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Superficie estimée à 283.000 km2 (sans la partie russe).

Population totale : 1.250.000 habitants (environ 10 % de Saami).


Plus haut sommet : Mont Kebnekaise, 2.111 m en Suède.
Plus grand lac : Inari en Finlande, 1040 km2.
Record de froid : -51,5 °C (Kittilä, Finlande)
Température moyenne en janvier : -11 à -19 °C
Température moyenne en juillet : +12 à +19 °C
Température plus clémente le long des côtes (Gulfstream).

Trois pays considérés dans cette brochure : Norvège, Suède, Finlande.


Trois parlements samés. Nombre estimé de Saami dans chacun des pays.
Pour moi, pour ma qualité de vie, le voyage est
essentiel. Pas nécessairement en milieu extrême ou désertique..,
mais ça aide à vivre le voyage plus intensément ! Cette fois, j’ai
choisi la Laponie. Ce n’est pas si loin, juste derrière le cercle
arctique..! La région boréale, le nord de l’Europe.

Pourquoi la Laponie ? Parce qu’elle représente d’abord


un condensé de certains voyages en Patagonie et en Sibérie.
Aucune des deux n’est un pays. La Laponie non plus. C’est une
région, une contrée, un ensemble d’écosystèmes… Une terre
paradoxale, oscillant sur l’année entre soleil de minuit et nuit
polaire, entre 24 heures de clarté et 24 heures d’obscurité. La
Laponie subit d’autres phénomènes cosmiques : le vent solaire,
les aurores boréales... De quoi faire fantasmer le voyageur.

Entre toundra et taïga, c’est une nature foisonnante, parfois engourdie, parfois
rebelle. Des Sjords et des vallées glaciaires, des îles karstiques, des rivières sauvages, des
lacs endormis… La région la plus secrète d’Europe… Tellement secrète, que le Père Noël y
a trouvé son refuge. Bien sûr, je sais : le Père Noël n’existe pas. C’est lui qui me l’a dit !

Que serait le voyage s’il n’y avait la rencontre des hommes ? La Laponie abrite la
seule minorité aborigène d’Europe : les Saami ou Lapon (*), ethnie colorée et amicale.
Les « indiens » de l’Europe, occupant cette terre depuis au moins 10.000 ans. Les Saami
sont réputés pour l’élevage du renne – animal emblématique, capable de migrations de
légende. Entre eux, une relation fusionnelle s’est installée, mais elle est mise à mal par un
monde qui se cloisonne tout en se mondialisant… Un paradoxe de plus.

Je suis arrivé au voyage un peu par hasard, une suite d’obstacles et de rencontres.
Mais je savais que ce n’était pas futile. Qu’il fallait en sortir quelque chose, en témoigner.

Au mot « voyage », j’associe beaucoup de mots. Liberté, silence, espace, curiosité,
diversité, respect, rencontre, engagement… Et un questionnement : comment l’homme -
ici et maintenant - résout-il pour lui et les siens les exigences vitales : un abri, la
nourriture et la sécurité ? En Siligrane – évidemment - la grande et triple question
existentielle : d’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous !? On apprend toujours
en voyage. Car les réponses varient et impliquent tellement de points de vue et de
disciplines : philosophie et religion, histoire et archéologie, ethnologie et écologie
(relations entre les êtres vivants et leurs milieux naturels).

Le voyage est devenu ma seconde patrie. Un mode d’expression. Une exigence de


diversité. Pour ne pas nourrir mon cerveau d’un même pain trop quotidien. Pour
connaître le monde dans lequel je vis, et comprendre où il va.

Dany Marique (juillet 2018)

(*) On peut écrire saami, saámé, samé ou same. Cela reste le même
peuple. Le terme « lapon » est porteur de connotations négatives ; il dérive
du terme « lapp », d’origine incertaine, et qui renvoie à l’idée de gens en
guenilles, de misérables aux habits rapiécés. Il est donc considéré comme
péjoratif. Il n’empêche que « Laponie » reste.., sans connotation, un terme
devenu purement géographique.
Définition de la Laponie.
En Europe, toutes les terres au Nord du cercle polaire (longitude 66°33’) constituent la
Laponie. C’est donc la région boréale européenne. Elle se déploie entre quatre pays :
Norvège, Suède, Finlande et Russie (voir la carte). Mais de la partie russe (péninsule de
Kola – capitale Mourmansk), nous ne tiendrons pas compte ici. A la longitude 71°10’, le
Cap Nord est considéré comme le point le plus septentrional d'Europe (en réalité, il est
situé sur l’île norvégienne de Magerøya). Par définition, le pôle Nord se trouve à 90°00’.

Différence entre les trois pays. La Finlande fait partie de l’Union Européenne (UE) et de
la zone Euro. La Suède fait aussi partie de l’UE, mais pas de la zone Euro. Sa monnaie
est la couronne suédoise (Kröne SEK). La Norvège emploie également la couronne
(NOK, quasi même valeur que la SEK), mais elle refuse à la fois l’UE et l’Euro. Elle peut
se le permettre : elle est 1ère à l’Indice de Développement Humain. Ceci dit, la Norvège se
réserve un accès privilégié au marché européen au travers de l’Espace
Economique Européen et de l’Espace Schengen. L’Europe, c’est simple, non ?!

Attention : les Etats scandinaves sont la Norvège, la Suède et… le Danemark !


Pas la Finlande. Facile à retenir : les états scandinaves ne sont pas dans la
zone Euro, et ils ont tous des couronnes...

Lors de la Seconde Guerre


Mondiale, les menaces sur les
trois pays sont l’Allemagne
d’Hitler et l’Union Soviétique de
Staline. Mais les situations
diffèrent d’un pays à l’autre.
Ainsi la Finlande subit
l’offensive soviétique. Par
défaut, son allié devient donc
l’Allemagne. La Suède, pour
conserver sa neutralité
officielle, doit faire des
concessions aux Nazis. Par exemple leur donner l’accès aux mines de fer et au réseau
ferroviaire qui permettent l’attaque contre la Norvège. Cependant, dans le même temps,
la Suède a mis en place une politique d'accueil des juifs et des réfugiés européens. Enfin,
la Norvège s’est fermement opposée aux Allemands. La bataille la plus historique du pays
reste l’attaque allemande contre le port de Narvik.

