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Philippe BERTHIER

L'orange d'Islande :

Stendhal et le mythe du Nord,

Peter Baiïrle, der mir als erster die Pforten


zum Norden Geoffnet hat-in bruderlicher
Freundschaft gewidmet.

« Souvent au milieu des superbes jardins


des princes allemands l'on place des harpes
éoliennes près des grottes entourées de fleurs,
afin que le vent transporte dans les airs des
sons et des parfums tout ensemble.
L'imagination des habitants du nord tâche ainsi de
se composer une nature d'Italie ; et pendant
les jours brillants d'un été rapide l'on
parvient quelquefois à s'y tromper » (1).
Madame de Staël.

Une simple récompense scolaire peut avoir une grande influence.


Lorsque, pour féliciter le jeune Henri Beyle de son ardeur à la "bosse",
M. Jay, professeur de dessin à l'Ecole Centrale de Grenoble, lui décerna
un prix, qui lui échut sous la forme de l'ouvrage de l'abbé Du Bos
Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, sans doute espérait-
il le confirmer dans son goût pour les arts, mais pouvait-il se douter
des conséquences lointaines, et pour ainsi dire définitives, de la lecture
qu'il lui offrait ainsi ? Ce livre, nous dit Henry Brulard, "je [le] lus
avec le plus vif plaisir. [Il] répondait aux sentiments de mon âme,
sentiments inconnus à moi-même"2. Ainsi se déposèrent obscurément
quelques germes d'une pensée qui devait s'épanouir bien plus tard,
dans l'Histoire de la Peinture en Italie ou Racine et Shakespeare, et
transmettre à d'autres, à son tour 3, la conviction que le beau n'est pas
immuable, et que les temps et les lieux modifiant les besoins de
l'humanité, modifient aussi le langage des formes. Le XVIIF" siècle avait mis
en valeur la notion de relativité et la théorie des climats. Du Bos lui-
même4 avait montré que du sol, de la chaleur ou du froid dépendait
en partie l'expression esthétique ; et l'on sait de reste que Stendhal
a lu Montesquieu. Ainsi se rassemblaient les éléments de ce qui devait
être porté par Mme de Staël à la dimension d'un système.
Il n'entre pas dans notre propos d'étudier méthodiquement la dette
stendhalienne envers Mme de Staël5. Nous voudrions seulement tenter
de voir en quoi celle-ci propose, du Nord et du Midi, une image
culturelle, héritière des Lumières pour une part, et fixant pour longtemps
un mythe dont Stendhal, qu'il l'ait ou non voulu, a été marqué comme
tous ses contemporains, et dont nous aimerions étudier la manière
qu'il a eue, pour son propre compte, de le vivre, et singulièrement à
206 Philippe Berthier

l'occasion de son expérience germanique. Fixons-en donc rapidement les


principaux traits, avant d'aborder les variations stendhaliennes sur ce
thème du Nord et du Midi que Mme de Staël devait imposer, durant des
décennies, comme un paradigme obligé de la pensée et de l'imagination
européennes.
De la littérature... (1800) annonçait sans ambages vers quel horizons
s'orientait spontanément Mme de Staël : vers les régions de
"l'imagination du nord", qu'elle caractérise en des termes où l'on reconnaît
aussitôt la couleur du barde de Morven :
« ...celle qui se plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans
les bruyères sauvages ; celle enfin qui porte vers l'avenir, vers un autre
monde, l'âme fatiguée de sa destinée. L'imagination des hommes du nord
s'élance au-delà de cette terre dont ils habitaient les confins ; elle s'élance
à travers les nuages qui bordent leur horizon, et semblent représenter
l'obscur passage de la vie à l'éternité6. »

Le nord, pourrait-on dire, est naturellement métaphysique. C'est un


univers réflexif, qu'aucune impression extérieure trop brillante ne vient
distraire d'une méditation sans rivages, dont l'austérité le dispute à la
profondeur :
« Les peuples du nord sont moins occupés des plaisirs que de la
douleur ; et leur imagination n'en est que plus féconde. Le spectacle de la nature
agit fortement sur eux ; elle agit, comme elle se montre dans leurs climats,
toujours sombre et nébuleuse ?. »

Le midi, au contraire, c'est la séduction, l'espace du dehors, avec


ses irrésistibles blandices, mais aussi sa superficialité :
« Cette nature si vive qui les environne excite en eux plus de
mouvements que de pensées 7. »

La diversité des objets y charme, mais l'esprit ne s'y fixe pas


intensément :
« La poésie voluptueuse exclut presque entièrement les idées d'un certain
ordre8. »

Ce monde du plaisir est celui des saveurs de l'instant, il ignore les


puissances du dedans, les suspensions rêveuses, les mirages spéculatifs ;
le Nord songe quand le Midi jouit.
Corinne (1807) porte un sous-titre, l'Italie, qui indique bien la
volonté quasi démonstrative d'étudier le deuxième volet du diptyque,
de poursuivre la confrontation, et peut-être de rendre justice à un Sud
dont on célèbre les pouvoirs même lorsqu'on en saisit les limites. Le
Nord est bien toujours senti comme le domaine élu de l'intériorité,
mais contre un Midi dont l'improvisatrice capitoline célèbre, dans ses
chants, l'indéfinie capacité d'émerveiller et d'apaiser par les beautés
de la nature et de l'art :
« Ici les sensations se confondent avec les idées, la vie se puise tout
entière à la même source 9... »
On dirait que Mme de Staël, avec Corinne, a découvert le bonheur
de la méridionalité. A l'expansion vague de l'esprit dans les brumes du
septentrion, répond à présent l'accablement heureux de l'âme sous la
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lumineuse profusion du donné. Au Nord, l'on se console du trop peu


du monde en se perdant au sein de sphères invisibles, insituables ; au
Midi, on s'abandonne aux mille tentations d'un trop-plein qui nous
attache à la splendeur de la réalité :
« La nature, dans les pays chauds, met en relation avec les objets
extérieurs, et les sentiments s'y répandent doucement au dehors. Ce n'est pas que
le Midi n'ait aussi sa mélancolie : dans quels lieux la destinée de l'homme
ne produit-elle pas cette impression ? Mais il n'y a dans cette mélancolie ni
mécontentement, ni anxiété, ni regret. Ailleurs, c'est la vie qui, telle qu'elle
est, ne suffit pas aux facultés de l'âme ; ici, ce sont les facilités de l'âme
qu ine suffisent pas à la vie ; et la surabondance des sensations inspire une
rêveuse indolence, dont on se rend à peine compte en l'éprouvant 10. »

La malheureuse Corinne souffre en Angleterre tous les maux de


l'éclipsé ; sa chaleur vitale est occultée, elle expérimente le Nord comme
la figure même, existentielle et photographique, du négatif ; le Nord
n'est plus que l'image exactement inversée du Sud, l'Angleterre
l'empreinte en creux de l'Italie, un vide appelant cruellement la plénitude
absente qui le comblerait :
« Chaque jour j'errais dans la campagne, où j'avais coutume d'entendre,
le soir, en Italie, des airs harmonieux chantés avec des voix si justes ; et
les cris des corbeaux retentissaient seuls dans les nuages. Le soleil si beau,
l'air si suave de mon pays était remplacé par les brouillards ; les fruits
mûrissaient à peine, je ne voyais point de vignes, les fleurs croissaient lan-
guissamment, à long intervalle l'une de l'autre ; les sapins couvraient les
montagnes toute l'année, comme un noir vêtement : un édifice antique, un
tableau seulement, un beau tableau aurait relevé mon âme ; mais je l'aurais
vainement cherché à trente milles à la ronde. Tout était terne, tout était
morne autour de moi; et ce qu'il y avait d'habitations et d'habitants servait
seulement à priver la solitude de cette horreur poétique qui cause à l'âme
un frissonnement assez doux n. »

Six ans plus tard, De l'Allemagne répond à Corinne et explore à fond


tous les aspects de ce qui deviendra une image mythique. M1"* de Staël
fixe d'abord une certaine atmosphère de réserve, de constriction,
presque de deuil :
« ... de vastes bruyères, des sables, des routes souvent négligées, un climat
sévère, remplissent d'abord l'âme de tristesse ; et ce n'est qu'à la longue
qu'on découvre ce qui peut attacher à ce séjour.
[...] Les débris des châteaux forts qu'on aperçoit sur le haut des
montagnes, les maisons bâties de terre, les fenêtres étroites, les neiges qui,
pendant l'hiver, couvrent des plaines à perte de vue causent une impression
pénible. Je ne sais quoi de silencieux dans la nature et dans les hommes
resserre d'abord le cœur. Il semble que le temps marche là plus lentement
qu'ailleurs, que la végétation ne se presse pas plus dans le sol que les idées
dans la tête des hommes, et que les sillons réguliers du laboureur y sont
tracés sur une terre pesante 12. »

Elle caractérise le pays non par l'esprit, mais par "l'imagination


douce", la "poésie de l'âme", propice aux jouissances de la vie
intérieure, mais peu favorable à la pratique des arts 13. La femme
allemande, — nous y reviendrons, car c'est là une des rencontres les plus
sûres avec Stendhal — inspire des pages qui seront lues de près : la
féminité germanique compose, aux yeux de Mme de Staël, un paysage
de simplicité et d'authenticité, où les valeurs profondes (bonne foi,
208 Philippe Berířiier

transparence et vérité du cœur) ont su se garder miraculeusement


intactes :
« Les femmes allemandes ont un charme qui leur est tout à fait
particulier, un son de voix touchant, des cheveux blonds, un teint éblouissant ;
elles sont modestes, mais moins timides que les Anglaises ; on voit qu'elles
ont rencontré moins souvent des hommes qui leur fussent supérieurs, et
qu'elles ont d'ailleurs moins à craindre des jugements sévères du public.
Elles cherchent à plaire par la sensibilité, à intéresser par l'imagination ;
la langue de la poésie et des beaux-arts leur est connue, elles font de la
coquetterie avec de l'enthousiasme, comme on en fait en France avec de
l'esprit et de la plaisanterie. La loyauté parfaite qui distingue le caractère
des Allemands rend l'amour moins dangereux pour le bonheur des femmes,
et peut-être s'approchent-elles de ce sentiment avec plus de confiance, parce
qu'il est revêtu de couleurs romanesques, et que le dédain et l'infidélité y
sont moins à redouter qu'ailleurs M. »

