophones ?
Plus de la moitié des enseignants du sondage disent mettre en place des projets
innovants. La majorité des projets déclarés par les enseignants sont des projets
utilisant la vidéo, le théâtre et les projets d’écriture. Le numérique est quasiment cité
dans toutes les mises en œuvre de projets « innovants ». Pour les enseignants ayant
répondu ne pas mettre en œuvre de projet innovant, quatre d’entre eux s’/nous
interrogent sur la définition d’innovation10 tandis que plusieurs d’entre eux ne
pensent pas pouvoir en réaliser à cause de leur manque d’expérience ou de temps. Il
apparaît donc que la notion d’innovation, comprenant de nombreuses définitions,
soit perçue de manière différente par les enseignants de terrain.
24 L’analyse des réponses montre donc qu’une bonne majorité des enseignants ayant
participé ont recours à de l’innovation pédagogique et/ou technologique dans leur
enseignement. Même si la plupart d’entre eux rencontrent des difficultés à donner une
définition à l’innovation (cf. paragraphe supra) ils mettent en œuvre des dispositifs
permettant d’inclure les élèves allophones dans les enseignements. Ils déclarent le plus
souvent mobiliser la comparaison des langues et la pédagogie de projet, prenant appui
sur des outils numériques exploités à des fins didactiques et langagières. L’innovation
se réalise donc au niveau pédagogique, s’appuyant souvent sur les nouvelles
technologies.
L’expérimentation
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26 Lors de l’activité d’écriture, C1 demande aux élèves d’écrire sur une feuille blanche leur
prénom dans les langues qu’ils connaissent. L’objectif est de les amener à comparer des
systèmes graphiques.
C1 : Vous allez pouvoir écrire toutes les langues que vous connaissez + parce que parfois
regardez + regardez Marwa tu as écrit en quelle langue ?
Marwa : français
C1 : et là
Marwa : arabe
C1 : non juste en bas
Marwa : Italie
C1 : en italien + vous avez vu c’est les mêmes caractères + alors si j’écris + regardez + si je
prends l’exemple de Marwa (C1 écrit au tableau) elle a écrit Marwa en français + elle a écrit
Marwa en italien + vous avez vu
Marwa : c’est la même chose + c’est mes deux prénoms
27 C1 s’appuie sur les travaux des élèves pour mener une réflexion sur les langues : ici,
l’existence d’un alphabet commun entre le français et l’italien.
28 Ainsi encouragée, la comparaison des langues conduit les élèves à mettre en relief les
différences graphiques qui existent entre les langues, surtout lorsque les systèmes se
distinguent nettement. Les productions de certains élèves montrent une
retranscription fine des différences entre les langues, comme le montre le tableau
suivant :
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Quelques limites
34 Solliciter les langues premières des élèves ne produit pas toujours l’effet escompté et
révèle certaines limites. Les stratégies pédagogiques utilisées « sur le tas » permettent
de réfléchir aux précautions à prendre dans une démarche plurilingue inclusive.
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Contester
Résister
37 L’inclusion des langues premières des élèves peut aussi se heurter aux résistances des
élèves, comme le montre l’extrait suivant :
Kadir : Oh ! Non ! On va pas écrire en turc
38 C1 : C'est comme vous voulez
C2 : Pourquoi ?
Kadir : Je sais pas écrire en turc
C2 : C'est pas grave !
Kadir : Et vous allez rigoler !
C1 : Ah non ! Jamais + au contraire nous on trouve que connaître d'autres langues
c'est une richesse + on ne va pas se moquer !
Conseillère péda : T'as vu cette image négative + pourtant les cultures sont revalorisées +
hein !
C1 : Allez + bien + c'est comme tu veux + en tout cas vous écrivez dans les langues que
vous voulez + que vous souhaitez
El : Tous les pays ?
C1 : oui + tout ce que vous savez faire
Kadir : en arabe ? + je connais en arabe
C1 : beh alors écris toutes les langues que tu connais
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39 Kadir ne veut pas rentrer dans la démarche. Notons que cette limite a déjà été signalée
(Alaoui, 2007) au sujet de la comparaison des langues. L’élève justifie son refus par le
fait qu’il ne sait pas écrire en turc et que donc il se fera moquer. Il décide par
conséquent d’écrire en arabe, une langue dans laquelle il développe des compétences :
dans sa production écrite, il mentionne son prénom en français et en turc, puis une
phrase plurilingue composée d’éléments en arabe, turc et français. Il rencontre des
difficultés pour rentrer dans la démarche par rapport aux relations identitaires
conflictuelles qu’il semble entretenir avec sa langue première 12. Nous constatons cela
lors de l’expérimentation : son discours est ponctué de contradictions. Cela est
confirmé dans l’entretien avec son enseignant qui nous informe que le discours et le
comportement de Kadir reflètent des sentiments paradoxaux envers son pays et sa
langue d’origines. Les résistances de Kadir montrent la nécessité de laisser l’élève
choisir d’entrer ou pas dans la démarche, comme dans l’extrait suivant :
C1 : Est-ce que Kadir veut nous chanter une chanson en turc ? Non ? Yagmur une chanson
en turc ? Sérifou + tu vas nous chanter une chanson ? Je suis sûre que ta maman t'a bercé
avec une jolie chanson + t'en as retenue une ?