Autre définition de la Laponie. C’est le territoire des Saami ou Same. Le nom Laponie
vient de « lapons », mais ce dernier terme est donc péjoratif. Ils sont le seul peuple
indigène ou autochtone d’Europe.
Certains les surnomment même
« les Indiens de l’Europe ». Et c’est
vrai que si vous remplacez le bison
par le renne, ça tient la route… En
tout cas, ils sont dans la zone
depuis plus de 10.000 ans. Les
Saami auraient inventé les skis il y a
5.000 ans, et le ski attelé (tiré par
des rennes probablement) quelques
500 ans plus tard. Ils auraient
également conçu le principe du
sauna il y a 2.000 ans.
Histoire humaine de la Laponie.
Elle remonte à la fin des glaciations, il
y a plus de 10.000 ans : des vagues de
migrations venues de l’Est et du Sud-
Est, peut-être même de Sibérie. Des
peuples nomades qui ont suivis la
faune. Des trappeurs, des pêcheurs
qui survivent, s’installent ou bougent
selon les saisons… Ces ancêtres des
Saami inscrivent leur histoire dans la
roche : les gravures rupestres d’Alta
(Norvège) en attestent. Un site
découvert en 1972 et très vite classé
au Patrimoine Mondial par l’UNESCO.
Plus de 5000 gravures, entre - 5000 et
– 500 avant notre ère. On peut y lire l’élevage du renne, la navigation en mer, des cultes
chamaniques… Chasseurs et trappeurs, les Saami ont lié leurs déplacements aux
transhumances du renne, et sont devenus des bergers semi-nomades.

Au moyen-âge, les Saami vivaient dans les siidas ou


petites communautés avec chacune son territoire. Au
moyen-âge toujours arrivent les Vikings, anglo-saxons à la
fois pirates, commerçants et explorateurs. Ils écument et
font trembler l’Europe, mais ils découvrent aussi
l’Amérique avant Christophe Colomb. Sous leur pression,
les Saami remontent vers le nord, tout en commerçant
avec eux. Ils échangent fourrures, peaux, bois de rennes,
que les Vikings – plus mobiles en navigation – vont revendre au Sud.

Plus tard, l’expansion des royaumes scandinaves pousse les Saami davantage vers le
Nord. Cette fois, c’est la colonisation en bonne et due forme : mainmise sur les terres, ces
« terra nullius » que les colons
s’appropriaient comme si
personne n’y vivait, hormis les
bêtes sauvages… Les colons
viennent piller l’or, le bois, les
fourrures, la terre. Ils remontent
les rivières l’été, établissent leurs
comptoirs qui servent aussi de
camps d’hiver pour aller plus loin
ensuite. Les richesses pillées
redescendaient les mêmes
rivières.

Avec les colons viennent les


pasteurs, pour piller les âmes.
Les Saami sont évangélisés, parfois de force. Quelques églises s’implantent vers 1100,
mais l’œuvre de conversion s'intensifie réellement au 17ème siècle.

En 1542, Gustav Vasa, roi de Suède, proclame que «les terres non habitées en
permanence appartiennent à Dieu, à nous et à la Couronne suédoise, et à personne
d'autre». Début du 17ème siècle, Christian IV, roi du Danemark et de Norvège, estime
insupportable le manque d’évangélisation du nord, notamment parce que les Saami
échappaient ainsi à l’impôt. Il décrète que tout Saami qui ne se convertirait pas, serait
condamné à mort.
Sous la protection double de l’Eglise et de la
Couronne, les colons et les fermiers s'implantent dès
le 17ème siècle. Ils tirent leurs revenus de l’agriculture,
en opposition aux activités traditionnelles locales.

Les colons habitaient des maisons, produisaient du


beurre, de la laine et du lait, des denrées que les
Saami trouvaient utiles. A l'inverse, beaucoup de
colons adoptèrent la culture autochtone : coutumes,
vêtements, nourriture et usages domestiques.

Vers l'an 1850, on commença à faire des réformes, et


en premier lieu le système scolaire. Les enseignants
reçurent pour consigne de limiter l'usage du samé. En
1889, la Norvège interdit aux Saami de parler leur
langue, chanter leurs chants (le yoïk), de pratiquer leur
religion. Elle construit aussi des internats pour isoler
les enfants de leurs familles, et ainsi éradiquer leur
langue. A partir de 1902, il est interdit de vendre des
terrains à quiconque ignore le norvégien. La « norvégianisation » est alors en plein essor.
Entre les deux guerres mondiales, cette politique fut même appliquée très brutalement.

Contraints et forcés.., ou emprisonnés, les Saami ont dû collaborer. Sont venus


progressivement les frontières nationales, les routes, les voies ferrées, les exploitations
forestières, les barrages hydrauliques… Chaque fois, leur liberté s’amenuise. La Laponie
possède également des richesses minières : prospections et forages s’intensifient, des
mines gigantesques s’ouvrent. En quelques décennies, un peuple à l’occupation
plurimillénaire est déstabilisé. Difficile de conserver ses racines dans le béton…

Selon les Nations unies, quatre critères définissent un peuple autochtone : il descend des
habitants présents dans la région avant la colonisation ; il conserve, dans ses pratiques
économiques et culturelles, des liens étroits avec sa terre ; il souffre, en tant que minorité, de
marginalisation économique et politique ; il se perçoit lui-même comme autochtone.
Aujourd’hui, environ 1.250.000 habitants résident en Laponie, sur une superficie d’à peu près
300.000 km2. Soit 4 habitant au km2 (20 fois moins que l’ensemble de l’Europe).
Parmi ces habitants, la minorité Saami compte pour environ 10 % du total.

Répartition des Saami entre les pays.


Au total, ils seraient entre 85 et 135.000. En fait, c’est assez peu clair : la définition de
Saami (imposée par les états) n’inclut pas - par exemple - les Saami des bois en Finlande.
Et puis, pour des raisons économiques, beaucoup se sont exilés au sud et échappent aux
recensements. Outre les trois pays considérés, il faut ajouter 2.000 Saami russes sur la
péninsule de Kola, et aussi une diaspora d’environ 30.000 Saami émigrés en Amérique,
essentiellement en Alaska et au Nunavut.

Ethnologiquement parlant, les Saami sont divisés en plusieurs groupes :


* Les Saami de la Côte, les plus nombreux, vivent de pêche et d’agriculture le long des
côtes de Norvège. Certains se sont installés le long des fleuves, appelés alors les
Saami des Fleuves.
* Les Saami de la Montagne. Ils habitent dans la partie intérieure de la Laponie. Ce sont les
vrais héritiers de cet ancien peuple semi-nomade qui a lié sa vie à celle du renne.
* Les Saami des Forêts habitent en Laponie suédoise. Ils en existent aussi en Finlande.
* Les Saami d’origine russe ou Skolts : vivent dans la péninsule de Kola et au Nord-Est de
la Finlande.

Définition du Saami selon les Etats. Un Saami est une personne qui a : le samé comme
langue maternelle, OU dont un des parents ou grands-parents a le samé comme langue
maternelle, OU qui se considère comme Saami et vit selon les règles de la société samé, ET
qui est reconnu par la communauté samé comme l'un des siens.

Langue.

