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Rousseau, Jean-Jacques (1712-1778). J.-J. Rousseau. Du Contrat social, ou Principes de droit politique. [Précédé d'une Notice sur J.-J.

Rousseau, par N. David.]. 1894.

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NATIONALE.
BIBLIOTHÈQUE*
DES
MEIIXBDRS
COMJCCTIOX ANCIEN»
AOTEU,RSKT
MODInNH

J.-J. IlOUSSEAU

vo

CONTRAT SOCIAL
ou

PRINCIPESDU DROITPOLITIQUE
Ftcdcrli
joq&M
Dicamus
lcgea.

PARIS 1 8 £
\
DEU BIBLIOTHÈQUE
L1BRA1RIK XATIOXttï
f ASSAGEMONTESQUIEU (ilUEMONTESQUIEU)
Prés/e Patais-ltoyal
. - 1894
• >• Tousdrollsréservés
r NOTICE
.. in ....

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Nousn'avons,&proposdecesquelquesnotes
sur l'illustrephilosophede Genève,ni l'inten-
tionnt la prétentiond'entrerdansces minu-
tieuxdétailsbiographiques quirallientle plus
ordinairement deslecteursvulgai-
les suffrages
res, et qui, à nos yeux,nesontque la menue
monnaiede l'histoire.Loindenouségalement
l'outrecuidantepensée de Juger un grand
hommeaveclecritériumde noslumièresmo-
dernes,de le rapetisser à noscourtesvuesou
de le grandirau delàd'unesagemesure.Ces
sortesde besognesnous inspirentun profond
mépris, et nousne voyonspas cequepeutga-
la postéritéà essayer de marchander
gner auxêtressurhumains sanssoucide la
gloire qui,
leurscontemporains et en vuedecettemême
postérité, ontprodiguéle pluspur deleurame
et de leurgénie. Enfilsreconnaissautset res-
nousrecueillonsl'héritagedecedix*
uitièmesiècledontlionsavonsledevoird'ap*
Îectueux,
~. 6 —
pllvjuerles doclriuestles hommessupérieurs
qu'il a produits ont amplement accompli leur
tachei faisonsen sortequ'ellenedeviennepas
inféconde entrenosmainsdébiles.
En ce tempsde défaillances do toutesorte,
il est bonde rasséréner lesespritspar la lec-
tured'eeuvres crééesenvueduprogrèsindéfini
de l'humanité,et nouspensonsque,dansceï
ordred'idées,nulne sauraitcontester&J.-J.
Rousseau la gloired'avoircontribuéplus qua
personneà l'extensionde ce progrès.Si les
préjugés,lessuperstitions, les iniquitéscom-
misessurles plushautsdegrésdel'échelleso-
ciale,ontpu tomberun instantsousla hache
desdémolisseurs inspirés quivoulaientrecons-
truire à nouveauun édificelézardé,devenu
impropreà abriterceux qui s'y réfugiaient,
essayonsde ressaisirces armesde héroset
deles promèneratraversles foulespourque
celles-cipuissentmieuxJugerde la nécessité
d'en forgerà leurtoureu vuedel'aweDir des
générations au berceau.
Nousn'ignorons pas qu'ilestdemodeaujour-
d'huidedéclarervieillieslesdoctrinesdu col-
laborateurde VEncyclopédie, de l'auteurdu
Contrat socialet desLettresde ta montagne. Le.
premierqui ait définice quepouvaitdevenir
l'économie politiquesi singulièrement comprise
et exploitée dansla suite,n'est,plus,auxyeux
du bourgeoisisme constitutionnel et anglomane
du dix-neuvième siècle,qu'unrêveurauxidées
confuses et contradictoires,qu'unassembleur do
ouages,qu'un maniaque de sensibilité,à vues
fausses, a logiquedouteuse.... noussupprimons
Lerestede cetteénumération dejugements dits
raisonnables, journellement transmiscomme
articlesdefoi par les détenteurs ordinairesde
toutela sagacitécontenue danslecerveaudela
lYance, on peumoinsd'unsiècleaprèsla mort
Je l'écrivainqui,lepremier,a sérieusement ap-
ris &notrenationà penseret à agit.L'heur»
Se la justiceet dela reconnaissance estlenteà
veuir,malselle arriveplussûrement encoreque
la vengeance au piedboiteux.
C'estce qui nousfaitcroireque peu doit
nousimporter aufondcequ'ontétédanslavie
privéecesgrandsinitiateursdes peuples,et
nousvoudrions biensavoirpourquoi ilsne bé-
néficieraientpas de l'indulgence souriantedont
ona coutume de combler les théoerates quand
ilsdisentbéatement à tourde rôle: «Faitesca
queje dis,et noncequeje fais,» Aussi,nous
bornerons-nous à groupersuccinctement les
aperçusbiographiques qu'il nousest loisible
dedonnerà cette place,Jean-Jacques a ra-
contélui-mêmeeu détail, dans le livre le
plusétrangequi soit sorti de la plumed'un
écrivain,toutesonhistoirejusqu'en1165. Ona
pu lui reprocher a justetitred'avoir,dansses
Von/estions,trop oubliécequ'ilse devaità lui-
mêmeet cequ'ildevaità ceuxqui fatalement
ont étémêlésà sa vie; maisnuln'aététenté
à^:8Ûspectêr sa véracité,et tousontpuisés
pleinecsoupe à lasourcetroubléedans laquelle se
reflètei fidèlement unesociété disparue,Nous
feronsdonccommeceuxqui nous"ont précé-
désjf tout en évitantsoigneusement ceslieux
communs deinofaleà l'usagedo la rueSaint-
Dénis,queleslexicobiographes deprofession (1)
eèmentsi volontiers sur leurspaspourobtenir
l'approbation des moritiçnoriet débiterle plus

(i)Nousexcepterons aecmcommentateurs d'un


qui,
tonrogûé, fontlà leçon
auxgrands hommes, M.Peti-
tàih,q uia donné une1rescomplète
édition deRous-
seauen1839(Paris. 8 fortsvol.in-lâ).Les
Lefèvre,
notesdontil a enrichi celteéditionprouvent, de
reste,
qu'ilà loyalement sonbut: «Instruire
atteint
et nonendoctriner un lecteurqu'ondoitsupposer
biencapable deporterieùlsonjugement.»
—0 —
•.vantageuseiiKut
possibledesfatrassomnifères
jut doiventfairesouriredepitié,auxChamps-.
Elysêens, denossiècleslit>
lesglorieuxtvthièteg
(érairei.

J.-J.Rousseau est né à Genève, le 4 juillet


1712(1).Sonpère, simplehorloger, ne pûtlui
fairedonneruneinstruction régulière et raison-
née{l'enfant apprit à liredanslesromans,puis
dansBossuet, Molière,Fontanelle, LaBruyère
et Plutarquetc'estdanscedernierqu'ilpuisa
ce sentimentde fièreIndépendance qui devait
fairel'honneuret le malheurde sa vie.Cette
ardeurà embrasser la causedeshérosde l'an-
tiquitéavaitbesoind'uncorrectif t l'enfantle
trouvachezsoninstituteurLamber'cier ; là se
révélacetamourdela campagne, sourceinspi-
ratricede tant de pageséloquentesqui n'ont
égalées-depuis.Lepèrede Rousseau,
pasétéaventure
qu'une veiller avait éloignéde Genève , ne
pouvait pas sur sonavenir.Il futdonc
placé chezun greffier,pourapprendresouslui
Hl'utile métierde grapignan ; » puischezun
qu'ilne tardapasà quitterpourcou-
r leschamps.
Sraveur,
C'esten17-28 qu'ilestrecueillià Annecy par
cettemadame deWarens, quidevaitprendreune
bilarge placedaussesaffections, bienqu'ilpuisse
êtreaccuséd'avoirpeugénéreusement dévoilé
sesfaiblesses. Son.amie,pouremployerl'eu-
phémisme decebonM.Bouillet,luifaitabju-
rerle protestantisme. Successivement laquaiset
, (!) M.Mùssët-Pathày prétend q ue Rousseau s'est
trompé, etquelavéritable dateestles»juin.
professeurde musique, sanscarrièredéfinie,11
flpprandla viedansla misèreet l'ignominie de
lasujétion.Aprèsmaintsessais,il retourne chez
sapremière p et y trouveuncoparta-
rotectrice,
géant de sesbonnesgrâcesdontil envisage
comme
l'intrusion uncongéformel. Ilquittetes
Chàrmettes oùil avaitpassélesplusbellesan-
néesdesavie,ets'enrôle comme précepteur des
enfantsdeM.deMably,grand-prévôt de Lyon
(1740). 11y resteun an à peine.Puisil reprend
lechemin de Paris,ayanten pochesacomédie
de Narcisse, desprojetsd'opéras,la têtechar-
géed'unnouveau s ystèmede notation musicale
assezmalaccueilli des gensdu métier,et qui
devaitretrouver, à notreépoque, unepartiedu
succèsentrevupar sou auteur.Il se lie avec
Marivaux, l'abbéde Mablv, Fontenelle. Duclos,
Grimmet Diderot.Lancéun momentdansle
tourbillondu mondeélégantet frivole,il
conçoitdedevastes projets,qui aboutissent à
l'emploi secrétaireau comtede Mon-
taigu,ambassadeur deFranceà Venise. Forcé
dérenoncerà ce poste, Rousseau retourneà
Paris,devientcommis chezle fermier-général
Dupin,faitconnaissance de cetteThérèseLe-
vasseur,plustardassociéeà sa viesansque
rienjustifiâtcette'détêrniination chezcellequi
enétaitl'objet,carellenetentarienpourdé-
tournerle père de sesenfantsdu partipris,
tantdefoisrenouvelé, del'abandon decespe-
tits malheureux, cettegrandetachedemeurée
indélébile,quiternitla mémoire duphilosophe
de Genève.
C'esten17Î9quecommence «la longuechaî-
ne » desmalheurs deRousseau. Destiné en ap-
à devenirun de cesgribouilleurs de
roisièrce
{•arence ordreà la suitedes renommées en
évidence, il eûtpu coulerdoucement cettevie
de parasitequi était le lotordinaire deshom-
mesdeplumedansl'ancienne sociétéfrançaise,
— 10 —
lorequ'une question p osée par le désoeuvrement
d'unehonnêteréuniondobeaux-esprits depro-
vince,l'Académie deDijon,vientchangertoute
l'économie de l'<ixiatencepaisibledutrèsobscur
Rousseau. A cette question: Le progrèsies.
scienceset desartsn-t-ilcontribué à corrompre
ouà épurertesmoeurs? Jean-Jacques prendparti
contreles arts, et obtientle prixpropose.Si
Marmontel a dit la vérité, voicicommentla
chosese passat L'Académie deDijon.venait de
lancersonprogramme. Dansunepromenade de
Diderotet deRousseau, celui-cidit à sonami'
qu'ilseproposedetraiter la question.*—Quel
prendrez-vous? demandeDiderot.—Celui
'affirmerquelesarts épurentles moeurs.—
Sarti
C'estle pontauxftnest touslestalentsmédio-
cresprendront cechemin-là.,. Leparticontraire
présenteà la philosophie et à l'éloquence

un
champnouveau, riche.et fécond, vousaves
raison,reprend Rousseau, aprèsy avoirréfléchi
un moment,et je suivraivotreconseil.»
Quoiqu'ilen soit,ce succèsinespéréfitou-
vrirtoutesles grandesoreiitesdu publicà ce
nomInconnudeRousseau, etVoltairelui-même
s'enémut.Maiscetteglorioled'unmoment n'as-
suraitpasl'indépendance tantrêvéedu triom-
phateur;il sefait,pourvivre,copistedemusi-
que,enattendantque le Devin du villagevint
unefoisde plus(1752) leremettreet évidence
et lui susciterdeBenvieuxetdesennemisdont
son caractèreombrageux devaitlui exagérer
l'importance. Lanaïvesimplicité dela musique
duDevindéroutaitles habitudesde la nation.
LaLettresur la musique française excitauntoile
général-,onallamêmejusqu'àprononcer tout
basle nomde laBastilletlesgrandesquerelles
du Parlement et du clergéétaientoubliées;on
avaittouchésansscrupule auxpréférences, artis-
tiquesd'uneépoqued'artfacticet la mortseule
semblaitpouvoirexpierce crimeabooUuable.
—H —
fin 1753,nouvellequestionposéepar l'Aca-
démiede Dijon,quiprovoquele fameuxDit-
courssurl'inégalité parmi leshommes» Decejour,
Rousseau conçoitle projetdesesInstitutionspo-
litiques;Paris'luiestdevenuodieux,il retourne
à Genève, se refaitcalviniste pourconserver le
titrede citoyende la république.Sescompa-
triotesne l'accueillant pascommeil l'espérait,
il revientà Paris,se lieavecmadamede l'Epi-
nay ; elleluioffreà l'Ermitage unasilequide-
vait lui permettre dese livrertoutentierà ses
projets deréorganisation politique,projetscon-
çu»danslasolitude, caressés avecameur,etqui
allaientplustardréaliserpour leurauteurh
somme degloireà laquelleil se croyaitendroit
deprétendre. Cen'estpastoutefois qu'iloubliât
lesautrestravaux qui ontégalement marqué dans
ta vielittéraire, ainsiquele peuventtémoigner
le Dictionnaire demusique et fa NouvelleHéïotse.
Dansl'intervalle de sestravauxse placentsa
ruptureavecmadame del'Epinay, saliaisonavec
madamed'Houdetot,ses relations avecd'Alein-
faert.Puisviennent sesrapportsavecmadame de
Luxembourg, madame deBoufflers, le princede
Conti;saretraiteà Montmorency, oùRousseau
achèvel'Emile,le Contratsocial,quiparûtea
1762,unmoisoudeuxavantl'Emile,Malgré lès
-hautesprotections quisoutenaieutle philosophe,
ce dernierlivrelefaitdécréterdé prisedecorps
parleParlementde Paris,ilcroitpouvoir seréfu-
gierà Genève entoutesûreté.Pasplusqued'au-
tresillustrespersécutés, il n'est prophète dans
«onpays.Sonlivrey estbrûlépa»lamaindu
bourreau, et là encoresapersonne estmenacée,
«oncaractère méconnu,sontalentdiscuté,.in-
jurié,tnisau bande l'Europeet de la civilisa-
tion.11va errantpar la Suisse,trouvantenfin
à Motiers-Travers uneretraitepaisible,s'y re-
vêtantpourla première foisdecet habitd'Ar-
ménienquin'était qu'uneaiuuular'téde plus
-12 —
danscetteexistence si étrangement accidentée.
AMotiers enUn,il écrit sa réponseà M.de
Beaumont, à proposdel'Emile,et lesLettres de
la montayne, quidevaientsuscitercontre lui un
dernier«t terribleorageet leforcerde quitter
la Suisseet dese réfugieren Angleterre, aprèi
un courtséjourdansl'Ile deSaint-Pierre, dé«
pendantducanton de Berne.
Icis'aitètentlesConfessions,
etnousmarchons
à grandspas versle dénoûment decettevie
agitéeet si cruellement traversée.Onn'apas
manquéd'arguerde toutesles inégalités d'hu-
meur,detouteslesbizarreries dumalheureux
Rousseau pourluiattribuerle tort d'avoirété
l'artisandesa propreinfortune.C'est,à coup
sûr, le procédéle plus commode qu'ait pu
employer la sagessedetouslesjourspourfrap-
perd'ostracisme cetautreAristide ; mais,tout
enfaisantla partdesrécriminations exagérées
quel'auteura'Emilen'a pasépargnées à'ceux
qui, unmomentsesamis,tenaientalorslehaut
du pavé,nouscroyonsqu'onne sauraitrefuser
&cettegrandevictimele dondela sincéritéet
d'unardentamourpour ses semblables t cela
rachètebiendestravers,desinjustices etmême
deserreurs,
Lecalmes'étaitfaitdansles esprits:le22mal
1767,Rousseau touchede nouveaula terrede
France,séjournehuitJoursà Amiens,accepte
l'asilequelui offrele princedeContl,au châ-
teaudeTrye,prèsdeGisors,s'y cachesousle
nomdeRenou.Auboutd'unan.sousle poids
desesterreursde misanthrope, il quitteTrye,
se réfugieà Grenoble, à Bourgoin*a Monquin,
et revientà Parisen juillet1770.obsédéde la
monomanie de voirdes ennemiepartout.Le
marquis deGirardin luioffredanssaterred'Er-
menonville en1771le reposqu'ildevaitsi peu
de tempsgoûter.De1771à 1778,annéede sa
mort,il publielesConsidérations surle eouvtr-
— 13—
nemtnt de Pologne, fruitdes principesétablis
dansle Contratsocial;se livreavecl'ardeur
qu'ilavaitapportée à sestravauxprécédents,à
songoûtpassionné pourla botanique. Acette
périodeappartiennent encoreles Rêveriesdu
Promeneur solitaireet Pygmalion.
Le3 juillet1778,Rousseau' s'éteintà Erme-
nonville,empoisonné, disentlesuns,naturelle-
ment,disentlesautres; parle suicide,selon
madamede Staël et Musset-Pathay, suicide
contreditformellement par le témoignage du
sculpteurHoudon. En1794, sesrestessontpor-
tés auPanthéon. Genève a réparéenpartieses
tortsenversle plus illustredesesfils,enlut
érigeantunestatue,confiée au ciseaud'unau-
treGenevots.Pradier.Parisn'a pasété plus
loin,en faitde réparationtardive,qu'unbuste
desplusmesquins hisséaucoinde la rue Plâ-
triers,devenuerueJean-Jacques-Rousseau,

-Voltaireet Jean-Jacques dominentle dix-


huitièmesiècle4outentier; l'heuren'estpas
encorevenue('-rendre amplement Justiceà
cesdeuxgrandshommes,séparésde leurvi-
vant,unisaprèsleurmortdansl'admiration de
la postérité,
quireprésentent,l'unl'espritfran-
çaisdans ce qu'ila dé plussubtil,l'autrel'a-
mourdu progrèsdanssa pluslargeacception,
serviparla magied'unstyléincomparable, une
et unehauteraison.
vivesensibilité
DU CONTRAT SOCIAL

LITREPREMIER

Je veuxcherchersi, danBl'ordrecivil, D
peut y avoirquelquerègled'administration
légitimeet sûreen prenantles hommestels
sont et lesloistellesqu'ellespeuvent
tre. Je tâcheraid'aillertoujoursdanscette
Qu'ils
recherchece quele droitpermetavecce que
l'intérêtprescrit,afinquelaJusticeet l'utilité
né se trouventpointdivisées.
J'entre en matièresans prouverl'impor-
tancedemonsujet. Onmedemanderasi je
suisprinceoulégislateur,pour écriresur la
politique.Je répondsque non, et que c'est
pourcelaque j'écrissur la politique.Si j'é-
tais princeou législateur, je ne perdraispas
montempsà direce qu'ilfaut faire;je le fe-
raisou Jeme tairais.
Né citoyend'un Etat libreet membredu
eouverain, quelquefaibleinfluencequepuisse
avoirma voixdansles affairespubliques,1*
— ift —
droitd'y votersuffitpourm'imposerle devoir
de m'eninstruire:heureux,touteslesfoisque
Je méditesurles gouvernements, de trouver
toujoursdans mes recherchesde nouvelles
raisonsd'aimerceluidemonpays!

I.—Sujetdecepremier livre.
L'hommeestné libre,et partout11est dans
les fers.Telse croitle maîtredesautresqui
ne laissepas d'êtreplusesclavequ'eux.Corn-
montce changements'est-ilfait?Je l'ignore.
Qu'est-cequi peut le rendre légitime?Je
croispouvoirrésoudrecettequestion.
Si je ne considéraisque la forceet l'effet
qui en dérive,je dirais: Tant qu'un peuple
est contraintd'obéiret qu'ilobéit,il faitbien;
sitôtqu'ilpeutsecouerle Jouget qu'ille se-
coue,il faitencoremieux;car, en recouvrant
sa libertépar lemêmedroitqui la luia ravie,
ou U est fondéà la reprendre,oul'onne l'é-
tait pas a la lui ôter. Maisl'ordresocialest
un droitsacréquisert debasea tousles au-
tres. Cependantce droit ne vientpointde la
nature;il estdoncfondésurdesconventions.
U s'agit de savoirquellessont ces conven-
tions.Avantd'en venirla, je doisétablirce
queje viensd'avancer.

IL—Despremières
sociétés
La plusanciennedetouteslessociétésetla
êeulenaturelleest celledela famille.Encore
lesenfantsne restent-ilsliésau pèrequ'aussi
longtempsqu'ils ont besoinde lui pour le
conserver.Sitôt que ce besoincesse,le lien.
naturelse dissout.Les enfants,'exemptsdé
i'obéissance qu'ils devaientau père, le père
exemptdes soins qu'il devaitaux enfants,
rentrenttouségalement dansl'indépendance.
S'ilscontinuentde resterunis, Cen'est plus
naturellement, c'est volontairement, et la fa-
milleelle-même ne semaintientquepar con-
vention.
Cettelibertécommune estuneconséquence
dela naturedel'homme.Sa premièreloi est
de veillerà sa propreconservation, ses pre-
mierssoins sont ceux qu'il se doit à lui-
même,et sitôtqu'ilest en âge dé raison,lui
seulétantjugedesmoyenspropresà se Con-
server,devientpar là sonpropremaître.
Lafamilleest donc,si l'onveut,le premier
modèledes sociétéspolitiques;le chef est
l'imagedu pèie,le peupleest l'imagedesen-
fants,et tous,étantnés égauxet libres,n'a-
liènentleur liberté que pour leur utilité.
Toutela différenceest que, dans la famille,
l'amourdu pèrepoursesenfantsle payedès
soinsqu'illeur rend, et que, dansl'État,le
plaisirde commandersuppléeà cet amour
quelechefn'a paspourses peuplés.
, Grotiusnie quetout pouvoirhumainsoit
établien faveurdeceuxqui son*,gouvernés;
11cite l'esclavageen exemple.Sa pluscons-
tantemanièrede raisonnerest d'établirtou-
joursle droit par le fait(1).On pourraitém-
it)« Lessavantesrecherches
surledroitpublic lié
sontsouvent que i histoire
desanciens
abus,et on
— 18 —
ployerune méthodeplus conséquente,mais
non pasplusfavorable aux tyrans..
Il est donc douteux,selon Grotius,si le
genre humain appartientà une centaine
d'hommes,ou si cettecentained'hommesap-
partient au genre humain,et il paraît dans,
toutson livrepencherpourle premier,avis.
C'est aussi le sentimentde Hobbes.Ainsi,
voilàl'espècehumainediviséeen troupeaux
de bétail, dont chacuna son chef,,qui le
gardepourle dévorer.
Commeun pâtre est d'une nature supé-
rieureà cellede son troupeau,les pasteurs
d'hommes,qui sont leurs chefs,sont aussi
d'une naturesupérieureà cellede leurspeur
pies. Ainsiraisonnait,au rapportde Phjlon,
l'empereurCaligula,concluantassezbiende
cetteanalogieque lesroisétaientdes dieux,
ou queles peuplesétaientdes bêtes.
Le raisonnement de Caligularevientà celui
déHobbeset de Grotius.Aristote,aveceux-
tous,avait dit aussiqueles hommesne sont
point naturellement égaux,maisque lesuns
naissentpourl'esclavage et les autrespourla
domination.
Aristoteavait raison,maisil prenaitl'effet
pourla cause.Tout homme,né dans l'escla-
vage naît pour l'esclavage,rien n'est plus
certain: les esclavesperdenttout dansleurs
fers, jusqu'audésir d'en sortir; ils aiment
leur servitude,commeles compagnons d'U-
s'estentêtémalà propos,quand on s'estdonnélit
peine » (Traitémanuscritdes
delestropétudier.
intérêtsdela Franceavecsesvoisins,parM.L.
cequ'afaitGrotius.
M.d'A.)Voilàprécisément
«-19 — '
lysseaimaientleurabrutissement (1).S'ily a
doncdesesclavesparnature,c'estparcequ'il
y a eudesesclavescontrela nature.La força
a faitles premiersesclaves,leurlâcheté"esa
perpétués,
Je n'ai riendit du roi Adam,ni de l'empe-
reur Noé,pèredetroisgrandsmonarques qui
se partagèrentl'univers,commefirentles en-
fantsdeSaturne,qu'onacrureconnaître eneux.
J'espèrequ'onmesauragré decettemodéra-
tion; car, descendantdirectementde l'unde
cesprinces,et peut-êtredela brancheaînée,
quesais-jesi, par la vérification
destitres, Je
ne *netrouveraispoint le légitimeroi du
genrehumain?Quoiqu'ilen soit,onne peut
disconvenirqu'Adamn'ait été souveraindu
mondecommeRobinson deson île, tant qu'il
enfut le seul habitant,et ce qu'ily avaitde
commode dans cet empire,étaitquele mo-
narque,assurésur sontrône,n'avaità crain-
ni guerres,ni conspirateurs.
dre ni rébellions,
III.— Dudroitdupl33fort.
Le plus fort n'est jamaisassezfort pour
être toujoursle maître,s'il né transformesa
forceen droitet l'obéissance en devoir.Delà
le droitdu plus fort,droitpris ironiquement
en apparence et réellement établien principe.
Maisne nousexpliquera-t-on jamaisce mot?
La forceest une puissancephysique;je ne
vois point quellemoralitépeut résulterde
t)
> Voyeznn t
petit raité
d e Intitulé
Nutârque, : Que
M*bêtesusentdeta raison
— 20 —
seseffets.Céderà la forceest un actede né-
cessité,nonde volonté;c'esttoutau plusun
actede prudence.En quelsenspourra-ceêtre
un devoir?
Supposons un momentce prétendudroit.
Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias
inexplicable; car sitôt que c'estla forcequi
fait le droit, l'effetchangeavecla cause:
touteforcequisurmontela premièresuccède
à son droit.Sitôtqu'on peutdésobéirimpu-
nément,onle peutlégitimement;et puisque
le plusforta toujoursraison,il ne s'agitque
defaire en sortequ'on soitle plus fort.Or,
qu'est-cequ'undroitqui périt quandla force
cesse?S'il faut obéirpar force,on n'a pas
besoind'obéirpar devoir;et si l'onn'est plus
forcéd'obéir,on n'y est plusobligé.On voit
doncquelemotdroitn'ajouterienà la force;
il ne signifieiciriendu tout.
Obéissezaux puissances. Si celaveut dire:
cédezà la force,le précepteest bon, mais
superflu;je répondsqu'il ne sera jamais
violé.Toutepuissancevient de Dieu,je l'a-
voue;maistoutemaladieen vientaussi: est-
ceà dire qu'ilsoit défendud'appeler le mé-
decin?Qu'unbrigandme surprenneau coin
d'un bois, non-seulement il faut par force
donnerla bourse,mais quandJe pourraila
soustraire,suis-jeen conscience obligéde la
donner?car enfinle pistoletqu'il tient est
aussiunepuissance.
Convenons doncqueforcene fait pasdroit,
et qu'onn'est obligéd'obéirqu'auxpuissan-
ceslégitimes.Ainsi,ma question primitivere-
vienttoujours.
— 21 —

IV.—Del'esclàvege.
Puisqu'aucun hommen'a une autoriténa-
turellesur sonsemblable, et puisquela force
neproduitaucundroit, restentdonclescon-
ventionspourbasede touteautoritélégitime
parmileshommes.
Si un particulier,dit Grotius,peutaliéner
sa libertéet se rendreesclaved'unmaître,
pourquoitout un peuplene pourrait-ilpas
aliénerla sienneet se rendresujetd'unroi?
Il y alàbiendesmotséquivoques quiauraient
besoind'explication; maistenons-nous-en à
celuid'alUncr.Aliéner,c'est donnerou ven-
dre. Or,un hommequi se faitesclaved'un
autre ne se donnepas, il se vend,toutau
moinspoursa subsistance ; maisun peuple,
pourquoisevend-il ? Bienloinqu'unroifour-
nisseà sessujetsleur subsistance,il ne tire
là siennequed'eux,et, selonRabelais, un roi
ne vit pas de peu. Les sujets donnentdonc
leurpersonneà condition qu'onprendraaussi
leurbien. Jeue volspasce qui leur resteà
conserver.
Ondira que le despoteassureà sessujets
civile.Soit; maisqu'ygagnent-
la tranquillité
ils, si tesguerresqueson ambitionleurat-
tire, si soninsatiableavidité,si lesvexations
de son ministèrelesdésolentplusquene fe-
raientleursdissensions? Qu'ygtgnent-ilssi
cettetranquillitémêmeestunede leursmi-
sèresiOnvittranquille aussidanslescachots,
en est-ceassezpour s'y trouverbien? Les
— 22 —
Grecsenfermésdansl'antredu cyclopey vi-
vaienttranquilles,en attendantqueleurtour
vîntd'êtredévorés.
Direqu'un hommese donnegratuitement,
c'estdireune choseabsurdeet inconcevable ;
un tel acte est illégitimeet nul, par celaseul
queceluiqui le fait n'est pas dans son bon
sens.Direla mêmechosede tout un peuple,
c'est supposerun peuplede fous: la foliene
fait pasdroit.
Quandchacunpourraits'aliénerlui-même,
il ne peut aliénerses enfants: ils naissent
hommeset libres;leurlibertéleurappartient,
nul n'a droit d'en disposerqu'eux, Avant
qu'ilssoienten âge de raison,le pèrepeuten
en leurnomstipulerdesconditionspourleur
conservation,pour leur bien-être,maïs non
les donnerirrévocablement et sans condition,
car un tel donest contraireauxfinsdela na-
ture, et passe les droitsde la paternité. Il
faudraitdonc, pourqu'ungouvernement ar-
bitrairefût légitime,qu'à chaquegénération
le peuplefût le maîtrede l'admettreou de le
'.rejeter;maisalorsce gouvernement ne serait
;plusarbitraire.
Renoncerà sa liberté,c'est renoncerà sa
qualitéd'homme,aux droitsde l'humanité,
mêmeà ses devoirs.Il n'y a nuldédommage-
mentpossiblepourquiconque renonceà tout.
Unetellerenonciationest incompatible avec
la naturede l'homme,et c'est ôter toutemo-
ralitéà sesactionsque d'ôtertoute libertéà
sa volonté.Enfin,c'estune conventionvaine
et contradictoire de stipuler,d'une part, une
autoritéabsolue,de l'autre, une obéissance
— 23 —
sansbornes.N'est-ilpasclair qu'onn'esten-
gagék rien enverscelui dont ona droitde
toutexiger?Et cetteseuleconditionsans
équivalent,sanséchange,n'entraîne-t-élle pas
la nullitéde l'acte? Car quel droit mones-
claveaurait-ilcontremoi, puisquetout ce
qu'ila m'appartient, et quesondroitétantle
mien, ce droit de moicontremoi-même est
un motquin'aaucunsens?
Grotiuset lesautrestirentde la guerreune
autreoriginedu prétendudroitd'esclavage,
Levainqueurayant/selon eux, le droitde
tuer le vaincu,celui-cipeut rachetersa vie
auxdépensdesa liberté,convention d'autant
pluslégitimequ'elletourneau profitdetous
deux.
Mais11est clairque ce prétendudroitde
tuer les vaincusne résulteen aucunema-
nièredel'étatde guerre.Parcelaseulqueles
hommes,vivantdansleurprimitiveindépen-
dance,n'ontpointentreeuxde rapportassez
constantpourconstituerni l'étatde paixni
l'étatdeguerre,.ils ne sont pointnaturelle-
mentennemis.C'estle rapportdeschoseset
nondes hommesqui constitue-la guerre,et
l'étatde guerre ne pouvantnaîtredessim-
plesrelationspersonnelles, mais seulement
des relationsréelles,la guerre privée,ou
d'hommeà homme,ne peutexister,ni dans
l'étatdenature,où il n'ya pointde propriété
constante, ni dans l'état social, où tout est
sousl'autoritédeslois.
Lescombatsparticuliers, les duels,lesren-
contres,sontdesactesquine constituent point
un état; et à l'égarddesguerresprivées,au-
- JS4-
toriséespar les établissements de LouisIX,
loide France, et suspenduespar la paixde
Dieu,cesontdesabusdu gouvernement féo-
dal,systèmeabsurdes'il en fut jamais,«m>
traireauxprincipesdudroitnaturelet à toute
bonnepolitique.
La guerre n'est donc point une relation
d'hommeà homme,maisune relationd'Etat
à Etat,danslaquellelesparticuliers nésonten-
nemisqu'accidentellement, nonpointcomme
hommes, ni mêmecommecitoyens,mais
commesoldats; non pointcommemembres
dela patrie,maiscommesesdéfenseurs. En-
fin chaque Etat ne peut avoirpourennemis
que d'autresEtats, et non pas des hommes,
attendu qu'entrechosesde diversesnatures
on ne peut fixeraucunvrai rapport.
Ceprincipeest mêmeconformeaux maxi-
mesétabliesdetouslestemps,et à la pratique
constantede tousles peuplespolicés.Lesdé-
clarationsde guerresont moinsdes avertis-
sementsaux puissancesqu'à leurssujets.L'é-
tranger,soit roi, soitparticulier,soitpeuple,
qui vole, tueou détientles sujets,sansdé-
clarer la guerre au prince, n'est pas un
ennemi, c'est un brigand.Mêmeen pleine
guerre, un princejuste s'emparebien, en
paysennemi, de tout ce qui appartientau
public, mais il respectela personneet les
biensdes particuliers;il respecteles droits
sur lesquelssontfondésles siens.Lafin de la
guerreétantla destructiondel'Etatennemi,
on a droitd'entuer les défenseurs,tant qu'ils
ont lesarmesà la main;mais,sitôt qu'ilsles.
posentet se rendent,cessantd'êtreennemis
- 25-
ou instrumentsde l'ennemi,ils redeviennent
simplementhommes,et l'onn*aplusdedroit
sur leurvie.Quelquefois on peut tuer l'Etat
sans tuer un seul de ses membres;or, la
guerrenedonneaucundroitqui ne soitnéces-
saireà sa fin.Cesprincipesne sont pasceux
de Grotius;ils ne sont pas fondéssur des
autoritésde poètes,maisilsdériventdela na-
ture deschoses et sont fondéssur la raison.
A l'égarddu droitde conquête,il n'a d'au-
tre fondementque la loi du plus fort. Si la
guerrene donne pointau vainqueurle droit
de massacrer les peuplesvaincus,ce droit
qu'il n'a pas ne peut fonderceluide lesas-
servir.Onn'a le droit de tuer l'ennemique
quandon ne peutle faireesclave; le droitde
le faireesclavene vientdoncpasdu droitde
le tuer: c'estdoncun échangeiniquede lui
faireacheter,au prixdesa liberté,sa vie,sur
laquelleon n'aaucundroit. En établissantle
droit de vie et de mortsur le droit d'escla-
- vageet le droitd'esclavage sur ledroitdé vie
et.de mort,n'est-ilpasclairqu'ontombedans
le cerclevicieux.*
En supposant mêmeceterribledroitdetout
tuer,je dis qu'unesclavefaità la guerre,ou
un peupleconquis,n'est tenuà riendu tout
enverssonmaître,qu'àlui obéirautantqu'il
y est forcé.Enprenantun équivalentà sa vie,
le vainqueurnelui en a point fait grâce;au
lieu de le tuer sansfruit, il l'a tué utile-
ment. Loindoncqu'il ait acquissurlui nulle
autoritéjointeà la force,l'étatdeguerreSutH
sisteentreeuxcommeauparavant,leurrela*
tionmêmeen est l'effet,et l'usage du droit
— 26 —
dela guerrene supposeaucuntraité de paix.
Ilsont fait une convention,soit; maiscette
convention,loinde détruirel'étatde guerre,
en supposela continuité.
Ainsi,de quelquesens qu'onenvisageles
choses,le droit d'esclaveest nul, non-seule-
ment parce qu'il est illégitime,mais parce
qu'ilest absurdeet ne signifierien.Cesmots
esclavageet droitsontcontradictoires;ilss'ex-
cluentmutuellement.Soitd'un hommeà un
homme,soitd'unhommeà un peuple,cedis-
courssera toujourségalementinsensé: Je
faisavectoiune conventiontout à ta charge
et tout à monprofit, quej'observeraitant
qu'ilme plaira,et que tu observerastant qu'il
me plaira.•

V.—Qu'ilfauttoujours
remonter
à unepremière
convention.

