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L’ASIE DU SUD-EST

Emergence d’une région, mutation des territoires.


Nathalie FAU - Manuelle FRANCK

Introduction :

L’Asie du Sud-Est comprend actuellement 11 pays (selon l’acceptation courante retenue dans la
Géographie universelle de Roger Brunet dans les années 1990).

Ces 11 pays sont les suivants : Le Sultanat de Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la
Malaisie, la Birmanie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Timor-Leste et le Vietnam.
Ce sont des pays de taille, de population, de densité et de niveau de développement très éloignés.

La population totale de cet ensemble est de 645 millions d’habitants pour 4,5 millions de km2 et
une densité de 144 habitants/km2.

Cette zone est entièrement située dans la zone intertropicale entourée de mers chaudes. Elle
s’enroule autour de l’équateur et d’étend dans l’hémisphère nord au-delà du tropique du cancer
jusqu’au 28ème parallèle dans les régions himalayennes du nord de la Birmanie. Elle descend
moins loin dans l’hémisphère sud, uniquement au niveau du 11ème parallèle.

L’Asie du Sud-Est forme l’extrémité du continent asiatique qui se rétrécit. Les territoires
continentaux, que l’on qualifie de péninsule, étant plus étroits que dans le reste du continent et se
termine par un chapelet d’îles. Cette région est en position de carrefour entre deux continents :
L’Asie et l’Océanie, entre deux océans (Océan indien et Pacifique) et à la jonction entre les
deux sous-continent démographiques (chinois et indien).

Dans son ensemble, l’Asie du Sud-Est est plus maritime plus que continentale. La surface de la
mer correspond au double de la surface des terres émergées (9,3 millions de km2 contre 4,5
millions). Elle offre des façades sur deux océans mais aussi sur des mers intérieures (Une sorte de
« méditerranée asiatique » : la mer de Chine méridionale, bordée par tous les pays à l’exception du
Laos qui n’a pas d’accès à la mer, de la Birmanie et du Timor-Leste).

Avec 26.000km de côtes, les Philippines ont six fois plus de surfaces maritimes que de surfaces
terrestres.
L’Indonésie avec ses 66.000 kilomètres de côtes, quatre fois plus.
Aucun territoire n’est éloigné de la mer, sauf le nord de la Birmanie et l’intérieur des grandes îles.

Région située à « l’angle de l’Asie », selon Élisée Reclus (1883), la région s’est trouvée de tout
temps au carrefour de routes commerciales entre l’Occident et la Chine (route de la soie)
empruntant le détroit de Malacca et longeant les côtes vers le nord. Ces échanges commerciaux ont
apporté à la région une vraie mixité de culture et une identité extrêmement diversifiée. C’est cette

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complexité, ces strates qui s’ajoutent les unes sur les autres qui rendent complexe la définition de
l’Asie du Sud-Est.

Penser l’Asie du Sud-Est comme un tout, dans sa globalité, nécessite de privilégier les
approches transversales.

La première problématique interroge sur les limites de l’Asie du Sud-Est et ses spécificités en tant
que région. Les découpages sont complexes et multiples (les historiens cherchent les liens
politique, les anthropologues les points communs culturels, les économistes les flux et les stratégies
de développement, les politologues se penchent sur les ensembles institutionnalisés). Pour les
géographes, la difficulté mais aussi la richesse de ce sujet réside dans la polysémie du concept de
« région » (administrative, historique, homogène, polarisée, économique…). Il faut donc penser la
région à toutes les échelles, avec ses dynamiques et ses processus d’intégration. Il faut interroger
de façon critique les limites de cette région et analyser les facteurs d’unité de cet espace et ceux
qui concourent à la remettre en question.

La seconde problématique questionne les mutations territoriales et sociales engendrées par une
croissance économique forte (le miracle asiatique) et une stratégie de développement reposant sur
l‘ouverture des économies et l’insertion dans la mondialisation.

Après leur indépendance, les pays asiatiques étaient très pauvres (plus que les pays d’Afrique
subsaharienne), enfoncés dans des conflits, avec des institutions défaillantes et condamnées à finir
dans la misère et le sous-développement.

À partir des années 1960, la croissance économique est pourtant forte et le revenu/habitant
progresse en moyenne 2 à 3 fois plus vite que dans les autres pays en développement.

Les niveaux de développement sont toutefois contrastés.


Singapour (plateforme financière) et le Sultanat de Brunei (État pétrolier) ont des niveaux de vie
comparables aux pays développés.
La plupart des autres pays sont des pays émergent qui appartiennent à la catégorie des pays à
revenus intermédiaires, intermédiaires supérieurs (Malaisie, Thaïlande) ou intermédiaires
inférieurs (Cambodge, Laos, Indonésie, Birmanie, Philippines, Vietnam, Timor-Leste).
L’ONU classe cependant 4 pays dans la catégorie des PMA (Cambodge, Laos, Birmanie et Timor-
Leste).

Il faudra aussi se questionner sur le rôle de la mondialisation dans ces évolutions. Est-elle
inclusive ? Ou au contraire participe-t-elle des inégalités et des divergences internes ?

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PARTIE 1 – L’ÉMERGENCE D’UNE RÉGION.
CHAPITRE 1 : LA CONSTRUCTION D’UNE RÉGION.
L’Asie du Sud-Est a souvent été envisagée en creux par rapport à la Chine et l’Inde par les
occidentaux. Elle a souvent été divisée entre partie insulaire et continentale. Elle est une aire à
« géographie variable », et souffre de l’absence d’un vrai système politique qui aurait unifié la
région.

Quels sont les facteurs durables de la cohérence de cette région, à la fois endogènes et ceux qui
relèvent des influences externes ?

Les tracés frontaliers linéaires furent imposés par les empire coloniaux. Ces territoires ont aussi
adopté le modèle occidental d’État-Nation pourtant impropre à leur culture précoloniale. La
dénomination « Asie du Sud-Est » a été progressivement réappropriée par les chercheurs,
institutions et élites politiques asiatiques (Ex : Projet de l’ASEAN qui est à la fois symbole et aussi
le pivot d’une nouvelle représentation et de perception de l’unité régionale).

I. Le découpage de l’Asie par les Occidentaux : une « Asie du Sud-Est » aux limites
extérieurs mouvantes.

Il existe de nombreuses dénominations pour définir, délimiter ou circonscrire l’Asie ou certaines


fractions considérées comme homogènes : Orient, Extrême-Orient, Asie du Sud-Est, Asie du Nord-
Est, Asie des Mousson… il est important d’en identifier les spécificités.

A. L’évolution des découpages de l’Asie : de la géographie physique à la géopolitique.

On a d’abord une vision physique de la géographie, contestée aujourd’hui. Les deux géographies
universelles de Malte-Brun et d’Élisée Reclus en sont la preuve.

Dans la première GU, l’Asie commence dès les monts du Caucase et s’étend sur certaines régions
que l’on étend aujourd’hui dans le monde arabe.
En 1889, le découpage d’Élisée Reclus suit en partie celui de son prédécesseur mais rajoute une
dimension politique (rattachement aux puissances coloniales dominantes de l’époque = Asie-
Russe). L’Asie du Sud-Est continentale est alors rattachée à l’Inde alors que la partie insulaire est
rattachée aux terres océaniques.

Les volumes sur l’Asie, édités par Vidal de la Blache dans le premier tiers du XXème siècle
reprennent de nouveaux les critères physiques, comme le climat avec l’apparition au sud de la
dénomination « Asie des Moussons ».
Il divise l’Asie en trois volumes : « L’Asie occidentale » (Caucase, Iran et Arménie). La « Haute-
Asie » (terres d’altitudes et de steppes) et donc « l’Asie des Moussons » expression qui apparaît
dans le troisième volume rédigé par Jules Sion.

Ce troisième volume (1929) est divisé en deux sous-parties.

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D’une part, l’Asie orientale (Chine, Japon, Corée) d’un part et d’autre part Inde, Indochine et
Insulinde (archipel indonésien et Philippines). Cette Asie orientale est en réalité davantage une
« Asie du Nord-Est ».
Jules Sion est néanmoins l’un des premiers à évoquer l’idée d’Asie du Sud-Est comme élément
pertinent de découpage. Contrairement aux auteurs des deux Géographies Universelles du XIXème
siècle, il place les archipels insulindiens et philippin non plus en Océanie mais bien en Asie. Il les
ajoute au-delà du critère climatique et biogéographique, mais au nom d’une parenté culturelle.

B. De l’opposition Inde/Chine à l’émergence du concept d’Asie du Sud-Est.

Concept d’Asie du Sud-Est employé de façon marginale depuis 1920 est en réalité plus ancien de
près de 30 ans. Dès la fin du XIXème siècle, les recherches montrent qu’à côté des grandes
civilisations de la Chine et de l’Inde, d’autres sociétés avaient mis en place des techniques et des
réseaux culturels originaux.
Civilisation des tambours de bronze, découverte par des archéologues autrichiens, connue sous le
nom de Dôngsön, existait déjà au 3ème siècle avant l’ère chrétienne, du nord du Vietnam jusqu’à
l’archipel des Moluques dans le grand-est indonésien.

Cette délimitation reste toutefois marginale à cette époque, même chez les géographes comme
Sion, qui continuait à considérer que l’essentiel de la civilisation de ces zones venait de Chine ou
d’Inde.

D’autres découpages ont été proposés, comme celui du « Monde Malais », espace qui correspondait
aux régions de la culture malaise (Malaisie, Singapour, Indonésie, Philippines). Notion non
conservée, sauf que les linguistes.
Notion d’Extrême-Orient (Chine, Japon, Corée, Indochine). Cette notion a conservé un usage
populaire courant mais n’est plus beaucoup utilisée pour définir une aire géographique. La notion
d’Orient est toute relative et dépend de l’endroit où l’on se positionne.

Le terme d’Asie du Sud-Est est devenu un élément majeur de la conceptualisation de l’Asie, surtout
à partir de la guerre du Pacifique, avec l’instauration du South East Asia Command de Lord
Mountbatten.
À partir des années 1950, avec l’émergence de nombreux États indépendants (Philippines,
Birmanie, Indonésie, Cambodge, Laos, Vietnam, Malaisie, Singapour) la notion d’Asie du Sud-Est
s’est généralisée pour désigner un monde en particulier, avec des langues bien distinctes des parlers
chinois ou indiens. L’Asie du Sud-Est est devenue une entité relativement clairement identifiée.
C’est maintenant une aire géographique retenue par les éditeurs de la dernière Géographie
Universelle en date de 1990, à côté du monde indien (Inde, Sri Lanka, Népal, Bangladesh, Pakistan)
et de l’Asie du Nord-Est (Monde chinois, japonais, coréen).

II. Une région jamais unifiée politiquement : histoire des frontières et de la constitution des
États.

A. Montagnards, hommes de la mer, hommes des plaines : interdépendance et autonomies des


structures politiques.

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D’abord des populations nomades avec le style de vie caractéristique (chasse, pêche, cueillette)
puis au 1er millénaire avant notre ère, sédentarisation de la zone dans les plaines, avec les premiers
agriculteurs, métallurgistes, les premières villes et les premiers États. Certains se spécialisent dans
l’agriculture, d’autres dans la collecte de biens rares (bois, résines aromatiques en montagne,
perles) les écailles de tortures ou les concombres de mers sur les côtes.

La structure politique de base de l’Asie du Sud-Est s’est formée au 1er millénaire se base sur la
coopération entre trois ensembles interdépendants économiquement mais politiquement
autonomes.

Les montagnards vivent des rizicultures et cultures sur brûlis, collecte des produits forestiers.
Les hommes de la mer vivent à l’année sur leurs bateaux de la récolte des ressources marines.
Les hommes de plaines, vivant de l’agriculture sédentaire, possédant contrairement aux deux
autres, des structures politiques centralisées.

Les premiers États se sont donc formés dans les plaines, en coopération avec les montagnards et
les hommes de la mer, mais sans avoir aucun moyen de les soumettre.

Les densités sont restées très faibles pendant longtemps, les populations préférant s’installer dans
les espaces vides plutôt que subir l’autorité d’un chef. Les premières hiérarchies sociales se sont
accompagnées d’échanges de protection ou de tribut avec les groupes vivant à la marge de l’autorité
des chefs (leur autorité s’exprimant par la possession de biens de prestiges, comme les tambours
de bronze ou des bijoux).

B. Au carrefour de l’Inde et de la Chine.

Échanges commerciaux entre l’Inde, la Chine et l’Asie du Sud-Est dès le IIIème siècle avant notre
ère (céramique chinoise, bijoux indiens, épices indonésiennes). Ces échanges sont à l’initiative de
l’Asie du Sud-Est et est le prélude à la sinisation du nord du Vietnam et à l’indianisation du reste
de la région.

Vraie domination chinoise dans le nord du Vietnam à partir du IIème millénaire, avec une réelle
accélération dans les campagnes après le XVème siècle.
Indianisation du reste de la région. Jusqu’au Vème siècle, cela ne concerne que les échanges
commerciaux puis ensuite les échanges culturels et religieux. Les élites empruntent la symbolique
de l’hindouisme et du bouddhisme ainsi que d’un ensemble d’art de cour indiens (danse, littérature,
architecture monumentale).
Du Vème siècle au IXème siècle, l’indianisation concerne surtout les petits États côtiers (avec le
contrôle du détroit de Malacca). Du IXème au XIIIème siècle, de grands royaumes agricoles se
forment à l’intérieur des terres et de distinguent par la construction de gigantesques temples (empire
d’Angkor qui a contrôlé le Cambodge, une grande partie de la Thaïlande et du Laos actuels.

C. L’émergence de royaumes centralisés.

À partir du XIIIème siècle, l’Asie du Sud-Est est profondément transformée qui a pour
conséquence le morcellement de la région au XVIème siècle.

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Formation de royaume tais et diffusion du bouddhisme theravada comme courant religieux
dominant en Asie du Sud-Est continentale (sauf au Vietnam).
Diffusion de l’Islam comme religion des élites royales et marchandes dans les régions côtières de
l’Asie du Sud-Est insulaire.
Diffusion des armes à feu (chinois et européennes).

Du XVIème au XIXème, la Birmanie, le Siam et le Vietnam qui contrôlent rizicultures et ports


principaux de la région dans la partie continentale s’étendent grâce à leurs revenus commerciaux
et la possession d’armes à feu européennes. Ils s’étendent au profit du Laos ou du Cambodge, du
sultanat malais.

Phénomène de centralisation politique observé en Asie du Sud-est continentale s’observe aussi sur
la partie insulaire. Mais les interventions européennes portent un coup important à leur
développement. Les Espagnols interviennent au nord des Philippines et les Hollandais dans
l’Insulinde et réduisent largement leur puissance.

D. La colonisation : un nouveau facteur de division.

Deux phases à cette colonisation de l’Asie du Sud-Est :

1ère phase du XVIème siècle au XIXème siècle : présence européenne limitée, car les Européens
résistent mal aux maladies tropicales. Les temps de transports très longs sont aussi un problème.

Les Portugais ont tenté de contrôler le commerce local (à Malacca en 1511 et en s’installant aux
Moluques) mais se font chasser par les Hollandais au XVIIème siècle. Ils peuvent rester seulement
au Timor.

Les Espagnols conquièrent le nord des Philippines à partir de 1565.

Les Hollandais établissent un empire commercial en Indonésie, contrôlant un réseau de ports et des
comptoirs mais pas l’intérieur des terres.

À Java comme aux Philippines, les Européens sont trop peu nombreux et ne peuvent régner que
grâce à la collaboration de certaines élites locales et de certains marchands chinois. Les Anglais
prennent le contrôle de 3 ports malais au XIXème pour contrôler le commerce du détroit : Penang,
Malacca et Singapour.

Au début du XIXème siècle et jusqu’en 1950, la révolution industrielle et la révolution des


transports (bateau à vapeur, progrès de la médecine tropicale, armements plus efficaces idéologie
impériale) en Occident donnent un avantage comparatif important aux pays européens et aux États-
Unis sur le reste du monde. Ils conquièrent la quasi-totalité de l’Asie du Sud-Est.

Les Anglais annexent Bengale entre 1924 et 1885. Ils utilisent leurs sujets indiens et les minorités
ethniques de Birmanie pour contrôler les Birmans.
Ils développent aussi à Bornéo des mines d’étain et des plantations d’hévéa (arbre à caoutchouc).

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Les Hollandais conquièrent la plupart des îles indonésiennes entre 1824 et 1920 et forment les
Indes néerlandaises dont les contours sont ceux de l’Indonésie après l’indépendance.

Les Espagnols conquièrent le sud des Philippines à partir de 1851 avant de perdre leurs colonies
au profit des Américains en 1898.

Les Français conquièrent le Cambodge, les principautés laotiennes et le Vietnam entre 1858 et la
fin du XIXème siècle, formant une unité : l’Indochine française qui éclate en 1954 avec les
indépendances.

Seul le royaume de Siam parvient à maintenir son indépendance au prix de nombreuses concessions
territoriales et juridiques aux Anglais et aux Français.

E. L’absence de remise en cause des découpages des États hérités de la période coloniale et
nouvelles divisions idéologiques.

Les pays d’Asie du Sud-Est obtiennent leurs indépendances entre 1940 et 1950 pour la plupart.
(Philippines, 1946, Birmanie, 1948, Malaisie, 1957), parfois au prix de longs conflits (Indonésie
1945-1949, Vietnam, Laos et Cambodge 1946-1954). Brunei devient indépendant des Britanniques
en 1984. Le Timor-Leste occupé par l’Indonésie n’est indépendant que depuis 2002 grâce à un
référendum d’auto-détermination.

Le découpage politique actuel de l’Asie du Sud-Est est un héritage de l’époque coloniale. Les
frontières sont toujours en place, elles ont été imposées par les Européens et sont sources de
tensions.

Les Européens ont apporté le modèle de l’État-Nation, qui a remplacé dans la région les formes
plus anciennes de tributs et de clientèle.
Les pays d’Asie du Sud-Est ont développé des systèmes politiques différents. La guerre froide a
contribué à opposer les pays d’Indochine orientale et la Birmanie (vers les blocs socialistes) aux
pays plutôt orientés vers l’Occident.

III. Modèle importé des « États-Nations » et hybridation des système politiques.

Les 11 États d’Asie du Sud-Est ne peuvent pas être définis comme des États-Nations, c’est-à-dire
des États dont les frontières politiques se confondent avec les frontières culturelles.

La construction d’États modernes en Asie du Sud-Est ne va donc pas de soi, et elle se traduit par
une vraie diversité politique. L’influence européenne n’en est pas la seule explication.

A. Des systèmes politiques inspirés par les idéologies occidentales.

10 des 11 États de la région possèdent un cadre législatif s’inspirant plus ou moins des deux grands
courants idéologiques nées en Occident : la démocratie libérale et le communisme.

En 2019 on compte :

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Trois monarchies constitutionnelles avec un bicaméralisme (deux chambres) s’inspirent du modèle
britannique : Thaïlande, Cambodge et Malaisie.
Trois régimes présidentiels : Birmanie, Philippines et Indonésie.
Un régime parlementaire unicaméral (Singapour).
Un régime semi-présidentiel où l’exécutif est partagé entre le Président et le Premier ministre :
Timor-Leste.
Deux régimes néo-communistes à parti unique : Vietnam et Laos.

Le dernier État, le Brunei, demeure une « monarchie absolue », le Sultan cumulant les fonctions
de Premier ministre, ministre de la défense, des finances et des Affaires étrangères quand le
parlement est quasi-intégralement nommé.

La Malaisie est le seul État à avoir opté pour une structure fédérale (avec 9 sultanats).

B. Réinterprétation des modèles constitutionnels occidentaux.

Malgré les apparences, les systèmes politiques mis en œuvre en Asie du sud-Est s’éloignent à plus
d’un titre des modèles occidentaux qui les ont inspirés.

è Le Laos a adopté le « mécanisme de l’économie de marché régulée par l’État ». Aux côtés
du gouvernement, les organisations de masse à l’échelon central sont habilitées à proposer
des projets de lois.

è Au Vietnam, l’État doit « développer une économie marchande, fonctionnant sur la logique
de marché et suivant l’orientation socialiste ». Depuis 2018, les fonctions de chef de l’État
et de secrétaire général du Parti communiste vietnamien (PCV) ne sont plus distinctes,
entérinant la mainmise du PCV sur l’appareil d’État au détriment d’un équilibrage qui
assurait depuis les années 1980 une répartition des postes de pouvoir entre les trois ky du
nord, du centre et du sud. Le pouvoir central est renforcé et va de pair avec l’affirmation
que maintenant que l’unité territoriale est acquise, le maintien de l’ancien équilibre est
devenu superflu.

Du côté des régimes qui s’inspirent de la démocratie libérale, les spécificités sont nombreuses sur
le plan institutionnel.
On observe ainsi une infériorité statutaire de certains territoires ou groupes ethniques qui va à
l’encontre du principe d’égalité des droits.

è En Malaisie, depuis 1979, une « discrimination positive » est mise en place et vise à asseoir
économiquement et socialement les ethnies indigènes (nationaux malaisiens) au détriment
des allogènes (Chinois notamment). Les droits économiques des citoyens sont en fonction
de l’ethnicité.
è L’Islam est par ailleurs la religion d’Etat alors que les populations des États du Sarawak et
du Sabah sont majoritairement non musulmanes.

è Depuis l’indépendance en 1948, les constitutions de l’Union birmane mettent à parité les
sept États ethniques et les sept divisions de la « Birmanie proprement dite » refusant de
créer un « État birman ». Aucune ethnie ne possède l’exclusivité d’un territoire plus vaste

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qu’une poignée de villages. Les militaires possèdent un rôle important dans la gestion
politique du pays (1/4 des sièges du parlement central et des assemblées régionales + les
portefeuilles de la défense, de l’intérieur et des régions frontalières). En cas de menace, le
commandant en chef de l’armée prend la conduite de l’État.

C. Des États forts et autoritaires.

Des pratiques politiques s’éloignent de celles en vigueur dans les pays occidentaux sur trois
registres majeurs.

- Une armée qui occupe souvent une place de premier ordre.

La Birmanie n’est pas le seul État sud-est-asiatique où le haut commandement militaire demeure
un acteur incontournable.
En Indonésie, l’armée ne possède plus dans les textes de lois 20% des sièges du parlement central
et des assemblées régionales, il n’en demeure pas moins que le premier président élu en 2004 et
réélu en 2009 et un général. En 2014 et 2019, le principal rival du président élu (un civil) était aussi
un général.

Singapour est doté d’un service militaire de deux ans (pour les hommes) et a fait de l’armée un
instrument de recrutement des élites politiques par le biais des bourses du ministère de la Défense.
Le Premier ministre (diplômé de Harvard) est aussi général de brigade.

Depuis le coup d’État de 1932 instituant une monarchie constitutionnelle en Thaïlande, le haut
commandement militaire s’immisce régulièrement dans les affaires et le jeu politique (plus de 12
coups d’États en 60 ans, le dernier datant de 2014). Même dans les périodes légales, les militaires
restent très présents dans les états-majors des partis politiques.

- Une certaine longévité des appareils de pouvoir.

Le People’s Action Party (PAP) gère Singapour depuis 1959 et son fondateur est resté au pouvoir
jusqu’en 1990. En 2015, aux dernières législatives, le parti a remporté 70% des suffrages soit 83
sièges sur 89.

En Malaisie, le Barisan Nasional (Front national) s’est maintenu à la tête du gouvernement de 1957
à 2018. Il a fallu le détournement de 680 millions de dollars d’un fond gouvernemental ver les
comptes bancaires à l’étranger du Premier ministre pour faire chuter le parti au profit d’une
coalition de partis plus récente.

-> En Indonésie, le général Suharto a conservé la réalité du pouvoir pendant plus de 30 ans (1966-
1998). Aux Philippines, Ferdinand Marcos s’est maintenu pendant deux décennies (1965-1986).
Dans ces deux pays devenus démocratiques aujourd’hui, les mandats présidentiels sont désormais
limités dans le temps (2 en Indonésie et 1 aux Philippines).

- Un familiarisme structurel de la classe politique.

À la pérennité des hommes et des partis, s’ajoute un réel familiarisme de la classe politique.

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Aux Philippines, 2/3 des sénateurs et députés sont apparentés aux responsables politiques. On note
aussi que la Présidente Gloria Macapagal-Arroyo (2001 – 2010) est la fille du président Diosado
Macapagal (1961-1965). Le Président Aquino (2010-2016) est le fils de la présidente Corazon
Aquino (1986-1992).

À Singapour, l’actuel Premier ministre Lee Hsien Loong est le fils du défunt Premier ministre.

En Thaïlande, les premières dynasties politiques sont d’abord apparues chez les militaires. Le
général Chatichai, Premier ministre démocratiquement élu de 1988 à 1991 était le fils du Maréchal
Pin Choonhavan, l’un des principaux auteurs du coup d’État de 1947.

Quelques soit le pays d’Asie du Sud-Est, le familiarisme politique est ainsi structurel. La logique
organisationnelle du pouvoir relève des réseaux familiaux, interconnectant les divers viviers où se
recrutent les élites (armée, entreprise, magistrature, université). Parfois, des membres d’une même
famille peuvent se retrouver dans des camps opposés.

Les tensions chroniques des marges, la montée de l’islam radical et la persistance de poches de
pauvretés perturbatrices des ordres établis font que les gouvernants sud-est-asiatiques oscillent
encore aujourd’hui entre autoritarisme et réformisme en fonction des urgences du moment.

IV. Les valeurs asiatiques.

Les limites de l’influence européenne dans la construction des nouveaux États indépendants de la
région, sont bien tangibles dans la diffusion depuis les années 1990 des « valeurs asiatiques »
définies par opposition à celles de l’Occident.

Le discours sur les valeurs asiatiques se présente comme un projet géopolitique, celui d’un modèle
spécifique capable de relever le défi de la domination occidentale et d’assoie la renaissance
d’anciennes civilisations.

Les élites asiatiques expliquent leurs succès de croissance grâce à leur modèle spécifique, basé sur
un système hiérarchique et inégalitaire fondé sur l’âge et l’ancienneté plutôt que sur la concurrence
et la rivalité, les relations qui favorisent la loyauté, ou encore le poids des structures familiales dans
les activités économiques. Les valeurs asiatiques ne valorisent pas l’individu et ses aspirations mais
le groupe et sa prospérité.
Sur le plan politique, le modèle est celui de l’Etat fort, paternaliste et souvent interventionniste
(notamment dans le secteur économique). Les « valeurs asiatiques » séduisent ainsi les régimes
autoritaires. Il y a un rejet de la Déclaration universelle des droits de l’homme, considérée comme
incompatible avec les valeurs asiatiques ou le bonheur individuel ne peut se concevoir hors du
collectif.

Elles veulent se moderniser sans s’occidentaliser. Elles stigmatisent la vanité du moi et la


prétention de l’être humain à prendre en charge sa destinée, et mettent en avant les intérêts
supérieurs du groupe, de la communauté, de la famille et de la nation.

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Les dirigeants sud-est-asiatiques affirment que la prospérité de l’État est de sa population prime
sur le respect des liberté politiques perçues comment potentiellement dangereuse pour l’ordre
social et l’économie.

V. L’ASEAN : cohérence institutionnelle et dynamique interne de l’Asie du Sud-Est.

Parallèlement à l’émergence d’une identité sud-est-asiatique (ou du moins asiatique), la


construction de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) participe également
popularise l’Asie du Sud-Est depuis 1967. Cette nouvelle région supranationale se définit par des
dynamiques politiques, puis économiques.
La construction institutionnelle de cet espace est le reflet de la dynamique interne et d’un mode de
prise de décision fondé sur le pragmatisme et la recherche du consens, bien différent du modèle de
l’Union Européenne.

A. Un projet avant tout politique.

Créée en 1967, l’ASEAN rassemblait à l’origine 5 États (Philippines, Indonésie, Malaisie,


Singapour et Thaïlande).

Objectif initialement exclusivement politique. Dans le contexte de la guerre froide, il s’agissait


d’une part de faire barrage à la montée du communisme dans la région et d’autre part de permettre
la stabilisation et le renforcement de ces États dont l’indépendance était récente (sauf Thaïlande,
qui n’a jamais été colonisée).

Après des difficultés initiales (le premier sommet n’a lieu qu’en 1976), l’ASEAN atteint ses
objectifs en permettant d’éviter les conflits au sein de la région alors qu’ils étaient fréquents par le
passé. Elle contribue à conclure la crise cambodgienne suite à l’invasion de ce pays par les Vietnam
en 1978.

En 2008, les pays de l’ASEAN ont accru leurs ambitions avec la signature de la « Charte de
l’ASEAN » dont l’objectif est de constituer d’ici 2020 une véritable Communauté de l’ASEAN
appuyée sur 3 piliers :

- Une communauté de sécurité


- Une communauté économique
- Une communauté socio-culturelle

La solidité de cet engagement reste toutefois encore à démontrer et est incomparable avec ce qui
se faire en Europe.

B. Des progrès économiques très lents.

Les différents gouvernements demeurent frileux et ne souhaitent pas abandonner leur traditionnelle
posture protectionniste. Plusieurs initiatives sont menées (coopération tarifaire interrégional,
coopération industrielle). Souvent, ces projets restent lettre morte.

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En dépit d’une coopération économique formelle limitée, cette première période est remarquable à
plusieurs égards. Les pays de l’ASEAN connaissent au cours des années 1967-1992 des taux de
croissance bien supérieurs à ceux du reste du monde. Croissance accompagnée d’un
approfondissement des interdépendance régionales, notamment sous l’impulsion du partenaire
japonais.

Dans cette première phase, les membres de l’ASEAN n’ont pas cherché à s’organiser
économiquement à l’image de la communauté européenne. Ils ont simplement défendu leur
compétitivité et cherche à asseoir leur stratégie de développement. Si des liens se sont tissés entre
eux, c’est souvent à leur insu et à l’initiative d’acteurs extérieurs du secteur privé.

C. Le tournant de la zone ASEAN de libre échange (AFTA).

Le lancement de la zone ASEAN de libre échange (A Free Trade Area) en 1992, marque un
changement de logique. Les pays membres cherchent à adosser l’intégration économique.

è L’objectif de l’AFTA est d’éliminer les barrières tarifaires aux échanges dans la région à
un horizon de 15 ans Processus de libéralisation et chaque pays est autorisé à maintenir des
exceptions pour les produits qu’il juge sensible.
è Le projet est géographiquement limité et possède des objectifs modestes en raison de la
forte hétérogénéité du groupe.
è L’AFTA ne veut pas tant promouvoir le commerce intra-régional que d’améliorer la
compétitivité des économies de l’ASEAN.

Le démantèlement des barrières douanières se fait pas étapes mais intervient plus rapidement que
prévu. Objectif fixé en 2008 mais atteint en 2002.

è L’AFTA est finalement un succès auquel la crise financière de 1997-1998 n’est sans doute
pas étrangère. Le besoin de relancer la croissance et de resserrer les rangs dans le domaine
commercial a incontestablement président à l’accélération du calendrier. Dans le contexte
de crise, la concurrence chinoise a fini par convaincre les pays membres de la nécessité
d’agir en commun pour améliorer leur compétitivité et leur attractivité pour les
investissements étrangers.

D. La communauté économique de l’ASEAN.

Grâce au succès de l’AFTA, volonté en 2003 de regarder loin (horizon 2020) et de créer une
Communauté économique de l’ASEAN (CEA) appuyée sur un marché unique et une base
productive intégrée.

Le projet s’organise autour de 4 objectifs :

- Un marché et une base de production uniques.


- Une région économique compétitive.
- Un développement équitable.
- Une région intégrée à l’économie mondiale.

- 12 -
Il faut renforcer les économies nationales dans un contexte de concurrence toujours plus vive, et
de passer d’une logique étatique à une dynamique intégrant les intérêts et aspirations du secteur
privé et des entreprises.

L’intégration est un moyen de renforcer la capacité de chaque acteur à faire face aux défis de la
mondialisation et d’attirer plus d’investissements directs étrangers (IDE).

è La CEA est mise en place officiellement en 2015.

L’Asie du Sud-Est, délimité dans son pourtour extérieur par son histoire et sa construction
institutionnelles, se caractérise par sa diversité, sa complexité et par ses disparités territoriales qui
constituent autant de lignes de fragmentation internes à la région.

- 13 -
CHAPITRE 2 : DIVERSITÉ ET DISPARITÉS DES
TERRITOIRES

L’Asie du Sud-Est présente une grande diversité aux échelles nationales, en termes de taille, de
population et de niveau de développement, mais aussi en termes de peuplement, de milieux et
d’organisation du territoire.

Sa localisation lui confère une vraie diversité biogéographique et des milieux. Elle est aussi une
zone à risque naturels car elle se situe sur une zone de convergence.

La diversité ethnolinguistique est élevée, notamment dans la zone continentale ou l’on trouve
quatre familles linguistiques et pas moins de quatre systèmes d’écritures.

Enfin, l’espace est fragmenté avec des oppositions entre les pleins et les vides, du fait de
configurations spatiales marquées par un fonctionnement centre–périphérie.

I. La diversité des milieux.

A. Des ensembles physiographiques contrastés.

L’Asie du Sud-Est se situe sur une zone tectonique, à la conjonction de plusieurs plaques majeures
(plaques indo-australiennes, des Philippines et Pacifique). Ces masses gigantesques sont en
mouvement et à celles-ci s’ajoutent des microplaques de dimension réduites (centaine de milliers
de km2). Ces plaques bougent de 7 à 8 centimètres/an.

La région s’organise autour d’un centre stable et d’un pourtour instable (portion méridionale,
ceinture de feu du Pacifique marquée par le volcanisme et les séismes).

Sur les plateformes continentales, les mers sont peu profondes. La sédimentation a produit dans la
durée des plateaux, des plaines, de larges deltas où coulent de grands fleuves. Les îles qui reposent
sur les plateformes continentales sont parmi les plus grandes du monde (736.000km2 pour Bornéo,
775.000 pour la Nouvelle-Guinée).

Hors des plateformes continentales, les iles sont plus petites, avec des reliefs plus importants
laissant peu de places aux plaines (20% du territoire des Philippines).

B. Une région exposée aux phénomènes telluriques.

La situation de l’Asie du Sud-Est, installée en bordures de plaques est synonyme de ressources


pour la région (bassins sédimentaires riches en hydrocarbures : pétrole et gaz). Cela concerne
surtout Brunei, la Malaisie et le Vietnam. Néanmoins, le risque sismique reste particulièrement
grave dans la région, particulièrement en Indonésie, aux Philippines et au Timor-Leste.

è Volcanisme important : en raison de la présence de la ceinture de feu du Pacifique qui borde


cet océan Volcanisme fort et ancien. On retrouve des volcans aussi sur les marges orientales

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de l’Asie du Sud-Est, mais l’activité principale de la région est concentrée essentiellement
en Indonésie et aux Philippines.
129 volcans dont 108 actifs en Indonésie. 79 ayant eu des éruptions notables au cours des
4 derniers siècles. Depuis 1980, ce sont 150.000 personnes qui ont dû être déplacées en
raison de l’activité volcanique en Indonésie.
53 volcans aux Philippines dont 20 actifs. Ce sont à la fois des menaces pour les populations
mais ils constituent aussi une ressource pour la fertilité des sols de Java ou Bali qui attirent
des agriculteurs. En dépit des risques, la densité est très élevée sur ces terres fertiles.

C. La diversité biogéographique.

L’étalement de la région de l’Himalaya à la Nouvelle Guinée, son climat chaud et humide, sa


tectonique complexe, fait de l’Asie du Sud-Est une des plus riches zones biogéographiques du
monde.

è La moitié des familles de végétaux y est représentée.


è L’Asie du Sud-Est abriterait environ 20% des espèces végétales et animales de la planète.

C’est un pont entre le monde eurasiatique et australien. L’archipel indonésien est une
exceptionnelle zone de transition entre ces deux domaines fauniques et floristiques.

Les limites de cette région biogéographique ont été tracées de part et d’autre des détroits de
Lombok et Makassar par le naturaliste Wallace au XIXème siècle. Limite qui séparait deux
territoires :

è Un premier où dominaient les espèces d’affinité asiatique (rhinocéros, éléphants, tigres)


è Un second avec des espèces d’affinités australiennes (eucalyptus, acacias, marsupiaux).

Les chercheurs parlent désormais d’une grande zone de transition, nommée « Wallacea » (en
l’honneur de Wallace), qui comprend l’île de Célèbes, les Moluques et les îles de la Sonde de
Lombok à Timor.

II. Des climats de mousson.

A. Des climats chauds et humides.

La région connait des climats très différenciés. La quasi-totalité des pays est intégrée dans la zone
intertropicale, entre le tropique du Cancer et du Capricorne, (sauf Birmanie et le nord du Vietnam).

è D’un point de vue de la pluviométrie, les Philippines, l’ouest de l’archipel indonésien et les
côtes de l’Asie du Sud-Est continentale ont des très fortes précipitations (entre 3.000 et
5.000 mm de pluie par an) qui correspondent à un climat équatorial ou tropical humide. En
France, la pluviométrie est de 500 à 700mm eau/an.

è Pluviométrie très faible et région aux saisons tropicales sèches, dans les régions du centre
de la péninsule indonésienne aux reliefs qui arrêtent les vents chargés d’humidité. Idem au
Timor-Leste.

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On peut parler de climat de mousson, c’est-à-dire l’alternance d’orientation des vents. La mousson
est responsable de la saison des plus et d’un surcroît de précipitations pendant l’été de chaque
hémisphère (de juin à octobre dans l’hémisphère nord, d’octobre à mars dans l’hémisphère sud)
avec une saison humide plus ou moins marquée.

è La mousson influe sur les activités agricoles avec notamment le défrichement des forêts en
fin de saison sèche pour faciliter les brûlis et la plantation de nouvelles cultures.
è Variations locales très importantes, selon l’exposition aux vents. Par exemple, la côte nord
du Timor peut recevoir moins de 1.000 millimètres d’eau/an alors que sa façade
australienne peut en recevoir le double.

B. L’Asie du Sud-Est entre trois bassins cycloniques.

La région se situe entre 3 des 7 bassins cycloniques mondiaux. Celui de l’océan Indien nord, celui
de l’océan Indien sud-est et celui du Pacifique nord-ouest. Ce sont des vents qui peuvent atteindre
240km/h pour les plus puissants. On parle de tempête tropicale lorsque les vents sont inférieurs à
119 km/h mais ceux-ci peuvent causer des dégâts colossaux. Ils sont d’orientation est – ouest la
plupart du temps.

Ils touchent très diversement les pays.

è Dans l’hémisphère nord, les trois principaux concernés sont les Philippines, le Vietnam et
la Birmanie. Le sud de la Thaïlande peut aussi être affecté. On compte entre 30 et 40
cyclones/an dans cet hémisphère.
è Les pays protégés sont le nord de la Thaïlande, le Laos et le Cambodge, grâce aux reliefs
birmans à l’ouest et par la chaîne de montagnes annamitiques à l’est.
è Dans l’hémisphère sud, les pays sont peu affectés. Seules quelques petites îles de la Sonde
à l’est de Java et le Timor-Leste en sont parfois victimes.

III. Une mosaïque ethnolinguistique.

A. Histoire du peuplement de la région.

1. Un peuplement ancien.

è Peuplement ancien, avant l’homo sapiens, dès 1,6 millions d’années avant notre ère.
è Homo sapiens à partir de 50.000 ans avant notre ère, descendant des Papous et des
Aborigènes d’Australie. Il s’agit de sociétés littorales qui ont développé les activités
maritimes ainsi que la culture de la banane et de la canne à sucre.
è Populations actuelles sont dépendantes des groupes qui ont pratiqué la riziculture sur le
bassin du fleuve bleu en Chine il y a 7.000 ans. Ils étaient considérés comme des « barbares
du sud » par les Chinois en raison de leurs tatouages et leurs traditions. Ils ont développé
l’agriculture et la poterie. Ils étaient divisés en deux groupes de locution : les locuteurs de
langues austro-asiatiques (khmers, vietnamien) et les locuteurs des langues austronésiennes
(malais, javanais). Ces deux groupes sont arrivés en Asie du Sud-Est de manière
différenciée. Par la mer pour les austronésiens et par la partie continentale pour les austro-
asiatiques. Ils se sont ensuite mélangés.

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2. Le peuplement plus récent de l’Asie du Sud-Est.

Deux familles linguistiques originaires du sud-ouest de la Chine. Une branche de langue sino-
tibéto-birmane et une branche ou l’on parle plus le siamois ou le lao. Ces deux langues se sont
ensuite mélangées et croisées notamment avec la rencontre des populations austro-asiatiques.

3. Les diasporas.

3 diasporas marchandes sont importantes dans la région :

è La diaspora chinoise : 4 groupes linguistiques distincts, très présente dans les villes.
Représente 75% de la population de Singapour et 25% en Malaisie.
è La diaspora indienne : présente depuis plus d’un millénaire, représente 10% de la
population en Birmanie, Malaisie et Singapour.
è Diaspora hadramie, qui vient du Yémen, depuis le XVème siècle. Concentrée sur l’Asie du
Sud-Est insulaire, elle représente 5 millions d’individus à Singapour, Malaisie et en
Indonésie.

4. Une unification linguistique et politique progressive.

Augmentation très rapide et importante du nombre de langues, particulièrement dans les zones de
montagne. La diversité linguistique est toujours très présente aujourd’hui. Dans les zones de plaines
en revanche, l’unification est progressive avec la formation d’États centralisés. Ce n’est pas tant
les États qui ont imposé l’unification de la langue, mais plutôt les populations qui ont adopté par
choix stratégique la langue des États les plus puissants.

Processus d’adoption des langues des capitales qui s’est accélérée au XIVème siècle, quand les
langues religieuses ont été remplacées par les langues vernaculaires dans l’éducation,
l’administration et la littérature.

La période coloniale a entrainé un changement important dans les relations entre les groupes
majoritaires et les populations périphériques.

Au XIX et XXème siècle, la diffusion de l’idée d’État-Nation délimité par des frontières linéaires,
a amené à repenser les solidarités sur une base linguistique : les locuteurs d’une même langue
devaient être solidaires les uns des autres et posséder un État. Les communautés linguistiques des
plaines sont devenues des États et celles des montagnes sont devenue des ethnies.

D’ailleurs, quand les royaumes multiethniques se sont repensés comme des États-nations, les
minorités linguistiques et culturelles se sont trouvées confrontées à une pression pour adopter la
langue et les usages du groupe dominant.
è Aujourd’hui encore, il existe des problèmes dans le cadre des relations inter-ethniques, avec
le contact entre majorités et minorités. C’est le cas en Birmanie ou au Laos.

Focus : Les Chinois d’outre-mer.

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Les Chinois d’outre-mer (terme préféré à diasporas) sont 45 à 50 millions dans le monde, dont les
2/3, voire les ¾ habitent en Asie du Sud-Est. La Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie regroupent à
eux seules 25 millions d’habitants. Par ailleurs, 75% de la population de Singapour est composée
de Chinois. Ils sont 25% en Malaisie et entre 10 à 16% en Thaïlande.

Les premières migrations des Chinois datent du XVème siècle, avec l’intensification des échanges
entre les deux régions (marchands, marins, artisans s’établissent dans les ports des péninsules
indochinoises et malaise.)
Au XIXème siècle, l’occupation européenne nécessite une forte main d’œuvre d’esclave. Les
Chinois sont donc utilisés.

Les migrations chinoises sont matérialisées dans les villes avec la création de Chinatowns.
L’ouverture de la Chine depuis 1978 a relancé les migrations chinoises (de partout en Chine) vers
l’Asie du Sud-Est. Les profils des migrants sont très variés (employés peu qualifiés, étudiants,
employés très qualifiés, commerçants).

Les migrations chinoises en Asie du Sud-Est représentent un réel atout pour le soft power de la
Chine. Néanmoins, leur accueil et intégration est très variée selon les pays. En Malaisie et en
Indonésie, les chinois sont perçus comme une communauté aisée et font l’objet de mesures
discriminatoires visant à limiter leur puissance économique. L’histoire des deux pays est jalonnée
d’évènements tragiques antichinois et la cohabitation est souvent conflictuelle.

À l’inverse, en Thaïlande, aux Philippines et à Singapour, l’intégration des Chinois est très forte et
les métissages sont nombreux, à tel point que les Chinois de Singapour (75% de la population de
Singapour) se considèrent davantage Singapouriens que Chinois.
Par ailleurs, dans ces pays, dans les années 1960 la politique linguistique était de favoriser
l’apprentissage de l’anglais (vecteur de modernité et d’efficacité économique), on voit un
changement depuis 1980 avec une période d’ouverture économique de la Chine, l’enseignement
du mandarin et la promotion des valeurs confucéennes.

B. Des rapports interethniques complexes dans le cadre des États-nations.

Contrastes différents aujourd’hui entre minorité et majorités en Asie du Sud-Est.

è Dans le cas de l’Indonésie ou du Laos, l’hégémonie des populations les plus nombreuses
(Javanais et Lao) représentent environ 50% de la population et profitent aussi de la faiblesse
numérique des minorités pour s’imposer. La construction de sociétés pluriethniques y
constitue un enjeu important.

è Au Cambodge, Thaïlande et au Vietnam, l’ethnie majoritaire représente plus de 85% de la


population, lui donnant un poids considérable, notamment au point de vue culturel et
politique.

La question des rapports minorités/majorités et de l’intégration des minorités a été longtemps une
question sensible dans les États-nations en construction. Les États redoutent les revendications

- 18 -
ethno-nationalistes de minorités enracinées dans certaines parties du territoire, parfois même sur
des zones frontalières.

Les minorités soupçonnées de manque de loyauté par rapport aux nations en constructions font
l’objet de politique d’assimilation par acculturation à la sédentarisation et au déplacement forcé.
La priorité est donnée à l’intégration des marges et des zones frontalières, particulièrement
sensibles, dont les écarts de développement avec les zones centrales étaient considérables.

Des politiques migratoires visent aussi à déplacer des populations des zones centrales surpeuplées
dans les espaces périphériques (intérieur des îles, zones de montagnes) pour noyer localement les
minorités sous un afflux de migrants.

è Au Vietnam et au Laos, déplacement et sédentarisation des minorités par la force.


è En Thaïlande, acculturation des minorités par la scolarisation en thaï dès le primaire ainsi
que par l’adoption par l’ensemble de la société thaïlandaise de la culture siamoise, du
bouddhisme et de la reconnaissance de la monarchie. Autant de mesures qui ne facilitent
pas l’intégration des musulmans du sud du pays ou des minorités montagnardes.

La résistance des minorités a été différente selon les cas, passant de la mise en exergue d’un
patrimoine culturel et architectural spécifique, des revendications de décentralisation, d’autonomie
voire de sécession comme en Papouasie ou en Indonésie. Elle prend aussi parfois la forme de
rébellions armées comme en Birmanie ou les rébellions ethniques contre le pouvoir n’ont jamais
cessé depuis l’indépendance.

IV. Un espace fragmenté.

A. Les vides et les pleins.

Historiquement, l’Asie du Sud-Est constituait un creux démographique entre l’Inde et la Chine.


Pourtant, la croissance de sa population depuis le XIXème siècle (bien que moins rapide que celle
de ses voisins) a permis un passage de la densité moyenne de 38 habitants/km2 à 150
habitants/km2, mais elles varient fortement d’un pays à l’autre.

è Fortes densités urbaines à Singapour.


è Le Vietnam et les Philippines se détachent par des densités du double de la moyenne
régionale.

Il existe aussi des différences importantes, que ce soit entre les îles centrales ou les autres îles, les
plaines et les montagnes, les côtes et les intérieurs.

è Les 2/3 de population indonésienne se concentrent sur 7% de son territoire (Java et Bali)

1. Des écosystèmes différents entre plaines et montagnes, côtes et intérieur.

Certains territoires apportent des conditions pérennes (qualité des sols, conditions climatiques
favorables pour l’agriculture) pour les populations et facilitent leur installation.

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è Ces conditions sont globalement rassemblées dans les régions de plaines au climat tropical,
dont les densités sont élevées et qui sont des régions importantes pour la culture du riz
(nécessite une forte main d’œuvre et en échange peut nourrir une population abondante).
è Par opposition, les écosystèmes montagneux semblent fragiles et peu aptes à supporter de
fortes densités. Les régions équatoriales sont trop humides.

Ces écarts de densités s’accompagnent aussi de différenciations ethniques et de pratiques agricoles.

è Les peuples côtiers et des plains (dominants) sont des agriculteurs éleveurs qui pratiquent
la riziculture inondée. Sur les côtes, ils sont aussi des pêcheurs.
è Dans les montagnes, les groupes ethniques minoritaires pratiquent l’agriculture sèche à
flanc de colline et plantent du maïs, du manioc ou des légumes.

2. Concentration des populations et des activités sur les littoraux.

Mise en valeur récente des deltas pour l’activité agricole de riziculture. La colonisation est aussi à
l’origine de l’émergence de grands ports d’exportations (fonctions portuaires et marchandes,
administratives et militaires).

è Ces ports sont les grandes capitales d’aujourd’hui, situés à l’embouchure des fleuves mais
excentrés des centres. Ils assurent l’interface entre l’intérieur des territoires et les espaces
maritimes.

è Les deltas de l’Asie du Sud-Est continentale sont les zones les plus peuplées (grenier à riz
et fonctions métropolitaines). Les grands fleuves voient aussi les populations s’installer sur
leurs rives.

è En Asie du Sud-Est insulaire, la population est concentrée sur les côtes, à l’embouchure des
fleuves, endroit où se sont aussi développées les plus grandes villes.

3. Des écarts interinsulaires importants.

En Asie du Sud-Est insulaire, où les fleuves ne jouent pas le même rôle structurant que dans la
partie continentale, les contrastes sont très marqués entre les îles.

è Malaisie, la péninsule est plus peuplée que l’île de Bornéo.


è En Indonésie, le contraste concerne les îles de Java et de Bali, dont les densités sont
supérieures à 1.000 habitants/km2 et les autres îles. Ailleurs, la population se concentre sur
d’anciens noyaux de peuplements urbains.

B. Une redistribution de la population vers les marges et vers les villes.

1. L’expansion du peuplement vers les marges par la colonisation agricole.

Phénomène de remplissage des régions par accroissement naturel mais aussi par des migrations et
redistributions des populations, dans le cadre de politiques des États vers les fronts pionniers
agricoles. Il s’agit d’une forme de transition agricole, des pleins vers les vides. Il existait déjà dans

- 20 -
le cadre de la colonisation européenne ainsi que par les migrations actives des Chinois et des
Indiens.

2. Des temporalités décalées.

L’étalement du peuplement s’est accéléré depuis les années 1950, période de forte croissance
démographique, soutenu par les politiques nationales de redistribution des populations ou de la
colonisation agricole.

Ces différentes politiques de peuplement des marges se sont étalées différemment dans le temps.

è Certaines ont pris fin dans les années 1970, comme au Vietnam, en Thaïlande et aux
Philippines. Arrêt total de l’étalement du peuplement dans les années 1980.
è Au Cambodge, dans la vallée du Mékong au Laos, en Birmanie, en Malaisie, dans les
provinces indonésiennes de Sumatra et de Bornéo, les politiques de peuplement se sont
poursuivies entre 1980 et 2000.

En Asie du Sud-Est continentale, la progression s’est effectuée des plaines vers les montagnes (sauf
au Laos ou c’est l’inverse, vers la vallée du Mékong à cause des regroupement forcés).

Dans la partie insulaire, les mouvements de populations se sont effectués des îles et régions
peuplées vers les îles et régions peu peuplées (en Indonésie, de Bali et Java vers les autres îles par
exemple.

Ces déplacements s’appuient sur des programmes gouvernementaux qui visent à mieux distribuer
les populations, à consolider et paysannier les frontières ainsi qu’à mieux contrôler les minorités.

è Au Vietnam, la politique de la fin des années 1970 de déploiement des « Nouvelles zone
économiques » dans les zones montagneuses et les hauts plateaux du centre et du nord et
dans le delta du Mékong ont concerné 5 millions de personnes, originaires des régions plus
peuplées. Aujourd’hui, les migrations spontanées continuent et expliquent l’expansion
phénoménale des cultures de caféiers.

è En Thaïlande, pas de politique étatique de transfert de population, comme ailleurs en Asie


du Sud-Est. L’État a uniquement participé en construisant des infrastructures agricoles
(pour l’irrigation, barrages réservoirs, transports, réseaux ferrés et routiers en étoile à partir
de Bangkok).

Partout l’étalement du peuplement est en lien avec les activités agricoles (sauf à Singapour et à
Brunei). Les provinces de plus forte augmentation de population sont celles où les ressources
foncières et forestières ont été ou sont mise en exploitation et où les surfaces agricoles ont le plus
progressé.

- 21 -
Focus : L’Indonésie a mis en place un programme de transmigrations.

Élaboration à la fin du XIXème siècle. Objectif du gouvernement colonial : déverser dans les îles
faiblement peuplées le trop-plein démographique javanais et des autres îles très peuplées comme
Bali, Madura et Lombok.

Intensification dans les années 1960 avec un nouvel objectif : augmenter la production agricole par
l’extension des terres cultivées et en cherchant à devenir auto-suffisante en riz, en accentuant la
production dans les îles autres que Java et Bali.

5,5 millions de personnes concernées par ce programme. La province la plus concernée par
l’arrivée de nouvelles populations est celle de Lampung, au sud de Sumatra.

Programme privatisé puis finalement arrêté en 1999, victime des critiques quant à son efficacité
démographique et en termes de développement et de son coût excessif.

Les migrations, conjuguées à la baisse de la natalité à Java, ont contribué à réduire la part de la
population javanaise dans la population nationale (57% néanmoins en 2010, contre 21% pour
Sumatra, 7% pour les Célèbes, 5% pour Bornéo et 7% pour les autres îles).

3. Des migrations inverses vers les villes, accentuant la centralité des deltas et littoraux.

Les migrations vers les grandes métropoles fait contrepoids à la déconcentration des populations
vers les marges par la dynamique agricole. Les métropoles renforcent les concentrations de
populations dans les zones centrales et la littoralisation des populations.

Les villes croissent par l’accroissement naturel, les migrations et la requalification de communes
rurales qui deviennent urbaines.

è En Thaïlande, tournant dans les années 1970 avec une arrivée massive des populations dans
les villes, essentiellement vers Bangkok. En 2010, 40% des citadins thaïlandais ne sont pas
nés dans leur ville de résidence.
è En Indonésie, l’analyse des flux migratoires montre une nette dominations des flux
migratoires vers zones métropolitaines de Java (Jakarta en particulier, qui attire des
migrants de toute l’Indonésie). Aujourd’hui, les migrations sont interurbaines alors qu’elles
étaient de type « rural-urbain » auparavant.

C. Des configurations spatiales nationales marquées par un fonctionnement centre-périphérie.

On retrouve en Asie du Sud-Est une organisation de l’espace basée sur une domination des centres
par rapport aux périphéries. Gradients de développement et d’intégration décroissants du centre
vers la périphérie. Gestion très centralisée des pays, accentue la forte domination de la capitale.

Aux échelles nationales, les centres sont des aires métropolitaines dont les rythmes de
développement sont liés à leur degré d’insertion dans les flux mondialisés de l’économie.

- 22 -
Elles s’appuient sur un arrière-pays riche en ressources agricoles pour devenir des lieux de
concentration de pouvoirs, de populations de flux et d’activités.

Dans la partie continentale de l’Asie du Sud-Est, les zones centrales sont constituées par les grands
bassins fluviaux alors que dans la partie insulaire, elles correspondent aux îles les plus peuplées.

Pour consolider les États-nations, les gouvernements ont organisée un contrôle des périphéries (en
commençant par les moins intégrées, souvent les plus éloignées et proches des frontières) par les
centres. L’expansion du peuplement par la colonisation agricole ou l’extension de l’administration
territoriale qui représente le pouvoir central aux échelons territoriaux, ont été de puissants outils
d’intégration des périphéries, dans un souci de contrôle et de rééquilibrage. Les flux économiques
font aussi apparaître le centre comme principal moteur de croissance et d’intégration aux échelles
nationales.

En Asie du Sud-Est continentale, ces processus ont contribué à créer une organisation territoriale
mono-centrée à l’échelle nationale, polarisée par les deltas et les capitales, et les plaines des grands
fleuves. Cette organisation fonctionne en auréoles de développement et d’intégration décroissant
du centre vers la périphérie.
Des pôles régionaux relaient les capitales deltaïques. Le Vietnam fait exception avec une
organisation bipolaire autour de deux villes (Hanoï et Hô Chi Minh-Ville). Autre exception au
Laos, ou la capitale Vientiane ne contrôle pas le Delta.

Dans la partie insulaire, l’organisation est plus complexe. Les rapports centre-périphéries ne se
traduisent pas nécessairement pas une organisation auréolaire de l’espace, du fait des fortes
inégalités de répartition de la population entre les îles mais aussi de la forte discontinuité dans les
archipels.
On est donc dans une logique d’organisation des espaces autour d’ensembles maritimes (pourtour
de la mer de Java en Indonésie ou le long de l’axe maritime principal aux Philippines).

è Jakarta et l’île de Java constituent le centre de l’Indonésie, caractérisée par une forte
concentration de population et des activités économiques. Le pourtour de la mer de Java
constitue sa périphérie la plus intégrée (intense circulation maritime et aérienne entre ses
côtes). À l’est, le Grand-Est indonésien, pauvre et handicapé par sa distance au centre,
constitue une périphérie moins développée. Bornéo est aussi faiblement intégrée
contrairement à Sumatra, plus proche de Java et du détroit de Malacca.

è Les Philippines s’organisent autour de Manille et de l’axe maritime principale qui relie
Manille à Mindanao en passant par Cebu.

è La Malaisie s’organise autour de la colonne vertébrale du dense réseau de villes et


d’infrastructures sur sa façade occidentale, longeant le détroit de Malacca, dont les
infrastructures sont constamment améliorées. Étant organisée de manière fédérale, la
Malaisie favorise le maintien de plusieurs pôles économiques. La côte orientale de la
péninsule, l’intérieur et les États de Bornéo sont les périphéries.

- 23 -
V. Une opposition marquée entre Asie du Sud-Est continentale et insulaire.

L’Asie du Sud-Est continentale est compacte (2 millions de km2 et environ 2.500km d’est en ouest,
et 3.200km du nord au sud), en continuité terrestre avec la Chine.

La partie insulaire, de 2,5 millions de km2 de terres émergées est beaucoup plus étendue 5.000km
d’est en ouest en Indonésie, en raison des vastes étendues maritimes.

Sur le plan des organisation spatiales, les territoires continentaux s’organisent autour de grands
bassins fluviaux, séparés par des chaines de montagnes, qui marquent une opposition entre plaines
(regroupant des populations majoritaires pratiquant la riziculture et lieux de concentration des
activités secondaires et tertiaires) et les montagnes, où vivent les groupes ethniques minoritaires
qui pratiquent des formes d’agricultures moins intensives.

Les espaces insulaires les contrastes sont marqués entre îles et à une autre échelle entre côtes et
intérieurs.

è En Indonésie et en Malaisie, forts contrastes dans les concentrations de populations et


d’activités. Ils opposent les régions peuplées (côte ouest de la péninsule malaise, l’île de
Java et de Bali) aux régions les moins peuplées (côte est de la péninsule malaise et États
Malaisiens de l’île de Bornéo et des autres îles indonésiennes).
è La partie insulaire s’organise autour d’une opposition entre côtes (où se concentre la
population, les activités agricoles et les villes) et les intérieurs souvent montagneux.
Quelques îles (les très grandes, Sumatra, Bornéo, Nouvelle-Guinée) font exception car leurs
côtes sont marécageuses et moins peuplées que certains hauts plateaux ou vallées de
l’intérieur.

L’Asie du Sud-Est continentale apparaît plus fragmentée sur le plan linguistique (double grand
groupe de locuteurs, les austro-asiatiques et thaï-kadaï, monosyllabiques en plus des langues sino-
tibétaines comme le birman). Il y a une certaine homogénéité dans les hautes terres alors que dans
les plaines, c’est une vraie mosaïque.

La partie insulaire est dominée par les langues austronésiennes (polysyllabiques et atonales).

Sur le plan religieux, le bouddhisme est majoritairement dans la partie continentale alors que le
christianisme et l’Islam sont plus dans la partie insulaire.

- 24 -
CHAPITRE 3 : LES PRINCIPAUX ÉLEMENTS SPATIAUX ET
LEURS BOULEVERSEMENTS.
Rendre compte des dynamiques spatiales de l’Asie du Sud-Est nécessite de s’intéresser aux
différents types « d’espaces géographiques » qui sous-tendent l’organisation des États.

4 types d’espaces sont identifiés, à partir de milieux et de paysages spécifiques :

è Les deltas : lieux de fortes densités humaines, de plus en plus menacés par les aléas et les
changements climatiques.
è Les montagnes continentales : autant pour leur situation de marge forestière que pour les
résistances et les négociations des minorités qui y résident à se soumettre au pouvoir central
dans une logique d’intégration nationale.
è Les fleuves : au cœur des nouveaux enjeux en termes d’aménagement des territoires ou de
l’exploitation des ressources.
è Les mers, îles et archipels : organisations et enjeux en pleines mutations en raison de la
maritimisation de l’économie mondiale.

I. Les deltas.

A. Des deltas très peuplés et urbanisés.

C’est dans les deltas et les vallées irriguées de l’Asie des moussons que l’on retrouve les plus fortes
concentrations humaines au monde. C’est le long des fleuves les plus dangereux que les densités
sont les plus hautes.
Les deltas asiatiques ont de grandes richesses hydrauliques et sédimentaires, favorables au
développement de l’agriculture et de la pisciculture, une grande biodiversité (qui s’explique avec
la rencontre entre eau douce et eau salée). Ils sont aussi le lieu d’une grande circulation entre les
vallées et le monde maritime pour le commerce et les échanges.
Ils constituent une zone de production agricole et industrielle majeure pour l’Asie du Sud-Est et
sont appelés les « bols de riz » de la région.

On compte 5 grands deltas :

è Le plus grand, le delta du Mékong au Cambodge et au Vietnam. 25 millions d’habitants


Vietnamiens et 7 millions de Cambodgiens, densités entre 600 et 400 habitants/km2).
Métropoles Ho Chi Minh-Ville et Phnom Pen.

