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CHAPITRE 15

Arya papillonna des paupières et soupira. Pas de rêve cette nuit, heureusement.

Peu à peu, elle reprit le contrôle de son corps et perçut ce que touchait sa peau.

Elle fronça les sourcils.

Elle sentait dans son dos un bras protecteur et sur son poignet droit la pression d’une main. Elle
souffla et Eragon bougea dans son sommeil.

L’elfe avait niché son nez dans le cou du jeune homme. Elle huma l’odeur de son ami. Un parfum
puissant lui sauta à la gorge. Saphira avait posé son odeur sur lui. Mais Arya pouvait aussi sentir
d’autres fragrances. Elle ferma doucement les yeux et respira profondément.

Eragon sentait la naïveté désarmante des jeunes personnes, mais aussi la maturité. Elle en fut
surprise. Au fond, il était plus mûr qu’elle ne le croyait… Elle continua de chercher avec son odorat. Il
sentait l’empathie, le courage et…

L’amour.

Arya rouvrit brusquement les yeux et faillit renverser Eragon qui s’était rapproché d’elle et la
regardait tendrement. Elle ne l’avait pas senti bouger. La pression dans son dos se fit plus forte.

− Je croyais que tu dormais.

− Non.

Elle détourna les yeux, gênée.

− Il est neuf heures et demie, l’informa-t-il. Tu…

Slytha entra dans la tente et sans préambule, déclara :

− Nasuada veut te voir, Chaud-bouillant.

Puis ressortit non sans avoir souri en voyant les positions respectives de ses compagnons.

Eragon et Arya s’habillèrent en vitesse et sortirent précautionneusement, faisant attention à ce


qu’on ne les voie pas sortir ensemble de la tente de l’elfe. Sur le trajet, Eragon resta silencieux, du
moins avec Arya.

« Que faisait-elle pour que je l’aie surprise de la sorte ? »

« Elle te sentait. » répondit Saphira, qui marchait derrière lui.

« Pardon ? »

« Elle humait ton odeur comme un prédateur. »


« … hume sa proie avant de la dévorer, c’est cela ? » la coupa-t-il.

« Eragon ! Loin de moi l’idée de dire ça ! » s’indigna la dragonne. « C’est une elfe, ses sens sont donc
plus développés que ceux d’un humain. Son odorat aussi. Moi, je peux sentir la peur de mes proies,
par exemple. Et Arya… »

« … Arya me sentait pour les mêmes raisons, non ? »

Saphira gronda. Arya se retourna, inquiète. Un geste d’Eragon l’informa que tout allait bien.

« Espèce de nigaud ! » cria Saphira dans sa tête, provoquant un raffut de tous les diables. « Elle
sentait ton parfum comme toi tu sens son odeur d’épines de pins, elle devinait ton humeur et ton
caractère avec son odorat là où toi tu les déduis quand elle parle ou quand elle bouge ! »

« Mais… »

« Non ! Tu me laisses finir ! Arya est une Métamorphe depuis sa naissance, j’en suis sûre. Si elle avait
voulu te dévorer tout cru, elle l’aurait fait depuis belle lurette ! Réfléchis ! Juste parce que tu
apprends qu’elle est une Métamorphe, tu t’éloignes ! C’est stupide ! »

« Et ? »

« Tu l’as blessée. »

« Elle n’en a pas l’air. »fit-il, buté.

« Un animal blessé lèche ses plaies seul. Arya a sa fierté, qu’est-ce que tu crois ? »

Il n’eut pas le temps de répondre. Ils étaient arrivés au pavillon de Nasuada. Les Faucons de la Nuit
les laissèrent entrer. Slytha était déjà là. Eragon et Arya saluèrent la chef des Vardens et Saphira
passa sa tête à l’intérieur. Une fois assis, ils purent commencer.

− Je vous écoute.

Slytha jeta un œil à Arya avant de prendre la parole :

− Il existe des gens ayant le don de se transformer en prédateurs, qu’on appelle Métamorphes. Ils
vivent sur une île, à l’Ouest. Il y a longtemps, l’Accord fut passé et ni eux ni nous ne pouvons
intervenir militairement chez l’autre. Simplement, comme plein d’entre eux sont aussi liés à
l’Alagaësia, ils peuvent nous aider.

Nasuada fronça les sourcils :

− Des… Métamorphes ? Et qui sont-ils ?

− On a déjà Arya.

