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Bulletin d’études orientales

Tome LVIII | Septembre 2009


Années 2008-2009

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/beo/57
DOI : 10.4000/beo.57
ISBN : 978-2-35159-316-5
ISSN : 2077-4079

Éditeur
Presses de l’Institut français du Proche-Orient

Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2009
ISBN : 978-2-35159-143-7
ISSN : 0253-1623

Référence électronique
Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009, « Années 2008-2009 » [En ligne], mis en ligne
le 13 novembre 2009, consulté le 14 septembre 2023. URL : https://journals.openedition.org/beo/57 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/beo.57

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1

SOMMAIRE

L’histoire sous forme graphique, en arabe, persan, et turc ottoman


Origines et fonctions
Denise Aigle

Popular responses to mamluk fiscal reforms in Syria


Bethany J. Walker

Une famille de textes autour d’Ibn Ḫallikān entre VIIe/XIIIe et XIe/XVIIe siècle
Documents historiques et biographiques arabes conservés à l’IRHT
Jacqueline Sublet et Muriel Rouabah

Dubays B. Ṣadaqa (m. 529/1135), aventurier de légende. Histoire et fiction dans


l’historiographie arabe médiévale (VIe/XIIe-VIIe/XIIIe siècles)
Abbès Zouache

Figures d’al-Ḥasan Ibn Hāni’, dit Abū Nuwās, dans le Kitāb Aḫbār Abī Nuwās d’Ibn
Manẓūr
Katia Zakharia

Le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz et les poètes


Mohamed Bakhouch

Les systèmes conditionnels en ’in de l’arabe classique


Pierre Larcher

L’évolution des conditionnelles en arabe égyptien contemporain


Manuel Sartori

Un extrait de la Hidaya d’Abū Bakr al-Bāqillānī : le Kitāb at-tawallud, réfutation de la


thèse mu‘tazilite de la génération des actes
Daniel Gimaret

De l’amitié et des frères : l’Épître 45 des Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’.


Présentation et traduction annotée
Cécile Bonmariage

Herméneutique et symbolique : le ta’wīl chez Ibn ‘Arabī et quelques auteurs antérieurs


Mohammed Chaouki Zine

Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr : La « grammaire des cœurs » de ʿAbd al-Karīm al-Qušayrī


Présentation et traduction annotée
Francesco Chiabotti

Comptes rendus

Reuven AMITAI, The Mongols in the Islamic Lands, Studies in the History of the Ilkhanate
Ashgate, Variorum Collected Studies Series, 2007, 372 p.
Alaa Talbi

AMITAI, R. et BIRAN, M. (éd), Mongols, Turks and Others: Eurasian Nomads and the
Sedentary World
Brill, Leiden (Brill’s Inner Asian Library, 11), 2005, XX-556 p.
Denise Aigle

Jo VAN STEENBERGEN,Order out of Chaos: Patronage, Conflict and Mamluk Socio-Political


Culture, 1341-1382
Leiden, Brill, 2006, 210 p.
Bethany J. Walker

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2

Paul M. COBB, Usama ibn Munqidh. Warrior-Poet of the Age of the Crusades
Oxford, Oneworld Publications, 2005 (Makers of the Muslim World), ISBN 1-85168-403-4
Benjamin Michaudel

Philip F. Kennedy (éd.), On Fiction and Adab in Medieval Arabic Literature


Wiesbaden, Harrassowitz Verlag (« Studies in Arabic Language and Literature », 6), 2005, xxii+326 p. ISBN
3-447-05182-5
Abdallah Cheikh-Moussa

URVOY Dominique et Marie-Thérèse, L’Action psychologique dans le Coran


Paris, Cerf, 2007, 104 p., ISBN 978-2-204-08368-3.
Anne-Sylvie Boisliveau

N. H. HEINEN, Proverbes égyptiens relatifs aux poissons et aux oiseaux


(traduction française Ch. Vial). Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2007 « Bibliothèque générale, 30 »,
367 p.
Katia Zakharia

Daniella TALMON-HELLER, Islamic Piety in Medieval Syria. Mosques, Cemeteries and


Sermons under the Zangids and Ayyūbids (1146-1260)
Brill, “Jerusalem Studies in Religion and Culture, volume 7”, Leyde-Boston,2007, XVI + 306 p, 4 cartes, index.
Abbès Zouache

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3

L’histoire sous forme graphique, en


arabe, persan, et turc ottoman
Origines et fonctions

Denise Aigle

NOTE DE L’AUTEUR
Je remercie Michele Bernardini, Louise Marlow et Gilles Veinstein qui ont bien voulu
relire une première version de cet article et l’ont enrichie de leurs remarques.

1 La recherche présentée dans cet article est totalement originale parce que, à ma
connaissance, personne n’a travaillé sur l’histoire rédigée sous une forme graphique
combinant généalogies, textes narratifs et tableaux (taqwīm ou ǧadwal). À vrai dire, il
s’agit d’un domaine complexe. En effet, aucun texte de cette nature n’a été édité et,
lorsque cela a été réalisé, rares sont les cas où les éditeurs ont respecté la présentation
manuscrite. Il faut donc faire de longues recherches dans les catalogues de manuscrits
pour tenter de dénicher des textes historiques présentés sous cette forme. Plusieurs
questions se posent sur cette manière d’écrire l’histoire : à quel moment ces textes
apparaissent-il dans l’historiographie islamique ? Dans quelle aire géographique
spécifique : historiographie arabe, persane, turque ? Pour quelles raisons ? Pour
répondre à la demande d’un public à un moment donné de l’histoire ? Pour des raisons
pédagogiques et/ou politiques ? Enfin, peut-on déterminer l’origine (ou les origines) de
ce mode d’écriture de l’histoire ? Donc, beaucoup de questions auxquelles je tenterai de
proposer quelques éléments de réponse sous la forme d’hypothèses qui pourraient
constituer des pistes pour des recherches ultérieures.
2 Dans un premier temps, je présenterai quelques textes non historiques qui utilisent des
tableaux ou qui combinent texte et éléments graphiques. Très tôt, les taqwīm ont été
adoptés pour établir des zīǧ, c’est-à-dire des manuels d’astronomie contenant des tables
s’inspirant de différents modèles comme le Zīk-i Šahryār d’époque sassanide, le Sindhind
indien ou encore l’Almageste et les Tables pratiques de Ptolémée. L’objectif de ces
manuels était de fournir aux astronomes les données mathématiques qui leur étaient

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nécessaires pour calculer les positions (longitudes et latitudes) du soleil, de la lune et


des cinq principales planètes 1. Il semble cependant que, bien qu’héritier de la tradition
ptoléméenne, l’origine des canons chronologiques établis par al-Bīrūnī 2 (m. après
442/1050) dans son ouvrage al-Āṯār al-bāqiyya 3, remonte pour une partie à l’historien
chrétien de langue grecque, Eusèbe de Césarée (m. ca. 332). En effet, al-Bīrūnī le cite de
manière indirecte pour le calcul des ères rūmī. D’après Édouard C. Sachau, l’éditeur du
texte, la mention d’Eusèbe de Césarée dérive du Zīǧ de Yūsuf b. Faḍl al-Yahūdī al-
Ḫaybarī. On trouve antérieurement et postérieurement à al-Bīrūnī cette tradition dans
l’historiographie syriaque qui est directement héritière des canons chronologiques
d’Eusèbe de Césarée 4 comme, par exemple, dans la Chronographie bilingue, en syriaque
et en arabe, de l’historien nestorien 5 Élie de Nisibie (m. 1046) 6 qui le cite à plusieurs
reprises et dans la chronique du patriarche d’Antioche, Michel le Syrien (m. 1199) 7.
3 En ce qui concerne les textes historiques rédigés sous la forme de taqwīm qui combinent
presque toujours histoire narrative et tableaux, il semble que ce soit à partir du XIIIe-
XIVe siècle que ces ouvrages apparaissent plus systématiquement et, comme on pourra
le constater, cette tradition est attestée jusqu’au XIX e siècle dans l’Empire ottoman. À
partir du XIIe siècle, nous avons l’attestation de quelques textes historiques rédigés sous
cette forme, ou qui, même s’ils ne nous sont pas parvenus, d’après le titre, semblent
être des taqwīm. Je citerai l’exemple du Muǧmal al-tawārīḫ wa l-qiṣaṣ, une histoire
universelle qui, d’après le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France, fut
composée en 520/1126 et dont l’auteur était le petit-fils d’un certain Muhallab b.
Muḥammad b. Šādī, mais qui ne se nomme pas 8. Outre l’histoire narrative, le texte
comporte des tableaux 9, des dessins géométriques, en marge, plusieurs cartes et une
peinture 10. On trouve, par exemple, au fol. 278v, un tableau intitulé « Ṭabaqat al-ṯālaṯat
Banī ’Abbās » qui comporte huit rubriques, lues de droite à gauche ; elles portent ces
intitulés : asmā’, al-alqāb, asmā’, al-alqāb, ibn-hā et alqāb 11. Dans ces huit rubriques sont
disposés dans les huit cases correspondantes les noms des personnages selon un mode
graphique en étoiles 12. Cette présentation des noms de la famille abbasside est très
proche de la formule adoptée par Ibn al-Fuwaṭī dans le dictionnaire biographique dont
il sera question ci-dessous. L’auteur, qui semble fortement intéressé par les histoires et
les légendes, a préservé beaucoup d’informations d’ordre culturel, en particulier en
enregistrant des traditions orales 13. Au XIIIe siècle, l’historien persan Minhāǧ al-Dīn al-
Ǧuzǧānī dans ses Ṭabaqāt-i Nāṣirī signale un texte historique, qui ne nous est pas
parvenu, mais qui aurait été composé par Abū l-Qāsim Muḥammad al-’Imādī. Son titre,
Ta’rīḫ-i muǧadwal, indique que cette histoire était sans doute rédigée sous la forme de
tableaux 14.
4 Au XIVe siècle, on trouve non seulement des taqwīm historiques, mais aussi d’autres
types de textes qui utilisent cette présentation. Je désigne ces textes comme un genre
littéraire “para-historique” : ouvrages géographiques, dictionnaires biographiques,
manuels de chancellerie. Il se pourrait qu’à cette époque, au cours de laquelle
l’historiographie islamique trouve un important développement, on ait éprouvé le
besoin de rationaliser les données pour les rendre plus directement accessibles.
Gabrielle M. Spiegel a bien montré dans ses travaux sur l’historiographie en Occident
latin que nous devons lire les textes médiévaux en les situant dans le contexte social et
culturel dans lequel ils ont pris forme. Ils sont, en effet, le reflet d’un changement dans
la vision de l’histoire 15. L’adoption de nouveaux canons dans l’historiographie
occidentale correspond à des changements sociaux et politiques. Ces schémas d’analyse

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sont transposables à l’islam. Il semble en effet qu’à cette époque, il y eut une volonté de
la part du pouvoir de rendre plus facilement accessible les données historiques en
rationalisant la présentation graphique des textes à des fins de propagande politique ou
encore pour répondre à la demande d’un public particulier. Avant de présenter une
sélection de taqwīm historiques, je donnerai rapidement quelques exemples d’ouvrages
scientifiques utilisant une présentation graphique des données.

Quelques mītaqw scientifiques


Les tables astronomiques

5 Je commencerai par deux exemples astronomiques 16. Tout d’abord l’ouvrage d’al-
Zarqālī, al-Qānūn li-Amūnyūs 17 (Le canon d’Amonius), est un zīǧ établi par un savant de
Tolède (m. 1100) qui reprend lui-même un ouvrage grec du IIIe-IVe siècle 18. Les chiffres
sont donnés en abǧad ; en effet, entre autres comme chez les Grecs, chaque lettre de
l’alphabet arabe avait une valeur numérique en fonction de sa place 19. L’ouvrage d’al-
Zarqālī, connu dans le monde latin sous le nom d’Azarqiel, a bénéficié, dès le XIe siècle,
d’une traduction latine et, au XIIIe siècle, d’une autre en castillan sous le roi de Castille
Léon Alfonso X, dit le Sage, (r. 1252-1284) 20, ce qui atteste de sa notoriété en dehors de
l’islam. Le second exemple choisi est le Taḥrīr al-maǧistī (Rédaction de l’Almageste) du
savant iranien Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī (m. 672/1274) 21. Il s’agit d’une version en arabe du
traité d’astronomie composé au IIe siècle par Ptolémée 22. Les premiers zīǧ, rédigés au
VIIIe siècle, s’appuient sur la tradition persane et indienne, mais, à partir du IXe siècle, la
tradition de Ptolémée devint prédominante 23. L’ouvrage de ce dernier constitua alors la
référence la plus importante pour les astronomes musulmans de même que pour les
géographes. Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī dit avoir rédigé ce traité en images pour ses disciples
afin de rendre le texte original de Ptolémée plus abordable qu’à travers ses traductions
arabes antérieures 24. Il apporte des corrections et des enrichissements par rapport à
ces anciennes traductions. De fait, Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī rédige une nouvelle version du
texte de Ptolémée. Le but affiché ici est donc nettement pédagogique.

L’usage des taqwīm en médecine

6 Les manuscrits médicaux sont souvent, du point de vue visuel, rédigés pour faciliter la
recherche d’un renseignement précis 25. Ainsi, la présentation en tableaux appartient à
la tradition médicale arabe. C’est, en effet, le médecin du XIe siècle, Ibn Buṭlān qui, dans
son Taqwīm al-ṣiḥḥa, fut le premier à avoir recours à ce mode de présentation des
connaissances médicales 26. L’ouvrage est dédié à al-Malik al-Ẓāhir al-Ġāzī, le fils de
Saladin. L’auteur offre les règles fondamentales d’hygiène et de diététique et se propose
d’étudier 280 maux qui peuvent affecter le corps de l’homme en les inscrivant par
groupe de 7 dans 40 ǧadwal qui comprennent chacun 15 cases 27. Dans son introduction,
Ibn Buṭlān déclare qu’il utilise cette présentation graphique afin de faciliter la
consultation de l’ouvrage. Gérard Troupeau a démontré que le terme taqwīm dans le
titre de l’ouvrage d’Ibn Buṭlān signifie bien « établissement, fixation, détermination »
et non pas « redressement » comme Hosam Elkhadem, l’éditeur du texte, a traduit ce
terme 28. Il s’agit d’établir, de déterminer et de fixer la santé. Un second exemple
médical confirme également le besoin de présenter les données sous une forme facile à

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consulter. Il s’agit du Taqwīm al-abdān rédigé par le savant chrétien de Bagdad, Ibn
Ǧazla, qui se convertit par la suite à l’islam 29. L’auteur traite en 44 tableaux de 352
maladies 30. Comme Ibn Buṭlān, il prétend avoir rédigé ce texte à des fins de
consultation rapide et facile. Les tableaux établis par Ibn Ǧazla reflètent bien, par leur
présentation systématique et d’après les noms retenus pour désigner les différentes
rubriques, sa volonté d’adopter une attitude rationnelle face à la maladie : cette
dernière a une cause que le médecin doit découvrir rapidement pour guérir le patient.
7 À partir de ces quelques exemples relevant des sciences islamiques, on constate que, la
plupart du temps, ces ouvrages qui comportent des tableaux ou des éléments
graphiques avaient pour but essentiel de rendre les informations rapidement
accessibles, comme dans le cas des deux taqwīm médicaux ici présentés, ou qu’ils
avaient un but pédagogique, comme la traduction en arabe révisée par Naṣīr al-Dīn al-
Ṭūsī du traité astronomique de Ptolémée. On peut se poser la question : les ouvrages
scientifiques arabes ont-ils eu une influence sur la présentation graphique de
l’histoire ? Nous allons examiner dans un premier temps des textes proches de
l’histoire proprement dite.

Les taqwīm dans la littérature “para-historique”


La tradition géographique

8 Les ouvrages géographiques se prêtèrent facilement à ce mode de présentation des


données de manière visuelle 31. L’ouvrage le plus célèbre en la matière est le Taqwīm al-
buldān d’Abū l-Fidā’ qui fut achevé en 721/1321 32. Il s’agit d’un ouvrage de géographie
descriptive complété par des données physiques et mathématiques présentées sous la
forme de tableaux. Le texte a fort heureusement été édité en respectant sa présentation
manuscrite 33. À la fin de chaque partie, rédigée sous la forme d’un récit narratif dont le
but est de décrire un « pays » (bilād), comme, par exemple, le Bilād al-Šām, l’exemple
choisi ici, l’auteur a ajouté des taqwīm. L’objectif de ces tables, qui se présentent un peu
sous la forme des zīǧ, est de donner un accès rapide aux coordonnées géographiques
(latitudes et longitudes des localités) afin de faciliter l’utilisation de l’ouvrage. Les
tableaux sont disposés sur des doubles pages. La page de droite est divisée en dix
colonnes qui sont subdivisées en cases 34. Comme en arabe, la lecture se fait de droite à
gauche. La première colonne (saṭr al-’adad) renferme le numéro d’enregistrement dans
le tableau des noms de lieux. La deuxième (al-asmā’) recense les noms des villes ou des
régions. Dans la troisième colonne (asmā’ al-manqūl), l’auteur cite ses sources. Dans les
quatrième et cinquième colonnes, il mentionne les degrés de longitude (al-ṭūl), avec les
minutes (al-daqā’iq) et dans les sixième et septième colonnes, les degrés de latitude
(al-’arḍ), avec les minutes. La huitième colonne (al-iqlīm al-ḥaqīqī) comporte les climats
astronomiques, tandis que dans la neuvième colonne (al-iqlīm al-’urfī), l’auteur cite le
nom de la région par lequel on a coutume de la désigner. Enfin, dans la dixième colonne
(ḍabṭ al-asmā’), l’auteur précise la vocalisation des toponymes mentionnés dans la
deuxième colonne. Sur la page de gauche, partagée en bandes horizontales qui
correspondent chacune aux cases de la page de droite, l’auteur donne des informations
géographiques plus générales 35. Abū l-Fidā’ s’inspire manifestement dans son Taqwīm
al-buldān des zīǧ astronomiques dans le but de permettre au lecteur de localiser

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facilement les villes et les régions citées dans les tables grâce à ces informations
mathématiques et physiques.

L’emploi de tableaux dans les ouvrages biographiques : un cas


isolé ?

9 Nous approchons plus de l’histoire proprement dite lorsqu’on examine le dictionnaire


biographique arabe intitulé Talḫīṣ maǧma’ al-ādāb fī mu’ǧam al-alqāb 36 composé par
Kamāl al-Dīn Abū l-Faḍl ’Abd al-Razzāq al-Šaybānī al-Ḥanbalī, plus connu sous le nom
d’Ibn al-Fuwaṭī (642-733/1244-1323). Ce dernier fut à la fois bibliothécaire, copiste et
auteur d’ouvrages historiques. Il fréquenta les milieux intellectuels d’Azerbaïdjan et la
cour de l’Ilkhan Öljeitü (r. 703-717/1304-1317), ce qui lui permit de recueillir de
nombreuses données biographiques, en particulier d’ordre culturel 37. Le manuscrit
autographe du volume IV, daté de 712/1312, est conservé à la Maktabat al-Asad de
Damas 38. Très justement Jacqueline Sublet souligne que l’auteur conçoit « une grille qui
présente le nom propre arabe médiéval dans sa complexité de manière didactique 39 ».
Ibn al-Fuwaṭī prend en compte non seulement la complexité du nom propre, mais
également la hiérarchie de ses composantes 40. Nous retrouvons ici les préoccupations
des auteurs scientifiques dont les ouvrages sous forme de tables auraient pu
l’influencer dans son choix graphique tout à fait original.
10 Ibn al-Fuwaṭī utilise l’encre rouge pour les tableaux et l’encre noire pour le texte.
Lorsqu’on ouvre le manuscrit, on trouve sur la page de droite un double cadre rouge
divisé en dix sections horizontales, chaque section comprenant elle-même six cases à
l’intérieur desquelles sont notées les informations suivantes : laqab, kunya, ism, filiation,
nisba et profession. Sur la page de gauche, sont reportées les mêmes divisions
horizontales, et chaque espace ainsi réservé comporte un résumé de la vie du
personnage 41.
11 Cet exemple atteste du souci de l’auteur de ce célèbre dictionnaire biographique de
simplifier la lecture du texte par une présentation graphique des données
onomastiques qui permet de distinguer rapidement les différents éléments du nom du
personnage évoqué. Ces éléments sont complétés par une courte notice biographique
dans laquelle sont mentionnés le nom des maîtres du personnage en question, les
fonctions dont il a été le titulaire, ses activités intellectuelles, les titres des ouvrages
qu’il a pu composer et, souvent, quelques vers de sa composition.

La présentation graphique de certains manuels de chancellerie

12 À l’époque timouride, on trouve des recueils de modèles de correspondances présentés


sous forme graphique avec des tableaux synoptiques disposés sur plusieurs colonnes,
comme le Maḫsan al-inšā’, composé en 907/1501 par Kamāl al-Dīn Ḥusayn b. ’Alī al-
Sabzawārī Wā’iẓ al-Bayhāqī (m. 910/1504-1504) 42 qui est dédié au sultan Mu’izz al-Dīn
Abū l-Ġāzī Ḥusayn al-Bayqarā (r. 875-912/ 1470-1506) et à son vizir Mīr ’Alī Šīr Nawā’ī 43.
Le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France est une copie qui a été
achevée en 953/1547 44. Outre le choix de cette présentation sous la forme de tableaux
des formules destinées à fournir aux scribes de la chancellerie des modèles pour
rédiger les lettres, ceci en fonction du statut des destinataires, il faut ajouter que ce
manuscrit utilise le trilinguisme, mais il s’agit d’un ajout ultérieur. En effet, avant le

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8

début du texte, deux pages ont été ajoutées (fol. 1r-v et fol. 2r). Sur ces folios, des bayt
en persan et en turc ont été copiés par au moins deux mains différentes. On note
également que le manuscrit a été ensuite repaginé après cet ajout. Il semble donc que
des scribes de la chancellerie timouride ont éprouvé le besoin d’ajouter ces vers en
langue turque. Il se pourrait que cet ajout de deux folios ait été réalisé au moment de la
copie conservée à la Bibliothèque nationale de France, en 953/1547, soit une
quarantaine d’années après la rédaction de l’ouvrage.
13 Ces vers en turc pourraient bien avoir été destinés à illustrer le propos des lettres
adressées aux sultans ottomans qui, selon certains chercheurs turcs, sans doute par
esprit nationaliste, pensent que les Ottomans avaient une grande admiration pour cette
culture chaghatay orientale. Il est vrai que l’alphabet ouïgour semble avoir été en usage
à côté de l’alphabet arabe dans les chancelleries ottomanes. Le sultan Murād II (premier
règne 824-848/1421-1444, second règne 850-855/1446-1451) aurait entretenu à sa cour
d’Erdine des secrétaires capables de rédiger des firmān en ouïgour et les princes
héritiers se voyaient enseigner cet alphabet 45. Il ne subsiste cependant qu’un seul
document, celui de Meḥemmet II (premier règne 848-850/1444-1446, second règne
853-886/1451-1481) qui annonçait aux gouverneurs locaux d’Anatolie orientale sa
victoire sur le souverain des Aq Qoyunlu, Uzun Ḥasan, sous la forme d’un fatḥ-nāma
rédigé en alphabet ouïgour avec une traduction arabe interlinéaire 46. Il se pourrait que
le sultan ottoman ait choisi de rédiger ce fatḥ-nāma en utilisant cet alphabet parce que
Uzun Ḥasan lui-même l’employait dans ses firmān, mais à travers la tradition de la
chancellerie persano-mongole 47. Le trilinguisme utilisé dans ce manuel de
correspondance atteste de la proximité entre culture turque et persane. Celle-ci
remonte aux Qarakhanides qui, au milieu du Xe siècle, se convertirent à l’islam. Peu à
peu, une culture turco-persane fit ainsi son apparition dans laquelle l’élément turc
trouva naturellement sa place. L’exemple le plus célèbre est celui de Yūsuf Ḫāṣṣ Ḥāǧib
qui adapta à la langue turque les canons de la littérature persane. En 462/1069, il
acheva à Kashghar un long poème didactique en turc oriental, dans la tradition des
« Miroirs des princes persans », le Qutadgu Bilig (La sagesse qui conduit à la gloire
royale), rédigé sur le même mètre que le Livre des rois de la Perse antique, le célèbre
Šāh-nāma de Firdawsī 48. Cette proximité culturelle se concrétise ici à travers les
modèles poétiques proposés dans le Maḫzan al-inša’ aux scribes de la chancellerie
timouride.

L’histoire sous forme graphique ou de taqwīm


La combinaison entre textes narratifs et arbres généalogiques

14 Au préalable, je voudrais m’arrêter un moment sur une forme particulière de


présentation de l’histoire qui combine à la fois arbres généalogiques et textes
narratifs 49. Je commencerai en présentant le Mu’izz al-ansāb, rédigé sous la forme d’une
histoire graphique, qui présente la généalogie de Chinggis Qan et de Tamerlan ainsi que
leur descendance respective 50. Le texte, rédigé en persan, fut composé par un auteur
anonyme en 830/1428 sur l’ordre du sultan timouride Šāh-Ruḫ (r. 807-850/1405-1447).
Dans la préface, l’auteur du Mu’izz al-ansāb écrit qu’on lui a demandé de compiler les
généalogies existantes afin de produire celle de la lignée de Tamerlan 51. En effet, le
Mu’izz al-ansāb apparaît comme une continuation du Šu’ab-i Panǧgānah de l’historien

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9

Rašīd al-Dīn qui fut également ministre des Ilkhans Ġazan Qan (r. 694-703/1295-1304) et
Öljeitü. Ce texte est une histoire dynastique des Mongols, mais également des Francs,
des Chinois, des Arabes et des Juifs 52. Bien que le Mu’izz al-ansāb soit rédigé sous la
forme d’un manuscrit (codex), il est écrit verticalement de manière à imiter la
disposition d’un rouleau. Des traits de différentes couleurs marquent la descendance
des Qan mongols et des sultans timourides. Des emplacements circulaires, préparés
pour recevoir les portraits des principaux souverains, ont été réservés, mais
malheureusement ils n’ont pas été peints 53. Dans différents endroits de chaque folio se
trouvent consignées des informations sur le règne du Qan en question 54. Mais ce qu’il
faut souligner c’est que de chaque côté de la figure du souverain sont disposées des
informations intéressantes par rapport aux choix fait par l’auteur anonyme de ce texte.
En effet, du côté droit, on trouve les biographies des grands émirs et du côté gauche les
biographies des femmes du Qan. Cette présentation met donc en valeur ces deux
catégories de personnes. Dans le monde turco-mongol, les émirs détenaient sans
conteste un pouvoir important, mais les femmes des Qan jouaient également un rôle
politique considérable. Elles assuraient la régence lors de la vacance du pouvoir et, au
moment de l’élection d’un nouveau Qan, elles influençaient l’orientation politique de
leurs époux 55. Le but du Mu’izz al-ansāb est manifestement politique. En commanditant
cet ouvrage, Šāh-Ruḫ voulait faire des Timourides les héritiers de l’Empire créé par
Chinggis Qan, mais on peut y déceler également la volonté de la part de l’auteur de
rationaliser ou de résumer des données historiques très abondantes sur les lignages
mongols et timourides en consignant par écrit l’essentiel de l’histoire complexe de ces
deux grands empires sous une forme visuelle graphique, facile à consulter.
15 À cette même période, XIIIe-XIVe siècle, apparaissent des chroniques versifiées selon le
modèle du Šāh-nāma de Firdawsī. Plusieurs de ces textes ont été rédigés à l’époque
ilkhanide, comme, entre autres, le Šāhanšāh-nāma d’Aḥmad al-Tabrīzī 56, composé à la
gloire de Chinggis Qan et de ses successeurs, le Ġāzān-nāma, d’un auteur anonyme 57, ou
encore le Ẓafar-nāma de Ḥamd Allāh Mustawfī al-Qazwīnī 58, une chronique islamique
versifiée avec dans les marges le texte du Šāh-nāma de Firdawsī. Il existe sans doute une
relation entre ces histoires versifiées qui ont des effets auditifs et les histoires
graphiques qui, elles, ont des effets visuels : dans les deux cas, il s’agit d’une méthode
qui facilite la mémorisation tout comme les poèmes mnémotechniques de cette même
époque. C’est une manière de donner des informations historiques et d’instruire sous
une forme qui facilite la mémoire.
16 On ne peut que rapprocher l’apparition de ces chroniques persanes versifiées du
développement, à la même époque en France, d’une historiographie en langue
vernaculaire qui avait pour objectif de revivifier la memoria du passé. Comme Gabrielle
M. Spiegel l’a bien fait remarquer, la culture médiévale était, dans un certain sens, une
« culture de la commémoration » qui passait par la récitation orale sur un mode
épique 59, tout comme le Šāh-nāma de Firdawsī qui était déclamé à la cour des princes
par des “déclamateurs de Šāh-nāma” (šāh-nāmaḫwānd) et, par la suite, les chroniques
versifiées sur l’histoire des Mongols. Rédiger à la gloire de Chinggis Qan, des Ilkhans
Ġāzān ou Abū Sa’īd de telles oeuvres était une manière d’intégrer ces derniers, issus du
monde de la steppe, le Tūrān de l’histoire épique de l’Iran antique, à l’histoire et à la
culture persane.
17 De même, cette présentation “graphico-généalogique” de l’histoire est comparable à un
phénomène analogue qui apparaît en Europe, toujours à cette même période ( XIIIe-XIVe

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s.). En effet, à partir du dernier tiers du XIIIe siècle, plus particulièrement sous les
règnes d’Édouard Ier (1272-1307) et d’Édouard II (1307-1327), on assiste en Angleterre à
la floraison d’un nouveau type de chroniques abrégées, centrées autour d’un schéma
généalogique 60. En France à cette même époque des généalogies sont introduites dans
le récit historique narratif. La rédaction latine de la Chronique abrégée (1285-1300) de
Guillaume de Nangis fut composée sous la forme d’un arbre généalogique avec un tronc
et des ramifications 61. Ce qui est intéressant à souligner, c’est que l’auteur précise dans
l’introduction que, considérant que l’histoire des rois de France est prolixe, il a choisi
de la rédiger sous la forme d’un arbre généalogique parce qu’il est plus facile de
mémoriser par les yeux :
« Considerans hystorie regum Francorum prolixitatem… temptavi seriem
cunctarum hystoriarum de ipsis loquentibus dub quidam arboris formula redigere…
propter subjectam oculis formam, sit oblectatio, et studiosis facile possit prehabita
pre oculis memorie commendari 62. »
18 On retrouve ici les préoccupations de l’auteur du Mu’izz al-ansāb, même si celles-ci ne
sont pas clairement exposées dans l’introduction de son ouvrage, comme le fait
Guillaume de Nangis.
19 Ces histoires généalogiques, comme le souligne Gabrielle M. Spiegel, sont avant tout
écrites pour légitimer le pouvoir d’une famille noble ou pour affirmer un pouvoir
politique 63. En d’autres termes, le but est d’exprimer par le graphisme la mémoire
sociale d’un groupe, ce qui est le cas du Šu’ab-i Panǧgānah et du Mu’izz al-ansāb que l’on
peut comparer aux généalogies royales occidentales. Les auteurs cherchent à imposer
aux futures générations une représentation sociale des différents clans qui
constituaient les lignées princières mongoles et timourides. La généalogie, présentée
sous la forme où graphisme et textes se combinent, semble avoir eu un impact sur la
manière de façonner la narrativité historique tant du côté occidental qu’oriental, en
particulier dans le monde turco-iranien. On trouve dans ces différents ouvrages une
combinaison entre des éléments graphiques, iconographiques et des textes. Il s’agit de
présenter sous la forme d’un schéma commenté les informations historiques qui, sous
cette forme symbolique et synthétique, apparaissent avec plus de clarté pour le lecteur.
Par conséquent, leur impact pour exprimer la revendication sociale d’une famille noble
ou la légitimité politique d’un pouvoir dynastique est directement apparent.

Chroniques historiques et ǧadwal

20 Passons maintenant à quatre textes historiques qui, eux, combinent texte narratif et
ǧadwal, à l’exception d’un seul qui est entièrement rédigé sous forme de tableaux ou,
pour être plus exact, de “cases”. Le premier exemple est une histoire universelle en
persan, le Muntaḫab al-tawārīḫ. Elle fut terminée en 816/1413 par l’historien timouride
Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī 64. Ce texte a la particularité de terminer l’histoire de chaque
règne, rédigée en prose, par des tableaux synoptiques dynastiques (ǧadwal). Cette
chronique comporte vingt-huit ǧadwal, comptant chacun de quatorze à trente
rubriques 65. Il s’agit de la part de Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī d’un véritable effort pour
synthétiser les informations historiques. Non seulement l’auteur présente les
souverains, les faits marquants et les dates importantes de leur règne, mais il trace
surtout leur portrait individuel. La plupart des informations concernent la “lignée” de
chaque souverain (laqab, nisba, kunya, nom du père, de la mère, nombre d’enfants, de
femmes) et les éléments de sa “vie publique officielle” en tant que souverain (œuvres,

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grands de son époque, qāḍī, amīr al-umarā’, ministres, dates d’intronisation, durée du
règne, date et cause de la mort, lieu de sépulture) 66.
21 Cependant, l’originalité des tableaux réside dans le groupe de rubriques qui est censé
décrire la “personnalité” des membres du lignage : qualités, actions marquantes,
habitudes, talents. Ces tableaux donnent un éclairage spécifique sur la manière dont un
lettré persan timouride percevait les familles princières des siècles antérieurs à son
époque. Ces rubriques plus “personnelles” se répartissent en trois ensembles : d’abord,
sīrat ; puis aṭvār et pīša ; ensuite ’ādat ; et, enfin, hunar. Le terme sīrat contient l’idée
d’une vie et d’une conduite exemplaires. Dans les tableaux, cet intitulé semble associé à
la vision historique qu’il faut retenir du personnage : ses qualités, mais aussi ses défauts
comme prince 67. Les deux intitulés aṭvār et pīša présentent le “visage public” du
souverain et le bilan de son action 68. Le terme aṭvār exprime la manière de se
comporter, tandis que pīša évoque la profession, le métier, l’occupation à laquelle
s’adonne un homme et par laquelle il peut tirer sa subsistance 69. Mu’īn al-Dīn al-
Naṭanzī emploie ces deux termes pour présenter l’œuvre, l’occupation favorite des
souverains et de leur descendance. Le terme ’ādat est généralement utilisé pour
désigner les habitudes d’une personne. Sous cet intitulé, Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī
présente le personnage dans sa “vie privée” et ses “inclinations personnelles”. Le terme
hunar, quant à lui, désigne les qualités acquises par opposition aux qualités innées (al-
ǧawhar) 70. Sous l’intitulé hunar, Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī décrit les goûts et les talents
des membres du lignage. Les rubriques ’ādat et hunar servent à donner une “image
privée” du personnage, parallèlement au contenu des rubriques aṭvār et pīša qui
explicitent son comportement “public”.
22 À partir de la période mongole, les rubriques dans lesquelles Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī
décrit la personnalité des personnages sont plus détaillées et plus nombreuses. Il
signale diverses constructions entreprises par les membres de ces lignées princières
d’origine nomade. Ananda Musalmān Ḫān [sic] se voit attribuer la construction « de
mosquées et d’écoles mobiles dans le camp impérial 71 » (masāǧid va madāris dar urdū
sāḫt). Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī confond ici Ananda avec son fils, Ōrūk-Tīmūr [Öruġ
Temür], le roi des Tangut de Sibérie qui, lui, s’était converti à l’islam. Avec l’un de ses
émirs, il avait fait établir des « tentes mosquées » dans son camp 72. Bien que l’auteur du
Muntaḫab al-tawārīḫ se trompe sur l’identité exacte de ce prince, il retient de ce
personnage le fait qu’il a adapté au mode de vie nomade deux éléments de la culture
musulmane : la mosquée et l’école d’enseignement religieux.
23 Les tableaux du Muntaḫab al-tawārīḫ présentent également l’intérêt de fournir des
indications culturelles qui ne se trouvent pas dans le texte de la chronique. Parmi les
traits culturels cités, nombreux sont ceux qui portent sur l’écriture, mais les seules
références à l’écriture mongole se trouvent dans le tableau consacré aux Chaghatay,
dont le khanat est considéré comme celui dans lequel la coutume et la loi mongoles ont
perduré le plus longtemps. Čaġṭāy, le fils de Chinggis Qan, est mentionné dans le
tableau pour avoir renforcé « la loi mongole 73 » (yāsā). Au total, nous trouvons à propos
des Chaghatay, cinq références à l’écriture turque, cinq à l’écriture persane et celle qui
concerne l’écriture mongole : Šāh-Temür (760/159) « écrivait bien en mongol 74 » (ḫaṭṭ-i
muġūl nīkū nivištī). Parmi les talents (ādāb) que doit posséder tout homme cultivé 75,
plusieurs sont cités par Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī : deux fois les échecs, trois fois la
musique, six fois la poésie. Il présente ainsi les Turco-Mongols, et en particulier les
Chaghatay, comme des lettrés, tout en mentionnant également des talents traditionnels

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chez les nomades : la chasse (3 mentions) et le lancement des flèches (également 3


mentions).
24 On constate que dans les tableaux du Muntakhab al-tawārīḫ, les souverains et les
membres de leur lignage sont davantage décrits selon leurs qualités personnelles que
selon leurs actes de gouvernement. Ils sont gratifiés des qualités du prince idéal des
Miroirs : justice, savoir et sagesse 76. Cette histoire universelle, comme le Mu’izz al-
ansāb, appartient à l’historiographie timouride. Tamerlan, le fondateur de la dynastie,
s’appuie à la fois sur la tradition turco-mongole et sur l’islam. Le conquérant timouride
se rattacha à la lignée de Chinggis Qan en se présentant comme le protecteur du khanat
chaghatay dont il envahit la partie orientale en rabī’ II 761/février-mars 1360.
Tamerlan choisit alors un Qan gengiskhanide fantoche, dont le nom fut prononcé dans
la ḫuṭba du vendredi et qui figurait sur ses monnaies et correspondances
diplomatiques 77. Il prit pour épouse Saray Mulk Qatun, une femme d’ascendance
gengiskhanide, revendiquant ensuite le titre de gendre impérial (güregen) 78. Il se
présentait ainsi comme le tenant de l’ordre chaghatayide. Les gestes politiques mis en
œuvre par Tamerlan pour justifier sa prise de pouvoir dans le khanat chaghatay
expliquent que Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī valorise cette dynastie, mais aussi qu’il
dévalorise les Qan de la Horde d’or avec lesquels Tamerlan était en conflit, en
particulier avec Toqtamiš 79. Le dernier tableau de la chronique, consacré à Tamerlan et
à ses fils, le présente comme un souverain sage (ḥakīm), longanime (ḥalīm) et un
combattant de la foi (ġāzī). Tamerlan est ainsi décrit par rapport à son attitude comme
musulman exemplaire : « il avait un respect exceptionnel pour la loi religieuse » (dar
šarī’at mubālaġat mi-namūd) et « il aimait les descendants du Prophète 80 ».
25 Après avoir décrit Tamerlan comme un souverain musulman parfait, Mu’īn al-Dīn al-
Naṭanzī attribue à ses fils des qualités plus spécifiques aux nomades : ils sont braves
(bahādur) et généreux (saḫī). La lignée de Tamerlan s’inscrit en continuité, à travers les
Qan du khanat mongol des Chaghatay, avec celle de Chinggis Qan, mais dans un cadre
strictement musulman. De fait, Tamerlan et ses fils s’inscrivent en contrepoint de la
présentation d’ensemble des princes turco-mongols de la période précédente 81. Les
Timourides se rattachent par les qualités qui leur sont attribuées à la tradition des
Miroirs des princes islamiques et au monde nomade : bravoure et générosité. La
présentation nuancée des souverains turco-mongols valorise implicitement la dynastie
timouride. Cependant, dans les tableaux, que l’on peut considérer comme des
“documents pédagogiques”, Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī présente la dynastie timouride
selon un aspect idéalisé. En effet, dans le récit qu’il donne du règne de Tamerlan, il écrit
que les émirs lui avaient souhaité d’obtenir d’autres victoires et ce dernier aurait
déclaré que « le décret céleste et la loi gengiskhanide » (yarlīġ-i āsmānī va tūra-yi
čingīzḫānī) lui donnaient le droit à régner 82. En d’autres termes, bien que se présentant
comme un musulman exemplaire, le conquérant timouride n’avait en aucun cas
abandonné sa culture turco-mongole.

L’histoire en “cases”

26 Un autre manuscrit persan, anonyme, qui, d’après l’écriture, pourrait dater du XVIIIe
siècle, mais qui a pu être rédigé un peu plus tôt, se présente entièrement sous forme de
ǧadwal 83. Cependant, les rubriques sont beaucoup plus rudimentaires par rapport à
celles qui avaient été choisies par Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī. Il s’agit plutôt de “cases”

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dans lesquelles l’auteur a consigné des informations très brèves, pas toujours exactes
d’ailleurs, sur les souverains évoqués : nom, date d’intronisation, durée du règne.
Cependant, du point de vue culturel, ce qui est intéressant à relever ici, c’est que
l’auteur a pour objectif de présenter sous cette forme une véritable histoire du monde,
au sens propre du terme. Il a pu être influencé par le Ǧāmi’ al-tawārīḫ de Rašīd al-Dīn
qui, à la demande de l’Ilkhan Ġazan Qan, puis de son successeur, Öljeitü, a composé un
ensemble d’histoires consacrées aux Mongols, aux Turcs Öġuz, aux Indiens, aux Chinois,
aux Juifs et aux Francs 84. En effet, l’auteur anonyme de ce taqwīm historique consacre,
lui aussi, des tableaux à des peuples non musulmans comme les rois de Chine, les
anciens Turcs, les Mongols, les souverains de l’Inde, les Pharaons d’Égypte, les rois des
Juifs, les Francs, les Anglais, etc. Ce texte n’a absolument aucune valeur historique, mais
il témoigne de la part de son auteur d’une rare curiosité d’esprit et d’un important
effort pour collecter toutes ces informations sur des peuples si divers. Comme dans le
cas des textes non historiques présentés sous la forme de ǧadwal, il s’agit pour ce lettré
persan anonyme de donner un accès rapide à un grand nombre d’informations sur
l’histoire du monde depuis l’histoire biblique jusqu’à l’époque de la rédaction de
l’ouvrage.

Les taqwīm historiques ottomans

27 Pour terminer l’inventaire de ces textes historiques graphiques ou combinant tableaux,


généalogies et textes narratifs, j’examinerai deux chronographies d’époque ottomane
qui furent rédigées sous la forme de taqwīm, mais qui incluent des commentaires
textuels dans les tableaux et dans les marges. La partie ǧadwal de ces histoires est
précédée d’une introduction (muqaddima) dans laquelle les auteurs expliquent les
différentes façons de compter les temps depuis Adam 85. Ils citent le nom des mois chez
les Arabes, les Syriens, les Persans, etc. On y trouve une explication sur le calendrier
ǧalālī 86, instauré au XIe siècle par le souverain seldjoukide Ǧalāl al-Dīn Malik Shāh, à
l’instigation d’un groupe d’astronomes persans. Ils donnent également des explications
sur le calendrier sino-ouïgour utilisé par les Turco-Mongols qui, lui, repose sur un cycle
de 12 années désignées par le nom d’un animal 87.
28 Le premier texte d’époque ottomane examiné ici est intitulé : Taqwīm al-tawārīḫ 88. Il
s’agit d’une chronographie sous forme de tables qui débute avec la création d’Adam et
s’achève en 1058/1648, date à laquelle le texte fut terminé par Ḥāǧǧī Ḫalīfa, connu
également sous le nom de Kātib Čelebi (1017-1067/1609-1657) 89. L’auteur précise dans
une autre de ses œuvres, le Mīzān al-ḥaqq fī iḫtiyār al-aḥaqq,que ce texte a été écrit pour
servir d’index à sa grande histoire universelle en arabe, la Faḏalakat al-tawārīḫ rédigée
en 1051/1641 90. L’introduction (muqaddima) et la conclusion (ḫatima) de ce taqwīm sont
en ottoman, le contenu des tableaux est rédigé en persan, mais les dates chiffrées sont
également transcrites en écriture turque. Le bilinguisme qui caractérise ce texte est
une nouvelle illustration du fait que nous sommes ici à la jonction entre les mondes
persan et turc qui étaient, comme on l’a vu, culturellement proches de longue date.
29 Le Taqwīm al-tawārīḫ de Kātib Čelebi a eu un rayonnement important puisque plusieurs
auteurs ottomans ont rédigé des textes sur ce même modèle, mais cette tradition
s’arrête à la fin du XIXe siècleavec une histoire d’Ibrāhīm Aġāh Paša qui est encore
présentée sous cette forme 91. Kātib Čelebi voulait sans doute aider les lecteurs de son
histoire universelle arabe en prose en leur procurant une sorte d’index, rédigé sous la

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forme de tableaux 92. Le but ici est encore d’ordre pédagogique : simplifier une histoire
complexe en en donnant un résumé rapide et synthétique qui permet de se reporter
ensuite à la « grande chronique » afin que celui qui souhaite s’informer plus amplement
sur certains moments de l’histoire puisse s’y référer facilement.
30 Le Taqwīm al-tawārīḫ de Kātib Čelebi présente en son début des éléments de canons
chronologiques, mais très simplifiés par rapport aux véritables zīǧ. Par ailleurs, les
rubriques ne comportent aucun trait qui pourrait qualifier les personnages, ni aucun
élément d’ordre culturel ; l’auteur se contente de présenter sous la forme de ǧadwal des
listes (avec quelques éléments biographiques) des hauts dignitaires de l’État ottoman.
La tradition de l’idéal du prince n’est pas le cadre de pensée de ce savant, comme c’était
le cas du lettré timouride, Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī.
31 La Bibliothèque nationale de France conserve un autre taqwīm de l’époque ottomane qui
fut composé par un auteur anonyme 93. Le texte, d’après les dernières informations
datées qu’il renferme avant la conclusion, fut vraisemblablement rédigé au début du
XVIIIe siècle. Il est, en quelque sorte, calqué sur le Taqwīm al-tawārīḫ de Kātib Čelebi 94.
L’auteur a recopié le Taqwīm de ce dernier pour les événements antérieurs à lui, mais le
texte contient beaucoup plus d’informations et de commentaires, en particulier dans
les marges. Ce Taqwīm anonyme ne possède pas de titre, mais on trouve sur la
couverture du manuscrit une marque de possession. Il appartenait à un nommé
Meḥmed Emīn qui était, d’après le nom de sa fonction (čuqadār-i enderūn), le page du
sultan en charge de sa garde-robe. Il était par conséquent en contact direct avec lui et
avait accès à sa “chambre privée”. Comme beaucoup des personnels des services
intérieurs du Palais, les čuqadār-i enderūn recevaient une éducation religieuse et lettrée
par tout un personnel d’enseignants. On peut donc émettre l’hypothèse que Meḥmed
Emīn avait peut-être acheté ce manuscrit afin d’acquérir rapidement une culture
historique qui pouvait lui être utile dans l’exercice de sa fonction auprès du sultan.
32 Ces deux auteurs se préoccupent essentiellement de l’histoire de l’islam et ne
consacrent que peu de ǧadwal aux rois de l’Iran ; en tout cas, les tableaux qui leur sont
dévolus sont réduits à leur plus simple expression. Les événements depuis le début de
l’hégire sont classés par tranches de huit années dans Kātib Čelebi et de dix années chez
l’auteur anonyme. Il n’est pas surprenant que la partie la plus riche en informations de
ces deux taqwīm soit consacrée à l’histoire des Ottomans. Les auteurs présentent sous la
forme de ǧadwal la liste des grands personnages de l’État, ce qui nous informe sur la
hiérarchie des fonctions dans l’Empire : sultans, grands vizirs, šayḫ-i islām 95, quḍāt-i
’asākir, ḫwāǧagān-i salāṭīn-i ’Uṯmanān, etc. On trouve des ǧadwal consacrés aux quḍāt-i
’asākir de Constantinople et de chaque région de l’Empire, aux nāqib-i ešrāf, c’est-à-dire
ceux qui étaient chargés de vérifier le nasab des personnes qui prétendaient descendre
du Prophète. On trouve également des ǧadwal mentionnant les “directeurs de
conscience” des sultans (ḫwāǧagān-i salāṭīn-i ’Uṯmanān). Ces derniers ne détenaient pas
une véritable fonction officielle, elle dépendait surtout de la personnalité du
personnage en question et des liens qu’il entretenait avec le sultan à qui il prodiguait
des conseils en particulier sur des questions religieuses. En réalité, certains de ces
ḫwāǧagān ont détenu un pouvoir important puisqu’il leur arrivait d’intervenir dans la
nomination des šayḫ al-islām. Ces chronographies présentent un très bon résumé de la
hiérarchie des fonctions dans l’Empire ottoman, mais aucune information d’ordre
culturel.

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Conclusion
33 Manifestement, ces taqwīm historiques apparaissent essentiellement au XIV e siècle et
plus particulièrement dans les mondes persan et turc. Jusqu’à présent, je n’ai trouvé
qu’un seul texte de ce type en arabe, anonyme et sans titre, dont l’écriture montre qu’il
est aussi du XIVe siècle, mais il a pu être rédigé avant cette date 96. Le manuscrit
comporte environ 60 folios qui traitent des souverains musulmans du monde arabe.
Dans des colonnes séparées, on trouve des informations sur chaque souverain : nom du
père, de la mère, nom patronymique, laqab, année de naissance, date d’intronisation,
date de la mort, longueur du règne, cause de la mort et lieu d’inhumation. Ces
rubriques se rapprochent tout à fait de celles que Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī avait choisies,
sauf que les qualités et les talents personnels des souverains ne sont pas mentionnés. Ce
taqwīm historique fait suite à un ouvrage attribué à Abū l-Fidā’, le Tibr al-maskūb. Ces
deux textes semblent avoir été composés par le même auteur, mais le Tibr al-maskūb
s’achève dix années après la mort d’Abū l-Fidā’ 97. L’attribution de cette histoire sous
forme de tables n’est pas facile à résoudre. En tout cas, jusqu’à preuve du contraire,
l’histoire sous la forme de ǧadwal ne semble pas avoir connu un réel succès dans le
monde arabe où l’écriture de l’histoire est restée beaucoup plus proche des modèles
traditionnels qui ont vu le jour au début de l’islam.
34 D’après ce que l’on peut tirer des textes présentés ici, le but semble être d’ordre
pédagogique : faciliter un accès rapide à des informations, même finalement dans le cas
de Mu’īn al-Dīn al-Naṭanzī qui résume sous la forme d’un ǧadwal à la fin du récit de
l’histoire de chaque dynastie les faits historiques qui semblent marquants à ses yeux. Il
cherche aussi à donner une image personnelle de chaque membre du lignage en
mentionnant dans les ǧadwal des informations d’ordre culturel et sur leur conduite
personnelle qui ne figurent pas dans le texte. Nous avons pu constater que le choix des
rubriques nous renseigne sur le milieu culturel des auteurs : lettrés en ce qui concerne
les deux taqwīm persan ; savants plus traditionnels pour les auteurs des textes rédigés
en arabe et en milieu ottoman. Il est évident que les informations relatées dans les
chronographies ottomanes ne peuvent servir au chercheur qui, lui, a recours aux
détails qu’il peut trouver dans les “grandes chroniques”. Il s’agit de manuels, faciles à
consulter, pour obtenir le nom et des éléments biographiques sur un grand personnage
de l’Empire.
35 Les ouvrages qui combinent généalogies et textes narratifs ont une grande importance
pour mettre en lumière la manière dont évoluent les canons historiques. En effet, ils
réinterprètent les événements en accord avec des modèles de filiation. Comme on l’a
vu, le Šu’ab-i panǧgānah de Rašīd al-Dīn et le Mu’izz al-ansāb déploient l’histoire sous la
forme d’un principe de succession héréditaire dont l’un des buts est manifestement
politique : inscrire les Timourides comme les héritiers et les successeurs légitimes de
l’Empire mongol, l’autre plus culturel, préserver une image sociale de ces dynasties
nomades de culture principalement orale.
36 Enfin, la question la plus délicate à résoudre est celle de l’origine ou des origines de
cette présentation graphique de l’histoire. Les taqwīm historiques ont surtout connu un
développement relativement important, à partir du XIIIe-XIVe siècle, dans une zone de
contacts entre Turcs, Persans et chrétiens syriaques. Ces derniers avaient accès à
l’arabe, au persan et au turc, comme en atteste le rôle qu’ils ont joué comme
interprètes à l’époque mongole 98. La culture syriaque a été un vecteur important de

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transmission culturelle entre mondes chrétien oriental et islamique. Il se pourrait que


l’origine lointaine de ces taqwīm historiques islamiques soient les chroniques syriaques
comme la Chronographie d’Élie de Nisibe qui combine la relation des événements année
par année de manière résumée sous la forme de tables chronologiques en deux
colonnes, l’une en syriaque et l’autre en arabe, dans la première partie du texte 99 et qui
rejette en seconde partie les calendriers des différents peuples. Les taqwīm ottomans
ressemblent beaucoup dans leur présentation à la Chronographie d’Élie de Nisibe, mais
pour les historiens ottomans, les canons chronologiques syriaques, trop compliqués
pour le lectorat auquel ce type de texte était destiné, sont réduits, comme on l’a vu, à
leur portion congrue.
37 En tout cas, dans l’état actuel de nos connaissances, il est difficile de trancher sur
l’origine de cette présentation de l’histoire sous forme de ǧadwal. En effet, on peut
également imaginer que ce sont les zīǧ qui sont à la source de cette présentation
graphique de l’histoire ou encore les “carrés magiques”. Mais, si tel était le cas, on
aurait utilisé plus tôt les taqwīm dans l’historiographie ou dans la littérature “para-
historique”. On a vu que des scientifiques musulmans (en astronomie et en médecine)
ont cherché à simplifier assez tôt des ouvrages traduits du grec en arabe dans un but
pédagogique. Cependant, d’après les recherches que j’ai pu faire jusqu’à présent sur
cette présentation de l’histoire sous forme graphique, ces textes semblent bien
apparaître, même si l’on dispose de quelques exemples antérieurs, au XIIIe-XIVe siècle,
qui a vu un grand essor de la littérature historique islamique. Les taqwīm historiques
semblent bien appartenir plutôt à la tradition turco-persane qu’à la tradition arabe. La
question de l’origine ou des origines de ces taqwīm historiques reste pour l’instant
ouverte. Elle ne pourra progresser que lorsque seront effectuées de nouvelles
investigations dans les fonds des bibliothèques, notamment dans les bibliothèques
d’Istanbul qui conservent des ouvrages historiques de ce type, mais auxquels je n’ai pas
encore eu accès. Cependant, les textes que j’ai déjà identifiés sont rédigés en persan ou
en turc, ce qui pourrait confirmer les hypothèses émises ci-dessus.

BIBLIOGRAPHIE

Sources manuscrites
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du fonds Ẓahiriyya.

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RAŠĪD AL-DĪN, Šu’ab-i Panǧgānah, manuscrit conservé à Topkapi Saray.

AL-SABZAWĀRĪ, Kamāl al-Dīn Ḥusayn b. ’Alī, Maḫzan al-inšā’, manuscrit conservé à la BNF à Paris
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cote Suppl. persan 1059.

Taqwīm historique, sans titre, manuscrit conservé à l’Institut français de recherche en Iran sous
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Taqwīm historique ottoman, sans titre, manuscrit conservé à la BNF à Paris sous la cote Suppl.
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ṬŪSĪ (AL-), Naṣīr al-Dīn, Taḥrīr al-maǧisṭī, manuscrit conservé à la BNF à Paris sous la cote Arabe
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ANNEXES

Annexe I

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


21

Fig. 1 : Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, Taḥrīr al-maǧistī, BNF Arabe 2485 fol. 83v-84r.

Fig. 2 : Ibn Ǧazla, , manuscrit copié au XVe s. à Bagdad.

Reproduit in F. Micheau, Paris, La Documentation française, n° 8007, 1999, p. 40.

Annexe II

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22

Fig. 3 : Abū l-Fidā’, Taqwīm al-buldān, éd. M. Reinaud et M.C. De Slane, p. 254-255.

Annexe III

Fig. 4 : Ibn al-Fuwaṭī, Talḫīṣ maǧma’ al-ādāb fī mu’ǧam al-alqāb.

Reproduit in J. Sublet, « Dans l’Islam médiéval, nom en expansion, nom à l’étroit : L’exemple d’Ibn al-
Fuwaṭī », in L’écriture du nom propre, A.-M. Christin, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 119.

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23

Annexe IV

Fig. 5 : Kamāl al-Dīn Ḥusayn, Maḫzan al-inšā’, BNF Persan 73, fol. 6v.

Annexe V

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24

Fig. 6 : Kamāl al-Dīn Ḥusayn, Maḫzan al-inšā’, BNF Persan 73, fol. 7v.

Annexe VI

Fig. 7 : Kamāl al-Dīn Ḥusayn, Ṣaḥīfa-i Šāhī, BNF Suppl. persan 467, fol. 44v.

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25

Annexe VII

Fig. 8 : Fatih du sultan ottoman Meḥmed.

Fragment reproduit in R.R. Arat, « Fatih Sultan Mehmed’in yarlıǧı », Tükiyat Mecmuasi, vol. 6
(1936-1939), fac-similé, p. 2-3.

Annexe VIII

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26

Fig 9 : Mu’izz al-ansāb, BNF Persan 73, fol. 13r.

Annexe IX

Fig. 10 : Chronique anglaise anonyme.

Fragment reproduit in D. Weltecke, Die «Beschreibung der Zeiten» von Mōr Michael dem Grossen
(1129-1199), p. 187.

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27

Annexe X

Fig. 11 : Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, Muntaḫab al-tawārīḫ.

BNF Suppl. persan 1651, fol. 12.

Annexe XI
Ǧadwal de Malik Ašraf Kučik et de ses descendants

Fig. 12 : Traduction du fol. 329v : Ǧadwal de Malik Ašraf Kučik et de ses descendants.

laqab Kučik Malik Ǧamāl al-Dīn

noms Ṣayḫ Ḥasan Ašraf Pīr Ḥusayn

pères Čūpān Ǧalā’ir Tīmūr-Tāš b. Čūpān Maḥmūd b. Čūpān

mères

enfants un fils six fils un fils

ḥilyat-hā teint mat peau sombre teint mat

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


28

pīšā-hā il écrivait son propre il s’amusait dans le


sceau de sa main en bazar avec des
écriture turque chaussures

sīrat-hā il buvait beaucoup il était tyrannique il menait une vie


dissolue

hunar-hā il était très preux il était cultivé et écrivait il n’avait pas de


en écriture turque culture

grands de Šayḫ Nūr al-Dīn ‘Abd al- Šayḫ Nūr al-Dīn ‘Abd al- Mawlānā A‘ẓam Ǧamāl
l’époque Raḥmān et Šayḫ Ṣadr al- Raḥmān et Šayḫ Ṣadr al- al-Dīn al-Fālī
Dīn al-Ardabīlī Dīn al-Ardabīlī

sceaux Ṣayḫ Ḥasan b. Čūpān Pīr Ḥusayn

ministres Ḥāǧǧī Qawwām


Buzurg

grands émirs Ašraf Yāġī-Bāstī Muḥammad-i


Muẓaffar

œuvres une madrasa à Tabrīz il a construit un château à


la cour de Tabrīz

date 736 738 739


d’intronisation

durée du règne deux ans sept ans 5 ans

date de la mort 738 745 745

cause de la mort sa femme lui tordit les il fut tué il fut tué
testicules jusqu’à ce qu’il
meure

lieu de Tabrīz Tabrīz Marāġa


sépulture

Annexe XII

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29

Fig. 13 : Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, Muntaḫab al-tawārīḫ. Tableau récapitulatif des appréciations de
Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī sur les lignées turco-mongoles.

Annexe XIII

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30

Fig. 14 : Kātib Čelebi, Taqwīm al-tawārīḫ, BNF Suppl. persan 1739, fol. 16r.

NOTES

Fig 15 : Taqwīm anonyme ottoman, Suppl. turc 1149, fol. 6v.

1. Sur les ziǧ dans l’islam, voir D. A. K ING et J. SAMSÒ, « Zīdj », EI2, vol. XI, p. 537-550, où l’on
trouvera une abondante bibliographie et des reproductions de manuscrits. Sur les ouvrages
anciens de ce type, voir les travaux de D. PINGREE, « Historical Horoscopes », Journal of the
American Oriental Society, vol. 82 (1962), p. 487-502 ; D.A. KING, « On the Astronomical Tables of the
Islamic Middle Ages », in Colloquia Copernicana III, 1975, p. 37-56.
2. Sur cet important savant de l’Iran oriental, voir D. J. B OILOT, « al-Bīrūnī », EI2, vol. I,
p. 1273-1275.
3. Chronologie orientalischer Völker von Albêrûni, C. E. SACHAU (éd.), Leipzig, Otto Harrassowitz, 1923
(1re éd. 1878). Cet ouvrage ne traite pas seulement des calendriers et des ères, mais l’auteur
aborde également des questions mathématiques.
4. Sur l’usage d’Eusèbe de Césarée par les chroniqueurs syriaques, voir M. DEBIÉ, « L’héritage de
la chronique d’Eusèbe dans l’historiographie syriaque »,Journal of the Canadian Society for Syriac
Studies, vol. 6 (2006), p. 18-26.
5. Le terme “nestorien” est employé dans les sources médiévales, mais il a un sens péjoratif aux
yeux de cette communauté qui ne s’est jamais désignée par ce nom : il s’agit de l’Église
apostolique d’Orient.
6. Édition du texte, Eliae metropolitae Nisibeni. Opus chronologicum, E. W. B ROOKS et J.-B. C HABOT
(éd.), 2 vol., Paris, 1909-1910 (Corpus scriptorum christianorum orientalium, 62-63. Scriptores
Syr. 21-24). Il en existe une traduction latine, voir La chronographie d’Élié Bar Šinaya. Métropolitain

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31

de Nisibe. Traduite pour la première fois d’après le manuscrit Add. 7197 du Musée britannique par L.-J.
DELAPORTE, Paris, Honoré Champion, 1910.
7. Chronique de Michel le Syrien. Patriarche jacobite d’Antioche (1166-1199), 4 vol., J.-B. C HABOT (éd. et
trad. du fac-similé), Paris, Ernest Leroux, 1899-1910 [Réimpression anastatique de l’édition de
Paris, Bruxelles, Culture et civilisation, 1963]. Sur cette chronique, voir D. W ELTECKE, Die
«Beschreibung der Zeiten» von Mōr Michael dem Grossen (1129-1199). Eine Studie zu ihrem historischen
und historiographie geschichtlichen Kontext, Louvain, Peeters, 2003 (Corpus scriptorum
christianorum orientalium, 594. Subsidia, t. 110).
8. Le Muǧmal al-tawārīḫ wa l-qiṣaṣ est conservé à la Bibiothèque nationale de France (BNF) sous la
cote Persan 62. L’identification du nom du grand-père se trouve au fol. 223v. Voir la description
codicologique de ce manuscrit par F. RICHARD, Catalogue des manuscrits persans I. Ancien fonds, Paris,
Bibliothèque nationale, 1989, p. 92-93. Le texte a été édité par Malik al-Šu‘rā’ Bahār à Téhéran en
1317š/1939. Il existe une édition en fac-similé du manuscrit copié en 751/1350, conservé à la
Staatsbibliothek de Berlin, par I. Afshar et M. Omidsalar, Téhéran (Society for Promotion of
Persian Culture, Indiana), 2001. La présentation en anglais du texte et de la tradition manuscrite
figure dans l’introduction, p. 1-15. On a répertorié au total quatre manuscrits de ce texte : le
premier, celui de la Staatsbibliothek de Berlin, est le plus ancien ; le deuxième est celui qui est
conservé à Paris à la BNF sous la cote Persan 62, copié en 813/1410 par un certain ‘Alī b.
Maḥmūd ; le troisième est à Dublin à la Chester Beatty Library, il est daté de 823/1420 ; le
quatrième enfin, plus tardif, se trouve à la Bibliothèque de Heidelberg, il porte la date de
906/1500, voir l’introduction à la reproduction du texte en fac-similé par I. A FSHAR et M.
OMIDSALAR, p. 6.
9. Voir les fol. 277v-280r.
10. Le manuscrit a été restauré par l’historiographe ottoman, Muḥammad Čelebi Ta‘līq-Zāda
(m. 1068/1599), voir F. RICHARD, Catalogue des manuscrits persans I, p. 92.
11. On remarque le manque de rigueur dans la manière d’indiquer le nom des rubriques où l’on
trouve un mélange de persan et d’arabe.
12. Tableau des noms et des laqab des prophètes (fol. 277 v-r) ; le Prophète Muḥammad, les
quatre premiers califes (fol. 278r) ; les Abbassides (fol 278v) ; rois et sultans de l’islam (fol. 279 r) ;
Ghaznévides (fol. 279v) ; Seldjukides (fol. 280r).
13. Voir l’introduction à la reproduction du texte en fac-similé par I. A FSHAR et M. O MIDSALAR, p.
4.
14. Voir F. ROSENTHAL, A History of Muslim Historiography, Leyde, Brill, 1968, p. 143.
15. G. M. S PIEGEL, The Past as Text. The Theory and Practice of Medieval Historiography, Baltimore et
Londres, The Johns Hopkins University Press, 1997. Sur cette question, voir également P. J.
GEARY, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire. Traduit de l’anglais par Jean-Pierre
Ricard, Paris, Aubier, 1996.
16. Sur l’usage des taqwīm en astronomie, voir M. HOFELICH, « Taḳwīm », EI2, vol. X, p. 136-138.
17. Ce manuscrit fut copié en Espagne ou au Maroc en 1267 ; voir L’âge d’or des sciences arabes.
Exposition présentée à l’Institut du monde arabe, Paris 25 octobre 2005-19 mars 2006, Arles, Actes Sud/
IMA, 2005, p. 110.
18. Voir la reproduction d’un folio du manuscrit in L’âge d’or des sciences arabes, p. 110.
19. Sur l’abǧad voir G.S. COLIN, « Abdjad », EI2, vol. I, p. 100.
20. Le roi Alfonso X était lui-même féru d’astronomie puisqu’il rédigea des tables astronomiques
(Tabulæ astronomicæ) qui étaient destinées à enrichir, ou à rectifier, les observations de Ptolémée.
La version castillane est conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, voir L’âge d’or des sciences
arabes, p. 110.
21. Ce manuscrit est conservé à la BNF sous la cote Arabe 2485, voir en annexe I, fig. 1, la
reproduction des fol. 83v-84r.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


32

22. Sur le traité de Ptolémée, voir D. PINGREE, Preceptum Canonis Ptolemei, Louvain-la-Neuve,
Bruylant-Academia, 1977.
23. La première traduction de l’ Almageste eut lieu en syriaque avant d’intégrer l’astronomie
arabe. La littérature syriaque a été un facteur des transferts culturels jusqu’à l’époque ilkhanide
incluse, comme en atteste le dernier grand auteur syriaque, Barhebræus.
24. On trouve en marge des annotations explicatives. Ce texte faisait partie d’une collection de
manuscrits rapportés d’Orient à la demande de Colbert entre 1671 et 1675, voir L’âge d’or des
sciences arabes, p. 82.
25. À l’ombre d’Avicenne. La médecine au temps des califes. Exposition présentée du 18 novembre 1996 au 2
mars 1997, 1996, Paris/Gand, IMA et Snoeck-Ducaju, p. 321.
26. Sur cet auteur voir J. S CHACHT, « Ibn Buṭlān », EI2, vol. III, p. 763-764. Il existe une traduction
latine de cet ouvrage, intitulée Tacuinum saniatis, qui fut faite au XIII e siècle et qui fut publiée à
Strasbourg en 1531, voir À l’ombre d’Avicenne, p. 194.
27. Voir la reproduction de deux folios de ce manuscrit, ibid. Ce manuscrit est conservé à la
British Library à Londres sous la cote Or. 1347.
28. Le Taqwīm al-Ṣiḥḥa (Tacuini Sanitatis) d’Ibn Buṭlān : un traité médical du XI e siècle, histoire du texte,
édition critique, traduction, commentaire par H. E LKHADEM, Louvain, Peeters, 1990. Voir le compte
rendu critique de cette édition par G. TROUPEAU in Bulletin critique des Annales islamologiques, vol. 10
(1993), p. 194.
29. Sur ce médecin, voir J. V ERNET, « Ibn Djazla », EI2, vol. III, p. 776-777. Il dédia son ouvrage en
467/1075 au calife abbasside al-Muqtadī (r. 467-487/1075-1094).
30. Voir en annexe I, fig. 2, la reproduction d’un fol. du manuscrit de ce texte conservé à Bagdad,
reproduit dans F. MICHEAU, Les Pays d’Islam VIIe- XVIe siècle, Paris, La Documentation française, n°
8007, 1999, p. 40.
31. Voir Islamic aera studies with information systems, O. ATSUYKI (éd), Londres, Routledge Curzon,
2004 ; E.S. et M.H. KENNEDY, Geographical coordinates of localities from Islamic sources, Francfort,
Institüt für Geschischite der Arabisch-Islamwissenschaft, 1987.
32. Voir H. A. R. GIBB, « Abū l-Fidā’ », EI2, vol. I, p. 122.
33. Géographie d’Aboulféda. Texte arabe publié d’après les manuscrits de Paris et de Leyde aux frais
de la Société asiatique par M. REINAUD et M. le baron Mac Guckin DE SLANE, Paris Imprimerie
royale, 1840.
34. Voir en annexe II, fig. 3.
35. Voir en annexe II, fig. 3.
36. L’auteur avait le projet d’écrire un ouvrage en 50 volumes, contenant toutes les biographies
des lettrés depuis les débuts de l’Islam. Conscient que l’entreprise ne pourrait être réalisée, il en
fit un abrégé (talḫīṣ). Le nom des personnages est classé par laqab “surnom” ou “titre
honorifique”, sur ce dictionnaire, voir J. SUBLET, « Dans l’Islam médiéval, nom en expansion, nom
à l’étroit : L’exemple d’Ibn al-Fuwaṭī », in L’écriture du nom propre, textes réunis et présentés par
A.-M. CHRISTIN, Paris, L’Harmattan,1998, p. 117-134.
37. Voir, D. D EWEESE, « Cultural transmission and exchange in the Mongol Empire: Notes from
the biographical Dictionnary of Ibn al-Fuwaṭī », in Beyond the Legacy of Genghis Khan, L. K OMAROFF
(éd.), Leyde, Brill, 2006, p. 11-29.
38. J. S UBLET, « Dans l’Islam médiéval », p. 120, note 4 : « Il s’agit d’un unicum de la quatrième
partie (al-ǧuz’ al-rābi‘) du texte, conservé sous la cote Ta’riḫ 267 du fonds Ẓāhiriyya ». Le texte a
été édité à Damas (1962-1967) par M. Ǧawād, malheureusement sans en respecter la présentation
manuscrite
39. J. SUBLET, « Dans l’Islam médiéval », p. 117.
40. J. SUBLET, « Dans l’Islam médiéval », p. 120.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


33

41. Voir en annexe III, fig. 4, les fol. 229v et 230r du manuscrit conservé à Damas, reproduit dans
l’article de J. Sublet.
42. Le Maḫsan al-inša’ est conservé à la BNF sous la cote Persan 73. Voir la description
codicologique de ce manuscrit par F. RICHARD, Catalogue des manuscrits persans I, p. 101.
43. La dédicace se trouve au fol. 4v. Ce manuscrit est arrivé à la bibliothèque de Colbert le 24 mai
1681, F. RICHARD, ibid. Il en existe une version abrégée, par le même auteur, le Ṣaḥīfa-i Šāhī
(Suppl. persan 467), ce qui indique que ce texte était utile aux jeunes scribes de la chancellerie
timouride. Voir en annexe IV et V, fig. 5 et 6, les fol. 6v et 7v du manuscrit Persan 73 et en
annexe VI, fig. 7, le fol. 44v du Suppl. persan 467.
44. La date de la copie, ramaḍān 953, figure dans le colophon au fol. 191v.
45. Sur l’influence du turc chaghatay chez les Ottomans, voir M. F. K ÖPRÜLÜ, « Osmanlī », partie
II, « La littérature », EI2, vol. VIII, p. 215.
46. Sur ce fatḥ-nāma, voir R.R. ARAT, « Fatih Sultan Mehmed’in yarlıǧı », Tükiyat Mecmuasi, vol. 6
(1936-1939), p. 285-322 + 20 p. du document en fac-similé. Voir en annexe VII, fig. 8 un extrait de
ce document, p. 2-3.
47. Sur cette question, voir A. SOUDOVAR, « The Mongol Legacy of Persian Farmāns », in Beyond the
Legacy of Genghis Khan, p. 407-421.
48. Yūsuf Khāṣṣ Ḥājib, Wisdom of Royal Glory [Qutadgu Bilig]. A Turko-Islamic Mirror for Princes,
translated, with an Introduction and Notes by R. DANKOFF, Chicago/Londres, The University of
Chicago, 1983.
49. Les arbres généalogiques dans l’Islam remontent à une époque beaucoup plus ancienne, mais
ils n’inséraient pas de textes narratifs.
50. La copie conservée à la BNF sous la cote Persan 73 est non datée, mais elle fut sans doute
rédigée au XVIe siècle, voir F. R ICHARD, Catalogue des manuscrits persans I, p. 97. Il existe une autre
version de ce texte à la British Library.
51. S.A. QUINN, « The Mu‘izz al-Ansāb and Shu‘ab-i Panjgānah as Sources for the Chaghatayid Period
of History: A Comparative Analysis », Central Asiatic Journal, vol. 33/3-4 (1989), p. 231.
52. Le Šu‘ab-i Panǧgānah utilise le bilinguisme : les noms sont écrits à la fois en alphabet arabe et
en écriture ouïgoure, S.A. QUINN, « The Mu‘izz al-Ansāb and Shu‘ab-i Panjgānah », p. 233.
53. Dans le manuscrit conservé à la British Library, les portraits ont été peints, voir S. A. Q UINN,
« The Mu‘izz al-Ansāb and Shu‘ab-i Panjgānah », p. 233, note 17.
54. Voir en annexe VIII, fig. 9, le fol 13v du manuscrit conservé à la BNF sous la cote Persan 73
(La descendance de Chinggis Qan).
55. Sur le rôle des femmes en Asie intérieure et en particulier à l’époque mongole, voir D. S INOR,
« Some Observations on Women in Early and Medieval Inner Asian History », in The Role of Women
in the Altaic World. Permanent International Altaistic Conference, 44th Meeting, Walbergberg, 26-31 August
2001, V. VEIT (éd.), Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2007, p. 261-268.
56. Le manuscrit est conservé au British Museum sous la cote OR 2780, fol. 41-132, voir C. RIEU,
Supplement to the catalogue of the Persian MSS in the British Museum, Londres, 1895, p. 135.
57. Ġāzān-nāma, M. TADBBŪRĪ (éd.), Téhéran, 1381š.
58. Le manuscrit est conservé au British Museum sous la cote OR 2833, fol. 779 fol, voir C. RIEU,
Supplement to the catalogue of the Persian MSS, p. 172-174. Voir également A. SOUDOVAR, « The saga
of Abu-Sa‘id Bahādor Khān. The Abu-Sa‘id nāmé », in The court of the Il-khans, J. RABY et T.
FITZHERBERT (éd.), Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 95-218.
59. G.M. SPIEGEL, « Social Change and Literary Language. The textualization of Past in Thirteenth-
Century Old French Historiography », in The Past as Text, p. 178-194, en particulier, p. 181-184.
60. Voir en annexe IX, fig. 10, la reproduction d’un fragment d‘une chronique anglaise anonyme,
conservée à Berlin Staatsbibliotek, Hdschr. 343, reproduite in D. W ELTECKE, Die «Beschreibung der
Zeiten» von Mōr Michael dem Grossen (1129-1199), p. 187.

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61. Manuscrit conservé à la BNF sous la cote Latin 6184.


62. Cette citation se trouve en introduction au volume au tout début du fol. 1r.
63. G.M. S PIEGEL, « Genealogy. Form and Function in Medieval Historiography », in The Past as
Text, p. 104.
64. Sur cet auteur, voir l’introduction de J. A UBIN à son édition partielle de cette chronique,
Extraits du Muntakhab al-tavarikh-i Mu‘ini (Anonyme d’Iskandar), J. A UBIN (éd.), Téhéran, Librairie
Khayyam, 1957, p. 1-8. Ce texte a connu deux rédactions différentes en raison de rivalités
politiques entre un petit-fils de Tamerlan, Sulṭān-Iskandar, qui régnait à Chiraz, et son oncle Šāh-
Rūḫ. Il existe à la bibliothèque de Topkapi Saray une histoire anonyme, avec des tableaux, qui fut
rédigée en 816/1413 au moment où Sulṭān-Iskandar détenait le pouvoir dans le Fārs, voir W.M.
THACKSTON, « Anonymous Synoptic account of the House of Timur », in A Century fo Princes.
Sources on Timurid History and Art. Selected and Translated by W. M. Thackston, Cambridge
Massachusetts, The Aga Khan Program for Islamic Architecture, 1989, p. 237-246.
65. Le manuscrit est conservé à la BNF sous la cote Suppl. persan 1651. Voir en annexe X, fig. 11,
fol. 12 (Les rois mythiques de la Perse antique, les prophètes et les sages de leur époque).
66. Voir en annexe XII, fig. 12, la traduction du fol. 329v : Ǧadwal de Malik Čūpān Kučik et de ses
descendants.
67. Cette rubrique n’est jamais omise, sauf pour les Qan de la Horde d’or.
68. Ces deux rubriques ne se côtoient jamais dans un même tableau sauf dans celui qui est
consacré aux Omeyyades où l’auteur associe les deux termes mais dans une seule rubrique (aṭvār
va pīša).
69. Voir Ch.-H. DE FOUCHÉCOUR, Moralia. Les notions morales dans la littérature persane du 3 e/9e au 7e/13e
siècle, Paris, Éditions Recherche sur les civilisations (Synthèse n° 23), 1986, p. 186.
70. Voir Ch.-H. DE FOUCHÉCOUR, Moralia, p. 207. Pour une définition complète de ces notions, cf. le
dictionnaire de ‘A. Dihḫudā, Luġat-nāma, Téhéran, Mu’assasa-i Dihḫudā, s.d. : aṭvār, vol. II, p.
2754 ; pīša, vol. IV, p. 5993-5995 ; sīrat, vol. IX, p. 13883 ; ‘ādat, vol.X, p. 15655 ; hunar, vol. XV, p.
23567.
71. Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, fol. 384 r.
72. Un manuscrit enluminé du Ǧāmi‘ al-tawārīḫ de Rašīd al-Dīn, conservé à la BNF sous la cote :
Suppl. persan 113, comporte au fol. 139v une représentation d’une séance de lecture du Coran
dans une telle école religieuse mobile dans son camp.
73. Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, fol. 265r. Cette mention se trouve dans le tableau consacré à
Chinggis Qan et à ses fils.
74. Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, fol. 315 v.
75. Voir Dj. KHALEGHI-MOTLAGH, « Adab », EIr, vol. I, p. 433-435.
76. Voir une vue synthétique sur les Miroirs des princes in D. A IGLE, « La conception du pouvoir
en islam. Miroirs des princes persans et théories sunnites ( XIe-XIVe siècles) », Perspectives
médiévales, vol. 31 (2007), p. 17-44, où l’on trouvera une abondante bibliographie récente sur le
sujet. Voir en annexe XII, fig 15, le tableau récapitulatif des appréciations de Mu‘īn al-Dīn al-
Naṭanzī sur les lignées turco-mongoles.
77. Sur la recherche de légitimité gengiskhanide, voir B. F ORBES M ANZ, « Tamerlane and the
Symbolism of Sovereignty », Iranian Studies, vol. 21/1-2 (1988), p. 105-122 ; idem, The Rise and Rule
of Tamerlane, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 ; idem, « Tamerlane’s Career an its
Uses », Journal of World History, vol. 13/1 (2002), p. 1-25.
78. Güregen est un terme mongol qui désigne le gendre et, à l’époque gengiskhanide, le mari
d’une princesse impériale, voir P. D. BUELL, Historical Dictionary of the Mongol World Empire,
Lanham, Maryland et Oxford, The Scarecrow Press 2003, p. 159.

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79. Sur les rivalités entre Tamerlan et Toqtamiš, voir B. F ORBES MANZ, « Mongol History rewritten
and relived », in Figures mythiques des mondes musulmans, D. A IGLE (dir.), Revue des mondes
musulmans et de la Méditerranée, vol. 89-90 (2000), p. 129-149.
80. Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, fol. 363 r.
81. Voir, en annexe XII, fig. 13.
82. Mu‘īn al-Dīn al-Naṭanzī, Extraits du Muntakhab al-tavarikh-i Mu‘ini, J. AUBIN (éd.), Téhéran,
1957, p. 206.
83. Ce manuscrit est conservé à la bibliothèque de l’Institut français de recherche en Iran sous la
cote Ms. 18.
84. Une partie des histoires de Rašīd al-Dīn consacrées à des peuples non mongols a été
récemment éditée pour la première fois, voir Rashīd al-Dīn Faẓl Allāh Hamadānī, Jāmi‘ al-Tavārīkh
(The History of Afranj, Popes and Caesars), M. RUSHAN (éd.), Téhéran, Mīrāṯ-i Maktūb, 2005 ; idem,
Jāmi‘ al-Tavārīkh (The History of India, Indus and Cashmere) ; idem, Jāmi‘ al-Tavārīkh (History of Ughūz).
L’édition de ces trois textes de Rašīd al-Dīn vient utilement compléter l’édition de son Histoire de
la Chine, History of China and Cathay. Being a fragment of Jāmi‘ at-Tawārīkh, W. Y IDAN (éd.), Téhéran,
Iran University Press, 2000.
85. On remarque que l’auteur anonyme de la seconde chronographie s’est contenté de recopier
mot à mot l’introduction de Kātib Čelebi.
86. Le calendrier ǧalālī ou malikī avait pour but de déterminer la date de nōrūz. Elle fut fixée à
l’équinoxe de printemps, moment où le soleil entre dans le Bélier, ce qui correspondait au 15
mars du calendrier julien ; les mois étaient de trente jours selon la tradition persane. Ce
calendrier servit de base pour les calendriers agricoles en Perse jusqu’à un passé récent, voir
B. VAN DALEN « Ta’rīkh », EI2, vol. X, p. 287.
87. Ce calendrier fut introduit en Iran sous la dynastie des Ilkhans, le plus ancien zīǧ de cette
nature est le Zīǧ-i īlḫānī du savant ismaélien Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī ; il est semblable au calendrier
solaire-lunaire, le Ta Ming Li, adopté par Chinggis Qan après sa conquête de la Chine du Nord en
1215, voir R. MERCIER, « The Greek ‘Persian Syntaxis’ and the Zij-i Ikhānī », Archives internationales
d’histoire des sciences, vol. 34 (1984), p. 33-60 ; Ch. M ELVILLE, « The Chinese Uighur Animal Calendar
in Persian Historiography of the Mongol Period », Iran, vol. 32 (1994), p. 83-98 et Th. T. A LLSEN,
Culture and Conquest in Mongol Eurasia, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, le chapitre
« Astronomy », p. 161-175
88. Le manuscrit est conservé à la BNF sous la cote Suppl. persan 1739. Selon É. Blochet, ce
manuscrit est sans doute une copie que Kātib Čelebi aurait fait exécuter pour son propre usage.
Le scribe en effet a laissé des pages en blanc destinées à recevoir des additions ultérieures. Une
personne en possession de laquelle passa ce manuscrit a ajouté la date de l’avènement des
Ottomans jusqu’à Sulṭān Maḥmūd en 1223/1808. On peut lire sur les dernières pages d’une main
du XVIIIe siècle un petit poème en turc sur la géomancie et la liste des gouverneurs de Bosnie
depuis 867/1262-1463. Le manuscrit fut copié à Istanbul au milieu du XVII e siècle. Il comporte 126
feuillets. Voir É. LOCHET, Catalogue des manuscrits persans, vol. IV, Paris, Bibliothèque nationale, p.
239. Il existe à la BNF d’autres textes de ce type, tous inspirés par le Taqwīmal-tawārīḫ de Kātib
Čelebi comme, par exemple le Suppl. turc 921 : « Chronologie abrégée des empereurs turcs, des
vizirs, des muftis depuis la fondation des Ottomans ». Le texte comporte 38 feuillets et s’arrête
avec le règne du sultan Maḥmūd Ier ; il date de la première moitié du XVIIIe siècle. Le Suppl. turc
925 est presque identique. Ces deux textes ont été traduits en français par Joseph Wiet ( jeune de
langues de France à Constantinople, en 1742, voir É. BLOCHET, Catalogue des manuscrits turcs,
Paris, Bibliothèque nationale, MDCCCXXXIII p. 96-98.
89. Kātib Čelebi (1017-1067/1609-1657) est l’un des plus grands savants du XVII e siècle dans
l’Empire ottoman, voir O. S. GÖKYAY « Kātib Čelebi », EI2, vol. IV, p. 791-792. Sur son Taqwīm al-
tawārīḫ, voir le point bibliographique, la tradition manuscrite, les éditions et traductions in F.

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BABINGER, Die Geschichtsschreiber der Osmanen und ihre Werke, Leipzig, Otto Harrassowitz, 1927, p.
196-197. On trouvera également de nombreuses informations sur ce texte dans G. H AGEN, Ein
osmanischer Geograph bei der Arbeit Entstehung und Gedankenwelt von Kātib Čelebis Ǧihānnümā, Berlin,
Klaus Schwartz Verlag, 2003.
90. G. HAGEN, Ein osmanischer Geograph, p.59.
91. G. HAGEN, Ein osmanischer Geograph, p.60.
92. G. HAGEN, Ein osmanischer Geograph, p.247.
93. Le manuscrit est conservé à la BNF sous la cote Suppl. turc 1149.
94. Voir en annexe XIII, fig. 14, Kātib Čelebi, fol. 16r et fig. 15 fol. 6v du Suppl. turc 1149.
95. Dans l’Empire ottoman, la fonction de šayḫ al-islām est associée à celle de muftī de la capitale.
96. Il est conservé à Dār al-Kutūb au Caire sous la cote Ta’rīḫ 86m.
97. Voir F. ROSENTHAL, A History of Muslim Historiography, p. 146, note 1.
98. Voir D. SINOR, « Interpreters in Medieval Inner Asia », Asian and African Studies, vol. 16 (1982),
p. 293-320 et D. AIGLE, « The Letters of Eljigidei, Hülegü and Abaqa: Mongol Overtures or Christian
Ventriloquism? », Inner Asia 7/2 (2005), p. 143-162.
99. Voir en annexe XIV, fig. 16, Suppl. turc 1149, les événements du début de l’islam et fig. 17, la
reproduction du fol. 29v de l’unique manuscrit de cette Chronographie qui est conservé au British
Museum, Add. 7197, reproduite in D. WELTECKE, Die «Beschreibung der Zeiten» von Mōr Michael dem
Grossen (1129-1199), p. 190.

RÉSUMÉS
L’écriture de l’histoire dans le monde islamique concerne à la fois l’aspect littéraire et la
présentation matérielle du texte. Il existe dans le monde musulman des chroniques historiques
qui présentent les données sous la forme de tableaux (ǧadwāl ; taqwīm) ou sous d’autres formes
graphiques synthétiques, ce qui témoigne de la part des auteurs de leur volonté d’effectuer une
sélection dans les faits. Une littérature que l’on peut qualifier de “para-historique” (ouvrages
géographiques, dictionnaires biographiques, traités de chancellerie) utilisent également le mode
graphique. Il semble que cette présentation de « l’histoire en images » apparaît surtout à partir
du XIVe siècle et qu’elle se poursuit jusqu’au XIXe siècle. Dans cet article, l’auteur s’interroge sur
les origines et les motifs qui ont conduit les historiens à adopter cette présentation synthétique
des données : besoins du public, acquérir rapidement une culture historique, fonction
pédagogique et/ou politique ? L’étude de l’historiographie islamique présentée sous cette forme
constitue un domaine de recherche tout à fait nouveau qui dans l’état de nos connaissances
soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. En guise d’introduction, l’auteur
examine quelques exemples de présentation des données sous forme graphique dans d’autres
domaines que l’histoire (astronomie, médecine). Bien qu’il soit possible que les historiens aient
été influencés par cette tradition utilisée pour les sciences, il se pourrait que l’origine soit à
rechercher en amont de l’islam.

‫ ثمة‬.‫ بالناحية اﻷدبية والعرض اﻹعﻼمي للنص‬،‫ في العالم اﻹسﻼمي‬،‫تتصل كتابة التاريخ‬
‫ أو تحت‬،‫أخبار في العالم اﻹسﻼمي تعرض المعلومات على شكل جدول أو تقويم‬
‫مة في انتقاء‬
ّ ‫ ممايعبر عن رغبة واضعيها عن ه‬،‫أشكال تخطيطية تركيبية أخرى‬
،‫ ثم هنالك أدبيات يمكن وصفها بأنها تابعة أو ملحقة بالتاريخ( أعمال جغرافية‬.‫اﻷحداث‬

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‫ فيبدو‬،‫ سجﻼت سفارات )كانت تستعمل طرائق العرض البياني التسجيلي‬،‫معاجم سير‬
‫ قد ظهر إلى الوجود بدءا ً من‬،»‫ أي« التاريخ في صور‬،‫أن هذا اﻷسلوب في العرض‬
‫ ففي هذا المقال يتساءل المؤلف‬.‫القرن الرابع عش واستمّر حتى القرن التاسع عشر‬
،‫ أهي حاجة العامة‬:‫عن أصول وأسباب لجوء المؤرخين إلى هذا العرض البياني التركيبي‬
‫ أو سياسية؛ إن مقاربة‬/ ‫ أم وظيفة تعليمية و‬،‫أم تحصيل الثقافة التاريخية بسرعة‬
‫ وهي في‬،ً ‫العرض للتاريخ اﻹسﻼمي تحت هذه اﻷشكال تمثل مجال بحث جديد تماما‬
‫ تستعرض‬،‫ وبمثابة مقدمة‬.‫حدود معلوماتنا تثير اﻷسئلة أكثر مما تقد ّم من أجوبة‬
‫ في مجاﻻت أخرى غير التاريخ‬،‫ بشكل بياني‬،‫المؤلفة بعض اﻷمثلة لعرض المعطيات‬
‫ هذا ومع أن المؤرخين قد يكونون تأثروا بهذا اﻷسلوب المستعمل‬.)‫ب‬ ّ ‫ ط‬،‫(علم الفلك‬
.‫ فمن المحتمل أن يكون اﻷصل أقدم من اﻹسﻼم‬،‫من قبل العلماء‬

Writing history in the Islamic world involves both a literary aspect and a material presentation of
the text. One finds in the Muslim world historical chronicles presenting data in the form of tables
(jadwal; taqwîm) or other synthetic graphic forms, which demonstrates the author’s intention to
carry out a selection among the data. A literature which could be qualified as ‘para-historical’
(geographical books, biographic dictionaries, chancellery treatises) also uses graphic modes. It
seems that this presentation of ‘history in images’ mainly appears from the 14th century
onwards, until the 19th century. In this article the author examines the origins and motivations
which led historians to adopt this synthetic presentation of data: needs of the readers, a fast
acquiring of historical culture, pedagogical and/or political function? The study of Islamic
historiography presented under this form is a totally new field of research, which as far as we
currently know raises more questions than it answers. As a form of introduction, the author
analyses examples of this kind of presentation of data in other fields than history (astronomy,
medicine). Although it is possible that the historians were influenced by this tradition used in the
sciences, it may also be that the origins of this use are older than Islam.

AUTEUR
DENISE AIGLE
CNRS UMR 8167 « Orient et Méditerranée », EPHE-Sorbonne

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Popular responses to mamluk fiscal


reforms in Syria
Bethany J. Walker

1 The decline of the Mamluk state – its character, timing and evolution, and the catalysts
behind it – has been one of the most debated topics in Mamluk studies. Sparked by the
publication of Amalia Levanoni’s monograph on Sultan al-Nasir Muhammad in 1995,
scholarship on the issue has largely focused on identifying when and under what
conditions the Mamluk “machine” began to fail politically, militarily, and economically.
1
The changes in Egyptian and Syrian society that followed in its wake have only begun
to be explored, as Mamluk “decline” has been in recent years reinterpreted in terms of
social and political “transformations”.2 On the level of the economy, the parameters of
debate have shifted to state responses to crises, specifically policy changes aimed at
redeeming the Treasury and staving off bankruptcy. Such is a revisionist
understanding of the late Mamluk period that defines economic action, in part, as
rational response to economic necessity. An earlier emphasis on exploitative attempts
to line individual pockets or replenish the Treasury (through confiscation, hoarding,
and devaluation of currency) is being gradually replaced with an appreciation of more
long-term initiatives that would accomplish the same, such as the creation of new
financial bureaus and structures for developing private property. Thus, greed may have
been less a motivator for some of the financial practices of the fifteenth century than
economic imperatives. While current scholarship far from suggests that the elite of the
Mamluk state, as a whole, governed with wisdom in the economic sphere, it is
illustrating ways in which individual actors did attempt meaningful reforms with an
eye to financial recovery and long-term stability.
2 What has been missing from these debates to this point, however, has been a
consideration of how the non-elite responded to these initiatives and how they
perceived the changes that resulted from them in their own societies. This essay
explores one economic practice actively discussed, and criticized, by contemporaries:
the purchase of Treasury (Bayt al-Mal) assets and their subsequent endowment (waqf).
As one of the most important economic developments of the late Middle Ages in the
Islamic world, the alienation of public lands and their transformation into private

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property is an important turning point in medieval Islamic financial history. Similarly,


the legal mechanisms that emerged, legitimizing both practices, mark an important
development in Hanafi thought and are recognized as a watershed in the larger history
of Islamic jurisprudence. Such practices had not only economic and legal repercussions;
they had the potential to transform the agricultural regime, and local society in a more
general sense, as land proprietorship and management were the ties that bound both
the countryside and urban centers to the state.
3 The following offers some reflections on popular responses to the alienation of
Treasury assets in the fourteenth and fifteenth centuries, by examining the political
action by peasants, the critiques of local intellectuals, and the formal opinions of
lawyers.3 The study makes special reference to Jordan in this period, as the building of
sultanic landed estates from former state lands appear to have been first applied on a
large scale in the Transjordan.4 Jordan thus becomes a barometer of the success or
failure of one aspect of the Mamluks’ fiscal reforms and offers a window on the ways in
which they played out on the local level. In order to describe the background of the
reforms, we begin with contemporary critiques of the economy.

Context of financial reforms


4 Contemporaries were well aware of the financial problems of the day and were quick to
blame an ineffective, corrupt, and apathetic government for inefficient, or non-
existent, responses to rising prices and food shortages. Perhaps the most vocal critic of
the Mamluk state’s fiscal policies was the Egyptian historian Taqi al-Din Ahmad ibn ‘Ali
ibn ‘Abd al-Qadir ibn Muhammad al-Maqrizi. He completed his treatise on famine
(Ighathat al-ummah bi-kashf al-ghummah) in 1405, at the end of his third term as
Inspector of the Markets in Cairo. In this work he captures the realities of life for most
Cairenes at the turn of the fifteenth century: people were going hungry, and food,
though available, was not being distributed. He points to several practices, with which
he was intimately familiar, that created scarcities of foodstuffs and exacerbated their
effect: inflated prices and forced purchases (tarh) by officials, bribery (particularly
damaging when financial offices are purchased in this manner), high taxes, and an
unstable and inflated currency.5 Although he recognizes that several seasons of draught
caused initial food shortages, he blames the state for not appropriately responding to
the agricultural crisis that ensued and for corruption and poor financial practices that
made it much worse.
5 A much lesser known source, Muhammad ibn Khalil al-Asadi, responds in a similar tone
about the economic functions of the state in his treatise on administrative and financial
reform (al-Taysir wa al-i‘tibar wa al-tahrir wa al-ikhtibar fi-ma yajibu min husn al-tadbir wa
al-tasarruf wa al-ikhtiyar), written around 854/1450.6 While he devotes the largest part of
this work to inflation and monopolies, he makes several suggestions for economic
revival that require decisive action by the government. For him, it is the responsibility
of the state to control the value of currency, guarantee unrestricted markets, and
ensure the availability of basic foodstuffs. His perspective, which betrays a background
in the Syrian financial administration, is comparable to that of al-Maqrizi in its
identification of manipulation of currency, corruption and tyranny of officials, the
imposition of illegal and high taxes, and neglect of agricultural lands as the factors
behind the poor economic conditions of the state in his day. 7

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6 Though valid, the critiques of al-Maqrizi and al-Asadi are more concerned with the
effects than the causes of the economic malaise of the fifteenth century. The Mamluk
state was, in fact, at the verge of financial collapse by the end of the fourteenth
century, a state of affairs that Sultan Barquq immediately tried to address, first in his
office as atabeg and then as sultan (reigned 784-791/1382-1389, 792-801/1390-1399), the
first of the Burji, or so-called “Circassian”, dynasty. 8 Barquq’s sultanate has been
increasingly attracting scholarly attention for more than merely political change, as it
also coincides with attempts to revive, or replace, the moribund iqta‘ system. 9 The iqta‘
system – which controlled most of the agricultural land in Egypt and Syria and
organized the distribution of tax revenues from those lands to the military - was the
backbone of the Mamluk economy and structured economic, political, and social
relations among the state, the cities, and the countryside. It was no longer functioning
effectively by the end of the century, as the Treasury had been gradually drained of the
landed assets on which iqta‘ grants were based.10 The leasing and sale of land from the
Bayt al-Mal had become more common in the second half of the fourteenth century,
following the demographic and economic turmoil of the Black Death and the coming to
power of a series of weak sultans. The death of grant holders (muqta‘s), accelerated by
the plague, made numerous tax revenues (and the lands that supported them)
available, a circumstance of which advantage could be taken in the absence of a strong,
and watchful, central government.
7 Not surprisingly, iqta‘ grants, which would normally be distributed to new personnel
upon the death of its muqta‘, and other kharaj-paying lands were being sold, at
generally lower prices than they were worth, in order to liquidate assets and secure
cash for political purposes.11 The land then became, for all intents and purposes, the
private property of the purchaser, leaving the Treasury for good and no longer
available for soldiers’ compensation.12 Moreover, such land was frequently made waqf
for a charitable endowment, which was tax-free, could not be legally confiscated, and
which normally benefited the descendants of the donor, as trustees of the foundation.
While lucrative for individuals (who were, more often than not, members of the
Mamluk and civilian elite) and their families, the alienation of Treasury assets in this
manner robbed the state of important revenues for defense, social services, and
emergencies of all forms.13 State officials, starved of funds in this manner, resorted to
the kinds of damaging, and illegal, practices lamented by al-Maqrizi and al-Asadi in an
effort to replenish salaries and, undeniably, build personal wealth.
8 Igarashi’s recent studies on the fiscal reforms of Sultans Barquq (d. 801-1399) and
Qaytbay (ruled 872-901/1468-1496) highlight the central role the “waqfization” of
public assets played in the financial crises of the late fourteenth and fifteenth
centuries. He convincingly argues that attempts at economic recovery specifically
targeted this phenomenon and tried to rectify it by finding ways to legalize
confiscation of endowed properties and institutionally bypass long-standing bureaus
that traditionally controlled access to state assets. To summarize Igarashi’s arguments,
the depletion of the Treasury, and specifically the revenues from kharaj-paying lands,
caused a financial crisis at the outset of Barquq’s reign, by robbing the state of
resources from which to pay the military, and particularly the Royal Mamluks. He
responded by creating two new financial bureaus that would be under his direct
control as sultan: al-Diwan al-Mufrad (likely established in 1386) and Diwan al-Amlak (in
1395).14 The first, originally financed from his personal assets (his own iqta‘s), would be

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dedicated to the financial support of the Royal Mamluks, independent of the other
diwans and funded separately from the rest of the Treasury. By the mid-fifteenth
century, this bureau came to control the largest percentage of kharaj-paying lands in
Egypt. Syrian land also came under the authority of this bureau, although we cannot
know for sure, in the absence of written documentation of land surveys in Syria
(comparable to Ibn Duqmaq and Ibn Ji‘an), to what extent it was applied. 15 This, thus,
marks an important stage in the reorganization of the state’s administrative and
economic apparatus. The success of Barquq’s initiatives in concentrating assets may be
gauged by the settlement of his estate upon his death: in 801 a meeting of leading
clerics, high-ranking amirs, and the Khassakiyya debated who would be entitled to his
vast assets, agreeing that 5/6 would return to the Treasury, where they “would be
spent for the benefit of [all] Muslims” (yusarraf fi maṣaliḥ al-muslimin). 16
9 Igarashi demonstrates that al-Diwan al-Mufrad, over time, came to be something of a
social welfare institution for the non-mamluk members of the elite: mamluks’ widows
and sons (awlad al-nas), lawyers, and merchants.17 As a result, because expenditures
outstripped the assets of the bureau, it was at a state of virtual bankruptcy by the reign
of Qaytbay (r. 872-901/ 1468-1496). The state’s finances were further strained by
expensive military campaigns against the Ottomans. Sultan Qaytbay responded by
using his own assets (khass and his endowments), as well as those of other bureaus, to
sustain al-Diwan al-Mufrad and to pay amirs and continue pensions. Such efforts were
reinforced with other measures meant to replenish the Treasury, such as taxation of
endowments, taking 1/5 of kharaj revenues from iqta‘s, and freezing subsidies to non-
mamluks. The ultimate result was the transformation of the Treasury into a financial
agent of the sultan, furthering the process of centralization of state funds and
highlighting most clearly the demise of the feudal iqta‘ system. 18
10 The reforms of Qaytbay built on those of Barquq and had the same goal: to put money
back into the Treasury, or at least under the centralized and direct control of
independent bureaus controlled by the sultan, for redistribution to his own mamluks
and where else most needed. It is ironic, however, that the practice that initially led to
the crisis of the Treasury – the alienation of former iqta‘ lands from the Treasury and
subsequent endowment for family or charitable foundations – was one adopted, in the
end, for financial recovery. This was, as well, the economic practice most debated in
legal circles and which had the greatest potential to transform imperial-rural relations
and the agricultural sector.

“Waqfication” of the treasury (Bayt al-mal)


11 The endowment of privately-owned, income-producing properties for public good
(waqf) was considered an act of piety and supported, as all charities, by Shari‘a. The act
of endowment took the property out of the public sphere: the ownership of the
property itself (the ‘ayn) now belonged to God, its revenues were earmarked for a
charitable purpose, and it could no longer be taxed or otherwise legally touched by the
state. A second form of endowment - family waqf - was equally legal but not as secure as
a charitable one, as its revenues were set aside for the benefit of a family and its
descendants. They were particularly vulnerable to confiscation by government officials.
Mamluk-era endowments fell into both categories: charitable awqaf (awqaf khayri) could
be administered by the endower and his family (who could then enjoy a portion of the

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revenues as compensation), and formal family awqaf (awqaf dhurri or ahli) would
generally ultimately benefit a charitable cause or foundation when the family line died
out. Of the former, the largest were “sultanic endowments”, which were either created
directly from Treasury (in other words, public, kharaj-liable) lands, supporting
institutions in the general interest (maslaha) of the Muslims, or indirectly through
quasi-legal purchase of iqta‘at and other lands from the Treasury, subsequently
endowed for charitable purposes (either explicitly or indirectly) through formal legal
procedures.19 In principle, the former were legal, while the legality of the latter
(discussed below) was intensely debated among fifteenth-century jurists. 20 Sultanic
endowments ultimately served the larger good of the community, because they
frequently funded expensive and important public services (health care, education,
building of mosques, supplying water); they were, nonetheless, the biggest financial
liability for the Mamluk state. Any alienation of taxable public lands robbed the state of
critical funds needed for defense, development, emergencies, and support for the poor.
12 Critical analyses of awqaf by Carl Petry and ‘Imad Abu Ghazi have brought attention to
the financial and political impact of the “waqfization” of former public lands. 21 Petry
was the first to identify the “privatization” of state lands as a kind of “clandestine
investment” during the financial crises of the late Mamluk period. 22 What resulted was
both the final death blow of the iqta‘ system, the socio-political-economic underpinning
of the Mamluk state, and asset-building in the form of private property: in short, the
reemergence of private property after the collapse of the Mamluk-style feudal system.
Petry estimates that some 30% of the Mamluk endowments registered in the waqfiyat of
the Cairo archives date to the reign of Sultan al-Ghawri,23 suggesting a response to
economic or political pressures at the end of the Mamluk era. Most of these, according
to the documents available, were acquired piecemeal, as shares of rural land or villages.
24
In his quantitative analysis of waqfiyat and documents of sale, purchase, and transfer
in Egyptian archives, Abu Ghazi determines, in parallel fashion, that most of the pre-
Ottoman endowments in Egypt (over 95%) date to the Burji Mamluk period (and the
majority of these during the reigns of Sultans Inal, Khushqadam, Qaytbay, and al-
Ghawri) and that they were made from the purchase of iqta‘ land. 25 He concludes that
by the end of the Mamluk Sultanate, the Treasury was, for all intents and purposes,
empty, a condition largely produced by the endowment of nearly 90% of Egypt’s
agricultural land.26
13 The history of endowments in Jordan challenges this scenario. Mamluk-era waqfiyat in
the Dar al-Watha’iq and Wizarat al-Awqaf in Cairo, the majority previously
unidentified,27 and sixteenth-century Ottoman tax registers ( tapu defters) for Liwa’
Ajlun in Ankara, now published, document the endowment of entire villages in Jordan
by sultans as early as the reign of Sha‘ban (r. 764-778/1363-1377) 28 and the development
of sultanic landed estates, through waqf, of Jordanian agricultural land from Barquq’s
reign.29 They largely benefited the madrasa complexes of the donor-sultans in Cairo.
Many of these endowments were maintained by the Ottoman authorities (and taxed at
10%, as most local awqaf were under the Ottomans) incorporated, in their entirety, into
the khass of the sultan or provincial governor. Sultanic endowments in Jordan were
among the most lucrative in the region (sugar plantations, expansive wheat fields, well
watered olive groves) and include the entire village of Adar and miscellaneous gardens
(all near Kerak – by Sha‘ban in 777/1375)30; the villages of Nimrin, Kafrin, and Zara‘a (all
in the Jordan Valley) and Malka (in the north), all in their entirety (by Barquq in

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796/1393); the northern villages of Marw and Harhar and shares of several villages in
the northern hill country and Jordan Valley (by Khushqadam [r. 865-872/1461-1467], no
date given); and the village of Majid, also in the north (by Qaytbay, no date given). 31
14 The extant Mamluk waqfiyat and Ottoman tax registers that confirm these endowments
do not generally specify under what circumstances and through what legal means these
lands were initially acquired. The waqfiyah for Sultan Sha‘ban’s endowment of gardens,
water facilities, and a bathhouse (hammam) in Adar does mention that the properties
were “from the land in the government’s domain” (min al-khass al-sharif); this reference
is, however, a rare exception.32 The availability of so many villages, in their entirety
rather than mere shares, in Jordan in the mid-fourteenth century may be related to the
demographic and administrative turmoil caused by the plague of the 1340s, as the
sultan, and other members of the ruling elite, appropriated the iqta‘at of plague victims.
33 Until purchase documents for such villages are identified in the archives, one must

assume they were endowed by sultanic fiat from the Treasury or through sale from the
same, transforming the land to milk (private property), and subsequently endowed.
15 Purchases of properties from the Treasury and endowments by amirs can be identified
even earlier in Jordan.34 Amman and Hisban present a particularly interesting case for
the former. The village of Hisban, located some twenty kilometers south of Amman on
the Madaba Plains, served as the district capital of the Balqa during the first half of the
fourteenth century. It housed a small garrison of soldiers, led by an amir of ten, and
had a prosperous market, its own court and judge (qadi), and a madrasa. In 757/1357
the amir Sarghatmish purchased the entire “city” (madina) of nearby Amman from the
Bayt al-Mal, presumably for the benefit of his madrasa complex in Cairo, built the same
year, although this is not specified by Ibn Qadi Shuhba. 35 He subsequently moved all
important public services from Hisban to Amman, including the local administration,
judiciary, and market, as well as a large number of the residents of the village, and
invested in new constructions, making Amman the new district capital. 36 In the
following forty years, Amman passed from Sarghatmish to his officer Amir Bulut and
subsequently parts of its land to Sultan Barquq’s Viceroy, amir Sudun al-Shaykhuni,
who financially invested in it. In 797 Amman was sold by Amir Bulut’s heirs to the
Governor of Syria.37 Hisban, in the meantime, experienced a bit of a renaissance with
som resettlement of the town an reuse of the citadel. Endowments of this sort may have
played a special role in the administrative structure of Mamluk Jordan, as amiral and
sultanic sponsorship of local centers molded the economic and political fortunes of
places and peoples.38

Popular responses
16 Few villages or towns were impacted as directly as Hisban as a result of sales of
Treasury land: Hisban seems to be an isolated incident of forced population transfer. In
most villages, regardless of their status as an iqta‘, milk, or waqf, the management of
farmland was largely in local hands; only on the most prosperous rural endowments
were state officials more actively involved in the affairs of the estate and local society.
The responses of local peoples to the endowment of state lands in their region, and
other government initiatives in the countryside, are reflected in the actions of peasants
and commentaries on state initiatives by that segment of local society that gave them
voice in the contemporary sources: the local intelligentsia.

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Peasants and the local historians

17 The political perspectives of peasants are not easily reconstructed from the kinds of
written sources available. Outside of the legal depositions and court records preserved
in the fourteenth-century Haram al Sharif collection in Jerusalem, 39 we have yet to
identify for the Mamluk period the numerous formal petitions to the Shari‘a courts
available for Ottoman Jerusalem or correspondences with officials that can be found for
the early-mid twentieth century.40 However, some sense of their attitudes towards the
state, particularly in affairs relating to natural resources, can be gauged by their
political activism (in its myriad forms) and critiques of state action, as described and
transmitted by local historians. Syrian chroniclers, many of whom maintained personal
and professional networks in the communities they describe, speak, in this sense, on
behalf of the peoples of rural Bilad al-Sham.
18 According to these historians, the practices of the Mamluk state that drew the
strongest reactions from the countryside were interference of officials in traditional
land management, hoarding or confiscation of grains, and ineffective crisis
management. Water sharing, crop rotation, and the process of land preparation and
harvest were generally guided by local custom; the state rarely intervened in any of
these activities. When it did, local response could be remarkably swift and effective.
One particularly vivid example of conflict between a state official and Jordanian
peasants, in this regard, is related by Ibn Qadi Shuhba in his annal of 799/1396. 41 Iyas al-
Jarkashi, while Supervisor of the Jordan Valley (mushadd al-Aghwar) under Sultan
Barquq, infuriated local farmers by diverting shared water to his own plantations in the
region, forcing sales of his own sugar at inflated prices (tarh) on local residents, and
terrorizing the population at large by cutting the hands off accused thieves. After
numerous complaints by local peasants and administrators alike for his abuses, the
sultan had him arrested and killed that year. When the actions of officials or the
military led to general suffering, in the form of famine or widespread destruction of
property, rural communities were capable of much more than filing complaints. Syrian
historians with a knowledge of, and personal concern for, Jordanian villages (such as
Ibn Qadi Shuhba, Ibn Sasra, and Ibn Hijji) describe peasants taking up arms or
abandoning their homes and farms when their food, animals and supplies were
confiscated or collective punishment was inflicted upon them during the political
unrest of the early fifteenth century. 42
19 Interference in resource management, theft, and violence by state officials immediately
created tensions with rural communities. Most financial practices, however, would
have been largely invisible to local people, such as the inner workings of the Mamluk
Treasury and the endowment system. There is nothing in written sources to suggest
that peasants or pastoralists were aware of the changes of the day in state land
management. While sultanic and amiral endowments undoubtedly did public good –
even al-Maqrizi credited Sultan Barquq’s endowments with preventing widespread
famine by feeding people – most of the large, endowed institutions(madrasas, hostels)
were located in big towns outside of Jordan.43 As for the land that supported them,
revenues were collected in essentially the same manner as before endowment;
peasants’ lives continued as they always had. It should be emphasized that only the
creation of large estates dedicated to cash crops, as in the case of Iyas al-Jarkashi,
caused potential conflict. Accumulation of vast expanses of agricultural land would

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have led to more centralized management and brought the state into more active
engagement with local communities, although this is an area of inquiry that needs to be
more fully explored.
20 On the other hand, how the state handled environmental, demographic, or economic
crises (caused by drought, flood, disease, or military incursions by foreign forces, for
example), and the oppression and corruption of officials were issues of greater concern
in the larger towns of Syria. For Damascus-based scholars with ties to the Jordanian
countryside, like Ibn Hijji, misappropriation of waqf funds were signs of the corruption
of their time. Ibn Hijji cites the buying and selling of endowment assets, the diversion
of their revenues from legal beneficiaries, and the use of endowed buildings as personal
domiciles or renting them out for personal profit as proof of the degree to which the
awqaf system had gone into decline.44 Mismanagement of this kind had direct financial
and social consequences in cities like Damascus.
21 Urban officials were not the only ones to take advantage of the emerging opportunities
offered by a growing waqf market. The most tangible response of local society to the
increasing availability of formerly public lands was their purchase by members of the
rural elite – local merchants, officials, and tribal leaders – and their subsequent
endowment. The written sources that document a rise in rural endowments in Jordan
among sultans and amirs in this period also attest to the development of private
property among enterprising, and more affluent, members of local communities.
Mamluk-era waqfiyat specify those properties, the revenues of which must be excluded
from the endowmentof lands for which the document was written, such as preexisting
awqaf, both charitable and for families (mentioned in the documents by the family
names), that are located within the borders of the estate described therein. 45 For these
preexisting endowments to have been made legally, they must have originally been the
private property of the waqif.
22 There is supplementary documentary evidence for the growth in privately-owned,
rural property in the late Mamluk period. Private land is referred to as such (milk) in
the sixteenth-century tax registers described earlier. For Jordan, these are largely
located in the region of Kerak, a phenomenon that still eludes explanation. The
properties thus described are never very large: small plots of land (mazra‘as, qit‘as) or
shares in farmland, gardens, orchards, mills, houses, and shops. Some of the register
entries document with certitude the status of these properties as privately held,
potentially gaining for them tax-exemption, by including the date of “certification”
(musadaqah) or “purchase” (tarikh al- mushtari). 46 Most purchases were certified during
the late fifteenth and early sixteenth century, thus at the end of Mamluk rule. These
entries reflect the requirement by Ottoman officials that tax-payers provide
documentation of ownership, such as a purchase document, a requirement with which
few could comply.47 We cannot know, though, whether these properties were
purchased directly from the Treasury, although that is likely.
23 The registers, moreover, list numerous, though relatively modest, charitable
endowments (for local mosques, shrines, and ribats), suggesting that much of the land
acquired by local officials and families in the last century of Mamluk rule was
converted into waqf. Although taxed by the Ottoman state (at the rate of ‘ushr, rather
than kharaj), it appears, at least for a while, that some of the endowments in Jordan
were honored by the Ottoman government and remained in local hands, escaping
confiscation. In short, once the opportunity to do so was recognized, the local elites

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took full advantage of the poor state of the Mamluk Treasury to acquire land for
themselves and safeguard it through endowment.

The legal establishment

24 Kenneth Cuno describes the endowment of Treasury land as “an important factor in the
economic and social life of the Islamic Middle East”, and certainly the degree to which
the alienation of public lands dominated debates by the legal scholars of the day
indicates the importance of this phenomenon on many levels. 48 The context of the
debates centered on the disappearance of small, peasant holdings since the early
Islamic period and their eventual replacement with large estates, under nominal state
control, a process described by Johansen as the “sultanization of the awqaf”. 49 By the
end of the Mamluk period, an alarmingly large portion of Treasury land had become
privately owned through the transformation of iqta‘at into milk, the purchase of land or
tax rights from the Treasury, and the giving away of state lands by the sultan to others
as milk.50 Two Sunni madhhabs in particular, the Shafi‘i and Hanafi, questioned whether
such practices were in the interest of their communities or legal at all. Such debates
were not mere intellectualisms; they transformed the legal orientations of their
respective schools and helped to mold public opinion about the role of the state in the
rural sector and the nature of its relationships with peasants, in particular, and the
land.
25 What was at stake here was not control over public lands: this was the clearly the
prerogative of the sultan and supported by most lawyers. Technically, “ownership” and
usufruct of agricultural land were subject to law, but how that law functioned was a
matter of negotiation between proprietors (muqta‘s and their agents), waqf
administrators, and peasants. These relationships are described in some detail in
Egyptian and Syrian fatwas of the fifteenth through eighteenth centuries. They are very
useful, in this regard, for documenting legal developments (and political-economic
realities) and changes in the fortunes of peasants, as well as measuring the pulse of
public opinion as expressed by the ulama. In the late Mamluk and Ottoman periods this
socio-economic class had become a body of “rentiers” who occupied a special position
in the Mamluk state apparatus, rooted in both the cities and countryside. As recipients
of stipends from endowed institutions, they had much to lose from attempts by the
Ottoman government to incorporate awqaf assets back into the Treasury after the
conquest of Egypt and Syria. Much of the debate in sixteenth-century fatwas about the
legality of sultanic awqaf supports the claims of this class to former Treasury revenues.
26 In the late Mamluk period, debates centered on the general legality of alienating public
(Treasury) lands through sale and endowment. Fatwas of this period focused on the
conditions and under what circumstances such action was in the best interest of the
Muslim community, through funding religious or public works or responding to
emergencies. Ottoman fatwas on the same topic were more concerned with issues of
taxation - whether it was legal for the state to tax (or confiscate) endowments made
from former Treasury lands – having reached a general consensus at that point that the
endowments in question were, in fact, legal. Different opinions by Shafi‘i and Hanafi
muftis on both issues reflect basic differences in the way they traditionally understood
land tenure.

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27 The Shafi‘i was the highest ranking madhhab of the Mamluk state. While the Mamluks
did appoint four chief judges from each of the Sunni schools, only the chief qadi of the
Shafi‘i school had the right to appoint deputy judges in the provinces, supervise the
properties of orphans, and, most importantly, oversee the management of
endowments. In this latter capacity, and as the privileged school in the Mamluk state, it
had to rule on the legality of endowments made from Treasury lands. 51 The majority of
the populations of Syria and Egypt belonged to this school. Most of the Mamluk elite,
however, ascribed to the Hanafi school, which later became the official madhhab of the
Ottoman state.
28 The two schools originally differed in their opinions about Treasury assets because of
fundamental differences in how they understood the “ownership” of Egyptian and
Syrian land. For the Hanafis, Egypt and Syria, like Iraq, had been conquered by Muslim
forces in the seventh century (taken by force and not treaty), and were thus subject to
the kharaj tax. Nonetheless, the land remained in the hands of the previous owners: as
long as taxes were paid, private ownership was honored, and the land could be sold and
bequeathed by the proprietors at will. In short, the classical Hanafi view supported
private ownership of land from the start. The Shafi‘is, by comparison, claimed
conquered land automatically fell to the Treasury, and was administered by the ruler
on behalf of the Muslim community as a whole. All agricultural land thus acquired the
status of a collective waqf for all Muslims.
29 In classical Shafi‘i thought, the state “owned” all land (the revenues of which resided in
the Bayt al-Mal), and so long as the ruler acted in the best interest of Muslims, he could
sell Treasury assets. Moreover, any endowments made from such land that was
purchased from the Treasury through “traditional” channels were fully legal. Shafi‘i
doctrine, in this sense, fully served the interests of the Mamluk state. For Hanafi’s, land
was in private ownership and only entered the Treasury if it was “sequestered” by the
state (creating the category of aradi al-hawz), when the owners failed to pay their taxes
or abandoned their fields, or when the owners died without heirs. Only in the latter
case would land permanently enter the Treasury, and the ruler could sell it from there
when it was needed. In order to explain how land that was once privately owned by
peasants came under the complete control of the state, the Hanafis developed the
concept of the “death of the proprietors”, which maintained the fiction that at some
point all land owners in Egypt had died intestate, and that the state had acquired legal
rights over their properties as a result. As the owners of such land, the state (or the
ruler as the agent of the state) had the right to sell and endow its own assets. Thus,
over the course of the late Mamluk period Hanafi opinion gradually came to conform to
that of the Shafi‘is in regards to the legality of the alienation of public lands. Both,
however, agreed that assets were best retained in the Treasury and that only when in
the best interest (maslaha) of Muslims could they be sold, awarded in grants, or
endowed.52
30 Not all lawyers, however, supported such conclusions, considering them mere
acknowledgements of the status quo. Some contemporaries challenged the collective
wisdom of the legal establishment on the basis that many practices connected to the
Treasury harmed the state and did not serve the best interests of Muslims. One of the
most vocal critics of management of the Treasury by the later Mamluk and early
Ottoman sultans was the Shafi‘i scholar Taqi al-Din Abu Bakr Muhammad ibn
Muhammad al-Balatunusi (lived 851-936/1448-1529), whose Tahrir al-Maqal fi-ma yahrim

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min Bayt al-Mal, a collection of fatwas completed in 871 H, provides a Syrian perspective
on corruption and illegalities in the financial sphere, much like al-Asadi’s work. 53 This
treatise is important on many levels. Chronologically, it spans the late Mamluk and
early Ottoman transition, critiquing practices that were developing over the course of
the early sixteenth century. Intellectually, it owes much to a network of Syrian scholars
who lived in Damascus but had family roots in Jordan and maintained professional ties
there.
31 The details of these networks are beyond the scope of this paper, and are explored
elsewhere.54 Nonetheless, they do reflect a heritage born of rural roots, with an interest
in, and knowledge about, the resources and peoples of the countryside, and are thus
relevant to this study.55 Al-Balatunusi was a Shafi‘i scholar in Damascus, who was
influenced by the work of Ibn Qadi Shuhba (d. 851/1448), Chief Qadi of Damascus in the
1430s.56 As a younger man, al-Balatunusi studied under two Damascus-born scholars
who traced their family to a center of jurisprudence in Jordan: Taqi al-Din ibn Qadi
Ajlun (d. 928 H) and Najm al-Din ibn Qadi Ajlun (d. 876 H). Among his own students
were those whose family origins were also in Ajlun, as well as the small town of Salt, in
central Jordan.57 As many of his colleagues claimed a Jordanian background (though
going back a few generations), so did his academic genealogy. Ibn Qadi Shuhba was a
student of the Ibn Hijji al-Husbani (d. 816 H) mentioned earlier. 58 Although a Shafi‘i
lawyer in Damascus, and born into a family of lawyers like Ibn Qadi Shuhba, Ibn Hijji
apparently still had relatives in Jordan and maintained closer ties with Jordanian
villages than even his nisba (“from Hisban”) would suggest. He regularly visited villages
in northern and central Jordan and corresponded on a regular basis with local scholars;
his chronicle pulls heavily from these letters and demonstrates a real compassion for
the suffering of the people living there. Tahrir al-Maqal, likewise, is ultimately
concerned with justice for the rural and urban poor and communal access to land. Land
is a precious resource, and its revenues belong to all Muslims.
32 Al-Balatunusi wrote his treatise, on the one hand, to chastise his colleagues in the legal
profession, and on the other, to encourage them to discover how such practices got out
of control, in an effort to address them.59 He repeatedly refers to the alienation of
public lands as bid‘a (illegal innovation) and fasad (immorality or corruption); the work
essentially concludes that, in contrast to the general consensus of his contemporaries,
the sale of Treasury land was illegal. He rejects the reasons used by imams (sultans) for
dipping into the Treasury.60 Treasury lands, in al-Balatunusi’s mind, cannot be sold for
emergencies, such as a drought, famine, or military campaign: it is better to establish a
legal waqf that will serve these purposes in perpetuity. It cannot be sold to respond to
unexpected circumstances, such as the sudden need to build mosques, canals, dams,
and bridges at a time when the Treasury is low or empty: in such cases assets can be
merely borrowed, temporarily, from the Treasury and must be returned when the crisis
passes.61 Financial exigencies should never be met by using up Treasury funds.
33 He further argues that the Treasury is a sacred trust for the benefit of the Muslim
community as a whole (masalih al-muslimin, li-maslahah ‘amah) and belongs to no single
individual, whether a sultan, amir, or civilian official. Sales and endowments made
from it were a form of theft from the public. He bemoans the fact that soldiers came to
think of their iqta‘s and the rulers of the Treasury as their private property, which they
could bequeath; the injustice of the political leadership, the corruption of the ulama,

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and the general ignorance of the population led to this state of affairs. According to al-
Balatunusi, everyone wanted a piece of the Treasury for himself:
“And everyone rushed to claim what they could from the Treasury and other
places. People struggled and competed ever more in this until the Treasury was
transformed into private property, endowments, and income (rizq). These, in turn,
were transformed, by trickery, into personal estates that could be passed down to
their families”.62
34 For al-Balatunusi, the issue was less about the act of endowment than about who
benefited from it. He specifically condemns those practices that allow individuals not
entitled to Treasury funds to collect revenues from endowments made from Treasury
assets. The poor should be the ultimate recipients, as they were legally entitled
(mustahiqqun bi al-shar‘) to kharaj revenues. If endowed from the Treasury, family awqaf
were illegal, as were those for Sufi institutions (funding shrines was batal) and
endowments that served special groups, other than the ulama. Confirming his Shafi‘i
heritage on this point, he emphasizes throughout his work that Treasury assets are a
kind of waqf for all Muslims.
35 There were, as well, Hanafi voices that expressed concern about the privatization of
public resources. Hanafis’ opinions about land ownership changed significantly over
the course of the fourteenth through sixteenth centuries, during which time they
gradually abandoned their traditional support for small-scale, private ownership. The
most influential work in this regard, Ibn al-Humam’s Sharh fath al-qadir li-l-‘ajiz al-faqir,
while later cited as justification for these changing views, actually condemns both state
monopolies over land and the alienation of the same from the Treasury. 63 Kamal al-Din
Muhammad ibn ‘Abd al-Wahid ibn al-Humam (1388-1457) was the first scholar of his
madhhab to articulate a doctrine of land ownership based on the concept of the “death
of the kharaj-payer”, which he adopted to explain to himself the disappearance of
peasant land ownership rights and the appearance of large landed estates. According to
Ibn al-Humam, the land of Egypt used to be kharaj-paying, thus, privately-owned. This
was no longer the case, however, in his day, leading him to suggest that it was as if all
the land owners (kharaj-payers) had died intestate, leaving their property to the state. 64
The concept was a valid one legally and made sense, in a limited sense, historically,
considering the fate of the properties of victims of the Black Death. As a recognized
legal category, land that fell to the Treasury in the absence of legal heirs could be sold
by the state to new owners. The idea that all kharaj tax-payers had died without heirs
was taken literally by subsequent generations of Hanafi scholars and adopted by them
to justify state control of nearly all land under the Mamluks, as well as the alienation by
the same from the Treasury.65
36 It is clear that he did not approve of the latter practice, claiming that Treasury assets
were a sacred charge and should be treated carefully by the ruler:
“It is not permissible for the Imam to buy or sell anything from the Treasury,
because responsibility for caring for Muslims’ money is like the responsibility of an
orphan’s guardian. He is not allowed to sell from [his ward’s] property, except in
times of greatest need and there being no other way to support him.”
37 As for the practice of a sultan buying Treasury land, he only reluctantly concedes, as in
the case of orphans, only on the condition that there is demonstrable need for the sale
to support the Muslim community.66 For Ibn al-Humam, like al-Balatunusi, Muslims’
interests were best served by keeping assets in the Treasury.

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Conclusions
38 We cannot know what long-term results these practices would have ultimately
produced, as the Ottoman conquest interrupted the process of privatization,
accelerated by the last Mamluk sultans. However, their potential is indicated by the
early Ottoman tax registers, which document the continued productivity through the
sixteenth century of estates in Jordan endowed from Treasury lands during the
fourteenth.67 Through the Ottomans’ investment in and providing security for them,
former Mamluk endowments, at least for a time, were lucrative, taxable assets, whether
as governorial khass or amiral timars. Perhaps these larger landed estates – contiguous
plots of land under a single proprietor– could be more efficiently managed and taxed,
and at less operating expense, than dispersed iqta‘at or small, privately-owned gardens
and shares of land.68 Regardless, the Ottomans maintained the largest of the rural
endowments in Jordan for the simple reason that they guaranteed considerable tax
revenues.
39 It remains to be seen how characteristic of Bilad al-Sham as a whole the changes in land
proprietorship identified in Jordan were. One should see similar patterns in the rest of
Syria. The reasons for such an early and extensive transformation of state lands to
awqaf in the Transjordan still remain to be explained, although the arguably greater
availability of land following the Black Death and the demonstrated fluidity of the local
administrative structure may have made the process here easier than anywhere else.
As for the local dimension of agrarian change, much is to be learned about peasants’
responses to the land reforms of the Tanzimat era. The application of the 1858 Land
Law requiring registration of land, for tax purposes, facilitated the creation of large,
privately owned landed estates. The nineteenth-century grain boom in southern Syria
would not have been possible without this development.69 Jordanians in the fifteenth
century, like those in the nineteenth, made calculated decisions about land with an eye
to both tradition and profitability. They took full advantage of opportunities to regain
control over it, in both management and proprietorship, when state monopolies over
“public” lands waned. The alienation of state lands in the late Mamluk period, while it
was devastating to the Treasury, was profitable to many segments of Syrian society.

NOTES
1. A Turning Point in Mamluk History: The Third Reign of al-Nasir Muhammad ibn Qalawun (1310-1341)
(Leiden, 1995).
2. To cite one example of such exchanges, a panel devoted to the topic at the annual
International Conference on Medieval Studies in Kalamazoo, Michigan in May, 2005 was
published in 2007 in a special issue on Mamluk economics in Mamluk Studies Review (volume 11.1).
3. This article pulls from ideas more fully developed in Chapter Four in my forthcoming
monograph Jordan in the Late Middle Ages: Transformation of the Mamluk Frontier.
4. Mamluk “Jordan” consisted of the Province (Mamlakat) of Kerak and the southernmost district
of the Province of Damascus.

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5. Adel Allouche, Mamluk Economics: A Study and Translation of al-Maqrizi’s Ighathah (Salt Lake City,
1994, 50-54. al-Maqrizi wrote a second book, devoted entirely to currency devaluation: Shudhur
al-‘uqud fi dhikr al-nuqud.
6. The work has been published under this title and edited by ‘Abd al-Qadir Ahmad Tulaymat
(Cairo, 1968). (Though long out of print, the occasional copy can be found in Cairo through the
publisher, Dar al-Fikr al-‘Arabi.) There have been very few scholarly studies of the work. Some
notable early ones include Muhammad Kurd ‘Ali, “al-Taysir wa al-I‘tibar wa Tahrir al-Ikhtiyar fi-
ma Yajibu min Husn al-Tadbir wa al-Tasarruf wa al-Ikhtiyar”, Majallat Majma‘ al-Lughah
al-‘Arabiyyah bi-Dimashq 3.11 (1923): 321-327 and Subhi Labib, “al-Asadi und sein Bericht über
Verwaltungs- und Geldreform im 15. Jahrhundert”, Journal of Economic and Social History of the
Orient 8 (1965): 312-316. For more recent analysis of the text, see John L. Meloy, “The
Privatization of Protection: Extortion and the State in the Circassian Mamluk Period”, Journal of
Economic and Social History of the Orient 47 (2004): 195-212 and ibid, “Himayah”, Chicago On-line
Encylopaedia of Mamluk Studies (accessed at http://mamluk.uchicago.edu).
7. ‘Ali, “al-Taysir wa al-I‘tibar”, 198.
8. DAISUKE IGARASHI, “The Establishment and Development of al-Diwan al-Mufrad: Its Background
and Implications”, Mamluk Studies Review 10.1 (2006): 121-122.
9. The cultivation of networks of political patronage that, in part, brought Barquq to power is
briefly explored in Jo Van Steenbergen, Order Out of Chaos: Patronage, Conflict and Mamluk Socio-
Political Culture, 1341-1382 (Leiden, 2006). For his administrative and economic reforms as sultan,
see Igarashi, “The Establishment and Development of al-Diwan al-Mufrad”, 117-140 and Bethany
J. Walker, “Sowing the Seeds of Rural Decline? Agriculture as an Economic Barometer for Late
Mamluk Egypt”, Mamluk Studies Review 11.1 (2007): 173-199, a discussion of which follows.
10. IBN QADI SHUHBA, Tarikh Ibn Qadi Shuba, ed. Adnan Darwish (1977) 1: 225.
11. See Van Steenbergen, Order out of Chaos, 57-75 for an assessment of the role of money in the
political struggles of the late Bahri period.
12. There is a growing body of scholarship on this topic. In addition to Igarashi’s work cited
above (“al-Diwan al-Mufrad”), see Khalil ‘Ashaminah, Filistin fi al-‘Ahadayn al-Ayyubi wa al-Mamluki
(1187-1516) (Beirut, 2006): 357-361, Walker, “Sowing the Seeds”, and the work by Petry and Abu
Ghazi reviewed below. ‘Ashaminah documents the “privatization” of state assets in a similar
manner by retirees and those dismissed (turkhan and battal) from military service.
13. For examples of the ways Treasury assets met emergencies in Syria, see Ibn Qadi Shuhba,
Tarikh, 1:517 (in 796 Sultan Barquq requested one-half of the village of al-Aftarisi from the
Treasury in order to equip the army to check the advance of Timur on Syria) and 555 (in 797
wheat from the Treasury was sold to feed orphans and others in need).
14. Igarashi, “al-Diwan al-Mufrad”.
15. Al-Diwan al-Mufrad controlled, as well, lands in Syria. As early as 800 H the office of Hajib al-
Sham was also responsible for the revenues of al-Diwan al-Mufrad, and two years later the deputy
of the majordomo (Na’ib al-ustadar) of Syria fulfilled this role (Ibn Qadi Shuhba, Tarikh 1: 657 and
(1997) 4: 107). For a discussion of Ibn Duqmaq’s Kitab al-intisar li-wasitat ‘iqd al-amsar and Ibn
Ji‘an’s Kitab al-tuhfah al-saniyah bi-asma’ al-Bilad al-Misriyah, from a Syrian perspective, see Walker,
“Sowing the Seeds”, 178-179.
16. IBN QADI SHUHBA, Tarikh 4: 25-26.
17. DAISUKE IGARASHI, “al-Diwan al-Mufrad”, 132-137 – citing al-Maqrizi and Ibn Taghribirdi.
18. DAISUKE IGARASHI, “Financial Reforms of Sultan Qaytbay”, Mamluk Studies Review 13.1 (2009):
27-51.
19. Such endowments in Mamluk-period sources are simply referred to as awqaf made by the
ruler (imam, sultan) from the Bayt al-Mal, but in Ottoman sources in Syria and Egypt they came to
be known as waqf irsadi (or “endowment of designation”), if they came directly from the Treasury

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52

(Kenneth M. Cuno, “Ideology and Juridical Discourse in Ottoman Egypt: The Uses of the Concept
of Irsad”, Islamic Law and Society 6.2 (1999), 141).
20. Technically the sultan, as the head of state, could not legally sell public lands to himself,
although he could endow directly from the Treasury (according to some contemporary scholars).
In order to purchase from the Treasury, he would assign a civilian agent (wikalat Bayt al-Mal) to
act on behalf of the Treasury and to sell to him the land, or, in his capacity of head of the
government, the sultan would personally sell from the Treasury to a third party, later buying the
same property from him (Kenneth Cuno, “Was the Land of Ottoman Syria Miri or Milk? An
Examination of Juridical Differences within the Hanafi School”, Studia Islamica 81.1 (1995), 126,
note 19). On wikalat Bayt al-Mal, see Yusuf Ghawanmeh, Dimashq fi ‘Asr Dawlat al-Mamalik al-
Thaniyah (Beirut, 2005), 94.
21. Carl F. Petry, Protectors or Praetorians? The Last Mamluk Sultans and Egypt’s Waning as a Great
Power (Albany, 1994): 196-210; idem, “Fractionalized Estates in a Centralized Regime: The
Holdings of al-Ashraf Qaytbay and Qansuh al-Ghawri According to their Waqf Deeds”, Journal of
Economic and Social History of the Orient 41.1 (1998): 95-117; idem, “Waqf as an Instrument of
Investment in the Mamluk Sultanate: Security vs. Profit?”, in Slave Elites in the Middle East and
Africa: A Comparative Study, ed. Toru Miura and John Edwards Philips (New York, 2000), 99-115;
and ‘Imad Badr al-Din Abu Ghazi, Fi Tarikh Misr al-Ijtima‘i: Tatawwur al-Hiyazah al-Zira‘iyah Zaman
al-Mamalik al-Jarakisah (Dirasah fi Bay‘ Amlak Bayt al-Mal) (Cairo, 2000).
22. Because the endowments of Sultans Qaytbay and al-Ghawri (r. 906-922/1501-1516) produced
revenues that exceeded expenditures by over 90%, it would appear that their primary purpose
was revenue production, rather than support of charities (Petry, “Waqf as an Instrument”, 104).
See also Petry, Protectors or Praetorians?, 210.
23. Petry, “Waqf as an Instrument”, 105.
24. Ibid., 103.
25. Abu Ghazi, Fi Tarikh Misr,16-22.
26. Ibid., 83.
27. Preliminary studies can be foundin Yousef Ghawanmeh, “al-Qarya fi Junub al-Sham (al-
Urdunn wa-Filistin) fi al-‘Asr al-Mamluki fi Daw’ Waqfiyat Adar”, Studies in the History and
Archaeology of Jordan 1 (1982): 363-371 and idem Tarikh Sharqi al-Urdunn fi ‘Asr Dawlat al-Mamalik al-
Ula (al-Qism al-Hadari) (Amman, 1979), 243-244; Bethany J. Walker “Mamluk Investment in the
Transjo privately-held rdan: A ‘Boom and Bust’ Economy”, Mamluk Studies Review 8.2 (2004):
119-147 and idem, “The Northern Jordan Survey 2003 – Agriculture in Late Islamic Malka and
Hubras Villages: A Preliminary Report of the First Season”, Bulletin of the American Schools of
Oriental Research 339 (2005): 67-111. The comprehensive analysis of these documents, in addition
to other waqfiyat, appears in Walker, Jordan in the Late Middle Ages.
28. For references to portions (or shares) of Jordanian villages and agricultural lands endowed
much earlier by Sultan al-Zahir Baybars (r. 658-676/1260-1277), see Ghawanmeh, “al-Qarya fi
Junub al-Sham”, 371 (one-half of the village of al-Tura, in northern Jordan – citing Taqi al-Din al-
Subki) and Muhammad Adnan al-Bakhit and Noufan Raja Hmoud, al-Defter al-Mufassal li-Liwa’
‘Ajlun, Tapu Defteri No. 185, Ankara 1005 A.H./1596 A.D. (Amman, 1991), 32 (shares in the village of
Bayt Rama, in the Jordan Valley).
29. The relevant registers have been edited and published, in Turkish with Arabic commentary,
in Muhammad Adnan al-Bakhit, Nahiyat Beni Kinana (Shamali al-Urdunn) fi al-‘Asr al-‘Ashir al-Hijri/
al-Sadis ‘Ashir al-Miladi (Amman, 1989) and al-Bakhit and Hmoud,, Tapu Defteri 185. Brief
summaries of a handful also appear in Mehmet Ipsarli and Muhammad Dawud al-Tamimi, Awqaf
wa Amlak al-Muslimin fi Filistin (Istanbul, 1982).
30. In addition to properties on the Kerak Plateau, this endowment included many whole
villages in Egypt and Syria, including those in the region of Hama, Ma‘arat al-Nu‘man, Nablus,
and Aleppo (Ghawanmeh , “al-Qarya fi Junub al-Sham”, 367).

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31. Walker, “Sowing the Seeds”, 189-190; idem, “Boom and Bust”; and Muhammad Adnan al-
Bakhit, “Awqaf During the Late Mamluk Period and Early Ottoman Times in Palestine and
Jordan”, in Urbanism and Islam, ed. Editorial Committee of the Research Project “Urbanism in
Islam, a Comparative Study” (Tokyo, 1994), 188.
32. Waqfiyah 8/49, Dar al-Watha’iq, Cairo – transcribed in Ghawanmeh, Tarikh Sharqi al-Urdunn,
243.
33. The rural properties endowed for Sultan al-Nasir Hasan’s madrasa complex (work begun in
758/1357) in Rumayla, near the Cairo Citadel, were likely acquired under these circumstances
(Howayda N. al-Harithy, “The Complex of Sultan in Cairo: Reading Between the Lines”, Muqarnas
13 (1996), 69).
34. For amiral awqaf in Ajlun, see Yusuf Ghawanmeh, “al-Tijarah fi al-Urdunn fi al-‘Asr al-
Mamluki”, Studies in the History and Archaeology of Jordan 3 (1987): 323-330.
35. There appears to be no reference to Amman or any of its lands in Sarghatmish’s waqfiyah of
757/1356 (Waqfiyah 3195, Wizarat al-Awqaf, Cairo) for this madrasa in Rumayla. The document
has been partially published by ‘Abd al-Latif Ibrahim in his “Nassan Jadidan min Wathiqat al-
Amir Sarghatmish”, Bulletin of the Faculty of Arts, University of Cairo 27 (1965): 121-158.
36. Archaeological excavations at Hisban have revealed the abandonment of the citadel in the
mid fourteenth century. Initial analysis of the remains of the “governor’s palace” indicate that it
was quickly abandoned after an earthquake (Bethany J. Walker and Øystein S. LaBianca, “The
Islamic Qusur of Tall Hisban: Preliminary Report on the 1998 and 2001 Seasons”, Annual of the
Department of Antiquities of Jordan 47(2003): 443-471.
37. Ibn Qadi Shuhba, Tarikh, 1:550.
38. On this theme, see Bethany J. Walker, “Mamluk Investment in Southern Bilad al-Sham in the
Eighth/Fourteenth Century: The Case of Hisban”, Journal of Near Eastern Studies 62.4 (2003):
241-261.
39. For the contents of these documents, which arealso preserved on microfilm in the Bilad al-
Sham Center of the University of Jordan, see Donald P. Little’s A Catalogue of the Islamic
Documents form al-Haram as-Sarif in Jerusalem (Beirut, 1984).
40. Amy Singer, in her Palestinian Peasants and Ottoman Officials: Rural administration around
sixteenth-Century Jerusalem (Cambridge, 1994), makes effective use of the former for early Ottoman
Palestine. For examples of the latter – letters to the Ministry of Endowments of Jordan - see
Bethany J. Walker, Ellen Kenney, Laura Holzweg, Lynda Carroll, Stéphanie Boulogne, and
Bernhard Lucke, “Village Life in Mamluk and Ottoman Hubras and Saham: Northern Jordan
Project, Report on the 2006 Season”, Annual of the Department of Antiquities of Jordan 52 (2007), 433,
446.
41. Ibn Qadi Shuhba, Tarikh, 1: 630-631.
42. Bethany J. Walker, “The Role of Agriculture in Mamluk-Jordanian Power Relations”, in
Exercising Power in the Age of the Sultanates: Bilad al-Sham and Iran, ed. B.J. Walker and Jean-François
Salles, Bulletin d’Études Orientales, supplement 67 (2007): 77-96 ; Shawkat Ramadan Hijjah, al-Tarikh
al-Siyasi li-Mintaqat Sharq al-Urdunn (min Junub al-Sham) fi ‘Asr Dawlat al-Mamalik al-Thaniyah (Irbid,
2002), 128-136.
43. Allouche, Mamluk Economics, 53.
44. Yusuf Ghawanmeh, Dimashq, 111-116.
45. These properties, thus identified, are concentrated on the Kerak Plateau: for example,
Waqfiyah #49, microfilm #15, folia 1-4, Dar al-Watha’iq, Cairo (mid-fifteenth century – for Sultan
Khushqadam’s Cairo madrasa); Waqfiyah #40, microfilm #15, folia 1-3, Dar al-Watha’iq, Cairo
(dated 762/1361 – for Sultan Hasan’s monumental madrasa complex in Cairo); and Waqfiyah 704,
Wizarat al-Awqaf, Cairo (dated 14 Sha‘ban 792/1390 for Barquq’s mosque-madrasa complex in
Cairo).

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46. al-Bakhit and Hmoud, Tapu Defteri 185, 334-337. Taxable revenues for these milk lands are not
included in the registers, suggesting they were exempt from at least kharaj. For the legal debates
in early Ottoman Egypt on tax exemption of lands purchased from the Treasury, see Kenneth
Cuno, “Miri or Milk?”,122 and the section that follows.
47. Baber Johansen, The Islamic Law on Land Tax and Rent: The Peasants’ Loss of Property Rights as
Interpreted in the Hanafite Legal Literature of the Mamluk and Ottoman Periods (London, 1988), 81-82,
87-88; Cuno, “Was the Land of Ottoman Syria Miri or Milk?, 127-128.
48. Cuno, “Ideological and Juridical Discourse”, 146. The following pulls on arguments made in
ibid; Johansen, Islamic Law on Land Tax and Rent; Cuno, “Miri or Milk?”; Martha Mundy, “ownership
or office? A debate in Islamic Hanafite jurisprudence over the nature of the military ‘fief’, from
the Mamluks to the Ottomans”, in Law, Anthropology, and the Constitution of the Social: Making
Persons and Things, ed. Alain Pottage and Martha Mundy (Cambridge, 2004), 142-165; and Martha
Mundy and Richard Saumarez Smith, Governing Property, Making the Modern State: Law,
Administration and Production in Ottoman Syria (London, 2007), 11-20.
49. Johansen, Islamic Law on Land Tax and Rent, 82.
50. Ibid., 81.
51. Cuno, “Ideology and Juridical Discourse”, 148.
52. Joseph H. Escovitz, “The Establishment of Four Chief Judgeships in the Mamluk Empire”,
Journal of the American Oriental Society 102.3 (1982): 529-531; Cuno, “Miri or Milk?”, 123-125; and
idem, “Ideology and Juridical Discourse”, 147-149.
53. I refer hereafter to Fath-Allah Muhammad Ghazi al-Sabbagh’s edition of this work (1989,
Cairo).
54. Walker, Jordan in the Late Middle Ages, in chapters 1 and 4.
55. Compared to the Hanafi scholars of Ottoman Egypt and Syria examined by Cuno and Mundy
in the articles cited previously, these lawyers seem to have less a vested interest in maintaining
endowments from Treasury lands for their own salaries.
56. Joseph Schacht, “Ibn Kadi Shuhba”, Encyclopaedia of Islam 4 (1971): 814.
57. Tahrir al-Maqal, 48-54.
58. His full name is Abu al-‘Abbas Ahmad ibn Hijji al-Sa‘idi al-Husbani al-Dimashqi. For his
biography, see Tarikh Ibn Hijji, ed. Abu Yahya ‘Abdallah al-Kandari (Beirut, 2003), 11-16 and Sami
G. Massoud, An Analysis of the Annalistic Sources for the Early Mamluk Circassian Period, Vol. One,
Ph.D. diss., McGill University (Montreal, 2005), 179-180. the latter has recently been published as
The Chronicles and Annalistic Sources of the Early Mamluk Circassian Periode (Leiden, 2007).
59. Tahrir al-Maqal, 87.
60. Ibid., 242.
61. “wa al-istaqrad ila an yahsulu fi Bayt al-Mal fa la yajuzu al-bay‘” (Ibid., 240-241).
62. Ibid., 105.
63. Here I use the Beirut edition of his work, published in 1986.
64. Ibn al-Humam, Fath al-Qadir, 5:282.
65. For analyses of the impact of this work on Ottoman legal thought, see Johansen, Islamic Law
on Land Tax and Rent, 85 ff; Cuno, “Ideology and Juridical Discourse”, 149 ff; idem, “Miri or Milk?’,
122 ff; and Mundy and Smith Governing Property, 12-39.
66. Ibn al-Humam, Fath al-Qadir, 5:283.
67. Walker, “Sowing the Seeds of Rural Decline?”, 193-195.
68. Ibid., 186-187.
69. Ibid., 187; idem, “Regional Markets and their Impact on Agriculture in Mamluk and Ottoman
Transjordan” in On the Fringe of Society: Archaeological and Ethnoarchaeological Perspectives on
Pastoral and Agricultural Societies, ed. Benjamin A. Saidel and Eveline J. van der Steen (Oxford,
2007), 117-125.

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55

ABSTRACTS
The creation of private property from former Treasury lands in the late Mamluk period, and the
legal mechanisms that developed to support it, mark important turning points in the history of
both medieval Islamic finance and jurisprudence. The following essay explores popular responses
in Syria to changes in the rural endowment system as expressed through peasant action and the
critiques of local intellectuals. Because of the early wave of sultanic endowments here in the mid-
fourteenth century, Jordan becomes for us a barometer of the success and failure of these
changes and a window on the ways in which they played out on the local level.

La création de la propriété privée de terres relevant précédement du Bayt al-Mal à la fin de


l’époque mamelouke, et les théories juridiques qui se sont développées pour le soutenir,
marquent des tournants importants dans l’histoire des finances islamiques médiévales et de la
jurisprudence. L’essai suivant explore des réponses populaires en Syrie aux changements du
système rural de dotation, exprimées par l’action rurale et les critiques des intellectuels locaux.
En raison de la vague ancienne des dotations des sultans ici au mi-quatorzième siècle, la Jordanie
devient pour nous un baromètre du succès et de l’échec de ces changements et nous donne une
perspective de laquelle on peut comprendre leurs résultats dans la société locale.

‫ فضﻼ ً عن النظريات‬،‫ في نهاية الحقبة المملوكية‬،‫إنشاء الملكية الخاصة في بيت المال‬


‫ شك ّلت منعطفا ً هاما ً في تاريخ الشؤون المالية اﻹسﻼمية‬،‫القضائية التي نشأت لدعمها‬
‫ص عن الردود الشعبية في‬
ٍّ ‫ في المقال الذي يلي تق‬.‫وأحكام القضاء في القرن الوسيط‬
‫ كما عبرت عنها أعمال‬،‫سوريا على التغييرات التي طرأت على الشؤون المالية للوقف‬
‫ بمناسبة الموجة اﻷولى من أوقاف‬.‫الريف والنقد الذي صدر عن المفكرين المحليين‬
‫ أصبحت اﻷردن بالنسبة إلينا بمثابة‬،‫ في منتصف القرن الرابع عشر‬،‫السﻼطين هنا‬
ّ ‫مقياس ضغط للنجاح أو الفشل أمام هذه التغييرات وبمثابة نافذة نط‬
‫ل من خﻼلها على‬
.‫صي آثارها على المجتمع المحلي‬
ّ ‫تق‬

AUTHOR
BETHANY J. WALKER
Department of History, Missouri State University

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


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Une famille de textes autour d’Ibn


Ḫallikān entre VIIe/XIIIe et XIe/XVIIe
siècle
Documents historiques et biographiques arabes conservés à l’IRHT

Jacqueline Sublet et Muriel Rouabah

NOTE DE L’ÉDITEUR
La Section arabe de l’Institut de recherche et d’histoire des textes du CNRS (IRHT-UPR
841) conserve la reproduction de quelque 3 000 documents arabes manuscrits
provenant de différents fonds de manuscrits conservés dans le monde. Les sources
historiques et biographiques médiévales représentent un tiers de cette « filmothèque ».

1 Originaire d’Iraq, Ibn Ḫallikān vit dans l’empire des Mamelouks bahris au VIIe/XIIIe siècle
et il meurt en 681/1282 1 à Damas. Savant reconnu à son époque, il a occupé des postes
importants dans l’administration mamelouke 2 et il a été en contact suivi avec les
historiens et le monde savant de son époque 3. Il est célèbre pour avoir écrit un
ouvrage intitulé :Wafayāt al-aʿyān wa-anbā’ abnā’ al-zamān, « Biographies des
personnages disparus et informations sur ceux de notre temps ». La notoriété de ce
recueil de 855 notices biographiques est immense : il est connu en Orient, mais aussi en
Occident, dès le XIXe siècle, par la traduction anglaise qu’en a faite De Slane 4. Il est
l’objet d’études et de recherches et inspire jusqu’à nos jours l’écriture de biographies
imaginaires et de romans en diverses langues 5. Ibn Ḫallikān apparaît en effet aux yeux
de ses contemporains et de ceux qui ont vécu après lui comme l’auteur qui, dans le
Proche-Orient arabe, marque une rupture dans la méthode adoptée jusqu’à son époque
pour écrire l’histoire à travers les ouvrages de biographies, et le Wafayāt se trouve à
l’origine de la rédaction, en arabe, de plusieurs résumés, suites et suppléments dans
lesquels sont enregistrées des milliers de biographies, un ensemble d’ouvrages que
nous définissons comme une « famille de textes ».

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2 Les répertoires de biographies sont l’une des formes de l’historiographie arabe en cours
jusqu’à la fin de la période ottomane. Ils contiennent des notices de personnages :
lettrés, hommes de science, princes, hommes de guerres, marchands, femmes lettrées
et princesses notamment, accompagnées parfois de textes de chroniques. Les
biographies sont composées de façon conventionnelle : tout d’abord le nom du
personnage avec toutes ses composantes, le nom arabe médiéval est complexe 6, le
résumé de sa vie et de son activité, le cas échéant des informations sur son œuvre et sa
date de mort 7. Le texte comprend aussi, d’une manière générale jusqu’à Ibn Ḫallikān,
on y reviendra, les « chaînes de transmetteurs » c’est-à-dire les noms des maîtres du
personnage et éventuellement ceux des disciples auxquels il a transmis un
enseignement. Les savants parcourent en effet le dār al-islām, les terres où l’islam est
adopté comme loi, pour recueillir des hadiths, traditions, faits et gestes exemplaires du
Prophète et de ses Compagnons, oralement et par écrit, pour se faire décerner des
« licences de transmettre » et prodiguer à leur tour leur savoir. Jusqu’à Ibn Ḫallikān, et
après lui, les chaînes de transmetteurs sont considérées par les historiens et les
biographes comme partie intégrante de la biographie des lettrés. Elles les situent dans
le grand courant de la transmission du savoir et les relient aux origines de l’islam.
3 Parmi les recueils biographiques qui sont parvenus jusqu’à nous et qui ont été rédigés à
partir du IIIe-IXe siècle, certains sont des répertoires de ṭabaqāt, ou « classes 8 » comptées
à partir des contemporains du prophète de l’islam. Les notices y sont rangées en ordre
chronologique. Par ailleurs, en Orient comme dans l’Occident musulman, dès le Xe
siècle, des auteurs choisissent le critère géographique et ils enregistrent les noms des
personnages ayant vécu dans une ville ou une région, Bagdad, Damas ou al-Andalus par
exemple. Les auteurs classent alors les biographies suivant l’ordre alphabétique des ism,
« nom personnel » reçu à la naissance, mais cet ordre est perturbé par d’autres
impératifs : la priorité est généralement donnée aux personnages qui portent les noms
des prophètes, et une hiérarchie parfois instituée entre les personnages suivant leur
origine géographique.
4 En Orient en effet, les biographes enregistrent en premier lieu les récits consacrés à la
vie du Prophète Muḥammad et de ses Compagnons de la première heure, puis les
personnages qui portent le nom du Prophète, et ceci avant même de mentionner les
notices de ceux dont les noms commencent par alif, première lettre de l’alphabet. Ainsi
al-Ḫaṭīb al-Baġdādī 9, auteur au Ve/XIe siècle de l’ Histoire de Bagdad, enregistre les
Muḥammad en début d’ouvrage 10, avant les Aḥmad – Aḥmad est une autre forme du
nom Muḥammad 11 – ; viennent ensuite les personnages qui portent le nom de certains
des prophètes nommés dans le Coran, tels Ibrāhīm et Ismāʿīl 12. Dans la Syrie du VIe/XIIe
siècle, Ibn ʿAsākir 13 compose son Histoire de la ville de Damas et présente les personnages
dont le ism est Aḥmad en tête des biographies 14, suivis des autres personnages dont le
nom commence par la lettre alif.
5 Dans l’Occident musulman, deux auteurs parmi les plus connus consacrent des
ouvrages aux savants d’al-Andalus : Ibn al-Faraḍī avec son Histoire des savants et des
transmetteurs d’al-Andalus 15 et Ibn Baškuwāl auteur d’un supplément ( ṣila) à cette
Histoire 16. Tous deux adoptent l’ordre alphabétique en tenant compte de la préséance
du nom des prophètes et, à l’intérieur de ce classement, ils répartissent les personnages
en fonction de leur origine géographique : ils rangent à part ceux qui ne sont pas
originaires d’al-Andalus 17.

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Une impulsion nouvelle à l’écriture de l’histoire


6 Quand Ibn Ḫallikān rédige son répertoire – nous sommes donc au VIIe/XIIIe siècle – il
propose une nouvelle approche de l’écriture biographique. Il considère le dār al-islām
sans privilégier une région en particulier et il en recense les personnages éminents. Il
n’enregistre pas les chaînes de transmission ; il adopte un ordre alphabétique strict et
ignore le critère de l’origine géographique.
7 Le Wafayāt al-aʿyān est en effet un ouvrage de synthèse où sept siècles de l’histoire et de
la littérature du monde musulman, Orient et Occident, se trouvent résumés au travers
des notices biographiques. Celles-ci sont présentées en ordre alphabétique strict des
ism, sans que soit placé avant les autres le nom du prophète de l’islam ou des prophètes
nommés dans le Coran. Dans sa préface, Ibn Ḫallikān expose sa méthode de travail et les
difficultés qu’il a eues à organiser l’ensemble des documents qu’il avait réunis ou
gardés en mémoire en vue de la rédaction de son ouvrage. C’est pourquoi il a opté pour
le système alphabétique, plus pratique, selon lui, que l’ordre chronologique qui avait
été en cours chez les auteurs anciens.
8 Il ne fait mention que de rares notices de Compagnons du Prophète et de leurs
successeurs, et les biographies apologétiques de califes 18 – qui occupent une place
importante dans d’autre ouvrages –, comme la mention des chaînes de la transmission
du savoir, en sont absentes. On peut supposer que, s’il choisit de ne pas enregistrer les
noms des maîtres et des élèves, c’est qu’il est attentif à la qualité de son texte et ne
souhaite pas qu’il soit alourdi par l’énumération de succession de noms 19. On sait en
effet l’importance du style littéraire, la présence de la prose rimée (saǧʿ), ou plus
simplement du rythme de la phrase dans les écrits en langue arabe.
9 Le Wafayāt al-aʿyān, que son auteur appelle aussi Muḫtaṣar fī l-ta’rīḫ (« Abrégé
d’histoire »), est le seul ouvrage qu’il ait écrit, c’est l’œuvre d’une vie. Ses
contemporains et les chercheurs jusqu’à nos jours s’y sont intéressés et s’accordent à
considérer Ibn Ḫallikān non seulement comme un historien qui a donné une impulsion
nouvelle à l’écriture de l’histoire, mais surtout comme un auteur qui présente
l’originalité de rattacher expressément son œuvre au genre de l’adab 20. Il précise en
effet qu’il a voulu écrire un texte, un ensemble de biographies, élaboré avec soin, dans
lequel il a contrôlé l’authenticité des faits, mis en évidence leur valeur exemplaire,
accordant une place importante à la production littéraire, où la civilisation islamique
est montrée dans sa splendeur 21 : « J’ai retenu les particularités qui mettent le mieux
en valeur les personnages que je cite, leurs nobles actions, des anecdotes, des vers ou
des extraits de correspondances, afin que l’on prenne plaisir à lire mon ouvrage et
qu’on ne soit pas lassé par un style monotone. En effet, on aime à poursuivre la lecture
d’un ouvrage s’il est attrayant. »
10 Le titre même de l’ouvrage, les mots qui le composent, ont eu une influence sur les
auteurs qui viennent après lui et leur ont servi de référence. Ces mots sont, on le verra,
repris, répercutés en écho. Le Wafayāt a été imité, résumé, complété par des
suppléments et des suites 22 qui constituent ce que nous appelons une famille de textes.
Nous la présentons tout d’abord dans un tableau qui recense la relation des ouvrages
entre eux. Dans les descriptions qui suivent, nous accordons une attention particulière
à leur structure et à leur mode de classement et d’une façon plus générale à leur
contenu littéraire. Cette reconstitution nous permet de mettre en valeur trois

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manuscrits restés inédits, l’un de Zarkašī, qui vécut au VIIIe/XIVe siècle, le second
anonyme, et le troisième d’Ibn Šadqam, mort au milieu du XIe/XVIIe siècle.

Résumés, suites et suppléments au Wafayāt al-aʿyān

Huit textes publiés

11 Le texte qui est à l’origine de la « famille » autour d’ Ibn Ḫallikān :


12 1. Wafayāt al-aʿyān wa-anbā’ abnā’ al-zamān « Biographies des personnages disparus et
informations sur ceux de notre temps », de Ibn Ḫallikān mort, rappelons-le, en
681/1282 23. L’ouvrage comprend donc 855 notices biographiques classées en ordre
alphabétique des ism (l’ism du père n’est pas pris en compte). S’y ajoutent 393 brèves
biographies de parents de certains personnages 24. L’auteur n’a retenu, on l’a dit, que
ceux dont il a pu vérifier la date de mort. De manière aléatoire, à la fin de certaines
notices, il a consacré quelques lignes à un commentaire sur la vocalisation et l’origine
de certains noms de relation(nisba) et surnoms(laqab) 25.
13 2. Tālī kitāb wafayāt al-aʿyān (« Suite au Wafayāt al-aʿyān ») de Ibn al-Ṣuqāʿī Faḍl Allāh b.
Abī l-Faḫr al-Kātib al-Naṣrānī (« le chrétien »), mort en 726/1326. L’auteur est un
secrétaire chrétien.Les notices concernent des personnages morts depuis les années
660/1262 jusqu’à la fin de l’année 725/1325. La présentation des notices est
alphabétique suivant la première lettre des ism, à une exception toutefois : l’auteur
rend hommage à son souverain, le calife al-Mustanṣir bi-llāh Aḥmad, dans
l’administration duquel il occupait un poste de secrétaire, en lui accordant la première
place en tête d’ouvrage. Sur la page de titre du manuscrit unicum conservé à la
Bibliothèque nationale de France 26, on trouve une marque de possession de la main de

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Ṣafadī, l’historien dont il sera question ci-après : « min kutub Ḫalīl b. Aybak al-
Ṣafadī » (« fait partie de la bibliothèque de Ḫalīl b. Aybak al-Ṣafadī »). On peut d’ailleurs
constater que Ṣafadī a effectivement utilisé cette source qu’il avait chez lui 27.
14 3. Al-Wāfī bi-l-Wafayāt (« Qui complète le Wafayāt ») de Ḫalīl b. Aybak al-Ṣafadī, mort en
764/1363 28.Il s’agit en fait d’une refonte du Wafayāt : on voit là que notre « abrégé
d’histoire » est la base choisie pour composer un vaste ouvrage de plus de dix mille
notices : c’est dire l’importance que Ṣafadī accordait à l’œuvre d’Ibn Ḫallikān. Le Wāfī
rassemble les personnages qui sont morts depuis l’avènement de l’islam jusqu’au VIIIe/
XIVe siècle. La présentation des notices obéit à deux critères : dans une première
partie les quatre premiers volumes et la moitié du cinquième dans l’édition : jusqu’à la
page 293, l’auteur enregistre les personnages qui portent le ism Muḥammad, suivi du
ism Ādam, et de la notice Adīna nā’ib al-ʿIrāq ; dans une seconde partie, il reprend
l’ordre alphabétique des ism en commençant par la lettre alif : Abāǧū al-Amīr Rukn al-
Dīn suivi de Abān b. Taġlib, etc. Le classement des notices suit dès lors non seulement
l’ordre alphabétique des ism mais aussi celui du nom du père (ism al-ab) : ainsi Aḥmad b.
Ayman sera suivi de Aḥmad b. Bakr. Si le nom du père fait défaut, par exemple si le
personnage a pour tout nom : Aḥmad al-Baġdādī, il sera renvoyé à la fin de ceux qui ont
une généalogie connue, dans ce cas : à la fin des Aḥmad.
15 4. Aʿyān al-ʿaṣr wa-aʿwān al-naṣr (« Les contemporains éminents et ceux qui ont aidé à la
victoire [de l’islam] » : c’est, là-encore, un titre en deux hémistiches qui riment), du
même Ḫalīl b. Aybak al-Ṣafadī. Écrit après le Wāfī, il contient, comme l’auteur le dit lui-
même, les biographies de ses contemporains morts à partir de 696/1297, date de sa
propre naissance. Les notices sont ici en ordre alphabétique à partir de la lettre alif, le
premier nommé étant Abāǧī 29. L’auteur écrit dans son introduction :
« J’ai sacrifié une part irremplaçable de ma vie – qui m’a semblé durer le temps d’un
éclair – à rédiger ma grande histoire intitulée al-Wāfī. J’y ai rassemblé [les
biographies] des principaux personnages [qui ont vécu] depuis l’époque du
Prophète jusqu’à la mienne et je me suis exposé au calomnies : en effet, en raison
même de la nature de son contenu, je ne pus éviter que [l’ouvrage] fût trop long.
Après avoir terminé le Wāfī, soucieux d’être concis et mesuré, j’ai voulu
sélectionner ce que je devais retenir, préciser ou résumer. J’ai donc rédigé une
histoire pour mes contemporains et ceux qui bénéficieraient des fruits de ma
recherche. J’y ai inclus [les biographies] de ceux qui ont traversé mon existence,
ceux de mon pays, ceux qui ont vécu à mon époque mais que je n’ai pas connus, et
ceux dont j’ai recueilli des informations venues de transmetteurs dignes de
confiance […] C’est un recueil que j’ai fait pour moi-même et pour personne d’autre,
c’est mon trésor personnel 30. »
16 C’est ainsi que le Aʿyān al-ʿaṣr se présente comme une suite au Wafī, mais aussi comme
un supplément car certaines notices sont reprises du Wāfī, rédigées différemment, voire
enrichies de manière importante, en particulier lorsqu’il s’agit de notices de poètes 31.
17 5. Fawāt al-wafayāt (« Cequi a été omis dans le Wafayāt ») de Ibn Šākir al-Kutubī,
Muḥammad b. Aḥmad b. ʿAbd al-Raḥmān Ṣalāḥ al-Dīn al-Dārānī al-Dimašqī, mort en
764/1363. C’est un supplément, et non une suite, comme on peut le lire parfois, au
Wafayāt. Il contient en particulier toutes les biographies de souverains qui avaient été
systématiquement omises dans le Wafayāt. Le classement est en ordre alphabétique des
ism 32.
18 6. Al-Manhal al-ṣāfī wa-l-mustawfi baʿd al-Wāfī (« La source pure qui vient parachever le
Wāfī ») de Abū l-Maḥāsin Ibn Taġrībirdī, Yūsuf Ǧamāl al-Dīn al-Atābakī, mort en

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874/1469. Al-Manhal est un supplément au Wāfī de Ṣafadī. Il comprend 2822 notices,


essentiellement consacrées à des personnages ayant vécu en Égypte après 650/1253,
sauf exceptions. Ibn Taġrībirdī, que ses contemporains nomment couramment aussi
Abū l-Maḥāsin, y cite Ṣafadī sous le nom de Ibn Aybak (par exemple dans la notice de
Ṭalḥa al-Ḥalabī al-Naḥwī). C’est l’ordre alphabétique des ism qui est adopté. En 1932,
l’ouvrage n’était pas publié et, sur la base de manuscrits, Gaston Wiet en a fait une
traduction sous forme de résumé des notices en français, qu’il a intitulée : Les
biographies du Manhal safi ; bien que l’ouvrage soit en transcription latine, les notices
sont présentées en ordre alphabétique arabe des ism 33.
19 7. Al-Dalīl al-šāfī ʿalā al-Manhal al-ṣāfī (littéralement : « Le guide qui clarifie al-Manhal al-
ṣāfī », encore un titre composé de deux hémistiches qui riment mais dont le sens est
plus métaphorique qu’explicite) du même auteur. C’est un résumé du Manhal qui
compte 1781 notices, toujours en ordre alphabétique.
20 8. Ḏayl Wafayāt al-aʿyān al-musammā Durrat al-ḥiǧāl fī ġurrat asmā’ al-riǧāl (« Suite au
Wafayāt al-aʿyān » ou « La perle sur le voile de la mariée et les noms des hommes
[remarquables] », là encore un titre métaphorique avec rime, mais que l’auteur prend
soin d’expliciter, de « surtitrer » en quelque sorte) deIbn al-Qāḍī Aḥmad b. Muḥammad
al-Miknāsī (de Meknès) mort en 1025/1616. Cette suite au Wafayāt comprend 1522
notices de personnages « morts après la disparition d’Ibn Ḫallikān jusqu’au début du
XIe/XVIIe siècle », comme le dit l’auteur dans sa préface. Le classement est en ordre
alphabétique des ism 34.

Trois manuscrits inédits

21 Les textes présentés ici sont des suppléments au Wafayāt. Ils proviennent
respectivement : le premier de la bibliothèque Süleymaniye à Istanbul, le second de la
bibliothèque nationale de Rabat et le troisième des bibliothèque Reza’i à Meshhed et
British Library à Londres.
22 9. ʿUqūd al-ǧumān al-musammā Ḏayl Ibn Ḫallikān (« Colliers de perles, ou : suite à Ibn
Ḫallikān ») de Badr al-Dīn al-Zarkašī, mort en 794/1392. Le manuscrit, conservé à la
bibliothèque Süleymaniye à Istanbul 35 n’a ni incipit ni colophon. D’après une
inscription au folio 2 recto (voir la reproduction ci-après), il comptait à l’origine 365
folios ; il manque donc quatre folios. Il s’agit d’un autographedu VIIIe siècle. La période
historique couverte va du Ier/VIIe au VIIIe/XIVe siècle. Dans les marges, on trouve
notamment une attestation de waqf mu’abbad, « legs pieux perpétuel », plusieurs
certificats de lecture de la main de savants šāfi‘ites, datés de 864/1459, 865/1460 et
899/1493 au folio 2 recto, ainsi que des gloses marginales en divers endroits du texte.
23 L’auteur, dont le nom complet est Muḥammad b. Bahādur b. ʿAbd Allāh Abū ʿAbd Allāh
al-Turkī al-aṣl (« turc d’origine ») al-Miṣrī (« égyptien »), est connu sous le nom de Badr
al-Dīn al-Zarkašī. Il a étudié à Damas, à Alep et au Caire où il a rédigé son ouvrage et où
il est mort. Ibn Haǧar al-ʿAsqalānī le présente 36 comme un érudit austère : « Il ne
rendait visite à personne, dit-il, et il ne sortait que pour se rendre au souk des livres. Il
n’y achetait rien mais il passait la journée à lire. Il avait avec lui des feuilles [déjà
écrites ?] au verso desquelles il prenait en note ce qui lui plaisait puis il rentrait chez lui
et insérait [le contenu de] ces notes dans ses propres écrits 37. » Al-Zarkašī a composé
un grand nombre d’ouvrages de référence, tant dans le domaine de la méthodologie
juridique (‘uṣūl al-fiqh) šāfiʿite, al-Baḥr al-muḥīṭ, que dans celui des sciences coraniques,

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al-Burhān fī ʿulūm al-Qur’ān notamment. Ces œuvres sont universellement connues, elles
sont éditées, traduites et font jusqu’à nos jours l’objet de commentaires, comme on
peut le constater en se rendant sur internet. Mais Zarkašī a aussi fait œuvre d’historien
en composant ce Supplément au Wafayāt al-aʿyān : M. K. ʿIzz al-Dīn l’a signalé dès 1989
en publiant un volume intitulé « Zarkašī historien 38». On y trouve dans une première
partie une biographie détaillée de Zarkašīainsi qu’une analyse du ʿUqūd al-ǧumān suivie
de l’édition, avec un apparat critique développé, des notices de 54 personnages qu’il a
sélectionnés parmi plus de 250 notices que compte l’ouvrage.
24 Il nous paraît utile de présenter ce manuscrit car il s’agit du brouillon de l’ouvrage, et à
ce titre il est précieux mais il peut aussi contenir des erreurs, car l’auteur a rassemblé
ici des notices parfois recopiées hâtivement dans les ouvrages qu’il avait sous la main.
Bien qu’Ibn al-ʿImād 39 ait souligné que Zarkašī « avait une très mauvaise écriture et que
rares étaient ceux qui en admiraient la facture », le texte en est lisible. Il compte 18
lignes par page avec des additions et des informations écrites en marge, toujours de la
main de l’auteur. Un rapide sondage nous montre que des notices des mêmes
personnages sont répertoriées dans d’autres sources mais que Zarkašī les a rédigées
différemment. À titre d’exemple : on retrouve chez Ṣafadī 40 etchez Yūnīnī 41 la
biographie d’un personnage nommé Ibrāhīm Muǧāhid al-Dīn b. Ūnabā (variante :
Adnabā) b. ʿAbd Allāh al-Amīr al-Sawābī, mort en 654/1256, biographie enregistrée
aussi dans le Ta’rīḫ al-islām deḎahabī 42. On constate que l’éditeur du Ḏahabī choisit la
lecture Adnabā en signalant la variante Ūnabā en note dans l’édition. Dans notre
autographe cependant 43, Ūnabā est explicitement vocalisé – avec un ḍamma sur le alif.
Une comparaison des sources connues avec le texte de Zarkašī, que nous n’avons pas
faite, permettrait d’éclaircir certains points de détail de ce genre, mais sans doute
apporter des informations plus importantes.
25 Il existe un autre manuscrit – que nous n’avons pas vu – du ʿUqūd al-ǧumān dans la
bibliothèque ʿĀrif Ḥikmat à Médine44. L’édition en sera facilitée par les apports de
M. K. ʿIzz al-Dīn qui a recensé avec soin les sources de « Zarkašī historien ».
26 10. [Muntaḫab] ta’rīḫ al-Badr al-Zarkašī (« Abrégé de l’Histoire de Badr al-Dīn al-Zarkašī »)
d’un auteur anonyme. Il s’agit d’un résumé du ʿUqūd al-ǧumān de Zarkašī
précédemment décrit. Il contient une majorité de biographies de poètes, dont on a dit
l’importance qu’elles avaient dans l’œuvre d’Ibn Ḫallikān 45. La page de titre et l’incipit
manquent. Le colophon, reproduit ci-après, est facile à lire : hāḏā āḫir mā intaḫabtuhu
wa-iḫtartuhu min Ta’rīḫ al-Badr al-Zarkašī allaḏī ḏayyala bihi ʿalā Ta’rīḫ Ibn Ḫallikān [...] sana
1094 [...] bi-Adrana min Bilād al-Rūm (« Fin de [l’ouvrage qui contient] un choix que j’ai
fait dans l’Histoire de Badr-al-Dīn al-Zarkašī, qui fait suite au Wafayāt d’Ibn Ḫallikān »).
Écrit à Edirne en Turquie en 1094/1683 ». On ne relève aucune inscription marginale
dans ce manuscrit, ce qui permet de supposer qu’il n’a pas circulé, ni même été lu dans
une séance de lecture, car on n’y relève pas de certificat de lecture, d’audition ni de
transmission.

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Al-Zarkašī Badr al-Dīn, ʿUqūd al-ǧumān al-musammā Ḏayl Ibn Ḫallikān.

Istanbul, Bibl. Süleymaniye, ms. Fatih 4435, 361 fol., IRHT-reprod. n° 52197, Fonds Molé, fol. 2 r

Auteur anonyme, [Muntaḫab] ta’rīḫ al-Badr al-Zarkašī

Rabat, Bibliothèque nationale, ms. [cote inconnue], IRHT-reprod. n° 27965, fol. 159 v, (colophon)

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27 11. Zahr al-riyāḍ fī zulāl al-ḥiyāḍ (littéralement : « Fleurs des jardins dans l’eau limpide
des bassins », là encore un titre métaphorique en deux hémistiches rimant entre eux),
de al-Sayyid al-Ḥasan b. ʿAlī al-Ḥasan b. ʿAlī Ibn Šadqam al-Ḥusaynī al-Madanī 46, mort
en 1046/1636 47. Les éléments de son nom, al-Sayyid et la nisba al- Ḥusaynī, le choix de
son ism, al-Ḥasan et de celui de son père, ʿAlī indiquent clairement qu’il est chiʿite. Ibn
Šadqam est né à Médine et il a fait deux séjours en Inde. Le copiste de l’un des
manuscrits du Zahr al-riyāḍ (le manuscrit de Calcutta dont il sera question plus loin)
situe la fin de la rédaction de l’ouvrage en 992/1584-1585 et le lieu de rédaction à
Aḥmadnagar. C’est un recueil de biographies rangées suivant l’ordre alphabétique des
ism, qui se présente comme un supplément au Wafayāt. La connotation chiʿite du
volume est manifeste aussi bien dans le choix des biographies que dans celui des
extraits poétiques dont l’auteur fournit de larges extraits.
28 Nous avons la reproduction de deux manuscrits de ce texte. Le plus ancien est conservé
à Londres 48. Il compte 317 folios d’une écriture particulièrement lisible et contient le
volume 3 du texte, la lettre mīm, soit 98 notices. Le colophon, dont on trouvera la
reproduction p. 84, donne la date de la copie, le 12 muḥarram 995/23 décembre 1586,
mais non l’indication du lieu dans lequel elle a été exécutée.
29 Déchiffrer le nom du copiste a posé problème : sur la reproduction, on verra qu’il a été
partiellement recopié au-dessous du colophon sous la forme, Yaḥyā b. Šams. Nous
avons pu lire tous les éléments de ce nom composite : al-Hādī Yaḥyā b. Šams al-Dīn
Aḥmad b. Ḥasan(?) al-Naǧrānī al-Manlāwī. La nisba al-Naǧrānī indiquerait qu’il ferait
partie des chiʿites de Naǧrān, dans la péninsule Arabique, qui ont émigré en Iraq dans
une ville qu’ils ont dénommée Naǧrāniyya, non loin de Kūfā 49. Werner Ende, qui a écrit
en 1997 un article sur la communauté chiʿite de Médine, la Naḫāwila 50, confirme
l’origine géographique de ces chiʿites. Il fait état de l’existence du Zahr al-riyāḍ sous
forme manuscrite et considère que son édition critique serait un préalable nécessaire à
toute recherche approfondie concernant les ašrāf du Ḥiǧaz, en particulier ceux de
Médine 51. D’autre part, la nisba que nous lisons : al-Manlawī, ou Munlawī, serait soit
une forme turque d’al-mawlawī 52 (mevlevī) adoptée en Inde, soit en lien avec le nom de
lieu Manla sur les bords de l’Indus 53 : cette lecture confirmerait le fait que le manuscrit
est de la main d’un copiste qu’Ibn Šadqam avait peut-être rencontré à l’occasion d’un
séjour en Inde.
30 La formule pieuse qui suit la mention du nom de l’auteur, écrite en prose rimée,
indique que la copie a été exécutée de son vivant 54 : abbada Allāh taʿālā ayyāmahu al-
suʿūd, « Que se prolonge, grâce à Dieu, sa vie heureuse ».
31 Le second manuscrit est conservé à la bibliothèque Reza’i de Meshed 55 et compte 335
folios 56. Comme celui de Londres, il ne contient que le volume 3 du texte (la lettre mīm).
C’est une copie datée de 1051/1641. Dans les marges, on trouve une inscription
prouvant que le document a été donné en waqf, peut-être à la bibliothèque dans
laquelle il est encore conservé. On y trouve également le témoignage de plusieurs
personnes qui disent avoir consulté sur place le manuscrit ou bien l’avoir emprunté :
entre les années 1087/1676 et 1289/1872, elles y ont apposé leur cachet (folio 5) avec
leur nom et la date de la consultation.
32 Le copiste se nomme Nūr al-Dīn b. Aḥmad al-Wafā’ī al-Azharī (folio 335 r, voir la
reproduction ci-après). De manière conventionnelle, le copiste se qualifie lui-même par
un seul adjectif, al-ḥaqīr « l’humble », et des formules pieuses, ġafara Allāh ḏunūbahu wa-

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sattara ʿuyūbahu, « Que Dieu efface ses péchés et qu’Il voile ses défauts ». Il fait aussi
l’éloge de l’auteur à travers les qualificatifs qu’il accole à son nom : al-aǧall al-akmal al-
afḍal sayyidunā, « notre maître, le plus illustre, le plus parfait, l’excellent », et les
formules pieuses qui suivent ce nom (folio 335r), notamment, ḍāʿafa Allāh taʿālā uǧrahu
wa-maḥā wizrahu bi-Muḥammadin wa-ʿAlī, « Que Dieu accroisse sa récompense et allège
son fardeau par la grâce de Muḥammad et de son gendre ʿAlī ». Ce libellé nous
renseigne sur le fait que l’auteur était mort au moment de la copie, et la mention du
calife ʿAlī témoigne de son appartenance au chiʿisme.
33 Par ailleurs, nous savons qu’il existe deux autres copies du Zahr al-riyāḍ. La première,
conservée à Calcutta 57, compte 265 folios et comprend le premier volume de l’ouvrage,
du hamza à la lettre ẓā’. Selon l’auteur du catalogue, la fin de la rédaction se situe en
l’année 992/1584, une date qu’il a trouvée dans la préface du texte (il en donne la
transcription dans le catalogue). Il ajoute qu’Ibn Šadqam aurait composé un autre
ouvrage intitulé al-Ǧawāhir al-niẓāmiyya.
34 L’autre manuscrit est conservé à Lucknow 58, et la seule description 59 à laquelle nous
ayons eu accès fournit des informations contestables : l’auteur, Ibn Šadqam, aurait vécu
à l’époque de Niẓām ʿAlī Khān d’Hyderabad (1175/1761-1218/1803), ce qui le situe un
siècle et demi plus tard. Du vivant d’Ibn Šadqam, Aḥmadnagar était gouverné par la
dynastie des Niẓām Shāhis, laquelle adopte le chiʿisme en 999/1591 60. Nous n’avons pas
d’autre information sur le contenu de cette copie mais nous savons, d’après un article
publié par Hans Daiber en 1986 61, qu’elle fait partie de la Kutubkhana-i Nasiriya, riche
collection privée conservée par une famille chiʿite qui contient environ 30 000
manuscrits dont quelque 4 000 manuscrits arabes.

Ibn Šadqam al-Ḥusaynī, Zahr al-riyāḍ fī zulāl al-ḥiyāḍ

Meshed, Bibliothèque Reza’i, ms. 4242, IRHT-reprod. papier, Meshed n° 1, fol. 335r (colophon)

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Ibn Šadqam al-Ḥusaynī, Zahr al-riyāḍ fī zulāl al-ḥiyāḍ

Londres, British Library, Addit 7349, IRHT-reprod. n° 66147, fol. 315v (colophon)

35 C’est le libellé du titre Wafayāt al-aʿyān qui nous a guidées pour repérer quelques-uns
des suiveurs d’Ibn Ḫallikān et constituer une famille de textes. On sait qu’en règle
générale les titres d’ouvrages sont composés de deux hémistiches qui riment et dont les
termes sont liés par une assonance, une allitération, mode en cours à la période
classique. Les mots du titre Wafayāt al-aʿyān sont à l’origine des constructions
linguistiques et métaphores élaborées à partir de lui. Le plus simplement, Ibn al-Ṣuqā‘ī,
mort en 726/1326, a conservé le titre d’Ibn Ḫallikān, le faisant précéder du mot tālī,
« qui suit », indiquant simplement sa volonté d’écrire une suite au Wafayāt : c’est un
auteur chrétien, il est secrétaire dans l’administration mamelouke, il ne fait pas œuvre
d’écrivain, il se place comme un modeste suiveur d’Ibn Ḫallikān. Trois siècles plus tard,
même attitude chez Ibn al-Qāḍī al-Miknāsī, mort en 1026/1616, qui choisit sans
métaphore le terme ḏayl, « suite, addendum ».
36 En revanche, les autres auteurs prennent soin de donner à leurs ouvrages des titres
plus élaborés. Le terme wafayāt qu’utilise Ibn Ḫallikān est issu de la racine WFY qui
signifie « être parfait, complet » et le substantif al-wafāt, pl. wafayāt, signifie « la mort ».
Ibn Šākir al-Kutubī, quatre-vingts ans après Ibn Ḫallikān, a repris le mot pour le faire
rimer avec la racine FWT, qui signifie « échapper », dans son titre Fawāt al-wafayāt ,
littéralement : « Cequi a été omis dans le Wafayāt ». Ṣafadī, mort lui-aussi en 764/1363, a
utilisé à son tour deux fois la racine WFY pour composer un al-Wāfī bi-l-wafayāt,
littéralement : « qui complète » le [Kitāb] al-wafayāt. Un siècle plus tard, Ibn Taġrībirdī,
mort en 874/1469, dans al-Manhal al-ṣāfī wa-l-mustawfī baʿd al-Wāfī, « La source pure : ce
qui vient parachever le Wāfī », utilise (dans mustawfī)la forme istawfā : « se dit de ce

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qu’on décrit, qu’on énumère d’une manière complète ; finir, terminer quelque chose »,
annonçant que son ouvrage complétait de manière exhaustive le Wāfī de Ṣafadī.
37 Les sources dont il a été question ici, qu’elles soient publiées ou inédites, pourraient
faire l’objet d’une étude comparative avec l’ouvrage de base, le Wafayāt d’Ibn Ḫallikān,
notamment sous l’angle de leur contenu littéraire. Outre les informations d’ordre
historique qu’ils contiennent, on pourrait définir leur contenu du point de vue de
l’adab. On aurait ainsi, entre autres pistes de recherches, la possibilité de mieux définir,
en le publiant, ce qui fait l’originalité du répertoire de Zarkašī, un auteur dont la
renommée repose sur les traités de fiqh et les commentaires d’ordre religieux qui
constituent la majeure partie de son œuvre. Et en confrontant les différents manuscrits
du répertoire biographique d’Ibn Šadqam, on pourrait espérer reconstituer son ouvrage
et comprendre pourquoi il a réservé dans son texte une part aussi importante aux
poèmes et aux correspondances en vers.

NOTES
1. Abū l-ʿAbbās Šams al-Dīn Aḥmad b. Muḥammad b. Abī Bakr al-Barmakī al-Irbilī al-Šāfiʿī, voir
Carl BROCKELMANN, Geschichte der Arabischen Literatur [GAL2], I, 398, Suppl. I, 561 ; Johann
Wilhelm FÜCK, « Ibn Khallikān », EI2IV, p. 856-857.
2. Ibid. : il est nommé cadi suprême à Damas en 659/1271 par le sultan al-Malik al-Ẓāhir Baybars.
3. Dans la biographie qu’il lui consacre, dans al-Manhal al-ṣāfī wa-l-mustawfī baʿd al-Wāfī, vol. II, p.
89-94 (l’ouvrage est décrit plus loin) son auteur Ibn Taġrībirdī, mort en 874/1469, reprend les
propos de l’historien al-Birzālī, mort en 739/1339, qui présentait dans al-Muqtafī li-ta’rīḫ Abī Šāma
(‘Umar ‘Abd la-Salām Tadmurī (éd.), 4 vol. Beyrouth, 2006)Ibn Ḫallikān comme le plus grand
connaisseur des poèmes d’al-Mutanabbī à son époque.
4. Ibn Taġrībirdī cite en outre quelques vers composés par Ibn Ḫallikān que Mac Guckin DE
SLANE a traduits : Ibn Khallikan’s Biographical Dictionary, Paris-Londres, 1842-43 vol. I, p. xi. On
trouvera plus loin les références aux différentes traductions du Wafayāt.
5. Par exemple Abdul al-Hazred, auteur du Necronomicon, personnage fictif inventé par l’auteur
de science fiction Lovecraft (Jacqueline SUBLET, « Thèmes orientaux dans la littérature fantastique
de l’Occident des XVIIIe-xxe siècles : Beckford, Lovecraft, Borges », dans L’étrange et le merveilleux
dans l’Islam médiéval : Actes du colloque tenu au Collège de France à Paris en mars 1974, Association pour
l’avancement des études islamiques, Paris, 1978, p. 111-115. Si l’on recherche Ibn Ḫallikān
(souvent transcrit : Khallikan) sur le web, on remarque que son nom est indexé plus de 20 000 fois
(en mars 2009).
6. Voir J. SUBLET, Le voile du nom. Essai sur le nom propre arabe, PUF, Paris, 1992 (trad. par Salīm
M. Barakāt, Ḥiṣn al-ism. Qira’at fī l-asma’ al-ʿarabiyya, Damas, IFEAD, 1999).
7. Paul AUCHTERLONIE, « Arabic Biographical Dictionaries : a Summary Guide and Bibliography »,
British Society for Middle Eastern Studies Bulletin, vol. n° 14, 1987, 60 p. ; Tarif KHALIDI , « Islamic
Biographical Dictionaries. A Preliminary Assessment », Muslim World 63, 1973, p. 53-65 et Arabic
Historical Thought in the Classical Period, Cambridge, 1994.
8. Asma HILALI, « ʿAbd al-Raḥmān al-Rāmahurmuzī (m. 360/971) à l’origine de la réflexion sur
l’authenticité du ḥadīṯ », Annales Islamologiques 39, 2005, p. 131-147 ; Ibrahim HAFSI, « Recherches

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sur le genre “ṭabaqāt” dans la littérature arabe », Arabica 23, 1976, p. 227-265 et 24, 1977, p. 1-41
et p. 150-186 ; W. HEFFENING , « Ṭabaḳāt », Encyclopédie de l’islam, 1re éd. [ EI1] Suppl., p. 229-230
et Claude GILLIOT, EI2, X, p. 7-10.
9. Mort en 463/1071, il est l’auteur du Ta’rīḫ Baġdād aw Madīnat al-Salām, 1 re édition en 14 vol., Le
Caire, 1931, 2e édition en 17 volumes, Beyrouth, 1966.
10. On verra plus loin que Ṣafadī dans son Wāfī a procédé de la même manière : voir aussi Wadād
Al-QĀḌĪ, « Biographical Dictionaries : Inner Structure and Cultural Significance », dans George N.
ATIYEH (éd.), The Book in the Islamic World :The Written Word and Communication in the Middle East,
New York, 1995, p. 93-122, p. 106.
11. Coran LXI, 6. Les Aḥmad dont le nom du pèreest Muḥammad sont classés avant tous les autres
dans ceTa’rīḫ Baġdād.
12. Le classement est le suivant : Muḥammad, Aḥmad, Ibrāhīm, Ismāʿīl, Isḥāq, Ayyūb, Idrīs. On
note que ces noms de prophètes commencent par la lettre alif. Viennent ensuite des personnages
dont le nom correspond – peut-être, dans l’esprit de l’auteur – à des personnages auxquels il faut
donner la priorité : Asad – suivi du nom de deux prophètes : Isrā’īl et Ādam – puis Aṣram, Aswad
et Ašʿab. Les notices sont enfin rangées en ordre alphabétique des ism avec Abān suivi de Asbāṭ,
et ainsi de suite.
13. Mort en 571/1176, auteur du Ta’rīḫ madīna Dimašq, Le Caire, 1995-2001 en 80 vol., voir Nikita
ELISSÉEFF, « Ibn ʿAsākir », EI2, III, 736-737.
14. Classement repris par IBN ḤAǦARAL-ʿASQALĀNĪ dans son Tahḏīb al-Tahḏīb (1 re édition en 12 vol.,
Hyderabad, 1907-1910), contrairement à ce qui est dit par Wadād Al- QĀḌĪ, dans « Biographical
Dictionaries », loc. cit., p. 106.
15. Mort en 403/1012, auteur du Ta’rīḫ al-ʿulamā’ wa-l-ruwāt li-l-ʿilm bi-l-Andalus, Le Caire 1954, 2
vol. : voir Mohamed BEN CHENEB et Ambrosio HUICI-MIRANDA, « Ibn al-Faraḍī », EI2, III, 795.
16. Mort en 578/1183, auteur du Kitāb al-Ṣila fī ta’rīḫ a’immat al-Andalus, 2 vol., le caire 1966, voir
Mohamed BEN CHENEB et Ambrosio HUICI-MIRANDA, « Ibn Bashkuwāl », EI2 , III, 756.
17. Par exemple, à la fin de la liste des personnages qui portent le ism Aḥmad, les deux auteurs
citent, sous l’intitulé : al-ġurabā’ (« les étrangers »), les personnages qui se nomment Aḥmad mais
qui ne sont pas originaires d’al-Andalus. À la fin de la lettre alif on trouve ceux, originaires d’al-
Andalus, qui « portent des noms divers » (tafāriq al-asmā’) et ceux qui « sont les seuls à porter tel
nom personnel » (ism mufrad). Ceux qui portent le nom de certains prophètes sont placés en tête
d’ouvrage : chez Ibn al-Faraḍī viennent tout d’abord les Ibrāhīm, suivis des Abān, Aḥmad, Idrīs,
Ismāʿīl puis Isḥāq ; chez Ibn Baškuwāl, ce sont les Aḥmad qui apparaissent en début d’ouvrage,
suivis des Ibrāhīm et des Ismāʿīl.
18. « … parce que d’autres ouvrages leur ont été consacrés ».Voir la préface de l’auteur : Wafayāt
al-aʿyān, Iḥsān ʿABBĀS (éd.), vol. I, p. 20, et la référence complète infra note 25.
19. La comparaison d’une même notice chez Ibn Ḫallikān et Ṣafadī met en évidence cette
différence notable : alors que Ṣafadī cite les noms des maîtres et des élèves, Ibn Ḫallikān accorde
plus d’importance aux extraits d’œuvres poétiques.
20. Ṣafadī reconnaît la qualité littéraire de l’ouvrage dans al-Wāfī bi-l-Wafayāt, vol. VII, p. 308 : on
trouvera plus loin les références du Wāfī. Voir aussi Hartmut FÄHNDRICH, « The Wafayāt al-aʿyān of
Ibn Khallikān : A New Approach », Journal of the American Oriental Society 93.4, 1973, p. 432-45, et
Ibn Challikān. Die Söhne der Zeit, Stuttgart, 1984 ; sur la notion d’adab, voir Catherine MAYEUR-
JAOUEN, « Normes et déviances autour de l’adab et de ses redéfinitions », conférence INALCO, 22
octobre 2007, n. p.
21. On rejoint les idées développées récemment encore par des chercheurs américains à propos
des premiers siècles de l’hégire. Michael COOPERSON, par exemple, Classical Arabic Biography. The
Heirs of the Prophets in the Age of al-Ma’mūn, Cambridge Mass., 2000, p. 5-23, distingue la

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transmission du savoir et l’écriture de l’histoire événementielle, les aḫbār, l’histoire des hommes
et de leur destin personnel.
22. Il existe d’autres résumés inédits du Wafayāt dont nous n’avons pas la reproduction, et cette
liste n’est sans doute pas complète. Quatre d’entre eux sont cités respectivement dans Hajji
KHALIFA (Kâtib Çelebi), Lexicon bibliographicum, 1835-1858, 8 vol., vol. VI, p. 455, dans la version
arabe rééditée à Istanbul en 2 vol. en 1941-1943 sous le titre Keşf al-zunun, et dans la traduction
du Wafayāt de MacGuckin DE SLANE, p. XIV-XV : al-Ǧinān de Šams al-Dīn Muḥammad Ibn Aḥmad al-
Turkumānī, mort vers 750/1349 ; Muḫtaṣar ta’rīḫ Ibn Ḫallikān d’al-Malik al-Afḍal ʿAbbās, souverain
du Yémen mort en 778/1376 (notice sur l’auteur dans GAL2, II, 184, Suppl. II, 236 ; l’ouvrage ne
figure pas parmi ses œuvres) ; un résumé par Šihāb al-Dīn Aḥmad b. ʿAbd Allāh al-Šāfiʿī, né à
Gaza, mort en 822/1419 ; al-Taǧrīd de Waḥdī Efendī b. Ibrāhīm b. Muḥammad/Muṣṭafā b. Ṭursūn
al-Faraḍī, mort en 1126/1714 (GALSuppl. I, 561 et Suppl. II, 421.
Nous connaissons trois autres résumés, également inédits. L’un est un texte anonyme intitulé
Muḫtār wafayāt al-a‘yān (Fihrist al-muḫṭūṭāt al-muṣawwara, Le Caire, Ta’rīḫ I, n° 449) ; le manuscrit
se trouve à Istanbut, Topkapı Seray, Ahmet III 2919/4, il comprend 215 fol. et ne contient que les
lettres alif à ġayn. Le deuxième, Muḫtaṣar al-anbā’. Anbā’ abnā’ al-Zamān (BnF, ms. arabe 2060) est
probablement un manuscrit autographe de la main d’Ibn al-Bārizī ( DE SLANE, Catalogue des
manuscrits arabes, Paris, 1883-1895, p. 366-367) ; il est daté du dernier mois de l’an 751/1351 et
comprend 440 notices environ. Le troisième, intitulé Muḫtaṣr wafayāt, est autographe de Tāǧ al-
dīn al-Yamanī (Oxford, Bodleian Library, Pococke 331) et il compte 104 fol. ; la rédaction de ce
manuscrit a été achevée en 672/1273 au Caire ; on y trouve une biographie d’Ibn Ḫallikān (fol.
89v-90v) à la suite du colophon au fol. 89r.
23. Les dates sont indiquées en années hégiriennes suivies de la date correspondante dans le
calendrier julien puis grégorien (la correspondance avec le calendrier grégorien débute au mois
de šawwāl 990/octobre 1582). Lorsque la date de l’hégire concerne deux années du calendrier
julien ou grégorien, on mentionne la première des deux.
24. Ces biographies ont été numérotées par l’éditeur, Iḥsān ʿABBĀS, de 1 à 393.
25. Quelques éditions accessibles : lithographie de Boulaq, Muḥammad TAWFĪQ (éd. ?), datée de
rajab 1299/1882, 2 vol., de 668 + 563 p. ; la date figure au vol. II, p. 563 ; dans la marge est imprimé
al-Šaqā’iq al-Nuʿmāniyya de ṬAŠKÖPRÜZĀDE (GAL2 II, 425, Suppl. II, 633) suivi de al-ʿIqd al-manẓūm fī
ḏikr afāḍil al-Rūm du MAWLĀ ʿALĪ B. PĀLĪ ; les index du Wafayāt figurent au début du vol. I et ceux du
Šaqā’iq au début du vol. II (l’ouvrage se trouve à l’Oriental Institute d’Oxford, cote : DS 42 KHAL 2).
Autres éditions : S. MOINUL HAQQ (éd.), Karachi, 1961-1964, 6 vol. ; Aḥmad Farīd RIFĀʿĪ (éd.), Le Caire,
1936, 6 vol. ; Muḥammad Muḥyī al-Dīn ʿAbd al-Ḥamīd (éd.), Le Caire, 1948, 6 vol. ; Iḥsān ʿABBĀS,
ʿIzz al-Dīn Aḥmad MŪSĀ et Wadad AL-QĀḌĪ (éd.), Beyrouth, 1966-1968, 8 vol. Parmi les traductions :
B. F.
TYDEMAN (éd. et traduction latine en 1 vol.) Leyde, 1809 ; A. F. WÜSTENFELD (éd. et traduction latine
en 3 vol.), Göttingen, 1835-1850 ; Muḥammad ISḤĀQ (éd. et traduction en ourdou), Lahore, 1937 ;
Rodosizade MEHMET BIN MEHMET (éd. et traduction en turc en 2 vol.), Istanbul, 1863 ; MacGuckin DE
SLANE (éd. et traduction anglaise), Paris-Londres, 1842-43 ; réimpr. 1962-1963 ; réimpr. Beyrouth,
1970. Une première traduction en persan au XVIe siècle par Ẓāhir al-Dīn AL-ARDABĪLĪ (m. 930/1523) :
voir Hajji KHALIFA, Lexicon bibliographicum, p. 455. Une édition récente par A. AL-SHAJĀʿ et F. AL-
MUDARRISĪ (éd. et traduction en persan), Ourmia, 2002. Reproductions conservées à l’IRHT :
Londres, British Library, ms. Addit. 25735 (IRHT-reprod. n° 64732), 286 fol. : il s’agit de la réunion
de deux manuscrits autographes de la British Library représentant les trois quarts du Wafayāt : le
manuscrit autographe Or. 1281, Suppl. 607 (IRHT-reprod. n° 64703), 153 fol. et le manuscrit Or. n°
1505, 133 fol. (voir Ch. RIEU, Supplement to the Catalogue of the Arabic Manuscripts in the British
Museum, Londres, 1894, p. 398).

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26. Ms. arabe 2061 (IRHT-reprod. n° 16266). J. SUBLET, Tālī Kitāb Wafayāt al-aʿyān. Un fonctionnaire
chrétien dans l’administration mamelouke (éd. et trad. annotée), IFEAD, Damas, 1974.
27. Voir ibid. p. 235-236 l’exemple d’emprunt d’un passage du Tālī par Ṣafadī.
28. Al-Wāfī bi-l-Wafayāt, Hellmut RITTER et autres (éds), Leipzig-Wiesbaden, 1931-2008, 30 volumes,
vol. 23 à paraître ; introduction traduite par Émile AMAR : « Prolégomènes à l’étude des historiens
arabes par Khalîl Ibn Aibak aṣ-Ṣafadî, publiés et traduits d’après les manuscrits de Paris et de
Vienne », Journal asiatique X, 17-19 (1911-12).
29. Éditions : Fuat SEZGIN (éd. facsimilé), Frankfurt/Main, 1990 en 3 volumes ; ʿAlī ABŪ ZAYD et
autres, Beyrouth/Damas, 1997, 6 vol. dont 1 vol. d’index : cette édition est basée sur les
manuscrits suivants : Topkapı Seray A III 2621, Topkapı Seray EH 1216 et Ayasofya 2966. Voir
aussi la thèse de Khaled KCHIR, soutenue à l’université de Tunis en 1994, non publiée, consultable
à l’IRHT : al-Ṯāliṯ min Aʿyān al-ʿaṣr wa aʿwān al-naṣr li-Salāḥ al-Dīn al-Ṣafadī (il s’agit de l’édition
critique du vol. III).- Reproductions de manuscrits du Aʿyān al-ʿaṣr conservées à l’IRHT : Istanbul,
Topkapı Sarayi Müzesi Kütüphanesi : ms. EH 1214 (IRHT-reprod. n° 11142, 183 fol.: lettre alif) ; ms.
EH 1216 (IRHT-reprod. n° 11169, 247 fol.: lettres ʿayn-mīm) ; ms. Ahmet III 2621 (IRHT-reprod. n°
11093, 147 fol. : lettres alif-bā’) ; Istanbul Süleymaniye : ms. Ayasofya 2962 (IRHT-reprod n° 13645,
153 fol. : lettre alif) ; ms. Ayasofya 2964 (IRHT-reprod. n° 13653, 190 fol. : lettres ʿayn-ġayn) ; ms.
Ayasofya 2965 (IRHT-reprod. n° 13647, 207 fol. : lettre ʿayn) ; ms. Ayasofya 2966 (IRHT-reprod. n°
13651, 154 fol. : lettre ʿayn) ; ms. Ayasofya 2967 (IRHT-reprod. n° 13650, 177 fol. : lettres ġayn-
mīm) ; ms. Ayasofya 2970 (IRHT-reprod. n° 13670, 221 fol. : lettres alif-ḏāl) ; ms. Reisülküttab 588
(IRHT-reprod. n° 13648, 196 fol. : lettre mīm) ; une sélection de biographies, copie datée de
833/1429 dans Berlin, Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz : ms. Wetzstein II 298 (W.
AHLWARDT, Verzeichnis der Arabischen Handschriften der Königlichen Bibliothek zu Berlin, Berlin, 1887,
[Ahlwardt] 9864) (IRHT-reprod. 8197, 178 fol. : lettres alif-yā’).
30. Éd. ʿAlī ABŪ ZAYD et autres, vol. I, p. 38-39.
31. Par exemple, al-Ḥasan b. ʿAlī b. Ḥamd b. Ḥumayd b. Šanār : Al-Wāfī bi-l-Wafayāt, vol. XII,
p. 184-190 et Aʿyān al-ʿaṣr, vol. II, p. 214-228.
32. Éditions : Boulaq, 1866 et 1882 (éd. anonyme) ; Muḥammad Muḥyī al-Dīn ʿABD AL-ḤAMĪD (éd.),
Le Caire, 1951, 2 vol. ; Iḥsān ʿABBĀS (éd.), Beyrouth, 1973-1974, 4 vol. Les notices biographiques du
Fawāt ont été enregistrées dans la base de données Onomasticon Arabicum par Khaled KCHIR
(université de Tunis).
33. Éditions : al-Manhal al-ṣāfī, Muḥammad M. AMIN (éd.), 12 vol., Le Caire, 1984-2006 ; Dalīl al-šāfī,
Fahīm Muḥammad ŠALTŪT (éd.), 2 vol., La Mecque, 1983, réédit. Le Caire, 1998.
34. Éditions : I.S. ALLOUCHE, Rabat, 2 vol. (1970-71), 1934 ; M. al-Aḥmadī Abū al-Nūr, 3 vol., Le
Caire, 1970-71.
35. Sous la cote Fatih 4435, il compte 361 fol. (IRHT- Fonds Molé, reprod. n° 52197) ; GAL 2 II, 91,
Suppl. I, 561 et II, 108.
36. Al-Durar al-kāmina fī aʿyān al-mi’a al-ṯāmina, vol. IV, notice n° 3578, p. 17-18.
37. Voir aussi IBNAL-ʿIMĀD, Šaḏarāt al-ḏahab (éd. ‘Abd al-Qāḍir et Muḥammad AL-ARNA’ŪT), 10 vol. +
1 vol. d’index, vol. VIII, p. 572-573 ; Keşf al-zunun de Katib ÇELEBI (Hajji Khalifa), vol. I, p. 240-241,
et al-Aʿlām de Ḫayr al-Dīn AL-ZIRIKLĪ, 2e éd., 1954-1959, 10 vol., vol. VI, s.l., s.d., p. 286.
38. Muḥammad Kamāl al-Dīn ʿIZZ AL-DĪN, al-Badral-Zarkašī mu’arriḫan, Beyrouth, 1989.Nous
remercions Abdel-ouahad JAHDANI, professeur à l’université d’Agadir, qui nous a fait découvrir cet
ouvrage.
39. Šaḏarāt al-ḏahab, vol. VIII, p. 572-573.
40. Al-Wāfī , vol. V, p. 329, notice 2401.
41. ḎaylMir’āt al-zamān, 4 vol., Hyderabad, 1954-1961, vol. I, p. 14.
42. ḎAHABĪ, Ta’rīḫ al-islāmwa-ṭabaqāt al-mašāhir wa-l-aʿlām, ‘U. A. TADMURĪ (éd.), Beyrouth 1999, vol.
années 651-660, p. 162.