L'amour à l'allemande est un échange spiritualiste, où l'âme se


dilate noblement, généreusement, mais non sans quelque rêverie lente
qui contraste avec la verve d'entrain, la vivacité de repartie qu'on
trouve plus au Sud :
« Leur éducation soignée et la pureté d'âme qui leur est naturelle rendent
l'empire qu'elles exercent doux et soutenu ; elles vous inspirent chaque jour
plus d'intérêt pour tout ce qui est grand et généreux, plus de confiance dans
tous les genres d'espoir, et savent repousser l'aride ironie qui souffle un
vent de mort sur les jouissances du cœur. Néanmoins on trouve très
rarement chez les Allemandes la rapidité d'esprit qui anime l'entretien et met
en mouvement toutes les idées ; ce genre de plaisir ne se rencontre guère
que dans les sociétés de Paris les plus piquantes et les plus spirituelles 15. »

D'une manière générale, la vie nordique est sérieuse, d'une qualité


morale élevée, et ignore cette plaisanterie mondaine qui finit par ronger
la délicatesse des sentiments 16. A la joie exubérante, à la sensualité
visuelle, à la prestesse intellectuelle du Midi répond la fidélité du Nord,
moins séduisante au premier abord, mais peut-être moins décevante
pour qui recherche avant tout l'effusion intime, le don essentiel.
L'Allemagne, c'est toute émanation de l'âme profonde, ce qui permet
à Mm* de Staël d'annexer à "l'école germanique" Rousseau, Bernardin
de Saint-Pierre et Chateaubriand 17. On sent bien qu'on n'est plus dans
une opposition simplement géographique ; Nord et Midi déterminent
des coordonnées purement intérieures ; ce sont, difficilement concilia-
bles, des régions de l'être 18 : le Rhin est une frontière ontologique.
Au tableau tracé par Mme de Staël, ajoutons, pour le confirmer, une
dernière touche, apportée par l'ouvrage de son ami et disciple Charles-
Victor de Bonstetten, L'homme du Midi et l'homme du Nord ou
l'influence du climat. On sait que Stendhal appréciait Bonstetten au
point de prier Crozet de lui faire parvenir en nommage un exemplaire
de l'Histoire de la Peinture en Italie 19. Cet ouvrage, tout pétri de
pensée staëlienne, systématise l'opposition déjà classique. Il débute par
un voyage en accéléré de la Sicile au pôle ; l'auteur nous fait passer
des nuits de lumineuse volupté au pied de l'Etna à la solitude
rabougrie des steppes laponnes, où la vie s'arrête, obligeant l'homme à se
resserrer dans la chaleur magique du cœur et de la pensée 2°. Au Nord,
la réflexion pour elle-même, au Midi, l'action irréfléchie ; au Nord, le
rêve et la concentration ,au Midi, la dispersion et le mouvement :
U orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 209

« Dans le Nord, tous les besoins de la vie semblent s'adresser à la pensée,


tout y développe la réflexion. La nécessité de se préserver de l'hiver fait
songer aux provisions. La saison morte oblige à l'économie et aux
combinaisons étendues. Dans le Midi, au contraire, on vit au jour la journée ;
les récoltes se succèdent sans qu'on y pense ; les feuilles et les fleurs sont
toujours là ; tout parle du présent, et l'avenir s'oublie dans une jouissance
non interrompue; l'imagination y est sans cesse occupée21. »

Mais si l'homme du Nord sent à une profondeur plus grande, il


manque de souplesse pour trouver vite une expression, un langage :
d'où la supériorité du Midi dans les beaux-arts22. Dans son erotique
comparative, Bonstetten retrouve, de même ,1e sens d'un contraste
désormais bien analysé :
« Dans le Midi, l'amour embrase tout à la fois, comme la foudre. Quand,
par instants, il répand du jour sur la pensée, c'est comme l'éclair qui dans
la nuit de l'orage colore tout l'horizon. Si dans le Nord l'amour arrive
jusqu'à la jouissance, c'est toujours par une foule de raisonnements qu'il
parvient aux sens. Chez les âmes rêveuses, la fleur si délicate du plaisir ne
peut éclore qu'à l'ombre de la pensée 23. »

En tout et partout, le dialogue impossible entre des pays où les


sourires d'une vie inépuisable attirent l'homme hors de lui et semblent
ramasser toute son existence dans la sensation du moment — et
d'autres pays, "à hivers" ceux-là, où la nature hostile, ou rebutante,
condamne l'homme à la révélation et au développement de son être
intérieur, où il n'est d'autre jouissance possible que celle du "beau
moral" de la réflexion et de la vertu24. Et l'ouvrage se termine, dans
le droit fil de Mme de Staël, par la préférence accordée à l'homme du
Nord, sans doute moins éblouissant, mais "doué de la plus sublime
des puissances, celle de faire, quand il le veut, sa propre destinée"25,
grâce à l'exercice de la pensée, sur le brillant phalène méditerranéen,
qui se perd et se brûle à toutes les flammes de l'instant.
Ces prolégomènes trop longs étaient nécessaires pour baliser le
terrain où nous allons voir évoluer Stendhal. On a compris que Nord et
Midi fonctionnent comme des topoï dialectiques qui se renvoient sans
cesse l'un à l'autre, se définissent a contrario comme l'avers et le revers
d'un seul mythe bifrons. Ce qui est en question ici, c'est moins un
problème de latitude qu'une interrogation de civilisation26, moins une
interrogation de civilisation qu'une enquête sur les véritables soifs de
l'âme. Etudier la réaction stendhalienne à ce mythe, c'est, sur un point
précis, vérifier les tropismes fondamentaux de l'être stendhalien 27.
Comme chez Mme de Staël, le climat et les paysages du Nord se
caractérisent d'abord pour lui par un manque. "Jamais cet air velouté,
si doux aux poitrines délicates ; jamais de ces soirées où l'on vit pour
le bonheur de respirer un air suave" 28. On entre en Allemagne comme
on entre en religion : il faut d'abord renoncer. On en sort moins qu'on
ne s'en échappe : significative à cet égard l'ouverture de Rome, Naples
et Florence (1826), qui nous montre le voyageur perdu dans l'horreur
de la Forêt-Noire et la traversant comme une épreuve initiatique avant
de déboucher dans l'éclaboussement (mérité) d'une soirée à la Scala29.
"Rien pour le cœur", c'est l'impression première qui s'impose. Pourtant,
elle ne tarde pas à se corriger. Le Journal signale plus souvent qu'on
ne croirait des paysages qui intéressent le regard, des vues qui lui
210 Philippe Berthier

plaisent 30. Ces images ont eu pour Stendhal leur prix, leur durée. Dans
la description du paysage idéal stendhalien, on les oublie trop souvent,
mais Brulard n'hésite pas à mettre ensemble, comme figure du vrai
beau naturel, Naples et le Pausilippe, Dresde, Leipzig, l'Elbe sous Rain-
ville et Al tona31. Ces paysages ne sont jamais plus eux-mêmes, ils
n'atteignent jamais autant leur vérité profonde que lorsque l'hiver les
écrase de solitude, d'abandon, de tristesse. Si Stendhal n'aime pas la
neige, c'est surtout pour des souvenirs qu'il veut chasser de sa mémoire,
ceux de la Bérézina : "La campagne de Moscou m'a blasé sur les
plaisirs de la neige"32.
« La campagne de Russie m'a brouillé avec la neige, non à cause de
mes périls, mais par le spectacle hideux de l'horrible souffrance et du
manque de pitié. A Wilna, on bouchait les trous dans le mur de l'hôpital
avec des monceaux de cadavres gelés. Comment, avec ce souvenir, trouver
du plaisir à voir la neige 33 ? »

On comprend trop bien cette association du Nord avec la mort


blanche. Mais, avant la cruelle expérience, et même après, Stendhal a
su envisager le paysage neigeux avec un œil d'artiste. Une émotion
esthétique émane de la nature ensevelie, et comme une poésie à la
Caspar David Friedrich, inattendue chez Stendhal, mais qu'il portait
en lui et a su reconnaître :
« Le Nord, contre lequel j'ai de l'humeur au printemps et en automne,
écrit-il de Brunswick à sa sœur Pauline, le 3 décembre 1807, me touche
pendant l'hiver ; il est dans toute sa sombre parure. Une église gothique
environnée d'arbres décrépits et couverte de neige me touche34. »

Nantua, en temps ordinaire, reste simplement morne, sans


physionomie ; mais deux pieds de neige et la menace des loups doivent lui
conférer "un genre de beauté"35.
D'une manière plus générale, il existe une région, assez secrète, de
l'âme stendhalienne qui vibre à la détresse nordique, au ciel chargé,
à la végétation rare, à la nudité d'un sol déshérité. En certaines
circonstances exceptionnelles, le touriste s'éprouve empoigné par ce qui
devrait justement le rebuter, il s'ouvre à des sensations paradoxales,
il découvre en quelque sorte une valeur poétique à rebours ; le négatif
conquiert une charge étrange et imprévue de positivité. Ainsi, d'Auray,
il note :
« [...] il faisait un véritable temps druidique. D'ailleurs, la fatigue d'hier
me disposait admirablement à la sensation du triste. Un grand vent
emportait de gros nuages courant fort bas dans un ciel profondément obscurci ;
une pluis froide venait par rafales, et arrêtait presque les chevaux .[...] De
temps à autre, j'apercevais un rivage désolé ; une mer grise brisait au
loin sur de grands bancs de sable, image de la misère et du danger. Il faut
convenir qu'au milieu de tout cela, une colonne corinthienne eût été un
contresens36. »

Dereliction d'un monde noyé dans une non-signifiance sans âge,


sans couleur, presque sans contour et sans humanité. La notion même
de culture devient absurde, il ne reste que l'espace ruminant hagarde-
ment une absence — et une conscience pour savourer les lugubres pres-
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 21 1

tiges de cette dérive au fond de la solitude. Autre expérience marquante,


celle du passage de la Vilaine à la Roche-Bernard :
« II était déjà cinq heures du soir, le ciel était chargé de nuages
noirs. [...]
Je n'avais pas fait deux cents pas que j'ai été surpris par une des scènes
naturelles les plus belles que j'aie jamais rencontrées. La route descend
tout à coup dans une vallée sauvage et désolée ; au fond de cette vallée
étroite, et qui semble à cent lieues de la mer, la Vilaine était refoulée
rapidement par la marée montante. Le spectacle de cette force irrésistible, la
mer envahissant jusqu'aux bords cette étroite vallée, joint à l'apparence
tragique des rochers nus qui la bornent et du peu que je voyais encore de
la plaine, m'a jeté dans une rêverie animée bien différente de l'état de
langueur où je me trouvais depuis Nantes. [...] Bientôt les plus belles
descriptions de Walter Scott me sont revenues à la mémoire. J'en jouissais avec
délices. La misère même du pays contribuait à l'émotion qu'il donnait, je
dirais même sa laideur ; si le paysage eût été plus beau, il eût été moins
terrible, une partie de l'âme eût été occupée à sentir sa beauté. [...]
« Par cette fin de journée sombre et triste, le danger sérieux et laid
semblait écrit sur tous les petits rochers garnis de petits arbres rabougris
qui environnent cette rivière fangeuse. [...] Je n'ai rien vu d'aussi semblable
que le paysage du bac de la Vilaine et l'Ecosse désolée, triste, puritaine,
fanatique, telle que je me la figurais avant de l'avoir vue 37. »