Nasuada se raidit, incrédule. Les révélations de Slytha sur les Métamorphes l’avaient surprise. Mais
ce n’était rien comparé à ce qu’elle venait de dire.

− Pardon ?
− Je suis une Métamorphe, répondit calmement Arya. J’adopte ma forme animale à souhait, et
lorsque vient la pleine lune, je me transforme involontairement, et je suis bien plus animale et
sauvage.

− Et Arya n’est pas la seule ! s’exclama Slytha, enchantée à l’idée qu’il y ait d’autres Métamorphes
pouvant les aider. Il y en a plein qui peuvent venir apporter leur aide !

− Et où sont-ils ? demanda Nasuada, que l’idée commençait à séduire.

−Certains sont sur leur île. Il faut aller les chercher.

Nasuada acquiesça doucement en réfléchissant aux avantages que cela pouvait représenter. Toute
une armée d’individus se métamorphosant à souhait en dangereux prédateurs. L’ennemi serait tant
pris au dépourvu qu’incapable de comprendre. C’était une bonne idée.

− Qui ira…, commença Eragon.

− Moi, décida Arya.

Eragon sursauta, stupéfait, craignant d’avoir mal entendu :

− Quoi ? Mais quand ? Pourquoi ?

− Je pars d’ici quelques jours pour l’île des Métamorphes, répéta l’elfe.

− Mais…

− J’irai, Eragon. Ce n’est pas toi qui m’en dissuaderas.

Il resta muet, sous le choc. Arya allait le quitter bientôt. Elle partirait sûrement avec Dragan, Kaelig et
Wilhen. Et Kaelig était Faölìn. Un brusque accès de jalousie s’empara de lui. Il serra les poings à s’en
faire blanchir les phalanges. Et comment reviendrait-elle ? Sauvage, comme les trois Métamorphes ?
Presque méconnaissable ?

Nasuada reprit :

− Soit. Je te fais confiance, Arya.

L’elfe la remercia puis la chef des Vardens se tourna vers Eragon :

− Te souviens-tu de tes prisonniers ?

− Oui.

− À ma demande, Jormündur les a installés à l’écart. Tu les entraîneras, afin de parfaire leur méthode
militaire, et ils formeront ta garde personnelle. Tu commences dès aujourd’hui.

− Ma Dame.

Les trois compagnons furent congédiés et sortirent. Ils se rendirent donc là où les soldats étaient
établis, selon les indications de Nasuada. Sur le trajet, ils restèrent muets. Eragon se posait et se
reposait les mêmes questions. Pourquoi Arya voulait-elle partir ? Comment reviendrait-elle ? Et si
elle voulait s’éloigner de lui ?

− Ne t’en fais pas, Chaud-bouillant, dit Slytha. Elle reviendra, ta n’elfe préférée.

Arya leva les yeux au ciel, exaspérée.

Eragon ne répondit pas. Malgré leur rapprochement physique, Arya n’en était que plus distante par
la voix et l’attitude.

« Laisse-la s’accepter. » lui fit Saphira.

« S’accepter ? Tu rigoles ? Et moi, elle m’accepte, peut-être ? »

« Je suis sûre qu’être Métamorphe présente des inconvénients, comme toute chose. L’impression
d’appartenir à deux races, par exemple. Mais ça, tu sais ce que ça fait, n’est-ce pas ? Et malgré tout,
tu rechignes à la comprendre ? Pff ! »

Ils arrivèrent. Les soldats étaient au nombre de seize. Eragon leur annonça l’ordre de Nasuada, ne
disant pas pour autant qu’elle en était l’instigatrice. Slytha proposa son aide et l’entraînement
commença.

« Tu lui en veux ? » demanda Saphira.

Arya ne répondit pas. Elle avait laissé Eragon et Slytha entraîner les soldats et s’était assise à l’écart,
en haut d’un modeste promontoire herbeux. Saphira l’avait suivie. La dragonne resta derrière l’elfe,
attendant qu’elle se décide enfin.

« De quoi lui en voudrais-je ? » dit-elle tout bas, de façon presque inaudible.

« De sa réaction. »

Arya demeura muette. En voulait-elle à Eragon ? Il était vrai qu’elle lui avait caché la vérité sur elle, et
ce à maintes reprises. Mais… cela excusait-il sa conduite presque craintive à son égard ?