Le samé fait partie des langues fino–ougriennes, liées au finnois. Au contact des
populations rencontrées, plusieurs langages samés se sont développées. Les chercheurs
ont pu en identifier plus d’une dizaine. Neuf variantes survivent encore, ce qui permet aussi
de différencier les Saami entre eux. Mais aujourd’hui, moins de la moitié des Saami parlent
encore sa langue… Remarque importante : malgré les variantes de langages, un mot
commun désigne à la fois le peuple et sa terre : le « Sápmi ».

Religion.

Un peuple qui vit entre la nuit polaire, l’aurore boréale et le soleil


de minuit grandit forcément dans une vision très spécifique de la
création. Il se tient à l’écoute des forces en présence dans la
nature. Trois mondes se côtoient : le céleste (les dieux et les
esprits), le terrestre (les mortels) et l’inframonde (les ancêtres,
les morts). Dans le monde céleste : le soleil et la lune bien sûr, le
tonnerre, le vent et les aurores boréales... Du terrestre, les Saami
reçoivent tout, à chasser ou à cueillir. Ils reçoivent aussi le renne,
dont ils doivent s’occuper. Pour survivre, ils doivent se partager
les ressources. Existait aussi un culte à l’ours, animal royal qui
symbolise la puissance. A l’aide du tambour de cérémonie et du « yoïk » (chant guttural à
capella), les chamanes ou « noaidi » sont chargés de communiquer avec les esprits, les
ancêtres et les divinités. Ils sont chargés aussi de guérir les maladies, perçues comme les
effets pervers de l’équilibre nature – cosmos. A sa découverte, ce peuple possède déjà une
longue histoire et un passé complexe.
Chamanistes et animistes à l’origine, les Saami furent
contraints à la conversion dès le milieu du 16ème siècle. Au
début cependant, ils s’arrangeaient avec leur statut de
nomades pour éviter l’office dominical et les grandes fêtes
(Pâques, Noel, Annonciation). Malgré les tentatives très
rudes des missionnaires luthériens - tambours brûlés,
langue et yoïk interdit, amende, prison, mise à mort pour
sorcellerie - le chamanisme perdurait.

A partir de 1826, le pasteur


Laestadius, lui-même d’origine samie,
crée un mouvement évangélique
assez rigoriste et puritain, mieux
adapté à l’âme samé. De nos jours,
les Saami sont moins à l’écoute de la
nature. Cependant, bien que très peu
pratiqué, on constate une certaine
renaissance du chamanisme.
Explicable peut-être par les difficultés que rencontrent les Saami dans
la vie moderne, mais aussi par la reconnaissance ethnoculturelle.

Mariage et famille.

Le mariage joue un rôle important dans la société samie. Les rennes et la famille sont les
premiers piliers d’une décision de mariage. Jadis, il se pratiquait entre cousins, avec l’idée
de se conserver le troupeau et les pâturages, ou de renforcer les liens de solidarité entre
éleveurs. Cependant la richesse relative, l'éloignement du clan ou un taux d'endogamie trop
élevé intervenaient aussi dans les décisions. Aujourd’hui, bien que les contacts soient plus
faciles, plus nombreux et plus libres, les mariages en dehors de la communauté samie sont
rares. Le sentiment identitaire reste très fort.

Le mariage s’officialise généralement après la naissance d'un enfant, c’est la preuve que la
future épouse est fertile. Au 20ème siècle, un quart des enfants naissaient encore avant
mariage… 4 ou 5 enfants par couple est l’idéal pour les Saami. Davantage serait épuisant
pour la mère, et compliqué pour le partage de l'héritage et du troupeau. Mais moins
d’enfants n’est pas non plus avantageux : en cas de décès des parents, ils se
retrouveraient sans collaboration ni solidarité : « Un enfant unique est comme l'arbre isolé,
seul contre le vent, il n'a pas l'appui de la forêt ».
Avancées et amélioration.
Malgré une histoire dramatique, les Saami ont conservés un fort sentiment d’identité. Leur
culture est très spécifique : des coutumes vestimentaires, des légendes, un artisanat,
quelques croyances animistes, une musique et les chants yoïk, l’élevage du renne.

Un Conseil transnational Sami est fondé dès 1956. Les Saami de chaque pays y envoient
leurs représentants. Depuis 1971, ils ont reçu des droits spécifiques de pêche, de chasse
et de passage dans certaines zones protégées. Il existe également un Parlement Saami
dans chacun des trois pays (Finlande dès 1973, Norvège en 1989, Suède en 1993). Trois
pays, trois parlements, mais un seul peuple : les Saami doivent se débrouiller avec ça…

Ça, c’est le côté officiel, car les Saami sont toujours traités en citoyens de seconde zone.
Ils restent un peuple fragile sur leurs propres terres. Les nombreux projets miniers,
gaziers, pétroliers ou hydroélectriques obligent fréquemment les états à les déplacer. En
compensation, les états cherchent leur adhésion par des avantages économiques.
Aujourd’hui, les Saami ont une espérance et un niveau de vie comparable à l’ensemble
des populations nordiques.

L’ONU et les Peuples Autochtones

En 2007, l’ONU adopte la Déclaration des Droits des


Peuples Autochtones. Elle s’intègre à la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme. Parmi 45 articles,
sont reconnus le droit à l’autodétermination, le droit
d’usage collectif sur la terre ancestrale et ses
ressources, le droit à préserver les liens spirituels avec
leur environnement. Sont prévues également des
restitutions, des indemnisations. En Laponie, malgré Drapeau du peuple saami
que les trois pays considérés sont parmi les plus
avancés de la planète (indice de développement humain (IDH) : Norvège 1ère, Suède 14ème
et Finlande 23ème en 2016), on est encore loin du compte.

Dans un rapport de janvier 2011, la commission sur les Droits des Peuples Autochtones
développe une critique éloquente des politiques nationales à l’endroit du peuple samé en
Norvège, Suède et Finlande. On y trouve trois sujets de préoccupations majeurs : le
manque de pouvoir décisionnel réel des parlements samé, le manque de protection et de
l’appartenance des terres traditionnelles, et le manque de moyens mis en œuvre pour
protéger la culture et la langue. Il donne à connaître aussi qu’une trop faible partie des
Saami bénéficie d’éducation et de services publics dans leur propre langue maternelle.

Les trois parlements samé remplissent surtout des fonctions consultatives et


administratives. Ils peuvent s’occuper des politiques de sauvegarde culturelle et linguistique.
Mais pas de la gestion de leurs terres ni des ressources, qui restent aux mains des
parlements nationaux. Ils ne reçoivent pas les moyens pour assurer leur représentativité ni
pour travailler sur les projets de l’Etat central les concernant. Cette dernière remarque du
rapport s’adresse surtout à la Suède où le parlement samé de Kiruna est souvent forcé
d’appliquer des réglementations nationales qui s’opposent à sa vraie mission.