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43. Istanbul, Bibliothèque Ayasofya, ms. 3013, fol. 128 verso (IRHT-reprod. n° 12032-12033).
44. L’information provient de l’article de Otto SPIES, « Die Bibliotheken des Hidschas », ZDMG 90,
p. 83-120, voir p. 116.
45. Conservé à la Bibliothèque nationale de Rabat, il compte 159 fol. en chiffres arabes (IRHT-
reprod. n° 27965 [ms. 2324 : cote erronée]). Une autre foliotation en chiffres indiens, de 110 à 265,
suggère qu’il s’agit de la deuxième partie d’un manuscrit dont le début est égaré. Par ailleurs, le
manuscrit qui, à la bibliothèque de Rabat, porte la cote 2324 (D.1322) contient un texte de
Muḥammad b. Aḥmad al-Sūsī (originaire de la région du Sūs au Maroc) al-Ǧalawī al-Akrārī
(m. 1358/1939) intitulé Rawḍat al-afnān fī wafayāt al-aʿyān, voir I.S. ALLOUCHE et A. REGRAGUI,
Catalogue des manuscrits arabes de Rabat, 2 vol., Paris, 1954. Il s’agit d’un recueil de biographies de
savants du Sūs qui a été publié à la Faculté des Lettres de Rabat en 1984. On remarque qu’au
début du XXe siècle l’auteur utilise dans son titre « wafayāt al-aʿyān » et qu’il fait peut-être par-là
référence à Ibn Ḫallikān.
46. ZIRIKLĪ, dans son ouvrage al-Aʿlām, 13 vol., Beyrouth, 1969, vol. II, p. 222, ajoute la kunya Abū
al-Makārim et cite en référence Al-Sayyid Muḥsin AL-AMĪN, Aʿyān al-šīʿa, 4e éd., 56 vol., Beyrouth
1960, révisée et augmentée par Sayyid Ḥasan AL-AMĪN, 10 vol., Beyrouth, 1986.
47. Nous retenons les informations données par MUḤIBBĪ, mort en 1111/1699, auteur de Ḫulāṣat al-
aṯar fī aʿyān al-qarn al-ḥādī ʿašar, Beyrouth, 4 vol., s.d., vol. II, p. 23-24. Dans al-Aʿlām, Ziriklī donne
à tort 999/1590 comme date de mort. BROCKELMANN (GAL2 II, 548 et Suppl. II, 599) cite le Zahr al-
riyāḍ et situe la date de composition de l’ouvrage en 995/1587 : il s’agit en fait de la date de copie
du manuscrit de la British Library à Londres.
48. Londres, British Library, Addit 7349 (IRHT-reprod. n° 66147) ;W. CURETON et Ch. RIEU, Codices
Arabici, Londres 1846, p. 174-175.
49. Irfan SHAHĪD, EI2, VII, p. 873-874.
50. Werner ENDE, « The Nakhāwila, a Shiite Community in Medina. Past and Present », Die Welt des
Islams, 37, 3, 1997, p. 263-348.
51. AL-ṢĀʿIDĪ, Mu‘ǧam mā ullifa ʿan al-Madīnat al-munawwara, Riyad, 1996.
52. Jean CALMARD, « Mawlā », EI2, VII, p. 223-226.
53. Nous ne le situons pas précisément.
54. Lesformules pieuses et les adjectifs choisis par les copistes sont des formules stéréotypées
dont le choix est limité. Elles permettent parfois de déduire une information sur le copiste
comme sur l’auteur, de découvrir par exemple leur appartenance à un courant mystique ou une
école religieuse.
55. Il porte la cote 4242. Nicole COTTART, « Un manuscrit biographique conservé à Meshhed »,
Cahiers d’onomastique arabe, 1981, p. 115-118.
56. La numérotation a été ajoutée par le photographe, le manuscrit n’étant pas folioté (cote
IRHT-reprod. papier, Meshed n° 1).
57. Calcutta, Būhār 269, 265 fol. ; Shams-ul-‘Ulamā’ M. Hidāyat ḤUSAIN, Catalogue Raisonné of the
Būhār Library, vol. II : Catalogue of the Arabic Manuscripts in the Būhār Library, Calcutta, 1923, p.
299-300.
58. Lucknow, Nasir-i Khosrow Library, ms. Khaywah 73.
59. Abdullah al-Ma’mun SUHRAWARDY, « Notes on Important Arabic Manuscripts », Journal and
Proceedings of the Asiatic Society of Bengal, New Series XIII, 1917, 2, p. lxxxix-cxxxix, ms n° 73, p. ciii.
60. Clifford Edmund BOSWORTH, The New Islamic Dynasties, Edinburgh, 2004, p. 326.
61. « New Manuscripts Findings from Indian Libraries », Manuscripts of the Middle East, 1, 1986,
p. 26-48. Dans cet article, Hans DAIBER fait une description de 77 manuscrits philosophiques
conservés dans le fonds de la Kutubkhana-i Nasiriya.

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RÉSUMÉS
Wafayāt al-aʿyān, célèbre recueil de biographies rédigé à Damas par l’historien Ibn Ḫallikān au
VIIe/XIIIe siècle, est à l’origine d’une famille de textes. Nous décrivons plusieurs résumés et
suppléments au Wafayāt en mettant l’accent sur les manuscrits inédits, écrits jusqu’au XIe/XVIIe
siècle dans différents pays du Dār al-islām.

/‫ خﻼل القرن السابع‬،‫وفيات اﻷعيان مجموعة سير كتبها المؤرخ ابن خل ّكان في دمشق‬
‫ في المقال وصف لعد ّة‬.‫ وهي طليعة مجموعة من اﻷعمال المماثلة‬،‫الثالث عشر‬
‫ والتي‬،‫ مع التأكيد على المخطوطات غير المنشورة‬،‫ملخصات وتكمﻼت لوفيات اﻷعيان‬
.‫السابع عشر في مختلف بلدان من دار اﻹسﻼم‬/‫كتبت حتى القرن الحادي عشر‬

This article describes a family of texts that all refer to the famous biographical collection Wafayāt
al-aʿyān, by the 13th century Damascene historian Ibn Ḫallikān. Until the 17 th century, authors
from various cities wrote summaries, supplements or prolongations of the Wafayāt, some of
which are still in manuscripts form.

AUTEURS
JACQUELINE SUBLET
CNRS-IRHT (Section arabe)

MURIEL ROUABAH
CNRS-IRHT (Section arabe)

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Dubays B. Ṣadaqa (m. 529/1135),


aventurier de légende. Histoire et
fiction dans l’historiographie arabe
médiévale (VIe/XIIe-VIIe/XIIIe siècles)
Abbès Zouache

NOTE DE L’ÉDITEUR
Je remercie infiniment Katia Zakharia, Thierry Bianquis, Yves Gonzalez-Quijano et
Catherine Lamboley pour leurs remarques et sugestions lors des relectures de cet
article. Naturellement, les éventuelles erreurs sont de ma seule responsabilité.

1 S’ils dénoncent régulièrement la contamination des écrits historiques par les « contes
populaires » (ḫurāfāt al-ʿāmma) et les « récits [les plus] improbables (al-aḫbār al-
wāhiya) », les historiens arabes médiévaux ne s’étendent pas sur la « fiction », notion
qui a tant fait débat depuis quelques décennies qu’on ne peut leur reprocher de ne pas
la clarifier. Aujourd’hui encore, on s’entend seulement pour reconnaître que le « faire
semblant » est inhérent à la démarche fictionnelle, ou qu’on trouve usage de procédés a
priori fictionnels (tels que le monologue intérieur) dans des textes qui ne le sont
théoriquement pas 1.
2 Pour autant, n’est-il pas possible d’identifier avec quelque précision, dans l’ensemble de
la production historique médiévale, une frontière entre l’histoire (le factuel) et la fable
(le fictionnel), jamais réellement abolie selon Krzystof Pomian 2 ? Seule la
multiplication d’études ciblées permettrait de répondre à une telle question en évitant
les généralisations hâtives. C’est dans ce cadre que s’inscrit cet article, centré sur le
personnage de Dubays b. Ṣadaqa qui marqua le premier tiers du VIe/XIIe siècle, en Iraq et
en Syrie.

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3 Figure repoussoir ou héros patenté, Dubays (m. 529/1135) a rarement laissé indifférents
les historiens arabes médiévaux 3. Les chroniques et les dictionnaires biographiques
que nous analysons ont été pour l’essentiel rédigés en Syrie et en Iraq, aux VIe-VIIe/XIIe-
XIIIe siècles, par des hommes généralement proches d’un pouvoir qu’ils servaient ou
louaient, sunnites sauf exception (tel Ibn Abī Ṭayyi’, m. c. 625-630/1228-1233) 4. Qu’ils
lui consacrent (Ibn al-ʿAdīm, m. 660/1262, dans la Buġya) ou non (al-Ṣafadī, m. 696/1323
dans al-Wāfī bi-l-wafayāt) une notice biographique longue et détaillée ; qu’ils s’étendent
(Ibn al-Ǧawzī, m. 597/1201, al-Muntaẓam et Ibn al-Aṯīr, m. 630/1233, al-Kāmil) ou non
(Ibn al-Qalānisī, m. 555/1160, Ḏayl ta’rīḫ Dimašq ou al-ʿAẓīmī, m. 556/1161, Ta’rīḫ Ḥalab)
sur ses aventures, biographes et chroniqueurs en font souvent un personnage de
premier plan, haut en couleur, énergique et souvent machiavélique. Il apparaît alors, au
moins pour partie, comme un personnage fabriqué au gré de chacun de ces auteurs 5 ;
certains n’hésitent pas même à l’inscrire dans un registre légendaire. En nous penchant
sur les principaux épisodes de sa vie, nous tenterons de déterminer ce qui y relève de
l’histoire et de la fable, pour peu qu’il faille les distinguer.

Les Banū Mazyad, des figures légendaires


4 Dubays avait de qui tenir. C’est du moins la thèse développée par de nombreux auteurs
arabes, qui entourent les origines de la dynastie mazyadite d’un tel halo de mystère et
d’incertitudes qu’il fallut la parution, en 1954, des « Notes on Ḥilla and the Mazyadids
in Medieval Islam » de George Makdisi pour l’estomper quelque peu. Il démontra, en
particulier, que sa capitale, al-Ḥilla, n’avait pas été fondée par Ṣadaqa (le père de
Dubays et quatrième membre de la dynastie) sur le site d’al-Ǧāmiʿayn en 495/1101-2, ou
qu’il fallait faire remonter les origines de la dynastie plus haut qu’on l’avait fait jusque-
là : ʿAlī b. Mazyad s’était distingué dès les années 345-352/956-964 de l’hégire, sous le
vizirat de Muhallabī 6.
5 Pour autant, George Makdisi ne remettait pas en cause l’interprétation la plus
commune du parcours des différents membres de la famille. On en trouve donc trace
encore récemment, dans la deuxième édition de l’Encyclopédie de l’islam, à propos de
Dubays I (408-474/1018-1082) comme de Manṣūr (471-479/1082-1089) ou surtout de
Ṣadaqa (479-501/1086-1108), véritable parangon d’un idéal chevaleresque 7.
6 Noblesse, libéralité et obligeance, bravoure, témérité et ruse : les Banū Mazyad avaient
peu à envier aux héros épiques. Pourtant, les auteurs arabes n’étaient pas unanimes.
Certains étaient régulièrement louangeurs, à l’image d’al-Ḏahabī (m. 748/1348) faisant
de Dubays I un « fāris généreux, comblé d’éloges, éminent, ayant vécu quatre-vingts ans
et objet d’élégie de la part des poètes – […] c’est celui qu’al-Ḥarīrī cite en exemple dans
les Maqāmāt », et de son fils Manṣūr un héros, « brave, courageux, bon poète,
grammairien, au comportement exemplaire 8 ». D’autres, au contraire, étaitent très
critiques, tel Ibn al-Qalānisī lorsqu’il s’aventurait sur le terrain religieux 9. Dans
l’extrait qui suit, très synthétique, Ibn al-Ǧawzī, dont al-Ḏahabī connaissait l’œuvre,
peint un Ṣadaqa tout aussi inquiétant que puissant 10 :
« L’auteur dit : relatons donc le début de la fortune de Dubays, comme nous le
faisons quant aux origines des dynasties. Ainsi donc, le premier de la lignée à se
distinguer fut Mazyad (sans doute ʿAlī b. Mazyad, dont le pouvoir est confirmé par
les Būyides en 403/1012-1013). Le vizir Muʿizz al-dawla […] al-Muhallabī lui confia
la protection de Sūrā et de son territoire. C’est alors que la discorde éclata entre les
Būyides, et il fit tantôt allégeance, tantôt non. L’année d’al-Qarʿā’, il fut envoyé par

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Faḫr al-mulk Abū Ġālib contre les Banū Ḫafāǧa auxquels il fit subir la loi du talion.
Puis il mourut. Son fils Abū l-Aʿazz Dubays lui succéda – il était porteur du mauvais
œil. Quelque chose lui plaisait-elle, elle était portée à disparaître. C’est ainsi que
lorsqu’il jeta un œil sur Badrān [son fils] et qu’il le trouva beau, ce dernier mourut.
Il avait son petit-fils Ṣadaqa – le père de ce Dubays [dont il est question] – en
aversion. L’en blâmait-on qu’il disait : “ J’ai rêvé qu’il atteignait le sommet des
cieux, une hache à la main, qu’il arrachait les étoiles et les lançait sur les gens, à
terre. Puis il tombait à leur suite. Sans doute aucun, il atteindra une position
[élevée]. Il dépensera beaucoup en discordes et détruira sa lignée.” Puis Abū l-Aʿazz
mourut ; il laissait quatre-vingt mille dinars. Son fils Manṣūr prit sa succession, puis
il mourut. Le pouvoir échut à son fils Ṣadaqa, qui se mit au service du sultan Malik
Šāh, auquel il versa tribut et rendit visite à intervalles rapprochés. Lorsque Niẓām
[al-mulk] fut assassiné, sa position s’en améliora d’autant, et il se mit à manifester
son opposition. Conscient du fait que [sa capitale] al-Ḥilla ne le protégeait pas
vraiment, il bâtit [une forteresse ?] sur une colline, dans [la région des] marais, et se
prépara à s’y rendre au cas où un ennemi l’attaquerait brusquement ou chercherait
à l’atteindre. En outre, il [décida] d’ouvrir une brèche [dans la digue] et d’user de
l’eau comme une protection 11, et il obtint l’engagement d’Ibn al-Ḫayr de venir à son
secours. Ensuite, il acheta à ses bédouins un lieu, à [quelques] jours [de marche]
d’al-Kūfa, auquel il consacra quarante mille dinars ; de là, il était pratiquement
impossible de l’atteindre. Il rénova [également] al-Ḥilla qu’il munit de murailles et
d’un fossé et où il créa des jardins. Les gens se mirent à aller chercher protection
auprès de lui. Alors al-Mustaẓhir lui donna Dār al-ʿAfīf [à Bagdad], dans la rue de
Fayrūz, et il lui consacra quelques dix mille dinars. Le calife ordonna [également]
qu’on lui attribue le titre de “roi des Arabes.” ».
7 De Ṣadaqa, dont George Makdisi fait le personnage « le plus important de la dynastie »
mazyadite, les auteurs arabes, sunnites, rappellent régulièrement l’appartenance au
chiisme et font parfois état de calomnies qui circulaient sur son compte 12. Mais, la
plupart du temps, il croule sous les louanges. Ibn al-Ǧawzī insiste essentiellement sur
ses qualités morales ; Ibn Ḫallikān en fait un homme de pouvoir qui allie, à l’image des
autres puissants du temps, « audace, puissance » ([…] ḏā ba’s wa-saṭwa) et hayba 13. Non
sans, il est vrai, rappeler qu’il avait peuplé al-Ḥilla de chiites, al-Ḏahabī le dit audacieux
et vaillant ([…] ḏā ba’s wa-iqdām). Dans la même veine, Ibn Kaṯīr (m. 774/1373) en brosse
un portrait plutôt élogieux (selon lui, c’était un homme rassurant, protecteur et
cultivé), ce qui explique qu’Ibn al-ʿImād (m. 1089/1679) retienne essentiellement que
« chiite, auteur d’actions nobles et belles, longanime et généreux, il avait été “roi des
Arabes”, après son père, pendant vingt-deux ans ». Avant lui, Ibn Ṭaġrībirdī (m.
874/1470) avait comme Ibn al-Ǧawzī choisi de mettre en avant ses qualités (morales –
bonté, mœurs exemplaires et hospitalité), son père seul étant qualifié de min kibār al-
rāfiḍa 14.

L’entrée en scène de Dubays


8 Ṣadaqa ne mit pas fin à sa « maison » (bayt), ainsi que son père l’avait prédit – si on en
croit évidemment Ibn al-Ǧawzī. En revanche, ses efforts furent payants ; il atteignit
bien une position éminente. Riche, puissant et influent, il se serait dès lors cru à même
de s’opposer frontalement au sultan Muḥammad, même si toutes les sources n’en font
pas forcément un ambitieux forcené 15. Toujours est-il que l’affrontement eut lieu, sans
doute en raǧab 501/début mars 1108 (après la prière du vendredi 19 raǧab/4 mars,
selon Ibn al-Ǧawzī), dans les marécages d’al-Nuʿmāniyya. Le courage et la hargne dont
il aurait fait preuve n’y changèrent rien : Ṣadaqa y perdit la vie. Magnanime,

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Muḥammad laissa la sienne à Dubays, son fils, qui paraît pourtant avoir pris une part
active au combat 16.
9 La bataille d’al-Nuʿmāniyya marque la véritable entrée en scène de Dubays dans
l’Histoire, même s’il apparaît ponctuellement, auparavant, aux côtés de son père ou
chargé par lui de missions importantes. C’est ainsi qu’il fut impliqué (ainsi que ses
frères) dans les luttes menées en Iraq par Ṣadaqa et ses alliés. Après la défaite infligée
par Barkyārūq à son frère Muḥammad, en 494/1101, il lui incomba de se rendre auprès
du vainqueur, à al-Rayy (avec Karbūqā, alors maître de Mossoul), pour transmettre
l’allégeance de son père au vainqueur. Deux ans plus tard, Ṣadaqa intervint à Bagdad à
la demande du calife afin de calmer les ardeurs d’Īnal b. Anuštakīn ; à son départ, il y
laissa Dubays auquel il revenait de veiller avec İl-Ġāzī (le šiḥna de Bagdad) à la stricte
application de l’accord de non-agression qui avait été conclu. Sans guère de succès, de
prime abord : Īnal ne respecta pas ses engagements. Sous la plume d’Ibn al-Aṯīr, Dubays
paraît alors impuissant, ou tout au moins effacé (peut-être son père ne lui avait-il pas
laissé suffisamment de soldats pour intervenir). Il ne prit aucune initiative ; le calife
abbaside fit à nouveau appel à son père. Mais une fois des renforts envoyés d’al-Ḥilla,
Dubays participa aux opérations de représailles, aux côtés d’İl-Ġāzī 17.
10 On comprend donc mieux le rôle important que lui attribuent Ibn al-Ǧawzī et Ibn al-
Aṯīr avant même le déclenchement de la bataille d’al-Nuʿmāniyya. L’un comme l’autre
(mais plus encore Ibn al-Aṯīr) en font un conseiller actif de son père qui le consulte
avant le déclenchement des hostilités. En rapportant ses propos avec une précision qui
ne laisse pas d’étonner, ils l’exonèrent de la responsabilité de la défaite : lui était pour
un rapprochement avec le sultan, contrairement à Saʿīd b. Ḥamīd, chef de l’armée de
Ṣadaqa dans le Kāmil (Ibn al-Ǧawzī ne le nomme pas). S’étant vu confier une aile de
l’armée, Dubays en réchappe finalement. Les récits d’Ibn al-Ǧawzī et d’Ibn al-Aṯīr
diffèrent alors nettement. Le premier opte pour une relative sobriété. Le second
multiplie les dialogues ; il veille ainsi à donner chair aux retrouvailles entre Dubays et
sa mère, auxquels le sultan Muḥammad accorde vie sauve et liberté. Relâché, Dubays
s’en trouve également adoubé (au moins symboliquement) par Muḥammad : en lui
faisant promettre de ne pas s’écarter du droit chemin, il le reconnaît implicitement
comme le successeur de son père. Pleurs, bonté d’âme, regrets et réconciliation… Dans
le Kāmil, l’entrée en scène de Dubays se fait bien sous le signe de l’émotion 18 :
« Le sultan fit alors demander à Ṣadaqa de livrer [Abū Dulaf Surḫāb b. Kayḫusrū,
seigneur de Sāwa et d’Āba] à ses lieutenants, mais il ne le fit pas. Il répondit
[même] : “Je ne puis le faire ; au contraire, je me dois de le protéger et dire ce
qu’Abū Ṭālib dit aux Qurayš qui lui réclamaient l’Envoyé de Dieu : ‘Nous ne le
livrerons pas avant de gésir à terre autour de lui/Nous ne nous préoccuperons pas
même de nos enfants et de nos femmes’”. Il manifesta alors des comportements qui
déplurent au sultan qui partit pour l’Iraq afin de les corriger. Dès qu’il en fut
informé, Ṣadaqa consulta ses compagnons sur l’attitude à adopter. Son fils Dubays
lui proposa de l’envoyer auprès du sultan avec de l’argent, des chevaux et des
présents, afin de gagner sa bienveillance. Le chef de l’armée, Saʿīd b. Ḥamīd,
conseilla de faire la guerre – rassembler les hommes et leur distribuer l’argent. Il
parla longuement et Ṣadaqa se rangea à son opinion. Il réunit alors les troupes ;
vingt mille cavaliers et trente mille fantassins se mirent sous sa bannière.
[La bataille a lieu.]
De ses hommes, plus de trois mille cavaliers furent tués, dont certains étaient de sa
famille. Quatre-vingt-quinze hommes des Banū Šaybān trouvèrent la mort ; son fils
Dubays et Surḫāb b. Kayḫusrū al-Daylamī - celui-là même qui était la cause de cette
guerre - furent faits prisonniers. […] Le sultan s’en retourna à Bagdad sans même se

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rendre à al-Ḥilla. Il envoya un amān à la femme de Ṣadaqa, à al-Baṭīḥa, et lui


ordonna de se présenter à lui. Comme elle prenait la route pour Bagdad, le sultan
relâcha son fils Dubays et l’envoya à sa rencontre avec un groupe d’émirs. Lorsque
son fils se trouva face à elle, ils pleurèrent tous deux à chaudes larmes. Une fois
arrivée à Bagdad, le sultan la fit venir et s’excusa pour la mort de son époux. Il dit :
“J’aurais souhaité qu’il me fût amené, et l’aurais comblé de faveurs et de bienfaits -
de celles qui suscitent l’admiration des gens. Mais le destin m’a vaincu.” Et il fit
jurer à son fils Dubays de ne pas s’adonner à la sédition. »
11 Ainsi intronisé, Dubays pouvait entamer une carrière brillante – carrière qui se termina
aussi mal que celle de son père. Comme nous le verrons, elle le mena notamment en
Syrie où ses aventures iraqiennes n’échappèrent pas à ses presque contemporains al-
ʿAẓīmī et Ibn al-Qalānisī. Le premier reste elliptique, ainsi que le caractère abrégé de sa
chronique l’exige 19. Ibn al-Qalānisī s’étend plus longuement sur la bataille dont il paraît
avoir saisi l’importance. S’appuyait-il sur un compte rendu concis, officiel et ne faisant
guère de place qu’à Ṣadaqa, dont la mort était annoncée comme une preuve manifeste
de la toute-puissance sultanale ? Ne choisit-il pas plutôt sciemment, ainsi que le montre
le caractère très écrit de son texte (le saǧʿ ; les phrases courtes et l’accumulation de
verbes d’action créant un rythme endiablé ; tentations épiques qui affleurent…) de
centrer son récit sur Ṣadaqa et sur les Turcs, ces combattants d’élite dont il aime
généralement vanter les qualités martiales ? Sa version, plus ancienne que celles d’Ibn
al-Ǧawzī et d’Ibn al-Aṯīr, ne constitue-t-elle pas, plus simplement, un révélateur d’une
volonté postérieure ou propre à l’historiographie iraqienne : inscrire Dubays dans une
lignée dont il ne pouvait se démarquer ? Toujours est-il que, par-delà les informations
différentes et parfois contradictoires que le chroniqueur damascène apporte (intrigues
du šiḥna de Bagdad ; opposition de tous les émirs et des chefs de l’armée aux
négociations avec le sultan ; rôle de l’émir Mawdūd ; installation du sultan à al-Ḥilla,
etc.), de Dubays, il n’est alors plus question 20.

Dubays, à l’image du père


12 Immédiatement relâché par Muḥammad, Dubays n’en aurait pas moins attendu son
décès, en 511/1118, avant de récupérer al-Ḥilla et de disposer ainsi de l’assise
indispensable à l’affirmation de ses ambitions. Il put alors jouer en Iraq un rôle
analogue à celui interprété par ses ancêtres, et singulièrement par son père. Ṣadaqa
avait-il été impliqué dans les luttes d’influence entre princes seldjouqides, se rangeant
aux côtés de Muḥammad contre Barkyārūq ? Avait-il profité de l’occasion pour se
rendre maître de nombreuses cités iraqiennes (Hīt, Wāsiṭ, Baṣra et même Takrīt 21) ?
Avait-il, par-là même, suscité l’inquiétude de son mentor qui s’était dès lors résolu à lui
donner la mort ? Avait-il exercé ou tenté d’exercer une certaine influence sur le calife
al-Mustaẓhir ? Dubays n’agit pas différemment. Il se jette à corps perdu dans les conflits
qui ensanglantent l’Empire seldjouqide après la mort de Muḥammad. Il prend le parti
de Masʿūd contre Maḥmūd, celui-là même qui l’autorise pourtant à se réinstaller à al-
Ḥilla, puis celui de Ṭoġril II contre Maḥmūd. Il s’impose comme un interlocuteur
incontestable en Iraq, n’hésitant pas à menacer Bagdad. Il cherche à peser de tout son
poids sur la politique califale. Et il est exécuté sur ordre du sultan seldjouqide, Masʿūd,
aux côtés duquel il s’était pourtant rangé après la mort de Muḥammad.
13 Une telle interprétation de la carrière de Dubays a le mérite de la simplicité 22. C’est un
truisme de rappeler que reconstituer le canevas des luttes incessantes qui émaillèrent

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le premier tiers du VIe/XIIe siècle, en Iraq et dans l’ensemble de l’Empire seldjouqide,


s’avère illusoire. Cette interprétation n’en est pas moins simplificatrice. Elle fait fi, par
exemple, des dix années qui séparent la mort de Ṣadaqa de celle de Muḥammad (501 à
511/1108 à 1118), ou de la complexité des rapports que Dubays entretint avec les califes
abbassides. Ainsi, s’il le voua le plus souvent aux gémonies, al-Mustaršid (calife de 512 à
529/1118 à 1135) l’honora à son avènement et fit parfois appel à lui, par exemple lors de
la rébellion de son frère Ḥasan, au tout début de son califat.
14 Ibn al-Ǧawzī et Ibn al-Aṯīr semblent être à l’origine de cette interprétation. Elle est sans
doute révélatrice, chez eux, d’une conception répétitive de l’histoire 23 :
Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam :
« Sayf al-dawla (sic, pour Nūr al-dawla 24) [Dubays] appréciait que les sultans
[Masʿūd et Muḥammad] fussent antagonistes. Il pensait que ses affaires iraient
d’autant mieux que leur opposition durerait, ainsi que son père Ṣadaqa avait tiré
parti de la rivalité entre les sultans [Barkyārūq et Muḥammad] 25. »
Ibn al-Aṯīr, Kāmil :
« Cette année-là, en rabīʿ I [514]/31 mai – 30 juin [1120], il y eut une bataille entre le
sultan Maḥmūd et son frère, le prince Masʿūd – ce dernier possédait alors Mossoul
et l’Azerbaïdjan. La cause en était que Dubays b. Ṣadaqa écrivait [sans cesse] à Ǧuyūš
Beg, atabeg de Masʿūd, l’incitant à demander que le prince Masʿūd fût sultan et lui
disant qu’il pouvait compter sur son aide. Son but, c’était qu’ils s’opposassent. Il
élèverait ainsi son rang et la grandeur de sa maison, comme son père l’avait fait au
moyen de la rivalité entre les sultans Barkyārūq et Muḥammad, les deux fils de
Malik Šāh, comme nous l’avons raconté. »

Dubays, hydre destructrice ou dernière incarnation du


fāris arabe ?
15 Ni l’un ni l’autre de ces chroniqueurs ne revient même sommairement sur les dix ans
que Dubays passa loin d’al-Ḥilla après la mort de Ṣadaqa. Ils ne citent pas même son
nom dans les longues pages qu’ils consacrent à ces années ; leur silence est répercuté
par les auteurs plus tardifs qui s’appuient sur leurs écrits, tels al-Ḏahabī et al-Nuwayrī
(m. 733/1333).
16 On peut néanmoins se reporter au Ta’rīḫ dawlat āl Salǧūq d’al-Bundarī, où Anūširwān b.
Ḫalīd (vizir du sultan Maḥmūd en 521/1127-8) revient sur les causes de la déchéance de
l’empire seldjouqide. Il regrette tout particulièrement, au début de son exposé, qu’on
eût jugé nécessaire, après la mort de Muḥammad, de remettre en scène un Dubays alors
assagi, qui semblait avoir tiré un trait sur sa terre natale (ce que nie Ibn Kaṯīr 26) et
renoncé à reprendre le flambeau des ambitions familiales. Erreur fatale : c’en était fini
de l’entente cordiale qui avait caractérisé la fin du règne de Muḥammad. Un portrait
moral fortement dépréciatif du féal indomptable est habilement suggéré ; c’est sous la
figure inquiétante d’une hydre destructrice qu’il apparaît 27 :
« Parmi les mesures malheureuses, il y a aussi [ce qui concerne] l’émir, roi des
Arabes, Dubays b. Ṣadaqa […] : au service du sultan depuis dix ans, il avait perdu de
vue son pays et était satisfait de ce qu’il avait ; sa satisfaction contentait le sultan ;
son désir de posséder les biens de son père décédé s’était éteint ; le territoire d’al-
Ḥilla et les provinces [de son père] étaient passés aux lieutenants du sultan, et
l’émir al-Muǧāhid Bahrūz al-Ḫādim al-Ḫāṣī représentait le sultan à Bagdad ; les
sujets étaient en sécurité et les tourmenteurs étaient [redevenus] des hommes de
confiance ; la prospérité était fermement installée et son pendant de protection
assurée. C’est alors qu’ils changèrent ces règles et défirent ces liens passés. L’émir

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Dubays ayant gagné [leur confiance], ils le ramenèrent en Iraq ; dès lors, la guerre
éclata. »
17 D’autres textes brossent pourtant un portrait complètement différent de Dubays, « roi
de [la] nation arabe [...], valeureux guerrier » (Matthieu d’Édesse), illustre représentant
de la « race des Arabes », celui qui « restait seul [émir] de la race arabe » face aux Turcs
(Michel le Syrien)28. Les sources latines sont tout autant admiratives. Dubays y apparaît
comme un puissant « satrape arabe » (Debeis, Arabum satrapa 29), un « roi » (rex) qui
soutient efficacement İl-Ġāzī contre les Francs, en Syrie du Nord, à la fin de la deuxième
décennie du XIIe siècle. Sa noblesse d’âme est mise en valeur, au moins indirectement,
par Gautier le Chancelier, dans sa relation des événements qui suivirent la victoire d’İl-
Ġāzī sur Roger d’Antioche, à l’Ager sanguinis, en Syrie du Nord (17 rabīʿ I 513/28 juin
1119). Alors que le maître d’Alep se plaisait à aligner les exécutions de prisonniers
francs, l’intervention que ces condamnés à mort appelaient tant de leurs vœux eut
lieu : un formidable cadeau de Dubays, « roi Arabe », arriva – un cheval d’une sublime
beauté, superbement harnaché. « Quand il le vit, İl-Ġāzī jeta son épée, fut
[littéralement] saisi par la joie (quo viso, projecto gladio, Algazi gaudio permutatus cum
primatibus intrat thalamum) », et abandonna l’idée d’exterminer les prisonniers 30.
18 L’affaire de la succession du calife al-Mustaẓhir donne même l’occasion à Ibn al-Ṭiqṭaqā
(m. vers 709/1309-1310) d’incarner Dubays en héritier de la noblesse de cœur et
d’esprit du fāris arabe. Théoriquement consacrée au calife al-Mustaršid, la notice
suivante constitue, en réalité, un superbe plaidoyer pro-Dubays 31 :
« L’émir al-Mustaršid était un homme de mérite. Lorsqu’il fut nommé calife, son
frère, l’émir Abū l-Ḥasan, s’enfuit, se dissimula et se rendit à al-Ḥilla où il demanda
asile à Dubays b. Ṣadaqa, le seigneur (ṣāḥib) d’al-Ḥilla. Dubays b. Ṣadaqa était l’un
des hommes les plus généreux du monde (al-dunya). Grand seigneur, très
hospitalier, patron et protecteur indéfectible, ses jours étaient des fêtes. De son
temps, al-Ḥilla était le lieu de répit des hommes, le refuge des porteurs d’espoirs
(malǧā’ banī l-āmāl), l’asile du banni et l’abri du proscrit apeuré. Dubays montra [à
Abū l-Ḥasan] des preuves d’estime illimitées, lui offrit une maison et l’honora sans
compter. Il demeura chez lui un certain temps, dans la plus heureuse situation.
Mais lorsque son frère al-Mustaršid bi-llāh apprit qu’il se trouvait chez Dubays, il en
éprouva une vive inquiétude. Il craignit qu’une affaire lui advienne de ce côté-là.
Dès lors, il envoya le naqīb al-nuqabā’ ʿAlī b. Ṭarrād al-Zaynabī à al-Ḥilla, avec son
anneau et un amān, avec ordre d’obtenir que Dubays fasse la bayʿa et de lui
demander de lui livrer l’émir Abū l-Ḥasan. [Sollicité], Dubays dit : “Pour ce qui est
de la bayʿa, j’obéis et fais allégeance à l’émir des croyants – et il prononça le
serment d’obéissance (bāyaʿa). Quant à livrer mon protégé, c’est non, quand bien
même devrais-je en périr. Par Dieu, je ne vous le livrerai pas, à moins qu’il n’y
consente. Il est mon protégé, mon hôte !” Mais ʿAlī b. al-Ḥasan refusa de se rendre
auprès de son frère en compagnie du naqīb. Ce dernier partit donc seul. Par la suite,
al-Mustaršid s’en empara et l’enferma dans une de ses demeures – dans des
conditions agréables. »
19 Soucieux de préserver l’image de Dubays, Ibn al-Ṭiqṭaqā prend des libertés avec ses
sources, le Muntaẓam d’Ibn al-Ǧawzī et le Kāmil d’Ibn al-Aṯīr, qui sont formelles : certes,
Dubays avait dans un premier temps refusé de livrer son hôte. Néanmoins, après des
pérégrinations plus ou moins rocambolesques, Abū l-Ḥasan fut bien remis par l’émir
mazyadite qui en retira vingt mille dinars. Il y avait onze mois qu’Abū l-Ḥasan avait
quitté Bagdad 32.
20 Peut-on expliquer les silences d’Ibn al-Ṭiqṭaqā par une solidarité confessionnelle (il
était chiite, comme Dubays) ? Sans doute ses motivations étaient-elles multiples. À

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peine plus tardif, le sunnite al-Ḏahabī, par exemple, dans le Ta’rīḫ al-islām, choisit de
complètement passer sous silence le séjour d’Abū l-Ḥasan à al-Ḥilla et fait simplement
de Dubays un soutien relativement fiable du calife 33. En revanche, dans la notice qu’il
lui consacre dans le Siyar aʿlām al-nubalā’, le même al-Ḏahabī n’hésite pas à mêler aux
louanges d’usage un récit synthétique des luttes diverses dont le Mazyadite fut partie
prenante – il n’apparaît dès lors pas toujours sous son meilleur jour. Au contraire, Ibn
Ḫallikān (m. 681/1282) reste dans un registre finalement assez proche de celui d’Ibn al-
Ṭiqṭaqā dans les Wafayāt al-aʿyān. Il met surtout en avant ses qualités, littéraires certes
(ʿinda-hu maʿrifa bi-l-adab wa-l-šiʿr), mais pas seulement : si Ḥarīrī l’avait loué, c’était
bien pour rendre hommage à ses immenses mérites 34.
21 Quant à Ibn al-ʿAdīm, pourtant nostalgique du fāris arabe que le fāris turc ou kurde,
combattant efficace mais rustre et a priori non féru de poésie, avait définitivement
remplacé aux Ve/XIe–VIe/XIIe siècles, il s’insurge violemment, dans la Buġya, contre Abū
Saʿd al-Samʿānī (m. 562/1166), autre louangeur forcené de Dubays qui passait sous
silence ce qui à lui, Alépin, paraissait forcément révélateur de la malveillance de
Dubays 35. In fine, il cite l’exemple d’Abū l-Ḥasan, dont la livraison par Dubays dénotait
parfaitement, selon lui, la duplicité 36 :
« Abū Hišām […] al-Hāšimī a dit : Abū Saʿd […] al-Samʿānī a dit : Dubays b. Ṣadaqa
[…], l’un des rois arabes. C’était un homme de mérite, redoutable, noble de
caractère (mahīb karīm al-aḫlāq). Sans doute aucun, après lui, les Arabes bédouins
n’eurent pas quelqu’un d’aussi noble. […] Je dis : ceci, c’est ce que relate Abū Saʿd al-
Samʿānī. Probablement – que Dieu ait pitié de lui - n’avait-il pas été informé de
l’affaire de Dubays (ḫabar Dubays) : son accord avec les Francs pour assiéger Alep et
le don qu’il fit aux ennemis de Dieu de l’argent et [des biens] les plus précieux des
musulmans, ainsi que nous l’avons raconté et expliqué. S’il avait été informé de ces
faits ignominieux et détestables, que ne commettent pas ceux dont la foi est pure, et
s’il avait parlé le langage de la šahāda (wa-inǧarā bi-lafẓ al-šahāda lisānuh), il n’aurait
pas fait montre de si peu de discernement et d’un jugement si mauvais en disant
“Sans doute aucun, après lui, les Arabes bédouins n’eurent pas quelqu’un d’aussi
noble”, et “Avec lui, la gloire de sa maison s’éteignit”. [...] Par ma vie, en agissant
avec vilénie, Dubays a effacé la gloire de son père et ses actions nobles et reconnues
comme telles, et les exploits de ses aïeux et ancêtres de renom, et leurs vertus
fameuses et fabuleuses (masṭūra) ! Quel récit abominable rédigé – et transmis - par
l’historien (mu’arriḫ) ! Parmi ses actes méprisables, [il faut citer] sa révolte contre
l’imam al-Mustaršid – il réunit les Arabes pour lui faire la guerre, et le fait qu’il mit
longtemps à prendre en charge les affaires du calife, avec lequel il rivalisa. Notre
šayḫ Iftiḫār al-dīn al-Hāšimī nous rapporte une autre de ses actions détestables,
[preuve] qu’il ne respectait pas ses engagements : l’imam Abū Saʿd ʿAbd al-Karīm b.
Muḥammad al-Marwazī a dit : j’ai écrit, tiré du Kitāb sirr al-surūr d’Abū l-ʿAlā
Muḥammad b. Maḥmūd al-Naysābūrī, cadi de Ġazna 37: lorsqu’al-Mustaršid fut
investi de la charge califale et que son affaire fut bien disposée, le frère d’al-
Mustaršid bi-llāh, Abū l-Ḥasan ʿAlī b. Aḥmad, surnommé al-Ḏaḫīra, s’opposa à lui. Il
se rendit à Wāsiṭ, puis s’acoquina avec Dubays b. Ṣadaqa. Il ne fallut guère de temps
pour qu’il rompît son engagement et qu’il trahît son client – selon ce qu’on a
raconté ».

Dubays décisif – la guerre de succession Maḥmūd/


Masʿūd, 514/1120
22 Impliqué dans la tentative d’opposition au calife al-Mustaršid après la mort d’al-
Mustaẓhir, Dubays participa également aux guerres de succession du sultan

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Muḥammad. D’une complexité rare, elles furent marquées par de nombreux


retournements d’alliance, la méfiance succédant très vite à la confiance 38. Il est vrai
que l’enjeu variait considérablement, selon les protagonistes. De plus en plus combatif,
le calife affirmait vigoureusement ses velléités d’indépendance, tout particulièrement
face aux sultans seldjouqides 39. Ces derniers (dans l’ordre chronologique Maḥmūd,
Dāwūd puis Masʿūd) devaient tout autant lutter pour s’affirmer en tant que primus inter
pares que pour conserver le contrôle direct des territoires indispensables au
financement d’armées dignes de ce nom. Les atabegs et autres grands émirs se faisaient
un devoir qui de garder ces sultans sous leur coupe, qui de contester leur pouvoir en
poussant un ou des membres de leur famille à se rebeller, qui de se faire attribuer
toujours plus d’iqṭāʿ-s de fort rapport.
23 Ces guerres faisaient la part belle aux campagnes d’intimidation et aux chevauchées
déprédatrices, qui avaient l’avantage d’une part de limiter les risques de destruction de
l’appareil militaire, d’autre part d’enrichir les soldats (et leurs chefs) à moindre frais.
Dans une lettre incendiaire, si on en croit Ibn al-Aṯīr (Ibn al-Ǧawzī parle de l’envoi du
chef de la communauté chiite de Badgad, le naqīb al-ṭālibiyīn Abū l-Ḥasan ʿAlī b. al-
Muʿammar 40), al-Mustaršid aurait ainsi reproché à Dubays de tirer profit de
l’opposition entre le sultan Maḥmūd et son frère Masʿūd pour piller l’Iraq sans
vergogne, en 514/1120. Furieux, « refusant d’accepter une telle remontrance », l’émir
arabe s’était rendu « en personne » à Bagdad et, plein de morgue, avait nargué et
menacé le calife, « dressant sa tente (surādiq) devant le palais califal (dār al-ḫilāfa) et
faisant montre des haines (daġā’in) qui l’habitaient 41 ».
24 En effet, Masʿūd et ses alliés venaient d’être défaits à Asad Abāḏ, près de Hamaḏān, par
al-Bursuqī qui commandait les troupes sultanales. Al-ʿAẓīmī, Ibn al-Qalānisī, al-Ḥusaynī
et al-Mustawfī, comme al-Bundarī ou Ibn Taġrībirdī, ne font pas mention de Dubays
dans leur relation de l’événement 42. Ibn al-Ǧawzī, que reprend son petit-fils dans le
Mir’at al-zamān, ne l’évoque qu’après avoir raconté la bataille. Selon lui, c’est seulement
« lorsque la nouvelle de la rébellion de Masʿūd parvint à Sayf al-dawla (sic) Dubays
[qu’]il se mit à désoler Bagdad et se saisit de l’argent du sultan. Terrorisés, les habitants
de Nahr ʿĪsā et de Nahr al-mulk se précipitèrent à Bagdad avec leurs familles et leurs
troupeaux 43 ».
25 Ibn al-Aṯīr ne se démarque pas d’Ibn al-Ǧawzī lorsqu’il rapporte les ravages du
Mazyadite. Mais il livre une version sensiblement différente de l’ensemble des
événements. En particulier, et alors même qu’Ibn al-Ǧawzī ou un auteur aussi bien
informé qu’al-Bundarī (ou plutôt ʿImād al-dīn al-Iṣfahānī, qu’il résume) centrent leur
propos sur le sultan et son frère, Ibn al-Aṯīr fait délibérément de Dubays la force
principale de son récit. Avant même d’en arriver à la bataille d’Asad Abāḏ, dans le
passage intitulé « Mention de la rébellion du prince Masʿūd contre son frère, et de la
guerre entre eux », il insiste longuement sur les manœuvres du Mazyadite, à propos
duquel il affirme qu’il était « la cause de tout ceci ». Ne passait-il pas son temps à
pousser l’atabeg de Masʿūd, Ay Abah Ǧuyūš Beg, à réclamer le sultanat pour son protégé
et à lui promettre de lui apporter toute son aide, en cas d’action allant dans ce sens ? Et
Ibn al-Aṯīr de se porter ensuite un peu confusément (il ne donne aucune chronologie ; il
faut remonter plus loin dans le Kāmil, sous l’année 512, pour mieux comprendre son
propos) sur le terrain des relations personnelles : si Qasīm al-dawla al-Bursuqī était
passé à Maḥmūd, c’était bien du fait de Dubays 44.

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26 Rendu responsable par Ibn al-Aṯīr de la bataille d’Asad Abāḏ, Dubays n’y participa pas.
Il ne s’effaça pas pour autant. Lui-même se trouvait en Iraq, mais son ombre continua à
peser sur les décisions de Maḥmūd. De la même manière qu’il en faisait régulièrement
un relais privilégié du puissant Sanǧar en Iraq, en 513/1119 45, Ibn al-Aṯīr amplifie
quelque peu le Muntaẓam d’Ibn al-Ǧawzī et le dépeint comme un homme clé, dont
l’absence ne suffit pas à effacer l’influence. Le seul, finalement, à représenter une
alternative pour Masʿūd et donc à lui éviter de faire amende honorable. En effet, une
fois sa défaite consommée, ce dernier revêt le costume du héros déchu, en fuite et en
attente de pardon. Réfugié dans une montagne avec quelques jeunes ġilmān et ayant
envoyé son écuyer obtenir l’amān de Maḥmūd, il reçoit la visite d’un émir qui le
convainc de se rendre à Mossoul afin de continuer la lutte d’une part, d’écrire à Dubays
et de faire jonction avec ses troupes d’autre part. Ce qu’il fait, mais sans conséquence :
envoyé par Maḥmūd afin de confirmer l’amān, al-Bursuqī réussit à le rattraper. Il le
ramène au sultan, qui le reçoit avec tous les honneurs 46.

Un héraut du chiisme ?
Séjour à Bagdad (514/1120)

27 Ibn al-Aṯīr n’est pas suivi par tous les auteurs postérieurs qui se servent du Kāmil. Al-
Ḏahabī, par exemple, ignore totalement Dubays alors même qu’il raconte la fuite de
Masʿūd 47. Pourtant, si on en croit Ibn al-Ǧawzī et Ibn al-Aṯīr, Dubays paraît bien avoir
alors atteint l’un de ces faîtes qu’il allait rarement réussir à approcher par la suite. La
réaction de Maḥmūd fut d’ailleurs à l’aune de la menace qu’il incarnait désormais :
vigoureuse et décisive, ainsi que le précise le pourtant elliptique al-ʿAẓīmī. Alors qu’il
s’était contenté de quelques mots pour annoncer la déroute de Masʿūd, il décrit un peu
plus longuement l’expédition du sultan contre al-Ḥilla et la fuite de son maître à Qalʿat
Ǧaʿbar puis auprès d’İl-Ġāzī, le beau-père auprès duquel il se réfugia 48.
28 Que Dubays eût mérité de telles représailles ne faisait guère de doute dans l’esprit d’Ibn
al-Ǧawzī, ainsi que l’attestent les longs passages qu’il consacre, dans le Muntaẓam, sous
les années 514, 515 et 516, à la lutte qu’il mena contre le calife et le sultan Maḥmūd 49.
Considérant probablement que ses lecteurs n’auraient aucune difficulté à décrypter le
monceau d’informations qu’il livre, il se fend même, ici ou là, d’anecdotes à première
vue superflues. C’est ainsi qu’il fait état, pendant le séjour menaçant de Dubays à
Bagdad dont il a déjà été question (ǧumādā II à raǧab 514/28 août-25 octobre 1120), de
la mort de la mère du naqīb al-ṭālibiyīn Abū l-Ḥasan ʿAlī b. al-Muʿammar, dans le
quartier d’al-Karḫ, sur la rive droite du Tigre. C’est là, où se déroulait la veillée
mortuaire, que Dubays lui rendit visite et où il paraît avoir recherché et obtenu le
soutien des habitants (ahl al-Karḫ). Évidemment, Ibn al-Ǧawzī n’avait aucune raison de
préciser qu’al-Karḫ était un quartier chiite ; cela coulait de source pour l’habitant de
Bagdad qu’il était. Un quartier certes relativement assagi, depuis la fin du Ve/XIe
siècle 50, mais où Dubays n’en pouvait pas moins espérer trouver le soutien qui lui
aurait permis de faire pression sur le calife abbasside.
29 Il est question d’un autre quartier à la fin de ce texte : lors de son départ de Bagdad,
Dubays entendit des voix l’injurier ; ces injures étaient proférées par les habitants de
Bāb al-Azaǧ (fa-inṣarafa Dubays fa-samiʿa aṣwāt ahl Bāb al-Azaǧ yasubbūnah), dont Ibn al-
Ǧawzī savait bien que c’était alors un des hauts lieux du hanbalisme à Bagdad. En

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faisant intervenir les habitants de deux quartiers aussi symboliques qu’al-Karḫ et Bāb
al-Azaǧ, l’écrivain bagdadi sort clairement du cadre de l’affrontement purement
individuel (entre le calife et un ambitieux). Il fait de l’échec de Dubays au mieux celui
des forces de désunion qui, au siècle précédent, avaient miné la capitale iraqienne, au
pire celui de chiites avec lesquels il fallait malgré tout compter, pendant cette période
de « Sunnī revival », selon l’expression de George Makdisi ou, selon celle de Richard
Bulliet, de « Sunnī recentering 51 ». Sibṭ b. al-Ǧawzī, qui choisit pour sa part de centrer
son récit sur l’opposition entre le calife et Dubays, prend tout de même la peine de
préciser que lorsque le sultan Maḥmūd entra à Bagdad, il fut accueilli en grande pompe,
« les habitants de Bāb al-Azaǧ lui distribuant beaucoup d’argent 52 ».
30 Quant à Dubays, sa situation empira. Il eut beau piller et envoyer Šaraf Ḫatūn b. ʿAmīd
al-dawla b. Ǧahīr, sa femme, offrir une « forte somme d’argent et de magnifiques
cadeaux » (Ibn al-Aṯīr, Ibn al-ʿAdīm), soit vingt mille dinars et trois chevaux (Ibn al-
Ǧawzī, Sibṭ b. al-Ǧawzī) : rien n’y fit. Ibn al-Ǧawzī et Sibṭ b. al-Ǧawzī rapportent que les
présents furent jugés insuffisants. Dès lors, « on demanda plus que cela » (Ibn al-Ǧawzī)
et on « renvoya le tout » (Sibṭ b. al-Ǧawzī). Ibn al-Aṯīr et Ibn al-ʿAdīm rendent Dubays
plus directement responsable de l’échec des négociations : Šaraf Ḫatūn obtint bien le
pardon qu’elle était venue chercher, mais il refusa d’accepter les conditions imposées.
Toujours est-il qu’il dut prendre la fuite et qu’al-Ḥilla fut occupée par le sultan en
personne qui employa les grands moyens – il quitta Bagdad en šawwāl 514/24
décembre–21 janvier 1121 avec mille embarcations (safīna). C’est à Mārdīn, auprès d’İl-
Ġāzī, dont il épousa la fille Ǧihān (Guhan) Ḫātūn, que Dubays trouva finalement refuge.
Il faut dire qu’il se serait présenté avec un monceau d’argent, selon Ibn al-ʿAdīm 53.

Expédition contre les Géorgiens (515/1121)

31 Il est ensuite très difficile de retracer son parcours avant son retour à al-Ḥilla et la
bataille d’al-Nīl (muḥarram 517/mars 1123) qui l’opposa au calife et à al-Bursuqī 54. Il
est établi qu’il prit part aux côtés d’İl-Ġāzī à une expédition contre les Géorgiens qui
tourna au fiasco. On a cru que cette expédition, à laquelle participaient également le
frère du sultan Maḥmūd, Ṭoġrīl, et l’émir Kündoġdī 55, avait été décidée par le sultan
qui était confronté à l’activisme sans fin du roi géorgien David IV (1098-1125) 56. Or, les
auteurs médiévaux sont loin d’être unanimes 57. Ibn al-Azraq, sans doute l’un des mieux
informés mais qui, il est vrai, écrivait à la gloire des Artuqides, en attribue plutôt la
paternité à İl-Ġāzī, de même que Matthieu d’Édesse. Quelque peu désespérés de Ṭoġrīl,
les habitants de Tiflīs assiégés l’avaient appelé à l’aide 58.
32 En pure perte, donc, puisque les musulmans d’İl-Ġāzī furent très sévèrement battus par
David et son fils Dimitri lors de la bataille de Didgori (26 ǧumādā I 515/12 août 1121) 59.
İl-Ġāzī réussit à s’enfuir avec quelques hommes. Parmi eux, un Dubays étonnement
passif – tous les auteurs arabes s’accordent sur ce point, même si Ibn al-ʿAdīm souligne
qu’il y perdit l’équivalent de trois cent mille dinars et si Matthieu d’Édesse lui avait
attribué, avant la bataille, dix mille hommes dont on imagine sans peine qu’ils furent
massacrés ou s’enfuirent 60. De même, ils ne font guère de l’événement un affrontement
religieux. Ibn al-Azraq va jusqu’à louer l’attitude du roi David vis-à-vis des musulmans
après la bataille – mais peut-être était-il soucieux de justifier l’emploi qu’il allait
occuper en 548/1153-1154 auprès du « roi des Abḫāz » ou de Dimitri. Cependant, dans
une veine proche, Ibn al-Aṯīr lui-même ne va pas au-delà d’une opposition normative

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entre les « musulmans » (al-muslimūn) et les « infidèles » (al-kuffār). Il n’évoque pas de


ǧihād ; on est loin du ton employé par les chroniqueurs arabes dans leurs récits de la
bataille de l’Ager sanguinis. Encore Ibn al-Aṯīr lui consacre-t-il quelques lignes : Ibn al-
Ǧawzī ne daigne pas même l’évoquer 61.

Bataille d’al-Nīl (517/1123)


33 La présence de Dubays explique-t-elle ce silence ? Il est évidemment impossible de
répondre à une telle question. En revanche, on ne manquera pas de souligner que le ton
religieux attendu de la relation d’un tel événement est bien plus marqué dans les récits
consacrés à la bataille d’al-Nīl par Ibn al-Ǧawzī et Ibn al-Aṯīr. Revenu en Iraq, Dubays,
auquel le calife al-Mustaršid vouait désormais une haine tenace, s’était trouvé
confronté à al-Bursuqī. Poussé par le calife, le sultan avait confié Mossoul à ce dernier
et l’avait nommé šiḥna de Bagdad et d’Iraq 62.
34 Puis le sultan avait quitté Bagdad (en ṣafar 516/11 avril-9 mai 1122). Un affrontement
avait eu lieu, le jeudi 13 rabīʿ I 516/8 juin 1122. Coupable d’une fâcheuse erreur
d’appréciation (Ibn al-Ǧawzī évoque une ḍilla min al-ra’ī 63), al-Bursuqī avait subi une
cuisante défaite (à la suite de laquelle il était rentrée à Bagdad, le 2 rabīʿ II/11 juin).
C’est donc, selon Ibn al-Aṯīr (Ibn al-Ǧawzī livre une version un peu différente), en
vainqueur que Dubays avait finalement fait allégeance au calife et obtenu (croyait-il) la
tête de son ennemi, le vizir Ǧalāl al-dīn Abū ʿAlī b. Ṣadaqa. Pour autant, la tension
n’était pas retombée. Le sultan s’était emparé du frère de Dubays, Manṣūr, et l’avait
emprisonné. Les combats n’avaient pas cessé, tout particulièrement autour de Wāsiṭ 64.
L’appétit de Dubays n’avait fait que décupler ; il avait envoyé ses hommes razzier une
centaine de milliers de têtes de bétail à Nahr al-mulk, aux portes de Bagdad. Il s’était
ainsi exposé aux récriminations du calife, auxquelles il avait répondu à coeur ouvert,
un cœur rageur et débordant de rancœur (aḫraǧa Dubays mā fī nafsih wa-mā ʿūmila bi-hi
min al-umūr al-mumiḍḍa) : ne lui avait-on pas faussement promis la mort de son ennemi,
le vizir Ibn Ṣadaqa, l’expulsion de Bagdad d’al-Bursuqī et la libération de Manṣūr, son
frère ? Ulcéré, il avait lancé un ultimatum de cinq jours. Il menaçait de mettre Bagdad à
feu et à sang.
35 Il en allait donc de la survie du régime en place – des hommes en place, puisque le calife
et le sultan étaient tous deux visés. Diabolisé, Dubays se transforme peu à peu, dans le
Muntaẓam que nous avons ici suivi, en un ennemi des musulmans – de tous les
musulmans sunnites. Un homme contre lequel le calife al-Mustaršid, acompagné de
toute la « regalia califale 65 », se devait de combattre et de vaincre. Dans le récit de la
bataille d’al-Nīl qui suit, Ibn al-Ǧawzī multiplie les références religieuses. Menaçant
l’ordre sunnite, Dubays et ses hommes, vils et débauchés, subissent la foudre divine 66 :
« Et, en ḏū l-ḥiǧǧa [516/février 1123], al-Mustaršid fit sortir les tentes (al-surādiq) et
on cria au peuple : “Ô musulmans, l’émir des croyants se rend au combat en votre
nom.” […] Le calife sortit de son palais le vendredi 24 ḏū l-ḥiǧǧa [516]/23 février
[1123] ; il se rendit aux tentes, accompagné d’une foule de gens (al-ḫalq). Al-
Mustaršid et son armée se mirent en marche pour al-Nīl le dimanche 4 muḥarram
[517]/4 mars [1123]. Lorsqu’ils s’approchèrent, [Āq] Sunqur al-Bursuqī agença lui-
même l’armée en ligne de bataille (ṣufūf). [Ces lignes] s’étendaient sur près d’un
farsaḫ de profondeur. Entre chacune d’elles, il laissa un espace pour la cavalerie. Le
cortège du calife se tint derrière eux, de manière à ce qu’il les voie et qu’eux le
voient. Dubays mit ses troupes sur une seule ligne, qu’il disposa en aile droite, aile

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gauche et centre. Il plaça l’infanterie devant les cavaliers, avec les grands boucliers
(al-turās al-kibār). Lui se tint au centre, derrière l’infanterie, après avoir alléché ses
troupes, leur promettant de piller Bagdad. Puis lorsque les deux armées se virent,
l’infanterie de Dubays chargea en courant et en criant : “Ô dévoreurs de pain blanc
et de biscuits 67. Aujourd’hui, nous allons vous apprendre ce que c’est que donner un
coup de lance et de frapper à l’épée.” Dubays s’était fait accompagner de femmes de
mauvaise vie (baġāyā) et de mignons avec des instruments de musique, des flûtes et
des tambourins (al-malāhī wa-l-zumūr wa-l-dufūf), afin d’exciter l’armée. Dans celle
du calife, on n’entendait rien d’autre que [la lecture] du Coran, les louanges à Dieu,
les cris “Allāh est grand”, les invocations divines et les pleurs 68. Et, cette nuit-là, les
habitants de Bagdad se réunirent dans les mosquées afin de prier, de lire le Coran
d’un bout à l’autre et d’implorer Dieu [d’accorder] la victoire. Puis ʿAntar b. Abū l-
ʿAskar al-Kurdī chargea la ligne (ṣaff) du calife, mais ses hommes s’en retournèrent
et abandonnèrent. Le calife se trouvait, avec son vizir, à la suite de la rangée (ṣaff)
[de combattants], derrière [le lit d’]un ancien cours d’eau (nahr ʿatīq 69). Lorsqu’il vit
que l’infanterie était en déroute, le calife dit à Aḥmad, son vizir : “Niẓām al-
mulk (sic) ! Que vois-tu ?” Celui-ci dit : “Traversons le ʿAtīq 70, ô émir des croyants !”
Alors le calife s’avança, [suivi] du palanquin et des étendards, dégaina son épée et
exhorta Dieu Très-Haut de [lui accorder] la victoire. Des hommes de l’armée de
Dubays dirent alors : ʿAntar a trahi ! Il ne combat pas sincèrement !” Ils dirent 71 : Et
lorsqu’ils virent que le palanquin, l’étendard et le cortège avaient traversé le lit du
cours d’eau (al-ʿatīq), ils furent certains que ʿAntar avait trahi. C’est alors que
[Zangī] chargea l’armée de Dubays [avec] un groupe [de soldats] qui avait été mis en
embuscade. Ils les mirent en déroute et firent prisonnier ʿAntar b. Abū l-ʿAskar. La
déroute s’ensuivit. Dubays et les ḫawāṣṣ qui l’accompagnaient fuirent vers
l’Euphrate. Il le traversa – avec son cheval et ses armes – alors même que la cavalerie
[du calife] allait l’atteindre ; il leur échappa. On rapporte qu’une vieille femme, qui
se trouvait au bord de l’Euphrate, dit à Dubays : “Tu arrives dans un triste état
(dubayr ǧi’t) !” Il dit alors : “Ce sont ceux qui ne sont pas arrivés [jusqu’ici] qui sont
dans un triste état (dubayr man lam yaǧi’ 72) !” L’infanterie fut massacrée ; on fit une
multitude de prisonniers dans l’armée de Dubays. Dès que l’un d’eux s’avançait pour
être exécuté, il disait “Puisses-tu vivre, ô Dubays” ; puis il tendait le cou. Quant à
l’armée du calife, seuls vingt cavaliers y furent tués. Le calife s’en retourna,
victorieux, et entra à Bagdad le jour de ʿašūrā’ (sic) – il avait été absent seize jours. »
36 À travers Dubays, le chiisme tout entier était touché. À Bagdad, le retour victorieux du
calife donna l’occasion au bas-peuple, al-ʿawāmm, de poursuivre l’œuvre califale. Il s’en
prit à ce qu’Ibn al-Ǧawzī nomme simplement mašhad maqābir Qurayš – probablement le
tombeau d’un des imams, qui se trouvait dans le cimetière de Quyrayš, au nord-ouest
de Bagdad 73. On y pénétra et on pilla. Choqués, les chiites (al-ʿalawiyyūn) se plaignirent
aux autorités, qui rétablirent l’ordre. On avait tout de même eu le temps de découvrir,
parmi ce qui avait été pillé, des livres éminemment condamnables dans lesquels les
compagnons du prophète étaient insultés (kutub fīhā sabb al-ṣaḥabā wa-ašyā’ qabīḥa) 74.
37 Contemporain de ces événements, al-ʿAẓīmī, qui mentionne le pillage d’al-Ḥilla par le
calife et al-Bursuqī, confirme la violence de la réaction des Bagdadis – « le petit peuple,
al-ʿāmma pilla le cimetière de Qurayš une deuxième fois, et le pèlerinage fut annulé 75 ».
Quant à Ibn al-Aṯīr, il fait état du renvoi, par le calife, du naqīb chiite (naqīb al-
ʿalawiyyīn), et de la destruction de la maison de ʿAlī b. Aflaḥ, du fait de l’aide que tous
deux avaient apporté à Dubays 76. ʿAlī b. Ṭarrād cumula – il fut fait naqīb al-ʿalawiyyīn
wa-l-ʿabbāsiyyīn. Pour Ibn al-Ǧawzī, la vengeance de Dubays fut à l’aune de ces
violences. Ainsi que nous allons le voir, à peine eut-il repris du poil de la bête qu’il
saccagea les tombeaux de deux des plus éminents compagnons du prophète
Muḥammad, Ṭalḥa (m. 36/656) et al-Zubayr (m. 36/656), qui s’étaient opposés à ʿAlī b.

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Abī Ṭālib et constituaient depuis lors, dans la tradition chiite, une cible de choix 77.
Assurément, des rumeurs attestant de l’antisunnisme de Dubays devaient circuler –
Matthieu d’Édesse lui-même le désigne comme le « roi » des Arabes, un « valeureux
guerrier [qui] avait saccagé la ville de Bagdad et trois fois combattu avec succès
Daph’ar, sultan des Perses. Il était rāfiḍite d’origine, blasphémateur de Muḥammad et
de sa religion. Il avait planté ses tentes au milieu de l’Éthiopie et de l’Inde 78 ».
38 Néanmoins, à propos du siège d’Alep par une coalition franco-musulmane dont Dubays
était partie prenante, en 518/1124, Ibn Abī Ṭayyi’, un des rares auteurs chiites dont on
ait conservé (indirectement) des écrits, tend à relativiser de telles attaques. La lettre
que, selon lui, Ibn al-Ḫaššāb (cadi d’Alep) envoya à Dubays éveilla un écho favorable
dans sa conscience – au moins dans un premier temps (par la suite, les menaces des
Francs eurent raison de ses doutes). Il l’y exhortait à ne pas soutenir les « armées
infidèles », à craindre Dieu, à obéir au « précepte de la religion », à prendre « en
considération les larmes des musulmans » et donc à défendre « l’islam tout entier 79 ».

L’aventurier de légende
Une intervention providentielle – al-ʿaǧūz

39 La déroute d’al-Nīl semble avoir été complète. Traqué, Dubays parvint à s’enfuir in
extremis. Lors de sa fuite, il aurait rencontré une vieille femme (imra’a ʿaǧūz) qui lui
aurait été d’un précieux secours. C’est ce que rapporte le šayḫ Abū Saʿd al-Nuʿmānī,
dont le témoignage est rapporté (via différents transmetteurs) par Ibn al-ʿAdīm. Il rend
son intervention déterminante et la nomme Umm al-Amīn – il est dès lors difficile de ne
pas faire le parallèle avec la femme du calife Hārūn al-Rašīd et mère de son successeur
Muḥammad al-Amīn, Zubayda b. Ǧaʿfar (m. 216/831), célébrée pour sa générosité
légendaire et devenue une figure littéraire 80 :
« Les hommes de Dubays furent défaits. Seul un petit nombre d’entre eux s’enfuit.
Certains furent tués, les autres noyés. Lui-même prit la fuite à travers les buissons.
Il arriva au-dessus de Maṭīr Abāḏ, dans un village appelé “le village d’Umm al-
Amīn”. L’Umm al-Amīn en question se trouvait sur une des terrasses du village.
Lorsqu’elle le vit, elle lui dit : “Tu arrives dans un bien triste état !” Il lui dit :
“Malheureuse ! Ce sont ceux qui ne sont pas arrivés [jusqu’ici] qui sont dans un
triste état ! Où est le gué ?” Elle dit : “Ici.” Puis il s’enfonça dans les eaux, traversa
[le fleuve] et, [arrivé sur l’autre rive], se dressa et déchira ses bottines, de manière à
ce que l’eau se répandît. Or, les mamelouks d’al-Mustaršid l’avaient poursuivi
jusqu’à cet endroit. Ils interrogèrent alors la vieille dame, qui les égara vers un
autre lieu, et ils ne purent rien contre lui. Il descendit le fleuve jusqu’à arriver chez
des Arabes bédouins (al-ʿArab) avec lesquels il se lia. Il [ré]apparut à al-Baṣra une
année plus tard ; il y entra, et son émir s’enfuit. Il entra dans le palais du
gouvernement (dār al-imāra), et exerça le pouvoir. […] Lorsque Dubays revint en
Iraq, il rendit la vieille Umm al-Amīn maîtresse du village qui, aujourd’hui, est
connu sous son nom. »
40 Cette rencontre inscrit les pérégrinations de Dubays dans un registre légendaire. Des
« légendes d’al-ʿaǧūz » circulaient en terre arabe (et plus largement méditerranéenne)
depuis des temps immémoriaux. Souvent indéterminées, les vieilles femmes y
agissaient diversement, parfois de façon contradictoire ; leurs actes sont alors difficiles
à interpréter. En général, elles apparaissent particulièrement aptes, de par leur
expérience, d’une part à remplir des missions touchant au surnaturel (magie,

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intervention divine, etc.), d’autre part à faire preuve avec délice et audace d’artifices et
de maléfices particulièrement efficaces 81. Au contraire du šayḫ al-Nuʿmānī, Ibn al-
Ǧawzī, Ibn al-Aṯīr et Sibṭ b. al-Ǧawzī passent très vite sur l’épisode. Ils ne font pas de la
vieille femme un adjuvant de Dubays – ils ne mentionnent pas, notamment, la fausse
piste qu’elle aurait indiquée à ses poursuivants. Peut-être se refusaient-ils à accorder au
prince arabe le luxe d’une intervention sinon divine, du moins ayant le goût du
surnaturel 82.

L’aventurier rebondit – al-Baṣra

41 Presque miraculeusement sauvé des foudres califales par une vieille femme, Dubays ne
renonça évidemment pas à ses ambitions. Des ambitions mal connues, au moins
pendant un temps, puisqu’un halo de brume l’entoure après la bataille d’al-Nīl. Dans le
Kāmil, Ibn al-Aṯīr évoque clairement une période d’incertitude sur son sort, pendant
laquelle une rumeur circula 83 : « Après cela [soit l’épisode de la vieille dame], on n’eut
plus de nouvelle de lui, et le bruit qu’il avait été tué se répandit. »
42 Dubays réapparut néanmoins. Il réactiva, selon Ibn al-ʿAdīm, des solidarités tribales
dont il n’a guère été question jusque-là. Le chroniqueur alépin affirme que les Ġuziyya
et les Muntafiq lui accordèrent un soutien précieux grâce auquel il 84
« se dirigea vers al-Baṣra ; il y entra et tua son émir. Puis il prit peur, la quitta et se
mit en marche vers le désert ; il emportait tout l’argent qu’il pouvait. Il arriva chez
Mālik b. Sālim, à Qalʿat Ǧaʿbar, auquel il demanda protection. Il la lui accorda et le
reçut, ce qui irrita al-Mustaršid et le sultan ».
43 Ibn al-Ǧawzī inscrit également Dubays dans une solidarité tribale, même si, pour lui, les
Ġuziyya refusèrent ses propositions, au contraire des Muntafiq. Il en fait, également, un
homme violent et particulièrement cupide 85 :
« Ils (les Banū l-Muntafiq) firent alliance avec lui et il se dirigea vers al-Baṣra en
rabīʿ I [517]/fin avril-mai 1124. Il assaillit le mašhad de Ṭalḥa et d’al-Zubayr, où il
pilla. Il massacra et se montra fermement décidé à faire scier les palmiers. Dès lors,
leurs propriétaires lui offrirent une somme fixe pour chaque arbre. »
44 Quant à Ibn al-Aṯīr, il dilue les responsabilités. Certes, dans le Kāmil également, les
Ġuziyya, légitimistes, refusent de soutenir Dubays. Néanmoins, ce dernier n’y est plus le
seul responsable du saccage d’al-Baṣra, et de mašhad, il n’est plus question 86.

Premières aventures syriennes – le siège d’Alep, 518/1124 87


Intérêt de Dubays pour Alep, amitié pour les Francs

45 À nouveau traqué, Dubays se rendit dans le Bilād al-Šām. Son séjour (517-8/1124-5) en
Syrie du Nord fut très mouvementé. Dans les pages qu’il consacre à l’installation d’al-
Bursuqī à Alep, en 518/1125, Ibn al-Aṯīr revient sommairemment sur ce séjour qui le vit
notamment participer au siège d’Alep aux côtés des Francs, la même année. Sous sa
plume, Dubays apparaît comme l’élément déclencheur de la nouvelle appétence
franque pour la capitale nord-syrienne 88 :
« Cette année-là, en ḏū l-ḥiǧǧa [518]/9 janv.- 6 fév. 1125, Āq Sunqur al-Bursuqī
s’empara de la ville d’Alep et de sa citadelle (qalʿa). La cause en était que lorsque les
Francs conquirent la ville de Tyr, ainsi que nous l’avons raconté, leur avidité
décupla et leur moral se renforça. Persuadés qu’ils allaient établir leur domination
sur [l’ensemble] du Bilād al-Šām, ils démultiplièrent leurs troupes. Puis Dubays,

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seigneur d’al-Ḥilla, arriva chez eux et aiguisa à nouveau leur avidité (aṭmaʿahum
ṭamaʿan ṯāniyan), tout particulièrement pour Alep. Il leur dit : “Ses habitants sont
chiites ! Ils ont un penchant pour moi, parce que nous avons les mêmes opinions
religieuses ! Dès qu’ils me verront, ils me livreront la ville !” Et il leur fit de grandes
promesses contre leur aide. Il leur dit : “J’y serai votre représentant (nā’ib), et vous
obéirai !” Alors ils se mirent en marche avec lui, et l’assiégèrent. Ils y combattirent
avec ardeur et prirent le parti d’y rester longuement et de ne pas en partir avant de
l’avoir conquise – ils construisirent [même] des baraquements (buyūt) contre le
froid et la chaleur. »
46 Par la suite, Ibn al-Aṯīr reste plutôt vague alors que l’événement était d’importance :
l’échec du siège d’Alep par Baudouin II de Jérusalem et ses alliés, suite à l’intervention
d’al-Bursuqī, scellait définitivement toute prétention franque sur la Syrie du Nord en
général, sur le contrôle des routes qui reliaient Édesse (en Djéziré) à Alep en particulier.
De plus, nombre d’auteurs n’attribuent pas la paternité du siège à Dubays. C’est le cas,
en particulier, d’auteurs non arabes – tel l’Anonyme syriaque ou Foucher de Chartres,
selon lequel le roi de Jérusalem assiégea Alep pour faire libérer des otages 89.
47 À vrai dire, rares sont les auteurs (arabes, latins ou syriaques) qui proposent une
explication cohérente de l’intérêt de Dubays pour la capitale nord-syrienne. Ibn al-
ʿAdīm est l’un de ceux-ci, dans la Zubda. Il a l’avantage de remonter dans le temps.
Selon lui, l’intérêt de Dubays trouvait sa source dans une proposition d’İl-Ġāzī, près de
quatre ans auparavant : en 514/1121, Dubays avait été reçu par Naǧm al-dawla Mālik, à
Qalʿat Ǧaʿbar, puis s’était rendu à Mārdīn, chez İl-Ġāzī, qui était également maître
d’Alep. Dubays, qui possédait d’énormes sommes d’argent, avait épousé une fille d’İl-
Ġāzī. Ils avaient alors pris la route de la Géorgie, où ils allaient subir une déroute
terrible, en 515/1121. En chemin, İl-Ġāzī avait promis de livrer Alep à Dubays, qui la lui
avait réclamée comme prix de son aide à prendre Antioche. Peut-être quelque peu
dubitatif, Ibn al-ʿAdīm prend la précaution d’user de la formule (convenue) « on dit »
(qīla), lorsqu’il rapporte cette promesse 90 :
« On dit que lorsqu’il se mit en marche avec İl-Ġāzī contre les Géorgiens Dubays lui
demanda, en chemin, de lui céder Alep contre la livraison de cent mille dinars, avec
lesquels il pourrait rassembler les Turcomans, et contre son aide pour prendre
Antioche. İl-Ġāzī répondit favorablement, et il topa (wa-aḫaḏa yadah ʿalā ḏalika) ».
48 Le même chroniqueur affirme qu’une fois défait par les Géorgiens İl-Ġāzī aurait changé
d’avis. Comme il ne pouvait se dédire, il aurait usé d’un stratagème dont l’application
tourna au ridicule – sans doute Ibn al-ʿAdīm tenait-il à ridiculiser İl-Ġāzī et son fils
Sulaymān ; pour ce, il mêle fiction et « réalité » :
« Il (soit İl-Ġāzī) envoya une missive à son fils Sulaymān [son représentant à Alep],
qui était simple d’esprit (ḫafīf), lui disant : “Fais comme si tu t’étais révolté contre
moi, de manière à rendre caduc ce qu’il y a entre Dubays et moi.” Mais la bêtise le
conduisit à [réellement] se révolter et à lutter contre son père. Makkī b. Qurnās, le
ḥāǧib Nāṣir – le šiḥna d’Alep - et d’autres encore s’accordèrent avec lui 91. »
49 La rébellion de Sulaymān fit long feu et Alep échut, après la mort d’İl-Ġāzī (début
ramaḍān 516/début novembre 1122), d’abord à son fils Sulaymān, ensuite à son cousin
Balak, et enfin à un autre de ses fils, Timurtāš 92. Or, si on en croit Ibn al-ʿAdīm
(toujours dans la Zubda), Dubays devait être actif en Syrie du Nord et en Djéziré depuis
son départ d’al-Baṣra. C’est du moins ce que laisse penser ce qu’il rapporte de l’accord
conclu par Timurtāš et Baudouin II de Jérusalem : ce dernier, dont Balak s’était emparé
en ṣafar 517/avril 1123, croupissait dans les geôles d’Alep ; une fois maître de cette
ville, Timurtāš lui offrit la liberté, début ǧumādā I 518/mi-juin 1124, non seulement

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contre des otages et la promesse de livrer diverses places fortes et quatre-vingt mille
dinars, mais également contre l’engagement d’expulser Dubays qui avait fait de Qalʿat
Ǧaʿbar sa base d’activité.
50 Ibn al-ʿAdīm va même plus loin, cette fois dans son dictionnaire biographique (la
Buġya) : il affirme que Dubays était devenu, très tôt, l’ami (ṣadīq) de Josselin, maître de
Tall Bāšir et d’Édesse, tout aussi célèbre que lui pour ses exploits et sa brutalité. De
Josselin et même du roi Baudouin de Jérusalem, puisque c’est avec les deux hommes
qu’il aurait convenu d’assiéger Alep et établi des rapports d’amitié (ṯumma inna Dubays
ṣādaqa Ǧūslīn wa-Baġdawīn al-firanǧiyyayn).
51 Que penser de ces rapports d’amitié ? Traduisent-ils, simplement, une volonté d’Ibn al-
ʿAdīm de noircir Dubays ? Ni ʿAẓīmī, autre chroniqueur généralement bien informé des
événements alépins, ni Ibn al-ʿAdīm lui-même dans la Zubda n’en disent rien – pas plus,
d’ailleurs, que de la demande de ne pas donner corps aux ambitions de Dubays 93. On
doit sans doute comprendre que si amitié il y eut, elle ne concerna primitivement que
Josselin ; c’est seulement une fois le roi franc libéré, le siège d’Alep décidé et les
combats sous la ville fermement menés que le « roi des Arabes » aurait pu réellement
devenir l’ami du « roi des Francs 94 ». Mais on ne peut être sûr de rien. Ibn Abī Ṭayyi’,
par exemple, historien chiite moins hostile à Dubays qu’Ibn al-ʿAdīm, offre une version
des événements qui ne va aucunement dans le sens d’une amitié entre Dubays et les
Francs. Il assure que le Mazyadite avait, de prime abord, répondu favorablement à un
appel du cadi d’Alep qui lui demandait de ne pas les aider. C’est seulement sous leurs
menaces qu’il s’y était résolu 95.

Le siège

52 Toujours est-il qu’il s’y investit complètement. Fin ǧumādā II 518/fin juillet 1124, selon
al-ʿAẓīmī, il écrivit à des Alépins afin de les gagner contre de l’argent. Il n’est donc plus
question, comme dans l’extrait du Kāmil traduit ci-dessus, de solidarité confessionnelle.
Dans la Buġya, Ibn al-ʿAdīm évoque également des tentatives de corruption par l’argent.
Il faut dire que Dubays était immensément riche, si on en croit Badrān b. Ibn al-Mālik
auquel son père avait raconté qu’il était arrivé à Qalʿat Ǧaʿbar avec 1,2 M de dinars 96.
53 La manœuvre de Dubays échoua et il fallut en passer par les armes. Les combats furent
âpres ; seule l’intervention d’al-Bursuqī, que des Alépins allèrent solliciter, fit lâcher
prise aux assiégeants. Le siège est résumé par Ibn al-Qalānisī, qui n’évoque aucunement
Dubays (seul al-Bursuqī l’intéresse réellement), et conté avec précision et sobriété par
al-ʿAẓīmī, qui ne focalise pas sur le Mazyadite. Il révèle qu’aussitôt relâché (le 17 raǧab
518/30 août 1124) à Šayzar (les Munqiḏites de cette ville avaient servi
d’intermédiaires), Baudouin fut libéré de ses promesses de paix par le patriarche
d’Antioche, Bernard. Des pourparlers n’aboutirent à rien et la trève (hudna) fut rompue.
Baudouin se mit aussitôt en marche ; il prit Alep pour cible. Il s’était assuré l’appui de
musulmans, parmi lesquels se distinguait, outre Dubays, Sulṭān Šāh Ibrāhīm b. Riḍwān
dont le père avait été maître d’Alep au début du VIe/XIIe siècle 97 :
« Et trois étendards se rassemblèrent aux portes d’Alep : l’étendard du prince
(malik) Ibrāhīm b. Riḍwān, l’étendard de l’émir Dubays b. Ṣadaqa et l’étendard du
roi (malik) Baudouin 98. »
« Lorsque Balak b. Bahrām b. Artuq fut tué à Manbiǧ, le fils du frère de son père
Timurtāš b. İl-Ġāzī b. Artuq prit le pouvoir à Alep. Mais Timurtāš vendit Baudouin,
le roi des Francs – il était emprisonné par Balak. Il le vendit lui-même, lui offrit une

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trêve, et le relâcha. Puis Šams al-dawla b. İl-Ġāzī, seigneur de Mārdīn, mourut ;


Timurtāš se dirigea vers [cette ville] et œuvra à en prendre le contrôle, ainsi que
des territoires de son frère. Dès que Baudouin sut cela, il rompit la trêve et convint,
avec Dubays b. Ṣadaqa et Ibrāhīm b. Riḍwān b. Tutuš, d’assiéger Alep. Ils
s’accordèrent sur le fait que le pays (bilād) revienne aux musulmans, Alep à Ibrāhīm
b. al-Malik Riḍwān - car elle avait appartenu à son père -, et l’argent aux Francs 99. »
54 Apparemment, Dubays arriva devant Alep avec Josselin – ils venaient de Tall Bāšir, d’où
ils avaient multiplié les ravages. D’autres musulmans, moins éminents, participèrent à
la coalition franco-musulmane, tels ʿAlī (ou ʿĪsā, ou les deux) b. Sālim b. Mālik, de Qalʿat
Ǧaʿbar, ou le seigneur de Bālis (Yāġī Siyān b. ʿAbd al-Ǧabbār b. Artuq), qui s’installèrent
avec les Francs à l’ouest de la ville. Au total, les assiégeants dressèrent trois cents
tentes, dont cent étaient musulmanes 100. Acculés, les Alépins firent finalement appel à
al-Bursuqī ; selon l’Anonyme syriaque, Dubays proposa en vain aux Francs de lui confier
une armée afin de l’empêcher de traverser l’Euphrate 101.
55 Ibn al-ʿAdīm, dont le grand-père joua un rôle actif lors de ce siège, se fait le porte-
parole du peuple alépin, à travers ce qu’il rapporte de ses souffrances ou de son
héroïsme 102. Par-delà sa dénonciation du pacte dont Dubays se serait rendu coupable,
son père, qui le tenait de son grand-père, rapporte les quolibets qu’on ne se faisait pas
faute d’asséner à Dubays, du haut des remparts 103 :
« Mon père - que Dieu l’ait en pitié - m’a rapporté, le tenant de son père, que
Dubays b. Ṣadaqa conclut une alliance (ʿāhada) avec les Francs, stipulant qu’ils
assiégeraient Alep, et que les gens (al-anfās) et l’argent iraient aux Francs, le pays
(bilād) à Dubays. Mon père m’a dit : on m’a rapporté que pendant le siège de Dubays,
le bas-peuple alépin montait sur les remparts de la ville, frappait sur de petits
tambours et criait “Eh Dubays ! Eh calamité !” »
56 Tourné en ridicule par les Alépins, Dubays n’eut guère le choix, ainsi que ses alliés
francs, de fuir devant l’avancée d’al-Bursuqī. En évoquant ses bannières déployées,
évidemment blanches (le noir était la couleur des Abbassides) et en précisant qu’il
s’enfuit vers le Ǧabal Ǧawšan, mont qui faisait l’objet d’une véritable vénération de la
part des chiites, Ibn al-ʿAdīm fait de son échec celui de tous ses coreligionnaires 104 :
« Lorsqu’il [soit Āq Sunqur al-Burusqī] approcha d’Alep, Dubays s’en alla vers les
Francs, bannières (aʿlām) blanches déployées, et ils se transportèrent tous sur le
Ǧabal Ǧawšan. Les Alépins sortirent en direction de leurs tentes, qu’ils pillèrent - ils
y prirent ce qu’ils voulaient. ».

Intermède iraqien - menaces sur Bagdad (518/1125 – 525/1130)

57 À nouveau, Dubays se releva vite de son échec. Dès 518/1125, il s’en retourna vers l’est,
en Iraq, où de nouvelles aventures l’attendaient, aux côtés cette fois du prince
seldjouqide Ṭoġril II b. Muḥammad 105, qu’il avait convaincu de faire valoir ses
prétentions au sultanat, d’attaquer l’Iraq (Ibn al-Ǧawzī) et de s’en prendre au calife (Ibn
al-Aṯīr) 106. Il en résulta une lutte sourde à quatre voix – face à Dubays et à Ṭoġril II,
dont la responsabilité respective dans les prises de décision n’est pas plus aisée à
identifier dans le Muntaẓam d’Ibn al-Ǧawzī que dans le Kāmil d’Ibn al-Aṯīr, le calife al-
Mustaršid puis le sultan Maḥmūd. Défaits par l’un, poursuivis par l’autre, les félons
s’enfuirent au Ḫurāsān, non sans, au passage, piller copieusement Hamaḏān. Ils s’en
remirent à Sanǧar qui, en les accueillant, se posait résolument en chef suprême du clan
seldjouqide (an 519/1125-6)107.

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58 Impliqué dans les luttes entre Seldjouqides d’une part, entre ces derniers et le calife
abbasside d’autre part, Dubays se transforma peut-être en enjeu ou même en monnaie
d’échange. Certes, Ibn al-Aṯīr ne laisse rien penser de tel : selon lui, Sanǧar accueillit
Ṭoġril II et Dubays avec diligence, écouta leurs récriminations (envers le calife, le sultan
et Yarnaqš al-Zakawī al-Ḫādim, šiḥna de Bagdad) et se rangea derrière l’avis du
Mazyadite qui lui conseilla d’attaquer l’Iraq et de mettre au pas ces séides récalcitrants.
Mais cela n’est pas vrai d’Ibn al-Ǧawzī qui attribue à Dubays un sort bien moins
reluisant 108 :
« Sanǧar se saisit de Dubays et l’emprisonna dans une citadelle, de manière à se
rapprocher d’al-Mustaršid. »
59 Il ne faut néanmoins pas en conclure que Sanǧar maltraita Dubays. Lorsque, fin 522/fin
1128, il reçut son neveu Maḥmūd à al-Rayy, en signe de réconciliation (ils s’étaient
brouillés), il le lui livra (à moins que ce ne fût à sa fille 109) en lui demandant
expressément d’en prendre soin, à rebours donc des conseils du calife qui, par
l’intermédiaire de ʿAlī b. Ṭarrād, réclamait tout aussi fermement qu’on l’éloignât.
Sanǧar exigea même que Zangī b. Āq Sunqur fût révoqué, ses domaines confiés à
Dubays 110 :
« [Sanǧar] lui dit : “Révoque Zangī à Mossoul et en Syrie, et confie-les à Dubays. Et
demande au calife de s’en satisfaire.” Alors [Maḥmūd] le prit et s’en alla 111. »
60 Il faut dire que les rapports entre le calife et Maḥmūd s’étaient assombris. Un temps
unis contre Ṭoġril II et Dubays, ils s’opposaient désormais farouchement 112. Quant à
Dubays, il est difficile de déterminer le rôle exact qu’il joua, une fois livré à Maḥmūd.
Conserva-t-il ou non une certaine liberté de mouvement ? Maḥmūd ne profita-t-il pas
de sa présence pour faire pression sur al-Mustaršid, dont Dubays était assurément l’un
des ennemis jurés ? Relativement elliptique, Ibn al-ʿAdīm ne dit rien de tel, dans la
Buġya 113. Ibn al-Ǧawzī cherche surtout à retranscrire la panique que déclencha, en
ǧumādā II 522/3 mai-31 mai 1128, l’annonce de l’arrivée de Dubays à Bagdad, à la tête
d’une formidable armée. Ibn al-Aṯīr ne fait pas état de cette rumeur ; il donne le beau
rôle à Maḥmūd, censé œuvrer à la seule réconciliation des deux ennemis jurés, au
détriment de Zangī b. Āq Sunqur 114.
61 Dubays devenait, désormais, un concurrent direct de Zangī b. Āq Sunqur, chef de
guerre remarquable et ambitieux redoutable, nommé par le sultan šiḥna d’Iraq (en rabīʿ
II 521/16 avril-14 mai 1127) avant de se voir confier Mossoul et la Syrie, qu’il refusa
(selon Ibn al-Ǧawzī) de céder à Dubays, ainsi que le lui demanda le sultan Maḥmūd lors
de son arrivée à Bagdad 115.
62 Comble de l’ironie, Dubays allait bientôt se trouver, en Syrie, à la merci de cet homme,
réputé pour sa cruauté. En effet, devant l’intransigeance du calife, le sultan Maḥmūd
avait quitté Bagdad pour Hamaḏān, le samedi 4 ǧumādā II 523/25 mai 1129. À ses côtés,
un Dubays qui n’en était pas à une trahison près. Sa protectrice (la femme de Maḥmūd,
fille de Sanǧar) décédée, le sultan lui-même malade, il s’était discrètement emparé d’un
de leurs héritiers (sans doute pour, au cas où, réclamer le sultanat en son nom) et était
retourné en Iraq.
63 Puis Dubays se rendit à al-Ḥilla, qui était désormais sous la coupe de Bahrūz al-Ḫādim,
en ramaḍān 523/18 août-16 septembre 1129. Il l’occupa sans tarder, suscitant l’ire du
sultan qui décida d’envoyer à ses trousses deux grands émirs, Qizil et Aḥmadīlī. Inquiet,
le Mazyadite tenta d’amadouer le calife, sans plus de succès qu’auparavant. Il ne
parvint pas plus, le mois suivant, à se concilier le sultan, qui avait à son tour accouru.

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Les cinquante-cinq poulains arabes de prix et les trois cents mules chargées de caisses
débordant d’argent n’y firent rien. Comme souvent dans le Muntaẓam (et plus
généralement dans les sources arabes) Dubays apparaît immensément riche.
L’énumération de ses richesses (il est également question de trois cents pur-sang, d’or
et de deux cent mille dinars, offerts sans plus de succès), participait peut-être, dans
l’esprit d’Ibn al-Ǧawzī, de la dénonciation du personnage – on songe aux amasseurs de
biens vilipendés dans le Coran 116.
64 Toujours est-il que Dubays ne réussit à convaincre ni le calife, ni le sultan. Pourtant,
selon Ibn al-Ǧawzī, il ne s’était pas contenté de l’argument pécuniaire. Il avait menacé
le sultan de fuir dans le désert (et donc de devenir inaccessible) s’il refusait de le
raccommoder avec le calife ; le nécessaire (chameaux, farine, eau) avait été préparé. Ibn
al-Ǧawzī sous-entend même qu’il s’était servi du jeune fils de Maḥmūd comme d’un
otage 117 : « Alors il prit l’enfant et sortit d’al-Ḥilla sans rien dire de sa destination. »
65 Ibn al-Aṯīr ne suit pas Ibn al-Ǧawzī sur ce point. Selon lui, la fuite de Dubays dans le
désert n’était en rien préméditée. Une fois informé de l’arrivée du sultan à Bagdad, en
ḏū l-qaʿda 523/16 octobre-14 novembre 1129), il ne put que s’enfuir. De Bagdad, il se
rendit à al-Baṣra, qu’il pilla impunément ; l’envoi de dix mille hommes pour le punir le
força à disparaître :
« Quand il fut certain de son arrivée, il partit pour le désert. Il passa par al-Baṣra, où
il s’empara de beaucoup d’argent et des revenus qui y appartenaient au calife et au
sultan. Puis le sultan envoya dix mille hommes à ses trousses, il quitta al-Baṣra et
pénétra dans le désert 118. »

Nouvelles aventures syriennes (525/1131)

66 Dubays échoua à nouveau en Syrie, après une période indéterminée. Contrairement à


Ibn al-Ǧawzī, toujours aussi peu intéressé par les affaires syriennes, Ibn al-Aṯīr livre,
dans le Kāmil, un récit assez détaillé de ce second séjour. Il faut y noter le ton plutôt
mélioratif des passages où il est question de Dubays – comme si Ibn al-Aṯīr, une fois
Dubays éloigné d’Iraq, n’éprouvait plus la nécessité de le déprécier, à moins qu’il n’ait
simplement jugé nécessaire de l’épargner parce qu’il devenait l’allié de Zangī b. Āq
Sunqur, ancêtre des hommes qu’il servait, à Mossoul 119 :
« Récit de la capture de Dubays b. Ṣadaqa et de sa livraison à ʿImād al-dīn Zangī.
Cette année-là, en šaʿbān [5251]/juillet 1131, Tāǧ al-mulūk Būrī b. Ṭuġtakīn,
seigneur (ṣāḥib) de Damas, fit prisonnier l’émir Dubays b. Ṣadaqa, seigneur d’al-
Ḥilla, et le livra à l’atabeg Zangī b. Āq Sunqur, le martyr. La cause de ceci est que
lorsqu’il quitta al-Baṣra, ainsi que nous l’avons raconté, un messager (qāṣid) venant
de Ṣarḫad, en Syrie, vint à lui, afin de l’y inviter. En effet, son seigneur, un eunuque,
était mort cette année-là, laissant une jeune concubine. Elle s’était rendue
maîtresse de la citadelle et de ce qu’elle contenait, non sans se rendre compte
qu’elle n’arriverait à rien sans se lier à un homme fort et courageux. C’est alors
qu’on lui décrivit Dubays b. Ṣadaqa et son nombreux clan (kaṯrat ʿašīratih), et qu’on
lui révéla sa situation en Iraq. Dès lors, elle le fit inviter à Ṣarḫad, afin de l’épouser
et de lui livrer la citadelle, ainsi que l’argent et les autres biens qui s’y trouvaient.
Il prit des guides et se mit en marche, d’Iraq en Syrie, mais les guides l’égarèrent
dans les environs de Damas. Il arriva alors chez des Kalb qui se trouvaient à l’est de
la Ġūṭa. Ils se saisirent de lui et l’amenèrent à Tāǧ al-mulūk, le seigneur de Damas,
qui l’emprisonna. L’atabeg Zangī en fut informé – Dubays le calomniait et le
dénigrait. Il envoya alors demander à Tāǧ al-mulūk de le lui céder contre la
libération de son fils et des émirs qu’il gardait prisonniers 120. S’il refusait de le lui
livrer, [menaçait-il], il viendrait à Damas, l’assiégerait, la ruinerait et pillerait son

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territoire. Tāǧ al-mulūk ayant répondu favorablement, l’atabeg [Zangī] envoya


Sawinǧ b. Tāǧ al-mulūk et les émirs qui étaient avec lui, et Tāǧ al-mulūk envoya
Dubays.
Dubays était persuadé que son heure avait sonné. Mais Zangī le traita différemment
de ce à quoi il s’attendait : il le combla – lui faisant porter des vivres, des armes, des
bêtes de sommes et toutes choses se trouvant dans ses magasins (ḫazā’in). Il lui
accorda même la préséance sur lui ; il le traita comme on traite les plus grands des
rois.
Lorsqu’al-Mustaršid bi-llāh fut informé de son arrestation à Damas, il envoya à Tāǧ
al-mulūk Sadīd al-dawla b. al-Anbarī et Abū Bakr b. Bašar al-Ǧazarī, de Ǧazīrat Ibn
ʿUmar, afin de lui demander de lui livrer Dubays – l’inimitié du calife à son égard
était bien connue. En chemin, Sadīd al-dawla sut qu’il avait été cédé à Zangī. Il ne
prit pas [pour autant] le chemin du retour, et se rendit à Damas, où il critiqua et
blâma sévèrement Zangī. Ce dernier le sut, et il envoya des hommes l’intercepter
lorsqu’il s’en retournerait. Dès qu’il quitta Damas, ils s’en saisirent, ainsi que d’Ibn
Bišr, et les lui amenèrent. Il humilia Ibn Bišr, avec lequel il en usa de manière
abominable (wa-ǧarā fī ḥaqqih makrūh), mais mit [simplement] Ibn al-Anbarī en
prison. Puis al-Mustaršid bi-llāh intercéda en sa faveur, et il le relâcha.
Dubays demeura avec Zangī jusqu’à ce qu’il se rendît avec lui en Iraq, ainsi que nous
le raconterons, si Dieu Très-Haut le veut. »
67 Ce récit prête tout autant à discussion que celui qu’Ibn al-Aṯīr consacrait au premier
séjour syrien de Dubays. D’ailleurs, Sibṭ b. al-Ǧawzī constate les divergences entre les
sources. Il distingue les récits « des Bagdadiens » (dont le Kāmil d’Ibn al-Aṯīr) et les
récits syriens (wa-qad iḫtalafū fī al-qiṣṣa ammā tawārīḫ al-Baġdadiyyīn… ammā tawārīḫ ahl
al-Šām) 121. Il est vrai que les divergences sont importantes ; en découle une vision
différente de Dubays. Ibn al-Qalānisī, par exemple, n’évoque pas, dans Ḏayl ta’rīḫ
Dimašq, de proposition émanant de la maîtresse de Ṣarḫad, ville dont il savait bien
qu’elle constituait un bastion avancé de la principauté de Damas 122. Doit-on prêter foi
au récit d’Ibn al-Qalānisī (et rejeter le témoignage des auteurs iraqiens), ou considérer
qu’il minore l’activité de Dubays ? Dans ce cas, quelles étaient ses motivations ? Se
refuse-t-il à mettre Dubays en avant, lui qui abhorre toute forme de désordre ? Ne veut-
il pas, simplement, taire les difficultés de Tāǧ al-mulūk (et donc les manœuvres
auxquelles il se prête) ? Toujours est-il qu’il installe Dubays dans un rôle d’aventurier
déchu, en bien piètre état, malmené, égaré car mal guidé, sauvé par miracle du sort que
le désert réserve aux inconscients, pourchassé sans relâche par le calife et ses séides et
ne devant son salut, in fine, qu’à l’intervention étonnante de Zangī 123.
68 On ne retrouve pas, dans les récits des autres historiens syriens – al-ʿAẓīmī et Ibn al-
ʿAdīm - la même volonté de préserver le maître de Damas. Mais leur originalité
essentielle tient sans doute qu’ils inscrivent ce nouveau séjour syrien dans le passé -
trace des menaces que Dubays avait fait peser sur la capitale nord-syrienne, en
518/1124. Dans le Ta’rīḫ Ḥalab, al-ʿAẓīmī n’en fait aucunement un fuyard réduit aux
dernières extrémités. Dubays y apparaît toujours aussi ambitieux qu’auparavant ; dès
son arrivée en Syrie, il active à nouveau ses réseaux nord-syriens, musulmans (Qalʿat
Ǧaʿbar) et francs (Josselin), mais en vain124. Il jette son dévolu sur Ṣarḫad, avant de se
lier à Zangī aux côtés duquel il va à nouveau tenter sa chance à Bagdad 125 :
« Année 525/1131
Dubays arriva en Syrie. Il confia le fils du sultan à Naǧm al-dawla Mālik [seigneur de
Qalʿat Ǧaʿbar], et il s’appuya sur les Francs. L’atabeg [Zangī] conquit Qalʿat Bahmar
(dans le Diyār Bakr).
Dubays se dirigea vers la maîtresse de Ṣarḫad afin de l’épouser. Maktūm b. Ḥassān
b. Mismār l’engagea à venir dans sa tribu, et [le] dissimula à Tāǧ al-mulūk. Mais on

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dit : ceci était entendu. Alors il envoya l’armée de Damas, qui se saisit de Dubays et
le ramena à Damas. Tāǧ al-mulūk racheta son fils Sawinǧ à l’atabeg Zangī, auquel il
le livra. [Ce dernier] partit sur le champ, en šawwāl [525]/27 août-24 septembre
1131. […]
On tomba sur Ibn al-Anbarī, l’envoyé du sultan al-Mustaršid, sur les terres de
Raḥba ; la caravane qui arrivait fut pillée.
Année 526/1131-2
L’atabeg [Zangī] relâcha Dubays b. Ṣadaqa, le combla de ces bienfaits que même un
sultan n’accorde pas à un sultan, l’honora et se l’attacha (nādamah). Puis ils
partirent ensemble pour combattre Bagdad. Al-Mustaršid sortit en personne, et ils
se rencontrèrent à ʿAqarqūf, en šaʿbān/17 juin-15 juillet 1132. Les troupes firent
défection lorsqu’elles virent le calife. L’atabeg [Zangī] retourna à Mossoul, et
Dubays à Mārdīn. »
69 Dans la Zubda, Ibn al-ʿAdīm, qui disposait de leurs ouvrages, ne choisit pas
véritablement entre Ibn al-Qalānisī et al-ʿAẓīmī. Il ne les nomme pas directement et les
cite avec prudence (wa-qīla, répète-t-il). Il les complète, parfois, et adopte alors un ton
plus personnel. Il est le seul, par exemple, à dire que Dubays était enchaîné lorsqu’il fut
ramené à Alep, après avoir été livré à Zangī. De même, lui seul lui fait rencontrer, sur la
route d’Alep (sans qu’on sache précisément où, quand ni comment) un poète qui se met
à chanter ses louanges et auquel il promet rétribution future sur un billet. Par un
hasard heureux, à Alep, alors que Dubays est désormais libre, le poète rencontre à
nouveau Dubays. Il lui rappelle sa promesse et, devant ses réticences, lui présente le
billet qui le convainc. Cette anecdote, dont la teneur fictionnelle est probable, participe
d’une mélioration du personnage de Dubays aux antipodes des critiques virulentes
qu’Ibn al-ʿAdīm avait été amené à porter à son égard, dans la Buġya, lorsqu’il avait
évoqué sa compromission avec les Francs, lors du siège d’Alep de 518/1124. Dans cette
même Buġya, où elle est également présente et attribuée à Badrān b. Ḥusayn b. Mālik,
cette anecdote a clairement pour rôle de contrebalancer le portrait très noir de Dubays
qu’Ibn al-ʿAdīm venait de brosser 126.
70 Des bribes de ces différents récits furent réutilisées par les auteurs arabes tout au long
du Moyen Âge. Ainsi, dans la notice du Wāfī bi-l-wafayāt qu’il consacre à Dubays, Ṣafadī
rapporte l’anecdote du poète louangeur finalement récompensé 127. Mais il la
décontextualise complètement, supprimant toute référence au bilād al-Šām, à Damas, à
Alep ou à Zangī 128.
71 Quant à Ibn Abī Ṭayyi’, historien chiite, il ne participe pas de cette réhabilitation de
Dubays – du moins dans ce qu’en conserve Ibn al-Furāt. En revanche, il propose un récit
original de son intervention en Syrie. Selon lui, Dubays visait en fait une alliance avec
l’Égypte fatimide afin d’abattre le califat abbasside. La prise de Ṣarḫad n’était
qu’anecdotique ; il s’agissait simplement de profiter d’une occasion inespérée 129 :
« Lorsque sa situation s’était dégradée en Iraq, Dubays était arrivé, en route pour
l’Égypte. Il écrivit aux Égyptiens, qui l’invitèrent à venir chez eux – il leur
promettait la conquête de l’Iraq. Mais lorsqu’il campa devant Ḥiṣn Ṣarḫad, un
homme qui s’y trouvait lui écrivit, lui proposant d’œuvrer [à la prise] du château
(ḥiṣn). Le seigneur (ṣāḥib) de Damas en fut informé, et il envoya contre lui l’émir
Maktūm b. Ḥasan b. Sinān al-Kalbī. [Précédemment], Maktūm alla à lui, lui apporta
des vivres en quantité (ḍiyāfa kaṯīra) et lui donna à boire. Dès qu’il fut ivre, il sauta
sur lui, s’en saisit et se rendit à Damas - nous raconterons cela lorsque nous en
parlerons sous l’année 525 ; nous [rapporterons] également ce qu’en dit Ibn al-Aṯīr,
si Dieu Très-Haut le veut ».

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Mort de Dubays
72 Qu’il ait ou non songé à abattre le califat abbasside de Bagdad, Dubays retourna en Iraq
et poursuivit la lutte pour le pouvoir, aux côtés des uns (Zangī) et des autres (Masʿūd,
Ṭoġril II…) 130. Comme toujours opposé au calife al-Mustaršid, il fut confronté à des
difficultés analogues à celles qu’il avait dû surmonter auparavant ; il apparaît donc à
nouveau sous les traits d’un aventurier intrépide. Par exemple, après la défaite que le
calife lui infligea (ainsi qu’à Zangī), le 26 raǧab 526/13 juin 1132, Dubays échoua à
s’emparer d’al-Ḥilla. Battu par Iqbāl al-Mustaršidī, il alla, selon Ibn al-Aṯīr ou Sibṭ b. al-
Ǧawzī, se 131
« cacher dans des fourrés de roseaux (aǧama). Il y demeura trois jours sans rien
manger, incapable d’en sortir jusqu’à ce qu’un de ses partisans énergiques (ḥamās)
le fasse sortir sur son dos. Puis il rassembla une armée et attaqua Wāsiṭ ».
73 Pas plus qu’auparavant, les auteurs arabes ne proposent une version uniforme de ces
luttes. Ainsi, alors qu’Ibn al-Ǧawzī affirme que le calife al-Mustaršid leva le siège de
Mossoul, en 527, du fait de l’exécution d’un de ses soutiens, Aḥmadīlī, et du
rapprochement entre le sultan Masʿūd et Dubays, il n’est aucunement fait mention de
ce dernier dans le Kāmil d’Ibn al-Aṯīr 132. Plus généralement, Ibn al-Ǧawzī focalise
souvent sur Dubays dans les longs passages qu’il consacre à ces luttes 133.
74 Sa sobriété, lorsqu’il est question de l’exécution de Dubays, le 21 ḏū l-ḥiǧǧa 529/2
octobre 1135, soit peu après la mort du calife al-Mustaršid (17 ḏū l-qaʿda 529/29 août
1135), prête donc à interrogation 134. Alors qu’il s’étend très longuement sur l’assassinat
d’al-Mustaršid par des bāṭiniens (sur instigation de Masʿūd et/ou de Sanǧar, selon
nombre d’auteurs arabes 135), il ne dit même rien de la mort de Dubays, au fil de son
récit. Il l’évoque brièvement dans la partie consacrée aux obituaires, l’expliquant, ainsi
qu’Ibn al-ʿAdīm, par le fait que le sultan voulait punir Dubays de l’avoir trahi pour
Zangī. Il ne se fait pas faute, néanmoins, de souligner qu’il « y avait vingt-huit jours
entre sa mort et celle d’al-Mustaršid ».
75 Il faut même attendre les événements de l’année suivante (530) pour lire, dans le
Muntaẓam, une interprétation plus poussée de cette mort – du chiisme ou de la
dangerosité religieuse de Dubays, il n’est alors plus question 136 :
« La nouvelle de l’exécution de Dubays arriva [à Bagdad]. On s’étonna alors de la
proximité de la mort (mawt) d’al-Mustaršid et de l’exécution (qatl) de Dubays. Puis
on se dit que la cause de son exécution était l’assassinat (qatl) d’al-Mustaršid : s’ils le
laissaient [vivre], c’était pour qu’il fasse face à al-Mustaršid ».
76 Ibn al-Aṯīr revient également sur cette quasi-simultanéité. Selon lui, et selon Sibṭ b. al-
Ǧawzī, elle est liée au fait que Dubays n’était qu’un instrument dont les Seldouqides
usaient à leur gré pour contrecarrer les ambitions du calife al-Mustaršid 137 :
Ibn al-Aṯīr, Kāmil :
« Cette année-là, le sultan Masʿūd tua Dubays b. Ṣadaqa aux portes de son pavillon,
devant la ville de Ḫuwayy/Ḫūnaǧ 138. Il ordonna à un ġulām arménien de l’exécuter.
Il se tint derrière lui alors qu’il grattait le sol d’un doigt, et lui trancha la tête – il ne
se rendit compte de rien. […] De telles coïncidences (ḥādiṯa) ne sont pas rares – soit
la [presque] simultanéité de la mort de deux ennemis. Dubays était l’ennemi d’al-
Mustaršid ; il détestait le fait qu’il fût calife. Mais il n’avait pas réalisé que les
sultans ne le préservaient que pour en user comme d’une arme contre al-Mustaršid.
Une fois la cause disparue, le produit disparut [également] – mais Dieu sait le plus. »
Sibṭ b. al-Ǧawzī, Mir’at al-zamān :

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« Ceci survint le 20 ḏū l-ḥiǧǧa [529]/1er octobre [1135]. Trente-cinq jours s’étaient


écoulés entre sa mort et celle d’al-Mustaršid. Les Banū Salǧūq ne l’avaient laissé [en
vie] que pour faire face au calife. »
77 Que l’on souscrive ou non à cette interprétation, qui va à l’encontre, par exemple, de ce
qu’Ibn Abī Ṭayyi’ avait révélé des ambitions égyptiennes de Dubays, soulignons que pas
plus Ibn al-Aṯīr qu’Ibn al-Ǧawzī ne justifient l’exécution de Dubays par son implication
dans la mort d’al-Mustaršid. Ibn Kaṯīr lui-même n’en dit rien, dans la Bidāya wa-l-
nihāya 139. Quelques auteurs l’évoquent, mais, à l’évidence, sans y croire vraiment (tel
Ibn al-Azraq) ; al-Bundarī, Ibn Abī Ṭayyi’ et Ibn Ḫallikān dédouanent même
explicitement Dubays, en révélant un stratagème du sultan Masʿūd 140 :
Ibn al-Azraq al-Fāriqī, Ta’rīḫ
« On avait raconté que Dubays avait poussé le sultan à tuer al-Mustaršid »
Al-Bundarī, Zubdat al-nuṣra
« Il (Masʿūd) pensait que s’il le (Dubays) tuait, les gens lui attribueraient l’assassinat
du calife, et que de ce fait, lui, le sultan, ne le laisserait pas vivre […]. Un mois
s’écoula entre le martyre du calife et celui de Dubays. Cet événement était
également honteux : un déshonneur scandaleux. Ce crime atroce s’ajouta à un crime
atroce, l’outrage suivit l’outrage. Le sultan n’en fut pas [pour autant] préoccupé […]
et ne montra pas de remords pour ce qu’il avait fait. Son avidité n’en fut qu’encore
plus débordante, et les étincelles de son iniquité s’enflammèrent. »
Ibn Abī Ṭayyi’, Maʿāḏin al-ḏahab
« Lorsque les accusations de turpitudes se multiplièrent à son encontre, du fait de
l’assassinat d’al-Mustaršid, le sultan Masʿūd se décida à tuer Dubays : lorsqu’il
l’exécuterait, [se dit-il], il affirmerait qu’il était responsable de l’assassinat et que
lui [le sultan] vengeait [le calife]. »
Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān
« Dubays était au service du sultan Masʿūd b. Muḥammad b. Malikšāh al-Salǧūqī. Ils
campaient devant al-Marāġa, en Azerbaïdjan, accompagnés de l’imam al-Mustaršid
bi-llāh. On raconte que le sultan lança secrètement contre lui un groupe de
bāṭiniens qui assaillirent sa tente et l’asassinèrent le mardi 18 ḏū l-qaʿda 529.
Craignant qu’on ne remontât jusqu’à lui et désireux qu’on attribuât [l’assassinat] au
Dubays en question, il le laissa [d’abord] aller. Puis, [un jour], Dubays étant venu au
service et s’étant assis à l’entrée de la tente, le sultan envoya un de ses mamelouks
[le tuer]. Il se mit derrière lui et le frappa à la tête, de son épée, la lui tranchant.
Après cela, le sultan expliqua qu’il n’en avait agi ainsi avec Dubays qu’en
représailles de ce qu’il avait fait à l’imam [al-Mustaršid]. Ceci se déroulait un mois
après l’assassinat de l’imam – que Dieu Très-Haut lui soit miséricordieux. »
78 Quant aux conditions de la mort de Dubays, ces auteurs ne s’étendent pas. Leurs récits
sont rarement précis – font exception Ibn Abī Ṭayyi’, Sibṭ b. al-Ǧawzī et surtout le ra’īs
Abū ʿAlī al-Dārī, que cite Ibn al-ʿAdīm. Mais si le détail se fait quelque peu croustillant
et le récit relativement haletant, le ton reste relativement impersonnel et peu à la
mesure du personnage d’exception qu’était Dubays 141. Certes, Ibn al-ʿAdīm propose,
dans la Buġya, une version de sa mort qui fait la part belle à l’émotion 142:
« Après cela, en 529/1134-1135, Dubays se trouvait auprès du sultan Masʿūd lorsque
ce dernier battit al-Mustaršid et l’emprisonna, aux portes de Marāġa. Le sultan
ayant fait demander à Zangī de venir, [Dubays] écrivit à l’atabeg afin de l’avertir
[qu’il était menacé] et de le lui déconseiller – en conséquence Zangī s’en défendit.
Ayant été informé de ce que Dubays avait fait, le sultan, qui l’avait envoyé à al-Ḥilla,
le rappela. On lui déconseilla de s’exécuter, mais sans succès 143. Lorsqu’il parvint à
la tente du sultan, ce dernier se leva de son trône (sarīr) et dit : “Ceci est le
châtiment réservé à qui trahit son maître.” Et il le frappa à la tête, la faisant voler.
Informé, Zangī déclara : “Nous l’avons racheté avec de l’argent, il s’est racheté avec
son âme” ».

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79 Mais il faut se reporter à une chronique syriaque, celle de Michel le Syrien, pour
trouver quelques lignes inscrivant résolument Dubays dans un registre tragique 144 :
« L’émir Dubays, qui s’était enfui près du sultan, s’aperçut qu’on voulait le tuer et
chercha le moyen de se sauver, mais ne le put faire ; il prononça une parole de
tristesse, et dit : “Jusqu’à quand poursuivrai-je et serai-je poursuivi ? Il n’y a rien de
meilleur que la mort” ».

Conclusion
80 À retracer même sommairement le parcours de Dubays b. Ṣadaqa, on comprend mieux
ce que la lutte séculaire de l’historiographie (occidentale et orientale) contre la fiction a
de chimérique 145. Dans les textes que nous avons examinés, qui datent pour l’essentiel
des VIe/XIIe-VIIe/XIIIe siècles, l’une et l’autre se mêlent parfois inextricablement. Rien
d’étonnant : aucun discours, eût-il pour objet prévalent de dire le vrai et d’ancrer le
lecteur dans une « réalité » plausible, n’est par essence fictionnel ou représentatif de la
« vérité 146 ». Pour les historiens arabes médiévaux, la fiction n’était qu’une modalité
d’expression parmi d’autres 147 ; lorsqu’ils l’utilisaient, ils pouvaient notamment puiser
dans le fonds des Ayyām al-ʿArab, qui contaient les actions d’individus héroïsés, et
s’inspirer des Siyar, qui paraissent avoir connu une sorte d’âge d’or, aux VIe/XIIe-VIIe/
XIIIe 148. Rien de bien différent, finalement, des chroniques latines des croisades, qui font
la part si belle à la geste qu’Alfred Dupront a pu, à juste titre, évoquer à leur sujet
« l’élaboration emmêlée, et en définitive commune, de l’histoire et de la légende » 149.
Rien de surprenant, donc, à ce que Dubays apparaisse, dans les textes arabes
médiévaux, tour à tour bon et égoïste ; généreux et cupide ; accort et violent ;
courageux et couard ; désintéressé et pillard. Le soufi ʿAyn al-Quḍāt al-Hamaḏānī (m.
525/1131), dont il n’a pas été question jusqu’ici, n’hésite pas même à en faire le symbole
de l’homme révolté, un défenseur passionné des libertés 150.
81 C’est que par-delà la complexité toute humaine du personnage, dont on sent bien qu’il
se considérait comme l’égal des plus grands (le sultan, le calife), et dont on comprend
qu’il ait pu fasciner des générations d’historiens (médiévaux et contemporains), chacun
des historiens médiévaux l’envisageait en fonction d’une multitude de données dont
bon nombre nous échappent : leur documentation (les auteurs syriens sont moins bien
informés que les auteurs iraqiens), leurs intérêts (Ibn al-Qalānisī ne fait pas grand cas
de Dubays, au contraire d’Ibn al-Ǧawzī, qui apparaît profondément impliqué dans la
politique iraqienne), leurs préjugés (Ibn al-ʿAdīm ne goûte guère les nouveaux
détenteurs turcs du pouvoir alors qu’Ibn al-Qalānisī admire leur capacité à ramener
l’ordre), leurs sensibilités religieuses et/ou politiques (le hanbalite Ibn al-Ǧawzī est
fondamentalement hostile à Dubays, au contraire des auteurs chiites comme Ibn Abī
Ṭayyi’ ou Ibn al-Ṭiqṭaqā), les objectifs informatifs et/ou esthétiques qu’ils s’assignaient.
De l’insistance sur l’un ou l’autre de ces objectifs découlait l’utilisation, par ces savants,
de telle ou telle stratégie discursive, de tel ou tel registre, de telle ou telle tonalité. En
particulier, ils disséminaient à l’envi, dans leur récit, des anecdotes à la tonalité plus ou
moins fabuleuse.
82 Car même les moins talentueux de ces écrivains veillaient à proposer un discours
cohérent, maîtrisé et plaisant à leurs lecteurs/auditeurs, seuls à même d’accorder la
légitimité qu’ils recherchaient. Faire de l’histoire, ou plutôt l’écrire, consistait, quelle
que fût la forme adoptée (chronique, dictionnaire biographique etc.) à rédiger un récit

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mis en intrigue avec soin, que le lecteur acceptait (ou non) de compter parmi les récits
plaisants donc, mais également fiables, dignes de confiance 151.
83 Doit-on dès lors s’étonner que sur l’essentiel, concernant Dubays, tous les historiens
médiévaux, arabes et non arabes, s’entendent : Dubays fut un personnage puissant et
entreprenant, qui menaça le califat abbasside et le sultanat seldjouqide sans jamais les
faire réellement vaciller. Il affirma plus des ambitions (territoriales et politiques) qu’il
ne se détermina en fonction d’oppositions de principes, d’où les multiples
retournements d’alliance dont il fut partie prenante. Chiite et arabe, il symbolisait déjà,
au Moyen Âge, les soubresauts d’un monde en voie de disparition, un monde où les
princes arabes avaient encore un certain poids politique et militaire.
84 Il faut d’ailleurs l’envisager en référence aux « chevaliers arabes » de l’époque
précédente : Abū l-Ḥayḏām al-Murrī, rebelle du Ḥawrān et de la Ġūṭa sous Hārūn al-
Rašīd, ou les princes mirdassides d’Alep du Ve/XIe siècle, des parangons du « bédouin
arabe chevaleresque ». De ces « chevaliers » comme de Dubays, les auteurs arabes font
peu ou prou des hommes d’honneur, héros de la vie, n’hésitant pas à s’appuyer sur des
femmes lors de difficultés. Des hommes à l’opposé des cavaliers turcs professionnels,
taciturnes, efficaces et soucieux d’ordre qui s’imposèrent définitivement dans
l’ensemble du Proche-Orient, aux VIe-XIIe/XIIe-XIIIe siècles 152.
85 Homme époque 153 donc que Dubays, une époque instable, propice aux envolées lyriques
propres à la légende et à la fable. Homme légende également, dont les pérégrinations
donnent l’occasion aux polymathes médiévaux arabes de montrer à quel point ils se
plaisaient à jongler entre ce qu’on nomme aujourd’hui « histoire », « fable » ou
« littérature » sans toujours suffisamment garder à l’esprit que la distinction n’a pas
toujours eu lieu d’être.

Table généalogique des Banū Mazyad 154

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Chronologie 155

Vers Protectorat de ʿAlī b. Mazyad sur Sūrā et ses dépendances attribué par le
345-352/956-963 vizir būyide Abū Muḥammad al-Ḥasan al-Muhallabī, selon Ibn al-Ǧawzī.

342/1003 (?) Pouvoirs de ʿAlī b. Mazyad confirmés par le gouverneur būyide d’Iraq, ʿAmīd
al-Ǧuyūš al-Ḥasan b. Ustāḏ Hurmuz.

394/1004 (?) Naissance de Nūr al-dawla Abū l-Aʿazz Dubays (I).

397/1006-7 ʿAlī b. Mazyad obtient al-Ǧāmiʿayn, sur l’Euphrate.

408/1017-8 (?) Nūr al-dawla Abū l-Aʿazz Dubays (I) succède à son père à 14 ans.

463/1071 ( ?) Date parfois avancée 156 pour la naissance de Dubays b. Ṣadaqa b. Mazyad.

474/1082 Mort de Nūr al-dawla Abū l-Aʿazz Dubays (I), à 80 ans.

474/1082-479/1086 Règne de Bahā’ al-dawla Abū Kāmil Manṣūr

479/1086 Le père de Dubays, Sayf al-dawla Abū l-Ḥasan Ṣadaqa (I) b. Manṣūr b. Mazyad
succède à son père.

487-512/1094-1118 - califat d’al-Mustaẓhir

494/1101 à Ṣadaqa (I) occupe al-Kūfa, puis Hīt, Wāsiṭ, al-Baṣra et Takrīt.
499/1106

498/1105 Āq Sunqur al-Bursuqī est nommé šiḥna d’Iraq.

501/1108 Bataille d’al-Nuʿmāniyya. Le sultan Muḥammad bat Sayf al-dawla Abū l-


Ḥasan Ṣadaqa b. Manṣūr qui est tué. Son fils Nūr al-dawla Abū l-Aʿazz Dubays
est fait prisonnier.

508/1113 Āq Sunqur al-Bursuqī gouverneur de Mossoul.

511/1118 Mort du sultan Muḥammad b. Malik Šāh. Guerre de succession. Maḥmūd lui
succède à 13 ans. Dubays récupère al-Ḥilla (il y retourne en 512 seulement
selon certaines sources).

511/1118 - 525/1131 - sultanat de Maḥmūd en Iraq et en Perse occidentale

512/1118 Mort d’al-Mustaẓhir (16 rabīʿ II/6 août). Al-Mustaršid lui succède et doit faire
face à la rébellion de son frère Ḥasan.

İl-Ġāzī maître d’Alep.

512-529/1118-1135 – califat d’al- Mustaršid

513/1119 Bataille de Sāwa. Sanǧar bat son neveu Maḥmūd puis s’accorde avec lui.

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17 rabīʿ I 513/28 juin 1119 : bataille dite de l’Ager Sanguinis, en Syrie du Nord :
İl-Ġāzī vainc, près de Balāṭ, le prince Roger II d’Antioche qui est tué.

514/1120-1 Bataille d’ Asad Abāḏ, près de Hamaḏān. Victoire d’Āq Sunqur al-Bursuqī, à la
tête des troupes du sultan Maḥmūd, sur le frère de ce dernier, Masʿūd.

Dubays menace le calife à Bagdad.

515/1121 Maḥmūd dépêche une armée contre les Géorgiens ; à sa tête, son frère Ṭoġril,
İl-Ġāzī et Dubays b. Ṣadaqa. Elle est défaite.

516/1122 En muḥarram/12 mars-10 avril, al-Mustaršid envoie le šiḥna de Bagdad, Āq


Sunqur al-Bursuqī, chasser Dubays d’al-Ḥilla. Il échoue.

Ramaḍān/3 novembre-2 décembre : mort d’İl-Ġāzī.

517/1123 Échec de l’expédition de Šīrwān commandée par le sultan Maḥmūd.

En muḥarram/mars, Dubays b. Ṣadaqa est battu à al-Nīl par le calife. Dubays


fuit en Syrie.

518/1124 Mort de Nūr al-dawla Balak, tué par une flèche pendant le siège de Manbiǧ.

Siège d’Alep par Dubays, Baudouin II de Jérusalem et le fils de Riḍwān.

Āq Sunqur al-Bursuqī maître d’Alep.

519/1126 Assassinat d’Āq Sunqur al-Bursuqī par des Bāṭiniens.

Ḏū l-ḥiǧǧa 519/janvier 1126 : le sultan Maḥmūd aux portes de Bagdad.

520/1126 Séjour de Maḥmūd à Bagdad (il la quitte le 10 rabīʿ II/5 mai) ; Zangī nommé
šiḥna.

521/1127 Zangī b. Āq Sunqur maître de Mossoul (ramaḍān/septembre-octobre).

522/1128 Ǧumādā II 522/juin 1128 : Zangī b. Āq Sunqur maître d’Alep.

522/1128 Convaincu par Dubays et Ṭoġril, Sanǧar fait mouvement vers al-Rayy. Il se
réconcilie finalement avec son neveu Maḥmūd. Dubays fuit en Syrie.

8 ṣafar/11 février : mort de Ṭoġtegin, seigneur de Damas ; il est remplacé par


son fils Tāǧ al-mulūk Būrī.

524/1130 Réconciliation de Maḥmūd et de Masʿūd.

525/1131 Mort de Maḥmūd (15 šawwāl/10 septembre), à 27 ans. Guerre de succession


entre son fils Dāwūd et ses oncles Masʿūd, Salǧūq Šāh et Ṭoġril.

525-526/1131-1132 – sultanat de Dāwūd en Iraq et en Perse occidentale

526/1132 Bataille de Dīnawar opposant Masʿūd et Sanǧar, qui est victorieux.

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Campagne de Dubays de Zangī contre le calife.

Raǧab/18 mai-16 juin : mort de Tāǧ al-mulūk Būrī.

26 raǧab/13 juin : le calife bat Dubays et Zangī.

526-529/1132-1134 - sultanat de Ṭoġril II Beg en Iraq et en Perse occidentale

527/1132-1133 Masʿūd à Bagdad (ṣafar/12 décembre 1132 – 9 janvier 1133), où il se fait


proclamer sultan par le calife. Dubays s’établit à Wāsiṭ.

Siège de Mossoul par le calife al-Mustaršid, interrompu (selon Ibn al-Ǧawzī)


du fait du meurtre d’Aḥmadīlī sur ordre de Masʿūd et du rapprochement
entre ce dernier et Dubays.

Mort de Masʿūd.

529/1134 Mort de Ṭoġril à Hamaḏān, après deux ans de règne.

529-547/1134-1152 – sultanat de Masʿūd en Iraq et en Perse occidentale

529/1135 Šaʿbān/17 mai-14 juin : le calife quitte Bagdad ; il est défait par Masʿūd à Day
Mag.

Ḏū l-qaʿda/13 août-11 septembre : assassinat du calife à Marāġa,


officiellement par des bāṭiniens.

Mort de Dubays, exécuté par un page du sultan.

532/1137-8 Mort du fils de Dubays, Ṣadaqa (II), qui soutenait le Seldjouqide Masʿūd conre
son neveu Dā’ūd.

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NOTES
1. Les expressions sont d’ IBN ḪALDŪN (m. 784/1382), Muqaddima, 11, 12, 14, 38 et 46 à 49 ;
MISKAWAYH : « Textes inédits », 188 et 204 ; IBN AL-ǦAWZĪ, Muntaẓam, I, 116. Voir MEISAMI, « Masʿūdī
and the Reign of al-Amīn », 150 n°7 ; HEATH, « Other Sīras and Popular Narratives », 320 ; id., « Sīra
shaʿbiyya », EI2a, IX, 664 ; RAVEN, « Sīra », EI2a, IX, 660 ; REYNOLDS, « Popular Prose in the Post-
Classical Period », 250 ; id., « AThousand and One Nights », 270 ; COOLERIDGE, Biographia Literaria,
chap. XIV (« willing suspension of disbelief for the moment »). Sur la fiction, voir les positions de
SCHAEFFER, Pourquoi la fiction ? ; COHN, The Distinction of Fiction ; PAVEL, L’univers de la fiction, 7 ;
TREMBLAY, La fiction en question (surtout 14 sqq.) ; GENETTE, Fiction et diction ; HEINICH et SCHAEFFER, Art,
création, fiction.
2. POMIAN, Sur l’histoire, 78.
3. Pas plus d’ailleurs que les historiens contemporains : EDDÉ, « Sources arabes », 295, 296, 299 ;
HANNES, Caliphate, passim.
4. Présentation de ces sources : Zouache, Armées et combats, chap. I. L’œuvre d’Ibn Abī Ṭayyi’ n’est
connue qu’à travers celle d’historiens postérieurs (surtout Abū Šāma et Ibn al-Furāt).
5. Cf. ZAKHARIA, « Uways al-Qaranī, visages d’une légende », 232.
6. YĀQŪT, Muʿǧam, II, 96, 294-5 et 326. ABŪ L-FIDĀ’ ; Ta’rīḫ, I, 2, 233 (avait émis des doutes) ; Ibn
Ǧubayr, Riḥla, 154 sq. ; IBN ḪALDŪN, Ta’rīḫ (al-Ǧuwaydī), 1254 ; MAKDISI, « Notes », 249-62.
7. « Ṣadaḳa » EI2, X, 736, réimpr. d’un article de l’EI ; « Asad », EI 2, I, 704-5.
8. ḎAHABĪ, Siyar, XVIII, 557-8 ; ḤARĪRĪ (m. 516/1122), Maqāmāt, II, 506. En fait, c’est de Dubays qu’al-
Ḥarīrī fit un éloge lapidaire dans la 39emaqāma ; Dubays le récompensa.
9. Ḏayl, 256.
10. Muntaẓam, XVII, 207-8 (éd. alwaraq.net, 2093-4 très légèrement différente). Cf. MAKDISI,op. cit.,
260.
11. À moins qu’il ne soit question que d’une réquisition d’eau : wa an yaftaḥ al-buṯūq wa yaʿtaṣim
bi-l-miyāh.
12. Par exemple : IBN AL-AṮĪR, Kāmil, IX, 113. Discret : IBN ḪALDŪN, Ta’rīḫ (al-Ǧuwaydī), 1252-3.
13. Muntaẓam, XVII, 111 ; IBN ḪALLIKĀN, Wafayāt, II, 490-2.

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14. ḎAHABĪ, Siyar, XIX, 264-5 ; IBN KAṮĪR, Bidāya, XII, 170 ; IBN AL-ʿIMĀD, Šaḏarāt al-ḏahab, II, 2 ; IBN
TAĠRĪBIRDĪ, Nuǧūm, V, 196. Sur la hayba, voir MOTTAHEDEH, Loyalty and Leadership, index (s. v. hayba) ;
HECK, « Law in Abbasid Political Thought », 90 sq., 105-6.
15. Voir le récit synthétique de NUWAYRĪ, Nihāya, XXVI, 364-8 ; BOSWORTH, « Political and Dynastic
History », 115 n° 2.
16. Surtout IBN AL-AṮĪR , Kāmil, IX, 116-7. Comparer à ḎAHABĪ, Ta’rīḫ, XXVI, 6, qui travaille le texte
d’Ibn al-Aṯīr de manière à le rendre plus concis tout en conservant le souffle épique qui l’habite.
17. Kāmil, 32, 62, 63, 64.
18. Kāmil, 113-4, 116 et 118-9 (an 501/1107-1108) ; Muntaẓam, XVII, 209 (an 516/1122-3 ; voir aussi
108-9, an 501/1108).
19. ʿAẓīmī, Ta’rīḫ, 363 (selon lui, le sultan pille al-Ḥilla).
20. Ḏayl, 255-6. SIBṬ (Mir’at, I, 497-502) reproduit la version d’Ibn al-Qalānisī (cité nommément)
après avoir donné une version tirée du Muntaẓam et du Kāmil (non nommés).
21. Selon Michel LE SYRIEN, Chronique, III, L. XV, chap. XIV, 214-5, c’est la prise de Takrīt qui
décida le sultan Muḥammad à attaquer Ṣadaqa.
22. On la retrouve dans les articles de l’EI2 déjà évoqués, ainsi que dans BOSWORTH, op. cit., 121 ;
HANNES, Caliphate, 298.
23. Plutôt que « cyclique ». Cf. MEISAMI, Persian Historiography, 11 (mais voir aussi TILLIER, « Traité
politique », 150) ; BIETENHOLZ, Historia and fabula, 396. Muntaẓam, XVII, 187 (an 514) ; Kāmil, IX, 191
(cf. également Bāhir, 22-3).
24. Ibn al-Ǧawzī affuble régulièrement Dubays (Nūr al-dawla) du laqab de son père (Sayf al-
dawla) ; il n’est pas le seul (par exemple IBN AL-AZRAQ, Ta’rīḫ, 167).
25. SIBṬ modifie ce passage à la marge : Mir’at, II, 705 ; ḎAHABĪ, Ta’rīḫ, 3750 (simplement wa kāna
Dubays yaʿǧibuh iḫtilāf al-salāṭīn).
26. Bidāya, XII, 201 à 239.
27. BUNDARĪ, Ta’rīḫ dawlat āl Salǧūq, 115.
28. Matthieu D’ÉDESSE, Chronique, 304 ; Michel LE SYRIEN, Chronique, III, L. XV, chap. 14, 215 ; L. XVI,
chap. 1, 224 ; L. VI, chap. 7, 240-1.
29. Guillaume DE TYR, Chronicon, XII, 9, 4-5 ; XII, 51 ; XVI, 2.
30. Gautier LE CHANCELIER, Bella Antiochena, L. II, 15, 128-9. Selon Gautier et Guillaume DE TYR (RHC,
Occ., I, L. IX, 523), repris par quelques historiens contemporains ( GROUSSET, Histoire des croisades, I,
550 ; Burǧāwī, al-Ḥurūb al-ṣalībiyya fī l-Mašriq, 235), Dubays avait joint ses forces à celles d’İl-Ġāzī,
avant la bataille.
31. IBN AL-ṬIQṬAQA, al-Faḫrī, 282.
32. Toute l’histoire (avec des variantes) : Muntaẓam, XVII, 162-3 (an 512) et 171-2 (an 513) ; Kāmil,
IX, 175. Cf. HANNES, Caliphate, 300-2.
33. ḎAHABĪ, Ta’rīḫ, 3568 (an 512) ; éd. Beyrouth, XXVII, 275.
34. IBN ḪALLIKĀN,Wafayāt, II, 223-5 (mais rectifie une erreur d’al-Iṣfahānī et d’al-Mustawfī, qui
attribuent faussement à Dubays des vers composés par Ibn Rašīq al-Qayrawānī) ; ḎAHABĪ , Siyar,
XIX, 612-3 (n° 359). Supra, note 8 sur la louange d’al-Ḥarīrī.
35. Voir aussi EDDÉ, « Sources arabes des XIIe et XIIIe siècles », 296.
36. Buġya, VII, 3486-7. Ṣafadī, Wāfī, 13512-13513 (notice d’al-Mustaršid), met également fortement
en cause Dubays, au moins indirectement. Il rapporte notamment que le Bagdadi (Ibn al-Dulaf)
dont Abū l-Ḥasan fit son vizir, lorsqu’il prit le titre d’al-Mustanǧid bi-llāh, se trouvait à al-Ḥilla
(notice d’Abū l-Ḥasan).
37. Abū l-ʿAlā’ Muḥammad al-Naysābūrī al-Ġaznawī, m. après raǧab 547/2-31 octobre 1152, date
à laquelle al-Samʿanī le rencontra à Balḫ. Son Kitāb sirr al-surūr (apparemment disparu) était

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considéré comme une référence en matière de poètes contemporains. Cf. la courte notice qu’ AL-
ṢAFADĪ lui consacre (Wāfī, éd. Wiesbaden, V, 7).
38. Événements contés par BOSWORTH et HANNES, op. cit. Cf. également, dans l’EI2a, « Saldjūḳides »,
VIII, 936 sqq. et les articles consacrés à chacun des protagonistes – VI, 63 (Maḥmūd) ; VI, 782
(Masʿūd) ; VII, 407 (Muḥammad) ; VII, 733-6 (al-Mustaršid) ; IX, 15-7 (Sanǧar) ; X, 554 (Ṭoġril II).
39. HILLENBRAND, « al-Mustarshid », EI2a, VII, 733.
40. Kāmil, IX, 193 et Bāhir, 26 et n° 1 (l’envoyé est le Šayḫ al-šuyūḫ Ṣadr al-dīn Ismāʿīl b. Abī Saʿd
al-Ṣūfī) ; Muntaẓam, XVII, 187 ; SIBṬ, Mir’at, II, 705 et n° 3.
41. Kāmil, IX, 193. Cf. SIBṬ, op. cit., 704 sq.
42. ʿAẒĪMĪ, Ta’rīḫ, 370 ; Ḏayl, 322 ; AL-ḤUSAYNĪ, Aḫbār al-dawla al-salǧūqiyya, 96-7 ; AL-MUSTAWFĪ,
Histoire des Seldjoukides, 344 (ne fait pas même état du décès de Dubays, quelques années plus
tard) ; BUNDARĪ, Ta’rīḫ āl Salǧūq, 125 ; IBN TAĠRĪBIRDĪ, al-Nuǧūm al-ẓāhira, V, 220.
43. Muntaẓam, XVII, 186 (ces déprédations décident le calife à envoyer la lettre dont il est
question ; noter la nouvelle confusion Sayf al-dawla Ṣadaqa/Nūr al-dawla Dubays) ; SIBṬ, op. cit.,
702-5.
44. Kāmil, IX, 176 et suivantes sur les retournements d’alliances qui marquèrent les années
512-514 ; 191.
45. Après la défaite infligée par Sanǧar à son neveu Maḥmūd, en 513/1119, c’est Dubays qui
aurait fait dire au calife al-Mustaršid de faire proclamer la ḫuṭba au nom de Sanǧar, à Bagdad, ce
qui est fait le 26 ǧumādā I 513/4 septembre 1119 (Kāmil, 184) ; c’est encore Dubays qui aurait
envoyé des troupes empêcher Mankubars, qui avait pris la fuite après cette même défaite, de
pénétrer à Bagdad (ibid., 187). On peut même comprendre qu’un lieutenant de Dubays faisait plus
ou moins fonction de šiḥna d’Iraq avant que Sanǧar ne nommât Muǧāhid al-dīn Bahrūz.
46. Ibid., 192 ; Muntaẓam, XVII, 186 et SIBṬ, Mir’at, II, 702-3.
47. ḎAHABĪ, Ta’rīḫ, 3570 (il n’est pas du tout question de Dubays).

48. ʿAẒĪMĪ, Ta’rīḫ, 370 ; Ḏayl, 322, 323 (presque identique).


49. Muntaẓam, 187 à 198 pour tout ce qui suit.
50. Cf. EPHRAT, A learned Society, 24, 229. Sur ce quartier, voir aussi EI 2a, IV, 652-3.
51. MAKDISI, « The Sunnī revival », 155-168 ; BULLIET, Islam : The View from the Edge ; TABBAA, The
Transformation of Islamic Art, 17 sqq. Cf. BERKEY, The Formation of Islam, chap. 20, 189-202.
52. SIBṬ B. ǦAWZĪ, Mir’at, II, 705. Plus sobre : IBN AL-‘ADĪM, Buġya, VII, 3479.
53. Muntaẓam, 187 ; Mir’at, 705-6 ; Kāmil, IX, 193 ; Buġya, loc. cit. ; Zubda, I, 399.
54. Les événements paraissent s’accélérer jusqu’à la bataille d’al-Nīl (muḥarram 517/mars 1123).
Ni Ibn al-Ǧawzī, ni Ibn al-Aṯīr, ni Sibṭ b. al-Ǧawzī, pour ne citer que les principaux chroniqueurs,
ne réussissent à en proposer un récit clair. Même Ibn al-ʿAdīm, dans la Buġya, livre deux versions
assez distinctes (3479-80 et 3482 sq.).
55. Kāmil, IX, 194. Autres participants : cf. Ibn al-Azraq (note suivante).
56. L’émir Kundoġdī (ou Kün-Toġdī) avait remplacé l’atabeg de Ṭoġril, Šīrġīr, lorsqu’il avait été
fait prisonnier après la mort du sultan Muḥammad (le père de Ṭoġril), en 511/1118. Ṭoġril s’était
vu attribuer par ce dernier une partie de la province de Ǧibāl, avec les villes de Sāwa, Qazwīn,
Abhar, Zanǧān, Ṭālaqān, etc. Cf. EI2a, X, 554 ; BOSWORTH, « Political and Dynastic History », 123 ;
SUNY, Georgian Nation, 36 ; GOLDEN, « Nomads », 47-8.
57. Ḏayl, 326 (et Zubda, I, 400), affirme par exemple que Ṭoġril organisa l’expédition du fait des
attaques des Géorgiens ; il sollicita et obtint l’appui d’İl-Ġāzī, des Turcomans et de l’émir Dubays.
Ibn al-Qalānisī, ʿAẓīmī (Ta’rīḫ, 371) et Ibn al-ʿAdīmparaissent vouloir d’abord minimiser la
déroute. Voir HILLENBRAND, « İl-Ghāzī », 269 et note 94.
58. IBN AL-AZRAQ, Ta’rīḫ, 150-3, repris par SIBṬ, op. cit., 740-2. Voir également HILLENBRAND, « İl-
Ghāzī »,265 note 68; Matthieu D’ÉDESSE , Chronique, 303 ; MINORSKY, « Caucasica in the History of
Mayyāfāriqin », 27-35 et « Tiflīs », EI2a, X, 478 .

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59. HILLENBRAND, « İl-Ghāzī », 270, 279 sqq. (accorde un grand crédit à Ibn al-Azraq). Sources
géorgiennes : BROSSET, Histoire de la Géorgie, 366 ; SUNY et GOLDEN, op. cit., index.
60. IBN ŠADDĀD, al-Aʿlāq al-ḫaṭīra, 325 ; Zubda, II, 401 ; Matthieu D’ÉDESSE, Chronique, 304.
61. Auteurs géorgiens : EASTMOND, Royal Imagery, 70. Ǧihād contre les Francs : SIVAN, L’islam et la
croisade, passim.
62. Kāmil, IX, 214.
63. Le Muntaẓam (XVII, 204-5) est le plus précis.
64. Muntaẓam, 206-7 ; Kāmil, 214-5, 216-7 ; Buġya, loc. cit.
65. L’expression est de HANNES, Caliphate, 314. Le calife se déplaçait avec son nouveau vizir,
Aḥmad b. Niẓām al-mulk, les deux naqīb-s de Bagdad, le qāḍī l-quḍāt al-Zaynabī, des Hachémites,
etc…
66. Muntaẓam, 207 ; 216-7. Récit « cohérent » dans la Buġya, VII, 3480. Comparer à Kāmil, 219-221
et Bāhir, 25-6 (ton très religieux) ; ḎAHABĪ, Ta’rīḫ, XXVII, 297-8 (concis ; al-ʿaǧūz brièvement
mentionnée) ; IBN ḪALDŪN, Ta’rīḫ (al-Ǧumaydī), 1256 (sobre ; récit ayant la forme d’un
communiqué, organisé de manière à donner de la cohérence aux pérégrinations de Dubays).
67. Critique de l’indolence ou de la richesse de ceux qui mangent ces mets raffinés/coûteux (car
faits avec de la farine blanche) ?
68. Dans le Bāhir d'Ibn al-Aṯīr (25-6), le calife est entièrement vêtu de noir, porte la burda du
Prophète sur les épaules et brandit son épée.
69. Il est possible qu’il soit ici simplement question du cours d’eau appelé nahr ʿAtīq.
70. Naṣʿad al-ʿAtīq, jeu de mot ; il renvoie au nahr ʿatīq dont il vient d’être question et joue sur la
polysémie de ʿatīq (Ibn Manẓūr, Lisān al-ʿarab, s. v.).
71. Pour la première fois, Ibn al-Ǧawzī semble évoquer ses sources.
72. Traduction incertaine. Texte identique dans le Kāmil, 221 ainsi que dans le Ġurar al-ḫaṣā’iṣ al-
wāḍiḥa (éd. alwaraqa.net, 203) de Rašīd al-dīn WAṬWĀṬ (m. en 573/1177-8 ou en 578/1182-3), et
très proche dans la Buġya (ci-dessous). La traduction a également posé problème à RICHARDS, The
Chronicle of Ibn al-Athir, 244 et note 7, qui a traduit « selon le contexte ». Les mêmes tournures
sont utilisées dans l’introduction géographique de la Buġya, I, 56 ; elles renvoient là encore à un
retour pour le moins « miraculeux ».
73. Cf. NAKASH, The Shi’is of Iraq, 186 et index ; RICHARDS, The Annals of the Saljuq Turks, 113, n° 118 ;
Kāmil, IX, 220 (précise : « et ils pillèrent le mašhad de Bāb al-Ṭibn »).
74. Selon certaines interprétations sunnites, cela valait la mort : « Ṣaḥāba », EI 2a, VIII, 827.
75. ‘AẒĪMĪ, Ta’rīḫ, 372 ; IBN AL-QALĀNISĪ, Ḏayl, 330-1 (ne mentionne pas le pillage du cimetière).
76. Kāmil, IX, 225. Les deux hommes sont accusés d’espionner pour le compte de Dubays. Sur le
poète Ibn Aflaḥ, qui pratiquait l’invective avec art, voir GELDER, « Ibn Aflaḥ », 360-361 ; id., The Bad
and the Ugly, 112.
77. Muntaẓam, ibid. Sur eux : EI2a, X, 161 (Ṭalḥa) et XI, 548 (al-Zubayr).
78. Matthieu D’ÉDESSE, Chronique, 304.
79. Cité par SIVAN, L’islam et la croisade, 43 et note 16.
80. Buġya, VII, 3485-6. Sur Zubayda : EI2a, XI, 547.
81. GALAND-PERNET, « La vieille et la légende des jours d’emprunt au Maroc », 29-94 ; « Ḥā’iṭ al-
ʿadjūz », EI2a, III, 71.
82. Muntaẓam, XVII, 217 ; Kāmil, IX, 221 ; Mir’at, VIII, 1, 110 (elle était en train de laver des
vêtements).
83. Kāmil, IX, 221.
84. Buġya, 3479. Sur les Ġuziyya et les Muntafiq (des ʿUqaylides), voir EI 2a, VII, 581.
85. Muntaẓam, XVII, 219-220 (résumé par SIBṬ, op. cit., 111).
86. Kāmil, 221.

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87. Tentatives de reconstitution du siège : GROUSSET, Histoire des croisades, I, 627-631 (suit surtout
Ibn al-ʿAdīm) ; CAHEN, Syrie du Nord, 299-300 (essaie de concilier les sources) ; SETTON (éd.),
Crusades, I, 423-5 (cohérent ; l’activité de Dubays est soulignée) ; ASBRIDGE, Antioch, 85, 87
(sommaire) ; AL-ṢALLĀBĪ, Dawlat al-salāǧiqa, 648 (suit Ibn al-Aṯīr) ; YARED-RIACHI, Damas, 148 (suit Ibn
al-ʿAdīm).
88. IBN AL-AṮĪR, op. cit., 229-30. Même idée dans la Chronique de Michel LE SYRIEN, III, L. LXVI, chap. 1.
89. Foucher de CHARTRES, Historia, 468-70 (ne fait pas même allusion à Dubays) ; « The First and
Second Crusades from an Anonymous Syriac Chronicle », 96. Voir aussi SIVAN, L’islam et la croisade,
42-3 (Ibn Abī Ṭayyi’).
90. Zubda, I, 399, 401. Cf. HILLENBRAND, « Diyār Bakr », 134 et « İl-Ghāzī », 278.
91. Le 3 šawwāl 516/5 décembre 1122, selon le Muntaẓam (XVII, 209-10), al-Bursuqī fit exécuter
neuf individus dont on disait qu’ils étaient des « Alépins et des Syriens » et qu’ils avaient été
envoyés par Dubays pour l’assassiner.
92. Zubda, I, 402 et suivantes ; CAHEN, Syrie du Nord, 293-301.
93. ʿAẒĪMĪ dans la Buġya, VII, 3483 ; Buġya, IV, 1963 ; Zubda, I, 419.
94. Buġya, VII, 3481 (Josselin), 3480 (Josselin et Baudouin) ; Zubda, I, 418.
95. Ta’rīḫ d’IBN al-FURĀT cité par SIVAN, L’islam et la croisade, 43 et 56 note 16.
96. Buġya, VII, 3488.
97. Cf. Buġya, IV, 1963 ; Zubda, I, 420 : « Sulṭān Šāh b. Riḍwān » rejoint Baudouin, Josselin et
Dubays devant Alep. ʿAẒĪMĪ, Ta’rīḫ, 374 : Sulṭān était prisonnier de Timurtāš, à Mārdīn ; il s’enfuit
auprès de Dā’ūd.
98. Ibid., VI, 3481 ; ʿAẒĪMĪ, Ta’rīḫ, 374-5 ; Bustān, 119-120 (ne mentionne pas Sulṭān Šāh).
99. Buġya, IV, 1964.
100. ʿAẒĪMĪ dans la Buġya, VII, 3483-4 ; Matthieu D’ÉDESSE, Chronique, 314-5, qui confond Dubays et
son père Ṣadaqa. Pour lui, l’impulsion vint de Baudouin et de Josselin, ce dernier se faisant le
relais privilégié des Francs auprès de Dubays dont il devint l’ami. Noter qu’il parle aussi, parmi
les assiégeants, du « sultan de Mélitène, fils de Qiliǧ Arslān », soit Ṭoġril Arslān ; Zubda, I, 420-1,
précieux concernant l’emplacement choisi par les uns et par les autres.
101. « The First and Second Crusades from an Anonymous Syriac Chronicle », 96.
102. Intéressant extrait de la Buġya cité par EDDÉ et MICHEAU, « Sous les murailles d’Alep », 71.
103. Buġya, 3481.
104. Zubda, I, 424.
105. Sur ce frère du sultan Maḥmūd, maître de l’Iraq de 526 à 529/1132 à 1134, voir EI 2a, X, 554.
106. Muntaẓam, XVII, 228 (an 519) ; Kāmil, IX, 230.
107. Muntaẓam, 224 (an 518/1124-5), 228-9 (an 519/1125-6) ; Kāmil, IX, 232-3 (an 519)
108. Kāmil, 247-8 ; Muntaẓam, 229.
109. « Sanǧar avait livré Dubays à sa fille, la femme de Maḥmūd. C’est elle qui le protégeait »
(Muntaẓam, 244). Voir aussi Kāmil, 249 ; IBN AL-FURĀT, Ta’rīḫ, I, 14.
110. Muntaẓam, 244 – apparemment en ramaḍān 521/10 sept. 1127 – 9 oct. 1127. Son retour : ibid.,
249 (an 522).
111. Muntaẓam, 249 ; Kāmil, op. cit. ; Buġya, VII, 3439.
112. IBN AL-ǦAWZĪ détaille l’opposition entre Maḥmūd et al-Mustaršid sous les années
520-521/1126-8 : op. cit., 231-7 ; 241 à 245 ; HANNES, Caliphate, 323-5.
114. Kāmil, 249 ; IBN AL-FURĀT, Ta’rīḫ, I, 12-3 (plus détaillé).
115. Kāmil, 241-4, selon lequel Zangī entre à Mossoul en ramaḍān 521/10 sept.-9 oct. 1127 ; ʿAẒĪMĪ,

Ta’rīḫ, 377 (10 ramaḍān/19 septembre) ; Muntaẓam, 252. Cf. Buġya, », VIII 3845-57 ; HILLENBRAND ,
« Zengi », 11-32 ; ZOUACHe, « Zangī », 63-93.
116. Muntaẓam, XVII, 253 ; Kāmil, 249-50. Coran, LII, LIV, XXXVIII ou même IX, 34.
117. Muntaẓam, 254.

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118. Kāmil, 250.


119. Ibid., 258-9 ; récit notamment repris par IBN AL-FURĀT, Ta’rīḫ, I, 161 et suivantes. Voir
également Bāhir, 46-7.
120. Zangī s’était traîtreusement saisi de Sawinǧ b. Būrī et des émirs qui l’accompagnaient, peu
auparavant.
121. SIBṬ, Mir’at, VIII, 1, 135.
122. Noter que SIBṬ (loc. cit.) cite Ibn al-Qalānisī en le travestissant de manière à ce qu’il soit bien
question de Ṣarḫad.
123. Ḏayl (Amedroz), 230-1. Voir également Ibn Abī Ṭayyi’ dans IBN AL-FURĀT, op. cit., 164. Sur
l’ancienneté de l’opposition Zangī/Dubays, voir IBN AL-AṮĪR, Bāhir, 24-5.
124. Des réseaux entremêlés – cf. « The First and Second Crusades from an Anonymous Syriac
Chronicle », 81 et note 1 (excellentes relations Josselin/Qalʿat Ǧaʿbar).
125. ʿAẒĪMĪ, Ta’rīḫ, 384.
126. Zubda, II, 442-5, et Buġya, VII, 3489, où IBN AL-ʿADĪM cite ses sources : Badrān b. Ḥusayn b.
Mālik et Abū ʿAlī al-Ḥasan b. Muḥammad b. Ismāʿīl al-Nīlī. Noter que Badrān affirme que Dubays
fut « acheté » par Zangī cent mille dinars.
127. ṢAFADĪ, Wāfī, 10984-10985.
128. Dans le Siyar, ḎAHABĪ revient également (mais plus brièvement) sur ses pérégrinations
syriennes : 2551.
129. Dans IBN AL-FURĀT , Ta’rīḥ, I, 131. Dubays Ier avait, en son temps, participé à la coalition anti-
seldjouqide suscitée par les Fatimides autour d’al-Basāsīrī : CANARD, EI2a, I, 1073-4 ; KLEMM,
Memoirs of a Mission, 82.
130. Récit de ces luttes par HANNES, Caliphate, 325 et suivantes, qui s’appuie sur le Muntaẓam et le
Kāmil. Voir également IBN AL-FURĀT, Ta’rīḫ, I, 261 sq., passim.
131. Kāmil, IX, 265 ; SIBṬ, Mir’at, VIII, 1, 140 (légèrement différent) ; Voir également IBN AL-FURĀT,

Ta’rīḫ, I, 194-5 et 216 (sur la suite des événements) ; IBN WĀṢIL, Mufarriǧ, I, 50.
132. Muntaẓam, XVII, 276 (quatre-vingt jours de siège intensifs ; il nomme Aḥmadīlī al-
Aḥmadīkī) ; Kāmil, IX, 270 (près de trois mois de siège) ; Voir également Bāhir, 47-8 ; Ibn al-Azraq,
Ta’rīḫ, 64 ; Ibn Wāṣil, Mufarriǧ, I, 52-3 ; Hannes, op. cit., 330-331.
133. Cette focalisation et les ambiguités qui en découlent sont soulignées par Hannes, op. cit.,
333.
134. Ces dates sont celles du Muntaẓam, 298, suivi par le Kāmil, 383 (al-Mustaršid) ; Muntaẓam, 303
(Dubays). Pour ce qui est de l’assassinat d’al-Mustaršid, Ibn Abī Ṭayyi’ parle du mardi 12 ḏū l-
qaʿda /24 août puis du 13 ḏū l-qaʿda/25 août, Ibn al-Qalānisī et al-Bundarī du 18 ḏū l-qaʿda/20
août. Cf. IBN AL-FURĀT, Ta’rīḫ al-duwal, I, 265 et n°1. Voir le récapitulatif d’Hillenbrand, éd. du Ta’rīḫ
d’Ibn al-Azraq, 169 n°123 et les analyses de la même historienne, « al-Mustarshid », EI2, VII, 734-5.
Quant à Dubays, IBN ḪALLIKĀN (loc. cit.) propose le mercredi 14 ḏū -ḥiǧǧa 529/25 septembre 1135, de
même qu’Ibn al-ʿAdīm dans la Buġya (VII, 3492), Sibṭ (op. cit., VIII, 1, 154) le 20/1 er octobre ; Ibn al-
Azraq, Ta’rīḫ, 70 n°1.
135. Sanǧar : par exemple IBN ABĪ ṬAYYI’, Maʿādin al-ḏahab, dans Ibn al-Furāt, op. cit., 265 ; IBN DIḤYA,
al-Nibrās fī Ta’rīḫ Banī l-ʿAbbās, dans ibid., 266 (IBN KAṮĪR, Bidāya, XII, 185-6, prend quant à lui soin
de disculper Sanǧar). Masʿūd : voir IBN AL-ṬIQṬAQA , al-Faḫrī, 283. Plus généralement, voir
Hillenbrand, op. cit., 735.
136. Muntaẓam,305.
137. Kāmil, IX, 285 (souvent repris, par exemple par Barhebraeus, Ta’rīḫ muḫtaṣar al-duwal, 204 ;
SIBṬ, loc. cit.

138. Texte imprimé (loc. cit.) : ʿalā bāb surādiqa bi-ẓāhir madīna Ḫuwā. Éd. alwaraq.net, 2003 : ʿalā
bāb surādiqih bi-ẓāhir bāb Ḫūnaǧ. Selon YĀQŪT (Muʿǧam, s. v. Ḫūnā et Ḫūnaǧ), Ḫūnāǧ et Ḫūnā ne

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113

faisaient qu’un. Elle se trouvait en Azarbaïdjan, entre Marāġa et Zanǧan (à deux jours de route de
cette dernière), sur la route d’al-Rayy.
139. Bidāya, XII, 185-6 (assassinat d’al-Mustaršid) et 187 (exécution de Dubays).
140. IBN AL-AZRAQ, Ta’rīḫ, 167 ; BUNDARĪ, Zubdat al-nuṣra, 178-9 ; IBN ḪALLIKĀN, Wafayāt, II, 225 (repris
par IBN AL-FURĀT, op. cit., 267) ; IBN ABĪ ṬAYYI’, Maʿādin al-ḏahab, dans IBN AL-FURĀT, op. cit., 276. Cf.
également BUNDARĪ,Ta’rīḫ Āl Salǧūq, 166.
141. IBN ABĪ ṬAYYI’, loc. cit. ; Buġya, VII, 3492-3 ; SIBṬ, loc. cit. et 155 (cite al-Iṣfahānī, selon lequel
Dubays fut tué par Masʿūd alors qu’il était attaché).
142. Buġya, VII, 3849.
143. Le texte est ici peu clair : wa ḥaḏḏarah al-nās fa-lam yafʿal fa-waṣala.
144. MICHEL LE SYRIEN,Chronique, III, Liv. XVI, chap. VII, 241.
145. Cf. DE CERTEAU, de, Histoire et psychanalyse entre science et fiction, 54.
146. COOPERSON, « Probability, Plausibility and “Spiritual Communication” », 69.
147. Une « dimension constitutive de l’histoire », selon l’expressioni de C. Croizy-Naquet,
« Quand la fiction se mêle à l’histoire », conclusion.
148. CANOVA, « Une analyse de l’altérité dans la tradition épique arabe », 237 et note 11 ; HEATH,
« Other Sīras and Popular Narratives », 320 et passim. Cf. aussi LEWIS, « Perceptions musulmanes
de l’histoire et de l’historiographie », 81.
149. DUPRONT, Le mythe de croisade, II, 980.
150. DABASHI, Truth and Narrative, 414, 448, 508-509..
151. Cf. GAUCHER, « Le vrai et le faux », 213 sq. ; AL-AZMEH, « Histoire et narration », 412 sqq. ;
JACQUEMOND (dir.), Écrire l’histoire de son temps (discussion des travaux de Barthes, Ricœur, White et
Genette).
152. BIANQUIS, « L‘ânier de village», 97-101 (citations) et passim.
153. BOSCHETTI,La poésie partout. Apollinaire, homme-époque (1898-1918).
154. En gras, les émirs régnant. D’après BOSWORTH dans EI2a, VI, 965 ; id., The New Islamic Dynasties,
87-8.
155. Ibid.
156. Cf. AL-ZIRKILĪ, al-Aʿlām, III, 12.

RÉSUMÉS
Selon K. Pomian, la frontière entre l’histoire et la fable n’a jamais été réellement abolie. Cette
étude vise à s’interroger sur cette frontière dans les sources médiévales– chroniques et
dictionnaires biographiques arabes des VIe-VIIe/XIIe-XIIIe siècles pour l’essentiel. Elle est centrée
sur le parcours de Dubays b. Ṣadaqa (m. 529/1135), Arabe chiite qui menaça le calife abbasside et/
ou le sultan seldjouqide et affirma ses prétentions au pouvoir. A bien des égards, Dubays
symbolise un monde en voie de disparition, qui faisait la part belle à des héros arabes supplantés,
au VIe/XIIe siècle, par des puissants turcs et/ou kurdes. Les auteurs arabes médiévaux font de
Dubays un homme généreux et/ou puissant, magnanime et/ou violent, selon leurs objectifs
informatifs, esthétiques et idéologiques. Ces auteurs savent faire usage de ce qu’on nomme
aujourd’hui « fiction ». Pour eux, la distinction entre fable et histoire n’a pas forcément lieu
d’être.

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،‫ في هذه الدراسة تساؤل حول الحدود هذه‬.‫الحدود بين التاريخ والحكاية لم تضمحل‬
-‫ من القرنين السادس عشر‬،‫ من أخبار وفهارس سير عربية‬،‫في المراجع الوسيطية‬
‫ تركز على مسار دبيس بن‬.‫الثالث عشر بشكل رئيس‬-‫الثاني عشر‬/‫السابع عشر‬
‫أو السلطان‬/‫ عربي شيعي تحد ّى الخليفة العباسي و‬،) ٥٢٩/١١٣٥ ‫صدقة(توفي عام‬
‫ يرمز دبيس إلى عالم في‬،‫ من وجوه عديدة‬.‫ مؤكدا ً على مطالبته بالسلطة‬،‫السلجوقي‬
/‫ في القرن السادس‬،‫ل محل ّهم‬
ّ ‫ أخذ يح‬،‫مل أبطاﻻ ً من العرب‬
ّ ‫ كان يج‬،‫طور الزوال‬
‫ كان المؤلفون العرب الوسيطيون يصفون دبيس‬.‫ وجوه تركية أو كردية‬،‫الثاني عشر‬
‫ أن الجمالية أو‬،‫ حسب أغراضهم اﻹخبارية‬،‫أو عنيف‬/‫ شهم و‬،‫أو قوي‬/‫على أنه كريم و‬
‫ »فالفرق بين‬.‫ميه اليوم «الخيال‬
ّ ‫ هؤﻻء المؤلفون أجادوا الخوض ما نس‬.‫اﻹيديولوجية‬
.‫ عند هؤﻻء‬،‫ ﻻ ضرورة لﻼهتمام به‬،‫الحكاية والتاريخ‬

According to K. Pomian, the border between history and fable has never really been abolished.
This study aims at examining this border in the medieval sources (mainly Arabic chronicles and
biographical dictionaries of the VIth-VIIth/XIIth-XIIIth centuries). It focuses on Dubays b. Ṣadaqa
(d. 529/1135), a Shiite Arab who threatened the Abbasid caliph and/or the Seljuqid Sultan and
who asserted his claims to power. In many ways, Dubais is a symbol of a world in process of
disappearing: Arabic heroes are supplanted by powerful Turkish and/or Kurdish in the VIth/
XIIth century. Arabic authors make Dubais a generous and/or a powerful man, magnanimous
and/or violent, according to their informing, aesthetic and ideological purposes. They make use
of what is today called «fiction». For them, the distinction between fable and history is not
necessarily relevant.

AUTEUR
ABBÈS ZOUACHE
Chercheur Associé au CIHAM (Lyon)

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Figures d’al-Ḥasan Ibn Hāni’, dit Abū


Nuwās, dans le Kitāb Aḫbār Abī
Nuwās d’Ibn Manẓūr
Katia Zakharia

1 Cet article est consacré à la présentation générale de l’ouvrage d’Ibn Manẓūr 1


(m. 711/1312), Aḫbār Abī Nuwās, et à l’image qu’il forge du célèbre poète muḥdaṯ, al-
Ḥasan Ibn Hāni’ (m. 199/815). Il constitue le premier volet d’un diptyque dont la
seconde partie traite plus particulièrement du contournement de la tradition (littéraire
et sociale) chez le poète 2. Ces travaux ne visent pas à établir une « vérité
historique » sur le personnage étudié, mais à montrer, par quelques exemples loin
d’être exhaustifs, la complexité de l’image littéraire dont il est devenu l’objet au fil du
temps, image dans laquelle il serait irréaliste de prétendre spécifier l’indéniable part de
réalité qu’elle recèle immanquablement.
2 J’examinerai les relations de l’ouvrage d’Ibn Manẓūr avec, d’une part, celui homonyme
composé cinq siècles plus tôt par Abū Hiffān al-Mihzamī 3, qui fut contemporain de
notre poète, et, d’autre part, avec le monumental Kitāb al-Aġānī (Livre des chansons), dans
lequel les quelques pages consacrées à Abū Nuwās par Iṣfahānī (m. 356/967) ont
souvent été considérées comme lacunaires ; puis, il sera question des glissements par
lesquels un personnage de chair et de sang — ici al-Ḥasan Ibn Hāni’ — se mue en héros
et en figure légendaire, à travers le temps et les narrations. Si ces glissements n’en
relèvent pas moins de l’histoire littéraire, c’est parce que l’héroïsation et la
légendarisation 4, véhiculées par les anecdotes en prose, visent ici à modeler le
parangon du poète, aussi génial que débauché, et servent de cadre aux citations
poétiques, données en exemple et parfois commentées, qui justifient le talent
exceptionnel qu’on lui reconnaît. Dans les limites de cet article, seront examinés
quelques éléments « biographiques », l’identité du poète et ses liens familiaux, ses
relations avec les califes abbassides, puis avec les femmes. Enfin, dans une conclusion à
caractère programmatique, quelques pistes demeurant à explorer seront signalées et
deux récits particulièrement originaux que rapporte Ibn Manẓūr rapidement présentés.

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I. Présentation des Aḫbār Abī Nuwās d’Ibn Manẓūr


3 Commençons par déterminer ce qu’il faut comprendre quand on évoque aujourd’hui
l’ouvrage d’Ibn Manẓūr intitulé Aḫbār Abī Nuwās. Il s’agit d’un texte qui a fait l’objet de
plusieurs éditions imprimées, mais pas encore, à ce jour, d’une édition critique. Parmi
les éditions disponibles 5, la version de référence utilisée dans cette étude sera celle
figurant en appendice au Livre des chansons, dans l’édition de 1992, chez Dār al-kutub
al-‘ilmiyya 6. Elle est la plus diserte des versions consultées 7 : la plus régulièrement
annotée par l’éditeur ‘Abd al-Amīr ‘Alī Muhannā, elle est aussi celle dans laquelle le
texte attribué à Ibn Manẓūr est le plus volumineux car, probablement, la seule à n’avoir
pas été expurgée. Quoique les autres éditions n’en disent rien explicitement et bien
qu’on ne puisse exclure, en l’état actuel de la recherche, qu’elles se fondent sur des
manuscrits différents présentant d’importantes variantes, voire qu’il convienne
d’établir inéluctablement la paternité de ces versions 8, il est difficile d’admettre que la
censure ne soit pas, sous une forme ou sous une autre, le motif expliquant (à tout le
moins en grande partie) pourquoi, par exemple, le texte arabe proposé dans l’édition de
‘Umar Abū al-Naṣr, chez Dār al-Ǧīl 9, n’inclut pratiquement aucune anecdote à
thématique homoérotique, quand celle de Dār al-kutub al-‘ilmiyya en propose trente-
six 10, auxquelles s’ajoutent dix-sept citations 11 en vers, non contextualisées, traitant du
même sujet. D’ailleurs, de manière générale, l’ensemble du dernier corpus est plus
volumineux.
4 Ajouts et variantes ne sont pas anodins. Ainsi, les deux éditions susmentionnées
relatent dans les mêmes termes une anecdote dans laquelle on conduit devant al-
Rašīd 12 Abū Nuwās, accusé d’hérésie, après qu’il a répondu labbayka (me voici, à ton
service !) à un imam qui récitait « [...] Ô vous les infidèles 13 ! ». Suite au récit, dont le
dénouement sera favorable au poète, Ibn Manẓūr intervient dans le texte, comme il le
fait rarement :
Muḥammad Ibn al-Mukarram [Ibn Manẓūr] a dit : C’est là, par Dieu, un humour
impudent (muǧūn)14, médiocre et détestable, outrepassant les limites de la raison, de
la bienséance et de l’appréciable. Par ma vie, le libertin (māǧin) tire [généralement]
des leçons de créatures comme lui, s’il se reconnaît avec elles la moindre
ressemblance ; comment [celui-ci] ne tirait-il pas même de leçons de la puissance
divine ! Abū Nuwās a, en plus de ce récit-là, un large spectre [d’autres
manifestations] de libertinage 15.
5 L’histoire s’arrête là dans la version de Dār al-Ǧīl, de sorte que le commentaire de
l’auteur apparaît comme une glose conjoncturelle, portant sur l’anecdote qu’il vient de
rapporter. Elle se poursuit, au contraire, dans celle de Dār al-kutub al-‘ilmiyya, par des
souvenirs personnels d’Ibn Manẓūr, visitant Sodome et ses environs, y entendant
raconter des histoires terribles sur le châtiment du « peuple de Loth » (qawm Lūṭ 16). Ces
souvenirs édifiants sont liés à ce qui les précède par l’énoncé « Cela m’a rappelé… ».
Après les avoir relatés, l’auteur revient à notre poète et conclut en disant :
Fasse Dieu que je sache [un jour] ce qui portait Abū Nuwās à ce libertinage insolent,
plein de dérision à l’égard de la déité (rubūbiyya). Que Dieu nous protège de ses
égarements et qu’Il nous pardonne, Lui, le Maître des mondes 17.
6 Dans le second cas, la réaction d’Ibn Manẓūr n’est plus contingente de l’anecdote. Elle
constitue un jugement général sur le poète. De plus, elle se double de l’expression d’un
sentiment de culpabilité paradoxal, né de la vision spectaculaire et apocalyptique de

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Sodome, à laquelle je reviendrai dans la dernière partie : rapporter les méfaits du poète
incite à demander pardon à Dieu, mais n’empêche pas de continuer de le faire !
7 Certes, on ne peut exclure l’hypothèse que, dans l’édition de Dār al-kutub al-‘ilmiyya, ce
récit apocalyptique, le nombre élevé des anecdotes homoérotiques ou d’autres traits de
l’ouvrage puissent résulter d’expansions insérées pour souligner les débordements du
poète. En termes de génétique des écrits et d’histoire littéraire, il serait indispensable
de faire le point sur cette question et, dans une édition critique, de désigner comme
telles les anecdotes identifiées comme des ajouts. Toutefois, à la différence de la
censure, les expansions ne sont pas gênantes pour le présent travail, dans la mesure où
il porte sur l’élaboration de l’image textuelle d’Abū Nuwās et que les récits en question,
seraient-ils ajoutés, enrichissent le corpus des anecdotes rapportées à son sujet. C’est
pourquoi, laissant la question de l’établissement du texte, je m’intéresserai aux effets,
sur ses récepteurs, du corpus de référence tel qu’il se présente. Dans cette perspective,
c’est davantage l’image qu’il livre du poète que le projet littéraire de l’auteur qui sont
concernés, quoiqu’il ne soit guère envisageable de les dissocier, sinon logiquement et
ponctuellement.

II. Les Aḫbār Abī Nuwās, d’Abū Hiffān à Ibn Manẓūr


8 L’enrichissement du corpus et, de ce fait, son orientation, apparaissent clairement
quand on compare les deux ouvrages homonymes attribués à Abū Hiffān et Ibn Manẓūr.
D’après Ibn al-Nadīm (m. v. 385/995), dans la notice de son catalogue consacrée à Abū
Hiffān, ce dernier serait l’auteur d’un Kitāb al-Arba‘a fī aḫbār al-šu‘arā’ (Le Livre des
quatre, ou anecdotes sur les poètes) 18 ; puis, dans la notice traitant d’Abū Nuwās, le
libraire ajoute qu’Abū Hiffān avait composé (‘amila) à son sujet un écrit rassemblant
poèmes et anecdotes 19. Ces deux données (absence de la mention par Ibn al-Nadīm,
dans la notice présentant Abū Hiffān, d’un titre d’ouvrage portant sur Abū Nuwās et
mention, dans la notice traitant du poète, de la composition qu’Abū Hiffān lui a
consacrée) portent à adhérer à l’hypothèse avancée par MacDonald selon laquelle les
Aḫbār Abī Nuwās d’Abū Hiffān auraient initialement constitué l’un des quarts du Kitāb al-
Arba‘a 20susmentionné. Le recueil rassemble soixante-neuf anecdotes commençant
chacune par « qāla Abū Hiffān ». L’introduction élogieuse consacrée à Abū Nuwās, qui
précède les anecdotes dans le manuscrit, et qui, au vu des personnages qu’elle cite,
constitue un ajout postérieur 21, a été placée à la fin du volume imprimé par l’éditeur
sous le titre « hāḏā mā ǧā’a fī awwal al-nusḫa al-muṣawwara » (voilà ce qui figure au début
de la copie microfilmée/photocopiée). Il a ensuite procédé à la collecte, dans des
sources secondes, d’anecdotes dont la transmission est également attribuée à Abū
Hiffān. En plus de son intérêt intrinsèque, cet ouvrage permet, par comparaison, de
voir comment la légende d’Abū Nuwās s’est étoffée dans la durée.
9 Certes, l’image que donne Abū Hiffān du poète n’est pas exempte de modélisation. Mais
le personnage dépeint, s’il peut être dit remarquable, n’est pas encore extraordinaire.
Quoiqu’il ne soit pas dans mes objectifs d’analyser le texte d’Abū Hiffān, quelques
remarques sont indispensables pour différencier les deux ouvrages. Elles procèdent
surtout de l’observation du nombre des anecdotes, de leur thématique et de leur place
dans l’ensemble, autrement dit de l’impact sur le récepteur de leur classement et, plus
généralement, de la composition. Ainsi, par exemple, Abū Hiffān, s’il souligne le talent
du poète et rapporte quelques avis élogieux sur ce point, ne s’attarde pas sur cet aspect.

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Au contraire, chez Ibn Manẓūr, cette dimension est très présente, qu’il s’agisse de
jugements à caractère général sur le talent du poète et l’étendue de son savoir 22 ou, de
manière plus particulière, d’un vers, d’un poème ou d’une querelle poétique 23.
10 La thématique de l’ivresse est, bien évidemment serait-on tenté de dire, présente dans
les deux ouvrages. Mais, au vu des anecdotes choisies et de leur nombre, son caractère
burlesque et « humain, trop humain » ressort davantage chez Abū Hiffān. Dès la
quatrième anecdote, il indique que l’ivresse privait le poète de ses moyens : « [...] wa-
qad aḫaḏat-hu al-ḫamra fa-lam tada‘ fī-hi ḥaraka » (la boisson s’était emparée de lui et
l’avait laissé sans mouvement). Chez Ibn Manẓūr, une semblable irrévérence, rompant
avec l’image idyllique des cercles bachiques, où l’ivresse ne s’accompagne d’aucune
altération physique, arrive tard dans l’ouvrage : il faut attendre la page 93 pour la
première citation de vers bachiques, spécifiquement présentés comme tels 24, puis la
page 145 pour la première anecdote ayant l’ivresse pour thème central 25, enfin, la page
243 pour lire : « šariba laylatan ḥattā sakira wa-qāma fī al-layl li-yabūla fa-bāla wa-qa‘ada
‘alā bawli-hi » (il but une nuit jusqu’à être soul, puis il se leva pour uriner, urina et
s’assit dans son urine).
11 Chez Abū Hiffān, le poète semble moins faire œuvre de provocation, comme chez Ibn
Manẓūr, qu’essayer de concilier ses appétits mondains et sa pratique cultuelle (ses
craintes métaphysiques ?). Ainsi, anecdote 20 : « inna Abā Nuwās kāna muḥāfiẓan ‘alā
ṣalāti-hi illā an yaskara wa-kāna yaqḍī mā yafūtu-hu min-hā ḥīna yufīqu min sukri-hi » (Abū
Nuwās était attentif à faire ses prières, sauf quand il était soul. Mais, dès qu’il retrouvait
ses esprits, il accomplissait celles qu’il avait manquées). Plus largement, le mélange
d’admiration et de dérision est patent chez Abū Hiffān. Il est bien résumé par le
contraste entre l’élogieuse dernière séquence d’une longue anecdote, puis sa chute
moins glorieuse. Les amis du poète, inquiets de ne pas avoir de ses nouvelles, le
recherchent activement. Ils croisent un ânier :
Nous lui dîmes : « Connais-tu Abū Nuwās ? » Il dit : « Qui ne le connaît ? Je crois que
même mon âne-là le connaît ! La pleine lune serait-elle invisible au
regard ? 26 » Nous dîmes : « L’as-tu vu ? » Il dit : « Oui, je l’ai vu au sortir de
Bāṭurunǧī, dans la rigole du hammam qui donne sur la rue, ivre mort 27. Les
garçonnets se sont rassemblés, l’entourant, chahutant et se moquant de lui. »
12 Si Ibn Manẓūr rapporte lui aussi, parfois, des récits dans lesquels les propos élogieux
basculent dans le burlesque, leur fréquence dans le corpus moins volumineux d’Abū
Hiffān et leur apparition dès le début du recueil, croquent du poète une image
différente.
13 Cette différence est également perceptible quand il s’agit des amours d’Abū Nuwās. Ibn
Manẓūr relate avec force détail les amours masculines du poète et leur cortège de
débordements qui, on a pu l’entrevoir plus haut, ne sont pas sans le déranger ; alors
qu’Abū Hiffān, avec une sorte d’affectueuse irrévérence, qui humanise le poète, semble
s’amuser du fait qu’il était, résolument, insensible aux attraits de la gent féminine 28. Là
encore, l’organisation du récit et la proximité des anecdotes ont une fonction
déterminante sur le récepteur. Ainsi, dès le ḫabar 8 chez Abū Hiffān, c’est la famille
d’Abū Nuwās qui le marie, à un âge avancé, à une très belle compagne, dont il se
détourne pour passer sa nuit de noces en compagnie d’un groupe d’éphèbes
(ġilmān) 29qu’il travestit en femmes, avant de divorcer au matin 30. Aussitôt, ḫabar 9, le
transmetteur indique, après avoir rapporté qu’Abū Nuwās courtisait une belle servante,
en public et dans la rue : « Nul ne le lui reprochait, car il se jouait de tout le monde et

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qu’on ne le comptait pas au nombre de ceux qui s’intéressent aux femmes, ni ne le


connaissait pour leur porter de l’amour ». Un peu plus loin, ḫabar 14, le poète en état
d’ébriété, se plaint pourtant de son amour pour une servante. « Malheureux ! » lui dit
son commensal, « tu es donc tombé sur la tête pour te mettre à t’éprendre également
de femmes ! » Chez Ibn Manẓūr, nous le verrons, le développement d’un discours plus
solennel, mais surtout plus contradictoire, sur les amours d’Abū Nuwās, confère au
poète une aura, qui, paradoxalement, enlaidit davantage ses transgressions et induit
une mise à distance qui n’est pas sensible chez Abū Hiffān. On serait tenté d’affirmer
que le poète paraît exercer sur Ibn Manẓūr, son biographe le plus tardif, une
fascination horrifiée, absente de l’ouvrage d’Abū Hiffān, son contemporain, et que cette
différence tient pour l’essentiel au grossissement des traits de l’image du poète au fil du
temps, accentuant son penchant pour la transgression et la provocation.

III. Ibn Manẓūr et les Aġānī


14 En fixant cette nouvelle image, Ibn Manẓūr procédait-il délibérément ? Pour essayer de
répondre à cette question, revenons à ce qu’il dit des motifs qui l’ont porté à composer
l’ouvrage, dans la présentation qu’il a rédigée. Malheureusement, notre édition de
référence n’a pas échappé à un problème que seule celle de Dār al-Bustānī, à laquelle
nous empruntons ci-dessous le passage cité, ne pose pas : l’incorporation du bref
préambule, composé par Ibn Manẓūr, remanié, dans l’introduction rédigée par l’éditeur
« scientifique ». Or, ce préambule est essentiel : Ibn Manẓūr établit explicitement un
lien de cause à effet entre la composition de l’ouvrage et sa frustration devant le peu de
cas qu’Iṣfahānī fait, selon lui, d’Abū Nuwās, dans les Aġānī :
Voici une biographie qu’Abū al-Faraǧ [al-Iṣfahānī] – Dieu ait son âme – a
[également] biographiée sous le titre de : « Aḫbār traitant exclusivement d’Abū
Nuwās et de Ǧinān 31, les aḫbār [traitant] du premier ayant été précédemment
mentionnés 32 ». Or, je n’ai pas trouvé de biographie consacrée à Abū Nuwās dans les
copies des Aġānī que j’ai pu consulter. Je ne sais pas si Abū al-Faraǧ a omis de
mentionner Abū Nuwās dans son livre ou si cette biographie a été exclue de son
ouvrage par la suite. [...] J’ai donc ajouté à ce qu’il a mentionné dans ladite
biographie des choses du même acabit que son écrit, sachant que tout ce qu’[al-
Iṣfahānī] a rapporté dans cette biographie se résume à deux ou trois feuillets, pas
davantage. C’est donc comme si, nous, nous nous étions acquitté de cette biographie
à sa place 33.
15 La question de cette notice manquante a été abordée par Hilary Kilpatrick dans son
ouvrage de référence consacré à l’œuvre majeure d’Iṣfahānī 34. À juste titre, elle indique
à propos de ce « “missing” article » 35, après avoir signalé qu’on ne pouvait, dans
l’absolu, exclure l’hypothèse des chercheurs qui soutiennent que les notices sur Abū
Nuwās et Abū al-‘Atāhiya ont été « égarées » :
...It is quite as likely that Abū l-Faraj never assembled them, even if he had collected
material for them. In particular, it is improbable that an Aghānī article on Abū
Nuwās should have been lost, and lost immediately, while so many articles on
obscure poets survived 36.
16 L’explication fournie par Kilpatrick est frappée du sceau du bon sens et de la
pondération, et peut paraître tout à fait convaincante. Elle est d’autant plus
intéressante qu’elle vient aussi rappeler qu’un auteur ‘abbasside ne rédigeait pas
forcément son ouvrage dans l’ordre définitif qui devait devenir le sien.

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17 Je souhaite pourtant ajouter une autre hypothèse à celles qui viennent d’être évoquées
(notice perdue, notice délibérément supprimée ou notice programmée, mais non
rédigée) : celle selon laquelle Iṣfahānī aurait volontairement limité la présentation
d’Abū Nuwās aux seuls « Aḫbār traitant exclusivement d’Abū Nuwās et de Ǧinān 37 », et
que la deuxième partie de son intertitre, libellée en arabe « iḏ kānat aḫbāru-hu qad
ufridat ḫāṣṣatan » pourrait ne pas signifier, comme Ibn Manẓūr l’a reformulé, « iḏā kanat
aḫbāru-hu qad ḏukirat muqaddaman » (les récits le concernant ayant été précédemment
mentionnés).
18 En effet, en mettant à profit l’informatisation du corpus des Aġānī 38, l’examen des
occurrences de iḏ kāna /kānat permet de constater qu’Iṣfahānī les utilise comme des
expressions figées, signifiant « car », « dès lors que », sans que kāna(t) n’exprime
forcément le passé ni l’antériorité 39. La prospection permet d’observer également que
l’auteur associe une seule autre fois le verbe afrada et le substantif aḫbār, dans un
énoncé qui signifie sans ambiguïté : « aborder séparément (afrada) les récits (aḫbār) 40 ».
Enfin, cette prospection permet d’affirmer que, lorsqu’il renvoie à des éléments qu’il a
précédemment cités, Iṣfahānī emploie de manière récurrente le verbe taqaddama,
notamment dans le composé taqaddama ḏikru-hu 41. On est dès lors en droit de se
demander si « iḏ kānat aḫbāru-hu qad ufridat ḫāṣṣatan » ne signifierait pas
contextuellement : « dès lors qu’il faut aborder spécifiquement les récits le
concernant ». Devant cette « contrainte », l’auteur aurait choisi de présenter des aḫbār
manẓūma formantun tout qui, sans être assimilé formellement à un roman d’amour, y
est apparenté, par des biais parfois surprenants mais parlants et convaincants, on le
verra, ces aḫbār ayant été repris tels quels par Ibn Manẓūr 42.
19 Qui plus est, au vu de l’ensemble des mentions d’Abū Nuwās disséminées dans le Livre
des chansons, l’intérêt que lui portait Iṣfahānī paraît limité et son appréciation pour le
moins mitigée. En effet, ces mentions sont généralement plus négatives que positives
et, aussi surprenant que cela puisse être aujourd’hui, l’auteur ne semble pas tenir en
grande estime notre poète. Ce dernier est violemment présenté à trois reprises, sans
nuances, comme un plagiaire de la pire espèce, surtout dans sa poésie bachique,
autrement dit dans ce qui était généralement considéré comme le fleuron de sa
production novatrice 43 : dans la notice consacrée à al-Walīd Ibn Yazīd (m. 126/743), il
est dit qu’Abū Nuwās s’est approprié la totalité des images et idées du calife poète 44 ;
dans celle d’al-Ḥusayn Ibn al-Ḍaḥḥāk (m. 250/864), il est indiqué qu’il s’est accaparé les
compositions les plus réussies de son commensal 45 ; enfin, dans la présentation d’Abū
al-Hindī (m. ?), Abū Nuwās est accusé d’avoir pillé sans vergogne les vers de son
prédécesseur 46.
20 Il est vrai que les Aġānī rapportent pour plus d’un poète ou chanteur des avis
contradictoires et que les propos tenus sur Abū Nuwās sont parfois élogieux 47. Ce qui
distingue les informations sur le poète est livré par des détails. Ainsi, dans la totalité de
cette volumineuse anthologie, il n’y a que deux occurrences du verbe salaḫa
(s’approprier, plagier ; littéralement : écorcher, arracher), associées à la poésie. C’est là
une sévère condamnation d’un poète. Or, l’une des occurrences est utilisée à propos de
l’œuvre d’Abū Nuwās 48 ; elle est assortie d’un commentaire sans appel d’Iṣfahānī :
« Abū Nuwās surtout a usurpé (salaḫa) [à al-Walīd Ibn Yazīd] toutes ses idées pour les
mettre dans sa poésie, répétitivement et à divers endroits. Si je ne détestais les
longueurs, je les aurais tous mentionnés ici, mais [la poésie d’Abū Nuwās] parle d’elle-
même 49 ! » L’absence d’une notice spécifique qui ne soit pas cantonnée au roman de ses

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amours manquées avec Ǧinān pourrait trouver là, en partie, son explication et sa
justification.

IV. Filiations et désaffiliation d’Abū Nuwās


21 Dans les premières pages de son ouvrage, sacrifiant à l’usage de son temps, Ibn Manẓūr
s’intéresse au nom du poète et à ses liens de parenté. Le doute qui entoure ces données
et qui est, par le nombre des versions et des variantes, nettement supérieur aux
imprécisions que l’on peut relever chez Abū Hiffān, contribue à la transformation du
poète en figure légendaire, tout en apportant certaines informations sur sa biographie,
notamment en pointant les conditions extrêmement défavorables dans lesquelles il
vivait avant sa rencontre déterminante avec Wāliba Ibn al-Ḥubāb (m. 180/796).

1- Sur l’origine de l’expression Abū Nuwās, surnom d’al-Ḥasan Ibn


Hāniʼ

22 Ibn Manẓūr donne, en les mettant dans la bouche du poète, trois versions de l’origine
de son surnom 50. Leurs modalités de transmission ne sont pas mentionnées. S’il est vrai
qu’Ibn Manẓūr avait pour habitude de supprimer les chaînes de transmetteurs dans les
récits qu’il reprenait à son compte, la situation est ici légèrement différente : en effet,
les nombreux verbes à la forme passive, dans toute la partie traitant de la généalogie du
poète et de ses premières années, portent à penser que ce flou ne tient pas à l’omission
délibérée du sanad, mais à l’imprécision des données en tant que telles, y compris pour
les dates de naissance du poète (quatre dates différentes) et de sa mort (six dates). Les
trois explications données du surnom du poète révèlent une dynamique récurrente
dans le recueil : les différentes versions d’un même fait présentent, d’une manière ou
d’une autre, une gradation allant du plus banal au plus extraordinaire ou inattendu.
Bien évidemment, cette observation ne saurait permettre de déterminer lesquelles
seraient plus authentiques que d’autres, car rien ne dit que le plus banal soit forcément
le plus conforme à la réalité. Par contre, cela renseigne utilement sur les procédés
d’agencement et de composition des récits.
23 Selon le poète, d’après un premier récit, « Nuwās » est le nom d’une montagne ; dans
une autre version, le terme désigne un épi ou une houppe dans les cheveux et son
surnom d’Abū Nuwās (l’homme à la houppe) lui a été donné par un voisin en raison de
la disposition de ses mèches ; enfin, dans une dernière explication, il dit l’avoir choisi
lui-même (anā kannaytu nafsī), estimant propitiatoire un surnom glorieux et distinctif :
Nuwās renvoie au nom du dernier des souverains du royaume de Ḥimyar, Ḏū Nuwās. On
voit très clairement dans le troisième cas une illustration explicite de la manière dont
s’élabore l’héroïsation : Abū Nuwās se pose à l’origine de son propre surnom par lequel
il déclenche son propre succès.

2- Le père d’Abū Nuwās

24 À l’ouverture de l’ouvrage, le nom donné au poète est al-Ḥasan Ibn Hāni’ Ibn ‘Abd al-
Awwal Ibn al-Ṣabbāḥ, mawlā d’al-Ǧarrāḥ al-Ḥakamī 51. Un peu plus loin, le prénom de
son grand-père devient Rabāḥ, toujours mawlā du même 52. Quant à son géniteur, il est
bien difficile d’avoir une idée précise à son sujet. Ce flou sert, me semble-t-il, à induire

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le récepteur à présumer que le poète était un enfant naturel. Qu’elle corresponde ou


pas aux faits, cette suggestion, si elle paraît en façade dévaloriser le poète, contribue à
effacer le mérite lié à l’ascendance au profit du seul mérite personnel. Elle est confortée
par les propos qui sont adressés au poète dans les satires et par les précautions que lui-
même prenait : « En ce qui concerne son ascendance, Abū Nuwās faisait des
plaisanteries et s’amusait, cachant sa généalogie et le nom de sa mère, par crainte des
satires. Il est connu pour cela 53 […]. »
25 Hānī, le prénom supposé de son père, aurait été Hunayy. Hānī/Hunayy aurait été
secrétaire de chancellerie, berger, tisserand ou soldat. Ceci explique sans doute, en
partie, les efforts consentis par le poète pour s’attribuer une ascendance noble et
reconnue, diversifiant les récits, changeant d’ancêtres au gré de ses humeurs, mais
surtout s’exposant au ridicule et aux moqueries. Ses affabulations sont soulignées par
deux fois au moins dans l’ouvrage. Ainsi, il est dit de lui : kāna da‘iyyan yaḫliṭu fī da‘wati-
hi 54. Da‘iyy signifie « enfant naturel » et « suspect dans ses croyances ».L’énoncé, qui
peut être compris comme « il était suspect dans ses croyances religieuses », si on le
réfère au comportement transgressif du poète, signifie plutôt, si l’on se réfère au
contexte dans lequel il s’insère, « c’était un enfant naturel, confus dans ses
revendications généalogiques ». D’ailleurs, il est peu probable que l’ambiguïté de
l’énoncé soit fortuite. De sa naissance obscure, le poète tire parti quand il répond à une
satire en évoquant Ziyād Ibn Abī-hi, le bâtard d’Abū Sufyān et demi-frère du calife
Mu‘āwiya, et au ḥadīṯ dans lequel le Prophète dit : anā mawlā man lā mawlā la-hu (je suis
le protecteur de celui qui n’a pas de protecteur) 55.
26 Dans la même logique, bien qu’il soit identifié par les autres comme Persan 56, Abū
Nuwās se dit d’ascendance yéménite 57 et insulte les tribus du Nord, puis il insulte les
premiers et se proclame descendant des Nizār et apparenté à Farazdaq 58, quand il ne
s’affirme pas Damascène et membre des tribus du Šām 59. Pour Ibn Manẓūr, « au
nombre des proclamations faites par Abū Nuwās sur ses origines, ce qui est exact est
qu’il était mawlā des Ḥakam 60 ». S’il n’est pas déraisonnable de penser que cette
information, la plus régulièrement citée, serait la plus proche de la réalité, le flou dans
lequel elle est noyée dans le texte est un procédé par lequel la figure littéraire du poète
tisse des liens avec les héros : plus son ascendance paraîtra douteuse, plus son parcours
semblera difficile, plus il gagnera en noblesse par son seul mérite, et plus sa réussite
éclatante prendra valeur d’exception.

3- La mère d’Abū Nuwās et sa fratrie

27 Le flou entourant la mère du poète est moins frappant, mais tout aussi visible. Excepté
un récit qui la désigne par le prénom de Šaḥma 61, les autres s’accordent à l’appeler
Ǧullabān ou Ǧulbān. Persane d’al-Ahwāz, elle aurait été lainière ou cultivatrice de
bambou. Toutes les versions s’accordent à dire qu’elle se rend avec son fils à Baṣra alors
qu’il a six ans 62. Elle semble y avoir entamé une nouvelle existence, comme tavernière
(nabbāḏa) 63 ou comme tenancière de maison close 64. Elle est la seule figure familiale qui
réapparaîtra, plus loin dans l’ouvrage, lorsque, après la mort de son fils, accompagnée
de son nouvel époux, aussi ridicules, dit-on, l’un que l’autre, elle se présente à
l’exécuteur testamentaire du poète pour réclamer sa part d’héritage 65. La double
dévalorisation de la figure maternelle, par les professions qu’elle exerce durant la

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petite enfance du poète-héros ou par la mesquinerie qu’elle manifeste après sa mort, en


font moins une mère qu’une marâtre, topos qui, à son tour, alimente la fiction 66.
28 Selon l’une des versions, Ǧulbān aurait donné à son époux plusieurs enfants. De ces
descendants, les sources, et singulièrement Ibn Manẓūr, n’en mentionnent que deux ; le
frère dont le poète aurait été affublé, qui aurait (curieusement) répondu à la kunya
d’Abū Mu‘āḏ 67 et n’aurait eu comme mérite que de se draper dans la réputation de son
frère (lā yuḥsinu šay’an illā anna-hu taḫayyaša bi-anna-hu aḫun li-Abī Nuwās) 68 ; la sœur
dont on dit seulement qu’elle appartenait à Faraǧ al-Qaṣṣār, lui-même esclave d’Aḥmad
Ibn ‘Iṣma al-Bāḫarzī, information dont le rejaillissement sur l’image du poète n’est pas
anodin.
29 Une information marginale, et difficilement classable parmi les autres, concernant
Ǧulbān, mérite qu’on s’y arrête. D’après une variante, la dénommée Ǧulbān n’aurait pas
été la génitrice du poète, mais une riche femme de Baṣra, prenant à sa charge
l’éducation des bâtards (awlād al-zinā) 69. Renforçant le statut d’enfant illégitime du
poète, cette version tend à abolir aussi la figure maternelle, après avoir aboli la figure
paternelle. Sans père ni mère, Abū Nuwās aurait été pris sous la protection de cette
bienfaitrice, figure féminine positive.

4- Quelques autres topiques de la « fabrique du héros »

30 Quoiqu’il en soit de ses géniteurs et de son lignage, comme tous les héros, Abū Nuwās
n’accède à la liberté qu’après un passage par une forme de servilité. Dans son cas, ce
servage symbolique est représenté par la prostitution, plusieurs séquences de l’ouvrage
laissant entendre, directement ou indirectement, qu’il en a vécu un temps 70.
31 Selon un autre topique des parcours héroïques, l’ascension sociale d’Abū Nuwās
s’accompagne de déplacements dans l’espace, de la région d’al-Ahwāz à Baṣra, puis à
Kūfa, puis dans la steppe, enfin à Bagdad, après un nouveau passage à Kūfa qui marque
la fermeture d’une première boucle et son entrée dans l’âge adulte.
32 La première phase de son parcours se situe sous les auspices du poète Wāliba dont il fut
à la fois le disciple et le giton. Wāliba l’initie à la poésie et au libertinage du cercle des
muǧǧān al-Kūfa. Abū Nuwās se séparera de lui, avec son autorisation, pour se rendre
dans la steppe, poursuivre son apprentissage chez les Bédouins. Cette
« autorisation » porte à penser qu’il était encore sous son autorité ou sa tutelle. J’ai
établi ailleurs pourquoi la séparation du poète et de son premier mentor devait être
rapportée moins à la mort du second, comme le laissait entendre Ibn al-Mu‘tazz (m.
296/908) 71, qu’à l’entrée du premier dans l’âge adulte 72. En effet, la mort très
rapprochée de Wāliba et de Ḫalaf al-Aḥmar, chez qui Abū Nuwās ira parachever sa
connaissance de la poésie, ne permet pas d’adhérer à l’hypothèse avancée par Ibn al-
Mu‘tazz. La « permission » accordée par Wāliba sonne plutôt comme l’affranchissement
social et allégorique d’un jeune protégé que les années ont rendu, à la fois, plus
talentueux comme poète et moins attrayant comme amant.
33 Si les maîtres qui ont formé le poète dans diverses disciplines sont nombreux et
célèbres, ses deux mentors en poésie portent des noms dont la symbolique doit être
relevée. Les noms communs wāliba et ḫalaf sont parasynonymes et signifient :
descendant, héritier. Ils accréditent une filiation symbolique de génération en
génération de poètes. Mais, si Abū Nuwās devient à son tour un héritier dans cette

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lignée, c’est au prix d’un renoncement à l’héritage poétique, emblématisé par l’amnésie
forcée que Ḫalaf lui impose 73. C’est riche de cette formation, d’autant mieux acquise
qu’elle a été « oubliée », qu’il arrive dans la capitale pour poursuivre sa destinée et son
rapprochement progressif de la plus haute sphère du pouvoir. En effet, s’il est tenu à
distance de la cour des vizirs barmécides par la jalousie haineuse de leur poète attitré,
Abān al-Lāḥiqī (m. v. 200/815) 74, il va se retrouver rapidement dans l’intimité du prince
héritier et futur calife al-Amīn (m. 198/813).

V. Abū Nuwās et les califes ‘abbassides


34 Pour évoquer les relations du poète et d’al-Amīn, il convient de mettre en relation les
trois séries d’anecdotes concernant ses contacts avec les califes de son temps, Hārūn al-
Rašīd (m. 193/809) et ses deux fils al-Amīn et al-Ma’mūn (m. 218/833).

1. Abū Nuwās et al-Ma’mūn

35 Les sources sont concordantes, Abū Nuwās n’a jamais rencontré al-Ma’mūn. Cependant,
Ibn Manẓūr rapporte cinq anecdotes dans lesquelles al-Ma’mūn émet un avis élogieux
sur la poésie du commensal de son frère et ennemi, al-Amīn, et une anecdote dans
laquelle al-Ma’mūn envisage de sanctionner le poète, ayant appris qu’il s’était moqué
de son calife de frère 75. Cette dernière est intéressante car elle montre bien la
complexité des relations du poète de cour à ses protecteurs et mécènes : al-Ma’mūn
était en conflit avec son frère, et ses conseillers ne s’étaient pas privés, si l’on en croit
Ṭabarī repris dans les sources postérieures dont la nôtre 76, de contester la légitimité
d’al-Amīn précisément en mettant en exergue les excès de son poète favori. Mais al-
Ma’mūn, s’il attaque son frère, ne semble pas prêt à admettre qu’un poète débauché
puisse le faire également.
36 Les cinq autres anecdotes mettant en scène al-Ma’mūn traitent surtout de poésie. Dans
deux récits 77, une citation d’Abū Nuwās est présentée comme le propos qui décrit le
mieux une situation donnée. Deux autres récits procèdent d’un jugement littéraire à
caractère plus général 78 et laudatif porté sur le poète par le calife. Enfin, dans une
dernière anecdote 79, de façon presque attendrissante, après avoir écouté réciter un
poème de 7 vers dans lequel Abū Nuwās se plaint du mal d’amour, al-Ma’mūn dit : « Je
suis cet homme, et c’est là mon histoire. Assurément, le calife ne peut tenir de propos
qui restent secrets ni jouir de ce qu’il veut 80 ». Autrement dit, par-delà ce qui les
différencie et aux dires mêmes du calife, sa subjectivité rejoignait celle du poète-
narrateur. Toutefois, ce parallèle – qui survient dans les dernières pages de l’ouvrage -
est atténué par le doute qui pèse sur l’identité réelle de l’auteur des vers récités, dont
Ibn Manẓūr fait état après avoir rapporté l’anecdote.
37 L’analogie entre les deux personnages est également évoquée, de manière rapide, en
conclusion d’une anecdote 81 portant sur les liens d’al-Amīn et d’Abū Nuwās. Le poète,
sévèrement sanctionné pour avoir proféré des paroles irrévérencieuses et
provocatrices (il ridiculise la croyance selon laquelle un ange descend avec chaque
goutte de pluie), compose un poème dans lequel il s’adresse à Dieu et demande l’appui
d’al-Ma’mūn contre al-Amīn. Le premier se serait alors engagé à le récompenser
généreusement et n’aurait pu le faire, le poète étant mort avant son retour à Bagdad.
L’intérêt de cette anecdote et des vers qu’elle inclut tient moins à la demande de

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protection adressée à un mécène potentiel qu’aux propos teintés de mu‘tazilisme qui


rapprochaient idéologiquement ces deux grands esprits. Si la fiction s’accommode de
leur non-rencontre, c’est que celle-ci a une fonction narrative : en présence d’al-
Ma’mūn, calife épris de raison et de science, la figure de débauché et de transgresseur
d’Abū Nuwās aurait été atténuée par ses sympathies mu‘tazilites et sa grande culture
religieuse et linguistique. Par contre, elle a tout le loisir de s’épanouir dans l’histoire de
ses liens avec al-Amīn comme on le verra 82.

2. Abū Nuwās et Hārūn al-Rašīd

38 Si aucun récit ne prétend que le poète ait pu rencontrer al-Ma’mūn, la situation est plus
complexe s’agissant de Hārūn al-Rašīd. Ibn Manẓūr rapporte neuf anecdotes 83 dans
lesquelles les deux personnages se croisent, tout en signalant, après les trois premières,
que ces récits ne sont que forgeries (mawḍū‘āt) 84 aux yeux de certains, car « Abū Nuwās
n’a jamais obtenu une audience d’al-Rašīd, ni ne l’a jamais vu 85 ». Ces anecdotes se
répartissent selon deux sous-catégories, l’une à la gloire du poète de cour, récompensé
pour son talent poétique, l’autre condamnant l’impie, sanctionné pour ses dérives
morales.
39 Dans la première anecdote 86, al-Rašīd conteste le contenu d’un vers d’Abū Nuwās
traitant de canitie, car il ne respecte pas l’idée reçue dans l’Islam, depuis le Prophète,
que la sagesse vient avec les cheveux blancs. Le poète se défend par une pirouette qui
ne trompe guère le calife. Quoique ce dernier lui annonce une sanction, il ne le punit
pas. La deuxième anecdote 87 constitue une analepse ; elle est supposée décrire, par la
bouche même du poète, ce qui aurait été à la fois son premier contact avec ce calife et
avec l’un des ‘Abbassides. Dans le même temps, elle est construite sur un paradigme
particulièrement célèbre, s’agissant d’al-Rašīd : insomniaque, il convoque lettrés ou
savants pour le distraire. Ici, le calife récite deux vers et le poète improvise pour les
compléter. Le calife le récompense et leur premier contact les satisfait tous les deux.
40 Faisant suite à ce récit 88, la troisième anecdote en est une manière d’expansion.
L’histoire est également connue ; elle introduit le topique de « Suzanne au bain » ou
autre « Mutaǧarrida » : ayant vu une esclave se laver nue, le calife convoque le poète et
lui demande de décrire la scène dans un poème construit à partir d’un vers qu’il lui
livre. Abū Nuwās reconstitue l’histoire si précisément qu’on aurait pu croire qu’il y
était ! Le calife le récompense, puis prend la servante comme courtisane. C’est à la suite
de cette anecdote qu’intervient la remarque, rapportée plus haut, sur le caractère forgé
de ces récits et l’affirmation que le poète n’a connu que le seul calife al-Amīn. D’ailleurs,
aussitôt, plusieurs anecdotes concernant ce dernier sont rapportées, comme pour
renforcer l’affirmation.
41 Les autres anecdotes mettant en scène le poète et al-Rašīd portent, d’une part, sur
l’immoralité du poète et, d’autre part, sur le caractère fictionnel de la poésie.
Concernant l’immoralité du poète, elles présentent une forme de gradation. La
première dans l’ordre du récit 89 est celle qui a servi plus haut d’exemple sur les
variantes entre les éditions : accusé de zandaqa, le poète est présenté devant le calife.
Celui-ci prévoit pour lui une sanction. Suite à un quiproquo (le garde confond deux
sanctions et le poète craint le pire pour lui-même) qui amuse le calife, il finit par le
faire libérer sans que la punition ne soit exécutée.

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42 Dans une autre anecdote, al-Rašīd reproche au poète d’utiliser l’expression « la verge
de Moïse 90 » dans un éloge composé pour le gouverneur d’Egypte, al-Ḫaṣīb 91. Dans le
vers contesté, s’adressant aux Égyptiens, le poète les menace en soulignant la force
inspirée de leur gouverneur : « S’il demeure en vous un peu de la ruse de Pharaon/ La
verge de Moïse est assurément dans la main d’al-Ḫaṣīb. » Or, les références, même
imagées, aux prophètes, dans un registre profane, étaient fortement déconseillées,
voire prohibées. Dans la version d’Ibn Manẓūr, le rappel à l’ordre du calife prend une
forme édulcorée « Al-Rašīd lui dit : Et si tu disais plutôt (a-lā qulta...) : “[…] Ce qui reste
(fa-bāqī) de la verge de Moïse 92” », et le poète d’obtempérer. La même anecdote chez
Ibn Qutayba (m. 267/889) est bien plus crue. L’anthologue fait dire au calife : « Fils de
p... (littéralement : inexcisée puante 93) ! Tu oses traiter à la légère la verge de Moïse, le
Prophète de Dieu 94 ! » Et plus tard encore, Suyūṭī (m. 276/1515) donne le vers en
exemple de la banalisation injurieuse (tasfīh) des prophètes par les imbéciles (aġbiyā’) 95.
43 Les exagérations des poètes sont un autre reproche qui peut leur être adressé. Ainsi,
dans une troisième anecdote 96, lorsque le calife al-Rašīd ordonne à son serviteur de lui
trouver une servante semblable à une belle échansonne décrite par Abū Nuwās, la
mission se révèle impossible, aucune jeune femme n’ayant pareilles qualités.
44 Si le poète a échappé une première fois à l’accusation de zandaqa, si la mise en relief des
incohérences de la poésie et des « mensonges » qu’elle répercute ne lui ont pas porté
directement préjudice auprès d’al-Rašīd, cela change dans la dernière anecdote 97 qu’il
ne sera pas possible d’analyser ici dans le détail, mais dont il faut signaler qu’elle
présente une structure originale, notamment dans l’organisation de la temporalité.
Lors d’une audience, Sulaymān, oncle du calife, déclame devant son neveu, à deux
reprises, des vers d’Abū Nuwās illustrant son hérésie. Furieux, le calife ordonne qu’on
recherche le poète pour le jeter en prison, mais ce dernier, alerté, se cache. Ces
derniers faits se déroulent alors que l’audience est toujours en cours. Un autre
participant y récite à son tour des vers dans lesquels Abū Nuwās a directement mis le
calife en cause. Celui-ci fait alors de son arrestation une affaire personnelle d’honneur,
parvient à le faire capturer et le fait emprisonner un temps.

3. Abū Nuwās et al-Amīn

45 Les anecdotes mettant en scène le poète et le calife al-Amīn sont les plus nombreuses
de la série « poète/calife ». Ces vingt anecdotes présentent un parallèle numérique avec
celles consacrées à Ǧinān (vingt également) et paraissent ainsi emblématiser, dans la
structure même du texte, l’ambivalence du poète dans ses relations amoureuses ; car,
quelle que soit par ailleurs la nature des relations d’Abū Nuwās avec al-Amīn, il
apparaîtra qu’elle excède très largement celle d’un poète de cour et de son mécène,
dans le cadre solennel des audiences publiques.

