Vous êtes sur la page 1sur 284

This is a reproduction of a library book that was digitized

by Google as part of an ongoing effort to preserve the


information in books and make it universally accessible.

https://books.google.com
A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com
WIDENER

HN LBMW /

LES

10

STATIO
SAL 112.96.41.100

B telld
252
MMMƏD

Harvard College Library

In Memory of

Aleixo de Queiroz Ribeiro


de Sotomayor d'Almeida
eVasconcellos

Count of Santa Eulalia

The Gift of
John B. Stetson Junior

of the Class of1906

AS.Downey se.. LONDON 1992


1
;
Monsieur. Dreis Viarit

Publiciste,

Litterateur ,
Jon on Dept of I instruction buble
Chyit cher
Lore
Témoignor e de symfi
sympic the
it d'ai miration.

M. Corcont
Cosiony

POÉSIES NATIONALES

POUR PARAITRE :

Passions (poésies) .
Cent Sonnets .
Poètes et Prosateurs haïtiens (essai biographique et
critique) .
Poésies nationales (2ª série).

wwwwww
BIBLIOTHÈQUE HAÏTIENNE
52000

POÉSIES NATIONALES

(PREMIÈRE SÉRIE )

PAR

MASSILLON COICOU

AVEC UNE PREFACE DE

M. CHARLES - D. WILLIAMS

PARIS

IMPRIMERIE V. GOUPY ET JOURDAN


71 , RUE DE RENNES , 71
-
1892
42554.18.75

~ SAL 11296.41
.

HARVARD COLLEGE LIBRARY


COUNT OF SANTA EULALIA
COLLECTION
GIFT OF
JOHN B. STETSON, Jr.

Jrine 10,1924

RD
NTY
Y
27 1963

7
A MA MÈRE

Amica Chancy

A LA MÉMOIRE DE MON PÈRE

Pierre-Louis Coicou

GAGE D'AMOUR ET DE RECONNAISSANCE

A Ch.-D. WILLIAMS

Ancien Directeur du Lycée national.

HOMMAGE DE MON AFFECTION PROFONDE ET DE


MA VIVE GRATITUDE
A MESSIEURS

JÉRÉMIE

Ancien Député, ancien Constituant, Délégué général de


l'Alliance scientifique universelle ,
Président de l'Association du Centenaire de l'Indépendance
nationale.

Tertulien GUILBEAUD

Inspecteur des Écoles de l'arrondissement du Cap- Haïtien.

Emmanuel CHANCY

Substitut en Cassation

Dantès DUJOUR

Ancien Secrétaire de Légation, Chef de division au


Ministère du Commerce.

HOMMAGE DE MA SYMPATHIE ET DE MON ADMIRATION


A MESSIEURS

Henry-N. PROPHÈTE

Chef de bureau au département de la Guerre .

D.-S. SAM

Secrétaire du Conseil communal du Cap -Haitien.

F. FRÉDÉRIQUE
Publiciste .

Arsène CHEVRY

Poète.

TÉMOIGNAGE DE SINCÈRE AMITIÉ


A L'ASSOCIATION DU CENTENAIRE DE

L'INDÉPENDANCE NATIONALE

L'AUTEUR .
PRÉFACE

1
************

PRÉFACE

a Poésie est morte ! » Tel est le cri de


ses éternels ennemis , ou plutôt de
tous ceux-là chez qui le sentiment
du beau a cessé d'exister . Et ils s'en vont,
glorieux, le refrain sur les lèvres , comme s'ils
venaient de remporter une victoire. « La
Poésie est morte ? » mais jamais . Elle est
coéternelle à Dieu , donc elle ne peut mourir.
Elle a précédé la création . Avant que les peuples
aient eu leur histoire , ils ont eu leurs poètes .
Et que deviendrait le monde sans la Poésie ?
Ne retomberait- il pas d'emblée dans la matière.
La Poésie émane de Dieu ; l'homme l'a reçue

de lui pour le faire connaître et l'aimer, pour le


12 Poésies Nationales .

chanter, la nature et l'humanité. Elle a été, dès


l'origine, l'inspiratrice de la religion chez tous
les peuples . La Poésie est la plus haute expres
sion de l'art; elle n'est pas seulement « la mé
lodie de la parole exprimant ce qui émeut le
cœur et frappe l'imagination . » Elle est par
tout où est le beau : la présence de l'un révèle
l'existence de l'autre . Le vers n'est qu'une des
formes multiples de la poésie. Elle a existé
avant laformation de toute langue ; car l'homme
a commencé à sentir avant que de s'exprimer.
Que le langage rythmique soit regardé comme
le langage de la Poésie , cela est ; mais la
Poésie, telle qu'elle est, est au-dessus de la
forme. Elle revêt, il est vrai , la forme plastique
aussi, et enfante ou crée des chefs - d'œuvre. La
peinture, la sculpture et la musique sont aussi
des formes de Poésie . Qui l'ignore ? Le chef
d'œuvre de Girodet « le Sommeil d'Endymion
où le peintre expose les splendeurs de son âme
d'artiste, ne vaut-il pas la plus belle page de
Poésie ? Quoi de plus fini que ce rayon de lune
mettant en relief les grâces séduisantes du
beau corps du berger de Carie aux regards de
la déesse amoureuse et voilée dans ce rayon
Préface . 13

investigateur ! Et cet autre chef-d'œuvre que je


ne puis passer sous silence , et devant lequel,
muet d'admiration , je me sentais prêt à
m'agenouiller : j'ai nommé « L'Amour donnant
le premier baiser à Psyché » . En vérité , la parole
est impuissante à rendre les beautés de l'incom
parable composition de Guérard . Ce regard
vague et indécis de Psyché ( l'âme) avec ses ailes
diaphanes plongeant dans l'infini ; ses pieds
touchant à peine la terre ; ses lèvres touchant à
peine les lèvres de l'Amour : c'est l'âme qui
emporte dans sa patrie l'avant-goût des félicités
de la terre , avant qu'elle se soit souillée . J'ai
lu dans ma jeunesse la légende de Psyché et de
l'Amour; mais devant ce tableau je suis resté
en extase, et l'impression que j'en ai gardée
efface celle de ma première lecture . Voilà la
Poésie s'exprimant dans les nuances des cou.
leurs. Transportons-nous à Rome, au musée
Pio-Clémentino ; nous voici devant le statuaire
antique, devant l'art grec . C'est l'Apollon du
Belvédère . C'est la plus précieuse relique de
l'art antique, et qui a permis aux siècles , qui
se sont prosternés devant elle , de juger de la
connaissance des anciens sous le point de vue
14 Poésies Nationales .

de l'esthétique . Qui ne s'est jamais senti remué


jusqu'aux larmes, en contemplant la Poésie
dont toute l'œuvre colossale déborde ? Ne nous
arrêtons pas aux contours harmonieux de la
statue ; mais lisons dans ce regard plein de
majesté tout ce qui y dort de sentiment et de
profondeur. Contemplons l'accord parfait qui
existe entre ce regard et le front auguste qu'il
illumine ; et ce pli de la lèvre qui prête tant à
l'illusion, qu'on dirait que le Dieu va bientôt,
communiquant au marbre la vie qui semble
palpiter en lui , révéler à la postérité les secrets
des siècles dont il a été le témoin . Pour moi,
l'Apollon du Belvédère vaut Athalie . A quelques
pas du Dieu est le groupe de Laocoon . Sous les
replis des deux reptiles qui étreignent le père ,
le marbre semble parler , tant les sentiments
qu'il exprime paraissent vrais . Quelle connais
sance de l'anatomie chez l'artiste ! Comme ces

muscles gonflés et resserrés par les nœuds des


deux serpents semblent près de se rompre ! En
proie à la douleur , voyez les yeux des deux

fils, miseros morsu depascitur artus, appelant


leur père à leur secours ! Le prêtre d'Apollon
veut défaire ces nœuds qui étranglent ses
Préface . 15

enfants , manibus tendis divellere nodos, mais le


poison ne lui en laisse pas le temps , il ouvre la
bouche « et clamores simul horrendos ad sidera

tollit. » Jamais tant d'éloquence ne s'est cachée


sous le marbre. Voyez Laocoon jetant avec un
cri terrible, horrendos clamores , son dernier
soupir. Ce que jamais notre langue ne pourra
exprimer, cet horrendos clamores » , le marbre
l'a fait, et d'une façon victorieuse . Enfin, ce
morceau de sculpture vaut un poème , ou plutôt ·
le chant où Virgile a traduit en vers immor
tels la pensée du poète grec prisonnière sous le
bloc immortalisé par son ciseau. La Vénus de
Milo, au Louvre , sourit encore « aux siècles
impuissants qu'a vaincus sa beauté . » Quoique
à un grand intervalle de la peinture et de la
sculpture, la musique ne nous révèle- t-elle pas
toute sa poésie dans les immortelles composi
tions des Mozart, des Verdi , des Meyerbeer ,
des Rossini et des Auber ? Et ne le sait- elle pas ,
quand elle marie, pour charmer les sens, ses
beautés aux beautés des vers dans l'opéra ?
Jamais alliance plus étroite et plus douce n'a
donné le jour à de plus belles productions.
Il est vrai que la musique semble ne s'adres
16 Poésies Nationales .

ser qu'aux sens , et, partant, s'éloigne moins


que la peinture et la sculpture du monde
matériel. Mais , cependant , nul ne pourrait lui
contester le droit qu'elle a à notre admiration ,
et même à notre gratitude , par le rôle qu'elle
a rempli dès son apparition dans le monde :
c'est d'elle que la Poésie s'est aidée pour adoucir
les mœurs sauvages des peuples primitifs .
Partout où le cœur de l'homme palpite au
sentiment du beau , s'élève vers Dieu, peu
importe le nom sous lequel on le sert, l'adore
dans la nature, ce grand livre où il a caché les
secrets de sa bonté, de sa grandeur et de sa
majesté, et sert l'humanité , en l'instruisant , en
l'améliorant, en l'aimant de cet amour qui va
jusqu'au sacrifice et fait de l'homme un apôtre ,
la Poésie règne en souveraine . Elle n'a pas dit
encore son dernier mot . Comme dans ses pre
miers jours où Platon et les philosophes
d'Athènes révélaient le vrai et le bien , en se
servant de son langage , elle reprendra son rôle
de vulgarisatrice , en prêtant les pompes et les
charmes de sa langue , pour répandre les secrets
de la science , étendant ainsi les limites de son
domaine déjà si vaste.
Préface . 17

Si telle est la Poésie, comment sera le poète ?


Suivons-le , k dès les premiers âges , et voyons
l'influence de la Poésie sur les hommes et sur
le poète, et l'influence de celui - ci sur le milieu
où il vit.

D'abord, étendons-nous quelque peu sur le


mot poète , et ce ne sera certes pas le côté le
moins intéressant de notre entretien avec le

lecteur. Disons d'abord que le poète, chez tous


les peuples, même sauvages (les sauvages ont
aussi leurs poètes , Védas) et dans tous les
âges, atoujours été regardé comme une créature
d'élite, et entouré de toutes sortes d'honneurs.
Dans l'ancienne Judée le poète s'appelait roë ,
le voyant; ainsi le poète était prophète ; plus
tard , on le décorait du titre de tsophnat , le soli
taire, sans nul doute parce que le poète a
besoin de s'éloigner des foules pour se recueillir
et méditer. Alors, seul , abandonné à ses rêve
ries , il s'accompagnait du Kinnor , et chantait
les malheurs de sa patrie. La savante Athènes ,
envisageant la faculté créatrice du poète , l'appe
lait ποιητης de ποιεῶ , faire . Les latins l'appelaient
poeta, vates (chantre inspiré) ; et mens divinior ,
l'inspiration poétique, qui fait dupoète l'auxi
18 Poésies Nationales .

liaire de la Divinité . De là , sans doute , le culte


qu'ils consacraient à leurs grands poètes;
témoin Silius Italicus qui plaçait Virgile
parmi ses dieux Lares et célébrait, chaque
année, en grande pompe, la fête du poète-dieu.
Je passe sous silence les honneurs dont l'em
pereur Auguste entourait Horace et Virgile , et
surtout ce dernier , à qui il écrivait dans ces
termes : « An veteris ne apud posteros infame

tibi sit quod videaris familiaris nobis esse ?» Avez


vous peur de vous faire tort auprès de la posté
rité en y laissant paraître que vous êtes mon
ami ? ― Neque enim si tu superbus amicitiam
nostram sprevisti , ideo nos quoque ανθυπερφρονουμὲν .
« Si vous avez cru devoir mépriser mon amitié,
je ne vous paie pas du même mépris . »
Mécène mourant lègue Horace à l'empereur :
Horatii Flacci , ut mei esto menor. « Souvenez
vous d'Horace comme de moi - même. »

Le magnifique César prodiguait au poète des


honneurs en échange de l'immortalité ; en effet ,
Horace et Virgile ont été les deux plus grandes
gloires du règne d'Auguste. Sa Rome de marbre
a disparu avec ses plus beaux monuments ;
mais ceux des deux grands poètes vivront
Préface . 19

autant que le monde . Mais hâtons-nous de


clore cet entretien déjà par trop long . Et puis
qu'il s'agit de citer les diverses dénominations
qu'a reçues le poète à travers les âges, quittons ,
pour un moment , les rives du Tibre pour celles
de la Sequana, et considérons le poète au mi
lieu des hordes belliqueuses de la Gaule . Ici , le
poète est appelé bardit , qui chante les hymnes
des combats . Le bardit est un des plus grands
personnages de la horde. Il est de toutes les

fêtes, ou plutôt , sans lui , pas de fêtes . Au temps


de la chevalerie , dans cette France des preux
et des damoiselles , dans les régions du Nord , le
poète portait le nom de trouvère , et dans celles
du Midi , celui de troubadour. Il faisait l'orne
ment indispensable des fêtes , des banquets . Son
arrivée était le signal du bonheur et de l'amour.
S'accompagnant de sa viole ou de sa guitare , il
chantait les amours des jeunes promis , le retour
prochain du Seigneur, les lais aimés de la châ
telaine , les carrousels et les tournois . Le pont
levis tombait devant lui , et le château prenait
sa plus belle parure de fête . Puis , la saison
passée , il s'en retournait , chargé de présents ,
l'instrument orné de rubans , souvenirs de ses
20 Poésies Nationales .

exploits, et laissant plus d'un cœur tourmenté


par la magie de son absence . Ainsi, à toutes les
époques, et chez tous les peuples , aux divers
âges de l'humanité, la Poésie a toujours eu droit
de cité, a été honorée , et le poète toujours regardé
comme utile à l'adoucissement des mœurs .
Recherché des grands de ce monde , le poète
est aussi l'ami des petits .
Comme auxiliaire de la civilisation , la Poésie
a exercé la plus salutaire influence sur les
peuples ; c'est sous le manteau protecteur de la
Poésie que la religion a pu inaugurer son règne
chez les nations . En effet, la Poésie , dans ses
recherches du beau idéal , a dû naturellement
préparer les âmes à la connaissance du Dieu
vrai, source du beau et de l'idéal absolu . Dans
ses investigations , dans ses intuitives extases ,
elle a naturellement flétri l'injuste, et préconisé
le vrai, l'honnête et le juste ; et ses gracieuses
compositions n'ont pas dû manquer de vulga
riser dans les masses des idées aussi bien faites
pour les moraliser. Voilà la Poésie éducatrice
des peuples ; voyons - la sa
exerçant divine
influence sur celui qui la cultive . - Or , le
poète est le patriote par excellence ; nul n'aime
Préface . 21

sa patrie plus que le poète ; la patrie pour lui


est dans le plus petit détail ; il rêve pour sa
patrie la grandeur et la gloire , le bonheur et la
paix. La Poésie a fait de lui le citoyen modèle ,
l'ami de toutes les infortunes et de toutes les
détresses ; il a des larmes pour tous.

Sunt lacrymæ rerum et mentem mortalia tangunt.


Non ignara mali , miseris succurrere disco .

Le poète aime sa patrie , et la veut libre et indé


pendante, comme Dante Alighieri ; victime des
intrigues, proscrit, errant de ville en ville , solli
citant le pain que lui tend une avare pitié , l'exil
et ses amertumes semblent lui rendre la patrie
plus chère ; loin d'elle il se recueille pour la
contempler dans le miroir de ses souvenirs .
« O Florence ! le génie et la gloire de ton fils
planent sur ton vieux Baptistère . »
Aux jours des grands périls , où les plus mâles
courages se démentent , comme Lamartine , le
poète sait affronter la mort pour sauver sa
patrie, en la couvrant des plis glorieux de son
drapeau que le fanatisme aveugle des partis
veut remplacer par celui de la démagogie et du
massacre. La guerre a - t- elle épuisé les ressources
22 Poésies Nationales .

A
de la patrie ? Les soldats sont-ils nus et affamés?
Le poète, comme Hugo, vend ses vers, livre aux
théâtres les immortels chefs - d'œuvre de son
répertoire , et c'est assez des Châtiments , d'Her
nani et de Ruy-Blas , pour donner du pain à
l'armée et alimenter les arsenaux , afin de
défendre le territoire que menace l'invasion
étrangère. Le poète exerce le plus doux ascen
dant sur son entourage . Cependant , il n'est pas
toujours tel que nous l'avons présenté, heureux
et choyé ; parfois , et peut- être le plus souvent,
il est persécuté, honni , déchiqueté et incompris .
Mais si l'envie l'associe aux douleurs du Cal

vaire , les splendeurs du Thabor ne lui sont pas


inconnues . Hélas ! il semble qu'il faille au talent
du poète l'auréole du martyre , quand ce n'est
pas la suprême consécration de la mort : alors
il n'est plus pour exciter la passion , il n'est
plus pour prendre sa part de l'air qu'on semblait
lui disputer.
Le mot de créateur a beaucoup exercé la verve
de certains déclamateurs . Le poète est- il créa 1

teur, tointas , ou pourquoi veut- on qu'il le soit ?


-Le poète, dans le monde de l'esprit , continue
victorieusement l'œuvre du Créateur ; il s'y
Préface . 23

montre son auxiliaire. Or, qu'est - ce que créer


dans le monde spirituel, si ce n'est marquer du
cachet de son originalité l'œuvre à laquelle notre
intelligence a donné le jour ? Et ce don de
création fait au poète témoigne hautement de
l'excellence de son origine et de la supériorité
de l'esprit sur la matière à laquelle la force
suprême seulepeut communiquer le mouvement
et la vie. Ainsi Laurence est la créature de
Lamartine ; Jean Valjean celle de Hugo ; Athalie
celle de Racine ; Sévère et Pauline celles de
Corneille ; Didon celle de Virgile ; Achille celle
d'Homère , etc. Et ces caractères portent le sceau
de leur génie. Les poètes sont les jalons lumi
neux qui marquent la grande route qu'a faite
l'esprit humain à travers la nuit des temps . Ils
sont les anneaux de la chaîne invisible qui lie
le monde de l'esprit à celui de la matière.
Mais laissons cette compagnie d'immortels
et tournons d'humbles regards vers le Par
nasse haïtien : saluons nos poètes nationaux
qui maintenant contemplent l'idéal de leurs
rêves de ce regard qui ne s'éteint plus . Nous
avons nommé les C. Ardouin, Ignace Nau ,
Aurèle Chevry, Ducas Hippolyte, Alex. La
24 Poésies Nationales .

vaud , Milscent , Battier , L. Rose, A. Gardère,


A. Elie, etc. N'oublions jamais ceux- là qui
portent encore le poids du jour , et dont les
déceptions, les désenchantements n'ont pas
encore triomphé. Je les salue d'un salut ému,
ceux-là dont la voix, dont les chants nous
consolent et nous charment. J'ai nommé les

Oswald Durand, Ch . Villevaleix , P. Lochard,


H. Chauvet, Ars. Chevry , T. Guilbaud , Pom
mayrac, E. Edouard , Ed . Heureaux, et enfin
Massillon Coicou dont la modeste figure ,
――――――― -
je le souhaite, ne déparera pas le
groupe harmonieux auquel il se présente sous
mes auspices .
L'auteur de cet ouvrage est un de ces jeunes
pionniers de l'intelligence . Après de brillantes
études au Lycée national de Port- au-Prince , se
sentant du goût pour la Poésie , ou plutôt dominé
par elle, il l'a cultivée, afin de trouver dans ce
commerce toujours si doux une consolation aux
fiévreuses incertitudes et aux hésitations de la
dix-huitième année. Puis , des amis indiscrets ,
— comme il en est toujours , reçoivent la confi
dence de ses premiers vers . — Ils désirent qu'il
les publie ; il cède, et voilà le charmant petit
Préface . 25

volume qui va jouir des honneurs de la publi


cité.
Ouvrons-le , et tâchons d'y découvrir la ma
nière de l'auteur . Les malheurs de son pays
effraient la muse qui s'écrie :

Je m'en vais, je préfère


M'envoler loin de toi, remonter dans la sphère
D'où je daignai pourtant descendre à ton appel .
Non, j'aime trop les bois, les fleurs, l'onde et le ciel ;
La Nature apour moi trop d'attraits , trop de charmes ,
Pour que je vienne en vain tarir, boire tes larmes.

Et le poète est seul , mais plein de foi dans


l'avenir de son pays . La patrie sera désormais
sa muse. Dans l'élan d'un lyrisme assez soutenu
il s'écrie :

Seul, sans luth, je chanterai


Pour toi, Patrie , objet de mon culte sacré !
Oh ! pour la rendre fière, invincible, immortelle ,
Dieu, pour qui je combats en combattant pour elle ,
Pour elle inspire-moi, comme elle inspire- moi :
Mon luth, c'est tout mon cœur ; ma muse, c'est mafoi .

Ces vers sont beaux et révèlent la manière du

poète. Chaque fois qu'il s'inspirera des infor


2
26 Poésies Nationales .

tunes de son pays, ce sera pour donner d'aussi


beaux échantillons de son talent.
L'indignation soulève -t - elle son cœur, quand
il voit la force brutale triompher du droit et de
la faiblesse, il se montre de la famille des
Archiloque et des Barbier :

Or, nous vous maudissons avec des voix de forge,


En attendant cette heure, où , crachant son mėpris,
Un plus fort, vous collant ses griffes à la gorge,
Dira pour Dieu : « Rends-nous ce que tu leur as pris. »

Se transporte-t- il par la pensée sur les plan


tations, au temps où le noir les faisait valoir
par ses sueurs . Il nous fait assister à une de ces
scènes faites pour soulever le cœur , mais bien
faites aussi pour établir la différence des
époques et les progrès du siècle . Laissons parler
notre poète , notre jeune et remarquable compa
triote. Le colon va livrer un nègre aux chiens.
Il a invité ses amis à cette fête de sang .

Mais pourtant pas un seul nepeut mordre : on eût dit,


A les voir reculer, traînant leurs flots de bave,
Qu'ils maudissent le maître et pleurent sur l'esclave.
Ils ont faim, mais devant ce noir ainsi liė
On eût dit que le Ciel leur donne la pitié
Que n'ont point les colons !
Préface . 27

Ces vers font tableau . C'est dramatique , c'est


émouvant.

Lorsque, sous les arbres des Tropiques chargés


d'ombre et de rêverie , le poète chante , que chante
t-il encore ? C'est vous , Toussaint- Louverture, le
noir célèbre ; c'est vous , Dessalines , le Spartacus
de la race noire ; c'est vous , Pétion , le Washing
ton , la gloire la plus pure de la race noire ;
c'est vous tous, enfin , héros de notre indépen
dance. Si la patrie n'a pas encore traduit sa
reconnaissance envers vous en des statues qui
immortalisent vos traits et vos exploits , et vous
offrent ainsi pour modèles à la postérité , que
du moins un des vôtres fasse vivre, pour long
temps encore , votre impérissable souvenir !
C'est là son vœu le plus cher . Souvent le marin
italien grave le nom du saint qu'il invoque sur
l'avant de sa barque , afin de s'assurer une heu
reuse navigation ; comme lui, puisse l'auteur,
grâce aux immortels héros de notre histoire
dont les noms décorent le frontispice de son
œuvre, obtenir un heureux voyage pour son
livre, reliquaire de leur dévouement et de leur
gloire !
28 Poésies Nationales .

Puisse le public, sentant tout ce qu'il doit


d'encouragement aux jeunes talents , ménager
à l'auteur un accueil qui le soutienne et favorise
l'éclosion d'œuvres nouvelles :

Ce sera pour lui le premier baiser de la gloire.


-
- I , parve liber, sed non sine spe.

Charles-D . WILLIAMS .
Le Départ. 29

LE DÉPART

SONNET

A l'auteur des Poésies Nationales, M. M. Coicou .

LLONS ! gais mariniers ! Au ciel pas de nuage !


Α ' « La brise de la nuit caresse les flots bleus .
« Debout ! il faut partir , il faut fuir le rivage .
<< Sous la garde de Dieu voguons vers d'autres cieux .

<< Au fond du vaste azur brille la blonde étoile .


« Allons ! n'hésitez pas , on nous attend : partons .
« A l'ancre, mariniers ! Vite , larguez la voile !
<< Il faut quitter le port ; mais nous le reverrons , » ——

- Ainsi donc , vous partez ! Des vents , de la tempête

Gardez ce frêle esquif, ah ! que rien ne l'arrête ,


Dieu qui le protégez ! En vous seul il a foi .

O nef, trésor d'espoir , adieu ! vogue et courage !


Et nous , nous qui t'aimons , nous tresserons pour toi
De verts lauriers . Pars ! pars ! Dieu guide ton voyage!!

CH.-D. WILLIAMS .

2
INTRODUCTION
3 x3

INTRODUCTION

Ame de mon pays,


De la Patrie âme pieuse,
Je t'appelle ! incarne-toi dans mes vers.
MISTRAL.
Prima dicte mihi, summa dicende camoena.
HOR.

LA MUSE.

l'EST l'heure de chanter . La nuit calme et sereine


C Glissant furtivement, mystérieuse , égrène

Des étoiles d'argent sous les cieux infinis ;


Pas un souffle des bois , nul écho dans les nids,
Rien qui vienne troubler la nature muette .
C'est l'heure de chanter. Ranime- toi , poète ;
En chants harmonieux exhale ta langueur
Et fais vibrer ton luth , et fais parler ton cœur ...

LE POÈTE .

Je le veux , mais mon âme est toujours oppressée ;


Mais je ne sais d'où vient une sombre pensée
34 Poésies Nationales .

Qui rétrécit le cercle où je tente mes pas .


Oui , mon cœur veut chanter, mais il ne l'ose pas .
C'est qu'en ce monde , ômuse -ôtoi - mêïne qu'on nie ,
Contre soi le poète arme tant d'ironie ;
On l'abreuve de fiel , d'outrage , si souvent ;
C'est qu'il n'est rien pour lui qui ne soit décevant :
Il demande l'amour , on lui verse la haine ;
Voyant le sentier rude et la borne lointaine,
Il regarde une étoile et voit l'astre qui fuit ;
Invoque l'Espérance , et sent qui le poursuit ,
L'Envie insatiable , et pourtant inféconde ...

LA MUSE .

Etqu'importe? chantons . Quand de sa bave immonde


La vipère rampante aura sevré les fleurs ;
Lorsque du frêle agneau les bêlements , les pleurs ,
Sauront fléchir le tigre en quête de sa proie ;
Et lorsqu'ouvrant son aile et sa serre qui broie ,
Ouvrant son bec crochu , l'on verra le vautour
Fuir devant la colombe , à peine éclose au jour ,
Contre la Foi , l'Amour , la Vertu , le Génie ,
En vain se dressera l'ignoble Calomnie ! ...

Oui , poète , chantons . Vois , déjà le printemps


Nous sourit.Que c'est doux , lorsque l'on a vingtans ,
Introduction . 35

D'épanouir son être aux charmes de la vie ,


De faire aller son âme où l'amour la convie,
Et de comprendre aussi , dans cet essor divin
Tenté vers l'idéal , que ce n'est pas en vain
Qu'en dépit du malheur le rivant à ses transes,
L'homme garde en son cœur toutes les espérances !

C'est l'heure de chanter ; prends ta lyre ; ta voix


Doit consoler souvent , peut guérir quelquefois ;
Car le poète est saint : la nature en son âme
Versa tout ce qu'elle a de parfum et de flamme,
Ce que tous ses soleils, ses ondes et ses fleurs
Ont de chants , de clartés et d'exquises senteurs .

Chante les bois , chante les fleurs ;


Chante la nature sereine ,
Avec ses rires et ses pleurs ,
Dans sa majesté souveraine ;
Chante les astres radieux
Tournant dans leur valse rapide ;
Chante les flots capricieux
Cadençant leur rythme timide ;
Chante la vague qui déferle ,
Dont la grave cadence endort ,
Tandis que la mer, sur son bord ,
Brille d'écumes , grains de perle
36 Poésies Nationales .

S'enchassant dans les sables d'or ;


Chante aussi la brise jalouse
Entr'ouvrant la robe des fleurs
Et frôlant la verte pelouse
Que la nuit humecte de pleurs ;
Chante enfin l'oiseau qui gambade ,

Amoureux du jour qu'il bénit


En exhalant de son aubade
Les longs trilles vers l'infini ;
Chante...

LE POÈTE .

Assez de ces chants ... Oui laissons la nature

A ceux que tout captive et que rien ne torture ;


Non, ce n'est pas pour moi que la terre a des fleurs ,
Que sifflent dans leur nid les oiseaux querelleurs ,
Qu'au firmament profond scintillent les étoiles ;
La douleur sur mon âme a mis de sombres voiles ,
O muse! et si tu n'as que ces chants pour mon cœur,
Laisse-moi , laisse- moi , seul , avec la douleur .

LA MUSE .

Lorsque ton âme était d'allégresse absorbée ,


Naguère, allais -tu pas, dès l'aube, à la tombée
Introduction . 37

De la nuit, l'inspirer du refrain des ruisseaux ,


Ou du mystérieux gazouillis des oiseaux ?
Ta lyre, entre tes mains , s'est-elle enfin brisée ,
Un jour que tu chantais l'aurore , ou la rosée,
Ou la beauté du ciel d'astres d'or rayonnant ?

