Vous êtes sur la page 1sur 7

Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère

Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

L'ORALITÉ ET LE FRANÇAIS FONDAMENTAL


Cette séance porte sur l'émergence du français oral qui va devenir la matière
de l'échantillon de langue dans les manuels de français comme langue étrangère.

Les conditions du changement :


Pendant très longtemps, on n'a pas eu le souci d'apprendre le français oral
comme langue étrangère, ou plutôt on n'avait qu'une représentation vague de ce que
pouvait être le français oral. En ce qui concerne le français qui était enseigné à
l'étranger, il l'était souvent par l'intermédiaire d'ordres religieux dont les
établissements étaient réputés excellents. Cette réputation d'excellence était en
partie due à l'enseignement “classique” du français qui reposait sur la connaissance
de la littérature et des écrivains (cf. la séance 2 sur Les textes littéraires et la norme
du “bon usage”). Personne n'avait alors le souci d'un enseignement du français
adapté à des apprenants étrangers.
Pendant l'époque coloniale, l'administration française n'a pas fait d'efforts
véritables pour que les populations colonisées apprennent le français. Soit elle
considérait que ces populations n'avaient pas besoin d'apprendre le français (ou
alors d'une manière très limitée) soit elle consentait à ce que l'élite socioculturelle
reçoive un enseignement dans des lycées français destinés en priorité absolue aux
enfants des Français d'origine métropolitaine.
C'est à 1947 que remonte le projet d'élaboration du français fondamental
(abrégé FF), tout d'abord commandité par l'UNESCO qui souhaitait une diffusion des
“langues de civilisation” pour propager l'éducation de base. Puis, avec la
décolonisation dès la fin des années cinquante, la situation se transforme; la France
doit faire un effort particulier pour continuer à être présente dans un certain nombre
de domaines ou d'espaces. Se cantonner dans une attitude satisfaite et arrogante ne
suffit plus.

ACTIVITÉ 12

• Lisez l'extrait n°1 :


• Pourquoi la langue française connaît-elle des difficultés de diffusion auprès

1/1
Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère
Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

des étrangers ?
• Quel(s) public(s) désire(nt) apprendre le français et pourquoi ?

Au nom de préoccupations pratiques et utilitaires, pour répondre à des


besoins qui sont considérés comme potentiellement importants pour l'avenir de
l'influence française, le projet du FF entre dans sa phase d'élaboration entre 1951 et
1954. Il s'agit de mettre au point un vocabulaire et une grammaire de base qui
soient adaptés à un public d'étrangers débutants et qui se fondent sur un critère
de fréquence d'emploi. Cet objectif associé à cette démarche constituent une des
grandes innovations du FF.
Comme modèle, il y avait bien sûr l'anglais dont l'apprentissage par des
étrangers était beaucoup plus développé que celui du fançais. Le Basic English
(abrégé BE) existait déjà avec beaucoup de succès. Qu'est-ce que le BE ? En tous
les cas quelque chose de bien différent du FF. Le BE a été conçu par des logiciens,
à la suite de toute une réflexion séculaire de philosophes (Leibniz, Condillac etc.) qui
réfléchissent aux conditions d'élaboration d'une langue universelle. Deux Anglais,
Ogden et Richards, frappés par les définitions des dictionnaires qui utilisent toujours
les mêmes mots élaborent en 1920, ce fameux Basic english, dont l'objectif n'a rien à
voir avec l'enseignement de l'anglais standard. Il s'agit de trouver une langue
minimale avec laquelle on puisse tout exprimer. Ils fabriquent cette langue semi-
artificielle en transformant la langue naturelle, en supprimant par exemple certains
verbes anglais et en les remplaçant par des périphrases etc. Le BE comprend à
l'origine 850 mots. Au bout du compte, il est très vite adapté pour l'enseignement
avec un succès extraordinaire. (Lire l'extrait n°2 pour information)
Le FF représente, quant à lui, le premier degré dans l'apprentissage d'une
langue et il est amené à être enrichi et complété par un deuxième degré voire un
troisième. Nous allons d'abord voir comment il a été élaboré :
Le FF doit être le résultat des enquêtes qui portent sur le français oral (et
non pas comme d'habitude sur le français écrit, la seule variété de français qui était
officiellement reconnue) ce qui représente une deuxième innovation. Il faut
reconnaître qu'il était difficile auparavant de travailler sur le français oral car les
moyens techniques pour la collecte des données n'étaient pas satisfaisants. Ainsi
l'équipe qui a élaboré le FF est enthousiaste par le fait qu'il est techniquement

