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RÉFORME DE LA LANGUE

Pour la réforme du participe passé


Mario Désilets et Véronique Léger

Chargés de cours en français écrit à l’Université de Montréal

9 novembre 2019

Une petite tempête s’est déclenchée récemment sur les réseaux sociaux : faut-il réformer
l’accord du participe passé en français ? Nous sommes de ceux qui pensent que oui, et nous
aimerions réagir à certains propos qui ont été tenus dans les médias concernant l’idée qu’il
s’agirait d’un nivèlement par le bas.

De notre point de vue d’enseignants et de didacticiens du français, toute simplification de la


langue est bienvenue si elle s’appuie sur une réflexion rigoureuse et qu’elle améliore la
cohérence du système. L’enjeu à long terme n’est rien de moins que l’attractivité du français
comme langue seconde, et même l’attachement qu’on lui porte comme langue première
[…].

Calquées en partie sur la langue italienne au XVIe siècle, les règles d’accord du participe
passé sont inutilement complexes et ne respectent pas la logique générale du français : c’est
le seul accord qui tient compte de la position du donneur, placé avant ou après le verbe.

En outre, les règles du participe se sont complexifiées au fil du temps. Les grammairiens y
ont ajouté successivement plusieurs couches d’exceptions, qui tendaient le plus souvent
vers l’invariabilité, de façon à s’adapter aux sensibilités de leur époque. On voulait ajouter
des nuances, mais on se souciait peu de la cohérence globale du système […].

Vers une plus grande cohérence

C’est en raison de cette situation déplorable que le Conseil international de la langue


française (CILF) a proposé en 2014 une réforme des règles du participe passé, après avoir
examiné différentes hypothèses au moyen d’outils statistiques. La recommandation du CILF
a par la suite été approuvée par la Fédération internationale des professeurs de français
(FIPF), lors de son congrès tenu à Liège en 2016.
Pour éviter de trop bouleverser les habitudes, le CILF a retenu une solution assez proche de
ce que la plupart des francophones pratiquent déjà, autant à l’oral qu’à l’écrit : le participe
employé avec « être », pronominal ou non, s’accordera avec le sujet ; le participe employé
avec « avoir » restera invariable dans tous les cas. On passe ainsi d’une quinzaine de règles
et d’exceptions à deux règles, sans aucune exception […].

Certains ont vu dans la proposition de réforme une tentative de « nivèlement par le bas »,
sans doute parce que ces règles seraient compréhensibles dès l’école primaire. Mais
l’intention des réformateurs a peu à voir avec un objectif de réduction des échecs en
orthographe, même si plusieurs enseignants espèrent que ce sera un bénéfice collatéral de
la simplification. L’objectif, répétons-le, est d’abord d’améliorer la cohérence du système.

On pourrait comparer cette réforme à celle du Code de la route. Périodiquement, il devient


nécessaire de réformer les règlements afin de s’adapter à une réalité qui ne cesse d’évoluer.
Ainsi, il arrive qu’on modifie « vers le bas » les limites de vitesse autorisées dans certains
secteurs […].

Réalité contemporaine

L’objectif principal des réformateurs est d’améliorer la cohérence du système en tenant


compte de la réalité contemporaine. La représentation de la langue ayant changé depuis le
XVIe siècle, les francophones perçoivent de moins en moins le participe passé employé avec
« avoir » comme un adjectif : son statut verbal s’est affermi, et son invariabilité s’est
répandue parallèlement dans la langue orale. Ceux qui, comme nous, ont l’oreille attentive
aux accords le remarquent dans les médias, et les études statistiques le confirment. Bref,
l’usage ayant évolué, les règles doivent être adaptées […].

Car ce sont bien les utilisateurs d’une langue qui la font évoluer, par une lente modification
des habitudes, souvent imperceptible à l’échelle humaine, et selon des lois d’économie qui
lui sont propres. Les linguistes constatent les usages, puis proposent des règles qui en
rendent compte pour faciliter l’enseignement de la langue. S’il y a matière à débat, en ce
moment, c’est surtout autour des programmes scolaires qu’il doit se tenir.

