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« 

Une pompière ? C’est affreux ! » 
Étude lexicale de la féminisation 
des noms de métiers et grades en France

Rémi Adam van Compernolle
remi@unt.edu
University of North Texas

Introduction
Depuis des années, on entend beaucoup parler des changements en cours
vis-à-vis des femmes sur le plan sociopolitique en France. Il est souvent
question d’accès équitable aux métiers traditionnellement dominés par
des hommes et de parité de rémunération entre hommes et femmes (voir
Lanot & Robin 1997 ; Direction de l’Animation de la Recherche des Études
et des Statistiques 2004a, 2004b). De plus, la montée des femmes sur le
marché du travail et dans la sphère politique a entraîné divers problèmes
langagiers, surtout en ce qui concerne les appellations professionnelles (voir
Lamothe & Labrosse 1992 ; Barrera-Vidal 1995 ; Evans 1995 ; Houdebine-
Gravaud 1992, 1998, 2003 ; Fleischman 1997 ; Pogacnik 1999 ; Martel
2001 ; Michard 2003). La présente étude vise à situer la féminisation des
titres dans la société française actuelle, en s’appuyant sur une enquête faite
auprès de 230 étudiants universitaires français.
La féminisation des titres n’est pas une controverse récente. Dès le début
du siècle précédent, les femmes ont commencé à accéder aux secteurs tradi-
tionnellement dominés par des hommes. Aussi a-t-on vu apparaître la forme
féminine de certains titres professionnels (Trudeau 1988 : 79-80). En revan-
che, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix connaissent les plus vives
luttes pour et contre la féminisation des titres. En 1984, une commission
créée par le Premier ministre d’alors, Laurent Fabius, est chargée d’étudier le
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vocabulaire relatif aux activités des femmes alors que l’Académie française,
qui n’avait pas été consultée, se déclare contre la féminisation des noms de
métiers (Académie 2005a). En 1986, une circulaire du Premier ministre
recommande de procéder à la féminisation des titres dans les textes adminis-
tratifs. Puis, en 1997, certaines ministres se font appeler Madame la ministre.
L’année suivante, le Premier ministre, Lionel Jospin, charge la Commission
générale de terminologie et de néologie d’explorer encore une fois la ques-
tion de la féminisation des noms de métiers. En 1998, la Commission rend
son Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre,
trouvant « qu’il n’y a pas d’obstacle de principe à une féminisation des noms
de métier et de profession ». Enfin, en 1999, la féminisation des noms de
métiers devient officielle lorsque le gouvernement français publie Femme,
j’écris ton nom… guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, grades, titres
et fonctions (CnRS 1998). L’Académie reste pourtant contre la féminisation
des noms de métiers, s’appuyant sur l’argument que le genre dit masculin
est en français le genre non marqué : « l’Académie française déplore les
dommages que l’ignorance de cette doctrine [que le genre masculin est le
genre non marqué] inflige à la langue française et l’illusion selon laquelle une
grammaire ‘féminisée’ renforcerait la place réelle des femmes dans la société »
(Académie 2005b). Mercier (2002) défend également le genre dit masculin
comme le genre non marqué, aussi bien que niedzielski (1987) qui retrace
l’évolution du neutre en français du XIIIe au XXe siècle. D’autres, craignant
la dégradation de la langue française, vont jusqu’à s’attaquer à la féminisation
des titres (voir Rey-Debove 1998 ; Druon 1999 ; Muray 2000).
L’emploi des formes féminines des titres n’est pourtant pas courant dans
la société française. Une préférence pour l’emploi de la forme masculine
d’un titre professionnel a été observée et documentée dans la presse française
(Gervais-le Garff 2002) ainsi que dans les circulaires des partis politiques
(Brick & Wilks 2002) – quoique les partis de gauche tendent à se montrer
plus ouverts à une féminisation grammaticale que la droite (voir aussi Dister
& Moreau 2006). D’une part, il semble que la préférence pour la forme
masculine est due en partie à la familiarité orthographique et phonétique
du terme – la forme féminine étant parfois inconnue, voire même étrange.
Qui plus est, bien des femmes travaillant dans des secteurs traditionnelle-
ment dominés par des hommes ne sont pas pour la féminisation des noms
de métiers, s’appuyant sur l’argument que les noms de professions sont des
substantifs qui correspondent au travail que l’on fait et non à la personne
qui exerce le métier (voir Fleischman 1997 : 837). D’autre part, la relation
des français à une certaine « norme de la langue » (souvent conservatrice)
joue un rôle tout aussi important. Ainsi que le remarque Houdebine-
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 109

Gravaud (1998 : 22), « tout se passe alors comme si la langue d’autrefois


était belle et meilleure que celle d’aujourd’hui toujours décrite comme
abâtardie ou s’abâtardissant. Les métaphores sont toujours les mêmes : celle
de la transgression, ou de l’impureté, ou encore de la destruction ».
La féminisation grammaticale des noms de métiers n’est pas pour autant
un problème uniquement français. Le Québec a également adopté des poli-
tiques linguistiques afin de féminiser les désignations professionnelles (voir
Office Québécois de la Langue Française 1991 ; Vachon-L’Heureux 1992 ;
Parent 1993 ; Planelles Ivanez 1996). Quoique la féminisation des titres
semble plus acceptée dans la Belle Province, Conrick (2000) démontre que
l’usage des termes féminisés est loin d’être standardisé, voire même répandu.
Son étude des offres d’emploi nous montre que bien des employeurs ont
évité toute formulation sexuée, soit en optant pour un nom générique, soit
en utilisant un pronom à la deuxième personne dans une sorte d’appel au
challenge. La Belgique et la Suisse ont, elles aussi, pris des mesures dans
le dessein de féminiser les noms de métiers (voir Larivière 1999, 2001,
Dictionnaire féminin-masculin des professions, titres et fonctions 1991, Conseil
Supérieur de la Langue Française 1993, Service de la Langue Française
1994, Communauté Française de Belgique 1994).