Quand l'accorderais t out ce quej'ai réfuté


jusqu'ici,les fauteurs du despotisme n 'en se-
raientpas plus avancés.Il y aura toujours
une grandedifférenceentre soumettreune
multitudeet régir unesociété.Quedeshom-
meséparssoientsuccessivement asservisàun
seul,en quelquenombre qu'ilspuissentêtre,
je ne voislà qu'un maîtreet des esclaves;je
si
n'yvoispoint un peuple et sonchef ; c'est,
l'onveut,une agrégation,maisnon pas une
association;il n'ya là ni bienpublic,ni corps
politique.Cet homme, e ût-ilasservi la moitié
du monde,n'est toujoursqu'unparticulier;
«onintérêt,séparéde celuides autres, n'est
— 27—
toujoursqu'unintérêtprivé.Sice iirëinehom-
mevienta périr,son empire,aprèslui, reste
éparset sans liaison,commeun chênese dis-
sout et tombeen tas de cendresaprèsque le
feu¥%consumé.
Un peuple,ditGrotius,peutse donnerà un
roi.SelonGrotius,un peupleestdoncunpeu-
pleavantdese donnerà un roi.Cedonmême
est un actecivil; il supposeunedélibération
publique,Avantdonc que d'examinerl'acte
par lequelun peupleélit un roi, il seraitbon
d'examinerl'actepar lequelun peupleest un
peuple,carcetacte,étantnécessairement an-
térieurà l'autre, est le vrai fondement de la
société.
En effet, s'il n'y avait pointdeconvention
antérieure,où serait,à moinsquel'électionne
fût unanime,l'obligation,pourle petitnom-
bre,dese soumettreau choixdu grand; et
d'oùcent qui veulentun maître, ont-ilsun
droitdevoterpourdixqui n'enveulentpoint?
La loi de la pluralitédes suffragesest elle-
mêmeunétablissement de convention,et sup,-
poseau moinsunefoisl'unanimité.
VI.—Dupactesocial.
Je supposeles hommesparvenusà ce point
où les obstaclesqui nuisentà leurconserva-
tion dans l'état de nature l'emportentpar
leur résistancesur les forcesquechaquein-
dividupeut employerpourse maintenirdan3
cet état Alorscet état primitifne peutplus
subsister,et le genre humainpériraits'ilne
changeaitsa manièred'être.
— 28 —
Or, commeles hommesne peuventengen-
drerde nouvelles forces,maisseulementunir
et diriger cellesqui existent, Usn'ontplus
d'autremoyenpourse conserver,quede for-
mer,paragrégation, unesommede forcesquf
puissel'emportersurla résistance,delesmet-
tre en jeu par un seul mobile,et deles faire
agirdeconcert.
Cettesommede forcesne peut naîtreque
du concoursde plusieurs; matsla forceet la
libertéde chaquehommeétant les premiers
Instrumentsdesa conservation, commentles
engagera-t-ilsansse nuire,sans négligerles
soinsqu'ilse doit?Cettedifficulté,ramenéeà
monsujet,peuts'énonceren cestermes:
« Trouverune formed'associationqui dé-
fendeet protègede toute la forcecommune
la personneet les biensde chaqueassocié,
et par laquellechacun,s'unissantà tous,n'o-
béissepourtantqu'à lui-même,et reste aussi
librequ'auparavant. «Telest le problèmefon-
damentaldontle Contratsocialdonnela so-
lution.
Les clausesde ce contrat sont tellement
déterminéespar la nature de l'acte,que la
moindremodification les rendrait vaineset
de nul effet; ensorteque,bienqu'ellesn'aient
peut-êtrejamais été formellementénoncées,
elles sont partoutles mêmes,partout tacite-
mentadmiseset reconnues, jusqu'àce que,le
pacte socialétant violé,chacunrentre alors
dansses premiersdroits et reprennesa li-
berté naturelleen perdantla libertéconven*
tionnellepourlaquelleil y renonça.
Cesclauses,bien entendues,se réduisent
toutesà une seule,savoir: l'aliénationtotale
de chaqueassociéavectoussesdroitsà toute
la communauté;car, premièrement,chacun
se donnanttout entier,la conditionest égale
pour tous,et, la conditionétant égalepour
tous, nul n'a Intérêtde la rendreonéreuse
auxautres.
De plus, l'aliénationse faisantsans ré-
serve, l'unionestaussi parfaitequ'ellepeut
l'être, et nul associén'a plus rienà récla-
mer: car, s'il restaitquelquesdroitsaux par-
ticuliers,commeil n'y aurait aucunsupérieur
communqui pût prononcerentre eux et le
public,chacun,étant en quelquepoint son
propre Juge, prétendraitbientôt l'être en
tout; l'étatde nature subsisterait,et l'asso-
ciationdeviendrait nécessairement tyrannique
ou vaine.
Enfin,chacunsedonnantà tousnese donne
à personne;et, commeil n'y a pas un asso-
cié sur lequelon n'acquièrele même droit
lui cède sur sol,on gagne l'équivalent
e tout ce qu'on perd,et plusde forcepour
Su'on
conserverce qu'ona.
gi donc on écarte du pacte socialce qui
n'est pas de sonessence,on trouveraqu'ilse
réduit aux termes suivants: t Chacunde
nousmet en communsa personneet toute sa
puissancesousla suprêmedirectionde la vo-
lonté générale, et nous recevonsen corps
chaquemembrecommepartieindivisibledu
tout. »
A l'instant,auiieude la personneparticu-
lièrede chaquecontractant,cet acte d'asso-
ciationproduitun corps moralet collectif,
.- 30 -
composéd'autantdemembresquel'assemblée
a de voix,lequelreçoitdecemêmeacte son
unité,son motcommun,sa vie et sa volonté.
Cette personnepublique,qui se formeainsi
pai*l'uniondetoutesles autres, prenait au-
trefoisle nomde cité(1),et prendmaintenant
celui d€ république,ou de corpspolitique»
lequelest appelépar sesmembresétat,quand
il est passif; souverain,quand il est. actif;
puissance, en le comparantà ses semblables.
A l'égarddes associés,ils prennentcollecti-
vementle nom de peuple,et s'appellenten
particuliercitoyens,comme participantsà
l'autoritésouveraine,et sujets,commesoumis
auxloisdel'État. Maisces termesse confon-
dent souventet se prennentl'un pourl'autre;
11)Levraisensdecemots'estpresque entièrement
effacéchezlesmodernes : la plupartprennent une
villepourunecité,etun bourgeois pouruncitoyen,
Ilsnesaventpasquetesmaisons fontla ville,mais
que lescitoyensfontlacité,Celtemêmeerreurcoûta
crierauxCarthaginois.Je n'aipasluqueletitrede
civesaitjamaisétédonnéauxsujets d'aucun p rince,
nidenos
mêmeanciennement auxMacédoniens,
oursauxAnglais, quoique plus prèsdelaliberté que
ous!e,s
(tas LesseulsFrançais
autres. prennenttouscenom
de citoyens,parcequ'ilsn'enontaucune véritable
idée,comme onpeutlevoirdansleursdictionnaires,
sansquoilis tomberaient, en l'usurpantdansle
crimede lèse-majesté : ce nom,chezeux,exprime
unevertu,et nonpasundroit.Quand Bodln a voulu
parlerdenoscitoyens etbourgeois,ilafaitunelourde
bévue enprenantlc3unspourlesautres. M.d'Alem-
bertne s'yest pastrompé, et a biendistingué, dans
sonArticleGenève,lesquatreordresd'hommes (même
cint\ enycomprenant lessimples étrangers)
qui sont
dansnotroville,etdontdeuxseulement composent la
Nulauteurfrançais,
république. que jesache,n'acom-
prislevraisensdumotcitoyen.
— 81 —
Usuffitde lessavoirdistinguerquandils sont
employésdans touteleur précision.
VII.—Dnsouverain.
On voit,par cette formule,que l'acted'as-
sociationrenfermeun engagement réciproque
du publicavecles particuliers,et quechaque
individu,contractant,pour ainsi dire, avec
lui-même,se trouve engagésous un double
rapport,savoir:commemembredu souverain
enversles particulierset commemembrede
l'État enverslesouverain.Mais on ne peut
appliquerIci la maximedu droit civil,que
nul n'esttenuauxengagementspris aveclui-
même; car il y a biende la différenceentre
s'obligerenverssoi ou envers un tout dont
on fait partie.
Il faut remarquerencorequeladélibération
publique,quipeutobligertous les sujetsen-
vers le souverain,à causedes deuxdifférents
rapportssouslesquelschacund'euxest envi-
sagé,ne peut,par la raisoncontraire,obliger
le souverainenvers lui-même,et que, par
conséquent, il est "Contrela naturedu corps
politiqueque le souverains'imposeune loi
qu'ilne puisseenfreindre.Nepouvantsecôn«
sidérerque sousun seul et mêmerapport,il
est alorsdansle casd'un particuliercontrac-
tant avecsoi-même;par où l'on'voitqu'iln'y
a ni .nepeuty avoirnulleespècede loi fonda-
mentaleobligatoirepource corpsdé peuple,
pasmêmele contratsocial.Cequi ne signifie
pasque ce corpsne puissefort bien s'enga-
ger enversautrui,en en qui ne dérogepoint
— 3» -
en ce contrat; car, à l'égardde l'étranger,U
duvientun être simple,un Individu.
Maisle corps politiqueou le souverain,ne
tirantsonêtre que de la saintetédu contrat,
ne peutjamaiss'obliger,mêmeenversautrui,
Àrien qui dérogeà cetacteprimitif,comme
d'aliénerquelqueportionde lui-même,oude
se soumettreà un autre souverain.Violer
l'actepar lequel11existeserait s'anéantir,
" e t
ce qui n'est rienne produitrien.
Sitôtque cette multitudeest ainsi réunie
en un corps,onne peutoffenserun desmem-
bressans attaquerle corps, encoremoinsof-
fenser le corps sans que les membress'en
ressentent.Ainsi,le devoiret l'intérêtobli-
gent égalementlesdeuxpartiescontractantes
à s'entr'aidermutuellement,et les mêmes
hommesdoiventchercherà réunir sous ce
doublerapporttousles avantagesqui en dé-
pendent.
Or,lesouverainn'étantforméquedesparti-
culiersqui le composent, n'a ni ne peut avoir
d'intérêtcontraireau leur; par conséquent,
la puissancesouverainen'a nulbesoinde ga-
rant enversles sujets,parcequ'ilest impos-
siblequelecorpsveuillenuireà toussesmem-
bres, et nous verronsci-aprèsqu'ilne peut
nuireà aucunen particulier. Lesouverain, par
celaseulqu'ilest, est toujours tout ce qu'il
doit être. •
MaisUn'enest pas ainsides sujets,envers
le souverain, auquel,malgrél'intérêtcommun,
rien ne répondraitde leursengagements, s'il
ne trouvaitdes moyensde s'assurerde leur
fidélité.
- 33 — •'; .
En effet,chaqueindividupeuticommehom-
me, avoirune volontéparticulière,contraire
ou dissemblable à la volontégénéralequ'ila
commecitoyen.Son intérêt particulierpeut
lui parlertout autrementqae l'intérêtcom-
mun; sonexistenceabsolue,et naturellement
indépendante, peutlui faireenvisagercequ'il
doità la causecommunecommeune contri-
butiongratuite,dontla perteseramoinsnui-
sibleaux autres que le payementn'en est
onéreuxpourlui, et regardantla personne
moralequiconstituel'Etat commeun être de
raison,parcequecen'est pas un homme,il
jouiraitdes droits du citoyensans vouloir
remplirlesdevoirsdu sujet: injusticedontle
progrèscauseraitla ruinedu corpspolitique.
Afindoncquele pactesocialne soitpas un
vainformulaire, il renfermetacitementCeten-
gagement,qui seul peut donnerde la force
aux autres; quequiconque refuserad'obéirà
la volontégénéraley seracontraintpar tout
le corps;ce qui ne signifieautrechosesinon
qu'on le forcerad'être libre: car telleest la
conditionqui, donnantchaquecitoyenà la
patrie,le garantitde toute dépendance per-
sonnelle;conditionqui fait l'artificeet le jeu
dela machinepolitique,et quiseulerendlé-
gitimeslesengagements civils,lesquelssans
celaseraientabsurdes,tyrahniqueset sujets
auxplusénormesabus.

K connu«ôcuk. *
— 34 —

vlll.-D»l'étatdvU.
Cepassagede l'état de natureà l'étatcivil
produitdans l'hommeun changement très
remarquable, en substituant d anssa conduite
la justiceà l'instinct,et donnantà sesactions
la moralitéqui leur manquaitauparavant.
Cest alorsseulementque la voixdu devoir,
succédantà l'impulsionphysique,et ledroit
6 l'appétit,l'homme,qui, jusque-là,n'avait
regardéquelui-même, se voitforcéd'agirsur
d'autresprincipes,et de consultersa raison
avant d'écouterses penchantsQuoiqu'ilse
prive dans cet état de plusieurs-avantages
qu'il tientde la nature, il en regagnede«si
grands,ses(facultéss'exercentet se dévelop-
pent,sesidéess'étendent:sessentimentss'en-
noblissent,sonfirne.toutentières'élèveà tel
point,que,;siles abusde cettenouvellecon-
ditionne le dégradaientsouventau-dessous
de celledontil'est sorti,il devraitbénirsans
cessel'instantheureuxqui l'enarrachapour
Jamais,et qui, d'unanimalstupideet borné,
fit unêtre intelligentet un homme.
Rédulsonstoute cette balanceà destermes
facilesà comparerCeque l'hommeperdpar
le contratsocial,c'estsa liberténaturelleet
un droitIlllmitéàtoutcequile tenteet qu'il
peut atteindre;cequ'ilgagne,c'estla liberté
cjvileet la propriétédetout ce qu'ilpossède.
Pourne passo tromperdansces compensa-
tions, il faut biendistinguerla liberténatu-
relle, qui n'a pour borneque les forcesd3
— 38 -
^
rindividu,dela libertécivile,qui est limitée
par la libertégénérale»et la possession,qui
n'estquel'effetde la forceouledroitdupre-
mieroccupant,de la propriété,quine peut
êtrefondéequedurun titre positif.
On pourraitsur ce qui précèdeajouterà
l'acquitde l'état civilla libertémorale,qui
seulerend l'hommevraimentmaîtrede lui,
carl'Impulsion duseulappétitest l'esclavage,
et l'obéissanceà laloiquon s'est prescriteest
la liberté.Maisje n'enal déjàquetropdit sur
cet article,et le sens philosophique du mot
Uberiïn'est pasici de monsujet.

IX.- bodomaine
réel.
Chaquemembredelacommunauté sedonne
à elleau momentqu'ellese forme,tel qu'ilse
trouveactuellement, luiet toutesses forces,
dont les biens qu'il possèdefont partie.Ce
n'estpasqueparcetactelapossession change
donatureen changeant de mains,etdevienne
propriétédanscellesdusouverain ; maiscom-
melesforcesde la citésont incomparable-
mentplusgrandesquecellesd'unparticulier,
la possessionpubliqueestaussidans lé fait
plusfoileet plusirrévocable,sansêtre plus
légitime,au moinspour les étrangers;car
l'Etat,à l'égardde ses membres,estmaître
detousleursbienspar lecontratsocial,qui,
dans l'Etat, sert de baseà tousles droite;
maisil ne l'est, à l'égarddesautrespuissan-
ces quepar le droitdepremieroccupant qu'il
tientdesparticulière.
- 36 —
Ledroitde premieroccupant,quoiqueplus
réelquecelutdu plusfort,nedevientun vrai
droitqu'aprèsl'établissement deceluide pro-
priété,Tout homme a naturellement droità
tout ce qui lui est nécessaire;mail l'actepo-
sitif qui le rendpropriétaire de quelquebien
l'exclutdetout le reste. Sa part étant faite,
il doits'y borner,et n'a plusaucundroità la
communauté. Voilàpourquoile droitde pre-
mieroccupant, si faibledansl'étatde nature,
est respectable à tout hommecivil. Onres-
pectemoinsdanscedroitce quiest à autrui
quece quin'estpasà soi,
Engendrai,pourautorisersur un terrain
quelconque le droitde premieroccupant,il
fautlesconditions suivantes: premièrement,
queceterrainne soitencorehabitéparper-
sonne;secondement, qu'onn'en occupeque
la quantitédontonabesoinpoursubsister;en
troisièmelieu,qu'on en prennepossession,
nonparunevainecérémonie, maispar letra-
vailet la culture,seulsignede propriétéqui,
audéfautde titresjuridiques,doiveêtreres-
pectéd'autrui.
En effet,accorderau besoinet au travaille
droitde premieroccupant,n'est-cepasl'éten»
dre aussiloinqu'ilpeutaller?Peut-onne pas
donnerdesbornesà ce droit?Sufflra-t-ilde
mettrele piedsurun terrain communpour
s'enprétendreaussitôtle maître?Sufflra-t-il
d'avoirla forced'en écarterun momentles
autreshommespourleurôterle droit d'yja-
mais revenir?Commentun hommeou un
peuplepeuWls'emparerd'un territoireim-
menseet en privertoutle genrehumainau-
— 37 —
trementquepar une usurpationpunissable,
puisqu'elle ôteau restedeshommesle séjour
et les alimentsque la nature leur donneen
commun?QuandNusiezBalbaoprenaitsurle
rivagepossession de la merduSudet detoute
l'Amériqueméridionale,au nomde la cou-
ronnede Castille,était-ceassezpouren dé-
possédertousleshabitantset en excluretous
les princesdu inonde?Surce pied-là,cescé-
rémonies se multipliaient
assezvainement, et
leroi catholiquen'avaittout d'un coupqu'à
prendredesoncabinetpossession de toutl'u-
nivers,saufà retrancherensuitede son em-
pirece quiétait auparavantpossédépar les
autresprinces.
Onconçoitcommentles terresdesparticu-
liers,réunieset continues,deviennent leter-
ritoirepublic,et commentle droit de souve-
raineté,s'étendantdessujetsau terrainqu'ils
occupent,devientà la foisréelet personnel ;
ce qui met les possesseursdansune plus
grande dépendance, et fait de leurs forces
mêinesles garantsde leurfidélité.Avantage
qui,neparaîtpasavoirété biensentidesan-
ciensmonarques,qui,ne s'appelantquerois
des Perses des Scythes,des Macédoniens,
semblaientse regardercommelèschefsdes
hommesplutôt que commeles maîtresdu
pays.Ceuxd'aujourd'hui s'appellentplusha-
bilementroisde France,d'Espagne ; d'Angle-
terre,etc.Entenantainsile terrain,ils sont
biensûrsd'entenirléshabitants.
Cequ'ily a de singulierdans cettealiéna-
tion,c'estque,loin qu'enacceptantles biens
des particuliersU communauté les en dé-
— 38 —
pouille,ellene fait queleur en assurerUvlé-
gitimepossession, changerl'usurpationenun
véritabledroit, et la jouissanceen propriété/
Alorsles possesseurs étant considérés
comme
dépositaires du bienpublic,leursdroitsétant
respectésde tousles membresde l'Etat, et
maintenusdé touteslesforcescontrel'étran-
ger, par unecessionavantageuseau public,
et plusencoreà eux-mêmes,Usont, p^ur
ainsidire, acquisce qu'ilsont donné: para-
doxe qui s'appliqueaisémentpar la distinc-
tiondesdroitsquele souverainet le proprié-
taireont sur le mêmefonds,commeonverra
ci-après.
Il peutarriveraussique les hommescom-
mencèrentà s'uniravantque dé rien possé-
der, et que, s'emparantensuited'un teiïàin
suffisantpour tous, ils en jouissenten com-
mun, ou qu'Usle partagententre eux, soit
également, soitselonles propositions
établies
parle souverain.Dequelquemanièrequese
fassecette acquisition,le droit que chaque
particuliera sursonproprefondsesttoujours
subordonné au droitquela communauté asur
tous; sansquoi,il n'y auraitni soliditédans
ieliensocial,ni forceréelledansl'exercice de
lasouveraineté.
Je termineraicechapitreet celivreparfûte
remarquequi doit servirde base à tout le
systèmesocials c'est qu'au lieudo détruire
l'égaliténaturelle,le pactefondamental sub-
stitueaucontraireuneégalitémoraleet légi-
timeà ce quelà natureavait pumettred'I-
négalitéphysiqueentreles hommes,et que,
pouvant être inégaux en forcéou eu génie,
- as —
Usdeviennenttous égauxpar convention
et
dé droit(1).
(t)Souslesmauvais gouvernements, cetteégalité
tellenesertqu'àmain-
etIllusoire
n'estqu'apparente
tenirle pauvredans sa misèreet le richedansson
usurpation,Danslé fait,tesloissonttoujoursutiles
&ceuxquipossèdent etnuisentà ceuxquin'ontrien;
d'éù11suitquel'étatsocial n'estavantageux aux
hommes qu'autant
qu'ilsonttousquelque choseet
qu'aucun d'euxn'ariendetrop.
*-40-

LIVREn

»,—Quetasouveraineté
estinaliénable,
La premièreet là plus importanteconsé-
quencedes principesci-devantétablis est
quela volontégénéralepeutseuledirigerlés
forcesde l'Etat selon la finde son institu-
tion,quiest lebiencommun;car si Poppôst-
tiondes intérêts particuliersa rendu néces-
saire l'établissement des sociétés,c'estl'ac-
cordde cesmêmesintérêtsqui l'a rendupos-
sible.C'estce qu'ily a de commun,dans ces
différents intérêtsqui formelelien social;et,
s'il n'y avait pas quelquepoint dans lequel
touslesintérêtss'accordent,nullesociéténe
sauraitexister.Or,C'estuniquementsur cet
intérêt commun que la sociétédoit être
gouvernée.
Je dis doncquela souveraineté, n'étantque
l'exercicede la volontégénérale,ne peutja-
maiss'aliéner,et que le souverain,quin'est
qu'unêtre collectif,ne peut être représenté
que par lui-même ; lé pouvoirpeut bien se
transmettre,maisnon pasla volonté.
En effet, s'Un'est pas impossiblequ'une
volontéparticulières'accorde,sur quelque
point,avecla volontégénérale,il est impos-
sibleau moinsque cet accordsoitdurableet
constant; car la volontéparticulièretend,
par sa nature,aux préférences >et là volonté
— 41 - .
généraleà l'égalité.Il est plus impossible
encorequ'on ait un garant de cet accord,
quandmêmeil devraittoujoursexister ce
ne seraitpas un effetde l'art, mais du ha-
sard.Lesouverainpeutbiendire:je veuxac-
tuellement ce queveut un tel homme,ou du
moinsce qu'il dit vouloir;maisil ne peut
pasdire: ce quecet hommevoudrademain,
je le voudraiencore,puisqu'ilest absurde
que la volontése donnedes chaînespour
l'avenu-,et puisqu'ilne dépend d'aucune
volontéde consentirà rien de contraireau
, biende l'être qui veut. Si donc le peuple
prometsimplementd'obéir,il se dissoutpar
cet acte; il perd sa qualitéde peuple: à
l'instantqu'ily a un maître,il n'y â plusde
souverain,et dèslors le corpspolitiqueest
détruit.
Ce n'est point à dire que les ordresdes
chefsne puissentpasserpourdes volontés
générales,tant que le souverain,libredes'y
opposer,nele fait pas.En pareilcas, du si-
lenceuniversel,on doit présumerle consen-
tementdu peuple.Cecis'expliqueraplusau
long,
II,—Quelasouverainetéestindivisible.
Parla mêmeraisonquela souveraineté est
car la volonté
elleest Indivisible;
Inaliénable,
est générale(l),ou ellenel'estpas; elle est
(1)P our
•toujours qu'unev soit
olonté g il
énérale,n'est
.pas
nécessaire soitunanime
qu'elle :maisHest
nécessaire
quetouteslesvoixsoient
comptées;toute
exclusion romptlagénéralité.
formelle
-42 —
celledu corpsdu peuple,ou seulementd'une
partie.Dansle premiercas,cettevolontédé-
claréeest un actedé souveraineté et. fait loi;
dansle second,;cen'estqu'unevolontéparti-
culièreou un actede magistrature;c'estun
décrettout au plus.
Mais,nos politiques,ne pouvantdiviserla
souveraineté danssonprincipe* la divisent; éh
forceet en volonté,en puissancelégislativeet
en puissanceexecutive,en droits d'impôts,
deJusticeet de guerre,enadministration in?
térièureet en pouvoirde traiter avecl'étran-
ger; tantôtUsconfondent toutes cesparties,
et tantôtilslesséparent;ils fontdusouverain'
un être fantastiqueetforméde piècesrappor-
tées; c'estcommes'ils composaient l'homme
de plusieurscorps,dontl'unauraitdesyeux,
l'autredesbras, l'autredes pieds;et rien dé
plus.Lescharlatansdu Japondépècent,, dit*
on, un enfantaux yeux de3 spectateurs. :
puis,Jetant en l'air tout ses membresl'un
aprèsl'autre,Usfontretomberl'enfantvivant
et tout rassemblé.Tels sontà peu prés lès
tours de gobeletsde nos politiques;après
avoirdémembréle corpssocialpar un pres-
tigedignedela foire,Ilsrassemblent les piè-
cesonne sait comment.
Cetteerreurvientde nes'être pas fait dé3
notionsexactesde l'autoritésouveraine,; et
d'avoirprispour,despartiesde cetteautorité
ce qui n'en étaitque desémanations.Ainsi,
par exempté,ona regardél'acte,de déclarer
la guerreet celuidefairela paix commé;dér
actes de.souveraineté,Cequi n'est pas puis-î
quo chacunde ces actesn'est point uneloi,
— 43 —
maisseulementune application de la loi,un
acteparticulier quidétermine lecas dela loi,
commeonleverraclairement quandl'idéeat-
tachéeau mot foiserafixée.
En suivant'de mêmelesautres divisions,
ontrouveraitque toutesles fois qu'oncroit
voir la souveraineté partagée,onsotrompe;
que les droits qu'onprendpourdes parties
de cettesouveraineté lui sonttous subordon-
nés, et supposenttoujoursdes volontéssu-
prêmesdontces droitsnedonnentquel'exé-
cution.
On ne saurait dire combience défaut
d'exactitude a jeté d'obscuritésur les déci-
sionsdesauteursen matièrede droit politi-
que, quandils ont voulujuger des droits
respectifsdes rois et. des peuples,sur les
principesqu'ilsavaientétablis.Chacunpeut
voir,dansleschapitresIII et IV du premier
livrede Grotius,commentce savanthomme
et son traducteurBarbeyracs'enchevêtrent,
s'embarrassent dansleurssophismes,crainte
d'endiratropou de n'enpas direassez,selon
leurçvues,et de choquerles intérêtsqu'ils
avaient à concilier.Grotius, réfugié en
France,mécontentde sa patrie, et voulant
fairesa courà LouisXIII,à quisonlivreest
dédié,n'épargnerienpourdépouiller les peu-
plésdé tous leurs droits,et pour en revêtir
lésroisavectoutl'art possible.C'eûtétébien
aussi le goût dé Barbeyrac,qui dédiaitsa
traductionau roi d'Angleterre,GeorgeI«,
Maismalheureusement l'expulsionde lac-
. quësII, qu'ilappelleabdication, léforçaità se
tenirsur la réserve;à gauchir,à tergiverser,
pour ne pas fairede Guillaume un usurpa-
teur.Si cesdeuxécrivainsavaientadoptéles
vraisprincipes,toutesles difficultésétaient
levées,etilseussentététoujoursconséquents;
maisils auraienttristementdit la vérité,et
n'auraientfait leurcourqu'aupeuple.Or,là
vériténe mènepointà la fortune,et le peu-
ple ne donneni ambassades,ni chaires,ni
pensions.
lit.—81lavolonté peuterrer.
générale
Il s'ensuitdece quiprécèdequela volonté
généraleest toujoursdroiteet tend toujoure
à l'utilitépublique;maisil ne s'ensuit.pas
queles délibérations du peupleaienttoujours
lamêmerectitude.Onveuttoujourssonbien,
maisonne le voitpastoujours;jamaisontiè
corromptle peuple,maissouventonïetrompe,
et c'estalors seulementqu'Uparaît vouloir
ce qui est mal.
Il y a souventbiende la différenceentrela
volontéde touset la volontégénérale: celle-
cine regardequ'àl'intérêtcommun,l'autre
regardé à l'.intérêtprivé, et n'est qù'urie
sommedevolontésparticulières; maisôtézde
cesmêmesvolontésles pluset lesmoinsqui
s'éntré-détruisent (1), restepour sommedes
différences la volontégénérale.;

(f)«chaque ditleM.d'A,,a desprincipe!


intérêt,
différents.
L'accord decieuxIntérêts
particuliersse
formeparopposition&celuid'untiers.» Il eûtpu
queraccord
ajouter detousles-intérêts
seformepar
— 45 —
SIquandle peuple,suffisamment informé,
délibère,lescitoyensn'avaientaucunecom-
munication entreeux, du grandnombrede
petitesdifférencesrésulteraittoujoursla vo-
lontégénérale,etla délibération seraittou-
joursbonne.Maisquandilsefaitdesbrigues,
des associationspartiellesaux dépensdela
grande,la volontéde chacunede cesassocia-
tionsdevientgénéraleparrapportà sesmem-
bres,et particulièrepar rapportà l'Etat;on
peutdirealorsqu'iln'y a plusautantdevo-
tants qued'hommes, maisseulementautant
qûéd'associations: les différences
deviennent
moins nombreuses et donnentun résultat
moinsgénéral.Enfin,quandunedecesasso-
ciationsest si grandequ'ellel'emportesur
touteélèsautres,vousn'avezplus pour ré-
stdtatunesommede petitesdifférences, mais
unedifférence unique;alorsil n'y a plus de
volontégénérale,et l'avisquil'emporten'est
qu'unavisparticulier.
sll Importedonc,pouravoirbienl'énoncé de
la volontégénérale,qu'il n'y aie pas deso-
ciétépartielledansl'Etat, et que chaqueci-
toyenr n'opineque d'aprèslui (1).Tellefut
l'uniqueet sublimeinstitutiondu grand Ly-
curgue.Ques'il y a déssociétéspartielles,il
en faut multiplierle nombreet en prévenir
oppositiona celui
dechacup.s'iln'y.avaitpointd'in-
térêts à peine
différents, l'Intérêt
sentirait-on commun
trouverait
quinoetla jamais : toutIraitdelut*
d'obstacle
même, poitlquo d'êtreunart.
cesserait
(f)«Veracesaèj ditMachiavel, cheâlcunèdivi-
sion!nuoeono e alcune
aileRep»bbliche, gtovano .
quelle nuoeonochesonod'aileseltee dapartlgiani
"
—46—, -'.'.'
l'inégalité,commefirentSolon,Numa,Servius.
' Cesiprécautionssontlessoit
seulesbonitespour
quela volontégénérale toujoursflairée
et quele peuplene se'trompe.point.
dtipouvoir
IV.--Desbornes souverain.
SIl'Etat ou la cité n'est qu'unepersonne
morale,dontla vie consistedans l'uniondé
ses membres,et si le plusimportantde ses
soinsest celuidesa propreconservation,il
lui faut une forcéuniverseUe et compulsive
pourmouvoirot disposerchaquepartiedela
manièrela,plus convenable au tout. Comme
là naturedonneà chaquehommeun pouvoir
absolusurtousses membres,le pactesocial
donneau corpspolitiqueun pouvoir'absolu
sur tousles siens, et c'estce mêmepouvoir,
qui, dirigé par la volontégénérale,porté,
commej'ai dit, le nomde souveraineté.
Mais,outrela personne publique,nousavons
à considérer les personnesprivéesquila com-
posent,et dontla vieet lalibertésontnatu-
rellementIndépendantes d'elles.Il s'agïtdonc
de biendistinguerles droitsrespectifsdescR
toyensetdusouverain(1),et lesdevoirsqu'ont
accompagnete : quelle
glovàno,chesenzasette,senza
simantengono.
partigfani, Nonpotendoadunque prô-
vedèreun fandatored'unaRepubbllca chenonsiano
Inquelle,'
lnlmlctzie hadaproveder almenochenon
viailànosètte.
»(iittt>F Ilv.Vil.)
lorent.,
(i)dLecteurs
attentifs,
em'accuser
novouspressez
IcideconlradicHon,pas, j evoui
Jet'ai pul'é-
prie,
viterdansles.termes, vulapauvreté déU langue,
tuaisatténdei.. '
— 47 — '
frremplirles premiers- en*qualitéde sujëtev
du droitnatureldontUsdoiventjouiren qua-
litéd'hommes.
Onconvient quetout ce quechacunaliène
par le pactesocialde sa puissance» de ses
biens,desa liberté,,c'estseulementla partie
detoutceladont l'usageimporteà la com-
munauté;maisU faut conveniraussi que'le
souverainseulestjugedecetteimportance.
Tousles servicesqu'un citoyenpeut rendre
à l'Etat, Ules lui doit sitôt'quele souverain
lésdemande:maisle souverain, deson côté,
ne peut chargerles sujets d'aucunechaîne
inutileà lacommunauté; Unepeutpasmême
levouloir: car,sousla loide raison, rienne
se faitsanscause,nonplusquesousla loide
nature.
Lésengagements qui nous lient au corps
socialne sont obligatoiresque parcequ'Un
sont intitùèls,et leurnatureest teUe,qu'en
leâremplissant on<nepeuttravaillerpourau-
truisanstràvaUlér aussipoursoi.pourquoi la
volontégénéraleest-elletoujoursdroite, et
pourquoitous veulent-ilsconstammentle
bbnheur.dechacund'eux,si ce n'est parce
qu'iln'y,à personnequine s'approprie cemot
chacun, et quine songeà lui-même envotant
pourtous?Cequiprouvequel'égalitédédroit
et lanotiondejusticequ'elleproduitdérivent
dela préférence quechacunse donne,et par
JÎconséquent de,'lànaturede l'homme;quela
j volonté;générale,pour être vraimentteUe,
doitl'êteedanssonobjet, ainsiquedansson
essence;qu'elledoit partirde touspours'ap-
pliquerà tous, et qu'elleperd sa rectitude
--48 — ';-.:;
naturellelorsqu'elletendà quelqueobjetindi-
viduelet déterminé,parcequ'alorsJugeantde
cequinouaest étranger,nous n'avonsaucun
praiprinciped'équitéqui nousguide.
En effet,sitôtqu'Us'agit d'unfait Oud'un
droitparticulier,sur un pointquin'a pasété;
ïéglé par une conventiongénéraleet'.•'intér-
ieure, l'affairedevientcontentieusô. C'estun
procèsoù les particuliersintéresséssontune
îlespartiesetlepublicl'autre.maisoùjenevois
ai la loiqu'Ufaut suivre, ni le jugequi doit
prononcer.Il seraitridiculede vouloiralors
s'enrapporteraune expressedécisiondé la
volontégénérale,qui ne peutêtrequela con-
clusionde l'unede parties,et qui, parconsé-
quent,n'estpourl'autrequ'unevolontéétran-
gère,particulière,portéeen cetteoccasion à
et sujetteà l'erreur.Ainsi,démême
l'injustice
qu'unevolontéparticulièrene peutreprésen-
ter la volontégénérale,la volonté générale,à
son tour, changede nature,ayantun objet
particulier,etne peut,commegénérale,pro-
noncerni surun hommenisurun fait.Quand
le peupled'Athènes,par exemple,nommait
ou cassaitses chefs,décernaitdes honneurs
à l'un,imposaitdespeinesà l'autre, et, par
desmultitudesde décretsparticuliers,exer-
çaitindistinctement tousles actesdugouver-
nement,le peuplealorsn'avaitplusdevolonté
généraleproprementdite, il n'agissaitplus
commesouverain,mais commemagistrat.
Ceciparaîtracontraireauxidéescommuhèô;
maisil fautmelaisserle tempsd'exposer lés
miennes,
Ondoitconcevoir parlà quece quigénéra*
•—49 —
Usela volontéestmoinslenombredesvoix,
quel'intérêtcommunqui lesunit; car, dans
uneinstitution,chacunse soumetnécessaire-
mentauxconditions qu'ilimposeaux autres;
accordadmirable del'intérêtet de laJustice,
qui donneaux délibérationscommunes un
caractèred'équitéqu'onvoitévanouirdansla
discussion détouteaffaireparticulière,faute
d'unintérêtcommunquiunisseet identifiela
règledu jugeaveccelledela partie.
Par quelquecôtéqu'onremonteauprincipe,
onarrivetoujoursà la mêmeconclusion ; sa-
voirt quele pactesocialétablitentrelesci-
' tôyênsunetelleégalité,qu'ilss'engagenttous
Souslés mêmesconditions,et doiventioulr
tousdesmêmesdroits,Ainsi,parla naturedu
pacte*;toutactede souveraineté, c'est-à-dire
tout acteauthentiquedela volontégénérale,
Obligé oufavoriseégalement touslescitoyens,
ensorte que le souverain connaîtseulement
le corpsde la nation,et ne distingueaucun
deceuxqui la composent. Qu'est-cedoncpro-
prementqu'Unactedesouveraineté? Cen'est
pasuneconventiondu supérieuravecl'infé-
rieurmaisuneconvention du corpsaveccha-
cundô ses membres;conventionlégitime,
parcequ'ellea pour baselé contratsocial;
équitable,parcequ'elleest commune à touss
utile,parcequ'ellene peutavoird'autreobjet
quele biengénérai,et solide,parcequ'ellea
pourgarant la forcepubliqueet le pouvoir
suprême.Tantquelessujetsne sontsoumis
qu'àde tellesconventions,ils n'obéissentà
; personne, matsseulement à leurproprevolon-
té; et demanderJusqu'oùs'étendentlesdroits
-50-
réspectifsdu souverainet descitoyens ; c'est
demander jusqu'àquelpointceux-cipeuvent;
s'engageravec eux-mêmes,chacun1envers
tous,et tousenverschacund'eux.
On voit par là que le pouvoirsouverain;
tout absolu,tout sacré,tout inviolable qu'il
est,né passeni ne peutpasserlesbornésdés
conventions générales,et que tout homme
peut disposerpleinement de ce qui 1UIa été
laisséde sesbiensetdesa libertépar Cescon-
ventions;de sorteque le souverain n'estja-
maisen droitde chargerun sujet plusqu'un
autre,parcequ'alors,l'affairedevenantparti-5
son n 'est
culière, pouvoir pluscompétent.
Cesdistinctionsune foisadmises,il est si
fauxquedans le contratsocialil y ait j de
la part dés particuliers,aucunerenoncià'
tionvéritable,que leursituation,par l'effet
de ce contrat, se trouveréellementpréfé-
rableà ce qu'elleétait auparavant,et qu'au
lieu d'une aliénationUs n'ont fait qu'un
échangeavantageux d'unemanièreincertaine
et précairecontreuneautremeUleure et plus
sûre,de l'indépendance naturellecontrela li-
berté,du pouvoirdenuireà autruicontreleur
propresûreté, et de leurforcequed'autres
pouvaient surmontercontreun drottquel'u-
nionsocialerendInvincible. Leurviemême,
qu'Usontdévouée à l'Etat,en est continueUe-
mentprotégée; et lorsqu'ilsl'exposentpour
sa défense;quefont-ilsalors,quelui rendre
ce qu'Usont reçudelui?;Quefont-Us qu'ilsne
fissentplusfréquemment et avecplusdedan-
ger dansl'étatdé nature,lorsquelivrantdès
combatsInévitable^. U$:défendraient»au péril
— 51—
de leurvie,,ce qui leur sertà*la conserver?
Tousont à' combattreau besoinpourla pa-
trie, U est vrai, maisaussinuln'a jamaisè
combattre;poursoi.Negagne-t-on pasencore
à courir,pource qui fait notre sûreté, une
partiedes risquesqu'il faudraitcourit,pour
nous-mêmes sitôtqu'ellenousseraitôtée?