Soulignons-le, il n’est pas question de modifier les textes déjà publiés ni d’interdire à qui que
ce soit d’appliquer les règles actuelles. Il s’agit simplement de s’entendre sur ce qu’on
devrait enseigner et sanctionner à l’école. Ouvrons un peu les fenêtres pour laisser entrer
l’air et faire mieux aimer notre langue à ceux qui veulent l’apprendre.

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/566644/pour-
la-reforme-du-participe-passe
MAUDITE LANGUE FRANÇAISE
Denise Bombardier

2 novembre 2019

Est-ce la langue française que l’on doit maudire ou plutôt les théories des didacticiens
du français, qui veulent réformer une langue qui serait la bête noire des étudiants ?

Le raisonnement est toujours le même. Le français est une langue trop difficile à
apprendre. Les enfants échouent et les enseignants perdent leur temps à les torturer
pour leur rentrer dans la tête les règles de la grammaire. D’où la conclusion de la
réformer.

Il s’agirait donc de changer les règles de l’accord du participe passé dont le complément
d’objet direct s’accorde lorsqu’il est placé avant le verbe. Exemple : « Combien de fautes
a-t-il faites ? » Avec la réforme, on écrirait « fait ».

Obsession

Des experts québécois s’agitent sur cette question. Mais pourquoi cette sorte
d’obsession qui se retrouve constamment dans tous les secteurs de l’éducation : éviter
la difficulté ? Apprendre devrait être facile, drôle et sans effort, prétend-on.

Les enseignants seraient fatigués d’enseigner à des élèves qui, disons-le brutalement, ne
sont pas doués pour apprendre. Ce n’est pas d’hier cependant que devant l’énormité de
la tâche, des universitaires accusent en quelque sorte la langue française elle-même.

C’est un lieu commun de dire que la langue anglaise est plus facile à apprendre. Mais ce
que l’on ne dit pas, c’est que l’anglais écrit est très difficile. Les enseignants passent leur
temps à corriger les fautes d’orthographe.

Fardeau
Il y a environ trente ans, j’ai interviewé un professeur de l’Université de Montréal, fier
comme un paon de sa théorie. Selon lui, la majorité des Québécois utilisait plus ou
moins 600 mots pour s’expliquer. Ils ne lisaient jamais et préféraient regarder la télé,
selon lui. À quoi bon, alors, tenter de leur enseigner autre chose que ce bagage léger qui
leur permettrait de fonctionner ? C’était une perte de temps et l’acharnement que
mettait le ministre de l’Éducation à maintenir les jeunes à l’école jusqu’à la fin du
secondaire était, économiquement, un fardeau injustifiable, concluait-il.

Je ne laisserai personne m’enfermer dans un personnage de mère fouettarde. Je ne


m’oppose pas à l’évolution de la langue et à son adaptation à l’environnement culturel.
Mais il faut voir dans cette tentative d’alléger la langue écrite et parlée une opération de
nivellement par le bas.

La démocratie en éducation n’est-elle pas d’apprendre à chaque personne à se dépasser


elle-même ? On n’enseigne pas à écrire aux enfants pour qu’ils deviennent des Gabrielle
Roy ou des Dany Laferrière. On ne leur apprend pas la langue des érudits, mais une
langue sur laquelle ils s’appuieront pour exprimer au plus près leurs pensées et leurs
émotions. Une langue qui leur donnera une fierté personnelle et collective.

Ces tentatives répétées de réforme sont des distractions, qui nous éloignent d’une
question lancinante. Les Québécois pavoisent leur fierté d’être francophones, mais sont-
ils vraiment avides d’apprendre ? L’éducation est-elle cette valeur dont nous nous
gargarisons ? Et notre attitude cavalière face à la langue parlée et écrite n’annonce-t-
elle pas un recul de celle-ci, avec ou sans l’accord du complément d’objet direct ? Eh
non, la faute n’est pas aux « Anglais » !

https://www.journaldemontreal.com/
2019/11/02/maudite-langue-francaise

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