LE POÈTE .

Non ; car j'étais heureux ! ... Mais hélas ! maintenant


Plus de bonheur pour moi . C'est la pauvre Patrie ,
Elle sur qui je pleure et pour qui mon cœur prie ,
C'est la Patrie , objet de mon culte sacré,
Qu'avec toi , désormais , ma sœur, je chanterai .
C'est la mère montrant son front et sa poitrine
Sanglants au peuple aveugle et sourd , qui la piétine ;
Ce que je veux chanter , ce sont ces héros tels
Qu'on les nomme à genoux , ce sont ces immortels ,
Ce sont ces demi - dieux , en qui mon âme fière
Se complait à bénir ma race tout entière,
Et dont la gloire monte embrasant l'avenir ,
Refoulant le passé debout pour la ternir .
Et puis, ó douce muse, à ces âmes serviles
Qui glissent leur venin dans nos guerres civiles ;
A la force brutale osant même , parfois ,
Humilier nos fronts , nous imposer ses lois ,
3
38 Poésies Nationales .

Mon cœur chargé de fiel veut jeter l'anathème ;


Puis encore , à ce peuple en deuil n'ayant plus même
L'espoir d'atteindre un jour ce bonheur qui le fuit,
Je veux le lui montrer qui rayonne pour lui ,
S'il consent à s'unir , à s'aimer.
Ces souffrances ,
Ces pleurs , ces souvenirs , ces vœux , ces espérances ,
Qui toujours et partout reviennent me hanter :
Muse, c'est tout cela que je voudrais chanter.

LA MUSE .

Adieu , poète, adieu ! Je m'en vais , je préfère


M'envoler loin de toi , remonter dans la sphère
D'où je daignai pourtant descendre à ton appel .
Non, j'aime trop les bois , les fleurs , l'azur du ciel ;
La nature a pour moi trop d'attraits , trop de charmes ,
Pour que je veuille en vain tarir , boire tes larmes ...
Tu voudrais m'accuser , mais dis , toi-même , enfin ,
Dis , n'ai-je pas gémi sur ta Patrie , en vain ? ...
N'est-il pas d'autres voix qui conjurent tes frères
D'exercer leur clémence ?... Abjurent-ils leurs guerres ?
Ala mère en lambeaux versent- ils moins d'affronts ?
Le moindre repentir se lit- il sur leurs fronts ?
Sonde ta conscience, et dis ce qui révèle
Leurs remords , et t'annonce aussi l'ère nouvelle ,
Introduction . 39

Et te fait entrevoir l'avenir rédempteur


Dont tu veux être , toi , le clairon précurseur ? ...
Pas un signe , poète , et ce qui te console ,
Et ce qui te sourit , n'est qu'un rêve frivole ...
Adieu ! garde pourtant ton amour et ta foi ,
Et lorsqu'une autre sœur descendra jusqu'à toi ,
Que du moins ton Pays ne te fasse plus honte ! ...
Adieu ! Vis ! Sois heureux ! Je m'en vais , je remonte !

LE POÈTE .

Et me voici seul ! ... Seul, sans luth , je chanterai


Pour toi , Patrie , objet de mon culte sacré !
Oh ! pour la rendre fière , invincible, immortelle ,
Dieu pour qui je combats en combattant pour elle ,
Pour elle inspire-moi ; comme elle inspire- moi.
Mon luth c'est tout mon cœur; mamuse, c'est ma foi
nanc
Based 3000

DÉDICACE

A Haïti.

ÈRE, en moulant ce livre où j'ai soufflé le thème


vœux les plus fervents que mon cœur aitportés ,

Pour muses je n'eus pas de folles vanités ,


Mais tout mon dévoûment, tout l'amour dontje t'aime ,

Qu'il brille de l'éclat des saintes vérités ,


Qu'il vibre de l'accent d'un farouche anathème :
O Mère, c'est pour toi ces chants et ces clartés ,
Pour te faire arriver au but réel , quand même !

Or , que , malgré ma foi , tu ne sois pas vainqueur ;


Que rien ne te soit plus ; pardonne , si mon cœur ,
En son dernier soupir , exhale un cri farouche .

Mais que bien haut, bien loin , tu montes chaquejour


Qu'importe que mon cœur se consume d'amour :
Je mourrai fier , avec ton saint nom dans ma bouche .
1
1
I
SAPEUR

' or, j'aime ce héros des vaillantes milices ,


Qui ne sait pas vanter son noble dévouement,
Qui ne sait pas montrer ses larges cicatrices ,
Qui ne commande pas , qui guide seulement .

Quand la route est pénible et que l'heure est suprême ,


Lorsque l'assaut est rude et que le siège est long,
Frayant à la phalange une route quand même ,
Il part , ―――――― aigle superbe à travers l'aquilon ! -

N'étant point de ceux -là que le péril effraie ,


Avec sa hache il part ; il va partout , sans peur ,
Ici taillant le bois , là renversant la haie ,
Frayant la voie enfin , le stoïque sapeur !
44 Poésies Nationales .

Eh bien , moi , comme lui , je veux frayer la voie ;


Je veux , pour te guider, aller au premier rang ;
Pour te faire arriver jusques où Dieu t'envoie ,
Je me fais ton sapeur, ô peuple conquérant !

En dépit des railleurs , j'irai , frappant sans crainte ,


Tels ces beaux foudroyants qu'on vit chez nous ,longtemps
Pour tracer le chemin à la liberté sainte ,

Saper des vieux colons les crimes persistants .

Pour te mener là-bas , sans trêve, sans relâche,


Sur tous ces préjugés et sur tous ces abus
Étalant à nos yeux la hideur de leur tâche,
Bien fort, je frapperai , jusqu'à ne les voir plus .

Ainsi que la coguée ébranchant le vieux chêne ,


Sur tous ces rénégats , sur tous ces exploiteurs ,
Je frapperai ; j'irai toujours , brisant ta chaîne,
Poussant sous ton drapeau des émancipateurs !

Qu'importe ta colère et que plus tu ne m'aimes


Alors qu'à tes excès ma voix n'applaudit pas :
Bravant ton ironie et bravant tes coups mêmes,
Il me faut t'avertir quand tu fais de faux pas .
Sapeur . 45

Car pour voir s'effacer jusqu'au dernier obstacle ,


Pour voir porter au but jusqu'à ton dernier coup,
Pour t'éviter enfin une affreuse débâcle ,
Il vaut mieux frapper sûr que de frapper beaucoup .

Puis, lorsque nos efforts auront trouvé la voie


Par laquelle , au Progrès , on arrive sans peur,
Oh ! j'aimerai te voir, tout entier à ta joie ,
T'applaudir sans remords , moi , ton humble sapeur .

Si pourtant la victoire est trop longtemps rebelle ,


Ou si la mort survient qui brise notre essor :
Ne perdons pas espoir, car la lutte est trop belle
Pour que d'autres sapeurs ne surgissent encor .

En attendant, partons ! Pour faire l'oeuvre auguste ,


Pour remplir nos devoirs , sans bruit et jusqu'au bout
Nous ne respecterons que le vrai , que le juste ,
Ces principes sacrés devant rester debout !

3.
:
LIVRE I
I
SERESEG

COMPLAINTES D'ESCLAVE

OURQUOI donc suis -je nègre ? Oh ! pourquoi suis-je noir?


P Dieu m'eut jeté dans le sein de ma mère,

Pourquoi la mort jalouse et si prompte au devoir


N'accourut-elle pas l'enlever de la terre ?

Je n'aurais pas connu tous ces tourments affreux ;


Mon cœur n'aurait pas butant de fiel , goutte à goutte .
Au fond de mon néant, oh ! je serais , sans doute,
Moins plaintif, plus heureux.
Mais Dieu m'a condamné , le sort doit me poursuivre ;
De mon sang, de mes pleurs , il faut que tout s'enivre !...

II

Pourquoi donc suis -je nègre ? Oh ! pourquoi suis-je noir ?


Lorsque Dieu m'eut jeté dans le sein de ma mère,
Pourquoi la mort jalouse et si prompte au devoir
N'aecourut- elle pas l'enlever de la terre ?
50 Poésies Nationales .

Car libre l'oiseau vole et redit ses concerts ;


Car libre le vent souffle au gré de son caprice ;
Libre , l'onde limpide , harmonieuse , glisse
Entre les gazons verts .
Esclave , il n'est pour moi nul bonheur , nulle fête,
Et je n'ai pas de place où reposer ma tête .

III

Pourquoi donc suis -je nègre ? Oh ! pourquoi suis-je noir?


Lorsque Dieu m'eut jeté dans le sein de ma mère ,
Pourquoi la mort jalouse et si prompte au devoir
N'accourut-elle pas l'enlever de la terre ?

Quand la voix du colon prend son lugubre accent,


Quand siffle sur mon front sa flexible rouchine ,
Si j'ose tressaillir en lui tendant l'échine ,
Il me bat jusqu'au sang .
Etsi , quand le fouet plonge en ma chair qu'il déchire,
J'invoque sa pitié : j'entends le maître rire !...

IV

Pourquoi donc suis -je nègre ? Oh ! pourquoi suis -je noir ?


Lorsque Dieu m'eut jeté dans le sein de ma mère ,
Pourquoi la mort jalouse et si prompte au devoir
N'accourut-elle pas l'enlever de la terre ?
Complaintes d'esclave . 51

Cette nuit, cependant, j'ai vu la Liberté ! ...


L'esclave ne dort pas ; mais un labeur sans trêve
M'ayant brisé les sens , j'ai joui de ce rêve
Que l'on m'a tant vanté :
J'étais libre , j'errais , comme le maître , allègre ,
Ayant l'espace , à moi ! Mais non , Dieu m'a fait nègre...

Pourquoi donc suis -je nègre ? Oh ! pourquoi suis-je noir ?


Lorsque Dieu m'eut jeté dans le sein de ma mère ,
Pourquoi la mort jalouse et si prompte au devoir
N'accourut- elle pas l'enlever de la terre ?

Où donc es-tu, toi - même ? On m'a dit que , d'en bas ,


Lorsqu'une âme qui prie est souffrante et sincère ,
Vers toi qu'on nomme , ô Dieu ! peut monter sa prière :
Et tu ne m'entends pas !...
La prière du nègre a-t- elle moins de charmes ?
Ou n'est- ce pas à toi que s'adressent ses larmes ? ...

VI

Pourquoi donc suis -je nègre ? Oh ! pourquoi suis -je noir ?


Lorsque Dieu m'eut jeté dans le sein de ma mère ,
Pourquoi la mort jalouse et si prompte au devoir
N'accourut- elle pas l'enlever de la terre?
52 Poésies Nationales .

Ah ! si tu m'entends bien , tu dois aussi me voir.


Si je blasphème , hélas ! tu vois bien que je pleure ?
Tu sais , toi qui sais tout, que je souffre à toute heure ,
Parce que je suis noir !
Ehbien, oui, trop longtemps j'ai souffert sans mot dire ?
Seigneur, pardonne- moi si j'apprends à maudire .
Martyre . 53

MARTYRE

( ONTRE eux tous le colon tonnait, bien dur , bien aigre ,


C Car leur crime était grand , leur crime était d'avoir ,
Avec leur foi tenace, un courage de nègre ,
De fixer l'avenir , de même le vouloir !

Deux siècles les ont vus , ces noirs et ces mulâtres ,


Courber leur front servile ; et puis , après ce laps
De temps , voilà que tous ils étaient idolâtres
Du Droit, voilà que tous ils devenaient relaps !

Et voilà que , devant l'idole de la Force ,


Ils ne consentaient plus à se mettre à genoux ;
Qu'avec la tyrannie eux tous faisaient divorce ,
Tant de la Liberté leurs cœurs étaient jaloux !

Voilà qu'enfin , rêvant un nouvel équilibre ,


Le bilan de leurs droits se chiffrant à zéro ,
Ils ne voulaient plus voir l'un courbé , l'autre libre :
Le noirtoujours martyr, le blanc toujours bourreau !
54 Poésies Nationales.

Or , il fallait broyer ces viles créatures


Qui réclamaient des droits pour prix de leurs devoirs
Et qui , malgré la mort, en dépit des tortures ,
Gardaient pieusement tant de nobles espoirs .

Or , à coups de massue , il importait d'abattre


L'hydre qui renaissait sur sa base d'airain ;
Il fallait étouffer dans l'ceuf Dix - huit cent quatre ,
Que couvait ardemment le génie africain !

« A la verge , à la flamme , aux fers , aux fusillades , »


<< Aux limiers de Cuba , - s'écriaient les colons , » —
« Joignons les pendaisons , ajoutons les noyades : >>

<< Et nous les vaincrons tous , jusqu'au dernier ! Allons ! »

Et de nombreux gibets se dressaient sur les places !


Et puis on les pendait , ces nègres obstinés !
Et puis , pour extirper tous les germes vivaces ,
Sans raison , sans prétexte , ils étaient condamnés !

Quand d'un lâche soupçon , d'un caprice quelconque ,


Un seul osait , un jour , se prétendre innocent,
Comme de vieux rameaux d'un vieil arbre qu'on tronque,
Pour ce seul criminel on en détruisait cent!
Martyre. 55

Ettel qu'on sait mourir , lorsqu'on pense , en son âme ,


Que sa mort doit sauver, racheter l'avenir :
Ils tombaient sous le fouet, périssaient dans la flamme ,
Assez forts pour se taire , assez grands pour bénir .

Parfois , après avoir longtemps courbé l'échine


Pour faire , au gré du maître , un labeur sans pareil ,
On leur cinglait le corps de longs coups de rouchine
Et les laisait gésir regardant le soleil !

Parfois on les voyait mener , tête baissée ,


N'importe où , nuit et jour , et n'importe comment
La plupart étalant, non encore effacée ,
L'empreinte , vive encor , d'un récent châtiment .

Carunjour qu'il souffrait, unjour qu'il eut, peut-être ,


La force de pousser un cri lugubre , amer ,
Ce noir fut accusé d'en vouloir à son maître :

Pour punir sa révolte on le frappa d'un R !

Cet enfant , pour avoir glissé sa main timide ,


Un jour que vainement sa force avait bravé
La faim qui l'agitait , qui le poussait , avide ,
N'était plus qu'un voleur : on le frappa d'un V!
56 Poésies Nationales .

Et cet autre, un vieillard , une femme qu'on fauche ,


Pour avoir fui le fouet, dont elle a trop souffert,
N'est plus qu'une marronne : et son épaule gauche
Étalait au soleil I'M qu'avait mis le fer!

- -
Ainsi marqués , pareils à des bêtes de somme , —
Ces noirs étaient livrés par le maître- colon ,
Et le colon - bourreau, vieux monstre las d'être homme ,
Remplissait son office aussi cruel que long.

Un jour on en noyait proche d'une centaine.


Ceux-ci la corde au bras , ceux -là la chaîne aux pieds :
Enfants , femmes , vieillards , qu'en sa rage hautaine
Le maître, plus ou moins , avait estropiés .

Ayant déjà connu jusqu'au dernier martyre ,


Ayant toujours souffert ce qu'ils souffraient encor ,
Dans la cale profonde et sombre du navire
Entassés pêle - mêle, ils espéraient la mort.

Ils étaientlà : les uns , cœurs où grondaient des laves


De haine, conservant leur calme solennel ;
Martyre . 57

Les autres fredonnant leurs complaintes d'esclaves,


Faisant dans leurs soupirs monter leurs vœux au ciel .

Jadis, tant que le fouet torturait leurs entrailles ,


Du cœur brisé d'angoisse un cri pouvait jaillir ;
Pressentant maintenant l'heure des représailles ,
Toute leur foi rayonne à l'heure de mourir.

Or , entre eux , se trouvait une négresse austère .


Ses filles , son mari , —doux vieillard , gais enfants ,
Tout ce qui lui restait de bonheur sur la terre ,
Comme elle allaient périr sous les flots étouffants .

Lorsque , pour le lancer dans la mer vaste et sombre ,


Devant lui , menaçant, s'avança le bourreau ,
Le noir sembla fléchir : voyant se dresser l'ombre
De la mort, il n'osait la regarder front haut .

Alors ainsi que fit Semprone la romaine --


La noire, encourageant son époux à la mort :
«N'es-tu donc pas heureux de n'avoir plus de chaîne ?
Dit-elle en souriant ; veux-tu souffrir encor ? >>

Et le vieillard debout s'indigna de sa faute ;


Le repentir passa qui raviva son cœur :
58 Poésies Nationales .

Il s'offrit au bourreau , l'oeil serein , l'âme haute ,


Et, lancé dans la mer, périt martyr , -
- vainqueur .

Puis le tour des enfants . Encor jeunes et belles ,


Mais sans nulle espérance , oh ! c'était leur souci
De s'en aller enfin ; mais lorsque devant elles
La mort surgit soudain , elles pleuraient aussi .

Et la noire , vainquant la pitié maternelle ,


Leur inspirant ainsi l'horreur des assassins :
« Plus heureuses que moi , mourez, leur criait- elle ;
Vous n'aurez point porté d'esclaves dans vos seins ! »

Radieuses alors, s'arrachant à l'étreinte


De leur lente agonie , et relevant le front ,
Ces vierges au bourreau s'abandonnant sans plainte ,
Burent la mort au sein de l'abîme profond .

Et puis , c'était son tour, à l'altière négresse .


En face du bourreau railleur de ses vertus ,

Elle eut comme un délire, un transport d'allégresse ,


Car la mort des martyrs ne l'épouvantait plus .

Lui-même , le bourreau , ce qu'il avait de haine ,


Le calme de la mère esclave le tarit ;
Martyre . 59

Et comme un damné geint au fond de sa géhenne , 1


Sa conscience en lui semblait pousser un cri .

Car lorsqu'il eut rempli sa mission cruelle ,


Il vit la noire encor le bénir ; et les flots
Rugirent d'épouvante en s'engouffrant sur elle ;
Et la mer indignée exhala des sanglots ...
60 Poésies Nationales.

LE SUPPLICE DU NOIR

A mon ami C. Ganthier .

R, ce n'était pas loin de cette place d'armes


Ο Où, sur les nègres vils n'ayant plus sang ni larmes ,
Le colon excellait à se montrer cruel ;
Où l'on fit rompre vifs , la face vers le ciel ,
Chavanne, Ogé,, ces deux vaillants dont l'équipée
Sublime préluda la sublime épopée ;
Ce n'enfutpas bien loin qu'un crime sombre eût lieu ,
Consommépar des blancs, sur un nègre ...sous Dieu !

11 y avait pourtant de ces hommes austères

Pour qui les noirs courbés n'étaient pas moins des frères :
Et tous ces cœurs français au juste épanouis
S'abstinrent d'applaudir aux excès inouïs
Des colons en démence et de leurs prosélytes ...
Le Supplice du Noir . 61

Dans la vaste avant- cour du couvent des jésuites ,


Sous un ciel plein d'azur , un ciel que ne ternit
Aucune ombre , ils sont là , forts , en nombre infini ,
Les colons , donnant l'âme à leur grande pensée ! ...

Déjà le noir tressaille , et la meute est lancée ! ...

Animés par la faim qui les ronge longtemps ,


Sur le martyr serein tous ces chiens haletants
Bondissent ; ils ont l'œil en feu ; leur gueule écume
De rage ; chacun lève un museau tremblant , hume
Cette chair que l'on jette à leur mâle appétit ;
Mais , pourtant, pas un seul ne peut mordre ; oneût dit
-Ales voir reculer , traînant leurs flots de bave -
Qu'ils maudissent le maître et pleurent sur l'esclave .
Ils ont faim , mais , devant ce noir ainsi lié ,
On eût dit que le ciel leur donne la pitié
Que n'ont plus les colons ...Maintenant, impassibles ,
Se dérobant quand même aux rigueurs inflexibles
Du maître , les voilà qui reculent , s'en vont !...

Alors Pierre Boyer, surgissant, haut le front,


Brandit son sabre avec une humeur souveraine ,
Rassemble ses limiers , redescend dans l'arène ,
Et tout fier des bravos mille fois répétés ,
Des tonnerres de cris des colons exaltés ,
62 Poésies Nationales .

Accourt , l'œil flamboyant , et frappe la victime ;


Et, quand le sang jaillit, pour que l'excès du crime.
Ne les ébranle pas , le féroce saisit
Les dogues effarés qu'il lance ! ... Et c'est ainsi
Qu'en dépit du ciel même il inspire sa rage :
Et la tourbe enivrée exalte son courage ,
Et compte le cynique au nombre des héros !
Alors , comme ces blancs , ces chiens se font bourreaux.
Excités par les cris incessants de la foule ,

Par la vue et le flair du sang vermeil qui coule ,


Ils plongent , pantelants , sur l'esclave martyr :
Et les colons ravis bien plus haut d'applaudir !…
..

Il râle , et ces colons , vierges d'une âme humaine ,


Redoublent leur puissance au brasier de leur haine ,
Lancent de plus longs cris pour garder , en ses flancs ,
La meute cramponnée à ses membres sanglants .

C'est un esclave ! c'est un nègre! eh bien , qu'importe


Qu'ilmeure ainsi ?... Mais lui , gardant une âme forte ,
Au-dessus des douleurs qu'il souffre trop longtemps ,
Lui ne les maudit pas de les voir si contents .
Seul , décharné , rongé , l'œil ouvert , il expire :
Et tous de répéter leurs longs éclats de rire !
Le Supplice du Noir . 63

Le noir est mort . Les chiens sur ses membres épars


S'étendent ; les colons repaissent leurs regards
D'un spectacle si beau ; toute la foule aboie ;
Deux meutes , à présent, poussent des cris de joie;
Deux meutes à présent hurlent ; et , jusqu'au soir ,
Pour jeter son outrage au squelette du noir ,
Consommer tout le crime et s'en aller plus fière ,
La meute des colons restera la dernière !

Or, vous avez bien fait , sublime Rochambeau !


Le nègre n'a point droit à l'amour, et c'est beau
Qu'on l'opprime toujours , qu'il souffre le martyre ;
Que vous lanciez sur lui deux meutes en délire,
Que fouettent vos égaux ainsi que des valets.
Or , faites, Rochambeau ! toujours , nourrissez -les
De la chair et du sang du noir et du mulâtre :
Dieu voitet ne dit mot . Mais , en Dix - huit cent quatre ,
Quand l'heure solennelle aura sonné pour nous
Et que Dieu tonnera ; quand l'esclave à genoux
Relèvera le front pour regarder le maître ;
Quand le nègre , brisé, las enfin de connaître
Vos tortures , vos croix , vos supplices trop longs ,
Poursuivra sans remords la meute des colons ;
Quand ,les voyant traqués par des groupes d'esclaves
Vos dogues effarés harcèleront vos braves :
6't Poésies Nationales .

Oh ! ne reprochez pas au nègre ses excès .


Abdiquant les vertus qui font les cœurs français ,
Pour charmer vos loisirs vous vous montrez sublime
En entassant toujours le crime sur le crime ;
Or , demain , qu'appliquant la loi du talion
Le nègre soit debout, se fasse aussi lion ,
N'osez point le maudire et comprenez sa haine .
L'ignorance est le lot qu'on lui jette en sa chaîne ;
Le mépris insolent, le sarcasme moqueur ,
Sont les germes féconds répandus en son cœur .
Eh bien, il gardera la multiple semence
Et , de tant d'éléments , combinant sa démence ,
A vos soins généreux donnant leur juste prix ,
Ils auront la vengeance , ils auront le mépris .
Toussaint - Messie . 65

TOUSSAINT - MESSIE

A mon frère Edmond,

IT Brunet — un Français , mais un traître- Brunet,


E que des colons l'étoile déclinait,
Au dessein de Leclerc ouvrit toute son âme ;
C'était peu d'être lâche , il fallait être infâme :
Or, Brunet le devint . Et comme fit Judas
Baisant Christ pour trahir , Brunet n'hésita pas
A parler d'amitié pour trahir Louverture .
Et lui , ce grand, planant dans sa large envergure ,
Et lui , voyant, là-bas , passer la Liberté
Souriant à sa race ; et lui , l'esprit hanté ,
Le cœur embrasé comme une ardente fournaise ,
Il partit confiant dans une âme française .

Oh ! Dieu trouvait si beau , si grand , si noble , enfin ,


Le rêve du héros ; il trouvait si divin
4.
66 Poésies Nationales .

Le projet que conçut le noir en sa démence ,


Que, pour mettre dessus le sceau de sa puissance ,
Créer dans Louverture un nouveau rédempteur ,
Il voulut que le blanc , ironique , insulteur ,
Lui fit jusqu'à la lie accepter le martyre .

Et Toussaint l'accepta.
Calme , au milieu du rire ,
Au milieu de la joie infinie , au milieu
Des sarcasmes.du blanc vainqueur, sous l'œil de Dieu
Fécondant son génie , il laissa cette terre,
Volcan dont jusqu'alors il était le cratère ;
Il laissa son asile aimé , son Ennery,
Où pour lui le bonheur avait déjà fleuri ;
Où les nids amoureux, les sources murmurantes ,
L'enivraient ; il laissa ces collines riantes
Où du lambi des noirs vibrait l'accent vainqueur ;
Il laissa tous ces lieux qui dilataient son cœur ,
Ces monts aux flancs pierreux , aux verdoyantes cimes ,
Où son esprit rêvait tant de choses sublimes ;
Et l'île aux verts palmiers , splendide sous les cieux,
Lentement, lentement, se perdit à ses yeux.

--
Alors , voyant le Joux , -comme Christ le calvaire ,
A cette soldatesque effrénée et sévère
Toussaint - Messie . 67

Qui le raille , aux colons , juifs qui veulent sa mort,


A tout ce qui travaille à lui rendre le sort
Plus cruel , à la force , à la haine , à l'envie ,
A ces bourreaux armés que sa chute convie
A le nommer infâme , à lui jeter des cris ,
Toussaint , dans sa grandeur, oppose son mépris !
S'il soupire parfois , lui, le héros si ferme ,
C'est qu'en sa tête un monde, une race regerme ;
Et si dans ses deux mains il laisse aller son front ,
Oh ! ce qui l'y contraint, non , ce n'est pas l'affront ,
Ce n'est pas l'agonie à peine commencée ,
Mais l'immense avenir qui tourne en sa pensée ! ...

Aussi , lorsque la nef ouvre sous le ciel pur


Ses voiles , lève l'ancre et fend les flots d'azur,
Sur cet autre Nébo , comme un autre Moïse ,
Toussaint plonge ses yeux vers la terre promise
lui ;
Où son peuple entrera sous un autre que
Et, - tel qu'avant l'orage un dernier soleil luit, —
Lançant sur ses bourreaux ses yeux pleins de lumière
Ces yeux où rayonnait son âme toute entière :
« Vous avez abattu , dit- il , en m'abattant ,
« Le tronc de l'arbre noir ; il renaîtra pourtant :
« Ses racines sont là vivaces et profondes ! »
68 Poésies Nationales .

Et tu jetas ces mots à ces vainqueurs de mondes


O Toussaint ! et ta voix dans le ciel retentit !

Saint- Domingue , dès lors , redevint Haïti ;


De ces soleils éteints, de ces volcans sans laves ,
Dès lors , on vit surgir des pléïades de braves ;
Dès lors , enfin, du nègre incompris , insulté ,
Le sang pur féconda la chaste Liberté :
Et ceux que le colon poursuivait de sa haine ,
Par un suprême effort faisant tomber leur chaînê ,
On entendit vibrer sous nos cieux infinis
Ce cri : Dix-huit cent quatre !

Oh ! tous, je vous bénis !


Cent fois je vous bénis , vous dont la gloire immense
Éblouit mon esprit ! Ce que votre démence
Lumineuse, divine , osa tenter pour nous :
Ce n'est pas d'avoir vu se briser sous vos coups ,

S'écrouler , quand dessus passa votre colère ,


I
Le vieux temple d'airain tant de fois séculaire ;
Ce n'est pas seulement d'avoir vu , tant de fois ,
Des martyrs réveillés aux sons de votre voix
Briser soudain le sceau de leur sépulcre étrange ;
Ce n'est pas seulement, dans vos splendeurs d'archange ,
Toussaint - Messie . 69

D'avoir , en l'inondant d'effluves d'idéal ,


Percé l'ombre où gisait le dieu colonial ;
Ce n'est pas seulement , lassés de sang , de larmes ,
D'avoir lutté, vaincu , presque sans pain , sans armes ,
Et dans ces nains obscurs , raillés , chassés , maudits,
Moulé tous ces géants tant de fois applaudis ;
Mais c'est d'avoir aussi compris le chant du cygne ;
D'avoir, quand l'aigle altier, pris dans un artinsigne ,
Eut rempli l'infini d'un murmure nouveau ,
En des exploits si grands traduit ce cri si beau ;
C'est d'avoir imprimé , malgré bien des souffrances ,
Malgré des jours d'angoisse et de désespérances ,
A la voix du martyr comme un écho divin ;
Oh ! oui , c'est d'avoir fait , pleins de son souffle enfin ,
Et réalisant tous sa grande prophétie,
De Toussaint-Louverture, un voyant, un messie !
70 Poésies Nationales .

LE PREMIER CRI

OUR conquérir l'indépendance


P Armons nos cœurs , armons nos bras ;

Dieu nous sourit et l'Espérance


Vers le grand but guide nos pas.

C'est trop longtemps verser nos larmes.


Et notre sang dans nos vallons ;
Le ciel ému nous crie : « Aux armes ! »
La Liberté nous crie : « Allons ! »

C'est trop longtemps courber la tête,


Subir le joug de nos bourreaux ;
Les flots pressés font la tempête ;
Les droits lésés font les héros !

Or levons-nous ! Que rien ne brise


Notre faisceau ! ... N'ayons qu'un chant :
Le premier Cri . 71

<< Libre ou mourir ! » C'est la devise


Du peuple noir debout , marchant !