1. Démarche méthodologique
Cet article porte sur des données recueillies à partir de question-
naires, à l’automne 2005 à l’Université de Tours (France)1. On a demandé
aux répondants d’identifier toutes les formes officielles2 (masculines et
féminines) de 17 désignations professionnelles (voir annexe). Pour chacune
des 17 désignations professionnelles, il y avait quatre choix, soit, le terme
au masculin et trois formes féminisées. Dans le cas où il y avait plus d’une
forme officielle au féminin, les répondants pouvaient en choisir plusieurs.
Toute réponse a été identifiée et analysée selon plusieurs paramètres (e.g.,
domaine d’activité, nature de la terminaison, etc.) afin de dégager les ten-
dances existantes.

1.1. Population visée


Dans le but de minimiser l’effet de l’âge du répondant, son niveau d’études
et son appartenance sociale, on a décidé de sonder une population plutôt

1. Ce projet a été approuvé par le Committee for the Protection of Human Subjects de
l’University of north Texas en juillet 2005 (Project Application #05-176).
2. Le terme forme officielle sera entendu dans ce texte comme une forme admise par le
gouvernement français d’après Femme, j’écris ton nom... Guide d’aide à la féminisation
des noms de métiers, grades, titres et fonctions (1999).
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homogène d’étudiants en langues étrangères (anglais, espagnol et italien) :


230 étudiants – âgés de 18 à 58 ans3 (moyenne = 20,04) – ont pris part à
l’enquête, dont 165 femmes et 65 hommes. La population est composée
de futurs professeurs de langues, population bien loin d’être neutre dans
sa relation à une certaine norme de la langue.
Il convient de signaler un autre facteur qui a présidé au choix d’une
population d’étudiants : celui de la génération. La population ciblée dans
le présent article a toujours eu affaire à la féminisation des noms de métiers
– la controverse actuelle date de 1984, donc avant la naissance de la plupart
des répondants. Lors de la publication de Femme, j’écris ton nom – ouvrage
dont l’efficacité est ici remise en question – les répondants étaient âgés de
14 ans en moyenne. Si les efforts du gouvernement français à officialiser
la féminisation des noms de métiers n’ont eu un effet que sur une partie
de la population française, ce serait, semble-t-il, la génération sondée dans
la présente étude, génération qui a toujours connu la controverse et qui a
toujours eu à faire le choix (souvent difficile) entre l’emploi du « masculin
générique » et l’emploi d’une forme féminine.

1.2. Choix des professions


En premier lieu, on a choisi des professions dont la forme masculine ne serait
pas étrangère au français moyen. Deuxièmement, on a choisi un certain
nombre de professions ressenties comme « masculines », ou, en d’autres
termes, des métiers qui ont été traditionnellement et pendant longtemps
dominés par des hommes, donc susceptibles de rencontrer une certaine résis-
tance à la féminisation grammaticale. Enfin, voulant examiner l’influence
de la familiarité orthographique et phonologique sur le choix d’une forme
féminisée, on a choisi des noms de professions à dérivations variées.
Les 14 désignations professionnelles suivantes ont été soumises à l’appré-
ciation des répondants : pompier, docteur, pilote, sénateur, colonel, président,
professeur, policier, avocat, cardiologue, exportateur, traducteur, écrivain et
psychologue. On a également rajouté trois métiers de natures différentes :
serveur, dont la forme féminine serveuse est employée quotidiennement ;
baby-sitter, terme d’origine anglaise dont le genre grammatical est d’ordi-
naire féminin4 ; hockeyeur, terme quelque peu étranger aux Français. La liste
est donc composée de diverses professions dans des domaines variés.

3. La majorité des répondants était âgée de 18 à 25 ans. Deux femmes âgées de 47 et 58


ans, étudiantes elles aussi, ont participé à l’enquête.
4. Le gouvernement français a proposé une forme masculine pour le terme une baby-sitter
dans Femme, j’écris ton nom.
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 111

En plus des formes officielles (masculines et féminines), on a rajouté un


certain nombre de formes féminisées dans le but de maintenir la continuité
du questionnaire. Certaines de ces formes avaient été observées (infor-
mellement) dans la langue courante, d’autres étant inventées selon des
formulations existantes. Ainsi, on a rajouté femme à certains termes (e.g.,
une femme président, une femme policier, une femme écrivain), un -e final
aux métiers se terminant en -eur (e.g., une sénateure, une exportateure), ou,
le cas échéant, une terminaison existante mais quelque peu absurde en
l’occurrence (surtout pour les noms se terminant en -ogue, d’où les formes
une cardiologuière, une psychologuesse).