Ce spectacle a visiblement impressionné Stendhal ; la référence à


l'Ecosse scottienne impose de songer au monde de Macpherson et de
son pseudo-barde gaélique : tant à la Roche-Bernard qu'à Auray, c'est
bien, en effet, les principaux traits du paysage d'Ossian que nous
retrouvons curieusement goûtés par Stendhal, l'âpre lyrisme de ce que
Yeats a nommé le "Crépuscule celtique", avec sa mer glauque, roulant
ses vagues à l'assaut des rochers escarpés du rivage, ses ciels
incléments, ses landes désertes, ses brouillards 38. On sait que Stendhal a
mis longtemps à lire Ossian. Il ne le découvre qu'en 1811, du côté de
Varèse, par un temps de pluie et de tonnerre tout à fait de
circonstance 39. Il ne semble pas que cette lecture de Fingal l'ait beaucoup
marqué, et pourtant l'on ne peut nier qu'il en ait gardé ou retrouvé
des traces en lui-même. Stendhal portait en lui une Calédonie très
enfouie, qui se réveillait, par exemple, à l'audition de La Donna del
Lago de Rossini, dont la musique "ossianique" (adaptée au sujet
scottien) lui peignait "avec une justesse admirable cette mélancolie,
fille d'une imagination rêveuse, qui fait le charme d'un si grand
nombre de beaux passages d'Ossian"40. Ainsi, "le climat si beau de
l'Italie, sa nature si vive et si animée touchent moins certaines âmes
mélancoliques que les immenses solitudes des lacs d'Ecosse et ses
montagnes couvertes de genêts"41. Il existe donc un lien consubstantiel
entre le génie du Nord et certaines musiques où le oœur épanche
tendrement ses douleur? : celle, parfois, de Rossini, mais celle, presque
toujours et entre toutes, de Mozart, pure élégie, modulation exquise de
l'intimité lyrique. A Pauline, Stendhal définit Mozart une
« ...âme du Nord, plus propre à peindre le malheur et la tranquillité
produite par son absence que les transports et la grâce du doux climat du
Midi permet à ses habitants. Comme homme à idées et homme sensible,
il est infiniment préférable, disent les artistes, à tous les médiocres auteurs
italiens ; cependant, il est très loin, en général, de Cimarosa ; c'est celui-là
que je voudrais t'envoyer 42... »
212 Philippe Berthier

Cimarosa exprime l'allégresse brillante, l'entrain solaire, la mélodie


heureuse ; Mozart fait entendre la voix nordique qui répond au secret
de mélancolie des pays où l'on a le temps de la rêverie et du regret,
il exprime à merveille le flou du monde et du cœur. Ainsi, dans le no
man's land breton où le touriste s'égare, aurait-il fallu, comme image
sonore du génie du lieu, ouïr, dans une petite église désolée, un orgue
jouer peu distinctement "quelque cantilène plaintive de Mozart"43.
La géographie se fait chant, le sol du Nord exhale son âme musicale.
Stendhal, on le voit, n'a pas été aussi insensible qu'on eût pu l'imaginer
aux charmes mystérieux du Septentrion.
Quant à l'esprit, au caractère, au tempérament des gens du Nord,
et singulièrement des Allemands, il épouse de près les deux volets
contrastés du diptyque imposé par le mythe, et qu'on pourrait réunir
dans la formule lapidaire de Michelet à son cours de l'Ecole Normale
en 1871, résumant l'opinion générale : "L'Allemagne n'est que naïveté,
poésie et métaphysique"44. L'image proposée par Mme de Staël est
devenue vérité communément admise et Stendhal, pour son compte,
en vérifie le bien-fondé.
Du côté des ombres, d'abord, l'esprit nordique se caractérise pour
lui par le vague, le louche*5, qui trouve son domaine élu dans des
échafaudages conceptuels complètement improbables, où il se perd
avec délices à la poursuite des nuages spéculatifs. Ces systèmes
"prétendus philosophiques" ne sont en réalité, aux yeux de Stendhal,
quêteur de faits précis et féru de rigueur méthodologique dans l'exercice
de la pensée, "qu'une poésie obscure et mal écrite"46, voire un pur et
simple "galimatias"47, un pêle-mêle de mirages sans consistance ni
contours. Ce vague est aussi une forme de sérieux, d'incapacité
congénitale à la désinvolture, et le tableau se complète par les catégories de
l'enflé, du lent et du sentimental : autant de visages d'une même réalité
en quoi se résume tout ce qui rebute le plus, et comme instinctivement,
l'être stendhalien. La pesanteur et la grâce, c'est bien en un sens
l'éternel débat entre Nord et Midi. Mme de Staël l'avait déjà dit : les
Allemands n'ont pas et n'auront jamais "l'esprit", l'esprit selon
Voltaire, la rapidité de la repartie, l'art du trait décoché, ce bonheur de
penser et de dire vite et bien qui passe pour un don français. L'esprit
de finesse manque cruellement à ceux qui, selon le mot de l'un d'eux
rapporté par Mme de Staël, tâchent de "se faire vifs"48. On l'est ou on
ne l'est pas, mais on ne peut se travailler pour le devenir. Stendhal,
visiblement, n'a pas grande estime pour la capacité germanique de
saisir les nuances ; dans ses démêlés avec son commis Rhule, à
Brunswick, il lui répond "avec un mépris invisible pour un Allemand" 49.
Et, non sans causticité, il s'en prend, bien plus tard, à ces gens dont
"l'unique mérite" est "l'attention profonde" dont nous sommes
incapables, et qui, "pour se venger de notre esprit et se consoler de ce que,
depuis dix ans, leurs théâtres nationaux ne jouent que des pièces de
M. Scribe, nous appellent légers" 50. Il lui arrive même, dans un
mouvement d'humeur, d'établir une équivalence très crue, et de lancer
comme un proverbe l'expression "bête comme un Allemand"51. Disons
qu'en ces réactions épidermiques où il rejoint les stéréotypes les plus
chauvins, Stendhal exprime bien une part de lui-même, et peut-être la
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 215

plus décisive (parce que proche du réflexe), mais qu'il y aurait injustice
à isoler ces déclarations à l'emporte-pièce qui ne prennent leur sens
que dans un jugement global beaucoup plus nuancé.
Manque d'esprit, donc ; mais pas seulement. D'autre part, en effet,
l'idéalisme mou interdit, en même temps que le brasillement
intellectuel, la satisfaction d'un autre besoin vital de Stendhal : l'énergie
passionnelle. Là où le Midi italien explose en actes criminels mais
vigoureux, le Nord se paralyse en formalisme frigide ou se dilue en
échappées invérifiables ; il se désincarné. Les Allemands, assure
Stendhal, ont peur des figures passionnées de Raphaël 52, M. de Strom-
beck convient d'une minutie exténuante chez ses compatriotes53, à qui
Stendhal reproche avec persévérance leur absence d'élans forts, leur
indigence pulsionnelle. L'Allemagne lui apparaît comme une nation
"qui meurt d'envie d'avoir un caractère, et qui ne peut en venir à
bout"54. C'est là son principal défaut. Depuis le tableau qu'en trace
Tacite, elle a bien dégénéré, et ne produit pas de "génies ardents" 55.
Serait-elle née pour servir ? Stendhal pose la question, en constatant
le flegme des habitants au milieu des convulsions de la guerre étrangère
qui ravage leur pays 56. Tout cela conflue en une sorte de sentimentalité
très spécifique, à la fois désarmante et poisseuse, un peu sotte, une
confiture moralisante où s'englue avec prédilection l'esprit nordique,
tout imprégné de Bible et d'aspirations élevées :
« Le véritable Allemand est un grand homme blond, d'une apparence
indolente. Les événements figurés par l'imagination et susceptibles de
donner une impression attendrissante, avec mélange de noblesse produit par le
rang des personnages en action, sont la vraie pâture de son cœur... [...]
« L'Allemand n'a pas la pudeur de l'attendrissement57. »

D'où, selon Stendhal, l'impossibilité allemande de sentir le vrai


Beau, qui ne se conçoit pas sans un contact intense avec l'œuvre, un
investissement profond et, en fait, secrètement violent de toutes les
forces du moi dans la rencontre avec l'artiste. Ainsi les Allemands ne
comprennent-ils pas l'Aurore du Guerchin : ... "ils aiment le tendre et
le niais, comme un jeune poitrinaire de 20 ans" 58. Ils tombent dans la
sensiblerie. Au Salon de 1824, Stendhal repère un tableau qui semble
fait pour eux : L'Exécution Militaire, d'un certain Vigneron. Le sujet
a de quoi toucher les plus endurcis : un jeune soldat, au moment où
il va être fusillé, éloigne de la main son chien fidèle pour le soustraire
aux balles. Mais Stendhal est sans pitié pour cette émotion impure,
quêtée par des moyens à bon marché : "...cela est bon pour émouvoir
les âmes vulgaires et les Allemands" 59. Un et qui ressemble fort à un
donc... L'esprit du Midi fait cruellement défaut, lui qui seul ajoute
tant de grâce à la sensibilité du Nord "en faisant qu'elle ne s'exerce
que sur les sujets dignes d'intéresser" б0. Bref, cette Schwàrmerei à la
Werther, "appuyée sur des idées vagues et enflées [...] ne [Г] émeut
pas" 6i.
Le bilan serait-il entièrement négatif ? Certes non ; et le tableau
a ses lumières, qu'on reconnaîtra d'emblée staëliennes dans cet axiome
qui résume tout : "La vie des Allemands est contemplative et
imaginative, celle des Français est toute de vanité et d'activité" 62. Le Nord ne
reconnaît pas à l'esprit la suprématie quasi idolâtrique qu'on lui attri-
214 Philippe Berířiier