è Le delta de l’Irrawaddy en Birmanie (12 millions d’habitants dans le delta sur 57 millions
dans le pays. 263 habitants/km2). La métropole est Yangon.

è Le delta de Chao Phraya en Thaïlande (14 millions d’habitants sur 70 millions en tout, 500
habitants/km2). La métropole est Bangkok.

è Le delta du fleuve rouge au Nord-Vietnam. (21 millions d’habitants sur 96 millions, 1000
habitants/km2) La métropole est Hanoi.

- 25 -
è Le delta de la Ciliwung en Indonésie, sur l’île de Java qui accueille la mégapole de Jakarta.
(30 millions d’habitants sur 260, densité de 4.700 habitants/km2).

1. Un peuplement dense mais inégal, renforcé par les dynamiques métropolitaines.

Populations denses installées sur les deltas. Celui du fleuve rouge est occupé depuis plusieurs
millénaires (1.000 habitants/km2) alors que les autres sont occupés depuis le XVème siècle mais
de manière moins dense

è Ils sont occupés par des territoires de rizières mais aussi par les plus grandes métropoles
(comme Jakarta, Bangkok, Ho Chi Minh-Ville, Hanoi…) où plus de 60 millions de citadins
vivent et dont la croissance démographique est très importante (notamment une croissance
migratoire soutenue).

è La part de la population deltaïque dans ces pays augmente et illustre les dynamiques
métropolitaines stimulées par la mondialisation des échanges et accroit la prééminence des
deltas dans les économiques.

2. Des régions riches en ressources mises en valeur grâce à une maitrise de l’hydraulique par
les États ou les colonisateurs.

L’intensification de la mise en valeur de ces espaces et de leurs densités actuelles s’explique par
l’efficacité de leur contrôle par les appareils d’État, grâce notamment à l’organisation de travaux
hydrauliques.

Les deltas ont des atouts pour l’irrigation artificielle et donc pour l’intensification agricole :

è Leur relief plat et l’accès facile à l’eau transportée par des bras fluviaux sont propices à
l’aménagement de l’irrigation des champs.
è Les nappes phréatiques sont peu profondes ce qui empêche l’assèchement des sols argileux
et permet facilement l’accès à l’eau souterraine pour la consommation humaine et
l’irrigation.
è
Les civilisations du riz sont donc construites sur cette maîtrise de l’hydraulique assurées par les
gouvernements pour encadrer une population nombreuse. La monoculture du riz et l’ensemble des
tâches à y consacrer nécessite une forte main-d’œuvre ainsi que des niveaux techniques importants
(repiquage). Les rendements sont très élevés et offrent les conditions nécessaires à l’installation de
fortes densités rurales.

è C’est au Vietnam, dans le delta du fleuve rouge que le réseau de grandes digues et canaux
d’évacuation des eaux vers la mer est le plus puissant et ordonné. L’endiguement est un
trait marquant de l’aménagement (il empêche les inondations qui menacent). Il implique
une vraie discipline collective. L’État vietnamien a réussi à mobiliser des effectifs
nombreux : ce sont des millions de paysans qui ont construit à la main les 9.700 km de
digues pour se protéger des flots du fleuve.

- 26 -
« Impôts, corvées pour les travaux d’intérêt public (pont, ouvrages hydrauliques et routes)
et conscription » étaient les trois contraintes de l’État à l’égard de la paysannerie
vietnamienne.

è Les deltas moyennement peuplés du Mékong (Cambodge et Vietnam), de l’Irrawaddy


(Indonésie) et de la Chao Phraya (Thaïlande) ont été occupés par des petites colonies,
installées à l’abri des inondations ou dans les zones faciles à aménager avec de petits
travaux. Culture du riz flottant, sans irrigation, en fonction des marées qui témoigne de la
faible intensification de l’agriculture et des techniques hydrauliques jusqu’au XIXème
siècle. Depuis le XIXème, l’intensification de la culture (pour l’exportation vers les empires
coloniaux) s’est vérifiée. Les superficies cultivées ont été multipliées par 3 ou 4 et la
population croissait.

3. Localisations favorables sur les grandes routes du commerce et édification des villes.

La localisation des deltas, à l’interface entre les vallées et la mer constitue un atout important pour
le commerce et l’édification des villes, intégrées dans les réseaux d’échanges.

Les villages ruraux étaient connectés par un réseaux de canaux alors que le système de relations
tournées vers les autres provinces et les grandes villes s’opéraient par la route.

Les deltas offrent une position attractive pour l’édification de villes, malgré les difficultés à
aménager les sites et à protéger la ville et ses extensions des risques d’inondations. Certaines
comme Phnom Pen (Cambodge) nécessitent des polders et des digues pour continuer à s’étendre.
Il existe des villes intra-deltaïques (Bangkok) ou des villes en marge des deltas (Ho Chi Minh-
Ville, installée sur un replat plus sur) afin d’éviter les contraintes physiques du delta mais de se
maintenir à proximité immédiate.

Les plus grandes villes d’Asie du Sud-Est sont ainsi situées dans les deltas depuis plusieurs
décennies et ont amorcé un processus de métropolisation. Les périphéries de ces villes sont maillées
sur les bourrelets desquels les villages denses et pluriactifs se regroupent et se retrouvent de plus
en plus intégrés dans la dynamique de métropolisation. Les limites entre rural et urbain sont floues,
les densités de population très élevées et sont associées aux activités de riziculture et à une intense
mobilité journalière.

B. L’exposition des deltas aux aléas et au changement climatique.

Des experts se posent la question de la durabilité des deltas du fait de leur double exposition aux
changements climatiques et à la mondialisation. En l’absence d’un contrôle sérieux, certains
pourraient disparaître avec l’élévation du niveau de la mer, la subsidence (affaissement) et
l’érosion.

1. Le changement climatique et l’intensité des aléas.

è Les inondations maritimes (marées, cyclones et élévation du niveau de la mer) :


Selon le Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les deltas
(avec les zones arides et les montagnes) font partie des régions les plus affectées par le

- 27 -
changement climatique. En raison de leur localisation sur les littoraux, ils sont victime de
la montée des océans, par les variations des évènements cycloniques et par les changements
de débuts fluviaux.
Ces impacts se cumulent aux effets secondaires des aménagements nécessaire (barrages,
digues) qui jouent sur la sédimentation notamment.
L’augmentation du niveau de la mer a des conséquences négatives : hausse des inondations
et de l’érosion des côtes.
Par ailleurs, les politiques d’aménagements du territoire (bétonisation de la plaine,
extraction du sable dans le lit des fleuves, pompage de l’eau, déforestation des mangroves)
accentuent encore davantage la dégradation des deltas et la vulnérabilité des territoires aux
inondations

è Les inondations fluviales :

Depuis le début des années 2000, augmentation des catastrophes naturelles liées aux
inondations fluviales dans les zones côtières peu élevées et dans les deltas. Pendant la
mousson, les fleuves sont freinés dans leur écoulement vers la mer et débordent. Les pluies
sont difficilement drainées. L’urbanisation diminue les zones humides et les lacs, plans
d’eau, canaux sont de moins en moins nombreux en raison de leur remplacement par le bâti
qui s’étend en marge de la ville. Le changement de l’usage des terres (d’une riziculture à
un espace urbain en dur et imperméable) limite le drainage naturel des eaux de pluie e
nécessite une refonte du système hydraulique.

Un des affluents de l’Irrawaddy (Birmanie) déborde plusieurs fois/an durant la mousson


avec parfois des conséquences désastreuses (2008, 80.000 morts et 50.000km2 de terres
inondées).

En 2011, inondations catastrophiques à Bangkok et ses environs suite à 5 mois de pluies


intenses.

À Jakarta (Indonésie), les inondations de 2007, causées par de fortes pluies et la destruction
des digues, ont entrainé le déplacement de plus d’un demi-million de personnes, la
fermeture des chemins de fer, route, autoroutes, aéroport international et lignes de
téléphone, paralysant la région.

2. L’accélération de l’affaissement liée à l’urbanisation et à l’élévation du niveau de la mer :


les « sinking cities » (villes qui coulent).

Les deltas sont situés sur des zones peu stabilisées, aggravées par le pompage des hydrocarbures
et de l’eau pour alimenter les villes. Cela participe à la subsidence (l’affaissement) des sols. Le
GIEC l’estime entre 0,44 et 0,74 mètre d’ici 2020.

Elle a commencé dans les années 1960 à Bangkok en raison de l’accroissement de l’extraction
d’eau pour l’industrie et la consommation des ménages. La surcharge causée par les infrastructures
routières + la verticalisation du bâti a accéléré l’enfoncement des sols de plus de deux mètres dans
certaines zones. Bien que ralentie, la subsidence touche une zone large jusqu’à l’aéroport

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international, vrai hub de toute l’Asie. En parallèle, le niveau de la mer augmente, mettant en péril
la ville dans les quartiers les plus bas.

Parmi les grandes villes installées sur un delta, Jakarta est la plus touchée par la subsidence. La
surface du sol s’enfonce entre 1 et 4cm/an entre 1974 et 1991, puis de 3 à 10cm/an entre 1991 et
2010 atteignant 20cm dans certains endroits. À cet affaissement, il faut rajouter l’augmentation du
niveau de la mer et la menace de l’aggravation des précipitations et des événements extrêmes pour
les 4 millions de personnes qui vivent sous le niveau de la mer.

3. Quelles stratégies pour surmonter la vulnérabilité des deltas ?

Stratégies diverses pour s’adapter aux changements climatiques et prévenir les inondations.

è Changements dans l’usage des sols et des systèmes agricoles (diversification des cultures
pour lutter contre la monoculture, cultures adaptées à la salinité).
è La diversification des activités économiques en faveurs d’activités moins sensibles aux
inondations, comme l’industrie, les activités tertiaires ou le commerce.
è Réaménagement de zones vulnérables (digues, polders, canaux de drainages), construction
de murs sur le littoral pour contrer l’élévation du niveau de la mer. Ces aménagements ont
été imposés par l’État (logique de « top-down ») générant le déplacement forcé des
populations vivant en zones inondables (250.000 personnes à Jakarta)
è Construction d’habitats résilients aux inondations (pilotis, systèmes d’alertes) et
sensibilisation des populations aux risques par des campagnes d’informations.
è Mise en place de migrations temporaires ou définitives (volontaires ou forcées). Toutefois,
il est parfois impossible pour des familles très pauvres de migrer et elles restent dans les
zones très vulnérable, sans moyen de partir.

II. Les montagnes.

Dans l’Asie du Sud-Est maritime, les zones hautes correspondent aux pentes des volcans, souvent
peuplés, très cultivées et bien intégrées aux territoires insulaires. Ce n’est pas le cas des montagnes
continentales qui ont longtemps constitué les marges forestières peu peuplées des royaumes
rizicoles des plaines.

Il ne faut pas considérer les montagnes du seul point de vue des groupes des espaces dominantes.
Si elles subissent des transformations impulsées par des centres qui leurs sont extérieurs, et
intégrées parfois de force au territoire national, elles ne sont pas de simples réceptacles passifs. Les
populations qui y résident résistent et produisent leurs propres processus d’insertion dans la
mondialisation.

A. Des marges forestières très convoitées.

1. Des discours dévalorisants.

Depuis la période coloniale, vraie continuité dans la production de discours dévalorisants sur les
zones de montagnes et leurs populations de la part des élites au pouvoir. Ils traduisent une méfiance
face à la résistance persistante de ces régions aux entreprises de colonisation par les centres.

- 29 -
Elle repose aussi sur la très grande diversité des populations de montagne, leur mobilité et la
complexité de leurs agencements spatiaux et sociaux qui compliquent leur compréhension. Même
une carte ne peut rendre compte de la complexité de cette organisation. Il n’existe pas en Asie du
Sud-Est de complémentarité agricole entre les étages, mais une spécialisation ethnique et des
systèmes de production spécifiques pour chaque groupe, différent à chacun des étages.

Vraie complexité pour comprendre l’organisation spatiale. Il y a plusieurs types de cultures en


fonction des différents étages, pratiquées seules ou en association avec la riziculture. En fonction
des étages, les groupes sociaux s’organisaient différemment (dans les zones basses, petits royaumes
de type féodal reliés aux royaumes des plaines, dans les zones intermédiaires, des sociétés plus
démocratiques)

Cette organisation reste incomprise et dévalorisée, notamment car les techniques de culture sur
brûlis sont dispendieuses (exigent beaucoup d’argent) alors que les besoins en espaces en matière
première et en main-d’œuvre augmentent.

Définition Zomia : terme récent utiliser pour désigner tous les territoires situés à des altitudes
supérieures à 300 mètres, des hautes vallées du Vietnam aux environs du Nord-Est de l’Inde,
traversant cinq pays d’Asie du Sud-Est (Cambodge, le Vietnam, Le Laos, la Thaïlande et la
Birmanie) ainsi que 4 provinces chinoises. Il s’agit d’une étendue de 2,5 millions de km2 abritant
environ 100 millions de personnes appartenant à des minorités d’une variété ethnique et
linguistique sidérante.

2. Des intégrations à géométries variables.

Les zones de montagnes sont intégrées différemment aux territoires nationaux, en fonction des
histoires politiques nationales, ainsi que des équilibres entre populations des plaines et des
montagnes.

Aux deux extrêmes de la région Asie du Sud-Est, le Vietnam et la Birmanie présentent deux
situations contrastées

è En Birmanie, la colonisation britannique a interrompu le processus d’intégration nationale


amorcée par les royaumes birmans et a accentué les divisions ethniques. Les territoires
« non-birmans » ont été gérés de manière indirecte (protectorats) et rien n’a été fait pour
véritablement les intégrer. Plus tard, la Birmanie s’est organisée en fédération, dont les
États périphériques ont obtenu une autonomie administrative plus formelle que réelle qui a
été source de mécontentements et de tensions et conflits entre le centre, bouddhiste et
nationaliste et les minorités souvent chrétiennes ou musulmanes. Les zones frontières sont
devenues des endroits de trafics en tout genre (femmes, pierres précieuses, armes,
stupéfiants) et des enfers pour les foyers agricoles.

è Le Vietnam, de la colonisation française se caractérise par un processus continu


d’intégration des montagnes au territoire national et un fort contrôle des marges. Elles sont
intégrées au pouvoir très centralisé. On a colonisé massivement les hauts plateaux pour les
cultures agricoles. Elle a permis un développement rapide des cultures d’exportation qui,
elles, permirent le décollement économique du Vietnam.

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Autre intérêt de cette colonisation des marges : un meilleur équilibre dans la répartition de
la population afin de baisser la pression démographique des plaines. En migrant, ces foyers
proches du pouvoir central ont supplanté les minorités installées. Ils permettent ainsi de
mieux contrôler ces territoires qui ont longtemps échappé au Parti. Les locaux changent
alors leur manière de vivre, s’adaptent et ont un niveau de vie qui reste inférieur à celui des
migrants. Le Parti communiste vietnamien ne fait pas grand-chose pour réduire les
inégalités pour les minorités, même s’il fait en sorte que les zones de montagnes connaissent
un niveau de développement suffisant pour combler les trop grands écarts. Il considère
néanmoins que leur diversité doit rester un folklore et ne leur accorde pas d’autonomie
politique. Le Parti met en place quelques programmes spécifiques d’intégration comme la
lutte contre la pauvreté, le développement des équipements agricoles, la continuité
territoriale des services publics avec un maillage dense d’écoles et de centres de santé.

è Dans la région, seule la Thaïlande rejoint le Vietnam sur ce point.

è Le gouvernement cambodgien n’accorde que très peu d’intérêt pour le développement des
quelques zones hautes de son territoire, alors que le Laos, pays essentiellement montagneux
accorde plus d’énergie au contrôle des populations de montagnes non lao-tai qu’à leur
intégration économique. Au contraire, le pays est connu pour ses politique de migrations
forcées des populations des montagnes vers les zones basses, proche des routes (avec
comme argument le développement de l’activité rizicole). En réalité, cela permet une
meilleure surveillance des groupes, dont certains ont combattu auprès des Français ou des
Américains.

Quelques soient les façons de faire (ou de ne pas faire), avec les montagnards, espaces et ressources
des hautes terres intéressent les gouvernements. Ces espaces sont organisés par et pour les
populations majoritaires des plaines. Cette mise en valeur produit un développement inégal
spatialement et socialement.

B. Un développement inégal.

1. Le développement sans les minorités.

Au niveau spatial, les inégalités produisent une fragmentation à deux échelles.

è Au niveau local, les investissements s’opèrent sur des espaces très restreints et n’ont pas
d’effets sur les espaces voisins, sur le modèle de l’enclave. L’activité touristique par
exemple, se concentre sur un espace réduit.

Les barrages hydroélectriques se multiplient dans la région et sont un autre exemple de


l’exploitation des montagnes au bénéfice des populations des plaines. Dans le meilleur des
cas (Vietnam et Thaïlande), ils s’accompagnent de campagnes d’électrification des zones
rurales. Néanmoins, la plupart du temps les populations rurales ne sont pas associées au
projet, et ne sont parfois même pas prévenues.

2. Des groupes toujours plus pauvres que ceux des plaines.

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è À l’échelle globale des hautes terres, la mise en valeur des ressources profite très peu aux
populations d’origine alors qu’elles en sont pourtant très impactées. Cela accroit les
inégalités socio-économiques.
è Au Vietnam, les populations des hautes-terres correspondent à 14% de la population mais
à 72% des pauvres.
è Au Laos, les inégalités sont encore plus marquées avec des problèmes de malnutrition, deux
fois plus élevés chez les enfants des montagnes que pour les Lao-tai.
è Même en Thaïlande, où l’intégration régionale est pourtant la plus développée que dans les
autres pays d’Asie du Sud-Est, les régions périphériques (les plus éloignées de Bangkok)
sont toujours défavorisées. On compte 30% de pauvreté dans ces espaces, contre 5% autour
de Bangkok.

3. Mais des situations variées face à l’intégration.

Au niveau économique, les études montrent une croissance des inégalités en fonction des contextes
locaux. Elles vont dans le sens d’un appauvrissement global (plantation de manioc au Cambodge,
cultures de teck au Laos) ou dans une logique d’enrichissement (huile de palme au Sarawak).

Certains s’adaptent mieux à l’ouverture au marché, et sont davantage intégrés aux centres.
D’autres, restent à la marge et sont moins bien insérés aujourd’hui.

III. Les fleuves.

Les fleuves sont structurants en Asie du Sud-Est. Dans la partie continentale, ils organisent les
territoires. En Asie du Sud-Est, ce sont des axes de pénétration des plus grandes îles. Néanmoins,
ils sont aujourd’hui de plus en plus contestés par d’autres axes, comme les routes, les voies ferrés.
Leurs ressources sont mises à mal par l’exploitation hydraulique.

A. Du fleuve à la route en Birmanie.

Le territoire birman est organisé en vallées. L’une d’entre-elle, celle de l’Irrawaddy, longue de plus
de 1.500km traverse le pays du nord au sud. Elle est l’élément structurant du territoire birman,
même si son rôle a décliné ces dernières années.

1. L’Irrawaddy, père nourricier et artère nord-sud historique.

Aux yeux des nationaux, le fleuve garde une importance toute particulière. Les légendes du fleuve,
père nourricier, sont nombreuses. Le fleuve reste central dans la vie quotidienne de millions de
birmans, qui boivent son eau, s’y lavent, lavent leur linge et leur vaisselle, pêche, l’utilisent comme
un moyen de transport. Elle est aussi un axe principal des migrations successives de peuplement.

2. La vallée la plus peuplée et la principale région économique du pays.

La vallée de L’Irrawaddy est la plus peuplée du pays et la présence du fleuve est primordiale dans
l’agriculture et dans la pêche.

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è La vallée fait figure de bassin de production agricole pour le pays, mais reste très
spécialisée : la riziculture y est une monoculture. Son delta est surnommé « le bol de riz »
du pays. Ses rives sont nourricières et son rôle est d’approvisionner le territoire birman en
produits agricoles. Cette fonction est permise par une main-d’œuvre nombreuse et une
accessibilité au marché de production. Aujourd’hui, les activités agro-alimentaires
commencent à se développer dans les zones industrielles.

è La surface accordée aux étangs et à la pisciculture (élevage de poissons) ne cesse


d’augmenter. La consommation de poissons connait une hausse sans précédent. Il devient
un élément essentiel de l’alimentation birmane.

Les régions traversées par l’Irrawaddy, dans leur ensemble, possèdent une part de couvert forestier
plus important que les régions situées hors de la vallée, même si la consommation de ressources
ligneuse est plus importante dans la vallée.

Depuis l’ouverture au tourisme de nouvelles régions en 2014, la vallée demeure la plus fréquentée
par les touristes (grands temples bouddhiques, palais royaux). Le réseau aérien reste centré sur la
vallée de l’Irrawaddy qui concentre les grands sites touristiques du pays (Yangon, Bagan et
Mandalay) dont deux coïncident avec les des grandes villes économiques du pays.

Les moyens de transports sont variés.

è La voie ferrée le long de l’Irrawaddy est le mode de transport le plus utilisé jusqu’en 2010,
avant d’être remplacé par la route.
è L’avion est le moyen de transport utilisé par les touristes.
è Le rôle joué par l’Irrawaddy dans le transport de passagers augmente doucement tout
comme celui des marchandises. Sur ce point, il fait exception par rapport aux fleuves de ses
pays voisins.

Le fleuve n’est toutefois plus le grand facteur d’intégration du territoire national comme à l’époque.
è On note un déclin de son activité économique, visible dans la diminution des flux le long
de sa vallée due à la dégradation des routes riveraines et à la vétusté du réseau ferroviaire.
è Au point de vue démographique, on note également une baisse au profit d’autres régions
situées hors de la vallée, comme les zones frontalières avec la Thaïlande ou la Chine qui
mettent en place des mégaprojets.
è Enfin, la libéralisation économique fait que le l’Irrawaddy a moins le monopole des atouts
économiques du pays. Des régions plus éloignées en profitent.

3. L’apparition de nouvelles concurrences : l’Irrawaddy détrôné par des axes orientaux et par
la littoralisation des activités.

Depuis l’adhésion de la Birmanie à l’ASEAN en 1997 et encore plus depuis le début de son
ouverture démocratique et économique à partir de 2011, la localisation des principaux projets
économiques bilatéraux et multilatéraux, hors de la vallée de l’Irrawaddy, illustre bien la volonté
gouvernementale d’intégrer le territoire national aux dynamiques transnationales de l’Asie du Sud-
Est continentale.

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En 2010, le Master Plan on ASEAN Connectivity a identifié le réseau trans-asiatique comme l’un
de ses projets prioritaires.

è Construction de l’autoroute régionale Asian Highway. Projet de corridor économique qui


met en valeur la vallée de la Salouen (aux portes de la Thaïlande) située à 350km à l’est de
celle de l’Irrawaddy. Les corridors permettent l’ouverture à d’autres régions et favorisent
leur développement.

è L’Irrawaddy est aussi concurrencé par la diagonale entre le port en eau profonde de
Kyaukphyu et Kunming ainsi que par l’autoroute reliant Mandalay à la frontière chinoise.
Renforcement de Mandalay à l’intersection du fleuve et de la route afin d’en faire un hub
majeur.

è Deux autres autoroutes détrônent aussi potentiellement la vallée de l’Irrawaddy dans son
rôle d’axe de transport.

La littoralisation et la méridionalisation des activités traduisent l’ouverture progressive birmane à


la mondialisation. La côte Nord-Ouest est très peu desservie contrairement à la côte est. On note
donc une volonté d’intégration régionale bien plus forte, tournée vers la Thaïlande et les autres
pays de l’Asie du Sud-Est, alors que la façade ouest (vers l’Inde et le Bengladesh) est délaissée.

L’organisation spatiale de la vallée est aujourd’hui davantage définie par ses pôles (Mandalay,
Yangon, traversés par les corridors en développement) que par sa linéarité fluviale.

Aujourd’hui, l’Irrawaddy n’est plus au cœur des projets de développement économiques de la


Birmanie.
è La diagonale reliant Mandalay à Yunnan est bien engagée.
è La nouvelle localisation des projets économique favorise désormais les régions
transfrontalières et les littoraux, mais sans politique de décentralisation.
è Le rôle central de l’Irrawaddy est aujourd’hui contesté par les nouveaux projets et montre
qu’il s’agit désormais de privilégier l’intégration transnationale du pays par l’aménagement
des périphéries.

B. Les aménagements hydroélectriques sur le fleuve Mékong : un sujet de controverse régionale.

1. Un fleuve sacré.

Le Mékong, « la mère de toutes les eaux », est un fleuve sacré et vital pour 6 pays d’Asie du Sud-
Est. Il prend sa source dans les hauts plateaux tibétains à plus de 5000 mètres d’altitude. Il est long
de 4.900km (12ème plus grand fleuve au monde) dont quasiment la moitié en Chine. Son bassin
versant passe par 6 pays (Cambodge, Laos, Vietnam, Birmanie, Chine et Thaïlande). Il contribue
au développement d’une partie de la péninsule de l’Asie du Sud-Est. Il occupe une place importante
dans la culture populaire et est célébré lors de fêtes qui lui rendent hommage (fête de l’eau, fête
des pirogues), pour célébrer la fin de la saison des pluies, la fertilité des terres et les prises
abondantes des pêcheurs. La vie des riverains du Mékong est restée immuable pendant des siècles,
mais elle se transforme radicalement depuis une vingtaine d’années.

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2. Les nouveaux enjeux hydroélectriques.

Augmentation de la forte demande énergétique de la part des pays limitrophes du Mékong en raison
de leur forte croissance économique et démographique. Hausse des demandes en électricité
(principalement la demande chinoise, à laquelle il faut ajouter la demande croissante de la part de
la Thaïlande, du Vietnam du Cambodge, de la Birmanie et du Laos).

La Chine se lance dans la production hydroélectrique afin d’être auto-suffisante, tout comme le
Laos et le Cambodge (dans une moindre mesure pour ce dernier). La Chine érige des barrages-
réservoirs en grands nombres. Dans les pays d’Asie du Sud-Est où coule le Mékong, les affluents
sont aménagés mais moins le cours principal du fleuve. La demande explose pour alimenter le
Vietnam en électricité.

è Sur l’ensemble du bassin du Mékong, 60 barrages et réservoirs sont en service, 30 sont en


construction et 90 sont à l’étude.
è Création de la Mékong River Commission (MRC) formée par les pays du bassin inférieur
(Cambodge, Thaïlande, Laos et Vietnam), afin de travailler sur une meilleure connaissance
du fleuve et à une planification intra-régionale durable et à une coopération entre les 4 pays.
è Institution qui conteste la MRC, la CLM (Coopération – Lancang-Mékong) lancée à
l’initiative de la Chine réunissant les 6 pays riverains du Mékong. Elle reflète un agenda
économique et géopolitique acquis à la cause de la Chine.

IV. Mers, îles et archipels.

A. La mer : barrière ou trait d’union entre les terres ?

Historiquement, la mer a joué un rôle unificateur dans la construction de l’Asie du Sud-Est. Lieu
d’échange et carrefour d’échanges elle n’était pas un obstacle ou une rupture. Elle favorisait le
développement des échanges multidirectionnels qui traversaient en tous sens les détroits et les
mers. Elle favorisait la création d’une identité culturelle commune forgée par la circulation des
hommes, des biens et des idées. La mer de Chine méridionale est qualifiée de « Méditerranée
asiatique ».

Néanmoins, la colonisation puis les indépendances ont changé ce rapport à la mer et ont contribué
à une fragmentation de cet espace et à la remise en cause de la cohérence maritime de l’Asie du
Sud-Est.

Auparavant considérées comme des espaces périphériques, les mers sont devenues des espaces
centraux en raison de leur potentiel économique et de leur rôle dans les activités humaines. Ce sont
des espaces stratégiques et elles apparaissent comme des zones de conflits.

è En Asie du Sud-Est, la mer présente toutes les caractéristiques d’une zone maritime à
risque : conflits de délimitation des frontières maritimes, rivalités pour l’appropriation des
ressources, dégradation de l’environnement marin ou encore menaces comme la
contrebande.

B. Les enjeux multiscalaires des espaces maritimes.

- 35 -
Approche multiscalaire nécessaire pour envisager le rôle des mers en Asie du Sud-Est.

è À l’échelle mondiale ce sont des principaux carrefours de la circulation maritime. Les


détroits internationaux comme Malacca ou Sonde sont des lieux de passages obligés, ont
une importance stratégique capitale. La mer est un maillon incontournable, espace de transit
dans la géopolitique et la géostratégie actuelle des océans entre océans indien et pacifique.

è À l’échelle régionale elle participe à la dualité d’une Asie à deux faces entre la partie
insulaire et la partie continentale. À la fois lieu de conflit, elle est aussi au cœur des formes
de coopérations et d’intégration régionale.

è À l’échelle nationale, le rôle des mers dépend de la politique et des stratégiques des États.
Elle est une question clé particulièrement dans la partie insulaire, quant à l’organisation
spatiale.

C. Un nouveau rapport à la mer.

À l’exception de l’enclavé Laos, tous les pays de la région se tournent vers la mer. Changements
législatifs qui incitent chaque États à revendique de nouveaux espaces maritimes afin de
s’approprier et nationaliser les ressources naturelles issues de la mer.

Processus de découpe et codification de la mer. On parle de territorialisation des mers, grâce à une
meilleure connaissance des océans et de leurs richesses et davantage de moyens pour les explorer
et les exploiter.

è La convention de Montego Bay (1982), qui correspond à la convention des Nations-Unies


sur le droit de la mer, officialise l’extension de la mer territoriale de 3 à 12 miles marins et
introduit la notion de ZEE. Dans cette dernière, s’étendent à 200 miles nautiques les droits
exclusif d’un État riverain dans l’exploitation des ressources (hydrocarbures, ressources
halieutiques) et dans les activités d’exploration (recherches scientifiques marines).
è Or, en Asie du Sud-Est, du fait d’un espace maritime complexe constitués de golfes, de
mers semi-fermées, de péninsules, d’archipels, de détroits, d’îles éparses, les délimitations
sont très complexes et les zones de chevauchement sont nombreuses, créant alors des
conflits.
è Processus de littoralisation des activités en Asie du Sud-Est, dans la logique d’une
intégration à la mondialisation de la part des États. Concentration des populations et des
activités humaines le long des littoraux. Installation des métropoles à proximité de la mer.
Maritimisation des États côtiers, avec une hausse de l’exploitation des ressources
halieutiques (pêche et aquaculture représentent une base alimentaire non négligeable ainsi
que de nombreux emplois) ainsi que des hydrocarbures.

Certains pays qui tournaient le dos à la mer découvrent ou redécouvrent mes enjeux économiques
et sociaux qu’elle représente.

è En Indonésie, pourtant un Etat archipélagique, le gouvernement a favorisé le


développement de l’armée de terre plutôt que la marine, la construction des routes plutôt
que des infrastructures portuaires, le développement de l’agriculture tout en négligeant les

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ressources marines. Ce n’est qu’en 2010 que le pouvoir central a lancé la « révolution
bleue » passage radicale d’une économie orientée vers la terre à une économique tournée
vers la mer.

è Dans la même idée, le Vietnam qui possède pourtant plus de 3.000km de littoraux à une
histoire très liée à la terre. Ce n’est qu’en 2007 que le parti communiste vietnamien a lancé
un plan de promotion de l’économie marine dont l’objectif était de valoriser 3 secteurs : la
pêche hauturière (pêche au large), l’exploitation des hydrocarbures offshore (au large des
côtes) et les transports maritimes.

D. Les spécificités d’un territoire archipélagique.

Un espace archipélagique est fragmenté, étendu et dispersé. Difficile à contrôler pour un pouvoir
centralisé et ne favorise pas la cohésion nationale et la continuité territoriale.

L’Indonésie et les Philippines sont des États archipélagiques d’Asie du Sud-Est. Dans les deux cas,
les gouvernements doivent composer avec un territoire immense éclaté en plusieurs îles propices
aux forces et mouvement séparatistes.

è Mindanao aux sud des Philippines, territoire de groupes musulmans dans un États
majoritairement catholique.
è Dans les provinces de Papouasie en Indonésie à 3.000km de Java, organisation de la
Papouasie libre fait de nombreuses victimes. En 1961, la Papouasie s’est déclarée
indépendante mais l’armée a repris le dessus par la force dans cette région riche en
ressources naturelles. De nombreux habitants de la Papouasie demandent l’indépendance,
comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1975 après avoir été colonie australienne.

1 État-archipel : revendiquer et construire un État archipélagique : le cas des Philippines et


de l’Indonésie.

Après les indépendances, les territoires indonésiens et philippins sont à construire. Territoire très
discontinu, avec des poches de souveraineté séparées par les eaux internationales. Avant la
convention de Montego Bay de 1982, leur souveraineté ne s’exerçait qu’à 3 miles nautiques
entourant chaque île. Les navires de pêche, de guerre et les sous-marins pouvaient alors circuler
librement entre les îles dans les eaux internationales.

Manque d’intégrité et d’unité territoriale rendait difficile la construction d’États indépendants.


Dans les années 1950, les deux gouvernements font enter la notion d’archipel dans leur législation.

è 1957, l’Indonésie s’autoproclame officiellement État Archipel : l’ensemble des eaux situées
à l’intérieur de leur espace maritime sont ainsi assimilées à des « eaux intérieures » sur
lesquelles le gouvernement exerce une juridiction et une souveraineté pleine et entière.
è Cela permet de placer sous leur seule domination les détroits servant à la navigation
internationale. Cette territorialisation des Détroits est perçue comme une menace pour la
liberté du trafic maritime. Finalement, après de longs débats, le statut d’État Archipel est
reconnu lors la conférence de Montego Bay en 1982.

- 37 -
Les territoires indonésiens et philippins ne forment plus qu’une entité unique où les eaux sont
majoritaires. Ce sont « des mers incrustées d’îles ». La patrie ne se limite plus aux terres
émergées mais couvre en réalité tout l’espace formé par les terres et les eaux.

2. Favoriser le développement des relations insulaires.

Afin de limiter l’éclatement du territoire dû à la discontinuité spatiale entre les îles, les
gouvernements indonésiens et philippins cherchent à renforcer les liaisons interinsulaires. Ces
territoires ne possèdent quasiment aucun ponts, tunnels entre les îles de l’archipel. Pour réduire les
distances, les deux pays ont opté pour le transport aérien, avec de multiples compagnies à bas coûts
et le transport maritime.

è Aux Philippines, le système de transport inter-îles s’organise autour de ports, véritables


points de suture d’un territoire discontinu. Il y a trois types de liaisons maritimes : des
navettes courtes (1 à 2 heures) assurées par des petites embarcations, 80 passages par jour
dans chaque direction. Des liaisons plus longues, 2 à 3 jours, assurées par des ferries et avec
des fréquences de 2 à 3 fois par semaine, avec des escales à Manille ou Mindanao. Enfin
des dessertes des petites et très petites îles avec une fréquence aléatoire, le bateau partant
quand il est plein, sur des courtes distances (moins d’une heure) et assurées par des bateaux
de pêches réaménagés pour 2à à 30 passagers.

Création des « autoroutes de la mer », pour éviter la discontinuité. Navires rouliers, destins au
transport de cargaison à roues, comme les voitures, camions et remorques. Plusieurs routes
nautiques de ce genre existent aux Philippines. Ce système complète l’autoroute trans-philippine
construire dans les années 1970.

E. Figures contrastées de l’insularité.

1. La sur-insularité.

Terme théorisé en 1997 par Philippe PELLETIER. Il désigne un archipel les îles périphériques par
rapport aux îles principales. Les plus petites et éloignées voient leur insularité portée à leur comble
et devenir des espaces de relégation. Elles sont en retrait des échanges et des flux de bien, de
personnes, des réseaux de transport et des routes maritimes qui structurent l’espace mondial.
Ces îles ont une intégration limitée, leur accessibilité est réduite. Elles se placent dans une situation
périphérique dans l’économie-monde. Leur intégration se limite parfois à la connexion avec l’île
principale de leur archipel.

è En Indonésie, les îles Banda (10, dont 7 habitées) relèvent de cette catégorie. L’île
principale n’est accessible que par bateau depuis Ambon après 6 heures de trajet. L’île
principale des îles Banda est le seul point de départ pour les autres îles. Elles disposent
pourtant de ressources importantes qui ont intéressé les colons européens aux XVI et
XVIIème siècle, désireux d’obtenir le monopole sur le commerce des épices.
Pendant les luttes pour l’indépendance, Banda Neira (île principale) est devenue lieu d’exil
pour les nationalistes indonésiens. Ces îles sont aujourd’hui à l’écart de la modernité
indonésienne. L’accès à l’eau potable, à l’électricité et à internet est très limité. La
croissance du nombre de touristes, amateurs d’histoire, de plongée, de l’écotourisme

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pourrait cependant être vu comme un nouveau facteur permettant à ces îles de sortir de leur
sur-insularité.

2. Singapour : un espace hypo-insulaire ?

Singapour, cité-État parfaitement intégrée à la mondialisation et aux échanges se caractérise par


son « hypo-insularité ». Connectée au monde, Singapour n’en demeure pas moins confrontée à
l’exiguïté de son territoire insulaire et à sa situation. C’est une enclave considérée comme Chinoise
par ses voisins malais et musulmans. Il existe une véritable peur de disparaître et une « lutte pour
la survie » de la jeune cité-État.

Singapour est parfaitement reliée au monde, mais la conscience de leur insularité par ses habitants
est encore bien présente. Elle possède des une démographie et des dimensions territoriales
modestes et aucune ressource naturelle. Le renouvellement économique du pays est obligatoire
pour continuer à exister.

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PARTIE 2 – LES MODÈLES DE
DÉVELOPPEMENT.
CHAPITRE 4 - LE « MIRACLE » DE L’ÉMERGENCE.
I. Les trajectoires du développement.

A. Du sous-développement au statut d’économies à revenu intermédiaire ou élevé.

1. L’Asie du Sud-Est, une région initialement loin d’être prometteuse…

Situation économique loin d’être brillante en Asie du Sud-Est dans les années 1960. La plupart des
pays viennent d’accéder à l’indépendance mais gardent toujours une dépendance forte vis-à-vis des
économies les plus avancées en raison de leur spécialisation dans le secteur primaire (agricole ou
minier).

è Début des années 1960, le niveau de développement des pays d’ASE est proche de celui
des pays africains, loin derrière ceux d’Amérique latine.
è Seules Singapour et la Malaisie apparaissent mieux loties dans ce classement en raison de
leur position géographique et de la présence d’entreprises britanniques exploitant les
ressources naturelles (caoutchouc en Malaisie) ou le port de Singapour.

PIB par tête en dollars de 1960 à 2016 :

è Certains pays progressent énormément (Singapour 2.300$ en 1960 et 67.000$ en 2016 /


Malaisie passe de 2.500$ en 1960 à 22.500$ en 2016).
è D’autres pays progressent continuellement et modérément (Thaïlande 1.500$ en 1960 et
14.500$ en 2016).
è Certains pays progressent mais restent dans la difficulté économique (Laos de 650$ à
6.000$).

Très peu d’économistes auraient parié sur un développement de cette nature en ASE. Auparavant
appelés pays « sous-développés » ils étaient considérés comme dans une « impasse » pour deux
raisons :

è Ils risquaient d’être submergés par leur croissance démographique.


è Ils seraient incapables de suivre les progrès techniques.

À cela, il fallait rajouter une faiblesse des institutions et une spécialisation dans les produits de base
qui ne laissaient pas augurer un développement rapide. On avait tendance à dire que les pays en
développement, ceux vers lesquels il fallait se tourner, étaient situés en Amérique du Sud (Uruguay,
Colombie, Argentine) ou en Afrique (Ghana, Nigéria). Seules les Philippines et la Birmanie
semblaient mieux loties. Contre toute attente, c’est l’Asie du Sud-Est qui décolla économiquement,
sans que la Birmanie ou les Philippines ne jouent un rôle de premier plan.

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2. … mais qui a connu une réussite spectaculaire.

Dès le début des années 1980, le développement des pays africains et d’ASE divergent alors qu’ils
suivaient les mêmes trajectoires. Elles se creusent même assez rapidement après les années 1980.
Aujourd’hui, le fossé est béant.

Véritable prouesse économique de l’Asie du Sud-Est qui montre une capacité de maintenir une
croissance forte de son PIB ainsi que de son PIB par tête sur plusieurs décennies.

è Le revenu/habitant est multiplié par 4 à Singapour et en Malaisie.


è Croissance du PIB/habitant en Asie du Sud-Est de 4,3% sur la période 1961-1993 contre
0,3% sur la même période en Afrique.

Grâce à cette croissance soutenue et « miraculeuse », les pays d’Asie du Sud-Est ont amorcé un
rattrapage. Aucun des pays de la région n’appartient désormais aux pays à faibles revenus. En 2019,
elles appartiennent soit aux pays au revenus élevés (Singapour, Brunei), aux pays aux revenus
intermédiaires supérieures (Thaïlande, Malaisie) ou aux pays à revenus intermédiaires inférieurs
(Cambodge, Laos, Vietnam, Indonésie, Birmanie, Philippines) selon la qualification de la banque
mondiale.

Chronologie des phases de développement :

è Années 1950 : reconstruction des économies et premières étapes du décollage. Recherche


d’une autonomie nationale. Logique d’industrialisation par substitution des importations
(ISI).

è Années 1960 : changement de stratégie, notamment pour les Nouvelles économies


industrialisées de première génération » (NEI 1). On garde la logique ISI à laquelle on
décide d’ajouter les exportations. Néanmoins, les difficultés perdurent (indépendance,
guerre froide, tensions intra-régionale)

è Années 1970 : « boom pétrolier » (bonus pour le monde malais) et des matières premières
pour tous les pays de l’ASEAN. Amplification des stratégies d’exportations.

è Années 1980 : contre-choc pétrolier, changement des stratégies. Libéralisation et


démocratisation (NEI 1) + promotion des exportations et libéralisation (NEI 2). Expansion
des IDE (japonais notamment) vers les NEI 1 et NEI 2.

è Années 1990 : intensification de la libéralisation, émergence de nouveaux concurrents


(Chine, Vietnam…) élargissement de l’ASEAN aux économies du bassin du Mékong
(Laos, Cambodge, Birmanie et Vietnam).

è Depuis 1998 : Rôle d’entraînement joué par la Chine, poursuite des efforts d’intégration
régionale dans l’ASEAN avec une politique d’attractivité des IDE.

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B. Les contours du miracle asiatique.

1. Une succession de « miracles ».

La forte croissance s’est propagée par vagues successives dans la région. Elle commence par
Singapour, qui faisait partie des « nouvelles économies industrialisées de première génération »
(NEI 1) ou encore de ce que l’on appelait les 4 « Dragons » avec Taïwan, la Corée du Sud et Hong
Kong.

Elle est suivie ensuite par les NEI 2, appelés aussi les « tigres asiatiques » c’est-à-dire l’émergence
de l’Indonésie, de la Malaisie, de la Thaïlande puis au cours des deux décennies suivantes de la
Chine et du Vietnam.

Les autres pays de la région du Mékong (Laos, Cambodge et Birmanie) sont les derniers à émerger.

Cette croissance économique s’est accompagnée d’une amélioration des indicateurs de


développement humain (IDH) en Asie du Sud-Est, qui se situent désormais aux premiers rangs
mondiaux en développement.

è Certains pays maintiennent un taux de croissance supérieur à 5% entre 2011 et 2015


(Indonésie, Malaisie, Philippines, Cambodge, Laos, Birmanie, Vietnam).

À partir des années des années 1980, le décollage industriel des « dragons » et des « tigres » a
retenu l’attention de la communauté internationale. Plus spectaculaire que celle du Japon, la
croissance des NEI 1 s’accélère au cours des années 1980 alors que l’Amérique latine affronte les
crises d’endettement et que l’Afrique peine.

è Dans ces deux continents, les années 1980 sont considérées comme des décennies perdues.
è En comparaison, la réussite économique des pays d’Asie du Sud-Est est qualifiée de miracle
par la banque mondiale.

Ce qui est remarquable c’est que les pays d’ASE ont sur maintenir des taux de croissance élevés
sur une longue période alors que d’autres économies étaient bien plus volatiles (Algérien
Argentine, Brésil, Nigéria…) voire décrochaient ou régressaient (Venezuela, Bolivie, Cameroun
Sénégal, Afrique du Sud…).

4 des économies de l’ASEAN (Indonésie, Malaisie, Singapour et Thaïlande) comptent avec Hong-
Kong, la Chine et la Corée du Sud parmi les 7 économies du monde dont le taux de croissance du
PIB/habitant a été supérieur à 3,5% sur les 50 dernières années depuis 1965, un taux supérieur de
1,6% aux USA par exemple.

4 autres économies ont eu un taux de croissance supérieur à 5% entre 1996 et 2016 (Laos,
Cambodge, Birmanie et Vietnam).

è De ce fait, l’ensemble des économies de l’Asie du Sud-Est a vu sa part du PIB mondial


passer de 0,8% en 1970 à 1,5% en 1990 puis à 2,6% en 2015.

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2. Transformation structurelle.

Ce miracle économique a permis de réduire la pauvreté mais elle a aussi permis aux pays d’Asie
du Sud-Est de connaître une profonde transformation sectorielle.

La plupart des pays a su diversifier sa production en s’industrialisant.

À l’origine, l’intégration des pays d’Asie du Sud-Est dans les circuits commerciaux internationaux
reposait dans les années 1960 sur une base étroite (le riz était le principal produit d’exportation en
Thaïlande et en Birmanie, l’étain et le Caoutchouc (hévéa) en Indonésie et en Malaisie).

Diversification des productions dans les années qui suivirent. Pays d’ASE deviennent exportateurs
de services ou de produits manufacturés, chose que ne sont pas parvenus à faire les pays d’Afrique
ou d’Amérique latine.

è Transformation sectorielle qui débute avec le textile-habillement puis continue avec


l’électronique. Le choix de la production de textile s’explique par la présence d’une main-
d’œuvre abondante et bon marché.
è Au fur et à mesure, les économies d’ASE se tournent vers des industries nécessitant une
main d’œuvre plus qualifiée.

3. L’hypothèse du « vol d’oies sauvage ».

Cette image du vol d’oies sauvages est souvent utilisée pour décrire le processus de développement
économique observé en Asie du Sud-Est. Modèle proposé dès les années 1920 pour le Japon.

Proposé par des économistes japonais, ce concept fut repris par Akamatsu au début des années
1960 qui tend à expliquer l’émergence des NE1 et 2. Elle correspond à une stratégie dite de
« remontée de filière » permettant de substituer la production nationale aux importations selon
plusieurs phases.

è Phase 1 : importations.
è Phase 2 : imitation et production de bien demandant peu de compétences techniques (bien
de consommation, textile).
è Phase 3 : exportations, dont les revenus permettent de développer un autre secteur
industriel, intégrant plus de technologies et valeur ajoutée.
è Délocalisation des activités précédemment développées vers les pays proches et moins
développés (recherche de main-d’œuvre bon marché) qui appliquent ensuite la même
stratégie.

Ainsi, suivant ce modèle, le japon a importé des biens de consommation, puis s’est mise à en
produire et à en exporter, ce qui lui a permis de développer la production de bien sophistiqués
(biens d’équipements). Par la suite, cette même séquence (importation, production, exportation)
s’est reproduite avec les biens d’équipements qui nécessitent une technologie plus complexe etc.

Cette logique séquentielle correspond parfaitement à ce que l’on peut observer en Asie du Sud-Est.

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è La production de textile-habillement s’est déplacée du Japon vers les NEI1 et NEI2 puis
vers la Chine et le Vietnam et enfin vers les derniers venus (Laos, Cambodge, Birmanie).
Le japon est considéré comme l’oie de tête de ce processus.

Le schéma du vol d’oies sauvages appliqué à un pays donne reflète l’évolution de la spécialisation
à travers le temps.

è La Thaïlande par exemple a commencé à se spécialiser dans le textile, de vêtements puis


de produits comme l’électronique grand public, requérant une main-d’œuvre plus qualifiée
et plus chère.

4. Le tournant de 1985 et le rôle central du Japon dans la région.

L’hypothèse du vol d’oies sauvages reflète une structuration de la région autour du pays leader
dans la zone, à savoir le Japon, par le biais des IDE et des flux commerciaux et d’informations.

Les accords du Plaza (1985) au terme desquels les pays du G5 (Allemagne, France, USA,
Royaume-Uni et Japon) se sont engagés à faire baisser la valeur du dollar, jugée surévaluée et à
faire augmenter celle des autres monnaies, notamment du yen, ont conduit à un renchérissement
des coûts de production au Japon.

Par conséquent, cela a mené à un mouvement de délocalisation des entreprises japonaises hors de
l’archipel et en particulier vers les pays où la main-d’œuvre était encore bon marché, c’est-à-dire
dans les NEI1 et NEI2.

C’est grâce à ce vaste mouvement d’IDE en provenance du Japon (mais aussi de Taïwan, de
Singapour et de Hong-Kong) que les économies d’Asie du Sud-Est ont connu dix années de
prospérité et ont pu s’intégrer dans les réseaux régionaux de production.

Entre 1985 et 1995, l’Asie du Sud-Est a vécu ses « dix glorieuses ». En dépit de sa forte ouverture
aux échanges, la région a été très peu affectée par le ralentissement de l’économie mondiale de
1990.

C. La crise financière de 1997-1998, fin du miracle ?

1. Le déroulé de la crise.

Après plus d’une décennie de très forte croissance, les économies d’Asie du Sud-Est sont secouées
en 1997-1998 par une violente crise financière, qui semble marquer la fin du miracle asiatique.

L’afflux de capitaux vers ces économies avait financé un forte poussé de l’investissement.
« L’argent facile » avait nourrit la spéculation et les déficits se sont creusés. Les capitaux courts
étaient la base. En outre, ces capitaux ont facilité les investissements dans des activités plus ou
moins rentables comme l’immobilier.

À l’été 1997, éclatement de la bulle spéculative immobilière en Thaïlande. Cela provoque une crise
de change qui se propage à l’ensemble de la région. Crise bancaire en Thaïlande, en Indonésie et

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en Corée du Sud. Cela a engendré de la récession, la hausse du chômage et le sous-emploi dans les
pays où la protection sociale n’était encore qu’embryonnaire, aggravant encore l’impact négatif de
la crise.

La crise n’a pas totalement abattu les économies du « miracle asiatique » mais elle a laissé des
traces qui mettront du temps à s’estomper.

2. Aux sources de la crise.

La débâcle tient aux dysfonctionnements et aux excès inhérents aux marchés financiers globalisés
ainsi qu’à la vulnérabilité des systèmes financiers internes et à la mauvaise gouvernance de ces
secteurs.

L’une des premières mesures d’après crise dut de restaurer la bonne santé du système financer avec
le double objectif de garantir une meilleure affectation des capitaux et d’aider à prévenir d’autres
crises potentielles à venir.

Dans l’ensemble, les systèmes financiers des économies du miracle asiatiques étaient dominés par
les banques (grande part des crédits bancaires en tant que source de financement pour les
entreprises). Cette part oscillait selon les pays (70% En Thaïlande, 30% en Malaisie, contre 15%
seulement aux USA). Les banques jouaient le rôle de courroie de transmission entre le milieu
politique interventionniste et celui des affaires, plutôt que celui d’intermédiaire financier.

L’une des caractéristiques de la crise financière en Asie est d’avoir été provoquée par des dérapages
du secteur privé. C’est l’endettement privé qui s’est révélé excessif et non l’endettement public. Le
secteur privé avait investi dans des secteurs à faible rentabilité comme l’immobilier (Thaïlande et
Indonésie), dans des projets pharaoniques (Malaisie) ou encore dans des secteurs ou les capacités
de production étaient surabondantes (Indonésie). La dette avait été contractée à court terme pour
financer des projets à long terme, très souvent avec des monnaies étrangères sans couverture de
change. Les opérateurs étaient alors exposés à la combinaison des risques d’échéance et de change.

Les banques ont alors accumulé des créances douteuses et affaibli leurs bilans. Elles ont concentré
leurs prêts sur un petit nombre d’opérateurs et ont donc accru envers eux leur dépendance, ce qui
a accentué encore davantage leur vulnérabilité.

La pyramide de l’endettement pouvait se développer tant que la croissance était forte et les
perspectives jugées positives. Mais, le ralentissement des exportations en 1996 a probablement été
l’élément déclencheur qui a remis en cause la pérennité du système.
Depuis 1997, des révélations sur le niveau des créances douteuses de 10 institutions financières sur
91 en Thaïlande ont contribué à alimenter les doutes quant à la solidité des bases de croissance.
Cela a généré des mouvements de panique sur les marchés internationaux des capitaux.

3. Sortie de crise.

Les pays sont sortis en ordre dispersés de la crise.

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è La Thaïlande et l’Indonésie ont fait appel au FMI, alors que la Malaisie a choisi de faire
face seule.

Ils ont tous finalement renoué assez rapidement avec la croissance. L’Indonésie met plus de temps
que les deux autres à retrouver le chemin de la croissance en raison de la multi-dimensionnalité
(financière, économique, politique) de la crise à laquelle elle a été confrontée.

Depuis la sortie de crise, les pays connaissent des rythmes de croissance inférieurs à ceux qu’ils
connaissaient avant la crise. Ce rythme plus lent contraste avec celui de la Chine et de L’Inde ou
les taux d’investissements étaient très importants, alors qu’ils ont baissé de 10 points de PIB dans
le reste de l’Asie. Cette baisse s’explique par le fait que les pays aient été échaudés par la crise.
Cette baisse des investissements concerne principalement les infrastructures mais se justifie aussi
par le fait qu’ils étaient particulièrement excessifs avant la crise.

è Les pays d’Asie du Sud-Est sont sortis transformés de la crise. Leur taux d’ouverture a
augmenté et les échanges avec la Chine se sont accentués. La Chine est devenue leur
premier partenaire commercial.

4. Le mythe du piège des économies à revenu intermédiaire.

Mythe selon lequel une économie à revenu intermédiaire ne pouvait par progresser et atteindre le
statut d’économie a revenu élevée car elle ne pouvait par monter en gamme. Hypothèse contestée
car il est possible pour une économie de rester bloquer à un niveau de revenu et que ce blocage ne
constitue pas une fatalité.

è En Malaisie, depuis les années 2000, le taux de croissance annuel du PIB est supérieur à
5% même si le revenu/habitant n’atteint que 10.000$ par an.

II. Le « modèle de croissance » en Asie du Sud-Est.

A. Une stratégie de forte extraversion (comportement d'un individu qui montre une grande facilité
à établir des contacts avec ceux qui l'entourent)

1. Une croissance alimentée par le commerce…

Diffusion générale et progressive de la croissance en Asie du Sud-Est pour les pays qui ne
pratiquaient pas l’isolement. Depuis les années 1980, stratégie d’ouverture des économies.

Cette stratégie était prévisible pour deux pays en particulier : Singapour et le Sultanat de Brunei.

è Singapour : exploite sa position géographique le long des routes maritimes les plus
fréquentées du monde et sa proximité avec deux grands pays producteurs de produits
tropicaux.
è Brunei : ne pouvait pas échapper à l’ouverture en raison de sa dépendance à la production
pétrolière.

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Toutefois, l’ouverture a été choisie par les autres économies de la région, comme la Malaisie
(1970), la Thaïlande (1980), ou encore le Vietnam et le Cambodge depuis le début des années 2000.

Le taux d’ouverture de ces économies (ratio exportation sur PIB) n’a cessé d’augmenter au fil du
temps pour atteindre des niveaux record, proches ou supérieurs à 100% dans certains cas (Malaisie,
Singapour Vietnam).

è En contrepartie, en raison de la taille de leurs marchés domestiques, l’Indonésie (20%) et


les Philippines (31%) sont les pays d’Asie du Sud-Est qui possèdent les taux d’ouverture
les plus faibles de la région.

Cette stratégie d’ouverture constitue la marque de fabrique des économies de la région.

è L’ensemble du bloc d’Asie du Sud-Est participe aujourd’hui pour environ 8% du commerce


mondial.

2 … et par les investissements directs étrangers (IDE).

L’ouverture n’est pas que commerciale. L’autre stratégie majeure de développement des pays
d’Asie du Sud-Est est le recours aux IDE. Sur ce point, les NEI 2 se distinguent des NEI 1 (à
l’exception de Singapour) qui se sont montrées généralement plus sélectives à l’égard des IDE.

L’ouverture aux IDE tient pour partie à l’absence d‘un entreprenariat local mais elle résulte aussi
de choix politiques.

è Dans le cas de Singapour, la vulnérabilité de la cite-État a incité les autorités à faire appel
à des entreprises étrangères pour bénéficier de leur protection en cas de difficultés avec le
voisin malais.
è Dans le cas de la Malaisie, l’appel aux capitaux étrangers est cohérent pour favoriser les
Malais de souche et limiter l’influence économique de la minorité chinoise (25% de la
population).

Les IDE pèsent plus lourd dans la formation de capital des pays d’Asie du Sud-Est que dans les
autres pays en voie de développement ou émergents (Amérique latine, Afrique) mais aussi des
zones industrialisées (UE et ALENA).

Cette ouverture aux IDE a marqué les premières étapes de développement des pays d’Asie du Sud-
Est mais elle continue de jouer un rôle important dans les années récentes.

è Multiplication par 6 du niveau annuel d’entrées d’IDE dans la région Asie du Sud-Est entre
2000 et 2014. 2014 fut l’année record avec 135 milliards de $, soit plus que le total des IDE
reçus par la Chine cette année-là.

L’Union européenne, les USA et le Japon ont longtemps été les principaux investisseurs dans la
région, (période 1995-2000) les choses ont considérablement changé depuis les investissements
intra-ASEAN se sont nettement accrus. Sur la période 2014-2017, la part de ces investissements
était proche de celle de l’Union européenne et nettement supérieure à celle des USA et du Japon.

- 47 -
B. Le rôle central de l’État.

1. Derrière le miracle asiatique, le débat « État-marché ».

La question des sources de cette réussite économique reste entière.

Il existait deux théories pour l’expliquer. La première est celle défendue par ceux qui estiment que
la réussite tient uniquement à la libéralisation et à l’ouverture aux marchés. La seconde, elle, est
qualifiée de « révisionniste » et considère que les interventions publiques sous formes de
subventions ont joué un rôle considérable.

La banque mondiale dresse un rapport dans lequel elle fait la synthèse entre ces deux théories : elle
reconnait le rôle de l’État central qui intervient mais ne considère pas qu’il s’agisse du seul facteur
explicatif.

En réalité, les économies d’ASE ont suivi des stratégies qui ont mêlé libéralisme et
interventionnisme. Cela se vérifie notamment dans les pays où l’on retrouve un régime autoritaire
fort (Singapour) où les ouvriers n’ont que très peu de droits et de protection, ce qui attire
naturellement les firmes étrangères.

Par ailleurs, les États ont modifié et orienté les économies vers le soutien à certains secteurs clés
pour le développement du pays et de l’industrialisation.

Enfin, le pragmatisme et la capacité d’adaptation des gouvernants ont joué un rôle important.

Paul KRUGMAN, « The Myth of Asia’s Miracle », publié dans Foreign Affairs (1994) : la réussite
économique de l’ASE s’explique aisément par accumulation de 2 facteurs de production sur 3
: travail et capital (investissement). Le développement de l’ASE ne relève plus du miracle mais
continue d’être perçu, chez Krugman, comme temporaire, voué à l’échec, comme si la stratégie de
développement de l’ASE ne pouvait pas évoluer en misant sur le 3eme facteur de production : le
progrès technique.

Pour lui, au même titre que l’économie de l’Union soviétique, elle est vouée à chuter.

Cette théorie est très contestée, car elle part du principe que les pays d’ASE ne parviendront pas à
changer de stratégie si besoin et ne profiteront pas du progrès technique, ce qui est contestable.

2. Le concept de l’État développeur.

Paradoxalement, le niveau d’interventionnisme des États dans les pays d’ASE s’accompagne d’un
niveau de dépenses publiques assez bas.

Dans ces économies, les États ont tendance à donner des instructions et des objectifs aux
entreprises, plutôt que d’apporter des subventions.

- 48 -
« L’État développeur » : c’est une originalité qui consiste en l’ouverture au libéralisme qui
s’accompagne d’un fort interventionnisme étatique déterminant :

• Etat autoritaire (peu de droits des ouvriers).


• Forte autonomie de l’Etat vis-à-vis du secteur privé
• Intérêt national placé au-dessus des intérêts privés
• Bureaucratie compétente
• Protection commerciale

Pour résumer, un État-développeur s’appuie sur quatre types d’instruments :

è Une agence ou institution qui fixe les objectifs et les stratégies.


è Un contrôle du système financier ou une influence sur l’allocation des financements.
è Une incitation et/ou contrainte à l’exportation.
è Des mesures de protection commerciale.

L’intégration de la politique commerciale et de la politique industrielle est caractéristique d’un


État-développeur : le soutien apporté à une entreprise nationale s’accompagne en général d’une
contrainte à l’exportation. Cette contrainte est essentielle dans la mesure où elles permettent aux
entreprises d’être compétitives à l’international et permet de limiter l’inefficacité associée aux
mesures de protection.

3. Les politiques industrielles.

Exemple de la politique menée par le Japon d’abord, puis par la Corée dans la logique de
modification structurelle des économies via l’intervention des États. Les principes de l’État-
développeur évoqués ci-dessus ont été appliqués presque partout en ASE, de manière différenciée
selon les pays néanmoins. En conséquence, dans l’ensemble la politique industrielle a été moins
efficace qu’en Japon/Corée.

è À Singapour : le pays a connu la politique industrielle la plus efficace et la mieux organisée


d’ASE. Depuis 1960, modernisation de l’économie. Sans richesse naturelle, Singapour
cherche à exploiter sa localisation, son port et mise sur une stratégie d’industrialisation par
« invitation », qui consiste à miser sur l’attractivité pour les entreprises étrangères.

Le stock d’IDE est passé de 9 à 26% de PIB entre 1965 et 1980.


Des entreprises étrangères, notamment américaines (Texas Instrument par exemple) y
investissent et Singapour devient rapidement un pôle de l’industrialisation électronique
mondial.

