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SOMMAIRE

1. 1- Qu’est-ce qu’un parti politique ?


1. 1.1- Une définition restrictive (Joseph LaPalombara / Myron Weiner)
2. 1.2- Une définition extensive (Max Weber)
2. 2- Origine, différenciation et évolution des partis politiques
1. 2.1- Les partis distingués selon leurs origines et leurs personnels
(Maurice Duverger)
2. 2.2- Une typologie historique des partis politiques (Giovanni Sartori)
3. 2.3- Une évolution récente : les partis « attrape-tout »
3. 3- À quoi « servent » les partis politiques ?
1. 3.1- « Fonctions manifestes » et « fonctions latentes » (Robert Merton)
2. 3.2- « Fonction de légitimation », « fonction de relève », « fonction
tribunitienne » (Georges Lavau)
3. 3.3- Le rôle déclinant des partis politiques
Le premier problème à résoudre dans l’étude des partis politiques est celui de leur définition :

 la frontière entre partis, clubs de réflexion, associations à finalités politiques et


groupes de pression n’est jamais complètement étanche ;
 en outre, les partis politiques, au cours de l’histoire et dans les différents pays et
cultures où ils apparaissent, ne se ressemblent pas.
1- Qu’est-ce qu’un parti politique ?
Le terme de parti a pris plusieurs sens au cours de l’histoire. Au Moyen Âge, il a une connotation
militaire. Il s’agit d’un détachement d’hommes armés. Au XVIe siècle, il est utilisé de façon plus
moderne, assimilable à une faction, un clan, un groupe. Il est perçu comme opposé à un autre
groupe, mais également comme quelque chose qui est le produit d’une division (étymologie
latine : partager). Au XVIIe siècle, ce sens tend à s’assouplir. le parti devient alors un courant de
pensée et ce terme perdure tout au long du XIXe siècle. C’est ainsi qu’on parle du parti
monarchique ou républicain, du parti légitimiste ou orléaniste. Ce n’est qu’à la fin du XIX e et début
du XXe siècle que le terme prend son sens actuel d’une organisation politique.
1.1- Une définition restrictive (Joseph LaPalombara /
Myron Weiner)
Parmi les définitions aujourd’hui les plus acceptées, celle que
donnent Joseph LaPalombara et Myron Weiner présente des avantages certains. Pour
LaPalombara et Weiner, un parti est :
 
 
Une organisation durable, c’est-à-dire une organisation dont l’espérance de vie est supérieure à celle de ses
dirigeants en place ; une organisation locale bien établie et apparemment durable, entretenant des rapports
réguliers et variés avec l’échelon national. Elle se caractérise en outre par la volonté délibérée des dirigeants
nationaux et locaux de l’organisation de prendre et exercer le pouvoir, seuls ou avec d’autres, et non pas
seulement d’influencer le pouvoir ; le souci enfin de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de
toute autre manière.
Joseph LaPalombara et Myron Weiner, Political Parties and Political Development, 1966 1.

 
Cette définition présente l’avantage de poser quatre critères qui différencient les partis politiques
d’autres types de groupements politiques.