2. Analyse des données
2.1. Le sexe en tant que paramètre d’analyse
Puisqu’il s’agit d’un échantillon de population plutôt homogène, la priorité
sera donnée au sexe du répondant dans les analyses suivantes. Le tableau 1
(T1) compare la fréquence à laquelle les répondants – hommes et femmes
– ont pu identifier les formes féminines officielles dans le questionnaire.

Tableau 1 : Fréquence des formes féminines officielles identifiées

No. de formes féminines Hommes Femmes Total


identiiées (sur 65) (sur 165) (sur 230)
(sur 19 possibles)

≤4 0 (0,00 %) 1 (0,60 %) 1 (0,43 %)

5-7 3 (4,62 %) 4 (2,42 %) 7 (3,04 %)

8-10 13 (20,00 %) 52 (31,52 %) 65 (28,26 %)

11-13 38 (58,46 %) 85 (51,52 %) 123 (53,48 %)

14-16 11 (16,92 %) 23 (13,94 %) 34 (14,79 %)

17 + 0 (0,00 %) 0 (0,00 %) 0 (0,00 %)

Le tableau 1 montre clairement que la grande majorité des répondants


(81,74 %) ont pu identifier entre 8 et 13 des formes féminines officielles
(moyenne = 11,46 formes féminines identifiées, soit 60,32 % des formes
officielles), alors que peu d’entre eux en ont choisi plus de 14 (et aucun
d’eux n’en a choisi plus de 16). De même, les répondants ayant identifié
moins de huit formes féminines officielles sont peu nombreux. On remar-
que enfin l’absence de différence notable entre les deux sexes.
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2.2. Formes officielles


Afin de pouvoir discerner de cet ensemble de données les tendances à
l’égard du choix d’une forme féminine, il convient d’analyser la fréquence
à laquelle chaque forme officielle a été choisie5.

Tableau 2 : Formes officielles et leur fréquence

Forme officielle Hommes Femmes Total

une serveuse 65 (100,00 %) 164 (99,39 %) 229 (99,57 %)

une pompière 5 (7,69 %) 5 (3,03 %) 10 (4,35 %)

une docteure 0 (0,00 %) 1 (0,61 %) 1 (0,43 %)

une docteur 5 (7,69 %) 13 (7,88 %) 18 (7,83 %)

une pilote 42 (64,62 %) 109 (66,06 %) 151 (65,65 %)

une sénatrice 52 (80,00 %) 129 (78,18 %) 181 (78,70 %)

une hockeyeuse 52 (80,00 %) 102 (61,82 %) 154 (66,97 %)

une colonelle 13 (20,00 %) 25 (15,15 %) 38 (16,52 %)

une présidente 51 (78,46 %) 140 (84,85 %) 191 (83,04 %)

une professeur 35 (53,85 %) 77 (46,67 %) 112 (48,70 %)

une professeure 14 (25,14 %) 29 (17,58 %) 43 (18,70 %)

une policière 35 (53,85 %) 79 (47,48 %) 109 (47,39 %)

une avocate 61 (93,85 %) 161 (97,58 %) 222 (96,52 %)

une cardiologue 59 (90,77 %) 151 (91,52 %) 210 (91,30 %)

une baby-sitter 58 (89,23 %) 158 (95,76 %) 216 (93,91 %)

une exportatrice 63 (96,92 %) 154 (93,33 %) 217 (94,35 %)

une traductrice 64 (98,46 %) 165 (100,00 %) 229 (99,57 %)

une écrivaine 22 (33,85 %) 53 (32,12 %) 75 (32,61 %)

une psychologue 63 (96,92 %) 162 (98,18 %) 225 (97,83 %)

5. Le terme une doctoresse apparaît dans Femme, j’écris ton nom (France 1999 : 81) avec
la remarque : « La forme doctoresse, parfois sentie par certains comme désuète, est
toujours en usage ». Il sera discuté plus loin, compte tenu de la fréquence à laquelle il a
été choisi.
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Les termes une pompière, une docteure, une docteur, une colonelle et une
professeure ont été rarement choisis (moins de 20 %). D’autres formes
n’ont été choisies qu’à une fréquence de 50 % ou moins (une professeur,
une policière, une écrivaine). En revanche, certains termes ont été choisis
par plus de 90 % des répondants (une serveuse, une avocate, une cardiologue,
une baby-sitter, une exportatrice, une traductrice, une psychologue). Une expli-
cation possible pour cette disparité est que certains titres de professions ne
s’emploient, traditionnellement et d’après les dictionnaires, qu’au masculin.
Selon le Trésor de la langue française, les mots serveur et traducteur sont les
seuls dans cette liste à s’employer et au masculin et au féminin pour dési-
gner une personne. Les mots avocat, cardiologue, exportateur et psychologue
ne sont pas donnés au féminin, alors que la forme une colonelle est définie
comme la femme du colonel. Les termes pompière et exportatrice ne s’em-
ploient au féminin qu’en tant qu’adjectif.
Il convient aussi d’explorer le rapport entre le nombre de femmes dans un
secteur professionnel donné et le taux de féminisation grammaticale dans la
présente étude. En 2002, 10,8 millions de femmes avaient un emploi, soit
45,3 % de la population active (Direction de l’Animation de la Recherche
des Études et des Statistiques 2004a). Quoique le taux de féminisation ne
cesse de croître dans presque tous les secteurs professionnels, certains d’entre
eux demeurent encore relativement « masculins ». Tandis que les femmes sont
majoritaires dans les secteurs de la communication et de la documentation,
l’action sociale, culturelle et sportive et les serveurs de cafés-restaurants, elles
sont minoritaires dans les secteurs concernant le droit, les cadres administratifs
et financiers, la médecine, la fonction publique, le commerce et la recherche6.
Les professions soumises à l’appréciation des répondants dans la présente
étude peuvent donc se diviser en deux catégories : 1) professions dans des
secteurs où les femmes sont majoritaires (i.e., serveur, hockeyeur7, baby-sit-
ter, traducteur et écrivain) ; 2) professions dans des secteurs où les hommes
sont majoritaires (i.e., pompier, docteur, pilote, sénateur, colonel, président,
professeur, policier, avocat, cardiologue, exportateur, psychologue).
On compte 913 formes féminines officielles choisies sur 1 150 pos-
sibles, soit 78,52 %, dans les secteurs majoritairement féminins. En
revanche, les répondants n’en ont identifié que 1 733 sur 3 220 pos-
sibles, soit 53,82 %, dans les secteurs où les hommes sont majori-