Singapour profite aussi de sa situation maritime exceptionnelle pour devenir un lieu


d’accueil privilégié de la filière pétrochimique et de la construction navale. Elle est aussi
un pôle de raffinage et de réparation navale.

- 49 -
Face à l’incapacité de maintenir sa compétitivité dans les industries manufacturières
intensives en main d’œuvre bon marché, le pays s’est tourné vers les services (financiers)
à forte valeur ajoutée. Fort développement technologique grâce à des investissements dans
l’éducation supérieur et la création d’instituts de recherche, attirant des multinationales.

Singapour est donc passé en quelques décennies, grâce à ses diverses interventions, d’une
économie d’entrepôt à une économie industrielle moderne puis à une économie de services
à forte valeur ajoutée dont le revenu/habitant est le plus élevée de toute la région.

è La Malaisie est le pays qui a le plus cherché à s’inspirer de la Corée et du Japon en lançant
sa « Look East Policy ». Pour stimuler son industrialisation, le pays a lancé un programme
de développement d’une industrie lourde (pétrochimie, sidérurgie) à l’instar de ses modèles.
Les entreprises sont peu performantes néanmoins.

L’échec le plus important de de cette stratégie est le développement d’une voiture nationale
(la Proton en partenariat avec le japonais Mitsubishi). Ils ont tenté d’imiter le coréen
Hyundai car pas réellement de contrainte de performance. Aussi, la politique de
discrimination positif en faveur des malais de souche n’a pas aidé.

Les objectifs étaient imprécis, les ambitions excessives, la maîtrise de la technologie était
insuffisante, tout ceci conduit à l’abandon de la stratégie dans les années 1980. Depuis, la
Malaisie met davantage l’accent sur les IDE.

è La Thaïlande (pays des NEI2), est le pays ou la politique industrielle a été la moins
structurée. Le pays a compté davantage sur sa situation géographique centrale dans la région
et donc l’arrivée d’IDE et une politique d’attraction des investissements étrangers plutôt
que sur une vraie politique industrielle d’État.

è L’Indonésie connaît une politique industrielle disparate et désorganisée sous l’ère du


président Suharto (1965-1998). Les soutiens financiers étaient réservés aux entreprises
proches du président, sans vraie pertinence. Pas de vraie émergence industrielle de
l’Indonésie dans le monde. Les entreprises se sont montrées incapables de rivaliser sur la
scène internationale.

On peut souligner deux points positifs toutefois : les autorités ne sont pas tombées dans le
piège de la rente pétrolière et elles ont utilisé les revenus pétroliers pour diversifier leur
base industrielle sans sacrifier leur agriculture.

è Au Vietnam, à partir des années 1990, mise en place de plusieurs plans industrielles pour
accélérer les processus d’industrialisation, avec des protections tarifaires, des crédits et des
incitations fiscales. Des conglomérats, à l’image des conglomérats coréens (chaebols)

- 50 -
bénéficient de crédits publics considérables qui doivent leur permettre de devenir des
champions nationaux.
Échec de la politique vietnamienne, trop ambitieuse en ciblant trop de secteurs
« prioritaires », manque de cohérence et d’objectifs clairs. Comme en Thaïlande, c’est
l’ouverture aux IDE et la forte attractivité du territoire qui permettra l’industrialisation du
pays.

Pour résumer :

À l’exception de Singapour, politique industrielle désorganisée, fragmentée et moins coordonée


dans la région. C’est toutefois mieux que l’absence de toute politique industrielle, comme aux
Philippines ou le déclin de l’industrie est une parfaite illustration du risque d’une telle absence de
stratégie.

L’ouverture aux IDE constitue un point commun à toutes ces économies et explique leur réussite à
s’insérer dans les chaînes de valeur globale.

4. Les politiques commerciales : de la substitution des importations à la promotion des


exportations.

À l’exception de Singapour, toutes les économies d’ASE ont suivi le principe de substitution des
importations, qu’elles ont maintenues, même après s’être tournées vers la promotion des
exportations depuis les années 1980 (parfois dans le cadre des Zones Économiques Spéciales »)

5. Recours aux Zones Économiques Spéciales (ZES)

Le recours aux ZES est monnaie courante en ASE. Une zone économique spéciale (ZES) est une
région géographique dans laquelle les lois économiques sont plus libérales, c'est-à-dire plus
avantageuses pour les entreprises, que celles pratiquées dans le reste du pays. Dans ces zones les
entreprises ont des avantages fiscaux et de meilleures infrastructures.

La mise en place de telles zones relève de politique industrielle car les entreprises sont encouragées
à s’y établir et doivent relever un secteur jugé prometteur et fournisseur d’emploi pour une main
d’œuvre abondante et bon marché.

è La Malaisie est le premier pays à avoir recours à ce mécanisme. Ouverture sur l’île de
Penang d’une ZES réservée aux entreprises de l’industrie électronique (Intel). Motorola et
Texas Instrument se sont installées à Kuala Lumpur.

Rôle important de ces zones en Malaisie et en Thaïlande, moins vrai en Indonésie.

Aujourd’hui, on compte 1.600 ZES en ASE, avec pour objectif commun d’attirer les IDE afin de
développer et faciliter l’industrialisation du pays d’accueil.

Les modalités d’organisation de ces zones varient d’un pays à l’autre. Parfois sous responsabilité
régionale, ou centrale, voire provinciale.

- 51 -
è En Thaïlande et aux Philippines, l’autorité centrale est responsable des ZES.
è Les derniers venus, les pays CLMV (Cambodge, Laos, Myanmar (Birmanie) et Vietnam)
ont aussi recours à ces mécanismes, mais ils ont ajouté à ces ZES une dimension
commerciale et résidentielle.
è La Malaisie a elle inventé le principe du « couloir économique régional » qui permet
d’organiser des zones plus vastes qu’une simple ZES.
è Dans le cadre de l’ASEAN, plusieurs pays frontaliers coopèrent pour la mise en place de
ces zones, afin d’exploiter leurs complémentarités et aussi pour s’intégrer dans les réseaux
régionaux de production.

L’un des enjeux majeurs de ces ZES est de s’assurer qu’elles ne soient pas des enclaves mais qu’au
contraire elles engendreront des retombées positives sur l’ensemble de l’économie.

III. La structuration industrielle de l’Asie du Sud-Est.

En raison des niveaux de développements différents, de leurs atouts variés, la région ASE se prête
particulièrement bien à une intégration économique fondée sur l’exploitation des
complémentarités. Celle-ci débute dans les années 1970.

A. L’exploitation des complémentarités.

1. Les triangles de croissance et autres formes de coopération transfrontalières.

Mise en place des « triangles de croissance » dans les années 1980, pour tirer profit des
complémentarités. L’idée est de former un espace économique aux potentialités supérieures en
associant trois zones voisines.

è Triangle Singapour-Johor-Riau, qui unit l’archipel indonésien de Riau, Singapour et l’île


de Johor au sud de la Malaisie. Dans ce triangle, on compte sur les capitaux et le savoir-
faire de Singapour, les terrains et la main-d’œuvre qualifiée en Malaisie et terrains et main
d’œuvre bon marché en Indonésie.

L’objectif est d’améliorer la production globale et de gagner en efficacité en exploitant les


complémentarités et de rendre la région plus attractive pour les investisseurs.

Cette idée des triangles de croissance a été reproduite ci et là, dans diverses zones de coopération
économique transfrontalière, mais demeurent limités.
Elles ne sauraient être des éléments structurants pour l’organisation de l’ensemble de la région,
contrairement aux mesures prises dans le cadre de l’ASEAN.

2. Les projets de coopération industrielle de l’ASEAN.

L’ASEAN a lancé ses projets de coopération industrielle dans les années 1980.

è Le premier est l’ASEAN Industrial Programm (AIP), sans vrai succès, car les acteurs privés
en sont restés éloignés.

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è Second projet en 1981, le ASEAN Industrial Complementation (AIC), n’a connu guère plus
de succès. Il voulait construire une voiture ASEAN en favorisant la coopération intra-
industrielle mais il se heurta au projet malaisien de développement de voiture nationale.

Le succès arrive finalement après plusieurs échecs.

è 1988, mise en place du dispositif Brand to Brand Complementation (BBC). Les pays qui
intégraient le projet se voyaient attribuer une réduction des droits de douane de 50% sur les
produits intermédiaires importés et les pièces détachées. Cela permis le développement à
l’échelle régionale du secteur automobile (Toyota). Depuis 2010, les droits de douanes ont
été supprimés dans quasiment toute la zone ASEAN ce qui a rendu ce dispositif caduc.

B. D’une logique à l’autre.

1. La première phase d’intégration régionale dominée par le Japon.

Véritable lien entre les entreprises d’ASE et les entreprises japonaise qui délocalisent énormément,
notamment dans le secteur automobile et électronique. Les échanges intra-ASEAN n’ont pas
explosé mais une transformation s’est opérée avec un glissement vers de échanges de produits
manufacturés et non plus de produits de base (agricoles ou miniers).

Les échanges intra-branches alimentent la dynamique d’intégration régionale.

è La part des pièces détachées et composants dans les exportations des principaux pays de
l’ASEAN est passée de 1,7 à 17% entre 1967 et 1992.
è En 1980, sous l’effet des filiales des entreprises étrangères (souvent japonaises) situées dans
la région, les composants électroniques représentaient déjà plus de 30% des échanges intra-
ASEAN.

2. La deuxième phase d’intégration : le rôle croissant de la Chine.

Après la crise de 1997, les pays d’ASE ont augmenté leurs échanges avec la Chine, qui est devenue
le premier partenaire commercial.

Le commerce intra-ASEAN s’est renforcé au cours des années 2000 et représente 25% du
commerce total de l’ASEAN, contre 20% en 1990 et 18% dans les années 1980. Résultat supérieur
à la zone MERCOSUR mais inférieur à l’UE.

Ces chiffres n’ont pas explosé car l’ASEAN continue de commercer avec des partenaires extérieurs
de manière très active et notamment avec la Chine (mais aussi l’Inde, le Japon et la Corée). La
Chine joue désormais un rôle central dans l’activité économique de l’ASE.

Depuis la montée en puissance de la Chine, une part importante des échanges intra-ASEAN porte
sur les pièces détachées et composants qui sont exportés comme bien intermédiaires vers le reste
de l’Asie orientale (Chine en tête).

Selon les pays, asymétrie entre importations et exportations intra-ASEAN.

- 53 -
è Certains pays comme les Philippines ont tendance à s’approvisionner auprès de leurs
partenaires de l’ASEAN mais aussi auprès du reste de l’Asie et à exporter vers ces régions.
è D’autres, comme le Cambodge, s’approvisionne dans la région pour exporter vers le reste
du monde.

C. Des logiques d’organisation différentes selon le secteur.

Les échanges internationaux ont globalement gagné en importance mais ils sous-tendent une
organisation différente selon le secteur. Les deux principaux secteurs : l’électronique et
l’automobile.

1. Le cas de la filière automobile.

Le dispositif BBC (Brand to Brand Complementation (BBC) a contribué au développement


d’interdépendance intra-ASEAN très étroites dont la Thaïlande est le pilier central.

Les constructeurs japonais et allemands ont recours à ce dispositif pour optimiser leur processus
de production.

è Toyota a réparti la production de ses composantes et de ses véhicules dans quatre pays de
l’ASEAN (Thaïlande, Philippines, Malaisie et Indonésie) avec comme conséquence une
réduction des coûts et une compétitivité accrue sur ses concurrents.

è La Thaïlande est le premier pôle de la filière automobile en ASE (40% de la production),


devant l’Indonésie (30%). L’industrie automobile représente 12% du PIB thaïlandais, soit
2 points de moins seulement que le tourisme. Toyota arrive en tête des constructeurs
automobiles (89%), même si 18 constructeurs sont présents, ainsi que 710 sous-traitants de
premier rangs (directs) et 1.700 sous-traitants de deuxièmes et troisièmes rangs, (indirects).
Les principaux équipementiers sont aussi présents, comme l’Allemand Bosch et
Continental, le Français Michelin.

Au total, ce sont 550.000 personnes qui sont employées dans la filière automobile en
Thaïlande. L’ensemble des usines sont situées au sud-est de Bangkok.

L’automobile est le premier poste d’exportation en Thaïlande avec 15M des exportations
totales du pays. Elles sont destinées à 32% à l’Océanie, à 26% en Asie, 12% en Europe et
9,5% en Amérique.

La Thaïlande est le réseau complémentaire de la production de Toyota, dont la région


principale de production est le Japon (politique d’investissement et pièces de hautes
technologies). La Thaïlande travaille en collaboration avec la Malaisie, l’Indonésie et les
Philippines sur le projet Toyota. Cette délocalisation vers les autres pays d’ASE et plus
uniquement en Thaïlande, s’explique par une hausse de la main d’œuvre en Thaïlande.
Ainsi, les investisseurs constructeurs d’automobiles se dirigent dans le cadre de leur
stratégie « Thaïlande +1 » vers des pays comme le Laos ou le Cambodge, ou la main-
d’œuvre est bon marché et qui sont à proximité de la Thaïlande.

- 54 -
Cela favorise l’intégration des économies les moins avancées de la région dans les réseaux
régionaux de production, contribuant à leur industrialisation.

2. Le cas de la filière électronique.

De très longue date, l’ASE a constitué une zone de production attrayante (faible coût de la main-
d’œuvre, complémentarité des économies) pour la production électronique.

è L’ASE produit un véritable « circuit intégré ». Les puces en silicium sont produites à
Singapour, puis testées en Malaisie avant d’être assemblées dans les disques durs produits
en Thaïlande.
è Les échanges de produits électroniques représentent 30% des échanges intra-ASEAN en
1991. D’ailleurs, les IDE apparaissent en ASE comme un complément et non comme un
substitut au commerce.
è La carte du secteur électronique illustre la position centrale de la Thaïlande dans un sous-
secteur, celui de la production de disques durs.

L’ATI, l’accord de libre-échange en 1996 sous l’autorité de l’Organisation mondiale du commerce


(OMC) qui vise à réduire voire supprimer les barrières douanières dans le secteur de la technologie
et de l’information, auquel participent 81 pays, permet dans la seconde moitié des années 1990
l’approfondissement des échanges des produits intermédiaires en ASE.

Contrairement à ce que l’on peut observer pour la filière automobile, le secteur électronique en
ASE ne produit que quasi-exclusivement des biens intermédiaires et non des produits finaux. Ces
biens sont des pièces détachées destinés à être exportés vers la Chine, qui constitue le maillon final
de la chaîne de production.

Toutefois, certaines entreprises se sont engagées dans une stratégie de « Chine +1 » en raison de la
montée des tensions politiques et de la hausse du coût de la main-d’œuvre en Chine. Cela consiste
à dupliquer (sans se retirer de Chine) les unités de productions présentes en Chine, ailleurs, où les
conditions économiques et surtout politiques sont plus favorables et plus stables.

è C’est le cas du Vietnam qui accueille des investissements massifs en provenance de Corée
du Sud (Samsung) et assure désormais l’assemblage de produits finis, ce qui était
uniquement l’apanage de la Chine auparavant.

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CHAPITRE 5 - LES AGRICULTURES SUD-EST ASIATIQUES.

Problématique : quelles limites à l’intensification et à l’expansion ?

I. L’état préoccupant des agricultures sud-est asiatiques au début des années 1960.

Après la période coloniale, dans les années 1960, l’agriculture en ASE se caractérisait pas sa faible
productivité, tant dans le domaine rizicole (de loin le plus étendu) que dans celui des autres cultures.

Dans certains territoires, les rendements étaient supérieurs (delta du fleuve rouge, centre de l’île de
Java), mais ils restaient néanmoins inférieurs à ceux obtenus au Japon, en Corée du Sud ou à
Taïwan où, sous l’impulsion américaine, des réformes agraires depuis la fin des années 1940 et
1950 avait été appliquées.

Les rendements de l’hévéa et du cocotier étaient très décevants.

Dans la plupart des pays pourtant, si l’emploi agricole dominait, la part des superficie nationales
consacrées à l’agriculture demeurait faible. En conséquence, la pauvreté été très répandue dans les
campagnes de la majorité des pays de la région (particulièrement en Indonésie).

è Thaïlande (1963) : 23% du territoire national occupé par la surface agricole contre 43% en
2016.
è Indonésie (1963) : 20% contre 30% en 2016.
è Cambodge (1963) : 15% contre 30% en 2016.

Véritable pessimisme généralisé des observateurs coloniaux et postcoloniaux dans les années 1960
quant à l’avenir des pays de la région, à tel point que l’on considérait qu’en ASE les possibilités
d’agrandissement du domaine agricole étaient pratiquement nulles.

II. Intensification et expansion territoriale des agricultures comme réponse.

Pourtant, les pays ont choisi la voie de l’intensification et de l’expansion pour s’en sortir.

Intensification : recours accru à l’industrialisation, aux intrants (engrais, herbicides, insecticides,


variétés hybrides de semences) tout ce qui permet d’accroître la productivité de la terre. Cette
intensification est souvent qualifiée de « révolution verte ».

Expansion : agrandissement des superficies consacrées à l’agriculture. L’expansion du domaine


agricole poursuit d’autres objectifs : l’amélioration de la condition paysanne et de la production
vivrière et commerciale. Elle était intimement liée à une politique démographique de redistribution
de la population, de décongestion des terres trop densément peuplées et de contrôle des marges
souvent habitées par des territoires minoritaires.

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L’étude de l’agriculture en ASE exclu 3 pays de la région : le Sultanat de Brunei, Singapour ou
l’agriculture est marginale et le Timor-Leste ou les données fiables sont indisponibles. Au total, les
8 pays étudiés rassemblent 98% de la population Sud-Est asiatique et à peu près la même proportion
des terres qui la composent.

Depuis le début des années 1960, la population d’ASE s’est accrue partout, ayant plus que doublé,
dans certains cas elle a triplé voire quadruplé comme en Malaisie ou aux Philippines. La part de la
population urbaine n’a cessé de croitre comme partout ailleurs dans le monde.
Pourtant, l’expansion du domaine agricole continue et se conjugue avec l’intensification des
pratiques culturales, qui entraînent une hausse des rendements, dans l’agriculture vivrière et
commerciale, tant chez les petits producteurs que dans les grandes plantations.

Il existe toutefois de fortes disparités entre les États d’ASE en raison des politiques
démographiques différentes.

À l’échelle régionale toutefois, le maintien du dynamisme agricole est caractérisé par une
conjugaison entre intensification et expansion simultanées et soutenues, dans lequel tous les pays
sont impliqué, représente un processus qui trouve peu d’équivalents dans le monde (sauf le Brésil).
Au Brésil, cela s’effectue aux dépends de la forêt et les rendements de céréales et de sucre sont
considérables (ils triplent).

En ASE, les rendements doublent, voire triplent pour les cultures commerciales principales, comme
l’huile de palme, le caoutchouc ou le café. Idem pour ceux de la riziculture.
Peu d’élevage en Asie du Sud-Est contrairement au Brésil, ce qui explique que les cultures vivrières
et de rente occupent la majorité de la superficie agricole.

L’agriculture et l’aquaculture en ASE continuent à s’étendre sur des territoires de plus en plus
éloignés des centres de populations, comme les massifs montagneux et des littoraux de mangroves,
parfois même jusqu’au sein d’environnements maritimes, parfois loin au cœur des mers de la
région.

Révolution verte : La révolution verte asiatique se caractérise par un ensemble d’innovations


agricoles mises au point dans les années 1960 par des chercheurs indiens et étrangers :

è De nouvelles variétés de céréales (riz, blé) à hauts rendements (VHR). Les semences mises
au point par des instituts internationaux de recherche publique au Mexique pour le blé et
aux Philippines pour le riz, ont été livrées gratuitement mais elles doivent être renouvelées
périodiquement
è Des aménagements hydrauliques pour développer l’irrigation
è Des engrais chimiques et traitements antiparasitaires.

La révolution verte permet donc d’accroitre les rendements et de diminuer la pauvreté. Elle est
rendue possible par l’intervention des États et le soutien de la Banque mondiale.

è Des aménagements sont réalisés, comme le périmètre d’irrigation de Muda en Malaisie


entre 1961 et 1970, sur 95.000 hectares pour desservir 60.000 familles de riziculteurs. A

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cette date, l’administration du périmètre de Muda fut confiée à une agence d’État. Les
résultats furent impressionnants : Avant 1970, le double de la récolte annuelle concernait
5% de l’air cultivée. Après 1974, elle concernait 90% de l’aire cultivée. Les productions
augmentèrent considérablement.

III. L’accélération de la fuite en avant.

Cette intensification et expansion se poursuivent en s’amplifiant dans certains pays, alors que dans
d’autres on observe un plafonnement, voire une baisse de certains productions, remplacées par
d’autres cultures.

Néanmoins, les conséquences d’un tel dynamisme agricole et leurs impacts sont de plus en plus
manifestes sur plusieurs plans.

A. L’intensification agricole.

Depuis le début des années 1960, les agences nationales favorisaient l’application des politiques
de la révolution verte (surtout dans la riziculture) les rendements n’ont donc cessé d’augmenter de
plus en plus rapidement.

Les résultats des rendements de la riziculture dépendent naturellement de la manière dont la culture
est faite (irrigué, inondée, pluviale, en eau profonde). Les rizières irriguées sont les plus
performantes et de loin.

è En Thaïlande, elles ne concernent que le quart des du domaine rizicole national et se


concentrent dans le bas bassin du fleuve Chao Phraya.

Le rythme et l’ampleur de cette croissance n’ont pas été uniformes, certains pays ayant pris du
retard au démarrage. Mais tous se sont lancés dans le processus de l’intensification agricole.
è Utilisation de semences et de variétés différentes.
è Recours massifs aux intrants (engrais, herbicides, pesticides) associés à des progrès dans
l’irrigation.

L’accroissement des superficie suffisamment irriguées permet maintenant la double récolte et


permet d’obtenir des rendements exceptionnels.

Par conséquent, on se retrouve avec un surplus rizicole régional, provenant surtout de la Thaïlande
et du Vietnam, pays qui sont parmi les plus gros exportateurs de riz au monde (2ème et 3ème rang en
2018).

è Au total, la croissance de la production rizicole a été forte partout, sauf en Malaisie ou l’État
a choisi de favoriser les cultures du palmier à huile, jugées plus rentables.
è En Indonésie la production de riz a été multipliée par 5 entre 1961 et 2017, alors que la
population ne l’a été que de 2,8. Cette supériorité de la croissance rizicole par rapport à
celle de la population se vérifie dans tous les pays de la région (sauf en Malaisie).

- 58 -
B. L’expansion des territoires agricoles.

Si la part des territoires consacrés à la culture du riz (première culture et premier aliment de la
région) a partout augmenté (sauf Malaisie), c’est surtout les surfaces récoltées (grâce à la double
récolte) que les rizières ont gagné du terrain.

D’autres cultures vivrières (maïs, fruits et légumes) ont aussi largement progressé territorialement,
proportionnellement encore plus que le riz.

Mais, les principales cultures impliquées dans l’expansion territoriale de l’agriculture (en
particulier dans les marges) ont été les cultures de rente (cultures commerciales). Parmi celle-ci on
retrouve le palmier à huile qui a mené la charge.

1. Une expansion agricole qui concerne tous les pays de la région.

Intensification et expansion ne se sont pas réalisées partout à la même vitesse et dans certains États,
ont même été marquées par des périodes de reculs périodiques.

è La Thaïlande et les Philippines ont les pays qui ont été les premiers concernés par cette
expansion. La Thaïlande, qui compte pourtant déjà 43% de ses terres consacrées à
l’agriculture, (proportion égale aux Philippines) ne veut pas mettre un terme à son
expansion agricole.
è Il a fallu attendre les années 1980 pour que le géant de la région ne relance à son tour une
dynamique agricole pourtant forte et ancienne (en lien avec la colonisation néerlandaise du
XIXème siècle. Depuis une quarantaine d’année, l’Indonésie met les bouchées doubles pour
rattraper son retard. Son agriculture gagne plus de 300.000 hectares par an, presque
entièrement aux dépends de la forêt.
è Aujourd’hui, c’est le Vietnam qui connait le plus fort accroissement de ses surface agricoles
depuis les années 1990.
è En Malaisie, l’industrialisation du pays aurait pu laisser croire à une marginalisation du
secteur agricole, or, il n’en est rien. Le poids de l’agriculture est inférieur aux autres pays
mais il n’en demeure pas moins existant, notamment dans l’industrie de le palmier à huile,
surtout tant dans la péninsule que dans les territoires de l’île de Bornéo.

Au total, ce sont 6 pays sur 8 qui consacrent entre 25% et 43% de leur territoire à l’agriculture, ce
qui témoigne d’une activité agricole presque comparable à celle de l’Europe.

2. Plusieurs cultures de rente concernées.

C’est l’expansion de la culture du palmier à huile qui, depuis les années 1980, s’avère la plus
spectaculaire, suivi par celle de l’hévéa (arbre à caoutchouc). Des gains territoriaux ont aussi été
effectués pour des cultures plus secondaires, comme le cocotier, le caféier, le cacaoyer, le théier et
même la canne à sucre.

è La culture la plus rentable est celle du palmier à huile. La Malaisie et Indonésie en sont les
leaders mondiaux.

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è La culture de l’hévéa est aussi et surtout sud-est-asiatique. L’ensemble de la région répond
à 90% des demandes mondiales. La Thaïlande et l’Indonésie en sont les deux principaux
producteurs.
è Pendant longtemps, la Malaisie a été le premier producteur de latex, mais depuis 20 ans elle
a réduit sa production, préférant investir ailleurs dans la région (Indonésie, Cambodge).

C. Des cycles de spécialisation et de diversification des productions.

On observe que chaque pays tente de se spécialiser dans une ou deux cultures commerciales, malgré
la concurrence féroce entre les différente États de la région.

è La Malaisie se désengage progressivement du rôle de leader dans la production de l’hévéa


en favorisant les activités de recherches et développement, elle continue à favoriser la
production de palmier à huile. À ce titre, les superficies de palmiers à huiles recouvrent près
de la moitié des terres consacrées à l’agriculture dans le pays (qui concernent 25% du
territoire).

1. L’hévéaculture et la culture du palmier à huile.

Le désengagement de la Malaisie dans l’hévéaculture s’accompagne de sa forte progression dans


les régions comme en Indonésie et dans la péninsule indochinoise, soit en Thaïlande, au Vietnam,
au Cambodge et au Laos.

è Diversification des types d’hévéa avec des cultures hybrides qui s’adaptent dans les hauts
plateaux vietnamiens et dans les zones arides de Thaïlande.
è Hévéaculture au Laos, dont l’expansion est dominée par des acteurs chinois. Ils occupent
les grandes fermes qu’ils font exploiter par des paysans laotiens.
è Au Cambodge, expansion de l’hévéaculture impliquant des migrants khmers dans l’est du
pays, ainsi que des Vietnamiens.

L’hévéaculture n’est pas la seule culture qui fasse l’objet d’une redistribution des cartes. Bien que
l’Indonésie et la Malaisie dominent outrageusement la production et l’exportation d’huile de palme
(ils répondent à 85% de la demande mondiale), la culture du palmier à huile se répand ailleurs dans
la région malgré les impacts environnementaux négatifs (émissions de CO2, déforestation).

La production d’huile de palme est destinée à l’industrie des agro-carburants. Elle est aussi l’huile
alimentaire la plus consommée de la planète.

Pour le moment, les pays les plus concernés (outre l’Indonésie et la Malaisie), sont la Thaïlande,
les Philippines et même le Cambodge.

2. Café, cacao et thé.

Le café est une autre culture de rente qui a connu des hausses et des baisses en fonction des années.
Production historiquement présente dans la région, notamment pendant la période coloniale où on
la retrouvait partout sur les pays du continent et aussi dans la partie insulaire.

- 60 -
L’Indonésie est un immense producteur depuis 1699, boosté depuis 1960 par la forte demande
mondiale.

Vient le tour du Vietnam dans les années 1980, qui connait un véritable boom dans la production
de café, qui perdure aujourd’hui encore malgré les fluctuations des prix.
Cet essor combine une expansion fulgurante des fronts pionniers sur les Plateaux centraux du pays
et une hausse prononcée des rendements, aujourd’hui trois fois plus élevés qu’en Indonésie.
è La production vietnamienne est la seconde au monde, loin derrière le Brésil (pays 26 fois
plus grand).
è Production qui n’est pas de grande qualité mais qui progresse.
è Production soumise aux aléas climatiques (sécheresse) qui peuvent frapper les hauts
plateaux et dévaster les récoltes comme en 2016.
è Petits producteurs qui participent aux fronts pionniers et sont intégrés dans les exportations
vers les marchés internationaux.

Autre culture de rente qui a connu un vrai boom : le cacao. Le boom du cacao est en revanche bien
différent. Il est essentiellement cultivé dans les pays de l’archipel de l’ASE.

D’abord une culture pratiquée en Malaisie (années 1980), elle culmina à 350.000 hectares jusqu’en
1991 mais s’effondra ensuite très rapidement, constituant l’archétype d’un cycle « boom and bust ».

Depuis, les autorités indonésiennes ont choisi de multiplier par 5 les surfaces allouées à la culture
du cacao, pour atteindre 1,3 millions d’hectares. Le cacao est cultivé par des familles paysannes
dans l’île de Sulawasei en particulier.

è Culture dont les prix varient beaucoup, en raison des aléas climatiques, des épidémies
dévastatrices, du cours très volatile de la fève de cacao (baisse, puis hausse)
è Très forte production de cacao en Indonésie qui souhaitait devenir le 1er producteur
mondial. Elle est le 2ème en 2006, derrière la Cote d’Ivoire et devant le Ghana.
è Depuis, la production de café en Indonésie a considérablement baissé. En 2016, elle
n’atteignait plus que la moitié de la production de 2012, loin derrière la Cote d’Ivoire et le
Ghana.

Si café ne garantit pas une rentabilité sur le long terme aux paysans qui vivent pour beaucoup dans
la précarité, que dire de la production de thé ?

Production antérieure à la colonisation, son expansion n’en demeure pas moins liée à l’histoire
coloniale de la région ASE.

è En Indonésie, c’est à Java et à Sumatra que les Hollandais favorisèrent sa culture. En 1940,
les plantations s’y étendaient sur 200.000 hectares.
è Net recul après la Seconde Guerre mondiale à cause d’une chute des prix.
è Aujourd’hui, ce sont surtout des femmes qui cultivent le thé en Indonésie et font partie des
populations les moins bien payées du pays.
è Les plantations appartiennent à des sociétés d’États ou des grandes entreprises privées ;

- 61 -
Il n’y a plus que le Vietnam qui mise sur une forte expansion des terres consacrées à la culture du
thé. Il s’agit d’un thé de meilleure qualité qu’en Indonésie, cultivé dans les hautes terres.

Néanmoins, si au moins 4 pays de la région accordent de l’importance à sa culture, et lui consacrent


une partie non-négligeable de leur territoire, les terres consacrées à la culture du thé Sud-Est
asiatique apparaissent d’une taille relativement modeste par rapport à celle consacrées aux autres
grandes cultures commerciales.

3. La culture du cocotier.

Parmi les autres grandes cultures commerciales, on peut citer celle du cocotier : 2/3 des terres qui
lui sont consacrées dans le monde son en ASE (Indonésie et Philippines essentiellement).

Les cocoteries des Philippines continuent de s’étendre et couvrent 30% de l’ensemble des terres
cultivées du pays avec 3,3 millions d’hectares. Sous les cocotiers, on peut aussi pratiquer l’élevage.
La part de la surface allouée à la culture des cocotiers est à peine inférieure à celle des rizières
(37%).

Ce sont surtout des petits producteurs familiaux qui assurent la plus grande partie de la récolte
nationale. Les parcelles sont petites et les exploitants n’en tirent pas des revenus immenses.

Le principal produit de la noix qui est utilisé est l’huile, très consommée en ASE, devant l’huile de
palme. Elle est majoritairement destinée à l’exportation néanmoins.

Plus que toute autre culture de rente, la culture du cocotier est une culture pour les pauvres (petits
producteurs familiaux, faibles salaires).

L’étalement du domaine agricole en ASE est d’abord fondé sur l’expansion des grandes cultures
commerciales, auxquelles s’ajoutent celle de la canne à sucre. L’agriculture en ASE est soumise à
une forte compétition.

4. Les autres cultures et l’élevage.

Par autres cultures, on pense notamment à celle de fruits et de légumes, en pleine expansion depuis
que le niveau de vie a augmenté en ASE, participant à l’accroissement de leur consommation. En
2019, plus de 1,5 millions d’hectares sont consacrés à sa culture.

La culture de la pomme de terre, produite à grande échelle en Indonésie s’accroît fortement et sert
notamment pour la restauration rapide dans les grandes villes du pays.

L’élevage concerne essentiellement les volailles r les porcs, suit la tendance à la hausse. Ce secteur
dope ainsi la production de maïs.

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Fortes exportations de volaille de Thaïlande depuis les années 1980, et de viande de porc au
Vietnam. Mais ces deux secteurs ont connu un coup d’arrêt, avec la crise aviaire de 2003 et la
fièvre porcine en 2001.

5. Une expansion agricole suscitant d’intenses migrations de travail.

L’évolution des types d’agricultures est constante en ASE. En résulte une demande tous azimuts
en force de travail, dans un contexte ou la mécanisation demeure encore faible. La main d’œuvre
est nécessairement importante. Les travailleurs se rendent souvent aux plus offrants afin
d’augmenter des salaires souvent très bas.

On retrouve beaucoup d’Indonésiens dans les palmeraies malaisiennes, ou des Birmans en


Thaïlande pour la culture du riz, d’hévéa et de canne à sucre.

Ces déficits de main d’œuvre s’expliquent par le fait que l’agriculture s’est souvent installée dans
des endroits de faibles densités, ou la population locale est insuffisante pour répondre aux besoins
de la filière.

Parfois aussi, l’intérêt est réduit. Par exemple, en Malaisie, les salaires sont assez importants dans
les secteurs secondaires et tertiaires et les offres ne manquent pas. Ainsi, les emplois agricoles
faiblement rémunérés ne trouvent pas preneurs parmi les populations locales qui disposent déjà de
ressources satisfaisantes. Il faut donc faire appel aux migrants.

Dans tous les pays, la territorialisation des espaces agricoles vers les marges relève d’une stratégie
à multiples volets.

• De nature démographique, économique et géopolitique, plusieurs analyses


permettent de souligner le rôle clé que joue la paysannerie comme fer de lance territorial
de l’Etat.
• Autre objectif : redistribution et déconcentration de la population, par le biais de la
colonisation agricole.

6. Expansion agricole et recul forestier.

Forte augmentation de la déforestation depuis les années 1960, dans tous les pays d’ASE, au rythme
de l’avancée des terres agricoles.

Certains pays (Vietnam, Indonésie, Malaisie) ont tenté de mettre cette déforestation sur le dos des
minorités ethniques pratiquant l’agriculture sur brûlis, mais en réalité, c’est bien pour gagner des
terres pour l’agriculture commerciale que la forêt disparait. En réalité, la part de responsabilité des
minorités dans la déforestation est marginale.

La déforestation continue à générer des bavures importantes, comme de grands incendies (forêt de
Kalimantan dans la partie indonésienne de Bornéo).

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Le Vietnam a pillé largement ses propres ressources forestières depuis les années 1990 fait
désormais des importations (légales ou non) de produits forestiers en provenance du Laos et du
Cambodge.

Un pays a néanmoins entamé une transition forestière, qui consiste à un arrêt voire un renversement
du recul de la forêt : la Thaïlande. Stabilisation de la couverture forestière autour de 28%, en raison
de l’arrêt de l’expansion des terres agricoles (43%).

Au Vietnam, recul considérable de la forêt dans les années 1990 et renversement de la situation
depuis. La couverture forestière serait en augmentation très nette (dans la réalité, rien n’est certain
quand on sait que l’expansion des terres agricoles du pays est très importante et qu’elle se réalise
au dépend de la couverture forestière). En fait, les autorités vietnamiennes transmettent des données
tronquées à la FAO en disant notamment que les cultures d’arbustes sont des forêts. Au Vietnam,
développement de la crevetticulture a beaucoup progressé, expansion réalisée essentiellement sur
les littoraux du pays et aux dépens des forêts de mangroves.

7. Une expansion qui gagne le domaine maritime.

Hausse de l’aquaculture et des rendements des pêcheries depuis les années 1960. L’ensemble de
productions aquatiques ont augmenté. On assiste depuis 2008 a un boom de l’ensemble des
productions aquatiques dans la région.

L’Indonésie, grand pays archipélagique est sans surprise le principal pays producteur, tant au
niveau des captures en mer qu’à celui de l’aquaculture, devant les Philippines.

Sur le continent, le Vietnam et les Philippines connaissent aussi un essor important dans ce
domaine, alors que l’ancien leader incontesté, la Thaïlande, voit sa production baisser années après
années.

Au Cambodge, le Mékong contribue au dynamisme du secteur sur la longue durée. Le Grand Lac,
autrement appelé le Tonlé Sap se déverse dans le maître fleuve de l’Asie du Sud-Est.

è Il s’agissait du lac le plus fécond du monde pour la pêche, qui connaissait une croissance
incroyable grâce aux crues.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas en raison de deux facteurs :

è Déforestation excessive de la forêt qui ceinture le lac depuis les années 1970.
è Dérèglement du calendrier et du rythme des débordements, qui se réduisent en raison des
aménagements hydrauliques installés en amont.

Forte hausse de la demande en crevette qui a donc généré une croissance importante de leur
production. L’intensification de la production, devenue industrielle a eu pour conséquence un

- 64 -
aménagement des littoraux (destruction de la mangrove pour installer des casiers). Les recours aux
antibiotiques sont nombreux.

Les casiers de crevettes, surchargés en antibiotiques, rejettent des déchets dans les eaux littorales
et polluent énormément, quitte à en décimer la faune. Ainsi, les petits pêcheurs se voient dans
l’obligation de s’éloigner de plus en plus des rivages.

è La pression environnementale sur les terres et les forêts est désormais aussi concurrencée
par celle venant des mers avec des conséquences dont la sévérité ne cesse de s’amplifier.

La région ASE est celle qui possède le plus de superficie de mangrove sur Terre (essentiellement
en Indonésie) mais elle est aussi celle où elle disparait le plus massivement.

è Entre 1980 et 2005, la superficie des mangroves en ASE a diminué de plus de 30%, soit à
un rythme encore plus important que les forêts continentales.

IV. Produire pour tous les marchés.

Depuis 1960, la valeur de l’ensemble de la production agricole en ASE a crû deux fois plus vite
que dans le reste du monde.
L’ensemble de ces productions (agriculture, aquaculture, pêche) ont augmenté plus rapidement que
la croissance démographique en ASE avec pour conséquences principales :

è Hausse de l’autosuffisance vivrière à l’échelle de la région.


è Accroissement de la part de l’ASE dans les échanges agricoles mondiaux, en raison des
politiques étatiques partagées par l’ensemble des pays de la région. Ces politiques ont
soutenu l’intensification de la production et l’expansion des surfaces cultivées (terrestres et
maritimes).

Le rôle des États a été modifié au fil des années. D’abord très interventionnistes (ils finançaient les
infrastructures agricoles, déployant un ensemble de mesures), ils ont laissé petit à petit la main aux
acteurs et investisseurs privés.

La complémentarité entre les pays de la région ainsi que le jeu des transferts réalisés entre eux
quant aux productions contribuent à soutenir la présence et la compétitivité de leurs exportations
sur les marchés régionaux et mondiaux. La demande, particulièrement en Asie de l’Est est
particulièrement forte.

V. Les prédictions pessimistes invalidées.

A. Une surprenante remise en main.

De nombreuses analyses prédisaient une incapacité des acteurs agricoles (agriculteurs, planteurs
etc) sud-est-asiatiques à répondre aux défis du futur.

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Plusieurs études estimaient que les possibilités d’expansion agricole en ASE étaient nulles (thèse
de Barker) et que le poids de la croissance démographique serait trop lourd à supporter. Quasiment
toutes les prédictions pessimistes des observateurs coloniaux se sont révélées erronées.

Les agriculteurs d’ASE ont su répondre au défi démographique mais ont aussi contribué à un
accroissement massif des exportations, en dégageant un surplus de main-d’œuvre au profit du
secteur industriel.

B. Un pari sur la terre et sur la mer à la merci de la privatisation.

Dans l’ensemble de l’ASE, depuis 50 ans, pour répondre à la croissance économique et à


l’amélioration du niveau de vie, tout en répondant aux demandes du marché mondial, on est arrivé
à miser de manière intensive sur la terre et sur la mer.

On peut désormais se demander si ce modèle n’a pas atteint sa limite de croissance, entamant une
phase de stabilisation.

1. Expansion agricole et urbanisation.

Augmentation de l’urbanisation comme dans le monde entier.

è En ASE, le taux de population urbaine était de 15% en 1950 et de presque 50% aujourd’hui.
La Malaisie et l’Indonésie ont dépassé ce seuil, la Thaïlande et les Philippines y sont
presque. L’urbanisation est devenue un allié de l’industrialisation, la Malaisie en étant le
meilleur exemple après Singapour.

2. Agriculture et emploi.

L’agriculture continue de jouer un rôle central dans le développement économique de l’ASE, même
si son poids dans le PIB et dans sa participation à l’emploi recule. Dans une région qui s’urbanise
et s’industrialise rapidement, il y a toujours une « agriculturisation » des paysages. Alors que le
poids économique relatif de l’agriculture recule, celle-ci s’étend et apparaît de plus en plus présente
et mobilise de la main d’œuvre.

3. Une intensification et une expansion qui impliquent tous les secteurs.

Le dynamisme de l’agriculture, tel qu’il se manifeste par l’expansion territoriale et l’intensification


de la production, apparaît partagé entre le secteur paysan et celui des plantations, entre petits,
moyens et grands producteurs. Les grandes entreprises agricoles ne sont pas les seules à s’étendre
et à être productives.

4. L’interventionnisme initial de l’État.

L’interventionnisme de l’État est fort dans les pays d’ASE. Ils ont favorisé et contrôlé les
investissements dans le secteur agricole.

è Immenses investissements dans les infrastructures et les techniques de la révolution verte.

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Les investissements n’ont pas été uniformes (Thaïlande intervention de l’État pour l’irrigation
par exemple). Il n’a pas n’ont plus suivi les mêmes calendriers (Laos et Cambodge ayant
cumulé du retard, même si leurs rendements rizicoles sont aujourd’hui au rendez-vous).

5. Détérioration environnementale.

Les déséquilibres sont latents dans la région et s’observent particulièrement au plan


environnemental, notamment avec le recul accéléré du patrimoine forestier sur les littoraux, ainsi
que la pollution croissante des espaces maritimes, dont la productivité est mise en péril.

La question centrale est ici celle des limites au-delà desquelles le pari de la terre et de la mer
deviendra trop risqué pour être mené à bien et poursuivi, tant la détérioration environnementale et
le recul des écosystèmes sera avancée.

Certains facteurs pourraient empêcher la dilapidation du patrimoine naturel régional (accords


internationaux sur le climat, pressions internationales remettant en cause certains productions
comme l’huile de palme, protection de la forêt). Ces mesures n’ont toutefois pas toujours montré
leur efficacité. De plus, en ASE, les intérêts des investisseurs privés sont grands et ont encore des
impacts majeurs sur l’environnement.

6. Privatisation et désengagement de plus en plus marqués de l’État.

Mais, les problèmes qui apparaissent comme les plus sérieux depuis peu, les plus menaçant pour
le modèle de développement agricole en ASE sont la privatisation récente et accélérée ainsi que
les conséquences pour les populations. Partout, l’État se désengage.

Ce désengagement prend plusieurs formes :

- D’abord, l’expansion des territoires agricoles et de moins en moins déterminé et contrôlé


par les politiques publiques mais de plus en plus par les entreprises multinationales.
Largement le cas dans la crevetticulture et dans les cultures de rente.
- Les objectifs de cette expansion (à l’origine la réduction de la pauvreté, l’ouverture des
fronts pionniers) sont de plus en plus guidés par le marché.
- L’ouverture de nouvelles terres agricoles et des fronts pionniers est désormais entre les
mains des multinationales, surtout malaisiennes et thaïlandaises. Aussi, la culture croissante
de l’hévéa est dictée par la forte demande chinoise.
- Les migrations, locales, nationales, internationales, en particulier celles qui accompagnent
l’expansion agricole, sont celles de travailleurs sans terre et non plus des colons. Leurs
déplacements ne sont plus accompagnés par l’État.

Quelques résistances apparaissent, mais le pouvoir d’attribution des terres, semble glisser
inexorablement vers les entreprises privées de plus en plus multinationales.

On note aussi que la part des cultures de rentes destinées à l’exportation à l’internationale augmente
plus rapidement que celle des cultures vivrières, qui demeurent très orientées vers le marché
intérieur.

- 67 -
On assiste à un lent mais visiblement inexorable transfert du contrôle de la production agricole hors
des mains des États et des paysans vers celle des grandes entreprises.

On craint désormais une dérive : que la fuite en avant des agricultures d’ASE se réalisent désormais
uniquement pour les multinationales, au détriment des intérêts des populations locales.

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CHAPITRE 6 – LE TOURISME EN ASIE DU SUD-EST

ESSOR ET RECONFIGURATIONS.

L’ASE connaît une croissance touristique soutenue depuis les années 2000 (porté par le dynamisme
du continent asiatique et de la Chine en particulier). Le tourisme a joué un rôle dans l’intégration
régionale.

À l’échelle mondiale, le marché sud-est-asiatique demeure mesuré :

è Les arrivées internationales représentent 9% du tourisme mondial en 2017 contre 7,4% en


2010.
è L’OMT pensait en 2010 que le chiffre serait de 10% pour l’année 2030, mais le rythme
actuel suggère que cette part supérieure.
è La principale raison d’arrivée des touristes est les vacances, puis ensuite les achats. Il y a
très peu de tourisme affinitaire (visite à des proches).

Les États ont toutefois tendance à surévaluer la fréquentation à des fins politiques.

I. Une croissance touristique soutenue.

A. Une croissance globale inégalement répartie.

Depuis 2000, l’ASE est la région qui connaît la croissance touristique la plus soutenue (120
millions de touristes internationaux, soit une croissance de 70% sur les 7 dernières années).

è La Thaïlande domine l’activité régionale avec 35 millions de touristes internationaux en


2017.
è La Malaisie arrive en seconde position (25 millions de visiteurs).
è Loin derrière, un groupe de trois pays : Singapour, Indonésie, Vietnam, enregistrent entre
12 et 14 millions d’arrivées en 2017.
è Un second groupe de 4 pays reçoit entre 3,2 et 6,5 millions de visiteurs, les Philippines, le
Cambodge, la Birmanie et le Laos.
è En dernière position arrivent le Timor et Brunei (moins de 250.000 touristes).

Tous ces pays ne connaissent pas les mêmes succès. La croissance la plus spectaculaire est en
Thaïlande avec un gain de 25 millions de visiteurs en 17 ans. La Malaisie, Singapour et l’Indonésie
ont vu leur fréquentation doubler au cours de la période.

Certains pays ont des chiffres de croissances affolants, comme la Birmanie (multiplication par 16),
le Laos par 17. Seul Brunei enregistre une baisse (-73%) de son activité touristique depuis 2000.

B. Une croissance touristique portée par l’économie chinoise.

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La Chine porte la croissance touristique régionale. Les touristes chinois dépensent énormément
(250 milliards de $ en 2017, contre 100 en 2012).
Le Japon, premier émetteur de touristes asiatiques dans les années 2000 est relégué au second rang,
avec la Corée, et l’Australie.

Le tourisme émetteur chinois a commencé en 1983 avec la mise en place de destination approuvée
destinée aux déplacements vers Hong-Kong et Macao dans un premier temps. Ce statut permet au
gouvernement chinois de contrôler ses émissions de touristes internationaux. Les premiers à
bénéficier de ce statut furent la Thaïlande, Singapour, la Malaisie en 1990, pus les Philippines en
1992. Les accords ont successivement intégré les autres pays dans les années qui suivirent.

è Les touristes chinois dépensaient plus de 3.800$ par voyage en 2013, au 3ème rang derrière
ceux d’Arabie Saoudite et l’Australie. 25% de leurs dépensent sont consacrées aux achats.
è Ils sont présents surtout en Birmanie, Thaïlande et Vietnam (plus de 30%).
è La Thaïlande a accueilli 10,5 millions de touristes chinois en 2018, pour un total de 18
milliards de dollars de dépenses.
è En Thaïlande, sur 14,1 millions de touristes en 2009, 5% étaient chinois. En 2017, sur 36
millions de touristes, 35% étaient chinois.

C. Les profils touristiques des pays : entre tourisme international et tourisme régional.

Le premier constat est clair : une majorité de touristes dans la région ASE est d’origine sud-est-
asiatique (73%). Cela a favorisé l’intégration régionale de cet ensemble, non seulement sud-est-
asiatique mais aussi plus largement asiatique.

Touristes et capitaux sont longtemps venus du Japon et de la Corée du Sud, populations déjà riches,
se dirigeants prioritairement vers Singapour et la Thaïlande. Les pays d’ASEAN sont ensuite
devenus émetteurs à leur tour.

Aujourd’hui 4 pays d’ASE accueillent plus de 32% de touristes extérieurs à l’Asie : Singapour
(32,6%), la Thaïlande (33,2%), l’Indonésie (36% grâce à la proximité australienne) et les
Philippines (39%, poids des marchés nord-américains). Le Cambodge y est presque, avec 27%. Le
reste des pays accueille principalement des touristes en provenance d’ASE, principalement
d’Indonésie et de Malaisie.
La Malaisie accueille 88% de touristes sud-est-asiatiques dont la majorité est singapourienne.

Le marché du « tourisme halal » est en forte croissance, en forte croissance, contribue à renforcer
le poids de l’Indonésie et de la Malaisie. Les deux pays se partagent le premier rang mondial des
destinations les plus populaires des touristes musulmans.

Les touristes indiens sont également présents dans la zone, principalement en Thaïlande et en
Indonésie. Ils occupent la 3ème place à Bali derrière les Chinois et les Australiens.

Comme le tourisme international, le tourisme domestique a pris une ampleur considérable, avec
des flux souvent bien supérieurs à ceux du tourisme international. D’abord réservé à une élite
urbaine, le tourisme s’est ensuite démocratisé, grâce au développement des compagnies aériennes

- 70 -
low-cost notamment dans les années 2000, le développement des hôtels pour petits budgets ont
également joué un rôle.

Les touristes régionaux sont nombreux dans les grandes zones internationalement connues comme
Tanah Lot à Bali en Indonésie, la baie d’Halong au Vietnam ainsi que sur les grandes plages
fréquentées, également fréquentés par les occidentaux. En revanche, ils fréquentent aussi des
espaces où les occidentaux sont absents, comme les zones de patrimoine national ou les parcs à
thèmes.

De plus, les pratiques touristiques diffèrent entre sud-est-asiatiques et occidentaux. On l’observe


particulièrement sur les plages.

è Au Vietnam, la plage des occidentaux porte tous les signes des activités dominantes (sun,
surf and sun) alors que celle des Vietnamiens se démarque par la recherche de récréation
collective, ombre et fraîcheur. Les touristes domestiques évitent toute exposition au soleil.
è La quasi nudité des occidentaux contraste sévèrement avec l’aspect très pudiques des
locaux (surtout les femmes) qui se baignent souvent habillées.

D. Les déterminants de la croissance touristique.

1. Le développement d’infrastructures compétitives.

1er facteur de la croissance touristique : dynamisme économique de la région qui permet les
investissements indispensables en matière d’infrastructures aériennes et terrestres.

è Indonésie a augmenté son niveau routier de 27% et le Vietnam de 36%.


è Projets régionaux ferroviaires à grande vitesse, comme le couloir économique du bassin du
Mékong favorisent la diffusion des visiteurs dans la région.

2. L’accessibilité aérienne.

Le tourisme international en ASE repose sur l’accessibilité aérienne.

è 288 millions de passagers internationaux ont emprunté les aéroports de l’ASE en 2018.
è Bangkok, principal aéroport (78 millions) devant Singapour (60 millions) et Kuala Lumpur
(50 millions).
è Des investissements soutiennent l’évolution de ces infrastructures (complexe aéroportuaire
de Singapour avec l’inauguration d’un terminal en 2019, d’une valeur de 1,3 milliards de
dollars). Véritable hub de plusieurs étages avec magasins, parc botanique…

La compétition que se livrent les différentes compagnies permet d’avoir des prix compétitifs.

3. Libre circulation et contrôle des touristes.

Les séjours courts se développent dans la région grâce à la gratuité des visas touristiques et la
simplification des mesures d’accès.

- 71 -
è 196 nationalités comptabilisées en Indonésie depuis 2016.

L’obtention d’un visa supérieur concerne les séjours de plus de 30 jours.

Les facilités d’accueil de touristes s’accompagnent toutefois de mesures strictes en cas de non-
respect de la durée de séjour. En Indonésie, l’amende est de 30$ par jour dépassé et dépasse 50.000$
au-delà de 60 jours. Un étranger en situation irrégulière n’est pas autorisé à quitter le pays tant que
l’amende n’a pas été signée et peut même faire de la prison s’il n’est pas en mesure de la payer.
Ces mesures visent à dissuader une frange de touristes occidentaux peu argentés qui séjournent
illégalement dans la région.

4. L’incontournable question de la sûreté et de la sécurité.

Les questions de sûreté et de sécurité (sanitaire surtout) constituent une dimension essentielle du
succès des destinations touristiques.

Des évènements majeurs ont entaché l’histoire récente de la région :

è Attentats à Bali en 2002 et 2005


è Prises d’otages dans les îles des Philippines et à Manille (huit touristes de Hong-Kong tués).

En 2019, les zones déconseillées aux voyageurs par le Ministère des Affaires étrangères ne
concerne aucun pays dans son entièreté. Néanmoins, quelques zones restent déconseillées, comme
les régions frontalières de la Birmanie et de la Thaïlande, ou celle de la Malaisie et de la Thaïlande.
Certains confins des Philippines ou de l’Indonésie sont aussi déconseillés.

Cas de la Thaïlande, première destination touristique de l’ASE.

Il s’agit d’une destination internationale, vraie notoriété de la région, si l’on observe l’origine très
diverses des touristes. L’ASE et secondairement l’ASEAN sont les premières régions émettrices
(26 millions de touristes en 2018, et une croissance de 10% entre 2017 et 2018).

Viennent ensuite 6,5 millions d’européens, 2 millions d’asiatique du sud et 1,5 millions
d’Américains.

è Parmi les 14 premiers pays émetteurs de touristes vers la Thaïlande, 8 sont asiatique et
occupent les 5 premiers rangs (Chine domine, suivi de la Malaisie, pays limitrophe).
è Américains et européens continuent leur croissance.
è Nouveaux émetteurs à la croissance soutenue : l’Afrique du Sud, les EAU.
è Recul du marché australien.

La Thaïlande est une destination aux atouts variés. Les intérêts touristiques sont renouvelés.

La fin du tourisme sexuel ?

è Le tourisme sexuel remonte à la guerre du Vietnam (1962-1975) avec l’installation des


garnisons américaines, entourées de « ceintures de plaisir » qui accueillaient 40.000 soldats

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en permissions. Le marché de la prostitution décline dans un contexte d’enrichissement du
pays, le taux de pauvreté n’étant plus que de 7% en 2016 contre 44% en 1988.

è Les autorités se sont engagées à mettre un terme à ces pratiques et faire taire cette réputation
(restriction dans les établissements nocturnes de la station de Pattaya). Davantage de
descentes de polices dans les établissements de massages. Les formes classiques de la
prostitution disparaissent au profit des nouveaux réseaux de l’internet, plus discrets et
diffus.

L’offre touristique est plus diversifiée et renouvelée. Le pays ne dispose pas de sites touristiques
majeurs comme les temples d’Angkor (Cambodge) ou la baie d’Halong (Vietnam), il doit donc
proposer une offre diversifiée : plages, îles tropicales, réserves naturelles, temples, cultures, les
marchés flottants.

Elle développe aussi les parcs à thèmes, les marchés nocturnes, le golf, la cuisine (street food), le
tourisme médical ou tourisme de séniors.

La nouvelle clientèle se diffuse grâce à Airbnb notamment. En 2018, 1,65 millions de touristes ont
réservé leur séjour sur cette plateforme et 88% ont séjourné hors des zones touristiques.

è Au cœur de ce dispositif, la ville de Bangkok est incontournable. Selon MasterCard,


Bangkok est la ville la plus visitée au monde en 2017 pour la 3ème année consécutive. Avec
20 millions de visiteurs, elle devance Londres et Paris. Les touristes y séjournent 5 jours en
moyenne pour une dépense quotidienne de 173$.

Le tourisme médical est un énorme succès en Thaïlande. Le pays est la principale plaque tournante
des services de santé internationaux et propose des soins de très grande qualité à des prix
compétitifs.

è Chirurgie cardiaque, chirurgie esthétique et reconstructive, dentisterie, chirurgie des


yeux… les hôpitaux privés disposent d’équipements à la pointe.

Ces clientèles proviennent de deux types de pays :

è Pays riches où les soins sont onéreux, comme l’Australie, les États-Unis, l’Allemagne, la
France, Singapour.
è Les autres viennent des pays asiatiques ou la qualité des soins est faible : Birmanie,
Cambodge, Indonésie, Inde.
è Ce marché rapporte 3 milliards de dollars. Le pays compte plus de 230 hôpitaux et cliniques
privés (23% du total du pays).
è Outre les revenus tirés des soins, ces populations dépensent davantage que les autres
touristes : ils cherchent des services de qualité dans l’hébergement, la nourriture, la durée
de leur séjour est aussi plus longue.

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II. Le poids économique du tourisme.

A. Les revenus du tourisme.

En ASE, les revenus liés au tourisme sont de l’ordre de 135 milliards de dollars en 2017, soit 14%
du PIB global (sa part oscille entre 6 et 35% du total selon les pays).

è Les revenus les plus importants concernent la Thaïlande (57 milliards de dollars),
Singapour et la Malaisie complètent le podium (18 milliards environ chacun).
è Trois pays arrivent dans un second groupe : L’Indonésie (12 milliards), le Vietnam (8
milliards) et les Philippines (7 milliards et 20% des emplois)
è Les revenus ne dépassent pas 5 milliards dans les autres pays.

Pourtant ; il ne faut pas lire le poids économique du tourisme qu’au seul regard de ces chiffres
globaux. Au Cambodge, qui se situe dans le dernier groupe (- de 5 milliards), le tourisme représente
32% du PIB, notamment grâce à la popularité du site d’Angkor.

D’autres part, le poids du tourisme apparaît plus mesuré dans les pays qui disposent de ressources
naturelles (hydrocarbures), comme Brunei, la Birmanie ou en Indonésie.

B. Un secteur économique créateur d’emplois.

Le tourisme génère environ 37 millions d’emplois en ASE, dont 12 millions en Indonésie.

è Viennent ensuite la Thaïlande, le Vietnam et les Philippines, qui comptent entre 4 et 8


millions d’emplois liés au tourisme.
è La Birmanie, le Laos et le Cambodge rajoutent 5 millions d’emplois.

Aucun État n’est en situation de dépendance vis-à-vis du tourisme, qui s’intègre dans les économies
diversifiées de ces pays. Toutefois, à l’échelle infrarégionale, certains espaces peuvent dépendre
du tourisme, comme Phuket ou Bali.

III. Aménagement du tourisme et internationalisation de l’économie.

L’accroissement du nombre de touriste et l’espoir d’en attirer encore davantage sont parmi les
principaux facteurs qui ont conduit à une reconfiguration des espaces touristiques.

è Les petites îles et les espaces côtiers peu équipés ont été transformés en espaces balnéaires.
è Les centres historiques sont devenus des centres d’affaires dominés par l’activité
touristique.
è Inscription de certains lieux au patrimoine mondial de l’UNESCO (temple d’Angkor au
Cambodge, baie d’Halong au Vietnam).

A. Une reconfiguration rapide des centres historiques.

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Il faut que les lieux à vocation touristiques se transforme pour devenir rapidement indentifiables
comme « destination touristique » pour permettre d’augmenter les flux de touristes.
è Développement des promenades en front de mer, trottoirs et tronçons piétonniers, façades
colorées des restaurants.
è Certains quartiers des centres historiques ont été patrimonialisés et réhabilités et sont
devenus des espaces touristiques identifiés.
è Parfois même alors qu’ils n’existaient pas, des sites ont été créés ex-nihilo, comme un
château et une basilique de style médiéval français sur une colline au centre du Vietnam.

Les destinations touristiques rivalisent de créativité pour se démarquer de leurs concurrentes :


è Deuxième plus haute statue du monde à Bali.
è Pont et promenade suspendus à Danang au Vietnam.

Néanmoins, les villes ont souffert de leur urbanisation rapide et inadaptée, lié à un désintérêt des
pouvoirs publics pour le patrimoine et l’histoire de ces lieux. La priorité était donnée au
développement économique ainsi qu’à la domination qu’exerce le secteur privé sur le
développement urbain. La plupart des grandes villes de la région ASE ont subi des transformations
majeures de leur espace urbain, les sites anciens étant souvent détruits au profit de la construction
de bâtiments neufs et modernes. Peu de bâtiments du XIXème siècle demeurent encore aujourd’hui.
Souvent, ces aménagements urbains ne prenaient pas en compte la trame ancienne ainsi que les
questions environnementales

B. Des stations et enclaves touristiques aux mégaprojets multifonctionnels.

Parallèlement aux centres-villes, de nombreux autres lieux ont été créés spécifiquement pour le
tourisme, que ce soit dans des petits villages existants ou dans des lieux construits ex-nihilo.

Les espace côtiers et petites îles concentrent la majorité des lieux touristiques.

1. La station touristique : quand un village est investi par le tourisme.

Comme en Europe, le tourisme a d’abord investi les villages existants en ASE à partir des années
1960-1970. Aujourd’hui, la skyline de Pattaya qui accueille 15 millions de visiteurs/an ne permet
pas d’imaginer le village de pêcheurs qui existait au même endroit en 1960. Même constat pour
Phuket ou l’île de Koh Samui également en Thaïlande, ou du sud de Bali (Indonésie).