La propriété des terres traditionnelles est une question difficile entre toutes. L’Etat norvégien
s’en est déchargée par un décret transférant la possession et la gestion des terres du nord à
un corps administratif local. En Suède, il faut prouver 90 années d’occupation continue pour
se voir attribuer légalement un terrain. S’agissant de peuples nomades, on pourrait
presqu’en rire ! En Finlande, l’Etat est propriétaire de plus de 90 pour cent du territoire, et le
gère à sa guise. Ce pays n’a d’ailleurs aucune intention de signer la Convention n° 169
relative aux peuples indigènes et tribaux (Organisation Internationale du Travail, 1989).
L’élevage du renne.

Malgré les contraintes et les règlementations


nationales, l’élevage du renne existe toujours.
Mais il ne se pratique plus de la même manière.
L’élevage est menacé par les autres activités
économiques : exploitation agricole,
déforestation pour le bois, projets miniers et
éoliens, barrage hydroélectrique, réseaux
routier et ferroviaire… Menacé aussi bien sûr
par toutes les pollutions liées…

En 1986, la catastrophe de Tchernobyl a failli porter un coup fatal à l’élevage. Des milliers
de bêtes ont dû être abattues suite à l’ingestion de lichen radioactif. Dans un premier
temps, le taux « toléré » de radioactivité pour la viande de renne a été relevé à 6.000
becquerels par kilo (actuellement redescendu à 3.000). Pour la viande en général, il est de
600 bq/kg dans l'Union européenne. 30 ans après Tchernobyl, les éleveurs soumettent
encore régulièrement leurs élevages à des relevés. Parfois, les tests atteignent les 2.100
bq/kg. Les rennes restent soumis à une certaine radioactivité résiduelle... (Voir encart *).

Aujourd’hui sédentarisés, les Saami


encadrent les rennes avec des motos-
neige et des hélicoptères, à l’image des
cow-boys d’Australie. Cependant, la
transhumance de printemps se fait
toujours à l’initiative des rennes femelles
qui calquent ce voyage sur la mise bas et
la protection de leurs nouveaux nés. Un
rythme de transhumance imposé par les
cycles de la nature…

(*) Tchernobyl. Plus de la moitié du césium137 – isotope inconnu à l’état naturel, d’une durée de
vie moyenne de 30 ans – émis par l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl (avril 1986)
a été transportée vers les pays européens. En Suède, Norvège et Finlande, l’aire contaminée
atteignit 28.000 km2 (quasi la Belgique). Les taux en césium137 dans les terres de surface
indiquaient des valeurs 10 à 50 fois plus élevées que le taux résiduaire lié aux essais nucléaires
des années 1950 (sources : rapport de Greenpeace en 2006).

Forêts et tourbières de Laponie ont accumulé ce césium137 - entre autre dans les lichens, la
nourriture favorite des rennes. A l’époque, il a fallu abattre des bêtes trop contaminées... On a du
modifier l’alimentation des rennes avec des agents complexants pour accélérer l’élimination du
Cs137. Mais les forêts, les tourbières et les marais ont stocké et concentré le césium, devenant
des réservoirs de radiations. De ce fait, les aliments d'origine forestière (champignons, fruits,
baies sauvages, lichens, mousses, gibier) ont été aussi contaminés et participent au cycle lent
qui aboutit finalement à l’homme. Le taux sanguin et musculaire des Saami en Cs137 était 50 fois
plus élevé que la moyenne. Des taux de naissance réduits, des malformations et des prématurés
ont été observés.

« Tchernobyl a été un tournant tragique mais important pour l’AIEA », a


expliqué Mohamed El Baradeï, ancien directeur général de l’AIEA (Agence
Internationale de l’Energie Atomique). « Cela nous a amené à consacrer des
ressources et des énergies pour les victimes dans une quantité jamais
égalée. Et cela nous a amené à tout faire pour qu’un tel accident ne se
reproduise pas. »

Ne rêvons pas : Kychtym, Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima. Quatre


accidents nucléaires graves. Ça peut donc encore arriver. Pourquoi des politiques irresponsables
maintiennent-elles à bout de bras cette industrie ? Pourquoi accepter que l’Homme en soit pour
des générations le dommage collatéral ?
Sédentarisation des rennes.

Autre changement important dans la vie des Saami : la


« sédentarisation » forcée - pour ne pas dire imposée par la loi -
des rennes. La création d’enclos à rennes… Cela a impliqué de
modifier l’alimentation des bêtes. Mais la concentration des
rennes dans ces lieux clos attire les prédateurs. Les loups, les
ours, les lynx déciment plus
facilement des troupeaux sans
fuite possible, privé de la défense des chiens et des
hommes. Et ces prédateurs sont intouchables.., ils font
partie de la faune sauvage protégée. Seul animal à se
nourrir principalement de lichens, le renne participait à
tout un écosystème qui risque maintenant de
disparaître.

L'élevage du renne ne fait plus vivre qu'une minorité de


Saami (moins de 10 %). Eleveur de rennes, un statut autrefois estimé dans leur société…
Mais méprisé par les Norvégiens pour qui ces Saami restent les paysans de l’arrière-pays.

Le renne est surtout élevé pour sa viande et sa fourrure, sur des territoires délimités et
réglementés. En Norvège, cela représente chaque année 2.500 tonnes de viande – pas
même un pour-cent de la production nationale, mais vital pour les familles d’éleveurs.
Auparavant, outre la nourriture, les Saami en tiraient une quantité de produits dérivés : la
peau et la fourrure pour les tentes (lávvu), les vêtements, les couvertures, les tendons pour
la couture des vêtements, les os et les bois pour la fabrication d'ustensiles et d'outils divers.

La nature, la famille, les rennes : ce sont les


trois piliers essentiels de la survie des
Saami... Si l’un fait défaut, l’équilibre est
rompu. Aujourd’hui, ils craignent ne plus
pouvoir transmettre une tradition fière et
viable à leurs enfants… D’être en fait la
dernière génération.

Mais ils ont également découvert qu’ils


avaient une valeur touristique. L’artisanat
spécifique en est le plus bel exemple. Ils
travaillent avec habilité la peau, l’os, la laine, le bois. Les couteaux et les bols ansés sont
des souvenirs appréciés des touristes. D’autres Saami se sont spécialisés pour encadrer
les groupes d’aventures en recherche de terres plus sauvages. Avantages pour eux : le lien
profond conservé avec la nature, et l’utilisation des rennes ou des chiens pour les
traineaux… La pratique de l’écotourisme permet également de sensibiliser l’opinion
publique à leur cause. Parfois aussi, ils mettent en scène leur vie nomade d’autrefois pour
le plaisir des passagers des croisières. Les rennes, c’est plutôt bon pour le tourisme...
Climat et saisons.