1. Premier critère : une organisation durable dont l’espérance de vie est supérieure
à celle de ses dirigeants. Ce premier critère a un intérêt : la continuité de l’organisation
permet en effet de distinguer les partis de simples cliques ou réseaux de clientèle. Les réseaux
barristes des élections présidentielles de 1988 en sont un exemple. Dans ce cas, on a assisté à
l’essor d’une machine pour l’élection de Raymond Barre mais qui n’a pas perduré. On ne peut
donc pas parler de partis.
2. Deuxième critère : une organisation ramifiée. Un parti doit posséder une
organisation complète du centre à la périphérie du territoire où il entend exercer son action. Ce
critère permet ici de différencier les partis des groupes parlementaires. La plupart des groupes
du Sénat ne recoupe pas le découpage partisan. De même, à l’Assemblée, il existe un groupe
de députés non-inscrits 2 : ce n’est bien évidemment pas un parti. Dernier exemple : en 1988
s’est créé un groupe voulant évoluer entre le PS et l’UDF, l’Union du centre 3. Il n’a jamais
constitué un parti, quand bien même cela aurait été possible : de nombreux partis
d’aujourd’hui ont commencé par être des groupes parlementaires. C’est notamment le cas du
Parti Républicain 4 et, créé en mai 1977 et composante principale de l’UDF, dont l’objectif
était de transformer la famille libérale, essentiellement représentée par le groupe parlementaire
des Républicains indépendants, en vrai parti, ramifié, etc., assimilable à ce qu’est le
Parti républicain aux USA 5.
3. Troisième critère : la volonté d’exercer le pouvoir. Les partis ont pour vocation de
conquérir le pouvoir, soit en renversant le système soit en participant à la compétition
électorale. Ce critère est primordial dans la mesure où il permet de distinguer les partis des
groupes d’intérêts. Un syndicat cherche à peser sur la décision politique, mais il ne cherche
pas à s’engager dans la compétition électorale, à l’exception des élections syndicales.
4. Quatrième critère, enfin : la recherche du soutien populaire. Ce critère est lui
aussi important. Il permet en effet de distinguer les partis des clubs et des cercles de réflexion
politique mais aussi de beaucoup d’autres organisations (sectes, groupuscules terroristes...). En
effet, les clubs représentent généralement des laboratoires d’idées, voire des lieux de
sociabilité, c’est-à-dire des lieux où les gens se rencontrent, tissent des réseaux  ; ce sont encore
des lieux où des agents se socialisent à la politique, acquièrent des compétences, apprennent à
débattre, s’informent sur la politique ou apprennent à proposer des programmes. Parfois aussi,
ces clubs sont des instruments à l’usage des chefs de courants au sein d’un parti. Ce fut le cas
des clubs « Perspectives et réalités » en soutien à Valéry Giscard d’Estaing ou du club
« Forum » lié à Michel Rocard. Avant-dernier point concernant les clubs, ils sont souvent à
l’origine de la création de partis politiques. C’est le cas des clubs « Perspectives et réalités »
pour l’UDF, ou de la « Convention des institutions républicaines »
dont François Mitterrand était le leader et qui a participé à la création du Parti Socialiste au
congrès d’Épinay en juin 1971. Pour en finir avec les clubs, on peut dire que bien qu’ils
travaillent souvent avec les partis, ou qu’ils en sont l’une des composantes, ils ne sont pas des
partis pour autant.
Si cette première définition présente des avantages, elle a aussi ses limites.

 La première tout d’abord : cette définition laisse des cas dans l’ombre. Peut-on
dire, en effet, que tous les partis politiques ont pour but de prendre le pouvoir  ? Est-ce
véritablement, pour prendre un exemple, le but de Lutte Ouvrière 6, le parti
de Arlette Laguiller ? Il y a des partis, dont le but est d’influencer le cours des campagnes
électorales, de faire entendre des différences dans le débat politique légitime, de faire pression
sur les candidats proches mais plus puissants afin qu’ils intègrent des idées et des intérêts
jusqu’ici non pris en compte. Ce sont généralement de petits partis, qui font de nécessité vertu.
À mesure qu’ils grandissent, leurs buts peuvent changer, comme le montre le cas du
Front national. Rien n’indique qu’en 1972, date de sa création, ce parti avait pour but de
prendre le pouvoir. Les choses ont semble-t-il changé : le FN se rapproche aujourd’hui d’un
parti tout à fait classique. Autre critère qui fait que cette définition laisse des cas dans
l’ombre : le critère de la ramification. Que dire des partis locaux ? Des partis en Corse ? Du
Parti national écossais 7 depuis ou d’autres encore qui existent en Europe ?
 La seconde limite de cette définition est qu’elle définit les partis sous l’unique angle
de machine électorale. Or les partis ne se réduisent pas à ce statut de machines électorales. Ils
peuvent avoir d’autres usages et fonctions sociales (Cf. À quoi « servent » les partis
politiques ?).
1.2- Une définition extensive (Max Weber)
Pour Max Weber, un parti est :
 
 
Une sociation reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leur chef le pouvoir
au sein d’un groupement et à leur militants actifs de chances — idéales ou matérielles — de poursuivre des buts
objectifs, d’obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble.