Et tandis que de nos poitrines


Monte vers Dieu cet humble cri ,
Dans nos plaines , sur nos collines ,
Frères , debout ! Dieu nous sourit ! ...

Et pas de trêve ! et pas d'entraves !


Que , répétant leurs longs échos ,
Nos lambis appellent des braves
Qui marchent tous, tels des héros !

Il n'est plus dit que l'esclavage


Nous fera fléchir les genoux ,
Qu'on entendra la voix sauvage
Du colon lugubrer chez nous !

Que même sur ce coin de terre


Le noir partout sera maudit ,
Et qu'il devra toujours se taire ,
Toujours souffrir !... Ce n'est plus dit !

Frères , debout ! ... Plus de ces guerres


Où les vaincus et les vainqueurs
72 Poésies nationales .

Ont le vieux drapeau que , naguères ,


Ensemble , ils pressaient sur leurs cœurs .

Frères , marchons ! Qu'importent même


Tous les tourments , quoi que ce soit ,
Lorsqu'on sent le regard suprême
De la Liberté luire en soi ;

Quand les héros où son génie


Passe immortel , même martyrs ,
Sentent crouler la tyrannie
Au souffle seul de leurs soupirs !

Armés des débris de nos chaînes,

Allons , luttons , pour conquérir ,


Au milieu des rumeurs prochaines ,
Le jour sacré de l'Avenir !
Vertières. 73

VERTIÈRES

Au général Monpoint jeune.


Ancien Secrétaire d'État de la Guerre.

LS sont là les héros de l'Adige et du Rhin .


I' Ils ont environné de leurs canons d'airain

Breva , Pierre- Michel , et Champin et Vertières :


Et ces mornets flanqués de bouches meurtrières ,
Ces forts improvisés , les voilà condamnés
A réduire au néant tous ces noirs obstinés .

Mais qu'importe , l'armée indigène est campée,


Se flattant de franchir, d'une seule enjambée ,
Des entraves sans nombre , et d'aller, sans retard ,
Jusqu'aux portes du Cap planter son étendard !

Vertières , lui surtout, Vertières est là qui gêne


Ce merveilleux élan de l'armée indigène .
Là, comme un aigle fier dardant un œil puissant ,
Le drapeau tricolore ondule menaçant ;
5
74 Poésies Nationa
les .

Ici , les noirs , partout étendus dans la plaine ,


Les noirs , nombreux , serrés , exaltés , hors d'haleine
S'agitent du désir d'éclairer du flambeau
De la réalité leur rêve obscur ... si beau !

Dessalines paraît . Calme , il combine , il règle :


Et puis , autour de lui , plongeant ses regards d'aigle ,
Il ordonne à Capois d'aller sous les canons .
(Oh ! qui que vous soyez , saluez , à ces noms ,
Ce que de plus divin a conçu l'héroïsme ! )

Capois bondit. Sous lui , pleins du noble égoïsme


Dont chacun, jusqu'à l'âme , est ardemment imbu ,
Montent des légions de nègres vers le but .
La canonnade gronde et les broie ; ils se troublent
Et reculent ; Capois les ranime ; ils redoublent
De vaillance , et , sans cesse , en leur montrant le fort,
Capois insuffle en eux le dédain de la mort.
Ils vont .

Regardez - les ! stoïques et superbes ,


Meurtris , criblés , sanglants , ils croissent sous les gerbes
Incessantes de feu que Vertières vomit,
Prodige éblouissant aux yeux de l'ennemi !
Il leur faut enlever Charrier , l'inaccessible ;

Mais , toujours , devant eux , le colosse impassible ,


Vertières . 75

Formidable , hagard , dont nul ne vient à bout,


Toujours, Vertière est là , dans son ravin , debout !
Ls canonnade gronde. Une trouée énorme
Fléchit les assaillants , mais le rang se reforme ,
Et plus fiers , et plus beaux , la baïonnette au poing ,
En masse , ils vont toujours , tombant, ne cédantpoint
Et dans ces flots pressés d'obus et de mitrailles,
Quand la mort passe aveugle abattant ces murailles
Vivantes , oh ! plusieurs , et des milliers encor,
Sont là, qui font revoir le féerique décor ,
Qui refont la muraille et montent .
Oh ! contemple ,
Liberté ! c'est pour toi , c'est pour dresser un temple
Digne de ta splendeur sous cette île au ciel bleu ;
C'est pour t'offrir leur culte et consacrer leur vou ,

Que ces âmes dans l'ombre et le malheur trempées


Sous des cercles de feu tracent leurs épopées !
Sur tes tables d'airain burine , ô Liberté ,
Ceux qu'eût faits demi- dieux la noble Antiquité ;
Grave le souvenir de ces heures épiques
Où , s'armant du tronçon de ses fers et de piques ,
Le nègre s'élança , surgit de son néant ,
Et franchit sa dernière étape de géant !

Et vous , ô peuple noir , chantez ! ... Cette journée


Inaugure pour vous une autre destinée !
76 Poésies Nationales .

II

Mais la lutte est plus vive ; et les jeunes conscrits ,


Tels les vieux vétérans , sont soudain aguerris .
On monte, et puis partout , au centre , à droite, à gauche
Partout, et puis toujours , passe la mort qui fauche .
Pourtant, perçant ces rangs si ferme combattant,
Un cri soudain circule , ils frémissent pourtant ! ...
-Capois tombe ! -Capois est mort ! -Luise relève,
Plus fier ,plus beau , plus grand ! ... N'est- ce donc rien qu'unrê
Ou la mort faiblit- elle , indécise , à l'aspect
Du faucheur qui lui semble imposer le respect ? ...
Lui , calme , radieux , brusquement se redresse
Loin du cheval sanglant , s'élance , charge , presse ,
Lançant le cri sublime : « En avant ! En avant ! »

Ainsi , le soir , hurlant sous le souffle du vent ,


Les flots aux sourds accents , les flots auchant sauvage ,
Franchissent, bondissants, la borne du rivage ;
Ainsi , de l'héroïsme agitant le ressort ,
Montent ces légions graves dans leur essor .

En avant ! En avant ! Capois part . La mitraille


Le décoiffe, n'importe ; animant la bataille,
Vertières . 77

Tout en lui surexcite , électrise les cœurs ;


Il veut, dans ces héros , couronner des vainqueurs ;
Voir, sur les noirs martyrs , la race noire libre !...

III

Le feu cesse ; on écoute ; on n'entend plus qui vibre


L'épouvantable accent des vieux lions français ;
Devant l'homme bronzé dont s'éprend le succès ,
Qui s'offre , sans relâche , à la mort qu'il domine ,
Étonné , le drapeau tricolore s'incline :
Le tambour bat aux champs sous les plis du drapeau ,
Puis un Français s'avance au nom de Rochambeau .

Car si son âme sombre est loin d'être enflammée

D'une intense pitié , s'il la garde fermée


Aux généreux instincts , s'il se complaît à voir
Dans toutes ses horreurs l'esclavage du noir,
Rochambeau, dans son cœur , garde pourtant vivaces
Ces amours que l'on voue aux sublimes audaces ...
Aussi se sent-il fier , tant que vibre en son nom
Ce superbe accent, tel que les preux seuls en ont .
-Etlui , l'œil sur Capois , l'air serein , la voix grave ,
Le messager français félicite le brave
Qui vient de se couvrir de tant de gloire.
78 Poésies Nationales .

Ii dit,
Et l'immortel écho de Vertière applaudit ;
Le tambourroule aux champs , et non loin , et derrière
Les remparts de Champin qui secondent Vertière ,
Rochambeau bat des mains et sa garde d'honneur
Comme lui bat des mains ! -C'est Capois - Osplendeur ! —
Capois - là - Mort qu'ainsi la grande armée exalte !
Et ce sont tous ces noirs qui jamais ne font halte,
Aigles dont l'envergure a trop peu de tout l'air ,
Demi-dieux foudroyants faisant des bonds d'éclair !
Mais , devant Haïti , quand la France s'incline ;
Quand Rochambeau combat , oùdonc est Dessaline ?
Là, fier , le belluaire applaudit aussi , lui ;
Il darde ce regard infini qui reluit ;
Embrasant l'avenir , calme , assis sur la butte
Voisine, souriant , il assiste à la lutte
Il voit les noirs , ses fils , montant , groupe immortel ,
Phalange de titans escaladant le ciel....

IV

Le héraut disparaît et le feu recommence.


Etgrands dans leur essor , sereins dans leur démence
Sous la foudre qui broie et qui n'arrête pas ,
Ces preux illuminés bondissent , l'arme au bras !
Vertières . 79

Et l'on monte, et l'on tombe , et l'on meurt pêle-mêle ,


Car de les voir toujours , intrépides comme elle ,
Et , malgré tout , montant, prêts à saisir le fort ,
La Mort semble jalouse et les frappe plus fort ;
Et Vertières n'est plus qu'un immense cratère ,
Qu'un noirvolcan qui tremble et fait trembler laterre
Engloutissant les noirs sous ses laves de feu.
N'importe, il faut monter ; la Liberté le veut ! ...
Au plus fort de l'assaut , dans l'ardente fournaise ,
A la voix des Français lançant la Marseillaise
Répond la voix des noirs . Ils chantent, eux aussi .
Ils chantent sous les coups qui pleuvent sans merci :
<< En avant, grenadiers ! tant pis pour ceux qui meurent ;
<< Nul de nous n'a de père ou de mère qui pleurent .
<< En avant, grenadiers ... ! » Et frayant des sentiers
Qu'ils franchissent quand même ils vont , ces grenadiers !
Ils vont , ayant la foi qui brise les entraves ;
Pour vaincre , ou pour mourir , ils vont , calmes et graves ,
Et dédaignant la mort qui passe sur leurs fronts ,
Comme si , de sa main , Dieu fit ces forgerons ! …...
Spectacle merveilleux , imposant , grandiose !
Le poème s'achève en une apothéose ;
Chacun sort immortel du plus sublime élan :
Vernet, dont le cheval s'abat sous lui sanglant ;
Daut, maîtrisant la mort à ses pas attachée ;
80 Poésies Nationales .

Clerveaux , le sabre au poing, l'épaulette arrachée


Par des éclats d'obus ; et Larose après lui ;
Tous enfin , d'un regard où l'avenir reluit,
Pétrifiant la mort , fascinant la victoire ;
Car ils savent qu'ils sont des légions de gloire ;
Que , honnis, conspués, ils sont , sous leurs haillons ,
Le Droit qu'inonde enfin de ses plus purs rayons
La sainte Liberté de leur génie éprise !

Enfin la lutte arrive à sa suprême crise :


Charrier est enlevé ; Pierre - Michel s'est tu ;
Breda tremble ; Vertière , inquiet, abattu ,
Chancelle ! ... Tout à coup se voile la nature ;
Sous les cieux infinis s'étend une ombre obscure ;
L'espace retentit du choc des éléments ;
Et, rapides , partout , éclatent, par moments ,
Perdus dans les sillons du fer qui les traverse,
Les lugubres éclairs précurseurs de l'averse ;
Mille oiseaux effarés tourbillonnent . - Il pleut .
Alors , mais seulement alors , sous le feu ,
Apas lents , l'arme au poing, eux quijamais n'arrêtent
Leur merveilleux essor, tous ces héros retraitent ! ...
Vertières . 81

Pourtant les revoilà ! dès que le ciel sourit,


Sous l'élan de leurs coeurs que la vengeance aigrit,

Bondissant emportés , battant encor la charge ,


Tous enfin , comme un seul , se sont jetés au large.
Mais à leurs beaux défis aucun feu ne répond ;
Ils sont près du ravin , ils sont devant le pont ;
Et les voilà jurant dans un long cri suprême
Ou quand même de vaincre , ou de mourir quand même !
Nul ne répond encore ; un silence profond
Les accueille , tandis que , stoïques , ils vont ,
Comme à leur idéal vont les âmes altières ...

Or , malgré leurs efforts sentant crouler Vertières


La nuit, devant le noir au courage d'airain,
Avaient fui les héros de l'Adige et du Rhin .

5.
82 Poésies Nationales .
1

VISION

A mon ami Justin Lhérisson .

LS étaient trois vieillards . Un nimbe de lumière

Environnait leurs fronts . Ils passaient dans manuit .


Et conservant encor leur allégresse altière ,
Ils lisaient un poème et s'en allaient sans bruit.

Et je les contemplais . Et je sentais mon être


S'exalter devant eux . Et je sentais mon cœur
Vibrer d'enthousiasme . Et je sentais renaître
Toute ma foi devant ce groupe à l'air vainqueur .

Ils allaient , rayonnants . Calmes comme des justes ,


Ils allaient. L'un tenait la hampe du drapeau
Dont les franges d'argent sur leurs têtes augustes
Flottaient. Fier il portait le précieux dépôt.

Le second , lui, portait une chaîne brisée ;


Etle troisième un glaive . Et grands tels que des rois ,
Vision . 83

Leur vaste esprit couvant une immense pensée,


Ils allaient à pas lents et s'embrassaient parfois .

Et je les contemplais, moi dont l'âme vénère


Les fronts olympiens ; je voulais , à mon tour ,
Que mon culte atteignît leur grandeur centenaire :
Et mon cœur palpitait d'espérance et d'amour.

Et comme j'admirais la splendide auréole


Au front de ces vieillards qui me rappelaient Dieu ;
Et comme je cherchais à pénétrer leur rôle ,
Je vis se déployer l'étendard rouge et bleu ...

Et mon cœur exalté ne cessait plus de battre .


Mais lorsqu'avec ces mots : « Union , Liberté , »
Au centre, en lettres d'or , je lus : « Dix- huit centquatre . »
Je me mis à genoux devant la trinité.
84 Poésies Nationales ,

LE PREMIER JANVIER

A mon ami Destiné Désir,

T c'était ce jour -là qu'on les vit radieux ;


E Et c'était ce jour - là que l'on vit la victoire

Baiser avec orgueil leurs fronts majestueux ,


Et qu'un serment scella le secret de leur gloire ;

Que , las d'être témoin de crimes odieux ,


Le ciel, sur l'oppresseur, vengea la race noire ,
Et traça cette page unique de l'histoire :
Des esclaves honnis devenus demi- dieux .

Contre le joug, le fer , les tortures , les crimes ,


Ils avaient , ces géants , ces héros , ces sublimes ,
Emprunté de sa force à la Divinité .

EtquandDieu dans leurs cœurs eut soufflé son génie ,


On vit, de leur long choc avec la tyrannie ,
Sur la terre des noirs jaillir la liberté !
Exultation. 85

EXULTATION

RGUEIL sacré! -doux rêve ! -ineffable hantise !


0 Flamme vivante au cœur que le malheur attise !
- divine obsession ! ...
- Culte mystérieux !

Fonder un peuple noir ; faire une nation ;


Entre les races sœurs établir l'harmonie !

Sauver la noire , enfin , de sa lente agonie !

Oh ! n'est-il pas bien vrai que ce rêve était beau ?


N'est-ce pas qu'il fallait qu'un rayon vînt d'en haut ,
Qu'inondant tout , de sa clarté mystérieuse ,
Une étincelle d'or s'échappât radieuse
Et fécondât en eux des semences de foi,
Pour qu'en dépit de tout ils n'eussent d'autre loi
Que de tendre à ce but l'effort de leur génie ?
N'est-ce pas qu'il fallait cette force infinie
De ceux qui , face à face , osent parler à Dieu ?
Sentir, comme l'éclair ou la langue de feu ,
86 Poésies Nationales .

Un souffle de l'Esprit descendre dans leurs âmes ,


Pour conserver , malgré ces tortures infâmes ,
Malgré ces arts maudits , ces ressorts ténébreux,
Que le colon forgeait , imaginait contre eux ;
Pour conserver , malgré cette latente angoisse ,
Malgré tout ce qu'en soi le cœur sent qui le froisse
Quand le silence est long , quand l'espoir semble vain ;
Pour conserver, malgré le désespoir enfin ,
Ce rêve de géant dans leurs âmes d'esclaves ?

Aussi, lorsque , pareils à des torrents de laves


S'élançant d'un cratère immense vers les cieux ,
Jaillissaient de leurs cœurs ces cris audacieux
Qui frappaient de stupeur le clan hideux des maîtres :
<< Mort ànos oppresseurs ! Liberté ! Sus aux traîtres ! »
Lorsqu'on les vit ainsi rompre avec le mépris ,
S'ils tremblaient, ce n'est pas que la peur les eût pris
Et leur eût fait sentir son étreinte tenace ;
Ce n'est pas que, frappés de leur sublime audace ,
Effrayés des pensers soulevés à leur voix ,
Scrutant l'horizon vaste assombri quelquefois,
Ils fussent dans cette ombre où le doute s'accule ;
Ce n'est pas que, sortis de leur long crépuscule ,
Ils fussent, tout à coup, éblouis de l'éclat
De l'astre qui montait ; non , ce n'est pas cela,
Exultation . 87

S'ils tremblaient ces héros , en leurs saintes furies ,


C'estcomme un volcan qui tremble en crachant ses scories ,
Comme la mer s'agite en vomissant ses flots ,
Comme hurle le fauve en poussant ses sanglots ;
Oui, quand,brisant leurs fers, quand , saisissant le glaive,
Ils allaient , animant le chaos de leur rêve ,
Ils allaient, inondés des rayons lumineux
De cet astre divin qui se levait en eux ,
S'ils tremblaient, ces héros , c'est comme le tonnerre
Qui , jaloux de broyer le chêne centenaire ,
En franchissant pourtant l'espace illimité,
Tremble de voir si bas gronder sa majesté ;
S'ils tremblaient, c'est ainsi qu'à cette heure suprême
De frapper le damné ...doit trembler Dieu lui-même !

O mes divins aïeux , comment dire mes vœux !


Comment tenter jamais ce que pour vous je veux !
C'esttroppeu que mon cœur constamment vous exulte ;
Que,bravant ces dédains dont peut souffrir mon culte ,
Je rêve encor des jours éternels , infinis ,
Où vous soyez aimés, où vous soyez bénis ! ...
Non , cen'est pas assez !... Devant vous je m'incline ,
Louverture , Capois , Pétion , Dessaline,
Et , l'âme débordant d'enthousiasmes fous ,
Dans monplus humble orgueil faisant des dieux de vous ,
88 Poésies Nationales .

Remplissant de vos noms les cris de mon cœur, j'ose


Convier l'univers à votre apothéose !
Il viendra, l'univers, et , demain , à genoux,
Vous exultant aussi, vous aimant comme nous ,
Trouvant notre transport plusjuste qu'aucun autre,
Il montera son cœur à l'unisson du nôtre !

Oh ! vite , épanouis en toute ta splendeur !


Éclos , vaste idéal d'éternelle grandeur !
Hâte -toi de venir , jour dont mon cœur implore
La sereine clarté , la ravivante aurore ;
Jour sacré, jour prochain , dont l'astre éblouissant
Perce à travers la brume épaisse du présent ! ...

A travers cette brume , oh ! je le vois sourire ,


Ce groupe harmonieux qui cause mon délire ! …..

Oui, je vous vois passer dans mes rêves parfois ,


Beaux, rayonnants , divins ! Oui , pères , je vous vois ;
Je vous entends aussi nous rappeler, vous -mêmes ,
Tous ces faits immortels , ces éloquents poèmes
Dont vous avez rempli le livre d'or des temps ;
Et vous voyant ainsi , radieux et contents ,
Fiers , dans l'immensité de toute votre gloire ,
Je m'agenouille , moi, fils de la race noire .
Exultation . 89

Alors , je vous contemple ! alors, je vous bénis !


Et j'invoque cette heure où vos enfants , unis ,
Imposeront votre œuvre au monde ! ... et je regrette ,
Moi , vieux cœur enfiévré d'idéal , moi, poète ,
De n'être pas venu, même un siècle plus tôt ,
Pour combattre avec vous ! ...

Ce dut être si beau !

Ces obscurs va- nu-pieds, ces farouches esclaves ,


Étonnant ces vainqueurs , épouvantant ces braves
Que le monde acclamait sous l'altier conquérant !
Aux yeux des plus railleurs , ce dut être si grand
De voir, dans sa splendeur d'âme enthousiasmée ,
Dessalines poussant contre la Grande Armée
Toutes ces légions d'hommes deux fois bronzés ,
Revendiquant leurs droits par deux siècles lésés ,
Prouvant, par ces exploits que couronna Vertières ,
Que les nègres aussi sont des âmes altières
Qu'inspire l'héroïsme... ainsi que la pitié !

Aussi, pas un de vous, pas un n'est oublié :


Lorsque vibrent nos cœurs pour nommer Louverture ,
Le premier des noirs , l'homme à l'immense stature !
Dessalines , ce bras terrible qui forma
Tout le bronze que le Dieu de son souffle anima !
90 Poésies Nationales .

Lorsque nous contemplons la pléiade sublime


Dont la gloire ennoblit, dont la clarté ranime,
Lorsqu'enfin, nos fronts bas , jusqu'à terre inclinés,
Offrant l'apothéose à ces illuminés ,
N'ayant rien dans le cœur , d'assez grand pour leur dire ,
Nous nous extasions dans un profond délire ,
Invoquant Pétion , l'aigle au regard serein ;
Capois , le justicier que Dieu moula d'airain ;
Christophe , terrassant l'oppresseur , de son ombre ;
Magny,Monpoint, Pierrot, seuls,écrasant le nombre;
Oui,tous ces fous divins , tous ces fiers, tous ces grands
Qui de l'iniquité surent briser les rangs
Et du monde incliné reformer l'équilibre ;
Oui , tous ces demi -dieux rêveurs de peuple libre :
Guerrier, Yayou, Gérin , Vernet , Clerveaux , Geffrard,
Herne , Ambroise , Férou , Cangé, Bélair , Gabard ,
Morisset, Marcadieu , Maurepas , Toussaint-Brave,
Francisque ! ... tous ces noms que la Liberté grave
En longs traits de lumière ! Oui , lorsque dans nos chants,
Tous, nous nous réclamons de ces hommes géants ,
Oh ! c'est bien de vous-même en qui la vieille Afrique
Fit passer son génie et son âme stoïque ;
C'est bien de vous aussi que nous nous réclamons ;
C'est vous que nous chantons, c'est vous que nous aimons ;
C'est pour vous que nos cœurs bondissent d'espérance :
Exultation . 91

Macaya , Zéphirin, Benech , Lamour - Dérance ,


Boukman , Jeannot, Fourmi , Labrunit , Guyambois ,
Métellus , Halaou , Lavougou , Catabois ,
Lafleur, Tellier , Vancol , Sylla ! ... groupe farouche
Que Dieu même anima du souffle de sa bouche !
Car tous , avec vos noms cent fois bénis , ces noms
Magiques et sacrés , qu'aux salves des canons
Nous voudrions redire en guise de poème ;
Oui, tous, vous méritez l'éclatant diadème
Des demi-dieux debout dans l'immortalité .
Humbles vengeurs du droit et de la Liberté !
92 Poésies Nationales .

RÊVE ET ALLÉGORIE

A mon ami Pamphyle Noisette .

'N rêve, cette nuit, a hanté mon esprit .


ciel vaste

Des soleils ; et mon cœur de deux astres s'éprit ,


Plein d'un ardent amour , d'un culte enthousiaste .

Mais, brillant isolés , je les voulus , en vain ,


Embrasser d'un regard ; soudain , d'un vol rapide
Rasant le firmament, une ombre immense vint
Qui ternit le reflet de leur clarté limpide .

Et le nuage épais s'étendait , triomphant !


Et je cherchais , en vain , la radieuse face
Des deux étoiles sœurs , jusqu'à l'heure où le vent
Frappant à grands coups d'aile eut nettoyé l'espace .
Rêve et Allégorie . 93

Il monta, le vent sourd , invincible , irrité,


Soufflant autour de lui son haleine puissante ;
Il monta, franchissant toute l'immensité,
Balayant sous le ciel la nue obscurcissante.

Ému , je regardais ! ... Ils n'étaient plus ternis ,


Ces astres ; inondant le ciel , de leur lumière ,
Ils brillaient, ils brillaient ! ... mais ils étaient unis :
Et rien ne revint plus les voiler dans leur sphère.

Frères jaunes et noirs , ces deux astres c'est nous ;


L'étranger insulteur est le nuage immense ;
L'autan, ce sont ces dieux que l'on nomme à genoux
Et qui nous ont créé la sainte indépendance .
94 Poésies Nationales .

A TOUSSAINT - LOUVERTURE

E te consacre un culte , à toi que transfigure


JⓇEn Dieu notre humble orgueil qui jamais ne décroit ;

A toi qui , pour l'amour de nous , souffris le froid ,


La faim , l'affront cruel , la plus lâche torture !

Apôtre précurseur des rédempteurs du Droit ,


Tu mourus immortel ! Ton martyre t'épure ;
Tes fils ont le front haut quand ils parlent de toi ,
Car ta gloire est sacrée , ô Toussaint- Louverture !

Lorsqu'un traître pour toi dressa le Golgotha ;


Quand dans l'enfer du Joux un ingrat te jeta ,
Dans l'âme de tes fils tu fis passer ton âme .

On t'appelait: <« le Nègre ! » , on t'appelait « l'Infâme ! » :


L'infâme a su charmer l'auguste Liberté ,
Du nègre, avec orgueil , un peuple se réclame .

1
A Pétion. 95

A PÉTION

AYONNE , demi - dieu , toi qui , parmi ces braves


R Dont nous nous proclamons l'humble postérité

Brisant partout comme eux la chaîne des esclaves ,


Sur des droits éternels fondas leur liberté .

Dédaigneuse , stoïque , au milieu des entraves ,


Ton âme s'imposa tant de sérénité,
Que tous ces vils serpents bavant sur les plus graves
N'ont pas osé siffler ton immortalité ! ...

Or , rien qu'en les nommant, ainsi qu'elle s'incline


Devant Toussaint , Capois , Christophe, Dessaline ,
Ces noms sacrés auxquels ton nom sacré s'unit ,

Devant toi- même aussi qui reflètes sa gloire,


Et qui soutiens ses pas, toute la race noire
T'offrant l'apothéose , à genoux, te bénit .
96 Poésies Nationales .

A CHRISTOPHE

ANS la sphèresereine - oh ! tu fais bien- reposc


D Impassible , certain que jamais nul affront,

Rien de tout ce qu'on dit, rien de tout ce qu'on ose,


Ne ternira l'éclat dont rayonne ton front.

Ayant moulé le bronze , -ô noble forgeron !


Que t'importent ceux-là que l'œuvre grandiose
Fait bondir de colère ! en vain ils baveront :

Ils prendront part quand même à ton apothéose !

Oh ! oui, garde ton calme ainsi que ta fierté ;


On finira , demain , par comprendre ton rôle
Dans son côté sublime ; et la postérité ,

Déposant sur ton front une blanche auréole ,


T'invoquera souvent comme un vivant symbole
Du Travail cimentant l'Ordre et la Liberté .
Une voix sur le Pont - Rouge . 97

UNE VOIX SUR LE PONT - ROUGE

A mon ami le général Saint- Cap Blot,


Ancien Sénateur de la République .

R, tandis qu'en secret ils méditaient sa mort ,


une
Qu'ils ourdissaient dans l'ombre une trame cruelle ,
Calme , il allait , rêvant , dans sa gloire immortelle ,
De donner à sa race un vigoureux essor....

Mais non , ils l'ont traité de féroce et de traître ,


Eux qu'on a vus si fiers ne proclamer que lui ;
Ils ont dit que du peuple il rêve être le maître :
Et le dieu d'autrefois n'est qu'un monstre aujourd'hui !

Quoi ! parce qu'il voulait pour tous la même sève,


Pour premier fondement à leur temple d'airain
L'Égalité ! ... Pourquoi n'applaudir pas ce rêve
Si tard réalisé sous notre ciel serein ?
6
98 Poésies Nationales .

Quand, n'osant contester son immense génie ,


Loin au-dessus de vous, vous l'avez tous porté ,
Pourquoi ne voir en lui plus rien que tyrannie ,
Qu'égoïsme effréné , jalouse trinité ?

C'était si doux au peuple ému de vous voir battre


Des mains , en proclamant que vous étiez les fils
Et qu'il était le père ! ... Et c'est Dix-huit cent quatre
Que vous avez terni, vous , par Dix-huit cent six ?

Aussi , n'aurez -vous point ses lauriers , l'un et l'autre,


Aussi d'amers regrets vous brûleront demain ,
En ne pouvant avoir entière dans la vôtre
L'Euvre que cet Atlas eut entière en sa main !

Or , oubliant ainsi que Dieu scrute l'Envie ,


« Tuons - le ! » dirent-ils ; « que son peuple exalté
«< Épouse notre haine et nous le sacrifie :
<< Et tous diront alors que lui seul l'a jeté. p

Mais n'osant point frapper , ils prirent donc un autre


Et le portèrent là, criminel innocent ,
« Frappe ; un titre immortel sera le prix du sang. »

Et le coup fit bientôt un martyr de l'apôtre...


Une voix sur le Pont - Rouge . 99

Ainsi , tout agité de ta gloire , Haïti ,


L'aigle africain tournait dans son aire , placide,
Lorsqu'atteint brusquement de l'éclair parricide ,
Sur le Pont-Rouge il s'abattit.

Et tu crus, ô Garat , t'acquérir de la gloire ,


Quand tu frappas ainsi le héros immortel !
Et tu crus effacer une ombre sous le ciel ,
Quand tu jetas ainsi le voile sur l'histoire !

Non , il grandit toujours , l'homme de Dieu hanté ,


Le bras fort qui ceignit la race en agonie
Du bouclier d'airain que forgea son génie ;
Non , il vit , le géant né de la Liberté.

Dans la région sainte où la Force s'incline ,


Tremblante au pied du Droit ; par delà le ciel bleu ,
Au rang des rédempteurs , satellites du Dieu
De justice et d'amour , rayonne Dessaline.
100 Poésies Nationales .