1- Paradigme du poète reconstituant par l’imagination une scène vécue par un


tiers

46 Une seule anecdote exploite explicitement, au sujet des relations d’Abū Nuwās et d’al-
Amīn, le même ressort que l’une de celles qui traitent du poète et d’al-Rašīd. Elle arrive
assez loin dans l’ouvrage 98 et reprend deux poncifs de la précédente 99 : celui du calife
s’éprenant au premier regard d’une servante et celui du poète qui, dans un poème,
reconstitue, aussi précisément que s’il y avait assisté, une scène de la vie d’un tiers. Al-

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Amīn demande au poète d’improviser en insérant dans un poème l’énoncé proverbial


« kalām al-layl yamḥū-hu al-nahār » (paroles nocturnes s’effacent avec le jour) par lequel
une servante, qui lui plaisait et semblait avoir pris langue avec lui durant la nuit, l’a
rejeté au matin. Abū Nuwās restitue la scène, si précisément qu’al-Amīn veut d’abord le
faire fouetter parce qu’il pense qu’il y a secrètement assisté, puis il le récompense en
raison de son génie poétique 100.

2- Abū Nuwās et al-Amīn, gardien du dogme

47 Trois anecdotes visent à montrer le calife al-Amīn comme un gardien du dogme et de la


foi, en dépit de comportements qui ne l’ont pas rendu particulièrement célèbre sous cet
aspect. D’ailleurs, la complexité des trois récits témoigne de la complexité de la
question en tant que telle, mais aussi des contradictions des divers personnages.
48 Dans la première anecdote 101, al-Amīn, furieux des attaques de son poète au sujet de sa
fortune, l’injurie vertement, se moque de ses efforts pour se forger une affiliation
tribale, écoute plusieurs témoins l’accuser d’hérésie, puis le fait emprisonner sous le
motif qu’il a dit boire autant d’anges que de gouttes d’eau de pluie réunies dans un
verre, puisque « vous prétendez qu’un ange descend avec chaque goutte 102 ».
L’architecture de l’anecdote porte à se demander si le calife aurait pris la même
sanction s’il n’y avait eu sa colère du début. Le récit se conclut par l’évocation de
l’admiration exprimée par le rationaliste al-Ma’mūn en entendant le poème composé
par Abū Nuwās quand il prit connaissance de la sentence 103.
49 Dans la deuxième anecdote 104, al-Amīn veut faire reconnaître à Abū Nuwās qu’il est
zindīq. Il s’en défend par un poème qui est une sorte de profession de foi bachico-
islamique, si l’on peut ainsi dire, puisqu’il y revendique à la fois son adhésion aux
piliers de l’Islam et son penchant pour la boisson. Ce poème amuse le calife qui n’y
relève publiquement qu’une astuce lexicale préservant la métrique ; il le récompense et
le libère.
50 Tout de suite après 105, une troisième anecdote informe le récepteur que la foule avait
conduit le poète, à moitié nu, conspué et frappé aux cris de zindīq, devant le calife qui
avait alors prévu de l’exécuter. Mais le poète récite quatre vers pieux qui lui valent là
aussi d’être libéré et récompensé.
51 Il importe de souligner la différence entre ces anecdotes et celles qui ont été évoquées,
pour la même thématique, à propos de Hārūn al-Rašīd. Dans ces dernières, il y avait une
dichotomie entre le poète de talent et l’homme controversé : les anecdotes portaient
soit sur l’un de ces aspects, soit sur l’autre. Dans celles que nous venons d’évoquer, le
passage de l’homme controversé au poète de talent s’opère par un glissement à
l’intérieur même de l’anecdote. Celle-ci commence avec l’homme controversé et se
termine par une récompense adressée au poète de talent qui estompe le premier.
52 À ces trois anecdotes, il convient d’en adjoindre une dernière 106 malgré sa tonalité
légèrement différente. Le narrateur y évoque un poème bachique nostalgique composé
par Abū Nuwās, suite à l’interdiction de boire que lui a intimée al-Amīn. Dans ce poème,
le poète décrit ce qui lui est désormais interdit, ouvrant son propos par : « ‘iftu-hu
mukrahan wa-ḫiftu l-Amīna » (contraint, je l’ai abandonné, et j’ai craint al-Amīn). Le
calife est ainsi présenté comme le gardien effrayant de la loi religieuse. Cette image,
peu conforme au comportement privé d’al-Amīn, permet d’aborder un autre groupe de
récits traitant de thèmes bachiques.

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3- Abū Nuwās, commensal d’al-Amīn, ou l’ambiguïté du calife buveur

53 Trois anecdotes confrontent le récepteur au problème délicat du statut de l’ivresse à


l’époque d’Abū Nuwās et à l’ambiguïté du calife buveur, à travers l’opposition des
sphères publique et privée.
54 Dans la première 107, un concours de boisson entre le calife et ses commensaux se
termine par un « duo » entre nos deux protagonistes. Dans la seconde anecdote 108,
Kawṯar, ḫādim d’al-Amīn, lui présente pour la première fois le poète auquel il a confié la
tâche d’échanson, en lui donnant pour conseil : « inna al-saqya ilay-ka fa-rfuq bi-hi [...] fa-
inna-hu iḏā sakira ‘arbada wa-qatala » (À toi de [lui] verser à boire ; sois bienveillant et
attentif avec lui car, sitôt qu’il est ivre, il devient querelleur et assassin). Effectivement,
sous l’effet de la boisson, le calife ordonne à Kawṯar de tuer le poète. Familier des
ivresses de son maître, Kawṯar enferme Abū Nuwās dans une pièce sans l’exécuter. Et,
comme il l’a prévu, au matin, le calife réclame le poète. Kawṯar lui dit qu’il l’a tué sur
ses ordres et le calife menace de l’exécuter à son tour s’il a vraiment appliqué la
« sentence ». Kawṯar lui raconte alors ce qui s’est passé. Ensuite, al-Amīn officialise le
poète dans la fonction de commensal (ilzam al-munādama) 109. Ces deux anecdotes ont
lieu dans la sphère privée du calife et leur classement dans le temps du récit est inverse
à celui de la chronologie de leur déroulement factuel supposé, puisque la seconde est
une analepse qui raconte les conditions d’accès du poète au calife et au statut de
commensal.
55 L’ambiguïté du calife buveur est surtout représentée par une anecdote qui s’intercale
entre les deux précédentes 110. Dans la première partie, al-Amīn donne audience. Abū
Nuwās récite un poème bachique et se fait réprimander par le calife qui lui rappelle
qu’il lui a interdit de boire. Le poète l’assure qu’il ne boit plus, puis il reprend à son
compte un panégyrique, récité par un autre poète de l’assemblée, et l’améliore ; la
première partie se termine là, avec la récompense qu’il reçoit. Aussitôt, le calife
s’embarque sur le Tigre, à bord de l’une de ses sumayriyyāt de forme animalière, et le
poète l’accompagne pour yunādimuhu 111 (boire en sa compagnie, être son commensal).
Ainsi, dans une partie de l’anecdote, la figure publique d’al-Amīn interdit à son poète la
boisson, jusque dans sa poésie, et, dans l’autre, la figure « privée » d’al-Amīn s’adonne
sans délai à la boisson avec le même poète. Parallèlement, dans la première partie, Abū
Nuwās se proclame abstinent et troque son talent de poète bachique pour celui de
panégyriste, puis, dans la deuxième partie, il accompagne le calife dans ses libations.
56 Les relations ambiguës entre Abū Nuwās et al-Amīn, et entre ce dernier et la boisson,
sont également représentées par une autre série d’anecdotes dont le point commun est
que le calife, pour faire bonne figure et convaincre ses ennemis de sa légitimité, utilise
son poète comme repoussoir et les sanctions contre lui comme gage de moralité
islamique. Pour ces anecdotes, le suspens dramatique décroît selon leur ordre
d’apparition dans le récit. La plus « violente » est donc la première 112 : le calife a fait
emprisonner Abū Nuwās pendant trois mois pour ébriété, il a voulu ensuite l’exécuter
et le poète a dû la vie sauve à un panégyrique pour lequel al-Amīn l’a gracié, sous
réserve qu’il ne boive plus.
57 Dans la deuxième anecdote 113, le calife tente d’éviter à son poète la prison réclamée par
son grand-oncle, Sulaymān, qui persiste dans cette demande, d’un calife à l’autre 114. Al-
Amīn pense qu’il serait regrettable d’emprisonner un poète aussi talentueux et essaie

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de les réconcilier. La rencontre des deux hommes se passe très mal et, selon le
narrateur, le calife fut dans l’obligation d’emprisonner son poète pour ne pas être
accusé d’avoir laissé insulter son grand-oncle sans réagir. Mais al-Faḍl Ibn al-Rabī‘ (m.
208/823) obtiendra la grâce d’Abū Nuwās, à la condition, cette fois-ci, qu’il ne compose
plus de satires.
58 Une autre anecdote 115, l’une des plus anciennes sur le sujet, dont la présence chez
Ṭabarī a été rapidement mentionnée plus haut 116, est assez violente, mais sa violence
est davantage dans les intentions que dans leurs effets. Le vizir et chef militaire al-Faḍl
Ibn Sahl (m. 202/818), dit Ḏū al-Ri’āsatayn, le frère d’al-Ḥasan dont al-Ma’mūn avait
épousé la fille, la célèbre Būrān, avait pris parti contre al-Amīn. Il proclamait qu’il était
licite de le destituer, vu les propos transgressifs qu’il laissait son poète attitré tenir
dans ses audiences. L’ayant appris, al-Amīn prit peur et voulut, pour faire bonne figure,
exécuter Abū Nuwās. Al-Faḍl Ibn al-Rabī‘ et quelques autres l’en dissuaderont. Le poète
se défendra en arguant que l’idée même de désobéir à Dieu présuppose qu’on croie en
Lui.
59 La dernière anecdote117 temporise le comportement que la peur dicte à al-Amīn. Elle
montre, au-delà de toutes les ambiguïtés et contradictions, l’intérêt et l’admiration
qu’il avait pour son poète. En effet, Ibrahīm Ibn al-Mahdī tente de le convaincre de se
séparer d’Abū Nuwās pour sa propre sécurité. Le calife convoque le poète qui fait
étalage de toutes les facettes de son talent (poète, courtisan, savant et commensal). Le
calife renonce à se séparer de cet homme de cour accompli : « Je n’ai jamais vu, dans ce
monde, personne qui lui soit semblable » (mā ra’aytu fī al-dunyā miṯla-hu qaṭṭ).

4- Abū Nuwās et al-Amīn, mécène ombrageux

60 Par peur, comme on l’a vu, al-Amīn se montre ombrageux. Mais il peut l’être parfois par
simple caprice. Ainsi, lorsque Abū Nuwās récite devant lui certain panégyrique 118, il lui
reproche des vers laudatifs qu’il avait composés pour les Āl al-Rabī‘. Abū Nuwās s’en
sort par une pirouette convenue, l’assurant qu’il est le seul destinataire de tout
panégyrique qu’il a jamais déclamé, même avant leur rencontre. Ailleurs, al-Amīn lui
tient rigueur d’avoir conclu quelques vers bachiques en disant : « ḍā‘at ba‘da Hārūn al-
ḫilāfa 119 » (plus de califat après Hārūn). Le narrateur relie même la rancune alors
éprouvée par al-Amīn au fait qu’il fera facilement emprisonner le poète par la suite,
l’accusant de zandaqa, notamment pour une autre ḫamriyya dans laquelle il disait
préférer la compagnie des buveurs à la prière.
61 La figure d’al-Amīn comme prince ombrageux apparaît également dans un récit
rétrospectif qu’Abū Nuwās, mourant, est supposé relater à un visiteur 120 qui le trouve
très affaibli, mais somptueusement vêtu. Le poète raconte que le jeune al–Amīn lui
avait un jour ordonné de faire la satire du serviteur que son père chargeait de veiller
sur lui, et avec lequel il s’était disputé. Le poète ne pouvait répondre au désir du prince
sans fâcher le calife, ni refuser d’obtempérer sans s’attirer la disgrâce du prince. Il
s’était donc enfermé chez lui. Al-Kisā’ī (m. v. 189/805), précepteur d’al-Amīn, avait
alors mis en place un double stratagème pour sauver le poète. Il avait, d’une part,
œuvré à la réconciliation du prince et du serviteur et, d’autre part, expliqué à son
pupille que l’absence prolongée d’Abū Nuwās tenait au fait qu’il avait été fait
prisonnier, au sortir même du palais. Le stratagème réussit et le poète put se présenter
à nouveau devant le prince qui fut si ravi d’entendre les vers qu’il avait composés
durant son absence, qu’il lui fit don d’un coffre rempli de vêtements que sa mère venait

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de lui offrir, dont ceux dans lesquels il avait reçu son visiteur. On notera la dimension
allégorique de ce récit dans lequel notre poète affronte la mort dans des habits de
prince.

5- Abū Nuwās et al-Amīn, la composante homoérotique

62 La dernière série d’anecdotes concernant les relations d’al-Amīn et d’Abū Nuwās tourne
autour de la thématique homoérotique. Ni le goût d’al-Amīn pour les jeunes gens, ni
celui d’Abū Nuwās ne sont ici en cause, mais la nature de leurs relations duelles.
63 Le premier récit apparaît assez tôt dans l’ouvrage 121. Cette anecdote a plusieurs
versions et c’est dans une seule qu’al-Amīn est l’un des protagonistes. Dans deux vers
qui mélangent les préceptes religieux et les propos grossiers, Abū Nuwās invite le calife,
qui s’était isolé avec son amant, à l’associer à leurs plaisirs, pour ne pas encourir la
colère divine en se montrant peu partageur... L’histoire laisse donc entendre que le
calife abandonnait ses commensaux pour s’isoler avec ses amants, mais qu’il ne
répugnait pas à les partager avec eux et que le poète s’autorisait en sa présence un
registre de discours relativement grossier.
64 Ce thème va réapparaître dans un témoignage d’al-Ḥusayn Ibn Abī al-Munḏir 122 qui
affirme qu’Abū Nuwās, ayant vu al-Amīn et Kawṯar se baigner nus, s’était épris de l’un
des deux (sans doute le calife) et avait aussitôt composé le poème 123 commençant par
aṣbaḥtu ṣabban wa-lā aqūlu bi-man (me voilà épris, mais, de qui, ne le dirai). Il poursuit
qu’il avait, en tous cas, déconseillé au poète de rendre ses vers publics s’il tenait à sa
tête. Effectivement, tout de suite après dans le texte 124, pour ce poème-là, ou un autre
de ġazal ġilmānī, traitant de l’un de ces deux personnages, al-Amīn aurait autorisé la
mise à mort du poète.
65 La dernière anecdote 125 est importante, à divers égards. Rappelons d’abord ce dont il
s’agit. Al-Kisā’ī, dans son rôle de précepteur du jeune al-Amīn, introduit auprès de lui
Abū Nuwās pour qu’il lui enseigne la poésie ; le poète veut absolument embrasser son
élève. Pour y arriver, il menace al-Kisā’ī de faire parvenir à Hārūn al-Rašīd, sous sa
signature, une satire calomnieuse et il commence à organiser la transmission de la
satire jusqu’au calife. Al-Kisā’ī est contraint d’organiser une mise en scène 126. Il
persuade le poète de s’absenter. Supposé rentrer de voyage, il embrassera al-Kisā’ī et,
dans le même mouvement, il embrassera le jeune prince sans paraître suspect. Abū
Nuwās s’empresse évidemment de raconter cela en vers. Il est intéressant de remarquer
que les deux anecdotes mettant en scène à la fois Abū Nuwās, al-Amīn et al-Kisā’ī
utilisent la mise à distance, l’absence du poète, comme un élément central de sa
relation au prince. Enfin, par-delà la figure princière, l’anecdote porte sur le thème de
la ruse servant à circonvenir un jeune homme en trompant les adultes qui l’entourent
ou en les menaçant. Ce thème se retrouve dans les anecdotes sur la séduction par le
poète de jeunes garçons 127. Le calife est ici un paradigme de l’éphèbe, victime,
innocente ou complice, de la détermination érotique d’un adulte. Il faut observer
également que si l’on admet qu’al-Kisā’ī a présenté le poète au prince, la première
rencontre des deux protagonistes ne peut avoir eu lieu lorsque Kawṯar introduisit le
poète aux fonctions de commensal 128. Chacun de ces récits annule ainsi une partie de
l’autre.

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131

66 Signalons rapidement, pour finir, la citation de quatre vers dans laquelle Abū Nuwās
aborde de manière assez ironique et franchement grivoise la guerre fratricide qui
oppose al-Amīn et al-Ma’mūn 129.
67 Une étude exhaustive des relations du poète au pouvoir nécessiterait de mettre ces
anecdotes en relations avec d’autres qui placent Abū Nuwās en présence de divers
notables, vizirs, gouverneurs ou princes. Dans les limites de cet article, j’ai voulu
montrer la part de fiction et d’incertitude qui entre dans la composition des récits,
éclairer leur organisation favorisant le suspens dramatique, qu’il aille en s’accroissant,
comme lorsqu’il s’agit des sanctions adoptées par al-Amīn, ou au contraire, en
diminuant, comme dans le cas des sanctions prévues par al-Rašīd. La relative
marginalité d’al-Ma’mūn dans le corpus, alors qu’il est sans doute le plus proche
idéologiquement du poète, tient précisément à la nécessité de ne pas montrer ce
dernier sous l’aspect d’un penseur, mais d’en faire un débauché brillant mais excessif et
séducteur jusque dans ses excès. Dans cette perspective, il est probable que ses
relations avec al-Amīn sont euphémisées, alors même que leur nature plus intime est
suggérée, car « les fils de calife, même dans la situation du Destitué 130, occupent une
place plus haute que celle qui voudrait qu’ils enlacent l’un de leurs sujets 131 ».

VI. Abū Nuwās et les femmes


68 Un autre ensemble d’anecdotes vaut d’être examiné pour voir comment la légende se
tisse autour de notre poète ; il s’agit de celles qui évoquent ses relations avec des
personnages féminins, d’autant plus intéressantes que leur fonction narrative n’est pas
patente, s’agissant d’un héros qui affirmait :
Je désire quelque chose que je ne trouverai ni ici-bas ni dans l’au-delà […]. Ce désir,
je ne l’assouvirai, ni dans ce monde ni au paradis. […] Je désire un éphèbe [dont il
soit] licite [de jouir] (ġulāman ḥalālan) 132.
69 On peut répartir ces récits selon une première division en deux grandes catégories : les
anecdotes dans lesquelles il est question de personnages féminins différents, qui
changent d’un récit à l’autre, par opposition aux anecdotes consacrées exclusivement
aux relations du poète avec Ǧinān, dont il a déjà été dit qu’elles sont au nombre de
vingt, comme celles consacrées au calife al-Amīn. La subdivision peut se faire selon une
autre ligne et une autre logique. En effet, certains récits traitent du Désir, alors que
d’autres portent sur des jeux de séduction anodins ou pervers en tant que simulacres
excluant le Désir. Dans ce cas, les échanges sont centrés sur le discours et n’incluent pas
forcément, voire excluent, toute autre dimension, alors que les précédents mettent en
scène l’expression du manque et le souhait affirmé, affiché ou sous-entendu, d’un
« projet » relationnel commun.
70 C’est la première de ces subdivisions qui sera suivie dans cet exposé, afin d’éclairer la
spécificité des anecdotes mettant en scène Ǧinān et qui ont fait, rappelons-le, l’objet
d’un traitement particulier dans les Aġānī.
71 D’entrée 133, il est précisé que la famille du poète l’aurait contraint à se marier et qu’il
aurait rapidement répudié son épouse en accompagnant cet acte de vers misogynes.
Aussitôt 134, il est question d’une entremetteuse qui tente, à son tour, de le persuader de
se marier, ce qu’il refuse : s’il n’a pas été séduit par les promesses divines faites aux
croyants à propos du paradis, pourquoi irait-il prendre femme ici-bas ? Un peu plus
loin, il est précisé que les relations du poète avec les femmes, qu’elles s’appellent ‘Inān,

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Ǧinān ou Ḥusn, sont des relations moins favorables et moins agréables que celles qu’il
entretient avec les hommes. La citation mérite d’être mentionnée. Transmise sans
indication de rāwi, introuvable dans d’autres sources, commentaire peut-être d’Ibn
Manẓūr sur le sujet, elle dit :
Abū Nuwās aimait également une servante qui appartenait à Ǧa‘far Ibn Sulaymān,
prénommée Ḥusn. Mais il fut privé d’avoir commerce avec elle (ḥurima ṣuḥbata-
hā),de même qu’il fut privé d’avoir commerce avec (ḥurima ṣuḥbat)‘Inān et Ǧinān,
comme s’il n’avait avec elles aucune chance (maǧdūd), contrairement à celle qu’il
avait avec les éphèbes135.
72 On notera l’emploi répété du passif ḥurima. Outre ses liens morphologiques avec la
notion de tabou (ḥarām), le verbe suggère qu’une force occulte empêche Abū Nuwās
d’entretenir des relations suivies, ordinaires et habituelles, avec les femmes.
Extériorisée, cette force s’apparente au destin ou à la volonté divine. Intériorisée,
subjectivée, elle révèle un positionnement par rapport au manque et au Désir.
73 D’ailleurs, cet obstacle entre Abū Nuwās et la gent féminine est le plus souvent rapporté
à son choix ou à ses préférences sexuelles. Ǧinān le traite de muḫannaṯṯ (efféminé) et
ajoute qu’il est menteur dans ses relations d’amour (kāḏib fī ḥubbi-hi) 136. Cela peut être
compris de manière circonstancielle : Ǧinān accuse Abū Nuwās de mentir quand il lui
dit qu’il l’aime ; ou de manière générale : Abū Nuwās ment dès lors qu’il exprime des
sentiments d’amour pour une femme. Cette seconde lecture peut être confortée par la
réaction attribuée au poète, lorsque, quelques pages plus loin, Ǧinān lui pose comme
condition pour accepter d’avoir une relation avec lui, qu’il renonce définitivement aux
hommes. Il refuse de prendre un tel engagement qu’il affirme ne pas pouvoir tenir, puis
il se définit, ou revendique, comme « wāḥidun min qawm Lūṭ 137 ». L’attrait du poète pour
les jeunes gens est considéré par certains de ses proches comme exclusif ; Abū ‘Uṯmān,
beau-frère de ‘Ammāra, dont Ǧinān était la servante, disait que les sentiments affichés
par Abū Nuwās pour la servante de sa belle-sœur n’étaient qu’un jeu, une plaisanterie
(‘abaṯ)car « les femmes n’étaient pas la religion d’Abū Nuwās » (mā kāna maḏhab Abī
Nuwās al-nisā’ 138). Et, si quelques-uns de ses contemporains ne partagent pas cet avis, ce
n’est pas pour le nier, mais seulement pour le relativiser. Seule sa relation avec Ǧinān
aurait, selon eux, fait exception à sa règle de vie : « On dit qu’Abū Nuwās n’éprouva pas
d’amour vrai pour une autre femme qu’elle 139. »
74 Ces informations tendent à souligner qu’il y avait chez Abū Nuwās, tel qu’il est présenté
dans l’ouvrage, une véritable inclination subjective vers le semblable, autrement dit
que les anecdotes à caractère homoérotiques, ou le ġazal ġilmānī, allaient chez lui au-
delà d’une convention sociale, ou d’usages ponctuels, particuliers à un microcosme
dans lequel l’élément féminin était relativement absent et où l’ambivalence sexuelle
était une passagère, mais convenue, inclination de jeunesse.

1. Abū Nuwās et les belles passantes

75 Pour autant, divers récits soulignent l’attirance éphémère, factice ou incidente,


éprouvée par le poète pour une jeune servante de son entourage et les vers que cela lui
inspire. En effet, l’un des points communs aux femmes qui semblent intéresser ou
séduire Abū Nuwās est qu’elles sont de condition servile, comme la plupart des figures
féminines dans les témoignages de son temps. Ainsi, Sahl Ibn Abī Sahl Ibn Nawbaḫt
rapporte un long récit 140 dans lequel le poète, en état d’ébriété, lui avait révélé son
attachement à une servante appelée Narǧis. Abū Nuwās avait essayé de convaincre son

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commensal qu’il parlait d’un garçon, mais par une série de recoupements, Sahl avait
déduit que le garçon en question n’était autre que Narǧis. Il l’avait aussitôt acquise et
offerte au poète.
76 Une autre histoire 141 met en scène Abū Nuwās et une très belle servante qui
appartenait à Asmā’ Bint al-Mahdī et répondait au joli prénom de Ma‘šūq ; le poète
réussit à la faire boire puis à la caresser, enfin à se satisfaire d’elle à sa convenance
(littéralement : « en faire un garçon », ṣayyartu-hā ġulāman) 142.
77 C’est aussi d’une autre servante, appartenant à al-Qāsim Ibn al-Rašīd, qu’il s’éprend un
peu plus loin143. Ce qui ne l’empêche pas d’être, dans le même élan, sensible à l’attrait
exercé sur lui par une qayna, une esclave chanteuse, qui appartenait aux Āl al-
Muhallab 144. Dans un jeu ressemblant à une fuite en avant, le poète avait courtisé
l’esclave que cette qayna lui avait adressée en émissaire, pour s’en défendre quand elle
lui en avait fait le reproche. Enfin, Abū Nuwās échange des propos badins avec une
servante qui appartenait à al-Faḍl Ibn Sahl, pour laquelle il compose un poème 145.
78 C’est dans l’espace poétique, plus que partout ailleurs, que ces rencontres sans
lendemain s’épanouissent, donnant naissance à de nouveaux vers et poèmes. Elles sont
parfois l’occasion de joutes comme lorsque Abū Nuwās se retrouve chez al-Ḏalfā’, une
esclave d’Ibn Ṭarḫān 146. Arrive le célèbre panégyriste Marwān Ibn Abī Ḥafṣa (m.
182/797) que le maître de céans accueille fastueusement. Abū Nuwās est jaloux et les
protagonistes rivalisent en composant des vers qui sombrent rapidement dans le
discours le plus vulgaire.
79 Deux seules anecdotes permettent d’affirmer de manière assurée qu’Abū Nuwās est en
contact avec des femmes de condition libre. Elles arrivent tardivement dans
l’ouvrage. La première 147 entraîne le récepteur dans un discours rétrospectif. Le poète
était encore jeune apprenti, dans la boutique du marchand de bois parfumé d’al-Baṣra
où sa mère l’avait placé. Il se serait amusé à dénigrer son patron auprès de chacune de
ses deux épouses successives. L’une, puis l’autre, aurait ainsi demandé le divorce. Le
marchand avait cherché à comprendre les causes de son infortune et découvert qu’elles
avaient prêté l’oreille aux rumeurs que son apprenti colportait à son sujet. En plus de
son intérêt direct dans cet article, l’anecdote est intéressante par plus d’un aspect. Elle
établit que le commerçant était monogame et que son jeune apprenti avait accès
directement à chacune de ses épouses consécutives en son absence. Cela illustre l’idée
selon laquelle la ségrégation spatiale entre les genres n’était pas la même dans les
milieux populaires et dans les milieux aristocratiques, ou élitistes.
80 Dans la seconde 148, la femme de condition libre est une bédouine. Abū Nuwās la croise
en chemin et ils échangent des vers assez lestes. Cette femme, qui est mariée, semble
estimer ce badinage sans conséquences. Plus tard, la scène se clôt par un maǧlis où Abū
Nuwās, la bédouine et son époux boivent en commensaux. Ils perpétueront cela
jusqu’au moment où les bédouins lèveront leur camp.
81 Le muǧūn, pris ici dans le sens de witz 149, qui marque l’échange d’Abū Nuwās et de la
bédouine, se retrouve dans d’autres récits mettant en scène des personnages féminins.
Par exemple, Abū Nuwās demande à une belle femme qu’il croise dans la rue ce que fait
une houri entre les maisons ; du tac au tac, elle répond en lui demandant ce qu’y fait le
diable 150.
82 Dans deux anecdotes seulement il est explicitement fait état d’une proximité physique,
dans l’intimité et sans spectateur, entre le poète et une femme. La première est celle de

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Ma‘šūq, mentionnée plus haut 151. De la femme dont il s’agit dans la seconde
anecdote 152, on ignore tout. Abū Nuwās explique qu’il a eu l’idée de composer les vers
qu’il venait de réciter, après qu’il a chassé une femme avec laquelle il s’était fâché.
Contrarié d’avoir découvert qu’elle vivait une histoire galante avec un autre, il était
rentré chez lui et s’était jeté sur sa couche, le visage vers le mur. Elle était venue
s’étendre à ses côtés, puis il l’avait mise à la porte. Si la coloration sexuelle du récit et
l’inversion des rôles, suggérées par la position occupée dans le lit par les protagonistes,
retiennent l’attention, il est difficile d’en dire davantage. Cette discrétion tranche avec
les propos grivois, crus, voire obscènes, par lesquels ses aventures galantes avec ses
amants sont rapportées, avec une forme de délectation scandalisée, au fil de l’ouvrage.
83 Il est également difficile de déterminer le statut de la fille d’un garde récemment
décédé et qu’Abū Nuwās a vu sortir de chez elle en tenue de deuil, ce qui lui a inspiré un
poème 153. Toutefois, le nom du garde, Mubārak, porte à penser qu’il était de condition
servile. D’autre part, le poème composé en l’honneur de cette fille est présenté dans
d’autres versions comme un poème dédié à Ǧinān se rendant à une visite de
condoléances.
84 Si Ǧinān, héroïne d’un « roman dans le roman », est la figure féminine centrale dans
l’ouvrage, ‘Inān 154 occupe une position intermédiaire entre elle et les autres femmes
dont l’apparition est éphémère et se limite pratiquement toujours à une seule anecdote.
Les échanges de satire entre le poète et ‘Inān, leur badinage trivial ou franchement
scabreux, préfigurent ce qui se passera avec Ǧinān. ‘Inān, qu’al-Rašīd finira par
épouser, fuit la compagnie du poète 155 qui tente de lui imposer sa présence et ne cesse
de lui exprimer son rejet par des vers méchants ou grossiers.

2. Le roman d’Abū Nuwās et de Ǧinān

85 Il est temps de voir ce qu’il en était particulièrement des relations d’Abū Nuwās et de
Ǧinān, pour reprendre la formulation d’Iṣfahānī. Arrêtons-nous d’abord à quelques
caractéristiques formelles. Il est assez facile d’observer qu’Ibn Manẓūr a fait figurer
d’un seul tenant, les unes à la suite des autres 156, l’ensemble des anecdotes concernant
les relations des deux protagonistes. Il est également assez facile de constater qu’à cet
égard il a suivi la même logique que dans le Kitāb al-Aġānī. Il faut rapidement exclure
l’hypothèse selon laquelle la consécution de ces récits pourrait être rapportée à la
paresse d’un copiste ou du « compilateur ». En effet, rien n’empêchait Ibn Manẓūr de
les disséminer dans l’ouvrage, comme il l’a fait dans divers autres cas, par exemple
pour les récits mettant en scène les califes. Il y a donc là véritablement un choix de
préserver l’unité de l’ensemble.
86 Si cette unité est significative, que peut-on dire de sa signification ? Quoique par un
biais complètement différent, l’histoire de Ǧinān et d’Abū Nuwās témoigne, comme les
romans courtois, d’une relation d’amour impossible. Affirmer une telle similitude
pourrait sembler trop général pour être admis, si une série d’indices ne venait établir
des points communs entre ce corpus d’anecdotes et les romans ‘uḏrites, à première vue
si différents.
87 Le poète s’éprend au premier regard de la belle servante 157 et leur amour est frappé,
d’entrée, d’impossibilité, à tout le moins d’une grande improbabilité, puisqu’il s’agit de
la passion portée par un homme qui, on l’a vu, n’aimait pas les femmes, à une femme
qui, indique le narrateur, n’aimait pas les hommes 158. Dans cette perspective, le point

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de départ de leur relation est plutôt défavorable à sa réalisation, même si ces


empêchements ne sont pas d’ordre social (comme dans le cas du tašbīb, pivot du roman
courtois umayyade), mais d’ordre subjectif. Ici, l’obstacle n’est pas extérieur aux
personnages, mais intériorisé.
88 Un autre thème qui, sans dénoter dans le contexte abbasside, n’en est pas moins en
relation avec la société antérieure, est celui de l’insulte comme mode d’échange entre
les amants : celle-ci est un élément constitutif du discours qu’ils tiennent l’un sur
l’autre, ou qu’ils se tiennent l’un à l’autre, dès leur première rencontre. Apprenant
qu’elle plaît à Abū Nuwās, Ǧinān, furieuse, le traite de chien 159. Elle récidive peu
après 160, puis se plaint de lui à son maître qui, à son tour, injurie le poète. Quelques
lignes plus loin 161, il est de nouveau question des insultes que Ǧinān adresse au poète
et, aussitôt, un nouveau récit vient en apporter une nouvelle illustration. Ce thème est
abordé à cinq reprises en trois pages. Nous le retrouvons un peu plus loin 162, quand on
rapporte à Abū Nuwās les insultes que sa belle profère quand on l’évoque devant elle en
son absence. Il ne faudrait pas en déduire qu’elle se prive de le faire en sa présence 163.
Abū Nuwās finit par se fâcher et refuse la réconciliation ; pourtant, cette réconciliation,
il la souhaite tant qu’il rêve que la belle vient la lui demander (ra’ā-hā fī al-nawm taṭlubu
ṣulḥa-hu). Dans un autre récit 164, le poète adresse à Ǧinān un poème de quatre vers,
alors qu’il est fâché à cause d’une lettre qu’elle lui a écrite. La thématique de l’insulte
trouve sa logique et sa cohérence à l’intérieur de ces anecdotes, si on tient compte du
fait qu’Abū Nuwās n’intéressait pas Ǧinān qu’il importunait, la suivant partout ou lui
envoyant des émissaires.
89 Un autre clin d’œil à une tradition plus lointaine se trouve au début du récit 165, lorsque
la patronne de Ǧinān, pour la protéger des assiduités d’Abū Nuwās, l’éloigne dans l’une
de ses maisons de campagne située dans le village au nom suggestif à plus d’un égard de
Ḥakamān (deux juges/arbitres). Le poète, lui-même généralement considéré comme
mawlā des Banū Ḥakam, va se mettre à errer dans la campagne, à la recherche de la
bien-aimée perdue, rappelant les pérégrinations du poète anté-islamique.
90 Dernier exemple d’une résonance avec les codes des romans d’amour courtois, celui des
rencontres rares et publiques des deux amants. Dans ce cas, le poète rencontre son
aimée à des noces 166 ou lors de condoléances 167. Pour accompagner Ǧinān et la voir à
visage découvert, lors d’un deuil, il se travestit en femme 168. Comble du paradoxe
s’agissant d’Abū Nuwās, c’est pour suivre une femme qu’il se travestit et, quoiqu’elle
l’ait traité ailleurs d’efféminé, il ne semble pas que c’était là une pratique courante pour
lui.
91 Après moult péripéties, le récepteur apprend que Ǧinān est enfin touchée par l’attitude
du poète et que sa patronne, très émue par son obstination, avait décidé de lui en faire
cadeau. L’objectif tant convoité par Abū Nuwās semble enfin atteint. Ǧinān exige alors
du poète qu’il prenne un engagement confinant à l’impossible (renoncer à ses amours
masculines), et lui, qui n’avait rien épargné pour arriver jusqu’à elle, va refuser de le
prendre, se sachant incapable de le tenir ! Il est donc dans la nécessité narrative que
l’histoire ne puisse avoir de fin heureuse, confirmant de la sorte qu’elle est bien, à sa
façon, une singulière, mais réelle, déclinaison des romans courtois revisités.
92 Si l’histoire d’Abū Nuwās et de Ǧinān tisse des liens avec les romans d’amour courtois,
notamment parce qu’elle évoque un amour jamais accompli ni consommé, les héros
sont apparentés aux amants libertins de l’époque umayyade par le thème de la
rencontre pendant le pèlerinage. Il s’agit, évidemment, d’un clin d’œil patent à la

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poésie et à la biographie légendaire d’un autre grand séducteur, ‘Umar Ibn Abī Rabī‘a
(m. 93/711), pour qui le pèlerinage était un « terrain de chasse » privilégié. Cependant,
la reprise de ce thème n’a pas la même fonction que dans les histoires tissées autour du
poète umayyade : loin d’inaugurer une histoire légère, il vient ici la clore et se trouve
asservi à la logique des cycles d’amour courtois.
93 En effet, Abū Nuwās, ayant appris que Ǧinān se rendait à La Mecque, décide aussitôt de
faire de même 169. Brièvement rapporté une première fois, le récit est repris plus en
détail, pour servir de conclusion à l’ensemble des anecdotes consacrées à cette histoire
d’amour 170. Le poète et ami d’Abū Nuwās, al-Ǧammāz, en donne sa version et souligne
que l’objectif de son ami, en se rendant au pèlerinage, était exclusivement de se
rapprocher de Ǧinān, jusqu’à la toucher physiquement, sans qu’elle puisse le repousser
ou le rembarrer. Il affirme avoir vu leurs deux visages se toucher sur la Ka‘ba et en
avoir fait le reproche au poète qui avait aussitôt transformé cela en poème. Il y a dans
cette scène de clôture, un aspect allégorique qui ne peut être occulté : ce contact sexué,
sans sexualité, sur la Pierre noire, au cours de la saison sacrée du pèlerinage, confère
aux liens charnels, à la fois présents et absents, une dimension qui transcende le plaisir
et le badinage. Cette rapide et subtile allusion à une forme d’union 171 des deux
personnages qu’aucun désir ne rapproche dans la réalité narrative, est tout à fait
intéressante et devait être relevée, survenant comme en apothéose de leur impossible
parcours commun.
94 Ces exemples montrent comment cet ensemble d’anecdotes, tout en affirmant sa
spécificité, est une sorte de « melting-pot » dans lequel on retrouve par les biais les plus
divers les poncifs par lesquels les sociétés anté-islamique puis umayyade racontaient
les amours malheureuses ou éphémères.
95 À partir du moment où la relation d’Abū Nuwās et de Ǧinān s’effrite, les récits mettant
en scène le poète dans ses relations avec des personnages féminins disparaissent
pratiquement du recueil, hormis quelques exceptions dont des historiettes concernant
‘Inān 172. Il y a dans l’ouvrage une très nette différence de répartition et d’organisation
entre les récits traitant des relations du poète avec les femmes ou avec les hommes. En
ce qui concerne Abū Nuwās dans ses amours masculines, les anecdotes sont réparties
tout au long du recueil. Il n’y a pas de personnage masculin qui se distingue
véritablement, hormis al-Amīn, avec les ambiguïtés que l’on a pu voir, et les anecdotes
sur le désir du poète pour des hommes courent jusqu’aux dernières pages, y compris
celles qui précèdent immédiatement son agonie et sa mort 173.

VII. Conclusion provisoire


96 Dans les limites de ce travail, je ne pourrai pas m’intéresser à deux anecdotes tout à fait
remarquables qui traversent le recueil et le réorganisent, moins liées au poète qu’à Ibn
Manẓūr. Il faut cependant en dire quelques mots, pour en souligner l’importance.
97 La première est celle de la visite à Sodome, rapidement mentionnée plus haut 174. La
géographie y cède la place à une vision surnaturelle : tout est obscurité, ruines,
noirceur à « donner la chair de poule » 175. Dans ce monde à l’envers, fait de feu et de
fumée, un voyageur qui a osé saluer en ce lieu « les cités de nos amis [du peuple de
Loth] » a vu la terre l’engloutir aussitôt. Cette anecdote divise l’ouvrage en deux
moitiés presque égales et semble fonctionner comme un axe autour duquel les récits se
distribuent. J’espère avoir l’occasion, si l’examen de cette hypothèse n’a pas, d’ici là,

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stimulé la curiosité d’un autre chercheur, de pousser plus loin cette hypothèse qui ne
relève pas directement de la présente thématique, centrée sur l’image du poète, mais
qui pourrait s’inscrire dans une perspective à la fois narratologique et génétique.
98 L’autre anecdote est l’un des rares textes descriptifs livrés dans le recueil et, plus
généralement, dans la prose classique. Aṣma‘ī (m. 216/831) et al-Faḍl Ibn Yaḥyā al-
Barmakī sont chez ce dernier pour consacrer leur journée à ce que le second désigne
comme munādamat al-adab 176. Cela donne au narrateur l’occasion de décrire les
meubles, bibelots, objets décoratifs, pelisses, vêtements, d’autant plus « étoffés » qu’il
s’agissait d’un jour de grand froid. La rencontre sera l’occasion de donner une nouvelle
version de ce qui motive la tiédeur des relations de notre poète avec les Barmécides.
Elle se transformera en hommage à son génie poétique et s’achèvera par une
récompense qui lui sera envoyée chez lui.
99 L’examen des thèmes présentés, dans leur diversité, a mis en évidence la manière dont,
autour d’un noyau partiellement historique, difficile à spécifier, des expansions se sont
agglutinées au fil du temps, accentuant les traits saillants du poète, gommant les
nuances, et contribuant à en faire un personnage de légende, outrancier dans ses
comportements, comme dans son talent, érigeant la transgression en mode de vie et la
provocation en grand art. Toutefois, cet article ne livre qu’un échantillon des moyens
utilisés par Ibn Manẓūr pour construire cette figure. Dans les limites de ce travail, il ne
sera pas possible d’aborder les amours masculines d’Abū Nuwās, ni ses relations avec
d’autres personnages de la cour, ou avec ses pairs, poètes et buveurs, ni la partie en
apparence plus « littéraire » de l’ouvrage, qui traite de ses vers, appréciés ou dénigrés,
des jugements émis sur son œuvre, ou qui livre sans commentaire les citations estimées
les plus belles de sa poésie. Ne seront pas davantage abordés ses derniers jours, les
anecdotes traitant de son hypothétique assassinat, de son agonie, de sa supposée
conversion finale, ou de son reniement de ‘Alī ; ni son testament, l’absence dans sa
bibliothèque de toute poésie écrite 177, son ensevelissement au lieu dit Tell des Juifs 178,
paraissant consacrer son bannissement et sa mise à l’écart de la communauté
musulmane ; ni ses apparitions post-mortem dans les visions de ses amis. Enfin, la
« photographie » de son apparence physique, qui permettrait de se le représenter
autrement que par ses actes ou ses poèmes, n’a pas non plus été traitée. Pour ses actes,
il a été montré à quel point il était difficile de les considérer comme des éléments
d’information fiable.
100 Reste donc sa poésie.

NOTES
1. Connu surtout comme lexicographe, pour son célèbre dictionnaire Lisān al-‘arab, Ǧamāl al-Dīn
Ibn Abū al-Faḍl Muḥammad Ibn Mukarram Ibn Manẓūr s’était également consacré à résumer pour ses
contemporains les grandes encyclopédies de leurs prédécesseurs. En effet, « Ibn Mukarram
aimait à résumer les volumineux ouvrages d’auteurs antérieurs » ( FUCK, EI, vol. III, p. 888). Il avait

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rassemblé ainsi des extraits du Livre des chansons, classés par ordre alphabétique des personnages
cités, en y adjoignant des biographies que l’ouvrage ne contenait pas.
2. Cette deuxième contribution a fait l’objet d’un exposé dans le séminaire de l’équipe « Savoirs
et pouvoirs » du GREMMO (UMR 5195), consacré aux « figures de la transmission » ; elle est à
paraître dans les actes du séminaire.
3. ABŪ HIFFĀN, Aḫbār Abī Nuwās, Le Caire, 1953 1. Les éditions postérieures, sur support papier ou
en ligne reprennent cette édition établie par ‘Abd al-Sattār Aḥmad Farrāǧ. Elle a notamment été
utilisée dans l’établissement du Der Diwān Des Abū Nuwās par E. Wagner et G. Schoeler. Concernant
Abū Hiffān, l’affirmation de MacDonald selon laquelle il s’agit d’une « prominent literary figure
in the Baghdad of the middle of the third century of the Hijra » demeure d’actualité ( MACDONALD,
D., « A MS of Abū Hiffān’s Collection of Anecdotes about Abū Nuwās », American Journal of Semitic
Languages and Literatures, 1907, vol. 24, n° 1, p. 86-91, p. 86). Elle peut être complétée par la notice
que lui consacre Sh. Toorawa, qui le classe au nombre des « “bad boys” of Baghdad » ( TOORAWA,
Sh., Ibn Abī Ṭāhir Ṭayfūr and Arabic Writerly Culture, Londres, New York, Routeledge Curzon, 2005,
p. 110-112).
4. J’emprunte ce concept, dont l’usage est connu dans les études littéraires (pour désigner la
mutation par laquelle des faits historiques deviennent légende), à l’historien médiéviste Jean
Flori (voir notamment FLORI, J., Croisade et chevalerie : XIe-XIIe siècles, Bruxelles, De Boeck université,
1998, p. 245).
5. De ce fait, plus facilement accessibles que les manuscrits, notamment pour un public étudiant.
6. Il s’agit du tome 25 de l’édition du Kitāb al-Aġānī (désormais Aġānī, sauf pour le tome 25),
annotée par ‘A. A. Muhannā, portant sur la couverture le titre de Mulḥaq al-Aġānī, Aḫbār Abī
Nuwās li-l-‘allāma [...] Ibn Manẓūr, Beyrouth, Dār al-kutub al-‘ilmiyya, 1992 2 (désormais Aḫbār Abī
Nuwās). À ne pas confondre avec l’édition égyptienne de Dār al-kutub al-miṣriyya.
7. Outre l’édition présentée dans la note précédente, ont été consultées en vue de cet article :
(1) l’édition sans date de ‘Umar Abū al-Naṣr, Dār al-Ǧīl (Beyrouth, Liban) (désormais DAǦ), dans
laquelle le texte attribué à Ibn Manẓūr est encadré par une préface puis une postface de l’éditeur
dont il est précisé qu’il a réorganisée les anecdotes par thèmes (avec un titre de chapitre pour
chaque groupe et un sous-titre spécifique pour chaque anecdote) après les avoir « corrigées et
réparties ». (2) l’édition sans date ni nom d’éditeur, publiée par Dār al-ma‘ārif li-l-ṭibā‘a wa-l-našr
(Sousse, Tunisie) et (3) l’édition établie par Muḥammad ‘Abd al-Rasūl Ibrāhīm, Dār al-Bustānī (Le
Caire) (désormais Bustānī). Il est à noter que (1) et (2), exception faite des pages rédigées par
l’éditeur, présentent les mêmes table des matières, notes et texte d’Ibn Manẓūr. (3) présente
plusieurs points communs avec (1) et (2), mais inclut de nombreux récits un peu lestes qui ne
figurent pas dans les précédents. Enfin, les trois éditions présentent de très nombreuses
similitudes avec l’édition de référence, les différences portant essentiellement sur les lacunes.
8. Aucune édition ne fait explicitement référence au(x) manuscrit(s) utilisé(s).
9. L’éditeur, ‘Umar Abū al-Naṣr, s’il évoque les mabāḏil (ici, excès) d’Abū Nuwās, semble avoir
décidé de gommer toute forme d’homoérotisme, voire d’érotisme, de sa biographie. Ainsi, il le
présente de la manière suivante : « Génial dans la description du vin et de ses effets, exceptionnel
dans son badinage avec les femmes, maître dans le domaine du ġazal » (p. 229). La proximité
femmes/ġazal (poésie d’amour) dans cet énoncé établit inévitablement un lien entre les deux
dans l’esprit du récepteur, surtout non averti. C’est sans doute la même logique qui le conduit à
affirmer plus loin (p. 257) que la plus importante source concernant le poète est le Livre des
chansons. Nous le verrons, cet ouvrage a principalement traité du roman d’amour entre Abū
Nuwās et la belle Ǧinān, roman dont notre éditeur n’a conservé que le squelette, ne reproduisant
pas l’ensemble du corpus comme cela est le cas dans l’édition de référence.
10. Les anecdotes en prose sur l’homoérotisme dans Aḫbār Abī Nuwās se trouvent dans les pages :
17, 20, 35-36, 96-98 , 98-99, 178, 258 ; celles mêlant poésie et prose, dans les pages : 71, 72-73, 75,
99-100, 102-103, 125-126, 127, 142-143, 179-182, 183-185, 187-188, 189, 199-200, 230-231, 238-239,

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258, 262, 262-263, 264, 265, 279, 279-280, 283-284, 295, 295-296, 297, 301, 303. Dans cette note ou
dans les autres, renvoyant au dépouillement de l’ouvrage d’Ibn Manẓūr, la mention répétée d’un
même numéro de page pour un même thème signifie que la page contient autant d’anecdotes sur
le sujet que le nombre de fois où elle est mentionnée.
11. Aḫbār Abī Nuwās, p. 74, 102, 113, 121, 126-127, 143-144, 186, 207-208, 211, 238, 241, 241,
264-265, 284, 285, 300-301, 304.
12. Peu importe ici la réalité des faits ou leur fictionnalité. Les anecdotes auxquelles il sera fait
référence seront traitées comme des réalités textuelles. Dans ce sens, l’emploi de l’indicatif ne vaut
pas authentification.
13. Sourate des infidèles, verset 1.
14. Il ne faut par oublier qu’Ibn Manẓūr est un auteur tardif pour lequel la notion de muǧūn a un
spectre plus large que lors de son apparition autour du VIII° siècle.
15. DAǦ, p. 203-205 et Aḫbār Abī Nuwās, p. 162-164.
16. Utiliser l’expression coranique (Coran, XI/70) qawm Lūṭ (peuple de Loth) pour désigner les
homosexuels, singulièrement les sodomites, revient à s’exprimer par allusion. Je choisis de
conserver dans la traduction ce détour de la langue source.
17. Aḫbār Abī Nuwās, p. 164.
18. IBN AL-NADĪM, Fihrist, Téhéran ?, éd. Riḍā al-Māzindarānī, Dār al-masīra, p. 161.
19. Ibid., p. 182.
20. MACDONALD, op. cit., p. 86.
21. Elle mentionne notamment à deux reprises le poète Mutanabbī, mort plus d’un siècle après
Abū Hiffān.
22. Aḫbār Abī Nuwās, p. 13, 14, 21 , 31-32, 32, 38, 39, 39, 39, 39, 41, 40, 40, 40, 40, 42, 86-87, 115-118,
118, 118, 121, 167, 285-286, 287.
23. Aḫbār Abī Nuwās, p. 120-121, 137, 138, 151-152, 152, 158, 170, 172, 193-194, 196, 203-204, 204,
204, 206, 215-216, 220-221, 221, 221-222, 226, 229, 228-229, 229-230, 243, 245, 245, 245-248,
257-258, 264, 273, 280 , 289, 289, 289, 293.
24. Pour toutes ces citations, voir Aḫbār Abī Nuwās, p. 93, 148, 150, 214, 223, 241, 266-267.
25. Pour toutes ces anecdotes, voir Aḫbār Abī Nuwās, p. 145-146, 146, 147-148, 207, 212-213, 275,
276-277, 294-295.
26. Wa-hal yaḫfā l-qamar. Hémistiche devenu proverbial d’un célèbre poème de ‘Umar Ibn Abī
Rabī‘a (m. 711).
27. Littéralement “ivre à ne plus entendre raison”.
28. Les deux ouvrages tendent à établir qu’il s’agissait chez le poète d’une véritable préférence
sexuelle différente de ce que l’on pourrait qualifier d’homoérotisme mondain.
29. Afin de différencier les personnages masculins avec lesquels le poète est explicitement dit
avoir eu une aventure sexuelle de ceux qui sont plutôt des partenaires potentiels, j’ai choisi de
traduire dans le second cas ġulām par éphèbe et, dans le premier, par amant. Par ce choix, je
souhaite également mettre l’accent sur le fait que, dans le présent corpus, les jeunes gens ne sont
dit attrayants qu’à la condition qu’ils ne soient pas encore sortis de l’adolescence.
30. Anecdote rapportée par Ibn Manẓūr, Aḫbār Abī Nuwās, p. 77.
31. Ou Ǧanān, selon les sources.
32. Sur cet énoncé attribué par Ibn Manẓūr à Iṣfahānī, voir plus loin, p. 138.
33. Bustānī, p. 2.
34. KILPATRICK, H., Making the Great Book of Songs: Compilation and the Author’s Craft in Abu I-Faraj Al-
Isbahani’s Kitab Al-Aghani, Londres, New York, Routledge/Curzon, 2002.
35. Ibid., p. 3.
36. Ibid., p. 30.
37. Aġānī, Vol 20, p. 71-84.

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38. Cette consultation est rendue possible grâce à la bibliothèque virtuelle www.alwarraq.net. Le
titre de chaque ouvrage cité dans la version en ligne sera suivi par –w. Ainsi, la version en ligne
des Aġānī sera désignée par Aġānī-w. Le lecteur pourra prendre connaissance dans le détail des
citations concernées en recherchant sur le site, dans l’ouvrage, par la fonction al-Kitāb al-ḥālī, l’un
des termes concernés.
39. Les neuf occurrences de iḏ kānat figurent dans Aġānī-w, p. 13, 24, 74, 674, 824, 1035, 1114,
2221, 2483.
40. Aġānī-w, p. 13.
41. Aġānī-w, p. 9, 491, 997, 1025, 1045, 2388, 2492.
42. Voir infra, p. 156-159.
43. Les jugements contrastés sur les poètes ne sont pas rares dans l’ouvrage. Mais la virulence de
ceux-ci et certains des termes employés (voir plus bas) amènent à porter sur eux un regard
différent.
44. Aġānī-w, p. 716.
45. Aġānī-w, p. 756. Al-Ḥusayn Ibn al-Ḍaḥḥāk serait mort centenaire.
46. Aġānī-w, p. 2305.
47. Voir par exemple Aġānī-w, p. 348-349 ; 381 ; 767…
48. Aġānī-w, p. 716.
49. Ibid.
50. Aḫbār Abī Nuwās, p. 9-10.
51. Aḫbār Abī Nuwās, p. 9.
52. Aḫbār Abī Nuwās, p. 12.
53. Aḫbār Abī Nuwās, p. 35.
54. Aḫbār Abī Nuwās, p. 23.
55. Cité notamment dans le Musnad d’Ibn Ḥanbal/ al-Šāmiyyīn/ al-Miqdām Ibn Maʿdīkarib
(n° 16571)
56. Aḫbār Abī Nuwās, p. 23.
57. Ibid.
58. Aḫbār Abī Nuwās, p. 26.
59. Aḫbār Abī Nuwās, p. 23.
60. Aḫbār Abī Nuwās, p. 13.
61. Littéralement : morceau de graisse ; le radical est une métathèse de celui de ḥišma (pudeur).
62. Aḫbār Abī Nuwās, p. 11.
63. Aḫbār Abī Nuwās, p. 27.
64. Bustānī, p. 30 : « Elle avait une maison dans laquelle elle rassemblait les filles de joie » (la-hā
bayt tunādihu fī-hi al-ġawānī). La traduction de ġawānī tient compte de l’évolution sémantique du
terme entre le VIIIe et le XIVe siècles.
65. Aḫbār Abī Nuwās, p. 309.
66. Le lecteur incrédule doit bien garder à l’esprit que ces différentes versions se sont élaborées
et agglutinées au fil du temps et qu’il serait inopportun ou faussement naïf de n’y voir que les
différentes facettes d’une quête historique de la réalité.
67. Il s’agit de la kunya du grand poète novateur Baššār Ibn Burd (m. 784).
68. Aḫbār Abī Nuwās, p. 28.
69. Aḫbār Abī Nuwās, p. 28.
70. Aḫbār Abī Nuwās, p. 17, 18, 20, 36.
71. IBN AL-MU‘TAZZ, Ṭabaqāt al-šu‘arā’-w, p. 57 : « Quand Wāliba mourut, [Abū Nuwās] s’attacha à
Ḫalaf al-Aḥmar. »
72. Voir « Abū Nuwās ou le contournement de la tradition », à paraître, actes du séminaire du
GREMMO.

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73. Aḫbār Abī Nuwās, p. 40-41.


74. Dès les premiers mots de son ouvrage, Abū Hiffān indique : « Abān jalousait Abū Nuwās » et
les récits de leurs querelles et satires réciproques sont aussi nombreux qu’éloquents. Voir aussi,
par exemple, Aḫbār Abī Nuwās, p. 27-28, 271-273…
75. Aḫbār Abī Nuwās, p. 71.
76. ṬABARĪ, Ta’rīḫ al-rusul wa-l-mulūk-w, p. 2126 ; Aḫbār Abī Nuwās, p. 104. L’anecdote est analysée
plus loin.
77. Aḫbār Abī Nuwās, p. 191-192, 205.
78. Aḫbār Abī Nuwās, p. 220 245.
79. Aḫbār Abī Nuwās, p. 288-289.
80. Aḫbār Abī Nuwās, p. 289.
81. Aḫbār Abī Nuwās, p. 70. L’anecdote sera examinée à propos des relations entre le poète et le
calife al-Amīn.
82. Voir infra 146-152.
83. Aḫbār Abī Nuwās, p. 87-88, 154-155, 156, 156, 162-163, 176, 190-191, 268, 269-271.
84. Aḫbār Abī Nuwās, p. 156.
85. Ibid.
86. Aḫbār Abī Nuwās, p. 87-88.
87. Aḫbār Abī Nuwās, p. 154-155.
88. Aḫbār Abī Nuwās, p. 155-156.
89. Aḫbār Abī Nuwās, p. 162-163.
90. Allusion au Coran. Voir par exemple II/60 ou VII/117.
91. Aḫbār Abī Nuwās, p. 176.
92. Aḫbār Abī Nuwās, p. 176.
93. La corrélation entre l’odor di femina et l’origine ethnique et/ou l’excision féminine est un des
« arguments » fréquemment utilisés dans les querelles opposant partisans et adversaires de la
šu‘ūbiyya.
94. Ibn Qutayba, Kitāb al-ši‘r wa-l-šu‘arā’-w, p. 174.
95. Suyūṭī, al-Ḥāwī li-l-fatāwī, p. 167.
96. Aḫbār Abī Nuwās, p. 190-191.
97. Aḫbār Abī Nuwās, p. 269-271.
98. Aḫbār Abī Nuwās, p. 298-299.
99. Aḫbār Abī Nuwās, p. 156.
100. On notera que, dans ces deux anecdotes, le poète accomplit sa mission si précisément que le
prince en vient à croire qu’il a été le témoin oculaire de la scène. Parmi les fonctions de cette
adéquation, il y a celle de la superposition des figures du poète et du prince, le premier devenant
en quelque manière la bouche par laquelle s’exprime le second. Dans ce sens, il n’est guère
étonnant qu’il rapporte la scène « comme s’il y était ».
101. Aḫbār Abī Nuwās, p. 69-70.
102. Aḫbār Abī Nuwās, p. 70.
103. Voir supra 144.
104. Aḫbār Abī Nuwās, p. 160-161.
105. Aḫbār Abī Nuwās, p. 161.
106. Aḫbār Abī Nuwās, p. 197-198.
107. Aḫbār Abī Nuwās, p. 73-74.
108. Aḫbār Abī Nuwās, p. 156-157.
109. Sur la fonction de commensal, voir CHEJNE A. G., « The Boon-Companion in Early ‘Abbāsid
Times », in Journal of the American Oriental Society, vol. 85, n° 3, 1965, p. 327-335.
110. Aḫbār Abī Nuwās, p. 82-86.

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142

111. Aḫbār Abī Nuwās, p. 85.


112. Aḫbār Abī Nuwās, p. 88-89.
113. Aḫbār Abī Nuwās, p. 91-92.
114. Voir supra, 146.
115. Aḫbār Abī Nuwās, p. 104.
116. Voir supra p. 143.
117. Aḫbār Abī Nuwās, p. 213.
118. Aḫbār Abī Nuwās, p. 89-90.
119. Aḫbār Abī Nuwās, p. 159-160.
120. Aḫbār Abī Nuwās, p. 168-169.
121. Aḫbār Abī Nuwās, p. 78-79.
122. Cité dans quelques sources comme un lettré et théologien, proche des mu‘tazilites.
123. Aḫbār Abī Nuwās, p. 158.
124. Aḫbār Abī Nuwās, p. 159.
125. Aḫbār Abī Nuwās, p. 172-173.
126. N’oublions pas que, dans une autre anecdote, il avait permis au poète d’échapper à la
demande du prince concernant un poème satirique au sujet du serviteur placé par son père à ses
côtés. Voir supra, p. 150.
127. Au nombre des anecdotes dans lesquelles le ressort de la séduction est la tromperie, voir
Aḫbār Abī Nuwās, p. 17, 98-99.
128. Voir supra, p. 148.
129. Aḫbār Abī Nuwās, p. 297.
130. Surnom d’al-Amīn.
131. Aḫbār Abī Nuwās, p. 172.
132. Aḫbār Abī Nuwās, p. 258.
133. Aḫbār Abī Nuwās, p. 77.
134. Aḫbār Abī Nuwās, p. 77-78.
135. Aḫbār Abī Nuwās, p. 131-132.
136. Aḫbār Abī Nuwās, p. 131.
137. Aḫbār Abī Nuwās, p. 136-137. On peut se demander si la condition posée par Ǧinān n’était pas
pour elle un moyen de se dégager des assiduités aussi inattendues qu’encombrantes du poète
(Voir infra 156).
138. Aḫbār Abī Nuwās, p. 137.
139. Aḫbār Abī Nuwās, p. 129.
140. Aḫbār Abī Nuwās, p. 80 et 82.
141. Aḫbār Abī Nuwās, p. 122-124.
142. Aḫbār Abī Nuwās, p. 124.
143. Aḫbār Abī Nuwās, p. 141.
144. Ibid.
145. Aḫbār Abī Nuwās, p. 210-211.
146. Aḫbār Abī Nuwās, p. 153-154. Allusion possible quoique chronologiquement « décalée » à
Sulaymān Ibn Ṭarḫān (m. v. 143/760).
147. Aḫbār Abī Nuwās, p. 206-207.
148. Aḫbār Abī Nuwās, p. 209.
149. Voir à ce sujet FREUD S., Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Gallimard, Paris, toute
édition, p. 402 : « L’humour ne se résigne pas, il défie. »
150. Aḫbār Abī Nuwās, p. 280.
151. Voir supra, p. 154.
152. Aḫbār Abī Nuwās, p. 120.

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143

153. Aḫbār Abī Nuwās, p. 139.


154. Voir notamment Aḫbār Abī Nuwās, p. 28-29, 29, 153, 239-240, 241.
155. Aḫbār Abī Nuwās, p. 153.
156. Aḫbār Abī Nuwās, p. 128-142.
157. Aḫbār Abī Nuwās, p. 129.
158. Ibid. : « wa-kānat Ǧinān tuḥibbu al-nisā’ wa-tamīlu ilay-hinna ».
159. Aḫbār Abī Nuwās, p. 129-130.
160. Aḫbār Abī Nuwās, p. 130-131.
161. Ibid.
162. Aḫbār Abī Nuwās, p. 139-140.
163. Aḫbār Abī Nuwās, p. 140.
164. Ibid.
165. Aḫbār Abī Nuwās, p. 136-137.
166. Aḫbār Abī Nuwās, p. 133-134.
167. Aḫbār Abī Nuwās, p. 139.
168. Il s’agit de l’unique anecdote faisant état d’un travestissement du poète.
169. Aḫbār Abī Nuwās, p. 132.
170. Aḫbār Abī Nuwās, p. 142.
171. Que l’on ne saurait se résoudre à qualifier de mystique…
172. Aḫbār Abī Nuwās, p. 240 par exemple.
173. La dernière anecdote à caractère homoérotique est p. 303 de l’ouvrage qui en compte,
rappelons-le, 315.
174. Voir supra, p. 133-134.
175. Aḫbār Abī Nuwās, p. 164.
176. Aḫbār Abī Nuwās, p. 249. On peut approximativement traduire par l’énoncé par « libations
littéraires ».
177. Aḫbār Abī Nuwās, p. 311.
178. Aḫbār Abī Nuwās, p. 309.

RÉSUMÉS
Achevé en novembre 2008, cet article est consacré à la présentation de l’ouvrage d’Ibn Manẓūr,
Aḫbār Abī Nuwās, et à l’image littéraire complexe qu’il forge du célèbre poète muḥdaṯ. Seront
examinées les relations de l’ouvrage d’Ibn Manẓūr avec celui homonyme d’Abū Hiffān al-
Mihzamī, et avec le monumental Kitāb al-Aġānī ; puis, les glissements par lesquels l’homme al-
Ḥasan Ibn Hāni’ se mue en héros légendaire pour devenir le parangon du poète génial et
débauché, à travers l’étude de quelques thèmes, dont : l’identité du poète, ses liens familiaux, ses
relations avec les califes abbassides et avec les femmes. Enfin, quelques pistes à explorer seront
signalées et deux récits particulièrement originaux que rapporte Ibn Manẓūr, rapidement
présentés.

‫ بعنوان‬،‫ لتقديم كتاب ابن منظور‬،٢٠٠٨ ‫وضع هذا المقال في كانون الثاني من عام‬
.‫أخبار أبي نواس والصورة اﻷدبية المركبة التي يرسمها للشاعر المحدث الشهير‬
‫ ومع‬،‫فان المهزمي‬
ّ ‫ويفحص المقال عﻼقات كتاب ابن منظور بكتاب بﻼ عنوان ﻷبي ح‬

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144

‫وله‬
ّ ‫كتاب اﻷغاني الضخم؛ ثم التحوﻻت التي يمّر بها الرجل الحسن ابن هاني في تح‬
‫ من خﻼل دراسة بعض‬،‫إلى بطل أسطوري ليصبح نموذج الشاعر العبقري والمتهت ّك‬
‫ عﻼئقه مع الخلفاء العباسيين ومع‬،‫ عﻼئقه اﻷسرية‬،‫ هوية الشاعر‬.‫ ومنها‬،‫الموضوعات‬
‫ وحكايتان طريفتان بخاصة‬،‫ يشير المقال إلى بعض الدروب اﻻستطﻼعية‬،ً ‫ أخيرا‬.‫النساء‬
.‫ تعرضان باختصار شديد‬،‫أوردهما ابن منظور‬

Finished on November 2008, this article is devoted to Ibn Manẓūr’s Aḫbār Abī Nuwās and to the
methods according to which it shaped the famous muḥdaṯ poet into a complex literary image.
For this purpose, I shall first consider the relations of Ibn Manẓūr’s book to the homonymous
work of Abū Hiffān al-Mihzamī and to the monumental Kitāb al-Aġānī. Then, I’ll point out the
shifts by which the man al-Ḥasan Ibn Hāni’ turned into a legendary hero and became the
parangon of brilliant libertine poet. For that purpose, I’ll go through the following themes : The
poet’s identity, his familial ties, his relations with the Abbassid caliphs and with women. At last
some trails to explore will be signalled and two particularly original narratives told by Ibn
Manẓūr shortly presented.

AUTEUR
KATIA ZAKHARIA
Université de Lyon (Lumière-Lyon 2) et GREMMO-UMR 5195

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Le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz et les


poètes
Mohamed Bakhouch

1 Le présent article rentre dans le cadre d’une recherche dans laquelle nous
entreprenons l’étude des rapports entre l’homme de pouvoir (le calife, le prince, le
gouverneur, etc.) et le poète. Nous nous intéresserons dans des travaux à venir à
quelques-unes des grandes figures du pouvoir politique, dans leurs relations avec la
poésie et les poètes, au cours de la période qui court du début de l’islam à la fin de
l’époque umayyade.
2 Pour le médiéviste intéressé par la poésie, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ 1, l’ouvrage du célèbre
poéticien abbasside Ibn Qutayba (m. 889), demeure une source inépuisable de
renseignements non seulement sur la création poétique, mais également sur les
conditions de vie des poètes, et ce de l’époque antéislamique au IX e siècle 2.
3 La notice consacrée par ce savant à Kuṯayyir ‘Azza (m. 723) est une de celles qui
recèlent d’importantes informations, notamment sur les relations entre les poètes et
les princes.
4 Dans cette notice, l’auteur relate les péripéties de trois poètes, Kuṯayyir ‘Azza, al-Aḥwaṣ
(m. 723) et Nuṣayb (m. 726), qui décident de se rendre auprès du calife umayyade ‘Umar
b. ‘Abd al-‘Azīz (m. 720) juste après son avènement, et ce dans le but de lui présenter
des panégyriques à sa gloire avec l’espoir d’obtenir des récompenses en échange de leur
poésie 3.
5 Nous nous proposons dans cet article de mettre en lumière les rapports du calife ‘Umar
b. ‘Abd al-‘Azīz avec les poètes et la nature du statut qu’ils induisent et ce
principalement à partir de l’anecdote d’Ibn Qutayba, mais également de quelques
autres de la même teneur et relatant des faits en étroite relation avec notre sujet.
6 Signalons d’emblée que R. Blachère, qui se réfère à la version qu’en donne l’auteur d’al-
Aġānī, trouve l’anecdote relative à nos trois poètes « très suspecte 4 ».
7 En effet, dans le passage qu’il consacre à al-Aḥwaṣ dans son Histoire de la littérature arabe
des origines au XVe siècle, Régis Blachère écrit : « [...], al-’Aḥwaṣ fut banni à Dahlak, une
île de la Mer Rouge ; cinq années durant il subit cet exil en dépit d’interventions à

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Damas ; sous le règne bref de ‘Umar II, rien ne pouvait être modifié et la donnée
reproduite par IBN QUTAYBA qui fait venir le poète auprès de ce souverain est très
certainement une affabulation 5. » Il n’en demeure pas moins que ce récit, quand bien
même forgé, est, comme nous allons le voir, révélateur d’une ambiance et d’une
tendance générale qui, à l’époque qui nous concerne, va constituer un véritable retour
en arrière pour le statut de la poésie et des poètes 6.
8 Nous allons donc, dans ce travail, prendre cette anecdote pour ce qu’elle est, un récit
qui est pour partie fictif, mais qui indique l’émergence d’un nouvel état d’esprit et
d’une nouvelle attitude de l’homme au pouvoir vis-à-vis du poète.
9 Pour mieux cerner la nature des rapports de ‘Umar II avec les poètes, nous étudierons,
en plus de l’anecdote consacrée à notre trio, un autre ḫabar relatif à un quatrième
poète moins célèbre, un faiseur de raǧaz (ceci expliquant peut-être cela), dont le nom
est Dukayn (m. 727) 7 et dont la notice figure également dans al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ 8, ainsi
que l’anecdote relative à la visite faite par Ǧarīr (m. 733) au même calife, et rapportée
par al-Balāḏurī (m. 892) dans le tome VII de son Ansāb al-Ašrāf 9 ; puis celle concernant
al-Farazdaq (m. 733), relatée par ‘Abd al-Raḥmān al-Šarqāwī (1920–1987) dans son
Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz 10. Enfin, d’autres aḫbār, essentiellement puisés
dans al-Aġānī d’al-Iṣfahānī 11, seront mis à contribution pour éclairer et étayer notre
propos.
10 Mais avant d’étudier ces anecdotes, il convient de débuter ce travail par une brève
présentation de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz.

‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (680-720)


11 Commençons par dire que notre propos sur ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz ne prétend pas à
l’exhaustivité, et n’étant pas historien nous-même, il ne se revendique aucunement
comme une étude historique de ce personnage et de son règne.
12 Plus modestement, l’objectif que nous nous fixons dans cette partie de notre travail est
de présenter au lecteur, à partir de nos lectures 12, quelques-uns des faits marquants de
la vie de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, en accordant une attention toute particulière à ceux
d’entre eux qui seront à même d’apporter un éclairage sur le sujet qui nous occupe.
13 Le huitième calife umayyade naquit vers 680 J.C., vraisemblablement à Médine 13. Il
passa une partie de son enfance à Ḥulwān, en Égypte (où son père était gouverneur de
686 à 705, date de sa mort).
14 On ne sait pas grand-chose de son enfance, mis à part un incident qui, dans les récits le
concernant, est étroitement lié à son exceptionnel destin 14. Il s’agit d’une blessure au
front, due, selon les versions, à un âne ou un cheval ou encore une jument et dont il
portera la cicatrice à jamais. Cette cicatrice sera un des éléments fondateurs de son
hagiographie 15. En effet, combinée au fait qu’il était l’arrière-petit-fils de ‘Umar b. al-
Ḫaṭṭāb par sa mère, cette cicatrice fait de lui le descendant du grand calife, annoncé par
des prophéties et des visions prémonitoires, qui sera calife lui-même et répandra la
justice sur terre 16.
15 Jeune homme, il demanda à son père de lui permettre d’aller à Médine pour se former
auprès des cheikhs de cette ville 17. Celui-ci exauça sa demande et le confia au
traditioniste Ṣāliḥ b. Kaysān (m. 758 ?). Il suivra aussi l’enseignement de ‘Ubayd Allāh b.

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‘Abd Allāh (m. 716) 18. Il semblerait que ces années de formation à Médine ont eu une
très grande influence sur sa vie d’adulte.
16 À la mort de son père en 705, son oncle, le calife ‘Abd al-Malik b. Marwān (m. 705), le fit
venir auprès de lui à Damas et le maria à sa fille Fāṭima. Et à la mort de ce calife, son fils
al-Walīd (m. 715) lui succéda et nomma ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz gouverneur de Médine.
17 Dès sa prise de fonction en tant que gouverneur de cette ville, il avait alors 25 ans,
‘Umar II instaura le principe de la šūrā et sollicita l’aide de dix faqīh et savants de cette
ville pour mener à bien sa gestion 19.
18 Commentant cette période de la vie de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, al-Balāḏurī, dans son
Ansāb al-Ašrāf, écrit ceci : « Al-Walīd lui avait confié le poste de gouverneur de Médine ;
et [‘Umar] avait bien conduit [les affaires de cette ville], mais il avait beaucoup d’habits
et il se parfumait. Il n’a vécu dans l’austérité qu’après 20.»
19 En 712, al-Walīd le limogea de son poste de gouverneur 21. ‘Umar revint alors à Damas.
On ne sait pas grand chose sur les années qui suivirent son limogeage 22 et il faut
attendre l’avènement, en 715, de Sulaymān (m. 717), pour le retrouver à la cour comme
wazīr (conseiller) de ce dernier.
20 Le rôle de wazīr que ‘Umar II va tenir auprès du nouveau calife, tel qu’il est décrit par
ses hagiographes, constitue une sorte de prémisse, d’avant-goût, de l’attitude et de la
ligne de conduite qu’il adoptera lorsqu’il sera calife.
21 Pour parvenir à ses fins et être aidé et soutenu dans sa tâche, il va introduire dans
l’entourage du calife des hommes réputés pour leur piété et leur sagesse. C’est le cas
notamment pour Abū Ḥāzim al-A‘raǧ et surtout pour Raǧā’ b. Ḥaywa (m. 730), qui aura
un rôle décisif dans la succession de Sulaymān 23.
22 Et dans leur ensemble, les récits hagiographiques le concernant peuvent se lire comme
de véritables Miroirs des princes.‘Umar y paraît comme un wazīr qui a pleinement joué
son rôle de “conseilleur” du roi. Ses conseils et ses avis émanaient d’une éthique
religieuse. En effet, auprès de Sulaymān, il est présenté comme une conscience qui
tempère, prône la justice, la réparation des torts, la clémence et le pardon.
23 Ces principes de justice, de clémence, comme le fait de solliciter les conseils et les avis
de savants, de faqīh-s et plus généralement d’hommes pieux 24, qui selon certains
auteurs sont inspirés chez lui par un profond wara‘ (piété, crainte de Dieu) 25 seront
ceux qu’il mettra en application à son accession au pouvoir. Les anecdotes sont
nombreuses et il serait fastidieux de les mentionner toutes ; nous nous contentons d’en
citer quelques-unes des plus significatives 26.
24 Devenu calife le 22 septembre 717, ‘Umar II va rappeler les armées qui assiégeaient
Constantinople. Selon Wellhausen, cette décision émanait d’une conception du ǧihād 27
bien différente de celle de ses prédécesseurs. Il ressort, en effet, de la lecture de
certains passages de l’ouvrage du savant allemand que les guerres de conquête (ḥurūb
al-fatḥ) n’avaient pas un très grand attrait pour le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz.
25 L’auteur justifie son assertion avec deux arguments : Le premier est que le calife savait
pertinemment que les guerres de conquêtes étaient faites non pas pour la propagation
de la foi, mais pour le butin ; le second argument est que la politique intérieure
accaparait presque entièrement son attention 28.
26 D’autre part, le nouveau calife va instaurer le principe de l’égalité entre les musulmans,
quelle que soit leur origine, notamment devant l’impôt. Il a ainsi décidé que les

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musulmans ne doivent pas payer l’impôt foncier (ḫaraǧ) 29. De même, ceux parmi les
chrétiens qui s’étaient convertis à l’islam n’avaient plus à le payer, ni à payer la ǧizya (la
capitation) 30.
27 Sur le plan politique, ces décisions représentent l’aspect positif de l’action de ce
souverain. L’aspect négatif, quant à lui, réside dans son attitude vis-à-vis des ḏimmīs (ou
ahl al- ḏimma, les non-musulmans). En effet, quelques-uns des textes que nous avons
consultés montrent que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz a eu une politique hostile à l’égard des
non-musulmans. Des éléments indiquent qu’il était même une sorte de précurseur en la
matière.
28 En s’appuyant sur le texte d’une directive envoyée par le calife ‘Umar II à son
gouverneur de l’Égypte Ayyūb b. Šarḥabīl et aux Égyptiens, Ḥabīb Zayyāt affirme dans
son ouvrage al-Diyārāt al-naṣrāniyya fī al-islām que le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait
particulièrement accusé les chrétiens d’avoir fait sortir les musulmans du droit chemin
et de les avoir incités à cela avec la consommation du vin 31.
29 Il ajoute plus loin que c’est un fait « établi et avéré aujourd’hui, que ‘Umar b. ‘Abd
al-‘Azīz est le premier calife dans l’Islam qui a ostracisé les chrétiens et qui a imaginé le
premier plan pour les humilier, les priver et les opprimer». Pour étayer son assertion,
l’auteur cite la même missive 32.
30 ‘Umar II a effectivement pris des décisions discriminatoires vis-à-vis des non
musulmans, notamment dans le domaine du travail. Il a ainsi demandé à ses
gouverneurs de démettre de leurs postes les fonctionnaires non musulmans qui étaient
dans leurs services 33. À cette discrimination, le calife umayyade en a ajouté d’autres
humiliantes et vexatoires. Il a en effet demandé à ses gouverneurs d’exiger des non
musulmans le port de la ceinture (minṭaq, pl. manāṭiq), appelée aussi zunnār, la non-
utilisation de selles luxueuses (rukūb al-ukuf) et de se raser le milieu de la tête 34.
31 Sur un plan plus personnel, l’accession de ‘Umar au pouvoir va le conduire à renoncer
définitivement aux biens d’ici-bas. Sa démarche est dictée par son désir de ne pas
tomber dans les travers de ses prédécesseurs immédiats (les califes issus de son clan)
dont il désavoue les excès et par son désir de ressembler aux califes bien guidés et plus
particulièrement à son arrière-grand-père ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb, et de s’inspirer de leur
conduite 35.
32 Et à en croire les ouvrages consacrés à ce calife, c’est également son sens très aigu de la
responsabilité, mêlé au désir d’être irréprochable devant les hommes, mais surtout
devant Dieu, qui l’a poussé à se détourner de tout ce qui peut le distraire de sa tâche et
de renoncer définitivement aux biens d’ici-bas, à commencer par les avantages liés à sa
fonction 36.
33 Le zuhd de ‘Umar a forcé l’admiration des musulmans, mais il a aussi, nous apprend al-
Balāḏurī, suscité l’admiration et le respect de l’empereur byzantin 37.
34 De même, le fait que ‘Umar II ait cherché à s’entourer de fuqahā’, de savants et d’
hommes pieux, pourrait être considéré comme une sorte de précaution pour le
préserver de l’erreur et plus généralement de lui éviter les tentations d’un pouvoir
quasi absolu 38.

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35 Le rapide portrait que nous venons de faire de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz appelle deux
remarques :
• Les très graves décisions discriminatoires prises par ce souverain à l’encontre des non-
musulmans portent préjudice à son action politique dans son ensemble et constituent un
lourd passif dans le bilan de son règne.
• L’accession de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz au poste de vizir semble constituer une étape
importante dans son parcours d’homme et de politique. L’entourage dans lequel il a évolué
et la nature des conseils qu’il a prodigués au calife Sulaymān annoncent le changement
radical du cours de sa vie, qui va coïncider avec son arrivée au pouvoir.
36 Alors quel intérêt portait cet homme à la poésie ? La connaissait-il ? Qu’en pensait-il ? Y
a-t-il eu, au cours de sa vie, un changement d’attitude vis-à-vis de la poésie et des
poètes ? Telles sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

Umar b. ‘Abd al-‘Azīz et les poètes


37 Il ne fait aucun doute que ‘Umar connaissait bien la poésie. Par contre, il nous est très
difficile de savoir ce qu’il pensait de cet art. En effet, les anecdotes relatives à cette
question lui prêtent des avis contradictoires.
38 Nous lisons par exemple dans al-Aġānī qu’il déclamait des vers de Qays b. al-Ḫaṭīm
[poète muḫaḍram, (m. 620)] et déclarait : « Celui qui a composé ces vers est celui qui fait
la meilleure poésie d’amour 39. »
39 Par ailleurs, dans une scène, rapportée par l’auteur d’al-Aġānī dans cet ouvrage et qui se
déroule dans la mosquée du Prophète à Médine, lorsque ‘Umar y était gouverneur, il dit
à Nuṣayb, qui se proposait de lui déclamer les thrènes qu’il avait composés à la mort de
son père ‘Abd al-‘Azīz b. Marwān : « Ne fais pas cela, tu vas me rendre triste, mais
récite-moi plutôt le poème que tu commences par “Qifā aḫawayya...” [Arrêtez-vous, mes
deux frères...], [je trouve que] ton génie a été de bon conseil en te l’apprenant 40. »
40 Les deux protagonistes sont de nouveau réunis dans une autre anecdote. Cette fois-ci,
‘Umar reproche au poète, en le traitant de noir (yā aswad), de mentionner les prénoms
des femmes de la bonne société dans ses poèmes d’amour : « C’est toi qui diffames les
femmes avec ton nasīb ? », lui aurait-il dit. Et le poète de jurer qu’on ne l’y reprendra
plus, devant témoins. Les faits relatés dans ce deuxième récit auraient eu lieu alors que
‘Umar était devenu calife 41.
41 De même, un autre ḫabar indique qu’il avait quelques réserves sur le genre ġazal dans la
poésie de ‘Urwa b. Uḏayna (m. 747), un poète médinois qui était également faqīh et
traditioniste. L’auteur de ce ḫabar raconte : « On a évoqué Ibn Uḏayna chez ‘Umar b.
‘Abd al-‘Azīz et celui-ci a dit : Quel excellent homme qu’Abū ‘Āmir, même s’il a dit
[hazaǧ] :
Elle dit à des amies à elle qui ont le teint éclatant : nous nous sommes rencontrées ! 42 »
42 ‘Umar semble en effet avoir apprécié l’homme, mais moins goûté ses poèmes érotiques
qu’il connaissait très bien apparemment.
43 En outre, il écoutait également volontiers Sābiq b. ‘Abd Allāh al-Barbarī (m. 749), un
poète originaire du Ḫurasān, qui était lui aussi faqīh et traditioniste 43. Dans une
anecdote on le voit demander à ce poète de lui réciter quelques pièces de sa poésie pour
qu’elles lui servent de Rappel. Sābiq al-Barbarī lui proposera finalement six vers d’al-

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A‘šā de Hamdān (m. 702) qui feront pleurer ‘Umar 44. Ce dernier poète était lui aussi un
faqīh et un qāri’ (lecteur du Coran). Fait prisonnier lors du soulèvement d’al-Aš‘aṯ (m.
704), dont il était l’un des partisans, il sera tué sur ordre d’al-Ḥaǧǧāǧ.
44 Le premier constat que l’on peut faire est que, l’histoire de Nuṣayb mise à part, nos
anecdotes, le lecteur l’aura remarqué, ne sont pas toutes datées ni datables. Par
conséquent il nous est difficile de dire à quelle époque de la vie de ‘Umar b. ‘Abd
al-‘Azīz ces récits ont eu lieu.
45 Notons ensuite que, sur les quatre poètes dont il connaissait ou dont il aimait écouter la
poésie ou encore dont il déclamait les vers lui-même, deux sont à la fois poètes et
« hommes de religion », sans oublier al-A‘šā de Hamdān dont les vers, déclamés par
Sābiq, semblent avoir eu un effet émotionnel certain sur lui.
46 Par ailleurs, nous constatons à la lecture de ce qui précède que, d’une part, ‘Umar b.
‘Abd al-‘Azīz avait apprécié la poésie amoureuse (le ġazal) et ne répugnait pas à écouter
ou à déclamer lui-même des vers appartenant à ce genre. Ses réserves au sujet d’Ibn
Uḏayna concernent l’homme et non pas son œuvre. En effet, ‘Umar semble trouver
regrettable qu’un faqīh et un traditioniste compose de la poésie érotique.
47 D’autre part, en plus du ġazal, le calife semble avoir eu une prédilection pour la poésie
gnomique et ascétique qu’il citait volontiers et d’abondance 45. Son penchant pour ce
genre poétique nous paraît plausible, eu égard à ses convictions religieuses et à sa
piété.
48 Mais la catégorie de poètes dont il est question dans ce passage n’est pas la seule que
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz a eu à connaître. En effet, en tant que prince (comme membre de
la famille au pouvoir, comme gouverneur, puis comme calife) il a dû voir arriver à lui
quelques-uns des meilleurs panégyristes de son époque. Quel accueil leur a-t-il réservé
et quels rapports a-t-il eus avec ces poètes ? C’est à ces questions que nous allons
essayer de répondre dans ce qui suit.

Des serviteurs ?

49 R. Blachère, dans son Histoire de la littérature arabe des origines au XVesiècle 46, écrit à
propos de la relation de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avec les poètes : « Avec le Calife ‘Umar II
– avant comme après son accession au pouvoir en 99/717 – et avec Hišām de 105/724 à
125/743, on assiste cependant à un retour de la sagesse ; le premier par piété, et le
second par lésine et prudence, ramènent les panégyristes à leur rôle de serviteurs ;
leurs faveurs leurs sont mesurées, parfois même refusées ; dans les provinces les
gouverneurs s’efforcent eux aussi de limiter le trouble souvent provoqué par les
querelles entre poètes. » L’analyse qui suit nous permettra de vérifier cette assertion.
50 Le genre poétique madīḥ, à l’époque qui nous concerne, instaurait une relation
d’échange entre le poète et son dédicataire 47. C’est, en règle générale, le poète qui initie
cet échange, il propose un panégyrique à son dédicataire et s’attend à recevoir de celui-
ci un don en contrepartie du poème qu’il a composé 48.
51 Dans les rapports que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz a eus avec les poètes, ce calife semble avoir
mis à mal cette traditionnelle relation d’échange. Cela a eu pour conséquence une réelle
remise en cause du statut du poète panégyriste au cours de son bref règne. L’éducation
du calife, sa piété, son renoncement aux biens de ce monde et l’entourage, fait de
fuqahā’, de savants et d’hommes pieux, qu’il s’était donné, ne concouraient guère à

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créer une atmosphère favorable à la déclamation de la poésie comme on pouvait s’y


attendre dans la cour d’un calife de cette époque.
52 L’ambiance à la résidence du souverain marwanide devait singulièrement dénoter de
celle qui régnait dans les grandes demeures d’al-Ḥiǧāz en ce moment-là, comme elle
devait dénoter avec celle des cours des différents califes qui l’ont précédé et que la
plupart des poètes qui sont venus voir ‘Umar avaient l’habitude de fréquenter 49.
53 Essayons donc de voir clair dans les relations de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avec les poètes
et commençons par l’anecdote relative à al-Farazdaq, qui n’est pas si marginale qu’elle
ne le paraît de prime abord, par rapport au sujet qui nous occupe.

Al-Farazdaq éconduit
54 Sulaymān, le prédécesseur de ‘Umar II 50, s’est rendu à La Mecque pour accomplir le
pèlerinage et le conduire en tant que calife. Saisissant cette occasion, al-Farazdaq est
venu le voir pour faire son éloge. Voici le texte qui relate les circonstances dans
lesquelles cette visite s’était déroulée, tel qu’on peut le lire dans l’ouvrage de ‘Abd al-
Raḥmān al-Šarqāwī 51.
« Al-Farazdaq est venu voir Sulaymān lors du pèlerinage pour faire son madīḥ, mais
‘Umar l’en a éloigné ; il a agi ainsi parce qu’al-Farazdaq avait fait le thrène d’al-
Ḥaǧǧāǧ à l’époque d’al-Walīd pour complaire à celui-ci. Or ‘Umar n’avait jamais
détesté une personne parmi les vivants et les morts autant qu’il avait détesté al-
Ḥaǧǧāǧ ! [...]
Lorsque al-Farazdaq avait vu la désapprobation sur le visage de ‘Umar et
connaissant l’importance de son avis pour Sulaymān, il a composé une satire d’al-
Ḥaǧǧāǧ et un panégyrique de Yazīd b. al-Muhallab, parce qu’il savait que ce dernier
avait châtié les proches d’ al-Ḥaǧǧāǧ ! ... On a demandé [alors] à al-Farazdaq :
“laquelle de tes deux compositions doit-on prendre en considération ? Est-ce ton
éloge d’al-Ḥaǧǧāǧ de son vivant ou la satire que tu as composée après sa mort ?”. Al-
Farazdaq a répondu : “Nous sommes avec une personne tant que Dieu est avec elle
et lorsqu’Il l’abandonne, nous l’abandonnons aussi.”
Quand al-Farazdaq a vu le regard renfrogné que lui adressait ‘Umar, il s’est écarté
du cortège de Sulaymān et n’a plus pensé à aller à sa rencontre [...] ; [alors] il a
disparu dans la foule des pèlerins [...]. »
55 Ce texte appelle les remarques suivantes :
56 La première observation que l’on peut faire est que tout concourt dans cette anecdote à
donner du poète une image des plus avilies. Le thrène et/ou le panégyrique d’al-Ḥaǧǧāǧ
qu’al-Farazdaq compose pour faire plaisir à al-Walīd, la satire du même qu’il fait après
sa mort et le madīḥ de Yazīd b. al-Muhallab composé pour rentrer en grâce auprès de
l’entourage du calife et auprès de Sulaymān lui-même, sont là comme autant de
preuves de l’absence totale de moralité chez ce poète. Et le texte dans son ensemble
met en exergue la notion de kaḏib (mensonge) dans la poésie.
57 On constate également que le calife n’a pas voix au chapitre, il est absent. C’est son
entourage immédiat qui décide pour lui. Une seule personnalité de cet entourage est
nommément désignée, c’est le vizir ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz qui empêche le poète
d’approcher le souverain. Il ne prend pas la parole, mais son visage et son regard disent
éloquemment sa définitive réprobation 52. C’est là un exemple et une preuve du rôle
important que ‘Umar a joué aux côtés de Sulaymān.

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58 D’autre part, ce qui ressort avec force de cette anecdote, c’est que l’entourage du
dédicataire potentiel, le calife, n’a pas la poésie en odeur de sainteté, si l’on ose dire. Du
coup, il ne joue plus son rôle de médiateur entre les deux parties censées s’engager
dans l’échange, c’est-à-dire entre le pouvoir politique, dont le calife est l’incarnation, et
le poète. Au contraire, l’entourage de Sulaymān joue ici un rôle de censeur, et sa
censure n’est pas d’ordre littéraire, mais moral. C’est tout le sens de la question posée
au poète : « [...] laquelle de tes deux compositions doit-on prendre en considération ?
Est-ce ton éloge d’al-Ḥaǧǧāǧ de son vivant ou la satire que tu as composée après sa mort

59 Un autre prince ou un autre calife ne se serait pas formalisé pour si peu et n’aurait pas
refusé de recevoir al-Farazdaq pour cela. D’ailleurs, nous verrons plus loin que Ǧarīr,
qui lui aussi a fait l’éloge d’al-Ḥaǧǧāǧ, a été reçu par ‘Umar II.
60 Enfin, la chute de l’anecdote, où l’on voit le poète, toute honte bue, s’écarter d’une
sphère à laquelle il ne peut plus désormais avoir accès et tel un criminel se fondre dans
l’anonymat de la foule, sans demander son reste, est à la fois pathétique et symbolique.
61 Pathétique parce que l’image du poète est définitivement écornée, ternie. Et
symbolique parce qu’elle évoque d’une manière on ne peut plus claire l’émergence dans
la sphère du pouvoir d’une catégorie constituée des tenants d’un ordre moral et
religieux, avec ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz pour chef de file, et l’éviction de la catégorie des
poètes de cette même sphère.
62 C’est donc sur la base de critères moraux et non poétiques qu’al-Farazdaq est empêché
de déclamer son panégyrique à Sulaymān, qu’il est censuré par un entourage qui
semble hermétiquement fermé à la poésie et qui n’apprécie guère la compagnie des
poètes ni leur présence près du souverain.
63 À la fin de la scène décrite ici, le poète dārimite est obligé de fuir devant la
désapprobation du futur calife ; il n’avait pas la chance qu’avait un autre de ses
collègues qui, nous dit-on, était un familier du gouverneur de Médine. Il s’agit du poète
Dukayn 53.

La promesse faite à Dukayn 54

64 L’anecdote relative à Dukayn apporte un autre éclairage sur la relation du calife


umayyade avec les poètes. En voici la traduction.
« Dukayn a dit : J’ai fait le panégyrique de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz alors qu’il était le
gouverneur de Médine et il m’a donné quinze chamelles racées et rétives. J’ai
répugné à les lancer dans les défilés, car je craignais qu’elles se dispersent. D’un
autre côté, il ne me plaisait pas de les vendre. [J’en étais là de mes pensées]
lorsqu’un groupe de voyageurs de Muḍar nous a abordé ; je leur ai demandé de me
permettre de me joindre à eux. Ils m’ont répondu : [nous sommes d’accord, mais à
condition que tu sois prêt] à partir cette nuit [même]. Je leur ai dit : je n’ai pas fait
mes adieux au prince, or je dois absolument le faire. Il ne ferme pas sa porte à celui
qui lui rend visite la nuit, m’ont-ils dit.
Je suis allé chez lui et j’ai demandé à être reçu ; ma demande étant acceptée, je suis
entré et je l’ai trouvé en compagnie de deux cheikhs que je ne connaissais pas. Je lui
ai fait mes adieux.
Il m’a dit alors : Ô Dukayn, j’ai une âme ambitieuse, si j’obtiens une situation
meilleure que celle que j’ai aujourd’hui, je penserai à toi [je te donnerai
(récompenserai) en conséquence].
Je lui ai dit : Prends témoin de cela (de ton engagement) pour moi.

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Il m’a dit : Dieu est témoin de cela.


Je lui ai demandé : Et parmi ces créatures ?
Il m’a répondu : Ces deux cheikhs.
Je me suis alors avancé vers l’un d’entre eux et je lui ai dit : Qui es-tu ? Est-ce que je
te connais ?
Il m’a répondu : Sālim b. ‘Abd Allāh.
J’ai dit : Je croyais le témoin plus important que ce qu’il n’est réellement.
J’ai demandé à l’autre : Qui es-tu ?
Il m’a répondu : Abū Yaḥyā, client (mawlā) de l’émir.
J’ai conduit les chamelles dans mon pays et Dieu a lancé la baraka (la bénédiction) à
leur suite au point que j’ai acquis des chameaux et des serviteurs grâce à elles.
Mais, alors que je traversais le désert de Falǧ [fa-innī la-bi-ṣaḥrā’ Falǧ], voilà que
quelqu’un annonce la mort de Sulaymān b. ‘Abd al-Malik.
J’ai demandé : Qui lui succède ?
Il m’a dit : ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz.
Je me suis alors dirigé vers lui. Sur le chemin j’ai rencontré Ǧarīr qui revenait de
chez lui.
J’ai questionné [Ǧarīr] : D’où viens-tu ô Abū Ḥazra ?
Il m’a répondu : de chez celui qui donne aux pauvres et prive les poètes. Mais tu
peux compter sur lui pour l’aumône accordée au voyageur.
Je me suis alors lancé [vers lui] et je l’ai trouvé dans la cour de sa maison, entouré
de gens et [comme] j’ai n’ai pas pu parvenir jusqu’à lui, je me suis écrié :
1- Ô ‘Umar [l’homme] des actions bonnes et généreuses, ‘Umar [l’homme] des cadeaux
extraordinaires ;
2- Je suis un homme de Dārim [je suis issu des lombes de Dārim], je demande mon dû à un
frère qui rivalise de générosité [avec les autres] ; [je réclame mon dû au frère des actions
nobles et généreuses] ;
3- Lorsque nous nous entretenions en secret, dans l’obscurité d’une nuit noire, alors que Dieu
ne dormait point ;
4- En présence d’Abū Yaḥyā et [celle] de Sālim.
Abū Yaḥyā s’est levé alors et a dit : Ô Prince des croyants, j’ai un témoignage qui
t’oblige vis-à-vis de ce bédouin.
[Le calife] a dit : Je sais cela, approche-toi de moi Dukayn, je suis comme je te l’avais
dit, dès que j’obtiens quelque chose, mon âme aspire à mieux. J’ai obtenu tout ce
qu’on peut obtenir ici-bas, alors mon âme aspire à l’au-delà. Par Dieu, je n’ai rien
prélevé sur les biens des gens dont je puis te donner une part ; et je n’ai que deux
mille dirhams, je t’en donne mille.
Et il me les a fait remettre. Et je jure par Dieu que je n’ai jamais vu baraka
(bénédiction) plus grande dans une pareille somme. »
65 Signalons pour commencer que le texte de cette anecdote ne tient pas compte du laps
de temps conséquent qui sépare la première rencontre entre les deux hommes de la
seconde. Les faits sont présentés d’une façon telle qu’ils peuvent conduire à penser que
‘Umar abandonne son poste de gouverneur pour devenir calife, alors qu’on sait qu’il y a
eu l’époque de disgrâce sous al-Walīd (712-715), puis celle où il était conseiller de
Sulaymān, son successeur (715-717). Dans sa relation Dukayn escamote une durée de
cinq ans tout de même !
66 Il n’empêche que ce texte recèle, quand même, des informations intéressantes sur la
relation entre ‘Umar II et les poètes. Il confirme le fait que lorsque ce dernier était
gouverneur de Médine, non seulement il recevait les poètes, mais qu’il les récompensait
également. Mais la nature de cette relation va changer avec l’accession de ‘Umar au
califat. C’est de ce changement qu’il est question dans ce texte.
67 En effet, l’auteur de l’anecdote met en scène la relation de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avec
Dukayn, un poète que l’un des protagonistes (Abū Yaḥyā) présente dans la dernière

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séquence de l’anecdote non pas par sa qualité de poète, mais comme étant un bédouin.
L’identité bédouine du personnage a son importance. Il nous semble que l’effet de la
désignation du poète par son identité bédouine réside dans le fait que celle-ci peut se
lire comme une explication de son empressement d’aller rendre visite au nouveau
calife et de sa façon, rustre et grossière 55, de douter de la parole de ‘Umar et en fin de
compte de son incapacité de comprendre la leçon que ‘Umar lui donne, comme nous
allons le voir.
68 Ainsi, après un préambule dans lequel le poète raconte comment ‘Umar b. ‘Abd al- ‘Azīz
lui avait offert quinze chamelles pour un panégyrique qu’il avait composé à sa gloire,
l’anecdote est relancée par la promesse faite par ‘Umar à Dukayn. « Si j’obtiens une
situation meilleure que celle que j’ai aujourd’hui, lui dit-il en substance, je penserai à
toi. » L’attente ainsi créée chez le lecteur sera satisfaite à la fin du texte par la
réalisation de la promesse.
69 Mais si la récompense que Dukayn obtient (à la fois comme dû et comme contre-don
pour les quatre vers qu’il compose en arrivant chez le calife) va le satisfaire pleinement,
notamment grâce à la baraka qu’il lui prête, il ne comprendra pas la leçon dont elle est
porteuse.
70 Car c’est bel et bien d’une leçon moralisatrice qu’il s’agit en réalité, et c’est elle que le
texte cherche à véhiculer. Cette leçon naît de l’opposition entre deux ambitions, celle
d’un homme qui, au propre comme au figuré, court après les biens de ce monde et celle
d’un autre qui a ces biens à portée de main et qui y renonce volontairement.
71 Et c’est là une leçon que Dukayn, qui est tout à son avidité pour les biens de ce monde,
n’est pas à même de comprendre.
72 De par sa mentalité et son ambition, Dukayn ne peut être réceptif à la leçon que lui
« donne » le calife ; et ce dernier ne peut faire autrement que lui offrir un don pour le
satisfaire. Il ne peut partager avec lui son ambition et son aspiration pour l’au-delà,
alors il partage avec lui le peu, de ce qu’il lui appartient en propre, des biens d’ici-bas,
ainsi sa promesse est tenue et tant mieux si sa baraka fait le reste !
73 Le message que délivre l’anecdote est on ne peut plus clair : un changement est survenu
dans la relation de ‘Umar II avec les poètes. Et ce changement est qu’il n’y a plus de
place désormais pour la poésie dans les préoccupations du nouveau calife.
74 Ce message, Ǧarīr en a été le porteur, il l’avait délivré à Dukayn ; le calife, lui avait-il
dit, « donne aux pauvres et prive les poètes », mais Dukayn ne l’avait pas entendu. Mais
qu’en est-il de Ǧarīr lui-même ?

Le cas de Ǧarīr 56 ou le temps des qurrā’


75 Nous savons donc, grâce à l’histoire de Dukayn, que Ǧarīr lui aussi s’est rendu auprès de
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz. Un ḫabar relate sa rencontre avec ce calife. Voici la traduction
des passages les plus importants 57.
76 Le premier passage de cette anecdote évoque un aspect de la difficile relation entre le
calife ‘Umar II et les poètes : l’entourage immédiat du calife était exclusivement
constitué d’hommes de religion ; la poésie et les poètes n’y avaient pas leur place 58.
« [...] ‘Awn b. ‘Abd Allāh b. ‘Ataba b. Mas‘ūd al-Huḏalī était un lecteur du Coran et
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz l’honorait. En arrivant un jour chez le calife, il trouva Ǧarīr b.
‘Aṭiyya b. al-Ḫaṭafā à sa porte. Ce dernier le pria de demander à ‘Umar de le

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recevoir. ‘Awn portait un turban ; on l’autorisa à entrer auprès du calife, il salua et


sortit, sans que ‘Umar acceptât sa requête. On dit aussi qu’il ne fut pas admis auprès
du calife. Ǧarīr lui dit [al-basīṭ] :
Ô toi le lecteur du Coran qui fait pendre son turban *** c’est ton époque, la mienne est bel et
bien révolue ;
Informe notre calife si tu le vois *** que je suis à la porte comme celui qui est entravé par une
corde. »
77 Le second passage relate, quant à lui, l’entrevue proprement dite du poète avec le
calife. C’est un des fils de Ǧarīr qui la raconte et nous en connaissons déjà le début ; en
fait dans cette nouvelle version, plus complète, deux épisodes apparemment sont
fondus dans un même texte. Dans cette nouvelle mouture, l’intercession de ‘Awn (le
bien nommé) est immédiatement couronnée de succès ; c’est là la seule différence entre
les deux textes. Voici donc le deuxième épisode tel que le rapporte le fils de Ǧarīr 59 :
« [...] lorsque ‘Awn entra chez ‘Umar, il salua et s’assit jusqu’à ce que celui-ci en eût
terminé avec les affaires des gens ; il s’approcha alors de lui et lui dit : Ô
Commandeur des croyants, Ǧarīr b. ‘Aṭiyya est à ta porte et il demande la
permission d’entrer.
‘Umar dit : Est-ce qu’on interdit à quelqu’un d’entrer ?
[‘Awn ] répondit : Non, Commandeur des croyants, mais [Ǧarīr] demande une
permission spéciale pour te déclamer une poésie.
[‘Umar] dit : Serviteur, fais entrer Ǧarīr !
On le fit entrer auprès de lui, ‘Awn assis [assistait à la scène]. Alors Ǧarīr déclama
pour ‘Umar :
Évoquerai-je la peine et le malheur généralisés, ou bien me contenterai-je de dire ce dont on
m’avait informé ;
Lors des pèlerinages combien de veuves échevelées et combien d’orphelins, la voix et le
regard faibles ;
De ceux qui t’espèrent, après leur père, [ils sont] tel l’oisillon dans son nid, il ne se lève point
et ne vole point.
‘Umar pleura au point que ses larmes mouillèrent sa barbe et il ordonna que l’on fît
l’aumône aux pauvres dans différentes régions. Ǧarīr dit alors : Tu as satisfait la
requête des veuves, qui alors satisfera celle de ce pauvre mâle ?
[‘Umar ] répondit : Ô Ǧarīr, es-tu un descendant des premiers muhāǧirīn
[émigrés] 60 ?
Ǧarīr dit : Non.
[‘Umar ] lui demanda [encore] : Es-tu un descendant des Anṣār-s 61 ?
Ǧarīr dit : Non.
Il le questionna alors : Es-tu un descendant de ceux qui avaient côtoyé dans la
bienfaisance les compagnons du Prophète qui ont vécu avec les Anṣār-s ?
Ǧarīr dit : Non
Il lui posa alors la question suivante : Es-tu l’un des musulmans pauvres ? [Car] si
c’est le cas, nous te donnerons ce que nous donnons habituellement aux pauvres.
Ǧarīr dit : Mes moyens sont au-dessus de cela.
[‘Umar ] l’interrogeas [ensuite] : Es-tu un voyageur que nous aiderons à poursuivre
son voyage ?
Ǧarīr dit : Mes moyens sont au-dessus de cela.
Il lui dit alors : Ô Ǧarīr, tu n’as aucun droit à ce à quoi tu prétends entre les deux
planches de la reliure 62.
Ǧarīr s’en alla.
‘Awn dit : Ô Commandeur des croyants, les califes l’avaient habitué au bienfait et il
faut se garder d’une langue comme la sienne.
[‘Umar ] dit alors : Ramenez-le !
On le ramena et ‘Umar lui dit : Ô Ǧarīr, j’ai de mes propres biens vingt dinars et
quatre tissus, je les partage avec toi.
Ǧarīr répondit : Garde-les, ô Commandeur des croyants, et que tu sois loué.

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Lorsqu’il sortit, [les gens] allèrent à sa rencontre et dirent : Alors ?


Il répondit : Je sors de chez un homme qui donne aux pauvres et prive les poètes et
je le remercie. Et il ne dit pas de mal de lui.
Il dit de lui lorsqu’il mourut :
Le soleil est en éclipse, il ne se lèvera point, les étoiles de la nuit et la lune te pleurent 63. »
78 Le début de l’anecdote met en relief l’inaccessibilité du calife aux poètes. C’est une
constante dans leurs relations avec ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz calife 64. Le reste de
l’anecdote vient comme une explication de cette inaccessibilité. Le souverain reçoit
tout le monde, c’est le sens de sa question à ‘Awn : a wa yumna‘u aḥad un mina d-duḫūl ?
[est-ce qu’on interdit à quelqu’un d’entrer ?] La réponse de ‘Awn indique, quant à elle,
qu’il faut une autorisation spéciale pour les poètes : lā yā amīr al-mu’minīn, walākinnahu
yaṭlubu iḏnan ḫāṣan yunšiduka fīhi. [Non, Commandeur des croyants, mais [Ǧarīr]
demande une permission spéciale pour te déclamer un poème] 65.
79 L’inaccessibilité est due, pour une part, à la constitution de l’entourage du calife. Les
hommes qui fréquentent sa cour (sa ḥāšiya) ou ses familiers (ses ǧulasā’ ), et cela en
adéquation avec sa personnalité, ne sont pas des poètes ou des courtisans ayant des
relations avec des poètes. Ce sont pour l’essentiel des hommes de religion, des ‘ulamā’,
des fuqahā’, comme nous l’avons vu ci-dessus, et des qurrā’. Notre lecteur l’a compris, on
ne s’amusait pas à la cour de ‘Umar et on n’écoutait pas les chanteuses et les poètes 66.
Les deux vers composés par Ǧarīr, qui rongeait son frein à la porte du calife, rendent
compte de cette nouvelle situation. L’époque où les poètes étaient accueillis aux palais
des califes à bras ouverts est révolue. C’est désormais le temps des hommes de religion.
80 En cela, le règne de ‘Umar II constitue une rupture et c’est ainsi que les poètes qui ont
tenté d’approcher ce calife semblaient l’avoir vécu. Cette situation est singulière dans
l’histoire de la littérature arabe ancienne. En effet, jamais, à notre connaissance, une
telle fracture n’avait coupé le pouvoir politique des poètes, ni avant ‘Umar II ni après
lui.
81 Les cours princières étaient en effet des lieux où la poésie et les poètes occupaient une
place importante ; c’étaient des lieux de performances et de joutes poétiques, des lieux
qui favorisaient l’émulation entre les poètes. Princes et courtisans écoutaient, mais
déclamaient aussi des poésies de tout genre et contribuaient à faire vivre cet art, ainsi
que ceux qui en avaient fait leur profession. Les dīwān-s des différents poètes
umayyades sont riches d’anecdotes relatives aux circonstances de nombre de leurs
créations qui ont eu pour théâtre les cours de califes (comme ‘Abd al-Malik b. Marwān
et al-Walīd b. ‘Abd al-Malik) et de gouverneurs (parmi lesquels Bišr b. Marwān et ‘Abd
al-‘Azīz b. Marwān), pour ne parler que de ceux que ‘Umar II a bien connus.
82 Le calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz ne reconnaît pas un statut particulier aux poètes, les
panégyristes comme les autres, ni en tant qu’individus ni en tant que groupe social. Il
apparaît clairement qu’il n’en a pas besoin personnellement pour faire sa propagande
ou pour légitimer son pouvoir, et ses convictions religieuses semblent l’avoir rendu
imperméable et étranger à la louange et à la flatterie.
83 Grâce à l’intercession de ‘Awn, le calife reçoit le poète et l’écoute déclamer, selon les
versions, les trois ou quatre vers dans lesquels il décrit le malheur et la misère de la
veuve et de l’orphelin qui espèrent son secours et son aide. Ces vers qui sont un madīḥ
vont faire leur effet sur le calife, mais vraisemblablement pas celui attendu par le
poète. Ému, ses larmes en témoignent, ‘Umar le sera certainement, mais son émotion
est provoquée par le malheur qui frappent les personnages décrits par le poète ; la ṣan‘a

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(le métier) de ce dernier y est certes pour quelque chose, mais le calife n’est pas
sensible à cet aspect des choses et ne reconnaît aucun mérite au poète d’avoir si bien
communiqué cette émotion grâce à ses vers. La preuve en est que lorsque Ǧarīr formule
sa requête, (sa ḥāǧa) : « hāḏī l-arāmil qad qaḍayta ḥāǧatahā fa-man li-ḥāǧati hāḏā l-armali ḏ-
ḏakar [?] », le calife la considérera comme illégitime, car le poète, en tant que poète,
n’entre dans aucune des catégories qui peuvent légitimement prétendre au droit
d’obtenir aide et soutien de l’incarnation suprême du pouvoir politique. L’aide
proposée provient des caisses du trésor (bayt māl al-muslimīn). Pour le calife, deux
catégories de musulmans ont droit à ce type d’assistance : la première est constituée
des pauvres et des voyageurs en difficulté ; la seconde comprend les descendants de
ceux qui ont joué un rôle dans la propagation de l’islam et qui ont souffert pour leur foi.
Et dans son entretien avec le poète, le calife montre bien que le droit accordé à ces
catégories n’est pas un fait du prince, mais que c’est le Coran qui lui fait obligation de
leur venir spécifiquement en aide. Par ses réponses, le poète confirme qu’il ne fait
partie d’aucun des groupes constituant les catégories énumérées par le calife. Il le fait
d’autant plus volontiers parce qu’à notre avis ce n’est pas à ce droit qu’il prétend, et le
calife le sait bien, mais son désintérêt pour la poésie l’amène à faire semblant d’ignorer
cela 67.
84 Le droit auquel prétend Ǧarīr est celui qu’implique l’échange dont nous parlions plus
haut. C’est le droit d’obtenir une récompense, un contre-don, pour le madīḥ qu’il a fait
pour le souverain 68. C’est le droit traditionnel, coutumier, qui fait du dédicataire
l’obligé du poète. ‘Awn dans son intervention à la fin de l’anecdote rappelle cette
tradition au calife : « yā amīra l-mu’minīna inna l-ḫulafā’a kānat tu‘awwiduhu l-iḥsān
[...] » [ô Commandeur des croyants, les califes l’avaient habitué au bienfait], comme il
lui rappelle le risque qu’il encourt en laissant partir le poète sans le récompenser : « wa
inna miṯla lisānihi yuttaqā 69 » [et il faut se garder d’une langue comme la sienne] .
85 Signalons ici que le terme iḥsān 70 n’est pas celui que l’on trouve habituellement
employé pour désigner le don fait par le dédicataire. Les termes fréquemment
employés sont ‘aṭā’, fawāḍil, le verbe mawwala, etc. Ce mot donc ne semble pas tout à fait
correspondre à la réalité que l’échange impose. L’impression que l’on a est que dans la
bouche de ‘Awn il signifie plutôt « charité » ou « bienfaisance » et en cela il est dans
« l’air du temps » et il exprime la nouvelle conception des relations entre le poète et ses
dédicataires. Toujours est-il que les propos de ‘Awn ont conduit le calife à faire rappeler
Ǧarīr et à lui proposer de partager avec lui les vingt dinars et les quatre tissus qui lui
appartiennent en propre 71.Contrairement à Dukayn, le poète tamimite refuse l’offre du
calife. Il prend acte de la nouvelle situation et semble la comprendre. Sa déclaration à la
sortie de chez le calife montre que, malgré tout, la sincérité de la démarche du
souverain et sa piété ont forcé son respect 72.
86 Signalons pour finir que Ǧarīr, tout comme son collègue et adversaire al-Farazdaq, a
fait des panégyriques d’al-Ḥaǧǧāǧ 73. ‘Umar et son entourage ne pouvaient ignorer cela,
mais cet argument n’a pas été retenu contre lui pour l’éloigner du calife. Contrairement
à ce qui est arrivé à al-Farazdaq, on ne lui pas tenu grief pour cette incartade.
87 Que firent les autres poètes pour rentrer dans les bonnes grâces du nouveau calife ?

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Le cas de Kuṯayyir ‘Azza et d’al-Aḥwaṣ 74 ou les valeurs cardinales


revisitées

88 Kuṯayyir ‘Azza, al-Aḥwaṣ et Nuṣayb n’auront pas plus de succès auprès du nouveau
calife, même s’ils se prévalaient tous les trois d’avoir connu et approché ‘Umar b. ‘Abd
al-‘Azīz avant son accession au califat.
89 À l’en croire, Kuṯayyir explique à Ḥammād al-Rawiyya dans cette anecdote 75 la raison
qui l’a incité à renoncer à son métier de poète. Voici les grandes lignes de cette
anecdote.
90 Les trois poètes décident de se rendre auprès de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, à l’occasion de
son accession au pouvoir, pour lui présenter des panégyriques à sa gloire. L’ayant
fréquenté lorsqu’il était gouverneur de Médine, ils ne doutaient point qu’il allait les
faire profiter des possibilités qu’offre sa nouvelle situation de calife [wa naḥnu lā
našukku annahu yušrikunā fī ḫilāfatihi] 76. L’accession au pouvoir de ‘Umar annonçait une
possibilité d’échange des plus prometteuses. Sur le chemin, le trio rencontre le cousin
du souverain et un de ses généraux, Maslama b. ‘Abd al-Malik (m. 738), qui revenait de
chez lui. Apprenant leur destination, il leur signale que le nouveau calife « n’acceptait
pas la poésie 77 » [a mā balaġakum anna imāmakum lā yaqbal al-ši‘r ?] . Cette information
provoqua la stupeur des trois poètes. Maslama qui était un homme fortuné 78 proposa
de les accueillir dans sa demeure et de les récompenser à la mesure de leur talent : « Si
l’homme de religion (ḏū dīn) parmi les Marwanides 79 a pris le pouvoir (gouverne), leur
dit-il, et que vous craignez qu’il vous prive [de dons], celui qui parmi eux a les biens de
ce monde (ḏā dunyāhā ) est là ! Et vous trouverez chez moi ce que vous désirez ; je ne
tarderai pas à vous revenir et à vous offrir ce dont vous êtes dignes 80. »
91 L’opposition entre ces deux catégories d’hommes le ḏū dīn qui a renoncé au monde et
ses plaisirs et le ḏū dunyā qui en détient les biens et ne se refuse aucun agrément,
résume la situation et recouvre le type de relation que chacun d’eux peut avoir avec les
poètes. Comme l’explicite Maslama, le premier est susceptible de refuser l’échange et
de les priver de dons et le second est prêt à l’accepter et à les gratifier pour leur art.
92 Les trois hommes vont rester quatre mois chez Maslama. Lui-même et d’autres encore
demandaient régulièrement audience pour eux au calife, vainement.
93 Las d’attendre, et probablement aussi essayant de comprendre le changement survenu
chez ‘Umar II, Kuṯayyir décide un vendredi d’aller écouter le prêche du nouveau calife.
La teneur de son discours et ses larmes firent découvrir au poète les profondes
convictions religieuses de celui-ci, sa crainte de Dieu et sa piété. Instruit par ce qu’il a
vu et entendu, Kuṯayyir va demander à ses deux collègues d’adapter leurs panégyriques
aux convictions de leur dédicataire. « Faites un genre de poésie, leur dit-il, différent de
celui qu’on déclamait pour ‘Umar et ses parents, car notre homme s’intéresse à l’au-
delà et non à la vie en ce bas- monde 81. » Cette recommandation suppose que dans
leurs panégyriques les poètes vont inclure des valeurs cardinales qui tiennent compte
des convictions de leur dédicataire, et ils vont s’y employer ; ce faisant, ils démontrent
par-là que le poète avait quelque latitude dans la création et qu’il n’était pas obligé de
reproduire constamment les mêmes poncifs.
94 Enfin, lorsque le calife accepte de les recevoir, il le fait après avoir reçu le commun des
visiteurs 82. En donnant cette information, le narrateur veut souligner le peu de cas que
le calife faisait des poètes. C’est aussi une manière de montrer la non-reconnaissance de

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leur statut . Dés le début de l’entrevue, Kuṯayyir va reprocher au calife de les avoir fait
tant attendre pour rien. Et il ajoute que les délégations des Arabes avaient colporté la
rudesse avec laquelle il les avait traités. En guise d’explication, le calife répond, en
substance, qu’il ne voyait pas trop les raisons pour lesquelles ils sont venus le voir ;
citant un verset du Coran 83, il a démontré au poète que lui et ses deux collègues ne
pouvaient prétendre à l’aumône.
95 Cette réponse, qui constitue un déni du statut de poète panégyriste, a son explication.
En effet, le calife, de par ses convictions religieuses, ne s’intéressait plus du tout à la
poésie ni aux biens de ce monde en général et, ayant renoncé à ceux-ci, il n’était plus à
même d’assumer et d’honorer l’échange auquel les poètes cherchaient à l’obliger. Il ne
restait plus que l’aumône 84 ; or les poètes ne pouvaient y prétendre. Kuṯayyir aurait dû
comprendre que le renoncement aux biens de ce monde comprenait la poésie et il
serait reparti avec ses compagnons.
96 Mais l’anecdote ne s’arrête pas là. En effet, le calife va autoriser Kuṯayyir à déclamer
son panégyrique, non sans lui avoir recommandé auparavant de « ne dire que la
vérité » « wa lā taqul illā ḥaqqan ». À la fin de la récitation, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz dit au
poète : « tu seras comptable de ce que tu as dit. » Le calife agira de la même manière
avec al-Aḥwaṣ, lorsque celui-ci lui demandera de lui permettre de déclamer son madīḥ.
Par contre, il n’autorisera pas Nuṣayb 85 à réciter le sien. On ne saura donc jamais ce que
Nuṣayb a composé à cette occasion. D’ailleurs, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz n’a pas seulement
refusé d’écouter Nuṣayb, mais il lui a ordonné aussi d’aller à Dābiq (une localité près
d’Alep) pour s’engager dans les armées musulmanes qui combattaient les Byzantins !
97 L’injonction faite aux deux poètes de ne dire que la vérité et le fait de leur rappeler
qu’ils seront comptables de leurs propos remettent sur le devant de la scène la notion
du kaḏib (le mensonge) 86 dans la poésie et montrent une fois de plus la non-réceptivité
du souverain pour cet art. De même, l’ordre d’aller combattre qu’il donne à Nuṣayb,
dans ces circonstances, témoigne du peu de crédit qu’il accorde à la poésie et aux
poètes.
98 Quel était donc le contenu des panégyriques dédiés au calife‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz ?
99 Dans les quinze vers 87 qu’il a déclamés devant le souverain, al-Aḥwaṣ commence par
donner une définition de la poésie qui est selon lui un discours, « ḫuṭba », dans lequel le
compositeur, « mu’allif », dit la vérité ou le mensonge (v. 1) et il ajoute au vers suivant
en s’adressant au dédicataire :
«N’accepte donc que ce qui est conforme à l’agrément et ne nous renvoie pas comme des
veuves. »
100 Dans le deuxième hémistiche de ce second vers, al-Aḥwaṣ sollicite la récompense de son
dédicataire : « wa lā tarǧi‘annā ka-n-nisā’i l-arāmili.» Mais ces deux vers semblent
constituer une réponse à l’injonction du calife qui ordonnait aux deux poètes de ne dire
que la vérité 88. Le vers 5, qui vient conclure la brève séquence de madīḥ (v. 3 et v. 4) que
le poète fait de ‘Umar, va dans ce sens. Al-Aḥwaṣ y affirme ne pas mentir et dire ce qu’il
avait vu :
101 « Nous avons dit, sans mentir, ce que nous avons vu et qui donc peut réfuter la vérité de celui qui
dit vrai 89. »
102 Dans les vers 3 et 4, le poète anṣarite dit avoir constaté que le dédicataire suivait, sans
dévier, la voie de la Vérité et que, prenant exemple sur les Vertueux Premiers (al-Ṣāliḥīn
al-Awā’il), il suivait le droit chemin 90.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


160

103 Les vers 7, 8 et 9 d’une part, et les vers 13 et 14 d’autre part, sont un rappel des
traditions dans les relations entre le pouvoir et les poètes. En effet, le poète dit en
substance : « sans ce à quoi nous avaient habitué les califes qui t’ont précédés, « wa
lawlā l-laḏī ‘awwadatnā ḫalā’ifu » (v. 7), je n’aurai pas effectué un raḥīl d’un mois pour
faire ton madīḥ ; mais nous espérions être traités par toi comme ils nous avaient traités
(v. 8 et 9) 91. Le raḥīl du poète est un rappel implicite de ses droits ( ḥuqūq) à la
récompense. Et comme si l’évocation de ces traditions ne suffisait pas, le poète va citer
l’exemple du Prophète et de Ka‘b b. Zuhayr pour convaincre son dédicataire (v. 13 et v.
14) 92. Ces exemples illustres ont pour objectif de rappeler le dédicataire à ses devoirs et
le contraindre à accepter l’échange.
104 Mais avant cet atout maître que constitue l’exemple du prophète 93, le poète a évoqué
d’autres arguments pour obliger son dédicataire et notamment d’improbables liens de
parenté 94 (v. 10, 11 et 12) :
« [...] si la poésie ne trouve pas grâce à vos yeux, même si elle est (composée) comme des
perles dans un collier ;
Il y a [entre nous] une parenté, une pure affection et l’héritage des pères qui avaient marché
l’épée à la main ;
Ils avaient éloigné de leurs demeures les ennemis de la paix et ils ont solidement établi le
pilier de la religion, alors qu’il penchait 95. »
105 Le dernier vers (le vers 15) est une conclusion du poème ; al-Aḥwaṣ y dit à son
dédicataire que quelques-uns des arguments qu’il a évoqués devraient lui suffire pour
honorer sa part de l’échange et que le peu qu’il donnera sera le bienvenu 96.
106 Le panégyrique de Kuṯayyir 97 est d’une toute autre facture ; le poète a tenu compte
dans sa composition de ce qu’il sait du personnage de son dédicataire et de ce qu’il lui a
entendu dire. En effet, le prêche que le calife avait fait et auquel le poète avait assisté a
fortement influencé son madīḥ.
107 Le sermon du calife, du moins dans la partie qui est rapportée par le poète, est
essentiellement axé sur la notion de taqwā (la crainte de Dieu) ; c’est la crainte de Dieu
qui est le viatique de l’homme pour l’au-delà, dit ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz dans son
prêche. La taqwā apparaît ici comme un principe qui édicte sa conduite au croyant et
qui l’amène constamment à agir en fonction d’elle, c’est-à-dire en être humain
responsable de ses actes et devant rendre des comptes à Dieu. Elle est, en fin de compte,
le principe qui fait le musulman pieux et vertueux. Le dédicataire du panégyrique de
Kuṯayyir va en être le modèle incarné 98. Et en cela, il tranche d’une façon remarquable
avec le modèle que représente habituellement le dédicataire dans le madīḥ 99. Nous en
voulons pour preuve, d’une part, l’absence totale, dans ce poème, des valeurs cardinales
constitutives du modèle qu’est le dédicataire auxquelles Kuṯayyir lui-même, ainsi que
les poètes de sa génération et leurs devanciers, nous avaient habituées, comme la
générosité, le courage, l’excellence de la filiation ou le nasab ; et d’autre part, la mise en
exergue de valeurs nouvelles, comme celles que nous allons tenter de dégager
maintenant.
108 Le dédicataire dans le panégyrique de Kuṯayyir est un homme qui a fait apparaître la
lumière de la vérité (v. 2) ; sa parole est vraie (v. 1) et il la fait suivre par des actes (v.
5) 100. Il n’insulte pas Ali, comme le faisaient ses prédécesseurs (v. 4) 101. Le reste du
panégyrique se décline comme suit :
109 Le vers 6 est un vers de sapience sur les travers du jeune homme (al-fatā) qui peuvent
être corrigés, comme peut l’être la lance déformée grâce à l’outil de son redresseur 102.

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161

110 La piété du dédicataire, sa taqwā, sa crainte de Dieu, sont métaphoriquement rendues


par le mot hamm (souci) dans le vers 15. Ce terme, ainsi que l’expression dans laquelle il
figure, samā laka (apparaître), sont détournés du registre érotique 103. Sur le plan
thématique ce vers informe tous les autres vers du poème, à l’exclusion des vers 19 et
20. En effet, deux vertus cardinales, étroitement liées à la taqwā, sont évoquées par le
poète : la justice (v. 16, 17 et 18) 104 et le renoncement aux biens de ce monde, alors
qu’ils sont à portée de main (v. 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14) 105. Cette dernière vertu, qui a
fait l’admiration de tous pour ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (supra), n’a pas manqué, comme
nous le remarquons ici, de frapper le poète Kuṯayyir.
111 Les vers 19 et 20 106 sont un hommage rendu au dédicataire, dans lequel le poète
souligne la reconnaissance et l’approbation des musulmans pour l’action du calife, sa
piété et sa probité.
112 La récompense obtenue par les deux poètes qui avaient déclamé leurs panégyriques
était de 300 dirhams chacun. Nuṣayb, qui n’avait pas été autorisé à réciter le sien, eut
droit à la moitié de cette somme. Il est inutile de dire que les sommes obtenues
n’étaient pas à la hauteur des espoirs de nos poètes 107 !

Conclusion
113 Les aḫbār que nous avons analysés au cours de cette étude montrent que l’attitude de
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz vis-à-vis de la poésie et des poètes est ambivalente.
114 D’un côté, ce prince umayyade a aimé et apprécié la poésie érotique (ce qui est dit de
son goût pour la poésie amoureuse d’al-Ḫuṭāmī et de Nuṣayb). Il a également eu un
attrait certain pour les productions poétiques de ceux que l’on pourrait appeler les
« poètes-faqīh » ou les « faqīh-poètes », notamment pour les œuvres de Sābiq al-Barbarī.
115 D’un autre côté, une fois calife 108, ‘Umar II a totalement rejeté la poésie laudative 109.
Pourquoi ?
116 Avant de répondre à cette question et récapituler les éléments de réponse que notre
analyse des différentes anecdotes a permis de mettre en exergue, commençons par
redire que pour nous la relation entre un poète et son dédicataire est une relation
d’échange. Détenteur d’un savoir et d’un savoir-faire, ṣan‘a, le poète engage cet échange
— qu’il exprime généralement par (et dans) le raḥīl, en désignant souvent nommément
son destinataire — en s’adressant à une personne qui est matériellement à même de
l’honorer. À toutes les époques, l’homme de pouvoir, le calife en l’occurrence, n’a
jamais été qu’une source d’échange, importante certes, mais une parmi d’autres. Toute
personne qui avait les moyens d’honorer sa part dans l’échange était un dédicataire
potentiel.
117 En nous basant sur les données des anecdotes que nous avons analysées tout au long de
ce travail, nous pouvons dire que le court règne de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (du 22
septembre 717 au 9 février 720) a été une période où les relations entre le pouvoir
califal, comme source d’échange possible, et les poètes, ont été quasi inexistantes. Nous
avons jugé que c’était là un fait suffisamment rare dans la très riche histoire des
rapports entre les califes, toutes dynasties confondues, et les poètes, pour ne pas lui
accorder toute l’attention qu’il mérite et souligner par la même occasion les
mécanismes qui sont à l’origine de cette singularité.

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162

118 Nous avons vu dans quelles conditions al-Farazdaq, qui voulait présenter un
panégyrique au calife Sulaymān, avait été éconduit ; et comment Dukayn avait accepté
de partager avec le nouveau calife le peu d’argent qu’il possédait en bien propre. Nous
avons également vu que Ǧarīr avait refusé la même proposition, préférant ainsi partir
les mains vides plutôt que d’accepter une récompense qui ne correspondait pas à ce
qu’il attendait recevoir en échange de son poème et qui allait mettre le calife dans
l’embarras financièrement parlant.
119 Quant au trio constitué par Kuṯayyir, al-Aḥwaṣ et Nuṣayb (que le calife refuse d’écouter
et auquel il ordonne d’aller s’engager dans le combat contre les Byzantins), nous savons
qu’ils avaient été déçus par la récompense reçue comme contre-don.
120 Pourtant, ni la créativité des poètes ni leur zèle ne sont à mettre en cause. Non
seulement ils ont agi avec ‘Umar II comme ils l’avaient fait avec les autres califes, mais
devant son refus de l’échange, leurs panégyriques, comme celui attribué à al-Aḥwaṣ
dans notre principale anecdote, se sont transformés en véritables rappels de la
tradition, allant jusqu’à citer l’exemple du Prophète.
121 Kuṯayyir, lui, croyait amener le calife à accepter l’échange en adaptant les valeurs
cardinales, que son dédicataire était censé incarner, à sa personnalité. Mais ‘Umar est
resté insensible à l’éloge et, en guise d’appréciation, il rappelle charitablement au poète
que Dieu le jugera pour les propos qu’il a tenus.
122 Contrairement à ce qu’affirme R. Blachère, ‘Umar II n’a pas ramené « les panégyristes à
leur rôle de serviteurs 110 », mais devenu calife, il a rejeté leur poésie. Ce rejet a induit
une remise en cause du statut du poète. Dans nos textes, il est inexistant.
123 Le rejet de la poésie laudative est illustré concrètement par la constitution même de la
cour de Ḫunāṣira (lieu de résidence du calife) où se côtoyaient les savants dans le
domaine de la religion et les qurrā’ et d’où les poètes étaient exclus. Il est dû au
rigorisme et à la piété du personnage. Cette piété a chez lui pour corollaire le
renoncement aux biens de ce monde et à ses plaisirs 111. Ce renoncement signifie deux
choses essentielles : 1- Il n’y avait pas de place pour la poésie dans la vie du calife. 2- En
renonçant à sa fortune et en refusant de puiser dans les caisses du trésor, qu’il
considère légitimement réservées aux nécessiteux, le souverain ne pouvait plus
honorer sa part dans l’échange que lui proposaient les poètes.

Annexe I
124 ،‫ عمر بن عبد العزيزعبد الرحمن الشرقاوي‬،‫خامس الخلفاء‬،‫ دار الكتاب العربي‬،
:٥٠١ –٤٠١ ‫ ص‬،١٩٨٧ ،‫بيروت‬
125 ‫ ذلك أن‬.. ‫ ولكن عمر صد ّه عنه‬،‫» أقـبل الفرزدق في الموسم على سليمان ليمدحه‬

‫ ولم يكره عمر أحدا حيا وميتا كما‬.. ‫الفرزدق كان قد رثى الحجاج في حياة الوليد ليرضيه‬
.[...].. ! ‫كره الحجاج‬
126 ‫هجا‬،‫ وهو يعرف ما لرأي عمر عند سليمان‬،‫فلما عرف الفرزدق اﻹنكار في وجه عمر‬
‫ » بأي قوليك‬: ‫سئل الفرزدق‬ ُ ‫ و‬.. ! ‫ ومدح يزيد بن المهلب ﻷنه نك َّـل بأهل الحجاج‬،‫الحجاج‬
‫ » إنما نكون‬: ‫ فقال الفرزدق‬.«‫ أم هجوك له بعد موته ؟‬،‫نـأخذ ؟ أبمدحك الحجاج في حياته‬
.«.‫ فإذا تخل ّى عنه تخلينا عنه‬،‫مع أحدهم ما كان الله معه‬

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‫‪163‬‬

‫أن ‪127‬‬
‫لما رأى الفرزدق عمر يرمقه بالنظر الشزر تنحى عن موكب سليمان‪ ،‬ولم يفكر في‬
‫يعرض له‪ ..‬فهو يعلم أن عمر ﻻ يكتم شهادة‪ ،‬وربما واجهه بما يحرجه‪..‬واختفى الفرزدق في‬
‫زحام الحجيج‪ ،‬وكانوا أمواجا مـتـدافعة من ضيوف الرحمن !«‬

‫‪Annexe II‬‬
‫قتيبة‪128 ،‬‬ ‫‪ ،‬دار المعارف‪ ،‬القاهرة‪ ، ٦١٢ – ٦١٠ ، ١٩٦٦ ،‬ج ‪ .٢‬الشعر والشعراءبن‬
‫عشرة ‪129‬‬ ‫» قال دكين ‪ :‬امتدحت عمر بن عبد العزيز وهو والي المدينة‪ ،‬فـأمر لي بخمس‬
‫ب نفسي ببيعها‪،‬‬ ‫ي‪ ،‬ولم ت َـط ِـ ْ‬ ‫ب‪ ،‬فكرهت أن أرمي بها الفجاج فتنتشر عل َّ‬ ‫م صـ ع ا ٍ‬ ‫ة كرائ َ‬ ‫نا ق ً‬
‫ت‪:‬‬ ‫ضَر‪ ،‬فسألتهم الصحبة‪ ،‬فقالوا ‪ :‬إن خرجت في ليـلتـك‪ ،‬فقل ُ‬ ‫مـ َ‬ ‫ة من ُ‬ ‫ت علينا ُرفْــ َ‬
‫ق ــ ٌ‬ ‫فقدم ْ‬
‫ب عن طارق ليل‪) ،‬فأتيته( فاستأذنت‬ ‫إن ّـي لم أودع اﻷمير‪ ،‬وﻻبد َّ من وداعه‪ ،‬قالوا ‪ :‬إنه ﻻ يحتج ُ‬
‫ن لي‬ ‫ن‪ ،‬إ َّ‬ ‫ت( وعنده شيخان ﻻ أعرفهما‪ ،‬فود ّعـته‪ ،‬فقال لي ‪ :‬يا دكي ُ‬ ‫عليه‪ ،‬فأذن لي‪) ،‬فدخل ُ‬
‫شهِد لي‬ ‫ما أَري َـن َّــك‪ ،‬فقـــلت ‪ :‬أ َ ْ‬ ‫ٍ ّ‬‫ن‬ ‫ـ‬‫ْ‬ ‫ي‬ ‫ـ‬ ‫َ‬ ‫ع‬ ‫ب‬‫ف‬ ‫ه‬ ‫ي‬‫ف‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫ا‬‫م‬‫ّ‬ ‫م‬ ‫ر‬ ‫ث‬‫ك‬ ‫أ‬ ‫ى‬ ‫ل‬ ‫إ‬ ‫ت‬ ‫ر‬ ‫ص‬ ‫ة‪ ،‬فإن أنا‬ ‫نفسا ً ت َــوَّاقَـ ً‬
‫قــهِ ؟ قال ‪ :‬هذين الشيخين‪ ،‬فأقبلت‬ ‫ْ‬ ‫ُ‬
‫عليك بــذلك‪ ،‬فقال ‪ :‬أ ْ‬
‫خلـ ِ‬ ‫من َ‬ ‫ت ‪:‬و ِ‬ ‫شــهِــد الله به‪ ،‬قـل ُ‬
‫ت‬‫ُ‬ ‫ـ‬‫ْ‬ ‫ن‬ ‫ـ‬‫م‬‫ْ َ‬ ‫ـ‬ ‫س‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ت‬‫س‬ ‫ا‬ ‫د‬ ‫ق‬ ‫ل‬ ‫‪:‬‬ ‫ت‬
‫ُ‬ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ق‬ ‫‪،‬‬‫ه‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫د‬ ‫ب‬‫ع‬ ‫ن‬ ‫ب‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬‫س‬ ‫‪:‬‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ق‬ ‫؟‬ ‫ك‬ ‫ف‬ ‫ر‬ ‫ع‬ ‫أ‬ ‫ت‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫ن‬ ‫م‬
‫على أحدهما فقلت ‪َ :‬‬
‫ن إلى بلدي‪،‬‬ ‫مـن أنت ؟ قال ‪ :‬أبو يحيى مولى اﻷمير‪ ،‬فخرجت بهـ َّ‬ ‫الشاهد‪ ،‬وقلت لﻶخر ‪َ :‬‬
‫ن‪ ،‬فإن ّى لبصحراء فل ْج إذا‬ ‫ل والغـلما َ‬ ‫ت منهن اﻹب َ‬ ‫ُ‬ ‫د‬ ‫ـ‬ ‫ق‬ ‫ت‬‫ع‬ ‫ا‬ ‫ى‬ ‫ت‬ ‫ح‬ ‫ة‬ ‫ك‬ ‫ر‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ب‬ ‫فرمى الله في أذنابهن‬
‫م بعد َه ؟ قال ‪ :‬عمر )بن عبد العزيز(‪،‬‬ ‫ن )بن عبد الملك(‪ ،‬قلت ‪ :‬فمن القائ ُ‬ ‫ناٍع ينـعَى سليما َ‬
‫َ‬
‫ت نحوه‪ ،‬فلقيني جرير جائيا ً من عنده‪ ،‬فقلت ‪ :‬يا أبا حْزَرة َ‪ ،‬من أين ؟ فقال ‪ :‬من عندِ‬ ‫فتوجه ُ‬
‫ن السبيل‪ ،‬فانطلقت فإذا هو‬ ‫ول عليه في مال اب ِ‬ ‫من ي ُعطي الفقراَء ويمنع الشعراءَ‪ ،‬ولكن عـ ِّ‬ ‫َ‬
‫ت‪:‬‬ ‫ُ‬ ‫ي‬ ‫د‬ ‫ا‬ ‫ن‬‫ف‬ ‫ه‬ ‫ي‬‫ل‬ ‫إ‬ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ج‬
‫ْ‬ ‫ر‬‫ِّ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ي‬ ‫ـ‬‫ِّ‬ ‫ن‬ ‫ـ‬ ‫ك‬ ‫م‬ ‫ي‬ ‫م‬ ‫ل‬‫ف‬ ‫‪،‬‬ ‫ه‬ ‫ب‬ ‫س‬
‫ُ‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ط‬ ‫ا‬ ‫ح‬ ‫أ‬ ‫د‬ ‫ق‬ ‫ه‬ ‫ر‬ ‫ا‬ ‫د‬ ‫ِ‬ ‫ة‬ ‫ص‬
‫ْ َ‬‫ر‬ ‫َ‬ ‫ع‬ ‫ي‬ ‫ف‬

‫ســـــائ ِـِع العَـظ َـائـِ ـــ ْ‬


‫م‬ ‫مــُر الد َّ َ‬
‫وعُـــــ َ‬ ‫مـــك َـارِ ْ‬
‫م‬ ‫ت وال َ‬
‫خي ْـــــَرا ِ‬
‫مــــُر الــ َ‬
‫يا عُـ َ‬

‫أ َط ْـــل ُـب ديــنـِ ي م َ‬ ‫َ‬


‫م‬
‫مــكﹷارِ ْ‬
‫ن أٍخ ُ‬
‫ِ ْ‬ ‫ُ َْ‬ ‫م‬
‫ن دا ر ِ ْ‬ ‫مــــُرؤ ٌ مــن قــطـ ِ‬
‫ن بــــ ِ‬ ‫إن ِّـي ا ْ‬

‫م‬ ‫ل وَل َي ْـ ٍ‬
‫ل عَـاتـِ ْ‬ ‫مـةِ الل َّـــي ْ ِ‬
‫في ظ ُـــل ْـ َ‬ ‫جي والله غَـــــي ْـُر نـــائ ِـــ ْ‬
‫م‬ ‫إ ِذ ْ ن َــن ْـــت َـــ ِ‬

‫م ‪130‬‬
‫َ‬
‫عـــن ْـد َ‬ ‫سـال ِـ ْ‬
‫حــي َى وَ ِ‬‫عـــن ْـد َ أبي ي َــ ْ‬
‫ِ‬
‫َ‬
‫فقام أبو يحيى فقال ‪ :‬يا أمير المؤمنين‪ ،‬لهـذا البدوي عندي شهادةٌ عليك‪ ،‬قال ‪ :‬أع ْـرِفُــها‪131 ،‬‬
‫َ‬
‫ادن منـي يا دك َيـن‪ ،‬أنا كما ذكرت لك‪ ،‬إن نفسي لم تن ْ َ‬
‫ه‪،‬‬ ‫ت إ ِلى ماهو فَــوْقَــ ُ‬ ‫مرا ً إ ِﻻ َّ تاقَ ْ‬ ‫لأ ْ‬ ‫ََ‬ ‫ِ َّ‬ ‫ُ‬ ‫ُ ْ‬ ‫ُ ِّ‬
‫ت من أموال الناس شيئا ً‬ ‫ة الدنيا‪ ،‬فنفسي تتوقُ إلى اﻵخرة‪ ،‬والله ما رزأ ْ‬ ‫ت غا ي َ َ‬
‫ُ‬ ‫ِ‬ ‫َُ‬ ‫و قـ د نـ لـ ُ‬
‫ت أ َلفا ً‬ ‫ي‬ ‫أ‬ ‫ر‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ه‬‫ل‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ف‬ ‫‪،‬‬‫ف‬ ‫ل‬ ‫أ‬ ‫ب‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ‫ر‬ ‫م‬‫ك أ َحدهما‪ ،‬فأ َ‬‫َ‬ ‫ـ‬ ‫ي‬‫ط‬ ‫ع‬‫فأ ُعطيك منه‪ ،‬وما عندي إﻻ َّ أ َل ْــفا درهم‪ ،‬أ ُ‬
‫ُ‬ ‫ٍ‬ ‫َ َ‬
‫ة منه‪«.‬‬ ‫م بر ك ً‬ ‫َ‬
‫كان أعـظـ َ‬

‫‪Annexe III‬‬
‫‪132‬‬ ‫‪Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf, où ce ḫabar est donné en deux parties, le premier passage,‬‬
‫‪vol. VII, p. 69–70 et le second, ibid., p. 74-76, op. cit.‬‬
‫‪133‬‬ ‫‪Voici le texte du premier passage :‬‬
‫بن ‪134‬‬
‫»وحدثني عباس بن هشام عن أبيه عن جده‪ ،‬قال ‪ :‬كان عون بن عبد الله بن عتبة‬
‫مسعود الهذلي من القراء‪ ،‬وكان عمر بن عبد العزيز يكرمه فدخل عليه يوما وجرير بن‬
‫مـا فأذن له‬
‫عطية بن الخطفى بالباب‪ ،‬فسأله أن يستأذن له على عمر‪ ،‬وكان عون ُمـعْـتـ ًّ‬
‫فسلم وخرج ولم يقبل عليه عمر‪ ،‬ويقال إنه لم يأذن له فقال جرير ‪] :‬البسيط[‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪164‬‬

‫هَذا َزمان ُ َ‬ ‫َ‬


‫مني‬ ‫ك إن ِّي قَد ْ َ‬
‫مضى َز َ‬ ‫ه‬
‫مـــت َ ُ‬
‫خــــــــي عَــــــــــــما َ‬ ‫يا أي ُّـها القـاِرئُ ال ُ‬
‫مـْر ِ‬

‫َ‬ ‫بل ّــــــغْ َ‬


‫ن في قََر ِ‬
‫ن«‬ ‫مقﹿـرو ِ‬
‫ب كـال َ‬
‫أن ِّي فـي البا ِ‬ ‫ه‬ ‫ن ك ُنـــــ َ‬
‫ت ﻻقــــي َــــ ْ‬ ‫فت َــــنـــا إ ْ‬
‫خــــليـــ َ‬

‫‪135‬‬ ‫‪Voici le texte du second passage, ibid., p. 74–76 :‬‬


‫جرير ‪136‬‬ ‫» حدثني عبد الرحمن بن حزرة أحد ولد جرير بن عطية بن الخطفى‪ ،‬قال ‪ :‬وفد‬
‫على عمر بن عبد العزيز فغبر حينا ً ﻻ يصل إليه‪ ،‬ثم رأى ذات يوم عون بن عبد الله‬
‫المسعودي يريد الدخول عليه‪ ،‬وكان قارئا‪ ،‬فقام إليه جرير فقال له ‪:‬‬

‫هﹷذا َزمان ُ َ‬ ‫َ‬


‫مني‬ ‫ك إن ِّي قَد ْ َ‬
‫مضى َز َ‬ ‫ه‬
‫خــي عَــمـــامﹷـــــــــت َـــــ ُ‬ ‫يا أي ُّـها القــاِرئُ ال ُ‬
‫مــْر ِ‬

‫َ‬ ‫أ َبـﹿــــل ِــــــغْ َ‬


‫ن في قََر ِ‬
‫ن‬ ‫مـقﹿرو ِ‬
‫ب كال َ‬
‫أن ِّي في البا ِ‬ ‫ه‬ ‫ن ك ُــنﹿــــ َ‬
‫ت ﻻقْــــيﹷــ ُ‬ ‫فـت َـــنا إ ْ‬
‫خليـ َ‬

‫حتى ‪137‬‬‫مـا دخل عون على عمر سلم وجلس‬ ‫فقال له عون إن أمكنني ذلك إن شاء الله‪ ،‬فل ّ‬
‫ن ببابك جرير بن عطية‬
‫ّ‬ ‫إ‬ ‫ن‬ ‫ي‬ ‫ن‬‫م‬‫ؤ‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫ي‬‫م‬ ‫أ‬ ‫ا‬ ‫ي‬ ‫‪:‬‬ ‫ل‬ ‫فرغ عمر من حوائج الناس‪ ،‬ثم أقبل عليه‪ ،‬فقا‬
‫وهو يطلب اﻹذن‪ ،‬فقال عمر ‪ :‬أ و يمنع أحد من الدخول ؟ قال ‪ :‬ﻻ يا أمير المؤمنين ولكنه‬
‫يطلب إذنا خاصا يـنشدك فيه‪ ،‬قال ‪ :‬يا غﻼم أدخل جريرا‪ ،‬فأدخل عليه وعون جالس‪ ،‬فأنشد‬
‫جرير عمر ‪] :‬البسيط[‬

‫ُ‬ ‫أَ َ‬ ‫أ َأ َذ ْك ُُر الجﹷهْد َ والــب َل ْـوى الــــتـي َ‬


‫خـــــبـﹷري‬
‫ن َ‬
‫م ْ‬ ‫م أك ْـت َفي بالذي أن ْبئ ْ ُ‬
‫ت ِ‬ ‫ْ‬ ‫مــل َ ْ‬
‫ت‬ ‫شـــ َ‬

‫َ‬
‫ت والنﹽـــظ َرِ‬
‫صـوْ ِ‬
‫ف ال َّ‬
‫ن ي َـتـيـم ٍ ضعــي ِ‬
‫م ْ‬
‫و ِ‬ ‫مـــــــل َــةٍ‬ ‫ن َ‬
‫شــعْـــثـاَء أْر َ‬ ‫م ْ‬
‫ســم ِ ِ‬
‫مــوا ِ‬ ‫ك َـــــــ ْ‬
‫م ب ِال َ‬

‫ض ولم ي َــط ِرِ‬


‫ش لم ي َن ْهَ ْ‬
‫فْرِخ في العُ ِّ‬
‫كال َ‬ ‫ن ب َــعـــــدِ وال ِــــــدِهِ‬
‫مــــ ْ‬ ‫جى ل َــــ ُ‬
‫ه ِ‬ ‫مـن ت ُـــَر َّ‬
‫مــ َّ‬
‫ِ‬

‫النواحي‪138 ،‬‬ ‫حـيته‪ ،‬وأمر بصدقات تفرق على الفقراء في‬


‫فبكى عمر حتى بلت دموعُـه ل ِ ْ‬
‫فقال جرير ‪:‬‬
‫أأنت ‪139‬‬ ‫هذي اﻷرامل قد قضيت حاجتها فمن لحاجة هذا اﻷرمل الذكر ]؟[ فقال له ‪ :‬يا جرير‬
‫من أبناء المهاجرين اﻷولين ؟ قال ‪ :‬ﻻ‪ ،‬قال ‪ :‬أفمن أبناء اﻷنصار ؟ قال ‪ :‬ﻻ‪ ،‬قال ‪ :‬أفمن أبناء‬
‫التابعين بإحسان ؟ قال ‪ :‬ﻻ‪ ،‬قال أفمن فقراء المسلمين أنت ؟ فنجزيك على ما نجزي عليه‬
‫الفقراء‪ ،‬فقال قدري فوق ذلك‪ ،‬قال ‪ :‬أفأنت ابن سبيل فنعينك على سفرك ؟ قال قدري‬
‫فوق ذلك‪.‬‬
‫قــا ً‪ ،‬فول ّـى جرير‪ ،‬فقال عون ‪ :‬يا أمير المؤمنين ‪140‬‬
‫فقال ‪ :‬يا جرير ما أرى لك بين الدفتين ح ّ‬
‫إن الخلفاء كانت تعوده اﻹحسان وإن مثل لسانه ي ُـت َّـقى‪ ،‬فقال عمر ‪ :‬رد ّوه فُرد ّ‪ ،‬فقال له‬
‫عمر ‪ :‬يا جرير إن عندي من مالي عشرين دينارا وأربعة أثواب فأقاسمك ذلك‪ ،‬قال ‪ :‬بل توفر‬
‫يا أمير المؤمنين وتحمد‪.‬‬
‫الفقراء ‪141‬‬ ‫فلما خرج تلقاه الناس وقالوا له ‪ :‬ما وراءك ؟ قال ‪ :‬خرجت من عند رجل يعطي‬
‫ويمنع الشعراء وإني لحامد له ولم يذكره بسوء‪ ،‬وقال فيه حين مات ‪:‬‬

‫مُر«‬
‫ق َ‬ ‫م الل َّـــي ْ ِ‬
‫ل و َ ال َ‬ ‫جـو ُ‬ ‫ت َـب ْـك ِي عَـل َـي ْــ َ‬
‫ك ن ُــ ُ‬ ‫ت ب ِط َال ِـعَـةٍ‬ ‫فـة ل َـي ْ َ‬
‫س ْ‬ ‫سـ َ‬
‫س كا ِ‬
‫مـ ُ‬ ‫فَال َّ‬
‫شـ ْ‬

‫‪142‬‬ ‫‪Signalons ici que les trois vers de madīḥ que donne al-Balāḏurī sont extraits d’une qaṣīda‬‬
‫‪de 29 vers que Ǧarīr a composée à la gloire de ‘Umar II. Ces trois vers occupent‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪165‬‬

‫‪respectivement la dixième, la treizième et la quatorzième lignes du poème. D’autre‬‬


‫‪part, la version du dīwān est différente de celle des Ansāb, notamment en ce qui‬‬
‫‪concerne le premier et le troisième vers. Comme le lecteur va pouvoir en juger, la‬‬
‫‪différence entre le troisième vers des Ansāb et le quinzième vers du poème 73 du dīwān‬‬
‫‪ne bouleverse pas le sens du vers et ne prête donc pas à conséquence. Par contre, le‬‬
‫‪sens du vers 10 dans la version du dīwān est complètement différent de celui du‬‬
‫‪premier vers dans la version des Ansāb. Voici les trois vers tels qu’ils figurent dans le‬‬
‫‪dīwān de Ǧarīr :‬‬

‫َ‬ ‫ََ‬
‫ن‬
‫مــ ْ‬ ‫فاني الذي ب ُـل ِّغْـ َ‬
‫ت ِ‬ ‫م قَـد ْ ك َ َ‬
‫أ ْ‬ ‫جـهْــد َ والـــب َـــــل ْوى التــــي‬
‫أأذ ْك ُــُر ال َ‬ ‫‪10‬‬
‫خــبﹷري‬ ‫َ‬ ‫ن َــَزل َـ ْ‬
‫ت‬

‫ت‬
‫صﹷـوْ ِ‬
‫ف ال ـ ّ‬
‫ضــعيــ ِ‬
‫ن ي َـتـيـم ٍ َ‬
‫مـ ْ‬‫و ِ‬ ‫ن َ‬
‫شــــعْــــثـــاَء‬ ‫مـ ْ‬
‫ســـم ِ ِ‬‫مــوا ِ‬ ‫م ب ِال َ‬‫كَ ْ‬ ‫‪13‬‬
‫والنــَّ ـظ َر‬ ‫َ‬
‫مــــــــل َــةٍ‬ ‫أْر َ‬

‫ج ولـم‬
‫ش لـم ي َـد ُْر ْ‬
‫فـْرِخ في العُـ ِّ‬
‫كــال َ‬ ‫ك ت َــك ْــفي فَــ ْ‬
‫قـــد َ‬ ‫مـــن ي َـــعُــد ُّ َ‬‫مــــ َّ‬‫ِ‬ ‫‪15‬‬
‫ي َـط ِرِ‬ ‫وال ِـــــدِهِ‬

‫‪143‬‬ ‫‪ǦARĪR,‬‬ ‫–‪Dīwān Ǧarīr, éd. Nu‘mān Muḥammad Ṭaha, Dār al-Ma‘ārif, Le Caire, 1969, p. 414‬‬
‫‪415.‬‬
‫‪144‬‬ ‫‪Voici la traduction que nous proposons du vers 10 :‬‬
‫‪145‬‬ ‫‪« Évoquerai-je la peine et le malheur qui m’assaillent, où bien me suffisent les nouvelles‬‬
‫» ‪me concernant qu’on t’a rapportées.‬‬
‫‪146‬‬ ‫» ‪Dans cette variante, c’est la ḥāǧa du poète qui est exprimée. C’est de « ses nouvelles‬‬
‫‪qu’il est question ici.‬‬
‫‪147‬‬ ‫‪ ،‬طبعه محمود أفندي شاكر الكتبي‪ ،‬القاهرة‪،‬العقد الفريدابن عبد ربه اﻷندلسي‪،‬‬
‫‪ ،١٩١٣‬الجزء ‪ ،١‬ص ‪.٢٠٢‬‬
‫‪148 -‬‬ ‫» ‪ -‬وفود جرير عن أهل الحجاز على عمر بن عبد العزيز رضي الله عنه‬
‫فاستأذنه ‪149‬‬ ‫قدم جرير بن الخطفى على عمر بن عبد العزيز رضي الله عنه عن أهل الحجاز‬
‫في الشعر‪ .‬فقال مالي وللشعر يا جرير إني لفي شغل عنه‪ .‬فقال يا أمير المؤمنين انها‬
‫رسالة عن أهل الحجاز‪ .‬قال فهاتها إذن‪ ،‬فقال ‪:‬‬

‫ضــَرُر‬ ‫أهـل الــحـجــاز د َهَـــــاهُ الب ُـــؤْ ُ‬


‫س والــ َّ‬ ‫ضـــريرٍ أمــــير الـمـــؤمنين‬
‫ن َ‬
‫مـــ ْ‬ ‫ك َـــ ْ‬
‫م ِ‬
‫ل َـدى‬

‫َ‬
‫ه فَـــ َ‬
‫حــــن َــاهُ الجــــْهـــد ُ وَ‬ ‫مـيـــن ُـ ُ‬‫ي َـ ِ‬ ‫مــــــل َك َ ْ‬
‫ت‬ ‫ة ال َّ‬
‫شــــــــْهـب َاءُ ما َ‬ ‫سـن َــ ُ‬
‫صاب َت ال َّ‬
‫أ َ‬
‫الــك ِـــب َـــُر‬

‫مـُر‬
‫قــ َ‬ ‫س ت َـل ْـ َ‬
‫قاهَـا وَﻻ َ ال َ‬ ‫ما كانت الشـمـــــ ُ‬ ‫ت‬
‫ش ْ‬ ‫ن قَـط ِيــِع ال َ‬
‫حـشﹷا عــــــا َ‬ ‫م ْ‬
‫وَ ِ‬
‫َ‬
‫خـب َّــــأة ً‬
‫مــــ َ‬
‫ُ‬

‫َ‬
‫مـــُر«‬
‫ت ي َـا عُـ َ‬
‫صـــوْ ِ‬
‫ت ت ُن َـادي ب ِأع ْلى ال َّ‬ ‫قَا َ‬
‫م ْ‬ ‫هرِ ك َـــارِهَ ً‬
‫ة‬ ‫جــت َـل َـت ْـهَا صـرو ُ‬
‫ف الــــد ْ‬ ‫ل َـ َّ‬
‫مـــا ا ْ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


166

Annexe IV
150 ‘Uwayf al-Qawāfī et ‘Umar II :
151 L’auteur d’al-Aġānī nous apprend qu’un autre poète était allé solliciter les dons de
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz. Il s’agit de ‘Uwayf al-Qawāfī al-Fazārī (m. 718).
152 Ce poète est venu voir ‘Umar II, deux fois. Lors de la première rencontre (cf. al- Aġānī,
op. cit., vol. XIX, p. 193–194) il fait son panégyrique et ‘Umar demande à son intendant
(qahramān) de récompenser le poète en lui donnant l’excédant de ce qui était prévu
pour ses dépenses.
153 Lors de la seconde visite (cf. al-Aġānī, op. cit., vol. XIX, p. 209-210), le poète fait le thrène
de Sulaymān, qui venait de décéder, et le panégyrique du nouveau calife :
154 ‫ع ُـــوَيف‬ ‫ح‬
َّ ‫ فأل‬،ٌّ‫حـق‬ َ ‫ وما لك قي بيت المال‬،‫ لسنا من الشعر في شيء‬: ‫»فقال له عمر‬
ْ ‫ ولـن َـ‬، ‫ انظ ُـر فيما بِقي من أرزاقنا فشاط ِــر ه إي ّـاه‬،‫مـزاحم‬
‫صـب ِْر على‬ ْ ُ ‫ يا‬: ‫يسأله فقال‬
‫ بل توفّــر يا‬: ‫ن بن عبد الملك‬ َ ‫ا‬ ‫م‬‫ي‬‫ل‬ ‫س‬ ‫ن‬
ُ ‫ب‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ح‬ «‫ر‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ُ ‫د‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ب‬‫ع‬ ‫ه‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ق‬ ‫ف‬ ، ‫ء‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ط‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ت‬ ‫ضـيق إلى وق‬ ّ ‫ال‬
،‫صَرف به إلى منزله‬ َ ‫ فأخذ بيده وان ْـ‬،‫ ما أوﻻك بذلك‬: ‫ فقال‬،‫ي رضا الرجل‬ ّ ‫أمير المؤمنين وعل‬
«.‫ي‬
َ ‫وأعطاه حـتى رض‬
155 « ‘Umar lui dit : Nous ne pouvons rien pour la poésie et tu n’as pas droit [à une aide] du
trésor. ‘Uwayf insista dans sa demande ; alors ‘Umar dit [à son intendant] : Ô Muzāḥim,
regarde ce qui reste de notre revenu et partage-le avec lui et supportons avec patience
la gêne [que cela engendrera] jusqu’à la prochaine rentrée d’argent. ‘Abd al-Raḥmān b.
Sulaymān b. ‘Abd al-Malik dit [au calife] : Épargne-toi cette dépense ô Commandeur des
croyants , je me charge de donner satisfaction à cet homme. Tu es plus à même de faire
cela, lui répondit ‘Umar.
156 [Le fils de Sulaymān] le prit alors par la main, le conduisit chez lui et lui fit des dons
jusqu’à ce qu’il fût satisfait. »
157 Cette anecdote est construite sur le même canevas que celle relative à Ǧarīr. Le calife
déclare qu’il ne peut rien pour la poésie, refuse de puiser dans les caisses du trésor pour
récompenser le poète, parce que celui-ci n’y a pas droit, et propose de partager avec lui
ce qui lui appartient en propre. Considérant l’inconsistance du don que fait le calife et
la gène qu’il allait lui occasionner, le neveu de ‘Umar offre de récompenser le poète
pour le thrène fait en hommage à son père, mais aussi pour le panégyrique composé à
la gloire de son oncle.

Annexe V
1- Les panégyriques dédiés à al-Ḥaǧǧāǧ par Ǧarīr 112 :

Numéros des poèmes Pages Nombre des vers

11 136-139 21

34 243-245 27

63 372-374 22

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


167

71 399-409 42

244 727-728 18

2- Les panégyriques dédiés à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz par Ǧarīr 113 :

Numéros des poèmes Pages Nombre des vers

8 117-124 26

41 274-277 30

73 412-417 29

253 737 5

158 Les pièces 73 et 253 ont été composées par le poète alors que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz était
calife, mais il difficile de se prononcer pour les deux autres pièces.

3- Les panégyriques dédiés à al-Ḥaǧǧāǧ par al-Farazdaq 114 :

Numéros des poèmes Pages Nombre des vers

58 96-99 37

77 132-133 5

196 265-272 71

289 382 4

445 * 188-192 38

159 * Ce poème figure au tome II.

4- Les panégyriques dédiés à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz par al-


Farazdaq 115 :

Numéros des poèmes Pages Nombre des vers

389 * 132-134 31

160 * Ce poème figure au tome II.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


‫‪168‬‬

‫‪Annexe VI‬‬
‫‪161 .١‬‬ ‫ابن قتيبة‪ ،‬الشعر والشعراء‪ ،‬دار المعارف‪ ،‬القاهرة‪ ،٦٦٩١ ،‬ص ‪ ،٧٠٥ – ٤٠٥‬ج‬
‫َ َ‬
‫ت ‪162 :‬‬ ‫» قال حماد ٌ الراوية ‪ :‬قال لي ك ُـثـَ ي ِّــر‪ :‬أﻻ َ أخبُرك عما دعاني إلى ترك الشعر ؟ قل ُ‬
‫ب إلى عمَر بن عبد العزيز رحمه الله‪ ،‬وك ُـ ُّ‬
‫ل‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫ت ُخبرني‪ ،‬قال ‪َ :‬‬
‫صـي ٌ‬ ‫ص ون ُـ َ‬ ‫ت أنا واﻷحوَ ُ‬ ‫صـ ُ‬ ‫خـ ْ‬ ‫ش َ‬
‫شـرِكنا في خﻼفته‪ ،‬فلما ُرفعت لنا‬ ‫َ‬ ‫ُّ‬
‫ل عليه بسابقةٍ له وإخاٍء‪ ،‬ونحن ﻻ نشك أنه ي ُـ ْ‬ ‫واحـدٍ من َّـا ي ُـدِ ُّ‬
‫ة بن عبد الملك )جائـيا ً من عنده(‪ ،‬وهو يومئذ فتى العرب‪،‬‬ ‫مـ ُ‬ ‫ســل ََ‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ـ‬ ‫ي‬‫ـ‬ ‫ق‬ ‫َ‬ ‫ل‬ ‫خـن َاصَرة َ‬ ‫م ُ‬ ‫َ‬
‫َ ْ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫أعﻼ ُ‬
‫َ‬
‫ل الشعَر ؟ قلنا ‪ :‬ما‬ ‫قــب َ ُ‬ ‫ن إمامكم ﻻ ي َـ ْ‬ ‫فسل َّـمنا عليه فرد َّ )علينا السﻼم(‪ ،‬ثم قال ‪ :‬أما بلغَـكم أ َّ‬
‫ن بني‬ ‫ك ذو د ي ِ‬ ‫ن يَ ُ‬ ‫ة عرف ذلك فينا‪ ،‬فقال ‪ :‬إ ْ‬ ‫مـ ً‬ ‫جـ َ‬ ‫منا وَ ْ‬ ‫ج ْ‬ ‫ضح خبٌر حت َّـى انتهينا إليك‪ ،‬وَو َ‬ ‫وَ َ‬
‫ث حتى‬ ‫ْ‬ ‫َ‬
‫ي‪ ،‬ولكم عندي ما تحب ُّـون‪ ،‬وما ألـب َـ ُ‬ ‫ن ذا دنياها قد بق َ‬ ‫خـشيتم حْرمان َه فإ ِ َّ‬ ‫يو َ‬ ‫ن ول ِ َ‬ ‫مر و ا َ‬
‫ل وأ َفض ُ‬
‫ل‬ ‫ز‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫م‬ ‫ر‬ ‫ـ‬ ‫ْ‬ ‫ك‬ ‫أ َرجع إليكم فأمنحكم ما أ َنتم أ َهل ُـه‪ ،‬فلما قَـدم كانت رحال ُـنا عنده‪ ،‬فأ َ‬
‫ٍ‬ ‫َ ُ‬ ‫ْ‬ ‫َ‬ ‫ِ‬ ‫َ‬
‫َ‬ ‫منزول به‪ ،‬فأ َقمنا عنده أ َربع َ َ‬
‫ت‬‫ن لنا‪ ،‬إلى أن قل ُ‬ ‫ن هو وغيُره‪ ،‬فلم ي ُـؤْذ ْ‬ ‫ة أشهر ي َـطلب لنا اﻹ ِذ ْ َ‬ ‫ٍ‬
‫فـظ ْـت ُه كان ذلك‬ ‫مه فتحـ َّ‬ ‫َ‬ ‫ﻼ‬ ‫ك‬ ‫ت‬‫ُ‬ ‫ع‬ ‫م‬ ‫س‬ ‫ف‬ ‫ر‬
‫َ َ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫م‬ ‫ـ‬ ‫ُ‬ ‫ع‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ت‬ ‫ُ‬ ‫و‬ ‫ن‬ ‫د‬ ‫ي‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫و‬ ‫ل‬ ‫‪:‬‬ ‫ع‬ ‫ـ‬
‫ُ َ ِ‬‫م‬ ‫ـ‬ ‫ج‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ك‬ ‫ل‬ ‫ت‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ٍ‬ ‫ة‬ ‫ـ‬‫ج ْ َ‬
‫ع‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫م‬ ‫ـ‬ ‫في ُ‬
‫ة‪ ،‬فتزوَّدوا لسفرِكم من‬ ‫حالـ َ‬ ‫م َ‬ ‫ت من قوله يومئذٍ ‪ :‬لكل سفر زاد ٌ ﻻ َ‬ ‫ت‪ ،‬فكان ماحفظ ُ‬ ‫رأيا ً‪ ،‬ففعل ُ‬
‫ن ما أعـد َّ الل َّـه له من ثوابه وعقابه فترغبوا‬ ‫َ‬
‫ن عا ي َ َ‬ ‫م ْ‬ ‫قـوى‪ ،‬وكونوا ك َ‬ ‫الدنيا إلى اﻵخرة الت َّــ ْ‬
‫َ‬
‫سوَ قلوب ُكم وت َنقادوا لعدِّوكم‪ ،‬في كﻼم ٍ كثيرٍ‪ ،‬ثم قال ‪:‬‬ ‫قـ ُ‬ ‫مد ُ فت َ ْ‬ ‫م اﻷ َ‬ ‫ن عليك ُ‬ ‫وترهبوا‪ ،‬وﻻ ي َط ُـول َ َّ‬
‫قتي وتظهَر عَـي ْـل َتي وت َـب ْـدو‬ ‫فـ َ‬ ‫ص ْ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫ن آمـَركم بما أنهى عنه نفسي فت َخـسَر َ‬ ‫أعوذ بالله أ ْ‬
‫َ‬
‫ه‪،‬‬‫حـب َـ ُ‬ ‫ض ن َـ ْ‬ ‫فـعُ فيه إﻻ َّ الحـقُّ والصدق‪ ،‬ثم ب َكى حت َّـى ظنن َّا أنه قا ٍ‬ ‫مسكنتي‪ ،‬في يوم ٍ ﻻ ي َـنـ َ‬ ‫َ‬
‫خـذ َا في‬ ‫ت لهما ‪ُ :‬‬ ‫ُ‬ ‫ل‬ ‫ق‬ ‫ف‬ ‫ي‬‫َّ‬ ‫ب‬‫ح‬ ‫ا‬ ‫ص‬ ‫ى‬ ‫ل‬ ‫إ‬
‫ُ ِ‬ ‫ت‬ ‫ف‬ ‫ر‬ ‫ص‬ ‫ن‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ل‬ ‫ي‬ ‫و‬ ‫ـ‬ ‫ع‬
‫َ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ِ‬ ‫ء‬ ‫ا‬ ‫ك‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ب‬ ‫ه‬ ‫ل‬‫و‬ ‫ح‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫و‬ ‫ُ‬ ‫د‬ ‫ـ‬ ‫ج‬ ‫س‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ج‬
‫َّ‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ت‬ ‫ر‬ ‫ا‬ ‫و‬
‫َ‬
‫ي‪ ،‬إ ِلى أن‬ ‫ُ‬ ‫ن ال ر ج َ‬ ‫ُ‬ ‫ُ‬ ‫َ‬
‫ل أخرويٌّ ليس بدنيو ّ‬ ‫مـَر وآبائـه‪ ،‬فإ ِ َّ‬ ‫شـْرٍج من الشعرِ غيرِ ما كن َّا نقولـه لعُـ َ‬
‫ت عـليه‬ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫خ‬ ‫د‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ف‬ ‫‪،‬‬ ‫ة‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ن‬ ‫ذ‬ ‫ة في يوم جـمـعـة‪) ،‬فَأ َذن لنا( بعد ما أ َ‬ ‫ُ‬ ‫م‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫س‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫ن‬‫ل‬ ‫ن‬ ‫ذ‬ ‫أ‬ ‫ت‬ ‫س‬ ‫ا‬
‫ُ‬ ‫ّ‬ ‫َّ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫ِ‬ ‫ٍ‬ ‫َ‬ ‫َ ْ‬ ‫َ‬
‫فائـِ ك إ ِي ّانا‬‫َ‬ ‫جـ َ‬ ‫ثب َ‬ ‫ت ‪ :‬يا أمير المؤمنين‪ ،‬طال الث َّـواُء‪ ،‬وقـلت الفائدةُ‪ ،‬وتحـد َّ ْ‬ ‫َّ‬ ‫ت‪ ،‬ثم قل ُ‬ ‫سـلم ُ‬ ‫َّ‬
‫ن عليها‬ ‫َ‬ ‫ي‬‫ل‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ن‬‫ِ‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ك‬ ‫ا‬ ‫س‬
‫َ‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ء‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫ق‬ ‫ف‬ ‫ل‬‫ل‬ ‫ت‬‫ُ‬ ‫ا‬ ‫ق‬ ‫د‬ ‫ص‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ن‬‫ِ‬ ‫إ‬ ‫﴿‬ ‫‪،‬‬ ‫ر‬
‫ِّ ُ‬‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ـَ‬‫ث‬ ‫ـ‬‫ُ‬ ‫ك‬ ‫ا‬ ‫ي‬ ‫‪:‬‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ق‬ ‫ف‬ ‫‪،‬‬ ‫ب‬ ‫ر‬ ‫ع‬ ‫وفود ُ ال‬
‫ل﴾ ]من اﻵية ‪ ٦٠‬من‬ ‫ل الله وابن السبي ِ‬ ‫سبي ِ‬ ‫ن وفي َ‬ ‫والمؤل َّـفةِ قلوب ُــهم وفي الِّرقاب والغارمي َ‬
‫قـطعٌ به‪ ،‬وأنا ضاح ٌ‬
‫ك‪،‬‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫مـن ْـ َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫ل ُ‬ ‫ن السبي ِ‬ ‫ت ‪ :‬اب ُ‬ ‫ت ؟ فق ل ُ‬ ‫سورة التوبة ﴿‪ [﴾٩‬أ في واحدٍ من هؤﻻِء أن َ‬
‫قط َعـا ً به‪ ،‬ثم‬ ‫َ‬ ‫قال ‪ :‬أ َولست ضي َ َ‬
‫مـن ْـ َ‬ ‫فـ ه ُ‬ ‫من كان ضي َ‬ ‫ت ‪ :‬بل َى‪ ،‬قال ‪ :‬ما أرى َ‬ ‫ف أبي سعيد ؟ قل ُ‬ ‫َ‬
‫ت‪:‬‬ ‫د‬ ‫ش‬ ‫ن‬‫َ‬ ‫أ‬ ‫ف‬ ‫‪،‬‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ق‬
‫ّ‬ ‫ـ‬ ‫ح‬ ‫َّ‬ ‫ﻻ‬ ‫إ‬ ‫ْ‬
‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ق‬
‫ُ‬ ‫ت‬ ‫ﻻ‬ ‫و‬ ‫م‬ ‫ع‬ ‫ن‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ق‬ ‫‪،‬‬ ‫د‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ش‬ ‫ن‬ ‫ﻹ‬ ‫ا‬ ‫ي‬ ‫ف‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ‫ن‬ ‫ذ‬ ‫أ‬ ‫ت‬ ‫َ‬ ‫أ‬ ‫‪،‬‬ ‫ن‬ ‫ي‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ؤ‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫ت ‪ :‬يا أ َمي‬
‫ُ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫‪:‬‬ ‫ُ‬ ‫َ‬ ‫قل ُ‬
‫ت الــهُـــد َى ‪163‬‬ ‫ن آي َــا ُ‬ ‫مـا ت َـــب َـــي َّـــ ُ‬ ‫ن وإ ِن َّــــ َ‬ ‫مـب ِـــيــــ ِ‬ ‫ق ال ُ‬ ‫ت بالـحـــ ِّ‬ ‫مــــــ َ‬ ‫‪ - 1‬ت َـك َـل َّـ ْ‬
‫ُّ‬
‫بالــــت َّــك َــــلــم ِ‬
‫شــــت َــد َّ ن ُـــوُره ُ عـلى ك ُــ ِّ َ‬ ‫َ‬
‫حــقِّ ‪164‬‬ ‫ق ال ـ َ‬ ‫س بـ ا ر ِ ِ‬ ‫ل لــب ْــ ٍ‬ ‫حـقِّ فا ْ‬ ‫ت ن ُـوَر الــ َ‬ ‫‪ – 2‬وأظ ْـهَـــْر َ‬
‫ْ‬
‫مــظـل ِــم ِ‬ ‫ُ‬
‫َ‬
‫ل ‪165‬‬ ‫مـا كــان َقــب ْــــ َ‬ ‫ت عَـ َّ‬ ‫ضـ َ‬ ‫ه وأع ْــَر ْ‬ ‫ت قَــب ْـل َـ ُ‬ ‫م َ‬ ‫قـد َّ ْ‬ ‫ت فــيـما قـــد تـ َ‬ ‫‪ - 3‬وَع َـــاقَــب ْــ َ‬
‫قــد ُم ِ‬ ‫الـت َّــ َ‬
‫رة َ ‪166‬‬
‫شــــا َ‬ ‫ل إِ َ‬ ‫قـ ـ ـ ب ﹷـ ـ ـ ْ‬ ‫ف ب َـــرِي ّـا ً وَل َــ ْ‬
‫م ت َــــ ْ‬ ‫خــ ْ‬
‫م ت ُـ ِ‬‫م عَـل ِـي ّا ً وَل َ ْ‬ ‫شــت ُـ ْ‬ ‫ت فَــل َـ ْ‬
‫م ت َـ ْ‬ ‫‪ - 4‬وَل ِـيـ َ‬
‫جـــرِم ِ‬ ‫مـــــ ْ‬ ‫ُ‬
‫ً‬
‫ضــيا ك ُـــ ُّ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫سـل ِـــم ِ‪167‬‬
‫مــ ْ‬ ‫ل ُ‬ ‫مــسى را ِ‬ ‫ت فَــأ ْ‬ ‫مــعَ الـذي أت َـي ْــ َ‬ ‫ل َ‬ ‫ق ـا َ‬ ‫مــ َ‬
‫ل ال ـ َ‬ ‫ت بالــِفـعْـ ِ‬ ‫صد َّقْ َ‬ ‫‪ - 5‬وَ َ‬
‫ف ‪168‬‬ ‫ق ــ ا ُ‬
‫ن اﻷوَد ِ الـــب َــــادِي ثـِ ـ َ‬ ‫َ‬ ‫مـا ي َـك ْـــفي ال َ‬ ‫َ‬
‫مـــ َ‬ ‫فـــت َى ب َــعْــد َ َزي ْـــغِـــهِ ِ‬ ‫‪ - 6‬أﻻ إ ِن َّـ َ‬
‫قـــوِّم ِ‬ ‫مـ َ‬‫ال ـ ـ ُ‬
‫صـم ِ‪169‬‬
‫مـعْـ َ‬
‫فو ِ‬ ‫ك ثـِ ـيـاب َـهــا ت َـــَراَءى ل َـــ َ‬
‫ك الــد ُّن ْــي َـا ب ِــك َـ ٍّ‬ ‫س الـهَـــل ُـو ِ‬ ‫ت ل ُـب ْــ َ‬‫سـ ْ‬ ‫‪ - 7‬وَقَـد ْ ل َـب ِـ َ‬
‫ً‬ ‫َ‬
‫ن ‪170‬‬
‫مـا ِ‬‫جــ َ‬ ‫مـثـْ ِ‬
‫ل ال ُ‬ ‫ن ِ‬ ‫م عَــــ ْ‬ ‫سـ ُ‬‫ضـةٍ وَت َــب ْـــ ِ‬
‫مـــرِيــ َ‬ ‫ن َ‬ ‫حــي َــــانا ب ِــعَــي ْـــ ٍ‬‫ضأ ْ‬ ‫مــ ُ‬ ‫‪ - 8‬وَت ُـــو ِ‬
‫َّ‬
‫مـنــظــ ِ‬
‫م‬ ‫ـ‬ ‫ال ُ‬
‫َ‬ ‫َ‬
‫مـام ٍ‪171‬‬ ‫ســ َ‬‫ن ِ‬ ‫مــ ْ‬ ‫مــد ُوفا ً ِ‬ ‫ك َ‬ ‫قـــت ْــ َ‬‫س َ‬ ‫مــا َ‬ ‫مــئـِ ـّزا ً كـأن َّـ َ‬
‫شـ َ‬‫مـــ ْ‬ ‫ت عَــن ْـــهَا ُ‬ ‫ضـ َ‬ ‫‪ - 9‬فَأع ْــَر ْ‬
‫وَع َــل ْـــ َ‬
‫قـ م ِ‬
‫َ‬
‫فـــعَـم ِ‪172‬‬
‫مــ ْ‬
‫مــوِْج ُ‬ ‫مـْزب ِـدِ ال َ‬ ‫حـرِها في ُ‬ ‫ن ب َـ ْ‬‫مــ ْ‬‫مـن َّـٍع وَ ِ‬ ‫مـ َ‬
‫جـب َــال ِهَـا في ُ‬ ‫نأ ْ‬ ‫مـ ْ‬ ‫ت ِ‬ ‫‪ - 10‬وَقَد ْ ك ُـن ْـ َ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪169‬‬

‫الــب ِــن َـــاءِ ‪173‬‬ ‫ت ب ِــــهَـا أ َع ْـــل َى‬ ‫ل غَـــاي َـــــةٍ ب َـل َـــغْـ َ‬ ‫ت ت َـــوَّاقــا ً إ ِلـــى ك ُــــ ِّ‬ ‫مـازِل ْــ َ‬ ‫‪ - 11‬وَ َ‬
‫قـــد َّم ِ‬ ‫مــ َ‬ ‫ال ُ‬
‫ن ت َـك َـــل ُّـــم ِ‪174‬‬
‫َ‬
‫مـــ ْ‬ ‫ب د ُن ْـــي َـا ب َــــعْــــد َه ُ ِ‬ ‫ن ل ِـط َال ِـــ ِ‬ ‫م ي َك ُــ ْ‬ ‫فـوا ً ولـ ْ‬ ‫ك عَـ ْ‬ ‫مـل ْـ ُ‬ ‫ك ال ـ ُ‬ ‫مـا أتا َ‬ ‫‪ - 12‬فَل َـ َّ‬
‫ْ‬
‫مــم ِ‪175‬‬ ‫صـــ ِّ‬ ‫مـــ َ‬ ‫ي ُ‬ ‫قــى ب ِــَرأ ٍ‬ ‫ت مـــا ي َـــب ْــ َ‬ ‫مونـِ ـقـا ً وَآثـَ ــْر َ‬ ‫ن ُ‬ ‫ن كا َ‬ ‫فـن َى وَإ ِ ْ‬ ‫ت الــذي ي َـ ْ‬ ‫‪ - 13‬ت ََرك ْ َ‬
‫مــ َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫ر ‪176‬‬ ‫شـــ ِّ‬ ‫ن ال َّ‬ ‫ك فـي ي َــــوْم ٍ مﹻــ َ‬ ‫مـــا َ‬ ‫ت لـلـــذي أ َ‬ ‫مـــْر َ‬ ‫فـاني َوثـَ ـ َّ‬ ‫ت با ل َ‬ ‫ضـَرْر َ‬ ‫‪ - 14‬وَأ ْ‬
‫ُ ْ‬
‫مـظــل ِــم ِ‬
‫َ‬
‫مـــعَــال ِي ‪177‬‬ ‫ت ب ِــــهِ أع ْـــلـى ال َ‬ ‫مــــؤَِّرقٌ ب َـل َـغْـــ َ‬ ‫فـــؤَادِ ُ‬ ‫م فـ ـ ـ ـ ي ا ل ُ‬ ‫ك هَــ ٌّ‬ ‫مـا ل َــ َ‬ ‫ســ َ‬ ‫‪َ - 15‬‬
‫م‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ســــل َّ‬ ‫ب ِـ ُ‬
‫ِ‬
‫َ‬ ‫َ‬
‫جــم ِ‪178‬‬ ‫صـــيـــٍح وَأع ْـ َ‬ ‫ن فَــ ِ‬ ‫مــ ْ‬‫مــن َـادٍ ي ُــن َــادي ِ‬ ‫ب ك ُل ِّهَا ُ‬ ‫ض وَالغَــْر ِ‬ ‫ق اﻷْر ِ‬ ‫شـْر ِ‬ ‫ن َ‬ ‫‪ - 16‬فَما ب َي ْـ َ‬
‫َ‬
‫خـــــذ ِ ‪179‬‬ ‫خــــذٍ ل ِـــدِيـــنــــاٍر وَﻻ َ أ َ ْ‬ ‫مـت َــنـِ ي ب ِــأ ْ‬ ‫ن ظ َـــل َــ ْ‬ ‫مـنـِ يـ َ‬ ‫مـــؤْ ِ‬ ‫مــيــَر ال ُ‬ ‫لأ ِ‬
‫قو ُ َ‬ ‫‪ - 17‬ي َــ ُ‬
‫د ِْرهَــــم ِ‬
‫جم ِ‪180‬‬ ‫حـ َ‬ ‫مـ ْ‬ ‫لَء ِ‬ ‫م ْ‬ ‫ً‬
‫ه ظـال ِـما ِ‬ ‫َ‬ ‫مـن ْـ ُ‬‫ك ِ‬ ‫فـ ِ‬ ‫ســ ْ‬ ‫جــرِم ٍ وَﻻ ال َّ‬ ‫مــ ْ‬ ‫ئ غَـي ْــرِ ُ‬ ‫مـــرِ ٍ‬ ‫فﻻ ْ‬ ‫ط ك َ ٍّ‬ ‫سـ ِ‬ ‫‪ -18‬وَﻻ َ ب َـ ْ‬
‫َ‬
‫ر ‪181‬‬ ‫مـارِه ِـم غَـي ْـ َ‬ ‫ن أع ْــ َ‬ ‫م ْ‬ ‫شـط ْـــَر ِ‬ ‫ك الـ َّ‬ ‫مـوا ل َـ َ‬ ‫س ُ‬ ‫قــ َّ‬ ‫ن ت َــ َ‬ ‫سـل ِمو َ‬ ‫مـ ْ‬ ‫ست َــط ِيـعُ ال ُ‬ ‫‪ - 19‬وَل َــوْ ي َ ْ‬
‫ن ُــد َّم ِ‬
‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫م ‪182‬‬ ‫م ثـُ ـــ َّ‬ ‫م ب ِــهَــا أع ْـــظ ِـــ ْ‬ ‫مـب َاي ِــٍع وَأع ْــظ ِـــ ْ‬ ‫ة ل ِـ ُ‬ ‫قـــ ٍ‬ ‫فـ ـ ـ ـ َ‬ ‫صـــ ْ‬ ‫ن َ‬ ‫مــ ْ‬ ‫ح ب ِــهَـا ِ‬ ‫‪ - 20‬فَأْرب ِــ ْ‬
‫َ‬
‫أع ْـــظ ِــــــم ِ‬
‫ص فاستأذن َـه في ‪183‬‬ ‫حـوَ ُ‬ ‫م اﻷ َ ْ‬ ‫قــد َّ َ‬ ‫ت‪ .‬ثم ت َ َ‬ ‫ما قُـل ْ َ‬ ‫ل عَـ َّ‬ ‫ك ت ُساَء ُ‬ ‫ي ثم قال ‪ :‬يا ك ُـثـَ ي ِّر‪ ،‬إ ِن َّ َ‬ ‫ل عَل َ َّ‬ ‫فَأ َقْـب َ َ‬
‫شد َه ُ ‪:‬‬ ‫قـا ً‪ ،‬فَأ َن ْـ َ‬ ‫حـ ّ‬ ‫ل إ ِﻻ َّ َ‬ ‫قـ ْ‬ ‫ل وَﻻ ت َ ُ‬ ‫ل ‪ :‬قُ ْ‬ ‫قا َ‬ ‫شادِ‪ ،‬فَــ َ‬ ‫اﻹن ْـ َ‬
‫َ‬
‫ق ‪184‬‬‫مـن ْـط ِــــ ِ‬ ‫حـــــقٍّ أوْ ل ِـ َ‬ ‫ق َ‬ ‫من ْــط ِــ ِ‬ ‫ف ل ِـــ َ‬ ‫مـــؤَل ِّــ ٍ‬ ‫ن ُ‬ ‫مــ ْ‬ ‫ة ِ‬ ‫خـــط ْــب َـ ٌ‬ ‫شـعْــُر إ ِﻻ َّ ُ‬ ‫مـــا ال ِّ‬ ‫‪ - 1‬وَ َ‬
‫ل‬
‫ب َـاط ِــــــ ِ‬
‫ء ‪185‬‬ ‫جـــعَــــــن َّـا كــالن ِّــســـا ِ‬ ‫ضـــا وﻻ ت َــْر ِ‬ ‫ن إ ِﻻ َّ الــــذي واَفـــقَ الِّر َ‬ ‫َ‬
‫قـــب َـــلـ ْ‬ ‫‪ - 2‬فَﻼ َ ت َــ ْ‬
‫ل‬
‫مـــــــ ِ‬ ‫اﻷ َرا ِ‬
‫ل الـظ َّـل ُــوم ِ‪186‬‬ ‫ســَرة ً فِـــــعْـــ َ‬ ‫ة وﻻ ي َـــ ْ‬ ‫مــن َـــ ً‬ ‫حــقِّ ي َــ ْ‬ ‫ن ال َ‬ ‫ل عَـ ِ‬ ‫م ت َــعْــدِ ْ‬ ‫ك ل َـ ْ‬ ‫‪َ - 3‬رأ َي ْــنا َ‬
‫ل‬‫خـــتـا ِ‬ ‫مــ ْ‬ ‫ال ُ‬
‫َ‬ ‫مــــثـَ ــا َ‬ ‫َّ‬ ‫ُ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫ل ‪187‬‬ ‫ن اﻷوائـِ ـــ ِ‬ ‫حــيــ َ‬ ‫صـال ِــ ِ‬ ‫ل الـ َّ‬ ‫قـــد ُّ ِ‬ ‫ه ت َـــ ُ‬ ‫جــهْـد َك كلـــ ُ‬ ‫صد َ ُ‬ ‫ق ــ ْ‬ ‫ت ال َ‬ ‫خــذ ْ َ‬ ‫نأ َ‬ ‫‪ - 4‬وَلك ِ ْ‬
‫ل ‪188‬‬
‫قــائـِ ـ ِ‬ ‫ن قَــوْ ِ‬
‫ل‬ ‫مــ ْ‬
‫حــقَّ ِ‬ ‫ن ذ َا ي َـــُرد ُّ الـــ َ‬ ‫ب‪ ،‬ب ِـما قَـد ْ ب َدا ل َـنا وَ َ‬
‫مـــ ْ‬ ‫م ن َــك ْـذ ْ‬ ‫قـل ْـنا‪ ،‬وَل َ ْ‬
‫‪ - 5‬فَـ ُ‬
‫ع ‪189‬‬
‫ن ن َـــــْز ِ‬
‫مــ ْ‬‫مــضـائـِ ــهِ عَــلــى فُــوقِـــهِ إ ِذ ْ عـاَر ِ‬ ‫م ب َــعْــد َ َ‬
‫ســـهْـــ َ‬ ‫ن ذا ي َـُرد ُّ ال َّ‬‫مــ ْ‬ ‫‪ - 6‬وَ َ‬
‫ل‬‫ن َــاب ِــ ِ‬
‫ـ‬
‫سـل ‪190‬‬ ‫ث الب َوا ِ‬ ‫ف ك َــان ُــوا ك َـاللــيـو ِ‬ ‫ف غَــطـاريـ ُ‬ ‫خــﻼئـِ ــ ُ‬ ‫‪ - 7‬وَل َــوْﻻ الــذي َقــد ْ عَــوَّد َت ْـــنــا َ‬
‫ن ‪191‬‬
‫ب َـــي ْــ َ‬
‫ن الــب ِــيــدِ‬‫مـتــا َ‬ ‫فــد ُّ ِ‬ ‫ة ت َــ ُ‬ ‫سـل َــ ٌ‬‫ي َر ْ‬ ‫حل ِ َ‬‫شـــهْـــرا ً ب ِـَر ْ‬ ‫ت َ‬ ‫خـــد َ ْ‬ ‫مـا وَ َ‬ ‫‪ - 8‬ل َـــ َ‬
‫ل‬
‫حــــ ِ‬ ‫الـــَّروَا ِ‬
‫َ‬ ‫ً‬
‫ل ‪192‬‬ ‫َ‬
‫ن ذ َويــك اﻷوائـِ ِ‬ ‫مـــ ْ‬‫صـرِفْــنــا َقــديــمـا ِ‬ ‫ل الـذي ب ِــه ُ‬ ‫مـثـْ ــ َ‬ ‫َ‬
‫مـــن ْـك ِ‬ ‫جــوْنا ِ‬ ‫ن َر َ‬ ‫‪ - 9‬ول َــك ِ ْ‬
‫ل فَاتـِ ــ ِ‬
‫ل ‪193‬‬ ‫ل الــد ُِّّر فِـي فَـــتﹿـ ِ‬ ‫مـــثـْ ـ َ‬ ‫ن ِ‬ ‫ن كـ ا َ‬ ‫موْضﹻعٌ وَإ ِ ْ‬ ‫ك َ‬ ‫عـن ْـد َ َ‬ ‫شعْـرِ ِ‬ ‫ن للـ ِّ‬ ‫م ي َـك ُ ْ‬‫ن ل َـ ْ‬ ‫‪ - 10‬فَـإ ِ ْ‬
‫شـــوْا ‪194‬‬ ‫مــــــ َ‬ ‫ث آب َــاءٍ َ‬‫مــيـــرا َ‬ ‫مـــوَد َّةٍ وَ ِ‬ ‫ض َ‬ ‫حــ َ‬ ‫مــــ ْ‬ ‫ن ل َــن َــا قُــــــْرب َـى وَ َ‬ ‫‪ - 11‬فَــــإ ِ َّ‬
‫ل‬‫صـــ ِ‬ ‫مـن َــا ِ‬ ‫ب ِـالـ َ‬
‫َ‬
‫ل ‪195‬‬‫مـاي ُـ ِ‬‫ن ب َـعْـد َ الت َّـ َ‬
‫مـود َ الــد ِّيــ ِ‬ ‫ســوْا عَــ ُ‬ ‫م وَأْر َ‬ ‫قــرِ د َارِه ِ ْ‬ ‫ن عُــ ْ‬ ‫سـل ْم ِ عَـ ْ‬ ‫‪ - 12‬وَذ َادوا عَـد ُوَّ الـ ِّ‬
‫َ‬
‫ل ‪196‬‬
‫س وَب َازِ ِ‬
‫سـدِيـ ٍ‬ ‫ن َ‬ ‫م ْ‬‫شـعْــرِ ك َعْــبا ً ِ‬ ‫ة عَـل َى الـ ِّ‬ ‫جــل َّـــ ً‬ ‫مــا أع ْـــط َى هُـن َـي ْــد َة َ ِ‬ ‫‪ 13-‬وَقَــب ْـــل َــك َ‬
‫حـى ‪197‬‬
‫ضـــ َ‬‫ســـﻼ َ ٌ‬
‫ب ِالـ ُ‬
‫م‬ ‫ضـــاءُ ب ِـــن ُــورِهِ عَـــل َـــي ْـــهِ َ‬
‫ســـت َـ َ‬
‫مـ ْ‬ ‫ل اﻹ ِلــهِ الــــ ُ‬ ‫ســو ُ‬ ‫‪َ 14-‬ر ُ‬
‫ل‬ ‫َ‬
‫صـائـِ ـ ِ‬‫واﻷ َ‬
‫ل ‪198‬‬
‫ســوَائـِ ــ ِ‬
‫حـــورٍ َ‬
‫ن ب ُــــ ُ‬
‫مـــ ْ‬
‫خــي ْــــٌر ِ‬ ‫ك َ‬‫ه وَقُــل ُّـــ َ‬‫ض ُ‬
‫ك ب َـعْـ ُ‬ ‫ت ي َك ْـ ِ‬
‫فـي َ‬ ‫ل الذي عَــد َد ْ ُ‬‫‪15-‬فَـك ُ ُّ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


170

199 ‫فِي‬ ُ َ ‫ب فاستأذ َن‬


‫ه‬ ٌ ‫صي ْـ‬
َ ‫م ن ُـ‬
َ َّ ‫قد‬ َ ‫مـا قُـل ْـ‬
َ َ ‫ وَت‬.‫ت‬ َّ ‫ل عَـ‬ ُ َ ‫سـأ‬
ْ ‫ص﴾ ت ُـ‬ُ َ‫حو‬
َ
ْ ‫ك ﴿ يا أ‬ َ ‫ إ ِن َّـ‬: ‫مـر‬ َ ‫ه عُـ‬ ُ َ‫ل ل‬ َ ‫قا‬ َ َ‫ف‬
َ َ َ ْ َ
ٍ ‫مائ َة دِْرهَم‬
ِ ‫مَر لي بثـَ لث‬َ ‫ وَأ‬،‫م‬ ٌ ‫حمو‬ ْ ‫م‬ َ َ‫ج وَهُو‬ َ ‫خَر‬َ َ‫ ف‬،‫مَره ُ ب ِالغَْزوِ إلى داب ِق‬ َ ‫ وَأ‬،‫ه‬ ُ ‫نل‬ ْ َ ‫م ي َأذ‬ ْ ‫شادِ فَل‬ َ ‫اﻹ ِن ْـ‬
َ
ً
« .‫ن دِْرهَــما‬ َ ‫سي‬ ِ ‫مـ‬ ْ ‫خـ‬
َ َ‫مائةٍ و‬ ِ ِ‫ب ب‬ٍ ‫صـي ْـ‬
َ ‫مَر ل ِـن ُـ‬
َ ‫ وَأ‬،‫مثل ِهَا‬ ْ ِ ِ‫ص ب‬
ِ َ‫حو‬ ْ َ ‫وَلﻸ‬

Essai de traduction de la notice consacrée à Kuṯayyir par Ibn


Qutayba

200 « Ḥammād al-Rāwiya rapporte : Kuṯayyir m’avait tenu ce propos : Veux-tu que je te
dise ce qui m’a amené à renoncer à la poésie ? Je lui avais répondu : raconte-moi cela. Il
avait dit [alors] : Nous sommes allés, moi, al-Aḥwaṣ et Nuṣayb chez ‘Umar b. ‘Abd
al-‘Azīz, que Dieu lui soit miséricordieux. Chacun de nous signalait un antécédent avec
lui et son amitié pour lui et nous ne doutions point qu’il allait nous associer à son
califat. Lorsque nous avons aperçu les montagnes de Ḫunāṣira, nous avons rencontré
Maslama b. ‘Abd al-Malik (qui revenait de chez lui), il était à cette époque-là l’homme le
plus brave et le plus généreux parmi les Arabes [fatā al-‘Arab]. Nous l’avons salué et il a
fait de même, puis il a dit : Vous n’avez [donc] pas appris que votre Imām n’accepte pas
la poésie ? Nous avons répondu : Nous ne le savions pas avant de te rencontrer. Notre
accablement lui a appris que nous disions vrai. Il a dit [alors] : Si le religieux des
Marwanides gouverne et que vous craignez qu’il vous prive [de dons], celui qui parmi
eux a les biens de ce monde est là ! Et vous trouverez chez moi ce que vous désirez ; je
ne tarderai pas à vous revenir et à vous offrir ce dont vous êtes dignes. Lorsqu’il est
revenu, nous nous sommes installés chez lui. Que sa demeure était généreuse ! Et il n’y
avait pas meilleur hôte que lui. Nous sommes restés quatre mois chez lui, il sollicitait
une audience pour nous, lui et d’autres, [mais] elle ne nous a pas été accordée. Jusqu’à
ce que je dise un vendredi : Si je m’approchais de ‘Umar, que j’écoutais ses propos et les
apprenais par cœur, je m’en ferais une opinion. J’ai mis cette idée à exécution et ce que
j’avais appris de ces paroles ce jour-là était : “Chaque voyage nécessite un viatique,
alors prenez la crainte de Dieu comme provision pour votre voyage d’ici-bas vers l’au-
delà, et soyez comme celui qui a vu de ses yeux ce que Dieu lui a préparé comme
récompense et comme punition, ainsi vous désirerez (l’une) et vous craindrez (l’autre).
Que le terme qui vous a été accordé ne soit pas long, ainsi vos cœurs ne durciront point
et vous n’obéirez pas à votre ennemi, dans maints propos.” Puis il dit : Dieu me
préserve de vous ordonner ce que je m’interdis, je perdrais alors au change et
apparaîtraient alors mon indigence et ma misère, en un jour où seules la vérité et la
sincérité seront utiles. Puis il a pleuré au point que nous croyions qu’il allait mourir. La
mosquée et ses alentours s’étaient agités de pleurs et de lamentations. Je me suis rendu
alors auprès de mes deux compagnons et je leur ai dit : Faites un genre de poésie
différent de celui qu’on déclamait pour ‘Umar et ses parents, car notre homme
s’intéresse à l’au-delà et non à la vie en ce bas monde.
201 Un vendredi Maslama avait obtenu pour nous la permission d’entrer [à la cour du
calife]. Il nous a reçus après avoir reçu le commun [des visiteurs]. Lorsque j’ai été admis
en sa présence, je l’ai salué, puis j’ai dit : Ô Commandeur des croyants, l’attente a été
longue et le bienfait a été rare et les délégations des Arabes ont colporté ta rudesse
envers nous. Il a dit alors : Ô Kuṯayyir, « les aumônes sont destinées : aux pauvres et aux
nécessiteux ; à ceux qui sont chargés de les recueillir et de les répartir, à ceux dont les
cœurs sont à rallier, au rachat des captifs ; à ceux qui sont chargés de dettes ; à la lutte
dans le chemin de Dieu et au voyageur 116 ». Es-tu dans l’une de ces catégories ? J’ai

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


171

répondu en riant : Je suis un voyageur en détresse. Il a dit : N’es-tu pas l’hôte d’Abū
Sa‘īd ? J’ai répondu : Si. Je ne pense pas, dit-il, que celui qui est son invité soit en
détresse. Je lui ai dit : Ô Commandeur des croyants, m’autorises-tu à déclamer [mon
poème] ?
202 - Oui, a-t-il répondu, et ne dis que la vérité.
203 Je récitais alors 117 :
204 1- Tu as dit la vérité claire, or c’est par la parole que s’exposent clairement les signes de la bonne
direction ;
205 2- Tu as fait apparaître la lumière de la vérité et sa lumière s’est intensifiée [éclairant] de la
resplendissante vérité toute confusion obscure ;
206 3- Tu as succédé dans ce en quoi tu es devenu le premier avant cela et tu t’es détourné de ce qui
était avant l’éminence de ta situation ;
207 4- Tu as pris les rênes du pouvoir, et tu n’as point insulté ‘Alī 118, tu n’as pas fait peur à
l’innocent et tu n’as pas accepté l’avis d’un criminel ;
208 5- Tu as confirmé la parole par l’acte dans ce que tu as entrepris, tout musulman est désormais
satisfait ;
209 6- Est-ce que l’outil en bois du redresseur de lances ne suffit pas à redresser la courbure
apparente du jeune homme, après qu’il s’est écarté de la ligne droite ?
210 7- La vie ici-bas s’habille comme la prostituée, elle te montre main et poignet ;
211 8- Elle lance parfois un regard furtif d’un œil languissant et sourit [en découvrant des dents]
pareilles à des perles en rang ;
212 9- Tu t’en es détourné, saisi de frayeur, le corps contracté, comme si elle t’avait fait boire du
poison et de la coloquinte ensemble délayés ;
213 10- Alors que tu occupais ses inaccessibles montagnes et ses mers remplies de vagues agitées ;
214 11- Tu as continué à aspirer ardemment [à atteindre] tout but qui t’a fait parvenir au plus haut
des sommets ;
215 12- Lorsque tu as reçu le pouvoir sans que tu ne l’aies demandé ; et celui qui désire le monde ici-
bas ne peut en demander plus ;
216 13- Tu as abandonné ce qui est périssable, combien même il était agréable ! Et tu as préféré ce
qui perdure avec un discernement résolu ;
217 14- Tu as nui à ce qui n’est pas éternel et tu as accru tes richesses pour ce qui t’attend en un jour
de misère noire ;
218 15- Un souci qui t’a fait perdre le sommeil est apparu dans ton cœur ; tu as atteint,
grâce à lui, les plus hauts sommets ;
219 16- Il n’y a pas entre l’est de la terre entière et l’ ouest, un Arabe ou un non-Arabe qui dénonce
220 17- En criant : Commandeur des croyants tu as été injuste envers moi en me dépouillant d’un
dinar, d’un dirham;
221 18- Ni que tu as porté la main sur un innocent, ni que tu as fait verser injustement son sang, ne
serait-ce que la valeur d’une saignée ;
222 19- Si les musulmans le pouvaient, ils se sépareraient de la moitié de leur vie pour toi, sans
regrets ;
223 20- Quel marché avantageux pour le contractant, puisses-tu en être grandi à jamais !

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


172

224 Il s’est approché de moi et m’a dit : Ô Kuṯayyir, tu seras comptable de ce que tu as dit.
Puis, al-Aḥwaṣ s’est avancé et il a demandé l’autorisation de déclamer [son poème] ;
[‘Umar] lui a dit : récite ta poésie, mais ne dis que ce qui est vrai. Al-Aḥwaṣ s’élança :
225 1- La poésie n’est qu’un discours fait par un compositeur qui dit une parole vraie ou mensongère
;
226 2- N’accepte donc que ce qui est conforme à l’agrément et ne nous renvoie pas comme des veuves
;
227 3- Nous avons vu que tu n’as dévié de la Vérité ni à droite ni à gauche, comme le fait le très
injuste, le perfide ;
228 4- Mais de toutes tes forces tu as suivi le droit chemin, marchant ainsi sur les traces des
Vertueux Premiers ;
229 5- Nous avons dit, sans mentir, ce que nous avons vu et qui donc peut réfuter la vérité de celui
qui dit vrai ;
230 6- Qui donc peut retenir la flèche d’un tireur inconnu, lorsqu’elle est décochée,
231 7- Sans ce à quoi nous avaient habitué des califes nobles et généreux qui étaient comme des lions
courageux ;
232 8- [Une chamelle] marchant comme une autruche, d’un amble aisé et rapide, n’aurait pas porté
ma selle un mois durant, traversant les sols durs et élevés des déserts, parmi les montures ;
233 9- Mais nous espérions être traités de vous, comme avant vos prédécesseurs nous avaient traités
;
234 10- Alors si la poésie ne trouve pas grâce à vos yeux, même si elle est [composée ] comme des
perles dans un collier ;
235 11- Il y a [entre nous] une parenté, une pure affection et l’héritage des pères qui avaient marché
l’épée à la main ;
236 12- Ils avaient éloigné de leurs demeures les ennemis de la paix et ils ont solidement établi le
pilier de la religion, alors qu’il penchait ;
237 13- Avant toi [le Prophète] n’a-t-il point donné à Ka‘b 119 un troupeau de cent grands chameaux
âgés de huit et neuf ans, pour la poésie ;
238 14- L’Envoyé de Dieu, dont la lumière éclaire, que le salut soit sur lui matin et soir ;
239 15- De tout ce que j’ai énuméré une part te suffit et le peu que tu donneras sera mieux que les
mers débordantes.
240 ‘Umar lui dit : Tu seras questionné à propos de ce que tu as dit. Nuṣayb s’était avancé et
avait demandé l’autorisation de déclamer son poème ; [le calife] avait refusé de
l’entendre et lui avait ordonné d’aller à Dābiq pour [participer] au ġazw [aux campagnes
d’incursions contre les Byzantins]. Et il ordonna que l’on me donne, ainsi qu’à al-Aḥwaṣ
trois cents dirhams et que l’on donne à Nuṣayb cent cinquante dirhams. » (p. 503–507).