On trouvera dans les guides de voyage ce qu’il faut savoir sur la température, la
pluviométrie et l’ensoleillement des régions de Laponie. En résumé, la température varie de
-40 °C en hiver à + 30 °C l'été. Le Gulf Stream tempère la météo sur les côtes, ce qui fait
que même en hiver, la mer n'y gèle jamais et les ports restent utilisables. La végétation
locale est essentiellement de taïga ou de toundra, en fonction de l’altitude et de la latitude.

Phénomènes climatiques et cosmiques spécifiques.

Aurore boréale.

Elle passe d’est en ouest, et indique donc la région


nordique, en tout cas vue de Laponie. Une nuée verdâtre
qui s’installe discrètement... Une gouache qui fuse et se
déforme… Comme la buée qui envahit la fenêtre. Un
fantôme drapé, une hallucination dans le ciel étoilé… Car
déjà, il doit faire dégagé pour une aurore boréale. En
réalité, sauf à être très intense, on la devine plus que de
la voir à l’œil nu. L’appareil photo, lui, peut la capter
(temps de pose long). Question de sensibilité et de
longueur d’ondes sans doute. Mais elles s’installent,
rampent ou serpentent, en sarabande ou en cavalcade,
drapé luminescent, convulsion évanescente. Magique !

Et c’est la faute au soleil ! Ce phénomène étrange nait des collisions des particules solaires
chargées (éruption ou tempête solaire) et transportées par le « vent solaire », avec les
molécules de notre haute atmosphère. Le vert phosphorescent provient des photons
(lumière) émis par les molécules d'oxygène ionisées par ce bombardement. D’autres
couleurs peuvent apparaître (bleu, violet, rouge), en fonction de l’altitude et de la masse des
molécules ionisées. Expliquer tout ça est déjà un peu moins romantique !

Comment ne pas y voir – comme les peuples premiers - un dieu qui régente la vie ? En tout
cas, ce soleil est responsable de la renaissance annuelle que nous appelons le printemps...
En Laponie, le simple retour du soleil après la nuit polaire est en soi un événement fêté.

Un conseil : installez une application (gratuite ou payante selon les cas, pour smartphone ou
tablette) qui permet de prévoir l’apparition des aurores boréales. Exemple : Aurora Forecast.
Nuit polaire.

La nuit polaire se définit au-delà du cercle polaire. Logique. Sa durée varie selon la latitude,
en gros une quarantaine de jours autour du solstice d’hiver (21 décembre) : pas de soleil
visible. Pour le soleil de minuit, c’est le contraire : le soleil reste dans le ciel 24 h sur 24
autour du solstice d’été. Il ne se couche pas : un mois avant, un mois après (selon la latitude
à nouveau), autour du 21 juin. Il rase l’horizon vers minuit mais ne disparaît pas. Et tout ça a
des conséquences sur nos organismes.

Rappelez-vous : l'hiver approche, les jours raccourcissent, et on déprime... Une dépression


saisonnière, même sous nos latitudes ! Les études épidémiologiques montrent que plus on
s'éloigne de l'équateur, plus le nombre de personnes atteintes de troubles augmente. Envie
de dormir, impression de dilatation du temps, infections plus fréquentes, migraines, etc. Ce
n’est pas très neuf : le soleil nous est indispensable. A notre santé psychique et physique.

La nuit polaire, c’est l’obligation de vivre trop longtemps dans des journées éteintes. Une
sorte de calamité imposée aux humains. D’ailleurs, pour compenser l'absence de lumière,
certains portent des lunettes spéciales ou allument des lampes restituant la lumière du
jour… Luminothérapie. Comme s’il fallait conjurer la nuit. Notre mode de vie moderne nous
a déconnecté des rythmes naturels. Ce que perçoivent les yeux ne sont pas tout : il y a
aussi l’impalpable, les signes que nous adresse la nature à travers la course des saisons.
Les Saami – comme les Inuits et les autres peuples du grand Nord – n’avaient auparavant
pas besoin de cela. Ils s’adaptaient.

Si le soleil n’est pas là, la lune est davantage présente (vieille rengaine). En Laponie, la lune
est considérée comme une présence vivante et protectrice qui veille sur le sommeil. Elle
sert aussi de lampadaire à la nuit polaire…

Soleil de minuit au Cap Nord par un jour nuageux

Soleil de minuit.

Le réveil du soleil fait fondre les neiges et revenir les oiseaux. Une renaissance annuelle,
attendue, cosmique… Fêtée par les feux de la Saint-Jean. Mais ici, le soleil revient en force.
Plus tard certes, mais plus vite. Et bientôt l’obligation de vivre des jours allumés, des
journées interminables. Une autre malédiction… Avec aussi des impacts sur l’organisme
bien sûr. La notion du temps est perturbée. Comment savoir - sans la montre - si c’est la fin
du jour ou l’aube du jour suivant ? Difficile à supporter dans la vie urbaine. Mais agréable et
joyeux en vacances… La respiration silencieuse de la nature associée aux rayons
revitalisants du soleil constitue un remède infaillible pour soigner le moral en berne. C’est le
moment des balades, des parties de pêche et des barbecues prolongés.
La räkkä et les rennes.

Mais attendez… En été, il y a la « räkkä » : invasion estivale d’insectes piqueurs, suceurs et


mordeurs. Moustiques, taons, mouches voraces et moucherons suceurs de sang… Il peut
faire chaud en Laponie, entre fin juin et début août, jusqu’à des 30°C. Et il peut faire
humide, autour des lacs, des marais, des cascades… La räkkä est désagréable. Puis, on
apprend vite à s’en prémunir (vêtements, moustiquaires, répulsifs, antiseptiques).

Cependant les rennes en liberté n’ont qu’un seul moyen de défense : la fuite. Des siècles et
des siècles de fuite… Qui ont finit par produire leur transhumance annuelle. Ce sont les
femelles qui - pour protéger leurs nouveau-nés encore fragiles - donnent le signal de départ
de cette migration saisonnière. Le temps que ça passe, les rennes vont pâturer là où il y a
davantage de vent, vers les steppes de toundra, vers les côtes, sur les îles. Puis, pour des
raisons d’alimentation, les manades remontent vers la taïga et les lichens frais, repoussés
entre-temps. La forêt leur permet aussi d’être à l’abri des prédateurs. En résumé : si les
Saami ont survécu des siècles durant grâce au renne, ils le doivent d’abord aux
moustiques ! Une très belle illustration de l’interaction positive entre la nature et l’homme.

L’été indien de Laponie : la ruska.