SA TOMBE

IEN qu'unmarbre incliné tombant presqu'en ruines ,


Roulart n'arien gravé que respecte le temps ;

Rien que ces mots : « Ci-gît : Jean-Jacques Dessalines


Mort à quarante - huit ans . >>

Pas la plus humble fleur , ni la moindre lumière ;


Nul parfum , nul écho mystérieux du cœur ;
Rien qui vers Dieu s'exhale en exquise senteur ,
En limpide rayon , en fervente prière...

Et c'est ton mausolée ! et c'est le panthéon


D'où jaillit sur tes fils le reflet de ta gloire !...
Non , ton apothéose est entière en ton nom :
Car nul autant que toi n'a créé notre Histoire.
(1888)

Il était réservé au général Hyppolite , Président de la


République , cette grande gloire d'élever, le premier, un
monument à DESSALINES . On travaille activement à
l'œuvre, qui sera éminemment grandiose . Honneur donc
cent fois au général Hyppolyte !
- Et toi, cher Peuple, à quand ton tour de témoigner
ta reconnaissance au fondateur de l'indépendance nationale ,
comme à tant de grands oubliés ?
(Juillet 1892.)
Notre Devise . 101

NOTRE DEVISE

A mon ami Volney Pierre- Louis .

R, le premier Janvier , dans leur divin délire ,


leur cœur sous leur poitrine en feu
Nos pères , ces héros qu'à genoux on admire ,
Répétèrent ensemble , en face du ciel bleu :
<< Tous , libres à jamais, même par le martyre ! »
Et leur voix retentit et monta jusqu'à Dieu .

Libres toujours ! -libres quand même !


Cri solennel ! refrain sacré !
Doux serment qu'en un jour suprême
Nos divins aïeux ont juré ! -
Oh ! pour que rien ne nous divise ,
Que ton culte soit exalté ;
Que ton saint nom soit la devise
De tous les cœurs , ô Liberté !
6
102 Poésies Nationales .

II

Or , le premier Janvier, sous un même oriflamme ,


Fiers , on les entendit , tous ces humbles héros
Que devant l'univers notre Haïti proclame ,
Lancer, de leur voix forte aux immortels échos ,
Ce cri vaste où chacun souffla toute son âme :

<<Ne faisons plus qu'un seul ; soyons toujours égaux .

Toujours égaux ! égaux quand même !


-Cri solennel ! refrain sacré !
Doux serment qu'en un jour suprême
Nos divins aïeux ont juré !
Oh ! pour que rien ne nous divise ,
Que ton culte soit exalté ;
Que ton saint nom soit la devise
De tous les cœurs , Égalité !

III

Or, le premier Janvier , quand , sous le ciel, nos pères ,


Rêvant pour nous leurs fils un heureux lendemain ,
La sagesse et la paix , des jours longs et prospères ,
S'embrassèrent, front haut et la main dans la main :
C'était nous dire à tous que nous sommes des frères ,
Jaunes et noirs issus du groupe surhumain .
Notre Devise . 103

Frères toujours ! -frères quand même !


――― Cri solennel ! refrain sacré !

Doux serment qu'en un jour suprême


Nos divins aïeux ont juré ! ―
Oh! pour que rien ne nous divise,
Que ton culte soit exalté ;
Que ton saint nom soit la devise
De tous les cœurs, Fraternité !

Or, c'est en ces trois mots , lorsqu'enfin la Victoire


Eut ceint de ses lauriers leurs fronts majestueux,
Enrichi de leurs noms l'Avenir et l'Histoire ,
Qu'à leur peuple à genoux, prosterné devant eux ,
Nos pères ont légué leur puissance et leur gloire ,
Leur culte et leurs pensers ,leur devise et leurs vœux ,

- -
Libres ! — égaux ! — frères ! — Quand même ,
-
Toujours, partout, nous le jurons,
▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬
O Patrie, ô toi que l'on aime,
Pour ton bonheur nous le serons!
Et ces grands dont tu te réclames ,
Devant Dieu, dans l'Humanité,
Entendront le cri de nos âmes
Sous ton ciel bleu répercuté !
104 Poésies Nationales .

DEVANT LE PANTHEON DÉMOLI

A et là , pleins de boue , ils gisent , les débris


C Du temple qu'on voulait ériger à nos pères ...
Hélas ! n'est- ce donc pas leur génie incompris
Qui dédaigne à ce point nos hommages , mes frères ?

Peut-être ont-ils trouvé nos vœux trop peu sincères?


De nos folles erreurs nos cœurs trop peu contrits ?...
Peut- être , en les scrutant, trouvent -ils nos esprits
Trop enclins à creuser nos sources de misères ? ...

Ah ! pour les fléchir tous , consacrons- leur , d'abord ,


Un temple moins pompeux , mais qui soit le Thabor
Où chacun d'eux paraisse en des splendeurs de gloire ;

Répandons , inspirons le culte des aïeux ;


Imprimons dans les cœurs leurs exploits merveilleux :
Faisons le Panthéon en enseignant l'histoire .
La Voix de l'Avenir . ! 105

LA VOIX DE L'AVENIR

| LLE passe, la voix qui réveille les sourds :


E << A qui ne cherche pas la lumière immortelle ,

« Qui fuit l'astre brillant pour tous , malheur ! » -


— dit- elle .

Elle parle , et plus fort, et partout , et toujours ,


Crie aux pauvres d'esprits qui tâtonnent dans l'ombre :
« Malheur à vous ! malheur à vous , le plus grand nombre ! »

L'ignorance est la mort. Ce n'est plus le canon


Qui devra désormais parler en votre nom ,
Justice, et nous conduire où votre voix convie !
La Force ne tient plus les ressorts de la vie !

Sereine, la Pensée ayant bien haut le front,


Écrasant l'Égoïsme , et la Haine , et l’Envie ,
Méprise des railleurs la meute inassouvie
Qui s'accroche aux talents pour mieux leur crier : non !
106 Poésies Nationales .

II

Inspirés par ce cri nous voici dans la voie.


Advienne que pourra ! Nous voulons que l'on voie
L'effort persévérant gravissant les hauteurs ,
Le souffle du devoir faisant battre les cœurs !

Allons ! battons des mains ! applaudissons de joie ,


Comme si nous voyions l'horizon qui déploie,
Pour nous fêter, demain, ses plus riches couleurs !
Qu'importe qu'on nous raille , à l'œuvre , Émulateurs !

Parlons de paix , d'amour ; répandons la science ;


Étouffons dans l'oubli tout cruel souvenir ;

Haut les cœurs pour entrer dans le vaste avenir !

Et si le ciel sourit à notre patience :


En voyant qu'à ses maux notre Haïti survit ,
Allons-nous- en contents , cela seul nous suffit .
A mon Pays . 107

A MON PAYS

H! oui , tu grandiras et seras notre ouvrage !


yeuxconfus, étonnés, ébahis,

Oui , tous tes détracteurs écumeront de rage,


En nous voyant vainqueurs , nous si souvent trahis!

Ils verront ce levier, notre immense courage ,


Te porter au Progrès quand même , ô mon Pays !
Ils verront tes enfants, persécutés , haïs ,
Se lever tous un jour , faire tête à l'orage !

Ils verront l'avenir ! ... En attendant, souffrons .


Emplissons-nous d'amour ; ne courbons pas nos fronts ,
Tant qu'on veut nous lancer tous ces longs flots de rire .

Pour conquérir la gloire en conservant l'honneur,


Oui , mon Pays , souffrons ... Pour aller au bonheur ,
Laissons glisser nos cœurs au sentier du martyre.
LIVRE II

7
F F F F H I T F F B ** f

A OSWALD DURAND

Nous jetȧmes l'argent, le front haut, l'âme fière,


Ainsi qu'on jette un os aux chiens !
O. DURAND.

E l'âme jusqu'au front la colère me monte ,


D' Et, comprimant en moi de longs sanglots amers

Je rugis et me sens tout colère et tout honte ,


Quand je sangeà ce Bacth qui vintjusqu'en nos mers……
.

Quand je vois l'Allemand louche qui nous affronte ,


-La nuit !-se promettant d'augmenter nos revers !...
Quandje le vois, braquant ses vieux canons de fonte
Sur nous ! Oh ! oui , sur nous , qui sommes nés si fiers

Que l'Iambe verveux secoue alors mon âme :


Je vois brandir tes vers poignants , rouges de flamme ,
Et les vois éclater sur le groupe infernal.

Je te vois qui les cingle au visage et les traîne



Dans une boue immonde ; ... alors , —ô Juvénal ,
Je sens mon dédain croître et s'apaiser ma haine.
112 Poésies Nationales .

A GEFFRARD

UI, vous avez bien droit auxhonneurs de l'Histoire


O⁰ Dans la liste des potentats ,
Votre front aux lauriers , votre nom à la gloire ;
Mais je ne vous applaudis pas ...

Eh quoi ! nourrir, malgré cette étoile brillante


Qui nous mène au fort du Progrès , -
Des précieux débris de la cité vaillante
La gueule des canons anglais !

Eh quoi ! vouloir briser la vieille citadelle


Où flottent si bien nos drapeaux

Superbes, rayonnants ! ... C'est n'être pas fidèle


Au souvenir de nos héros .

Entendre l'Étranger qu'un sourire encourage


Tuer vos frères exaltés !
A Geffrard . 113

Quoi ! le canon anglais nous cracher son outrage


Et massacrer nos libertés !

Quoi ! l'Étranger railleur, que la vengeance anime


Ternir l'éclat de ce drapeau
Qui le vit, en ces lieux , sous le noir magnanime ,
Trembler de peur jusqu'en sa peau !

Oui , tout cela , Geffrard , confirmé par vous -même !


Oui, nous verser la honte à nous !
Dédaigner cet orgueil d'un peuple qui vous aime !
L'humilier jusqu'aux genoux !...

Oh ! c'est impunément maculer cet ouvrage


Sacré qu'écrivit , si longtemps ,
Aux applaudissements du monde , le courage
De nos aïeux , ces fiers titans ;

C'est river un boulet de galère, une chaîne


Lourde au pied de la Liberté ,
Et froisser le feuillet de l'épopée humaine
Qu'elle a rempli de sa clarté ;

C'est tendre une main fière à la maudite engeance


Des Bacth et des Rubalcava ,
114 Poésies Nationales .

Et nous défendre , après , d'enivrer de vengeance


Ce sol sur lequel on bava...

Or, ce fut leur motif de se faire des braves ,


D'oser livrer de longs combats
A ces gens qui pour vous les traitaient en esclaves,
En se moquant de vous, tout bas ;

Or , ils eurent raison , ces Capois, de combattre ,


Au mépris de leur premier tort,
L'homme qui , reniant ainsi Dix-huit cent quatre,
Par le blanc leur donnait la mort ! ...

Aussi , lorsqu'au plus fort de leur lutte héroïque,


Elle vit la mer retenir
Le vieux Bull-dog captif, oh ! la cité stoïque
Eut cent fois raison d'applaudir ...

Mais lorsqu'ainsi l'Anglais saccageait cette ville


Où , peut- être , l'ambition
Secquait le brandon de la guerre civile ,
Qu'attisa l'Indignation ;
A Geffrard . 115

Tandis que, vomissant le fer de ses entrailles,


Le Bull - dog, - ce lâche assassin ! —―――――――――――
Étranglait la cité, dessinait des entailles
Larges , profondes , en son sein ;

Tant que se consommait cette action si noire ,


En votre nom si grand , - Geffrard !
Vous ne sentiez donc pas l'impartiale Histoire
Vous darder de son dur regard ?

Non ! non ! non ! vous montiez comme pris de vertige


Comme enivré de longs exploits ,
Et du peuple idolâtre effaçant le prestige ,
Brisant ses dieux , foulant ses lois ! ...

Or , quand vous auriez droit à la plus grande gloire


Dans la liste des potentats,
De ce drame outrageant qui souilla notre histoire ,
Non, je ne vous absoudrais pas !
116 Poésies Nationales .

ENCORE EUX

A Monsieur H. Chauvet.

LSsont venus chez nous , forts , menaçants , avides ,


I Voulant , avec du sang , marquer leurs moindres pas ,

Remplis d'espoir , tendant vers nous leurs mains cupides ,


Et réclamant enfin ce que nous n'avons pas .

La France aurait craché sur la meute rapace


Duplomb chaud et du feu ; la France aurait fait plus !
Tel autre de leur trempe eût marchandé sa grâce :
Et puis , ils s'en iraient rentrer chez eux confus .

Pour nous Dieu seul veillait... Sous notre humble courage


Cachant notre Patrie et notre liberté,
Oh ! nous les regardions prêts à souffler leur rage ,
A graver sur leur front une autre iniquité.

N'osant pas , cependant, ce que toujours on ose,


Et sentant un peu lourd le poids de cet affront :
Encore eux . 117

Ils sont partis confus , ramassant quelque chose ,


Pour pouvoir , en entrant , baisser moins bas le front .

Tel, quand le vautour de notre île ,


Quand le rapace mansféni ,
S'admirant dans son vol agile,
Plane dans l'espace infini ;
Tel , lorsqu'inspectant la nature ,
Fier , superbe , à large envergure ,
Il plonge un œil chargé d'éclair
Sur nos poussins : ivre de joie,
Il tourne , il rage , il fouette l'air ,
Puis s'abat soudain sur sa proie !...
Que leur cri monte , alors , au ciel ;
Que , changeant l'espoir en chimère ,
Dieu dérobe à l'oiseau cruel
Les poussins rentrés sous leur mère :
Ouvrant sa griffe , ouvrant son bec ,
Le mansféni , vaille que vaille,
Enlève même un brin de paille ,
Et , tout confus, remonte avec !

Le crime est là, pourtant. L'attentat , c'est le crime.


L'Innocence , le Droit , qu'on provoque une fois ,
--
Souffre toujours , ayant — éternelle victime
A perdre tout sommeil pour veiller sur ses droits.
7.
---
118 Poésies Nationales .

Aussi , l'on a beau faire ; ... aussi , l'on a beau dire


Que le pardon , l'oubli , rend le vaincu vainqueur,
Oh ! le faible outragé se doit bien de maudire
Et d'avoir , pour sa force , une vengeance au cœur !

Or , nous vous maudissons avec des voix de forge ,


En attendant cette heure où , crachant son mépris ,
Un plus fort, vous collant ses ongles à la gorge ,
Dira , pour Dieu: «Rends- nous ce que tu leur as pris ! »
03
Souvenir. 119

SOUVENIR

ton tour maintenant, la vieille catholique ,


A Qui, frappant ton renom d'un cruel démenti ,

Pour faire une compagne à l'esclave angélique


Résignée à ton joug ,... rêvas notre Haïti !

Nous ayant vu quand même - ô douce souvenance !


Arracher à ta main , - qui longtemps l'étouffa, -
La Dominicanie ; à ton cœur, l'espérance :
Tu lanças contre nous le vieux Rubalcava.

Et l'ardent amiral , à tes ordres fidèle ,


Voyant si captivants nos cieux et nos vallons ,
Nos monts verts alignés en vaste citadelle :
« Oui , partons ! hurla -t-il ; vers l'ile noire allons ! »>

Et déjà l'escadre sillonne


L'Atlantique silencieux ;
44 A leurs regards déjà rayonne
L'astre splendide de nos cieux ;
120 Poésies Nationales .

Notre Haïti que Dieu décore ,


Pour la ravir, oh ! les voilà !
Ce passé jeune et vierge encore ,
Ils rêvent d'en ternir l'éclat !
Ils rêvent que ce sol agreste
Leur appartient, grâce au canon ,
En dépit du Droit qui proteste ,
Malgré la Raison qui dit : Non !

Et, le cœur jusqu'alors dédaigneux de la haine ,


Nous subîmes ainsi cette offense de toi ;
Et ton fier hidalgo , dans sa fureur hautaine ,
S'applaudit de nous voir obéir à ta loi ! …..

Et pourtant, c'était peu de ce premier outrage ;


Et ce cruel affront ne te suffisait pas ;
Encore une autre fois , bravant notre courage ,
Tu laissas sur ce sol l'empreinte de tes pas !

Oui, sans nulle raison , sombre, en soixante-onze ,


Tu revis , l'œil hagard , notre bel horizon ,
Et, nous montrant encortes lourds canons de bronze ,
De ton accent superbe , exigeas la rançon ! …..

Mais ces salves , cet or, ne firent point ton compte :


Tu montas contre nous ton orgueil infernal ;
Souvenir. 121

Tu brûlas du désir d'imprimer quelque honte


Sur notre front brillant, candide , virginal .

Tu vins ; tu nous lanças , des hauteurs de ta sphère ,


Un long ultimatum ; tu trouvas vraiment beau
D'être à ce point brutale , inique , et de nous faire ,
Une autre fois encor , saluer ton drapeau ! …….

Oh ! oui oui ! ... nous le saluâmes !...

De pourpre on couvrit notre deuil ;


On étouffa le cri des âmes
Pour te fléchir par tant d'accueil .
Et quand tu vis nos mains levées ,
T'armant de ton rictus moqueur ,
Passant tes lèvres abreuvées
Sur la blessure faite au cœur,

Tu nous fis quelque vague excuse ! ...


Mais non , le passé nous accuse :

Du silence de leurs tombeaux


Montent vers nous, de sanglots pleines ,
Des voix jalouses de héros !
Mais non , le sang bout dans nos veines ;
Tu ne peux pas calmer ces maux ,
Tu ne peux plus tarir nos haines,
En nous soufflant tant de vains mots !.
122 Poésies Nationales .

Et puis - songes - y bien - ce n'est point par l'insulte


Que tu peux amoindrir notre orgueil , notre honneur ,
Ternir l'éclat si pur dont brille notre culte ,
Détruire quelque chose au fond de notre cœur .

Quand la Force ombrageuse , égoïste , que froisse

Tout rayon d'avenir , voit monter, à pas lents ,


Le Droit serein , en vain , elle a pour lui l'angoisse :
Lui , vers son idéal , prend de plus beaux élans ;

Car l'outrage qu'on jette au Droit le transfigure,


Car les justes qui vont seuls , que l'on ne voit point ,
Portent le front plus haut, et, de leur nuit obscure
Sortant plus rayonnants , fixent leur but plus loin ! ...

La vieille catholique , ah ! certes , elle est lointaine


L'heure où tu souffrais , toi ; mais que ton souvenir
Te rappelle combien de doux accents de haine
T'ont permis d'espérer , de croire en l'avenir ;

Et peut-être , et sans doute, auras-tu quelqu'idée


Du vœu que nous faisons , nous-même, à notre tour,
Du désir dont notre âme est sans cesse obsédée :

De vivre , de grandir , ... et de te voir, un jour !


Souvenir . 123

Tu planeras longtemps , longtemps encore , certe ;


Certes , tu compteras encor de bien longs jours ;
Mais nous sommes de ceux que rien ne déconcerte :
Ayantlongtemps souffertnous attendrons toujours !
124 Poésies Nationales .

YANKISME

A J.-J. Audoin .

L faut de l'or,-ou rien , -pour être , Adv ou ne pas être ,


I'
Time is money . Le crime aussi .
Or , faisons fi du bien ; car l'honneur enchevêtre ;
C'est par le mal qu'on réussit .

Or, des droits du plus faible et de toutes ces choses


Qu'on vient nous conter à présent,
De ces illusions dans les cerveaux écloses,
Moquons-nous -en ! Moquons - nous -en !

Ettoujours de l'argent! toujours de grosses sommes !


Beaucoup d'or pour l'Américain !
All right! droit vers le but, quel qu'il soit, où nous sommes
Attirés par l'espoir d'un gain ! ...

Cotton is king!! ...Ainsi , tandis qu'ils se réclament


De tant d'hommes au cœur si droit ;
Ainsi , comme l'Anglais , ces fiers yankees proclament
Que la Force prime le Droit ! ...
Yankisme . 125

Ah ! ce n'est pas ainsi que vous disiez , naguère ;


Ce n'est pas ainsi que , jadis ,
Vous alliez , conviant pour la suprême guerre ,
La France à soulever ses fils .

Et des noirs en étaient , pleins de leur foi robuste ,


Qui combattaient sous vos drapeaux,
Qui faisaient triompher la cause la plus juste ,
La plus digne pour des héros !

Oui, l'on vit tous ces noirs , que la sainte pensée


De la Justice illumina ,
Raviver, de leur sang , la Liberté lassée
Devant les murs de Savannah.

Et le savez - vous bien? -ces chevaliers , ces braves ,


Aux élans, aux cris merveilleux ,
Ils venaient de cette île où grandissaient — esclaves
La pléïade de nos aïeux .

Alors , vous étiez beaux ! vous gardiez l'attitude


Des vengeurs de la Liberté ;
Vous étiez grands alors , sans cette platitude ,
Sans ce mépris de l'Équité .
126 Poésies Nationales .

Vous poussiez de longs cris de haine , d'anathème,


Contre ces grands , contre ces forts,
Qui foulent sous leurs pieds les lois de l'Honneur même ! ...
Vous étiez sublimes alors !

Vous n'aviez que dédain pour des peuples qui grouillent


De géants prêts au vil larcin ,
Prêts à mettre à la gorge , en même temps qu'ils fouillent
La poche, un poignard d'assassin !

Et c'est avec orgueil que votre voix proclame


Les Washington et les Franklin ,
Dont le rayonnement ne vous meut rien dans l'âme,
Et dont vous hâtez le déclin ! ·

Ah! combien doivent donc tressaillir ces grands hommes ,


Jusques au fond de leurs tombeaux ,
Quand vous nous menacez , oubliant que nous sommes ,
Nous aussi , fils de tels héros !

Ah ! combien doivent-ils gémir de vous entendre


Nous traiter d'un air dédaigneux ,

1
Yankisme . 127

Nous ,les fiersrejetons de ceux qu'ils durent prendre


Pour mieux lutter , pour vaincre mieux !...

Aussi , dans nos esprits , voyant que ces génies


Qui de vos élans sont témoins ,
Le sont encor , surtout , de vos ignominies ,
Nos cœurs saignants souffrent bien moins .

Car, dans tous ces accès où , pareils à tant d'autres ,


Vous vous montrez lâches et fous ,
Nous en appelons moins à nos aïeux qu'aux vôtres
Des attentats commis par vous !
128 Poésies Nationales .

PLUS ULTRA

ous, ils t'ont déversé l'ironie et l'outrage,


ton drapeau , maculé ton visage :
Et toi , tu nous as dit : « O mes enfants , souffrons . »

Sous ton noir manteau, faible et mourante , ils t'ont vue ;

Du peu que tu gardais , tous , ils t'ont dépourvue ;


Et toi , tu nous as dit : « O mes enfants, pleurons . »

Or, c'est assez de pleurs , c'est assez de souffrances ;


Aujourd'hui que chacun se lasse de tes transes ,
S'il ne t'est point permis de nous dire : « Espérons . >>

Mère , mieux vaux périr ! mieux vaut que , libre et fière ,


De ta voix la plus haute et la plus sainte , Mère ,
A tous , au champ d'honneur , tu nous dises : « Mourons! >>
Cauchemar . 129

CAUCHEMAR

A J.-J.-E. Magloire, député.

L'ETR ANG
l'ÉTRANGER insulteur : voilà mon cauchemar .

Oui , la Force, agitant son farouche étendard ,


Voulant que la Justice à ses pieds s'humilie ,
Pour ne se redresser que souillée , avilie ;

Oui , voustous qui voulez que le Droit - tel que nous


Devant vous menaçants fléchisse les genoux ,
Que la Vérité soit méprisée , oppressée ,
Vous êtes ce qui vient tourmenter ma pensée ,
Ce qui passe effrayant pour maculer ma nuit ;
Oui , vous êtes l'horreur sombre qui me poursuit...
Il vous faut de l'argent , et vous voici ! Qu'importe
Le prétexte , pourvu qu'on vous ouvre la porte ,
Pourvu qu'en souriant l'on compte la rançon ,
Ou qu'à coups de boulets vous vous fassiez raison .
130 Poésies Nationales .

La force est votre droit, le droit est notre crime .


Qu'un peuple noir soit libre et travaille et s'anime,
Et lentement prospère , et vive sous les cieux :
Que cela soit ainsi , c'est un crime à vos yeux.

Eh bien, applaudissez ; riez de voir s'effondre


Notre œuvre sous vos coups , car nous n'osons répondre
A vos canons d'airain pas plus qu'à vos affronts ;
Nous n'avons qu'à nous plaindre en inclinant nos fronts
Quand vous voudrez , unjour, que vos preux nous abreuvent
De honte , ou que sur nous vos boulets chargés pleuvent.

Et vous n'aurez pas tort de faire tout cela ;


Le soleil qui se couche est jaloux de l'éclat
De la lune limpide et calme qui se lève ;
Le vieux chêne qui tombe est jaloux de la sève
Qui fait gonfler le gland, le chêne de demain .
Etpuis, comment daigner nous tendre encor la main ,
Alors que vous criez que l'on n'est pas des hommes
Étantdes nègres . Soit ,mais nègres que nous sommes ,
C'est pourtant sans forfaits, c'est sans être jaloux ,
Sans hair les petits, que nous grandissons , nous.
Car nous ne sommes pas descendants de vandales ;
Nos pères n'avaient point de ces fureurs brutales
Que Dieu , vengeur du Droit, ne sanctionne pas.
Cauchemar . 131

Aigles des hauts sommets ils n'allaient pointsi bas ;


Ce qu'ils broyaient, avec une joie infinie ,
Dans leurs serres , c'est vous , horreur et tyrannic .
Nous n'avons pas pris place au rang des nations
Comme un être chargé de prostitutions,
De crimes noirs , de faits de lèse- conscience ;
Nos pères , conservant leur mâle patience ,
Conservant leurs espoirs plus d'une fois déçus ,
N'ontrien fait que de grand pour nous voir tous issus
Sans crainte , sans remords , sans honte, sans bassesse ,
Mais le front haut, avec un titre de noblesse .
Nos fiers aïeux n'avaient quelquefois massacré,
Incendié , détruit , qu'au nom du Droit sacré ;
Et leur pitié, d'ailleurs , répondait à des crimes ;
Et pourtant ils savaient épargner leurs victimes ;
Aceux qui leur disaient : « Eil pour oil , dent pour dent. »>
Ils savaient , -eux le Droit , pardonner, cependant!

Voilà notre bilan . Faites -nous voir le vôtre ,


Étranger insulteur ; prouvez qu'il ne s'y vautre
Aucune de ces lois que réprouve le Bien ;
Montrez y des vertus que l'on n'immole à rien.
S'il n'en peut être ainsi , donc c'est beau , c'est très juste
Quele Droit soit pour vous de ces mots qu'on incruste
En des discours tremblants !... Or , ce n'estplus assez
132 Poésies Nationales.

Des menaces ; sans peur , sans scrupule , agissez .


Oh ! des droits du plus faible on ne tiendra pas compte ;
Venez donc ! agissez ! consommez notre honte ;
Que rien ne soit debout où grondent vos canons ;
Qu'on apprenne à trembler en entendant vos noms ,
Attilas ! que jamais ne croisse plus une herbe
Où vous passez , drapés dans votre orgueil superbe.
Être grands , désormais , implique être inhumains :
Eh bien, à la faveur de l'ombre , que vos mains
Cinglent de leurs soufflets notre joue encor vierge.

Oui, vous aurez raison .


Qu'importe , avec sa verge ,
L'Avenir qui regarde , indigné , plein du feu
D'une colère immense et vous montrant à Dieu !

Qu'importe , oubliez tout ; oubliez que l'Histoire


A de sombres regards pour toiser votre gloire
Teinte de sang ; qu'elle a ses colères aussi ;
Qu'elle insulte les grands et les forts , sans souci
De force ou de grandeur ; qu'elle n'a pas à craindre
L'oppression farouche accourant pour éteindre
La Justice, et foulant des siècles sous ses pas ;
Oui , tonnez ; oubliez que l'Histoire n'a pas
A redouter sans cesse ainsi qu'un jeune peuple
La démence des Bacths , la rage qui dépeuple
Cauchemar . 133

Les cités , la terreur dédaignant la raison


Du Droit et se faisant cracher quelque rançon ;
Oubliez tout cela , pour descendre en vos fanges ,
Superbes , encensés de flatteuses louanges ,
Jusqu'au jour où , vengeant les faibles de vos coups ,
La colère du ciel aura passé sur vous .

200
134 Poésies Nationales .

VEU

EUT-ÊTRE un jour, demain , conservant ta fierté,


P Lassés d'avoir encor, toujours , la coupe amère ,

De passer pour le jouet de trop d'iniquité ,


Nous ferons-nous martyrs , tous , pour toi , sainte Mère !

Eh bien , en attendant cet autre jour où , fière


De nous , se redressant , notre postérité
Aura vengé ton nom , refait ta gloire entière ,
Frappé ton front du sceau de l'immortalité ,

Oh ! souviens -toi de nous , les victimes stoïques .


Comme ces fils de Sparte , aux siècles héroïques
Dont l'histoire , pour nous , consacre les exploits ,

Nous ne demandons rien qu'un humble coin de terre


Où tupuisses graver ces mots , ces seuls mots , Mère :
« Ils sont tombés ici pour défendre mes droits . >>
Au Venezuela. 135

AU VENEZUELA

'ESPAGNE to pressait dans sa serre tenace .


L Tu gémissais . Et puis , te redressant un jour ,

Tu voulus être libre et grandir à ton tour ;


Sous le soleil des forts tu demandais ta place .

Mais pour lutter longtemps tu n'avais que l'audace ;


Mais le grand Bolivar n'avait que son amour ;
Alors , pour t'arracher aux griffes du vautour,
Humble , tu vins à nous , implorant notre grâce .

Haïti te comprit : elle t'ouvrit son cœur ,


Elle t'ouvrit ses bras jusqu'au jour où , vainqueur ,
Tu vis le monde entier couronner ton poème.

Or , beau fut ton courroux , lorsque , contre nous - même ,


Ces forts , dont l'injustice atteint son maximum ,
T'offrirent de signer leur lâche ultimatum .
136 Poésies Nationales .