Annexe VII
241 Poème de Kuṯayyir (version du dīwān éditée par Pérès)
َ
242 1 ْ ‫مـــعْ وَل َــ‬
-‫م‬ َ ‫ســ‬ ْ ‫ي ل َـ‬
ْ ‫م ت َــ‬ ْ ِ ‫ســــــل ِّــــــم ِ وَإ‬
َ ‫ن هِــــ‬ ِ ‫ج ب ِـــأط ْــــرا‬
َ َ‫ف الــــد ِّي َــــــاِر و‬ ْ ‫ع َــــِّر‬
َّ
ِ ‫ت َــت َـــك َـــلـــم‬

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


‫‪173‬‬

‫ح ‪243‬‬
‫رِيــــ ٍ‬
‫ن‬‫مـــ ْ‬ ‫مـــــَّر ِ‬ ‫مــا َ‬
‫ت ل ِــ َ‬ ‫ت آيـــات ُــهـا وَت َــــن َــك َّــر ْ‬ ‫مــــــ ْ‬ ‫قـــد ْ قَـــــد ُ َ‬ ‫‪ - 2‬فَـــ َ‬
‫مـــْره ِـــم ِ‬ ‫ف ُ‬ ‫وَأ َوْط َـــ َ‬
‫ف أع ْـــــظ َـــام ٍ‪244‬‬
‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫ن آي َــاتـِ هــا ب َـــعْــد َ أهْـــــل ِـــهَــا ب ِــأط ْـــرا ِ‬ ‫مــ ْ‬ ‫ت ِ‬ ‫مـــل ْــ ُ‬ ‫‪ - 3‬ت َــأ َّ‬
‫َ‬ ‫َ‬
‫ب أْزن ُـــــــــم ِ‬ ‫فَـــــأذ ْن َـــا ِ‬
‫َ‬
‫جــــوَاب ِي ب َـــعْـــــد َ ‪245‬‬ ‫س ال َ‬
‫ســــــهَـــــــا د ُُرو ُ‬ ‫ن د ُُرو َ‬ ‫ي آن َـــــاٍء َوك َـــــأ َّ‬ ‫حــــان ِــ َ‬ ‫مـــــ َ‬ ‫‪َ -4‬‬
‫جــــَّرم ِ‬ ‫مــــ َ‬ ‫ل ُ‬ ‫حـــوْ ٍ‬ ‫َ‬
‫ِّ‬ ‫ً‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫م ان ْــد َفَــــعْـــــ َ‬
‫ن ‪246‬‬ ‫ســـوان ِــي ُّـــهَـــا ث ُــــ َّ‬
‫ت َ‬ ‫مــــِع ُركـــب َـــ ْ‬ ‫ن الـد َّ ْ‬ ‫م َ‬
‫ف أع ْــد َادا ِ‬ ‫فـك ِ ُ‬ ‫‪ - 5‬ت ُكـ ْ‬
‫ُ‬ ‫َ‬
‫ســــلـــم ِ‬ ‫ب ِـأ ْ‬
‫َ‬ ‫ً َ‬
‫ل ‪247‬‬ ‫مـــا ب ِـــــِفــعْــ ِ‬ ‫ه فَـــــــي َـــت َّــــِقــــي وَأ َّ‬ ‫مـــــا اﻹلﹷـــــ َ‬ ‫‪ - 6‬ن َـــــُزوُر امﹿـــَرأ أ َّ‬
‫ْ‬
‫مـي‬ ‫ن فَـي َأت َــــ ِ‬ ‫حــيـ َ‬ ‫صــال ِــ ِ‬ ‫الــ َّ‬
‫ال ْـــ ُ‬
‫فـؤ َاد ِ ‪248‬‬ ‫ك ط َــاعَــا ِ‬
‫ت‬ ‫مـــــْرِء وَازِع ٌ وَفِـــي ت َـــْر ِ‬ ‫ســـﻼ َم ِ ل ِل ْـــ َ‬ ‫حــل ْــم ِ واﻹ ِ ْ‬ ‫‪ - 7‬وَفِـــي الـ ِ‬
‫مــت َـي َّـــــم ِ‬ ‫ال ـ ُ‬
‫َ‬
‫مـهَا ‪249‬‬ ‫عـــل ْـــ ُ‬ ‫ق ِ‬ ‫صـــد ْ ٍ‬ ‫خــــﻼ َقُ ِ‬ ‫ة وَأ ْ‬ ‫ســــت َــب ِــيــن َـ ٌ‬ ‫مــــ ْ‬ ‫فــــت َى ُ‬ ‫شــــدٍ ل ِـل ْــ َ‬ ‫صـائـِ ُر ُر ْ‬ ‫‪ - 8‬ب َــ َ‬
‫م‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ب ِالـــت َّــعَـــل ُ‬
‫ِ‬
‫رة َ ‪250‬‬‫َ‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ش‬ ‫َ‬ ‫ِ‬ ‫إ‬ ‫ل‬‫ْ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ب‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ق‬
‫ْ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ت‬
‫ْ َ‬ ‫م‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫َ‬ ‫ل‬‫َ‬ ‫و‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ي‬ ‫ر‬
‫ْ َ ِّ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ب‬ ‫ف‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫خ‬ ‫ـ‬‫ت‬ ‫م‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ل‬
‫ُ ْ َ ِ ّ َ ْ ُ ِ‬ ‫و‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ي‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ل‬ ‫ـ‬‫ع‬ ‫م‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ت‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ش‬‫ْ‬ ‫ـ‬ ‫ت‬ ‫م‬ ‫ـ‬‫َ‬
‫ت فَــ ْ َ‬‫ل‬ ‫‪ - 9‬وَل ِــيـ َ‬
‫جــــــرِم ِ‬ ‫مــــ ْ‬ ‫ُ‬
‫حــقِّ ‪251‬‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ق‬ ‫ر‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ب‬ ‫س‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ب‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ل‬ ‫ِّ‬
‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ُ‬ ‫ك‬ ‫ى‬ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ع‬ ‫ه‬ ‫ر‬ ‫و‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ن‬ ‫د‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ت‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ْ‬
‫ش‬ ‫ا‬ ‫ف‬ ‫ق‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ح‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ر‬‫و‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ن‬ ‫ت‬ ‫ر‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ه‬ ‫ـ‬‫ْ‬ ‫ظ‬ ‫َ‬ ‫أ‬ ‫و‬
‫َ‬ ‫ِ ِ‬ ‫ٍ‬ ‫ْ‬ ‫ُ ُ‬ ‫َ َّ ُ‬ ‫ِّ‬ ‫َ‬ ‫َ ْ َ ُ َ‬ ‫‪-‬‬ ‫‪10‬‬
‫ْ‬
‫مــظـل ِـــم ِ‬ ‫ُ‬
‫َ‬
‫ل ‪252‬‬ ‫مــا كـان َقــب ْــــ َ‬ ‫ت عَـــــ َّ‬ ‫ض َ‬ ‫ه وَأع ْــــَر ْ‬ ‫ت قَــــب ْــل َـ ُ‬ ‫م َ‬ ‫قــد َّ ْ‬ ‫ت فـيـما قــد تـ َ‬ ‫‪ - 11‬وَع َـــاقَــب ْـ َ‬
‫قـــد ُم ِ‬ ‫الت َّــ َ‬
‫ضــيا ً ك ُــــ ُّ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫ل ‪253‬‬ ‫مــــسى را ِ‬ ‫ت فَــأ ْ‬ ‫معَ الـذي أت َـــي ْـــ َ‬ ‫ل َ‬ ‫ق ـا َ‬ ‫مـ َ‬ ‫ل ال ـ ـ َ‬ ‫ت بالـــِفـعْـــ ِ‬ ‫صد َّقْــ َ‬ ‫‪ -12‬وَ َ‬
‫سل ِــــم ِ‬ ‫مـ ْ‬ ‫ُ‬
‫هـــد َى ‪254‬‬ ‫ت ال ـ ـ ـ ـ ـ ُ‬‫ن آي َــا ُ‬‫مــا ت َـــب َـــــي َّـــ ُ‬ ‫ن وإ ِن َّـــ َ‬ ‫مــب ِــــيـــ ِ‬ ‫حــقِّ ال ُ‬ ‫ت با ل ـ ـ ـ ـ َ‬ ‫مــ َ‬ ‫‪ - 13‬ت َـــك َـل َّـ ْ‬
‫ُّ‬
‫بالــت َّـــك َــلــــم ِ‬
‫ف ‪255‬‬
‫قـ ـ ـ ـ ا ُ‬ ‫ن اﻷ َوَد ِ الــــب َــــادِي ثـِ ـــ َ‬ ‫مـا ي َــك ْــفـي ال َ‬ ‫َ‬
‫مـــ َ‬ ‫فــت َـى ب َـعْــد َ َزي ْـــغِـــهِ ِ‬ ‫‪ - 14‬أﻻ إ ِن َّــ َ‬
‫وم ِ‬ ‫قــــ ِّ‬ ‫مــــ َ‬ ‫ال ُ‬
‫ف ‪256‬‬ ‫َ‬
‫ك الــد ُّن ْــــي َـا ب ِـكـ ٍّ‬ ‫َ‬
‫ك ثـِ ـيـاب َــها ت َــَراَءى لـــ َ‬ ‫ُ‬
‫س الـهَـلـو ِ‬ ‫ت لـــب ْــ َ‬ ‫ُ‬ ‫سـ ْ‬ ‫َ‬
‫‪ -15‬وَقَــد ْ لـب ِـــ َ‬
‫صـــم ِ‬ ‫مـــعْـ َ‬ ‫و ِ‬
‫ً‬ ‫َ‬
‫ن ‪257‬‬
‫مــا ِ‬‫جـ َ‬ ‫ل ال ـ ُ‬ ‫مــثـْ ـ ِ‬ ‫ن ِ‬‫م عَــ ْ‬ ‫سـ ُ‬ ‫ضــةٍ وَت َــب ْــــ ِ‬ ‫مـــرِيـــــ َ‬ ‫ن َ‬ ‫حــي َــــانا ب ِــعَــي ْــ ٍ‬ ‫ضأ ْ‬ ‫مــ ُ‬ ‫‪ - 16‬وَت ُـو ِ‬
‫َّ‬
‫مـن َـــظـ ِ‬
‫م‬ ‫ـ‬ ‫ال ُ‬
‫َ‬ ‫َ‬
‫مـام ٍ‪258‬‬ ‫ســ َ‬ ‫ن ِ‬ ‫مــــ ْ‬ ‫مــد ُوفـا ً ِ‬ ‫ك َ‬ ‫قـــت ْـ َ‬ ‫سـ َ‬‫مـــا َ‬ ‫مــئـِ ّزا ً كــأن َّـ َ‬ ‫شـ َ‬ ‫مـــ ْ‬ ‫ت عَــن ْــهَا ُ‬ ‫ضـ َ‬ ‫‪ - 17‬فَأع ْـــَر ْ‬
‫ق ــ م ِ‬ ‫وَع َـــل ْــ َ‬
‫َ‬
‫ج ‪259‬‬‫مـوْ ِ‬‫مْزب ِـدِ الــ َ‬ ‫حــرِهــا في ُ‬ ‫ن ب َـــ ْ‬ ‫مــ ْ‬ ‫مـن َّـٍع وَ ِ‬ ‫مــ َ‬ ‫جــب َــال ِـهَـا في ُ‬ ‫نأ ْ‬ ‫مـ ْ‬ ‫ت ِ‬ ‫‪ - 18‬وَقَــد ْ ك ُــن ْـ َ‬
‫فـعَم ِ‬ ‫مــ ْ‬ ‫ُ‬
‫َ‬
‫ت ب ِـــهَـا أع ْــــل َـى ‪260‬‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ْ‬ ‫غ‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ب‬ ‫ة‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫َ‬ ‫غ‬ ‫ِّ‬
‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ُ‬ ‫ك‬ ‫ى‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ل‬ ‫إ‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ق‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ت‬ ‫ت‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ْ‬ ‫ل‬ ‫ز‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫و‬
‫َ‬ ‫ٍ َ‬ ‫َ‬ ‫ِ‬ ‫َّ‬ ‫َ َ‬ ‫َ َ ِ‬ ‫‪-‬‬ ‫‪19‬‬
‫قـــد َّم ِ‬‫مــــ َ‬ ‫الــب ِـن َـاءِ ال ُ‬
‫َ‬
‫ن ‪261‬‬
‫مـــ ْ‬ ‫ن ل ِـط َـال ِــــ ِ‬
‫ب د ُن ْــــي َـــا ب َـــعْـــــد َه ُ ِ‬ ‫م ي َـك ُــ ْ‬‫فـوا ً ولـــ ْ‬ ‫ك عَـ ْ‬‫مــل ْـ ُ‬ ‫ك ال ـ ُ‬ ‫مـا أتا َ‬ ‫‪ - 20‬فَـل َــ َّ‬
‫ُّ‬
‫ت َــك َــلــم ِ‬
‫ب ‪262‬‬
‫ل َرِغـــيــ ٍ‬ ‫ن م ـ ـ ـ ـا ِ‬‫مــــ ْ‬ ‫ســـوَى اﻷلــهِ ِ‬ ‫مـانـِ ـعٌ ِ‬ ‫ة َ‬ ‫فــ َ‬‫خـل ِـــيـ َ‬‫ت ال ـ ـ َ‬‫ك إ ِذ ْ ك ُـن ْــ َ‬‫مـــا ل َـــ َ‬ ‫‪ - 21‬وَ َ‬
‫وَﻻ َ د َم ِ‬
‫ْ‬
‫ي ‪263‬‬
‫قى ب ِـــَرأ ٍ‬ ‫ت مــــا ي َــــب ْــ َ‬‫مونـِ ـقـا ً وَآثـَ ـــــْر َ‬‫ن ُ‬ ‫ن ك ـ ـ ـا َ‬‫فـن َى وَإ ِ ْ‬‫ت الـذي ي َـ ْ‬ ‫‪ - 22‬ت َـــَرك ْـ َ‬
‫مــم ِ‬ ‫صــــ ِّ‬ ‫مــ َ‬‫ُ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪174‬‬

‫مـــ َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬


‫ر ‪264‬‬ ‫ال ّ‬
‫شﹷــــ ِّ‬ ‫ن‬
‫مـــ َ‬ ‫ك فـــي ي َـــوْم ٍ ِ‬ ‫مـا َ‬ ‫ت لـ لـ ـ ذ ي أ َ‬ ‫مـــْر َ‬ ‫فـــانــي َوثـَ ـ َّ‬ ‫ت ب ـ ال ـ ـ َ‬ ‫ضـَرْر َ‬ ‫‪ - 23‬وَأ ْ‬
‫ْ‬
‫مــظــل ِـــم ِ‬ ‫ُ‬
‫َ‬
‫مـعَــال ِي ‪265‬‬ ‫ت ب ِـــهِ أع ْـــلـى الــ َ‬ ‫مــــؤَِّرقٌ ب َـــل َــغْـ َ‬ ‫فــــؤَادِ ُ‬ ‫م فـ ـ ي ا لـ ـ ُ‬ ‫ك هَـــ ٌّ‬ ‫مـــا ل َـــ َ‬ ‫ســ َ‬ ‫‪َ - 24‬‬
‫َّ‬
‫سـلـــم ِ‬ ‫ب ِـــ ُ‬
‫ِّ‬ ‫َ‬
‫ح ‪266‬‬ ‫صـيـــ ٍ‬ ‫ن فَـــ ِ‬ ‫مـــ ْ‬ ‫مــن َـــادٍ ي ُـن َـــادي ِ‬ ‫ب ك ُلهَـا ُ‬ ‫ض وَالغَـْر ِ‬ ‫ق اﻷْر ِ‬ ‫شـــْر ِ‬ ‫ن َ‬ ‫‪ - 25‬فَـما ب َــي ْــ َ‬
‫َ‬
‫جــم ِ‬ ‫وَأع ْـــ َ‬
‫َ‬
‫خــــــذ ِ ‪267‬‬ ‫خـــــذٍ ل ِـــدِيــــنــاٍر وَﻻ َ أ َ ْ‬ ‫ن ظ َــل َــ ْ‬
‫مـت َــن ِي ب ِـــأ ْ‬ ‫مـنـِ يـ َ‬ ‫مـؤْ ِ‬ ‫مـــيـَر الـــ ُ‬
‫ق ــ ـ و ُ َ‬
‫لأ ِ‬ ‫‪ - 26‬ي َــ ُ‬
‫د ِْرهَــــــم ِ‬
‫ء ‪268‬‬ ‫ل َ‬‫م ْ‬ ‫ً‬
‫ه ظال ِـما ِ‬ ‫َ‬ ‫مــن ْـــ ُ‬
‫ك ِ‬ ‫فـ ـ ـ ِ‬
‫ســـ ْ‬ ‫جــــرِم ٍ وَﻻ ال َّ‬ ‫ئ غَـي ْرِ ُ‬
‫مــ ْ‬ ‫مـرِ ٍ‬ ‫فﻻ ْ‬ ‫ط كــ ٍّ‬ ‫َ‬ ‫ســـ ِ‬ ‫‪ - 27‬وَﻻ َ ب َــــ ْ‬
‫جـم ِ‬ ‫حـ َ‬ ‫م ْ‬‫ِ‬
‫ر ‪269‬‬ ‫َ‬ ‫َ‬ ‫ْ‬ ‫َ‬
‫مـوا لـك ال َّ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫مــارِه ِـم غــي ْـ َ‬ ‫ن أع ْـ َ‬ ‫مـــ ْ‬ ‫شــطـَر ِ‬ ‫ســ ُ‬ ‫قـــ َّ‬ ‫ن تَ َ‬‫سل ِمو َ‬ ‫م ْ‬‫سـت َــط ِــيـعُ ال ُ‬ ‫‪ - 28‬وَلــوْ ي َـــ ْ‬
‫ن ُــــد َّم ِ‬
‫ف ‪270‬‬ ‫مــــــط ِــيـــ ٌ‬ ‫مــــغِــذ ٌ ُ‬
‫ب ُ‬ ‫ج للهِ َراك ِـــــ ٌ‬ ‫حــــ َّ‬ ‫مــا َ‬ ‫ت ب ِــهِ َ‬
‫شــــ َ‬ ‫‪ - 29‬فَـــــعِـــــ ْ‬
‫مــــَزم ِ‬
‫قـــام ِ وََز ْ‬‫مـــ َ‬ ‫ب ِالــــ َ‬
‫َ‬ ‫َ‬ ‫َ‬
‫م ‪271‬‬
‫م ب ِـــهَــــا أع ْـــظ ِـــــ ْ‬
‫مـب َـــــاي ِــٍع وَأع ْـــظ ِـــ ْ‬
‫ة لِ ُ‬
‫قــــ ٍ‬‫ف ــ ـ ـ َ‬
‫صــ ْ‬
‫ن َ‬ ‫مــــ ْ‬ ‫‪ - 30‬فَــأْرب ِــ ْ‬
‫ح ب ِـــهَـا ِ‬
‫ثـُ ـ َ‬
‫م أع ْــــظ ِــــم ِ‬ ‫َّ‬
‫‪272‬‬ ‫‪N. B. : Les vers 1 à 8 et les vers 21 et 29 (en caractères gras) sont ceux qui sont en plus‬‬
‫‪dans la version du dīwān. Pour l’ordre des vers voir notre tableau infra.‬‬
‫‪273‬‬ ‫‪Il n’y a pas de variantes dans les vers communs aux deux versions.‬‬

‫‪Tableau de concordance des vers des deux versions du poème de Kuṯayyir‬‬

‫‪La version du dīwān La version d’Ibn Qutayba‬‬

‫‪V. 1‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 2‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 3‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 4‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 5‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 6‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 7‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 8‬‬ ‫‪ø‬‬

‫‪V. 9‬‬ ‫‪V. 4‬‬

‫‪V. 10‬‬ ‫‪V. 2‬‬

‫‪V. 11‬‬ ‫‪V. 3‬‬

‫‪V. 12‬‬ ‫‪V. 5‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


175

V. 13 V. 1

V. 14 V. 6

V. 15 V. 7

V. 16 V. 8

V. 17 V. 9

V. 18 V. 10

V. 19 V. 11

V. 20 V. 12

V. 21 ø

V. 22 V. 13

V. 23 V. 14

V. 24 V. 15

V. 25 V. 16

V. 26 V. 17

V. 27 V. 18

V. 28 V. 19

V. 29 ø

V. 30 V. 20

274 N. B. : Le symbole ø indique l’absence du vers dans la version d’Ibn Qutayba.

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177

NOTES
1. IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ , éd. Dār al-Ma‘ārif, Le Caire, 1966 (2 tomes).
2. Nous connaissons mieux aujourd’hui « la condition de poète » à l’époque abbasside,
notamment grâce au travail de J. E. Bencheikh. Cf. J. E. BENCHEIKH, Poétique arabe,précédée de Essai
sur un discours critique, éd. Gallimard, 1989, plus particulièrement le chapitre II, « Le poète dans la
cité », p. 19 à 43. Des études similaires sur les époques qui précèdent restent à faire.
3. IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit. La notice consacrée par l’auteur à Kuṯayyir figure au
tome I, p. 503–517. Le lecteur trouvera les notices relatives à al-Aḥwaṣ et Nuṣayb respectivement
aux pages 518–521 et 410-412.
4. R. BLACHÈRE, Histoire de la littérature arabe des origines au XV° siècle, éd. Librairie d’Amérique et
d’Orient Adrien Maisonneuve, Paris, 1966, vol. III, p. 668, note 3. Toutefois, le savant français
semble quand même valider l’anecdote, du moins en ce qui concerne Kuṯayyir. En effet, il écrit (p.
611) : « [...] sous le règne de Walîd 1er et de Sulaymân, son activité comme poète officiel ne nous
est pas attestée ; toutefois sous ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, on assiste à une tentative d’ailleurs
malheureuse pour reprendre sa place auprès du souverain [...] ». Pour illustrer son propos, R.
Blachère cite les pièces 124 et 125 du dīwān (édition Pérès). Ses deux pièces figurent
respectivement dans les pages 120–127 et 127-129. La seconde pièce est un riṯā’ (un thrène) de
deux vers (et effectivement il n’est plus question pour le poète de reprendre sa place auprès du
souverain). Le premier poème est celui-là même qui est cité par Ibn Qutayba dans la notice qu’il
consacre au poète. La seule différence est que dans la version d’Ibn Qutayba le poème comporte
20 vers, alors que dans la version que nous trouvons dans le dīwān il en compte 30. De plus, pour
introduire cette pièce, l’éditeur du recueil reprend le ḫabar que nous trouvons dans al-Ši‘r wa l-
šu‘arā’ et cite nommément cet ouvrage comme source (cf. p. 118–120 et note 4, p. 118). Kuṯayyir
‘Azza, Dīwān, accompagné d’un commentaire arabe, éd. Jules Carbonel (Alger) et Paul Geuthner
(Paris), 1930 (2 volumes).
Enfin, sur les relations entre Kuṯayyir et les deux autres poètes cités, R. Blachère note (p. 615) :
« [...] ce que nous savons sur ses rapports avec NUṢAYB ou AL-’AḤWAṢ est fantaisie dans le détail
et l’ «accessoire», mais valable quant à l’évocation du milieu.» R. BLACHÈRE, Histoire de la littérature
arabe, op. cit., p. 615.
5. Ibid., p. 627, vol. III. Cette assertion de Blachère est confirmée par un passage de Ansāb al-Ašrāf
d’al-Balāḏurī, dans lequel cet auteur affirme que ‘Umar II n’autorisa pas al-Aḥwaṣ à revenir à
Médine de son exil. Cf. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, éd. Dār al-Yaqaẓa l-‘arabiyya, Damas, 2000, vol.
VII, p. 128-129.
6. D’ailleurs, Blachère va dépeindre cette ambiance il écrit à ce propos :
« Dans le monde de Médine et de la Mekke la vieille hostilité des contemporains du Calife ‘Umar
se maintient à l’égard de cette survivance du Paganisme que représente le Poète et son art ; [...]. »
Ibid., p. 666.
7. La date de sa mort n’est pas certaine. Dans son Mu‘ǧam al-šu‘arā’ al-muḫaḍramīn wa l-Umawiyyīn,
Dār Ṣādir, Beyrouth, 1989, p. 141, ‘Azīza Fawwāl BĀBTĪ donne l’an 723 comme date de sa mort.
D’autre part , elle indique qu’outre ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, ce poète aurait également rendu visite
à Muṣ‘ab b. al-Zubayr en Iraq et il aurait fait son éloge [selon l’éditeur de al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ (cf.
infra note 8)il s’agirait plutôt d’un autre Dukayn !]. L’auteur nous apprend également qu’il aurait
fait une urǧūza (un poème composé sur le mètre raǧaz) consacrée à la description de son cheval.
Dans al-Mawsū‘a al-ši‘riyya, cédérom édité par al-Muǧamma‘ al-ṯaqāfī, Abu Dhabi, 3 e édition 1997–
2003. À l’entrée « Dukayn b. Sa‘īd al-Dārimī », les dates du décès sont : 109 de l’hégire et 727 de
l’ère chrétienne. Les auteurs précisent que ce poète était un familier de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz,
lorsque celui-ci était gouverneur de Médine.
8. Op. cit., p. 610–612. Signalons ici que l’éditeur précise que l’auteur confond dans sa notice deux
Dukayn, tous les deux des rāǧiz, Dukayn b. Raǧā’ al-Fuqaymī, qui est un poète muḫaḍram, il a

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connu la fin de la période umayyade et le début de la période abbaside, et Dukayn b. Sa‘īd al-
Dārimī al-Tamīmī qui est le personnage principal de cette notice. Op. cit., p. 610, note 1.
9. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 65–169. L’anecdote relative à Ǧarīr figure dans les
pages 69–70 et 74–76.
10. ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, éd. Dār al-Kitāb al-‘arabī,
Beyrouth, 1987, p.104 - 105.
11. Kitāb al-Aġānī, Dār Iḥyā’ al-turāṯ al-‘arabī, Beyrouth, 1963, 24 volumes + 1 volume (index).
12. Une biographie scientifique et critique de ce calife reste à faire. En effet, il serait grand temps
de proposer aux lecteurs autre chose que les reprises de récits hagiographiques où souvent les
faits avérés côtoient des histoires invraisemblables et d’un merveilleux dignes des Mille et une
nuits, voire y sont mêlés. Cf. à titre d’exemples, les pages 134, 145, 146 et 223 ou encore les pages
232 et 233 de Tārīḫ madīnat Dimašq, d’IBN ‘ASĀKIR, Dār al fikr, Beyrouth; 1996, tom 45.
13. C’est ce qu’affirme Wellhausen citant al-Ṭabarī, cf.J. WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya min
ẓuhūri l-islām ilā nihāyati l-dawla l-umawiyya, traduit de l’allemand par Muḥammad ‘Abd al-Hādī
Abū Rīdah, éd. Laǧnat al-ta’līf wa l-tarǧama wa l-našr, Le Caire, 1968, p. 259.
14. Une des rares évocations de son enfance par ‘Umar II lui-même indique qu’il se sentait
négligé, rejeté [muṭṭaraḥan] par son père qui lui préférait ses autres enfants. Ainsi, il aurait dit à
son fils ‘Abd al-Malik :
«. [...] ،‫ واذكر أن أباك كان عند أبيه ُمـط ّـرحا يفضل عليه الكبير ويؤثر عليه الصغير‬،[...]»
AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 85.
Ces propos sont confirmés par ceux tenus par sa mère lorsque, enfant, il sera blessé au front par
le coup de sabot d’une monture ; voici la scène et les propos qu’elle aurait tenus à son époux :
« La mère de ‘Umar ayant appris ce qui était arrivé à son fils a accouru entourée de ses servantes
et elle a dit : “Mon fils, ô ‘Abd al-‘Azīz ! On s’apitoie sur le petit et on honore le grand (elle faisait
allusion à deux de ses enfants qui n’étaient pas d’elle) ; quant au puîné on le néglige (dit-elle en
parlant de son fils). Tu n’as pas donné de nourrice à mon fils et regarde ce qui lui arrive !” ‘Abd
al-‘Azīz lui dit en riant : “ Doucement ! Par Dieu, s’il est celui des Umayyades qui est marqué
d’une cicatrice au front, il sera heureux !” » ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b.
‘Abd al-‘Azīz, op. cit., p. 15. C’est nous qui traduisons.
15. Wellhausen ne désigne-t-il pas‘Umar b.‘Abd al-‘Azīz par l’expression « qiddīs Banī Umayya » ?
Cf. J. Wellhausen, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya, op. cit., p. 351. Dans son ouvrage, La Syrie, précis
historique, éd. Imprimerie catholique, Beyrouth, 1920 (t. 1), p. 91, H. Lammens considère dans son
évocation de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz que ce calife était « [...] vénéré comme un saint par l’islam
[...] ».
16. Cf. AL-BALĀḎURĪ, op. cit., , p. 66 ; IBN ‘ASĀKIR, op. cit., p. 134 et 154–155 ; ‘Abd al-Raḥmān AL-

ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 11.


17. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 67. Lire également IBN ‘ASĀKIR, op. cit., p. 135-137.
18. Il s’agit de ‘Ubayd Allāh b. ‘Abd Allāh b. ‘Ataba (m. 716), une autre autorité médinoise dans les
sciences religieuses. Il fait partie des fuqahā’ al-Madīna al-sab‘a.
19. Cf. ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, op. cit., p. 31.
20. Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 68.
À propos de cette même période, P. M. COBB note dans l’Encyclopédie de l’Islam : « La plupart des
récits montrent ‘Umar comme un gouverneur équitable, conduisant souvent le pèlerinage, et
particulièrement respectueux envers des personnages pieux tel Sa‘īd b. al-Musayyab [...], bien
que d’autres décrivent le jeune ‘Umar comme attaché aux biens de cette terre et bon vivant. » Il
ajoute plus loin : « [...], il existe une foule d’éléments anecdotiques pour décrire ‘Umar II, en
particulier le ‘Umar II adolescent, comme un prince umayyade caractéristique de son temps,
amateur de faste et de luxe. Ces derniers récits cependant pourraient être un simple contretype

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de l’image de l’homme mûr, servant à élever encore l’image du calife vertueux. », art. « ‘Umar (II)
B. ‘Abd al-‘Azīz », E.I.2, t. X, Leyde, Brill, 2002, p. 886-887.
21. Le gouverneur de l’Iraq al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf al-Ṯaqafī (m. 714) est donné pour être à l’origine
de ce limogeage. Cf.à titre d’exemple, WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 243et AL-
BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, p. 69, qui écrit : « al-Madā’inī et d’autres ont dit : La plupart de
ceux qui avaient fui al-Ḥaǧǧāǧ s’étaient réfugiés auprès de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz. Al-Ḥaǧǧāǧ
écrivit alors à al-Walīd : ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz est devenu un asile pour les hypocrites irakiens ; il
n’y en a pas un d’entre eux qui fuit et qui ne trouve pas refuge chez lui. Et c’était là la raison du
limogeage de ‘Umar. » C’est nous qui traduisons.
L’antagonisme entre ces deux gouverneurs est souligné à plusieurs reprises dans les ouvrages que
nous avons consultés. De même, les auteurs citent à plusieurs reprises la réprobation et la
condamnation par ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz des procédés employés par al-Ḥaǧǧāǧ. Quand il sera
calife, ‘Umar II annulera un impôt levé en Iraq par al-Ḥaǧǧāǧ, parce qu’il le jugeait inéquitable,
cf.AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-Ašrāf, vol. VII, p. 80–81 et WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l- ‘arabiyya..., op. cit.,
p. 275–276, qui cite al-Balāḏurī.
22. Dans son ouvrage, Ḫāmis al-ḫulafā’, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (p. 74 et 79–80), ‘Abd al-Raḥmān AL-
ŠARQĀWĪ signale qu’al-Walīd avait fait de ‘Umar II un wazīr, mais qu’il ne lui donnait jamais la
parole. Les relations étaient très tendues entre les deux hommes et il est fait état de la colère du
calife contre ‘Umar II. L’auteur rapporte des propos de ce dernier dans lesquels il disait avoir
craint pour sa vie, notamment pour son indulgence envers des personnes qui avaient insulté le
calife et pour un kharijiteappartenant au groupe des Ḥarūriyya, qui, en présence du calife al-
Walīd, l’avait insulté ainsi que son père. [Pour le premier fait lire IBN ‘ASĀKIR, Tārīḫ madīnat Dimašq,
op. cit., p. 152 ; et pour la dernière anecdote voir Ansāb al-Ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 28.] Plus loin (p.
113) dans le même ouvrage, al-Šarqāwī décrit une scène où l’on voit al-Walīd tenter d’étrangler
‘Umar avec un turban, parce qu’il avait refusé de souscrire à sa décision de désigner son fils ‘Abd
al-‘Azīz b. al-Walīd comme successeur à la place de Sulaymān.
Ce n’est pas ainsi que Wellhausen juge la relation entre ces deux personnages. En effet, l’auteur
allemand, s’il est d’accord sur le fait que c’est sur l’insistance d’al-Ḥaǧǧāǧ que ‘Umar a été démis
de ses fonctions, n’affirme pas moins que, même limogé, ‘Umar n’avait pas pour autant perdu la
sympathie d’al-Walīd, notamment parce que l’ex-gouverneur était le frère de son épouse. Il a
donc continué à être honoré chez lui, et sa grande influence n’était pas moindre chez Sulaymān
(cf. Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 259).
23. Cf. Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 101.
Dans son ouvrage, La Syrie, précis historique, Lammens note (p. 89-90) à propos de Sulaymān : « Ce
prince voluptueux et gros mangeur, ‫نك َّاح اك َّال‬, devenu calife, tomba sous l’influence de Yazîd, fils
du général Mohallab. Il subit également l’ascendant de son pieux cousin ‘Omar, fils de ‘Abdal‘azîz
d’Égypte, ainsi que des théologiens musulmans, formant le cercle habituel de ‘Omar II. Il montra
encore plus de ferveur religieuse que son prédécesseur. » H. LAMMENS, La Syrie, op. cit., vol. I, p.
89-90.
24. Dans une anecdote nous apprenons que ‘Umar II avait sollicité les conseils de Ḥasan al-Baṣrī,
cf. AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’..., op. cit., p. 111. Dans une autre, nous le voyons demander conseil à
un rāhib (un moine chrétien) dans son monastère, Ibn ‘Asākir, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit., p.
209-210.
25. Wellhausen, procédant à une comparaison dans ce domaine entre différents califes, note que
« L’esprit religieux (islamique) était en constante progression dans la dynastie régnante, et ce
depuis Mu‘āwiya et ‘Abd al-Malik et jusqu ‘à al-Walīd et Sulaymān. ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz,
affirme-t-il, était dans ce domaine le chef de file des califes umayyades. Mais sa dévotion était
d’une toute autre nature que celle de ses prédécesseurs. Sa piété orientait ses actions dans les
affaires de l’État. Sulaymān était dévergondé et aimait les plaisirs, alors que ‘Umar était presque

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un ascète. Le pouvoir avait donné à Sulaymān les moyens illimités d’assouvir ses passions et il
constituait une lourde responsabilité pour ‘Umar. Ce dernier pensait au jugement de Dieu dans
tous ses agissements et il craignait constamment de manquer à ses devoirs envers Lui ».
WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 259–260. C’est nous qui traduisons.
Sur cette question, P. M. COBB écrit dans l’Encyclopédie de l’Islam : « de fait, il existe des indices qui
font penser que ‘Umar se voyait comme le Mahdī rédempteur et comme un rénovateur
(mudjaddid) de l’Islam, alors que la communauté approchait de la fin du premier siècle de l’Islam
[...]», loc. cit., p. 887.
26. Le lecteur qui désire en savoir plus ce personnage pourra consulter les très nombreux
ouvrages qui lui sont consacrés, dont ceux que nous citons dans ce travail.
27. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 71 : « Hišām b. ‘Ammār m’a rapporté : al-Walīd,
informé par Sa‘īd b. Wāqid, raconte : on demanda à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz : quel est le meilleur
ǧihād ? II répondit : le meilleur ǧihād est le ǧihād de l’homme contre ses penchants. » C’est nous
qui traduisons.
À cette conception du ǧihād, il faut ajouter le rescrit qu’il aurait envoyé à l’un de ses gouverneurs
qui lui demandait quelle sanction infliger à un apostat d’al-Kūfa : fais lui payer la capitation (al-
ǧizya) et laisse-le tranquille (ou libère-le). Une note en bas de page (la note 1) signale : « Il est noté
dans la marge du manuscrit d’Istanbul : C’est comme si la tradition du Prophète, que la
bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui, “celui qui change de religion, tuez-le”, n’était pas
parvenue à sa connaissance, que Dieu lui accorde sa miséricorde. Mais Dieu sait le mieux ce qui
est juste. » Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 130–131. C’est nous qui traduisons.
28. AL-ŠARQĀWĪ affirme que la levée du siège de Constantinople était l’un des trois premiers actes
accomplis par ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz lorsqu’il devint calife. Cf. Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 112.
Lammens semble penser la même chose. Il écrit : « Ennemi des guerres de conquête, il commença
par rappeler les débris de l’armée arabe, décimée sous les murs de Constantinople. » H. LAMMENS,
La Syrie, op. cit., p. 91.
Wellhausen pense le contraire ; il note dans son ouvrage (Tārīḫ al-dawla l- ‘arabiyya..., op. cit., p.
260–261) : « ‘Umar n’était pas très enclin aux guerres de conquête et il savait très bien qu’elles
n’étaient pas faites pour la cause de Dieu, mais pour le butin. Du reste, le fait que ce soit ‘Umar
qui ait fait revenir l’armée musulmane de Constantinople n’est pas avéré ; et il ne pouvait pas,
par principe, mettre fin au ǧihād contre l’empereur byzantin, mais il avait abandonné les avant-
postes et avait regroupé l’armée de l’incursion en deçà. [D’ailleurs], il aurait peut-être été content
de se retirer de la Transoxiane si l’islam n’avait pas été solidement implanté dans certaines de ses
villes. Cependant, et c’était là le moins qu’il pouvait se permettre, il avait empêché d’étendre les
frontières dans ce territoire. Toute son attention était tournée vers la politique intérieure [...]. »
C’est nous qui traduisons.
Cette idée est reprise quelques pages plus loin (p. 283) : « Quant à ‘Umar il détestait le ǧihād ;
contrairement à cela, il voulait que les peuples se convertissent à l’islam pacifiquement et, dans
ce cas-là, il ne leur demandait pas de payer de l’impôt foncier. » C’est nous qui traduisons.
Toutefois, le traducteur de son livre, comme pour récuser cette thèse, signale en
note que, sous le règne de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, les musulmans depuis leurs
bases espagnoles avaient conquis la ville de Narbonne et l’avaient fortifiée. Ibid.
note 2, p. 261.
Signalons enfin que l’auteur de l’article « ‘Umar II » dans l’E.I. 2 n’est pas du tout d’accord avec
cette vision des choses, il écrit en effet : « On l’a souvent décrit comme un calife pacifique, mais
ce fut très vraisemblablement le souci préoccupant d’un trésor califal en diminution qui lui dicta
sa position dans les affaires militaires. Ainsi, en 99/717, ‘Umar a-t-il effectivement ordonné aux
forces armées, engagées en face de Constantinople, de lever le siège, coûteux et probablement
infructueux, et de se replier sur la région de Malaṭya pour y établir la frontière avec les
Byzantins. » Loc. cit., p. 886.

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29. La question des impôts sous le règne de ‘Umar II a fait l’objet de grandes discussions. Lire à ce
sujet : WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 259-301 et A. GUESSOUS, « Le rescrit fiscal
de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz : une nouvelle appréciation », dans Der Islam, LXXIII, 1996, p. 282-293.
30. Cf. Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 275–276. L’auteur ajoute plus loin (p. 288) que ‘Umar
II ne s’était pas contenté d’exempter les mawlā (les musulmans d’origine étrangère) qui avaient
combattu avec les Arabes au Ḫurasān du ḫarāǧ (impôt foncier), mais il leur avait également
assigné des pensions et des fiefs.
Wellhausen écrit encore (p. 439) : « ‘ Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait essayé de mêler les sujets non
Arabes aux Arabes par le biais de l’islam et cela en mettant sur un pied d’égalité [les non Arabes]
nouvellement convertis à l’islam et les Arabes [musulmans] sur le plan politique et aussi en les
affranchissant de la capitation. Mais il paraît que ce principe n’a pas tardé à être frappé de nullité
sous les règnes de ses successeurs [...]. » C’est nous qui traduisons.
Enfin, AL-BALĀḎURĪ note à ce propos, dans Ansāb al-ašrāf, vol. VII, op. cit., p. 87 : « Al-Ḥusayn b. ‘Alī
b. al-Aswad al-‘Iǧlī, d’après Yaḥyā b. Ādam, d’après Fuḍayl b. ‘Iyyāḍ, m’a rapporté : ‘Umar b. ‘Abd
al-‘Azīz écrivit à ‘Addī b. Arṭāt : Ensuite, Dieu, gloire à Lui et qu’Il soit loué, n’a imposé la
capitation qu ‘à celui qui ne veut pas de l’islam par égarement et par mécompte. Alors examine
[les cas] de ceux parmi les non-musulmans qui sont auprès de toi, qui sont âgés et affaiblis et
dont les moyens de subsistance ont baissé et pourvois à leur nourriture [en puisant ] dans le
trésor des musulmans. Et sur ce, salut ! » C’est nous qui traduisons.
31. Ḥabīb Zayyāt, al-Diyārāt al-naṣrāniyya fī al-islām, Dār al-Mašriq, Beyrouth, 1999, 3 e édition, p. 42
:
«.[...] ‫[ ات ّهم الخليفة عمر بن عبد العزيز النصارى خاصة باضﻼل المسلمين واغرائهم بالشرب‬...]»

Il ajoute en citant Tārīḫ Miṣr wa wulātihā d’Abū ‘Umar Muḥammad b. Yūsuf b. Ya‘qūb al-Kindī :
« Le vin a été alors interdit, les ustensiles cassés et les tavernes fermées. » Ibid., p. 43.
32. Ibid., p. 43. Cette lettre figure notamment dans l’ouvrage d’Ibn ‘Abd al-Ḥakam, Sīrat ‘Umar b.
‘Abd al-‘Azīz (p. 102) que Zayyāt cite ici.
Les propos de l’auteur sont confirmés par Claude CAHEN dans son article « Dhimma » dans E.I. 2. Il
écrit au sujet de l’attitude de ‘Umar II vis-à-vis des non-musulmans: « c’est toutefois à ‘Umar b.
‘Abd al-‘Azīz que la tradition, avec sans doute une part de vérité, prête les premières décisions
discriminatoires à leur égard. » E.I.2 , tome II, p. 234-238.
33. Cf. Ansāb al-Ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 104. Lire également les pages 86, 99 et 134.
34. Ibid. p. 137-138.
35. Voici ce qu’écrit LAMMENS dans son ouvrage, La Syrie, précis historique, op. cit., p. 91 : « Ce fut un
prince austère, pénétré, semble-t-il, du sentiment de sa responsabilité. [...] Il essaya
consciencieusement, sans y réussir, de concilier les intérêts de l’État avec une perception plus
équitable de l’impôt, d’améliorer la situation des mawla ou musulmans d’origine étrangère,
traités en inférieurs par leurs coreligionnaires arabes. ‘Omar lutta contre cet ostracisme ; il visa à
élargir l’accès à l’islam. »
36. Il aurait renoncé ainsi aux revenus de Fadak, un village près de Médine qu’il avait reçu en
tant que calife. WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 287 :
« Le village de Fadak, près de Médine, était l’un des biens que Dieu avait livré entre les mains de
(restitué à) son Envoyé. Puis, il a été transféré après sa mort à celui qui était investi du
gouvernement des musulmans. Il était passé alors sous le pouvoir des califes qui lui avaient
succédé. Puis les Umayyades l’avaient confisqué et Mu‘āwiya l’avait attribué comme fief à
Marwān b. al-Ḥakam. Ensuite il est revenu, en dernier lieu à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz qui lui a rendu
son statut initial et l’a donné à la famille du Prophète, que le salut soit sur lui, les Alides. Et ainsi,
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait abrogé ce que Abū Bakr et ‘Umar avaient pratiqué. Cela veut dire qu’il
ne les suivait pas aveuglément. ‘Umar a également rendu à Ibrāhīm b. Muḥammad b. Ṭalḥa la
maison qu’on lui avait prise à La Mecque. » C’est nous qui traduisons.

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Lire la même anecdote dans AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 108–109 ; chez IBN

‘ASĀKIR, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit., p.178–179 ; et dans l’ouvrage de ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ,

Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 133–134.


Dans son Dictionnaire, Kazimirski note au sujet de Fadak: « village près de Khaïbar, dans le Hedjaz,
légué par Mahomet à sa fille Fatima et confisqué par Aboubakr », KAZIMIRSKI, Dictionnaire arabe-
français, Maisonneuve et Cie, éditeurs, Paris, 1860, vol. II, p. 556.
D’autre part, dans Ansāb al-ašrāf, AL-BALĀḎURĪ rapporte (vol. VII, p. 122) que, devenu calife, ‘Umar a
demandé à son épouse de choisir entre rendre aux caisses du trésor les bijoux que son père ‘Abd
al-Malik b. Marwān lui avait offerts lors de son mariage et le divorce.
À la page suivante (p. 123) l’auteur note : « Al-Madā’inī d’après Ismā‘īl al-Hamdānī d’après son
père : J’ai appris que lorsque ‘Umar avait accédé au califat, il avait inventorié ce qu’il possédait
comme esclaves des deux sexes, comme biens, habits, parfums et autre et il avait ordonné de les
vendre. On les avait vendus [pour] une somme qui s’élevait à vingt-trois mille dinars. ‘Umar avait
constitué avec cet argent une fondation pieuse. » C’est nous qui traduisons.
C’est ce même principe qui l’a incité à demander aux Umayyades de rendre aux caisses du trésor
les fortunes qu’ils ont accumulées indûment. Cf. AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 70
et 117-118.
37. Ibid., p. 117 : « Hišām b. ‘Ammār, citant Ibn Wāqid, m’a raconté : Ayant appris la mort de
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz l’empereur byzantin avait dit alors : Je ne m’étonne pas [du renoncement]
des moines et des hommes pieux pour lesquels les biens de ce monde sont inaccessibles, mais ce
qui m’étonne c’est celui qui renonce aux biens de ce monde alors qu’il les possède. » C’est nous
qui traduisons.
Le respect et l’admiration voués à ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz semblent avoir été suffisamment larges
pour englober les Abbassides, ennemis et successeurs des Umayyades. Une anecdote rapportée
par Wellhausen montre comment la vengeance abbasside n’avait pas épargné les morts parmi les
Umayyades et comment leurs tombes avaient été profanées, leurs corps, quand il en restait
quelque chose, étaient déterrés, suppliciés et brûlés ; seuls Mu‘āwiya b. Abī Sufyān et ‘Umar b.
‘Abd al-‘Azīz avaient échappé à cette violence post-mortem et à cette ultime humiliation.
‫ فنبشت قبور‬،‫» ومما له مغزاه أنه لم يفلت من العقاب موتى اﻷمويين أنفسهم‬
‫الخلفاء وغيرهم من بني أمية في دمشق ودابق والرصافة وفي قنسرين وغيرها من‬
‫ ومما‬.‫ إن كان قد بقي في قبورهم شيء منها‬،‫ وأحرقت جثتهم بالنار‬،‫اﻷماكن‬
.[...] ،‫سا بسوء‬ّ ‫يستلفت النظر أن عمر بن عبد العزيز ومعاوية بن أبي سفيان لم يم‬
»
WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 523.
38. Selon ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, juste après avoir été déclaré calife et avant même de prier
sur la dépouille de son prédécesseur , ‘Umar II aurait écrit à Ḥasan al-Baṣrī et à un autre homme
pieux nommé Muṭrif b. ‘Abd Allāh pour leur demander de le conseiller.Cf. Ḫāmis al-Ḫulafā’, op. cit.,
p. 111.
À propos des gouverneurs choisis par ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, du rôle des fuqahā’ et l’importance
des juges, lire WELLHAUSEN, Tārīḫ al-dawla l-‘arabiyya..., op. cit., p. 262–263.
39. .C’est nous qui traduisons. Cf.«‫[الشعر هــذا الناس أنسب َقــائـِ ـل‬...] » al-Aġānī, op. cit., vol. III,
p. 42.
Signalons que ce poète ne s’est pas converti à l’islam.
40. Il s’agit d’une courte pièce de six vers, cf.Nuṣayb b. Rabāḥ, Ši‘r Nuṣayb b. Rabāḥ, op. cit., p. 135.
Cf. également al- Aġānī, op. cit., vol. I, p. 345.
41. Satisfait par la contrition du poète, ‘Umar II l’interroge au sujet de sa requête.Nuṣayb lui
demande alors d’assigner une pension à ses filles. [Des filles, dit-il,] « [...] que j’ai éclaboussées de
ma couleur noire [lui dit-il], que je refuse de marier à des noirs et que les blancs ne demandent

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pas en mariage », et de lui donner de quoi couvrir les frais de son voyage. Le calife répond
favorablement à ces deux requêtes. Il lui donna les ornements de son épée(a‘ṭāhu ḥilyata sayfihi) et
deux tissus dont la valeur était de trente dirhams. Cf. al-Aġānī, op. cit., vol. I, p. 347.
42. Ce vers est le deuxième d’un poème érotique qui en compte 9. C’est nous qui traduisons.
:‫ على أنه الذي يقول‬،‫ نعم الرجل أبو عامر‬: ‫ فقال‬: ‫ذ ُك ِـر ابن أ ُذينة عند عمر بن عبد العزيز‬
« ‫ل َــهَــا ُزهْــــرٍ ت َــﻼ َقَــي ْــنا‬ َ
‫ب‬ ْ ‫» وَقَـــد ْ قَــال َــ‬
ٍ ‫ت ﻷت ْـــــرا‬
Cf. al-Aġānī, op. cit., vol. II, p. 239. La même anecdote est reprise au volume XVIII, p. 327. La
version citée ici est celle qui figure dans la dernière référence. Lire également, R. BLACHÈRE,
Histoire de la littérature arabe des origines au XVe siècle, op. cit., p. 626.
43. C’est un des poètes umayyades qui ont donné une large place au renoncement et à
l’ascétisme (zuhd) dans leur poésie. Une de ses plus célèbres pièces est une rā’iyya de 49 vers, qui
débute comme une missive et dans laquelle il donne des conseils à ‘Umar [al-basīṭ ] :
ُ
‫والحمد لله أّما بعد يا عم‬ ‫ن عنده السور‬
ْ ‫م‬ ْ َ ‫باسم الذي أن ْزِل‬
ِ ‫ت‬
Au nom de celui de chez qui les sourates sont descendues, et louange à Dieu ; ensuite ô ‘Umar,
C’est nous qui traduisons.
44. Cf. Al-Aġānī, op. cit., vol. VI, p. 57 :
: ‫ أوَ خيرا ً من شعري قال قال أعشى همدان‬: ‫ فقال‬،‫» أنشدني يا سابق شيئا من شعرك تذكرني به‬
«.‫ضل لحيته‬
َ ‫ فبكى عمر حتى أخ‬: ‫ قال‬.[...]
Pour ce poète, qui était cadi à al-Raqqa, lire également la très courte notice que lui consacre R.
BLACHÈRE dans son Histoire de la littérature arabe des origines au XV e siècle, op. cit., p. 514.
45. Comme le montrent clairement les nombreuses citations des pages 240 à 246 du tome 45 de
l’ouvrage d’IBN ASĀKIR, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit.
46. Op. cit., p. 548.
47. Dans son ouvrage Essai sur le don, formes et raisons de l’échange dans les sociétés archaïques, in
Sociologie et anthropologie, Quaridge/PUF, Paris, 1985, 9 e édition, p. 161, Marcel MAUSS définit
ainsi l’échange : « La prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les
cadeaux reçus ; mais elles suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une
part, obligation d’en recevoir, de l’autre. »
Pour montrer que les poètes eux-mêmes avaient conscience qu’en composant un panégyrique ils
initiaient un échange, voici deux exemples, extraits du recueil de Nuṣayb. Cf. Nuṣayb B. RABĀḤ, Ši‘r
Nuṣayb b. Rabāḥ (éd. Dāwud Sallūm), Maktabat al-Andalus, Bagdad, 1968, p. 122 [al-wāfir] :
‫ح‬
ْ َ ‫ك فــامـﹿد‬ َ ْ ‫ح عَــــل َي‬ ُ ‫ص المديـــ‬ َ ‫إذا اعتــا‬
َ
‫ن أمﹻــيــــَر‬َ ‫ي‬‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ؤ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ْ ‫د‬ ‫ﹻ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ج‬ َ ‫قــــاﻻ َت‬ َ ‫مﹷــ‬
ً ‫مــد َائ ِــــحا‬ َ َ َ َ
َ ‫ن‬
َ ‫َوضﹷـعﹿــــ‬ ‫ت‬
ُ ‫مـﻼ‬ َ ‫ص ي َعْـ‬ ُ ‫أت َـــت ْـــك ب ِــن َا قَـﻼئ ِــ‬
َ ‫مـــــــاﻻ‬ َ ‫ن‬ َ ْ ‫مـــل‬
َ ‫حـ‬َ ‫و‬
S’il t’est difficile de composer un panégyrique, alors loue le Commandeur de croyants [et] tu
trouveras à dire.
De jeunes et excellentes chamelles nous amènent à toi, elles déposent des madīḥ-s et remportent
des biens.
C’est nous qui traduisons.
À la version du Dīwān dans laquelle figure « ‫بها‬ ‫» أتتك‬, nous avons préféré celle d’al-Ši‘r wa l-
šu‘arā’ (op. cit., p. 411) qui donne « ‫» أتتك بنا‬. Le « ‫ » ها‬dans la première version ne se rapporte à
rien.
Dans un autre panégyrique (cinq vers) dédié à ‘Abd al-‘Azīz b. Marwān, Nuṣayb dit [al-mutaqārib]
:
ِّ ‫ب ِـــــك ُـــــ‬
‫ل‬ ‫ك الــعَـط َــــــــاُء َومـــنـــَّ ا الـــث َّــــــن َـــــــاُء‬ َ ‫مـن ْــ‬ ِ ‫» فَـ‬
«‫ســــــائ ِــــــــــــــَره‬ ‫ة‬
َ ٍ َ‫ر‬ ‫ـ‬‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬َّ ‫ب‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ح‬َ ‫مـــــ‬
‫ـ‬ ُ
De toi le don et de moi le bel éloge qui se répand
Ou bien : Donne et je te ferai un bel éloge qui se répandra

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Cf. Nuṣayb B. RABĀḤ, Ši‘r Nuṣayb b. Rabāḥ, op. cit., p. 80.


48. Sur cette question, lire l’ouvrage de Robert C. McKinney, The case of Rhyme versus Reason : Ibn
al-Rūmī and his Poetics in Context, Brill, Leiden-Boston, 2004. L’auteur y étudie notamment la
relation poéte/mécène à travers le cas du panégyriste Ibn al-Rūmī (m. 283/896), en exploitant,
entre autres, les travaux de M. Mauss, T. H. Gaster, B. Gruendler et S. Stetkevych. Pour la période
umayyade, voir notre travail, Un aspect de la poésie d’al-Aḫṭal : le panégyrique, thèse de doctorat
inédite, soutenue en 2001 à l’université de Provence, Aix-Marseille I.
49. Voici à titre d’exemple ce qu’écrit Blachère à propos de Yazīd I er qui fut calife de 680 à 683 :
« [...] Yazîd a pu faire scandale par sa conduite, ses mœurs, ses brutalités politiques ; dans le
monde des poètes, son rôle nous paraît éminent ; le premier, il a introduit en Syrie le spectacle
d’une cour princière où les poètes sont un élément sinon permanent du moins influent. ». R.
BLACHÈRE, Histoire de la littérature arabe, op. cit., p. 546.
50. ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz connaissait bien al-Farazdaq. Le poète a eu affaire à lui lorsqu’il était
gouverneur de Médine. Voici le texte arabe tel qu’on peut le lire dans Ansāb al-ašrāf, avec sa chute
inattendue et pour le moins scabreuse, AL-BALĀḎURĪ, Ansāb al-ašrāf, op. cit., vol. VII, p. 143 :
‫ي صـل ّى‬
ّ ‫ وكان عمر بن عبد العزيز أمر أن ي ُـخرج الفرزدق من مسجد النب‬: ‫» قالوا‬
: ‫ فقال فيه الشاعر‬،‫الله عليه وسلم بالمدينة وذلك أنه كان ينشد فيه الهجاء ويتبذئ‬
[‫]من المتقارب‬
‫ومثلـك يـنفى عـن المسجد‬ ‫نفاك اﻷغُّر بن عبد العـزيز‬
‫ نفاها اﻷغر ابن عبد‬: ‫ ما فعلت عمتنا ؟ فقال‬: ‫ فقال له‬،‫فلقي الفرزدق مخنثا‬
«.‫العزيز‬
« On dit que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait ordonné d’expulser al-Farazdaq de la mosquée du
Prophète, que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui, car le poète y déclamait des satires
et s’y conduisait d’une manière inconvenante. Al-Farazdaq a composé un vers à ce propos [al-
mutaqārib] :
L’illustre Ibn ‘Abd al-‘Azīz t’a expulsé, or tes semblables [doivent être] expulsés de la mosquée.
Il rencontra un efféminé qui lui demanda : Qu’a-t-elle fait notre tante ? Le poète lui répondit :
L’illustre Ibn ‘Abd al-‘Azīz l’a expulsée. » C’est nous qui traduisons.
Signalons qu’Ibn Qutayba affirme que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avait banni al-Farazdaq de Médine :
« .‫» وقد كان عُمر بن عبد العزيز رحمه ]الله[ حين بلغه فجور الفرزدق نفاه عن المدينة‬
IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit., p. 490.

51. ‘Abd al-Raḥmān AL-ŠARQĀWĪ, Ḫāmis al-ḫulafā’, op. cit., p. 104–105. Le lecteur trouvera le texte
arabe dans l’annexe I.
52. Son animosité avérée envers al-Ḥaǧǧāǧ a dû être pour quelque chose dans son attitude.
53. Comme nous le signalons dans la note 7, la notice consacrée à ce poète par la Mawsū‘a al-
ši‘riyya va jusqu’à affirmer qu’il était l’un des familiers de ‘Umar lorsqu’il était gouverneur de
Médine :
«.[...] ،‫» كان من جلساء عمر بن عبد العزيز عندما كان واليا على المدينة أيام الوليد بن عبد الملك‬
Al-Mawsū‘a al-ši‘riyya, cédérom édité par al-Muǧamma‘ al-ṯaqāfī, Abu Dhabi, 3e édition, 1997-2003.
54. Cf. la notice consacrée par IBN QUTAYBA à Dukayn (p. 610–612), op. cit. Le lecteur trouvera le
texte arabe dans l’annexe II de ce travail.
55. L’anecdote joue ici également sur le contraste qu’il y a entre les convictions religieuses des
deux personnages. En effet, le fait de ne pas se contenter du témoignage divin que lui propose le
gouverneur ‘Umar semble indiquer que les convictions du poète en matière de religion ne sont
pas des plus solides.
56. Muḥammad b. Ḥabīb qui a glosé le le dīwān de Ǧarīr, affirme p. 752 :
.[...Ǧarīr ne sollicitait que les califes] ,«.[...] ‫»كان جرير ﻻ يسأل إﻻ ّ الخلفاء و‬
Cette assertion ne doit pas être prise pour argent comptant ; ne serait-ce que parce que nous
savons que Ǧarīr composait aussi des panégyriques à la gloire des gouverneurs.

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D’autre part, signalons que sur ordre d’al-Walīd, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz qui était gouverneur de
Médine pour ce calife fit appliquer une punition physique à Ǧarīr et ‘Umar b. Laǧa’ (m. vers 724)
parce qu’ils s’étaient lancés dans une joute satirique. « [...] fa-ḍaraba ‘Umara mi’a, wa ḍaraba Ǧarīran
ḫamsīn [...]. » « [...] alors il fit frapper ‘Umar cent [coups] et Ǧarīr cinquante [...]. »
ǦARĪR, Dīwān Ǧarīr, éd. Nu‘mān Muḥammad Ṭaha, Dār al-Ma‘ārif, Le Caire, 1969, p. 333.
57. Le lecteur trouvera dans l’annexe III le texte original in extenso.
58. L’auteur d’al-Aġānī note dans son ouvrage que, lorsqu’il devint calife, ‘Umar II approcha de
lui Zayd b. Aslam (un faqīh médinois mort en 754) et traita durement al-Aḥwaṣ. Cf. al-Aġānī, op.
cit., vol. IV, p. 246 à 248.
59. Dans al-Aġānī cette anecdote (qui comporte quelques variantes) est rapportée par l’un des fils
de ‘Umar II, (‘Abd al-‘Azīz b. ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz). AL-IṢFAHĀNĪ, Kitāb al-Aġānī, op. cit., vol. VIII, p.
47-48.
60. Il s’agit des Mekkois émigrés à Médine à la suite du Prophète.
61. Ce terme désigne les Médinois qui ont accueilli et soutenu le Prophète.
62. Cette métonymie désigne ici le Coran.
63. Dans al-‘Iqd al-farīd, IBN ‘ABD RABBIH consacre lui aussi deux anecdotes à la rencontre entre
Ǧarīr et ‘Umar II (l’anecdote n° 36, p. 202 et l’anecdote n° 39, p. 207-208). Les deux ouvrages, à
quelques très légères différences près, relatent les mêmes faits, mais la seconde anecdote dans la
version d’ Ibn ‘Abd Rabbih se présente sous la forme d’un long texte qui fleure bon la forgerie. En
effet, on y voit ‘Addī b. Arṭāh intercéder auprès de ‘Umar pour un aréopage de poètes qui étaient
à sa porte ; à l’évocation de chaque nom, le calife cite un passage (de 1 à 4 vers) du poète
concerné et refuse de le recevoir pour le contenu de l’extrait mentionné. Voici la liste de ces
poètes :
‘Umar b. Abī Rabī‘a (p. 206), Ǧamīl b. Ma‘mar al-‘Uḏrī (p. 206), Kuṯayyir (p. 206), al-Aḥwaṣ al-
Anṣārī (p. 207), al-Farazdaq (p. 207), al-Aḫṭal (p. 207) et Ǧarīr (p. 207–208). Or non seulement al-
Aḥwaṣ est donné comme faisant partie des poètes présents, mais il était impossible à trois autres
des poètes cités ici de se trouver à la porte de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, qui était calife de 717 à 720,
pour la bonne et simple raison qu’ils étaient déjà morts ! Il s’agit de Ǧamīl b. Ma‘mar (m. 701), al-
Aḫṭal (m. 710) et ‘Umar b. Abī Rabī‘a (m. 712). D’autre part, nous trouvons étonnant que le calife
connaisse si bien la production de ces poètes et qu’il ignore le panégyrique du Prophète composé
par ‘Abbās b. Mirdās.
Si l’on met de côté les maladresses et les erreurs pour nous intéresser à l’idée que cherche à
mettre en exergue l’auteur de cette anecdote, on constate que c’est le caractère libertin et léger
de leur poésie qui motive le fait que ‘Umar II demande à ‘Addī b. Arṭāt de les chasser de chez lui ;
c’est donc l’ambiance puritaine de l’époque que ce texte met en relief. Al-Farazdaq, quant à lui,
est rejeté pour avoir tiré gloire de sa pratique de la fornication et al-Aḫṭal pour quatre vers dans
lesquels il dit son refus d’embrasser l’islam tout en se moquant de ses préceptes (des vers, soit dit
en passant, qui ont été déclamés par ce dernier devant le calife ‘Abd al-Malik qui n’a rien trouvé à
y redire ; cf. AL-AḪṬAL, Ši‘r al-Aḫṭal, éd. al-Maṭba‘a al-kāṯūlīkiyya li-al-ābā’ al-yasū‘iyyīn, Beyrouth,
1891, p. 154). Seul Ǧarīr trouvera grâce à ses yeux : « fa-in kāna lā budda fa- hāḏā [...] » ; (s’il le faut,
alors ce sera celui-là [...]) et il autorisa le seul poète tamimite à se présenter devant lui. IBN ‘ABD
RABBIH AL-ANDALUSĪ, al-‘Iqd al-farīd, édité par Maḥmūd Afandī Šākir, Le Caire, 1913, p. 205-208,
(tome I).
L’anecdote relative à Ǧarīr est reprise par al-Šarqāwī dans son Ḫāmis..., op. cit., p. 208-209.
64. L’inaccessibilité ou le refus de recevoir sont un refus de l’échange. M. MAUSS, écrit (op. cit., p.
162–163) :
« Refuser de donner, négliger d’inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre,
c’est refuser l’alliance et la communion. Ensuite, on donne parce qu’on y est forcé, parce que le
donataire a une sorte de droit de propriété sur tout ce qui appartient au donateur. »

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65. La version que nous trouvons dans al-‘Iqd al-farīd est sensiblement différente. Dans ce texte :
a- ‘Umar reçoit Ǧarīr sans l’intercession de ‘Awn.
b- Lorsqu’il le reçoit, le calife dit au poète son total désintérêt pour la poésie parce que ses autres
occupations ne lui laissent guère le loisir de s’y intéresser [mālī wa li-š-ši‘r yā Ǧarīr innī la-fī šuġl in
‘anh].
c- Ǧarīr dit au calife qu’il est le porteur d’un message des habitants d’al-Ḥiǧāz. Acceptation du
calife, il se dit disposé à écouter le message dont le poète est le porteur.
d- Le poète déclame un quatrain de la même teneur que le tercet que nous avons traduit supra et
l’histoire s’arrête là.
Cf. IBN ‘ABD RABBIH AL-ANDALUSĪ, al-‘Iqd al-farīd, op. cit., p. 202 (tome I). Le lecteur trouvera le texte et
les quatre vers cités par l’auteur dans l’annexe III de cet article.
66. Le calife avait, paraît-il, l’habitude de réunir chaque soir les fuqahā’ chez lui pour évoquer la
mort, la fin dernière et la résurrection, et ils pleuraient comme s’il y avait un mort dans leur
assemblée. Cf. le tome 45 de l’ouvrage d’IBN ‘ASĀKIR, Tārīḫ madīnat Dimašq, op. cit., p. 239 :
‫ ثم‬،‫[«كان عمر بن عبد العزيز يجمع كل ليلة الفقهاء فيتذاكرون الموت والقيامة وذكر اﻵخرة‬...]
.»‫يبكون حتى كأن بين أيديهم جنازة‬
67. Deux anecdotes montrent bien sa parfaite connaissance de toutes les traditions liées à la
poésie et particulièrement au panégyrique. Voici la première telle que la rapporte al-Iṣfahānī :
« Al-Farazdaq vint à Médine en une année particulièrement stérile (muǧdib, ḥaṣṣā’). Une
délégation se rendit alors chez le gouverneur ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz et lui demanda de faire un
don au poète en lui enjoignant de s’abstenir de louer et de satiriser les habitants de Médine ;
parce qu’aucun d’eux ne pouvait récompenser le poète, cette année-là, si celui-ci faisait son
panégyrique. ‘Umar accéda à leur requête. Il envoya au poète le message suivant : Ô Farazdaq, tu
es venu dans notre ville en cette année de disette et les gens n’ont rien à offrir à un poète, je te
donne quatre mille dirhams, prends-les et ne fais le madīḥ ni le hiǧā’ de personne. »
‫ وقد‬،ً ‫ وليس عند أحج ما يعطيه شاعرا‬،‫« إنك يا فرزدق قدمت مدينتنا هذه في هذه السنة الجدبة‬
».[...] ،‫ض ﻷحد بمدح وﻻ هجاء‬ْ ‫ر‬ٍ ‫ وﻻ تع‬،‫أمرت لك بأربعة آﻻف درهم ؛ فخذها‬
Le poète prit la somme, mais il ne tint pas compte de la recommandation de ‘Umar pour autant. Il
fit, en effet, le panégyrique du Médinois ‘Abd Allāh b. ‘Uṯmān qui lui offrit deux robes de soie
qu’il avait sur lui, ainsi que son turban et dix mille dirhams. Ayant appris cela, ‘Umar b. ‘Abd
al-‘Azīz donna trois jours au poète pour quitter Médine. Cf. al-Aġānī, vol. XXI, p. 401-402 .
Dans la seconde, il fait un don à al-Aḥwaṣ pour qu’il ne satirise pas son frère Abū Bakr b. ‘Abd
al-‘Azīz b. Marwān. Al-Aḥwaṣ vint voir Abū Bakr b. ‘Abd al-‘Azīz b. Marwān, qui était de passage à
Médine à l’occasion du pèlerinage, et lui demanda de l’emmener avec lui à Damas. Le frère de
‘Umar accepta. À la sortie du poète, l’entourage d’Abū Bakr le dissuada de se montrer dans la
capitale en compagnie d’un personnage à la réputation aussi sulfureuse. Au retour d’ Abū Bakr du
pèlerinage, al-Aḥwaṣ lui rendit visite, prêt pour le voyage. Celui-ci lui expliqua qu’il ne pouvait
pas arriver inopinément en sa compagnie chez le calife, sans son autorisation préalable, qu’il
craignait que le poète fût mal reçu et que les ennemis d’Abū Bakr parmi les siens se réjouissent
de son malheur. Il lui offrit des vêtements et cent dinars et lui promit d’intercéder auprès du
calife pour qu’il le reçût et de lui écrire pour le faire venir dès que celui-ci accepterait de le
recevoir. Ayant compris les raisons de son revirement, al-Aḥwaṣ refusa les cadeaux offerts par
Abū Bakr et s’en alla. Mis au courant de cette histoire, ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz, qui était alors
gouverneur de Médine, fit venir al-Aḥwaṣ, lui offrit cent dinars et des habits ; le poète les
accepta. Puis ‘Umar lui demanda : Ô mon frère, fais-moi don de l’honneur d’ Abū Bakr. Al-Aḥwaṣ
lui répondit : Il est à toi.
».[...] ،‫ هو لك‬: ‫ قال‬،‫عــْرض أبي بكر‬
ِ ‫ب لي‬
ْ َ‫ يا أخي ه‬: ‫ ثم قال له‬،[...]«
Cf. al-Aġānī, op. cit., vol. XXI, p. 97–98.
68. Ibn Qutayba écrit dans al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ : « Quand le poète a constaté qu’il s’est assuré
l’attention et la bienveillance de l’auditoire, il passe à l’affirmation de ses droits; il monte en

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selle dans son poème, il se plaint de ses fatigues et de ses veilles, des marches de nuit, de la
chaleur des midis, de la lassitude de sa chamelle et de son chameau.
Quand il sent qu’il a bien affirmé, devant le personnage auquel il s’adresse, son droit d’espérer
et de trouver satisfaction à ses désirs, et qu’il a bien convaincu des maux qu’il a soufferts durant
son voyage, il entame “l’éloge” (madīḥ). Il l’incite à les lui compenser et à se montrer généreux. Il
l’élève au-dessus de ses pairs et les rabaisse devant sa grandeur. » Ibn QUTAYBA, Introduction au
livre de la poésie et des poètes, texte arabe d’après l’édition De Goeje, avec introduction, traduction
et commentaire de Gaudefroy-Demombynes, Paris, société d’édition Les belles-lettres, 1947, p.
13. C’est nous qui soulignons.
Dans al-‘Umda, Ibn Rašīq affirme à propos de cette même question :
‫ وما تجشم من هول الليل‬،‫ وما أنضى من الركائب‬،‫« والعادة أن يذكر الشاعر ما قطع من المفاوز‬
‫ ثم يخرج إلى مدح المقصود ليوجب عليه حق‬،‫ وقلت الماء وغؤوره‬،‫ وطول النهار وهجيره‬،‫وسهره‬
» .‫القصد وذمام القاصد ويستحق المكافأة‬
IBN RAŠĪQ, al-‘Umda, Dār al-ma‘rifa, Beyrouth, 1988, tome I, p. 399.
« Il est de tradition que le poète évoque les déserts qu’il a traversés, les montures qu’il a
exténuées, les terreurs de la nuit et les veilles qu’il a subies, la longueur des journées et leurs
chaleurs intenses, le manque d’eau et les difficultés de s’en procurer ; il passe ensuite à l’éloge de
celui auprès de qui il se propose de se rendre, afin de l’obliger à faire droit au fait que le poète se
rende chez lui avec un poème, et à protéger celui qui s’adresse à lui et mériter ainsi la
récompense. » C’est nous qui traduisons et soulignons.
Signalons ici qu’il est malheureusement très difficile de connaître la provenance des dons que les
califes faisaient aux poètes.
69. Dans al-‘Iqd al-farīd, ce n’est pas ‘Awn qui va intercéder pour Ǧarīr, mais ‘Addī b. Arṭāh (m.
721 ?) [gouverneur d’al-Baṣra sous le règne de ‘Umar II ] et c’est à lui qu’il adressera les vers dans
lesquels il formule sa demande d’intercession (dans cette version il déclame trois vers).
Lorsqu’il entre chez le calife, il lui dit :
‫ مالي‬: ‫ قال يا عدي‬.‫ إن الشعراء ببابك وأقوالهم باقية وسنانهم مسنونة‬: ‫[ يا أمير المؤمنين‬...] »
‫ إن النبي صلى الله عليه وسلم قد مدح وأعطى وفيه إسوة لكل‬: ‫ قال يا أمير المؤمنين‬.‫وللشعراء‬
«.[...] .‫مسلم‬
IBN ‘ABD RABBIH AL-ANDALUSĪ, al-‘Iqd al-farīd, op. cit., p. 205-206.
« Ô Commandeur des croyants, les poètes sont à ta porte ; [sache que] leurs paroles demeurent et
que les piques de leurs lances sont aiguisées.
Le calife dit : Qu’ai-je à voir avec les poètes ?
‘Addī lui répondit : Le Prophète, que la prière et le salut de Dieu soient sur lui, a été loué et il a
donné [des récompenses] et c’est un modèle pour tout musulman. » C’est nous qui traduisons.
70. Cf. notre thèse, op. cit., p. 289–291. Nous avons cherché les occurrences du mot iḥsān dans la
Mawsū‘a al-ši‘riyya, les résultats trouvés indiquent que ce terme a été employé une seule fois par
un seul poète de l’époque anté-islamique, al-Find al-Zimmānī (m. 530), dans un contexte de
guerre tribale. Il se trouve deux fois chez des poètes dits muḫaḍramūn (des poètes ayant vécu à
l’époque antéislamique et à l’époque islamique), chez al-Qattāl al-Kilābī (m. 689) qui emploie le
mot iḥsān dans un nasīb et chez ‘Alī b. Abī Ṭālib (m. 661) qui l’utilise dans un vers unique et qui a
plutôt une valeur sapientiale. Aucune occurrence n’est donnée pour les époques islamique et
umayyade.
Les résultats de nos recherches montrent bien que ce terme n’est jamais utilisé par les poètes
dans le contexte du madīḥ et qu’il est d’un emploi extrêmement rare dans d’autres contextes, et
ce de la ǧāhiliyya à l’époque umayyade.
71. La deuxième version des Aġānī [la première est rapportée par l’un des fils de ‘Umar II] diffère
dans sa chute de celle que nous avons mentionnée ici. En effet, citant al-Yazīdī, AL-IṢFAHĀNĪ
rapporte dans Kitāb al-Aġānī, op. cit., vol. VIII, p. 48–49.

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‫ لك ما‬: ‫ قال‬.‫ن سبيل‬ُ ‫ فإني اب‬،‫ فقال له جرير يا أمير المؤمنين‬: ‫مـا اليزيدي فإنه قال في خبره‬ ّ ‫» وأ‬
‫ يا‬: ‫ح عليه ؛ فقالت له بنو أمية‬َّ ‫ فأل‬.‫ل راحلت ُـك إن لم تحـمـل ْـك‬ َ ‫ة تبـل ِّــغ‬
ُ َّ ‫ك وت ُـب َـد‬ َ ُ ‫ زاد‬،‫ﻷبناء السبيل‬
ٌ ‫ك ونفق‬
‫ وجمعت له بنو أمية ماﻻ‬.‫ فخرج‬،‫ ونحن نرضيك من أموالنا عنه‬،‫مـهْـﻼ ً عن أمير المؤمنين‬ َ ،‫أبا حزرة‬
«.‫مـا خرج من عند عمر‬ َّ ‫عظيما ؛ فما خرج من عند خليفة بأكثر مـ‬
« Al-Yazīdī quant à lui rapporte : Ǧarīr lui dit alors : Je suis un voyageur, ô Commandeur des
croyants. [‘Umar] lui répondit : Tu auras ce qu’on donne habituellement aux voyageurs : Ta
provision de route, une somme d’argent qui couvre tes frais de voyage et on change ta monture si
elle ne te porte plus.
Ǧarīr insista. Alors les Umayyades lui dirent : Ô Abū Ḥazra donne un peu de répit au
Commandeur des croyants ; et nous te donnerons satisfaction de nos biens, à sa place. Les
Umayyades lui collectèrent une importante somme d’argent. Il n’était jamais sorti de chez un
calife avec plus qu’il avait eu en sortant de chez ‘Umar. » C’est nous qui traduisons.
On voit dans ce passage comment le clan s’est substitué au dédicataire ; il l’a suppléé et a honoré
l’échange à sa place. La crainte de la satire devait y être pour quelque chose. Car comme le
panégyrique dépasse l’individu du dédicataire pour rejaillir sur son clan, la satire ne flétrit pas
seulement la personne satirisée, mais touche l’ensemble du groupe auquel elle appartient.
72. Dans un souci de ne pas multiplier les aḫbār et d’alourdir ainsi plus que nécessaire un texte
qui est déjà assez riche en anecdotes, nous avons décidé de mettre en annexe IV le ḫabar relatif à
la venue de ‘Uwayf al-Qawāfī al-Fazārī (m. 718) chez ‘Umar II. Cette histoire, tout en mettant en
scène un autre poète, fait doublon, dans la mesure où elle est construite sur le même canevas que
les autres anecdotes que nous relatons dans ce travail.
73. Sauf erreur de notre part, Ǧarīr a composé cinq panégyriques à la gloire d’al-Ḥaǧǧāǧ (avec
130 vers en tout) ; et il a fait l’éloge de ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz à quatre reprises (le total des vers se
monte à 90).
Le Dīwān d’al-Farazdaq comporte lui aussi cinq panégyriques d’al-Ḥaǧǧāǧ (avec un total de 155
vers) et il n’a composé qu’un seul madīḥ (de 31 vers ) à la gloire de ‘Umar II. Pour les détails, voir
l’annexe V.
74. Cf. La notice qu’ IBN QUTAYBA consacre à Kuṯayyir ‘Azza dans al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit., p. 503–
517. Le lecteur trouvera le texte arabe et sa traduction dans l’annexe VI de cet article.
75. Nous savons qu’il n’en est rien, ne serait-ce que parce que son dīwān comporte cinq
panégyriques à la gloire du successeur de ‘Umar II, le calife Yazīd b. ‘Abd al-Malik (720–724).
76. IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit., p. 504, vol. I.
77. C’est peut-être un hasard, mais cette rencontre n’est pas sans rappeler une autre, celle que
fit Dukayn en se rendant lui aussi auprès du calife. Maslama tient ici le rôle que tenait Ǧarīr dans
l’anecdote consacrée à Dukayn.
78. R. Blachère note à propos de ce personnage : « Maslama, un autre fils de ‘Abd al-Malik, dont
les propriétés sur la boucle de l’Euphrate font de lui un des hommes les plus riches de la famille,
est également l’objet de panégyriques nombreux de la part de Jarîr ; ce général heureux dont les
chroniqueurs louent la sagesse et la pondération semble, lui aussi, ne point surestimer l’encens
de ceux qui convoitent, avant tout, ses largesses. » R. BLACHÈRE, Histoire de la littérature, op. cit., p.
547.
79. C’est ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz qu’il désigne ainsi. Cf. le texte de l’anecdote et sa traduction dans
l’annexe III, infra.
80. IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit., p. 504, vol. I. Il semblerait en effet que la réputation de
‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz était faite et que son aversion pour la poésie était de notoriété publique.
C’est ce qui ressort en tous cas de ce ḫabar rapporté dans al- Aġānī et dont le héros est le poète
taġlabite al-Quṭāmī [m. 747] :
: ‫» قال أبو عمرو بن العﻼء‬
َ ‫ي ورفع من ذكره أن ّه قَــدِم في خﻼفة الوليد بن عبد الملك دمش‬
‫ق‬ ّ ‫أوّل ما حــّرك من القطام‬
‫ فقيل له‬،‫مها في خﻼفة عمر ين عبد العزيز‬َ ِ‫ بل قد‬: ‫ وقيل‬.‫ل ﻻ يعطي الشعراَء‬ٌ ‫ إنه بخي‬: ‫ فقيل له‬،‫ليمدحه‬

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،‫ وهذا عبد الواحد بن سليمان بن عبد الملك‬،‫فــق عند هذا وﻻ يعطي عليه شيئا‬ ُ ‫ن الشعر ﻻ ين ْــ‬ّ ‫إ‬:
.[...] ‫ فمدحه بقصيدته التي أّولها‬،‫فامتدحه‬
َ
‫ت‬
ُ ‫مـْر‬
َ ‫ قد أ‬: ‫ فقال‬.‫مـلت أن يعطي َني ثﻼثين ناقة‬ّ ‫ أ‬: ‫ت من أمير المـؤمنين ؟ قال‬ َ ‫مــل ْـ‬َّ ‫ كم أ‬: ‫فقال له‬
« .‫مـر بدفع ذلك إليه‬ َ ‫ ثـ‬،ً ‫لك بخمسين ناقة موقَرةً بـرا ً وتـمرا ً وثيِ ابا‬
َ ‫مأ‬َّ َ ّ ُ ُ
Cf. al-Aġānī, op. cit.,vol. XXIV, p. 19.
[« Abū ‘Amr b. al-‘Alā’ a dit : Ce qui a élevé al-Quṭāmī et l’a fait connaître, c’est qu’il s’était rendu
à Damas, pendant le califat d’al-Walīd, pour faire son éloge. On lui dit : C’est un avare, il ne fait
pas de dons aux poètes.
On dit [aussi] qu’il s’y était rendu lorsque ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz était calife. On lui dit alors : « La
poésie n’est pas en grand honneur chez celui-là et il ne donne rien pour cela. Voici ‘Abd al-Wāḥid
b. Sulaymān b. ‘Abd al-Malik, fais son éloge [...].
Le poète fit son panégyrique. Le dédicataire lui demanda : Combien escomptais-tu obtenir du
Commandeur des croyants ? ».
J’espérais obtenir de lui trente chamelles, lui répondit le poète.
[‘Abd al-Wāḥid b. Sulaymān b. ‘Abd al-Malik] lui dit : Je t’en donne cinquante chargées de
froment, de dattes et de vêtements. Et il ordonna qu’on lui remît cela. »] C’est nous qui
traduisons.
81.‫ فإن الرجل أخروي ليس‬،‫»في شرج من الشعر غير ما كنا نقوله لعمر وآبائه‬
«‫بدنيوي خذا‬
IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, op. cit., p. 406, vol. .
82. Ibid., p. 406 : «(‫»بعدما أذن للعامة )فأذن لنا‬
83. « Les aumônes sont destinées : aux pauvres et aux nécessiteux ; à ceux qui sont chargés de les
recueillir et de les répartir, à ceux dont les cœurs sont à rallier, au rachat des captifs ; à ceux qui
sont chargés de dettes ; à la lutte dans le chemin de Dieu et au voyageur [...]. » « L’Immunité », IX,
verset 60, Le Coran, introduction, traduction et notes Denise Masson, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 1967, p. 233-234.
84. M. MAUSS affirme à propos de l’aumône : « la sadaka arabe est, à l’origine, comme la zedaqa
hébraïque, exclusivement la justice ; et elle est devenue l’aumône », op. cit., 170.
Ajoutons que la charité, l’aumône ou la sadaqa, se fait en Islam en terme de droit, ḥaqq. Cf. ḥaqq al-
sā’il. Dans le Coran, sourate 51, verset 19 : « wa fī amwālihim ḥaqq un li-l-sā’ili wa l-maḥrūm [Une
partie de leurs biens revenait de droit au mendiant et au déshérité]. La traduction est de Denise
Masson.
L’auteur du Lisān rapporte dans son ouvrage une tradition du prophète qui dit : « li-l-sā’ili ḥaqq un
wa in ǧā’a ‘alā faras » [Le mendiant a un droit (sur les biens d’autrui) même s’il vient sur un
cheval]. C’est nous qui traduisons.
85. Nuṣayb était de condition servile, il s’était rendu auprès de ‘Abd al-‘Azīz b. Marwān (le père
de ‘Umar II) et avait fait son madīḥ. Le gouverneur de l’Égypte l’avait alors récompensé et
affranchi et Nuṣayb était devenu son mawlā (client).
86. Cf. Sourate XXI, « Les Poètes », versets 224 à 228 :
« 224 Quant aux poètes :
ils sont suivis par ceux qui s’égarent.
225
Ne les vois-tu pas ?
Ils divaguent dans chaque vallée ;
226 ils disent ce qu’ils ne font pas
227
à l’exception de ceux qui croient,
qui accomplissent des oeuvres bonnes,
qui invoquent souvent le nom de Dieu
228
et qui se défendent
lorsqu’ils sont attaqués injustement. »
Traduction D. Masson, Le Coran, op. cit., p. 462-463.

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87. Nous utiliserons ici la version qui figure dans l’ouvrage d’ IBN QUTAYBA. Signalons pour le
lecteur que le nombre des vers dans les dīwān-s que nous avons pu consulter diffère très
légèrement. Dans l’édition de Maǧīd Ṭrad, il est de 17 vers et dans celle Ibrāhīm al-Samarrai, ce
poème comporte 16 vers. Cf. Šarḥ dīwān al-Aḥwaṣ al-Anṣārī (éd. Maǧīd Ṭrad), Dār al-kitāb,
Beyrouth, 1994, p. 135–136. Ši‘r al-Aḥwaṣ al-Anṣārī (éd. Ibrāhīm al-Samarrai), Maktabat al-Andalus,
Bagdad, 1969, p. 178-180.
88. Vers 1 et 2 :
‫ل‬ َ ‫مـــــــؤَل ِّــف‬ ٌ َ ‫خـط ْــب‬
ُ َّ ‫شـعْـُر إ ِﻻ‬ِّ ‫ما الـ‬
ِ ‫ق ب َاط ِــــــــ‬
ِ ِ ‫مـن ْـط‬
َ ‫حــقٍّ أوْ ل ِـ‬
َ ‫ق‬
ِ ‫من ْـط ِـ‬
َ ‫ل ِــــ‬ ُ ‫ن‬
ْ ‫مـ‬ِ ‫ة‬ َ َ‫و‬
‫ل‬ َ َ ‫ن إ ِﻻ َّ الــذي واَفـــقَ الــِّر‬ َ ْ ‫فَﻼ َ ت َـ‬
ِ ‫مـــ‬ِ ‫جـــعَـــن َّـا كــالن ِّــسـاِء اﻷرا‬ ِ ‫وﻻ ت َــــْر‬ ‫ضـ ـ ـ ـ ا‬ ْ ‫قـب َــلـ‬
IBN QUTAYBA, al-Ši‘r wa l-šu‘arā’ , op. cit., p. 507, vol. I.
89. Vers 3, 4 et 5 :
‫ل‬
ِ ‫خـتـــا‬ْ ‫مـ‬ُ ‫ل الـظ َّــل ُــوم ِ ال‬ َ ‫سـَرة ً فِــعْــ‬ ْ ‫وﻻ ي َــ‬ ‫ة‬
ً ‫مـن َـــــــ‬ْ َ ‫حــقِّ ي‬ َ ‫ن ال‬ ْ ِ‫م ت َعﹿـد‬
ِ ‫ل عَــ‬ َ ‫َرأ َي ْنـا‬
ْ ‫ك ل َـ‬
‫ل‬ َ
ِ ‫ن اﻷوائـِ ــ‬ َ ‫حــيــ‬ ِ ‫صـال ِــ‬
َّ ‫ل الــ‬ َ ‫مــثـَ ا‬ ِ ُّ ‫قــد‬ُ ‫ت َــ‬ ُ َّ ‫ك ك ُل‬
‫ه‬ َ َ ‫جـهْـد‬
ُ َ ‫صد‬
ْ ‫قــ‬َ ‫ت ال‬ َ ْ ‫خـ ذ‬ َ َ‫ن أ‬ْ ‫وَل َـك ِـ‬
‫ل‬
ِ ‫ل قائـِ ــ‬ ِ ْ‫ن قَــو‬ ْ ‫مــ‬
ِ َّ‫حــق‬ َ ‫ن ذ َا ي َـُرد ُّ ال‬ْ ‫مـ ـ ـ‬
َ ‫َو‬ َ
‫ب ب ِما قَــد ْ ب َــدا لنـا‬ ْ ‫م ن َــك ْذ‬ْ ‫ وَلـ‬،‫قـل ْنـا‬
َ ُ ‫فَـ‬
Ibid.
90. Le vers 6, qui a une valeur proverbiale, fait figure d’intrus dans ce poème. En effet, le sens qui
s’en dégage (le destin inéluctable ) est en complet décalage avec le contexte dans lequel il est cité.
Le voici :
‫ل‬
ِ ‫ن نـﹷــْزِع ن َـــاب ِــ‬ ِ ‫عَـلـى فُــوقِــهِ إ ِذ ْ عــاَر‬
ْ ‫مــ‬ ‫مضــائـِ ــــه‬
َ َ ‫م ب َــعْــد‬
َ ‫سـهْـ‬
َّ ‫ن ذا ي َـُرد ُّ ال‬
ْ ‫م‬
َ َ‫و‬
91. Vers 7, 8, 9 :
‫ل‬
ِ ‫ســ‬ ِ ‫ث الب َوا‬ ِ ‫ف ك َــانــوا ك َـالليو‬ ُ ‫غَــطاري‬ ‫ف‬
ُ ِ‫خـــﻼئـ‬ َ ‫وَل َـــوْﻻ الـذي َقـد ْ عَـوَّد َت ْـنــا‬
‫ل‬
ِ ‫ح‬
ِ ‫ن الَّروَا‬ َ ‫ن الب ِـيـدِ ب َـي ْـ‬
َ ‫متا‬
ِ ُّ ‫فــد‬
ُ َ‫ة ت‬ َ
ٌ ‫سـلـ‬
ْ ‫َر‬ ‫ي‬ َ ‫حــــل ِــ‬ ً
ْ ‫شــــــْهـرا ب ِــــــَر‬ َ ‫ت‬ َ ‫ل َمــــــا َو‬
ْ َ ‫خـ ـ ـ ـ ـ د‬
َ
‫ل‬ِ ِ‫ك اﻷوائـ‬ َ ‫ن ذ َويــ‬ ْ ‫صــرِفْــنــا قَــديـما ً مـﹻـ‬
ُ ِ‫ل الــذي ب ِـه‬ َ ْ ‫مـث‬ ِ ‫ك‬ َ ‫مـن ْــ‬ِ ‫جـوْنا‬ َ ‫ن َر‬ َ
ِ ِ ‫ولـك‬
Ibid.
92. Vers 13 et 14 :
َ
‫ل‬ِ ِ‫س وَب َاز‬
ٍ ‫سد ِيـ‬
َ ‫ن‬
ْ ‫م‬ِ ً ‫شـعْـرِ ك َـعْبا‬ِّ ‫عَـل َى الـ‬ ً ‫جـــل َّـ‬
‫ة‬ ِ َ ‫مــا أع ْـط َــى هُـن َـي ْـــد َة‬
َ ‫وَقَـب ْـل َـــك‬
َ
‫ل‬
ِ ‫صــــائ ِــــــ‬َ ‫حى واﻷ‬ َ ‫م ب ِـالـضﹹـ‬ ٌ َ ‫ســﻼ‬َ ِ‫عَل َـي ْـه‬ ِ‫ضاُء ب ِـن ُـــورِه‬َ ‫ل اﻹ ِلــهِ الــمﹹـسﹿـت َــ‬ ُ ‫سـ ـ ـ ـ و‬
ُ ‫َر‬
Ibid.
93. Rappelons ici que ce même argument a été utilisé dans l’anecdote qui relate la visite de Ǧarīr
au calife ‘Umar II.
94. Signalons ici qu’al-Aḥwaṣ était d’origine médinoise, de la tribu des Aws (fraction des
Ḍubay‘a), et donc d’une ascendance yéménite. En outre, sa réputation sulfureuse lui interdisait
toute chance d’être un ami ou familier de ‘Umar.
95. Vers 10, 11 et 12 :
ِ ‫ل فَاتـِ ــــ‬
‫ل‬ ِ ‫ل الـد ُِّّر فِي فَـتﹿـ‬ َ ‫مــثـْ ـ‬ِ ‫ن‬ َ ‫ن كــا‬ ْ ِ ‫وَإ‬ ٌ ‫ضـ ع‬
ِ ْ‫مـو‬ َ ‫ك‬ َ َ ‫عن ْـد‬ ِ ِ‫شـعْـر‬ ِّ ‫ن للـ‬ ْ ‫م ي َـك ُـ‬ ْ َ‫ن ل‬ ْ ِ ‫فَـإ‬
ُ َ
‫ل‬
ِ ‫ـ‬‫ص‬ِ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬َ ‫ن‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫م‬َ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ل‬‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ب‬
ِ ْ ‫ا‬‫و‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ش‬َ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫م‬َ ٍ ‫ء‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬َ ‫ب‬ ‫آ‬ ‫ث‬
َ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ـ‬ ‫م‬
ِ َ ‫و‬ ٍ ‫ة‬َّ ‫د‬ ‫و‬ ‫ـ‬
َ َ َ‫ـ‬‫م‬ ‫ض‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬‫ح‬ْ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫م‬
َ َ ‫و‬ ‫ى‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬َ ‫ب‬‫ر‬ْ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ق‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬َ ‫ن‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ل‬ ‫ن‬
َّ ِ ‫فَــــ‬
‫إ‬
َ ْ
‫ل‬
ِ ‫مـاي ُــ‬ َ ‫ن ب َــعْــد َ الت َّـ‬ ِ ‫مـود َ الد ِّيـ‬ ُ ‫سـوْا عَـ‬ َ ‫َوأْر‬ ‫قـرِ د َارِه ِم‬ ْ ‫ن عُـ‬ ْ َ‫سـلـم ِ ع‬ ِّ ‫وَذ َادوا عَــد ُوَّ الـ‬
96. Vers 15 :
‫ل‬
ِ ‫ســــوَائـِ ــ‬
َ ٍ‫حــــور‬
ُ ‫ن ب ُــ‬
ْ ‫مــ‬
ِ ‫خـــــي ْـٌر‬ َ ‫َوقُـــل ُّــ‬
َ ‫ك‬ ‫ه‬
ُ ‫ض‬
ُ ْ‫ك ب َع‬ ِ ‫ت ي َـك ْـ‬
َ ‫في‬ ُّ ُ ‫فَــك‬
ُ ْ ‫ل الـــذي عَـد َد‬
97. Dans l’édition de Pérès du dīwān de notre poète, son panégyrique comprend 30 vers, répartis
en deux séquences. La première (v. 1 au v. 5) est un nasīb ; la seconde (v. 6 au v. 30) en constitue la
partie madīḥ. Le vers 6 est le vers princeps de la séquence madīḥ, il s’ouvre avec un raḥīl a minima
rendu par l’emploi du verbe nazūru. Cf. KUṮAYYIR ‘AZZA, Dīwān, op. cit., p. 120–127.
Notre analyse se référera à la version du poème qui figure dans l’ouvrage d’Ibn Qutayba.
Signalons enfin, qu’en dehors de la différence dans le nombre de vers, l’ordre des vers est
également différent, Cf. notre tableau des concordance, annexe VII.
98. Voici le vers 6 de la version du dīwān :
ْ َ َ ً
‫مـي‬ِ ‫ن فَـي َأت َـ‬
َ ‫حـي‬
ِ ‫صـال ِـ‬
َّ ‫ل الـ‬
ِ ‫فـعْــ‬
ِ ‫مـا ب ِـ‬
َّ ‫َوأ‬ ِ ‫ه فَــي َــت َّــ‬
‫قـي‬ َ ‫مــــا اﻹلﹷــــ‬
َّ ‫مــَرأ أ‬
ْ ‫ن َـــــُزوُر ا‬
KUṮAYYIR ‘AZZA, Dīwān, op. cit., p. 122.

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99. Pérès n’a pas manqué de noter cette différence et l’explique. Il écrit, en effet, dans sa notice
introductive du dīwān de Kuṯayyir ‘Azza, (p. XIII) : « Quand ‘Omar ibn ‘Abd al-‘Azīz monte sur le
trône en 99 = 717, sa tolérance envers les Chi‘ites rassérène les esprits. Koṯayyir se rend auprès du
Khalife pour célébrer son avènement ; mais il doit attendre longtemps avant d’être reçu. Le
panégyrique qu’il récite montre l’habileté avec laquelle Koṯayyir sait se plier aux circonstances. »
De même, R. Blachère dans son commentaire de la production laudative de notre poète, écrit ceci
: « Le genre laudatif, dans les textes en notre possession, porte sur les thèmes habituels :
générosité, courage, noblesse d’origine ; l’actualité politique a sans doute largement marqué
certains développements (ainsi nos 103-4 : trait sur la victoire de Marj Râhiṭ) ; le cas échéant, le
poète tente de sortir des hommages habituels et met l’accent sur certaines vertus plus
islamiques, comme dans le panégyrique à ‘Umar II (ibid., 124 vers 6 sqq.). » R. BLACHÈRE, Histoire de
la littérature arabe, op. cit., p. 613.
100. Cf. notre annexe infra où nous donnons la version citée par Ibn Qutayba et un essai de sa
traduction.
101. Les vers 1 et 2 pourraient constituer un ensemble dont le vers 4 est une sorte d’illustration.
Rappelons ici que Kuṯayyir était chiite, rafidite.
102. Le contexte nous a amené à traduire le mot fatā par « jeune homme », au lieu de « homme
brave et généreux » qui peut être l’équivalent en français dans le contexte habituel du madīḥ.
Voici le vers :
ِ ‫قـــوِّم‬
َ ‫مــ‬ُ ‫ف ال‬
ُ ‫قــا‬ َ ‫اﻷ َوَد ِ الب َـادِي ثـِ ـ‬ ‫ن‬
َ ‫مــ‬ َ ‫ما ي َـك ْــفي ال‬
ِ ِ‫فت َى ب َــعْـد َ َزي ْــغِـه‬ َ ‫أﻻ إ ِن َّـ‬
103. Voici le vers 15 :
َّ ُ ‫معَـــال ِي ب ِــ‬ َ
ِ ‫سـلــم‬ َ ‫ت ب ِــهِ أع ْـلـى ال‬ َ ‫ب َـل َغْـ‬ ٌ‫مـــؤَِّرق‬ُ ِ‫فــؤَاد‬ ُ ‫م في الـــ‬ َ ‫مـا ل َـ‬
ٌّ ‫ك هَــ‬ َ ‫سـ ـ‬ َ
L’expression dont il est question ici est attestée chez deux poètes :
al-Rā‘ī (m. 708) [al-ṭawīl] :
ُ‫ل فَــي َــط ُْرق‬ َ ‫ك من أ َســمﹷاَء هَــم مــؤَرقٌ و م‬
َُ ‫خـيا‬ َ ‫ب ال‬ُ ‫ن ي َن ْــت َا‬
َ ‫ن أي ْـ‬
ْ َ ِّ ُ ٌّ ْ ْ ِ َ ‫مـا ل َـــ‬ َ ‫سـ ـ‬ َ
et al-Nābiġa al-Ǧa‘dī (m. 670) [al-mutaqārib] :
‫ب‬
ِ ‫صــ‬ ْ ‫ث وَل َـــ‬
َ ‫م ت َــــن ْـــــ‬ ٍّ ‫ت ب ِـــــب َــــ‬
َّ ‫وَب ِــــ‬ ِ ‫م ت َــــط ْـــَر‬
‫ب‬ ْ ‫م وَ ل َــ‬ َ ‫مــــا ل َــــ‬
ٌّ ‫ك هَــ‬ َ ‫سـ ـ ـ ـ ـ‬
َ
L’expression samā laka,quant à elle,est attestée plus de quarante fois. Cf. al-Mawsū‘a al-ši‘riyya, op.
cit.
104. La notion de justice recouvre ici le fait de ne pas prendre les biens d’autrui, de ne pas
condamner injustement un innocent, ni verser son sang ; voici les vers 16, 17 et 18 :
َ ‫ب ك ُل ِّهَا‬ َ
ِ ‫جــم‬ َ ‫صـيٍح وَأع ْـ‬ ِ ‫ن فَــ‬ ْ ‫مـ‬ ِ ‫مـن َـادٍ ي ُـن َـادي‬ ُ ِ ‫ض وَالغَْر‬ ِ ‫ق اﻷْر‬ ِ ‫شْر‬ َ ‫ن‬ َ ْ ‫فَما ب َـي‬
َ َ َ َ َ
ِ ‫خـــذِ دِْرهَــــم‬ ْ ‫خـذٍ ل ِــدِينــارٍ وَﻻ َ أ‬ ْ ‫ب ِـــأ‬ ‫مـت َـن ِي‬ ْ ‫ن ظلـ‬ َ ‫مـنـِ يـ‬ ِ ْ‫مـؤ‬ ُ ‫مــيـَر الـ‬ ِ ‫لأ‬ ُ ‫ق ـو‬ ُ ‫ي َــ‬
‫م‬ ‫ج‬ ‫ح‬ ‫م‬
ِ َ ‫ء‬ ْ
‫ل‬ ‫م‬
ِ ً ‫ا‬ ‫م‬ ِ ‫ل‬ ‫ا‬َ ‫ظ‬ ‫ه‬ ‫ـ‬ ْ ‫ن‬ ‫م‬
ِ ‫ك‬ ‫ـ‬ ‫ف‬
ْ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫س‬ ‫ل‬‫ا‬ ‫ﻻ‬ ‫و‬ ‫م‬ ‫ر‬ ‫ـ‬ ‫ج‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ر‬ ‫ي‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬َ ‫غ‬ ‫ئ‬ ‫ر‬ ‫م‬ ‫ﻻ‬ ‫ف‬ ٍّ ‫ـ‬َ ‫ك‬ ‫ط‬
ِ ‫ـ‬ ْ َ َ ‫وَﻻ‬
‫س‬ ‫ـ‬ ‫ب‬
ِ َ ْ ُ ِ َّ َ ٍ ِ ْ ُ ِ ْ ٍ ِ ْ
105. Voici les vers en question :
ِ ‫صـم‬ َ ‫مـعْـ‬ ِ ‫فو‬ ٍّ َ ‫ك الد ُّن ْـي َـا ب ِك‬ َ َ ‫ت َـَراَءى ل‬ ‫ك ثـِ ياب َهـا‬ ِ ‫س الـهَـل ُـو‬ َ ‫ت ل ُـب ْـ‬ ْ ‫سـ‬ َ ‫وَقَـد ْ ل َب ِـ‬
‫م‬ ‫ـ‬ َّ ‫مـن َـظ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ج‬ ‫ـ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ل‬ ْ ‫ث‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ن‬ ‫ع‬ ‫م‬ ‫ـ‬ ‫س‬ ‫ـ‬ ‫ب‬ ‫ت‬ ‫و‬ ‫ة‬ ‫ـ‬ ‫ض‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ر‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ن‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ع‬ ‫ـ‬ ‫ب‬ ً ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ َ
ِ ُ ِ َ ُ ِ ِ ْ َ ُ ِ ََْ ٍ َ ِ َ ٍ ْ َ ِ َ ْ ُ ‫مــ‬
‫ي‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ح‬ ‫أ‬ ‫ض‬ ِ ‫وَت ُـو‬
ْ ً َ ْ ‫قـت‬ َ ً َ
ِ ‫قــم‬ َ ‫مـام ٍ وَع َـلـ‬ َ ‫سـ‬ ِ ‫ن‬ ْ ‫م‬ ِ ‫مـد ُوفا‬ َ ‫ك‬ َ ‫س‬ َ ‫مـا‬ َ ‫مـئـِ ـّزا كـأن َّـ‬ َ ‫شـ‬ ْ ‫مـ‬ ُ ‫ت عَـن ْـهَا‬ َ ‫ضـ‬ ْ ‫فَأع ْـَر‬
َ
ِ ‫فعَم‬ ْ ‫مـ‬ ُ ‫مـوِْج‬ َ ‫مْزب ِـدِ ال‬ ُ ‫حرِها في‬ ْ ‫ن ب َـ‬ ْ ‫مـ‬ ِ َ‫و‬ ‫مـن َّــٍع‬ َ ‫مـ‬ ُ ‫جـب َـال ِهَا في‬ ْ ‫نأ‬ ْ ‫م‬ ِ ‫ت‬ َ ‫وَقَد ْ ك ُن ْـ‬
َ َ َ ً
ِ ‫قــد َّم‬ َ ‫مـ‬ ُ ‫ت ب ِــهَـا أع ْـلى الب ِـن َـاِء الـ‬ َ ْ‫ب َـلـغ‬ َ ِّ
ٍ‫ت ت َــوَّاقــا إ ِلــى كــل غـــاي َــة‬ ُ َ ‫مــازِل ْـــ‬ َ َ‫و‬
‫م‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ُّ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ َ ‫ك‬ ‫ـ‬ ‫ت‬ ‫ن‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫د‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ع‬ ‫ـ‬ ‫ـ‬ ‫ب‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫ـ‬ ‫ن‬ ‫د‬ ‫ب‬ ‫ـ‬ ِ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ـ‬َ ‫ط‬ ‫ـ‬ ِ ‫ل‬ ‫ن‬ ُ ‫ك‬ ‫ـ‬ ‫ي‬ ‫م‬ ‫ل‬‫و‬ ً ‫ا‬ ‫و‬ ‫ـ‬ ‫ف‬
ْ ‫ـ‬ َ ‫ع‬ ‫ك‬ُ ‫ـ‬ْ ‫ل‬ ‫ـ‬ ‫م‬ ‫ل‬‫ا‬ َ
‫ك‬ ‫ا‬ ‫ـ‬ ‫ت‬َ ‫فَل َمـا أ‬
ِ َ ْ ِ ُ َ ْ َ َ ْ ُ ِ ْ َ ْ ُ َّ
ْ ً ‫مون ِقـا‬
ِ ‫مــم‬ ِّ ‫صــ‬ َ ‫مــ‬ ُ ‫ي‬ ٍ ‫قى ب ِـَرأ‬ َ ‫ت مـا ي َــب ْـ‬ َ ‫وَآثـَ ْر‬ ُ ‫ن‬ َ ‫ن كا‬ ْ ِ ‫فن َـى وَإ‬ ْ ‫ت الذي ي َـ‬ َ ْ ‫ت ََرك‬
ْ َ َ َ
ِ ‫مـظـل ِــم‬ ُ ‫شـِّر‬ َّ ‫ن ال‬ َ ‫مـ‬ ِ ٍ ‫مـك في ي َــوْم‬ َ ‫مـ ا‬ َ ‫أ‬ ‫ت للــذي‬ َ ‫مــْر‬ َّ َ‫فـانـي َوثـ‬ َ ‫ت بالـ‬ َ ‫ضَرْر‬ ْ ‫وَأ‬
106. Voici les vers 19 et 20 :
َ ‫شـط ْـر م‬ َ َ‫ل‬
‫مـ و ا‬ُ ‫س‬ َّ ‫قـ‬ ِ ‫مارِه ِم غَي ْـَر ن ُـد َّم‬
َ ‫ن ت َـ‬
َ ‫سل ِمو‬ ْ ‫مـ‬ ْ َ ‫وَل َـوْ ي‬
َ ْ ‫ن أع‬
ُ ‫ست َـط ِيـعُ ال‬ ْ ِ َ َّ ‫ك ال‬
َ َ َ َ
‫مـب َاي ِــٍع‬ ِ ‫م أع ْــظ ِـــم‬
ُ ‫ة ل ِـ‬ٍ ‫قـــ‬ َ ‫فــ‬ َّ ‫م ثـُ ـ‬
ْ ‫صـ‬َ ‫ن‬ْ ‫مـ‬
ِ ‫ح ب ِــهَـا‬ْ ‫فَأْرب ِــ‬
ْ ‫م ب ِـهَـا أع ْــظ ِــ‬
ْ ‫وَأع ْــظ ِــ‬
107. Ces sommes sont à comparer avec celles que ‘Umar avait offertes à al-Aḥwaṣ et à al-
Farazdaq lorsqu’il était gouverneur de Médine.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


192

Évoquant cette récompense Pérès écrit : « [...] mais le talent du poète est maigrement
récompensé : il ne reçoit en présent qu’une somme de 300 dirhems. » KUṮAYYIR ‘AZZA, Dīwān, op.
cit., p. XIII.
Cette récompense est à comparer avec ce que touchait, un peu plus d’un siècle plus tard, un
anthologue en dictant des poèmes de Kuṯayyir. R. Blachère note, en effet, à propos de la
transmission de l’œuvre de ce poète : « La recension définitive de l’œuvre doit se situer vers le
second quart du IIIe / IXe siècle et l’on trouve mention d’un fils d’ABÛ ‘UBAYDA qui “dictait des
poèmes de KUṮAYYIR pour trente dinar” R. BLACHÈRE, Histoire de la littérature, op. cit., p. 612-613.
108. Nous savons que ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz recevait les poètes, les panégyristes et les autres,
lorsqu’il était gouverneur de Médine (Cf. les anecdotes relatives à Dukayn et à Nuṣayb). Il
récompensait également ceux qui composaient des panégyriques à sa gloire (Cf. le ḫabar relatif à
Dukayn).
109. Tous les récits en rapport avec notre sujet qui sont relatifs à la période de sa vie où il était
calife montrent ce souverain recevant les visites de poètes panégyristes. Ce constat nous amène à
nous poser les questions suivantes : Le rejet de ‘Umar II concernait-il le seul genre laudatif ou
bien visait-il la poésie en général ? Et à part les panégyristes, recevait-il d’autres poètes depuis
qu’il avait accédé au califat ? Avait-t-il cessé de s’intéresser à également à la poésie ascétique en
devenant calife ? Nous n’avons aucune information qui nous permette de répondre à ces
questions.
110. Même s’il est vrai que, devant le refus de l’échange du calife, certains poètes se déclaraient
être « un voyageur » (Cf. l’histoire de Ǧarīr dans la note 82) ou « voyageur en détresse » (Cf.
l’histoire de Kuṯayyir, p. 36).
111. Selon al-Ǧāḥiẓ le fait d’être l’objet d’un madīḥ est un des plus grands bienfaits ici-bas : « wa
lā a‘lamu fī l-arḍi ni‘matan ba‘da wilāyati Allāhi a‘ẓama min an yakūna r-raǧulu mamdūḥ an ». AL-ǦĀḤIẒ, al-
Ḥayawān, éd. Dār wa maktabat al-Hilāl, Beyrouth, 1986, t. 2, p. 132.
112. ǦARĪR, Dīwān Ǧarīr, éd. Nu‘mān Muḥammad Ṭaha, Dār al-Ma‘ārif, Le Caire, 1969 (2 tomes).
113. Ibid.
114. AL-FARAZDAQ, Dīwān al-Farazdaq, éd. Maǧīd Ṭrad, Dār al-kitāb al-‘arabī, Beyrouth, 1992 (2
tomes).
115. Ibid.
116. « L’Immunité », IX, verset 60. Le Coran, introduction, traduction et notes Denise Masson,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1967, p. 233-234.
117. Ibn Qutayba ne cite ici que la séquence madīḥ du panégyrique de Kuṯayyir. Pour la version
intégrale, voir le dīwān, p. 214-217.
118. Rappelons ici que Kuṯayyir était rafidite.
119. Il s’agit bien sûr ici de Ka‘b b. Zouhayr, le célèbre auteur de la fameuse Burda ou bānat Su‘ādu
...

RÉSUMÉS
À partir de notices et de récits divers puisés, entre autres, dans al-Ši‘r wa l-šu‘arā’, le célèbre
ouvrage du savant abbasside Ibn Qutayba (m. 889), mais aussi dans le non moins célèbre Kitāb al-
Aġānī d’al-Iṣfahānī (m. 967), nous tentons dans cet article de mettre en lumière les relations du
huitième calife umayyade ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz avec les poètes de son époque.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


193

Quel intérêt portait cet homme de pouvoir à la poésie ? La connaissait-il ? Qu’en pensait-il ?
Appréciait-il un genre poétique particulier ? Recevait-il des poètes à sa cour ? Quelle est la nature
des rapports qu’il entretenait avec eux ? Y a-t-il eu au cours de sa vie un changement d’attitude
vis-à-vis de la poésie et des poètes ? Telles sont les questions auxquelles nous allons essayer de
répondre dans ce travail, après une brève présentation de ce calife que l’on considère comme le
cinquième calife orthodoxe.

‫نحاول في هذا المقال القيام بدراسة عﻼقة الخليفة اﻷموي الثامن عمر بن عبد العزيز‬
‫بشعراء عصره وذلك من خﻼل اﻷخبار التي تحفل بها كتب اﻷدب ومن بينها كتاب‬
‫ م) و«كتـاب اﻷغـاني» ﻷبـي الفـرج‬٨٨٩ ‫«الشعر والشعـراء» ﻻبن قتيبة (ت‬
.)‫ م‬٩٦٧ ‫اﻹصـفـهـاني (ت‬
‫هل كان للخليفة عمر بن عبد العزيز اهتمام خاص بالشعر ؟ هل كانت له دراية به وما‬
‫ضل نوعا شعريا خاصا ؟ هل كانت أبواب قصره مفتوحة في‬ّ ‫هو رأيه فيه ؟ هل كان يف‬
‫وجه الشعراء ؟ ما هي طبيعة العﻼقة التي كانت تربطه بهم ؟ هل حصل تحول ما خﻼل‬
‫حياته في موقفه من الشعر والشعراء ؟ هذه هي اﻷسئلة التي سنحاول اﻹجابة عنها‬
‫ بعد نبذة قصيرة عن حياة هذا الخليفة الذي يعتبر خامس الخلفاء‬،‫في هذا البحث‬
.‫الراشدين‬

We try in this article to highlight the relations between the eighth Umayyad caliph, ‘Umar ibn
‘Abd al-’Azīz, and the poets of his time. We draw on documents and on various tales from books
including, al-Shi’r wa-l-shu’arâ’, the famous book from the Abbassid scholar, Ibn Qutayba (d.889)
and from the equally famous, Kitāb al-Aghanī by al-Iṣfahānī (d. 967).
We ask: was this caliph especially interested in poetry? Did he even know about it? What were
his thoughts about poetry? Did he enjoy a particular genre? Were there any poets in his court
and what kind of relationship did he maintain with them? Did his attitude to poetry and poets
change over the course of his lifetime? These are the questions we will try to answer in this
article, after a brief presentation of the life of a ruler whom people consider the fifth ‘righteous’
caliph.

AUTEUR
MOHAMED BAKHOUCH
IFPO/Université de Provence

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Les systèmes conditionnels en ’in de


l’arabe classique
Pierre Larcher

Introduction
1 Cet article est l’exact pendant de celui consacré aux systèmes hypothétiques en law de
l’arabe classique (Larcher, 2003b). La méthode suivie est la même. Il part d’un constat :
les grammaires, même de référence, de l’arabe dit « classique » sont descriptivement
inadéquates dès lors qu’on les confronte à des textes réels. Elles négligent et parfois
même ignorent des données pourtant présentes dans le corpus censé leur servir de base
(i.e. poésie archaïque et Coran). Elles ignorent, comme hors de leur objet même, toutes
les évolutions observables en arabe standard moderne, mais dont on constate, quand
on retourne aux textes, que très souvent elles s’originent en fait dans un très lointain
passé. Cette inadéquation descriptive tient au caractère même, quelque peu paradoxal,
de l’arabe classique. S’il est une variété de l’arabe, il n’est pourtant pas un état de cette
variété, mais une construction : il n’y a pas de langue classique, en effet, sans
intervention des grammairiens. Dans le cas arabe, le corpus servant de base à la
construction lui est chronologiquement antérieur (d’où l’étiquette, qui n’est pas sans
risque, de « préclassique » qu’on colle parfois à la langue de ce corpus 1). Par suite, la
construction agit comme un filtre par rapport au corpus, dans un sens ou dans l’autre,
en ne reprenant pas à son compte des données attestées par le corpus, ou en
« classicisant » à rebours des données de ce corpus 2. Filtre en amont, la construction,
devenant référence et même norme, notamment scolaire, agit en aval comme un
écran : rien n’existe pour elle de la langue qu’on qualifie parfois, et, là encore, non sans
risque, de « postclassique », ni, bien sûr, de la langue moderne… Pour rendre à la
grammaire de l’arabe classique un peu plus d’adéquation descriptive et donc
d’efficacité pédagogique, il est impératif, non seulement de revenir aux textes, mais
encore d’introduire une dimension diachronique. Nous reprendrons ici la même
sélection de moments : l’arabe coranique, l’arabe des traités médiévaux, le moderne
arabe de presse. Le premier sera représenté essentiellement par la sourate 2 al-Baqara ;

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


195

le second par ’Ayyuhā al-walad de Ġazālī (m. 505/1111) ; le troisième par le corpus
constitué par Girod (2000). Nous ne nous interdirons pas des excursions dans d’autres
textes, ni dans les dialectes.

1. ’in en arabe coranique 3


1.1. Statistiques

2 Il y a 58 ’in dans la sourate al-Baqara. Un est négatif (2, 78). Deux autres sont des formes
« allégées » de ’inna (2, 143 et 2, 198) 4. Il en reste donc 55. Sur ces 55, trois, dont un ’in
šā’a llāh (2, 70), sont insérés dans une autre structure (2, 180 et 2, 246). Nous en
traiterons plus loin sous la rubrique « cas particuliers ». Il en reste donc 52. Sur ces 52,
on a 17 fois l’ordre q ’in p, contre 35 l’ordre ’in p, (fa-) q. Ce dernier est donc très
largement dominant. Sur ces 35, on a 30 fois une séparation de ’in p et q au moyen de fa-
ou fa-’inna. Les systèmes « brisés » 5 sont donc beaucoup plus nombreux que les
systèmes non brisés. Sur les 5 systèmes non brisés, trois sont en fait des la-’in qui posent
des problèmes spécifiques. Il reste donc 2 « purs » ’in p, q qui tous deux ont la forme ’in
yaf‘al, yaf‘al (2, 85 et 284).
3 Ainsi cette première statistique montre que la structure privilégiée par les grammaires
est très largement minoritaire (2/52 !) et plus encore avec l’accompli que l’inaccompli
apocopé. Nous n’avons aucun exemple de ’in fa‘ala, fa‘ala dans la sourate 2 et une
seconde statistique vient confirmer ce fait. Giolfo (2004) a relevé dans le Coran 65
systèmes hypothétiques ’in p, q où p et q sont des phrases positives : 59 ont la forme ’in
yaf‘al, yaf‘al, contre seulement 6 la forme ’in fa‘ala, fa‘ala 6.

1.2. Les systèmes ’in p, q


1.2.1. ’Illā yaf‘al, yaf‘al et ’in yaf‘al, lā yaf‘al

4 Considérons les deux exemples de la sourate 2 :


(1) wa-’in ya’tūkum ’usārā tufādūhum (2, 85)
« S’ils se constituent prisonniers, vous les rançonnez »
(2) Wa-’in tubdū mā fī ’anfusikum ’aw tuḫfūhu yuḥāsibkum bihi llāhu (2, 284)
« si vous dévoilez ce qui est en vous ou si vous le cachez, Allah vous en demandera
compte ».
5 Protase et apodose de ces deux exemples sont toutes deux des phrases positives. Or, si
l’on élargit l’enquête à l’ensemble du corpus coranique, on a tôt fait d’observer
qu’apparaît dans les systèmes en ’in la négation lā yaf‘al, tant dans la protase, sous la
forme ’illā yaf‘al, comme dans Cor. 8, 73 :
(3) wa-’illā taf‘alūhu takun fitnatun fī-l-’arḍi wa-fasādun kabīr
« et si vous ne faites pas, il y aura une rébellion sur terre et une grande
corruption 7 »
que dans l’apodose, comme dans Cor. 6, 25 :
(4) wa-’in yaraw kulla ’āyatin lā yu’minū bihā
« et s’ils voient quelque signe, ils n’y croient pas 8 ».
6 Curieusement, cet emploi, pourtant illustré par de nombreux exemples, n’est pas du
tout relevé ou l’est seulement pour la protase par mainte grammaire arabisante. Dans
la première catégorie, on trouve Silvestre de Sacy (1831) qui donne pourtant en II, 572

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un exemple de protase en ’illā yaf‘al 9. Il en va de même de Caspari (1880) qui donne


pourtant p. 459 un exemple d’apodose en lā yaf‘al 10. Dans la seconde catégorie, on
trouve Wright (1896-8), qui note explicitement l’emploi pour la protase (t. II, p. 49) 11,
non pour l’apodose, même si on y trouve (t. II, p. 23) un exemple de protase et
d’apodose en lā yaf‘al, sinon pour une conditionnelle « totale » en ’in, du moins pour une
conditionnelle « partielle » en man 12.
7 Plus près de nous, Blachère et Gaudefroy-Demombynes (1952) mentionnent (p. 461)
l’emploi de ’illā, comme négation de ’in, illustré (p. 462) par Cor. 8, 74 (en fait : 73). Ils
donnent p. 451 l’exemple de Cor. 16, 18 pour illustrer, non l’emploi d’une apodose
négative en lā yaf‘al, mais la proposition « la protase vient le plus souvent avant
l’apodose » et p. 452 celui de Cor. 7, 192 (en fait : 193) pour illustrer la proposition
« Parfois, pourtant, on trouve des apodoses verbales négatives sans fa-. Mais cette
construction paraît exceptionnelle et ne s’est pas maintenue ». Autrement dit, pour
eux, une apodose négative lā yaf‘al juxtaposée à la protase est une espèce d’anomalie,
contrevenant à ce qu’ils considèrent être la « norme », à savoir séparation de la protase
et de l’apodose par fa- « si, étant verbale, le verbe ne vient pas immédiatement en tête
de la proposition 13 ».
8 Que cette construction, qui n’a rien d’exceptionnel (on a vu ci-dessus que le Coran
attestait de plus d’apodoses en lā yaf‘al que de protases en ’illā yaf‘al…) « ne se soit pas
maintenue », c’est ce que note explicitement Fischer (1970-1, p. 18), en présentant
l’emploi de ’illā yaf‘al comme un trait spécifique de l’arabe préclassique (par opposition
à l’emploi classique ’in lam yaf ‘al). Fischer (1987) répète cela (p. 204, § 452), mais § 450,
c) Anm. 2, il écrit : « Im negierten Nachsatz steht lam mit Apoc. Vorklassisch ist lā mit
Apoc. möglich » [« dans l’apodose négative, on a lam avec l’apocopé ; à la période
préclassique, lā, avec l’apocopé est possible »], donnant l’exemple de Cor. 7, 193.
9 Il est vrai que, longtemps avant Fischer, Reckendorf (1921) écrivait (p. 487) : « lam mit
Apok., ist die Verneinung des Perf. (…). Seltener ist lā mit Apok., das als Verneinung
eines Apok. zu verstehen ist » [« lam avec apocopé est la négation de l’accompli (…).
Plus rare est lā avec l’apocopé, qui est à comprendre comme la négation d’un
apocopé »], donnant Cor. 8, 74 (en fait 73) comme exemple de protase négative ’illā
yaf‘al et un vers d’Imru’ al-Qays comme exemple d’apodose négative en lā yaf‘al.
10 Enfin, Peled (1992) signale (p. 17) que ’illā yaqtul « clearly belongs to an earlier stage of
Arabic », citant Fischer et Reckendorf pour l’opinion que cette forme est « the negative
counterpart of in yaqtul in pre-classical Arabic ». En revanche Peled, bien que rappelant
en note que Reckendorf donne un exemple d’apodose négative lā yaf‘al, n’envisage lui-
même cette dernière que coordonnée à une apodose positive yaf‘al. Le fait qu’il n’y ait
pas moins de 14 exemples d’apodose négative lā yaf‘al dans le Coran (contre seulement 5
exemples de protase ’illā yaf‘al d’une part et trois exemples d’apodose négative lā yaf‘al
coordonnées d’autre part 14) montre : 1) que le phénomène n’est pas rare et 2) que la
coordination ne joue aucun rôle dans l’affaire ! Ainsi l’ouvrage le plus récent en matière
de conditionnelles en arabe classique ne prend pas l’exacte mesure de cet emploi 15.
11 En fait, on peut et même on doit aller plus loin que Reckendorf et Fischer. Certes, la
formulation du premier implique, si lā yaf‘al est à comprendre comme la négation de
yaf‘al et lam yaf‘al comme celle de fa‘ala, qu’avec ’in yaf‘al, yaf‘al, on a les négations ’illā
yaf‘al, yaf‘al et ’in yaf‘al, lā yaf‘al, tandis qu’avec ’in fa‘ala, fa‘ala, on a les négations ’in lam
yaf‘al, fa‘ala et ’in fa‘ala, lam yaf‘al. En ce sens, en arabe préclassique, si lā yaf‘al est bien
une négation « possible », au même titre que lam yaf‘al, elle n’en est pas moins la

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négation nécessaire de yaf‘al comme lam yaf‘al est la négation nécessaire de fa‘ala. De
même, si elle peut sembler « plus rare » que lam yaf‘al, au point de passer inaperçue,
quand on ne distingue pas entre périodes préclassique et classique de l’arabe, elle
apparaîtra au contraire comme bien plus fréquente que lam yaf‘al, quand on observe
qu’elle est en fait limitée à la période préclassique. On a noté ci-dessus que, dans le
Coran, il n’y avait que 9 exemples de ’in fa‘ala, fa‘ala contre 59 ’in yaf‘al, yaf‘al. Or, on n’y
trouve aucun exemple ni de ’in lam yaf‘al, fa‘ala ni de ’in fa‘ala, lam yaf‘al, alors qu’on a 4
’illā yaf‘al yaf‘al et 14 ’in yaf‘al lā yaf‘al. Si on élargit l’enquête à l’ensemble de l’arabe
préclassique, en y incluant un corpus de poésie archaïque, en l’espèce celui des
Mu‘allaqāt 16, on trouve 24 occurrences de ’in : 12 sont des systèmes ’in p, q ; 9 de ces
systèmes sont à l’apocopé, dont 2 avec protase en ’illā yaf‘al, et 3 à l’accompli, dont un
seul exemple de ’in fa‘ala, lam yaf‘al 17. La conclusion s’impose d’elle-même : en arabe
préclassique, il y a en fait pour les systèmes ’in p, q deux sous-systèmes yaf‘al/lā yaf‘al et
fa‘ala/lam yaf‘al, le premier l’emportant très largement sur le second, la forme négative
du second étant même inexistante dans le Coran et marginale en poésie…
12 Un dernier mot. Qu’on ne trouve d’apodose négative lā yaf ‘al qu’en corrélation avec
une protase positive ’in yaf‘al ne veut pas dire qu’inversement on ne trouve de protase
négative ’illā yaf’al qu’en corrélation avec une apodose positive yaf‘al. On a vu ci-dessus
qu’on a dans le Coran 5 protases ’illā yaf‘al, mais seulement quatre systèmes ’illā yaf‘al
yaf‘al. On trouve en effet aussi (Cor. 9, 40) :
(5) ’illā tanṣurūhu fa-qad naṣarahu llāhu
« Si vous ne le soutenez pas, Allah, lui, l’a soutenu »
où on a lā yaf‘al dans la protase d’un système brisé ’in p, fa-q. Il suffit d’observer qu’on a,
d’une part et parallèlement, Cor. 12, 77 :
(6) wa-’in yasriq fa-qad saraqa ’aḫun lahu min qablu
« s’il vole, c’est qu’un frère à lui a volé auparavant »
et d’autre part Cor. 9, 58 :
(7) fa-’in ’u‘ṭū minhā raḍū wa-’in lam yu‘ṭaw minhā ’iḏā hum yasḫuṭūn
« Si on leur en donne, ils sont satisfaits, mais si on ne leur en donne pas, les voilà
qui se fâchent »
pour arriver à la conclusion que lā yaf‘al et lam yaf‘al sont respectivement les négations
de yaf‘al et fa‘ala aussi bien dans la protase des systèmes brisés ’in p, fa-q que dans la
protase ou l’apodose des systèmes liés ’in p, q.
13 Ceci explique cela. Reckendorf qui, semble-t-il, considère les choses de manière plus
« paradigmatique » que « syntagmatique » 18 parvient à la conclusion, que nous faisons
nôtre, de lā yaf‘al négation de yaf‘al et de lam yaf‘al négation de fa‘ala, tout en restant en
deçà de notre propre conclusion d’un double système ’in (’illā) yaf‘al, (lā) yaf‘al / ’in fa‘ala
(lam yaf‘al), fa‘ala (lam yaf‘al).

1.2.2. Révision de l’hypothèse

14 Si : 1) on trouve déjà des ’in fa‘ala, fa‘ala dans le Coran, mais encore aucun ’in fa‘ala, lam
yaf‘al (ou ’in lam yaf‘al, fa‘ala) et 2) on ne trouve jamais lam yaf‘al en corrélation avec
yaf‘al, il faut alors réviser l’hypothèse que nous avions faite en 2003 (Larcher, 2004).
Nous avions alors suggéré de dériver le système fa‘ala/lam yaf‘al du système yaf‘al/lā
yaf‘al, via la négation lam yaf‘al, se substituant à lā yaf‘al et amenant dans son sillage la
forme positive fa‘ala. Il nous faut en fait revenir à l’hypothèse que nous avions écartée,
celle d’une double origine des systèmes en ’in, l’une jussive et l’autre assertive.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


198

1.2.2.1. Origine jussive

15 Si l’on observe : 1) que l’apocopé yaf‘al peut constituer la phrase C 2 d’un couple de
phrases coordonnées, au sens de Bally (1965) 19, C1C2 où C 1 est, non pas une
conditionnelle, mais une phrase jussive (impératif, injonctif, prohibitif) et 2) qu’un tel
couple C1C2 peut avoir une interprétation conditionnelle (si C 1, C2) mais aussi finale (C1
pour que C2) 20, on pourrait faire l’hypothèse que ’in C 1 est venu se substituer à C 1 jussif
pour lever l’ambiguïté existant dans l’interprétation des couples C 1C2 : l’emploi de
yaf‘al/lā yaf‘al derrière ’in relie immédiatement la phrase conditionnelle à la phrase
jussive. Notons, à cet égard, une différence fondamentale entre Sībawayhi et ses
successeurs : alors qu’Ibn al-Sarrāǧ (m. 316/929), par exemple, conçoit ’in comme un
opérateur binaire s’appliquant à un couple de phrases yaqūmu Zaydun et yaqūmu
‘Amrun, dont il détermine l’apocope 21, Sībawayhi considère que ’in détermine
seulement l’apocope du verbe de la protase et que c’est l’ensemble ’in yaf‘al qui
détermine celle du verbe de l’apodose 22. Pour le dire dans les termes de Bally (1965)
revisité par Ducrot (1972), alors que pour Ibn al-Sarrāǧ ’in yaf‘al yaf‘al est une « phrase
liée » affirmant une relation d’implication entre p et q, pour Sībawayhi ’in yaf‘al, yaf‘al
reste une « coordination » de phrases où dans le cadre d’une supposition, constituant le
thème, on fait une assertion, constituant le propos.

1.2.2.2. Origine assertive

16 Si l’on observe : 1) que lam yaf‘al est bien installé comme négation de fa‘ala dans les
phrases assertives ; 2) que, sans exception, c’est fa‘ala/lam yaf‘al que l’on trouve dans les
systèmes q, ’in p (19 exemples, tous positifs, dans la sourate al-Baqara) et 3) que ’in fa‘ala/
lam yaf‘al l’emporte sur ’in yaf‘al/lā yaf‘al dans les systèmes brisés ’in p, fa-q (22 ’in fa‘ala
et 4 ’in lam yaf‘al contre seulement 4 ’in yaf‘al dans la sourate al-Baqara), on pourrait
faire l’hypothèse qu’employé avec l’accompli, ’in ne fait rien d’autre que suivre, avec
retard, le comportement syntaxique de… ’iḏā. ’Iḏā est un circonstant qui, avec la phrase
p qu’il a dans son champ, constitue ce qu’on appelle dans notre tradition une
subordonnée circonstancielle, c’est-à-dire un complément circonstanciel se rattachant
au verbe de la principale : à ce stade, la phrase q ’iḏā p n’est encore qu’une phrase
complexe, dans un des constituants de laquelle est imbriquée une autre phrase. Mais
une telle phrase a vocation à devenir un complexe de phrases, par segmentation 23 : il
suffit d’une pause entre q et ’iḏā p, soit q, ’iḏā p, pour que q devienne le thème et ’iḏā p le
propos ; ou encore déplacer ’iḏā p en tête de phrase, pour qu’il devienne le thème et q le
propos (’iḏā p, q). On admet généralement que, dans cette dernière configuration tout
particulièrement, l’emploi de l’accompli dans les deux segments y a valeur
d’omnitemporel et tire le circonstanciel vers l’éventuel 24. Or, cet emploi est très
largement dominant en arabe coranique : dans la sourate 2, on a 31 occurrences de ’iḏā ;
12 ont la forme ’iḏā fa‘ala, fa‘ala contre 11 la forme ’iḏā fa‘ala fa-q et 9 la forme q ’ iḏā
fa‘ala. Ce qui permet de dire que ’in suit avec retard la syntaxe de ’iḏā, ce n’est pas
seulement les statistiques (le très petit nombre de ’in fa‘ala, fa‘ala comparé au très grand
nombre de ’iḏā fa‘ala, fa‘ala), mais encore le fait qu’on a dans le Coran des exemples de
’iḏā lam yaf ‘al, fa‘ala et ’iḏā fa‘ala, lam yaf‘al, e.g. 7, 203 :
(8) wa-’iḏā lam ta’tihim bi-’āyatin qālū lawlā iǧtabaytahā
« et quand tu ne leur apportes pas de signe, ils disent : Que ne l’as-tu pas choisi [par
toi-même] ! »

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


199

et 25, 67 :
(9) ’iḏā ’anfaqū lam yusrifū wa-lam yaqturū
« quand ils dépensent, ils ne se montrent ni prodigues, ni avares ».
17 Autrement dit, l’arabe coranique atteste de l’existence tout à la fois d’un système
conditionnel potentiel complet de forme ’in (’illā) yaf‘al (lā) yaf‘al et d’un système
éventuel complet de forme ’iḏā fa‘ala (lam yaf‘al) fa‘ala (lam yaf‘al). L’éventuel étant
sémantiquement proche du potentiel, ce qui devait arriver arriva, c’est-à-dire un
entrecroisement des deux systèmes aboutissant déjà à quelques ’in fa‘ala fa‘ala, mais pas
encore au système complet qu’on trouvera ultérieurement ’in fa‘ala (lam yaf‘al) fa‘ala (lam
yaf‘al). Si notre hypothèse est correcte, il n’est donc pas tout à fait exact de dire qu’il
existe, à l’époque préclassique, un double système des conditionnelles en ’in -yaf‘al/lā
yaf ‘al//fa‘ala/lam yaf‘al- qui s’est fondu, en arabe classique, en un nouveau système
yaf‘al/fa‘ala//lam yaf‘al. Il serait plus exact de dire qu’il existe deux systèmes, l’un
conditionnel et l’autre éventuel, le conditionnel évoluant sous l’action de l’éventuel. En
revanche, il existe bien, en arabe coranique, un dédoublement des systèmes en ’in,
comme on va maintenant le voir.

1.3. Les systèmes la-’in p (la-) q 25

18 Dans trois cas, ’in est précédé de la- :


(10) La-’in ittaba‘ta ’ahwā’ahum ba‘da llaḏī ǧā’aka mina l-‘ilm mā laka min Allāhi
min waliyyin wa-lā naṣīrin (Cor. 2, 120)
« Supposons que tu suives/aies suivi leurs caprices, après la connaissance qui t’est
venue, (alors) à toi, pas de patron ni de soutien par rapport à Allah ! »
(11) La-’in ’atayta llaḏīna ’ūtū l-kitāba bi-kulli ’āyatin mā tabi‘ū qiblatakum wa-mā ’anta
bi-tābi‘in qiblatahum wa-mā ba‘ḍuhum bi-tābi‘in qiblata ba‘ḍin (Cor. 2, 145/1)
« Supposons que tu sois venu à ceux à qui a été donnée l’Écriture avec quelque ’āya :
ils n’ont pas suivi ta qibla et, toi, tu ne suis pas la leur et les uns ne suivent pas la
qibla des autres ! »
(12) La-’in ittaba‘ta ’ahwā’ahum ba‘da llaḏī ǧā’aka mina l-‘ilm ’inna-ka ’iḏan la-mina ẓ-
ẓālimīn (Cor. 2, 145/2)
« Supposons que tu suives/aies suivi leurs caprices, après la connaissance qui t’est
venue, c’est donc que tu fais partie des injustes ! »
19 La-’in présente des propriétés spécifiques, qui n’apparaissent cependant que si l’on
étend les statistiques à l’ensemble du Coran. Il y a 59 occurrences de la-’in dans celui-ci.
Dans la protase on ne trouve que la forme positive fa‘ala (50 fois) ou la forme négative
lam yaf‘al (9). L’apodose est 44 fois introduite elle-même par la-. Les 15 fois où elle ne
l’est pas, c’est que l’apodose est une phrase négative (8 fois) ou une phrase introduite
par ’inna (7 fois). Ce sont justement ces deux cas qu’illustrent les trois occurrences de
la-’in dans la sourate 2. La double incompatibilité de la- avec la négation et ’inna 26
suggère que ce la- a non seulement à voir avec l’affirmation, mais encore l’affirmation
renforcée. Sur ces 44 fois, la- introduit un inaccompli énergique, lourd (40 fois) ou léger
(1 fois). Comme la-yaf‘alanna est par excellence la forme se rencontrant dans le champ
d’un serment, c’est sûrement ce qui conduit les grammairiens arabes à voir dans ce la-
un lām d’apodose, non de la condition, mais d’un serment sous-entendu, qu’« annonce »
ou « prépare » celui précédant ’in (appelé pour celle raison lām al-mu’ḏina ou al-
muwaṭṭi’a) 27. De même, c’est la considération de Cor. 59, 11/1 :
(13) La-’in ’uḫriǧtum la-naḫruǧanna ma‘akum wa-lā nuṭī‘u fīkum ’aḥadan ’abadan
« si vous êtes expulsés, nous sortirons avec vous et nous n’obéirons jamais à
quelqu’un contre vous »

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200

et de Cor. 59, 12/1 :


(14) la-’in ’uḫriǧū lā yaḫruǧūna ma‘ahum
« s’ils sont expulsés, ils ne sortiront pas avec eux »
qui conduit un grammairien comme Sībawayhi à voir dans lā yaf‘alu le pendant négatif
de la-yaf‘alanna 28. Sur les 8 cas d’apodose négative, celle-ci a trois fois la forme lā yaf‘alu.
On peut donc « abstraire » un système majoritaire complet de forme la-’in fa‘ala (lam
yaf‘al) la-yaf‘alanna (lā yaf‘alu), auquel on peut rattacher deux variantes, l’une
concernant la protase, l’autre l’apodose : 1) dans trois cas, la- manque devant in,
l’apodose ayant cependant la forme la-yaf‘alanna (5, 73 ; 7, 23 ; 59, 11) ; 2) dans un cas, on
a un énergique « léger » yaf‘alan (96, 15) 29, son caractère de variante de l’énergique
« lourd » yaf‘alanna étant établi par le fait qu’en un autre cas on a une coordination du
lourd et du léger (12, 32) 30. Le système majoritaire, avec ses deux variantes, peut alors
être noté (la)-’in fa‘ala (lam yaf‘al) la-yaf‘alan(na) (lā yaf‘alu), représenté par 47
exemples.En faisant de la-q l’apodose non de la-’in, mais d’un serment, les grammairiens
arabes ne sauraient mieux dire que la structure la-’in p la-q est une suite de deux actes
de parole : une supposition, suivie d’une assertion renforcée. Dans le cas majoritaire,
la-’in fa‘ala la-yaf‘alanna (lā yaf‘alu), on note le contraste des deux formes verbales dans
la protase et l’apodose : on retrouve un tel contraste dans les systèmes conditionnels en
général, dans maint dialecte et en arabe moderne. Par suite on peut hésiter. Il peut
s’agir d’un emploi purement formel de l’accompli, lié à la particule de condition, le
temps-aspect-modalité étant donné par le seul verbe de l’apodose. Mais, dans la mesure
où il y a deux actes d’énonciation, il n’est pas exclu de pouvoir interpréter ces deux
formes par rapport au présent de l’énonciation, soit : « Je suppose que p a eu lieu.
J’affirme alors solennellement que q aura lieu ».

1.4. Les systèmes ’in p fa-q

20 On a vu ci-dessus que sur les 35 systèmes où la protase précède l’apodose, celle-ci est
séparée de celle-là par fa- 30 fois et, donc, que les systèmes ’in p fa-q apparaissent très
largement majoritaires. Pour les grammairiens arabes, fa- apparaît entre protase et
apodose chaque fois que l’apodose a une autre forme que celle requise pour être
protase 31. Ce qui permet de prédire que fa- apparaîtra si l’apodose n’est pas une phrase
verbale ou, si elle l’est, qu’elle a une autre forme que fa‘ala ou lam yaf‘al, auxquels il
convient d’ajouter lā yaf‘al en arabe préclassique. Néanmoins, on pourrait trouver fa-
devant ces structures mêmes, mais il aurait alors une valeur contrastive.
21 Dans Larcher (2000), on a proposé de voir dans ce fa- non seulement la marque d’une
rupture formelle, mais tout autant celle d’une rupture sémantique 32. Si ’in p, q marque
une relation logique d’implication, ’in p, fa-q ne marque jamais une telle relation. Dit,
comme nous l’avions fait alors, dans les termes de Bally revisité par Ducrot, ’in p, q
marque une « subordination sémantique » et ’in p, fa-q une « coordination
sémantique », interprétables respectivement comme une connexion logique et une
connexion pragmatique.
22 Rappelons cependant (Larcher, 1992) qu’Anscombre et Ducrot (1977) rebaptisent
« subordination sémantique » ce que Bally lui-même appelle « phrase liée » et fondent
dans une unique catégorie de « coordination sémantique » ce que Bally distingue sous
les noms de « phrase segmentée » d’une part, de « phrase(s) coordonnée(s) » d’autre
part. Bally lui-même considérerait la structure q si p (sans pause entre principale et
subordonnée) comme une phrase liée 33. Il en va de même de Ducrot (1972), qui prenant

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201

acte que la phrase liée a une structure sujet-prédicat, développe la notion de « prédicat
complexe ». En revanche, Bally considérerait la structure q, si p (avec pause entre
principale et subordonnée) et la structure si p, q (où la subordonnée est antéposée à la
principale) comme des exemples de phrases segmentées, de structure thème/propos 34.
Ducrot (1972 : 118) considère explicitement l’éventuel Quand on veut, on peut comme un
exemple de phrase liée, au motif « qu’il ne sert pas à affirmer un vouloir, puis, en
rapport avec ce vouloir, un pouvoir (ce que ferait une coordination). Mais il affirme un
rapport entre vouloir et pouvoir ». Ce qui n’empêche pas le même Ducrot de rompre un
peu plus loin (p. 162-163) avec la vision logique de si p, q comme affirmant une relation
de dépendance entre p et q en optant pour une vision pragmatique, comme suite de
deux actes illocutoires où la supposition sert de cadre à l’assertion. Les visions
respectivement logique et pragmatique des systèmes conditionnels si p, q
correspondent à ce que Bally (1965) appelle « phrase liée » et « phrase segmentée »,
Ducrot (1972) « phrase liée » et « coordination », Ducrot et Anscombre (1977)
« subordination » et « coordination sémantiques ».
23 Plus récemment, traitant du segmentateur fa-, éventuellement renforcé par ’inna - d’où
la notation fa-(’inna) - en arabe classique et moderne (Larcher, 2006), nous avions décrit
au moins quatre emplois, respectivement étiquetés comme « justificatif », « déductif »,
« énonciatif » et « oppositif », de ce fa-(’inna) dans les apodoses des systèmes
conditionnels de l’arabe coranique 35.
24 Nous nous contenterons de croiser ici les résultats de ces deux études. Aujourd’hui,
nous suivrions Sībawayhi, plutôt qu’Ibn al-Sarrāǧ, et Bally, plutôt que Ducrot… Par
suite, nous considérerions ’in p, q et ’in p fa-q comme étant des phrases segmentées, la
segmentation étant faible dans le premier cas, mais forte dans le second. Mais nous
maintiendrions l’interprétation de la première comme une connexion logique (et même
en un sens très étroit du terme) et de la seconde comme une connexion pragmatique.
Sur la base de la sourate al-Baqara, on met fa- à chaque fois que :
25 1) q n’est pas une assertion, cf. 2, 23 (impératif), 24 (impératif), 94 (impératif), 209
(impératif i‘lam : nous verrons en 3) le statut particulier de cet impératif), 271 (verbe
d’éloge), 279 (impératif), 282 (injonctif), 283 (injonctif).
26 2) q a la forme, mais non le sens d’une assertion : dans Larcher (2000), on a cité le cas
des performatifs. Dans la sourate 2, très « légiférante », ce cas est représenté par de
nombreuses phrases, nominales ou verbales, qui tout en ayant la forme d’affirmations
sont en fait des affirmations soit prescriptives, soit ascriptives, cf. 2, 193, 229, 230 (2
fois), 233 (2 fois), 240, 279. Parmi elles, deux « formules » se détachent : lā ǧanāḥa ‘alā-
« pas de grief à faire à… » et lā yaḥillu li- « x n’est pas licite à y ».
27 3) q a la forme et le sens d’une assertion, mais énonce un fait dont la vérité est
indépendante de celle de ’in p. C’est ce fa- que nous avons appelé « énonciatif 36 », parce
qu’il marque que ’in p conditionne non la vérité de q, mais l’énonciation de q, comme
dans Cor. 2, 192 :
(16) fa-’in intahaw fa-’inna llāha ġafūrun raḥīmun
« s’ils cessent, [sache qu’]Allah est pardonnateur et miséricordieux ».
28 Il est paraphrasable par « si p, sache que q », ce « sache » apparaissant explicitement
dans des contextes parallèles et fournissant ainsi un critère objectif du fa-
« énonciatif », comme Cor. 2, 209 :

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202

(17) fa-’in zalaltum min ba‘di mā jā’atkumi l-bayyinātu fa-‘lamū ’anna llāha ‘azīzun ḥakīm
« si vous trébuchez après que vous sont venus les signes distinctifs, sachez qu’Allah
est puissant et sage ».
29 4) q a la forme et le sens d’une assertion et sa vérité est bien dépendante de celle de ’in
p, mais sans que q soit, logiquement, le conséquent d’une inférence dont p serait
l’antécédent. En fait, c’est q qui est, logiquement, l’antécédent d’une inférence si q, p,
dont p est le conséquent. C’est ce fa- que nous avons appelé « déductif », parce qu’il
marque que q peut se déduire de si p, compte tenu de l’existence de l’inférence si q, p.
On en a un bel exemple en 2, 282 :
(18) wa-’in taf‘alūhu fa-’innahu fusūqun bi-kum
« si vous le faites, c’est qu’il y a de la perversité en vous ».
30 Il est clair que le fait qu’il y ait de la perversité chez les destinataires n’est vrai que pour
autant qu’ils fassent l’action supposée par le locuteur. Mais il est non moins clair que
cette éventuelle perversité ne serait pas la conséquence, mais au contraire la cause, de
l’action objet de la supposition. Autrement dit, c’est l’existence d’une inférence
implicite « Si vous êtes (étiez) pervers, vous le ferez (feriez) 37», qui permet de conclure,
par une espèce de contraposition naturelle 38, de l’éventualité qu’ils le fassent à leur
éventuelle perversité. Notons que, là encore, il existe un critère objectif, c’est la
possible apparition de ’iḏan dans q, comme dans Coran 10, 106 :
(19) fa-’in fa‘alta fa-’inna-ka ’iḏan mina-ẓ-ẓālimīn
« si tu agis [ainsi], c’est donc que tu es au nombre des injustes 39 ».
31 Cette énumération, exhaustive sur le plan du statut logique de q (absence de vérité,
vérité indépendante ou dépendante de ’in p), permet également d’intégrer les
descriptions sémantiques de détail. Ainsi entre dans le cas 3), le fa- que nous appelons
« justificatif », comme dans Cor. 12, 77 (exemple (6) ci-dessus), où q (« un frère à lui a
volé auparavant ») affirme un fait vrai indépendamment de l’hypothèse, l’assertion de q
servant en fait à justifier la supposition de p (« s’il vole »).
32 De même, entrent dans le cas 4) les quelques exemples de ’in p fa-lan yaf‘ala qu’on
rencontre dans le Coran et qui s’expliquent par le fait que lan yaf‘ala contredit la
conclusion r pour laquelle p est un argument, comme dans Cor. 5, 42 :
(20) wa-’in tu‘riḍ minhum fa-lan yaḍurrūka šay’an
« si tu te détournes d’eux, ils ne te nuiront en rien ».
33 Malgré les apparences, q n’est pas la conséquence logique de ’in p, mais fait
implicitement référence à une inférence de la vie quotidienne « si tu te détournes de
quelqu’un, il te nuira », fondant ici l’acte d’argumenter 40.

1.5. Les systèmes q, ’in p

34 Dans cette structure, la conditionnelle est postposée. Sur les 17 occurrences de cette
structure dans la sourate 2, on observe que ’in p a toujours la forme ’in fa‘ala. Ce ne peut
pas être un hasard. Cela veut dire, au minimum, que contrairement à ce qu’implique le
concept arabe de ǧawāzim (i.e. déterminants de l’apocope), ce n’est pas ’in à lui seul qui
détermine l’apocope du verbe, c’est aussi le fait même qu’il est protase. En fait, on peut
et on doit même aller plus loin : si on observe que dans les systèmes ’in p fa-q, ’in fa‘ala
(lam yaf‘al) l’emporte très largement sur ’in (’illā) yaf‘al (26 contre 4), on en conclura que,
de la même façon que l’apocopé de l’apodose est en fait lié à l’existence d’une protase,
l’apocopé de la protase est, pour l’essentiel, lié à celui de l’apodose 41…

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203

35 Sur le plan sémantique, peu d’attention est prêtée par les grammaires à l’ordre q, ’in p :
tout se passe comme si celles-ci, conditionnées par la terminologie arabe šarṭ/ǧawāb,
avaient érigé en « norme » l’ordre ’in p, q, où le terme même de « réponse » présuppose
l’antécédence de la « condition ». C’est d’ailleurs ce que dit la terminologie grecque
employée par la grammaire arabisante (protase/apodose) où la condition est désignée
comme antécédent. Dans la mesure cependant où les deux ordres coexistent, dans la
proportion de 2/3 à 1/3, on ne peut considérer le second ordre comme marginal et on
doit rechercher la différence entre les deux. On peut penser qu’il y a entre eux la même
différence qu’en français entre S’il fait beau, je sortirai et Je sortirai, s’il fait beau : la
première phrase est une supposition servant de cadre à une assertion, la seconde une
assertion restreinte par une supposition. Ce si « restrictif », paraphrasable par « si, du
moins », se retrouve, à première vue, avec 16 des 17 q, ’in p de la sourate al-Baqara,
comme par exemple 2, 172 :
(21) wa-škurū llāha ’in kuntum ’iyyāhu ta‘budūn
« rendez grâce à Allah, si (du moins) c’est lui que vous adorez ».
36 Dans un cas néanmoins, celui de Cor. 2, 286, cette description ne convient pas :
(22) rabbanā lā tu’āḫiḏnā ’in nasīnā ’aw ’aḫṭa’nā
« notre Seigneur, ne nous reprends pas, si nous oublions ou fautons ».
37 ’In est ici seulement paraphrasable par « pour le cas où », ce qui le désigne comme
« énonciatif », la supposition justifiant la prière.

1.6. Cas particuliers

38 Nous rencontrons d’abord Cor. 2, 70 :


(23) ’innā ’in šā’a llāhu la-muhtadūn
« sûr que nous sommes, si (du moins) Allah [le] veut, bel et bien guidés ».
39 ’In šā’a llāhu est inséré ici entre le thème ( ’innā) et le propos (la-muhtadūna) d’une
assertion doublement renforcée et fonctionne comme un si restrictif, paraphrasable par
« si du moins ». Il peut sembler en aller de même de 2, 180 :
(24) kutiba ‘alaykum ’iḏā ḥaḍara ’aḥadakumu l-mawtu ’in taraka ḫayrani l-waṣiyyatu li-l-
wālidayn
« il vous est prescrit, quand la mort se présente à l’un de vous, si (du moins) il laisse
un bien, de tester en faveur de ses parents »
où la conditionnelle est insérée, à la suite d’une circonstancielle, entre le verbe (kutiba
‘alaykum) et le sujet (al-waṣiyyatu li-l-wālidayn) d’une phrase verbale 42. Cependant, kutiba
‘alaykum (…) al-waṣiyyatu li-l-wālidayn, tout en ayant la forme d’une assertion, constitue
en fait, dans le contexte coranique, une prescription. Et c’est cette prescription qui est
« conditionnée » par ’in taraka ḫayran. Il s’agit donc d’un ’in « énonciatif », et non
restrictif, paraphrasable par « pour le cas où il laisserait un bien ». C’est également le
cas de Cor. 2, 246 :
(25) Hal ‘asītum ’in kutiba ‘alaykumu l-qitālu ’allā tuqātilū
« Pourriez-vous, s’il (= pour le cas où) vous est prescrit de combattre, ne pas
combattre ? »
40 La conditionnelle est insérée entre le verbe modal (‘asītum) et le dictum (’allā tuqātilū)
d’une phrase verbale, elle-même dans le champ d’un opérateur d’interrogation. Par
suite même, la conditionnelle conditionne non ce qui est énoncé, mais l’acte
d’énonciation, ici une question. Ces trois exemples suggèrent néanmoins que l’insertion

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204

de ’in p dans une autre structure se laisse ramener, sur le plan sémantique, à un
système q, ’in p.

2. ’in dans ’ayyu-hā l-walad de ĠazĀlī


2.1. Statistiques

41 Comme je l’avais fait pour les systèmes hypothétiques en law (Larcher, 2003b), j’utilise
le ’ayyuhā l-walad de Ġazālī. Il y a 22 occurrences de ’in dans cette œuvre, 25 si on y
ajoute trois ’illā (< ’in + lā), se décomposant de la manière suivante :
’in p, q : 4
’in p, fa-q : 9
’illā (= Neg p) (fa)-q : 3
q, ’in p : 2
wa-’in p, q : 2
q, wa-’in p : 5
42 Comme dans la sourate al-Baqara, l’ordre protase-apodose domine largement dans les
systèmes purement conditionnels (13 contre 2 pour l’ordre inverse) et les systèmes
brisés ’in p, fa-q sur les systèmes liés (9 contre 4). En revanche, il est minoritaire dans les
systèmes mixtes, concessivo-conditionnels (2 contre 5 pour l’ordre inverse), dont aucun
exemple n’apparaissait dans la sourate al-Baqara. Entrons maintenant dans le détail :

2.2. ’in p, q
(26) ’In tabluġ hāḏihi al-ḥāla ta‘rif mā hiya (p. 23, l. 13-14)
« Si tu parviens à cet état, tu sais ce qu’il est ».
(27) ’In taṣil ’ilayhā ta‘rif (p. 23, bas)
« Si tu y parviens, tu le connais ».
(28) wa-’in lam yastaṭi‘ yatruk ṣuḥbatahu ’ilā ’an yuwāfiqa bāṭinuhu ẓāhirahu (p. 35, l.
8-9)
« s’il ne le peut pas, il quittera sa compagnie (celle du maître) jusqu’à ce que son for
intérieur soit en harmonie avec son apparence ».
(29)’in tasir tara al-‘aǧā’ib fī kulli manzil (p. 39, l. 6)
« si tu marches [dans la voie du mysticisme], tu verras des merveilles à chaque
station ».
43 Les quatre exemples de structure ’in p, q réservent une surprise de taille : ils emploient
tous l’apocopé dans la protase et l’apodose. Il n’y a aucun exemple de ’in p, q avec
emploi corrélatif de l’accompli. Cependant, l’exemple (3) montre une différence avec
l’arabe coranique. La forme négative employée dans la protase est lam yaf‘al. Dans le
Coran, sans exception, la forme négative correspondant à yaf‘al est lā yaf‘al, lam yaf‘al
étant celle correspondant à fa‘ala. On peut donc dire qu’il s’est produit une
simplification : l’arabe préclassique atteste un double système yaf‘al/lā yaf‘al//fa‘ala/lam
yaf‘al, qui s’est fondu en un seul yaf‘al/fa‘ala//lam yaf‘al dans l’arabe tel qu’il s’écrit au
Moyen Âge.

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205

2.3. ’Ayyuhā l-walad vs al-Munqiḏ min al-ḍalāl : une hypothèse


« gnomique »

44 C’est le fait, inattendu, de la totale absence de ’in fa‘ala, fa‘ala qui nous conduit à élargir
notre corpus à une autre œuvre de Ġazālī, en l’espèce le Munqiḏ min al-ḍalāl. On y trouve
46 occurrences de ’in, dont 3 ’in p, q, 23 ’in p fa-q, 2 q ’in p, le reste consistant en wa-’in p
concessifs (17), postposés (13), antéposés (3) ou insérés (1), et 1 cas particulier (un ’in p,
auquel est juxtaposé un rubbamā q). Or, considérons ces trois exemples de ’in p, q :
(30) fa-’in kāna ḥaqqan qabilahu (p. 25)
« si le propos est véridique, il (le sage) l’accepte »
(31) wa-’in ’asnadtahu ’ilā man sā’a fīhi i‘tiqāduhum raddūhu wa-’in kāna ḥaqqan (p. 26) 43
« et si tu l’attribues à qui il est mauvais pour eux de croire, ils le rejettent, même s’il
est véridique »
(32) fa-’in ‘ayyana l-mas’ala ‘arraftahu al-ḥaqq fīhā (p. 32)
« et s’il pose un problème spécifique, tu lui feras connaître la vérité concernant
celui-ci ».
45 Nouvelle surprise : les trois systèmes ’in p, q du Munqiḏ ont tous la forme ’in fa‘ala, fa‘ala.
Il n’y a donc aucun exemple de ’in yaf‘al, yaf‘al dans le Munqiḏ exactement comme il n’y a
aucun exemple de ’in fa‘ala, fa‘ala dans le ’Ayyuhā l-walad. C’est évidemment la
distribution complémentaire des deux sous-systèmes ’in p, q, dans deux ouvrages d’un
même auteur, qui nous conduit à une hypothèse, liée à la nature même de ces ouvrages.
’Ayyuhā l-walad relève typiquement du genre naṣīḥa (« conseil »). Al-Munqiḏ mina l-ḍalāl
est une autobiographie intellectuelle. Dans le genre naṣīḥa, toute phrase devient, peu ou
prou, sentencieuse et on parlera alors d’un emploi gnomique de l’apocopé ou encore
d’un apocopé gnomique 44. Ce faisant, nous retrouvons ce que l’on dit généralement des
phrases doubles, avec emploi corrélatif d’une phrase jussive comme protase et de
l’apocopé dans l’apodose, à savoir que de tels couples sont essentiellement, voire
exclusivement, des maximes 45.
46 Sitôt faite, une telle hypothèse n’en soulève pas moins des questions dont on retiendra
ici deux :
47 1) S’il est légitime de rechercher, en synchronie même, une différence entre les deux
sous-systèmes ’in p, q, force cependant est de constater qu’une éventuelle
différenciation serait neutralisée à la forme négative, celle-ci étant commune aux deux
sous-systèmes. On pourrait dire néanmoins que, sauf si les deux phrases sont négatives
46, il suffit d’une phrase positive pour imputer lam yaf ‘al soit à fa‘ala, soit à yaf‘al. On

peut donc continuer à parler de deux sous-systèmes, mais désormais en relation


d’intersection et non plus d’exclusion mutuelle.
48 2) Pour la période préclassique, nous avons opté pour une hypothèse diachronique 47.
Or voir dans ’in fa‘ala, fa‘ala le produit de l’entrecroisement du potentiel ’in yaf‘al, yaf‘al,
auquel il emprunte son opérateur, et de l’éventuel ’iḏa fa‘ala, fa‘ala, auquel il emprunte
ses formes verbales, c’est y voir le même caractère intermédiaire que le français S’il fait
beau, je sors, par rapport à S’il fait beau, je sortirai, d’une part, Quand il fait beau, je sors,
d’autre part. Un auteur comme Peled (1992 : 15) qui cherche une différence entre les
deux sous-systèmes (dans la « synchonie » d’un arabe « classique », s’étalant sur
quelques siècles) estime que ’in yaf‘al, yaf‘al est plus souvent spécifique que générique et
’in fa‘ala, fa‘ala plus souvent générique que spécifique. Mais il note (p. 16) que ’in yaf‘al,

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yaf‘al peut-être lui-même générique, donnant un exemple extrait de al-Adab al-kabīr


d’Ibn al-Muqaffa‘ (œuvre relevant elle-même du genre naṣīḥa) :
(33) ’innaka ’in taltamis riḍā’ ǧamī ‘ l-nāsi taltamis mā lā yudraku
« if you seek the approval of all people, you are seeking the unattainable »
49 ajoutant : « Significantly, generic sentences of this kind are proverbial in nature. » Il
faut donc en conclure qu’au fil du temps ’in yaf‘al, yaf‘al est passé du spécifique au
générique et, inversement, ’in fa‘ala, fa‘ala du générique au spécifique. En soi, une telle
mutation n’est pas impossible, s’il est vrai que ’in/’iḏā fa‘ala, fa‘ala a remplacé ’in yaf‘al,
yaf‘al comme expression « normale » du potentiel, faisant de ce dernier un archaïsme,
stylistiquement marqué 48.

2.4. Q, ’in p

50 On en a deux exemples :
(34) wa-’a‘malu bi-mā fīhā muddata ‘umurī ’in šā’a llāhu (p. 5)
« je me servirai de leur contenu, ma vie durant, si Dieu le veut »
(35) wa-l-‘iyāḏ bi-llāhi ’in kunta min al-dawābb (p. 19, l. 1)
« Dieu me garde, si tu es au nombre des bestiaux ».
51 Les deux exemples confirment la description que nous avons faites des systèmes q ’in p
de l’arabe coranique. Le premier exemple est évidemment un exemple de ’in restrictif,
paraphrasable par « si du moins » et le second exemple est non moins évidemment un
exemple de ’in énonciatif paraphrasable par « je prie Dieu de me garder, pour le cas où
tu serais… ».

2.5. ’In p, fa-q

52 Les 9 exemples de ’in p fa-q, que l’on rencontre dans ’Ayyuhā l-walad, confirment
parfaitement la description que nous avons donnée de ces systèmes pour l’arabe
coranique. Dans huit cas sur neuf, fa- apparaît devant un q non assertif. Dans cinq cas, il
s’agit d’un impératif et dans deux d’une interrogation, comme dans :
(36) Wa-’in kāna qad balaġaka minhu naṣīḥa fa-’ayyu ḥāǧa laka fī naṣīḥatī wa-’in lam
yabluġka fa-qul lī māḏā ḥassalta fī hāḏihi al-sinīn al-māḍiya ? (p. 7, l. 4-5)
« Si t’en est déjà parvenu un conseil, quel besoin as-tu de mon conseil ? Et s’il ne
t’en parvient pas, qu’as-tu acquis au cours de ces années passées ? »
53 Dans deux cas, il s’agit d’un acte de parole plus rare, en l’espèce une malédiction et une
bénédiction :
(37) ’in kāna nayl ‘araḍ al-dunyā wa-ǧaḏb ḥuṭāmihā wa-taḥṣīl manāṣibihā wa-l-mubāhāt
‘alā al-’aqrān wa-’amṯāl fa-waylun laka ṯumma waylun laka (p. 15, l. 6-7)
« s’il s’agit d’obtenir les biens de ce monde, d’en attirer les vanités, d’en acquérir les
dignités, de se vanter auprès de ses semblables et de ses pairs, alors malheur à toi,
oui, malheur à toi ! »
(38) wa-’in kāna qaṣduka fīhi ’iḥyā’ šarī‘at al-nabī ṣallā llāhu ‘alayhi wa-sallam wa-tahḏīb
’aḫlāqika wa-kasr al-nafs al-’ammāra bi-l-sū’ fa-ṭūbā laka ṯumma ṭūbā laka (p. 15, l. 7-9)
« mais si ton but était de revivifier la Loi du Prophète (Dieu étende sur lui ses
bénédictions et sa protection !), de purifier tes mœurs, de briser l’âme encline au
mal, alors, béni sois-tu, oui, béni sois-tu ! ».
54 Dans le dernier cas, enfin, l’apodose est elle-même un système circonstanciel, mais
constituant une prédiction, faite dans le cadre de la supposition : il s’agit donc d’un fa-
« énonciatif », paraphrasable par « pour le cas où p, je te prédis que q » :

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(39) ’in kunta min al-ṭuyūr al-‘ulwiyya fa-ḥīna tasma‘u ṭanīn ṭabl irǧa‘ī ’ilā rabbika taṭīru
ṣā‘idan ’ilā ’an taq‘ad fī ’a‘ālī burūǧ al-ǧinān (p. 17, l. 16-18)
« si tu es du nombre des oiseaux célestes, alors, quand tu entendras rouler le
tambour du “Reviens à ton Seigneur”, tu voleras en montant jusqu’à te poser au
plus haut du Paradis ».

2.6. ’In p, (fa-)q wa-’illā (fa)-q

55 L’étude des systèmes ’in p fa-q permet, par contrecoup, de repérer un nouvel emploi de
’illā. ’Illā est toujours l’amalgame de ’in et lā, mais il n’est plus suivi de yaf‘al et, par suite,
n’est plus, paradigmatiquement, le correspondant négatif de ’in yaf‘al. Il est,
syntagmatiquement, le correspondant négatif d’un ’in p positif et lā y est prophrase,
étant égal à Nég. p : ’in p et ’illā sont en effet chacun protase d’une apodose de deux
systèmes coordonnés :
(40) ’in tabluġ hāḏihi al-ḥāla ta‘rif mā hiya wa-’illā fa-‘ilmuhā min al-mustaḥīlāt li-’annahā
ḏawqiyya
(p. 23, l. 13-14)
« si tu parviens à cet état, tu sais ce qu’il est, mais, sinon, (c’est que) sa connaissance
fait partie des choses impossibles, parce qu’il est affaire de goût »
(41) ’in taṣil ’ilayhā ta‘rif wa-’illā lā yastaqīmu waṣfuhu bi-l-kitāba wa-l-qawl (p. 23, bas)
« si tu y parviens, tu le connais, mais, sinon, sa description ne peut se faire en
paroles ou par écrit »
(42) ’in qadarta ‘alā baḏl al-rūḥ fa-ta‘āl wa-’illā fa-lā taštaġil bi-tarahāt al-ṣūfiyya (p. 39, l.
8-9)
« Si tu peux répandre l’esprit, alors viens, mais, sinon, ne t’occupes pas des futilités
du soufisme »
(43) fa-’in itta‘ẓat fa-‘iẓ al-nās wa-’illā fa-staḥi min rabbika (p. 45, l. 9)
« Si ton âme se trouve sermonnée, sermonne les gens, mais, sinon, aie honte devant
ton Seigneur ».
56 Ces quatre exemples montrent que l’apodose de ’illā est précédée de fa- dans trois cas,
où les conditions formelles et sémantiques de l’apparition de ce fa- sont remplies : un
impératif en (43), un prohibitif en (42), une phrase nominale assertive, justificative
(c’est parce que…) ou déductive (c’est donc que…) en (40). Reste (41) où apparaît une
apodose lā yaf‘alu, sans fa-. L’apodose (lā) yaf‘alu se rencontre occasionnellement dans
les systèmes en ’in à l’époque préclassique 49. On pourrait penser ici, par comparaison
avec (42), à une fonction contrastive : la présence de fa- détermine l’interprétation
prohibitive de l’inaccompli, son absence l’interprétation assertive de celui-ci. Notons
cependant qu’un verbe creux comme yastaqīmu est désigné par sa morphologie même
comme inaccompli indicatif et, par suite, que la présence de fa- ne changerait rien à son
interprétation : fa- serait alors, il est vrai, redondant. La comparaison avec ’iḏā (15
occurrences dans le ’Ayyuhā l-walad, dont 5 ’iḏā fa‘ala/lam yaf‘al, yaf‘alu) et law (15
occurrences également dont 4 law fa‘ala, (lā) yaf‘alu, à côté de 2 law fa‘ala fa-(la) yaf‘alu)
suggère plutôt une « montée en puissance », dès l’époque postclassique, de l’inaccompli
dans l’apodose des systèmes conditionnels, phénomène généralement observé pour
l’arabe moderne 50 et, bien sûr, les dialectes 51.

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2.7. Concessives potentielles

57 Nous n’avons pas fait place aux systèmes mixtes concessivo-potentiels en arabe
coranique. La raison en est simple. Il ne faut pas se laisser abuser par les exemples de q
wa-’in p qu’on y trouve, comme 2, 198 :
(44) wa-ḏkurū llāha kamā hadākum wa-’in kuntum min qablihi la-mina ḍ-ḍāllīna.
58 Il pourrait être tentant d’interpréter (44) comme :
(44’) « invoquez Allah autant qu’il vous a guidés, même si vous étiez auparavant au
nombre des perdants ».
59 En fait, les commentateurs (et c’est le lam placé devant le prédicat qui fonctionne
comme un signal) voient dans ce ’in un ’inna « allégé » et, par suite, comprennent (44)
comme :
(44’’) Invoquez Allah autant qu’il vous a guidés, alors que vous étiez assurément,
auparavant, au nombre des perdants 52 ».
60 Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de concessives potentielles en ’in dans le Coran,
mais la dimension concessive y apparaît plutôt comme un effet de sens, comme dans
cet exemple cité et commenté dans Larcher (2000) :
(45) ’in tastaġfir lahum sab‘īna marratin fa-lan yaġfira llāhu lahum (Cor. 9, 80)
« demanderais-tu pardon pour eux soixante-dix fois, qu’Allah ne leur pardonnerait
pas ».
61 C’est la présence de lan yaġfira lahum, précédé de fa-, qui montre que la proposition q
« il ne vous pardonnera pas » n’est pas la conséquence logique d’une protase p « si vous
demandez pardon pour eux soixante-dix fois », mais à l’inverse contredit la conclusion
r « il leur pardonnera » pour laquelle p est un argument 53.
62 L’arabe coranique fournit pour ainsi dire en creux ce que l’arabe du ’Ayyuhā l-walad
fournit en relief. On y trouve en effet sept systèmes concessifs potentiels, quatre q
wa-’in p, deux ’in p, lākin(na) q et un ne relevant ni de l’un ni de l’autre.

2.7.1 Wa-in p, lākin(na) q

(46) wa-’in kāna muṣannafāt al-šayḫ ka-l-’Iḥyā’ wa-ġayrihi taštamil ‘alā ǧawāb masā’ilī
lākinna maqṣūdī ’an yaktuba al-šayḫ ḥāǧatī fī waraqāt takūnu ma‘ī muddata ḥayātī
wa-’a‘malu bi-hā muddata ‘umrī (p. 3)
« même si les œuvres du Maître, tel que le Iḥyā’ et autres, contiennent la réponse à
mes questions, je voudrais néanmoins qu’il m’écrive ce dont j’ai besoin en quelques
feuillets, qui soient avec moi ma vie durant et dont je mette en pratique le contenu
aussi longtemps que je vivrai »
(47) Wa-’in kāna al-‘abdu yabluġu al-ǧannata bi-faḍli llāhi ta‘ālā wa-karamihi lākin ba‘da
’an yasta‘idda bi-ṭā‘atihi wa-‘ibādatihi (p. 11, 14-15)
« et même si l’esclave parvient au paradis par la faveur et la grâce d’Allah, le Très-
Haut, c’est cependant après s’y être préparé par son obéissance et son culte ».
63 Dans les deux cas où la concessive potentielle wa-’in p précède q, celui-ci est précédé de
lākin(na). La raison en est claire : dans le discours suivi, wa-’in p en tête de système n’est
pas interprétable immédiatement comme « même si », mais seulement comme « et si ».
L’insertion d’un connecteur rectificatif (ou adversatif) du type lākin(na), c’est-à-dire
typologiquement P[ero] A[ber], selon la terminologie d’Anscombre et Ducrot (1977), est
la solution trouvée par l’arabe des traités médiévaux pour marquer que la potentielle
est en même temps concessive. Les systèmes concessifs, potentiels (même si) ou
affirmatifs (bien que), et les systèmes adversatifs du type PA ont en effet en commun de

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présenter p comme un argument en faveur d’une conclusion r, que q vient contredire,


même si (c’est le cas de le dire !) c’est a priori pour bien que et même si (Bien qu’il fasse
beau/Même s’il fait beau, je ne sortirai pas) et a posteriori pour mais PA (il fait beau, mais je ne
sortirai pas).

2.7.2. Q, wa-’in p

(48) Wa-lā yaštaġil bi-l-iḥtiǧāǧ ma‘ahu fī kulli mas’ala wa-’in ‘alima ḫaṭa’ahu (p. 35, l. 2-3)
« il (le disciple) ne se souciera pas de disputer avec lui (le maître) sur telle ou telle
question, même s’il sait que ce dernier se trompe »
(49) mā quddira laka sayaṣilu ’ilayka lā maḥāla wa-’in iǧtahada kull man fī l-‘ālam ‘alā
ṣarfihi ‘anka wa-mā lam yuktab lan yaṣila ’ilayka wa-’in sā‘adaka ǧamī‘u l-‘ālam (p. 37, l.
4-6)
« ce qui t’a été destiné t’arrivera sans aucun doute, même si tous ceux qui sont dans
le monde s’efforçaient de le détourner de toi, mais ce qui n’a pas été écrit ne
t’arrivera pas, même si le monde entier t’aidait »
(50) wa-l-rābi‘ mimmā tada‘ ’allā taqbala šay’an min ‘aṭā’ al-’umarā’ wa-hadāyahum wa-’in
‘alimta ’annahā min al-ḥalāl (p. 51, l. 1-2)
« la quatrième chose à délaisser est de ne rien accepter, en matière de don et de
cadeaux des princes, même si tu sais qu’ils sont licites ».
64 Avec l’ordre q wa-’in p, très largement dominant, il n’y a pas d’ambiguïté, d’autant plus
d’ailleurs que le ’in « allégé » appartient exclusivement à l’arabe préclassique.

2.7.3. Un cas particulier


(51) Law (…) ṣallayta fī ṯawb maġṣūb wa-’in kānat ṣūrat ‘ibāda ta’ṯamu (p. 23).
« Si tu priais dans une robe volée, même si cela a la forme d’une adoration, tu serais
criminel. »
65 (51) n’est qu’apparemment un exemple de q wa-’in p : c’est en fait un système law p, q,
entre les deux segments duquel a été inséré wa-’in p’. De ce fait, ta’ṯamu fonctionne à la
fois comme l’apodose de law ṣallayta et comme rejetant la conclusion r pour laquelle
wa-’in p’ est un argument.

2.7.4. Conclusion : une description ancienne des concessives potentielles

66 On trouve, dans le Šarḥ al-Kāfiya (t. II, p. 257) de Raḍī al-dīn al-Astarabāḏī (m. 688/1289)
une description sinon argumentative, du moins logique, des concessives potentielles q,
wa-’in p :
« Wa- peut s’introduire devant ’in, dont la réponse est signifiée par ce qui précède,
et il ne s’introduit [devant ’in] que si le contraire de la condition mentionnée est
plus adéquat à cette [phrase] précédente, qui est comme le substitut de l’apodose de
cette condition, ainsi quand tu dis ’ukrimuhu wa-’in šatamanī “je l’honorerai, même
s’il m’injurie”, car l’injure est éloignée de ce qu’on honore celui qui injurie et son
contraire, qui est l’éloge, est plus adéquat au fait d’honorer » (wa-qad tadḫul al-wāw
‘alā ’in al-madlūl ‘alā ǧawābihā bi-mā taqaddama wa-lā tadḫul ’illā ’iḏā kāna ḍidd al-šarṭ
al-maḏkūr ’awlā bi-ḏālika al-muqaddam allaḏī huwa ka-l-‘iwaḍ ‘an al-ǧazā’ min ḏālika al-
šarṭ ka-qawli-ka ’ukrimuhu wa-’in šatamanī fa-l-šatm ba‘īd min ’ikrāmika al-šātim wa-
ḍiddu-hu wa-huwa al-madḥ ’awlā bi-l-’ikrām).
67 En bon logicien, Raḍī al-dīn al-Astarābāḏī s’efforce de décrire la structure q wa-’in p par
rapport à la structure ’in p, q : il observe que q n’est pas logiquement le conséquent de p,
mais de son contraire. C’est ce mot qui fait la ressemblance - et son incidence la

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différence - avec la description argumentative d’Anscombre et Ducrot (1983 : 31) : pour


eux, c’est q qui serait le contraire de la conclusion r pour laquelle p est un argument.

3. ’in en arabe moderne de presse


68 Girod (2000), se fondant sur un corpus limité de « unes » du quotidien égyptien al-
Ahrām, n’a relevé que 3 ’in contre 5 law et 16 ’iḏā. En outre les trois ’in p sont tous
postérieurs à q et, sur ces trois ’in p, deux sont en fait des wa-’in p, autrement dit, non
des potentielles, mais des concessives potentielles. Si maintenant l’on compare avec
’iḏā, on s’aperçoit : 1) que sur ses 16 occurrences, on a un seul ḥattā ’iḏā (contre 15
« purs » ’iḏā) et 2) qu’on a 4 fois l’ordre ’iḏā p, q (dont le seul ḥattā ’iḏā), contre 12 q ’iḏā p.
On peut donc dire qu’en moderne arabe de presse le ’in conditionnel est résiduel (1 seul
exemple, contre 15 ’iḏā) :
(52) wa-’ašāra Mswātī al-ṯāliṯ ’ilā (…) ’anna Swāzīlānd qad tafqid 22 % min sukkānihā ḫilāl
al-sanawāt al-‘ašr al-muqbila ’in lam yuqaddim lahā al-muǧtama‘ al-dawlī yad al-‘awn li-
mukāfaḥat šabaḥ al-’īdz (al-Ahrām du 28/6/2000)
« Mswati III a indiqué (…) que le Swaziland pourrait perdre 22% de sa population, au
cours des dix prochaines années, si la communauté internationale ne lui venait pas
en aide pour combattre le spectre du sida ».
69 En revanche, le wa-’in p concessif potentiel fait de la résistance, puisqu’on en a deux
exemples (contre 1 ḥattā ’iḏā) :
(53) wa-ṣarraḥa al-wazīr bi-’anna l-mu’tamar lā yandariǧ fī ’īṭār ’anšiṭat munaẓẓamāt
al-’umam al-muttaḥida wa-’in kāna ’amīnuhu al-‘āmm Kūfī ‘Annān qad dā‘a ’ilayhi (al-
Ahrām du 25/6/2000)
« le ministre a déclaré que la conférence n’entrait pas dans le cadre des activités des
organanisations des Nations Unies, même si son secrétaire général Kofi Annan a
appelé à y participer »
(54) wa-’awḍaḥa mas’ūl falasṭīnī (…) ’anna ‘Arafāt rafaḍa (…) al-iqtirāḥ bi-‘aqd al-qimma
al-ṯulāṯiyya fī 15 Yūlyū (…) wa-’in kānat wikālat Frāns Bris qad naqalat ‘an Nabīl Ša‘aṯ wazīr
al-ta‘āwun al-dawlī al-falasṭīnī i‘tiqādahu bi-’anna al-qimma yumkin ’an tu‘qad ’awāḫir
yūlyū (al-Ahrām du 29/6/2000)
« un responsable palestinien a expliqué qu’Arafat avait refusé la proposition de
tenue du sommet tripartite le 15 juillet, même si l’AFP a rapporté que Nabil Chaath,
le ministre palestinien de la Coopération internationale, croyait qu’il pourrait se
tenir fin juillet ».
70 Ces trois exemples montrent que la seule forme verbale désormais employée derrière
’in est fa‘ala, ayant pour négation lam yaf‘al. En revanche, comme aux étapes
précédentes, le verbe kāna permet de restaurer la valeur temporalo-aspectuelle du
verbe fa‘ala dans son champ 54. Ce n’est pas, semble-t-il, prendre un risque énorme que
de prédire la disparition totale, à terme, de ’in, dans ce registre de l’arabe moderne,
même s’il survit dans des expressions figées type ’in šā’a llāh et dans le registre
littéraire.

Conclusion
71 On voit l’abîme qui sépare cette idéalisation qu’est l’arabe classique de la réalité ! Pour
l’arabe classique (c’est-à-dire l’arabe tel qu’on l’enseigne dans les classes), les systèmes
conditionnels sont un type particulier de « phrase double », dans chacun des deux
éléments de laquelle, dits respectivement « protase » et « apodose », on emploie soit

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l’inaccompli apocopé, soit l’accompli, la négation étant unique (lam yaf‘al). Les
grammaires de référence ajoutent que, dans un certain nombre de cas, protase et
apodose sont séparées par la particule fa-. Elles se contentent d’énumérer ces cas.
L’énumération n’est généralement pas exhaustive et aucun principe n’est proposé,
réglant l’apparition de ce fa-.
72 A contrario, notre voyage à travers les textes et le temps nous a permis de donner une
image autrement complexe des systèmes conditionnels en ’in :
73 1) Pour la période préclassique, nous avons constaté la coexistence d’un système
conditionnel complet ’in (’illā) yaf‘al, (lā) yaf‘al et d’un système éventuel complet ’iḏā
fa‘ala (lam yaf‘al), fa‘ala (lam yaf‘al) et nous avons supposé que c’est l’entrecroisement des
deux qui a produit le sous-système ’in fa‘ala (lam yaf ‘al), fa‘ala (lam yaf ‘al), d’abord
attesté à la forme positive, avant de l’être à la forme négative. Nous avons également
constaté le dédoublement des systèmes en ’in, avec l’existence d’un autre système
complet (la)-’in fa ‘ala (lam yaf ‘al), la-yaf‘alan(na) (lā yaf‘alu). Nous avons proposé de voir
dans le fa- des systèmes ’in p fa-q la marque d’une double rupture formelle et
sémantique : bien que de nature énonciativo-pragmatique, elle n’exclut nullement que
q puisse entretenir un rapport logique, autre que l’implication, avec p, éventuellement
via une inférence implicite (déduction, justification, contradiction…). Nous avons
observé l’emploi majoritaire de fa‘ala/lam yaf ‘al dans la protase des systèmes ’in p fa-q et
l’emploi exclusif de fa‘ala/lam yaf‘al dans celle des systèmes q, ’in p, dont nous avons
montré qu’ils ne se réduisaient pas à une simple permutation de la protase et de
l’apodose. Ce qui nous a conduit à supposer que l’apocopé n’est pas lié à ’in, ni même au
fait que ’in p est protase, mais, plus essentiellement, à l’existence d’une apodose yaf‘al.
74 2) Pour la période postclassique, nous avons bien constaté ce que l’école enseigne, c’est-
à-dire la coexistence des deux sous-systèmes ’in yaf‘al, yaf‘al et ’in fa‘ala, fa‘ala, avec
l’unique négation lam yaf‘al. Mais la distribution complémentaire des deux sous-
systèmes dans deux traités de Ġazālī nous conduit à faire l’hypothèse d’un emploi
gnomique de l’apocopé, ce qui pose un intéressant problème de linguistique historique.
Si les systèmes q ’in p et ’in p fa-q restent dans la ligne de ce qu’ils sont à l’époque
préclassique, en revanche nous avons observé un nouvel emploi de ’illā et un
développement des systèmes concessifs potentiels, avec leur syntaxe spécifique.
75 3) Enfin, pour la période moderne, nous avons constaté la quasi-disparition de ’in. Une
telle disparition va dans le sens de l’histoire : la syntaxe de ’in n’a cessé d’évoluer sous
l’influence de celle ’iḏā, entraînant d’abord l’élimination de la forme négative lā yaf‘al,
puis de la forme positive yaf‘al et enfin celle de la particule elle-même.

BIBLIOGRAPHIE

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Sources primaires
ASTARĀBĀḎĪ, Raḍī al-dīn (AL-), 1310H , Šarḥ al-Kāfiya = Raḍī al-dīn Muḥammad b. al-Ḥasan al-
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NOTES
1. Le risque, comme plus loin avec l’étiquette de « postclassique », est évidemment de prendre
« classique » comme un état de la langue. On peut se tirer d’affaire en parlant avec FISCHER
(1970-1) de « périodes » respectivement préclassique, classique et postclassique de la langue.
2. Comme le font les « lectures » ( qirā’āt) coraniques, du moins celles qui ont prévalu, car
d’autres exhibent des données non classiques. L’exemple le plus connu est, sur le plan
phonologique, l’introduction de la hamza, là même où sa place n’est pas marquée dans le ductus
consonantique (rasm) et/ou le contexte indique qu’elle n’est pas réalisée, e.g. Cor. 19, 9, 42, 60, 67
« lu » šay’an (šay’ā, à la pause) alors que 1) le ductus consiste en un šīn (sans points), un yā’ (sans
points) et un ’alif et 2) šay’ā rime avec des mots en –iyyā (2-8, 10-14, 16-30, 32, 41, 43-58, 61-65,

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68-73), plus rarement –ayyā (14, 31, 33, 59, 66), ce qui suggère une lecture soit šayyā, soit šiyyā,
que l’on rapprochera du šī de maint dialecte. Cela est d’ailleurs pour ainsi dire confirmé par 19,
74 ri’yan (> ri’yā), également lu riyyā, cf. AL-FARRĀ’ (m. 207/822), Ma‘ānī al-Qur’ān, t. 2, p. 171, qui
donne cette lecture comme « médinoise » et la considère comme « bonne » (ǧayyid), justement du
fait que ri’yā/riyyā rime avec des mots dépourvus de hamza…
3. Je n’ai pas pu consulter, à mon grand regret, la thèse de TIETZ (= JACOBI) (1963), spécialement
dédiée à l’arabe coranique.
4. Bien que ‘AMĀYIRAH et AL-SAYYID (1986) ne distinguent pas entre ces différents ’in, le ’in négatif
est repérable parce que suivi de ’illā et le ’in « allégé » parce que suivi de la- devant le ḫabar.
5. Terminologie reprise de GÄTJE (1984). Ce dernier ne traite cependant pas de fa- comme marque
de la brisure des systèmes conditionnels, sur le plan logique.
6. 3, 144 ; 17, 7 et 8 ; 22, 11 (2 fois) et 25, 10, auxquels on doit ajouter 4, 72, 141 (2 fois), soit 9
contre 59 ’in yaf‘al, yaf‘al.
7. Autres exemples : 9, 39, 40 ; 11, 47 ; 12, 33.
8. Autres exemples : 6, 70 ; 7, 146, 193, 198 ; 9, 8 ; 14, 34 ; 16, 18 ; 22, 73 ; 35, 14, 18 ; 36, 23 (deux) ;
49, 14.
9. ’illā tanzil tuṣib ḫayran « si tu ne descends pas, tu t’en trouveras bien ». Le contexte indique
cependant que Silvestre de Sacy a lu (et traduit) comme ’illā tanzil ce qui doit en fait être lu
comme ’alā tanzilu et traduit par « Que ne descends-tu pas ? ». C’est en effet le dernier exemple
« exprimant une invitation » d’une liste de cinq, dont les premier, deuxième, troisième et
quatrième sont respectivement un impératif, un prohibitif, une interrogation et un souhait. C’est
la liste traditionnelle, depuis SĪBAWAYHI, m. 177/793 (Kitāb, III, p. 93) des cinq types de phrase
pouvant avoir une apodose à l’apocopé (cf. également DÉVÉNYI, 1988, p. 28).
10. Il cite en fait Cor. 35, 14 ’in tad‘ūhum lā yasma‘ū du‘ā’ahum wa-law sami‘ū mā staǧābū « si vous
les appelez, ils n’entendent pas votre appel et quand même ils l’entendraient, ils ne vous
répondraient pas », non pour illustrer cet emploi, mais pour illustrer la différence entre
condition et hypothèse (i.e. potentiel et irréel) !
11. « The jussive in the protasis is necessary if the verb be preceded by the negative lā, thus after
’illā », proposition illustrée par Cor. 9, 40.
12. Fa-man yastaǧir-nā lā yaḫaf ba‘da ‘aqdinā wa-man lā yuṣālih-nā yabit ġayra nā’imin « he who seeks
our protection has nothing to fear after our convenant ; but he who does not come to terms with
us will pass his nights without sleep ». Une remarque de WRIGHT (t. II, p. 347) montre qu’il ne
prend pas la mesure de cet emploi : « with the negatives lam and lā, the use of fa- is optional. If fa-
be inserted, lā requires the imperfect indicative after it ». Cette dernière assertion est
doublement fausse. On trouve lā yaf‘alu, sans fa-, comme on trouve lā yaf‘al avec fa-. Le premier
cas constitue un casse-tête pour les grammairiens. Dans le second cas, fa- est contrastif, faisant la
différence entre interprétation assertive « il fera » et interprétation prohibitive (« Qu’il ne fasse
pas ! »). TRUMPP (1881) note aussi l’emploi de lā yaf‘al pour la protase de la conditionnelle
« partielle » (p. 368) avec l’exemple de man lā yu’min yudan « wer nicht glaubt, wird gerichtet » et
« totale » (p. 374, sous la forme ’illā), non pour l’apodose, et alors même qu’il en donne un
exemple p. 388.
13. On se demande ce qu’ils font de lam yaf‘al…
14. Une à une apodose positive (47, 36), une à deux apodoses positives (9, 39) et une à une
apodose elle-même négative (36, 23).
15. Cela tient sans doute au fait qu’il se fonde (p. 11) sur un corpus « from early classical Arabic
prose », s’étalant du VIIIe au Xe siècle.
16. Ici dans la version commentée par Zawzanī (m. 486/1093).
17. ṬARAFA, Mu‘allaqa, v. 36 ’in ši’tu lam turqil wa-’in ši’tu ’arqalat « si je veux, elle baisse, si je veux,
elle presse / L’allure… ».

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18. Il donne l’exemple de Cor. 11, 49 (en fait 47) : ’illā taġfir lī wa-tarḥamnī ’akun mina l-ḫāsirīn « Si
tu ne me pardonnes pas et n’as pas pitié de moi, je serai au nombre des perdants », observant
« qu’en revanche, dans le verset parallèle 7, 22 [en fait 23], on a lam » (dagegen, in der
Parallelstelle 7, 22 lam) wa-’in lam taġfir lanā wa-tarḥamnā la-nakūnanna mina l-ḫāsirīn « Si tu ne
nous pardonnes pas et n’as pas pitié de nous, nous serons assurément au nombre des perdants ».
Le parallélisme n’est pas parfait : à la protase négative ’illā yaf‘al correspond une apodose yaf‘al ; à
la protase négative ’in lam yaf‘al correspond une apodose la-yaf‘alanna (inaccompli énergique).
RECKENDORF (1895-1898 : 686, Anm. 1) en fait cependant la remarque.
19. BALLY (1965 : 56) appelle « coordination » tout ensemble de deux phrases, syntaxiquement
coordonnées ou juxtaposées, dans la relation sémantique de thème à propos. Le fait que la
seconde prenne la première pour thème implique une anaphore, e.g. « Il gèle. Nous ne sortirons
pas », qui équivaut à « Il gèle (et, à propos du fait qu’il gèle, j’ajoute :) Nous ne sortirons pas ».
20. Ceci est confirmé par la maxime farriq tasud, adaptation arabe du « diviser pour régner » (lat.
divide ut regnes), où en français comme en latin apparaît bien une proposition « finale ». Sur ces
structures, cf. PELED (1987).
21. Uṣūl, I, p. 43. On trouvera le texte cité et traduit dans LARCHER (2000, p. 194, n. 3).
22. Kitāb, III, p. 62-63. Le texte est cité, traduit, commenté et illustré par un schéma très éloquent
dans DÉVÉNYI 1988, p. 18-19.
23. Concept également repris de BALLY (1965). Bally appelle segmentée la phrase, dont une partie
est prise pour thème par le reste de la phrase, qui en constitue le propos. Chez Bally, la
segmentation et la coordination ont en commun la structure thème/propos et en différent de
concerner, la première, une phrase, et, la seconde, deux.
24. BRAVMANN (1953, 1977), en particulier, propose de dériver l’usage non temporel de l’accompli
dans les conditionnelles de son usage comme prétérit dans les temporelles. Le terme d’éventuel
est repris de BLACHÈRE et GAUDEFROY-DEMOMBYNES (1952 : 450, 455) qui rapprochent explicitement
(p. 456) ’iḏā de l’allemand wenn, qui a la même ambiguïté (« quand/si »). Ces auteurs estiment
qu’à l’époque préclassique on peut également employer l’inaccompli indicatif, donnant comme
exemple Cor. 28, 53 ’iḏā yutlā ‘alayhim qālū « et quand (ou si) il leur est lu, ils disent ». Le contraste
des deux formes et le contexte (28, 51 : allaḏīna ’ātaynāhumu l-kitāba min qablihi hum bihi yu’minūn
« ceux auxquels nous avons donné l’Écriture, avant celle-ci, eux, ils y croient ») suggèrent plutôt
une interprétation soit temporelle : « alors qu’on la leur récitait, ils ont dit “nous y avons cru,
etc.” », soit aspectuelle « tandis qu’on la leur récite, ils disent… » (c’est la conjonction, soulignée,
qui dans la traduction française véhicule la valeur aspectuelle de la forme verbale arabe).
25. PELED (1992) n’envisage que ce que nous appelons ici le système majoritaire et KINBERG
(1981-2), à l’inverse, que les « déviations » par rapport à ce système.
26. Dans le cas de ’inna cependant, selon Kinberg (1981-2) renvoyant à la grammaire arabe
traditionnelle, il faudrait considérer le la- devant le ḫabar comme provenant du déplacement du
la-, normalement en tête d’apodose.
27. Je suis la description de IBN HIŠĀM AL-ANṢĀRĪ, Muġnī l-labīb, t. I, p. 259-260. Notons cependant
qu’à côté de (11) qui exhibe une apodose mā fa‘ala, nous trouvons Cor. 30, 51 wa-la-’in ’arsalnā
rīḥan fa-ra’aw-hu muṣfarran la-ẓallū min ba‘dihi yakfurūn « Si nous envoyons un vent et qu’ils le
voient tout jaune, ils continuent d’être incrédules », qui exhibe une apodose la-fa‘ala. Or la-fa‘ala/
mā fa‘ala est exactement l’apodose, respectivement positive et négative, des systèmes
hypothétiques en law. Il vaut mieux parler avec HUEHNERGARD (1983) d’un la- « asseverative » : ce
que noterait un pragmaticien, c’est que ce la-, en fait, « répond » toujours à quelque chose : ici un
serment, là une condition, là encore (cas de ’inna) un thème, serment et condition étant eux-
même des thèmes, au sens de Bally.
28. Kitāb, III, p. 117.

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29. Kallā la-’in lam yantahi la-nasfa‘ā (am) bi-l-nāṣiyah « Que non ! S’il ne s’arrête pas, nous le
traînerons par le toupet ».
30. Wa-la-’in lam yaf‘al mā ’āmuruhu la-yusǧananna wa-la-yakūnā (am) mina l-sāġirīn « s’il ne fait pas
ce que j’ordonne, il sera emprisonné et sera au nombre des misérables ». Notons incidemment
que, dans les deux cas, cet inaccompli énergique léger est orthographié, non avec un nūn, mais
avec un ’alif, ce qui correspond à une prononciation pausale de –an en –ā. Cela n’empêche pas les
grammairiens lecteurs d’en faire une lecture non pausale en le traitant analogiquement au
tanwīnan du nom, c’est-à-dire en ajoutant une double fatḥa. Et c’est à ce –an, « lu » bien que non
écrit, que le taǧwīd applique une assimilation (idġām) totale dans le premier cas, partielle dans le
second, le nūn devenant mīm au contact du bā’ et du mīm.
31. Cf., par exemple, IBN HIŠĀM AL-ANṢĀRĪ, Mugnī l-labīb, t. I, p. 176.
32. Cette double rupture formelle et sémantique est bien étudiée, depuis au moins RECKENDORF
(1895-1898 : 703-707), dans la linguistique arabe d’expression allemande, sous le nom de
« Bedingungssätze mit Verschiebung ». Ce dernier terme est difficile à traduire en français (à peu
près « décalage »). JACOBI (1967 : 86) parle de « Sätze mit logischem Bruch », reprise par LEWIN
(1970) « sentences with a logical break ». GÄTJE (1976) parle de « suites conditionnelles
perturbées » (gestört). Notons que Reckendorf, tantôt repris et tantôt critiqué par ses successeurs
allemands, donne - déjà ! - une définition « énonciative » de sa Verschiebung. Il y a Verschiebung (p.
704) à chaque fois que : « Aus dem Inhalte des Nebensatzes folgt nicht der Inhalt des Hauptsatzes,
sondern die Tatsache, dass der Hauptsatz geäussert wird » [c’est Reckendorf qui souligne], soit :
« du contenu de la subordonnée ne suit pas le contenu de la principale, mais le fait même que la
principale est dite ». Dans la linguistique arabe d’expression française, en dehors de nous-même,
une vision « énonciative » de fa-, puisant à d’autres sources que les nôtres, est proposée par
AYOUB (2003), en termes de « rupture modale ». En anglais, PELED (1985) voit pareillement dans fa-
le signe d’un modal split (et dans son absence, le corrélat d’un modal interdependence).
33. BALLY donne (p. 62) comme exemple de phrase liée « Je vous punirai si vous désobéissez » et
(p. 73) « Nous sortirons s’il ne pleut pas ».
34. BALLY (p. 65) donne comme exemple de phrase segmentée « Si vous désobéissez, vous serez
punis ». P. 64 il indique que la circonstancielle « Nous étions au jardin(,) lorsque l’orage éclata »
est une phrase liée ou une phrase segmentée, selon qu’elle est prononcée d’une traite ou, au
contraire, en marquant une pause entre principale et subordonnée. En ce dernier cas, elle
équivaut alors à « Alors que nous étions au jardin, l’orage éclata », ce qui est syntaxiquement
principale devenant sémantiquement subordonnée (thème) et vice-versa (propos).
35. On ne s’étonnera pas de nous voir transférer à fa-’inna des étiquettes qui, en français, sont
accolées à si (notamment si « énonciatif » et si « oppositif »). La raison en est claire : le français, à
la différence de l’arabe, ne marque pas formellement la différence entre connexion logique et
connexion pragmatique. Notons que nous laissons de côté ici le fa-’inna « oppositif », car, en ce
cas, le ’in n’est pas conditionnel, comme dans Cor. 4, 103 ’in takūnū ta’lamūna fa-’inna-hum
ya’lamūna kamā ta’lamūn « Si, vous, vous souffrez, eux aussi souffrent, comme vous souffrez ».
36. Par imitation du si « énonciatif » du français, illustré par « Si tu as soif, il y a de la bière au
frigidaire », paraphrasable par « je te dis q, pour le cas où p » (Ducrot 1972, p. 176, 181).
37. Chaque langue a ses ambiguïtés. En français, le conditionnel présent se dit équivoquement du
potentiel et de l’irréel du présent. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du mot de Voltaire « Si Dieu
n’existait pas, il faudrait l’inventer », parfaitement « orthodoxe » avec l’interprétation irréel du
présent (« mais il existe »), mais « scandaleux » avec l’interprétation potentiel (« et peut-être
n’existe-t-il pas »).
38. Pour la distinguer de la contraposition proprement logique, qui est strictement contrainte :
« de “Si A est vrai, B est vrai”, on déduit : “Si B est faux, A est faux” » ( LALANDE, 1972, p. 185).

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39. S’il n’y en a pas d’exemple dans la sourate 2 avec ’in, il y en a en revanche un avec la-’in (cf.,
ci-dessus, exemple (12)), étant entendu que la- et fa- sont mutuellement exclusifs.
40. Pour ANSCOMBRE et DUCROT (1983), une argumentation linguistique peut ou non coïncider avec
une inférence logique.
41. En ce sens, il faudrait ajouter au schéma de DÉVÉNYI (1988) une flèche allant de l’apocopé de
l’apodose à celui de la protase. Le fait même que les grammairiens arabes autorisaient ’in fa‘ala,
yaf‘al, mais non *’in yaf‘al, fa‘ala va dans le sens de cette représentation des choses…
42. Cf. Tafsīr al-Ǧalālayn, p. 25 : al-waṣiyyatu marfū‘ bi-kutiba « al-waṣiyya est régi au nominatif par
kutiba ».
43. Notons que, juste avant, nous trouvons un système parallèle, mais avec ’iḏā : ’iḏā nasabta l-
kalām ’ilā qā’il ḥasuna fīhi i‘tiqāduhum qabilūhu wa-’in kāna bāṭilan « si tu rapportes le propos à
quelqu’un en qui il est bon, à leur yeux, de croire, ils l’acceptent, même s’il est faux »…
44. Comme on parle, pour le grec ancien, d’un « aoriste gnomique ».
45. C’est l’opinion de PELED (1987) pour ceux de ces couples ayant une interprétation
conditionnelle, mais non ceux ayant une interprétation finale. On notera que dans les exemples
(26)-(29), la protase est très brève, se réduisant à la forme verbale dans deux cas, à la forme
verbale et un seul complément dans deux autres.
46. Comme dans cette phrase double (’Ayyuhā l-walad, p. 15) mā lam ta‘mal, lam taǧid al-’aǧr « tant
que tu n’agis pas, tu ne trouves pas de récompense ».
47. Ce qui ne veut pas dire que le problème de leur différenciation ne se pose pas dans la
synchronie même de l’arabe coranique, comme dans la sourate 4 où nous rencontrons
successivement (v. 72) fa-’in ’aṣābatkum muṣībatun qāl… (Blachère : « Si une calamité vous atteint,
il dira… »/Masson : « Quand un malheur vous atteint, il dit… ») ; (v. 73) wa-la-’in ’aṣābakum faḍlun
mina llāhi la-yaqūlunna… (Blachère : « [Mais] certes si une faveur d’Allah vous atteint, ce
personnage dira… »/ Masson : « Mais si Dieu vous favorise, il dit… ») ; (v. 78) wa-’in tuṣibhum
ḥasanatun yaqūlū… wa-’in tuṣibhum sayyi’atun yaqūlū… (Blachère : « si un bien arrive à [ces gens],
ils disent… Si un mal leur arrive, ils disent… » / Masson : « Si un bien leur arrive, ils disent… Si un
mal les atteint, ils disent… »). Alors que Masson traduit partout comme un éventuel (et dans le
premier cas, plus encore que dans les deux autres), Blachère traduit comme un potentiel dans les
deux premiers cas, mais un éventuel dans le troisième.
48. On pourrait comparer aux deux « formes » du conditionnel passé du français. C’est la 1 re
forme qu’on emploie normalement comme irréel du passé. La 2 e, qui n’est autre que le subjonctif
plus-que-parfait, prolonge l’emploi de ce dernier en latin dans les hypothétiques. On aura
cependant noté que Blachère traduit à l’envers de l’hypothèse de Peled et qu’au moins deux des
trois exemples de ’in fa‘ala, fa‘ala du Munqiḏ sont « génériques »…
49. Cf. Coran 3, 120 ’in taṣbirū wa-ttaqū lā yaḍurrukum kayduhum šay’an « Si vous êtes patients et
que vous craigniez [Allah], leur ruse ne vous nuira en rien ». C’est la lecture de Ḥafṣ ‘an ‘Āṣim
(Coran du Caire). Dans celle de Warš ‘an Nāfi‘ (Coran du Maghreb), on a lā yaḍirkum (apocopé d’un
verbe creux ḍāra-yaḍīru), et c’est alors un exemple supplémentaire de structure ’in yaf‘al, lā yaf‘al.
Ces deux lectures illustrent à merveille le côté « raisonnement grammatical » des qirā’āt.
50. Cf. BADAWĪ et alii (2004), p. 653-654.
51. En arabe de Damas ( KASSAB, 1970 : 327), on a régulièrement ’izā p (accompli), q (inaccompli),
e.g. ’izā žītū la-ɛannā bǝkra btǝtɛarrafū ɛalä ’aṣdiqā’inā bēt ǝl-Mǝṣrī «si vous venez chez nous demain,
vous ferez la connaissance de nos amis les Mǝsrī », et en libyen oriental ( OWENS, 1984 : 180), on a
régulièrement ’in kān (parfois réduit à kān) p, q (inaccompli), e.g. in ka :n-hu f il-ḥawsh inshu :fa « If
he is at home, I’ll see him » (N.B. Nous conservons la transcription de ces auteurs).
52. Même les meilleurs arabisants peuvent s’y laisser prendre. C’est le cas de FISCHER (1972 : 206)
qui donne ce verset coranique comme exemple de concessive, en l’abrégeant et en interprétant
comme « er führte euch auf den Heilsweg, obwohl ihr vordem zu den Irrenden gehörtet ».

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219

53. Autre exemple en 18, 57. Cf. également ci-dessus exemple (20), sans effet concessif.
54. Cf. ci-dessus exemple (36) de Ġazālī. Pour les différentes fonctions de kāna, en particulier
dans les conditionnelles (temporalisation, aspectualisation, modalisation, focalisation,
thématisation) de l’arabe classique et des exemples, cf. LARCHER (2003a, p. 156-157).
55. Ce n’est pas une faute pour « Satz », mais une orthographe archaïque, venant du viel haut-
allemand, qu’emploie partout Trumpp dans sa contribution, sans doute par coquetterie, comme
me l’a confirmé mon collègue Reinhard Weipert (Munich).

RÉSUMÉS
Cet article propose une étude diachronique des systèmes conditionnels en ’in de l’arabe classique.
Par arabe classique, nous entendons l’arabe tel qu’enseigné dans les classes. Notre hypothèse
centrale est celle de l’entrecroisement des deux systèmes potentiel ’in yaf’al, yaf‘al (négation lā
yaf‘al) et éventuel ’iḏā fa‘ala, fa‘ala (négation lam yaf‘al) dont nous constatons l’existence en arabe
préclassique (Coran).Cet entrecroisement a abouti à l’élimination, d’abord de la négation lā yaf‘al,
donnant le système « classique »’in yaf‘al (fa‘ala) , yaf‘al(fa‘ala)) négation lam yaf‘al) ,puis de la
forme yaf‘al et de la particule ’in elle-même en Arabe Standard Moderne. Dans le détail, nous
attirons l’attention sur l’existence, en arabe coranique, d’un autre système en ’in, de forme la-’in
fa‘ala (négation lam yaf‘al), la-yaf‘alanna (négation lā yaf‘alu). Par ailleurs, la distribution
complémentaire des systèmes ’in fa‘ala, fa‘ala et ’in yaf‘al, yaf‘al dans deux traités de Ġazālī (m.
505/1111) nous permet de faire l’hypothèse d’un apocopé « gnomique » en arabe postclassique.
Mais les systèmes ’in p, q sont minoritaires. Cette étude porte une attention particulière, à toutes
les époques de l’arabe, aux systèmes ’in p fa-q, où fa- est la marque d’une double rupture formelle
et sémantique, ainsi qu’à l’ordre q, ’in p et aux systèmes mixtes concessifs et potentiels (wa-’in p).