Pour des raisons évidentes, la « ruska » est très prisée des photographes. C’est le début
de l’automne : toute la végétation - conifères, arbres à feuilles caduques, baies sauvages et
lichens confondus - se révèle dans une explosion de couleurs, vert, marron, orange, rouge,
jaune. Un flamboiement végétal de deux semaines maximum. Septembre est également le
mois le plus propice aux randonnées (pied, VTT). Les températures sont plus clémentes, la
räkkä est terminée, les rennes se préparent à surmonter l’hiver, les oiseaux migrateurs filent
vers le sud. C’est encore le début des saisons de chasse et de pêche. Et le bon moment
pour se constituer le « garde-manger » ou la « trousse à pharmacie » de la nature arctique :
les baies riches en vitamines dont la camarine noire, les champignons qui aromatisent la
nourriture, les herbes qui aident à la guérison...

Les huit saisons du renne.

Faune et flore de Laponie démontrent bien


comment climat et nature ont façonné la
culture des Saami. Ils tiennent compte de
8 périodes saisonnières différentes. On les
appelle « les saisons du renne », sans
date très précise, car elles reflètent surtout
les cycles liés à l’élevage (naissance,
migration, reproduction, comptage et tri,
marquage…)

L’année commence avec la fonte des


glaces. En gros, d’avril à début mai. Pour éviter la räkkä qui vient avec les bourbiers, les
rennes recherchent des pâturages plus secs. Ils muent et récupèrent leur fourrure. Les
femelles donnent naissance aux faons. Puis survient la grande migration vers la toundra
plus ventée, pour protéger les faons. Les jours plus longs permettent la réparation des
enclos. En juillet, les faons nés au printemps sont marqués. Puis fin août, vient la récolte
des foins pour l’hiver, la cueillette des baies, des champignons. La migration de retour a lieu
en automne, vers la taïga où les lichens se sont reconstitués. Aux premières neiges
(octobre) s’opère un tri sélectif : répartition entre propriétaires, choix des bêtes pour
l’abattage ou la reproduction, marquages, traitements médicaux contre les pandémies et
les parasites. Les ramures arrivent à maturité, et la période de rut et de reproduction
commence. Puis vient la longue période hivernale, une certaine léthargie, qui se termine
dans une sorte de pré-printemps, lorsque les journées se rallongent de nouveau.
Changements climatiques.
En parlant des altérations du climat, on cherche surtout à prouver la responsabilité de
l’homme avec ses pollutions. Mais inversons la question ! Quelle action un climat qui se
dégrade peut-il avoir sur la faune, la flore et sur les hommes !?

L’ensemble des êtres vivants occupe la surface terrestre et l’atmosphère, soit un volume
très faible comparé à celui de la planète entière. Cette abondance de vie, d’une densité
voisine à celle de l’eau, est soumise aux pulsations du ciel (cosmos, soleil) et de la terre.
En cherchant à s’adapter aux variations du climat, consciemment ou non, les êtres vivants
interagissent et ajustent leurs activités pour en tirer le meilleur profit. L’homme n’échappe
pas à cette règle.

A l’écoute de la nature, les peuples indigènes - de l’Amazonie à l’Arctique, des déserts


australiens aux savanes africaines - sont les premiers et les meilleurs experts en matière
de changement climatique. Depuis longtemps, ces peuples premiers pratiquent des modes
de vie durable. Leur empreinte écologique est la plus faible qui soit au monde. Mais ils sont
aussi les plus vulnérables au dérèglement climatique. Ils en sont même les premières
victimes, y compris dans les mesures palliatives dites « vertes » telles que l’expansion
agricole des biocarburants, les barrages hydroélectriques, les projets de conservation de la
nature et sa mise en « parcs naturels... » Avec eux disparaissent des pans entiers de
compétences sur la nature et l’environnement.

En Laponie, les Saami sont les premiers


à éprouver des changements climatiques
brutaux : variations imprévues de
température, pluie verglaçante à la place
de neige, météo irrégulière avec des
redoux imprévisibles suivi de regel
rapide. Tout gèle en surface. Les rennes
flairent le lichen sous le verglas, mais
peinent à casser la couche trop dure. Se
nourrir par eux-mêmes devient difficile.
Pour les Saami, s’adapter signifie nourrir
les rennes au fourrage et aux
granulés (en 2012 pour la 1ère fois !) Mais granulés et compléments vitaminés, ça coûte. Et
ça change – dit-on - le goût de la viande. Sans parler des risques sur la santé, du genre
« vache folle ». Pour les Saami, c’est un non-sens : « ce n’est pas à l'homme à nourrir le
renne, mais au renne à nourrir l'homme... »

Les Saami sont en première ligne. Jadis, ils pouvaient lire la nature, la comprendre, prévoir
le temps. Ça devient plus difficile. Ils observent des rythmes saisonniers perturbés... L’hiver
plus court et plus humide, l’été précoce, la terre qui se réchauffe trop vite. Ils en subissent
les conséquences. Par exemple, les lacs : tout a reculé d’un bon mois ! Si les premières
glaces se formaient en octobre, à
présent il faut attendre décembre. D’où
problème de sécurité. Et problème pour
pêcher. Sans compter les redoux à
répétition qui perturbent les cycles de
reproduction, alimentaire et migratoire
des poissons. Tout ça complique la vie,
le travail, les déplacements. Le choix -
coûteux - entre motoneige et quad
devient primordial. Et de plus en plus
cher : le carburant, les machines, la
nourriture de substitution.
Résumons le problème...

Aujourd’hui, deux systèmes s’opposent ici. Un système minoritaire, l’autre de « fuite en


avant ». Le système minoritaire est l’équilibre rythmé entre la nature, les rennes et les
Saami. Le système de « fuite en avant » est fait de possession et d’exploitation. Il
s’impose et se protège par les lois et son pouvoir économique : la nature doit se
domestiquer, les rennes se sédentariser et les Saami s’intégrer. Mais cette exploitation de
la nature par des barrages, exploitations minières et forestières, monocultures
intensives.., se paie en dévastation et pollution. Les raisons qui poussent les Etats et les
Marchés à « concentrer » les Saami et les rennes sont les mêmes qui conduisent
inexorablement au réchauffement climatique.

Sous les contrôles du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC et des traités de libre-
échange, l’agriculture et l’alimentation subissent les effets du réchauffement. Les
projections pour 2050 prédisent que la moitié de la planète sera exposée à la faim. La
survie de l’humanité est compromise, car le changement climatique empêchera
d’atteindre l’autonomie alimentaire d’une population en augmentation permanente. Selon
le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, prix Nobel de la
Paix en 2007), la hausse des températures va entraîner une baisse de rendement
terrestre de l’ordre de 10 à 25 %. Pour les océans, la baisse de capture des poissons
estimée sera de 40 %. Rappelons qu’en 2015, la FAO (Organisation des Nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture) évaluait l’augmentation nécessaire de production
alimentaire à 70  % d’ici à 2050 (déjà aujourd’hui, 800 millions d’êtres humains ne
mangent pas à leur faim). Et malheureusement, le cortège des solutions miracles -
transformation génétique, semences améliorées, engrais de synthèse et autre glyphosate
- ne fera que nuire davantage à l’environnement et à la biodiversité, et contribuer aussi au
réchauffement climatique.