Les localités investies par le tourisme sont devenues en 20-30 ans des stations touristiques, nées
sur la base d’un village existant mêlant résidents et touristes. Renforcement de la capacité hôtelière
dans les années 1990, c’est surtout dans les années 2000 que l’emballement constructif hôtelier
s’est fait jour. Constructions d’hôtels de plus en plus grands au style architectural de plus en plus
urbain.
è L’île de Chang dans le golfe de la Thaïlande est passée, à partir des années 2000 d’une
destination émergente avec des petits hôtels locaux à une station touristique comptant plus
de 150 espaces hôteliers de standard international.
è Les villes hautes dominent l’espace touristique (Phuket) ou Penang (Malaisie).
è Quelques lieux résistent à cette poussée verticale du bâti, comme à Bali, où les normes
locales de construction limitent la hauteur du bâti à celle d’un cocotier (15 mètres) ou encore

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à Koh Samui ou la forme dominante sur l’île reste celle des bungalows ou d’immeubles
bas.
2. Comptoirs touristiques et mégaprojets touristico-immobiliers.

En parallèle des stations touristiques, des lieux ont été créés ex-nihilo sur les littoraux attractifs et
propices aux activités de loisirs (nautiques). Souvent, ces lieux sont fermés et dépourvus de
population locale, ce qui fait qu’on peut parler d’enclave ou de comptoir touristique.

On garde en mémoire l’enclave sur le modèle d’un hôtel, comme le club-Med en France dans les
années 1960, ou encore l’île-hôtel aux Maldives (une île = un hôtel).

L’enclave touristique est fermée, sécurisée, elle bénéficie d’un plan de développement intégré et
d’une gouvernance propre unique (privée ou publique), de récents développements montrent
qu’elle s’ouvre à d’autres fonctions, résidentielles et de loisirs, s’adressant de plus en plus aux
populations locales.

En ASE, l’Indonésie a été précurseur au début des années 1970 avec l’élaboration au sud de Bali,
à Nusa Dua, d’une enclave conçue et élaborée par une société d’État de 400 hectares. Aujourd’hui,
elle compte 19 hôtels et 5.000 chambres sur environ 140.000 chambres au total. Aujourd’hui, cette
enclave n’est qu’un lieu parmi d’autres du tourisme de l’île.

Le boom hôtelier des années 1990 et surtout 2000 s’est accompagné d’un redimensionnement des
projets touristiques, tant en envergure spatiale qu’en montants financiers. On parle de mégaprojets,
visant à attirer de plus en plus de visiteurs, ayant une meilleure connectivité au reste du territoire.
On crée désormais des pôles touristico-immobiliers, dominée parfois par l’activité des casinos
comme à Boten, une ville frontalière entre le Laos et la Chine, devenue « Boten Golden City »

IV. Les limites sociales et environnementales du développement touristique.

Le développement du tourisme en ASE est à l’image du développement économique de la région :


la planification est souvent débordée par les défis économiques et financiers, portés par une
demande croissante.

La puissance chinoise donne le rythme : la Chine domine le marché du tourisme en ASE et relègue
au second plan des pays comme l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud.

Il n’en demeure pas moins que le tourisme représente aussi des problèmes dans certains endroits.

è Le tourisme est accusé d’avoir des impacts négatifs profonds sur les sociétés (simplification
et réduction de la diversité culturelle, folklorisation des cultures locales).
è Sentiment de marginalisation des populations locales au regard du développement de
mégaprojets, comme à Bali.
è Développement urbain anarchique en raison de l’expansion des stations touristiques.
è Dommages environnementaux.
è Les enclaves touristiques sont accusées d’isoler les touristes de populations locales et d’être
construites sur des terres accaparées (parfois de force) par les États centraux.

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Plus largement, c’est l’état environnemental de l’ASE qui se révèle préoccupant. Les risques de
pollutions sont immenses, outre les risques liés aux aléas et aux changements climatiques.

è Les gros bouchons à Bali et Pattaya, déficitaires en transports en commun, génèrent des
pollutions importantes.
è L’alimentation en eau des stations touristiques a longtemps reposé sur le pompage des
nappes phréatiques, qui a généré une salinisation de ces dernières.
è Gestion défaillante des déchets, qui finissent souvent dans la mer (plastiques et eaux usées).
è Fermeture de certaines îles ou plages en raison de la sur-fréquentation.
è Érosion côtière en raison des constructions d’infrastructures (routes, hôtels) directement sur
le trait de côte.

Certaines organisations ou des initiatives régionales ou locales ont vu le jour pour répondre et gérer
ces questions, mais il n’en demeure pas moins qu’il faudra surement du temps pour mesurer de
réelles avancées sur le terrain dans la région.

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CHAPITRE 7 – LES MUTATIONS DÉMOGRAPHIQUES
L’ASE est située entre deux géants démographiques (Chine et Inde) qui comptent chacun environ
1,3 milliards d’habitants.

L’Asie du Sud-Est, avec ses 635 millions d’habitants en 2015, semble un creux démographique à
l’échelle du continent asiatique. La population des pays qui la composent varie très largement
(centaines de milliers d’habitants à Brunei ou au Timor) contre 264 millions d’habitants en
Indonésie, 4ème pays le plus peuplé du monde, en passant par des pays comptant entre 30 à 100
millions d’habitants.

Les pays d’ASE ont engagé leur transition démographique, souvent à la faveur de politique
gouvernementale (réduction du rythme de la croissance et modification de la pyramide des âges).

I. Une croissance démographique généralisée en cours de ralentissement.

Les historiens présentent la région comme une étendue couverte de forêts et peu peuplée au
XIXème siècle. À cette époque, la natalité était très élevée, tout comme la mortalité et il était facile
d’échapper au contrôle d’un souverain en allant défricher au-delà de l’écoumène.

À l’échelle de la région, l’intensification de la mise en valeur agricole et de l’exploitation des


ressources sous l’impact de la colonisation s’est accompagnée d’un accroissement rapide de la
population, soutenue par l’immigration chinoise et indienne organisée par les puissances coloniales
pour alimenter la main-d’œuvre dans les mines et les plantations.

è Entre 1820 et 1940, la population sextuple aux Philippines, triple en Indonésie et double en
Thaïlande.
è Accroissement démographique encore plus important dans les années 1950. La population
de la région a été multipliée par 4 entre 1950 (165 millions d’habitants) et 2015 (635
millions).

Cette forte explication s’explique par le baby-boom d’après la Seconde Guerre mondiale, ainsi
qu’une forte fécondité propre aux sociétés agraires et une baisse de la mortalité (grâce à la fin des
conflits et une meilleure gestion des maladies et épidémies).

Néanmoins, le rythme d’accroissement des populations s’est réduit depuis. Il était de 2,5% par an
en 1970 contre 1,2% aujourd’hui. Ralentissement démographique comparable à celui de
l’Amérique latine mais moins important qu’en Asie de l’Est ou les politiques démographiques
étaient très coercitives (Chine).

Transition démographique très rapide (à peine 50 ans) en ASE, contre au moins 150 ans en Europe.

è Dans les années 1950, la mortalité se situait aux alentours de 19 pour 1.000, elle est de 6,7
aujourd’hui.
è L’espérance de vie à la naissance était de 46 ans en 1950 contre 70 ans en 2015.

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è La natalité a diminué, passant de 6 enfants/femme en moyenne en 1950 à 2,3 aujourd’hui.
A. Des trajectoires différenciées de transition démographique.

L’ensemble des pays a connu un ralentissement marqué de leur croissance démographique, mais
le rythme de ces ralentissements a été variable selon les pays.

è Précoce et rapide à Singapour et en Thaïlande (éradication rapide du paludisme dans les


années 1950 et des maladie infectieuses). La croissance démographique de ces pays est
passée sous les 1,5% en 1970.
è Moins rapide en Malaisie, en Indonésie, au Vietnam, en Birmanie et à Brunei. Modèle lent
et traditionnel de baisse.
è Plus tardif au Cambodge, Laos et à Timor-Leste. Pic de mortalité au Cambodge avec la
guerre d’Indochine et le régime de Khmers puis l’occupation vietnamienne. Baisse récente
de la mortalité. Le baby-boom qui a suivi est le résultat du retour à la paix. Dans ces trois
pays, la natalité reste supérieure aux autres pays de la région.

Ce déclin est lié à un ensemble d’amélioration liées aux développement économique en termes
d’alimentation, d’accès au soin, à l’éducation, à l’urbanisation, à la diffusion de modèles sociaux
de familles moins nombreuses, notamment par les médias.

Cas de la Thaïlande :

Véritable révolution démographique à partir des années 1970, déclin de la fécondité, soutenu par
une politique de planification familiale mise en place à partir des années 1970.
è Promotion des moyens contraceptifs.
è Meilleur accès aux services et informations sur l’ensemble du territoire.
è Aides financières accordées aux familles de moins de 2 enfants.
è Libéralisation de l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de grossesse à risque pour la mer
et stérilisation dès 1977.

15% des femmes mariées utilisaient un contraceptif en 1970 contre 70% en 1990. Utilisation moins
fréquente chez les jeunes non mariées. L’âge du mariage a reculé.

Aujourd’hui, ce déclin de la natalité se poursuit. Le taux de fécondité est passé de 1,9


enfants/femme en 2000 à 1,5 en 2010. La population vieillit et sera moins nombreuse en 2050
qu’aujourd’hui.

B. Des gains d’espérance de vie entachés par une mortalité infantile persistante.

Transition démographique généralisée dans la région, quoique décalée dans le temps selon les pays.

è Porté dans un premier lieu par une forte diminution de la mortalité faisant augmenter
l’espérance de vie de 46 ans en 1950 à 70 en 2015, soit 10 ans de moins que les pays les
plus riches, mais dans la moyenne des pays à revenus intermédiaires. Espérance de vie chez
les femmes supérieure à celle des hommes.

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è La baisse de la mortalité s’observe partout en ASE, notamment grâce à l’intervention des
fondations et organisations internationales actives dans les pays en développement. L’ASE
suit la tendance observée actuellement dans le reste du monde.

è Les maladies infectieuses et parasitaires (paludisme, dysenterie) sont en passe d’être


reléguée au second plan comme cause de mortalité derrière les maladies chroniques
(cardiaques, cancer).

La baisse de la mortalité est aussi le résultat de gains en matière de développement et aussi de


politiques volontaristes dans certains États.

è Meilleurs équipements sanitaires en Indonésie ou au Vietnam.

è Campagnes sanitaires de vaccination, faisant passer la couverture vaccinale de 44% dans


les années 1970 à 70% à 98% aujourd’hui selon les pays.

è Politiques de planification des naissances qui ont diminué la mortalité maternelle.

Le paludisme reste toutefois endémique dans la région qui enregistre encore 10% des cas
enregistrés dans le monde, avec des poches de résistances aux traitements classiques dans le nord
de la partie continentale.

L’épidémie de sida a touché la Thaïlande dans les années 1980 et s’est étendue dans les années
1990 aux pays voisins (Cambodge, Birmanie, Vietnam). L’épidémie a été maîtrisée en Thaïlande
et les autres pays connaissent une baisse générale des décès liés au sida (prévention, meilleure
diffusion des traitements).

Néanmoins, les taux moyens de mortalité infantile (nombre de décès à la naissance et avant l’âge
de 1 an) restent supérieurs au reste des pays développés, signe d’une pauvreté persistante, malgré
une forte diminution depuis 1950. Cette diminution s’explique par plusieurs facteurs :

è Meilleure prise en charge des grossesses et de l’accouchement.


è Lutte contre les maladies infectieuses par des campagnes de vaccination, mais elles restent
élevées dans les pays pauvres (Laos, Timor-Leste) ou l’accès aux soins est difficile.

Sans surprise, le taux de mortalité infantile est corrélé au niveau économique des différents pays
sauf au Vietnam Le pays a mis en place depuis 1950 un système de santé performant et impulsé
une politique sanitaire de lutte contre les maladies infectieuses de l’enfant (hygiène, vaccins contre
la plupart des maladies). Cet encadrement médical s’est accompagné du l’utilisation de techniques
traditionnelles et de la médecine préventive.

Singapour, quant à lui, affiche un taux de mortalité infantile de 2 pour 1.000, parmi les plus bas
du monde.

- 80 -
C. Une révolution dans la fécondité.

La diminution de la fécondité a très tôt placé l’ASE dans une trajectoire de ralentissement de
l’accroissement naturel malgré la baisse de la mortalité.

On observe logiquement un lien entre taux de fécondité et niveau de développement économique,


mesuré notamment par l’DIH. Malgré les disparités affichées ci-dessous, la fécondité globale a
baissé dans la région ASE.

è Singapour est passé sous le seuil de renouvellement des générations (qui équivaut à 2,1
enfants/femme). La Thaïlande et le Vietnam sont aujourd’hui également sous ce taux.

è À l’autre extrême se trouvent des pays comme le Laos et les Philippines dont les taux de
fécondités sont proches de 3 enfants/femme. Le Timor-Leste affiche lui un taux de
fécondité proche de 6 enfants/femme.

Plusieurs raisons expliquent la baisse de la fécondité dans la région qui se produit dans un contexte
de croissance économique.

è Élévation du niveau d’instruction, en particulier des femmes.


è Changement d’attitude face au mariage qui sont plus tardifs.
è Diminution de la naissance chez les très jeunes femmes.

L’urbanisation et les changements dans les modes de vie et de culture est aussi un élément
explicatif. On note toujours des écarts de fécondité entre zones rurales et zones urbaines.

è En Indonésie, le taux de fécondité était de 3,7 enfants/femme en 1987 et de 2,4 en 2012 en


milieu urbain contre 4,5 et 2,8 aux mêmes dates en milieu rural.

D. Des politiques de planification des naissances, promues par les organisations


internationales.

Cette transition de la fécondité s’appuie sur l’engagement des gouvernements dans les politiques
de planification des naissances depuis les années 1960, promues par les organisations
internationales pour contrôler la croissance démographique mondiale.

Les objectifs et les ampleurs sont variés selon les pays :

è Limitation du nombre de naissance comme au Vietnam.


è Simple politique familiale et sanitaire aux Philippines et au Laos qui ont favorisé
l’utilisation croissance de contraceptifs et l’espacement des naissances. Aux Philippines,
l’Eglise catholique reste néanmoins un véritable frein à l’introduction des politiques de
limitation des naissances et la fécondité reste élevée.
è En Malaisie, alternance des objectifs (limitation des naissances dans les années 1960, suivie
d’une politique nataliste afin que les Malais regagnent la supériorité numérique face aux
Chinois et Indiens. Aujourd’hui, 3,5 enfants/femme chez les Malais contre 2/femme chez
les Chinois et Indiens).

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è Singapour : limitation des naissances dans les années 1960, basée sur l’usage de la
contraception.

En conséquence, les pays dans lesquels la fécondité a diminué le plus tardivement enregistrent une
part de plus de 15 ans plus importante qu’ailleurs (Timor, Laos, Philippines).

II. Dividende démographique et vieillissement de la population.

A. Des pyramides des âges modifiées.

Ces évolutions des indicateurs de la démographie ont un impact sur la structure de la population.

è Avec la diminution de la fécondité, la proportion des jeunes a tendance à diminuer alors


que les populations d’âge actif augmentent.
è Allongement de la durée de vie qui augmente le taux de personne âgées.
è L’âge médian est passé de 20,5 ans en 1955 à 28 ans en 2015. La situation à ce sujet varie
selon les pays (17 ans au Timor vs. 40 ans à Singapour).

En ASE, la part des 0-14 ans est de 38%, celle des 15-65 ans est de 57% et celle des + de 65 ans
est de 4%. Ces chiffres sont dans la moyenne des pays à revenus intermédiaires.

Les pyramides des âges jusque dans les années 1980 étaient larges à la base et étroite au sommet,
et ont évoluer vers une forme plu conique aujourd’hui.

B. Une période de dividende démographique.

Le rapport de dépendance (part des non-actifs, jeunes et âgés par rapport aux actifs) atteindra son
plus bas en 2020 dans les pays qui ont entamé leur transition démographique relativement tôt
(Singapour, Thaïlande). Les autres pays, comme l’Indonésie ou le Cambodge, ont encore 2
décennies devant eux avant d’atteindre ce rapport de dépendance (2040).

L’ASE touche aujourd’hui son dividende démographique. Aujourd’hui, l’ASE connaît une période
de dividende démographique, c’est-à-dire qu’elle connait une forte croissance et un développement
humain important grâce à sa forte proportion de population active. Il a été un facteur clé du
décollage économique des années 1980 et devrait continuer à être un facteur positif.

Cette répartition des classes d’âge allège la charge économique des plus jeunes sur les dispositifs
de scolarisation, sans encore faire peser celle des séniors qui représentent en 2015 seulement 6%
de la population.

D’ailleurs, les séniors ne sont pas toujours une charge économique en ASE car ils poursuivent
longuement leur aspect d’actif (aides aux jeunes, soins aux enfants).

Le vieillissement de la population fait néanmoins craindre peser une pression plus forte sur les
dispositifs de santé.

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Cette répartition de la population est positive tant que l’activité économique fournit des emplois.
Si la situation s’inverse, les chômeurs s’ajouteront aux jeunes et aux âgés pour peser
économiquement sur les actifs.

C. Le défi du vieillissement.

Vieillissement inéluctable en ASE en raison de la diminution de la mortalité et de l’augmentation


de l’espérance de vie.

è Il est prévu que les plus de 60 ans représentent 21% en 2050 contre 9% aujourd’hui.

L’enjeu du vieillissement est en passe de devenir un enjeu social majeur à un horizon plus ou moins
proche selon la date d’entrée des pays dans la transition démographique.

Les deux pays les plus précoces (Singapour et Thaïlande) sont tombés sous le seuil de
remplacement des générations (2,1 enfants/femme). Ils auront entre 35 et 40% de leur population
âgée de plus de 60 ans en 2050.

è Singapour a mis en place une politique de soutien aux personnes âgées (questions des
retraites, du logement et des soins).

è En Thaïlande (ou le doublement de la population âgée est déjà atteint) en revanche le


vieillissement fait déjà peser une pression sur le système de santé.

è Ailleurs, les autres pays ont encore une vingtaine d’année (horizon 2040) pour s’organiser
et anticiper.

En ASE, la corésidence entre âgés et jeunes est la norme mais est de plus en plus mis à mal par les
migrations des jeunes vers les logements exigus des villes qui ne permettent plus cette corésidence.

Par ailleurs, le modèle traditionnel de solidarité intergénérationnelle s’érode. La famille nucléaire


devient la norme. De plus, la baisse de la natalité va entrainer une diminution du nombre de jeunes
susceptibles de prendre en charge les personnes âgées.

Or, l’absence de sécurité sociale, de système de retraites ou de structures d’accueil des personnes
âgées dans la plupart des pays d’ASE constitue un enjeu dont les gouvernements commencent à se
saisir.

Conclusion : À l’horizon 2050 ?

Si les tendances actuelles se poursuivent, la situation sera profondément bouleversée.

è L’âge médian augmentera de 10 ans.


è Les pyramides des âges vont s’inverser et seront étroites en bas et larges au sommet.

Les populations des Philippines et de l’Indonésie, pays les plus peuplés, continueront d’augmenter
mais moins rapidement. La population en Thaïlande va diminuer par rapport à aujourd’hui.

- 83 -
PARTIE 3 : LES LIMITES DU DÉVELOPPEMENT

Enjeux environnementaux, soutenabilité, tensions sociales.

CHAPITRE 8 – DÉFIS ENVIRONNEMENTAUX ET


LIMITES D’UN MODÈLE

L’insertion de l’ASE dans l’économique mondiale, qui repose sur l’exportation de produits
naturels, agricoles ou industriels, peut paraître spectaculaire à bien des égards.

Elle se heurte néanmoins aux enjeux environnementaux qui amènent à relativiser ses succès et
douter de sa soutenabilité.

Les stratégies économiques s’avèrent souvent prédatrice et ont généralement mal anticipé les
évolutions à venir, particulièrement l’épuisement des ressources et l’impact du réchauffement
climatique.

I. Une zone au cœur des aléas et des risques naturels.

L’ASE est une des régions les plus soumises aux risques et aléas naturels.
Il faut différencier ces termes.

è Les aléas sont des phénomènes plus ou moins probables, mais ne deviennent des risques
qu’en étant associés à des vulnérabilités de sociétés. Ils peuvent être naturels (volcanique,
sismiques, climatiques) mais aussi provoqués par des activités anthropiques.

Les aléas ne concernent pas uniformément tous les pays d’ASE :

è Les dangers liés aux phénomènes sismiques et volcaniques surtout se concentrent sur
l’espace de la « ceinture de feu » (Indonésie, Philippines et Timor-Leste.
è Certains phénomènes climatiques comme les typhons touchent de leur côté surtout les côtes
de Birmanie, des Philippines et du Vietnam.

A. Les aléas sismiques et volcaniques.

1. Un risque sismique élevé.

L’ASE est l’une des régions de la planète les plus exposées aux phénomènes telluriques, en raison
de sa situation à la conjoncture de plusieurs plaques tectoniques majeures.

Sa situation sur la ceinture de feu induit aussi un volcanisme très actif et une forte activité sismique
qui peut provoquer des tsunamis.

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Risque sismique très grave dans la région :

è Du début du XXème siècle à avril 2019, on compte plus de 1.000 séismes de magnitudes
supérieures à 6,6 sur l’échelle de Richter dans une zone allant de l’ouest Pacifique à la
Corée.
è Sur ces plus de 1.000 séismes, 430 ont été recensés en ASE, soit 43% du total.
è L’ASE est touchée par la moitié des séismes de 7,6 à 9,1.

Les séismes ne touchent pas de manière équivalente tous les pays de la région :

è C’est l’Indonésie qui est le pays le plus touché (260 séismes importants sur les 120 dernières
années).
è Les Philippines et le Timor sont également touchés avec 133 et 29 tremblement de terre.
è En revanche les pays de l’ASE continentale sont peu touchés (aucun séisme au Cambodge
par exemple, 1 seul en Thaïlande).

Même au sein d’un pays comme l’Indonésie qui s’étend sur plus de 5.000km, (soit la distance du
Portugal à l’Iran), le risque n’est pas le même pour l’ensemble du territoire.

è Les îles Moluques, Sumatra, Java en bordure de plaques tectoniques sont bien plus
concernées que les régions éloignées de ces bordures comme la partie indonésienne de
Kalimantan (Bornéo).
è Cela peut avoir des incidences sur les projets d’implantations des centrales nucléaires dans
la région.
è Séismes en Indonésie (1900-2019) : 64 à Sumatra (24%), 61 aux Moluques (23%), 53 en
Papouasie occidentale (20%), 1 à Bornéo.

Il faut également nuancer ces données dans la mesure où elles ne concernent avant tout que la
position de l’épicentre des séismes. Des séismes de même intensité n’auront pas le même effet en
fonction de la localisation de leur épicentre (en pleine mer, en profondeur…)

è Le tsunami de 2004 au large de Sumatra de magnitude 9,1 (pour comparaison, celui de


Fukushima était de 9). Épicentre au nord de Sumatra, dans une région maritime à 30km de
profondeur. Il a provoqué un tsunami d’une hauteur de 30 mètres. Il a causé 170.000
victimes mais d’autres pays d’ASE, ont été touchés par la vague, comme en Thaïlande
(8.000 morts), mais également plusieurs centaines en Birmanie et des dizaines en Malaisie.
L’impact de ce séisme a aussi été ressenti en Inde et a provoqué des morts jusqu’en
Afrique !

2. Un volcanisme actif.

L’ASE est aussi une région à forte activité volcanique, en raison de sa situation sur la ceinture de
feu du Pacifique. Elle est à la fois une menace pour les populations (surtout insulaire) mais
représente aussi des atouts avec la fertilisation des terres, ce qui explique la forte densité de
peuplement jusqu’à flanc de volcan.

è 5 volcans de la région ont pu avoir des conséquences à l’échelle de l’humanité.

- 85 -
è L’évènement le plus ancien serait celui d’un super volcan au nord de l’île de Sumatra
(Indonésie), il y a 74.000 ans Une explosion d’une rare violence se serait produite
produisant des émissions massives de centre dans l’atmosphère ayant induit une baisse des
températures moyennes de 3°C sur la planète, ce qui a provoqué la mort d’une majorité de
populations humaines de l’époque.

è En 1257, éruption du volcan Samala, elle aurait ravagé une partie de Bali et Sumbawa, et
rejeté 160 millions de tonnes de dioxyde de soufre dans l’atmosphère produisant un
refroidissement global qui aurait été ressenti jusqu’en Europe et aurait généré des famines
et des milliers de morts.

è Phénomène similaire en avril 1815, dans l’île de Sumbawa, qui aurait tué entre 60.000 et
120.000 personnes. Les particules de soufre aurait fait baisser la température de la planète
d’environ 1°C, ce qui généré une année « sans été » en Europe Cette éruption et ses
conséquences aurait pu être la raison du temps très pluvieux en juin 1815 qui favorisa la
défaite de Napoléon à Waterloo.

è Éruption plus récente en partie immergée du Krakatoa (Indonésie) en décembre 2018 a


provoqué un tsunami tuant 500 personnes à Java. Cela prouve que le risque reste une
préoccupation contemporaine, même lorsque les signes avant-coureurs sont perceptibles.
Les agriculteurs attendent toujours le dernier moment avant d’abandonner leurs terres et
leur bétail.

Il y a eu de moins en moins de victimes au cours des dernières années, en raison des meilleures
prévisions liées aux progrès scientifiques qui permettent les évacuations préventives de parfois
plusieurs milliers de personnes. Néanmoins, au regard de la taille des archipels, il est impossible
de tout contrôler.

è En 2009, le Centre indonésien de vulcanologie ne pouvait surveiller en permanence que 69


volcans sur 129 considérés comme actifs.
è Les tsunamis restent très difficiles à anticiper.

B. Des aléas climatiques qui pourraient se renforcer.

1. Une pluviométrie perturbée par El Nino et La Nina.

Les autres grands types d’aléas naturels auxquels est confrontée l’ASE sont d’origines climatiques.
La région connaît des climats équatoriaux et tropicaux différenciés, sujets à de fréquents cyclones
et régulièrement perturbés par les phénomènes El Nino et La Nina.

Depuis 1982, tous les 3 à 4 ans, le phénomène El Nino induit des sécheresses favorisant des
incendies de grande ampleur qui ravagent jusqu’à 5 à 6 millions d’hectares de forêts et de culture.

è Incendies en 1997-1998, actifs pendants plus d’un an, avec des fumées allant de l’Indonésie
aux Philippines. Perturbation de trafic aérien et maritime sur des milliers de km et provoqué
des troubles respiratoires chez des dizaines de millions de personnes en Indonésie,
Singapour et Malaisie.

- 86 -
è Catastrophe écologique majeure évaluée à plus de 6 milliards de dollars, sans compter les
milliers de victimes en Papouasie occidentale.

Selon une étude de 2019 de la Commission des Nations unies pour l’ASE, les sécheresses auraient
affecté 60 millions de personnes sur les 30 dernières années.

è Impact lourd sur l’agriculture avec un impact sur les capacités d’irrigation et les
rendements.
è Depuis les années 19980, les pays les plus affectés sont l’Indonésie, la Thaïlande, le
Vietnam et la Birmanie.
è En Birmanie, en raison de la sécheresse en 2015, la pluviométrie est tombée sous les
300mm/an. En Thaïlande, une sécheresse a affecté le nord agricole ainsi que la région
touristique de Phuket au sud.

La Nina est le phénomène inverse d’El Nino, avec lequel elle alterne.

Elle peut avoir des conséquences toutes aussi dramatiques avec ses inondations, de plus en plus
fréquentes et d’ampleur continentale.

è L’épisode récent le plus fort de La Nina remonte à 2011. En Thaïlande, ou la pluviométrie


a été 40% supérieure à la moyenne. Elle a provoqué la rupture de nombreuses digues et
inondé la moitié des provinces, ainsi qu’une partie de Bangkok, causant 800 morts et
affectant 12 millions de personnes, causant 40 milliards de dollars de dégâts. Perte de 13%
de la récolte de riz, fermeture d’un millier d’usines et d’entrepôts appartenant à des
investisseurs européens, japonais et américains.

En Thaïlande, ces inondations ont été les pires depuis 50 ans mais elles risquent de devenir de plus
en plus fréquentes avec le réchauffement climatique.
Le pays a renforcé et rehaussé ses digues, censées supporter les 370km du fleuve Chao Phraya qui
traverse Bangkok.

Cette option de recherche du contrôle par le bétonnage est critiquée et contestée par les géologues
et hydrologues qui considèrent qu’il serait préférable d’accepter les contraintes naturelles plutôt
que de chercher à les empêcher, ce qui pourrait générer des crises pires encore.

è En 2011, les inondations ont aussi touché la Birmanie, le Cambodge, le Laos, le Vietnam
et les Philippines (ces deux derniers pays ayant été touchés aussi par des cyclones).

2. L’aléa majeur des phénomènes cycloniques.

Les cyclones et typhons constituent aussi des aléas majeurs auxquels l’ASE est confrontée. La
fréquence et la puissance de ces aléas sont en augmentation depuis les 40 dernières années, le
nombre de cyclones de catégorie 4 ou 5 ayant doublé. Les études laissent à penser que le
réchauffement climatique aura un impact non négligeable dans le futur concernant l’augmentation
de ces phénomènes (hausse de 14% d’ici 2100 selon le GIEC).

- 87 -
è Deux cyclones d’intensité extrême ont touché l’ASE au cours des dernières années, font
partie des 10 plus meurtriers recensés dans le monde.
è Le premier (2008) cyclone Nargis de catégorie 4, qui a remonté le delta de l’Irrawaddy,
jusqu’au Yangon avec des vents de plus de 215km/heure a causé la mort et la disparition
de 140.000 personnes, pour plus de 2 milliards de dollars de pertes économiques.
è Le deuxième est le super typhon Haiyan (2013) de catégorie 5, qui a frappé les Philippines
avec des pointes à 315km/h, causant 12.000 victimes et plusieurs dizaines de milliers de
blessés, causant 4,5 milliards de dollars de dégâts. Sa puissance était telle qu’elle a
engendré l’évacuation de 600.000 personnes au Vietnam.

Comme pour les éruptions volcaniques, la science et les progrès permettent de limiter la mortalité
mais il est toujours très difficile d’anticiper ces phénomènes et leurs trajectoires avec précision.

è En 2017, face à un cyclone uniquement de catégorie 2, le Vietnam a préféré évacuer 1,2


millions de personnes au-delà du delta du Mékong. Ces déplacements représentent un coût
non négligeable.

Ces phénomènes ont aussi un impact négatif sue le tourisme.

è En 2018, une simple tempête tropicale (75km/h) a induit des vagues de plus de 5 mètres a
causé la fuite de dizaines de milliers de touristes dans le golfe du Siam (Thaïlande).

L’imprévisibilité de ces aléas et la probabilité qu’ils s’aggravent devrait amener à faire réfléchir
sur l’aménagement du territoire, notamment les aménagements côtiers fragiles.

C. Nucléaire et risques naturels en ASE.

La prise en compte du nucléaire en ASE permet d’appréhender sous un angle particulier la prise en
compte des risques naturels (géologiques, climatiques).

Créée en 1967, l’ASEAN alors à 5 membres (Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Philippines,


Singapour) s’était déclarée « zone de paix, de liberté et de neutralité » en 1971 en plein cœur de la
guerre froide. Cela s’est traduit par un refus de l’armement nucléaire, confirmé en 1995 par le traité
de Bangkok qui a créé une « zone exempte d’arme nucléaire en ASE ». La question est loin d’être
neutre face au voisin chinois qui dispose de cet arme et inquiète les pays d’ASEAN par ses
installations en mer de Chine méridionale.

Ceci étant, cela n’a pas empêché le développement du nucléaire civil, notamment dans la recherche.

è L’Indonésie, dès 1954, puis les Philippines, la Thaïlande, le Vietnam et la Malaisie se sont
dotés de réacteurs expérimentaux.
è Après le choc pétrolier de 1970, les pays se sont posés la question de l’utilisation du
nucléaire pour produire de l’électricité. Les Philippines ont été les premiers à se lancer dans
ce type de projet, avec l’appui des USA. Ils ont construit une centrale à 100km de Manille,
pour 2,3 milliards de dollars. La catastrophe de Tchernobyl (1986) a mis un terme au projet.
Le combustible nucléaire n’a jamais été installé. Les critiques ont d’ailleurs été nombreuses

- 88 -
car le site était installé sur une faille géologique, à proximité d’un volcan et que la
corruption du régime de Narcos pouvait laisser imaginer des malfaçons.
è La centrale est restée vide jusqu’en 2011, ou un scandale a éclaté, révélant que son entretien
représentait 56 millions de dollars/an. Elle fut ensuite ouverte aux touristes mais les 6.000
visiteurs annuels (payant 3,40€ l’entrée) ne permettait pas de couvrir les frais.

La promotion du nucléaire peut paraître surprenante sachant que cette énergie représente seulement
2% de la consommation mondiale et que les réserves d’uranium de la planète ne couvriront que les
70 à 100 prochaines années.
Cette promotion est d’autant plus inquiétante dans une région ou les risques et aléas sont aussi
divers qu’importants.

L’accident de Tchernobyl en 1986 avait mis un coup d’arrêt aux projets dans la région, mais
rapidement, dans le contexte des besoins croissants en énergie et la nécessité d’émettre moins de
carbone dans le cadre du réchauffement climatique, l’ASEAN a recommencé à favoriser cette
option dans les années 2000.

è Création d’un réseau d’échanges et de coopération nucléaire (NEC-SSN) en 2008.

Multiplication des projets, stimulés par l’engouement pour cette technologie en Chine, Corée du
Sud et Taïwan.

è Début 2011, la presse en ASE annonçait la création de 16 réacteurs au Vietnam, 5 en


Thaïlande, 4 en Malaisie et 4 en Indonésie. À cela s’ajoutait des dizaines de projets aux
Philippines et un en Birmanie.
è Contestations fortes à cause des risques sismiques, surtout en Thaïlande et en Indonésie.
Idem au Vietnam, les lieux choisis étant sujets aux typhons.

Après l’accident de Fukushima en 2011, tous les projets ont été gelés même si les lobbys pro
nucléaires continuent d’en faire la promotion et de chercher les sites les moins ou les risques
naturels seraient susceptibles d’être les moins importants.

è L’Indonésie et les Philippines se sont montrées ouvertes en 2019 à des projets de centrales
flottantes.
è Néanmoins, les pays d’ASE ont récemment déclaré privilégier les énergies renouvelables
(hydraulique et solaire).

II. Un essor économique peu soutenable.

Outre la question de l’exposition aux risques naturels et aléas, le modèle de croissance


économique en ASE, non soutenable, est à questionner.

Les problèmes environnementaux (surexploitation des ressources, pollution, vulnérabilités)


montrent les limites du modèle.

- 89 -
A. La limite des prolongations de tendances.

Dans les faits, l’ASE est une région des plus dynamiques au monde, avec une croissance
économique et démographique forte, ainsi qu’une capacité à se structurer depuis 2015 en
« communauté économique » sur le modèle de l’UE. Néanmoins, les courbes d’avenir ne sont pas
certaines de rester aussi reluisantes. Cette approche peut même se révéler bien illusoire :

è En 1990, de nombreux spécialistes prédisaient que l’Indonésie dépasserait la Chine à


l’horizon 2050. Cela quelques années avant que la crise asiatique de 1998 vienne placer les
2/3 de la population du pays en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, plus personne
n’ose penser que le grand archipel serait sur la voie de rattraper la Chine.

L’idée de ce chapitre est de s’attacher à réfléchir sur les limites à moyen et long terme de cette
croissance et de ce développement.

Développement durable : un concept trompeur ?

Longtemps on a pensé que l’idée de développement durable aurait été trop favorable à l’écologie
et nuirait à la croissance économique. Or, il est possible d’envisager l’inverse et de penser qu’il
aurait été inventé pour éviter une remise en question des sociétés de consommation des pays du
nord.

Développement durable, concept né en 1992 au sommet de la Terre à Rio, dans le prolongement


du rapport Bruntland de 1987. Il apparaît dans les années où l’on critique l’impact de la croissance
économique sur l’environnement (« faut-il refuser le développement ? » se demande même dans
l’ouvrage éponyme Serge Latouche en 1986).

L’idée est que les sociétés en voie de développement, les plus pauvres, seraient les principales
raisons de la dégradation de l’environnement et qu’il est donc nécessaire de les intégrer dans les
modes de consommation des pays de la première industrialisation. Cette idée figure dans la
conférence de Rio. Cela « entrainerait une hausse de leur niveau de vie, ainsi qu’une meilleure
protection des écosystèmes et un avenir plus sûr pour tous ».

La pauvreté est considérée comme le facteur de dégradation de l’environnement, sans véritable


critique de la société de consommation. De plus, il est demandé aux sociétés en voie de
développement d’atteindre un IDH élevé. Or, si tous les pays avaient un IDH élevé et les mêmes
manières de fonctionner, il faudrait 2 ou 3 planètes. C’est incohérent. En réalité, les pays qui ont
l’IDH le plus élevé sont ceux qui présentent une empreinte écologique la plus forte. Aussi, on
critique la Chine et l’Inde considérés comme immenses pollueurs. En réalité, ils le sont car ils sont
les plus peuplés mais un Chinois pollue autant qu’un Européen et un Indien 5 fois moins.

Le développement durable ne permet donc pas de résoudre les problèmes, au contraire, il les
aggrave en créant l’illusion qu’aller vers plus de « développement » pourrait éviter la dégradation
accélérée de l’environnement.

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Une remise à plat des concepts et valeurs sociétales sera donc nécessaire dans les années à venir
pour réfléchir à des sociétés vraiment soutenables à l’échelle de la planète en sortant de la logique
sans fin de la « croissance » qui est indissociable du développement durable.

1. Un succès économique à relativiser.

Contrastes importants dans la région entre pays considérés du « premier monde ».


è Singapour (65.000 dollars PIB/hab. IDH de 9,3, 9ème pays au monde) qui se place comme
le pays ayant la meilleure qualité de vie d’ASE.
è Sultanat de Brunei dont les revenus pétroliers et une population faible permettent
d’atteindre un PIB de 32.000$/an supérieur à celui de l’Espagne.

À l’opposée, l’ASE compte 4 pays en grande difficulté, qui sont considérés comme des PMA même
si certains disposent de gros potentiels :
è Cambodge, Laos, Birmanie et Timor-Leste.

Entre les deux groupes, il y a les pays dits « émergents » :


è Thaïlande, Malaisie, Indonésie.

Et les pays « atypiques » dont les déboires des régimes politiques ont freiné l’essor :
è Les Philippines et le Vietnam.

Néanmoins, les pays du premier groupe sont ceux qui polluent le plus avec des empreintes
écologiques élevées. 3,5 planètes seraient nécessaires si tous les pays calquaient leur mode de vie
sur celui de Singapour. Même les pays « émergents » ont un impact non négligeable sur la planète.

Cela ne signifie pas que les pays ayant une faible empreinte écologique sont des modèles pour
autant.
è En ASE, les pays ayant une empreinte soutenable sont le Timor, le Cambodge, la Birmanie,
l’Indonésie et les Philippines. Autant de pays qui présentent des inégalités sociales et des
pratiques économiques et environnementales dommageables sur d’autres plans.
è Le Laos et le Vietnam ont dépassé le stade d’une empreinte soutenable en raison de l’essor
de leur industrie.
è La Thaïlande, pays encore très rural à l’IDH plutôt élevé garde une empreinte inférieure à
celle de la Malaisie ce qui montre que tous les sociétés ne sont pas équivalentes.

Parfois, la pauvreté est instrumentalisée au niveau international afin d’inciter les pays à surexploiter
leurs ressources (sable, ressources halieutiques) ce qui va générer de la pollution et des
dégradations.

Ces quelques éléments de réflexion sur le PIB, l’IDH et l’empreinte écologique en ASE confirment
que, au-delà de sa réputation de « réussite économique », la région ne peut être considérée comme
un modèle soutenable et encore moins un modèle à suivre.

- 91 -
2. Énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et réchauffement climatique en ASE.

La situation des énergies fossiles permet d’illustrer plusieurs aspects des limites du modèle de
croissance économique de l’ASE.

Hormis Singapour, les pays au PIB le plus élevés doivent une grande part de leurs revenus aux
énergies fossiles (Brunei, Malaisie, Thaïlande, Indonésie).

è Néanmoins, au regard de leur rythme de production, ces pays ne disposent pas de plus de
25 ans de réserves de pétrole et 50 ans de gaz. La Thaïlande aurait déjà presque atteint sa
limite en pétrole et en gaz alors que l’Indonésie n’aurait plus qu’une dizaine d’années
devant elle.
è Cela permet de souligner la fragilité de la réussite de certains pays, comme Brunei,
Indonésie et Malaisie. L’Indonésie a même dû quitter l’OPEP en 2009 (réintégrée depuis)
car elle ne pouvait plus exporter en raison de sa forte consommation domestique.
è Même avec un niveau de production très limité aujourd’hui, en raison d’une faible
population (1,3 millions d’habitants), le Timor-Leste qui génère de gros revenus par ses
ventes de pétrole et gaz pourrait être en difficulté rapidement car ses réserves sont
incertaines et ne pourraient dépasser 50 ans.

Le charbon reste une option pour plusieurs pays car les réserves semblent plus vastes. Le souci
étant que le charbon est une énergie qui émet le plus de CO2 et que 80% de ses réserves doivent
rester dans le sol pour respecter les accords de la COP21. Certains pays devront faire des efforts
ou des sacrifices.

è L’Indonésie compte 7% des réserves mondiales et a encore au moins 80 ans devant elle.

Tous les pays d’ASEAN ont signé les accords de Paris sur le climat en 2015, mais la région risque
d’être soumise aux déréglementations climatiques difficiles à anticiper.

è Un article publié dans la revue Nature envisage que Manokwari en Papouasie occidentale
(Indonésie) pourrait être une des premières villes ou cela serait notable, comme à Jakarta
en 2029 et Bangkok en 2046.

L’ASE est loin d’être la plus émettrice en gaz à effet de serre. Elle représente 8,6% de la population
mondiale et ses rejets ne correspondent qu’à 4% du total (contre 9% pour l’UE, 29% pour la Chine,
15% pour les USA). Les pays au PIB et l’IDH le plus élevés sont les plus gros pollueurs.

è C’est le cas de Brunei et la Malaisie, producteurs d’hydrocarbures avec respectivement 15


et 8 millions de tonnes de CO2/habitant contre une moyenne mondiale de 5 tonnes. Ces
niveaux sont équivalents aux USA et au Japon, supérieurs à la Chine.
è Singapour est l’exemple d’une société occidentale sensibilisée aux questions
d’environnement et a fait des efforts entre 1990 et les années 2000 pour réduire ses
émissions mais les résultats ont stagné et en 2017 elle reste avec 9,5 tonnes/an un pays avec
des valeurs insoutenables d’un point de vue environnemental.
è Enfin, les pays les plus peuplés de la région ont un impact en terme national (Vietnam,
Thaïlande, Indonésie). Ce dernier est responsable de 1,5% des émissions mondiales de

- 92 -
CO2. L’Indonésie rejette aussi beaucoup de méthane via son agriculture (élevage et rizières
irriguées) et du carbone (déforestation et défrichement pour les plantations de palmier à
huile).
è L’Indonésie est devenue depuis 2007 le 3ème pays le plus émetteur après la Chine et les
USA.

Dans ce contexte, les pays d’ASE ont pensé à des stratégies :

è La première est de réduire les émissions d’ici 2030 avec des efforts plus ou moins
importants selon les pays (70% de baisse pour les Philippines, 63% à Brunei, 20% en
Thaïlande). Les pays en difficultés économiques ne souhaitent pas s’engager là-dedans
(Laos, Birmanie, Timor). Concrètement, une diminution de la déforestation est envisagée.

è Une autre piste évoquée, celle d’un marché du carbone à l’image de ce qui est mis en place
en Europe. Seul pays à l’avoir mis en place en 2019 est Singapour avec un montant
uniquement de 5 dollars par tonne, alors que des taxes comprises entre 50 et 100$/tonnes
sont nécessaires pour être efficaces. 4 pays (Indonésie, Philippines, Thaïlande et Vietnam)
envisagent de telles mesures mais aucune date n’est fixée alors que les autres ne veulent
pas pénaliser leurs activités économiques.

è Les pays commencent à se tourner vers de vraies énergies renouvelables (puisque on l’a vu,
le nucléaire est trop risqué pour la région et les énergies fossiles posent souci), mais avec
beaucoup de retard malgré de vrais potentiels, notamment en géothermie (exploitation de
la chaleur). Les projets dans le solaire et l’éolien ne sont considérés que depuis 2010 mais
sont limités. Seule l’énergie hydraulique fait l’objet de projets concrets mais posent d’autres
soucis.

3. Aménagements hydrauliques : des projets à l’impact controversé.

Très tôt, les cours d’eau en ASE ont été l’objet d’aménagements hydrauliques, notamment au
Cambodge, dès le IXème siècle.

è À l’apogée de l’empire khmer, il existait des bassins de retenue qui pouvaient emmagasiner
70 millions de m3 d’eau. L’ensemble hydraulique d’Angkor pouvait irriguer 70.000
hectares et nourrir un site de plus de 400.000 personnes. Déclin après le XIVe siècle, en
raison de causes multiples (envasement, détérioration des réseaux)
è Les colons européens ont aussi prolongé et crée d’autres aménagements, pas toujours avec
succès.
è C’est surtout à partir des années 1950 que les pays d’ASE ont commencé avec les progrès
techniques contemporains à construire de grands ouvrages hydrauliques pour accroître les
capacités d’irrigation tout en générant de l’électricité.

Depuis la fin du XXème, la question a pris une orientation plus ambitieuse, surtout dans la zone
continentale qui possède certains des plus grands fleuves du monde (Mékong, Irrawaddy, Salween)
qui prennent leur source en Chine.

- 93 -
è Le Mékong est le plus controversé car il traverse 6 pays (Chine, Birmanie, Laos, Thaïlande,
Cambodge et Vietnam). Création en 1957 du « Comité du Mékong », structure
transnationale sous l’égide de l’ONU pour planifier la gestion de l’aménagement du fleuve.
À l’époque, seuls 4 pays l’ont intégré, 2 n’en faisant pas partie : la Chine (ne faisait pas
partie de l’ONU à l’époque) et la Birmanie (troubles politiques). En 1995, le Comité
devient « Commission du Mékong » toujours sans la Chine et la Birmanie.
è La Chine qui possède déjà de nombreux barrages ne souhaite pas être contrainte par des
obligations.
è La Commission a montré ses limites en 2010, alors qu’elle aurait voulu que les pays
s’entendent sur un accord contraignant concernant la quantité d’eau ç laisser vers l’aval.
Or, cela est contraire au droit international qui dit que l’eau appartient au pays qu’elle
traverse et que celui-ci n’a pas d’obligation envers les autres pays. Cet échec a entraîné le
retrait progressif de financements.

Néanmoins, cela n’a pas empêché l’apparition de grands projets, comme au Laos qui compte
beaucoup sur l’hydraulique pour booster sa croissance dans le contexte des besoins énergétique de
ses deux grands voisins (Thaïlande et Vietnam). Le pays souhait même devenir la « batterie de
l’ASE ».

è 9 grands barrages (2 frontaliers avec la Thaïlande) sont programmés dans la partie du


Mékong laotienne, avec des financements de la Banque mondiale, de la Thaïlande et de la
chine qui investit de plus en plus en ASE.

Si tous ces projets aboutissent, cela permettra à la région de résoudre une partie de son problème
énergétique mais ce sera au prix de conséquences environnementales et économiques en aval, dont
les coûts pourraient s’avérer bien supérieurs à ceux prévus initialement.

è En effet, les promoteurs sous-évaluent les remboursements d’emprunts et surévaluent le


prix de vente de l’électricité, sans prendre en compte les conséquences environnementales
(sur la pêche).
è Si tous les barrages sont construits, on imagine une baisse de l’apport en sédiment du delta
du Mékong de 94% (conséquences sur la pêche dans le fleuve, au large des côtes et dur la
productivité agricole en aval, au Cambodge et au Vietnam).
è Ces impacts environnementaux ont été constatés dès le XXème siècle et ont entrainé la
réduction ou la suspension des financements par le FMI ou la Banque mondiale concernant
ces projets non soutenables.
è Depuis le XXIème siècle, reprise des grands projets, idée de gigantisme, sur le modèle de
la Chine et de son barrage des « Trois-Gorges » très controversé depuis 2009.

Finalement, des projets d’aménagements hydrauliques de taille modestes pourraient répondre de


manière plus souple aux besoins d’irrigation comme de production énergétiques, limitant les
nuisances locales ou sur les pays en aval, ainsi que les risques.

Deux accidents récents sur des barrages en ASE ont confirmé les dangers que ce type
d’infrastructures peut représenter.

- 94 -
è En juillet 2018 au Laos, en raison de fortes précipitations, rupture d’un barrage en cours de
construction sur des affluents du Mékong financé par des fonds coréens, japonais et
thaïlandais. 20 villages ravagés, 40 morts, 100 disparus (certaines ONG disent plus de
1.000) et plus de 6.000 sans-abri.
è Janvier 2019, pluies hors normes ont obligé les responsables d’un barrage en Indonésie à
ouvrir les vannes pour éviter une rupture, causant des dégâts dans 80 villages, provoquant
la mort de plus de 70 personnes et le déplacement de 7.000 autres.

Certains projets sont très controversés par les populations locales et sont l’objet de grandes
tensions, même dans certains pays très contrôlés comme la Birmanie.

è En 2004, projet de barrage financé par la Chine lancé pour produire 3.600 mégawats au
cœur de l’Irrawaddy. IL se situait sur des terres appartenant au Kachin, une minorité
ethnolinguistique qui avait une armée indépendantiste pendant la dictature. Le projet devait
passer de 3.600 mégawatts à 6.000 (le ¼ de celui des Trois-Gorges en Chine) mais cela
générait la destruction de 50 villages et le déplacement de 12.000 personnes, avec un impact
écologique majeur en aval avec une rétention de sédiments. Les Kachin, qui avaient cessé
le feu en 1994, reprirent les hostilités avec l’utilisation de bombes sur le chantier en 2010.
En 2011 le gouvernement birman a décidé de suspendre le projet, au risque d’irriter les
chinois, principaux investisseurs.

On retrouve de telles contestations dans la plupart des pays de la région, avec les arguments qui
allient respect de l’environnement et des populations locales.

L’impact sur les forêts est important.

è Un projet de barrage en Indonésie sur l’île de Sumatra, financé par des entreprises chinoises,
menace l’habitat de la seule population connue d’orang-outang de Tapanuli.
è Dans le nord de Kalimantan (Bornéo), des contrats d’une valeur de 18 milliards de dollars
financés par la Chine visant à construire 5 barrages menaces 18.000 hectares de forêts.

Ces projets sont contradictoires, entre la recherche d’un fort développement économique, rapide et
recherché par les gouvernements et la volonté de respecter les identités locales et l’environnement.
S’ils sont réalisés, ces projets permettront en effet un accroissement de l’irrigation et de la
production d’énergie mais ce sera en créant plus de dépendance économique et des fragilités. Cela
ne va pas dans le sens des pratiques résilientes fondées sur les capacités locales.

è Selon la Banque asiatique de développement, d’ici 2050, le débit du fleuve Rouge pourrait
baisser jusqu’à 20% et celui du Mékong jusqu’à 25%.

B. Épuisement des ressources, pollutions et limites environnementales.

1. Des mers sous forte pression en Asie du Sud-Est.

Les espaces émergés sont les plus étudiés, mais il ne faut pas négliger les vastes espaces maritimes,
qui représentent 9,3 millions de km2 dans la région ASE. La région est bordée par deux océans,
l’Indien et le Pacifique et comprends de nombreuses « mers ».

- 95 -
Certaines sont de grandes dimensions, comme la mer de Chine méridionale ou des plus petites (mer
de Java, mer de Célèbes). Dans certains cas on parle même de golfes (golfe du Bengale, de Siam).

Ces espaces ont été des lieux de passages pour le commerce bien avant l’arrivée des Européens,
ainsi que des lieux d’extraction de ressources. Les activités se sont néanmoins accrues depuis le
milieu du XXème siècle. L’ASE n’a pas connu de grosses marées noires, malgré l’important trafic
entre l’Asie du Nord-Est et le Moyen-Orient qui passe par le détroit de Malacca.

è Le risque demeure persistant néanmoins, comme le montre la nappe de pétrole de plus de


300km2 relâchée par un pétrolier en mer de Chine entre le Japon et Taiwan en 2018.

La pêche, en revanche est une activité où les problèmes sont signalés depuis les années 1950. Les
captures ne cessent d’augmenter. La surexploitation touche l’ensemble de la planète.

è L’ASE représente 22% du tonnage pêché en mer, fournit autant de poisson que l’ensemble
des pêcheries mondiales au milieu du XXème siècle.
è La région s’approche d’un niveau critique avec plus de 3 millions de bateaux de pêche et
un volume de prises en augmentation de plus de 40% entre 2000 et 2016.
è 64% des zones de pêches seraient surexploitées.

La situation est particulièrement problématique dans les zones littorales où 90% des stocks auraient
disparu par rapport aux années 1960, obligeant à une pêche de plus en plus industrielle et éloignée
des côtes (surtout en mer de Chine). La pression est renforcée par la compétition entre pays
riverains ou voisins, y compris Chine, Taïwan et Japon.

La surexploitation est également renforcée par une pêche illégale (ou non déclarée) qui
représenterait 1/3 des quantités déclarées. Cela complique l’évaluation des stocks disponibles et la
mise en place de politique de conservation.
Paradoxalement, l’aquaculture n’est pas la solution. Cette activité est en plein essor en ASE qui
représente 25% de la production mondiale, soit 25 millions de tonnes, plus que les captures de
pêche maritimes et de rivière de la région réunies. Or, plus d’un quart des cultures de pêche en mer
seraient utilisées pour nourrir les élevages d’aquaculture. Dans ce contexte, plus de 90% de la
quantité de poissons disponible pour la pêche côtière aurait disparu depuis les années 1960.

Comme pour les sujets précédents, le réchauffement climatique sera un problème dans ce contexte
d’exploitation non soutenable des ressources marines. C’est aussi le cas de l’acidification océans.

è Les mers absorbent la chaleur et se réchauffent.


è L’absorption de CO2 augmente aussi l’acidité des mers et océans, ce qui perturbe les
écosystèmes marins.

Ces deux phénomènes cumulés pourraient générer des modifications des zones de pêche en ASE
(selon le GIEC) et réduire jusqu’à – 50% la capacité de prises dans certaines zones. Cela risque
aussi d’accroître la compétition entre les nations.

On assiste aussi à une dégradation des formations coralliennes, dont 95% seraient déjà dans un état
critique, du fait de l’essor des infrastructures côtières, de la surpêche et des pollutions.

- 96 -
è Cela a mené à la prise de conscience de 7 pays d’ASE qui ont créé la zone de protection du
« Triangle de corail » en 2009, zone transnationale de 6,5 millions de km2, réunissant
Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Timor, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et
les îles Salomon.

Même si les pays se donnent les moyens de mieux préserver les écosystèmes d’une importance
majeure pour la vie marine et le renouvellement des ressources halieutiques, les mesures locales
permettent difficilement d’apporter une réponse aux pressions liées au réchauffement climatique
et l’acidification des mers.

2. Le sable : une ressource très convoitée.

Ressource minérale, le sable est très convoité et il constitue après l’eau, la 2ème matière la plus
exploitée. Il est un élément constituant pour la construction des bâtiments et des infrastructures,
mais aussi pour des projets d’extensions de territoires sur la mer.

è Chaque année, 50 milliards de tonnes de sable sont consommées soit 18kg par personne et
par jour.
è Seuls les sables des mers ou des rivières sont prélevés.

Tous les pays d’ASE en utilisent pour leurs besoins immobiliers mais le pays le plus demandeur
est Singapour (politique d’accroissement de son territoire).
è Il devient le premier importateur mondial de sable.
è Besoins pour faire face à la croissance démographique et augmenter la capacité de son
aéroport et de son port.
è La cité-État a augmenté sa superficie de 24% entre 1960 et 2017, passant de 1,6 millions
d’habitants) 5,6 millions.
è Son plan d’aménagement prévoit d’aller jusqu’à 766km2 (contre 720 en 2017) et 7 millions
d’habitants en 2030.

Il est difficile de chiffrer cette utilisation de sable, puisque les statistiques du commerce
international sont peu fiables.

è Par exemple, pour le Cambodge, les quantités prélevées et exportées vers Singapour
s’avèrent plus de 150 fois supérieures à celle officiellement déclarées par Singapour.
è La presse parle d’une « mafia du sable », même pour Singapour l’un des pays les moins
corrompus de la planète.

Dans un premier temps, le sable a été prélevé en Malaisie, qui interdit son exportation (2017)
devant les dégâts occasionnés. Singapour s’est alors tourné vers son grand voisin indonésien pour
poursuivre ses importations. Les quantités prélevées sont tellement importantes que des scandales
éclatent.

è En 2003, l’île Nipah avait disparu à cause des prélèvements de sable.


è 24 autres petites îles ont ensuite été rayées de la carte et 80 sont menacées jusqu’en 2007
(date de l’interdiction des exportations de sable vers Singapour). Il ne s’agissait que de
petits îlots mais le symbole est fort.

- 97 -
è Malgré l’interdiction d’exporter le sable vers Singapour, on sait que l’Indonésie a poursuivi
ses échanges pendant 10 ans moins s’offrant de grosses rentrées financières (1,4 milliard).

Face au risque de rupture des approvisionnements, Singapour a dû diversifier ses sources, en allant
piocher au Vietnam, Cambodge ou en Birmanie. Ces pays ont rapidement imposé un embargo sur
ce commerce.

De manière tristement ironique, les dernières études américaines montrent que le réchauffement
climatique pourrait submerger les terres gagnées sur la mer par Singapour.

3. La dégradation des forêts : un patrimoine en péril.

Vrai problème environnemental qui engendre des pertes de biodiversité et de ressources, ainsi que
la diminution des services rendus par les écosystèmes, sans oublier les nuisances liées aux
incendies.

En ASE, de nombreuses régions aux densités élevées ont augmenté leur extension au détriment des
couverts forestiers, comme dans la région du lac Tonlé Sap au Cambodge, dans les deltas des
fleuves de la péninsule indochinoise (Fleuve rouge, Mékong, Chao Phraya, Irrawaddy), ou sur les
littoraux de nombreuses îles volcaniques comme Java ou Bali.

Historiquement, on préservait la forêt pour ses ressources (clous de girofle, noix de muscade,
poivre) pour exporter vers la Chine. Néanmoins, ces pratiques ont perdu en importance et sous la
pression des européens qui installaient des comptoirs à partir du XVIème et surtout avec les
pratiques coloniales du XIXème siècle, la déforestation s’est intensifiée.

è À Java, sous le contrôle des néerlandais, extension des cultures et surexploitation des forêts
de teck.
è Défrichements massifs dans la première moitié du XXème aux Philippines sous l’impulsion
des USA.
è Dès le milieu du XXème, plus de forêts à Singapour, car son territoire était restreint et
devenu le foyer d’activités économiques.

À la fin de la période coloniale, la forêt continuait d’occuper un espace majeur, mais elle avait
fortement diminué, et excédaient rarement 2/3 de l’occupation du sol.

Ces dégradations ont encouragé (via des institutions de défense de l’environnement) la création de
réserve naturelles transfrontalières, qui induisent des obligations de respect de la nature supérieures
aux parcs nationaux. De telles réserves existent depuis 1990 dans la partie d’ASE continentale ainsi
qu’à Bornéo (partie indonésienne). Une réserve existe aussi entre Papouasie occidentale et
Papouasie-Nouvelle-Guinée.

4. Biodiversité vs essor agricole.

Très grande biodiversité en ASE, richesse exceptionnelle de la faune et de la flore. Néanmoins, ma


majorité des économistes considèrent la forêt comme un élément à détruire, des hectares de terres

- 98 -
à défricher, du bois à stocker. La forêt est parfois mise en valeur par ceux qui défendent l’éco-
tourisme, elle reste néanmoins peu valorisée et sous-estimée.

è L’Asie du Sud-Est abriterait 20% de toutes les espèces végétales et animales de la planète
mais moins de 2% de cette biodiversité mondiale a été répertoriée et identifiée.

Cette diversité est en train de disparaître sous le coup d’une exploitation forestière non soutenable,
associée à des plantations agro-industrielles de plus en plus vastes. Les destructions touchent
certains écosystèmes plus que d’autres (mangroves) et les forêts de plaines et de basse altitude,
plus propices à l’agriculture.

Un des phénomènes les plus marquants depuis la fin des années 1990 a été l’essor des cultures de
rente (commerciales) en ASE.

è 80% de la production mondiale d’hévéa.


è Entre 1960 et 2017, la part de la production mondiale de café en ASE est passée de 3 à 28%
et de 18 à 88% pour l’huile de palme (principalement en Indonésie et en Malaisie).

L’enjeu est, pour ces pays, d’ordre économique (la production d’huile de palme représente 6% du
PIB de l’Indonésie en 2010) mais il est aussi d’intérêt mondial car l’huile de palme est un agro
carburant (contesté) en alternative aux énergies fossiles.

Par-delà ces pressions majeures, il existe un autre risque inquiétant pour les forêts : le
réchauffement climatique et particulièrement les effets d’El Nino. Les phénomènes de sécheresses
accentuent les risques d’incendies qui ont déjà fait des ravages en ASE (3 millions d’hectares).

è Les forêts exploitées disparaissent à 80% lors de incendies, contre 10 à 20% pour les forêts
denses. Ces chiffres montrent qu’une exploitation soutenable des forêts naturelles est
problématique.

5. L’Asie du Sud-Est face à l’environnement industriel et urbain.

D’un point de vue de la pollution urbaine, l’ASE est moins touchée que l’Inde ou la Chine, qui
utilisent beaucoup de charbon, qui dégage beaucoup de particules fines en particulier dans les villes
industrielles.

è Sur les 100 villes les plus polluées du monde, 57 sont en Chine et 33 en Inde.