Max Weber, Économie et Société, 1995. 8

 
La définition présente sans doute certains inconvénients. Elle a tout d’abord le défaut de ses
qualités. En donnant une définition plus large des partis, elle rend en effet perméable les
distinctions que permet une définition restrictive. Elle rend possible la confusion entre syndicats
et partis, alors même qu’ils ne fonctionnent pas de la même façon. Malgré ces inconvénients,
cette définition de Weber présente surtout l’avantage de mettre l’accent sur trois éléments
essentiels pour comprendre ce que sont les partis :
1. Premier élément : un parti n’est pas une chose mais une « sociation » nous dit
Weber. C’est-à-dire que les partis sont d’abord un type particulier de relation sociale. On peut
dire ainsi qu’il en va pour les partis comme il en va pour l’État (qui, on l’a vu, ne marche pas
comme un seul homme). Les discours journalistiques ou politiques du type le parti socialiste
s’essouffle, les gaullistes se réunissent à Paris, le PC maintient sa position sur la crise
yougoslave ou l’UDF est en pleine mutation sont sociologiquement suspects. Ils contribuent à
minimiser la diversité des prises de position au sein du parti, à faire oublier que la parole
officielle du parti est le fruit de transactions internes qui n’impliquent pas obligatoirement
l’adhésion de tous les adhérents à la parole ou aux actes du parti.
2. Deuxième élément : le parti fonctionne d’abord au profit de ses dirigeants. En
insistant sur les profits des dirigeants, cette définition conduit, d’une part, à rompre avec la
vision naïve selon laquelle la politique n’est qu’une lutte dont le but est de faire triompher des
idées. La lutte politique, rappelle implicitement cette définition, est d’abord une lutte pour la
conquête de postes, pour reprendre les mots de Schumpeter. C‘est sans doute là un des
moteurs des divisions internes aux partis qu’on observe tout particulièrement lorsque les partis
sont au pouvoir. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler l’expérience de congrès explosifs de
certains partis ou des tensions qui opposent leurs courants ou composantes internes.
L’hypothèse est plus que permise de considérer que ces crises internes des partis proviennent
de l’enjeu que constitue, pour des militants et les responsables des partis au pouvoir,
l’accession à des postes de responsabilité.
3. Troisième élément : un parti ne sert pas seulement à obtenir le pouvoir. Pour
reprendre la définition de Weber, il a aussi pour but de donner aux militants des chances —
idéales ou matérielles — de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels
ou de réaliser les deux ensemble. Cette idée est importante dans la mesure où elle souligne que
le parti peut faire l’objet d’usages très différenciés de la part de ceux qui s’engagent. En
d’autres termes, il y a des façons très différentes de s’engager dans un parti. Ce que font les
simples encartés est très différent de ce que font ceux qui sont investis très fortement dans le
parti. Les militants cherchent, de plus, à obtenir des avantages très différents (du prestige, le
sentiment de répondre à une mission, tisser de nouveaux liens sociaux, s’intégrer dans une
communauté, obtenir un poste dans la fonction publique, au sein du parti, être à la recherche
de pouvoir pour soi ou pour sa famille, etc.).
2- Origine, différenciation et évolution des partis politiques
Les organisations politiques répondant à la définition que l’on vient de donner du parti se sont
constituées au XIXe siècle, souvent sur la base d’organisations antérieures, établies à l’occasion
des révolutions nationales (groupes parlementaires anglais, caucus américains, clubs français)
mais aussi à tout au long de la révolution industrielle (syndicats ouvriers -> partis ouvriers). Pour
condenser cette évolution historique, on peut remarquer qu’en Grande-Bretagne en 1761,
aucune élection au Parlement n’était le fait des partis, en 1951, pas un seul candidat indépendant
n’a été élu.
2.1- Les partis distingués selon leurs origines et leurs personnels
(Maurice Duverger)
Maurice Duverger (Les partis politiques, 1951 9) distingue deux origines des partis politiques :
l’origine électorale et parlementaire, l’origine extra-parlementaire.