bue dans les salons de Paris ; il préfère rêver au lieu d'éblouir la


compagnie par le jeu étincelant du verbe et de la pensée enivrés de
leur virtuosité. Et Stendhal déplore cette atonie de la conversation, ce
caractère laborieux de l'échange. Mais cette situation a les avantages
de ses inconvénients. L'homme du Nord ne cherche pas à plaire, à
briller ; préoccupé plutôt d'approfondir son idée que de placer une
remarque spirituelle, il échappe à la frivolité mondaine, il ignore la
mode ; bref, il n'existe que pour lui-même et non pour le regard
d'autrui : ce qui frappe de caducité et rend impensable toute parade
vaniteuse, tout effort pour avoir de l'esprit à tout prix. Ainsi les
Allemands, agaçants pour la rapidité stendhalienne en raison de leurs
filandreuses plongées dans les mystères du dedans, retrouvent toute
sa faveur en tant qu'ils répondent à son horreur, mille fois exprimée,
du genre vaudeville et de l'artificialité parisienne ; ils observent
spontanément la règle d'or de l'éthique (et de l'esthétique) de Stendhal :
oser être soi. Là encore, Mme de Staël est toute proche. Beyle ne fait
que reprendre à son compte toutes ses analyses sur l'authenticité du
moi nordique. L'Allemagne est une nation d'une "bonne foi
remarquable" ; fidélité et bonté sont ses qualités intrinsèques 63. Même cette
"philosophie" si cotonneuse où ils aiment à vagabonder confusément
n'a rien de nuisible ; Stendhal la considère avec indulgence comme une
sorte de manie inoffensive des "bons et simples descendants des
anciens Germains [...] c'est une espèce de folie douce, aimable et
surtout sans fiel" : Ces rhapsodies, sous le rapport moral, manifestent
"la plus haute et sainte sublimité" M. Il n'ironise qu'à demi. A ses yeux,
les jeunes Allemands un peu lymphatiques qui peuplent les Universités
"ont hérité de leur moyen âge, non le républicanisme ,1a défiance et le
coup de poignard, comme les Italiens, mais une forte disposition à
l'enthousiasme et à la bonne foi"65. Dans son commentaire sur l'Ecole
d'Athènes, il place Kant, Schelling, Fichte et tous les Allemands dans
le sillage de Platon, qui entraîne les âmes tendres, par opposition à
Aristote, que suivent Cabanis, Tracy et Bentham66. Au mythe du Sud
sombrement passionné, précis et efficace, répond en écho celui du Nord
nébuleux, rêveur et désintéressé ; cette disposition générale constitue
même le seul ciment national entre les composantes très diverses d'un
peuple morcelé, mais qui retrouve son identité en communiant à un
"fond d'enthousiasme doux et tendre plutôt qu'ardent et impétueux" 67.
Le beau idéal du Sud est embrasé par le volcan intérieur, celui du Nord
luit d'une lumière pure et modeste : si Raphaël avait connu les enfants
et les jeunes filles de l'Angleterre, c'est lui qui aurait transfiguré ce
modèle "touchant par l'innocence et la délicatesse" б8. Et Stendhal de
citer, pour y voir l'idéal du beau moral des Allemands, la phrase de
Gellert où celui-ci découvre dans la physionomie germanique "une âme
honnête, douce et paisible, exempte d'orgueil et de remords, remplie
de bienveillance et d'humanité, une âme supérieure aux sens et aux
passions..."69. On pourrait même économiser toute qualification ; les
Allemands ont tout simplement "de l'âme" : concept précieusement
extensible (et donc bien germanique), qui recouvre toutes les facultés
de sympathie intuitive et d'émotion sincère. Le Français s'amuse, ou
ratiocine. La peinture allemande, certes, n'est pas fameuse ; mais au
U orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 215

moins les Allemands la sentent-ils avec ferveur ; "pour nous, nous


tâchons de comprendre la nôtre à grand renfort d'esprit"70. Ainsi, le
contact permanent, nourricier, avec les couches les plus vraies de la
personne, finit-il par créer dans la vie une atmosphère de bonhomie
très apaisante — foyer qui diffuse sereinement une chaleur égale,
rassurante et, loin des superbes mais dévastatrices éruptions du Midi,
rassemble autour de soi la pensive intimité du Nord.
On sait, par les notes que Stendhal a jetées sur un exemplaire de
De l'Allemagne en mai 1814, que la seule chose qui semble l'avoir
vraiment retenu dans l'ouvrage de Mme de Staël, ce sont les quelques pages
qu'elle a consacrées à la femme allemande71. Il s'en dégage, nous
l'avons dit déjà, un tableau fort touchant qui deviendra un véritable
mythe auquel boiront les générations : douceur, lenteur ,tendresse et
vérité du cœur. L'intérêt de Stendhal pour cette étude ne saurait
étonner : elle confirme entièrement ce qu'il pensait lui-même, et l'on peut
dire qu'il a retrouvé à peu près identique chez Mme de Staël le type de
la femme du Nord dont il avait personnellement distingué les traits.
Dès lors, il devient impossible de reconnaître ce qui, dans la fixation
de l'image, provient de son fonds propre, ou de la lecture de Mme de
Staël : les deux apports finissent par se confondre. Là, comme partout,
nous retrouvons une attitude d'une essentielle ambivalence.
D'une part, les jugements sévères abondent, "...quelles femmes !
des pièces de bois, des masses dénuées de vie" 72. A Pauline, il avoue :
"Je suis étonné, tous les jours, du peu de plaisir que me donnent les
femmes allemandes..."73. Avec le recul, nulle indulgence. De l'Amour,
étudiant la situation de l'Europe à l'égard du mariage, entérine
définitivement les fâcheuses impressions recueillies à Brunswick :
« Ici les maris ne sont pas trompés, il est vrai, mais quelles femmes,
grands dieux ! Des statues, des masses à peine organisées. Ayant le mariage
elles sont fort agréables, lestes comme des gazelles, et un œil vif et tendje
qui comprend toujours les allusions de l'amour. C'est qu'elles sont fc la
chasse d'un mari. A peine ce mari trouvé, elles ne sont plus exactement <Ш£
des faiseuses d'enfants, en perpétuelle adoration devant le faiseur. [...]'■ rfut
à peu elles perdent toutes leurs idées. C'est comme à Philadelphie. Des
jeunes filles de la gaieté la plus folle et la plus innocente y deviennent, en
moins d'un an, les plus ennuyeuses des femmes 74. »

Au-delà de ce que diagnostiquait Mme de Staël comme une


caractéristique de la germanité (le manque d'élégance dans les formes) 75,
Stendhal souffre devant la féminité nordique d'une sorte
d'engourdissement. On dirait qu'autour de la femme septentrionale tout
mouvement vif s'amortit, et qu'en s'approchant d'elle on commence à couler
doucement au fond d'eaux tièdes et léthargiques, au sein de limbes
moralisantes. Ainsi Мше de Strombeck : '"mère, rien de plus. Parfaite
nullité, douceur, vertu, mais lenteur effroyable ; Allemande autant que
possible" 76. Ainsi les "jeunes Allemandes, douces, blondes, un peu fades"
à qui ressemblent les anges du Pérugin77. Avec elles, la délicatesse est
comblée, mais ce qui apparaît redoutable, c'est la monotonie de la
pureté. Tant d'irréprochable idéalisme, tant d'implacable transparence
finit par fatiguer. Auprès des Anglaises, si soumises, trop soumises,
Stendhal se prend à regretter les risques délicieux de l'amour à
l'italienne, ce feu sombre qui couve au fond des yeux78. Trop de candeur
216 Philippe Berthier

tue, en quelque sorte. En Angletrre, le danger s'aggrave par le règne


tout-puissant du cant, le pouvoir magique du mot sans appel : improper.
Examinant les deux femmes anglaises que Gérard a placées au fond
de son tableau Corinne au cap Misène, Stendhal retrouve tout
naturellement les analyses staëliennes :
« Je lis dans ces figures froides et dédaigneuses le sort qu'éprouvera
la pauvre Corinne lorsqu'elle aura quitté la belle Italie, pour aller
s'engouffrer dans la terre des convenances, dans les froides régions du Nord ;
voilà la traduction tout entière de belles pages de M™ de Staël sur les
femmes du Nord si fidèles aux exigences de leur rang, si respectables, si
recommandables, par leur talent de faire le thé79. »

Bref, à certains moments d'humeur, Stendhal peut déclarer tout de


go que ces femmes septentrionales "n'inspirent guère que l'ennui et le
mépris" 8°.
Mais ce n'est pas son dernier mot. D'abord, les femmes allemandes
ne sont pas toutes aussi rebutantes physiquement qu'il lui a plu
quelquefois de le dire. Brunswick n'est pas un désert erotique :
« On retrouve souvent des traits grecs dans leur figure, beaucoup plus
qu'en France. Elles s'éloignent du Grec par quelques traits mesquins ; elles
ont souvent de petits nez grêles, le bas des joues et le front étriqués. Il
est excessivement rare de trouver le dessin hardi, les traits largement
dessinés des têtes de Niobé. Mais souvent, le tour du visage est très joli,
quelquefois beau, presque toujours gracieux81. »