‫ نقصد‬.‫ورية للجمل الشرطية بـ إن في العربية الفصحى‬


ّ ‫يعرض هذا المقال دراسة تط‬
‫ فرضيتنا اﻷساسية هي في تقاطع‬.‫بالعربية الفصحى تلك التي تدّرس في المدارس‬
:‫النظامين‬
ْ ‫ ﻻ يفع‬: ‫ل )نفي‬
(‫ل‬ ْ ‫ يفع‬،‫الشرطي إن يفعل‬
ْ ‫ لم يفع‬: ‫ل )نفي‬
(‫ل‬ َ ‫ل فع‬
َ ‫اﻻحتمالي إذا فع‬
‫ هذا التقاطع أودى إلى إلغاء ﻻ‬.(‫اللذين نجدهما في الفصحى السابقة للمدرسية )القرآن‬
ْ َ‫ل( النفي )لم يفع‬
‫ل( ثم‬ َ َ‫ل )َفع‬
ْ َ ‫فع‬ َ َ‫ل )فَع‬
ْ َ ‫ ي‬،(‫ل‬ ْ َ ‫فع‬
ْ َ ‫ الذي يعطي النظام الكﻼسيكي إن ي‬،‫فعل‬ ْ َ‫ي‬
‫ نلفت‬،‫ في التفصيل‬.‫ي الحديث‬ ّ ‫ل والحرف إن في النظام العربي القياس‬ ْ َ‫للشكل يفع‬
(‫ل‬ْ ‫ شكله ﻹن فعل )نفي لم يفع‬،‫ في لغة القرآن‬،‫النظر إلى وجود نظام آخر مع إن‬
‫ل و إن‬َ َ‫ فَع‬،‫ل‬
َ َ‫ التوزيع التكميلي لﻼنظمة إن َفع‬،‫ من جهة ثانية‬.(‫ل‬ ُ َ ‫فع‬ َّ َ ‫ل َي َفعَل‬
ْ َ ‫ن ) نفي ﻻ ي‬
‫( يسمح لنا بطرح الفرضية »الحكمية« في‬٥٠٥/١١١ .‫ل في كتابي الغزالي )م‬ ْ َ ‫فع‬
ْ َ ‫ ي‬،‫ن‬
َ ‫فعَل‬
ْ َ‫ي‬
.‫ ذ قل ّة‬،‫ إﻻ أن اﻷنظمة إن د‬.‫العربية المتأخرة‬
‫ حيث فَـ تشير إلى‬،‫ذ‬-‫ اﻷنظمة إن د فﹷ‬،‫ في كافة الحقب‬،‫ترمي الدراسة هذه إلى أنه‬
‫ إن د واﻷنظمة المختلطة في اﻹضراب والكمون‬-‫ي وإلى النظام ذ‬
ّ ‫انقطاع صوري ومعتو‬
.(‫إن د‬-‫)و‬

The aim of this article is to suggest a diachronic analysis of the ’in conditional structures in
Classical Arabic. By Classical Arabic we mean the Arabic which is taught in University courses.
The central hypothesis is that of the intersection of two structures which exist in pre-Classical
Arabic (the Koran) i.e. the potential (or conditional real) ’in yaf‘al, yaf‘al (negation lā yaf‘al) and the

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temporal habitual ’iḏā fa‘ala, fa‘ala (negation lam yaf‘al). This intersection has led to the
elimination first of the negation lā yaf‘al, resulting in the «classical» structure ’in yaf‘al (fa‘ala),
yaf‘al (fa‘ala) (negation lam yaf‘al), then of the form yaf‘al and of the particle ’in itself in Modern
Standard Arabic. More precisely, we shall draw attention to the existence in Koranic Arabic of
another ’in structure, the form la-’in fa‘ala (negation lam yaf‘al), la-yaf‘alanna (negation lā yaf‘alu).
Furthermore, the complementary distribution of ’in fa‘ala, fa‘ala and ’in yaf‘al, yaf‘al structures in
two treatises by Ġazālī (d. 505/1111) allows us to suppose the existence of a «gnomic» apocopated
in post-Classical Arabic. However, ’in p, q structures are a minority. Therefore, this study draws
special attention, all throughout the ages of Arabic language, to the ’in p fa-q structures, where fa-
is the mark of a double formal and semantic break, to the order q, ’in p as well as to concessive
and potential mixed structures (wa-’in p).

AUTEUR
PIERRE LARCHER
Université de Provence et IREMAM

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L’évolution des conditionnelles en


arabe égyptien contemporain
Manuel Sartori

1 Au détour de quelques lectures en arabe égyptien, il nous a semblé que le système


hypothétique ne correspondait pas à ce à quoi nous sommes habitués dans une autre
variété de cette langue, l’arabe classique. Qu’en est-il exactement ? Pour répondre à
cette question, et pour le cas échéant ne pas nous contenter d’un aperçu en synchronie,
nous avons cru bon de porter le regard sur une large période en recourant à la
littérature d’expression dialectale égyptienne sur à peu près un siècle. Nous avons par
ailleurs doublé ce premier travail d’observation par l’étude des manuels et grammaires
descriptives de l’arabe égyptien sur cette même période. À ce propos, un mot s’impose
pour préciser qu’à l’instar de ces travaux descriptifs, et pour les mêmes raisons, à
savoir par facilité tout autant que par convention et par contrainte (le corpus réuni et
l’origine de sa production surtout), nous considérerons ici l’arabe du Caire, capitale
administrative, politique et culturelle, comme représentatif du dialecte égyptien dans
son ensemble, sans se leurrer sur les différences linguistiques existant entre les
différentes régions de ce pays.
2 Chronologiquement, nous nous sommes donc appuyé sur les œuvres suivantes : Es-
Sayyed we-mrāto fi Bārīs (Es-Sayyed) 1 de Bayram al-Tūnisī, roman qui date des années
1920 2 ; les dialogues du film de Ṣalāḥ ’Abū Sayf, Bidāya we-Nihāya (BwN), tourné en 1960,
transposition cinématographique du roman éponyme de Naǧīb Maḥfūẓ dont les
dialogues ont été adaptés par Aḥmad Šukrī et Muḥammad Kāmil ‘Abd al-Salām 3 ; et sur
un ensemble formé des dix premiers chapitres de Šaraf de Sun‘ Allāh Ibrāhīm, de ’An
takūn ‛Abbās al-‛Abd (‛Abbās) de Aḥmad al-‘A’īdī et de Bāzel de Ḥusayn ‘Abd al-‘Alīm 4. Il
est à noter, concernant ces romans, que Es-Sayyed et Bāzel, contrairement à Šaraf et à
‛Abbās, sont des œuvres entièrement rédigées en égyptien, cet usage ne concernant dès
lors pas uniquement les dialogues, mais tout l’appareil narratif, ce qui donne donc à
voir plus de systèmes conditionnels et permet donc d’asseoir nos observations sur des
bases statistiques plus solides. Nonobstant la différence intrinsèque qui peut exister
entre des dialogues d’une part, proches d’une langue parlée ordinaire, et une
production “littéraire” dialectale d’autre part, le corpus utilisé n’en n’est pas moins

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homogène. Dans le cas de Šaraf et de ‛Abbās, les parties écrites en dialecte étant limitées
aux dialogues, ceux-ci sont donc comparables aux dialogues du film, n’étant ni moins ni
plus suspects de contamination “classique”. D’autre part, concernant désormais les
deux œuvres entièrement rédigées en dialecte égyptien, Es-Sayyed et Bāzel, l’essentiel, si
ce n’est la totalité des systèmes hypothétiques recensés, l’est lui aussi dans les parties
dialoguées. Dans l’ensemble des cas donc, l’état linguistique proposé à l’étude est celle,
tout au moins présentée et reconstruite par leurs différents auteurs comme telle, de la
langue parlée ordinaire.
3 Enfin, et pour conclure sur la présentation de notre corpus, l’intérêt du dernier
ensemble, formé par Šaraf, ‛Abbās et Bāzel, nous semble primordial. Les phénomènes
linguistiques sont changeants, et le caractère récent de ces œuvres fournit justement
une image à peu près fidèle de la situation actuelle en arabe égyptien 5. Šaraf a un peu
plus de dix ans, publié la première fois en 1996, ‛Abbās date de 2003 et Bāzel, lui, de 2005.
Cet ensemble permet donc de ce faire une représentation encore adéquate de la
situation et surtout, par le biais de la comparaison, de voir en diachronie une évolution
avec les dialogues du film qui date lui de 1960.
4 Un rappel s’impose sur les notions essentielles abordées ici dans le cadre des
conditionnelles. Un système hypothétique se caractérise par le fait que l’actualité du
procès noté par le verbe de l’apodose (q) est conditionnée par l’actualité du procès noté
par le verbe de la protase (p). Ainsi si p se réalise, q se réalisera et si p ne se réalise pas, q
ne se réalisera pas. Exemple : « s’il pleut, les toits seront mouillés ». Ce rapport
d’implication logique entre p et q peut être perçu comme nécessaire, énonçant alors
une règle générale, et alors le si prend la valeur de quand, à chaque fois que, lorsque. Ce
peut être aussi bien dans le passé (« Quand il pleuvait, les toits étaient mouillés »), que
dans le présent (« Quand il pleut, les toits sont mouillés »). Le premier sera nommé dans
les termes de notre tradition grammaticale Éventuel passé, et le second Éventuel
présent. Ce rapport d’implication peut être aussi perçu comme possible, mais
incertain. C’est ce que nous nommons le Potentiel, correspondant à des énoncés du
type « S’il pleut (maintenant, demain, dans dix ans, mais cela reste une hypothèse), les
toits sont/seront mouillés ». Et enfin, ce rapport peut être perçu comme plus ou moins
impossible dans l’avenir ou bien comme relevant du passé et donc de fait impossible. Il
s’agit dans le premier cas de ce que nous catégorisons comme Irréel du présent où l’on
nie l’actualité du procès du verbe de la protase au moment de son énonciation, c’est-à-
dire dans le présent, du type « S’il pleuvait (mais il ne pleut pas), les toits seraient
mouillés », et dans le second cas de ce que nous catégorisons comme Irréel du passé où
l’on nie cette fois-ci l’actualité du procès du verbe de la protase dans le passé, du type
« S’il avait plu (mais il n’a pas plu), les toits auraient été mouillés ». Nous le voyons, en
français tout au moins (mais c’est aussi le cas par exemple en anglais), les systèmes
hypothétiques se différencient au moyen d’une concordance des temps entre protase et
apodose, ce que nous formalisons par ce tableau :

Protase Apodose

Si/quand Imparfait Imparfait Éventuel passé

Si/quand Présent Présent Éventuel présent

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Si Présent Futur Potentiel

Si Imparfait Conditionnel présent Irréel du présent

Si Plus-que-parfait Conditionnel passé Irréel du passé

5 Néanmoins, tout n’est pas si simple que cela. Dans une langue comme le français « S’il
faisait beau, je sortirais » comme énoncé oral peut s’interpréter aussi bien comme
Potentiel (« Sil fait beau, je sortirai ») que comme Irréel du présent (« S’il faisait beau, je
sortirais »). Il s’agit donc de cas d’ambiguïté que seul le contexte permet de lever. La
différence intrinsèque entre les ordres Potentiel et Irréel réside donc dans l’existence
nécessaire d’un mais implicite dans le cas de l’Irréel (« mais il ne fait pas beau », Irréel du
présent, « mais il ne faisait pas beau », Irréel du passé). C’est alors notamment ce mais
qui permet de différencier entre les deux « S’il faisait beau, je sortirais », celui du
discours, avec existence d’un mais, et qui relève bien de l’Irréel du présent, et celui de la
narration, n’ayant une forme syntaxique d’Irréel du présent que pour cette raison du
récit, et n’impliquant alors aucun mais, ce qui le fait en conséquence appartenir à
l’ordre du Potentiel. Considérons ainsi la séquence suivante qui se passe de nuit ou dans
une salle fermée sans que l’on connaisse la météo : A. : « S’il fait beau, je sortirai »
(Potentiel) ; B. : « Qu’a dit A ? » ; C. « Il a dit que s’il faisait beau il sortirait » (Potentiel,
car absence d’un mais qui pourrait permettre de le relier à l’Irréel 6). De la même
manière, certaines ambiguïtés peuvent être observées en arabe, et c’est alors le
contexte qui permet d’en assurer le sens, comme dans le cas de certains des énoncés
relevés dans notre corpus.
6 Nous avons donc réfléchi à partir d’un corpus constitué de trois époques, Es-Sayyed,
BwN et Šaraf-‘Abbās-Bāzel,dont il nous reste désormais à présenter les résultats de
l’analyse. Pour chacune des œuvres citées, nous avons relevé les occurrences des
opérateurs de la conditionnelle. Par opérateurs, nous entendons à la fois ’in et law 7,
mais aussi ’iza 8. Le terme d’opérateur servira donc de manière générique, sans induire
de confusion terminologique entre l’une et l’autre catégorie. Au total, nous avons
recensé 200 phrases (respectivement 70 dans Es-Sayyed, 65 dans BwN, 9 dans le corpus
littéraire fourni par Frédéric Imbert, 22 dans Šaraf, 15 dans ‛Abbās et 19 dans Bāzel).
7 De cet ensemble, nous avons choisi de ne garder que les systèmes véritablement
hypothétiques (dont la protase p implique logiquement l’apodose q) 9, et parmi eux
uniquement les systèmes hypothétiques doublement verbaux et positifs. “Doublement
verbaux” signifie d’une part que la protase comme l’apodose sont constituées de
phrases verbales ou bien de phrases nominales dont le propos est une phrase verbale,
et exclut d’autre part les systèmes dits incomplets (cas de la troncation, cas de
l’optation et cas des emplois figés, type law samaḥt ou ’in šā’a-llāh), de même que les
systèmes à apodose de type nominal ou de type syntagmes prépositionnels (type lā-
budda, ‛alay-hi, etc.). “Positifs”, exclut quant à lui l’impératif, la défense, et
l’interrogation 10. Enfin, nous choisissons de ne traiter que de la séquence si p q. Nous
aboutissons alors à 81 systèmes hypothétiques que nous serons amené à présenter de
manière formalisée dans la suite de cette étude en types essentiels 11.
8 Ces 81 systèmes se répartissent ainsi : 33 pour Es-Sayyed, 22 pour BwN, 9 pour Šaraf,
5 pour la recension effectuée par Frédéric Imbert, 2 pour ‛Abbās et 10 pour Bāzel.

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224

9 Sur ces 81 systèmes, nous trouvons 2 Éventuels, 39 Potentiels, 24 Irréels du présent et


16 Irréels du passé. Nous trouvons 23’iza, 14 ’in, 43 law, 1 law-lā.
10 Dans le cadre Éventuel, seul ’iza est représenté, soit 2 ’iza-s. Dans le cadre Potentiel,
nous avons 8 ’iza-s, 17 law-s, et 14 ’in-s. Dans le cadre Irréel du présent, 12 ’iza-s, et 12
law-s. Dans le cadre Irréel du passé enfin, 1 ’iza,14 law-s, et 1 law-lā.
11 De ce premier décompte, il est immédiatement perceptible que c’est l’ordre Potentiel
qui est le plus largement représenté (39/81 soit 48,14%). Mais, et c’est l’un des détails
les plus intéressants, ce n’est pas ’iza qui est majoritaire (23/81 soit 28,39%), mais law
(43/81 soit 53,08%), et pour cause…
12 On note en effet deux caractéristiques en arabe égyptien qui tranchent par rapport à ce
qui est généralement donné en classique : à la fois l’emploi de law dans le cadre
Potentiel, mais aussi, plus étonnant parce que moins connu, l’emploi de ’iza dans l’ordre
Irréel, ainsi qu’en diachronie, la disparition de celui-ci, entre la première époque de
notre corpus et la dernière, de l’ordre Potentiel au profit exclusif de law. Au vu des
occurrences répertoriées dans ces corpus, et nonobstant la marginalité de ’iza dans
l’ordre Irréel, il semble que certaines régularités se fassent jour, ce qui permet
d’organiser le système comme nous allons voir en comparant avec nos trois corpus,
trois stades d’une évolution qui nous semble révélatrice.

Les systèmes hypothétiques dans Es-sayyed we-mrāto


fi bārīs, 1927
13 Le propos du livre étant très didactique, un mari expliquant à sa femme les différences
de cultures existant entre la France et l’Égypte, il se prête volontiers à des jeux de mise
en situation qui font appel à des conditionnelles : « imagine si tu étais … que verrais-
tu ? », « si nous étions au Caire, nous ferions… ». De ce fait, ce livre en est riche, comme
nous l’avons rappelé plus haut, avec 33 systèmes hypothétiques pertinents pour notre
étude.
14 ’In : 5 12
’In ne connaît d’autre emploi ici que celui de particule propre à l’expression du
Potentiel. C’est du reste le cas dans l’ensemble des trois corpus. Contrairement aux
deux autres opérateurs donc, il ne s’est pas transposé à d’autres ordres conditionnels
que le sien propre. Sa raréfaction, notée en arabe classique, est aussi tout à fait
perceptible dans ce premier état de l’arabe égyptien puisqu’on n’en compte que 5
occurrences, soit 15,15% seulement des conditionnelles. On observe un système régulier
avec en protase un accompli et en apodose un inaccompli tel que le présente le tableau
suivant :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

5 accompli inaccompli Potentiel

(1)’in kānet mōbīliyāt telāqī-ha markūna ‘ala ba‘ḍa-ha (Es-Sayyed, p. 59)


« Si ce sont des meubles, tu les trouveras empilés les uns sur les autres »
(2) we-’in kunti ‘āyiza buhyagi mā telā q īhši ’illā q ā‘id ganb el-maḥaṭṭa masalan (Es-
Sayyed, p. 31)

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225

« Et si tu veux un cireur de chaussures, ce n’est qu’à côté de la gare que tu le


trouveras assis par exemple 13 »
15 ’Iza : 18
’Iḏā, nous le savons, a remplacé ’in dans l’emploi Potentiel de ce dernier en arabe
littéraire. La même observation est à faire en arabe égyptien. L’emploi de ’iza
représente ainsi 54,54% des systèmes hypothétiques recensés dans ce roman. Deux
grands modèles syntaxiques se dégagentavec cet opérateur : ’iza accompli … inaccompli et
’iza accompli … accompli. La neutralité de ’iza accompli … inaccompli est d’autre part à
observer entre Éventuel (marginal dans notre corpus), et surtout Potentiel et Irréel du
présent, seul le contexte venant lever l’ambiguïté. Observons de même que les protases
ne sont pas constrastives entre les différents ordres, accompli étant partout présent, et
que la seule distinction possible, quoique légère, s’opère au niveau des apodoses, la
distinction se faisant donc entre inaccompli (neutre entre Éventuel, Potentiel et Irréel
du présent) et accompli (Irréel du passé). Une telle neutralité a pour corollaire une
certaine ambiguïté, qui elle a pour conséquence le risque de confusion. Il s’agit peut-
être d’une des raisons du phénomène de disparition de ’iza comme nous le verrons plus
tard. Voici le tableau tel que la lecture du roman nous permet de le reconstruire :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

1 accompli inaccompli Éventuel

7 accompli inaccompli Potentiel

11 accompli (90,9%)/kāninaccompli (9,1%) inaccompli Irréel du présent

1 accompli accompli Irréel du passé

16 Éventuel :
(3) el-muṣība ’inna kull marra maṣriyya ’iza masakete s-sikkīn lāzem tegraḥ īd-ha (Es-
Sayyed, p. 25-26)
« Le problème, c’est que toute Égyptienne, quand elle s’empare d’un couteau, elle se
blesse forcément la main »
17 Potentiel :
(4) we-’iza sā‘idet-ku al-ḥaẓẓ, ar-riyāl yeksib 100 ginēh (Es-Sayyed, p. 110)
« Et si la chance vous sourit, le riyal gagnera 100 livres »
18 Irréel du présent :
(5) ṣabi l-trezi ’iza kasab lōteriya ya‘mol « ṣālūn mizayyin » (Es-Sayyed, p. 43)
« L’apprenti tailleur, s’il gagnait à la loterie, il ouvrirait un “salon de coiffure” »
(6) ’iza kān kull wāḥed baqa ye‛mil nafso ḥares ‛alā l-ādāb, el-nās tākul ba‛ḍ-ha we-tebqa
fawḍa we-hargala (Es-Sayyed, p. 92)
« Et si chacun alors se faisait le gardien des bonnes mœurs, les gens se mangeraient
entre eux et le chaos et le désordre règneraient »
19 Irréel du passé :
(7) ’inna-ma ḍamīrik huwwa ’elli yaršidik li-n-naẓra l-waḥša we-l-kwayīsa we-’iza
’atta‘amat baṣīratik (we-)lā ‘araftīš el-ḥaqq min el-’aṣwāt we-n-naẓarāt (Es-Sayyed, p. 90)
« Il n’y a que ta conscience qui t’aide à distinguer dans le regard le bon du mauvais,

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226

et si tu avais été complètement aveugle (et 14) tu n’aurais pas distingué la vérité à
partir des intonations et des regards »
20 Law : 10
Law est l’opérateur de l’Irréel 15, et apparaît, quoique discrètement, dans le Potentiel.
Avec 10 occurrences, il représente 30,30% des conditionnelles du roman. Contrairement
à ’iza, il distingue lui bien entre les trois ordres Potentiel - Irréel du présent - Irréel du
passé au moyen de l’alternance des formes verbales protase-apodose, offrant un modèle
plus contrasté et plus régulier. En effet, la protase est contrastive entre le Potentiel en
inaccompli et l’Irréel en accompli ou kāna inaccompli. Par contre, les protases ne sont pas
contrastives entre Irréel du présent et Irréel du passé, celles-ci étant identiques en
accompli. Dans ce cas, ce sont les apodoses uniquement qui font la différence entre un
Irréel du présent en … inaccompli et Irréel du passé en … kāna + accompli/inaccompli 16, tel
que nous pouvons le voir dans le tableau suivant :

Protase Apodose Ordre de


conditionnelle

2 inaccompli(100%) inaccompli(100%) Potentiel

5 accompli (80%)/kān inaccompli inaccompli (100%) Irréel du présent


(20%)

3 accompli kān accompli (60,67%)/accompli Irréel du passé


(33,33%)

21 Potentiel :
(8) ’eḥna law nākul ḍafādi‘ natamatta‘ bi-l-laḥm ’elli ’eḥna maḥrūmīn minno (Es-Sayyed,
p. 108)« Et nous, si nous mangeons des grenouilles, nous nous délecterons de la
viande dont nous sommes privés »
22 Irréel du présent :
(9) ’ana masalan law bustik fi šāri‘ min šawāri‘ Maṣr tbuṣṣ tlāqi ḫamsīn ’alf wāḥed itlammū
‘aleyya (Es-Sayyed, p. 92)
« Moi par exemple, si je t’embrassais dans une des rues du Caire, tu trouverais
soudainement cinquante mille quidams qui rentreraient en contact avec moi »
(10) we-n-nabi law kunt min el-būlīs we-’ašūf itnēn wāqfēn fi rukn ḍalma we-lāzqēn fi ba‛ḍ
la-agarr-hom ‛al-karākūn (Es-Sayyed, p. 93)
« Par le prophète, si j’étais de la police et que j’en voyais deux debout dans un coin
sombre collés l’un à l’autre, je les amènerais au poste 17 »
23 Irréel du passé :
(11) al-ḥikāya inno rāgil miskīn ‘agūz ‘ayyān ma huwwaš ‘āgbik ’imma law kān šab
ṣoġayyar kunti -nbasaṭti min raf‘ al-burnēṭa (Es-Sayyed, p. 83)
« Le fait est que c’est un pauvre vieil homme fatigué qui ne t’a pas plu, alors que si
cela avait été un homme jeune, tu te serais réjouie qu’il te salue du chef »

Conclusion sur l’époque de es-Sayyed


24 ’Iza est le plus employé des opérateurs, représentant à lui seul plus de la somme des
occurrences de law et de ’in. Il est par contre moins régulier dans la syntaxe de sa

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


227

protase et encore plus de son apodose que ne l’est law qui, par ailleurs, distingue mieux,
par la concordance des formes verbales employées, entre les différents ordres
conditionnels, cette distinction se faisant soit par les protases (Potentiel - Irréel du
présent) soit par les apodoses (Irréel du présent - Irréel du passé). Enfin, tant law que
’iza apparaissent tous deux, à ce stade de l’arabe égyptien, dans les différents ordres de
la conditionnelle, ce que ne mentionnait pas Spiro Bey en 1912, ni même De Lacy
O’Leary en 1925 18…

Les systèmes hypothétiques dans Bidāya we-nihāya,


1960
25 ’In : 6
’In, s’il conserve un emploi Potentiel sans en remplir d’autre, ce qui était le cas à
l’époque antérieure, ne conserve néanmoins pratiquement celui-ci qu’en cooccurrence
avec šā’a -llāh (83% des cas, hors ’in šā’a-llāh figés que nous avons évacués de notre
décompte). Ce faisant, et même s’il se maintient encore, représentant 26,08% des
systèmes hypothétiques des dialogues du film, son emploi peut être perçu, dans cet état
de l’arabe égyptien, comme encadré, voire résiduel. Sa syntaxe reste inchangée. À noter
l’apparition d’une marque de futur, trait qui, nous le verrons, semble s’être depuis
généralisé à des fins contrastives entre différents ordres conditionnels pour les autres
opérateurs. Nous trouvons, concernant cette particule en 1960, le système suivant :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

4 accompli (šā’a-llāh) inaccompli (66,66%)

1 accompli futur inaccompli (16,67%) Potentiel

1 kān inaccompli inaccompli (16,67%)

(12) ’in šā’a-llāh tuq‘ud la-ṣ-ṣobḥ (BwN, Scène 32, p. 23)


« Si Dieu le veut, elle tiendra [peut-être] jusqu’au matin »
(13) ’in šā’a -llāh bokra ḥa-waṣṣī ‘alēk we-’ašaddid fi t-tawṣiyya (BwN, Scène 43, p. 29)
« Si Dieu le veut, je te recommanderai chaudement demain »
(14) el-wāḥed ya ’aḫi ’in ma kanš yefawwit ma yestaḥmilš dunyato (BwN, Scène 57, p. 37)
« tu sais mon vieux, si on ne laisse pas [un peu] couler, on ne supporte pas la vie »
26 ’Iza : 3
’Iza représente 13,04% des emplois hypothétiques des dialogues, ce qui, comparé à
l’époque antérieure, représente une régression notable.
27 Au contraire de la situation antérieure, kān apparaît ici pour distinguer entre Potentiel
et Irréel. On distingue en effet entre le Potentiel en futur inaccompli 19 et l’Irréel du
présent en kān inaccompli. Comme à l’état antérieur, le trait saillant est celui de
l’utilisation de ’iza dans l’ordre Irréel. Nonobstant le petit nombre d’occurrences de
celui-ci dans cet emploi, la syntaxe des autres systèmes (notamment celui de law), et
surtout la forme syntaxique de l’apodose qui semble jouer un rôle de plus en plus
contrastif en lieu et place de l’opérateur de la conditionnelle, nous permettent de
dresser le système suivant 20 :

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


228

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

2 accompli futur inaccompli Potentiel

1 accompli kān inaccompli Irréel du présent

28 Potentiel :
(15) ’iza kān ‛ala l-ḥesāb miš ḥa teḫlaṣi minni abadan… (BwN, Scène 12, p. 11)
« Si c’est sur la note, tu ne te débarrasseras jamais de moi… »
29 Irréel du présent :
(16) wa-llā mīn ‘ārif ’iza kān la-hā ’uḫt kān ra’yak yekūn ’ēh… (BwN, Scène 8, p. 8)
« Et qui sait, si elle avait une sœur, quel serait alors ton avis… »
30 Law : 12
Law continue quant à lui d’exprimer l’Irréel, passé comme présent, mais aussi le
Potentiel où il apparaît en force, 41,66% de ses emplois en relevant. Cet opérateur
représente 54,54% des emplois conditionnels des dialogues, ce qui, au contraire des
deux autres opérateurs, représente une très forte augmentation et le hisse au premier
rang des opérateurs. Contrairement à ’iza, il offre toujours plus de contraste dans sa
syntaxe entre les trois ordres Potentiel-Irréel du présent-Irréel du passé au moyen de
l’alternance des formes verbales protase-apodose, offrant un modèle encore plus
régulier qu’à l’époque antérieure. Tout d’abord, les apodoses sont celles qui font la
différence entre Potentiel en futur inaccompli, Irréel du présent en kāna inaccompli et
Irréel du passé en kāna accompli. D’autre part, contrairement à l’état antérieur, les
protases ne semblent pas ici contrastives, étant toutes en accompli (accompli, kān
accompli et kān inacompli). Nous avons ainsi le système suivant :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

5 accompli futur inaccompli Potentiel

1 kān inaccompli kān inaccompli Irréel du présent

6 accompli (16,67%)/kān accompli (83,33%) kān accompli Irréel du passé

31 Potentiel :
(17) lākin ’elli ’ana mit’akkid minno ’inne-na law rafaḍet ḥa-neḫsar el-flūs… ( BwN, Scène
24, p. 17)
« Mais ce dont je suis sûr c’est que nous, si elle refuse, nous perdrons l’argent … »
(18) we-l-Llāhi law-ma bi‛ittiš ‛anni la-agīblik el-‛askari (BwN, Scène 29, p. 21)« Je te
jure, si tu ne t’écartes pas de moi je t’appelle le policier 21 »
32 Irréel du présent :
(19) law kunti teštaġili ḫayyāṭa dānti kunti teksabi dahab ! (BwN, Scène 5, p. 6)
« Si tu travaillais comme couturière, toi, tu gagnerais de l’or ! »
33 Irréel du passé :
(20) law kān Allāh yerḥamo qaraṣ ‘alayya we-ḫallā-ni akammil ta‘līm mā kānš da baqa ḥāli
(BwN, Scène 11, p. 10)

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229

« S’il, Dieu lui fasse miséricorde, m’avait poussé et laissé continuer des études, mon
état ne serait pas devenu ce qu’il est ! »
34 Law-lā : 1
law-lā n’apparaît qu’une seule fois dans les dialogues du film en respectant les critères
énoncés plus haut, et il n’apparaît que dans l’ordre de l’Irréel du passé :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

law-lā accompli kān accompli Irréel du passé

(21) we-law-la ḥaḍretak ẓahart min ġēr munāsba kunna -ttafaqna (BwN, Scène 16, p. 13)
« Et si Môsieur ne s’était pas pointé sans raison, nous nous serions mis d’accord »
35 Quelques remarques pour conclure sur cette période. Notons tout d’abord que Lehn et
Abboud 22 faisaient, en 1965, sensiblement les mêmes observations, le Potentiel ayant
pour forme si accompli/kān inaccompli … futur inaccompli, et l’Irréel passé étant lui en si
(kāna) accompli … kān accompli/ inaccompli. Les apodoses seules jouent donc bien un rôle
contrastif, même si, dans les exemples qu’ils donnent, des indicateurs temporels sont
présents (bokra pour le futur, qui désigne alors le cadre Potentiel, et ’imbāreḥ pour le
passé et donc l’Irréel passé).
36 Selon Jomier en revanche, c’est ’iza qui est l’opérateur principal de la conditionnelle
égyptienne 23. Or, en comparant la situation qu’il décrit avec les trois corpus dont nous
nous sommes servi d’une part, et avec le manuel d’arabe égyptien du Caire de Wadie
Boutros 24 publié en 1993 d’autre part, il ressort que ce qu’il donne, tant en 1973 que
dans son édition corrigée de 1989, comme étant les systèmes hypothétiques répond à la
situation de l’époque du film, 1960, et non à celle de 1993, ni a fortiori à celle de
1996-2003-2005. Il est vrai qu’en 1980, on trouve encore des cas où ’iza exprime le
Potentiel comme dans ġadāki fi t-tallāga…’iza ḥabbētī tesaḫḫanīh ( Masraḥiyyāt, p. 49) :
« Ton déjeuner est dans le frigo. Si tu veux, tu le réchauffes », mais cette situation, nous
allons le voir, va fortement changer.
37 Par contre la situation propre à l’époque du film, concernant les concordances
formelles des verbes dans les systèmes en law, est exactement celle que Wise, que cite
Martine Cuvalay 25, donnait encore en exemple en 1975 et que nous nous permettons de
reproduire ici :
law yinzil talg bukra ḥa’‘ud filbēt
s’il neige demain je resterai à la maison
law nizil talg bukra ḥa’‘ud filbēt
s’il devait neiger demain je resterais à la maison
law nizil talg bukra kunt a’‘ud filbēt
s’il neigeait demain je resterais à la maison
38 Comme nous allons le voir avec le prochain corpus, la situation sera différente,
signifiant donc encore une fois une évolution, entre 1975 et 1996.

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230

III. Les systèmes hypothétiques dans šaraf 1996,


‘abbās 2003, bāzel 2005
39 Ce troisième ensemble, parce que le plus récent, doit nous permettre de saisir la
situation actuelle en arabe égyptien concernant les systèmes hypothétiques. À lui seul,
il représente un corpus de 21 systèmes hypothétiques.
40 ’In : 2
’In ne connaît toujours d’autre emploi que celui de l’expression du Potentiel. Son
emploi tombe à 9,52%, mais il apparaît de manière plus autonome qu’à l’époque
précédente où il était quasiment toujours en collocation avec šā’a-llāh. Enfin, aucun
changement n’est à noter entre la situation contemporaine et celles des deux autres
époques, le système syntaxique restant le même. Concernant ’in, nous avons le système
suivant :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

2 accompli (100%) futur inaccompli (66,67%) Potentiel

1 accompli (100%) inaccompli (33,33%)

(22) ’in ma-qala‘tš ḥa-yeftekrūk ‘ayyān (Šaraf, p. 92)


« Si tu ne te déshabilles pas, ils penseront que tu es malade »
(23) we-’in ma -taragga‘š we-t‘addal ‘ala ṭūl ‘a l-muḥāmī yaḥbeso (Bāzel, p. 64)
« Et s’il ne revient pas [sur sa position] et ne se corrige pas très vite, c’est l’avocat
qui l’incarcère »
41 ’Iza : 1
Le grand changement se trouve dans la situation de ’iza qui, en plus d’être désormais
résiduel, ne représentant plus que 4,76% des emplois conditionnels, a complètement
disparu de la scène potentielle, n’exprimant dès lors que l’Irréel, et encore, vu le
nombre d’occurrences le concernant, que marginalement. Il apparaît par ailleurs pour
signifier, ce qui est remarquable, l’Irréel du passé. Nous obtenons alors, pour l’époque
actuelle, et concernant ’iza, désormais d’emploi plus que résiduel, le système suivant :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

1 accompli accompli Irréel du passé

42 Irréel du passé :
(24) qalīl ’iza waḥda ṣaddet-ni aw qidiret teqāwim-ni .. mā-na baqēt zayy er-rigāla ’elli
besma‘ ‘an-hom (Bazel, p. 35)
« Rien de grave, si une [d’entre les femmes] m’avait résisté ou avait été capable de
me tenir tête… je ne serais pas devenu comme les hommes dont j’entends parler »
43 Law : 18
Law s’impose lui, comme l’Opérateur de la conditionnelle, se taillant la part du lion avec
85,71% des occurrences, et surtout 100% de l’ordre Potentiel. Sa syntaxe est très

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231

régulière et très contrastive. L’apodose se décline dans les différents ordres


conditionnels, entre Potentiel en futur inaccompli, trait maintenu de l’époque
précédente et qui, visiblement tend à se stabiliser, Irréel du présent en inaccompli 26 et
Irréel du passé en kān accompli. Ce faisant, les apodoses étant parfaitement contrastives,
nul besoin ne semble subsister d’avoir recours aux protases à cette fin 27. La protase
retrouve alors un aspect d’accompli en collocation avec l’opérateur de la
conditionnelle :

Protase Apodose Ordre de conditionnelle

9 accompli futur inaccompli Potentiel

5 accompli inaccompli Irréel du présent

4 accompli (50%)/kān accompli (50%) kān accompli Irréel du passé

44 Potentiel :
(25) law ruḥt al-waqt ’abūk ḥa-yeḍrabak. ta‘āla ma‘āya ’aḥsan (Šaraf, p. 82)
« Si tu pars maintenant ton père va te frapper. Vaut mieux venir avec moi »
(26) ’ana ma-šuftiš fi ḥayāti ḥadd gowwah kammiyyat ḥaqd ḫām qaddak, danta ya ibni law
bala‘t rīqak ḥa-yegīlak tasammum (‘Abbās, p. 55)
« Moi, je n’ai jamais vu de ma vie quelqu’un qui ait une quantité de haine brute
comme toi. Petit, si tu avales ta salive, elle va t’empoisonner »
(27) lawu z-zamān samaḥ lēna ha‘arrifak ezzāy Fā’iza teta‘āmal zayy as-sinyūra (Bāzel, p.
63)
« Si on a le temps, je te montrerai comment Fā’iza se comporte comme une grande
dame »
45 Irréel du présent :
(28) we-law ḥabbēt ’ašterī ḥāga ḥelwa malāqīš ġayr malban … (Šaraf, p. 162)
« Et si je voulais acheter une douceur, je ne trouverais rien excepté du loukoum »
(29) we-law ’it qaddimt bi-šakwa rasmi tekūn šarīk fi garīmat r-rašwa (Bāzel, p. 28)
« Et si tu déposais une plainte officielle, tu serais complice de corruption »
46 Irréel du passé :
(30) law ma-kānš i‘taraf kān nifid (Šaraf, p. 53)
« S’il n’avait pas avoué, il aurait pu s’en sortir »
(31) le-’anno law baṣṣ fi ‘enēki bas makānš sābik (‘Abbās, p. 81)
« Parce que s’il avait seulement regardé dans tes yeux il ne t’aurait pas quittée »
(32) te‘rafi law kunti wāfaqti min ġēr kitāba … kunt bahdiltik (Bāzel, p. 11-12)
« Tu sais, si tu avais accepté sans contrat … je t’aurais fait une scène »
47 On notera pour conclure sur cette période que les observations faites ici recoupent la
description du système hypothétique égyptien et des concordances des formes verbales
entre protase et apodose faite par Wadie Boutros en 1993 28. Il donne en effet pour les
ordres Potentiel respectivement law accompli … futur inaccompli ; ’in accompli … impératif
et ’iza accompli … inaccompli, où nous retrouvons bien, tant pour law que pour ’iza, nos
observations. Pour l’Irréel du passé de même puisque qu’il donne law (kān) accompli …
kān {accompli/futur inaccompli}, ce que corroborent nos observations même si nous
n’avons pas relevé de … kān futur inaccompli pour l’Irréel du passé. Pour ce qui est de
l’Irréel du présent, il donne, lui, le modèle suivant : law (kān) accompli … kāna zamāno be-
inaccompli, là où nous n’avons pas recensé de zamāno, quasiment jamais de be- (un seul

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


232

exemple dans ‘Abbās sur les 21 systèmes concernant cette époque, et encore, il s’agit
d’une concessive en win) et où le système découlant de notre recension est un peu plus
simple, puisqu’il se présente sous la forme law accompli … inaccompli.
48 D’autre part, même s’il note que c’est law qui est majoritairement employé (exclusif
pour l’ordre Irréel), Boutros semble encore laisser à son époque, concernant le
Potentiel, une place, certes résiduelle, à ’iza tout d’abord et à ’in ensuite, là où nous
observons au contraire, quelques années après, le maintien confidentiel de ’in et la
disparition pure et simple de ’iza 29.
49 On attirera enfin l’attention sur deux travaux “récents” menés sur l’arabe cairote et
dont les observations et ou analyses se doivent d’être ici abordées, “récents” par leurs
dates de publication, mais dont les sources utilisées concernant notamment les
systèmes hypothétiques sont elles “datées”, ce qui induit donc un certain “retard”
descriptif sur lequel il convient d’attirer l’attention.
50 Il s’agit en premier lieu de l’étude faite par John C. Eisele, Arabic Verbs in Time : Tense and
Aspect in Cairene Arabic, parue en 1999 30. Traitant des temps et aspects, l’auteur a été
amené à considérer et à décrire les emplois verbaux dans les systèmes hypothétiques
cairotes. Selon l’auteur, « CA distinguishes between high and low hypotheticality based
not only on devices such as backshifting but also based on the type of particle that is
used: ’iza = low, law = high 31 ». Or, si son ouvrage date bien de 1999, les sources qu’il
utilise concernant cette question des systèmes hypothétiques en arabe cairote
contemporain datent elles de 1975, 1979 et 1980 32, soit vingt ans plus tôt. Et nous
l’avons vu, le système évolue extrêmement vite. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que
ce que nous propose l’auteur comme description des systèmes hypothétiques en arabe
égyptien contemporain ne coïncide pas avec nos observations dont les matériaux
datent eux des années 1996, 2003, 2005.
51 Ainsi, concernant son analyse de l’utilisation des temps dans les systèmes
hypothétiques, et plus précisément lorsqu’il écrit que « law ne peut être utilisé comme
Potentiel que si utilisé sans le temps du passé, i.e. vraisemblablement sur un pied
d’égalité avec ‘’iza + passé’ 33 », il décrit une situation qui est au moins celle du film de
1960, où, effectivement, pour l’expression du Potentiel, on trouve, aux côtés de ’iza
accompli … (futur) inaccompli, law inaccompli … futur inaccompli, situation qui a dû
perdurer dans le temps, et visiblement jusqu’en 1980, et qui était encore donnée dans le
dictionnaire de Badawi et Hinds 34 en 1986, mais qui n’est plus observable d’après notre
corpus le plus récent. De la même manière, nos observations nous conduisent à réfuter,
pour ce qui est de l’époque actuelle, son impression qui reste vraie pour une époque
antérieure et qu’il exprime ainsi : « La façon dont le système fonctionne normalement
est que ‘’iza + passé’ est préféré pour les conditionnelles peu hypothétiques [Potentiel],
tandis que ‘law + passé’ est préféré pour les conditionnelles fortement hypothétiques
[Irréel] 35 », puisque la situation actuelle semble plutôt être celle de l’extension de law à
l’ensemble du système hypothétique et, conséquemment, l’éviction de ’iza.
52 Eisele note toutefois que « law peut aussi être utilisé dans certains contextes 36 avec des
verbes à l’accompli [non renforcé par kān] dans la protase et exprimer soit un Potentiel
soit un Irréel, auquel cas c’est le temps de l’apodose qui détermine s’il est lu en tant
qu’Irréel ou que Potentiel : si l’apodose est au passé (généralement marquée par kān +
verbe), alors l’ensemble de la conditionnelle est lue comme Irréel ; si l’apodose est [à un
temps] non-passé, alors la conditionnelle est lue comme Potentiel 37 », ce qui rejoint
parfaitement nos observations faites, cette fois, à partir de notre dernier corpus, et

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


233

donc, ce qui semblait n’être qu’une possibilité offerte par le système, « dans certains
contextes » dans les années 1970-1980, semble bien s’être généralisé à l’époque
postérieure.
53 Le second travail, considérable, est celui de Manfred Woidich, Das Kairenisch-Arabische.
Eine Grammatik, qui date lui de 2006 38. Woidich note, comme nous l’avons fait et comme
l’ensemble de ceux qui se sont penchés sur la question l’ont fait, la désuétude de ’in,
relayé par ’iza. Néanmoins, sa description du système hypothétique reste quelque peu
classique, si l’on peut se permettre, dans la mesure où, pour le Potentiel (Reale
Bedingung), la protase (Vordersatz) est introduite par ’iza, law et ’in 39, suivis soit de
accompli, soit de kān et d’une autre forme verbale 40 :

Ohne kān iza

law ruḥti bukrā ḥaddīk ilfilūs

in

„wenn du morgen gehst, gebe ich dir das Gelt“ (« Si tu pars demain, je te donnerai l’argent »)

mit kān iza

law kunti trūḥ bukrā ḥaddīk ilfilūs

in

„wenn du morgen gehst, gebe ich dir das Gelt“ (« Si tu pars demain, je te donnerai l’argent »)

54 Concernant l’apodose (Nachsatz), celle-ci est formée soit de l’impératif, soit de


l’inaccompli sans be-, soit de ce dernier précédé d’une marque de futur 41. Woidich
caractérise donc bien, pour law, la situation observable dans notre dernier corpus, à
ceci près que l’inaccompli n’apparaît justement pas seul sans une marque de futur dans
le Potentiel, cette syntaxe étant au contraire propre à l’Irréel présent. Enfin,
concernant ’iza, sa description correspond plus à l’époque du film, car ce dernier
opérateur a depuis quasiment disparu.
55 Pour l’Irréel (Irreale Bedingung), le système proposé ne répond (déjà) plus aux
observations faites à partir de notre ensemble le plus récent. En effet, si l’auteur note
bien la synonymie existant entre les différents opérateurs, comme il le faisait du reste
pour l’ordre Potentiel, cette synonymie est étendue, dans l’ordre Irréel, à ’in, ce que
nous n’avons pas été en mesure d’observer. D’autre part, Woidich précise que
« syntaxiquement, ces phrases sont tout d’abord marquées [par le fait] que l’apodose
est introduite par kān. Si un accompli le suit, cela confère alors un sens contraire au
passé. Dans tous les autres cas, il s’agit d’une conditionnelle hypothétique dont la
probabilité de réalisation est estimée comme étant faible 42 ». Ce qui donne selon
Woidich le tableau suivant :

a. hypotetisch law

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234

iza kunt ašūfu kunt aḍrabu

in

„wenn ich ihn sähe,würde ich ihn schlagen“

(« Si je le voyais, je le frapperais »)

b. kontrafaktisch law

iza kunti šuftu, kunti ḍarabtu

in

„wenn ich ihn gesehen hätte,hätte ich ihn geschlagen“

(« Si je l’avais vu, je l’aurais frappé »)

56 Or ceci ne correspond pas à la situation de ’iza dans notre dernier corpus, et ne


correspond que partiellement à ce que nous donnent les textes concernant law dont la
situation, pour l’Irréel du passé, est certes proche de celle décrite par Woidich ici, mais
dont la situation concernant l’Irréel du présent est, elle, différente, dans la mesure où
l’apodose est en inaccompli et non en kān inaccompli, modèle qui correspond, lui, encore
une fois à la situation de l’époque du film.

IV. Une hypothèse diachronique : la simplification du


système hypothétique en arabe égyptien moderne.
57 En arabe standard, les modèles, quels que soient les opérateurs envisagés, sont
généralement donnés en accompli … accompli. Notre relevé, et ce sur trois stades de
l’évolution des systèmes hypothétiques en arabe égyptien, montre une réalité tout
autre : le recours à une concordance des formes verbales d’un autre type. Cette
concordance, selon nous, découle d’un trait majeur qui caractérise l’arabe égyptien par
rapport à l’arabe classique, et ce au moins sur les deux premières époques que nous
avons balayées : la synonymisation des opérateurs ’iza et law. Si cette synonymisation,
nous le rappellerons, n’est qu’une étape du développement, suivie qu’elle est par
l’hégémonie de law sur ’iza, elle n’en n’a pas moins eu des conséquences nous semble-t-
il remarquables, au premier rang desquelles l’ordonnancement des formes verbales à
des fins contrastives entre les différents ordres conditionnels, ceux-ci n’étant plus
marqués par les opérateurs, devenus eux synonymes…
58 Les phénomènes perçus ici, s’ils sont certes ceux de l’arabe égyptien, ne sont
néanmoins pas ceux de l’arabe égyptien dans l’absolu, d’un état éthéré, stable et
invariant. Si, en synchronie, les différences existant entre l’arabe égyptien et l’arabe dit
classique sont patentes (emploi de law dans l’ordre Potentiel et de ’iza dans l’ordre
Irréelpour ne citer que ces deux particularités), il apparaît aussi que nous pouvons, en
diachronie cette fois-ci et à l’intérieur de cette même variété égyptienne, percevoir des

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


235

transformations semble-t-il plus profondes que de simples modifications de surface.


Ainsi, la comparaison entre diverses époques d’une même variété d’arabe permet de
mettre au jour ce que nous appellerions une simplification du système hypothétique.
59 Concernant en effet l’ensemble du système hypothétique égyptien à opérateurs
spécifiques, i.e. ’iza, ’in et law, nous avons observé des modifications en diachronie.
Ainsi, dans l’ordre Potentiel, à une relative régularité syntaxique des systèmes en law et
en ’in, s’oppose une relative anarchie avec ’iza, plus marqué que d’autres par des risques
d’ambiguïté. D’autre part, law, comme il découle des analyses faites plus haut étape par
étape, fournit des systèmes plus réguliers et plus distinctifs entre les différents ordres
conditionnels que ne le fait ’iza.
60 La question qui doit ici être posée dans le cadre de la conditionnelle potentielle est la
suivante : pourquoi trois opérateurs sont-ils en cooccurrence pour l’expression du
Potentiel, alors que la situation en arabe dit classique est celle d’une distinction assez
nette entre ses opérateurs ? Si la situation de ’in s’apparente à celle du ’in classique,
c’est-à-dire celle d’une survivance, cantonné qu’il est soit à de simples emplois figés
dans ’in šā’a-llāh, sans valeur réelle de conditionnelle, mais plutôt de sens proverbial 43,
soit à des emplois certes conditionnels potentiels, mais majoritairement en collocation
avec ce même šā’a -llāh, reste à élucider la question de l’emploi conjoint de ’iza et de law
en égyptien pour le Potentiel d’une part, mais aussi celle de leur cooccurrence dans le
cadre Irréel, le paroxysme étant atteint avec l’époque du film où les deux opérateurs
sont à peu près à égalité de représentation et expriment tous deux les trois ordres
conditionnels. Il pourrait sembler que nous nous trouvions devant une anarchie
d’emploi, or, en linguistique, l’anarchie, fût-elle apparente, n’est certainement pas de
mise, et quand bien même, elle est plutôt temporaire, représentant un état moyen
entre deux états, la langue se chargeant toujours de donner une régularité aux emplois,
d’en différencier les recours…
61 Il semble possible de poser un certain nombre d’hypothèses pour essayer de
comprendre ces phénomènes tout d’abord de cooccurrence avec prééminence de ’iza
(Es-Sayyed), puis de disparition de celui-ci (tout d’abord dans BwN 44, puis dans le corpus
contemporain formé par Šaraf-‘Abbās-Bāzel).
62 Les deux systèmes en law et ’iza sont syntaxiquement relativement proches, tels que le
montrent les tableaux ci-dessus. De plus, en se basant sur les descriptions que Spiro Bey
et de Lacy O’Leary font, vraisemblablement sur le modèle classique, à savoir que law
serait réservé à l’expression de l’Irréel, tandis que ’iza le serait lui tout d’abord à
l’expression de l’Éventuel, puis, remplaçant ’in dans son emploi, à celle du Potentiel, un
fait nouveau surgit. Le fait, récent, qu’ils soient cooccurrents dans l’expression à la fois
de l’Irréel et du Potentiel, pousse en effet à reconnaître que cette cooccurrence indique
non seulement qu’en arabe égyptien, law et ’iza ont perdu leurs valeurs propres, posées
par Spiro Bey et de Lacy O’Leary donc, attachées à certains types de conditionnelles, et
sont donc synonymes, mais bien plus, que law comme ’iza n’indiquent désormais alors
rien de plus que la conditionnelle dans l’absolu. Les nuances conditionnelles ne
relèvent donc plus de l’emploi d’un opérateur en particulier, mais sont uniquement
marquées par recours à des apodoses et/ou protases contrastives, et plus
particulièrement même par l’identité syntaxique de l’apodose en relation avec le
marqueur conditionnel employé, la protase étant le plus généralement en accompli.
Cette synonymie explique en retour la possibilité, semble-t-il un temps explorée,

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quoique marginalement, de l’utilisation de ’iza, par mimétisme avec law, dans l’ordre
Irréel.
63 Pourquoi alors deux systèmes (quasi identiques syntaxiquement par ailleurs) si ces
deux systèmes expriment in fine les mêmes réalités sémantiques ?Cette cooccurrence ne
devait donc être que temporaire, un temporaire qui pouvait certes durer dans le temps,
mais où l’un devait se substituer plus ou moins totalement au second, ce dernier ayant
alors un emploi résiduel. À cet égard, la recension des occurrences semble bien
indiquer que le choix de la langue s’est porté sur law. En premier lieu, celui-ci est de
loin plus employé pour exprimer le Potentiel que ne l’est ’iza pour rendre l’Irréel. Mais
encore, en courte diachronie, il semblerait bien que law se soit effectivement imposé,
ou soit en train de le faire, comme l’opérateur de la conditionnelle par excellence de
l’égyptien moderne. Ceci est particulièrement visible dans le cadre Potentiel,
notamment lorsque l’on compare entre Es-Sayyed et le corpus du film de 1960. Si dans le
premier nous trouvons bien une prééminence de ’iza (6/13 soit 46,15%) sur law (2/13
soit 15,38%), dans le second les proportions sont quasiment inversées (’iza 2/13 soit
15,38% et law 5/13 soit 38,46%), l’emploi de law étant deux fois et demi supérieur à ce
qu’il était 36 ans auparavant quand dans le même temps l’emploi de ’iza est lui trois fois
moindre. De la même manière, ’iza n’apparaît plus pour exprimer l’ordre Potentiel dans
Šaraf-‘Abbās-Bāzel là où law représente respectivement 80% des emplois potentiels pour
Šaraf, 100% pour ‘Abbās et 80% pour Bāzel, soit, sur l’ensemble de ce corpus 9/11
(81,81%).
64 L’apparition du law égyptien dans le cadre Potentiel, de même que son extension à
l’ensemble de la conditionnelle et par suite sa substitution à ’iza dans les sphères
potentielles et irréelles de celle-ci, pourrait être expliquée par le fait que a) des trois
opérateurs historiques de la conditionnelle égyptienne 45 law exprimait déjà deux
formes de conditionnelles (Irréel, présent et passé), et qu’il serait par conséquent plus
facilement extensible à d’autres formes de conditionnelles, b) parce que contrairement
à ’iza qui n’exprime que très marginalement l’ordre le plus éloigné de ses attributions
premières, à savoir l’Irréel du passé, law, lui, remplit de manière massive comme nous
venons de le souligner le Potentiel, sans cesser d’exprimer les Irréels, et c) parce qu’il
offrirait une plus grande régularité syntaxique d’emploi, opérant des différenciations
claires entre les ordres conditionnels sur la base de distinctions syntaxiques, et ce sans
appauvrir les possibilités d’expression des conditionnelles dans les deux ordres
Potentiel et Irréel.
65 Posons alors l’hypothèse suivante en diachronie. Sémantiquement, law ne traduisait
que l’Irréel, et ’iza que l’Éventuel, puis l’Éventuel et le Potentiel après avoir évacué ’in.
Pratiquement, nous sommes donc passés d’un système hypothétique à trois marqueurs
(’iza, ’in et law) à deux marqueurs (’iza et law). Law apparaissant en force dans le cadre
Potentiel, il embrasse dès lors l’ensemble de la conditionnelle, Éventuel excepté. Ce
faisant, il acquiert les mêmes valeurs sémantiques que ’iza ou ’in, ce qui n’est pas
réciproque, ces derniers n’acquérant pour l’un que très marginalement le sens premier
de law. Syntaxiquement maintenant, law offre une économie d’emploi, un système bien
différencié et régulier qui tranche avec ’iza, ce qui empêche du reste ce dernier de
s’étendre à l’expression de l’Irréel dans les mêmes proportions que law ne le fait dans le
Potentiel. Ce dernier finit donc naturellement par s’imposer, relayant et éliminant de
fait ’iza. Le système devient donc économique syntaxiquement et sémantiquement 46.

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66 En d’autres termes, nous assisterions, en arabe égyptien, à une simplification du


système conditionnel, avec disparition de la multiplicité des opérateurs de la
conditionnelle et développement consécutif du rôle contrastif des protases et apodoses,
i.e. aux formes verbales employées. Nous aboutirions donc à un système proche du
système hypothétique français 47, par exemple, où nous n’avons comme opérateur que
si et où les temps du verbe permettent de situer la conditionnelle dans les différents
ordres 48. Plus particulièrement nous assistons en arabe égyptien au développement du
rôle contrastif des apodoses pour distinguer entre Potentiel, Irréel du présent et Irréel
du passé, puisque nous sommes passés d’un rôle contrastif propres aux protases (1927)
à celui des apodoses (1996-2003-2005).

Conclusion
67 À l’issue de cette étude, il semble donc que nous assistions à une simplification des
systèmes hypothétiques en égyptien moderne, simplification au profit de law et aux
dépens de ’iza, law recouvrant désormais l’ensemble des valeurs conditionnelles
(Potentiel, Irréels), i.e. n’en n’ayant plus aucune, mais indiquant simplement le cadre
conditionnel de l’énoncé, les différences se faisant dès lors de manière syntaxique par
recours à des apodoses contrastives. Ceci rapproche le système égyptien des systèmes
français ou anglais où, là aussi, ce sont les formes verbales qui permettent de marquer
l’ordre de la conditionnelle, notre si ne servant lui qu’à indiquer le cadre conditionnel.
En une génération ou un peu moins, des changements s’opèrent, des tendances
s’affirment ou se renversent, ce que nous montrent les textes du corpus ici utilisés.

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NOTES
1. Contrairement à l’usage, nous serons tout naturellement ici amené à ne pas respecter les
règles de transcription de l’arabe classique, afin de coller le plus possible à la réalité de la
prononciation en égyptien, ce qui explique ici la transcription en Es-Sayyed et non en Al-Sayyed.
Nous choisissons par ailleurs de transcrire les dialogues du film (corpus oral donc) de la même
manière que les éléments de littérature dialectale de notre corpus.
2. Très vraisemblablement datable de 1927 ; le préfacier de l’édition que nous avons utilisée,
Kamāl Sa‘d, écrit en effet que la première édition a été épuisée en quelques jours, et que malgré
cela, la seconde édition ne verra le jour que deux années plus tard, c’est-à-dire, dit-il, à la fin des
années vingt (BAYRAM AL-TŪNISĪ (Maḥmūd), Es-Sayyed we-mrāto fi Bārīs, Beyrouth, al-Maktaba
al-‘Aṣriyya, 1927(?), 112 p., p. 6).
3. Il se compose de 34 pages de texte (p. 4-38) représentant les 58 scènes du film. Ce texte a été
annoté et transcrit par Frédéric Lagrange, avec l’aide de Lamyā’ al-Ṣādiq en 1998 et révisé en
2006 à l’occasion de la question de linguistique proposée au concours de l’agrégation. Il s’agissait
du texte de référence servant à traiter de la conditionnelle en égyptien, et c’est donc à partir de
celui-ci que s’origine le questionnement auquel nous nous efforcerons de répondre ici.
4. Nous remercions ici Frédéric Imbert qui nous a fourni un premier ensemble, composé
initialement de 14 phrases, tirées de diverses œuvres littéraires égyptiennes contemporaines
(BAHGAT (’Aḥmad), Kilmeten we-bass, 1974 ; WAHBA (Sa‘d al-Dīn), Masraḥiyyāt ; ’IDRĪS (Yūsuf),
Gomhoriyyat Farahat, 1976 ; Bayt min laḥm ; Ḥādiṯat Šaraf), et nous a fourni la plupart des œuvres
littéraires dont nous nous sommes servi pour étoffer notre recension et asseoir nos conclusions
sur un plus large corpus.
5. En effet, comme nous le verrons plus tard, si certains ouvrages récents traitent bien de l’arabe
égyptien, leurs sources, tout au moins concernant les systèmes hypothétiques, sont elles
relativement anciennes, datant pour les plus récentes des années 1980, ce qui peut ne pas
sembler si vieux que cela, mais qui pourtant semble bien avoir une certaine importance et
certaines incidences sur l’adéquation descriptive. Cf. infra, p. 248-249, particulièrement notes 32
et 38.
6. Il s’agit seulement ici de concordance des temps, mais la syntaxe pourrait porter à croire à un
Irréel du présent. Sur la différence entre discours et récit, voir entre autres ABI AAD (Albert), Le
système verbal de l’arabe comparé au français, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, 186 p.,
notamment p. 49-72.
7. Ce que par ailleurs, pour un autre état linguistique, la grammaire arabe classique présente
comme étant les deux particules de la conditionnelle (ḥarfā al-šarṭ). Deux, car les grammairiens
arabes postclassiques (c’est-à-dire après l’irruption de la logique grecque à partir du III e siècle de
l’hégire), à commencer par al-Zamaḫšarī n’en reconnaissent que deux. Sur ce point, voir AL-
ZAMAḪŠARĪ, al-Mufaṣṣal, éd. Émile Badī‘ Ya‘qūb, Dār al-kutub al-‘ilmiyya, Beyrouth, 1999, 718 p., p.
416-420. Sur le devenir de law en tant que particule de la conditionnelle, voir notamment DÉVÉNYI
(Kinda), « The Treatment of Conditional Sentences by the Mediaeval Arabic Grammarians
(Stability and Change in the History of Arabic Grammar) », The Arabist, 1, 1988, p. 11-42, et
VERSTEEGH (Kees), « Two conceptions of irreality in Arabic Grammar. Ibn Hišām and Ibn al-Ḥāǧib

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on the particule law », De la grammaire de l’arabe aux grammaires des arabes (P. Larcher coord.),
Bulletin d’études orientales, IFEAD, XLIII, 1991, p. 77-92.
8. ’Idā étant lui en arabe classique un circonstant temporel (ẓarf zamān). Par ce choix restreint à
trois opérateurs, nous limitons donc notre étude aux conditionnelles dites spécifiques en
excluant de celle-ci celles dites génériques (man, mā, ’ayna, etc.), de même que celles sans
opérateur, type ’udrus tanǧaḥ en classique (« Étudie, tu réussiras ! »).
9. Excluant donc de notre étude les systèmes concessifs, dont q se réalise indépendamment de p,
mais aussi les “fausses conditionnelles”, au sens de LEWIN (Bernhard), « Non-conditional ‘if’-
clauses in Arabic », ZDMG, 120, 1970, p. 64-270. Il s’agit en fait de phrases dans lesquelles si p n’est
pas une supposition, mais purement une forme linguistique d’assertion. Le segment p est en fait
avéré et q en est indépendante. Il n’y a donc pas de rapport d’implication logique entre p et q.
Cela correspond à ce que Pierre Larcher décrit, dans son article sur le « segmentateur * », sous la
catégorie d’oppositif, repérable par l’expression « en revanche » apparaissant dans la traduction
française comme dans « s’ils ont traîtreusement tué Awsan, j’ai [en revanche] laissé ’Abū Sufyān »
(fa-’in yaqtulū bi-l-ġadri Awsan fa-’inna-nī taraktu ’Abā Sufyāna multazima r-raḥlī), ou ici, dans notre
corpus égyptien : « Par Dieu, si on y a droit, [en revanche] on en a même oublié la forme ! » (wa-l-
Llāhi ’in gēt li-l-ḥaqq ’iḥna nisīna šakla-ha ḥatta). Voir aussi sur cette question de la rupture par le fa-,
LARCHER (Pierre), « Subordination vs coordination “sémantiques” : l’exemple des systèmes
hypothétiques de l’arabe classique », Annales islamologiques, Le Caire, 2000, 34, p. 193-207 et AYOUB
(Georgine), « Corrélation et rupture modales. Formes verbales et particules énonciatives dans les
hypothétiques en arabe littéraire », Mélanges David Cohen, Maisonneuve et Larose, Paris, 2003, p.
29-45, not. p. 41-45.
* LARCHER (P.), « Le « segmentateur » fa-(’inna) en arabe classique et moderne », Kervan – Rivista
Internazionale di Studi Afroasiatici, 3, juin 2006, p. 55.
10. Il ne s’agit pas exactement ici des “quasi” conditionnelles au sens de DÉVÉNYI (Kinda), op. cit.,
p. 38, qui, reprenant Sībawayhi, les définit comme étant celles dont la protase est un impératif
(’amr), une défense (nahy), une question (’istifhām), un souhait (tamannī) ou une proposition (‘arḍ),
mais de phrases se présentant dans leur globalité sous forme de questions. Celles-ci ont en
commun un certain nombre de traits syntaxiques qui, selon nous, permettent et imposent de les
distinguer d’autres formes de conditionnelles, et qui mériteraient une étude à elles seules.
11. Par type essentiel nous entendons les types syntaxiques auxquels peuvent se laisser réduire
les différentes phrases de notre corpus afin de pouvoir en abstraire des statistiques et repérer les
régularités. Ces types seront présentés par exemple comme suit : law accompli … kān accompli, où
l’ensemble [opérateur de la conditionnelle-verbe] représente la protase, séparée de l’apodose par
les pointillés.À cet égard, une précision s’impose. Nous ne tenons tout d’abord pas compte de la
présence d’une négation, celle-ci n’ayant pas d’effet sur les relations liant protase à apodose et
donc n’ayant pas d’effet sur la catégorisation de la phrase dans tel ordre de la conditionnelle
plutôt que dans tel autre. Les marqueurs de futur, en égyptien généralement ḥa-, graphiquement
directement préfixé ou non au verbe (on peut en effet aussi bien trouver ḥa-yeḍrubak et ḥa
yeḍrubak), seront eux par contre pris en compte, le futur n’étant contrairement à la négation pas
neutre du point de vue de la catégorisation, et seront notés futur inaccompli.Un verbe à l’accompli
sera noté accompli, et un verbe à l’inaccompli inaccompli. Concernant maintenant le verbe kān, s’il
apparaît comme auxiliaire, il sera effectivement noté kān {accompli/inaccompli}-yakūn {accompli/
inaccompli}, mais dans le cas contraire, il sera noté comme un verbe, i.e. accompli ou inaccompli. Un
exemple de ces divers aspects : ’iza kān ‘alā l-ḥisāb miš ḥa-teḫlaṣi min-ni ’abadan (« si c’est sur
l’ardoise, tu ne te débarrasseras jamais de moi ») équivaut à ’iza accompli … futur inaccompli.
12. Dans la suite du texte, nous allons détailler nos recensions et mettrons en regard des
opérateurs étudiés le nombre d’occurrences totales. Dans les tableaux, ce nombre sera distribué
en fonction des ordres de conditionnelle (i.e. Éventuel, Potentiel, Irréel du présent ou Irréel du

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passé) et des systèmes syntaxiques, et, lorsque cela se justifie, un pourcentage sera donné afin
qu’il soit possible de se faire une idée précise des systèmes les plus saillants.
13. Il est aussi possible de comprendre « Et si tu veux un quelconque cireur de chaussures, ce
n’est qu’à côté de la gare que tu le trouveras assis par exemple », mā n’étant plus dans ce cas
particule de négation, celle-ci étant élidée et la négation ne s’exprimant alors qu’à travers le -ši
suffixé au verbe.
14. Il semble en effet, à la lecture, que le wa- soit une coquille d’impression. La phrase
conditionnelle étant complète et nécessitant une apodose, le sens impose ici clairement de lire lā
‘araftīš al-ḥaqq…
15. Notons que c’est le seul emploi qu’en donne Spiro Bey, en 1912, classant ’in et ’iza ensemble et
law à part, les exemples qu’il donne amenant à lire la répartition ainsi : ’in sabat ‘alēk ’innak ḥarāmī
’a‘mil fīk ’ēh ? (« Et s’il s’avère que tu es un voleur, que ferai-je de toi ? »), Potentiel, opposé à law
ga lak bi-nafso we-ṭalab minnak, tiqdar tirfoḍ ? (« S’il venait en personne et te demandait quelque
chose, pourrais-tu refuser ? », Irréel du présent. Cf. SPIRO BEY (Socrates), A New Practical Grammar
of the Modern Arabic of Egypt, Londres, Luzac & Co, Luzac’s Oriental Grammars Series VII, 1912, 255
p., p. 204-207 et, pour les exemples, p. 206-207.
16. Ce que l’on note par ailleurs en arabe postclassique chez Ġazālī dans Ayyuhā l-walad, mais non
en arabe préclassique (Coran), la différence entre Irréel du présent et Irréel du passé se faisant
par recours à des apodoses contrastives. Sur ce point, cf. LARCHER (Pierre), « Les systèmes
hypothétiques en law de l’arabe classique », Bulletin d’études orientales, LV, 2003, p. 265-285, p.
277-278.
17. Nous donnons cet exemple pour attirer l’attention sur le fait que le la- présent ici en entrée
d’apodose n’est pas le lām ǧawāb al-šarṭ, mais celui du ǧawāb al-qasam, puisque l’énoncé
conditionnel se situe dans le cadre d’un serment (we-n-nabi).
18. Ce dernier écrit en effet : « iza, iza kân (as though one word) = “if” ; in = “if” ; lô, law (we-law)
= “if” (implying that the condition did not occur, e.g. “if he had come I would have gone out”) […]
In conditional sentences the “if” clause is introduced by iza, iza kân, or in, or by lô, law, or in if
the supposition is improbable or is known not to have happened », de LACY O’LEARY (D. D.),
Colloquial Arabic, with notes on the vernacular speech of Egypt, Syria and Mesopotamian and an appendix
on local characteristics of Algerian dialect, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1951 [1925 1], 192 p., p.
165-166 : « Dans les phrases conditionnelles la protase est introduite par iza, izakân ou in ou bien
par lô, law ou in si la supposition est improbable ou connue comme n’ayant pas eu lieu. » Selon
lui donc, non seulement law n’a d’autre emploi que celui de l’Irréel, et ’iza que celui du Potentiel
mais encore, chose que nous n’avons pas recensée, ’in serait lui utilisé à la fois dans le Potentiel et
dans l’Irréel.
19. On note en effet l’apparition en apodose de futur inaccompli, usage qui aurait eu tendance à se
généraliser avec ’iza, avant que celui-ci ne disparaisse du Potentiel, comme en témoigne
l’exemple donné par Badawi et Hinds en 1986 : « ‫؟‬iza iḥna ma-ƒtarenaa-ƒ γer-na ḥa-yiƒtiri if we don’t
buy, others will », BADAWI (El-Said), HINDS (Martin), A Dictionary of Egyptian Arabic, Beyrouth,
Librairie du Liban, 1986, 981 p., p. 16.
20. À noter que nous trouvons un Éventuel, mais de séquence q, si p dont la syntaxe est elle aussi
contrastive comparée aux deux autres ordres de la conditionnelle présents. Cet exemple est le
suivant : bas il-’inglīzi mā biyetfahimš ’illā ’iza kān ma‘āh šāy (BwN, Scène 7, p. 7) (« Mais l’anglais ne
se comprend que quand il est accompagné de thé ») de syntaxe inaccomli … ’iza accompli. De la
même manière nous trouvons une syntaxe contrastive pour désigner un Irréel du passé. Il s’agit
certes d’une interrogation, normalement exclue de notre étude, mais la syntaxe semble bien
propre à éclairer le phénomène de concordance des formes verbales. Il s’agit de ya‘ni ’iza kunna
fiḍilna fi š-šaqqa ’elli foq kunna šaḥatna ? (BwN, Scène 1, p. 4) (« Parce que si nous étions restés dans
l’appartement du dessus nous serions devenus des mendiants ? ») dont la syntaxe est ’iza kān

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accompli … kān accompli. Il semblerait donc bien là encore que les apodoses soient contrastives
entre les différents ordres de la conditionnelle.
21. Même remarque que pour l’exemple 10 concernant le lām al-qasam. À noter de plus que c’est
peut-être le cadre du serment et donc ce la- qui empêchent l’apparition qui semble par ailleurs
régulière du futur dans l’apodose. À noter aussi dans notre corpus la quasi-absence du la- de
l’apodose (lām ǧawāb al-šarṭ). Il n’est pas à confondre avec le la- du serment (lām ǧawāb al-qasam)
dont il est question dans l’exemple 18.Le seul exemple de la- de l’apodose apparaît avec law-lā,
mais dans un système non doublement verbal. Nous le donnons ici :
we-law-lā ḥirmāni min mušāhadat-kū la-kunt fi ġāyat as-sa‘āda (BwN, Scène 40, p. 27)
« S’il n’y avait eu cet empêchement de vous voir, j’aurais été au comble de la joie »
22. LEHN (Walter), ABBOUD (Peter), Beginning Cairo Arabic, Austin, 1965, p. 243-244.
23. « La conjonction française “si” se rend par eza (ou moins souvent par en ou law) », JOMIER
e
(Jacques), KHOUZAM (Joseph), Manuel d’arabe égyptien, Paris, Klincksieck, 1973, 2 éd. revue et
corrigée, 1989, 212 p., p. 161.
24. BOUTROS (Wadie), Ahlan wa Sahlan. Manuel d’arabe égyptien du Caire, Dar el-Nashr Hatier, 1993,
232 p., p. 196-197.
25. CUVALAY (Martine), « On the role of “tense” in conditional sentences », Actes des premières
journées internationales de dialectologie arabe de Paris (27-30 janvier 1993), Caubet (Dominique) et
Vanhove (Martine) éd., Paris, Publications de l’INALCO, 1994, 545 p., p. 235-249.
26. Il semble qu’à une époque intermédiaire entre l’époque du film où l’Irréel du présent peut
s’exprimer sous forme de law accompli … kān inaccompli et l’époque de notre troisième corpus où il
s’exprime sous forme de law accompli … inaccompli, il y ait eu, corroborée par Badawi et Hinds, la
forme suivante law accompli … kān futur inaccompli, cette même forme étant catégorisée par Wadie
Boutros, à peine sept ans après, comme celle de l’Irréel du passé (cf. BOUTROS (Wadie), op. cit., p.
196). Par contre, pour les deux autres ordres, Potentiel et Irréel du passé, la situation décrite par
les deux auteurs en 1986 est déjà celle que nous retrouvons dans notre corpus 1996-2003-2005 :
« huwwa law kaan hina qatal-ak if he had been here, he would have killed you [Irréel du passé]. law
kaan ‫؟‬axuu-ya hina kaan ḥa-yiddii-lak if my brother were here, he would give (it) to you [Irréel de
présent]. law tiigi bukra ḥ-addii-lak il-filuus if you come tomorrow, I’ll give you the money
[Potentiel] », in BADAWI (El-Said), HINDS (Martin), op. cit., p. 803.
27. Étant entendu que nous nous situons dans le cadre de systèmes doublement verbaux. Dans le
cas certes plus théorique des conditionnelles tronquées, une étude serait à faire pour voir le
comportement contrastif des apodoses.
28. BOUTROS (Wadie), op. cit., p. 196-197.
29. Cette disparition n’est pas propre, semble-t-il, à l’égyptien, puisqu’il semble que l’on puisse
faire les mêmes observations en comparant l’étude de Clive HOLES (Colloquial arabic of the Gulf and
Saudi Arabia, London & New York, Routledge, coll. “The Colloquial Series”, 1 re éd., 1984, 319 p., p.
221-223) à celle, dix ans après, de Bruce Ingham (Najdi Arabic. Central Arabian, Amsterdam/
Philadelphia, Benjamins, coll. “London Oriental and African Language Library”, 1994, 215 p., p.
131-141).
30. EISELE (John C.), Arabic Verbs in Time : Tense and Aspect in Cairene Arabic, Wiesbaden,
Harrassowitz Verlag, 1999, 264 p.
31. Ibid., p. 72. « Les distinctions faites par l’arabe du Caire entre Potentiel et Irréel ne sont pas
seulement basées sur le recours au temps du passé, mais aussi sur le type de particule utilisée :
’iza = Potentiel, law = Irréel. » L’auteur note de plus qu’une autre particule est aussi utilisée, ’in,
qui selon lui apparaît généralement dans les mêmes contextes que ’iza et serait traitée par la
plupart des écrivains comme une alternative à ce dernier, même s’il note que son emploi est
visiblement restreint aux proverbes et expressions proverbiales. Sur la critique de l’identité
’iza-’in, cf. suite de notre développement.

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32. Ce ne sont que des manuels et non des sources premières, romanesques ou autres. Il s’agit
respectivement de ABDEL-MASSIH (E.), An Introduction to Egyptian Arabic, Ann Arbor, Center for Near
Eastern and North African Studies, Univ. of Michigan, 1975 ; ABDEL-MASSIH (E.), ABDEL-MALEK (Zaki),
BADAWI (El-Said), A Reference Grammar of Egyptian Arabic, Ann Arbor, Center for Near Eastern and
North African Studies, Univ. of Michigan, 1979 et AL-TONSI (‘Abbās), Egyptian Colloquial Arabic : A
Structure Review, Le Caire, American University in Cairo, 1980.
33. EISELE (John C.), op. cit., p. 72 : « It appears that law can be used as a low hypothetical
conditional only if it is used without the past tense, i.e. presumably on a par with ‘’iza + past’. »
34. BADAWI (El-Said), HINDS (Martin), op. cit., p. 803.
35. EISELE (John C.), op. cit., p. 72 : « […] the way the system normally works is that ‘’iza + past’ is
preferred for low hypothetical conditionals, while ‘law + past’ is preferred for high hypothetical
conditionals. »
36. Nous soulignons.
37. EISELE (John C.), op. cit. p. 74 : « law can also be used in certain contexts with simple past tense
verbs in the protasis and express either low or high hypotheticality, in which case it is the tense
of the apodosis which determines wether it is read as high or low hypotheticality: if the apodosis
is past (usually marked by kān + verb), then the whole conditional is read as high hypothetical; if
the apodosis is non-past, then the conditional is read as low hypothetical. »
38. WOIDICH (Manfred), Das Kairenisch-Arabische. Eine Grammatik, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag,
2006, 444 p. Néanmoins, concernant les sources données en bibliographie par l’auteur, il est tout
d’abord regrettable qu’elles ne soient pas précisément citées dans son chapitre consacré aux
conditionnelles. Les exemples qu’il cite ne sont pas référencés, ce qui rend difficile le travail de
vérification. Concernant la bibliographie générale, que les sources soient rangées sous les
étiquettes Sprachgeschichte (Histoire de la langue), Grammatik : Beschreibungen, Grammatik :
Einzelstudien (Grammaire : Études de cas) – dont aucune ne concerne les systèmes hypothétiques
–, Lehrbücher (Manuels d’apprentissage), elles sont toutes datées des années 1970-1990.
Concernant maintenant la catégorie Texte in arabischer Schrift (Textes écrits en arabe), nous y
trouvons, outre des ouvrages plus anciens, trois ouvrages récents : AL-‘ASSĀL (Fatḥīya), Ḥuḍn il‘umr.
As-sīra aḏ-ḏātīya, Le Caire, Al-Hay’a al-miṣrīya al-‘āmma li-l-kitāb, 2002 ; ‘ ABD AL-MUN‘IM (Ṣafā’), Min
ḥalāwit irrūḥ. Riwāya bi-l-‘āmmiyya, Le Caire, Sanābil li-l-našr wa-l-tawzī‘, 2005 ; mais aussi Bāzel,
2005, dont nous nous sommes nous même servi pour notre étude. Visiblement ce dernier a dû
servir à l’auteur, mais pour rendre compte d’autres données que celles des systèmes
hypothétiques au vu des différences que nous relevons, les phrases qu’il cite dans cette section
n’étant par ailleurs visiblement pas tirées de Bāzel…
39. L’ordre donné par l’auteur visant à souligner la désuétude de ’in mais aussi visiblement la
plus grande utilisation de ’iza là où justement, et au contraire, pour l’état récent de la langue,
nous notons la disparition de ’iza.
40. WOIDICH (Manfred), op. cit., p. 372 : « Darauf folgt im Vordersatz das Perfekt oder kān mit einer
anderen Verbal-form, einer NP oder einer Präpositionalphrase » (« Suit alors dans la protase
l’accompli ou kān avec une autre forme verbale, un syntagme nominal ou un syntagme
prépositionnel »).
41. Ibid., p. 373 : « Im Nachsatz folgen je nach Sachlage der Imperativ, y-Imperfekt oder ḥa-
Imperfekt. »
42. Ibid., p. 373-374 : « Syntaktisch sind diese Sätze in erster Linie dadurch gekennzeichnet, daß
der Nachsatz durch kān eingeleitet wird. Folgt diesem ein Perfekt, so ergibt dies
kontradiktorischen Sinn für die Vergangenheit. In allen anderen Fällen handelt es sich um
hypothetische Bedingungen, deren Wahrscheinlichkeit auf Erfüllung als gering eingeschätzt
wird. »

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43. ’in šā’a-llāh a en effet plutôt le sens de souhait (« j’espère »), voire de nos jours le sens de
futur, voire même est à comprendre, dans certains contextes, dans le sens désormais enregistré
de « compte là-dessus ! ».
44. Et ce malgré Lehn et Abboud qui, dans leur manuel de parler cairote qui date de l’époque du
film de Ṣalāḥ ’Abū Sayf, après avoir donné une série de modèles d’expression de la conditionnelle
en ’iza, précisaient : « in any of these constructions, /law/ or /in/ may be substitute for /iza/. The
latter, however, is more commonly used than either of the other conditional subordinators »,
LEHN (Walter), ABBOUD (Peter), op. cit., p. 244.
45. Toujours selon la présentation de Spiro Bey et de de Lacy O’Leary.
46. Concernant cette fois encore un autre état de l’arabe, celui de la Péninsule, le système brossé
par Holes est éminemment simple par rapport à la situation égyptienne. Même si une multiplicité
d’opérateurs semble subsister, et ce, plus étonnant, dans les trois ordres conditionnels, ce qui
prouve là aussi un état de synonymie entre des opérateurs classiquement différenciés, la syntaxe
est, elle, idéalement simple. L’auteur, chez qui si = ’iza/’in kān/law/ila, donnait pour la situation en
1984 le système suivant : Potentiel = si inaccompli … (be)inaccompli/impératif ; Irréel du présent = si
accompli … accompli ; et Irréel du passé = si accompli … kān accompli. Cf. HOLES (Clive), op. cit., p.
222-223. Concernant le Potentiel, on retrouve d’ailleurs ici la situation qui était celle de law en
arabe égyptien en 1927 et en 1960, mais qui n’est depuis plus la même, sa protase étant
classiquement repassée en accompli et son apodose s’étant elle dotée d’un futur. Néanmoins, mais
sans entrer dans les détails, Ingham semble lui affiner la présentation en attribuant des valeurs
aux opérateurs, ila étant réservé à l’Éventuel, le Potentiel s’exprimant au moyen de ila/’in/law
accompli … inaccompli, l’Irréel étant, lui, du seul ressort de law, law accompli … accompli pour l’Irréel
du présent et law accompli … kān accompli pour l’Irréel du passé (cf. INGHAM (Bruce), op. cit., p.
134-140).
47. Et c’est du reste aussi peut-être cette influence des langues européennes qui est à voir dans
ce phénomène de synonymisation des opérateurs de la conditionnelle en arabe égyptien.
48. Cf. entre autres GRÉVISSE (Maurice), Le bon usage, Paris, DeBoeck et Duculot, Éd. André Goosse,
13e édition, 2001, 1762 p.

RÉSUMÉS
Cet article tend à montrer comment, à partir d’œuvres littéraires du début du siècle passé au
début du nouveau, œuvres rédigées tout ou partie en arabe égyptien, les systèmes hypothétiques
propres à cette variété d’arabe ont évolué selon un double processus : synonymisation des
opérateurs de la conditionnelle (’in, ’iza et law) et, parallèlement, recul très marqué de ’iza et
désuétude de ’in au profit de l’emploi quasi-exclusif de law pour l’expression de la conditionnelle.
Ce dernier joue alors le même rôle que notre si français ou que le if anglais : l’indication du cadre
conditionnel de l’énoncé sans présupposer de son identité potentielle ou irréelle (présente ou
passée). La distinction entre ces différents ordres de la conditionnelle relève désormais
nécessairement de syntaxes verbales contrastives bien loin des modèles classiques.

‫ انطﻼقا ً من أعمال أدبية تعود إلى مطلع القرن الماضي وحتى مطلع‬،‫يحاول هذا المقال‬
‫ تطور اﻷنظمة الشرطية‬،‫ أعمال كتب كليا ً أو جزئيا ً بالعربية المصرية‬،‫القرن الحالي‬
‫ لو‬،‫ إذا‬،‫ ترادف أدوات الشرط) إن‬:‫الخاصة بهذا النوع من اللغة العربية حسب مسارين‬
.‫ للتعبير عن الشرط‬،‫ أو يكاد‬،ً ‫ تراجع ملحوظ لﹻ إذا أمام استعمال لو حصريا‬،‫(وبالتوازي‬

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‫ أي اﻹشارة إلى‬:‫ اﻹنكليزية‬if ‫ الفرنسية أو الـ‬si ‫هذه اﻷداة اﻷخيرة تلعب دورا ً مماثﻼ ً لﹻ‬
‫ )الحاضرة أو‬.‫اﻹطار الشرطي للجملة دون اﻷخذ بالحسبان لهويتها اﻻحتمالية أو الوهمية‬
،‫ بالضرورة‬،ً ‫ (فالتمييز بين أنظمة الشرطية المختلفة يتعلق من اﻵن فصاعدا‬.‫الماضية‬
.‫ بعيدا ً عن النماذج الكﻼسيكية‬،‫بقواعد فعلية تعارضية‬

This article suggests how, from literary works from the last century and the early twentyfirst,
works written wholly or partly in Egyptian Arabic, the hypothetical systems for this variety of
Arabic have evolved according to a paired process: operators’ synonymization of the conditional
sentences (’in, ’iza and law) and in the same time, the stricking decrease of ’iza and the disuse of
’in to the benefit of the almost exclusive use of law for the expression of the conditional. The
latter plays the same role than the French si or the English if, and consequently only indicates the
framework of the conditional statement without presupposing its identity whether potential or
unreal (present or past). This distinction is nowadays necessarily dependent on contrastive
verbal syntaxes at odds with classical models.

AUTEUR
MANUEL SARTORI
Aix-en-Provence

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Un extrait de la Hidaya d’Abū Bakr


al-Bāqillānī : le Kitāb at-tawallud,
réfutation de la thèse mu‘tazilite de
la génération des actes
Daniel Gimaret

Première partie : la Hidāya, son intérêt, son contenu


I. La Hidāya, ultime ouvrage de Bāqillānī et sans doute le plus
important

1 Lorsqu’il s’agit d’évoquer l’œuvre proprement théologique 1 de Bāqillānī, on songe


aussitôt, et presque exclusivement, au Tamhīd, objet de deux éditions successives 2, et
de fait, de tous les ouvrages conservés du Qāḍī Abū Bakr, le seul à offrir un panorama
complet des questions traditionnelles du ‘ilm al-kalām et des réponses que prétend y
apporter la doctrine aš‘arite. Or il y a maintenant bien longtemps, j’avais fait
remarquer 3 qu’à s’en tenir au contenu du Tamhīd, on s’y trouvait en divers points en
contradiction avec les positions qu’attribuent au Qāḍī les auteurs postérieurs tels que
Ǧuwaynī (imām al-ḥaramayn), Abū l-Qāsim al-Anṣārī disciple du précédent, Šahrastānī
lui-même disciple d’Anṣārī. C’est le cas en particulier de la théorie des “états” (aḥwāl)
empruntée à Abū Hāšim al-Ǧubbā’ī, objet d’une attaque en règle dans le Tamhīd 4, alors
qu’au dire de Ǧuwaynī 5 B. aurait fini, après de longues hésitations, par s’y rallier
entièrement. J’avais rappelé également que selon les biographes 6 il aurait composé le
Tamhīd lors de son séjour à Šīrāz à la cour de ‘Aḍud ad-dawla 7, et qu’il s’agirait donc
bien d’un ouvrage de jeunesse. Cela ne veut pas dire que, par la suite, Bāqillānī l’ait
totalement renié, loin de là. Dans la Hidāya, sa dernière œuvre (voir plus loin), il y
renvoie concernant la réfutation des chrétiens 8. Mais ce qui est sûr, c’est que dans la
bibliographie du Qāḍī, le Tamhīd ne mérite nullement cette place éminente que le destin
chaotique des manuscrits se trouve lui avoir conférée. Cela se voit clairement chez les

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auteurs postérieurs. Dans ce qui nous est parvenu du Šāmil de Ǧuwaynī 9, où abondent,
et pour cause, les références au Qāḍī Abū Bakr et à ses œuvres (car le Šāmil n’est autre
chose qu’un commentaire de son Šarḥ al-Luma‘10), le Tamhīd n’est cité en tout et pour
tout que deux fois, alors que sont cités sept fois le Šarḥ al-Luma‘, neuf fois la Hidāya,
onze fois l’ouvrage intitulé Naqḍ an-naqḍ ou an-Naqḍ al-kabīr (sur lequel voir plus loin).
Dans ce qui reste du Šarḥ al-Iršād d’Abū l-Qāsim al-Anṣārī 11, le Tamhīd n’est jamais cité,
alors que la Hidāya l’est sept fois. Bāqillānī lui-même marque cette différence : dans
tout ce qui subsiste de sa Hidāya, le Tamhīd n’a droit qu’à une seule mention alors que le
Naqḍ an-naqḍ en totalise douze.
2 Le Tamhīd n’est donc pas, tant s’en faut, l’ouvrage le plus important de Bāqillānī en
matière de ‘ilm al-kalām. S’il en est un, par contre, qui mérite ce titre, c’est sans aucun
doute la Hidāya, et cela pour deux raisons. D’une part du fait de son ampleur. “Kitāb
kabīr” dit, à son propos, le Qāḍī ‘Iyāḍ. À en juger ne serait-ce que par les dimensions du
Kitāb an-Nubuwwāt, dont les 250 folios (soit 500 pages) du ms du Caire ne contiennent
que les deux derniers tiers, l’expression ne paraît pas surfaite. Il faut imaginer, en
volume, un ouvrage comparable au Muġnī de ‘Abd al-Ǧabbār, et peut-être destiné à lui
faire pièce (à moins que ce ne soit l’inverse) 12. D’autre part, il semble établi que la
Hidāya a été, sinon la dernière œuvre, du moins l’une des toutes dernières de Bāqillānī :
“āḫir muṣannafātihi” dit d’elle carrément Abū l-Qāsim al-Anṣārī 13, probablement d’après
Ǧuwaynī. L’examen des fragments conservés confirme amplement cette assertion : il
n’est quasiment aucun des ouvrages importants du Qāḍī qui n’y soit mentionné au
moins une fois : le Tamhīd, le Naqḍ an-naqḍ, mais aussi le Šarḥ al-Luma‘, al-Farq bayna l-
mu‘ǧizāt wa l-karāmāt, al-Intiṣār li-l-Qur’ān, les Daqā’iq al-kalām, les deux livres sur
l’imamat, les traités d’uṣūl al-fiqh14. D’où le mérite spécifique de cette ultime somme, en
ce qu’elle est censée représenter le dernier état d’une pensée qui fut et resta souvent
hésitante 15. Ainsi c’est dans la Hidāya que Bāqillānī se prononce sans ambiguïté en
faveur de la théorie des aḥwāl (Šm 294). Sur la question de savoir si les qualifications
(ṣifāt) attachées aux existants en vertu de leur essence même — comme le fait, pour une
substance, d’occuper un espace et d’être porteuse d’accidents — sont ou non l’œuvre
d’un agent (bi-l-fā‘il) — autrement dit, sont ou non créées par Dieu —, il répond
finalement cette fois par l’affirmative, alors que dans le Naqḍ an-naqḍ il soutenait
encore le point de vue contraire, en accord sur ce point avec les mu‘tazilites (Šm.T.
27-28 ; Šarḥ al-Iršād 52b). S’agissant de savoir si toute science “contrainte” ( ḍarūrī),
qu’elle relève ou non du kamāl al-‘aql, peut être acquise par raisonnement, il opte en fin
de compte pour un distinguo qu’il se refusait à faire dans ce même Naqḍ an-naqḍ (Šm.T.
93). Parallèlement, sur la question cruciale du statut de l’acte humain, créé par Dieu,
“acquis” par l’homme, c’est sans aucun doute dans la Hidāya que nous pouvons espérer
trouver confirmation ou non de la position qu’attribueront à Bāqillānī, concernant la
nature du kasb, les auteurs postérieurs, Šahrastānī notamment 16.

II. Les fragments conservés

3 À ce jour, seuls deux fragments de la Hidāya nous sont accessibles, conservés l’un à Fès,
l’autre au Caire.
4 1. Le manuscrit de Fès (ci-après F) 17, Qarawiyyīn 692. Sans en-tête ni colophon. 168
ff. 18, à raison de 17 lignes par page. Écriture maghrébine très régulière, avec de part et
d’autre des marges parfaitement rectilignes. Le ms est malheureusement très dégradé :

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les premiers et derniers folios sont inutilisables, et la lecture des débuts et fins de pages
est souvent aléatoire.
5 Le contenu est fait de trois éléments. Le premier (ff. 1-95b) représente l’extrême fin de
ce qui devait s’appeler bāb al-kalām fī ḫalq al-af‘āl19 ; le deuxième (95b-140b) est le kitāb
at-tawallud, qu’on lira plus loin ; le troisième (140b-159) le tout début du bāb al-kalām fī l-
istiṭā‘a.
6 Les 39 premiers folios contiennent la fin de ce qui devait être un très long chapitre
consacré à la réfutation des arguments invoqués par les adversaires mu‘tazilites
(toujours appelés qadariyya) 20. À quoi fait suite, en clôture de ce kitāb ḫalq al-af‘āl, un
autre très long chapitre où l’auteur — la polémique sur ce point est traditionnelle —
s’emploie à démontrer que ce sont bien précisément les mu‘tazilites à qui s’applique ce
terme de qadariyya dont un hadith dit qu’ils sont “les mages de cette nation 21”.
7 Viennent ensuite, comme dit plus haut, le k. at-tawallud, puis, à partir du f° 140b, le
début du bāb al-istiṭā‘a. Ces quelque vingt derniers folios sont, de toute évidence, d’une
importance capitale : Bāqillānī s’y explique en détail sur ce qu’il faut entendre par
“puissance d’acquérir” (qudrat al-iktisāb) et en quoi consiste l’efficience (ta’ṯīr) de cette
puissance, apportant ainsi la réponse attendue aux questions que suscite sur ce point le
rapport de Šahrastānī. Malheureusement, à mesure qu’on s’approche de la fin du
manuscrit, les folios sont de plus en plus dégradés, et leur exploitation s’avère
quasiment impossible 22.
8 2. Le manuscrit du Caire (ci-après C), al-Azhar III 337, ‘ilm al-kalām [21] 342. Ms complet,
daté de 457 (soit un demi-siècle seulement après la mort de l’auteur). 250 ff. 23, à raison
d’environ 20 lignes par page. Écriture nasḫī très irrégulière, parfois soignée, parfois au
contraire tout à fait relâchée. L’état du ms est généralement bon, à l’exception d’une
dizaine de folios (87-96). D’une présentation très différente de celle de F, le ms est
divisé en douze cahiers, numérotés de 6 à 17, de dimensions sensiblement égales (entre
20 et 24 ff. par cahier).
9 Comme indiqué plus haut, le ms C contient les deux derniers tiers du Kitāb an-
Nubuwwāt 24. Chaque cahier commence en page impaire (même au prix d’une page
blanche au f° précédent), avec un titre en pleine page, soigneusement calligraphié,
comportant le numéro du cahier, le titre du “livre”, le titre de l’ouvrage, le nom de
l’auteur. Ainsi au f° 1a : as-sādis min Kitāb an-Nubuwwāt min Hidāyat al-mustaršidīn taṣnīf
al-qāḍī al-ǧalīl Abī Bakr Muḥammad bn aṭ-Ṭayyib al-Aš‘arī raḥmatu llāhi ‘alayhi. Le copiste
donne ici le titre semi-complet, Hidāyat al-mustaršidīn, rarement attesté 25. Les cahiers 7,
10, 12, 13 et 16 donnent à l’ouvrage un titre encore plus long : Hidāyat al-mustaršidīn wa
l-muqni‘ fī ma‘rifati uṣūl ad-dīn. Quant à l’auteur, il lui est donné pour nisba non pas al-
Bāqillānī mais al-Aš‘arī, selon un usage fort répandu chez ses biographes 26.
10 La table des matières, limitée aux principales rubriques, est la suivante :
11 ‫ب ( باب الكﻼم في وجه دﻻلة المعجزات على صدق الرسل عليهم السﻼم‬٥)
12 ‫ أ( باب القول في أنه ﻻ يمكن أن يدل على صدق الرسل شيء سوى المعجز‬٣٩)
13 ‫ ب( باب الكﻼم في اﻹبانة عن بطﻼن دﻻلة المعجز على صدق الرسل عليهم السﻼم‬٤٥)
‫على أصول القدرية‬
14 ‫وة نبينا محمد عليه السﻼم‬
ّ ‫ ب( باب الكﻼم في ذكر الدﻻلة على إثبات نب‬٦١)
15 ‫ب( باب القول في ذكر الدليل على أنه عليه السﻼم لم يعاَرض في القرآن ونقض كل‬٧٢)
‫شبهة تد ّعى في هذا الباب‬

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16 ُ ‫لو‬
ٍ‫شب َه‬ ٍ ‫ ب( باب الكﻼم على من زعم أن المعارضة لم تقع منهم مع القدرة عليها لعل‬٨٧)
‫دعتهم إلى >ترك< ذلك اﻻعتراض‬
17 ‫ أ( باب ذكر الدﻻلة على تجاُوز بﻼغة القرآن وفصاحته لسائر البﻼغات المعتادة من‬١١٤)
‫كﻼم أهل اللسان‬
18 ‫ ب( باب ذكر خﻼف الناس في هذا الباب‬١٣٦)
19 ‫منه ودل عليه من صحة‬ ّ ‫ أ( باب الكﻼم على من قال إن جهة إعجاز القرآن ما تض‬١٤٤)
‫مل النظر فيها صحت وسلمت كلها على السبر واﻻمتحان‬ ُ
ِ ‫المعاني واﻷحكام التي إذا أع‬
20 ً ‫ب( باب إبطال قول من حكى أن جهة كون القرآن معجزا ً كونه قديما‬١٤٥)

21 ‫ ب( باب الكﻼم على من ي ُحكى عنه من أهل الحق أو غيرهم أن جهة إعجاز القرآن‬٧٤١)
‫كونه عبارة عن كﻼم الله تعالى‬
22 ‫ ب( باب الكﻼم في أن القرآن معجز من حيث اشتمل على اﻹخبار عن الغيوب‬٩٤١)
23 ‫ أ( باب ذكر ما ورد من اﻹخبار عن الغيوب في نص القرآن‬١٥٤)
24 ‫ب( باب ذكر اعتراض الـ >مخالفين < على إعجاز القرآن باختﻼف المسلمين في جهة‬١٥٦)
‫إعجازه والجواب عن ذلك‬
25 ‫ أ( باب الكﻼم في اﻹخبار عن رتبة القرآن وقدر بﻼغته وهل يجب أن تكون محدودة‬١٦٣)
‫ومعلومة على جهة التفصيل أم ﻻ‬
26 ‫ أ( باب الكﻼم في اﻹخبار عن وجوه بﻼغة القرآن ومفارقة نظمه لجميع النظوم‬١٧٧)
‫واﻷوزان‬
27 ‫ أ( باب ذكر جملة من ذلك‬١٩٥)
28 ‫ ب( باب الكﻼم في الدﻻلة على مفارقة نظم القرآن لنظم الشعر وسائر النظوم‬٢١٢)
‫المعتادة واﻷوزان‬
29 ‫ ب( باب الكﻼم في إثبات ما عدا القرآن من معجزات الرسول عليه السﻼم‬٢١٩)
30 Au terme du kitāb an-nubuwwāt, le copiste indique, comme il se doit, le titre du “livre”
suivant : yatlūhu bāb al-kalām fī l-amr bi-l-ma‘rūf wa n-nahy ‘ani l-munkar.

III. La bibliographie de Bāqillānī à la lumière de la Hidāya.

31 En conclusion de la longue notice qu’il lui consacre dans ses Madārik, le Qāḍī ‘Iyāḍ
donne une liste des œuvres de Bāqillānī 27. Cette liste est manifestement incomplète, il y
manque notamment le Naqḍ an-naqḍ que pour sa part, dans sa courte liste de la
Tabṣira28, Abū l-Muẓaffar al-Isfarā’īnī (m. 471) cite en deuxième position, aussitôt après
la Hidāya. Les parties conservées de ce dernier ouvrage, grâce aux nombreuses
références qu’y fait B. à ses œuvres antérieures, permettent d’ajouter à la liste des
Madārik de substantiels compléments 29.

1. Livres cités par le Qāḍī ‘Iyāḍ.

32 — Daqā’iq al-kalām. Le titre complet est donné en C 151a : Daqā’iq al-kalām wa r-radd ‘alā
man ḫālafa l-ḥaqq min al-Awā’il wa muntaḥilī l-islām. B. dit y avoir réfuté longuement les
thèses des astrologues (al-munaǧǧimūn) 30.
33 — Al-Imāma al-kabīr31, al-Imāma aṣ-ṣaġīr. Deux fois dans le ms du Caire B. mentionne “les
deux livres sur l’imamat 32” (kitābay al-imāma). En C 72b, il dit y avoir démontré que le
prophète Muḥammad ne s’est jamais vu opposer un rival du Coran (lam yu‘āraḍ bi-miṯli l-
Qur’ān) ; il renvoie également sur ce point au Kitāb al-Aḫbār de ses Uṣūl al-fiqh (voir plus

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bas) 33. En C 229a, il dit y avoir traité longuement de la question du miracle de la lune
fendue (inšiqāq al-qamar, cf. Cor. 54,1) et de la réponse à l’objection : “si le phénomène
s’est réellement produit, comment expliquer qu’il n’ait pas été universellement observé
et rapporté ?”. On voit donc — non sans surprise — que ces deux livres sur l’imamat, y
compris celui de faibles dimensions, incluaient une démonstration détaillée de la
prophétie de Muḥammad à partir des différents miracles censés l’attester.
34 — Al-Intiṣār li-l-Qur’ān34. Tel est le titre indiqué par le Qāḍī ‘Iyāḍ, et c’est celui, en effet,
que porte l’unique manuscrit d’Istanbul 35 : on le retrouve aussi, notamment, sous la
plume de Subkī 36. Mais la Hidāya nous montre que B., pour sa part, usait d’un titre plus
ajusté. Quand il cite l’Intiṣār (ce qu’il fait à quatre reprises dans le fragment du Caire), il
ajoute chaque fois au libellé ci-dessus le mot naql. Car ce qu’il entend pour le coup
“faire triompher”, ce n’est pas, à proprement parler, le Coran lui-même mais la
transmission qui en a été faite depuis les premiers califes. Il s’agit de montrer — contre
les chiites tout spécialement — que le Livre a bien été transmis tel qu’il a été révélé,
sans altération ni mutilation. Le titre correct serait donc, sous sa forme la plus simple,
celui qui figure en C 156b et 175b : al-Intiṣār li-naqli l-Qur’ān 37. En C 66a, l’intention de
l’ouvrage est précisée par un deuxième élément de titre ajouté au premier : al-Intiṣār li-
naqli l-Qur’ān wa r-radd ‘alā man naḥalahu l-fasād bi-ziyāda aw nuqṣān. Elle est précisée
d’une autre façon en C 143a, où cette fois le livre est intitulé : al-Intiṣār li-ṣiḥḥati naqli l-
Qur’ān. Cette dernière référence est, du reste, particulièrement intéressante, B. ayant
jugé bon pour l’occasion de l’accompagner d’un substantiel sommaire de l’ouvrage,
ainsi rédigé 38 :
‫وقد ذكرنا في كتاب اﻻنتصار لصحة نقل القرآن جميع‬
‫مطاعن الملحدة وكل من خالف الملة على القرآن‬
‫وكشفنا عن فساد توهمهم وتمويههم ودعواهم لتناقض‬
‫آيات منه واختﻼفها وما طعنوا به من كثرة التكرار وما‬
‫قالوه من أنه قد ذكر فيه أشياء ﻻ يعرفها أهل اللغة من‬
‫نحو قوله }وفاكهة وأب ّا{ وقولهم إن فيه ما ليس من لغة‬
‫العرب وقولهم إن فيه كلمات ملحونة ﻻ تجوز في‬
‫اﻹعراب وأبطلنا أيضا ً قدحهم فيه بكونه مثبتا ً على غير‬
‫تأريخ نزوله وأنه قد قدم منه ما يجب تأخره وأخر ما‬
‫يجب تقدمه وأفسدنا أيضا ً قدحهم فيه بإنزال بعضه‬
‫متشابها ً مع اﻹخبار بإلحاد قوم فيه وات ّباع المتشابه منه‬
ً ‫وأبطلنا أيضا ً قول من قال إن فيه تحريفا ً وتغييرا ً وتبديﻼ‬
‫وزيادة ونقصانا ً وإنه إنما أثبته السلف بأخبار اﻵحاد‬
‫وشهادة اﻻثنين ومن جرى مجراهما وإن الداجن والغنم‬
‫أكل كثيرا ً منه فضاع ودثر وأبطلنا أيضا ً قول من قال إنه‬
‫ليس فيه ما يدل على شيء بظاهره وإن علم ذلك يجب‬
‫أخذه عن الرسول واﻹمام وﻻ يسوغ أن يفسره سواهما‬
‫وما تقوله الباطنية وتهذي به وتمّوه في هذا الباب‬
‫واعترضنا أيضا ً على قول من زعم أن القرآن يجب‬
‫اﻹيمان به والتسليم لصحته دون معرفة معناه وتأويله‬
‫وأبطلنا أيضا ً طعنهم على القرآن باختﻼف خطوط‬
‫المصاحف واختﻼف القراءات وذكر الشواذ ّ وبينا ما يثبت‬
‫من ذلك وما يجب إبطاله وذكرنا قدحهم فيه بما روي من‬
‫قوله عليه السﻼم »تلك الغرانيق العلى وإن شفاعتهن‬
‫لترتجى« إلى غير ذلك من وجوه اعتراضاتهم على صحة‬
‫القرآن وأوردناه في ذلك الكتاب وطرفا ً منه في أصول‬
.‫الفقه بما يغني يسيره الناظر فيه إن شاء الله‬
35 À lire cette copieuse “table des matières”, on s’aperçoit qu’en réalité le contenu du livre
s’étend bien au-delà de son propos initial, celui d’établir la validité du texte coranique

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tel qu’actuellement connu. Et si B. se trouve y faire référence dans son Kitāb an-
Nubuwwāt, c’est sur une question encore différente, non mentionnée ci-dessus, et qui, à
première vue, n’y a guère sa place, celle de l’i‘ǧāz prophétique 39. En C 66a, il dit y avoir
établi la réalité du défi (taḥaddī) lancé aux Arabes par Muḥammad de lui opposer un
rival du Coran. En C 156b, il dit y avoir traité en détail des paroles du Prophète attestant
son pouvoir miraculeux de prédire l’avenir (al-iḫbār ‘ani l-ġuyūb). Enfin, en C 175b, c’est
sa réponse à une objection arguant de l’impossibilité de connaître le caractère
miraculeux du Coran qu’il dit y avoir longuement développée.
36 — Šarḥ al-Luma‘, commentaire, rappelons-le, du K. al-Luma‘ d’Aš‘arī. En F 62a, B. dit y
avoir énuméré quantité de points sur lesquels les mu‘tazilites (qadariyya) se trouvent en
accord avec les Mages 40.
37 — At-Tamhīd. En C 61b, B. renvoie à ce qu’il y a dit contre les juifs, les chrétiens et les
mages.
38 — Taṣarruf al-‘ibād. B. donne en F 112b le titre complet : K. Aḥkām taṣarruf al-‘ibād. Il y
renvoie concernant la différence que l’homme ressent spontanément entre un
mouvement contraint et un mouvement “acquis”.
39 — Al-Uṣūl al-kabīr fī l-fiqh 41, al-Uṣūl aṣ-ṣaġīr, at-Taqrīb wa l-iršād fī uṣūl al-fiqh, al-Muqni‘ fī
uṣūl al-fiqh. B. ne mentionne nommément aucun de ces titres, mais parle globalement
de ses “livres d’uṣūl al-fiqh” (C 184a et 246a). En F 70b-71a, il dit y avoir expliqué la
formule prêtée notamment au calife ‘Umar lorsque celui-ci avait recours à son
jugement personnel (ra’y) pour trancher d’un point de droit : “Si <ma décision> est
juste, elle vient de Dieu ; si elle est erronée, elle vient de moi”. Selon lui, l’erreur en
question ne pouvait concerner que la conduite de l’iǧtihād, non le jugement (ḥukm)
auquel aboutit cet iǧtihād dès lors qu’il est correctemnt mené, le principe étant qu’en
matière de droit positif tout muǧtahid dit juste (un principe rappelé à nouveau en C
245a). En C 72b, B. mentionne l’existence, dans ses Uṣūl al-fiqh, d’un Kitāb al-Aḫbār ; il y
avait démontré là aussi qu’il n’y a jamais eu mu‘āraḍa vis-à-vis du Prophète. En C 184a,
traitant de l’éloquence (balāġa) du Coran, il dit avoir exposé “dans les livres d’uṣūl al-
fiqh” en quoi consiste le bayān (autre terme signifiant l’éloquence) et quelles en sont les
différentes sortes. Enfin en C 246a, il dit y avoir distingué les diverses catégories d’actes
du Prophète (aqsām af‘āl ar-rasūl) selon qu’ils entraînent ou non pour le fidèle obligation
de les imiter. Précisons qu’aucun des points ci-dessus mentionnés ne figure dans ce qui
a été publié du K. at-Taqrīb42.

2. Livres non cités par le Qāḍī ‘Iyāḍ.

40 — Al-Farq bayna l-mu‘ǧizāt wa l-karāmāt, ou al-Farq bayna mu‘ǧizāt an-nabiyyīn wa karāmāt


aṣ-ṣāliḥīn. Je considère en effet que les deux titres figurant dans la liste du Qāḍī ‘Iyāḍ, et
fort éloignés spatialement l’un de l’autre (fī l-Mu‘ǧizāt, puis 13 titres plus bas : al-
Karāmāt) ne peuvent être tenus véritablement comme une attestation du Farq, même
s’ils peuvent en être un lointain souvenir 43.
41 Les titres donnés au livre dans la Hidāya sont en réalité des formules abrégées 44. Le titre
véritable, ici encore, est beaucoup plus long, et c’est celui que porte l’unique manuscrit
actuellement connu — le manuscrit de Tübingen édité par McCarthy (Beyrouth 1958) —
à savoir K. al-Bayān ‘ani l-farq bayna l-mu‘ǧizāt wa l-karāmāt wa l-ḥiyal wa l-kihāna wa s-siḥr
wa n-nāranǧāt45. Titre doublement confirmé par Ibn Taymiyya qui, dans son K. an-
Nubuwwāt, cite à plusieurs reprises l’ouvrage du Qāḍī (mais pour en faire une critique

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féroce). À une nuance près cependant : la première fois (Nub 44), il omet dans le titre les
mots al-Bayān ‘an, alors qu’il les rétablit la seconde fois (Nub 290). Un temps, j’ai pensé
qu’il pourrait s’agir là en réalité de deux livres différents, d’autant qu’au début du
Bayān (§ 4), B. dit avoir déjà quelques années auparavant dicté un “discours” (kalām) sur
le même sujet, et s’il y revient maintenant, dit-il, c’est parce qu’on lui a demandé des
éclaircissements sur certains chapitres de son exposé (šarḥ al-qawl fī fuṣūl hāḏā l-bāb). On
pourrait donc imaginer qu’il y a eu d’abord un Farq, puis plus tard un Bayān ‘ani l-Farq.
Mais l’hypothèse est manifestement à rejeter, si l’on en juge par les nombreux extraits
qu’Ibn Taymiyya dit tirer du K. al-Farq, et qui se retrouvent quasi littéralement dans le
Bayān46. Il n’en va pas de même, il est vrai, d’autres citations 47, mais c’est sans doute
qu’elles renvoient à des parties manquantes du Bayān : car il faut rappeler que le ms de
Tübingen est incomplet et ne contient peut-être que le premier tiers du livre.
42 Le Farq est mentionné trois fois dans la Hidāya. Si la première référence (F 27b) ne fait
que rappeler l’objet du livre, les deux autres renvoient, elles aussi, à des parties
manquantes du Bayān. En C 243a, B. dit avoir expliqué dans le Farq la signification du
mot nabī à partir des deux étymologies qu’on en donne (“action d’annoncer”,
“élévation de terrain”). À la même page, il dit y avoir aussi exposé “l’ensemble des
qualités (ṣifāt) que les Envoyés doivent avoir en propre” ; puis au terme de cinq pleines
pages reprenant l’énumération de ces qualités, il répète avoir déjà dit tout cela dans le
Farq (C 244b).
43 — Ǧawābāt Abī Sa‘d 48az-Zāhid an-Nīsābūrī. En F 27b, l’auteur dit s’être longuement étendu
dans ces “Réponses” sur la distinction à opérer entre mu‘ǧiza et karāma. Abū Sa‘d an-
Nīsābūrī, m. 407, est un contemporain de Bāqillānī et appartient à la même “classe” de
théologiens aš‘arites 49. Il a écrit sur “les preuves de la prophétie 50” (dalā’il an-
nubuwwa).
44 — Ibāna ‘aǧz al-qadariyya ‘an iṯbāt dalā’il an-nubuwwa. Titre mentionné deux fois sous
cette forme (F 27b et 119b). Un titre différent, mais désignant très probablement le
même livre, apparaît en C 11a : Ta‘rīf ‘aǧz al-mu‘tazila ‘an taṣḥīḥ dalā’il an-nubuwwa 51.
L’idée que les mu‘tazilites, en vertu de leurs thèses mêmes, sont dans l’incapacité
d’établir ce qui, pour les théologiens musulmans, constitue le fondement de la croyance
en la prophétie — à savoir que le miracle est la preuve que les Envoyés disent vrai
(dalālat al-mu‘ǧiz ‘alā ṣidqi r-rusul) — est un thème cher à Bāqillānī. Il y a consacré un
chapitre du Bayān (éd. McCarthy §§ 76-81), et il y revient, on l’a vu, dans un chapitre de
la Hidāya (45b-61b). Ce n’est pourtant pas là que se situent les références relevées ci-
dessus. En F 27b, B. cite l’Ibāna à côté du Farq comme l’un des deux ouvrages où il a
traité longuement de la différence entre le miracle d’une part, la magie, la divination,
etc. d’autre part. En F 119b, c’est au cours de la discussion du tawallud qu’il rappelle
avoir montré, dans l’Ibāna, que l’incapacité en question frappe en particulier ceux des
mu‘tazilites qui, comme notamment Ǧāḥiẓ, admettent la notion de “nature” (al-qā’ilīn
bi-fi‘li ṭ-ṭibā‘), une démonstration qu’il refera le moment venu (C 60b). Enfin en C 11a, il
dit avoir abondamment répondu (ašba‘nā l-qawl fī hāḏihi l-mas’ala), dans ce qu’il appelle
cette fois Ta‘rīf, à l’objection mu‘tazilite selon laquelle, si rien n’est mauvais de la part
de Dieu comme le soutiennent les théologiens sunnites, rien n’empêche qu’Il fasse
apparaître un miracle au bénéfice d’un imposteur.
45 — Mā yu‘allalu wa mā lā yu‘allalu, “ce à quoi on peut attribuer une cause et ce pour quoi
cela est impossible”. La question du ta‘līl, très présente dans les traités mu‘tazilites 52, a
été aussi, manifestement sous l’influence des thèses d’Abū Hāšim al-Ǧubbā’ī, une des

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préoccupations de Bāqillānī. Les toutes premières pages du ms de Fès, hélas


terriblement mutilées, y font abondamment allusion, et on y revient plus loin (F 13b -
15a) s’agissant d’établir ce qui est cause de l’inexistence de l’inexistant (ta‘līl ‘adam al-
ma‘dūm). B. a écrit aussi un K. al-‘Ilal53, plusieurs fois cité dans le Šāmil54. Le K.
Mā yu‘allalu..., pour sa part, est mentionné une fois dans le Šāmil ; selon Ǧuwaynī, B. y
soutenait le même point de vue que dans la Hidāya (voir plus haut) quant au fait que
même les qualifications que les existants détiennent du fait de leur essence sont
l’œuvre d’un agent (kulluhā bi-l-fā‘il), contrairement à ce qu’il disait auparavant, en
particulier dans le Naqḍ an-naqḍ, et qui était le point de vue mu‘tazilite (Šm.T. 28). Dans
nos fragments de la Hidāya, l’ouvrage apparaît également une fois, dans le Kitāb at-
Tawallud (F 111a-b) ; B. dit y avoir réfuté longuement sur ce point les thèses des Ǧubbā’ī
père et fils.
46 — Naqḍ an-naqḍ55. Citée le plus souvent sous ce titre énigmatique, cette “réfutation de la
réfutation” n’est autre 56 que la réplique de Bāqillānī au Naqḍ al-Luma‘ — lui-même
réfutation du K. al-Luma‘ d’Aš‘arī — de son illustre contemporain mu‘tazilite ‘Abd al-
Ǧabbār 57. Certaines références de la Hidāya sont à cet égard explicites, quand B. donne
à sa “Réfutation” des titres tels que : Naqḍ al-kitāb al-mutarǧam bi-Naqḍ al-Luma‘ (F 120b),
ou Naqḍ Naqḍ al-Luma‘ (C 11a et 30a). D’autres références non moins précises indiquent
le nom de l’adversaire mis en cause, que B. ne désigne en l’occurrence que par sa seule
nisba d’al-Hamaḏānī : Naqḍ al-kitāb al-mutarǧam bi-Naqḍ al-Luma‘ li-l-Hamaḏānī (F 60b) ou
plus simplement Naqḍ an-naqḍ‘alā l-Hamaḏānī (F 93b, C 119b) ou encore an-Naqḍ ‘alā l-
Hamaḏānī (F 152a). Chez les auteurs postérieurs, outre le simple titre Naqḍ an-naqḍ,
l’ouvrage est souvent appelé an-Naqḍ al-kabīr58, un intitulé auquel, à en croire Abū l-
Qāsim al-Anṣārī, B. lui-même aurait également eu recours 59. Que ce qualificatif de kabīr
soit amplement mérité, cela ne saurait faire de doute. Car contrairement à ce qu’on
pourrait croire, le Naqḍ an-naqḍ n’est aucunement un opuscule de circonstance mais
bien un traité de théologie en bonne et due forme et d’un volume peut-être comparable
à celui de la Hidāya. On verra dans l’extrait reproduit plus loin qu’il comportait un Kitāb
at-Tawallud (F 120b ; cf. également C 30a) ; B. dit y avoir “développé longuement”, selon
son expression habituelle (taqaṣṣaynā l-qawl fīhi) — c’est-à-dire : plus longuement
encore ? — ce qu’il redit maintenant dans la Hidāya60. Mais il y abordait aussi quantité
d’autres sujets : si, par exemple, les atomes ont une forme (šakl) (Šm 159) ; ce qu’il en est
de la substance dans l’instant où elle vient à l’être (Šm 233) ; si les “localisations”
(akwān) déterminent un “état” (ḥāl) de leur réceptacle (maḥall)(Šm 630) ; la distinction
que l’homme fait spontanément entre un mouvement contraint et un mouvement
“acquis” (F 112b) ; le rapport de la puissance à l’acte (F 152a) ; celui de la volonté (F
129a) ; qui sont les qadariyya que le Prophète comparait aux mages (F 60b et 93b) ; etc.
47 On voit, au terme de ce recensement, la distance qui sépare le peu que nous possédons
de l’œuvre de Bāqillānī de tout ce qui d’elle nous échappe et ne nous est ainsi révélé
que par quelques furtives allusions. Mais cette situation, on le sait, n’est pas propre à
l’auteur de la Hidāya, elle vaut pareillement pour son maître Aš‘arī, et de façon plus
criante encore pour ces deux théologiens mu‘tazilites auxquels ils doivent tant l’un et
l’autre, les Ǧubbā’ī, et dont rien n’a survécu 61.
48 À lui seul en tout cas, cet apport considérable qu’elle fournit d’informations
bibliographiques nouvelles atteste déjà l’extraordinaire richesse de contenu de la
Hidāya. Mais de cette richesse témoigne plus encore le très remarquable échantillon

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que constitue, dans l’ouvrage de Bāqillānī, le “livre” où celui-ci traite du classique


problème de la génération des actes, et que je vais maintenant présenter.

Deuxième partie : Le Kitāb at-tawallud, contrepoint et


complément des sources mu‘tazilites 62sur le sujet
49 La réalité ou non du tawallud est de ces questions qui opposent rituellement théologiens
sunnites et mu‘tazilites ; tout traité de kalām se doit donc de l’aborder, et la Hidāya
n’échappe pas à la règle. Il s’agit de savoir, rappelons-le, si l’action de l’agent humain
peut s’étendre au-delà de ce qu’il produit immédiatement dans “le réceptacle de sa
puissance” (maḥall qudratihi), c’est-à-dire dans son propre corps 63 : “actes des
membres” comme marcher, lancer, frapper ; “actes du cœur” comme vouloir,
raisonner, connaître. Les mu‘tazilites disent que oui, sauf qu’ils divergent sur la portée
d’une telle affirmation 64. Pour eux, l’homme a capacité d’agir sur ce qui lui est
extérieur, des événements s’y produisent qui sont la conséquence d’actes qu’il
accomplit en lui-même, “engendrés” par eux, et qui, de ce fait, relèvent pareillement de
sa puissance. Ainsi est acte de sa part non seulement le mouvement du bras qu’il
exécute pour lancer un projectile, mais aussi le mouvement dudit projectile “engendré”
par ce mouvement du bras. De même en va-t-il du son que je produis en heurtant l’un
contre l’autre deux corps durs, de la douleur que je fais naître en autrui en le frappant
du poing : ce son, cette douleur sont tout autant mon acte.
50 Les théologiens sunnites refusent, quant à eux, cette façon de voir. Pour eux, ce que les
mu‘tazilites disent être “engendré” par telle ou telle action de l’homme est en réalité
l’œuvre de Dieu. Et si nous avons l’impression d’une consécution nécessaire entre notre
acte et l’effet qui paraît en résulter, c’est simplement, disent-ils, parce que Dieu par
habitude (‘alā ṭarīq al-‘āda) — mais sans que rien ne l’y oblige — fait régulièrement se
produire le second à la suite du premier.
51 Tel est le point de vue que, naturellement, B. s’emploie ici à faire valoir. Son kitāb at-
tawallud comporte donc, comme il se doit, une réfutation en règle de la doctrine
mu‘tazilite, et cela selon la procédure habituelle des traités de kalām : d’abord l’énoncé
d’arguments (adilla) montrant la fausseté de la thèse adverse (§§ 1-28) ; puis la
réfutation de “pseudo-arguments” (šubah) invoqués en faveur de celle-ci (§§ 29-53).
52 B. aurait pu s’en tenir là, comme il l’avait fait dans le passage correspondant du Tamhīd
(éd. McCarthy p. 297-302). Mais tel n’est pas le cas ici, et en cela réside l’intérêt tout
particulier du présent k. at-tawallud. La réfutation (ibṭāl) proprement dite n’y est, en
quelque sorte, qu’une entrée en matière ; B. a jugé bon cette fois de la faire suivre d’un
exposé détaillé — et toujours, bien sûr, systématiquement critique — des principales
questions soulevées au sein même de l’école mu‘tazilite par la doctrine du tawallud :
définitions diverses de l’acte “direct” et de l’acte engendré (§§ 54-62) ; quels accidents
sont susceptibles d’en engendrer d’autres et ont donc le statut de “causes génératrices”
(asbāb muwallida) (§§ 64-65) ; exposé et réfutation de thèses mu‘tazilites dissidentes
relativement à la vulgate ǧubbā’ite et invoquant pour la plupart la notion de “nature”
(§§ 66-91), un exposé où s’insèrent une longue digression visant à établir que la
substance n’a pas de contraire (§§ 81-84) ainsi qu’une analyse des thèses de Ṣāliḥ Qubba
(§§ 86-88) ; les divergences entre mu‘tazilites quant à savoir quels accidents sont
susceptibles d’être engendrés par d’autres (§§ 92-104) ; si l’acte engendré, quand il

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existe, relève encore de la puissance de qui l’accomplit (§§ 105-108) ; si Dieu peut agir
par voie de génération, et si ce qu’Il produit de la sorte Il peut également le produire
par voie directe (§§ 109-118) ; quels modes possibles de génération entre actes bons et
actes mauvais (§§ 119-123) ; à quel moment se repentir d’un acte engendré (§§ 124-128).
53 Cette abondance de matière, où rien apparemment n’est laissé de côté, est un premier
trait remarquable du k. at-tawallud. Mais plus remarquable encore est la qualité de son
information, comme l’atteste de multiples façons le commentaire qu’on lira à sa suite.
Sur quantité de points en effet, ce que dit B. des positions mu‘tazilites trouve sa
confirmation dans tels passages du Muġnī de ‘Abd al-Ǧabbār et/ou de la Taḏkira d’Ibn
Mattawayh 65. Le fait est particulièrement sensible concernant “Ibn al-Ǧubbā’ī”,
autrement dit Abū Hāšim, le personnage de loin le plus souvent cité (quinze fois en
tout). Non seulement B. connaît de ce dernier, par exemple, un célèbre argument en
forme d’ilzām par quoi il démontrait, contre Abū ‘Alī, que la cause génératrice du
mouvement n’est pas le mouvement même mais la pression, et comment à partir de là il
expliquait le retour au sol d’une pierre lancée vers le haut (§ 97) ; ou bien son
spectaculaire changement d’opinion quant à la possibilité pour Dieu de produire aussi
par voie directe ce qu’Il produit au moyen de causes (§§ 106-107 et 116-118) ; ou bien
encore ses incertitudes touchant le châtiment d’un acte engendré (§ 128). Mais à trois
reprises au moins, B. s’exprime comme s’il rapportait littéralement des dires d’Abū
Hāšim (cf. §§ 65, 97, 120). D’où tire-t-il ces citations, s’il s’agit bien de citations ? Peut-
être de ‘Abd al-Ǧabbār, dont il a lu au moins, puisqu’il en a écrit une réfutation, le Naqḍ
al-Luma‘66 ; mais peut-être aussi, et plus probablement, des ouvrages d’Abū Hāšim en
personne, alors encore en circulation. Car il faut avoir à l’esprit qu’à l’époque où B.
compose sa Hidāya, le mu‘tazilisme tient encore le haut du pavé, protégé qu’il est par le
pouvoir en place (les émirs būyides), et sa littérature demeure aisément accessible 67.
Nous aurions donc là, si tel est bien le cas, une information de première main.
54 Ce qui, du même coup, conduit à prendre au sérieux diverses données fournies ici par B.
et qui, pour leur part, n’ont pas leur équivalent dans nos autres sources : ainsi ce
curieux argument qu’il prête aux mu‘tazilites en faveur du tawallud, probablement
abandonné par eux par la suite, à partir du mouvement des poils et autres parties non
vivantes de l’ensemble humain (§ 48) ; telle définition de l’acte “direct” admise, selon
lui, par “la grande majorité d’entre eux” (al-ǧumhūr minhum) (§ 54) ; la thèse qu’il
attribue aux Ǧubbā’ī père et fils, selon laquelle ce qui est “générateur” au sens propre,
ce n’est pas la cause (as-sabab) mais l’agent de la cause (fā‘il as-sabab) (§ 63) ; deux points
de vue défendus, selon lui, par ‘Abbād b. Sulaymān (§§ 105 et 124) ; et peut-être aussi
(mais B. pour le coup ne fait-il pas erreur ?) l’idée assez surprenante qu’il prête à “Ibn
al-Ǧubbā’ī et ses partisans” selon laquelle il serait impossible même à Dieu de produire
un assemblage (ta’līf) autrement que par génération (§ 102).
55 Il est clair en tout cas que si, un jour, ce dossier du tawallud devait être repris pour
quelque travail universitaire, ces pages de la Hidāya, au titre de la documentation,
devraient obligatoirement être prises en compte.
56 Une autre source, plus convenue, a été également mise à profit par Bāqillānī, lui
fournissant bon nombre de ses rubriques : les Maqālāt d’Aš‘arī, ou quelque autre
répertoire de cette nature. À cet égard aussi, son texte est précieux, en ce qu’il permet,
au moins sur trois points, de corriger et compléter le texte d’Aš‘arī tel qu’il est
actuellement proposé (§§ 61-62,119 et 124).

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


‫‪256‬‬

‫‪57‬‬ ‫‪Voici donc ce kitāb at-tawallud 68, dont, comme annoncé, je proposerai ensuite un‬‬
‫‪commentaire.‬‬

‫كتاب التول ّد‬

‫‪58‬‬ ‫باب القول في إبطال التول ّد [‪ ٩٦‬أ]‬


‫]‪ [١‬فأما ما يدل على أن القدرة قدرة على ما يوجد معها في محل ّها‪ ،‬فهو أن ّا قد ات ّفقنا على‬
‫‪59‬‬

‫ل ابتداًء في غير محل ّها‪ ،‬وإنما ي ُفعَل بها في غيره عندهم بسبب‬‫أنه ﻻ يصح أن ي ُبتدأ بها الفع ُ‬
‫على وجه التول ّد‪ .‬والذي يدل على إبطاله أنه‪ ،‬لو صح ذلك‪ ،‬لصح وقوع اﻹصابة والقتل بعد موت‬
‫رامي السهم ومع عدمه إذا تقد ّم وجود السبب وزالت الموانع‪ .‬وباضطرار ي ُعل َم أن المي ّت‬
‫والمعدوم ﻻ يصح أن ي ُوقِع اﻷفعال‪ ،‬ﻷن حاله أسوأ من حال العاجز والمريض والضعيف‪.‬‬
‫]‪ [٢‬ويدل على ذلك أيضا ً أنه قول يوجب غنى المسبب عن فاعل‪ ،‬ﻷنه إذا كان السبب ‪60‬‬

‫حبه إلى فاعل يفعله كما ﻻ يحتاج الحكم الواجب عن العل ّة إلى‬ ‫يوجبه‪ ،‬لم يحتج مع وجود مو ِ‬
‫جبه‪ ،‬وذلك باطل بات ّفاق‪ .‬وﻷنهم قد قالوا < إنه > من حقّ ما يتعلق‬‫فاعل يفعله لوجود مو ِ‬
‫بالفاعل صحة فعله ]‪ ٩٦‬ب[ وأن ﻻ يفعله؛ فلو كان وقوع المسبب بعد وجود سببه وزوال‬
‫الموانع من تول ّده يحصل بالفاعل‪ ،‬لصح من فاعله أن ﻻ يفعله والحال هذه‪ ،‬وإﻻ خرج عن‬
‫ما بطل ذلك‪ ،‬وضح أنه ﻻ يتعلق بفاعل‬ ‫لو كان متولدا ً‪ ،‬وهذا يوجب غنى‪69‬معنى الفاعل‪ .‬ول ّ‬
‫محد ِث‪ ،‬وذلك باطل‪.‬‬‫سائر الحوادث عن ُ‬
‫]‪ [٣‬ويدل على ذلك أيضا ً أنه‪ ،‬لو احتاج المسبب إلى سبب يحدث عنه ولم يحتج إليه في ‪61‬‬

‫شيء من صفاته سوى الحدوث فقط‪ ،‬ولو كان من الحوادث ما يحتاج إلى سبب يوجبه من‬
‫حيث كان حادثا ً‪ ،‬ﻻحتاج سببه إلى سبب إلى غير غاية‪ ،‬وﻻحتاج جميع أجناس الحوادث في‬
‫صفة الحدوث إلى أسباب ت ُول ّدها‪ ،‬لتساوي حقيقة الحدوث في سائرها‪ .‬وهذا باطل بات ّفاق‪،‬‬
‫فبطل ما قالوه‪.‬‬
‫مئة ‪62‬‬ ‫ً‬ ‫ّ‬ ‫ً‬
‫]‪ [٤‬ويدل على ذلك أيضا أنه‪ ،‬لو كان التولد صحيحا‪ ،‬لوجب أن يكون كسُر ابن ]‪ ٩٧‬أ[ قَ ِ‬
‫ة أجزائه كفرا ً وفجورا ً‪70،‬لَرباعية النبي صلى الله عليه وسلم و <‪>...‬‬ ‫مه وتفرق ُ‬‫كل نبي وإيﻼ ُ‬
‫ولوجب أن يكون موجودا ً باﻷنبياء‪ .‬وهذا يوجب أن يكون في اﻷنبياء كفر وفجور كثير‪ ،‬والقول‬
‫بذلك خروج عن الدين‪ .‬فدل ذلك على إبطال القول بالتول ّد‪.‬‬
‫شر من كسب‬
‫‪63‬‬ ‫مبا ِ‬‫]‪ [٥‬ومما يدل أيضا ً على فساد القول بالتول ّد أنه‪ ،‬لو كان الحادث بعد ال ُ‬
‫ما أن يكون مما يوجد‬ ‫ل من أحد أمَرين‪ :‬إ ّ‬ ‫اﻹنسان أو معه في حاله متولدا ً عن ال ُمبا ِ‬
‫شر‪ ،‬لم يخ ُ‬
‫معه في حاله‪ ،‬كحركة الخاتم المقاِرنة لحركة اليد‪ ،‬وحركة ثوب اﻹنسان عند مشيه وتحُّركه‪،‬‬
‫وخروج الماء من القدح عند إدخال اليد فيه‪ ،‬وأمثال ذلك؛ أو مما يوجد بعده‪ ،‬كاﻹصابة بعد‬
‫ج واﻷلم الحادث بعد الضرب‪ ،‬وأمثال ذلك‪.‬‬ ‫الرمي والكسر بعد الز ّ‬
‫‪64‬‬‫تحُّرك اليد‪ [٦]71‬فإن كان مما يوجد مع السبب‪ ،‬فإنه باطل ﻷنه‪ ،‬لو كان تحُّرك الخاتم عن‬
‫ِفعﻼ ً ]‪ ٧٩‬ب[ للعبد‪ ،‬لوجب كونه قادرا ً عليه بات ّفاق ولقيام الدليل على استحالة وقوع حادث أو‬
‫سب من غير قادر‪ ،‬وﻷنه‪ ،‬لو استغنى الفعل المتولد عن قدرة‪ ،‬ﻻستغنى أيضا ً سببه عن‬ ‫مكت َ‬
‫محال‪ ،‬ﻷنه ﻻ يخلو أن يكون‬ ‫ً‬
‫قدرة‪ ،‬وذلك باطل‪ .‬فوجب أنه ﻻ بد ّ من كونه قادرا عليه‪ .‬وذلك ُ‬
‫قادرا ً على السبب والمسبب عندهم بالقدرة على سببه‪ ،‬أو بقدرة غير القدرة على سببه‪.‬‬
‫محال ﻷنه قول يوجب كون القدرة ‪65‬‬ ‫]‪ [٧‬فإن كان قادرا ً عليه بالقدرة على سببه‪ ،‬فذلك ُ‬
‫الواحدة الحادثة قدرةً على مقدوَرين‪ ،‬وذلك باطل بما نبي ّنه من استحالة تعل ُّق القدرة الحادثة‬
‫بمقدوَرين مثل َين أو ضد َّين أو خﻼفَين غير ضد َّين‪ ،‬فمن نازع في ذلك أقمنا الدليل عليه‪ .‬ويدل‬
‫بالقدرة‪72‬على ذلك أيضا ً أنه قد يكون السبب والمسبب من جنس واحد‪ .‬ولو جاز أن يفعل‬
‫الواحدة في الوقت ]‪ ٩٨‬أ[ الواحد مقدوَرين من جنس واحد في محل َّين غيَرين‪ ،‬لجاز أيضا ً أن‬
‫ل واحد في زمن واحد‪ ،‬وإﻻ فما الفصل وﻻ سبيل إليه ؟‬ ‫يفعل بها مقدوَرين مثل َين في مح ّ‬
‫ل واحد‪ ،‬استحال كونها‬ ‫َ‬
‫ما ات ّفقنا على بطﻼن كونها قدرةً على مثلين في زمن واحد في مح ّ‬ ‫ول ّ‬
‫قدرةً عليهما في محل َّين‪ .‬وليس لهم اﻻنفصال من هذا بأنه « لو كانت قدرةً على فعل مثل َين‬
‫ل واحد في زمن واحد‪ ،‬لم يحتج في حمل الثقيل من اﻷجسام إلى زيادة ُقد َرٍ »‪ ،‬إذا‬
‫في مح ّ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪257‬‬

‫أمكنه أن يفعل بالقدرة الواحدة في كل جزء من الثقيل أجزاًء من الحمل والحركات متماثلًة‪،‬‬
‫ﻷننا نوجب عليهم ذلك ون ُلزمهم القول به لقولهم إنها قدرة على ما ﻻ نهاية له من كل جنس‬
‫ل واحد‪ ،‬ﻷننا ﻻ نعتبر هذه الدعوى‬ ‫وإن لم يصح أن ي ُفعَل منه اثنان في وقت واحد في مح ّ‬
‫ل يحتمل عندكم في الوقت الواحد أمثاﻻ ً كثيرةً من كل جنس‪ ،‬فيجب لذلك‬ ‫ونقول لهم‪ :‬المح ّ‬
‫ً‬
‫ل الواحد في الزمن الواحد أمثاﻻ كثيرةً‪ ،‬وأن ﻻ‬ ‫صحة ]‪ ٩٨‬ب[ فعله بالقدرة الواحدة في المح ّ‬
‫يحتاج في حمل الثقيل إلى زيادة ُقد َرٍ‪ .‬وقد ثبت من قولنا وقولهم أن نفس أجزاء الثقيل ﻻ‬
‫تمنع من شيله وﻻ ما فيه من اﻻعتماد وﻻ تأليف أجزائه وانضمامها‪ ،‬وأن الدفع له يقارن ثقله‬
‫وتأليفه‪ .‬فوجب أنه ﻻ مانع لصاحب القدرة الواحدة من أن يفعل بها في الزمن الواحد في كل‬
‫ل‬‫بها‪ .‬ومتى وجدنا ذلك متعذرا ً عليهم‪ ،‬بطل‪73‬جزء من الثقيل حموﻻ ً كثيرةً حتى يرتفع ويستق ّ‬
‫مد لشيله‪ .‬وهذا الفصل‬ ‫قولهم وثبت أن ارتفاع الحجر وتحريكه ليس من فعل العبد المعت ِ‬
‫وحده من الدليل يكشف عن فساد قولهم بالتول ّد‪ .‬ومتى بطل كون القدرة الواحدة قدرةً‬
‫ل واحد في زمن واحد‪ ،‬بطل كونها < قدرةً > عليهما في محل َّين‪ ،‬فاستحال‬ ‫على مثل َين في مح ّ‬
‫مروَحة والخاتم‬
‫لذلك أن تكون القدرة على حركة اليد هي القدرة ]‪ ٩٩‬أ[ على حركة ال ِ‬
‫الموجود َين معها‪.‬‬
‫]‪ [٨‬ويستحيل أيضا ً أن تكون القدرة على حركة الخاتم غير القدرة على حركة اليد بل ‪66‬‬

‫قدرةً مفردةً ت ُقارنها وتتعلق بها‪ ،‬ﻷنه لو كان ذلك كذلك‪ ،‬ﻻستغنت بالقدرة المفردة عليها عن‬
‫سبب يول ّدها‪ ،‬وجرت مجرى السبب الواقع بقدرة عليه؛ وﻷنهما إذا كانتا قدرت َين على‬
‫مع عدم اﻷخرى ووجود مقدورها بها وإن انفردت‪74،‬مقدوَرين غيَرين‪ ،‬لم يمتنع وجود إحداهما‬
‫موه سببا ً مول ّدا ً‪.‬‬
‫كما وجب ذلك في قدرة السبب‪ .‬وهذا ي ُبط ِل كون ما س ّ‬
‫موه مسببا ً متولدا ً مما يقع بعد وجود السبب فعﻼ ً للعبد‪67 ،‬‬ ‫]‪ [٩‬ويستحيل أيضا ً أن يكون ما س ّ‬
‫ﻷنه كان يجب كونه قادرا ً عليه‪ ،‬وكان ﻻ بد ّ أن يكون قادرا ً عليه بالقدرة على سببه أو بقدرة‬
‫ت ُقارن السبب وتوجد معه‪.‬‬
‫محال‪ ،‬ﻷنه لو ]‪ ٩٩‬ب[ قدر عليه بالقدرة على سببه‪ ،‬ﻻستحال ذلك من‬
‫‪68‬‬ ‫]‪ [١٠‬وكل ذلك ُ‬
‫محال ل ِما بي ّن ّاه من قبل‪.‬‬
‫وجهَين‪ :‬أحدهما أنه يوجب كون القدرة قدرةً على مقدوَرين‪ ،‬وذلك ُ‬
‫والوجه اﻵخر أنه قول يوجب تقد ُّم القدرة لمقدورها بأزمان كثيرة‪ ،‬ﻷنه قد توجد إصابة‬
‫السهم للغرض بعد السبب بأوقات كثيرة؛ والقدرة على السبب قبله أيضا ً عندهم‪ .‬ونحن قد‬
‫بي ّن ّا من قبل استحالة تقد ُّم القدرة على المقدور بوقت واحد‪ ،‬فضﻼ ً عن اﻷوقات الكثيرة‪،‬‬
‫ومن خالف في ذلك نقلناه إلى الكﻼم فيه‪.‬‬
‫]‪ [١١‬ويستحيل أيضا ً أن يكون المسبب الواقع بعد سببه واقعا ً بقدرة ت ُقارن القدرة على ‪69‬‬

‫سببه ﻷمَرين‪ :‬أحدهما أنه يوجب تقد ُّم القدرة للمقدور‪ ،‬وذلك ُمحال‪ .‬واﻷمر اﻵخر أنه ي ُخرِج‬
‫صه‪ ،‬كما يحب خروج السبب عن كونه‪ 76‬عن كونه متولدا ً إن‪75‬المسبب‬ ‫كان واقعا ً بقدرة تخت ّ‬
‫‪ 78‬مول ّدا ً لهذه العل ّة‪ ٩١] .‬أ[ ‪77‬سببا ً‬
‫]‪ [١٢‬ويستحيل أيضا ً أن يكون المسبب الواقع بعد سببه واقعا ً بقدرة ت ُقارنه‪ ،‬ﻷن ذلك ‪70‬‬

‫صه‪.‬‬ ‫ً‬
‫يوجب كونه مبتدأ بالقدرة غيَر متولد عن شيء كما وجب ذلك في سببه الواقع بقدرة تخ ّ‬
‫جب لمقارنة القدرة للمقدور وكون ِها قدرةً على الواقع‬ ‫ويستحيل أيضا ً على أصولهم‪ ،‬ﻷنه مو ِ‬
‫محال‪.‬‬ ‫الموجود‪ ،‬وذلك عندهم ُ‬
‫‪71‬‬ ‫]‪ [١٣‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬استحال أن يكون ما ُوجد عند فعل العبد في غير حي ّزه أو في‬
‫ل القدرة من جملته متولدا ً عن الفعل المبتدأ بالقدرة عليه في محل ّها‪ .‬وبطل ما‬
‫غير مح ّ‬
‫قالوه‪.‬‬
‫[‪ ]١٤‬د لـيــل آ خـــر في نفي التول ّد ‪72‬‬

‫‪73‬‬ ‫صلوهم أن اﻷلم متولد‬‫عن الوهي النافي للصحة‪79‬ومما يدل على ذلك أنه قد زعم ُمح ِّ‬
‫التي تحتاج الحياة إليها‪ ،‬دون اﻻعتماد بل اﻻعتماد زعموا يول ّد الوهي الذي هو التفريق‪،‬‬
‫والوهي ]‪ ٩١‬ب[ النافي للصحة هو المول ّد لﻸلم‪ .‬فاستدل ّوا على ذلك بأنهم وجدوا اﻷلم تابعا ً‬
‫بالضرب على ما جفا وغلظ من بدن اﻹنسان‪ ،‬لم يتولد‪80‬للوهي دون اﻻعتماد‪ ،‬ﻷنه لو اعتمد‬
‫ل منه بشيء كثير‪ ،‬حتى إذا كان اعتمادا ً‬ ‫عن ذلك اﻻعتماد من اﻷلم َقدُر ما يتولد عن ما هو أق ّ‬
‫ق من جسمه‪ ،‬ول ّد الكثير العظيم من اﻵﻻم‪ ،‬وليس ذلك السبب فيه‬ ‫على عين اﻹنسان وما ر ّ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪258‬‬

‫ق من أعضاء اﻹنسان يتولد عنه من الوهي والتفريق‬ ‫إﻻ أن الضرب اليسير الرفيق على ما ر ّ‬
‫النافي للصحة التي تحتاج إليها الحياة أكثُر من قَدر ما يتولد من الوهي عن اﻻعتماد الكثير‬
‫والضرب الكثير الشديد على ما غلظ وجفا من جسد اﻹنسان‪ .‬قالوا‪ » :‬فدل ذلك على أن اﻷلم‬
‫تاب ِعٌ في حدوثه وَقدره في القل ّة والكثرة للوهي دون اﻻعتماد والتحريك »‪ .‬وهذا هو الواجب‬
‫]‪ ٩٢‬أ[ على أصولهم لو كان التول ّد صحيحا ً‪.‬‬
‫]‪ [١٥‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬وجب على قولهم بالتول ّد وقوع الفعل من فاعل َين وتول ُّد ‪74‬‬

‫جل اﻷي ّد الشديد على جزئ َين من الح ّ‬


‫ي‬ ‫المسبب الواحد عن سبب َين‪ ،‬وذلك أنه إذا اعتمد الر ُ‬
‫ليفّرق بينهما‪ ،‬وجب أن يفعل بفعل اعتماده وُقد َرِه جزئ َين من اﻻعتماد‪ ،‬وأن يتولد عنهما جزءٌ‬
‫ي‪ ،‬وهذا يوجب تول ُّد جزء من الوهي‬ ‫من الوهي والتفريق النافي للصحة بين الجزئ َين من الح ّ‬
‫حح لوقوع جزء‬ ‫عن اعتماد َين ووقوع مسبب واحد عن سبب َين‪ .‬وذلك باطل عندهم‪ ،‬ﻷنه مص ّ‬
‫من الفعل بقدرت َين ووقوعه من فاعل َين‪ ،‬وكل ذلك باطل‪ .‬وقد قالوا هم‪ « :‬لو جاز ذلك‪ ،‬لجاز‬
‫أن يوجد أحد السبب َين وﻻ يوجد اﻵخر‪ ،‬فيكون المسبب موجودا ً لوجرد أحد السبب َين المؤث ّر‬
‫ب < باقيا ً على عدمه لعدم ما لو‬ ‫في وجوده‪ ،‬وأن ﻻ يوجد السبب اﻵخر فيكون لذلك > المسب ُ‬
‫ُوجد ﻷث ّر ]‪ ٢٩‬ب[ في وجوده‪ .‬وإذا بطل ذلك‪ ،‬بطل تأث ُّر الفعل الواحد عن سبب َين »‪ .‬وبطل‬
‫ن اﻻعتماد مول ّدا ً للوهي‪.‬‬
‫لبطﻼن ذلك كو ُ‬
‫ي للتفريق بينهما‪،‬‬
‫‪75‬‬ ‫]‪ [١٦‬وكذلك فكان يجب‪ ،‬لو اعتمد قادران على جزئ َين من جسم الح ّ‬
‫ً‬
‫وكل واحد منهما لو انفرد ﻷمكنه تفريق الجزئ َين‪ ،‬أن يكون كل واحد منهما قد فعل جزءا من‬
‫اﻻعتماد غير فعل اﻵخر‪ ،‬وأن يكون ذلك الجزء من الوهي النافي للصحة عند وجود‬
‫اعتماد َيهما متولدا ً عنهما جميعا ً‪ ،‬وأن يكون الوهي لذلك فعﻼ ً لفاعل َين‪ .‬وذلك باطل في‬
‫شر والمتولد عندهم‪ .‬وإذا استحال وقوع فعل من فاعل َين‪ ،‬استحال تول ُّد الجزء الواحد‬ ‫مبا ِ‬
‫ال ُ‬
‫َ‬ ‫َ‬
‫من الوهي عن جزئين من اﻻعتماد من فعل < فاعل > واحد أو فعل فاعلين‪.‬‬
‫‪76‬‬ ‫]‪ [١٧‬وليس لهم القدح في هذه الدﻻلة بأن يقولوا‪ « :‬لسنا نقول إنه متولد عن اﻻعتماد َين‪،‬‬
‫ي واحد ٌ متولد ٌ عن أحد اﻻعتماد َين ]‪ ٩٣‬أ[ بغير عينه »‪ ،‬ﻷنهما قد ُوجدا على وجه‬‫ولكنه وه ٌ‬
‫يوجب توليد َيهما جميعا ً للوهي‪ ،‬فﻼ يكون المول ّد له أحدهما بغير عينه‪ ،‬كما < ﻻ > يجوز أن‬
‫جب له أحدهما‬ ‫ي عل ّتان توجبان حكما ً متساويا ً ويكون المو ِ‬
‫بغير عينه‪ ،‬وكما ﻻ توجد بالح ّ‬
‫‪81‬‬

‫بغير‪82‬يجوز عندهم أن تكون قدرتان على مقدور واحد ويكون إذا ُفعِل مفعوﻻ ً بإحداهما‬
‫عينها‪ ،‬وكما ﻻ يجوز أن يكون مقدور واحد لقادَرين ويكون إذا ُوجد موجودا ً بأحدهما بغير عينه‪.‬‬
‫وﻻ جواب لهم عن ذلك‪.‬‬
‫]‪ [١٨‬ويقال لهم‪ :‬فيجب أن يكون الوهي الواحد موجودا ً لكونه متولدا ً عن أحد اﻻعتماد َين ‪77‬‬

‫بغير عينه < وأن ﻻ يتولد عن اﻵخر > ﻷنه لو تول ّد عنه ﻷث ّر في وجوده‪ .‬وﻻ مخلص من ذلك‪ .‬وإن‬
‫فصلوا بين السبب َين والعل ّت َين‪ ،‬في جواز تول ُّد المسبب عن أحدهما بغير عينه وإن لم يتولد عن‬
‫اﻵخر‪ ،‬بأن « العل ّة توجب الحكم لنفسها وجنسها‪ ،‬وﻻ يجوز أن ]‪ ٩٣‬ب[ يقارنها ما يفرق بينها‬
‫ة له »‪ ،‬قيل لهم‪ :‬وكذلك إن قارن السبب ما يمنع من‬ ‫جب ً‬
‫وبين حكمها ﻷن ذلك ينقض كونها مو ِ‬
‫جبا ً‪.‬‬
‫توليده‪ ،‬خرج عن كونه سببا ً مو ِ‬
‫وجد على وجه يوجب توليده ل ِما يول ّده مع عدم ‪78‬‬ ‫]‪ [١٩‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬إن السبب إذا ُ‬
‫ً‬ ‫ّ‬
‫جبة‪83‬الموانع من توليده‪ ،‬وجب كونه مولدا‪ ،‬وجرى في إيجابه المسبب‬ ‫مجرى العل ّة المو ِ‬
‫من الوهي والمفارقة‪ ،‬فيجب أن يول ّدهما‪84.‬للحكم‪ .‬وﻻ مانع يمنع من توليد اﻻعتماد لجزئ َين‬
‫وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬
‫ً‬
‫]‪ [٢٠‬ويقال لهم‪ :‬إذا جاز أن يكون الوهي الواحد متولدا عن أحد اﻻعتماد َين بغير عينه‪ ،‬فما ‪79‬‬

‫أنكرتم أن يكون اﻷلم الحادث متولدا ً عن بعض أجزاء اﻻعتماد بغير عينه ؟ فﻼ يجدون من‬
‫ذلك مهربا ً‪.‬‬
‫]‪ [٢١‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬ما أنكرتم أن يكون اﻷلم يتولد أبدا ً عن اﻻعتماد دون الوهي ]‪ ٤٩‬أ[ ‪80‬‬

‫النافي للصحة‪ ،‬وأن يكون ما يوجد من اﻷلم الزائد على َقدر أجزاء اﻻعتماد مبتدأ ً من فعل‬
‫الله بجري العادة‪ ،‬كما تقولون إن اﻷلم الزائد على َقدر الوهي والتفريق المتولد عن لسعة‬
‫الحي ّة والزنبور ولسب العقرب شيٌء يفعله الله تعالى بجري العادة‪ ،‬وَقدُر المتولد عن ذلك‬
‫الوهي قَدٌر ُ‬
‫مساوٍ له ؟ وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪259‬‬

‫‪81‬‬‫]‪ [٢٢‬فأما كون الضرب الشديد على ما غلظ وجفا من جسم اﻹنسان غير مول ّد لكثير اﻷلم‬
‫قدر شد ّته‪ ،‬فﻸجل أنه إنما يول ّد تفريقا ً في ما غلظ ﻻ ينفي الصحة والبنية التي تحتاج‬ ‫وب َ‬
‫ق إلى اﻷجزاء‪ 86‬إليها‪ .‬بل إنما يول ّد‪85‬الحياة‬ ‫افتراقا ً في أجزاء ﻻ حياة فيها‪ ،‬فإذا بلغ اﻻفترا ُ‬
‫قدر من اﻻفتراق وهيا ً مول ّدا ً لﻸلم دون‬ ‫الحي ّة ونفى الصحة التي تحتاج الحياة إليها‪ ،‬كان ذلك ال َ‬
‫ف للصحة التي تحتاج <‬ ‫ٍ‬ ‫ا‬ ‫ن‬‫ب‬ ‫س‬ ‫ي‬‫ل‬ ‫ي‬ ‫ما عداه‪ .‬ويجب على أصولهم أن ﻻ يوصف اﻻفتراق الذ‬
‫ي ]‪ ٤٩‬ب[ وأنه مول ّد ٌ لﻸلم‪ ،‬ﻷجل أن اﻻفتراق ليس يكون وهيا ً ومول ّدا ً‬ ‫الحياة > إليها بأنه وه ٌ‬
‫ة عائدةٍ إلى نفسه‪ ،‬وإنما يكون كذلك إذا نفى الصحة والبنية التي تحتاج‬ ‫لﻸلم لجنسه وصف ٍ‬
‫ّ‬
‫الحياة إليها‪ ،‬فما لم يكن كذلك منه فليس بوهي وﻻ مولد لﻸلم‪ ،‬وإن كان من جنس ما يكون‬
‫كذلك إذا وقع على وجه وصادف أمرا ً زائدا ً على جنسه وحدوثه‪.‬‬
‫‪82‬‬ ‫[‪ ]٣٢‬د لـــيــــل آ خـــــر‬
‫‪83‬‬ ‫صليهم أن اﻷلم‬
‫مح ّ‬
‫قدره‪87،‬ومما يدل على بطﻼن القول بالتوليد اد ّعاء ُ‬‫متولد عن الوهي وب َ‬
‫ُّ‬ ‫ّ‬
‫وأنه تاب ِعٌ له وبحسب قلته وكثرته يحدث دون اﻻعتماد‪ .‬فإذا بطل ما يد ّعونه من تولده عن‬
‫الوهي‪ ،‬وقد وافقوا على أنه غير متولد عن اﻻعتماد وﻻ عن شيء مما عداه من اﻷجناس‪،‬‬
‫بطل القول بالتول ّد‪.‬‬
‫منا بأن المتولد ]‪ ٩٥‬أ[ عن‬
‫‪84‬‬ ‫عل ُ‬
‫]‪ [٢٤‬والذي يدل على أنه غير متولد عن الوهي وﻻ تاب ِعٌ له ِ‬
‫قَدر لسبة العقرب ولسعة الحي ّة والزنبور وَقدر غرزة اﻹبرة ونحو ذلك من الوهي شيءٌ‬
‫قدر من‬‫يسيٌر‪ ،‬وأن اﻷلم الحادث عظيم شديد ومتطاول‪ .‬فﻼ يجوز أن يكون حادثا ً عن ذلك ال َ‬
‫الوهي‪ ،‬ﻷنه غير تابع له في َقدره‪.‬‬
‫‪85‬‬ ‫ق‪ .‬قالوا‪ « :‬وإنما يتولد عن الوهي‬ ‫]‪ [٢٥‬وقد قالوا في جواب ذلك إن ما قلناه من ذلك ح ّ‬
‫ِ‬ ‫د‬ ‫ي‬ ‫د‬ ‫ش‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫‪88‬‬
‫ه‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ل‬ ‫ع‬ ‫ف‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ه‬‫ن‬ ‫إ‬ ‫ف‬ ‫ك‬ ‫ل‬ ‫ذ‬ ‫ى‬ ‫المتولدِ عن اللسعة َقدُره من اﻷلم‪ ،‬وكل َقدرٍ زائدٍ عل‬
‫قدر من‬ ‫ً‬
‫قدر الزائد يوجد أبدا عن ذلك ال َ‬ ‫تعالى بجري العادة »‪ .‬فيقال لهم‪ :‬إذا كان هذا ال َ‬
‫الوهي على طريقة واحدة‪ ،‬وهو مع ذلك غير متولد عنه بل مبتدأ ٌ بفعله < تعالى > بجري‬
‫العادة‪ ،‬فما أنكرتم أن يكون جميع اﻷلم وقليله وكثيره الموجود عند اللسع من فعله تعالى‬
‫ابتداًء بجري العادة ؟ وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬
‫ة‪ ،‬وي ُبط ِل أن تكون الحوادث المتعلقة بنا من فعلنا ‪86‬‬ ‫]‪ [٢٦‬فإن قالوا‪ « :‬فهذا ي ُبط ِل التول ّد جمل ً‬
‫ة لقصودنا وإراداتنا وبحسب ُقد َرنا !»‪ ،‬قيل لهم‪ :‬ما أنكرتم من ذلك‪،‬‬
‫]‪ 59‬ب[ وإن وقعت تابع ً‬
‫وهل نورد هذه اﻷدل ّة والمطالبات إﻻ لبطﻼن قولكم بالتولد و<نفي > خلق اﻷعمال ؟ فﻼ‬
‫ّ‬
‫في ذلك فصﻼ ً‪89.‬يجدون‬
‫]‪ [٢٧‬وﻻ يجوز ﻷحد منهم اﻹسعاف في هذا بأن يقول‪ « :‬إن عظيم اﻷلم الموجود عن ‪87‬‬

‫م جسم‪ ،‬واﻷجسام بات ّفاق ﻻ ت ُول ِّد شيئا ً كما‬‫جب عنه »‪ ،‬ﻷن الس ّ‬ ‫م ومو َ‬ ‫اللسب متولد عن الس ّ‬
‫ض اﻷجسام‪،‬‬ ‫ّ‬ ‫ً‬ ‫ً‬
‫سكرا وﻻ شبعا وري ّا وﻻ غير ذلك من الحوادث؛ ولو ولد بع ُ‬ ‫ً‬ ‫ﻻ يول ّد شيٌء منها ُ‬
‫م ﻻ جهة له‪ ،‬وما ﻻ جهة له ﻻ يول ّد‬ ‫لول ّد سائُرها‪ ،‬ولوجب أن ت ُول ِّد اللذ ّة َ بدﻻ ً من اﻷلم‪ .‬وﻷن الس ّ‬
‫م منه في موضع‬ ‫في غير محل ّه؛ ونحن نعلم أن الملسوع يجد اﻷلم في جميع جسمه‪ ،‬والس ّ‬
‫م مول ّدا ً من كل وجه‪.‬‬ ‫مخصوص‪ .‬فبطل بذلك كون الس ّ‬
‫]‪ [٢٨‬ومما يدل أيضا ً على فساد القول بالتول ّد ]‪٩٦‬أ[ أنه قول يوجب خروج الحوادث عن ‪88‬‬

‫محد ِث‪ ،‬ﻷنه إذا وجب حدوث المسبب عن السبب لكونه تابعا ً له وواقعا ً بحسبه في‬ ‫تعل ُّقها ب ُ‬
‫وة‪ ،‬ولو عدم لم يكن المسبب‪ ،‬ولو عدم الفاعل وقصده ودواعيه‬ ‫القل ّة والكثرة والضعف والق ّ‬
‫ع مسببه‪ ،‬وجب‬ ‫وقُد َره وجميع صفاته بعد وجود السبب وزوال الموانع من توليده لوجب وقو ُ‬
‫قه بالسبب وغناه عن فاعل يفعله‪ ،‬كما يجب غنى الحال الواجبة‬ ‫عن العل ّة عن‪90‬لذلك تعل ُّ ُ‬
‫محد ِثها وإن وجب تعل ُّ ُ‬
‫ق ها‬ ‫فاعل يفعلها إذا كانت إنما تجب لوجود العل ّة‪ ،‬ﻻ لوجود فاعل العل ّة و ُ‬
‫محد ِث‪ .‬فكذلك سبيل إيجاب السبب لمسببه بعد وجوده وزوال الموانع من توليده‪ .‬وهذا‬ ‫ب ُ‬
‫يوجب غنى المتولدات عن فاعل وإن كانت حوادث‪ ،‬كما قال ث ُمامة؛ وذلك يوجب عندنا غنى‬
‫جبا ً له‪.‬‬
‫ما بطل ذلك‪ ،‬بطل قولهم ]‪ ٩٦‬ب[ بالتول ّد لكونه مو ِ‬ ‫محد ِث‪ .‬ول ّ‬ ‫سائر الحوادث عن ُ‬
‫‪89‬‬ ‫ف ـ ص ــ ل‬
‫ذكر معتمداتهم في وجوب القول بالتول ّد‪ ،‬واﻻعتراض عليها‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪260‬‬

‫‪90‬‬ ‫]‪ [٢٩‬قالوا‪ « :‬مما ي ُعتمد عليه في ذلك أننا وجدنا المسببات الواقعة بعد أسبابها تابعًة لها‬
‫وة‪ .‬فإذا د ُفِعَ‬ ‫ة بحسبها في القل ّة والكثرة والضعف والق ّ‬ ‫الحجر الدفع الشديد ذهب‪91‬وواقع ً‬
‫ي الضرب‪92‬الذهاب الكثير‪ ،‬وإذا د ُفِعَ‬ ‫ب الح ّ‬
‫ضرِ َ‬ ‫ة ذهب في جهة الدفع دون غيرها‪ .‬وإذا ُ‬ ‫يمن ً‬
‫ب الضرب الرقيق‬ ‫ضرِ َ‬ ‫ً‬
‫أل ِم اﻷلم اليسير‪ ،‬وكان ذلك واقعا الشديد أل ِم اﻷلم الشديد‪ ،‬وإذا ُ‬
‫‪93‬‬

‫بحسب قوّة السبب‪ .‬فوجب لذلك أن يكون المسبب واجبا ً ومتولدا ً عن السبب‪ ،‬ﻷننا بهذا‬
‫ل لنا ]‪٩٧‬أ[ من حيث وقع بحسب قصدنا ودواعينا‬ ‫شر من اﻷفعال فع ٌ‬ ‫مبا ِ‬
‫الطريق علمنا أن ال ُ‬
‫شر بنا بهذه الطريقة‪ ،‬وجب أيضا ً تعل ُّق المسبب‬ ‫ُ ِ‬‫ا‬ ‫ب‬‫م‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ث‬ ‫و‬ ‫د‬ ‫ح‬ ‫ق‬‫ُّ‬ ‫ل‬ ‫ع‬‫ت‬ ‫ب‬ ‫ج‬ ‫ومقدار ُقد َرنا‪ .‬فإذا و‬
‫بسببه »‪.‬‬
‫محد ِثا ً ‪91‬‬ ‫ة على كون العبد ُ‬ ‫]‪ [٣٠‬يقال لهم‪ :‬قد بي ّن ّا أنها ليست بدﻻلة على ذلك‪ ،‬فجعل ُها دﻻل ً‬
‫ل‪ ،‬فأغنى ذلك عن رد ّه‪ .‬ثم إن هذه الطريقة توجب غنى المسبب‬ ‫وكون السبب مول ّدا ً باط ٌ‬
‫عل السبب ودواعيه وُقد َره‪ ،‬ﻷنه‬ ‫محد ِث ي ُحدثه‪ ،‬لكونه تابعا ً ومتعلقا ً به دون قصد فا ِ‬ ‫بسببه عن ُ‬
‫تاب ِعٌ للسبب دون قصد فاعل السبب وجميع صفاته‪ .‬فوجب غناه عن الفاعل على ما بي ّن ّاه من‬
‫قبل‪ ،‬وذلك باطل بات ّفاق‪.‬‬
‫رك ‪92‬‬ ‫مد َ‬‫ن اﻹدراك مول ّدا ً للعلم بال ُ‬ ‫]‪ [٣١‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬فيجب على موضوع اعتﻼلكم كو ُ‬
‫ضرب العنق لوجوب وجوده عند‪94‬لوجوب وقوعه عند وجود اﻹدراك‪ ،‬وتول ُّد ُ الموت عن‬
‫ب تول ُّد صﻼبة الدِبس وبياضه ]‪٩٧‬ب[ عن‬ ‫ضربه وسوطه لوجوب وجوده عند‪95‬وجوده‪ ،‬ووجو ُ‬
‫جب الخبر المتواتر عن‬ ‫سماعه لوجوب وقوع العلم‪96‬ذلك‪ ،‬وتول ُّد ُ العلم في العقﻼء بمو َ‬
‫ب تول ُّد اﻹدراك في عين‬ ‫مخب َره عند سماعه‪ ،‬ووجو ُ‬ ‫فتحة الجفون‪ 98‬الصحيح البصر عن‪97‬ب َ‬
‫تذك ُّر‪ 100‬حتما ً تول ُّد العلم بالمنظور فيه عن لوجوب وجوده عند الفتح‪ .‬ويجب أيضا ً وجوبا ً‬
‫‪99‬‬

‫النظر لوجوب وجوده عند تذك ُّره‪ ،‬كما يجب تول ُّده عن ابتداء النظر لوجوب وقوعه عقيبه‪ .‬فﻼ‬
‫يجدون في ذلك طريقا ً وﻻ في شيء منه فصﻼ ً‪.‬‬
‫‪93‬‬ ‫من ﻻ يعلمه ممن ليس بعاقل‪ ،‬ويسمع المتواتَر من‬ ‫]‪ [٣٢‬فإن قالوا‪ « :‬قد ي ُدرِك الشيءَ َ‬
‫من ﻻ ي ُدرِك »‪ ،‬قيل لهم‪ :‬ما‬ ‫مخب َرها من البهائم وذوي النقص‪ ،‬ويفتح بصَره َ‬ ‫من ﻻ يعلم َ‬ ‫اﻷخبار َ‬
‫ً‬ ‫ّ‬
‫أنكرتم من أن يكون اﻹدراك والخبر وفتح اﻷجفان مولدا لمسبباته بشرط وجود العقل‬
‫وسماع الخبر وانضمامه إلى أمثال له‪ ،‬وأن يكون ]‪٩٨‬أ[ الفتح مول ّدا ً لﻺدراك بشرط صحة‬
‫البصر ؟ ﻷن المول ّد عندكم ليس بمول ّد لجنسه ونفسه حتى يجب أن ﻻ يوجد إﻻ مول ّدا ً‪ ،‬وإنما‬
‫جبا ً لحصوله في الوجود على وجه ومقارنته ﻷمور وشروط وزوال‬ ‫يكون مول ّدا ً وسببا ً مو ِ‬
‫جبة للحكم في استحالة إيقاف إيجابها له على‬ ‫ّ‬
‫الموانع من توليده‪ .‬وليس هو كالعلة المو ِ‬
‫شرط وامتناع مقارنتها ل ِما يمنع من حكمها‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬ولم يمتنع أن يكون الضرب‬
‫ة مول ّدةً للصوت بشرط‪101‬عندكم مول ّدا ً لﻸلم بشرط وجود‬ ‫الحياة في المضروب‪ ،‬والصك ّ ُ‬
‫ق مول ّدا ً لﻸلم بشرط كونه نافيا ً‬ ‫للصحة التي تحتاج الحياة إليها‪ ،‬وجود الصﻼبة‪ ،‬والتفري ُ‬
‫‪102‬‬

‫مكم ما قلنا في توليد ما‬ ‫ومتى لم تحصل ل ِما ذكرناه هذه الشروط لم يكن مول ّدا ً‪ ،‬فلزِ َ‬
‫َ‬
‫ألزمناكموه مول ّدا ً بشرط ما وصفناه‪ .‬وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬
‫رفه على ‪94‬‬ ‫]‪ [٣٣‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬ما أنكرتم أن يكون الفرق بين كون العبد فاعﻼ ً لتص ُّ‬
‫أصولكم ]‪٩٨‬ب[ ومحدثا ً له وبين كونه فاعﻼ ً للمتولد أن التصرف المباشر واقع من العبد مبتدأ ً‬
‫ٌ‬ ‫ُ ِ‬ ‫ّ‬ ‫ُ ِ‬
‫بغير سبب يوجبه‪ ،‬وهو مقصور على قصده ودواعيه وإرادته إن شاء َفعَل َه وإن شاء لم يفعله‪،‬‬
‫ع بحسب قُد َره في القل ّة والكثرة؛ وليس‬ ‫مخي َّر بين فعله وتركه وفعل ضد ّه‪ ،‬وأنه واق ٌ‬ ‫وأنه ُ‬
‫ل الواقع بعد السبب‪ ،‬ﻷنه ليس بتابٍع لقصده وﻻ مقصوٍر على إرادته وﻻ واقٍع بحسب‬ ‫ه ذ ه حا ُ‬
‫ّ‬
‫ر إلى وجوده إذا لم يكن المتولد حاﻻ ً فيه أو في بعض من أبعاضه‪ ،‬وﻻ هو قادٌر‬ ‫قُد َره وﻻ مفتق ٍ‬
‫شر فعﻼ ً‬ ‫ا‬
‫ُ ِ‬ ‫ب‬‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫و‬‫ك‬ ‫ي‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫ب‬‫ج‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ك‬ ‫ل‬ ‫ذ‬ ‫ك‬ ‫ك‬‫ل‬ ‫ذ‬ ‫ن‬ ‫ا‬‫ك‬ ‫ا‬ ‫ذ‬ ‫إ‬ ‫و‬ ‫؟‬ ‫ه‬ ‫ل‬ ‫ٌ‬
‫ئ‬ ‫د‬ ‫ت‬ ‫ب‬‫م‬ ‫ﻻ‬ ‫و‬ ‫ه‬ ‫ن‬‫ع‬ ‫ف‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫ص‬ ‫على تركه واﻻن‬
‫جبا متولدا عن سببه الذي هو مقصور عليه وبحسبه‪ ،‬وأن‬ ‫ً‬ ‫ً‬ ‫له ل ِما ذكرناه‪ ،‬وأن يكون المتولد مو َ‬
‫له على ما قاله ث ُمامة ومن ذهب إلى قوله ؟‪103‬ﻻ يكون فاعﻼ ً‬
‫]‪ [٣٤‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬ما أنكرتم أن يكون الفرق بين ]‪ ٩٩‬أ[ تعل ُّق المتولد بفاعل السبب ‪95‬‬

‫شر من التصّرف واقعٌ بحسب‪104‬وبين تعل ُّق السبب‬ ‫مبا ِ‬ ‫شر به أن ال ُ‬ ‫مبا ِ‬‫قصد الفاعل له‪ 105‬ال ُ‬
‫ع‪106‬ودواعيه وَقدر‬ ‫قُد َره بزعمكم‪ ،‬ﻻ بحسب شيء آخر يقارن صفات فاعله‪ ،‬والمتولد واق ٌ‬
‫بحسب السبب المول ّد له ؟ ولو كان أيضا ً مع ذلك واقعا ً بحسب قصد فاعل السبب ودواعيه‬
‫وقُد َره ‪ -‬وإن لم يكن كذلك ل ِما قد بي ّن ّاه من كونه واقعا ً بحسب السبب وتابعا ً له ‪ -‬لم يجب أن‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪261‬‬

‫يكون فعﻼ ً لفاعل السبب ﻷنه‪ ،‬وإن وقع بحسب قصد الفاعل وحسب دواعيه‪ ،‬فهو أيضا ً واقعٌ‬
‫مقارِن لقصده ودواعيه‪ .‬فإذا وقع بحسب شيئ َين‪،‬‬
‫بحسب شيء يقارن دواعيه وهو السبب ال ُ‬
‫لم يجز أن يكون متعلقا ً بأحدهما دون اﻵخر بل يجب تعلقه بهما جميعا على حد ّ واحد أو <‬
‫ً‬ ‫ُّ‬
‫كون ُه > غير متعلق بهما‪ .‬وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬
‫‪96‬‬ ‫غير ]‪ ٩٩‬ب[ متجدد ﻻ‪ [٣٥]107‬ويقال لهم‪ :‬تزعمون أن الواجب من اﻷحكام متجدد أو ﻻزم‬
‫يجوز أن ي ُعل َّل بعل ّة وﻻ أن ي ُعل َّق بفاعل‪ .‬ولذلك لم يجب عندكم تعلي ُ‬
‫ل تحي ُّزِ الجوهر عند‬
‫ل وجود‬ ‫ي من العلم والقدرة وغيرهما بمتعل َّقاتها عند وجودها‪ ،‬وتعلي ُ‬ ‫ق صفات الح ّ‬ ‫ُّ‬
‫وجوده‪ ،‬وتعل ِ‬
‫ق شيء من ذلك بفاعل يجعله كذلك لوجوب حصول هذه‬ ‫ل إذا حدث‪ ،‬وﻻ تعلي ُ‬ ‫العرض بالمح ّ‬
‫ل كون القديم حي ّا ً‬ ‫ً‬
‫الصفات للجواهر واﻷعراض عند وجودها‪ .‬ولذلك لم يجب أيضا عندكم تعلي ُ‬
‫قادرا ً عالما ً‪ ،‬لوجوب حصول هذه الصفات له‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬وكان السبب المول ّد متى‬
‫وُجد عندكم على وجه يوجب توليد َه ل ِما يول ّده وارتفاعَ الموانع من ذلك وجب توليده لمسببه‪،‬‬
‫ل يفعله‪ ،‬إذا كان مما يجب‪ 109‬لذلك أن ﻻ ي ُعل َّل وجود مسببه بعل ّةٍ‪108‬وجب‬ ‫عند وجوده وﻻ بفاع ٍ‬
‫حصوله عند حصول سببه وزوال الموانع من وقوعه‪ .‬وهذا يعود إلى غنى المسبب ]‪١٠٠‬أ[ عن‬
‫ل يفعله‪ .‬وﻻ مخلص من ذلك‪.‬‬ ‫عل ّةٍ توجبه وفاع ٍ‬
‫]‪ [٣٦‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬ويجب على اعتﻼلكم هذا أن يكون عظيم اﻷلم المعتاد وقوعه عند ‪97‬‬

‫لسب العقرب ولسع الحي ّة والزنبور متولدا ً عن يسير الوهي والتفريق الواقع باللسع‪ ،‬أو عن‬
‫يسير اعتماد الحي ّة والعقرب والزنبور على قول من زعم منكم أن اﻻعتماد هو المول ّد لﻸلم‬
‫دون الوهي‪ .‬فإن مّروا على ذلك‪ ،‬تركوا قولهم‪ .‬وإن أبوه < و>قالوا‪ « :‬إنما يتولد عن يسير‬
‫اﻻعتماد أو الوهي َقدٌر من اﻷلم يسيٌر‪ ،‬وإنما الزائد على ذلك من عظيم اﻷلم مبتدأ ٌ من فعل‬
‫الله تعالى بجري العادة بذلك »‪ ،‬قيل لهم‪ :‬فما أنكرتم أن يكون جميع اﻷلم وجميع ما ذكرتم‬
‫شر من أفعالكم بجري العادة ؟ وهذا ما‪110‬أنه متولد‬ ‫ً‬
‫مبا ِ‬
‫مبتدأ من فعل الله تعالى عند وجود ال ُ‬
‫فيه وﻻ مخرج‪ .‬ﻻ فصل لهم‬
‫‪111‬‬

‫‪98‬‬ ‫ب][‪ ]٣٧‬شبهة لهم أخرى [‪١٠٠‬‬


‫‪99‬‬‫قالوا‪ « :‬ويدل على ذلك أن ّا وجدنا الحوادث الواقعة بعد أسبابها واقعًة بحسب قُد َرنا على‬
‫وة‪ .‬وي ُبي ّن ذلك أنه يتعذر علينا حمل الثقيل من‬ ‫أسبابها في القل ّة والكثرة والضعف والق ّ‬
‫ف‬‫ق اﻷجسام إﻻ بمعونة غيرنا لنا‪ ،‬وأنه يخ ّ‬ ‫‪112‬‬
‫قد َر ويثقل ويش ّ‬ ‫علينا حمل الثقيل عند زيادة ال ُ‬
‫عند نقصانها‪ ،‬وأنه يمكننا حمل الثقيل < الذي > يتعذر علينا حمل ُه باليمين إذا استعن ّا على ذلك‬
‫ل ﻷحدهما إﻻ ببذل جهده واستفراغ‬ ‫ف على اﻻثن َين حمل الثقيل الذي ﻻ يستق ّ‬ ‫باليسار‪ ،‬ويخ ّ‬
‫وسعه‪ ،‬وأنه يتعذر علينا حمل الثقيل مع الضعف والمرض والدنف ويتأت ّى لنا مع الصحة‬
‫م أن حمل غيرنا من اﻷجسام وتحريكه موجود في غير حي ّزنا‪ .‬فإذا كان‬ ‫وة‪ .‬وقد عُل ِ َ‬ ‫وكمال الق ّ‬
‫شر من اﻷفعال ]‪113١١٠‬حدوثه واقعا ً بحسب قُد َرنا وتابعا ً لها‪ ،‬ثبت أنه‬ ‫ا‬
‫ُ ِ‬ ‫ب‬‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫فع ٌ‬
‫ل لنا‪ ،‬ك‬
‫الواقع بحسب ُقد َرنا يجب كونه فعﻼ ً لنا»‪ .‬أ[‬
‫‪114‬‬

‫وجود ‪100‬‬ ‫‪ [٣٨]115‬يقال لهم‪ :‬هذا باطل من وجوه‪ .‬أحدها أنكم ﻻ ت ُحوِجون الفعل في حدوثه إلى‬
‫قدرة عليه‪ ،‬وإنما يتعلق حدوثه بكون الفاعل قادرا ً دون وجود قدرة أو ُقد َر له تزيد وتنقص‬
‫ما حصلت له‬ ‫ل وتكثر‪ .‬ولذلك صحت اﻷفعال عندكم من الله تعالى وإن لم يكن ذا قدرة‪ ،‬ل ّ‬ ‫و تق ّ‬
‫ل القادر ليست بذات منفصلة تزيد وتنقص‬ ‫ل القادرين‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬وكانت حا ُ‬ ‫حا ُ‬
‫قد َر وزيادتها ونقصانها‪.‬‬ ‫ل وتكثر‪ ،‬سقط تعل ُّقكم بذكر ال ُ‬
‫و تق ّ‬
‫قد َر القادر ‪101‬‬ ‫]‪ [٣٩‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬كيف يسوغ أن يقال إن الحوادث تابعة في حدوثها ل َ‬
‫قدر ُ‬
‫مة على كثرة أفعال الله تعالى ونفي‬ ‫وة‪ ،‬مع إجماع اﻷ ّ‬ ‫عليها في القل ّة والكثرة والضعف والق ّ‬
‫ً‬
‫ما أن يكون قادرا لنفسه ﻻ بقدرة على ما‬ ‫النهاية عن مقدوراته واستحالة كثرة ُقد َره؟ ﻷنه إ ّ‬
‫قد َر وقل ّتها‬‫تقولونه‪ ،‬أو قادرا ً بقدرة واحدة على ما نذهب إليه‪ ،‬فكيف ]‪١١٠‬ب[ ت ُعتبر كثرة ال ُ‬
‫وتها ؟ فهذا أيضا ً ُ‬
‫مبط ِل ل ِما قلتم‪.‬‬ ‫بكثرة اﻷفعال وقل ّتها وضعفها وق ّ‬
‫ات ّفاقكم ‪102‬‬
‫ة ل ها ‪ ،‬م ع‬
‫قد َر عليها وكونها تابع ً‬
‫]‪ [٤٠‬ويقال لهم‪ :‬كيف يجوز اعتبار اﻷفعال بكثرة ال ُ‬
‫على أن العلم الواحد بالمعلوم الواحد على الوجه الواحد جزءٌ واحدٌ‪ ،‬وأنه متولد عن النظر‬
‫قد َر‬
‫قد َر كثيرة‪ ،‬وليس هو واقع بحسب ال ُ‬ ‫ضه على بعض والواقع ب ُ‬ ‫الكثير في الدليل المرت َّب بع ُ‬
‫على النظر ؟ وكذلك فإن عظيم اﻵﻻم والكثير منها الحادث عند لسع الزنبور والحي ّة ولسب‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪262‬‬

‫م‬‫قدر ُقد َر الزنبور على اللسع‪ .‬فكيف يسوغ مع <ذلك> الحك ُ‬ ‫العقرب أجزاٌء كثيرةٌ وليست ب َ‬
‫قد َر على أسبابها في القل ّة والكثرة ؟ وهذا نقض ظاهر ل ِما‬
‫بأن المتولدات واقعة بحسب ال ُ‬
‫قالوه‪.‬‬
‫لنا‪103 ،‬‬ ‫]‪ [١٤‬فإن قالوا‪ « :‬إذا ثبت < أن > ما ذكرناه من حمل الثقيل وتحريكه مقدوٌر وفع ٌ‬
‫ل‬
‫قد َر على‬ ‫ثبت بذلك أن جميع المتولدات مقدورة لنا وإن كان ]‪ 201‬أ[ فيها ما يزيد على َقدر ال ُ‬
‫قدَر على أسبابها‪ ،‬ثبت أن ذلك‬ ‫قدر ال ُ‬
‫أسبابها »‪ ،‬يقال لهم‪ :‬وإذا ثبت أن منها ما ليس بواقع ب َ‬
‫ل لنا ومقدوٍر من مقدوراتنا‪ ،‬وثبت بذلك أن جميع ما قلتم إنه متولد ليس بمقدوٍر لنا‬ ‫ليس بفع ٍ‬
‫ل من أفعالنا‪ .‬وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬ ‫وﻻ فع ٍ‬
‫]‪ [٢٤‬ويقال لهم أيضا ً‪ :‬إنكم قد أخطأتم وخل ّطتم في هذا اﻻستدﻻل تخليطا ً ظاهرا ً‪ .‬وذلك ‪104‬‬

‫أنكم مت ّفقون على أنه ﻻ يمكن أن ي ُعل َم أن القادر قادٌر على الشيء دون أن ي ُعل َم أوّﻻ ً أنه‬
‫ل له لوقوعه بحسب قصده ودواعيه‪ .‬وليست هذه حالُ‬ ‫ل له‪ ،‬وإنما ي ُعل َم بزعمكم أنه فع ٌ‬
‫فع ٌ‬
‫المتولد‪ ،‬ﻷنه يقع مع عدم فاعل السبب وموته وعدم قصده ودواعيه ومع كراهته له‪ .‬فإذا لم‬
‫ي ُعل َم أن المتولد فعل ُه‪ ،‬فكيف يصح أن ي ُعل َم أنه قادر عليه والعلم بكون الفعل فعﻼ ً لفاعله‬
‫متقدم على العلم بكونه ]‪١٠٢‬ب[ قادرا ً عليه ؟ ولذلك لم يجز أن تعلموا أن القادر على‬
‫شر قادر عليه حتى تعلموا‬ ‫مبا ِ‬
‫شر والمتولد في‪116‬ال ُ‬
‫مبا ِ‬
‫ل له‪ ،‬فيجب تساوي حال ال ُ‬ ‫ب َد ْيا ً أنه فع ٌ‬
‫هذا الباب‪ .‬وهذا ي ُبي ّن فساد ما قلتم‪.‬‬
‫فع ٌ‬
‫ل ‪105‬‬ ‫ل به على أنهما‬ ‫شر والمتولد في ما ي ُستد ّ‬ ‫مبا ِ‬
‫مساواة حال ال ُ‬ ‫]‪ [٣٤‬فإن قالوا‪ « :‬ﻻ تجب ُ‬
‫ً‬
‫شر مقدورا لفاعله قبل العلم بأنه فاعل‬ ‫مبا ِ‬
‫لفاعل السبب‪ ،‬ﻷجل أنه ﻻ يمكننا أن نعلم كون ال ُ‬
‫قد َرنا وتابعٌ لها قبل العلم بأنه فعلٌ‬‫عب ُ‬
‫له‪ ،‬وقد أمكننا أن نعلم أن حمل الجسم وتحريكه واق ٌ‬
‫للقادر‪ ،‬فإذا علمنا أنه قادر عليه علمناه بعد ذلك فعﻼ ً له‪ .‬وجرى ذلك في بابه مجرى افتراق‬
‫ل به على حدوثهما‬ ‫‪ .‬وذلك أنه ﻻ يمكننا أن‪117‬حال الجسم والعرض في ما يمكن أن ي ُستد ّ‬
‫ل على حدوث الجسم بصحة عدمه‪ ،‬ﻷنه ﻻ سبيل لنا إلى العلم بصحة عدمه وإنما يصح‬ ‫نستد ّ‬
‫ّ‬
‫بحدوثه‪ .‬فيصح ]‪ ١٠٣‬أ[ لنا أن نستدل على حدوث أن نعلم صحة عدمه بعد تقد ُّم علمنا‬
‫‪118‬‬

‫منا باستحالة عدم‬ ‫العرض بعدمه بعد وجوده ﻷننا قد علمنا عدمه بعد الوجود‪ ،‬وتقدَّم عل ُ‬
‫القديم‪ ،‬فاستدللنا بعدمه على حدوثه وإن لم تستقم هذه الدﻻلة في حدث الجسم‪ .‬وكذلك‬
‫شر والمتولد من اﻷفعال »‪.‬‬‫مبا ِ‬ ‫حا ُ‬
‫ل ال ُ‬
‫مقدور ‪106‬‬‫ي على أنكم قد علمتم أن حمل الحجر وتحريكه‬ ‫]‪ [٤٤‬فيقال لهم‪ :‬كﻼمكم هذا مبن ّ‬
‫م لكم أنه مقدور لكم‪ ،‬لم تجز المنازعة في أنه فع ٌ‬
‫ل‬ ‫ِّ‬
‫سل َ‬ ‫لكم‪ ،‬وفي نفس هذا ن ُوزِعتم؛ ولو ُ‬
‫م أنه فع ٌ‬
‫ل له‪ ،‬فأما قبل العلم بذلك‬ ‫ِ َ‬ ‫ل‬‫ُ‬ ‫ع‬ ‫ا‬ ‫ذ‬ ‫إ‬ ‫د‬ ‫ب‬ ‫ع‬‫ل‬ ‫ل‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫و‬ ‫د‬ ‫ق‬ ‫م‬ ‫من قدر عليه‪ .‬وإنما ي ُعل َم كون ذلك‬‫لِ َ‬
‫محال‪.‬‬
‫فإنه ُ‬
‫حمله ‪107‬‬‫قد َر‪ ،‬وتعذ ُّر‬
‫]‪ [٤٥‬فإن قالوا‪ « :‬إنما نعلم أنه مقدور لنا بتأت ّي حملنا له عند زيادة ال ُ‬
‫ّ‬
‫من سلم لكم أن ارتفاع‬ ‫علينا عند بطﻼنها ونقصانها »‪ ،‬يقال لهم‪ :‬أنتم في غفلة عن الصواب‪ .‬ف َ‬
‫ت لكم تارةً ومتعذر عليكم أخرى‪ ،‬مع ]‪ 301‬ب[ اﻻت ّفاق على أنه ﻻ يجوز‬ ‫الحجر وتحريكه متأ ٍّ‬
‫ل له ومن مقدوره‬ ‫تارةً وغير مقدور له أخرى ؟ أن يتأت ّى للفاعل ويتعذر عليه إﻻ ما هو فع ٌ‬
‫‪119‬‬

‫ت لكم تارةً ومتعذر أخرى‪ ،‬لقبحت مناظرتكم في‬ ‫فلو سل ّمنا أن حمل ما ليس في حي ّزكم متأ ٍّ‬
‫سب ْق العلم بأن ارتفاع‬ ‫ل لكم‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬بطل اد ّعاؤكم ب َ‬ ‫الثقيل‪120‬أن حمله فع ٌ‬
‫ل على‬‫ل لكم‪ ،‬وأنه بمثابة العلم بعدم العرض الدا ّ‬ ‫وتحريكه مقدور لكم قبل العلم بأنه فع ٌ‬
‫حدوثه‪ .‬وهذا واضح في إبطال ما ظن ّوه‪.‬‬
‫فــصـــل ‪108‬‬ ‫[‪]٤٦‬‬
‫جوارحكم ‪109‬‬ ‫قدَر في‬ ‫ويقال لهم‪ :‬ما أنكرتم من أن يكون ارتفاع الثقيل وتحريكه عند زيادة ال ُ‬
‫وامتناع ذلك عند عدمها ونقصانها مبتدأ ٌ من فعل الله تعالى بجري العادة‪ ،‬وأن تكونوا ﻻ‬
‫قد َر منكم فقط ؟ فما الدافع لهذا ؟ فإن قالوا‪« :‬‬ ‫تقدرون إﻻ على تحريك وتسكين في مح ّ‬
‫ل ال ُ‬
‫ﻷنه لو كان ذلك كذلك‪ ،‬لوجب ]‪ ١٠٤‬أ[ أن تختلف العادة في ذلك اختﻼفا ً ي ُعل َم به الفرق بين‬
‫ما يجب استمراره بجري العادة وبين ما يجب من طريق اللزوم بقضية العقل وطريق‬
‫م قلتم إنه ﻻ طريق ي ُفَرق به بين ذلك‬ ‫اﻹيجاب‪ ،‬وإﻻ التبست الحال في ذلك »‪ ،‬يقال لهم‪ :‬ول ِ َ‬
‫ما على الضرورة بأن المستمّر‬ ‫ً‬
‫إﻻ اختﻼف العادة ؟ وما أنكرتم أن يكون العلم بذلك موقوفا إ ّ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪263‬‬

‫بطريقة الوجوب وقضية العقل واجب استمراره‪ ،‬كاستحالة اجتماع الضدَّين وكون الجسم في‬
‫محد ِث‪ ،‬وتعل ُّقه بكونه حي ّا ً قادرا ً بدليل‬ ‫محد َث أبدا ً ب ُ‬
‫مكان َين معا ً؛ أو بدليل‪ ،‬كوجوب تعل ُّق ال ُ‬
‫مساويا لحدوث اﻷلم عند الضرب‪،‬‬ ‫ً‬ ‫ً‬
‫أوجب ذلك ؟ وإن كان استمرار ذلك فيهما متساويا‪ ،‬و ُ‬
‫سته واعتماد‬‫ّ‬ ‫ا‬ ‫م‬‫م‬‫ُ‬ ‫ع‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫ن‬‫ئ‬ ‫ا‬‫ض‬ ‫ع‬ ‫أ‬ ‫ي‬‫ف‬ ‫ر‬‫َ‬ ‫د‬ ‫ق‬
‫ُ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫وذهاب الجسم عند الدفع‪ ،‬وحركته وارتفاعه عند زيادة‬
‫ما ي ُعل َم بالعادة ارتفاعه عنده من تحريك جوارحنا ]‪ ١٠٤‬ب[ واﻻعتماد بها ؟ وكل ذلك مستمّر‬
‫على طريقة واحدة‪ ،‬فمنه واجب استمراره بقضية العقل ضرورية‪ ،‬ومنه واجب بدليله‪ ،‬ومنه‬
‫واجب بوضع العادة ﻻ بطريق الوجوب‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬بطل ما دفعتم به اﻹلزام‪.‬‬
‫]‪ [٤٧‬ويقال لهم‪ :‬أليس العادة أبدا ً مستمّرة ً في امتناع وقوف الحجر الثقيل على الج ّ‬
‫و ‪110‬‬

‫والهواء الرقيق من غير هبوطه ونزوله فيه ؟ فإذا قالوا‪ « :‬أجل‪ ،‬وﻻ بد ّ من ذلك »‪ ،‬قيل لهم‪:‬‬
‫و والهواء من غير هبوط‬ ‫فهل وجدتم العادة في هذا مختلفًة ووجدتم ثقيﻼ ً قط وقف على الج ّ‬
‫فيه ؟ فإذا قالوا‪ « :‬ﻻ »‪ ،‬قيل لهم‪ :‬فهل وجب‪ ،‬ﻷن العادة في ذلك غير مختلفة‪ ،‬القو ُ‬
‫ل بأ ن‬
‫جبات العقول‪ ،‬وأن الله تعالى ليس بقادر‪121‬وقوفه‬ ‫محال ومن مو َ‬ ‫سته له ُ‬
‫مما ّ‬
‫على الجوّ و ُ‬
‫ً‬ ‫ً‬ ‫ً‬
‫‪ ،‬كما وقف اﻷرض والماء ]‪ ١٠٥‬على أن يخلق فيه سكونا متتابعا مبتدأ في كل وقت يقف به‬
‫‪122‬‬

‫محال »‪ ،‬تركوا دينهم‪ ،‬وصاروا إلى نفي‬ ‫أ[ وما عليهما ﻻ على شيء ؟ فإن قالوا‪ « :‬أجل‪ ،‬ذلك ُ‬
‫النهاية عن أجسام العالم من جهة السفل‪ ،‬وظهر عجُزهم‪ .‬وإن قالوا‪ « :‬ﻻ يجب ذلك‪ ،‬وإنما‬
‫يمتنع وقوف الحجر الثقيل على الهواء والجّو ﻻ على شيء غير هابط وﻻ منحدر بجري العادة‬
‫ولتم عليه في أن ما يستمّر بجري‪123‬بذلك‪ ،‬وإن لم تختلف‬ ‫فيه »‪ ،‬قيل لهم‪ :‬فقد بطل ما ع ّ‬
‫العادة يجب أن تختلف فيه‪ .‬وﻻ جواب لهم عن شيء من ذلك‪.‬‬
‫فــصـــل ‪111‬‬ ‫[‪]٤٨‬‬
‫وشعره ‪112‬‬ ‫وقد استدل ّوا أيضا ً على وجوب القول بالتول ّد بأن « اﻹنسان يفعل في عظمه ودمه‬
‫ة به‪ ،‬من‬‫الحركات واﻻعتمادات وإن لم تكن هذه اﻷشياء من جملة اﻹنسان‪ ،‬وإن كانت مت ّصل ً‬
‫ي وﻻ متأل ّم ً‬
‫ة وﻻ ملتذ ّة ً‪ .‬وﻻ فرق بين أن يفعل في ما ليس من‬ ‫حيث لم تكن من جملة الح ّ‬
‫جملته مما هو مت ّصل به أو منفصل عنه‪ .‬فثبت بذلك أن الفاعل منا قد يفعل < في غيره >»‪.‬‬
‫]‪ ١٠٥‬ب[‬
‫رك ‪113‬‬‫ك أنه ليس من جملة اﻹنسان‪ ،‬فإذا تح ّ‬‫]‪ [٤٩‬وهذا أيضا ً باطل‪ .‬فأما الدم والشعر فﻼ ش ّ‬
‫ل الله فيهما الحركة بجري العادة‪ ،‬كما يفعلها في الطعام والشراب الذي في جوف‬ ‫فَعَ َ‬
‫وليست من جملته‪124‬اﻹنسان عند حركته‪ ،‬وكما يفعل الحركة في الرطوبات التي في بدنه‬
‫عند تحُّركه بجري العادة‪ .‬فأما العظم فقد اخت ُلف فيه‪ .‬فقيل هو من جملة اﻹنسان وإنه يلذ ّ‬
‫س‪ ،‬و<هو > كالعصب في هذا الباب‪ .‬فإن كان كذلك‪ ،‬فإنه يحّركه اﻹنسان بقدرة فيه‬ ‫ح ّ‬ ‫و يأ ل م و ي ُ ِ‬
‫دون قدرة في غيره منه‪ .‬فإن لم يكن كذلك‪ ،‬فالله تعالى يبتدئ الحركة فيه عند تحُّرك ما‬
‫يجاوره من اللحم والعصب‪ ،‬فبطل بذلك ما ظن ّوه‪ .‬وﻻ يجوز أن يقال في هذا إنه « يجوز أن‬
‫قل إن الفاعل هو الجملة‪ ،‬في ما ليس من جملته‬ ‫ضه القادرةُ إذا لم ي ُ َ‬ ‫يفعل اﻹنسان‪ ،‬أو أبعا ُ‬
‫ل القدرة‪ ،‬وﻻ يصح ]‪ ١٠٦‬أ[ أن يفعل بها في ما‬ ‫مجاوِرا ً لمح ّ‬ ‫ُ‬ ‫ن‬ ‫ا‬ ‫ك‬ ‫ا‬ ‫ذ‬ ‫إ‬ ‫ه‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫وفي غير مح ّ‬
‫ل ا لق د ر ة‬
‫مجاوِر له »‪ ،‬ﻷنه ﻻ معتب َر بالمجاورة في هذا الباب وإنما المعتب َر باستحالة فعل الفاعل‬ ‫ليس ب ُ‬
‫سب هذا القول‬ ‫ن‬‫ي‬ ‫ن‬‫م‬
‫ّ َ ُ َ‬ ‫ه‬‫ن‬ ‫ظ‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ز‬ ‫ف‬ ‫‪.‬‬‫ه‬ ‫ن‬‫ع‬ ‫ل‬ ‫ص‬ ‫ف‬ ‫ن‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫أ‬ ‫ه‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫ص‬ ‫ّ‬ ‫ت‬ ‫ا‬ ‫ً‬ ‫ء‬ ‫ا‬‫و‬ ‫س‬ ‫‪،‬‬ ‫ه‬ ‫ت‬ ‫ر‬ ‫د‬ ‫ق‬ ‫ل‬‫ّ‬ ‫ح‬ ‫م‬ ‫ر‬ ‫ي‬ ‫غ‬ ‫ي‬ ‫شيئا ً ف‬
‫ق‪.‬‬
‫إليه من أهل الح ّ‬
‫]‪ [٥٠‬واستدل ّوا أيضا ً على كون الفاعل فاعﻼ ً في غيره بوجوب الدية والقصاص والحدود ‪114‬‬

‫وقطعه ليده‪ ،‬وذلك جزاءً ل ِما فعله في الغير‪125.‬على قتل اﻹنسان لغيره‬
‫تعب ُّدا ً‪115‬‬‫ل في غيره‪ [٥١]126‬وهذا باطل‪ ،‬ﻷننا إنما نوجب ذلك عليه‬ ‫ومن جهة السمع‪ ،‬ﻻ ﻷنه َفعَ َ‬
‫ل في نفسه ما أجرى الله تعالى العادة بفعل الموت والقطع واﻵﻻم عنده‪.‬‬ ‫شيئا ً لكن ﻷنه َفعَ َ‬
‫م أجرة التعليم‬ ‫معل ِّ ُ‬ ‫وكذلك سبيل إعطائنا اﻷجر على اﻷبنية والنساجة والصياغة‪ .‬وقد ي ُعطى ال ُ‬
‫أو ترك فعل شيء فيه من العلوم‪ .‬وي ُعطى‪ 128‬إذا لم ي ُعل ِّم‪ ،‬ﻻ ﻷنه فعل شيئا في المتعلم وي ُذ َ ّ‬
‫م‬ ‫‪127‬‬ ‫ً‬
‫حد ّ القاذف‬ ‫ط الدِبس وضارب ُه أجرته إذا صار ]‪ ١٠٦‬ب[ ناطفا ً‪ ،‬ﻻ ﻷنه فعل بياضه وصﻼبته‪ .‬وي ُ َ‬ ‫سائ ُ‬
‫ق التعب ّد والشرع‪،‬‬ ‫ً‬
‫على قذفه وشتمه‪ ،‬ﻻ ﻷنه فعل شيئا في المقذوف‪ .‬وكل ذلك مفعول بح ّ‬
‫فزال ما قالوه‪.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪264‬‬

‫]‪ [٥٢‬واستدل ّوا أيضا ً على ذلك بات ّفاق الكل من أهل اللغة على تسمية اﻹنسان قاتﻼ ً‪116‬‬
‫ة و‪،‬سكونا ً‬ ‫وقاطعا ً وضاربا ً ومحّركا ً ومسك ّنا ً وحامﻼ ً‪ ،‬فوجب أن يكون فاعﻼ ً في غيره حرك ً‬
‫وضربا ً وشيﻼ ً‪.‬‬
‫ودفع ‪117‬‬ ‫صف بأنه قتل وتحريك‬ ‫موه بذلك لفعله في نفسه ما يو َ‬ ‫]‪ [٥٣‬وهذا باطل‪ ،‬ﻷنه إنما س ّ‬
‫إذا خلق الله تعالى عنده ما يوجب تسميته بذلك‪ ،‬ﻷن حركات الجواهر واعتماداتها ليست‬
‫صف بهذه الصفات لنفسها وجنسها لكن ﻷجل ما يقارنها من أفعال الله تعالى من الموت‬ ‫تو َ‬
‫مى أكﻼ ً ولطما ً إذا صادفت وجها ً وطعاما ً‪ .‬وﻻ‬
‫ّ‬ ‫س‬‫ُ‬ ‫ت‬ ‫ا‬‫م‬‫ك‬ ‫‪،‬‬‫ك‬‫ل‬‫ذ‬ ‫ر‬ ‫ي‬‫غ‬ ‫و‬ ‫ف‬ ‫ي‬‫ل‬ ‫أ‬‫ت‬‫ل‬‫ا‬‫و‬ ‫ق‬ ‫ي‬ ‫ر‬‫ف‬‫ت‬‫ل‬‫ا‬‫و‬ ‫ص‬ ‫ق‬‫والن‬
‫ً‪129‬‬
‫إلى اعتقاد كونه فاعﻼ يمتنع أن يكون أهل اللغة ]‪ ١٠٧‬أ[ إنما وصفوا اﻹنسان بذلك لسبقهم‬
‫ف وتفريقا ً وموتا ً وحمﻼ ً‪ ،‬وذلك غلط منهم في اﻻعتقاد دون وضع‬ ‫ة وسكونا ً وتألي ً‬ ‫في غيره حرك ً‬
‫ما‬
‫اﻻسم‪ ،‬واﻻعتقادات والمعاني غير مأخوذة منهم‪ .‬ويجري ذلك مجرى تسميتهم اﻷصنام آلهًة ل ّ‬
‫ق لها العبادة‪،‬‬ ‫ضّر والبلوى وتح ّ‬
‫اعتقدوا فيها أنها تضّر وتنفع وتخلق وترزق وتقدر على كشف ال ُ‬
‫وهذا اﻻعتقاد منهم فيها غلط دون تسميتهم‪.‬‬
‫ّ‬
‫ولون عليه في إيجاب القول بالتولد قد أتينا على إبطاله بحمد الله ومن ّه‪118 .‬‬ ‫هذا جملة ما يع ّ‬
‫القدرية ‪119‬‬
‫باب ذكر اختﻼف‬
‫شر ومتولد‬
‫مبا ِ‬
‫في وصف الفعل بأنه ُ‬
‫بغير ‪120‬‬ ‫شر أنه « الواقع من فاعله‬ ‫]‪ [٥٤‬قال الجمهور منهم إن معنى وصف الفعل بأنه ُمبا ِ‬
‫ل ا لق د ر ة‬‫سبب ]‪ ١٠٧‬ب[ يول ّده »‪ .‬وقال بعضهم إنه « الموجود في نفس القادر عليه وفي مح ّ‬
‫عليه »‪ .‬وكل هذه الحدود باطلة على أصولهم‪ ،‬ﻷنه لو كان حدّه أنه « الواقع من فاعله بغير‬
‫ة منه بغير سبب‬ ‫شرة إذا كانت واقع ً‬ ‫سبب يول ّده »‪ ،‬لوجب وصف أفعال القديم بأنها ُمبا ِ‬
‫يول ّدها‪ ،‬وإذا بطل ذلك بطل هذا الحد ّ‪ .‬وكذلك حد ّهم له بأنه « ما وُجد في نفس القادرعليه »‬
‫باطل‪ ،‬ﻷن المتولد عن النظر عندهم موجود في نفس القادر عليه كالنظر وفي مح ّ‬
‫ل ا لق د ر ة‬
‫ل القدرة عليه‬ ‫شر بل متولد‪ .‬وكذلك إن قالوا إنه « المفعول في مح ّ‬ ‫مبا ِ‬
‫على النظر‪ ،‬وليس ب ُ‬
‫جع الحجر إلى‬ ‫ل القدرة‪ .‬وكذلك ترا ُ‬‫»‪ ،‬بطل ذلك ﻷن < المتولد عن > النظر مفعول في مح ّ‬
‫ل القدرة عليه وهو متولد وغير‬ ‫ف اﻹنسان وتحريكه له عند الصك ّة موجود ومفعول في مح ّ‬ ‫ك ّ‬
‫شر‪ .‬فبطلت هذه الحدود على أوضاعهم‪ ١٠٨] .‬أ[‬ ‫مبا ِ‬
‫ُ‬
‫»‪121 ،‬‬
‫]‪ [٥٥‬وأولى حدودهم بالصحة قول من قال منهم‪ :‬حد ّه أنه « ما يبتدئه القادر بالقدرة‬
‫ﻷن المتولد ليس بمبتدأ بالقدرة بل مفعول عندهم بسبب وواسطة‪ .‬وكذلك حركة اليد عند‬
‫جع الحجر إليها‪.‬‬
‫تر ا ُ‬
‫وهذا ‪122‬‬ ‫شر أنه « ما وقع عن غير مقد ّمة وسبب يوجبه »‪.‬‬
‫مبا ِ‬
‫جب ّائي أن حد ّ ال ُ‬
‫]‪ [٥٦‬وزعم ابن ال ُ‬
‫شر لوجوده بغير‪130‬باطل‪ ،‬ﻷنه يوجب وصف فعل القديم الذي يبتدئه عن غير سبب بأنه‬ ‫مبا ِ‬
‫ُ‬
‫مقد ّمة‪ ،‬وهذا باطل بات ّفاق‪ .‬فبطل ما قالوه‪.‬‬
‫المتولد ‪123‬‬ ‫د‬
‫القول في اختﻼفهم في ح ّ‬
‫اﻷفعال ‪124‬‬ ‫ل بغيره من‬ ‫]‪ [٥٧‬وأولى حدودهم للمتولد بالصحة قول من قال منهم إنه « ما فُعِ َ‬
‫ل بغيره من اﻷفعال »‪ ،‬دخل فيه‬ ‫»‪ ،‬على نظر في هذا أيضا ً‪ .‬وإذا قالوا‪ :‬حد ّ المتولد أنه « ما ُفعِ َ‬
‫ل ]‪ 108‬ب[ القدرة عليه وما ُوجدما في حي ّز اﻹنسان و<ما > في غير حي ّزه‪،‬‬ ‫وما ُوجد في مح ّ‬
‫‪ ،‬وما ُوجد مع سببه وما ُوجد بعده بوقت ووقت َين وأوقات‪ ،‬وما وقع مع القصد إليه متعد ّيا ً عنه‬
‫‪131‬‬

‫ومع السهو عنه‪ ،‬وما له ضد ّ منه وما ﻻ ضد ّ له‪ ،‬وما يمكن فعل ضد ّه وما ﻻ يمكن ذلك فيه‪ .‬وﻻ‬
‫ل بغيره‬ ‫‪132‬بد ّ من زيادة في هذا الحد ّ أيضا ً وإﻻ انتقض‪ ،‬وهي أن يقال إن حدّ المتولد « ما فُعِ َ‬
‫شر متولدا ً ﻷنه‬ ‫مبا ِ‬
‫قل ذلك‪ ،‬وجب أن يكون ال ُ‬ ‫من اﻷفعال الواقعة من فعل فاعله »‪ .‬ومتى لم ي ُ َ‬
‫واقع بفعل غيره‪ ،‬وهي القدرة عليه ﻷنها فعل غيره‪ .‬فإذا قيل « ما وقع بفعل غيره من فعل‬
‫فاعله »‪ ،‬سلم الحد ّ‪ .‬وهذا واجب‪ ،‬وقد أغفله الكل منهم !‬
‫فــصــــل ‪125‬‬ ‫[‪]٥٨‬‬
‫اﻹسكافي ‪126‬‬ ‫في حد ّه‪ « :‬إنه كل فعل أمكن وقد اختلفوا في حد ّ المتولد من اﻷفعال‪ .‬فقال‬
‫‪133‬‬

‫وقوعه على الخطأ دون العمد والقصد إليه‪ ،‬وإن كل فعل ﻻ يمكن ]‪ ١٠٩‬أ[ أن يقع إﻻ مع‬
‫اﻹرادة له والقصد إليه فإنه غير متولد»‪ .‬وهذا باطل من قوله‪ ،‬ﻷن ما وقع بسبب يوجبه‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪265‬‬

‫فواجب كونه متولدا ً‪ ،‬خطأ ً كان الفعل أم عمدا ً‪ ،‬ولذلك تتولد الحركات واﻻعتمادات عندهم‬
‫من فعل الساهي والنائم‪ .‬وكذلك فقد يقع عندهم بالعمد والقصد وتجديد العزم على إيقاعه‬
‫ما هو متولد‪ ،‬وهو الكﻼم الموجود في الجّو جزءا ً بعد جزء‪ ،‬ﻷنه متولد عن حركات الفم وآلة‬
‫أسباب الكﻼم‪ ،‬فبطل ما قالوه‪.‬‬
‫]‪ [٥٩‬وقال بعضهم‪ « :‬حد ّه أنه الفعل الموجود أو الواقع بسبب من ّي في غير حي ّزي »‪ .‬وهذا ‪127‬‬