 L’origine électorale et parlementaire — Les premiers (les plus nombreux)
apparaissent en liaison avec le développement des institutions parlementaires et
l’élargissement progressif du suffrage populaire. Plus les parlements voient leur rôle
politique s’étendre, plus leurs membres tendent à se grouper par affinité pour agir de concert.
Et plus le droit de vote s’étend, plus il devient nécessaire aux candidats de disposer d’une
organisation efficace pour se faire connaître et attirer les suffrages. Dans ce parcours, le
premier élément constitutif du parti c’est le groupe parlementaire, puis les comités
locaux servant de relais aux élus nationaux. Les prototypes historiques de ce type de partis
politiques, ce sont les partis conservateur et libéral britanniques issus des
groupes Tory 10 et Whig 11dans la seconde moitié du XIXe siècle.
 L’origine extra-parlementaire — L’autre mode de formation des partis
politiques implique une origine extra-parlementaire : une organisation préexistante
(syndicale ou associative) dont l’activité propre n’est pas électorale se dote d’une structure
spécialisée d’action dans le jeu électoral. C’est typiquement, par exemple, le mode de
formation du Labour Party (Parti travailliste) britannique 12 créé en 1900 à l’initiative
du Trades Union Congress (Congrès des syndicats 13). Mais c’est aussi : les partis agrariens
issus des organisations coopératives ou corporatives agricoles dans les pays scandinaves, les
partis chrétiens de droite ou de centre initiés par les groupements religieux du nord au sud de
l’Europe et les partis fascistes nés des associations d’anciens combattants en Allemagne ou en
Italie.
Une distinction classique et célèbre est celle faite par Maurice Duverger (Les partis politiques,
1951 14) entre les partis de cadre et les partis de masse :
 Historiquement les plus anciens, les partis de cadre, sont des partis de notables
alliant des ressources financières (fortunes personnelles), symboliques (prestige, titres locaux)
et relationnelles (milieux d’affaires, loges maçonniques, communautés paroissiales...).
Faiblement idéologisés, ces partis sont aussi très décentralisés : ils se présentent sous la forme
de confédérations souples de comités locaux et le groupe parlementaire ne connaît pas de forte
discipline de vote. On peut citer, au XIXe siècle, le Parti conservateur britannique 15 et, en
France, au début du XXe siècle, le Parti radical créé en 1901 16 à partir de comités locaux de
notables, d’élus, de clubs et d’associations.
 Apparus avec le suffrage universel et l’élargissement de la base électorale qui en
résulte, les partis de masse apparaissent avec la révolution industrielle et le clivage entre
possédants et travailleurs. Les premiers partis de masse sont issus du mouvement ouvrier
européen et visent à prolonger sur le plan politique les luttes sociales apparues dans
l’entreprise industrielle et la société qui l’entoure. Contrairement aux partis de cadre,
les partis de masse sont des partis de militants qui assurent par leurs cotisations le
financement du parti. L’activité du parti ne se limite à pas à la période électorale mais se
prolonge au-delà avec ses fonctions de socialisation, de formation et d’intégration sociale des
adhérents. Ce sont des partis fortement structurés, hiérarchisés et relativement centralisés
(cellules de quartier, fédérations départementales voire régionales, comités centraux ou
direction au niveau national). Ce schéma général correspond bien au Parti travailliste
britannique ou au Parti social-démocrate allemand 17.
Mais Maurice Duverger classait à part les partis américains, partis de cadre n’ayant pas connu la
concurrence des partis de masse (communistes, socialistes, fascistes...) mais qui ont dû se
transformer sous l’influence de la mise en place des « primaires ». Ils ont une armature plus forte
et une organisation plus complète que les partis de cadre traditionnels mais ce sont des partis
qui n’existent réellement qu’en période électorale.
2.2- Une typologie historique des partis politiques
(Giovanni Sartori)
Giovanni Sartori (Partis et systèmes de partis, 2011 18) propose de dresser une typologie historique
des partis politiques qui confirme les analyses de Duverger et précise sa typologie d’un point de
vue historique.
 