V.—Dudroitdevieetdemort.
Ondemandecomment lesparticuliers,
n'ayant
pointdroitdedisposerdeleurproprevie,peu-
venttransmettreau souveraincemêmedroit
qu'Usn'ontpas?Cettequestionne paraîtdif-
flCUeà résoudreque parcequ'elleest malpo-
sée;Touthommea droitde risquerSapropre
viépoùrla conserver.A-t-onjamais dit que-
celuiqui1sejettepar une fenêtrepoUréchap
p|rà un incendiesoit coupabledesuicide?
A't-onniëiheJamaisimputécecrimeà celui
quipéritdansunetempêtedont,en s'embar-
quant,il n'ignorepasle danger?
•Letraité sociala pourfin la conservation
descontractants.Quiveutla fin veut ausst
lésmoyens,et ces moyenssont inséparables
de quelquesrisques,mêmedequelques pertes.
Où!veutconserversa vieaux dépensdesau-
tres, doitla donneraussipoureux quandU
faut. Or, lé citoyenn'est plusJuge dupôrll
duquella 161veut qu'il s'expose{et quandle
princeluia dit : 11est expédientà l'Etatque
tu meures, 11doit mourir;puisquecen'est
qu'àcettecondition qu'ila vécuensûretéjus-
Qu'àlors,et quesa vien'estplusseulement un
-.62-
bieufaltde la nature,maisun doncondition*
nelde l'Etat.
Lapeinedemortinfligéeauxcriminels peut
être envisagéeà peuprèssousle mêmepoint
de vue; c'estpourn'êtrepas la victimed'un
assassinque l'on consentà mourir,si on le
devient.Danscetraité,loinde disposerde Sa
proprevie,on ne songequ'àla garantir,et il
n'estpas à présumerqu'undescontractante
préméditedo se fairependre.
D'ailleurstout malfaiteur,attaquantle droit
social,devientpar ses forfaitsrebelleet traî-
tre à la patrie; il cessed'en êtremembreen
violantses lois,et mêmeil luifaitla guerre.
Alors,la conservation de l'Etatest incompa-
tibleavecla sienne; il faut qu'unde3deux
périsse:et quandon faitmourirle coupable,
c'est moinscommecitoyenque commeen-
nemi.Les procédures,le jugement,sontles
preuvesde la déclaration qu'ila rompuletrai-
té social,et, par conséquent,qu'iln'est plus
membrede l'Etat. Or,commeil est reconnu
tel, tout au moinspar son séjour,il en doit
être retranehéparl'exil,commeinfracteurdu
pacte,ou par la mort,commeennemipublic,
car un tel ennemin'estpas unepersonnemo-
rale: c'estun homme,et c'estalorsquele
droitde la guerreest de tuerle vaincu.
Mais,dira-t-on, la condamnation d'uncrimi-
nel est un acte particulier.D'accord:aussi,
cettecondamnation n'appartient-ellepointau
souverain; c'est un droitqu'il peut conférer
sans pouvoirl'exercerlui-même. Toutesmes
idéesse tiennent,maisje nesauraisles expo-
ser toutesà la fois.
— 53 -
Aureste,la fréquence de supplices
est tou-
joursun signedefaiblesse oude paressedans
le gouvernement s il n'y a pointde méchant
qu'onne pût rendrebonà quelquechose." On
n'a droitde fairemourir,mêmepourl'exem-
ple,que celuiqu'onne peut conserver sans
danger.
Al'égarddu droitdefairegrâceoud'exemp-
ter un coupable de la peineportéepar la loi
et prononcée par le juge, il n'appartient
qu'à
celuiqui est au-dessusdu jugeet de la loi,
c'est-à-direaasouverain ; encoresondroiten
cecin'est-ilpas biennet, et les casd'enuser
sont-Us très rares.Dansun Etat biengouver-
né, il y a peude punitions,nonparcequ'on
fait beaucoup de grâces,maisparcequ'ily a
peudecriminels ; lamultitudedescrimesen
assurel'impunité, lorsquel'Etatdépérit.Sous
la république romaine,jamaisle sénatni les
consulsnetentèrentde fairegrâce,le peuple
mêmen'enfaisaitpas,quoiqu'il révoquâtquel-
quefoisson proprejugement.Lésfréquentes
grâcesannoncentquebientôtles forfaitsn'en
auront plus besoin,'et chacunvolt où cela
mène.Maisje sensquemoncoeurmurmureet
retientma plume;laissonsdiscutercesques-
tionsà l'hommejustequi n'a pointfailli,et
quijamaisn'eutlui-mêmebesoinde grâce,
VI.-Dela loi.
Parle pactesocial,nousavonsdonnél'exis-
; il s'agit
tenceet la vie au corpspolitique
maintenantdeluidonnerle mouvement et la
- 54 -
volontépar la législation.Carl'acte primitif
par lequelc e corps se formeet s'unit ne dé-
terminerien encoredece qu'Udoitfairepour
se conserver.
Cequi est bienet conformeà l'ordreesttel
parla nature des choseset indépendamment
desconventions humaines.Toutejusticevient
deDieu,lui seul en est la source;maissi nous
gavionsla recevoirde si haut, nousn'aurions
besoinni de gouvernementni de lois.Sans
douteil est une justiceuniverselle, émanéede
la raisonseule;maiscette justice,pour être
admiseentre nous, doit être réciproque.A
considérerhumainementles choses,fautede
sanctionnaturelle,les loisde la justicesont
vainesparmileshommes;ellesne font quele
biendu méchantet le mal du justeî quand
celui-cilesObserve avectout le monde,sans
quepersonneles observeaveclui.Il faut donc
desconventions et desloispourunirlesdroits
aux devoirset ramenerla justiceà son objet.
Dansl'état de nature,où tout est commun,je
ne doisrien à ceux à qui Jen'ai rien promis;
je ne reconnaispourêtre à autrui que ce qui
m'estinutile. Il n'en est pas ainsidans l'état
civil,oùtous lesdroitssont fixéspar la loi.
;Maisqu'eét-cedoncenfinqu'une loi? Tant
qu'on se contenteradé n'attacherà ce mot
que des idéesmétaphysiques,on continuera
de raisonnersans s'entendre; et quand on
aura dit Cequec'est qu'uneloi de la nature,
on n'en saura pas mieuxce que c'est qu'une
loiàë l'Etat.V:
J'âl déjà dit qu'iln'y avait pointde volonté
généralesur un objetparticulier.En effet,cet
~ 55— •
objet particulierest dans l'Etat ou horsdo
l'État: une volontéqui lui est étrangèren'est
pointgénéralepar rappelt à lui, et si cetob-
îet est dansl'Etat, il entait partie;alorsil se
forint entre le tout et sa partieune relation
qui en fait deux êtres séparés,dont la partie
est l'un, et le tout moins cette mêmepartie
est l'autre.Maisle tout moinsunepartien'est
pointle tout, et tant quece rapportsubsiste,
U n'y a plus de tout, mais deux parties
inégales;d'oùil suit que la volontéde l'une
n'est point non plus généralepar rapportà
l'autre.
Mai|quandtout le peuplestatuesur toutle
peuple,il ne considèreque lui-même;et s'il
se formealorsun rapport,c'estde l'objeten-
tier sousun pointde vueà l'objetentiersous
un autre point de vue,sansaucune division
du tout Alors,la matièresur laquelleon sta-
tue est généralecommela volontéquistatue.
C'estcet acte quej'appelleune loi,
Quandje dis que l'objetdes lois est tou-
joursgénéral,J'entendsque la loi considère
les sujets en corpset les actionscommeabs-
traites,jamaisun hommecommeindividu,ni
une actionparticulière.Ainsi,la loi peutbien
statuer qu'ily aura des privilèges,mais elle
n'en peut donnernommément à personne;la
loi peut faire plusieursclassesde citoyens,
-assigner même les qualitésqui donneront
droità cesclasses,maisellene peut nommer
tels et tels poury être admis; elle peut
établirun gouvernement, royalet une succes-
sion,héréditaire,mais elle ne peut élire
*
un
roi ni nommer- u ne familleroyale en un
-66 —
mot, toute fonctionqui se rapporteà un objet
individueln'appartientpoint à la puissance
législative.
Sur cette idée, on voità l'instant qu'Une
faut plus demanderà qui il appartientde
faire des lois, puisqu'ellessont des actesde
la volontégénérale; ni si le prince est au-
dessusdeslois,puisqu'ilest membredel'Etat
ni si.la loi peut être injuste,puisquenul n'est
injuste enverslui-même;ni commenton e3t
libreet soumisaux lois,puisqu'ellesne sont
que des registresde nos volontés.
On voitencoreque la loi réunissantl'uni-
versalitéde la volontéet celle de l'objet,ce
qu'unhomme,quelqu'ilpuisseêtre, ordonne
de son chef n'est point une loi; ce qu'or-
donnemêmele souverainsur un objet parti-
culiern'est pas non plusuneloi, maisun dé-
cret; ni un acte de souveraineté,mais de
magistrature.
J'appelledoncrépubliquetout Etat régipar
des lois, sousquelqueformed'administration
que ce puisseêtre; car alorsseulementl'inté-
rêt publicgouverne,et la chosepubliqueest
quelquechose.Tout gouvernement légitime
est républicain(1).J'expliqueraici-aprèsce
que c'estque gouvernement.
Lesloisne sont proprementque les condl-
Jen'entends
(1) passeulement,parcemot,unearis-
euunedémocratie,
tocratie maisengénéraltoutgou-
vernementguidé parla volonté
générale,qui estla
loi.Pourêtrelégitime,
il nefautpasquele gouverne-
mentseconfonde aveclesouverain,maisqu'ilensoit
leministre;
alorsla monarchieelle-même
estrépubli-
que.Cecis'éclalrclra
danslelivresuivant,
-5?-
tionsde l'associationclvUe.Le peuplesoumis
aux loisen doitêtre l'auteur: il n'appartient
qu'à ceuxqui s'associentde réglerles condi-
tionsde la société;maiscomment1&régie
ront-ils?Sera-ced'un communaccord,par
une Inspirationsublime?Le corps politique
a-t-ilun organe pour énoncerses volontés?
Quilui donnerala prévoyance nécessairepour
en formerlesacteset les publierd'avance,ou
commentles prononcera-t-il au momentdu
besoin?Commentunemultitudeaveugle,qui
souventne sait ce qu'elleveut, parcequ'elle
sait rarementce qui luiest bon,exécuterait-
elled'elle-même une entrepriseaussigrande,
, aussi difficile,qu'un systèmede législation?
Delui-même, le peupleveut toujoursle bien;
mais, de lui-même,il nolevoitpastoujours.
La volontégénéraleest toujoursdroite; mais
le jugementqui la guide n'est pastoujours
éclairé,Il faut lui faire voir les objetstels
qu'ilssont, quelquefoistelsqu'ils doiventlui
paraître; lui montrerle bon cheminqu'elle
cherche,la garantirde la séductiondes vo-
lontés particulières,rapprocherà ses yeux
les lieuxet les temps, balancerl'attrait des
avantagesprésentset sensibles,par le danger
des mauxéloignéset cachés.Lesparticuliers
voientlebienqu'ilsrejettent,lepublicveutle
bienqu'Une voitpas.Tousont égalementbe-
soindeguides; ilfautobligerlesunsà confor-
merleursvolontésàleurraison;ilfautapprendre
au peupleà connaîtrece qu'ilveut Alors,des
lumièrespubUques résultel'unionde l'enten-
dementet dela volontédansle corpssocial;
de là, l'exactconcoursdes parties,et enfinla
— 88 — .'''--
plusgrande forcédu tout. Voilàd'oùnaît la
nécessitéd'un législateur.

Vil.—Dulégislateur.
Pourdécouvrirles meilleuresrègles de so-
ciétéqui conviennentaux nations,il faudrait
une intelligencesupérieurequi vit toutes
tes passionset qui n'en éprouvâtaucune;qui
n'eut aucunrapportavecnotre natureet qui
la connûtà tond; dont.le bonheurfût indé-
pendantde nous, et qui pourtantvoulûtbien
s'occuperdu nôtre; enfinqui,dansle progrès
des temps,se ménageantune gloireéloignée,
pût travaillerdu .s un siècleet Jouirdansun
autre (l). Il faudrait des dieux pourdonner
desloisaux hommes.
Lemêmeraisonnementque faisaitCaligula
quant au fait, Platonle faisaitquantau droit,
pourdéfinirl'hommecivilou royal,qu'il cher-
che danssonLivredu Règne;maisil est vrai
qu'ungrandprinceest un hommerare; que
sera-ced'un grand législateur?Lepremiern'a
qu'à suivrele modèleque l'autre doit propo-
ser ; celui-ciest le mécanicien qui inventela
machine, celui-làn'est que l'ouvrierqui la
monteet la faitmarcher.Dansla naissancedes
sociétés,dit Montesquieu,ce sont les chefs
desrépubliquesqui font l'institution,et c'est
(I) Unpeuple nedevientcélèbrequequand salé-
gislatloncommence à décliner.OnIgnoredurant
combiendesiècles deLycurgue
l'institution fitlebon-
heurdesSpartiates avantqu'ilfut1question d'eux
danslerestedelaGrèce.
- 69 - '
ensuitel'institutionqui formeleschefsdesré-
publiques.
Celuiqui ose entreprendred'instituerun
peupledoitse sentiren état de changer,pour
ainsidire,la naturehumaine;detransformer
chaqueindividu,qui, par lui-même,est un
tout parfaitet solidaire,en partie d'un plus
grandtout,dontcetindividureçoive,en quel-
quesorte,sa vieet sonêtre;d'altérerlacons-
titution de l'hommepour la renforcer;de
substitueruneexistencepartielleet moraleà
l'existencephysique et indépendante quenous
avonstous reçuede la nature.Il faut, en un
mot,qu'ilôteà l'hommeses forcespropres,
pourlui en donnerqui lui soientétrangères,
et dont il ne puissefaire usage sans le se-
coursd'autrui.Pluscesforcesnaturefiessont
mortes et anéanties,plus les acquisessont
grandeset durables,plus aussi l'institution
est soUdeet parfaite;et sortequesi chaque
citoyenn'est rien, ne peut rienquepar tous
les autres, et que la forceacquisepar le tout
soit égaleou supérieure a lasommedesforces
naturellesde tousles individus,on peutdire
quela législationest'au plus haut point de
perfectionqu'ellepuisseatteindre.
Lelégislateurest, à touségards,un homme
extraordinaire dansl'Etat. S'Udoit l'êtrepar
son génie, Une l'est pas moinspar sonem-
ploi.Cen'estpointmagistrature, ce n'estpoint
souveraineté.Cetemploi,qui constituela ré-
publique,n'entrepointdans sa constitution ;
c'estunefonctionparticulièreet supérieure,
qui n'a rien de communavec l'empirehu-
t main; carsiceluiquicommande auxhommes
~- 60 —
ne doit pas commanderaux lois, celuiqui
commandeauxloisne doitpas non plus com-
manderaux hommes;autrement, ses lois,
ministresde ses passions,ne feraientsouvent
qut perpétuerses injustices,et JamaisU ne
pourraitéviterque desvuesparticulièresn'al-
térassentla saintetéde son ouvrage.
QuandLycurguedonnades lois à sa pa-
trie, il commençapar abdiquerla royauté.
C'était la coutumede la plupart des villes
grecques,de confierà desétrangersl'établis-
sementdes leurs. Les républiquesmodernes
del'Italie imitèrentsouventcet usage; celle
de Genèveenfitautantet s'entrouva bien(1).
Rome,dans son plus bel âge, vit renaître
en sonseintous les crimesde la tyrannie et
se vit prête à périr pour avoir réuni sur les
mêmestêtes l'autoritélégislativeet le pouvoir
souverain.
Cependantles décemvirseux-mêmesne
s'arrogèrentjamais le droit de faire passer
aucuneloi de leur seuleautorité. • Rien de
ce que nous vous proposons,disaient-Usau
peuple,ne peut passeren loi sans votrecon-
sentement.Romains,soyezvous-mêmesles
auteursdes lois qui doiventfairevotre bon-
heur, »
(1)Ceux q uineconsidèrent
Calvin
que comme théo-
logien, connaissent dosongénie,Laré-
mall'étendue
dactiondenossagesédits,à laquelleileutbeaucoup
depart,luifaitautantd'honneurquesonInstitution.
Quelque révolutionqueletempspuisseamener dans
notreculte,tantquoVamour deta patrieet de lali-
berténeserapaséteintparminous,jamaisla mé-
moiredecegrandhomme necessera
d'yêtreenbéné-
diction.
- Cl - •
celui qui rédigeles lois n'a donc ou ne
doitavoiraucundroit législatif,et le peuple
même ne peut, quandil le voudrait,se dé-
pouillerde ce droit incommunicable, parce
que, selonle pactefondamental, il n'y a que
la volontégénéralequi obligelesparticuliers,
et qu'onne peut jamaiss'assurerqu'unevo-
lonté particulièreest conforme à la volonté
générale,qu'aprèsl'avoirsoumiseaux suffra-
ges libresdu peuple;j'ai déjàdit cela,maisil
n'est pas inutilede le répéter.
Ainsi,l'on trouveà la fois dans l'ouvrage
de la législation,deux chosesqui semblent
incompatibles : uneentrepriseau-dessusde la
, forcehumaine,et, pourl'exécuter,uneauto-
rité qui n'estrien.
Autre difficultéqui mérite attention.Les
sagesquiveulentparlerau vulgaireleurlan-
gage aulieudu sien,n'en sauraientêtreen-
tendus.Or,il y a millesortesd'idéesqu'ilest
impossible de traduiredansla languedupeu-
ple.Lesvuestrop généraleset les objetstrop
éloignéssont égalementhorsde sa portée;
chaqueindividune goûtantd'autre plan de
gouvernementque celui qui se rapportée
son intérêtparticulier,aperçoitdifficilement
les avantagesqu'ildoitretirerdés privations
continuelles qu'imposent lesbonneslois.Pour
qu'unpeuplenaissantpût goûterlès saines
maximesde la politiqueet suivreles règles
fondamentales dela raisonde l'Etat,il fau-
drait que l'effetpût devenirla cause, que
l'esprit social,qui doit être l'ouvragede
l'institution,présidâtà l'institutionmême,et
que les hommesfussent avant lés lois ce
- «a -
qu'Usdoiventêtre par elles.Ainsidono,lé
législateurne pouvantemployernila forceni
le raisonnement,o'estune nécessitequ'ilre?
coure à une autorité d'un autre ordre qui
puisse entraînersans violenceet persuader
sansconvaincre.
Voilàce qui forçadé tout tempsles pairs
des nations de recourirà l'interventiondu
ciel et d'honorerles dieuxde leur propresa-
gesse,afinquelespeuples,soumisaux loisde
l'Etatcommeà cellesde la nature,etrecon*
naissantle mêmepouvoirdansla formation
de l'hommeet dans cellede la cité,obéissent
aveclibertéet portassentdocUement le joug
de là félicitépublique.
CetteraisonsubUme,qui s'élèveau-dessus
dela portéedeshommesvulgaires,est celle
dontle législateur,metles décisionsdansla
bouchedeS immortels,pour entraîner^par
l'autoritédivine,ceuxque né pourraitébran-:
1erlà prudencehumaine(1),MaisUn'àpjpiar-
tient pas à tout hommede faire parlerlés
dieux, ni d'être cru quand;U s'annonce
pourêtre leur interprète.Lagrandeâmë dii
législateurest le vrai miraclequidoit prou-
ver sa mission.Touthommepeutgraverdès
tables de pierre, ou acheterun orâClé,où
feindreun secretcommerceavecquelquedi->-
. (I)i Everamente. melsriôr»
djtMachiavel, faalcïïno
ordinatore di lèggistràbrdinarje
liiuti popùldj
1 che
nonricoresse a Dio,perche
a'.irlmentl
nonsàrëbhërb
accéttate',
•prudenie, perche sono*mollisheni
conosciuti- da uno-
etqualinonhàmio.ih se ràggibnllevidenU
,ât-:.potérgir
porsuàderead.alirvA» IDiscorit topràp
Ti(oLivto,\.v,c,x\,y 'î'-i —VÏÏK-:
vinlté,oudresserun oiseaupourlui parlerà
l'oreille,ou trouverd'autresmoyensgrossiers
d'en Imposerau peuple,Celuiqui ne saura
que celapourramêmeassemblerpar hasard
unetrouped'insensés,mais il ne fonderaja-
maisun empire,et son extravagantouvrage
périra bientôt avec lui* De vains prestiges
formentun lien passager;U n'y a que la sa-
gessequi le rende durable,La loi judaïque,
toujourssubsistante; celle de l'enfantd'Is-
maël, qui depuis dix sièclesrégitla moitié
du monde,annoncentencoreaujourd'huiles
grandshommesqui lesont dictées;et tandis
que l'orgueilleuse philosophieou l'aveuglees-
de parti ne voit en eux que d'heureux
firit
mposteurs, levraipolitiqueadmiredansleurs
institutionsce grand et puissantgénie qui
présideaux établissements durables.
Il ne faut pas de tout ceciconclureavec
Warburtonque la politiqueet la religionaient
nousun objetcommun;maisque,dans
iiarml
'originedes nations,l'un*sert d'instrument
à l'autre.

VI11,—Du peuple.
Comme,avantd'élever,un grandarchitecte
observeet sondele sol pourvoir s'U en peut
soutenirle poids,le sage instituteurnecom-
mencepas par rédiger de bonnes lois en
elles-mêmes; mais il examineauparavantsi
le peupleauquel11lesdestineest propreà les
supporter. C est pour celaque Platonrefusa
de donner des lois aux Arcadienset aux
— 64 »-
Cyréniens,sachant que ces deux peuples
étaientricheset ne pouvaientsouffrirl'éga-
lité; s'est pour cela qu'on vit en Crètede
bonneslois et de méchantshommes,parce
que Minosn'avait disciplinéqu'un peuplé
chargéde vices.
Millenationsont brillésur la terre,quin'au-
raient jamais pu souffrirde bonneslois; et
ceUesmêmequi l'auraientpu n'ont eu dans
touteleurduréequ'untempsfort court pour
cela.Lespeuples,ainsi que les hommes,ne
sont docilesque dans leur jeunesse;Usde-
viennentincorrigiblesen vieillissant
;quandune
foisles coutumessont établieset les préjugés
enracinés,c'estune entreprisedangereuseet
vainedevouloirlesréformer;lepeuplene peut
pasmêmesouffrirqu'on toucheà ses maux
pour les détruire,semblableà ces malades
stupideset sans couragequi frémissentà l'as-
pectdu médecin.
Cen'est pas que,commequelquesmaladies
bouleversent la tête deshommes,et leurôteni
le souvenirdu passé,il ne se trouvequelque-
fols,dansla duréedes États,des époquesvio-
lentesoùlesrévolutionsfontsur les peuples
ce quecertainescrisesfontsurles individus,
où l'horreurdu passétientlieud'oubli,et où
l'Etat,embrasépar les guerresciviles,renaît,
pourainsidire,de sa cendre,et reprendla
vigueurde la jeunesseen sortantles bras de
la mort : telle fut Sparteau temps de Ly-
curgue,tellefut Romeaprèsles Tarquins,et
tellesont été, parminous, la Hollandeet la
Suisse,aprèsl'expulsion destyrans.
Maiscesévénementssontrares; ce sontdes
r» 55 — '
exceptions dont la raisonse trouvetoujours
dansla constitution particulièrede l'Etatexr
cepté.Ellesne sauraientmême avoir lieu
deuxfoispourlemêmepeuple;caril peutse
rendrelibretant qu'Un'est quebarbare,mais
il ne le peutquequandle ressortcivilest usé.
Alorsles troublespeuventle détruiresans
que les révolutionspuissentle rétablir;et
sitôtque sesferssontbrisés,il tombeépars
et n'existeplus; il lui faut désormaisun
maîtreet non pas un libérateur.Peuplesli-
bres, souvenez-vous de cette maxime: On
peut acquérirla liberté,mais on ne la re-
couvrejamais.
Il est pour les nations, commepour les
hommes,un tempsde maturitéqu'ilfautat-
tendreavantdelesoumettreà deslois; mais
la maturitéd'un peuplen'est pas toujours
facileà connaître,et si on la prévient,l'ou-
vrageest manqué.Telpeupleest disciplinâ-
bleennaissant;tel autrene l'est pas au bout
de dixsiècles.Les Russesne serontjamais
.vraimentpolicés,parce qu'ils l'ont été trop
tôt. Pierreavait le génieimitatif,il n'avait
pasle vrai génie,celui.quicréeet fait tout
de rien,,Quelques-unes des chosesqu'il fit
étaientbien,la plupartétaientdéplacées. Il a
vu queson peupleétaitbarbare,U n'a point
vu qu'iln'étaitpas mûr pourla police;il l'a
'; voutuciviliserquand11né fallaitquel'agUér-
rlr. H a d'abordvoulufaire des Allemands,
des Anglais,quandil fallaitcommencer par
I faire des Russes ; il a empêché s es sujetsde
s,jamaisdevenirce qu'ils pourraientêtre, en
\ leur persuadantqu'Usétaient ce qu'Usne
tOCIil
-'»t!COMS1T J
sontpas. C'estainsi qu'un précepteurfran*
calsformeson élèvepourbrillerun moment-
dansson enfance,et puis n'être jamaisrien.
L'empirede Russievoudrasubjuguerl'Eu-
rope,et serasubjuguôlul-môme. LesTàvtâres,
ses sujets où ses voisins*deviendrontses
maîtreset lesnôtresscetterévolutionme pa-
raitinfaillible.Touslesrois de l'Europetray
vaiUentde concertà l'accélérer.

IX.—Suitedu-chapitra
précédent.
Commela nature u donnédes termesà la
statured'unhommebienconformé, passéles-
quelsellene fait plusquedes géants ou des
nains,il y a de môme,eu égardà la meilleure
eonstitution.d'unEtat,desbornesà l'étendue
qu'Upeutavoir,afinqu'ilnosoitni tropgrand
pour pouvoirêtre biengouverné,ni troppe-
tit pourpouvoirse maintenirpar lui-même.
U y a danstout corpspolitiqueun maximum
de forcequ'ilnesauraitpasser,et duquelsou-
vent il s'éloigneà force de grandir.Plusle
liensocials'étend,plus il so.relâche,et, en
général,un petit.Étatest proportionnellement
plusfortqu'ungrand.
Milleraisonsdémontrentcette maxime.
Premièrement,l'administration dévientplus:
pénibledanslesgrandesdistances,commeun
poidsdévientplus lourd au bout d'un plus
grandlevier.Elledévientainsiplusonéreuse
a mesureque lés degrésse multiplient;car
chaquevUloa d'abordla sienneque lé peuplé
-67—"
payé,chaquedistrictla sienne,encorepayée
par le peuple;ensuitechaqueprovince,puis
lés grandsgouvernements, les satrapies,les
vicé-royautésqu'il faut toujourspayerplus
cherà mesurequ'onmonte, et toujoursaux
dépensdu malheureuxpeuple; .enfin,vient
l'administration suprême,qui écrasetout :
tant de surchargesépuisantcontinuellement
les sujets, loin d'être mieux gouvernéspar
cesdifférentsordres,Us lô sont moinsbien
que s'U n'y enbavaitqu'un seul au-dessus
d'eux,Cependant,à peinereste-t-ildesrés-»
sourcespourlescasextraordinaires, et quand
Uy fautrecourir,l'Etatest toujoursà la veUle
desa ruine.
Cen'est pas tout : non-seulementle gou-
vernementa moinsde vigueuret de célérité
pour faire observerles lois, empêcherles
vexations,corrigerles abus,prévenirlesen-
treprisesséditieusesquipeuventsefairedans
des lieux éloignés;maisle peuplea moins
d'affectionpourses chefs,qu'ilne voitjamais,
pour la patriequi est à ses yeuxcommele
monde,et poursesconcitoyens dontla plupart
luisontétrangers.Lésmêmesloisne peuvent
convenirà tant de provinces diverses,qui ont
des moeursdifférentes,qui vivent sous des
climatsopposés,et qui ne peuventsouffrirla
mêmeformede gouvernement. Dedloisdiffé-
rentesn'engendrentque troubleet confusion
parmides peuplesqui,vivantsous lesmêmes
chefset dansunecommunication continuelle,
passentouse marientlesunschezlés autres,
et soumisà d'autrescoutumes,ne saventja-
mais si leur patrimoineest bienà eux,Lee
talentssont enfouis,les vertus ignorées,les
vicesimpunis,dans cette multituded'hom-
mes,inconnusles unsaux autres,que le siège
de l'administrationsuprême rassembledans
un mêmelieu. Leschefs, accablésd'affaires,
ne voientrien par eux-mêmes; des commis
gouvernentl'Etat. Enfin, les mesures qu'il
fautprendrepour maintenirl'autorité géné-
rale,à laquelletant d'officierséloignésveu-
lentse soustraireou en imposer, absorbent
touslessoinspublics;il n'en reste plus pour
le bonheurdu peuple; à peine en reste-t-il
pour sa défenseau besoin; et c'est ainsi
qu'uncorps,tropgrandpoursa constitution,
s'affaisseet périt écrasé sous son propre
poids.
D'unautre côté, l'Etat doit se donnerune
certainebasepouravoir de la solidité,pour
résisteraux secoussesqu'il ne manquerapas
d'éprouver,et aux effortsqu'ilsera contraint
de faire pour se soutenir; car tous les peu-
plesont une espècede forcecentrifuge,par
laquelleils agissentcontinuellement les uns
contreles autres, et tendentà s'agrandiraux
dépensde leurs voisins, commeles tourbil-
lonsde Descaites.Ainsi les faibles risquent
d'êtrebientôtengloutis,et nul ne peut guère
se conserverqu'ense mettantavectous dans
une espèced'équilibrequi rendela compres-
sion partoutà peu prèségale. .
On voitpar là qu'ily a des raisonsde s'é-
tendreet des raisons de se resserrer; et ce
n'est pas le moindretalent du politique, de
trouver,entre les uneset les autres, la pro-
portionla plusaval)lutteuseà luconscivatton
': _ 69.—.,
de l'Etat.Onpeutdire en généralquelespre-
mières, n'étant qu'extérieureset relatives,
doiventêtre subordonnées . aux autres,qui
sontinterneset absolues; une saineet forte
constitutionest la premièrechosequ'ilfaut
rechercher,et l'on doit pluscomptersur la
vigueur qui naît d'un bon gouvernement,
quesur les ressourcesque fournitun grand
territoire.
Aureste,on a vu desEtatstellementcons-
titués,quela nécessitédesconquêtesentrait
dansleurconstitutionmême,et que,pourse
maintenir,ilsétaientforcésde s'agrandirsans
cesse.Peut-êtrese félicitaient-ils
beaucoup de
cette heureusenécessité,qui leur montrait
pourtant, avec le terme de leur grandeur,
l'inévitablemomentde leurchute.

X. —Suite.
. Onpeutmesurerun corpspolitiquedédeux
manières: savoir,par l'étenduedu territoire,
et par le nombredu peuple,et Uy a, entré
l'uneet l'autrede ces mesures,un rapport
convenable pourdonnerà l'Etat Sa véritable
grandeur.Cesontléshommesquifontl'Etat,
et c'est le terrain qui nourritles hommes;
ce rapportestdoncque la terrésuffiseà l'en-
tretiendeses habitants, et qu'Uy ait autant
d'habitantsquela terreen peutnourrir,c'est
danscetteproposition quese trouvelemaxi-
mumde forced'un nombredonnéde peuple,
cars'il y a du terrain de trop, la gardeest
onéreuse, la cultureinsuffisante,le produit
— 70 «* *
superflu;c'estla causeprochainedes guerres
défensives;s'il n'y en a pas assez, l'Etat se
trouve,pourle supplément, à la discrétionde
ses voisins;c'estla causeprochainedes guer-
res offensives. Toutpeuplequi n'a par sa po-
sition,quel'alternativeentrelecommerceou
la guerre, est fatbleen lui-même; il dépend
de ses voisins, il dépenddes événements; il
n'a jamais qu'une existence Incertaineet
courte;il subjuguéet changéde situation,ou
Uest subjuguéet n'est rien.11ne peut secou
server libre qu'à forcede petitesse ou de
grandeur.
On ne peut donner en calcul un rapport
fixe entre l'étenduede terre et le nombre
d'hommesqu«,tô-suffisent l'un à l'autre, tant
àcause desU'ïéreucesqui se trouventdans
les qualitésdu terrain,danssesdegrésdefer-
tilité, dans,la naturedeses productions, dans
l'influencedesclimats,que decellesqu'on re-
marqué dans les tempéramentsdes hommes
qui leShabitent, dont les uns consomment
peu dansun pays-fertile,'les autres,beaucoup
sur un SOIingrat.-Ilfautehcoréavoirégardà
la plusgrands ou moindreféconditédes fem-
mes, à ce que le pays peut avoir de plus ou
moinsfavorableà la population,à la quantité
dontle législateurpeutespérerd'y concourir
par ses établissements,de sorte qu'ilnodoit
pas fonderSonjugenient sur ce qu'Uvoit,
mais BUT ce qu'il prévoit,ni S'arrêterautantà
l'état actueldo la populationqu'à celuioùelle
doitnaturellementparvenir.Enfin,il y a mille,
occasionsoù les accidentsparticuliersdu lieu
eiigent OM permettentqu'onembrasseplusde
"•'—7i — '
;terrainqu'ilne paraît nécessaire.Ainsi,l'on
è'étehdràbeaucoupdans un paysdemonta*
gnes,oùdesproductions naturelles,savoirles
bols,les pâturages,demandentmoinsde tra-
vail,où l'expérience apprendque lesfemmes
sont plusfécondes quedansles plaines,et où
un grandsol inclinéne donne qu'unepetite
base horizontale,la seulequ'il faut compter
pourla végétation;Au contraire,on peutse
resserrerau borddela mer, mêmedans des
rocherset des sables presquestériles,parce
que la pêchey petitsuppléeren grandepar-
tioaux productions de la terré,que les hom-
mes'doiventêtre plus rassembléspour re-
pousserles pirates,et qu'ona d'aUleursplus
défacilitépourdélivrer'lepays,par les colo-
nies,deshabitantsdont il est surchargé.
A cesconditions,pourinstituerun peuple,
11en faut ajouterunequi ne peut suppléerà
nulleautre,maissanslaquelleellessonttoutes
inutUes: c'estqu'onJouissedel'abondance et
de la paix; car le tempsoùs'ordonneunEtat
est commeceluioù se forme un bataillon,
l'instantoùle corps est le moinscapablede
résistanceet le pli i facileà détruire.On ré-
sisteraitmieuxdansun désordreabsoluque
dansun momentdefermentation,où chacun
s'occupede son rang et non du pétil. Qu'une
guerre,une famine, une séditionsurvienne
en ce tempsde crise,. l'Etatest infallblôment
renversé.
Cen'est pasqu'iln'y ait beaucoupde gou-
vernementsétablisdurant ces orages, mats
ulorace sont ces gouvernements mêmesqui
détruisentl'Etat. Les usurpateursamènent
— 72 —
ou choisissenttoujoursces tempsde troubles
pourfairepasser,à la faveurde l'effroipublic,
des loisdestructivesque le peuplen'adopte-
rait Jamaisde sang-froid.Le choixdu moment
del'institutionest un des caractèresles plus
6Ûrspar lesquelson peut distinguerl'oeuvre
du législateurd'aveccelledu tyran.
Quel peupleest donc propre à la législa-
tion! Celuiqui, se trouvantdéjàlié par quel-
que uniond'origine,d'intérêtou de conven-
tion,n'a point encoreporté le vraijoug des
lois;celuiqui n'a ni coutumesni superstitions
bienenracinées;celuiqui nocraintpas d'être
accablépar une invasionsubite; qui, sans
entrerdans les querellesde ses voisins,peut
résisterseul à chacund'euxous'aiderde l'un
pour repousserl'autre; celui dont chaque
membrepeut être connu de tous, et, où l'on
n'est pointforcéde charger un hommed'un
grand fardeauqu'un hommene peut porter;
celuiqui peut se passer des autrespeuples,
et dont tout autre peuplene peut se pas-
ser (1);celuiqui n'est ni riche ni pauvreet
peut se suffireà lui-même:enfin,celuiqui
(1)SIdodeux peuples l'un ne pouvaitse
voisins,
passer de (autre,ceseraitunesituationtrès dure
.•„urle premierc. très dangereusepour le second,
routecationsage,onpareilcas,s'efforcera bien vite
dedclvrerl'autrede cettedépendance. La république
de Tlilascata, enclavéedansl'empiredu Mexique,
aimamieuxse passerde sel qued'enacheterdes
Mexicains, et mêmed'enaccepter gratuitement Les
sage?, Tluascalans virentle piègecachésousoetlo
libéralité.
Usseconservèrent e
libres, t ce petitfitat
enfermé dansce grandEmpire,fut enfinl'instrument
dusaruine,
~ 73 —
réunitla consistance d'un ancienpeupleavec
la docilitéd'un peuplénouveau,Ce qui rend
pénibleî'ouvragede la législationest moins
ce qu'ilfautétablirque ce qu'ilfautdétruire,
et ce quirendle succèssi rare,c'est l'impos-
sibilitéde trouverla simplicitéde la nature
•ointeaux besoinsde la société.Toutesces
conditions,il est vrai, se trouventdifficile-
mentrassemblées ; aussivoit-onpeu d'États
bienconstitués,.
Il est encoreeh Europeun payscapablede
législation: c'estl'îledeCorse.La valeuret
la constanceaveclaquellece brave peuplea
,su recouvreret défendresa libertémérite-
raientbienquequelquehommesageluiapprît
à la conserver.J'ai quelquepressentiment
qu'unjour cettepetiteîle étonneral'Europe.
XI.—Des delégislation.
diverssystèmes
Si l'on chercheen quoi consistéprécisé-
mentle plusgrandbiende tous,qui doitêtre
la findetout systèmede législation, on trou-
veraqu'ilse réduità Cesdeuxobjetsprinci-
paux, la libertéet l'égalité.La liberté,parce
que toute indépendance particulièreest au-
tant de forceôtéc au corpsde l'État: l'éga-
lité, parce que la liberté ne peut subsister
sanselle.
J'ai déjàdit ce que c'est que la libertéci-
vile; à l'égardde l'égalité,il ne faut pas en-
tendre,par ce mot, que les degrésde puis*
sance'et de richessesoientabsolumentles
mêmes; maisque,quant à lapuissance,elle
— 74-
soitau-dessous detouteviolence,et ne s'exerce
jamaisqu'envertu du rang et des lois, et,
quant à la richesse,que nul citoyenne soit
assez opulent pour en pouvoir acheter un
autre, et nul assezpauvrepourêtrecontraint
de se vendre(1): ce qui supposedu côtédes
grands, modérationde bienset de crédit;et
du côtédespetits,modérationd'avariceet de
convoitise. ,
Cetteégalité,disent-ils,est une chimèrede
spéculationqui ne peut existerdansla pra-,
tiqué;maissi l'abusest inévitable,s'ensult-il
qu'ilné faille pas au moins le régler? C'est
précisémentparce que la forcedes choses
tend toujoursà détruirel'égalité,que la force
dela législationdoittoujourstendreà la main-
tenir.
Maisces objetsgénérauxde toute bonne
institutiondoiventêtre modifiésen chaque
payspar les rapportsqui naissenttant dola
situationlocaleque du caractèredes habi-
tants; et c'estsur ces rapportsqu'il faut as-
signer à chaquepeupleun systèmeparticu-
lier d'institution, qui soit le meilleur,non
peut-êtreen lui-même,mais pour l'État au-
quel il est destiné.Par exemple,le sol est-il
ingrat et stérile^ou le pays trop serré pour
les habitants?tournez-vous du côté de l'in-
(i) doncdonnoia l'Étatdelaconsis-
Voulez-vous
tancerRapprochez lesdegrés extrêmes autantqu'iles!
possible;nesouluèznidesgensopulents nidesgueux.
Cesdeuxétals,naturellement inséparables, sontégale-
mentfunestes au biencommun :do l'un«orientles
fauteurs
:toujoursdelà tyrannie, et de l'autreles.t c'est
yrans;
entreeuxquesefaitlotraitedelallbeitépu-
blique;l'unTaôhèteî>tl'nniiv»
ia vend.
— 76"T
dustrieet dosarts, dont vous'échangerez lés
productionscontrelesdenréesquivousman-
quent. Au contraire,occupez-vous deriches
plaineset des coteauxfertiles?Dan?un bon
terrain,manquez-vousd'habitants? Donnez
tousvossoinsà ^'agriculture, quimultiplieles
hommes,et chassezles arts-qui.neferaient
qu'acheverde dépeuplerle pays, en attrou-
pant sur quelquespointsdu territoirele peu
d'habitantsqu'ila (1).Occupez-vousdesriva-
ges étenduset commodes;couvrezla merde
vaisseaux,cultivezle commerceet la.navi-
gation;vousaurezune existencebrillanteet
courte. Lamerne baigné-t-eliesur voscôtes
que des rocherspresque inaccessibles?res-
tez barbareset ichthyopbagcs, vousen vivrez
plustranquilles,meilleurspeut-être,et sûre-
ment plus heureux. En un moi, outréles
maximescommunesà tous, chaque peuple
renfermeen lui quelquecausequilesordonne
d'unemanièreparticulière,et rend sa"légis-
lationpropreà lui seul.C'est ainsi qu'autre-
foisles Hébreux,et récemmentles Arabes,
dnt eu pour principal-objetla religion; lés
Athéniens,les lettres; Cartilageet Tyr, lé
commerce;Ithodcs,la marine;.Sparte, la
guerre,et Rome,la vertu. L'autèùrde VEt*
prit desLoisa montré,dansdesfoulesd'exem-
ples,par quelart le législateurdirigel'insti-
tutionverschacunde ce?objets.
(t) Quelquebrandiede commerce extérieur, dit
M,d'A...,nerépatid
g uère qu'une utiliténotir
ratisse,
un royaume engéneial ; ellepnutenrichir quelques
même
paitlculiers, quelques villes;maistanationen-
tièren'ygagnerien,et lepeuplé n'enestpasmlèuï.
— 78 —
Ce qui rend la constitutiond'un Etat véri-
tablementsolideet durable, c'est quand les
convenances sont tellementobservéesque les
rapportsnaturelset les loistombenttoujours
deconcertsurlesmêmespoints,et quecelles-
ci ne font, pourainsidire,qu'assurer,accom-
pagner,rectifierles autres. Maissi le légis-
lateur,se trompantdans son objet, prendun
principedifférentde celui qui naît de la na-
ture des choses,que l'un tende à la servitude
et l'autreà la liberté;l'unaux richesses,l'au-
tre à la population;l'un à la paix,l'autreaux
conquêtes,onverra lesloiss'affaiblirinsensi-
blement,la constitutions'altérer,et l'Etatne
cesserad'être agité jusqu'àce qu'il soit dé-
truit ou changé,et que l'invinciblenature,ait
reprisson empire-
XII.—Division
deslois.
Pourordonnerle tout, on donnerla meil-
leureformepossibleà la chosepublique,il y
a diversesrelationsà considérer.Première-
ment. l'action du corps entier agissantsur
lui-merao,c'est-à-direle rapportdu tout au
tout, ou du souverainà l'Etat; et ce rapport
est composéde celuides termes intermédiai-
res, commenousle verronsci-après.
Les lois qui règlent ce rapportportentle
nomdeloispolitiques,et s'appellentaussilois
fondamentales,nonsans quelqueraison, si
ces loissont sages; cars'il n'y a danschaque
Etat qu'unebonne manièrede l'ordonner,le
peuj.'?qui l'a trouvéedoit s'y tenir ; maiss)
' - - -
. - V- fi • .
tordre établiest mauvais,pourquoiprén-
drait-onpourfondamentales desloisquil'em-
pêchentd'être bon? D'ailleurs,en tout tétat
de cause,tin peupleest toujoursle maîtrede
changerses lois, mêmeles meilleures ; car
s'illui plaîtde se fairemal à lui-même,qui
est-cequi a le droitde l'enempêcher ?
La seconderelationestceUedes membres
entreeuxou «wecle corpsentier,et ce rap-
portdoit être au premierégard aussipetit,
et au secondaussi grand qu'il est possible;
en sortequechaquecitoyensoitdansunepar-
faiteindépendance detouslesautres,et dans
.uneexcessivedépendance de là cité, Cequi
se faittoujourspar lesmêmesmoyens;car il
n'y a quela forcede l'Etat quifassela liberté
de sesmembres.C'estdécedeuxième rapport
que naissentles loisciviles.
Onpeut considérerune troisièmesortede
relationentrel'hommeet la loi, savoir,celle
deladésobéissance àlapeiné,et ceUe-ci donne
lieuà l'établissement desloiscriminelles, qui,
dans le,fond,sont moinsune espèceparti-
culièrede lois, quela sanctiondetoutes les
autres.
A ces trois sortes de lois, U s'en joint
unequatrième,la plusimportantede toutes,
quinese graveni sur le marbré,ni sur l'ai-
rain, mais dans lescoeursdesCitoyens ; qui
fait la .véritableconstitutiondé l'Etat; qui
prendtous les joursdenouvelles forces; qui,
lorsqueles autres lois vieillissentou S'étei-
gnent,les ranimeoulessupplée,conserveut)
peupledans l'esprit de son institution,e/
substitueinsensiblement la forcede l'habï-
-78 —
tudeà celledel'autorité.Je parledesmoeurs,
des coutumeset surtout de .l'opinion,partie
Inconnueànospolitique'?,maisdelaquelledé-
pendle succèsde toutesles autres; partie
dontle grandlégislateurs'occupeen secret,
tandisqu'ilparaîtse bornerà desrèglements.
particuliers,qui ne sont que le cintre de .la.
voûte,dont les moeurs,plus lentesà naître,
formentenfinl'inébranlableclef.
Entrecesdiversesclasses,lesloispolitiques
quiconstituent,la forme.du gouvernement
sontlesseulesrelativesà mon sujet.
78