‫ل النظر منه والقدرة عليه‪ .‬وكذلك‬ ‫أيضا ً باطل‪ ،‬ﻷن العلم متولد في نفس اﻹنسان وحي ّزه ومح ّ‬
‫جع الحجر إليها بعد الصك ّة متولدةٌ وهي في حي ّز اﻹنسان‪ .‬حركة اليد المتولدة عن‬
‫‪134‬‬
‫تر ا ُ‬
‫]‪ [٦٠‬وقال بعضهم‪ « :‬حد ّه إنه الفعل الذي أوجبه ]‪ ١٠٩‬ب[ سببه فخرج عن إمكان تركه‬
‫»‪128 .‬‬

‫وهذا أيضا ً باطل‪ ،‬ﻷن من المتولدات ما ﻻ ترك له‪ ،‬كالتأليف المتولد عن المجاورة والتأليف ﻻ‬
‫ضد ّ له‪ .‬وﻷجل أن من المتولدات من فعل الله تعالى‪ ،‬عند القائل بذلك منهم‪ ،‬ما يقدر القديم‬
‫ل سببه المول ّد له‪ ،‬ﻷنه عندهم قادر على تسكين الحجر الثقيل‬
‫تعالى على فعل ضد ّه وإن فَعَ َ‬
‫مع فعل اﻻعتماد فيه المول ّد للحركة‪ .‬فبطل هذا القول على هذا اﻷصل‪.‬‬
‫وهذا ‪129‬‬‫مرادي‪ ،‬كاﻷلم الذي يلي الضربة »‪.‬‬ ‫]‪ [٦١‬وقال بعضهم‪ « :‬حد ّه أنه الفعل الذي يلي ُ‬
‫أيضا ً باطل‪ ،‬ﻷنه قد يكون المتولد موجودا ً مع وجود سببه ومع اﻹرادة له‪ ،‬كحركة الخاتم في‬
‫حال حركة اليد المول ّدة لها ومع اﻹرادة لها‪ .‬وقد يكون المتولد ثانيا ً وثالثا ً ويكون عاشرا ً إذا‬
‫كثر‪ ،‬كإصابة السهم الغرض بعد أوقات عن وجود سببه‪.‬‬
‫أ[ ‪130‬‬
‫« حد ّه أنه الفعل الثالث بعد وجود اﻹرادة والسبب »‪ .‬وهذا‪ [٦٢]135‬وقال بعضهم‪١٠١] :‬‬
‫باطل‪ ،‬ﻷن العلم موجود ثاني النظر وعقيبه وإن كان متولدا ً عن ثالث‪ .‬وﻷنه قد يكون المتولد‬
‫موجودا ً مع سببه وفي حاله‪ ،‬نحو ما ذكرناه‪ ،‬فبطل هذا الحدّ أيضا ً‪ .‬وﻷن الله تعالى يفعل‬
‫عندهم اﻷلم في حال الوهي متولدا ً عنه‪ ،‬والتأليف في حال المجاورة متولدا ً عنها‪ ،‬وليس ذلك‬
‫ن وﻻ ثالث‪ .‬فزال ما قالوه‪.‬‬
‫بثا ٍ‬
‫باب ذكر اختﻼفهم في المول ّد للفعل ما هو‪131 :‬‬

‫أهو السبب أو فاع ُ‬


‫ل ا ل سبب ؟‬
‫فاعل ‪132‬‬ ‫جب للفعل دون‬ ‫]‪ [٦٣‬زعم السلف منهم والجمهور أن المول ّد هو السبب‪ ،‬وهو المو ِ‬
‫ل السبب‪ ،‬ﻷنه فاعل ما أوجب وجود‬ ‫جب ّائي‪ « :‬بل المول ّد هو ]‪ ١٠١‬ب[ فاع ُ‬ ‫السبب‪ .‬وقال ابن ال ُ‬
‫ل السبب المولدّ‬ ‫جب للفعل على الحقيقة هو فاع ُ‬ ‫جب ّائي وأبوه إن المو ِ‬ ‫المتولد »‪ .‬وقال ابن ال ُ‬
‫جب للفعل هو السبب دون فاعله‪ ،‬ولو لم يكن‬ ‫ِ‬ ‫و‬‫م‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ﻷ‬ ‫‪،‬‬ ‫ل‬ ‫ط‬ ‫ا‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫و‬‫ق‬ ‫له دون السبب‪ .‬وهذا ال‬
‫ً‬ ‫ً‬
‫السبب وكان الفاعل لم يجب الفعل ولم يتولد‪ ،‬ولو كان السبب معدوما والفاعل موجودا لم‬
‫جب المول ّد على أصولهم‪ .‬ولو كان المول ّد‬ ‫يوجد المسبب‪ .‬فوجب أن يكون السبب هو المو ِ‬
‫ي حي ّا ً‬ ‫ن الح ّ‬ ‫جب للحال وكو ِ‬ ‫للفعل هو فاعل السبب ﻷنه فاعل لسببه‪ ،‬لوجب أن يكون المو ِ‬
‫عالما ً قادرا ً هو فاعل الحياة والعلم والقدرة دون < الحياة و< العلم والقدرة ﻷنه الفاعل ل ِما‬
‫ما لم يكن ذلك كذلك‪ ،‬بطل ما قاﻻ جميعا ً في المول ّد‬ ‫جب‪136.‬أوجب الحال‪ .‬فل ّ‬ ‫والمو ِ‬
‫فــصـــل ‪133‬‬
‫ّ‬
‫ذكر اختﻼفهم في اﻷسباب المولدة [‪ ١١١‬أ]‬
‫لهما ‪134‬‬ ‫جب ّائي وغيره منهم أن جميع اﻷسباب المول ّدة ثﻼثة أسباب‪ :‬سببان منها‬ ‫]‪ [٦٤‬زعم ال ُ‬
‫ة ويول ّدان في جهتهما‪ ،‬وهما الحركة واﻻعتماد ﻷنهما يولدان اﻷكوان واﻻعتمادات في‬
‫ّ‬ ‫جه ٌ‬
‫جهتهما؛ والضرب الثالث النظر الموجود بالقلب وهو مول ّد في محل ّه وإنه ﻻ جهة له‪.‬‬
‫]‪ [٦٥‬وقال ابنه إن المول ّد من جملة الحوادث أربعة أشياء‪ :‬اﻻعتماد والمجاورة والوهي ‪135 -‬‬

‫وهو التفريق النافي للصحة التي تحتاج إليها الحياة ‪ -‬والنظر المول ّد للعلم في محل ّه؛ وإن‬
‫الحركة ﻻ ت ُول ِّد شيئا ً في محل ّها وﻻ في غير محل ّها وإنه ﻻ جهة لها؛ وإن اﻻعتماد له جهة يول ّد‬
‫؛ وإن المجاورة ت ُول ِّد التأليف الواحد في المتجاوَرين؛ والوهي يول ّد اﻷلم‪137.‬بها في غير محل ّه‬
‫قال‪ » :‬والدليل على أن الحركة ﻻ جهة لها أنه لو كان لها جهة كما أن اﻻعتماد له جهة‪ ،‬لوجب‬
‫ص صفاتهما كونهما في‬
‫أن تكون من جنس اﻻعتماد إذا كانا في جهة ]‪ ١١١‬ب[ واحدة‪ ،‬ﻷن أخ ّ‬
‫م اختﻼفهما »‪.‬‬‫تلك الجهة ﻷنفسهما‪ ،‬وقد عُل ِ َ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪266‬‬

‫ي ُعل َّل‪136 .‬‬


‫صينا الكﻼم عليهم في ذلك في نقض النقض وفي كتاب ما ي ُعل َّل وما ﻻ‬ ‫و قد ت ق ّ‬
‫ف من ّا إذا شرعنا فيه‪ ،‬لقيام الدليل على إبطال‬ ‫ُّ‬ ‫ٌ‬
‫والكﻼم في هذه الفروع ساقط عن ّا وتكل ٌ‬
‫ة‪ ،‬فزال الكﻼم في فروعه‪.‬‬ ‫القول بالتول ّد جمل ً‬
‫عل له‪138،‬باب ذكر اختﻼفهم في المتول ّد ‪137‬‬ ‫عل أم ﻻ فا ِ‬‫‪ :‬هل ل ه ف ا ِ‬
‫؟ ‪138‬‬ ‫عل ُه إن كان له فا ِ‬
‫عل‬ ‫من فا ِ‬
‫و َ‬
‫عداها ‪139‬‬ ‫]‪ [٦٦‬زعم ث ُمامة بن أشرس أنه ﻻ فعل لﻺنسان سوى اﻹرادة فقط‪ ،‬وأن جميع ما‬
‫محد ِث له وإنما ي ُضاف إلى اﻹنسان مجازا ً وات ّساعا ً‪ .‬وهذه ]‪١١٢‬‬ ‫محد َث ﻻ ُ‬ ‫من تصُّرف اﻹنسان ُ‬
‫أ[ الحكاية عنه زائدة على المشهور من قوله إن المتولد في غير حي ّز اﻹنسان حدث ﻻ من‬
‫مر أن جميع المتولدات فعل لﻸجسام بطباعها‪ ،‬وكذلك قوله في جميع‬ ‫مع َّ‬
‫محد ِث‪ .‬وزعم ُ‬
‫ُ‬
‫اﻷعراض الموجودة بالحيوان والموات‪ ،‬وزعم أنه ﻻ فعل لﻺنسان إﻻ اﻹرادة فقط‪ .‬وزعم‬
‫ل لﻺنسان بطبعه وليس باختياري‪ ،‬وأنه ﻻ يقع منه فعل باختيار‬ ‫الجاحظ أن ما بعد اﻹرادة فع ٌ‬
‫إﻻ اﻹرادة فقط‪ .‬وقال النظ ّام إن كل ما جاوز حي ّز اﻹنسان ووُجد بغيره فإنه فعل لله عز وجل‬
‫ٌ‬
‫ب احترق‪،‬‬ ‫ح فيها الحط ُ‬ ‫وحده بإيجاب خلقة الجسم‪ ،‬وإن الله تعالى خلق النار خلقًة إذا ط ُرِ َ‬
‫حكي عن بعض القدرية أنه ﻻ فعل لﻺنسان إﻻ‬ ‫وطبع الحجر طبعا ً يوجب ذهابه إذا د ُفِعَ‪ .‬و ُ‬
‫مراد‪ .‬وقال بعضهم‪ ١١٢] :‬ب[ ليس يفعل‬ ‫الفكر والروي ّة فقط‪ ،‬وأنه ﻻ يفعل اﻹرادة وﻻ ال ُ‬
‫الروي ّة‪ ،‬وإنما يفعل الفكر فقط‪.‬‬
‫مر والنظام وقول من قال إنه ﻻ يفعل إﻻ ‪140‬‬ ‫ّ‬ ‫مع َّ‬‫]‪ [٦٧‬والذي يدل على فساد قول ث ُمامة و ُ‬
‫ة بين حركة‪139‬الفكر فحسب‬ ‫ما ذكرناه في باب خلق اﻷعمال من وجود المرء نفسه مفّرق ً‬
‫سا ً‪140‬اﻻضطرار وحركة اﻻكتساب وبين المشي والجّر‬ ‫ح ّ‬
‫والدفع والسحب‪ ،‬ووجوده لذلك ِ‬
‫واضطرارا ً‪ .‬وقد بي ّن ّا هناك وفي نقض النقض وكتاب أحكام تصُّرف العباد أن هذا الفرق‬
‫مقعَد وبين الجذب وبين الصعود‬ ‫الموجود في النفس بين الحركت َين وبين سكون القاعد وال ُ‬
‫سب وجنسه > و< ﻻ نفس الكسب وجنسه وﻻ صفة‬ ‫سل َّم ليس هو نفس المكت ِ‬
‫في الدرجة وال ُ‬
‫ترجع إلى نفسه وﻻ وجود العلم بها وﻻ اﻹرادة لها وﻻ تتاب ُع حدوثها عند اﻹرادة لها‪ ،‬ﻷن جميع‬
‫هذه الصفات حاصلة ل ِما ليس بكسب لﻺنسان وﻻ على صفة الكسب‪ .‬فبان بذلك أن الكسب‬
‫]‪ ١١٣‬أ[ إنما يفارق الضروري بوجود القدرة عليه وكون َمن وُجد به قادرا ً عليه ومختارا ً له‪ .‬ولو‬
‫محد ِث له وﻻ له تعل ُّق بالعبد‪ ،‬لم‬ ‫يحصل له هذا‪141‬كان ضرورةً فيه وواقعا ً بالطبع‪ ،‬أو حدث ﻻ ُ‬
‫ما بطل ذلك‪،‬‬ ‫الفرق ولجرى مجرى ما يوجد به من اﻷعراض التي ﻻ تعل ُّق لها به من وجه‪ .‬ول ّ‬
‫ثبت أن الحركات واﻻعتمادات والسكون قد تكون كسبا ً للعبد كما تكون اﻹرادة كسبا ً له‪.‬‬
‫وأفعال ‪141‬‬‫ن اﻹنسان فاعﻼ ً لحركاته وسكونه‬ ‫]‪ [٦٨‬هذا على أن الظاهر من هذه الدﻻلة كو ُ‬
‫جوارحه دون اﻹرادة وسائر أفعال قلبه‪ ،‬ﻷننا ﻻ نفرق بين ما يوجد بقلوبنا من اﻹرادات‬
‫واﻷفكار والخواطر الضرورية والكسبية ﻻلتباس الحال علينا في ذلك‪ ،‬وإنما يظهر لنا الفرق‬
‫سل َّم وبين البطش الواقع باختيار وبين‬
‫بين القعد والقعود والسقوط والنزول في الدرجة وال ُ‬
‫مى‪ .‬وإذا ]‪ ١١٣‬ب[ كان ذلك كذلك‪ ،‬كان القول بأن اﻹنسان غير فاعل‬ ‫ح ّ‬
‫حركة الفالج وال ُ‬
‫لﻺرادة وشيء من صفات القلوب أظهر وأقرب من القول بأنه < غير > فاعل للحركات‬
‫والسكون‪ .‬ويقال لهم‪ :‬د ُلوا على أن العبد فاعل لﻺرادة بشيء ﻻ يمكن أن ي ُد َل به على أنه‬
‫فاعل للسكون والحركة ! فﻼ يجدون إلى ذلك طريقا ً‪.‬‬
‫الفكر ‪142‬‬ ‫ت من أنه ﻻ يفعل إﻻ‬
‫]‪ [٦٩‬ويقال لمن قال إن اﻹنسان ﻻ يفعل إﻻ اﻹرادة‪ :‬ما أنكر َ‬
‫مراد ؟ ونعارض أصحاب الفكر بقول أصحاب اﻹرادة‪ ،‬فﻼ‬ ‫والروي ّة وﻻ يفعل اﻹرادة وﻻ ال ُ‬
‫يجدون لذلك مدفعا ً‪.‬‬
‫الفكر ‪143‬‬
‫قين‪ :‬ما أنكرتم من أن اﻹنسان ﻻ يفعل إﻻ الداعي إلى فعل‬ ‫]‪ [٧٠‬ويقال لهذ َين الفري َ‬
‫مراد ؟ ﻷنه إنما تقع اﻹرادة عند وجود الداعي‪ ،‬فالداعي فقط هو الذي يفعله‬ ‫دون اﻹرادة وال ُ‬
‫ف ]‪ ١١٤‬أ[ عن اﻹرادة‪.‬‬
‫مراد صار ٌ‬
‫ُ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ع‬ ‫ف‬ ‫ر‬ ‫ا‬‫ص‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫ل‬ ‫ب‬‫ج‬ ‫و‬ ‫ي‬ ‫ع‬‫ا‬ ‫د‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫ﻷ‬ ‫‪،‬‬ ‫د‬ ‫ا‬ ‫ر‬‫م‬‫دون اﻹرادة وال ُ‬
‫فالداعي هو اﻷصل‪ .‬فﻼ يجدون في ذلك فرقا‪ً.‬‬
‫منه ‪144‬‬ ‫منا بتأت ّي اﻷكساب‬ ‫]‪ [٧١‬ومما يدل على أن العبد مكتسب للحركات واﻻعتمادات عل ُ‬
‫والتصّرف والبطش عند وجود القدرة وتعذ ُّر ذلك عليه عند عدمها وعند الضعف والمرض‪ .‬ولو‬
‫سب قادرا ً‪ ،‬ﻻستوت في ذلك حا ُ‬
‫ل ا ل ق ا در و حا ُ‬
‫ل ا ل مر يض‬ ‫لم يكن لكونه كسبا ً تعل ُّق بكون المكت ِ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪267‬‬

‫م بطﻼنه‪ ،‬فثبت ما قلناه‪ .‬ويدل أيضا ً على ذلك أن العبد يكتسب‬ ‫والعاجز‪ ،‬وذلك مما قد عُل ِ َ‬
‫م أنه قد يكتسب ما ليس‬ ‫ِ‬
‫ُ َ‬ ‫ل‬‫ع‬‫ف‬ ‫‪،‬‬ ‫ه‬‫ي‬ ‫ل‬ ‫إ‬ ‫د‬ ‫ص‬ ‫ق‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ع‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫ب‬‫س‬ ‫ت‬‫ك‬ ‫ي‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ك‬ ‫ه‬ ‫ن‬‫ع‬ ‫الشيء مع السهو والغفلة‬
‫من ﻻ يعلم له إرادةً‬ ‫ً‬
‫سبا َ‬ ‫ن مكت ِ‬
‫بإرادة كما يكتسب اﻹرادة‪ .‬ويدل على ذلك أنه قد يعلم اﻹنسا َ‬
‫مريدا ً من معتزلة البغداديين وي ُحيل‬ ‫من ﻻ يعتقده ُ‬ ‫م فاعﻼ ً َ‬ ‫أصﻼ ً من ن ُفاة اﻷعراض؛ ويعلم القدي َ‬
‫اﻹرادة عليه‪ ١١٤] .‬ب[‬
‫ً‬
‫رف الجوارح واقعا ‪145‬‬ ‫]‪ [٧٢‬فأما ما يقدح به إخوان ُهم القدرية في قولهم‪ ،‬من أنه « لو كان تص ُّ‬
‫بالطبع‪ ،‬لم يجز أن يكون متعلقا ً بالجملة ﻷن ما يرجع إلى الجملة يجب أن يعود إلى أعيان‬
‫ما استحال أن يكون التصّرف تصّرفا ً لكل‬ ‫مضافا ً إليها دون الجملة‪ .‬فل ّ‬ ‫أجزاء الجملة ويكون ُ‬
‫ل من‬ ‫ح با ط ٌ‬
‫جزء من الجملة‪ ،‬وجب أنه واقع منها بالقدرة واﻻختيار دون الطبع »‪ ،‬فإنه قد ٌ‬
‫وجهَين‪ :‬أحدهما أن الفعل عند أكثر مخالفيهم إنما هو لكل جزء من الجملة إذا كان حي ّا ً قادرا ً‬
‫دون جميعها‪ ،‬فبطل ما قالوه‪ .‬والوجه اﻵخر أن القوم يقولون إن التصّرف فِعل أجزاء الجملة‬
‫بطبعها‪ ،‬ﻷن طبع كل شيء منها يوجبه‪ ،‬وليس بمتعلق بالجملة بل إنما يتعلق بها ما كان‬
‫مقدورا ً ومختارا ً للعبد‪ ،‬وهو اﻹرادة فقط‪ .‬فبطل ما قالوه‪.‬‬
‫]‪ [٧٣‬وأما طعنهم في ذلك بأنه « لو كان ]‪ ١١٥‬أ[ بالطبع‪ ،‬لم يكن تابعا ً ﻹرادة الح ّ‬
‫ي ودواعيه ‪146‬‬

‫ومقدار قُد َره »‪ ،‬فإنه أظهر فسادا ً‪ ،‬ﻷننا قد بي ّن ّا من قبل في خلق اﻷعمال وغير كتاب أنه قد‬
‫مريد‪ .‬ودعواهم أن حدوث اﻷشياء بحسب‬ ‫يقع بحسب الدواعي والمقصود ما هو فعل غير ال ُ‬
‫قد َر في القل ّة والكثرة باطل‪ ،‬ﻷن ذلك غير معلوم تساوي عدده وقدره‪ ،‬وﻷننا قد بي ّن ّا في ما‬
‫َ‬ ‫ال ُ‬
‫محد ِثا ً وقادرا ً على اﻹحداث‪ ،‬فبطل ما قالوه‪.‬‬
‫ُ‬ ‫د‬ ‫ب‬‫ع‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫و‬‫ك‬ ‫ة‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ح‬ ‫ت‬‫س‬ ‫ا‬ ‫ف‬ ‫ل‬ ‫س‬
‫مه ومدحه ‪147‬‬ ‫ن ونهيه وذ ّ‬ ‫]‪ [٧٤‬وأما تعل ُّقهم عليهم في ذلك بأنه « يحسن أمُر آ ِ‬
‫مرٍ منا اﻹنسا َ‬
‫وعقابه وثوابه على حركته وسكونه والتصّرف الموجود بجوارحه‪ ،‬ولن يحسن ذلك إﻻ على ما‬
‫حسن أمر‬ ‫هو فعل له »‪ ،‬فإنه أيضا ً باطل وبعكس الواجب في حكم النظر‪ ،‬ﻷنه إنما ي ُعل َم ُ‬
‫من فعله‬ ‫م أ ن ذل ك ِ‬ ‫العبد بالشيء ونهيه عنه وثوابه وعقابه عليه وذّمه ومدحه إذا عُل ِ َ‬
‫من ﻻ يعلم أنه‬‫م على هذه اﻷمور ل ِ َ‬ ‫ومقدوراته‪ ١١٥] ،‬ب[ ولذلك ﻻ يحسن عندهم المدح والذ ّ‬
‫ما علم أنه ليس بفعل له‪ .‬فوجب أن‬ ‫م زيد ومدحه على كسب عمرو ول ّ‬ ‫ل له‪ ،‬وﻻ يحسن ذ ّ‬ ‫فع ٌ‬
‫حسن أمره به ونهيه عنه‬ ‫ً‬
‫ف له سابقا للعلم ب ُ‬ ‫من هو تصُّر ٌ‬ ‫ً‬
‫م بكون التصّرف فعﻼ ل ِ َ‬‫يكون العل ُ‬
‫مه ومدحه وعقابه عليه‪ .‬فبطل ما قالوه‪.‬‬ ‫وذ ّ‬
‫]‪ [٧٥‬وأما قدحهم في قولهم بأنه « لو كان ذلك واقعا ً بالطبع‪ ،‬لم يكن منه ما هو ظلم ‪148‬‬

‫حسن والقبح والجور‬ ‫ما كان التصّرف الواقع بالجوارح موصوفا ً بال ُ‬ ‫سن وقبيح‪ .‬فل ّ‬‫ح َ‬
‫وجور و َ‬
‫والعدل واﻹساءة واﻹحسان‪ ،‬ثبت أنها أفعال اختيارية للعبد »‪ ،‬فإنه باطل ﻷن القوم ينكرون‬
‫فت بشيء من هذا‪ ،‬فعلى وجه‬ ‫ص َ‬
‫وصف تصُّرف الجوارح بشيء من ذلك ويقولون‪ « :‬إن وُ ِ‬
‫المجاز واﻻت ّساع وعلى معنى أن القصد إلى ذلك واﻹرادة له قبيحة وظلم وعدوان دون‬
‫مراد »‪.‬‬
‫ال ُ‬
‫أ] ‪149‬‬ ‫[‪ ]٧٦‬فــصـــل [‪١١٦‬‬
‫وسفه ‪150‬‬‫مر والجاحظ والنظ ّام إن التصّرف الموجود بالجوارح ظلم وجور‬ ‫مع َّ‬
‫وإن قال ُ‬
‫جب عن الطبع والخلقة التي طبع الله الجوارح عليها‪ ،‬لزمهم أن‬ ‫وقبيح‪ ،‬وإنه بعد ذلك مو َ‬
‫إليه‪ ،‬وأن يكون هو الظالم السفيه تعالى عن‪142‬يكون ذلك أجمع من فعل الله تعالى ومنسوبا ً‬
‫قولهم‪ ،‬ﻷنه إذا فعل ما يوجب الظلم والسفه كان هو الظالم السفيه‪ ،‬كما ألزموا من قال <‬
‫بمثله > من أصحاب التول ّد أن يكون ظالما ً سفيها ً إذا كان ما يوجب الظلم والسفه متولدا ً عن‬
‫أسباب من فعله توجبه‪ ،‬وﻻ مخرج من ذلك‪ .‬وقول النظ ّام بأن ذلك يقع بإيجاب الخلقة مثل‬
‫قول أصحاب الطبع بأنه واجب عن طبع الحجر‪ ،‬وقد صّرح بذلك في مواضع من كﻼمه‪.‬‬
‫فــصـــل ‪151‬‬ ‫[‪]٧٧‬‬
‫هذا ‪152‬‬‫فأما قول ثمامة بأن المتولدات حوادث ﻻ ُمحد ِث لها‪ ،‬فإنه باطل ﻷننا قد بي ّن ّا في صدر‬
‫محد َثا ً مع جواز أن ﻻ يحدث‬ ‫محد ِث ]‪ ١١٦‬ب[ إنما هو كونه ُ‬‫محد َث إلى ُ‬ ‫الكتاب أن جهة حاجة ال ُ‬
‫خره‪ ،‬وأشبعنا ذلك بما ي ُغني عن إعادته‪ .‬فلو استغنت المتولدات مع كونها‬ ‫وجواز تقد ُّمه وتأ ُّ‬
‫شر أيضا ً وجميع الحوادث المنسوبة إلى الله عن ُمحد ِث‪.‬‬ ‫مبا ِ‬
‫محد ِث‪ ،‬ﻻستغنى ال ُ‬ ‫حوادث عن ُ‬
‫وإذا فسد ذلك‪ ،‬بطل ما قاله‪.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪268‬‬

‫حب ‪153‬‬ ‫]‪ [٧٨‬فإن قال ث ُمامة وأصحاب الطبائع والنظ ّام‪ « :‬لو كان المتولد فعﻼ ً للعبد‬
‫صا ِ‬
‫السبب‪ ،‬لصح منه أن ﻻ يفعله بعد وجود سببه وأن يتركه مع زوال الموانع من توليده‪ ،‬كما أن‬
‫ما كان فعﻼ ً للعبد جاز منه تركه بدﻻ ً من فعله »‪ ،‬يقال لهم‪ :‬ﻻ‬ ‫شر من الفعل ل ّ‬ ‫مبا ِ‬
‫اﻹرادة وال ُ‬
‫يجب ما قلتم‪ ،‬ﻷجل أنه ﻻ يجب في كل فاعل لشيء أن يصح تركه للفعل بدﻻ ً من فعله‪ ،‬ﻷنه‬
‫ليس يصح من الله تعالى أن ﻻ يفعل الجوهر متى أراد فعل أعراضه‪ ،‬حتى ﻻ يصح منه أن ﻻ‬
‫يفعله متى قصد إلى فعل ]‪ ١١٧‬أ[ أعراضه‪ .‬وكذلك اﻹنسان عندهم هو الجملة وهي الفاعلة‪،‬‬
‫ومتى أراد تحريك بعض ساقه أو ساعده‪ ،‬وجب أن يفعل الحركة في جميعها واستحال أن ﻻ‬
‫يفعل الحركة في البعض اﻵخر مع فعله الحركة في أحد أبعاضها‪ .‬وقد يكون من اﻷفعال ما ﻻ‬
‫ترك له ينصرف إليه‪ ،‬كالجوهر والبقاء على قول ُمثب ِتيه‪ .‬وإنما من حقّ الفاعل للشيء أن‬
‫سبا ً‪ ،‬على ما بي ّن ّاه من قبل‪ ،‬وقد يصح أن يتركه تارةً وﻻ‬
‫رعا ً كان أو مكت ِ‬
‫يكون قادرا ً عليه‪ ،‬مخت ِ‬
‫يصح منه أخرى‪.‬‬
‫]‪ [٧٩‬هذا على أن القائلين بالتول ّد يقولون إنه قد يصح من فاعل المتولد أن ﻻ يفعله بحال ‪154‬‬

‫‪ ،‬فﻼ يكون فاعﻼ ً < له >‪ .‬وهذا اﻻنفصال منهم باطل‪ ،‬ﻷن القوم‪ّ 143‬‬
‫ما بأن ﻻ يفعل سببه‬
‫ي ُلزمونهم جواز أن ﻻ يفعله وإن فعل سببه وزالت الموانع منه‪ ،‬وهذا ُمحال عندهم‪.‬‬
‫الـ>فاعلين ‪155‬‬ ‫من يصح منه الفعل ويصح‪ [٨٠]144‬والواجب عندنا في هذا أن يقال < إنه من‬
‫منه ]‪ ١١٧‬ب[ تركه وفعل ضد ّه بدﻻ ً من فعله إذا كان له ترك‪ < ،‬و>القدرةُ التي بها يفعلهما‬
‫جميعا ً على البدل‪ .‬ويصح منه الفعل ويصح أن ﻻ يفعله ﻻ بأن يفعل له تركا ً‪ ،‬وهو الله تعالى‬
‫ﻷنه يصح منه فعل الجوهر والبقاء وﻻ يصح منه فعل ترك لهما ﻷنه ﻻ ترك لهما‪ ،‬على ما بي ّن ّاه‬
‫في غير موضع‪ .‬ويصح منه فعل الكون وفعل ضد ّه بدﻻ ً منه‪ ،‬وكذلك القول في كل ضد َّين من‬
‫اﻷجناس‪ .‬وﻻ يجوز عندنا أن يقال إنه يصح من الله أو من العبد أن يفعل الفعل وأن ﻻ يفعله‬
‫‪ .‬فأما اﻹنسان فإنه < ﻻ > يجوز أن يقال إنه يصح منه‪145‬بأن ﻻ يفعل سببه‪ ،‬ﻷنه أصل للمتولد‬
‫الفعل وضد ّه وتركه وأن ﻻ يفعله مع وجود قدرته عليه‪ ،‬ل ِما نبي ّنه من وجوب كون اﻻستطاعة‬
‫مع الفعل‪ .‬وإنما نقول‪ :‬يجوز من اﻹنسان على معنى يصح أن يكون فاعﻼ ً لﻺيمان بدﻻ ً من‬
‫ً‬
‫الكفر في حال الكفر بأن ﻻ يكون ]‪ ١١٨‬أ[ أقدره < الله > على اﻹيمان بل على الكفر بدﻻ منه‪،‬‬
‫فيجب تنزيل ذلك على ما قلناه‪.‬‬
‫فــصـــل ‪156‬‬ ‫[‪]٨١‬‬
‫لو ‪157‬‬ ‫م قلتم إن الجوهر ﻻ ترك له ؟ »‪ ،‬قيل له‪ :‬يدل على ذلك أمور‪ ،‬منها أنه‬ ‫فإن قيل‪ « :‬فل ِ َ‬
‫محال كون بعض الجواهر تركا ً‬ ‫ُ‬ ‫و‬ ‫‪.‬‬‫ً‬ ‫ا‬ ‫ض‬ ‫ر‬ ‫ع‬ ‫و‬ ‫أ‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫ه‬ ‫و‬‫ج‬ ‫ن‬ ‫و‬ ‫ك‬ ‫ي‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫ك‬ ‫ر‬ ‫ت‬ ‫ُ‬
‫ل‬ ‫خ‬‫ي‬ ‫كان له ترك‪ ،‬لم‬
‫لبعض‪ ،‬للعلم بصحة اجتماعها في الوجود وأنه ﻻ جوهران ي ُشار إليهما إﻻ ويصح أن ي ُفعَﻼ‬
‫محال وجود الضد َّين‪ .‬وإن كان تركه عرضا ً‪ ،‬استحال قيامه بنفسه‬ ‫جميعا ً‪ ،‬والتركان ضد ّان و ُ‬
‫ً‬ ‫ّ‬ ‫ً‬ ‫ً‬
‫ووجب أن ﻻ يحدث إﻻ في بعض الجواهر‪ .‬فلو كان تركا لبعضها‪ ،‬لكان تركا لمحله وضد ّا له‪،‬‬
‫محال كون الشيء تركا ً لشيء وضد ّا ً له وإن لم يكن ضد ّا ً‬ ‫للعلم بوجوب تجان ُس الجواهر‪ ،‬و ُ‬
‫ً‬ ‫ً‪146‬‬ ‫ً‬
‫أن يكون ذلك الترك بأن يكون تركا < وضد ّا وتركا لمثله الموجود بحيث هو‪ .‬فكان < يجب >‬
‫لمحل ّه أقرب وأولى‪ .‬وإذا استحال ذلك ]‪ ١١٨‬ب[ ﻷنه يوجب إحالة وجود الترك مع عدم‪<147‬‬
‫ك‬‫‪148.‬محل ّه‪ ،‬بطل أن يكون للجواهر تر ٌ‬
‫ك‪ ،‬ﻻستحال بقاء القديم تعالى خاليا ً من ‪158‬‬ ‫]‪ [٨٢‬ويدل على ذلك أيضا ً أنه لو كان للجوهر تر ٌ‬
‫وه منهما‬
‫جميع اﻷفعال كما كان في ِقد َمه‪ ،‬ﻷن القادر على الشيء وضد ّه وتركه يستحيل خل ّ‬
‫و الجواهر من سائر اﻷعراض‬ ‫محد َثا ً‪ ،‬وإﻻ أد ّى ذلك إلى جواز خل ّ‬
‫جميعا ً‪ ،‬قديما ً كان أو ُ‬
‫و القديم تعالى‬
‫ما ثبت جواز خل ّ‬
‫المتضاد ّة وجميع اﻷكوان‪ ،‬وذلك ي ُبط ِل الدﻻلة على حدوثها‪ .‬ول ّ‬
‫في مستقبل اﻷوقات من جميع اﻷفعال كما خﻼ منها في ِقد َمه‪ ،‬بطل أن يكون للجواهر‬
‫ﻻ جوهرا ً وﻻ عرضا ً‪149.‬تركا ً‬
‫يجب ‪159‬‬ ‫]‪ [٨٣‬ويجب أن يكون اﻻعتماد في هذا الباب على ما قدّمناه قبل هذا‪ ،‬وذلك أنه ﻻ‬
‫أن يكون سبحانه في ما لم يزل فاعﻼ ً لترك الجوهر إذا لم يفعله‪ ،‬ﻷنه ُمحال كونه لم يزل‬
‫]‪ ١١٩‬أ[ فاعﻼ ً للجوهر؛ وﻻ يجب فعل ترك ما يستحيل فعله ويمتنع وجوده‪ .‬ولكن يجوز أن‬
‫ك ينصرف القديم عن فعله إليه‪ ،‬لوجب استحالة بقاء البارئ اﻷبد‬ ‫‪150‬يقال‪ :‬لو كان للجوهر تر ٌ‬
‫خاليا ً من فعل الجوهر وتركه‪ ،‬ﻷنه ﻻ بد ّ من صحة فعله له أو تركه‪ ،‬إن كان له ترك‪ ،‬بعد ما لم‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪269‬‬

‫يزل وفي اﻷوقات التي يصح فعله فيها أو تركه‪ ،‬أو ما ي ُقد َّر تقدير اﻷوقات‪ .‬وإذا بطل ذلك‬
‫وصح بقاؤه اﻷبد غير فاعل لشيء أصﻼ ً‪ ،‬بطل هذا القول‪.‬‬
‫بقائها‪160 ،‬‬ ‫]‪ [٨٤‬فأما ما تذهب إليه القدرية من إثبات فناء للجواهر تفنى به بعد وجودها لصحة‬
‫ن ب عد‬‫َ‬ ‫ف‬ ‫ت‬ ‫م‬ ‫فباطل‪ .‬وقد بي ّن ّا من قبل استحالة وجود عرض ﻻ في مكان‪ ،‬وبي ّن ّا أن الجواهر لو ل‬
‫وجودها إﻻ بفناء ي ُضاد ّها‪ ،‬ﻻستحال وجوده ولوجب أن يكون ثبوتها ُمحيﻼ ً لوجود فناء ينفيها‪.‬‬
‫وأفسدنا قولهم إن الحادث يجب أن يؤث ّر في عدم ]‪ ١١٩‬ب[ الباقي بغير وجه‪ ،‬وأوضحنا أنه‬
‫إنما يجب عدم الجواهر بعد وجودها لقطع فعل أكوانها فقط‪ ،‬من حيث لم يجز أن ي ُتصوَّر لها‬
‫في مكان وﻻ ما ي ُقد َّر تقدير المكان‪ .‬فزال ما‪151‬وجود ٌ مع عدم سائر اﻷكوان بأن ﻻ تكون‬
‫يهذون به‪.‬‬
‫< ‪161‬‬ ‫[‪ > ]٨٥‬فــصـــل‬
‫بفعل ‪162‬‬ ‫فقد أبن ّا في كتاب إبانة عجز القدرية عن إثبات دﻻئل النبّوة أنه ﻻ يمكن القائلين‬
‫سل بنظم القرآن وﻻ بغيره من المعجزات إذا كانت كلها أعراضا ً‬ ‫م بصدق الُر ُ‬
‫الطباع العل ُ‬
‫سل بما ليس بفعل له تعالى وﻻ ما‬ ‫َ‬
‫وفعﻼ ً للطبع ﻻ لله تعالى‪ ،‬وأنه ﻻ يمكن أن ي ُعلم صدق الُر ُ‬
‫صد ٌ به إلى التصديق لهم به‪ .‬ويلزمهم أن ﻻ يكون الله تعالى قد دل بالقرآن على شيء‬ ‫هو قا ِ‬
‫َ‬
‫ة للجسم الذي ُوجد فيه وفِعله بطبعه‪.‬‬ ‫ً‬
‫من أحكام دينه‪ ،‬إذا لم يكن القرآن كﻼما له وكان صف ً‬
‫منعِما ً على أهل الدنيا وﻻ‬‫وهذا خروج عن الدين‪ .‬ويلزمهم أيضا ً أن ﻻ يكون الله تعالى ]‪ ١٢٠‬أ[ ُ‬
‫س واﻹدراكات واللذ ّات‪ ،‬ﻷن ذلك أجمع ِفع ُ‬
‫ل‬ ‫على أهل الجن ّة بالحياة والشهوات والحوا ّ‬
‫الجسم بطبعه‪ .‬وكذلك فإنه يجب أن يكون غير ُمنعِم على عباده بشيء من الطعوم والروائح‬
‫مة‪.‬‬‫ل اﻷجسام بطباعها‪ .‬وكل هذا خروج عن قول اﻷ ّ‬ ‫والحرارة والبرودة‪ ،‬ﻷن ذلك ِفع ُ‬
‫فــصـــل ‪163‬‬ ‫[‪]٨٦‬‬
‫ُ‬
‫قب ّة ‪164‬‬
‫من ﻻ يألم فأما قول صالح‬ ‫‪152‬‬
‫من ﻻ ت ُحرقه و َ‬‫إنه « يجوز أن ي ُلقى في النار ويجاورها َ‬
‫خلها بين أجزاء‬
‫وإن أحرقته وتداخلت بين أجزائه »‪ ،‬فإنه صحيح‪ ،‬ﻷن إحراقها هو حركاتها وتدا ُ‬
‫‪153‬المحترق‪ ،‬بأن يخلق الله فيه اﻻجتماع فﻼ تعمل النار في تفريقه‪ .‬ويجوز أن تتداخل بين‬
‫ي فﻼ يخلق فيه ألما ً لذلك وﻻ نفورا ً عنه بل التذاذا ً به وشهوةً له‪ .‬وعلى هذا قال‬‫أجزاء الح ّ‬
‫المسلمون إن خزنة جهن ّم ﻻ تألم بكونها في النار‪ ،‬وإن الحور العين ﻻ تألم ]‪ ١٢٠‬ب[‬
‫باﻻفتضاض‪ ،‬وإن إبراهيم عليه السﻼم لم يألم بطرحه في النار‪ .‬وكذلك فإنه يجوز وقوف‬
‫ة للجوّ من غير هبوط فيه‪ ،‬وجعل ُها بما فيها من الثقل على رأس‬ ‫س ً‬
‫مما ّ‬
‫الجبال العظام ُ‬
‫مع تضاغُط أجزائه وحدوث الوهي في جسده‪ .‬وكل هذا صحيح‪ ،‬اﻹنسان وإن لم يألم بذلك‬
‫‪154‬‬

‫صينا القول فيه في كتاب التول ّد من نقض الكتاب المترجم بنقض الل ُ َ‬
‫مع‪.‬‬ ‫و قد ت ق ّ‬
‫ُ‬
‫قب ّة ‪165‬‬ ‫من جواز خلق العلم مع الموت‪ ،‬فإنه باطل معلوم‪ [٨٧]155‬فأما ما ي ُحكى عن صالح‬
‫ي إ در ا كا ً و ﻻ‬‫فساده ضرورةً‪ .‬وأما ما ي ُحكى عنه من أنه « يجوز أن ﻻ يخلق < الله > في الح ّ‬
‫ر به عادة‪،‬‬ ‫ضع عليه »‪ ،‬فإنه صحيح وإن لم تج ِ‬ ‫علما ً بكونه في النار وبإحساس جسم ثقيل يو َ‬
‫الحياة ﻻ يتضمن وجود العلم واﻹدراك ل ِما يصح أن ي ُعل َم وي ُدَرك‪ ،‬وإن كان العلم ﻷن وجود‬
‫‪156‬‬

‫واﻹدراك يتضمنان ]‪ ١٢١‬أ[ الحياة‪.‬‬


‫الوقت ‪166‬‬ ‫]‪ [٨٨‬وأما ما ي ُحكى عنه من أنه قيل له‪ « :‬فإذا جاز ذلك‪ ،‬فما ت ُنك ِر أن تكون في هذا‬
‫بمك ّة جالسا ً في قُب ّة مضروبة عليك وأنت ﻻ تعلم‪ ،‬بأن لم يخلق الله فيك العلم بذلك‪ ،‬وإن‬
‫مي لذلك صالح ُقب ّة‪،‬‬ ‫س ّ‬
‫ت بمؤوف ؟ » فركب ذلك وقال‪ « :‬ﻻ أدفعه » ف ُ‬ ‫ت صحيحا ً سليما ً لس َ‬
‫كن َ‬
‫ً‬ ‫ً‬
‫فإنه باطل إن كان قاله‪ ،‬ﻷن الكائن بالعراق إذا كان صحيحا سليما يعلم ضرورةً أنه ببغداد‬
‫وأنه ليس بالشام وﻻ بالحجاز وأنه ﻻ ُقب ّة على رأسه‪ ،‬فداِفعُ هذا داِفعٌ لعلم اﻻضطرار‪ .‬ومع‬
‫هذا‪ ،‬فقد يجوز عند اﻵفات سلب العلم بكون اﻹنسان بحيث هو وكونه في ُقب ّة وإن كان فيها؛‬
‫فأما والحال هذه مع زوال الغلبة واﻵفات‪ ،‬فذلك ُمحال‪.‬‬
‫كافية‪167 .‬‬ ‫مل في هذه الفصول‬
‫ج َ‬
‫و هذ ه ُ‬
‫فــصـــل ‪168‬‬ ‫[‪]٨٩‬‬
‫فأمور‪169 .‬‬‫فأما ما يدل على فساد القول بكون الجسم فاعﻼ ً ﻷعراضه بطبعه‪ ١٢١] ،‬ب[‬
‫ى فيه‪ .‬فإن كان هو ذاته‪ ،‬وجب‬
‫أحدها أن هذا الطبع ﻻ يخلو أن يكون ذات الجوهر أو معن ً‬
‫بقاؤه على حالة واحدة أبدا ًَ لثبوت ذاته وجنسه وما هو عليه من الصفات التي هو عليها‪،‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪270‬‬

‫م < فساد > ذلك بتغي ُّر‬ ‫جبه‪ .‬وقد عُل ِ َ‬ ‫جب لها دائما ً سرمدا ً وزوال الموانع من مو َ‬ ‫لثبوت المو ِ‬
‫جب مع عدم‬ ‫ِ‬ ‫و‬‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫د‬ ‫و‬ ‫ج‬ ‫و‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ح‬‫م‬‫ُ‬ ‫و‬ ‫‪.‬‬‫ت‬ ‫ا‬ ‫ف‬ ‫ص‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ف‬ ‫ﻼ‬‫ت‬‫خ‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫ي‬‫ل‬‫ع‬ ‫ي‬ ‫ه‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫و‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫س‬ ‫ج‬ ‫ﻷ‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ر‬ ‫ه‬ ‫حاﻻت الجوا‬
‫ى فيه‬ ‫ً‬ ‫‪ ،‬لم يخ ُ‬
‫جبا‪ ،‬وذلك فاسد‪ .‬وإن كان الطبع معن ً‬ ‫جبه ﻷن ذلك ينقض كونه مو ِ‬ ‫ل من أن مو َ‬
‫‪157‬‬

‫‪158،‬يكون واجبا ً بنفسه‪ ،‬أو بطبع آخر‪ ،‬أو بفعل فاعل مختار‪ .‬فإن كان واجبا ً عن نفس الجوهر‬
‫ة عن نفسه لغير طبع‪ .‬وإن كان واجبا ً عن طبع آخر‪ ،‬وجب‬ ‫وجب أن تكون جميع أعراضه واجب ً‬
‫أن ﻻ يجب الطبع الثاني إﻻ عن ثالث‪ ،‬ثم كذلك إلى غير غاية‪ ،‬وذلك ُمحال‪ .‬وإن كان ثابتا ً له‬
‫بفعل ]‪ ١٢٢‬أ[ فاعل مختار‪ ،‬صح منه أن ﻻ يفعله‪ ،‬فيعرى الجوهر من جميع أعراضه الواجبة‬
‫بالطبع وإن أرادها‪ ،‬وذلك عندهم ُمحال‪ .‬وعلى أنه‪ ،‬إذا جاز أن يكون طبع الجوهر فعﻼ ً لفاعل‬
‫مختار‪ ،‬جاز أن تكون هذه حال جميع أعراضه‪ ،‬وإﻻ فما الفصل ؟‬
‫فعله ‪170‬‬‫َ‬ ‫من قال منهم « إنما وجب أن تكون حركات الجسم وسكونه وذهابه ِ‬ ‫‪ [٩٠]159‬ويقال ل ِ َ‬
‫بطبعه ﻷنه يكون ﻻ محالة بعد اﻹرادة له»‪ :‬هذا باطل‪ ،‬ﻷنه قد يريده فﻼ يكون ذلك اﻷكثر؛ وقد‬
‫مراد وﻻ يقع‪ .‬فسقط ما قُلت َه‪.‬‬ ‫مريدا ً له‪ ،‬فﻼ يفعل ال ُ‬ ‫يريده ثم يكرهه وتتغي ّر حاله في كونه ُ‬
‫ل الجسم بطبعه ﻷنها تكون ﻻ محالة بعد‬ ‫وﻷنه‪ ،‬إن جاز أن يقال إن الحركات واﻻعتمادات ِفع ُ‬
‫ل الجسم بطبعه ﻷنها تكون ﻻ محالة بعد الداعي‬ ‫اﻹرادة لها‪ ،‬جاز أيضا ً أن يقال إن اﻹرادة ِفع ُ‬
‫من فعل‬ ‫ما ]‪ ١٢٢‬ب[ كانت اﻹرادة ِ‬ ‫إليها‪ ،‬فإن لم يجب ذلك لم يجب ما قالوه‪ .‬فإن قالوا‪ « :‬ل ّ‬
‫من فعله‪160،‬العبد بالقدرة‬ ‫مراد ِ‬‫ُ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫‪ ،‬جاز أن يبتدئ فعلها وِفعل تركها بدﻻ ً منها‪ .‬فكذلك لو كا‬
‫لصح أن يفعل تركه بعد اﻹرادة له »‪ ،‬قيل لهم‪ :‬يجوز ذلك على ما بي ّن ّاه إذا تغي ّرت أحواله‪.‬‬
‫ما لم‬ ‫ويقال لهم‪ :‬لو كانت اﻹرادة فعﻼ ً له بالقدرة‪ ،‬لجاز أن يتركها بعد فعل الداعي إليها‪ .‬فل ّ‬
‫يجز ذلك‪ ،‬ثبت أنها واقعة بالطبع‪ .‬وﻻ جواب عن ذلك‪.‬‬
‫الحركات ‪171‬‬
‫منا بأن الجسم يحتمل‬ ‫]‪ [٩١‬ومما يدل على فساد القول بفعل الطبع عل ُ‬
‫ت‪ .‬فلو تحّرك واعتمد في بعض الجهات بطبعه‪ ،‬لم يكن بأن‬ ‫واﻻعتمادات في الجهات الس ّ‬
‫ة أولى من تحُّركه يسرةً‪ .‬وﻻ كان يسخن ويحلو ويسود ّ أولى من أن يبرد ويحمض‬‫يتحرك يمن ً‬
‫ّ‬
‫ما بطل ذلك‪ ،‬بطل أن يكون المؤثر في كونه على بعض الصفات الطبع‬ ‫ض‪ .‬ول ّ‬
‫‪ .‬وهذا‪161‬ويبي ّ‬
‫]‪ ١٢٣‬أ[ واضح ﻻ إشكال فيه‪.‬‬
‫واﻷلوان ‪172‬‬ ‫باب ذكر اختﻼفهم في هل يفعل العباد اﻹدراك والعلم في الغير‬
‫والروائح والطعوم على وجه التول ّد أم ﻻ ؟‬
‫]‪ [٩٢‬وقد اختلف القائلون بالتول ّد‪ .‬فزعم الجمهور منهم أنه ﻻ يصح فعل اﻹدراك والعلم ‪173‬‬

‫في الغير واﻷلوان والروائح والطعوم على وجه التول ّد‪ .‬وقال بشر بن المعتمر وجعفر بن‬
‫حكي أيضا ً عنهما‪162‬مب ّ‬
‫شر‬ ‫إن اللون والطعم والرائحة من أفعال العباد إذا تول ّد عن أفعالهم‪ .‬و ُ‬
‫وعن غيرهما أنهما يفعﻼن اﻹدراك والعلم في الغير على وجه التول ّد عن تعليم الغير وتلقينه‬
‫وحضور ]‪ ١٢٣‬ب[ بحضرته وعن فتح الجفون‪ ،‬وقايسوا قولهم في ذلك‪.‬‬
‫لم ‪174‬‬‫]‪ [٩٣‬وأنكر هذا الباقون منهم وقالوا‪ « :‬لو كان شيء من ذلك يقع متولدا ً عن أفعالنا‪،‬‬
‫م أننا نعتمد ونتحرك في الجهات‬ ‫يتولد إﻻ عن الحركات أو اﻻعتمادات أو عنهما جميعا ً‪ .‬وقد عُل ِ َ‬
‫فﻼ يتولد في اﻷجسام التي في تلك الجهات إدراكات وﻻ علوم وﻻ ألوان‪ ،‬مع احتمال اﻷجسام‬
‫م أنه ليس يقع شيء من ذلك متولدا ً‪ .‬وﻷن اعتمادات اﻷجفان لو‬ ‫لذلك وزوال الموانع منه‪ .‬فعُل ِ َ‬
‫م أن اﻹدراك ليس بموجود في جهة اﻻعتماد‪ .‬وكذلك‬ ‫ول ّدت‪ ،‬لوُجد اﻹدراك في جهتها‪ ،‬وقد عُل ِ َ‬
‫قد نحضر من ﻻ يعلم حضورنا‪ ،‬وقد نعتمد على قلب اﻹنسان فﻼ يتولد فيه العلم‪ .‬والفاعل في‬
‫سه‪ ،‬فكيف يفعل الحاضر ]‪ ١٢٤‬أ[‬ ‫سة ما ما ّ‬ ‫مما ّ‬ ‫سته أو ُ‬ ‫مما ّ‬‫غيره ﻻ يصح أن يفعل فيه إﻻ ب ُ‬
‫سه ؟ »‪163.‬بحضرة اﻹنسان اﻹدراك والعلم له‬ ‫ّ‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ة‬ ‫س‬
‫مم ّ‬
‫ا‬ ‫سة أو ُ‬ ‫مما ّ‬
‫في قلبه من غير ُ‬
‫]‪ [٩٤‬وقالوا أيضا ً‪ « :‬لو كان من اﻻعتمادات والحركات ما يول ّد لونا ً وطعما ً‪ ،‬لم يكن بأن ‪175‬‬

‫يول ّد السواد أولى من توليده البياض‪ ،‬ﻷن الجسم محتمل لل ّون َين جميعا ً »‪ .‬قالوا‪ « :‬وكان يجب‪،‬‬
‫إذا اعتمدنا على الحجارة والموات وكل محتمل لل ّون‪ ،‬أن يتولد فيه البياض والحمرة‪ ،‬وقد‬
‫م بطﻼن ذلك »‪ .‬وزعموا أن بياض الدِبس عند الضرب والتقريب إلى النار لم يحدث ولكنها‬ ‫عُل ِ َ‬
‫أجزاء بيض ظهرت مع بياض الب َي ْض المطروح فيه‪ ،‬وأخذت النار منه اﻷجزاء السود‪ .‬وأن‬
‫ب واحمّر‪ ،‬لم تحدث هناك حمرة وإنما ينزعج الدم الذي تحت الجلد‬ ‫ضرِ َ‬
‫ي إذا ُ‬
‫جسم الح ّ‬
‫َ‬ ‫ن أنه حمرة ولو ُ‬
‫شرِط لوُجد الدم هناك‪.‬‬ ‫َ‬
‫ف من تحت الجلد‪ ،‬في ُظ ّ‬‫فيحتقن ويجتمع ويش ّ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪271‬‬

‫بجري ‪176‬‬ ‫ك الجسم بالجسم‪ ،‬فإنما تحدث‬ ‫]‪ [٩٥‬قالوا‪ « :‬فأما حدوث الحرارة ]‪ ١٢٤‬ب[ عند ح ّ‬
‫س‪ .‬ولذلك لو‬‫ح ّ‬ ‫ت الماء بالماء‪164‬العادة‪ ،‬أو بأن تظهر عند الح ّ‬
‫ك أجزاٌء فيها حرارة ت ُ َ‬ ‫حكك َ‬
‫والثلج بالثلج والماء بالثلج ويد المي ّت بباقي جسمه‪ ،‬لم تحدث حرارة »‪ .‬قالوا‪ « :‬فأما برد الماء‬
‫ضعَ في الهواء‪ ،‬فإنما ذلك لحصول أجزاء من الهواء فيه »‪ .‬قالوا‪ « :‬أو يكون ذلك حادثا ً‬ ‫إذا وُ ِ‬
‫على طريقة واحدة مبتدأ ً بفعل الله من جري العادة »‪ .‬ومتى جوّزنا ذلك‪ ،‬بطل عليهم القول‬
‫صينا الكﻼم في هذه الفصول في نقض النقض بما ي ُغني الناظر فيه‪.‬‬ ‫بالتول ّد ! وقد تق ّ‬
‫]‪ [٩٦‬وقد أطبقوا على أنه ﻻ يصح فعل اﻹنسان لشيء مما ذكرناه مبتدئا ً به من غير ‪177‬‬

‫قدَر اﻷلوان والطعوم والروائح‬ ‫سبب‪ ،‬ﻷنه لو صح ذلك لوجب أن نفعل بما فينا من ال ُ‬
‫قدَر ﻻ تختلف ]‪ ١٢٥‬أ[ ﻻختﻼف مقدوراتها‪ .‬وقد تكل ّمنا‬ ‫والحرارة والبرودة واﻹدراك‪ ،‬ﻷن ال ُ‬
‫عليهم في هذا الفصل من قبل‪ .‬وﻻ نستكثر أن نكون على أصولهم قادرين على ابتداء فعل‬
‫ذلك‪ ،‬غير أنه ﻻ علم لنا بكيفية ابتدائه‪ .‬ويجوز أن يقع ذلك متولدا ً إذا كانت اﻻعتمادات‬
‫والحركات على صفات مخصوصة في الحدوث‪ ،‬فمتى لم تترتب كذلك لم ت ُول ِّد شيئا ً‪ ،‬على ما‬
‫قد بي ّن ّاه وشرحناه في غير هذا الموضع‪ .‬فسقط ما قالوه‪.‬‬
‫فــصـــل ‪178‬‬ ‫[‪]٩٧‬‬
‫لو ‪179‬‬ ‫جب ّائي يزعم أن الحركة ت ُول ِّد الحركة في جهتها‪ .‬وأنكر ذلك عليه ابنه وقال‪« :‬‬ ‫وقد كان ال ُ‬
‫ُ‬ ‫ً‬
‫الحجر صعدا أو في بعض الجهات‪ ،‬مّر أبدا ولم يتراجع‪ ،‬وذلك كان كذلك‪ ،‬لكن ّا إذا زججنا‬
‫‪165‬‬ ‫ً‬
‫معلوم فساده »‪ .‬فقيل له‪ « :‬فأنت أيضا ً تزعم أن اﻻعتماد يول ّد اﻻعتماد في جهته‪ ،‬فكان يجب‬
‫الحجر صعدا ً أن ت ُول ِّد اعتماداته اعتمادا ً في جهته أبدا ً فﻼ يتراجع !»‪ .‬فانفصل ]‪166١٢٥‬إذا زججنا‬
‫ب[ من هذا بأن قال‪ « :‬إنما يتولد التراجع ﻷجل أن ما فيه من اﻻعتماد في جهة السفل أكثر‬
‫و‪ ،‬فإذا زاد عليه ول ّد الجزء الزائد اﻻعتماد في جهته »‪.‬‬‫من اﻻعتماد المجتل َب في جهة العل ّ‬
‫قال‪ « :‬والحركة ﻻ جهة لها‪ ،‬فإذا زادت على غيرها لم يجب أن ت ُول ِّد‪ .‬واﻻعتماد مخت ّ‬
‫ص بأ ن ل ه‬
‫صيناه في نقض النقض‪167.‬جهًة »‪ .‬قال‪ « :‬فزال عني القلب‬ ‫»‪ .‬وقد تكل ّمنا في هذا وتق ّ‬
‫باب ذكر اختﻼفهم في ما يصح أن يقع متولدا ً ‪180‬‬

‫وما ﻻ يصح أن يقع ذلك فيه‬


‫ّ‬
‫]‪ [٩٨‬قال الكل من القائلين بالتولد‪ :‬اﻹرادة ﻻ يجوز أن تكون متولدةً وإنما نبتدئ فعلها ‪181‬‬

‫بالقدرة عليها‪ .‬فأما ما عدا اﻹرادة من ]‪ ١٢٦‬أ[ أفعال الجوارح والقلوب‪ ،‬فقد ذ ُك َِر أن بعضهم‬
‫ل في غير فاعله دون ما‬ ‫قال‪ :‬يجوز أن تكون كلها متولدةً‪ .‬وقال بعضهم إن المتولد منها ما ح ّ‬
‫حل ّه ووُجد في نفسه وحي ّزه‪ .‬وقد بي ّن ّا فساد هذا القول على قول من زعم أن العلم متولد عن‬
‫ف‬‫جعه على ك ّ‬ ‫النظر في محل ّه أو في بعض أجزاء القلب‪ ،‬وقولهم إن رمي الحجر مول ّد ٌ لترا ُ‬
‫راميه وتوليدِه فيه الحركة واﻻعتماد‪ ،‬فبطل هذا القول‪.‬‬
‫وجد بالفاعل وغيره هو ما جاز أن يقع ‪182‬‬ ‫]‪ [٩٩‬وزعم اﻹسكافي أن المتولد من اﻷفعال مما ُ‬
‫على وجه السهو والخطأ‪ ،‬وما عدا ذلك غير متولد‪ .‬وقد أفسدنا القول على اﻹسكافي من قبل‬
‫بما ي ُغني عن رد ّه‪ ،‬وأنه ﻻ معتب َر بالسهو في هذا الباب وإنما المعتب َر وقوع المسبب بحسب‬
‫مه الفاعل له أو كان ساهيا ً عنه‪.‬‬
‫السبب وكون ُه تابعا ً له‪ ،‬عَل ِ َ‬
‫]‪ [١٠٠‬وقال الجمهور منهم إن ]‪ ١٢٦‬ب[ المتولد من أفعال القلوب إنما هو العلم فقط ‪183‬‬

‫المتولد عن النظر؛ فأما اﻹرادة والفكر والخاطر واﻻنتظار وغير ذلك من أفعال القلوب‪ ،‬فإنه‬
‫محال تول ُّده عن النظر أو شيء من اﻻعتمادات والحركات‪ .‬قالوا‪ « :‬ﻷن النظر والحركة‬ ‫ُ‬
‫واﻻعتماد توجد أبدا ً مع الخاطر وضد ّه واﻹرادة وضد ّها واﻻنتظار وعدمه والخوف والرجاء‪ ،‬فﻼ‬
‫يجوز أن يكون مول ّدا ً لشيء من ذلك‪ .‬وﻷن اﻹنسان يفعل النظر والحركة واﻻعتماد مع وجود‬
‫مريدا ً أو كارها ً وكونه راجيا ً أو خائفا ً ومفك ّرا ً أو‬
‫اﻹرادة وضد ّها‪ ،‬فﻼ تتغي ّر حاله في كونه ُ‬
‫ما ذكرناه من اﻷسباب »‪.‬‬ ‫م بذلك أنه ﻻ يجوز تول ُّد شيء من ذلك ع ّ‬ ‫معرِضا ً‪ ،‬فعُل ِ َ‬ ‫ُ‬
‫يصح ‪184‬‬ ‫]‪ [١٠١‬قالوا‪« :‬فأما أفعال الجوارح‪ ،‬نحو التأليف واﻷصوات واﻷكوان واﻻعتماد‪ ،‬فإنه‬
‫أن يكون متولدا ً»‪ .‬قالوا‪ « :‬والدليل ]‪ ١٢٧‬أ[ على أن اﻻعتماد يول ّد اﻻعتماد والحركة أن الحجر‬
‫ل مّر ونفذ بحسب اﻻعتماد وَقدره في حركته‪ ،‬فوجب أنه يتولد لذلك‬ ‫س َ‬ ‫ُ‬
‫إذا د ُفِعَ والسهم إذا أر ِ‬
‫عنه »‪ .‬قالوا‪ « :‬والدليل على أن اﻻعتماد يول ّد اﻻعتماد أنه لو لم يكن ذلك كذلك‪ ،‬ﻻنقطع‬
‫ة ﻻ ت ُول ِّد‬ ‫التوليد في الثالث من حال حدوث اﻻعتماد‪ ،‬ﻷنه إنما يول ّد الحرك َ‬
‫ة في الثاني والحرك ُ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪272‬‬

‫جب ّائي وفِرقته‪ .‬قالوا‪ « :‬فلو لم يول ّد اﻻعتماد ُ‬ ‫ة وﻻ اعتمادا ً وﻻ شيئا ً »‪ ،‬على قول ابن ال ُ‬ ‫حر ك ً‬
‫م‬
‫َ‬ ‫ِ‬ ‫ل‬‫ع‬
‫ُ‬ ‫د‬ ‫ق‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫د‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ت‬‫ع‬‫ﻻ‬ ‫ا‬ ‫د‬ ‫و‬ ‫ج‬ ‫و‬ ‫ل‬ ‫ا‬‫ح‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ث‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ث‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ي‬ ‫ف‬ ‫ر‬ ‫ج‬‫ح‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ب‬ ‫ا‬ ‫ه‬ ‫ذ‬ ‫و‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫س‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ي‬
‫ّ‬ ‫ض‬‫م‬‫ُ‬ ‫ع‬ ‫ط‬ ‫ق‬ ‫ن‬‫ﻻ‬ ‫‪،‬‬‫اﻻعت َ‬
‫د‬ ‫ا‬ ‫م‬
‫ة‪ ،‬فيكون اﻻعتماد الثاني مول ّدا ً‬ ‫ً‬ ‫ّ‬
‫بطﻼن ذلك‪ ،‬فوجب أن اﻻعتماد يولد اعتمادا في الثاني وحرك ً‬
‫‪ ،‬ثم كذلك إلى أن يضعف اﻻعتماد المجتل َب ويزيد عليه‪168‬لثالث في الحال الثالثة ولحركة‬
‫الﻼزم‪ ،‬فينقطع توليد ُ المجتل َب وتضعف الحركة ويسقط السهم »‪.‬‬
‫]‪ [١٠٢‬قالوا‪ « :‬وكذلك الصوت ]‪ ١٢٧‬ب[ يجب أن يكون متولدا ً عن اﻻعتماد عند الصك ّة‪185 ،‬‬

‫ﻷنه يقع بحسبها وتابعا ً لها »‪ .‬وقد زعموا أن اﻷلم متولد عن الوهي‪ ،‬وأن التأليف متولد عن‬
‫المجاورة‪ .‬قالوا‪ « :‬وقد ثبت أن الصوت والتأليف واﻷلم ﻻ يصح أن يوجد من فعلنا إﻻ متولدا ً‬
‫جب ّائي إن المجاورة ت ُول ِّد التأليف‪ ،‬نقض‬ ‫عن اﻻعتماد والوهي والمجاورة »‪ .‬وإذا قال ابن ال ُ‬
‫بذلك قوله إنه ﻻ يول ّد إﻻ شيئان‪ ،‬النظر واﻻعتماد‪ .‬وكذلك إذا قال إن الوهي يول ّد اﻷلم وليس‬
‫من جنس اﻻعتماد‪ ،‬نقض قوله‪ .‬قالوا‪ « :‬والذي يدل على أن الصوت والتأليف واﻷلم ﻻ يوجد‬
‫من فعلنا إﻻ متولدا ً أننا لو ُرمنا ابتداء فعل ذلك بما فينا من القدرة في أنفسنا أو غيرنا‪ ،‬لم‬
‫جب ّائي ]‪ ١٢٨‬أ[‬‫نجد إلى ذلك سبيﻼ ً‪ ،‬فدل على أنه ﻻ يقع من فعلنا إﻻ متولدا ً »‪ .‬وقد زعم ابن ال ُ‬
‫ة ﻻ يصح أن يوجد من فعلنا وفعل الله إﻻ متولدا ً عن المجاورة‪169،‬وشيعته أن التأليف‬ ‫ص ً‬
‫خا ّ‬
‫ِّ‬ ‫َّ‬
‫ﻷنه ﻻ يصح وجوده مع اﻻفتراق وتباعُد المحلين‪ .‬ولو قال إن المجاورة ت ُولد التأليف وإن الله‬
‫تعالى يخترع مثله بغير توليد المجاورة‪ ،‬لم يكن ذلك على قوله بعيدا ً‪ ،‬فيكون في المتجاوَرين‬
‫فين‬‫‪ ،‬أحدهما متولد عن المجاورة واﻵخر مختَرع غير متولد‪ ،‬لم يكن ذلك بعيدا ً مع القول‪170‬تألي َ‬
‫بأن محل َّي التأليف يحتمﻼن من الجنس الواحد أعراضا ً كثيرةً‪ .‬فﻼ وجه لمنعه ذلك‪.‬‬
‫فــصـــل ‪186‬‬ ‫[‪]١٠٣‬‬
‫ذلك ‪187‬‬ ‫ت‬ ‫حكي عنه أن جميع ما عدا اﻹرادة من اﻷفعال متولد عنها‪ « :‬إنما قُل ُ‬ ‫وإن قال من ُ‬
‫مرادها من أفعال القلوب وأفعال الجوارح‪ ،‬فوجب أن يكون كل ما‬ ‫ةل ُ‬‫جب ٌ‬‫ﻷجل أن اﻹرادة مو ِ‬
‫جبة‪ .‬ولو كان كذلك‪ ،‬لثبت ما ]‪١٢٨‬‬ ‫جبا ً عنها »‪ ،‬قيل له‪ :‬هذا باطل‪ ،‬ﻷن اﻹرادة غير مو ِ‬ ‫عداها مو َ‬
‫ُّ‬
‫مريد عن قدرة عليه‪ ،‬ولخرج عن تعلقه‬ ‫ب[ قُلت َه وﻻستغنى كل حادث عداها من فعل ال ُ‬
‫مراد إرادته‪.‬‬ ‫ً‬
‫مريدا للشيء وكارها له وأن ﻻ يقع ُ‬ ‫ً‬ ‫مريد في كونه ُ‬
‫بفاعل؛ وﻻستحال تغي ُّر حال ال ُ‬
‫مرادها كما يستحيل أن يقارن اﻹرادةَ‬ ‫ة‪ ،‬ﻻستحال وجود المنع من ُ‬ ‫جب ً‬ ‫وﻷنها لو كانت مو ِ‬
‫ة < له >‪.‬‬
‫جب ً‬‫مريدا ً ما يمنع من إيجابها كون َه كذلك‪ ،‬وإﻻ انتقض كون ُها مو ِ‬ ‫مريد ُ‬ ‫ة لكون ال ُ‬‫جب َ‬
‫المو ِ‬
‫مراد‪ ،‬ﻻستغنى عن علم به وآلة فيه وقدرة عليه‪ ،‬واستحال وقوف وجوده‬ ‫وﻷنها لو أوجبت ال ُ‬
‫جبة له‪ .‬وﻷنه لو جاز القول بذلك‪ ،‬لجاز أن يقال‪ « :‬بل الذي‬ ‫على شيء زائد على اﻹرادة المو ِ‬
‫ة عن الداعي إليها !»‪ ،‬فﻼ‬ ‫جب ٌ‬ ‫يستحيل تول ُّد ُه هو الداعي إلى فعل اﻹرادة فقط‪ ،‬وإن اﻹرادة مو َ‬
‫جبة ]‪ ١٢٩‬أ[ في‬ ‫صينا الكﻼم في اﻹرادة المو ِ‬ ‫يجدون في ذلك فصﻼ ً‪ ،‬فقد بطل ما قالوه‪ .‬وقد تق ّ‬
‫نقض النقض‪.‬‬
‫توليد ‪188‬‬ ‫]‪ [١٠٤‬وبي ّن ّا عنهم وجه إيجابهم توليد النظر عندهم للعلم‪ ،‬وأنه قول يوجب عليهم‬
‫تذك ُّر النظر للعلم‪ ،‬وهم ﻻ يقولونه‪ ،‬وﻻ فصل لهم منه‪.‬‬
‫إﻻ ‪189‬‬ ‫وهذه جملة تكشف عن حقيقة أقاويلهم في ما يتولد وما ﻻ يتولد‪ ،‬وما ﻻ يمكن أن يقع‬
‫متولدا ً وما يصح أن يحدث تارةً متولدا ً وتارةً مبتدأ ً‪.‬‬
‫باب ذكر اختﻼف القائلين بالتول ّد في القدرة‪190 ،‬‬

‫مقدورا ً ؟‪171‬متى تكون قدرةً على المتولد‪ ،‬ومتى يكون‬


‫سببه ‪191‬‬ ‫]‪ [١٠٥‬قال الكل منهم إن المتولد من فعلنا مقدوٌر عليه قبل وجود سببه‪ ،‬فإذا ُوجد‬
‫على أوضاعهم‪ .‬وقال عب ّاد ]‪ ١٢٩‬ب[ ابن سليمان‪172‬خرج عن كونه مقدورا ً‪ .‬وهذا هو الـ‪......‬‬
‫الصيمري إنه مقدور عليه مع وجود سببه‪.‬‬
‫مقدور ‪192‬‬ ‫جب ّائي في المتولد من أفعال الله تعالى‪ ،‬فقال مّرة ً إنه‬
‫]‪ [١٠٦‬واختلف قول ابن ال ُ‬
‫ً‬
‫عليه مع وجود سببه منه تعالى‪ .‬قال‪ « :‬ﻷنه قد ثبت أن ما يفعله متولدا فإنه قادر على فعله‬
‫مبتدأ ً غير متولد عن سبب‪ ،‬فوجب لذلك أن ﻻ ي ُخرجه وجود ُ السبب عن كونه قادرا ً عليه‪،‬‬
‫ت من أن يكون‬ ‫لصحة فِعله ابتداًء بدﻻ ً من فِعله متولدا ً »‪ .‬ويقال له على هذا الجواب‪ :‬ما أنكر َ‬
‫قادرا ً على ابتداء فعله بغير سبب ما لم يفعل سببه‪ ،‬فإذا ُوجد السبب استحال أن يقع منه إﻻ‬
‫متولدا ً‪ ،‬وإن صح أن يبتدئه لو لم يوجد سببه ؟ فﻼ يجد لذلك مدفعا ً‪.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪273‬‬

‫فعل ‪193‬‬
‫و ِ‬ ‫جب ّائي رجع عن هذا القول وزعم أن كل ما يقع من فعله تعالى‬ ‫]‪ [١٠٧‬ثم إن ابن ال ُ‬
‫ً‬
‫غيره متولدا ً فإنه ﻻ ]‪ ١٣٠‬أ[ يقدر على أن يفعله مبتدأ‪ ،‬ﻷن ذلك ‪ -‬زعم ‪ -‬يوجب وجوده وعدمه‪،‬‬
‫محد َث في‬ ‫ل ِما نذكره عنه من بعد‪ .‬فإذا قال ذلك‪ ،‬وجب أن ﻻ تختلف عنده حال القديم وال ُ‬
‫أنهما ﻻ يقدران على المتولد في حال وجود سببه‪ ،‬لخروجه عن تعل ُّقه بقصده وإرادته وصحة‬
‫وقوعه مع موته وعدم دواعيه‪ .‬وقد بي ّن ّا نحن من قبل خروجه عن كونه فعﻼ ً لفاعل السبب‪،‬‬
‫لخروجه عن تعل ُّقه بقصده وإرادته وصحة وقوعه مع موته وعدم دواعيه‪ ،‬وأنه ﻻ يمكنه تركه‬
‫واﻻنصراف عنه إلى غير ذلك‪ .‬فإذا لم يصح كونه فعﻼ ً له‪ ،‬كان أبعد عن أن يكون مقدورا ً له‪.‬‬
‫ل من قال إنه غير مقدور للفاعل في حال وجود سببه‪ ،‬من حيث لم يصح منه‬ ‫عل َ ُ‬
‫و هذ ه ه ي ِ‬
‫تركه واﻻنصراف عنه ولم يتعلق بدواعيه وقصده وصح وقوعه مع موته وعدمه‪ ،‬فيجب لذلك‬
‫خروجه ]‪ ١٣٠‬ب[ عن كونه فعﻼ ً له كما خرج ﻷجله عن كونه مقدورا ً له‪ .‬قالوا‪« :‬ومتى خرج‬
‫ح أمُره به ونهيه عنه وإباحته‬‫المسبب عن كونه مقدورا ً لفاعله بعد وجود سببه‪ ،‬استحال وَقب ُ َ‬
‫له أو حظره عليه‪ ،‬ﻷنه في حكم الواقع الموجود بعد وجود سببه‪ ،‬والموجود ﻻ تصح القدرة‬
‫عليه وﻻ اﻷمر به والنهي عنه«‪.‬‬
‫أن ‪194‬‬ ‫ت إنه مقدور للعبد بعد وجود سببه ؟ فإن قال‪ « :‬ﻷنه يصح‬ ‫م قُل َ‬ ‫]‪ [١٠٨‬ويقال لعب ّاد‪ :‬ل ِ َ‬
‫محال أن ي ُمن َع الممنوع مما ليس بقادر على فعله »‪ ،‬فيقال له‪:‬‬ ‫ُ‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ه‬ ‫ن‬‫ي‬ ‫ب‬ ‫و‬ ‫ي ُمن َع منه وي ُحال بينه‬
‫ً‬
‫فقد يصح عندك أن ي َمنع المانع غيَره من الفعل‪ ،‬فيجب أن يكون المانع قادرا على ما منع‬
‫غيَره منه‪ ،‬ﻷنه ﻻ يمنعه إﻻ مما هو قادر عليه‪ .‬فإن لم يجب هذا‪ ،‬لم يجب ما ُقلت َه‪ .‬ويقال له‪:‬‬
‫عليه ﻷنه ي ُمن َع منه في‪173‬فيجب أن يكون القادر قادرا ً على الفعل ]‪ ١٣١‬أ[ < مع عدم القـ>درة‬
‫الثاني ﻻ في اﻷّول‪ ،‬ويستحيل ِفعل ُه له في اﻷّول حتى يكون الفعل مع القدرة‪ .‬وإذا كان ذلك‬
‫كذلك‪ ،‬وجب أن يكون القادر قادرا ً على الفعل في حال وقوعه لصحة منعه منه بدﻻ ً من‬
‫إيقاعه‪ ،‬وإذا لم يجب ذلك بطل ما ُقلت َه‪ .‬ويقال له‪ :‬ما أنكر َ‬
‫ت من أنه إنما صح أن ي ُمن َع منه‬
‫ً‬
‫من ِعَ السبب من توليده‪ ،‬ﻻ لكون القادر قادرا عليه في تلك‬ ‫جب له ف ُ‬ ‫لكونه فاعﻼ ً لسببه المو ِ‬
‫الحال ؟ فبطل ما قاله‪.‬‬
‫تعالى‪195 ،‬‬ ‫باب ذكر اختﻼف القدرية في القديم‬
‫هل يصح أن يفعل على جهة التول ّد أم ﻻ ؟‬
‫من شذ ّ إنه ﻻ يصح أن يفعل شيئا ً على جهة التول ّد‪.‬‬
‫وقال ‪196‬‬ ‫]‪ [١٠٩‬قال الجمهور منهم إﻻ َ‬
‫بعضهم‪ :‬بل ذلك صحيح في أفعاله كما أنه صحيح من فعل غيره‪ ١٣١] .‬ب[ وأجمعوا كلهم على‬
‫أن اﻷجسام من أفعاله ﻻ يصح أن تقع متولدةً عن سبب‪ .‬وممن قال بأنه يفعل على جهة‬
‫جب ّائي ومتبعوه‪ .‬قال‪« :‬والذي يصح أن يفعله متولدا ً اﻻعتماد والحركة والصوت‬ ‫التول ّد ابن ال ُ‬
‫والتأليف عن المجاورة واﻷلم عن الوهي؛ وما عدا ذلك من اﻷعراض ﻻ يصح أن يفعله‬
‫متولدا ً»‪.‬‬
‫ر مع القول بالتول ّد قول من زعم أنه تعالى يفعل على جهة التوليد‪ ،‬وإﻻ ‪197‬‬ ‫]‪ [١١٠‬والمستم ّ‬
‫بطل أصول القول به‪ .‬وذلك أنه معلوم أن الله تعالى إذا فعل الوهي والتقطيع في جسم‬
‫م بحسب الوهي؛ وإذا ألقى حجرا ً على حجر فصاك ّه‪ ،‬تول ّد الصوت‬ ‫َ‬
‫بحسب الصك ّة الح ّ‬
‫ي‪ ،‬أل ِ َ‬ ‫‪174‬‬

‫واﻻعتماد؛ وإذا جمع بين الجزئ َين‪ ،‬حدث التأليف كما يحدث بينهما إذا جمعناهما نحن؛ وإذا‬
‫فن في جهتها‬ ‫س ُ‬ ‫‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪175،‬حّرك الماء والريح إلى جهة البصرة‪ ،‬تحّركت ال ُ‬
‫صارت أسبابا ً ]‪ ١٣٢‬أ[ مول ّدةً من فعله كما أن مثلها من فعلنا أسباب مولدة‪ ،‬ﻷن السبب إنما‬
‫ّ‬
‫ل له‪ .‬فإذا وُجدت‪176‬يجب توليده لوقوعه على وجه مع زوال الموانع من مسببه‬ ‫واحتمال المح ّ‬
‫ّ‬ ‫ّ‬
‫هذه اﻷسباب من الله تعالى‪ ،‬استحال كونها غير مولدة مع أن مثلها من فعلنا يولد‪ ،‬ﻷن ذلك‬
‫ة‪ .‬وإن كان ما يوجد بعد هذه اﻷفعال من فعله تعالى إنما يوجد بجري‬ ‫ي ُبط ِل القول بالتول ّد جمل ً‬
‫العادة به‪ ،‬جاز لنا اد ّعاء مثل ذلك في كل ما يقع بعد اﻷسباب الموجودة من العباد‪ .‬وﻻ مخرج‬
‫من ذلك‪.‬‬
‫ء عند هذه اﻷسباب بالعادة‪ ،‬من غير ‪198‬‬ ‫]‪ [١١١‬وﻷنه إن جاز أن يقال إن ذلك يحدث منه ابتدا ً‬
‫بحسبها‪ ،‬جاز أيضا ً أن يقال إن ما يحدث من تصُّرفنا‪ 178‬تعل ُّق باﻷسباب التي يقع‪177‬أن يكون له‬
‫بالدواعي‪179‬عند دواعينا وقصدنا وبحسبها إنما يحدث عندها بجري العادة‪ ،‬ﻻ لتعل ُّق حدوثه‬
‫مريدا ً؛ وكذلك ما يحدث عند القدرة وبحسبها‪ .‬وهذا‪180‬واﻹرادات وﻻ ]‪ ١٣٢‬ب[ بكون فاعله‬ ‫ُ‬
‫شر أو متولد من اﻷفعال‪ ،‬وفيه عندهم القول‬ ‫عندهم يؤول إلى إبطال كون العبد فاعﻼ ً ل ُ‬
‫مبا ِ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪274‬‬

‫بالجبر وترك التوحيد والدخول في نفي الصانع والتعطيل‪ ،‬وذلك باطل‪ .‬فثبت التول ّد في‬
‫أفعاله‪.‬‬
‫فن في جهة الماء والريح بجري العادة‪ ،‬لم ي ُستنكر على ‪199‬‬ ‫س ُ‬
‫]‪ [١١٢‬وﻷنه لو كان جري ال ُ‬
‫فنهم في استقبال‬ ‫س ُ‬
‫ُ‬ ‫ي‬ ‫ر‬ ‫ج‬ ‫ت‬ ‫ن‬ ‫أ‬ ‫و‬ ‫ة‬ ‫د‬ ‫ا‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ه‬ ‫ذ‬ ‫ه‬ ‫ب‬‫ل‬‫ق‬ ‫د‬ ‫ﻼ‬ ‫ب‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ل‬ ‫ه‬ ‫أ‬ ‫ض‬ ‫أوضاعهم أن تكون عادةُ بع‬
‫شُرعهم‬ ‫شي ْل ُ‬‫في استقبال الريح ﻻ في جهتها‪ .‬وهذا جري الماء والريح‪ ،‬وأن يحتاجوا إلى َ‬
‫‪181‬‬

‫هو الجهل بزعمهم‪ ،‬كما قالوا‪ « :‬لو كان اﻷلم حادثا ً عند الوهي والتقطيع والضرب بالعادة‪ ،‬لم‬
‫فوا عن‪182‬ي ُنك َر‬
‫أن تكون عادةُ قوم ٍ اﻻلتذاذ بذلك‪ ،‬وكانوا متى أرادوا إيﻼم ]‪ ١٣٣‬أ[ العبد ك ّ‬
‫ضربه وقرضه بالمقاريض‪ ،‬ومتى أرادوا التذاذه أوجعوه ضربا ً وقط ّعوه آرابا ً »‪ ،‬وهذا كله جهل‬
‫عندهم‪ .‬فوجب لفساد ذلك بدعواهم ثبوت التول ّد في أفعاله تعالى‪.‬‬
‫من ‪200‬‬ ‫فن في جهة الريح وعَد َّه‬ ‫س ُ‬
‫ن الله تعالى على عباده بجري ال ُ‬ ‫]‪ [١١٣‬قالوا‪ » :‬ولذلك امت ّ‬
‫ن ِعَمه فقال {حتى إذا كنتم في الفلك وجرين بهم بريح طي ّبة} ]‪ ،[١٠/٢٢‬ولو لم تكن الريح‬
‫فن‪ ،‬لم يكن لذكرها وإدخال الباء في هذا الكﻼم وجٌه‬ ‫ة ومول ّدةً لحركة ال ُ‬
‫س ُ‬ ‫مجري ً‬ ‫ﻷن الباء‪ُ 183‬‬
‫خل في الكﻼم ﻹثبات القدرة على الفعل أو السبب فيه أو اﻵلة فيه‪ ،‬فيقول القائل‪:‬‬ ‫إنما ت ُد َ‬
‫ت بفكري ونظري«‪ .‬قالوا‪» :‬فهذا يدل على أن‬ ‫ُ‬ ‫ل‬ ‫م‬‫ع‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ي‬ ‫ط‬ ‫و‬ ‫س‬ ‫و‬ ‫ي‬ ‫ف‬ ‫ي‬‫س‬ ‫ب‬ ‫ت‬
‫ُ‬ ‫ب‬ ‫ر‬ ‫ض‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ي‬ ‫ت‬ ‫ر‬ ‫د‬ ‫ق‬ ‫تب‬ ‫فعل ُ‬
‫فن وجريها في جهتها«‪.‬‬ ‫س ُ‬‫اعتماد الريح في الجهة سبب لحركة ال ُ‬
‫أراد ‪201‬‬ ‫تعالى بقوله {حتى إذا كنتم‪ [١١٤]184‬وهذا الفصل من اعتﻼلهم باطل‪ ١٣٣] ،‬ب[ ﻷن ما‬
‫ت‬
‫في الفلك وجرين بهم بريح طي ّبة } »عند ريح طي ّبة«‪ ،‬فأقام الباء مقام عند كما يقال »فعل ُ‬
‫ت بقيامك‬ ‫« أي »عند قيامك«‪ .‬وفي‪185‬ذلك بأمرك وبإرادتك« أي »عند أمرك وإرادتك«‪ ،‬و»قُم ُ‬
‫فن بها‪ ،‬وإنما أراد‬ ‫س ُ‬
‫نفس الكﻼم مجاٌز‪ ،‬ﻷنه قال {جرين بهم بريح} والريح جسم ﻻ تجري ال ُ‬
‫فن‬‫س ُ‬‫ر ال ُ‬
‫ِ‬ ‫ج‬ ‫ت‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫‪،‬‬ ‫ت‬ ‫د‬ ‫ك‬ ‫عندهم »وجرين باعتماد ريح طي ّبة« واعتماد الريح غيرها؛ ولو سكنت ور‬
‫بهم‪ .‬وإذا كان ذلك كذلك‪ ،‬سقط التعل ّق بهذا الظاهر‪.‬‬
‫في ‪202‬‬ ‫شب َه قبل هذا‪ ،‬فهو كل ما قدحنا به‬ ‫]‪ [١١٥‬فأما وجه القدح في ما قد ّمناه عنهم من ال ُ‬
‫من ْعَه في‬
‫َ‬ ‫ن‬ ‫إ‬ ‫ف‬ ‫‪،‬‬ ‫د‬‫ّ‬ ‫ل‬ ‫و‬‫ت‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫و‬ ‫ق‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ع‬ ‫م‬ ‫ا‬ ‫م‬‫أ‬ ‫ف‬ ‫‪.‬‬‫ه‬ ‫القول بأصل التول ّد‪ ،‬وقد بي ّن ّا ذلك بما ي ُغني عن رد ّ‬
‫حكم باطل‪ ١٣٤] .‬أ[ أفعال الله تعالى ومن حالها‬
‫‪186‬‬
‫أنها مثل أسباب المتولد من أفعالنا‪ ،‬ف ُ‬
‫فــصـــل ‪203‬‬ ‫[‪]١١٦‬‬
‫على ‪204‬‬ ‫جب ّائي أن الفرق بيننا وبين القديم تعالى‪ ،‬وإن ك ُن ّا نحن وهو نفعل‬ ‫وقد زعم ابن ال ُ‬
‫جهة التول ّد‪ ،‬أنه تعالى يقدر على فعل مثل المتولد مبتدئا ً به من غير سبب‪ ،‬ونحن ﻻ نقدر أن‬
‫نفعل اﻷلم في غيرنا والصوت والحركة واﻻعتماد والتأليف إﻻ متولدا ً‪ ،‬وﻻ نقدر على فعل مثل‬
‫ذلك ابتداًء‪ .‬وإن هو قال إن التأليف ﻻ يصح أن يوجد من فعله سبحانه ومن فعلنا إﻻ متولدا ً‪،‬‬
‫ة‪ .‬وقد ألزمه الناس كونه تعالى محتاجا ً في‬ ‫ص ً‬‫فقد أبطل هذا الفرق بيننا وبينه في التأليف خا ّ‬
‫فعل المتولد إلى اﻷسباب كحاجتنا إليها‪ ،‬فانفصل من ذلك بأن قال‪ « :‬ﻻ يجب ذلك فيه وإن‬
‫وجب فينا‪ ،‬ﻷجل أننا نحن ﻻ نقدر على ابتداء فعل المسبب عن غير سبب‪ ،‬والقديم تعالى‬
‫قادر على أن يبتدئ فعل كل ما يفعله مسببا ً ﻻ عن سبب‪ ،‬فلم يحتج ]‪ ١٣٤‬ب[ لذلك إلى‬
‫اﻷسباب »‪ .‬وضرب لذلك اﻷمثال وقال‪ « :‬ﻷنه يصير في ذلك بمثابة القادر على تحريك يمينه‬
‫من غير تحريك يساره‪ ،‬وأنه يصح أن يحّرك اليمين مع عدم اليسار وزمانتها وعجزها؛ وبمثابة‬
‫سل َّم في الحصول على السطح‪ ،‬وإن صح أن يصعد ويتدرج‬ ‫غنى الطائر عن الدرجة وال ُ‬
‫سل َّم وﻻ درجة‪187‬عليهما‬‫ُ‬ ‫ﻻ‬ ‫و‬ ‫ة‬ ‫ل‬ ‫آ‬ ‫ر‬ ‫ي‬ ‫غ‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫ه‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫و‬‫ص‬ ‫ح‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫و‬ ‫ه‬ ‫ي‬‫ل‬ ‫إ‬ ‫ن‬ ‫ا‬ ‫ر‬ ‫إليه‪ ،‬لكونه قادرا ً على الطي‬
‫‪«.‬‬
‫َ‬
‫]‪ [١١٧‬وهذا باطل على أصوله‪ ،‬ﻷنه أحال وقوع مقدور بقدرت َين وفِعل لفاعلين ومتولد عن ‪205‬‬

‫وجود سبب َين بأن قال‪ « :‬لو صح ذلك‪ ،‬لصح أن ي ُفعَل الفعل بإحدى القدرت َين وﻻ ي ُفعَل‬
‫باﻷخرى‪ ،‬وأن يفعله أحد الفاعل َين وﻻ يفعله اﻵخر‪ ،‬وأن يوجد أحد سبب َيه وﻻ يوجد اﻵخر‪،‬‬
‫فيكون الفعل موجودا ً لكونه مفعوﻻ ً بإحدى القدرت َين وواقعا ً عن ]‪ ١٣٥‬أ[ أحد السبب َين وحادثا ً‬
‫من أحد الفاعل َين‪ ،‬وباقيا ً على عدمه من حيث لم يقع باﻷخرى وعن السبب اﻵخر ومن‬
‫الفاعل اﻵخر‪ ،‬المؤث ّر جميعُه في وجوده لو حدث عنه »‪ .‬ولذلك يلزمه‪ ،‬إذا جاز حدوث الفعل‬
‫ﻷث ّر‪188‬منه تعالى متولدا ً عن سبب يوجبه ومبتدأ ً بفعله‪ ،‬أن يبتدئه وﻻ يفعل سببه الذي لو فعله‬
‫في وجوده‪ ،‬فيكون موجودا ً من حيث ابت ُد ِئ به وباقيا ً على عدمه من حيث لم يوجد سببه؛ أو‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪275‬‬

‫يوجد إذا فعل سببه بالسبب و<ﻻ > ﻻبتداءِ فعله‪ ،‬فيكون باقيا ً على عدمه من حيث لم ي ُبتدأ‬
‫محال‪ ،‬وﻻ مخرج له من ذلك‪.‬‬ ‫فعل ُه‪ .‬وذلك ُ‬
‫ما علم لزوم هذا له وضيق المخرج عليه منه‪ ،‬رجع عن هذا القول وزعم أن ما ‪206‬‬ ‫]‪ [١١٨‬ول ّ‬
‫يفعله تعالى متولدا ً ﻻ يقدر على أن يفعله مبتدئا ً به‪ ،‬ﻷجل هذا اﻹلزام الذي وصفناه‪ .‬فقيل له‪:‬‬
‫على هذا الجواب أيضا ً فيجب أن يكون محتاجا ً في فعل عين ]‪ ١٣٥‬ب[ ذلك المتولد إلى‬
‫سببه‪ ،‬من حيث استحال أن يوجد هو بعينه منه بغير سبب وإن صح منه وجود أمثاله بغير‬
‫سبب‪ ،‬ولم يحتج في فعل جنسه إلى سبب وإن احتاج في فعل عينه إليه‪ .‬فانفصل عن هذا‬
‫الجواب بأن قال‪ « :‬ﻻ يجب ذلك ﻷنه إنما تجب الحاجة في ما يصح الغنى فيه‪ ،‬وُمحال وجود‬
‫عين المسبب عن غير سبب من فعل كل أحد‪ .‬وإذا استحال وجوده بغير سبب استحالت‬
‫الحاجة إلى سببه‪ ،‬كما أنه إذا استحال كون العالم القادر المتحرك عالما ً < قادرا ً > متحركا ً‬
‫بغير علم وقدرة وحركة‪ ،‬استحال القول بأن العالم المتحرك محتاج في كونه عالما ً متحركا ً‬
‫إلى العلم والحركة؛ وكما أنه إذا استحال فعل ُه للعرض مع عدم محل ّه وفعل ُه العلم والقدرة‬
‫ل وفي فعل‬ ‫مع عدم الحياة‪ ،‬استحال الوصف بأنه محتاج في فعل العرض إلى فعل المح ّ‬
‫ل ما يلزمه فيه أن يكون اﻹنسان‬ ‫اﻹرادة والعلم إلى فعل ]‪ ١٣٦‬أ[ الحياة»‪ .‬وفي هذا نظٌر‪ ،‬وأق ّ‬
‫ي عنده عن‪189‬محتاجا ً‬ ‫في كونه قادرا ً عالما ً إلى العلم والقدرة‪ ،‬لصحة وجود عالم ٍ قادرٍ غن ٍّ‬
‫منا له في هذا الباب تكل ُّف‪ ،‬ﻹبطال القول بأصل التول ّد‪.‬‬ ‫العلم والقدرة وهو الله تعالى‪ .‬وكﻼ ُ‬
‫اختﻼفهم ‪207‬‬
‫باب ذكر‬
‫في توليد الطاعة والمعصية‬
‫ة‪208 .‬‬
‫طاع ً‬‫]‪ [١١٩‬قال بعضهم إن المعصية قد ت ُول ِّد ما ليس بطاعة وﻻ معصية وإنها ﻻ ت ُول ِّد‬
‫جب ّائي ومن قال بقوله يزعم أن‬ ‫وقال بعضهم إن الطاعة ﻻ ت ُول ِّد المعصية بحال‪ .‬وكان ال ُ‬
‫ة وأن‬‫السبب والمسبب بمثابة الشيء الواحد‪ ،‬وﻻ يجوز أن يول ّد الخطأ والمعصية إﻻ معصي ً‬
‫الطاعة ﻻ ت ُول ِّد إﻻ الطاعة‪.‬‬
‫]‪ [١٢٠‬وكان ابن ُه يقول إن القبيح ﻻ يول ّد حسنا ً والحسن ]‪ ١٣٦‬ب[ ﻻ يول ّد قبيحا ً‪ .‬قال‪ « :‬ﻷن ‪209‬‬

‫القبيح هو ما ليس للقادر عليه فعل ُه »‪ .‬قال‪ « :‬وﻻ يجوز أن ﻻ يكون له أن يفعل الشيء ويكون‬
‫محال أن يفعله وﻻ يكون فاعﻼ ً ل ِما ليس له فعل ُه‪.‬‬ ‫له أن يفعل ما يوجب وجود َه عند وجوده‪ ،‬و ُ‬
‫محال متناقض »‪ .‬قال‪ « :‬ولذلك وجب القول بأن الواجب على اﻹنسان‪ ،‬إذا لم يحصل‬ ‫هذ ا ُ‬
‫م < به > وجود الواجب أن ﻻ يفعله »‪ .‬قال‪« :‬‬‫ّ‬ ‫ت‬‫ي‬ ‫ﻻ‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ك‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ل‬ ‫ع‬ ‫ف‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ك‬‫ل‬ ‫ذ‬ ‫ب‬ ‫ج‬ ‫و‬ ‫‪،‬‬ ‫ر‬ ‫خ‬ ‫آ‬ ‫ل‬ ‫ع‬ ‫ف‬ ‫ب‬ ‫ﻻ‬ ‫إ‬ ‫م‬
‫ويت ّ‬
‫ً‬
‫قبيحا ﻷن ذلك يؤد ّي إلى قُبح السبب فأما إذا كان السبب حسنا‪ ،‬لم يجز أن يكون مسببه‬
‫‪190‬‬ ‫ً‬
‫حسن‪ ،‬ﻷنه ﻻ يجوز أن يكون للفاعل أن يفعل ما وجودُه يوجب ويقتضي وجوَد‬ ‫وخروجه عن ال ُ‬
‫ّ‬
‫القبيح ﻻ محالة »‪ .‬قال‪ « :‬وﻷجل ذلك لم يجز القول بأن النظر يولد الجهل‪ ،‬ﻷنه قد ثبت أن‬
‫قبح النظر وذلك باطل »‪.‬‬
‫ل لعاد ذلك ب ُ‬ ‫ح‪ ،‬فلو ول ّد الجه َ‬ ‫ن والجهل قبي ٌ‬ ‫س ٌ‬
‫ح َ‬ ‫ال ن ظ ر َ‬
‫و‪210 .....‬‬
‫منها‪ ،‬فقد يتولد‪ [١٢١]191‬قال‪ « :‬فأما ما ليس ]‪ ١٣٧‬أ[ بطاعة وﻻ معصية من اﻷفعال‬
‫س وﻻ يخطر‬ ‫ً‬ ‫ً‬
‫عن الحسن والقبيح‪ .‬وذلك نحو أن يرمي غرضا وطائرا وﻻ يقصد به إصابة نف ٍ‬
‫حه أو‬
‫ل اﻹنسان وجر ُ‬ ‫ن‪ ،‬وقت ُ‬
‫س ٌ‬ ‫ذلك بباله في ُصيب إنسانا ً »‪ .‬قال‪ « :‬فالرمي على هذا الوجه َ‬
‫ح َ‬
‫ل له متولد ٌ عن الرمي الحسن‪ ،‬وليس بحسن وﻻ قبيح‬ ‫مه أو فساد ُه فع ٌ‬‫كسُر شيء للغير وهد ُ‬
‫وﻻ طاعة وﻻ معصية‪ .‬وهو بمثابة فعل النائم والساهي الذي ﻻ يوصف بذلك‪ .‬وكذلك يجب أن‬
‫يقال في تعزير السلطان للردع والتأديب وتأديب الصبي وضرب المرأة عند النشوز‪ ،‬إذا كان‬
‫عنده القتل وعظيم الضرر اللذ َين ﻻ ي ُقصدان »‪.‬‬
‫قب بالبصري ‪211‬‬ ‫ً‬
‫يقول‪ « :‬إن كان ما يتولد من الرمي الحسن ضررا فإنه ]‪ [١٢٢‬وكان المل ّ‬
‫‪192‬‬

‫قبحه‪< ،‬‬ ‫م عليه والعقاب ل ُ‬ ‫ن »‪ .‬ويلزمه على ذلك وجوب الذ ّ‬ ‫قبيح ‪ -‬يعني المتولد ‪ -‬وسبب ُه حس ٌ‬
‫جب‬ ‫ِ‬ ‫و‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ه‬ ‫ب‬ ‫ب‬‫س‬ ‫ُ‬
‫ل‬ ‫ع‬ ‫ف‬ ‫و‬ ‫ً‬ ‫ا‬ ‫ح‬‫ي‬ ‫ب‬‫ق‬ ‫ب‬ ‫ب‬‫س‬ ‫م‬‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫و‬ ‫ك‬ ‫ي‬ ‫ف‬ ‫ي‬‫ك‬ ‫و‬ ‫‪.‬‬‫ه‬‫ب‬ ‫ب‬ ‫س‬ ‫[‬‫ب‬ ‫ل ]‪١٣٧‬‬‫و>أن ﻻ يكون للفاعل فع ُ‬
‫محال من القول‪.‬‬ ‫ُ‬
‫ن للقادر عليه فعله ؟ هذا ُ‬ ‫س َ‬
‫ح ُ‬
‫له ﻻ محالة َ‬
‫]‪ [١٢٣‬وكان أبو الهذيل العﻼف وجعفر بن حرب يقوﻻن إنه ﻻ يتولد عن الحسن إﻻ حسن ‪212‬‬ ‫ّ‬
‫وعن القبيح إﻻ قبيح‪.‬‬
‫ّ‬
‫باب ذكر اختﻼف القائلين بالتولد هل تصح التوبة ‪213‬‬

‫؟ ‪214‬‬ ‫من المتولد بعد وجود سببه أم ﻻ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪276‬‬

‫وقال ‪215‬‬
‫]‪ [١٢٤‬وقد قال الجمهور منهم‪ « :‬التوبة من المتولد بعد وجود سببه صحيحة »‪.‬‬
‫بعضهم‪ « :‬ﻻ تصح التوبة منه بعد وجود سببه »‪ .‬وممن قال بذلك عب ّاد الصيمري‪ .‬واﻷولى على‬
‫وهو لم ) ؟ (‪193‬قولهم صحة التوبة منهم ووجوبها أيضا ً‪ ١٣٨] .‬أ[ وذلك إن فوّق سهمه ورمى‪...‬‬
‫ن أنه ي ُصيبه‪ ،‬فإن ندم على ذلك وقصد استدراك ما كان منه‪ ،‬صح‬ ‫يقصد قتله ويعلم أو يظ ّ‬
‫منه هذا الندم والعزم على أن ﻻ يعود إلى مثله في المستقبل‪ ،‬وأن يفعل الندم والعزم بعد‬
‫وجود الرمي وقبل وصول السهم‪ .‬فإن قيل‪ « :‬كيف تصح التوبة من المتولد بعد وجود سببه‬
‫وقبل وجوده وهو لم يكن منه‪ ،‬وُمحال وجود التوبة مما لم ي ُفعَل ؟ »‪ ،‬قيل له‪ :‬إنما يصح ذلك‬
‫عند القوم ﻷن المسبب بعد وجود سببه في حكم الواقع الموجود‪ .‬وقد ثبت صحة التوبة من‬
‫وُجد سبب ُه إذا كان في حكم الموجود‪ ،‬ولم‪194‬الفعل إذا ُوجد والندم عليه‪ ،‬فكذلك تصح مما‬
‫يمكن تﻼفي ذلك واستدراكه إﻻ بالتوبة منه‪.‬‬
‫من ‪216‬‬ ‫]‪ [١٢٥‬وكان اﻷقرب في هذا أن هذه التوبة إنما هي توبة من فعل السبب‪ ،‬فأما‬
‫شر ﻻ تصح التوبة منه قبل‬ ‫مبا ِ‬
‫فقَ على أن ال ُ‬ ‫مسبب لم يقع فالندم ]‪ ١٣٨‬ب[ عليه يتعذر‪ .‬وقد ات ُّ ِ‬
‫محال أيضا ً‪،‬‬ ‫ُ‬ ‫ف‬ ‫ه‬ ‫ع‬‫و‬‫ق‬ ‫و‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ح‬ ‫ي‬ ‫ف‬ ‫ر‬ ‫ش‬
‫ِ‬ ‫ا‬ ‫ب‬‫م‬‫ُ‬ ‫ل‬ ‫ا‬ ‫ن‬ ‫م‬ ‫وقوعه‪ ،‬فكذلك يجب أن يكون المتولد‪ .‬فأما التوبة‬
‫وإنما تصح بعد وقوعه ﻷن الندم عليه يقتضي اﻻنصراف عنه والكراهة له‪ ،‬وهو في حال‬
‫إيقاعه مؤث ٌِر له وقاصد ٌ إليه وغير نادم على التلب ّس به‪ ،‬فكيف تصح التوبة في حال حدوثه ؟‬
‫ض كونه متولدا ً لم تصح التوبة ‪217‬‬ ‫جب ّائي إن من اﻷفعال ما لو صح وُفرِ َ‬ ‫]‪ [١٢٦‬وقد قال ابن ال ُ‬
‫منه‪ ،‬ﻻ في حال وقوعه وﻻ بعد وقوعه‪ .‬قال‪ « :‬وهو الجهل »‪ .‬قال‪ « :‬ﻷن التوبة منه في حال‬
‫محال‪ ،‬ﻷنه إنما يجب أن يتوب التائب‬ ‫محال ل ِما ذكرناه‪ .‬والتوبة منه بعد وقوعه أيضا ً ُ‬
‫وقوعه ُ‬
‫ل الجهل على وجه التول ّد ‪ -‬لو صح أن ي ُفعَل متولدا ً ‪ -‬ﻻ‬ ‫قبحه »‪ .‬قال‪ « :‬وفاع ُ‬‫‪195‬من فعل القبيح ل ُ‬
‫قبح ]‪ ١٣٩‬أ[ هي كونه جهﻼ ً‪ ،‬وهو ﻻ يصح أن يعلمه جهﻼ ً قبل‬ ‫يعلمه قبيحا ً قبل فعله‪ ،‬ﻷن جهة ال ُ‬
‫فعله‪ ،‬ﻷنه لو علمه جهﻼ ً بما هو جهل به لصار عالما ً بما جهله‪ .‬ﻷنه ﻻ يعلمه جهﻼ ً بكذا وكذا‬
‫هو جاهل به !»‪196.‬حتى يعلم متعل َّقه وما هو جهل به‪ ،‬وذلك يوجب كونه عالما ً بما‬
‫فــصـــل ‪218‬‬ ‫[‪]١٢٧‬‬
‫أن ‪219‬‬‫وقد اعتل ّوا لوجوب التوبة من المتولد بعد وجود سببه وقبل وجوده بأنه‪ ،‬إذا لم يؤَمن‬
‫مكل َّف قبل وجود المسبب المعلوم وقوعه أو المظنون‪ ،‬فلو لم تصح التوبة منه لم‬ ‫ي ُخترم ال ُ‬
‫يكن لفاعل السبب سبيل إلى الوصول إلى ثواب طاعاته‪ ،‬وتﻼفي ما كان منه واستدراكه إذا‬
‫كان المسبب كبيرا ً أو قتﻼ ً لنبي ومؤمن‪ ،‬وهذا يوجب أنه ﻻ طريق له إلى ثواب عمله مع بقاء‬
‫التكليف عليه‪ .‬وذلك غير جائز‪ ،‬فوجب عليه التوبة من المتولد لذلك بعد وجود سببه‪.‬‬
‫جب ّائي في العقاب ]‪ ١٣٩‬ب[ متى ي ُستحقّ على المسبب‪220 .‬‬ ‫]‪ [١٢٨‬وقد اختلف قول ابن ال ُ‬
‫فقال مّرة ً‪ « :‬ي ُستحقّ عليه عند وجود سببه وقبل وجوده»؛ وقال أخرى‪ « :‬بل ي ُستحقّ عليه عند‬
‫ة لعقاب ثابت ي ُستحقّ عليه؛‬ ‫مزيل ً‬‫وجوده »‪ .‬فعلى القول اﻷّول‪ ،‬يجب أن تكون التوبة منه ُ‬
‫ة في استحقاق العقاب على‬ ‫وعلى القول الثاني‪ ،‬تصح أيضا ً التوبة منه‪ ،‬وجعلها تابع ً‬
‫ة لعقاب السبب المسبب‬
‫‪197‬‬
‫‪ ،‬فكأنه جعل المسبب تابعا ً لسببه‪ .‬وحقيقة هذا أن العقاب و ُ‬
‫مزيل ً‬ ‫‪198‬‬

‫ﻻ ي ُستحقّ إﻻ على موجود‪ .‬وهذا أولى على قولهم‪ ،‬ﻷجل أن العقاب إنما ي ُستحقّ على القبيح‬
‫محال كونه قبيحا ً قبل وجوده وفي حال عدمه‪ .‬فيجب أن ﻻ ي ُستحقّ عليه العقاب إﻻ‬ ‫قبحه‪ ،‬و ُ‬
‫ل ُ‬
‫عند وجوده‪ .‬ويجب على هذا القول أن ﻻ تصح التوبة إﻻ عند وجوده وحصوله قبيحا ً‪ ،‬وهذا يعود‬
‫إلى أنه ﻻ سبيل لمن اخت ُرم قبل وجود المسبب إلى الوصول إلى ]‪ ١٤٠‬أ[ ثواب عمله‪ ،‬وذلك‬
‫عين الظلم !‬
‫فيه ‪221‬‬ ‫باب ذكر جملة ما يشترك فيه السبب والمسبب وما يفترقان‬
‫]‪ [١٢٩‬يجب عندهم اشتراكهما في كونهما حادث َين وفي تعل ُّقهما بفاعل‪ ،‬سوى‬
‫ث ُمامة ‪222‬‬

‫لقوله إن المتولد ﻻ فاعل له‪ .‬ويجب كونهما مقدوَرين بقدرة واحدة ولقادر واحد‪ .‬وﻻ يجب‬
‫مراد َين‪ ،‬ﻷن المسبب يقع أكثره مع عدم القصد إليه ومع‬ ‫اشتراكهما في كونهما مختاَرين ُ‬
‫الكراهة له‪ .‬ويجب متى كان السبب ﻻ جهة له اشتراكه مع المسبب في وجوده بمح ّ‬
‫ل واحد‪،‬‬
‫كالنظر والعلم والوهي واﻷلم والتأليف والمجاورة‪ .‬فأما ما له جهة كاﻻعتماد‪ ،‬فقد يوجد‬
‫مسببه في محل ّه تارةً وفي غيره أخرى‪ ،‬على ما بي ّن ّاه من قبل‪ .‬ويجب متى ُوجد ]‪ ١٤٠‬ب[‬
‫ما معه أو قبله؛ وﻻ يجب متى ُوجد السبب وجود مسببه‪،‬‬ ‫المسبب أن يكون سببه موجودا ً‪ ،‬إ ّ‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪277‬‬

‫ﻷنه قد ﻻ يوجد لمانع يعرض‪ .‬وكذلك فإنه يجب أن يكون الداعي إلى فعل المسبب داعيا ً إلى‬
‫فعل السبب؛ وﻻ يجب أن يكون الداعي إلى فعل السبب داعيا ً إلى فعل المسبب‪ ،‬ﻷنه قد‬
‫يكره المسبب بعد فعل سببه‪ ،‬وقد يكون ساهيا ً عنه وغير عالم بأنه متولد‪.‬‬
‫ة في القول بالتول ّد وأحكامه وتصريف القول فيه إن شاء الله‪ .‬وبالله ‪223‬‬ ‫مقن ِع ٌ‬
‫ة ُ‬
‫وهذه جمل ٌ‬
‫التوفيق‪.‬‬
‫والطوائف ‪224‬‬ ‫فهرس اﻷعﻼم‬
‫‪225 ٣٠٠‬‬ ‫جب ّائي ‪،٢٩٩ ،٢٩٨ ،٢٩٧ ،+٢٩٥ ،+٢٩٤ ،+٢٩٣ ،٢٩٢ ،٢٨٥ ،+٢٨٤ ،٢٨٣‬‬
‫ابن ال ُ‬
‫ﻼف ‪226 ٢٩٩‬‬‫أبو الهذيل الع ّ‬
‫‪227 +٢٩٣‬‬ ‫اﻹسكافي ‪،٢٨٤‬‬
‫‪228 ٢٨٨‬‬ ‫أصحاب الطبع‪ ،‬أصحاب الطبائع ‪،٢٨٧‬‬
‫‪229 ٢٩١‬‬ ‫بشر بن المعتمر‬
‫‪230 ٢٩٩‬‬ ‫البصري ) أبو عبد الله (‬
‫‪231 ٣٠٠‬‬ ‫ثمامة بن أشرس ‪،٢٨٨ ،٢٩٧ ،٢٦٦ ،٢٨٥ ،٢٧٨ ،٢٧٧‬‬
‫‪232 ٢٨٧‬‬ ‫الجاحظ ‪،٢٨٥‬‬
‫‪233 ٢٩٨‬‬ ‫جب ّائي ‪،٢٩٢ ،٢٨٥ ،٢٨٤‬‬
‫ال ُ‬
‫‪234 ٢٩٩‬‬ ‫جعفر بن حرب‬
‫‪235 ٢٩١‬‬ ‫جعفر بن مب ّ‬
‫شر‬
‫‪236 +‬‬ ‫صالح قب ّة ‪٣٩٠‬‬
‫‪237 ٢٩٩‬‬ ‫عب ّاد بن سليمان الصيمري ‪،٢٩٥ ،٢٩٤‬‬
‫‪238 ٢٧٨‬‬ ‫صلوهم ‪،٢٧٤‬‬
‫مح ّ‬
‫‪239 ٢٨٦‬‬ ‫معتزلة البغداديين‬
‫‪240 ٢٨٧‬‬
‫مر ‪،٢٨٦ ،٢٨٥‬‬ ‫مع ّ‬
‫النظ ّام ‪241 ٢٨٨ ،+٢٨٧ ،٢٨٦ ،٢٨٥‬‬

‫‪242 ٢٨٦‬‬ ‫ن ُفاة اﻷعراض‬


‫‪243‬‬ ‫فهرس الكتب‬
‫‪244 ٢٨٩‬‬ ‫وة‬
‫إبانة عجز القدرية عن إثبات دﻻئل النب ّ‬
‫‪245 ٢٨٦‬‬ ‫أحكام تصُّرف العباد‬
‫ما يعل َّل وما ﻻ يعل َّل ‪246 ٢٨٥‬‬

‫‪247 ٢٩٤‬‬ ‫نقض النقض‪ ،‬نقض الكتاب المترجم بنقض الل ُ َ‬


‫مع ‪،+٢٩٢ ،٢٩٠ ،٢٨٦ ،٢٨٥‬‬

‫‪Troisième partie : commentaire‬‬


‫‪Références bibliographiques‬‬

‫‪248‬‬ ‫‪Fī t‑tawḥīd : fragment, publié sous ce titre par Abū Rīda (Le Caire 1969), d’un‬‬
‫‪commentaire anonyme du Šarḥ d’Abū ‘Alī b. H̱allād 199 . Contrairement à Abū Rīda,‬‬
‫‪j’estime que ce commentaire ne saurait être attribué directement à Abū Rašīd‬‬
‫‪an‑Nīsābūrī et qu’il est beaucoup plus vraisemblablement l’œuvre d’un disciple de ce‬‬
‫‪dernier.‬‬
‫‪249‬‬ ‫‪M : ‘Abd al‑Ǧabbār, al‑Muġnī, Le Caire 1960‑65.‬‬
‫‪250‬‬ ‫‪Maq : Abū I‑Ḥasan al‑Aš‘arī, Maqālāt al‑islāmiyyīn, 2e éd. H. Ritter, Wiesbaden 1963.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


278

251 Mas : Abū Rašīd an‑Nisābūrī, al‑Masā’il fī l‑ẖilāf bayna l‑Baṣriyyīn wa l‑Baġdādiyyīn,
Beyrouth 1979.
252 Mǧm : Ibn Mattawayh, al‑Maǧmū‘ fī l-Muḥīṭ bi‑t‑taklīf, Beyrouth 1/1965 ; 2/1981 ; 3/1999.
253 Šarḥ al‑uṣūl : [Ta‘līq] Šarḥ al‑uṣūl al‑ẖamsa de l’imam zaydite Mānkdīm Šešdīv, attribué
faussement à ‘Abd al‑Ǧabbār par son éditeur A.K. ‘Uṯmān, Le Caire 1965.
254 Šm : Imām al‑ḥaramayn al‑Ǧuwaynī, aš‑Šāmil fī uṣūl ad‑dīn, Alexandrie 1969.
255 Taḏ : Ibn Mattawayh, at‑Taḏkira fī aḥkām al‑ǧawāhir wa l-a‘rāḍ, éd. D. Gimaret, 2 vol., Le
Caire (Ifao) 2009.
256 § 1. L’argument figure pareillement en tête des “pseudo‑arguments” (šubah) prêtés au
contradicteur dans M IX 64. On notera que ni ‘Abd al‑Ǧabbār ni Ibn Mattawayh ne
contestent le principe qu’un acte engendré puisse en effet se réaliser alors que son
agent est devenu mort ou impuissant, cf. Taḏ 225,11‑12 ; 325,5‑8 ; 482,1‑2.
257 § 2. Qālū min ḥaqqi mā yata‘allaqu bi‑l-fā‘il ṣiḥḥat fi‘lihi wa an lā yaf‘alahu, cf. M IX 73,8‑ 10 :
wa qad qāla aš-šayẖān fī ġayr mawḍi‘ inna min ḥaqqi l‑qādir ‘alā š‑šay’ an yaṣiḥḥa an yaf‘alahu
wa yaṣiḥḥa allā yaf‘alahu. L’objection selon laquelle la consécution nécessaire de l’acte
engendré par rapport à sa cause rendrait précisément impossible, en vertu de ce
principe, de le considérer comme l’acte de l’agent humain est une des objections
majeures adressées aux mu‘tazilites. Elle figure sous deux versions, voisines l’une de
l’autre, dans M IX 72,9 sq et 76,18 sq. B. y reviendra deux fois, d’abord au § 33, puis aux
§§ 78‑79 où curieusement il fera émettre cette objection par d’autres mu‘tazilites
partisans des “natures”.
258 § 4. Je ne retrouve cet étrange argument ni dans le Tamhīd, ni dans le texte parallèle de
Simnānī (al‑Bayān ‘an uṣūl al‑īmān, ms Alep, al‑Maktabat al‑‘uṯmāniyya, 517, ff. 67a‑74a),
ni dans les sources mu‘tazilites. Ibn Qami’a (ou Qamī’a selon Ibn Sa‘d) est un de ceux qui
ont combattu et blessé le Prophète à Uḥud. Cependant, selon la tradition, ce n’est pas
Ibn Qami’a qui est réputé lui avoir brisé une molaire, mais ‘Utba b. Abī Waqqāṣ (cf. Ibn
Hišām, as‑Sīra, Le Caire 1375/1955, 3/84‑85 ; Ibn Sa‘d, Ṭabaqāt, éd. I. ‘Abbās, 2/42, 45, 49.
259 § 7. Wa lammā ttafaqnā ‘alā buṭlān kawnihā qudratan ‘alā miṯlayn fī zamanin wāḥid fī maḥallin
wāḥid, allusion au principe ǧubbā’ite selon lequel aḥadunā lā yaqdiru, wa l‑waqt wa
l‑maḥall wa l‑ǧins wāḥid, ‘alā azyad min ǧuz’in wāḥid ; cf. Taḏ 451,23‑24 ; 462,14 sq ; 505,18.
260 Li‑qawlihim innahā qudratun ‘alā mā lā nihāyata lahu min kulli ǧins wa in lam yaṣiḥḥa an
yuf‘ala minhu iṯnān fī waqtin wāḥid fī maḥallin wāḥid. Tel est en effet le point de vue
ǧubbā’ite : la puissance humaine est puissance d’une infinité de possibles du même
genre dès lors qu’il y a multiplicité d’instants ou multiplicité de réceptacles, cf. Taḏ
462,5‑13.
261 Al‑maḥall yaḥtamilu ‘indakum fī l‑waqti l‑wāḥid amṯālan kaṯīratan min kulli ǧins.
Contrairement à Aš‘arī et aux aš‘arites pour qui deux accidents du même genre ne
peuvent coexister dans un même réceptacle (cf. ma Doctrine d’al‑Ash‘arī, Paris 1990,
88‑89), les ǧubbā’ites admettent en effet cette possibilité de manière systématique, qu’il
s’agisse de couleurs (Taḏ 133,7‑8), de saveurs ( Taḏ 153,4‑5), de sons (Taḏ 192,3),
d’assemblage/ta’līf (Taḏ 302,2‑6), de pression/ i‘timād ( Taḏ 329,6‑13) 200, de vies (Taḏ
394,19‑20), de désirs (Taḏ 417,14‑20), de volontés (Taḏ 536,3‑4). La règle vaut également
pour les puissances, sauf que leur nombre, pour un même réceptacle, ne peut être
supérieur à cinq (Taḏ 449,3‑6).

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


279

262 Wa qad ṯabata min qawlinā wa qawlihim anna nafs aǧzā’i ṯ‑ṯaqīl lā tamna‘u min šaylihi.
Allusion probable à la thèse de Ǧubbā’ī et ‘Abbād b. Sulaymān selon laquelle un corps
est pesant par lui‑même, c’est‑à‑dire en proportion du nombre de ses atomes et de leur
tassement (iktināz) (cf. M IX96,7‑9 ; Taḏ 314,21‑22). Abū Hāšim et ses partisans
soutenaient quant à eux que le poids d’un corps est dû à la présence en lui d’une
“entité” spécifique, l’accident “pesanteur” (ṯiql) qui est une des modalités de la
pression. Et telle sera, en effet, la position de B. (cf. Šm 490), contrairement à son maître
Aš‘arī, adepte de l’autre thèse (cf. Doctrine d’al‑Ash‘arī, 72‑73).
263 § 8. Raisonnement semblable dans Taḏ 461,20‑23 pour démontrer que c’est une même
puissance qui est à la fois puissance de la cause génératrice et puissance de l’acte
engendré par elle.
264 § 14. La thèse selon laquelle la douleur physique a pour cause génératrice non pas
directement une pression mais une “déchirure” (wahy201) engendrée par celle‑ci, et à la
condition que cette déchirure nuise au “bon état” (ṣiḥḥa) dont la vie a besoin pour
exister, est la thèse classique des traités gubbā’ites (cf. notamment M IX52‑60), celle
qu’Abū Hāšim a soutenue du moins “dans beaucoup de ses livres” (M IX139,14), car il lui
est arrivé aussi de faire de la pression même la cause directe de la douleur (cf. Taḏ
335,20‑21). C’est à lui en tout cas (selon M IX 52,18 sq) que remonte l’argument cité par
B. à l’encontre de cette dernière hypothèse, à savoir qu’une pression n’a pas le même
effet selon qu’elle s’exerce sur une partie tendre du corps humain ou une partie dure
(cf. également M XIII272‑73 ; Taḏ 268,16‑18 et 337,17‑20).
265 § 15. Iḏā ‘tamada r‑raǧul al‑ayyid aš‑šadīd... Objection identique, pour l’essentiel, en M IX
56,15 sq. La formulation est passablement différente, mais il s’agit toujours de montrer,
contre les gubbā’ites, que leur théorie de la douleur devrait les conduire à admettre
qu’un unique engendré puisse procéder de deux causes génératrices (musabbab wāḥid
‘an sababayn ) — ici un atome de déchirure pour deux atomes de pression ; chez ‘Abd
al‑Ǧabbār une douleur unique pour deux atomes de séparation (iftirāq) — et à admettre
du même coup qu’un acte unique puisse être l’œuvre de deux agents, qu’un possible
unique relève de deux puissances (cf. encore M XIII 233,1‑2 et 272,9‑12), contrairement
à un principe cardinal du mu‘tazilisme concernant la théorie de l’acte humain (cf.
encore M IX 117,7‑9).
266 Wa qad qālū hum law ǧāza ḏālika la‑ǧāza... L’argument reproduit, transposé au cas d’un
sabab ‘an sababayn, celui qu’utilisait Abū Hāšim (cf. M VIII 101) pour démontrer qu’un
agent ne saurait produire un même acte selon deux modalités (an yuḥdiṯa š‑šay’ ‘alā
waǧhayn). Sinon, disait‑il, il pourrait se faire qu’il le produise selon l’une des deux
modalités et non selon l’autre, d’où il résulterait que l’acte soit à la fois existant et
inexistant (mawǧūdan ma‘dūman). B. utilisera à nouveau cet argument contre Abū Hāšim
concernant l’idée que Dieu puisse aussi agir par voie de génération (cf. § 117).
267 § 17. ... lākinnahu wahyun wāḥidun mutawallidun ‘an aḥadi l‑i‘timādayn bi‑ġayri ‘aynihi. Telle
est en effet, longuement argumentée, la réponse mu‘tazilite à l’objection, cf. M IX 58 (où
lire 1.3 : illā anna aḥadahumā lā bi‑‘aynihi yuwallidu l‑alam) et surtout XIII 234‑236.
268 § 22. Wa yaǧibu ‘alā uṣūlihim an lā yūṣafa l-iftirāq allaḏī laysa bi‑nāfin li‑ṣ‑ṣiḥḥa (...)
bi‑annahu wahyun. ‘Abd al‑Ǧabbār dit tout à fait de même (M IX 54,12‑18).
269 §§ 24‑25. L’objection d’une piqûre de guêpe, morsure de serpent, etc, pour contester la
proportionnalité entre la douleur et sa prétendue cause génératrice, est mentionnée en
M IX 53. La réponse qu’y apporte ‘Abd al‑Ǧabbār est celle indiquée par B. : le surplus de

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280

douleur est l’œuvre de Dieu par voie de coutume (min fi‘li llāhi bi‑l‑‘āda), cf. également
Taḏ 465,12‑13.
270 § 29. ... li‑annanā bi‑hāḏā ṭ‑ṭarīq ‘alimnā anna l‑mubāšir min al‑af‘āl fi‘lun lanā . Même
parallélisme entre acte direct et acte engendré dans les deux premiers arguments du
qāḍī ‘Abd al‑Ǧabbār en faveur de la thèse du tawallud, cf. M IX37 et 38.
271 § 31. Sur l’objection du ‘ilm bi‑l‑mudrak cf. M IX38,10‑11 et 39,1‑5. Sur la remémoration
du raisonnement (taḏakkur an‑naẓar)et qu’elle n’est pas, selon les ǧubbā’ites, cause
génératrice de science, cf. M IX126 et Taḏ 594,17‑19.
272 § 32. Waṣ‑ṣakkatu muwallidatan li‑ṣ‑ṣawt bi-šarṭi wuǧūd aṣ‑ṣalāba. Formule en partie
inexacte, à nous en tenir du moins aux positions le plus souvent affichées par ‘Abd
al‑Ǧabbār et Ibn Mattawayh, pour qui la véritable cause génératrice du son est la
pression, le “choc” (le terme usuel est muṣākka plutôt que ṣakka) n’étant que la
condition de ce processus : al‑i‘timād yuwallidu ṣ‑ṣawt bi‑šarṭi l-muṣākka (cf. M IX56,9 et
147,3‑5 ; Taḏ 189,18‑19 ; 193,15‑17 ; 295,5‑8 ; 305,5‑6). Mais il est vrai que les choses
n’ont pas toujours été aussi nettes (ainsi la position d’Abū Hāšim dans le Ǧāmi‘, cf. M IX
138,17‑18). Quant à la dureté (ṣalāba) du réceptacle, elle aussi en effet est comprise
comme une condition du son (ou comme quelque chose dont le son a besoin pour
exister, ce qui revient au même) : le “choc” requis ne peut avoir lieu qu’entre deux
corps durs (Taḏ 186,18 sq ; 189,18‑22 ; 192, 4‑5). Une fois, du reste, Ibn Mattawayh dit
carrément que la pression engendre le son bi‑šarṭi ṣ‑ṣalāba (au lieu de bi‑šarṭi l-muṣākka)
(Taḏ 292,17).
273 § 33. Sur cette objection capitale, annoncée déjà au § 2, cf. M IX 39,10‑17 et 72,9‑19.
274 § 35. B. soulève ici la question du ta‘līl et de ses limites, une question, on l’a vu, qu’il
s’est lui‑même posée, et qu’Ibn Mattawayh aborde en effet à plusieurs reprises dans sa
Taḏkira. Le ta‘līl, rappelons‑le, est cette opération maintes fois pratiquée qui consiste,
considérant telle propriété (ḥukm) d’un existant donné, telle règle le concernant, à en
découvrir l’explication, la cause (‘illa) — lemot ‘illa étant à comprendre ici au sens large,
non au sens restreint qui en fait un équivalent de ma‘nā ou ‘araḍ (l’accident comme
cause d’une qualification). Les possibles façons d’expliquer (wuǧūh at‑ta‘līl) sont
multiples et leur énumération est toujours sensiblement la même : cela peut être
principalement l’essence (ḏāt) de l’existant considéré ou telle qualification qui lui est
attachée ; ou bien l’existence en lui d’une entité (wuǧūd ma‘nā) ; oubien l’action d’un
agent (fā‘il). Mais cela peut être aussi son fait d’exister, ou de commencer d’être (ḥudūṯ),
voire son inexistence ou l’inexistence en lui d’une entité (‘adam ma‘nā), etc (voir, entre
autres exemples, comment au début de la section sur les akwān Ibn Mattawayh
démontre en vertu de quoi une substance se trouve “localisée” en tel point de l’espace
et nul autre). Or, indique l’auteur de la Taḏkira, sicette détermination d’une cause est,
dans certains cas, impérative (Taḏ 434,16‑19), elle n’est pas toujours possible. L’exemple
le plus souvent cité est celui que B. mentionne ici en troisième position et qui est la
règle selon laquelle l’accident résidant en tel réceptacle ne saurait en aucune façon
résider ailleurs qu’en lui (al‑ḥāll fīmaḥall lā yaṣiḥḥ wa kāna lā yaṣiḥḥ wuǧūduhu illā fīhi, Taḏ
138,12) : de cette règle nulle explication pertinente ne se peut déceler, cf. Taḏ 139,5 sq,
et aussi 129,3‑4 ; 434,19‑20 ; 481,10‑14. Un autre exemple est celui cité en premier lieu
par B., celui de la “spatialité” (taḥayyuz), une qualité que la substance mérite du fait de
son essence même, mais qui ne se manifeste que lorsque ladite substance existe (cf. Taḏ
21,17 sq). En revanche, je ne vois pas confirmation chez Ibn Mattawayh d’une

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non‑justification du rapport (ta‘alluq) de la puissance à son objet, IM dit au contraire


que ce rapport procède de son essence (li‑ḏātihā, Taḏ 139,19).
275 § 37. Ce “pseudo‑argument” attribué aux mu‘tazilites rappelle d’assez près M IX 40,4 sq.
276 § 40. Ma‘a ttifāqikum ‘alā anna l‑‘ilm al‑wāḥid bi‑l‑ma‘lūmi l‑wāḥid ‘alā l‑waǧhi l‑wāḥid ǧuz’un
wāḥidun. Sur ce principe, cf. Taḏ 626,2‑3, oū il est précisé que la règle ne vaut que
s’agissant d’une connaissance détaillée (‘alā ḥaddi t‑tafṣīl), non globale.
277 Wa annahu mutawallid ‘ani n‑naẓar al‑kaṯīr fī d‑dalīl al‑murattabi ba‘ḍuhu ‘alā ba‘ḍ. De fait
pour Ibn Mattawayh chaque naẓar est instantané (il fait partie des accidents qui ne
durent pas), et une réflexion qualifiée de “longue” (ṭawīl) consiste à faire se succéder
une multipiicité d’anẓār ba‘ḍahu iṯr ba‘ḍ (Taḏ 669,4‑7).
278 § 41. Yuqālu lahum wa iḏā ṯabata anna minhā mā laysa bi‑wāqi‘ bi‑qadri l‑qudar ‘alā
asbābihā... Objection comparable en M IX 41,20‑23.
279 §§ 42‑43. ‘Abd al‑Ǧabbār répond d’avance à l’objection et assure, comme ici au § 43, que,
s’agissant de l’acte engendré, connaissance de l’acte comme acte et connaissance de
l’agent comme puissant suivent un ordre inverse que dans le cas de l’acte direct, cf. M
IX 40,20 sq.
280 § 43. Wa ǧarā ḏālika fī bābihi maǧrā ftirāq ḥāI al‑ǧism wa l‑‘araḍ fī mā yumkinu an yustadalla
bihi ‘alā ḥudūṯihimā. Même parallèle en M IX 41,7‑11.
281 § 46. Fa‑in qālū li‑annahu law kāna ḏālika kaḏālika la‑waǧaba an taḫtalifa l‑‘ādatu fi ḏālika
iḫtilāfan. Thème récurrent chez les auteurs ǧubbā’ites : tout ce qui relève de la coutume
est susceptible de varier selon les temps et les lieux, cf. par exemple M XV353,12‑13 : mā
ṭarīquhu l-‘āda yaǧūz an yaḫtalifa bi‑l‑awqāt wa l‑amākin.
282 § 48. Je ne trouve pas trace d’un tel argument dans les textes mu‘tazilites actuellement
disponibles. La question de l’origine du mouverment des os et des poils indissociable du
mouvement de la partie vivante du corps humain y intervient certes, mais dans un
autre contexte, sur la question de savoir s’il peut y avoir mouvement sans une pression
qui l’engendre, cf. M IX 142 ; Taḏ 56,16 sq ; Fī t‑tawḥīd 149‑150 ; Šm 504‑505.
283 Lam takun min ǧumlati l-ḥayy. Tel est en effet le point de vue d’Abū Hāšim. Mais Abū ‘Alī
pensait le contraire, cf. Taḏ 391,15‑17.
284 § 49. Fa‑ammā l-‘aẓmu fa‑qad uḫtulifa fīhi. Même variation d’opinion chez Abū Hāšim, qui
a pensé parfois que les dents devaient être vivantes du fait qu’on y éprouve de la
douleur. Abū ‘Alī puis Ibn Mattawayh sont d’avis opposé (Taḏ 391,10‑12).
285 § 54. Je ne retrouve pas pour l’instant dans mes sources habituelles (y compris Maq) la
définition de l’acte “direct” attribuée ici à “la grande majorité” des mu‘tazilites. Celle
qui suit en revanche — elle est reprise plus bas sous une autre forme ‑ selon laquelle
l’acte mubāšir se définit comme celui qui se produit “dans qui en a puissance et dans le
réceptacle de la puissance qu’il en a” (et cela par opposition à l’acte engendré qui se
produirait par principe hors de ce réceptacle), est bien en substance celle que le
commentateur anonyme du Šarḥ d’Ibn H̱allād (Fī t‑tawḥīd 390)attribue à “nos anciens
maîtres” (mašāyiẖunā al‑mutaqaddimūn) : al‑mubāšir huwa mā yaḥillu maḥalla l-qudrati
‘alayhi. Une définition à laquelle le dit commentateur adresse les mêmes objections que
celles faites ici par B., à savoir que, parmi les actes engendrés (ou que les mu‘tazilites
considèrent comme tels), il en est qui se produisent dans le réceptacle de la puissance
de qui les accomplit. Les exemples concernés sont identiques : il y a d’une part la
science engendrée par le raisonnement ; d’autre part cet exemple très inattendu du

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retour de la pierre dans la main de qui l’a lancée et du mouvement que ce retour y
produit (Fī t‑tawḥīd 391,3‑4, cf. M IX76,1 et 113,21).
286 § 55.La définition de l’acte mubāšir que B. juge la plus pertinente, et qui se caractérise
par l’introduction du verbe ibtada’a, est en effet, sous des formulations voisines, celle
que proposent les auteurs ǧubbā’ites : mā yuf‘alu mubtada’an bi‑l-qudrati fī maḥallihā (Fī
t‑tawḥīd 391, cf. presque à l’identique Šarḥ al‑uṣūl 223 et Taḏ 458,12) ; mā yaf‘aluhu
ibtidā’an fī maḥalli l-qudra min dūni fi‘lin siwāhu (Mǧm 1/3 67).
287 § 56. La définition d’Abū Hāšim est ainsi rapportée par ‘Abd al‑Ǧabbār : mā wuǧida ‘an
ġayr muqaddima (M IX138,21‑22).
288 § 57.Cette définition de l’acte engendré, que B. estime être la plus appropriée, n’a pas
son équivalent, autant que je sache, ni dans les textes ǧubbā’ites, ni dans Maq 408‑09.
289 §§ 58‑62. Toutes les définitions ici rapportées se retrouvent, sous des formulations plus
ou moins semblables, dans Maq 408‑09.
290 § 58. Cf. Maq 409,3‑6.
291 § 59.Cf. Maq 408,14.
292 § 60. Cf. Maq 408,15‑16. Noter que la lecture awǧabahu fournie par B. est visiblement
préférable au awǧabtu du texte d’Aš‘arī.
293 Min al‑mutawallidāt mā lā tark lahu ka‑t‑ta’līf. Cf. en effet M IX 73,23‑24 ; Taḏ 252,15 et
301,2‑13.
294 Li‑annahu ‘indahum qādir ‘alā taskīn al‑ḥaǧar aṯ-ṯaqīl ma‘a fi‘li l-i‘timād fīhi al‑muwallid li‑l-
ḥaraka. Cf. Taḏ 277,16.
295 §§ 61‑62.Le texte de B. permet de corriger celui, incompréhensible sous sa forme
actuelle, de Maq 409,1‑2. Il faut y lire :
‫ هو الفعل الثالث بعد وجود اﻹرادة‬: ‫وقال بعضهم‬
.‫والسبب‬
‫ هو الفعل الذي يلي ُمرادي مثل اﻷلم‬: ‫وقال بعضهم‬
.‫الذي يلي الضربة ومثل الذهاب الذي يلي الدفعة‬
296 § 63. Je ne vois ce problème formellement soulevé que dans Maq 412,14 sq puis
414,13‑15.Mais une réplique d’Abū Rašīd (Mas 70,2‑3) semble bien confirmer le point de
vue ici attribué aux ǧubbā’ites : qīla lahu inna s‑sabab fī l-ḥaqīqa lā yūǧibu wuǧūd
al‑musabbab, wa l-mūǧib huwa l-fā‘il yaf‘alu l-musabbab ‘inda fi‘lihi li‑s‑sabab.
297 § 64. Sababāni minhā lahumā ǧihatun wa yuwallidāni fī ǧihatihimā wa humā al‑ḥaraka wa l-
i‘timād. Faux, si l’on en croit les sources mu‘tazilites. Pour Ǧubbā’ī, seul le mouvement
était cause génératrice : al‑muwallid huwa l-ḥaraka (Taḏ 275,6‑7 ; 279,2‑4 ; 284,16‑17) ; il
niait qu’il en fût de même de la pression (lam yaǧ‘al al‑i‘timād muwallidan, Taḏ 270, 10).
Pour lui, c’est le mouvement qui cause le mouvement (voir ici § 97), ainsi que, dans
certains cas, la fixité (sukūn) ; c’est lui également qui est cause du son (Taḏ 271,9‑ 10). Cf.
encore, dans le même sens, Šm 503,13‑16.
298 § 65. Qāla bnuhu inna l-muwallid min ǧumlati l-ḥawādiṯ arba‘atu ašyā’ al‑i‘timād wa l-
muǧāwara wa l-wahy (...) wa n‑naẓar. Exact, sauf que dans la postérité d’Abū Hāšim on
considérera que ces différentes causes génératrices ne sont en réalité que trois (cf. Taḏ
3,14‑15), du fait que muǧāwara et wahy (lequel n’est qu’une modalité de la
séparation / tafrīq, iftirāq) appartiennent l’un et l’autre à la catégorie du kawn (cf. Taḏ
268,5 sq).

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283

299 Wa inna l-ḥarakata lā tuwallidu šay’an (...) wa innahu lā ǧihata lahā wa inna l-i‘timād lahu
ǧihatun yuwallidu bihā fī ġayri maḥallihi. Cf. M IX 140,4‑7.
300 Qāla wa d‑dalīl ‘alā anna l-ḥaraka lā ǧihata lahā annahu law kāna lahā ǧihatun ( ... ) la‑waǧaba
an takūna min ǧinsi l-i‘timād. Cf. de loin M IX 141,2‑6.
301 § 66. Sur l’ensemble du § cf. M IX 11.Sur Ṯumāma, cf. Maq 407,9‑11. Sur Mu‘ammar, Maq
405, sauf que le texte de B. ne s’accorde pas avec celui d’Aš‘arī : selon ce dernier,
Mu‘ammar ne soutenait pas comme Ṯumāma et Ǧāḥiẓ que l’homme n’a d’autre action
que sa volonté, il lui attribuait aussi d’autres “actes du cœur” tels que connaître,
refuser, raisonner, comparer. Sur Ǧāḥiẓ, Maq 407,12-13. Sur Naẓẓām, Maq 404,4‑9 (où
manque cependant l’exemple du feu, comme chez ‘Abd al‑Ǧabbār M IX11, 19‑2 1).
302 Sur les tenants de la théorie selon laquelle l’homme n’a d’autre action que sa réflexion
(fikr), cf. exclusivement M IX11,6‑8. L’étrange distinction établie par certains d’entre
eux entre fikr et rawiyya n’est attestée nulle part ailleurs qu’ici.
303 §§ 72‑75. Ces objections adressées aux aṣḥāb aṭ-ṭab‘ par les tenants du tawallud devraient
se retrouver dans le ch. 19 du livre IX du Muġnī (cf. M IX8,20‑21) intitulé : Faṣl fī ibṭāl
qawl man qāla fī‑ l-mutawallidāt innahā wāqi‘atun bi‑ṭ-ṭab‘ wa mā yattaṣilu bi‑ḏālika. Ce
chapitre, manquant dans l’éd. du Caire, figure au nombre des mss mu‘tazilites de la
collection Firkovitch de Saint‑Pétersbourg (ci‑devant Bibliothèque publique de
Léningrad, cf. l’art. d’A. Borisov 202 p. 95).
304 § 72. Cf. M IX31,15‑19. Mais le texte n’est pas clair, peut‑être faut‑il lire : li‑anna mā lā
yarǧi‘u ilā l-ǧumla. Sur cette opposition entre l’ensemble humain (al‑ǧumla) et les parties
(aǧzā’, ab‘āḍ, āḥād, maḥāll) dont il est constitué, cf. encore par exemple Taḏ 369,15 ;
370,3‑11 ; 443,15‑16 ; 548,12 ; 582,7.
305 § 78. Sur cette objection adressée aux tenants du tawallud, déjà présente aux §§ 2 et 33
mais mise cette fois dans la bouche d’autres mu‘tazilites partisans du ṭab‘, cf. M
IX39,10‑17 et 72,9‑16.
306 Wa matā arāda taḥrīk ba‘ḍi sāqihi aw sā‘idihi waǧaba an yaf‘ala l-ḥarakata fī l-ba‘ḍi l-āẖar. Cf.
M IX 143,5‑8. Ibn Mattawayh explique ce phénomène par l’absence d’articulation
(mafṣil) entre les parties concernées, cf. Taḏ 457,14‑15 ; 460,14‑16 ; 461,5‑6 et 14‑15 ;
671,2‑3.
307 Wa qad yakūnu min al‑af‘āl mā lā tarkun lahu yanṣarifu ilayhi. Même réponse de la part de
‘Abd al‑Ǧabbār : al‑maqdūr qad yaǧūzu an yakūna mimmā lā ḍiddun lahu (M IX 72,21).
308 § 79. Yaqūlūna innahu qad yaṣiḥḥu min fā‘ili l-mutawallid an lā yaf‘alahu bi‑an lā yaf‘ala
sababahu. Telle est en effet une des réponses du qāḍī ‘Abd al‑Ǧabbār, cf. M IX 78,5‑8 et
90,3‑4.
309 § 81. Inna l‑ǧawhar lā tark lahu. On notera qu’en vertu du même principe énoncé plus
haut — tout acte n’a pas nécessairement un contraire — et tout en affirmant comme
Abū ‘Alī la réalité du fanā’ comme contraire de la substance, Abū Hāšim estimait pour sa
part qu’on n’en pouvait démontrer l’existence par voie rationnelle, cf. M IX 75,6‑14 (et
pareillement ‘Abd al‑ Ǧabbār, cf. M XI 433,16‑19).
310 § 84. Sur ce que disent du fanā’ les théologiens ǧubbā’ites, cf. M XI 432‑451 ; Taḏ 101‑118.
311 Istiḥālata wuǧūdi ‘araḍin lā fī makān. B. s’exprime ici comme Aš‘arī dans Maq 367‑68. Les
ǧubbā’ites préfèrent dire lā fī maḥall. Telle est en effet selon eux la particularité de
l’accident fanā’, par quoi il se distingue de tous les autres, de ne pouvoir exister que
sans réceptacle, cf. Taḏ 3,7‑8 et 106,21 sq.

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284

312 Wa afsadnā qawlahum inna l‑ḥādiṯ yaǧibu an yu’aṯṯira fī ‘adami l-bāqī. Les ǧubbā’ites ont en
effet pour principe que, de deux accidents contraires se succédant dans un même
réceptacle, celui qui commence d’être (al‑ḥādiṯ) ou “survient” (aṭ‑ṭāri’) l’emporte
nécessairement sur celui qui continue d’être ou “dure” (al‑bāqī), c’est le premier des
deux qui a capacité d’empêcher le second d’exister et non l’inverse. La raison en est,
disent‑ils, que l’accident qui survient est en rapport avec le puissant qui le produit,
alors que, pour celui à l’état de durée, ce rapport n’existe plus. Cf. notamment Taḏ
151,12‑14 et 471,18‑20 ; Mas 125,10‑19. Et cf. encore Taḏ 143,16‑17 ; 144,15‑16 ;
262,14‑16 ; 319,5‑7 ; 514,5.
313 § 85. Que la doctrine du ṭab‘ aurait pour conséquence, d’une part, que les miracles,
n’étant plus l’œuvre de Dieu mais production d’une “nature”, ne pourraient plus être
preuve de la véridicité des prophètes ; d’autre part, que Dieu ne pourrait plus être
considéré comme bienfaiteur des hommes dès lors que la vie, le désir, etc, qui sont en
eux ne seraient plus également que d’origine “naturelle” : les deux objections se
retrouvent dans Mǧm 1/405,1‑4.
314 §§ 86‑88. Sur les thèses de Ṣāliḥ Qubba, cf. Maq 406‑07 ; M IX 12,19 sq.
315 §§ 89‑91. Cette réfutation de la thèse du ṭab‘ offre des ressemblances avec celle
développée par ‘Abd al‑Ǧabbār à partir de M IX 25,21.
316 § 92. Wa qāla Bišr b. al‑Mu‘tamir wa Ǧa‘far b. Mubaššir ... Les deux hommes sont
pareillement associés dans M IX12,5 ; Aš‘arī pour sa part ne mentionne que Bišr (Maq
401‑02).
317 § 93. Wa l-fā‘il fī ġayrihi lā yaṣiḥḥu an yaf‘ala fīhi illā bi‑mumāssatihi aw mumāssati mā
māssahu. Cf. Maq 410,9‑15 ; M VIII121,2‑4 ; IX 60,7‑61,8 et 81,12‑13. Sur le principe que la
pression n’engendre en autrui qu’à condition qu’il y ait contact (bi‑šarṭi l-mumāssa), cf.
encore Taḏ 254,8 ; 267,18‑19 ; 333,17‑18 ; 342,1‑2 ; 705,23‑24.
318 § 94. Wa anna ǧisma l-ḥayy iḏā ḍuriba wa ḥmarra ... Que la rougeur de la peau consécutive
au coup vient de ce que le sang a été chassé de sa place (inza‘aǧa ‘anmakānihi), cf. M IX
61, 21‑22 ; Taḏ 147,12‑15.
319 § 95. Aw bi‑an taẓhara ‘inda l-ḥakk aǧzā’un fīhā ḥarāra. C’est l’explication que retient Ibn
Mattawayh qui a recours ensuite au même argument que celui ici invoqué : si le
frottement engendrait de la chaleur, il devrait en aller de même en frottant l’un contre
l’autre des glaçons ou les membres d’un mort, cf. Taḏ 160,7‑8.
320 § 97. L’objection d’Abū Hāšim, sous forme d’ilzām, à l’encontre de la théorie d’Abū ‘Alī
qui faisait du mouvement même la cause génératrice du mouvement, puis l’objection de
même nature qui lui fut adressée en retour contre sa propre doctrine qui, elle, faisait de
la pression la cause du mouvement, enfin la réponse donnée par lui à ce contre‑ ilzām
consistant à expliquer le retour au sol de la pierre lancée en l’air par l’action combinée
de la pression propre (i‘timād lāzim) de la pierre vers le bas et de la pression importée
(i‘timād muǧtalab) en elle vers le haut, tout cela se retrouve en substance en M IX 52,8‑16
et 147,20 sq ; Mas 205,20‑206,4 ; et par allusion Taḏ 272,1‑6.
321 § 98. Qāla l-kull (...) al‑irāda lā yaǧūzu an takūna mutawallida. Cf. Maq 414,1‑2.
Démonstration de ce principe est faite dans Taḏ 549,5‑15.
322 § 99. Cf. § 58.
323 § 101. Qālū wa d‑dalīl ‘alā anna l-i‘timād yuwallidu l-i‘timād annahu law lam yakun ḏālika
kaḏālika la‑nqaṭa‘a t‑tawlīd fī ṯ‑ṯāliṯ min ḥāl ḥudūṯ al‑i‘timād. Cf. Taḏ 330,1‑3 et 331,6‑7.

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324 Li‑annahu innamā yuwallidu l-ḥarakata fī ṯ‑ṯānī. Cf. Taḏ 332,15‑16.


325 Ṯumma kaḏālika ilā an yaḍ‘ufa l-i‘timād al‑muǧtalab ... Sur le détail du processus selon Abū
Hāšim, cf. M IX148,3‑9 ; Taḏ 351,13‑19 ; Mas 205,24 sq.
326 § 102. Qālū wa qad ṯabata anna ṣ‑ṣawt wa t‑ta’līf wa l-alam lā yaṣiḥḥ an yūǧad illā
mutawallidan. Cf. M IX 13,19‑20 ; 50,13‑14 ; 124,4‑5 ; 139,19‑20.
327 Wa iḏā qāla Ibn al‑Ǧubbā’ī (...) naqaḍa bi‑ḏālika qawlahu innahu lā yuwallidu illā šay’ān
an‑naẓaru wa l-i‘timād. Assertion surprenante, en contradiction flagrante avec ce qui a
été dit au § 65. Pour Abū Hāšim et ses partisans, rappelons‑le, les causes génératrices
sont au nombre de trois : al‑i‘timād, al‑kawn (sous deux de ses modalités : al‑muǧāwara,
al‑wahy), et an‑naẓar.
328 Za‘ama Ibn al‑Ǧubbā’ī (...) anna t‑ta’līf lā yaṣiḥḥ an yūǧada min fi‘linā wa fi‘li llāh illā
mutawallidan (...) li‑annahu lā yaṣiḥḥ wuǧūduhu ma‘a l-iftirāq wa tabā‘ud al‑maḥallayn. Que
le propre de l’assemblage (ta’līf) soit d’avoir besoin pour exister de deux réceptacles
voisins l’un de l’autre (iftiqāruhu ‘inda l-wuǧūd ilā maḥallayn mutaǧāwirayn) est en effet,
pour les ǧubbā’ites, un principe bien établi (cf. Taḏ 297,17‑18 ; 299,18‑19 ; 307,2 ;
313,2‑3 ; 321,6‑7 ; et aussi 252,21 ; 268,5 ; 301, 10‑11). Mais je ne vois attesté nulle part
que, selon eux, Dieu lui‑même serait dans l’impossibilité de le produire autrement que
par génération 203. Plus loin (§ 109), B. dira plus justement que, pour Abū Hāšim et les
siens, l’assemblage fait partie des accidents que Dieu peut produire de la sorte. ‘Abd
al‑Ǧabbār pour sa part affirme sans restriction que tout ce que Dieu peut produire par
génération Lui est pareillement possible par voie directe (M IX 50,16‑17). B. reviendra
longuement sur le sujet aux §§ 106‑107 et 109‑118.
329 § 103. L’idée que la volonté serait cause nécessitante du voulu (mūǧiba li‑murādihā) est
de paternité incertaine. À en croire Aš‘arī (Maq 415), beaucoup de théologiens l’auraient
admise, du moins quand volonté et voulu se font immédiatement suite, ainsi
notamment Abū l‑Huḏayl, Naẓẓām, Mu‘ammar, Ǧa‘far b. Ḥarb, Iskāfī, etc. Abū Rašīd et
Ibn Mattawayh l’imputent essentiellement, quant à eux, à Abū l-Qāsim al‑Balḫī ( Mas
357 ; Taḏ 561,1‑2). Elle est rejetée par les ǧubbā’ites, cf. notamment M VIb 84‑88 ; Taḏ
561,5 sq.
330 § 105. Cf. Maq 415,1‑4, sauf que n’y figure pas le nom de ‘Abbād. La thèse majoritaire est
en accord avec le principe qui sera énoncé aux §§ 107 et 124 : une fois qu’existe la cause
génératrice, ce qu’elle engendre a le statut d’une chose existante (al‑musabbab ba‘d
wuǧūd sababihi fī ḥukmi l-wāqi‘ al‑mawǧūd, cf. M IX 69,20‑21 et 71,16). Or pour un
mu‘tazilite, comme cela a été dit au § 12, il ne saurait y avoir puissance d’une chose
existante (cf. Taḏ 510,7‑8).
331 §§ 106‑07. Wa ḫtalafa qawl Ibn al‑Ǧubbā’ī fī l‑mutawallid min af‘āli llāh. La question soulevée
au § précédent — s’il y a puissance de l’acte engendré dès lors qu’existe sa cause
génératrice — conduit B. à anticiper dès maintenant ce qu’il exposera plus loin en détail
d’une célèbre volte‑face d’Abū Hāšim, voir les §§ 116‑118.
332 § 108. Muḥāl an yumna‘a l-mamnū‘ mimmā laysa bi‑qādir ‘alayhi. Cf. Taḏ 513,3‑6.
333 § 110. Que Dieu aussi peut agir par voie de génération est démontré ici de la même
façon que dans M IX 57,11‑15 et 58,22 sq ; Taḏ 343,17‑18.
334 § 112. Lam yustankar (...) an taǧriya sufunuhum fī stiqbāl ǧaryi l-mā’ wa r‑rīḥ ... Même
raisonnement par l’absurde sous la plume d’Abū Hāšim, cf. M IX96,16‑24.

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335 § 113. Cf. M IX97,4‑5, qui cite également Cor. 30/48 : Allāhu llaḏī yursilu r‑riyāḥa fa‑tuṯīru
saḥāban.
336 § § 116‑118. Une fois admis — comme le pensent Abū Hāšim et ses partisans, et comme
B. lui‑même s’est employé à le démontrer dès lors qu’on accepte le principe du tawallud
‑ que Dieu aussi peut agir par voie de génération, la question se pose de savoir si
précisément ce qu’Il produit par l’intermédiaire d’une cause (bi‑sababin), Il aurait pu
tout autant le produire par voie directe (ibtidā’an).
337 La réflexion d’Abū Hāšim sur ce point l’a conduit à adopter successivement deux thèses
opposées, une palinodie dont font état très explicitement les sources mu‘tazilites (cf. M
IX119‑21 ; Taḏ 346,19‑21 ; Mǧm 1/419,26 sq) et dont B. présente ici une version quelque
peu “arrangée” (peut‑être à dessein). Le premier point de vue d’Abū Hāšim (ici
théoriquement § 116), et qu’il soutenait, dit‑on, dans al‑Ǧāmi‘ al‑kabīr, était que l’acte
même (‘ayn al‑fi‘l) produit par Dieu par voie de génération — non pas seulement un acte
semblable (miṯl al‑mutawallid) comme l’écrit B. — aurait pu l’être tout autant par voie
directe. Pareille chose, expliquait‑il, n’est pas possible pour l’homme, du fait qu’il est
puissant par une puissance ; mais elle l’est pour Dieu qui, Lui, est puissant par
Lui‑même (cf. M IX113,4‑5 et 114,23 sq). Mais cette thèse avait pour inconvénient,
comme le montre B. au § 117, qu’elle conduisait à admettre qu’un même acte puisse
être produit selon deux modalités (min waǧhayn, cf. M IX110,24 et 115,19 sq), un
principe qu’Abū Hāšim, par ailleurs, récusait formellement (cf. M VIII101). C’est
pourquoi, dans son K.al‑Abwāb (ou Naqḍ al‑Abwāb), il en vint à soutenir (ici § 118) que
cela même (‘ayn al‑fi‘l)que Dieu a produit par génération, il était impossible (istaḥāla)qu’Il
l’eût produit directement — sans que cela, du reste, affecte en rien la différence
fondamentale qui Le sépare de nous en l’occurrence, à savoir que tout ce qu’Il produit
par tawlīd, Il a pouvoir, contrairement à l’homme, de produire un acte semblable(miṯl
al‑fi‘l), voire une infinité d’actes semblables, par voie directe. Telle est la position que
reprendront par la suite ‘Abd al‑Ǧabbār (cf. M IX81,21‑23) puis Ibn Mattawayh.
338 § 116. Alzamahu n‑nās kawnahu ta‘ālā muḥtāǧan fī fi‘li l-mutawallid ilā l-asbāb kaḥāǧatinā
ilayhā. C’est l’argument majeur contre le principe général que Dieu puisse agir par voie
de génération (cf. M IX 102,3‑8 ; Taḏ 345,8‑9) ; mais il vise aussi en particulier la seconde
des thèses d’Abū Hāšim (cf. M IX121,12‑15 et ici § 118).
339 Wa bi‑maṯābati ġinā aṭ‑ṭā’ir ... Cf. M IX102,20 sq ; Taḏ 345,12‑14 ; Mǧm 1/417,20‑21.
340 § 117. Aḥāla wuqū‘ maqdūr bi‑qudratayn wa fi‘l li‑fā‘ilayn (...) bi-an qāla... Cf. plus haut § 15.
341 § 118. Fa‑nfaṣala ‘an hāḏā l-ǧawāb bi‑an qāla ... La réponse attribuée à Abū Hāšim est en
substance celle de ‘Abd al‑Ǧabbār dans M IX102,8‑20 : s’il est intrinsèquement
impossible que tel acte existe indépendamment d’une cause génératrice, on ne peut
dire dans ce cas que qui le produit dans ces conditions a besoin de cette cause pour le
faire exister 204 ; de même, dès lors que tel acte par nature requiert un réceptacle (ce
qui est le cas de tout accident, sauf rarissimes exceptions), on ne saurait dire que qui le
produit a besoin de ce réceptacle pour agir.
342 § 119‑123. Les questions ici abordées n’apparaissent pratiquement pas dans les sources
actuellement disponibles : trois lignes en Maq 413 (voir ci‑dessous) ; deux brèves
allusions dans la partie éditée de M IX ; peut‑être le sujet a‑t‑il été traité dans la partie
manquante, comme le suggère M IX111,19 : ‘alā mā nufaṣṣiluhu min ba‘d (bien que la liste
des chapitres manquants citée en M IX8‑9 n’annonce expressément rien de tel).

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343 § 119. Seule la première phrase se retrouve dans Maq 413,7‑9 205. La thèse y est attribuée
aux “baġdādiens”. Dans ce passage des Maq, le couple ṭā‘a/ma‘ṣiya est curieusemenrt
associé au couple ḥaraka/sukūn (seul pris en considération par la suite), une association
dont la logique m’échappe. Il n’est pas interdit de supposer à cet endroit une
importante lacune, que le texte de B. permettrait de combler.
344 § 120. Wa kāna bnuhu yaqūlu inna l-qabīḥ lā yuwallidu ḥasanan. Cf. M IX 111,19.
345 Qāla li‑anna l-qabīḥ huwa mā laysa li‑l‑qādir ‘alayhi fi‘luhu. Au nombre des définitions qui
ont été données de l’acte mauvais, ‘Abd al‑Ǧabbār cite en effet une formule
comparable : al‑qabīḥ huwa llaḏī laysa li‑fā‘ilihi an yaf‘alahu (M VIa 27), mais sans
l’attribuer expressément à quiconque.
346 Al‑wāǧib ‘alā l-insān iḏā lam yaḥṣul wa yatimma illā bi‑fi‘lin āẖar waǧaba ḏālika l-fi‘lu. Une
application de ce principe (dont je n’ai pu retrouver ailleurs la trace, y compris en M
XIV) se rencontre en Taḏ 122,9‑10 : du moment qu’il y a obligation pour Dieu d’accorder
récompense ou compensation à ceux qui y ont droit, il y a obligation pour Lui de les
ressusciter, leur résurrection (i‘āda)“est obligatoire puisque l’obligatoire ne peut
s’accomplir sans elle” (waǧabat li‑anna l-wāǧib laysa yatimmu dūnahā).
347 § 121. Fa‑ammā mā laysa bi‑ṭā‘a wa lā ma‘ṣiya (...) faqad yatawalladu ‘ani l‑ḥasan wa l-qabīḥ.
Cf. M IX 111, 17‑18.
348 Wa lā yaḫṭuru ḏālika bi‑bālihi ... Cf. M IX67,11‑13 (où il est précisé que cette position était
également celle d’Abū ‘Alī).
349 Wa huwa bi‑maṯābati fi‘l an‑nā’im wa s‑sāhī llaḏī lā yūṣafu bi‑ḏālika. Cf. M VIa 11,3‑17.
350 § 122. Wa kāna l-mulaqqab bi‑l‑Baṣrī... Il s’agit d’Abū ‘Abd Allāh al‑Baṣrī qui considérait en
effet, contrairement aux “deux šayẖ‑s”, qu’un acte engendré involontaire, s’il a un
caractère d’injustice (ẓulm), doit être tenu pour mauvais, même si son auteur ne mérite
pas le blâme (cf. M IX67,13‑15). Il en disait autant, du reste, de l’acte inconscient (M VIa
11,18 sq).
351 §§ 124‑128. Sur la question du repentir touchant l’acte engendré, trois petites lignes en
tout et pour tout dans Maq 413,3‑5 (où le mot énigmatique est à lire évidemment
at‑tawba), un indice de plus de possibles lacunes dans l’ouvrage d’Aš‘arī, que le texte de
B. permettrait de combler. En dehors des Maq, des références sont à chercher surtout
dans M XIV, Kitāb at‑Tawba.
352 § 124. Pas plus qu’au § 105, la mention faite ici du nom de ‘Abbād n’est confirmée par
ailleurs (à ma connaissance du moins).
353 In fawwaqa sahmahu wa ramā... Le cas du tireur, et de son repentir possible entre
l’instant où il tire (ḥālar‑ramy) et celui où il atteint sa cible (ḥāl al‑iṣāba), est l’exemple
classique en la matière, cf. M IX68,1‑2 ; XIV 350,18‑21 ; 392,6‑13 ; 418,15‑18 ; Mǧm 3/405.
354 Li‑anna l-musabbab ba‘d wuǧūd sababihi fī ḥukmi l-wāqi‘ al‑mawǧūd, voir plus haut sur
§ 105.
355 § 126. Waqad qāla Ibn al‑Ǧubbā’ī inna min al‑af‘āl mā law ṣaḥḥa kawnuhu mutawallidan lam
taṣiḥḥ at‑tawbatu minhu ( ... ) wa huwa l-ǧahl. Cf. M XIV 416,8‑16.
356 § 127. Cette hypothèse d’une mort subite survenant dans le laps de temps qui sépare
l’acte générateur de l’acte engendré, et l’obligation qu’elle entraînerait d’un repentir
anticipé afin de se préserver du châtiment dans l’au‑delà, n’est explicitement évoquée,
et de façon fort brève, que dans Mǧm 3/405,4‑5 (et cf. aussi allusivement M IX 68,1‑3).

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357 § 128. Sur cette autre variation dans la pensée d’Abū Hāšim, cf. M IX68,21 sq (où lire en
69,1 al‑‘iqāb et non aṯ‑ṯawāb) ; Mǧm 1/424,21‑22 et 425,6‑7 ; 3/267,5‑7. Le texte de B.,
cependant, n’est pas parfaitement clair, et peut‑être, s’agissant des implications de la
seconde thèse, faut‑il lire, comme je le suppose (et comme je l’ai déjà fait en d’autres
occasions), al‑musabbab au lieu d’as‑sabab et vice‑versa.

NOTES
1. Car il fut aussi un théoricien du droit, comme l’a encore rappelé récemment la publication
(très partielle) de son K. at-Taqrīb wa l-iršād fī uṣūl al-fiqh (3 vol., Beyrouth, 1998).
2. En premier lieu celle publiée au Caire en 1366/1947 par M.M. AL-ḪUḌAYRĪ et M.‘A. ABŪ RĪDA,
malheureusement fondée sur l’unique manuscrit de Paris où manque près d’un tiers du texte ;
puis celle de R.J. MCCARTHY (Beyrouth, 1957), édition critique établie à partir de trois mss (Paris et
deux mss d’Istanbul) mais amputée — pour des raisons peu convaincantes — de la quasi-totalité
de la partie relative à l’imamat.
3. Dans un article du Journal asiatique (1970, 76-77), puis dans mes Théories de l’acte humain (Paris,
1980, p. 94-95).
4. Éd. McCarthy 200-202.
5. Aš-Šāmil fī uṣūl ad-dīn, éd. ‘A.S. an-Naššār, F.B.‘Awn, S.M. Muḫtār, Alexandrie, 1969 (ci-après
Šm), 294.
6. Qāḍī ‘Iyāḍ cité dans l’éd. égyptienne du Tamhīd, 250 ; IBN ‘ASĀKIR, Tabyīn kaḏib al-muftarī, Damas,
1347, 120 ; ALLARD, Le problème des attributs divins, Beyrouth, 1965, 296.
7. Probablement autour de 360/970, soit environ quarante ans avant sa mort en 403/1013.
8. Šm 570, peut-être d’après Hidāya, ms du Caire 62b. Il renvoie également au Tamhīd dans le
Bayān, éd. McCarthy 88.
9. Dans l’édition d’Alexandrie indiquée plus haut ( Šm), à quoi s’ajoutent les chapitres
redécouverts par R. Frank et publiés à Téhéran en 1360/1981 (ci-après Šm.T.).
10. Cf. Šm.T. 3. Lequel Šarḥ al-Luma‘ est lui-même le commentaire par Bāqillānī du K. al-Luma‘
d’Abū l-Ḥasan al-Aš‘arī.
11. Ms Princeton Univ. ELS 634.
12. Le Naqḍ an-naqḍ dont il sera question plus bas atteste bien la compétition entre les deux
maîtres.
13. Šarḥ al-Iršād, 35b.
14. Un seul absent de taille : le K. I‘ǧāz al-Qur’ān. Absence d’autant plus surprenante que, dans le
ms du Caire, la question de l’i‘ǧāz, partie intégrante du Kitāb an-Nubuwwāt, fait l’objet d’un
examen détaillé... LeK. I‘ǧāz al-Qur’ān serait-il postérieur à la Hidāya ? Mais alors pourquoi, ayant
traité à fond de ce sujet dans ce dernier ouvrage, B. aurait-il éprouvé le besoin d’y revenir dans
un livre à part ? Si, en revanche, l’ouvrage est antérieur, comment expliquer que B. n’y fasse
jamais référence, alors qu’il le fait si volontiers pour ses autres livres ?
15. Raddada ǧawābahu disent fréquemment du Qāḍī les auteurs postérieurs.
16. Cf. mes Théories de l’acte humain 104-118.
17. Je dois le microfilm de ce ms à mon ancien élève Abdallah Boumiz, que je remercie
chaleureusement.

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18. Apparemment 159, mais comme on le verra dans l’extrait publié plus loin, une inadvertance
du conservateur responsable de la pagination lui a fait ajouter à la suite du premier folio 99 une
nouvelle série de 91 à 99.
19. Comme le laisse entendre F 112b et 114b. La phrase de conclusion dit : wa hāḏihi ǧumlat un
kāfiyatun fī hāḏā l-bāb wa fī d-dalālati ‘alā anna llāh ta‘ālā ḫāliq li-af‘āl ‘ibādihi.
20. Le dernier de ces arguments est annoncé aux ff. 17b-18a : ‘illat un lahum uḫrā fī nafy ḫalq al-af‘āl
allatī hiya a‘māl al-‘ibād.
21. Ff. 39b-40a : bāb al-qawl fī ḏikr ad-dalāla ‘alā anna l-muḫālifīn fī ḫalqi llāhi ta‘ālā li-af‘āl al-‘ibād
humu l-qadariyya.
22. De ce que l’on peut grappiller des ff. 152-155, il semble ressortir que la position de B. en la
matière ne différait guère de celle affichée après lui par son disciple Abū Ǧa‘far as-Simnānī, cf.
mes Théories 101-102.
23. Sic après plusieurs vérifications, et non 248 comme le porte le catalogue. Je précise que sur le
microfilm dont je dispose les folios ne sont pas numérotés et ne l’étaient donc pas non plus au
moment de l’élaboration dudit catalogue.
24. Dans l’ensemble de l’ouvrage, ce “livre” vient à la suite des parties concernées par le ms F. À
plusieurs reprises, l’auteur y renvoie à ce qu’il a dit précédemment dans le bāb al-istiṭā‘a.
25. Ibn Taymiyya est l’un des rares à le citer sous cette forme.
26. Cf. notamment la notice du Tabyīn d’ IBN ‘ASĀKIR. Cette même nisba se retrouve sur le ms du K.
I‘ǧāz al-Qur’ān de la British Library ; sur le ms d’Istanbul du K. al-Intiṣār ; sur le ms de Tübingen du
K. al-Bayān.
27. Le texte du Qāḍī ‘Iyāḍ doit être lu tel que l’ont publié les éditeurs égyptiens du Tamhīd
(257-259), plutôt que dans l’édition libano-libyenne des Madārik (2/601-602) que gâtent de grosses
fautes de lecture (lire at-taǧwīr au lieu d’at-taǧrīḥ ; al-imāma au lieu d’al-amāna ; al-ma‘dūm au lieu
d’ar-rūm).
28. Éd. Kawṯarī, Le Caire, 1359/1940, 119.
29. Les informations tirées du ms C ont déjà été mises à profit par Aḥmad Ṣaqr dans la préface de
son édition du K. I‘ǧāz al-Qur’ān.
30. Rappelons qu’ IBN TAYMIYYA cite ces mêmes Daqā’iq al-kalām dans son livre Bayān muwāfaqa
ṣarīḥ al-ma‘qūl li-ṣaḥīḥ al-manqūl à propos des divergences entre falāsifa. Rappelons aussi que, dans
le langage des théologiens, l’expression daqīq al-kalām, doublet de laṭīf al-kalām, désigne les
questions de caractère “philosophique” (lois de la substance et de l’accident).
31. C’est ainsi qu’il faut lire, et non al-kabīra ; et de même aṣ-ṣaġīr au lieu d’aṣ-ṣaġīra.
32. Il s’exprime pareillement au t. 1 du K. al-Intiṣār, éd. al-Qiyyām (voir ci-dessous), 28, 90, 149.
Mais curieusement, au t. 2 du même ouvrage, c’est le singulier qu’il emploie : Kitāb al-Imāma (48,
61, 71).
33. Remarquons que, sur cette question de la mu‘āraḍa, B. ne juge pas utile de renvoyer à ce qu’il
en dit dans le Tamhīd (éd. McCarthy, 144-150).
34. Et non fī l-Qur’ān comme l’ont lu les éditeurs égyptiens du Tamhīd, sans doute à l’imitation
d’Ibn Ḥazm qui cite toujours ainsi l’ouvrage de B.
35. Voir la photographie de la page de titre dans l’excellente édition (mais, hélas, dépourvue
d’index) publiée récemment par ‘U. Ḥ. AL-QIYYĀM (Beyrouth 2004).
36. Dans ses Ṭabaqāt aš-Šāfi‘iyya, Le Caire 1965, 3/258.
37. Titre que confirme celui donné par ABŪ ‘ABD ALLĀH AṢ-ṢAYRAFĪ à son Abrégé de l’Intiṣār : Nukat
al-Intiṣār li-naql al-Qur’ān.
38. Ce passage a déjà été publié par AḤMAD ṢAQR (avec quelques différences de lecture) dans
l’introduction auK. I‘ǧāz al-Qur’ān.
39. Mais de fait, dans la préface de l’Intiṣār, B. annonce bien qu’il abordera cette question : ṯumma
nubayyinu anna l-Qur’ān mu‘ǧizatun li-r-rasūl ṣl‘m wa dalālatun ‘alā ṣidqihi. Nous connaissons même par

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Ibn Ḥazm le titre du chapitre concerné (al-Fiṣal, Le Caire 1317-1321, 4/222) : bāb ad-dalāla ‘alā anna
l-Qur’ān mu‘ǧiz li-n-nabī ṣl‘m. Précisons que cette partie relative à l’i‘ǧāz ne figure pas dans le ms
d’Istanbul, qui ne comprend malheureusement que la première moitié du livre.
40. Sur le contenu du Šarḥ al-Luma‘, outre les références du K. al-Intiṣār (2/71, 192, 259) et du K. al-
Bayān (§ 104), on notera particulièrement celles du Šāmil de Ǧ UWAYNĪ qui, rappelons-le, n’en est
lui-même qu’un commentaire, cf. Šm 123, 192, 211, 221, 273.
41. Dont Abū l-Muẓaffar al-Isfarā’īnī dit qu’il comportait 10 000 feuillets.
42. La question des actes du Prophète y est abordée dans le “deuxième tome” annoncé au terme
du troisième volume.
43. Dans son K. an-Nubuwwāt (Beyrouth 1405/1985, 372), Ibn Taymiyya attribue à B. un Kitāb al-
Mu‘ǧizāt. Est-ce pour lui une autre façon de désigner le Farq auquel il a fait antérieurement
maintes références (voir ci-après) ou s’agit-il d’un ouvrage différent ?
44. Tout comme celui fourni par Taqrīb 1/439 : al-Farq bayna mu‘ǧizāt ar-rusul wa karāmāt al-
awliyā’.
45. Ainsi, bizarrement, ce terme est-il vocalisé dans le ms, tant dans le titre que dans le corps du
texte, alors que la forme correcte (issue du pehlevi) est nīranǧāt. Voir sur ce point le commentaire
de McCarthy, Bayān, introduction arabe 17 n. 18. Ibn Taymiyya, pour sa part, a bien lu nīranǧāt
(voir ci-après).
46. Nub 47,3-7 = Bayān 72,17-73,6 ; Nub 47,8-13 = Bayān 73,9-16 ; Nub 47,19-48,4 = Bayān 94,6-95,5 ;
Nub 48,5-15 = Bayān 95,12-96,11 ; Nub 48,16-49,5 = Bayān 93,3-94,7 ; Nub 206,23-207,3 = Bayān
55,4-11 ; Nub 208,1-7 = Bayān 45,11-46,6.
47. Notamment Nub 51,16-52,10 ; 52,14-53,3 ; 53,6-11.
48. Le ms porte fautivement Abī Sa‘īd.
49. Cf. Tabyīn 233-236.
50. Cf. le K. al-Ġunya d’ABŪ L-QĀSIM AL-ANṢĀRĪ, ms d’Istanbul 201b.
51. Autre intitulé encore dans Taqrīb 1/407 : Ta‘rīf ‘aǧzi l-mu‘tazila ‘an iṯbāt dalā’il an-nubuwwa wa
ṣiḥḥatihā ‘alā maḏāhib al-muṯbita.
52. Voir en troisième partie mon commentaire du § 35.
53. Peut-être identique à l’ouvrage intitulé al-Aḥkām wa l-‘ilal dans la liste du Qāḍī ‘Iyāḍ, et dont
le titre véritable pourrait être k. Aḥkām al-‘ilal. Ǧuwaynī, rapportant qu’Ibn Fūrak (“al-ustāḏ Abū
Bakr”) a composé un commentaire critique (taṣaffuḥ) de l’ouvrage de Bāqillānī, écrit à son
propos : kitāb taṣaffaḥa fīhi aḥkām al-‘ilal li-l-Qāḍī (Šm 631-632 ; cf. ibid. 692).
54. Šm.T. 72 ; Šm 295-296, 478, 716.
55. Cet ouvrage ne figure pas dans la liste du Qāḍī ‘Iyāḍ, contrairement à ce que prétend l’éditeur
du Taqrīb 1/76.
56. Cf. Ibn Taymiyya,K. an-Nubuwwāt 62.
57. Le Naqḍ al-Luma‘ figure dans la liste que ‘Abd al-Ǧabbār donne de ses propres œuvres à la fin
du Muġnī (M XXb 258). Il le cite également en M VIb 71, VII 59, VIII 32, XI 454.
58. Cf. notamment Šm.T. 27, 30, 93 ; Šm 570 et 630.
59. À propos des noms qu’il est ou non licite d’appliquer à Dieu, B. aurait écrit concernant un
premier point de vue auquel il avait ensuite renoncé : qad naṣarnā hāḏihi ṭ-ṭarīqa fī n-Naqḍ al-kabīr
wa ṣ-ṣaḥīḥ ‘indanā al-ān ḫilāfuhā. Cf. Šarḥ al-Iršād 136a, à corriger par Ġunya 97a-b.
60. Et cf. également, toujours à propos du tawallud, F 111b, 120b, 124b, 125b.
61. Voir respectivement mes articles « Bibliographie d’Aš‘arī : un réexamen » (Journal asiatique,
1985) et « Matériaux pour une bibliographie des Ǧubbā’ī » (Journal asiatique, 1976).
62. J’inclus dans ces sources les deux premières parties des Maqālāt d’ AŠ‘ARĪ (1-482) qui, comme
l’a solidement établi ALLARD, appartiennent à la période mu‘tazilite de l’auteur antérieure à sa
conversion (Le problème des attributs divins, 67-72).
63. Car c’est bien de cela qu’il s’agit au départ et pour l’essentiel. Je n’oublie certes pas que parmi
les actes “engendrés” il en est aussi que l’individu humain produit en lui-même, comme

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


291

notamment la science qu’engendre en lui le raisonnement. Mais ce sont là des cas particuliers,
qui imposent simplement d’affiner les définitions respectives de l’acte qualifié de “direct”
(mubāšir) et de celui dit “engendré” (mutawallid), comme on le verra ci-après aux §§ 54-55 du
texte de B.
64. Certains l’ont poussée à l’extrême, comme le “bagdadien” Bišr b. al-Mu‘tamir, cf. ci-après §
92.
65. Je ne relève qu’une erreur véritable, à propos d’Abū ‘Alī (§ 64). Encore qu’il ne faille pas
exclure, sur le point considéré, la possibilité d’une variation d’opinion (iḫtilāf) comme il en existe
tant d’exemples par ailleurs.
66. Notons au passage qu’il renvoie six fois ici à son Naqḍ an-naqḍ.
67. Dans son Šāmil, Ǧuwaynī cite deux livres d’Abū Hāšim, al-Baġdādiyyāt et al-Abwāb (cf. Šm
471-72), peut-être d’après le Šarḥ al-Luma‘ de B. Il cite également le K. al-Abwāb dans son traité
d’uṣūl al-fiqh intitulé al-Burhān, Le Caire 1400 h, § 41.
68. Sa division en chapitres numérotés est naturellement de mon fait.
69.‫ لفاعل‬:‫اﻷصل‬.
70.‫كلمة غير مقروءة‬.
71.‫ عند‬:‫ ولعل الصحيح‬،‫كذا‬.
72.‫أي اﻹنسان‬.
ّ ‫ ترتفع وتستق‬:‫اﻷصل‬.
73.‫ل‬
74.‫ أحدهما‬:‫اﻷصل‬.
75.‫ السبب‬:‫اﻷصل‬.
76.‫ وإن‬:‫اﻷصل‬.
77.ً ‫ مسببا‬:‫اﻷصل‬.
78.‫!كذا‬
79.‫ المتولد‬:‫اﻷصل‬.
80.‫ اعمد‬:‫اﻷصل‬.
81.‫كذا‬.
82.‫ بأحدهما‬:‫اﻷصل‬.
83.‫ السبب‬:‫اﻷصل‬.
84.‫ بجزئ َين‬:‫اﻷصل‬.
85.‫ في الحياة‬:‫اﻷصل‬.
86.‫ تولد‬:‫اﻷصل‬.
87.‫ اﻷوّل‬:‫اﻷصل‬.
88.‫ الشديد‬- : ‫لعل الصحيح‬.
89.‫ تجدون‬:‫اﻷصل‬.
90.‫ الواجب‬:‫اﻷصل‬.
91.‫ وقع‬:‫اﻷصل‬.
92.‫ وقع‬:‫اﻷصل‬.
93.‫ الرفيق‬:‫اﻷصل‬.
94.‫ عند‬:‫اﻷصل‬.
95.‫ عند‬:‫اﻷصل‬.
96.‫ عند‬:‫اﻷصل‬.
97.‫ غير‬:‫اﻷصل‬.
98.‫ عند‬:‫اﻷصل‬.
99.ً ‫ وجودا‬:‫اﻷصل‬.
100.‫ عند‬:‫اﻷصل‬.
101.‫ وجوب‬:‫اﻷصل‬.
102.ً ‫ باقيا‬:‫اﻷصل‬.
ٌ ‫ فاع‬:‫لعل الصحيح‬.
103.‫ل‬
104.‫ المسبب‬:‫اﻷصل‬.

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


‫‪292‬‬

‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بسبب‪105.‬‬
‫‪.‬لعل الصحيح‪ - :‬قَدر‪106.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ﻻزما ً‪107.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ووجب‪108.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لعل ّة‪109.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬متولدا‪110.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لكم‪111.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬يجب‪112.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬أنها‪113.‬‬
‫‪.‬كذا‪ ،‬لسوء ترتيب الورقات‪114.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬وجوب‪115.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬يعلموا‪116.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬حدوثها‪117.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬علما‪118.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬مقدور‪119.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بسبق العلم بارتفاع‪120.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬وقوعه‪121.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بها‪122.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬يختلف‪123.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬في يده‪124.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بغيره‪125.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بعيدا ً‪126.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬وي َذمه‪127.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬المعلم‪128.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بسبقهم‪129.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ﻷنه‪130.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬عنها‪131.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لغيره‪132.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬اﻹسكاف‪133.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬عند‪134.‬‬
‫‪.‬كذا‪135.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬التول ّد‪136.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬محل ّها‪137.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬في التول ّد‪138.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬حسب‪139.‬‬
‫ى الجر )؟‪140.‬‬‫‪).‬اﻷصل‪ :‬وَه َ‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬إذا لم‪141..‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ومنسوب‪142.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬نفسه‪143.‬‬
‫‪.‬هنا في اﻷصل بياض ‪ +‬فاعليــ‪144.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬للتول ّد‪145.‬‬
‫‪.‬بياض في اﻷصل‪146.‬‬
‫‪.‬بياض في اﻷصل‪147.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬تركا ً‪148.‬‬
‫‪.‬كذا‪ ،‬والصحيح‪ :‬تر ٌ‬
‫ك‪149.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬اﻻبهِ‪150.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬يكون‪151.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬فيه‪152.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬يتداخل من‪153.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لذلك‪154.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


‫‪293‬‬

‫‪.‬اﻷصل‪ :‬فيه‪155.‬‬
‫اﻷصل‪ :‬وجوه‪156..‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬فيها‪157.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬الجواهر‪158.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬وفعله‪159.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬للقدرة‪160.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬بالطبع‪161.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬جعفر بن بشر‪162.‬‬
‫‪).‬اﻷصل‪ + :‬علما )؟‪163.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ما لو‪164.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬رجحنا‪165.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬رجحنا‪166.‬‬
‫‪.‬أي قلب اﻹلزام‪167.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ويحركه‪168.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬المتولد التأليف‪169.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬باليقين‪ .‬والصحيح‪ :‬تأليفان‪170.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬تكون‪171.‬‬
‫‪.‬كلمة غير مقروءة‪172.‬‬
‫‪.‬هنا في اﻷصل بياض‪173.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬الضرب‪174.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬في جهاتها‪175.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬من سببه‪176.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لها‪177.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬تقع‪178.‬‬
‫اﻷصل‪ :‬حدوثها‪179..‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬فاعلها‪180.‬‬
‫شَرعهِم‪181.‬‬ ‫‪.‬اﻷصل‪ِ :‬‬
‫‪ .‬اﻷصل‪ :‬ننك‪182.‬‬
‫اﻷصل‪ :‬وجها ً‪183..‬‬
‫‪.‬القراءة من المشكوك فيه‪184.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لقيامك‪185.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬وحالها من‪186.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬عليها‪187.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬لو فعل‪188.‬‬
‫‪.‬كذا‪ ،‬والصحيح على اﻷرجح‪ :‬غير محتاج‪189.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬سببه‪190.‬‬
‫‪.‬كلمة غير مقروءة‪191.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬البصري‪ .‬و"البصري" هذا هو الشيخ أبو عبد الله‪192.‬‬
‫‪.‬كلمة غير مقروءة‪193.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ما‪194.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬وهو ﻻ‪195.‬‬
‫‪.‬اﻷصل‪ :‬ما‪196.‬‬
‫‪.‬لعل الصحيح‪ :‬على السبب‪197.‬‬
‫‪.‬لعل الصحيح‪ :‬المسبب‪198.‬‬
‫‪199. Un disciple d’Abū Hāšim, cf. mon article des Annales islamologiques, 1979, 68‑69 et 78.‬‬
‫‪200. S’agissant des “localisations” (akwān), les choses sont moins claires, cf. Taḏ 259,2‑8.‬‬
‫‪201. On dit aussi tafrīq ou taqṭī‘.‬‬
‫‪202. Référence, entre autres, dans mon article du Journal asiatique 1976, 280.‬‬

‫‪Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009‬‬


294

203. Il est arrivé du reste qu’à la suite d’Abū ‘Alī, Abū Hāšim ait soutenu qu’un certain mode
d’assemblage pouvait être produit par acte direct (mubāširan), une position qu’il a définitivement
abandonnée par la suite, cf. M IX 124,5‑7 et 127,23 sq.
204. . Cf. également Taḏ 174,4‑5 : lā talzamu l-ḥāǧa iḏā lam yaṣiḥḥ fī fi‘lin bi‑‘aynihi illā an yaf‘alahu
bi‑sababin.
205. Avec une différence : B. écrit qad tuwallidu mā laysa ... ; Aš‘arī dit tuwallidu tout court.

RÉSUMÉS
Le plus important traité théologique d’al-Bāqillānī ne fut certainement pas son Tamhīd mais un
livre intitulé al-Hidāya, probablement sa dernière œuvre, dont des fragments ont survécu dans
deux manuscrits, l’un à Fès, l’autre au Caire. On publie ici un extrait de l’ouvrage, son Kitāb at-
tawallud contre la doctrine mu‘tazilite de la génération des actes. Le texte montre avec quelle
précision le célèbre théologien aš‘arite connaissait les thèses de ses adversaires, et
particulièrement celles d’Abū Hāšim al-Ǧubbā‘ī.

‫ هو‬،‫الكتاب اﻷهم في علم الكﻼم للباقﻼني لم يكن التمهيد بل كتاب بعنوان الهداية‬
‫ أحدهما في فاس‬،‫ وقد بقيت منه أجزاء في مخطوطين‬،‫ على ما يبدو‬،‫عمله اﻷخير‬
‫ أي كتاب التولد ضدّ نظرية المعتزلة من‬،‫ ننشر هنا نبذة عن الكتاب‬.‫واﻵخر في القاهرة‬
‫ يبي ّن النص إلى أية درجة دقيقة كان العالم اﻷشعري يعرف قضايا خصومه‬.‫تول ّد اﻷعمال‬
.‫وبخاصة تلك العائدة ﻷبي هاشم الجبائي‬

The most important theological treatise by al-Bāqillānī was certainly not this Tamhīd but a book
entitled al-Hidāya, probably his last work, of which some portions have been preserved in two
manuscripts, the one in Fès, the other in Cairo. What is published here is an extract from that
treatise, its Kitāb at-tawallud against the Mu‘tazilite doctrine on «generated acts». the text gives
evidence of how precisely the famous Aš‘arite theologian was acquainted with his opponents’
theses, especially those of Abū Hāšim al-Ǧubbā‘ī.

AUTEUR
DANIEL GIMARET
Directeur d’études émérite (EPHE)

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


295

De l’amitié et des frères : l’Épître 45


des Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’.
Présentation et traduction annotée

Cécile Bonmariage

Présentation
1 L’Épître 45 des Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’ s’est signalée très tôt aux chercheurs du fait
d’éléments importants qu’elle contient pour la datation de ce texte : une mention de la
théorie du bond, initiée par le mu‘tazilite al-Naẓẓām (mort entre 220/835 et 230/845),
et la citation de vers extraits d’un poème composé par al-Mutanabbī en 347/958 1. Elle a
aussi été remarquée pour son intérêt dans l’étude de la formation et de la diffusion du
Sirr al-asrār (le Secretum secretorum). On trouve dans la version longue de ce dernier
texte, en effet, plusieurs points également présents dans l’Épître 45, notamment une
chaîne de vices 2 et le passage sur les quatre niveaux de l’âme humaine que nous
analyserons bientôt plus en détail 3.
2 Ainsi que son titre l’indique (« Du comment des relations qu’entretiennent entre eux
les Frères de la Pureté, de leur entraide et de la sincérité de la sollicitude et de
l’affection qu’ils ont les uns envers les autres »), le but principal de cette épître est de
décrire la communauté des Frères de la Pureté et son mode de fonctionnement. Elle
aborde tour à tour le maǧlis des Frères, – ce lieu de réunion, sorte de « salon
philosophique » sur la description duquel s’ouvre l’épître –, le recrutement, l’entraide
matérielle et spirituelle au sein du groupe, l’enseignement et les relations maître-
disciple, et enfin les différents degrés d’accomplissement atteints par les Frères dans
leur cheminement vers le vrai.
3 Tout au long de l’épître, l’on perçoit également un autre aspect du fonctionnement de
la communauté des Frères de la Pureté : la variété des sources auxquelles elle se réfère,
discernable de façon directe dans le passage qui énumère les quatre sortes de « livres »
sur lesquels se basent l’enseignement et le savoir des Frères 4, mais aussi de façon
indirecte, par les citations variées qui émaillent l’épître, qui font référence à des

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


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penseurs grecs (Socrate, Pythagore) 5, à deux figures emblématiques de la sagesse


indienne (Bilawhar et Būdāsf)6, ou encore à Jésus (al-Masīḥ) s’adressant aux apôtres 7.
4 Deux points retiendront plus particulièrement notre attention ici. Nous montrerons
d’abord comment la description de la communauté des Frères présentée dans cette
épître est l’occasion d’un véritable traité sur l’amitié, tout à fait dans l’esprit d’autres
ouvrages sur le sujet rédigés à la même époque. Nous analyserons ensuite de plus près
le passage où est décrite la hiérarchie des Frères, qui, en établissant un parallèle entre
les puissances de l’âme et l’âge auquel elles apparaissent, présente en même temps une
théorie des âges de l’homme, et, en associant une appellation spécifique pour chaque
degré, livre une clef de lecture originale des Rasā’il.

Un traité sur l’amitié


5 Dès les premières pages consacrées au choix d’un nouveau frère, après la description du
maǧlis et des connaissances qui y sont enseignées, l’on s’aperçoit que la communauté
des Frères de la Pureté est conçue, un peu à la manière des écoles philosophiques de
l’Antiquité, comme se fondant sur l’amitié. C’est l’amitié qui préside au recrutement,
qui se fait par affiliation, l’amitié qui régit les relations entre frères dans leur apport à
la communauté, chacun selon ses moyens, l’amitié qui fonde les rapports entre maîtres
et disciples, l’amitié qui cimente l’unité à laquelle aspire la communauté toute
entière.Voici à grands traits ce que l’épître nous apprend concernant la façon dont les
Iḫwān pensent cette question.

Le choix et la conservation des amis

6 Tout d’abord, c’est pour les Iḫwān le constat de la nécessité de l’entraide entre les
hommes pour leur bien-être à tous qui est le fondement de la recherche de l’ami. Cette
nécessité est maintes fois soulignées dans les Rasā’il 8, notamment dans le passage
suivant, extrait de l’Épître sur la géométrie, où l’on retrouve un écho de l’adage
hippocratique ars longa, vita brevis : « Sache-le, frère, […] l’homme isolé ne peut mener
qu’une existence misérable. Il a besoin pour mener une existence bonne […] de
nombreux arts qu’un seul homme ne peut atteindre tous, parce que la vie est courte et
les arts nombreux. C’est pourquoi en chaque ville ou village se réunissent des gens
nombreux, pour s’entraider les uns les autres 9. »
7 Ce constat est vrai pour la vie de ce monde comme pour le salut final dans l’au-delà.
Pensant l’amitié dans la perspective de la recherche du salut, les Frères considèrent les
amis non seulement comme un agrément essentiel pour cette vie-ci, mais comme l’aide
indispensable à la sortie vers l’autre monde, par la mise en commun des biens et de la
connaissance, que ce soit les sciences de la sagesse, « qui permettent d’atteindre le
bien-être des corps dans la demeure des organismes et dans le monde de la génération
et de la corruption », ou les sciences des prophètes, amenant au « bien-être de l’âme
dans la demeure du retour 10 ».
8 Concernant le choix des amis, les Iḫwān insistent sur le fait que tous les caractères ne
sont pas aptes à l’amitié parfaite. Reprenant des éléments présents dans l’Épître sur les
caractères 11, ils posent que le caractère est le fruit pour une part de traits innés (sous
l’influence des astres et du tempérament, lui-même déterminé par les conjonctions
astrales), renforcés ou non par les habitudes et les croyances dans lesquelles on est

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


297

éduqué 12. Une fois bien ancré, le caractère est difficilement améliorable, et il est donc
important de reconnaître les signes d’un caractère contraire. Aussi les Iḫwān
s’attachent-ils à dénombrer une série de caractères opposés entre eux, entre lesquels
aucune amitié ne pourra se nouer, et à présenter l’enchaînement qui, de cette
opposition dans les caractères, conduit à l’hostilité ouverte 13.
9 Au delà de cette distinction entre caractères aptes et inaptes à l’amitié, les Iḫwān
tracent une distinction claire entre amitiés ayant une cause en dehors de la relation
même, qui sont les amitiés fondées sur le besoin immédiat, et l’amitié véritable et
parfaite qui lie entre eux les Frères. Les premières se nouent en vue d’un but précis, qui
relève généralement de ce monde, et ne durent que le temps du besoin. L’amitié
véritable, par contre, est sans limite, parce qu’elle est fondée sur une communauté
totale, les amis devenant comme « une seule âme en deux organismes se faisant
face 14 ». On peut voir dans cette formule une reprise du topos grec de l’ami comme allos
autos, expression qui, en arabe, est rendue par différentes périphrases comme
« quelqu’un qui est toi-même, mais qui, en tant qu’individu, est différent de toi 15 »,
ainsi que l’écrit Tawḥīdī (m. 1023), ou encore quelqu’un « qui est toi, sauf qu’il est
différent de toi (ġayruka) 16 », comme dit Bīrūnī (m. 1048) 17.
10 Pour saisir plus pleinement l’expression utilisée dans les Rasā’il, il faut la replacer
toutefois dans la perspective de la théorie de l’Âme universelle défendue par les Iḫwān.
Pour ceux-ci, ainsi qu’ils l’expliquent dans l’Épître 42 notamment, l’ensemble des
individus partagent une forme unique, l’Âme universelle. Chaque homme a ainsi en lui
une part de cette Âme, et celle-ci est pour chacun de ses fragments comme notre âme
est par rapport aux membres de notre corps 18. En disant des amis véritables qu’ils sont
« une seule âme en deux organismes se faisant face », c’est sans doute aussi cela que les
Iḫwān entendent.
11 C’est cette amitié où l’ami est un autre soi-même qui est la base même de la
communauté des Frères de la Pureté, dont les membres visent à être « comme un seul
homme […], et comme une seule âme dans l’ensemble de ce qu’ils entreprennent en vue
de ce qu’ils visent, qui est de faire triompher la religion et de rechercher l’au-delà 19 ».
Une fois nouée, une telle amitié doit être entretenue et nourrie, notamment en
préférant ce frère à toute autre relation, ce que développe un long passage consacré à
la conservation de l’amitié 20.

L’amitié dans les rapports maître-disciple et dans l’enseignement

12 C’est par la connaissance véritable que l’on parvient au salut selon les Iḫwān, en « se
réveillant du sommeil de l’ignorance et de l’assoupissement de la négligence », comme
le répètent souvent les Rasā’il. Aussi est-ce particulièrement dans l’enseignement que
va se montrer l’entraide entre Frères. Le passage consacré au choix du maître 21 est
surtout l’occasion de dénigrer les faux savants qui parlent de toutes sortes de choses
complexes alors qu’ils ne connaissent pas la base de toute science, c’est-à-dire eux-
mêmes, tel un affamé qui nourrirait les gens, ou quelqu’un qui est malade lui-même et
prétendrait soigner les autres, selon l’image donnée dans l’Épître 48 22.
13 Par les exemples choisis ici par les Iḫwān (la théorie du bond, le feu qui ne brûle pas,
etc. 23), on voit que ceux qu’ils visent sont premièrement ceux qui s’adonnent au kalām.
La théorie du bond, selon laquelle un mobile « peut passer du premier point au
troisième sans passer par le point intermédiaire 24 », a en effet été énoncée d’abord par

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al-Naẓẓām (mort entre 835 et 845) pour donner une explication du mouvement dans sa
physique qui nie l’atome ; elle a ensuite été reprise par une lignée de penseurs au sein
du kalām 25. L’exemple du feu peut certes être compris comme une allusion à une
théorie de la vue de type platonicien, le rayon rendant la vue possible étant décrit en
effet par Platon comme une « sorte de feu qui n’est pas capable de brûler, mais
seulement de fournir une douce lumière 26 », mais c’est surtout un des exemples les plus
communs dans l’explication de la théorie de l’engendrement (tawallud) des actions
développée dans le kalām 27.
14 La critique des négateurs de l’astrologie peut aussi être envisagée comme visant les
mutakallimūn : parmi les mu‘tazilites, ‘Abd al-Ǧabbār est connu pour son opposition à
l’astrologie 28, et al-Aš‘arī en est également un pourfendeur 29. Mais elle pourrait aussi
avoir pour cible les gens de droit (légalistes, fuqahā’), comme dans la troisième épître où
les Iḫwān évoquent les gens du fiqh qui ne jugent pas bon de s’occuper de l’astrologie :
« Sache que les légalistes et les traditionnistes, les pieux et les dévots ont proscrit
l’étude de l’astrologie. Ils l’ont proscrit seulement parce que l’astrologie est une partie
de la science philosophique, et qu’ils abhorrent l’étude des sciences philosophiques
pour les néophytes et les jeunes gens, et tout qui ne connaît pas la science de la religion
et qui ne connaît pas la mesure dont il a besoin des statuts de la loi (šarī‘a) 30 . »
15 Concernant l’enseignement même, l’Épître 45 nous apprend surtout le peu de foi des
Iḫwān dans l’enseignement comme « redressement » d’un caractère déjà tordu par une
naissance sous de mauvais auspices ou comme un apprentissage accessible à tout âge : il
s’agit plutôt de faire grandir les « bonnes pousses », en choisissant des disciples jeunes
et bien nés, au sens de nés sous l’influence positive des astres, qui leur garantit une
nature équilibrée et des capacités optimales à recevoir l’enseignement 31.

Un thème cher au Xe siècle

16 Ce que disent ici les Iḫwān concernant l’amitié n’a rien de particulièrement inédit. Le
thème même de l’amitié, comme celui des relations entre maître et disciple et des
qualités de chacun – et comme aussi la question de l’organisation des cités, dont
l’absence dans l’Épître 45 peut paraître étonnante 32 –, sont très présents dans la
littérature du Xe siècle dans le milieu dans lequel les Rasā’il semblent avoir vu le jour.
Les traités sur l’amitié et sur le caractère foisonnent à l’époque, tels la Risālat al-ṣadāqa
wa-l-ṣadīq de Tawḥīdī, les chapitres consacrés à cette question dans les Muqābasāt 33du
même auteur, ou plus tard, mais par quelqu’un qui fréquentait les mêmes milieux, le
Tahḏīb al-aḫlāq de Miskawayh (m. 1030), et les passages sur l’amitié dans les questions-
réponses entre Tawḥīdī et Miskawayh du Ḥawāmil wa-l-šawāmil 34.
17 On y retrouve des éléments semblables sur le fond. On l’a vu brièvement déjà pour la
définition de l’ami comme un autre soi-même. Un autre exemple est la distinction entre
amitié qui se lie pour une cause déterminée et amitié véritable, qui se retrouve dans le
Ḥawāmil wa-l-šawāmil sous la forme d’une distinction entre amitiés accidentelles et
amitiés essentielles 35. Mais on y reconnaît également certains traits de style des écrits
des Iḫwān. Ainsi les séries de courtes phrases conditionnelles de notre épître, comme
dans le passage suivant : « Si tu es absent, ils te protègent ; si tu dépéris, ils te
soutiennent ; et s’ils te voient un ennemi, ils le matent 36 », trouvent un écho dans ce
passage de la Risālat al-ṣadāqa wa-l-ṣadīq de Tawḥīdī : « Si tu t’absentes, il te suit ; si tu es
présent, il te défend ; si tu es maltraité, il te traite avec douceur 37 . » Tawḥīdī et

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299

Miskawayh montrent également un certain penchant pour l’énumération des


caractères aussi présent dans les Rasā’il, les auteurs se laissant aller au plaisir des mots.
18 Par contre, on ne retrouve pas chez les Iḫwān les références au fond culturel arabe sur
l’amitié, qui est la base même de la Risālat al-ṣadāqa de Tawḥīdī qui se présente plus
comme une anthologie sur le thème que comme un véritable traité. On ne retrouve pas
non plus le pessimisme que l’on peut déceler chez ce dernier, dans la Risālat al-ṣadāqa,
mais aussi dans le chapitre 106 des Muqābasāt, consacré à l’amitié, qui commence par la
constatation que la définition de l’ami comme un autre soi-même est valide, mais n’a
rien qui lui corresponde dans la réalité : un tel ami n’existe pas 38. Chez les Iḫwān au
contraire, la véritable amitié existe et la communauté se veut réussie.
19 On peut voir dans cet épanouissement de l’éthique au Xe siècle le fruit des traductions
au siècle précédent des traités de l’Antiquité sur la question 39. L’Éthique à Nicomaque
d’Aristote est traduit par Isḥāq b. Ḥunayn (m. 910), accompagné de commentaires de
l’Antiquité tardive. La République de Platon fournit une base aux réflexions touchant à
l’organisation de la cité. Les textes de Galien véhiculent aussi une conception éthique
propre 40. Mais sans doute peut-on également chercher dans les conditions mêmes de
l’activité des intellectuels à l’époque une autre cause pour l’intérêt pour le thème de
l’amitié. Les maǧlis décrits par les Frères dans notre épître comme lieu de réunion et
d’enseignement n’étaient pas seulement le fait de mouvements plus ou moins secrets.
Les penseurs, les lettrés et les savants avaient l’habitude de se réunir dans des cercles
pour discuter les différents sujets de leurs sciences. De nombreux hommes de pouvoir
et de nombreux savants avaient un cercle où se réunissaient différents hommes en leur
domaine 41. C’est donc semble-t-il naturellement que les penseurs ont repris et discuté
le thème antique de l’amitié.

Hiérarchie des Frères et théorie des âges de l’homme


20 Un dernier passage de l’Épître 45 mérite encore particulièrement notre attention, celui
où sont exposés les différents degrés d’accomplissement des âmes des Frères 42. Ce
passage important – à moins qu’il ne s’agisse de l’un de ses parallèles 43 – se retrouve
dans plusieurs textes postérieurs : il est cité dans l’article sur les Iḫwān al-Ṣafā’ du
Muntaḫab Ṣiwān al-ḥikma 44et, dans la version de l’Épître 32, dans la version longue du
Sirr al-asrār 45.
21 L’idée de la hiérarchisation de la société humaine est bien ancrée dans les Rasā’il, les
Iḫwān trouvant dans le Coran un fondement ou une confirmation de leur conception :
« Le Très-Haut dit : “Nous en avons élevé certains au-dessus d’autres en degrés 46.” Il a
fait en sorte que certains aient besoin des autres et que les uns soient corvéables par les
autres. Ce propos montre clairement que le monde de l’homme est constitué de degrés,
de classes et de cercles, les uns englobant les autres 47. »

Le quatre dans les Rasā’il

22 Il n’est pas étonnant que ce soient ici quatre degrés qui soient distingués : l’Épître 45
comprend en effet un certain nombre de séries par quatre. Il est y question non
seulement des quatre sources du savoir (p. 42-43), des quatre demeures des gens eu
égard aux deux grâces que sont les biens et la connaissance (p. 52), mais aussi des
quatre conditions à remplir pour arriver au plus haut rang pour l’homme (p. 59), des

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300

quatre caractéristiques que se découvre celui qui atteint ce dernier niveau (p. 59), ainsi
que des quatre demeures dans la foi (p. 60).
23 Le quatre est important dans l’ensemble des Rasā’il, mais sans exclusive (le chiffre 5 et
d’autres sont également exploités 48). Dans l’Épître sur les nombres, les Iḫwān nous
apprennent que selon eux, si les nombres sont de quatre sortes (unité, dizaine, centaine
et millier), ce n’est pas du fait de leur nature même, mais bien par un choix délibéré des
savants qui ont voulu par là refléter ce qu’il en est des choses naturelles (saisons,
éléments, directions…), elles-mêmes divisées en quatre par le Créateur comme reflet
des choses spirituelles (Créateur, Intelligence universelle, Âme universelle, Matière
première) 49. L’Épître sur la musique comprend également un passage relativement
développé sur les tétrades voulues comme telles par le Créateur : partant de la division
de l’année en quatre saisons, les Iḫwān énumèrent une série de phénomènes de la
nature, de puissances de l’âme, d’actions, de caractères, etc. liés à chacune de ces
saisons, formant ainsi un tableau quadripartite de la réalité du monde et des hommes 50.

Les puissances de l’âme et les fonctions des Frères

24 Les quatre degrés des Frères sont définis à la fois par une fonction dans la communauté
et par une puissance de l’âme propre à remplir celle-ci. Le premier degré est celui de la
puissance d’intelliger ou puissance rationnelle (al-quwwa al-‘āqila), arrivant à l’âge de
quinze ans. Elle est définie comme celle qui « distingue les sensibles 51 » et semble
correspondre à l’âme humaine rationnelle (al-nāṭiqa al-insānīya) d’un autre passage 52. Le
deuxième degré est celui de la puissance de jugement, définie ailleurs comme « celle
qui considère les significations des intelligibles 53 », qui arrive à l’âge de trente ans. Le
troisième degré est celui de la puissance nomique 54, arrivant à l’âge de quarante ans et
qui est propre aux rois, et le quatrième, celui de la puissance angélique (al-quwwa al-
malakīya), qui arrive à cinquante ans et prépare à la séparation d’avec la matière. Sur
cette puissance descend finalement la puissance d’ascension vers l’au-delà, du moins si
l’âme s’est rendue parfaite avant de se séparer du corps 55.
25 On le voit, chacun des degrés est caractérisé par une fonction qui correspond à ce qui
est dit dans l’Épître 48 des habitants de la Cité des Frères 56 : il y a d’abord les artisans,
qui sont décrits dans l’Épître 48 comme « les maîtres des quatre éléments » ; ensuite les
chefs, ceux qui sont en charge de la conduite de la cité ; puis les rois, qui possèdent le
commandement et l’interdiction ; enfin, ceux qui dans l’Épître 48 sont appelés « les
divins qui possèdent le vouloir et la volonté ».
26 À chacun des degrés correspond une appellation particulière dans les Rasā’il ce qui peut
fournir une clef de lecture intéressante de celles-ci : ceux qui sont au stade que domine
la puissance rationnelle, les plus jeunes des adeptes de la communauté, sont appelés
« nos frères pieux et miséricordieux » (Iḫwānunā al-abrār wa-l-ruḥamā’). Ceux du degré
supérieur à celui-ci, chez qui domine la puissance de jugement, sont appelés « nos
frères bons et nobles » (Iḫwānunā al-aḫyār wa-l-fuḍalā’). Ceux qui occupent le troisième
degré, celui des rois, sont appelés « nos frères nobles et généreux » (Iḫwānunā al-fuḍalā’
al-kirām). Aucune appellation n’est associée à ceux qui occupent le degré le plus élevé,
peut-être parce que les Rasā’il ne s’adressent pas directement à eux 57.