Il distingue d’abord les partis d’opinion et de clientèle, forme primitive des partis liés aux tout débuts
du régime parlementaire. Il s’agit de réseaux de relations personnelles autour de quelques
leaders rassemblant parlementaires, membres de l’entourage familial et agents électoraux qui,
localement, n’influencent qu’un petit nombre d’électeurs. Ce sont typiquement les Whigs et
les Tories du milieu du XVIIe siècle en Grande-Bretagne.
 
Ensuite, apparaissent les partis parlementaires, proches des précédents mais plus éloignés de
l’amicale et à la recherche d’une organisation minimale. Structurés autour du jeu parlementaire,
ils s’attachent à construire des stratégies, former des majorités voire élaborer des plateformes
communes. Ce sont les partis américains pendant la plus grande partie du XIX e siècle et les partis
italiens d’avant la Première Guerre mondiale.
 
L’étape suivante est consacrée à la naissance des partis parlementaires électoralistes : leur principale
caractéristique par rapport aux précédents est de prolonger leur structuration et leur
organisation par réseau d’entités de bases dans chaque circonscription, compte tenu de la forte
extension du droit de suffrage dans la deuxième partie du XIXe et au début du XXe siècle.
L’exemple des partis britanniques de cette époque illustre cette étape.
 
Enfin, Sartori note l’apparition, à la fin du XIXe siècle, des partis organisateurs de masse dont l’origine
est souvent extérieure au milieu parlementaire (ce qui recoupe l’analyse de Duverger) : Parti
travailliste britannique, Parti social-démocrate allemand, belge et scandinave  19, SFIO et partis
communistes d’après-guerre.
2.3- Une évolution récente : les partis « attrape-tout »
Cette typologie donne l’impression que chaque type de parti correspond à une période
historique et que, tendanciellement, les partis de masse se substitueraient aux partis de cadre.
Contre une telle vision évolutionniste des partis politiques, de nombreux observateurs évoquent
plutôt une transformation des partis de cadre et des partis de masse vers un modèle qui serait
aujourd’hui dominant : celui des partis « attrape-tout » (catch-all parties) que l’on a aussi
appelé partis de rassemblement ou partis d’électeurs (Jean Charlot).
 
Ainsi Otto Kirchheimer (« The transformation of the Western party systems », Political parties and
political development, 1966 20) remarque que le progrès économique et social ainsi que les
mutations culturelles ont contribué à atténuer les clivages idéologiques et sociaux tandis que la
médiatisation favorise la personnalisation du pouvoir. Dès lors, les partis de cadre se sont
adaptés en devenant plus organisés, structurés notamment au plan national (ex. : le centre droit
en France), les partis de masse se sont aussi adaptés en devenant plus pragmatiques au fur et à
mesure où leur base électorale s’élargit (ex. : Parti socialiste en France). Le parti « attrape-tout »
est un parti peu exclusif, nouant des relations avec une grande variété de groupes d’intérêts. Ce
qu’il gagne en extension d’audience et en compromis, il le perd en intensité idéologique et en
cohésion interne. Le rôle des adhérents devient plus marginal, la filière militante comme mode
de recrutement des élites du parti se ferme au profit de recrutements externes (grandes écoles,
monde de l’entreprise...).
 