LIVREïtl

Avantde parlerdesdiversesformesdegou-
vernement,tâchonsdefixerlesensprécisde
cemot, qui n'a pas encoreété fort bien!ex-
pliqué.
I. - Dugouvernement
engénéral.
i J'avertislelecteurquecochapitredoitêtre
lu posément,et quejo nesais pasl'art d'être
clairpourquineveutpasêtre attentif.
Toute actionlibrea deuxcausesqui con-
courentà la produire: l'une morale,savoir
le volontéqui déterminel'acte; l'autre phy-
sique,savoirla puissancequil'exécute.Quand
je marcheversun objet,il fautpremièrement
quej'y veuillealler;en secondlieu,quefneS
pieds.m'y portent.Qu'unparalytiqueveuille
courir,qu'un hommeagilenele Veuillepàs^
tousdeux resteronten place.Le corpspoli-
tique a les mêmesmobiles: on y distingué
demêmela forceet là volonté,celle-cisous
.'enomde puissance légMatîvei l'autresouslé
nomde puissanceettéculiaù, Rienne s'y fait
oune s'y doitfaireSansleurconcours.
Nousavonsvu quela puissancelégislative
appartientau peupleet ne peut appartenir
qu'àlui. 11estaiséde voir,au contraire,pat
ies principesci-devantétablis,que la puh>
sanceexecutivene peut appartenirà la gêné-
ralitécommelégislatriceou souveraine, parce
que cettepuissanceneConsiste qu'endesac-
tes particuliersquinesont pointdu ressortde
la loi,et par Conséquent de celui du souve-
rain, donttous lesactes ne peuventêtre que
deslois.
Il faut doncà la forcepubliqueun agent
proprequi la réunisseet la metteenoeuvre
selon les directionsde la volontégénérale,
quiserveà la communication de l'Etatet du
souverain,qui fasseen quelquefaçon,dansla
personnepublique,ce que faitdansl'homme
l'unionde l'âmeet du Corps.Voilàquelleest
dansl'Etatla raisondu gouvernement, con-
fondumai à proposavec le souverain,dont
Un'est que leministre.
Qu'est-cedonc que le gouvernement?Un
corpsintermédiaireétablientre lessujetset
le souverainpour leur mutuellecorrespon-
dance,chargéde l'exécutiondes lois et du
maintiendo la liberté,tant civileque poli-
tique.
Les membresde Cecorps s'appellentma-
gistratsou rok, c'est-à-dire(/ouDcnieun, et
le Corpsentier porte le nomdo prince(1).
Ainsiceuxqui prétendentque l'acto par le-,
quel un peuplése soumet à deschefsn'est
pointun contrat,ont granderaison.Cen'est
absolumentqu'une commission,un emploi
dans lequel,simplesofficiersdu Souverain,
ils exercenten son nomle pouvoirdont il
tes a faits dépositaires,
et qu'ilpeut limiter,
(1) C'estainsiqu'àVeniseondonneaucollège
nomdeSérénlssirne Prinoe,mômequandleDoge
n'yassistepas.
— 81 —
modifieret reprendrequandil lui plaîtt l'a-
ïiénatiônd'un tel droit étant incompatible
avecla nature du corpssocial, et contraire
au but de l'association.
J'appelledonc gouvernement, ou suprême
administration, l'exercicelégitimedela puis-
sance executive;et prince ou magistrat,
l'hommeou le corpschargéde cette admi-
nistration.
C'estdansle gouvernement quesetrouvent
les forcésintermédiairesdont les rapports
composent celuidu toutau tout, oudu sou-
verainà l'Etat. On peut représenterce der-
nierrapportpar celuidesextrêmesd'unepro-
portion continue,dont la moyennepropor-
tionnelleest le gouvernement. Legouverne-
mentreçoitdusouverain lesordresqu'ildonne
au peuple,et pourquel'Etatsoitdansun bon
équilibré, il faut, tout compensé, qu'il y ait
égalitéentre le produitou la puissancedu
gouvernement pris en lui-même, et le produit
OUlà puissancedes citoyens,qui sont souve»
râinsd'uncôtéet sujetsdo l'autre.
Deplus,onliesauraitaltéreraucundestrois
ternies,Sansrompreà l'instantla proportion.
Si lésouverainveut gouverner,ou si le ma-
gistrat veut donnerdes lois,ou si les sujets
refusentd'obéir,ledésordresuccédéà la règle,
la forcéet la volontén'agissentplusde con-
cert,et l'Etat dissous,tombeainsidansle des-
potismeoù dans l'anarchie.Enfle,commeil
h*j a qu'unemoyenneproportionnelle entre
chaquerapport,il n'y a nonplus qu'unbon
gouvernementpossibledans un Etat. Mais,
commenulleévénements peuventchangerles
...- --^32-—
rapportsd'unpeuple,non-séulemént différents
gouvernements-peuveut êtreibons à divers
peuples,maisau mêmepeupleen différents
temps.
Pourtâcherde donnerune«idéedesdivers
rapportsqui peuventrégnerentre ces deux
extrêmes,je prendraipourexemplelenombre
du peuple,commeuu rapport plus facileà
exprimer.
Supposonsque l'Etat soit composédedix
millecitoyens.Lesouverainne peutêtre con-
sidéréque collectivement et en corps; mais
chaqueparticulier,en qualité de sujet, est
considérécommeindividu;ainsi,le souverain
est au sujet commedix milleest à un, c'est-
à-direque chaquemembrede l'État n'a pour
sa part-queladix-millième partiede l'autorité
souveraine, quoiqu'illui soit soumistout en
tier.Quele'peuplésoit composédecentmlllw
hommes,l'état des sujets no changepas. et
chacunporteégalementtout l'empiredeslois,
tandisque son suffrage,réduità uncent-miU
lième,a dix fols moinsd'influence dansleur
rédaction.Alors,le sujet restant toujoursun,
lo rapportdu souverainaugmenteen raison
du nombredescitoyens;d'où il suit queplus*
l'Etats'agrandit,plusla libertédiminue.
QUandjedisque le rapportaugmente,-j'en*
tendsqu'ils'éloignede l'égalité.Ainsi,plusle
rapportest granddansl'acception des gëomè<
très, moinsil y a de-rapportdans l'acception
commune» dans la première,le rapport,Con-
ïidéréselon la quantité, se mesurepar l'ex-
posant,et dansl'autre,considéréselonl'iden-
tité, Us'e&tiwepar h»similitude.
— 83 — '
Or,moinslesvolontésparticulièresss rap-
portent à lavolontégénérale, c les
'est-à-dire
moeursaux lois,plusla forceréprimantedoit
augmenter.Donclegouvernement, pourêtre
bon,doitêtrerelativementplusfortà mesure
quele peuploest plusnombreux.
D'unautre côté, l'agrandissement del'Etat
donnantaux dépositaires de l'autoritépubli-
queplus de tentationset de moyensd'abuser
de leur pouvoir,plus le gouvernement doit
avoirde forcepourcontenirle peuple,plusle
«souverain,doitenavoirà sontour pourconte-
nirle gouvernement. Je ne parlepas icid'une
forcéabsolue,mais de la forcerelativedes
diversespartiesde l'Etat.
ILsuit dece doublerapport,quela propor-
tion continueentrele souverain,le princeet
le peuplé,n'est pointuneidéearbitraire,mais
une conséquencenécessairede la naturedu
corpspolitique.11suit encorequel'undésex-
trêmes,savoirle peuplecommesujet, étant
fixé et représentépar l'unité,.toutesles fois
quelà raisondoubléeaugmenteou diminue,
la raisonsimpleaugmenteeu diminuesem-
blablèment,et quepaj*conséquentle moyen
termeest changé: ce qui fait voirqu'iln'y a
pasune constitution degouvernement unique
et absolue,maisqu'ilpeuty avoirautantde
gouvernements différentseu nature,qued'E-
tats différentsen grandeur.
Si, tournantce systèmeon ridicule,ondi-
sait que polirtrouvercettemoyennepropor-
tionnelleet former.lecorpsdu gouvernement,
ilinefaut,selonmoi,quetirerla racinecarrée
du nombre,dupeuple»>rop'mdraisquejena
"
..'.." -84-
prendsici ce nombreque pourun exemplet'
queles rapportsdontje parlene se mesurent,
pas seulementpar le nombredes homtnës,
mais en généralpar la quantitéd'action,la-
quellese combinepar des multitudesde cau-
ses; qu'aureste,si pourm'expriméren moins
de paroles,j'emprunteun momentdes termes
de géométrie,je n'ignorepas cependantque
la précisiongéométriquen'a pointlieu dans
les quantitésmorales.
Legouvernement est onpetitce quele corps
politiquequi le renfermeest en grand.C'est
une personnemoraledouéedé certainesfacul-
tés,activécommele souverain,passivecomme
l'État, et qu'on peut décomposer en d'autres
rapportsSemblables;d'où naît, par consé-
quent,une nouvelleproportion,uneautre en-
coredanscelle-ci,selonl'ordredes tribunaux,
jusqu'àce qu'onarriveà un moyentermein-
divisible,c'est-à-direà un seulchefou ma-
gistrat suprême,qu'onpeut se représenter,
au milieude cette progression,commel'unité
entrela sériedes fractionset celledès nom-
bres.
Sansnousembarrasserdans cette multipli-
cationde termes, contentons-nous de consi-
dérer le gouvernementcommeun nouveau
corpsdansl'Etat,distinctdupeupleet dusou-
verain,et intermédiaireentrel'un et l'autre.
11y a cette différenceessentielleentré ces
deuxcorps,que l'Etat existé par lui-même,
et que le gouvernementn'existe que.par le
souverain.Ainsi, la volontédominantedu
princen'estbu ne doitêtrequelà volontégé-
nérale ou là loi*,sa forcén'est que là force
;-..•;' - 8J -
publiqueconcentrée en lui; sitôt qu'il veut
tirerdelui-même quelqueacte'absoluet in-
dépendant, la liaisondu tout commence â se
relâcher,S'il arrivaitenfinque le princteût
unevolontéparticulièreplusactivequecelle
du Souverain, et qu'ilusât,pourfaireobéirà
cettevolontéparticulière, delà forcepublique
quiest dansses mains, en sortequ'on eût,
pourainsidiré;deuxsouverains, l'undodroit
et l'autredéfait,à l'instantl'unionsociales'é-
vanouirait, etle corpspolitique seraitdissous.
Cependant, pourquele corpsdugouverne-
mentait une existence,mie vie réellequi le
distinguedu.corpsde l'Etat, pourquetous
sesmembrespuissentagir de concertet ré-
pondreà lafinpourlaquelleil est institué,U
lui faut un tnol particulier,une sensibilité
commùrié à sesmembres,uneforce,unevo-
lontéproprequi tendentà sa conservation
Cetteexistenceparticulière supposedesas-
semblées, des conseils,un pouvoirde délibé-
rer, dé résoudre,desdroits,des titres, des
privilèges quiappartiennent au princeexclu-
sivement,et quirendentla conditiondu ma-
gistratplushonorable^proportion qu'elleest
pluspénible.Lèsdifficultés sontdansla ma-
nièred'ordonner, dansle tout, ce toutsubal-
terne,désortequ'iln'altèrepointla constitu-
tiongénéraleeu affermissant la sienne; qu'il
distinguetoujourssa foréeparticulièredes-
tinéeà sa propreconservation, dela forcepu-
bliquedestinéeà laconservation dol'Etat; et
qu'enun mot Usoit toujoursprêtà sacrifier
le gouvernement au peuple,et nonle peuple
au gouvernement.
D'ailleurs, bien le
que corps artificiel du 1
gouvernement soit l'ouvraged'unautrecorps
artificiel, et qu'il n'ait en quelqueSorte
qu'unevie empruntéeet subordonnée,cela
n'empêchepas qu'Une puisseagiravecplus
oumoinsde vigueur ou de célérité; Jouir,
pourainsidire,d'unesantéplusoumoinsro-
buste; enfin, sans s'éloigerdirectementdu
but de son institution,il peut s'en écarter
plusou moins,selonla manièredont il est
constitué.
Cest detoutesee3différences que naissent
les rapportsdiversque le gouvernement doit
avoir avec le corps de l'Emt,selonlès rap-
portsaccidentelset particulierspar lesquels
ce mêmeÏStatest modifié;car, souventle
gouvernement le meilleuren soideviendra*lé
plusvicieux,si ses rapportsse sont altérés
selonlesdéfautsdu corpspolitiqueauquel il
appartient.
It.—Duprincipe
quiconstitué
lesdiverses
formes
do
gouvernement.
Pourexposerla cause généralede ces dif*
férences,il fautdistinguericile prince et le
gouvernement, commej'aidistinguéci-devant
l'Etatet le souverain.
Lecorpsdu -magistratpeut être composé
d'un plusgrandou moindrenombrede mem-
bres.Nousavonsdit que lé rapportdu sou-
verainaux sùjets était d'autant plus grand
quele peupleétait plus nombreux,et par
une évidenteanalogie,nousen pouvonsdire
— 87 —*'
autantdu;gouvernement à l'égard des ma-
gistrats. *
Or,.laforcetotaledu gouvernement étant
toujourscelledé l'Etat, ne variepoint; d'où
îl suit que,plusil use de cette forcesur ses
propresmembres,moinsil lui en reste pour
agir;surtout le peuple.
Donc,plus les magistratssontnombreux,
plusle gouvernement est faible.Commecetto
maximeest fondamentale, appliquons-nous a
la mieuxéclaircir.
Nouspouvonsdistinguerdans la personne
du magistrat trois volontésessentieUement
différentes.Premièrement, la volontépropi-o
de l'individu,quine tendqu'à son avantage
particulier; secondement, l a volontécom-
munedesmagistrats,qui serapporteunique-
ment à l'avantagedu prince,et qu'onpeut
appelervolontédecorps,laquelle estgénérale
par rapport au gouvernement,et particu-
lièreparrapport à l'Etat, dontle gouverne-
mentfait partie; en troisièmeHeu, la vo-
lonté du peupleou la volontésouveraine,
laquelleest générale,tant par rapport à
l'EtatConsidéré Commele tout, que parrap-
port au gouvernement considérécommepar-
tiedu tout.
Dansune législation parfaite,la volontépar-
ticulièreouindividuelle doitêtrenulle,la vo-
lontédecorpspropreaugouvernement trèssu-
bordonnée, et,parconséquent, la volontégéné-
raleou souverainetoujoursdominanteet la
règleuniquedé toutesles autres.
Selonl'ordrenaturel,au contraire,cesdif-
férentesvolontésdeviennentplus activesà
• .' - 88 -~ . ;;;".,;
mesure qu'elles se concentrent,Ainsi, là
volontégénérale est toujoursla plusfaiblët;
la volontéde corpsa le secondrang, et la vor
lôntéparticulièrele premierde tous; de sorte;
que, dans»?e gouvernement, chaquemembre
est premièrementSoi-même, et puis magis-
trat, et puis citoyen,gradationdirectement
opposéeà Cellequ'exigel'ordresocial.
Cela posé, que tout le gouvernementsoit
entréles mainsd'un seulhomme,voilàla vo-
lontéparticulièreet la volontéde corpspar-
faitementréunies,et par conséquentceilô-ol
au plus haut degré d'intensitéqu'ellepuisse
avoir.Or, commec'est du degréde là volonté
quedépendl'usagedelà force,et que là forcé
absoluedu gouvernementné varie point,*ï.
s'ensuitque lé plus actifdes gouvernements
*
est celuid'un seul,
Au contraire,unissonsle gouvernementà
l'autoritélégislative;faisonsleprincedu sou-
verain,et dé tous lés citoyensautant dé ma-
gistrats; alorsla volontéde corps,confondue
avecla volontégénérale,n'aurapasplusd'ac-
tivitéqu'elle,et hissera la volontéparticulière
dans toutesa force.Ainsi,le gouvernement,
toujoursavec la, mômeforce absolue,sera,
dansson minimumtde forcerelativeou d'ac-
tivité.
Cesrapportssont incontestables, et d'autres
considérations serventencoreaies confirmer.
On voit, par exemple,queChaquelnagistràt
est plus actifdans soi! corps"que chaque
citoyen dans lé sien, et que, par èéhsé-
qiieht,la volontéparticulièreà beaucoupplus
d'influencédans les actes du gouvernement
"—89 -» y,
quedansceuxdu souverain ; car chaquema-
gistrat est presquetoujourschargéde quei-
qub fonctiondu gouvernement, au Ueuque'
chaquecitoyen,prisà part, n'a aucunefonc-
tiondela souveraineté. D'ailleurs,plusl'Etat
s'étend,plus sa forceréelleaugmente,quoi-
qu'eUen'augmentepasen raisonde sonéten-
due; maisl'Etatrestantle même,les magis-
tratsont beause multiplier,le gouvernement
n'enacquiertpasuneplusgrandeforceréelle,
parceque cetteforceest cellede l'Etat,dont
là mesureest toujourségale.Ainsi,la force
relativeou l'activitédu gouvernement dimi-
nue,Sansquesaforceabsolueouréellepuisse
augmenter.
'il est Sûrencorequel'expédition desaffaires
devientplus'lenteà mesureque plusde gens
en sontchargés;qu'endonnanttropà lapru-
dence,on ne donnepas asseza là fortune;
qu'onlaisseéchapperl'occasion,et qu'à force
de délibérer,on perd souventle fruit de la
délibération.
Je viensde prouverquele gouvernement se
rélâcheà mesurequelesmagistratsse multi-
plient, et J'ai prouvé ci-devantquepluslé
peupleest nombreux, plusla forceréprimante
doit augmenter: d'où il suit que le rapport
desmagistratsau gouvernement doitêtrein-
versedu rapport des sujets au souverain,
c'est-à-diréque plusl'Etats'agrandit,plusle
gouvernement doitse resserrer,tellementque
le nombredes chefs diminueen raisonde
iaùgméatatiou du peuple.
Aureste,je ne parleici que dela forcére-
lativedu gouvernement, et nondesa recti-
— 90 —
tude; car, au contraire,plus le magistratest
nombreux,plus la volontéde corpsse rap^
prochede la volontégénérale; au'liedque,
sousun magistrat unique,cette mêmevo-
lontéde corpsn'est, commeje l'ai dit, qu'une
volontéparticulière.Ainsi,l'onperdd'un côté
ce qu'onpeut gagner de l'autre, et l'art du
législateurest do savoirfixerle pointoù la
forceet la volontédu gouvernement, toujouis
eu proportionréciproque,se combinentdans
le rapportle plusavantageuxà l'Etat.

Uî.* Division
desgoavernemeûM.
Ona vu, dans le chapitreprécédent/pour-
quoi l'on distingueles diversesespècesou'
formes de gouvernementspar les nombres
des membresqui les composent ; U restéà
voir dansCelui-cicommentse fait cettedivi-
sion.
Lesouverainpeut, en premierlieu, com-
mettre lô dépôt du gouvernementà tout le
peupleou à la plusgrandepartiedu peuple,
eu sortequ'ily ait plusde citoyensmagistrats
que de citoyenssimplesparticulière; Ondonne
à cette formede gouvernementle nom do
démocratie.
Ou bien,qu'Upeut resserrerle gouverne-
ment entre les mains d'un petit nombre,
en sorte qu'Uy ait plus de simplescitoyens
que de magistrats, et cette forme portele
ûomd'autocratie.
Enfin,il peut concentrertout le gouverne-
ment dansles mainsd'un magistratunique,
_ 91 —
dont:tousles autres tiennent*, leur pouvoir.
Cettetroisièmeformeest la pluscommune,
et s'appeUemonarchie,ou gouvernement
royal.
On«îoitremarquerque toutesces formes,
ou du moinslesdeuxpremières, sontsuscep-
tiblesdp plusoude moius,et ont mémoune
assezgrande,latitude;car la démocratie peut
embrassertoutle peuple,ousa resserrerjus-
qu'à la moitié.L'aristocratie à sontourpeut,
de la moitiédu peuple,se resserrerjusqu'au
pluSpetitnombre indéterminément. Laroyauté
même est susceptiblede quelquepartage,
(âparteeut constammentdeux rois par sa
constitution, et l'on a vu, dansl'Empirero-
tnainfjusqu'à huit empereursà la fois,sans
qu'onpût dire quel'empirefût divisé.Ainsi,
fi y à un pointoù chaqueformede gouverne-
tmèhtSeconfondavecla suivante,et l'onvoit
que,soustroisseulesdénominations, le gou-
vernementest réellementsusceptibled'au-
tant dé formésdiversesque l'Etat a deci-
toyens.
Il y à plus : ce mêmegouvernement pou-
vahtià certainségards,sesubdiviser en d'au-
treSiparties, l'uneadministréed'unemanière
et l'autred'uneautre, Il peut résulterde ces
trois forméscombinées unemultitudedefor-
mésmixtes,dontchacuneestmultipliable par
touteslès formessimples.
Ohade tout tempsbeaucoupdisputésur
la meilleureformede gouvernement, sans
considérer quechacuned'ellesest lameiUeure
eh certains c as, et la
* vSi dansles;différents pireen d'autres.
EtMs,le nombredes
' -' • W92 .
-j. •_
magistratssuprêmesdoit être en raison in-
versedé celui,des citoyens,il s'ensuitqu'en
généralîô gouvernementdémocratique con-
vientaux petits Etats, l'aristocratiqueaux
médiocres,et le monarchiqueaux grands.
Cette règle se tiré immédiatement du prin-
cipe;maiscommentcompterlà multitudede
circonstancesqui peuventfournirdes excep-
tions?
IV.—Deladémocratie.
Celuiqui faitla loisait mieuxquepersonne
comment eUedoitêtreexécutéeet interprétée.Il
semblédoncqu'onne sauraitavoirunomeil-
leureconstitutionquecelleoù le pouvoirexé-
cutifestjointaulégislatif;maisc'estcelamême
quirendcegouvernement à certains
insuffisant
égards,parcequeleschosesqui doiventêtre
distinguéesne lesontpas,et queléprinceet le
souverainn'étant quela mêmepersonne,ne
forment,pourainsidire,qu'ungouvernement
sans gouvernement.
Il n'est pas bouque celui qui fait les lois
les exécute,niquele corpsdupeupledétourne
son attentiondes vuesgénérales,pour les
donnei aux objets particuliers.Rien n'est
plus dangereuxque l'influencedes intérêts
privésdans les affairéspubliques,et l'abus
desloisparlegouvernement estunmalmoin-
dreqUola corruptiondu législateur,suite in-
faillible,desvues particulières.Alors l'Etat
étant altérédanssa substance,touteréforme
devientimpossible. Unpeuplequin'abuserait
— 93 —
Jamaisdu gouvernement, n'abuseraitpasnon
plusde l'indépendance; un peuplequigouver-
neraittoujoursbien,n'auraitpasbesoind'être
gouverné. .
A prendre'9 termedansla rigueurde,l'ac-
ception,il n'a jamais existéde véritabledé-
mocratie,et il n'en existeraJamais.Il est
contrel'ordrenaturel que le grand nombre
gouverne,et que le petit soit gouverné.On
ne peut imaginerque le peuplereste inces-
sammentSissemblôpourvaquer aux affaires
publiques, et l'on voit aisémentq u'il ne sau-
raitétablirpourcela des commissions,sans
que
1 Enla formedel'administration change.
effet,je croispouvoirposeren principe
que, quand les fonctionsdu gouvernement
sontpartagéesentre plusieurstribunaux,les
moins nombreuxacquièrenttôt oU tard la
plusgrandeautorité, ne fût-cequ'à causede
la facilitéd'expédierles affairesqui lés y
amènentnaturellement.
D'ailleurs,quedé chosesdifficilesa réunir
ne supposepasce gouvernement?Première-
ment, *unEtat très petit où lé peuplesoit
facileà rassembler,'et où chaque citoyen
puisseaisémentconnaîtretousles autres;se-
condement une grandesimplicitéde moeurs,
qui préviennela multituded'affaireset les
discussions épineuses; ensuite,beaucoupd'é-
galitédans les rangs et dans lés fortunes,
sansquoil'égaliténe saurait subsisterlong>
tempsdanslesdroitset l'autorité;enfin,peu
ou poini de luxe; car, ou le luxe est l'effet
des richesses,où il les rend nécessaires ; il
corromptà Ja foisle riche et le pauvre,l'un
— 94 «-
pur la possession, l'autre par la convoitiset11
vendla patrieà la mollesse,à la vanité;u oto
à l'Etattoussescitoyens,pourles asservirles
unsauxautres,et tousà l'opiiiiou.
Voilàpourquoiuu auteur célèbrea donné
la vertu pour principeà la république;car
toutes ces conditionsne sauraient-subsister
sansla vertu;mais,fauted'avoirfait les dis-
tinctionsnécessaires,ce'beau géniea man-
qué souventde justesse,quelquefois declarté
et n'a pas vu que l'autoritésouveraineétant
partout,la mémo, lo même principe doit
avoirlieudans tout Etat bien constitué,plus
ou moins,il est vrai, selonla formedu gou-
vernement,
Ajoutonsqu'il n'y a pas de gouvernement
si sujet aux guerrescivileset aux agitations
Intestinesque le démocratiqueou populaire,
parcequ'iln'y en a aucun qui tende si forte-
ment et si continuellementà changer de
forme,ni qui demandeplus.devigilanceet de
couragepour être maintenudans la sienne.
C'estsurtoutdanscette constitutionquele ci-
toyendoit s'armer de forceet de constauce,
et dire chaqueJour de sa vie au fondde son
coeurcequedisaitun vertueuxpalatin(l)dans
la diètede Pologne: Hïalofierimlosam tiberta-
temquamquielumservilium.
S'ily avait un peuplede dieux,fl se gou-;
verneralt démocratiquement.Un gouverne-,
mentsi parfaitne convientpasàdeshommes.