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301

Les âges de l’homme

27 Comme chacun des degrés est lié à un âge, ce passage présente tout autant une
hiérarchie qu’une division des âges de la vie humaine telle que la conçoivent les
Iḫwān 58. Bien qu’à première vue les Iḫwān nous livrent ici une division quadripartite, à
y regarder de plus près, celle-ci cache en réalité une division de la vie en sept âges. En
effet, si l’on rapproche ce passage d’autres extraits des Épîtres où il est question des
différentes puissances de l’âme et de l’âge de leur apparition, on voit que deux niveaux
précèdent celui de l’âme rationnelle ici présenté en premier lieu : avant quinze ans, il y
a déjà quelque chose. Ensuite, la puissance angélique n’est pas la dernière puissance de
l’âme. La puissance d’ascension, ici signalée en passant pour ne pas mettre à mal la
division quadripartite, vient couronner l’existence humaine amenée son achèvement 59.
28 Deux passages sont particulièrement intéressants à rapprocher de notre épître. Le
premier est extrait d’une épître intitulée « Des principes des existants intellectuels
selon l’opinion des Pythagoriciens », l’Épître 32 60. Ce texte mentionne les deux
puissances régissant l’homme avant quinze ans : d’abord la puissance animale, de la
naissance à quatre ans, puis la puissance locutive, la faculté de parler, « qui exprime les
noms des sensibles ». Il présente une différence importante par rapport à notre texte :
il y a ici, en effet, une inversion entre puissance nomique et puissance angélique. Dans
l’Épître 32, cette dernière puissance correspond au niveau atteint à l’âge de quarante
ans révolus, et est ainsi liée au rang des rois. Dans ce contexte, il convient sans doute de
lire plutôt quwwa malikīya, puissance royale, plutôt que quwwa malakīya, puissance
angélique 61.
29 Ce flottement autour de la puissance malakīya ou malikīya se retrouve dans d’autres
passages des Rasā’il, notamment dans l’Épître des caractères. On trouve parfois dans ce
dernier texte la même gradation que dans l’Épître 45, de la puissance rationnelle à la
puissance angélique, en passant par la puissance de sagesse ou de jugement et la
puissance nomique ou législative 62. Cela correspond fort bien à l’idée émise dans la
même épître selon laquelle le but de l’âme rationnelle (nāṭiqa) est de devenir un ange en
puissance, pour devenir un ange en acte quand se fera la séparation d’avec le corps 63.
Par contre, dans d’autres passages de cette épître, la puissance ou l’âme angélique/
royale n’est plus attachée au niveau le plus élevé, mais bien au niveau caractérisé par la
sagesse (ḥikma). Le niveau le plus élevé est alors décrit comme étant celui de l’âme
sacrée (qudsīya), degré « des âmes prophétiques qui posent les nomoi divins (ou
législations divines) 64 ». Cela alors même que, quelques pages plus loin, l’âme sacrée est
qualifiée de mlkīya (ici sans doute à comprendre au sens de « angélique »), ce qui lui est
propre – la contemplation de la proximité de son seigneur – étant mis en contraste avec
ce qui est propre à l’âme douée de sagesse ou de jugement, – la contemplation des
sciences et des connaissances 65.
30 Un deuxième texte peut encore être utilement rapproché de ce que nous lisons dans
l’Épître 45. Il s’agit du passage souvent mentionné dans les études sur les Iḫwān où
ceux-ci exposent comment se fait selon eux le développement de l’homme sous
l’influence des astres 66. Il n’y est pas question des différentes puissances, mais bien des
différents caractères et actes privilégiés suivant les âges, sous l’influence successive de
chacun des sept astres du système ptolémaïque.
31 De la naissance à l’âge de quatre ans, c’est la Lune qui préside à la croissance, régissant
le développement de l’enfant alors dominé par la puissance animale (p. 446).

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302

32 Ensuite, et pour treize ans, c’est Mercure qui prend le relais, alors que la puissance
locutive se manifeste, Mercure qui fait que dominent « la parole, le mouvement, les
apprentissages, l’adab, le discernement et la compréhension » (p. 446).
33 Ensuite, pendant huit ans, c’est l’influence de Vénus qui se montre prépondérante.
Celle-ci incite au désir des plaisirs charnels, pousse à fonder un foyer et à rassembler
des biens (p. 447).
34 Durant les dix années qui suivent, l’homme vit sous l’influence du Soleil qui développe
en lui les capacités liées à la puissance, la domination et l’organisation. L’homme
s’occupe alors de l’éducation des enfants, s’inquiète de ce qui concerne ses proches. Il
recherche également le pouvoir, l’élévation et les honneurs, « et ce sont là des
caractéristiques, des mœurs et des actions dont ont besoin les rois et les chefs » (p. 447).
35 C’est Mars qui domine alors pour sept années. Il suscite « toutes les caractéristiques, les
mœurs et les traits indispensables à ceux qui dirigent les affaires, commandent les armées,
gardent les assemblées, régissent à la fois la royauté et le nomos » (p. 448).
36 Après cela, l’influence prédominante passe à Jupiter pour douze ans. Celui-ci pousse « à
la religion et à la piété […], au renoncement et à l’adoration, au retour vers Dieu Tout-
Puissant, par le jeûne et la prière, la charité et le pardon, la recherche et le désir de
l’au-delà » (p. 449).
37 Ensuite, « si l’homme fait effort et fait ce qui est décrit dans la šarī‘a […] et agit selon ce
qui est décrit dans la philosophie » (p. 449), la prédominance passe à Saturne, qui incite
« au repos, à la tranquillité et à l’inactivité, qui gèle les feux des passions du corps et
fait s’en aller les puissances animales » (p. 449). Alors vient la mort naturelle.
38 Ce texte, qui fait penser à ce qu’on lit dans le Tétrabiblos de Ptolémée 67, ne correspond
pas entièrement avec ce que nous lisons dans les Épîtres 32 et 45. Ainsi les âges définis
pour chacune des divisions ne sont-ils pas les mêmes. Par contre, l’on retrouve la même
gradation dans le parcours de l’homme, de l’amour des choses corporelles au
gouvernement, puis au désir de pouvoir et à la puissance, jusqu’à l’amour de l’au-delà
et au désir du retour vers Dieu.
39 Les divers éléments présentés dans les Épîtres 25, 32 et 45, peuvent être résumés sous
forme de tableau de la façon suivante.

0-4 puissance animale Lune 0-4

4-15 puissance locutive Mercure 4-17

15-30 puissance rationnelle maîtres-artisans Vénus 17-25

Soleil 25-35

30-40 puissance de jugement chefs Mars 35-42

40-50 puissance nomique rois Jupiter 42-54

50-… puissance angélique divins Saturne 54-…

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303

40 On le voit, un certain nombre de correspondances sont décelables, mais si les deux


théories des âges ici présentées ne sont ainsi pas totalement incompatibles, elles ne
sont pas non plus intégrées. Il faut sans doute voir là la marque de l’influence de
sources diverses, sources qui ne sont pas toujours harmonisées, mais doivent-elles
l’être pour les Iḫwān ?

Notre traduction
41 L’édition de Beyrouth étant la plus accessible, c’est elle qui a été préférée ici. Les
variantes de l’édition du Caire seront signalées en notes. Les éditions plus récentes
n’ont rien apporté de plus à ces éditions classiques.
42 Nous avons constaté que les p. 57-60 sont reprises à quelques points près aux p. 173-177
du même volume, dans la septième épître des sciences nomiques et légales (Épître 48).
Nous indiquerons en notes les variantes du texte. D’autres parallèles peuvent encore
être établis avec l’Épître 48, surtout à partir de la p. 165, parallèles dans les sujets
traités cette fois, mais plus dans les termes eux-mêmes. C’est ainsi que les Iḫwān y
parlent aussi, par exemple, de l’entraide, de la nécessité de l’ouverture à toute science
et toute doctrine, des quatre livres, etc. Les passages éclairants seront mentionnés dans
les notes.
43 La numérotation indiquée en caractères gras entre crochets dans notre traduction
renvoie à la pagination de l’édition de Beyrouth. Dans les notes, l’édition de Beyrouth
est indiquée par le sigle B, celle du Caire par le sigle C. Le sigle B 2renvoie au t. IV, p.
173-177 de l’édition de Beyrouth dans le parallèle que nous venons de mentionner.

Traduction
44 [41,1] Quatrième épître des sciences nomiques 68 et légales : Du comment des relations
qu’entretiennent entre eux les Frères de la pureté, de leur entraide et de la sincérité de
la sollicitude et de l’affection qu’ils ont les uns envers les autres pour ce qui est à la fois
de la vie dernière 69 et de la vie d’ici-bas. [5] (Épître XLV des Épîtres des Frères de la
pureté)
Au nom de Dieu, Celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux. Louange à Dieu et
paix sur Ses serviteurs qu’Il a élus. Dieu est-Il meilleur ou ce que [les impies Lui]
associent ? (27:59)

[Prologue : Le cercle (maǧlis) des Frères]

45 Frère (que Dieu t’assiste ainsi que nous-mêmes par un esprit venant de Lui 70 !), sache
qu’il convient que nos frères (Dieu les assiste !), en quelque contrée qu’ils se trouvent,
aient un cercle particulier où se réunir à des moments déterminés, où nul autre qu’eux
ne pénétrera avec eux. Ils s’y entretiendront 71 de leurs sciences et y discuteront de
leurs secrets 72. Leurs entretiens auront principalement pour sujet la science de l’âme,
le sens et le sensible, l’intellect et l’intelligible, l’examen et l’étude des livres divins et
des révélations prophétiques, et ce que signifie le contenu 73 des prescriptions de la Loi.
Ils s’y entretiendront aussi des quatre sciences mathématiques 74, – je veux dire
l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie [15] et l’harmonie 75. Ceci étant, leur souci le

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304

plus grand et leur but principal devra être l’étude des sciences divines, lesquelles
constituent l’objectif ultime.

[La quête nécessaire de toutes les sciences]

46 Il convient que nos frères (que Dieu le Très-Haut les assiste !) ne soient ennemis
d’aucune [42,1] science, ne fuient aucun livre et n’adoptent fanatiquement aucune
doctrine 76, car notre opinion et notre doctrine absorbent toutes les doctrines et
réunissent l’ensemble des sciences. [Notre doctrine] consiste en effet à examiner selon
la réalité l’ensemble des existants en leur totalité, sensibles et intelligibles, du premier
au dernier, apparents et intérieurs 77, manifestes et cachés, en tant qu’ils relèvent tous
[5] d’un principe un, d’une cause une, d’un monde un et d’une âme une, qui en
embrassent les différentes substances, les genres distincts, les espèces diverses et les
différents individus.

[Les quatre sources du savoir]

47 Nous avons mentionné dans la deuxième épître 78 que nos sciences sont tirées de quatre
[espèces de] livres.
48 (1) Les livres composés par les sages et les philosophes en mathématique et en
physique.
49 (2) Les livres révélés qu’ont apportés les prophètes (sur eux les bénédictions de Dieu !),
comme [5] la Torah, l’Évangile, le Furqān 79, et les autres pages des prophètes dont les
significations proviennent des anges par révélation, ainsi que ce qui s’y trouve comme
secrets cachés.
50 (3) Les livres naturels, qui sont les formes des figures des existants telles qu’elles sont
maintenant 80 : la façon dont les sphères [célestes] sont disposées les unes par rapport
aux autres 81, les divisions du zodiaque, les mouvements des astres et les mesures de
leurs masses, les changements dus au temps, la transmutation des éléments, les
différentes sortes de ce qui s’engendre comme minéraux, animaux et végétaux, et les
[divers] types [15] de produits faits de la main de l’homme. Tout cela, ce sont des
images, des métaphores, qui indiquent des significations subtiles et des secrets délicats,
dont les gens voient l’apparence sans en connaître la signification profonde, qui est une
description subtile du Créateur– qu’Il soit loué !
51 (4) La quatrième espèce enfin, ce sont les livres divins que ne touchent que les purifiés 82,
les anges, et qui sont dans les mains de scribes généreux et pieux 83. Ce sont les substances
des âmes, leurs genres, leurs espèces et leurs individus, le fait qu’elles utilisent les
corps, les mettent en mouvement et les régissent, [20] qu’elles ont autorité sur eux et
manifestent leurs actions grâce et à partir d’eux, état après état, alors que passent le
temps et les moments des conjonctions et des révolutions ; le fait que tantôt certaines
tombent dans l’abysse des corps, tantôt certaines s’élèvent [hors] des ténèbres de la
carcasse [corporelle] ; qu’elles sortent 84 du sommeil de la négligence et de l’oubli,
[43,1] qu’elles se rassemblent 85 pour le Compte et la Balance, qu’elles passent sur la
Voie et arrivent aux Jardins, ou qu’elles soient détenues dans les gouffres de l’enfer et
des feux, ou [encore] qu’elles séjournent dans l’entre-deux (barzaḫ) ou se tiennent sur
les redans (a‘rāf), ainsi que Dieu, le Très-Haut, l’évoque en disant : « Derrière eux est un
entre-deux jusqu’au jour où ils seront ressuscités 86 ». Le Béni et Très-Haut dit

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305

également : « Sur les redans sont des hommes qui les reconnaissent [5] chacun par leurs
traits distinctifs 87. » Ce sont les hommes qui se trouvent dans des maisons que Dieu a
permis d’élever et dans lesquelles Son Nom est rappelé. Ni commerce ni vente ne les distraient du
rappel de Dieu 88. Tel est l’état de nos frères nobles et généreux 89. Prenez-les donc pour
modèles, ô frères, et vous serez comme eux ! Nous avons exposé dans nos Épîtres tout
ce dont nos frères ont besoin [provenant] de ceux qui s’adonnent à ces sciences.

Section : [De l’amitié et du choix des amis]90


[La diversité des hommes]

52 [10] Lorsque l’un d’entre eux veut adopter un nouvel ami ou un frère nouveau, il
convient à nos frères (que Dieu les assiste !), en quelque contrée qu’ils se trouvent, de
considérer la situation de celui-ci, de se renseigner à son sujet, de sonder son caractère
et de l’interroger sur sa doctrine et sa croyance, afin de savoir s’il est apte ou non à
l’amitié, à la pure affection et à la véritable fraternité. Parmi les gens en effet, il y a des
groupes dont les natures rivalisent et sortent de l’équilibre, dont les habitudes sont
mauvaises et corruptrices, et dont les doctrines sont divergentes et [15] déviantes. Il en
est des bons et des méchants, des ingrats et des reconnaissants, des hommes de
confiance et des fourbes, des doux et des impudents, des généreux et des avares, des
courageux et des lâches, des envieux et des affectueux, des libertins et des chastes, des
anxieux et des patients, des avides et des sobres, des dociles et des rétifs, des gens rudes
et durs et des gens subtils et fins, des gens intelligents et des gens stupides, des savants
et des ignorants, des gens aimants et des gens haineux, des gens conciliants et des gens
contraires, des hypocrites et des sincères, des gens de bon conseil et des perfides, des
orgueilleux et des humbles, [20] des ennemis et des amis, des croyants et des
mécréants 91, de ceux qui reconnaissent et de ceux qui nient, des gens qui vont vers
l’avant et des gens qui retournent en arrière, et autres caractères semblables, louables
et blâmables, opposés les uns aux autres. Sache-le, le pire de tous ces groupes, ce sont
ceux qui ne croient pas au Jour du Compte, et le pire [44,1] des caractères, c’est
l’orgueil d’Iblis, l’ambition d’Adam et la jalousie de Caïn 92. Ce sont là les mères des
désobéissances 93.
53 Sache-le, les caractères imprimés naturellement dans les gens sont fonction des
différentes compositions de la complexion de leurs organismes, fonction aussi des
différentes configurations de la sphère au fondement de leur naissance 94. Nous avons
exposé cela plus amplement dans l’Épître des caractères 95.
54 [5] Sache-le, il est des gens dans lesquels sont imprimés un seul et même caractère ou
nombre de caractères louables et blâmables. Les habitudes mauvaises renforcent les
caractères mauvais, tandis que les belles habitudes renforcent les caractères louables 96.
Il en va de même des opinions et des croyances. Il est en effet des gens qui pensent et
croient, dans leur religion et dans leur doctrine, qu’il leur est licite de verser le sang de
quiconque s’oppose doctrinalement à eux 97, comme les juifs 98, les ḫāriǧites 99 et tous
les mécréants.
55 [10] Il est aussi des gens dont les opinions et la croyance, dans leur religion et leur
doctrine, sont la compassion et la sollicitude envers tous les gens, qui ont pitié des
pécheurs et demandent pardon pour eux, qui ont de l’affection envers tout vivant doué
d’esprit et veulent le bien-être de tous. Telle est la doctrine des pieux, des ascètes, des

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306

vertueux parmi les croyants, et telle est également la doctrine de nos frères
généreux 100.

Section : [L’ami sincère]

56 [15] Lorsque tu veux adopter un ami ou un frère, il convient que tu l’examines comme
tu examines les dirhams et les dinars, les terrains dont le sol est bon pour les semailles
et pour les plantations, et comme les fils de ce monde examinent la question du
mariage, l’achat des esclaves et les marchandises qu’ils achètent.
57 Quand il s’agit d’adopter des frères, sache-le, le risque encouru est plus important et
plus grave encore qu’en toutes ces choses, parce que ce sont les frères sincères qui
apportent leur aide dans les affaires de l’autre monde et de ce monde-ci. Ils sont plus
précieux [20] que le souffre rouge 101! Lorsque tu en as trouvé un, attache-toi donc à lui :
il sera [pour toi] la fraîcheur de l’œil 102, la félicité du monde d’ici-bas, le bonheur dans
l’au-delà.
58 Les frères sincères sont en effet des auxiliaires pour repousser les ennemis, un
ornement auprès des amis, des piliers sur lesquels s’appuyer en cas de coup dur et
d’affliction, [45,1] un support sur lequel s’adosser en cas d’adversité, dans les bons et
les mauvais moments 103. Ils sont un trésor conservé pour le jour de besoin, une aile
[protectrice] qui s’abaisse en cas de préoccupation, une échelle pour s’élever vers les
hauteurs, un accès auprès des cœurs lorsqu’on recherche une intercession, une
forteresse inexpugnable vers laquelle se réfugier aux jours d’effroi et de terreur. Si tu
es absent, ils te protègent ; si tu dépéris, ils te soutiennent ; et s’ils te voient un ennemi,
ils le matent 104. [5] Un seul d’entre eux est comme l’arbre béni 105 dont les branches
s’offrent à toi chargées de fruits, dont les feuilles au parfum excellent t’ombragent et te
protègent de leur belle ombre. Si tu te rappelles, il t’aide, et si tu oublies, il te fait te
rappeler. Il t’exhorte à la piété et te précède vers elle ; il te fait désirer le bien, te
devance vers lui et te guide vers lui. Il dépense et son bien et lui-même à ton profit.
59 Si Dieu te gratifie, mon frère, de quelqu’un dont tel est l’attribut, dépense pour lui et
toi-même et ton bien 106 ! Préserve son honneur avec le tien, étends ton aile à son profit,
confie-lui ton secret, consulte-le concernant tes affaires 107, soigne ton œil en le
regardant ! Lorsqu’il est absent, fais-toi une habitude de te souvenir de lui et de penser
à lui. S’il commet une erreur, pardonne-lui. S’il fait un faux-pas, minimise la chose
auprès de lui. Ne le laisse pas dans la solitude : il craindrait ta rancœur 108. Rappelle-toi
ses bienfaits passés lorsqu’il agit mal, pour qu’il soit en confiance et se sente à l’abri
d’un danger de ta part. Voilà le meilleur moyen de préserver son affection et de
prolonger sa fraternité.

[15] Section : [Les amitiés impossibles]

60 Sache-le, mon frère, il est des gens qui ne sont pas du tout aptes à l’amitié, à la
fraternité ou à la proximité. Examine donc celui dont tu te fais le compagnon et que tu
fréquentes, et ne te laisse pas duper par l’apparence des choses sans en connaître le
fond, ni par la douceur de l’immédiat avant d’examiner l’amertume de ce à quoi il
aboutit.
61 Lorsque tu veux adopter un frère ou un ami, considère d’abord sa situation, éprouve
son caractère, interroge-le [20] sur sa doctrine et sa croyance, examine ses habitudes,

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son naturel, ses qualités et ses mouvements. Au physiognomoniste, le fond des choses
n’est pas caché lorsqu’il en examine les apparences.
62 Sache-le, parmi les gens, il en est qui prennent l’allure de l’ami, te trompent[46,1] en
faisant semblant d’être d’accord avec toi et en simulant de l’amour envers toi, alors que
c’est son contraire qui est dans leur poitrine et leur for intérieur. Ne te laisse donc pas
duper et 109 fais-toi une certitude.
63 Sache-le, les actions des gens telles qu’elles apparaissent sont fonction des caractères
les marquant naturellement, fonction aussi des habitudes avec lesquelles ils ont grandi,
ou fonction des opinions auxquelles ils croient. [5] Parfois, on voit l’homme être
vaniteux et fanfaron, ou acariâtre et entêté, rude et dur, querelleur et disputeur,
envieux et haineux, hypocrite et ostentateur, avare et ladre, lâche et vil, rusé et perfide,
orgueilleux et sans pitié, vorace et avide. [On en voit aussi] qui aiment l’éloge et la
louange plus qu’ils ne le méritent, humilient leurs pareils, méprisent leurs proches et
les gens, les blâmant ou se fiant en leur propre force et en leur propre puissance. Ces
gens, sache-le, [10] ne sont aptes ni à l’amitié ni à la fraternité la plus pure, car ces
caractères, opinions et habitudes corrompent ce qu’ils croient de leurs frères. En effet,
celui qui choisit d’exiger ce qui ne lui est pas nécessaire, ne se permet pas à lui-même
de dépenser ce qui est nécessaire 110.
64 Ainsi leurs caractères empêchent-ils l’envieux, l’entêté et le colérique de se soumettre
au réel 111. L’entêtement et l’orgueil empêchent de même de mettre fin à une
controverse et à un différend. Ainsi aussi la rudesse et la dureté empêchent-elles la
familiarité et le confort, [15] tandis que la hargne et la colère excitent à l’arrogance.
Bref, tous ces caractères détruisent l’affection, vont à l’encontre de la fraternité la
meilleure, pèsent aux âmes ; elles sont dévastatrices pour l’intimité et la tranquillité,
font fuir la sociabilité naturelle, ternissent l’existence et rendent la vie détestable.
65 L’amitié ne peut être accomplie, sache-le, entre deux [personnes] de natures
différentes, parce que les contraires ne se réunissent pas. Le généreux et l’avare en
fournissent l’exemple. Ils sont en effet contraires par nature et, entre les deux, il n’y
aura pas d’amitié accomplie, [20] l’affection ne sera pas pure, l’existence ne les
comblera pas. En effet, lorsque le généreux fait quelque chose – dépense ou libéralité –
que sa générosité lui impose, l’avare voit en lui un prodigue qui aurait fait ce qui ne
convient pas et n’est pas permis. Lorsque l’avare, par contre, fait par nature quelque
économie que son avarice lui impose, le généreux voit en lui quelqu’un qui a commis
une abomination et dont l’action n’est pas bonne. Cela devient donc pour chacun une
raison de faire des reproches à son compagnon. Ainsi l’avare croit-il qu’il y a chez le
généreux [47,1] bêtise, gaspillage des biens et omission de l’examen des conséquences
[de son action], tandis que le généreux croit qu’il y a chez l’avare dépravation, bassesse,
petitesse d’âme et étroitesse dans le dessein. Lorsque ceci se produit entre eux et
persiste, cela devient de la rudesse, laquelle perdure, si bien qu’elle devient de
l’inimitié, celle-ci devenant à son tour de la dureté. Il en va de manière analogue de
toute paire de caractères différents, contraires l’un à l’autre : ils rendent nécessaire la
dispute, la dispute [5] rend nécessaire la rivalité, la rivalité produit la fureur, la fureur
implique la haine, et la haine est le contraire de l’amitié 112.

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Section : [La conservation de l’ami 113]

66 Sache-le, adopter des amis et des frères, c’est comme acquérir des biens et des
provisions. Parmi les gens, il en est en effet qui consument leur vie à chercher un ami
en accord [avec eux] et ne trouvent pas ; [10] ils sont semblables à celui qui consume sa
vie à chercher à réunir des biens et n’y parvient pas. Il en est aussi auxquels une
abondance de biens est octroyée. D’autres enfin sont bons pour ce qui est d’acquérir les
biens mais pas pour ce qui est de les conserver. Il en va de même pour ce qui est
d’adopter des frères et des amis : d’aucuns ne sont pas capables de les conserver et
d’avoir des égards envers eux. Ils en viennent donc à l’inimitié après l’amitié, et à la
haine après l’affection.
67 [15] Après avoir adopté un ami, il convient que ce à quoi tu t’appliques le plus et ce
dont tu te soucies le plus, ce soit de le conserver 114, d’avoir des égards envers lui et
d’accomplir ce qu’il est en droit d’attendre de toi, de sorte que l’amitié ne devienne pas
inimitié après un long compagnonnage, par lassitude ou ennui, ou par des doutes, des
présomptions, des suspicions s’introduisant dans l’affection, ou du fait de calomnie et
de diffamation provenant de quelqu’un qui serait opposé à votre relation et
s’efforcerait de la détruire. Approfondis ce domaine, mon frère, et ne le néglige pas !
68 [20] Sache-le, mon frère, l’homme subit de nombreuses colorations et connaît peu de
stabilité en un seul et même état. Ainsi passe-t-il de la richesse à l’indigence ou de
l’indigence à la richesse, de la sédentarité au voyage, du célibat 115 [48,1] au mariage, de
l’assujettissement au pouvoir, de l’oisiveté à l’occupation, de l’adversité à la félicité, de
l’élévation à l’humilité, de l’humilité à l’élévation, de l’artisanat au commerce, de la
compagnie d’un groupe à la compagnie d’autres [gens], des conceptions d’une doctrine
à une [autre] doctrine, de la jeunesse à la vieillesse, de la santé à la maladie. Peu
nombreux sont les gens à qui adviennent l’un ou l’autre de ces états ou l’une ou l’autre
de ces affaires d’ici-bas sans que leur adviennent aussi [5] de nouvelles mœurs et un
autre caractère, sans que leurs mœurs ne varient avec leurs frères et ne se colorent
avec leurs amis. Ceci à l’exception des Frères de la Pureté 116 dont l’amitié n’est pas
extérieure à l’essence. Toute amitié qui est due à quelque raison cesse lorsque cette
raison disparaît, mais il n’en va pas ainsi de l’amitié des Frères de la Pureté : leur amitié
est une proximité de parenté, et leur parenté consiste à vivre l’un pour l’autre et à
hériter l’un de l’autre. Cela parce qu’ils pensent et croient qu’ils sont une seule âme en
[10] des organismes dispersés 117. De quelque manière que change l’état des organismes,
en sa réalité, l’âme ne change pas et ne se transforme pas, ainsi que l’a dit celui qui a
dit :
Dans le corps est une âme qui ne blanchit pas avec lui,
Quand bien même sur son visage, il n’y a que ruine118.
Elle garde de la jeunesse 119, alors que je ne compte plus que quelques ongles,
De la grandeur 120 aussi, alors qu’en bouche, il ne me reste plus de dent.
Le temps change ce qu’il veut de moi, sauf elle :
J’atteins l’âge le plus avancé et elle reste les seins arrondis.
69 [15] Une autre caractéristique [de l’amitié des Frères de la Pureté], c’est que lorsque
l’un d’entre eux agit bien envers son frère, il ne fait rien qui obligerait ce dernier, parce
qu’il pense et croit que c’est envers lui-même qu’il a bien agi. Et si son frère agit mal
envers lui, il ne ressent aucune aversion à son égard, parce qu’il pense que ceci s’est fait
par lui-même envers lui-même. Celui donc qui croit pareille chose à propos de son frère
et dont le frère croit pareille chose à son propos, se sent, comme son frère, à l’abri du

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danger que celui-ci change à son égard un jour ou l’autre, pour une raison ou une autre,
d’une façon ou d’une autre.

[49,1] Section : [La conservation de l’ami]

70 Lorsque tu t’es gagné un [ami], il convient que tu le préfères à l’ensemble de tes amis et
de tes proches, de ton clan et de tes voisins avec lesquels tu as grandi 121. Il est, en effet,
meilleur pour toi que l’enfant provenant de ton dos, que le frère provenant des reins de
ton père et que l’épouse à qui tu consacres tout ce que tu possèdes [5] et pour qui toute
ton activité se fait. Connais donc ce à quoi il a droit de même que tu connais ce à quoi
ceux-ci ont droit. Il convient même plutôt que tu le préfères à eux tous. Ceux-là, en
effet, t’aiment en raison des avantages que tu leurs procures, et ils te veulent en raison
des dommages que tu éloignes d’eux 122. Lorsqu’ils peuvent se passer de toi, ils
renoncent à toi et désirent quelqu’un d’autre ; ils te déçoivent quel que soit le besoin
que tu as d’eux.
71 Ce frère, par contre, ne te veut pas du fait de quelque chose d’extérieur, mais parce
qu’il pense et croit que tu es lui et que lui est toi, [10] une seule âme en deux
organismes se faisant face 123. Lui fait plaisir ce qui te fait plaisir et le peine ce qui te
peine 124. Il veut pour toi, de lui-même, la même chose que toi, de toi-même, tu veux
pour lui 125.
72 Sache-le, les cœurs des meilleurs sont limpides parce que leurs âmes sont pures. Rien
de ce qui est caché dans les choses ne reste dissimulé pour eux, parce que cela se donne
à voir en elles, de même que ce qui apparaît de la totalité des choses se donne à voir aux
yeux de ceux qui voient. Ne cèle donc pas à tes frères purs quelque chose de contraire à
ce que tu leur montres, car cela ne leur resterait pas caché ni dissimulé.

[15] Section : [Le choix des maîtres]

73 Sache-le, la meilleure chose qui soit octroyée à un homme est le bonheur. Or les
bonheurs sont de deux sortes : intérieur et extérieur. Celui qui est intérieur est de deux
sortes, l’une touchant à l’organisme, l’autre à l’âme. Celui qui touche à l’organisme,
c’est comme la santé et la beauté ; celui qui touche à l’âme, comme l’acuité [de
l’intelligence] et la beauté du caractère. [Le bonheur] extérieur est aussi de deux
sortes : l’une est ce que la main possède, comme les biens et les jouissances d’ici-bas ;
l’autre, [20] ce sont les proches parmi les fils du genre [humain], comme l’épouse, l’ami,
l’enfant et le frère, le professeur et le maître, le seigneur et le sultan 126.
74 Le plus heureux des bonheurs est qu’il t’advienne, mon frère, d’avoir un maître [50,1]
bien dirigé, savant, connaissant les réalités des choses et des affaires, croyant au Jour
du Compte, savant des prescriptions de la religion, voyant clairement ce qui concerne
l’au-delà, au fait des états du Retour, et qui te dirige vers cela. Par contre, la plus
néfaste des infortunes est qu’il t’arrive le contraire de cela.
75 Sache-le, le maître, le professeur, est un père pour ton âme 127, raison de sa croissance
et cause de sa vie, de même que [5] ton géniteur est un père pour ton organisme et a été
raison de son existence. C’est que ton géniteur te donne une forme organique, tandis
que ton maître te donne une forme spirituelle. Le maître, en effet, nourrit ton âme des
sciences, l’éduque grâce aux connaissances et la guide sur le chemin de la félicité et du
plaisir, de la joie, de l’éternité 128 et du repos sempiternel. [Cela] de même que ton père

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a été raison de la génération de ton organisme dans la demeure d’ici-bas, celui qui t’a
éduqué et celui qui t’a dirigé vers la recherche de la subsistance en ce monde, qui est la
demeure de la disparition, du changement et de l’écoulement, heure [10] après heure.
Demande à ton Seigneur, mon frère, qu’Il t’octroie un maître bien dirigé, un guide
droit, et rends grâce à Dieu pour ses faveurs abondantes.

Section : [Les faux savants]

76 Sache-le, à propos du nomos, il est des gens qui prennent l’apparence des gens de
science et qui singent les gens de religion. La philosophie, ils ne la connaissent pas ; la
Loi (šarī‘a), ils n’en connaissent pas la réalité. Et pourtant, ils prétendent malgré cela à
la connaissance des réalités [15] des choses et s’adonnent à l’examen des affaires les
plus absconses, obscures et lointaines, alors qu’ils ne connaissent pas leur âme, qui est
la chose la plus proche d’eux 129, ne distinguent pas les affaires évidentes, ne
réfléchissent pas sur les existants manifestes, que les sens peuvent saisir et les
intelligences connaître. Ils se livrent en outre à des examens concernant le bond 130,
l’atome et autres questions relatives à des affaires imaginaires qui n’ont pas de réalité
dans la matière (hylè), alors qu’ils doutent des choses manifestes [20] et évidentes, et
prétendent à leur propos des absurdités en un discours 131 vaniteux et une discussion
polémique. Ainsi prétendent-ils par exemple que la diagonale du carré serait égale à un
de ses côtés 132, que le feu ne brûlerait pas 133, que les rayons de la vue seraient un corps
atteignant en un clin d’œil la sphère des astres 134, que l’astrologie serait vaine 135, [51,1]
et autres mensonges et tromperies. Méfie-toi d’eux, mon frère. Ce sont des imposteurs
à la langue facile mais aveugles de cœur 136, qui doutent des réalités et dévient de ce qui
est correct.
77 Sache-le, ils sont une épreuve pour les savants et des menteurs contre les prophètes
(sur eux la paix !). [5] Ils usurpent, et ne connaissent pas en réalité 137 ; ils prétendent ce
qu’ils ne savent pas. Ils sont comme le Seigneur des mondes (majestueux est Son nom !)
les a décrits [en disant] : « Mais vous, vous êtes des gens de dispute 138 . » Ils errent dans
les oueds de ce qu’ils imaginent, disant ce qu’ils ne font pas et ne savent pas. Que Dieu
nous protège ainsi que toi, mon frère, de quiconque possède ces attributs blâmables et
de leur méchanceté. Ce sont des ennemis, en effet. Méfie-toi d’eux !

[10] Section : [Le choix des disciples]

78 Sache-le, frère, avoir un maître doué d’acuité, dont la nature est excellente, les mœurs
belles, l’entendement pur, qui aime le savoir, est en quête du réel et qui n’est pas
fanatiquement attaché à quelque vue doctrinale, voilà qui contribue également à ton
bonheur.
79 Sache-le, avant qu’adviennent en elles une des sciences, une des croyances, [15] les
pensées des âmes sont semblables à une feuille blanche, immaculée, sur laquelle rien
n’a été écrit 139. Lorsque quelque chose y est écrit, que ce soit vrai ou faux, la place est
occupée, ce qui empêche d’y écrire autre chose, et il est difficile de le gommer ou de
l’effacer. Il en va ainsi des pensées des âmes : lorsque l’une des sciences, l’une des
croyances ou une habitude leur parviennent, elles s’y établissent, qu’elles soient vraies
ou fausses, et il est difficile de [les] extraire et de les effacer, ainsi que l’a dit celui qui a
dit :

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[20] La passion m’a touché avant que je n’aie connu la passion ;


elle a trouvé mon cœur vide, et s’y est établie 140.
80 L’affaire étant telle que je l’ai décrite, ô frère, il convient que tu ne t’occupes pas de
réformer [52,1] les vieillards 141 décrépits qui, depuis l’enfance, ont adopté des
croyances et des opinions corrompues, des habitudes mauvaises, des mœurs sauvages.
Ils te fatigueraient, en effet, et ne se réformeraient pas. Et s’ils se réformaient petit à
petit, ils ne réussiraient pas [totalement] 142.
81 Tu devras te tourner plutôt vers les jeunes à la poitrine saine 143, qui ont le désir des
lettres, débutent dans l’examen des sciences, désirent la Voie du Réel et la Demeure
dernière, croient [5] au Jour du Compte, mettent en pratique les lois des prophètes (sur
eux la paix !), étudient les secrets de leurs livres, abandonnent la passion et la
discussion et ne sont pas doctrinalement fanatiques.
82 Sache-le, Dieu le Très-Haut n’a pas envoyé de prophète qui n’ait été jeune et n’a pas
donné de sagesse à un serviteur qui n’ait été jeune. Ainsi les a-t-Il évoqués et loués en
disant (majestueux est Son nom !) : « Ce sont des jeunes gens qui croient en leur
Seigneur, et nous leur avons donné plus de guidance » (18:13). Le Très-Haut dit
aussi : « Nous avons entendu un jeune homme les mentionner. On l’appelle Abraham »
(21:60). [10] Le Puissant et Majestueux dit encore : « Et Moïse dit à son jeune
serviteur 144 » (18:62).
83 Les premiers à avoir accusé de mensonge chaque prophète que Dieu avait envoyé,
sache-le, ont été les vieillards de leur peuple qui s’adonnaient à la philosophie, à l’étude
et à la discussion. Ainsi le Très-Haut les a-t-Il décrits en disant : « Et lorsque le fils de
Marie est proposé en exemple, voici que ton peuple se détourne de lui : “Nos divinités
sont-elles meilleures ou bien lui ?”, disent-ils. Ils ne proposent cependant [cet exemple]
que pour discuter. Ce sont des gens de dispute 145 » (43:57-58).

[15] Section : [Richesse, science et pureté : La répartition des


hommes face aux dons de Dieu]

84 Sache-le, les dons de Dieu (majestueux est son nom !) sont multiples, innombrables. On
peut les rassembler néanmoins sous deux genres, sous chacun desquels il y a de
multiples espèces. L’un relève de l’organisme, l’autre de l’âme. Parmi ce qui relève de
l’organisme, il y a les biens, et parmi ce qui relève de l’âme, la science.
85 Eu égard à ces deux grâces importantes, les gens se partagent quatre demeures : [20] il
en est parmi eux à qui une part a été octroyée à la fois des biens et de la science ; il en
est qui ont été privés des deux à la fois ; il en est à qui les biens ont été octroyés mais
pas la science ; il en est enfin à qui la science a été octroyée mais pas les biens.

[La possession des biens et de la science]

86 À chacun de nos frères auxquels ont été octroyés à la fois les biens et la science, il
convient de témoigner [53,1] sa reconnaissance pour ce dont Dieu (puissant et
majestueux est-Il !) lui a fait grâce, en s’attachant un de ses frères parmi ceux qui ont
été privés des deux à la fois. Il partagera avec lui du surplus de ce que Dieu, le Très-
Haut, lui a donné comme biens, afin d’assurer la vie de son organisme dans la demeure
d’ici-bas. Il lui prêtera assistance 146 et lui enseignera de sa science afin que, par là, son
âme soit vivifiée en vue de la permanence dans la demeure dernière. Il s’agit là, en

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effet, de l’un des meilleurs moyens de se rapprocher de Dieu et d’une des manières les
plus efficaces de rechercher [5] Son contentement 147.
87 Il ne convient pas qu’il l’oblige pour ce qu’il dépense comme biens pour lui, ni qu’il le
méprise. Qu’il sache plutôt que Celui qui a privé son frère est Celui-là même qui lui a
donné 148. De la même manière qu’il n’oblige pas un de ses fils par l’organisme pour
l’éducation qu’il lui donne et pour les dépenses de biens qu’il fait pour lui, et qu’il lui
donne en héritage après son décès ce qu’il a rassemblé comme biens, ainsi ne faut-il pas
qu’il oblige un de ses fils par l’âme. En effet, si celui-là est son fils par l’organisme,
celui-ci est [10] son fils par l’âme.
88 Ainsi rapporte-t-on que le Prophète (que Dieu lui accorde le salut et la paix !) a dit à ‘Alī
(sur lui la paix !) : « Toi et moi, nous sommes les pères de cette communauté. » Il dit
aussi (que Dieu lui accorde le salut et la paix !) : « Le croyant est le frère du croyant de
père et de mère 149. » Abraham (sur lui la paix !) a dit : « Quiconque me suit est des
miens » (14:36). Lorsque Noé (sur lui la paix !) a dit : « Mon fils est de ma famille »
(11:45), le Puissant et Majestueux lui a dit : « Il n’est pas de ta famille car il a commis
une action qui n’est pas vertueuse » (11:46). Le Très-Haut dit aussi : « Lorsqu’on [15]
soufflera dans la Trompe, il n’y aura plus ce jour-là de lignages entre eux, et ils ne
s’interrogeront point » (23:101). Il est donc manifeste que le lignage par l’organisme
n’est d’aucune utilité dans l’au-delà.
89 C’est en ce sens que le Messie (sur lui la paix !) a dit aux Apôtres : « Je suis venu
d’auprès de mon Père et de votre Père 150. » Dieu, le Très-Haut, dit aussi : « La religion
de votre père Abraham » (22:78). Cette paternité est par l’âme et son lignage ne
s’interrompra pas, ainsi que le Prophète (sur lui la paix !) l’a dit : « Au Jour de la
Résurrection, tout lignage s’interrompra sauf le mien 151. » [20] Il dit aussi : « Ô Banū
Hāshim, au Jour de la Résurrection, les gens viendront à moi avec leurs œuvres, tandis
que vous, vous viendrez à moi avec vos lignages. Moi cependant, je ne vous préserverai
en rien de Dieu 152. » Ce qu’il entend par là, c’est seulement le lignage par l’organisme.
Ce lignage, en effet, s’interrompt lorsque les corps périssent, tandis que le lignage par
l’âme demeure, car les substances des âmes demeurent après avoir quitté les
organismes.
90 Si [quelqu’un] pense que son fils par l’organisme vivifiera sa mémoire après sa mort,
celui-là, [le fils spirituel], aussi, s’il vit, vivifiera sa mémoire dans le cercle (maǧlis) des
savants et en présence des gens de bien, lorsqu’il [54,1]déploiera sa science et que, se
tournant vers lui, il appellera sur lui la miséricorde [divine], chaque fois qu’il
l’évoquera. Ainsi, nous, nous évoquons nos maîtres et nos professeurs plus souvent que
nous n’évoquons nos pères par l’organisme et que nous n’appelons sur nos pères la
miséricorde [divine].
91 Si, par ailleurs, il pense que ce fils par l’organisme pourra lui être de quelque utilité
lorsqu’il aura grandi et l’aidera pour les affaires d’ici-bas, il se peut que celui-là aussi en
arrive dans la science, la sagesse, le bien et le rang auprès de Dieu, le Très-Haut, à
pouvoir intercéder par sa science [5] pour son maître. Ce dernier sera ainsi sauvé par
son intercession sans le savoir, ainsi que Dieu, le Très-Haut, l’a évoqué en disant : « De
vos pères ou de vos fils, vous ne savez pas lesquels vous seront plus utiles, c’est un
précepte de Dieu » (4:11).

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[L’échange des biens contre la science : éloge de l’entraide]

92 À celui de nos frères à qui les biens ont été octroyés mais pas de science, il convient de
rechercher un frère parmi ceux à qui la science a été octroyée et de se l’attacher. Le
premier partagera ses biens avec le second tandis que celui-ci lui prêtera assistance
par 153 sa science, et ils s’entraideront l’un l’autre pour le bien de l’au-delà et de la vie
d’ici-bas à la fois.
93 Il convient que le frère qui a des biens [10] n’oblige pas le frère qui a de la science pour
ce qu’il partage comme biens avec lui et qu’il ne le méprise pas à cause de son
indigence. Les biens relèvent de l’organisme en effet : c’est par eux que l’on assure la
vie de l’organisme dans la demeure d’ici-bas. La science par contre est une propriété de
l’âme, et c’est par elle que l’on assure la vie de l’âme dans l’au-delà. Or, la substance de
l’âme est meilleure que la substance de l’organisme. La vie de l’organisme durera en
effet un certain temps puis s’interrompra et périra, tandis que la vie de l’âme dans l’au-
delà demeurera éternellement 154, ainsi que Dieu, le Très-Haut, le rappelle : [15] « Ils n’y
goûteront pas la mort sauf la première mort » (44:56).
94 Il convient [semblablement] que le frère qui a la science et la sagesse n’envie pas celui
de ses frères qui a des biens, qu’il ne le méprise pas du fait de son ignorance, qu’il ne se
vante pas devant lui de sa science et qu’il ne réclame pas de compensation pour ce qu’il
lui enseigne 155. Celui-là pour celui-ci par ses biens, celui-ci pour celui-là par sa science,
ils sont semblables, en effet, dans leur compagnonnage et dans leur entraide, à la main
et au pied dans leur jonction à l’organisme, leur service et leur entraide pour le bien-
être de l’ensemble 156. En effet, les mains ne réclament des pieds ni rétribution ni
reconnaissance lorsqu’elles [20] les chaussent d’une sandale ou qu’elles en ôtent une
épine. De même, les pieds ne réclament des mains ni rétribution ni compensation
lorsqu’ils les font parvenir là où elles veulent, qu’ils les mettent à l’abri et qu’elles
échappent par là au danger d’être coupées. Ce sont en effet les instruments d’un seul et
même organisme, et la subsistance des unes est assurée par les autres. De même aussi
l’ouïe n’oblige pas la vue lorsqu’elle lui fait entendre l’appel, ni la vue l’ouïe lorsqu’elle
lui fait voir le héraut, car ce sont deux puissances d’une seule et même âme, [55,1]
chacune d’elle représentant un bien pour l’autre en leur entraide au service de l’âme et
en leur obéissance [à cette dernière] dans la saisie des sensibles.
95 C’est ainsi qu’il convient que soit l’entraide des Frères de la Pureté dans la recherche du
bien de l’au-delà et du monde d’ici-bas. En effet, l’aide du frère qui a des biens, par ses
biens, au frère qui a de la science, et l’aide du frère [5] qui a de la science, par sa
science, au frère qui a des biens pour le bien de l’au-delà, sont semblables à deux
hommes cheminant de compagnie dans un désert 157. L’un voit mais a un corps faible et
a avec lui un viatique pesant qu’il ne peut porter. L’autre est aveugle mais a un corps
vigoureux et n’a pas de viatique. Celui qui voit prend donc l’aveugle par la main et le
conduit derrière lui, tandis que l’aveugle prend la charge de celui qui voit et la porte
sur ses épaules. Partageant ainsi le viatique, ils font leur chemin et se sauvent
ensemble. Aucun des deux n’a à obliger l’autre pour l’avoir sauvé de [10] la perte en
l’aidant. Ils se sont en effet sauvés ensemble, chacun d’entre eux aidant son
compagnon. Et il n’y a d’entraide qu’entre deux [personnes] ou plus 158. Le frère
ignorant est comme l’aveugle, et le frère indigent comme le faible ; le frère riche est
comme le vigoureux et le frère savant comme celui qui voit. Le chemin est le
compagnonnage de l’âme avec l’organisme, le désert, la vie d’ici-bas, le salut, la vie

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dernière. C’est à cela que sont semblables nos frères qui s’entraident pour le bien de ce
monde-ci et de la vie dernière.

[La science dans l’indigence : éloge de la patience]

96 [15] À celui à qui la science a été octroyée et qui ne trouve personne parmi nos frères
qui partagerait ses biens avec lui, il convient d’être patient et d’attendre le
soulagement. Dieu (Puissant et Majestueux est-il !) ne manquera pas de l’assister par
quelque chose ou quelque frère qui allègera ce qu’il supporte du fait du poids de
l’indigence, ainsi qu’il l’a promis à ses amis (walī), en disant, Puissant est-il : « À qui le
craint, Dieu ménage une issue et il le pourvoit d’une manière à laquelle il ne s’attendait
pas » (65:2-3). Le Très-Haut dit aussi : « À celui qui le craint, Dieu facilite les choses »
(65:4).
97 [20] Il convient aussi qu’il sache que celui à qui a été octroyée de la science est meilleur
que celui à qui ont été octroyés 159 des biens. La science en effet est cause de la vie de
l’âme à la fois dans la demeure d’ici-bas et dans la demeure dernière, tandis que les
biens sont causes du maintien de la vie de l’organisme dans la demeure d’ici-bas
seulement. Or, l’éminence de l’âme par rapport à l’organisme, la noblesse de sa
substance, l’éminence de sa vie et l’éminence de son essence ont déjà été évoqués. Il
convient aussi qu’il pense à celui qui a été privé à la fois des biens et de la science, afin
de connaître les bienfaits que Dieu lui a dispensés et de lui rendre grâce [56,1]de toute
façon 160, de manière à être digne d’un surplus, ainsi que Dieu, le Très-Haut, l’a promis
en disant : « Oui, si vous rendez grâce, je vous donnerai plus encore » (14:7).

[La pureté dans l’ignorance et l’indigence : éloge de la beauté morale]

98 Quant à celui de nos frères qui n’a ni biens ni science, mais qui a une âme pure, dont les
mœurs sont belles, dont le cœur est sain de toute opinion corrompue, qui aime le bien
et ses gens, est patient et [5] content de ce que Dieu lui a donné en partage de tout cela,
il convient qu’il sache que celui à qui ont été donnés de belles mœurs, un cœur sain,
l’amour du bien et le contentement devant ce qui lui est donné en partage, est meilleur
que celui à qui ont été octroyés 161 les biens et la science [et qui n’a pas ces qualités].
Parmi les gens, nous en trouvons en effet à qui ont été donnés la science et les biens, ou
l’une de ces deux choses, mais à qui rien n’a été octroyé de ces qualités que nous venons
d’évoquer. Nous trouvons en effet des groupes de savants, soi-disant philosophes, qui
composent des livres sur l’amélioration des mœurs et exhortent les gens à cela, alors
qu’eux-mêmes [10] sont les pires des gens pour ce qui est du caractère. Nous trouvons
aussi des gens qui n’ont pas beaucoup de science mais qui ont des mœurs raffinées,
ainsi que nous l’avons décrit. Il est donc manifeste que la beauté du caractère fait partie
des dons de Dieu, le Très-Haut, ainsi qu’il est dit dans la tradition : « Dieu a accompli la
création, les [bonnes] mœurs, la subsistance et l’échéance. » Et Dieu, le Très-Haut, a
loué pour la beauté de son caractère son Prophète Muḥammad (que Dieu lui accorde le
salut et la paix !), lorsqu’il dit : « Assurément, tu es d’un caractère sublime » (68:4). Le
Très-Haut dit aussi : « Si tu avais été rude et dur de cœur, ils se seraient dispersés
d’autour de toi » (3:159). [15] Il est également dit dans la tradition : « Par la beauté du
caractère, assurément, l’homme atteint dans le Jardin le degré de l’abstinent 162. » La
beauté du caractère fait en effet partie des manières des anges et du naturel des gens
du Jardin, ainsi qu’il est rappelé dans le Coran : « Et elles s’écrièrent : “À Dieu ne

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plaise !, ce n’est pas un être humain ; ce ne peut être qu’un noble ange” » (12:31). La
méchanceté du caractère, elle, fait partie des manières des démons et des gens du Feu
qui s’envient les uns les autres, se haïssent et se maudissent les uns les autres, ainsi que
Dieu, le Très-Haut, le rappelle dans le Coran : « Chaque fois qu’[20] une communauté
entrera, elle maudira sa sœur » (7:38). Ils disent : « “Pas de bienvenue pour eux, ils sont
exposés au Feu !” – “À vous plutôt, pas de bienvenue”, rétorquent-ils » (38:59-60), alors
qu’ils sont associés dans le tourment.

[57,1] Section : [Des artisans aux anges, la hiérarchie des


hommes 163]

99 Sache-le 164, la puissance des âmes de nos frères concernant cette affaire (hāḏā l-amr)
que nous évoquons 165 et à laquelle nous incitons, comporte quatre degrés : le premier
est la pureté de la substance 166 de leurs âmes, l’excellence de la réception [de
l’enseignement] et la rapidité de la représentation. Il s’agit là du degré des artisans en
notre cité 167, que nous avons mentionnée dans la deuxième épître 168. [5] C’est la
puissance rationnelle qui distingue les significations des sensibles 169. Elle arrive à la
puissance locutive 170 quinze ans après la naissance de l’organisme. C’est à cela que le
Très-Haut 171 a fait allusion en disant : « Lorsque 172 les enfants parmi vous atteignent la
puberté » (24:59). Ce sont eux que nous appelons dans nos discours 173 et nos épîtres
« nos frères pieux et miséricordieux ».
100 Au-dessus de ce degré est le degré des chefs, ceux qui ont en main la conduite [de la
cité] 174. Il s’agit de la déférence envers les frères, [10] de la générosité de l’âme, du don
de ce qui est en surplus, de la sollicitude 175, de la compassion et de l’affection à l’égard
des frères. C’est la puissance de jugement 176, qui arrive à la puissance rationnelle trente
ans après la naissance de l’organisme. C’est à cela que le Majestueux a fait allusion en
disant 177 : « Lorsqu’il 178 eut atteint sa maturité et fut bien formé, nous lui avons donné
jugement et savoir 179 » (28:14). Ce sont eux que nous appelons dans nos épîtres « nos
frères bons 180 et nobles ».
101 Le troisième degré 181 au-dessus de celui-ci est le degré des rois qui possèdent l’autorité,
le commandement [15] et l’interdiction, la victoire, la charge de repousser l’entêtement
et l’opposition lorsque apparaît l’entêté qui s’oppose à ce commandement, cela en
usant de douceur, de courtoisie et de bienveillance pour le réformer. Il s’agit de la
puissance nomique, qui arrive 182 quarante ans après la naissance de l’organisme. C’est à
cela que [Dieu] a fait allusion en disant 183 : « Quand il eut atteint la maturité et qu’il eut
atteint l’âge de quarante ans, il dit : “Seigneur, permets-moi de te rendre grâce pour les
bienfaits que tu m’as dispensés 184” » (46:15). Ce sont eux que nous appelons « nos frères
nobles et généreux ».
102 [20] Le quatrième [degré] est supérieur à celui-ci 185. C’est celui auquel nous invitons
tous nos frères, quel que soit le degré où ils se trouvent. Il s’agit de la soumission, de
l’acceptation de l’appui [divin] et de la contemplation du Réel de ses propres yeux. C’est
la puissance 186 angélique qui arrive cinquante ans après la naissance de l’organisme.
Elle prépare au Retour et à la séparation de la matière (hylè) 187. C’est sur elle que
descend 188 la puissance de l’ascension grâce à laquelle [l’âme] s’élève vers le Royaume
[58,1] du Ciel, contemplant alors les états de la Résurrection : l’Anastasie, la
Renaissance, le Rassemblement 189, le Compte, la Balance, le passage sur la Voie, le salut
hors des Feux 190 et le voisinage du Miséricordieux, Majestueux et Généreux.

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103 C’est à ce degré que le Très-Haut fait allusion en disant : « Ô toi, âme apaisée, reviens
vers ton Seigneur contentée et contentante, entre parmi mes serviteurs, entre dans
mon Jardin 191 » (89:27-30). C’est à lui qu’a également fait allusion [5] Abraham (sur lui
la paix !), selon les paroles du Très-Haut 192 : « Mets-moi parmi les héritiers du Jardin de
la Félicité » (26:85). C’est encore à lui que Joseph (sur lui la paix !) a fait allusion, selon
les paroles du Très-Haut 193 : « Seigneur, tu m’as donné une part de royauté et tu m’as
enseigné une part de l’interprétation des récits. Créateur des cieux et de la terre, tu es
mon protecteur ici-bas et dans l’au-delà. Rappelle-moi à toi soumis (muslim) et joins-
moi aux vertueux 194 » (12:101). C’est aussi à lui que le Messie (sur lui la paix !) a fait
allusion en disant 195 aux Apôtres : « Lorsque je me serai séparé 196 de cette carcasse, je
me dresserai dans les airs à la droite du Trône, [10] devant 197 mon Père et votre Père,
intercédant 198 pour vous. Allez vers les rois aux extrémités [de la terre], invitez-les vers
Dieu, le Très-Haut199, et ne les vénérez pas. Moi, je serai avec vous où que vous alliez,
avec [mon] assistance et [mon] appui 200-201 » .
104 Notre prophète 202 Muḥammad (que Dieu lui accorde le salut et la paix !) y a également
fait allusion 203 [, en disant] : « Assurément, vous arriverez au Bassin 204 demain », et
[autres] traditions que l’on transmet, toutes 205 bien connues des maîtres en ḥadīṯ.
105 Socrate aussi y a fait allusion en disant en un long discours 206, le jour où le poison lui a
été versé : « Même si je me sépare de vous, [15] nobles frères, je m’en vais vers des
frères généreux qui nous ont précédés. » Pythagore y a fait également allusion à la fin
de la Lettre dorée : « Toi, si tu fais ce que je te recommande, lors de la séparation de
l’organisme, tu demeureras dans les airs, sans retourner vers l’humanité ni recevoir la
mort 207-208 ». C’est à [ce degré] encore que Bilawhar a fait allusion [en réponse] à
Yūzāsaf 209. Lorsque le roi dit à son ministre, qui était des gens qui tenaient ces propos :
« Dis-moi, qui es-tu ? », celui-ci lui répondit en un long discours : « Je suis de ceux qui
connaissent le Royaume du Ciel 210-211 ».
106 [20] C’est à cela que nous invitons l’ensemble de nos frères, et Dieu guide qui Il veut sur
une Voie droite. Le Très-Haut y a fait allusion en disant : « Dieu invite vers la demeure de
la paix et guide qui Il veut sur une Voie droite 212 » (10:25). Il y a de nombreux versets en
ce sens dans le Coran. Il s’agit de tout verset dans lequel il y a une description des
Jardins, de leurs gens et de leur félicité.

[59,1] Section : [La réponse à l’invitation des Frères de la Pureté]


[Les quatre états 213]

107 Sache-le, ce qui est exigé de ceux qui sont invités à cela (hāḏā l-amr) 214, ce sont quatre
états.
108 Le premier est d’en affirmer la réalité 215. Le deuxième, c’est le représenter en [en]
donnant des paraboles, en vue de le rendre plus clair et évident. Le troisième, c’est lui
donner son assentiment en conscience et conviction. Le quatrième, c’est le réaliser [5]
en s’efforçant d’œuvrer d’une manière qui lui soit conforme.
109 Sache-le, celui qui affirme par la langue sans se représenter est un conformiste 216. Celui
qui se représente sans donner son assentiment est dans le doute et l’indécision. Celui
qui donne son assentiment sans réaliser en s’efforçant d’œuvrer d’une manière qui lui
soit conforme, [pèche] par défaut ou par excès. Celui qui traite cela de mensonge par la
langue et le nie en son cœur est un opiniâtre et un mécréant, ainsi que l’a dit Dieu, le

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Très-Haut : « Ceux qui ne croient pas à la vie dernière, leurs cœurs [10] sont négateurs
et ce sont des orgueilleux » (16:22), « il ne fait pas de doute que le feu est pour eux et
qu’ils y seront précipités » (16:62).

[Les quatre caractéristiques]

110 Sache-le, celui qui affirme cette affaire par la langue et qui se la représente en son cœur
selon la réalité trouve en son âme quatre caractéristiques qu’il ne connaissait pas
auparavant. La première est la puissance de l’âme et le fait pour elle d’émerger hors de
l’organisme. La deuxième, l’ardeur dans la recherche de la délivrance hors de la
matière (hylè), qui est 217 la Géhenne des âmes. La troisième est l’espoir et l’espérance de
la réussite et du salut lorsque l’âme se séparera de l’organisme. La quatrième, la
confiance en Dieu [15] et la certitude de l’accomplissement de la chose et de son
achèvement parfait.

[60,1] Section : [Les quatre demeures 218]

111 Sache-le, tous ceux qui confessent ce Coran, les livres des prophètes (sur eux la paix !),
et ce que ceux-ci disent concernant l’invisible, se partagent à ce propos quatre
demeures. Les [premiers] confessent par la langue sans assentir du cœur. Les [seconds]
confessent par la langue et assentissent du cœur sans en connaître les significations et
l’évidence. Les [troisièmes] confessent, [5] assentissent et en connaissent l’évidence 219,
mais n’assument pas les obligations qui s’y rattachent. [Les quatrièmes confessent,
assentissent, sont pénétrés de son évidence et assument les obligations qui s’y
rattachent.]
112 Celui qui confesse par la langue sans assentir du cœur est celui à qui a été octroyé peu
de compréhension et de discernement. Lorsqu’il réfléchit avec son intelligence 220 et
distingue avec sa clairvoyance ce qu’indique l’apparence des termes des livres
prophétiques, son intelligence ne l’accepte pas, parce qu’elle ne s’en représente ni les
significations subtiles ni les allusions cachées. Il le nie donc du cœur et doute à son
sujet.
113 Celui qui confesse par la langue et assentit du cœur, c’est 221 celui qui réfléchit et sait
qu’il ne se peut pas que n’ait point de réalité une chose si éminente, [10] sur la
réalisation 222 de laquelle se sont accordés les prophètes ainsi que les imams bien
guidés, les califes bien dirigés et les vertueux d’entre les croyants, [quelque chose] que
les nobles parmi les gens confessent ainsi que ceux qui ont du discernement et de la
clairvoyance 223. Sa compréhension, son discernement et son intelligence ne
parviennent cependant pas à saisir l’affaire et à se la représenter en sa réalité.
114 Celui qui en connaît l’évidence mais est déficient pour ce qui est de mettre en œuvre ce
qu’elle implique, c’est celui à qui Dieu a donné le succès et qu’il dirige, qui est guidé par
les réalités de ces secrets mentionnés dans les livres [15] des prophètes (sur eux la
paix !), mais qui ne trouve personne pour l’aider à faire triompher [cette cause] et à
accomplir les obligations qui s’y rattachent. Il est seul en effet, et toute chose ne
s’accomplit pas solitairement 224, mais requiert parfois au contraire de réunir beaucoup
[de gens], et particulièrement ce qui concerne le nomos. Le minimum requis, ce sont
quarante caractéristiques, réunies en une seule et même personne ou en quarante
personnes 225 aux cœurs alliés 226.

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115 Fin de l’épître sur le comment des relations des Frères de la Pureté. Elle est suivie de
l’épître sur ce qu’est [20] la foi et sur les caractéristiques des croyants qui réalisent.

NOTES
1. Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’, Beyrouth, 1957 (désormais cité Rasā’il), t. IV, p. 50 et 47 respectivement.
Ces éléments ont été interprétés en divers sens suivant que les auteurs souhaitaient avancer ou
retarder la date de rédaction des Épîtres et privilégier une rédaction longue ou courte du recueil.
Sur la datation et le ou les auteurs des Rasā’il, voir G. de Callataÿ, Ikhwan al-Safa’, Oxford,
Oneworld, 2005, p. 3-8. On y lit qu'il est à présent généralement admis que les Épîtres ont été
écrites dans les années 970-980.
2. Voir Rasā’il, t. IV, p. 47 et Sirr al-asrār, éd. ‘A. Badawī, in Fontes græcæ doctrinarum politicarum
islamicarum, Le Caire, 1954p. 75-76.
3. Sirr al-asrār, éd. ‘A. Badawī, p. 131-132 et Rasā’il, t. IV, p. 57. Voir A. A. VERDENIUS, Jacob van
Maerlant’s Heimelijkheid der Heimelijkheden, Amsterdam, 1917 ; M. MANZALOUI, « The pseudo-
Aristotelian Kitāb Sirr al-asrār », in Oriens, 23-24 (1974), p. 142-257 ; M. GRIGNASCHI, « Remarques sur
la formation et l’interprétation du Sirr al-asrār », in Pseudo-Aristotle The Secret of Secrets. Sources
and Influences, éd. W.F. Ryan et Ch. B. Schmitt, Londres, 1982, p. 3-33.
4. Rasā’il, t. IV, p. 42-43.
5. Ibid., p. 58.
6. Ibid.
7. Ibid., p. 53 et 58.
8. Notamment dans l’Épître 48, parallèle à l’Épître 45. Voir Rasā’il, t. IV, p. 169-170.
9. Rasā’il, t. I, p. 99-100 (Épître sur la géométrie).
10. Rasā’il, t. IV, p. 142.
11. Rasā’il, t. I, p. 296-389 (Épître 9), en particulier p. 299-307.
12. Les Iḫwān n’insistent pas ici sur l’influence de la région et du climat dont il est question dans
l’Épître des caractères. Voir Rasā’il, t. I, p. 302-305.
13. Rasā’il, t. IV, p. 47.
14. Rasā’il, t. IV, p. 49. On retrouve p. 48 une expression très semblable : « Cela parce qu’ils
pensent et croient qu’ils sont une seule âme en des organismes dispersés ».
15. TAWḤĪDĪ, Risāla fī l-ṣadāqa, éd. Ǧawā’ib, p. 26 ; cité et traduit par M. Bergé, Pour un humanisme
vécu : Abū Ḥayyān al-Tawḥīdī, Damas, 1979, p. 324. On trouvera dans la dernière discussion des
Muqābasāt de Tawḥīdī la relation d’une discussion sur cette conception de l’ami comme « un
autre qui est toi-même » (āḫar huwa anta). Voir al-Muqābasāt, n° 106 (éd. M. T. Ḥusayn, Bagdad,
1970, p. 449-454).
16. BĪRŪNĪ, Kitāb al-ǧamāhīr fī ma‘rifat al-ǧawāhir, Beyrouth, 1984 (3e éd.), p. 18. On trouvera une
traduction du passage dont cette expression est extraite note 125.
17. Sur la définition de l’ami comme alter ego dans la tradition arabe, voir F. ROSENTHAL, « “I am
you” – Individual piety and society in Islam », in Individualism and Conformity in Classical Islam, éd.
A. Banani et S. Vryonis, Wiesbaden, 1977, p. 33-60.
18. Voir notamment Rasā’il, t. III, p. 426. Sur ceci, voir Y. MARQUET, La philosophie des Iḫwān al-Ṣafā’.
Alger, 1973, p. 366.
19. Rasā’il, t. I, p. 181-182 (Épître sur la géographie).

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319

20. Rasā’il, t. IV, p. 47-49.


21. Rasā’il, t. IV, p. 49-51.
22. Rasā’il, t. IV, p. 169. Le passage se lit : « [Ils sont semblables] à celui qui nourrit les gens alors
qu’il est lui-même affamé, ou qui habille les autres alors que lui-même est nu, comme celui qui
soigne les gens alors qu’il est malade, et comme celui qui guide les gens sur la voie alors qu’il ne
connaît pas le chemin de sa maison ». En un passage parallèle, les Iḫwān disent encore : « Il est
comme celui qui guiderait autrui alors que lui-même est égaré » (Rasā’il, t. III, p. 372).
23. Rasā’il, t. IV, p. 50-51.
24. Cité dans ŠAHRASTĀNĪ, Livre des religions et des sectes, vol. I, trad. D. Gimaret et G. Monnot,
Louvain, 1986, p. 206, n. 33. Ibn Ḥazm (m. 1064) l’explique de la façon suivante : « Le mobile sur la
surface d’un corps va d’un lieu à un autre lieu, et entre les deux lieux, il y a des lieux que le
mobile n’a ni parcourus, ni longés, ni occupés » (al-Fiṣal, éd. M. I. Naṣr et ‘A. ‘Umayra, Djedda,
1982, v. 5, p. 189).
25. Voir A. DHAHANI, The Physical Theory of Kalām, Leyde, 1994, p. 161 et 176-181, ainsi que J. VAN
ESS, Theology and Science. The Case of Abū Isḥāq an-Naẓẓām, Ann Arbor, [1978 ?], spécialement p. 6-9,
ainsi que son Theologie und Gesellschaftim 2. und 3. Jahrhundert Hidschra, Berlin, 1991-1995, index,
s.v. ṭafra, spéc. Bd III (1992), p. 309 et sq.
26. Timée, 45b et sq.
27. Voir par exemple IBN ḤAZM, al-Fiṣal, vol. 5, p. 181.
28. Voir S. M. STERN, « New information about the authors of the Epistles of the Sincere Brethren »,
in Islamic Studies, III (1964), p. 158 (réédité in Studies in Early Ismā‘īlism, Jérusalem, 1983).
29. Pour un exposé plus détaillé des positions de différents penseurs à ce propos, voir M.
ULLMANN, Die Natur- und Geheimwissenschaften im Islam, Leyde, 1972, p. 274-275, ainsi que J. VAN ESS,
Theologie und Gesellschaft, index, s.v. « Astrologie ».
30. Rasā’il, t. I, p 157.
31. Pour une vue plus générale sur la conception qu’ont les Iḫwān de l’éducation et de
l’enseignement, voir A. TIBAWI, « The idea of guidance in Islam », in Islamic Quarterly, III (1956),
p. 139-156 ; « Philosophy of Muslim education », in Islamic Quarterly, IV (1957), p. 79-89 ; « Some
educational terms in the Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’ », in Islamic Quarterly, V (1959), p. 55-60. Voir aussi
A. NANJI, « On the acquisition of knowledge », in The Muslim World, LXVI (1976), p. 263-271.
32. Dans l’Épître 48, qui comporte plusieurs parallèles avec notre épître, il est par contre
question de la cité des Frères. Voir Rasā’il, t. IV, p. 171-173.
33. Spécialement Muqābasa 106. Voir Muqābasāt, éd. M. Tawfīq Ḥusayn. Bagdad, 1970, p. 449-465.
34. Ibn al-Nadīm signale encore un Kitāb al-ṣadīq wa-l-ṣadāqa par Ibn al-Khammār (m. 942-943),
un autre membre du cercle d’Ibn Sa‘dān décrit par TAWḤĪDĪ dans l’Imtā‘ (voir Imtā‘, II, p. 14 et 38,
et KRAEMER, J., Humanism, p. 123-129). Voir IBN AL-NADĪM, Fihrist, Maqāla 7, partie 1, éd. R. Tajaddod,
Téhéran, 1971, p. 323.
35. Al-Ḥawāmil wa-l-Šawāmil, Le Caire, 1951, p. 131-133. Nous signalerons en note de la traduction
les parallèles éclairants que l’on trouve dans ces textes.
36. Rasā’il, t. IV, p. 45.
37. TAWḤĪDĪ, Risālat al-Ṣadāqa wa-l-ṣadīq, éd. I. al-Kaylānī. Damas, 1964, p. 22. Le même style se
retrouve encore notamment p. 15.
38. Tawḥīdī, Muqābasāt, 106, p. 449, l. 3-4 : al-ḥadd ṣaḥīḥ walākin al-maḥdūd ġayr mawǧūd. Voir
aussi les passages de la Risālat al-ṣadāqa traduits par M. BERGÉ dans « Une anthologie sur l’amitié
d’Abū Ḥayyān al-Tawḥīdī », in Bulletin d’études orientales, XVI (1958-1960), p. 33 : « […] avant tout,
il convient d’être persuadé qu’il n’existe ni ami, ni ce qui ressemble à un ami » (Ṣadāqa, I. 6) ; « Il
n’y a aucun profit à retirer de la fréquentation des hommes, aucun intérêt à s’en approcher,
aucune confiance à mettre en eux, aucun secours à en attendre » (Ṣadāqa, I. 7).

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320

39. Sur le développement de l’éthique philosophique en islam, voir R. WALZER, art. « Akhlāq », in
EI2; G. HOURANI, Reason and Tradition in Islamic Ethics, Cambridge, 1985; M. FAKHRY, Ethical Theories in
Islam, Leyde, 1994 (2e éd.).
40. Voir R. Klibansky, The Continuity of the Platonic Tradition, Londres, 1939.
41. Voir M. BERGÉ, Pour un humanisme vécu, p. 52-60 et J. KRAEMER, Humanism in the Renaissance of
Islam, Leyde 1986, p. 54.
42. Rasā’il, t. IV, p. 57-58.
43. Ces parallèles se trouvent dans l’Épître 48 (Rasā’il, t. IV, p. 173-175), qui suit de près notre
texte, et dans l’Épître 32 (Rasā’il, t. III, p. 195-196), qui présente certaines différences.
44. Siǧistānī, The Muntaḫab Ṣiwān al-ḥikma of Abū Sulaymān as-Siǧistānī, éd. D. M. Dunlop, La Haye,
1979, p. 161-163 (§ 310).
45. Sirr al-asrār, éd. ‘A. Badawī, p. 131-132.
46. Voir Coran, 43:32, qui se lit : « Nous en avons élevé certains au-dessus d’autres en degré afin
que les uns prennent les autres à leur service. »
47. Rasā’il, t. IV, p. 230.
48. À propos du chiffre 5, voir notamment Rasā’il, t. III, p. 380, où le 5 est décrit comme le chiffre
de la religion de Muḥammad, faisant référence entre autres aux cinq prières. Signalé par Y.
MARQUET, La philosophie, p. 321.
49. Voir Rasā’il, t. I, p. 52-53, signalé par S. DIWALD, Arabische Philosophie une Wissenschaft in der
Enzyklopädie Kitāb Iḫwān al-Ṣafā’, Wiesbaden, 1975, p. 39.
50. Voir Rasā’il, t. I, p. 229-232 (trad. A. Shiloah, « L’Épître sur la musique, traduction annotée »,
in Revue des études islamiques, XXXIV (1966), p. 179-183).
51. Rasā’il, t. IV, p. 57.
52. Voir l’Épître sur les caractères, t. I. p. 320.
53. Rasā’il, t. III, p. 195.
54. Ce qu’il faut comprendre par ce terme, apparu en arabe comme transcription du grec nomos,
n’est pas toujours clair. Ici, l’on voit le terme utilisé pour caractériser une puissance associée à
l’idée de commandement, d’autorité et de royauté. Dans le reste des Épîtres, notamment dans
l’intitulé de la quatrième partie, consacrée aux sciences « nomiques et légales (al-nāmūsīya wa-l-
šar‘īya) », on voit que le terme nāmūs est utilisé conjointement avec le terme Šarī‘a pour indiquer
ce qui concerne la religion, au sens de révélation, ou ce qui concerne l’au-delà, ou encore ce qui
concerne la loi religieuse. Voir entre autres Rasā’il, t. III, p. 191, où le nomos est distingué de la
philosophie et de la médecine par le fait qu’il utilise des termes clairement liés à la révélation :
« Les philosophes et les médecins l’appellent “nature de la génération et de la corruption”, et le
nomos l’appelle “ange d’entre les anges”. Voir J. KRAEMER, « The Jihād of the Falāsifa », in Jerusalem
Studies in Arabic and Islam, 10 (1987), n. 10 et n. 11, qui signale que šarī‘a et nāmūs ont tous deux été
utilisés dans les traductions gréco-arabes pour rendre le terme grec nomos, dans tous les sens de
celui-ci. Pour Kraemer, le terme šarī‘a, souvent qualifié de nāmūsīya, est utilisé par les Iḫwān
comme visant aussi bien la loi prophétique que les lois philosophiques.
55. Voir Rasā’il, vol. III, p. 195-196 (Épître 32). Dans le cas contraire, l’âme reste sous la sphère de
la lune, incapable de se séparer totalement de son corps. Voir notamment Rasā’il, t. I, p. 137 et
t. II, p. 7.
56. Voir Rasā’il, t. IV, p. 172-173.
57. Rappelons que les Rasā’il se présentent comme une propédeutique destinée à éveiller aux
connaissances vraies. Voir ce qui en et dit dans l’inventaire édité en tête des Rasā’il, où l’auteur
des Rasā’il est dépeint comme un homme ayant un magnifique jardin, débordants de fruits,
d’oiseaux merveilleux, de fleurs aux parfums délicieux, qui, voulant en faire profiter les autres,
essuie un refus et est traité de fabulateur par ceux qu’il invite. Il se tient alors à la porte, et

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présente aux passants les plus beaux fruits de son jardin, éveillant ainsi en eux le désir d’en
goûter davantage, mais sans les effrayer par trop de richesse (Rasā’il, t. I, p. 43-45).
58. Pour un aperçu général sur les différentes théories anciennes sur les âges de la vie, voir Fr.
BOLL, « Die Lebensalter » (1913), repris dans Kleine Schriften zue Sternkunde des Altertums, éd. V.
Stegemann. Leipzig, 1950 ; E. SEARS, The Ages of Man. Mediaeval Interpretations of the Life Cycle,
Princeton, 1986 ; J. A. BURROW, The Ages of Man. A Study in Medieval Writing and Thought, Oxford,
1986.
59. Sur le chiffre sept et les divisions par sept, voir W.H. ROSCHER, Die Hebdomadenlehre des
grieschischen Philosophen und Ärtze.Leipzig, 1906. Les Rasā’il comprennent aussi des divisions de la
vie humaine en quatre âges : enfant (ṭufl), jeune (šābb), homme (raǧul), ascète (zāhid)
« redevenant faible si la durée de sa vie (‘umr) seprolonge » (Rasā’il, t. III, p. 504). Voir aussi
Rasā’il, t. I, p. 229-232, où les réalités de la nature sont divisées en quatre pour correspondre aux
quatre saisons : l’enfance (ṣabā), dominée par la puissance imaginative (al-mutaḫayyila) est
rattachée au printemps ; la jeunesse (šabāb), dominée par la puissance de réflexion (al-
mutaffakira) est rattachée à l’été ; la vieillesse (kuhūla), dominée par la puissance de rétention
(ḥāfiẓa), à l’automne ; aucun âge correspondant à l’hiver n’est mentionné – peut-être s’agit-il là
d’un oubli dans le texte édité –, mais la puissance qui lui est propre, celle de remémoration
(muḏakkira) est, elle, précisée.
60. Le passage qui nous intéresse se trouve t. III, p. 195-196. Pour une analyse détaillée de cette
épître, voir A. STRAFACE, « Testimonanzie pitagoriche alla luce di una filosofia profetica : la
numerologia pitagorica negli Ihwān al-S’afā’ », in Annali dell’Istituto Universitario Orientale di Napoli,
47 (1987), p. 225-241.
61. A. Straface traduit les différentes appellations des puissances de la façon suivante : « la forza
loquente, raziocinante, sapienzale, di sovranità e legislativa » (A. STRAFACE, « Testimonanzie
pitagoriche », p. 238).
62. Voir Rasā’il, t. I, p. 320. Voir aussi les hiérarchies p. 312-313 : âmes humaines, âmes des
croyants (avec le verset correspondant dans l’Épître 45 au niveau de la puissance de sagesse ou de
jugement), âmes prophétiques qui posent les nomoi divins (ou législations divines), âmes saintes
et angéliques ; p. 329-330 : âmes végétatives, âmes animales, âmes rationnelles humaines, âmes
intelligentes et de sagesse ou de jugement, âmes nomiques ou législatives, âmes angéliques.
63. Rasā’il, t. I, p. 378.
64. Voir Rasā’il, t. I, p. 311-312 : on connaît cinq niveaux des quinze niveaux de l’âme, (1) âme
végétative ; (2) âme animale ; (3) âme humaine ; (4) âme angélique ou royale (mlkīya), caractérisée
par la sagesse, correspondant au verset coranique lié dans l’Épître 45 au deuxième niveau (celui
de la puissance de jugement ou de sagesse) ; (5) l’âme sacrée, à laquelle sont liés la prophétie et le
nomos.
65. Voir Rasā’il, t. I, p. 316.
66. Rasā’il, t. II, p. 446 et suiv. (Épître 25). Voir Y. MARQUET, La philosophie, p. 218-226, ainsi que « La
détermination astrale de l’évolution selon les Frères de la Pureté », in Bulletin d’études orientales,
XLIV (1992), p. 127-146 (cité désormais « Détermination » ; C. BAFFIONI, « L’influenza degli astri sul
feto nell’enciclopedia degli Iḫwān al-Ṣafā’ », spécialement p. 432-438.
67. Tétrabiblos, IV, 10 (De la division des temps) :
0-4 Lune (promptitude de la croissance)
+ 10 Mercure (forme et façonne la partie raisonnable) = enfance
+ 8 Vénus (appétits désordonnés) = adolescence
+ 19 Soleil (autorité, désir de gloire et d'honneurs) = jeunesse
+ 15 Mars (force corporelle, désir d’actes mémorables) = homme
+ 12 Jupiter (conseil, répugnance pour travaux manuels, = vieillesse, révérence, sainteté)
Saturne (tristesse, colère, ennui, faiblesse corporelle) dernière vieillesse

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On retrouve une division des âges semblable dans le Kitāb al-Ǧanīn écrit dans la seconde moitié du
Xe siècle par ‘Arīb b. Sa‘d (ou Sa‘īd) AL-QURṬUBĪ (m. 979 ou 980), qui la qualifie de division des
astronomes/logues, à distinguer de la division proposée par les médecins, en quatre parties. Voir
Kitāb Ḫalq al-ǧanīn wa-tadbīr al-ḥabālā wa-l-mawlūdīn. Le livre de la génération du fœtus et le traitement
des femmes enceintes et des nouveaux-nés, publié, traduit et annoté par H. Jahier et A. Noureddine.
Alger, 1956, p. 85-87.
68. Sur ce qu’il convient d’entendre par le terme « nomique », voir plus haut, n. 54.
69. Nous traduisons ainsi le terme dīn, qui nous paraît ici utilisé au même sens que dans
l’expression yawm al-dīn, comme notamment dans le Kitāb al-Ḥudūd attribué à Ǧābir ibn Ḥayyān.
Voir éd. P. Kraus, in Mukhtār Rasā’il Ǧābir ibn Ḥayyān. Le Caire, 1935, p. 108.
70. Voir Coran, 58:22: « Il a écrit dans leur cœur la foi et les a assistés par un esprit [venant] de
Lui. »
71. Sur la muḏākara comme conversation instructive et comme test de connaissance, voir G.
MAKDISI, The Rise of Colleges. Édimbourg, 1981, p. 208-209.

72. Dans l’Épître 30, les Iḫwān apportent encore d’autres éléments concernant ces maǧlis. Il y est
précisé qu’il en est de deux sortes, suivant le nombre des plaisirs : des maǧlis pour le plaisir du
corps et des maǧlis pour celui de l’âme (voir Rasā’il, t III, p. 52). Al-Tawḥīdī dans l’Imtā‘ présente
cette même idée comme une citation de Platon : « Platon a dit : “Il est pour l’âme deux plaisirs, un
plaisir qui est pour elle séparément de l’organisme, et un plaisir qu’elle partage avec l’organisme.
Celui où l’âme est seule, c’est la science et la sagesse ; celui qu’elle partage avec le corps, c’est le
manger et le boire, etc.” » (AL-TAWḤĪDĪ, Imtā ‘, 17e nuit, éd. A. Amīn et A. al-Zayn. Le Caire, 1953, II,
p. 36). Sur la division du bonheur en deux types suivant la division des plaisirs, voir aussi ici plus
loin, p. [49].
73. Taḍammana-hu : taḍammana-hā BC.
74. Voir Rasā’il, t. I, p. 78-79 (Épître 2) : « Les [sciences] mathématiques sont de quatre sortes. La
première est l’arithmétique, qui est la connaissance des nombres, de la quantité de leurs genres
et de leurs propriétés, de leurs espèces et des propriétés de ces espèces. Cette science commence
par le 1 qui est avant le 2. La deuxième, c’est la géométrie (al-ǧūmaṭriyā), qui est la science de la
géométrie (handasa) : c’est la connaissance des mesures et des distances, du nombre de leurs
genres et des particularités de ces genres. Cette science commence par le point qui est
l’extrémité de la ligne, c’est-à-dire sa fin. La troisième, c’est l’astronomie (asṭurunūmiyā), c’est-à-
dire la science des étoiles (‘ilm al-nuǧūm) : c’est la science de la composition des sphères et des
lignes du zodiaque, du nombre des astres, de leurs natures, de ce qu’ils indiquent pour les choses
qui existent en ce monde, du fait du mouvement du soleil. Et la quatrième, c’est la musique, qui
est la connaissance des harmonies et des rapports entre les choses différentes et les substances
dont les puissances sont opposées. » Il est à remarquer que dans le texte de l’Épître 2, ce sont les
transcriptions des termes grecs qui sont utilisées pour désigner ces sciences, contrairement à ce
qu’il en est dans notre passage.
75. Ta’līf : voir A. SHILOAH, « L’Épître sur la musique, traduction annotée », in Revue des études
islamiques, t. XXXII (1964), p. 127, n. 2 : « Le terme ta’līf signifie littéralement “composition”, mais
comme [...] la “mesure” ou le nombre caractérise toute “composition”, [..] on peut assigner au
terme la notion d’“harmonie” dans son sens le plus large, laquelle est fondée sur l’idée de
proportion. »
76. On retrouve les mêmes termes dans les Rasā’il, t. IV, p. 167 et suivantes. Pour les Iḫwān,
chaque doctrine est à considérer et à étudier, afin de pouvoir s’avancer sur le chemin menant à
Dieu. Dans la Risālat al-Ǧāmi‘a, on peut lire dans le même sens : « Celui qui hait une des sciences
véritables l’ignore ; et s’il l’ignore, il lui est hostile, la considère fausse, la rejette. Lorsque
l’homme agit ainsi, il devient ennemi de la science, qui est ce qui lui est le plus propre et ce qui
fait subsister son essence. Cela devient raison de déception et de perte, motif de perdition et de
ruine. Il convient de ne rejeter aucune science car elles sont, nous l’avons dit, des nourritures

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pour l’âme [...]. Elles font vivre l’esprit, appellent à la noblesse et à la perfection, font atteindre
les états les plus louables » (Ǧāmi‘a, t. II, p. 541). Il faut se mettre à l’écoute de toute science qui
permet d’avancer vers le salut : « S’il possède une science que nous ne possédons pas, nous
l’apprendrons de lui, comme les jeunes gens apprennent des scribes, nous l’écouterons comme
écoutent ceux qui prêtent l’oreille au sermon de celui qui prêche le vendredi. Si ce qu’il dit est
vrai, nous le suivrons comme celui qui est derrière lui (ma’mūn) suit l’imām, et s’il désire ce que
nous avons comme science, nous lui enseignerons à la mesure de son désir et de sa quête »
(Rasā’il, t. IV, p. 167).
77. Bāṭin wa-ẓāhir : voir entre autres Rasā’il, t. I, p. 328 : « Sache-le, pour toutes les choses qui
existent en ce monde, il y a une apparence, et une [réalité] intérieure. Les apparences des choses
sont des enveloppes et des os, tandis que leurs [réalités] intérieures sont pulpe et moelle. »
78. Nous n’avons pas trouvé dans la deuxième épître une telle référence. Mention est faite de ces
quatre espèces de livres dans l’Épître 48 (Rasā’il, t. IV, p. 167-168), septième de la quatrième
partie.
79. Un des façons de désigner le Coran. Voir R. PARET, art. « Furqān », in EI2, t. II, p. 971-972.
80. Ce sont là les livres que « les gens voient mais ne sont pas aptes à lire » (Rasā’il, t. IV, p. 167).
81. Nous traduisons ainsi le terme « tarkīb », qui indique certes la composition, mais aussi le
rapport du tout à ses parties, l’arrangement, l’ajustement d’une chose à une autre,
l’emboîtement. Voir A. DE BIBERSTEIN-KAZIMIRSKI, Dictionnaire arabe-français. Paris, 1860, s.v. et E. W.
LANE, Arabic-English Lexicon. Cambridge, 1984 (rééd.), s.v.
82. Coran 56:77-79 : « Voici un noble Coran, en un livre caché, que ne touchent que les purifiés. »
83. Coran 80:15. Ces livres, « les autres ne les partagent pas avec nous et personne ne les
comprends à part nous » (Rasā’il, t. IV, p. 167).
84. Inbi‘āṯ, terme utilisé aussi dans le sens de « ressusciter ».
85. Voir Coran 19:85 : « Le jour où Nous rassemblerons les pieux pour aller par groupes vers le
Miséricordieux. »
86. Coran 23:100. Voici comment Ṭabarī commente ce terme : « Derrière eux est une barrière qui
fait obstacle entre eux et le retour, c’est-à-dire jusqu’au jour où ils ressusciteront de leurs
tombes. [...] C’est un voile entre la mort et le retour au monde d’ici-bas, [...] ce qui est entre ce
monde-ci et la vie dernière, [...] ce qui est entre la mort et la résurrection » (Tafsīr, éd. Le Caire,
al-Ḥalabī, 1968, 18e partie, p. 52-53). Les Iḫwān parlent parfois de l’entre-deux comme d’un lieu
de passage avant d’aller dans le Jardin ou le Feu. Voir notamment Rasā’il, t. I, p. 329.
87. Coran 7:46. Différentes interprétations de ce qu’il convient de comprendre par ces “hommes
des redans” co-existent. Voir R. PARET, art. « al-A‘rāf », in EI2; L. GARDET, Dieu et la destinée de
l’homme, Paris, Vrin, 1967, p. 332-334. On peut résumer les grandes lignes de ce qu’en dit Ṭabarī
de la façon suivante : le terme lui-même peut se comprendre de deux façons : comme un « mur
ayant une crête comme la crête d’un coq », un « mont entre le Jardin et le Feu », ou bien, en
rapprochant le terme de la racine ‘ R F au sens de “connaître”, comme lieu où se tiennent ceux
qui « connaissent les gens ». Pour ce qui est de l’identité de ceux-ci, Ṭabarī rapporte différentes
interprétations : (1) ce sont les gens dont les bienfaits égalent les méfaits, — « ils sont mis là
jusqu’à ce que Dieu juge à leur sujet » — ; (2) ce sont des gens qui ont été tués sur le chemin de
Dieu, c’est-à-dire en martyrs, mais en désobéissant à leur père ; (3) c’est un groupe de vertueux
maîtres du fiqh et savants ; ou encore, des anges et pas des fils d’Adam, « qui connaissent les deux
groupes à la fois, les gens du Feu et les gens du Jardin, et cela avant que les gens du Jardin
n’entrent dans le Jardin ». Cette dernière interprétation est immédiatement rejetée par Ṭabarī
comme n’ayant ni tradition du Prophète ni consensus de la communauté comme appui.
L’interprétation des Iḫwān semble être la troisième évoquée par Ṭabarī : les A‘rāf sont pour eux
un lieu d’honneur. Voir également Rasā’il, t. II, p. 430, l. 20-21 : « Tu seras alors sur les montagnes
d’al-A‘rāf avec les prophètes, les véridiques, les témoins et les vertueux », ainsi que t. II, p. 140,

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l. 9-12 : « Les gens des A‘rāf, qui sont les gens qui ont la connaissance ». Voir à ce propos Y.
MARQUET, La philosophie, p. 390.
88. Voir Coran, 24:36-37 : « Dans des maisons que Dieu a permis d’élever et dans lesquelles Son
Nom est rappelé, dans lesquelles Le glorifient à l’aube et au crépuscule des hommes que ni
commerce ni vente ne distraient du rappel de Dieu, de l’accomplissement de la prière, de
l’acquittement de l’aumône, et qui redoutent un jour où les cœurs et les regards seront
retournés. »
89. Dans la hiérarchie des Frères décrite plus loin dans cette épître, cette épithète est réservée
aux Frères du troisième niveau. Voir plus bas, p. [57].
90. Sur le choix des amis, comparer MISKAWAYH, Traité d’éthique (Taḏhīb al-aḫlāq wa-taṭhīr al-a‘rāq),
traduction M. Arkoun. Damas, 1969, p. 242-245.
91. Zindīq : le mot a dès l’origine deux sens. Il désigne tout d’abord ceux qui adhèrent au
manichéisme, mais aussi, en un sens plus large, tout mécréant. « Ce sont les dualistes qui sont les
zanādiqa, mais on y ajouta tous ceux qui professaient l’éternité du monde et niaient qu’il soit
venu à l’existence » (MAS‘ŪDĪ, Murūǧ al-ḏahab, éd. Ch. Pellat. Beyrouth, 1966, t. I, p. 291 ; traduit
par G. MONNOT in Penseurs musulmans et religions iraniennes. ‘Abd al-Ǧabbār et ses devanciers. Paris,
1974, p. 309). On trouvera chez Mas‘ūdī l’étymologie du terme. Voir F. C. DE BLOIS, art. « zindīḳ »,
in EI2.
92. La jalousie est pour les Iḫwān la racine de la haine. Ainsi écrivent-ils : « Sache que le
fondement de la haine dans ce monde-ci et dans l’autre monde, c’est la jalousie. [...] La jalousie
ruine les demeures, produit les dissensions et engendre la haine, la rancœur, la rage, l’offense,
l’injustice et l’oppression, et ce qui y ressemble. C’est également l’une des plus grandes raisons de
la divergence des vues et des croyances » (Rasā’il, t. III, p. 166).
93. ummahāt al-ma‘āṣī : voir Lisān al-‘Arab, sous umm (vol. 12, p. 31, col. 2, l. 4) : « La mère de toute
chose : son fondement et sa base. » Ces trois vices fondamentaux sont également évoqués dans
l’Épître sur les caractères, qui énumère une série de leurs « sœurs et ramifications ». Voir Rasā’il,
t. I, p. 350-351. Il y a toute une littérature sur les « mères des vices » dans la tradition chrétienne,
avec pour point de départ l’orgueil (voir Ecclésiaste, X, 15), la cupidité (I Tim., VI, 10), etc. Voir
Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1923-1950,sous « orgueil », « envie », et « péchés ».
94. Voir Y. MARQUET, « Détermination astrale », p. 143 : « Lors de la naissance, il y a à l’horizon Est
du lieu, un degré ascendant, régi par une planète. Ce degré et cette planète seront le
“significateur” de l’enfant. »
95. Épître 9, Rasā’il, t. I, p. 296-389.
96. Le caractère, c’est ce qui pousse à agir « sans qu’il y ait pensée ni réflexion » (Rasā’il, t. I,
p. 305). MISKAWAYH utilise les mêmes termes. Voir Traité d’éthique, p. 51.
97. Voir le dialogue du damné et du sauvé dans l’Épître de la résurrection, Rasā’il, t. III, p. 312 (trad.
J. R. Michot, in Bulletin de philosophie médiévale, 16-17 (1974-1975), p. 137-138), où le damné croit
licite de verser le sang de tout homme qui s’oppose à lui doctrinalement, fût-il d’entre les
musulmans (« de ceux qui professent “Il n’est pas de dieu sinon Dieu” »).
98. Voir l’histoire du juif et du Mage relatée dans l’Épître sur les caractères (Rasā’il, t. I, p. 308), où
le juif déclare que sont licites pour lui le sang et les biens de tout qui lui est opposé dans sa
religion et sa doctrine. Sur les sources et le devenir de ce récit, voir J. L. KRAEMER, Humanism,
p. 80-81.
99. Voir G. LEVI DELLA VIDA, art. « Khāridjites », in EI2, spécialement p. 1108 ; Ch. PELLAT, art.
« Isti‘rāḍ », ibid., qui traite de ce terme technique des ḫāriǧites, en particulier des Azāriqa, qui
désignait « le meurtre religieux, la mise à mort […] des Musulmans et des païens réfractaires à
leur doctrine ». Voir aussi W. M. WATT, The Formative Period of Islamic Thought. Oxford, 1998 (1re éd.
Édimbourg, 1973), p. 22. Pour une étude récente sur la question, remettant en cause certaines

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analyses antérieures, voir P. CRONE et Fr. ZIMMERMANN (éd.), The Epistle of Sālim ibn Dhakwān,
Oxford, 2001, Appendix 4: isti‘rāḍ, p. 325-329.
100. Dans la hiérarchie des Frères décrites plus bas, cette épithète désigne les Frères qui
occupent le troisième degré. Voir p. [57].
101. Le proverbe a‘azz min al-kibrīt al-aḥmar est mentionné par G. FREYTAG, Arabum Proverbia,
Onasbrück, 1968 (1re éd. 1838-1840), ch. XVIII, 220. Le soufre rouge serait une substance très rare,
considérée souvent comme légendaire, substance qui « entre dans la fabrication de l’or »
(QAZWĪNĪ, Kitāb ‘Aǧā’ib al-maḫlūqāt, éd. F. Wüstenfeld, Göttingen, 1848-1849, vol. II, p. 52, l. 12 et
suiv.). Selon al-Maqqarī, il s’agirait de l’or rouge (cité par N. Tomiche, dans son édition de IBN

ḤAZM, Épître morale (Kitāb al-aḫlāq wa-l-siyār), Beyrouth, 1961, p. 74, n. 3). L’on retrouve chez
ARISTOTE la même insistance sur la rareté des véritables amitiés, par exemple dans Éthique à
Nicomaque, 1156b24-25. Voir également Miskawayh, Traité d’éthique, p. 239-240.
102. Expression coranique qui exprime l’idée de joie, de consolation. Kazimirski rend cette
expression de la façon suivante : « Ce qui réjouit l’œil, comme larme froide, qui estla larme de joie.
métaph., enfant […], fils qui est pour son père un sujet de consolation » ( KAZIMIRSKI, Dictionnaire
arabe-français, s.v.). Voir par exemple Coran 25:74 : « Ceux qui disent : “Notre seigneur, accorde-
nous la fraîcheur des yeux en nos épouses et notre descendance.” »
103. Une expression similaire, attribuée à Šabīb b. Shayba (Basrā et Bagdad, m. vers 770-780), se
retrouve chez TAWḤĪDĪ, Risālat al-ṣadāqa wa-l-ṣadīq, éd. I. Kaylānī, p. 36, ainsi que chez IBN ‘ABD
RABBIH (m. 328/940), al-‘Iqd al-farīd. Le Caire, 1940-1953, vol. II, p. 304, l. 6 : « Shabīb b. Šayba a dit :
“Les frères sincères (Iḫwān al-ṣafā’) sont la meilleure des acquisitions de ce monde-ci. Ce sont des
agréments dans l’aisance, des aides dans l’affliction, des auxiliaires contre les ennemis.” »
104. Ainsi que nous l’avons signalé dans notre présentation, le style rappelle ici celui de
différents passages de la Risālat al-ṣadāqa wa-l- ṣadīq de Tawḥīdī. Voir plus haut, p. 320, et n. 37.
105. Terme coranique, voir Coran 24:35. Il s’agit de l’arbre dont est extrait le combustible de la
lampe de la Niche des Lumières : « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est
semblable à une niche où est une lampe. […] Elle est allumée grâce à un arbre béni, un olivier ni
oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. »
106. TAWḤĪDĪ utilise une expression similaire. Voir Risālat al-ṣadāqa wa-l-ṣadīq, p. 37.
107. Voir Coran 3:159 : « Pardonne-leur et demande pardon pour eux, consulte-les en affaire. »
Sur le même sujet, al-Ǧāḥiẓ (m. 868 ou 9) écrit : « Que l’homme que tu distingueras le soit parce
qu’il le mérite, pour la sincérité de son affection, le désintéressement de son conseil, après que tu
auras éprouvé son caractère et ses qualités et parce que tu es convaincu, pour l’avoir
expérimenté toi-même, qu’il sait que son salut est lié au tien comme sa perte dépend de la tienne.
Alors, remets-t’en à lui, fais-le participer à tes affaires les plus personnelles et à tes secrets les
plus cachés » (Risālat al-ma‘āš wa-l-ma‘ād, trad. Ch. Vial, in AL-ǦĀḤIẒ, Quatre essais, vol. 1. Le Caire,
1976, p. 46).
108. ARISTOTE écrit à ce propos : « L’éloignement, en effet, sans interrompre absolument l’amitié,
en suspend la manifestation (l’acte, energeia). Et l’absence se prolongeant, c’est l’amitié elle-
même qui […] s’ensevelit dans l’oubli, aussi dit-on : “Bien des amitiés, faute de pouvoir se parler,
ont péri” » (Éthique à Nicomaque, 1157b10-13).
109. Wa- : aw BC.
110. Nous ne sommes pas certaine du sens de cette proposition.
111. Voir Rasā’il, t. I, p. 351 (Épître sur les caractères) : « Parmi les sœurs de l’orgueil, il y a de
refuser de se soumettre au réel », et p. 352 : « Celui qui est trop orgueilleux pour se soumettre au
réel est ennemi de l’obéissance. Or on a dit que l’obéissance est le nom de Dieu le plus grand, par
lequel subsistent les cieux et la terre selon la justice. Le contraire de l’orgueil, c’est accepter le
réel et s’y soumettre ».

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112. On retrouve de telles chaînes (de vices mais aussi de biens) dans la version longue du Sirr al-
asrār. Voir notamment éd. ‘A. Badawī, p. 75-76.
113. Sur la conservation de l’ami, voir MISKAWAYH, Traité d’éthique, p. 246-253.
114. Comme tu le ferais de tes biens, ainsi que l’écrit al-Ǧāḥiẓ : « Si un ami te marque une
absolue sincérité, garde-le plus jalousement que le trésor le plus précieux » (Risālat al-ma‘āš,
p. 57).
115. ‘Azūba B : ‘aḏūba C
116. Ou des Frères purs (Iḫwān al-ṣafā’).
117. Voir PLUTARQUE, De la pluralitédes amis, 96e, où les amis sont décrits : « […] comme une seule
âme dans des corps différents » (in Comment écouter ; Les moyens de distinguer … [etc.], texte établi
et traduit par R. Klaerr et al. Paris, 1989). Sur ceci, voir notre présentation, p. 317.
118. AL-MUTANABBĪ, Dīwān, éd. Yāzīǧī. Le Caire, II, 353 (cité par A. HAMDANI , « The arrangement of
the Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’ and the problem of interpolations », in Journal of Semitic Studies, 29
(1984),p. 105, n. 28). Ce vers est tiré d’un poème composé en l’honneur du régent iḫšīdīde al-
Kāfūr en 347/958. On a souligné dans l’introduction son importance pour la datation des Rasā’il.
119. Jeu de mot sur le sens de ẓufur : (1) ongle ; (2) employé dans des expressions comme min
nu‘ūm al-ẓufur : depuis la tendre enfance, et connotant donc l’idée de jeunesse. On emploierait en
français l’expression “elle garde bec et ongle”.
120. Autre jeu de mot sur le sens de nāb : (1) dent ; (2) âge, vieillesse, et donc dignité, grandeur.
Nous remercions le professeur Jacques Grand’Henry pour ces précieuses indications.
121. TAWḤĪDĪ rapporte les paroles suivantes d’un bédouin à ce sujet : « L’affection que je ressens
pour mon ami dépasse celle que j’ai pour mon père, ma mère, ma sœur, mon cousin, ma cousine,
mon amante … Je vois le monde par ses yeux ; je trouve chez lui ce que je cherche quand je
m’approche ; lorsque nous nous regardons, nous échangeons la coupe de l’amitié, et lorsque nous
nous taisons, nous nous communiquons par le langage de la confiance » (Risāla fī l-ṣadāqa, éd.
ǧawā’ib, p. 67, cité et traduit par M. BERGÉ, Pour un humanisme vécu, p. 332). Plus tard, IBN ḤAZM
(m. 1063) encouragera lui aussi à préférer l’ami à tout autre : « L’apogée de l’amitié […], c’est de
tout mettre en commun, sa propre personne, sa fortune, sans nulle raison contraignante, et de
préférer son ami à tout autre être » (Épître morale, trad. N. Tomiche, p. 134).
122. Sur les causes de l’amitié, divisées en essentielles et accidentelles, voir TAWḤĪDĪ, al-Hawāmil
wa-l-šawāmil, éd. A. Amīn et A. Ṣaqr, Le Caire, 1951, p. 131-133.
123. On retrouve ici une expression très proche de ce qui vient d’être dit (p. [48], l. 9-10).
124. IBN ḤAZM en fait sa définition de l’amitié : « La définition de l’amitié […], c’est que l’un des
amis souffre de ce dont souffre l’autre et qu’il se réjouisse de ce dont l’autre se réjouit » (Épître
morale, p. 132).
125. C’est ce que décrit également MISKAWAYH : « L’ami aime en effet son ami et veut pour lui ce
qu’il veut pour sa propre personne. » Voir aussi AL-BĪRŪNĪ (d. 1048), Kitāb al-Ǧamāhīr, p. 18 : « [Il
trouvera] son bonheur dans un ami pur […]. Ils seront unis par l’âme et différeront par
l’organisme (badan), ainsi que l’on dit à propos de l’ami qu’il est toi, sauf qu’il est différent de toi
(ġayruka). Chacun des deux s’abstiendra envers son compagnon de ce qui ne le contente pas lui-
même, et aimera pour son compagnon ce qu’il désire pour lui-même. »
126. Sur la répartition des bonheurs selon MISKAWAYH, voir Traité d’éthique, p. 129-137.
127. Voir MISKAWAYH, Traité d’éthique, Livre II : Caractère et éducation.
128. Peut-être faudrait-il ici corriger le texte en al-surūr al-abadī, le texte se traduisant alors ... de
la joie éternelle.
129. La connaissance de soi est le point de départ de toute science pour les Iḫwān. Voir Rasā’il,
t. II, p. 462 : « Sache-le, la clef de l’ensemble des sciences réside dans le fait, pour l’homme, de se
connaître lui-même. » Il faut partir du plus proche, l’âme, pour ensuite avancer dans la

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connaissance. Pour les Iḫwān, c’est Dieu lui-même qui a voulu qu’il en soit ainsi, en faisant de
l’homme un microcosme. Voir en particulier l’Épître 26, Rasā’il, t. II, p. 456-479.
130. Suit un mot que nous n’avons pu traduire : al-qlqa. Sur la théorie du bond, voir plus haut
notre présentation, p. 318.
131. Kalām: c’est bien le kalām comme tel qui est ici visé.
132. Ceci en opposition à la théorie de l’incommensurabilité de la diagonale par rapport au côté,
théorie déjà pythagoricienne. Voir ARISTOTE, Métaphysique, A.2, 903a13 et EUCLIDE, Éléments, X, app.
7. Voir aussi le problème du dédoublement du carré, PLATON, Ménon, 82b-85e.
133. Sur ceci, voir plus haut notre présentation, p. 318-9.
134. Cette critique se retrouve chez ARISTOTE ( De Sensu, 2.438a26-438b2) : « Il est totalement
insensé de prétendre que voir se fait par quelque chose sortant de l’œil, et que la vue s’étend
jusqu’aux astres, ou bien que, sortie de l’œil, elle se combine à une certaine distance avec la
lumière extérieure, comme le disent certains » (Petits traités d’histoire naturelle, traduction R.
Mugnier, Paris, 1965, p. 26). Sur les théories de la vision en islam, voir notamment G. Verbeke,
Introduction à Avicenna Latinus. Liber de Anima I-II-III. Louvain - Leyde, 1972; A. DHAHANI, The
Physical Theory of Kalām, p. 142. Selon les Iḫwān al-Ṣafā’, les objets émettent des rayons dans
toutes les directions, certains traversant la pupille et devenant ainsi cause de la vision. Voir Y.
MARQUET, La philosophie, p. 232, et Rasā’il, t. II, p. 408-409 et t. III, p. 106-107. Il pourrait s’agir ici
également d’une critique d’al-Naẓẓām dont la théorie du bond vient d’être évoquée, et pour qui la
vision a lieu par pénétration de la vue dans l’objet (voir J. VAN ESS, Theologie und Gesellschaft.
Berlin-New York, 1991-1997, t. III, p. 354-356 etA. BADAWI, Histoire de la philosophie en Islam. Paris,
1972, t. I, p. 132).
135. Sur cette critique des pourfendeurs de l’astrologie, voir plus haut, notre présentation p.
319. On retrouve dans le Sirr al-asrār la même défense de l’astrologie. Voir éd. ‘A. Badawi, p. 85.
136. Voir Coran 22:46 : « Ce ne sont pas les vues qui sont aveugles, mais bien les cœurs qui sont
dans les poitrines. »
137. Peut-être faudrait-il ici corriger le texte et lire yantaḥilūna mā lā yataḥaqqaqūna : « Ils
usurpent ce qu’ils ne connaissent pas en réalité. »
138. Voir Coran 43:58. Le verset se lit : « Ce sont des gens de dispute. »
139. ARISTOTE décrit l’intellect en puissance avant que les intelligibles ne lui parviennent comme
une tablette sur laquelle rien n’a été écrit (De Anima, III, 4, 430a2). La même image se retrouve
chez ses commentateurs comme ALEXANDRE d’APHRODISE (De Anima, 3.12).
140. Dīwān Maǧnūn Laylā, éd. ‘Abd al-Sattār Aḥmad Farāǧ, Le Caire, 1973, p. 282, n° 294. Dans cette
édition, comme dans l’Histoire des rois de Perse d’al-Ṯa‘ālibī (11 e siècle, identité incertaine, peut-
être ‘Abd al-Malik, m. 1030 ; voir C. E. Bosworth, « al-Ṯa‘ālibī, Abū Manṣūr », in EI 2) où ils sont
cités (éd. et trad. H. Zotenberg. Paris, 1900, p. 74), le mot ḫāliyan remplace le fāriġan de notre
texte. Comme dans l’édition Farāǧ, Zotenberg choisit la leçon qalban au lieu de qalbī attestée dans
les manuscrits généralement suivis pour le reste du texte, et traduit : « J’ai commencé à l’aimer
avant de connaître l’amour qui, ayant rencontré un cœur inoccupé, s’y est installé. »
141. Le terme arabe ici utilisé (mašāyiḫ) a aussi pour sens « šayḫ ».
142. MISKAWAYH écrit dans le même sens : « Il n’y a pas de succès à attendre de qui a été élevé
selon un système d’éducation différent. Il ne faut s’attacher ni à lui être utile ni à le redresser, car
il est devenu tel le sanglier qu’il n’y a aucun espoir de dresser. […] De même qu’il n’y a pas moyen
de dresser des fauves sauvages qui sont inéducables, de même on ne peut discipliner quelqu’un
qui a grandi dans cette voie, s’y est habitué et y a pris un peu d’âge » (Traité d’éthique, p. 104). Il
tempère néanmoins son jugement en ajoutant dans la suite du texte que, parfois, on peut avoir
quelque espoir dans le redressement de tels gens.
143. Voir MISKAWAYH, Traité d’éthique, Livre II, ch. 5 : « Sur l’éducation des jeunes et des enfants en
particulier. » La raison de cette priorité à accorder à l’éducation des jeunes a été donnée plus

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haut. Ainsi que l’explique MISKAWAYH, « L’âme de l’enfant est naïve ; nulle forme ne s’est encore
gravée en elle et elle n’a pas d’opinion bien arrêtée qui la fasse pencher pour telle ou telle chose
plutôt que telle autre. C’est seulement quand une forme s’est gravée en elle que l’enfant grandit
sans s’en départir et s’y habitue » (Traité d’éthique, p. 93-94).
144. Voir Rasā’il, t. IV, p. 151, où il est dit de choisir les jeunes gens, « prenant pour modèle en
cela la conduite (sunna) de Dieu, le Très-Haut ». Suivent les mêmes citations coraniques que dans
notre texte, sauf à la fin : « Et Moïse dit à son jeune serviteur : “Apporte-nous notre repas.” »
145. Sur le rapport ou le non-rapport entre vieillesse et sagesse dans le Coran et dans la culture
arabo-islamique des premiers temps, voir Daniel DE SMET , « Dieu leur prête longue vie », in Acta
Orientalia Belgica, vol. XIII (2000), en particulier, p. 164.
146. Ou : … il lui fera don (RFD).
147. Un autre moyen de se rapprocher de Dieu est « de dépenser ses biens, soi-même, ses gens,
pour établir la Loi (šarī‘a), la renforcer et la rendre manifeste » (Rasā’il, t. IV, p. 135).
148. On trouve un long passage sur les qualités du pauvre dans Rasā’il, t. III, p. 429-432. Voir trad.
C. BAFFIONI, L’Epistola degli Iḫwān al-Ṣafā’ « Sulle opinioni e le religioni», Naples, 1989, p. 102-104.
149. Voir KULAYNĪ, Uṣūl al-Kāfī. Bāb al-īmān wa-l-kufr. Bāb uḫūwat al-mu’minīn ba‘ḍihim li-ba‘ḍ,
n° 2, Téhéran, s.d., 4 v., vol. III, p. 241.
150. Voir Jean, 20:17. La phrase reprend des termes de l’Évangile, sans en être une citation fidèle.
Cette même phrase se retrouve chez ABŪ ḤĀTIM AL-RĀZĪ, A‘lām al-nubuwwa, Téhéran, 1977, p. 163,
l. 11.
151. Voir Ibn Ḥanbal, al-Musnad, éd. S. Majḏūb et S. I. Samarah, Beyrouth-Damas, 1993, vol. 4,
p. 323 : « Les lignages s’interrompront au Jour de la Résurrection, sauf mon lignage » ; p. 332 :
« Au Jour de la Résurrection, les lignages et les liens de parenté s’interrompront, sauf mon
lignage et mon lien de parenté ».
152. La-ya’tīnī : lā ya’tīnī BC.
153. Ou : … il lui fera don de (RFD).
154. Mu’abbadanB : mu’ayyadan C.
155. L’idée que la sagesse ne peut être vendue est commune chez les philosophes grecs qui
s’opposent ainsi aux sophistes. Ainsi XÉNOPHON n’hésite pas à faire dire à Socrate que celui qui
vend la science pour de l’argent est semblable à celui qui se prostitue, donnant sa beauté contre
rémunération : « Socrate répondit : C’est une opinion reçue chez nous, Antiphon, qu’on peut faire
de la beauté et de la science un emploi honteux aussi bien qu’un emploi honorable. […] Ceux qui
vendent [la science] pour de l’argent à qui veut la payer sont appelés sophistes, comme ceux qui
vendent leur beauté, prostitués ; mais si un homme, ayant reconnu dans un autre un heureux
naturel, s’en fait un ami en lui enseignant ce qu’il sait bon, nous pensons qu’il se comporte
comme il convient à un honnête citoyen » (Les Mémorables, in Œuvres de Xénophon, III, trad. P.
Chambry, Paris, 1967, p. 311). Sur ceci, voir L. DUGAS, L’amitié antique, Paris, 1914 (2e éd.), p. 35.
156. MISKAWAYH dit la même chose : « Chacun est dans la situation d’un des membres du corps, et
le bon état de l’homme [tout entier] se fait par les membres de son corps au complet » (Traité
d’éthique, p. 22). Cette image, fait remarquer M. Arkoun, se trouve déjà chez Platon, et encore plus
chez les stoïciens (Traité d’éthique, p. 22, n. 2).
157. MISKAWAYH utilise une autre image: « Dans tout ce qu’ils entreprennent, ils sont à l’image de
quelqu’un qui ne parvient pas à déplacer un poids énorme tant qu’il s’y emploie seul, mais qui y
réussit s’il se fait aider par d’autres personnes » (Traité d’éthique, p. 207).
158. Cette dernière phrase semble être une interpolation. Elle se retrouve dans les Rasā’il, t. IV,
p. 169 : « Sache que ces deux choses [l’existence dans la vie de ce monde et le salut dans la vie
dernière] n’arrivent et ne s’accomplissent que par l’entraide, et l’entraide n’a lieu qu’entre deux
personnes ou plus. »
159. Ruziqa B : ḥurima C … « à qui ont été refusés les biens ».

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160. Ou : pour tout état.


161. Nu‘ima : muni‘a BC « celui qui a été privé de biens et de science ».
162. Voir ABŪ DA’ŪD, Kitāb al-sunan, 4798 (Ādāb. Fī ḥusn al-khalq) : « Par la beauté de son
caractère, assurément, le croyant atteint le degré de l’abstinent qui veille (al-ṣā’im al-qā’im) ».
Voir aussi AL-KULAYNĪ, Uṣūl al-kāfī. al-Īmān wa-l-kufr. Ḥusn al-ḫalq, 16 et 18 (éd. Téhéran, s.d., vol. 3,
p. 159 et 161).
163. Ici commence le parallèle avec Rasā’il, t. IV, p. 173-177 (B 2). On trouve aussi une hiérarchie
semblable au t. III, p. 195. Nous indiquerons en notes les points de divergence avec notre texte.
Sur la hiérarchie ici présentée, voir notre introduction, ainsi que I. R. AL-FĀRŪQĪ, « On the ethics of
the Brethren of Purity », in The Muslim World, L (1960), p. 254-258 ; Y. MARQUET, La philosophie,
p. 266-274 et « Imâmat, résurrection et hiérarchie selon les Iḫwān al-Ṣafā’ », in Revue des études
Islamiques, XXX (1962), p. 118-120.
164. Wa i‘lam BC : ayyuhā l-ākh al-bārr al-raḥīm + B2 « …sache-le, ô frère pieux et
miséricordieux… ».
165. Dans les Rasā’il, t. IV, p. 172, il est question de l’entraide des gens de la Cité. Le terme amr
que nous traduisons ici de façon neutre par « affaire » peut signifier un certain nombre de
choses, depuis l’ordre (divin ou de ce monde), auquel cas il peut revêtir un sens technique précis,
jusqu’à la cause (au sens de cause que l’on défend).
166. Ǧawhar BC : ǧawāhir B2 « ... de la pureté des substances… »
167. Fī madīnati-nā B2 : fī madīnati-hā BC.
168. Il s’agit de l’Épître sur la géométrie, particulièrement Rasā’il, t. I, p. 100. Sur la cité des Frères,
voir Y. MARQUET, La philosophie, p. 371-378.
169. Même définition Rasā’il, t. III, p. 195.
170. Celle-ci est présente à partir de quatre ans. Elle « exprime les noms des sensibles » (Rasā’il,
t. III, p. 195).
171. Ta‘ālá BC : – B2.
172. Iḏā BC : fa-iḏā B2.
173. Fī muḫāṭabati-nā wa- BC : – B2.
174. Al-siyāsāt BC : al-siyāsa B2. Voir Rasā’il, t. I, p. 314 : « Sache que ce qui est voulu par la
conduite (siyāsa), c’est le bon état des existants et leur maintien dans le meilleur des états. »
175. Wa-l-šafaqaBC : bi-l-šafaqa B2 « … avec sollicitude… ».
176. Celle-ci est la puissance qui « voit avec clairvoyance les significations des intelligibles »
(Rasā’il, t. III, p. 195).
177. Ǧalla ḏikru-hu bi-qawli-hi BC : bi-qawli-hi ta‘ālá B2 « …c’est à cela que le Très-Haut a fait
allusion en disant… ».
178. Fa-lammā BC : wa-lammā B2.
179. On voit par cette citation que dans cette puissance, le jugement (ḥukm) et la sagesse (ḥikma)
sont liés.
180. Wa-BC : – B2
181. Au t. III, p. 195, le troisième degré est celui de ceux qui ont al-quwwa al-mlkīya. Comme il
s’agit du degré des rois, il s’agit sans doute de lire al-malikīya, et de traduire par « la puissance
royale ». Cette puissance est caractérisée par l’appui divin, comme la quwwa malakīya de notre
quatrième degré.
182. Al-wārida BC : ‘alá l-nafs+ B2 « …qui arrive à l’âme… ».
183. Bi-qawli-hiBC : ta‘ālá+ B2« … Dieu Très-Haut… ».
184. ‘Alaya BC : wa-‘alá wālidayya wa-an a‘mala ṣāliḥan tarḍā-hu al-āya+ B 2 «… dispensés ainsi qu’à
mes géniteurs et que j’accomplisse une action bonne dont tu te réjouisses, le verset ».

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185. Au t. III, p. 195, le quatrième degré est celui de ceux qui ont la puissance nomique qui est
dite « celle qui aplanit la [voie] du Retour, qui sépare de la matière. Elle demeure jusqu’à la fin de
la vie ».
186. Al-quwwa al-malakīya B2 : quwwat al-malakīya BC.
187. Al-mufāriqa lil-hayūlā BC : al-muqarriba bi-mufāraqat al-hayūlā B 2 « … au Retour et rapproche
par la séparation d’avec la matière ».
188. Tanzilu BC : taridu B2 « … sur elle que vient… »
189. Al-našr wa-l-ḥašr BC : inv. B2
190. Al-nīrān BC : wa-duḫūl al-ǧinānadd. B2 « … hors des Feux et l’entrée aux Jardins… ».
191. Fa-dḫulī fī ‘ibādī wa-dḫulī jannātī BC : al-āyaadd. B2 « .. mon Jardin. Le verset ».
192. Bi-qawlihi ta‘ālá BC : – B2.
193. Yūsuf ‘alayhi l-salām bi-qawlihi ta‘ālá BC : bi-qawlihi Yūsuf ‘alayhi l-salāmB 2.
194. Wa-‘allamtanī … bi-l-ṣāliḥīn BC : al-āya add. B2 « … une part de royauté. Le verset ».
195. Al-masīḥ ‘alayhi l-salām bi-qawlihi BC : bi-qawlihi l-masīḥ ‘alayhi l-salām B 2.
196. Fāraqtu BC : ǧasadī wa-huwaadd. B2 « … je me séparerai de mon corps qui est… ».
197. Bayna yadayy BC : al-ḥaqqadd. B2… devant le Véridique…
198. Atašaffa‘u BC : astašfa‘u B2.
199. Ta‘ālá BC : ‘azza wa-ǧalla B2 « … vers Dieu Tout-Puissant… ».
200. Al-ta’yīd BC : la-kumadd. B2 « … et [mon] appui pour vous ».
201. Voir plus haut, note 150. Cette citation se retrouve plus développée au t. IV, p. 31 : « Il
rassembla avec lui ses Apôtres dans la Cité sainte, dans une seule pièce avec ses compagnons, et
dit : “Je m’en vais vers mon Père et votre Père, et je vous fais un commandement avant de me
séparer de ma condition humaine (nāsūt) et je prends sur vous un pacte et un serment. Qui
accepte mon commandement et remplit mon pacte sera avec moi demain, et qui n’accepte pas
mon commandement, je ne suis de lui en rien et il n’est de moi en rien !” Ils lui dirent : “Quel est-
il ?” Il dit : “Allez vers les rois aux extrémités [de la terre], et faites-leur parvenir de moi ce que je
vous ai donné, invitez-les à ce à quoi je vous ai invités. Ne les craignez pas et ne les vénérez pas.
Moi, lorsque je me serai séparé de ma condition humaine, je me dresserai dans les airs, à la droite
du Trône de mon Père et de votre Père, et je serai avec vous où que vous alliez, je vous aiderai par
[mon] assistance et [mon] appui, avec la permission de mon Père. » Voir Mc, 16:15 ; Mt 28:19-20.
202. Nabīnā BC : – B2.
203. Ašāra ilayhā BC : inv. B2.
204. ‘Alá al-ḥawḍ BC : – B2. Le terme n’est pas coranique, mais se retrouve dans de nombreux
ḥadīḏ. Ce Bassin se trouverait avant ou, selon un plus grand nombre, après la Voie (ṣirāṭ). Parmi
ses caractéristiques, il y a le fait que qui a bu de son eau n’aura plus jamais soif, que ses eaux sont
plus blanches que le lait et plus douces que le miel. Voir la description qu’en fait ĠAZĀLĪ, Iḥyā’
‘ulūm al-dīn, éd. Dār al-Rašād al-ḥadīṯa, s.d., vol. IV, p. 569. L. Gardet mentionne le fait que
l’eschatologie mazdéenne connaissait déjà le réservoir ou bassin paradisiaque (L. GARDET, Dieu et la
destinée de l’homme, Paris, 1967, p. 321).
205. Kullu hāḏihi BC : kulluhā B2.
206. Kalām BC : ḥadīṯ B2 « … histoire… ».
207. Ġayr ‘ā’id ilá l-insīya … lil-mawt BC : – B2.
208. PYTHAGORE, Vers d’Or, versets 70-71. On retrouve d’autres citations de Pythagore dans les
Rasā’il, t. I, p. 138, t. IV, p. 35-36 et p. 175. Voir F. ROSENTHAL, art. « Fīthāghūrās », in EI2.
209. Le Kitāb Bilawhar wa-Yūzāsaf (ou Būdhāsaf, Būdāsaf, Būdāsf) est un ouvrage arabe puisant son
sujet dans la biographie du Bouddha. Cet ouvrage a produit dans la suite le prototype de la
légende chrétienne de Barlaam et Josaphat. Selon MAS‘ŪDĪ, Būdāsf serait le fondateur de la
doctrine des sabéens (Les prairies d’or, ch. 21 ; éd. et trad. B. de Meynard. Paris, 1861-1917, t. II,
p. 111). D. GIMARET relève deux allusions dans les Rasā’il, ici et dans le passage parallèle du t. IV,

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p. 175, et signale d’autres emprunts outre ces références explicites (« Traces et parallèles du Kitāb
Bilawhar wa Būdhāsf dans la tradition arabe », in Bulletin d’études orientales, XXIV (1971), p. 97-133).
210. Le texte semble plus clair en B2 (t. IV, p. 175) : wa-ilayhā ašāra Bilawhar ḥīna qāla inna l-malik
qāla li-wazīrihi wa-man ahl hāḏihi l-maqāla ? qāla hum allaḏīna ya‘rafūna malakūt al-samā’. – « C’est à
lui que Bilawhar a fait allusion lorsqu’il a dit que le roi dit à son ministre : “Qui sont les gens qui
disent cela ?” – “Ce sont ceux qui connaissent le Royaume du Ciel”, répondit-il ».
211. Kitāb Bilawhar wa-Būḏāsaf, éd. D. Gimaret. Beyrouth, 1972, p. 59 : « Le roi dit : “Qui sont ceux
qui parlent ainsi et que disent-ils du Royaume éternel ?”. Le ministre dit : “Ce sont les gens de la
religion qui parlent du Royaume éternel et de la sagesse” » (trad. D. GIMARET, Le livre de Bilawhar et
Būḏāsf selon la version arabe ismaélienne, Genève-Paris, 1971, p. 103).
212. Wa-ilayhā ašāra bi-qawlihi ta‘ālá … ṣirāṭ mustaqīm BC : – B2.
213. Il est également question de ceci au t. I, p. 344 et au t. IV, p. 132-133. Voir aussi Y. MARQUET,
La philosophie, p. 336-340.
214. Voir plus haut, note 165.
215. Al-iqrār bi-ḥaqīqa hāḏa l-amr BC : al-iqrār bi-l-lisānB2 « … affirmer par la langue ».
216. Le conformiste (muqallid) est « comme les gens du commun, qui ne connaissent de la parole
que [celle qui passe par] la gorge, de l’action que le manifeste, des sciences que des banalités, et
de la religion que le fanatisme » (Rasā’il, t. IV, p. 138).
217. Allaḏī huwaBC : allatī hiya B2.
218. Voir aussi Rasā’il, t. I, p. 344.
219. Mutabayyin BC : mutayyaqin ‘ārif B2 « … assentissent, ont la certitude et connaissent… ».
220. Bi ‘aqlihi BC : bi-qalbihi B2 « … avec son coeur ». La différence est de taille vu les connotations
attachées à chacun de ces termes.
221. Fa- B2 : wa- BC.
222. TaḥqīqihiBC : ḥaqīqatihi B2 « … sur la réalité… »
223. Voir Rasā’il, t. IV, p. 37 : « Qu’en penses-tu ? Les gens de toutes les religions se seraient-ils
donc accordés sur des choses qui n’auraient pas de réalité ? »
224. Bi-l-waḥda BC : bi-wāḥid min al-nās B2 « … ne s’accomplit pas par un seul homme ». En effet,
« il n’est pas possible que toutes les qualités [dont l’homme a besoin pour être accompli] soient
réunies en un seul individu, et c’est pour cette raison qu’elles sont dispersées dans l’ensemble des
individus humains ». C’est une idée que développe également MISKAWAYH. Voir son Traité d’éthique,
p. 239 : « Il est impossible à celui qui est complet par autrui d’accéder à son bonheur accompli
dans la solitude et dans l’isolement. »
225. Sur le nombre quarante dans ce contexte, voir Rasā’il, t. I, p. 376-377, où les Iḫwān citent
une tradition prophétique disant : « Il ne manquera pas en cette communauté de quarante
hommes d’entre les valeureux qui seront de la religion d’Abraham, le Bien Aimé, sur lui la paix. »
Voir aussi Y. MARQUET, La philosophie, p. 441.
226. Voir Rasā’il, t. IV, p. 125-126, où les Iḫwān décrivent le sort de la communauté après la mort
de son prophète. Les attributs et qualités du prophète sont soit réunis en un seul, celui-ci
devenant alors le calife du Prophète dans la communauté, soit dispersés entre les membres de la
communauté, ceux-ci se réunissant alors pour ne plus former qu’un seul homme et qu’une seule
âme dans leur recherche du salut. Les Iḫwān citent à ce propos une tradition selon laquelle le
Prophète aurait dit : « Les croyants sont comme un seul homme et une seule âme. »

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RÉSUMÉS
Cet article présente une traduction annotée de l’Épître 45 des Épîtres des Frères de la pureté (Rasā’il
Iḫwān al-Ṣafā’) consacrée aux notions d’amitié et de fraternité au fondement même du projet de
communauté porté par les Frères de la Pureté. La traduction est précédée d’une introduction qui
explore les différents thèmes abordés dans cette épître (description du maǧlis des Frères, origine
des divers caractères, choix de l’ami, choix du maître et du disciple, conservation de l’ami,
entraide mutuelle des Frères), et les resitue dans le cadre des discussions sur l’amitié qui
abondent au 10e siècle. La hiérarchie des Frères sur laquelle se termine l’Épître 45 y est également
explicitée : il est montré comment la division en quatre niveaux ici présentée, qui s’inscrit dans
une série de divisions quadripartites relevées dans les Rasā’il, recèle en réalité une théorie des
âges de l’homme comprenant sept niveaux sous l’influence des astres. Enfin, les rapports à
d’autres passages des Rasā’il, en particulier dans l’Épître 48, sont également soulignés.

‫يعرض المقال لترجمة مع تعليق الرسالة الخامسة واﻷربعين من رسائل إخوان الصفا‬
‫ تسبق الترجمة‬.‫ في أساس مشروع جماعة إخوان الصفا‬،‫وة‬
ّ ‫المخصصة بالصداقة واﻷخ‬
،‫مقدمة تستعرض مختلف الموضوعات الواردة في الرسالة )وصف مجلس اﻹخوان‬
،‫ المحافظة على الصديق‬،‫ انتقاء المعلم والتلميذ‬،‫ انتقاء الصديق‬،‫أصول اﻷوصاف‬
‫التعاون بين اﻷخوة( ويعيدها إلى إطار المناقشات حول الصداقة التي زخر بها القرن‬
‫ يفهم كيف أن‬:‫ معروضة أيضا ً بوضوح‬٤٥ ‫ مراتب اﻹخوان التي تنتهي بها الرسالة‬.‫العاشر‬
‫ والذي يرد في سلسلة تقسيمات رباعية‬،‫التقسيم إلى مستويات كما هي معروضة هنا‬
‫ تضمر في الحقيقة نظرية في أعمار الرجل تشتمل على سبعة‬،‫وردت في الرسائل‬
‫ وأخيرا ً يشار إلى العﻼقات القائمة مع مقاطع أخرى من‬.‫ تحت تأثير النجوم‬،‫مستويات‬
.٤٨ ‫ وبخاصة الرسالة‬،‫الرسائل‬

This article offers an annotated translation of Risāla 45 of the work known as Rasā’il Ikhwān al-
Ṣafā’. This Risāla explores the notion of friendship as basis of the community of the Ikhwān al-
S’afā’, presents a typology of human relationships, and culminates in the description of the
hierarchy of the Ikhwān. An introduction clarifies the various themes discussed in the Risāla,
such as the majlis of the Ikhwān, the origin of characters, how to choose and keep a friend,
friendship in education and society. These themes are situated in the literature on friendship
flourishing in the 10th cent. The discussion on the quadripartite hierarchy mentioned at the end
of Risāla 45 shows how this provides a key for the reading of the Rasā’il, and offers a theory of the
ages of man based on the symbolism of number four and seven. Finally, parallels with other
passages of the Rasā’il, especially in Risāla 48, are shown.

AUTEUR
CÉCILE BONMARIAGE
Chercheur qualifiée du F.N.R.S.

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Herméneutique et symbolique : le
ta’wīl chez Ibn ‘Arabī et quelques
auteurs antérieurs
Mohammed Chaouki Zine

Introduction
1 La science (‘ilm) et la connaissance (ma‘rifa) traversent l’œuvre d’ Ibn ‛Arabī de part en
part. Peu d’études ont été consacrées à ces deux notions fondamentales. Notre objectif
est de déterminer leurs significations respectives, leur identité et leur différence ainsi
que leur apport symbolique et herméneutique.
2 Quand on parle de science et de connaissance à quoi se réfère-t-on ? Comment ces deux
notions ont-elles évolué dans l’histoire de la spiritualité musulmane ou soufisme
(taṣawwuf) ? Y a-t-il une unité doctrinale autour de leur sens ou bien ont-elles requis
des significations différentes, voire divergentes en fonction de leur usage ?
3 C’est autour de ces questions que nous tenterons de définir la valeur épistémologique et
herméneutique de la science et de la connaissance chez Ibn ‘Arabī (1165-1240).
Généralement on traduit le vocable ta’wīl par interprétation ou herméneutique. Mais
Ibn ‘Arabī ne parle de l’interprétation (ta’wīl) que pour critiquer ses fondements
théoriques et ses usages théologiques et philosophiques, de même pour le symbolisme
qui requiert chez lui le sens de correspondance ou relation analogique (munāsaba) entre
la chose et ce qu’elle signifie.
4 Pourquoi prendre les notions de “herméneutique” et de “symbolisme” avec prudence ?
Tout simplement parce qu’elles n’ont pas le même apport étymologique et
lexicographique que fournit la langue arabe. C’est en débroussaillant le champ
notionnel de la doctrine d’Ibn ‘Arabī que nous pouvons déceler ces implications
anagogiques

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1 - L’herméneutique et le symbolisme : préliminaires


théoriques et épistémologiques
5 Sous le vocable “herméneutique” se dessine une histoire longue et une littérature
féconde qu’il serait impossible de cerner entièrement. Voyons seulement les définitions
qui ont été adoptées pour les comparer ensuite avec la notion de ta’wīl.
L’herméneutique serait une critique interne des textes en mettant à jour leurs idées
sous-jacentes : « Le mot “herméneutique”, du grec hermeneia qui signifie interprétation,
caractérise la discipline, les problèmes, les méthodes qui ont trait à l’interprétation et à
la critique des textes 1. »
6 Plus qu’une simple théorie, l’herméneutique recèle une valeur pratique qui consiste à
employer des méthodes et des instruments philologiques, lexicographiques,
sémantiques afin de découvrir la signification d’un mot, c’est-à-dire son origine, sa
formation et son évolution : « L’herméneutique désigne en premier lieu une pratique
guidée par un art. C’est ce qu’évoque déjà la formation du terme qui vient qualifier une
technè. L’art dont il s’agit ici est celui de l’annonce, de la traduction, de l’explication et
de l’interprétation et il renferme naturellement l’art de comprendre qui lui sert de
fondement et qui est toujours requis là où le sens de quelque chose n’apparaît pas
ouvertement ou sans équivoque 2 ».
7 En d’autres termes, il y a interprétation là où il y a confusion et équivocité. Ceci
nécessite alors une panoplie de méthodes et d’outils pour expliciter le sens du mot et le
rendre clair et accessible. De ce point de vue, les racines étymologiques du terme
“herméneutique” mettent en exergue plusieurs significations :
8 Hermeneus : ce vocable signifie « traduire ». La traduction a, en effet, dans l’histoire des
textes sacrés et des œuvres humaines un rôle prépondérant. Plus qu’une simple
adaptation d’une œuvre en langue différente, la traduction signifie avant tout la saisie
du sens de ce qui a été dit : « Partout, l’herméneutique doit accomplir une telle
transposition d’un monde à l’autre, du monde d’une langue étrangère à une autre qui
nous est familière 3 ».
9 Hermeneia : ce mot signifie en quelque sorte la traduction d’une idée, c’est-à-dire
l’énonciation d’une pensée en donnant corps aux idées abstraites.
10 Hermeneuein : traduire, c’est déjà communiquer. En effet, le rôle de l’interprétation est
de transmettre le vouloir-dire d’un auteur (ou un locuteur) à un lecteur (ou un
auditeur). Platon associe cette transmission à l’art divinatoire, c’est-à-dire
communiquer la volonté divine à celui qui devine son extension à travers les signes
érigés dans le monde.
11 Ces significations étymologiques qui s’entremêlent et se complètent ont pris plusieurs
directions en fonction de l’emploi qui leur a été attribué. Aristote ne prend que le sens
logique de l’herméneutique en pariant sur la nécessité d’écrire un Peri Hermeneias ou les
éléments qui composent la proposition attributive.
12 L’hermeneia ou la proposition traduit, chez Aristote, la pensée en mots proférés ou fixés
dans un discours. Dans les Temps modernes, l’hermeneutica des Latins traduit la façon
d’interpréter les textes sacrés. Ils parlent ainsi de ars interpretandi dont l’origine
remonte jusqu’à Origène 4 : « Le même texte peut être interprété selon quatre
perspectives superposées : 1) dans son sens littéral (dit “historique” ou “somatique”)
qu’on atteint par des études grammaticales ; 2) dans un sens allégorique, héritage

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stoïcien, qui porte généralement sur les dogmes de l’Église ; 3) dans un sens
tropologique ou moral, destiné à la conduite éthique du croyant ; 4) dans un sens
anagogique ou mystique, appelé à révéler des vérités d’ordre eschatologique 5 ».
13 En d’autres termes, le texte comporte deux significations : le sens littéral et le sens
figuré ou bien la lettre et l’esprit ou encore, en termes familiers aux soufis de l’époque
classique, l’extérieur (ẓāhir) et l’intérieur (bāṭin). Nous verrons plus tard que les deux
aspects du texte ont suscité de violentes polémiques reflétant ainsi deux catégories de
savants : les exotéristes (ẓāhiriyyūn) et les ésotéristes (bāṭiniyyūn).
14 Comme le rappelle J. Grondin 6, l’herméneutique comme néologisme fut introduite vers
1629 par J. C. Dannhauer et subit une évolution sémantique importante en ayant trois
fonctions :
1. La subtilitas intellegendi qui consiste à rendre le texte intelligible et tente d’éclaircir un
passage obscur pour une meilleure compréhension du texte.
2. La subtilitas explicandi qui ajoute à la compréhension du sens une explication éclairante
portant sur la structure langagière du texte.
3. La subtilitas applicandi qui met en application (en pratique) le sens du texte.

15 Ces trois fonctions ont fait l’objet de commentaires, d’appropriations, voire de


divergences entre ceux qui se contentent de l’explication littérale et grammaticale du
texte et ceux qui font triompher l’interprétation ésotérique.
16 Outre les deux approches, la dimension pratique traduit le savoir canonique en vertus
et œuvres. Ceci explique qu’il n’y a pas de théorie universelle de l’interprétation
unanimement reconnue, mais simplement des procédures ou des méthodes d’analyse :
« Il n’y a pas d’herméneutique générale, pas de canon universel pour l’exégèse, mais
des théories séparées et opposées concernant les règles de l’interprétation 7 ».
17 Que l’herméneutique soit un archipel d’interprétations, cela signifie qu’elle stipule une
multitude de lectures, d’approches et d’appréciations, objectives pour les uns,
subjectives pour les autres. Elle se sert d’instruments logiques ou de raisonnements
intuitifs afin de transposer les choses réelles en symboles. Elle a pour vocation de
déchiffrer ces symboles et de saisir le lien qu’ils entretiennent avec le monde
phénoménal. D’où l’inextricable relation entre l’herméneutique en tant que méthode
ayant pour objet l’interprétation des signes (le texte, la nature, les modes d’expression,
etc.) et le symbolisme qui porte sur ce que ces signes veulent dire.
18 Comme nous l’avons fait avec l’herméneutique, nous nous contenterons de quelques
jalons méthodologiques du symbolisme. Celui-ci est caractérisé par la pluralité des
symboles qui désignent quelque chose : « Un symbole ne signifie pas : il évoque et focalise,
assemble et concentre, de façon analogiquement polyvalente, une multiplicité de sens
qui ne se réduisent pas à une seule signification ni à quelques-unes seulement 8 ».
19 La pluralité des significations est proportionnelle à la multiplicité des choses dans le
monde. Derrière cette apparente diversité se dresse un ordre qui relie les choses les
unes aux autres en vertu d’un rapport analogique ou corrélatif : « Ces deux hypothèses
initiales : l’existence de l’ordre dans l’univers et la logique de l’analogie, si on les admet,
suffisent, en effet, à fonder la symbolique générale et à étudier ses formes les plus
diverses [...] La symbolique s’édifiera peu à peu à partir de l’étude du symbolisme, c’est-
à-dire de “l’art de symboliser”, de l’usage et de l’expérience des symboles 9 ». Ainsi, on
peut faire la différence entre la symbolique qui est la science du (ou le discours sur le)
symbolisme et celui-ci qui est l’usage (scientifique, métaphysique, philosophique ou

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mystique) des symboles et « l’on peut définir le symbole, avec A. Lalande, comme tout
signe concret évoquant, par un rapport naturel, quelque chose d’absent ou d’impossible
à percevoir 10 ».
20 Pour une analyse détaillée et fort documentée sur les diverses modifications du sens du
symbole et de ses altérations à travers les époques, nous renvoyons au chapitre 1 de La
science des symboles 11. Sous le mot symbole, une multitude de notions apparaissent et
qui prêtent à confusion comme l’avait remarqué Gilbert Durand : « Quoi qu’il en soit,
“image”, “signe”, “allégorie”, “symbole”, “emblème”, “parabole”, “mythe”, “figure”,
“icône”, “idole”, etc., sont utilisés indifféremment l’un pour l’autre par la plupart des
auteurs » 12.
21 Il est hors de propos de s’attarder longtemps sur la signification de chaque notion, mais
remarquons, avec G. Durand, que les deux mots qui sont généralement confondus sont
l’allégorie et le symbole. Bien qu’ils ne soient pas entièrement disjoints à l’époque
médiévale, allégorie et symbole semblent remplir deux fonctions distinctes. La
première a rapport avec le discours et la pensée par la transposition des images en
idées, et c’est pour cette raison qu’elle est fondée sur la métaphore, alors que le second
entretient une relation étroite avec l’impression qu’il laisse chez le sujet qui saisit la
signification.
22 Alain disait à juste titre « le symbole est au sentiment ce que l’allégorie est à la
pensée ». Cependant la tâche commune imputée à ces deux notions est la reconduction
d’une chose sensible à son image abstraite : « Le symbole est, comme l’allégorie,
reconduction du sensible, du figuré au signifié, mais en plus il est par la nature même
du signifié inaccessible, épiphanie, c’est-à-dire, par et dans le signifiant, de l’indicible.
L’on voit derechef quel va être le domaine de prédilection du symbolisme : le non-
sensible sous toutes ses formes : inconscient, métaphysique, surnaturel et sur-réel 13. »
Le propre du symbole est de rendre visible ce qui est caché : « Le symbole est donc une
représentation qui fait apparaître un sens secret, il est l’épiphanie d’un mystère 14. »
23 Comme son étymologie l’indique, le symbole (sumbolon) implique toujours le
rassemblement de deux moitiés, signe et signifié, c’est-à-dire la face visible et la face
invisible telle la lune durant sa phase bimensuelle. Le sumbolon est le signe de
reconnaissance de cette lune sous sa phase initiale (croissant de lune) pour identifier le
début du mois de jeûne (ramaḍān) et le début du jeûne : « Mangez et buvez jusqu’à ce
que se distingue, pour vous, le fil blanc de l’aube du fil noir de la nuit. Puis accomplissez
le jeûne jusqu’à la nuit » (Cor. 2/187).
24 Le symbole est, de ce point de vue, indice de la distinction entre deux aspects de la
même réalité : le jour et la nuit (pour la journée), le visible (šahāda) et le caché (ġayb)
pour l’existence, etc. Cet aspect double de la réalité est caractérisé plus par la
corrélation que par l’antinomie comme pourraient laisser croire les interprétations
étourdies qui mettent l’extérieur (ẓāhir) ou la Loi (šarī‘a) aux antipodes de l’intérieur
(bāṭin) ou la Réalité ésotérique (ḥaqīqa) 15. Ces idées ont fait l’objet de commentaires
critiques de la part d’Ibn ‘Arabī comme nous allons le découvrir ultérieurement.
25 A la lumière de ces définitions et délimitations théoriques, nous étudierons en premier
lieu les approches contemporaines de l’herméneutique d’Ibn ‘Arabī. Les noms de
Corbin, Naṣr Ḥ. Abū Zayd, Munṣif ‘Abdelḥaqq et Ḏahabī font ici autorité. Nous
examinerons ensuite le ta’wīl chez les prédécesseurs d’Ibn ‘Arabī. Nous tenterons enfin

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de définir les implications herméneutiques et symboliques de la science et de la


connaissance chez notre auteur.

2 - L’interprétation contemporaine de l’herméneutique


d’Ibn ‘Arabī : un “contresens” épistémologique
26 Comme nous pouvons le constater à propos de la théorie de l’unicité de l’être (waḥdat
al-wuǧūd) utilisée à mauvais escient 16, le ta’wīl a été, à son tour, l’objet de commentaires
qui varient entre l’imprudence théorique et la misère méthodologique, à quelques
exceptions près. Nous assistons à l’élaboration de ce qu’on pourrait appeler « un
contresens épistémologique », le résultat d’un survol rapide des textes ou d’une
application non appropriée de concepts externes à la visée fondamentale de la doctrine
de notre auteur.
27 Avant d’exposer certains exemples, voyons tout d’abord l’explication que Henry Corbin
donne au ta’wīl d’Ibn ‘Arabī, du fait qu’il était parmi les premiers spécialistes à se
pencher sur les problèmes de l’imagination, du symbolisme et de l’herméneutique
spirituelle. Selon H. Corbin, il ne peut y avoir de dissociation entre l’herméneutique et
l’ésotérisme. Toute interprétation vise le sens profond du texte par-delà son aspect
apparent qui est langage : « Le ta’wīl présuppose la floraison des symboles, l’organe de
l’imagination active qui simultanément les fait éclore et les perçoit [...]. Par essence, le
ta’wīl ne peut tomber dans le domaine des évidences communes ; il postule un
ésotérisme 17. »
28 H. Corbin fait la distinction entre l’allégorie et le symbole. Il attribue à l’allégorie une
opération rationnelle, alors que le symbole s’ouvre sur plusieurs plans de l’être :
« L’initiation au ta’wīl est naissance spirituelle (wilāda rūḥāniyya). Parce qu’ici, comme
chez tous ceux qui l’ont pratiqué dans le christianisme, c’est-à-dire ceux qui n’ont point
confondu le sens spirituel avec l’allégorie, le ta’wīl fait pénétrer dans un nouveau
monde, accéder à un plan supérieur de l’être 18. »
29 La distinction entre l’allégorie et le symbole est une invention récente. Bien qu’elle soit
pertinente sur le plan épistémologique, cette séparation tombe cependant dans un
anachronisme comme le laisse entendre ce texte de Jean Pépin : « On a pris aujourd’hui
l’habitude de distinguer nettement entre allégorie et symbole, comme entre l’artifice
didactique et la spontanéité de la vie. Pour que cette distinction, d’ailleurs fondée,
puisse être prise en considération à propos de Dante, il faudrait, semble-t-il, qu’elle fût
entrée dans les mœurs à son époque. Or c’est ce qui n’apparaît en rien. La définition
ancienne et médiévale de l’allégorie est si large qu’elle convient à presque toutes les
variétés de l’expression figurée, et en tout cas à l’expression symbolique 19. »
30 Dans son approche de l’expérience de l’art, Gadamer rappelle de son côté que « les deux
concepts d’allégorie et de symbole ont beau appartenir à des sphères différentes, ils
n’en sont pas moins proches l’un de l’autre, non seulement en vertu de la structure qui
leur est commune, celle de la représentation de quelque chose par autre chose, mais
également parce qu’ils trouvent l’un et l’autre dans le champ du religieux leur
application privilégiée 20 ». La distinction initiale, d’après Gadamer, fait de l’allégorie
une figure de rhétorique et un élément qui appartient au discours (logos), et du symbole
une réalité qui désigne elle-même dans son manifestation phénoménale. La fonction
des deux concepts reste identique en partant du substrat sensible pour accéder à

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l’intelligible : « Le symbolon reçoit ici une fonction anagogique ; il oriente l’esprit et


l’élève à la connaissance du divin – tout comme l’expression allégorique introduit à une
signification “supérieure”. La démarche allégorique de l’interprétation et la démarche
symbolique de la connaissance s’imposent pour la même raison : il n’est pas possible de
connaître le divin autrement qu’à partir du sensible 21. »
31 Gadamer remarque qu’il y eut une dégradation du sens de l’allégorie, celle-ci étant
reléguée à une simple convention ou expression dogmatique de la chose religieuse.
Quant au symbole, il a été érigé en réalité métaphysique, supérieure et positive de
surcroît. Mais le symbole vit de la tension entre la forme et l’essence, ou entre
l’expression et le contenu : « Cette absence d’adéquation entre forme et essence reste
constitutive du symbole dans la mesure où sa signification renvoie au-delà de ce qui
tombe sous les sens. C’est de cette inadéquation que naît le caractère flottant,
d’indécision entre forme et essence, qui est propre au symbole 22. »
32 L’opération procédée par H. Corbin vise à briser les barrières psychologiques et
doctrinales qui s’interposent entre le soufisme d’Ibn ‘Arabī et le chiisme « c’est qu’Ibn
‘Arabī fut lui-même un grand maître en ta’wīl – on le verra à l’œuvre au cours de ce
livre – et qu’il est impossible de mentionner le ta’wīl sans parler du chiisme dont le
ta’wīl est un principe scripturaire fondamental 23. »
33 Le propre du ta’wīl est, de ce point de vue, de reconduire les données littérales à ce
qu’elles symbolisent et « prononcer le mot ta’wīl, c’est d’une manière ou d’une autre
éveiller certaines résonances avec le chiisme, dont le principe scripturaire fondamental
est que tout exotérique (ẓāhir) a un ésotérique (bāṭin) 24 ».
34 H. Corbin érige le ta’wīl en loi universelle occultant, par là, les différences de taille qui
existent entre le soufisme akbarien et la pensée chiite. C’est ce qui ressort de
l’observation de William Chittick qui remarque que H. Corbin fait du ta’wīl une pierre
angulaire de la doctrine d’Ibn ‘Arabī, négligeant que ce mot n’avait pas à l’époque d’Ibn
‘Arabī une connotation positive 25.
35 Par ailleurs, le ta’wīl ne peut être établi comme étant une norme universelle si on croit
le philosophe Paul Ricœur, spécialiste en la matière. Or le livre de H. Corbin tente
d’instaurer cette règle qui transcende les interprétations locales et divergentes : « En
fait, tout le concept métaphysique de l’Imagination se trouve engagé dans
l’instauration de ce monde intermédiaire. Toutes les réalités essentielles de l’être
(ḥaqā’iq al-wuǧūd) y sont manifestées en Images réelles ; et pour autant qu’une chose
manifestée aux sens ou à l’intellect, possède une signification qui, en dépassant la
simple donnée, fait de cette chose un symbole, et pour autant qu’elle exige ainsi une
herméneutique (ta’wīl), la vérité symbolique de cette chose implique une perception au
plan de l’imagination active 26. »
36 Comme le songe, l’imagination nécessite un mode de transposition symbolique : « C’est
parce que l’être révélé est imagination, qu’une herméneutique des formes manifestées
en lui est nécessaire, c’est-à-dire un ta’wīl qui “reconduise” (selon l’étymologie du mot
ta’wīl) ces formes à leur vraie réalité. Non seulement le monde du rêve mais le monde
que nous appelons communément le monde de la veille, tous deux ont même et égal
besoin d’une herméneutique 27. »
37 Cette universalité va affecter l’ensemble des écrits de H. Corbin. Elle met le ta’wīl dans
un rapport concentrique avec l’imagination et le symbolisme. En d’autres termes,
l’imagination est un phénomène global qui a pour organe d’expression le ta’wīl. Ce

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dernier englobe, à son tour, le symbolisme qui emploie les symboles à des fins
initiatiques et spirituelles : « En bref, parce qu’il y a de l’imagination, il y a du ta’wīl ;
parce qu’il y a du ta’wīl, il y a du symbolisme ; parce qu’il y a du symbolisme, il y a deux
dimensions dans les êtres 28. »
38 Pour résumer l’idée de H. Corbin, nous pouvons dire que grâce au ta’wīl les choses dans
le monde sensible deviennent des symboles dans le monde imaginal. Elles ont, du point
de vue symbolique, deux faces, l’une est tournée vers le sensible et se nomme “chose”,
“objet”, “matière”, etc., l’autre est tournée vers l’imaginal et s’appelle “symbole”,
“image”, “idée”, etc. Bref, c’est l’imagination comme mode d’être et mode de connaître
qui justifie l’existence du ta’wīl selon H. Corbin 29.
39 Naṣr Ḥāmid Abū Zayd n’est pas du même avis, car l’imagination (ḫayāl) ne constitue pas
uniquement un élan de création, mais un obstacle à la véritable science. D’où la
nécessité du ta’wīl qui va de l’extérieur grossier à l’intérieur subtil pour saisir la science
authentique 30. L’imagination n’est qu’un point de jonction entre le sensible et
l’intelligible. Elle ne peut être érigée en mode supérieur de perception. Le véritable
ta’wīl d’après Abū Zayd est celui qui s’identifie au dévoilement intuitif (kašf), c’est-à-
dire saisir la chose telle qu’elle est en elle-même.
40 Or H. Corbin pense que sans imagination, le ta’wīl ne peut s’opérer comme transfigura-
tion des choses en images : « On n’interprète pas ce qui n’a rien à vous apprendre, ne
signifie rien de plus que ce qu’il est. C’est parce que le monde est imagination
théophanique, qu’il est constitué d’“apparitions” demandant à être interprétées et
dépassées 31. »
41 La thèse de H. Corbin est justifiée par le hadith prophétique « Les gens dorment et
lorsqu’ils meurent ils se réveillent 32 ». Ainsi, l’homme demeure constamment dans le
monde imaginal et utilise le ta’wīl pour transmuer les choses sensibles en symboles afin
de les saisir et les comprendre. Abū Zayd revient pour cautionner cette idée, à savoir
l’importance de l’imagination (ou le songe) pour procéder au ta’wīl 33.
42 Qu’est-ce que le ta’wīl pour Abū Zayd ?
43 D’une part, le ta’wīl serait, d’après lui, une méthode philosophique (manhaǧ falsafī) « qui
régit la pensée d’Ibn ‘Arabī au niveau de l’être et du Coran ensemble, car ils sont deux
faces de la même et unique réalité 34 ». Employer l’expression “méthode philosophique”
n’est pas approprié dans le contexte du ta’wīl d’Ibn ‘Arabī. Abū Zayd semble employer
cette expression à cause de l’intérêt qu’il porte à la théorie philosophique de
l’herméneutique développée par Hans-Georg Gadamer 35.
44 D’autre part, le ta’wīl est appréhendé comme la découverte d’une “cryptologie”
inhérente au texte, une dimension “crypto-coranique” dirions-nous : « Le ta’wīl signifie,
de ce point de vue, la découverte d’un “chiffre” divin et la compréhension du Coran à la
lumière de ce “chiffre”, c’est-à-dire le comprendre comme étant un ensemble de
symboles désignant les réalités de l’être et de l’homme 36. » Abū Zayd emprunte
apparemment la notion du “chiffre” à H. Corbin 37, d’autant plus que le mot désigne une
sorte de codage secret, ce qui trahit la conception d’Abū Zayd qui se veut prudente face
aux tendances ésotéristes.
45 Enfin, le ta’wīl est défini à partir de sa racine étymologique qui fait coïncider l’origine
des choses et leur destinée.
46 Ces dimensions cosmogoniques et téléologiques (ou eschatologiques) caractérisent l’œuvre
d’Ibn ‘Arabī de fond en comble : « Le ta’wīl chez Ibn ‘Arabī est de connaître la réalité de

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la chose et sa destinée (ma’āl), c’est-à-dire son origine d’où elle procède et vers laquelle
elle retourne. Sur le plan ontologique, le ta’wīl est le passage de l’extérieur sensible à
l’intérieur spirituel et, sur le plan scripturaire, il est le dépassement de la langue
humaine et conventionnelle vers la langue divine et absolue. En ce sens, le ta’wīl ne
signifie pas la négation du ẓāhir, mais le point de départ, car le ẓāhir représente la coque
extérieure du bāṭin ou son apparence 38. »
47 De même en ce qui concerne la définition de Munsif ‘Abdelḥaqq : « Le ta’wīl chez Ibn
‘Arabī – qu’il nomme ailleurs l’interprétation des rêves (ta‘bīr) ou la métaphore (maǧāz)
– ne se dissocie pas de la communication : il signifie le passage de l’extérieur
(l’expression apparente) à l’intérieur ou ce que l’auditeur leur croit ainsi 39. »
48 Contrairement à Abū Zayd dont l’explication du ta’wīl d’Ibn ‘Arabī s’est contentée de
déceler les correspondances cosmologiques et anthropologiques, l’entreprise de
M. ‘Abdelḥaqq met l’accent sur l’aspect sociologique et linguistique du ta’wīl : « Le
terrain social explique de prime abord l’émergence de l’opération herméneutique 40 »,
dans la mesure où les interactions sociales sont préalablement symboliques, c’est-à-dire
qu’elles s’opèrent au niveau du langage. Les relations humaines sont de nature
“interprétative”, car « l’auditeur qui ne parvient pas à expliquer les intentions du
locuteur recourt alors à l’interprétation 41 ».
49 Sur le plan épistémologique, M. ‘Abdelḥaqq pense que le ta’wīl est, structurellement,
fondé sur l’hypothèse (iḥtimāl) et l’opinion (ẓann), jamais sur la certitude, une idée
partagée par l’instigateur de la critique de la raison arabe Muḥammad ‘Abid el-Ǧabirī 42.
50 Certes, le ta’wīl se fonde sur la diversité des approches, ce qui donne crédit à l’opinion
personnelle. Mais cette définition ne s’applique pas à la doctrine d’Ibn ‘Arabī pour trois
raisons :
1. L’opinion, l’hypothèse et l’effort individuel sont du ressort de la spéculation.
2. Le ta’wīl occulte la nature saine de la foi (īmān).
3. Le ta’wīl est traduit dans la doctrine d’Ibn ‘Arabī par d’autres notions impliquant la saisie
intuitive : dévoilement (kašf), aspiration (himma), élection spirituelle (iḫtiṣāṣ), etc.

51 Ces points feront ultérieurement l’objet d’un exposé détaillé. La lecture la plus
audacieuse mais bourrée de contresens est celle de Muḥammad Ḥusayn al-Ḏahabī dans
son ouvrage al-Tafsīr wa al-mufassirūn (L’exégèse et les exégètes, 2 vol.). Ce qui nous
intéresse ici est son opinion sur l’interprétation soufie du Coran. Malencontreusement,
son opinion fait dire au texte de notre auteur ce qu’il n’a pas expressément dit. Nous
faisons allusion à la waḥdat al-wuǧūd érigée en norme universelle pour lire et
comprendre le texte coranique.
52 C’est ce qui ressort de l’analyse de Ḏahabī des Futūḥāt et des Fuṣūṣ al-ḥikam. En effet, la
théorie de l’unicité de l’être a entraîné cet auteur dans des explications hâtives et
dangereusement outrageantes : « Nous le voyons [c.-à-d. Ibn ‘Arabī] appliquer plusieurs
versets coraniques sur ses théories mystiques et philosophiques 43 » ou encore « Nous
voyons aussi que dans son commentaire du Coran, Ibn ‘Arabī est influencé par la
théorie de l’unicité de l’être, la théorie la plus importante sur laquelle est fondé son
soufisme. Dans la plupart des cas, il explique les versets à la lumière de cette théorie
jusqu’à ce qu’il s’écarte du sens voulu par Dieu 44 ».
53 Cet amalgame se contente de survoler le texte sans l’approfondir réellement : « Ce
genre de commentaire fondé sur la théorie de l’unicité de l’être est inadmissible quel
que soit son promoteur 45. » La même sentence, qui fait grief, revient tout au long des

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pages consacrées à l’herméneutique soufie et en particulier au commentaire d’Ibn


‘Arabī des versets. Voici, par exemple, un passage qui ne comporte aucune valeur
scientifique : « Du point de vue de l’unicité de l’être, et dans la plupart des cas, il abuse
dans l’interprétation afin que le verset s’accorde avec cette théorie. Je pense que cette
méthode exégétique est pernicieuse. Elle substitue à ce que Dieu veut dire dans ses
versets des idées inhérentes à sa doctrine 46. »
54 Ce genre de jugement ne présente pas les doctrines de façon équitable et impartiale. Il
induit surtout le lecteur en erreur, celui qui n’est pas familiarisé avec le langage
mystique et, en particulier, la terminologie soufie. Il est donc regrettable de se livrer à
ce genre de lectures qui pervertissent notre compréhension de l’héritage
herméneutique du soufisme.
55 Nous pouvons conclure cette partie en disant que le ta’wīl dans la pensée arabe
contemporaine a fait l’objet d’analyses et de comparaisons qui s’éloignent dans la
plupart des cas de l’objectif préalablement esquissé. Ce qui risque d’imputer à Ibn
‘Arabī des contrevérités lourdes de conséquences : le ta’wīl comme ésotérisme d’après
H. Corbin, le ta’wīl comme méthode philosophique selon Abū Zayd, le ta’wīl en tant que
jugement et probabilité chez M. ‘Abdelḥaqq, le ta’wīl en tant que doctrine panthéiste
selon Ḏahabī.
56 Ces résultats ont, certes, leur mobile interne et leur ambition idéologique : lire la
mystique musulmane à l’aide des instruments scientifiques et méthodologiques
appropriés, élargir le champ de vision et d’investigation dans les études islamologiques,
réduire le soufisme à une intrusion doctrinale étrangère à l’islam, etc. Mais ces projets
ne nous enseignent pas ce que le texte de notre auteur veut dire dans son expression
même. Ce qui nous fait perdre la chance de découvrir Ibn ‘Arabī par Ibn ‘Arabī lui-
même sans que cette découverte soit une redondance ou tautologie.

3- Le ta’wīl et ses origines ambivalentes : l’archè et le


télos
57 La remarque de P. Ricœur, « il n’y a pas d’herméneutique générale, mais des théories
opposées concernant les règles de l’interprétation », trouve ici sa pleine justification.
En effet, le texte (et en particulier le Coran) suscite la curiosité de nombreuses
doctrines qui tentent de cerner sa nature par une approche qui prend plusieurs
dénominations : analyser, décrire, découvrir, développer, éclaircir, expliquer, exposer,
exprimer, interpréter, lire, montrer, saisir, traduire, etc.
58 Ces techniques d’appréciation ont été occultées par une dichotomie imposante, à la fois
doctrinale et politique, qui fait toujours parler d’elle.
59 Cette dualité se cantonne dans le couple expliquer/interpréter ou bien exégèse/
herméneutique, c’est-à-dire tafsīr et ta’wīl. Elle n’a pas été instaurée dans un
consentement mutuel mais a vu le jour dans un processus conflictuel autour de la
réalité du texte : qu’est-ce qui définit cette réalité ? Une simple explication des mots ou
bien une interprétation profonde qui va au-delà de leurs frontières littérales ?
60 Cette dualité ne s’est pas fondée sur un terrain neutre mais s’est rapportée à d’autres
couples de notions : extérieur (ẓāhir)/intérieur (bāṭin) sur le plan spirituel, sensible
(ḥissī)/intelligible (ma‘qūl) au niveau philosophique, explicite (muḥkam)/équivoque

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(mutašābih) sur le plan exégétique. Ce dernier couple est le véritable fondateur de la


polémique sur la manière d’appréhender le texte coranique.
61 Le verset de la sourate Āl ‘Imrān y fait mention : « C’est Lui qui a fait descendre sur toi le
Livre : il s’y trouve des versets explicites qui sont la base du Livre et d’autres versets
équivoques. Les gens qui ont au cœur une inclination vers l’égarement mettent l’accent
sur les versets à équivoque cherchant la dissension en essayant de leur trouver une
interprétation, alors que nul n’en connaît l’interprétation, à part Dieu. Mais ceux qui
sont bien enracinés dans la science disent : “Nous y croyons : tout est de la part de
notre Seigneur”. Mais seuls les doués d’intelligence s’en rappellent » (Cor. 2/7).
62 La question du muḥkam et du mutašābih est la véritable problématique qui a suscité
l’avènement du ta’wīl. La majorité des œuvres exégétiques ont mis sur le tapis de la
discussion cette problématique.
63 Dans son Fahm al-Qur’ān, al-Ḥāriṯ al-Muḥāsibī (m. 243/950) évoque les multiples
problèmes liés à la compréhension du Coran, notamment ce qui a trait aux couples
abrogatif (nāsiḫ)/abrogé (mansūḫ) 47, explicite/équivoque, etc. Il rapporte la parole
d’Ibn ‘Abbās, le premier commentateur du Coran, selon laquelle les versets explicites
sont abrogatifs et concernent le licite, l’illicite et les œuvres prescrites 48. Il rapporte
d’Ibn ‘Abbās aussi la signification eschatologique du mot ta’wīl : « Sa parole “Nul n’en
connaît l’interprétation, à part Dieu”, c’est-à-dire le jour de la résurrection qui n’est su
que par Dieu 49. »
64 Une autre parole rapportée par Muḥāsibī consiste à dire que chaque verset a un
extérieur (ẓahr, littéralement un dos) et un intérieur (baṭn, littéralement un ventre),
une limite (ḥadd ou le terme, la fin de quelque chose) et un prélude ( maṭla‘ ou le
commencement, le début). Cette parole rejoint en quelque sorte le verset « Il est le
Premier et le Dernier et Il est l’Apparent et le Caché » (Cor. 57/3). Muḥāsibī commente
cette parole en disant que le verset a trois dimensions : l’extérieur est la récitation
(tilāwa) 50, l’intérieur est l’interprétation (ta’wīl) et la limite est le seuil de
compréhension (muntahā al-fahm).
65 Que l’intérieur (bāṭin) soit lié au ta’wīl est l’apanage de nombreux exégètes d’inspiration
ésotériste comme on le verra tout à l’heure avec un auteur ismaélien Nu‘mān b. Ḥayyūn
al-Tamīmī (m. 363/973), auteur de Asās al-ta’wīl (Le fondement de l’herméneutique).
L’explication la plus plausible que Muḥāsibī semble retenir est celle de Mālik b. Anas
(m. 179/789) à qui on demande si l’interprétation sue uniquement par Dieu est connue
également par ceux qui sont enracinés dans la science (rāsiḫūn fī l-‘ilm). Il répond que
ces initiés disent « Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur », mais ne
savent pas son interprétation 51. Ces explications associent « les enracinés dans la
science » à la foi (« āmannā bihi » dit le verset) et Mālik b. Anas ajoute une autre qualité :
la morale ou la pratique spirituelle (al-rāsiḫūn fī l-‘ilm hum al-‘āmilūn). Ces analyses nous
aident à définir la science comme une qualité inhérente à la foi chez Ibn ‘Arabī et non
pas comme un attribut issu du ta’wīl ou de l’opinion individuelle (ẓann, ra’y, etc.).
66 Les explications données par Muḥāsibī sont développées de façon exhaustive dans le
magnum opus d’Abū Ǧa‘far M. b. Ǧarīr al-Ṭabarī (m. 310/923) 52, Ǧāmi‘ al-bayān ‘an ta’wīl
āy al-Qur’ān (La somme de la langue dans l’interprétation du Coran). Si nous référons
aux versets où figure le mot ta’wīl, nous trouvons des commentaires différents en
fonction du texte et du contexte. Le verset de la sourate Yūsuf « Ainsi ton Seigneur te
choisira et t’enseignera l’interprétation des rêves » (Cor. 12/6) met déjà l’accent sur ce

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que le mot ta’wīl veut dire ici : « Ton Seigneur t’apprendra la science de l’aboutissement
(mā ya’ul…, littéralement résultat, terme, conséquence, etc.) des paroles de gens sur ce
qu’ils voient dans leur sommeil. Ceci signifie l’interprétation du songe (ta‘bīr al-
ru’yā) 53. »
67 Ṭabarī rapporte la signification du ta’wīl comme interprétation des rêves des premiers
exégètes Qatāda (m. 118/736) et Muǧāhid b. Ǧabr (m. 104/722). Cette interprétation
sera nuancée dans l’exégèse mystique, car le songe (manām, ḥulm, ḫayāl, etc.) n’a pas la
même acception sémantique et spirituelle que le mot ru’yā qui signifie plus qu’un
songe. L’autre définition donnée par Ṭabarī est celle d’Ibn ‘Abbās, une définition
eschatologique du ta’wīl « “Nul n’en connaît l’interprétation à part Dieu”, c’est-à-dire
interprétation (littéralement son destin, son terme) le jour de la résurrection que
Dieu 54. »
68 Ṭabarī se réfère aussi aux conséquences (‘awāqib) ou bien aux prolongements d’une
affaire comme le problème de l’abrogatif et de l’abrogé, c’est-à-dire que Dieu seul sait
quand et où un verset abrogatif allait descendre pour instaurer une nouvelle règle. Paul
Nwyia dit : « Dans d’autres textes, tandis que R. Blachère traduit ta’wīl par “explication”
ou “supputation”, Muqātil le traduit par ‘āqiba, conséquence. Ta’wīl signifie alors, non
pas l’interprétation de l’événement futur, mais cet événement futur lui-même en tant
que conséquence ou aboutissement de l’action actuelle ou passée 55. »
69 Sur « les enracinés dans la science », Ṭabarī adopte la même signification établie par ses
prédécesseurs, à savoir que ces initiés ignorent tout sur l’interprétation exacte des
versets et sur le jour de la résurrection. Leur seul credo est d’adhérer à ces préceptes
fixés par la Loi 56. Ces initiés sont enracinés dans la foi comme ils sont qualifiés par la
science.
70 Outre les significations oniriques et eschatologiques, Ṭabarī met en exergue la
signification étymologique qui comporte une certaine équivocité : « Quant au sens du
ta’wīl dans le langage des Arabes c’est l’explication ( tafsīr), la référence (marǧa‘,
littéralement le retour) et la destinée (maṣīr) 57. » L’aspect amphibologique du ta’wīl
apparaît dans le double sens de ce mot, deux significations de surcroît contradictoires :
la source ou l’origine et le terme ou la destinée.
71 À vrai dire, ce double sens a une conséquence symbolique d’une grande importance : le
ta’wīl est pris dans son aspect cyclique (d’où “le cercle herméneutique” chez les
herméneutes des 17e et 18 e siècles, notamment chez Flacius, Dannhauer, Rambach,
Chladenius, etc., c’est-à-dire comprendre les Écritures saintes en fonction du tout (le
Livre) et comprendre ce dernier à la lumière de celles-là 58).
72 Le ta’wīl comme dimension cyclique 59 (l’origine (archè) rejoint la fin (télos) comme dans
un cercle) qui réunit la cosmogonie et l’eschatologie est le propre d’une interprétation
ésotérique donnant le primat au bāṭin et à la dimension tragique et pathétique de la
destinée.
73 Cette scénographie mêle drame, ascension et homélie. Elle postule une hiéro-histoire,
l’histoire sacrée d’un fatum. Les germes de cette interprétation ésotériste se trouvent
chez Nu‘mān b. Ḥ. Tamīmī qui entreprend dans Asās al-ta’wīl d’expliquer les récits des
prophètes (qaṣaṣ al-anbiyā’). Ceci nous rappelle dans une certaine mesure et sur un
autre plan le Fuṣūṣ d’Ibn ‘Arabī. Le souci de Nu‘mān est d’établir l’institution du ta’wīl et
sa légitimité en se référant aux textes de la tradition (en particulier le Coran).

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74 Les termes récurrents sont l’extérieur (ẓāhir) et l’intérieur (bāṭin) comme il l’explique
dans l’introduction de l’ouvrage 60. Mais ce qui est important et souvent négligé, c’est
que la théorie du ta’wīl est fondée sur la notion du miṯāl qui comporte, à son tour, des
significations ambivalentes 61 : la racine M-Ṯ-L recèle de multiples acceptions :
1. Maṯal signifie semblable, similaire, pareil, ressemblant, allégorie, exemple, parabole, etc.
2. Miṯāl signifie type, modèle, archétype, image, symbole, idée, etc.
3. Tamṯīl veut dire comparaison, analogie, représentation, etc.
4. Muṯūl est présence, comparution, apparition, etc.

75 Certains versets y font mention : « Dieu ne se gène point de citer un exemple quel qu’il
soit : un moustique ou quoi que ce soit au-dessous ; quant aux croyants, ils savent bien
qu’il s’agit de la vérité venant de la part de leur Seigneur ; quant aux infidèles, ils se
demandent “Qu’a voulu dire Dieu par un tel exemple ?” » (Cor. 2/26) ; « Nous avons
dans ce Coran cité pour les gens des exemples de toutes sortes afin qu’ils se
souviennent » (Cor. 39/27) ; « Telles sont les paraboles que Nous citons aux gens ;
cependant, seuls les savants les comprennent » (Cor. 29/43). En tout le nombre des
versets qui comportent la racine M-Ṯ-L est de 169.
76 La théorie du miṯl/miṯāl a été surtout approfondie par Abū Ḥāmid al-Ġazālī (m.
505/1111) et nous aurons l’occasion d’en signaler l’importance et l’influence sur le
soufisme tardif dont la doctrine d’Ibn ‘Arabī.
77 Nu‘mān prend le ta’wīl et le miṯāl dans un sens analogue. Ce dernier est employé pour
symboliser quelque chose, c’est-à-dire que sa présence réelle ou virtuelle implique
nécessairement une chose. En d’autres termes, le miṯāl est inséparable de la chose qu’il
désigne comme l’analogie entre la balance et la justice. Nu‘mān recense certains
symboles indissociables des prophètes : Noé et l’Arche, Abraham et la Ka‘ba, Moïse et le
Bâton, Jésus et la Croix, Muḥammad (Mahomet) et la šahāda (profession de foi) 62.
78 En réalité, ce n’est pas tant les correspondances symboliques qui posent problème que
les versets et les traditions à caractère anthropomorphique, c’est-à-dire attribuer à
Dieu des membres et des états humains. Ces considérations théologiques seront
discutées à propos de l’herméneutique d’Ibn ‘Arabī63.

4- L’interprétation symbolique dans le soufisme :


quelques repères méthodologiques
79 Le thème du ta’wīl dans le soufisme est une mine inépuisable. P. Nwyia en a retracé le
fondement et l’évolution sous le double aspect diachronique (l’histoire du mot et son
devenir) et synchronique (les multiples significations du mot dans un système donné,
ici l’expérience mystique).
80 Ce qu’il faut retenir de cette étude riche et bien documentée est la question du sens
pluriel ou bien les multiples aspects ou facettes d’un mot (wuǧūh) que P. Nwyia
découvre chez Muqātil b. Sulaymān (m. 150/767) 64 : « Si cette exégèse primitive dont
Muqātil est le témoin, n’est pas mystique, elle est loin d’être purement littéraliste. Nous
montrerons qu’elle est largement ouverte au travail de l’imagination, accueillant en
son sein des éléments allégoriques ou mythiques qui préparent les développements
ultérieurs de l’exégèse. Par la méthode des wuǧūh, Muqātil découvre dans le Coran une
pluralité de sens qui porte en elle les possibilités de multiples lectures du Coran.

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L’herméneutique prend naissance quand un texte se révèle porteur d’un sens autre que
le sens apparent ou littéral » 65. Cette méthode exégétique offre uniquement le cadre
formel à une interprétation soufie. Le contenu de celle-ci est à chercher du côté de
l’expérience mystique elle-même.
81 De par sa nature ineffable, cette expérience se heurte à des obstacles de
communication : « Il ressort ainsi de cette page très dense de Kalābāḏī que le langage
technique des soufis est né d’une nécessité inhérente à la nature de l’expérience
mystique qui ne peut être communiquée à une communauté de croyants polyvalente
sans engendrer des malentendus qui mènent tôt ou tard à des conflits de doctrine » 66.
82 Contrairement à ceux qui réduisent cette expérience à un élément extrinsèque
(hermétisme, manichéisme, néoplatonisme), P. Nwyia démontre avec vigueur la source
endogène où cette expérience puise ses racines : « C’est donc dans le Coran que prend
naissance le langage de l’expérience mystique musulmane, et, aussi technique qu’il soit
ou qu’il le devienne, ce langage devra d’une manière ou d’une autre faire la preuve de
son origine coranique, sinon quant à sa forme, du moins dans son contenu 67. »
83 L’idée de P. Nwyia va à l’encontre de celle de R. Blachère qui opte pour une
interprétation symbolique vidant le texte coranique de son sens précis. Dans le sillage
des docteurs de la Loi (fuqahā’), il va jusqu’à accuser l’interprétation soufie de déformer
et pervertir le texte révélé. Ce contresens méthodologique ne cesse d’alimenter les
exégèses hostiles à l’interprétation mystique sous prétexte que la forme et le contenu
de cette expérience se trouvent ailleurs, dans les doctrines philosophiques et
métaphysiques étrangères à l’esprit coranique originel : « Le commentaire soufi du
Coran se fonde avant tout, nous l’avons dit, sur la réalisation spirituelle. C’est-à-dire
qu’il se situe sur un plan qui lui est propre, qui n’est en tout cas ni celui de l’exégèse
littéraliste ni celui de la réflexion théologique. Quelle que soit la position de celui qui
étudie ce genre de commentaire, quel que soit le degré d’arbitraire ou d’imagination
qu’il croit y déceler, nous pensons que cette exégèse doit être abordée en tenant
compte de la conception que les soufis eux-mêmes en ont, en admettant a priori que
cette appréhension du texte sacré est issue d’une expérience qu’ils sont seuls à avoir
vécue ; faute de quoi on ne peut que s’exposer à de graves contresens 68. »
84 Pour comprendre le commentaire mystique, il est donc préférable de le situer dans son
propre champ sémantique, historique et théologique. La seule différence qui
caractérise un commentaire est les multiples perceptions qui se rapportent à lui.
85 Pour cela, P. Nwyia recense trois orientations de l’exégèse musulmane :
1. L’exégèse sunnite qui met en valeur le tafsīr, c’est-à-dire l’explication du texte (šarḥ) au
niveau des mots (alfāẓ) et en fonction de la discipline : grammaire, histoire, théologie,
jurisprudence, etc.
2. L’exégèse chiite qui se rapporte au ta’wīl, c’est-à-dire l’interprétation au niveau du sens
ésotérique. Ce sens caché est du ressort de l’imam, investi pour une mission de décryptage
pour déceler une vérité profonde. Les implications apologétiques et socio-politiques de cette
mission sont évidentes.
3. L’exégèse soufie qui emploie la méthode de l’istinbāṭ qu’on pourrait traduire par
“élucidation” (P. Lory 69) ou déduction : « En fait quand les soufis eux-mêmes parlent de leur
méthode, ils ne l’appellent ni tafsīr ni ta’wīl, mais istinbāṭ : mot d’origine coranique, préféré
par eux pour mieux se distinguer des autres. Littéralement, istinbāṭ désigne l’acte de faire
jaillir l’eau d’une source : c’est donc faire venir à la surface ce qui était caché au fond de la
terre. Pour les soufis, le texte coranique a un fond, un bāṭin caché dans son ẓāhir, son

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extérieur, il a un sens intime et spirituel caché au-delà de son sens littéral, et c’est ce sens
que révèle l’istinbāṭ 70. »

86 Al-Sarrāǧ al-Ṭūsī (m. 378/988) consacre plusieurs pages à l’istinbāṭ dans son ouvrage al-
Luma‘. Il explique la structure et la fonction de cette notion qui se distingue du
syllogisme. Ce dernier est un raisonnement logique qui consiste à tirer d’une ou
plusieurs propositions données une autre proposition qui en est la conséquence
nécessaire. Cette déduction est un passage de l’implicite à l’explicite.
87 L’istinbāt d’après Sarrāǧ a pour moyen de réalisation la méditation et la présence du
cœur (ḥuḍūr al-qalb) pour comprendre le texte 71. Il rapporte d’Abū Sa‘īd al-Ḫarrāz (m.
289/899) que la compréhension du texte coranique (fahm) signifie agir en fonction de
ses préceptes. Il contient la science, la compréhension et l’istinbāṭ. Ce dernier serait
donc non seulement une compréhension intellectuelle ou intuitive du texte mais aussi
la mise en application de ses vérités intrinsèques.
88 Cette subtilitas applicandi est manifestement appréciée par ‘Abd al-Razzāq al-Qāšānī (m.
730/1329) qui découvre un aspect particulier du ta’wīl consistant à appliquer le
symbolisme coranique au niveau microcosmique : « Le taṭbīq (= application) est un
mode possible du ta’wīl qui se distingue, non par la nature du sens extérieur du verset
auquel il se rapporte, mais uniquement par son domaine d’application qui est celui de
la “psychologie spirituelle 72.” »
89 Cette herméneutique appliquée a été adoptée de nos jours par ‘Allāl al-Fāsī dans un
ouvrage relatant l’histoire de l’exégèse de façon claire et didactique 73. Si nous nous
contenterons de l’exégèse soufie, les œuvres de ‘Abd al-Raḥmān al-Sulamī (m.
410/1021) Ḥaqā’iq al-tafsīr (Les réalités de l’exégèse) et de ‘Abd al-Karīm al-Qušayrī (m.
465/1072) Laṭā’if al-išārāt (Les subtilités des allusions symboliques) sont dans ce
contexte influentes. Le commentaire de Qušayrī du verset (Cor. 2/7) inclut plusieurs
éléments exégétiques établis par ses prédécesseurs : le ẓāhir représente l’aspect évident
du texte (tanzīl) et le bāṭin symbolise le secret intime (sirr) qui doit être préservé et non
divulgué. Les initiés « enracinés dans la science » (rāsiḫūn fī l-‘ilm) perçoivent le sens du
texte conformément aux fondements spirituels : « La voie des gens de l’allusion (išāra)
et de la compréhension (fahm) est de prêter oreille en ayant le cœur présent. Ainsi, ils
établissent les allusions issues du dévoilement intuitif en fonction des termes qui
apparaissent à leur entendement 74. »
90 Qušayrī pense que le ẓāhir est expliqué par l’expression (‘ibāra) alors que le secret (sirr)
est communiquée par l’allusion (išāra), ce qui évite les malentendus et les agressions
provenant des savants traditionnistes. Le couple expression/allusion est une autre
traduction doctrinale de la dualité extérieur/intérieur qui comprend la dimension
symbolique des vérités enfouies dans le Coran : « Certes, dans ce langage mystique, il y
a la ‘ibāra et la išāra, le langage expressif et clair et le langage allusif qui suggère les
choses sans les dire [...]. En effet, le langage allusif n’est pas, chez eux, un langage
incohérent et incontrôlé ; c’est le langage se haussant au niveau du symbole et
devenant, seulement à cause de cela, ésotérique, puisqu’un symbole ne parle qu’à celui
qui sait l’interroger. Quant à la ‘ibāra, le langage qui fait “passer” le dedans au dehors et
qui “exprime” ce qui est expérimenté, son originalité prouve la nouveauté de
l’expérience qui a été à l’origine de son invention75. »

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91 Le couple expression/allusion renvoie donc à deux sortes de ta’wīl :


1. L’herméneutique spéculative (ta’wīl ‘aqlī) qui favorise l’opinion et l’étude grammaticale,
historique et rhétorique du texte coranique comme c’est le cas chez les mu‘tazilites.
2. L’herméneutique illuminative (ta’wīl kašfī) est la voie du dévoilement qui saisit directement
et intuitivement la signification du texte 76. Ce mode exégétique est adopté par l’ensemble
des commentaires soufis.

92 D’autres mystiques, comme Ġazālī, ont acquiescé aux deux orientations herméneuti-
ques (spéculative et intuitive). La référence à Ġazālī est capitale, car il représente le
croisement du soufisme et de la philosophie. Il a laissé une empreinte doctrinale visible
chez la plupart de ses successeurs dont Ibn ‘Arabī. Son érudition est perceptible dans
une majeure partie de son œuvre monumentale. Le ta’wīl y prend une place importante,
notamment dans les épîtres qu’il a composées comme Ǧawāhir al-Qur’ān (Les joyaux du
Coran), Qānūn al-ta’wīl (Le canon de l’herméneutique) et Faysal al-tafriqa bayna al-islām
wa al-zandaqa (La distinction entre l’islam et l’athéisme).
93 L’idée principale de Ġazālī est qu’il existe un “canon” pour l’herméneutique et, en
particulier, des règles précises pour l’interprétation du Coran. Ce dernier ne peut être
interprété de n’importe quelle façon. Allusion faite aux ésotéristes auxquels il a
consacré une véhémente polémique : « Tout ce qui a été rapporté dans l’aspect
extérieur (ẓāhir) des œuvres prescrites, de la résurrection et des choses divines (=
théologie) sont [d’après eux] des symboles de leur aspect ésotérique 77. »
94 Dans sa réponse aux interprétations ésotéristes, Ġazālī a compris que le ẓāhir n’est
qu’un alibi et que leur intention est d’abroger la signification littérale et la substituer
par des symboles. Ainsi, les mots deviennent comme des récipients aptes à contenir
toute substance, c’est-à-dire toute interprétation cautionnant leur vision du monde.
Faisant face à cette orientation présomptueuse, Ġazālī déclare : « Nous avons une
norme de l’interprétation (mi‘yār fī al-ta’wīl) qui consiste à dire que si la vision
spéculative prouve la vanité de l’aspect apparent d’un mot, nous savons par évidence
que le sens voulu est autre chose, à condition que le mot lui corresponde 78 par le biais
de la métaphore 79. »
95 Conscient des tentations que provoquent l’interprétation du texte sacré et les dérives
éventuelles, Ġazālī instaure donc certaines règles herméneutiques inhérentes au Livre.
Il tente aussi de comprendre le conflit des interprétations auquel se livrent les
multiples schismes dans l’islam. Telles sont, par exemple, les questions qu’il se pose
dans le Faysal al-tafriqa afin de cerner les abus d’excommunication (takfīr) émanant de
chaque école théologique. L’originalité de Ġazālī dans ce livre est d’instaurer le ta’wīl
sur des bases cognitives, c’est-à-dire sur ce qu’on pourrait appeler communément « la
théorie de la connaissance 80 ».
96 Pour interpréter la tradition, il faut croire à l’existence de réalités physiques et
métaphysiques rapportées par des récits (aḫbār).
97 L’existence (wuǧūd), selon Ġazālī, se divise en cinq niveaux 81 :
1. L’existence essentielle (wuǧūd ḏātī) indépendante du sensible et de l’intelligible. Elle n’a pas
besoin d’interprétation, car les choses existent par elles-mêmes indépendamment de toute
perception. La référence scripturaire (dans le Coran et les traditions prophétiques) est
l’existence de sept cieux, du Piédestal, du Trône, etc.
2. L’existence sensible (wuǧūd ḥissī) est tout ce qui est donné à la vision et n’a pas d’existence
extérieure, comme toute image spectrale. Ainsi par exemple, l’apparition de l’Ange Gabriel

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au Prophète dans l’image de Diḥya al-Kalbī, ou le verset qui dit « Nous lui envoyâmes Notre
Esprit (Gabriel), qui se présenta à elle (fa tamaṯṯala lahā) sous la forme d’un homme parfait »
(Cor. 19/17). Ce que la personne perçoit est le modèle imagé (miṯāl) de la chose. Ce modèle est
vu oculairement par les prophètes dans la veille (yaqaẓa) et vu imaginalement par le
commun des gens dans le songe (manām) 82. La référence dans la tradition est le hadith selon
lequel le jour de la résurrection, la mort apparaît sous la forme d’un bélier qui est égorgé
entre le paradis et l’enfer 83.
Ġazālī explique que ce récit est purement image, car la forme représentative de la mort
apparaît aux yeux des gens et n’a pas d’existence réelle 84. D’où la nécessité du ta’wīl qui
reconduit le sens à son origine étymologique et donne crédit au récit du Prophète en
admettant sa véracité.
3. L’existence imaginale (wuǧūd ḫayālī) est tout ce qui apparaît dans l’imagination du percevant
comme formes détachées de la matière. Ġazālī rapporte le cas du Prophète qui voit Jonas
dans deux pèlerines invoquant avec les monts les louanges de Dieu. Il explique que c’est
l’image de Jonas que le Prophète a contemplé. La contemplation signifie ici voir
oculairement ce qui apparaît imaginalement.
4. L’existence intelligible (wuǧūd ‘aqlī) qui consiste à saisir la signification (ma‘nā) d’une chose,
en lui attribuant une fonction déterminée. Exemple de la main (yadd) qui signifie la force
(baṭš), ou de la plume (qalam) qui désigne la transcription des sciences. La référence textuelle
que Ġazālī mentionne est le hadith « Dieu a fait fermenter par Sa main l’argile d’Adam
durant quarante jours 85 ». La main de Dieu a ici une signification intelligible qui n’est ni la
forme sensible (ou anatomique) ni l’image représentée. Elle désigne les attributs divins de
force (baṭš), de don (‘atā’) et de privation (man‘) : « La première chose que Dieu a créée est
l’Intellect (‘Aql) et a dit : c’est par toi que Je donne et Je prive 86. »
L’Intellect, signifié dans ce hadith par l’Ange, est ce qui saisit les choses par sa substance
séraphique. Il est aussi le Calame qui inscrit les sciences et les sagesses dans le cœur des
prophètes et des saints par un mode intuitif qui est l’inspiration (ilhām) et le dévoilement
(kašf) : « La première chose que Dieu a créé est le Calame 87. » Somme toute, l’aspect
intelligible des choses permet d’interpréter le texte révélé de façon adéquate sans recours
aux tendances anthropomorphistes.
5. L’existence assimilable (wuǧūd šabahī) est l’existence d’une chose similaire à une autre qui
n’existe pas dans le sensible, l’imaginal ou l’intelligible. Cette existence reconnaît l’aspect
anthropomorphique des attributs divins comme la joie, la colère, la patience, etc.

98 Ces cinq modalités d’existence sont aussi des modes d’interprétation appréciés
différemment par les écoles théologiques. Elles se présentent de façon superposée. A
défaut d’un argument tangible (burhān) qui peut étayer le mode essentiel,
l’interprétation sensible s’avère nécessaire. Si celle-ci n’est pas de mise, l’imaginal ou
l’intelligible prennent alors le relais. Ġazālī remarque cependant que l’usage non
approprié de l’une des interprétations peut susciter des malentendus.
99 Pour prévenir contre ces dérives que les théologiens s’attribuent mutuellement sous
forme d’incrimination (égarement, dalāl et hérésie, bid‘a), il instaure une règle
herméneutique pour deux catégories de gens :
1. Les croyants qui doivent suivre à la lettre les dits de la tradition. Son livre Ilǧām al-‘awāmm
‘an ‘ilm al-kalām (Interdire à la masse l’étude de la théologie, Le Caire, 1933) leur est destiné.
2. Les hommes de la spéculation (nuẓẓār) parmi les théologiens qui ont des points de vue
divergents. Il leur a consacré plusieurs essais comme al-Iqtiṣād fī al-i‘tiqād (Abrégé de la
doctrine religieuse, éd. Ibrahim A. Çubukçu et Huseyin Atay, Ankara, 1962), al-Mustaṣfā min
‘ilm al-uṣūl (Le meilleur des fondements de la jurisprudence, éd. Bulaq, 2 vol., 1322h) et al-
Qistās al-mustaqīm (La balance droite, éd. Victor Chelhot, Beyrouth, 1983).

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100 Il attribue ces divergences à des différences d’opinions, de sources de renseignements,


de tempéraments, des confusions sur la signification des mots, etc. La règle
herméneutique pour les croyants est la foi (īmān) et celle des hommes de la spéculation
est la certitude (yaqīn) et l’argument tangible (burhān).
101 Disons que le canon herméneutique prend chez Ġazālī deux significations : une
signification morale et théologique sur les usages de l’argumentation et les risques que
provoque l’opinion personnelle (ra’y) dépourvue d’assises scripturaires ; et une
signification philosophique et mystique sur la nature des versets équivoques ou à
caractère anthropomorphique. Cette deuxième signification a fait l’objet d’une analyse
consistante dans plusieurs de ses épîtres comme al-Maḍnūn bihi ‘alā ġayr ahlih, Ǧawāhir
al-Qur’ān et Miškāt al-anwār (Le tabernacle des lumières) dans son commentaire du
verset de la lumière (Cor. 24/35).
102 Dans le Miškāt il écrit : « La Miséricorde divine a fait qu’il y ait une relation d’homologie
entre le monde visible et celui du Royaume céleste. En conséquence, il n’y a aucune
chose du premier qui ne soit un symbole (miṯāl) de quelque chose du second [...]. Une
chose est le symbole d’une autre si elle la représente en vertu d’une certaine similitude
et si elle lui correspond en vertu d’une certaine corrélation 88. » Dans le Maḍnūn il
explique la différence entre le miṯl qui est le semblable ou l’identique, et le miṯāl qui
désigne le modèle, le symbole ou l’exemple. Il applique cette distinction sur les versets
ou les hadiths qui comportent ces homologies comme la parole prophétique « Celui qui
me voit dans le sommeil me voit réellement, car Satan n’apparaît pas selon mon image
(lā yatamaṯṯalu bī) 89 ».
103 Cette explication renvoie à l’existence sensible précédemment citée et nécessite un
ta’wīl imagé. Par exemple, l’intellect (‘aql) est comparé au soleil mais il est différent de
ce dernier aussi bien dans le sens que dans la réalité. Leur ressemblance est purement
symbolique : l’intellect illumine les formes intelligibles en les rendant claires et
accessibles comme le soleil qui illumine les corps sensibles en leur procurant visibilité
et distinction.
104 Les symboles coraniques et prophétiques comme le lait et la corde sont interprétés
autrement. Le lait et la corde “symbolisent” respectivement la science et la religion,
mais ils “ne sont pas” la science ni la religion : « Le symbole (miṯāl) explique la chose et
le semblable (miṯl) ressemble à la chose 90 » (ns). Le symbole a une valeur herméneutique
et heuristique alors que le semblable se fait passer pour la chose qu’il désigne. Certains
aspects de ce symbolisme sont encore exposés de façon claire dans le Ǧawāhir al-Qur’ān.
105 Ġazālī revient ici sur la question du symbole et de la métaphore en disant que chaque
chose du monde inférieur est un miṯāl du monde supérieur 91. On a voulu rapprocher
l’idée de Ġazālī de celle de Platon qui croit à un archétype idéal et immuable : « Ce texte
montre que Ġazālī veut dire que les choses dans le monde ont des archétypes ou des
symboles dans le monde céleste 92 » (ns).
106 Or Ġazālī dit tout à fait le contraire, c’est-à-dire que les choses du monde matériel sont
des modèles des formes intelligibles. Les choses mentionnées dans le texte coranique
ou prophétique comme le doigt, la main, le calame, le visage, le tabernacle, le verre, la
lampe, etc. sont à prendre comme des symboles désignant des formes intelligibles ou
des qualités morales comme par exemple le verset « Il a fait descendre une eau du ciel à
laquelle des vallées servent de lit, selon leur grandeur. Le flot débordé a charrié une
écume flottante ; et semblable à celle-ci est l’écume provenant de ce qu’on porte à

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fusion, dans le feu pour fabriquer des bijoux et des ustensiles [...]. Ainsi, Dieu propose
des paraboles » (Cor. 13/17). L’eau symbolise la science, les cœurs sont les vallées et
l’écume flottante représente l’égarement.
107 Ġazālī introduit ici une métaphore pour distinguer le tafsīr du ta’wīl. Ce dernier est
comme la pulpe (le fond des choses) masquée par une écorce qui représente
l’explication littérale des mots (tafsīr). C’est en allant au fond des termes et en
pénétrant l’existence imaginale qu’on pourra découvrir la face cachée des symboles :
« Tout ce que ta compréhension peut contenir, le Coran te l’inspire à tel point que si tu
lis pendant le rêve sur la Tablette gardée (al-Lawḥ al-maḥfūẓ), tout ce que tu vois se
présente à toi dans un symbole approprié qui nécessite l’interprétation (ta‘bīr). Sache
que le ta’wīl passe par la voie de l’interprétation des rêves. C’est pourquoi nous avons
dit que l’exégète (mufassir) tourne autour de l’écorce. Car celui qui traduit le sens de
l’anneau, de l’intimité des femmes et des bouches n’est pas comme celui qui perçoit
l’appel à la prière avant l’aube 93-94 ».
108 Le songe qui fait voir la réalité des choses derrière l’écran des symboles n’est pas un
état humain particulier, mais un mode d’être qui s’éclaircit ou se dévoile avec la mort
d’après le hadith précédemment cité 95. Ce dévoilement fait connaître aux gens que les
symboles ne sont que des écorces et des coques sur la réalité essentielle des choses.
109 Le dévoilement prend dans ce contexte le sens du ta’wīl dans la mesure où ce dernier
serait l’annonce de la vérité dans le jugement dernier et la réalisation du châtiment ou
de la récompense : « Attendent-ils uniquement sa réalisation (ta’wīlah) ? Le jour où sa
réalisation viendra, ceux qui auparavant l’oubliaient diront : “Les messagers de notre
Seigneur sont venus avec la vérité. Y a-t-il pour nous des intercesseurs qui puissent
intercéder en notre faveur ? Ou pourrons-nous être renvoyés [sur terre], afin que nous
œuvrions autrement que ce que nous faisions auparavant ?” » (Cor. 7/53). D’après
Ġazālī, le monde d’ici-bas est celui des songes où les choses apparaissent sous forme de
symboles. Mais dans l’au-delà, l’homme atteint le noyau des choses en découvrant leur
réalité véritable.

5- Le symbolisme de la science et de la connaissance


chez Ibn ‘Arabī : procédé herméneutique
110 L’apport de Ġazālī à l’herméneutique soufie a influencé sans doute les discussions
doctrinales jusqu’à Ibn ‘Arabī. Même si l’auteur de l’Iḥyā’ n’a pas fondé une théorie du
ta’wīl au sens d’une exégèse coranique vaste et cohérente, sa contribution pour
l’instauration d’un canon pour l’interprétation est inestimable. Signalons en particulier
le rapprochement entre la dimension cognitive (ma‘rifa) basée sur la perception (idrāk)
quelle que soit sa nature (sensible, intelligible, imaginale, etc.) et la sphère
herméneutique.
111 La proximité entre l’épistémologie et l’interprétation a été enrichie plus tard par notre
auteur explorant davantage cette problématique dans un contexte plus large. Les
approches contemporaines de l’herméneutique d’Ibn ‘Arabī que nous avons examinées
au début de cette étude ne sont pas satisfaisantes pour la simple raison que le vocable
“herméneutique” a été trop substantivé alors qu’il s’agit, selon notre lecture d’Ibn
‘Arabī, d’un “adjectif”.

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112 En donnant à l’herméneutique la forme d’un épithète, nous prétendons ainsi à une
prudence méthodologique afin d’éviter les conclusions hâtives qui finissent par tomber
dans un contresens comme l’application in situ de la waḥdat al-wuǧūd. Où et comment
Ibn ‘Arabī emploie la notion de ta’wīl ? L’œuvre maîtresse reste sans doute les Futūḥāt
al-Makkiyya (Les illuminations de La Mecque, Beyrouth, Dār Sādir, [s. d.], abrégées Fut.).
D’autres essais comme le Fuṣūṣ al-ḥikam (Les chatons des sagesses, éd. Abū l-‘Alā ‘Afīfī,
éd. Zahra, 1992, abrégées Fuṣ.) et les épîtres rassemblées sous le titre Rasā’il Ibn ‘Arabī
sont d’une grande importance doctrinale.
113 Le mot ta’wīl est employé par Ibn ‘Arabī avec une extrême précaution. Dans son
commentaire du verset « C’est Lui qui vous donne forme dans les matrices, comme Il
veut » (Cor. 3/6), il attribue aux gens de l’interprétation ou exégètes (ahl al-ta’wīl)
l’égarement dans leur explication de l’acte de création ou, plus exactement, la donation
des formes (taṣwīr).
114 D’après Ibn ‘Arabī, seul le nom divin al-Muṣawwir est chargé de donner des formes et
aucun autre nom divin, même si les noms divins ne sont pas surajoutés à l’Essence
divine (ḏāt). Il explique le tort des exégètes avec une certaine ironie pour montrer qu’ils
seront interrogés sur leur interprétation le jour du jugement dernier, c’est-à-dire en
voyant le ta’wīl (ma’āl ou destinée) de leur propre ta’wīl : « Quant aux exégètes, même
s’ils s’accordent avec la science, ils ont tort en s’immisçant dans le ta’wīl. Ils ont commis
un interdit auquel ils seront amenés à répondre le jour de la résurrection, eux et tous
ceux qui parlent de Son Essence, Le transcendent de ce qu’Il a attribué à Lui-même,
souscrivent au jugement de l’intellect plutôt que la foi et utilisent la spéculation dans
leur connaissance du Seigneur 96. »
115 Dans un autre texte, il met carrément en garde contre l’usage abusif de
l’interprétation : « Il dit : s’ils s’en tiennent à l’apparent (ẓāhir) de leur Livre, ils ne le
rejettent pas derrière leur dos. Ce qui leur cause tort est le ta’wīl. Sois prudent face à ses
excès 97 ! » Ces mises en garde ne sont proférées qu’à l’encontre du ta’wīl ‘aqlī, celui qui
use et abuse de la spéculation dans la compréhension du texte coranique : « Dieu a dit
que seul celui dont le cœur contient une aberration interprète les versets équivoques
(mutašābih) selon sa spéculation 98. »
116 Mais quel est le motif du ta’wīl ? Ibn ‘Arabī ne se contente pas de dénoncer les abus de
l’interprétation et l’usage de la vision spéculative (naẓar) dans le commentaire des
versets. Il veut surtout comprendre comment naît le désir d’interpréter et d’attribuer
aux mots d’autres significations. C’est dans le chapitre 276 qu’il nous livre quelques
éléments de réponse. La première remarque qu’il faut signaler est la distinction qu’il
établit entre la science (‘ilm) et l’interprétation (ta’wīl). La science signifie la saisie de la
chose telle qu’elle est en elle-même (per se), c’est-à-dire directement, sans qu’une cause
s’interpose entre le sujet qui perçoit et l’objet perçu. Lorsque la confusion s’installe,
c’est-à-dire dès qu’une chose prend la forme (ṣūra) d’une autre, le sujet connaissant se
heurte aux exigences de l’interprétation. La perception imaginale joue ici un rôle
prépondérant.
117 H. Corbin l’a rappelé dans son Imagination créatrice. Là où il y a imagination, il y a
forcément du ta’wīl, car d’une part, les choses prennent l’apparence d’autres choses et,
d’autre part, l’évidence et la certitude sont du ressort de la science. Or Ibn ‘Arabī boude
le ta’wīl en raison du labs ou iltibās qu’il provoque, c’est-à-dire la confusion ou
l’ambiguïté 99. Pour éviter ce labs, il préconise le ta’wīl kašfī (l’herméneutique
illuminative), une lumière émanant du mystère qui pénètre dans la profondeur des

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choses afin de dévoiler leur réalité essentielle. C’est cette voie, indice de la science
authentique, qui est prônée par les initiés.
118 En d’autres termes, ce n’est pas tant les réalités multiples et équivoques qui sont
contestées, alors qu’elles sont les formes épiphaniques de la manifestation divine
(taǧallī), mais l’usage non approprié de l’intellect (‘aql) pour les interpréter ou leur
assigner une seule et unique signification. Le ta’wīl kašfī loué par Ibn ‘Arabī est celui qui
a pour moyen de perception et d’expression le cœur (qalb). Ce dernier est seul capable
de saisir ce qui se fait et se défait dans les états spirituels (aḥwāl) et les réalités
protéiformes.
119 Dans ce mode intuitif du ta’wīl, les sciences ne sont pas acquises par les arguments
rationnels mais sont obtenues directement par inspiration, ce qu’Ibn ‘Arabī appelle
l’enseignement divin (i‘lām, ta‘līm, ta‘rīf, etc.) : « La connaissance de Dieu ne provient
que de Son information ou de ce qu’Il fait connaître (ta‘rif) à l’homme. Elle ne dépend
pas de la vision spéculative. La seule personne qui accepte ce qu’Il fait connaître est le
croyant 100. » La foi (īmān) a dans ce contexte une place importante dans le ta’wīl d’Ibn
‘Arabī . Elle est lumière qui dévoile l’enseignement divin et science évidente procurant
la certitude 101. Afin de comprendre comment s’effectue l’enseignement émanant de
Dieu comme principe herméneutique, il serait judicieux de se référer au chapitre 54 sur
les allusions symboliques (išārāt).
120 Ibn ‘Arabī condense ici la somme de ses idées sur le ta’wīl. Il explique que l’allusion
symbolique (išāra) est au soufisme ce que le commentaire (tafsīr) est à l’exégèse. Le
mode intuitif mis en œuvre par les initiés est une sorte d’exégèse spirituelle qui a sa
méthode et son vocabulaire. L’allusion symbolique émane d’elle même et l’expression
(‘ibāra) est visible dans le monde sous forme de signes érigés (āyāt) d’après le verset
« Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers (mot à mot : les horizons) et en eux-
mêmes » (Cor. 41/53).
121 Le mot išāra a été choisi pour une raison doctrinale, car si les initiés avaient nommé
leur interprétation des versets tafsīr, ils seraient alors dénigrés par les docteurs de la
Loi. L’aspect elliptique de leur discours est une forme de protection (wiqāya) contre le
déferlement des savants traditionnistes (‘ulamā al-rusūm). Les sagesses qu’ils obtiennent
par enseignement direct sont trop élevées pour être connues. Ils recourent alors à ce
mode d’interprétation qui n’est qu’un genre particulier de tafsīr (on se rappelle de
Ḥaqā’iq al-tafsīr de Sulamī). Cette exégèse subtile ( tafsīr) nécessite discrétion et
préservation (satr) en employant les images et les symboles.
122 Ibn ‘Arabī reproche aux savants traditionnistes leur manque de tolérance vis-à-vis des
mystiques initiés, alors que leurs sciences sont acquises par instruction et effort
spéculatif : « Ils ignorent que Dieu s’est chargé d’instruire certains de ses serviteurs
dans leur secret intime, en leur enseignant ce qu’Il a révélé dans ses Livres et par la
bouche de ses Prophètes. Ce qu’Il leur enseigne est la science authentique (‘ilm ṣaḥīḥ)
émanant du Savant dont la perfection n’est jamais mise en cause par le croyant 102. »
123 L’exégèse spirituelle fait découvrir le sens du texte en perpétuel renouvellement. Elle
fait vivre la descente du Coran dans le cœur des initiés en remontant à son origine
lorsqu’il a été révélé pour la première fois au Prophète. Ibn ‘Arabī admet donc
l’acception étymologique du ta’wīl qui remonte à la source, c’est-à-dire à l’expérience
vécue 103. Celle-ci consiste à obtenir la science par inspiration (ilhām) faisant allusion au
propos d’Abū Yazīd al-Bisṭāmī (m. 255/849) à l’adresse des fuqahā’ : « Vous avez pris

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votre science d’un mortel d’après un mortel et nous, nous avons obtenu notre science
du Vivant qui ne meurt jamais. »
124 L’allusion symbolique (išāra)comporte plusieurs éléments qui la distingue des autres
formes herméneutiques :
1. Elle est exégèse intuitive dont le mode d’opération est le ta’wīl kašfī, l’herméneutique
illuminative ou le dévoilement.
2. Elle est enseignement divin obtenu par inspiration (ilhām) comme le Prophète a obtenu les
préceptes divins par révélation (waḥy).
3. Elle constitue un système de signes (vocabulaire, convention, etc.) dont l’usage est
rigoureusement codifié.
4. Elle est caractérisée par la pluralité des significations, en ce sens que le mot contient
plusieurs aspects (wuǧūh) permettant une multitude de compréhensions.