6. Pour de plus amples renseignements, se référer à Direction de l’Animation de la


Recherche des Études et des Statistiques (2004a).
7. Le secteur de l’action sociale, culturelle et sportive est majoritairement féminin, même si
le hockey est un sport pratiqué plus par des hommes que par des femmes.
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taires. Un test c2 a confirmé que cette disparité était significative :


c2 (1, N = 4 370) = 216.023, p = .05. Ces résultats suggèrent que la présence
féminine dans un secteur professionnel donné déterminait, du moins en
partie, si oui ou non les répondants féminisaient le titre.
L’un des phénomènes les plus fascinants est celui du choix unique de la
forme masculine pour une profession donnée (i.e., aucune forme féminisée
n’a été choisie). Ceci peut suggérer que dans ce cas, la forme masculine a
été choisie en tant que forme féminine. Le tableau 3 (T3) montre trois
professions dont la forme masculine a été préférée à une forme féminisée par
une partie importante de l’échantillon (plus de 30 %). Seuls les répondants
n’ayant choisi aucune forme féminine y ont été comptés.

Tableau 3 : Préférence pour la forme masculine


(aucune forme féminine choisie)

Profession Hommes Femmes Total

un pompier 37 (56,92 %) 120 (72,72 %) 157 (68,26 %)

un pilote 22 (38,85 %) 55 (33,33 %) 77 (33,48 %)

un colonel 30 (46,15 %) 93 (56,36 %) 123 (53,48 %)

Clairement, la féminisation des métiers dans le domaine « secours et


militaire » – domaine qui a traditionnellement été majoritairement mas-
culin et le reste encore aujourd’hui – rencontre beaucoup de résistance.
Ceci nous porte à croire que l’ancienneté du métier – au moins en ce qui
concerne l’accès des femmes au métier – exerce une forte influence sur le
choix de féminiser ou non une désignation professionnelle.

2.3. Formes préférées


Comme nous l’avons déjà vu, aucun répondant n’a pu reconnaître toutes
les formes officielles féminines (T1) et, de plus, certains termes n’ont été
choisis que rarement, à savoir presque jamais (T2). Les données suggèrent
également qu’il existe une résistance à la féminisation de certains domai-
nes, notamment ceux traditionnellement dominés par des hommes. Il y a
cependant un autre facteur qu’il convient d’explorer : la présence d’autres
formulations possibles dans le questionnaire.
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 115

Les répondants avaient trois formes féminisées à choisir, dont une était
la forme officielle8. Aussi se peut-il que les enquêtés aient choisi une forme
féminine, mais non la forme officielle. Quels termes les répondants ont-ils
donc choisis ? Quelles autres formulations ont pu être préférées ? Le tableau
4 (T4) montre les formes féminines préférées des répondants.

Tableau 4 : Formes féminines préférées vs formes officielles


Profession Forme féminine Forme féminine Forme féminine
(au masculin) préférée (Hommes) préférée (Femmes) officielle

un pompier une pompier (40,00 %) une pompier (23,03 %) une pompière (4,35 %)

un docteur une doctoresse une doctoresse une docteure


(81,54 %) (83,64 %) (0,43 %)
— — — une docteur
(7,83 %)
un pilote une pilote une pilote une pilote
(64,62 %) (66,06 %) (65,65 %)
un sénateur une sénatrice (80,00 %) une sénatrice (78,18 %) une sénatrice (78,70 %)

un hockeyeur une hockeyeuse une hockeyeuse une hockeyeuse


(80,00 %) (61,82 %) (66,97 %)
un colonel une colonel une colonel une colonelle
(31,32 %) (27,88 %) (16,52 %)
un président une présidente une présidente une présidente
(78,46 %) (84,85 %) (83,04 %)
un professeur une professeur une professeur une professeur
(53,85 %) (46,67 %) (48,70 %)
— — — une professeure
(18,70 %)
un policier une policière une femme policier une policière
(53,85 %) (63,63 %) (47,39 %)
un écrivain une femme écrivain une femme écrivain une écrivaine
(49,23 %) (55,15 %) (32,61 %)

Même si dans beaucoup de cas la forme féminine préférée est la forme


officielle (cas de pilote, sénatrice, hockeyeuse, présidente, professeur), d’autres
formes ont été souvent choisies. On remarquera que le terme une doc-
teresse – quoiqu’elle soit parfois ressentie comme « désuète » – est plus
accepté que une docteur et une docteure. De même, la forme une colonel est