pèreda roidePologne,
(1)LepalatindePosnanie,
docdeLorraine.
99

V.—î!ol'ai'hiomue.
Nousavonsicideuxpersonnesmoralestrès
distinctes,savoir,le gouvernement et le sou-
verain;et, par conséquent, deuxvolontésgé-
nérales!l'une,par rapportà tous lescitoyens;
l'autre,seulementpourles membresde l'ad-
ministration. Ainsi,bienquele gouvernement
puisserégler sa.police intérieurecommeil
lui plaît,il ne peut jamaisparici"au peuple
qu'aunomdu souverain,c'est-à-direau nom
du peuplemême,ce qu'il ne fautjamaisou-
blier.
•'Lespremièressociétésse gouvernèrent aris*
tocratlquement. Leschefsdes famille» délibé-
raient entre eux des affairespubliques.Les
jeunesgenscédaientsanspeineà l'autoritéde
l'expérience. Delà les nomsde prêtres,d'an-
ciens,ûb sfndt,de gémîtes.Les sauvagesde
l'Amérique septentrionale sa gouvernenten-
coreainside nosjours,et sonttrès biengou-
vernés.
Mais'à mesureque l'inégalitéd'institution
l'emportasur l'inégaliténaturelle,la richesse
oula puissance (i) fut préféréeà l'âge,et l'aris-
tocratiedevintélective.Enfin, la puissance
transmiseavecles biensdu pèreaux enfants
rendant les famillespatriciennes,rendit le
gouvernement héréditaire* et l'onvit des sé-
nateursde vingtans.
(l) Ilesiclr.iiquelemotoptimales lesanciens
cheit
Mveutpasdirelesmeilleurs, maislespluspuissants.
- 98 —
H y a dono trois sortes d'aristocratieÎ hftt
turelle,élective,héréditaire.La premièrene
convientqu'à despeuplessimples;la troisième
est le pire de tous les gouvernements la
deuxièmeest le meilleur: c'est l'aristocratie
proprementdite.
Outrel'avantagede la distinctiondes deux
pouvoirs,ellea celuidu choix de ses mem-
bres, car, dans le gouvernementpopulaire,
tous les citoyensnaissent magistrats,matsl
celui-ciles borneà un petit nombre,et Us!
nele deviennentque par élection(i), moyeu
par lequel la probité,les lumières,l'expé-
rienceet toutes les autres raisonsde préfé-
rence et d'estime publiquesont autant de
nouveauxgarantsqu'on sera sagementgou-
verné.
De plus,les assembléesse font pluscommo-
dément,les affairesse discutentmieux,s'ex-
pédientavecplus d'ordreet de diligence;le
créditdé l'Etat est mieuxsoutenuchezl'étran-
ger par de vénérablessénateursque par une
multitudeinconnueou méprisée.
En un mot, c'est l'ordre le meilleuret le
plusnaturel que les plus sages gouvernent
la multitude,quandon est sûr qu'ilsla gou-
vernerontpourfconprofitet non pourle leur;
(I)il importebeaucoup de réglerp*rdesloisla
forme desmagistrats,
del'élection car,enl'abandon-
nantà la volontédu prince,on ne peut éviterde
comme
tomberdansl'aristocratie héréditaire, il est
arrivéaux républiques deVenise etdeBerne.Aussi
lapremière est-elle
depuislongtemps unEtatdissous,
maislaseconde semaintient
par l'extrême
sagesse de
sonsénat;c'estd'uneexception bienhonorableetbien
dangereuse.
U ne faut point multiplieren vain les res-
sorts,ni faire,avec vingt mille,hommes,ce
que cent hommeschoisispeuventfaireen-
coremieux.Maisil faut remarquerque l'In-
térêtde corpscommenceà moinsdirigerIci
la forcepubliquesur la règle de la volonté
générale,et qiruneautre penteinévitableen-
lèveaux loisune partie de la puissanceexe-
cutive.
A l'égarddes convenancesparticulières,U
ne faut ni un Etat si petit, ni un peuplesi
simpleet si droit, que l'exécutiondes lois
suive immédiatementla volonté publique,
commedansune bonnedémocratie.Il ne faut
pas non plus une si grande nation,que les
chefsépars pourla gouvernerpuissenttran-
cherdu souverainchacun dansson départe-
ment, et commencerpar se rendreindépen-
dantspourdevenirenfinle3maîtres,
Maissi l'aristocratieexige quelquesvertus
demoinsque le gouvernementpopulaire, eUe
en exigeaussi d'autresqui lui sont propres,
commela modérationdans les richeset le
contentementdansles pauvres;car Usemble
qu'uneégalité rigoureusey serait déplacée;
ellene fut pas mêmeobservéeà Sparte.
Aureste,si cetteformecomporteune cer-
taine inégalitéde fortune, c'est bien pour
qu'engénérall'administration desaffairespu-
bliquessoit confiéeà ceux qui peuventle
mieuxy donnertout leur temps,mais non
pas, commeprétend Aristote,pour que .lès
richessoienttoujourspréférés.Au contraire
il importequ'unchoixopposéapprennequel-
au peuplequ'ily a, dausle mérite
quefoisCONTKH * des
ta SOCUL \
~98~
hommes,dosraisonsdo préférenceplusim-
portantesquela richesse.
VI.—Dela monarchie.
Jusqulci, nous avonsconsidéréle iprinuo
commeunepersonnemoraleet collective, unie
par la forcedeslois,et dépositaire dansl'Etat
de la puissanceexecutive.Nousavonsmain-
tenant à considérercette puissanceréunie
entrelesmainsd'unepersonnenaturelle,d'un
hommeréel,qui seulait le droitd'endisposer
selonles lois. C'estce qu'onsappelleun =mo-
narqueou un roi.
Tout aui contrairedes autres-administra
tlous, oùun-être collectifreprésenteimin-
dividu,dans celle-ci,un individureprésente
un être collectif
; en sorte que l'unité morale
qui constituele princeest on mêmetemps
une unité physique,danslaqueUedoutesles
facultésque la loi réunit dans l'autre,'avec
itant d'efforts,'setrouventnaturellement réu-
nies.
.1Ainsi,la volontédu peuple/;et.da volonté
du prince,et la forcepublique.del'Etat, et
•la forceparticulièredu gouvernement,*,to
répondau mêmemobile;tous les ressortsîdé
la machinesont dans la mêmemain, tout
marcheau mêmebut: Un'y a pointde mou-
-rementsopposésqui s'entre-détruiseut, et l'on
: ne, peut,imaginer*aucunesortede constitu-
tiondanslaqueUe un moindreeffortproduise
une actionplusconsidérable. Archimède, assis
tranquillement sur le rivage,et tirant sans
— Ç8 ~.
peine à flotun grandvaisseau,mereprésente
un monarque habile,gouvernantde soncabi-
net sesvastesEtats,et faisanttout mouvoir
en paraissant immobile.
Maiss'il n'y a point de gouvernementqut
ait plusde vigueur,il n'y en a point où la
volontéparticulière ait plusd'empire,et do-
mineplus aisémentles autres: tout marche
au mêmebut, il est vrai; maisce but n'est
pointceluidela félicitépublique, et la force
mêmede l'administration tournesans cesse
au préjudice de l'Etat.
Lesroisveulentêtre absolus,et de loinon
leur,criéquele meilleurmoyende l'êtreest
de se faire aimer de leurs peuples.Cette
maximeest très belleet mêmetrès vraieà
certainségards. Malheureusement, on s'en:
moqueratoujoursdans les cours.La puis-
Etmcequivient de l'amourdes peuplesest
:sansdoutela'-plusgrande; maiselleest pré-
caireet conditionnelle; jamaisles princ.esne
s'encontenteront.Lesmeilleursrois veulent
l pouvoirêtre méchants,s'il leur plaît, sans
cesserd'êtrelesmaîtres.-Unsermoneurpoliti-
queaurabeauleurdirequela forcedu peu-
pleétant là leur, leur plusgrand intérêtest
quele peuplesoit florissant,nombreux,re^
dôutable,ils saventtrès bien que cela n'est
pasvrai..
Leur;intérêt;personnelest premièrement
quelé peuple'soit- faible,misérableet qu'ilne
puissejamaisleur résister.J'avoueque,sup-
posantles sujetstoujoursparfaitement eou-
niis,l'intérêtduprinceseraitalorsquelepeu-
ple fût'-puissant, afin aue cette puissance,
— too —
étant la sienne,le rendîtredoutableà sesvoi*
sins; mais commecet intérêt n'est quese-
condaireet subordonné, et que lesdeuxsup-
positionssontincompatibles, 11estnaturelque
les prince?,donnenttoujoursla préférence à
la maximequi leurestle plusimmédiatement
utile.C'estce queSamuelreprésentaitforte-
mentaux Hébreux;c'est ce que Machiavela
fait voiravec évidence.En feignantde don-
nerdesleçonsauxrois,ilena donnédegran-
desaux peuples.LePrincede Machiavel est le
livredes républicains.
Nousavonstrouvé,par les rapportsgéné-
raux, que la monarchien'est convenable
qu'auxgrandsEtats, et nousle trouvonsen-
coreen l'examinanten elle-même.Plusl'ad-
ministrationpubliqueest nombreuse,plusle
rapportdu princeaux sujetsdiminueet s'ap-
prochede l'égalité,en sorte que ce rapport
est un ou l'égalitémêmedansla dCnocrâtie.
Cemêmerapport augmenteà mesuvequele
gouvernement se resserre,et il est dansson
maximumquand le gouvernement est dans
les maln3d'un seul.AlorsU se trouveune
trop grande.distanceentre leprlncaet le
peuple,et l'Etat manquede liaison.Pourla
former,il fautdoncdesordresintermédiaires;
11fautdes princes,desgrands,delà noblesse
pourlesremplir.Or,riendetoutcelariecon-
vientàunpetitEtatqueruinenttousCésdegrés
Maiss'il est difficilequ'ungrandEtat soit
biengouverné,il l'est beaucoupplusqu'ilsoi!
biengouvernépar un seulhomme,et chacun
sait ce qui arrivequandle roise donnedés
substituts.
- ICI -
Undéfautessentielet Inévitable, qui met-
tra toujoursle gouvernement monarchique
au-dessous du républicain, est que, dansce-
lul-cl,la voixpubliquen'élèvepresquejamais
aux premièresplacesquedeshommeséclairés
et capables,quilesremplissent avechonneur;
aulieuqueceuxquiparviennent danslesmo-
narchiesne sont,le plussouvent,quede pe-
tits brouillons,de petits fripons,de petite
intrigants,à qui les petitstalents,qui font,
dansles cours, parveniraux grandesplaces,
ne serventqu'àmontrerau publicleurineptie
aussitôtqu'ilsy sontparvenus.Le peuplese
trompébienmoinssurcechoixquele prince,
et un hommed'un vrai mériteest presque
aussiraredansle ministèrequ'unsotà latête
d'ungouvernement républicain. Aussiquand,
parquoiqueheureuxhasard,un de ceshom-
mesnés pourgouvernerprendle timondes
affahèsdansunemonarchiepresqueabîmée
parcestas dejolisrégisseurs,onest toutsur-
prisdesressourcesqu'iltrouve,et cela fait
époqup dansun pays.
Pourqu'unÉtat monarchique pût être bien
gouverné,il faudraitquesa grandeurou son
étenduefût mesuréeaux facultésde celuiqui
goUvèrne. Il est plusaisédeconquérirque de
régir.Avecunleviersuffisant, d'uu doigton
peutébranlerle monde,maispourle soute-
nir, il faut les épaulesd'Hercule.Pourpeu
qu'unEtat Soitgrand, le princeest presque
toujourstroppetit.Quand,au contraire,il ar-
rivequel'Etat est trop petit pour sonchef,
ce qui est très rare, il est encoremal gou-
verné,parcequele chef,suivanttoujoursla
— 102-
grandeurde ses vues,oublieles Intérêts des
peuples,et neles reudpasmoinsmalheureux,
par l'abus des talents qu'ila de trop, qu'un
chef borné,par le défaut de ceux qui lui
manquent,Il faudrait,pourainsi dire, qu'un
royaumes'étenditou se resserrâtà chaque
règne,selonla portéedu prince;au Heuque
lestalentsd'unsénat,ayant des mesuresplus
fixes,l'Etatpeut avoirdesbornesconstante»
et l'administrationn'allerpas moinsbien,
Lo plus sensibleinconvénientdu gouver-
nementd'un seulest le défautdé cette suc-
cessioncontinuellequi forme dansles deux
autresuneliaisonnon interrompue.Un roi
mort,il en fautun autre; les électionslais-
sent des Intervallesdangereux; elles sont :
orageuseset,à moinsquelescitoyensnesoient
d'un désintéressement, d'uneintégritéquece
gouvernement ne comporteguère, la brigue
et la corruptions'enmêlent.Ilestdifficileque
celuià qui l'Etat s'estvendune le vendepas
à son tour, et nese dédommage pas, sur les
faibles,de l'argentque les puissantslui ont
extorqué.Tôtou tard, toutdevientvénalsous
une pareilleadministration;et la paix dont
on jouit alorssousles roisest pirequele dé-
sordredes Interrègnes.
QuVt-onfaitpourprévenirces maux?On
a rendules couronneshéréditairesdanscer^
taînesfamilles,et l'on a établi Unordre de
(succession quiprévienttoutedisputeàlamort
desrois, c'est-à-direque,substituantl'incon-
vénientdes régencesà celuidesélections,on
a préféréune apparencetranquilleà ùrièad-
a mieuxaiméris-
ministrationSage,et qi>'6jx
-- Î03 —
quord'avoirpourchefdes enfants,«desmons-
tres,des imbéciles,qued'avoirà disputersur
le choixdesbonsrois; on n'a pas considéré
qu'eu^'exposantainsiaux risquesde l'alter-
native,ou met presquetoutesleschancescon-
tre soi.C'étaitunmottrès senséque celuidu
jeuneDenis,à qui son père,en lui reprochant
uneactionhonteuse,disait : «T'enai-jedonne

l'exemple? Aht réponditle fils,votrepère
n'étaitpas roi.»
Toutconcourt'àpriverde justiceet derai-
son un hommeéleva pour commanderaux
autres. On prend beaucoupde peine, à ce
qu'ondit, pourenseigneraux jeunesprinces
*l'artderégner;il ne paraîtpasquecette édu-
cationleur profite.On feraitmieuxidecom-
mencer,par leur enseigner-l'artd'obéir.Les
plusgrandsroisqu'aitcélébrésl'histoiren'ont
Tpointété élevéspourrégner,c'estune science
qu'onne possèdejamais moinsqu'aprèsl'a-
voir«trop apprise et qu'on acquiert.mieux
en obéissantqu'en commandant.Nam uti-
; lissimusidemac brevissimus bonarummala-
ruinqucrcmm delcclus,cogitarcquidaut nclue-
ris sub.aUqprincipe, hiutvolueris(1).
Une suitede ce défaut de cohérenceest
l'inconstanceidu gouvernement royal,qui, se
réglanttantôtsur un plan,tantôtsur un au-
tre, selonlecaractèredu princequi règneou
•desgensquirôgueutpourlui, ne peut avoir
.longtemps un objét'flxeni une"conduite con-
séquente,variationqui rend toujoursl'Etat
:flottant.demaximeen maxime,ideprojeten
'U Tacite,
util.,1.1.
— 104—
projet,et qui n'a pas lieudanslesautresgou-
vernementsoù le princeest toujoursle même;
Aussivoit-on qu'engénéral, s'il v a plusde
rusedansunecour,ily a plusdosagessedans
un sénat, et que les républiquesvontà leurs
fins par des vues plus constanteset mieux
suivies, au lieu que chaquerévolutiondans
le ministèreen produit une dans l'Etat, la
maximecommuneà touslesministres,et pres-
que à tous les rois, étant de prendreen toute
chosele contre-piedde leur prédécesseur,
Decettemêmeincohérence se tire encorela
solutiond'un sophismetrès familieraux poli-
tiquesroyauxsc'estnon-seulement de compa-
rer le gouvernementcivilau gouvernement
domestique, et le princeau pèrede famille,er-
reur déjàréfutée,maisencorededonnerlibé-
ralementà ce magistrattoutesles vertusdont
il aurait besoin,etde supposertoujouvsquele
princeestce qu'ildevrait être, suppositionà
l'aidede laquellele gouvernementroyalest
évidemmentpréférableà tout autre, parce
qu'Uest incontestablement le plusfort,etque,
pourêtre aussile meilleur, il ne lui manque
qu'une volontéde corps plus conformeà la
volontégénérale.
Maissi, selonPlaton(1),le roi, par nature,
est un personnagesi rare, combiende fois la
nature et la fortune concourront-elles à le
couronner1?Et si l'éducationroyale«sorrOmpt
nécessairement ceuxquila reçoivent,quedoit-
on espérerd'unesuited'hommesélevéspour
régner?C'estdoncbien vouloirs'abuserque
(i*!n civtu.
— t05 —
de confondre le gouvernement foynlavecce-
lui d'unbonroi.Pourvoirce qu'est ce gou-
vernementen lui-même,il fautle considérer
sousdesprincipesbornésou méchants,car
Usarriveronttels au trône, ou le trôneles
rendratel^.
Cesdifficultés n'ontpas échappéà nos au-
teurs; maisils n'en sont point embarrassés.
Leremèdeest, disent-Us,d'obéirsansmur-
mure.Dieudonnelesmauvaisrois danssaco-
lère,et il lesfaut supportercommedeschâ-
timentsdu ciel.Cediscoursest édifiant,sans
doute;maisJe ne saiss'ilne conviendrait pas
mieuxen chaireque dansun livrede politi-
que.Quedire d'un médecinqui prometdes
miracleset dont tout l'art est d'exhorterson
maladeà la patience?Onsait bienqu'il faut
souffrirun mauvaisgouvernement quandon
l'a; la questionseraitd'entrouverun bon.

TU.—Desgouvernements
mixte».
A proprement parler,il n'y a pointde gou-
vernementsimple.Il fautqu'un chef unique
ait désmagistratssubalternes ; il faut qu'un
gouvernement populaireait un chef.Ainsi,
danslt partagedela puissance executive,il y
a toujoursgradationdu grand nombreau
moindre,aveccette différenceque tantôt le
grandnombredépenddu petit,et tantôt lé
petitdu grand.
Quelquefoisil y a partageégal, soit quand
les partiesconstitutivessontdansunedépen-
dance mutuelle,commedans le gouverne-
'— 10t)~-
mentd'Angleterre,soit quand l'autorité'de
chaquepartieest indépendante, mais.impar-
faite,commeen Pologne.Cette dernièreforme-
est mauvaise,parcequ'il n'y a pointd'unité:
dansle gouvernementet que l'Etat manque<
de liaison.
Lequel vaut mieux d'un. gouvernement
simpleoud'un gouvernement mixte? Ques?
tionfort agitéechezles politiques,et à lar
quelleil fautfairela même réponseque j'ai,
faiteci-devantsur touteformede gouverner
ment.
Le gouvernementsimpleest le meilleuren
eoi,par celaseulqu'ilest simple.Maisquand
la puissanceexecutivene dépendpas assez
de la législative,c'est-à-direquand il y à
plusAcrapportdu princeau souverainque s
du peupleau prince,il faut remédierà ce dé-
faut de proportionen divisantle gouverne-'
ment; car alorstoutesses partiesn'ontpas
moinsd'autoritésur les sujets, et leur divi-
sionles rend toutes ensemblemoins fortes
contrele souverain.
On prévientencoreie mêmeinconvénient
onétablissantdes magistratsintermédiaires^
q\i\,laissantle gouvernementen son entier,
serventseulementà'balancerles deux puis^
«anCes et à maintenirleurs droits respectifs.
Alorsle gouvernement n'estpasmixte;il est
tempéré.
On peut'remédierpar des moyenssembla^
lesà l'inconvénient opposé,et quandtegou-
vernementest trop lâche, ériger des^tribu-
nauxpour le concentrer.Celâtse*pratique
diinsitoutesles démocraties.Dansle premier?
— 107--
eas,on divisele gouvernementpour l'affai-
blir,et dansle secondpourlq renforcer;carle
maximum «leforceet do faiblessese trouvent
égalementdans les gouvernements simples,
nu lieu queles formesmixtes donnentune
forcemoyenne.

VIII.—Quetouteformedegouvernement
n'estpa*
propreà toutpays.
La Uberté,n'étant pas un fruit de tousles
Climats, n'est pas à la portéedetousles peu-
ples. Plus on méditece principeétablipar
Montesquieu, pluson en sent la vérité. Plus
.;on le conteste,plus on donneoccasionde
l'établirpar de nouvellesnreuves,
Danstouslés gouvernements du monde,la
personnepubliqueconsommeet ne produit
rien,sD'où lui vientdoncla substancecon-
sommée?, Dutravail de ses membres.C'est
le superfludes particuliersqui produit le
nécessairedu public: d'où il suit quel'état
civil hé peut subsister qu'autant que le
/ travaildeshommesrendau delàde leursbe-
soins.
Or,':cet-excédenttn'est paslemêmedans
touSdesvpays du monde.Dansplusieurs,U est
considérable; dans d'autres,médiocre;dans
d'autres,nul; dansd'autres,négatif.Ce rap-
portdépendde la fertilitédu climat,de la
Sortede travailquela terre exige,dela nt.-
turedé <*es productions, de la forcede sesha-
bitautejde la plusou moins., grandeconsom-
mation,qui leur,est nécessaire,et da.plusieur3
— 108— --'-
autres rapportssemblablesdesquelsil es4
composé.
D'autrepart, tous les gouvernementsne
sont pas dé mêmenature; il y en a de plus
ou moins dévorants,et les différences sont
fondéessur cet autre principe,queplusles
contributionspubliquess'éloignentde leur
source,et plusellessontonéreuses.Cen'est
pas sur la quantitédes impositionsqu'ilfaut
mesurer cette charge, mais Surle chemin
qu'eUésont à faire pour retournerdansles
mains' dont elles sont sorties; quandcette
circulationest prompteet bienétablie,qu'où
payepeuou beaucoup,le peupleest toujours
richeet lés financesvonttoujoursbien.Au
contraire,quelquepeu que le peupledonné,
quandce peunelut revientpoint,en donnant
toujours,bientôtil s'épuise;l'Etat n'eStja-
maisriche,et le peupleest toujoursgueux.
Il suitde là queplusla distancedu peuple
au gouvernement augmente,et plus léstri-
buts deviennentonéreux.Ainsi,dansla démon
cratie, le peupleest le moinschargé;dans
l'aristocratie,il l'est davantage;dansla mo-
narchie,il portele plusgrandspoids.Làmo-
narchiene convientdoncqu'auxnationsopu-
lentes; l'aristocratie, auxEtatsmédiocresen
richesse,ainstqu'engrandeur;la démocratie
aux Etats petits et pauvres.
En effet,plus on y réfléchitplus on trouve
en cecide différence entre lesEtatslibreset
les monarchiques ; dans les premiers,tout
S'emploieà l'utilitécommune;dansles au-
tres,lesforcespubliqueset particulièressont
réciproques,et l'une s'augmentepar l'affal-
— 109—
blissementde l'autre;enfin,au lieude gou-
vernerlessujetspourles rendre heureux,le
despotisme les rendmisérables pourles gou-
verner.
Voilàdonc,danschaqueclimat,des causes
naturellessur lesquelleson peut assignerla
formedu gouvernement à laquellela forcedu
climatl'entraîne,et diremêmequelleespèce
d'habitantsil doit avoir.Leslieuxingratset
stériles,où le produitne vaut pas le travail,
doiventrester inculteset déserts,ou seule-
mentpeuplésdesauvages;les lieuxoù letra-
vaildeshommesne rendexactementquele
nécessaire doiventêtre habitéspar des peu-
plesbarbares;toutepolitiquey serait impos-
sible;les lieux où l'excèsdu produitsurle
travailest médiocreconviennentaux peu-
ples libres;ceux où le terroir abondantet
fertiledonnebeaucoup de produitspourpeu
de travailveulentêtre gouvernésmonarchl-
quement,pourconsumer parle luxedu prince
l'excèsdu superfludes sujets; car il vaut
mieuxquecet excèssoitabsorbépar le gou-
vernement quedissipépar les particuliers.Il
y a des,exceptions,je le sais, mais cesex-
ceptionsmêmesConfirment la règle,en ce
qu'ellesproduisenttôt ou tard des révolu-
tionsqui ramènentles chosesdausl'ordrede
la nature.
Distinguons toujoursles lois généralesdes
causesparticulières quipeuventen modifier
l'effet.Quandtoutle Midiserait couvertde
républiques et tout le Nordd'Etats despoti-
ques,il n'enserait pas moinsvrai que,par
l'effetdu climat,le despotismeconvientaux
— HO —-
payschauds,la barbarieaux pays froids,et
la bonnepolitiqueauxrégionsintermédiaires.
Je vois encorequ'en accordantle principe,
onpourradisputersur l'application; onpo.. ra
dire qu'Uy a des pays froidstrès fertiles
; et des méridionauxtrès ingrats. Maiscette
difficultén'en est une que pour ceux qui
n'examinentpas la chosedans tousses rap-
ports.Il faut, commeje l'ai déjàdit, compter
ceuxdes travaux, des forces,de la consom-
mation,etc.
Supposons que dedeuxterrainségaux,l'un
rapporteCinqet l'autredix.Si les habitants
dupremierconsomment quatreetceuxduder-
nier neuf,l'excèsdu premierproduitsera un
cinquièmeet celuidu secondun dixième.Le
rapportde cesdeuxexcèsétantdoncinverse
deceluides produits,lé terrain qui,.nepro-
duiraquecinqdonneraun superfludoublede
celuidu terrainqui produiradix.
Maisil n'est pas questiond'un produitdou-
ble,et je ne croispasquepersonneosemettre
en généralla fertilitédes pays froidsen éga-
litémêmeaveccelledes payschauds.Toute-
fois,supposonscetteégalité;laissons,'sil'on
veut,en balancel'Angleterreavecla Sicile,et
la Pologneavec l'Egypte;plusau midi,nous
auronsl'Afriqueet les Indes; plu?au Nord,
nousn'auronsplus rien.Pourcetteégalitéde
produit,quelledifférence dansla culturel En
SlcUe,Une faut que gratterla terre; en An-
gleterre,que de soinspourla labourerI Or,là
où il faut plusde bras pour donnerle même
produit,le superfludoit être nécessairement
moindre.
. '.-.'-IUL—
Considérez : outrecela,quela*mêmequan^-
tlté; d'h"omn\es consommebeaucoupmoins
dans les pays chauds.Le climatdemande
qu'ony soit sobre pourse porterbien: les;
Européensqui veulenty vivre commechez
eux périssent;tousde dyssenterie et d'indi-
gestionSix« Noussommes,dit Chardin,des;
bêtescarnassières, desloups,en comparaison
des AslatiquesiQuelques-uns ••attribuentla
sobriété ide? Persansà ce<que leur pays•est.
moinscultivé,et moi,je crois,au contraire,
queleurpaysabondenioinsendenrées, parce<
qu'ilen fautmoinsaux habitants.Sileur fru-
galité/continue-t-il, était un effetde la di-
settedu pays,U n'y auvaitque?lés,pauvresi
quimangeraient peu,au lieuquec'est géné-
ralementtoutle monde;et on mangeraitplus
pumollisen chaqueprovinceselonla fertilité
durpays,au*lieu que.la mêmesobriétése
trouvevpartout le royaume.Ilsselouentfort
déleur;manièrede Vivre,disantqu'ilne faut'
queregarderleurteintpourreconnaître com*
bienelleest plusexcellente quecelledeschrê-
tiéïiSiEneffet)leteintdesPersansestuni;tih
ontia peaubelle,flneet polie;aulieuquele
teintdes Arméniens,leurssujets/quivivent
à l.'eùropéènhe;estrude,couperosé, etqueleurs
corpssontgroset pesants.»
Puisoh approchede la ligne,pluslespeu-
ples?viventJde peu.Ils ne mangentpresque
pas;deviande;lé ria, le maïs,le cuzcuz,le
mil,îa'cassavé; sontleursalimentsordinaires.
Il y a aux Indesdesmillions d'hommes dontla
nourriturene coûtepas un solpar jour.Nout
voyonseh Europemêmedesdifférences seiv
— 412—
Biblespour l'appétit entre les peuplesdu
Nord et ceux du Midi.Un Espagnolvivra
huit Joursdu dîner d'an AUemand. Dansles
paysoù leshommessontplusvoraces,leluxe
se tourneaussiversleschosesde consomma-
tion. En Angleterre,U se montre sur une
table chargéede viandes;en Italie,onvous
régalede sucreet defleurs.
Le luxedes vêtementsoffreencoredesem-
blablesdifférences. Dans les climatsoù les
changements dessaisonssont promptset vio-
lents,on a deshabitsmeilleurs
• et plus sim-
dans ceux où l'on ^s'habilleque pour
a parure,on y chercheplus d'écla*qued'u-
iiles;
tilité; les habitseux-mêmesy sont un luxe.
A Naples,vousverreztous les jours so pro-
menerau Pausylippedes hommesen veste
doréeet pointde bas. C'estla mêmechose
pourlesbâtiments; on donnetoutà la ma-
gnificence,quandoun'arien à craindredesin-
juresdél'air. AParis,à Londres,on veut être
logéchaudementet commodément; à Madrid,
onadésSalonssuperbes, maispointdefenêtres
quiferaient,et l'oncouchedansdesnidsàl'ràts."
Lés alimentssont beaucoupplussubstan-
tielset succulentsdansles payschauds;c'est
unetroisièmedifférence qui né peutmanquer
d'influersur la seconde.Pourquoimange-foc
tant de légumesen Italie?parcequ'ilsy sont
bons, nourrissants, d'excellentgoût. En
France,où ils ne sont nourrisque d'eau,Us
ne nourrissentpointet sont presquecomptés
pourriensur lestables.Ils n'occupentpour-
tant pas moinsde terrain, et coûtent du
moinsautant de peine à cultiver.C'est une
— «3 *•? '
expériencefaite que les blés de Barbarie,
d'ailleursinférieursà ceux de France,ren-
dentbeaucoup plusen farine,et que ceux de
France,à leur tour, rendentplus quelès blés
du Nord. d'oùl'onpeut inférerqu'unegrada-
tionsemblable s'observegénéralementdansla
mêmedirectiondela ligneau pôle.Or, n'est-
cepasun désavantage visible,d'avoirdans un
produitégalunemoindrequantitéd'aliments?
A toutes ces différentesConsidérations,
j'en puis ajouter une qui en découleel qui
les fortifie, c'est que les pays Chaudsont
moinsbesoind'habitantsquelêS paysfroids,
et pourraienten nourrirdavantage,ce qui
produitunuoublesuperflu,toujoursà ravan
tage du despotisme.PlUslé même nombrt
d'habitantsoccupeune grandesurface,plus
les révoltesdeviennentdifficiles,paret qu'on
nepeutseconcerter,ni promptementni secrè-
tement,et qu'ilest toujoursfacileau gouver-
nement d'éventerles projets et de couper
les communications; mais plus un peuple
1
nombreux rapproché,moins le gouver-
se
nement peut usurpersur le souverain; lés
chefs délibèrentaussi sûrement dans leurs
chambresquele princedanssonconseil,et la
foules'assembleaussitôtdansles placesque
les troupesdansleurs quartiers. L'avantage
d'un gouvernementtyranniqueest donc,en
cci, d'agirà grandesdistances,
A l'aidedes points d'appuiqu'il se donne,
sa forceaugmenteau loincommeceltedes
leviers(l). Celledu peuple,au contraire,n'a-
(i) Cecinecontredit
im cequeJ'aiditci-devant
— 114«—-....
git queconcentrée;eUes'évaporeetse perdÎ
en s'êtendant, comme l'effetdovia£poudre?
éparseàterre,et qui ne prendfeuque grain;
à grain, Lespayslesmoinspeupléssontainsi
lespluspropresà la tyrannie; les bêtesféro-
cesne régnentquedansles déserts.
IX.—Déssignesd!unbongouvernement,
Quand doncon demandéabsolumentquel'
est le meilleur gouvernement,on fait une
questioninsoluble,commeindéterminée;où,
si l'on veut,ellea autant debonnessolutions'
qu'il y à de combinaisons possiblesdans lés.
positionsabsolueset relativesdés peuples.
Maissi ou demandaità quelsigne on peut
connaîtrequ'unpeupledonnéest bien6utrial
gouverné,ceseraitautrechose> et la question
de fait pourraitse résoudre.
Cependanton nela résout point,parceque.
chacunveutla résoudreà sa manière.Léssu-
jets vantent la tranquillitépublique,les.ci-
toyensla llbertédesparticuliers; l'unpréfèrela
sûretédes possessions,et l'autre Celledés
personnes; l'un veutque ie meilleurgouver-
nementsoit le plussévère; l'autresoutient
que c'estle plusdoux; celui-civeutqu'onpù^
(I.II,c.it) surlesInconvénientsdesgrandsEtats,car<
il s'agissaitlà del'autorité
dugouvernemeo' sûrses
membres, of Us'agitIcide sa forcecontrelessu-
luiserventde pointd'âppùl-
jets.Sesmembres épais
lepeuple,
pouragirauloinsur directement
niais11n'a nulpoint
sursesmembres blê-
d'appui pMir agir
dansl'undescas,la longueur dulevier
mes.Ainsi, ec
faitlaf&lbléssô, etlaforcédansl'autrecas.
:0 ;;.'.; ; -ri «18~
hisseles crimes,et celui-làqu'on les pré-
vienne;l'untrouvebeauqu'onsoitcraintdes
voisins,l'autre aime mieux qu'on en soifc
ignoré; l'uriest contentquand l'argentcir*
cule,l'autreexige quele peupleait du pain.
Quandmêmeon conviendraitsur cespoints
et d'autres semblables,en serait-on plus
avancé? Lesquantitésmoralesmanquantde
mesureprécise,fût-ond'accordsur le signé,
commentl'êtresur l'estimation ï
Pourmoi, je m'étonnetoujoursqu'onmé-
connaisseun signeaussisimple,ou qu'onai'.
la mauvaisefoide n'en pas convenu*. QueUe
est la fin de l'association politique?C'est la
conservation et la prospéritéde sesmembres.
sEt quelest le signe le plussûr qu'Usse con-
serventet prospèrent?c'est leur nombreet
leur population. N'allezdoncpaschercheraU-
leursce signesi disputé.Touteschosesd'ail-
leurs égales, le gouvernementsous lequel,
.sans moyensétrangers,sans naturaUsation,
.«anscolonie,les citoyenspeuplentet multi-
.plientdavantage^est infailliblement le meil-
leur;,celuisous lequelun peuplediminueet
dépéritest le pire.'Calculateurs, c'estmaiu-
tenantvotreaffaire; comptez,mesurez,corn-
parez(1).
(l)Ondoitlajugersurle même p dessiècles
rincipe
laprospéritédugenre
qui méritentpréférence pour
humain. Ona tropadmiré ceuxoùl'ona vufleurirles
lettres
et lesarts,sanspénétrer l'objetsecretdeleur
culture, sansen considérer le funesteeffet:Idque
apud tmperitos humanitasvocabatur. cumpurs
servitutis esset.Noverrons-nous jamais dans:les
maximes
- auteurs des
livres l 'intérêt
grossier
qui fait l
parier es
t Non,quoiqu'ilsen puissent dire;quand,
— U6

X.—Del'abusdugouvernement etdesapente
à dégénérer.
Commelavolontéparticulière agitsanscesse
contrela volontégénérale,ainsile gouverne-
ment fait un effortcontinuelcontrela Sou-
veraineté.Plus cet effortaugmente,plus la
malgré sonéclat,nnpayssedépeuple, iln'estpasvrai
que toutaillebien:etil nesuftltpasqu'unpoëteait
centmillelivresderentepourquesonsièclesoitle
meilleur detous.Ufautmoinsregarder au reposap-
parent età la tranquillité deschefsqu'aubien-être
desnations entières,etsurtout dèsEtatslesplusnom-
breux,Làgrêledésolequelques cantons, maiselle
faitrarement disette.Lésémeutes, lésguerres civiles
effarouchentbeaucoup leschers,maisellesnefontpas
lesvraismalheurs despeuples, qui peuvent mimé
avoirdurelâche, tandisqu'ondispute &quilésty-
rannisera.C'estdéleurétatpermanent que naissent
leursprospérités ou leurscalamités réelles;quand
toutrestéécrasé souslejoug,c'estalorsquetoutdé-
périt,c'estalorsqueleschefs,détruisant a leuraise,
ubl tolttu&tnètii faciunt p aceina ppellanl.Quand
desgrandsagitaient
les tracasseries le royaume de
France, etquelecoadiuteur deParisportaitau par-
lement un poignard danssapoche, celan'émpéchatt
pas que le peuple français nevécûtheureux et nom-
breux,dansunehonnête etlibreaisance, Autrefois,
laGrèce auseindespluscruelles
fleurissait guerres;
losangy coulait à flots,ettoutlepaysétaitcouvert
d'hommes. K semblait, dit Machiavel, qù'at milieu
desmeurtres, desproscriptions, desguerres civiles,
notrerépublique en devintpluspuissante ! la vertu
de sesîtloyens,leursmoeurs, leur indépendance,
avaientplusd'effetpourla renforcer que toutesses
dissensions n'enavalentpourl'atTaiblir. Unpeud'a-
gitation donnedu ressortaux âmes,et cequifait
vraiment prospérer l'etpfoe
' estmoinsla paixquela
liberté. w1.
constitutions'altère; et comme11n'y a point
Icid'autrevolontéde corps qui, résistantà
celleduprince,fasseéquilibreaveceUe, il doit
arrivertôt outard que le princeopprimeen-
finle souverainet rompeletraitésocial.C'est
là leviceinhérent et inévitablequl> dès la
naissanceducorpspolitique,tendsansrelâche
à lé détruire,démêmeque la vieillesseet la
mortdétruisentenfinle Corpsde l'homme.
Il y a deux voiesgénéralespar lesquelles
un gouvernement dégénère,savoir: quandU
Se j'ésSerré ou
! Legouvernementquand l'Etatse dissout.
se resserrequandil passe
du grandnombreau petit, c'est-à-direde la
démocratie à l'aristocratie,et de l'aristocra-
tieà là royauté.C'estlà son inclinationnatu-
relle(t). S'il rétrogradaitdu petit nombreau
(1)Làformation lenteetleprogrès dela république
deVenise dansseslagunes offrentunexempte notable
decettesuccession,etil estbienétonnant que, d epuis
plusdedouzecents ans,lesVénitiens semblent n'en
êtreencore qu'au second t erme,lequel commença au
Serrât di Coftstglio HOâ.Quantauxanciens ducs
qu'on leurréprbcjie,
quoi q u'en,
puisse direleSqutti-
nio déliaUbertaveneta,il est prouvé q u'ilsn'ont
point étéleurssouverains.
Onnomanquera pasde m'objector ta république
romaine, quisuivit,diia-l-on,un progrès toutcon-
traire,passant delamonarchie à l'aristocratie,etde
l'aristocratie
à ladémocratie. Jesuisbienélotgné d'en
penser ainsi. ,
Lepremier établissement deRomulus futungou-
vernement mixte,quidégénéra promptement endes-
potisme. Pardescausesparticulières,l'Etatpéritavant
létemps, comme, onvoltmourirunnouveau-né avant
d'avoir atteint'âged homme. L'expulsion desTar»
qùlnsful lavéritable
époque de la république, 'liais
ellenepritpas d'abord uneformeconstante, parce
au'onnelitquelamoitié del'ouvrage, enn'abolissant
grand,onpourrâitdirequ'iLserelâcherais 5
ce progrèsinverseest impossible.
En effetsjamaisle gouvernement nechange
deformequequand son;ressortUséde laissé
trop affaiblirpourconserverla sienne.Or,Mi
se relâchaitencoreen s'éteridant,' sa forcéde-
viendraittout à fait nulle, et Usubsisterait
encoremoins.Il fautdoncremonteret Serrer
le ressort à mesure qu'il cédé; autremëiit, ;
•l'État qu'ilsoutienttomberaiten ruiné.

pasle patrictat : car,decettemanière, l'aristocratie


héréditaire,qui estlapiredesadministrations légiti-
mes,restanten conflit aveula démocratie,.la forme
dugouvernement, toujours incertaineet flottante, neï
fûtfixée,comme l'aprouvéMachiavel, qu'à l'établis-:
sèment destribuns;alorsseulement il y eutunvrai
gouvernement etunevéritable démocratie. Eneffet,
lepeuple alorsn'étaitpasseulement souverain, mais
aussimagistrat etJuge;lesénatn'étaitqu'untribunal
«nsons-ordré. pour t ouconcentrer
empérer legoûvèr-
aemenf, etlesconsuls eux-mêmes, biemque p atri-
ciens,bienquepremiors bienquegénéraux
magistrats,
absolus ê laguerre,n'étaient à HomequeTesprési-
dentsdupeuple.
Dèslors,onvitaussile gouvernement prendre sa
pentenaturelle ettondre
s'abolissnnt
follement
comme
à l'aristocratie.
delui-même,
Le
l'aristocra-
patrictat
tien'était danslecorpsdespatriciens comme elle
plus
està Venise età Gènes, matsdanslecorpsduSénat,
composé depatriciens etdeplébéiens ; mêmedanslé
corps de tribuns,quandils commencèrent d'usurper
unepuissance active, carlesmotsnefontrienaux
choses, etquandlepeuple adeschefs qui g ouvernent
nomqueportent
ui,qaristocratie.
pourlune uelque ceschefs, c'esttou-
jours
De l'abusd el'aristocratie les ftlvl-
1leset letriumvirat. naquirent
JulesCésar, guerres !de-
Sylla,
danslefaitdevéritables Auguste,
vinrent monarques, etientln,
sous le despotisme
' toireromaine de l'Etat
Tibère, f ut dissous; L'his-
nedément doncpasmonprincipe iielle
têconfirme
— 419<—
Lecas dela dissolutionde l'-Etatpeutarrl
ver'dedeuxmanières:
Premièrement, quand le princen'admmîs«<
:tre plus l'Etat selonles lois, et qu'il usurpt
lepouvoirsouveraiu.Alors,il se faitun chan-
, gementremarquable: c'est que,*non pas le
gouvernement,- mais l'Etat se resserre; je
veuxdire que le grand Etat se dissout, et
qu'il s'en'formeun.autredanscelui-là;com-
poséseulementdesmembres dugouvernement,
et qui n'est plusvleuau reste du peupleque
sonmaîtreet son tyran. Desorte qu'àTins-
tarit que le gouvernement-usurpe lasouverai-
heté, le pactesocialest rompu; et tous les
simplescitoyens,rentrés de droit dans leur
liberténaturelle,sont forcés,mais non pas
obligésd'obéir.
Lemêmecasarrive aussi quandles mem-
bres du gouvernementusurpentséparément
lepouYOir qu'ilsnedoiventexercerqu'encorps,
ce qui n'est pas une moindreinfractiondes
lois,et produitencoreunplusgrand désordre.
Alorson a, pourainsidire,autantde princes
que dé'magistrats, et l'Etat, non moinsdi-
visé que le gouvernement, péritouchangede
forme.
Quandl'Etat se.dissout,l'abusdu gôuver-
vbernent,quelqu'ilsoit,prendlé nomcommun
iftânafchie.En distinguant,la démocratiedé-
génèreen ocAto'crafîe,'l'aristocratieen olygar-^
chiéfj'ajouteraique la royautédégénèreen
tyranniesmaisce derniermot est équivoque
et demandeexplication.
Danslé sens vulgaire,un tyran est un roi
qui gouverneavecviolenceet sans égardà la
— 120 —
justiceet aux lois. Dans le sens précis,un
tyranest un particulierquis'arrogel'autorité"
royale sans y avoir droit. C'est ainsi que
(esGrecsentendaientce mot de tyran : ils le
donnaientIndifféremmentaux bons et aux
mauvaisprincesdontl'autoritén'étaitpas lé-
gitime(1).Ainsi,tyranet usurpateursontdeux
motsparfaitementsynonymes.
Pour donnerdifférentsnoms à différentes
Choses, j'appelletyran l'usurpateurdel'auto-
rité royale,et despote
l'usurpateurdu pouvoir
souverain.Le tyran est celuiquis'ingèrecon-
tre lesloisà gouvernerselonles lois; le des-
poteest celui qui se met au-dessusdes lois
mêmes.Ainsi,le tyran peut n'être pas des-
pote,maisle despoteest toujourstyran.

lamortdu corpspolitique.
XI,—De
Telleest la pentenaturelleet inévitabledes
gouvernementslesmieuxconstitués.SiSparte
et Romeont péri,quel Etat peut espérerde
durertoujours? Si nous voulonsformerun
(1)a Omnesenim et habenturet dicuntur tyrannl,
utunturperpétuain ea civttato
qui protestate
libertalèusaest.»(Corn,Nep.,in,Miltiad., q uav
n. 8.)Il
estvraiqu'Aristotô[Slor.tficom.I.Vlll.c.x)distin-
guélésatyrandu roi,enellesecond
ce quele premier gouverne
seulement
pour propreutilité,
Putilitf4essujets;maisoutrequegénéralement pour
tous
lesauteurs ontprisle motlyraidansun autre
grecs
sehs,cIlommeIIparaitsurtoutparleIliérondeXéno-
plion.ls'ensuivraitdola distinction
d'Artsloleque,
depuis econnrtncement du monde,U n'auraitpsi
incoreexlstéun seulvoi,
:. —121 ~- . ,
établissement durable,nesongeons doncpoint
à lerendreéternel.Pourréussir,il nefaut pas
tenterl'impossible,ni se flatter de donnerà
l'ouvragedes hommesune soliditéque les
choseshumainesne comportent pas.
Lecorpspolitique,aussibien que le corps
de l'homme,commence à mourirdèssa nais-
sanceet porteen lui-mêmeléscausesde sa
destruction.Maisl'un etl'autrepeuventavoir
uneconstitutionplus ou moinsrobusteet
propreà le conserverplus ou motus long-
temps.Laconstitutionde l'hommeest l'ou-
vragede la nature; cellede l'Etatest l'ou-
vragede l'art. Il ne dépendpasdeshommes
de prolongerleur vie; Udépendd'euxdepro-
longercellede l'Etataussiloinqu'ilest pos-
sible,en lui donnant la meilleureconstitu-
tion qu'ilpuisse avoir.Le mieuxconstitué
finira,maisplustardqu'unautre,si nulacci-
dent imprévun'amène sa perte avec le
temps.
Leprincipedela vie politiqueestdansl'au-
toritésouveraine.Là puissancelégislativeest
le coeurde l'Etat; la puissanceexecutive
en est le cerveau,qui donnéle mouvement à
toutesles parties.Lôcerveaupeuttomberen
paralysieet l'individu
vivreencore.Unhomme
resteimbécileet vit; maissitôt quelé coeur
a cessésesfonctions,l'animalest mort.
Cen'estpointparlesloisquel'Etatsubsiste,
c'est par le pouvoirlégislatif.La loi d'hier
n'obligepas aujourd'hui;mais le consente-
menttaciteest présumédu silence,et le sou-
verainest censéconfirmerIncessamment les
loisqu'Un'abrogepas,pouvantîefaire.Tout
[02 __
ce qu'ila déclarévouloirunefois, il le-veut
!toujours,à moinsqu'il ne le révoque.
Pourquoidonc porte-t-ontant de respect
aux ancienneslois?C'estpourcelamême.On
"toitcroirequ'iln'y a que l'excellence desvo-
lontés antiquesqui lés ait pu conserversi
longtemps;si le souverainné les eûtreconnu
constammentsalutaires,il leseûtmillefois
révoquées. Voilàpourquoi,* loinde s'àûaiblir,
les loisacquièrentsans cesseune forcenou-
velledanstout Etat bien constitué;le pré-
jugéde l'antiquitélesrend chaqueJour plus
vénérables : au Heuque,!pavtout oùlesloiss'af-
en
faiblissent cela
vieillissant, prouve qu'iln'ya
' plusdepouvoirlégislatifetquél'Etdtnevitplus.