Mobilité, autonomie et diversité.

Commencée il y a 22.000 ans, la dernière


période glacière a pris fin 10.000 ans plus tard
par une hausse de 4°C et une élévation des
océans de 130 mètres. L’homme en a largement
profité ! Se dispersant sur la planète, il accordait
ses migrations sur l’accès à l’eau et à la
nourriture (rennes, bisons.., saisons de chasse
et de récolte). Les premiers hominidés étaient
forcément nomades. Grâce à ses pieds, Chasse photographique en hiver.
l’homme a évolué. Le gros cerveau lui servait pour
décider de la marche d’une saison à l'autre. Voilà peut-
être le secret du « sixième sens » : savoir déceler les modifications du climat. S’il est
stable, l’espèce se sédentarise plus facilement. L’individu ou le groupe commence alors la
défense du territoire, la compétition, le « struggle for life ». Mais si le terrain est difficile et
la météo contraire, il cherchera à s’en sortir sans combattre. De fait, les espèces
migratrices se révèlent moins agressives que les sédentaires. L’homme aussi a toujours
fait cela : la recherche de nourriture et de sécurité, pour lui et les siens.

Dès le milieu du 19ème siècle, la révolution industrielle a produit des gaz à effets de serre,
que l’atmosphère a emmagasiné. Depuis le milieu du 20ème, la population humaine a
triplé, la richesse globale a décuplé, l’impact de l’homme sur l’équilibre des écosystèmes
a centuplé. Il suffit d’ouvrir les yeux : avec le réchauffement du climat, une nouvelle
sélection « naturelle » est en marche. Plus pressée et rapide. Mal répartie. Et à terme,
contrairement à la fin de l’ère glacière, nocive pour l’homme…
Effets de la météo sur la santé.

Nous devons tout au soleil. Sans lui, la terre n’aurais jamais porté la vie. Nous n’aurions
pas eu l’oxygène, la station debout et l’évolution, les pigments de nos peaux, les religions,
les sciences, le calendrier et la boussole, le feu et les panneaux solaires... Pas de marées
non plus, pas de vents, pas de combustibles fossiles. Sans le soleil, nous n’existerions
tout simplement pas. C’est notre bonne étoile… (enfin, pas toujours…)

La biométéorologie médicale étudie et prévoit les effets de la météo sur la santé humaine.
Le temps qu’il fait dehors agit à l’intérieur de nos corps. Ne parlons pas ici des épisodes
orageux, des froids intenses ou des fortes chaleurs… Ne parlons pas non plus de
l’irritabilité, de la fatigue chronique, des dépressions saisonnières ou du manque de
lumière naturelle... Mais il est connu que la météo peut aggraver certaines maladies, telles
que la migraine, l’arthrite, l’asthme, les allergies ou le risque d’infarctus. Ainsi, il survient
davantage de crises cardiaques létales en période de froid que de chaleur. Les bulletins
journaliers mettent en garde les
personnes plus sensibles sur les
risques liés à la météo. Mais la
hausse des températures promise
pour les années à venir entraînera
des risques bien plus importants…

Nouvelles migrations.

Cette hausse - variable selon


l’écosystème et la latitude - est
évaluée à 2°C d’ici 2050. Pour le
20ème siècle, la hausse globale a
déjà été de 1°C. Ballotées entre
des écarts de climats, les espèces
vivantes vont devoir - ou s’adapter, Lofoten (Norvège)
ou migrer, ou disparaître. Pour
certaines, le processus est bien en cours, nous en voyons déjà les effets. Mais le
processus pourra aussi s’étaler sur plusieurs générations. Une « nouvelle sélection
naturelle » ! L’homme, lui, va devoir réinventer ses modes de (sur)vie…

Quinze ans après l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, contesté par les lobbies
économiques, la question n’est plus de prouver le réchauffement planétaire. Il est là..,
irréversible. Turbulences aériennes et tornades, vortex polaires et épisodes caniculaires,
vagues géantes dans les océans, retrait des glaciers, montée des eaux, sécheresses et
pluies torrentielles, inondations urbaines… Les climatologues prévoient une accélération
de ces phénomènes. Transports maritime et aérien en subiront les premières
conséquences, avec l’impact économique qu’on peut deviner.

Un scénario catastrophe qui provoque déjà des exodes vers les centres urbains et les
zones humides (souvent vers les côtes pourtant plus vulnérables). On assiste à de
nouvelles migrations, pour des raisons climatiques, économiques et politiques (mais n’est-
ce pas un peu la même chose !?) Aujourd’hui, ces nomades, émigrés, apatrides, sans-
papiers, déplaisent aux Etats, c’est bien connu. Par principe, les pouvoirs préfèrent les
pantouflards ! Mais ce refus de la diversité et de la mobilité, conduit à une perte
d’humanisme. Ce refus va aussi à contre-courant de l’évolution même de l’humanité.

A l’horizon 2050, on estime à minimum 200 millions les futurs réfugiés du climat. Certaines
régions deviendront invivables. En gros, les pays du Sud seront les plus touchés, et les
pays du Nord les plus impactés par l’arrivée des migrations climatiques. Les grands flux
migratoires convergent déjà vers l’Amérique du Nord, vers l’Europe, et dans une moindre
mesure vers le golfe persique.
Le futur des Saami En août 2013, la police suédoise a évacué de force des Sáami qui
protestaient contre des forages pour une nouvelle mine de fer (près de
En Laponie, d’ici la fin Jokkmok). Depuis, tous les jeudis, un groupe de Saami manifeste à
Stockholm, demandant au gouvernement l’arrêt des mines et des
du siècle, on prévoit une prospections sur leurs terres ancestrales. Près de 90 % du fer produit dans
hausse de 9°C. Soit l’Union européenne provient des sous-sols de la Laponie suédoise…
plus de quatre fois les
Dans les années 1970-80, à la construction du barrage sur la rivière Alta
objectifs définis par la (Norvège), d’importantes protestations s’élevèrent, y compris des actes de
COP21. La température désobéissance civile, car les pâturages historiques des Saami ont été
moyenne grimpe deux ouvertement méprisés. Les manifestants ont été évacués de force et le
fois plus vite en Laponie village samé de Mazé a été englouti. Mais cet épisode fondateur des
mouvements samé a été appelé la « controverse d’Alta ».
qu’ailleurs. Les cycles
naturels de la faune et
de la flore sont déjà perturbés. Ce que nous observons chez nous – par exemple des
bourgeons trop précoces - se répète au centuple en Laponie. Pourquoi les poissons ne
mordent plus en hiver : les eaux sont trop chaudes. Pourquoi les prédateurs rodent-ils près
des fermes : ils recherchent la pitance facile. Des espèces habituellement inconnues –
végétales ou animales – s’installent. D’autres disparaissent ou migrent vers des
écosystèmes qui leur convient mieux… La nature ne se trompe pas. Elle change les règles
du jeu. Elle s’adapte.