2/2
Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère
Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

possible d'enregistrer la parole avec des magnétophones portables et “légers de


6kg(!).
Les enquêteurs recueillent les enregistrements oraux auprès d'un échantillon
représentatif de la population française soigneusement répertoriée (cf. Gougenheim
et al. : 1967 : 65). Chaque enregistrement est transcrit puis dépouillé. C'est ainsi que
pour la première fois, on a pu avoir une liste précise de la fréquence des mots du
français oral. L'équipe a fait intervenir deux critères avant de classer les mots
par ordre de fréquence : le critère de fréquence associé au critère de
répartition. En effet, il est nécessaire de pondérer le critère de fréquence en
l'associant à celui de la répartition pour éviter des résultats contestables. Il se peut
que, pour des raisons qui tiennent en partie aux routines langagières d'un individu ou
bien encore au thème traité, un mot soit acidentellement très fréquent dans une
situation donnée sans que cette fréquence soit représentative dans les paroles de
toute une population. Les chiffres donnés sous la colonne répartition représentent le
nombre de documents / locuteurs où le mot relevé a été attesté alors que les chiffres
donnés sous la colonne fréquence correspondent à la fréquence absolue. [Exemple :
R = 5 et F = 30. Cela signifie que le mot a été relevé trente fois en tout dans cinq
documents ou chez cinq locuteurs différents]
Dans le classement obtenu de cette manière, certains mots jugés trop
familiers, à cette époque, ont été éliminés [exemples : copain, vélo, gars] (cf.
Gougenheim et al. : 1967 : 75 et suivantes et lire l'extrait n°3 pour information).

Qu'est-ce qui a été constaté ?


— 1063 mots dont le degré de fréquence ne descendait pas en dessous de 20 ont
été retenus.
— Les différences langue parlée/langue littéraire : lorsqu'il y a plusieurs
synonymes, la langue parlée fait ressortir très nettement celui qui est le plus courant.
Dans la langue littéraire, les fréquences tendent à se rejoindre. Gougenheim et ses
collaborateurs ont comparé les résultats des fréquences obtenues pour le FF avec
ceux des fréquences de l'enquête Vander Beke qui portait sur des dépouillements de
corpus écrits. Voici, ci-dessous, la comparaison de deux résultats. On remarque qu'à
l'oral (FF) maintenant est soixante-dix-huit fois plus fréquent que à présent alors qu'à
l'écrit (Vander Beke) maintenant n'est plus que douze fois plus fréquent. On retrouve

3/3
Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère
Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

un rapport similaire pour casser : à l'oral (FF) il est dix fois plus fréquent que briser
alors qu'à l'écrit (Vander Beke) casser est même moins fréquent que briser.