Les partis « attrape-tout » se développent aussi bien à droite qu’au centre (Démocratie chrétienne
en Italie 21 ou en Allemagne 22) ou à gauche (SPD en Allemagne, PS en France). Les partis
démocrates-chrétiens et socialistes ou sociaux-démocrates tendent particulièrement à se
ressembler en cherchant à mobiliser le maximum d’électeurs, d’origines sociales différentes,
grâce à des programmes peu marqués idéologiquement. L’effet de cette évolution est un jeu
politique, moins coloré (au sens politique), moins heuristique (au sens où la confrontation
doctrinale des partis permettrait aux électeurs de mieux comprendre les enjeux de société) et
moins pluraliste (le choix des électeurs se réduit quand les partis deviennent similaires), ces
formations évitant de mettre l’accent sur des doctrines ou des programmes trop précis. C’est
aussi un jeu politique moins contrasté, notamment dans les systèmes bipartisans (USA, Grande-
Bretagne) : les deux grands partis s’efforçant l’un et l’autre d’attirer les électeurs en viennent à se
ressembler énormément. Les alternances entraînent moins de changement du point de vue des
politiques publiques qui sont menées.
 
Cette catégorie de parti « attrape-tout » doit être maniée avec prudence : elle décrit une tendance
(celle de tous les grands partis à ratisser-large) mais ne permet pas de conclure qu’aujourd’hui
tous les partis se ressembleraient. En Europe notamment, certains partis présentent d’autres
caractéristiques, occupent certains segments du marché électoral, conservent parfois des
ancrages idéologiques forts (partis populistes, parti communistes, partis écologistes...). D’autre
part, les partis « attrape-tout » ne se ressemblent pas non plus en tous points : ainsi on a parlé
de parti stratarchique (Samuel J. Eldersveld) pour désigner les partis américains qui se
caractérisent par une très forte autonomie des entités territoriales du parti à chaque niveau de
gouvernement (localité, États fédérés, État fédéral).
3- À quoi « servent » les partis politiques ?
Les partis politiques ont souvent été analysés dans une perspective fonctionnaliste sans que
l’utilisation de celle-ci soit toujours rigoureuse. Mais les multiples efforts de construction de
typologies raisonnées des « fonctions » de partis politiques, par certains auteurs, permettent
d’éclairer la place des partis dans les sociétés démocratiques.
3.1- « Fonctions manifestes » et « fonctions latentes »
(Robert Merton)
Une distinction classique établie par Robert Merton (Élément de théorie et de méthode sociologique,
1953 23) entre les fonctions manifestes et les fonctions latentes des partis politiques. Par ces deux
types de fonction, les partis politiques concourent à la stabilité du système politique.
 