D'autre part, l'innocence, la fidélité, la certitude surtout peuvent


bien impatienter qui a goûté aux passions du Midi, aux coups de
théâtre du cœur. Pourtant, il y a là une source modeste à laquelle il est
rafraîchissant de revenir s'abreuver, loin des consumants hasards des
aventures méridionales. La femme allemande a un charisme spécifique,
qu'on pourrait appeler son univocité. Incapable de duplicité, elle se livre
à ses sentiments avec un parfait naturel, une absence complète de calcul.
Ce qui, négativement, pouvait apparaître comme platitude, rabâchage
ou assommante naïveté, se révèle aussi bien comme un rare secret
d'authenticité intérieure. L'aversion pour le brillant, le spectaculaire,
le tapageur est aussi appel à un univers de la rencontre vraie dans
l'immédiateté définitive de la reconnaissance. Monde sans masques ni
périls, où le cœur, uniquement préoccupé de lui-même, parle un
langage sans double-fond et s'abandonne avec simplicité : c'est la déroute
absolue de la vanité et de son train d'affectations sociales, la défaite
radicale aussi de l'argent. Il n'y a plus que des âmes nues face à face ;
ce que l'on perd en vivacité imprévisible se regagne, et largement, par
cette extraordinaire confiance qui se répand par contagion. La terne
pénéplaine où l'esprit n'inscrit pas ses saillies est en fait le terrain
merveilleusement sûr où peuvent s'enraciner en profondeur les
jouissances de la sincérité ; l'horizontalité à perte de vue n'est plus alors
que la figure de la plénitude. Stendhal est sensible à cette promesse.
Ce faux cynique, on le sait bien, a besoin d'aimer et surtout d'être sûr
d'être aimé ; c'est ce repos toujours quêté et si souvent impossible qu'il
recherche, sans se l'avouer peut-être, dans ces femmes du Nord qu'il
rêve au moins autant qu'il les observe, ces femmes qui ne se hâtent
pas — pourquoi se hâter, en effet, puisque nulle ne change et le temps,
U orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 217

au lieu d'effriter les sentiments, "dépose" paisiblement en eux, y


sedimente et leur donne toujours plus de tranquille épaisseur — , et qui,
légèrement somnambules, traversent la vie avec une tendresse qui n'est
peut-être qu'une force immense, calmement dominée, un cœur plein à
ras bords dont rien ne pourra bouleverser la nappe. Ainsi la Beatrix
Cenci attribuée au Guide, d'autant plus émouvante qu'elle cache son
implacable énergie sous une douceur, une simplicité "presque
allemande"82. Telle encore cette Mme Sharen, Allemande rencontrée par le
touriste en Provence, et dont les Mémoires conservent un souvenir
visiblement touché :
« ... [son] moindre charme est une beauté parfaite ; mais cette
physionomie est si naïve et si spirituelle à la fois qu'on ne songe plus à la beauté.
[...] M™ Sharen possède, entre autres charmes ravissants, le sourire le plus
bon enfant que j'aie jamais rencontré. Dans ce sourire si joli à voir, il y a
beaucoup d'esprit, et cependant nulle possibilité de méchanceté. C'est
précisément cette absence de toute sécheresse qui me paraît le charme adorable
des pays d'outre-Rhin ; cette qualité est d'autant plus singulière chez
Mme Sharen qu'elle a eu huit cent mille francs ou un million de dot 83. »

Mais c'est autour du visage inoublié de Wilhelmine de Griesheim


qu'il faut organiser la nébuleuse complexe de l'imagination stendha-
lienne dans son mythe vécu d'amour nordique. Lui a-t-on toujours
réservé la place qu'elle mérite dans l'histoire des rêves stendhaliens ?
On sait finalement peu de chose sur elle, et les documents font défaut
pour retrouver clairement et complètement les épisodes de ce qui faillit
peut-être apporter une révélation décisive et resta — sans doute est-ce
beaucoup mieux ainsi — un filigrane, un horizon du désir, bientôt du
souvenir84. Des femmes qu'il voyait à Brunswick, Stendhal disait :
"...Elles n'ont pas (ou je n'en ai pas vu qui eussent) l'âme qu'il me
faudrait"85. Pourtant, il y eut Mina, telle que nous la connaissons par
l'image86, mais telle que nous pouvons seulement l'entrevoir à travers
les éléments lacunaires, les bribes dépareillées que nous en a laissées
Stencjhal. C'est en elle, croyons-nous, que se résument le mieux les
prestiges ambigus du Nord ; c'est avec elle que Stendhal s'est approché
au plus près de la vérification du mythe, qu'à son tour elle a contribué
à garantir, au point de finir par s'identifier avec lui. En elle confluent
l'attirance pour certaines valeurs et le retrait devant un monde qu'on
ne ressent pas instinctivement comme sien : mouvements
contradictoires dont on suit, à travers la Correspondance et le Journal la difficile,
l'énigmatique chorégraphie. A sa sœur, Stendhal écrit, non sans une
désinvolture qui travestit peut-être le dépit de n'avoir pas réussi : "Je
faisais tout ce que je pouvais pour sentir quelques sentiments pour une
demoiselle de cette société ; ma maladie est venue interrompre cette
noble entreprise"87. Mais s'agit-il d'une simple intrigue de garnison,
d'une amourette de désœuvré ? Un mois et demi plus tard, il semble
bien que rien ne soit encore fini, au contraire. Certes, dit-il, "je n'ai plus
que du goût pour Minette" ; mais l'attachement persiste, et l'intérêt
presque ethnologique pour "cette blonde et charmante Minette, cette
âme du Nord, telle que je n'en ai jamais vue en France ni en Italie...".
Grand événement de cette petite chronique : "Hier Minette m'a serré
la main, pas davantage ; tu te moqueras de moi, mais après la vie que
je mène depuis six ans, c'est pour cela que j'ai été si agité ce mois-ci"88.
218 Philippe Berthier

Julien saura aussi, plus tard, de quel prix il peut être de serrer une
main...
Un rival se profile. Stendhal a beau affirmer qu'il n'a "nulle envie"
d'épouser MUe de Griesheim, il est bien obligé d'avouer que son esprit
est entièrement occupé des moyens de s'en faire aimer89. Il a le
pressentiment d'être passé à côté de quelque chose qu'il regrettera toujours :
« ...j'ai eu le cœur de Minette presque dans ma main, il n'a tenu qu'à
moi de m'en faire aimer beaucoup ; je me disais obscurément : "Ça ne
peut me manquer!" "Ça me manque cependant, et d'une façon cruelle 90."
C'est une bataille perdue. Mais il n'y a pas que du passif. « Si elle ne m'a
pas donné un moment sublime..., j'en ai trouvé auprès d'elle de bien
délicieux.
Je ne veux en aimant que la douceur d'aimer.
« Ce vers est presque vrai de mon âme... 91 »

Stendhal cerne bien ce qui fait l'originalité de l'idylle nordique, qui


de l'amour ne garde que le contentement familier, la lumière paisible et
étale, loin des éblouissements trop vifs qui transportent, mais
blessent aussi. Les mois passent. Stendhal s'estime "guéri" ; il couche tous
les trois ou quatre jours avec une fille entretenue : "Pour les besoins
physiques", précise-t-il 92.
Mais, pour les besoins de l'âme, le visage de Mina, et surtout le ton,
l'atmosphère qu'il irradie doucement sont prêts à se réveiller
magiquement dès que, dans la nature ou dans les arts, quelque chose se
manifeste qui évoque leur qualité spécifique. Minette incarne désormais
pour la sensibilité stendhalienne une référence-fétiche dès qu'il s'agit
de caractériser ce monde d'innocence rêveuse qui lui apparaît comme
le génie même du Nord. Ainsi, un paysage :
« Les îles de la Havel, vues de Sans-Souci, sont, ce me semble, tout ce
qu'il y a de plus noblement gracieux dans le Nord. Comme les îles Borro-
mées pour l'Italie. Ceci a une teinte de grâce particulière, quelque chose de
plus tendre, de plus mélancolique ; les jours heureux, où l'on est sensible,
cela touche vivement.
« Lorsqu'on l'est moins, cela paraît un peu triste et surtout froid. Mais
cela est bien touchant quand ça l'est. C'est la figure de Wilhelmine de
Gr[iesheim] 93. »

Ainsi encore de la romance de Chérubin dans Les Noces de Figaro :


« Cet air me semble parfaitement d'accord avec le caractère de tout ce
qui m'a plu en Allemagne. C'est encore douceur et faiblesse, unie avec
quelque chose de céleste, mais c'est la faiblesse touchante produite par la
passion et non la faiblesse plate inspirant le mépris. Le temps changera
peut-être mes idées, mais tout ce qui me plaît en Allemagne a toujours la
figure de Minette 94. »

Cette liaison essentielle, dans les couches profondes de l'imaginaire,


entre Wilhelmine et Mozart, au sein de la thématique septentrionale,
se confirme maintes fois par la suite. A Bologne, en 1811, chez
M. Marescalchi, Stendhal contemple une femme vue de face, peinte
par le Guide, et commente : "C'est absolument la sensibilité à la
Mozart, à la Minette" 95. Plus tard, c'est à un autre peintre qu'il songe :
U orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 219

« Les figures comme celle de Wilhelmine de M*** et de l'ange du tableau


du Parmesan que j'ai dans ma chambre me semblent annoncer de ces
êtres dont la force est surmontée par la sensibilité, qui, dans leurs moments
d'émotion, deviennent l'émotion elle-même. Il n'y a plus de place pour autre
chose ; le courage, le soin de la réputation, tout est, non pas surmonté,
mais banni. Tel serait, je crois, le joli ange dont je vous parle, chantant aux
pieds d'une marraine adorée :
Voi the sápete 96. »

Et encore, reprenant l'opposition déjà signalée entre Cimarosa, son


bonheur méridional, et Mozart, mélodiste du Nord, il ajoute que les
figures de Mozart "ressemblent aux vierges d'Ossian, de beaux cheveux
blonds, des yeux bleus, souvent remplis de larmes. Elles ne sont peut-
être pas aussi belles que ces brillantes Italiennes, mais elles sont plus
touchantes"97. Comment s'étonner de voir le vieux barde de Macpher-
son rejoindre, de manière a priori inattendue, l'auteur de la Flûte
enchantée autour d'une jeune fille de Brunswick ? C'est que tous trois,
chacun à sa manière, expriment une même âme, un même secret de
tendresse candide, de mystérieuse pureté. Même si, comme le pense
sans doute à juste titre P. Arbelet, il ne faut pas prendre absolument
au sérieux la dédicace à la "noble Wilhelmine" qui figure à la fin du
tome premier de l'Histoire de la Peinture en Italie 98, il n'en reste pas
moins qu'il a choisi, entre tous, ce prénom qui faisait lever en lui des
images et un chant impossibles à oublier, et qu'il a voulu placer, dans
une œuvre toute consacrée à l'exaltation de l'art éclatant du Sud,
comme un hommage à l'émotion discrète du Nord, à son silence, à son
recueillement.
Et, à l'heure où Henry Brulard se retourne sur le chemin parcouru,
un quart de siècle après Brunswick, et, qui plus est, à Rome, bien loin
dans le temps et dans l'espace du sillage laissé peut-être par M. l'adjoint
aux Commissaires des Guerres, le premier nom de femme à venir sous
sa plume est celui de MUe de Griesheim, avec l'aveu de l'avoir "éperdu-
ment" aimée, et ce nom figure en bonne place parmi la Pléiade aux
treize astres qui résume la vie de l'écrivain bientôt quinquagénaire
penché sur son passé". Entre toutes ces femmes qui occupèrent ses
pensées et eurent le pouvoir de le rendre malheureux, Mina fut la plus
pauvre ; peut-être ce dénuement (relatif, bien entendu) accentua-t-il,
pour Stendhal, le caractère de pure oblation intérieure qu'il crut
reconnaître dans le mythe de l'amour allemand. Mina resta pour lui, reste
pour nous, entr'aperçue, précieuse comme une vision idéale, quasi
symbolique. Elle exprime, dans leur essence, les vertus d'un monde
(géographique, intellectuel, moral, affectif) qui n'était pas
spontanément celui où Stendhal trouvait son épanouissement, mais dont il sut
s'approcher. Toute étude des relations de Stendhal avec l'univers du
Nord devrait choisir, nous semble-t-il, la figure de Wilhelmine de
Griesheim pour emblème tutélaire et presque initiatique.
Une confirmation latérale peut en être cherchée dans Mina de
Vanghel et Le Rose et le Vert. On a vu depuis longtemps que ces deux
ouvrages (le second inachevé) entretiennent entre eux des rapports
particuliers et s'éclairent mutuellement. Ne serait-ce que dans le nom
des deux héroïnes (Mina de Vanghel et Mina Wanghen), il est presque
inévitable de pressentir un souvenir et un hommage, puisque l'une et
220 Philippe Berthier