Semi-nomades par tradition, les Saamis sont éleveurs. Des siècles durant, ils ont su
s’adapter à la nature et au climat arctique. Une sagesse, une connaissance, un équilibre
entre l’homme et la nature. Les piliers fondamentaux de leur culture. Pour eux, le renne
est plus qu’un animal, il est leur mode de vie, leur liberté. Mais ce pastoralisme est devenu
très compliqué. Aujourd’hui, plus que 10% des Saami restent éleveurs. Sur leurs propres
terres ancestrales, les Saami sont déjà des réfugiés … et nous sommes en Europe.

Alimentation, commerce et climat.

La disparition du « renne en liberté » symbolise notre relation à l’alimentation. Grande


question : comment gérer notre équilibre et notre autonomie alimentaire ? Il semble
évident que produire la nourriture à proximité de chez soi comporte de nombreux
avantages. Déjà une alimentation plus
fraiche, plus saine et plus facilement
contrôlable. Un circuit court avec des
avantages socioéconomiques immédiats.
Mais nos politiques cèdent devant l’agro-
industrie, ses monocultures, ses élevages
intensifs, ses réseaux de distribution.

De fait, la grande distribution – de plus en


plus alliée à l’e-commerce - s’est
réservée la part du lion du commerce

Aurore boréale sur le fjord de Lyngen.

alimentaire mondial. Avant de débarquer dans nos assiettes, les aliments prennent l’avion
ou le bateau : avocats du Pérou, tomates du Maroc, bananes d’Equateur, crevettes du
Vietnam, fraises du Chili. Les producteurs sont étranglés mais les actionnaires satisfaits.

Ce 21 juin 2018, un rapport d’Oxfam dénonçait les pressions de la grande distribution sur
le commerce alimentaire (article : «Derrière les code-barres, des inégalités à la chaîne»).
Si le commerce équitable est synonyme de qualité, il ne représente que 0,1 % du marché
international. Dans la pratique, acheter équitable est un engagement personnel, citoyen,
un choix conscient et responsable. Consommer est un acte politique, c’est le seul vrai
bulletin de vote… Car là aussi ce manque de courage politique, qui impacte notre
alimentation, risque d’amplifier – rétroactivement - l’urgence climatique.
Il n’y a pas que l’homme : les biomigrations.

En août 2012, un article de la revue Sciences révèle qu’en parallèle au réchauffement, les
animaux et les plantes migrent vers les pôles ou vers des altitudes plus élevées. En
moyenne, les espèces déplacent leurs habitats à raison de 17,6 kilomètres et/ou de 12,2
mètres d’altitude par décennie.

Les plantes se déplacent au même rythme que les insectes, les oiseaux et les mammifères.
Certaines espèces migrent plus vite que
Une augmentation de température de 1°C correspond d’autres, comme le papillon commun en
en France à un décalage des zones climatiques Grande-Bretagne qui a migré de 220 km
d’environ 200 km vers le nord. En dix générations, la vers le nord en deux décennies.
date de floraison des betteraves de l’ouest de la Evidemment, des espèces ne pourront pas
France s’est avancée au niveau de celles d’Afrique du « migrer » aussi vite. C’est le cas des
Nord (Académie des Sciences - France juin 2017). arbres. Leur reproduction lente est un
handicap à l’adaptation. Les arbres
pourraient donc ne pas survivre, ce qui est gênant quand on pense à leur rôle comme
stockage de biomasse, de régulateur du climat ou dans la dépollution de l’atmosphère, sans
oublier leur fonction d’écosystème de la faune aviaire. Plusieurs études américaines
pointent de fait que la moitié des espèces d’oiseaux d’Amérique du Nord est menacée
d’extinction (Université McGill, National Audubon Society, Nature Canada - 2014).

Un rapport conjoint du WWF et du Tyndall Centre for Climate Change (Univ. East Anglia –
GB – mars 2018), sur base d’études dans 35 régions du monde à la biodiversité reconnue,
établit qu’un réchauffement global de 4,5°C pourrait conduire à la disparition de 48% des
espèces vivantes. Même limité à 2°C, la perte serait de 25%. A tous les coups, on reste
entre le pire et le moins pire, car on ne parle pas encore d’extinction des espèces… Il y aura
extinction que dans le cas où l’espèce « en fuite » ne retrouve pas un écosystème qui lui
convient. C’est peut-être le cas des marsouins (Article Sciences & Avenir du 17 mars 2017).

Dans les océans - 70 % de la surface terrestre, les modifications du climat produisent les
mêmes conséquences. Mais dix fois plus rapidement. Le réchauffement n’est peut-être pas
seul en cause : on constate aussi une acidification des eaux, par absorption du CO2 plus
abondant dans l’atmosphère. Résultat : dans les filets des pêcheurs d’Islande, une
diminution du cabillaud, remonté vers le pôle, et une augmentation des maquereaux. Face à
ce constat, l’Islande a d’ailleurs modifié sa politique des quotas. Ce n’est pas tout : plus de
CO2 dans l’eau veut dire moins d’oxygène : les poissons ont tendance à maigrir.

Bien sûr, tout est question de chaîne trophique. Le poisson suit sa nourriture… Sur base de
208 études sur 857 espèces marines, il s’est calculé que le phytoplancton migre de 470 km,
les poissons de 277 km et le zôoplancton de 142 km par décennie. En queue de peloton,
les crustacés, les mollusques et les algues des fonds des mers qui progressent tout de
même de plusieurs dizaines de km par décennie. Ce constat alarme d'autant plus lorsqu’on
sait que l'océan absorbe 80 % de la chaleur produite par les gaz à effet de serre, alors que
sa surface se réchauffe trois fois moins vite que les écosystèmes terrestres.

La question se pose : à quelle vitesse un végétal ou un animal peut-il modifier son cycle de
vie pour survivre ? Cela implique son horloge biologique, la prédation, la symbiose ou le
parasitisme, la reproduction. On sait que les insectes présentent une capacité d’adaptation
exceptionnelle. Est-ce un hasard si on nous propose des insectes dans nos assiettes !?
Mais qu’en est-il des plantes et des animaux ? Il est certainement temps de reconfigurer les
ressources alimentaires qui permettront à l’humanité de survivre.

A lire, les trois excellents polars d’Olivier Truc qui mettent en scène la Police des
Rennes, les problèmes réels de la minorité Samé et une intrigue policière :
Le détroit du Loup – Le dernier lapon – La Montagne rouge.

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