A UN FRANÇAIS

UI , ton Pays aimé , ta France magnanime,


savons quelquefois la nommer à genoux ;

S'harmonisant pour elle en concert unanime ,


De longs hymnes d'amour vibrent parfois en nous.

Or , pourquoi maintenant , fort de quelque chimère ,


Viens-tu nous accuser d'être ingrats quelquefois ?
Pour nous montrer combien tu sais aimer ta mère ,
Oh ! pourquoi contre nous as-tu monté ta voix ?

Ton cœur est trop français pour n'être pas plus juste,
Pour ne pas dépouiller ses sentiments étroits ,
Alors qu'il scrute ailleurs la passion auguste
Qui l'attache , lui- même , au moindre de tes droits .

Et toi , parle pour nous ; dis , de ta voix divine ,


Que ta main sur nos cœurs les sent battre pour toi ;

Réponds , toi-même aussi , dis que ton cœur devine


Combien de ton amour nous subissons la loi.
A un Français . 137

Oui ,France, nous t'aimons bien plus que tu nous aimes ;


Nous avons de ton sang dans nos veines encor ,
Nous labourons aussi les sillons où tu sèmes

Et nous venons souvent t'offrir nos gerbes d'or .

Oui ,France , nous t'aimons , comme plusieurs , sans doute ,


De tes propres enfants ne t'aimeront jamais ;
Et partout où ton doigt nous indique la route ,
C'est là que nous cherchons l'harmonie et la paix .

Le livre de ta vie est la source où s'abreuve


Notre cœur bien souvent , notre esprit chaque jour;

Chaque jour ,dans nos voeux , nous te donnons la preuve


De ce qui dans nos cœurs granditpour toi d'amour .

France , naguère encor , lorsqu'en soixante - douze


Se braquaient vers nos forts les canons prussiens ;
Quand , forte de ton sang , l'Allemagne jalouse
Força nos mains d'enfant à payer bien des siens ;

Quand Bacth nous mit debout au bruit de ses alarmes ,


Quoi qu'il pût invoquer ,... n'était- ce pas pour toi?...
Pour avoir plaint ton sort , versé sur toi nos larmes ,
Et dit que , malgré tout , nous gardions notre foi ?...
8.9
138 Poésies Nationales .

Comme si tant d'amour devait être punie ,


-
Pour répondre à la Prusse , -ĉ France entends -nous bien !
Il fallut à l'outrage ajouter l'ironie :
Tendre une main honteuse à l'or d'un prussien !

Pourtant, tu n'étais plus , alors , la belle France ;


Ton front chaste inclinait sous un affront trop lourd ;
Or , pour vouloir ainsi souffrir de ta souffrance ,
Quoi donc nous inspirait, si ce n'estnotre amour ???

Ton poète , voyant , lui , combien de ta gloire


Nos cœurs sont amoureux , combien notre Haïti ,
De ton génie éprise , à tes maux compatit ,
S'écriait, plein d'orgueil , qu ' « Elle est la France noire .»
0
***

Telle , ayant bien gémi sous le toit maternel ,


Cette vierge qu'un jour l'hyménée a ravie :
Oubliant un passé quelquefois trop cruel ,
Elle se sent mourir en recevant la vie .

Malgré l'ardent amour qui lui brûle le cœur


Pour l'épousé qui doit changer la coupe amère ,
Soudain résonne en elle un cri secret vainqueur ;
Puis, tombant dans ses bras , elle bénit sa mère .
A un Français . 139

Elle se dit alors que ses soins étaient doux ;


Elle se dit enfin que cette noble femme ,
Cette mère adorée , avait , jusqu'en son âme ,
Un amour trop fervent pour n'être pas jaloux .

Ainsi , s'étant soustraite au joug qu'en ton nom , France ,


Bonaparte imposait au monde , à l'avenir,
Haïti , prosternée , oubliant sa souffrance ,
Mais fière de ses droits , se plaît à te bénir.

Qu'importe que ta main , volontaire ou contrainte ,


Élevant le géant , superbe , dédaigneux ,
Sentît gémir nos cœurs sous sa cruelle étreinte ,
Oh ! nous oubliîrons tout pour t'aimer encor mieux.

Et c'est par cet amour que doit nous être acquise


Cette humble liberté qu'un des tiens nous défend :
De garder envers toi notre entière franchise ,
Et d'oser te parler ainsi que ton enfant.

Et si tu vois , d'ailleurs , que d'une âme indignée ,


Nous blâmons ceux des tiens qui sont nos détracteurs ;
Ceux mêmes qui , parfois , l'ayant longtemps saignée ,
Exposent notre mère aux rires imposteurs ;
140 Poésies Nationales .

Si tu nous vois encor , dans nos guerres civiles ,


Bannir ceux de tes fils qui nous mordent la main ;
Ceux qui , trop peu Français pour n'être pas serviles ,
Rien que pour un peu d'or entravent le chemin ;

N'est- ce pas te servir ? N'est- ce donc pas encore


Maintenir, rehausser , peut- être , nous aussi ,
Le prestige éclatant du drapeau tricolore
Dont l'aspect jette au cœur tant de fiévreux souci ?

N'est- ce pas empêcher qu'un cri de défaillance ,


De cruel désespoir , monte de notre cœur ,
Et fasse enfin penser qu'au fond de ta science
Tunous souffles parfois des ferments de rancœur?..

Et pourquoi , maintenant , France sereine et belle ,


Du soin de ton bonheur serions -nous moins jaloux ?
Et que t'avons-nous fait pour que l'on nous rappelle
Comme un devoir sacré , des vœux conçus en nous ?

Non , verse à pleines mains ; oh ! fais que l'on te voie


Répandant ces trésors dans tes champs moissonnés ;
Que ce soit ton devoir d'illuminer la voie
Par où montent vers toi les peuples nouveau -nés ;
A un Français . 141

De conserver ton culte et d'inspirer aux autres


Un culte aussi sacré ; reste éternellement
La nation féconde en généreux apôtres
Dont le monde subit le doux rayonnement .

Car c'est cette splendeur qui n'est jamais ternie ,


C'est ce don d'imprimer le moindre de tes pas ,
C'est cette gloire acquise aux soins de ton génie
Qui nous porte à t'aimer : France , ne la perds pas !
LIVRE III
1
HAITI

A mon ami Stėnio Vincent.

DECUE , infortunée , elle est seulette assise


Et , comme pour bercer son mal que rien n'endort ,
Les fleurs , en l'embaumant de leur senteur exquise ,
Rivalisent d'amour avec les astres d'or.

Elle parle ; et sa voix , luth divin , a des charmes


Tels qu'en a son divin sourire ; mais , parfois ,
A travers ce sourire on voit briller des larmes ,
Ou monter des soupirs à travers cette voix .

Etpourtant, elle est riche ; et pourtant , elle est belle :


L'océan captivé vient baiser ses pieds nus ;
De son plus vif éclat le soleil luit pour elle ;
La nature s'épand dans ses yeux ingénus .
9
146 Poésies Nationales .

On voit étinceler dans son bandeau de reine


Émeraude , et topaze , et rubis , et saphir ,
Rehaussant , malgré tout, sa majesté sereine
Que si longtemps , en vain , on cherche à lui ravir.
1

Un trône d'or , d'azur , autour d'elle s'élève ;


On dirait, à la voir , un bel ange du 4 ciel ,
Sur la terre exilé, qui contemple , qui rêve ,
Qui redemande à Dieu son délice éternel .

Et comment, et pourquoi n'est- elle plus heureuse ?


Quel nuage étouffant veut ternir sa vertu ?
Dans ses nombreux revers restant si généreuse ,
Pourquoi dans ses deux mains son front chaste abattu?

Quelle terrible angoisse étreint enfin son âme ,


Rend si faible sa foi , si forte sa douleur
Que ,malgré les efforts qu'elle fait , —pauvre femme !
Elle se sent toujours le désespoir au cœur ?

Ah ! c'est que , de ses maux , tout féconde le germe,


C'est que l'on voit la plaie énorme dans ses flancs ,
Que bien souvent , toujours , alors qu'elle se ferme,
Vient rouvrir sans pitié la main de ses enfants .
Haïti. 147

En vain de ses aïeux elle invoque la gloire ,


Pour fléchir ses bourreaux ; en vain , elle leur dit
Qu'elle a pour mission d'aider la race noire
A ressortir de l'ombre , elle, l'humble Haïti !

On ne l'écoute pas ; on l'outrage , on la traîne


Aux sentiers épineux ; l'attache au pilori ;
Accueille ses soupirs par des transports de haine :
Et puis l'Étranger passe , et la regarde , et rit !…..

Oh ! c'en est bien assez... Jeunesse , âmes écloses


Au Devoir, à l'Honneur , aux ferventes amours ;
Pour la Patrie, à l'œuvre ! Assez de jours moroses !
Ouvrons nos cœurs ; ouvrons l'aurore des grands jours !
148 Poésies Nationales .

L'ALARME

A mon amie Élie Lhérisson .

INTENDEZ - VOUS ce cri qui retentit : « Aux armes ! »


EENCO
Encor l'horreur ! encor du sang ! encor des larmes!
Ces lugubres échos , ce n'est pas le canon
De la Crête - à - Pierrot qui tonne en sa furie
Pour défendre ou venger les droits de la Patrie ,
Et chasser l'étranger envahisseur ; oh ! non ,

C'est le peuple debout , la nation entière


Usant mal à propos de son ardeur guerrière ;
C'est le peuple debout contre le peuple enfin ;
C'est nous tous acharnés sur nous tous , ―ô mes frères !— 1
Malgré nos sœurs , malgré les enfants et les mères , T

Qui , pournous désarmer , jettent leurs cris en vain ... 1


L'Alarme. 149

Oh ! la guerre civile infâme et sacrilège !


Elle nous traîne encor son sinistre cortège ;
Encor, faisant vibrer son lugubre tocsin ,
Elle se dresse avec ses haines et ses crimes ; ...
Et, seuls , les plus souffrants resteront ses victimes ,
Subiront ces horreurs qui croissent dans son sein .

Oh ! la guerre civile ! ... Avec sa face sombre ,


Fécondant ardemment des passions sans nombre ,
Elle nous pousse encore à nous entr'égorger ;
Elle vient , dans nos cœurs , briser l'amour qui vibre ,
Patrie , et t'inspirer le remords d'être libre ,
Aux applaudissements railleurs de l'Étranger !…
..

Ainsi nous profanons l'objet de notre culte ;


Ainsi nous jetons , tous , l'ironie ou l'insulte
Au souvenir de ceux dont nous sommes issus ;
Ainsi nous maculons leur précieux ouvrage :

Et nous nous indignons , nous crions à l'outrage


Lorsqu'un autre , après nous , vient piétiner dessus !
150 Poésies Nationales .

Quoi ! lorsqu'à t'opprimer l'Intérêt s'évertue ,


Lorsqu'un groupe insensé macule , prostitue
La Justice et l'Honneur , et foule aux pieds tes lois >
Oui, Peuple, même alors qu'ainsi l'on te renie ,
Faut-il qu'à ton malheur travaille ton génie ,
Et que le canon seul puisse t'offrir sa voix ?

Faut-il , dans tes cités, dans tes plaines fertiles ,


Voir tant de sang , de pleurs , de crimes inutiles ?
Non , la guerre civile , elle , n'a rien de saint ;
Et c'est un attentat contre Dieu lorsqu'on ose
Déchaîner cette horreur , et qu'on métamorphose

Des frères en bourreaux , un peuple en assassin !


Guerre civile . 151

GUERRE CIVILE

A Raoul Prophète.

OICI la nuit traînant sur la terre son voile


VOICI Épais . Voici la sombre nuit.

Le ciel est noir ; pas un regard d'étoile ,


Rien dans un coin du ciel immense ne reluit.

Or , tout à coup, tandis que se tait la tourmente ,


Que dans tous les cœurs éplorés
Le calme des rumeurs augmente

L'espérance de jours meilleurs , tant implorés ;

Tandis qu'on veut bannir l'anxiété profonde ;


Que celui- ci , sans pain , que cet autre sans feu ,
S'en consolent pourtant , ne demandant à Dieu ,
Afin de tout avoir , rien que sa paix féconde ;

Tandis qu'ainsi chacun retourne à l'idéal


Qui lui sourit ou qui le berce,
152 . Poésies Nationales .

Brusquement un éclair traverse


La nuit sombre ; ... et voilà le lugubre signal !

Et puis la revoilà , rendant les âmes veuves


De toutes leurs amours ; ... et puis la revoilà ,
La guerre avec ses maux, ses cruelles épreuves ,
Son glas sourd , son sinistre éclat ...

Écoutez ces longs cris de haine ;


Entendez la charge qu'on bat ;
Voyez la cohue inhumaine
Où, sans savoir pourquoi , meurt le pauvre soldat ;

Écoutez le fauve murmure ,


De ces bouches d'airain agissant tour à tour,
Des noirs canons jaloux de franchir l'embrasure
Comme pour voir crouler les maisons d'alentour ;

Voyez , dans le lointain , tous ces éclairs rapides ,


Ces coups de feu déchirant l'air ,
Éclairant par moments le choc des camps avides ,
Ces saturnales de l'enfer ;

Voyez , là -bas , l'immense flamme


Qui monte vers le ciel ; elle en appelle à Dieu
Guerre civile . 153

De ce crime un boulet a broyé cette femme


Dont la chaumière est toute en feu ! ...

Écoutez les clairons funèbres


Ramenant au combat ceux qui ne sont pas morts ,
Leur soufflant dans le cœur la rage des ténèbres ,
Leur criant de tuer pour mourir sans remords...

Oh ! pas de vils forfaits , oh ! pas d'ignobles crimes


Qui puissent faire dire : assez !
Ils vont , tels des héros , affreusement sublimes ,
Marchant sur des corps entassés .

Et toujours des boulets , un dégel de mitrailles ,


Toujours du plomb , toujours du fer ,
Qui criblent la poitrine ou tordent les entrailles ,
Comme au sein du damné les laves de l'enfer...

Et les martyrs en vain font entendre leurs râles ,


Leurs gémissements sourds , leurs plaintes , leurs soupirs ;
Et nul n'entend , hélas ! cette voix des martyrs
Dont l'écho meurt sous les rafales ...

Voilà ce qu'elles sont , nos guerres intestines !


Jamais le noble essor des saintes vérités ;
154 Poésies Nationales .

Mais le flot des erreurs amassant les ruines


Qu'il entraîne , hurlant, à travers les cités .

Et pour faire éclater ce cynique héroïsme ,


Et pour rompre sa digue au torrent , que faut- il ?...
Que dans une âme l'Égoïsme
Ait lentement versé tout son venin subtil.

Que , portant sur le front cette blanche auréole


De l'Honneur malheureux , fort contre tout écueil ,
On veuille , un jour , soudain , saisir la gloriole ,
- Lumineuse à travers les prismes de l'orgueil ;

Que, faisant à leurs yeux miroiter l'espérance ,


Leur faussant cette foi sereine du Devoir ,
On ameute après soi le Vice et l'Ignorance
Sombres , affamés , prêts à l'assaut du pouvoir ! ...
Réflexions . 155

RÉFLEXIONS

AIS Où donc allons-nous ?... Nous nous lasserons quand


M De mettre impunément la Patrie à l'encan ?

Eh quoi ! ni l'orphelin redemandant son père ,


Ni la Mère qui pleure et qui se désespère ,
Ni cette veuve en proie aux douleurs , à genoux
Pour implorer le ciel , rien n'est sacré pour nous !
Quoi ! devant ces brasiers que notre haine allume ,
Nos cœurs ne s'offrent pas au remords qui consume?
Mais où donc allons-nous avec nos passions ?
Rien ne peut, aux fureurs sombres des factions ,
Ni dérober nos chants , ni soustraire nos villes ,
Et mettre un dernier terme à nos guerres civiles !

Quoi ! pour toi , mon Pays , jamais un doux rayon !


Partout l'ombre compacte et toujours le haillon !
Ni paix , ni fusion , ni travail , ni lumière ,
Quoi ! malgré tant de sang , de larme et de prière
156 Poésies Nationales .

Je n'ai rien espéré qui m'ait été donné ! ...


Aux peines du malheur si Dieu t'a condamné ,
O mon Pays aimé ! si le ciel te destine

A périr sous les coups de la guerre intestine :


Au lieu de voir tes fils , abdiquant tout orgueil ,
Traîner aux quatre vents ton long manteau de deuil ,
Offrir au monde entier ces scènes éternelles ,
Ces spectacles sanglants , ces luttes criminelles ,
Et te faire endurer , de l'Étranger moqueur ,
Ces sarcasmes , ces coups de poignard dans le cœur ;
Oui , demain , loin d'entendre une race te dire
Que tu causas sa honte , et de te voir maudire ;
Pour que la Liberté ne meure pas , un jour ,
Du regret de t'avoir consacré trop d'amour ;
Pour que nul ne dénonce , et pour que nul n'expie
Tant de mépris cruel , d'insouciance impie ;
Pour n'entendre aucun cri que soulèvent tes mœurs ,
Pour ne faillir jamais , ô mon doux Pays , meurs ,
Réflexions . 157

II

Promenez en hurlant des torches dans nos villes ;


Parez du nom pompeux de révolutions
Ces honteux guet-apens et ces guerres civiles
Où prend son libre cours le flot des passions .

Et lorsque , consacrant vos caprices frivoles ,


Ardemment enfiévré d'un nouvel idéal ,
Vous avez , d'un seul coup , renversé vos idoles
Et mis des dieux nouveaux sur le grand piédestal ;

Chantez l'ère sereine , acclamez la victoire ,


Couronnez le vainqueur ; choyez - le , fêtez - le !
Pour traduire vos vœux, pour rehausser sa gloire ,
Pour le combler d'honneurs dignes de tenter Dieu ,

Psalmodiez partout des hymnes d'allégresse ,


Entonnez Laudate , Gloria , Te Deum ;
Pour consacrer son nom , chantez avec ivresse :

« Domine, salvum fac presidentem nostrum. »


158 Poésies Nationales ..

Moi , je regarde , hélas ! ces chauds enthousiasmes :


Et puis ... je n'y crois pas ! car , sans être déçus ,
Demain, l'on vous verra cribler de vos sarcasmes
Cette nouvelle idole , et piétiner dessus !

Car demain , car bientôt, sans nul motif, peut- être,


Que celui , ――― l'on dirait, - d'être parfois cruel ,
Vous vous repentirez d'avoir changé de maître ,
Et voudrez ériger quelque nouvel autel...

Peuple, pour être heureux , sois désormais plus sage ;


Si tu veux conjurer le mal que je pressens ,
Si tu veux de tes droits faire un meilleur usage ,
Et ne plus regretter tes fleurs et ton encens ,

Que ton idole soit la Patrie immortelle ;


La servir que ce soit toute ta gloire à toi ;
Ton culte , que ce soit ton chaste amour pour elle ;
Ton seul but : son bonheur ; ton seul guide : sa loi.
Réflexions. 159

III

Et maintenant, ô vous dont on fait une idole ,


Dont on n'ose blâmer les torts ni les excès ,
Salut , César ! passez , montez au Capitole ,
Applaudi par la foule éprise du succès .

Vous voilà maintenant saisissant votre rêve :

Vous voyez à vos pieds tout ce peuple à genoux ,


Dont la voix vous bénit , dont le bras vous élève ,
Et qui , s'il se pouvait, ferait un dieu de vous .

Dans ce peuple il en est de sincères , sans doute ,


Par qui vos fiers instincts se verront obéis ;
Qui veulent vous guider jusqu'au bout de la route ,
Qui veulent vous servir pour servir le Pays .

Mais combien plus nombreux sont ceux qui veillent l'heure


Où dort la concience enivrée , oh ! combien
Vous diront que les droits du peuple sont un leurre ,
Et voudront étouffer en vous l'instinct du bien !
160 Poésies Nationales .

Déjà , plusieurs sont là s'improvisant prophètes ,


Qui viennent, front courbé , vous montrer l'avenir
Donnant sa sanction à tout ce que vous faites ,
Et, comme eux ,à vos pieds , tombant pour vous bénir .

S'armant de doux regards , de rires hypocrites ,


Les voici répétant cet éternel refrain :
Que ce n'est pas pour vous que les lois sont écrites ,
Et que, par - dessus tout , vous êtes souverain .

Ils vous font bâillonner la Liberté robuste ;


Enchaîner la Pensée en des liens étroits ;
Ternir la Vérité , cette étoile du juste ;
Horripiler le peuple en marchant sur ses droits .

Ah ! tenez-vous bien fort ; élevez une digue


Que ne puissent briser tant de flots en courroux ;
Fermez tout votre cœur à la Haine , à l'Intrigue,
Quiviennent vous baiser pour mieux baver sur vous.

Craignez- les !... C'est assez que la guerre civile


Ait su prêter pour vous son concours au destin ;
C'est assez que ce soit au sac de quelque ville ,
A la tristesse , au deuil , à la ruine, enfin ,
Réflexions . 161

Aux dépens de ces gens dont le malheur vous navre , 9

Et qui n'ont plus de fils , de frères ou d'époux ;


C'est assez que ce soit en sautant le cadavre
D'un peuple assassiné , que vous voilà sur nous ;

Faites donc l'oublier ; qu'à force de justice ,


De sagesse et d'amour , on en soit consolé ;
Que l'écho de leurs voix chaque jour retentisse ;
Que leur sang généreux n'ait pas en vain coulé.

Oui , faites oublier qu'ils furent les victimes


Dont le martyre obscur vous traça le chemin ;
Et pour fuir le remords qui tenaille les crimes ,
A ceux qu'ils ont laissés tendez au moins la main .

Tendez au moins la main à l'épouse , à la mère ;


Du pain pour l'orphelin , pour la veuve du pain ;
Descendez dans leur nuit , prodiguez la lumière
A tous ; à tous enfin tendez au moins la main...

Mais si vous préférez étendre votre empire ,


En opprimant plutôt ; mais si , cruel et sourd ,
Vous n'avez pas la foi dont le sage s'inspire ;
Si, hantant les honneurs , vous n'avez plus l'amour;
162 Poésies Nationales .

Si le Droitn'a pour vous rien de vrai , rien d'auguste ;


Si vos caprices seuls restent pour vous sacrés ;
Si vous n'êtes pas grand , si vous n'êtes pas juste,
Si vos jours au Devoir ne sont pas consacrés :

Ne criez pas , demain , à la haine trop noire ;


Ne la maudissez pas lorsque , sur votre front ,
Calme , avec le fer chaud rouge en sa main , l'Histoire
Indignée aura mis un stigmate d'affront.
Réflexions . 163

IV

Cette honte n'est pas un songe , elle est bien vraie :


On ne veut plus s'aimer ! On ne veut plus s'unir !
Et chaque vent qui souffle , hélas ! sème l'ivraie
Et gâte la moisson où germe l'avenir .

Oui , chacun s'immolant à sa vaine chimère ,


Nous voilà tous livrés au plus fol abandon ;
Et nous n'écoutons rien , ni la voix de la mère ,
Ni le cri de nos cœurs , qui prêchent le pardon .

Comme à l'heure où la houle impétueuse arrive ,


Où l'océan s'agite en ses flux et reflux ;
Ballotté , fracassé , courant à la dérive ,
Notre Pays s'en va , se perd , n'en pouvant plus !

Et les deux bras croisés , l'on regarde ces choses .


Pas un seul n'a le cœur de crier : honte à nous !
De ranimer enfin toutes ces âmes closes

Au Devoir , à l'Honneur , à des cultes si doux !


164 Poésies Nationales .

Peuple , où t'en vas -tu donc? Lespassions t'aveuglent,


L'épée est sur ton front , l'abîme est sous tes pas ,
Et, dans le gouffre énorme oùtant de monstres beuglent,
Tu vas en souriant , et ne regardes pas .

Tu faiblis à ce point que j'ai l'âme meurtrie


Sous un poids de pensers oppressants et jaloux ;
A ce point que , doutant même de la Patrie ,
Je crois que le bon Dieu se lasse aussi de nous .

-----
Soupirs . 165

SOUPIRS

A C. I. Michel Pierre.

T tes propres enfants te déchirent ainsi !


E Et tu pleures , Patrie ! et puis nul n'a souci

De te comprendre ! ... On rit du cœur qui te console ,


O Mère ! ton martyre est à son comble , on rit !
On insulte à l'amour , et l'on traite d'esprit
Tout cœur de fils qui vient t'offrir une parole ! ...

Pour avoir , parmi nous , rencontré plus d'un faux ,


On dit que nos pensers ont seuls causé tes maux ;
Qu'à baser l'avenir en vain l'on s'évertue ,
Si l'on ne sait prêcher que l'entente et la paix ;
On dit qu'il faut hâter l'éclosion des faits :
Et pour agir plus vite , on brûle , on pille , on tue !

Et, dans ce drame sombre où réclament leur prix


Petits pleins de bassesse ou grands pleins de mépris ,
Tous ceux que l'on surprend te créant des entraves ,
166 Poésies Nationales .

Non satisfaits , hélas ! de te forcer la main ,


Jettent leurs cris de deuil pour s'appeler , demain ,
Des victimes d'amour , des martyrs ou des braves !

Et puis , ils vont , le front bien haut, pillant encor ! ...


Et si nous nous berçons de quelques rêves d'or ,
Si , conservant en nous la plus forte espérance ,
Nous parlons de progrès , de paix et d'avenir ,
Et souffrons avec toi tant qu'on te fait souffrir :
Nous vivons d'idéal ! nous sommes en démence !

Oui , rêveurs , insensés, parce que nous armons


Nos cœurs pour ton soutien ! parce que nous t'aimons
De ce tenace amour dont nous avons vu rire !
Parce que nous voulons , fils sensibles et fiers ,
Baisant ta sainte plaie et maudissant tes fers,
Detes bourreaux , pour toi , leur grâce ou ton martyre !

Et l'on ose penser que nous sommes jaloux !


Et l'on dit, bien souvent , qu'à notre tour à nous ,
Loin d'être là, criant sur le ton des apôtres ,
Loin de nous en aller avec un air pensif,
Pour être vus du peuple imbécile et naïf, ―
Nous ferons , sans pitié , ce que font tous les autres !
Soupirs. 167

Or, que l'on dise ainsi , qu'importe ! tu sais bien


Qu'il est des cœurs de fils qui ne préfèrent rien
A ton cher avenir , à ton honneur , Patrie !
Qu'il est de tes enfants qui vont , voilés de pleurs ,
Dans l'aride sentier qu'ont frayé nos erreurs ,
Où tu marches , tremblante, en guenilles , meurtrie !

Qui , que l'on dise ainsi , nous avons pour devoir


De garder en nos cœurs tout ce qu'ils ont d'espoir ! ...
Certes ,quand nous voyons qu'un groupe te bâillonne
Lorsque nous te voyons , Patrie , en ta torpeur ,
Pâle , faible , mi-morte , oh ! nous avons bien peur :
Mais nous sentons toujours notre foi qui rayonne !

Or, nous te servirons ardemment , quant à nous ;


Nous viendrons te baiser les deux pieds à genoux ,
Pleins d'un amour qui va jusqu'à l'idolâtrie ;
Nous viendrons jusqu'à voir , à tes pieds , tes enfants ,
Même les plus ingrats , accourir triomphants ,
Se disputant l'honneur de sauver la Patrie !
168 Poésies Nationales .

CONSOLATIONS

A mon ami Pierre Laforest.

S pour un seul qui pleure ou qui n'applaudit pas


Alors que , sans pitié , d'autres te pilorient,
Si pour un seul qui pleure alors que tu débats
En proie à l'agonie , il en est vingt qui rient ;

Pour un qui te ranime à l'heure du danger ,


Qui lutte pour ravir la barque à la tempête ,
S'il en est cent qui vont grimaçant l'Étranger
Et disent : « C'en est fait ! » en secouant la tête ,

Ne désespère pas ! ... De mes pensers fervents ,


De ce culte sans frein que tu m'inspires , Mère ,
Il n'en peut être ainsi que d'un rêve éphémère
Indigne de hanter le cœur de tes enfants .

Après ces longs sanglots , après toutes ces larmes ,


Tout ce sang jusqu'ici vainement répandus,
Consolations . 169

Après ces chutes même en des sentiers ardus ,


Il en faut bien finir par imposer tes charmes .

Il faut que le secret de tes maux soit compris ;


Il faut que désormais des âmes se dévouent ,
Quand tu meurs sous le poids oppressant du mépris
Auquel tant de tes fils et tant d'amis te vouent.

Tu dois livrer au sort de terribles combats ;


Tu dois vouloir grandir puisqu'enfin tu veux vivre ;
Tu dois fixer le but que Dieu te fait poursuivre
Et saisir l'idéal qui luit pour toi là-bas !...

Ah ! certes , je comprends que parfois tu défailles ,


En entendant l'écho des cris séditieux

Qui frappent ton oreille ; en voyant, de tes yeux,


Ces longs acharnements aux sombres représailles ;

Oui , je sais combien grande , heureuse , tu serais ,


Si tes enfants voulaient dépouiller tes guenilles ,
Te donner un sublime essor vers le Progrès ,
Faire applaudir en toi la Reine des Antilles ...

Mais tel , lorsque l'orage a troublé l'infini ,


L'aigle majestueux plus grande ouvre son aile ,
10
170 Poésies Nationales .

Plus ardente , au soleil , montre encor sa prunelle ,


Plus haut, sur le sommet du mont , cherche son nid ;

Tel , lorsque l'océan a subi la tempête,


Sur les flots rendormis , bientôt , voguant encor,
Le navire ouvre aux vents sa voile plus coquette ,
Et plus fier , et plus calme, arrive jusqu'au port ;

Tu dois aller, malgré les rumeurs de la foule,


Malgré les détracteurs qui raillent ton destin ,
Tu ne dois pas penser que tout meurt, que tout croule ,
Que c'en est fait de toi , que ton astre s'éteint.

Pas un seul de tes maux ne doit te faire croire


Que les beaux temps perdus ne reviendrontjamais .
Non , forte de ta foi , plane haut , vogue en paix,
O ma chère Haïti si digne de la gloire !