En revanche, si l’on ne regarde que les capitales, sur les 50 les plus polluées en 2018 :

è 6 se situent en Asie du Sud-Est avec des niveaux plus élevés que le seuil de l’OMS (Jakarta
10ème, Hanoi 12ème, Bangkok 24ème par exemple).
è Même Singapour est concernée, pourtant une ville qui est attentive à l’environnement.
è Paris (38ème) est plus polluée que Singapour ou Manille.

- 99 -
Depuis 2010, l’opinion publique s’empare d’une nouvelle limite, celle de la subsidence
(affaissement), en particulier des villes littorales, en raison du pompage des nappes phréatiques et
du poids des immeubles.

Ce phénomène, associé au réchauffement climatique et à la montée des eaux fait que plusieurs
capitales d’ASE sont menacées de submersion, à court terme, comme Bangkok, Jakarta ou Manille.

è Bangkok est située entre 0,5 et 2 mètres sous le niveau de la mer et pourrait être submergée
d’ici 2030. 5.000 immeuble de plus de 8 étages dont 700 de plus de 20 étages à quoi
s’ajoutent de grandes ponctions dans les nappes. La capitale est condamnée.
è Situation tout aussi critique à Jakarta. 25 centimètres d’enfoncement/an. La capitale
pourrait être submergée d’ici 2050.

Les inondations se sont multipliées depuis la fin du XXème siècle.

è 2007 à Jakarta, 80 morts et déplacement de 500.000 personnes et 900 milliards de dollars


de dégâts en Indonésie.
è Suite à cet évènement, projet porté par des investisseurs néerlandais (2014) à hauteur de 40
milliards de dollars qui vise à renforcer les digues pour protéger la ville jusqu’en 2030. Les
deux autres phases à horizon 2025 et 2040 envisagent de construire un mur en mer de 24
mètres de haut, dont 7 mètres au-dessus du niveau de la mer, pour protéger la ville jusqu’en
2080. Il nécessiterait 400 millions de m3 de sable rien que pour le remblaiement. Ce projet
a été très contesté par la société civile en raison de son impact environnemental sur les
mangroves et coraux ainsi que le coût énorme pour un projet qui ne repousserait le problème
que de quelques décennies.
è Annonce en 2019 du gouvernement de déplacer la capitale à Kalimantan (partie
indonésienne de l’île de Bornéo) montre que les autorités ont conscience du problème et
que le projet de mur ne résoudra rien. Déplacement qui s’annonce coûteux (33 milliards) et
long (10 ans).
è Ce déménagement permettra aussi de résoudre d’autres soucis inhérents à Jakarta comme
les embouteillages chroniques.

Cette décision de déplacer la capitale est aussi un symbole de fragilité du développement sud-est-
asiatique. D’autres métropoles (Bangkok, Ho Chi Minh-Ville) risquent d’être confrontées aux
mêmes problèmes d’ici quelques années.

6. Les plastiques, révélateurs de dérives Nord/Sud.

Les matières plastiques sont un autre aspect qui permet d’illustrer les abus liés à l’environnement.

è Quantité produite au niveau mondiale est passée de 2 millions de tonnes en 1950 à 320
millions de tonnes dans les années 2010.
è Les pays de l’OCDE (USA, Canada, Japon, Allemagne, France) ont déplacé leur déchets
plastiques vers les pays du Sud, sous couvert de « recyclage » alors que seuls 9% des
déchets plastiques sont recyclés.
è Sur la période 1988-2016, la Chine aurait reçu plus de 72% de ces déchets. Elle les
réexporte à son tour ver la moitié de ses pays voisins.

- 100 -
è 60% des déchets plastiques présents dans les océans proviennent de 5 pays (Chine,
Indonésie, Philippines, Thaïlande et Vietnam).
è Les cours d’eau d’ASE (Mékong, Chao Phraya) étaient classés parmi les 10 plus pollués de
la planète.

Face à ce problème, la chine a mis en place une campagne « Barrière verte » en 2013 pour contrôler
plus strictement les déchets qu’elle recevait. En 2017, elle a interdit l’importation de plastiques non
industriels. Ces mesures ont amené les pays de l’OCDE a diversifier les destinations de leurs
déchets et d’augmenter les quantités envoyées en ASE.

è Entre 2017 et 2018, la part des déchets envoyés par les USA en Chine est tombée de 67%
à 14% alors que celle des trois principaux pays d’ASE (Malaisie, Thaïlande et Vietnam)
montait de 10% à 48%. Ces pays ont été débordés et ont décidé de restreindre leurs
importations, voire de renvoyer les conteneurs vers les expéditeurs.
è Les pays de l’ASEAN ont signé une déclaration commune en 2019 pour promouvoir la lutte
contre la pollution marine.
è Le Timor-Leste est devenu en 2019 la première nation à recycler 100% de ses matières
plastiques.

- 101 -
CHAPITRE 9 – UNE SOCIÉTÉ TRAVAILLÉE PAR LE
CHANGEMENT.
L’ASE est une région aux succès rapides en termes économiques et sociaux. Elle est en passe de
réussir son intégration dans l’économie mondiale.

Néanmoins, ces transformations sont très rapides voire brutales. Bien que certains gouvernements
autoritaires cherchent à rassurer investisseurs et touristes, les confrontations entre différents
modèles de développement sont à l’origine de tensions et de conflits, parfois violents, dont
beaucoup sont liés au foncier.

Les questions d’accès à la terre et aux ressources sont mêlées à l’histoire politique des différents
pays de la région ainsi qu’aux investissements des pays étrangers.

è Luttes anticoloniales et décolonisation.


è Réformes agraires des années 1950-1960.
è Collectivisation, décollectivisations, ouvertures économiques.

À chaque période, les conflits liés au foncier reflètent celles qui traversent les grandes sociétés :

è Grands propriétaires vs petits paysans sans terre.


è Ruraux agricoles vs élites urbaines.
è Riziculteurs des plaines vs « paysans de la forêt ».

Les réformes récentes et les conflits qui les accompagnent sont une bonne manière d’observer les
difficiles transformations sociales et spatiales qui accompagnent le développement.

I. Ouverture économique et propriété privée : les « nouvelles » règles du jeu foncier.

Dans un ouvrage de référence sur la question, les auteurs Hall, Hirsch et Li (2011) mettent en
évidence six processus d’exclusion foncière dans la région :

è Exclusion par le droit.


è Exclusion environnementale.
è Volatile (investissements massifs étrangers)
è Post-agraire.
è Ordinaire (entre individus)
è Contre-exclusions.

Toutes (sauf la dernière) ont été rendues possibles par les réformes foncières néo-libérales des 30
dernières années, notamment en consacrant la propriété individuelle et en accélérant les droits de
marchandisation de la terre. Ces réformes constituent un « tournant foncier ».

- 102 -
A. Des tournants à géométries variables.

Changements les plus marqués dans les anciens pays socialistes passés par des réformes agraires
de collectivisation avant une ouverture rapide.

è Parmi eux, la République Socialiste du Vietnam à l’histoire foncière complexe a mis en


place un système foncier qui répond au « socialisme du marché, un marché foncier sans
propriété privée individuelle. Les terres agricoles ont été redistribuées aux individus de
façon égalitaire. Néanmoins, les droits fonciers aujourd’hui ressemblent dans ce pays à de
la propriété individuelle qui ne dirait pas son nom. Le pays est initialement promoteur d’une
agriculture reposant sur de petites exploitations performantes et s’est refusé à l’ouverture
aux appropriations foncières à grande échelle.

è Plus à l’ouest, le Laos, le Cambodge et la Birmanie sont passés rapidement d’un modèle
foncier ou la propriété revenait à l’État avec un accès égalitaire des paysans à la terre à un
modèle qui abandonne le principe de souveraineté foncière pour des locations de longues
durées profitant aux investisseurs privés et aux grands groupes.

è Le Cambodge, devenu démocratique, est l’ex-pays socialiste qui s’est le plus massivement
ouvert à la propriété privée pour tous les types de terres. Il a néanmoins pris du retard,
comme le Laos, dans l’attribution des titres fonciers.

Paradoxalement c’est en ASE insulaire, moins longtemps socialiste, que les réformes agraires
restent d’actualité.

è En Indonésie, de grandes plantations ont été récupérées par des petits paysages en 1960.
Les règles foncières sont confuses et sources de conflit. Les forêts, devenues domaine
public en 1967, ont des droits d’exploitation de longs termes accordés à des investisseurs,
ce qui mécontente la population locale. Un nouveau programme de réforme foncière (2017)
a pour objectif de redistribuer 22 millions d’hectares de terres dont 17 millions de forêts
aux communautés locales.
è Aux Philippines, réforme agraire déclenchée sous Marcos en 1972, avec l’objectif de
bénéficier aux paysans précaires, locataires ou fermiers. Les inégalités (héritées de la
colonisation espagnole et américaine) sont nombreuses. Aquino (1988) a lancé une réforme
pour que 75% des terres agricoles soient distribuées aux fermiers avec le slogan de « rendre
la terre à ceux qui la cultivent ». Réforme aux résultats mitigés. On est passé de 75% des
terres à 70% et seulement 50% des titres ont atteint leur véritable objectif.

B. « Turning land into capital »

Partout, dans les années 1980-1990, les investisseurs internationaux affluent, dont la Banque
mondiale et font une promotion appuyée de la propriété privée.

è Le Vietnam, qui résiste à la propriété privée, résiste aussi dans un premier temps aux experts
internationaux. Le pays souhaite rester maître de ses ressources.
è Dès 1992, le Cambodge fait des choix bien différents. Il accepte les aides, confie la
rédaction de ses lois à des juristes étrangers et souhaite développer des outils pour

- 103 -
dynamiser son économie (concessions forestières, pêche notamment). Mais très vite, les
concessions forestières très nombreuses, parfois mal ou pas gérées, ne créent pas de
richesses ni d’emplois locaux. Au contraire, elles alimentent les trafics et la déforestation.
Ces concessions sont dénoncées et le pays se tourne alors vers des concessions agro-
industrielles, plus vertueuses, qui doivent bénéficier au marché interne en matières
premières et denrées alimentaires, tout en créant de l’emploi et des revenus fiscaux. Ce
nouveau type de concessions se multiplient après la crise de 2008.
è La crise de 2008, d’abord alimentaire puis financière, amplifie la vague de mise en marché
du foncier pour l’agro-industrie. On parle de « turning land into capital » (transformer le
foncier en capital). Il s’agit de mettre en marché tous les types de terres pour financier le
développement.

C. Le virage de l’immobilier.

Avec les ouvertures économiques et la croissance, les pressions sur le foncier s’accélèrent sur
l’ensemble des territoires nationaux.

Ce sont les villes et les espaces périurbains qui ont subi les premiers et les plus durement cette
pression. En ASE, les marchés immobiliers urbains ont été rapidement dérégulés avec des périodes
d’euphorie et de crises.

è Les prix du foncier à Hanoi (Vietnam) ont été multipliés par 10 en 2 ans à deux reprises
(1991-1993 / 2001-2003).

Les marchés sont d’autant plus dynamiques que plusieurs pays ont fait le choix de faire reposer le
financement des aménagements urbains sur le foncier, ce que l’on nomme le « virage de
l’immobilier ».

è Jakarta, Manille et Bangkok ont connu le développement de mégaprojets immobiliers dès


les années 1990.
è Plus récemment, les politiques vietnamiennes ont développé des politiques nommées
localement « terre contre infrastructures » qui consistent à accorder à différents types
d’entrepreneurs des terrains constructibles contre la mise en place d’infrastructure et/ou
d’équipements publics.

La situation du foncier urbain est donc assez spécifique avec des gouvernements à la fois libéraux
et autoritaires, qui, d’un côté, mettent en place des conditions propices à la financiarisation de la
ville et des terres agricoles, et de l’autre interviennent pour en capter et redistribuer la plus-value
en faveur de leurs ambitions.

II. Insécurité et inégalités foncières : les effets des réformes néolibérales.

Le marché produit des inégalités en accentuant la concentration des terres dans les mains de ceux
qui peuvent acheter et favorise les achats spéculatifs. Les inégalités foncières s’accélèrent et on
observe une exclusion des plus fragiles partout, dans tous les pays.
A. Des processus inaboutis créateurs d’insécurité.

- 104 -
Ces exclusions sont facilitées par les lacunes du titrement de la propriété privée ou des droits
d’usage individuels pourtant reconnus.

è Le Vietnam, qui a produit des certificats pour plus de 90% des parcelles agricoles dès les
années 1990, est le bon élève de la région. 12% de la population agricole est sans terre.
è À l’opposée, l’Indonésie, avec moins de 50% des parcelles agricoles titrées vers 2015, est
parmi les pays les plus en retard. 50% des foyers agricoles ne possèdent pas 0,5 hectare.
è Aux Philippines, 44% de la population agricoles est sans terre.

La corruption est un autre problème explicatif. Elle augmente localement le coût et la difficulté
d’accès aux titres pour les habitants et crée une forte insécurité. Les États ne mettent pas non plus
la même énergie à attribuer des concessions foncières aux investisseurs que de titres aux foyers
ruraux.

è Au Cambodge, les concessions économiques accordées aux quelques investisseurs


représentaient 2,5 millions d’hectares en 2014, contre 3,3 millions d’hectares pour les 1,9
millions de foyers, dont la moitié était titrée. Les espaces agricoles titrés sont accordés dans
les zones qui n’intéressent pas les investisseurs, dans des régions peu conflictuelles.
è En Indonésie, 500 entreprise bénéficient de 70 millions d’hectares en 2016, soit 38% des
terres du pays, alors que 5% seulement de cette superficie était couverte par des titres privés
en 2011. Ces écarts de traitement sont une source importante d’insécurité foncière pour les
villageois.

B. Le foncier agricole sous pression.

L’absence de titrements est une aubaine pour les investisseurs et les migrants qui s’intéressent aux
terres agricoles.

Les agricultures des pays d’ASE sont encore dominées aujourd’hui par les petites exploitations
familiales avec des fermes de très petites dimensions. Cette agriculture, de moins en moins vivrière,
ne parvient à se maintenir qu’à condition d’être située à l’écart des zones urbaines et des grands
axes de communication, ainsi qu’à distance des grandes plantations industrielles et des nouveaux
fronts de colonisation.

1. Les appropriations de terre à grande échelle, un problème régional.

è L’Indonésie est l’État au monde le plus touché par le phénomène d’appropriation de terre à
grande échelle en 2016, pendant que le Cambodge est 12ème et le Laos 20ème.

Cela s’explique par le rôle majeur joué par les investisseurs chinois et ceux du Golfe, ainsi que le
développement de cultures comme l’hévéa (partie continentale) et le palmier à huile (insulaire).

Les investissements sont chinois, vietnamiens et thaïlandais sur le continent. Ils sont malaisiens,
singapouriens en Indonésie et aux Philippines. Les pays d’ASE investissent aussi en dehors de la
région, la Malaisie notamment, qui devient le premier investisseur étranger et Singapour le 4ème.
è Le Vietnam est un acteur majeur de l’hévéaculture cambodgienne. Les infrastructures de
transformation étant rares au Cambodge, la majorité du latex brut est exportée vers le

- 105 -
Vietnam dont les plantations sont situées à proximité de la frontière. 14 entreprises
vietnamiennes sont impliquées dans 118 projets qui occupent 70% des terres dédiées à
l’hévéa. Il a investi aussi au Laos, preuve de son intérêt pour cette culture et sa facilité
d’accès aux terres de ses voisins.
è Au Cambodge, 270 transactions foncières de grandes dimensions. 112 étaient domestiques.
40 provenaient de Chine, 56 du Vietnam, 55 « d’autres » pays.

La plupart des transactions de grande dimension sont réalisées directement aux niveaux les plus
hauts grâce à des réseaux de connaissance aux ramifications anciennes.

2. Des inégalités croissantes.

Les retombées économiques et sociales de ces très grandes plantations sont hétérogènes, difficiles
à évaluer.

La majorité d’entre-elles semble défavoriser et fragiliser les populations des zones dans lesquelles
elles se développement. La main d’œuvre qui occupe ces terres est souvent exogène ou étrangère.

Les projets de plantation créent peu de richesses, d’autant qu’une partie d’entre-deux restent de
papier ou justifie les déboisements massifs sans aucun investissement.

è En Birmanie, seules 23% des concessions attribuées avaient été mise en plantation.
è Au Cambodge, 2% des terres allouées mise en exploitation en réalité en 2005. Dans le pays,
10% des propriétaires fonciers détenaient 60% des terres.
è Les inégalités croissent aussi au Vietnam, avec l‘ouverture de concessions non agricoles
(mines et barrages par exemple) ainsi que l’ouverture aux capitaux étrangers des entreprises
agricoles et forestière d’État.

La proportion des foyers qui vivent de l’agriculture sans posséder de manière durable est un autre
indicateur des inégalités. Depuis les 25 dernières années, ce chiffre ne cesse d’augmenter et montre
une vraie fragilisation des petits exploitants. Ce chiffre traduit aussi une pénurie foncière dans
certains pays, comme au Laos, pourtant peu avare pour louer ses terres aux firmes étrangères.

Autre effet majeur du développement des plantations de très grande dimension : l’ouverture de
fronts de colonisation pour les plantations plus petites. La pression est aggravée car elles attirent
beaucoup de travailleurs, comme des migrants en quête de terres à cultiver. Face aux migrants qui
disposent d’un capitale social et économique plus important, les villageois locaux perdent leurs
terres faute de les avoir titrées ou les vendent à des prix trop bas pour pouvoir se reconvertir ensuite.

Les propriétés et les relations marchandes bouleversent les appartenances ethniques et les relations
de pouvoir.

C. Les évictions urbaines.

Développement de formes de ségrégations dans les villes. Certains quartiers privés favorisent
l’entre-soi, entre les très riches alors que les populations les plus pauvres souffrent d’une véritable
planification et de projets immobiliers pouvant répondre à leurs besoins.

- 106 -
Ces populations pauvres n’ont plus d’autre choix que les habitats informels et s’installent dans les
espaces publics, souvent à risques (berges des fleuves).

Deux tendances à retenir :

è De 1995 à 2004, la part de la population urbaine vivant dans les slums est passée de 45% à
28%.
è Néanmoins, le nombre de foyers sans titres vivant dans les quartiers précaires reste très
élevé, tout comme celui des foyers vulnérables aux expropriations.

Ces phénomènes d’expropriations sont visibles dans les centres-villes aux fonciers exorbitants ainsi
que dans les espaces péri-urbains. Dans ce deuxième type d’espaces, ce sont des squatteurs qui ont
déjà quitté les centres qui sont visés.

Les États ont fait le choix (sauf en Indonésie) gérer les quartiers précaires ou dégradés en les
déplaçant plutôt qu’en essayant de les intégrer.

è À Phnom Penh, les quartiers précaires s’embrasent souvent la nuit et les expropriations sont
menées sans ménagement, dans un climat de violence.
è En Birmanie, les violences militaires ont décru mais les expropriations demeurent et les
populations peinent à se reloger.

Toutefois, il ne faut pas croire que les États ne mettent jamais rien en œuvre pour œuvrer à résoudre
ce genre de situations.

è En Thaïlande, dès la fin des années 1970, expérimentation des partages de terrain « land
sharing » qui consiste à prévoir sur le terrain qui va être exproprié un espace de relogement
pour les populations concernées. C’est un modèle de partenariat public/privé, où les
entreprises s’engagent dans la viabilisation du terrain de relogement. En réalité, ces projets
sont victimes de la corruption et ne marchent pas parfaitement bien.
è Autre échec, en Birmanie ou Cambodge, les villes nouvelles crées pour reloger les
populations ont souvent été implantées dans des zones inondables, peu équipées, éloignées
des bassins d’emplois. Les expropriations peu ou pas compensées sont fréquentes.

III. Des transformations sous tension.

Partout en ASE la question foncière est cruciale, tant elle est source de conflits et de tensions. La
médiatisation de ces problèmes prend parfois une tournure internationale.
A. Des conflits nombreux et variés.

Il est difficile de quantifier et localiser les conflits en ASE. Certains pays, autoritaires, n’autorisent
pas la liberté d’expressions et empêchent toute contestations.

è Le Vietnam a mis en ligne une plateforme de dépôt de plaintes et semble être le champion
en matière de conflits. Entre 2004 et 2011, 1,5 millions de plaintes, pétitions et
dénonciations déposées, dont 70% portaient sur le foncier.

- 107 -
è À côté de ça, les 1.500 plaintes comptabilisées en Indonésie ne peuvent pas être comparées
tant les comptabilisations diffèrent.

Au-delà des chiffres, les conflits fonciers diffèrent par leur nature. Certains ont une haute
résonnance médiatique et font parfois trembler le pouvoir.

è Au Vietnam, plusieurs cas ont impliqué des responsables de hauts rangs. En 2012, affaire
de l’éco-parc a mis en cause le Premier ministre accusé de favoriser les intérêts de sa fille.
è Au Cambodge, les enfants et les proches du Premier ministre sont mis en cause dans
plusieurs conflits violent, ce qui contraint ce dernier à faire beaucoup d’efforts pour les
camoufler.

Tous les conflits ne touchent évidemment pas les élites mais peuvent aussi concerner les groupes
minoritaires en zones périphériques forestières ou les groupes minoritaires des quartiers urbains.
La visibilité des groupes minoritaire est plus simple à observer que les populations marginales. Un
feu qui embrase un quartier pendant la nuit à Phnom Penh est plus vite repéré qu’un feu dans un
pan de forêt à la frontière laotienne.

La visibilité des populations marginales dans les marges tient beaucoup aux ONG de défense des
populations autochtones ou de protection de l’environnement.

B. Des solutions rarement satisfaisantes.

Visibles ou non, les conflits fonciers ont souvent un point commun : ils ne parviennent pas à
prendre fin, faute de solutions satisfaisantes.

Depuis 20 ans, les gouvernements ont créé des commissions ayant pour but de faire baisser les
mécontentements et régler les conflits, mais le tout dans un vaste désordre administratif.

è ONG LANDac en Indonésie recense 4 institutions de résolution de conflits aux


compétences floues. Elles sont incapables de résoudre les conflits.

Autre frein à la résolution des conflits tient à la faible légitimité des expropriations réalisées ou le
caractère « d’intérêt public » est difficilement justifiables.

è Beaucoup d’expropriations pour créer des vastes projets immobiliers luxueux ou pour créer
des golfs pour des hommes d’affaires qui viennent y négocier leurs contrats.

D’autre part, les petites parcelles distribuées en compensations de terre de forêts ne peuvent pas
remplir le même rôle que les forêts (culture, pêche, chasse, collecte, cimetière…). C’est toute
l’économie de ces groupes expropriés qui est bouleversée.

C. Conflits internationaux, risques locaux.

Internationalisation des acteurs impliqués dans la question foncière, de la gestion de la propriété et


de l’usage des terres (organisations internationales de développement, coopération bilatérales,
entreprises privées, corps de métiers…)

- 108 -
Cette internationalisation des acteurs vaut aussi pour les résistances qui s’organisent avec des
réseaux qui dépassent les cadres nationaux.

è Dans les villes, les résistances entrent en contact avec de grosses ONG (Habitat for
Humanity International)
è Ou avec des réseaux internationaux qui comptent de nombreux membres comme Slum
Dwellers International (14 millions de membres dans 33 pays).

Il existe aujourd’hui une vingtaine de plateformes de ce type en ASE.

L’internationalisation des discussions autour des acteurs conduit à une internationalisation des
conflits eux-mêmes.

è La coopération allemande (GIZ) a retiré ses aides momentanément au gouvernement


cambodgien alors que celui-ci était très critiqué pour ses irrégularités (bien avant 2016) et
l’inefficacité de ses actions.

De leur côté, les ONG soutiennent les populations marginales spoliées et dénoncent les
manquements des institutions, ce qui inquiète les acteurs nationaux et les grandes institutions.

è Le retrait de la coopération allemande (GIZ) au Cambodge doit beaucoup aux critiques


formulées par les ONG locales mais aussi allemandes montrant aussi l’importance de
l’opinion occidentale.

On ne compte plus les rapports, très médiatisés, qui mettent en lumière l’implication des entreprises
et institutions de financement occidentales dans l’accaparement de très grande dimension afin
d’inciter les opinions à exercer des pressions.

è L’un des plus connus, au titre évocateur « Les barons du caoutchouc », s’est intéressé aux
plantations réalisées au Cambodge par un grand groupe privé vietnamien et a révélé au
passage le rôle joué par plusieurs banques européennes ainsi que la société Dragon Capital
dont un des actionnaires était un groupe d’investissement directement associé à la Banque
mondiale.

Pour les activistes engagés sur les terrains urbains comme ruraux, cette médiatisation est à double
tranchant. Elle peut servir leur cause (on ne garde pas un activiste en prison sans procès), cela ne
joue que pour les gouvernements qui sont sensibles aux opinions publiques extérieures.
Or, en réalité, les gouvernements le sont bien peu, comme au Cambodge ou au Vietnam et se
construisent même une image de puissance.

L’internationalisation des enjeux fonciers n’atténue par les dangers de l’activisme et ce sont les
acteurs locaux qui se mettent en danger en allant défendre sur le terrain leurs terres et celles de
communautés.

D. Internet, les données et les ONG.

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Les pays d’ASE ne sont pas des modèles en matière de liberté d’expression.

è Vietnam 176ème sur 180 à l’index mondial de la liberté de la presse.


è À l’exception du Timor, tous les pays d’ASE sont classés dans les 57 derniers.

Les réseaux sociaux peuvent bénéficier à la nouvelle génération d’activistes (meilleurs


organisation, longévité, capacité d’entrer en contact avec les autres mouvements). On note même
une professionnalisation de l’activisme via internet dans certains pays comme en Malaisie et à
Singapour. Cela contraint les gouvernements à, à leur tour, s’imposer sur internet pour contrer et
surveiller ces mouvements.

Les ONG locales ou internationales, elles aussi, ont investi le web (développer des plaidoyers,
diffuser des données, mettre en relation des groupes locaux…)
Internet permet notamment de travailler et de développer des cartes.

Les populations locales peuvent désormais cartographier leur territoire local (Laos) ou alors les
pays, comme l’Indonésie, lancent des programmes comme « one map » qui propose
d’homogénéiser et étendre à l’ensemble des villages du pays, les relevés parcellaires mobilisant
des techniques de cartographie participative.

Les gouvernements font peu d’efforts pour diffuser l’information foncière mais celle-ci est
partiellement mise à disposition sur les sites des ONG en appui de leur protection des sociétés
locales.

Conclusion :

En 30 ans, le contexte foncier sud-est-asiatique a été totalement transformé :

è Les pratiques coutumières (règles non écrites) ont laissé place à la législation et à la rigidité
du droit positif.
è Les fronts pionniers agricoles ont disparu et ont été occupés par d’immenses concessions
industrielles.
è L’État a concédé beaucoup d’espaces au privé sur lequel il s’est appuyé pour financer des
projets d’aménagements notamment urbains.
è De nouveaux acteurs ont émergé et les conflits se sont externalisés, notamment grâce à
internet.

La gouvernance foncière est intrinsèquement une question de justice, liée aux dimensions sociales,
économiques et politiques du pouvoir. Elle fixe qui obtient quoi et à quel prix, qui pose les règles
et qui prend les décisions.

Les enjeux fonciers sont le reflet fidèle de ceux qui se jouent dans d’autres domaines, face aux
processus, marqués et rapides, de développement, d’ouverture et d’externalisation des économies.

- 110 -
PARTIE 4 : TERRITOIRE DE L’URBAIN

CHAPITRE 10 – MODÈLES URBAINS HÉRITÉS ET


PROCESSUS D’URBANISATION
Le phénomène urbain est ancien en ASE. À leur apogée, les grandes cités agraires et les ports de
la région ont regroupé une population nombreuse et marqué par le paysage urbain par des
dispositifs socio spatiaux encore prégnant dans les villes actuelles.

La colonisation a modifié les hiérarchies urbaines en créant de nouveaux ports, concurrents des
anciens et en favorisant le développement des villes de l’intérieur par la mise en exploitation des
ressources des territoires.

Après un XXème siècle d’urbanisation rapide, liée à la croissance économique par l’insertion des
territoires dans la mondialisation (à des rythmes variables selon les pays), les têtes des hiérarchies
urbaines coloniales demeurent : les plus grandes métropoles sont les anciens ports coloniaux.

Les hiérarchies des autres villes se modifient (impact du quadrillage administratif, indépendances,
expansion du peuplement par la colonisation agricole, internationalisation des économies et des
dynamiques transnationales).

I. L’urbanisation précoloniale : cité agraires et cités marchandes.

Avant la colonisation, deux systèmes économiques et sociaux ont coexisté : l’un marchand, l’autre
agraire façonnant les villes aux caractéristiques différenciées.

è On sépare donc les cités agraires, centre de royaumes territoriaux de l’intérieur des terres
des cités marchandes portuaires islamisées.
è Outre ces centres politiques, il y avait aussi des principautés, cités moins importantes,
relayant dans les provinces l’autorité du pouvoir central.

Les deux systèmes étaient associés dans une sorte de division du travail :

è Les royaumes agraires produisant du riz nécessaire pour l’approvisionnement des cités
marchandes.
è Les cités marchandes importaient les produits de luxe destinés à leurs propres élites et à
celle des cités agraires.

Ces deux systèmes ont dominé tour à tout, selon que les centres de gravité économiques et
politiques se déplaçaient sur les côtes ou à l’intérieur des terres. Cependant, à partir du XIVème
siècle, le centre de gravité s’installe durablement sur les côtes, à mesure que les routes terrestres
sont déstabilisées par les invasions mongoles et que le commerce chinois s’accroît avec
l’augmentation des flottes privées. Aussi, la demande occidentale augmente pour les produits

- 111 -
asiatiques (épices) initiant un âge d’or du commerce maritime accompagné par l’expansion de
l’Islam.

A. La cité agraire.

La cité agraire, capitale de grands royaumes installés dans les plaines entre le IXe et le XVe siècle,
parmi lesquels Angkor, Pagan ou Mojopahit.

è Vocation de mise en valeur agricole de l’arrière-pays forestier (sans négliger le contrôle des
ports).
è Volonté des souverains de défricher pour étendre l’écoumène en sédentarisant les
populations des forêts, à augmenter les rendements par la mutation des champs secs en
rizières grâce aux ouvrages hydrauliques (digues et canaux) et assurer un meilleur contrôle
et approvisionnement en eau.

Articulation, selon la tradition, entre le monde terrestre et le monde divin. Le tout est organisé
autour d’un centre puis de plusieurs cercles concentriques hiérarchisés dont la qualité et la
puissance étaient décroissante du centre vers la périphérie.

è Au centre, on retrouve une cité-capitale qui regroupait les pouvoirs politico-religieux et


économiques détenus par le souverain. On y trouvait aussi une hiérarchie sociale divisée en
4 : les aristocrates, le clergé, les paysans et les esclaves.

Organisation de la ville orthogonale, orientée selon les points cardinaux suivant le modèle
concentrique de Mandala.

è À Mojopahit (ville disparue aujourd’hui), au centre se trouvait le lieu de la plus forte valeur
symbolique, l’espace palatin composé du palais et des grandes places.
è Dans le cercle contigu se trouvaient les temples religieux et résidences des dignitaires de la
famille royale et du clergé.
è Plus loin, les communautés villageoises étaient dans le « district royal ».
è Au-delà, dans une auréole plus lointaine, on trouvait les terres en défrichement, données en
apanage à des hauts dignitaires ou des seigneurs ayant fait acte d’allégeance au souverain.
Eux-mêmes ensuite reproduisaient à leur échelle cette organisation spatiale.

B. La cité marchande.

La vocation économique des cité marchandes n’est pas la mise en valeur des terres agricoles mais
reposait sur les échanges maritimes hauturiers. Les ports les plus importants (Malacca, Banten)
faisaient office d’entrepôts pour les produits chinois ou indiens et de fournisseurs de produits bruts
locaux à commercialiser.
Le souverain était placé au cœur de ces réseaux d’échanges fondés sur les relations (politiques,
clientélistes, commerciales, religieuses) et en assurait la cohésion.

La structure urbaine des cités marchandes et bien plus libre que celle des cités agraires. Il s’agissait
de citadelles entourant un palais du sultan et d’une agglomération d’enclos, plus ou moins fortifiés,
dispersés apparentant à des notables, autochtones ou étrangers enrichis par le commerce.

- 112 -
À l’extérieur de la ville s’étendait une périphérie où vivaient les populations locales et les
communautés marchandes étrangères, regroupées par origines. À l’extérieur, se trouvaient les
installations portuaires et le grand marché, marquant une nouvelle centralité urbaine sans hiérarchie
aucune.

Une nouvelle structure sociale se développe dans ces villes en liaison avec la progression de l’islam
et le commerce international. La société hiérarchisée des cités agraires cède le pas à une société
multiculturelle, cosmopolite, composée de communautés marchandes (souvent asiatiques).

è Pas moins de 84 langues parlées à Malacca au début du XVIème siècle.


è La place et le mérite de l’individu s’imposaient et son destin ne répondait plus à une grille
contraignante de relations hiérarchiques.

Durant l’âge d’or du commerce maritime international entre 1570 et 1630, l’urbanisation a connu
une croissance rapide.

è Des ports comme Banten, Malacca ou Makassar atteignent 100.000 habitants.


è Dans le détroit de Malacca, l’urbanisation aurait atteint 20ù de la population.

II. Des réseaux urbains désorganisés par la colonisation.

À partir de la fin du XVIIème siècle, les réseaux autochtones sont désorganisés par l’apparition de
marchands européens qui sillonnent les mers d’Asie.

La concurrence à laquelle les États européens se livrent, avec une vocation monopolistique, ont des
conséquences sur les ports de la région. Ils cherchent à s’assurer le contrôle des mers et à imposer
leur monopole sur le commerce des denrées de luxe les plus recherchées sur les places
internationales.

è Ils créent des comptoirs concurrent en s’attaquant aux cités portuaires les plus puissantes
(Banten, Makassar, Malacca).
è Les marchands locaux n’ont pas d’autre choix que de se replier sur des échanges inter-
régionaux et la pratique du cabotage (navigation près des côtes).
è Les cités-États voient leurs revenus s’amoindrir, leur base économique se réduire ce qui
précipite leur déclin. Les cités marchandes cosmopolites ne domineront plus l’ASE (ni
démographiquement, ni culturellement, ni économiquement).

Jusqu’au XIXe siècle, les Européens s’intéresse surtout au contrôle du commerce local et des
routes du commerce maritime international et à l’établissement des monopoles commerciaux à
partir des comptoirs, plus qu’à l’expansion territoriale (sauf à Java et aux Philippines).

À partir du XIXe siècle, la conquête coloniale s’amplifie vers l’intérieur des territoires à partir
des ports grâce aussi à une meilleure maîtrise des maladies tropicales.

L’ASE se spécialise dans la production de riz, canne à sucre, café, tabac, caoutchouc et étang,
échangés contre des produits manufactures européens. Un mode de production capitaliste se fait
jour, ainsi qu’un véritable quadrillage administratif.

- 113 -
Cette colonisation territoriale et l’augmentation des échanges avec les métropoles bouleversent les
systèmes urbains.

è Un système dual et déséquilibré s’installe durablement. Il est composé de grands ports


multifonctionnels et de petites villes de l’intérieur, intégrées par la construction de voie de
communication routières et ferroviaires reliant les zones de production aux ports
d’exportation.
è Les ports s’installent en tête des hiérarchies urbaines et commandent les villes de l’intérieur.
è Ils sont à l’interface entre réseaux maritimes et l’intérieur des territoires. Ils sont des centres
d’affaires et le lieu d’articulation entre l’extraction des produits agricoles et minier, et leur
transport vers la métropole. Les ports remplissent aussi un rôle administratif (siège des
administrations coloniales par exemple).
è Bangkok, Saïgon (Hô Chi Minh-Ville), Hanoi, Jakarta, Manille se développent comme des
interfaces entre mer et bassin fluviaux en ASE continentale, mer et plaines productrices en
ASE insulaire.
è Penang et Singapour contrôlent les entrées nord et sud du détroit de Malacca, détroit
stratégique dans le commerce entre Europe et Asie.

De nouvelles villes se développent à l’intérieur, dans les zones productrices, aux jonctions des
voies de communication. Elles assurent des fonctions de places centrales, de contrôle administratif
et militaire, collecte et redistribution des productions vers les ports avec qui elles sont en relation
grâce aux routes et voies ferroviaires.

Sur le plan social, les cités marchandes cosmopolites sont remplacées par des villes coloniales où
dominent les colonisateurs européens. Ils s’appuient sur des Chinois le plus souvent créant une
stratification sociale dans laquelle les populations locales sont reléguées en bas de la hiérarchie.

Cette hiérarchie est visible dans l’urbanisation avec une forme de ségrégation, par le
développement d’enclaves résidentielles pour les Européens et les riches marchands étrangers ?

III. Des éléments constitutifs de la ville héritée.

Les dispositifs spatiaux fondateurs des villes d’ASE sont toujours visibles aujourd’hui, au travers
des formes résidentielles, même transformées par la production de la ville contemporaine.

A. La ville végétale et aquatique et les villages urbains.

« Hanoi n’est pas une ville mais une agglomération composite où se trouvaient juxtaposées dans
la même enceinte administrative une capitale administrative, une ville marchandes et de nombreux
villages. » André Masson, début du XXe siècle.

Cette description d’Hanoi est caractéristique de nombreuses villes en ASE, ou l’univers urbain et
villageois se côtoient, le quartier marchand trouvant ses racines dans le monde rural. Souvent
composées d’habitations en bois et de paillottes, qui en font des villes végétales, les villages
constitutifs des villes s’y muent en quartiers ethniques.

- 114 -
è À la fin du XVIIème siècle, les faubourgs de Batavia (actuelle Jakarta) étaient habités par
les Européens et le Chinois, chaque groupe étant réunis en quartiers formant un village
urbain.

Cette imbrication des univers villageois et urbains reste aujourd’hui manifeste dans la ville de
Chiang Mai, deuxième plus grande ville de Thaïlande, malgré l’apparition de l’activité touristique.
Le tissu urbain a conservé son caractère rural (et abrite des artisans locaux, spécialisés) malgré
l’apparition d’un bâti chinois le long des voies.

Les plus grandes villes d’ASE sont construites dans les deltas, par creusement de canaux et
remblaiement, dans des univers aquatiques qui en ont modifié les pratiques.
On trouve de nombreux villages disposés le long des canaux du Chao Phraya en Thaïlande qui
trament et structurent le site.

è On remarque encore l’héritage des modes d’habités, dictés par la relation des espaces bâtis
avec le milieu aquatique (circulation sur les voies navigables et accès à l’habitat par le canal,
maisons sur pilotis).
è On note un contraste entre les deux rives : la ville moderne, dense et verticale, aux hyper
structures de voiries d’un côté et la ville végétale, patchwork de villages, vergers, zones
agricoles qui se déploient le long des voies d’eau. Ces villages seraient plus résilients face
aux inondations.

Bien que menacés par les mutations rapides qui affectent aujourd’hui les villes, les villages urbains
demeurent des composantes des espaces bâtis et sociaux contemporains, y compris dans les
métropoles.

è Les villages urbains (Kampung) sont devenus des quartiers d’habitat dense, ruelles étroites,
maisons de petites tailles se jouxtant et abritent une partie non négligeable de la population
urbaine, populaire et des classes moyennes inférieures.
è À Sémarang, sur l’île de Java, ville construite pendant la période des Indes néerlandaises,
en relation avec les infrastructures ferroviaires et portuaires du commerce international, les
Kampung sont restés en dépit d’un fort risque hydraulique qui les affecte quotidiennement.
Malgré tout, ce sont des quartiers dynamiques mais paupérisés, fortement exposés aux aléas
climatiques.

Constitutifs des villes d’ASE, les villages urbains représentent une part non négligeable de l’habitat
ordinaire des villes.
è Certains font l’objet de programmes de réhabilitation comme à la fin des années 1960 en
Indonésie (Kampung Improvement Program).
è Certains quartiers ont été transformés en quartiers populaires résidentiels.
è Nombreux Kampung sont devenus des quartiers d’habitats précaires.

B. Le Chinatown, autre composante majeure de la ville ordinaire.

Le Chinatown, forme caractéristique de l’espace urbain sino-colonial s’est imposé dans les cités
marchandes britanniques du XIXe siècle (Malacca, Penang, Singapour) et se diffuse ensuite dans

- 115 -
la majorité des pôles urbains d’ASE continentale insulaire jusqu’à en devenir une composante
commune.

Ils sont l’interface entre un pouvoir colonial et une société d’immigrés chinois très présente dans
la sphère marchande.

Ils se distinguent des figures urbaines antérieures sur le plan social et morphologiques. On y trouve
une forte densité de Chinois. La présence des chinatowns est porteuse d’un nouvel agencement
spatial qui associé un tracé régulier, organisé selon un système quadrillé et des constructions
mitoyennes, mixtes par leurs fonctions (commerciales en rez-de-chaussée et résidentielle à l’étage).
Ils sont bordés par des petites boutiques ouvertes sur le trottoir et des façades étroites. Cette rue
marchande définit une nouvelle morphologie urbaine : la ville régulière et compacte construite en
pierre et en brique s’est substituée à l’habitat végétal.

è Singapour (entre 1819 et 1823) a été le lieu de codification du dispositif de la rue


marchandes dans un projet urbain global, articulant un réseau de voies en damier, une
répartition hiérarchisée dans l’espaces et une typologie d’édifices.

Dans la 2nde partie du XXe siècle, la montée en puissance de l’urbanisation coïncide avec une phase
de transformation de nombreux quartiers marchands (denses et paupérisés).
è Les compartiments chinois sont dépréciés en raison de leur insalubrité et de leur faible
valeur foncière.
è Ces quartiers sont détruits à l’occasion de rénovation urbaine, dans le cadre de la
modernisation des capitales nationales, qui participe du projet d’édification nationale
comme cela a été le cas à Singapour dans les années 1960-1970.

Sans être forcément détruits, les quartiers chinois hérités peuvent être modifiés par un
remaniement parcellaire, une densification des constructions et une verticalisation de l’architecture
en vue d’une valorisation foncière et immobilière.

è À Hanoi, « le quartier des 36 rues et corporations » (nom du quartier marchand) a conservé


des traces historiques de son évolution. Au début du XXe, quartier organisé avec des rues
étroites, bordées de compartiments mitoyens de 1 à 2 niveau associant les fonctions
commerciales et résidentielles.
è Le quartier fut conservé en l’état jusqu’à la fin des années 1980 et connait ensuite des
transformations suite à l’ouverture économique (1986) : densification de la parcelle avec la
construction de la quasi-totalité des espaces non-bâtis, verticalisation des bâtis existants
(jusqu’à 7 étages), remplacement des compartiments anciens par des édifices récents.

Dans les années 1980, on assiste à un renversement du statut des quartiers marchands et en
particulier du compartiment chinois qui devient un objet de conservation, souvent en lien avec le
classement au patrimoine mondial de l’Unesco (à Malacca) ce qui génère souvent la muséification
du quartier marchand hérité.

Le compartiment chinois continue de jouer un rôle aujourd’hui dans la fabrication de l’espace


urbain Il est utilisé par les habitants dans des projets motivés par des enjeux fonciers et immobiliers,
liés à la fonction commerciale. Il est aussi reprisé et adapté dans les nouveaux projets résidentiels.

- 116 -
C. Villes et architectures coloniales, tracés régulateurs et hybridations architecturales urbaines.

L’installation coloniale marque en ASE le commencement d’une nouvelle ère urbain avec le début
de la cartographie des villes et de la création et l’aménagement de villes (surtout les capitales
coloniales) et la réalisation de projets architecturaux.

Les nouveaux établissements ex-nihilo sont rares, les colons ont composé avec les sites déjà
existants.

è D’abord, ils s’occupent de la voirie avec des tracés géométriques (voies quadrillées dans
les première cités coloniales (Jakarta, Manille, Singapour). Ces tracés perdurent dans les
villes actuelles. Rues rectilignes et orthogonales remplacent les anciens réseaux urbains
irréguliers.

Les années 1920 ont marqué un tournant dans la façon de concevoir et d’aménager les villes en
Indochine. La loi de Cornudet (1919) rend obligatoire l’élaboration d’un plan d’aménagement et
d’embellissement des villes de plus de 10.000 habitants.

è À Phnom Peng, les projets proposés entre 1924 et 1930 prévoyaient un doublement de la
superficie de la ville, pour accueillir les espaces ruraux dans les extensions urbaines, dans
une vision globale introduisant un changement d’échelle de la fabrication urbaine.
è Édification de grands tracés urbains, perspectives monumentales mettant en valeur les
édifices, des espaces publics, parcs, jardins, squares, avenues, promenades, plantations…
pour aérer et embellir la ville.

L’empreinte coloniale s’observe aussi dans l’architecture :

è Dès le début du XXe siècle, élévation de grands bâtiments publics, lieux de représentation
d’un pouvoir qui tend à affirmer et imposer sa supériorité dans les capitales coloniales
notamment.
è Les palais de justice et palais du Gouverneur à Hanoi construits en 1906 sont caractérisés
par leurs proportions monumentales. En 1925, à Hanoi, le musée Louis Finot est un des
premiers projets qui associe les qualités formelles et esthétiques des architectures locales et
celles du mouvement moderne.

Les contacts entre différentes cultures spatiales présentes dans les villes sont à l’origine de
métissage qui ont suscité l’élaboration de nouvelles formes urbaines et architecturales.

è Création à Hanoi de « villas-compartiments » (1930) qui emprunte à la fois au plan en


damier du quartier colonial et à celui du quartier marchand des 36 rues et corporations.
Elles sont un rare cas d’hybridation associant les caractéristiques spatiales et modernes de
la villa européenne à celle du compartiment chinois.

- 117 -
IV. Une urbanisation rapide depuis le milieu du XXème siècle, l’émergence de
capitales primatiales.

Malgré le développement des villes portuaire et la densification du réseau des villes à l’époque
coloniale, l’ASE arrive peu urbanisé au moment de son indépendance. L’économie locale est basée
sur l’exploitation des ressources (minières, forestières et agricoles) qui créent la plupart des emplois
en zone rurale.

L’urbanisation s’accélère en ASE à partir des années 1960, porté depuis les indépendances par
l’expansion des fonctions administratives, le développement industriel, la croissance du secteur
tertiaire et se généralise à l’ensemble de la région dans les années 1980 à partir de l’insertion des
pays dans la mondialisation.

A. Une région en cours d’urbanisation.

è En 1950, 15% de la population d’ASE vit en ville, soit 25 millions de personnes, loin
derrière la moyenne mondiale de 30% à l’époque. Dans les « sud », seuls l’Afrique tropicale
et le sous-continent indien ont des taux inférieurs.

è En 1985, la population urbaine multipliée par 4 représente déjà 28M de la population totale
avec 113 millions de citadins.
è En 2015, elle atteint 47% de la population, soit 300 millions de citadins.
è Les Nations-Unies projettent que 64% de la population sera urbaine en 2050.

Il a fallu à l’ASE moins de temps qu’à l’Europe ou l’Amérique latine pour atteindre des taux de
50% de population urbaine, impliquant un nombre de citadins d’ailleurs beaucoup plus élevé.

è En 65 ans, les villes d’ASE ont absorbé près de 275 millions de personne et se sont
rapprochées de la moyenne mondiale de 54% de population urbaine en 2015.
è Les pays les plus avancés économiquement (Singapour, Malaisie, Brunei) ont vie leur
population urbaine augmenter précocement alors que les autres pays sont en phase de
rattrapage.
è En 2015 : Singapour 100%, de citadins, Brunei 77% de citadins, Malaisie 75% contre 22%
au Cambodge et 30% au Timor-Leste.

L’actuel taux (47%) peut sembler modeste au regard de la forte expansion économique que connaît
la région mais elle s’explique par la persistance de l’activité agricole très importante dans tous les
pays (sauf à Singapour). La dispersion du secteur agro-industriel sur les lieux de production
agricole maintien aussi sur places les populations rurales.

Aussi, la population urbaine est mal comptabilisée (notamment les migrations dans les régions de
fortes densités pour des raisons saisonnières de courtes durées).

è Au Vietnam, on estime à 2,5 millions la population flottante non enregistrée à Hô Chi Minh-
Ville en 2011, qu’il faut donc ajouter aux 7,5 millions d’habitants de la ville.

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è Au-delà des villes, les migrations temporaires et la diversification des activités dans le
monde rural s’accompagnent d’une « urbanisation sociologique » par la diffusion de modes
de consommation et des standards urbains dans le monde rural véhiculés par les médias et
les réseaux sociaux.

Le rythme de l’urbanisation a connu un ralentissement après les années 1980 mais demeure
supérieur à celui de la population totale.

L’insertion croissance de l’ASE dans la mondialisation, son attractivité en termes d’IDE qui
investissent dans l’immobilier et l’automobile ont concentré l’activité et la création d’emplois dans
les villes, devenues des moteurs de croissance dans les années 1970.

Par ailleurs, les écarts entre les rythmes de l’urbanisation entre les pays, très importants dans les
années 1980, ont tendance à se réduire (on note des taux de croissance de la population urbaine très
élevés dans les pays moins développés qui rattrapent leur retard sur les pays développés qui avaient
connu une urbanisation plus précoce.

è Laos 3,3% entre 2015 et 2030, 3% au Cambodge contre seulement 0,91 à Singapour et 1,4
à Brunei.

è Taux de croissance population urbaine en 1985 : 4,3%, en 2015 : 3,29% et en 2030 : 2,03%
è Taux de croissance de la population rurale en 1985 : 2%, en 2015 : 0,5% et en 2030 : -0,2%.

è La population urbaine était de 15% en 1950 et atteindra 55% en 2030. La population rurale
passant de 85% à 44%.

B. L’accélération de l’urbanisation depuis la Seconde Guerre mondiale.

1. De la Seconde Guerre mondiale aux années 1960.

Phase de décolonisation politique et de faible croissance économique dans des pays en


reconstruction économique et de construction d’ensembles nationaux. La plupart des pays accède
à l’indépendance entre 1945 et 1960 et cherchent leur légitimité en tant que nations. Leurs capitales,
dotées de monument national, vont incarner les nations nouvelles et devenirs des symboles de
souveraineté nationale.

è Singapour et Brunei sont déjà très urbanisés.


è Les taux d’urbanisation de la Malaisie et des Philippines atteignent eux 30% en 1956.

La définition large des commune conduit certainement ces pays à gonfler leur taux réel
d’urbanisation.

è Aux Philippines, l’urbanisation est l’héritage de la présence espagnole avec la concentration


des populations autour de Mindanao.
è En Malaisie, la réinstallation de plus d’un million de personnes dans les nouveaux villages
dans le cadre de la lutte contre l’insurrection communiste à partir de 1948 crée aussi des
petits centres urbains

- 119 -
è Les taux d’urbanisation des autres pays se situent, en 1965, autour de 10 à 20%.

Dans les années 1950, les migrations vers les grandes villes prennent de l’ampleur (arrivée de
fonctionnaires ou de gens fuyant l’insécurité créée par les guerres dans les espaces ruraux). Les
différentiels de revenus poussent aussi les gens vers les villes, alors que la croissance économique
encore faible ne parvient pas à fournir des emplois à tout le monde.

è Les villes croissent sous l’afflux de migrants, dans une dynamique de « sururbanisation »
et d’importation en ville de la pauvreté rurale.

2. Des années 1960 aux années 1980 : l’amplification de la coupure géopolitique et des
disparités de trajectoires urbaines.

Rythmes et causes de l’urbanisation se diversifient entre les années 1960 et 1980.

Les polarisations géopolitiques de la guerre froide se renforcent et opposent durablement les pays
pro-communistes et d’économie dirigée (Vietnam, Laos, Cambodge) ou neutres (Birmanie) aux
pays pro-occidentaux et d’économie capitaliste ouverte.

Les premiers connaissent des guerres et des politiques de désurbanisation alors que les autres
s’orientent vers l’intensification et l’extension de l’agriculture et des politiques de substitution des
importations industrielles, qui accélèrent l’urbanisation.

- Urbanisation et désurbanisation dans les pays d’Indochine orientale :

À partir des années 1960, les pays en guerre d’Indochine orientale (Vietnam, Laos et Cambodge)
connaissent des mouvements rapides d’urbanisation suivi immédiatement par les politiques de
désurbanisation visant à limiter la croissance des villes.

è La guerre s’étend en territoire cambodgien en 1970 et provoque la fuite vers les villes du ¼
de la population du pays qui fuit les bombardements. Phnom-Penh passe de 600.000 à 2
millions d’habitants, dimension disproportionnée par rapport au total du pays (7 millions).
è À l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges qui gouvernent en 1975 et 1979, ordre est donné
d’évacuer les millions de cambodgiens qui peuplent la capitale. L’orientation anti-urbaine
et sa dimension génocidaire feront chuter les taux d’urbanisation.

Au Vietnam, les trajectoires urbaines diffèrent entre le nord et le sud.

è Urbanisation rapide au Sud-Vietnam. En 1975, 35% de la population vit en ville grâce à


la tertiarisation de l’économie sous l’influence américaine. Elle est aussi le résultat des
fortes destructions de guerre dans le monde rural qui poussent les paysans à se réfugier dans
les villes côtières dans l’arrière-pays es détruit par les bombardements. Danang passe de
50.000 habitants avant la guerre en 1974 à 500.000. Saigon passe de 500.000 en 1945 à 4
millions en 1975.
è Au Nord, le pouvoir communiste bride l’expansion des villes. En 1975, seule 11% de la
population vit en ville.

- 120 -
è Après la réunification (1975) le gouvernement entame une politique de désurbanisation
pour tenter de réduire la population des villes gonflée artificiellement, rendre l’économie
urbaine plus productive et contenir la croissance des grandes villes.
è Programme de « retour au village natal » et de déplacement habitants des bidonvilles
urbains vers les « Nouvelles zones économiques » des fronts pionniers agricoles des hautes
terres construits pour désengorger les villes. La croissance des villes est bridée car la
priorité est donnée au secteur agricole.
è Baisse de la population urbaine de 45% à 25% de la population.

Au Laos et au Vietnam, l’accent a également été mis sur l’agriculture, les politiques de
collectivisation et de restrictions des entreprises privées bride aussi la croissance des villes jusque
dans les années 1980.

- Ouverture de zones franches, politiques de substitution des importations et expansion


agricoles dans les pays d’économie ouverte

Les pays à l’économie ouverte connaissent une période de croissance et d’intégration à l’économie
mondiale, par les IDE et l’installation de zones franches créées dans les années 1970 en Malaisie
et aux Philippines.

La croissance est aussi croissante grâce à l’augmentation des investissements dans les secteurs
manufacturiers, la révolution verte et l’intensification de l’exploitation des matières première,
augmentant les emplois non agricoles la population des villes.

è La conjugaison de l’industrialisation, de l’augmentation de la production agricole et de


l’exploitation des ressources explique que les années 1980 soient des années d’expansion
urbaine.

Dans les années 1980, les pays mènent une politique de substitution des importations en étant
protectionnistes vis-à-vis de leur secteur industriel, produisant pour le marché domestique. Les
complexes industriels se développent grâce aux investissements permis par les cours élevés des
matières premières agricoles et des hydrocarbures, et favorisent l’expansion des villes.

è En Indonésie, cela profite à Java qui concentre l’essentiel de l’activité industrielle. La ville
se développe grâce à l’investissement de l’État dans les unités de production d’engrais pour
soutenir la Révolution verte, de ciment et d’acier pour le bâtiment et de produits chimiques
et de papier.

Les décennies des années 1960 aux années 1980 correspondent aussi aux périodes de l’expansion
rapide de l’agriculture et d’intensification de l’exploitation des ressources naturelles, suscitant des
mouvements de populations vers les fronts pionniers agricoles et la création de petits centres
urbains en dehors des zones centrales.

- 121 -
3. À partir de la fin des années 1980, libéralisation des politiques économiques et rattrapage
des pays d’économie dirigée.

À partir des années 1980, on passe d’une économie de substitution des importations à une économie
de promotion des exportations industrielles.

Cette nouvelle économie, plus libérale, contribue à ouvrir davantage les territoires aux
investissements étrangers et à insérer le pays dans la globalisation générant croissance économique
et urbaine.

è Croissance des grandes villes, qui captent les investissements étrangers, dans le secteur de
l’immobilier.

À partir de la fin des années 1980, les pays aux anciennes économies dirigées cherchent à rattraper
leur retard urbain qui engage leur transformation économique, passant d’une économie planifiée
au niveau centrale à une économie libérale ouverte aux capitaux étrangers. Leur adhésion à
l’ASEAN et l’OMC confirme leur volonté d’intégration aux dynamiques régionales et mondiales.

è Le Vietnam lance en 1986 une politique du Renouveau (le Doi Moi) qui libéralise
l’économie, l’ouvre aux capitaux étrangers et donne aux villes un rôle de moteur de la
croissance. Les investissements étrangers affluent dans le secteur industriel, les entreprises
s’installent en périphéries.
è Le taux d’urbanisation passe de 20% en 1985 à 34% en 2015, la croissance de la population
urbaine est le double de la croissance de la population totale. Le nombre de nouvelles unités
urbaines est multiplié par 4 entre 1995 et 2010.

è Au Cambodge, croissance urbaine rapide (+4% entre 1985 et 2015), l’effet de rattrapage
est spectaculaire. La signature en 1993 des accords de Paris ramène la paix dans le pays et
permet son intégration dans la mondialisation. Passage à une économie de marché entraîne
l’arrivée d’investisseurs étrangers (souvent asiatiques, surtout Chinois) dans le secteur du
textile. Les usines se développent le long de la route de l’aéroport de Phnom Penh, des
zones franches sont créées le long de la frontière thaïlandaise. Le tourisme de masse s’étend
à partir d’Angkor.

è C’est au Laos que la croissance urbaine est la plus rapide (5% par an entre 1995 et 2015).
Libéralisation de l’économie, décollectivisation de l’agriculture. Ouverture au tourisme de
masse qui transforme les centres-villes de Vientiane et de Luang Prabang.

è En Birmanie, ouverture du pays en 1988. Elle suscite des investissements étrangers mais
l’instabilité politique et la pression des consommateurs pour boycotter les productions
birmanes ralentissent ces investissements dès 2000.

Dans les pays d’économie capitaliste, le passage au stade de la promotion des exportations
industrielle renforce les investissements étrangers dans les économies nationales et bénéficie aux
plus grandes villes (avec l’installation d’usine délocalisées qui s’installent dans les périphéries
notamment).

- 122 -
La tertiarisation des économies urbaines, l’insertion des économies dans la globalisation modifient
les paysages urbains.

è Dans les années 1990, les pays les plus centralisés (Thaïlande, Philippines et Indonésie)
engagent des politiques de décentralisation pour revitaliser les centres urbains régionaux.
è Les transformations des villes sont spectaculaires, particulièrement les capitales qui
continuent à polariser les flux économiques et migratoires. La Malaisie (très industrialisée)
affiche un taux d’urbanisation de 74%.

Dans toute l’ASE continentale et insulaire, les croissances économiques s’accélèrent à l’aube du
XXIe siècle, une fois surmonté la crise financière de 1997.

La fermeture de la frontière agricole dans de nombreux pays provoque le déclin de l’emploi


agricole, alors que les activités urbaines se diversifient.

La globalisation financière, les nouveaux modes d’organisation des échanges, le développement


de nouvelles techniques et du tourisme transforment les activités du secteur tertiaire, qui s’ajoute
au secteur industriel pour contribuer à la dynamique urbaine.

Cette dynamique renforce la primauté des villes les plus grandes qui concentrent les
investissements étrangers dans l’industrie d’exportation, dans les infrastructures et dans
l’immobilier et bénéficient d’infrastructures de haut niveau.

è Manille regroupe 13% de la population des Philippines mais produit 37% du PIB du pays
en 2014.

C. Des réseaux urbains dominés par les métropoles.

Les réseaux urbains sont aujourd’hui dominés par de grandes métropoles primatiales, héritées de
l’époque coloniale qui ont bénéficié des transformations de la région, passée d’une région
exportatrice de matières premières à une région productrice de produits industriels et de services.

1. De grandes métropoles primatiales.

Métropole primatiale : situation d'une ville au premier rang du classement, par sa population,
parmi les villes d'un même ensemble : région, État par exemple.

L’ASE compte quelques-unes des plus grandes métropoles du monde.


è Manille, 13,4 millions d’habitants en 2018), Jakarta (10,5 millions), Bangkok (10 millions).
è Ces villes seront rejointes par Ho-Chi Minh-Ville et Kuala Lumpur (capitale de la Malaisie)
comme métropoles de plus de 10 millions d’habitants.
è Toutes les capitales sauf Ventiane (Laos), sont intégrées dans la mondialisation. Elles
dépassent 1 million d’habitant et dominent largement par leur population et leurs fonctions
les autres villes du réseau urbain.

- 123 -
Le Vietnam est le seul pays dont la structure urbaine est bicéphale du fait de sa double
métropolisation avec Hanoi au nord (4,2 millions d’habitants) et Ho Chi Minh-Ville, ancienne
Saigon au sud (8,2 millions).

Ces métropoles, héritières des grands ports coloniaux sont toutes situées en position côtière à
l’embouchure de grands deltas, à l’interface des flux maritimes de la mondialisation et des flux
terrestres de l’arrière-pays quelle commandent.

Kuala Lumpur et Hanoi sont situées plus en retrait mais fonctionnent de façon intégrée avec leurs
ports.

è Yangon, Jakarta, Bangkok, Manille, Hanoi sont située dans des zones rizicoles très
peuplées.
è Kuala Lumpur et Ho Chi Minh-Ville sont dans des régions moins denses et plus
diversifiées.
è Singapour, cite-État entièrement urbanisée, présente une autre configuration. Sans arrière-
pays, cette métropole de rang mondial est un centre de gravité des flux mondiaux.

La puissance de ces métropoles ne cesse de s’accentuer au fil du temps (concentration des activités
industrielles et tertiaires). Le renforcement des fonctions d’interfaces a bénéficié de l’amélioration
des infrastructures de communication (routes, voies ferrées) construites en étoile autour de la
capitale. Leurs infrastructures portuaires et aéroportuaires ont été modernisées ou sont en cours de
modernisation.