l'autre sont allemandes. La première phrase de Mina de Vanghel


pourrait provenir directement de Mme de Staël : "Mina de Vanghel naquit
dans le pays de la philosophie et de l'imagination, à Koenigsberg" 10°.
Ainsi localise-t-on moins une contrée repérable sur la carte qu'une
région intérieure. Mina recueille en elle plusieurs traits du mythe
nordique. Dans la nuit du lac du Bourget où elle se livre à son émotion
avant de se lancer dans sa grande entreprise auprès de M. de Larçay,
il n'est pas difficile de reconnaître le paysage et même le ton
ossianiques :
« Mais enfin la lune se leva derrière la montagne de Haute Combe ; son
disque brillant se réfléchissait dans les eaux du lac doucement agitées par
une brise du nord; de grands nuages blancs à formes bizarres passaient
rapidement devant la lune et semblaient à Mina comme des géants
immenses. "Ils viennent de mon pays, se disait-elle ; ils veulent me voir et
me donner courage au milieu du rôle singulier que je viens d'entreprendre."
Son œil attentif et passionné suivait leurs mouvements rapides. "Ombres
de mes aïeux, se disait-elle, reconnaissez votre sang... 101 »

à quoi s'ajoute immédiatement, pour parfaire l'environnement


imaginaire, la "douce mélodie digne de Mozart" qui flotte bientôt sur les
eaux. Mina est Allemande, donc sincère, prête à aimer et à tout croire
par amour ; sa naïveté touche parce qu'elle n'est que l'élan incontrôlé
du cœur. Devant M. de Larçay : "Oserons-nous le dire ?... Pourquoi pas,
puisque nous peignons un cœur allemand ? Il y eut des moments de
bonheur et d'exaltation où elle alla jusqu'à se figurer que c'était un être
surnaturel" 102. Venue à Paris, Mina demeure Allemande, différente ;
quelque chose émane d'elle qui la singularise au milieu de ses amies,
un irréductible pli de race la condamne à rester essentielle comme une
source : "...une grâce charmante lui faisait tout pardonner ; on ne
lisait pas dans ses yeux qu'elle avait des millions ; elle n'avait pas la
simplicité de la très bonne compagnie, mais la vraie séduction" 103.
Comme toutes ses compatriotes, elle n'envisage qu'un mariage par
amour. La nouvelle de Stendhal, en rapides notations, oppose deux
mondes qui s'excluent : la "sauvagerie polie" de Paris et la douce
intimité de la société germanique ; le brillant ironique des Français,
incapables d'émotion véritable, et "les recherches obscures de la
philosophie allemande et le noble stoïcisme de Fichte", qui touchent Mina
"comme un cœur tendre aime le souvenir d'un beau paysage" 104. Mina
cherche partout une de ces âmes qui semblent ne pouvoir exister que
sur la rive droite du Rhin.
« О nation de gens grossiers ! ô nation de vaudevillistes ! Oh ! que la
bonhomie grave de mes braves Allemands me plairait davantage, sans la
triste nécessité de paraître à une cour et d'épouser l'aide de camp favori
du roi 105 ! »

Seul M. de Larçay saura, mais un moment à peine, répondre à Mina


et à sa revendication des droits naturels du cœur.
On pourrait dire que, là où Mina de Vanghel se contentait d'un
croquis, Le Rose et le Vert systématise et presque théorise la
confrontation entre les pays du Nord et Paris, les mœurs allemandes et
françaises. Stendhal avait d'ailleurs un moment songé à intituler ce qui
aurait dû devenir un très gros roman La Rose du Nord 106. Tout le
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 221

tableau de la vie à Koenigsberg met en valeur certains traits


fondamentaux du mythe : bonne foi, enthousiasme, candeur, vie patriarcale et
réglée, idéalisme attendri, spéculations absconses, mais inoffensives.
"Il faut savoir qu'en Allemagne le culte de l'argent n'ossifie pas tout
à fait le cœur" 107 — en ce pays où, Stendhal se plaît à l'affirmer une
fois de plus, presque tous les mariages se font par amour 108. Toute
cette atmosphère se quintessencie dans les soirées du Chasseur Vert :
les vieux ormeaux, les femmes, le crépuscule, le café au lait, et bien
sûr les cors bohémiens jouant du Mozart composent le bonheur
imaginaire de la germanité, où l'on communie, de manière bien rousseauiste
— mais n'avons-nous pas vu Mme de Staël annexer Jean-Jacques à
l'école allemande ? — dans la transparence des âmes simples et bonnes.
Rien à voir avec "l'effronterie d'une chanteuse française conduite par
un homme à gants jaunes et venant s'asseoir à côté d'un piano" 109.
C'est que l'amour à la Werther, languissant et vertueux autant qu'on
voudra, possède une qualité immense, décisive :
[il] « ouvre l'âme à tous les arts, à toutes les impressions douces et
romantiques, au clair de lune, à la beauté des bois, à celle de la peinture,
en un mot au sentiment et à la jouissance du beau, sous quelque forme
qu'il se présente110... »

Pourtant, Mina étouffe quelque peu dans ce monde trop sage. Elle
rêve de Paris, où tous les hommes lui semblent devoir sortir de
Marivaux. La déception sera à la mesure de l'illusion. Au lieu de l'esprit et
de la finesse, Mina découvre la grossièreté des hommes à argent, la
vanité des mondains, l'ambition des politiques ; la comédie sociale
vient cruellement froisser son attente trop délicate. "Très romanesque,
romanesque à l'allemande, c'est-à-dire au suprême degré, négligeant
tout à fait la réalité pour courir après des chimères de perfection" m,
elle expérimente la difficulté de vivre l'authenticité des sentiments. Les
Allemands la fatiguent par le déferlement immodéré et continu de leur
intarissable sensibilité, les Français la choquent par leur affectation ou
leur matérialisme. L'œuvre interrompue nous laisse incertains. Mais ce
qui compte pour nous ici, c'est que cette dernière résurgence
romanesque de l'éternelle femme du Nord (l'éternelle Mina de Griesheim, sous
ses travestis onomastiques transparents) achève de nous convaincre que
la carte du Tendre stendhalienne n'a pas ignoré les régions du
Septentrion. Certes, tout, ou presque, a porté Stendhal vers les amours
françaises ou italiennes. Cependant, les autres passions, même
incomparablement plus intenses, les plaisirs du Sud longuement goûtés, et
simplement l'érosion de la vie, n'ont jamais pu tuer en lui le timide, mais
opiniâtre lied nordique de Minette.
Reste l'évidence, que la perspective adoptée ici ne doit pas occulter.
Stendhal s'est voulu, et jusque dans la mort, milanese ; jamais il n'a
été tenté de s'écrier : "Ich bin ein Berliner" ...II a pu, un moment,
essayer de mettre en balance les deux "pays", équilibrer les tensions
contraires. Dans sa chambre de Brunswick, il épingle deux séries
d'images emblématiques : Frédéric II et le soleil de minuit d'une part,
Raphaël et un paysage du Lorrain de l'autre. Du Nord, du Midi, "lequel
fut le plus heureux ?", se demande-t-il 112. Toute l'existence, toute
l'œuvre répondent, depuis ce passage du petit Saint-Bernard, un jour
222 Philippe Berthier

du printemps 1800 — printemps de l'année, printemps de la vie — qui


livre à un Henri Beyle de 17 ans la clef de ce qui ne cessera plus pour
lui d'être le champ du bonheur. Quelle différence avec le passage du
Rhin, en 1809 ! Aucune ferveur mystique à la Nerval devant Teutonia,
la mère universelle 113, mais des airs italiens qu'on chante dans la
voiture, comme si l'entrée dans le Nord devait être exorcisée par le
rappel des voluptés du Midi désormais interdites 114. Le Nord, c'est,
fondamentalement, un climat terne ou constrictif, qui s'oppose aux
effusions de l'expansion heureuse. Mme de Staël se plaignait déjà de
"ces petites sensations de froid et d'humidité" qui gâtent toujours les
plaisirs du Nord : "C'est comme un son faux dans un concert..." ш.
Mieux que personne, Stendhal ressent ce manque de résonance, cette
matité un peu triste de l'atmosphère, inclémente au déploiement des
sensualités de l'âme. Jamais, comme à la Casa Cavaletti, cette allégresse
presque animale de s'ébrouer dans l'aube italienne, cet appétit aiguisé
de vivre en un pays où paysages, femmes, société, art, tout semble
inviter à se plonger dans la gaieté et dans l'amour : ivresse folle dont
seul le Midi a le secret et que glacerait aussitôt le sérieux
méthodiste 116. Jamais, comme au jardin de Sainte-Suzanne, une heure de
rêverie délicieuse, à s'abandonner aux souffles légers de l'instant 117.
Tout le génie coalisé du Nord ne pourra produire une note de cette
musique-là. Impossible de faire comprendre cette émotion, fût-ce à un
habitant de la trop tempérée Ile-de-France. C'est qu'en Italie, le climat
est "le plus grand des artistes"118. Mieux, c'est lui qui permet les
artistes, les sécrète et les fait naître du sol. L'Histoire de la Peinture
en Italie expose longuement cette théorie, qui n'était certes pas neuve,
mais qu'elle développe et à laquelle elle donne un avenir. Le diagnostic
est péremptoire : "Les arts à l'Italie, l'esprit comique à la France, la
science à l'Allemagne, la raison à l'Angleterre, tel a été l'arrêt du
destin" 119. Et, dans sa Vie de Rossini, Stendhal explique bien pourquoi
le feu dévorant des passions étant l'aliment indispensable des beaux-
arts, seul le Midi favorise la production esthétique ; tandis que le
Nord, paralysé par son intellectualité et sa "timidité souffrante",
retrouve ses pouvoirs en ce qui a trait à la réflexion esthétique, grâce
à son habitude de la discussion et à sa perspicacité dans le maniement
des idées 12°. Cela ne signifie pas obligatoirement qu'un Allemand ou
un Anglais ne puisse sentir la peinture ou la musique, mais que
l'impression est toujours chez lui médiatisée par l'esprit : "Cependant j'ai vu
les gens de Koenigsberg arriver au plaisir, dans les arts, à force de
raisonnements. Le Nord juge d'après ses sentiments antérieurs, le Midi,
d'après ce qui fait actuellement plaisir à ses sens" 121. C'est ce contact
immédiat, cette évidence émotionnelle de l'Italie, "où la nature prit
plaisir à rassembler tous les éléments du bonheur" 122, qui signe
l'appartenance définitive de Stendhal à ce qui lui est bien, toujours, apparu
comme "la patrie" 123. Dès lors, tout ce qui touche le Nord prend les
couleurs mornes d'un exil plus ou moins bien supporté. Chez cette
Mme de Staël qu'il n'aimait guère, Stendhal avait pu lire ces mots qu'il
dut ressentir profondément :
« On retrouve encore souvent dans les imaginations allemandes quelques
traces de cet amour du soleil, de cette fatigue du nord qui entraîna les
peuples septentrionaux dans les contrées méridionales. Un beau ciel fait
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 223