Songe que, de tes fils , s'il en est d'oublieux ,


Il en est , en retour, qui marchent, qui font brèche
Dans l'Avenir , fixant un astre merveilleux ,
Comme l'étoile d'or qui menait vers la crèche.

Souviens -toi qu'il en est qui , sans bruit, sans éclat ,


Sauvent tes pas tremblants de toutes les embûches ,
Consolations . 171

Et te montrent la voie ... Or , espère en ceux -là


Pour sortir de l'ornière affreuse où tu trébuches .

Espère ; quand tu sens tes rêves s'envoler ,


Tourne-toi vers ces cœurs vestales de ta gloire :
Et ce qu'ils te diront saura te consoler
Du plus long désespoir , du plus amer déboire .

Car ceux qui savent bien ce que c'est, ce que vaut


La terre où l'on sourit, où l'on aime , où l'on pleure ,
Où l'on sent palpiter tout son être à toute heure,
Onttrop peu de leur coeur pour t'aimer comme il faut .

Et s'il ne suffisait que de leur foi profonde ,


Pour grandir, pour monter, pour régner à ton tour ;
S'il ne fallait de rien que de tout leur amour ,
Tu resterais debout quand croulerait le monde.
172 Poésies Nationales .

ÉVOLUTION

Peuple , trop longtemps l'on vous crache au visage,


Et rit de vos efforts , et se moque de vous ;
Oui ,troplongtemps ceux-là qui veulent vous voir sage
Prêchent dans le désert et passent pour des fous ;

Trop longtemps l'on vous fait un devoir de vous taire ;


Trop longtemps de vos droits aucun n'a plus souci,
O Peuple inconscient , éternel prolétaire ,
Dont la nuit, chaque jour, s'assombrit, s'épaissit !

Et vous êtes pourtant le héros dans la guerre ,


L'artisan dans la paix , ― sur la brèche toujours !
Et vous avez pourtant une âme plus altière
Que ceux qui vont sans cesse extorquant vos amours.

Car vous êtes la Foi , le Devoir , l'Honneur même ;


Car vous êtes le Vrai ; car vous êtes le Bien ;
Évolution . 173

Car vous veillez toujours ; toujours votre main sème ,


Votre sueur féconde , et votre bras soutient.

Etcependant c'est vous qu'on oublie ou qu'on brave ;


C'est contre vous , pourtant , que se dressent les lois ;
C'est de vous seul , enfin , qu'on façonne l'esclave
Qui compte des devoirs et qui n'a pas de droits .

O pauvre Peuple !... Et quand vient la guerre civile ,


Euvre d'aventuriers se gorgeant d'or chez nous ,
Ou de l'ambition sourde , aveugle , servile ,
C'estvous , et c'est vous seul , qu'on expose à leurs coups .

Alors tous vos enfants qui vont dans la nuit noire ,


Qui du joug de l'Erreur ne sont pas affranchis ,
S'entr'égorgent, comblant de fortune et de gloire
Ces apôtres vendus , ces sépulcres blanchis .

Alors , les voilà tous , chevaliers d'industrie ,


Renégats impudents qui crachent dans leur sang,
Accourant , prêts à tout, à vendre leur Patrie ,
S'il le faut , pour rester le Crime tout-puissant !

Les voilà , sans pitié , rapaces et farouches ,


S'alliant pour le mal , meute affreuse qui mord
174 Poésies Nationales .

Le cadavre en grognant, ou vil essaim de mouches


Quitourne , enbourdonnant, aux flancs du cheval mort.

Augrédes passions qui dans leurs cœurs s'incarnent ,


Ivres d'or ou d'honneurs gagnés à vos dépens ,
Ainsi que des vautours les voilà qui s'acharnent ,
Et qui rampent sur vous ainsi que des serpents .

Et cependant , malheur à qui , pour vous défendre ,


Au milieu du scandale ose élever la voix ;
Oh ! vous êtes trop bon , trop doux , pour le comprendre ;
D'injures et de coups vous le huez parfois .

Oui , lorsque contre vous s'organise l'attaque ,


Qu'onvous forge des droits , pourrire , un long moment;
Oui , quandvos exploiteurs vous font , comme une claque ,
Applaudir bien haut , Peuple, à votre abaissement,

Malheur à qui , perçant alors la foule immense ,


Veut vous montrer le piège et vous en éloigner :
A l'émancipateur vous prêtez la démence ,
Et vous laissez sur vous vos contempteurs régner ...
Évolution . 175

C'est triste , ô Peuple !...Eh bien , comprenez vos apôtres ;


Aceux qui n'ont pour vous que des mots dédaigneux ,
Inspirez , par l'amour dont vous comblez les autres ,
Le soin de vous servir et de vous aimer mieux .

Sortez des préjugés , sortez de l'ignorance ;


Secouez au passé votre indigne torpeur ;
Et plein de cette foi qui donne l'espérance ,
Entrez dans l'avenir , le front serein , sans peur !

Peut-être , ceux qui vont vous ouvrant l'ample sphère


Entendront bien des cris , subiront bien des coups ;

Qu'importe , allez toujours ; tout cœur de fils préfère


Vous payer à tout prix l'amour qu'il a pour vous .
*176 Poésies Nationales .

UNION !

RÈRES , unissons - nous ! Trop de haine en nos cœurs !


FRTrop de vils préjugés en des âmes si fières !

Frères , unissons -nous ! Songeons bien que nos guerres


Nous ont causé déjà de bien sombres malheurs !
De nos coups insensés que rien ne légitime
Songeons que la Patrie est la seule victimo :
Pour elle , assez de sang ! pour elle , assez de pleurs !

Frères , unissons -nous ! Que notre âme s'éveille !


Car pour entrer bientôt dans le vaste avenir ,
Il nous faut nous entendre , il nous faut nous unir !
Ah ! si nous l'oublions , si notre foi sommeille ,
Si toujours sur nos cœurs pèse un cercle de fer ,
Frères , malheur à nous ! dardant l'œil grand ouvert ,
La Force est là , non loin , qui convoite et qui veille ! ...

Frères , unissons -nous ! Ayons plus de fierté !


Oh ! ce n'est pas pour nous , -libres conçus d'esclaves
Union . 177

Qui durent être unis pour briser leurs entraves ;


Non , ce n'est pas pour nous que la fraternité
Ne sera qu'un vain mot ! Sauvons la race noire
Du mépris de ses sœurs ; léguons enfin sa gloire ,
Entière , immaculée , à la postérité !

Frères , unissons - nous ! L'entente est le génie .


Pour qu'unjour nos enfants puissent se voir vainqueurs ;
Pour saisir le progrès , aimons -nous, haut les cœurs !
Reformons le faisceau ; recherchons l'harmonie,
N'arrosons plus de sang nos fertiles vallons ;
Tous debout comme un seul , vers l'avenir allons :
Et la terre des noirs par Dieu sera bénie .
178 Poésies Nationales .

$1
COUVRE - FEU

A Thomas Mills .

OICI l'heure propice au mal , au sacrilège ,


VOICI
Aux étranges rumeurs ; voici la sombre nuit ;
Voici la sombre nuit qui voile et qui protège
Ce qui grouille dans l'ombre et qui mord et qui nuit .

La superstition étale ses orgies ;


Le vice , que le jour domptait , brise son mors ;
La volupté sourit , les prunelles rougies ;
Le mal enfin se glisse insensible au remords .

Et tous ces clans hideux défilant taciturnes ,


Craignant le moindre bruit, tremblant au moindre éclair,
Vont à l'œuvre , tandis que les hiboux nocturnes
Jettent des cris perçants qui résonnent dans l'air.

Or, ainsi que la nuit dont le baiser farouche


Ravive ces instants qui nous aident faillir ,
Couvre - Feu . 179

La guerre a des horreurs que jamais de sa bouche


Ne lui vomit l'enfer , sans d'abord tressaillir .

Lorsque sur les cités plane son ombre immense ,


Toutes les passions glissant à pas de loups ,
Ayant d'amers rictus au sein de leur démence ,
S'étreignent à l'envi rendant l'enfer jaloux.

Et c'est le droit du mal , alors , que l'on proclame !


A vous l'encens de tous , à vous toutes les fleurs ,
Si vous pouvez grandir, être à ce point infâme
De vous griser de sang tout en riant des pleurs !

Vous , dont la Muse , un jour sapa le subterfuge ;


Et vous , que la Justice osa punir un jour ;
Punissez la Justice en proscrivant le juge ;
Dans le barde , outragez la Muse , à votre tour !

Les vieux freins sont rompus ,la vengeance déborde ;


Contre l'aigle des monts les hiboux sont armés ,
Arrière la pitié ! loin la miséricorde !
Les droits sacrés du mal sont enfin proclamés !

Accourez, vous , ses fils ; venez , vous , ses ministres ;


Brisez le Beau ; souillez le Bien ; tuez l'Amour ;
180 Poésies Nationales .

Jetez aux quatre vents de longs accords sinistres ;


Voici la nuit pour nous ; pour vous voici le jour !

C'est si doux d'ériger un temple à l'anarchie ,


De déléguer la force à tous les insensés ,
Et puis, tant que de sang ils ont la main rougie ,
D'exposer à leurs coups qui vient leur dire : assez !

Donc vive l'anarchie en bienfaits si féconde !


Donc , à bas l'harmonie ! à bas la liberté !
Quand le sceptre du mal se dresse sur le monde ,
Le Droit , la Foi , l'Honneur , n'ont plus droit de cité !
Sous le Drapeau. 181

SOUS LE DRAPEAU

I tu me vois verser plus d'une larme amère


Sous tes plis, Drapeau fier où vit la nation,
C'est qu'on ose parler de souiller notre Mère ;
On dit : « protectorat ! » , on répond : « scission ! »

Et voilà , maintenant , voilà ce qu'on prononce


Et qu'on ne tremble pas de répéter tout haut ;
Mais je me plais à voir que , pour toute réponse ,
Tu flottes plus superbe, ô notre cher Drapeau !

Oui , partout , je te vois qui flottes plus superbe ,


Voulant que l'on te voie , ici comme là- bas ,
Criant sans trêve à tous , mais à tous , de ce verbe
Qui fléchit les plus forts : « Cela ne sera pas ! ….. »

Cela ne sera pas ! tu resteras le même !


Et pour crier plus fort, chaque jour, aux ingrats ,
11
182 Poésies Nationales .

Qu'il faut qu'on te respecte et qu'il faut que l'on t'aime ,


O notre cher Drapeau , bien fier tu flotteras !

Car d'un peuple conçu pour n'être que des frères ,


Ayant le même but , ayant les mêmes droits ,
Ayant les mêmes vœux dans les mêmes misères ,
Nous enavons fait d'eux , nous n'en ferons pointtrois ;

Car, hélas ! s'il est vrai qu'en nos guerres civiles


Nous pouvons immoler , - pour un lot suborneur ,
De nobles sentiments , aux passions stériles ,
Au moins , pour l'avenir , nous garderons l'honneur.

Si , n'ayant point reçu la sagesse en partage,


Ne voyant le Devoir qu'en de honteux penchants ,
Nous arrosons de sang le commun héritage :
Du moins , passera-t-il aux mains de nos enfants .

Et sous tes coups , mon Dieu ! que tremble dans son âme ,
Que frémisse d'effroi , le convoiteur , l'ingrat ,
Quiconque ose parler de scission infâme ,
D'annexion servile , ou de protectorat !
A la Paix . 183

A LA PAIX

Au général Darius Hippolyte.

At nobis, Pax alma, veni spicamque teneto.

ous n'avons rien qui nous ranime


N Quand nous mourons de nos exploits ,

Ou lorsque la Force qui prime


Nous fait obéir à ses lois ;
Nous n'avons rien qui nous console ,
Quand l'horizon paraît bien noir
Et qu'il ne reste pour boussole
Plus rien d'amour , plus rien d'espoir.

Et si , pour recueillir nos larmes ,


Pour réparer tant de revers,
Pour nous faire, en goûtant ses charmes ,
Oublier tous les maux soufferts ;

Si , pour calmer notre martyre ,


Pour nous ravir à notre effroi ,
La gloire accourait nous sourire ;
Oh! que vaudrait cela sans toi ?
184 Poésies Nationales .

Sans toi , Paix sereine et bénie


Que nous invoquons chaque jour ;
Qui , seule , engendres l'harmonie
Et qui, seule , engendres l'amour ?
Oh ! n'est-ce pas ta main qui sème
Tout le bonheur sous le ciel bleu ?
Étant la Force et l'Amour même ,

Oh ! n'es-tu pas fille de Dieu ?

Eh bien, que ton sein soit l'asile


Et des vaincus et des vainqueurs ;
Que , loin de nous , bien loin , s'exile
La Discorde étouffant nos cœurs ;
Mets Haïti sous ton égide ;

Fais qu'elle aille aux plus hauts sommets ,


Et qu'enfin ton astre la guide
Ne s'éclipsant jamais , jamais !

Viens, car ton souffle fortifie ;


Tu sais bannir l'amer chagrin ,
Et c'est en toi , source de vie,
Que le cœur redevient serein .
Viens , car , sans toi , l'âme oppressée
Cherche en vain le but éternel ;
En vain du fond de la pensée
Jaillit un hymne fraternel .
A la Paix . 185

Car, sans toi , le cœur du poète


N'est plus rien qu'une urne de pleurs ;
En vain la Muse lui répète
De gais refrains , des chants berceurs ;
Il sent la main qui dans ses transes
Lui ravit son ardente foi
Et brise enfin ses espérances...
Son luth n'est qu'un soupir sans toi .

Viens , car, sans toi , le Mal progresse ,


Chargeant de fers la Liberté ,
S'effarouchant de l'Allégresse ,
Et bâillonnant la Vérité .

Et tel , la nuit, l'esquif qui sombre


Quand nul phare au loin ne reluit,
Le cœur , sans toi , plonge dans l'ombre
Qu'il voit s'étendre autour de lui.

Car, sans toi, la nature voile


De deuil ses merveilleux tableaux :
Le ciel semble , alors , sans étoile,
Et l'océan , plein de sanglots ;
Et, tel l'oiseau sous la charmille ,
Quand l'orage a troublé les champs ,
Sans toi , l'enfant, dans la famille ,
N'a plus d'échos , n'a plus de chants .
186 Poésies Nationales .

Or , à l'appel de la Patrie ,
Pourquoi donc ne viendrais- tu pas ?
La guerre , exerçant sa furie ,
Creuse un abîme sous nos pas ;
Et tandis que deux camps abondent
De fiers soldats s'entr'écrasant
Le sol , que tous ses soins fécondent ,
Reste, hélas ! veuf du paysan .

O douce paix , fleuris , rayonne ;


Répands tes effluves en nous ,
Toi que, de sa voix qui résonne ,
La Patrie implore à genoux ; ...
Ses espérances les plus chères ,
C'est de nous voir, tous ses enfants ,
Ne former qu'un faisceau de frères
Sous tes étendards triomphants .

Viens ; sauve , en nous , la race noire ;


De ses sœurs épargne l'affront ;
Refais -lui son renom, sa gloire ;
Remets -lui l'auréole au front.
Viens ; glisse- nous au fond de l'âme
L'amour du bien , l'amour du beau ;
Brille en nos cieux et que ta flamme
Brûle en nos cœurs , jusqu'au tombeau.
A A ... 187

A A...

IN vain quelqu'un m'a dit que bien plus forte il eut


La foi dont je m'anime au fort de la tempête,

Je crie encor plus haut, bien plus haut je répète


Qu'elle est seule , pour nous , la planche de salut ,
Et qu'en dépit du flot qui monte et la menace,
Il faut s'y cramponner plein d'une ardeur tenace ,

Quant à moi , je m'y livre avec un fol amour .


Je sens que mes pensers ne sont pas de vains rêves ;
Et si, vers le Progrès, nous aspirons sans trêves ,
Je sens que nous pouvons le saisir quelque jour ;
Je sens que nous pouvons , dans un élan sublime ,
Ravir au ciel jaloux de ce feu qui l'anime.

Qu'importe , maintenant , oui, que m'importe , à moi ,


Que l'on veuille ternir , à force de sarcasmes ,
Ce qui me brûle au cœur de chauds enthousiasmes ;
188 Poésies Nationales .

Lorsqu'à des rapts divins tentés sans nul émoi


On ose consacrer sa foi prométhéenne ,
Pour expier la gloire , oh ! c'est peu de la haine .

J'irai donc , car je crois qu'apaisant le concert


Où , sonore entre tous , vibre l'accent du doute ,
Ravissant une sœur qui la suive et l'écoute ,
Mon âme éveillera des voix dans le désert ;
J'irai donc, car la foi féconde que je sème,
Je crois, je dis toujours qu'elle éclora quand même .
L'Ordre du Jour. 189

L'ORDRE DU JOUR

Au Docteur Ph. Zéphir.

Discordia demens.
VIRG.

LS S'en allaient nombreux , et tels , queje les chiffre


ILSS
A cinq cents pour le moins . Le tambour et le fifre
Rythmaient leurs pas . Et puis , sur leurs fronts , déchiré ,
Noir de poudre , mais plein de son charme sacré ,
Notre drapeau flottait, défiant le sarcasme .

Alors, saisi soudain d'un vif enthousiasme :


- «Qu'ils sont fiers ! me disais -je , et qu'ils tiennent à cœur ,
Ceux-ci , de maintenir nos droits et notre honneur ! »
Ah ! si l'on inculquait dans ces âmes robustes
Les plus mâles vertus , les règles les plus justes ,
Les plus nobles pensers , quels hommes nous aurions!
Contre ceux qui pour nous n'ont eu que des horions ,
Qui, d'affronts insolents , ont souillé notre sphère ,
Combien, longtemps déjà, nous les laisserions faire ! ...
11 .
190 Poésies Nationales .

Ainsi , quand défilait le régiment nombreux ,


Je ne pouvais tarir de pensers généreux ;
Ainsi , sous les transports qui ballottaient mon être ,
Je sentais, lentement, toute ma foi renaître .
Et ce fut mieux encore , un délire d'amour ,
Quand je les vis non loin , campés au carrefour ,
L'armeaubras .— « Voyez donc ! Qu'ils sont beaux ! m'écriai -je ,
N'est-ce pas chose impie, un lâche sacrilège
Que de pousser ainsi , sans pitié , que d'armer ,
Pour s'entre- déchirer , ces cœurs nés pour s'aimer ?
N'est- ce pas?...» Je sentais alors monter des larmes
Et l'on battait aux champs , et l'on portait les armes ,
Et le publicateur tonnait :
« Ordre du jour ! ... »

Un long tressaillement , un murmure , un bruit sourd


Puis le silence enfin dans la foule anxieuse.

Etmoi , je me disais : « Sans doute , elle est heureuse,


Oh ! certes , elle jubile , à présent , de savoir
Que la paix va renaître et raviver l'espoir ! »

« Soldats !...>

On sepressait, alors, pour mieux entendre . I


« Soldats ! à votre perte on n'ose plus prétendre
Car vous savez trop bien obéir au devoir ;
L'Ordre du Jour. 191

Car vous prouvez trop bien que vous voulez avoir


Toujours vivace en vous l'amour de la Patrie ! ...
Aussi , malgré leur nombre et malgré leur furie ,
Nos ennemis ont fui laissant sur le carreau

Dix morts , douze blessés , deux canons , un drapeau ,


Fusils , tambours , clairons , et divers projectiles !
Puisque donc vos efforts ne sont point inutiles ,
Ne vous arrêtez pas après tant de succès !
Pour purger nos cités de ceux dont les excès
Les infestent, volez de victoire en victoire !

Encore quelques jours , et tout chargés de gloire ,


Montrés du doigt partout , vos fronts ceints de lauriers ,
Bien fiers , vous rentrerez , soldats , dans vos foyers ! »

Et soudain , c'est avec une rumeur farouche


Qu'un essaim de bravos vole de bouche en bouche;
Et ce sont de longs cris ; à la voix du tambour ,
Aux sons de la fanfare , on danse tout le jour.
Il bout au sein du peuple un levain d'allégresse ,
Et tous les soldats même , au comble de l'ivresse ,
Remplissent l'air de cris frénétiques , damnés ,
En apprenant la mort de tant d'infortunés !…….

-Pourtant, l'oubliez - vous ? Ce drapeau , c'est le vôtre ;


Ces canons , ces fusils ne viennent pas d'un autre
Que vous ? Tous ces tambours , ces clairons , sontà vous ?
192 Poésies Nationales .

Ces morts et ces blessés , mais ce sont vos époux ;


Mais ce sont vos amis , et vos fils, et vos frères ;
Cesont des cœurs , des bras qui calmaient vos misères ,
Cher Peuple ; c'est vous - même , oui , tout vous -même enfin
Or , c'est vraiment en vain que vous fêtez , en vain
Quevous faites vibrer l'air de vos cris sans nombre :
Tandis que vous plongez dans votre gloire, une ombre
Monte , monte toujours , étouffant l'Avenir !
Ah ! si vous ne pouvez encor vous souvenir
Qu'avec tous vos succès votre revers commence ,
Et que votre victoire est votre décadence ;
Ah ! si vous oubliez que vos coups acérés
Ne tombent que sur vous , vous vous en souviendrez ,
Lorsqu'unjour , Jonathan , John ou Jacques , n'importe ,
Viendront et frapperont des coups à cette porte ;
Mais alors ...-Oh ! des pleurs me couvrent le regard ...
Mais prenez garde , alors , qu'il soit déjà trop tard .
Væ Victis . 193

VE VICTIS !

A mon ami Valbrun Gauthier.

Es Gaulois exaltés sont aux portes de Rome .


L Rome crie ; elle tremble à l'aspect des Gaulois ;

Et la grande cité, que déjà l'on renomme ,


Courbe son front altier , pour la première fois !

Les Gaulois sont campés sur les rives du Tibre .


Rome pleure et gémit pour la première fois ;
Et la grande cité , jalouse d'être libre,
Lève des légions , que taillent les Gaulois !

Puis , chassant leur frayeur , étouffant leurs scrupules


Les Barbares , bientôt , dans Rome sont entrés ;
Les consuls sont tués dans leurs chaises curules ;
Les Romains sont pillés , brûlés et massacrés .

Les Gaulois , étonnés , vont jusqu'au Capitole ,


Faisant de cette Rome ayant le front si haut ,
Dont l'univers , demain , peut se faire une idole,
Une ruine immense , un immense tombeau .
19 Poésies Nationales .

Mais les Romains vaincus ont leur fierté sereine ;


Rome ainsi renversée est encore debout ,

Et les Gaulois , frisés , mus par sa tiède haleine ,


Brûlent de ce désir d'arriver jusqu'au bout.

Alors Rome faiblit ; alors , les voyant ivres ,


Se gorgeant de son sang et riant de ses pleurs ,
Elle promet de l'or, elle promet des vivres ,
Tout ce qui peut fléchir la horde des vainqueurs .

Et quand Rome , bientôt , se plaint d'être trompée ,


Et lui reproche , enfin , de n'avoir qu'un faux poids ,
Jetant dans le plateau sa redoutable épée ,
Terrible, «< Væ Victis ! » , rugit le Brenn gaulois ...

Oui , malheur aux vaincus ! ... Et c'est ce cri farouche


Que poussèrent un jour des brigands triomphants ;
C'est ce cri de l'Envie au front blême , à l'œil louche ,
O Mère , qu'en leur lutte ont poussé tes enfants !

Étendus sur ton corps en vampires féroces ,


Ils t'arrachent la vie en s'enivrant de sang ;
Et contre leurs forfaits , leurs tortures atroces ,
Tu ne peux rien tenter qui ne reste impuissant.
Væ Victis . 195

Qu'importait au Gaulois que Rome la superbe


Disparût sous les coups dont redoublait sa main ;
Qu'inspiré par la peur et par l'envie acerbe ,
Il dût voir expirer jusqu'au dernier Romain !

Qu'importait au Gaulois , dans sa haine profonde ,


Appréhendant d'ailleurs un nouvel avenir ,
Que Rome disparût de la carte du monde
Et qu'on n'en eût jamais le moindre souvenir !

Nous nous jetons leur cri , leurs menaces amères ,


Lorsqu'à nos passions nous donnons libre cours ,
Ne pensant plus , hélas ! que nous sommes des frères
Et que nous reviendrons quand même à nos amours .

Et dans tes flancs sacrés plongeant la lame aigüe ,


Nous oublions aussi que nous sommes tes fils ,
Que toi seule, Patrie, es la grande vaincue ,
Et que c'est contre toi qu'on hurle : « Vae Victis ! »

Oui, «« Væ Victis ! » malheur à la sainte Patrie !


Oui , malheur aux vaincus et malheur aux vainqueurs
Oui , malheur à nous tous , si la source est tarie
Où nous puisions l'amour pour raviver nos cœurs !
196 Poésies Nationales .

DÉFAILLANCE

'ENvois tant dont la bouche est encor toute pleine

Dans un cœur qu'on dirait plein d'amour et de foi ;


J'en vois tant que ce doute implacable travaille ,
Que je sens , par moments, ma ferveur qui défaille ,
Et que je me surprends qui me demande à moi :

A quoi servent ces chants , malgré toute harmonie


Dont je les remplirais ; quel que soit le génie
Dont le souffle viendrait faire vibrer mon cœur ?

Aquoi servent ces chants , toutes ces strophes vaines


Dont,pour moi , chaque vers est le sangde mes veines
Goutte à goutte tombant, trahissant ma douleur ?...
· •
Ainsi , me voilà donc sous l'étreinte du doute ;
Tenté de m'arrêter à moitié de la route ,
Gémissant, le front bas , je me demande à moi
Défaillance . 197

Si je peux jusqu'au bout aller sans défaillance ,


Si nul instinct honteux ne soutient ma vaillance ,
Et si mon livre même est une œuvre de foi.

Me voilà lentement obsédé d'un long rêve ,


Interrogeant mon cœur, lui demandant sans trêve
S'il ne me berce en vain ; si , quelquejour , demain ,
L'on ne me verra pas , chercheur de gloire vile ,
Agiter le drapeau de la guerre civile ,
Et puis , sur mes autels , le planter , -de ma main ;

Lui demandant, enfin , si , quelque jour , moi - même


Qui parle de Justice , et consacre à ce thème
Ce que peut-être en moi j'ai de meilleurs accents ,
Je n'irai pas aussi , fier , devant quelque traître,
ont un sort rigoureux nous aurait fait un maître ,
Fléchir mes deux genoux pour brûler mon encens .

Et mon cœur, soupirant , m'a répondu : J'ignore ,


Car on m'a bien trompé ; car il n'est plus encore
De ces cœurs généreux qu'inspire leur dédain ,
Dont la foi se complaît au malheur qui cimente,
Et qui savent toujours, au fort de la tourmente ,
Fermer le gouffre énorme en s'y jetant soudain !
198 Poésies Nationales .

FERREA VOX

A mon ami Georges Fouché.

Assez de fange ! assez d'ignominie !


Dans l'idéal que mon âme a choisi ,
Pour vivre heureux, assouvis d'harmonie,
Ouvre ton aile, ô ma Muse, allons y !
M. C.

OME brûle ! Voici Néron ! Voici le Mal !


Et l'effroi de la mort rend toute âme servile ,
Et contre les horreurs de la guerre civile ,

Pour brandir son vers rouge , oh ! pas un Juvénal !

Dans toutes nos cités s'allume la discorde !


Le flot monte ! le tigre a le museau rougi !
Et nul ne se fait digue au torrent qui déborde !
Et nul ne peut dompter le fauve qui rugit !

Quoi ! tant d'âmes chez nous sont dans l'Erreur croupies !


Quoi ! le crime, chez nous , compte tant de sujets !
Ferrea Vox . 199

Et ces vendeurs du temple , et ces faux, ces impies ,


Parmi tes vrais enfants , Mère , tu les rangeais !

Quoi ! nous en avons tant qui sont nés pour l'ornière ,


Qui même à nos dédains ont des droits infinis ,
Dont, pourtant , la Patrie a longtemps été fière,
Que nous avons aimés , que nous avons bénis ! ....

O Muse , assez de chants ; Muse , assez d'harmonies ;


Ces Caïns , ces Judas , qui surgissent, qui vont
Sur la Patrie en deuil , mets -les aux gémonies ;
Grave-leur un stigmate indélébile au front.

Et toi-même , poète , aiguise ton courage


Et, sur les factions , restant toujours serein ,
Prends ta lourde férule et flagelle au visage ;
Sois du temple croulant la colonne d'airain .

Oui , sans te dépouiller de ta robe d'hermine ,


Avec ton beau dédain ou ton rire moqueur,
200 Poésies Nationales .

Jusque sur ces hautours où la Force domine

Lance tes vers tout pleins du souffle de ton cœur.

Que tous ceux dont la pourpre atrempé dans la fange


Sentent, qui les tenaille , un désespoir rongeur ;
Regardent, qui les suit, qui ricane et se venge ,
La Muse du remords avec son fouet vengeur .

Sois l'Histoire soudain surgissant de la fosse


Et crachant son mépris dans le fétide égout ;
Sois la Vérité sainte abattant le colosse

Et lui plongeant sans peur les griffes dans le cou ;

Sois le Droit qui se plaint , la Justice qui crie ;


Aux yeux de l'avenir fais défiler, sans peur,
Fronts bas , et repentants , cette sombre série ,
Cette tourbe cynique au visage trompeur :

Celui-ci que, naguère , on croyait un apôtre ,


Etqui prêchait l'entente , et qui prêchait l'amour ,
Arrache son manteau , fais voir comme il se vautre
Dans la fange en plein jour .

Aux âmes sans vergogne et d'ivresse rougies


Le voilà qui s'unit , hanté d'un noir souci ;
Ferrea Vox. 201

Sous des cœurs gangrenés il se repaît d'orgies ,


Et s'applaudit comme eux aussi !

Et cet autre ? ... Pour lui , l'heure de la revanche


A sonné ! ... C'est son tour d'être le favori ,
De porter des galons pleins la tête et la manche ;
Il passe , on le salue , il rit .