è Création du corridor de la Région du Grand Mékong en ASE continentale a consolidé


davantage encore les capitales placées à l’intersection de plusieurs corridors et relient les
capitales entre elles.

Ces métropoles regroupent une part importante de la population urbaine et des surfaces urbanisées
des pays.

è Bangkok, 10 millions d’habitants, regroupe 80% des surfaces urbanisées de Thaïlande.


è L’indice de primauté qui divise la population de la première ville par celui de la deuxième
est partout élevé. La population de la 1ère ville peut être jusqu’à 20 fois supérieure à la
deuxième.

Indices de primautés en ASE selon les villes :

è Ho Chi Minh-Ville (Vietnam), 8,4 millions d’habitants, 8% de la population totale, 23% de


la population urbaine, taux de primauté de 1,9.
è Bangkok (Thaïlande), 10,1 millions d’habitants, 14% de la population totale, 30% de la
population urbaine, indice de primauté de 7,7.
è Phnom Penh (Cambodge), 1,9 millions d’habitants, 12% de la population totale, 50% de la
population urbaine, indice de primauté 19.

- 124 -
2. Des villes secondaires densifiant les réseaux urbains.

- Des organisations méridiennes et transversales.

Les réseaux urbains s’articulent autour de capitales côtières et de villes secondaires, formant des
axes méridiens qui structurent l’organisation des territoires nationaux, à l’exception de l’Indonésie.

è En Birmanie, le territoire est organisé par Yangon (5,2 millions d’habitants en 2018) au sud
et Mandalay (1,4) au nord de la plaine de l’Irrawaddy. En dehors de Nay Pyi Taw, située
entre les deux villes, aucune autre n’atteint 300.000 habitants.

è La Thaïlande présente une configuration méridienne orientée par le fleuve Chao Phraya,
associant Bangkok et sa région métropolitaine comptant plusieurs villes millionnaires, se
prolongeant jusqu’à Chiang mai (1,1 million) deuxième ville du pays hors région de
Bangkok. Le réseau urbain thaïlandais s’organise en réseau de transport en étoile autour de
la capitale et compte quelques villes importantes (Ratchasima 750.000 habitants), ou
Songka (940.000 habitants) au sud.

è Le réseau urbain laotien suit du nord au sud de la vallée du Mékong, en une succession de
villes de petites tailles (sauf Ventiane et ses 700.000 habitants). Les villes sont organisées
selon un axe nord-sud.

è La plaine cambodgienne s’articule autour de Phnom Penh (1,9 millions d’habitants) et du


bipôle de Battambang (150.000 habitants) à l’extrémité sud du Tonlé Sap (grand Lac) et
Sempreap (140.000 habitants) à l’extrémité nord.

Les configurations sont plus complexes en ASE insulaire ou les éléments structurants sont les côtes
et non les fleuves.
è Aux Philippines, où la disposition des îles est méridienne, le réseau urbain s’articule autour
de Manu, Cebu et Davao.

è En Indonésie, la taille de l’archipel, son insularité et la structure transversale de


l’organisation du territoire rendent possible l’émergence de plusieurs villes millionnaires.
En dehors de Java, la taille des îles a permis à de grandes villes de se développer sur les
côtes ou à l’embouchure des fleuves, à Sumatra ou sur le pourtour de Bornéo.

è Bien que Kuala Lumpur (Malaisie) domine le réseau urbain Malaisie, la conurbation reliant
la ville à son aéroport et à son port, façade occidentale est la plus urbanisée, et est ponctuée
de villes dont les plus grandes sont situées à l’extrémité du corridor. Georgetown n’atteint
que 500.000 habitants.

- Des villes intégrées aux régions métropolitaines.

Les statistiques de la population urbaine laissent penser que la population urbaine se concentre
essentiellement dans les villes moyennes et petites, de moins de 500.000 habitants, qui regroupent
60% de la population urbaine.

- 125 -
è Seule 19% de la population urbaine réside dans une ville de plus de 5 millions d’habitants.
3 Les réseaux urbains s’articulent autour de capitales côtières et de villes secondaires, formant des
axes méridiens qui structurent l’organisation des territoires nationaux, à l’exception de l’Indonésie.
è 31% de la population d’ASE vit dans une ville de plus d’un million d’habitants.

Les Nation unies estiment qu’en 2030, les 2/3 de la population urbaine d’ASE vivront dans des
villes moyennes et petites et que la part des villes de 1 à 10 millions d’habitant déclinera à 10% de
la population urbaine.

Il faut nuancer car la moitié de ces villes sont situées dans les grandes régions métropolitaines, à la
périphérie des villes-centres, là où la croissance et les mutations socio-spatiales sont les plus
rapides.

è Si l’on ne considère plus les villes en fonctions des limites administratives mais en fonction
des limites du bâti urbain, la population de Jakarta atteint 25 millions d’habitants et celle
de Manille 16 millions.

- De nouvelles dynamiques de la connectivité.

Petites et moyennes villes ont une croissance limitée dans les zones centrales, en raison de la
concurrence de la dynamique métropolitaine.

è En Indonésie, la croissance de ces petites et moyennes villes est inférieure à la population


totale, alors que les villes des autres îles se développent rapidement.

En dehors des zones centrales en revanche, elles assurent la desserte des populations rurales et
celles des fronts pionniers agricoles. Elles deviennent des centres de production et de
transformation des ressources locales, soutenues par les politiques de décentralisation, qui donnent
aux villes secondaires des capacités financière et un pouvoir de décision.

è Pakanbaru à Sumatra est au centre d’une zone de production d’huile de palme et de pétrole
et a connu une croissance de 5,4% par an entre 2000 et 2010.

Le développement de ces villes secondaires est aussi permis par l’investissement dans les
infrastructures de communication transnationales, comme mode d’intégration des territoires et de
diffusion spatiale de la croissance.

è L’émergence de compagnie aériennes à bas coût assurant les liaisons entre les métropoles
et les villes secondaire, notamment les sites touristiques ou patrimonialisés, stimule leur
croissance.
è Le plan de connectivité de l’ASEAN, les corridors transnationaux de la région du Grand
Mékong, les nouvelles routes de la soie chinoise, suscitent des dynamiques nouvelles de
villes situées sur ces axes.
è Développement de nouvelles formes urbaines comme dans les régions frontalières, les
Zones économiques spéciales (ZES), les enclaves.

- 126 -
- Un processus de métropolisation en mode mineur.

Certaines de ces villes connaissent un processus de métropolisation, en mode « mineur ». C’est un


processus sélectif qui apporte de nouveau éléments de hiérarchies urbaines liées à
l’internationalisation des économies urbaines par des activités, des investissements, des
infrastructures qui connectent directement ou indirectement les territoires à la mondialisation.

è En Indonésie, en dehors de la région de Jakarta, Surabaya, le second port du pays joue de


ses fonctions portuaires pour s’internationaliser.
è Les autres villes indonésiennes comme Makassar, du fait de sa position, ne connaît pas les
mêmes dynamiques de métropolisation.

Les vecteurs de métropolisation diffèrent dans ces villes de celles des grandes métropoles. Les
marqueurs y sont incomplets.

è Les réseaux de transports de masse restent souvent embryonnaires.


è La concentration d’immeubles centralisés, les CBD, est fragmentaire.
è Les investisseurs dans la production urbaine y sont moins directement internationaux et
s’articulent plutôt aux capitaux locaux (sauf villes touristiques).
è L’intervention des États s’avère décisive, par leurs politiques d’aménagements du territoire,
dans le développement de ces villes.

- 127 -
CHAPITRE 11 – MÉTROPOLISATION EN ASIE DU SUD-
EST

Régions urbanisées, villes mondialisées.


I. Introduction.

L’ASE est une des régions du monde qui connait l’urbanisation la plus rapide, avec une
concentration importante de grandes aires urbaines, issues pour partie de l’installation des villes
coloniales sur les ports exportateurs (Singapour, Manille) et plus rarement sur les sites
d’exploitations minières (Kuala Lumpur).
è En 2015, l’ASE comptait 28 millions de métropoles de plus d’1 million d’habitants.
è 3 métropoles de plus de 10 millions d’habitants (Manille, Bangkok et Jakarta).
L’urbanisation entretient un lien étroit avec le dynamisme économique de la région, avec une vraie
attraction des ruraux dans les grandes métropoles et leurs périphéries. Depuis 1980, la polarité de
ces villes (qui attirent les flux humains, de capitaux etc.) ne cesse de croître dans le cadre de la
mondialisation.
è La mondialisation a d’abord touché les premiers pays membres de l’ASEAN avant de tous
les concerner aujourd’hui, y compris le Vietnam, le Cambodge, le Laos et la Birmanie.
L’ensemble des pays de l’ASEAN est aujourd’hui traversé par un processus de métropolisation qui
prend appui sur les villes primatiales. On observe en outre de grandes opérations d’aménagement
en lien avec l’internationalisation de la production urbaine dans un contexte de compétition
internationale.

« Métropolisation » : processus de concentration de valeur à l’intérieur et autour des villes les


plus importantes. Ce processus donne naissance à des villes de plus en plus peuplées, mais aussi
distendues, discontinues, hétérogènes et multipolaires.
La métropolisation résulte de la mondialisation de l’économie et de la financiarisation. Les
métropoles se caractérisent par une domination des fonctions tertiaires stratégiques.
L’organisation spatiale des métropoles est multiscalaire. A l’échelle mondiale, elle renforce le
poids économique et politique des régions urbaines les plus riches en fonction de commandement.
Ce processus concerne aussi bien les villes mondiales (Singapour, Kuala Lumpur) que les très
grandes villes (Manille, Jakarta, Bangkok) que les métropoles moins importantes (Ho Chi Minh-
Ville, Yangon) capitales de tailles modestes.

II. Nouvelles configurations urbaines et changements dimensionnels.

Dans ce contexte de l’internationalisation de la production urbaine concerne les acteurs et les


destinataires, quelle marque l’essor économique imprime-t-il aux configurations urbaines et aux
dimensions des villes et des projets urbains ? En gros, comment les territoires d’ASE enregistrent
la mondialisation ?
A. Centralité urbaine et croissance des aires métropolitaines.

- 128 -
Le développement de grandes entités urbaines (Jakarta, Manille, Bangkok) comme mega-cities, est
indissociable de l’entrée en jeu de l’ASE dans la dynamique de globalisation.

Cet essor des grandes agglomérations est associé à leur croissance périphérique. Le peuplement
des villes-centres stagne alors que la population des provinces limitrophes s’accroît rapidement.
Cela conduit à une sururbanisation des périphéries rurales dans le cadre du développement de
mégaprojets.
è Dans les agglomérations comme Ho Chi Minh-Ville, Hanoi, le développement discontinu
des nouvelles zones urbaines et des parcs industriels confèrent au schéma d’extension
urbaine un aspect fragmentaire, caractéristique de leur « méga-urbanisation ».
Les relations entre centre et périphérie évoluent. Les fonctions urbaines ne se limitent plus à un
noyau urbain mais se déploient sur des aires vastes, formant des zones métropolitaines étendues
voir de grandes régions urbaines.
Les méga-régions urbaines en ASE sont configurées ainsi :

è On retrouve le noyau avec des fonctions de ville-centre, services, résidences de standing,


lieu de la finance, souvent connectées au porte et à l’aéroport.
è Dans un second cercle, on retrouve la zone péri-urbaine, d’une cinquantaine de km, dans
laquelle on trouve aussi bien des ensembles résidentiels que des habitations de populations
à faibles ressources, ainsi que des petites zones industrielles. Cette zone attire les flux
migratoires.
è Dans un troisième cercle, large de 150km, appelé zone de « Desakota », se trouvent les
terres agricoles, les petites industries informelles, mais aussi des ensembles résidentiels et
des habitations à faibles revenus.
Desakota signifie « village-ville », présentes dans les mégaprojets urbains. Terme de vocabulaire
apparu en 1991 avec le géographe Terry McGee. Ce terme permet de rendre compte de l’émergence
autour des grandes métropoles de corridors d’urbanisation reliant plusieurs pôles urbains aux fortes
densités et aux circulations intenses. Il s’agit d’une imbrication entre le rural et l’urbain dans ces
territoires qui sont aussi des greniers à riz. Le desakota représente, en périphérie de la métropole,
un ensemble conjoint d’espaces urbains et d’activités industrielles, stimulé par la présence d’un
bassin de main d’œuvre bon marché et par des réseaux d’infrastructures efficaces, le tout sur fond
de riziculture intensive.
Depuis les années 1990, on observe un déplacement de l’industrialisation vers les périphéries, en
lien direct avec la délocalisation des industries à partir des pays d’Asie orientale. Ces
développements sont aussi favorisés par le développement des réseaux de transports
internationaux. Ils sont porteurs d’une urbanisation périurbaine non limitée à la simple sphère de
l’habitat.

è Manille, disposant d’assez de ressources foncières, continue d’attirer en sa périphérie la


majeure partie des investissements industriels.
Les centres concentrent le tertiaire international et les services de haut niveau. Les centres d’affaires
(CBD) et de tourisme gagnent en superficie (Manille, Bangkok, Jakarta). Les centres se
verticalisent et les utilisations mixtes du sol cèdent la place à des super-blocs.

- 129 -
è A Manille, extension de la ville de 633km2 en un multisite de 3.000km2 avec des nouveaux
pôles financiers et commerciaux.
De nouveaux pôles de la vie urbaines témoignent de l’appropriation des centres par les populations
aisées et les touristes. Les bureaux, hôtels internationaux, méga-malls associant galléries
marchandes de luxe et équipement de loisirs deviennent des lieux emblématiques.

Ces méga-malls sont notamment présent en Thaïlande comme avec le projet Iconsiam :

è 1,5 milliard de dollars.


è 100 restaurants.
è Un parc en plein air, espace public riverain de 10.000m2.
è Plus grand parc aquatique d’ASE.
è Projet qui sera complété avec les deux immeubles les plus élevés de Bangkok (52 et 70
étages).

Ces dynamiques de projets se révèlent sources de développement périphérique à plusieurs vitesses.

è Dans les agglomérations comme Bangkok, Kuala Lumpur, Jakarta, les couches moyennes
supérieures et aisées bénéficiaires de la croissance économique constituent les cibles
privilégiées de nouveaux modèles résidentiels périphériques, sous forme de quartiers
sécurisés ou de « ville nouvelle » avec des terrains de sports et de loisirs (golf).
è Les groupements villageois « sous-intégrés » à proximité des parcs industriels et des
résidences pavillonnaires marquent d’autres discontinuités.

B. Périmètres administratifs et territoires d’aménagement.

Dès les années 1980, l’expansion des aires métropolitaines des grandes capitales s’est traduite par
l’accroissement urbaine et par une expansion des territoires urbains au-delà de leurs limites
administratives.

è Bangkok et Jakarta intègrent leurs provinces limitrophes dans leur limite administrative
pour constituer de vastes entités de plus de 7.500km2.
è Expansion à Jakarta dans un contexte de forte croissance démographique des départements
limitrophes (plus de 5% par an entre 1980 et 2000), et dans une perspective de spécialisation
et d’internationalisation des fonctions clés de l’économie (industrielle, résidentielle). Projet
de Jabotabek, élaboré par le ministère des Travaux publics avec l’objectif de diriger
l’essentiel de la croissance vers les villes satellites pour limiter la pression sur le centre mais
aussi pour attirer les investisseurs étrangers pour permettre la croissance économique de la
région.
è Projet porté sur 3 municipalités à l’origine (Bekasi, 2 millions d’habitants), Tangerang (1,5
million) et Bogor (0,9 million). Il s’est ensuite ouvert à d’autres municipalités et a fait la
part belle aux intérêts privés.

Au début des années 1990, explosion de constructions résidentielles à Bangkok. Dans ce contexte,
un projet de ville nouvelle a été porté, entièrement privé, à une vingtaine de kilomètres de Bangkok.
Cette nouvelle ville va accueillir 700.000 habitants.

- 130 -
Dans les anciens pays socialistes, on observe une redéfinition des périmètres administratifs et la
construction d’entités territoriales d’échelons supérieur dotées de nouvelles compétences en
matière d’urbanisme, afin d’accroître les terres disponibles.

è C’est le cas d’Hanoi au Vietnam, qui a absorbé sur décision administrative sa province Ha
Tay en 2008, triplant ainsi sa superficie passant de 900km2 à 3.300km2 et doublant sa
population (3 millions à 6,4 millions).
è Au Cambodge, multiplication des projets immobiliers en périphérie de Phnom Penh.
Élargissement du territoire administratif de la capitale porté de 370km2 à 678km2,
absorbant au passage 20 communes, avec un gain de 200.000 habitants.

III. Quels outils et leviers pour la maîtrise de la métropolisation ?

La question de la régulation de la croissance urbaine se pose aujourd’hui. Singapour fait figure de


devancier dans ce domaine.

A. Entre volontarisme et urbanisation sous contrainte : la planification urbaine à l’épreuve des


problèmes de logement.

La planification urbaine est un outil développé assez tôt en ASE, déjà à l’époque des puissances
coloniales qui avaient été confrontées à la prolifération des lotissements et des zones d’habitat sous-
intégré ou « informel », débordant des limites administratives de la ville, mettant en cause les
agencements socio-spatiaux urbains initiaux.

Les dispositifs de planification urbaine ont été en lien avec la politique du logement.

è À Singapour, dès 1920, aménagement des premiers ensembles résidentiels et des quartiers
d’habitation par le service central d’architecture et d’urbanisme.
è Dans les années 1950, on se concentre à réaliser des grands ensembles et des villes satellites
aux grandes villes capitales existantes.
è À partir des années 1960-1970, des schémas directeurs tentent de remédier aux effets de
crise de croissance des grandes villes.

Les programmes publics de logement sont sous pression et tendent à prendre le pas sur la
planification urbaine d’ensemble. À défaut de pouvoir résorber l’habitat sous-intégré par la
réalisation de grands ensembles, les administrations nationales ont développé des formules
d’amélioration des infrastructures et des habitations dans les villages urbains.

è La plus remarquable est le Kampung Improvement Programm de Jakarta (1970-1980),


programme de restructuration des Kampung à Jakarta et dans les principales villes
d’Indonésie.

Le dispositif le plus accompli dans l’aire ASE est celui de Singapour, associant un schéma de
planification stratégique, flexible et dynamique, portant les orientations à long terme et un schéma
directeur fixant l’affectation des sols à moyen terme (10 à 15 ans). Dispositif qui traverse toutes
les échelles, de la parcelle à l’ensemble du territoire.

- 131 -
Au-delà de Singapour, l’action public urbaine dans les pays d’ASE se heurtait le plus souvent sur
la question de l’habitat du plus grand nombre et les États ne s’engageaient pas dans des
planifications régulatrices d’ensemble. Depuis les années 1990-2000, on observe néanmoins un
renouveau des schémas de planification urbaine, comme en témoigne le projet d’élargissement de
l’aire de Jakarta, avec l’ajout d’une 5ème ville à la conurbation Jabotabek.

Sur le front de l’habitat, les compartiments commerciaux et les maisons de villes sont toujours
caractéristiques des quartiers résidentiels centraux et péricentraux, mais leur progression vers les
périphéries ne relève plus de l’initiative individuelle mais ce type de réalisation a été transféré vers
la promotion privée et s’inscrit dans un vaste programme de lotissements pavillonnaires.

è Véritable croissance périphérique en ASE de ces grands ensembles pavillonnaires


périphériques.

Aux grands ensembles publics et aux immeubles d’appartements privés, il faut adjoindre les
ensembles de copropriétés allant de la tour de luxe avec équipement hors du commun aux
immeubles multifamiliaux en copropriété. Ce mode de production a été inspiré de Singapour et est
devenu avec les tours de bureaux, les hôtels internationaux et les malls, emblématique de la
modernité résidentielle métropolitaine.

è Entre 1986 et 1990, la part de construction de ces logements en copropriété est passé de 2%
à 43% de la production totale des logements (principalement pour répondre à la demande
en hausse des salariés).

À l’aube du XXIe siècle, l’ASE est entrée dans une nouvelle phase de développement urbain activé
par la mondialisation qui porte le projet urbain à l’échelle territoriale, dans une logique de
croissance des grandes agglomérations.

On observe le développement de complexes multisites qui s’organise autour de plusieurs pôles,


dont des villes nouvelles dîtes intelligentes (smart cities) et se revendiquent écologiques.

è Ce type de projet existe à Kuala-Lumpur City-Region, un mégaprojet de la fin des années


1990. Les smart cities sont reliées à Kuala Lumpur par des axes de transports, autour d’un
aéroport international.

B. Les transports et le foncier : les ressorts de l’action public et leurs limites.

1. Les schémas de transport comme guide de l’expansion urbaine.

Dans le développement des transports, c’est le de caractère centralisé de l’administration


thaïlandaise qui imprime sa marque : les autoroutes et les grands projets d’infrastructures publiques
comme le skytrain de Bangkok ou l’aéroport international dépendent des directives du
gouvernement central.

Or, le tracé des réseaux de transports conditionne largement l’affectation et l’utilisation des sols.
Les schémas de transport se substituent à la planification urbaine comme guide de l’expansion
urbaine.

- 132 -
Cette vision du maintien d’un pouvoir régalien sur le territoire s’exerce au moyen du tracé des
infrastructures mais doit être nuancée. Dans de nombreux cas (surtout les pays en transition), la
conception et réalisation des tracés demeure tributaire de l’aide publique (technique ou financière)
de pays étrangers, comme le Japon ou la Chine.

La question de la mobilité devient depuis quelques décennies un aspect majeur dans ce que l’on
pourrait appeler la crise de la métropolisation, avec pour symptôme l’intensification des
embouteillages à la faveur de l’accroissement du parc automobile.

è À Bangkok, la vitesse moyenne des véhicules aux heures de pointe est estimée à 16km
(12km/ dans l’hyper-centre).
è Le nombre de véhicules individuels a triplé entre 1990 et 2013.

La tendance est à la mise en place de systèmes de transports collectifs.

è Ouverture d’un métro aérien à Manille en 1984, il compte aujourd’hui 3 lignes.


è Inauguration à Bangkok d’un système de métro souterrain en 2004 et d’un métro aérien en
2011 (Sky Train).

Ces démarches sont communes aux métropoles des pays fondateurs de l’ASEAN. Dans le cas des
nouveaux pays membres, seul le Vietnam s’est engagé dans la construction de métros aériens et
souterrains pour ses deux métropoles, Hanoï et HCMV.

è Seule Singapour est exemplaire en matière de transports publics présente une gamme
complète et intégrée de moyens de transports collectifs.

La motorisation individuelle est renforcée par l’absence de desserte pas les grands moyens
collectifs de transport et par l’expansion urbaine (liaisons habitat-travail). On voit de plus en plus
de motos qui favorisent la diversification des modes de transports.

On note aussi le développement des petits formats comme les minibus ou encore les moyens de
transports informels comme les tricycles motorisés, les « tuk-tuk » de Bangkok, ou les motos-taxis
de Phnom Penh. Ces moyens de transport assurent la connexion du réseau local de ruelles ou de
chemins à la voirie urbaine, notamment pour les zones peu accessibles au sein de vastes fragments
territoriaux.

Des territoires urbains à deux vitesses s’esquissent, traduisant des disparités socio-spatiales
auxquelles les infrastructures de transport concourent.

Les questions d’accessibilité et de desserte ne concernent pas seulement le développement urbain


périphériques et leur jonction avec la ville centre. Les structures urbaines centrales sont aussi mise
au défi, car elles possèdent peut de voiries secondaires et doivent montrer leur capacité face à
l’absorption du trafic.

è Singapour se distingue avec l’instauration depuis 1975 d’une limitation de la circulation


automobile dans le centre-ville avec des droits de péage.

- 133 -
è Ailleurs, c’est à un réseau subalterne de ruelles qu’il convient de combler les lacunes de la
hiérarchie des voies (élargissement des ruelles à Hanoi et HCMV)

Entre réseau et territoire, appréhender la rue à Ho Chi Minh-Ville

85% de la voirie est constituée de ruelles de moins de 12 mètres de large, sans trottoir et avec un
tracé sinueux, qui nourrit parfois un sentiment de cloisonnement amplifié par la densité du bâti qui
la borde et la très forte densité de la population, pouvant aller jusqu’à 80.000 habitants/km2).
Les ruelles sont des espaces vécus, appropriées par les riverains avec une culture spatiale
spécifique. Elles sont multifonctionnelles, articulation de fonctions commerçantes et résidentielles.
En Vietnamien, la rue est un élément animé, façonné par les flux et la diversité de ses usages. Elle
est très dynamique.
Cette richesse des espaces publics au Vietnam est de plus en plus menacée par la motorisation. Les
ruelles remplissent de plus en plus des fonctions de réseau au service des circulations dans une ville
ou moins de 10% des déplacements quotidiens ont sont effectués en transport en commun. Le
développement du parc de voiture vient saturer les rues déjà congestionnées par les flux de motos.
Les autorités ont prévu l’élargissement des ruelles et à mieux réguler et restreindre le commerce
de rue dans une logique nouvelle de fermeture. De la « rue » à la « voie », c’est le statut d’espace
public ordinaire qui disparait et avec lui, la richesse d’une culture urbaine précieuse.

2. La redistribution de la carte foncière.

L’équipement des grandes agglomérations en infrastructures de transports participe au processus


de métropolisation.

è De vastes terrains sont rendus accessibles et viables en périphérie, ce qui permet leur
ouverture aux opérations de construction.
è Dans la ville-centre, le désenclavement des parcelles en impasse et des pseudo-villages au
bord des canaux (Kampung de Jakarta, slum de Bangkok) les ouvre à l’accueil de grandes
opérations et à la construction de tours.

Cette dynamique de nouvelles infrastructures occupe une position majeure dans les mutations
foncières à l’œuvre dans les grandes villes d’ASE et dans leur extension. Elles préludent au
changement du statut foncier et du mode de valorisation des terrains.

è À Bangkok, entre 1987 et 1992, le prix moyen des terrains est multiplié par 5 dans le centre-
ville et par 25 sur les franges urbaines suite au développement des infrastructures de
transport et à la conversion des terres agricoles.

Ces mouvements conditionnent le transfert des terres ainsi que le partage foncier sous fond
d’évictions.

è Ban Khrua, village urbain de Bangkok réputé comme « village de la soie » au sein de la
ville est un exemple des tensions liées aux modes d’occupation du sol et à la tenure foncière
que suscitent les grands projets d’infrastructures. Le village urbain est régulièrement
menacé depuis les années 1980 par les projets autoroutiers de la capitale.

- 134 -
La montée en puissance des grandes agglomérations considérées comme des « moteurs de
croissance » (favorisée par les IDE dans les industries, le développement des infrastructures et
l’essor des équipements commerciaux), favorise l’empiètement continuel sur les villes et villages
périphériques ainsi que sur les terres rurales adjacentes.

è Dans les années 1990, on estime à 45km2 la surface des terres agricoles converties chaque
année aux usages urbains dans la périphérie de Bangkok.
è À Jakarta, la moitié de la surface des terrains agricoles a été convertie en terrains
constructibles entre 1972 et 2001.

L’éviction rurale devient le pendant de l’éviction urbaine des citadins pauvres, habitants des taudis
et des habitats informels, frappés par la rénovation urbaine.

è Entre 1989 et 1991, 1,5 million d’habitant de Jakarta auraient émigré vers des départements
limitrophes.

Excepté Singapour, la reconfiguration de la carte foncière dans les agglomérations de l’ASEAN


donne lieu à des tensions spéculatives, activées par la privatisation et l’internationalisation de la
production urbaine. Elles sont particulièrement visibles dans les pays d’économie administrée où
le foncier fait son entrée dans la sphère marchande. Le statut de la terre évolue, passant d’un bien
collectif (étatique) à un bien marchand.

è Le nouveau quartier urbain de Phu My Hung à HCMV porté par des investissements
étrangers mobilisent de vastes fragments du domaine foncier. Véritable effervescence
immobilière.

Ces pratiques participent à une redistribution de la carte foncière qui est aussi une redistribution
des avantages dans les hiérarchies sociales et de pouvoir, dans lequel on observe le poids croissant
des acteurs externes associés aux aides étrangères.

Le foncier est un domaine de tension majeur entre la société et les autorités autour de la question
des indemnisations relatives aux évictions.

IV. Gouvernance urbaine et gouvernances des projets urbains.

A. Nouvelle configuration d’acteurs

L’actuelle convergence entre urbanisation accélérée et internationalisation de la production urbaine


met la plupart des métropoles d’ASE à l’épreuve des limites de leurs capacités physiques mais
aussi de leurs cadres et référentiels politico-administratifs de gestion.

De nouvelles configuration d’acteurs et logiques d’intervention se mettent en place.

1. Gouvernance, urbaine – administration territoriale – décentralisation.

- 135 -
Lois de décentralisation dans tous les pays d’ASE pas uniquement dans les nouveaux venus dans
l’économie libérale. La décentralisation vise à renforcer le pouvoir des gouvernements régionaux
au dépend du gouvernement central.

è Lois de décentralisation en Thaïlande mise en œuvre suite à la Constitution de 1977, visant


à promouvoir la démocratisation en transférant des responsabilités aux autorités locales.
Les coups d’États de 2014 ont mis un terme à cette politique.
è Sur le plan politique, Bangkok n’est une municipalité élue que depuis 1985, en raison de la
résistance des anciens pouvoirs militaro-bureaucratiques de l’époque. Contrôler Bangkok,
c’est avoir accès à un système clientéliste et aux leviers de la corruption. Ainsi, les
collectivités locales concernées par les grands projets d’aménagement n’ont pas leur mot à
dire.

Dans les pays en transition économique (Laos, Cambodge, Vietnam, Birmanie) ils sont très
dépendant de l’aide publique au développement pour la réalisation de grands équipements et
infrastructures.

è Au Vietnam, pays devenu l’un des principaux bénéficiaires, l’aide publique au


développement (APD) a financé à hauteur de 0 milliards de dollars le secteur des
infrastructures de transport, des télécommunications, de l’assainissement et du
développement urbain entre 2001 et 2009.
è Au Laos, la plupart des aides publiques sont conditionnées à la création par le
gouvernement d’institutions en charge des affaires urbaines.
è
L’internationalisation des grands projets urbains pose problème, dans la mesure où les attentes et
les exigences parfois distinctes ou contradictoires entre les pouvoirs publics, l’administration
territoriale et l’assistance technico-financière externe. Le plan directeur du grand Hanoi, future
population de 10 millions d’habitants sur une superficie de plus 3000km2 en est un bon exemple.

è Ce plan a nécessité la conversion de vastes étendues de terres rurales en districts urbains et


a placé les collectivités locales sous la supervision du gouvernement central qui doit lui-
même compter sur le Programme international d’aide publique au développement pour
coordonner la construction d’un système de transport public pour la nouvelle région
métropolitaine d’Hanoi.

2. Une montée en puissance des acteurs privés dans la gouvernance des projets ?

Les projets changent de dimension depuis la fin des années 1980, aussi en raison de l’entrée en jeu
de grandes sociétés de promotion (Bangkok Land par exemple).

è 1990, Bangkok Land lançait le projet de la ville nouvelle de Muang Thong Thani développé
sur 640 hectares.

Dans les pays en transition à l’économie de marché, la présence de l’État n’est pas sans
conséquence quant à l’opacité affectant le montage et la réalisation de certains projets. On parle
d’un « capitalisme de connivence », avec une privatisation de biens appartenant à l’État, après
l’accord des élites politiques et économiques. Elles sous-évaluent les actifs étatiques et se les

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approprient par des procédures dont ils connaissent les tenants et les aboutissants. On assiste à des
arrangements entre acteurs politiques et économiques avec des facilités de crédits bancaires, accès
aux terrains périurbains…

C. L’Asie du Sud-Est dans la compétition urbaine : images, discours et dispositifs.

Les grands projets participent aussi de la compétition urbaine que se livrent capitales et métropoles
asiatiques. C’est aussi le cas pour les grands événement régionaux au sein de l’ASEAN avec le
principe de sommets tournants entre les capitales, imposant la réalisation de structures d’accueil
(centre de conférences, résidences hôtelières…)

La promotion de la performance est indissociable de l’image, telles les tours de bureau illustrant
les articles de la presse économique.

è L’architecture est sollicitée dans la compétition, comme les tours jumelles Petronas
inaugurées en 1998 et devenues emblématiques dans le quartier des affaires de Kuala
Lumpur. 452 mètres, 88 étages, les plus hautes du monde jusqu’en 2004.

Cela entre dans le cadre de sa compétition avec Singapour. On cherche à avoir la hauteur des
édifices les plus importantes, les formes deviennent aussi des critères de performances.

è Les 3 tours du complexe hôtelier Marina Bay Sands à Singapour n’atteignent que 207
mètres pour 55 étages mais leur toit-terrasse d’un hectare qui les surmonte et les relie,
accueille la plus grande piscine à débordement du monde (150 mètres de long). Cet
ensemble comprend aussi un casino, une galerie commerciale de luxe… Par ce projet, elle
entend affirmer ses fonctions de métropole mondiale, en phase avec ses ambitions en
matière de technologie de pointe, de services financiers haut de gamme et d’économie de
la connaissance.

Le recours aux architectes internationaux vise à assurer le prestige des opérations.

Mais aujourd’hui, avec le nouveau vocabulaire international de l’urbanisme, c’est le label dont se
revendiquent les projets d’urbanisme et d’aménagement qui sert pour leur promotion.

è Depuis 2007, les développements de Bumi Serpong Damai portent sur la construction d’une
« Smart Digital City » en partenariat avec Huawei devant assurer sa desserte en fibre
optique.

Le label smart city fait désormais l’objet d’un classement par la section Asie Pacifique de la Smart
Cities Association avec pour principal critère celui d’être desservi par la fibre.

è Singapour occupe une position de tête avec une couverture quasi complète.
è Suivent Selangor (Malaisie), Jakarta (Indonésie) et HCMV au Vietnam pour l’ASE.

En avril 2018, des pays de l’ASEAN ont décidé la constitution d’un réseau régional de « villes
intelligentes » : ASEAN Smart Cities Network avec 26 villes pilotes.

- 137 -
Le label n’est ni une garantie de fidélités aux principes énoncés, ni une assurance du succès.

è Projet de ville écologique entre Malaisie et Singapour. Ce projet présentait un impact


environnemental négatif. L’accueil prévu de 700.000 personnes aura un impact négatif sur
la Mangrove et les activités de pêche. Visant une population aisée de Chine, le projet subit
les aléas de la politique malaisienne circonspecte quant à l’immigration chinoise. Certains
prédisent à cette réalisation un avenir de « ville fantôme ».

Les projets futuristes et innovants entrent dans le cadre du marketing urbain auquel se livrent les
villes asiatiques.

V. Figures et trajectoires de la métropolisation : essai de typologie.

Les villes n’échappent pas à la diversité qui caractérise l’aire sud-est asiatique. On peut par exemple
évoquer le contraste entre Jakarta, métropole insulaire, dixième plus grande ville du monde et
Vientiane, capitale du Laos, pays dépourvu d’accès à la mer.

Cette diversité incite à la recherche de régularités. Le fait urbain dans l’histoire permet d’identifier
deux figures de références : les cités agraires et les villes marchandes.

On peut partir du constat de la primauté urbaine caractéristique commune des pays de l’Asie. On
peut distinguer 3 formes de primauté urbaine dans ce contexte.

è La totalité urbaine, sans arrière-pays, correspondant au cas de Singapour, intégrant un


centre administratif, d’affaire et de commerce, zones industrielles et villes nouvelles,
étendue aux limites du territoire national.
è La mégapole, figure d’une urbanisation en expansion sur une fraction de son territoire
national. La région capitale absorbant les centres voisins et accueillant la moitié de la
population urbaine nationale (Bangkok, Manille, Jakarta).
è L’axe urbain, supporte d’une urbanisation linéaire, avec plusieurs entités urbaines (Kuala
Lumpur).

La mondialisation rend caduque la variante du modèle de ville du tiers-monde sous laquelle, jusque
dans les années 1970, on classait les villes d’ASE. On propose désormais une classification des
villes rendant compte de leur mode et de leur niveau d’intégration économique.

è Les villes mondiales : Singapour et Kuala Lumpur, pôles régionaux de l’économie


mondiale.
è Les capitales nationales : Bangkok, Jakarta et Manille, pôle nationale de l’économie
régionale.
è Les villes secondaires : Chiang Mai (Thaïlande), Surabay (Indonésie), Cebu (Philippines),
pôles locaux de l’économie national, disposant de connexions internationales.

En complément, il est possible de catégoriser ces villes d’ASE en mettant l’accent sur leur
trajectoire de production métropolitaine ainsi que sur le mode et le degré d’implication des États
au regard des processus de métropolisation.

- 138 -
è 1ère catégorie : « la métropolisation stratégique », volonté publique, qui se manifeste dans
une planification d’ensemble à la manière du Concept Plan de Singapour ou par de vastes
projets d’échelle territoriale. L’État national en est l’orchestrateur sans remettre en cause
l’action des capitaux étrangers à laquelle ces programmes contribuent, ni le contexte
d’économie libérale dans lequel ils opèrent. La métropolisation stratégique s’exprime via
des marqueurs comme les tours des CBD, les projets de smart cities et éco-cities, les
systèmes de transport en commun (métro aérien et souterrains).

è La seconde catégorie concerne les agglomérations urbaines les plus peuplées où les
caractéristiques de la production urbaine sont portées par le marché (prépondérance des
acteurs privés, de l’immobilier, entreprises de promotion cotées en bourse, grands
conglomérats) et se manifeste de manière fragmentaire. Les principales bénéficiaires sont
les périphéries (départements limitrophes de Jakarta, de Bangkok).

è 3ème catégorie concerne les voies et formes particulières de la métropolisation dans les
anciens pays d’économie dirigée. Réalisation de villes nouvelles (Hanoi, Phnom Penh) sous
l’intervention de société de promotion étrangères (souvent asiatiques). C’est une
métropolisation sous contrainte des investissements étrangers pour la réalisation des
grandes infrastructures et des mégaprojets.

L’élaboration du schéma directeur de Phnom Penh et les actuels aménagements d’extension


de la capitale cambodgienne prennent appui sur la coopération française.
La planification des réseaux de transport à Vientiane dépend de la coopération japonaise.

Au regard de la corruption dans ces pays, dans le cadre de ces projets, ainsi que le caractère
souvent factice de ces projets et leur écart par rapport aux besoins de la société urbaine, on
peut parler de « pseudo-métropolisation ».

VI. Un autre regard sur l’urbanisation métropolisée : nouvelles sociétés urbaines,


nouveaux déséquilibres socio-spatiaux.

A. Introduction

Les compétitions que suscitent les dynamiques métropolitaines transforment les sociétés urbaines
et les paysages urbains par un urbanisme largement piloté par des acteurs privé.

L’accroissement général des niveaux de vie et la réduction de la pauvreté en ASE s’accompagnent


de l’émergence d’une classe moyenne mais aussi de l’accroissement des inégalités et des disparités
de revenus. L’organisation de la ville en est le reflet.

À mesure qu’elle s’étend et se modernise, la pression sur le foncier s’accentue, surtout aux centres-
villes, menaçant la mixité sociale marginalisant les plus pauvres et attisant les conflits, dans un
contexte de privatisations de plus en plus importantes des espaces urbains, y compris les espaces
publics, dont l’accès devient socialement discriminant.

B. Classe moyennes et nouvelles pratiques citadines.

- 139 -
L’émergence des classes moyennes a accompagné la croissance économique des pays d’ASE dans
leur insertion dans la mondialisation. Leur proportion dans la population totale a augmenté dans
tous les pays entre 1990 et 2010.

La Banque mondiale considère que la classe moyenne dispose d’un revenu minimal de de 5,5$ /jour
jusqu’à 50$/jour.

è L’ASE compte selon cette définition 80 millions de personnes.


è En Malaisie, elle représente 79% de la population (proche du seuil haut), 68% en Thaïlande
(proche du seuil bas).

Les classes moyennes ont un niveau d’étude plutôt élevée par rapport à la population en général,
sont stables professionnellement. Ces sont des populations qui consomment et qui adoptent le mode
de vie mondialisé. À mesure que leurs revenus augmentent, elle consomme moins de produits de
base et davantage de biens durables voire de produits de luxe. Elles sont à l’origine de nouvelles
pratiques de loisirs ou alimentaires (recours aux produits transformés, acquis dans les supermarché,
fréquentation des fast-food).

Les shopping malls se multiplient et correspondent aux aspiration des classes aisées qui contribuent
à remodeler la ville. Ces espaces sont des lieux climatisés, sécurisés, nouveaux lieux de sociabilité
et se substituent aux commerce traditionnels des rues commerçantes. Les vendeurs à rues sont de
fait, souvent évincés, comme d’autres activités informelles (tuk-tuk).

Quant aux formes de logement, les classes moyennes accèdent à la propriété immobilière, qui
contribue au développement de villes nouvelles et d’espaces de copropriétés, y compris dans une
version bon marché en périphérie, prenant la forme de quartiers fermés privilégiant l’entre-soi.

Les classes moyennes se tournent vers le secteur prié pour compenser les défaillance du secteur
public (écoles, cliniques, société de gardiennage, autoroutes à péage).

Sur le plan politique, elles sont plus conservatrices et soutiennent les régimes qui assurent la
croissance économique, même s’ils sont autoritaires.

C. Des villes duales ? Pauvreté, déguerpissement et relocalisation.

L’accroissement des inégalités s’explique par des écarts salariaux qui augmentent en zone urbaine
car les salaires des emplois qualifiés occupés par les classe moyenne progressent, contrairement
aux salaire des emplois peu qualifiés ou relevant du secteur informel.

Diminution de l’emploi agricole draine une large population en dehors de ce secteur qui se trouve
alors employée dans le secteur informel.

è Le secteur informel représente entre 25% et 50% du PIB des pays d’ASE.
è 60% des emplois non agricoles seraient informels en Indonésie, 73% aux Philippines.

En ville, le secteur informel est alimenté par les migrants (ruraux et internationaux) formant une
catégorie de citadins pauvres, qui peinent à accéder à l’emploi et à un revenu. La pauvreté est plus

- 140 -
basse en ville qu’en espace rural, mais le coût de la vie en ville est supérieur. Aussi, les
gouvernements luttent davantage contre la pauvreté rurale. La pauvreté urbaine diminue donc très
lentement.

Les métropoles présentent une différenciation sociale à l’origine de nouvelles différenciations


spatiales. La pauvreté limite l’accès aux services, équipements et logements. Les villes manquent
de logements abordables et proches des emplois pour les populations pauvres. Les politiques du
logement visent trop peu les populations défavorisées et laissent au secteur informel le soin de
développer des parties de la ville pour se loger.

Les squatteurs s’installent dans des quartiers anciens du centre-ville, sur des terrain privés ou
publics encore non-construits, en attente de développement ou non urbanisables car dans des zones
inondables ou mal desservies, ou proche des chemins de fer.

è Les grands bidonvilles abritent des milliers de citadins à Bangkok ou à Manille.


è Ailleurs, on assiste à une taudification des quartiers chinois, à la bidonvilisation des
Kampung.

Ces quartiers s’opposent à la ville régulière et planifiée ou l’accès aux services s’améliore, rendant
le contraste encore plus saisissant. Ces quartiers taudifiés font l’objet d’opérations de
déguerpissement, autrement dit l’expulsion des populations, un processus conduit au nom de la
rénovation urbaine qui entre dans le cadre de projets de villes compétitives et néolibérales.

- 141 -
PARTIE 5 : INTÉGRATION ET GÉOPOLITIQUE
RÉGIONALES

CHAPITRE 12 – LES PROCESSUS ET LES ESPACES DE


L’INTÉGRATION RÉGIONALE.

Définition :

La région est infra-étatique, elle est un morceau d’un territoire d’un pays, mais on peut transposer
l’idée de système régional à des ensembles de toutes les tailles (régions mondiales).

L’intégration régionale désigne l’accroissement et l’approfondissement d’interactions entre les


unités territoriales distinctes mais contigües, dans une logique de construction d’un ensemble
régional autonome. Les relations entre les territoires constitutifs sont plus fortes qu’avec les
territoires situés en dehors. Les ensembles macro-régionaux s’intercalent entre les Etats et l’échelle
mondiale, ils sont construits pas des États entiers additionnés.

Les géographes s’intéressent à différentes formes d’intégrations régionale :

è Formelle, soit l’intégration portée par les acteurs institutionnels.


è Fonctionnelle, une intégration qui relève des pratiques de tous types d’acteurs (États,
organisations régionales, firmes, réseaux, diasporas) situées à différents échelons.

Dans la langue française, une région est un espace infranational, que ce soit une unité administrative
intermédiaire entre le national et le local (entre les départements et la nation dans le cas français),
ou une unité géographique pertinente, cohérente par son caractère et ses modalités de
fonctionnement (région naturelle, industrielle).

Depuis le début des années 1980, un autre vocabulaire se diffuse, d’origine anglo-saxonne celui-
ci. Il est l’acception du terme région au sens supranational, entre le national et le régional. Il y
aurait des régions aux formes variées, comme des régions politiques et institutionnelles,
économique dont L’Europe serait le modèle.

En ASE, le processus d’intégration régionale est le fait de logiques fonctionnelles plus


qu’institutionnelles. Cette approche est très différente de l’UE et permet de dépasser les contentieux
laissés pas la colonisation, la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide, la construction des États-
nations.

Définir une région « Asie du Sud-Est » au sens géographique nécessite d’analyser les différents
types de flux (légaux ou non) afin de comprendre les interactions entre des unités territoriales
initialement distinctes mais contigües et d’en identifier les pôles et les sous-ensembles.

- 142 -
I. Une intégration économique portée par les multinationales et les réseaux intra-firmes.

A. Division régionale du travail et complémentarité des systèmes de production.

L’intégration en ASE repose sur l’association dans une même dynamique économique de pays
ayant des croissances économiques similaires (stratégie de promotion des exportations), mais
décalées dans le temps.

Ce processus séquentiel de développement et les différences économiques ont entrainé la formation


de vagues successives d’investissements et de délocalisation industrielles depuis le Japon vers les
NPI (Corée, Taïwan, Hong-Kong et Singapour) dans les années 1970-1980, puis vers les pays
fondateurs de l’ASEAN et enfin vers la Chine, Cambodge et Vietnam.

Il existe une forte interdépendance économique et un important poids des échanges régionaux au
sein des pays d’ASIE et dans une moindre mesure entre pays membres de l’ASEAN, en raison de
la division régionale du travail, de leur complémentarité de production, de l’émergence de chaînes
de valeurs.

B. Les zones franches d’exportation : nœuds de production régionale et d’insertion


économique mondiale.

Diffusion en ASE de Zones franches d’exportation (ZFE) selon des temporalités différentes.

è D’abord initié par les NPI de 1ère génération dans les années 1960.
è Diffusion dans les pays de la 2ème génération dans les années 1970-1980 (Malaisie,
Philippines, Indonésie et Thaïlande).
è Enfin, diffusion depuis les années 2000 dans les pays communistes s’ouvrant à l’économie
de marché.

Les ZFE en ASE se sont positionnées dans le marché de la sous-traitance internationale et dans
l’accueil des activités délocalisées depuis les pays industriels, dans le bas et moyenne gamme
(textile, cuir, jouets, chaussures).

Les ZFE s’implantent à proximité des métropoles et des infrastructures modernes (ports, aéroports)

C. Les zones franches industrielles singapouriennes.

À Singapour, les zones franches industrielles sont sous la responsabilité d’une agence d’État créée
en 1968 qui doit aménager ces espaces et fournir aux investisseurs des installations et des
équipements clés en main, ainsi que des logements pour les expatriés et la main d’œuvre.

Ces zones ont soutenu la progression de l’activité manufacturière et ont su s’adapter à sa montée
en gamme technologique.

è 1ère phase de développement industriel correspond à l’aménagement de la première ZFI de


la cité-État, la zone de Jurong (43km2). Créée de toute pièce dans les années 1960 sur un
espace peu dense, marécageux, couvert de plantations d’hévéa. Début 1970, la zone franche

- 143 -
concentre 300 usines de textile et emploi 21.000 personnes. Dans les années 1970, de
nouvelles zones industrielles apparaissent. Leur ouverture correspond à la création de villes
nouvelles pensées par les autorités planificatrices singapouriennes pour devenir des bassins
de main-d’œuvre. Association de ville-nouvelle et de zone franche à proximité pour éviter
les déplacements.

è 2ème phase à partir de 1979 : le gouvernement favorise la délocalisation des industries


intensives en main-d’œuvre, vers les nouvelles zones franches en Malaisie afin de
développer des industries de plus hautes technologies. Les zones franches se transforment
en niches industrielles, essentiellement dans le secteur de l’électronique auxquelles sont
associés des instituts de formation. Le secteur de l’électronique représente plus de 50% des
exportations non pétrolières. Singapour fabrique les parties les plus sophistiquées des
ordinateurs (contrairement à ses voisins).

è 3ème phase dans les années 1990 : le gouvernement singapourien parie sur une nouvelle
phase d’industrialisation reposant sur l’économie de la connaissance et entend favoriser la
création de centres de Recherche & Développement (via des incitations fiscales) par des
firmes transnationales comme Philips ou Hewlett-Packard. De nouveaux espaces
industriels sont construits comme les parcs d’entreprise (pépinières d’entreprises
innovantes spécialisées dans la haute technologie), les gratte-ciels scientifique (I-Park) ou
encore les nouveaux technopôles conçus autour d’une même activité et offrant aux salariés
un cadre de vie agréable leur permettant de vivre et travailler en son sein.

II. Une intégration des territoires soutenue par la connectivité des transports.

A. Le plan de connectivité de l’ASEAN.

L’intégration économique passe par une amélioration des réseaux de transports transnationaux.

Mise en place d’un plan de « connectivité » de l’ASEAN adopté en 2010 qui repose sur trois piliers :

è Amélioration du cadre institutionnels pour réduire les barrières tarifaires et non tarifaires
afin de favoriser la création d’un marché unique dans le secteur maritime et aérien.
è La mise en place de dispositifs législatifs qui permettent de de favoriser une plus grande
mobilité des personnes au sein de l’ASEAN.
è Développer des infrastructures de transport transnationaux.

Depuis 2015, ce plan a été remplacé par un plan directeur à horizon 2025, dont les piliers restent
similaires. On y ajoute un objectif :

è Fluidifier la circulation régionale et mettre aux normes les infrastructures de transport (il
existe un énorme contraste entre les autoroutes malaisiennes et les routes cabossées du
Cambodge et du Laos ou la circulation relève parfois du défi). Aussi, les routes en Indochine
sont encore marquées par les stigmates de la guerre, et passer de la Thaïlande à la Birmanie
en voiture est une aventure à l’issue incertaine.

B. Reconnecter les infrastructures terrestres : autoroutes et voies ferrées.

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Deux projets majeurs dans le domaine des infrastructures terrestre :

è Projet autoroutier de l’ASEAN (AHN).


è Singapour-Kunming Rail Link (réseau ferroviaire pan-asiatique). Réseau de chemins de fer,
en cours de planification ou en construction, qui relierait la Chine, Singapour et tous les
pays de l'Asie du Sud-Est continentale.

Dans tous les pays d’ASE, l’amélioration des infrastructures de transport est une priorité nationale
pensée en coordination avec les réseaux des pays limitrophes.

è Le projet AHN (1999) a pour objectif d’ici 2020 de créer 23 autoroutes transnationales
comptabilisant 38.400km et de construire des tronçons routiers manquants (Birmanie, Laos,
Vietnam, Cambodge). L’amélioration du réseau routier passer par la construction d’axes
transnationaux : les corridors.

Le réseau ferroviaire est étendu depuis la période colonial, mais l’ASEAN tarde à mettre en place
une politique de développement régional du secteur ferroviaire.

è Dès les années 1960, les Nations unies avaient pourtant proposé de soutenir un projet de
voie ferrée reliant le sud de la Chine à la Malaisie en passant par l’Indochine. Faute
d’entretien, il s’est dégradé et demeure aujourd’hui sous-exploité.
è Nouveau projet en 1995, le Singapour Kunming Rail-Link a pour objectif d’intégrer et
moderniser et réhabiliter les réseaux ferroviaires déjà existants et construire les tronçons
manquant afin de relier la chine à Singapour, via des lignes ferroviaires qui passeraient par
Ho Chi Minh-Ville, Phnom Penh, Bangkok et Singapour à l’est et à l’ouest (ou la ligne est
bien plus avancée), elle relierait Kunming à Singapour en passant par Mandalay Yangon et
Bangkok.

C. Les liaisons maritimes intra-régionales.

Plan MPAC qui désigne 47 ports comme prioritaire pour améliorer le réseau maritime au sein de
l’ASEN. L’objectif de ce plan est double :

è Favoriser les liaisons maritimes entre les pays d’ASE insulaire.


è Améliorer la connectivité entre la partie continentale et maritime de l’ASE.

Développement des navires rouliers (RO-RO) destinés au transport des cargaisons à roue (voiture,
camions) utilisés pour le transport maritime de courte distance et permet de réduire les inégalités
de développement comme aux Philippines.

Le projet MPAC insiste sur la nécessité d’améliorer les liaisons entre les modes de transport.

Trois routes sont considérées comme prioritaires :

è Route Philippines – Indonésie.


è Route entre la Malaisie péninsulaire et Sumatra en Indonésie.

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è Route entre Sumatra et Phuket en Thaïlande.

D. Le rôle majeur des compagnies aériennes à bas coût.

Au sein de l’ASEN, la demande en transport aérien est en très nette hausse ces 15 dernières années.
Elle s’explique par une croissance économique rapide, une forte urbanisation et l’émergence d’une
classe moyenne.

è En 2017, les routes Singapour-Jakarta et Singapour-Kuala Lumpur sont respectivement,


avec 4,8 millions et 3,4 millions de passagers transportés, les 2ème et 4ème routes aériennes
internationales les plus fréquentées au monde.

Le transport aérien joue aussi un rôle majeur dans le transport intérieur.

è Avec 6,7 et 5,2 millions de passagers transportés sur deux routes importantes (Hanoi –
HCMV et Jakarta-Surabaya) ce sont les 6ème et 9ème routes intérieures les plus denses au
monde.
è En 2016, sur les 109 millions de touristes venus par les airs dans un pays de l’ASEAN, 42%
provenaient d’un autre pays de l’ASEAN. D’ici 20 ans, on prévoit que la moitié de la
croissance du trafic aérien mondial proviendra des voyages internes ou en provenance
d’ASE.

En 2018, les plus grands aéroports d’ASE en nombre de passagers sont ceux de Jakarta, de
Singapour et de Bangkok mais leurs fonctions régionales sont différentes :

è Aéroport de Jakarta a un rôle essentiellement national. Hub qui permet de desservir tout le
territoire d’Indonésie. Forte croissance de la demande intérieure. Nombre de passagers
multiplié par 3 entre 2009 et 2016 pour atteindre 85 millions. Ce mode de transport
concurrence désormais les ferrys interinsulaires.
è L’aéroport de Bangkok est une porte d’entrée, notamment pour les touristes en ASE. Il est
relié par vols directs à plus de 70 pays.
è Avec 65 millions de passagers en 2018, l’aéroport de Singapour est un des premiers
carrefours aériens mondiaux. EN 2018, il est la destination de 4 des 20 plus grosses liaisons
aériennes du monde : vers Kuala Lumpur avec 30.000 vols/an, Jakarta (27.000 vols/an),
Bangkok (15.000 vols/an) et Hong Kong (1.500 vols/an). Ses 10 premières destinations
sont toutes e ASE (6), Asie du Nord-Est (3) et Australie (1).

Cette forte croissance s’explique par l’essor des compagnies aériennes à bas coûts dans la région.

è Elles transportent 60% des passagers dans les pays d’ASEAN, contre 33% en Europe et
25% en Amérique du Nord.

Elles ont émergé dans les années 1990 et se sont adaptés au pouvoir d’achat de la nouvelle classe
moyenne. Rapide succès d’Air Asia qui a donné par la suite naissance à 22 compagnies aériennes
à bas coût.
è (Lion Air en Indonésie, Scoot à Singapour, Nok Air et Thaï Smile en Thaïlande…)

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Elles contribuent directement à modifier les organisations spatiales des territoires nationaux et
régionaux.

è Dans les États archipélagiques comme les Philippines ou l’Indonésie, ou des États étendus
comme le Vietnam ou la Malaisie, elles favorisent le désenclavement de territoires isolés
et permettent de pallier l’insuffisance des infrastructures routières et ferroviaires et la
lenteur du trafic maritime.

L’émergence des compagnies à bas coûts (largement favorisé par l’ASEAN) a encouragé les
mobilités régionales notamment grâce à la multiplication de liaisons directes entre une métropole
et une ville secondaire et même entre villes secondaires.

è Vientiane (Laos) et reliée directement à Kuala Lumpur par Air Asia alors que les
compagnies régulières imposent un passage par Bangkok.
è Air Asia rend possibles les liaisons internationales directes entre Medan et penang par
exemple.

Air Asia (compagnie malaisienne)

Création en 1993. Jusqu’en 2000, elle ne proposait que des vols domestiques, dans un pays coupé
en deux par la mer de Chine méridionale entre une partie péninsulaire occidentale) et une partie
insulaire sur l’île de Bornéo. L’essor du trafic aérien était un moyen stratégique pour réduire les
600km de distance entre les deux. Réseau original qui relie entres-elles les villes secondaires.

L’ouverture en 2000 aux routes internationales constitue le réel début du succès malaisien à
l’échelle de l’ASE. Air Asia est parvenue à s’imposer sur le marché régional. Son réseau couvre
désormais 165 destinations domestiques et internationales (25 pays) principalement vers l’ASE
mais aussi l’Asie orientale et occidentale.

La compagnie a ouvert de succursales à l’étranger en gardant 49% des parts des autres compagnies.
Première extension avec Thaï Air en 2004 (Thaïlande) lui permettant de s’implanter dans la
principale destination touristique de la région. Seconde ouverture en Indonésie afin d’accéder au
vaste marché démographique de ce pays. Elle cherche aussi à s’implanter en chine et au Japon. Son
objectif est d’ouvrir de nouveaux territoires pour que son slogan « Now, everyone can fly »
devienne une réalité pour tous.

III. Une puissance portuaire intégrée à la « Méditerranée asiatique ».

Les limites et critère de cette idée de « Méditerranée asiatique » varient d’un auteur à un autre. Elle
valorise les liens culturels et une histoire partagée qui font l’unité de cet ensemble, qui repose sur
des flux maritimes et le déplacement des hommes, rythmés par les vents de moussons.

Cet ensemble est envisagé comme un espace intégré, cohérent et bien distinct de la Chine et de
l’Inde. La limite au nord est le Vietnam (souvent envisage comme espace de transition
ASE/Chine).

- 147 -
Une autre acception du terme est faite, plus large allant de « Vladivostok à Singapour »,
comprenant la mer des Célèbes, la mer du Japon, dans un corridor maritime centré sur les régions
transnationales structurées par un chapelet de métropoles portuaires. Cette définition évoque l’axe
de croissance de l’Asie pacifique de H.Tertrais.

Dans une approche géostratégique, ce terme est utilisé pour désigner la mer de Chine méridionale
et ses 11 pays riverains.

Dans tous les cas, la Méditerranée asiatique a pour usage de valoriser le rôle de la mer, comme
lien. L’adjectif méditerranéen désignant une mer située au milieu de terres et bordée de pays
différents.

Dans les années 1970, le centre de gravité du trafic mondial conteneurisé s’est déplacé vers l’Asie
aux dépens des ports de l’Amérique du Nord et de l’Europe du Nord-Ouest.

Émergence économique des ports asiatiques s’est traduite par :

è Une concentration de + en + forte de conteneurs dans cette zone. 25% des conteneurs
mondiaux en 1982, 43% en 1994 et 64% en 2017.
L’ASE n’est pas en retrait dans ce processus, elle a manutentionné plus de 87 millions d’EVP
(« équivalent vingt pieds », unité de mesure des conteneurs) contre 35 millions en 2000.

Le poids de l’ASE à l’échelle mondiale a augmenté considérablement :

è Dans ses ports transitent en 2017, 14% du trafic mondial conteneurisé contre 5% en 1980.

Les ports d’ASE sont entrés progressivement dans le groupe des plus grands ports mondiaux
conteneurisés.

è Absent du classement des 20 premiers ports du monde en 1970, ils font leur apparition en
1980 avec Singapour puis Manille en 1990. Dans le classement de 2017, 4 ports sont d’ASE
(Singapour, Port Klang (Malaisie), Tanjung Pelepas (Singapour) et Laem Chabang
(Thaïlande)).

A. L’axe de croissance du littoral pacifique.

Tous ces ports sont intégrés à un axe maritime méridien longeant le littoral pacifique. Qualifiée
d’« axe de croissance » (Tertrais), cette route maritime est la colonne vertébrale d’une région plus
vaste que l’ASE et est désignée par les termes « d’Asie Pacifique » ou de « Méditerranée
asiatique ».

è Elle s’articule autour de plusieurs bassins maritimes interconnecté par des détroits
stratégiques (Malacca, Taïwan) et polarisée par des plateformes multimodales.
è Autrefois un simple relai entre l’Europe et l’Amérique, ce tronçon a acquis une dynamique
propre alimentée par la croissance des échanges intra-asiatiques.

- 148 -
Cette route intra-asiatique est en pleine mutation avec des flux nouveaux, dont la majorité est
réalisée entre pays asiatiques.

è De plus en plus d’échanges nord-sud entre l’Asie orientale et l’ASE ainsi que des flux intra
ASEAN.
è Complexification des hiérarchies portuaires avant dominées par les ports japonais au nord,
au sud à Singapour et au centre à Hong-Kong. Emergence des ports coréens, taïwanais puis
chinois. En ASE, les ports de Malaisie et de Thaïlande sont aussi de plus en plus importants.

La région ASEAN est devenue un système de réseaux de transport maritime, au sein duquel chaque
port est lié à un schéma complexe de dépendance.

B. Les ports du détroit de Malacca : hub majeur de transbordement.

Un détroit est un passage maritime exigu entre deux terres faisant communiquer deux mers. C'est,
au même titre que l'isthme ou le canal, un axe à la fois stratégique et structurant des échanges
maritimes mondiaux. Cet espace particulier et complexe de l'interface maritime et terrestre est
devenu un enjeu majeur au XXe siècle avec la volonté des États riverains de se projeter de plus en
plus loin vers le large et d'étatiser les espaces maritimes.