Xll.—!Comment 88-maintientl'autorité
vjnveratne
Le souverainn'ayantd'autreforceque là
puissancelégislative,n'agit que par des lois;
et leslols n'étant quedesactesauthentiques
de la volontégénérale,le souverainne saurait
agir que qunndle'peupleest assemblé.Le
peupleassemblé,dira-t-on: quellechimèreI
C'est unechimèreaujourd'hui,mais ce n'en
était pas une il yadeux milleans.Leshom-
•imes'ont-ilschangéde nature?
Lesbornesdirpossible,dansleschosesmo-
rales,1sont moinsétroitesquenousne pen-
sons; ce sont nos vices,no3
'nos'faiblesses,,
1
'préjugésqui les rétrécissent.Lesâmesbas-
ses ne'croientpoint'auxgrandshominëSlde
^vilsesclavessourientd'un,air'moqueurà1ce
s nonvùQïibettc.
- 123-
Par ce qui s'est fait, considéronsce qui
peut se foire.Je no parleraipas desancien-
nes républiquesde la Grèce; mais la repu-
bliqueromaine, était,ce raôsemble,un grand
Etat, et la ville de Romeune grandeville»
Le derniercensdonnadans Hommequatre
cent millecitoyensportantarmes,et le der-
nierdénombrement dé l'empire,plus de qua-
tre millionsdecitoyens,sans compterlessu-
jets, les étrangers,les femmes,le3 enfants,
les esclaves.
Quelledifficultén'imagînerait-ou pas d'as-
somblerfréquemment le peupleimmensede
cette capitaleet de se3 environs?Cependant
il se passait peu desemainesque le peuple
romain'nefût assemblé," et mômeplusieurs
fois.Non-seulement il exerçait les droits de
la souveraineté, mais une partiedeceuxdu
gouvernement. Utraitaitcertainesaffaires,il.
Jugeait*certaines causes,et tout ce peuple
était su?la placepubliquepresqueaussisou-
verit'magistratque citoyen.
En remontantaux premierstempsdèsna-
tions,ontrouveraitquela plupartdesanciens.
gouvernements, mêmemonarchiques, telsque
ceuxdesMacédoniens et dès Francs, avalent
de semblablesconseils.Quoiqu'il en soit, ce
seul fait incontestablerépond à toutesles
difficultés;de l'existant au possiLùe, la con-
séquenceme paraitbonne.
- 124-

xm.- Suite.
n ne suffit pas que le peupleassembléait
une foisfixéla constitutionde l'Etat, endon-
nant la sanctionà un corpsdelois;il nesuf-
fit pas qu'ilait établi un gouvernement per-
pétuelou qu'ilaitpourvuunefoispourtoutes
à l'électiondes magistrats,Outreles assem-
bléesextraordinairesque des cas imprévus
peuventexiger, il faut qu'ily en ait de fixes
et de périodiques que rienne puisseabolirni
proroger,tellementqu'auJourmarquélepeu-
ple soitlégitimement convoqué parla loi,sans
qu'ilsoitbesoinpourcelad'aucuneautrecon-
vocationformelle.
Mais,hors de cesassembléesjuridiquespar
leur seuledate,touteassembléedu peuplequi
n'aura pasété convoquéepar les magistrats
préposésà ceteffetselonlesformesprescrites
doitêtre tenuepourillégitime,et tout ce qui
s'y fait pournul, parceque l'ordremêmede
s'assemblerdoitémarerdela loi.
Quantaux retoursplusou moinsfréquents
des assembléeslégitimes,ils dépendentde
tant déconsidérations qu'onne sauraitdonner
là-dessuS des règles précises.Seulement,on
peut dire en généralque plus le gouverne-
ment a de force; plus le souveraindoit se
montrerfrêqueniniéht.
Ceci,me dira-t-on,peut êtrebonpourune
seule ville; mais que faire quand l'Etat en
comprendplusieurs?Partagera-t-onl'autorité
— 185—
souveraine,ou biendoit-onia concentrerdans
une seulevitteet assujettirtout le reste?
Je répondsqu'on ne doit faire ni l'un ni
l'autre. Premièrement,l'autoritésouveraine
est simple et une, et l'on ne peut 'a diviser
sang la détruire. En secondlieu, une ville,
non plusqu'unenation, ne peutêtre légiti-
mementsujette d'une autre, parce que l'es-
sencodu corpspolitiqueest dansl'accordde
l'obéissance et de la liberté,et que ces mots
de sujetet de souverainsont descorrélations
identiquesdontl'idéese réunit sous le seul
mot de citoyen.
Je répondsencore que c'est toujoursun
mal d'unir plusieursvillesen uneseulecité;
et que, voulantfairecette union,l'on ne doit
pas se flatter d'en éviter les inconvénienta
naturels.Il ne faut point objecterl'abus des
grandsEtats&celuiqui n'enveutque de pe-
tits. Mais commentdonneraux petits Etats
assez de force pour résister aux grands,
commejadis les villesgrecquesrésistèrentau
grand roi, et commeplusrécemmentla Hol-
lande-et la Suisseont résistéà la maison
d'Autriche?
Toutefois,si onne peut pas réduirel'Etatà
de justes bornes, il reste encoreune res-
source: c'est de n'y point souffrir'decapi-
tale, de fairesiégerle gouvernement alterna-
tivementdans chaqueville,et d'y rassembler
aussi tourh tourles étatsdu pays.
Peuplezégalementle territoire,étendez-y
partout les mêmes droits,portez-ypartout
l'abondanceet la vie; c'est ainsi que l'Etat
>deviendratout à la foisle plusfortet lemieux
.- 426.-.
1
gouvernéqu'il' soit!possible.*
Souvenetfvot»'
que les murs des villes-neee formentque-
dit débris 3és maisonsdes champs.A cha-:
que palaisque je vois éleverdansla capH
taie,je crois voir mettreen masurestout'cç;
paye.
XIV.-Suite.
A l'instantque le peupleest légitimement•?;
assembléen corpssouverain,toutejuridiction o
du gouvernement cesse,la puissanceexécu-f
tivc est suspendue,et la personne:'dUder*
nier citoyenest aussisacrée,et inviolableque
celledu premiermaglstratjparce=qu'où ; se&
trouvele représenté,il n'y a plusrdérëpre>
eentant. La plupartdes tumultesquis'élevèv
rent à Romedansles comices/vinrenttf'àvoir ?
ignoré ou négligé cette règle. Lesiconsuls;
alorsn'étaientque les présidentsdu peuple;
les tribuns,de simplesorateurs(1); le sénat.
n'étaitrien du tout.
Ces intervallesde suspension,où lô prïriCé
reconnaîtou doit reconnaîtreun supérieur
actuel, lui ont toujoursété redoutables;et
ces assemblées du peuple,qui sont l'égidedu>
corpspolitiqueet le freindu gouverhenïèntj'
ont été de tout temps:l'horreurdes chefs;
aussi n'épargnent-ils'Jamais ni soinsni ob-«
jections,ni difficultés,ni promesses,pour-enT
(i) A
,dans peuprèsselonle sensqu'ondonneà cenôrns
te Parlement Làressemblance
d'Angleterre. dé<
tesemplois eûtmisenconflit
lesconsuls
etléstribuns,
1
quandmêmetoutejuridiction eûtétésuspendue.
— 127—
?rebuterlescitoyens.Quandceux-cisontava-
les, lâchespusillanimes,plus amoureux.du
,-reposquede la liberté,ils ne tiennent,pas
s.longtempscontre les efforts redoublésdu
gouvernement; c'estainsi quela force.nésie»
.tanteaugmentantisans cesse,l'autoritésou-
veraines'évanouità la fin,et que la.plupart
»descités tombentet périssentavecle temps.
Maisentre l'autoritésouveraineet le gou-
vernementarbitraire,il s'introduitquelquefois
,uù.pouvoirmoyendontil faut parier.

XV.—Dt'Sdéputés
oureprésentants
Sitôtquele servicepubliccesse d'êtrela
.principaleaffairedes citoyens,et qu'ilsai-
mentniieuxservirde leurbourseque.deleur
personne,l'Etat est déjà.présde sa ruine.
Faut-il marcherau.combat,ils payentdes
troupeset restentchezeux; faut-ilaller,au
conseil,ils nommentles<députéset restent
chezeux.A forcede paresseet d'argent,ils
ont enfindessoldatspourasservirla patrie,
et desreprésentantspourla vendre.
.Cest'.le.tracasdit commerceet des arts,
. c'estl'avideintérêt du gain, c'estla mollesse
et l'amourdes commodités qui changentles
service/ipersonnels eu argent.On cèdeune
,,partlede sont.profit,pour,l'augmenterà son
,.aise..Donnez del'argent,et bientôtvousaurez
i desfers Ce.motde,/Inance, est un motd'es-
clave;il est inconnudans la cité.Dansun
;Etat vraimentlibre, les citoyensfont«tout
: avecleursbras,et rienavecde l'argent;loin
— 128—
de payerpour s'exempterde leurs devoirs,
ils payerontpourles remplireux-mêmes. Je
suis bienloindes idéescommunes*, Je crois
les corvéesmoinscontrairesà la libertéque
lfîStûX68
Mieuxl'Etat est constitué,plus lesaffaires
publiquesl'emportentsur les privéesdans.
l'espritdes citoyens.11y a mêmebeaucoup
moinsd'affairesprivées,parcequela somme
du bonheurcommunfournissantune portion
plusconsidérable à celuide chaqueindividu,
il luien restemoinsà chercherdanslessoins
particuliers.Dans une cité bien conduite,
chacunvoleauxassemblées; sousun mauvais
gouvernement, nuin'aimeà faireun paspour.
s'y rendre,parceque nulne prendIntérêt&
ce quis'y fait, qu'onprévoitque la volonté
généralen'y dominerapas, et qu'enfinles
soinsdomestiques absorbenttout.Lesbonnes
loisen fontfairede meilleures, les mauvaises
en amènentde pires.Sitôtquequelqu'undit,
des affairesde l'Etat,quem'importe f on doit
compterquel'Etatest perdu.
L'attiédissement de l'amourde la patrie,
l'activitéde l'intérêt privé, l'immensitédes
Etats,lesconquêtes, l'abusdu gouvernement,
ont fait imaginerla voiedes députésoure-
présentantsdu peupledansles assemblées d»
la nation.C'estce qu'encertainspayson ose
appelerle tiersétat.Ainsi,l'intérêt particu-
lierde deuxordresest misau premieret au
secondrang; l'intérêtpublicn'est qu'autroi-
sième.
Làsouveraineté ue peut être représentée,
parla mêmeraisonqu'ellene petitêtre allé*
- 189.-
née; elleconsisteessentiellement dansla vo-
lontégénérale,et la volonténe se représente
ooint;elle est la mêmeou elle est autre,il
n'y a pointde milieu.Lesdéputésdu peuple
ne sontdononi ne peuventêtreses représen-
tants; ils ne sont quesescommissaires, ils ne
peuventrien concluredéfinitivement. Toute
loi quele peupleen personnen'a pas ratifiée
est nulle: ce n'est pointuneloi.Le peuple
anglaispenseêtre libre,il se trompefort; il
nel'est quedurantl'élection des membresdu
Parlement;sitôt qu'ilssontélus,il est escla-
ve,il n'estrien.Dansles courts momentsde
sa liberté,l'usagequ'il en fait mérite bien
qu'illa perde.
L'idéedes représentantsest moderne;elle
nous vientdu gouvernement féodal,de cet
iniqueet absurdegouvernement danslequel
, l'espècehumaineest dégradée,et où.le nom
d'hommeest en déshonneur,Dans les an-
ciennesrépubliques, et mêmedansles monar-
chies,jamaisle peuplen'eutdereprésentants ;
onne connaissaitpas ce mot-là.Il est très
singulierqu'à Rome,oùtes tribunsétalentsi
sacrés,on n'ait pas mêmeimaginéqu'ilspus-
sent usurperles fonctionsdu peuple,et qu'au
milieud'unesi grande multitude,ilsn'aient
jamaistenté de passerdeleurchet un seul
plébiscite.Qu'onjuge cependantdeTembar-
ras quecausaitquelquefois la foule,parcequi
arrivadtî tempsdes GracqUes, où une partie
dés citoyensdonnaitson suffragededessus
lestoits.Où la droitet là libertésont toutes
choses,les inconvénients ne sont rien.Chea
ce sagepeuple,tout était mis à sa juste ine-
»«CAITV1T
SOCU*" i
-iso-
sure; il laissaitfaireà seslicteursce queses
tribuns n'eussent osé faire; Il ne craignait
pas que ses licteursvoulussentlo représen-
ter. • ;
Pourexpliquercependantcommentlestri-
bunsle représentaientquelquefois, ilsuffitde
concevoircommentle gouvernement repré-
senteU souverain,La lot n'étant que la dé-
clarationdela volontégénérale,il est clair
quedanslapuissancelégislativele peuplené
peut êtrereprésenté;muisil peutetdôitëtre
dansla puissanceexecutive,qui n'est qiielà
forceappliquéeà la loi»Cecifait voirqu'en
examinantbienleschoses,on trouveraitque-
très peude nationsontdes lois.Quoiqu'iléïu
toit, il est sûr quelestribunsn'ayantauctrhe
partiedu pouvoirexécutif,ne peuventjamais
représenterle peupleromainpar les droitsde
leurscharges,mais seulementen usurpant
mr ceuxdu sénat.
Chezles Grecs,tout ce que le peupleavait
&faire,11le faisaitparlui-même ; il étaitsans•^
cesseassemblésur la place.Il habitaitûri cli-
mat doux,il n'étaitpoint avide,des esclaves?
faisaientses travaux,sa grandeaffairéétait
KIliberté.N'ayantpluslesmêmesavantagés}:s
commentconserverles mêmesdroits? Vos
climatsplus durs vousdonnentplus.debe?
soins(1);six moisde l'année,la placepubli*?
quen'est pastenable;voslanguessourdesne;
peuventse faireentendreen pleinair, vous;
(t)Adopter danslèspaysfroidsle luxeetla mol-
tassedésOrientaux, c'estvouloirse donnerleurs
chainés,c'est*'ysoumettre
encoreplus nécessairement
«a'eux.:'«.- '-:.•'. ...•;>..
~- 131—
donnezplus à votre gain qu'àvotreliberté,
et vouscra'gnezbien moins''esclavagequs
lamisère.
Quollla liberténe se maintientqu'à l'ap-
pui de la servitude?Peut-être.Les deux
excèsse touchent.Tout ce qui n'est point
dansla naturea ses inconvénients, et la so-
ciétécivileplusquetoutle reste.Il y a telles"
positions malheureuses où l'on ne peutcor-
serversa libertéqu'auxdépensde celled'au-
trui, et où le^citoyenne peutêtre parfait*-
vmentlibreque l'esclavenesoit extrêmement
esclaver telleétait la position
deSparte.Pour
iVOUS, ipeuplesmodernes,vous n'avezpoint
^d'esclaves, maisvousl'êtes,vous payezleur
iîibértôde la vôtre.Vousavezbeau vanter
icette préférence, j'y trouveplus de lâchetô
hqued'humanité.
Je n'entends,point par toutcelaqu'ilfaille
?avoir,desesclaves,ni que le droit d'esclave
soitlégitime, puisquej'ai prouvéle contraire.
i-|e?dis seulementles raisonspourquoi\cs
/peuplésmodernes quise croientlibresontdes
représentants, et pourquoi lespeuplesanciens
i n|enavaientpas.Quoiqu'ilen soit,à l'instant
qu'unpeuplese donnedes représentants, il
:n'estpluslibre,il n'estplus.
•fout bien examiné,je ne vois pas qu'il
soit désormais.possible au souverainde'.con-
i serverparmi.,nousl'exercicede ses droits,el
la cité n'est très petite.Maissi elle est très
;petite,elleserasubjuguée?Non.Je feraivoit
«Irâprèe(î)commenton peut réunirla pitiK-
{»)C'estcequeje m'étaisproposédofairei-tart*

-132 —
tanceextérieured'un grand peupleavecle
policeaisée et le bonordred'un petit Etat.
XVI,—Quel'institution
dugouvernement
n'estpoint
uncontrat.
Le pouvoirlégislatifune foisbien établi,il
s'agit d'établirde mêmele pouvoirexécutif;
car ce dernier,qui n'opèreque par des actes
particuliers,n'étant pas l'essencede l'autre,
enest naturellementséparé.S'ilétait possible
que le souverain,considérécommetel, eût la
puissanceexecutive,le droit et le fait se-
raienttellementconfondusqu'on ne saurait
plusce qui est loiet ce qui ne l'est pas, et le
corpspolitiqueainsi dénaturéserait bientôt
en proieà la' violencecontre laquelleil fut
Institué.
Les citoyensétant tous égauxpar le con-
trat social,ce que tous doivent faire, tous
peuvent le prescrire,au lieu que nul n'a
droit d'exiger qu'un autre fasse ce qu'il ne
fait pas lui-même.Or, c'est proprementce
droit,indispensable pourfaire vivreet mou-
voir le corps politique, que le souverain
donneau princeen instituant le gouverne-
ment.
Plusieursont prétenduque l'acte de cet
établissementétait un contratentre le peu-
pléet les chefs qu'il se donne,contratpar
suitedocetouvragé, traitantdesrelations
lorsqo'en
externes,J'enseraisVenuauxconfédérations : ma-
tièretouteneuveet où les principes
sontencore&
-établir. . .
— 133—
lequel on stipulaitentre les deux partiesles
conditionssouslesquellesl'une s'obligeaità
commander et l'autreà obéir.Onconviendra,
je m'assure,que voilàune étrange manière
de contracter;mais voyonssi cette opinion
est soutenable.
Premièrement,l'autoritésuprêmene peut
pasplus se modifierque s'aliéner; la limiter,
o'estla détruire.Il est absurdeet contradic-
toireque le souverainse donneun supérieur;
s'obligerd'obéirà un maître,c'est se remet-
tre en pleineliberté.
Déplus, il est évidentque.ce contratdu
peupleavectellesou telles personnesserait
uti acte particulier;d'où11suitque ce contrat
ne saurait être une loi ni un acte de souve-
raineté,et que, par conséquent,il serait illé-
gitime.
Onvoitencoreque lespartiescontractantes
seraiententreellessousla seuleloide nature
et sans aucun garant de leurs engagements
réciproques, ce qui répugnede toutesmaniè-
res à l'étatcivil; celuiqui a la forceen main
étanttoujoursle maîtrede l'exécution, autant
vaudraitdonner le nom de contrat à l'acte
d'unhommequi diraità un autre: « oe vous
donnetout monbien,à la conditionque vous
m'enrendrezce qu'ilvousplaira.•
Il n'y a qu'un contratdans l'Etat, c'estce-
lui de l'association,et celui-làseulen exclut
tout autre.Onnesaurait imagineraucuncon-
trat publicqui nufat une violationdu pre-
mier.
131—

- Del'institution
XVII, dugouvernement.
Sousquelleidéefaut-ildonoconcevoir l'acte
par lequelle gouvernement est institué? Je
remarqueraid'abord.quecet acte est com-
ou composé de deux,autres,savoir:l'é-
elexe
iblissement dela loiet l'exécution de la loi,
par le premier,le souverainstatue qu'ily
auraun corpsde gouvernement établisous
telleou telleforme;et ilestclairquecetaote
est une,loi.
Par le second,le peuplenommeles.chefs
quiiserontchargésdu gouvernement établi.
Or,cettenominationétant un acte particu-
lier,-n'est,pasunesecondeloi,malsjseulement
unesuitedela première,et unefonctiondu
gouvernement.
Ladifficulté est d'entendre comment onpeut
avoirun actede.gouvernement-avant que le
gouvernement existe,et commentle peuple,
quin'estque souverainou sujet, peutdeve-
nir princeou magistratdans certainescir-
constances.
C'estencoreici quese découvreunede ces
étonnantespropriétés 1 ducorpspolitique,par
lesquelles il conciliedesopérations contradic-
toiresen apparence;car celle-cise fait par
uneconversionsubitede la souveraineté en
démocratie, àîisorteque sansaucunchange-
mentsensible,et seulementpar unenouvelle
relationde tousà tous,les citoyens,devenus
magistrats,passentdes actesgénérauxaux
actesparticuliers, et de là loià l'exécution.
-» 13b—
Cechangementdo relationn'eâtpoint une
subtilitéde spéculationsans exempledanslà
il a lieu tousles jours dansle Par-
ement d'Angleterre,où la Chambrebasse,
{iratlque;
en certainesoccasions,se formeen grandco-
mité,pour mieuxdiscuterles affaires,et de-
vient ainsi simplecommission,de coursou-
veiMihoqu'elle était l'instant précédent;en
telle sorte qu'ellese fait ensuite rapporta
elle-mêmecommeChambredes communes
de cequ'ellevientdé régleren grandcomité;
et délibèrede nouveausous un titre de ce
qu'ellea déjà résolusousun autre.
Telest l'avantagepropreau gouvernement
démocratique, de pouvoirêtre établidansle
fait par un simple actedo la volontégêné,
raie. Aprèsquoi,ce gouvernementprovision-
nel reste en possession,si telle e-jtla forme
adoptéeeu établieau nom du souverain,le
gouvernementprescrit par la loi; et tout se
trouveainsidansla règle.Il n'est pas possi.
ble d'instituer le gouvernementd'aucune
Autremanièrelégitime,et sansrenonceraux
principesci-devantétablis.

XVIII.•- Moyens
de prévenirles usurpations
dugouvernement.
Deces éclaircissements il résulte,en confir-
mationdu chapitroxvi.quel'actequiinstitue
le gouvernement n'est pointuncontrat,mais
une loi; que les dépositairesde la puissance
executivene sont pointles maîtresdu peu-
ple, mais ses officiers;qu'il peut les établir
— 136—,
et les destituerquandil lui plaît; qu'il n'est
pointquestionpour eux de contracter,mais,
d'obéir,et qu'ense chargeantdes fonctions
que l'Etat leur impose,ils ne fontque rem-
plirleurdevoirde citoyens,sansavoiren au-
cunesorte ledroitde disputersur lescondi-
tions.
Quanddonoil arrivequele peupleinstitue
un gouvernementhéréditaire,soit monarchi-
que dans une famille, soit aristocratique
dans un ordrede citoyens,ce n'est pointun
engagementqu'ilprend;cest une formepro-
visionnellequil donneà l'administration, jus-
qu'à ce qu'il lui plaised'en ordonnerautre-
ment.
11est vraique ces changementssont tou-
jours dangereux,et qu'ilne faut jamaistou-
cherau gouvernement établiquelorsqu'ilde-
vient incompatible avecle bienpublic;mais
cettecirconspection est unemaximede poli-
tique,et nonpas une régiede droit;et l'Etat
n'est pas plus tenu de laisserl'autoritécivile
à ses chefs,que l'autoritémilitaireà ses gé-
néraux.
Il est vrai encorequ'onne saurait, en pa-
reil cas,observeravectrop de sointoutesles
formalitésrequisespourdistinguerun acte
régulieret légitimed'un tumulte séditieux,
et la volontéde tout un peupledes clameurs
d'iÂhefaction.C'est ici surtout qu'ilne faut
donnerau cas odieuxque ce qu'on ne peut
lui refuserdanstoutela rigueurdu droit; et
a'est ausside cette obligationque le prince
tire un grand avantage pour conserversaï-i
puissancemalgréle peuple,sans qu'onpuisse
—'137 —
dire qu'il l'ait usurpée; car. en paraissant
b'ùserquede ses droits,il lui est.fort
*le aiséde
tesétendre, et d'empêcher,sous prétexte
du repospublic,les assembléesdestinéesà
rétablirle bon ordre; de sorte qu'il se pré-
vautd'un silencequ'il empêchede rompre,
où des irrégularitésqu'il faitcommettrepour
supposeren sa faveurl'aveudeceux que la
craintefait faire, et pour punir ceux qui
osent parler. C'estainsi que les décemvirs,
ayant été d'abordélus pour un an, puis con-
tinués pour une autre année,tentèrent de
retenirà perpétuitéleur pouvoir,en ne per-
mettantplus aux comicesde s'assembler;et
c'est par cefacilemoyenque tousles gouver-
nementsdu monde, une fois revêtusde la
forcepubîique,usurpenttôt ou tard l'autorité
souveraine.
/Les assembléespériodiquesdont j'ai parlé
ci-devantsont propresà prévenirou différer
ce malheur,surtoutquandellesn'ont pas be-
soin de convocationformelle; car alors le
princene saurait les empêcher,sans sedécla-
rer ouvertementinfracteurdeslois et ennemi
dé l'Etat, v
L'oûverturede ces assemblées,qui n'ont
pourobjetque le maintiendu traité social,
doit toujoursse faire par deux propositions
qu'ontté puissejamaissupprimeret qui pas-
sent séparémentpar les suffrages.
La premièreÎ S'ilplait au souverainde con-
iervérla présente f de
orme gouverntmeni.
- Là seconde• S'il plaît au peupled'enlaisse*
l'administration à ceuxquien sontactuellement
charges.
-t 438—
Je supposeici ce queje croisavoirdémon'
tré, savoir,qu'il n'y a dans l'Etat aucuneloi
fondamentale qui né se puisserévoquer,non
pas mêmele pactesocial;ca. si tous les ci*
toyenss'assemblaientpoUrrompre ce pacte
d'uncommunaccord,on ne peut douterqu'il
ne;fût trèslégitimement rompu.Grotiuspense
mêmequechacunpeutrenoncerà l'Etatdont
il est membreet reprendre sa liberténatu-
relleet ses biens,en sortantdu pays(1).Or,il
seraitabsurdequotous lescitoyensréunisne
pussentpas ce que peut séparémentchacun'
d'eux.
(i) Bienentenduqu'onnequittepaspouréluder son
devoir de servirsa patrieau mome
et rc dispenser
denous.La fuitealorsscrart'
qu'ellea, besoin crimi
nelleet punissable,
ceneserait 'niaisdé-
pluslot'-attc,-
sertion.
—!139>—

LIVREIV.

I,—Quela volonté
générateestîndestruUible.
Tant que plusieurshommesréunisseconsi-
dèrentcommeun seul corps,ils n'ontqu'une
volonté,qui se rapporteà la communeconser-
vationet au bien-êtregénéral.Alors,tous les
ressortsde l'Etat sont vigoureuxet simples,
sesmaximessontclaireset lumineuses;il n'a
point d'intérêtsembrouillés,Contradictoires;
le biencommunse montrepartout avec évi-
dence,et ne demandeque du bonsens pouf
être aperçu.La paix, l'union,l'égalitésont
ennemiesdes subtilitéspolitiques.Leshom-
mes droitset simplessontdifficilesà tromper
a cause de leur simplicité;les leurres,les
prétextesraffinésne leur en imposentpoint:
ils ne sont pas même assez fins pour être
dupes. Quand on voit pliezle plusheureux,
peupledu mondedes troupesde paysansré-
gler les affairesd'Etat sous un chêne,et se
conduiretoujourssagement, peut*ons'em*
pêcherde mépriserlesraffinements desautres
nations,qui se rendent illustreset. méprisa*
blesaveetant d'art et de mystèresï
Un Etat ainsigouvernéa besoinde très peu
de lois; à mesurequ'ildevientnécessaired'en
promulguerde nouvelles,cette nécessitése
voituniversellement.- Lé premierqui les pro-
oosene fait que dire ce que tous ont déjà
— 140—
senti, et il n'est questionni de brigues ni
d'éloquence pourfairepasserenloice que cha-
cun a déjàrésolude faire,sitôt qu'ilserasûr
quele» autresle ferontcommelui.
Cequi trompeles raisonneurs,c'estquene
voyantquedesEtatsmalconstituésdès leur
origine,ilssontfrappésde l'impossibilité d'y
maintenir une semblablepolice. Ils rient
d'imaginertoutes les sottises qu'un fourbe
adroit,un parleurinsinuant,pourraitpersua-
der au peuplede Parisoù dé Londres.Ilsne
saventpasqueCromwell eût étémisauxson-
nettespar le peuplede Berne,et le ducde
Beaufortà la disciplinepar les Genevois.
Maisquandle noeudsocialcommence à se
relâcheret l'Etatà s'affaiblir,quandles inté-
rêts particulierscommencent à se fairesentir
et les petitessociétésà influersur la, grande,
l'intérêtcommuns'altèreet trouvedesoppo-
sants; l'unanimité ne règneplusdanslesvoix;
la volontégénéralen'est plus la volontéde
tons; il s'élève des contradictions,des dé-
bats, et le meilleuravisne passe pointsans
disputes.
Enfin,quandl'Etat, près de sa ruine, ne
subsisteplus que par uneformeillusoireet
vaine,que le lieusocialest rompudanstous
lescoeurs,quele plusvil intérêtse pareeffron-
témentdu nomsacré du bienpublic,alorsla
volontégénéraledevientmuette,tous,guidés
pardesmotifssecrets,n'opinentpaspluscom-
me citoyensquesi l'Etatn'eûtJamrdpexisté,
et l'onfait passerfaussement,BOUS le nomde
lois,les décretsiniquesqui n'ontpourbutque
l'intérêtparticulier.
—'Ut —
S'ensuit-il delà que la volontégénéralesoit
anéantieoucorrompue? Non;elleest toujours
constante,inaltérableet pure; maiselleet-t
subordonnéeà d'autres qui l'emportentsur
elle. Chacun,détachantsonintérêt de l'in-
térêt commun,voitbienqu'ilne peutl'ensé-
parertout à fait; maissa part du mal public
ne lui paraîtrienauprèsdu bienexclusifqu'ii
prétend s'approprier. Ce bien particulier
excepté,il veut le biengénéralpourson pro-
pre Intérêttout aussi fortementqu'unautre.
Mêmeenvendantsonsuffrageà prixd'argent,
il n'éteint pas en lui la volonté géné-
rale; il l'élude. La faute qu'il commet est
-de changer l'état de la questionet deré-
pondre autre chose que ce qu'on lut de-
mande;ensorte qu'au lieude dire,par son
suffrage,il est avantageuxà (Etat, il dit, il
estavantageux à telhommeou â tel parti que
telou(clavispasse.Ainsi,la loide l'ordrepu-
bliedans les assembléesn'est pas tant d'y
maintenirla volontégénérale,que de faire
qu'ellesoit interrogéeet qu'ellerépondetou-
jours.'-
J'auraisici biendesvréûextons à fairesur le
simpledroitdevoter dans tout acte desou-
veraineté,droitque rien ne peutôter aux ci-
toyens,et sur celui d'Opiner,de proposer,da
diviser,de discuter,que le gouvernement a
toujoursgrand soin de ne laisser qu'à sw
membres:maiscette importantematièrede-
manderaitun traitéà part, et je ne puistoui
diredonscelui-ci.
— 142—

II.—Dessuffrages.
Onvoit;par le chapitreprécédent,que4a;
manièredontse traitent les affairésgénéra-
les.peutdonnerun indiceassezsûr de l'état-
actueldes moeurset dela santédu corpspp-'
litique.IHusle concertrègnedanslèsassem--
bléeB,c'eat-à-direplusles avisapprochentdé
l'unanimité,plusaussila volontégénéraleestf
dominante;maisles longsdébats,les dissen-
sions,le tumulte,annonceut- l'ascendantdés
intérêtsparticulierset le déclinde l'Etat.
Ceciparaît moinsévident,quanddeuxou
plusieursordresentrentdanssa constitution,',
tommeà Romeles patricienset les plébéiens;.;
dontlesquerellestroublèrentsouventlésco-
mices,mêmedansles plusbeauxtempsde la
république;maiscetteexceptionest plusan*
i-trenteque réelle; car alors,par le vicein-
fèrent au corps politique,on a, pourainsi'
tire, deuxEtats en un; ce qui n'est pas vrai;
dam:deux ensembles,est vraide chacunse-
parement.Et, en effet,dans les tempsmême
les plus orageux,les plébiscitesdu peuple,
i|uandlosénat ne s'en mêlaitpas,passaient'•.
toujourstranquillement, à la grandepluralité
ûuasuffrages;lès citoyensn'ayantqu'uninté-
rêt, le peuplen'avaitqu'unevolonté. ^
Al'autre extrémitédu cercle,l'unanimité
revient: c'estquandlescitoyens,tombésdans
la servitude,n'ont plus ni liberténi volonté.
AlfâTB, la crainteet la flatteriechangenten
'"; — 143—""
lr-;}-;'--
acclamationlessuffrages;onnedélibèreplus,
onadoreet l'onmaudit.Telleétait la vilema-
nière d opinerdu sénat sous les empereurs.
Quelquefois ce!a sefaisaitavecdesjwécautions
ridicules.Taciteobserveque,sousOthon,les
sénateurs,accablantVitelliusd'exécration«,
affectaientde faireen mômetempsun bruit
épouvantable,afinque,si parhasardil deve-
nait le maître,il ne pûtsavoirce que chacun
d'euxavait dit.
Deces diversesconsidérations naissentles
maximessur lesquelleson doit réglerla ma-
nière de compterlesvoixet de comparerles
avis,selonquelavolontégénéraleest plus ou
rnioitisfacile à connaître,et l'État plus ou
moinsdéclinant.
Il n'y a qu'uneseuleloi qui, par sa nature,
exigé-un consentementunanime: c'est le
pacte social; car l'associationcivileestl'acte
du mondele plus volontaire;tout homme
étant né libre et maîtrede lui'jnéme,nul no
îpetit, sous quelqueprétexte que ce puisse
'être/l'assujettirsanssonaveu.Déciderque3e
fils d'un esclavenaît esclave,c'est décider
qu'il ne hâît pashomme.
Si donc,lors du pactesocial,il s'y trouve
dès opposants,leur oppositionn'invalidepas
le côiitrat,elle cmpôcheseulementqu'ilsn'y
Soientcompris;cesont des étrangersparmi
?lès citoyens.Quandl'Etatest institué,lecon-
sentementest dans la résidence;habiter le
territoire, c'est se soumettreà la souverak
aèté(i).
(l)CecMoit toujout» d'unKt&t
s'enleudre libfôjet»
— 144—
Hors ee contrat primitif,la voixdu plus
grandnombreoccupetoujourstouslesautres;
c'estune suite du contratmême.Matsonde-
mandecommentun hommepeut être Mbreet
forcéde se conformerà des volontés» qui ne
sontpas lessiennes?commentles opposants
sont-ilslibreset Soumisà desloisauxquelles
ils n'ontpas consenti?
Je répondsquela questionest mal posée.
' L6 citoyenconsentà toutesles lois,mêmeà
cellesqu'onpasse malgrélui, et même à
cellesqui le punissentquand il oseen violer
quelqu'une.La volontéconstantede tous les
membresde l'Etat est la volontégénérale;
c'estpar elle qu'ilssontcitoyenset libres(1).
Quandon proposeune loi dans l'assemblée
du peuple,ce qu'onleur demanden'est pas
préciséments'ils approuventla proposition
ou s'ilsla rejettent,maissi elleest conforme
ou nonà la volontégénérale,qui est la leur;
chacun,en donnantson suffrage,dit son avis
là-dessus,et du calculdes voixse tire la dé-
clarationde la volontégénérale.Quanddonc
l'avis contraire au mien l'emporte,ce\a ne
prouveautrechosesinonque |e m'étaisfrbm«
d'ailleursla famille,lesbiens,ledéfautd'asile,lané-
cessite,laviolence, peuvent retenirun habitant dans
lepaysmalgré l etalorssonséjour
ut, seulnesuppose
plus sonconsentement aucontrat
' ouàlaviolation du
contrat.à . .
(i)AGènes, onlitaudevantdesprisons etsur lès
fersdesgalériens cemotllbertas. Cette
applicationde
ladevise é»tbelleet juste.Ëfieffet.Il n'ya quele»
malfaiteurs detousEtatsnulempêchent le citoyen
d'êtrelibre,bansunpaysoiitouscesgéns-là seraient
auxgalères, onJouirait delatlusuarfalteliberté.
pé,et que ce quej'estimaisêtre la volonté
généralene l'était pas.Si mon avis particu-
lier l'eût emporté,j'aurais fait autre chose
qUecequej'avaisvoulu; c'est alors que je
n'auraispasété libre.
, Cecisuppose,il est vrai,que tous les ca-
ractèresde la volontégénéralesontencore
dansla pluralité;quand ils cessentd'y être,
quelqueparti qu'onprenne,il n'y. a plusde
liberté.
En montrantcî-devantcommeon substi-
tuaitdes volontésparticulièresà là volonté
généraledansles délibérations publiques,
j'ai
suffisamment indiquéles moyenspraticables
dé prévenircet abus; J'en parleraiencore
Cl-aprés. A l'égard du nombreproportionnel
déssuffragespourdéclarercettevolonté,j'ai
aussidonnédesprincipes sur lesquelson peut
ledéterminer.La différence d'uneseulevoix
romptl'égalité,unseulopposantromptl'una-
nimité;mats,entrel'unanimitéet l'égalité,il
y à plusieurspartagesinégaux,à chacundes-
quelson peutfixerce nombre,seloûl'état et
lesbesoinsdu corpspolitique.
Deuxmaximesgénéralespeuventservira
réglercesrapports:l'une,quepluslesdélibé-
rationssontimportantes et graves,plusl'avis
quil'emportedoit approcherde l'unanimité;
l'autre,queplus l'affaireagitéeexigedecé-
lérité,plusondoitresserre»* la différence
pres-
critedansle partagedesavis. Dansles déli-
bérationsiMil faut terminersur-le-champ,
l'excédantd'une seule voix doit suffire.La
premièredecesmaximesparaît plusconve-
nableauxloisetla secondeauxaffaires.Quoi
— 146—
qu'il en soit, c'est sur leur combinaisonque
s'établissentles meilleursrapportsqu'onpeut
donnerà la pluralitépourprononcer.