8. Il y avait, bien sûr, deux formes officielles pour les termes docteur (une docteur, une
docteure) et professeur (une professeur, une professeure).
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préférée à une colonelle, une pompier à une pompière, une femme écrivain à
une écrivaine et, pour les femmes, une femme policier à une policière (encore
que 52,31 % des hommes ont aussi choisi le terme une femme policier).
Le fait que nombre de répondants aient choisi d’autres formulations
féminines nous oblige à examiner la fréquence absolue de féminisation.
En comptant tous les termes féminisés choisis par les répondants, on
voit clairement que le taux de féminisation augmente dans tous les secteurs.
En revanche, les données suggèrent qu’il existe néanmoins une disparité
entre les secteurs où les femmes sont majoritaires et ceux dominés par
des hommes. En effet, on compte 1 138 formes féminines choisies sur
1 150 possibles, soit féminisation à 98,96 %, pour la catégorie « femmes
majoritaires », contre 2 213 formes féminines choisies sur 2 760 possibles,
soit féminisation à 80,18 %, pour la catégorie « hommes majoritaires ».
Quoique l’on puisse constater une hausse de féminisation dans les deux
catégories, la féminisation grammaticale des professions dans des sec-
teurs où les hommes sont majoritaires reste relativement faible. Un test
c2 a trouvé que la différence était significative : c2 (1, N = 3 910) = 233.547,
p = .05. Il semblerait donc que la féminisation soit beaucoup plus acceptée
pour les professions à majorité féminine que pour celles dominées par des
hommes.

3. Morphologie
Ainsi que le remarquent Brick & Wilks (2002), la familiarité orthographi-
que semble exercer une influence importante lorsqu’il s’agit de féminiser un
nom de métier. Dans cette section, les règles de féminisation des noms de
métiers établies par le gouvernement français en 1999 seront résumées une
à une, et mises en rapport avec les réponses données par les répondants.

3.1. Le déterminant
Le gouvernement français a trouvé que, dans tous les cas, « la féminisation
implique l’utilisation d’un déterminant féminin » (CnRS 1999 : 22).
Puisqu’il ne s’agit que du choix entre un et une dans l’étude présentée ici,
l’analyse qui suit comparera le choix d’une forme féminisée – quelle qu’elle
soit – et le choix unique de la forme masculine.
Le T3 montre, rappelons-le, que de nombreux répondants n’ont choisi
que la forme masculine pour pompier, pilote et colonel. Ceci peut suggérer
qu’il existe une résistance profonde à la féminisation grammaticale de ces
métiers, même lorsqu’il ne s’agit que du changement du déterminant.
Cependant, il a été démontré que pour pilote et colonel cette résistance est
moins forte – 43,03 % des répondants ont choisi une forme féminisée pour
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 117

colonel et 66,06 % pour pilote. En fin de compte, 88,31 % des répondants


ont choisi au moins une forme féminine pour chacune des professions dans
le questionnaire – soit 2 477 formes féminines –, y compris pompier, pilote
et colonel. Si nous ne comptons pas pompier et colonel parmi les professions,
ce pourcentage augmente jusqu’à 95,47 %. Ainsi, il ne semble pas que le
changement du déterminant soit problématique pour la grande majorité
des personnes interrogées.

3.2. Noms se terminant au masculin par une voyelle écrite


Pour les noms se terminant par la lettre e, « la forme féminine est iden-
tique à la forme masculine » (CNRS 1999 : 22). Cette section analysera
donc les professions suivantes : pilote, cardiologue, psychologue. Puisqu’il
ne s’agit que du changement du déterminant dans ces cas, il n’est pas
étonnant que les répondants aient plutôt aisément identifié la forme
officielle de cardiologue et psychologue (94,55 % et 93,44 % respective-
ment). La forme une pilote est, en revanche, quelque peu problémati-
que. Ceci s’explique probablement par le fait que les noms se terminant
par -ogue ne puissent prendre aucune autre terminaison, alors que l’on
pourrait en envisager d’autres pour pilote (e.g., pilotesse, pilotrice, etc.).

3.3. Noms se terminant au masculin par une consonne


La forme féminine des noms de métiers se terminant par une finale autre
que -eur « se construit normalement par l’adjonction d’ un -e à la finale »
(CNRS 1999 : 23). Comme pour les adjectifs, il existe des « modifi-
cations graphophonétiques qui obéissent aux lois morphologiques »
(CNRS 1999 : 23) de la langue française. On peut en effet doubler la
dernière consonne (-ienne, -elle, etc.), modifier la dernière consonne (-ive,
-ique, etc.) et ajouter un accent sur la dernière voyelle (-ière, -ète, etc.).
Cette règle s’adresse aux noms suivants : pompier, colonel, président, poli-
cier, avocat, écrivain, qui, mis au féminin, deviennent pompière, colonelle,
présidente, policière, avocate, écrivaine. Le changement pompier, -ière est
très peu accepté, voire rejeté (3,03 % des répondants ont choisi la forme
une pompière), mais en est-il de même pour policier, -ière ? Presque la moi-
tié des répondants a choisi la forme une policière (47,48 %) et 63,64 %
ont choisi une femme policier. En comparaison avec une pompière, il sem-
blerait que la forme une policière ait été plus acceptée, quoiqu’il s’agisse
du même changement graphophonétique (-ier à -ière). Il est à noter que
l’adjectif policier est souvent utilisé (e.g., un roman policier, la violence
policière). Un certain nombre de répondants ont remarqué que policière
était relativement facile à dire pour cette raison, quoiqu’ils ne l’emploient
118 RÉMI ADAM VAN COMPERNOLLE