Enquête du FF Enquête Vander Beke


Répartition / Fréquence Répartition / Fréquence
maintenant 125 / 391 74 / 509
à présent 5/5 22 / 42

casser 22 / 30 30 / 62
briser 3/3 35 / 75
rompre 2/2 23 / 40

— Les mots les plus fréquents sont les mots grammaticaux : Ce sont eux qui
arrivent en tête et de loin (cf. l'extrait n°3 et la liste des dix premiers mots). Par contre
ce sont les noms qui arrivent à la fin. La variation du pourcentage est
proportionnellement inverse entre les mots grammaticaux et les noms.
MOTS GRAMMATICAUX NOMS
Fréquence au-dessus de 5000 = 90% Fréquence au-dessus de 5000 = 0% de
de mots grammaticaux nom
Fréquence de 26 à 21 = 5,7% de mots Fréquence de 26 à 21 = 53,9 % de
grammaticaux noms

On s'aperçoit ainsi que les mots grammaticaux sont, comme les verbes, des
mots stables, quelles que soient les circonstances dans lesquelles on est amené à
les prononcer. Les noms sont plus liés aux circonstances extérieures de la
conversation (lire l'extrait n°4).

ACTIVITÉ 13
Faites vous-même l'expérience :
• Pensez à la fête du Nouvel An et écrivez rapidement 10 mots (dans votre
langue maternelle) qui y sont associés pour vous.
• Traduisez ces mots en français. Envoyez-les.

4/4
Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère
Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

Les mots grammaticaux arrivent en tête de fréquence, mais ils ne suffisent


pas pour construire des phrases, ils doivent être complétés entre autres par des
noms concrets. Les noms concrets sont ceux qui disparaissent le plus vite après les
noms propres dans les aphasies (troubles de la parole qui empêchent d'avoir accès
au lexique). Ce sont les mots grammaticaux qui sont touchés les derniers.
Gougenheim a proposé d'appeler les noms concrets, le vocabulaire disponible :
c'est le vocabulaire qui retient l'attention, celui qui intéresse et qui s'oppose à celui
auquel on ne prête pas attention comme par exemple les mots grammaticaux. On
peut donc dire que le vocabulaire s'emboîte de la manière suivante :
vocabulaire fréquent + vocabulaire disponible
Pour déterminer le degré de disponibilité, l'équipe du français fondamental a
recouru à la méthode des centres d'intérêt (cf. Gougenheim et al. : 1967 : 152-
153). Dans des écoles primaires sélectionnées dans toute la France, des thèmes (ou
centres d'intérêt) choisis et sélectionnés par l'équipe du FF (Exemples : la maison,
les objets dans la maison, les vêtements, le corps etc.) ont été proposés aux élèves
qui ont eu pour tâche de noter dix mots par association d'idée pour chaque centre
d'intérêt donné. Les résultats ont été dépouillés, confrontés et croisés avec, à chaque
fois, un intérêt marqué pour les deux ou trois premiers mots qui venaient en tête de
liste puisque c'étaient eux qui étaient les plus disponibles, donc les plus usuels
(“usuel” ne devant pas être confondu avec “fréquent”; cf. extrait n°4).

L'élaboration du vocabulaire fondamental


Après avoir obtenu le classement des mots par fréquence puis les matériaux à
propos du vocabulaire disponible, il fallut établir sous forme de liste le vocabulaire
fondamental. « L'objectif de la Commission était de donner un vocabulaire courant,
d'étude aussi facile que possible. Ce vocabulaire devait être apte à répondre aux
nécessités de l'existence, mais il devait aussi avoir un caractère éducatif. » (cf.
Gougenheim et al. : 1967)
— En ce qui concerne le traitement fourni par la fréquence : seuls les mots ayant
une fréquence égale ou supérieure à 29 ont été pris en considération et parmi ceux-
là n'ont été retenus que ceux qui figuraient au moins dans cinq textes. On est arrivé à
un total de 805 mots dont on a retiré encore 104 mots pour des raisons diverses (cf.
Gougenheim et al. : 1967 : 199).

5/5
Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère
Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

— A cette première liste obtenue a été adjoint le vocabulaire fourni par le degré de
disponibilité : La commission désirait pouvoir élaborer un vocabulaire éducatif et
universel (pas seulement une photographie de la vie courante). Afin de ménager des
possibilités d'adaptation selon les régions, elle a proposé des possibilités
d'accroissement.
— On est arrivé ainsi à 1475 mots : 692 noms + 339 verbes + 98 adjectifs + 253
mots grammaticaux.