III.—Desélections. /
A l'égarddesélectionsdu princeet desma-
gistrats,qui sont,commeje l'ai dit, des actes.
complexes; il y a deuxvoiespoury procéder,
savoir,le choixet le sort, L'uneot l'autreont
été employéesen diversesrépubliques,et l'on
voit encore actuellementun .mélangetrès
compliquédes deux dans-.''électiondu doge
de Venise.
« Le suffragepar le sort, .dit Montesquieu,
est de la nature de la démocratie.» J'en con-
viens,maiscommentcela?« Lesort,Continue-
t-il,est unefaçond'élirequi n'afdigepersonne;
il laisseà chaquecitoyenune espérancerai-.
sonnablede servirsa patrie.* Cenô fîohtpas
là desraisons.
SI l'onfait attentionquel'électiondes chefs
est unefonctiondu gouvernementet nonde
souveraineté, on verrapourquoilavoiedusort
est plus dans la nature de la démocratieoù
l'administrationest d'autantmeilleureque leé
actesen sont moinsmultipliés.
Danstoute véritabledémocratie,la magis-
traturen'estpasun avantage,maisune charge
onéreusequ'onne peut justement imposerà
un particulierplutôt qu'à un autre. La loi
seule peut Imposercette chargeà celui sur
qui le sort tombera: car alors la condition
étant égalepourtouset le choixne dépendant
^ '.;;. -JL 14^ — .
(d'àiteune 1volonté humaine, il n y a pointd'ap.
pilèâtlônparticulièrequi altèreljuniversalité
délà loi.
Dansl'aristocratie, le princechoisitle prince,
le gouvernement se conservepar lui-même, et
c'ést'làqueiles suffragessontbien.placés.
L'exemplede l'électionduidogcde Venise
confirme cettedistinction, loinde la détruire;
cetteformemêléeconvientdansun gouver-
nementmixte,car c'est uneerreurde pren-
drelé gouvernement de Venis pourunevé-
ritablearistocratie. 'Si le peuplen'y a nulle
partau gouvernement, la noblesse y est peuple
eilè-mêne.Unemultitudede pauvresbarna-
bojfces n'approchajamais d'aucunemagistra-
ture, et n'a de sa noblessequele vaintitre
d'excellence et le droitd'assisteraugrandcou*
séll.Ce grandconseilétant aussi '\oinbreus
quenotreconseilgénéralà Genève,sesillus-
tres membresn'ontpasplusde privilégesque
nés simplescitoyens.Il est'certainqu'ôtant
l'extrêmedisparitédes deux républiques, la
bourgeoisie de Genèvereprésente exactement
lé pàtriciàtvénitien;nos natifset habitants
représententles citadinset le peuplede Ve<
riisé;nos paysansreprésententles sujetsde
térre-ferme;enfin,de quelquemanièreque
l'on considèrecette république,abstraction
faitede sa grandeur,songouvernement n'est
pasplus aristocratique quelenôtre.Toutela
{différence est que,n'ayant aucunchef à vie,
nousn'avonspaslemêmebesoindu sort.
Lésélections, parsort,auraientpeud'incon-
vénientsdansunevéritabledémocratie, Oùtout
Âtahtégal,aussi bleu par les moeurset par
-.. -.1-18".,.';;-
les talents,quepar lesmaximeset par la for-
tune,le choixdeviendraitpresqueindifférent.
Maisj'ai déjàdit qu'iln'y avaitpointde véri-
tabledémocratie,
Quandle choixet le sortse trouventmêlés,
le premierdoit,remplirlès placesqui deman*
dentdestalentsproprés,tellesque les emplois
militaires;l'autreconvientà cellesoù suffi-
sent le bonsens, la justice,l'intégrité,telles
que les chargesde judicature;parce quo.
dans un Etat bienconstitué,cesqualitéssont
communes à tous les citoyens.
Le sort ni les suffragesn'ont aucunlien
dansle gouvernementmonarchique. Lemo-
narqueétantdedroitseulprinceet magistrat
unique,léchoixdeseslieutenantsn'appartient
qu'à lui. Quaudl'abbéde Saint-Pierrepropo-
sait demultiplierlesconseilsdu rôl deFranco,
et d'en élireles membrespar scrutin, il ne
voyaitpasqu'ilproposaitdechangerla forme
du gouvernement.
Il me resteraità parler de la manièrede
donneret derecueillirles voixdansl'assem-
bléedu peuple;mais peut-êtrel'historiquede
la policeromaine,à cet égard,expliquera-t-ii
plussensiblement toutesles maximesqueJe
pourraisétablir.Il n'est pasindigned'unlec-
teur judicieuxde voirun peuen détailcom-
mentse traitentlesaffairespubliqueset par-
ticulièresdansun conseildé deux centmilii
hommes.
- 149 *-

IV.—
Descomices
romains.
Nousn'avonsnuls monumentsbienassurés
des premierstemps de Rome; il y a même
grandeapparence que la plupartdes Choses
qu'onendébitesontdesfables(I);et, en géné-
rai,la partie la plus instructivedesannales
déspeuples,qui est l'histoirede leurétablis-
sement,est celle qui nousmanquele plus.
L'expérience nousapprendtouslesJoursde
quellescauses naissentles révolutionsdes
empires;maiscommeil ne se formeplusde
, peuples,nousn'avonsguèreque des conjec-
tures pour expliquercommentils se sont
formés.
Lès usagesqu'on trouveétablis attestent
aumoinsqu'ily eutuneorigineà ces usagés.
Destraditionsqui remontentà cesorigines,
cellesqu'appuientles plus grandesautorités,
et quede plusfortesraisonsconfirment,doi-
vëùtpasserpourles plus certaines.Voilàles
maximesquej'ai tâché de suivreen recher-
chant bonimentle pjuslibreet le pluspuis-
sant peuplede la terreexerçaitsonpouvoir
suprême.
Aprèsla fondationde Rome,la république
naissante,c'est-à-direl'arméedu fondateur,
Lénomdehome,qu'onprétend
(ilest venirdeHomu-
lus, grec force;le nomdo .Ytmiu
etsignifie est
grèeausstetslgntttefof. apparence
Quelle queiésdeux
premiersrotsdecettevillenientportod'avance
tes
noms &cequ'ilsontfaut
sibienrelatifs
>- 450—
composée d'Albains,deSablnset d'étrangers,
fut diviséeentroisclasses,qui de cettedivi-
sion prirent fe nom de tribus,Chacunede
cestribusfutsubdiviséeendixcuries,et cha-
que curieen décuries,à la tête desquelles
on mit des chefs, appeléscurionset déçu-
r:ons.
Outrojela,on tiradechaquetribuun corps
decentcavaliersou chevaliers,appelécèntû»
rie; par où l'on volt que ces divisions,peu
nécessairesdansun bourg,n'étaient d'abord
quemilitaires.Maisil semblequ'un instinct
de grandeurportaitla petitevillede Rome'à
se donnerd'avanceunepoliceconvenable àla
capitaledu monde.
De ce premierpartagerésulta bientôtun
inconvénient : c'estquelatribudesAlbains(l)
cl celle des Salbins(2)restant toujoursau
mômeétat, tandisque celledesétrangers0)
croissaitsanscesseparleconcoursperpétuel
de ceux-ci,cettedernièrenetarda pasà sur-
passerlesdeuxautres.LeremèdequeServais
trouvaà cedangereuxabusfut de changerlà
division,et, à celledèsracesqu'ilabolit,d'èd
substituerune autre tirée des lieux de là'
ville occupéepar chaquetribu.Au lieu de
trois tribus, il en fit quatre, chacunedès*
quellesoccupaitunedés collinesdeRomeet
en portaitlenom.Ainsi,remédiantà l'inéga-
lité présente,il la prévintencorepour rayé-
nir, et afin quecettedivisionne fût pas séù-
Ramnenses.
2) Tàtiensés.
il)
13)Luceres.
— 181—
iementde lieux, mais d'hommes,il défendit
aux habitantsd'un quartierde passer dans
un autre,ce quiempêchalesracesde se con-
fondre.
Il doublaaussiles troisanciennescenturies
decavalerie,et y en ajoutadouzeiiutres,mais
toujourssouslesauciensnoms,moyensimple
et judicieuxparlequelilachevadodistinguer
le corpsdes chevalièrede celui du peuple,
sansfairemurmurerce dernier.
A ces quatre tribus
5autres, urbaines, Servius en
ajoutaquinze appeléestribus rusti-
ques,parcequ'ellesétaientforméesdes habi*
tants de la campagnepartagésen autantû
cantons.Dansla suite, ou en fit autant de
nouvelles,et le peuple romain se trouva
enfindiviséentrente-cinqtribus,nombreau-
quelellesrestèrentfixéesjusqu'àla finds la
république.
Decettedistinction des tribusde la villeet
' des tribusde la campagne r ésultaun effetdi-
gne.d'êtreobservé,parce-qu'iln'y en a point
d'autreexemple, et queRomeluidut à la fois
la conservationde sesmoeurset l'accrois.se-
inentde son empire.Oncroiraitque les tri-
bus urbaines s'arrogèrentbientôt la puis-
sanceelles honneurs,et ne tardèrentpasd'à*
vilirles tribus rustiques;ce fut tout le con-
traire.Onconnaîtle goût des premiersRo-
mainspour la vie champêtre.Ce goût leur
venaitdu sageinstituteurqui unità la liberté
lestravauxrustiqueset militaires,et relégua,
pourainsidire,à la ville,lesarts, les métiers,
l'intrigue,.a fortuneet l'esclavage.
Ainsi,toutce que Romeavait d'illustrevi;
— 162—
tant aux champs et cultivantla terre,on
s'accoutumaà ne chercherquelà lessoutiens
dela république. Cet état,étant celuidesplus
dignespatriciens,futhonorédetoutlemonde:
la vie simpleet laborieusedes villageoisfut
préféréeà la vie oisiveet lflchedes bour-
geoisde Rome,et tel n'eûtété qu'unmalheu-
reux prolétaireà la ville,qui, laboureuraux
chanips,devintun citoyenrespecté,Cen'estpas
sansraison,disaitVarron,que nosmagnani-
mes ancêtres établirent au villagelà pépi-
nière de ces robusteset vaillantshommes
quilesdéfendaienten tempsde guerre et les
nourrissaienten tempsde paix.Pltoedit po-
sitivementque les tribus deschampsétalent
honoréesà cause deshommesqui les com-
posaient;au Heuqu'ontransférait,par igno-
minie,danscellesde la ville les lâchésqu'on
voulaitavilir,Le SabinAppiusClàùdïusétant
venus'établirà Rome,y fut combléd'hon-
neurset inscritdans unetribu rustique,qui
prit danslasuitele nomde sa famille.Enfin,
les affranchisentraient tousdansles tribus
urbaines,Jamais dans les rurales,et il n'y
a pas, durant toute la république,un seul
exempled'f îcun de ces affranchisparvenu
à aucunemagistrature,quoiquedevenuci-
toyen.
Cettemaximeétait excellente;mais elle
fut pousséesi loin,qu'ilen résultaenfinun
changement,et certainementun abusdansla
police.
Premièrement,les censeurs, après s'être
arrogélongtempsle droitde transférerarbi-
trairementles citoyensd'unetribu à l'autre,
'-
ib'3- .
permirenta la plupart de se faite inscrire
dans cellequi leur plaisait,permission qui,
BÛrement, n'était bonnoà rien et était un
des grands ressortsde la censure.De plus,
les grands et les puissants,se faisanttous
inscriredansles tribusde la campagne, et les
affranchis,devenuscitoyens,restantavecla
populace danscellede la ville,les tribus,eu
général,n'eurentplusdolieuni de territoire;
maistoutesse trouvèrenttellementmêlées,
ne pouvait,plusdiscernerlesmembres
Su'on
e chacunequeipar les registres; en sorte
quel'idéedu mot tribu passaainsidu réel
au personnel,ou plutôt devintpresqueune
.chimère.
Harriva encoreque les tribusde la ville
étantplusà portée,se trouvèrentsouventles
Alusfortesdanslescomices,et vendirentl'E-
tat à ceuxquidaignaient acheterlessuffrages
dela canailloquiles composait.
A l'égarddes curies,l'instituteuren ayau
faitdixà chaquetribu,tout le peupleromain
alorsrenfermédanslesmursdela ville, s|
trouvacomposéde trentecuries,dont cha-
cuneavait ses temples,ses dieux,ses of&
clers,SoSprêtres, ses fêtesappeléesCompi-
tatta,semblablesauxPaganaliaqu'eurentdans
lasuitelestribusrustiques.
Aunouveaupartagede Servius, cenombib
detrentene pouvantse répartir jgalement
danscesquatretribus,il n'yvoulutpointtou-
cher,et lès curies,indépendantes des tribus,
devinrentuneautredivisiondeshabitantsde
Rome;maisilne fut pointquestiondecuries,
ni dansles tribusrustiques,ni danslé peuple
-154-
les composait,parceque les tribusétant
3ui
evenuesun établissement purementcivil,et
une autre policeayant été introduitepourla
levéedes troupes, les divisionsmilitairesde
Romulussetrouvèrentsuperflues.Ainsi,quoi-
que tout citoyenfût inscritdansune tribu, 11
s'en fallait beaucoupque chacunne le fût
dansunecurie.
Serviusfit encoreune troisièmedivision,
qui n'avaitaucunrapportaux deuxprécéden-
tes, et devint, par ses effets,la plusimpor-
tantede toutes.11distribuatout le peuplero-
mainen six classes,qu'ilne distinguani par
le lieu,ni par les hommes,maispar lesbiens,
en sorte que les premièresclassesétaient
rempliespar les riches, les dernièrespar les
pauvres,et les moyennespar ceuxqui Jouis-
saientd'unefortunemédiocre.Cessix classes
étaientsubdivisées en centquatre-vingt-treize
autrescorps,appeléscenturies,et ces corps
étaienttellementdistribués,que la première
classeeu comprenaitseuleplusde la moitié,
et la dernièren'en formaitqu'un seul, n se
trouvaainsiquelaclassela moinsnombreuse
en hommes,l'étaitle plusen centuries,et que
la dernièreclasseentièren'était comptéeque
pour mie subdivision,bien qu'elle contint
seuleplusdelamoitiédeshabitantsde Rome.
Afinque le peuplepénétrâtmoinsles.con-
séquencesde cettedernièreforme,Serviusaf-
fectade lui donnerun air militaire; il inséra
dansla secondeclassedeuxcenturiesd'armu-
riers, et deuxd'instrumentsde' guerredans
la ijùatriéme; danschaqueclasse,exceptéla
dernière,il distinguales jeuneset lesvieux
- Î55—
c'est-à-dire ceuxqui étaientobligésde porter
lesarmeset ceuxque leurâgeen exemptait
les lois; distinction
qui,plusquecelledès
lens,produisitla nécessitéde recommencer
8ar
souventle censou dénombrement; enfin,il
voulutque l'assembléese tînt au champde
Mars,et quetousceux quiétaienten âgede
serviry vinssentavecleursarmes.
, Laraisonpourlaquelleilnesuivitpas,dans
la dernièreclasse,cette mêmedivisiondey
Jeuneset des vieux,c'est qu'on n'accordai!
à ta populace dontelleétait composée,
'honneurde porterlesarmespourla patrie;
fiolnt
il fallaitavoirdesfoyerspourobtenirle droit
de les défendre,et de ces innombrables trou-
,pesde gueuxdontbrillentaujourd'huilesnr-
-méesdesrois, il n'y en a pas un, peut-être,
quin'eûtétéchasséavecdédaind'unecohorte
romaine,quandles soldatsétaientles défen-
seursde la liberté.
Ondistinguapourtantencore,dansla der-
nièreclasse,lesprolétaires, deceuxqu'onap-
pelait'capitecensi.Lespremiers,nontoutà fait
réduits à rien, donnaientau moinsdes.ci-
•îoyensà l'Etat,quelquefois mêmedes soldats
dansles besoinspressants.Pourceuxquin'a-
vaientrien du tout.et qu'on ne pouvaitdé-
nombrerquepurleurstêtes,ilsétaientregar-
déscommenuls,et Mariusfut le premierqui
daignales emôler.
Sansdéciderici si ce troisièmedénombre-
mentétaitbon ou mauvaisen lui-même, je
crois pouvoiraffirmerqu'il n'y avaitqueles
.moeurssimplesdés premiersRomains,leur
desintéressement, leur goût pour l'agricul-
- 156-
tttre, leur méprispour le commerceet pour
l'ardeur du gain, qui pussentle rendre pra-
ticable.Où et le princemodernechezlequel
lii dévorante avidité,l'espritinquiet,l'intri-
gue,les déplacementsconrinuels,les perpé-
tuellesrévolutionsde fortunespussentlafcset
durervingt ans un pareilétablissement sans
bouleversnrtout l'Etat? Il fautmêmebienre-
marquereue les moeurset la censure, plus
fortesque cette institution,en corrigèrentle
viceà Rorao, et que tel richese vit relégué
dons la clisse des pauvrespour avoirtrop
étalé sa rithesse.
Detout cecil'onpeutcomprendreaisément
pourquoiil u'est presquejamaisfait mention
que de cinqclasses,quoiqu'ily en eûtréelle-
ment six. La sixièmene fournissantni soldats
à l'armée, ni votantsau champde Mars(1)j
et n'étant presme d'aucunusagedansla ré-
publique,était rarementcomptéepourquel-
que chose.
Telles furent les différentesdivisionsdu
peupleromain.Voyonsà présentl'effetqu'el-
les produisaientdans les assemblées. Ces as-
semblées,légitimementconvoquées,s'appe-
laient comices;elles se tenaient ordinaire-
. mentdansla place<?eRomeou au champde
Mars,et se distingua"enten comicespar cu-
ries, comicespar c«ahurieset comicespar
tribus,seloncellesde cestrois formessur la-
Je disau champdeMars,parcequet'étaitlà
tos'assemblaient
quo lesconIcesparcenturies.,
danstes
deuxautres(ormes,le peipiesTissemblalt
au Forum
ou ailleurset alorslesapitecenstavaientautant
d'influence
etd'autorité
cruetespremiers
citoyens.
- 151-
quelle ellesétalent ordonnées,Les comices
curies étalentde l'institutionde Romu-
us ; ceuxpar centuries,de Servius;ceuxpar
(>ar
tribus, destribunsdu peuple.Aucuneloi ne
recevaitla sanction, aucun magistratn'était
élu que dans les comices,et commeil n'y
avaitaucun citoyenqui ne fût inscrit dans
une curie, dans une centurieou dans une
tribu, il s'ensuitqu'aucuncitoyenn'étaitexclu
du droitde suffrage,et quele peupleromain
était véritablement ls ouverainde droitet de
fait.
Pour que les comicesfussentlégitimement
assembles,et que ce qui s'y faisaiteût force
de,loi, il fallaittrois conditions; la pre-
mière,que le corps ou le magistratqui les
convoquaitfût revêtu pourcelade l'autorité
nécessaire;la seconde,que l'assemblée se fit
un des tours permispar la loi; la troisième,
queles auguresfussentfavorables.
Laraisondu premierrèglementn'a pas be-
soind'êtreexpliquée.Le secondest uneaf-
fairede police;ainsi,il n'était pas permisde
tenir lescomiceslesjoursde féerieet de mar-
ché, où les gens de la campagne,venantà
Rome pour leurs affaires,n'avaientpas le
tempsde passerla journéedansla,placepu-
blique.Par le troisième,le sénat tenaiten
brideun peuplefier et remuant,et tempérait
à proposl'ardeurdes tribunsséditieux;mais
ceux-citrouvèrentplusd'un moyende se dé-
livrerdb cettegêne.
Lesloisde l'électiondeschefsn'étaientpas
lesseulspoints soumisau jugementdes co-
mices; le p?upleromain, ayant usurpéles
— 158—
plusimportantesfonctionsdu gouvernement,
on peutdireque le sort de l'Europeétait ré-
glé dans ses assemblées.Cette variétéd'ob-
jets dormaitlieuaux diversesformesque pré-
paientcesassemblées, selon les matièressur
lesquellesilavaità prononcer.
PourJugerdocesdiversesformes,il suffit
de les comparer.Romulus,en instituantles
curies,avaitenviede contenirle sénntpar le
peuple,et le peupleparle sénat,eu dominant
égalementsur tous.Il douuadoncau.peuple,
par cette forme, toutel'autoritédu nombre
pourbalancercellede la puissanceet desri-
chessesqu'illaissaitaux patriciens.Maisse-
lonl'espritde la monarchie, il laissacependant
plusd'avantageaux patricienspar l'influence
de leurs"clientssur la pluralitédessuffrages.
Cetteadmirableinstitutiondes patronset des1:
clients fut un chef-d'oeuvre de politiqueet
d'humanité,sans lequelle patriciat,si con-
traireà l'espritdela république, n'eût pusub-
sister.Romeseulea eu l'honneurdedonnerau
mondecebelexemple,duquelil ne résultaja-
maisd'abusetquipourtantn'ajamaisétésuivi.
Cettemêmeformedescuriesayant subsisté
souslesrois jusqu'àServius, et le régnedu
dernierTarquinn'étant point comptépour
légitime,celafit distinguergénéralement les
lois royalespar le nomde legescuriatoe.
Sousla république, iles çuriés,toujoursbor«
néesaux quatretribu?urbaines,et ne conte-
nant plusque la populacede Rome,ne pou-
vaientconvenirni au sénatqui étaità la'tête
des patriciens,ni aUxtribunsqui, quoique
oiébéiens.étaientà la tctôdéscitoyensaisés.
-it-o- •
Bilestombèrentdoncdansle discrédit,et leui
avilissementfut tel que lcuretrentelicteurs
assemblésfaisaientce quelescomicespar cu-
riesauraientdû faire.
La divisionpar centuriesétaitsi favorable
à l'aristocratie,qu'onne voitpasd'abordcom-
mentle sénatne remportaitpastoujoursdans
lescomicesqui portaientce nomet par les-
quelsétalentélus les consuls,les censeursel
lesautresmagistratscurules.Eneffet,deceni
quatre-vingt-treize centuriesqui formaientles
six classesde tout le peupleromain,la pre-
mièreclasseen comprenantquatre-vingt-dix-
huit et les voixne se comptantqueparcen-
turies,cetteseulepremièreclassel'emportait
en nombredevoixsurtouteslesautres.Quand
toutesces centuriesétaient d'accord,on ne
continuaitpasmêmeà recueillirles suffiages;
ce qu'avaitdécidéle plus petit nombrepassait
pourunedécision de la multitude,et l'onpeut
direque, dans les comicesparcenturies,les
affairesse réglaientà la pluralitédes écus,
bienplusqu'àCelledes voix.
Maiscette extrêmeautorité se tempérait
par deuxmoyeny.Premièrement, les tribuns,
pour l'ordinaire, et toujoursun grandnombre
de plébéiensétant de la classedes riches,
balançaientle créditdes patriciensdans cette
premièreclasse.
Lesecondmoyenconsistaiten ceci: qu'au
lieude faired'abordvoterles centuriesselon
hur ordre, ce qui aurait toujoursfait com-
mencerpar la première,on en tirait une au
S et, et celle-là(1)procédaitseuleà l'élection;
, a) Cette centurieainsiUréeausorts'appelaitprot
— 160—
aprèsque toutes les centuries,appeléesun
autre jour, selon leur rang, répétaientla
mêmeélectionet la confirmaientordinaire-
ment.Onôtait ainsil'autoritéde l'exempleau
rang,pourladonnerau sort,selonle principe
delà démocratie.
Il résultaitde cet usageun autre avantage
encore: c'estque les citoyensde la campagne
avalentle temps,entré les deuxélections,do
s'informerdu mérite du candidatprovision-
nellementnommé,afindene donnerleursvotx
qu'avecconnaissance de cause.Mais,souspré-
texte de célérité,l'on vint à boutd'abolircet
usage, et les deux èiertlonssefirentlemême
jour.
Les comicespar tribus étalent proprement
le conseildu peupleromain.Ils ne se convo-
quaient''que,par les tribuns; les tribuns y
étaient élus et y passaientleursplébiscites.
Non-seulementle sénat n'y avait point de
rang,il n'avaitpasmêmele droitd'yassister;
et, forcésd'obéirà des lois sur lesquellesils
n'avaientpu voter, les sénateursà cet égard
étaientmoinslibresque lesdernierscitoyens.
Cetteinjusticeétait tout à fait mal entendue,
et suffisaitseulepour invaliderles décrets
d'un corpsoùtousses membresn'étaientpas
admis.Quandtousles patricienseussentas-
sisté à ces comicesselon le droit qu'ils en.
avaientcommecitoyens,devenusalorssim-
plesparticuliers,ils n'eussentguèreinfluésur
à causequ'elle
rogativa. étaitla première
à quiTon
demandait
sonsuffrage,
et c'estnolà qu'estvenult>
àmldaprciupnlice.
~ I<;I—
uneformede suffragesquiserecueillaientpar
f'-te, et où le moindreprolétairepouvaitau-
tant que le princedu sénat.
Onvoitdoncqu'outrel'ordre qut résultait
decesdiversesdistributionspour le recueil-
lementdessuffragesd'unsi grandpeuple,ce3
distributionsne se réduisaientpas à des for-
mesindifférentes en elles-mêmes,mais que
ehacuncavaitdeseffetsrelatifsauxvues qui
la faisaientpréférer.
Sansentrerlà dessusende pluslongsdé-
tails, 11résulte des éclaircissements précé-
dentsque les comicespar tribus étalent les
' plus favorablesau gouvernementpopulaire,
et les comicespar centuriesà l'aristocratie.
A l'égarddes comicespar centuries, où la
seulepopulacede Romeformaitla pluralité,
commeilsn'étalentbonsqu'à favoriserla ty-
rannieet les mauvais desseins, ils durent
tomberdansledécri,lesséditieuxeux-mêmes
s'abstenantd'unmoyenqui mettraittropà dé-
couvertleursprojets. Il est certainque toute
la majestédu peuple romain ne se trouvait
que dans les comicespar centuries,qui seuls
étaientcomplets;attenduque dans lescomi-
cespar curiesmanquaientlestribusrustiques,
et dansles comicespar tribus, lesénatet les
patriciens.
Quantà la manièrede recueillirlessuffra-
ges, elle était, chezles premiersRomains,
. aussisimpleque leursmoeurs,quoiquemoins
simple«ncorequ'à Sparte: chacundonnait
son suffrageà hautevoix,un greffierlesécri-
vait à mesure;la pluralitéde voixdanscha-
que tribudéterminait
' Mcornu*eciàt l e d
suffrage u e
peuple, t
4
. — 162--
ainsi des curies et des centuries.Cet usage
était bon, tant que l'honnêtetérégnait entre
les citoyens,et que chacun avait honte de
donnerpubliquementson suffrageà un avk
Injusteou à un sujet indigne; maiequandle
peuplese corrompitet qu'onachetales voir,
il convint qu'elles se donnassenten secret
pourcontenirles acheteurspar la défiance,
et fourniraux friponsle moyende n'être pas
des traîtres,
Je saisque Cicéronblâme ce changement,
et lui attribueen partiela ruinede la répu-
blique.Maisquoiqueje sentele poidsquedoit
avoirici l'autoritéde Qcéron,je ne puis être
deson avis, Je pense, au contraire,que pour
n'avoirpas fait assezde changementssembla-
bles,on accélérala pertede l'Etat.Commele
régimedès gens sains n'est pas propreaux
malades,il ne faut pas vouloirgouvernerun
peuplecorrompupar les mêmesloisqui con-
viennentà un bon peuple. Rien ne prouve
mieuxcette maxime que la duréede la ré-
publiquede Venise,dont le simulacreexiste
encore,uniquementparceque cesloisne cou*
viennentqu'à de méchantehommes.
Ondistribuadoncaux citoyensdes tablettes
parlesquelles chacunpouvaitvotersans qu'on
eût quel était sonavis. On établit ausside
nouvellesformalitéspourle recueillement dès
tàbieites,le comptedes voix, la comparaison
desnombres,etc.; ce qui n'empêchapasque
a fidélitédes officierschargés de ces fonc-
tions(t) néfût souventsuspectée.Onfit enfin,
(*)Costodes,
diribltores, suffragloruio.
rogatores
— 103,—
pourempêcherla brigueet le traficdessut*
frages,desédita dont la multitudemontre
l'inutilité,
Versles dernierstemps,on était souvent!
contraintde recourirà des expédientsextra-
ordinairespoursuppléerà l'insuffisance de»
lois. Tantôton supposaitdes prodiges;mate
ce moyen,quipouvaiten imposerau peuple,
n'en imposaitpas à ceux qui le gouver-
naient; tantôt on convoquaitbrusquement
uneassemblée avantquelescandidatseussent
eu le tempsde faireleursbrigues;tantôtoa
consumaittoute uneséanceà parler,quand
.onvoyaitle peuplegagnéprôt à prendreua
mauvaisparti; maisenfinl'ambitionéluda
tout,et, ce qu'ily a d'incroyable,c'estqu'as
milieude tant d'abus,ce peupleimmense,à
la faveurde ses anciensrèglements,ne lais-
sait pasd'élireles magistrats,de passerles
lois, de Juger les causes,d'expédierles af-
fairesparticulièreset publiques,presqueavec
autantdefacilitéqu'eûtpu fairele sénatlui-
même.
V.—Dutribunal.
Quandon ne peut établirune exactepro-
portionentrelespartiesconstitutivesde l'E-
tat, ouquedescausesindestructibles enaltè-
rent sanscesseles rapports,alorsoninstitue
unemagistratureparticulière quinefaitpoint
corps avecles autres, qui replacechaque
termedansson vrai rapport,et qui fait uuç
Maisonou un moyen terme, soit entre le
pririceet le peuple,soit entréle princeet1*
—161—
(souverain,soit à la foisdes deux côtés, s'il
est nécessaire.
Ce corps,que j'appelleraitribunat, est lé
conservateurdes loiset du pouvoirlégislatif.
Il sert quelquefoisà protéger le souverain
contro le gouvernement,commefaisaientà
Romeles tribuns du peuple;quelquefoisà
soutenir le gouvernementcontrele peuple,
commefaitmaintenantà Venisele conseildes
dix ; et quelquefoisà maintenirl'équilibrede
part et â'autre, commefaisaientles ephores
à Sparte.
Le tribunatn'est pointune partieconstitu-
tive dela cité, et ne doit avoiraucunepor-
tion de la puissancelégislative,ni de l'execu-
tive; maisc'est en cela mêmeque la sienne
est plus grande; car, ne pouvantrien faire,
il peut tout empêcher; il est plus sacré et
plus révérécommedéfenseurdes lois,que le
princequi les exécuteet que le souverainqui
les donne.C'estce qu'onvit bienclairementà
Rome,quandcesfierspatriciens,quiméprisè-
rent toujoursle peupleentier, furentforcés
de fléchirdevantun simpleofficierdu peuple,
oui n'avaitni auspicesni juridiction.
Le tribunat,sagementtempéré,est le plus
fermeappui d'une bonneconstitution; mais
pourpeude forcequ'il ait de trop, il renverse
tout', à l'égardde sa faiblesse,elle n'est pas
dans la nature, et pourvuqu'il soit quelque
chose,il n'est jamaismoinsqu'il ne faut.
Il dégénèreen tyrannie quandil usurpela
puissanceexecutive,dont il u'est que le mo-
dérateur,et qu'ilveut disposerdesloisqu'ilne
doit queprotéger.L'énormepouvoirdesépho-
- 16S-- :
res,quifut sansdangertant queSpartecon-
servases moeurs,en accélérala corruption
commencée. Le sang d'Agiségorgé par ces
tyransfut vengéparsonsuccesseur;fecrime
et le châtimentdes éphoreshâtèrent égale-
mentla pertedela république,et aprèsCléo-
mèneSpartenefut plusrien. Romepériten-
corepar la mêmevoie,et le pouvoirexcessif
destribuns,usurpépardegrés,servitenfin,à
t'aidedesloisfaitespourla liberté,de sauve-
garde aux empereursqui la détruisirent.
Quantau conseildesdix, à Venise,c'estun
tribunalde sang, horribleégalementaux pa-
tricienset au peuple,et qui, loinde protéger
hautementles lois,ne sert plus, aprèsleur
avilissement,qu'àporterdanslesténèbre»des
coupsqu'onn'oseapercevoir.
Letribunats'affaiblit,commele gouverne-
ment,pat la multiplication de sesmembres.
Quandlestribunsdu peupleromain,d'abord
au nombrede deux, puis de cinq, voulurent
doublercenombre,le sénat les laissafaire,
biensûr decontenirlesuns par les autres,ce
qui ne manquapasd'arriver.
, Le meilleurmoyendé prévenirles usurpa-
tionsd'un si redoutablocorps, moyendont
nul gouvernement ne s'estaviséjusqu'ici,ce
seraitdene pas rendrece corpspermanent,
maisde réglerdes intervallesdurantlesquels
11resteraitsupprimé,ces intervalles,qui ne
doiventpas êtreassezgrandspourlaisseraux
abusletempsdos'affermir,peuventêtrefixés
parla loi, de manièrequ'il soit aiséde les
abrégerau besottipar des commissions ex-
traordinaires,
— iô6 -~
Ce moyenme paraît sans inconvénient ,•
parceque,commeje l'ai dit, le tribunat, ne
faisantpoint parti de la constitution,peut
êtreôtésans qu'elleen souffre,et il me pa-
raît efficace,parcequ'unmagistratnouvelle-
mentrétabli ne part point du pouvoirqu'a-
maisdeceluique la loi
vait son prédécesseur,
lui donne.
VI.—Defadictature.
L'inflexibilité
des lois, qui les empêchede
se plieraux événements, peut,encertainscas,
lesreudrepernicieuses,et causerpar ellesla
perte de l'Etat dans sa crise. L'ordreet la
lenteurdes formesdemandentun espacede
tempsqueles circonstances refusentquelque-
fois.Il peut se présentermillecas auxquelsle
législateurn'a pointpourvu,et c'estune pré-
voyancetrès nécessairede sentir qu'on ne
peut tout prévoir.
11ne faut doncpas vouloiraffermirles Ins-
titutionspolitiquesJusqu'às'ôter le pouvoir
d'en suspendrel'effet. Sparte elle-mêmea
laissédormirses lois.
Mais11n'y a que les plus grandsdangers
qui puissent balancercelui d'altérerl'ordre
public, et l'on ne doitJamaisarrêterle pou-
voirsacrédesloisquequand fi s'agit du sa-
lut de la patrie. Dansces cas rareset mani-
festes,on pourvoità la sûretépubliquepar
un acteparticulierqui en remetla chargeau
plusdigne. Cettecommission peutse donner
de deuxmanières,selonl'espècede danger.
T 167 —
Si. pour y remédier,il suffitd'augmenter
l'activitédu. gouvernement,on le concentre
dansun ou deux de ses membres: ainsi, ce
n'estpas l'autoritédes loisqu'onaltère, mais
seulementla formede leur administration.
Quesi le périlesttelquel'appareildesloissoit
un obstacleà s'en garantir,alorson;nomme
un chefsuprêmequi fassetairetoutesleslois,
et suspendeun momentl'autoritésouveraine.
En pareilcas, la volontégénéralen'est pas
douteuse,et 11est évidentquelapremièreIn-
tentiondu peupleestquel'Etatnépérissepas.
Decettemanière,la suspensionde l'autorité
législativene l'abolitpoint: le magistratqui
la fait taire ne peut la faireparler,il la do-
minosans pouvoirla représenter;11peuttout
faire,exceptédeslois.
Le premiermoyens'employait par le sénat
romainquandil chargeaitlesconsuls,parune
formuleconsacrée,de pourvoirausalut de la
république;le secondavaitlieuquandtm d&s
deuxconsulsnommaitun dictateur(t), usage
dont Albeavaitdonnél'exempleà Rome.
Dansles commencements de la république,
on eut très souventrecoursà la dictature,
parceque l'Etat n'avait pas encoreuneas-
fiietteassezfixepourpouvoir, se soutenirpar
la forcede sa constitution.Lesmoeursren-
dant alorssuperfluesbiendes précautions qui
eussentété nécessaires dans un autre temps,
on ne craignaitni qu'un dictateurabusâtde
(I) s»faisaitdonuitetensecret,
Cettenomination'
comme sil'onavaiteuhontedemettre
unhomme au-
dessusdeslois.
— lti» —
son autorité, ni qu'il tentât de la garderr>û
delàdu terme.Ilsemblait,aucontraire,qu'un
si grandpouvoirfût à chargeà celuiqui en
était revêtu, tant il se hâtait des'en défaire,
commesi c'eûtété un postetrop pénibleet
trop périlleuxde tenir la placedes lois.
Aussi,n'est-cepasle dangerdol'abus,mais
celuide l'avilissement qui me faitblâmerl'u-
sage indiscretde cette suprêmemagistrature
dansles premierstemps.Cartandisqu'onla
prodiguaità desélections,à des dédicaces,è
dèschosesde pureformalité,il était à crain-
drequ'ellene devîntmoinsredoutableau be-
soin, et qu'on ne s'accoutumâtà regardei
commeun vaintitre celui qu'onn'employait
qu'à de Vainescérémonies.
Versla fin de la république,les Romains,
devenuspluscirconspects, ménagèrentla dic-
tature avecaussipeudoraisonqu'ilsl'avaient
prodiguéeautrefois.Il était aisé de voirque
leur crainteétaitmalfondée; quela faiblesse
dela capitalefaisaitalorssa sûretécontreles
magistratsqu'elleavait dansson sein, qu'un
dictateurpouvait,en certaincas, défendrela
libertépubliquesansjamaisy pouvoiratten-
ter, et que les fersde Romene seraientpoint
forgésdans Romemême, mais dansses ar-
mées: le peu de résistanceque firentMarius
à sylin, et Pompéea César,montrabience
qu'on poitvaltàttendrede l'autoritédudedans
contrela forcedu dehors.
Cetteerreurleurfitfairede grandesfautes.
Telle,par exemple,fut celle de n'avoir pas
nomméun dictateurdans l'affairede Catl-
Hna; car, commeil n'était questionque du
— 169-
dedansde la ville,et, tout .au plus, de quel-
que provinced'Italie, avec l'autorité sans
borne?que les lois donnaientau dictateur,
il eût facilementdissipéla conjuration,qui
ne fut étoufféequeparun concoursd'heureux
hasardsquejamais la prudencehumainene
devaitattendre.
Aulieude cela,le sénatse contentadere-
mettretout son pouvoiraux consuls,d'oùil
arriva que Cieéron,pour agir efficacement,
fut contraintde passer ce pouvoirdans un
point capital,et que, si les premierstrans-
portsde Joiefirentapprouversa conduite,ce
fut avecJusticeque dansla suite on lui de-
manda comptedu sang des citoyensversé
contreles lois,reprochequ'onn'eûtpufaireà
un dictateur.Maisl'éloquence du consulen-
traîna tout; et lui-même,quoiqueRomain,
aimant mieux sa gloire que sa patrie, ne
cherchaitpas tant le moyenle plus légitime
et le plus sûr de sauverl'Etat,que celuid'a-
voirtout l'honneurde cetteaffaire(i). Aussi
tut-il honoréjustementcommelibérateurde
Rome,et justementpuni commeintracteur
deslois.Quelquebrillantqu'aitétésonrappel,
il estcertainque ce fut une grâce.
Aureste, de quelquemanièreque cetteir»
portantecommission soit conférée,11importe
d'enfixerla duréeà un termetrès court,qui
jamais ne puisse être prolongé: dans les
crises qui ta font établir,l'Etat est bientôt
(ilC'estcedontIIpouvait
serépondreenproposant
undictateur,
n'osantsenommerlul-tnème
etnopou-
quesoncollègue
vants'assurer lenommerait.
— 170—
détruitou sauvé,et, passéle besoinpressant;
la dictaturedevienttyranniqueou vaine.A
Romeles dictateursne l'étant que.poursix
mois,la plupartabdiquèrent avantce terme.
SI lé terme eût été pluslong,peut-être-eus-
sent-ils été tontes de le prolonger.encore,
commefirentlesdécemvîrs celuid'uneannée.
Ledictateurn'avaitquele tempsde pourvoir
aubesoinqui l'avaitfait élire; il n'avait/pas
celuide songerà d'autresprojets.
VU,—netacensure.
De mêmeque la déclarationde la volonté
généralese fait par la loi, la déclaration,du
Jugementpublicse fait par la censure;l'opi-
nionest l'espècedeloi dont le censeurest le
ministra et qu'ilne fait qu'appliquer aux cas
particuliers,à l'exempledu prince.
Loindoncque le tribunalcensorial soitl'ar-
bitredol'opiniondu peuple,il n'enest quele
déclarateuiyofc sitôt qu'ils'enécarte;sesdéci-
sionssont vaineset sans effet.
Il est Inutilede distinguerles moeursd'une
nationdesobjetsdeson estime;car toutcela
tientau mêmeprincipeet se confondnéces-
sairement.Cheztous les peuplesdu monde,
ce n'est pointla nature, mais l'opinionqui
décidedu choixdeleurs plaisirs.Redressez
les opinionsdés hommes,et leur moeurs .s'é-
purerontd'elles-mêmes. Onaime toujoursce
qui est beau ouce qu'on trouve tel; mats
ûèst surce Jugementqu'onse trompe;c'est
doncce jugementqu'il s'agit de régler.Qui
—.17! —
jugedesmoeurs. Jugedel'hohneur,et quijuge
de l'honneur,prendsa loide l'opinion.
'Les opinionsd'un peuplenaissent de &a
constitution;quoiquela loine règlepas tes
moeurs,c'estla législationqui lésfait naître;
quandla législation s'affaiblit,les moeursdé-
génèrent;maisalorslejugementdescenseurs
ne ferapas ce quela forcedesloisn'aurapas
fait.
Il suitdelà .quelà censurepeut êtreutile
pourconserveriesmoeurs, jamaispourlesré-
tablir.Etablissezdes censeursdurant la vi-
gueur des lois; sitôt qu'ellesl'ont perdue,
toutest désespérée;rien de légitimen'a plue
de forcelorsquelesloisn'en ont plus.
La censuremaintientles moeurs,en empê-
chant les opinionsde se corrompre,en con-
servantleurdroiturepardesagesapplications,
quelquefois mêmeen les fixant,lorsqu'elles
sont"encoreincertaines.L'usagedes *rcond*
dansles duels,portéjusqu'àla fureurdansle
royaumede France,y fut abolipar cesseule
motsd'un éditdu roi : Quantà ceuxquiont
ta lâchetéRappelerdesseconds, Ce jugement,
prévenantceluidu public,le détermina tout
d'uncoup.Maisquandles mêmes1èditsvou-
lurentprononcerquec'étaitaussiunelâcheté
dese battreenduel,ce quiest très vrai,mais
contraireà l'opinioncommune,h* publiese
moquadecette décision,sur laquelle- sonju-
gementétaitdéjàporté;
J'ai dit ailleurs(i) que l'opinionpublique
(i)Jenefaisqu'Indiquer
danscechapllre cequel'ai
traitéplusaulongdanslaLettreà il, d'Alemberi,
— 172—
n'étant pointsoumiseà la contrainte,11n'en
fallait aucun vestigedansle tribunalétabli
pourla représenter.On ne peuttrop admirer
avecquelart ce ressort,entièrementperdu
chezles modernes,était mis en oeuvrechez
les Romains,et encoremieuxchezles Lacé'
démoniens.
Unhommede mauvaisesmoeursayantou-
vertun bonavis dans leconseilde Sparte,
les éphores.sansen tenir compte,firentpro-
poserlé mêmeavispar un citoyenvertueux.
Quelhonneurpourl'un,quellenotepourl'au-
tre, sansavoir donnéni louangeni blâmeà
aucundes deuxlCertainsivrognesde Samos
souillèrentle tribunaldes éphores,le len-
demain,par édit public,ilfut permisauxSa*
miensd'être des vilains.Un vrai châtiment
eût étémoinssévèrequ'unepareilleimpunité.
QuandSpartea prononcésur ce qui est ou
n'est pas honnête,la Grècen'appellepas de
sesjugements.
VIII.Delareligion
civile.
Leshommesn'eurentpointd'abordd'autres
roisque les dieux,ni d'autregouvernement
que le Uiéocratique. Us firentle raisonne-
ment de Caligula,et alors ils raisonnaient
juste. Il faut une longuealtérationdosenti-
mentset i'idéespourqu'on puissese résou-
dreà prendreson semblablepourmaître,et
se flatterqu'ons'en trouverabien,
Decelaseulqu'onmettaitDieuà la tête de
chaquesociétépolitique,il s'ensuivitqu'ily
— 173—
eut autant de dieux que de peuples.Deux
peuplesétrangersl'unà l'autre, et presque
toujoursennemis,nepurentlongtempsrecon-
naître un même maître; deux arméesse
livrantbataillene sauraientobéirau même
chef.Ainsi,desdivisionsnationalesrésultale
polythéisme, et de là l'intolérance
théologique
et civile, qui naturellementest la même,
commeil seradit ci-après.
Lafantaisieiqu'eurentles Grecsde retrou-
verleursdieuxchezles peuplesbarbares,vint
de celle qu'ils avalentaussi dese regarder
commelessouverainsnaturelsde cespeuples.
Maiso'estdenosJoursune éruditionbienri-
dicule,que Cellequi roulesur l'identitédes
dieuxde diversesnations; commesi Moloch,
Saturneet chronospouvaientêtre te même
dieu; commesi le Raaldes Phéniciens, leZeus
desGrecset le Jupiter des Latinspouvaient
êtrele même;commes'il pouvaitresterquel-
que chosecommuneà des êtres chimérique*
portantdesnomsdifférents.
Que si l'on demandaitcomment,dans le
paganisme, où chaqueEtatavaitsouculteet
ses dieux,il n'y avaitpointde guerresde re-
ligion,je répondsque c'était par celamême
quechaqueEtat ayantson cultepropreaussi
bien que son gouvernement,ne distinguait
pointles dieuxdeses lois.La guerre politi-
que était aussithéologique;les départements
desdieux étalent,pour ainsi dire, fixespar
lesbornesdes nation*.Le dieud'un peuple
n'avaitaucundroitsur les attirespeuples.Les
dleuxdespaïensn'étalentbointdesdléuxjaloux,
Uspartageaient entreeux l'empiredu monde.
— 174—
mêmeet ie peuplehébreuse prêtaient
lilloise
quelquefois à cette idée en parlant du dieu
d'Israël.Ils regardaient,il est vrai, comme,
nulsles dieuxdesChananéensk peuplespros-
crits,vouésà la destruction,et dont ils de-
vaientoccuperla place.Maisvoyezcomment
Êàparlaientdesdivinitésdes peuplesvoisins
qu'illeurétaitdéfendud'attaquer: « Lapos-
ËessiondeCequi appartientà Chamos,votre
dieu,disaitJephté aux Ammonites, ne vous
eîfb-elle"pas légitimementdue? Nous possé-
donsau mêmetitre les terresquenotre dieu
vainqueurs'est acquises(l).» C'étaitlà, ce
mesemble,une parité bien reconnueentre
les droitsde Chamoset ceuxdudieud'Israël.
Maisquandles juifs,soumisaux roisde.Ba-
bylons,etdanslà suiteauxroisde Syrie,vou-
lurents'obstinerà ne reconnaîtreaucunautre
dieu que le leur, ce refus, regardécomme
unerébellioncontrele vainqueur,leur attira
les persécutionsqu'on lit dans leur histoire,
et donton ne voitaucunautreexempleavant
is christianisme (*).
Chaque religion étantdoncuniquement
(i)«Nonneeaquas possidetChamos deusutus tibi
debenlur d Telest letexte de la Vulgftte,Le
».deCarrières
Îure a traduit!* Necroyeï-YOU» pas avoir
droitdeposséder ce ijulappartientà Chamos, votre
dieu1»»J'ignore
J'Ignorelaforcedutextehébreu ; maisJjeevoj
gue, dansla Vulgate, Jephtéreconnaît positivement
ledroitdudieuCbamos, etqueletraducteur français
affaiblitïettereconnaissance par un selonvousqui
n'estpasdanslelatin. . .
.(»)(Iestdeladernière évidence que la guerredes
Phoclctis, appelée g uerre sacrée,n'élail p ointune
guerredeèlreligion;elleavaitpourobjetdepunir
« d èi
lawilégés«son <M•ottmeltrèdesmâcrètfnu
— 178—
attachéeaux loisde l'Etatqui la prescrivait,
Il n'y avaitpointd'autremaniérédeconvertit
un peupleque de l'asservir,ni d'autresmis-
sionnairesquelesconquérants? et l'obligation
de changerde culteétant la loides,vaincus,
11fallaitcommencerpar vaincreavant d'en
parler. Loin que les hommescombattissent
pourlesdieux,c'étaient,commedansHomère,
lesdieuxquicombattaient pourles hommes;
chacundemandaitau sien la victoire,et le
payaitpar denouveauxautels.LésRomains,
avantde prendreune place,sommaientses
dieuxde l'abandonner, et quandils laissaient
aux Tarcntinsleursdieuxirrités, c'estqu'ils
regardaientalors Cesdieux,commesoumis
aux leurs,etforcésdeleurfairehommage,lis
laissaientauxvaincusleursdieux,commeils
leur laissaientleurs lois. Une couronneau
Jupiterdu Capituleétait souventle seultri-
but qu'ilsimposaient.
Enfin,les Romainsayantétendu,avecleur
empire,leurculte et leurs dieux, et ayant
souventeux-mêmesadoptéceuxdèsvaincus,
enaccordantaux autresledroit de cité,lés
de ce vaste empirese trouvèrent
nsensiblement
Îieuples avoirdesmultitudesde dieux
et de cultes,à peu près les mêmespartout,
et voilàcommentle paganismene fut enfin
danslemondeconnu qu'uneseuleet menu?
religion.
Ce fut dans ces circonstancesque Jésus
vintétablirsur la terre un royaumespirituel;
ce qui, séparantle systèmethêologiquedu
systèmepolitiquo,fit que l'Etat cessad'être
un, et causales aivisionsintestinesqui n'ont
.'-'....- -176-
Jamais cessé d'agiter les peuples chrétiens.
Or,cetteidéenouvelled'unroyaumedel'autre,
monden'ayant pu jamaisentrerdansla tête
des païens,ils regardèrenttoujoursleschré-
tienscommede vraisrebelles,qui, sousune
hypocritesoumission,ne cherchaientquele
momentdeserendreindépendants et maîtres,
et d'usurperadroitementl'autoritéqu'ilsfei-
gnaientde respecterdansleurfaiblesse.Telle
fut la causedes persécutions.
i'e queles païensavalentcraintest arrivé;
alorstouta changéde face,les humbleschré-
tiensont changéde langage,et bientôtona
vu.ce prétenduroyaumede l'autremondede-
venir, sous un chef visible,le plus violent
despotisme danscelui-ci.
Cependant,commeil y a toujourseu un
princeet desloisciviles,il a résulté,decette
doublepuissanceun perpétuelconflitde juri-
diction;qui a rendu toute bonne politique
impossibledans les Etats chrétiens;et l'on
n'a jamaispu venirà bout de savoirauquel
du maîtreou du prêtre on était obligéd'o-
béir.
Plusieurspeuplescependant,mêmedans
l'Europeou à son voisinage,ont voulucon-
serverou rétablirl'anciensystème,maissans
succès;l'espritdu christianisme a toutgngné.
Le cultesacréest toujoursrestéou redevenu
indépendantdu souverain,et sans liaison
nécessaire avec le corps de l'Etat, Mahomet
eutdesrvuestrès saines; il Habienson sys-
tème politique,et, tant quela formedb son
gouvernementsubsista sous les califesses
successeurs,cegouvernement fut exactement
— 471-^-
ua et bonen cela.Maisles Arab.es,devenus
florissants,lettrés, polis, "mouset lâches,
furent subjuguéspar des barbares;alorsla
divisiopentre les deux puissance*, recom-
mença;quoiqu'elle soitmoinsapparentechez
les mahométansque chezles chrétiens,elle
y est pourtant,surtoutdans là sected'Aly,
et il y a des Etats, tels quela Perse,où elle
ne cessedese fairesent/r.
Parmi nous, les rois d'Angleterre se sont
établischefs de l'Eglise;"autant en ont fait
les Césars; mais par ce titre, ils s'en sont
moinsrendusles maîtresque les ministres;
Usen ont moinsacquisledroitde la changer
quele pouvoirde la maintenir;ils n'y sont
pas législateurs,ils n'y sontqueprinces.Par-
tout où le clergéfaitun corps (i), il est maî-
tre et législateurdans sa patrie.Il y a donc
deuxpuissances,deuxsouverainsen Angle-
terre et en Russie,tout commeailleurs.
Detousles auteurschrétiens,le philosophe
Hobbesest le seul qui ait bienvu le mal et
le remède,qui ait proposédé réunirlesdeux
têtes,de l'aigle,et de tout ramenerà l'unifé
politique,sans laquelleJamaisEtatni gouver-
11fautbienremarquer
(1) que ce nesontpastam
desassemblées comme
formelles, celles
déFrance,qui
lientle clergéenun corps,quelacommunion des
I.acommunion
églises. etl'excommunicationsontle
duclergé,
social. pacteaveclequel11seratou-
ourslemtutre
iiacle despeuplesetdesrois.Touslesprêtres
quic ommuniquentensemblesontconcitoyens,
fussent-
Ilsdesdeuxboutsdu monde. Cetteinvention
est un
en politique.
ehef-d'rcuvre Il n'yavaitriendésein*
blableparmiles prêtrespaïens: aussin'ont-llsjà*
maisfaituncorps declergé.
— 178—
nernentne sera bienconstitué;maisil a dû =
voirque l'espritdominateurdu christianisme
était incompatible avec son système,et que
l'intérêtdu prêtre serait toujoursplus fort
que celuidel'Etat.Cen'est pas tant ce qu'il
y a d'horribleet de faux dans sa politique,
que ce qu'ily a de juste et de vrai,qui l'a
renduodieuse(l),
Je croisqu'endéveloppant sous ce pointde
vue les faits historiques,on réfuteraitaisé-
mentles sentiment?opposésde Bayleet.de
Warbtuion,dontl'un prétendque nullereli-
gionn'est utile eu corps politique,et dont
l'autresoutient,au contraire,quele christia-
nismeenest le plusfermeappui.Onprouve-
rait au premierquejamaisl'Etatne futfondé
quela religionne lui servîtde base,et ause-
cond quela loichrétienneest au fond p&B
nuisiblequ'utileà la forte constitutionde
l'Etat. PouracheverCeme faire entendre,il
ne faut que donnerun peuplus de précision
aux idéestrop vaguesde religionrelativesà
monsujet.
La religion,considérée
par rapportà la so-
ciété,quiest ou généraleouparticulière,peut
aussise diviseren deux espèces;savoir: la
religionde l'homme,et celledu citoyen.La
première,sanstemples,sansautels,sansrites,
bornéeau culte purementintérieurdu Dieu
(i)Voyez,entreautres,dansunelettredeGrotius&
ionfrère,du il avrilI0i3.cequecesavanthomme
approuva etcequ'ilblâme dahslèlivredeCive.Ilest
Il paraîtpardonner
vraique,porlèà l'indulgence, à
fauteurlebieneufaveur dumal; rnatotoutleinonde
n'estpassiclément.
— m — ''
suprême,etaux devoirséternelsdeta morale,
est la pure et simplereligionde l'Evangile,
le vrai théisme,et ce qu'onpeut appelerlé
droitdivinnaturel.L'autre,inscritedans un
seul payslui donneses dieux,,les patrons
propreset tutélatres: ellea ses dogmes,ses
rîtes,sonculteextérieurprescritpardeslois;
horsla seulenationqui la suit, toutest pour
elle infidèle,étranger,barbare; elle n'étend
les devoirset les droitsdel'hommequ'aussi
loinque ses autels.Tellesfurenttoutes les
religionsdes premierspeuples,auxquelleson
peut donnerle nomde droitdivin civilou
positif.
Il y a une troisièmesortede religionplus
bizarre,qui,donnantauxhommesdeuxlégis-
lations,deuxchefs,deux patries,les soumet
à des devoirscontradictoires,et les empêche
de pouvoirêtreà la fois dévotset citoyens.
Telleest la religiondes Lamas,telleest celle
des Japonais,tel est lechristianismeromain.
Onpeutappelercelle-cila religiondu prêtre.
Il enrésulteune sortededroitmixteet inso-
ciablequi n'a pointde nom.
Aconsidérerpolitiquement ces trois sortes
dereligions,ellesont toutesleursdéfauts.La
troisièmeest si évidemmentmauvaise,que
c'estperdrele tempsde s'amuserà le démon-
trer.Toutcequi romptl'unitésocialenevaut
rien; toutes les institutionsqui mettent
l'hommeen contradictionavec lui-mêmene
valentrien,
Lasecondeest bonneen ce qu'elleréunitla
' cultedivinet l'amourdeslois,et que faisant
dela patriel'objetdel'adorationdes citoyens
— 180—
elle leur apprendque servir l'Etat, c'est en,
servirle dieu tutélaire.C'estune espècede
théocratie,dans laquelleon ne doit point
avoird'autrepontifequele prince,ni d'autres
prêtresquelesmagistrats.Alors,mourirpour
son pays, c'est aller au martyre; violerles
lois,c'est être impie,et soumettreun coupable
à l'exécrationpublique,c'est le dévouerau
courrouxdes dieux,saceresto.
Maiselleest mauvaiseen cequ'étantfondée
sur l'erreur et sur le mensonge,elletrompe
les hommes,les rend crédules,superstitieux,
et noie le vrai culte de la divinitédans un
vain cérémonial.Elle est mauvaiseencore
quand,devenantexclusiveet tyrannlque,elle
rendun peuplesanguinaireet intolérant;en
sortequ'il ne respire que meurtreet massa-
cre, et croitfaireune actionsainte en tuant
quiconquen'admet pas ses dieux. Celamet
un tel peupledans un état naturelde guerre
avectousles autres,très nuisiblefasa propre
sûreté.
Restedonc la religionde l'hommeou le
christianisme,non pa3 celui d'aujourd'hui,
maisceluide l'Evangile,qui en est toit à fait
différent.Par cette religionsainte, sublime,
véritable, les hommes, enfants du même
Dieu,se reconnaissenttous pourfrères, et la
sociétéqui les unit ne se dissoutp&s,même
à lamort,
Maiscette religion,n'ayant nulle relation
particulièreavecle corpspolitique,laisseaux
loislaseuletôrcequ'ellestirent d'elles-mêmes
sans leur en ajouter aucune autre, et par là
un des grandsliensde la sociétéparticulière
— 181
restésans effet.Bienplus,loind'attacherles
coeursdes citoyensà l'Etat, elle les en dé*
tachecommede toutesleschosesdela terre;
Jene connaisriende plus contraireà l'esprit
social.
Onnousdit qu'unpeuplede vraisChrétiens
formerait la plus parfaite société que l'on
puisseImaginer.Je nevoisà cettesupposition
qu'unegrande difficulté,c'est qu'unesociété
de vraischrétiensne serait plus une société
d'hommes.
Je dis mêmeque cettesociétésupposéene
serait,avectoutesa perfection, ni la plusforte,
ni la plusdurable;à forced'êtreparfaite,elle
manqueraitde liaison,son vice destructeur
serait danssa perfectionmême.
Chacunrempliraitson devoir;lés peuples
seraientsoumis aux lois,les chefs seraient
justeset modérés,les magistrats,intégreset
incorruptibles,les soldats mépriseraientlà
mort; il n'y auraitni vaniténi luxe;tout cela
est fort bien; maisvoyonsplusloin.
Lechristianismeest une religiontoute spi-
rituelle,occupéeuniquementdes chosesdu
ciel: la patrie du chrétienu'est pas de ce
monde.Il fait son devoir,il est vrai; maisil
le fait avec une profondeindifférencesur
le bon ou mauvais succès de ses soins.
Pourvuqu'iln'ait rienà se reprocher,peu lui
Importeque toutaillebien ou malIci-bas.Si
l'Etat est florissant,à peineose-t-iljouirde la
félicitépublique,il craintde s'enorgueillir de
la gloirede son pays;si l'Etat dépérit,il bénit
la maindeDieuquis'appesantitsûrsonpeuple.
Pour que la société fût paisibleet que
— 182—
l'harmoniese maintint, il faudraitque tour
les citoyens,sans exception,fussent égale-
ment bons chrétiens;mais si malheureuse-
mentil s'y trouveun seul ambitieux;un seul
hypocrite, un Catilina, par exemple, un
Cromwell,celui-là très certainementaura
bon marché de ses pieux compatriotes.la .
charité chrétiennene permet pas aisément
de pensermaldesonprochain.Dèsqu'il aura
trouvépar quelqueruse l'art dé leur en im-
poseret de s'emparerd'une partiede l'auto-
rité publique,voilàun hommeconstituéen
dignité; Dieuveut qu'on le respecte; bientôt
voilà une puissance: Dieu veut qu'on lui
obéisse.Le dépositairedecette puissanceen
abuse-t-il: c'estla vergedont Dieupunit ses
enfants.On se ferait consciencede chasser
l'usurpateur:il faudraittroublerle repospu-
blic, user de violence,verserdu sang; tout
cela s'accordemal avec la douceurdu chré-
tien,et, aprèstout,qu'importequ'onsoitlibre
ou serfdans cettevalléede misère?L'essen-
tiel est d'alleren paradis, et la résignation
n'est qu'un moyende plus pourcela.
Survient-ilquelqueguerre étrangère: les
citoyensmarchentsacs peineau combat;nul
d'entreeux ne songeà fuir, ils fontleur de-
voir,maissans passionpourlavictoire; ils sa-
vent plutôtmourirque vaincre.Qu'ilssoient
vainqueursou vaincus,qu'importe?La.Provi-
dencene sait-ellepas mieuxqu'eux ce qu'il
leur fautt Qu'onimaginequelparti un enne-
mi lier,impétueux,passionné,peut tirer de
leurstoïcisme.Mettezvis-à-visd'euxces peu-
plesgénéreuxque dévoraitl'ardentamourde
— 183—
la gloireet de la patrie;supposâtvotrerépu-
bliquechrétiennevis-à-visde Sparteou de
Rome: les pieux chrétiensseront battus,
écrasés,détruits,avant d'avoireu le temps
de se reconnaître,ou ne devrontleui salut
qu'auméprisque leurennemiconcevrapoui
eux.C'étaitun beausermentà mongré,que
celuidés soldatsde Fabius; ils ne jurèrent
pas demourirou de vaincre;ils jurèrentde
revenirvainqueurs,et tinrentleurserment;
jamaisdeschrétiensn'eneussenttenu un pa<
rell; ils auraientcru tenterDieu.
MaisJeme trompeen disantunorépublique
Chrétienne ; chacunde ces deuxmots exclut
l'autre.Le christianismene prêchequeser-
vitudeet dépendance.Sonespritest tropfa-
vorableà la tyrannie,pourqu'ellen'en profite
pas'toujours.Lés vrais chrétienssont faits
pourêtre esclaves; ilsle savent, et ne s'en
émeuventguère; cettecourteviea troppeu
deprixà leursyeux.
Les troupeschrétiennessont excellentes,
nousdit-on.Je le nie. Qu'onm'enmontrede
telles.Quantà moi, je ne connaispointde
troupeschrétiennes» On me citera les croi-
sades.Sansdisputersur là valeurdescroisés,
je remarquerai que,bienloind'êtredeschré-
tiens,c'étaientdessoldatsdu prêtre,c'étaient
des citoyensde l'Eglise;ils se battaientpeur
sonpaysspirituel,qu'elleavaitrendutempo-
rel,on nesait comment.A le bienprendre,
ceciventresousle paganisme ; commel'Evan-
gile .n'établitpoint.une rcljgionnationale,
toute guerresacréeet impossibleparmiles
chrétiens.
— 184--
Souslesempereurspaïens,les soldatschré-
tiensétaientbraves; touslesauteurschrétiens,
l'assurent;et je lecrois: c'étaituneémulation
d'honneurcontreles troupespaïennes.Dès
que les empereursfurent chrétiens, cette
émulationne subsistaplus; et quandla crois
eutchassél'aigle,toutela valeurromainedis-
parut.
Mais,laissantà part lesconsidérations poli-
tiques, revenonsau droit,et fixonsles prin-
cipessur ce pointimportant.Ledroit quele
pactesocialdonnéau souverainsur les sujets
ne passe point,commeje l'ai dit, lesbornes
de l'unité politique(l). Lessujetsne doivent
donccompteau souverainde leurs opinions
qu'autant que ces opinionsimportentà la
communauté. Or,il importebienà l'Etat que
chaquecitoyenait unereligionqui hil fasse
aimerses devoirs;mais les dogmesde cette
religionn'intéressentni l'Etatni sesmembres
qu'autantqueses dogmesse rapportentà la
moraleet aux devoirsqueceluiquila professe
est tenu dé remplirenversautrui. Chacun
peut avoir,ausurplus,tellesopinionsqu'illui
plaît,sansqu'ilappartienne ausouveraind'en
connaître,car, commeil n'a pointde compé-
tencedans l'autre monde,quel que soit le
(!)« Dansla république,ditM.d'A.,.,chacun est
Parfaitementlibreencequinenuitpasauxautres.»
Voilà on ne peutla poserplus
1&fjorntinévitable,
exactement.Je n'aipumerefuser au plaisirdeciter
quelquefoiscemanuscrit,quoiquenonconindupu-
blic,p ourrendrehonneur àlamémoire,d'un homme
illustre
etrespectable,
qui avaitconservé
jusque dans
le ministèrelé coeur
d'unvraicitoyen, etdesvuet
droitesetsainessurlegouvernement desonpayti.
— 185-
sort des sujets dansla vieà venir, cen'est
pas son affaire,pourvuqu'ilssoientbonsci-
toyensdanscelle-ci.
n y a doncune profession de foipurement
civiledontil appartientau souverainde fixer
les articles,nonpasprécisément commedog-
mesde religion,mais Commesentimentsde
sociabilité,sans lesquelsil est impossible
d'être bon citoyenni sujet fidèle(l). Sans
pouvoirobligerpersonneà les croire,il peut
bannirdel'étatquiconque ne les croitpas; 11
peutlebannir,noncommeimpie,maiscomme
Insociable,commeincapabled'aimersincère-
mentleslols.lajustice,
' savieà et d'immoler, au besoin,
sondevoir.Quesiquelqu'un, aprèsavoir
reconnupubliquement cesmêmesdogmes,se
conduitcommene les croyantpas,qu'il soit
puni de mort; il a commisle plus granddés
crimes: 11a mentidevantles lois.
Les dogmesde la religionciviledoivent
être simples,en petit nombre,énoncésavec
précision,sans explications ni commentaire.
L'existence de la Divinitépuissante,intelli-
gente,' bienfaisante,-prévoyanteet pour-
voyante,la vieà venir,lebonheurdesJustes,
le châtimentdes méchants,làsaintetéducon-
trat socialet des lois, voilales dogmesposi-
tifs.Quantaux dogmesnégatifs,je tesborne