pas pour désigner une femme qui est agent de police. Par ailleurs, le
fait qu’une autre forme féminine (une femme policier) ait été choisie par
63,63 % des répondants (contre 23,03 % pour une pompier) suggère
qu’il existe moins de résistance à la féminisation de policier.
Il semble en être de même pour colonel, dont la forme féminine (une
colonelle) n’a été choisie que par 15,15 % des répondants. Cependant,
la forme une colonel a été choisie par 27,88 % des répondants. Puisqu’il
ne s’agit que d’un léger changement graphique (i.e., la sonorité du mot
ne change pas, à la différence des noms comme pompier, -ière et policier,
-ière) les deux termes pourraient être comptés ensemble, donnant un
pourcentage de 43,03 %.

3.4 Noms se terminant au masculin par -eur, à l’exception de -teur


Lorsqu’il s’agit d’un nom qui correspond à un verbe « en rapport séman-
tique direct » (CNRS 1999 : 24), la forme féminine se termine par -euse .
Le changement serveur/serveuse ne sera pas analysé, vu l’existence de la
forme serveuse dans tous les dictionnaires français et son emploi quotidien
en France. La forme féminine de hockeyeur (hockeyeuse), en revanche,
semble problématique bien qu’elle ait été choisie par 61,82 % des répon-
dants. Selon les remarques faites par de nombreux répondants, même le
terme un hockeyeur semblait problématique puisque le terme un joueur
de hockey est, d’après eux, employé plus souvent dans la langue courante.
Qui plus est, les répondants semblaient mal à l’aise avec le terme un hoc-
keyeur, du fait que le hockey ne soit pas un sport très pratiqué en France
(comme il l’est au Canada, par exemple).
Lorsqu’il s’agit d’un nom n’ayant pas de verbe qui lui correspond, ou
si « le verbe n’est pas en rapport sémantique direct » (CNRS 1999 : 24),
on a le choix entre l’emploi de la forme épicène et l’adjonction d’un -e à
la finale. Cette règle s’applique au terme professeur, dont les deux formes
féminines officielles – une professeur et une professeure – ont été choisies à
46,67 % et 17,58 % respectivement. Nous remarquerons que la forme
épicène a été fort préférée à la forme une professeure.

3.5 Noms se terminant au masculin par -teur


Pour ces noms, la forme féminine se termine normalement par -trice sauf
dans le cas des noms docteur, auteur et pasteur où la forme épicène est
conservée et l’adjonction d’un -e à la finale est facultative. Cette règle s’ap-
plique donc aux noms docteur, sénateur, exportateur, traducteur, dont les
formes féminines admises par le gouvernement français sont docteur, doc-
teure, sénatrice, exportatrice, traductrice. Comme nous l’avons vu dans la
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 119

section 2.2., les termes exportatrice et traductrice ont été choisis par 93,33 %
et 100,00 % des répondants respectivement. nous pourrions attribuer cette
très haute fréquence au fait que le terme une traductrice existe depuis assez
longtemps dans le lexique du français. De plus, la similarité orthographi-
que des deux noms et leur proximité dans le questionnaire – traducteur
suivait immédiatement exportateur – auraient pu influencer le choix du
répondant. Cependant, le terme sénatrice n’a été choisi que par 78,18 %
des répondants, un pourcentage plutôt bas par rapport aux autres noms se
terminant de la même façon. En outre, il est bien curieux que les formes une
docteur et une docteure aient été choisies par seulement 0,61 % et 7,88 %
des répondants respectivement, tandis que la forme une doctoresse a été
nettement préférée (83,64 %).

3.6. Morphologie et présence des femmes


La terminaison de la forme féminine proposée par le gouvernement fran-
çais exerce une certaine influence sur son acceptation. Ainsi, les féminins
se terminant par -euse et -trice, et ceux dont la finale ne change pas de leur
forme masculine (e.g., -ogue), semblent plus ou moins acceptés. En revan-
che, certaines terminaisons rencontrent beaucoup de résistance (e.g., -ière,
-eure, -eur). Cependant, les facteurs morphologiques ne peuvent pas à eux
seuls expliquer les réponses des personnes interrogées. Comme on a déjà
montré, la féminisation semble plus acceptée pour les secteurs où les fem-
mes sont majoritaires que pour ceux à majorité masculine. Aussi convient-il
d’examiner l’interaction entre morphologie et secteur. Le tableau 5 (T5)
donne le nombre de formes féminines officielles choisies par secteur (i.e.,
« femmes majoritaires » ou « hommes majoritaires »).