Et pourtant c'est l'Intrigue ... Et peut-être il essaye


De laver ses lauriers trop peu vierges de sang ;
Et dans ses nuits , sans doute, il entend qui l'effraye
La voix de plus d'un innocent.

Et cet autre ?... Honoré , choyé , mais exécrable !


Dans le gousset du peuple il plonge encor la main ,
Et formule des lois contre le misérable

Qui vole un pain sur le chemin .

Oui , l'on bat le forçat ; ce n'est plus qu'un infâme ;


On lui met la casaque , et l'éperon au pied ;
A ce seigneur qui passe et le toise , il réclame
Un peu de grâce et de pitié ! ...

Et cet autre ?... Mais non , oh ! non , trop de bassesse !


Le Mal est souverain ! Dieu lui- même est trahi !
202 Poésies Nationales .

La marée , en grondant, augmente encor, sans cesse ,

Monte toujours , nous envahit ! ...

***

Et quand, te pressurant, s'allongeant en vampires ,


Ces renégats cruels t'assaillent sans merci ;
Quand ces fourbes , ces vils , -j'en passe encore de pires
Contre toi, sans pitié, se sont ligués ainsi ;

Cher peuple , c'est toi seul , c'est toujours toi qui souffre ,
Ce qu'on frappe , c'est toi ; ce qui frappe , ton bras ;
C'est sous toi , chaque jour , que s'élargit le gouffre ,
Et c'est de tes enfants que tu le combleras ...

O Muse, remontons dans la sphère sereine ,


La douleur me convie à fuir dans l'Idéal ;
Allons loin de l'Envie ! Allons loin de la haine !
Rome brûle ! Voici Néron ! Voici le Mal !
Rancœur. 203

RANCEUR

A mon ami César Alcindor.

(' ESTen vain que l'on crie : «Il en esttemps encore,


....
Sa proie , ils vont , hâtant leurs projets insensés .
En les voyant ainsi, c'est en vain qu'on leur crie :
<< Cachons au moins sa plaie à la Mère- Patrie ,
Et puis , assez pour elle ! assez de sang ! assez ! »

Ils vont encor , toujours . En vain , on leur répète :


<< Mais lorsque du ciel noir descendra la tempête
Nous n'aurons plus personne?...» Ils vont, n'écoutant pas .
Et, loin de le garder pour des causes plus belles ,
Ils arrosent nos champs , dans leurs luttes cruelles ,
Du sang trop généreux de nos pauvres soldats ! ..

40%
204 Poésies Nationales .

Ah ! si je le pouvais ! ... Ton amour plein mon âme ,


J'accourrais au milieu de tout ce peuple infâmc ;
J'irais parmi ces cœurs livrés à leurs forfaits ;
Je leur aurais fait voir tes larmes , sainte Mère,
J'aurais rempli d'amour ta coupe trop amère ;
Je t'aurais fait comprendre , oui , si je le pouvais !

Mais qui m'écouterait puisque les meilleurs même


Veulent ternir l'éclat de ton beau diadème ;
Puisque de ton honneur n'ayant aucun souci
Ils crachent tant d'affronts sur ta face sacrée ;
Puisque la voix du cor a sonné la curée ,
Et que les passions se démasquent ainsi !

Oui, qui m'écouterait, lorsque chacun commence


Par proclamer « vains mots ! » la pitié , la clémence
Et qu'on ferme l'oreille à tes longs cris d'amour ;
Lorsque du talion la clique inassouvie :
L'ambition jalouse, et la haine , et l'envie,
Osent quitter leur nuit pour souiller notre jour !...

Oh ! si je le pouvais , ne cessant de poursuivre


Ces maudits, ces damnés , tous, je les ferais vivre ,
Rancœur . 205

La chaîne aupied, la honte au front , l'enfer au cœur !


Éternisant pour eux, -- horribles prométhées ! —
Les tortures sans nom qu'ils ont sur toi tentées,
Je n'aurais rien pour eux que mon rire moqueur .

J'irais , dans leur géhenne , inventer des supplices ;


J'étalerais pour eux tes larges cicatrices ,
Tes enfants massacrés , ton cortège de morts ,
Ton honneur en lambeaux , ta gloire enfin tuée ;
Contre leur conscience au mal prostituée
J'incarnerais en moi l'impassible remords .

Car ce qui vibre en moi de colère profonde ,


Car l'immense douleur qui lentement m'inonde ;
Ce que j'éprouve , enfin , de chagrin , de rancœur ,
Quand je vois tes fils, tels qu'une meute effarée ,
S'arracher les lambeaux de ta robe sacrée ,
Patrie ! oh ! Dieu le sait , lui qui sonde mon cœur .

12
206 Poésies Nationales .

VISION

II

A M. D. Pouilh.

E les ai vus passer les humbles forgerons


J' De notre liberté ; je les ai vus encore .

Ils étaient rayonnants , divins ; mais sur leurs fronts


N'ondulait plus - hélas ! - le drapeau bicolore .

Je les ai vus passer , mais ils ne parlaient pas ;


Leurs yeux ne dardaient plus de longs rayons de flamme ;
Or , les voyant si fiers , avec leurs fronts si bas ,
Je compris qu'ils avaient des angoisses dans l'âme .

Oh ! dites-moi , pourquoi ces sanglots comprimés ?


Auriez -vous des soucis , quelques peines amères ?
N'êtes-vous pas heureux ? N'êtes -vous pas aimés ?.
Puisque vous le savez , pourquoi donc vos chimères ?
Vision . 207

Mais ils pleuraient toujours .


-Sans doute vous pleurez

De voir que vos serments , vos lauriers , votre gloire ,


Les droits que par le sang vous avez consacrés ,
Soient bannis de nos cœurs et de notre mémoire ?

Vous pleurez de nous voir oublier ces douleurs ,


Ces supplices cruels , ces maux de toutes sortes
Quevous avez soufferts ? Ah ! je comprends vos pleurs ,
Je comprends , en effet , vos angoisses si fortes !

De notre liberté vous étiez si jaloux !


Vous rêviez pour nous tous des moments si prospères !
Vous faisiez tant d'efforts , tant de rêves pour nous !
Oui , voilà bien pourquoi vous gémissez , ô pères !

C'est avec tant d'orgueil que vous alliez encor,


Toujours , ainsi que vont les vaillantes phalanges ,
Stoïques , calmes , fiers , à la lutte, à la mort,
Bravant sans défaillir les coups les plus étranges !

Vous étiez si contents de faire tout cela ,


Pour nous léguer un nom, un titre , une patrie ! ...
Et la voilà pourtant, votre œuvre ! ... la voilà,
Sous nos coups , chaquejour , incomprise , meurtrie !
208 Poésies Nationales .

Oh ! vous avez raison de soupirer ainsi .


Nous sommes des ingrats ; nous n'avons pas souci
D'être dignes de vous , en vivant de la sorte.
Que vous servent nos fleurs et nos hymnes ? Qu'importe
De nous enorgueillir de la Crète - à- Pierrot ;
De vanter le passé ; de vanter , le front haut,
Vertières , Haut- du - Cap , la Ravine - à - Couleuvre ,
De bénir nos aïeux , d'aimer , d'exalter l'œuvre
Que cent siècles épris exalteront encor ?
Qu'importe tout cela , si notre âme s'endort
Au gré des passions , si notre foi sommeille ,
Si dans nos cieux s'éteint notre étoile vermeille ?
Qu'importe enfin de faire onduler , fier et beau,
Sur nos fronts le drapeau rouge et bleu , ce drapeau
Qui vit nos rédempteurs animer leurs pensées
Sublimes ,... et qui voit nos guerres insensées ! ...
Oui, qu'importe cela , si , pour de vains honneurs ,
Nous , fils de ces héros , nous dépouillons nos cœurs
De leur titre immortel , du sceau de leur noblesse ,
De ces côtés sacrés que nul affront ne blesse ?

Oh ! pensons-y donc bien : vaine tant de fierté ,


Vain notre amour du Droit et de la Liberté ,

Si la sagesse en nous n'infiltre pas sa sève,


Si l'union pour nous est tellement un rêve ,
Vision . 209

Que , devant l'étranger qui nous couvre d'affront,


Nous nous voyons contraints à courber notre front !
Non, le tout, ce n'est pas de bénir nos ancêtres ;
De sentir, à leurs noms , s'émouvoir tous nos êtres ;
De faire flamboyer le drapeau rouge et bleu ;
Mais c'est de nous unir sous le regard de Dieu ,
C'est d'aimer le Travail , de chercher la Lumière ;
D'avoir le front bien haut ayant l'âme bien fière !
Le tout, c'est de braver les sarcasmes jaloux ,
Pour faire évoluer notre race avec nous ! ...

Or, voyez , maintenant, pères , soyez moins tristes ,


Nous voulons abdiquer nos instincts égoïstes ,
Absoudre nos erreurs , nous pardonner nos torts ;
Nos cœurs sont épurés déjà par le remords ;
Il y germe déjà de plus nobles pensées
Que ce cruel amour des guerres insensées .
Oh ! ne gémissez plus : pères , voici le jour
Où nous aurons la paix , le travail et l'amour .

12.
210 Poésies Nationales .

PAROLES D'UN CROYANT

A M. J.-B. Doreelly Étienne,


Vice-Président du Tribunal de Cassation .

NCORE à toi , toujours à toi , sainte Patrie,


ENGO le premier objet de mon culte sacré ! ...
Et tandis que plus d'un jette la raillerie ,
En te voyant souffrir , moi , je te bénirai .

Encore à toi , toujours à toi , ― que l'on renie !


Oh! ton plus chaste amour dans mon âme est ancré :
Aussi , dans tes douleurs , dans ta lente agonie ,
Sans me lasser jamais , je te consolerai .

Encore à toi, toujours à toi !... Mère , quand s'ouvre


Ton cœur toujours aimant et toujours ulcéré ,
Soulevant le manteau de deuil qui te recouvre ,

A tes deux pieds sanglants , je m'agenouillerai .


Paroles d'un Croyant. 211

Encore à toi , toujours à toi ! ... Mère , que d'autres


Laissent s'éteindre en eux le flambeau de la foi :
Allant sans défaillir parmi tous ces apôtres
Qui te font l'avenir , j'aurai ma place, moi .

Je lutterai pour toi parce que tu veux vivre ,


Abjurer le passé , sans retard , sans regrets ,
Étancher dans la source où tout peuple s'enivre
Ta soif de liberté , de travail , de progrès ;

Parce que tu subis trop d'angoisse et de honte ,


Pour n'être pas aimé , compris , idolâtré ,
O mon humble Pays ! ... Aussi , tandis que monte
Le flot des contempteurs , moi , je te chanterai .

Moi , je te chanterai , malgré les cris sceptiques .


Tes malheurs grandissant , je sens ma foi grandir ;
Et je tente d'ouvrir , par mes notes épiques ,
Ton âme vaste entière à l'immense avenir !

Souffre, ômon cher Pays ! mais grandis , mais espère !


Qu'un sort toujours cruel ne soit pas ton vainqueur .
Prends la coupe , et bois - en jusqu'à la lie amère ;
Mais haut dans l'infini laisse planer ton cœur.
212 Poésies Nationales .

Souffrir pour s'élever ; garder ses espérances ;


Prendre un plus large essor au plus fort de ses transes :
Oh ! Dieu bénit celui qui sait grandir ainsi !
Un peuple ne meurt pas quand il a pour souci
Le culte de l'honneur , quand il a pour boussole
La foi qui raffermit, qui ravive et console ;
Lorsque , dans l'avenir , il fixe , qui reluit,
Le Progrès , tel un phare au milieu de la nuit.

***

Pour moi , je sens bondir d'aise mon âme entière ,


Quand je songe te voir , rayonnant de lumière ,
O mon humble Pays , t'en aller de l'avant !

Ne te lasse jamais de ton espoir fervent ;


Marche , et si tu faiblis , que cela te rappelle
Que plus le but est loin , plus la conquête est belle .
Marche ; ouvre l'horizon ; ne cesse de grandir ;
Sous ton ciel lumineux qu'on vienne t'applaudir .
Marche donc ; sous tes pieds vois la force brutale
Qui jadis t'outrageait, riait de te voir pâle,
Alors qu'elle t'osait menacer du canon .
Marche ; vois tous les noirs s'incliner à ton nom ;
Vois sous ton fier drapeau ma race qui s'enrôle ;
Vois l'Afrique renaître et reçois l'auréole
Paroles d'un Croyant . 213

De gloire dont le monde à genoux ceint ton front,


Couvrant de ses baisers tout vestige d'affront !

***

Et tout cela serait une pensée , un rêve !


En ces temps où la foi dans le progrès soulève
Comme un levier sacré , tu n'aurais pas aussi ,
Toi , notre culte , toi , notre plus cher souci ,
O mon humble Pays ! ... scrutant ta foi tenace,
Dieu , parmi les élus , n'eût pas créé ta place ! ...
Oh ! berce- moi , doux rêve! ômon rêve , prends corps !
Déroulez à mes yeux , ô féeriques décors ,
Éternel idéal où ma pensée aspire ,

Puis , au souffle puissant de la foi qui m'inspire ,


Soyez réalité ! ...
Non , je ne rêve point ;
Je sens que tu grandis , je vois l'astre qui point
Pour t'inonder bientôt de ses vives lumières !
Je te vois , Haïti , fière entre les plus fières ,
Répandre sous tes pas l'harmonie et la paix ,
Monter l'âpre sentier sans défaillir jamais ,
Aller toujours , hanter jusqu'aux plus hautes cimes ,
Et de tous les malheurs combler tous les abîmes...
214 Poésies Nationales .

Frère , qui que tu sois, si tu n'as pas un cœur


Que jamais n'épouvante aucun rire moqueur
Et que la foi nourrit , féconde de sa sève ,
Ne viens pas dans ma nuit effaroucher mon rêve .
Paroles d'un Croyant. 215

II

Or , en desjours meilleurs , lorsqu'après trop d'affront ,


L'avenir, souriant , viendra ceindre ton front
De sa dive auréole , oh ! rappelle - toi , Mère ,
Tous ces humbles enfants pour qui la lio amère
Se réserve aujourd'hui ; tous ceux - là dont le bras
Forme ton bouclier, ne les oublions pas .

Quand s'ameute sur toi la discorde inhumaine,


Lorsque, dans tes cités, hideuse , elle promène
Son cortège hideux , oh ! ce sont eux , toujours ,
Qui vont, qui luttent seuls , conquérant les beaux jours ,
Et, dans ton vaste cœur inoculant la vie ,
Meurent, quand tu le veux , où ta voix les convie .
La gloire , les honneurs , ne font pas leur souci ;
Car ils n'ont pas le droit d'y rêver , eux aussi ;
Car, refoulés dans l'ombre , ils laissent à nous autres
La région sereine et tous , obscurs apôtres
De ta cause éternelle , ils expirent pour toi ,
Sublimes d'héroïsme en leur naïve foi.
216 Poésies Nationales .

Or, pour tous ces héros que l'on traite en infâmes


Et qui sont les meilleurs de tes fils , pour ces âmes
Vierges de tout remords , pour ces grands incompris ,
Pour ces déshérités qui n'ont de nous , pour prix
De leur mort, que l'oubli , quand ce n'est pas l'insulte ,
Aie un immense amour , consacre - leur un culte
Que ne puisse effacer celui que tu nous rends ;
Sois grande , chaque jour , pour les rendre plus grands ;
Pour les rendre plus fiers , redresse -toi , sois fière ;
Emplis des flots de l'aube , éclos à la lumière
Leurs esprits tâtonnant aux sentiers épineux ;
Épanouis leurs cœurs ; répands , cultive en eux
Les préceptes du beau , les principes du juste ;
Sens que le rôle est grand ; crois que l'œuvre est auguste ;
Dis que c'est ton devoir et tu réussiras .
Et pour ces oubliés qui sont les moins ingrats
Et les moins obligés ; et pour ces cœurs que sèvre
La fortune, et qui vont , le rire sur la lèvre ,
Subissant trop souvent le sarcasme railleur ,
Oh ! Dieu rendra ton sort de jour en jour meilleur .
La Muse au Poète . 217

LA MUSE AU POÈTE

u formules en vain de belles théories

Pour tous ceux qu'on dédaigne et contre ceux qu'on craint ;


En vain , te cuirassant d'un courage d'airain ,
Tu saisis l'exploiteur et tu le pilories ;

En vain , puisant ta force en ton amour , tu cries


Contre les contempteurs du peuple souverain ,
Et, sur les factions restant toujours serein ,
Maudis leurs préjugés , braves leurs railleries .

Poète , en vain cela !... Je te dis ceci , moi :


Que, du peuple laissé sans mœurs et sans lumière ,
Croupissant dans l'erreur , empêtré dans l'ornière ,

Les puissants n'auront point souci . C'est une loi


De le mettre devant lorsqu'on tremble pour soi ,
Et, le péril passé, de le mettre derrière .

13
218 Poésies Nationales .

LE POÈTE A DIEU

A Patrie est en proie à son dernier martyre :


LAVO
Vois , mon Dieu ! sous les coups de ses fils elle expire !……
Pourtant je garde encor ma foi ;
Et tandis qu'en mon cœur le désespoir me crie
Que vains sont nos efforts , que morte est la Patrie ,
J'espère encor , toujours , en toi !

En toi la grande force et l'éternelle gloire !


En toi , qui , seul , mon Dieu ! peux donner la victoire
A la mère sur les enfants !
Oui , tu mettras un frein à nos guerres civiles ,
En faisantrayonner dans nos champs , dans nos villes
La Paix et l'Amour triomphants !

Car , voulant , avec nous , que , belles dans leur gloire ,


Dans sa fille Haïti vive la race noire,
Tu les béniras toutes deux ;
Le Poète à Dieu . 219

Tu les arracheras aux fréquentes étreintes.


De ceux qui , malgré tout : leurs prières , leurs plaintes
S'érigent en bourreaux hideux !

A tous ces insensés qui surgissent contre elles ,


Aiguisant le poignard des passions cruelles ,
Seul , mon Dieu , tu t'opposeras !
Seul , tu feras gémir dans leur géhenne sombre ,
Spectres hagards livrés à des remords sans nombre ,
Tous ces forts et tous ces ingrats !

Parle , toi-même , Dieu ! Livre à leur conscience


Ceux qui bravent ainsi ta sainte patience :
Fais-les obéir à tes lois !
Qu'en voyant la Patrie à ce point abaissée ,
Ils sentent tout l'enfer au fond de leur pensée ,
Ils réprouvent leurs vils exploits !

Car nous ne gardons plus , au milieu de ces guerres


Exécrables , l'espoir de désarmer nos frères
En leur prêchant toujours la paix ;
Notre voix ne peut rien dans la lutte sauvage
Où le cynisme aveugle est surnommé courage ,
Où l'on sourit à des forfaits !
220 Poésies Nationales .

Eh bien , parle pour nous ; brise la coupe amère ;


Fais entendre ta voix , ressuscite la mère
Déjà couchée en son linceul .
Notre espoir est brisé , notre force est finie ;
Mais ce que ne peut pas l'amour ou le génie ,
Tu le pourras, mon Dieu , toi seul !
Evohé. 221

EVOHÉ

u t'en iras , guerre civile !


Bientôt, tu t'en repentiras ;
Voilant alors ta face vile ,
Tu t'en iras !

Car, avec toi , trop de misères ,


Trop de sinistres souvenirs ,
Trop de sang , de larmes amères ,
De vils désirs ! ...

Tu t'en iras , bientôt, quand même !


Pour te chasser , voici le jour !
Et pour te couvrir d'anathème ,
Voici l'Amour !

Déjà le printemps se dévoile ,


Et déjà la moisson fleurit ;
Au ciel , déjà , reluit l'étoile ,
Et Dieu sourit.
222 Poésies Nationales .

Oh ! brise donc ta main traîtresse...


Regarde au loin et tu verras :
C'est le Progrès qui se redresse !
Tu t'en iras !

Déjà , la Haine qui bâillonne


Sent planer le nuage épais ;
La Liberté vient , qui rayonne
Avec la Paix !

Déjà, faisant vibrer sa lyre ,


Chante le barde, l'envoyé ;

Déjà la jeunesse en délire


Crie : « Evohé ! »>

Eh bien , va donc , ô guerre sombre !


Dérobe tes regards jaloux ;
Oui , sans retard , va dans ton ombre
Et laisse-nous !

Tu fuis enfin , guerre civile !


Tu souris encor, mais en vain !
Voilant alors ta face vile ,
Tu fuis enfin !
Evohé. 223

Et maintenant , toi que n'égale


Nulle en beauté , nulle en vertu ,
Chaste et radieuse Vestale ,
A nous sois -tu !

Puisqu'en ta sphère lumineuse


L'écho de nos voix retentit ,
Viens , à ton tour , et rends heureuse
Notre Haïti .

O douce Paix qui transfigures ,


Qui fais aimer , qui fais bénir ,
Viens dissiper les nuits obscures
Pour l'Avenir !

Que ta majesté souveraine ,


Changeant en hymnes nos sanglots ,
Nous fasse voir ta nef sercine
Rasant nos flots .

Puis , attentive à la cadence


De nos cœurs joyeux , triomphants ,
Ouvre ta corne d'abondance
Sur tes enfants .
224 Poésies Nationales .

APRÈS LA GUERRE

Sic vos non vobis fertis aratra ..


VIRG .

Tmaintenant c'est fait !... Défaillante , meurtrie ,


ses amours

Qu'elle rappelle en vain , regarde la Patrie


Arrachant de son cœur le poignard assassin .

Elle sourit encor , pourtant, l'humble immortelle !


Et posant tristement ses deux mains sur son cœur ;
Elle nous montre,à tous, que les vaincus ...c'est elle,
Car malgré la victoire il n'est point de vainqueur.

Oui , c'est elle dans toi , cher peuple , que la guerre


Pousse au bord de la tombe ; elle en ces laboureurs ,
Elle en ces artisans qu'on envoya naguère
Ranimer de leur sang nos antiques erreurs .
Après la Guerre . 225

Oui, car c'est toi qui gis sur le sol , pêle -mêle ,
Ici , là -bas , partout , en ces pauvres soldats ;
Car il n'est que toi seul qui souffriras , comme elle,
De la mort des martyrs tombés ici , là - bas ! ...

Te voilà maintenant ! Enfin , tu te crois libre ,


Car la guerre dit non ! car la mort crie : assez !
Car le canon est las de s'entendre qui vibre ;
Car Dieu lui-même est las de nous voir insensés !

Pourtant, tout n'est pas dit . Non , peuple, à la besogne .


Et de l'or , et des bras ! ... Travaille , bon enfant !
Lorsqu'on est de ta trempe il n'est pas bon qu'on grogne :
Or, sans plainte, debout ! et, sans trêve , en avant !

Tu peux souffrir l'oubli , quand ce n'est plus l'insulte ;


De l'astre qui te guide on peut ternir l'éclat ;
Tout ce dont tu veux faire un objet pour ton culte ,
On peut te le souiller ; mais qu'importe cela ,

Travaille !... ouvre du sol la mamelle féconde ;


Sous l'ardeur du soleil, nourris , de ta sueur ,
Tes champs incendiés où l'existence abonde .
De tes maîtres , vieux serf, sauvegarde l'honneur !
13.
226 Poésies Nationales .

Si , parfois , quelque joug infâme , tyrannique,


Te pèse, oh ! ne dis mot : le silence est la loi .
Entame le travail colossal , titanique ,
Que tu feras pour tous , hormis toujours pour toi .

Ton règne , n'est- ce pas ce règne qui consiste


A maintenir la paix sans avoir le repos ,
Jusqu'à l'heure où la voix d'une clique égoïste
T'aura fait rameuter sous leurs sanglants drapeaux ?

Or , jouis de ton règne et ne te lasses guères .


Ce que dix mois d'un choc horrible ont amassé ,
Pour toi , pour l'avenir , de deuils et de misères ,
Souffle sur tout cela ; disperse le passé .

A la besogne ! Va , bêche , sème , récolte ,


Encor, toujours , sans cesse , et menace de mort
Ceux-là que ton malheur impunément révolte ,
Et qui pour tant de soins veulent un meilleur sort .

Car, pourquoi t'inspirer la valeur de ton être?


Où trouve-t-on le droit de te défendre ainsi ?
N'est-il plus encor vrai que le ciel te fit naître
Pour être corvéable et taillable à merci ?
Après la Guerre. 227

Donc, àl'œuvre , sans mot, sans espoir , sans relâche !


Car la guerre a causé bien plus que tu ne crois ,
Car il n'est plus d'outils , et bien rude est la tâche
Il n'est plus de Simon , et bien lourde est la croix !

Car il faut de l'argent pour te fournir encore ,


Pour te donner toujours , des tambours , des clairons ,
Des fusils , des canons ! Enfle- toi donc , pécore !
Situ crèves , tant mieux pour les vils moucherons !

A l'œuvre , car il faut compter de grosses sommes


Aux amis dont ta balle effleura le drapeau ,
Pour ne pas les revoir , troublant ainsi tes sommes ,
.. ayant promis ta peau !
Braquer sur toi la foudre……

Car la Patrie est faible , elle est à moitié morte ;


Bon nombre de tes fils sont broyés sous l'airain ,
Laissant des orphelins et des veuves : qu'importe ,
Il faut recommencer , ô peuple souverain !

Tu recommenceras pour que , demain encore,


Sous le dégel de feux qu'on fait pleuvoir sur eux ,
Pourde vains préjugés qu'un nom pompeux décore,
On les pousse à la lutte , en rangs serrés , nombreux !
228 Poésies Nationales .

Pour que, demain encor , te rivant à leur clique ,


D'autres fassent , là- bas , miroiter l'avenir ,
Et clament sur les toits qu'avec leur politique
L'âge d'or va renaître et les maux vont finir !

Ainsi , toujours ainsi , pauvre peuple que livre


A de cruels destins un passé trop railleur ,
Jusqu'à ce que Dieu seul , voyant que tu veux vivre ,
Ayant pitié de toi , te donne un sort meilleur .
A Ceux qui pleurent. 229

A CEUX QUI PLEURENT

INFANT , dis -moi pourquoi tu pleures ,


E Pourquoi , front baissé , trop souvent ,

Tu ne veux plus couler les heures


Au sein de l'allégresse , enfant ?

Hélas ! j'ai vu passer la guerre


Semant l'horreur, sonnant le glas ;
Et depuis je n'ai plus de père.
Voilà pourquoi je pleure , hélas !

― .
Vieillard , qu'as-tu ? Quel être infâme
A mis en ton cœur son poignard ?
Quelle angoisse étreint donc ton âme ?
Oh ! dis-le moi , qu'as-tu , vieillard ?

Hélas ! j'ai vu passer la guerre


Semant l'horreur , sonnant le glas ;
230 Poésies Nationales .

Et mon fils est mort ―――――― ô misère !

Voilà pourquoi je pleure , hélas !

- Vierge au front pur , malgré tes charmes ,


Jamais un asire en ton azur !
Dans tes beaux yeux toujours des larmes !
Pourquoi cela , vierge au front pur ?

Hélas ! j'ai vu passer la guerre


Semant l'horreur , sonnant le glas ;
Et depuis je n'ai plus de frère .
Voilà pourquoi je pleure , hélas !

-Tu gémis aussi , toi , jeune homme ?


Crois-tu que ton ciel s'obscurcit ?
Sens-tu que le malheur t'assomme ?
Dis pourquoi tu gémis aussi ?

-Hélas ! j'ai vu passer la guerre


Semant l'horreur , sonnant le glas ;
Et depuis , plus d'ami sincère .
Voilà pourquoi je pleure , hélas !

- Et toi , pauvre cœur dont le voile


Trahit la profonde douleur ,
A Ceux qui pleurent . 231

Doux ciel , où donc est ton étoile ?


Fraîche oasis , où donc ta fleur ?

-- Hélas ! j'ai vu passer la guerr


e
Semant l'horreur , sonnant le glas ;
Et mon fils est mort..... Je fus mère!
Voilà pourquoi je pleure , hélas !

- Et toi ,
quel sarcasme t'abreuve ,
Jeune femme à l'œil attristé ?
De quoi ton âme est- elle veuve,
Malgré ton âge et ta beauté ?

―――― Hélas ! j'ai vu passer la guerre

Semant l'horreur , sonnant le glas ;


..
Et ce cher époux que naguère………
Assez ! assez ! ... Je pleure , hélas !

- Or , offrons nos larmes amères

Au Dieu qu'on adore à genoux :


Fils , sœurs , amis , veuves et frères ,
Tous , prions Dieu d'être avec nous
\ 232 Poésies Nationales .

"

HYMNE DE JOIE

OICI la lumière et la vie !


V°Voici le printemps et l'amour !

Voici la paix qui nous convie


A monter, monter, sans retour !

Ondulez dans l'espace , étendard bicolore !


Tonnez , canons ! roulez, tambours ! sonnez , clairons !
Saluez de vivats l'astre qui vient d'éclore ,
Et qui monte, serein, rayonnant sur nos fronts !

Voici la lumière et la vie !


Voici le printemps et l'amour !
Voici la paix qui nous convie
A monter , monter , sans retour !

Elle est vaincue enfin , l'hydre affreuse et jalouse !


Ayant frappé des cœurs pleins du souffle divin ;
Hymne de joie . 233

Ayant armé contre elle et la mère , et l'épouse ,


Par leurs vœux , par leurs pleurs , elle est vaincue enfin!

Voici la lumière et la vie !

Voici le printemps et l'amour !


Voici la paix qui nous convie
A monter, monter , sans retour !

Or , maintenant, chantons des hymnes d'espérance ;


Aux larmes trop longtemps nos cœurs sont condamnés ;
Vous tous qui possédez des droits à la vengeance ,
Au nom de la Patrie , abdiquez - les , venez !

Voici la lumière et la vie !

Voici le printemps et l'amour !


Voici la paix qui nous convie
A monter, monter , sans retour !