40 Soulignons que le refus de l’élève n’est pas toujours le signe d’une relation conflictuelle
avec la langue. En effet, dans le cas de Yagmur et Sérifou les silences traduisent
davantage une timidité à s’exprimer devant les camarades (entretien avec
l’enseignant). Respecter le silence de l’élève participe de cette bienveillance envers
l’élève plurilingue et renvoie aussi à l’importance de ne pas assigner l’élève à son
identité (Azaoui, 2013) ni à sa langue d’origine (Gouaïch, 2020). Dans une démarche
inclusive, il aurait été pertinent de demander à l’élève de chanter une chanson dans
une langue de son choix. Une manière de contourner le piège de l’assignation
identitaire et linguistique est de solliciter les langues secondes des élèves, notamment
pour les élèves en situation de « plurimobilité » (Azzara et Villa-Perez, 2020). À
plusieurs reprises, C1 dit aux élèves de faire ce qu’ils peuvent, savent et surtout ce
qu’ils veulent faire. Ainsi, elle ne sollicite pas toujours les langues premières des élèves :
C 1 : en Albanie quel temps fait-il ? Il fait pareil qu’à Marseille ? + oui ? l’été il fait chaud et
l’hiver il fait froid ? Il fait pas très froid dans ton pays ? + tu me racontes ?
C1 : tu veux nous le dire en anglais ? oui ? on t’écoute + on comprend toutes les langues
Aurela : In Albany it’s cold
C1 : yes
Aurela : and on summer it’s +++
C1 : it’s hot ?
Aurela : oui
C1 : yes +++ alors elle nous dit qu’en hiver il fait froid + et en été il fait chaud en Albanie +
ensuite les autres pays + en Italie + on t’écoute + quel temps fait-il en Italie + il fait le même
temps qu’ici ?
Marwa : il y a la neige en Italie
C1 : dans quelle région tu étais en Italie ?
Marwa : Magrè13
C2 : la ville + la région où tu étais + le nom
C1 : comè si chiama la città ? + Magrè ? Magrè
Marwa : sí
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NOTES
1. La toute première circulaire de 1973 pour le collège souligne déjà la nécessité « d’insérer le
plus rapidement possible les enfants étrangers dans un cycle d’études normal » (MEN).
2. Circulaire n°2002-063 du 20 mars 2002, BOEN n°13 du 28 mars 2002.
3. 3 https://eduscol.education.fr/1194/se-former-l-accueil-des-eana-et-efiv
4. Le CECR (2018) a été augmenté par un volume sur la médiation ajoutée aux activités
langagières de réception, de production et d’interaction.
5. Les deux écoles se situent dans des quartiers prioritaires.
6. L’objectif du projet était de créer des guides d’accueil et des livrets pédagogiques à destination
des enseignants d’UPE2A. La question de la valorisation et de la prise en compte des langues
premières des élèves était au centre de l’expérimentation. Dans cet article, nous nous appuyons
sur la mise en œuvre de cette prise en compte afin d’interroger la relation entre plurilinguisme,
inclusion et innovation pédagogique.
7. Les profils linguistiques ont été établis en recoupant diverses informations recueillies auprès
des élèves (échanges verbaux et productions écrites) et des enseignants.
8. Ce ne sont pas des élèves allophones nouvellement arrivés mais suivent des heures de français
en UPE2A, à la demande des enseignants. Cette situation n’est pas exceptionnelle et a été relevée
par Davin-Chnane (2005) et Gouaïch (2018).
9. Nous ne ferons pas de distinction entre les déclarations des enseignants de l’école élémentaire,
du collège et du lycée.
10. « Qu’est-ce qu’un projet innovant ? » ; « je ne sais pas définir un projet innovant ».
11. Ishaq en arabe + ils ne disent pas le ha et la qa + ils disent + Isaac + Isaac
12. Le fait d’être en UPE2A peut provoquer de l’incompréhension chez Kadir et des difficultés à se
situer dans son plurilinguisme.
13. Commune située dans la région du Trentin Haut-Adige (Nord-est de l’Italie).
14. Le chercheur aurait pu solliciter les langues premières d’Aurela et Marwa et aurait demandé
aux pairs, partageant la même langue, de traduire.
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RÉSUMÉS
Une inclusion scolaire réussie des allophones met l’enseignant au défi de composer avec des
formes de pluralités, notamment la prise en compte des langues-cultures des élèves dans
l’apprentissage du FLSco et de réfléchir aux implications didactiques. Dans cette contribution,
nous cherchons à savoir si les enseignants mettent en place ou pas une didactique plurilingue
inclusive et comment pourrait se déployer une didactique du plurilinguisme inclusif afin de
réfléchir aux relations, voire aux tensions entre plurilinguisme, inclusion et innovation
pédagogique.
Abstract : Successful school inclusion of allophones challenges the teacher to deal with forms of
pluralism, in particular taking into account the language-cultures of students in learning FSL and
to reflect on the didactic implications. In a comparative approach, we seek to find out whether or
not teachers implement inclusive in order to reflect on the relationships, even the tensions
between plurilingualism, school inclusion and pedagogical innovation.
INDEX
Mots-clés : allophones, FLSco, inclusion, innovation, plurilinguisme
Keywords : allophones, FSL, inclusion, innovation, plurilingualism
AUTEURS
FATIMA CHNANE-DAVIN
Aix-Marseille Université, ADEF
KARIMA GOUAÏCH
Aix-Marseille Université, ADEF
JESSYCA TRETOLA
Aix-Marseille Université, ADEF
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