Tableau 5 : Terminaisons et secteurs


Secteurs à forme
-euse -ière -trice [+ e]
majorité... épicène

Féminine 383 (83,26 %) — 216 (93,91 %) 229 (99,57 %) 75 (32,61 %)

Masculine — 119 (25,87 %) 716 (62,26 %) 398 (86,52 %) 539 (46,89 %)

Total 383 (86,26 %) 119 (25,87 %) 932 (67,54 %) 627 (90,87 %) 614 (44,49 %)

Les données fournies dans le T5 confirment d’une part que certaines


terminaisons rencontrent beaucoup de résistance (i.e., -ière et [+ e]). D’autre
part, les résultats vérifient que la présence féminine dans un secteur donné
120 RÉMI ADAM VAN COMPERNOLLE

influence le choix d’une forme féminine. Ainsi, la forme épicène a été


choisie presque catégoriquement pour les professions dans des secteurs
où les femmes sont majoritaires, mais seulement 62,26 % des répondants
l’ont choisie pour les professions dans des secteurs à majorité masculine.
Cette différence est significative : c2 (1, n = 1 380) = 87.583, p = .05. De
même, la terminaison -trice ne rencontre pas de résistance dans des sec-
teurs où les femmes sont majoritaires (féminisation à 99,57 %), mais elle
est moins acceptée pour les professions dans des secteurs majoritairement
masculins (féminisation à 86,52 %). Cette différence est aussi significative :
c2 (1, n = 690) = 31.442, p = .05. Il est clair que plus il y a de femmes dans
un secteur professionnel, plus la forme féminine du titre sera acceptée.

4. Réactions des enquêtés
A première vue, les données semblent suggérer que plus la forme fémi-
nine proposée s’éloigne de sa forme masculine, moins elle sera choisie.
Cependant, le terme une doctoresse – qui diffère considérablement de sa
forme masculine – a été la forme féminine de docteur préférée par les répon-
dants. Les répondants ont également préféré mettre femme devant les noms
policier et écrivain, ce qui est en général considéré péjoratif (voir Fleischman
1997 : 836-837). En plus, le domaine d’activité semble déterminer en
grande partie l’acceptation de la féminisation. Les résultats suggèrent aussi
que l’utilisation d’un déterminant féminin n’a pas été problématique pour
la plupart des répondants. En revanche, le domaine « secours et mili-
taire » semble rencontrer une forte résistance à la féminisation des noms
de métiers, y compris l’emploi d’un déterminant féminin. Les extraits
d’entretiens ci-dessous rendent compte de certains facteurs et influences
qui pèsent sur la féminisation des noms de métiers9. La première chose qui
ressort des entretiens est la question de la sonorité du mot.

Extrait 1 :
E : qu’est-ce que vous pensez de la féminisation des noms de métiers en général
R1-F19 : c’est très bien euh j’en suis très fière
[passage omis]

9. 20 répondants ont offert plus d’éclaircissements sur leur perception de la féminisation


des titres. Les entretiens ont duré environ 30 minutes en moyenne et ont été enregistrés
dans des cafés ou dans le bureau de l’enquêteur. On a demandé aux répondants de par-
ler tout simplement de ce qu’ils pensaient de la féminisation des titres et des politiques
linguistiques du gouvernement français ; ils étaient donc libres à s’exprimer sur les points
qu’ils estimaient importants. Dans les extraits d’entretiens, l’enquêteur est désigné par E
et on a donné à chaque répondant un code alphanumérique. Les conversations ont été
transcrites ici sans corriger les fautes grammaticales, et on n’a pas utilisé sic. Les points
de suspension désignent une courte pause et [silence] une longue pause.
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 121

R1-F19 : non euh je pense que c’est très bien en certain points mais euh ça
donne des noms pas très jolis à l’oreille
E : d’accord comme quoi par exemple
R1-F19 : comme une pompière
E : une pompière
R1-F19 : c’est affreux
E : c’est affreux
R1-F19 : c’est affreux non
E : et pourquoi
R1-F19 : [silence] euh ça sonne mal
Cette répondante n’explique pas pourquoi le terme une pompière lui paraît
affreux, mais il semble s’agir tout simplement de sa réaction à la sonorité du
mot. Elle revient sur cette forme plusieurs fois au cours de la conversation
en parlant de sa familiarité avec la terminaison -ière. D’autres répondants
ont offert plus d’éclaircissements, surtout en ce qui concerne la familiarité
phonétique d’un mot, comme en témoignent les extraits suivants.
Extrait 2 :
E : pour pompier c’est pompière une pompière
R2-H23 : ah bon
E : ouais donc vous ne l’avez pas choisi
R2-H23 : bah c’est la phonétique
E : la phonétique
R2-H23 : j’ai jamais entendu parler…j’ai jamais entendu dire une pom-
pière je savais pas que ça se disait

Dans l’extrait suivant, le répondant va plus loin en mentionnant l’exis-


tence, selon lui, d’un mot dans la langue française.
Extrait 3 :
R5-H20 : en fait c’est ma langue maternelle donc euh j’ai jamais entendu
dire policière pour moi c’est un mot qui existe pas

Ces deux derniers extraits soulignent bien l’inluence de la familiarité


phonétique d’un mot, bien que le changement -ier/ière existe dans la langue
française (e.g., fermier/fermière). C’est le fait de ne jamais avoir entendu une
forme qui la rend étrange. Les femmes dans les extraits suivants s’expriment
sur le fait que certaines professions soient plus « masculines » que d’autres,
d’où la résistance à la féminisation.
Extrait 4 :
R1-F19 : moi je dis j’vais aller chez le docteur
E : chez le docteur…même si c’est une
R1-F19 : même si c’est une femme
[passage omis]
122 RÉMI ADAM VAN COMPERNOLLE