125 Certains éléments lexicographiques sont exposés dans le chapitre 418 dans lequel Ibn
‘Arabī distingue entre la science (‘ilm) qui s’attache aux significations détachées des
mots, et la compréhension (fahm) qui se rapporte aux termes 104. Le fahm est plus global
que le ‘ilm, car le mot auquel il s’attache comporte le sens voulu par le locuteur et
plusieurs significations relatives à la terminologie (la langue conventionnelle) ; alors
que le ‘ilm porte uniquement sur la terminologie et ignore l’intention du locuteur 105.
126 Dans l’exégèse spirituelle, les initiés qui comprennent la parole divine sont ceux qui
obtiennent la sagesse (ḥikma) et le détail du prône (faṣl al-ḫiṭāb) d’après le verset « Et
Nous renforçâmes son royaume et lui donnâmes la sagesse et le détail du prône (ou la
faculté de bien juger) » (Cor. 38/20). La sagesse est mettre chaque chose à la place qui
lui convient 106. Sur le plan de l’exégèse spirituelle, c’est donner aux versets la
signification adéquate voulue par Dieu. Ibn ‘Arabī n’exclut pas le risque d’intrusion
d’idées étrangères à l’esprit du texte sous formes de doute ou d’incertitude (šubha)
attribuant à un verset un sens équivoque. Les doutes (šubuhāt) jouent le rôle de pirates
dont les armes sont la spéculation et l’interprétation.
127 Ibn ‘Arabī développe cette image dans le chapitre 521 à propos de la crainte pieuse ou la
piété (taqwā). Celle-ci protège l’initié des aléas du voyage. Etant donné que chacun
effectue un voyage particulier 107, la voie sur laquelle il chemine est entourée de
dangers. Dans le domaine des formes intelligibles (ma‘qūlāt), les corsaires sont le doute
(šubha) et, dans le domaine des prescriptions légales (mašrū‘āt), ils représentent
l’interprétation des versets équivoques (mutašābihāt). Seul l’initié est à l’abri de ces
risques grâce à la crainte pieuse (taqwā). Il reçoit les voyageurs en assimilant avec
équité toutes les sciences rationnelles et légales, mais ne voyage pas. La taqwā est les
vivres qui lui épargnent les vicissitudes du parcours d’après le verset « Et prenez vos
provisions; mais vraiment la meilleure provision est la piété » (Cor. 2/197).
128 Ibn ‘Arabī décrit cette image en ces termes 108 : la terre ferme (barr) représente l’aspect
apparent (ẓāhir) et la mer (baḥr) symbolise le sens ésotérique (bāṭin). Le voyage en mer
signifie l’usage de la spéculation et du ta’wīl pour interpréter les préceptes légaux. Le
voyage en terre ferme veut dire se contenter de l’aspect extérieur de la Loi (šarī‘a). Les
soufis (les mystiques initiés) effectuent les deux voyages sur un plan de l’être : le
voyage terrestre est les formes épiphaniques qui se manifestent à eux, et le voyage en
mer désigne l’interprétation ésotérique de ces formes. Comme les gens de la
spéculation, les soufis ne sont pas à l’abri des dangers que provoque le voyage, c’est-à-
dire la confusion (labs) face aux théophanies (taǧaliyyāt) récurrentes. Pour faire face à

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ces intrusions spéculatives ou à l’égarement dans la perception des théophanies, Ibn


‘Arabī érige l’enseignement divin en solution doctrinale.
129 Le commentaire qu’il fait du verset (Cor. 2/7) 109 reste fidèle à la lettre. Il montre que
l’explicite (muḥkam) et l’équivoque (mutašābih) doivent être pris dans les limites de
l’énoncé coranique. Les enracinés dans la science (rasiḫūn fī l-‘ilm) connaissent son
interprétation (ta’wīl) grâce à l’enseignement divin, et non pas en vertu d’un effort
spéculatif. Ils adhèrent à ses vérités par la lumière de la foi (dans le verset « āmanna
bihi ») et admettent les deux aspects du Coran (explicite et équivoque), à l’instar des
initiés qui prennent la mer et la terre, ou bien ils sont emmenés en voyage malgré eux,
à l’exemple du voyage nocturne du Prophète (isrā’) et son ascension céleste (mi‘rāǧ) 110.
Ils réunissent ainsi l’expression (‘ibāra) et l’allusion (išāra), l’acquisition (kasb) et le don
(wahb), l’extérieur (ẓāhir) et l’intérieur (bāṭin), etc.
130 Cette réunion n’est pas un mécanisme rationnel mais une sorte de ta’wīl kašfī qui accède
à l’origine dans la science divine, c’est-à-dire en connaissant la véritable signification
que Dieu a établie dans Son Livre. Le ta’wīl kašfī passe nécessairement par des modalités
de perception qui ne sont pas le sensible ou l’intelligible, mais la perception imaginale
(ḫayāl) qui s’opère au niveau des songes. C’est pourquoi le ta’wīl est souvent associé,
chez Ibn ‘Arabī, au rêve (ḥulm) et à la vision imaginale (ru’yā) 111.
131 Le mode d’expression du ta’wīl est le ta‘bīr qui croise dans sa racine étymologique avec
l’expression (‘ibāra), le passage ou la traversée (‘ubūr), l’observation (i‘tibār), la
méditation (‘ibra). C’est autour de la racine ‘-B-R que notre auteur examine le
fondement et la protée du ta’wīl. Il emploie rarement le mot maǧāz qui est la
métaphore 112, car ce mot a pris dans la pensée musulmane classique une connotation
théologique (kalām) empreinte d’investigation spéculative. Le cas des mu‘tazilites est
significatif. La notion de ta‘bīr comprend l’entreprise herméneutique ( ta’wīl) et la
transposition symbolique (ramz). Elle entretient une relation étroite avec la notion de
miṯāl telle qu’elle a été exposée par Ġazālī.
132 Ibn ‘Arabī explique que les notions de symbole (ramz) 113 et de modèle ( miṯāl) 114
renvoient à quelque chose en vertu d’une relation corrélative : « Dieu interpella
Ibrāhīm (Abraham) en disant : Ô Ibrāhīm, tu as ajouté foi au songe ! Il ne lui a pas dit :
“Tu a eu raison de penser que dans ce songe il s’agissait de ton fils”, car il ne l’avait pas
interprété et s’en était tenu à l’apparence de ce qu’il avait vu, alors que le songe
requiert une interprétation. C’est pour cela que le Maître a dit : si vous êtes capables
d’interpréter le songe (Cor. 12/43). Le terme ta‘bīr exprime le passage de la forme de ce
qu’il avait vu à une autre réalité 115. »
133 Les songes nécessitent donc l’interprétation permettant de saisir la signification sous-
jacente des images vues. L’exemple le plus commenté par Ibn ‘Arabī est l’image du lait
(laban) qui signifie la science (‘ilm) par transposition symbolique. Il cite, à cet égard, le
hadith « Alors que je dormais, j’ai reçu un verre de lait. J’en ai bu jusqu’à ce que le lait
sorte de mes ongles, puis j’ai donné le reste à ‘Umar Ibn al-Ḫaṭṭāb 116. Ô Envoyé de Dieu,
comment l’avais-tu interprété ? Il a dit : la science 117 ». Le songe doit être interprété
afin de ramener l’image perçue à sa source spirituelle.
134 Car, selon Ibn ‘Arabī, le rêve a tendance à pervertir la science qui est une qualité
spirituelle en la transposant dans une image sensible (le lait) rendue subtile par le
pouvoir de l’imagination 118 : « Tout ce qui advenait se nomme “le monde imaginal” et
c’est pour cela qu’il convient de l’interpréter ; la chose qui, par elle-même, possède telle

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forme apparaît sous une forme différente. L’interprète, si son interprétation est juste,
passe de la forme que voit le dormeur à celle de la chose véritable. Par exemple, la
manifestation de la science sous la forme du lait : le Prophète passa, dans son
interprétation, de la forme du lait à celle de la science ; il interpréta en disant que la
forme visible du lait devait être transposée et amenée à la forme (principielle et
invisible) de la science » 119.
135 Mais quel est le rapport entre le symbole (le lait) et ce qu’il symbolise (la science) ?
S’agit-il d’un rapport d’identité ou de différence ? En réalité, le symbolisme est
caractérisé par un paradoxe : le symbole ressemble au symbolisé sur le plan imaginal
(le lait est la science) et ne ressemble pas à lui sur le plan réel (le lait n’est pas la science).
Toute la littérature de l’immanence (tašbīh) et de la transcendance (tanzīh) tourne
autour de ce paradoxe qui a suscité dans les disciplines théologiques (kalām) et
philosophiques (falsafa) de violentes polémiques. Si les théologiens ont tenté de
résoudre cette antinomie par les moyens dialectiques et linguistiques (rôle de la
grammaire), les mystiques initiés empreints de théosophie comme Ibn ‘Arabī prennent
ce paradoxe dans ce qu’il est, sans interprétation excessive ou tentative de conciliation
à la Hegel.
136 Tel est le cas de la science (‘ilm) et de la connaissance (ma‘rifa) qui sont identiques sur le
plan terminologique, mais différentes au niveau doctrinal. Ibn ‘Arabī invoque le
problème de la nomination et les circonstances syntaxiques et sémantiques dans
lesquelles elle est appliquée 120. Doit-on dire science ou connaissance ? De quelle
manière peut-on déceler l’identité et la différence entre les deux notions ? Ou, en
termes d’Ibn ‘Arabī, « les connaissances sont-elles les sciences ou bien leurs réalités
sont différentes comme les différences de leurs noms 121 ? » Certains ont vu qu’il est
hors de propos de vouloir insister sur les nuances philologiques : « En réalité, ces
distinctions sont fort artificielles, et l’on doute même qu’une étude sémantique des
deux termes fondée sur de vastes dépouillements, ne jette quelque lumière sur ce
problème, tant les emplois qu’en font les auteurs sont personnels et variables selon les
disciplines 122. »
137 Cependant, l’évolution du ‘ilm et de la ma‘rifa dans la pensée islamique et, en
particulier, le soufisme présage des emplois autres que personnels, étant donné que
l’usage de ces deux notions a changé en fonction d’une nécessité doctrinale, et pas
seulement d’après les appréciations individuelles. Par exemple, le soufisme classique 123
depuis Ǧunayd (m. 298/911) a favorisé la ma‘rifa comme approche pratique par la mise
en application des préceptes de la Loi. La ma‘rifa signifie ici sagesse pratique (ḥikma)
pour l’intérêt que les soufis portent à l’œuvre pieuse (‘amal).
138 Les débats théologiques ne les passionnent pas, pas plus que les réflexions sur la
morale. Les manuels écrits sur les stations (maqāmāt) et les états spirituels (aḥwāl) sont
destinés à l’action morale. À partir de Ġazālī, c’est-à-dire avec l’introduction de la
théologie et de la philosophie dans le corps de la doctrine, les deux notions ont pris une
acception logique au sens d’une abstraction formelle : la science porte sur ce qui est
global et synthétique (kullī) et la connaissance concerne le particulier (ǧuz’ī) 124.
139 Ces définitions ont affecté la nature des approches doctrinales de la connaissance de
Ġazālī à Ibn ‘Arabī et au-delà. En effet, la notion de la science a gagné vite du terrain au
détriment de la connaissance pour des raisons à la fois épistémologiques (on ne
pourrait pas se passer du discours philosophique tributaire de l’Organon aristotélicien)
et doctrinales (on ne pourrait pas non plus s’écarter de l’enseignement coranique qui

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fait autorité). Tout en conservant l’essentiel de ces idées philosophiques, Ibn ‘Arabī
formule sa conception en fonction d’un impératif religieux : le ‘ilm est un attribut divin,
alors que la ma‘rifa ne l’est pas. Dieu se nomme Savant (‘Ālim) et non pas Connaissant
(‘Ārif). Ce dernier est l’attribut de l’homme qui saisit une infime partie de connaissances
d’après le verset « Et on ne vous a donné que peu de science » (Cor. 17/85).
140 Le Coran emploie la science comme qualité supérieure « Parmi les serviteurs de Dieu,
les savants sont seuls à Le redouter » (Cor. 35/28) ; « Dis : Seigneur ! Accroît en moi la
science » (Cor. 26/197).
141 Ibn ‘Arabī admet certes l’identité conceptuelle des deux notions : « La science et la
connaissance sont similaires dans les termes et la réalité et dans le fait que savoir
signifie dévoiler la chose telle qu’elle est 125. » Mais il se tient au texte coranique qui
exalte la qualité du savant. Par ailleurs, bien qu’elles soient similaires
conceptuellement, les deux notions sont différentes quant à la fonction exercée. Ce
n’est pas tant l’identité sémantique qui pose problème que l’usage théologique ou
anagogique que l’on fait des deux notions. On a l’habitude de dire aujourd’hui, et avec
justesse d’ailleurs, que “meaning is use”, c’est-à-dire que le mot requiert sa signification
en fonction du rôle qu’il joue dans un système donné. Si nous examinons de près la
nature lexicographique des deux notions, nous pouvons dire qu’elles se distinguent non
pas sur le sens qui leur est donné d’après les disciplines et les catégories de personnes,
mais en fonction de l’usage.
142 L’exemple concret, sans aucune trivialité, qu’Ibn ‘Arabī mentionne est tout à fait
pertinent. La science et la connaissance sont comparables à l’eau et à la glace. L’eau et
la glace sont deux choses semblables (la même substance), mais la caractéristique de
l’eau dans sa liquidité est différente de celle de la glace dans son aspect solide 126.
L’usage est, à son tour, différent. Se désaltérer en buvant de l’eau n’est pas semblable à
la réfrigération d’un liquide au moyen d’une glace.
143 La connaissance est-elle une science particulière comme la glace est une eau congelée ?
La comparaison est purement métaphorique. En étudiant le symbolisme de chaque
notion, nous pouvons apercevoir les nuances non détectables par notre dispositif
théorique trop technique et excellemment glacial !
144 R. Arnaldez doute qu’il y ait une différenciation significative chez Ibn ‘Arabī : « Il ne
semble pas qu’Ibn ‘Arabī distingue dans leur emploi les mots de science et de
connaissance. Pour lui, il y a une ma‘rifa qui est atteinte par la lumière de l’intelligence
(bi nūr al-‘aql) [...]. On voit donc qu’il s’agit d’une connaissance rationnelle, c’est-à-dire
d’une science. D’autre part, il y a une ma‘rifa qui est atteinte par la lumière de la foi (bi
nūr al-īmān), grâce à laquelle l’intelligence (‘aql) saisit l’Essence et les qualifications que
Dieu rapporte à Lui-même. C’est cette seconde ma‘rifa qui serait celle des
mystiques 127. » Cette différence a assurément une pertinence doctrinale, mais elle ne
nous montre pas les nuances qui y sont impliquées. Le symbolisme appliqué pourra
nous livrer quelques secrets.
145 Lorsque Ibn ‘Arabī parle dans le chapitre 249 du breuvage (šurb), il en recense quatre
sortes : l’eau, le lait, le vin et le miel 128. Ces breuvages sont déduits du verset « Voici la
description du paradis qui a été promis aux pieux : il y aura là des ruisseaux d’une eau
jamais malodorante, et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un
vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié » (Cor. 74/15).

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146 L’eau symbolise les significations spirituelles détachées de la matière. Dans le Kitāb
al-‘abādila 129(Le livre des noms propres commençant par ‘Abd), elle est associée d’une
part, à la science des prescriptions légales (‘ilm al-rusūm) et, d’autre part, aux esprits
détachés du monde sensible s’il s’agit de l’eau de la pluie, et aux éléments composés s’il
s’agit de l’eau des ruisseaux. Les éléments inférieurs dépendent des esprits supérieurs
comme les ruisseaux se remplissent grâce à la pluie.
147 Le lait représente la science de l’unicité ( tawḥīd) et l’accès aux secrets ésotériques
réservés aux prophètes et aux saints.
148 Le vin est le symbole des sciences divines inaccessibles par l’effort spéculatif. Il désigne
la science des états spirituels (‘ilm al-aḥwāl).
149 Enfin, le miel est indice de l’inspiration et de la foi. Un examen attentif à cette
transposition symbolique nous renvoie à la classification des sciences procédée par Ibn
‘Arabī dans l’introduction des Futūḥāt : la science de l’intellect (‘ilm al-‘aql), la science
des états spirituels (‘ilm al-aḥwāl) et la science des secrets ésotériques (‘ilm al-asrār).
Celle-ci se divise en deux espèces : la science de l’intellect par un mode réceptif et
intuitif, et une autre science qui comprend d’une part le goût initiatique (ḏawq) et,
d’autre part, l’information (ḫabar) rapportée par les prophètes nécessitant l’adhésion et
la foi.
150 Reprenons les correspondances symboliques : l’eau correspond à la science de
l’intellect, le vin désigne les états spirituels incluant la modalité du goût, le lait
symbolise les secrets ésotériques sous deux catégories : eau douce (car le lait est
essentiellement une eau) désignée par l’aspect réceptif et intuitif de l’intellect, et une
autre catégorie qui comprend deux espèces : un état spirituel ayant un goût subtil et
noble, et une information prophétique (ḫabar) nécessitant la foi. Le miel représente ces
deux espèces du secret ésotérique.
151 Pour une raison heuristique, le schéma que nous proposons correspond à ces
subdivisions. Ibn ‘Arabī n’a pas expressément mentionné ces correspondances
symboliques, mais nous les avons déduit de la comparaison que nous avons faite entre
ces symboles et les sciences.

152 D’autres symboles désignant la science sont mentionnés dans le chapitre 279 : le coup
subit (ḍarba), le clin d’œil synoptique (naẓra) et le jet (ramya) 130. Ces actes attribués au
Prophète dans le Coran sont des manifestations théophaniques porteuses de

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connaissances spirituelles. Celles-ci ne sont pas obtenues par l’effort spéculatif mais
émanent directement de l’enseignement divin. Elles sont du ressort du cœur (qalb) ou
de l’intellect réceptif (‘aql qābil). Ces actes elliptiques comportent des sciences
considérables, alors qu’ils ont du point de vue humain une temporalité infinitésimale.
153 Comment des sciences et des sagesses peuvent s’établir dans le cœur de l’initié dans un
temps aussi fugace qu’une fraction de seconde ? Ibn ‘Arabī en a fait l’expérience comme
il le dit dans le prologue des Futūḥāt. À partir d’une expérience dense et prompte
comme le clin d’œil, une œuvre monumentale a surgi : un univers de sagesses issu d’un
atome imperceptible ! Ces moments elliptiques correspondent au goût initiatique
(ḏawq). Au-delà, ce n’est plus le goût mais le breuvage (šurb) 131 en fonction des boissons
(eau, vin, lait, miel), c’est-à-dire en fonction des sciences acquises : spéculatives,
légales, initiatiques, ésotériques, etc.
154 La connaissance (ma‘rifa) possède, elle aussi, un symbolisme qui lui est propre. Ibn
‘Arabī parle toujours dans le cadre de l’énoncé coranique lorsqu’il explique les racines
de la ma‘rifa. Il fait référence à la halte de ‘Arafa (al-wuqūf bi ‘Arafa) dans les chapitres 71
et 72.
155 ‘Arafa est le nom d’un mont près de Médine auprès duquel les pèlerins prient et
invoquent les louanges de Dieu. Pourquoi le nom ‘Arafa? Ibn ‘Arabī cite un ḥadith selon
lequel Ibn ‘Abbās s’interroge pourquoi ‘Arafa a été nommé ainsi ? La réponse du
Prophète est que l’Ange Gabriel a informé Abraham dans le lieu où ce dernier se
trouvait (c’est-à-dire l’actuel ‘Arafa) en lui disant « Tu as connu (‘arafta) 132 ». Le mont
‘Arafa tire sa nomination de cette anecdote. ‘Arafaet ma‘rifa ne sont pas étrangers l’un
de l’autre sur le plan doctrinal.
156 Voici comment Ibn ‘Arabī explique la correspondance symbolique moyennant la
grammaire pour aboutir à la conclusion d’après laquelle l’enseignement divin est le
seul bien-fondé herméneutique et cognitif : « La connaissance (ma‘rifa) est transitive
vers un seul et unique [participe passé] passif (tata‘addā ilā maf‘ūl wāḥid) et toi tu es à
‘Arafa ; et la science (‘ilm) est transitive vers deux [participes passés] passifs (yata‘addā
ilā maf‘ūlayn) et lorsqu’il quitte ‘Arafa vers Muzdalifa qui est la réunion (ǧam‘), une
autre science dont l’être connu est Dieu (Allāh) pendant que l’être connu à ‘Arafa était le
Seigneur (Rabb) et ce complément d’objet (maf‘ūl) que tu obtiens en ce jour est ta
science sur ton Seigneur, non sur toi-même et tu connais ainsi Dieu par Dieu 133. »
157 Ce texte condense une somme importante de vérités sur la dimension cognitive chez
Ibn ‘Arabī. La science est rapportée généralement à la divinité (ulūhiyya), alors que la
connaissance est étroitement liée à la seigneurie (rubūbiyya). La science représente la
station de la réunion (ǧam‘), c’est-à-dire l’unité intrinsèque (aḥadiyya) en dehors de
toute réalité créaturelle. La connaissance se rapporte plutôt à la station de la séparation
(tafriqa) qui concerne la multiplicité des noms divins et leur attachement au monde de
la création. Ainsi ‘Arafa est le temple symbolique de la ma‘rifa qui est de nature
contemplative. Il n’y a connaissance que là où il y a contemplation, c’est-à-dire vision
clairvoyante qui va au-delà des écrans pour dévoiler la réalité essentielle des choses et
de leur mystère.

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Conclusion
158 Ce qu’il faut essentiellement retenir de l’exégèse soufie est le pouvoir du dévoilement
(kašf) dans la façon de percer les mystères et aller au-delà des limites cognitives que
l’intellect atteint par sa spéculation. L’explication que nous avons donnée de
l’interprétation chez Ibn ‘Arabī nous force à maintenir le ta’wīl dans les limites de
l’adjectif, étant donné que le substantif ta’wīl n’existe pas comme savoir théorique et
cohérent au sens d’une discipline autonome. Ainsi, nous pouvons dire qu’il existe une
“orientation herméneutique” chez Ibn ‘Arabī sous forme de commentaire, d’allusion et
de symbolisation, mais il n’existe pas une “herméneutique” comme branche autonome
du savoir canonique. De même en ce qui concerne l’aspect allégorique ou anagogique
de la doctrine d’Ibn ‘Arabī. Il existe assurément un sens “ésotérique” prêté aux versets
coraniques spécifiquement et à la tradition généralement, mais un sens “ésotériste”
aux couleurs hermétiques et kabbalistiques est difficilement détectable. Cette
séparation entre “l’adjectif” et “le substantif” nous épargnera les interprétations
fallacieuses du texte d’Ibn ‘Arabī ou de tomber dans des contresens mal assumés,
surtout si nous savons qu’aujourd’hui à cause des conclusions hâtives tirées de notre
lecture de l’héritage mystique, des procès d’intention à l’encontre de cet héritage ont
été formulés.

NOTES
1. Bernard DUPUY, « Herméneutique », Encyclopaedia Universalis, 11, 1989, p. 362.
2. Hans-Georg GADAMER, La philosophie herméneutique, trad. Jean Grondin, Paris, PUF, 1996, p. 85.
3. Ibid., p. 86
4. Henri DE LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’écriture (4 tomes), Paris, Aubier, 1959-1964.
5. Jean GRONDIN, « Herméneutique », p. 1130, Encyclopédie philosophique universelle, dirigée par
André Jacob, II- Les notions philosophiques, vol. 1, Paris, PUF, 1990, 1998.
6. Ibid. ; v. aussi J. GRONDIN, L’universalité de l’herméneutique, Paris, PUF, 1993.
7. Paul RICŒUR, De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, p. 35.
8. René Alleau, La science des symboles, Paris, Payot, 1976, p. 12-13
9. Ibid., p. 15-16
10. Gilbert DURAND, L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1964, col. « Initiation philosophique », p.
7
11. R. ALLEAU, op. cit., chapitre 1 « Origine et sémantique du mot “symbole” ».
12. G. DURAND, op. cit., p. 3.
13. Ibid., p. 7-8.
14. Ibid., p. 9
15. On traduit généralement ḥaqīqa par « vérité ». Dans le contexte de la mystique musulmane,
elle pourrait être traduite par « réalité ésotérique ».
16. Une littérature contemporaine sur cette notion se propage à une grande allure comme le
montrent les dizaines, voire les centaines d’études qui ont pris pour sujet d’analyse et de
comparaison l’unicité de l’être chez Ibn ‘Arabī. À titre d’exemple v. Abū l-‘Alā AFĪFĪ, The Mystical

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philosophy of Muhyid Dīn-Ibnul ‘Arabī, Cambridge University Press, 1939 ; Ḥassan QARĪB ALLĀH,
Falsafat wahdat al-wuǧūd (La philosophie de l’unicité de l’être), Beyrouth, al-Kutub al-ḥadīṯa, 1997 ;
Suhaila TARǦUMAN, Naẓariyyat waḥdat al-wuǧūd bayna Ibn ‘Arabī wa al-Ǧīlī : dirāsa taḥlīliyya, naqdiyya,
muqārina (La théorie de l’unicité de l’être entre Ibn ‘Arabī et al-Ǧīlī : étude analytique, critique et
comparative), Beyrouth, éd. al-Bouraq, 2002.
17. Henry CORBIN, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabī, Paris, Flammarion/Aubier,
1993, p. 19
18. Ibid., p. 29
19. Jean PÉPIN, Dante et la tradition de l’allégorie, Paris, Vrin, 1970, p. 15-16.
20. Hans-Georg GADAMER, Vérité et méthode : les grandes lignes d’une herméneutique philosophique,
traduction par Pierre Fruchon, Jean Grondin et Gilbert Merlio, Paris, éditions du Seuil, 1996
(« L’ordre philosophique »), p. 90.
21. Ibid.
22. Ibid., p. 95.
23. H. CORBIN, op. cit., p. 30.
24. Ibid., p. 45 et 68.
25. W. CHITTICK, The Sufi Path of Knowledge, New York, SUNY, 1989, p. 199.
26. H. CORBIN, op. cit., p. 147, cf. p.150.
27. Ibid., p. 160.
28. Ibid., p. 161.
29. H. CORBIN, Face de Dieu, Face de l’homme. Herméneutique et soufisme, Paris, Flammarion, 1983, p.
43, 45 et 46.
30. N. H. Abū Zayd, Falsafat al-ta’wīl. Dirāsa fī ta’wīl al-Qur’ān ‘inda Muhyiddīn Ibn ‘Arabī (La
philosophie herméneutique. Etude sur l’interprétation du Coran chez Muḥyiddīn Ibn ‘Arabī),
Beyrouth-Casablanca, éd. al-Markaz al-ṯaqāfī al-‘arabī, 3 e éd., 1996, p. 227.
31. H. CORBIN, L’imagination créatrice, op. cit., p. 161.
32. ‘Alǧūnī, Kašf al-ḫafā’ (Le dévoilement du caché), II, p. 312.
33. Abū Zayd, N. Ḥ., op. cit., p. 228.
34. Ibid., p. 230.
35. Cf. Abū Zayd, Iškāliyāt al-qirā’a wa āliyāt al-ta’wīl (Problèmes de lecture et instruments
d’interprétation), Le Caire, éd. al-Markaz, 1991.
36. Abū Zayd, Falsafat al-ta’wīl, op. cit., p. 286.
37. H. CORBIN, op. cit., p. 19 : « Le symbole annonce un autre plan de conscience que l’évidence
rationnelle ; il est le “chiffre” d’un mystère... » et p. 161.
38. Abū Zayd, op. cit., p. 383.
39. M. ‘Abdelḥaqq, al-Kitāba wa al-taǧriba al-ṣūfiyya (L’écriture et l’expérience mystique), Rabat,
éd. Okaz, 1988, p. 117.
40. Ibid., p. 118.
41. Ibid.
42. M. ‘A. el-Ǧabrī, Bunyat al-‘aql al-‘arabī (La structure de la raison arabe), Beyrouth-Casablanca,
éd. Markaz, 1991(« Naqd al-‘aql al-‘arabī », 2), p. 300-302.
43. M. Ḥ. Ḏahabī, al-Tafsīr wa al-mufassirūn, Le Caire, éd. Dār al-kutub al-ḥadīṯa, 2 e éd., 1976, II, p.
340.
44. Ibid., p. 341-42.
45. Ibid., p. 350.
46. Ibid., p. 411.
47. « Abrogatif, qualité reconnue à un verset du Coran ou à un hadith qui, dans une perspective
historico-juridique, apporte une modification à une règle énoncée par un autre verset ou un

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autre hadith considéré dès lors comme abrogé » (Dominique et Janine SOURDEL, Dictionnaire
historique de l’islam, Paris, PUF, 1996, p. 21).
48. Ḥ. MUḤĀSIBĪ, Fahm al-Qur’ān (La compréhension du Coran), éd. H. Quwwatlī, [s. l.], éd. Dār al-
Fikr, 1971, p. 326
49. Ibid., p. 328 ; v. également ABŪ ‘UBAYD QĀSIM B. SALLĀM, Kitāb al-nāsiḫ wa l-mansūḫ (Le livre de
l’abrogatif et de l’abrogé), éd. John Burton, Clerk of the Trust, Cambridge, 1987, p. 3.
50. Sur ce point v. Claude GILLIOT , « Les débuts de l’exégèse coranique », REMMM, 1990/58-4, p.
92 : « On peut donc représenter la première étape de l’exégèse comme paraphrastique, liée
qu’elle était à la récitation du Coran, le lecteur s’arrêtant sur quelques termes ou expressions qui
faisaient problème, sans grand souci d’une “exégèse textuelle”, c’est-à-dire qui fît référence à
d’autres passages du Coran ou à son analyse narrative. » Les trois dimensions sont mentionnées
par IBN ‘ARABĪ dans la Risālat al-anwār (« Traité des lumières », in Rasā’il, Hayderabad, 1948, 19 p.),
une épître sur le cheminement initiatique qui commence par l’aspect extérieur (récitation =
tilāwa, invocation = ḏikr, etc.) et finit par la saisie intuitive et contemplative des réalités
supérieures en passant par la modalité du dévoilement (kašf) qui correspond à l’interprétation
(ta’wīl).
51. Ḥ. MUḤĀSIBĪ, op. cit., p. 330.
52. Sur cet exégète v. Cl. GILLIOT, Exégèse, langue et théologie en islam. L’exégèse coranique de Tabarī,
Paris, Vrin (« Études musulmanes », 32), 1990.
53. ṬABARĪ, Ǧāmi‘ al-bayān, Le Caire, 3e éd., 1968, t. 12, p. 153.
54. Ibid., t. 3, p. 181 et aussi 182 sur la date de la fin du monde (qiyām al-sā‘a) défiant tout
pronostic ou divination (kahāna).
55. P. NWYIA, Exégèse coranique et langage mystique, Beyrouth, Dār al-mašriq, 1970, p. 60.
56. ṬABARĪ, op. cit., t. 3, p. 183-184.
57. Ibid., p. 184.
58. Sur le cercle herméneutique, cf. GADAMER, Vérité et méthode, op. cit., p. 286 sq.
59. D’où le titre de H. CORBIN, Temps cyclique et gnose ismaélienne, Paris, Berg international, 1982.
60. TAMĪMĪ, Asās al-ta’wīl, éd. ‘Ārif Tāmir, Beyrouth, éd. Dār al-ṯaqāfa, [s. d.], p. 28-32.
61. Sur cette notion et les niveaux d’interprétation chez les exégètes v. ABŪ ZAYD, N. Ḥ., al-Ittiǧāh
al-‘aqlī fī al-tafsīr (Le courant rationaliste dans l’exégèse), Beyrouth-Casablanca, éd. Markaz, 3 e éd.,
1996, p. 93-97 et p. 141-239.
62. TAMĪMĪ, op. cit., p. 33
63. En ce qui concerne l’anthropomorphisme (tašbīh) dans la pensée théologique v. Cl. GILLIOT,
« Muqātil, grand exégète, traditionniste et théologien maudit », Journal asiatique, 1991/1-2, p.
39-92 ; chez Ibn ‘Arabī v. M. CHODKIEWICZ, Un Océan sans rivage. Ibn ‘Arabī, le Livre et la Loi, Paris,
Seuil, 1992 (« Librairie du XXe siècle »).
64. Sur les trois sens : littéral, historique et allégorique, v. P. Nwiya, op. cit., p. 25-108 et 209.
65. P. NWYIA, op. cit., p. 9-10.
66. Ibid., p. 21.
67. Ibid., p. 22.
68. Pierre LORY, Lescommentaires ésotériques du Coran d’après ‘Abd al-Razzāq al-Qāšānī, Paris, Les
Deux Océans, 1980, 2e éd., p. 17-18.
69. Ibid., p. 13.
70. P. NWYIA, op. cit., p. 34.
71. Sarrāǧ, Luma‘, Le Caire, 1960, p. 106-107.
72. LORY, P., op. cit., p. 37.
73. ‘A. Fāsī, al-Madḫal li ‘ulūm al-Qur’ān wa al-tafsīr (Introduction aux sciences du Coran et de
l’exégèse), Casablanca, Maṭba‘at al-Dār al-Bayḍā’, 1988, p. 85 et 91.
74. Qušayrī, Laṭā’if al-išārāt, Le Caire, éd. al-Hay’a al-miṣriyya, 1981², I, p. 220.

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75. P. NWYIA, op. cit., p. 6.


76. Sur ces deux orientations herméneutiques v. P. LORY, op. cit., p. 12-17.
77. ĠAZĀLĪ, Faḍa’iḥ al-Bāṭiniyya (Les scandales des ésotéristes), éd. critique ‘A. Badawī, Le Caire, éd.
Dār al-qawmiyya, 1964, p. 55.
78. C’est-à-dire qu’il correspond au sens voulu par l’auteur (mens auctoris) en ayant à la fois un
sens propre et un sens figuré.
79. ĠAZĀLĪ, op. cit., p. 53.
80. Nous avons tenté une étude sur la connaissance chez Ġazālī, « L’apport de Ġazālī aux
fondements mystiques et philosophiques de la connaissance et l’objection d’Ibn ‘Arabī à la
question de la vision de Dieu », Studia Islamica, 2004/98-99, p. 131-156, Paris, Maisonneuve et
Larose.
81. ĠAZĀLĪ, Faysal al-tafriqa, éd. Sulaymān Dunyā, Le Caire, 1961, p. 176-178.
82. ĠAZĀLĪ, Qānūn al-ta’wīl, éd. Mahmūd Bīǧū, Damas, éd. al-Maṭba‘a al-‘ilmiyya, 1993, p. 28.
83. BUḪĀRĪ, Ṣaḥīḥ (Les traditions prophétiques authentiques), IV, p. 117-118, n° 4730 ; Muslim, IV, p.
2188, n° 2849.
84. ĠAZĀLĪ, Qānūn al-ta’wīl, p. 22 ; Faysal al-tafriqa, p. 179.
85. ‘IRĀQĪ, Taḫrīǧ al-Iḥyā’, IV, p. 277.
86. SUYŪTĪ, al-Ǧāmi‘ al-kabīr, II, p. 126.
87. IBN ḤANBAL, Musnad, V, p. 317.
88. ĠAZĀLĪ, Miškāt al-anwār, p. 205, in Rasā’il, Le Caire, [s. d.] ; Le Tabernacle des lumières, trad. R.
Deladrière, Paris, seuil, 1981, p. 65-66.
89. BUḪĀRĪ, Ṣaḥīḥ, I, p. 38, n°6984 ; Muslim, IV, p. 1775-1776, n° 2266 et 2267.
90. ĠAZĀLĪ, Madnūn, p. 305, in Rasā’il, op. cit.
91. ĠAZĀLĪ, Ǧawāhir al-Qur’ān, éd. critique M. Qubbānī, Beyrouth, éd. Dār iḥyā’ al-‘ulūm, 3 e éd.,
1990, p. 48.
92. ‘Āmir NAǦǦĀR, Naẓarāt fī fikr al-Ġazālī (Aperçus de la pensée de Ġazālī), Le Caire, éd. Ṣafā’, 1989,
p. 55.
93. Il dit dans le Miškāt : « Quand quelqu’un se voit en songe portant à la main un anneau avec
lequel il scelle la bouche des hommes et l’intimité des femmes, cela signifie que c’est un muezzin
qui fait l’appel à la prière du matin pendant le Ramadan » (p. 207 ; trad. p. 68).
94. ĠAZĀLĪ, Ǧawāhir, p. 52.
95. Cf. note 32.
96. Fut., II, p. 407 (chap. 198).
97. Fut., IV, p. 400 (chap. 588).
98. Ibid., p. 527.
99. Fut., II, p. 596 (chap. 276).
100. Fut., IV, p. 7 (chap. 405).
101. Fut., II, p. 599 (chap. 277).
102. Ibid.
103. Fut., III, p. 453 (chap. 372).
104. Fut., IV, p. 25 (chap. 418).
105. Fut., III, p. 121 (chap. 332).
106. Fut., II, p. 163 (chap. 88).
107. Sur la notion du voyage et ses implications spirituelles, v. IBN ‘ARABĪ, Kitāb al-isfār ‘an natā’iǧ
al-asfār, Haydarabad, 1948 ; Le dévoilement des effets du voyage, trad. D. Gril, Paris, éd. de l’Éclat,
1994.
108. Fut., IV, p. 164 (chap. 521).
109. Voir par exemple Fut., I, p. 194-95 (chap. 27) ; Fut., III, p. 542 (chap. 388).
110. K. al-isfār, p. 3 ; trad. D. Gril, p. 9.

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111. Sur l’étymologie du ta’wīl comme mode d’expression et de signification qui va du locuteur à
l’auditeur moyennant terme la perception imaginale, v. Fut., III, p. 453-54 (chap. 372).
112. Sur le maǧāz v. EI² (l’ Encyclopédie de l’Islam, 2 e éd., Paris-Leyde, J. Brill, Maisonneuve &
Larose, 1986), V, p. 1021-24.
113. Fut., I, p. 189 (chap. 26).
114. Sur la notion de miṯāl chez Ibn ‘Arabī v. Fut., II, p. 432 et 470 (chap. 198) et Fut., III, p. 260
(chap. 357).
115. Fuṣ., I, p. 85-6 ; Le Livre des chatons des sagesses, trad. Charles André Gilis, Beyrouth, Bouraq,
1997, p. 188.
116. Ce personnage est l’un des principaux compagnons du Prophète Mahomet.
117. Buḫārī, Sahīh, Kitāb al-‘ilm (Le livre de la science), I, p. 31.
118. Fut., IV, p. 240-41.
119. Fuṣ., I, p. 99-100 ; trad. Gilis, I, p. 243-44.
120. Sur les multiples définitions de la science et de la connaissance v. Fut., II, p. 318-19 (chap.
177) et Kitāb al-i‘lām bi išārāt ahl al-ilhām (Traité d’information sur les allusions symboliques des
gens doués d’inspiration), p. 5, in Rasā’il.
121. Fut., III, p. 232 (chap. 351)
122. EI², III, p. 1161, article « ‘Ilm ».
123. Cf. le riche exposé de R. ARNALDEZ dans EI², VI, p. 554-56, article « Ma‘rifa » ; et Franz
ROSENTHAL, Knowledge Triumphant. The Concept of Knowledge in Medieval Islam, Leyde, J. Brill, 1970.
124. Sur les définitions logiques et philosophiques de ces notions dans la pensée islamique v. IBN

SĪNĀ (Avicenne), Kitāb al-Naǧāt, éd. Maǧīd Faḫry, Beyrouth, Afaq, 1982 ; ĠAZĀLĪ, Mi‘yār al-‘ilm, éd.
critique Sulaymān Dunyā, Le Caire, éd. Dār al-ma‘ārif, 1961 (« Ḏaḫā’ir al-‘arab », 32) ; Maḥakk al-
naẓar, éd. N. Na‘sānī, Beyrouth, éd. Dār al-Nahḍa, 1966.
125. IBN ‘ARABĪ, Mawāqi‘ al-nuǧūm, Le Caire, 1965, p. 26 et 32 ; v. aussi Fut., IV, p. 55 (chap. 441).
126. Fut., IV, p. 130 (chap. 493).
127. EI², op. cit., p. 555.
128. Fut., II, p. 550.
129. IBN ‘ARABĪ, Kitāb al-‘abādila, éd., introd. et notes par ‘Abd al-Qādir A. ‘Aṭā, Le Caire, 1969, p. 87.
130. Fut., II, p. 608 et aussi Fut., III, p. 39 (chap. 310).
131. Fut., II, p. 550 (chap. 249).
132. IBN ḤANBAL, Musnad, I, p. 298.
133. Fut., I, p. 360 (chap. 68).

RÉSUMÉS
La science (‘ilm) et la connaissance (ma‘rifa) ont été peu étudiées chez Ibn ‘Arabī. L’objectif de cet
article est de signaler l’importance doctrinale et épistémologique de ces deux notions
fondamentales ainsi que leurs implications herméneutiques et symboliques, le tout dans une
interrogation qui porte sur la question du ta’wīl. Le processus de l’étude va de la définition
lexicographique de l’herméneutique et du symbolisme jusqu’à l’articulation doctrinale entre la
science et la connaissance chez notre auteur en passant par la réception contemporaine de
l’œuvre d’Ibn ‘Arabī et les premières ébauches concernant le ta’wīl dans la tradition musulmane.
Cette étude déterminera les configurations doctrinales de cette question autour de la dualité

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«apparent» (ẓāhir) et «caché» (bāṭin). La réception qu’a faite Ibn ‘Arabī des idées de ses
prédécesseurs est marquée à la fois par la dette et la critique, et une élaboration profonde et
riche en enseignement de la question du ta’wīl.

‫ غرض هذا المقال اﻹشارة إلى‬.‫العلم والمعرفة لم يحظيا بدراسة كافية عند ابن عربي‬
‫ وما ينطويان عليه‬،‫أهمية هذين المفهومين اﻷساسيين من الناحية العقائدية والمعرفية‬
‫ تسلك‬.‫ الكل في تساؤل حول موضوعة التأويل‬،‫من الناحية التفسيرية والرمزية‬
‫ي للتفسير والرمز إلى المفصل العقائدي بين العلم‬ّ ‫الدراسة بدءا ً من تحديد معجم‬
‫ مرورا ً بتعامل المعاصرين مع أعمال ابن عربي والمقاربات‬،‫والمعرفة عند ابن عربي‬
‫ من شأن هذه الدراسة تحديد التشك ّل العقائدي‬.‫اﻷولى للتأويل في التراث اﻹسﻼمي‬
،‫ في تلقي ابن عربي لمن سبقوه د َين ونقد‬.«‫للموضوع حول ثنائية »الظاهر« و»الباطن‬
.‫وإعداد عميق وثري كمثال يحتذى لموضوع التأويل‬

Science (‘ilm) and knowledge (ma‘rifa) were little studied in Ibn ‘Arabī. The aim of this article is to
stress the doctrinal and epistemological importance of these two fundamental notions and their
hermeneutic and symbolic implications, in a questioning about the concept of ta’wīl.
The process of the study ranges from the lexicographic definition of Hermeneutics and the
Symbolism of the author without forgetting the contemporary acceptance of Ibn ‘Arabī’s works
and the first attempts about the ta’wīl in Muslim tradition. This study aims at determining the
doctrinal configurations of the question around the duality between the apparent (ẓāhir) and the
hidden (bāṭin). The way Ibn ‘Arabī apprehended the ideas of his predecessors is shaped both by
the debt and the criticism and an in-depth and greatly enriching elaboration about the concept
of ta’wīl.

AUTEUR
MOHAMMED CHAOUKI ZINE
IREMAM Aix-en-Provence

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Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr : La


« grammaire des cœurs » de ʿAbd al-
Karīm al-Qušayrī
Présentation et traduction annotée

Francesco Chiabotti

« Il est inutile de scruter les œuvres des


mystiques musulmans si l’on n’étudie pas de très
près le mécanisme de la grammaire arabe,
lexicographie, morphologie et syntaxe. Ces
auteurs rattachent constamment les termes
techniques qu’il proposent à leurs valeurs
ordinaires, à l’usage courant constaté par les
grammairiens ».
Louis Massignon1

A. Le métalangage de la grammaire arabe


1 M.G. Carter, dans son article sur les origines de la grammaire arabe 2, s’interroge sur
l’origine du lexique technique de la grammaire. Les grammairiens arabes, dans la
recherche d’un double langage technique capable de rendre les « objets » linguistiques
ainsi que leur relations, ont opté pour un métalangage de surprenante simplicité, qui ne
montre pas toujours un lien logique avec la réalité linguistique qu’il est censé décrire 3.
Carter note aussi un autre élément caractéristique de la langue arabe, reflet possible
d’une arabica forma mentis : le rapprochement entre comportement humain et le
mouvement le long d’une ligne, d’une direction. Šarīʿa, ṣirāṭ mustaqīm, ṭarīqa, sīra,
maḏhab, dalīl, sont tous des termes techniques tirés de la notion de voie, de chemin. Et
naḥw ne fait pas exception. Carter conclut que « loin d’être l’expression de principes
logiques, le langage est pour Sībawayh exactement son contraire : une forme de
comportement humain » 4. Le langage, dans sa terminologie, subit une personnification
qui montre encore une fois l’attitude des anciens philologues arabes devant le fait

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linguistique. Carter propose donc un passage de lecture de ce lexique technique, tel


qu’on le retrouve dans le Kitāb de Sībawayh. Il parle de la « métaphore sociale » du
langage 5 : le grand grammairien d’origine persane aurait « personnifié » la
terminologie technique de la grammaire parce qu’il prenait, pour créer son système, le
modèle comportemental même de la société.
2 Kees Versteegh partage sur ce point le même avis que Carter, lorsqu’il écrit que les
grammairiens arabes décrivent les éléments du langage comme dans une relation de
force/faiblesse. Leur terminologie décrit les faits linguistiques sous la forme d’une
société de mots, une société caractérisée par une compétition entre éléments forts et
éléments faibles. La force dans le système linguistique implique des « droits » d’un
élément et son pouvoir sur les autres. Le langage est donc analysé comme la société
humaine, fondée sur des relations de force entre ses composantes. Ce passage est
possible selon Versteegh parce que les anciens philologues regardaient la grammaire
comme une structure cohérente, dont les arguments pouvaient être appliqués en
croisant les catégories et les éléments : une ressemblance dans une partie de la
structure peut être utilisée pour expliquer une autre partie de la structure. Considérant
la cohérence structurelle de la création, les savants islamiques n’ont pas vu d’objection
au fait d’emprunter des arguments tirés des sciences exactes – ou sociales – pour
expliquer des phénomènes linguistiques. Le langage fait partie de la création et obéit
selon ce principe aux mêmes lois qui la régissent 6. En plus de la terminologie éthique
(comme les termes qui décrivent le degré d’exactitude d’une affirmation ou de
correction d’un comportement : ḥasan, qabīḥ, mustaqīm, muḥāl), Sībawayh utilise des
termes d’origine légale : qiyās, ḫiyār, ḥadd, etc. Le langage, métaphore très concrète
d’une société, reflète aussi la loi qui la régit : les questions juridiques ont comme
fondement une compréhension exacte des textes normatifs. Dans le Naḥw al-qulūb de
Qušayrī, on perçoit la continuité de cet esprit ancien qui justifie le passage d’une
discipline à l’autre. L’apparat des règles qui gère la langue, sans être le même de celui
de l’âme, peut être appliqué à cette dernière selon une loi de relation analogique et
d’harmonie qui s’étend à toute la création. L’effort de Qušayrī va justement dans ce
sens : sortir la grammaire de son particularisme technique pour la ramener à sa portée
universelle.

B. La naissance du langage technique de la grammaire


et de la mystique : le langage comme clé
herméneutique de la révélation dans le tafsīr de
Muqātil (m. 150/767)
3 L’accès à la compréhension du texte révélé est passé dans ses premières époques
surtout par la compréhension de son lexique. Selon Kees Versteegh, la grammaire
comme science est issue de l’intérêt des premiers savants islamiques pour le texte
coranique. La codification du Coran a impliqué un travail fondamentalement
philologique, qui touchait la réforme de l’orthographe, l’établissement des variantes de
lecture, l’explication des formes linguistiques difficiles. La lexicographie est peut-être
la première science du langage à se développer au sein de l’exégèse 7.
4 Ce qui nous intéresse ici, c’est de remarquer comment l’herméneutique, d’un côté a pu
aider à la constitution de la terminologie grammaticale, de l’autre est à l’origine du

Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | Septembre 2009


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langage technique de la mystique. Cette observation est centrale dans la présente


recherche pour mieux situer la rencontre entre grammaire et mystique que propose
Qušayrī. Dans l’impossibilité de tracer la préhistoire de cette relation qui, dans l’état
actuel de nos connaissances paraît avoir être inaugurée par Qušayrī, on se limitera à
remarquer que la phase ancienne de l’exégèse est aussi une des premières sources du
langage mystique. Certes P. Nwyia a fait déjà le tour de la question et on peut
remarquer qu’au premier stade de son étude, on retrouve le tafsīr de Muqātil 8. La
naissance de la terminologie grammaticale et de la terminologie soufie se trouveraient
donc rassemblée dans le tafsīr de Muqātil. Sans être ni philologue ni mystique, ce
personnage nous indique l’ancienneté du lien qu’on essaye ici de tracer.
5 Le Naḥw al-qulūb de Qušayrī vise une intériorisation des notions de la grammaire. Dans
ce sens, si d’un côté l’exégèse s’est développée a partir du Coran dans une direction qui
reste extérieure – philologique, historique, juridique -, de l’autre, grâce à
l’approfondissement de la lecture soufie, la terminologie coranique à été interprété
dans uns sens large, lié au un processus de l’expérience directe du croyant :
6 « La reprise de l’œuvre de Muqātil par Tirmidhī montre comment s’est fait le passage
d’un vocabulaire à un autre par l’enrichissement qu’apporte l’expérience du texte
coranique. » 9
7 Avec le Naḥw al-qulūb, on se trouve dans une démarche comparable. Certes, le
vocabulaire dont Nwyia parle est coranique, alors que Qušayrī essaye d’opérer un
passage du vocabulaire technique de la grammaire à celui – technique lui aussi, mais
sur une autre forme - du soufisme. La clé qui permet ce passage, et sur la quelle Qušayrī
dans ses écrits insiste fortement, c’est justement la notion d’« expérimentation
interne »10. Le Naḥw al-qulūb est un exemple significatif de l’effort de Qušayrî pour
établir un pont entre les sciences islamique et le soufisme. La relation entre savoir des
ʿulamā’ et expérience mystique, dans l’œuvre de Qušayrī, n’est pas neutre. Dans la
Waṣīya li-l-murīdīn11 il explique que se lier à un autre chemin que celui des soufis, ne
permet pas de réaliser le parcours spirituel :
8 « Les gens sont soit partisans de la transmission et de la tradition (aṣḥāb al-naql wa al-
aṯar) ou partisans de l’intellect et de la réflexion (aṣḥāb al-ʿaql wa al-fikr). Les maîtres de
ce groupe [le soufisme] sont au-dessus de tout cela. Ce qui est caché aux autres
hommes, est pour eux manifeste, et ce que les gens désirent atteindre par la
connaissance, eux le tiennent de Dieu 12. »
9 Le Naḥw al-qulūb est cohérent avec cette perspective proposée dans la Risāla et en
représente une actualisation concrète. L’analyse du texte montre aussi une large
convergence terminologique entre les deux textes. La grammaire des cœurs s’oppose à
la grammaire des intellects. Qušayrī montre le danger d’une science privée d’esprit. Cet
esprit est le fruit d’une éducation spirituelle dont le Naḥw al-qulūb est aussi la
description. Dans ce texte,l’engagement de Qušayrī dans la revivification de
l’expérience spirituelle directe et personnelle apparaît évident. Il s’oppose à un savoir
livresque, purement littéral, transmis par les savants des sciences extérieures et qui
n’engage pas l’être dans une véritable transformation de soi. Les sciences extérieures,
dans la perspective de Qušayrī, sont les garants de cette expérience, mais elles
n’épuisent pas l’intégralité de la connaissance. La grammaire est donc prise à titre
d’exemple d’un savoir qui peut demeurer superficiel, formel, ou au contraire devenir
une source de connaissance pour exprimer les expériences du cheminement spirituel.
Le Naḥw al-qulūb est basée sur la notion d’allusion au sens caché, la išāra. Qušayrī

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cherche une signification ultérieure à la terminologie grammaticale, en l’exploitant


d’un point de vue initiatique. La description des éléments du langage est rapprochée de
certains aspects de la doctrine soufie sur les états de l’âme et sur le cheminement
initiatique. Le passage est effectué à partir de la notion de išāra, l’allusion spirituelle. P.
Nwyia, dans son article dans la EI2 a parcouru l’histoire de ce terme dans le soufisme :
10 « Quand les Sūfīs s’appellent les ahl al-išāra (école allusioniste) ou quand ils disent que
leurs sciences sont des ʿulūm al-išāra, ils entendent par là définir non seulement leur
mode de s’exprimer, mais aussi le contenu d’une expérience qui ne peut être évoqué
qu’à travers ce mode. » 13
11 Pour Qušayrī le langage allusif parle seulement à ceux qui ont déjà fait l’expérience des
réalités véhiculées par le discours. Les allusions sont donc des moyens pour indiquer
des réalités spirituelles sans les décrire ou les nommer ouvertement. L’utilisation de
l’išāra marque une convergence très significative entre cet ouvrage « mineur » de
Qušayrī et son commentaire soufi, les Laṭā’if al-išārāt. La recherche des sens allusifs tirés
des versets coraniques présents dans le Naḥw al-qulūb comparé avec les Laṭā’if va nous
donner des indices de cohérence entre les deux ouvrages.

C. Grammaire et théologie
12 Certes, établir les liens qui ont poussé Qušayrī à s’intéresser à la grammaire jusqu’à
développer une nouvelle application de la science de l’išāra, demeure difficile. T. Ivànyi
souligne que l’effort pour établir un langage technique a fait naître chez les soufis un
intérêt pour la grammaire 14. On connaît bien la contribution de Qušayrī dans ce sens
par sa Risāla. Il faut encore souligner que dans l’univers culturel de son époque les
domaines du savoir étaient étroitement liés. La philologie s’affirmait de plus en plus
comme instrument clé pour les autres sciences islamiques, qui, avec leur langage
technique, donnaient des nouveaux outils linguistiques au développement de la
grammaire. C’est notamment le cas du fiqh, dont les principes (uṣūl) sont repris par les
grammairiens 15. Les appartenances théologiques étaient aussi source d’influence pour
les théories grammaticales. Versteegh souligne que l’influence des muʿtazilites devient
évidente quand on considère le rôle de la logique chez certains grammairiens comme
al-Zajjājī, al-Fārisī et Ibn Jinnī, auteurs qui ne cachaient pas leur appartenance à ce
courant théologique 16.
13 Dans les discussions intellectuelles de cette époque les disciplines sont liées et le Naḥw
al-qulūb est un reflet de cette richesse d’échanges et d’oppositions. Un homme
intellectuel comme Qušayrī, versé dans plusieurs disciplines et domaines du savoir
islamiques a peut- être ressenti la nécessité de montrer un possible lien entre
grammaire et mystique. Le texte montre des thèses ašʿarites sur la nature de l’action
humaine, sur les attributs divins - thèses rapprochées de celles de la pensée soufie de
Qušayrī - qui essaie une synthèse entre les branches du savoir islamiques. La grammaire
des cœurs est une proposition de solution soufie aux problèmes que la théologie avait
reversé sur le langage. Dans cette nouvelle clé, Qušayrī indique sa propre solution,
lorsqu’il intériorise les problématiques philosophiques du langage. Par exemple, la
notion ašʿarite d’identité entre ism et musammā, dans le cadre des attributs divins,
donne lieu à une réflexion sur la pratique de noms divins par le dhikr. La technicisation
des terminologies propres aux sciences islamiques avait aussi éloigné ces sciences de
leur fin originelle, la connaissance de Dieu. Le travail étymologique qu’on retrouve

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dans le Naḥw al-qulūb vise à redonner aux mots toute leur portée, perdue dans la
lourdeur de la technicisation linguistique (istiṣlāḥ). Cet effort de synthèse et d’apologie
de la méthode soufie comme le seule garant de la revivification du vrai savoir spirituel
est le trait fondamental de l’activité de Qušayrī, et on le retrouve aussi dans les pages
du Naḥw al-qulūb.
14 Le Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr n’analyse pas toutes les règles de la grammaire arabe. Qušayrī a
écrit un autre texte, plus exhaustif, le Naḥw al-qulūb al-kabīr, édité par Ibrāhīm Basyūnī
et Aḥmad ʿAlam al-Dīn al-Jundī au Caire, sur la base de plusieurs manuscrits 17. On ne
dispose pas d’éléments suffisants pour comprendre la relation entre les deux textes. De
même, une datation de la composition des deux textes est impossible. Le Naḥw al-qulūb
al-kabīr contient 60 sections contre 19 dans le Ṣaġīr. On voit que Qušayri y développe ses
išārāt sur une échelle beaucoup plus vaste. Si le Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr se présente
comme un recueil d’aphorismes sur la voie soufie, le Kabīr montre une prose plus
explicite, un souffle plus étendu. Qušayrī rentre dans les détails, son analyse des išarāt
lui permet aussi de prendre de nouvelles directions interprétatives, par rapport au
Ṣaghīr. Les deux textes montrent aussi une cohérence très forte au niveau de la
méthode spirituelle. Le Kabīr est un autre exemple du soufisme tel que le conçoit
Qušayrī, et qu’il développe dans sa Risāla. Ici comme dans le Ṣaġīr, les mutations
linguistiques des mots sont le miroir des changements d’état de l’âme dans son
parcours de purification.

D. L’héritage du Naḥw al-qulūb


15 Quel est le rôle des interprétations allégoriquee du langage technique de la grammaire
en tant que genre littéraire dans l’histoire du soufisme? Serait-il possible d’en tracer
une histoire au sein de la littérature mystique? Cette question nous ouvre de nouveaux
champs de recherche. Jusqu’à aujourd’hui, on connaît, à partir d’une époque plus
tardive, une reprise de ce genre, surtout au Maghreb. M. Chodkiewicz signale que
l’œuvre d’Ibn ʿArabī reflète un intérêt pour la portée symbolique de ce langage 18. On
peut signaler ici le Šarḥ al-Āǧurrumiya du soufi marocain Aḥmad al-Zarrūq (XV ème
siècle)19, un deuxième commentaire soufi toujours de la Āǧurrūmiya composé au XIX ème
siècle par Aḥmad b. ʿAǧība20. Le texte d’al-Āǧurrūm a été aussi objet d’un
commentairesoufi par ʿAlī b. Maymūn al- Fāsī (853-917/1450-1511) 21. L’intérêt des
soufis pour ce texte doit être remarqué. Ici on se limitera à signaler que al-Širbīnī, dans
son šarḥ grammatical, dit bien que Āǧurrūm signifie ṣūfī, faqīr. 22 On retrouve la mention
de certaines notions relatives à la différence entre le iṣlāḥ al-lisān et le iṣlāḥ al-qulūb
dans l’oeuvre du maître soufi algérien Aḥmad b. ʿAliwa, au début du XX ème siècle 23. On
sait donc que le Naḥw al-qulūb a laissé un héritage. La question à laquelle il faudrait
pouvoir répondre est de savoir s’il a eu des antécédents. D’ultérieures recherches sur ce
genre littéraire pourraient nous renseigner sur l’originalité de cet ouvrage.

E. Les éditions du texte


16 On dispose de deux éditions du texte du Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr : l’une est due à Ahmed
Alam Eddine Goundi, éditeur aussi du Naḥw al-qulūb al-kabīr, paru à la Maison Arabe du
Livre, en 1977, à Tunis ; l’autre, plus récente, date de 1996 et a été établie par Tamàs
Ivànyi et a paru parmi les actes du colloque « Logos, Ethos, Mythos in the Midle East &

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North Africa » qui a eu lieu a Budapest en 1995. Cette dernière édition apparemment
n’a pas de lien avec l’édition tunisienne, mais son auteur, Tamàs Ivànyi, dans une note
dit qu’après la rédaction de son article, il a pris connaissance de l’existence de l’édition
tunisienne du Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr par l’édition du Naḥw al-qulūb al-kabīr édité par
Ibrahim Basyūnī et Ahmed Alam Eddine Goundi. Notre traduction suit l’édition de
Tunis.

Traduction du Naḥw al-qulūb


Introduction

17 La louange est à Dieu, qui a confié la sagesse à ceux qui en sont dignes, qui a enseigné à
Adam tous les noms24 et lui a fait connaître le sens du cercle de l’existence, si bien qu’il
en a résolu la difficulté. Il a alors explicité à ses fils les lettres [du cercle], la marque de
leur nom (ism) et la trace de leur acte (fiʿl). Il en est qui ont redoublé d’efforts pour
obtenir une part telle une pluie abondante sans se contenter d’une légère ondée 25.
D’autres ont accepté de nouer une résolution ferme (ʿazīma) mais s’y étant engagé, l’ont
défaite. Un groupe, pour manifester son excellence, s’est orienté vers la correction de la
langue. Un autre, s’est dirigé au-delà vers les jardins de l’âme, où poussent les branches
de la désobéissance sur l’arbre de l’excès. Il l’a coupé à la base, puis a suivi la voie
(naḥw) de celui qui a montré la faiblesse de l’âme afin d’en obtenir la guérison et de
s’adresser directement à elle26. Je Le loue pour tous Ses grâces que Sa générosité a
dirigées vers moi et elles m’ont fait don de leur pluie fécondante. Je témoigne qu’il n’est
de dieu si ce n’est Dieu, seul sans associé et je m’abriterai à l’ombre de ce témoignage le
jour où il n’y aura d’ombre que la Sienne et je témoigne que notre seigneur Muḥammad
est Son serviteur et Son envoyé. Il l’a envoyé pour défaire les armées des faux dieux et
pour avilir les lions de l’idolâtrie. Que Dieu lui accorde ainsi qu’à sa famille et ses
compagnons une grâce sans fin jusqu’au jour où tout être remettra ce qui il porte en
lui27.
18 Le terme naḥw indique le but, la direction. Or les hommes se différencient par leurs
orientations et sont différents selon les aiguades où ils se rendent et dont ils
reviennent. Pour l’un, la correction de la langue (taqwīm lisānihi) représente le terme de
la science. Pour un autres, la correction du cœur (taqwīm janānihi) représente la totalité
de son occupation et de son effort. Les premiers sont ceux qui suivent l’expression
explicite (ṣāḥib al-ʿibāra) ; les seconds sont ceux qui suivent l’allusion (ṣāḥib al-išāra).

Les parties du discours (aqsām al-kalām)

19 Les gens du sens obvie disent : les parties du discours sont au nombre de trois : nom,
verbe et particule. Les gens du sens allusif disent : les fondements (uṣūl) [de la voie]
sont au nombre de trois : paroles, actes et états. Les paroles sont les sciences qui
précédent l’action, car le Prophète a dit : « On m’a ordonné de combattre les gens
jusqu’à ce qu’ils disent : « Il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu. S’ils le disent, ils mettent à
l’abri de moi leurs vies et leurs biens, sauf pour ce que le droit exige d’eux ». Il faut
ensuite s’empresser d’accomplir les œuvres pieuses, viendront alors les états spirituels,
dons de Dieu 28.

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Les noms et leur dérivation (al-asmā’ wa-ištiqāquhā)

20 Les gens du sens propre disent : le nom (ism) est dérivé de l’élévation (al-sumuww) ou de
la marque (al-sima), selon la divergence à ce sujet. Les gens du sens allusif disent : le
nom du serviteur est ce par quoi Dieu l’a marqué dans la prééternité de Sa Volonté :
malheur ou félicité. La valeur de celui que Dieu, parmi les créatures, a rapproché dans
la prééternité de Sa Volonté est élevée 29. Lorsque les serviteurs entrèrent à l’école de
l’enseignement divin, Adam prit connaissance de la Tablette de l’Existence et lut : « Et Il
enseigna à Adam tous les noms » (Coran 2, 22) ; Muḥammad – sur lui la grâce et paix –
prit connaissance de la Tablette de la Vision Contemplative et il lui fut dit dans le
langage de l’état (bi-lisān al-ḥāl) : « Nous te faisons connaître tout être existant ». Puis il
reçut cette parole : « Récite au Nom de ton Seigneur qui a créé » (Coran 96, 1). Quand il
eut récité, fut éduqué et amendé, il lui fut dit : « O Muḥammad, tu Nous as connu par les
Noms et les Attributs, apprends à Nous connaître par l’Essence de « Récite et ton
Seigneur et plus généreux» (Coran 96, 3) », « Dis : Allah ! Puis laisse-les s’amuser à leur
bavardage » (Coran 6, 91) 30. Absent au Nom, il trouva le Nommé. Se détournant de
l’acte, il dénoua l’énigme de la lettre, c’est à dire le sens qui ne peut être nommé 31.

Le nom : « sain » ou « déficient » (ṣaḥīḥ wa-muʿtall)

21 Le nom est sain (ṣaḥīḥ ) ou déficient (muʿtall ) : Les gens du sens propre disent : sain est
le nom qui n’est pas affecté par l’une des lettres de la déficience : le alif, le wāw, le yā’.
Pour les gens du sens allusif, c’est celui dont le nom n’est affecté ni de l’alif de
l’ambiguïté (ilbās), ni du wāw de la suggestion psychique (waswās), ou du yā’ du
désespoir(yā’s) 32. Le nom alors est sain et peut recevoir la flexion casuelle (iʿrāb). Ceci
signifie le sens clair (al-bayān), puis le dévoilement (kašf) et la vision directe (ʿiyān). Il a
d’abord la science de la certitude (ʿilm al-yaqīn), puis l’œil de la certitude (ʿayn al-yaqīn)
et enfin la vérité de la certitude(ḥaqq al-yaqīn). Mais Dieu est plus savant 33.

Les causes empêchant la flexion nominale (mawāniʿ al-ṣarf)

22 Les causes qui empêchent la flexion nominale (iʿrāb), pour les gens du sens propre, sont
au nombre de neuf et sont bien connues 34. Chez les gens du sens allusif, ce sont :
• Le pluriel (al-jamʿ, lit.« la réunion ») : le savant doit s’abstenir de réunir [les biens] de ce
monde et se garder de la réunion des hommes autour de lui.
• Al-ṣarf (lit.« détourner, changer ») : attirer les regards sur soi.
• Certaines formes de l’adjectif qualificatif (al-waṣf) : le désir d’être qualifié et connu par le
bien.
• Le nom propre féminin (al-ta’nīṯ) : la faiblesse de la résolution et l’acceptation des choses
viles.
• La détermination (al-maʿrifa, lit : la connaissance) : connaître la grâce de Dieu mais manquer
de gratitude.
• L’origine non arabe (al-ʿujma) : négliger les bienfaits divins en cachant sa science.
• Le « déviation » d’une forme vers une autre (al-ʿadl) : son détournement de la voie droite.
• Le nom composé (al-tarkīb) : altérer sa science par des actes d’ignorance.
• La lettre alif : l’ alif du « moi » (anā).
• La lettre nūn : le nūn des noms de majesté.

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• Certains schèmes verbaux (wazn al-fiʿl) : peser (yazin) ses œuvres en pensant avoir obtenu
quelque chose, et éprouver de l’autosatisfaction (ʿujb).
23 Lorsque deux de ces défauts se réunissent, il ne se « tourne » pas [lit. « il ne se fléchit
pas – lam yanṣarif »] vers l’agrément divin (qabūl) et se détourne de la porte de l’union.

La flexion nominale et l’invariabilité (al-iʿrāb wa-l-binā’)

24 La flexion nominale (al-iʿrāb) s’effectue à partir de trois voyelles (lit. « mouvements »,


ḥarakāt) : l’élévation (rafʿ), l’établissement horizontal (naṣb), l’attirance vers le bas (jarr)
et l’apocope (jazm). Les gens du sens allusif élèvent leurs aspirations vers Dieu, dressent
leurs corps (naṣb abdānihim) dans l’obéissance à Dieu, baissent (ḫafḍ) leurs âmes pour
s’humilier devant Dieu, coupent leurs cœurs de tout ce qui est autre que Dieu et leur
quiétude (sukūn) est en Dieu. Le décliné (al-muʿrab), c’est celui [dont le cœur est] soumis
au changement parmi les gens de la « coloration » (talwīn) ; l’invariable (al-mabnī), c’est
celui dont l’état est stable et invariable et ainsi sont ceux qui ont atteint l’établissement
ferme (tamkīn) 35.

Détermination et indétermination (al-asmā’ : maʿārif wa-nakirāt)36

25 Les noms sont déterminés ou indéterminés. De même, parmi les adorateurs il y a celui
qui est connu (maʿrūf), qui a une place parmi les Initiés, est connu pour cela et qui a
atteint une station de véridicité (maqām al-ṣidq) par laquelle il est qualifié. Il en est qui
ne sont pas connu, qui n’ont pas de part avec les Initiés et ne recherchent rien d’autre
que la nourriture et le sommeil 37.
26 Le sujet de la phrase nominale (al-mubtada’)
27 Le sujet de la phrase nominale (al-mubtada’) est « élevé » (marfūʿ) car il est dépouillé des
régents grammaticaux ( al-ʿawāmil al-lafẓiya). Le pauvre, dépouillé de tout, est à un rang
élevé (marfūʿ al-qadr ) et de même « ce qu’on rapporte à son sujet » (ḫabaruhu), car il a
coupé les liens et s’est attaché aux réalités supérieurs (ḥaqā’iq) qui procèdent du
Créateur 38.

Les temps verbaux

28 Il y a trois sortes de verbes : passé (māḍī), présent (ḥāl), futur (mustaqbal). Ainsi les états
des Initiés (al-qawm) sont différents. Parmi eux, certains engagent leur méditation
(fikra) sur ce qui précède leur vie (sābiqa), les autres sur ce qui la conclut (ḫātima) et
d’autres enfin s’emploient à reformer l’instant où ils se trouvent, par delà la réflexion
sur le futur et le passé 39.

L’indicatif présent (al-ḥāl al-marfūʿ )

29 Le verbe au présent (al-ḥāl) est « élevé » (marfūʿ) s’il n’est pas précédé par une particule
du subjonctif (nāṣib) ou de l’apocopé (jāzim) 40. Ce qui l’« établit horizontalement » (al-
nāṣib) est la vision que le serviteur a de son acte. Ce qui le coupe (al-jāzim) est
l’interruption de son cheminement spirituel. Lorsque le serviteur est à l’abri de la prise
en considération de ses œuvres et de l’interruption [du chemin], sa valeur s’élève

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auprès du Tout-Puissant, Très-Pardonnant. « Vers Lui monte la bonne parole et l’œuvre


pieuse, Il l’élève. » (Coran 35, 10) 41.

L’agent (al-fāʿil) et le complément (al-mafʿūl)

30 L’agent (fāʿil) est élevé (marfūʿ) [au cas nominatif] et le complément (mafʿūl) est
« établi » (manṣūb) [au cas direct]. Lorsque que le connaissant voit qu’il n’y a pas d’autre
agent que Dieu, sa valeur grandit42 et sa mention est élevée 43. Il est sous l’emprise de sa
Majesté, il s’humilie lors de la vision de Sa Perfection, il voit son âme objet [de l’action
divine] (mafʿūlan) et se dresse pour L’adorer : « Lorsque tu as fini, continue à œuvrer et
pour ton Seigneur sois plein de désir. » (Coran 90, 7-8) 44.

Le complément circonstanciel d’état (al-ḥāl)

31 Le complément circonstanciel est une qualification de ce qui a l’aspect du sujet et de


l’objet (waṣf hay’a al-fāʿil wa-l-mafʿūl). La condition est d’être indéfini et au cas direct
(nakira manṣūba). Le connaissant (al-ʿārif) a orienté son être vers Dieu pour
l’amélioration de son état, grâce à des efforts qui visent à faire méconnaitre son âme (fī
tankīr nafsihi), afin de ne pas être connu. Ses états avec Dieu sont droits et solidement
établis (mustaqīma muntaṣiba)45, cachés par le voile de la dissimilation.
L’indétermination (al-nakira) est un voile : « L’ignorant les croit riche à cause de leur
retenue (taʿaffuf). » (Coran 2, 273) 46.

La spécification (al-tamyīz)

32 La spécification est une explication de ce qui n’est pas clairement exprimé, un


éclaircissement de ce qui n’est pas compris. Les Initiés (al-qawm) distinguent par la
science le vrai du faux. Par le cheminement spirituel (al-sulūk) ils distinguent celui qui
porte la parure de la connaissance (al-ḥālī) et celui qui en est dépourvu (al-ʿāṭil) La
spécification vient lorsque le discours est achevé. De la même manière [les hommes]
apprennent d’abord la religion (tafaqqahū), après s’isolent, maîtrisent la science, puis il
se distinguent (tamayyazū). Lorsque le degré de la distinction (rutba al-tamyīz) atteint en
eux la perfection, Dieu les « établit » 47 pour la reforme (iṣlāḥ) de ses serviteurs, Il les a
distingués et les a réservés pour Son amour (li-widādihi). Dieu a dit : « Pour que Dieu
distingue le mauvais du bon. » (Coran 8, 37) 48.

L’apposition (al-badal)

33 L’apposition (al-badal, lit. substitution) est de quatre sortes :


34 La substitution du tout par le tout (badal al-kull min al-kull) : il s’agit de la substitution
des connaissants (al-ʿārifīn), qui ont tout abandonné pour recevoir tout en échange. « Ce
Jour-là il y aura des visages lumineux / contemplant leur Seigneur » (Coran 75, 22-23).
35 Les cœurs des connaisseurs ont des yeux qui voient ce que les regards ordinaires ne
perçoivent pas,
36 Et des ailes, qui volent sans plumes vers le monde intérieur (malakūt) du Seigneur des
Mondes.

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37 La substitution d’une partie (badal al-baʿḍ) : c’est la substitution des dévots (al-ʿābidīn),
ils ont remplacé les désobéissances par les obéissances, et les plaisirs par les actes
d’adoration. « Ceux-là Dieu substituera à leurs fautes des œuvres méritoires » (Coran
25, 70).
38 La substitution d’inclusion (badal al-ištimāl) : c’est la substitution de l’élite, dont les
actions ont englobé à la fois espoir et crainte. Ils ont reçu ce qu’ils espéraient et ont été
mis à l’abri de ce qu’ils craignaient. « N’est-il pas vrai que les saints de Dieu ne
connaissent ni la peur ni l’affliction ? » (Coran 10, 62)
39 La substitution de l’erreur (badal al-ġalaṭ) : c’est la substitution de ceux qui s’écartent
de Dieu ; ils ont vendu leur part de proximité pour des jouissances immédiates. « Quel
mauvais échange pour les iniques ! » (Coran 18, 50). » 49

L’adjectif épithète (al-naʿt)

40 L’adjectif épithète est en accord parfait avec le nom qu’il suit et l’adjectif qualificatif est
en accord parfait avec ce qu’il qualifie. De la même façon, les actions du serviteur ne le
quittent jamais. Ainsi ce que lui arrive de bien ou de mal le suivra 50.

La coordination (ḥurūf al-ʿaṭf )

41 Les particules de coordination rattachent le dernier [élément] au premier. Les gens du


sens allusif sont parvenus à Dieu par [Sa] bienveillance (ʿaṭf ) à leur égard et [Sa] grâce
subtile (luṭf) envers eux, pour les rattacher aux gens de Sa proximité et les faire
rejoindre Son parti 51.

La corroboration (al-tawkīd)

42 La corroboration (tawkīd ) est la réalisation spirituelle (al-taḥqīq) 52. Les gens de l’élite
ont confirmé leur foi par la reconnaissance de la vérité (al-taṣdīq) et leur engagement
avec Dieu par le renforcement de leur lien avec Lui (tawṯīq). Ils ont redoublé d’efforts
pour persévérer sur la voie (šammarū fī mulāzama al-tarīq) 53.

Les particules du cas indirect (ḥurūf al-jarr)

43 Les particules du cas indirect « abaissent » (taḫfiḍu) les noms. Lorsque que les êtres
réalisés (al-muḥaqqiqūn) ont pris connaissance que les choses sont par Dieu, venant de
Lui et y retournant, ils abaissent leurs âmes par humilité envers Dieu et trouvent leur
fierté en se rattachant à Dieu. C’est eux que Dieu a élus pour sa proximité et les a fait
rejoindre Son parti.54 Nous demandons à Dieu l’Immense que Il nous compte parmi eux
et nous rattache à eux. Il est Généreux, doué de grâce subtile, Longanime, donnant sans
cesse, Bienfaiteur, plein de grâces, Magnanime, Miséricordieux, recevant le repentir,
vers Lui est le retour et le refuge.

Un poème sur la grammaire 55


La grammaire des cœurs est merveilleuse,
élévation (rafʿ), abaissement (ḫafḍ), établissement (naṣb)

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Dans la marque de l’élévation (ʿalāmat al-rafʿ) il y a


Esprit, intimité et proximité
Et dans les particules de l’abaissement (aḥruf al-ḫafḍ)
Tristesse, contraction, voilement
L’âme est une particule ayant un sens
Qu’il est recommandé de supprimer.
Le complément d’état (al-ḥal) érige (yanṣubu)
Ce que l’homme ne peut acquérir 56,
Ça c’est la vraie grammaire, et non ce
qu’a dit ʿUṯmān.
Une faute de langue est permise,
Mais la faute du cœur est péché,
Et la plus détestable des fautes pour moi
C’est orgueil, vanité et suffisance.

NOTES
1. Cité par Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine de al-Ashʿari et de ses
premiers grand disciples, Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1965, p. 2-3.
2. M.G. CARTER, « Les origines de la grammaire arabe », Revue des Etudes Islamique 40 (Paris, 1972),
p. 69-97. [Trad. anglaise : « The beginnings of Arabic grammar », in The Early Islamic Grammatical
Tradition, ed. par Ramzi Baalbaki. (The Formation of Classical Islamic World, v. 36), Ashgate
Publishing Limited, 2007, p. 1-27. ]
3. M.G. CARTER, op. cit., p. 80
4. M.G. CARTER, op. cit., p. 82.
5. « La reconnaissance de la métaphore sociale est la clé qui permet de comprendre le Kitāb, dont
les critères et les méthodes ne sont qu’un prolongement de ceux de la morale et du droit. », M.G.
Carter op. cit., p. 83.
6. Kees VERSTEEGH, « The development of linguistic theory: Az-Zajjājī on linguistic explanation »,
in Landmarks in linguistic though III. The Arabic linguistic tradition, London – New York, 1997, p. 73.
7. Kees VERSTEEGH, « Linguistic and exegesis : Muqātil on the explanation of the Qur’ān », in
Landmarks in linguistic though III. The Arabic linguistic tradition, London – New York, 1997, p. 11-23.
8. P. NWYIA, Langage mystique et exégèse coranique, Beyrouth, 1970, p. 24-25.
9. P. NWYIA, op. cit., p. 156.
10. P. NWYIA, op. cit., p. 157.
11. Chapitre conclusif de la Risāla. (Al-Risāla al-Qušayriyya, éd. par ʿAbd al-Ḥalīm Maḥmūd, Damas,
Dār al-ḫayr, 2003).
12. Risāla, p. 574.
13. V. Article « Ishāra » dans EI2, vol. IV, p. 119.
14. IVÀNYI T., « Towards a grammar of the heart : al-Qušayrī’s Naḥw al-qulūb », in Proceedings of
the Colloquium on Logos, Ethos, Mythos in the Middle East & North Africa, Part One, Budapest 18-22
September 1995, ed. K. Dévényi et T. Ivànyi, Budapest, 1996, p. 40-54.
15. « Ein andere wichtiger Einfluß war der des Rechts. Die Rolle des Grammatikers als eines
« Rechtkundigen » (faqīh), der über die Korrektheit der Sprache sowie über die Korrektheit der
grammatischen Beweise urteilt, wurde erweitert, und man versuchte nach dem Beispiel der
Systematisierung im Recht (fiqh) ein konsistentes System der linguistischen Grundformen (uṣūl)

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aufzubauen, wobei man auch in Einzelheiten die grammatischen Kriterien denen des fiqh
nachbildete ». VERSTEEGH C.H.M. : « Die Arabische Sprachwissenschaft », in Grundriss der arabischen
Philologie, I. Sprachwissenschaft (éd. W. Fischer), II. Literaturwissenschaft (éd. Helmut Gätje) et III.
Supplement (éd. W. Fischer). Wiesbaden : L. Reichert, 1982, 1987 et 1992, V. 2, p. 161.
16. VERSTEEGH C.H.M., ibid.
17. Ibrāhīm Basyūnī et Aḥmad ʿAlam al-Dīn al-Jundī (éd. par), Naḥw al-qulūb al-kabīr, Le Caire,
1994.
18. « La terminologie des grammairiens, sous la sécheresse de son apparence, est riche d’un
symbolisme dont Ibn ʿArabī utilise toutes les ressource. Ainsi en va-t-il de la banale distinction
entre consonnes et voyelles. Ces derniers, comme l’indique leur nom (ḥarakat) ont pour rôle de
« mouvoir » le consonnes inertes ; elles leur donnent vie de même que l’insufflation de l’Esprit
divin anime la forme adamique tirée de l’argile (Cor. 15 :29). Mais la manifestation, orale ou
écrite, de la consonne considérée est affectée par cette vocalisation ; sa réalité essentielle (haqiqa)
est immuable. La relation entre, par exemple, le dal final de Zayd et les voyelles brèves qui en
déterminent la fonction dans le discours est par conséquence analogue à celle qui existe entre
nos propres essences – nos a’yan thabita – et les formes successives qui les manifestent ad extra
[…]» . Michel CHODKIEWICZ, Les illuminations de la Mecque, textes choisis des Futūḥāt Makkiya (avec la
collaboration de W. Chittick, C. Chodkiewicz, D. Gril et J. Morris), Paris, Sindbad, 1988, p. 51-52.
Voir aussi, dans le même volume, l’introduction de D. GRIL à sa traduction du chapitre des Futūḥāt
sur la science des lettres, p. 198-228.
19. Signalé par Ali LAHMI KHUSHAIM dans son Zarrūq the ṣūfī. A biographical and critical study of a
mystic from North Africa, Tripoli, 1976.
20. Aḥmad B. ʿAǦĪBA, Taǧrīd šarḥ matn al-Āǧurrūmiyya, Al-maṭbaʿa bi-Miṣr, 1419 (h).Des extraits ont
été traduits par J. L. Michon, Le soufi marocain Aḥmad ibn ʿAǧība (1746-1809) et son Miʿrāj, Paris, II.
éd., 1990.
21. AL-GHAZLANI, A. : « Présentation et édition critique de la Risālatal-maymūniyya fī tawḥīd al-
ājurrūmiyya de ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī (853-917/1450-1511) », mémoire de maîtrise, Université de
Provence Aix-Marseille I, 1997-1998.
22. «[…] Ibn Āǧurrūm (spelt with ‘ followed by ā and double r , which is a Berber expression
meaning faqīr or ṣūfī) […]». Trad. de M. G. Carter, Arab Linguistics. An introductory classical text with
translation and notes, Amsterdam, 1981, p. 4.
23. Aḥmad al-ʿAlawī, Knowledgeof God : A Commentary on al-Murshid al-Mu’in of Ibn al-Ashir, Abd as-
Sabur al-Ustadh (editor); Abd al-Kabir al-Munawarra, Abd as-Sabur al-Ustadh (translators);
Shaykh Abdalqadir as-Sufi al-Darqawi (introduction), Madinah Press , 2005. Voir l’introduction
de l’auteur.
24. Cf. Coran 2, 31 : « Et Il enseigna à Adam tous les noms. »
25. Cf. Coran 2, 265 : « Ceux qui dépensent leur biens par souci de plaire à Dieu et pour affermir
leur âmes sont comparables à un jardin situé sur une colline, sur lequel s’est déversé une pluie
abondante et qui a donné un double de fruits. Si le jardin n’est pas arrosé par la pluie, il l’est par
une rosée, et Dieu est Clairvoyant au sujet de ce que vous faites. »
26. Ce passage n’est pas clair : wa-yuḫāṭibuhā šifāhan wa-man lahā, autre variante : tuḫāṭibuhā.
27. Cf. Coran 22, 2 : « Le jour où toute femme enceinte accouchera ce qu’elle porte en elle».
28. Ce passage suit la division traditionnelle du discours. Le texte du Naḥw al-qulūb n’approfondit
pas la question des catégories du discours. Le style concis qui caractérise cet ouvrage réside dans
la volonté de Qušayrī de ne pas s’attarder sur l’iṣṭilāḥ, le lexique technique de la grammaire. Il
essaie au contraire de revenir au sens premier du mot, et à partir de là, de dégager une
signification spirituelle. Ce bref paragraphe cache une forte parenté doctrinale avec l’ensemble
du système de pensée de Qušayrī. Cette perspective est le reflet de la complémentarité entre ḥāl

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et maqām. Si on cherche dans la Risāla une définition de ces deux concepts clé du soufisme, on
retrouve la notion de ḥāl liée à celui de mawāhib :
« L’état [spirituel] chez les soufis (al-qawm) est quelque chose qui parvient au cœur, sans qu’ils en
fassent en effort. Ils ne peuvent ni l’attirer, ni l’acquérir. […] Les états (aḥwāl sont des dons
(mawāhib), alors que les stations (maqāmāt) sont des acquisitions. Les états arrivent directement
du Généreux ; on parvient aux stations (maqāmāt) par la dépense de l’effort. » ( Risāla, p. 92.)
L’exhortation à l’accomplissement des œuvres rentre dans le cadre de la théologie de Qušayrī,
selon laquelle la foi correspond aux actes. Dans le Lumaʿ fī l-iʿtiqād , bref credo ashʿarite composée
par Qušayrī, on retrouve cette définition classique :
« La foi, c’est la reconnaissance par l’intellect, l’action par le corps et l’affirmation par la
langue. » (R. M. Frank, « Tho shorts dogmatics works of Abū l-Qāsim al-Qušayrī : Al-lumaʿ fī l-
iʿtiqād », MIDEO, tome 15, 1982, p. 70.)
29. Qušayrī propose deux interprétations traditionnelles de cette étymologie, l’une de l’école de
Basra, l’autre de l’école de Kūfa. Pour la première, le terme ism dérive de al-sumuww (SMW,
« élévation »). Pour l’école de Kūfa, ism est un dérivé de sima (WSM wasm, signe, marque, qualité,
caractéristique). Qušayrī passe, dans son išāra, au lien entre le nom et le nommé. Le nom est en
effet celui du serviteur (ism al-ʿabd). Le nom fait allusion à la « caractérisation » de son destin de
toute éternité. Il est la nature même du serviteur, homo nomen. Il s’agit de la nature intime de
l’être, en relation avec la ʿubūdiyya. Le passage du Naḥw al-qulūb, même si fortement imprégné
d’implications théologiques et doctrinales, dans sa brièveté, reste un aphorisme sur la façon du
soufisme de traiter des questions d’ordre théologique. Il nous renvoie à de longs débats avec le
muʿtazilisme (voir article « ḳadar » dans l’EI2), mais il les dépasse aussitôt, pour viser l’essentiel.
On retrouve la discussion sur l’étymologie du terme « ism » dans le Al-taḥsīn fī al-tadhkīr (éd. par
Muḥammad b. ʿAbd al-Hādī al-Farūqī, Dār al-Bayrūtī, Damas, 2003, p. 29), et égalementdans les
Laṭā’if al-išārāt. Dans le commentaire à la sourate 13, il écrit :
« Le nom (ism) vient de « marquer » (wasama). Celui qui marque son être extérieur de la servitude
et sa conscience intime de la contemplation de la Seigneurie, son aspiration s’élève vers les
hautes stations et son degré est rapproché des demeures sublimes. En effet ism est dérivé de la
marque (sima) ou de l’élévation (al-sumuww ). » (Laṭā’if, vol. 2, p. 190.)
30. La deuxième partie de ce paragraphe passe de l’étymologie grammaticale du nom, à l’origine
des noms sur un plan métaphysique. On retrouve deux sortes de noms : ceux révélés à Adam et la
science de Muḥammad, qui tire son origine de la Tablette de la VisionContemplative(lawḥ al-
šuhūd), qui renvoie à la connaissance du divin, tandis que la Tablette de l’Existence(lawḥ al-
mawǧūd) représente la connaissance de la création. Le passage indique une progression dans le
processus de connaissance. Qušayrī montre que le parcours de la connaissance procède par
étapes et degrés : on passe de la récitation à une transformation, selon la progression de la voie.
Le dernier verset cité renvoie au ḏikr : Qušayrī relie un discours sur les attributs divins à ce qui
l’intéresse le plus : l’expérience de la connaissance.
31. La station ultime voit la disparition du Nom pour laisser apparaître le Nommé, Dieu.
Dépasser l’acte permet de « dénouer l’énigme de la lettre », l’accès au sens caché derrière l’aspect
« extérieur » des noms. Cette dernière phrase est comme un retour circulaire au début du
paragraphe, lorsque Qušayrī commence par cette distinction entre les deux réalités du nom. Le
passage du Nom au Nommé est aussi possible parce que dans sa vision, la multiplicité des noms
ne porte pas atteinte à l’unité divine. Dans son Šarḥ al-asmā’, Qušayrī explique que par « nom » il
faut entendre la dénomination (tasmiya). Pour l’ašʿarisme, le nom (ism) est l’être nommé (al-
musammā). Cette position est basée, dans la courrant ašʿarīte, sur l’interprétation des attributs de
l’essence (ṣifāt al-ḏāt), qui, selon un point de vue opposé à celui des muʿtazilites, participent de la
réalité de Dieu (Voir article « Muʿtazila » dans EI2, VII p. 785-95). T. Ivànyi dans sa présentation
du Naḥw al-qulūb, voit dans la relation entre nom et nommé une allusion aux niveaux de la ʿibāra
et de la išāra :

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« Le grammairien s’occupe des noms, le mystique de l’essence, qui est l’objet réel des noms. […]
La science de l’išāra nous ramène vers les sens cachés qui n’ont pas d’équivalent linguistique (lā
yusammā). » (Tamàs Ivànyi, op. cit., p. 43.)
32. La méthode utilisée par Qušayrī pour établir ce rapport symbolique, dans ce paragraphe se
base sur les sens inclus dans les lettres de l’alphabet. La loi qui gère ce mécanisme symbolisant
rend une simple lettre capable de représenter un concept entier, par analogie phonique. Cette
méthode est aussi propre à certains commentaires des Laṭā’if, à propos des lettres isolées.
33. Qušayrī insiste sur le fait que ces défauts empêchent la vraie manifestation du iʿrāb. Dans ce
paragraphe, l’iʿrāb se fait l’image d’un processus de connaissance (grâce à sa relation sémantique
avec le terme bayān). Les trois défauts de l’âme sont remplacés par les trois degrés de la
connaissance. La progression bayān, kašf, ʿiyān est mise en relation avec la série ʿilm al-yaqīn, ʿayn
al-yaqīn, ḥaqq al-yaqīn. Les degrés de la certitude (yaqīn) sont analysés dans un paragraphe
spécifique de la Risāla, qui décrie une relation similaire :
« Le ʿilm al-yaqīn est certitude, ainsi que le ʿayn al-yaqīn et le ḥaqq al-yaqīn : ils sont la même
certitude (nafs al-yaqīn). Le ʿilm al-yaqīn, dans leur terminologie technique (iṣṭilāḥihim), est ce qui
est fondé sur un argument (burhān). Le ʿayn al-yaqīn est ce qui est démontré avec évidence (al-
bayān). Le ḥaqq al-yaqīn est ce qui est accessible par la vision [directe] (al-ʿiyān). » (Risāla, p.171.)
34. Il s’agit de noms diptotes qui ne suivent pas la déclinaison à trois désinences. Le nombre des
causes empêchant la flexion nominale peut varier selon les auteurs ; le Al-Naḥw al- wāḍiḥ (ed. par
ʿAlī al-Ğarim et Muṣṭafā Amīn, Dar al-maʿārif, vol. 3, p. 126) en mentionne six : le nom propre
féminin, le nom d’origine non arabe (aʿğamī), le nom composé (murakkab), le nom qui termine par
alif et nūn (ex. ʿUthmān), le nom qui ressemble à une forme verbale (ex. Aḥmad), les noms qui ne
suit pas une dérivation normale comme le schème « fuʿal » (ex. ʿUmar). Pour des sources
exhaustives concernant cette question voir Sibawayh, al-Kitāb, Beyrouth, 1967, p. 4-70 ; al-Zaǧǧāǧ,
Mā yanṣarif wa mā lā yanṣarif, éd. H. Qarāʿa, Le Caire, 1971 ; al-Zaǧǧāǧī, al-Ǧumal. Précis de
grammaire arabe publié avec une introduction et un index par Mohammed ben Cheneb, Paris 1957, p.
224-234.
35. Pour l’établissement des išārāt tirées des images relatives à la flexion nominale, Qušayrī
exploite le champ sémantique déjà présent dans le vocabulaire technique de la grammaire : rafʿ,
naṣb et ǧarr / ḫafḍ. Cette terminologie se prête à l’allusion aux traits essentiels de l’engagement
dans la voie spirituelle : élévation des aspirations, établissement des corps, abaissement des âmes
devant Dieu. Les mouvements extérieurs dans la grammaire du langage sont assimilés aux
mouvements intérieurs de la grammaire des cœurs. La flexion nominale (iʿrāb), dans un
paragraphe précédent était signe de la « pleine » manifestation de la connaissance, ici à l’iʿrāb
symbolique est attaché un trait d’imperfection. Le couple antithétique muʿrab – mabnī suggère à
l’auteur une comparaison avec les états de tamkīn et talwīn. Dans la Risāla, on trouve un chapitre
consacré à ces deux termes :
« La coloration (changement, talwīn) est la qualité propre de ceux qui ont des états mystiques.
L’établissement ferme (tamkīn) est la qualité de ceux qui ont réalisé les vérités supérieures. Toute
la durée de son cheminement, le serviteur est soumis au talwīn, parce qu’il monte d’un état à un
autre et passe d’une qualification (ṣifa) à une autre. Il sort d’une station pour arriver à une halte.
Lorsqu’il est parvenu, il s’établit d’une façon permanente. […] Celui soumis au talwīn se trouve
toujours dans la croissance (ziyāda), les gens du tamkīn sont parvenus, et sont dans l’union. Le
signe qu’ils sont parvenus est l’absence totale de préoccupation. Un maître a dit : le voyage de
ceux qui cherchent est terminé lorsqu’ils ont vaincu leur âmes, car par cette victoire ils
parviennent au but. Le maître a dit : il veut dire que les statuts de l’humanité se retirent et le
pouvoir de la réalité supérieure s’impose (istīlā’ sulṭān al-ḥaqīqa). Si le serviteur reste stable dans
cet état, il obtient le tamkīn. […] Sache que le changement (taġayyur) atteint le serviteur pour
deux raisons : à cause de la force de l’évènement spirituel (quwwa al-wārid), ou à cause de sa

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propre faiblesse. La quiétude (al-sukūn) peut avoir aussi deux raisons : sa propre force intrinsèque
ou la faiblesse de l’évènement spirituel. » (Risāla, p. 162-163.)
La thématique du talwīn/tamkīn est toujours présente dans les Laṭā’if. Dans son commentaire du
verset 23 de la sourate Le Fer, l’auteur explique que la propension des hommes à changer d’état
face à ce qui leur arrive (wārid), est un critère sur lequel on peut qualifier les différents états
spirituels des hommes :
« Celui qui ne change pas face à ce qui lui arrive (wārid), en bien comme en mal, comme épreuve
ou éloignement est parfait […]. Il est maître de son instant (sayyid waqtihi). […] Le changement
(taġayyur) est le signe que l’âme subsiste (baqā’ al-nafs). » (Laṭā’if, vol. 3, p. 292.)
36. Lit. «connu» et «inconnu».
37. Maʿrūf (connu et déterminé) signifie aussi « reconnu comme bien », munkar (inconnu et
indéterminé, nākir ẕa) signifie aussi « objet de réprobation ». La notion centrale est celle du
maqām al-ṣidq, la station de la véridicité. C’est par cette station que le serviteur affilié aux initiés
est reconnu et qualifié. Cette notion clé du tasawwuf se retrouve dans divers passages de la Risāla
et des Laṭā’if. Le maître de Qušayri, Abū ʿAlī al-Daqqāq, définit la sincérité ainsi : « Que tu sois
avec les gens ainsi que tu te vois toi-même, ou que tu te vois tel que tu es (an tarā min nafsika kamā
takūn). » (Risāla, p. 345.)
38. La définition donnée par Qušayrī du mubtada’ est négative : tout ce qui n’est pas géré par un
régent grammatical. Cette terminologie est à la base de la išāra de Qušayrī, qui se fonde sur le
sens propre de tajrīd, « privation de », « dépouillement». Le sens propre est néanmoins repris
dans son utilisation propre par le soufisme, qui a fait du tajrīd le « dépouillement» intérieur pour
atteindre la station du faqr. Cet abaissement du faqīr est l’équivalent inversé d’une élévation de
rang auprès de Dieu. On voit qu’ici Qušayrī ne cherche pas une allusion spirituelle dans le terme
mubtada’, le « début ». Il se concentre sur sa réalisation grammaticale en tant que marfūʿ. Pour
donner un exemple de développement différent, on peut citer ici le Šarḥ al- Ājurrūmiyya du soufi
marocaine Aḥmad b. ʿAǧība (m. 1809), qui a une orientation différente du Naḥw al-qulūb. Comme
on l’a déjà signalé, les išārāt de Qušayrī, dans cet ouvrage, sont en relation avec les états du murīd
et ses degrés de proximité ou d’éloignement. Dans le šarḥ d’Ibn ʿAǧība, les allusions spirituelles
sont, comme expliqué par J. L. Michon, « des symboles cosmogoniques et théurgiques jouant un
rôle précis dans le processus de la manifestation divine. Ainsi, la langue toute entière apparaît
comme une théophanie, un ensemble cohérent de significations spirituelles où la lumière du
Maître des mondes s’irradie pour l’édification et la guidance des créatures. » (J. L. Michon, op. cit.,
p. 115.)
39. Les temps verbaux sont pris ici comme allusion aux aḥwāl, les états dans lesquels se trouve
l’homme. Le waqt c’est le premier des termes technique du soufisme (iṣṭilāḥat) cités dans la Risāla.
Ce processus de centralisation dans l’instant est résumé dans la parole « al-ṣūfī ibn al-waqt », cité
par Qušayrī (Risāla, p. 130) Une autre parole de son maître Abū ʿAlī al-Daqqāq rappelle le passage
du Naḥw al-qulūb : « Le temps, c’est ce dans quoi tu te trouves (al-waqt : mā anta fīhi). Si tu te
trouves dans l’ici-bas, ton temps est l’ici-bas ; si tu es dans l’au-delà, ton temps est l’au-delà. »
(ibid.) Il rapporte encore cette définition du waqt : « L’instant (waqt) est ce qui est entre deux
temps (zamanayn) : le passé et le futur. » (ibid). L’engagement à une réflexion sur l’instant présent
est contenu aussi dans cette phrase : « Le pauvre (al-faqīr) ne s’occupe pas de l’instant passé ou de
celui à venir, quant l’instant dans lequel il se trouve » (ibid). Cet ensemble de citations replace le
passage du Naḥw al-qulūb dans l’univers doctrinal d’Qušayrī et dans son école de soufisme. La
Risāla fait aussi un lien entre waqt et aḥwāl, comme suggéré par la réflexion du Naḥw al-qulūb sur
les temps verbaux. La maîtrise de son waqt correspond au passage de la phase du talwīn à celle du
tamkīn, comme on l’a déjà vu précédemment.
40. Le nāṣib, « ce qui met au cas direct » pour les noms et au subjectif pour les verbes signifie
littéralement : ce qui établit. Le ǧāzim, « ce qui met à l’apocopé » signifie littéralement « ce qui
coupe ».

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41. Cette section du Naḥw al-qulūb a comme départ l’ambivalence sémantique du mot « ḥāl », qui
renvoie à l’état spirituel et, dans la terminologie grammaticale, au « présent ». Dans le
paragraphe précèdent Qušayrī met l’accent sur la notion d’acte au présent, le waqt qui qualifie le
soufi d’une adhérence pleine à son instant présent. Ici il développe encore le thème de l’instant
présent, mais sous autre point de vue. Le marfūʿ est décrit en négatif : tout ce qui n’est pas
introduit par une particule qui altère le degré d’élévation. L’altération se produit sur deux
niveaux : un passage du plan « vertical », d’une adoration pleine – dont « l’état élevé » (ḥāl
marfūʿ ) est l’image – à un plan « horizontal » (naṣb), la vision par le serviteur de ses propres
actes. Le troisième degré est la rupture (ǧazm) de la voie. Cette rupture empêche la manifestation
de la conjugaison verbale. Comme dans le cas de l’iʿrāb, la manifestation graphique et
phonétique, selon les trois niveaux- est la marque de la voie, et le sukūn –pour le verbe le jazm –
de son arrêt. Le discours sur la vision du serviteur sur ses propres actions est reprise dans la
Risāla, dans la section consacrée au jamʿ et au farq. Le farq relève de l’agir humain –
accomplissement de la ʿubūdiya de ce qui convient aux états de la nature humaine. Qušayrī parle
de plusieurs degrés de jamʿ, notion qui donc prévoit une échelle de réalisation. L’état le plus bas
dans cette réalisation est représenté par la vision des actions. Le fait que Dieu montre au
serviteur ses actes d’adoration est un signe de séparation («ʿabd bi-waṣf al-tafriqa », Risāla, p.143).
D’une façon complémentaire, l’absence de la vision de ses propres actes est signe de intimité
(uns) avec Dieu : comme dans ce passage du Naḥw al-qulūb, le jamʿ, station plus élevée que la
précédente, correspond à un changement de vision. Celui qui voit l’agir, même le propre, comme
une action divine, celui auquel Dieu montre son propre agir, porte la marque de l’union. L’absence
de vision des actes correspond à la station décrite par Ibn ʿAǧība comme fanā’ fi-l- afʿāl : « état où
l’on ne voit pas d’autre agent que Dieu » (J.L. Michon, op. cit., p. 233). On notera enfin que pour la
première fois Qušayrī cite un verset coranique. Le verset du Coran fonctionne comme centre
sémantique autour duquel l’auteur développe son išāra. Cette méthode était jusqu’à ce
paragraphe absente. Le versetsouligne que l’élévation est une action de Dieu. L’œuvre pieuse ne
s’élève pas par soi-même, mais par la grâce de Dieu : « et l’œuvre pieuse, Il l’élève ».
42. Al-Kalābāḏī rapporte la définition suivante de la notion du qurb :
« Un soufi, interrogé à propos de la proximité, répondit : «Elle consiste dans le fait que tu Le vois
agir en toi». Ceci signifie que tu regards Ses œuvres et Ses grâces sur toi, et en elles disparaît ta
vision de tes actes et de tes efforts. » (Taʿarruf li-maḏhab ahl al-taṣawwuf, éd. par A. J. Arberry,
Maktaba al-Khānǧī, Le Caire, 1933, p.125.)
43. Allusion à Coran 94, 4 : « Nous avons élevée ta mention ».
44. Ce paragraphe développe la question des actes. Il y a une progression entre ce passage et le
précédent. Si l’élévation indique la valeur du serviteur dans l’absence de vision de soi-même, ici
le marfūʿ est Dieu, en tant qu’agent universel. Les âmes sont soumises à son action et le serviteur
doit en avoir conscience. Si auparavant le ḥāl marfūʿ était une marque positive, opposé au manṣūb
de la vision de ses propres actes, ici le symbolisme est renversé. Le manṣūb, dans cette nouvelle
perspective, est un trait connoté positivement. Le symbolisme est ambivalent, il fonctionne dans
les deux directions. Dans le développement du Naḥw al-qulūb, une image récurrente est celle du
double mouvement de l’abaissement de l’individualité (tawāḍuʿ) suivie de l’élévation auprès de
Dieu. Cette idée, est déjà présente dans un ḥadīth recueilli par Muslim : « […]wa-mā tawāḍaʿa
aḥadun li-llāh illā rafaʿahu Allāhu ʿazza wa-ǧall ». D’après al-Nawāwī, Riyāḍ al-ṣāliḥīn, bāb al-tawāḍuʿ
wa ḫafḍ al-ǧanāḥ li-l-mu’min.
45. Muntaṣiba, « solidement établit » doit être rapproché de manṣub(a), le cas direct.
46. Les deux caractéristiques principales du ḥāl, l’indétermination grammaticale et le cas direct,
qualifient symboliquement l’état (ḥāl) du connaissant devant Dieu. L’išāra repose sur la
polyvalence sémantique de la notion de ḥāl. Le terme recouvre la signification de présent et
d’état spirituel. Le fāʿil se distingue du mafʿūl par la différence de cas grammatical, marfūʿ opposé
à manṣūb. Qušayrī voit dans le fait que, contrairement au sujet et à l’objet, le ḥāl soit toujours

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indéfini et au cas direct, un dépassement de la dualité entre fāʿil et mafʿūl, dépassement déjà
anticipé dans le paragraphe précédent. L’état des hommes de Dieu est aussi indéterminé (nakira),
dans le sens qu’ils fuient la célébrité, ce qu’on va retrouver dans le paragraphe suivant consacré
au tamyīz. Qušayrī renvoie à la notion de tawriya, « ambiguïté », mais littéralement « le fait de
cacher » son propre degré spirituel. Le paragraphe s’achève sur une citation du Coran 2, 273,
faisant allusion à ceux qui cachent leur pauvreté par leur retenue, en s’interdisant de demander
l’aumône. Qušayrī commente ce verset en mettant aussi en valeur l’effacement de l’âme :
« Dieu le Très-Haut a dit : « L’ignorant les croit riches à cause de leur retenue (taʿaffuf) ». Celui
qui est doué de clairvoyance ne rencontrera jamais de difficultés dans aucun de ses états.
Reconnais-les, ô Muḥammad, par leur marque (sīmā’), une marque qui ne paraît pas à la vue
ordinaire (al-baṣar) mais que seule la clairvoyance (al-baṣīra) peut saisir. […] « Tu les reconnaîtras
à leur aspect » : leur cœurs se réjouissent dans le mépris de leurs âmes individuelles [… ]. » (
Laṭā’if, vol. 1, p. 126.)
47. Jeu de mots sur naṣaba, établir et manṣūb, le cas direct du spécificatif.
48. Le complément de spécification (tamyīz) établit une relation entre deux noms d’une phrase,
de sorte que le deuxième terme fait fonction de spécification restrictive au sens propre du
premier, en soi vague et indéfini. Sur le plan formel, la spécification est reconnaissable par le cas
direct et indéterminé (manṣūbnakira). Qušayrī voit dans la spécification ce par quoi les hommes
de Dieu se distinguent dans leur relation spéciale avec les créatures (dont ils sont les guides et les
maîtres) et également avec le Créateur, qui les a réservés pour son amour. L’auteur utilise la
portée sémantique du verbe mayyaza, dont le maṣdar a pris le sens technique de tamyīz. Qušayrī
revient au sens originel, celui de la distinction. Le facteur principal par lequel s’actualise cette
distinction du vrai et du faux est la science. Ce rôle de la spécification est exprimé à partir d’une
régle grammaticale : la spécification vient nécessairement à compléter le sens de la proposition,
car sans elle, cette dernière ne serait pas parfaitement claire. De la même façon, la dernière
catégorie de connaissants parachève les formes possibles de connaissance. L’idée de distinction
repose tant sur le sens grammatical que sur le sens spirituel. Cette polyvalence, qui permet le
mécanisme de l’išāra, est possible parce les deux disciplines (grammaire et taṣawwuf) tirent du
Coran un concept qui aboutit à un terme technique. Qušayrī cite l’acte de tamyīz dans le verset 38
de la sourate Al-Anfāl comme une action divin. L’action des hommes de la voie est donc ramenée à
la volonté de Dieu qui fait jaillir le bien dans se monde en montrant le mal. Ainsi la méthode
spirituelle des maîtres de la Voie se modèle sur cet acte divin. La spécification correspond à une
élection au sein des croyants. Dans les Laṭa’if al-ishārāt, Qušayrī ne centre pas son commentaire
sur la notion de tamyīz, mais sur la différence entre ce qu’est bon (ṭayyib) et ce qui est mauvais
(ḫabīṯ). Dieu est l’agent de cette distinction, et on retrouve la notion de iṣlāḥ, comme dans le Naḥw
al-qulūb :
« Mauvais est ce que Dieu n’a pas reformé, et bon est ce que Dieu a rétablit. Mauvais est ce que la
Loi a décrété tel à cause de son caractère répugnant et corrompant, tandis que le bon est témoin
de la science grâce à sa beauté et sa pureté. Ainsi le mécréant est dit mauvais, le croyant noble.
Mauvais est ce qui distrait de Dieu, bon ce qui fait parvenir à Lui. Mauvais est ce que l’homme
prend et dépense pour le plaisir de son âme, bon c’est ce qui est dépensé pour son Seigneur. »
(Laṭā’if, vol. 1, p. 393-394.)
49. Le terme « apposition » ne rende pas entièrement le sens des relations exprimé par le badal.
Il s’agit plutôt d’une véritable substitution, là où le badal peut englober la signification et la
fonction syntaxique du mubdal minhu selon une échelle de degrés : pleinement, partiellement,
d’une façon « inclusive » ou « corrective ». Cette différence se manifeste dans la construction du
badal, qui dans certains cas nécessite d’un pronom suffixe de rappel qui renvoie au mubdal minhu.
Qušayrī présente le badal comme un principe de la Voie. Il propose quatre formes d’échange,
selon un ordre hiérarchique, même si le badal ištimāl pose des problèmes, en sortant
apparemment de cette échelle des valeurs. Dans ce sens, le badal al-kull devient symbole du

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remplacement advenu dans le cœur des connaissants (al-ʿārifīn) qui ont tout abandonné pour
recevoir en échange la totalité des choses et de la connaissance. Ce prototype de soufi est
notamment celui de certains personnages comme Ibrāhīm b. Adham ou al-Fuḍayl, le premier un
prince du Khorasan et le deuxième un riche bandit étant devenus de grands saints. Que cette
catégorie de spirituels occupe dans la doctrine de Qušayrī la place la plus élevée est évidente
lorsque qu’on lit le verset coranique qu’il leur attribue : il s’agit du plus haut degré de réalisation
spirituelle, la contemplation de Dieu dans le Paradis. Dans les Laṭā’if, le sens de nāẓira - est
compris comme «[visages] lumineux parce que plongés dans la contemplation de leur Seigneur
[wa-hiyamushriqa li-annaha nāẓira ay rā’iya Allāh] » (Laṭā’if, vol. 3, p. 360). Le deuxième substitution
est représenté par une autre catégorie d’hommes, celles des les dévots (al-ʿābidin). L’échange se
situe au niveau de l’action et non de la contemplation. Le verset coranique qui, selon Qušayrī,
décrit cette catégorie spirituelle est mis, dans les Laṭā’if, en relation avec l’idée de retour a Dieu
(tawba) et pardon (ġufrān) :
« Ceux-là Dieu substituera à leurs fautes des œuvres méritoires (Coran 25, 70): Dieu leur accorde la
réussite à la place de l’échec. Il est dit aussi qu’il transformera leurs fautes en œuvres méritoires
parce Il leur a pardonnés et Il a rendu lumineux leur retour à Lui » (Laṭā’if, vol. 2, p. 394.)
Le badal ištimāl, comme on l’a dit, sort apparemment de cette gradation de l’« échange » entre le
bas monde et l’au-delà. A cette catégorie d’hommes, Qušayrī attribue le verset coranique sur les
Saints, les proches de Dieu. Ce qui dans la Risāla est le propre des dévots (al-ʿubbād), est ici
attribué à l’élite des croyants (al-qawm) : l’alternance de l’espoir et de la crainte, du désir et de la
peur. La dernière forme d’apposition, le badal al-ġalaṭ, dans son sens grammatical, signifie que le
badal annule le sens du mubdal minhu. L’allusion perçue par Qušayrī concerne ceux qui ont
renoncé à l’au-delà pour la vie présente. Le verset de la sourate « La caverne » (Coran 18, 50),
dans son ensemble concerne la désobéissance d’Iblīs :
« Et lorsque Nous enjoignîmes aux anges de se prosterner devant Adam, ils se prosternent sauf
Iblīs qui était un djinn et qui se déroba à l’ordre de son Seigneur. Le prendrez-vous, lui et sa
postérité, pour alliés en dehors de Moi alors qu’ils sont vos ennemis ? Quelle détestable
substitution pour les iniques ! »
50. Ce bref paragraphe est centré sur le rapport étroit entre les actions de l’homme et son
devenir. Les œuvres sont comparées à l’adjectif épithète, qui dans la syntaxe suit totalement
l’objet qualifié. Cet accord, au niveau grammatical, implique le genre, le nombre, la
détermination et le cas. Dans le Naḥw al-qulūb, toutes ces déterminations syntaxiques ont un
équivalent intérieur, dans le miroir de la grammaire des cœurs. Le naʿt et le waṣf reflètent les
actions du serviteur : elles suivent son essence et ne se séparent jamais de lui. On retrouve donc
dans ce passage la pédagogie spirituelle de Qušayrī qui exige du murīd une unité d’être et
d’action. Le passage à l’allusion est possible parce que le terme arabe pour « adjectif qualificatif »,
waṣf, signifie aussi « qualité ». Le processus de l’išāra ici comme dans des autres passages du Naḥw
al-qulūb est basé sur le sens étymologique de la notion grammaticale.
51. Qušayrī base son išāra sur le retour au sens propre du mot ʿaṭf. Dans la grammaire des cœurs,
les deux éléments reliés sont Dieu et son serviteur. Cette union (wuṣūl) est possible grâce à une
forme de ʿaṭf spécial : l’amour de Dieu, son ʿaṭf (inclination, affection, sollicitude) envers ses
créatures. Le verbe ʿaṭafa comprend les deux sens : ʿaṭafa ilā signifie « rattaché à » ; ʿaṭafa ʿalā,
comme dans le texte de Qušayrī, « éprouver de la compassion pour ». Ce passage nous montre
que dans la doctrine de Qušayrī, le wuṣūl est possible seulement comme don divin et non comme
fruit des œuvres. Il est une conséquence de ce ʿaṭf et s’accompagne du luṭf.
52. Taḥqīq au sens grammatical signifie la réalisation de l’acte.
53. Dans le texte de Qušayrī, le principe du tawkīd est ramené à son sens étymologique de
confirmation et de renforcement. Il s’agit toujours d’une relation entre deux éléments d’une
phrase, et de la confirmation de l’un par l’autre. Dans le sens allusif que lui attribue l’auteur, le
tawkīd devient la réalisation spirituelle.

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54. Ce dernier chapitre nous montre le sommet de la réalisation spirituelle, propre des êtres
réalisés, al-muḥaqqiqūn. On voit aussi que Qušayrī utilise la terminologie de Kufa et de Baṣra,
lorsqu’il emploie les notions de ḫafḍ et ǧarr. « L’abaissement » auquel sont soumis les mots dans
la grammaire ordinaire, devient dans la grammaire des cœurs l’image du tawāḍuʿ, l’humilité
devant Dieu. L’élément qui génère cette attitude est une prise de conscience centrale dans le
cheminement spirituel : l’unité des choses en Dieu, seul et unique vrai agent de la réalité. Parmi
les particules du cas indirect, Qušayrī se contente de citer explicitement l’annexion (iḍāfa). Le fait
d’être « lié » à Dieu, génère l’état de ḫafḍ de l’âme individuelle, de même que l’annexion
grammaticale cause le cas oblique dans le terme annexé. Cette catégorie d’êtres sont ceux que
Dieu a élevés au degré de sa proximité : il faut remarquer qu’il s’agit d’une proximité supra-
temporelle. Qušayrī ne dit pas qu’ils seront, dans le Paradis, dans cette proximité : mais qu’ils le
sont déjà dans cette vie, dans un rapport mutuel entre l’abaissement et l’élévation.
55. L’éditeur du texte signale que, à la marge du titre, dans un des manuscrits utilisés pour la
rédaction de l’édition critique du Naḥw al-qulūb, on trouve les vers suivants. T. Ivàny suggère
qu’ils ont été ajoutés par un copiste du manuscrit.
56. Allusion au fait que le ḥāl, dans son sens spirituel, est un don, alors que les maqāmāt sont des
acquisitions (makāsib).

RÉSUMÉS
La sacralité que l‘islam reconnaît à la langue arabe a poussé les auteurs mystiques à développer
une attention particulière au langage et à ses éléments constitutifs. Si donc la reconnaissance du
caractère sacrale du langage a été d‘un coté la base sur laquelle les soufis ont forgé leur lexique
mystique, elle est aussi à l‘origine d‘un développement doctrinal, beaucoup moins connu jusqu‘à
nos jours, qui repose sur une lecture symbolique des règles de la grammaire arabe et de son
lexique. Ce texte d‘Abū al-Qāsim al-Qušayrī représente un des plus anciens essais d‘interprétation
mystique de la terminologie grammaticale.

‫الطابع القدسي الذي يضيفه اﻹسﻼم على اللغة العربية دفع بالمؤلفين المتصوفين إلى‬
‫ فإذا كان اﻻعتراف بالطابع القدسي للغة‬.‫ونة‬ّ ‫المزيد من اﻻنتباه للغة وعناصرها المك‬
‫ فهي أيضا ً في أصول تطوير‬،‫ لنحت معجمهم الصوفي‬،‫ للصوفية‬،‫ من جهة‬،ً ‫أساسا‬
‫ وهو قائم على قراءة رمزية لقواعد العربية‬،‫ل انتشارا ً حتى يومنا هذا‬ ّ ‫ أق‬،‫عقائدي‬
‫ نص أبي القاسم القشيري أحد أقدم المحاوﻻت لشرح المفردات الصرفية‬.‫ومعجمها‬
.ً ‫شرحا ً صوفيا‬

The sacredness that Islam acknowledges to arabic language has brought the mystical authors to
pay a special attention to the language and his constituent elements. The recognition of the
sacred character of speech represents the base on which Sufis formed their mystical lexicon.
Moreover, it has also been at the origin of a doctrinal development, not well know until
nowadays, which essays a symbolic lecture of Arabic grammar and its lexicon. This text of Abū al-
Qāsim al-Qušayrī represents one of the oldest treatises on mystical interpretation of grammar
terminology.

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AUTEUR
FRANCESCO CHIABOTTI
Doctorant à l’Université de Provence

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Comptes rendus

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Reuven AMITAI, The Mongols in the


Islamic Lands, Studies in the History
of the Ilkhanate
Ashgate, Variorum Collected Studies Series, 2007, 372 p.

Alaa Talbi

RÉFÉRENCE
Reuven AMITAI, The Mongols in the Islamic Lands, Studies in the History of the Ilkhanate,
Ashgate, Variorum Collected Studies Series, 2007, 372 p.[ISBN : 978-0-7546-5914-3]

1 Cet ouvrage, divisé en trois grandes parties, regroupe un ensemble d’articles publiés
par R. Amitai (professeur à l’université hébraïque de Jérusalem) qui sont consacrés à
l’étude des relations entre les Ilkhanides et les Mamelouks de 658/1260 à 723/1323.
Cette période, caractérisée par des affrontements militaires et des tentatives de
rapprochement, aboutit enfin à la réconciliation juste avant l’effondrement de
l’Ilkhanat persan.
2 Dans la première partie (Institutions et Historiographie), R. Amitai expose l’historique
du titre « Īlḫān » en démon-trant qu’il n’existe aucune preuve dans les sources qui
atteste des circonstances dans lesquelles ce titre fut adopté. Par contre, il confirme qu’à
partir de 657/1259 cette titulature apparaît sur les monnaies. Dans un second article, il
décrit le fonctionnement du système de l’iqṭā’ dans le milieu nomade türko-mongol. En
partant d’un constat, la dissemblance entre les administrations seldjoukide et mongole
(bien qu’elles soient issues de tenants du pouvoir d’un milieu nomade proche), les
pratiques en la matière s’exercent de manière très différentes.
3 L’A. montre également l’utilité et la richesse des sources mameloukes pour tenter de
comprendre la situation dans le camp « adverse », en d’autres termes les Ilkhanides. Il
s’appuie en particulier sur al-Nuwayrī (m. 733/1333), un auteur bien informé sur les
Mongols. R. Amitai lui reconnaît une vision des Mongols qui lui est propre et qui est un

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peu différente de celle de la classe mamelouke dirigeante (Baybars al-Manṣūrī,


m. 725/1325, par exemple). Ainsi, il dépouille les biographies de Rašīd al-Dīn,
présentées et annotées par les chroniqueurs mamelouks, qui fournissent beaucoup
d’informations sur son cursus intellectuel et sa carrière politique. Par ailleurs, les
sources mameloukes sont les seules à témoigner de son rôle dans l’attaque mongole de
la Syrie par Ġāzān (r. 695-704/1295-1304). Les sources mameloukes apportent un
éclairage différent des sources persanes qui souvent sont moins précises et plus
partiales. À travers ce bref aperçu historiographique, on peut constater que les
informations circulaient en dépit du contexte conflictuel.
4 Dans la deuxième partie du volume (Conversion des Mongols à l’islam), R. Amitai suit la
genèse, l’évolution et le « caractère » qui ont marqué cette « islamisation ». Le premier
ilkhan à se convertir fut Aḥmad Tegüder (r. 680-683/1284-1282) poussé par une
conviction personnelle et la personnalité de certains soufis. Mais il a échoué à imposer
l’islam comme religion officielle de l’État, un échec qu’il paya de sa vie. En 695/1295, la
conversion de Ġāzān constitua un événement très important pour la classe dirigeante
mongole et les sujets de l’Ilkhanat persan. L’auteur présente les deux aspects de la
conversion, de Ġāzān. En premier lieu, il met l’accent sur l’aspect politique de cette
conversion à savoir la mobilisation de ses sujets musulmans pour le soutenir dans sa
lutte contre son rival, Baidu. Ġāzān voulait également consolider son indépendance vis-
à-vis du grand khan mongol. En second lieu, il souligne l’aspect « syncrétique » de cette
conversion puisque Ġāzān continua à maintenir plusieurs coutumes et traditions
mongoles. Un islam contesté et même rejeté par les théologiens musulmans, comme
Ibn Taymiyya (m. 728/1328) par exemple. R. Amitai tente de déceler les acteurs de
l’islamisation des Ilkhanides. Il partage l’idée du rôle actif des soufis dans l’islamisation
des tribus türkes en Asie : Seldjoukides et autres. On trouve quelques attestations du
rôle des soufis dans le processus d’islamisation des Mongols dans la poésie arabe de
l’époque mamelouke qui, par exemple, considère Ġāzān comme un faqīr. Par contre,
l’auteur nie un autre facteur : celui de la similitude entre les soufis et les chamanes qui
auraient poussé l’élite mongole à se convertir. Les soufis ont constitué une partie de
l’entourage des Ilkhans, mais il y avait d’autres « hommes de religion » et des
théologiens chiites.
5 La troisième partie (Guerres ilkhano-mameloukes) est consacrée à l’étude des conflits
qui opposèrent les Mongols et les Mamelouks entre 658/1260 (date de la bataille de
ʿAyn Ǧālūt) et 723/1323 (date de la signature d’un traité de paix). Ce traité fut négocié
par un marchand d’esclaves, un certain Maǧd al-Sallāmī (on notera au passage le rôle
important joué par les marchands tant du côté ilkhanide que mamelouk). R. Amitai fait
remarquer que les sources persanes sont quasi muettes sur la signature de ce traité. Il
étudie les raids mongols et la notion de « frontières » entre les deux États rivaux. Il
effectue une comparaison entre le raid sur la Palestine de 658/1260 et celui qui eut lieu
en 699/1300, au cours duquel les forces mongoles n’ont pas rencontré d’opposition
sérieuse. Mais il existe une divergence entre les deux événements : la Palestine, qui
était le champ de bataille en 658/1260, passa de nouveau sous contrôle mamelouk en
699/1300, sans bataille. L’A. en conclut que cette région n’était pas la cible directe des
Ilkhanides.
6 R. Amitai s’intéresse ensuite aux combats sur le front nord de la Syrie c’est-à-dire tout
le long de l’Euphrate. Les Mamelouks avaient développé une stratégie (militaire,
espionnage) afin de contrôler les régions frontalières. Ces frontières « militaires » ont

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donné naissance aux frontières « politiques » résultant avant tout des données
géographiques : un fleuve, l’Euphrate. Pourtant, de part et d’autre de ces frontières, il
existait une parenté ethnique et linguistique puisque Mamelouks et Mongols étaient
issus des steppes eurasiennes. Un facteur qui n’a pas empêché le développement d’une
guerre idéologique sans merci entre les deux États.
7 R. Amitai s’attache également à étudier minutieusement deux exemples de batailles, un
choix qui n’est pas arbitraire puisque le vainqueur n’est pas le même dans les deux cas :
victoire mamelouke, en 658/1260, sur le commandant en chef de Hülegü, victoire
mongole, en 699/1300, concrétisée par la prise de Damas. Il nous propose une lecture
« révisée » des sources grâce à un regard sur le terrain et les données topographiques.
Cette approche lui permet de reconstituer le déroulement de la bataille de ʿAyn Ǧālūt et
d’en confirmer les résultats : un gain de prestige et de légitimité pour les sultans
mamelouks. À propos de la campagne de Ġāzān sur Bilād al-Šām en 699/1300, l’auteur
s’emploie à reconstituer le déroulement des événements d’une manière souple et
motivante basée sur la confrontation des sources mameloukes, syriaques et persanes. Il
tente de clarifier les motifs qui ont poussé Ġāzān à se retirer du Bilād al-Šām malgré
l’écrasante victoire mongole. Des problèmes de logistique (la chaleur, selon Rašīd al-
Dīn) pourraient expliquer ce retrait, mais il devait surtout faire face à une invasion du
territoire ilkhanide oriental des Chaghataïdes.
8 R. Amitai s’est également intéressé aux relations diplomatiques et, en particulier, à
l’échange épistolaire entre Abāqa (r. 663-680/1265-1281) et Baybars
(r. 658-675/1260-1277) qui eut lieu en 667/1268-1269. L’Ilkhan propose la paix, « ṣulḥ »,
ce qui en réalité correspond à une demande de soumission inconditionnelle. Dans un
autre article, l’auteur explique qu’Abāqa a tenté de s’allier avec l’Occident latin contre
les Mamelouks d’Égypte. L’Ilkhan a profité du contexte des Croisades et a envoyé ses
ambassadeurs au roi Édouard Ier d’Angleterre (r. 670-707/1272-1307), ambassade restée
sans suite. Le dernier article de ce volume est consacré au traité de paix signé entre
Mamelouks et Ilkhanides en 723/1323 mettant ainsi fin à soixante ans de conflits. L’A.
s’interroge, à partir des résultats directs de ce traité de paix, sur l’avenir de ces deux
États. Il constate que le sultanat mamelouk parvint à se maintenir plus de deux cents
ans alors que l’on assiste par contre à l’effondrement de l’Ilkhanat de Perse en
735/1335, une décennie seulement après la signature du traité.

AUTEURS
ALAA TALBI
Doctorant à l’université de Manouba (Tunis)/École pratique des hautes études (Paris)

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AMITAI, R. et BIRAN, M. (éd),


Mongols, Turks and Others: Eurasian
Nomads and the Sedentary World
Brill, Leiden (Brill’s Inner Asian Library, 11), 2005, XX-556 p.

Denise Aigle

RÉFÉRENCE
AMITAI, R. et BIRAN, M. (éd), Mongols, Turks and Others: Eurasian Nomads and the
Sedentary World, Brill, Leiden (Brill’s Inner Asian Library, 11), 2005, XX-556 p.

1 Cet important volume est consacré à étudier les contacts entre nomades et sédentaires
en Eurasie. Il est divisé en quatre parties précédées par une « introduction » rédigée
par les deux éditeurs (p. 1-11). De nombreuses annexes complètent utilement l’ouvrage,
ainsi qu’un index (p. 535-550). L’ensemble de la bibliographie n’a pas été regroupé en
fin de volume, mais les sources et études utilisées par chaque contributeur au volume
figurent à la suite de chaque article. Cependant, une bibliographie unique aurait été
utile au lecteur intéressé par les contacts entre nomades et sédentaires sur la longue
durée. Il ne sera rendu compte ici que des contributions qui concernent le Proche-
Orient et le monde musulman oriental. Les autres articles ne seront signalés que par
une référence bibliographique.
2 La première partie (Early Contacts) comporte trois articles : G. Shelach, « Early Pastoral
Societies of Northeast China: Local Change and Interregional Interaction during c.
1100-600 BCE » (p. 15-58) ; Y. Pines, « Beasts or Humans: Pre-Imperial Origins of the
“Sino-Barbarian” Dichotomy » (p. 59-102) ; A. I. Ivantchik, « Early Eurasian Nomads and
the Civilizations of the Ancient East (Eighth-Seventh Centuries BCE) » (p. 103-126).
3 La deuxième partie (The Pre-Mongol Period) comporte également trois contributions : N.
Standen, « What Nomads Want: Raids, Invasions and the Liao Conquest of 947 »
(p. 129-174) ; M. Biran, « True to their Ways: Why the Qara Khitai did not Convert to

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Islam » (p. 175-199). Dans cet article, l’A. pose la question de la « non-conversion » à
l’islam des Qarakhitai, alors que la majorité de leurs sujets, surtout en Transoxiane,
étaient musulmans. En cela, ils se distinguent des autres empires originaires de la
steppe, qu’ils soient antérieurs, comme les Qarakhanides, ou postérieurs, comme les
Mongols d’Iran, de la Horde d’Or et d’Asie centrale. M. Biran postule qu’ils ne se sont
pas convertis en raison de leur attachement à leur identité eurasienne et aux traditions
chinoises qu’ils avaient incorporées au moment où ils exerçaient leur domination sur la
Chine du Nord, sous le nom dynastique chinois de Liao. L’A. précise (p. 175) que ces
éléments avaient la même fonction que l’islam pour d’autres dynasties nomades.
L’étude de Y. Frenkel, « The Turks of the Eurasian Steppes in Medieval Arabic Writing »
(p. 201-241) est fondée sur une énorme quantité de sources, depuis l’époque sassanide
et byzantine. L’A. fait remarquer que, dans les sources arabes, le mot « Türk » est
devenu un terme générique qui s’est étendu à des peuples de la steppe eurasienne qui
ne l’étaient pas. En fait, les auteurs arabes considéraient comme étant des Türks tous
les peuples qui étaient soumis à l’autorité du Qa’an, leur souverain suprême (p. 205). Y.
F. constate que les récits des auteurs arabes présentent souvent de solides informat-
ions d’ordre politique. Il est dommage que l’A. n’ait pas établi une distinction entre les
historiens quasi contemporains des faits et ceux qui, écrivant au Xe siècle, par exemple,
rapportent des récits d’avant la période islamique. Ces derniers doivent être soumis à
une critique interne. Y. F. considère que dans ces récits, fiables selon lui, sont insérées
des histoires plus ou moins mythiques sur ces peuples qui, aux yeux des Arabes, étaient
un peu exotiques. On pourrait en dire autant de l’emploi du terme « Tatar » dans les
sources mameloukes. Ce mot, lui aussi, devint à l’époque mongole un terme générique
pour désigner les Mongols (les vrais Tatars étaient des Türks). Le terme Tatar englobait
souvent les populations qui, en Eurasie, vivaient sous leur contrôle. L’identification des
Türks, puis des Mongols aux peuples de l’eschatologie biblique (Gog et Magog), puis
coranique (Yāǧūǧ wa Māǧūǧ) est une image colportée par les sources chrétiennes
orientales, latines et islamiques.
4 La troisième partie (The Mongol Empire and its Successsors) représente le cœur de
l’ouvrage. Elle nous offre sept contributions de valeur inégale : P. Jackson dans « The
Mongols and the Faith of the Conquered » (p. 245-290) examine l’attitude des Mongols
vis-à-vis des autres systèmes religieux que le chamanisme. P. J. suggère que les récits
des chrétiens ont tendance à exagérer la position conciliante de Činggis Khan en la
matière. Les Mongols, de fait, exploitaient la sensibilité religieuse des puissances avec
lesquelles ils étaient en contact. Dans certaines correspondances diplomatiques, les
Khans mongols revendiquent un lien de parenté avec le Prêtre Jean (personnage
légendaire que l’Occident latin a forgé au XIIe siècle). La mère du grand Khan Güyük est
présentée comme la fille du Prêtre Jean, de même, l’épouse d’Hülegü, le conquérant de
Bagdad, est désignée comme la fille du « très puissant Jean, roi de l’Inde 1 ». Činggis
Khan avait une attitude de conciliation avec toutes les communautés religieuses, du
moment où elles ne s’opposaient pas à l’ordre politique mongol. Comme le fait
remarquer l’A., les Mongols restaient dépendants de leurs chamanes. Ces derniers
étaient des personnages importants parce qu’ils étaient dotés de pouvoirs magiques,
divinatoires et médicaux. C’est d’ailleurs pourquoi les Mongols entretenaient de bonnes
relations avec les spécialistes des autres religions qui pouvaient leur rendre des
services similaires (p. 264). En outre, c’est aussi l’une des raisons qui explique la
présence de beaucoup de cheikhs soufis dans l’entourage des Ilkhans, des soufis qui
souvent n’étaient pas de la plus pure orthodoxie 2. D. Morgan reprend dans « The

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Great Yasa of Chinggis Khan Revisited » (p. 295-308) un dossier qui a souvent prêté à
controverse entre les chercheurs. H. Kim, « A Reappresal of Güyük Khan » (p. 309-338) ;
L. Yin-sheng, dans « War and Peace between the Yuan Dynasty and the Chaghadaid
Khanate (1312-1323) » (p. 339-358), se penche sur la fin des luttes pour le pouvoir entre
les descendants de Činggis Qan. Après la disparition du grand Khan Ögedei, les relations
entre les Yuan et les Chaghataides se dégradèrent considérablement vers 1312-1313.
Une fois la paix restaurée, l’A. écrit que les Yuan réussirent à maintenir un contrôle sur
les khanats gengiskhanides, ce qui n’est pas très exact. En effet, les Yuan ont toujours
entretenu de bonnes relations, pour ne pas dire des liens solides, avec les Ilkhans, ce
qui n’était pas le cas avec les Khans de la Horde d’Or, alliés des Mamelouks d’Égypte
contre les Mongols d’Iran. R. Amitai, dans « The Resolution of the Mongol-Mamluk
War » (p. 359-390) explique de façon éclairante les raisons qui explicitent la conclusion
du conflit qui opposa Mamelouks et Ilkhans pendant une soixantaine d’années. Ce
conflit s’acheva pendant le règne d’Abū Sa‘īd (r. 1316-1335) par la négociation. L’A.
désigne ces années de guerres épisodiques comme une « cold war » qui était alimentée
par des manœuvres diplomatiques, l’envoi d’espions, des raids relativement nombreux
(mais sans lendemain) et plusieurs véritables confrontations militaires. Plusieurs
raisons ont conduit Abū Sa‘īd à se résoudre à conclure la paix. D’une part, il était bien
conscient du manque de succès des conflits précédents, en particulier les raids menés
par son père, Öljeitü, à la bataille d’al-Raḥba (fin 1312-1313), puis à la veille de sa mort
en Syrie du Nord en 1316 (p. 363). D’autre part, l’Ilkhan était confronté à des difficultés
intérieures et extérieures. Par conséquent, en 1318, il était prêt à faire la paix. Les
négociations furent menées par un marchand d’esclaves (qui approvisionnait les
armées mameloukes), un certain al-Maǧd al-Sallāmī. En 1323, le statu quo fut ratifié par
les deux parties. R. Amitai fait remarquer que les sources persanes sont quasi muettes
sur ces événements (p. 372). Il suggère qu’Abū Sa‘īd avait compris qu’il ne lui serait
jamais possible, ni de défaire les Mamelouks, ni de réaliser le grand rêve des Ilkhans :
faire la conquête du Bilād al-Šām et de l’Égypte. Il faut souligner que l’islamisation des
Mongols d’Iran n’a pas joué un rôle important dans ce processus de paix. En effet, les
incursions les plus nombreuses dans le Bilād al-Šām eurent lieu alors que les Ilkhans
étaient convertis à l’islam. Ġazan a mené le plus grand nombre de raids dans la région 3.
Abū Sa‘īd, en raison de son jeune âge, est, finalement, le premier des « Ilkhans
fantoches ». Au début de son règne, il n’avait pas assez d’autorité face aux grands
émirs 4. Ce fut particulièrement le cas avec le tout puissant Amīr Čūpān dont il
parviendra finalement à se débarrasser 5. Nous sommes en effet à la veille de la
dislocation de l’Ilkhanat persan. N. Di Cosmo dans un article très documenté « Mongols
and Merchants on the Black Sea Frontier in the Thirteenth and Fourteenth Centuries:
Convergences and Conflicts » (p. 391-424) explique que la création de l’Empire mongol a
ouvert un large espace géographique à la circulation des hommes, des idées, des
techniques et, surtout, des grands négociants internationaux. Il montre le rôle majeur
de la Crimée et de la mer Noire où les marchands italiens (Vénitiens et Génois) étaient
très implantés. Cette région devint le lieu de contacts par excellence entre la
Méditerranée orientale et l’Extrême-Orient. B. Forbes Manz dans « Nomad and Settled
in the Timurid Military » (p. 425-457) argumente de manière convaincante qu’étant
donné les conflits inter-Timourides, le contrôle des villes devint l’élément clef et le
symbole de la souveraineté de la dynastie.
5 Enfin, la quatrième partie (Into the Modern Period) comporte trois articles : E. Endicott,
« The Mongols in China: Cultural Contacts and the Changing Nature of Pastoral

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Nomadism (Twelfth to Early Twentieth Centuries) » (p. 461-481) ; M. Grammer, « Russia


and the Eurasian Steppe Nomads: An Overview » (p. 483-502) ; A. M. Khazanov et K. H.
Shapiro, « Contemporary Pastoralism in Central Asia » (p. 503-534).
6 L’intérêt de ce livre qui fera date est d’aborder la question des contacts entre nomades
et sédentaires selon différentes facettes et dans une perspective de longue durée.

NOTES
1. Sur le rôle du Prêtre Jean dans les correspondances, voir J. RICHARD, « La lettre du connétable
Smbat et les rapports entre Francs et Mongols au milieu du XIIIe siècle », Armenian Studies, 1986, p.
683-693 (Études arméniennes. In Memoriam Haig Berberian, éd. D. Kouymjian) et D. AIGLE, « The Letters
of Eljigidei, Hülegü and Abaqa: Mongol Ouvertures or Christian Ventriloquism? », Inner Asia, vol.
7/2, 2005, p. 143-162.
2. Voir, par exemple, Reuven AMITAI-PREISS, « Sufis and Shamans: Remarks on the Islamization on the
Mongols in the Ilkhanate », Journal of the Economic and Social History of the Orient, vol. 42/1, 1999, p.
27-46 ; idem., « The Conversion of Tegüder Ilkhan to Islam », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, vol.
25, 2001, p. 15-43.
3. Voir D. AIGLE, « La légitimité islamique des invasions de la Syrie par Ghazan Khan », Eurasian
Studies, vol. V/1-2, 2006, p. 5-29 ; idem., « The Mongol invasions of Bilād al-Shām by Ghāzān Khān
and Ibn Taymiyya’s three ‘anti-Mongol’ fatwas », Mamluk Studies Review, vol. 11/2, 2007, p. 89-120.
4. Voir, Ch. MELVILLE, « Abū Sa‘īd and the Revolt of the Amirs in 1319 », in L’Iran face à la
domination mongole, études réunies par D. Aigle, Téhéran, Institut français de recherche en Iran,
1997, p. 89-120 (Bibliothèque iranienne, 45).
5. Voir Ch. MELVILLE, The Fall of Amir Chupan and the Decline of the Ilkhanate, 1327-37: A Decade of
Discord in Mongol Iran, Bloomington, 1999 (Papers on Inner Asia, 30).

AUTEURS
DENISE AIGLE
Directrice d’études à l’EPHE/CNRS UMR 8167 « Orient et Méditerranée »

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Jo VAN STEENBERGEN,Order out of


Chaos: Patronage, Conflict and
Mamluk Socio-Political Culture,
1341-1382
Leiden, Brill, 2006, 210 p.

Bethany J. Walker

REFERENCES
Jo VAN STEENBERGEN,Order out of Chaos: Patronage, Conflict and Mamluk Socio-Political Culture,
1341-1382, Leiden, Brill, 2006, 210 p.

1 There has been a growing interest among Mamluk historians in periods of transition
and the mechanisms of social and political change. Inspired by studies on the decline of
the Mamluk state, which have sought in the fourteenth century the roots of the
political and economic malaises so lamented by contemporary observers in the
fifteenth, recent scholarship has begun to redefine the post-plague era as one of multi-
faceted transformations, reevaluating social and economic developments of the time as
reflections of imperial dynamism and pragmatism.1 In this regard, attention has
increasingly been drawn to Sultan Barqūq (d. 801/1399), whose reign is being
appreciated as one of positive innovations in the Mamluk body politic and its financial
institutions.2
2 Van Steenbergen’s Order out of Chaos is an important contribution to these efforts. This
monograph, based on his doctoral dissertation, is the first systematic investigation of a
period too long neglected in Mamluk historiography: the critical years between the
death of Sultan al-Nāṣir Muḥammad in 741/1341 and the accession of Barqūq in
784/1382. Traditionally dismissed as an erratic and transitory stage in the history of
the Mamluk state, when the throne was occupied by several minors and was, moreover,

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a confusing period of rebellions and political collapse, Van Steenbergen engages these
years precisely because of their chaotic and “transitory” character. That the period was
more than one of transition between the Bahri and Burji regimes, that it had a
momentum of its own, is based on his claim that social and political changes “were not
‘cloaked’ under any institutional disguise and therefore were more significant and
revealing than ever” (p. 5). The author rejects an institutional approach to political
change for prosopography, building a biographical database of the “Effective Power”-
holders of the era, identifying their professional and personal networks, and
investigating the ways in which they were nurtured. What is new about his approach is
his emphasis on socio-political process, over structures, and individual action, over the
functions of state institutions.
3 Building on earlier works by Lapidus and Chamberlain, Van Steenbergen comes to
understand the political dynamics of the period through the socio-political interactions
of individuals.3 By examining the political and economic patronage of officers of the
state and the networks they built on that basis, he redefines what has been
traditionally described as a period of “chaos” as one of creativity in conflict, where
political struggle was not necessarily destructive: security and order could result from
penetration of an amir’s circle of patronage into Mamluk society beyond his own
household (p. 169-70). Successful patronage and ever expanding networking resulted in
what the author describes as “Effective Power”, which he differentiates from the
“Legitimate Power” of elite institutions, such as the sultanate. Explicating his ideas
about the exercise of socio-political power, and the development of Mamluk political
culture, he divides his analysis into three parts, which constitute different chapters of
the book: Legitimate Power, Effective Power, and Struggle for Power. In addition to
Egyptian source material, he pulls heavily on Syrian chronicles and biographies for
each chapter (making greatest use of Ibn Qāḍī Šuhba, al-Kutubī, Ibn Kaṯīr, and al-
Ṣafadī), a choice that in the opinion of this reviewer depens the author’s analysis. The
Syrian source material, which is underutilized in Mamluk studies on the whole,
provides uniquely local perspectives on political events of the period, as well as
detailed information about the activities of individual amirs, their personal and
professional relations outside of Egypt, and the composition of their households.
4 In the first chapter the author evaluates the long-term implications of the
transformation of the Mamluk elite over the course of the fourteenth century, in the
absence of major large-scale military operations, from a military body into a body
politic (p. 15-19). The politicization and demilitarization of both the sultanate and
amirates { — the “legitimate” power holders — channeled professional activity into
socio-political networking and over time redefined the function and authority of
previously military offices in those terms. In this analysis, the prerogatives of the
sultan were gradually limited to the promotion of amirs, as military activity was
limited and high-ranking amirs came to control the sultanic fisc. On this latter point,
the author does not elaborate, and this is one area of scholarly inquiry that should be
explored in the future. Institutions and offices in this period were simply opportunities
– their realm of authority and function were what the officer made of them (p. 45).
5 Chapter Two is devoted to the effective, rather than institutional, exercise of power
through the cultivation of personal and professional ties among sultans, amirs, and
mamluks, based on the ability to grant a favor (ni‘ma), such as an office (with iqṭā‘
assignment) or cash reward, and to intercede for the same to a higher level patron on

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behalf of a client. The ability to gratify larger numbers of clients in this manner was,
Van Steenbergen argues, the key to acquiring and using political power in Mamluk
society. The author considers several strategies used in building such networks:
mediation (šafā‘a), kinship (in its many forms), distribution of iqṭā‘āt under one’s
control, and guardianship over minors on the throne.
6 The author explores the roots of political chaos in Chapter Three. Here he identifies
seventy-four socio-political clashes (described in Appendix Three), arguing that
rebellions and quarrels among patrons were largely the result of frustrated
professional ambitions: with less opportunities for advancements in the military-
political hierarchy, and decline in the number of military offices, mamluks and lower-
ranking officers turned to more powerful patrons in their bids for offices and the
lucrative iqṭā‘āt that went with them (p. 132). Although he does not identify the reasons
for the decline in the numbers of offices and iqṭā‘āt in this period, he does suggest that
ever expanding circles of patronage and the introduction of numerous new clients into
the system created intense competition for patrons and increasingly limited financial
resources. He divides the period into six “episodes” when dominant networks emerged,
creating periods of stability, however temporary, led by four generations of effective
patrons: those of the senior amirs of al-Nāṣir Muḥammad, their juniors, the former
clients of al-Nāṣir Ḥasan, and the mamluks of Yalbūġa (p. 171).
7 The concluding chapter reiterates a theme that pervades the work: the system, as a
whole, and most individuals desired stability and security, even if their behavior and
decisions frequently threatened it. When dominant network emerged, they created, for
a time, stable structures that functioned as the most effective governing institutions
once did. In a final analysis, Van Steenbergen offers tantalizing thoughts on Barqūq’s
reign that are particularly relevant to current debates on his institutional reforms:
Barqūq’s accession to the throne was made possible by the simultaneous disappearance
of the Qalawunid line and the ability of an Effective Power-holder to unify “his network
with the realm’s institutional framework” (p. 168).
8 The work closes with three appendices, two of which are the biographical databases
upon which the author’s analysis was based. The first includes a list and reign dates of
the Qalawunid sultans. The second constitutes a list of what the author considers to be
the effective power-holders of the period and includes twenty-seven amirs and seven
sultans, summaries of their political and military careers, references to the primary
sources that initially provided the biographical data, and cross-references to entries in
Appendix Three. The latter details in brief narrative form the socio-political conflicts of
the period that are the basis of this study. His examples of conflict include arrests of
amirs, rebellions against sultans, abandonment of old patrons for new ones, conflicts
over financial resources between sultans and amirs and the general struggle for control
over the Treasury, dethronements of sultans, the murder of amirs by other amirs,
politically-motivated rumor-mongering and intimidation, and perceived offenses
(verbal and physical) by one officer against another (p. 189-196). Collectively the
appendices are accessible references and conveniently replace what could have been
long and unwieldy footnotes within the text.
9 The work as a whole is valuable for its methodology, selection of sources, and
chronological coverage in gaining a better understanding of the exercise of power
among the Mamluk elite. However, the author risks trivializing, or ignoring, important
institutional developments through his exclusive emphasis on individual actors and

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their networks, which, he implies, take over the roles played previously by the
institutions of the state (political, financial, administrative). A basic premise of the
work — that acts of patronage within the ruling elite defined the political culture of the
second half of the fourteenth century and created networks out of which the more
stable structures of the Burji period developed — is convincingly argued throughout.
Nonetheless, traditional governing institutions continued to restrict and shape political
behavior in this period, though in different ways than before: the author himself notes
that respect for the institution of sultanate, and for the Qalawunid dynasty, specifically,
limited political ambitions to intra-amiral rivalries, rather than grabs for the throne (p.
26, 134-6). To fully appreciate the complexities of the late Qalawunid era, we need to
consider, as well, the relationship between political networking and the transformation
of Mamluk institutions. In this regard, one should consider recent scholarship on
Mamluk financial reforms, which has explored changes in the form and function of
foundational institutions such as the iqṭā‘ and awqāf systems previous to and during
Barqūq’s reign.These changes were more than the “haphazard institutional evolution”
of military offices described herein (p. 43) and were part of a gradual evolution of
financial practices over time and by multiple policy-makers. Clearly, the networks
examined in Van Steenbergen’s work are meaningful within an institutional context,
even if these institutions did not function as they did previously. Human relations, in
general, operate and develop in a culturally determined environment, the parameters
of which are largely defined by institutional structures and negotiated by socio-
political actors. One cannot, and should not, divorce the institutional from the
behavioral.
10 Van Steenbergen’s work is, nonetheless, a masterful and very valuable evaluation of
the transition between the Bahri and Burji Mamluk periods and offers, for the first time
in many years, a refreshing sociological perspective on Mamluk political culture. For
those interested in Mamluk “decline”, Barqūq’s reign, and the socio-political contexts
of the reforms of the post-plague era, it is a “must-read”.

NOTES
1. One should note among these works are Amalia LEVANONI’s A Turning Point in Mamluk History:
The Third Reign of al-Nasir Muhammad ibn Qalawun (1310-1341), (Leiden, 1995) and the proceedings of
the panel entitled “Decline or Transformation: The Economy of the Late Medieval Middle East”
convened at the International Conference on Medieval Studies at the University of Western
Michigan in May 2005, the papers published in Mamluk Studies Review 11.1 (2007).
2. See, in this respect, Daisuke IGARASHI, “The Establishment and Development of al-Diwan al-
Mufrad: Its Background and Implications”, Mamluk Studies Review 10.1 (2006),117-140. Articles on
related topics by Igarashi and others are forthcoming in the same journal.
3. The works include Ira LAPIDUS’ Muslim Cities in the Later Middle Ages (Cambridge, MA, 1967) and
Michael CHAMBERLAIN’s Knowledge and Social Practice in Medieval Damascus, 1190-1350, (Cambridge,
1995).

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AUTHORS
BETHANY J. WALKER
Assistant Professor at Missouri State University

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Paul M. COBB, Usama ibn Munqidh.


Warrior-Poet of the Age of the Crusades
Oxford, Oneworld Publications, 2005 (Makers of the Muslim World), ISBN
1-85168-403-4

Benjamin Michaudel

RÉFÉRENCE
Paul M. COBB, Usama ibn Munqidh. Warrior-Poet of the Age of the Crusades, Oxford, Oneworld
Publications, 2005 (Makers of the Muslim World), ISBN 1-85168-403-4

1 Paul M. Cobb propose à travers le présent ouvrage, Usama ibn Munqidh. Warrior Poet of
the Age of the Crusades, une relecture de la vie de l’émir et de sa production littéraire
dans un Proche-Orient troublé par les croisades et les luttes intestines. Il montre dans
quelle mesure ce personnage peut légitimement apparaître comme l’un des artisans
majeurs du monde musulman au XIIe siècle.
2 L’ouvrage est accessible aux non-spécialistes par son texte allégé des notes de bas de
pages et du fait de l’adoption du calendrier grégorien et d’une police de translittération
simple. Il s’achève par une bibliographie concise et claire, un choix de lectures
complémentaires, un lexique des principaux protagonistes et une liste chronologique
des souverains et des dynasties du XIIe siècle. Publié dans un format in-octavo
parfaitement adapté, le livre de 136 pages est articulé autour de cinq grandes parties.
Les illustrations sont absentes, à l’exception d’une carte du Proche-Orient et d’une vue
de la forteresse de Šayzār.
3 La préface rend hommage aux orientalistes H. Derenbourg et P. Hitti pour leurs travaux
d’édition et de traduction du Kitāb al-I‘tibār, et plus généralement pour la diffusion des
écrits d’Usāma b. Munqiḏ en Occident avant le milieu du XXe siècle. L’auteur présente
ensuite en introduction le Proche-Orient à l’aube du XIIe siècle, divisé entre les
Seldjouqides et les Fatimides mais offrant une grande liberté religieuse et une
importante diversité ethnique.

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4 Les trois premières parties, bien agencées par Paul M. Cobb, nous plongent dans le récit
passionnant de la vie d’Usāma, de sa naissance à Šayzār à sa mort à Damas à l’âge de 93
ans, ponctuée par sa jeunesse « princière » dans sa ville de naissance, ses séjours
successifs à Damas, à Jérusalem, au Caire, à Diyār Bakr, comme ambassadeur auprès des
croisés, comme conseiller auprès de personnalités comme Zangī, Nūr al-Dīn, Saladin.
5 L’auteur développe ensuite les thèmes principaux abordés par Usāma dans ses divers
écrits, en soulignant les convictions politiques, religieuses et sociales de l’émir par
rapport à une vision critique du monde des Francs dont les épisodes cités étaient autant
de leçons à retenir pour ses contemporains. Enfin, la postface répond à la question de
l’apport d’Usāma b. Munqiḏ au monde musulman, en présentant l’émir comme un
personnage majeur de son temps dont la contribution ne s’est faite ni sur le champ de
bataille ou dans un palais, mais dans ses écrits.
6 Au final, cet ouvrage s’impose comme une référence dans l’étude d’Usāma b. Munqiḏ et
de son œuvre littéraire, en soulignant l’image du « guerrier-poète » et en développant
celle du témoin et acteur de premier plan des grands événements de son époque qui a
élevé dans ses écrits la piété, la culture et la vertu aux rangs de valeurs humaines
essentielles qui, pour lui, faisaient défaut aux Francs.

AUTEURS
BENJAMIN MICHAUDEL
Pensionnaire scientifique à l’IFPO (Damas)

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400

Philip F. Kennedy (éd.), On Fiction


and Adab in Medieval Arabic Literature
Wiesbaden, Harrassowitz Verlag (« Studies in Arabic Language and
Literature », 6), 2005, xxii+326 p. ISBN 3-447-05182-5

Abdallah Cheikh-Moussa

RÉFÉRENCE
Philip F. Kennedy (éd.), On Fiction and Adab in Medieval Arabic Literature, Wiesbaden,
Harrassowitz Verlag (« Studies in Arabic Language and Literature », 6), 2005, xxii+326 p.
ISBN 3-447-05182-5

1 L’ouvrage recensé ici reprend les communications faites dans le cadre du « Workshop
in Medieval Arabic Literature » qui s’est tenu les 21 et 22 avril 2000 à l’université de
New York (Department of Middle Eastern Studies). Il est dédié à la mémoire de Rina
Drory. Le thème de cet atelier était « Defining Fiction and Adab in Medieval Arabic
Literature ».
2 Ces communications sont au nombre de dix. Elles sont toutes suivies d’une
bibliographie, certaines d’annexes. En voici les titres et les noms des auteurs :
• « ʿAbbasid Myth and the Human Act: Ibn ʿAbd Rabbih and others », Julia Bray ;
• « Min Jumlat al-Jamadāt. The Inanimate in Fictional and Adab Narrative », Daniel Beaumont ;
• « Probability, Plausibility, and ‘Spiritual Communication’ in Classical Arabic Biography »,
Michael Cooperson ;
• « Verses and Taxes: The Function of Poetry in Selected Lierary Akhbār of the Third/Ninth
Century », Beatrice Gruendler ;
• « The Use of Composite Form in the Making of the Islamic Historical Tradition », Stefan
Leder ;
• « Masʿūdī and the Reign of al-Amīn: Narrative and Meaning in Medieval Muslim
Historiography », Julie S. Meisami ;

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• « Serendipity, Resistance, and Multivalency: Ibn Khurradādhbih and his Kitāb al-Masālik wa-l-
Mamālik », James E. Montgomery ;
• « Al-Ḥārith ibn Ẓālim and the Trope of Baghy in the Ayyām al-ʿArab », Walter Oller ;
• « Symbolic Narratives of Self: Dreams in Medieval Arabic Autobiographies », Dwight F.
Reynolds ;
• « Defining Adab by (Re)defining the Adīb: Ibn Abī Ṭāhir Ṭayfūr and Storytelling », Shawkat
Toorawa.
3 Elles sont précédées d’une préface de Philip F. Kennedy dont une bonne partie essaie de
restituer l’intervention orale faite par Rina Drory à ce même atelier, six mois environ
avant son décès, intervention qui s’intitulait « Modeling Reality through Fiction in
Classical Arabic Culture » et qui visait à montrer comment la fiction a été
« instrumentalisée » par la société islamique, à ses débuts, pour « modeler la réalité »,
qu’elle est, dans la littérature arabe classique, un creative mode, en concurrence avec un
historical/reporting mode, dans la création et le développement de modèles ou de
paradigmes du passé comme du présent. Cette concurrence ou opposition correspond à
celle qui aurait existé entre les spécialistes de la poésie et ceux du Coran et du ḥadīṯ.
4 Auparavant, Philip F. Kennedy fait le constat, pour ne pas dire l’aveu, de l’impossibilité
de définir et la fiction et l’adab. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle « Defining » qui
figurait dans l’intitué de l’atelier a été remplacé par le plus « nébuleux » « On ». Et c’est
très certainement la question la plus importante que pose ce recueil, riche, touffu
parfois, voire contradictoire, mais stimulant toujours la réflexion : les notions
(d’aucuns disent « concepts » !) de fiction et d’adab sont-elles forcément antagonistes
et, plus encore, sont-elles vraiment opératoires ? Une première réponse est donnée par
les communications elles-mêmes : aucune ou presque ne traite d’un ouvrage dit d’adab
dans son intégralité, c’est-à-dire comme un tout, non comme un « agrégat » d’aḫbār,
sérieux ou plaisants, de caractère « historique » ou « fictionnel », de passages en prose
ou en vers, dans lequel on puise pour les besoins de la démonstration. Ce faisant, on
reconduit, implicitement et délibérément ou non, des jugements tels que ceux que l’on
pouvait lire sous la plume des orientalistes, mais pas seulement, des générations
précédentes : l’adab cultive l’éclectisme et le coq-à-l’âne. La longue citation de Tarif
Khalidi, p. xii-xiii de la préface, tirée d’un compte rendu paru dans Times Literary
Supplement (n° 5061, 31 mars 2000, p. 8) en porte témoignage : « The Adab style was of
necessity eclectic, variegated, full of asides. […] Clearly, Adab does not correspond to literature
in the strict sense; perhaps the happiest synonym so far suggested is [the] Greek Paideia. »
L’auteur de ces lignes avoue ignorer ce qu’est la littérature au sens strict alors que l’on
parle de l’époque classique ou médiévale (on ne manquera pas d’ailleurs de relever le
flottement dans la caractérisation de l’époque considérée par les communications, elle
est médiévale pour les uns, classique pour les autres), aussi bien en Occident qu’en
Orient.
5 Comme le lecteur l’aura noté, toutes les communications ont été classées dans l’ordre
alphabétique des noms de leurs auteurs, à l’exception de la première, c’est dire
l’importance que l’éditeur lui accorde. Et il est vrai que cette intervention se distingue
par l’espace consacré à la réflexion « théorique » qui précède l’étude proprement dite.
Le postulat de départ est que l’adab doit être pris/compris, de manière générale, comme
une toile de mythes (a web of myth), et l’adīb comme un « mythographe » qui ne peut
donner sens à son entreprise de sélection et d’arrangement des matériaux [qu’il

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402

reprend aux prédécesseurs ?] que si l’interprétation de ces derniers excède les


rubriques dans lesquels il les a « rangés ».
6 Le dénominateur commun à la majeure partie de ces études est de montrer comment
les « récits », qu’ils se veuillent historiques ou anhistoriques, sont « construits », à
partir de techniques narratives communes ou similaires, aussi bien structurales que
thématiques ou rhétoriques. Il s’agit donc pour l’essentiel d’analyses narratologiques,
et on ne peut qu’être frappé par l’absence quasi totale de référence aux études en
langue française ou arabe consacrées à ce domaine. Abstraction faite de Gérard Genette,
qui est cité par Daniel Beaumont, nulle trace dans l’ouvrage des chercheurs
francophones tels que Paul Ricoeur, Algirdas J. Greimas ou Pierre Brunel qui a
beaucoup écrit sur les mythes littéraires ou la mythopoétique des genres, ni, la thèse de
Muḥammad al-Qāḍī exceptée, des études arabophones comme celles de Ḥammādī
Ṣammūd, al-ʿĀdil Ḫiḍr [al-Adab ʿinda l-ʿArab, Tunis, Manšūrāt kulliyyat al-ādāb - La
Manouba/Dār Saḥar li-l-našr, 2004], Ṣāliḥ Bin Rumḍān [al-Rasāʾil al-adabiyya wa-dawruhā
fī taṭwīr al-naṯr al-ʿarabī l-qadīm (mašrūʿ qirāʾa šiʿriyya) , Tunis, Manšūrāt kulliyyat al-ādāb
- La Manouba, 20011 =Beyrouth, Dār al-Farābī, 20072] ou de ‘Abd al-‘Azīz Šbīl [Naẓariyyat
al-aǧnās al-adabiyya fī l-turāṯ al-naṯrī : ǧadaliyyat al-ḥuḍūr wa-l-ġiyāb, Sfax-Sousse,
Kulliyyat al-ādāb - Sousse/Dār Muḥammad ʿAlī al-Ḥāmī, 2001], etc., pour ne citer que
les plus récents. Les travaux des « arabisants » français contemporains sont tout autant
ignorés, et il est difficile de mettre cet « oubli » sur le compte de je-ne-sais-quelle
maîtrise insuffisante de la langue de Molière.
7 On Fiction and Adab est, certes, une contribution importante à la connaissance de la
production narrative arabe pré-moderne et qui ne manquera pas de susciter des
réactions positives ou négatives. Dommage, cependant, qu’elle ne prenne en compte
que la seule, pour ainsi dire, recherche anglo-saxonne.

AUTEURS
ABDALLAH CHEIKH-MOUSSA
Professeur à l’Université de Paris 4 Sorbonne

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URVOY Dominique et Marie-Thérèse,


L’Action psychologique dans le Coran
Paris, Cerf, 2007, 104 p., ISBN 978-2-204-08368-3.

Anne-Sylvie Boisliveau

RÉFÉRENCE
URVOY Dominique et Marie-Thérèse, L’Action psychologique dans le Coran, Paris, Cerf, 2007,
104 p., ISBN 978-2-204-08368-3.

1 Dans ce petit ouvrage de la collection « Patrimoines islam », Dominique et Marie-


Thérèse Urvoy font part au lecteur de leurs réflexions et recherches concernant les
caractéristiques rhétoriques du Coran, afin de mettre à jour sa « volonté pédagogique »
(p. 24). Dans une introduction assez développée, ils précisent leur intention : exposer
comment le texte coranique conduit le lecteur, grâce à ces techniques rhétoriques, à
être convaincu d’éléments dogmatiques — explicites ou simplement suggérés. Ce qui
aurait conduit à la « certitude psychologique » caractéristique de la foi musulmane.
Prenant en considération les incertitudes quant à l’histoire de la mise en forme du
texte coranique, ils estiment légitime de s’interroger sur « l’intention de signification »
qui a pu caractériser la version canonique, et sur « l’impact du texte sur les humains »
(p. 26). Puis, à titre d’exemple, ils mettent en évidence l’intensification d’un thème (le
défi lancé aux contradicteurs de Muḥammad de produire un texte semblable au Coran)
à travers ses cinq occurrences coraniques : prises dans l’ordre chronologique des
sourates supposé par R. Blachère, ces occurrences présentent une intensification par
« concentration », « amplification », « renversement », « répétition » et
« martèlement ». Ainsi, D. et M.-Th. Urvoy entendent « voir si des mécanismes de ce
genre (…) interviennent à l’intérieur même de séquences isolables et sont ainsi
susceptibles d’agir sur le mental du mémorisateur (ḥāfiẓ) du Coran, et même du simple
lecteur ou auditeur » (p. 31). Même si l’exemple présenté ici semble mal choisi 1, le
travail sur de tels éléments peut contribuer très utilement à comprendre davantage les
intentions du texte coranique.

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2 Les auteurs exposent leur thèse en quatre chapitres, consacrés chacun à un type de
procédés rhétoriques qui sont utilisés dans le texte, décrits à l’aide d’exemples et de
tableaux.
3 Les procédés « rythmiques » mis en avant sont les accélérations ou au contraire les
ralentissements dans la reprise ou l’alternance d’éléments. Ces procédés « par
harcèlement et auto-exaspération » (p. 39) peuvent consister à mettre en parallèle deux
discours de plus en plus virulents en les alternant, par exemple la mise en parallèle
d’apostrophes à Muḥammad lui ordonnant quelles réponses donner à ses
contradicteurs, avec des remarques en aparté lui signifiant que cela est inutile, ce qui
mène le lecteur (ou l’auditeur) à l’exaspération et l’idée qu’il est impossible de discuter
avec ces contradicteurs.
4 Les procédés « structurels », notamment le fait de développer progressivement un
thème et de le mettre en regard avec une autre donnée, orientent le lecteur/auditeur
vers une idée implicite : par exemple, les récits sur les vies des prophètes antérieurs, à
chaque prophète un peu plus développés, complétés par l’idée que Muḥammad est le
dernier des prophètes, poussent « automatiquement l’auditeur ou le lecteur à reporter
sur ce dernier tous les thèmes évoqués auparavant, étant sous-entendu qu’il les dépasse
par ailleurs. (…) non seulement la révélation coranique récapitule, comme elle
l’annonce explicitement, les révélations antérieures, mais le texte nous suggère
implicitement que la vie même du Prophète de l’islam récapitule et prolonge dans ses
vicissitudes celles des prophètes du passé » (p. 60).
5 Les procédés « subliminaux » apparaissent soit lorsqu’« un thème principal et un thème
secondaire s’entrecroisent de façon à permettre l’introduction subreptice d’un
troisième thème qui n’est pas développé mais qui apparaît comme appelé
nécessairement par ce qui précède » (p. 69), soit « par glissement », c’est-à-dire que
lorsqu’on est dans un contexte « apparemment tout différent de la thématique qu’il
s’agit d’introduire », on mène « une progression plus insidieuse permettant d’instiller
dans l’esprit de l’auditeur ou du lecteur, de façon pratiquement subliminale, une autre
idée-force, laquelle ne fera cependant pas l’objet d’une affirmation dogmatique de la
part de la Révélation elle-même » (p. 71). Dans l’exemple accompagnant cette deuxième
possibilité, tiré de la sourate al-Nisā’, « l’autorité personnelle du Prophète est
subrepticement introduite à la faveur d’une progression parallèle au thème principal »
(p. 71), tout comme s’il « s’agissait de « faire passer en douceur » quelque chose de
« difficile à avaler » (p. 73).
6 Enfin, en ce qui concerne les procédés « argumentatifs », D. et M.-Th. Urvoy constatent
dans les exemples étudiés que « l’argumentation énoncée est court-circuitée par l’appel
à autre chose (qui peut être de nature diverse). Plus généralement, dans le discours
coranique, on assiste souvent à un entrecroisement de plusieurs thèmes qui se
soutiennent les uns les autres par le jeu des résonances psychologiques », par exemple
par « alternance entre récriminations et jugements positifs ». « Bref, on a affaire à une
logique essentiellement émotionnelle » (p. 88), résument les auteurs, qui dévoilent que
techniquement le texte procède à une « recherche de la persuasion par une démarche
de “déplacement de la preuve”, c’est-à-dire projection de l’effet psychologique obtenu
en un lieu sur un autre lieu ». Le déplacement de la preuve peut être soit « transversal »
[quand une « reprise en forme de symétrie a pour résultat de projeter l’effet
psychologique obtenu par le premier développement sur le second » (p. 91)], soit
« longitudinal » [lorsqu’il y a « cheminement unique, mais où les thèmes, voire les

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mots, voient leur sens progressivement modifié, notamment par amplification » (p.
92)].
7 À la fin des chapitres concernant les procédés rythmiques et subliminaux, les auteurs
analysent la façon dont les commentateurs de l’époque classique ont perçu ces
procédés. « Si les commentateurs n’ont pas saisi le mécanisme de la démarche
persuasive du Livre, ils en ont ressenti totalement les effets » (p. 82). De façon générale,
les commentateurs ne décrivent pas les procédés rythmiques, mais noient les questions
fondamentales dans une abondance de détails philologiques, et même, étant
« totalement imprégnés de ce que [le texte] veut transmettre » (p. 42), ils
surenchérissent sur celui-ci. Il en est de même pour les procédés subliminaux : les
commentateurs n’ont a priori pas saisi, à part Rāzī, l’insertion implicite de l’obéissance
due au Prophète, mais contribuent à en faire une obéissance valable en tout temps
envers la sunna ou le pouvoir politique ou religieux. Ce qui conduit D. et M.-Th. Urvoy à
déclarer : « Ce qui est le plus remarquable, c’est que ce caractère politique de l’islam se
rattache non à une affirmation dogmatique de la révélation, qui pourrait alors faire
l’objet d’une discussion claire, mais à une persuasion insidieuse » (p. 83).
8 Dans cet essai sérieux, l’analyse du contenu des passages étudiés et parfois aussi
quelques expressions piquantes prennent souvent le dessus sur l’analyse des procédés
eux-mêmes. On aurait gagné, semble-t-il, à avoir un exposé des procédés plus technique
et plus direct, avec une distinction plus claire entre les procédés, même si l’ouvrage
ouvre la voie vers des études plus poussées. Il semble être du choix des auteurs de
présenter davantage ce que ces procédés engendrent que les procédés eux-mêmes. Ils
écrivent dans la postface : « Le lecteur a pu constater que la plupart du temps ces
procédés sont mis en œuvre pour soutenir l’image du Prophète de l’islam, à savoir ce
qui constitue la seconde partie de la profession de foi » (p. 97), et suggèrent que c’est
parce qu’il était difficile au Coran d’affirmer directement l’autorité temporelle de
Muḥammad que le texte « est obligé de procéder indirectement, par des voies
détournées de persuasion » (p. 99). Ainsi, « Le Coran n’est donc pas simplement un
texte rappelant ce que porte en chaque homme sa “nature originelle” (fiṭra) (…). Il est
ce texte plus les effets psychologiques induits par telle ou telle de ses séquences sur la
personne du Prophète, sur les relations des “croyants” avec les adeptes des autres
religions, etc. Et ces effets psychologiques sont d’autant plus prégnants que le temps
s’est écoulé » (p. 100). En définitive, la thèse principale de cet essai est d’affirmer que
les outils rhétoriques de persuasion utilisés dans le Coran sont tellement implicites et
forts qu’ils marquent de façon à la fois inconsciente et définitive la pensée islamique,
notamment en ce qui concerne l’obéissance due au Prophète et les rapports avec les
autres religions. Il est évident que, d’une part, les outils rhétoriques, dont les outils de
persuasion, font partie intégrante de tout texte discursif et exhortatif, surtout d’un
texte fondant une nouvelle religion ; et que, d’autre part, la lecture et l’audition de ce
texte au cours des siècles ont façonné la mentalité des croyants. Toutefois, rappelons
qu’il est également important de ne pas réduire les mentalités des adeptes d’une
religion à ce que contient leur texte fondateur, mais d’être conscient qu’elles sont aussi
façonnées par leurs interactions continuelles avec la société de leur temps. Ici, en ce qui
concerne spécifiquement l’action du texte fondateur sur les mentalités, il est bien
entendu qu’une approche de l’islam au moyen d’une lecture du Coran qui ne prendrait
pas en compte les composantes rhétoriques et persuasives du texte serait trop
simpliste, naïve et réductrice. C’est le point fort de cet ouvrage de le rappeler, ainsi que
d’offrir des pistes de recherche en mettant en évidence, bien que succinctement, divers

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procédés de persuasion. Une fois de plus, il est montré que les études coraniques ont
beaucoup à gagner des analyses littéraires et rhétoriques.

NOTES
1. Y a-t-il vraiment un grand nombre de lecteurs qui lisent le Coran dans l’ordre chronologique
supposé d’apparition des sourates ? La progression remarquée est plutôt un signe du
développement historique du texte, comme l’a montré notamment la chercheuse allemande A.
Neuwirth.

AUTEURS
ANNE-SYLVIE BOISLIVEAU
Ancienne boursière à l’IFPO (Damas). Chercheur associée à l’IREMAM

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N. H. HEINEN, Proverbes égyptiens


relatifs aux poissons et aux oiseaux
(traduction française Ch. Vial). Le Caire, Institut français d’archéologie
orientale, 2007 « Bibliothèque générale, 30 », 367 p.

Katia Zakharia

RÉFÉRENCE
N. H. HEINEN, Proverbes égyptiens relatifs aux poissons et aux oiseaux, (traduction française
Ch. Vial). Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2007 « Bibliothèque
générale, 30 », 367 p.

NOTE DE L’ÉDITEUR
Texte arabe : p. 1-124 ; p. 125-166 index des termes arabes cités dans les proverbes.
Texte français : p. 1-165 ; p. 167-177 : annexe 1 (diverses versions des proverbes) ; p.
179-194 : tableau des concordances.

1 Il s’agit d’un ouvrage agréable à lire, dans lequel sont consignés 369 proverbes ayant en
commun la thématique annoncée dans le titre à savoir les poissons ou les oiseaux. Le
corpus a été rassemblé, pour une petite part, lors d’une « enquête de terrain »,
spontanément entreprise par l’auteur durant un séjour d’apprentissage professionnel
« à Maṭariyya, qui domine le lac Manzala » (p. 2). Il a été complété par des relevés
effectués dans neuf sources manuscrites ou imprimées, s’étendant du IXe au XXe siècles
et rapidement présentées dans l’introduction.
2 Les proverbes (il s’agit en réalité de proverbes et d’expressions lexicalisées) sont
regroupés par chapitres, en référence aux espèces auxquelles ils font allusion,
respectivement les poissons (en général), les serpents et anguilles, le šāl (ou zaqzūq,
petit poisson du Nil), le tilapia (ou chromis), le silure, le barbeau, le lébis, le mulet salé,
le crabe et le dauphin. Pour les oiseaux, l’aigle, le faucon, le milan, le vautour, le

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corbeau, la bergeronnette grise, la foulque, la grue, le hibou et la chouette, la huppe, le


cormoran, le héron, le faux-ibis, le paon, l’autruche, le pigeon et la colombe, l’oie, le
canard ; les poule, poulet et poulette ; le coq, le passereau, les oiseaux en général, enfin
l’œuf. On n’en sera pas surpris, le nombre de proverbes par chapitre est très variable,
certains n’en contenant qu’un seul. Les modalités qui ont présidé à l’ordre suivi dans la
présentation sont expliquées p. 10 et les parties pour lesquelles il n’y a pas « d’ordre
particulier » signalées (ibid.). Une table des matières plus détaillée que celle qui est
proposée en arabe et en français, limitée aux deux entrées « poissons » et « oiseaux »
aurait été la bienvenue.
3 Les chapitres suivent tous la même logique. Pour chaque espèce, une petite
présentation générale précède les proverbes. Elle peut décrire l’animal concerné,
évoquer les raisons pour lesquelles il est devenu proverbial ou expliquer la manière
dont il est chassé ou pêché. Suite à cela, dans la partie en arabe, chaque proverbe est
mentionné, précédé par un numéro. Dans la partie en français, chaque proverbe est
présenté à la fois en arabe et dans sa traduction française, avec le même numéro que
dans la partie en arabe. Le proverbe est suivi par un bref paragraphe, en arabe ou
traduit en français, dans lequel sont généralement précisées sa signification et les
conditions de son emploi, parfois des explications lexicales, ou des traits anecdotiques
liés à son utilisation ou supposés expliquer le processus de proverbialisation.
4 Pour déterminer l’apport de l’ouvrage à la littérature populaire égyptienne, il est
indispensable de se demander comment peut être estimée « l’égyptianité » des
proverbes recueillis. À cet égard, le corpus soulève au moins trois questions : celle du
degré de parenté de certains proverbes avec le patrimoine ancien et savant en langue
arabe ; celle de l’emploi de certains proverbes dans d’autres régions du monde arabe. La
troisième question concerne la diachronie : quelle part de cet intéressant corpus est
toujours en usage ?
5 Avant de revenir en détail sur les deux premières questions, quelques mots à propos de
la troisième. Comme cela a été dit plus haut, les sources utilisées, rapidement décrites
p. 4-8, sont des sources écrites qui s’étendent sur plusieurs siècles. Assembler ces
proverbes par thème a un intérêt indéniable, mais l’absence de toute différenciation
entre les énoncés qui sont toujours dans l’usage, ceux qui l’étaient encore il y a peu et
ceux qui ne le sont plus, parfois depuis fort longtemps, aurait apporté un éclairage
précieux. Présentés en synchronie (à quelques exceptions près, tel le proverbe 87 qui
est daté), ces proverbes, dictons ou expressions risquent d’apparaître à un lecteur non
averti comme étant, tous, toujours également vivants dans l’usage. Certes, il est des
proverbes qui ont la vie dure et qui traversent aisément les siècles et les régions, pour
diverses raisons qu’il n’est pas lieu de développer ici. Mais nombre d’autres sont
éphémères de sorte que le mélange adopté dans le recueil, s’il sert l’approche
thématique, n’en est pas moins gênant.
6 Les deux autres questions, mentionnées plus haut, ont trait, l’une et l’autre, à des faits
de langue, de culture et d’histoire des textes. Le lecteur ne pourra manquer de se
demander ce qu’il faut entendre précisément par l’expression Proverbes égyptiens,
figurant dans le titre de l’ouvrage. L’introduction laisse entendre qu’il s’agit moins de la
prendre dans une acception large que d’insister sur l’existence « d’un caractère
proprement égyptien » (p. 2) pour ce corpus. C’est pourquoi, sans démentir ce qui a été
dit sur le caractère plaisant de l’ouvrage ni contester sa richesse et son utilité pour une

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meilleure connaissance du patrimoine proverbial populaire ou savant, quelques


réserves sont ici de rigueur.
7 En effet, de nombreux proverbes classés dans l’ouvrage en tant que proverbes
égyptiens le sont davantage dans un élan enthousiaste qu’au terme d’une démarche
raisonnée d’un point de vue linguistique et/ou anthropologique. Il n’est guère possible
de considérer, par exemple, l’énoncé inna al-buġāṯ bi-arḍi-nā yastansir (p. 49/p.38), déjà
cité dans les Amālī d’al-Qālī (m. 967 ?), les Proverbes d’al-Maydānī (m. 1124) ou les
Maqāmāt d’al-Ḥarīrī (m. 1122) (au passage, il s’agit de trois auteurs abbassides
« iraquiens ») comme un proverbe « égyptien ». On peut faire la même remarque à
propos de l’expression ġurāb al-bayn (p. 58), déjà présente dans le Kitāb al-‘ayn d’al-Ḫalīl
(m. 786 ?) et dont les attestations poétiques les plus célèbres sont chez les poètes
‘uḏrites ḥiǧaziens. Plus généralement, tous les éléments recueillis, qui peuvent se
retrouver dans des sources antérieures à l’époque mamelouke, notamment dans le Kitāb
al-ḥayawān d’al-Ǧāḥiẓ (puisqu’il est précisé, p. 8, qu’il est utilisé comme source et
référence explicite) auraient dû être présentés comme des énoncés appartenant au
patrimoine culturel commun au monde arabo-musulman médiéval savant, plutôt que
comme des énoncés égyptiens typiques et vivants. Les proverbes cités par les auteurs
mamelouks ou plus tardifs ne peuvent être davantage spécifiquement rattachés à une
aire géographique égyptienne, aussi longtemps qu’on les retrouve dans d’autres
sources de même époque, composées dans d’autres régions de l’Orient, même ceux que
cite Ibšīhī 1, qui était « égyptien » et plus sensible que d’autres à l’aspect vernaculaire et
populaire de la langue.
8 Ces proverbes anciens posent donc un problème de classification, à la fois géographique
et culturel. Mais ils en posent également un autre sur le plan linguistique. Bien qu’il n’y
ait pas de barrière étanche entre langue arabe littérale et langues vernaculaires ou
dialectes, il est un peu délicat de ne pas tenir compte de ces deux espaces linguistiques
distincts, surtout quand des siècles les séparent. Les incidences de la diglossie sur les
choix faits par l’auteur en ce qui concerne la vocalisation des proverbes ne sont pas
sans susciter des interrogations, le système adopté n’étant ni régulier ni explicité. En
effet, autant on peut comprendre que les voyelles désinentielles soient remplacées par
un sukūn, s’agissant des énoncés en égyptien, langue dans laquelle les déclinaisons sont
absentes, autant il est inattendu de voir les énoncés en arabe littéral, tantôt
entièrement vocalisés, tantôt partiellement vocalisés (voir par exemple proverbe 324),
enfin vocalisés parfois avec les codes de l’arabe dialectal. L’irrégularité se vérifie d’un
proverbe à l’autre : dans le proverbe 324, la voyelle permettant de faire la liaison n’est
pas donnée mais elle l’est dans 333. Elle s’observe, parfois, à l’intérieur du même
proverbe. Ainsi, dans le proverbe 333, qui vient d’être cité, on peut lire buġāṯu ṭ-ṭayri
akṯar firāḫan (seul le terme en gras n’a pas de désinence). Cela est troublant pour le
lecteur averti, même s’il peut rétablir lui-même les règles syntaxiques ou phonétiques.
Mais cela est, de plus, problématique pour le lecteur qui serait moins confirmé en
langue arabe.
9 Une autre modalisation opportune aurait consisté à ne pas perdre de vue que certains
des proverbes recueillis sont également en usage dans d’autres régions ou pays du
monde arabe. Certes, il est pratiquement impossible de retracer le cheminement de ces
proverbes ; de même, il est impensable, sans un travail de recherche engageant
plusieurs personnes sur une longue durée, de faire une collecte exhaustive de la totalité
des proverbes en cours dans diverses régions (complétant les travaux qui existent déjà).

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Pour autant, il est un peu délicat de présumer à ces énoncés une « naissance »
forcément égyptienne. Par exemple, à un mot près (zayy est remplacé par m etl), le
proverbe 207 « Comme l’oie, maternelle sans mamelles » s’employait encore en Syrie
dans les années 1950. Il peut être compris aujourd’hui par la transparence de sa
signification, mais il n’est plus dans l’usage. Par contre, on emploie toujours en Syrie et
au Liban, « Acheter du poisson dans la mer (baḥr) » (proverbe 7) pour « vendre la peau
de l’ours avant de l’avoir tué ». Certes, baḥr désignera pour les uns la Méditerranée et
pour les autres le Nil, mais on voit bien comme il peut être délicat de localiser
spécifiquement ces propos. L’ouvrage contient donc de nombreux proverbes utilisés
ailleurs qu’en Égypte avec la même signification et dans le même contexte. Il en inclut
aussi quelques-uns qui s’emploient ailleurs dans un contexte différent. Ainsi,
l’expression rapportée en 337 ‘alā ṭ-ṭāyir (au vol), dont il est dit qu’elle s’emploie pour
désigner « celui qui aborde une affaire sans étude ni examen » (p. 151) s’emploie
couramment au Liban pour désigner celui qui a un esprit vif et capte les choses
rapidement.
10 Par-delà les défauts qui viennent d’être signalés, il ne faut pas oublier la difficulté qu’il
peut y avoir à constituer de tels corpus. Le nombre de proverbes réunis est à lui seul et
en tant que tel un indice de la richesse du terrain exploré. Cette collecte, qui fixe un
corpus en partie éphémère, est une démarche utile et intéressante, même si elle n’est
pas tout à fait académique.

NOTES
1. C’est la vocalisation retenue par l’Encyclopédie de l’Islam, pour cet auteur également désigné
comme Abīhī (c’est le cas dans notre ouvrage).

AUTEURS
KATIA ZAKHARIA
Professeur à l’université Lyon 2 / CNRS GREMMO - UMR 5195

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Daniella TALMON-HELLER, Islamic Piety


in Medieval Syria. Mosques, Cemeteries
and Sermons under the Zangids and
Ayyūbids (1146-1260)
Brill, “Jerusalem Studies in Religion and Culture, volume 7”, Leyde-
Boston,2007, XVI + 306 p, 4 cartes, index.

Abbès Zouache

RÉFÉRENCE
Daniella TALMON-HELLER, Islamic Piety in Medieval Syria. Mosques, Cemeteries and Sermons
under the Zangids and Ayyūbids (1146-1260), Brill, “Jerusalem Studies in Religion and
Culture, volume 7”, Leyde-Boston,2007, XVI + 306 p, 4 cartes, index.

1 L’une des difficultés majeures que l’historien médiéviste doit surmonter est de
reconstituer le passé à partir de données partielles et souvent partiales. Il lui appartient
de les regrouper et de les analyser avec le plus grand soin, car elles seules lui
permettent d’imaginer le monde mouvant et lointain qu’il s’est choisi comme objet
d’étude. À tout instant, il jongle plus ou moins habilement entre la déduction et
l’imagination. Déduire donc d’autant plus lorsque l’histoire qu’il s’attache à écrire est
une histoire du non-événementiel et donc, selon l’expression de Jacques Le Goff, une
histoire de l’implicite 1. Imaginer évidemment, mais en sachant précaution garder :
l’histoire qu’il écrit doit être, tout à la fois, « imagination et contrôle de l’imagination
par l’érudition 2 »(Antoine Prost). Daniella Talmon-Heller, qui s’était déjà distinguée
par des publications certes de portée plus limitée mais également de qualité 3, apparaît
plutôt bien armée sur ces deux points : sa démarche est toujours précautionneuse vis-à-
vis de ses sources, nombreuses et de genres divers (très largement littéraires
— narratives et didactiques essentiellement, plus rarement archivistiques et,
contrairement à ce qu’on pouvait attendre, moins souvent encore architecturales et

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artistiques 4) ; et ce n’est pas sans solides garde-fous bibliographiques (voir la


Bibliographie, p. 271-286 ; quelques oublis importants sont néanmoins à déplorer 5)
qu’elle propose à ses lecteurs d’embarquer pour « un voyage virtuel à travers les cités,
villes et villages de province [syriennes] du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siècle » (p.
1).
2 Dans l’Introduction (p. 1-26), où la piété n’est pas définie 6, Daniella Talmon-Heller
précise quelque peu son invitation au voyage : elle propose de se pencher sur la vie
religieuse de l’ensemble des croyants du Bilād al-Šāmaux époques zangide et
ayyoubide, dont on sait depuis longtemps qu’elles furent marquées tout à la fois par
une réunification politique sous l’égide de pouvoirs turcs et/ou kurdes, et par la
poursuite du « Sunnī revival » (George Makdisi 7), les deux processus entrant en
interaction, d’une part sous la forme de la « consolidation et l’épanouissement, en
Syrie, d’un islam populaire ressourcé à d’anciennes traditions et volontiers
triomphaliste » (Dominique Sourdel et Janine Sourdel-Thomine 8), d’autre part via une
réaction à la croisade de plus en plus souvent nommée « contre-croisade » (ainsi par D.
Talmon-Heller9).
3 À vrai dire, D. Talmon-Heller réfute d’abord le concept de « religion populaire »,
conformément aux tendances récentes de l’anthropologie religieuse. Son ambition est
de dépasser le « modèle dichotomique » qui distingue « religion des élites cultivées »
(ḫāṣṣa) et « religion des masses » (‘āmma), et qui oppose une « version officielle,
normative et orthodoxe de la religion » à une « version populaire, hétérodoxe et
folklorique » (p. 1). Cela ne l’empêchera pas, lorsqu’il sera temps d’examiner, dans son
ouvrage, les « perceptions et pratiques de piété personnelle dans la Syrie zangide et
ayyoubide » (Partie III, chap. 7, p. 213-224), de traiter « séparément » (separately) les
groupes sociaux (sans doute par commodité ?)10.
4 Plus largement, D. Talmon-Heller se propose de répondre au « challenge » proposé en
son temps par Oleg Grabar qui se demandait s’il ne fallait pas expliquer les
transformations du paysage urbain proche et moyen-oriental, au XIIe siècle, par
l’expansion de formes de piété variées qui nécessitèrent la construction « d’unités
sociales de plus petites tailles » (p. 23). Un examen minutieux des textes doit permettre
à D. Talmon-Heller de confirmer une « intuition », celle que la « vie religieuse (religious
life) a dû être assurée par des assemblées de fidèles plus ou moins cohésives – soit des
groupes de personnes – qui entretenaient des relations étroites, respectaient les mêmes
traditions et avaient un sens de la solidarité » (p. 23).
5 La première partie, la plus développée (« Mosques », p. 29-249), s’avère dès lors la plus
intéressante – notamment parce qu’aux yeux de D. Talmon-Heller, les mosquées
paraissent constituer les « institutions les plus à même de produire des assemblées de
fidèles (congregations) définissables » (p. 24). Par-delà cette « production », que les
sources ne permettent pas toujours de saisir clairement, c’est surtout le rôle majeur des
mosquées (mosquées principales, mosquées de quartiers, petits oratoires et mosquées
de village dont on ne sait pratiquement rien) qui est souligné par D. Talmon-Heller.
Selon elle, un « réseau fourni de mosquées se répandit à travers la Syrie » ayyoubide (p.
31 ; une carte des édifices mentionnés aurait été bienvenue). En ces temps de
prospérité, les constructions se multiplièrent donc, parallèlement à l’expansion des
institutions (madrasas, ḫanqa-s, mausolées)sur lesquels Yasser Tabbaa mettait quant à
lui l’accent 11. Sans doute faut-il expliquer cette frénésie de construction par
l’impulsion donnée par les souverains et les cercles de pouvoir, ainsi que par les

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immigrants, du moins dans les grands centres urbains. D. Talmon-Heller suggère


également de les expliquer par des « facteurs socio-religieux » tels que « l’islamisation
et l’approfondissement de l’engagement religieux » (mais une étude du processus
d’islamisation en Syrie reste à faire), à moins qu’il ne faille y voir une conséquence de
tensions religieuses plus prégnantes ou de la fragmentation des communautés en
petites entités cherchant à marquer leur identité particulière. Mais D. Talmon-Heller ne
parvient aucunement à étayer cette hypothèse, qu’elle est d’ailleurs elle-même amenée
à qualifier de « conjecture » qui « ne peut être confirmée par nos sources » (p. 45).
6 Dans tous les cas, la mosquée syrienne avait des fonctions diverses, déterminées
évidemment par sa taille, son lieu d’implantation et/ou son mode d’administration. Un
savoir y était dispensé, des messages religieux et/ou politiques y étaient transmis, par
exemple à travers les prêches. D. Talmon-Heller rappelle également à quel point les
mosquées étaient des lieux de sociabilité multiforme, où les pauvres comme les ascètes
pouvaient se reposer, des voyageurs se rencontrer (notamment des soufis), des savants
discuter… et tout un chacun vénérer qui un saint, qui une relique. Malgré quelques
exemples d’intervention des fidèles, il semble bien qu’il faille conclure à l’absence de
toute tentation d’autogestion, si l’on excepte le milieu ḥanbalite. Les fidèles n’en
avaient pas moins parfois droit au chapitre. Le commun pouvait d’ailleurs s’opposer
aux ‘ulamā’ – ainsi concernant le calendrier liturgique : il paraît par exemple avoir
particulièrement goûté les prières qui sortaient de l’ordinaire, telles les Ṣalāt al-raǧā’ib
qui avaient lieu lors de la nuit du premier vendredi du mois de raǧab, ce qui ne plaisait
guère à certains ‘ulamā’. Ces derniers, comme semble-t-il l’ensemble des hommes de
religion (imām-s, ẖaṭīb-s/prêcheurs et wu‘‘āẓ/prédicateurs), évoluèrent, pendant la
période étudiée, vers une grande proximité avec les tenants du pouvoir. Sans doute les
wu‘‘āẓ y gagnèrent-ils en honorabilité et en reconnaissance sociale, dans le Bilād al-Šām
tout au moins. Rien d’étonnant, donc, que les wu‘‘āẓ des XIIe-XIIIe siècles y fissent partie
de « l’élite religieuse de la Syrie ayyoubide » (p. 124), et que les souverains ayyoubides
prissent garde à s’attacher les plus influents d’entre eux, tel Sibṭ b. al-Ǧawzī (m.
654/1257).
7 D. Talmon-Heller s’intéresse aussi à quelques prédicateurs moins célèbres
(p. 139-144), dont quelques femmes, « rares phénomènes » peu évoqués par les auteurs
arabes. Alors qu’à Bagdad, au XIIe siècle, comme l’avait montré Merlin Swartz 12, les
maǧālis al-wu‘‘āẓ donnaient fréquemment lieu à une critique du pouvoir, il en allait
différemment en Syrie, aux XIIe-XIIIe siècles. Certes, les prédicateurs n’hésitaient pas à
inciter hommes et femmes à se réformer ; certes ils les adjuraient de s’engager au ǧihād.
Mais ils n’en appelaient aucunement à une réforme de la société. Là est peut-être
l’apport le plus important de D. Talmon-Heller : selon elle, le discours des wu‘‘āẓ ne
s’opposait pas frontalement à celui des savants religieux de haut vol, contrairement à
ce que l’on a cru. Elle en fait même des « médiateurs entre les différents groupes
sociaux », voire entre les différentes strates culturelles. Membres de l’élite religieuse,
ils contribuaient à la revivification du sunnisme (iḥyā’ al-sunna) et à la réaction anti-
franque, œuvrant ainsi à cimenter les couches sociales autour du détenteur de
l’autorité, et donc à consolider l’autorité politique.
8 La deuxième partie, moins développée (p. 151-209) mais non moins foisonnante, est
consacrée à trois autres lieux d’activité religieuse publique : les cimetières, les
mausolées et les lieux saints, mašhad-s et maqāmāt. À certains égards, le chapitre V,
« The Cemetery » (p. 151-178) constitue une contribution à une anthropologie

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historique de la mort en terre d’islam. En Syrie zangide et ayyoubide aussi, la mort était
un sacrilège envers la société, à laquelle les funérailles devaient permettre de retrouver
son intégrité. Ces dernières – événement social très important – étaient
particulièrement réglées ; l’importance du défunt déterminait évidemment leur
ampleur. D. Talmon-Heller décrit les rites funéraires sunnites qui devaient absolument
être correc-tement (et totalement) appliqués : le vivant attendait du mort qu’il
intercédât en sa faveur et qu’il lui concédât un peu de la baraka que sa plus grande
proximité avec Dieu lui conférait. En particulier, la prière mortuaire (ṣalāt al-ǧanā’iz)
devait faire l’objet de toutes les attentions. Elle était si importante que des savants
préconisaient même d’ouvrir une tombe si l’homme qui y reposait n’en avait pas
bénéficié. En revanche, peu est dit des rituels chiites, qui certes différaient peu comme
l’ont encore rappelé Léo Halévi (trop récent pour être connu de D. Talmon-Heller 13) ou
Thierry Bianquis, mais sans qu’on puisse parler de pratiques complètement identiques.
Par exemple, lors de la prière sur le défunt, à côté du corps, l’imam prononçait quatre
fois la formule « Allah est le plus grand » pour le sunnite, cinq fois pour le chiite. Les
tombes des uns et des autres pouvaient être distinguées, celles des chiites et des
aš‘arites ayant la particularité d’être aplanies au sommet alors que celles des autres
sunnites s’arrondissaient, au sommet, en bosse de chameau. Dans le plus grand
cimetière de Damas, Bāb al-Ṣaġīr, cette distinction permet toujours de repérer des
sections chiites, même si nombre de tombes y sont aussi mêlées 14.
9 Le cimetière – où le recueillement était aussi de mise – n’en était pas pour autant un
lieu consensuel, exempt de tout conflit. Les tensions sociales y affleuraient, les
oppositions idéologiques pouvaient s’y révéler indépassables. On avait parfois recours à
l’exhumation – acte de vengeance particulièrement redouté.
10 Le chapitre VI (« Shrines (mashhads and maqāmāt)», p. 179-209) revient sur l’essor bien
connu, à l’époque ayyoubide, des pèlerinages auprès d’un lieu saint, notamment auprès
des tombes de saints, dont on espérait obtenir une intercession (šafā‘a) auprès de Dieu.
Toutes les classes sociales étaient touchées ; les processus de sanctification étaient
divers. Des sites déjà sanctifiés par d’autres traditions religieuses étaient récupérés par
l’islam ; D. Talmon-Heller suppose même que la conquête franque eut un rôle notable
dans « l’intensification du culte de lieux saints » (p. 206). Là encore, cette interprétation
n’est pas vraiment étayée : les exemples sont rares et « l’influence latine est difficile à
isoler des autres facteurs » (p. 206). En tout état de cause, les sites locaux paraissent
avoir été des lieux de ziyāra privilégiés, alors que le temps n’était pas aux célébrations
de masses – c’est seulement à l’époque suivante que les célébrations collectives
imposantes de mawlid-s connurent un succès croissant. En revanche, c’est bien à
l’époque ayyoubide que les sheikhs soufis s’imposèrent comme des références
incontournables dans la société syrienne et que le pouvoir des saints hommes ici-bas et
dans l’au-delà fut magnifié.
11 La troisième partie (p. 213-242), constituée des deux derniers chapitres (chap. VII,
« Piety », p. 213-224 ; chap. VIII, « Impiety and Religious Dissent », p. 225-242), est plus
succincte. D. Talmon-Heller s’intéresse d’abord aux « modèles de piété ». À une époque
où les souverains obtinrent des élites religieuses la légitimité qu’ils réclamaient, Nūr al-
Dīn et Saladin sont décrits comme des modèles de la piété sultanale. Quant à l’élite
religieuse, elle devait faire preuve d’humilité, d’ascétisme, de dévotion, de goût du
savoir, etc. Même si le topoi du savant indépendant tel qu’il était magnifié à l’époque
précédente était toujours véhiculé, nombre d’entre eux étaient employés par le

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souverain ou son administration. Encore les sources s’étendent-elles parfois sur ces
hommes dont plusieurs mériteraient une monographie poussée. Cela n’est pas le cas
des membres de la ‘āmma, de sorte qu’il n’est guère possible de dresser le portrait type
d’un homme pieux qui y appartenait. D. Talmon-Heller n’en livre pas moins les
impressions laissées par les sources. Celle qui domine, selon elle, est la prégnance de la
šarī‘a dans la vie quotidienne. La dévotion régnait. La piété soufie et le
« rigorisme ḥanbalite » influençaient profondément les percep-tions et les pratiques
religieuses. Quant aux impies et aux « dissidents » (chap. VIII), ils ne différaient pas des
exclus des périodes précédentes. Les exclusions « traditionnelles » persistaient : zindīq-s
(hérétiques), soufis « libertaires » et autres ascètes indisciplinés, faiseurs de miracles,
astrologues, pseudo-prophètes, théologiens et philosophes étaient vilipendés par les
auteurs arabes.
12 Islamic Piety in Medieval Syria, qui est également agrémenté d’un « calendrier
liturgique » (Appendice I, p. 253-263), est donc un livre utile, où l’imagination semble
toujours contrôlée par l’érudition, selon le précepte d’Antoine Prost. D. Talmon-Heller
y fait montre d’une connaissance fine des textes arabes – on en aurait d’ailleurs
apprécié des extraits plus nombreux. Même si, pour répondre avec plus d’acuité au
« challenge » proposé par Oleg Grabar, une prise en compte systématique des autres
sources (artistiques et architecturales surtout) s’impose 15 ; même si le foisonnement
des interprétations brise parfois l’unité du propos ; on ne peut que tirer profit des
nombreuses pistes d’investigation qui sont proposées tout au long de l’ouvrage. Un
mot, tout de même, pour déplorer qu’il n’ait pas été relu avec plus d’attention : la
bibliographie (et singulièrement les titres français) est entachée de fautes
d’impressions et/ou d’orthographe nombreuses qui ne laissent pas d’étonner pour un
livre si coûteux.

NOTES
1. Jacques LE GOFF, « Du Ciel sur la terre : la mutation des valeurs du XIIe au XIIIe siècle dans
l’Occident chrétien », dans Héros du Moyen Âge, le saint et le roi, Quarto Gallimard, Paris, 2004, p.
1268.
2. Antoine PROST, « Comment l’histoire fait-elle l’historien », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 65,
janv.-mars 2000, p. 10-11.
3. En particulier « The Shaykh and the Community : Popular Hanbalite Islam in the 12 th-13th
Century Jabal Nāblus and Jabal Qaysūn », SI 79, 1994, p. 103-120 ; « “The Cited Tales of the
Wondrous Doings of the Shaykhs of the Holy Land” by Ḍiyā’ al-Dīn Abī ‘Abd Allāh Muḥammad b.
‘Abd al-Wāḥid al-Maqdisī (569/1173-643/1245) : Text, Translation and Commentary », Crusades I,
2002, p. 111-154 ; « Religion in the Public Sphere : Rulers, Scholars and Commoners in Syria under
Zangid and Ayyūbid Rule (1150-1260) », dans M. Hoexter et alii (éd.), The Public Sphere in Muslim
Societies, Albany NY, 2002, p. 49-64.
4. Sources archivistiques : quelques lettres personnelles, quelques actes de waqf, des certificats
de pèlerinage, quelques certificats d’audience. Sources narratives : chroniques, dictionnaires
biographiques et hagiographiques, auxquels il faut ajouter les sources géographiques au sens

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large, dont les guides de pèlerinage. Sources didactiques : ouvrages exposant les vulgates des
quatre écoles juridiques musulmanes, manuels anti-bida‘, traités de ḥisba, écrits dévotionnels,
collections de fatwā-s, ouvrages sur les professions médiévales.
5. Par exemple les Essays on Islamic Piety and Mysticism de Fritz MEIER, qui regroupent quelques-
uns de ses travaux majeurs, traduits de l’allemand par John O’Keane, Brill, Leyde, 1999 ; la
totalité des travaux d’Henri LAOUST (pas même ses traductions d’Ibn Baṭṭa, Damas, 1958, ou d’Ibn
Qudāma, Beyrouth, 1950) ; Thierry Bianquis et Sarab Atassi-Khattab, « Luttes d’influence à
l’intérieur du sunnisme damascain entre 400 et 550 de l’hégire. Traduction de textes arabes », M.
Allard et alii (éd.), Mélanges offerts à Henri Laoust, Damas, 1977-1978, p. 361-373, éclairant pour la
période postérieure ; Yusuf RAGHEB, « Structure de la tombe d’après le droit musulman », Arabica
XXXIX, 1992, p. 395-403 ; André VAUCHEZ (dir.), Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires : approches
terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, École française de Rome, Rome,
2000 (contributions de Catherine Mayeur-Jaouen sur le domaine musulman) ; Dominique SOURDEL
et Janine SOURDEL-THOMINE (éd. et trad.), Certificats de pèlerinage d’époque ayyoubide. Contribution à
l’histoire de l’idéologie de l’islam au temps des Croisades, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
Paris, 2006. Signalons aussi la parution, la même année qu’Islamic Piety, de Leor HALEVI,
Muhammad’s Grave : Death Rites and the Making of Islamic Society, Columbia University Press, 2007.
6. En arabe, plusieurs termes sont utilisés pour désigner la piété, notamment al-birr. Rappelons
que selon IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, s. v. B R R Ibn Manẓūr souligne .‫ن ذا ال ْب ِّر من‬
َّ ‫ آمن بالله ولك‬:
également que les ‘ulamā’ divergeaient à son sujet :
‫صد ْق فإ ِنه ي َهْدي إ ِلى الب ِِّر اختلف‬
ِّ ‫وقال شمر في تفسير قوله صلى الله عليه وسلم عليكم بال‬
َ ً َ
‫العلماء في تفسير البر فقال بعضهم البر الصﻼح وقال بعضهم البر الخير قال وﻻ أعلم تفسيرا أجمع‬
[...] ‫منه ﻷ َنه يحيط بجميع ما قالوا‬
‫قال أ َبو منصور والب ُِّر خير الدنيا واﻵخرة فخير الدنيا ما ييسره الله تبارك وتعالى للعبد من الُهدى‬
.‫فوُْز بالنعيم الدائم في الجنة جمع الله لنا بينهما بكرمه ورحمته‬ َ ‫خَرةِ ال‬
ِ ‫خي ُْر اﻵ‬
َ ‫تو‬
ِ ‫مةِ والخيرا‬
َ ْ‫والن ِّع‬
7. George MAKDISI, « The Sunnī Revival dans D. S. Richards (éd.), Islamic Civilization, 950-1150. Papers
on Islamic History, Bruno Cassirer, Oxford, 1973, p. 155-168.
8. Dominique SOURDEL, Janine SOURDEL-THOMINE, Certificats de pèlerinage d’époque ayyoubide, p. 9.
9. L’ouvrage novateur d’Emmanuel SIVAN, L’islam et la croisade. Idéologie et propagande dans les
réactions musulmanes aux croisades, Paris, 1968, a été complété, notamment par Yasser TABBAA,
« Monuments with a Message : Propagation of Jihād under Nūr al-Dīn », dans V. P. GOSS (éd.), The
Meetings of Two Worlds, Kalamazoo, 1986, p. 223-240 ; H. DAJANI-SHAKEEL, « Jihād in Twelfth Century
Arabic Poetry : A Moral and Religious Force to Counter the Crusades », The Muslim World LXVI,
1976, p. 96-113 ; Id., « A Reassessment of Some Medieval and Modern Perceptions of the Counter-
Crusade », dans id. et R. A. MESSIER (éd.), The Jihad and its Times : dedicated to Andrew Stefan
Ehrenkreutz, Un. Of Michigan, 1991, p. 41-70.
10. « Here I have found it necessary to treat men and women of different social groups separately, and to
accordingly formulate several role models of piety and righteousness : those of the pious ruler, the pious
emir, the pious scholar and the pious ‘ordinary’ Muslim (as constructed from bits and pieces in the multiple
sources used in this work)” » (p. 214).
11. Cf. Yasser TABBAA, Constructions of Power and Piety in Medieval Aleppo, The Pennsylvania State
University Press, 1997, notamment p. 99, 100, 184.
12. Merlin SWARTZ, « The Rules of Popular Preaching in Twelfth Century Baghdad, According to
Ibn al-Jawz », dans G. MAKDISI, D. SOURDEL et J. SOURDEL-THOMINE (éd.), Prédication et propagande au
Moyen Âge. Islam, Byzance, Occident, Paris, 1983, p. 223-240.
13. L. HALÉVI, loc. cit. et « Funerary Practices, Muslim », dans J. W. MERI et J. L. BACHARACH (éd.),
Medieval Islamic Civilization. An Encyclopedia, I, Routledge, 2006, p. 270-2.
14. Thierry BIANQUIS, « Les espaces des morts dans l’Orient arabe médiéval », dans Susanne RAU et
Gerd SCHWERHOFF (dir.), Toporaphien des Sakralen. Religion und Raumordnung in der Vormoderne,

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Munich-Hambourg, 2008, p. 122, citant notamment Khaled MOAZ et Solange ORY, Inscriptions arabes
de Damas. Les stèles funéraires, I, Cimetière d’al-Bāb al-Ṣaġīr, Damas, 1977, p. 18-29. Cf. aussi Thierry
BIANQUIS, « Sépultures islamiques », Topoi. Orient-Occident 4/1, MOM, Lyon, 1994, p. 209-218.
15. Pour les mosquées, voir les pistes suggérées par Susana Calvo Capilla, Estudios sobre
arquitectura religiosa en al-Andalus : las pequeñas mezquitas en su contexto histórico y cultural, Tesis
Doctoral, Universidad Autónoma de Madrid, 2001.

AUTEURS
ABBÈS ZOUACHE
Chercheur associé au CIHAM (Lyon)

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