Venez et qu'en nos cœurs de plus grandes pensées ,


De plus doux sentiments , viennent s'épanouir ;
Venez et que nos voix trop longtemps oppressées
Fassent monter vers Dieu le chant du repentir .

Voici la lumière et la vie !

Voici le printemps et l'amour ! -


234 Poésies Nationales .

Voici la paix qui nous convie


A monter, monter, sans retour !

Et toi , peuple , défends que ta gloire défaille :


Aux préjugés honteux, clos ton cœur désormais ;
Lutte contre le mal ; crois , espère , travaille ;
Sois fort en grandissant , et grandis dans ta paix !

Voici la lumière et la vie !

Voici le printemps et l'amour !


Voici la paix qui nous convie
A monter, monter , sans retour !

Oui , voici tout cela . La terre refleurie


Nous convie au travail sous le regard de Dieu ;
Reprenons , achevons l'œuvre de la Patrie ;
Faisons flotter plus haut l'étendard rouge et bleu !

Voici la lumière et la vie !

Voici le printemps et l'amour !


Voici la paix qui nous convie
A monter, monter , sans retour !
A Celui qui vient . 235

A CELUI QUI VIENT

UI que tu sois qu'un peuple glorifie ,

Q Vers qui chacun désormais tend les bras ,


Tant que sur nous, ― - pour Dieu , -tu resteras ,
Pense , avant tout, à la sainte Patrie .

Déverse-lui des effluves de vie ;


Rends-la prospère en dépit des ingrats ;
Vers l'idéal , dont la voix nous convie,
Tourne ton cœur et tu réussiras .

Redonne-lui l'antique diadème ;


Fais luire encor ton radieux flambeau ;
Consacre un culte immense à son drapeau .

Qui que tu sois , vis ! que ton peuple t'aime !


Répands sur lui de précieux bienfaits ;
Sois fort, sois grand par le bien , dans la paix !
236 Poésies, Nationales .

A CELUI QUI EST

H ! prends garde , nocher,'qu'en ta course lointaine


0 La barque se fracasse en heurtant le rocher .
Évite le courant qui longtemps nous entraîne
Bien loin , trop loin du port... Oh ! prends garde , nocher !

Ne va pas sillonner quelque route incertaine ,


Car des flots en rumeur peuvent t'effaroucher ;
Car ces écueils sont là , - l'ambition , la haine , —
Hagards et menaçants ; ne va point les chercher .

Et puis , pour essayer d'abattre ton courage ,


A l'horizon , parfois , peut surgir le nuage
Des sombres passions , le vent des intérêts...

Oh ! ferme alors , nocher , pour que rien ne t'effare ;


Tiens la Loi - ta boussole _____ et regarde le phare
--
Lumineux , rayonnant, le phare du Progrès .
A la Patrie . 237

A LA PATRIE

´E t'ai vue au milieu de l'horrible mêlée ,


JETes beaux yeux presque éteints , ta robe maculée
Voulant désarmer tes enfants ;
Leur criant de s'aimer , de s'unir , de s'entendre ,
Jusqu'à briser ta voix mélodieuse et tendre
Sous de longs sanglots étouffants .

Je t'ai vue au milieu de tes misères , pâle ,


Et versant, cependant , à la Force brutale ,
Ton argent, ta sueur enfin ;
Subissant des plus forts l'arrogance insolente ,
Fléchissant sous leurs coups , indignée et tremblante
Leur opposant tes droits en vain .

Oui , je t'ai vue ainsi , seule , en proie à tes transes ;


Seule , n'ayant plus rien , n'ayant plus d'espérances ;
Prête à laisser ravir ta foi...
238 Poésies Nationales .

Mais sachant bien qu'en toi toute une race espère ,


J'ai dû te consoler , j'ai dû te crier : « Mère ,
A tes bourreaux demande-toi ! >>

Demande- toi ! renais ! plus de cris ! plus de larmes !


Fais que le monde entier savoure enfin tes charmes !
A toi la gloire et le bonheur !
Vois se réaliser tous ces vœux , tous ces rêves
Que ,chaquejour , les maux qui t'accablent sans trêves
Me font garder au fond du cœur !

Et j'ai parlé , - pauvre âme en la foule perdue . C


Ma voix peut, maintenant, n'être pas entendue ;
Mais pour remplir tout mon devoir,
J'irai partout , toujours , avec ces fiers apôtres
Quivonttoujours , partout, prêchant aux uns ,aux autres ,
L'amour, le travail et l'espoir .
A *** 239

A ***

Ls ne sont pas nombreux ceux-là qui , comme vous ,


Au plus fort du péril gardent leurs espérances ,
Relèvent le drapeau tombé , criblé de coups ,
Et parlent pour guérir de toutes les souffrances ;

Ils ne sont pas nombreux ceux - là qui , quel que soit


Le parti triomphant dont les hommes prospèrent ,
Vont toujours , ranimant sans cesse , autour de soi ,
Les cœurs qui n'aiment plus et qui se désespèrent ;

Ils ne sont pas nombreux ceux qui , vers l'Avenir ,


Quand tousdisent bien haut que le ciel est trop sombre
Et qu'ils ont peur d'aller ayant peur de souffrir ,
Vont encore , malgré des entraves sans nombre ;

Ceux qui gardent leur culte alors qu'on ne croit plus ;


Leur volonté, quand tout n'est plus qu'insouciance ;
240 Poésies Nationales .

Ceux qui , calmes toujours et toujours résolus ,


S'orientent vers Dieu , sans peur , sans défaillance .

Aussi , lorsqu'on rencontre un de ces vaillants -là


Quiluttentmalgré tout ; lorsqu'on trouve un athlète
De ceux qui n'ont pas peur de dire me voilà !
Et qu'au chemin du vrai nul obstacle n'arrête ;

Aussi , lorsqu'on rencontre un de ceux dont l'aspect


Cache ces sentiments que dans nous ils font naître ,
Devant lui l'on s'incline avec un doux respect,
Ainsi que, devant vous , moi je m'incline , Maitre .

Oui, Maitre , je m'incline humblement et vous suis.


Sous l'étendard du Bien , comme vousje m'enrôle ;
Et si je dois jamais être plus que je suis ,
Oh ! ce ne sera point en abdiquant mon rôle .

Lorsque les passions ont secoué leur mors.


Et que des clans armés la patrie est victime ,
Lorsque la Liberté se proscrit sans remords ;
Quand laJustice est là , tremblante , au pied du crime ;
A *** 241

Oh ! pour ne pas revoir tant d'autels profanés ,


Tant de fronts innocents flétris par les assises ,
J'accourrai, ranimant les cœurs abandonnés ,
Tirant de leur torpeur les âmes indécises .

Comme vous , avec vous , je dirai qu'on ne peut


Proscrire la vertu , bâillonner la Pensée ;
Je dirai qu'être grand , être fort , c'est bien peu
Si par la haine impie on a l'âme oppressée...

Car c'est juste d'aller prodiguer vos rayons ,


Soleil , dans l'ombre épaisse où croupit l'ignorance ;
Car c'est juste d'aller arrachant ses haillons
A l'Erreur qui s'agite en son antre , Espérance !

Or , Maître , je m'incline humblement et vous suis .


Sous l'étendard du Bien , comme vous , je m'enrôle ;
Et si je dois jamais être plus que je suis ,
Oh ! ce ne sera point en abdiquant mon rôle .

14
212 Poésies Nationales .

A DOM PEDRO II

ANDIS que contre toi ton peuple se soulève ,


TAEt te verse l'outrage , et te voudrait la mort ;

Tandis que , conspué , persécuté , sans trêve ,


Tu vois de ton pouvoir se briser le ressort ;

Que, tel le chêne altier, qui sent couler sa sève ,


Et voit l'essaim des nids reprendre leur essor,
Tu t'affliges de voir s'évanouir le rêve
Dont ton cœur se berçait gaîment , hier encor ;

A tes pieds , dom Pedro , vois : un noir se prosterne ,


Un noir qui , de tes maux , comme toi , se consterne ;
Un noir qui veutt'aimer , quand même,jusqu'au bout.

Car il se souvient, lui , que méprisant la haine ,


N'écoutant que ton cœur, seul , tu brisas la chaîne
Des nègres du Brésil , et leur crias : debout !
Devant une Tombe . 243

DEVANT UNE TOMBE

A. H. P.

IÈRE devise : « Dieu , ma Patrie et ma Race ! »


Trois cultes éternels que j'aime plus que moi,
Pour lesquels tout mon cœur n'a pas assez de place,
N'a pas assez d'amour , n'a pas assez de foi ! ...

Où que dût s'exercer ta magnanime audace ,


Je crois que ta devise était sereine en toi ;
Que c'est pour lui donner l'éclat le plus vivace ,
Que tu tombas si fier , ayant marché si droit .

O brave , jusqu'au jour , que j'invoque sans trêves ,


Où tous viendront s'unir , se confondre en ces rêves ,
En ces vœux immortels qui t'ont bercé le cœur,

Sous l'humble mausolée où tu dors seul , — vainqueur ,


Pour ta chère Haïti qu'à la honte on destine ,
Oh ! comprime l'essor de la guerre intestine .
244 Poésies Nationales .

AU CIMETIÈRE

EUL , naguère , j'errais en ce lieu de prière


S Et de puiss, et , pensif, regardais cette pierre ,
Et relisais ce nom précédé de : « ci - gît. »
Mon cœur en fut ému, mais je n'ai pas agi.
Pourtant l'herbe croissait autour , la sorosille
Qui sur les oubliés s'enroule , s'entortille ,
Croissait infiniment sur le marbre moisi.

Voilà que maintenant il n'en est plus ainsi :

Plus de halliers , le marbre est blanc , la tombe est belle ;


Plus d'un passant sourit d'orgueil , s'il se rappelle
Que ce nom est celui , 4-4 non pas d'un vil tyran
Mais d'un héros sans pair, et qu'il veut dire : Grand.

Or, béni sois -tu donc , frère à qui nul ne pense


Peut-être, et qui , n'ayant nulle autre récompense
Qu'un sourire du cœur , as fait ainsi , sans bruit,
Au Cimetière . 245

Ce que , jusqu'aux derniers , un peuple devait faire .


Or, béni sois -tu donc, toi que l'amour conduit
En ces lieux , seul , pour tous . Sans doute , de la sphère
Où ses yeux indignés pleurent déjà sur nous ,
Le héros délaissé te voyant à genoux
Relevant notre front en relevant sa tombe ,

A moins eu de mépris pour ce peuple qui tombe


Et si vite , et si bas, qu'il consacre à l'oubli
Ceux dont la gloire , aux yeux du monde , l'ennoblit ;
Pour ce peuple qui semble , ici , sous ces ruines ,
Étouffer , comprimer , l'ombre de Dessalines .

14.
246 Poésies Nationales

LE PREMIER MAI

oici le premier mai . L'autel de la Patrie ,


VOIC
Enguirlandé de fleurs , ceint de longs oripeaux,
Rayonne ; un jour charmant glisse sur la prairie ;
Le soleil est plus doux et les cieux sont plus beaux .

Dès l'aube, sillonnant les plateaux ou les vaux ,


Le long sentier pierreux ou la route fleurie ,
Ses prémices en main , fier dans ses airs nouveaux ,
L'homme des champs descend compléter la féerie.

Et l'on fête ; et plus d'un éloquemment raisonne


Sur la paix, le travail , oubliant que, souvent ,
Plus les discours sontbeaux , moins la récolte est bonne.

Et lui , le paysan , brandit , tout triomphant ,


Sa tige de cafier , de maïs ou de canne...
Il compte sans la guerre , et la guerre ricane .
A un Exilé . 247

A UN EXILÉ

ORSQUE , le soir , au coin de l'âtre qui pétille ,


L Vous songez au pays absent, à la famille ,

Oh ! je voudrais savoir ce qui se passe en vous ;


L'essaim des souvenirs dans votre esprit bourdonne
Et, pourvous croire heureux , vous ne trouvez personne
Avec qui partager tant de pensers si doux .

Vous êtes seul, en proie aux plus tristes alarmes ;


Vous êtes seul, pleurant, buvant toutes vos larmes ,
Et froissant dans vos mains le pain de l'étranger ;
Et vous laissez couler bien des larmes amères

Surce pain , n'ayant pas des cours à vous , des frères


De la même maison , nul pour le partager !

Alors -- oh ! dites -moi quelle sombre pensée


Traverse votre esprit ! En votre âme oppressée ,
Exilé , que de deuils , que d'amertume , hélas !
248 Poésies Nationales .

Avoir une patrie et soupirer loin d'elle !


N'ayant pas près de soi même un ami fidèle,
Vers lequel se pencher, alors qu'on est bien las !...

Vous invoquez alors les délices passées ;


Alors un infini de riantes pensées
Au vent des souvenirs se déroule à vos yeux ;
Et si , dans votre cœur, les douleurs , les souffrances ,
N'ont pas éteint la foi , de douces espérances
Y reluisent soudain , - étoiles d'or aux cieux .

Alors , de votre vie échelonnant l'histoire ,


Vous revoyez l'amour , vous revoyez la gloire ,
Et les fleurs , et les jeux , et le bonheur enfin ;
Alors vous animez vos lèvres d'un sourire ,
Et l'étranger joyeux passe et vous entend dire
Comment fut ce passé que vous pleurez en vain ...

Ah ! l'exil est bien dur ! Lorsque tout vous appelle


Et vous tend les deux bras , comme un enfant rebelle ,
Vous entendez ces cris et vous ne venez pas ;
Et loin d'une famille en sanglots , qui vous aime ,
Et loin de la Patrie , en dépit de vous - même ,
Sur le sol étranger , seul , vous portez vos pas .
A un Chêne séculaire . 249

A UN CHÊNE SÉCULAIRE

A mon ami Alfred Jean.

ALUT , vieux chêne au port superbe ,


antique aux échos bruyants ,
Dont les nids redisent le verbe
Dans les longs rameaux verdoyants !

Puisque ta tête encor sereine ,


Par des signes mystérieux ,
Me dit qu'elle est contemporaine
De tous les géants nos aïeux ,

Tu sais qu'il en est mort , sans doute ,


Héros obscurs , qu'on doit bénir ,
Dont le sang a marqué la route
La plus certaine à l'Avenir ?
250 Poésies Nationales .

Ils avaient comme toi , vieux chêne ,


Mille blessures à leurs flancs ;
Comme toi leur tête sereine

Se dressait pour braver les vents .

Comme toi, géant centenaire ,


Ils avaient parfois des sanglots ,
Mais ils souriaient au tonnerre
Et luttaient fort contre les flots .

Ah ! s'ils savaient quelle épopée


Leur martyre allait nous tracer !
Que, dans leur sang , longtemps trempée ,
Leur race allait se redresser !

S'ils savaient combien grandiose


Leur gloire ! s'ils savaient enfin
Qu'aux splendeurs de l'apothéose
Aspirait leur essor divin !

Dis , sur ta jeune et verte écorce,


Aux longs éclairs de leurs canons ,
Ces titans tueurs de la force
N'auraient-ils pas gravé leurs noms ?...
A un Chêne séculaire . 251

Mais non , qu'importait donc l'Histoire ?


Qu'importait l'immortalité ?
Ils ne luttaient pas pour la gloire ,
Ils luttaient pour la liberté !

Oui , lorsque le groupe farouche


Donnait l'élan sublime aux cœurs ;

Lorsqu'à la dernière cartouche ,



Ils passaient , ― martyrs ou vainqueurs ,

C'est ce nom que soufflaient leurs âmes ,


Et qui vibrait comme un serment ,
Qui poussait sous les oriflammes
Comme un long cri de ralliement !...

Ah ! comme eux, -- je te le souhaite , -


-
Renais , grandis , croîs chaque jour ,
Et vois se redresser ta tête
Dans tous les chênes d'alentour !

En un siècle , en un siècle encore ,


Quand ces chênes , comptant tes jours ,
252 Poésies Nationales .

Rediront ta chanson sonore ,

Tu vivras , tu vivras toujours .

Lorsqu'un jour , bien prochain peut-être ,


Jaloux de son canot léger ,
Sur la mer houleuse, un vieux maître
Voguera, narguant le danger ;

Il ne se doutera pas certe ,


Que tu fus ce chêne aux longs bras ,
A la tête de nids couverte ,

Mais que t'importe , tu vivras !

Tes rejetons au cœur vivace


Auront sans cesse , en leur fierté,
Ton souvenir dont rien n'efface
L'auréole de majesté .

Tu vivras , heureux de leur rêve ,


Fort sous leur aspect alangui,
Malgré ce que leur prend de sève
La gent oublieuse du gui .

Et si la lutte est impossible ,


Un jour , contre les coups de vent ,
A un Chêne séculaire. 253

Dans cette pléiade înfiexible


Renaissant alors plus vivant,

Te montrant enfin plus sublime ,


Tandis qu'avec de vils roseaux ,
Des pins que l'Égoïsme anime
Riront de tes derniers assauts ,

Tu crouleras , toi , dans ta gloire ;


Et l'éternel écho des nids
Retentira de ton histoire ,

O vieux chêne que je bénis !

15
254 Poésies Nationales .

AUX MERES DE FAMILLE

ÈRES , votre œuvre est grande à cette heure qui sonne ,


ME
Les plus vils préjugés ,ligués contre nos cœurs,
Tous les ressentiments , n'ayant contre eux personne ,
Se redressent fiévreux , certains d'être vainqueurs !

Faites-nous donc des fils dont tout l'être frissonne


Aux défis outrageants , aux sarcasmes moqueurs ;
O mères, faites - nous des cœurs en qui résonne
Toujours la grande voix de la Patrie en pleurs .

Car vous pouvez souffler la vie à notre rêve ;


Car vous êtes le tronc , et c'est de votre sève
Que dépend la verdeur , la force des rameaux .

Venez donc ; aidez-nous ; pour prévenir les maux


Qu'ameutent sous leurs pas nos passions brutales ,
Veillez en nous le feu sacré , mères - vestales .
Coup de Clairon . 255

COUP DE CLAIRON

ENTINELLE avancée , écoutez et veillez...


qui dans la plaine arrive !
Garde à vous , sentinelle ! Encor plus haut criez :
Qui vive!

Qui vive ?...-Entendez -vous de sourds accents là-bas ?


Écoutez ...Lui toujours qui vient battant la charge!...
Le passé qui revient et qui hâte ses pas !...
Au large !

Au large ce passé dont l'amer souvenir


Trouble encor nos esprits ! Que chacun lui riposte
Par un hymne d'amour qui dise à l'Avenir :
Au poste !
256 Poésies Nationales .

Au poste l'Avenir ! Comme aux vils intérêts ,


Aux préjugés impurs qu'il dérobe son arche ;
Qu'il nous crie , en ouvrant l'horizon du Progrès :
En marche !

En marche ! en avant tous ! élevons haut nos cœurs !


Portons haut le drapeau ! Que nul, nul ne sommeille !
Faisons guerre à la guerre et nous serons vainqueurs :
Dieu veille !
Aux Enfants . 257

AUX ENFANTS

INFANTS , vous aimeriez ardemment la Patrie ;


vous feriez les vœux les plus fervents,

Vous garderiez un culte exempt de raillerie ,


Grand , infiniment grand ... si vous saviez , enfants !

Si vous saviez, enfants ! ce que l'on sent de joie


A l'aimer d'un amour infini , trois fois saint,
A la choyer, ainsi qu'on adore et qu'on choie
La femme dont on vient, dont on a pris le sein !

Enfants, si vous saviez quel bonheur on éprouve


A travailler pour elle, et toujours , quel que soit
Le sort qu'elle vous fait; quel que soit ce qu'on trouve
De doutes acharnés , implacables , en soi .

A sentir qu'elle marche et qu'on marche avec elle ;


A défrayer sa route ; à suivre tous ses pas ,
258 Poésies Nationales .

Comme on suit son amour ; à la voir fière , belle


Dans sa marche infinie ! ...Oh ! vous ne savez pas !

Non, vous ne savez pas quelle douce pensée


Est celle consacrée à sa gloire , à son nom ;
Combien tout s'assombrit lorsque s'est effacée
La douce illusion de sa splendeur ; ... oh ! non,

Vous n'imaginez pas ce transport qu'on éprouve


Lorsqu'au contraire, on voit s'épanouir , enfin ,
Un seul de ces pensers , de ces espoirs qu'on couve
Si longtemps quelquefois , et si souvent en vain ; ...

Lorsque le cœur , joyeux , plonge dans ce doux rêve


Où sourit la Patrie , où l'on sent , quelquefois ,
Que jusqu'à sa hauteur doucement l'on s'élève ,
Bercé par l'harmonie exquise de sa voix ;

Lorsqu'enfin inondé d'une clarté divine ,


Offrant à ses coups d'aile un immense horizon ,
Cet amour monte encor jusqu'où rien ne confine ,
Jusqu'au culte éternel où se perd la raison !

Non , vous ne savez pas , enfants , de quoi nous grise ,


De quoi nous éblouit tant de noble souci ;
Aux Enfants. 259

Tout ce que la Patrie offre de joie exquise ,


D'expansion secrète, au cœur qui l'aime ainsi ;

A tout cœur généreux qui lui crée une sphère


Où le monde la voit, la contemple d'en bas;
Où Dieu même , d'en haut, se penche et daigne faire
Tomber des fleurs , briller des astres sous ses pas …
..

Et vous ne le saurez , demain , que si vos âmes


Gardent toujours leur culte avec des soins fervents ,
Résistent constamment aux passions infâmes ,
Et n'ont pour idéal que la Patrie , enfants !
260 Poésies Nationales .

L'ÉVEIL

A mon Ami Mac-Donald Alexandre .

Timeo Danaos...

Es voilà, tenaillés par leurs désirs tenaces !


L Ils parlent de venir nous outrager encor ,
De nous faire céder quand même à leurs menaces ,
Et de nous dépouiller , bientôt , de tout notre or !

Ils rêvent, ces puissants, de faire table rase


-
De nos droits , d'imposer , — à l'aide du canon , —
Leur seule volonté de garder la Navase ,
Et de tenter bien pis si nous leur disons : Non !

Ils s'avisent , enfin , d'avoir : les uns , le Môle ;


Les autres , la Tortue ; et les autres enfin ……
.
Que sais-je ?... oubliant , tous , que la haine s'immole ,
Que l'union renaît, quand le danger survient !
L'Éveil. 261

****

Et lorsque , dans la foule , une voix passe et crie :


« Caveant consules ! frères , j'entends des pas !
Veillons sur le drapeau ! veillons sur la Patrie ! »>
On la nomme alarmiste et l'on n'écoute pas !...

Oui , si quelqu'un , scrutant de perverses pensées ,


Embouche le clairon et sonne le réveil ,
On demande pourquoi ces rumeurs insensées ,
Pourquoi l'ombre vient - elle offusquer le soleil !……
.

Pourquoi ???qu'a-t- on besoin , chaquejour , de le dire?


N'a-t-on plus souvenance ? Aurait- on oublié
Combien de fois ces forts , jaloux de nous détruire ,
Sont venus nous choquer , sans raison , sans pitié ?...

Pourquoi ?? C'est que , devant une inique furie ,


On ne peut de ses droits se montrer trop jaloux ;
On ne peut trop crier quand dans la bergerie
De timides pasteurs laissent glisser les loups !...

Pourquoi ? C'est qu'on a vu de ces âmes serviles ,


Qui , ne se pavanant qu'en leur peau d'étranger ,
Ont soufflé leur venin dans nos guerres civiles
Et nous ont insultés à l'heure du danger ;
15.
262 Poésies Nationales .

C'est qu'on en a bien vu te clouer des épines ,


Te ternir chaque fois qu'à leurs yeux tu brillas ,
Et s'en aller , après , tout chargés de rapines ,
Ne voyant plus en nous que de vils parias ;

C'est qu'on en abien vu , que nous saoulions naguère ,


Se réveiller parfois , au jour du lendemain ,
Ne laissant jusqu'au fond rien que la lie amère,
Et rire , en nous voyant la coupe dans la main ;

C'est qu'on en a trop vu ! ... Cette clique farouche


De maîtres de chez nous qui sont chez eux valets ,

C'estpour telamontrer que, malgré tout ,j'embouche


Le clairon, ô patrie , et te redis : Crains-les !

Crains-les tous tant qu'ils sont , ô Mère encor meurtrie !


Crains-les dans leurs conseils , crains-les dans leurs présents;
Car c'est pour les avoir trop écoutés , Patrie ,
Que tu n'as point vécu tes quatre -vingt- six ans !

Crains -les !... et si , malgré ton extrême prudence ,


Malgré ce que tu fais pour grandir sans remords ,
Ils venaient se heurter à ton indépendance ;
Oh ! redresse - toi donc , lève -toi donc alors !
L'Éveil . 263

Et quitte à te sentir la balle meurtrière


Aux flancs , secoue alors ton sommeil de lion ;
Au flair du vieux chasseur hérisse ta crinière ;
Rugis , toi -même aussi ; prétends au talion !

Prouve enfin qu'en cédant à des lois rigoureuses ,


Lorsqu'avec toi , jadis , on faisait l'exigeant ,
C'est avec le mépris des âmes généreuses ,
Et non avec la peur , que tu crachais l'argent !
264 Poésies Nationales .

II

Non , non, je ne suis point l'apôtre de la haine ;


Je n'ai point clos mon cœur au cœur de l'étranger ;
Mais tel le nautonier , quand la mer se déchaîne ,
Je monte à la vigie et préviens le danger.

On ne peut m'en blâmer ; on ne peut me défendre


De vouloir , jusqu'au bout , accomplir mon devoir ;
De crier à tous ceux qui voudraient nous pourfendre
Que, malgré biendes maux , nous sommes pleins d'espoir .

Et ce cri , que souvent accompagne une larme ,


Loin d'être un vain défi qu'un vain orgueil conçoit,
Un appel à la haine , un murmure d'alarme ,
Est un serment pour tous contre qui que ce soit .

Et c'est pour être sûr que je n'émeus personne ,


Qu'en dépit de mes voeux le mal reste debout ;
C'est pour être bien sûr qu'en vain mon cri résonne ,
Que mon cœur se dilate à le lancer partout.
L'Éveil . 265

Frères , pensons-y bien : nous sommes l'Espérance !


Auxyeux du monde entier restons fiers , soyons droits
Pas plus qu'à l'Amérique et pas plus qu'à la France ,
Ne cédons à personne un pouce de nos droits !

Veillons sur le drapeau ! veillons sur la Patrie !


Un monde doit revivre en nous ―― pensons-y bien !
Notre race inquiète , impunément flétrie ,
En notre humble Haïti veut aussi son soutien .

Or , ne permettons pas que notre foi défaille ;


Or, pas de protecteur ; d'où qu'il vienne : merci !
Faisons - nous de nous seuls ! Crois , lutte, aime , travaille ,
O mon peuple ! et demain nous aurons réussi !
************

ADIEU

ON livre , élance -toi dans l'arène , et combats .


Μ N'écoute point ceux -là qu'étonne ton audace ,
Sans morgue , pour l'honneur du Pays , prends ta place,
O mon livre , parmi les plus vaillants soldats .

T'armant de vérités , et ta foi pour cuirasse ,


Plonge dans la mêlée , et ne recule pas ;
Et qu'il tombe d'en haut où qu'il monte d'en bas ,
A travers tout va -t'en , sans jamais crier grâce .

Oui , c'est ce que je rêve , oui , c'est ce que je veux :


Que, pour les démasquer , tu traînes aux cheveux
Les erreurs piétinant la mère endolorie ;

Que tu montres que rien n'est encore perdu ,


Et que tu sois enfin le clairon éperdu
Soufflant dans tous les coeurs l'âme de la Patrie !
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES

Pages .
PRÉFACE . 11
Le Départ . 29
INTRODUCTION. 33
Dédicace.. 41
Sapeur . 43

LIVRE I

Complaintes d'Esclave . 49
Martyre. → 53
Le Supplice du Noir. · 60
Toussaint-Messie. • 65
Le premier Cri. 70
Vertières. 73
Vision.. 82
Le premier Janvier . 84
Exultation. 85
Rêve et Allégorie. 92
272 Table des Matières.

Pages.
A Toussaint-Louverture.. 94
A Pétion.. 95
A Christophe . 96
Une Voix sur le Pont-Rouge. 97
Sa Tombe .. 100
Notre Devise . 101
Devant le Panthéon démoli • • • 104
La Voix de l'Avenir. • 105
A mon Pays... 107

LIVRE II

A Oswald Durand . • 111


A Geffrard... 112
Encore Eux. . 116
Souvenir.. 119
Yankisme.. 124
Plus ultra . 128
Cauchemar. 129
Vœu. 134
Au Venezuela. 135
A un Français . 136

LIVRE III

Haïti. 145
L'Alarme.. 148
Guerre civile . 151
Table des Matières . 273

Pages.
Réflexions. .• 155
Soupirs. 165
Consolations 168
Évolution · · 172
Union !. 176
Couvre-Feu . 178
Sous le Drapeau. 181
A la Paix.. · 183
A A*** . 187
L'Ordre du Jour. 189
Væ Victis.. • 193
Défaillance . 196
Ferrea Vox. · 198
Rancœur. · 203
Vision . · 206
Paroles d'un Croyant.. 210
La Muse au Poète.. 217
Le Poète à Dieu . 218
Evohé. • · 221
Après la Guerre . 224
A ceux qui pleurent. · 229
Hymne de Joie. · · 232
A celui qui vient. · 235
A celui qui est. • 236
A la Patrie. · 237
A*** • 239
A Dom Pedro II. • 242
Devant une Tombe . 243
274 Table des Matières .

Pages .
Au Cimetière . · 244
Le premier Mai.. 246
A un Exilé. · 247
A un Chêne séculaire . 249
Aux Mères de famille. 254
Coup de Clairon . · 255
Aux Enfants . . • 257
L'Éveil . • 260
Adieu. 267

PARIS . IMP. V. GOUPY ET JOURDAN , RUE DE RENNES. 71


1

Vous aimerez peut-être aussi