La grammaire du français fondamental


En plus d'une liste de vocabulaire, le français fondamental est constitué
d'une grammaire de base établie, selon ses auteurs mêmes, de la manière suivante :
« La Grammaire du FF (1er degré) a été établie en tenant compte des
résultats de ces différentes statistiques préalables :
1° Dépouillements grammaticaux.
2° Etude statistique de l'interrogation.
3° Liste générale des fréquences du français parlé.
4° Etude statistique des formes verbales.
Alors que toutes les méthodes précédentes d'enseignement du français
à des élèves qui n'ont pas le français pour langue maternelle
procédaient à l'aide d'éliminations empiriques, la Commission du
français fondamental, s'appuyant sur les résultats de ces différentes
enquêtes, a pu procéder plus rationnellement.» (cf. Gougenheim et al. :
1967 : 215)
Cette grammaire dont vous pouvez lire un extrait (n°5) aurait dû avoir pour
objet le français oral et le lecteur pourrait s'attendre à un descriptif des structures
spécifiques de l'oral par rapport à celles de l'écrit. Or il n'en est rien. Les auteurs se
contentent de signaler quelques rares structures jugées “aberrantes”. Il s'agit en fait
de la reprise d'une grammaire des formes et des structures typiques de l'écrit dans
laquelle les auteurs ont eu le souci de ne répertorier que celles qui leur ont paru les
plus fréquentes.
ACTIVITÉ 14
Prenez l'extrait n°5 :
• commentez les recommandations faites au chapitre NOMS en ce qui

6/6
Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère
Enseignant : Danielle Omer Chapitre 4

concerne l'enseignement :
- du genre en français;
- du pluriel en français;
- du féminin en français.
[Vous expliquerez si vous trouvez que c'est une bonne méthode ou non et pourquoi.
Vous direz en outre si vous pensez qu'il manque quelque chose et vous justifierez
votre avis.]

Conclusion
Le français fondamental 1er degré est donc composé d'une liste de mots
(presque 1500) et d'une grammaire très succincte (quelques paragraphes). Cette
élaboration a été faite dans le but de déterminer un niveau élémentaire, ou niveau 1,
qui ensuite sera effectivement complété par le français fondamental 2e degré;
comme son nom l'indique le deuxième degré est de niveau plus avancé, il comprend
notamment le vocabulaire des sentiments et il servira à constituer ce que l'on
appelle le niveau 2. Le FF a été conçu pour un enseignement à l'étranger; il ne devait
pas en fait refléter d'une manière trop étroite la seule réalité française mais il devait
pouvoir servir à l'éducation de tous.
Cependant, le français fondamental 1er degré, qu'il ne faut pas confondre avec
un manuel pour l'apprentissage direct du français, est un outil très difficile d'utilisation
pour les concepteurs de manuels. Ainsi la liste de vocabulaire ne précise pas le sens
des mots retenus; beaucoup sont polysémiques et les utilisateurs du FF hésitent
beaucoup sur les situations dans lesquelles ces mots doivent être intégrés. La
grammaire du FF ne recommande pas une progression qui reste à élaborer
entièrement. Malgré ces critiques majeures, le français fondamental va connaître un
large succès; l'enseignement d'un français élémentaire en relation avec la
priorité donnée à l'expression et à la compréhension orales va se généraliser;
Ce type d'échantillon de langue sera exploité par la conception SGAV
(structuro-globale audiovisuelle) de l'enseignement des langues. Le manuel
Voix et images de la France publié pour la première fois en 1962 par le CREDIF
offrira un exemple réussi de la conception SGAV mise en oeuvre dans des
échantillons de langue issus du français fondamental.

7/7

Vous aimerez peut-être aussi