À l’échelle mondiale, le trafic de transbordement est en plein essor et concerne 1/3 des
conteneurs du monde. Pour des raisons économiques (volume, rentabilité) et technique (tirant-
d‘eau, capacité portuaire), les transbordements sont de plus en plus importants.

La logistique du transport maritime a beaucoup changé depuis 30 ans et plusieurs ports se sont
spécialisés dans le transbordement pour conserver et consolider leur statut de hub portuaire.

è Les principaux couloirs maritimes d’ASE se servent du port de Singapour ou de celui de


Tanjung Pelepas ou de Port Klang en Malaisie comme hub principal de transbordement.
è La part des flux de transbordement dans leur trafic propre est respectivement de 85%, 95%
et 64%. Ces trois ports sont le centre d’un vaste réseau reliant l’ensemble des ports de la
région.

Cette hégémonie s’explique par leur excellente situation géographique sur la route maritime
stratégique est-ouest ainsi que par la qualité de leurs infrastructures.

è Jusque dans les années 1990, Singapour était un hub incontesté en ASE. Cela était
inacceptable pour le gouvernement malaisien qui a mis en place une politique de
modernisation de ses structures portuaires pour détourner vers ses ports une partie des
échanges maritimes transitant par Singapour.
è Le port de Tanjung Pelapas a été conçu uniquement pour devenir rival direct du port de
Singapour.

C. Laem Chabang en Thaïlande, porte de la péninsule.

Construit en 1991 pour désengorger le port de Bangkok. Il connait une forte croissance grâce au
développement industriel. 98% de son trafic est généré par les industries localisées dans les zones

- 149 -
industrielles adjacentes au port qui importent des matières premières, les transforment en produits
finis et les réexportent.

è Volonté thaïlandaise de faire de Laem Chabang, un hub logistique pour l’ASE continental
et la Chine du sud.
è En position centrale dans la région du Grand Mékong, le port devrait élargir son aire
d’influence vers les pays limitrophes (Birmanie, Laos, Cambodge). Il n’est pas un hub de
transbordement en raison de sa situation à plus de deux jours de déviation de la route
maritime circumterrestre mais son trafic lui permet de multiplier les liaisons directes avec
les autres pays d’ASEAN mais aussi vers les USA et l’Australie.

D. Indonésie et Philippines : l’amélioration très récente de ports longtemps négligés.

En dépit de leur nature archipélagique, d’un immense marché et d’une forte croissance
économique, les ports d’Indonésie et de Philippines ont été longtemps négligés, demeurant à l’écart
des circuits des grands transporteurs mondiaux et ne sont donc pas en mesure de se brancher
directement sur la route maritime circumterrestre.

è Les deux grands ports indonésiens sont ceux de Java (Jakarta et Surabaya), ils sont les
moins concurrentiels et les plus couteux d’ASE.
è Aux Philippines, le port de Maile est congestionné.

Les deux pays ont toutefois entrepris des plans d’amélioration des infrastructure portuaires.

è 2012, plan d’amélioration du transport maritime en Indonésie, qui repose sur la création
d’un corridor maritime qui relie l’est et l’ouest de l’archipel, en passant apr les ports les
plus importants (Makassar, Tanjung Priok, Tanjung Perak…). Ce projet, à l’échelle
nationale, permet de concentrer les volumes de conteneurs sur les principaux ports et de
multiplier les liaisons directes avec le reste du monde.
è Aux Philippines, l’objectif est de transférer une partie du trafic de Manille vers les autres
ports qui disposent de bonnes capacités nautiques et sont davantage à proximité des grandes
zones industrielles d’exportation (Bantangas au sud et Subic bay au nord).

E. Insertion dans l’économie mondiale et émergence des ports au Vietnam.

Dans le cadre de son insertion dans l’économie mondiale, le Vietnam a longtemps souffert de
l’absence de port en eaux profondes. Ses capacités portuaires se divisent entre une entrée nord
(Haipong) et une entrée sud (HCMV).

Le gouvernement multiplie les investissements depuis 10 ans pour instaurer des liaisons entre le
Vietnam et l’Europe et les USA afin de ne plus recourir aux transits par les hubs de transbordement
régionaux.

è Le complexe portuaire d’HCMN englobe une dizaine de terminaux situés historiquement


dans la rivière Saïgon mais aussi désormais dans le nouveau port en eaux profondes de Cai
Mep-Vung Tau construit à l’est à 80km de la capitale.

- 150 -
L’avenir des ports vietnamiens réside dans leur capacité à élargir leur aire d’influence en
réussissant (ou non) à capter les flux d’exportations du Laos et du Cambodge et à concurrencer le
port thaïlandais de Laem Chabang.

F. Les ports en eaux profondes en Birmanie : des projets sous contrôle régional.

Les ports de Birmanie sont des ports fluviaux, comme celui de Yangon, insuffisamment profonds
pour accueillir les navires de forts tonnages.

Pour répondre à la croissance du pays, plusieurs projets de construction de ports en eaux profondes
sont à l’étude.

è Projet du port de Dawei, associé à une zone économique spéciale, répond à des intérêts
thaïlandais. Le port devrait être relié à Bangkok, situé à 350km et à Laem Chabang par des
infrastructures routières, ferroviaires et des oléoducs.
è La construction du porte en eaux profondes à Kyuakpyu est liée à la volonté du
gouvernement chinois d’implanter dans l’océan indien un terminal pétrolier de
transbordement. Le nouveau port permettrait d’acheminer par oléoducs et gazoducs du
pétrole et du gaz jusque dans la province enclavée de Yunnan.
è Projet du port de Sittwe, porté par des intérêts indiens, qui entre dans un vaste projet de
désenclavement de la zone frontalière nord-est de l’Inde qui est plus facile d’accès par la
Birmanie que par l’ouest de l’Inde.

Dans ces cas, il s’agit d’exploiter la situation de la Birmanie, pont terrestre entre l’ASEAN, la
Chine et l’Inde pour ne plus être contraint de passer par le détroit de Malacca.

IV. Une intégration par l’accroissement des mobilités de populations.

Les mouvements de populations internes à l’ASE se sont multipliés et diversifiés.

è Les plus anciennes migrations et les plus nombreuses sont celle de travail, légale ou non.
è Augmentation du tourisme proprement sud-est-asiatique grâce au développement d’une
classe moyenne. 48% des touristes de l’ASEAN viennent d’un autre pays de l’ASEAN.
è L’ASE est une région pourvoyeuse de main-d’œuvre et réceptrice de migrants (elle est à
l’origine de 8% des migrants mondiaux en 2017 contre 6% en 1995 et elle en reçoit 4% en
2017 contre 2% en 1995).

A. Le recentrage asiatique des flux migratoires.

Au lendemain des indépendances, les frontières d’ASE se sont fermées, les migrations indiennes
et chinoises se sont arrêtées. La demande en main-d’œuvre est inexistante en raison d’une très
faible croissance économique.

Dans les années 1970-1980, les migrations internationales d’ASE sont dominées par les flux de
travailleurs sous-contrats. Elles se dirigent dans un premier temps vers les pays du Golfe persique
(pour les Philippines, l’Indonésie et la Thaïlande), vers les « frères soviétiques d’URSS et d’Europe
de l’Est (Vietnam) et les USA.

- 151 -
Dans les années 1990, elles se réorientent vers l’Asie du Nord-Est (Taïwan, Hong-Kong, Corée,
Japon), Singapour et Brunei puis vers la Thaïlande et la Malaisie.

è On assiste à un recentrage vers les pays d’Asie qui s’explique par la transformation
économique des pays de la région, qui favorisent notamment les migrations de travail, des
pays aux PIB faibles et à la forte natalité, vers les pays aux PIB élevés et en voie de
vieillissement.
è L’ASE est une des régions du monde où la part des migrations intra-régionales est en pleine
croissance (6,5 millions en 2015, soit 3 fois plus qu’en 1995).
è Dans le cadre de la communauté économique, l’ASEAN s’est engagée à favoriser la
mobilité intra-régionale (reconnaissance mutuelle des qualifications afin de favoriser le
déplacement des étudiants et de la main d’œuvre qualifiée).

B. Des migrants majoritairement peu qualifiés, illégaux et de plus en plus féminins.

Les migrations internes à la région sont essentiellement temporaires (contrats de 3 à 5 ans), peu
qualifiées (illégales comme officielles) et concernent les emplois dits « 3D », dangereux, difficile
et dévalorisants.

Vrai contraste de genre :

è Du fait de la forte demande d’emplois dans les services à la personne (maison, infirmière),
dans l’industrie manufacturière (textile, habillement), dans l’industrie du sexe. Ainsi, de
plus en plus de femmes migrent.

Les migrants, victimes d’abus réguliers, ont peu de droits :

è Interdiction de venir en famille, de rester indéfiniment, ont une faible protection sociale et
une grande dépendance vis-à-vis de leur employeur.

Pour protéger leurs populations, le Vietnam, l’Indonésie et les Philippines mènent une politique
d’encadrement et de régulation des flux. Un choix stratégique est fait sur les personnes qui peuvent
entrer. Les migrants sont moins qualifiés que la population des pays dans lesquels ils arrivent mais
plus qualifiés que la population de leur pays d’origine.

Les migrations qualifiées sont en constante augmentation néanmoins :

è Elles sont en provenance de la Malaisie et des Philippines (secteur de la finance, du


commerce, de l’enseignement supérieur, des nouvelles technologiques).
è Elles se dirigent vers Singapour, mais aussi l’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord, le
japon ou l’Australie.
è Elles sont plus durables et permanentes. Les migrants à destinations hors ASEAN sont plus
qualifiés que ceux qui restent dans l’ASEAN.

C. Les systèmes migratoires sous régionaux.

- 152 -
La Malaisie, Singapour et la Thaïlande sont les pays qui reçoivent le plus de migrants originaires
d’ASE. De fait, la région est composée de deux sous-systèmes migratoires.

è Le 1er, continental, est centré sur la Thaïlande. Son économie en forte croissance attire
beaucoup de migrants, souvent illégaux, provenant des pays pauvres limitrophes (Birmanie,
Laos et Cambodge). Ce corridor migratoire compte pour 54% des migrations internes à
l’ASEAN.
è Second système, insulaire, plus complexe et polarisé par 3 centres : Malaisie, Singapour et
Brunei. Les migrations sont légales (aériennes souvent ou terrestres) ou illégales
(maritimes). Singapour et Brunei attirent 20% des migrations intra-ASEAN.
è Les Philippines et le Vietnam sont à la marge de ces systèmes, leurs migrations se
concentrant davantage vers les destinations hors ASE.

Les migrations hors ASE, s’organisent selon 5 corridors migratoires :

è Vers le Moyen-Orient (Philippins et Indonésiens).


è Vers l’Amérique du Nord. (Les USA comptent 2 millions de Philippins et 1,5 million
d’Indonésiens).
è Pays d’Asie orientale.
è Australie.
è Europe.

Trois grands types de pays émergent :

è Les pays d’immigration (Singapour, Brunei).

Singapour accueille des Malaisien, Indonésiens, Hongkongais, Philippins, Européens,


Australiens.
Brunei : Malaisie, Indonésie, Philippines.

è Les pays d’émigration :

Philippines : vers les USA, Canada, pays du Golfe, Singapour et Malaisie.


Indonésie : vers les pays du Golfe, Malaisie et Singapour.
Birmanie : Laos, Cambodge vers la Thaïlande.
Vietnam : vers les USA, Canada, Europe, Australie et Russie.

è Les pays à la fois d’émigration et d’immigration.

Thaïlande : vers les pays du Golfe, Taïwan, la Malaisie, Singapour et accueillent des
migrants en provenance de Birmanie, du Cambodge, de Laos, de la Chine et du Bengladesh.
Malaisie : vers Singapour, Taïwan, le Japon et l’Australie et accueille des Indonésiens et
des Bangladais.

- 153 -
D. Les pays d’émigration.

Les facteurs de départ sont les bas salaires, le chômage et la pauvreté. Il est possible de classer ces
pays en deux types en fonction de la période de l’essor des migrations internationales de travail :

è Les anciens : (Indonésie et Philippines) insérées dès les années 1980.


è Les nouveaux venus : Cambodge, Laos, Birmanie et Vietnam (1990-2000).

L’Indonésie (4,2 millions de migrants) et les Philippines (5,7 millions de migrants) sont les acteurs
majeurs des flux mondiaux de migrations. Depuis les années 1980, les deux gouvernements incitent
et encadrent les migrations temporaires de travail. Ces migrants sont considérés comme une
« exportation majeure » des pays.

è 300.000 travailleurs philippins en mer, soit 30% des marins mondiaux.

Entre 2000 et 2007, le volume des migrants originaires du Cambodge, Laos, Birmanie et Vietnam
a augmenté de 3,7 millions, surtout à destination de la Thaïlande pour les 3 premiers, en raison
d’une proximité et d’une grande différence salariale. Beaucoup de flux demeurent illégaux, peu
qualifiés, travaillent dans l’industrie du sexe, les loisirs (clubs, restaurants, salons de massage)
l’agriculture et la domesticité.

è Au Laos, les migrants (1,3 millions) représentent 25% de la population.


è Les migrants birmans représentent plus de 85% des personnes employées sur les bateaux
de pêche thaïlandais ou des abus voire des pratiques esclavagistes sont dénoncées.

Quant au Vietnam, les migrations ne se centrent pas sur l’ASE.

E. Les pays d’immigration.

Singapour et Brunei sont quasi-exclusivement importateurs de main-d’œuvre étrangère. Ils sont


confrontés à l’exiguïté de leur territoire et la poursuite de leur croissance économique dépend de
l’arrivée de migrants (qualifiés ou non).

è En 2017, les taux de migrants par rapport à la population totale atteignent respectivement
46% et 25%.
è Au Brunei, la découverte du pétrole (1930) a relancé l’immigration qui devient le principal
moteur de croissance démographique du pays. La fonction publique est assurée par des
Brunéiens, les entreprises privées emploient 75% d’étrangers.
è À Singapour, l’indice de fécondité (1,1 enfant par femme) et le vieillissement de la
population expliquent le recours à des migrants non qualifiés depuis 1970.
L’enrichissement des ménages demande une forte main-d’œuvre d’aides domestiques.
Avoir une « maid » fait partie du mode de vie singapourien aujourd’hui et est un signe
ostentatoire de richesse, pour les classe moyennes en particulier.

L’origine de ces migrants s’est diversifiée.

è Dans les années 1960-1970, ils étaient originaires de Malaisie.

- 154 -
è Ils proviennent désormais d’Asie du Sud (Inde, Sri Lanka, Bengladesh, Pakistan) de
Birmanie, des Philippines et de la Chine.

Singapour attire aussi des « expatriés qualifiés » et cherche les talents du monde entier en proposant
des hauts salaires, de généreuses subventions pour accéder aux logements haut de gamme du
centre-ville, des taux d’impôts sur le revenu faibles. Cette population correspond à 11% du total.

Les immigrés, et cela est nouveau, ont intégré les classes moyennes et représentent 4% des
travailleurs étrangers. Depuis 199è et la crise, Singapour privilégie la carte du mérite plutôt que
celle de la préférence nationale, ce qui précarise et exclut une partie de sa propre population.

F. Les pays d’immigration et d’émigration.

Malaisie et Thaïlande ont pour point commun d’être des pays d’émigration et d’immigration,
d’accueil de réfugiés et des espaces de transit.

è Les migrants représentent 5 millions de travailleurs et 10% de la population active de


Thaïlande. Ils sont indispensables à la poursuite de la croissance d’un pays qui vieillit et
dont les activités demandent encore beaucoup de main-d’œuvre (pêche, plantation,
conserverie, construction, domesticité). Les ¾ d’entre eux proviennent des pays limitrophes
pauvres Cambodge, Laos, Birmanie et sont très souvent irréguliers.

è Le gouvernement thaïlandais soutien et encadre sa population qui part vivre à l’étranger.


Aujourd’hui ces départs sont centrés vers l’Asie. L’augmentation du niveau de vie en
Thaïlande depuis 2000 entraine une baisse des flux d’émigrations.

è En 2017, la population étrangère représente 8,5% des 31 millions d’habitants de la Malaisie.


Près d’1/4 de la main-d’œuvre est immigrée, originaire d’Indonésie en priorité. La demande
de migrants a débuté en 1980, suite à l’insertion du pays dans la nouvelle géographie
industrielle d’ASE. Elle se manifeste d’abord dans les plantations, puis en ville, et enfin des
emplois domestiques avec l’accroissement, comme à Singapour, du taux de participation
des femmes sur le marché du travail.
Les migrants sont accueillis quand la conjoncture économique est positive, sinon, des
mesures d’expulsions sont prises. Ces cycles montrent comment le gouvernement
appréhende les travailleurs immigrés uniquement comme ne variable conjoncturelle et
temporaire alors que la croissance du pays est dépendante de leur présence.

è Les flux d’émigration concernent des personnes qualifiées et non qualifiées, qui vont quasi
exclusivement vers Singapour aujourd’hui. La « fuite des cerveaux » touche le pays (sur
800.000 malaisiens à l’étranger, plus d’1/3 possède un diplôme universitaire).

V. Des flux illégaux et de contrebandes structurant l’espace.

Les flux transnationaux n’existent pas uniquement quand les gouvernements les autorisent mais se
développent aussi dans le cadre d’une stratégie de contournement des États et des rontières.

- 155 -
Ces flux possèdent leurs propres nœuds, logiques et dessinent une géographie de l’illicite distincte
des réseaux officiels. Il est parfois d’ailleurs difficile de distinguer les flux légaux et illégaux.

Il faut rappeler la distinction entre contrebande (commerce illégal de bien légaux) et trafic
(commerce illégal de biens illégaux). La contrebande touche le riz, mais aussi les pièces détachées
et les vêtements et est la réalité de toutes les zones frontalières d’ASE.

A. Le triangle d’or : un espace de trafic inséré dans l’économie mondiale.

Région située aux confins montagneux de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande, zone majeure
de la culture du pavot à opium, payées en or. Le terme « Triangle d’or » est resté mais la Thaïlande
a sécurisé ses frontières avec un meilleur contrôle policier.

è Depuis 1990, la production d’opium se concentre surtout en Birmanie, dans un espace de


collines et de montagnes difficiles d’accès du fait de leur morcellement en multiples vallées.
C’est un lieu propice pour le développement d’activités illégales, de trafic et de
contrebande.
è C’est aussi un lieu géographique idéal pour la culture de l’opium qui est optimale à 1000
mètres d’altitude sur des pentes aérées. Aussi, l’opium est idéal car une petite quantité peut
avoir une grosse valeur marchande et se conserve plusieurs années sans problème.
è Les populations vivant de ce trafic présentent un profil similaire (pauvres, victime
d’insécurité alimentaire, minorités, mobiles).

Cet espace isolé n’en est pas moins une zone de production reliée aux marché régional et mondial
par des routes qui évoluent en fonction des marchés et dispositifs de contrôle. Le Thaïlande joue
désormais un rôle moindre depuis la hausse des contrôles depuis 2000.

En revanche, les routes transitant par le Laos, le Cambodge ou le Vietnam ont pris de l’importance
pour alimenter leur propre marché mais aussi pour alimenter le marché thaïlandais et malaisien par
des voies détournées et moins surveillées. Les itinéraires des trafics se sont diversifiés et
complexifiés.

è Des cargaisons embarquent de l’opium sur l’Irrawaddy pour transiter par Yangon avant
d’embarquer sur des petits navires qui rejoignent les eaux internationales en mer
d’Andaman pour être débarquées sur la côte thaïlandaise puis réacheminées via la route à
Bangkok, Penang ou Kuala Lumpur.
è Les flux d’héroïne birmane se dirigent vers l’Inde du nord-est via Mandalay pour desservir
ensuite Calcutta, Bombay, Dehli, Madras ou encore Bangalore.

Les nœuds de ce commerce illégal et des trafics en tous genres se situent à l’intersection des routes
du trafic et des frontières (on compte une dizaine de points de passages sur des ville doublons
frontalières).

è La production dans les montagnes isolées et marginales d’ASE dépassent largement la


demande régionale et sont exportées vers les USA, l’Australie et l’Europe.

- 156 -
è Ces zones de production évoluent en fonction de la demande et s’adaptent (production de
méthamphétamines et d’ecstasy dans les laboratoires de la frontière entre la Thaïlande et la
Birmanie).
è Pilule de la démence fabriquée dans des laboratoires isolés et mobiles dans la jungle de
Birmanie et inonde les lieux festifs du pays, ainsi que la Thaïlande, la Malaisie et le Laos.

B. Mer de Sulu et des Célèbres : au cœur d’un trafic d’armes régional.

Ces mers forment un espace transnational à la confluence entre l’Indonésie, les Philippines et la
Malaisie. Situation frontalière à risque propice au développement de la piraterie, de la pêche
illégale, des flux illicites ou encore des enlèvements contre rançons.

Déjà à l’époque coloniale cette mer semi-fermée était qualifiée de « mer des pirates ». Aujourd’hui
encore, les gouvernements (Philippins notamment) se sentent impuissants pour contrôler cet
espace, lieu de trafic en tous genres.

Cet espace est au cœur d’un important trafic d’armes approvisionné par des groupes séparatistes et
terroristes de la région. Les forces américaines nomment cette zone par l’acronyme T3 « Terrorist
Transit Triangle ». Toute la zone est perçue par les analystes de sécurité maritime comme une zone
de non-droit délaissée par les gouvernements respectifs.

Les petites îles sont des sanctuaires pour les contrebandiers et les pirates. Ces routes sont
empruntées aussi par des migrants illégaux indonésiens et philippins se rendant dans l’État de
Sabah (entre 100.000 et 150.000).

Face à la hausse des incidents, les 3 États souverains ont ratifié depuis 2016 une série d’accords
visant à coopérer pour mieux contrôler cet espace :

è Mise en place de patrouilles navales et aériennes conjointes.


è Coopération en matière de renseignement.

En plus de ces mesures répressives, ils mènent depuis 2019 une politique en faveur des populations
côtières, souvent pauvres. C’est souvent la pauvreté qui incite au basculement dans l’illégalité.

Conclusion :

La région étant une construction sociale, il est nécessaire de questionner ses limites. Une approche
par les flux souligne les interdépendances entre l’Asie du Nord-Est et du Sud-Est et le poids de
l’axe maritime méridien longeant le littoral pacifique de l’Asie.

Il devient peu pertinent alors d’envisager une région ASE se calquant sur les limites de l’ASEAN :
non seulement cette région ne peut être envisagée sans l’Asie du Nord-Est mais surtout ses limites
géographiques sont délimitées selon les flux, les échanges, les interactions internes, qui excluent
parfois certains pays ou qui différencient partie continentale et insulaire.

- 157 -
CHAPITRE 13 – LES ESPACES TRANSFRONTALIERS
ET TRANSNATIONAUX
Dans le contexte de la mondialisation et de l’organisation du monde en régions supranationales, de
nouvelles formes spatiales ont émergé et dépassent le cadre des frontières nationales.

Il faut donc étudier l’impact géographique de l’intégration régional au travers différentes échelles :
régionales, mais aussi transfrontalière et transnationales.

Un espace transfrontalier : mise en relation spécifique d’au-moins deux espaces frontaliers


contigus à travers une limite internationale. Ce n’est pas la simple juxtaposition de deux frontières
mais d’une nouvelle dynamique territoriale. On parle d’un territoire transfrontalier quand cet
espace fait l’objet d’un projet commun institutionnalisé.

Les espaces transnationaux mettent en relation des espaces de profondeurs variables aboutissant
à l’émergence de nouvelles architectures régionales. C’est synonyme de « zones infrarégionales »
moins centrées sur les États-Nations mais sur la mise en relation d’espaces appartenant à des pays
différents qui jouent sur des rapports de proximité et sur les différentiations territoriales qui
aboutissent à des coopérations ouvertes moins institutionnalisées que les organisations
supranationales du type marché commun.

En ASE, ces nouvelles constructions régionales ont été déclinées en deux formes avec des
mécanismes proches mais avec des logiques spatiales différentes.

è Les triangles de croissance : zone de développement économique transfrontalière


è Les corridors de développements : orientés vers la réorganisation spatiale d’espaces
transnationaux.

Par ailleurs, les initiatives de coopération transfrontalières et infrarégionales se sont multipliées


dans les espaces maritimes pour exploiter les ressources marines ou protéger l’environnement.

I. Les triangles de croissance : du transfrontalier au transnational.

Dans les années 1980 et jusque dans les années 1990, deux générations de triangle de croissance.

A. Première génération : exploiter la complémentarité des territoires limitrophes.

Terme « triangle » utilisé pour la première fois en 1989, par le vice Premier Ministre de Singapour
pour désigner la zone économique transfrontalière Singapour – Johor (Malaisie) – Riau
(Indonésie), appelée SIJORI.

è Objectif de cette coopération : promouvoir le développement économique de ces 3


territoires disposant d’atouts différents pour former un bassin économique plus large.

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Initiés par des acteurs privés, SIJORI s’appuie sur le développement et le financement public d’un
réseau de transport transfrontalier.

è Deux infrastructures terrestres permettent de traverser le détroit entre Johor et Singapour


(route digue datant de 1923 et un pont ouvert en 1997). Mise en place également de services
de ferries. Idem, Singapour et les îles Riau sont reliées par des liaisons maritimes régulières,
dont les trajets peuvent être inférieurs à 30 minutes.

Le fonctionnement de cette zone repose sur une complémentarité des territoires et une division du
travail à l’échelle micro-régionale.

è Singapour dispose du plus petit territoire mais de la population la plus importante. Riau et
Johor sont plus vastes mais avec une population bien plus réduite, possèdent de grandes
réserves foncières.
è Différentiels de revenus très nets : Singapour représente 90% du poids économique de la
zone et son PIB/habitant est élevé (60.000$), alors que Johor et Riau sont des économies
de niveau intermédiaire avec des salaires entre 9 et 25 fois inférieurs à celui de Singapour.
è En exploitant ces écarts, Singapour a étendu son réseau de sous-traitance et le partage de sa
production. L’essor de son industrie électronique résulte donc de la délocalisation (car le
coût de la main d’œuvre est très inférieur à Riau et Johor, entre 400 et 155$ par mois contre
4.000$ à Singapour) depuis Singapour des lignes de production les moins rentables. Cela a
un double avantage pour Singapour : elle effectue une montée en gamme industrielle
(spécialisation dans les industries de hautes technologies) et de s’imposer comme le centre
régional de coordination.

B. Évolutions divergentes des périphéries transfrontalières de Singapour.

Cet espace transfrontalier SIJORI est dynamique car il évolue en fonction des orientations
politiques et économiques décidées de part et d’autre de la frontière.

À partir de la fin des années 1990, la Malaisie se lance dans le développement d’un projet qui serait
cette fois à son avantage. Il voit la frontière avec Singapour comme une ressource et une
opportunité à exploiter.

è 2006, projet Iksandar Malaisie vaste zone économique spéciale divisées en 5 zones de
développement orientées vers les nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC). Le projet instrumentalise les complémentarités existantes entre les
deux territoires avec la fondation d’une complémentarité fondée de manière horizontale
entre les deux pays et non plus verticale.

L’impact du triangle sur les îles Riau est plus conflictuel.

è D’un côté, on observe la croissance économique qui se mesure avec la multiplication des
zones industrielles, de marinas, d’hôtels de luxe.
è De l’autre, croissance des inégalités et des situations précaires.

- 159 -
L’ile est devenue un eldorado, avec la promesse des emplois mieux rémunérés que dans les espaces
voisins. On assiste donc à un afflux de migrants, des flux officiels et des flux spontanés qui se
juxtaposent. Souvent sous-qualifiés, les migrants spontanés ont peu de chance de correspondre aux
exigences des entreprises et pour survivre, ils sombrent dans les secteurs informels ou tentent
illégalement leur chance en Malaisie ou Singapour.

è Les îles Riau sont à la fois un centre de migrations illégales mais aussi de trafic d’êtres
humains et un pôle régional de prostitution. Beaucoup de filles travaillant comme
employées de maison se retrouvent prostituées après des abus ou des conflits avec leur
employeur. Les clients sont des Singapouriens qui traversent la frontière sans risque, à
moindre coût pour faire ce qui est interdit chez eux, ou alors des travailleurs indonésiens.

C. Seconde génération de triangle : association de territoires périphériques et recomposition


spatiale de l’ASE insulaire.

Suite au succès économique de SIJORI (taux de croissance économique de la zone de 10% entre
2004 et 2012), une seconde génération de coopération transfrontalière a fleuri un peu partout sur
le papier en Asie.

Les gouvernements ont gardé la démarche de SIJORI en l’institutionnalisant et en élargissant les


zones de coopération au risque de diluer les dynamiques transfrontalières dans des espaces
transnationaux sans fondements économiques.

Les polygones de croissances initiaux comme SIJORI, ont laissé place à l’Indonesian Malaisian
Singapour-Growth Triangle (IMS-GT), l’Indonesian Malaisian Thaï Growth Triangle (IMT-GT)
et le BIMP-EAGA dit « zone du Grand-Est », incluant Brunei, les États de Kalimantan ouest et est,
et Sulawesi (Indonésie), Sabah et Sarawak (Malaisie) Mindanao et Palawan aux Philippines.

è L’objectif n’est plus d’exploiter les complémentarités mais de s’unir pour exister le plan
international, pour financer des programmes d’infrastructures et pour gérer en commun des
ressources.

À la différence de SIJORI, la zone de Grand Est (BIMP-EAGA) regroupe des espaces tous situés
en périphérie de leur propre espace national. En dépit de ce handicap, les initiatives se multiplient.

è En 2002, les compagnies indonésiennes et philippines ont établi un programme conjoint


d’exploitation des ressources maritimes de la mer des Célèbes. Il a permis de créer des
emplois, de moderniser les infrastructures de pêche et de réduire les tensions frontalières
liées à la pêche illégale.
è Développement des doublets portuaires de part et d’autre de ces mers est encouragé. Les
trafics entre Bitung et Davao sont en pleine croissance. Ils permettent aussi aux populations
côtières de s’approvisionner en produits de base et en outils agricoles de l’autre côté de la
frontière maritime sans avoir à payer de frais de douane.

Ces nouveaux espaces régionaux transnationaux dessinent une ASE insulaire organisée autour des
mers et des détroits, composée d’ensemble spatiaux structurés par des relations de proximité et ou

- 160 -
les mers qui semblent séparer jouent finalement un rôle dans le rapprochement économique et
culturel.

Dans la partie continentale, ce modèle de développement s’est aussi diffusé.

è Vietnam a proposé en 1999 à ses partenaires indochinois la création du triangle de


développement Cambodge-Laos-Vietnam, orienté vers l’exploitation des ressources
hydroélectriques, agricoles et forestières.
è Quadrangle d’or, couvre l’État shan en Birmanie, le nord de la Thaïlande et du Laos et la
province chinoise du Yunnan ».

II. Les corridors du développement : Un nouvel outil d’intégration transnationale des


territoires.

A. Définition des corridors.

À la fin des années 1990, complexification des « triangles » par l’introduction d’un nouvel outil
d’aménagement : le corridor de développement ou corridor économique, largement diffusé par les
Nations-Unies, en ASE et sur tous les continents.

Le but est d’identifier dans chacune des régions du monde des axes de transports interrégionaux
qui contribueront à une meilleure intégration des espaces et à leur insertion dans l’économie
mondiale.

Ces corridors doivent favoriser régionalement la création d’un espace multipolaire et transnational,
articulant régions urbains existantes et des régions émergentes. Ils ont pour fonction de favoriser
l’implantation de nouvelles activités productives et de développement des marges.

è Corridors d’abord envisagés comme des outils de planification, ayant pour but de canaliser
les projets d’investissements et de renforcer les processus de croissance économique. Leurs
implantations doivent permettre de réduire le coût des produits importés, améliorer l’accès
aux marchés internationaux, faire émerger des chaînes de production, améliorer
l’interdépendance des différents secteurs de l’économie.
è Ce sont aussi des outils d’intégration régionale et plus uniquement nationale. Ils
transcendent les frontières physiques, politiques, administratives, sociale et économique.
Ils doivent favoriser la cohésion et l’intégration (politique et économique).
è Ils sont une déclinaison des axes de transport et leur développement repose sur le lien
systématique entre construction des infrastructures et croissance économique.

On part du principe que la construction de réseaux de transport est créateur de croissance grâce au
désenclavement, à l’insertion dans la mondialisation.

Certains géographes nuancent en disant que les infrastructures de transports sont des éléments
favorisant et non pas déterminants dans les dynamiques spatiales. En France, des travaux ont
montré que les LGV ont intégré les périphéries, désenclavé des territoires mais elles peuvent aussi
avoir l’effet inverse (effet tunnel).

- 161 -
B. La région du Grand Mékong : une recomposition spatiale de l’ASE continentale.

C’est dans la partie continentale que le développement économique a été le plus poussé,
particulièrement dans la région du Grand Mékong.

è Née à la fin des années 1980, cette région réunit les 5 pays de la péninsule indochinoise
(Vietnam, Cambodge, Laos, Birmanie et Thaïlande) et deux provinces du sud de la Chine
(Yunnan et Guanhxi).
è Financement et pilotage du projet par la BAD (Banque asiatique de développement).
è Objectif de relancer la croissance par la reprise des échanges commerciaux interrompus
pendant la période coloniale et des décennies de guerre ainsi que la reconstruction des
infrastructures routières pour favoriser la reprise économique entre les pays.
è Il s’agit aussi d’effacer la fracture entre pays communistes et pays d’économie libérale.

Dans la période 1992-2002, la BAD a soutenu la création de 5 corridors économiques. Les plus
ambitieux et structurants sont les suivants :

è Corridor nord-sud, partant de Kunming dans le Yunnan pour arriver à Bangkok en


Thaïlande, après avoir longé le Chao Phraya et traversé 4 pays (Chine, Birmanie, Laos et
Thaïlande).
è Corridor est-ouest, qui relie deux façades maritimes de la péninsule et la Birmanie à la
Thaïlande, le Laos et le Vietnam.

Complexification du système depuis 2004 et l’entrée de la province chinoise de Guangxi et avec la


prise en compte des infrastructures ferroviaires. Ce nouveau de la péninsule par les corridors
économiques a redéfini les stratégies territoriales des États de la péninsule.

C. La redéfinition des stratégies territoriales des États de la péninsule.

Au Laos et au Vietnam, le développement des corridors est concomitant au passage d’une


économie centralisée à une économie de marché et à l’ouverture des frontières.

è Elle a permis au Laos de sortir de sa situation d’enclave et de retrouver un accès à la mer,


de sortir de sa dépendance économique vis-à-vis de la Thaïlande et de diversifier ses
partenariats. Elle est passée d’une situation de « marche » entre la Thaïlande et le Vietnam,
à celle d’enclave à celle de carrefour mettant en relation les pays d’ASE continentale.

è Ces nouveaux axes ont favorisé l’afflux d’investisseurs (chinois, thaïlandais et


vietnamiens), de travailleurs migrants, dans les zones frontalières et les zones économiques
spéciales et l’expansion des cultures commercial (hévéa).

è Au Vietnam le corridor est-ouest favorise l’émergence d’un centre-Vietnam jusqu’alors


freiné dans son développement économique par la double métropolisation (Hanoi au Nord
et HCMV au sud).

- 162 -
Pour la Birmanie et le Cambodge, l’insertion dans la Région du Grand Mékong participe à la fin
de leur isolement politique régional.

è La Birmanie a gagné en légitimité internationale et s’est positionnée au centre de la


reconfiguration des systèmes de transport entre ASE et Asie du Sud et Chine, dans le cadre
des enjeux énergétiques régionaux. Pour le gouvernement birman, l’intégration régionale a
primé sur l’intégration nationale.

è Au Cambodge, les politiques de développement se concentrent sur les zones situées sur le
long des corridors (surtout l’axe Bangkok-Phnom Penh-HCMV). L’ouverture de ces routes
favorise la croissance économique des pôles cambodgiens.

è La Thaïlande profite du programme de la Région du Grand Mékong pour renforcer sa


centralité régionale et développer ses territoires périphériques en retrait. Le gouvernement
en profite pour stimuler la croissance économique du pays en combinant coopération
régionale et réduction des disparités territoriales. Le souhait est de faire de la Thaïlande un
hub logistique pour l’ASE continentale et la Chine du sud. Parallèlement, le pays mène une
politique de développement des régions frontalières pour limiter les disparités entre la
région nord et le reste du pays.

D. Redéfinition des hiérarchies urbaines : têtes de corridors et villes frontalières.

Les corridors ont permis le renforcement des pôles existants ainsi que l’émergence de nouveaux
pôles.

Trois types de nœuds structurent le fonctionnement interne des corridors : les têtes de corridors et
de réseaux, les villes de zones frontalières et des espaces intérieurs situés aux croisements des
corridors.

On assiste à une reconfiguration des réseaux urbains avec l’émergence de nouvelles fonctions.

è Les têtes des corridors sont les villes situées à leurs extrémités. Pôles déjà bien implantés
et aussi pôles émergents. Les têtes des corridors nord-sud (Kunming – Bangkok) er sud
(Bangkok – HCMV) sont des métropoles millionnaires d’importance régionale intégrées
aux réseaux de commerce. Autrefois isolées les unes des autres, elles sont désormais reliées
et ont un développement en synergie.
è Le corridor est-ouest en revanche favorise l’émergence de nouveaux pôles avec des têtes
de corridors qui sont des villes moins importantes à l’échelle régionale comme Danang.
Parmi ces nouveaux pôles, il faut souligner l’importance des ports.
è Le développement des infrastructures terrestres, va, à terme, exercer une influence directe
sur la réorganisation du système portuaire en ASE en permettant de relier les deux façades
maritimes de la péninsule.

On note aussi une autre originalité dans les corridors asiatiques, qui est celle de la concentration
des investissements et des initiatives dans la valorisation des espaces frontaliers. Changement de
stratégie des États qui considéraient ces espaces comme des espaces à problème, à rattacher par
des infrastructures au pouvoir central. Désormais, les périphéries frontalières situées sur des

- 163 -
corridors transnationaux sont incitées à jouer un rôle de relai dans le cadre de l’organisation
régionale plus polycentrique.

è Les villes frontalières peuvent fonctionner en doublon avec la ville située de l’autre côté de
la frontière.
è Création de Zones économiques exclusives (ZES) aux frontières avec un double objectif.
Pour les pays aux revenus moyens (Thaïlande, Malaisie, Vietnam) elle doit favoriser la
croissance des zones marginalisées, déconcentrer la production industrielle et réduire les
inégalités économiques au sein du territoire. Pour les pays à faibles revenus (Laos,
Cambodge et Birmanie) elle est envisagée comme une première insertion dans la
mondialisation soutenue par la proximité d’un pays limitrophe plus riche et comme un outil
de croissance économique nationale et de réduction de pauvreté.

E. Mae Sot : ZES industrielle à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie.

La ville de Mae Sot (à 500km de Bangkok) doit son développement à sa situation frontalière entre
Thaïlande et Birmanie.

è Pôle d’industrie textile et de transformation agricole depuis 1990, elle accueille plus de
20.000 travailleurs birmans. Essentiellement des femmes, ces travailleurs sont originaires
de Myawaddy située de l’autre côté de la frontière. Nombreuse migrations pendulaires
(souvent illégales), la majorité réside néanmoins sur leurs lieux de travail, dans des dortoirs
construits par l’entreprise ou dans des camps de réfugiés.
è Création d’une ZES de part et d’autre de la frontière, avec l’idée de reproduire le modèle
des « maquiladoras » entre USA et Mexique. Les entreprises de Mae Sot relocalisée du
côté birman bénéficient d’une main-d’œuvre peu couteuse, sans besoin de respecter le
salaire minimal thaïlandais et n’ont pas de droit de douane.
è Une division du travail s’opère de part est d’autre de la frontière : à Mae Sot, les travailleurs
les plus qualifiés, et à Myawaddy, la main-d’œuvre peu qualifiée. Myawaddy est reliée au
réseau électrique thaïlandais, pour éviter les coupures. Cette ville de Myawaddy fonctionne
comme une enclave industrielle, mieux reliée à Bangkok qu’a Yangon (capitale de la
Birmanie).

F. Poipet (Cambodge) / Aranya Prathet (Thaïlande) : casinos et marchés frontaliers.

Émergence de casinos le long des corridors, aux frontières du côté des pays à plus faibles revenus
(Cambodge, Laos, Birmanie). Ils attirent des joueurs originaires des pays à plus hauts revenus où
les jeux d’argent sont interdits. Côté thaïlandais ou vietnamien, des casinos ont émergé dans les
villes frontalières du Cambodge : à Poipet par exemple. Ils se multiplient aussi à la frontière entre
la Thaïlande et le Laos, entre la Thaïlande et la Birmanie…

Avec une dizaine de casinos ouverts, la ville de Poipet est le cœur de « l’économie du casino » du
Cambodge.
è Les joueurs viennent de Thaïlande ou les jeux sont interdits.
è Les Cambodgiens ont interdiction de fréquenter ces lieux, sauf pour y travailler. 10.000
cambodgiens y sont employés, pour accueillir 1,3 millions de clients.

- 164 -
è Les casinos sont installés si proche de la frontière qu’ils devancent les postes de douanes
du Cambodge. Les joueurs peuvent donc aller dans les casinos sans véritablement entrer au
Cambodge.
è Retombées économiques faibles à l’échelle locale. Les casinos servent surtout pour le
blanchiment d’argent obtenu illégalement.
è Véritable afflux de travailleurs (paysans sans terre, anciens réfugiés khmers) mais ne
trouvent pas d’emplois à Poipet. Ils vont donc travailler dans les marchés thaïlandais en
traversant quotidiennement la frontière (avec des visas temporaires, à la journée ou la
semaine). Ils ne parviennent pas à sortir de la précarité. Leurs clients sont thaïlandais,
grossistes ou joueurs en transit vers les casinos. Dans le sens inverse, chaque jour 300
camions thaïlandais déchargent tous les jours dans les 11 centres de transbordement de
Poipet des cargaisons (ciment, médicament, nourriture) qui sont ensuite redistribuées
partout dans le pays par des transporteurs khmers.

III. Coopérer pour exploiter les ressources marines : les zones communes de
développement.

Une zone commune de développement (ZCD) est une forme de coopération qui permet aux États
côtiers d’explorer et d’exploiter en commun des ressources maritimes situées des deux côtés de la
frontière ou dans une zone de chevauchement des revendications territoriales.

Les ZCD sont un moyen de maintenir de bonnes relations politiques entre les pays dont les
revendications se chevauchent et d’éviter les conflits liés à l’exploitation unilatérale des ressources
maritimes. Elles favorisent un règlement à l’amiable des conflits frontaliers sans recourir à une
juridiction internationale.

La gestion des ressources halieutiques nécessite une réponse commune, et seule une politique
conjointe de contrôle des captures pourrait permettre une exploitation raisonné d’un espace
maritime menacé de surpêche et de surexploitation et d’éviter des crises sociales.

A. La ZCD entre Chine et Vietnam dans le golfe du Tonkin.

Volonté de rapprochement diplomatique entre la Chine et l’ASE, en mettant de côté les conflits et
favoriser le développement conjoint. Néanmoins, seul le Vietnam a entrepris de créer une ZCD
avec la Chine.

è Ratification en 2000 d’un accord de délimitation des frontières maritimes dans le golfe du
Tonkin et de création d’un ZCD pour la gestion des ressources halieutiques. La zone
commune de pêche à cheval sur les ZEE des deux pays est gérée par un comité sino-
vietnamien où les deux parties sont représentées. Le comité émet les autorisations de pêche
et détermine les quantités annuelles et le nombre de prise possibles. Il peut être amené à
gérer les conflits liés à la pêche illégale de petits pêcheurs.

La ratification de ces accords avait fait naître l’espoir d’un futur règlement pacifique des litiges en
mer de Chine méridionale. Mais ce développement d’une ZCD n’a pas convaincu le gouvernement
vietnamien de poursuivre dans cette direction. Il dénonce une dyssimétrie de capacités de pêche.

- 165 -
è Côté chinois, on possède l’un des 4 plus grands bateaux-usines du monde, capacité de
32.000 tonnes, 600 ouvriers à bord, 14 lignes de production et peut rester en mer 9 mois.
è Côté vietnamien, malgré un programme de modernisation de la flotte, les bateaux de pêche
ne sont guère en mesure de concurrencer la pêche industrielle chinoise.

De plus, l’accord n’a pas mis fin aux arrestations et aux conflits dans la zone commune de pêche.
On note aussi l’absence de coopération scientifique et de gestion des ressources.

B. Les ZCD dans le golfe de Thaïlande.

Les pays d’ASE se sont emparés de cette idée de Zone Commune de Développement (ZCD) en la
mettant en pratique dès la fin des années 1970, notamment dans le golfe de Thaïlande, une mer
semi fermée de 300.000km2 bordée par les côtes de Thaïlande (1.500km), du Cambodge (450km),
du Vietnam (250km) et une étroite frange côtière appartenant à la Malaisie.

Le golfe est étroit, sa largeur la plus grande étant de 550km et le nombre de petites îles ne facilitent
pas les délimitations des frontières maritimes.

è La première ZCD a été mise en place en 1979, dans le golfe de Thaïlande dans la zone de
chevauchement des revendications de la Malaisie et de la Thaïlande, même si des différends
politiques ont freiné son exploitation réelle, elle est une vraie réussite économique.
è Une autorité commune gère l’exploration et l’exploitation des ressources minières et
répartit les coûts et bénéfices entre les deux pays.
è Malaisie et Vietnam ont aussi créé une ZCD dans le golfe de Thaïlande à la suite de la
découverte de gisements d’hydrocarbures dans une zone revendiquée par les deux pays.
Accord commerciaux fixés entre les deux pays.

Les succès ne sont pas toujours au rendez-vous.

è La ZCD créée en 1982 entre le Vietnam et le Cambodge a permis d’apaiser les tensions
mais n’a pas été suivie d’une exploitation commune des réserves d’hydrocarbures.

IV. Coopérer pour protéger l’environnement marin.

Les mers d’ASE sont les plus riches au monde en récifs coralliens (23% des ressources mondiales),
immense biodiversité. Néanmoins, 50% d’entre eux sont classés dans les catégories fortement et
très fortement menacées. Mangroves et récifs coralliens assurent la survie des populations côtières
mais permettent aussi la reproduction et la croissance de nombreuses espèces (poissons surtout),
l’épuration de l’eau et l’absorption du CO2. Ils sont aussi une barrière contre les tsunamis.

Leur disparition ferait chuter de 80% les ressources alimentaires de la région et affecterait entre
100 et 150 millions de personnes.

- 166 -
Il est donc nécessaire de prendre des mesures communes et coopérer pour agir avant qu’il ne soit
trop tard. Les initiatives régionales sont plus pertinentes pour protéger ces espaces en raison de la
difficulté de mettre en place des protocoles internationaux sur ces questions.

Si l’ASEAN peine à mettre en place une politique commune de gestion des espaces marins, les
initiatives infrarégionales se sont multipliées en revanche pour protéger l’environnement.

A. Grand écosystème marin de Sulu-Sulawesi.

Création en 1995 par les Nations-Unies des grands écosystèmes marins (GEM). Leur organisation
est particulière :

è Leurs délimitations ne tient pas compte des frontières maritimes mais du seul
fonctionnement des écosystèmes marins.
è Ils sont soutenus financièrement par le Fonds mondial pour l’environnement.
è Les GEM sont des zones de 200.000km2 ou plus, définies par des critères naturels
(hydrographie, productivité biologique, bordures géologiques).

Leur but est d’inciter les pays riverains à coopérer afin d’assurer une utilisation durable des
ressources marines et côtières qu’ils partagent.

è Sur les 64 Grands Ecosystèmes Marins dans le monde, 3 sont en ASE.


è 2 sont des bassins maritimes transfrontaliers : le GEM de la mer de Chine méridionale,
GEM de Sulu-Sulawesi. Seul le second a réellement été mis en œuvre.
è Un est national : le GEM des mers d’Indonésie.

En 1999, création du GEM de Sulu-Sulawesi, classé écorégion marine prioritaire. Il fait coopérer
depuis 2001 la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines pour gérer les mers de Sulu, de Sulawesi et
des îles philippines.

La coopération a débuté par une évaluation précise de la biodiversité de la zone avec 70 experts
mobilisés en provenance des 3 pays concernés (et des Australiens et Étasuniens). L’objectif est
d’élaborer un plan à long terme pour maintenir la biodiversité et la productivité grâce à une
collaboration transfrontalière. Plan adopté en 2006, ratifié par les 3 pays qui se sont partagés les
tâches :

è L’Indonésie est en charge du comité de la production des espèces marines en danger.


è La Malaisie s’occupe de la pêche durable. L’objectif est de faire croître les stocks de 10%
tout en préservant les zones d’habitats critiques.
è Les Philippines sont en charge des parcs marins et de leurs mises en réseaux.

Chaque pays a aussi adapté sa législation afin de suivre les recommandations du plan, désigné des
zones prioritaires de production (zone de reproduction, zone de biodiversité exceptionnelle), établi
des corridors de protection situés sur les routes migratoires des espèces marines et mis en réseau,
à l’échelle nationale mais aussi régionale des aires marines protégées.

- 167 -
B. L’initiative du Triangle de corail.

À côté des institutions internationales, de nouveaux acteurs, comme les ONG soutiennent la
formation d’espaces marins transnationaux.

Les Grands Paysages marins, introduits à l’initiative de l’ONG Conservation International sont des
« espaces où les objectifs de conservation et de basés sur des partenariats entre autorités publiques,
populations locales et organisation du privé et ONG ».

Les seuls exemples qui existent en ASE sont le « grand paysage marin » de Sulu-Sulawesi et surtout
l’initiative du Triangle de Corail.

è Le Triangle de Corail est situé au carrefour du Pacifique et de l’océan Indien, étendue sur
5,7 millions de km2, soit la moitié des USA, peuplée de 363 millions d’habitants. La
délimitation de la zone est faite sur le même modèle que la GEM de Sulu-Sulawesi, avec
des scientifiques pour identifier un écosystème cohérent et des frontières écologiques. Les
limites du Triangle ne se superposent pas aux limites de la ZEE.
è Il concentre la plus grande biodiversité marine du monde avec 500 espèces de coraux, soit
les ¾ des espèces existantes. On y trouve aussi 3.000 espèces de poissons.
è 1/3 des personnes qui y habitent (120 millions de personnes), dépendant directement de ses
ressources marines pour vivre (pêche du thon, tourisme).

Néanmoins, cette région est très menacée par le changement climatique, la surpêche, la pêche
illicite, non déclarée, destructrice (au cyanure ou à l’explosif), l’aménagement non durable des
côtes et la pollution.

è La disparition des récifs coralliens risque de faire chuter de 80% les ressources en nourriture
de la région et provoquer des dizaines de millions de déplacements forcés.

L’initiative pour le Triangle de corail est une véritable approche régionale des menaces
environnementales.

è Le 15 mai 2009, 6 pays (Indonésie, Malaisie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, îles


Salomon et le Timor-Leste se sont réunis afin de confirmer leur adhésion à cette initiative.
è Engagement des États membres à mettre en place un plan d’action visant à préserver les
océans, sauvegarder les espèces menacées, protéger les petites îles et zones côtières et
anticiper les changements climatiques.

La spécificité de cette zone tient au nombre d’acteurs impliqués et la nécessité d’inventer un


système de gouvernance favorisant la mise en œuvre de coopération entre gouvernement mais aussi
avec les communautés locales, les ONG comme WWF ou encore les partenaires privés. À ceci
s’ajoute la grande diversité (développement, taille, législations) des États membres.

La mise en place des Aires marines protégées (AMP) se heurtent à des contraintes.

è Implantées depuis 30 ans aux Philippines, Malaisie, Indonésie, elles sont très récentes dans
les Îles Salomon, au Timor et en PNG. La première au Timor date de 2008.

- 168 -
è Leurs tailles, modes de développement, et objectifs sont différents.
è La taille moyenne des AMP est de 1.400km2 en Indonésie elle n’est que de 17 km2 aux
Philippines et 1,3km2 aux Îles Salomon.
è Leur gestion est attribuée au gouvernement qui prennent des lois étatiques ou provinciales
en Indonésie et en Malaisie, alors que ce sont les communautés locales qui gèrent en PNG
et aux Îles Salomon.

Même s’il est difficile à mettre en place et se heurte à de nombreuses contraintes diverse, le
programme d’Initiative du Triangle de corail est un projet à long terme, indispensable à la
population, qui contribue à pacifier les relations internationales.

Conclusion :

Les différentes zones de coopération transfrontalières et transnationales (triangles de croissance,


Région du Grand Mékong), sont un moyen de renforcer l’ASEAN, mais ces ensembles
infrarégionaux sont aussi porteurs de nouvelles divisions et rivalités entre les Etats pour affirmer
leur hégémonie.

La partie continentale, organisée par les corridors de la région Grand Mékong s’oppose de plus en
plus à la partie insulaire façonnée par les Triangles de croissance et la prise en compte de la mer
comme élément unificateur.

Réorientation écologique des organisation spatiales, soulignée par la création du Triangle de corail.

Penser les limites de l’ASE nécessite aussi une approche géopolitique, analysant le rôle des
puissance extérieures dans le processus de construction régionale, comme la Chine en premier lieu,
mais aussi le Japon, les USA et, plus récemment, l’Inde.

- 169 -
CHAPITRE 14 – LA CHINE ET L’ASIE DU SUD-EST.

Enjeux géopolitiques et territoriaux.


8 pays d’ASE comptent une frontière avec le sud de la Chine. La région est donc particulièrement
concernée par la montée économique et politique de ce pays. Il y a aussi une proximité culturelle
qu’il faut ajouter à la proximité géographique.

La Chine est aujourd’hui, en ASE, un acteur politique, stratégique et économique central, en dépit
de la persistance de différends territoriaux et maritimes. L’ASE représente pour la Chine une zone
d’influence et de ressources aux débouchés commerciaux.

è Multiplication par 10 des échanges entre Chine et pays de l’ASEAN sur les 15 dernières
années.
è L’ASEAN est devenu le premier partenaire commercial de la Chine, devant les USA.

Les relations sont toutefois ambivalentes entre ASE et Chine, perçue comme source d’opportunités
économique mais aussi comme une menace, comme le souligne la persistance des conflits en mer
de Chine méridionale.

Tous les pays d’ASE n’interagissent pas de la même manière avec la Chine.

I. De la méfiance à la coopération économique.

Relations Chine – ASEAN asymétriques mais réchauffées depuis la proclamation de la République


Populaire de Chine (RPC) en 1949. On distingue depuis 1949 trois périodes dans l’histoire des
relations.

A. 1949-1970 : une région divisée et déstabilisée par l’influence chinoise.

Influence surtout politique de la Chine qui participe à la division de l’ASE. Elle se manifeste par
le soutien que le Parti communiste chinois accorde aux forces communistes du Vietnam, au Laos,
au Cambodge, en Birmanie et en Thaïlande.

Les États non communistes voient la Chine comme un facteur de déstabilisation. D’ailleurs, un des
objectifs avec la création en 1967 de l’ASEAN est de faire front commun pour éviter le
développement du communisme dans la région.

Sur le plan économique, la chine n’accord que peu d’importance aux relations extérieures, les
relations sont donc faibles.

B. 1970 – 1997, élargissement de l’ASEAN et rapprochement avec la Chine.

Début 1970, rapprochement sino-américain et entrée de la Chine à l’ONU. Les États fondateurs de
l’ASEAN renouent le contact (Malaisie en 1974, Indonésie et Philippines en 1975).

- 170 -
En 1975, la Chine reconnait officiellement l’ASEAN et les relations se normalisent, notamment
avec la condamnation commune de l’invasion vietnamienne du Cambodge (1978-1991).
Développement de liens de confiance. La fin de la guerre froide et les adhésions des anciens pays
communistes à l’ASEAN confirment ce changement d’orientation.

è L’ASEAN invite la Chine dès 1991 à participer à des réunions. En 1994 elle l’associe à la
création d’un Forum régional pour traiter de la sécurité de l’Asie Pacifique. L’idée est de
favoriser le dialogue et éviter le conflit, en menant des actions communes (contre la
piraterie, le terrorisme ou les questions environnementales).

L’amélioration des relations politique est soutenue par le développement prudent des échanges
commerciaux.

è Suite à l’ouverture à l’étranger, les échanges entre Chine et ASEAN passent de moins de 3
milliards de dollars en 1984 à plus de 21 milliards en 1996.

Néanmoins, la crainte vis-à-vis de la Chine au point de vue économique est réel. De nombreux IDE
dirigés vers l’ASE se déroutent vers la Chine.

è Ouverture de zones économiques spéciales (ZES) en Chine qui attire les populations d’ASE
ayant des origines chinoises qui s’implantent à Shenzhen dans le sud du pays.

Pour éviter que la Chine n’écrase la concurrence, la création de la zone de libre échange AFTA au
sein de l’ASEAN permet de présenter aux investisseurs étrangers un marché intégré de 500 millions
de personne, soit un enjeu commercial comparable à la Chine.

C. 1997 – 2019 : intégration économique avec le « bon voisin » chinois et ouverture des
frontières.

La Chine améliore son image en ASE après la crise qui touche la région en 1997. Elle ne dévalue
pas sa monnaie et offre une aide financière à la Thaïlande et à l’Indonésie. Elle apparaît comme un
« bon voisin » et un partenaire plus fiable que les USA qui ne proposent aucune aide, ni le FMI
dont les conditions de soutien irritent les pays de la région.

La Chine s’affirme comme un leader régional responsable, apporte des aides aux développement
et des investissements.

è Renforcement des liens économiques entre Chine – ASEAN en 2010 avec la ratification de
l’accord de libre-échange AFTA. Cet accord réoriente vers l’ASE des IDE qui étaient
détournés vers la Chine.
è 2013, la Chine insiste sur sa politique de « bon voisinage » et a impulsé une vraie
diplomation avec les pays de sa frontière sud. La Chine veut profiter des bénéfices mutuels
que les rapprochements créeraient (investissements, construction, accords de libre-
échange).

La réalité est claire : la Chine est un moteur de croissance économique pour la région, de plus en
plus intégrée aux instances régionales.

- 171 -
II. Les routes de la soie : une nouvelle aire d’influence chinoise ?

En 2013, Xi Jinping, le Président chinois lance le projet rebaptisée Belt and Road Initiative (BRI)
en 2017 et qui correspond aux nouvelles routes de la soie. La Route maritime de la Soie a été
ouverte en vue des échanges commerciaux et culturels entre les régions côtières du sud-est de la
Chine et les pays étrangers.

C’est le projet de corridor transnational le plus ambitieux lancé par un État et compte relier la Chine
à l’Afrique, l’Eurasie, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et du Sud-Est par un réseau
complexe et multimodale d’infrastructures.

Elle possède un versant terrestre (routier et ferroviaire et énergétique) et un versant maritime. Aux
routes traditionnelles, notamment par le détroit de Malacca, de nouvelles routes apparaissent,
notamment la route maritime au nord de la Sibérie et la route du Pacifique sud reliant la Chine à
l’Australie.

è En 2018, 71 pays font partie du projet.

A. Les corridors terrestres : la diplomatie du rail dans la péninsule.

Sur 6 corridors stratégiques, 2 concernent l’ASE.

è Le corridor Bangladesh – Chine – Inde – Birmanie


è Le corridor Chine – Indochine, qui relie la Chine à la Thaïlande en passant par le Laos.
Projet phare du développement ferroviaire Kunming-Boten-Luang-Vientiane qui doit se
prolonger vers Bangkok. Ce tracé est en rupture avec la politique de la Banque asiatique de
développement (BAD) dans son processus de connectivité de l’ASE par les côtes. Le projet
chinois passe par le centre des pays, au profit du Laos et de la Thaïlande, au détriment du
Cambodge et du Vietnam.

Cette stratégie chinoise est appelée « la diplomatie du rail ». Elle a des répercussions directes sur
les politiques de transport en ASE. Longtemps, les lignes de chemins de fers avaient été délaissés.
L’occasion se présente de les rénover.

è Entre 2010 et 2014, la Thaïlande fait de la rénovation du rail son premier poste de dépense
pour son plan de développement des infrastructures. 2 projets majeurs, qui consistent à
relier Bangkok à la Birmanie et au Laos.

Ces projets ferroviaires provoquent une triple inquiétude.

è Problème de financement. Pour la ligne Boten – Vientiane, 70% est payé par la Chine et
30% par le Laos qui a du énormément s’endetter (1,6 milliards de $) auprès de Banque
chinoise de développement. Le pays devient donc dépendant d’un acteur chinois. De plus,
le gouvernement laotien ne peut plus investir dans d’autres domaines en raison de la forte
pression de ce projet sur les finances.

- 172 -
è La coopération économique entre la Chine et les pays bénéficiaires se traduit par
l’obligation d’avoir recours en priorité à des entreprises chinoises pour mettre en œuvre les
projets.
è Scission en ASE entre la partie continentale dans l’orbite de la chine et la partie insulaire
plus indépendante.

B. La route maritime : des investissements portuaires épars mais peu de changement.

La « route maritime de la soie du XXIe siècle », (RMS) est moins innovante que la route terrestre
car son tracé se calque sur les grandes routes maritimes déjà existantes (notamment la route Europe
– Asie).

Cette route maritime de la soie part de Quanzhou, s’arrête à Guanzhou, puis Beihei, Haikou avant
de traverser la mer de Chine méridionale, puis le détroit de Malacca avant de se prolonger vers
l’Inde et l’océan Indien.

La qualité des infrastructures portuaires pourrait être amenées à progresser, mais elles sont déjà
très bonnes, surtout dans le détroit de Malacca.

è L’objectif annoncé de cette RMS est surtout de renforcer la coopération maritime Chine –
ASEAN qui date de 2015.
è Création en 2011 d’un Fonds de coopération maritime Chine – ASEAN qui devrait
permettre le financement de projets d’infrastructures portuaires, des programmes de
recherche sur l’environnement maritime et sur la pêche ou encore des projets de
collaboration pour sécuriser la mer de Chine méridionale et le détroit de Malacca.