E : pourquoi pas changer au moins le déterminant une docteur…même si


vous changez pas
R1-F19 : bah j’sais pas…ça m’était plus masculin à la base [en]fin
E : d’accord
R1-F19 : avant c’était que des hommes il me semble
Extrait 5 :
R4-F23: je crois que toutes les professions qui sont…masculines…comme
j’sais pas un ministre euh et un docteur c’est des professions qui à la base
étaient exercées par les hommes et maintenant y a des femmes qui les exer-
cent c’est très bien mais c’est pas pour ça qu’il faut réformer euh mon Dieu
toute la langue française [passage omis] pourquoi tout révolutionner euh
surtout dans…surtout dans le domaine de linguistique quoi c’est pas…je
reviens à mon premier truc…c’est pas utile
Il est intéressant de noter non seulement que la répondante dans l’ex-
trait 5 a une certaine perception des professions dites masculines, mais aussi
qu’elle ne voit même pas l’utilité de la féminisation des noms de métiers.
Selon d’autres commentaires faits par cette femme, il semble que l’égalité
entre hommes et femmes ne nécessite pas l’utilisation des noms féminisés, et
que le nom de la profession devrait rester invariable que ce soit un homme
ou une femme qui l’exerce – à moins que ce soit un métier dont la forme
féminine est courante (e.g., une serveuse). Cette conception semble partagée
par bien des répondants.

Conclusion
On a montré que, d’une part, la population interrogée dans cette étude ne
connaît pas les politiques linguistiques de son gouvernement et n’est pas
capable, pour la plupart, d’identifier les formes féminines officielles. D’autre
part, il existe des facteurs linguistiques, socioculturels et psychologiques qui
influencent l’emploi d’une forme féminine. Certains métiers dans des domai-
nes d’activité qui sont majoritairement « masculins » (ou l’ont été tradition-
nellement), par exemple, résistent encore à la féminisation, de fait que peu
de femmes les exercent. Ce qu’exprime en ces termes Houdebine-Gravaud
(1998 : 34) : « Un argument est parfois avancé, d’ordre référentiel. L’absence
de femme, dans le métier ou la fonction, bloque la désignation : un métier
qui n’existe pas n’aurait pas à être nommé. Une théorie linguistique est alors
à l’œuvre chez le sujet qui perçoit la fonction symbolique de la langue, son
«articulation des données de l’expérience» ; elle reste alors conçue comme une
nomenclature désignant les «objets du monde» et un monde possible, autre,
n’est pas envisagé. «A-t-on besoin de nommer ce qui n’existe pas ?». Pourtant
la langue et les sujets inventent les mots de leurs rêves ». Cette conclusion
présente un certain nombre d’interrogations quant à l’emploi des noms
« UNE POMPIÈRE ? C’EST AFFREUX ! » 123

de métiers en France. Les Français n’emploient-ils le féminin que pour des


domaines où il y a un certain nombre de femmes ou une présence féminine
importante ? Comment, quand et pourquoi invente-on « les mots de [ses]
rêves » ? Des études plus approfondies sur la perception de la langue française
et « l’imaginaire linguistique » (Houdebine-Gravaud 1998) pourraient s’avé-
rer utiles pour l’étude de la féminisation des noms de métiers.

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126 RÉMI ADAM VAN COMPERNOLLE

Annexe
Questionnaire : étude lexicale de la féminisation des noms de métiers
et grades en France
Renseignements démographiques
Merci de répondre aux questions ci-dessous avant de remplir le questionnaire,
s’il vous plaît.
Age : ….......... Sexe : H F
Lieu de naissance : .................................................................... (ville et pays)
Depuis quand habitez-vous en France ? ........................................................
(Si vous êtes né(e) en France, veuillez indiquer l’année de votre naissance.)
nationalité : ..................................................................................................
Profession : étudiant(e) ; employé(e) ; autre ....................... (veuillez préciser.)
niveau d’éducation : .....................................................................................

Questionnaire
Veuillez encercler la ou les forme(s) féminine(s) et masculine(s) oicielle(s) de
chaque métier ou grade ci-dessous. Dans les cas où il y aurait plus d’une forme
oicielle (c.-à-d. admise par le gouvernement français), veuillez encercler toutes
les formes oicielles.
1. une serveur, une serveuse, une serveure, un serveur
2. une pompier, une pompieuse, une pompière, un pompier
3. une docteure, une docteur, une doctoresse, un docteur
4. une pilote, une piloteuse, une pilotrice, un pilote
5. une sénateur, une sénateure, une sénatrice, un sénateur
6. une femme hockeyeur, une hockeyeure, une hockeyeuse, un hockeyeur
7. une colonel, une colonelle, une colonelleuse, un colonel
8. une président, une femme président, une présidente, un président
9. une professeur, une professeuse, une professeure, un professeur
10. une policier, une femme policier, une policière, un policier
11. une avocat, une avocate, une avocatrice, un avocat
12. une cardiologue, une cardiologueuse, une cardiologuière, un cardiologue
13. une baby-sitter, une baby-sitteuse, une baby-sitteure, un baby-sitter
14. une exportateure, une exportatrice, une exportateuse, un exportateur
15. une traducteure, une traductrice, une traducteuse, un traducteur
16. une écrivaine, une écrivain, une femme écrivain, un écrivain
17. une psychologuesse, une psychologue, une psychologueuse, un psycho-
logue
Merci de votre participation.

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