« Non. » lui souffla Saphira, qui avait suivi le fil de ses pensées. « Et tu le sais. Sa réaction n’est pas
digne de lui. Il a pris peur et ne sais plus comment te voir. Cela dit… »

« Cela dit ? »

« Cela dit, ton comportement n’est pas non plus très compréhensible. Tu le laisses te toucher, tu
dors à moitié nue avec lui et tu n’en es que plus distante. Vous devez tous les deux vous remettre en
cause. »

Arya ne dit rien. Saphira la sentit s’attrister et se rapprocha de l’elfe. Elle s’installa à son côté et sa
tête écailleuse vint reposer sur les genoux d’Arya. L’elfe posa sa main droite sur son museau.
« Eragon est mon Dragonnier, mais tu es mon amie, Arya. Et je n’aime pas te voir ainsi tourmentée.
Eragon et toi souffrez tous les deux, et je n’en suis que plus chagrinée pour vous. J’ai l’impression que
vous passez l’un à côté de l’autre. Lui est timide, il a peur de t’offenser par mégarde, il n’ose pas. Toi,
tu es distante, sèche, intouchable, et pourtant bien plus fragile que tu n’en as l’air. Je sens dans
toutes les fibres de ton corps que tu ne lui es pas indifférente, contrairement à ce que tu veux bien
laisser croire. Tu sais que si tu ne fais rien, que si tu ne te décides pas, quelqu’un d’autre le fera à ta
place. Et nous savons toutes les deux que Trianna a des vues sur Eragon et si tu lui laisses le champ
libre, elle te le prendra. Et encore une fois, nous savons toutes les deux qu’il t’appartient déjà un peu.
Bon, plus à moi, tout de même » fit-elle, ce qui fit sourire Arya. « Mais il n’empêche que c’est vers toi
que ses sentiments se portent et que son cœur t’est déjà acquis. Mais par dépit, il serait
parfaitement capable de laisser Trianna manœuvrer pour lui. Et cela, personne ne le veux. »

Arya respira doucement, une main sur le museau de Saphira, l’autre à la base de son cou, derrière sa
tête.

« Je ne peux pas, Saphira. Eragon est Dragonnier, l’espoir de tous les rebelles, les elfes, les nains… si
quiconque le détourne de… »

Saphira souffla bruyamment par les naseaux, provoquant un peu de fumée :

« Sottises. S’il y a bien une personne qui ne le détournerait pas de son devoir, c’est toi. Justement,
Arya, avec toi, il serait mieux, heureux, complet, entier, dans une complétude parfaite. Je sais que tu
veux œuvrer dans son intérêt. Mais justement, son intérêt, ce serait d’être avec toi. Nous le savons
toutes les deux, Arya. Comme nous savons que quand il te regarde, il te dévore des yeux, il s’attarde
sur tes lèvres en se demandant – presque coupable – quel goût elles auraient et que son regard se
porte régulièrement sur les courbes de ton corps. Qu’attends-tu ? »

« Nous serions vulnérables. » répondit Arya. « Je serai sa faiblesse, comme il représenterait mon
point faible. Souviens-toi, quand Jack m’a attrapée à la gorge. Rien que pour me libérer, il a accepté
que Jack lui fouille l’esprit ! »

« Il tient à toi. »

« Sûrement. Mais il n’a pas à mettre les rebelles en danger pour moi. »

« Quelle exigence ! » railla Saphira. « Quel homme aurait raison à tes nobles yeux ? »

Arya sourit. Elles restèrent silencieuses pendant un long moment, savourant ce doux moment de
complicité. Juste ensemble. Puis Saphira dit :

« Quand iras-tu ? »

« Demain, je pense. Le plus tôt sera le mieux. »

« Eragon ne va pas aimer… »

« Nom d’un chien, Saphira ! Je ne suis pas sa femme ! »

La dragonne pouffa et Arya rit. Soudain, Saphira se redressa :


« Il a fini l’entraînement. Mais… que… Trianna vient de… »

Elle gronda. Arya devina aisément les faits. Eragon avait achevé la séance d’aujourd’hui et sur le
chemin du retour qui le menait à sa tente, Trianna l’avait intercepté et sûrement embrassé.

« Il est dans la tente de la sorcière. Je n’ai plus accès à ses pensées. Maudite soit-elle ! »

Arya lui flatta l’encolure :

« Laisse. Tant pis, il sera tourmenté par les rêves qu’il fait de moi… Cela le fera réfléchir à deux fois. Il
se fait tard, je vais me coucher. »

« Bonne nuit, Arya. »

« Merci, à toi aussi. »

L’elfe se leva gracieusement et s’enfonça dans le sombre dédale de tentes.

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