Ainsi, les routes maritimes de la soie ne changent pas pour l’instant la nature et le poids de la
présence chinoise en ASE.

III. Détroit de Malacca : un passage stratégique pour l’économie chinoise.

L’ASE est un des principaux carrefours mondiaux de la circulation maritime. Or la traversée


maritime de la région ne peut s’effectuer qu’en empruntant les détroits, parmi lesquels celui de
Malacca occupe une place centrale.

Il est l’axe majeur de la circulation maritime mondiale et une artère vitale du commerce intra-
régional. Il est l’une des voies maritimes les plus empruntées au monde, dont les flux sont
croissants.

è 85.000 navires transitent par le détroit en 2017 contre 60.000 en 2000. Cette augmentation
s’explique par la hausse du trafic maritime conteneurisé qui représente 1/3 du trafic du
détroit.

Point de passage obligé, il cristallise et révèle les tensions régionales et mondiales. Il représente un
enjeu économique pour les États riverains ainsi que pour les États utilisateurs parfois très éloignés
et les compagnies maritimes. Il est plus facilement contrôlable que la haute mer grâce à son

- 173 -
exiguïté, mais il pourrait aussi faire l’objet d’un blocus qui remettrait en cause la liberté de
circulation maritime.

A. Le dilemme de Malacca.

Depuis son ouverture économique, la Chine dépend du détroit de Malacca pour exporter ses
productions, surtout vers l’Europe, son premier partenaire commercial depuis 2005.

Il joue aussi un rôle dans l’approvisionnement du pays en hydrocarbures, faisant de lui un corridor
énergétique majeur :

è Dans ce corridor transitent 2/3 des flux de pétrole et de gaz, soit 3 fois plus que dans le
canal de Suez et 25 fois plus qu’à Panama. On parle de 20 millions de barils en 2020.
è C’est la route la plus courte pour les pétroliers entre le Golfe persique et l’Asie orientale et
donc la plus économique.
è Augmentation de l’importation d’hydrocarbures de la part de la Chine, qui dépend à 53%
de ces importations dont 80% transitent part Malacca.

Cette dépendance vis-à-vis de Malacca inquiète de plus en plus le gouvernement chinois car la
marine du pays n’a pas les moyens de peser dans la zone et doit donc céder aux marines étrangères
(surtout US) la fonction de sécurisation de la zone pour son approvisionnement énergétique et de
son commerce extérieur.

Inquiétude liée au fait qu’une puissance étrangère pourrait déstabiliser son économie en contrôlant
et bloquant le détroit. En cas de conflit, les USA pourraient bloquer l’approvisionnement de la
Chine en hydrocarbures, en fermant Malacca sans avoir à toucher le territoire chinois. Cette crainte
est appelée dans la presse chinoise le « dilemme de Malacca ».

B. Le mythe du « collier de perles ».

Pour sortir du dilemme de Malacca et assurer ses exportations, la Chine mène une double stratégie.

è 1ère stratégie : sécuriser ses voies d’accès en nouant des partenariats portuaires depuis la
mer de Chine méridionale avec les côtes de l’Afrique orientale, via les rives de l’océan
Indien. La chine investirait donc dans des ports en Chine, en Birmanie, au Cambodge, au
Laos, au Bangladesh, au Sri Lanka pour ensuite éventuellement, selon les USA et l’Inde,
les transformer en bases navales et non pour sécuriser ses voies de navigation en établissant
un réseau de relais (perles). Cela leur permettrait d’avoir des zones militaires de part et
d’autre du détroit de Malacca.
Bouleversement de l’équilibre stratégique dans l’océan Indien longtemps dominé par
l’alliance indo-américaine avec la militarisation de ces « perles ».

C. Les projets chinois de contournement du détroit.

è La 2ème stratégie pour sortir du « dilemme de Malacca » est de diversifier les routes
commerciales et d’approvisionnement énergétique.

- 174 -
è Ouverture en 2006 d’un oléoduc de 3000km reliant le territoire kazakh et le Xianjiang ce
qui constitue la première phase d’un projet plus vaste devant permettre de transporter du
pétrole de la mer Caspienne à la Chine, avec la construction de 2 nouveaux oléoducs. Ces
projets onéreux ne mettront pas un terme à la dépendance de la Chine envers le détroit de
Malacca.

è La solution la plus radicale serait de court-circuiter Malacca en creusant un canal à hauteur


de l’isthme de Kra (44 km de large) au sud de la Thaïlande afin de relier la mer d’Andaman
au golfe de Thaïlande. Ce projet n’est pas novateur car on en parle depuis 300 ans. Le projet
est souvent d’actualité puis abandonné en raison de son coût et des difficultés techniques
que représentent cette tâche. La longueur du canal n’est pas de 44 km mais de 100 km.
Aucun plan encore ratifié.

è Ce projet appelé « Canal de Panama asiatique », est limité. Il permettrait de réduire la


distance entre l’Europe et l’ASE de 1.200km soit 2 à 3 jours de navigation mais le gain est
inférieur à celui que le canal de Panama (12.000 km de gain) a apporté ou celui de Suez
(10.000km de gain).

IV. Tensions en mer de Chine méridionale.

La mer de Chine méridionale (MCM) est au cœur des revendications impliquant 5 États d’ASE :
Vietnam, Malaisie, Brunei, Indonésie, et Philippines.

Elle est un lieu de confrontation directe avec la Chine et un des points chauds du monde. Les
différends prennent la forme d'accostage de bateaux de pêche, d’accusation mutuelle d’incursion
dans les eaux mais aussi d’affrontements militaires.

è 17 accrochages militaires impliquant la Chine, les Philippines et le Vietnam entre 1974 et


2012.

A. Des différends liés à l’évolution du droit de la mer.

En mer de Chine méridionale, les différends concernent surtout les îles Paracel et Spratleys.

è Les îles Paracel comprennent une quinzaine d’îlots et un grand nombre d’atolls et de récifs
s’étendant sur 15.000 km2. Depuis 1974, elles sont sous domination totale de la Chine,
malgré les revendications vietnamiennes. La Chine y affirme sa présence en développant
des infrastructures. Néanmoins, le gouvernement vietnamien poursuit ses revendications et
intègre les îles à l’aire administrée par la ville de Danang.
è Les îles Spratleys elles font l’objet de revendication de la part de la Chine, du Vietnam, de
Taïwan, des Philippines et de Brunei. De 1970 à 1990, ces pays se sont lancés dans une
course à l’occupation, annexant de façon unilatérale, îles, îlots ou même de simples récifs
de l’archipel.

Occuper ces îles permet d’installer des garnisons militaires afin de marquer sa souveraineté et de
revendiquer les eaux territoriales.

- 175 -
Légalement, une île est « une étendue naturelle de terre entourée d’eau qui reste découverte à marée
haute et qui doit se prêter à l’habitation humaine ou à une vie économique propre ».

Or, en mer de Chine Méridionale, les espaces émergés sont trop petits pour être qualifiés d’îles et
ne sont juridiquement que des rochers, donnant droit à une eau territoriale uniquement. La
construction d’îles artificielles ne donne aucun droit supplémentaire.

La Chine cherche toutefois à invoquer le principe archipélagique pour rassembler toutes les îles de
la mer de Chine méridionale, même si la constitution de la Chine comme Etat archipélagique (au
même titre que l’Indonésie ou les Philippines, a peu de chances d’aboutir.

B. Des différentes liés aux revendications chinoises et ses « droits historiques ».

La Chine dit avoir découvert et utilisé les archipels de la Mer de Chine méridionale et disposerait
donc de fait des droits historiques à leur égard, qui lui permettraient d’affirmer leur souveraineté.
La Chine revendique 80 à 90% de cette mer.

è Revendications contestées par les Philippines en 2013, en portant plainte contre Pékin au
motif que les ambitions territoriales chinoises empiètent de façon illégale sur sa ZEE.
è En 2016, la Cour permanente d’arbitrage (CPA) rend un jugement défavorable à la Chine,
en invalidant toute forme de titre historique.
è En 2014, le Vietnam a aussi demandé à la Cour de déclarer les neufs traits de la Chine
« sans base légale ».

L’autre stratégie des pays de l’ASEAN réside dans le fait de minimiser systématiquement le rôle
potentiel des îles dans la délimitation des espaces maritimes, dans le but de réduire juridiquement
les revendications chinoises.

C. Des différents exacerbés par l’exploitation des ressources marines.

L’épuisement des ressources halieutiques est une source de conflit, tout comme les préoccupations
alimentaires.

La pêche est conflictuelle est devient un enjeu aussi stratégique qu’économique. Elle permet de
réaffirmer sa souveraineté dans les ZEE revendiquées. Les pêcheurs chinois, vietnamiens ou
philippins sont un outil d’occupation et de revendication de l’espace maritime et sont en première
ligne dans les confrontations en mer de Chine méridionale. Certains sont mêmes capturés et
emprisonnés.

D. L’ASEAN au cœur du processus de résolution du conflit.

Pour éviter tout embrasement dans la région, l’ASEAN mène depuis 1990 des pourparlers avec la
Chine.

è 1992, elle appelle avec la déclaration de Manille à une résolution pacifique des différends,
sans recours à la force, et à la prise de mesures de coopération.

- 176 -
è « Accord de bonne conduite » en mer de Chine méridionale signé en 2002 indique que les
différends entre Etats riverains doivent être traités amicalement et par voie de négociation,
avec retenue, sans recours à la force. En 2019, les Etats en sont toujours au stade des
négociations des modalités d’application de ce code de bonne conduite.

Sur les désaccords en mer de Chine méridionale, tous les pays de l’ASEAN n’ont pas les mêmes
approches. Cette absence de position commune fragilise l’ASEAN (manque d’unité et absence de
consensus).

On trouve 4 groupes de pays :

è Les plaignants revendicatifs opposés fermement aux revendications chinoises, militant pour
des prises de positions fermes contre la Chine (Vietnam, Philippines).
è Plaignants passifs et conciliants (Brunei et Malaisie).
è Les inquiets face à l’affirmation de la puissance chinoise, sans revendication (Singapour,
Brunei).
è Les indifférents bienveillants (Thaïlande) voir les pro-chinois (Laos, Birmanie).

Cette division date de 2012, année où la Cambodge présidait l’ASEAN et avait refusé que les
revendications belliqueuses des Philippines et du Vietnam soient inscrites dans la déclaration
commune. Pour la 1ère fois, l’ASEAN n’a pas trouvé de consensus et n’a pas publié de déclaration
finale.

V. Diversité des relations entre la Chine et les pays d’Asie du Sud-Est.

A l’échelle bilatérale, les échanges économiques et commerciaux s’intensifient mais tous les pays
d’ASE n’ont pas les mêmes relations avec la Chine. Elles dépendent fortement des changements
politiques. Des contrats signés avec la Chine sont souvent remis en cause après un changement de
politique interne dans les pays d’ASE.

Il existe deux facteurs dominantes pour distinguer les relations entre pays d’ASE et Chine : leur
intégration dans la région du Grand Mékong (RGM) et leur positionnement dans le conflit en mer
de Chine méridionale.

A. Les pays sous forte influence chinoise : Laos, Birmanie et Cambodge.

L’ouverture des frontières de la Chine avec la péninsule est à l’origine e nouvelles dynamiques
transfrontalières redynamisant des espaces auparavant en situation périphérique au sein de leur
espace national.

Les provinces du Yunnan et du Gangxi sont impliquées dans les projet de la région du Grand
Mékong et ambitionnent de devenir un pont entre Chine et ASE.
è Kunming, point de départ de trois corridors en direction de Yangon, Hanoi et Bangkok
s’affirmer comme un hub régional de plus en plus inséré dans l’économie de l’ASE
continentale
è Guangxi devient la porte maritime de la Chine en ASE.

- 177 -
Sur le plan politique, ces pays ont trouvé avec la Chine un allié de poids face aux critiques
occidentales de leurs régimes politiques.
è La Chine servant de bouclier face aux pays occidentaux et aux ONG qui réclament des
progrès dans les domaines de la démocratisation et des droits de l’Homme.
è La Chine est aussi un allié au conseil de sécurité de l’ONU, où elle défend souvent la
Birmanie notamment.

Sur le plan économique :


è La Chine est le premier investisseur (secteur de l’énergie, des exploitations minières,
construction d’infrastructures routières, ferroviaires, touristiques…)
è Le Laos et la Birmanie sont, pour la Chine, des réserves de ressources naturelles hydro-
électriques nécessaires pour la poursuite de leur mode de développement énergivore. En
échange des investissements chinois dans le secteur des infrastructures, la Birmanie et le
Cambodge ont attribué des droits d’exploration aux compagnies pétrolières et gazières
chinoises.
è Création de ZES aux frontières, qui répond aux besoins de la Chine de délocaliser ses
industries intensives en main-d’œuvre vers les Etats limitrophes ou les coûts de production
sont moins élevés.

Sur le plan géopolitique, la Chine bouleverse les anciens partenariats.


è Les partenaires historiques (Thaïlande et Vietnam) perdent de leur influence au Laos.
è Au Cambodge, la Chine prend des décisions politiques défavorables au Japon, alors que le
Japon donne de nombreuses aides au Cambodge.

Pour la Chine, ces 3 pays représentent un intérêt stratégique important, aussi bien politique
qu’économique :

è Avoir de bonnes relations avec la Birmanie permet à la Chine de pouvoir profiter de 2000
km de côtes sur l’océan Indien et la mer d’Andaman et de diversifier ses approvisionnement
énergétiques en construisant des pipelines entre Kunming et le littoral sud-ouest de la
Birmanie.
è Le Laos est un pivot stratégique permettant à la Chine de pénétrer en ASE continentale. La
péninsule est une voie de passage stratégique entre la Chine et les mers du sud.

Dans le cadre du conflit en mer de Chine méridionale, le Laos et le Cambodge sont ouvertement
favorables à la Chine au détriment de leurs partenaires de l’ASEAN pris dans ce conflit (Vietnam,
Philippines).

Sur le plan culturel, enfin, le « soft power » chinois se diffuse :

è Sinisation des populations descendantes de Chinois, comme les sino-khmères.


è Néanmoins, l’afflux de chinois dans le nord de la Birmanie et du Laos est une source de
tensions avec les populations locales qui se sentent exclues voire spoliées de leur territoire.

- 178 -
B. Vietnam et Philippines : des relations dominées par des tensions en mer de Chine
méridionale.

Ces deux pays ont en commun d’être confrontés directement et parfois violemment face aux
revendications chinoises en mer de Chine méridionale.

Par deux fois le Vietnam s’est opposé à la Chine militairement :

è 1974, lors de l’invasion des Paracels.


è 1988, invasion du récif Fiery Corss dans les Spratleys.

Depuis, la Chine fait preuve de plus de retenue mais reste pressante :

è Installation d’une plateforme d’exploration au large de Danang dans la ZEE vietnamienne


en 2014.
è Empêchement de la navigation des bateaux vietnamiens dans une zone de restriction de
pêche décidé unilatéralement par la Chine.
è Opposition également entre Chine et Philippines au sujet des îles Spartleys en 1995.

Les relations entre ces pays et la Chine sont plus complexes et on ne peut les résumer à de simples
affrontements.

En dépit des conflits maritimes récurrents, Chinois et Vietnamiens (très proches sur le plan culturel,
politique et historiques) ont tout de même créé des liens commerciaux et industriels solides.

è Le Vietnam est la destination la plus importante des exportations chinoises en ASE.


è Développement entre les deux pays de zones de coopération économiques transfrontalières
entre deux villes (Dongxing et Mong Cai).
è Création de ville doublons Pingxiang et Lang Son et de Hekou et Lao Cai, situées dans les
corridors Nanning – Hanoi et Kunming –Hanoi. Villes unies par un commerce actif qui
contribue à dynamiser les échanges sino-vietnamiens.

Le Vietnam tente néanmoins de juguler la présence chinoise dans la péninsule en développant des
partenariats avec le Laos et le Cambodge.

è En dépit des tensions, Chine et Vietnam ont ratifié un traité en 2000 pour la délimitation
des frontières maritimes dans le golfe du Tonkin et la création d’une zone commune de
développement pour la gestion des ressources halieutiques.

Les relations Chine/Philippines sont très instables et dépendent des priorités gouvernementales.

è La priorité nationaliste se traduit par une rupture des relations entre les deux pays.
è La priorité économique favorise un rapprochement.

Depuis 2016, le Président Rodrigo Duterte s’est déclaré très favorable à un développement des
liens économiques avec la Chine. Revirement qui met fin à 4 ans de fortes tensions (interdiction

- 179 -
d’importer en Chine des bananes de Philippines par exemple). Cet embargo avait eu un impact
désastreux sur les petits planteurs qui dépendent à 99% du marché chinois. Il a été levé en 2016.

Les revirements successifs sont monnaie courante dans l’histoire des relations entre les deux pays
et s’expliquent aussi par le lien entretenu par les Philippines et les USA, partenaire économique et
militaire privilégié depuis son indépendance.

è En 2014, 60% des IDE aux Philippines viennent des USA.


è Malgré les critiques répétées du nouveau président envers les USA, il n’est jamais revenu
sur le traité bilatéral de 1951 de défense mutuelle en cas d’agression militaire.

C. Partenaires et concurrents avec la Chine : Thaïlande, Malaisie et Indonésie.

Plus éloignés de la Chine géographiquement que les pays cités précédemment, la Thaïlande, la
Malaisie et l’Indonésie multiplient les relations économiques avec elle mais cherchent à maintenir
une autonomie de décisions. C’est une manière de se protéger. Dans les faits, les pays refusent de
s’aligner sur la Chine tout en évitant de la provoquer en s’alliant de manière exclusive avec une
puissance rivale. Ces pays recherchent un équilibre dans leur relations diplomatiques, tant avec la
Chine que les USA.

Les conflits peuvent exister mais ils ne sont pas frontaux entre la Malaisie (et Indonésie) et la
Chine.

è Jusqu’en 2014, l’Indonésie disait n’avoir aucun contentieux avec la Chine. Depuis, la Chine
revendique des terres dans la province indonésienne des îles Riau. En 2017, l’Indonésie a
nommé ses terres qui n’avaient pas de nom pour les distinguer de la mer de Chine
méridionale. Le pays a également augmenté sa présence militaire dans l’archipel.
è L’Indonésie conserve néanmoins des relations économiques avec la Chine et se maintient
politiquement à équidistance des USA.

Les trois pays gardent une indépendance économique malgré les investissements chinois. Ils
diversifient leurs partenariats économiques et cherchent à s’imposer dans le reste de l’ASEAN.

Pour conserver son rôle de leader dans la zone, la Thaïlande concurrence la Chine dans la péninsule
(Laos, Birmanie, Cambodge). Le pays a aussi refusé l’aide financière chinoise pour financer un
projet de voie ferrée (taux d’intérêt trop élevés, périodes de remboursements défavorables par
rapport à ce que le Japon ou la Banque mondiale proposaient).

D. Singapour : un modèle pour la Chine.

Singapour est un modèle à plus d’un titre pour la Chine.

Sur le plan économique, la stratégie de développement choisie dans les années 1980 par le
gouvernement chinois s’inspire largement de celui de Singapour :

- 180 -
è Modèle basé sur l’attraction des investissements étrangers où l’État demeure très présent.
Modèle qui combine libéralisme et hégémonie d’un parti autoritaire, parfaitement adaptable
en Chine.

Singapour est un partenaire privilégié du développement urbain.

è Dès les années 1980, la Cité-État investit dans les opérations urbaines en Chine.
è Parc sino-singapourien de Suzhou, à proximité de Shanghai s’étend sur 288 km2, compte
10.000 entreprises dont 4.000 internationales et 800.000 habitants. Il reprend l’urbanisme
caractéristique de Singapour, associant développement des zones industrielles et création
de villes nouvelles pour attirer les investisseurs. Ce modèle est qualifié de « communauté
industrialo-résidentielle intégrée » dont la délimitation en zones est importante (zone
industrielle, zone résidentielle, zone financière…)
è 2007, les deux gouvernements lancent un nouveau projet de coopération : l’éco-cité sino-
singapourienne de Tianjin, orientée vers l’écologie, le logement et les industries légères peu
consommatrices et peu polluantes. Reprend le modèle singapourien de cité-jardin avec une
place importante faite à la végétation et aux corridors écologiques, visant à parvenir à une
sobriété énergétique en et environnementale.

VI. Présence chinoise et réorganisations des territoires.

A. Les mégaprojets immobiliers du sud de Johor (Malaisie) : déstabilisations des organisations


territoriales locales.

Bouleversement du Triangle de croissance SIJORI en raison de l’arrivée massive d’investisseurs


chinois. Investissements récents (2011), cherchent à développer des mégaprojets immobiliers, dont
l’envergure dépasse les programmes malaisiens et singapouriens.

è Programme le plus ambitieux de Forest City, prévoit de construire sur 30 ans, 4 îles
artificielles (dont une de 1.000 hectares) nécessitant de lourds travaux de remblaiement
pour construire 40.000 logements. À titre de comparaison, les plus gros projets immobiliers
singapouriens s’étendent sur 300 hectares maximum.
è Tous les projets chinois se ressemblent : complexes résidentiels de luxe (condominiums de
plus de 20 étages, immenses villas), zones commerciales (malls), espaces de loisirs (marina,
plages artificielles), infrastructures médicales. Ils s’adressent à une clientèle recherchant un
cadre de vie agréable, moderne et sécurisé mais qui n’a pas les moyens pour investir à
Singapour en général. Les investisseurs chinois visent donc une clientèle de classe moyenne
et aisée qui cherchent un espace migratoire alternatif aux villes occidentales et aux villes
asiatiques de Singapour et de Hong-Kong, tout en étant rassuré par la présence des
promoteurs chinois.

Dans l’État de Johor, cette concentration de nouveaux projets est un facteur de déstabilisations du
marché immobilier.
è Surproduction de logements haut de gamme alors qu’une pénurie de logements sociaux
existe pour les travailleurs migrants malaisiens)
è Sentiment de désappropriation des populations locales exclues de ces projets.
è Renforcement des inégalités spatiales et fragmentation de la région urbaine.

- 181 -
Les partisans du projet Iskandar chinois disent que cela va renforcer la métropolisation de la zone
de Johor qui pourrait devenir le nouveau symbole de la Malaisie moderne. Pour ses détracteurs, ils
sont autant d’enclaves déconnectées des besoins de la population locale, et créent des contrastes
importants dans le foncier entre partie orientale et occidentale :
è L’Est plus traditionnel, petites maisons individuelles, populations à bas et moyens revenus,
clientèle locale.
è L’ouest plus moderne, verticalité du bâti avec un design particulier, populations aisées et
internationale, étrangers fortunés.

Le gigantisme des projets chinois risque de renforcer durablement ces déséquilibres.

Enfin, face à l’ampleur et à la longueur des projets (30 ans pour le projet Forest City à Iksandar),
la question de la durabilité et de la viabilité des investissements chinois émerge.

Un recul des apports de capitaux chinois pourrait provoquer un abandon des projets qui laisseront
des fiches industrielles, commerciales et urbaines, ainsi que des villes fantômes.

B. Les mutations territoriales du Nord-Laos.

Dans le cadre de la stratégie de développement des corridors de développement, la BAD entreprend


de transformer le Triangle d’or (foyer majeur de production et de trafic d’opium), en un Quadrangle
économique, nouvel espace de libre-échange et de productivité.

Espace transnational qui reprend largement les limites du Triangle d’or, dont l’idée sous-jacente
est d’éradiquer le trafic d’opium en promouvant des activités alternatives et en insérant ces régions
périphériques au sein de leurs territoires nationaux respectifs dans l’économie de marché.

è L’ouverture des frontières et d’une autoroute nord-sud reliant Kunming à Bangkok est
porteuse de mutations territoriales.

1. Une zone frontalière avec la Chine située sur le corridor nord-sud.

Région frontière montagneuse, faiblement peuplée au relief accidenté, marqué par une longue
histoire de conflits. Pauvreté élevée, faible niveau d’éducation, minorités ethniques, manque
d’infrastructures.

Le projet chinois envisage de réduire les disparités économiques du territoire national, et favorise
l’émergence de nouveaux pôles de croissance dans les provinces initialement peu développées
proches de sa frontière, à proximité de Yunnan et Guangxi.

è Pour le régime lao, ces corridors favorisent le désenclavement des hautes terres du nord et
l’ouverture du pays aux investisseurs extérieur, qui répondent à plusieurs objectifs, un
national : sortir le Laos des PMA, et un régional : intégrer les marges en développant des
fronts pionniers et en exploitant les richesses inexploitées. Ces marges deviennent des
« frontières ressources ».

- 182 -
Cependant, cette présence chinoise n’est pas sans controverses politiques, à tel point qu’on
s’interroge sur un « néocolonialisme » aux caractéristiques chinoises.

D’autres estiment que la Chine offre de vraies opportunités pour le Laos.

2. Une transformation agraire accélérée.

Passage d’une économie agropastorale sur brûlis et d’autosubsistance à un modèle de type


« économie de marché », avec une agriculture commerciale. Le gouvernement laotien promet
depuis les années 2000 une politique de « turning land into capital », soit le développement national
fondé sur l’exploitation des ressources naturelles.

Les entreprises de commercialisation ou les industries de transformations apportent aussi aux


agriculteurs des capitaux, l’accès au marché, un soutien technique et des conseils en échange de
leur force de travail et de leurs terres.

S’en suit un changement des paysages montagnards : diminution de la production de riz,


augmentation des productions d’hévéa et de teck.

è L’objectif n’est pas la durabilité du système agraire ni la sécurité alimentaire, mais la


rentabilité financière à court terme pour diminuer la pauvreté.

Les hautes terres du Laos sont désormais divisées en de nombreuses concessions chinoises.

3. La multiplication des zones économiques spéciales (ZES).

Second apport chinois : la multiplication des ZES. Destinées à l’origine à devenir de nouveaux
pôles industriels et de services, elles ont surtout été axées autour du tourisme, du divertissement et
des casinos. Elles cherchent à attirer des joueurs des pays limitrophes ou le jeu est interdit.

è ZES Golden Boten City à la frontière sino-lao, financée et gérée par des chinois, avait pour
ambition de devenir un grand complexe touristique, un pôle commercial et une plateforme
régionale de transit pour la région. Elle est finalement devenue une ville-casino, entourée
de bars à prostituées, cabarets animés par des transsexuels.
è D’autres projets de ce type fleurissent avec les mêmes conséquences. On craint que cette
zone frontière se transforme en un nouveau Macao.

4. Une planification territoriale conçue par la province chinoise de Yunnan.

Troisième apport chinois, implication directe des autorités du Yunnan dans l’élaboration d’une
stratégie de développement pour le Nord-Laos.

è Développement d’une agriculture commerciale (hévéa en priorité), du secteur énergétique,


promotion d’un tourisme de masse, passage d’une exportation de matières premières à celle
de produits semi-transformés (latex, bois, café)

Cette démarche de planification provoque des réactions contradictoires :

- 183 -
è Elle peut être envisagée comme une volonté de renforcer les liens de coopération.
è Ou comme une volonté de mainmise chinoise sur le Nord, la production de l’espace étant
alors envisagé comme un projet politique d’extension de l’aire d’influence chinoise et plus
largement de la reconquête de l’ASE.

5. Le poids majeur des migrants chinois dans l’urbanisation.

Quatrième apport, une urbanisation progressive par les arrivées de migrants chinois, qui inondent
les marchés par la vente de leurs produits (téléphones, vêtements, ustensiles de maison) et se
chargent de l’exportation vers la Chine des productions agricoles.

Les Chinois arrivent dans les villes et cela se voit : lanternes rouges, panneaux écrits en chinois,
restaurants et marchés chinois.

Cet afflux de migrants chinois depuis 1990 est d’une ampleur jamais connue par le Laos
auparavant. Elle a transformé le nord du pays en un foyer chinois.

Les premiers migrants étaient des ouvriers et des techniciens travaillant dans les projets de
constructions de routes, les suivants originaires de Yunnan viennent pour tenter leur chance après
avoir échoué à s’installer au Yunnan. Les plus pauvres sont les marchands ambulants.

6. Le bouleversement des rapports sociaux.

Dernier apport et non des moindres, le bouleversement des rapports sociaux.

L’impact des corridors transnationaux sur les populations locales est clair, ils sont une opportunité
de croissance économique par l’insertion dans l’économie de marché et une réduction de la
pauvreté.

Néanmoins, toutes les populations ne sont pas en mesure de capter les dividendes liés à la
construction d’une route.

è Les grands gagnants sont les barons de la drogue en Birmanie, qui peuvent blanchir des
sommes colossales gagnées précédemment.

è Les implantations chinoises ont modifié le rapport à la terre des laotiens qui continuent de
la travailler sans plus pouvoir prendre de décision puisqu’elle ne leur appartient plus
désormais.

è Les marchés chinois commencent à supplanter les marchés laotiens, faisant perdre aux
marchands laotiens leur rôle.

è Seules les élites locales, commerçants et fonctionnaires peuvent investir dans l’hévéa (prix
du foncier élevés et investissement de départ importants). Les paysans des hautes terres se
sont paupérisés.

- 184 -
Pour les experts, la politique d’infrastructures menée par la Chine dans le cadre de la région du
Grand Mékong risque de faire imploser l’ASEAN, car le développement des réseaux de transport
renforce la connectivité ASE continentale – Chine et non pour améliorer la connectivité intra-
régionale.

Il risquerait à terme de conduire à une division de l’ASE entre sa partie maritime et continentale,
tant le tropisme exercé par les provinces méridionales chinoises sur les pays de la région du Gand
Mékong sont importantes.

Si certains pays et territoires sont de plus en plus dépendants de la Chine, cette approche est
néanmoins à nuancer. En effet, si tous les gouvernements des pays d’ASE aspirent à de bonnes
relations avec le voisin chinois, ils mènent parallèlement une politique de rapprochement avec les
autres grandes puissances régionales.

L’ASEAN s’inquiète de devenir un champ de rivalités entre grandes puissances extérieures.

- 185 -
CHAPITRE 15 – AU CŒUR DES RIVALITÉS ENTRE
LES GRANDES PUISSANCES RÉGIONALES.
L’influence et la présence chinoise sont aussi à nuancer du fait de la présence d’autres grandes
puissances influentes dans la région.

En premier lieu, le Japon et les USA, même si depuis la présidence Trump, on note un recul.
L’Australie et L’Inde ont aussi un rôle grandissant.

L’organisation régionale est en pleine transformation. L’ASEAN demeure la seule organisation


régionale institutionnalisée en Asie orientale mais la crise, l’influence de la Chine, la présence
japonaise et américaine, la montée des rivalités sino-américaines complexifient les enjeux
politiques, géostratégiques mais aussi la délimitation de la région.

Les pays d’ASE maintiennent des relations économiques avec les autres puissances régionales pour
éviter la dépendance vis-à-vis de la Chine.

Enfin, même si les acteurs économiques chinois investissent dans de nombreux projets (ressources,
infrastructures) ils sont souvent en concurrence avec d’autres acteurs étatiques et privés.

I. Le Japon, une présence économique ancienne en ASE.

A. Aide au développement et institutionnalisation des relations.

Le Japon renoue en 1945 avec l’ASE. Mise en place d’une politique d’aide publique au
développement après la Seconde Guerre mondiale, qui prend d’abord la forme de réparations de
guerre puis se transforme en institutionnalisation multilatérale de coopération.

Le Japon est à l’origine d’organisations régionales :


è Conférence ministérielle pour le développement économique en ASE et le Conseil Est-
Pacifique.
è En 1996, il fonde avec les USA la Banque asiatique de développement (BAD). Le Japon
en est le principal actionnaire et oriente les politiques d’aides de cette banque vers les pays
avec lesquels il entretient de bonnes relations. Dans les années 1970, les aides japonaises à
l’ASE dépassent les aides américaines.
è En 1970, l’APD japonaise se dirige à 95% vers l’Asie dont 45% vers les pays fondateurs
de l’ASEAN (Philippines, Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Singapour).
è Japon principal interlocuteur de l’ASEAN jusqu’aux années 2000.

Néanmoins, les manifestations anti-japonais sont fréquentes, notamment à Bangkok en 1970,


Jakarta, Kuala Lumpur. Elles sont justifiées par des rancœurs liées aux souvenirs des violences
commises pendant la guerre mais aussi en raison des forts IDE japonais.

- 186 -
Deux types d’organisations à ne pas confondre : la Banque asiatique de développement (BAD)
et la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures (BAII).

è BAD, crée en 1966, banque multilatérale conçue sur le modèle de la Banque mondiale.
Soutient dans une optique libérale le développement économiques et social de la région.
USA et Japon en sont les principaux contributeurs. La BAD a promu et accompagné la mise
en place de la Région Grand Mékong en agissant comme un médiateur favorisant les
coopérations intergouvernementales. Joue un rôle d’intermédiaire entre les partenaires et
facilite les échanges.

è La Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures (BAII), date de 2014, lancée
par Pékin, institution financière internationale (88 États membres). L’objectif est d’aider
aux financements de projets dans les transports, l’énergie, l’aménagement urbain ou les
communications. En ASE elle concurrence la BAD et complète ses financements. Le Japon
et les USA n’en font pas partie.

B. Une intégration économique par les délocalisations industrielles.

Jusque dans les années 1990, le Japon était le premier partenaire commercial et premier investisseur
des pays de l’ASEAN.

Les IDE du Japon dans le secteur industriel ont suivi deux logiques :

è 1ère logique, années 1970, contrer les réglementations commerciales protectionnistes des
pays d’ASE en implantant des firmes sur les marchés locaux, notamment dans le secteur de
l’automobile.
è 2ème logique, résulte de la forte appréciation du yen suite à l’adoption concomitante de la
part de certains pays d’ASE de promotion des exportations. Elle consiste en une
délocalisation vers les pays de l’ASEAN des activités intensives en main-d’œuvre et d’une
réorientation de leurs entreprises déjà implantées en ASE vers un modèle d’exportation.
Mouvement qui s’étend dans le textile, l’électronique, l’automobile. L’ASE se transforme
en un tremplin des usines japonaises vers les marchés européens et américain.

Dans le cadre de la division régionale du travail dans années 1990, vue sous l’angle du vol des oies
sauvages, le Japon est l’oie de tête qui tire le développement et la croissance économique des pays
de l’ASEAN.

À la fin des années 1990, suite à la crise de 1997 et à l’ouverture de la Chine, les investissements
japonais privilégient la Chine à l’ASE.

Investissements japonais se détournent vers la Chine après la crise économique de 1997 en ASE.
La Chine modifie alors le paysage industriel de la région : les opérations d’assemblages qui se
déroulaient aux Philippines, en Malaisie ou en Thaïlande se déportent désormais vers la Chine.
Toutefois, la hausse des tensions entre la Chine et le Japon ainsi que l’augmentation du coût de la
main d’œuvre chinoise ont finalement incité le Japon à retourner vers l’ASE. Vraie concurrence
entre Japon et Chine dans la région du Grand Mékong.

- 187 -
Cette rivalité entre les deux puissances est aussi illustrée par la création de la BAII (banque
asiatique d’investissement pour les infrastructures).
Une compétition Chine – Japon pour la mainmise économique sur la région du Grand
Mékong.
Marché de 210 millions d’habitants, riche en matière première où les deux pays sont en concurrence
et où les rivalités sont croissantes.
è La Chine est dominante au Laos et au Cambodge et omniprésente (secteur minier,
infrastructures énergétiques) mais le Japon est aussi présent sous forme d’aide au
développement.
è Au Vietnam le Japon est mieux placé que la Chine (même si le premier investisseur reste
la Corée du Sud).
è C’est en Birmanie que la concurrence est la plus directe. Historiquement, le pays était très
lié au Japon qui finalement, dans les années 1990, a soutenu les sanctions contre la
Birmanie. La Chine en a profité pour combler un vide et étendre son influence en
s’engageant dans des investissements de grande ampleur créant avant 2012 une situation de
face-à-face exclusif entre la Chine et la Birmanie. Dès lors, Tokyo a renoué le contact et a
développé des projets d’aide au développement en Birmanie.
Les actions des deux pays peuvent être complémentaires (Japon investi dans les ZES, la Chine sont
le fait de grandes entreprises publiques dans le secteur énergétique), mais les rivalités se renforcent
également, notamment avec le développement de contre-projets (dans le secteur des infrastructures
par exemple) pour bloquer l’adversaire. Le Japon estime que les infrastructures chinoises sont de
piètre qualité.

D’autres offensives sont stratégiques, comme les investissements japonais au Vietnam dans le
développement de nouveaux ports en eaux profondes pour renforcer la capacité du pays face à une
éventuelle offensive en mer de Chine du Sud. Vraie volonté de rivaliser avec Pékin.

II. Un désengagement des États-Unis ?

Longtemps les US ont été considérés comme puissance asiatique. Depuis les années 2000
néanmoins, leur présence est en recul et entre surtout désormais en rivalité avec la Chine.

A. De la politique d’endiguement aux désengagements des USA.

Peu d’intérêt pour la région au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cela évolue pendant la
guerre froide. La politique asiatique des US évolue alors selon 4 objectifs liés :

è Isolement de la Chine.
è Protection de Taïwan.
è Aide à la prospérité japonaise.

- 188 -
è Endiguement du communisme en ASE. Les US pratiquent la « théorie des dominos » selon
laquelle un pays qui tomberait sous le giron communiste risque d’entraîner ses voisins dans
sa chute.

Les US s’engagent dans des guerres chaudes (Vietnam, Corée) et via une politique économique et
de prêts massifs ainsi que l’ouverture de son marché aux pays partenaires.

è Après la chute de Saigon en 1975, les US se retirent d’une région dans laquelle ils avaient
été fortement impliqués depuis 30 ans.
è Le recul et le désengagement américain sont encore plus nets après la fin de la guerre froide,
avec la fermeture de leurs bases aux Philippines.
è Les critiques des pays d’ASE envers les US sont nombreuses pendant et après la crise de
1997.
è Enfin, pendant le 1er mandat de G.W. Bush, les US sont trop impliqués dans la guerre en
Irak et en Afghanistan pour s’intéresser à l’ASE.

B. Montée en puissance de la Chine et retour des USA.

Durant le second mandat de Bush, les US ont réaffirmé qu’ils demeuraient une puissance de l’Asie
Pacifique, mais c’est surtout sous Obama qu’ils réinvestissent.

Cette stratégie est dictée par le fait que l’Asie devient, au début du XXIe siècle, le centre de gravité
du monde. C’est aussi une réaction à l’affirmation de la puissance chinoise (politique, commercial
et financière).

è Concrètement, les US veulent se montrer plus présents et plus visibles, ainsi que
redynamiser les liens avec ses alliés dans la région (Thaïlande et Philippines en ASE
notamment), mais aussi développer des liens avec des partenaires récents (Indonésie,
Singapour, Malaisie, Vietnam).
è Depuis 2009, des sommets USA/ASEAN se tiennent.
è Sur le plan militaire, 60% de la force américaine sera présente dans la zone contre 40%
actuellement.
è Accord de libre-échange économique entre les US et 12 pays de l’océan Pacifique (2016).
Plus grande zone de libre-échange du monde.

Ce réengagement multifacette s’explique par la montée de menaces dans la région :

è La première est celle du terrorisme. Après le 11 septembre 2001, les US ont qualifié l’ASE
de « second front » dans la guerre contre le terrorisme islamiste. Pour montrer leur bonne
volonté, des pays d’ASE ont procédé à des arrestations des terroristes présumés.
è La seconde est motivée par la montée des revendications chinoises en mer de Chine
méridionale. Pour les US, cette mer est un nœud stratégique de communication entre océan
Pacifique et Indien et doit rester ouvert au nom de la liberté de circulation maritime.

La présidence Trump augure un nouveau changement dans les relations US / ASE.

- 189 -
è 23 janvier 2017, 4 jours après son investiture, il se retire de l’accord de libre-échange, ce
qui affaiblit toute la zone et les États membres.

III. Le rapprochement entre l’Inde et l’ASEAN.

Après son indépendance (1947), l’Inde soutient les autres peuples asiatiques dans leur lutte
coloniale et de libération nationale, notamment à la conférence de Bandung (1955).

L’Inde se rapproche de l’URSS après la guerre sino-indienne de 1962, pour faire contrepoids à la
chine, mais s’éloigne des pays d’ASE. Elle perçoit l’ASEAN comme une organisation anti-
communiste.

Rapprochement à la fin de la guerre froide, suite à l’ouverture de l’Inde, avec le développement de


la « Look East Policy ». L’objectif est de trouver de nouveaux marchés d’exportations et de nouer
des liens avec des pays émergents comme Singapour.

Ce rapprochement prend une forme institutionnelle :


è 1995, quand l’Inde devient partenaire de dialogue pour l’ASEAN.
è 2002, premier sommet Inde/ASEAN.
è L’Inde se positionne dans les sommets où la Chine est absente qui mène à l’initiative
BIMSTEC, une coopération en vue d’établir un espace de libre-échange entre les pays
riverains de la baie du Bengale, favorise un rapprochement entre l’Inde, la Birmanie et la
Thaïlande.

L’Inde doit s’imposer militairement, depuis qu’elle est devenue dépendante de ses importations en
hydrocarbures. Elle implique sa flotte dans les voies maritimes de l’océan Indien qu’elle doit
contrôler. Elle augmente sa présence navale et ses infrastructures militaires.

Ce rapprochement Inde/ASE s’effectue aussi sur terre.

è En 2002, la Thaïlande a accepté de prolonger le corridor est-ouest de la Région du Grand


Mékong vers l’Inde pour contrebalancer son partenariat renforcé avec la Chine.

IV. L’Australie, un pays asiatique ?

Quel est le positionnement régional et identitaire de l’Australie ? Pays présenté comme déchiré
entre son histoire liée à l’Occident et sa géographie asiatique et pacifique. Cette île-continent de
7,6 millions de km2, peuplée de seulement 25 millions d’habitants a été identifiée à l’Europe, à la
puissance britannique, aux USA plus qu’à l’Asie.

A. L’Australie blanche.

Pays très lié (dépendance économique) à l’Angleterre jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Après la guerre, la puissance britannique s’affaibli et l’Australie développe un lien privilégié avec
les US. Elle s’inscrit dans un monde anglo-saxon, en marge de l’Asie.

è Le mouvement « White Australia » interdit toute migration asiatique en Australie.

- 190 -
Pourtant, le pays dispose de frontières maritimes avec les pays d’ASE (Indonésie et Timor).
Australie et Indonésie sont deux pays bien différents, notamment en termes de population et
sont davantage rivaux que partenaires. Ils dépendent tous deux du secteur primaire mais leurs
PIB/habitants sont bien éloignés. Ils entretiennent de faibles relations commerciales.

B. Une insertion dans l’espace asiatique…

C’est à partir de 1980 que les gouvernements australiens se revendiquent de leur espace asiatique
et renforcent leurs relations diplomatiques. Les échanges se multiplient (économiques, migratoires,
touristiques). On assiste aussi à la diffusion d’une culture asiatique en Australie.

La perception de l’Asie par l’Australie est nouvelle. Les migrants asiatiques sont désormais
majoritaires dans les flux légaux (46% du total en 2021, contre 20% pour les Européens et 15%
pour les Néo-Zélandais). Avec une part de population d’origine asiatique de plus en plus
importante, c’est l’identité du pays qui évolue.

L’ASE est désormais vue comme un nouveau marché en expansion.

è 2010, Australie, NZ et les pays de l’ASEAN ont finalement ratifié un accord de libre-
échange.
è L’Australie cherche toutefois à maintenir ses relations privilégiées avec les US.

C. … et Pacifique.

Promotion d’un espace appelé « Asie Pacifique ». En 1989, forum pour la coopération en Asie du
Pacifique. Le terme « Pacifique » évince celui « d’Océanie », devenu obsolète sur le plan
géopolitique.

La Malaisie est hostile à une intégration plus poussée de l’Australie dans la région et affiche son
opposition aux discours australiens d’appartenance asiatique. Revendications d’une « Asie aux
Asiatiques » et oppose une « Asie jaune » à un « Pacifique blanc ». Les valeurs asiatiques se
heurtent aux valeurs occidentales de l’Australie.

L’hostilité se fait aussi entendre en Australie, de la part des libéraux qui revendiquent leurs
appartenances occidentales. Le parti d’extrême-droite « One Nation » se présente même comme
un rempart à « l’asiatisation de l’Australie ». L’engagement vers l’Asie recueille la faveur des élites
mais il est rejeté par une partie de la population défiante vis-à-vis des migrants. Pourtant, 10% des
Australiens sont nés en Asie.

D. Renforcement des frontières et politiques d’extra-territorialisation des réfugiés.

Depuis 2000, l’Australie perçoit l’ASE comme une menace une zone d’instabilité régionale, une
ligne de front dans la guerre contre le terrorisme.

è L’attentat de Bali (2002) a touché principalement des touristes australiens est à l’origine du
renforcement des politiques migratoires.

- 191 -
è Politique d’extra-territorialisation des réfugiés et migrants, qui consiste à les mettre à l’écart
et à enfermer les migrants illégaux dans des camps situés hors du territoire australien,
comme dans ses territoires ultramarins.
è L’Indonésie accepte que l’Australie effectue directement des contrôles des documents de
voyage avant l’embarquement pour l’Australie et prenne en charge des interrogatoires.
è Délocalisation et sous-traitance au Cambodge de sa politique d’extra-territorialisation.
L’Australie verse 28 millions d’euros au Cambodge pour qu’il accueille les demandeurs
d’asile ayant obtenu le statut de réfugié en Australie.

E. Indonésie, un pays de transit pour les migrants se rendant en Australie.

Eaux territoriales peu surveillées en Indonésie, dont les frontières maritimes sont poreuses. Le pays
est devenu un espace majeur de transit pour les migrants qui souhaitent se rendre en Australie.
L’Indonésie est la dernière étape pour les migrants d’ASE mais aussi du Sri Lanka, du Moyen-
Orient, du Pakistan. Ces migrants arrivent d’endroits différents et recherchent des passeurs, souvent
des pauvres pêcheurs indonésiens illettrés qui gagnent en un passage autant qu’en plusieurs mois
de salaires.

Les migrants sont illégaux en Indonésie, puisque le pays n’a pas ratifié la Convention de 1951
relative aux réfugiés. De plus, les capacités d’accueil sont limitées, bon nombre de migrants doivent
donc vivre au sein de la communauté locale sans avoir le droit de travailler ou de se déplacer
librement.

En 2014, l’Australie a refoulé de nombreux bateaux de migrants vers l’Indonésie, dans le cadre de
l’opération « frontière souveraine ». Des patrouilles communes Australie – Indonésie sont
organisées et la population indonésienne est formée pour détecter les migrants. Néanmoins, ni le
gouvernement ni les populations locales ne sont très enclines à procéder à des arrestations.

V. L’ASE au cœur des nouvelles stratégies de « l’Indopacifique ».

« Collier de perles », « nouvelles routes de la soie », « Asie Pacifique », puis « Indopacifique »,


autant de questions géostratégiques qui prennent la forme d’une bataille de dénomination.

Terme « Indo » ne se réfère pas à l’Inde mais à l’océan Indien et s’impose de plus en plus au
détriment de celui « d’Asie Pacifique ».

A. De l’Asie-Pacifique…

Depuis les indépendances, les pays d’ASE se sont davantage orientés vers le Pacifique que vers
l’océan Indien.

è Surement en lien avec le rôle américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans
la reconstruction des pays non-communistes.
è Le repli de l’Inde puis la création de l’ASEAN avait aussi éloigné l’océan Indien des
préoccupations des pays de « l’Asie Pacifique ».

- 192 -
Cette dénomination est apparue dans les années 1960 sous la plume d’universitaire japonais, dont
l’objectif était de contrer la présence des Occidentaux (Américains surtout) dans la région.

Ce terme « d’Asie Pacifique » repris dans un premier temps par les Australiens, s’est ensuite imposé
et popularisé dans les années 1970, par le Président Ford qui annonçait l’émergence d’un bassin
Pacifique comme nouveau centre du monde après la Méditerranée et l’océan Atlantique.

è Le projet américain définit une nouvelle région très vaste, comportant entre les deux rives
du Pacifique, une façade asiatique et une façade américaine.
è Création en 1992, sur initiative australienne, de la Coopération économique de l’Asie-
Pacifique (APEC), qui compte désormais 21 pays membres du bassin Pacifique. Il avait
pour but d’aboutir à un accord régional de libre-échange, mais le gigantisme du projet et la
forte hétérogénéité des partenaires contrecarre les plans.

B. … À « l’Indopacifique ».

Le concept d’Indopacifique, à cheval sur deux océans fait son apparition dans les années 2000,
bien qu’il ne soit pas nouveau, puisque déjà utilisé dans les années 1940 pour désigner une région
biogéographique océanique. Première apparition officielle en 1948, lorsque l’Organisation des
Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a crée le conseil Indopacifique des
pêches aux Philippine.

La nouvelle dénomination permet d’insister sur l’importance maritime dans la reconstruction


générale en cours. Les interconnexions entre Asie et Pacifique sont au cœur des enjeu, entre la
partie asiatique du Pacifique et l’océan Indien.

Ainsi, l’Inde et la Chine sont présente désormais dans les deux continents. La Chine est d’ailleurs
intrusive dans l’océan Indien pour sécuriser ses routes commerciales. Le gouvernement indien, lui,
par crainte d’un éventuel encerclement du pays par la Chine, se rapproche de la Birmanie, du Japon,
du Vietnam et affirme sa présence en mer de Chine méridionale.

C. Une alliance stratégique de l’Inde, du Japon, de l’Australie et des USA face à la Chine.

Concept de 2007, qui intervient dans le discours du Premier ministre japonais, Shinzo Abe, devant
le parlement indien où il évoque les possibilités d’une coopération des « démocratie maritimes »
de l’Asie, regroupant les pays de l’Asie Pacifique et de l’océan indien.

Intérêt croissant pour cette alliance depuis 2010 en Inde, dans le cadre d’un rapprochement
stratégique avec le Japon. Pour les USA, ce rapprochement s’inscrit dans le cadre de la réorientation
des priorités de l’armée américaine vers la région Asie Pacifique qui englobe les deux océans,
situés de part et d’autre du détroit de Malacca.

Terme adoubé avec son officialisation en 2013 par l’Australie dans son livre blanc de défense qui
évoque pour la première fois les intérêts stratégiques de l’Indopacifique, nouveau pivot de défense :
« l’arc stratégique indopacifique », qui s’étend de l’Inde à l’Asie du Nord-Est en passant par l’ASE
et les voies de communication maritimes vitales dont la région dépend.

- 193 -
Terme à nouveau officialisé en 2017 au sommet de l’APEC, au Vietnam, par Donald Trump qui
évoque un « Indopacifique libre et ouvert ». Il rappelle les « routes de la libertés » entre l’Inde et
le Japon en réponse aux « routes de la soie chinoises ».

En 2018, les Américains remplacent leur commandement militaire pour la Pacifique par un
commandement Indopacifique, de la côte ouest des US à la côte ouest de l’Inde.

Cette nouvelle stratégie Indopacifique peut être vue comme la volonté de faire respecter un ordre
démocratique et libéral et le droit international dans la région, afin d’assurer la libre circulation des
marchandises, la continuité des lignes maritimes de communication et la stabilité politique.

En toile de fond, se dessine l’idée de contrer l’hégémonie chinoise sans s’opposer frontalement à
Pékin. Elle prend donc la forme d’un rapprochement stratégique entre le Japon, l’Inde, l’Australie,
et les USA visant à freiner les ambitions de la Chine et protéger la libre circulation sur les mers.

D. Quelle place pour l’ASE ?

Dans ce nouvel espace Indopacifique, les mers d’ASE devraient jouer un nouveau rôle d’interface
entre les deux océans, d’autant plus que les pays de l’ASEAN s’intéressent aux questions de
sécurité dans l’océan indien.

è L’Indonésie se tourne de plus en plus vers l’océan indien et se présente comme un pont
entre deux continents et deux océans, et souhaite l’ancrer davantage l’océan Indien plus que
dans l’ASEAN.

è Le tsunami de 2004 a suscité une prise de conscience de l’interdépendance des deux océans.

La dénomination Indopacifique parvient-elle à supplanter celle d’Asie Pacifique et parvient-elle à


imposer une nouvelle vision de cette région ? Il est trop tôt pour le dire.

L’approche antichinoise de ce terme d’Indopacifique inquiète les pays membres de l’ASEAN qui
ne veulent pas entrer en conflit avec la Chine. Ils refusent d’adopter un concept dont l‘objectif est
clairement destiné à contrer les visées hégémoniques chinoises dans la région.

Ce refus s’exprime par un pragmatisme économique, à l’impossibilité de sortir vainqueur d’un


éventuel conflit militaire avec la Chine et la volonté de maintenir la pratique diplomatique de
l’ASEAN.

Contrairement à l’Asie Pacifique, le terme d’Indopacifique renvoie davantage à une réalité


géostratégique qu’économique.

VI. La nouvelle « centralité de l’ASEAN ».

Les approches institutionnelles récents sont de moins en moins cantonnées à la seule Association
des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN).

- 194 -
Les pays d’ASE ont signé à titre individuel de nombreux accords commerciaux (Singapour a signé
plus de 30 accords de libre-échange), mais l’ASEAN elle-même a signé des accords dits
« ASEAN+1 » avec des partenaires asiatiques (Chine, Japon, Corée du Sud…)

C’est dans ce contexte que le concept de « centralité de l’ASEAN » a émergé », il y a une dizaine
d’année pour réaffirmer le rôle de l’ASEAN dans la construction de nouvelles organisations qui
dépassent les limites de l’ASE.

è En 2012, l’ASEAN a lancé à l’initiative de l’Indonésie, le Partenariat économique régional


global, qui regroupe les 10 pays membres de l’ASEAN + 6 autres pays, (Chine, Japon,
Corée, Inde, Australie et NZ) et exclut les USA. Par ce projet global, l’ASEAN souhaite
mettre un terme aux multiples accords bilatéraux du type ASEAN+1 qui s’empilent.
è L’objectif est de créer une vaste zone de libre-échange de 3,5 milliards d’habitants, soit
50% de la population mondiale et 30% du PIB mondial. Pour les dirigeants de l’ASEAN,
le PERG doit permettre de soutenir la croissance économique de la région, ouvrir de
nouveaux marchés et surtout d’affirmer le poids de l’institution et de ses partenaires comme
centre de gravité de l’Asie.

Ce méga-accord commercial entre en concurrence avec un autre projet soutenu cette fois ci par les
USA jusqu’en 2017 : le Partenariat transpacifique.

è Regroupe en 2018 12 pays de part et d’autre du Pacifique et scinde l’ASEAN en deux


puisque seuls Brunei, la Malaisie, Singapour et le Vietnam en font partie. Jusqu’au retrait
des USA en 2017 (décision de Trump), ce projet avait plus pour ambition pour les US de
conserver leur influence en Asie plutôt qu’une ébauche de construction régionale. Le retrait
des USA ne signifie pas la fin du projet et d’autres partenaires, comme la NZ et l’Australie
encouragent la Chine à venir y participer.
è Entrée en vigueur du projet en 2019. La Thaïlande et l’Indonésie ont évoqué leur intérêt à
rejoindre ce partenariat. Avec le retrait des USA, la Chine pourrait y trouver un nouvel
intérêt.

- 195 -
CONCLUSION : NOUVEAUX ENJEUX ET
RECONFIGURATION SPATIALES.
Envisager l’ASE comme une région intégrée peut être questionnées en raison des nouvelles
données géopolitiques et de son intégration dans les ensembles plus vastes des recomposition
spatiales et transnationales en cours et des nouveau défis intenses à surmonter.

I. Une remise en cause des limites régionales de l’Asie du Sud-Est ?

L’ASEAN est la seule organisation institutionnelle de la région, bloquée entre l’Inde et la Chine.

Sa spécificité (ou sa faiblesse) tient dans son refus de créer une institution supranationale qui
remettrait en cause son principe fondateur de non-ingérence dans la politique intérieure des Etats
membres et la recherche systématique d’un consensus pour éviter toute confrontation.

è L’ASEAN a soutenu l’élargissement de la région avec l’ASEAN +3, en ajoutant la Chine,


le Japon et la Corée du Sud à la liste des partenaires de dialogue.
è ASEAN a l’initiative en 2012 de la mise en place du PERG, un projet d’accord commercial
regroupant les économies de l’ASEAN + 6 (Chine, Corée, Japon, Inde, Australie et NZ) qui
vise à consolider, clarifier et regrouper les différents accords de libre-échange entre eux.

Présentée comme une région faible et peu efficace, elle est toutefois le pivot et le centre de
l’intégration institutionnelle de l’Asie.

Sur le plan économique, l’ASE constitue la partie la plus au sud d’un ensemble l’associant à
l’Asie du Nord-Est.

Elle regroupe dans une même dynamique des pays aux trajectoires de croissances similaires mais
décalées dans le temps. Cette différence séquentielle explique les différences de niveaux
économiques et les investissements successifs et délocalisation depuis le Japon :
è Vers les Nouveaux Pays Industrialisés (Corée, Taïwan, Hong-Kong et Singapour) dans les
années 1970-1980.
è Vers les pays fondateurs de l’ASEAN ensuite.
è Enfin vers la Chine, le Vietnam et le Cambodge.

Amélioration des réseaux de transports menée dans le cadre de la connectivité de l’ASEAN,


augmentation des projets de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII).
On souligne aussi le rôle des ports comme nœuds structurants et dessinant un axe maritime longeant
le littoral pacifique de l’Asie.

Qualifiée d’axe de croissance, cette route maritime est la colonne vertébrale de la région désignée
« Asie Pacifique » ou « Méditerranée asiatique », qui s’articule autour de plusieurs bassins
interconnectés par des détroits stratégiques (Malacca, Taïwan) et polarisée par des plates-formes
multimodales.

- 196 -
Une approche géopolitique place la mer de Chine méridionale au cœur de l’Asie et souligne les
difficultés de l’ASE à se positionner face aux grandes puissances (Inde, Chine et USA). Les enjeux
dans cette mer concernent 5 Etats (Brunei, Chine, Malaisie, Philippines et Vietnam).

L’Inde et la Chine ne se contente plus d’exercer leur volonté de domination dans leur océan et mer
éponymes, leur rivalité se manifeste dans les deux océans. De fait, le terme « Indopacifique » est
utilisé pour désigner un nouvel ensemble géostratégique. Il prend de la consistance avec :

è La nouvelle route de la soie du XXIe siècle, lancée par la Chine, qui relie les deux océans.
è Renforcement de la présence militaire américaine.
è Nouvelle stratégie de défense Australienne.

Enfin, une approche écologique réoriente les limites de l’Asie vers le Pacifique sud et l’Océanie.

La détérioration environnementale rapide des mers asiatiques et les répercussions économiques et


sociales qui en découlent incitent les États à établir des écorégions marines transnationales de
grande ampleur.

è Triangle de Corail regroupe depuis 2009 l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la PNG,
le Timor-Leste et les Îles Salomon.

II. Des recompositions redéfinissant les organisations spatiales de la région.

La cohérence interne de l’ASE est contestée par les dynamiques d’intégrations transnationales,
s’appuyant sur des corridors maritimes et continentaux, qui modifient les territoires et le
fonctionnement centre-périphérie.

En ASE continentale, les mises en réseau des territoires par les voies terrestres passent par des
infrastructures de corridors de la Région du Grand Mékong et des nouvelles routes de la soie
chinoises. Cela renforce les axes méridiens entre la Chine et la péninsule ;

En ASE insulaire, différences entre l’Ouest et l’Est.

è L’Ouest (Singapour, Malaisie, centre et ouest Indonésien) participe à la dynamique


d’intégration avec l’Asie du Nord-Est.
è L’Est est délaissé, fragmentée est moins développée, composée de périphéries nationales,
donnant sur plusieurs façades océaniques éclatées entre plusieurs mers intérieures, sans pôle
organisateur dominant. Faibles relations avec l’Australie, qui handicape la dynamique de
ces régions orientales, qui forment une sorte « d’angle-mort » de l’ASE.

Cohérence de l’ASE remise en cause par la puissance de la Chine, dont les interventions
multiformes se substituent davantage au Japon et aux US, comme puissance régionale.

La Chine, frontière directe de la péninsule, réoriente les flux pour répondre à ses propres besoins
en ressources et en accès aux mers du sud et l’éloigne de la partie insulaire, avec qui elle est reliée
uniquement par voie maritime.

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III. Défis internes et remise en question des modèles de développement.

Les défis internes sont d’ordre politique en raison de la montée en puissance des régimes
autoritaires, qui se tournent vers le modèle Chinois, mettant l’accent sur la croissance économique
tout en rognant davantage les libertés publiques.

Ces défis concernent aussi la poursuite du développement et la réduction des inégalités territoriales
et sociale alors que les fragmentations internes sont nombres (rural/urbain, zones
centrales/périphéries, entre couches de la société).

è Les périphéries délaissées souffrent de leur éloignement aux centres.


è Concentration de la richesse dans les plus grandes villes, qui augmente les écarts de revenus
dans la société, dans des pays ou la politique de redistribution est faible.

Défis environnementaux également dans un contexte de réchauffement climatique et dans une


région exposée aux aléas.

è Risques d’intonations.
è Episodes climatiques extrêmes (cyclones, sécheresse)
è Surexploitation des ressources maritimes et terrestres.
è Développement de vastes aires métropolitaines.

Enfin, les conflits potentiels sont nombreux.

è À l’échelle internationale, l’ASE fait face en ordre dispersé aux pressions des grandes
puissances régionales, notamment la Chine. (Conflits en mer de Chine méridionale sur la
délimitation des frontières maritimes continue à opposer les pays riverains de la Chine des
autres pays d’ASE.
è À l’échelle nationale, des mouvements contestent l’autorité des gouvernement centraux.
Mouvements séparatistes en Birmanie, Indonésie, à Mindanao aux Philippines (dans ce cas,
apaisement des tensions en 2019). Nébuleuses islamistes et flux illégaux entretiennent
l’insécurité dans les régions périphériques.
è Aux échelles locales, les conflits de plus en plus médiatisés autour du foncier, rural et
urbain, sont révélateurs des limites du modèle de développement choisi.

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