naître des sentiments semblables à l'amour de la patrie. Quand Winckel-


mann, après un long séjour en Italie, revint en Allemagne, l'aspect de la
neige, les toits pointus qu'elle couvre, et des maisons enfumées, le
remplissait de tristesse. Il lui semblait qu'il ne pouvait plus goûter les arts,
quand il ne respirait plus l'air qui les a fait naître 124. »

Nietzsche a parlé mieux que quiconque de ce "mal du Sud", de


cette nostalgie qui étreint l'être privé de sa lumière intérieure, de sa
chaleur, et qui tire désespérément, comme une barque entravée, vers
le grand large solaire où il serait heureux. Du fond de la Russie,
Stendhal écrit un jour à Félix Faure : "Nous sommes des orangers venus,
par la force de leur germe, au milieu d'un étang de glace, en
Islande" 125. Des orangers islandais... L'image est admirable, et illustre
bien les contradictions avec lesquelles il lui a fallu vivre, comme à
chacun d'entre nous. Pour demeurer dans les arbres, nous connaissons
le dialogue impossible, chez Heine, du sapin du Nord avec le palmier du
Sud, tous deux rêvant du sort de l'autre et tous deux également
insatisfaits. Où enraciner la plante Stendhal dans cette géographie qui est,
avant tout, topographie intérieure ? Où son désir, nous avons envie de
dire : son phototropisme, l'appelle. Et il est trop clair qu'il l'appelle
vers la clarté, la beauté, la volupté italiennes. Il aurait pu faire siens
les vers de Monti, composés dans son exil, et que Mme de Staël fait
entendre à la malheureuse Corinne, exilée elle aussi dans la froide
Angleterre :
« Bella Italia, amate sponde.
Pur vi torno a riveder !
Tréma in petto, e si confonde
L'aima oppressa dal piacer 126. »

L'adhésion de Stendhal au mythe italien ne provient pas d'on ne


sait quelle conviction historique, qui lui ferait croire, comme à un
Rivarol, par exemple, que le fleuve de la civilisation humaine a toujours
coulé du Nord au Midi et ne saurait rebrousser contre sa source. Ce
sont les soifs les plus intimes de l'être stendhalien qui ont trouvé en
Italie leur satisfaction. Est-ce à dire, comme l'a affirmé P. Martino,
que l'Allemagne est passée sur lui sans laisser de traces, qu'il n'y a pris
"aucun intérêt" 127 ? Nous avons tenté de montrer le contraire, en
mettant en valeur les éléments qui nous ont paru significatifs d'un côté plus
méconnu de Stendhal, d'une part plus secrète de sa sensibilité. On ne le
sait que trop, Stendhal est passé à côté re ce que l'Allemagne aurait pu,
du point de vue intellectuel ou littéraire, lui apporter. Mais l'Allemagne
— ou le mythe allemand qu'il y a cherché et retrouvé — lui ont donné
quelque chose qu'il n'a jamais renié : une certaine poésie douce ou
mystérieuse qu'il a su reconnaître en des paysages, des musiques, dans
les yeux surtout d'une jeune fille de Brunswick qui ne voulut pas de lui,
mourut sans s'être mariée, et ne sut jamais que, bien plus tard, au
grand soleil italien, un obscur fonctionnaire français se souvenait
encore d'elle et, avec sa canne, traçait ses initiales dans la poussière
d'un chemin solitaire, au-dessus du lac d'Albano 128.
224 Philippe Bertřiier

NOTES

1. De l'Allemagne, éd. comtesse de Pange avec le concours de S. Balayé, Hachette,


1958-1960, t. I, p. 34-35.
2. Vie de Henry Brulard, in Œuvres intimes, Bibl. de la Pléiade, 1961, p. 265-266.
3. Comme Taine (cf. Philosophie de l'Art, Hachette, 1921, t. I, p. 145 à 150 ; t. II.
t>. 278 à 280). Voir par exemple, dans l'Histoire de la Peinture en Italie, Champion,
1924, t. II, p. 78-79, sur la différence de tempérament entre Nord et Midi, des
analyses qui préfigurent de près celles de Taine.
4. Seconde partie, sections 15, 16, 17 des Réflexions critiques...
5. Voir J. Félix-Faure, Stendhal lecteur de Mme de Staël, Aran, le Grand Chêne,
1974.
6. De la littérature..., éd. P. Van Tieghem, Droz-Minard, 1959, t. I, p. 180.
7. Ibid., t. I, p. 181.
8. Ibid., t. I, p. 185.
9. Corinne, Firmin Didot, 1864, p. 32.
10. Ibid., p. 226.
11. Ibid., p. 306.
12. De l'Allemagne, t. I, p. 29-30.
13. Ibid., t. I, p. 31, 43, 45 ; t. III, p. 366.
14. Ibid., t. I, p. 66-68.
15. Ibid., t. I, p. 71-72. Voir encore t. IV, p. 91.
16. Ibid., p. 82.
17. Ibid., t. II, p. 18.
18. Ibid., t. II, p. 20 ; t. III, p. 68.
19. Correspondance, Bibl. de la Pléiade, 1962, t. I, p. 844 (lettre du
26 décembre 1816). D'autre part, le fonds Romain Colomb de la Bibliothèque de
Stendhal comportait, de Bonstetten, le Voyage dans le Latium : Mélanges, V,
Littérature, Cercle du Bibliophile, 1972, p. 225.
20. L'Homme du Midi et l'Homme du Nord..., Genève, Paschoud. 1826 (2e éd.),
p. 17-27. Voir, chez Mme de Staël, une évocation toute semblable du Grand Nord :
De l'Allemagne, t. III, p. 183-184.
21. L'Homme du Midi et l'Homme du Nord..., p. 45 ; cf. p. 32.
22. Ibid., p. 67, 68.
23. Ibid., p. 105.
24. Ibid., p. 115-116, 185, 187, 189-190, 198, 199.
25. Ibid., p. 202.
26. Ou qu'une définition de ce que Wolfflin appelait « un type national
d'imagination » (Principes fondamentaux de l'histoire de l'art, Gallimard, Idées-
Art, 1966, p. 268.)
27. On verra A. Monchoux, L'Allemagne devant les Lettres françaises. De 1814
à 1835. Fournie, 1953, p. 419 à 423 ; et V. Del Litto, La Vie intellectuelle de Stendhal,
P.U.F., 1959, p. 323 à 329 ; 341-342 ; 420 à 427.
28. Mélanges de littérature, Divan, 1933, t. II, p. 128 (Voyage à Brunswick,
13 avril 1808).
29. Voyages en Italie, Bibl. de la Pléiade, 1973, p. 287-288.
30. Œuvres intimes, p. 875 (environs de Neubourg, vraiment superbes, dignes
de Claude Lorrain ; 19 avril 1809) ; p. 883 (panorama magnifique admiré du haut
du château de Landshut ; 24 avril 1809) ; p. 1225 (charmantes collines autour de
Dresde; 21 mai 1813).
31. Ibid., p. 389. Dans les Mémoires d'un Touriste (Cercle du Bibliophile, 1968,
t. I, p. 419), Stendhal affirme que c'est l'émigration « à Hartwell ou à Dresde »
qui a ouvert les yeux des Français de l'Ancien Régime aux beautés du paysage.
Cf. Vie de Rossini (Cercle du Bibliophile, 1968, t. II, p. 431. Appendice : Notice
sur la vie et les ouvrages de Mozart) : « ... La tranquillité est la condition
essentielle d'un certain genre de beauté, par exemple la beauté de Dresde durant
une belle journée d'automne. »
32. Rome, Naples et Florence (1826), in Voyages en Italie, p. 287.
33. Ibid., p. 323.
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 225