(1)César,
plaidant
pourCTàrnè
atllina, d'établir
tâchait le
dogme dela mortalité
de : CâlOtt
et Cicéron,
pour leréfuter,
nes'amusèrentpoint à philosopher;
ilssecontentèrentde montrer
que César en
parlait
mauvais unedoctrine
et avançait
citoyen pernicieuse
voilàdequoidevaitjugerlé setiât
Eneffet,
0.,1'Klat.
deHomo, etnond'unequestion
idéologique.
—180 —
à un seul : c'estl'intolérance;ellerentredans
lescultesquenousavonsexclus.
Ceuxqui distinguentl'intolérance> civileet
l'intolérancethéologique se trompent,à' mon
\vis.Cesdeuxintolérances sont inséparables.
Il est Impossible de vivre en paix avec:des
gens qu'on croit damnés;les.aimer, serait"
haïrDieu,qui les punit; il faut absolument
qu'onles ramèneouqu'onlestourmente;Pai>,
toutoù l'intolérancethéologiqueest admisei
il est impossiblequ'ellen'ait pas quelqueeffet
civil(i); et sitôt qu'elleen a, le souverain
n'est plussouverain,mêmeau temporel: dès
lorslesprêtressontlesvraismaîtres;lesrois
nesont queleursofficiers.

(i) Lemariage, parexemple, étantuncontrat civil,


a deseffets civilssanslesquelsil estmême impossible
que la sociétésubsiste.
Supposons doncqu'unclergé
vienne a boutdes'attribuerà luiseulledroitdopas-
tercetacte,droitqu'ildoitnécessairement usurper
danstoutereligion intolérante
: alors,n'csl-il'pas
cfalr
qu'en faisantvaloira propos l'autoritédel'Eglise,il
rendravainecellodu p rince,
qui n'auraplusdosujets
que ceuxqueleclergé voudrabienluidonner) Maître
demarierou donepasmarierlesgens,selonqu'ils
aurontoUn'auront pas telleou telledoctrine, selon
qu'ils admettront ourejetteront teloutelformulaire;
selonqu'ilslui serontplusou moins dévoués, ense
conduisant prudemment uttenantferme, n'csl-11
pas
clairqu'il•Hsposora seuldeshéritages, deschargi,*,
descUoyftns. del'Ktalmême, qui nesauiattsubsister,
n'étantpluscomposé que debâtards} M ais,
dira-t-on,
l'onappellera comme d'abus,onajournera,décrétera,
saisiraIfltemporel. QuellepitiéI Lecierge,pourpeu
qu'il a it,nonpasdecourage, maisdebonsens lais»
seratranquillement appeler,ajourner,décréter,saisir,
fi llniivi
par Cen'estpas,cemesemble,
êtrelemaître.
Ungrandsacrillcc d'abandonner unepartloquand o h
t'*.'sfcrdés'emparerdutout.
— 187 —
Maintenantqu'iln'y a plus et qu'ilne peut
plusy avoirde religionnationaleexclusive,
on doit tolérertoutes cellesqui tolèrentles
nutres,a utantque leursdogmes n'ontrien de
contraireaux devoirsdu citoyen.Maisqui*
conqueosedire horsde VEglise pointdesalut
doitêtre chasséde l'Etat, à moinsque l'Etat
ne soit l'Eglise, et que le princene soit le
pontife.Untel dogmen'est bonque dans un
gouvernement théocratique;danstout autreil
est pernicieux.Laraison sur laquelleon dit
que HenriIV embrassala religionromaine
là devaitfairequitterà tout honnêtehomme,
etsurtoutà tout princequi sauraitraisonner.

IX.—Conclusion,
Aprèsavoirposéles vrais principesdu droit
politique,et tâchéde fonderl'Etatsur sa base,
resteraità l'appuyerpar ses relationsexter-
nes,ce quicomprendrait le droitdes gens, le
commerce,le droit de la guerre et lescon-
qué'tes,le droitpublic,les ligues,les négocia-
tions,lestraités.Maistout celaformeun nou-
velobjettropvastepouvma Courtevue; j'au-
rais dû la fixertoujoursplusprès de moi.
TPABLÉ
DESMATIÈRES

Ken»surJ.«J.Rousseau, parN.DAII»...,.,., *
DUCONTRAT SOCIAL
LIVIIË PREMIER
1.—Sujet docepremier livre is
II.—Despremières sociétés te
11).—Dudroitdu plusforf,. lt>
IV.—Del'esclavage,. ci
V.—Qu'ilfauttoujour* remonter à unepre-
mièreconvention. ,,,.. M
VI.—Dupactesocial..,,..,.,,,,,..,..,,,... 2?
VIL—Dusouveraln. ....».•,. ............... si
VIII.- Del'étatcivil ». si
IX.—Dudomaine réel..».,,,.. as
LIVttG n
I.—Quelasouveraineté estinaliénable...IO
II.—Quelasouveraineté estIndivisible.....tl
III.—Silavolonté générale peut e rrer...... 41
IV.—Desbornes dupouvoir souverain.....48
V.—Dudroitde vieet demort..., lit
VI.- Delalol...... M
VIL—Du l égislateur......... C8
VIII.—Dupeuple... c3
IX.—Suite du chapitre précédent ce
X.—suite..... m
XI.—Desdiverssystèmes delégislation,...ïi
XII.—Division deslois....... te
I.1YRB1II
I.—t)ugouvernement engénéral.... 19
IL—Duprincipe quiconstitué lesdiverses
formes dugouvernement............m
.-:\4-'.ï9(Ti
'
Pagcs.
'
III. —Divisiondesgouvernements• 90,
IV.— Delàdémocratie. W
V.- Del'aristocratie.» • W
Vî.——Delàmonarchie... • W
Vil. Desgouvernements mixtes. 108
VIII.—Quetouteformede gouvernement
n'estpaspropre à toutpays 107
ïX.~ Dessigne*d'unbongouvernement... 114
X,—Del'abusdu gouvernement et desa
pente à i générer >•' i<6
XI.- Dela mortu corpspolitique tao
XII.- Comment sen. ntieutl'autorité souve-
raine ............ 138.
XIII.-Suite ..../ I2i
XlV.-Su'to > ««
XV.— Desdéputés ourepiésentanta iw
XVI.-- Quel'Institution
dugouvernement n'est
point un contrat III
XVJr, - Del'Institution
dugouvernement;..... il*-
HVUI.— Moyens deprévenir lesusurpations du
gouvernement*..»»*>»*v:.......... us
LIVRE IV
I.—Quelavolonté générale estindestruc-
tible.. 139
II,—Des suffrages.. ur
III,—Desélections.. »... i*â
IV.--Descomices romains...i... «... 149'
V.- Dutribunat.. tes
.VI.- Dotadictature....,,...» 10e
VU,— Delacensure ,,, ,„, iro
VU!. —Dela religioncivile W
IX.—Conclusion... .................,..»,.., 1SV

N'ôiivclic
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quable, met en%unrelief saisissant les
idées et les moeurs des anciens. On y
voit revivre Socrate, Phoeion et autres
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40 cent,en sus pourrecevoirpartoutfranco.-
Quandparut cet ouvrage,en 1758,il reçutun
accueildes pluschaleureux parmiles philosophe
et le grandpublicaniméd'idéesgénéreuses \ on
le traduisiten toutesles langues,maisl'Inquisi-
tion le condamna...naturellement, et peu s'en
fallutque le Parlementde Paris no le livrâteu
bourreau.
Voicice quedit LouisBlanc:
a Pas uno vérité,pas une erreurne s'échap-
pentqu'Helvétius ne les ramèneà lui; lestraits,
les aperçusnouveaux, les paradoxes,il les saisit"
au passageet lesinscritaussitôtdansles regis-
tres de sa mémoire...Eh bien!quevoyons-nou
sortirde cesconversations des philosophes,écou-
analysées,résuméespar llel-
tées, enregistrées,
vétius?Le livreDel'Esprit.»
On ne sauraitmieuxdire.
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