Les fonctions manifestes, chez Merton, sont celles qui sont comprises et consciemment assumées
par les participants ; on peut en distinguer au moins trois types :
 une fonction programmatique — le parti assure la définition et l’exposition des
positions politiques. Il participe ainsi à la formation de l’opinion par la présentation aux
électeurs d’un ensemble d’options politiques et l’animation permanente du débat politique  ;
 une fonction de sélection — le parti assure le recrutement du personnel politique —
ou au moins, aujourd’hui, d’une partie de ce personnel — par la désignation des candidats aux
élections et aux responsabilités gouvernementales  ;
 la fonction d’encadrement — le parti coordonne et contrôle l’action des élus
notamment à travers les groupes parlementaires.
Les fonctions latentes restent en quelque sorte implicites et ne correspondent pas forcément à des
finalités volontairement poursuivies par les acteurs sociaux, même si cela peut parfois être le cas.
Exemples de fonctions latentes :
 Les partis politiques ont une fonction de socialisation politique en apportant aux
militants et aux sympathisants des connaissances, des informations, des argumentations sur les
affaires publiques, c’est-à-dire une formation intellectuelle susceptible d’orienter les
comportements politiques, notamment les comportements de vote ;
 Certains partis, dans certains contextes sociaux, peuvent exercer une
véritable fonction d’intégration sociale des individus en offrant un milieu de convivialité, un
milieu de vie (ex. : Parti communiste italien dans les campagnes toscanes), une communauté
de valeurs et de croyances facilitant les échanges et relations sociales, mais aussi,
éventuellement, des possibilités d’ascension sociale (ex. : filière militante de recrutement du
personnel politique).
3.2- « Fonction de légitimation », « fonction de relève », « fonction
tribunitienne » (Georges Lavau)
Une autre analyse des fonctions de partis politiques fut élaborée par Georges Lavau (« Partis et
systèmes politiques : interactions et fonctions », 1969 24). Elle repose sur une conception selon
laquelle les partis politiques, expression du pluralisme politique, en sont aussi des réducteurs
nécessaires : ils opèrent des regroupements d’opinion qui évitent l’instabilité et la fragilité d’un
trop grand éclatement des intérêts et opinions en présence tout en assurant une expression
pluraliste de ces intérêts. Pour répondre à cette exigence d’équilibre du système, les partis
remplissent trois types de fonctions :
 La fonction de légitimation-stabilisation du régime politique est assurée par les
partis à différents degrés, du moins ceux — généralement majoritaires — qui soutiennent le
régime en place et le considère comme un cadre d’action acceptable.
 La fonction de relève politique consiste à rendre possible des alternances
politiques — les partis politiques, en exprimant des critiques politiques et en proposant des
programmes politiques, offrent des alternatives et préparent de nouvelles équipes susceptibles
de participer au pouvoir.
 La fonction tribunitienne (tribuns de la plèbe dans la République romaine 25)
assurée par certains partis (partis communiste, partis d’extrême gauche et d’extrême droite)
qui, malgré leur opposition au système politique, prennent en charge la défense et la
représentation de certaines couches sociales en voie de marginalisation. Georges Lavau fait
cette analyse à partir du cas du Parti communiste français (À quoi sert le parti communiste
français  ?, 1981 26) en montrant comme celui-ci a pris en charge les revendications des
catégories sociales les plus défavorisées en leur assurant une représentation politique. En
intégrant ces « exclus », le PCF a contribué de façon indirecte à les faire dévier de la virtualité
révolutionnaire (opposition communisme/gauchisme).
3.3- Le rôle déclinant des partis politiques
À partir des différentes analyses qui viennent d’être présentées, on peut dresser une liste (non
exhaustive) des différentes fonctions manifestes ou latentes des partis politiques et voir, au
regard de ces critères, que le rôle des partis dans la vie politique est un rôle déclinant :

 La structuration du vote : cette fonction est d’ailleurs reconnue par notre


Constitution 27.
 La production d’idées — la production d’une « idéologie », l’élaboration de
programmes politiques, l’animation du débat politique. Néanmoins, les partis semblent perdre
du terrain sur cette fonction face aux « clubs de réflexion » (proximité / un homme politique),
aux « comités d’experts » mais aussi au rôle de la technocratie dans la définition des politiques
publiques.
 Le recrutement politique — en assurant la sélection des candidats aux élections, les
partis ont pendant longtemps assuré la sélection du personnel politique et ont fourni le système
politique en personnel de direction ; aujourd’hui, la filière militante est tarie dans la plupart
des partis de gouvernement et la sélection des gouvernants s’opère souvent en dehors des
partis.
 L’activité de gouvernement — contrôlant formellement le pouvoir politique ou
participant à son exercice, ils contribuent en partie au moins à la direction des politiques
publiques ; cependant, les études récentes montrent souvent que les élus et membres de partis
sont relativement marginaux dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques
face au pouvoir des hauts fonctionnaires et des experts de toutes sortes.
 La socialisation politique — les partis continuent certes à diffuser des valeurs
spécifiques dans la société, dans les cercles et réseaux qui leurs sont proches mais, dans les
partis de masse, cette fonction de socialisation politique est beaucoup moins importante
aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois.
 La fonction tribunitienne qui fut longtemps l’apanage des partis de gauche et
d’extrême gauche tend elle aussi à disparaître avec la réadaptation brutale des partis
communistes européens après la chute du mur de Berlin.

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