34. Correspondance, t. I, p. 376. Cf. Rome, Naples et Florence (1826) (Voyages


en Italie, p. 287) : le « beau contraste » entre le sombre des sapins et l'éblouis-
sement de la neige dans la Forêt-Noire.
35. Mémoires d'un Touriste, t. II, p. 331.
36. Ibid, p. 9-10.
37. Ibid., p. 2-3.
38. Voir P. Van Tieghem, Ossian en France, Paris, 1917, p. 47, 211, et surtout
612-613.
39. Journal, in Œuvres intimes (23, 25, 26 octobre 1811). Cf. encore, pour la
sensibilité stendhalienne aux paysages orageux et sinistres, la description de la
nuit à la Grande-Chartreuse (Mémoires d'un Touriste, t. II, p. 229 à 233) : rochers
nus, grands sapins, crépuscule blafard, vent et pluie ; « ce spectacle était sublime
pour moi ». Et la lettre à Edouard Mounier (13 octobre 1803) : temps « digne
d'Ossian », « des tempêtes de pluie et de vent engouffré dans nos hautes montagnes
qui émeuvent. » (Correspondance, t. I, p. 82).
40. Vie de Rossini, t. II, p. 291 (article du Journal de Paris, 9 septembre 1824).
Sur la musique « ossianique » de La Donna del Lago, voir encore p. 331
(25 novembre 1824), p. 340 (11 décembre 1824).
41. Ibid., p. 413 (article du Journal de Paris, 21 décembre 1826).
42. Correspondance, t. I, p. 366 (6 octobre 1807). Cf. Rome, Navies, Florence (1826),
m Voyages en Italie, p. 292 ; Mémoires d'un Touriste, t. I, p. 458.
43. Mémoires d'un Touriste, t. II, p. 10. Voir, chez M!me de Staël, une expérience
musicale analogue au rêve stendhalien, dans les frimas d'Eisenach, en Saxe (De
l'Allemagne, t. I, p. 4647).
44. Cité par J.-M. Carré, Les Écrivains français et le mirage allemand (1800-1940),
Boivin, 1947 (p. 31).
45. Rome, Naples et Florence (1826), in Voyages en Italie, p. 498.
46. De l'Amour, Cercle du Bibliophile, Sd, t. II, p. 25.
47. Racine et Shakespeare, Divan, p. 52.
48. De V Allemagne IIe Partie, Ch. XXXI : Stendhal a repris le mot (Mémoires
d'un Touriste, t. II, p. 132). On songe aux Berlinois « se cotisant Dour comprendre
un bon mot » de Rivarol (Ecrits politiques et littéraires1, Grasset, 1955, p. 15).
49. Journal, 3 mai 1808 (Œuvres intimes, p. 857).
50. Mélanges, IV, Peinture - Musique, Cercle du Bibliophile. 1972, p. 486. (Les
tombeaux de Corneto ; mars 1837). — Ou encore : « II me semble qu'on fait plus
de plaisanterie à Paris pendant une seule soirée que dans toute l'Allemagne en un
mois... » (Racine et Shakespeare, ■p. 27).
51. Lamiel, in Romans et Nouvelles. Bibl. de la Pléiade, t. H, p. 1037 (Notes sur
les personnages, 6 mars 1841). — Et, à Balzac : « J'ai oublié leur langue par mépris. »
(Correspondance, t. III, p. 404 ; 28-29 octobre 1840.)
52. Histoire de la Peinture en Italie, t. II, p. 153.
53. Journal, 19 juin 1807 (Œuvres intimes, p. 832) ; et aussi 20 septembre 1808
(p. 859).
54. Histoire de la Peinture en Italie, t. II, p, 153.
55. Journal, 20 septembre 1808 (Œuvres intimes, p. 859-860).
56. Ibid, 24 avril 1809 (p. 884).
57. Ibid, 21 juin 1813 (p. 1233-1234) ; cf. p. 859.
58. Y. du Parc, Quand Stendhal relisait les Promenades dans Rome, Lausanne,
Grand Chêne, 1959, p. 66 (3 décembre 1834).
59. Mélanges d'Art, Divan 1932, p. 60 (Journal de Paris, 7 octobre 1824).
60. Ibid., p. 59.
61. Journal, 20 septembre 1808 (Œuvres intimes, p. 859).
62. Romans et Nouvelles, t. I, p. 703 (Projet d'article sur le Rouge et le Noir).
63. Journal, 20 septembre 1808 ; 5 mai 1809 (Œuvres intimes, p. 860, 887).
64. De l'Amour, t. II, p. 19, 25.
65. Ibid., p. 25.
66. Promenades dans Rome, in Voyages en Italie, p. 825-826.
67. De l'Amour, p. 26.
68. Histoire de la Peinture en Italie, t. II, p. 120-121.
69. Ibid., p. 153.
226 Philippe Berthier

Promenades
70. Mémoires
dans d'un
RomeTouriste,
(Voyagest. I,enp. Italie),
424. Surp. la898-899.
peinture allemande moderne, voir
71. Première partie, ch. VIII. Voir J. Félix - Faure, op. cit., p. 28.
72. Journal, 6 juillet 1807 (Œuvres intimes, p. 837).
73. Correspondance, t. I, p. 515 (29 octobre 1808).
74. De l'Amour, t. II, p. 114-115.
75. J.-M. Carré, op. cit., p. 9.
76. Journal, 14 janvier 1808 (Œuvres intimes, p. 843).
77. Dans le tableau du musée de Lyon (Mémoires d'un Touriste, t. I, p. 217).
78. Rome, Naples et Florence (1826), in Voyages en Italie (p. 311).
79. Mélanges d'Art, p. 33 (Journal de Paris, 9 septembre 1824).
80. A Pauline ; Correspondance, t. I, p. 339 (16 mars 1807).
81. Mélanges de Littérature, t. II, p. 145 ; cf. p. 146 (Voyage à Brunswick).
82. Chroniques italiennes, Cercle du Bibliophile, 1968, t. I, p. 51 (Les Cencï).
83. Mémoires d'un Touriste, t. II, p. 130.
84. Cf. Journal, 4 février 1813 : « J'ai perdu, en Russie, mon journal de
Brunswick en 1806 et 7, my loves with Minette, etc. » (Œuvres intimes, p. 1196).
85. Mélanges de Littérature, t. II, p. 158 (Voyage à Brunswick).
86. Voir son médaillon, dans l'Album Stendhal de la Pléiade, 1966, p. 94.
87. Correspondance, t. I, p. 339 (16 mars 1807).
88. Ibid., p. 347 (30 avril 1807 ; à Pauline).
89. Ibid., p. 354 (9 juin 1807 ; à la même).
90. Ibid., p. 355.
91. Journal, 17 juin 1807 (Œuvres intimes, p. 829).
92. Ibid., 9 novembre 1807 (Œuvres intimes, p. 841).
93. Mélanges de Littérature, t. II, p. 138 (Voyage à Brunswick).
94. Journal, avril 1809 (Œuvrages intimes, p. 870-871). Stendhal commet un lapsus
en parlant de l'air Voi che d'amore ... Il s'agit, bien entendu, de Voi che sápete ...
(acte II, scène 2 de l'opéra de Mozart).
95. Ibid., 24 septembre 1811 (Œuvres intimes, p. 1123). Au cours du même voyage,
le souvenir de Minette s'impose à Stendhal devant l'une des auatre Sibylles peintes
par Volterrano dans la chapelle Niccolini de Santa Croce de Florence, et qui le
jettent dans l'extase (ibid, 27 septembre 1811 ; p. 1136).
96. Lettres sur le célèbre compositeur Haydn, Divan, 1928, p. 224. L'initiale
nous paraît une erreur : tout le contexte indique qu'il ne peut s'agir que de Melle
de Griesheim. — Stendhal fait ici allusion à la Madone au long cou, alors au
Louvre, à présent à Florence, au Palais Pitti : il désigne l'ange qui se trouve à
la droite de la Vierge et regarde le spectateur.
97. Ibid., p. 334.
98. T.I., p. 279-280. Voir le premier jet (Mélanges, V, Littérature, p. 166),
d'autant plus intéressant que Stendhal y établit à nouveau un lien entre l'âme
cachée de Wilhelmine et le Parmesan.
99. Vie de Henry Brulard (Œuvres intimes, p. 4, 13, 15, 16.).
100. Romans et Nouvelles, t. III, p. 1141.
101. Ibid, p. 1150 - Balzac aussi, par Girodet interposé, renvoie parfois à Ossian
dans ses portraits dé jeune fille : ainsi Clara Longueville, dans Le Bal de Sceaux
(Œuvres complètes, Club français du Livre, t. II, p. 761), et Adélaïde de Rouville,
dans La Bourse (t. II, p. 811).
102. Romans et Nouvelles, t. II, p. 1152. Sur la superstition allemande, la croyance
aux phénomènes surnaturels, voir Vie de Rossini, t. II, p. 263-264.
103. Romans et Nouvelles, t. II, p. 1146.
104. Ibid., p. 1144.
105. Ibid., p. 1165.
106. Ibid., p. 1057.
107. Ibid., p. 1072.
108. Ibid., p. 1076. Cf. Vie de Rossini, t. II, p. 263.
109. Romans et Nouvelles, t. II, p. 1077-1078. Voir encore Rome, Naples et
Florence (1826) in Voyage en Italie, p. 297 : YElena, opéra de l'allemand Mayer.
« musique de nocturne, douce, attendrissante, vraie musique de la mélancolie, que
i 'ai souvent entendue en Bohême ». Et, bien sûr, Lucien Leuwen (Romans et
Nouvelles, t. I, p. 966).
L'orange d'Islande : Stendhal et le mythe du Nord 227

110. De l'Amour, t. II, p. 124.


111. Romans et Nouvelles, t. II, p. 1130.
112. Journal, 18 février 1808 ; Œuvres intimes, p. 846 (voir aussi le 11 mars, p. 850).
113. Lorely, (Œuvres, Bibl. de la Pléiade, 1961, t. II, p. 743).
114. Journal, p. 870.
115. Corinne, p. 226. Ou encore : « C'est comme un concert dans une chambre
enfumée... » (cité par Carré, op. cit., p. 9).
116. Rome, Naples et Florence, (1826), in Voyages en Italie, (p. 420).
117. Promenades dans Rome, ibid., p. 806.
118. Ibid., p. 641.
119. Histoire de la Peinture en Italie, t. II, p. 101, note.
120. Vie de Rossini, t. I, p. 55 à 57.
121. Rome, Naples et Florence (1826), in Voyages en Italie, p. 321. Cette distinction
entre le Sud « primaire » et le Nord « secondaire » reprend directement les analyses
de Mme de Staël ou de Bonstetten.
122. Histoire de la Peinture en Italie, t. II p. 145.
123. Journal, 9 octobre 1810 (Œuvres intimes, p. 979).
124. De l'Allemagne, t. II, p. 66-67. Et l'on songe à Flaubert : « ... J'ai au fond de
l'âme le brouillard du Nord que j'ai respiré à ma naissance ; je porte en moi la
mélancolie des races barbares, avec ses instincts de migrations et ses dégoûts
innés de la vie qui leur faisaient quitter leur pays comme pour se quitter
eux-mêmes. — Ils1 ont aimé le soleil, tous les barbares qui sont venus mourir en
Italie ; ils avaient une aspiration frénétique vers la lumière, vers le ciel bleu, vers
quelque existence chaude et sonore ; ils rêvaient des jours heureux pleins d'amours,
juteux pour leurs cœurs comme la treille mûre que l'on presse avec les mains. — J'ai
toujours eu pour eux une sympathie tendre comme pour des ancêtres. »
(Correspondance, Pléiade, t. I, p. 300 ; à L. Colet, 13 août 1846).
125. Correspondance, t. I, p. 657 (24 août 1812).
126. Corinne, p. 311.
127. L'Époque romantique en France, 1815-1830, Boivin, 1944 (p. 24).
128. Vie de Henry Brulard (Œuvres intimes, p. 12-13).

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